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ANNALES
CATHOLIQUES
NOUVELLE SERIE
II
A.VRIL,-.TUII!V
1886
ANNALES
CATHOLIQUES
REVUE HEBDOMADAIRE
PUBLIÉE AVEC l'aPPBOBATION ET l'ENCOUHAGEMENT
DE LEURS ÉMINENCES U^' LE CARDINAL-ARCHEVÊQUE DE ROUEN
ET LE CARDINAL-ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI,
DE LL. EXC. MS' l'archevêque DE REIMS, ET LES ARCHEVÊQUES DE TOULOUSE,
DE BOURGES, D'aIX ET DE BESANÇON, ET DE NN. SS. LES ÉVÊQUES d'aRRAS,
DE BEAUVAIS, d'aNGERS, DE BLOIS, DE CAHORS, d'ÉVREUX, DU MANS,
DU PUY, DE LIMOGES, DE CHALONS, DE MEAUX, DE MENDE, DE NANCY,
DE MARSEILLE, DE NANTES, DE NEVERS, DE NIMES, d'ORLÉANS, DE PAMIERS,
DE SAINT-CLAUDE, DE SAINT-DIÉ, DE TARENTAISE, DE TROYES, D'aUTUN,
DE VANNES, DE SÉEZ, DE FRÉJUS, d'aNNECT, DE CONSTANTINE, D'hÉBRON,
DE CARACAS, DE CARTHAGÈNE, d'oLINDA, DE LÉON DU MEXIQUE, ETC.
RÉDACTEUR EN CHEF
P. CHANTREL
CHEVALIER DE l'oRDRE DE L'iMMACULÉE-CONCEPTION
TOME DEUXIEME
AVRIL -JUI]^
1SS6
(tome lvii de la collection)
(L.'-fir><iSS^<ns'~r*-»
PARIS
114, RUE BLOMET, 114.
PARI?. — IMP. DE L ŒUVRE DE SAINT-PAUL, G. PICQUOIN
51, RUE DE LILLE, 51
ANNALES CATHOLIQUES
-©^-«CZiQCIS*':^-
LES INTENTIONS DE LEON XIII
Au lendemain de l'avènement de Léon XIII, un illustre pré-
lat, Mgr Merraillod, précisait en ces termes les rapports qui
unissaient, dans son espoir, le Pontificat qui venait de finir avec
celui dont il saluait l'aurore :
Il y a dans les âmes comme un pressentiment que le glorieux
tombeau de Pie IX est le portique de l'ordre social chrétien. Le
grand Pontife à qui l'univers entier a rendu hommage dans un deuil
plein d'espérance, nous semble Moïse dirigeant le peuple de Dieu
à travers les souffrances et les luttes; ses prières nous obtiendront
un Josué qui nous conduira à la terre promise des triomphes évan-
géliques Pie IX a tracé le plan et les lois de la société chrétienne;
Léon XIII, c'est notre espoir, les appliquera aux constructions des
temps nouveaux.
Si le cardinal Pecci n'avait pas justifié d'avance ces espé-
rances, nous dirions volontiers que ces prévisions étaient une
prophétie. Est-ce que Mgr Mermillod s'est souvenu de sa pré-
diction, lorsque, tout récemment, en compagnie de tout ce que
Rome avait de plus distingué, il célébrait le huitième anniver-
saire de l'avènement de Léon XIII, dans ce cercle du Vatican,
dont sa brillante et délicate parole a fait l'ornement et la vie?
Nous le savons, Mgr Mermillod a semé tant d'opportunes pa-
roles à travers le monde, qu'il peut bien s'accorder la permis-
sion d'en oublier quelques-unes. Il n'y a que les pauvres qui
portent tout leur trésor avec eux. Pour nous, qui avions gravé
dans notre mémoire ces glorieux pressentiments, nous sommes
heureux de les reproduire aujourd'hui que les événements les
ont vérifiés. Ecrites il y a huit ans, les lignes que nous avons
citées dessinent l'œuvre de Léon XIII, et résument, pour ainsi
dire, les deux lettres pastorales que Sa Grandeur a laissées
à ses diocésains, à son départ pour Rome. En ce moment,
Mgr Mermillod ne dit plus : « C'est notre espoir ! » mais : « C'est
la consolante réalité ! »
6 ANNALES CATHOLIQUES
Le grand Pontife qui préside aux destinées de l'Église a achevé
de démêler l'ombre d'avec la lumière, et il vient d'appliquer
aux reconstructions des temjis nouveauoj les lois de la société'
chrétienne définies par Pie IX. Tout est dans ces paroles : la
suite des deux Pontificats, la mission de Léon XIII et jusqu'au
titre de l'admirable Encyclique qui clôt, coordonne, complète et
applique les enseignements des Papes antérieurs.
Mgr Mermillod a donc eu le privilège de pressentir la mission
de Léon XIII; il'a aujourd'hui le mérite de comprendre les inten-
tions du Souverain-Pontife et d'en donner de lumineux com-
mentaires. Nous avons rapporté les directions si précises et si
sûres que l'illustre évêque donne aux journalistes ; cette page a
été reproduite par la presse étrangère. Le mandement de carême
nous fournit des éclaircissements sur les intentions de Léon XIII ;
nous nous faisons une joie de les recueillir. La question est im-
portante. Sa Grandeur nous explique comment le Pape entend
les reconstructions des temps nouveaux.
Léon XIII veut surtout reconstruire; mais il comprend que
les assises de la cité chrétienne ne peuvent reposer que sur des
âmes chrétiennes. Il ouvre donc encore une fois sur le monde
les trésors de la sainte Eglise. Il convoque les fidèles à la péni-
tence, à la prière, au renouvellement intérieur. C'est l'habitude
du grand Pontife de faire suivre les actes de sa haute adminis-
tration d'un appel à la prière. L'opportunité de la nouvelle faveur
qu'il fait au monde ne peut échapper à personne. Les salutaires
leçons sur « les questions contemporaines les plus brûlantes et
« les plus délicates » resteraient sans fruit, si elles ne tombaient
sur des âmes bien préparées. Les plus lumineuses théories sur
l'organisation des sociétés seraient stériles, si chacune ne s'ap-
pliquait « à penser et à agir chrétiennement aussi bien en public
« que dans son particulier; car l'ordre politique... se forme à
« l'image des opinions et des mœurs. » Ces paroles du Souve-
rain-Pontife nous marquent le lien qui rattache l'Encjclique sur
le Jubilé à celle sur la constitution chrétienne des Etats. « Il y
« a une raison particulière, ajoute-t-il, qui fera paraître plus
« opportune que jamais Notre décision. En efî'et, après que Nous
« avons enseigné, dans Notre dernière Lettre encyclique, com-
« bien il importe aux Etats de se rapprocher de la véz^ité et de
« la forme chrétienne, on comprendra facilement combien il
« importe au but que Nous Nous y sommes proposé de Nous
« efforcer, par tous les moyens eu Notre pouvoir, d'exciter ou
LES INTENTIONS DE LÉON XIII 7
« de ramener les hommes aux vertus chrétiennes. Car un Etat
« est ce que le fout les mœurs du peuple... L'ordre politique
« périt, et avec lui tout ce qui constitue l'action de la vie pu-
« blique, s'il ne procède que du fait des hommes... » Léon XIII
demande deux choses aux catholiques : des croj'ances et des
vertus renouvelées dans la pénitence et la prière ; la cessation
des dissentiments qui les affaiblissent.
Laissant à la chaire clirètienne l'éloquente thèse oii Sa Gran-
deur a développé la doctrine des indulgences, nous rapporterons
ici les commentaires qu'elle donne sur la double intention du
Souverain-Pontife.
Quelles sont donc les intentioas du Chef de l'Égliso dans la publi-
cation de ce Jubilé? Léon XIII, nous l'avons dit, veut relever le sens
surnaturel dans les âmes, fortifier les liens qui doivent resserrer les
enfants de la foi; il supplie les âmes de se convertir, de se sanctifier
et de s'unir. Il faut former avant tout des chrétiens qui vivent de l'es*
prit de Jésus-Christ, qui le reçoivent dans leurs cœurs, afin qu'ils
soient de-s citoyens qui le gardent dans un peuple.
Sans doute, Léon XIII est ému devant les périls qui menacent la
société et les persécutions soulevées contre l'Eglise; mais ce qui anime
son zèle, ce sont les dangers intérieurs de l'Eglise, c'est-à-dire des
fidèles qui n'ont plus l'esprit de Jésus-Christ; ce sont des catholiques
qui perpétuent leurs discordes et ne savent pas répondre à l'appel du
Sauveur : « Que mes disciples soient consommés dans l'unité ! »
Hélas ! Léon XIII peut répéter la plainte de l'apôtre saint Paul : « Je
« le dis avec des larmes, il y en a beaucoup parmi vous qui sont ennemis
« de la croix de Jésus-Christ. » Les demi-vérités gouvernent les intel-
ligences et les demi-vertus régnent dans les âmes; de là un christia-
nisme affadi et un Évangile abaissé dans la vie pratique. Ne l'oubliez
pas, notre siècle est celui des transactions. On tend à amalgamer le
bien et le mal, le vice et la vertu, la foi et l'incrédulité. A peine
trouve-t-on un caractère ferme et constant; les luttes d'ambition, les
rivalités personnelles, l'amour immodéré du bien-être, la soif de la
fortune, la course aux plaisirs, l'horreur de la peine et la fuite du
travail, tout ce qui corrom.pt ou énerve les âmes pénètre les popula-
tions chrétiennes. La piété trop superficielle subit cette influence
délétère : elle vit de dévotions faciles ou bruyantes; elle remplace
l'esprit de sacrifice, la religion simple et sérieuse, sans faste, par des
émotions où l'on cherche, dit saint François de Sales, plus les consO'
lations de Dieu q^ie le Dieu des consolations. Ce christianisme
amoindri redoute l'abnégation, s'alarme de ce qiii crucifie la nature;
il cherche à convertir en jouissances mondaines les devoirs les plue
saints, même les obligations de la charité. Les livres de piété se voient
dans les mêmes mains que les pernicieux romans en vogue; les fautes
8 ANNALES CATHOLIQUES
laissent plus de dépit et de mécomptes d'orgueil que de vrai repentir;
la pénitence est réduite à des mitigations habiles. L'éducation de
l'enfance elle-même n'est plus la formation des hommes énergiques
et des femmes fortes; elle n'a d'autre point d'appui que l'attrait du
plaisir et le succès de l'amour-propre. Hélas ! les robustes populations
de nos campagnes n'échappent pas à ces séductions : ne les voyons-
nous pas quelquefois déserter les joies bienfaisantes de la famille, les
allégresses de nos offices religieux, les chants de nos vêpres, pour ces
réunions où des jeunes gens, des chefs de maison et même des vieil-
lards vont détruire, dans une ivresse coupable, leur fortune modeste,
leur santé et leur conscience? Que le Jubilé, à l'appel du Pape, nous
rende les mâles vertus de nos ancêtres; que sous le souffle de la
parole évangélique, les âmes se relèvent en écoutant les leçons du
Sauveur : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-
« même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive ! »
Voilà le christianisme tel qu'il est compris, accepté et pratiqué;
il n'y en aura jamais d'autre. Ni les demi-vérités dans les croyances,
'ni les demi-vertus dans la vie ne font de sérieux disciples de l'Évan-
gile.
D'où vient donc cette altération du sens chrétien? L'Épiscopat
suisse en a signalé les causes : la presse irréligieuse, antichrétienne,
qui verse le blasphème sous des apparences scientifiques ou des
formes licencieuses, l'esprit de famille qui se dissout, le dimanche
profané par des fêtes qui envahissent le temps réservé à la prière
publique. Ne soyez donc pas surpris que le Chef de l'Église donne
à nos avertissements l'autorité et la solennité de sa parole.
Il déplore aussi le partage que font des consciences trop faciles :
elles allient l'esprit du monde et les exercices de piété; chez quelques
tommes, la vie publique n'est pas toujours en rapport avec la vie
privée. Nul ne peut servir deux maîtres. La conscience ne peut pas
être double ; partout et toujours l'existence entière doit être péné-
trée d'un même principe et rapporter à Dieu tous ses actes.
Le Souverain Pontife déplore ces pusillanimités ou ces erreurs de
quelques croyants qui ont une conscience devant Dieu et une autre
dans la vie sociale. C'est en vain que le naturalisme voudrait séparer
la vie civile de la vie religieuse ; la foi doit tout inspirer, le juste vit
de la foi. Faire abstraction de l'Évangile dans le devoir social, agir
â l'extérieur comme si le christianisme n'existait pas, c'est mécon-
naître l'influence de la religion, ses rapports avec la morale, et faire
nn partage que Dieu et la conscience réprouvent.
Ce qui surtout attriste profondément le Vicaire de Jésus-Christ,
ce sont les discordes qui affaiblissent l'union entre les catholiques;
sa parole émue révèle les douleurs intimes de son cœur ; plusieurs
fois déjà il a multiplié ses instances; aujourd'hui il rend responsables
devant Dieu les Évêques s'ils n'usent pas de leur autorité et de leur
LES INTENTIONS DE LIÉON XIII 9
vigilance pour écarter ce mal de la division, qui est toujours l'œuvre
de l'ennemi de Jésus-Christ. Entendez, nos très chers frères, ces
accents du Père de nos âmes; comprenez que cette faveur du Jubilé
est surtout accordée dans le but de rétablir la paix des esprits et des
cœurs !
Comme ses prédécesseurs, et avec non moins d'énergie que
les plus illustres d'entre eux, Léon XIII a condamné les fausses
doctrines et les fausses libertés qui portent le nom de droit
nouveau. Il a réprouvé solennellement l'indifférence religieuse
sociale; la liberté illimitée de penser, de parler et d'écrire; la
séparation de l'ordre civil et de la religion, de l'Église et de
l'État, de la vie publique et de la conscience privée, du chrétien
et du citoyen, etc. Mais en même temps, il salue et bénit tout
ce qui fait l'honneur de notre civilisation : la sauvegarde des
intérêts des peuples, le respect de la grandeur et des droits de
la personnalité humaine, l'exercice d'une sage liberté dans la
famille, la commune et l'Etat.
Il encourage « tous les vrais progrés des sciences, des lettres,
des arts, de l'industrie, l'amélioration matérielle et morale des
classes ouvrières, les découvertes fécondes du génie, les oeuvres
admirables de la foi et de la sainteté (1) ». Depuis son avène-
ment à la Chaire de Saint-Pierre, il s'efforce de réconcilier les
peuples et les princes avec l'Église et de ramener partout la
concorde et l'union entre les deux autorités. Or, qui ne com-
prend combien ces efforts seraient infructueux et quel sujet ils
prêteraient même à la dérision des impies, si le Pape, qui prêche
partout la paix dans le monde, ne parvenait à la faire parmi
ses propres enfahts ? Aussi, chaque Encyclique semble accroître
la force de ces pressantes adjurations. Aujourd'hui, il rejette,
pour ainsi dire, la faute de ces dissensions permanentes sur ses
vénérables Frères dans l'épiscopat. « Vous êtes les gardiens
« de la discipline ecclésiastique et de la charité mutuelle, leur
« dit-il; Nous voulons que vous appliquiez sans cesse votre
« vigilance et votre autorité à écarter un si grave dommage.
« Faites en sorte par vos avis, vos exhortations, vos reproches,
« que tous aient souci de garder Vunité de l'esprit dans le
« lien de la paix, et que les auteurs de ces dissensions, s'il en
« est, reviennent à leur devoir. »
(1) Lettre collective des évoques de la province ecclésiastiç[ue dQ
Normandie, à Sa Sainteté Léon XIII.
10 ANNALES CATHOLIQUES
Sur cette question délicate, nous recueillons avec respect la
parole de Mgr Mermillod :
a Mais parce que le premier et le principal fruit du Jubilé, comme
Nous l'avons indiqué tout à l'heure, doit être l'amendemenl de la
vie et le progrès dans la vertu, Nous estimons qu'il est tout parti-
culièrement nécessaire de se tenir à l'abri du mal sur lequel Nous
avons appelé votre attention dans notre précédente Lettre encycli-
que. Nous voulons parler des dissensions intestines et pour ainsi
dire domestiques de quelques-uns d'entre nous; elles rompent ou
au moins relâchent les liens de la charité, et font aux âmes un
tort plus grand qu'on ne saurait dire. C'est pourquoi, Vénérables
Frères, Nous vous l'avons de nouveau rappelé ici, à vous qui èles
les gardiens de la discipline ecclésiastique et de la charité mutuelle,
parce que Nous voulons que vous appliquiez sans cesse votre vigi-
lance et votre autorité à écai'ter un si grave dommage. Faites en
sorte par vos avis, vos exhortations et vos reproches, que tous
aient souci de garder l'unité de l'esprit dans les liens de la paix,
et que les auteurs de ces dissensions, s'il en est, reviennent à leur
devoir, se rappelant pendant le cours de leur vie que le Fils unique
de Dieu, à l'approche même des derniers tourments de sa Passion,
ne demanda rien à son Père avec plus d'instance, que ceux qui
croyaient ou qui devaient croire en lui, s'aimassent les uns les
autres, afin que tous soient un, comme vous, mon Père, vous l'êtes
en moi, et moi en vous, qu'eux aussi soient un en vous. »
Nul catholique ne voudra résister à ces pressantes exhortations ;
quelle joie pour le Père de la famille chrétienne s'il voyait ses fils
réaliser cette belle union des fidèles où la multitude des croyants
n'avait qu'un C02ur et qu'une âme ! Les païens s'écriaient : Voyez
comme ils s'aiment 1 et le succès était l'accroissement des chrétiens.
Cette union de tous les enfants de l'Eglise, des fidèles avec les
prêtres, des prêtres et des fidèles avec les évoques, de tous avec
le successeur de Pierre, c'est là notre force invincible, notre force
déjà victorieuse, même à l'heure où nous semblons vaincus.
Sans doute, il y a des situations diverses, il y a des émulations
légitimes dans l'ordre temporel; vous avez le droit, à cause du libre
jeu des institutions modernes, de nos constitutions démocratiques, de
prendre part à nos comices électoraux ; bien plus, vous avez le devoir
et la responsabilité devant Dieu et devant le pays de choisir comme
dépositaires de l'autorité ceuxque leur foi sincère, leur probité, leur
expérience, leur désintéressement indiquent à vos suffrages ; vous ne
devez jamais être ni serviles, ni factieux ; jamais non plus il n'est per-
permis d'user de calomnie, de déloyauté, ou de garder la haine dans le
cœur. Qui que vous soyez, modestes travailleurs, hommes de race
ou de fortune, simples citoyens ou magistrats, vous êtes tous frères
LES INTENTIONS DE LÉON XIII 11
en Jésus-Christ. Ni la naissance, ni la richesse, ni la politique, ni
les compétitions d'affaires, rien ne vous dispense des lois qui sont
le fondement de la vie chrétienne, de l'humilité, de l'abnégation,
de la charité; sans ses vertus, on peut avoir une apparence de
christianisme, mais on n'est pas un vrai disciple de notre adorable
Sauveur. Les divisions usent les forces et dépensent en pure perte
les meilleures énergies d'uu pays; elles le conduisent à la décadence.
Saint Augustin le proclamait : « Faites l'unité dans une multitude,
« vous avez un peuple ; ôtez l'unité, vous n'avez plus qu'une foule,
« Qu'est-ce, en effet, qu'une foule, si ce n'est une multitude trou-
a blée ? »
Ne l'oubliez pas, nos très chers Frères: les discordes civiles
engendrent les paroles, les sentiments de l'envie et de la haine; là
est la source de nombreux péchés. Prenez garde, Dieu a des ï-e-
présailles. « Nos péchés, s'écriait avec tristesse un grand Pontife,
« saint Grégoire, nos péchés accablent l'Etat ; la République n'en
a peut plus sous ce poids. »
Dieu nous est témoin que dès les premières heures de notre
retour sur le sol de notre patrie, nous n'avons cessé de prier avec
toute notre ardeur le Prince de la paix de vous l'accorder; nous
avons conjuré nos bien-aimés diocésains de travailler à cette
unité, qui est le bien le plus désirable des peuples ! Que de fois
nous avons invoqué avec des larmes l'austère et doux pacificateur
de la Suisse, notre Bienheureux Nicolas de Flûe, le suppliant de
hâter pour ce cher pays tout entier le règne de la justice et de la
paix : Orietur justitia et abundantia pacis I Que le Jubilé porte ses
fruits, et que les chrétiens dociles à la voix paternelle et souveraine
de Léon XIII affirment la vérité sans alliage et sans faiblesse,
mais qu'ils ne blessent jamais la charité, qui est la perfection de
la loi.
Nous espérons ces consolants résultats, nous les espérons
de votre foi, de votre obéissance, de la prière unanime du monde
catholique ; nous l'espérons surtout de la protection de la Reine
delà paix, de Notre-Dame du Rosaire. Ce doux Jubilé du pardon
et de l'amour est en l'honneur de la Vierge bénie ; il est confié à sa
maternelle protection ; jamais elle n'a été invoquée en vain ! Nul
catholique ne repoussera les secours de notre Mère dans le ciel
et ne trompera les saintes espérances de notre Père qui est au
Vatican. Le récent triomphe public de l'Eucharistie , qui est le
centre de l'unité et le lien de la chainté, nous présage ces grâces
de prédilection.
12 ANNALES CATHOLIQUES
L'ARTICLE 58
DE LA NOUVELLE LOI SUR l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE
Lettre de Mgr Turin xz à M. Goblet.
(Suite et fin, — V. les numéi'os précédents.)
Ainsi c'est bien entendu, la liberté des négations sacrilèges,
la liberté de l'immoralité qui s'étale partout, la liberté des
grèves qui ruinent les patrons et les ouvriers, et qui menacent
la sécurité de notre pajs, la liberté des réunions où tous les
crimes sont encouragés et glorifiés, la liberté absolue des mem-
bres de la Commune devenus députés, en attendant qu'ils devien-
nent ministres, la liberté des théories sauvages exposées à la
tribune de nos assemblées, ces libertés-là ne sont pas l'anarchie,
ce sont des libertés précieuses et nécessaires, des libertés qui
font aujourd'hui déjà et qui feront demain plus encore la pros-
périté et la gloire de la France. Mais la liberté de la religion
de la majorité des Français, la liberté des familles chrétiennes,
la liberté des consciences et des âmes, la liberté de l'enseigne-
ment privé et des congrégations enseignantes, la liberté du
dévouement dans nos hôpitaux, la liberté de l'enfance, la
liberté de la vie, de la mort et de la sépulture elle-même," la
liberté des admirables Frères de nos Écoles, et de nos reli-
gieuses héroïques, vous l'avez dit, c'est l'anarchie !
Évidemment, Monsieur le ministre, vous avez juré de dépasser
les plus sombres prévisions, et de jeter un perpétuel défi au
sens commun et au sens moral !
Je l'ai déjà fait remarquer, mais je trahirais un grand devoir
de justice et de reconnaissance si je n'insistais de nouveau.
L'article que le Sénat vient de voter atteint, au premier rang,
les Frères des Écoles chrétiennes, les disciples de l'abbé de la
Salle. Et quelle congrégation pourrait leur être comparée au
point de vue du nombre des maîtres qu'ils fournissent à l'ensei-
gnement primaire, et au point de vue de l'éclat des services
qu'ils rendent dans l'univers entier? Pour moi, je les connais
bien, je les ai étudiés de près : dans leurs constitutions, dans
leurs noviciats, dans leurs travaux de chaque jour, dans leur
vie si austère et si pauvre ; et j'affirme que parmi les congre-
l'articlk 58 13
gâtions religieuses d'hommes, il n'en est pas une qui soit
supérieure à ce grand institut par l'esprit religieux, par la
régularité, par l'obéissance parfaite et par le vrai dévouement.
Ces humbles religieux, ils sont bien les frères, les chers
frères des ouvriers et des pauvres, dont ils élèvent les enfants.
C'est leur saint fondateur qui a été le vrai initiateur de l'ensei-
gnement des enfants du peuple. Le grand Lorrain, Pierre Fourier
qui avait réussi à fonder l'enseignement des jeunes filles, avait
échoué pour l'enseignement des garçons.
Cet enseignement des écoles primaires, des écoles vraiment
nationales^ parce qu'on y enseigne au peuple la langue natio-
nale, c'est l'abbé de la Salle et ses disciples qui l'ont fondé.
Permettez-moi de citer des paroles que je prononçais sur ce
sujet, en 1878, dans l'église de Saint-Roch, à Paris.
« Qui peut contester que la langue est une des causes les
plus puissantes de l'unité d'un peuple? Elle fait circuler dans
toutes les intelligences comme un principe unique de' vie; elle
transmet, d'une extrémité à l'autre d'un grand pays, avec la
douceur et la force des mêmes accents, les mêmes anxiétés et
les mêmes douleurs, les mêmes joies et les mêmes espérances.
Elle fait tressaillir toutes les âmes aux chants des poètes et
sous la parole enflammée des orateurs. Elle porte l'empreinte
de l'esprit du peuple et elle conserve à cet esprit ses tendances,
ses qualités et ses caractères distinctifs.
« C'est pourquoi, répandre dans tout un peuple la connais-
sance de la langue nationale, est une grande œuvre de patrio-
tisme. Or, cette œuvre, non seulement les Frères des Écoles
chrétiennes l'accomplissent chaque jour admirablement, mais
ils ont été les premiers à l'entreprendre. A l'époque oii le
vénérable de la Salle fondait son Institut, la langue de Vaugelas
et de saint François de Sales, la langue de Pascal, de Corneille
et de Bossuet, la langue de Racine, de Fléchier et de Fénelon
avait acquis, sous les efi'orts du génie, toute son harmonie,
toute sa vigueur et toute sa beauté. Elle était devenue la langue
de la politique et des cours, des savants et des académies ;
de la Salle voulut en faire la langue du peuple.
« Certes, l'entreprise était difficile et capable de déconcerter
l'intelligence la plus élevée et le cœur le plus vaillant. Pour y
consacrer uniquement tous les efi'orts de ses disciples, le saint
fondateur leur interdit l'étude de la langue latine.
« Il lutte contre les préjugés avec une indomptable énergie ;
14 ANNALES CATHOLIQUES
il surmonte tous les obstacles par sa prudence, son habileté et
la persévérance des maîtres qu'il a formés. Il rédige lui-même,
dans cette langue, des alphabets, des catéchismes, des traités
élémentaires ; il en réduit les principes aux régies les plus
claires et les plus simples ; il groupe les lettres, puis les syl-
labes ; il analyse, il divise, il subdivise les phrases ; il précise
le sens de chaque parole.
« A la méthode déplorable qui consacrait successivement à
chaque élève, aux dépens des autres, toute l'action du maître,
il substitue la méthode qui concentre l'attention de tous sur une
seule leçon. Il fonde enfin cet enseignement qui ne sera jamais
surpassé.
« Si donc l'instruction du peuple a réalisé d'incontestables
progrès, si la langue française est parlée des Alpes aux rivages
de la Bretagne, des frontières de ia Belgique au sommet des
Pyrénées, c'est au fondateur des Écoles chrétiennes et à ses
disciples que nous devons ce que j'appellerais un prodige de
patriotisme.
« Et ne l'oublions pas, par l'influence de la langue et par la
clarté de sa méthode, cet enseignement a contribué à conserver
à l'esprit français l'élévation, la netteté, la rapidité des concep-
tions, et cette faculté d'exposition qu'aucun autre peuple ne
possède au même degré.
Ainsi, on resserrant les liens de l'unité nationale, en répan-
dant l'instruction parmi les classes populaires, le Vénérable de
la Salle et ses humbles disciples ont créé, au sein du peuple de
France, un courant qui transmet les pensées élevées, les passions
généreuses, l'ardeur du savoir, l'admiration pour les nobles
actions et pour les chefs-d'œuvre de l'esprit humain. »
Est-ce là, dites-moi^ un service public?
Et c'est cet enseignement que vous voulez leur ravir, et c'est
de ces écoles qu'ils ont créées que vous voulez les bannir !
Faut-il rappeler le dévouement des Frères des Ecoles chré-
tiennes pendant notre dernière et lamentable guerre, et les
éloges qui leur ont été décernés par des généraux sur les champs
de bataille ? Faut-il rappeler ce prix destiné par la ville de
Boston à la personne qui avait montré le plus de dévouement
pendant le siège de Paris, et qui a été accordé par l'Académie
française, interprète de l'admiration de l'étranger et de la
reconnaissance nationale, aux Frères des Ecoles chrétiennes?
Faut-il redire ce témoignage de l'illustre compagnie, déclarant
l'article 58 15
qu'elle est heureuse de rendre justice à ces religieux si dévoués,
et que ce prix sera comme la croix d'honneur attachée au dra»
peau du régiment ?
Eh! bien, ces religieux et ces Finançais, cet admirable institut
et ce régiment héroïque, vous les condamne?; à mort ! La France
ne vous le pardonnera pas.
Mais ce n'est pas seulement au milieu de nous que les Frères
des Ecoles chrétiennes aiment et servent leur patrie : partout
oii ils portent leurs pas, partout où ils ouvrent une école, ils
font respecter et aimer la France, ils font rayonner l'ascendant
de notre pars. Et, dites-moi, la France amoindrie et humiliée
que vous nous faites tous les jours, peut-elle dédaigner de
pareils auxiliaires ?
Écoutez, parmi tant d'autres que je pourrais citer, ces témoi-
gnages que j'emprunte au rapport d'un inspecteur général hono-
raire de l'Instruction publique (1) : « Un de nos plus illustres
hommes de mer qui a fait trois fois le tour du monde, l'amiral
La Roncière Le Nourry, présidant un jour une modeste distri-
bution de prix, disait aux Frères directeurs de l'École : « Je
« vous ai rencontrés, mes Frères, sur bien des points du globe.
« Partout vous faites honneur au nom Français, partout vous
« inculquez aux populations, par le respect de la religion, le
« respect afiectueux de la France. »
« Qui dit catholique en Orient dit Français, et, ajoute le
rapport, toute école religieuse qui s'élève sur les rivages de
Tunisie, d'Egypte ou de Syrie, est une forteresse pacifique d'où
rayonne, avec le respect de notre drapeau, un invincible amour
de la France. »
« En 1860, Fuad-Pacha disait au consul français de Syrie :
« Je ne crains pas les 40,000 baïonnettes qu3 vous avez à Damas.
Je crains les 60 robes que voilà, dit-il, en montrant les religieux.
— Et pourquoi, demanda le consul? — Parce que ces robes-là
font germer la France dans ce pays (2). »
(1) Les petits Noviciats des Frères des Ecoles Chrétiennes. Rap-
port présenté par M. Eugène Rendu, inspecteur général honoraire
de rinst.'-uctJon publique, ancien député, délégué du conseil de
l'enseignement primaire libre, dans la séance annuelle du 16 dé-
cembre 1885.
(2) M. Rendu ajoute : « Qui raconte ce trait? Un écrivain du Jour-
nal des Débats, T\I. Gabriel Charles », et il cite encore le témoignage
de M. Francis Charles, aujourd'hui directeur des aifaires politiques
au ministère des affaires étrangères, et qui appelle les Frères des
Ecoles Chrétiennes : « Ces vaillants pionniers qui défrichent le
terrain où notre civilisation poussera. »
16 ANNALES CATHOLIQUES
Admirables paroles ! Oui, ces humbles Frères font germer la
France au milieu de nous, dans les pays lointains et sur tous
les rivages du monde ! Oui, ils font germer la France des fortes
croyances et des nobles vertus, la France des guerriers valeu-
reux, des ouvriers laborieux et honnêtes et des familles bénies,
la France des héros et des saints, la France puissante, respectée,
aimée, la France des nobles alliances et des pacifiques conquêtes,
la vraie France, Monsieur le Ministre.
La France que font germer ceux qui outragent ces humbles
Frères et qui les persécutent, c'est la France des alliances
impuissantes ou de l'abandon, la France qui laisse massacrer,
dans les pays qu'elle veut conquérir, ses enfants dévoués et ses
seuls alliés fidèles, les missionnaires et les chrétiens, la France
des traités que nous connaissons ; la France qui envoie, pour la
représenter dans des régions lointaines, les prétendus amis du
du peuple, comblés d'or et de dignités, tandis que le peuple,
auquel il s'eiforce d'enlever toute consolation et toute espérance,
tandis que le peuple manque de pain ! Et quelle France, grand
Dieu ! vont-ils faire germer là-bas !
Vous êtes pour cette France-là, sans doute, Monsieur le
Ministre, puisque l'autre France vous la combattez sans pitié.
Moi, je suis pour la France que fait germer, au milieu de nous
et au loin, Injustice et la vraie liberté. Je suis pour la France
que fait germer l'enseignement chrétien, la pauvreté volontaire,
l'abnégation sans limite, le dévouement qui donne tout et qui ne
coiàte rien. Je suis contre la France des ambitieux et des blas-
phémateurs, des révoltés et des persécuteurs. Je suis pour la
France des Ecoles Chrétiennes et des Soeurs de charité.
Mais il faut finir, et je veux le redire en finissant, la question
que je traite ici, est pour les catholiques une question de vie ou
de mort, La cause que je défends, c'est la cause de l'existence
des congrégations enseignantes et de l'enseignement chrétien,
c'est la cause de la liberté des consciences et des âmes, et par
conséquent de toutes les libertés et de tous les droits, la cause
de la justice et du patriotisme.
C'est la cause de la religion. Après les écoles primaires libres,
les écoles secondaires et supérieures seront détruites, les sémi-
naristes et les prêtres seront, jusqu'à l'âge de quarante ans,
soumis au service militaire, le recrutement du clergé et le
service des paroisses deviendront impossibles, et la religion
catholique et toute religion disparaîtra,
l'article 58 17
C'est la cause du passé qui a droit à notre reconnaissance, et
qui est la seule assise sur laquelle nous puissions bâtir; c'est la
cause du présent désolé par des luttes et des angoisses de
chaque jour; c'est la cause de l'avenir qui apparaît lugubre et
qui peut devenir fatal pour notre pays, car dans ces luttes,
la France elle-niême peut périr.
Il s'agit d'être ou de n'être pas. Les catholiques de France le
comprendront-ils enfin?
Vous espérez sans doute, Monsieur le Ministre, qu'ils ne le
comprendront pas ! Et vous me demandez à quoi peuvent aboutir
mes protestations. Elles ne peuvent arrêter, je le reconnais, ni
les Chambres ni le Gouvernement, sur les pentes fatales oii ils
sont engagés, et je ne vois pas qu'elles émeuvent beaucoup, en
ce moment, les catholiques de France. IjCS félicitations qui me
sont adressées ne constituent, je le sais, ni une résistance
sérieuse contre vos desseins, ni un secours efficace pour les
causes que je défends.
Mais ce ne sont pas les catholiques seulement qui restent
ensevelis dans l'indifférence, ce sont tous les Français soucieux
dô leurs libertés et de leurs droits, de la sécurité et de l'avenir
de leur pays, qui attendent pour protester, pour se lever et
pour agir, que nos maux soient sans remèdes et que nous
touchions au fond des abîmes.
Mais, quoi qu'il en soit de cet aveuglement fatal et de cette
insouciance criminelle, j'aurai du moins accompli mon devoir,
j'aurai fait entendre les revendications de la religion persé-
cutée, de la liberté outragée, de la justice foulée aux pieds, les
revendications des faibles et des vaincus. J'aurai, une fois
encore, délivré mon âme, si je ne puis délivrer les autres.
S'il faut succomber, je succomberai comme le soldat qui,
sur les remparts démantelés, sur la brèche ouverte vers laquelle
s'élancent les légions du vainqueur, salue d'un dernier cri
d'amour et de fidélité le drapeau qu'il défend encore du dernier
tronçon de son épée...
Mais non, quoi qu'il arrive, je ne désespérerai pas. Je ne
désespérerai pas, parce que je crois au droit imprescrictible et à
la justice éternelle, parce que je crois au Cœur de mon Dieu et
à l'âme de la France.
Recevez, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments
respectueux. -|- Charles-François,.
Evêque de Nancy et de Toul.
2
18 ANNALES CATHOLIQUES
LE BIENHEUREUX GRIGNON DE MONTFORT
Nous avons annoncé que, le 21 février, N. T. S. P. le Pape
avait proclamé l'authenticité des miracles attribués à quatre
serviteurs de Dieu, parmi lesquels le Vén. Grignon deMontfort,
et que cet acte était le dernier requis avant qu'il fut procédé
à la cérémonie solennelle de béatification. Voici la teneur du
décret concernant le Vén. Grignon de Montfort :
A un siècle où, dans le riant pays de France, tout semblait être
devenu concupiscence de la chair ^ concupiscence des yeux et orgueil
de la vie, ce qui ne vient pas du, Père, mais du monde (I Jean, ii),
Dieu voulut opposer un homme selon son cœur, le vénérable
Louis-Marie Grignon, appelé Montfort du nom de la ville de
Bretagne qui lui a donné le jour, pour faire éclater aux yeux de
tous, par sa vie et sa conduite, la folie de la Croix de Jésus-Christ.
Il envoya ce prêtre tout rempli d'un zèle apostolique, prêcher la
parole sainte, non pas avec les discours étudiés de la sagesse
humaine, mais avec les effets sensibles de l'esprit et de la vertu
(I Cor. Il), et détacher les hommes des trompeuses chimères de
cette vie, pour les ramener aux pensées de l'éternité et à l'humble
observance de l'Évangile. De fait, on doit regarder comme un
prodige de la puissance de Dieu tant de travaux accomplis dans
les missions, tant d'efforts admirables pour réveiller la foi et la
piété dans toute la partie occidentale de la France, pour dissiper, à
la lumière de la vérité catholique, les subtiles erreurs du jansé-
nisme, pour propager la dévotion aux augustes mystères de la Pas-
sion et envers l'immaculée Mère de Dieu, principalement par la pra-
tique du Rosaire de Marie. Sur ce point, il ne l'a cédé à aucun des
plus zélés disciples du patriarche saint Dominique, et c'est avec
raison qu'on le regarde comme le digne émule de saint Bernard.
Il fonda deux congrégations, celle des Missionnaires du Saint-
Esprit et celle des Filles de la Sagesse. C'est au milieu de tant et
de si grands travaux, entrepris pour la gloire de Dieu et pendant
qu'il exerçait le saint ministère au bourg de Saint-Laurent-sur-
Sèvre, alors du diocèse de La Rochelle, aujourd'hui du diocèse de
Luçon, qu'il couronna sa vie par une sainte mort, le 28 avril 1716,
à peine entré dans sa quarante-quatrième année. La confiance des
fidèles envers ce Père bien-aimé s'est affermie de jour en jour, en
présence des guérisons éclatantes par lesquelles il a plu à la
puissance divine de rendre son tombeau glorieux jusqu'à nos
jours. C'est pourquoi, l'héroïcité des vertus du vénérable servi-
teur de Dieu ayant été déjà reconnue par le décret de Pie IX, de
LE BIENHEURKUX GRIGNON DE MONTFORT 19
sainte mémoire, du 29 septembre 1869, il a été permis de choisir
quatre miracles opérés par son intercession et requis pour cette
cause. La Sacrée-Congrégation des Rites les a examinés avec la
sévérité ordinaire, d'abord dans la séance antépréparatoire, tenue
en présence du cardinal Louis Bilio, rapporteur de la cause, d'il-
lustre mémoire, le 12 juin 1883, puis dans la séance préparatoire
tenue dans le palais du Vatican, le 24 février 1885, enfin dans la
réunion générale tenue devnt N. T. S. P. le Pape Léon XIII, dans
ce même palais du Vatican, le 5 janvier de cette année 1886. Dans
cette séance, le Révérendissime cardinal Bartholini, préfet de la
Sacrée-Congrégation et rapporteur de la cause, à la place du
cardinal Bilio, décédé, ayant proposé le doute suivant : L'authen-
ticité des miracles est-elle établie ? quels sont ces -miracles et sont-ils
concluants dans la cause? les Révérendissimes Cardinaux et les
Pères consulteurs ont donné tour à tour leur avis. N. T. S. P. le
Pape, après avoir recueilli leurs suffrages, les a exhoriés à implo-
rer avec ferveur le secours de Dieu pour que l'assistance céleste
ne lui fît pas défaut dans une définition d'un si grave intérêt.
En ce jour donc du dimanche de la Septuagésime, au lendemain
du huitième anniversaire de son élévation au souverain pontificat,
célébré avec des transports de joie par l'Eglise universelle, après
avoir offert le saint sacrifice au Dieu tout-puissant, il a fait venir
auprès de lui, dans cette salle du palais du Vatican, ledit Révéren-
dissime cardinal Dominique Bartholini, préfet de la Sacrée-Con-
grégation et ponant de la cause, ainsi que le R. P. Auguste
Caprara, promoteur de la Foi, et le secrétaire soussigné, et en leur
présence a proclamé l'authenticité des quatre miracles proposés,
obtenus par l'intercession du Vén. Louis-Marie Grignon, savoir :
pour le premier, la guérison instantanée et complète d'une jeune
fille, nommée Régina Malle, atteinte de coxalgie, avec luxation
de la jambe droite; pour le second, la guérison instantanée et
complète de Sœur Saint-Lin, des Filles de la Sagesse, atteinte
d'une affection chronique de la moelle épinière ; pour le troisième,
la guérison instantanée et complète de Sœur Saint-Gabriel, atteinte
de phtisie pulmonaire et de tumeur intestinale, jointe à une mala.
die de cœur; pour le quatrième, la guérison instantanée et com-
plète de Sœur Emmanuel, atteinte d'hémiplégie de l'épine dorsale.
Sa Sainteté a ordonné la publication de ce décret et son inser-
tion aux actes de la Sacrée-Congrégation des Rites, le 21 fé-
vrier 1883.
(Lieu du sceau.) Cardinal Bartholini,
Préfet de la Sacrée-Congrégation des Rites,
Laurent Saltati, secrétaire.
20 ANNALES CATHOLIQUES
TRIBUNAUX
L<a suppression du traitement des desservants.
Privé de son traitement par décision ministérielle en date du
23 août 1883, M. l'abbé Mourot, ancien curé de Monthureux-le-
Sec, en a appelé aux Tribunaux et poursuivait le ministre des
cultes devant le tribunal civil de la Seine en payement de
son traitement non payé depuis cette date jusqu'à celle du
23 août 1885 époque à laquelle le demandeur avait quitté sa
paroisse.
L'affaire est venue à l'audience du 19 mars.
A l'appel de la cause, M. le substitut Commoy a lu le décli-
natoire suivant signé du préfet de la Seine :
Considérant que, sans qu'il soit besoin d'examiner ici la nature et
l'existence du prétendu droit invoqué par l'abbé Mourot, l'acte on vertu
duquel le paiement de l'allocation qu'il recevait a été suspendu contitue
'exercice d'un pouvoir réservé au ministre et au préfet, comme agent
de l'administration ;
Considérant que l'appréciation de cet acte administratif exige l'inter-
prétation des principales dispositions de la convention passée à Paris,
le 26 messidor an IX, entre le Pape et le gouvernement français, ainsi
que des articles organiques de ladite convention, promulguée par la loi
du 18 germinal an X, et notamment des articles relatifs à l'orgonisation
du culte catholique en France et à la rétribution des divers titulaires
ecclésiastiques ;
Considérant que la connaissance d'un acte de cette nature est formel-
lement attribuée par les lois en vigueur à la juridiction administrative,
qu'elle échappe, en conséquence, à la compétence des tribunaux civils,
qui ne sauraient retenir le litige dont il s'agit sans violer les lois
établissant la séparation des pouvoirs administratif et judiciaire ;
Considérant, eu outre, que la demande de l'abbé Mourot tend à faire
déclarer l'État débiteur d'un salaire administratif et qu'il n'appartient,
aux termes des lois et arrêtés des 17 juillet, 8 avril 1790 et 2 germinal
an V, et du décret du 20 septembre 1793, qu'à l'autorité administrative
de faire liquider ces salaires ;
Par ces motifs.
Le préfet de la Seine, soussigné, avant d'élever le conflit, conformé-
ment à l'article 6 de l'ordonnance du 1" juin 1828,
Requiert la déclaration d'incompétence de l'autorité judiciaire sur
rinstance introduite pour les causes sus-énoncées par l'abbé Mourot
contre l'État, dans la personne du ministre de l'instruction publique,
des beaux-arts et des cultes,
M. Fourcaulx, avocat de M. l'abbé Mourot, a pris ensuite la
TRIBUNAUX 21
parole et fait remarquer tout d'abord au tribunal que Tinstance
de son client ressortit bien à la juridiction civile, puisqu'il
vient établir un droit de créance sur l'Etat, son débiteur, en
vertu d'un contrat faisant la loi des parties.
« Le déclinatoire qui vient de vous être lu, dit M. Fourcaulx,
eonsidère qu'il n'est pas besoin d'examiner la nature, ni l'exis-
tence du prétendu droit par nous invoqué. Tout est là au
contraire.
« Moi, citoyen, je suis, en raison d'un contrat, créancier de
quelqu'un, particulier ou gouvernement, peu m'importe ! Je
poursuis mon débiteur. Mais un préfet, mettons un ministre,
arbitrairement et par caprice, se plaît à prendre un arrêté qui
enjoigne à ce débiteur de ne me point paver, et l'affaire devient
parla même de compétence administrative? — Vous avez, nous
dit-on, à respecter la séparation des pouvoirs !
« Mais quel procès, à ce compte, pourriez- vous jamais retenir
à votre barre? L'autorité aura donc licence de s'immiscer en
toute affaire, aussi bien intime que générale, aussi bien entre
membres d'une même famille qu'entre personnes étrangères,
s'il lui suffit de glisser au travers un acte soi-disant adminis-
tratif pour prétendre que l'appréciation de cet acte dépasse la
limite de vos pouvoirs et que vous n'avez dans l'instance rien à
juger en dehors de lui?
« C'est la prétention du déclinatoire.
« Considérant, dit-il, en effet, que l'appréciation de cet acte
« administratif exige l'interprétation des principales disposi-
« tiens du Concordat et des articles organiques... et que la con-
« naissance d'un acte de cette nature est formellement attribuée
« par les lois en vigueur à la juridiction administrative... etc. »
« Nous sommes ici en face d'une pétition de principes. Ce
n'est nullement l'appréciation de la décision ministérielle qui
nous amène à l'analyse du Concordat, mais c'est l'étude du
Concordat lui-même qui nous dispense d'examiner l'acte admi-
nistratif. Je n'imagine pas que ce soit la même chose.
« Si nous découvrons en notre faveur un droit d'essence
civile et que ce droit, contre qui l'administration n'a rien à
prétendre, soit cependant tenu par elle en échec, le tribunal,
sans lire l'arrêté qui nous entrave, sans ouvrir même le pli qui
le contient, doit déclarer, avant tout examen, que cette déci-
sion n'a pas raison d'être ; il doit répondre qu'il se trouve en
présence de la poursuite la plus banale, découlant du pur droit
22 ANNALES CATHOL-ÏQUES
commun et d'où les juges n'ont qu'à écarter le fonctionnaire qui
s'est imprudemment « et sans motif introduit dans le débat ».
« En notre espèce, il s'agit d'une propriété, d'un droit de
créance acquis, incontestable, que nous avons in bonis et dont
nous sommes propriétaires. C'est d'ailleurs ce qu'enseignent
tous les jurisconsultes quand ils disent que le mandat de
paiement est une propriété pour la partie prenante. Propriété,
cela veut dire compétence judiciaire. »
Et arrivant au Concordat, I\P Fourcaulx ajoute :
« Qu'est-ce donc que le Concordat'/ Une convention qui
participe — comme le déclare Portails, l'un de ceux qui s'y
trouvèrent le plus mêlés — de la nature des traités diploma-
tiques, c'est-à-dire à\in ve'ritable contrat et qui, par consé-
quent, lie également les deux parties contractantes. Le cardinal
Consalvi et Talleyrand, dans leur correspondance officielle,
l'appellent « une transaction ».
« Un contrat sjnallagmatique, une transaction ! C'est ce
document ainsi dén.ni que le déclinatoire semble avoir la pré-
tention de soustraire à votre compétence. Et cela parce que ce
traité a été conclu par le gouvernement en tant que puissance
publique et que les conventions générales émanées d'un pouvoir,
stipulant comme tel, ne sauraient rentrer dans les pactes dont
vous puissiez connaître. Mais l'État relativement au point qui
nous occupe, n'en a pas moins traité comme personne morale
ayant un patrimoine, comme particulier capable de posséder,
d'acquérir, d'aliéner son domaine. C'est à ce dernier titre seul
que nous l'assignons. Il est, par suite même du Concordat,
devenu propriétaire légitime des biens ecclésiastiques ; mais,
ainsi que nous Talions voir, moyennant certaines réserves, sous
certaines conditions dûment stipulées, qui constituent précisé-
ment ce caractère transactionnel admis et signalé par Talleyrand
lui-même.
« Nous osons dire qu'il a été accepté alors une sorte de...
donation, si le mot peut s'appliquer ici ! donation avec charges.
Si exceptionnelle que soit la nature de l'instrument par lequel
les clauses en ont été consacrées, nous n'en restons pas moins
en face du fait acquis et vis-à-vis d'un donataire, qui, en retour
de la nu-propriété de tous nos biens et de leur jouissance
presque totale, s'est engagé à nous servir, comme en manière
d'usufruit, une rente perpétuelle, laquelle d'ailleurs représente
un peu moins que le quinzième des revenus ainsi abandonnés
TRIBUNAUX 23
par le clergé, selon le bilan établi au Tribunat par le tribun
Siméon. Et ce n'était pas là, comme on le voit, une trop mau-
vaise aôaire.
« C'est donc au détenteur, au donataire que nous réclamons
la redevance stipulée par nous ou pour nous et par lui consentie
dans un contrat synallagmatique. Si cette convention n'est point
de droit commun et de nature civile, je cherclie en vain quelle
autre on pourrait comprendre dans cette catégorie. ^
M^ Fourcaulx fait ensuite remarquer la promesse que Ber-
nier, le négociateur chargé par le premier Consul des confé-
rences préliminaires du Concordat, faisait à S. S. le Pape
Pie YII :
« Le gouvernement suppléera par un traitement honnête et
indépendant d'une nouvelle loi au dénùmeut actuel du clergé
français, et l'Eglise de France ajoutera à l'influence qae de-
vraient lui donner ses vertus l'avantage d'une aisance honnête,
à l'abri des besoins et des privations.
« Bernier nous montre là dans le « traitement convenable »
qui figurera plus tard dans l'article 14 du Concordat, un traite-
ment honnête et indépendant d'une nouvelle loi ! Comment
\oulez-vous alors qu'une mesure à laquelle un contrat souverain
a voulu assurer la perpétuité, àl'encontre même des actes légis-
latifs éventuels, soit maintenant à la merci d'un simple arrêté
administratif?
« L'article 14 du Concordat déclare que le « gouvernement
assurera un traitement « convenable aux évêques et aux curés »
« Mais M. l'abbé Mourot n'est qu'un desservant, et le Con-
-cordat ne fait même pas mention des desservants.
« J'en arrive donc à l'examen de l'article 68 des Organiques,
oii gît incontestablement pour nous, au regard de la loi fran-
çaise, la consécration du droit de créance établi en notre faveur
par le Concordat et par nous invoqué. Cet article dispose : «Les
« vicaires et desservants seront choisis parmi les ecclésiastiques
« pensionnés, en exécution des lois de l'Assemblée constituante,
« Le montant de ces pensions et le produit des oblations forme-
« ront leur traitement. »
« L'interprétation française du Concordat déclare donc que
ceux que le gouvernement appelle les desservants ont droit à
une rémunération, rémunération dont le principe est contenu
dans l'article 14 du Concordat et qui conserve, par suite, tous
les caractères énumérés tout à l'heure. Nous remarquons, en
24 ANNALES CATHOLIQUES
outre, qu'il y est toujours question d'un traitement. Les inven-
tions toutes modernes et les substitutions de mots ingénieuses
de la Chambre des députés d'hier, qui dans les dernières lois
de finances s'est imaginé de remplacer le mot « traitement »
par celui « d'allocation » , n'empêcheront pas que, dans la loi
comme dans l'usage, chaque fois qu'il y a lieu de mentionner
la rémunération des desservants, on se serve de l'expression
invariable de traitement. L'article 68, qui est en ce moment
notre base de discussion, déclare que le montant des pensions et
le produit des oblations formeront le « traitement » des desser-
vants et vicaires. Le même mot et la même idée se retrouvent
dans l'article G du décret-loi du 11 germinal an XII, dans l'ar-
ticle 1 "du décret-loi du 5 nivôse an XIII, dans l'article 6 du
décret-]oi du 30 septembre 1807, sans parler des ordonnances
innombrables, ni de cent autres textes législatifs.
«Nous nous retrouvons toujours pour les desservants, comme
pour les curés, en face du « traitement convenable » stipulé par
l'article 14 du Concordat.
« L'article 70 dispose que « tout ecclésiastique pensionnaire
de l'Etat sera privé de sa pension s'il refuse, sans cause légi-
time, les fonctions qui pourront lui être confiées ». Il ne s'agit
donc plus d'une pension qui, de sa nature, était viagère, mais
bien d'un traitement, d'une rénumération en retour d'une
charge exercée. Le gouvernement se reconnaît à lui-même une
« obligation de donner » contre une <■< obligation de faire ». Cela
ne sort pas, je crois, des limites du droit civil.
« C'est ici que le déclinatoire nous oppose une nouvelle
objection. Il prétend que cette obligation de donner de la part
de l'État, ne saurait être considérée autrement que comme le
service d'un salaire administratif, lequel, aux termes de toute
une nomenclature de lois et d'arrêtés, ne peut être liquidé que
par l'autorité administrative. Et voici que le curé ou le succur-
saliste n'est plus qu'un fonctionnaire dépendant du gouverne-
ment, le servant, payé à ce titre.
« Eh bien ! non, les prêtres ne sont pas des fonctionnaires! La
Convention, la Convention elle-même le reconnaissait dans
deux ordres du jour motivés des 10 décembre 1792 et 25 bru-
maire an II, dont le second porte que « les prêtres n'ont jamais
été considérés comme des fonctionnaires publics », et cette
assertion a été reproa'uite le 15 juin 1848, dans un rapport du
comité des cultes adopté par l'Assemblée constituante. Enfin la
Cour de cassation partage encore le même avis.
TRIBUNAUX 25
« Quand notre procès devra être plaidé au fond, nous aurons
à examiner si M. l'abbé Mourot est tombé sous le coup des
quelques textes qui prévoient les cas limitatifs et éventuels de
diminution ou de suspension de traitement, non à titre de puni-
tion, mais en raison de nécessités budgétaires, et nous verrons
que jamais il ne s'est placé dans aucune des circonstances
déterminées.
« Ce qui nous importe seul aujourd'hui, c'est de savoir si
vous pouvez connaître du litige! Eh bien! oui, puisque nous
réclamons le paiement d'une créance découlant d'un contrat
productif d'obligations civiles, cela, que M. Levavasseur de Pré-
court, commissaire du gouvernement au Conseil d'État, recon-
naissait lui-même au cours d'un récent procès administratif, le
23 novembre 1883. Il avouait, en effet, dans son rapport au
Conseil d'État, que « le traitement des ecclésiastiques a le
caractère d'une dette obligatoire pour l'État. »
« J'ajouterai qu'en ce qui concerne M. l'abbé Mourot, il y a
doublement droit acquis, car les lois de finances déterminant
les budgets de 1883, 1884 et 1885 ont, en exécution du Con-
cordat, attribué au desservant de la commune de Monthureux-
le-Sec, comme à tous les autres, les sommes constituant son
traitement. Mon client a rempli toutes ses obligations et con-
tinué ses services. La rémunération lui en est due, l'échéance
lui en est accomplie, le Tribunal a le droit d'ordonner que le
paiement en soit fait. »
Après une péroraison très émue et vraiment éloquente de
M. Fourcaulx, M. le substitut Commoy a demandé au tribunal
de se déclarer incompétent.
Conformément à ces conclusions, le Tribunal a rendu le
jugement suivant :
Le Tribunal
Donne défaut contre le ministre des cultes, qui ne comparaît pas,
bien que régulièrement assigné, et pour le profit, statuant sur le
déclinatoire proposé par le préfet de la Seine, conformément à
l'article 6 de Fordonnance du l"'' juin 1828 ;
Attendu que l'abbé Mourot, ancien desservant de la paroisse de
Monthureux-le-Sec (Vosges), poursuit le paiement d'une somme de
1,800 francs, montant du traitement qui lui serait dû depuis le
23 août 1883, date à laquelle le ministre des cultes a supprimé le
dit traitement jusqu'au 23 août 1885, époque à laquelle le deman-
deur a cessé d'exercer ses fonctions pastorales dans sa paroisse ;
Attendu que la décision ministérielle qui fait échec à la demande
26 ANNALES CATHOLIQUES
a les caractères d'un acte administratif pris par le ministre dans
l'exercice de se? fonctions, dont le Tribunal ne pouvait apprécier ni
la légalité, ni les motifs, sans entreprendre sur les fonctions admi-
nistratives ;
Que vainement l'abbé Mourot prétend n'exercer qu'un droit de
créance directe contre l'État résultant d'un contrat qui dériverait,
selon lui, des articles 13 et 14 du Concordat du 29 messidor an IX,
et dont la connaissance appartiendrait à l'autorité judiciaire ;
Que si, dans les articles précités du Concordat, le Souverain Pon-
tife, d'une part, s'est engagé à ne troubler en aucune manière les
propriétaires des biens ecclésiastiques aliénés après le décret du
2 novembre 1789, et si, d'autre part, le gouvernement de la Répu-
blique française a promis d'assurer un traitement convenable aux
évêques et aux curés, il est constant que l'Etat n'a pas traité avec le
Saint-Siège comme un simple particulier tenu d'obligations civiles
envers les précédents détenteurs des patrimoines, mais qu'il a agi
en sa qualité de puissance souveraine ;
Que le Concordat a dans toutes ses parties les caractères d'une
convention diplomatique ayant en outre force de loi en France
depuis sa promulgation, mais qu'il ne peut être considéré comme
constituant un contrat de drcit civil entre l'État et le clergé ;
Que les articles organiques du 18 germinal an X en déterminant
les allocations des divers titulaires ecclésiastiques, n'ont pas davan-
tage créé au profit de eeux-ci des droits incorporels contre l'État,
mais qu'ils ont simplement réglé le fonctionnement d'un service
public ;
Qu'il en est de même des lois de finances de 1883, 1884 et 1885,
qui n'ont fait qu'appliquer ce règlement, en déterminant le budget
des dépenses du culte catholique ;
Que, dès lors, il n'existe au procès aucun contrat qui justifierait la
compétence de l'autorité judiciaire, et que le Tribunal ne saurait
retenir la cause sans violer les lois qui ont établi la séparation des
pouvoirs judiciaire et administratif ;
Par ces motifs.
Se déclare incompétent ;
Condamne l'abbé Mourot à tous les dépens.
CONFERENCES DE NOTRE-DAME ^t
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME (1)
Troisième conférence. — Les devoirs dit prêtre.
Dans les instructions qu'elle donne aux diacres qui vont
devenir prêtres, l'Église a soin de mettre en regard du sacer-
doce les devoirs qu'imposent ce sublime honneur et ce divin far-
deau. En deux mots, qui résument ces instructions, l'Eglise
demande au prêtre la science et la sainteté. Mais elle ne se con-
tente pas de montrer le devoir; par tout l'ensemble de sa
maternelle législation, elle en garantit l'accomplissement. C'est
ce que nous allons voir dans cette conférence.
Dispensateur des choses sacrées, le prêtre doit illuminer les
âmes, relever celles qui sont tombées, guérir celles qui sont
malades, fortifier celles qui sont faibles, entretenir la santé de
celles qui sont valides, les diriger toutes vers le terme suprême,
où se fixent éternellement les évolutions de la vie humaine, oii
se couronnent les opérations de la grâce. Pour cela, il faut qu'il
possède la science de la vérité et la science de la vie.
La vérité dont il s'agit ici, elle est descendue des cieux par
la bouche de celui qui en est l'éternel témoin, le Verbe de Dieu.
L'orgueil contemporain lui refuse le droit de se proposer comme
l'objet d'une science. — Pourquoi cela? — Est-ce parce qu'il
n'y a de scientifique que les êtres et les phénomènes qui relèvent
de l'observation des sens? — Mais alors il faut exclure de la
science tout un monde d'entités immatérielles qui ne peuvent
être saisies que par l'intelligence, et parquer les connaissances
humaines dans le cercle d'un matérialisme au^si étroit qu'abject.
— Veut-on qu'il n'y ait de scientifique que ce que comprend la
raison? — Mais qu'importe qu'une chose soit comprise ou incom-
prise, si l'on sait certainement qu'elle existe. Et ce que nous
savons est-il moins certain que les vérités d'expérience et de
(1) Cette analyse des Conférences du R. P. Monsabré à Notre-Dame
de Paris est faite exclusivement pour les Annales Catholiques.
Nous rappelons que les conférences du R. P. Monsabré sont
publiées in extenso dans Y Année dominicaine, en suppléments qui
se vendent séparément, 25 centimes chaque, ou 1 fr. 50 les neuf
suppléments (par abonnement).
28 ANNALES CATHOLIQUES
raison, parce que d'irrécusables témoignages nous disent que
c'est Dieu lui-même qui nous a enseigné toutes ces choses?
Jouissez de vos conquêtes, Messieurs les savants, mais ne
nous contestez pas notre place à la science.
Le premier devoir du prêtre est incontestablement de pos-
séder la science sacrée, sous peine de n'avoir plus qu'un pou-
voir aveugle dont Dieu répudie les offices. Et jamais l'esprit du
prêtre n'est affranchi de l'obligation d'étudier la doctrine sainte.
Les laborieuses années de son noviciat sacerdotal ne sont que
l'apprentissage d'un travail qu'il doit poursuivre toute sa vie.
Et il ne s'agit pas seulement pour lui de savoir pour savoir et
de se complaire dans d'égoïstes contemplations ; il faut qu'il
donne ; le Christ, son maître et son docteur, lui en fait un
commandement : « Euntes docete : allez, enseignez. » Et qui
donc? « Tout le monde : Omnes génies. > Le prêtre n'est pas
un professeur destiné seulement à instruire des auditeurs
d'élite ; les plus humbles esprits doivent profiter de sa science
sacrée. Il faut donc qu'il l'élabore de manière à la rendre
universelle.
Mais la vérité céleste a des accointances avec toutes les
connaissances humaines. L'orgueil de la raison lui oppose mille
contradictions; il faut les vaincre, et faire la soudure du divin,
du mystérieux, de l'incompréhensible avec toutes les certitudes
acquises par l'esprit humain. Il faut donc que la science du
prêtre, plus haute par nature que toutes les sciences, soit, par
nécessité, la plus vaste; cette science doit se compléter dans
une âme sacerdotale par la science de la vie. N'est-ce pas en
effet aux plus intimes et aux plus saintes profondeurs de la vie
humaine que le prêtre doit exercer son divin office de dispen-
sateur de la grâce? Préposé au soin des âmes, il faut qu'il voie
clair dans ce monde mystérieux où il est à la fois juge, théra-
peute et directeur.
De bon compte, cette noble science de la vie ne vaut-elle pas
celle des anatomistes, physiologistes et biologistes qui dis-
sèquent le corps humain, décrivent ses organes, analysent ses
fonctions, et se glorifient de connaître les lois en vertu des-
quelles se produisent les phénomènes de la vie matérielle ?
Dois-je croire que le prêtre est moins, qu'eux, un savant, parce
qu'il pénètre plus profondément qu'eux dans le mystère de
notre grande nature ?
Evidemment, il y a une science sacerdotale. Posséder cette
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 29
science est le premier devoir du prêtre, devoir aussi impérieux
que sont sublimes les fonctions qu'il doit remplir auprès des
âmes. Du reste, l'Église ne lui permet pas de s'endormir dans
l'accomplissement de ce devoir. Dès l'origine, elle lui a dit par
la bouche du grand apôtre : « Applique-toi à la lecture, à la
prédication, à la doctrine. » Puis elle lui montre l'auréole de
ses docteurs ; elle lui rappelle les travaux de ses interprètes de
l'Ecriture, de ses théologiens, de ses controversistes, de ses
canonistes, de ses casuistes, de ses annalistes ; jamais elle ne se
lasse de l'exciter, de l'encourager, de l'aider à étudier. Et
récemment encore, nous l'entendions, cette voix de l'Eglise,
dans une mémorable encyclique, éternel honneur de notre
Léon XIII, et l'un des plus puissants encouragements qu'ait
jamais reçus le clergé pour cultiver la science sacrée.
Sans doute, les prêtres, bien qu'ils soient tous égaux en
dignité, ne peuvent pas être tous égaux en science; mais, aussi,
tous n'ont pas les mêmes âmes à instruire, ni les mêmes com-
bats à soutenir contre l'erreur. En tenant compte de la diver-
sité des ministères, il se peut qu'un modeste curé de campagne,
dont personne ne parle, en sache plus long qu'un brillant orateur
dont la renommée court le monde. Du reste, sachons-le bien,
Dieu doit un supplément de lumière à ceux de ses ministres
qui, reconnaissant leur insuffisance, ont recours à lui d'un cœur
humble et pieux. Ce n'est pas en vain que l'Eglise a mis dans
la bouche de ses prêtres tant et de si expressives invocations
à l'Esprit-Saint. Ces invocations peuvent faire des miracles ;
nous en avons eu de nos jours un admirable exemple dans le
saint curé d'Ars. Le plus ignorant des hommes, comme il
s'appelait lui-même, il savait dire dans le plus simple langage
des choses si profondes, si élevées, si pénétrantes, que les
esprits les plus éminents étaient stupéfaits et ne pouvaient
s'empêcher d'admirer en lui l'accomplissement de cet oracle
des saintes Lettres : « Les lèvres du prêtre seront les gar-
diennes de la science, on ira lui demander la loi qu'il faut
suivre. » Cet exemple nous amène naturellement à traiter du
devoir de la sainteté.
II
La sainteté du prêtre est cette parfaite rectitude d'intentions,
de désirs, de sentiments et d'actions qui met sa vie en har-
30 ANNALES CATHOLIQUES
monie avec son éminente dignité. Dieu la demandait, cette
harmonie, au sacerdoce de la loi ancienne dont le ministère était
purement figuratif. Plus noble est le service des prêtres de la
loi nouvelle, plus profonde et plus efficace est leur consécration,
plus grande aussi doit être leur sainteté.
Le devoir de la sainteté sacerdotale ne fùt-il pas écrit dans
les livres, il est écrit dans les mystères divins, dans les choses
sacrées dont le prêtre est le dispensateur, et dans la consécra-
tion qu'il a reçue pour représenter, à la fois, Dieu et les hommes.
Son âme transformée jusqu'à l'excellence, la place éminente
qu'il occupe dans le monde, les grands biens que le ciel et la
terre attendent de lui, tout lui dit: sépare-toi, purifie-toi,
donne-toi.
Le prêtre doit habiter une région sainte, oii il se tient, par
état, à la proximité de Dieu, et qu'il ne doit toucher l'humanité
que par les sacrés sommets oii les âmes dégagées des choses
périssables se rapprochent elles-mêmes de l'éternel et du divin.
Il faut donc que le prêtre se sépare, non pas du monde dont
il est le religieux représentant, mais de la mondanité, qui est
toute faite d'irréligion. C'est pour son âme consacrée un com-
mencement, car les saints mystères l'invitent à se. purifier en-
core. De quelque côté qu'il se retourne, il rencontre la sainteté
même. Ne sait-il pas que c'est la parole d'un Dieu qu'il annonce,
que c'est un Dieu qu'il appelle sur l'autel, un Dieu qu'il touche,
un Dieu qu'il incorpore, un Dieu qu'il donne, une vie divine
qu'il communique aux âmes; que ce sont des enfants de Dieu
qu'il engendre spirituellement, que c'est la place d'un Dieu
qu'il occupe lorsqu'il juge et absout les pécheurs? Et alors ce
n'est pas assez d'être purifié matériellement par l'eau et par le
sang des souillures légales, il faut poursuivre et eflfacer jusqu'au
plus intime de l'âme tout ce qui, n'étant pas saint, pouri'ait
sembler une oftense à l'immaculée perfection de celui qu'on
rencontre en toutes les choses sacrées.
Séparé, purifié, le prêtre va-t-il, dans un repos égoïste, at-
tendre qu'on lui demande ou qu'on vienne chercher près de lui
les choses sacrées dont il est le dispensateur? Il ne le peut
pas, les choses sacrées le pressent, l'importunent, le tourmen-
tent jusqu'à ce que, obéissant au mouvement de donation par
lequel Dieu se livre à lui, il se donne lui-même.
Coopérateur né de la Providence dans un ordre tout spirituel,
il se sent le besoin de la suivre partout et de descendre avec
CONFiRENCES DE NOTRE-DAME 31
elle jusqu'aux menus détails de ses bontés. C'est dans le temple
et à l'autel qu'il fait ses plus grandes largesses; mais n'est-ce
pas lui encore qu'on rencontre le plus souvent dans la demeure
des pauvres et près de ceux qui souffrent? N'est-ce pas lui qui
organise, dirige, encourage, soutient de son influence ces mil-
liers d'oeuvres par lesquelles la charité chrétienne vient en
aide à toutes les faiblesses, à toutes les hontes, à toutes les
souffrances humaines ?
En résumé, le prêtre constamment en rapport avec les choses
saintes y doit apprendre et y apprend, en effet, la pieuse gravité,
la prudence, la discrétion, la réserve, le désintéressement, la
justice, la modestie, la chasteté et surtout le saint amour de
Dieu et des hommes, la sainte charité mère du sacrifice, tout un
ensemble de vertus qui confirme par l'exemple la prédication
de la science et de la parole. Voilà le devoir sacerdotal de la
sainteté.
L'Église veut que son prêtre soit saint, et elle met tout en
œuvre pour cela. Les graves admonestations qu'elle lui adresse
avant sa consécration ne sont que le résumé d'une législation
dont chaque chapitre aboutit à cette conclusion : « Sanctifica-
mini, sancti estote. »
Il y aurait une étude intéressante à faire de toute la législa-
tion de l'Eglise à ce sujet. Occupons-nous seulement un instant
d'une loi qui, plus que toutes les autres^ fait écho aux leçons
que le prêtre reçoit des saints mystères, une loi qui dit au
prêtre ce que lui disent les choses sacrées : sépare-toi, purifie-
toi, donne-toi : c'est la loi du célibat.
Je n'ai point à vous dire actuellement les gloires et les avantages
du célibat, dit alors le R. P. Monsabré, en tant qu'il est dans l'hu-
manité chrétienne la libre pratique d'un conseil évangélique, nous
reviendrons plus tard et à propos du mariage, sur cet intéressant
sujet. Pour le moment, nous sommes en présence d'une loi ecclé-
siastique, née dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, au
centre même de la catholicité, répandue de l'occident dans l'orient,
intrépidement soutenue par les Souverains-Pontifes et les conciles
contre le torrent des prévarications, attaquée avec un acharnement
diabolique par les patriarches de la réforme, dont la tragique ré-
volte, dit Érasme, aboutit à la catastrophe comique du mariage et
à cette singulière contradiction de donner en spectacle au monde
les basses rébellions de la chair quand on pi'étendait n'agir que
sous l'impulsion de l'esprit de Dieu. Laissons de côté les féroces
argumentations des marieurs de prêtres, remuant de fond en com-
32 ANNALES CATHOLIQUES
ble l'Ecriture, l'histoire et la nature humaine pour excuser leur
besoin d'entrer en famille, et mettons-nous en présence des ad-
mirables convenances du céhbat sacerdotal, c'est assez pour le
justifier.
Ce n'est point Jésus-Christ qui a imposé au sacerdoce la loi du
célibat, il l'a simplement proposée ; mais l'Église ne pouvait pas
manquer de demander à ses prêtres de se montrer plus grands,
plus nobles, plus généreux dans le retranchement des satisfactions
de la chair que les prêtres de toute l'antiquité et de tous les peu-
ples, à qui l'instinct religieux et les diverses législations ont tou-
jours imposé quelque sacrifice. Non seulement la loi judaïque vou-
lait que les prêtres fussent purs pour entrer dans le sanctuaire,
mais les païens eux-mêmes demandaient à l'hiérophante la plus
rigoureuse continence... Si nous comparons, Messieurs les choses
saintes de l'antiquité aux mystères divins du christianisme, n'esl-
il pas mille fois évident qu'un prêtre vierge convient mieux à ces
mystères qu'un prêtre sur lequel la femme a des droits et dont la
chair, soumise à de redoutables devoirs, risque d'y être blessée
par l'aiguillon mortel de la volupté.
Comment le prêtre habitera-t-il dans cette sereine région où il
se tient sans cesse à proximité de Dieu pour lui rendre les devoirs
de l'humanité, où il ne doit toucher l'humanité que par les sommets
sacrés de sa vie religieuse, si, alourdi par le poids d'une famille,
il est obligé de descendre dans le monde, de mêler sa vie à la vie
du monde, de manier des affaires vulgaires, de discuter des inté-
rêts sans rapports avec son ministère, s'ils ne tendent pas à le
déconsidérer? Comment le prêtre s'assurei^a-t-il cette bonne et
sainte renommée qui convient aux hommes de Dieu si, avec la
responsabilité de ses propres actions, il doit endosser la respon-
sabilité des actions d'une femme et d'une demi-douzaine d'enfants?
Comment espérer que les consciences obligées à des aveux pour
obtenir la grâce du pardon, viendront volontiers déposer leurs
secrets dans le cœur d'un prêtre à qui le mariage a donné d'autres
confidents intimes que son Dieu ? Le prêtre, nous l'avons dit, doit
être séparé : le célibat le sépare.
En le séparant, il le purifie. 11 lui épargne la confusion de ne
mettre au service du si noble office de la prière publique qu'une
bouche avilie par les accents d'un amour profane, la honte de
passer des embrassements et des caresses de la créature aux
redoutables et sublimes attouchements d'un Dieu, la crainte de
n'avoir pas le cœur assez libre ni les mains assez pures pour
traiter saintement les signes augustes par où passe la vie de Dieu
et où réside substantiellement sa personne adorable !
Ce ministre du plus grand des amours, ce coopérateur officiel de
la Providence, ce plénipotentiaire de la miséricorde divine, com-
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME
33
ment pourra-l-il être, sans réserve e! à toute heure, le serviteur de
tous, si une loi naturelle l'enchaîne à une foule de services do-
mestiques ? Comment pourra-t-il multiplier ses largesses si l'éco-
nomie du foyer ferme sa bourse? Gomment deviendra-t-il le pro-
moteur, l'organisateur, le directeur, le soutien de toutes les bonnes
œuvres, s'il lui faut satisfaire aux caprices d'une femme, aviser
aux besoins de ses enfants, faire leur éducation, leur préparer une
carrière, assurer leur avenir, pourvoir à leur établissement? Enfin,
comment pourra-t-il se donner si la famille le possède ?
Eh bien ! non, la famille ne le possédera pas, car la loi du célibat
lui garantit la liberté, et l'Église lui dit : Prêtre, tu n'appartiens
qu'à Dieu et â toi-même ; donne-loi.
Évidemment, la loi du célibat est un des plus puissants moyens
que l'Église puisse mettre en œuvre pour aider le prêtre à accom-
plir son devoir de sainteté. Quand bien même elle serait postérieure
à cet âge de formation pour lequel le protestantisme réserve
sa profondé vénération, il faudrait encore en admirer les conve-
nances et la recevoir avec respect. Mais il n'en va pas ainsi. Un
Christ vierge, des apôtres vierges ou continents ont commencé la
lignée des prêtres célibataires. Les docteurs et les conciles l'ont
saluée au passage, comme un fruit béni de l'Évangile ; pourquoi
vouloir l'interrompre? Est-ce que cela regarde les laïques indis-
crets qui ont fort à faire déjà de gouverner leurs affaires domes-
tiques, et qui devraient bien y metttre ordre avant de s'occuper de
marier le clergé ?
Est-ce qu'il faut tenir compte de la lâcheté de ceux qui réclament
la légitimtiiiou de leur faiblesse plutôt que de se donner la peine
de la combattre ou d'en expier les écarts par un généreux et sincère
repentir? La chair du prêtre est fragile comme celle de tout autre
homme. Oui, mais il a des grâces d'état que n'ont point les autres
hommes; il sait mieux que le commun des chrétiens à quoi sert la
mortification, et comment il faut la mettre en pratique ; il est trop
près des saints mystères pour ne pas briser son cœur et répandre
des larmes amères quand il se sent indigne d'y prendre part. La
chair du prêtre sera-t-elle donc moins faible quand elle sera offi-
ciellement satisfaite? Ses fautes seront-elles moins honteuses
quand elles se compliqueront d'adultère ? Y aura-t-il moins à
craindre pour sa considération quand il pourra être déshonoré par
la légèreté d'une femme à lui, et devenir aux yeux d'un monde
libertin, qui s'amuse des trahisons domestiques, d'autant plus
ridicule qu'il est plus sacré ?
Législateurs d'aventure qui voulez modifier la condition du
clergé, laissez donc faire l'Eglise, elle est plus sage que vous. C'est
en vain que vous vous armez, pour justifier vos prétentions réfor-
matrices, de ce que vous appelez les scandales du clergé. Je sais
3
34 ANNALES CATHOLIQUES
qu'on les exploite, et je vous dirai bientôt ce qu'on doit penser de
cette déloyale exploitation; pour le moment, je me contente de vous
faire remarquer que les scandales donnés dans une corporation ne
sauraient nuire à ceux qui remplissent fidèlement leur devoir ; que
si les ennemis du sacerdoce ont l'œil ouvert sur ses fautes, les vrais
chrétiens doivent en détourner publiquement leur regard et les
couvrir du manteau de leur discrétion et de leur silence ; que c'est
du côté des bons prêtres qu'ils doivent regarder, et dans l'orbe de
ces aslres sacrés où brillent la science et la sainteté qu'ils doivent
se laisser entraîner.
Ce n'est pas tout encore, Messieurs, si vous êtes de vrais chrétiens,
vous vous associerez à la prière que faisait avant de mourir un
homme que l'Église se prépare à honorer d'un culte public. « Sei-
gneur, disait le vénérable Grignon de Montfort, ne me rebutez pas.
Qu'est-ce que je vous demande? Rien en ma faveur, tout pour votre
gloire. » Donnez-nous des prêtres libres de votre liberté, détachés
de tout, sans père, sans mère, sans frères, sans sœurs, sans parents
selon la chair, sans amis selon le monde, sans biens, sans embarras,
sans soins, et même sans volonté propre. Des esclaves de votre
amour et de votre volonté, des hommes selon votre cœur, qui, sans
propre volonté qui les souille et les arrête, fassent toutes vos volontés
et terrassent tous vos ennemis... Des âmes élevées de terre et pleines
de la rosée céleste, qui, sans empêchement, volent de tous côtés
selon le souffle du Saint-Esprit... Des gens toujours à votre main,
toujours prêts à vous obéir... à tout souffrir avec vous et pour vous.,.
LA COMTESSE DE CHAMBORD
Une dépêche de Goritz parvenue à Paris le 25 mars au soir
est venue annoncer la mort de Madame la comtesse de Chambord.
Depuis le 16 novembre 1846, jour où sa destinée fut unie à
celle de l'héritier de nos rois, dans l'exil oii il ne devait plus
sortir, Marie-Thérèse-Béatrice-Gaëtane, archiduchesse d'Antri*
che-Este, fut un modèle rare de toutes les vertus qui rehaussent»
dans la situation la plus élevée, les dons naturels de l'intelli-
gence et du cœur.
Ce n'est pas le moment de dire avec quelle douce vaillance
elle soutint durant trente-cinq ans la série d'épreuves par
lesquelles il plut à Dieu de faire éclater la haute piété du couple
royal. Après le chagrin d'une stérilité qui semblait fermer
LA COMTESSE DE CHAMBORD S^
l'avenir à la descendance directe de la maison de France, com-
bien ne souffrit-elle pas de voir la France, obstinée dans les
voies révolutionnaires, se refuser jusqu'au bout à préparer le
retour de celui qui pouvait du moins, par un règne dont on
escomptait l'influence, ramener dans les chemins du droit ce
pays de France si cher aux royaux exilés.
La catastrophe du 24 août 1883 mit fin cruellement à ces
longues espérances. Ce fut pour Madame la comtesse de Gbam-
bord un brisement indicible, et ceux qui avaient l'honneur de
l'approcher purent prévoir dés lors qu'à cette blessure pro-
fonde elle ne survivrait pas longtemps.
Pourtant Dieu lui a permis de vivre assez pour recueillir le
noble héritage des œuvres que lui laissait son glorieux époux et
qu'elle eut à cœur d'assurer par des fondations qui feront à
jamais bénir sa sainte mémoire. C'est le témoignage que nous
voulons aujourd'hui déposer sur sa tombe royale, avec la'caa-
fiance que bientôt du haut du ciel, le comte et la comtesse' de
Chambord opéreront pour la France, par leur intercession, les
fruits bénis que nous promettait leur règne, si la France,
connaissant le don de Dieu, avait su le mériter.
Marie-Thérèse-Bêatrice-Gaëtane, archiduchesse d'AuTRi-
CHE-EsTE, fille aînée de feu François IV duc de Modène, était
née le 14 juillet 1807 ; elle s'était mariée par procuration au
comte de Chambord le 7 novembre 1847, à Modène.
Depuis la mort du comte de Chambord, le 24 aoiit 1883, elle
menait une vie des plus retirées dans la solitude de Frohsdo-rf
ou de Goritz. Elle n'y vivait que des souvenirs de son passé.
Son entourage était peu nombreux. Elle ne recevait que très
rarement ses intimes. Quoique cachée à tous, ses vertus, sa
charité, sa piété surtout révélaient sa présence partout où elle
se trouvait.
Personne ne saura jamais ce qu'elle dépensait annuellement
en œuvres de charité.
La surdité dont elle souffrait depuis longtemps ne la rendait
pas malheureuse. Elle avait l'habitude de dire que ce malheur
était pour elle un bonheur, car cela empêchait les distractions
qui viennent à l'àme des bruits mondains.
C'est à Goritz qu'elle se rendait pendant l'hiver, habitant une
petite maison en face du couvent de Castagnavizza. Cette
36 ANNALES CATHOLIQUES
demeure avait été choisie pour être le plus près possible du
tombeau de celui qui avait été son seul bien sur la terre.
La comtesse de Chambord est morte d'une paralysie du cœur
compliquée d'un refroidissement. Elle n'a été qu'un jour fau
lit et a conservé toute sa lucidité jusqu'au dernier moment.
La comtesse souffrait depuis des années d'un mal organique
du cœur.
Les funérailles auront lieu samedi 3 avril. Le comte de Paris
y sera représenté par un prince de la maison d'Orléans.
Samedi, à dix heures du matin, M. le comte de Paris a assisté
avec sa famille au service funèbre qu'il a fait célébrer à l'église
de Notre-Dame des Pins à Cannes pour Madame la comtesse de
Chambord.
L'intérieur de l'église était entièrement tendu de velours noir
bordé de franges argentées.
La cérémonie a gardé un caractère simple et imposant à la
fois. Le service a été célébré par l'abbé Chaude, desservant de
la chapelle.
UUnivers a reçu communication d'une touchante lettre, l'une
des dernières qu'ait écrites Madame la comtesse de Chambord.
Elle est tout entière de sa main et adressée à l'un des
hauts dignitaires de l'Église d'Afrique, qui avait fait connaître
à Madame que le chapitre des dames chanoinesses de Saint-
Louis de Cartage avait fait inscrire son nom et celui de son
royal époux parmi ceux pour lesquels ce chapitre priait chaque
jour au tombeau de saint Louis. On sait que Monsieur le comte
de Chambord avait, par son testament, légué une somme consi-
dérable à S. Em, le cardinal Lavigerie, qui a voulu l'appliquer
tout entière à la reconstruction du sanctuaire élevé sur le lieu
011 est mort le grand Louis IX.
On remarquera avec attendrissement la phrase oii la reine
dit que : « morte au monde, elle ne songe plus qu'au Ciel, où
elle espère aller prier avec son Henri pour la France qu'il
a tant aimée. »
A son tour, la France priera pour elle et entourera de son
NOUVELLES RELIGIEUSES 37
respect et de sa vénération la tombe q^ui recouvre tant de sou-
venirs et qui rappelle tant de vertus.
Voici le texte de cette lettre, datée de Goritz, le 10 mars 1886,
c'est-à-dire quinze jours avant sa mort :
Monseigneur,
Je viens de recevoir votre lettre, et je m'empresse de vous en remer-
cier du fond de mon cœur. Je ne saurais vous exprimer combien j'en ai
été touchée, comme d'ailleurs de tout ce qui me vient de vous, à qui
mon bien-aimé Henri avait voué un si vif attachement.
Pénétrée de la plus sincère gratitude pour les offres que vous avez
la bonté de me faire, j'accepte avec bonheur les prières que le chapitre
des dames chanoinesses voudra bien faire, à mon intention, pour mon
cher mari, prières auxquelles je suis heureuse de m'associer.
Morte au monde, je ne songe plus qu'au Ciel, où j'espère aller
prier avec mon Henri pour la France et pour l'Afrique qu'il a tant
aimées!
Je vous prie, Monseigneur, de compter toujours sur mes meilleurs
sentiments, et d'en recevoir la nouvelle et respectueuse assurance,
Votre toute dévouée,
Marie-Thérèse comtesse de Chambord.
Goritz, le 10 mars 1886.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Paris. — La quatorzième assemblée générale des catholiques
de France se réunira à Paris du 25 au 30 mai prochain, sous
la présidence de M. Chesnelong, sénateur, dans l'hôtel de la
Société de Géographie, 184, boulevard Saint-Germain.
Le nombre et la gravité des questions qui s'imposent actuel-
lement aux préoccupations des catholiques, donneront à ce
Congrès une importance exceptionnelle. Il s'agit, en eflfet, de
pourvoir à la défense des intérêts les plus sacrés si douloureu-
sement atteints par tant de mesures vexatoires et odieuses ; et
en même temps, comme les catholiques ne désespèrent pas plus
de la France que de l'Eglise, de fortifier les œuvres qui seront
le salut de l'avenir et qui rendront à ce pays la paix, l'honneur
et sa traditionnelle influence parmi les nations.
Les organisateurs du Congrès ont donc l'espoir que tous ceux
qui travaillent à la défense des libertés chrétiennes et au
38 ANNALES CATHOLIQUES
développement des œuvres catholiques répondront à leur appel,
soit par leur concours personnel, soit en leur adressant des
notes et docunaents relatifs aux questions que devra traiter
l'assemblée des catholiques.
— Deux jeunes filles atteintes de la petite vérole ont été
transportées, il y a six jours, à l'hôpital Saint-Denis, laïcisé,
ainsi que nous l'avons dit, le 4 mars dernier.
L'économe s'est adressé aux surveillantes qui remplacent les
Sœurs pour obtenir que l'une d'elles voulût bien soigner les
deux malades, mais elles ont jugé le poste trop périlleux : au-
cune n'a voulu s'en charger.
L'économe ne savait comment sortir de cette situation, quand
quelques heures plus tard, un mendiant, rongé par la maladie
et mourant de faim, vint demander une soupe à l'hôpital.
Idée sublime ! l'économe lui offrit, en échange de la nourri-
ture qui lui serait quotidiennement donnée, la charge àH infir-
mière auprès des deux jeunes filles, charge que le mendiant
s'empressa d'accepter.
Ainsi, grâce à la laïcisation, voilà un garçon de dix-neuf
ans, un vagabond dont on ne connaît ni le passé, ni les ins-
tincts, ni la moralité, qui se trouve nuit et jour auprès de deux
jeunes filles âgées l'une de dix-sept, l'autre de dix-huit ans,
que leur maladie a obligé de placer dans un pavillon isolé et
qui leur change leur linge, leur passe leurs chemises, etc., etc.
N'est-ce pas odieux, indigne, immoral?
Lorsque autrefois les Sœurs de Charité étaient chargées du
service des malades, elles ne craignaient aucune maladie; les
saintes filles soignaient ces infortunés avec une abnégation et
un dévouement admirables ; aujourd'hui les infirmiers laïques
reculent devant le danger, et il faut avoir recours aux men-
diants, aux vagabonds, pour soigner des jeunes filles.
0 laïcisation ! que tes œuvres sont belles !
[Gaulois.')
Grenoble. — S. G. Mgr l'évêque de Grenoble vient d'adresser la
lettre suivante à M. le ministre des cultes :
Sérézin-du-Rhône (en cours de visite pastorale),
le 22 mars 1886.
A Son Excellence le ministre des cultes.
Monsieur le Ministre,
J'ai eu l'honneur de vous accuser réception de la communica-
NOUVELLES RELIGIEUSES 39
tioa que m'a faite Votre Excellence pour m'informer que, dans
ma lettre au clergé de mon diocèse en date du 22 janvier der-
nier, il y avait abus.
Considérant que le décret présidentiel relatant cette décision
a été publié dans les journaux, et que, par le vague de sa rédac-
tion, il est préjudiciable à la vérité et à ma cause, je crois devoir
user de mon droit de réponse, non pour maudire mes juges,
mais pour éclairer la conscience publique.
I. Le décret commence, monsieur le ministre, par viser la
lettre que vous m'avez adressée le 2 février 1886. En effet, je
l'ai reçue, et comme vous m'offriez de prendre connaissance du
mémoire à ma charge, que vous aviez déposé au secrétariat
du Conseil d'État, je priai un de mes amis de m'en envoyer
copie. Vous y affirmiez que j'avais fait lire en chaire ma lettre
au clergé. Cela prouvait que vous n'aviez pas fait d'enquête,
ou bien que vous aviez été trompé, car il est faux que ma lettre
ait été lue en chaire. Elle a simplement été imprimée dans la
Semaine religieuse, oii le clergé a pu la lire.
La loyauté m'imposait l'obligation de vous éclairer. Je le fis
et n'eus pas l'honneur d'une réponse. Quoi qu'il en soit de la
suite donnée à ma lettre, ce n'était qu'une rectification, et pas
une défense. Il me plaît qu'on ne l'ignore pas.
IL Chacun sait ce qu'il faut penser des Articles organiques
visés ensuite par ledit décret. Si la séparation de l'Église et de
l'État, demandée par les loges maçonniques, est votée par les
Chambres, elle aura du moins pour l'Église de France le pré-
cieux avantage de la délivrer à jamais de l'intrusion desdits
Articles organiques. Sûrement on ne parviendra plus à les atta-
cher au flanc du futur Concordat.
III. « Considérant, continue le décret, qu'il est de maxime
fondamentale dans le droit public français, que l'Église et ses
ministres n'ont reçu de puissance que sur les choses spirituelles,
et non pas sur les choses temporelles et civiles... » Expliquons-
nous.
Les choses temporelles et civiles pouvant donner lieu à des
cas de conscience, sont évidemment, quand cela se présente, du
domaine de la théologie, et, sous ce rapport, elles deviennent
spirituelles.
Or, les questions de cette nature regardent directement
l'Église et ses ministres. Les évêques et les prêtres peuvent
donc alors, et doivent s'en occuper. Les élections, les lois
40 A^ÎNAIvKS CATHOLIQUES
scolaires et autres semblables rentrent clans la catégorie des
choses mixtes. Nous ne saurions nous en désintéresser.
D'ailleurs, le Concordat a pour but de permettre à l'État de
s'occuper du spirituel en certains cas; à l'Eglise, du temporel
dans d'autres cas; c'est là sa raison d'être.
IV. Le décret ajoute : « L'évèque de Grenoble discute les
termes de la déclaration ministérielle et critique d'une façon
injurieuse la politique suivie par le gouvernement. »
Est-ce un crime de discuter les termes d'une déclaration
ministérielle publique? Ou bien ce qui est permis à tout citoyen
est-il défendu, en France, aux évèques? On pourrait le pré-
tendre si les évéques étaient des fonctionnaires de l'Etat ;
car, dans cette hypothèse, ils devraient subir les ordres du
gouvernement ; mais les évéques remplissent des fonctions
ecclésiastiques, et non des fonctions gouvernementales.
Par ailleurs, en quoi ai-je injurié le gouvernement?
Ce que j'ai dit est vrai ou faux. Si c'est vrai, l'injure est
donc de l'avoir dit. Mais alors, monsieur le ministre, veuillez
remarquer que la mission des évéques est précisément de dire
la vérité aux grands aussi bien qu'aux petits : en France, le
Concordat nous assure la liberté de notre apostolat.
Lorsque l'évèque Ambroise arrêta au seuil de son église
l'empereur ïhéodose, pour un acte d'administration civile, il
fit son devoir; et l'histoire l'en a glorifié. Le royal coupable eut
le bon sens et la force de reconnaître sa faute et d'en faire
pénitence, au lieu de prétendre qu'il y avait abus dans la con-
duite de l'archevêque de Milan.
Si ce que j'ai dit du gouvernement est faux aux yeux des
membres du Conseil d'Etat, pourquoi ne m'ont-ils pas demandé
de prouver que le gouvernement subit l'infiuence de la Maçon-
nerie? J'ai sous la main tous les Bulletins maçonniques publiés
en France, et ils me fournissent cent preuves à l'appui de ma
proposition. En voici une seulement, tirée du Bulletin du
Grand-Orient de France :
Le F.'. Colfavru disait naguère en pleine assemblée maçon-
nique :
« C'est le moment de faire appel à tous nos frères qui sont
membres du Parlement et qui doivent tant à la Franc-Maçon,
nerie dans leur élévation ; c'est le moment de leur rappeler
qu'ils ont à montrer, parleur activité et leur dévouement, qu'ils
étaient et sont dignes de la confiance de leurs frères, et à justi-
NOUVELLES E,ELIGIEX3SES 41
lier cette confiance.,. Nous avons vu déjà hier notre éminent
Fr.*. Faure faire précéder les paroles remarquables qu'il vous a
apportées par la visite faite au ministre de l'intérieur, auquel il
est allé porteries revendications de la Franc-Mar-onnerie venant
dire au gouvernement que, si nous ne demandions pas à être
protégés, nous demandions du moins à être respectés ! Eh bien,
il faut le dire à leur honneur, les FF. Allain-Targé et de Girar-
din, auquel il s'est adressé, se sont déclarés prêts à soutenir la
Franc-Maçonnerie, à venir à son aide, à s'associer complète-
ment de cœur et d'action à ses intérêts. » [Bulletin du Grand-
Orient, novembre-décembre 1885, page 740.1
Yeut-on que nous gardions le silence et que nous nous croi-
sions les bras en face de cette société, qui a juré de détruire
l'Église? Yeut-on, quand on nous condamne d'abus pour avoir
donné l'alarme à nos frères, nous intimider et nous faire taire ?
On peut le penser, mais ce système ne réussira pas. Nous ne
pouvons point ne point parler : Non jiossumus.
Croyez, monsieur le ministre, que je n'excite pas mon clergé
au mépris du gouvernement de la République, nous avons autre
chose à faire en ce monde. Nous servons Dieu, l'Église et la
France. Nous voudrions nous unir au gouvernement, à la magis-
trature et à l'armée pour défendre la propriété', si menacée en
Europe et en Amérique. Hélas ! on répudie notre concours, et
c'est là que se trouve le véritable abus.
Recevez, monsieur le ministre, l'expression de mon respect.
•\- Amand-Joseph,
Evêque de Grenoble.
Perpignan. - Le Conseil d'Etat vient, en violation des arti-
cles 8, 34 et 45 du décret du 6 novembre 1813, sur la conserva-
tion et l'administration des menses, de proroger les pouvoirs du
commissaii'e administrateur de la mense épiscopale de Perpi-
gnan, et de l'autoriser à aliéner plusieurs immeubles qui en
dépendent. Aux termes de l'article 8 du décret précité, l'évêque
seul a le droit d'aliéner, avec l'autorisation du gouvernement.
Ces immeubles consistent dans : 1° l'école secondaire libre de
Saint-Louis de Gonzague établie à Perpignan ; 2° une maison
de Sœurs gardes-malades établie à Amélie-les-Bains. Ces deux
établissements avaient été fondés par des testateurs ou dona-
teurs qui avaient chargé Mgr l'évêque de Perpignan de leur
installation et de leur entretien. C'est donc une véritable spolia-
tion contraire aux intérêts les plus respectables.
42 ANNALES CATHOLIQUES
Le gouvernement poursuit lentement cette œuvre impie et
hypocrite de la conversion de tous les biens ecclésiastiques en
rentes sur l'État. Il y trouve le double avantage, d'une part, de
supprimer ou tout au moins de troubler les oeuvres catholi-
ques installées dans les immeubles appartenant aux évêchés de
France ; de l'autre, de préparer une confiscation possible des
biens du clergé.
Rouen. — Le Moniteur de Rome du 26-27 mars publie le
texte latin de la lettre du Saint-Père en réponse de la lettre
collective des évêques de la province de Normandie.
Cette publication est précédée, dans la feuille romaine, de la
note et de la pièce ci-après :
L'Adresse des évêques de Normandie que nous avons publiée
dernièrement élait accompagnée d'une lettre personnelle de
Mgr Thomas, conçue dans ces termes :
« Rouen, le 12 février 1886.
« Très-Saint Père,.
« Je m'empresse de joindre à la lettre des évêques de la province
de Normandie, mon adhésion personnelle à tous les enseignements
de l'Encyclique Iminortale Bel. Je les accepte de grand cœur, sans
aucune réserve, sans autre interprétation que la Vôtre, très résolu
à les exposer d'une manière l'igoureusement conforme au texte et
à l'esprit de cette admirable Encyclique, ainsi qu'à l'intégralité des
enseignements adressés par Votre Sainteté aux pasteurs et aux
fidèles de l'Église catholique.
« J'ose espérer que Votre Sainteté daignera me conserver l'es-
time et l'affection qu'ElIe m'a constamment témoignées. Je ne
négligerai rien pour m'en rendre plus digne et pour ne jamais
contrister Votre cœur.
« Prosterné à Vos pieds, je demande pour moi et pour les fidèles
confiés à ma sollicitude pastorale, la bénédiction apostolique.
a Très-Saint Père, de Votre Sainteté,
« Le très humble et obéissant fils et serviteur,
« -[- LÉON,
« archevêque de Rouen. »
Voici le texte de la lettre du Saint-Père :
Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique.
Nous connaissions déjà le mérite des évêques de la province de
Normandie, mais il Nous a été agréable de le connaître encore plus
par la lettre collective qui Nous a été adressée il y a peu de temps,
NOUVELLES RELIGIEUSES 43
et OÙ Nous avons vu avec quel zèle, quel empressement et quel accord
dans l'obéissance vous avez tous accepté Notre Encyclique Immortale.
Cette déclaration est venue s'ajouter aux témoignages semblables qui
Nous arrivent de différents côtés; elle a reçu de Nous la plus com-
plète approbation. Aussi Nous vous demandons de transmettre à vos
collègues dans l'épiscopat et d'interpréter Nos sentiments de bien-
veillance et de gratitude.
Pour vous, Vénérable Frère, vous avez voulu surabondamment
satisfaire votre cœur, enjoignant à cette lettre collective une lettre
personnelle qui est tout entière à votre honneur. Vous déclarez en
eflfet — ce qui, pour aucun motif, ne pouvait être mis en doute —
que vous donnez votre ferme et pleine adhésion à Nos derniers ensei-
gnements, ainsi qu'à toutes Nos doctrines et à celles du Saint-Siège,
et cela avec une netteté et une énergie sans égales. Nous vous aimons
beaucoup à cause de cette volonté, comme toujours très ardente pour
le devoir et pleine d'une grande modestie. Quant à l'incident qui s'est
produit naguère, pour peu qu'il vous préoccupe, quittez vite tout
souci à cet égard. Non seulement rien n'a été changé dans Notre
paternelle afïection envers vous, non seulement Notre constante estime
n'a pas diminué, mais volontiers Nous vous dirions que vous avez
encore fait grandir l'une et l'autre en Nous exprimant avec tant de
cœur votre résolution de défendre Notre cause en toute circonstance.
C'est pourquoi, comme gage des grâces célestes et en témoignage
de Notre particulière bienveillance, recevez la bénédiction apostolique
que Nous vous donnons avec un grand amour dans le Seigneur, â
vous d'abord. Vénérable Frère, à vos collègues, au clergé et aux
fidèles du diocèse de Rouen.
Donné â Rome, près Saint-Pierre, le quatrième jour de mars de
l'année MDCCCLXXXVI, la neuvième de Notre Pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
Tours. — La Semaine religieuse du diocèse de Tours publie
le bref suivant, adressé à Mgr Meignan :
Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique.
Quoique Nous connaissions parfaitement, et depuis longtemps, vos
sentiments d'amour à Notre égard, il ne Nous en a pas été moins
agréable d'en recevoir la confirmation dans la lettre que vous Nous
avez envoyée à l'occasion des fêtes de Noël, lettre toute remplie de
témoignages de votre dévouement. Nous y avons vu une fois de plus
de quel esprit vous êtes animé envers le Saint-Siège, et avec quel
empressement et quelle religion vous accueillez toutes les directions
et les instructions que Nous donnons pour le salut commun dans
l'Eglise. C'est pourquoi Nous vous félicitons de la vertu épiscopale
qui est en vous. Nous avons la confiance très assurée que les soins et
44 ANNALES CATHOLIQUES
la vigilance qui jusqu'à cette heure ont été si profitables au peuple
de Touraine continueront avec la même utilité, non seulement pour
maintenir l'intégrité de la foi, ce qui est le point capital, mais encore
pour sauvegarder la concorde et la charité mutuelle, dont vous n'igno-
rez pas l'importance dans les temps présents.
Vénérable Frère, Nous vous donnons dans le Seigneur et avec
amour, à vous, à votre clergé et au diocèse à la tête duquel vous êtes
placé avec une autorité sacrée, la bénédiction apostoUque, gage des
biens célestes et témoignage de Notre paternelle bienveillance.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 8 février 1886, la huitième année
de Notre Pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
LES CHAMBRES
•ffeudi Î5î£5 mare. — Sénat. — Le Sénat déclare l'urgence sur
le projet de loi tendant à appliquer à la ville de Paris la loi sur les
listes électorales municipales et sur le projet de la loi portant appro-
bation : 1» d'actes additionnels à la convention de l'union postale
universelle et aux arrangements concernant les lettres avec valeurs
déclarées, les mandats de poste et les colis postaux; 2» d'un arrange
ment concernant le service des recouvrements par la poste conclus
à Lisbonne le 21 mars 1885.
Les trois articles et l'ensemble de ce dernier projet de loi sont
adoptés.
L'ordre du jour appelle la suite de la deuxième délibération sur le
projet de loi relatif à l'organisation de l'enseignement primaire.
L'article 25, modifié par la commission, est adopté.
M. DE RA.VIGNAN propose un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Les dispositions du paragraphe 3 de l'article 3 de la loi du 30 no-
vembre 1875, portant interdiction à tout agent de l'autorité publique
ou municipale de distribuer des bulletins de vote, professions de foi
et circulaires des candidats, sont applicables aux instituteurs publics.»
L'orateur demande si le ministre de l'intérieur a réellement adressé
une circulaire demandant aux préfets de lui donner les noms des
fonctionnaires de l'Etat qui envoient leurs enfants dans des institu-
tions privées et font ainsi acte d'hostilité contre le gouvernement.
M. GoBLET. — Je n'en ai pas connaissance.
M. DE Ravignan dit que des faits récents démontrent la nécessité
d'un tel amendement.
M. GoBLET. — Lesquels .'
M. DE Ravignan dit que dans les Landes, le président du comité
LES CHAMBRES 45
républicain a envoyé une circulaire aux instituteurs du département
avec cent bulletins de vote en faveur de la liste républicaine. Il
ajoute que dans une école l'instituteur a distribué lui-même les
circulaires des candidats républicains. (Applaudissements â droite.)
M. GoBLET. — Je suis partisan de l'interdiction réclamée par M. de
Ravignan, mais je refuse de l'introduire dans la loi parce que ce
serait marquer une défiance injurieuse contre les instituteurs; je
repousse donc l'amendement.
M. DE Ravignan dit que les instituteurs sont des fonctionnaires
publics; pourquoi les traiter différemment? 11 cite une autre circu-
laire analogue à la première qu'il a déjà apportée dans le débat.
(La clôture ! la clôture !)
Il est précédé au scrutin sur l'amendement de M. de Ravignan.
Cet amendement est repoussé par 190 voix contre 63, sur 252 votants.
L'ensemble do l'article 25 est adopté.
M. DE Gavardie, sur l'article 26, combat la disposition qui porte
que les instituteurs et institutrices stagiaires enseignent en vertu
d'une délégation de l'inspecteur d'académie.
I/article 26 est adopté.
Un amendement de M. Chesnelong à l'article 27, tendant à faire
concourir les pères de famille à la présentation des instituteurs, est
combattu par M. Goblet et rejeté par 183 voix contre 66.
Chambre des députés. — Nominations dans les bureaux de la Com-
mission du budget. Sont nommés :
l»"" Bureau. — E. Lefèvre, radical; Deandreis, radical; Thomson,
opportuniste.
2« Bureau. — Dreyfus, radical; Etienne, opportuniste; Heredia,
radical.
3» Bureau. — Gomot, opportuniste; Salis, radical ; Maret, radical.
4" Bureau. — Yves Guyot, radical ; Menaud-Dorian, radical ;
Blandin, opportuniste.
5* Bureau. • — Casimir-Périer, opportuniste ; Bizarelli, opportu-
niste ; Thiers, radical.
6* Bureau. — Laisant, radical; Antonin Proust, opportuniste;
Constans, opportuniste.
7* Bureau. — Rouvier, opportuniste; Saint- Prix; Lanessan,
opportuniste.
8« Bureau. — Andrieux, opportuniste; Symian ; Jules Roche,
opportuniste.
9e Bureau. — Clemenceau, radical; Burdeau, radical; Prevet,
radical.
10" Bureau. — Laguerre, radical; Leguay, opportuniste; Wilson,
opportuniste.
11» Bureau. — Viette, opportuniste; Sansbroy, opportuniste
Oerville-Réache, opportuniste.
46 ANNALES CATHOLIQUES
Comme on le voit, les gauches ont tenu leur parole : aucun
membre de la minorité conservatrice ne fait partie de la commission
du budget.
M. Rouvier est président de la commission. M. Andrieux rappor-
tera le budget des Cultes.
Samedi ^T mai-s, — Sénat. — M. LE Président donne lecture
de deux décrets retirant le projet de loi sur l'organisation de l'armée
coloniale et des troupes d'Afrique et le projet de loi sur le recrute-
ment de l'armée.
L'ordre du jour appelle la suite de la délibération sur le projet de
loi adopté par la Chambre des Députés, sur l'organisation de l'ensei-
gnement primaire.
M. DiDE, sur l'article 27, propose un amendement portant que la
nomination des instituteurs titulaires sera faite par le recteur, sous
l'autorité du ministre de l'instruction publique, le préfet consulté,
et sur la proposition de l'inspecteur d'académie.
L'orateur demande que l'on adopte son amendement qui ne mécon-
naît pas, d'ailleurs, l'autorité des préfets, puisque les préfets seront
consultés. Cet amendement est conforme à la tradition républicaine.
M. Ferrouillat. rapporteur, combat l'amendement.
M. Wallon demande que l'on adopte l'amendement de M. Dide,
en laissant de côté les mots : « le préfet entendu. »
Il est procédé sur l'amendement de M. Dide, moins les mots : « le
préfet entendu » dont M. Wallon demande la suppression, à un
scrutin dont voici le résultat :
L'amendement est repoussé par 157 voix contre 1] 4, sur 271 votants.
L'article 27 est adopté, ainsi que l'article 28.
L'article 29, qui porte que le changement de résidence est prononcé
par le préfet sur la proposition de l'inspecteur d'académie, est adopté.
M. Claris demande que l'on ajoute une condition, c'est l'avis
motivé du conseil municipal intéressé.
L'amendement est repoussé par 162 voix contre 102, sur 264 votants.
M. DE Carné demande que les déplacements d'instituteurs n'aient
lieu qu'après avis du conseil départemental.
L'amendement de M. de Carné est rejeté par 187 voix contre 86,
Les articles 29 à 43 sont adoptés.
Chambre des députés. — La Chambre termine enfin la discussion
de l'interpellation sur les tarifs de chemin de fer qui dure depuis un
mois.
Un ordre du jour présenté par MM. Steeg et Remoiville (gauche
radicale) est voté par 378 voix contre 136. Il prend acte des bonnes
résolutions du gouvernement et donne de l'extension aux pouvoir^
de la commission parlementaire des chemins de fer.
ILiundi »0 mara. — Sénat. — L'ordre du jour appelle la suite
LES CHAMBRES 47
de la deuxième délibération sur le projet de loi relatif à rorgani-
sation de l'enseignement primaire.
L'article 32 est adopté après une modification portant que l'appel
ne sera pas suspensif.
M. Pakis demande, sur l'article 41, qui règle la procédure contre
les instituteurs privés pour cause de faute grave, que l'appel soit
suspensif quand l'interdiction est purement locale.
L'amendement, combattu par M. Ferrouillat, est repoussé.
L'article 41 est adopté.
L'article 44 règle la composition du conseil départemental.
M. Claris dépose un amendement ayant pour but de faire entrer
dans le conseil départemental tous les inspecteurs de l'enseignement
primaire et pas seulement deux d'entre eux, comme le demande le
projet.
L'amendement de M. Claris est repoussé.
Les autres paragraphes et l'ensemble de l'article 44 sont adoptés.
Les articles 45 à 51 sont adoptés.
M. DE Carné, sur l'article 52, demande que le conseiller général,
le ou les conseillers d'ai^rondissement fassent de droit partie de la
délégation du canton qui les a élus.
L'amendement est repoussé par 174 voix contre 94. L'article 52
est adopté.
Un amendement de M. Naquet demandant la nomination des
commissions scolaires par le pouvoir central est rejeté.
Les articles 54 â 57 sont adoptés.
L'article 58 combattu par M, de Ratignan, est défendu par
M. GoBLET et adopté.
Sur l'article 60, M. Batbie propose que les père, mère et tuteur
puissent se faire représenter par des mandataires devant les commis-
sions scolaires.
M. Ferrouillat repousse l'amendement et le Sénat se range de
son avis par 159 voix contre 90. L'ensemble de l'article est ensuite
adopté, et la discussion est renvoyée à demain.
Chambre des députes. — Encore une séance de la Chambre con-
sacrée à une interpellation. Encore une après-midi perdue, puis-
q;i'après trois heures de débats, l'ordre du jour pur et simple a été
adopté par 369 voix contre 153. Mais l'interpellation a pour nos
députés un charme auquel ils ne peuvent se soustraire. Amener un
ministre à la tribune leur paraît un aimable passe-temps. Le sujet
du divertissement était la catastrophe récente de Monte-Carlo oii
deux trains se sont rencontrés et ont été en partie précipités dans
la mer. C'est M. Delattre, député de la Seine, qui s'était chargé
de l'interpellation.
Mardi 30 mars. — Sénat. — Après le vote d'un projet qui
48 ANNALES CATHOLIQUES
modifie l'article 30 de la loi du 10 août 1871 sur les conseils géné-
raux, le Sénat adopte les articles 62 à 65 du projet sur l'enseigne-
ment primaire. M. Batbie demande le rejet de l'article 66 qui porte
que « jusqu'au vote d'une nouvelle loi sur le recrutement militaire,
l'engagement de se vouer pendant dix ans à l'enseignement, ne
pourra être réalisé que dans les enseignements publics. »
La commission a adopté un amendement de M. Paris, qui permet
aux instituteurs privés de continuer à jouir de la dispense, s'ils ont
contracté l'engagement décennal avant la promulgation de la loi.
Bon pour ceux-ci, observe M. Batbie, mais les autres ne seront pas
protégés.
Après réplique de M. Goblet, l'article est voté par 172 voix
contre 90, de même que l'article 67 nouveau, présenté par la com-
mission, pour le cas où la laïcisation rendrait nécessaire d'acquérir
ou construire une maison d'école.
M. DE Gavakdie, porteur de plusieurs articles additionnels, com-
mence par demander que la loi de 1850 reste applicable à l'Algérie
et aux colonies. Inutile d'annoncer le sort de son amendement que
l'inévitable M. Ferrouillat combat.
Après l'adoption de l'article 68, on vote sur l'ensemble de la loi,
qui obtient 173 voix contre 107.
Chambre des députés. — La Chambre comiîience la discussion en
deuxième délibération de la loi sur la liberté des funérailles.
Mgr Freppel prend le premier la parole et s'attache à critiquer
la forme de la loi qu'il croit défectueuse. On ne sait point, par
exemple, de quelles dispositions il s'agit dans le texte de l'article le"".
Cet article ajoute que ces dispositions seront appliquées; il faudrait
dire : seront applicables, pour rester dans la vérité des choses.
Dans l'article 2, il est dit qu'on ne pourra établir de prescriptions
particulières applicables aux funérailles en raison de leur caractère
religieux ou civil. Or le mot prescription s'applique surtout aux
ordonnances médicales.
Mgr Freppel demande le renvoi de ces deux articles à la com-
mission pour qu'ils reçoivent une rédaction plus conforme à la
langue du droit.
Le rapporteur, M. Chevandier, soutient que le texte de la com-
mission est très clair. Il a été rédigé pour les villes de Paris et de
Lyon, qui ne sont pas comprises dans la loi de 1884.
La commission maintient donc son article.
Le renvoi des articles 1 et 2 n'est pas prononcé. Ces deux articles
sont adoptés.
Sur l'article 3, M. Pally propose d'étendre la faculté de régler
leurs funérailles aux mineurs âgés de plus de seize ans.
L'amendement, mis aux voix, n'est pas adopté.
M. Blatin présente un amendement tendant à ajouter à l'article 3
la faculté d'opter pour l'incinération.
LES CHAMBRES 49
Il coQvient, selon lui, d'inscrire cette faculté dans la loi. L'inhu-
mation est le plus dangereux de tous les modes de sépulture. L'inci-
nération, au contraire, ne fait courir aucun danger à l'hygiène.
On craint d'entraver les recherches de la justice. Les vérifications
pourraient cependant se faire plus utilement avant l'incinération,
sauf pour le cas d'empoisonnement. Encore y a-t-il des poisons qui
se retrouvent parfaitement dans les cendres.
Le sous-secrétaire d'État â l'intérieur, M. Bernard, répond que la
législation actuelle ne permet pas la crémation. Une loi nouvelle est
nécessaire pour autoriser l'application de ce système qui soulève
d'ailleurs des objections, des répugnances et des préjugés irraisonnés
reposant sur les croyances religieuses et le culte des morts.
Le Gouvernement repousse donc l'amendement, mais il appuiera
une proposition de loi spéciale si M. Blatin prend l'initiative de la
présenter à la Chambre.
Mgr Freppel rappelle qu'en 1867 la question fut soulevée au
Sénat et qu'elle fut écartée sommairement. Depuis cette époqxie,
l'idée de l'incinération n'a fait quelques progrès qu'en Italie, où l'on
se préoccupait sans doute d'imiter après leur mort les anciens
Romains qu'on n'avait pu imiter de leur vivant.
L'incinération constitue un recul dans la voie de la civilisation et
un retour au paganisme matérialiste. Pourquoi revenir à ce système,
qui a toujours été le symbole de l'anéantissement complet, corps et
àme, de l'individu? On ne propose que l'incinération facultative,
mais on sent trop bien avec quelle facilité l'on passe du facultatif à
l'obligatoire. Or, le sens moral se révolte à l'idée que l'homme
se fasse lui-même l'agent de destruction de ceux qu'il a aimés.
Faire disparaître la dépouille du défunt le jour même des obsèques,
en présence de la famille, c'est un acte de sauvagerie qui répugne à
tout sentiment humain.
Au point de vue de la criminalité, la crémation assurerait l'impu-
nité à beaucoup d'assassins.
Il ne faut pas affaiblir le culte des morts. Avec l'incinération, il
n'y a plus de tombes particulières, il n'y a plus de champs de repos,
on retombe en plein paganisme et il ne reste aux populations que
l'image du néant.
M. Frédéric Passy conteste que les partisans de l'incinération
soient nécessairement des matérialistes ennemis de toute croyance
dans la vie future et oublieux du respect dû aux morts. Rien n'est
plus irrespectueux pour ceux que nous avons perdus que de les
livrer â la décomposition. Il doit être permis de se les représenter
sous la forme aérienne d'une fumée qui s'élève vers le ciel.
M. Bernard revient à la charge. Il croit que la question de la
crémation est assez grande pour ne pas s'introduire par voie d'amen-
dement sans que les bureaux en aient délibéré.
4
50 ANNALES CATHOLIQUES
La clôture est prononcée.
L'amendement de M. Blatin est adopté par 323 voix contre 180.
Cet amendement devient le premier paragraphe de l'article 3.
M. DE Lamarzelle demande comment on pourra, en cas de contes-
tation, organiser en vingt-quatre heures la vérification d'écriture. Il
faudrait organiser l'administration de la preuve.
Les 2« et S^ paragraphes de l'article 3 sont adoptés ainsi que
l'ensemble de l'article.
L'article 4, sur la demande du rapporteur, est renvoyé à la
commission.
Mgr Freppel discute l'article 5 et soutient que les articles 199 et
200 du code pénal ne sont pas applicables aux infractions à la pré-
sente loi sur les funérailles. L'article 199 s'adresse aux troubles
provoqués par les ministres des cultes. D'après le nouveau projet,
les parents et amis du défunt sont transformés en autant d'ecclé-
siastiques.
Le rapporteur maintient la rédaction de la commission.
L'article 5 est adopté.
M. Le Roy combat la nouvelle rédaction de la commission sur
l'article 4. 11 est matériellement impossible que le juge de paix
puisse statuer, sauf appel devant le président du tribunal civil, dans
un délai de vingt-quatre heures. 11 vaudrait mieux s'en tenir au
droit commun.
Après une réponse du rapporteur, qui soutient qu'il n'y a rien
d'impraticable dans la rédaction de l'article 4, l'amendement de
M. Le Roy est repoussé. L'article 4 est ensuite adopté.
M. DE LA Ferronnays propose un article additionnel tendant à ce
que la famille puisse réclamer des dommages-intérêts aux promo-
teurs d'un enterrement civil quand il aura été établi par la suite que
le défunt ne l'avait pas demandé.
L'amendement est repoussé.
L'article 6 est adopté.
L'ensemble do la loi est voté par 338 voix contre 165.
AVIS
Nous prions ceux d3 nos souscripteurs dont l'abon-
nement est expiré depuis le 31 mars de vouloir bien
le renouveler aussitôt que possible afin de n'éprouver
aucun retard dans la réception de la revue.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 51
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les troubles belges. — Une menace. — Election sénatoriale. — Angleterre.
Allemagne.
!=•• avril 1886,
Deux faits d'une haute importance se partagent cette
semaine l'opinion publique : les troubles de Belgique et les
menaces de M. de Bismarck au Reichstag. Nous ne croyons pas
que ces événements soient indépendants et qu'il n'y ait aucune
corrélation entre eux. A Charleroi, et dans les vallées de la
Meuse et de la Sambre, la guerre sociale est ouverte avec
toutes ses horreurs. A l'incendie des châteaux et des usines
répondent les fusillades de l'armée. Quel but poursuivent les
émeutiers? Nul ne le sait pas plus qu'eux-mêmes. Qu'espèrent-
ils? Les usines sont détruites, des richesses industrielles consi-
dérables sont perdues. L'élévation des salaires sortira-t-elle de
ces ruines ? Les affolés qui tuent et se font tuer sous l'influence
d'une impulsion dont ils ne se rendent pas compte, ne réflé-
chissent pas jusque-là. C'est maintenant la bestialité des foules
qui agit. Comment la « bête populaire» a-t-elle été déchaînée?
On ne peut méconnaître l'influence de la crise qui frappe le
monde entier ; mais la cause immédiate de ce mouvement a été
la propagande socialiste et révolutionnaire qui, depuis l'amnis-
tie accordée aux insurgés de la Commune de Paris, s'est pro-
duite ouvertement en France et a gagné de là les pays voisins
et en particulier la Belgique. Il ne faut pas oublier que les pre-
miers incidents de la Jacquerie belge se sont produits le
18 mars dernier, après la célébration de l'anniversaire révolu
tionnaire parisien.
M. de Bismarck a dénoncé au Reichstag, en l'exagérant à
dessein, l'influence que les idées socialistes françaises ont eue
sur ces événements. Son discours affecte le ton le plus agres-
sif. M. de Bismarck y parle de la France comme d'une ennemie
et laisse entrevoir la possibilité d'une guerre avec elle, cette
année même. Certes, nous commençons à ne plus nous émouvoir
de ces rodomontades, nous savons que M. de Bismarck agite le
spectre français, qu'il a, pour la circonstance, uni au spectre
rouge, lorsqu'il veut peser sur les décisions de son Parlement-
52 ANNALES CATHOLIQUES
Mais il a pu, cette fois, attaquer directement notre ministre de
la guerre, prendre acte de ses paroles malheureuses pour
montrer l'impuissance de notre gouvernement à réprimer les
troubles, et sa sympathie non dissimulée pour les partisans des
des doctrines au nom desquelles on pille les usines et brûle les
châteaux. Nous avions déjà blâmé les déclarations du général
Boulanger; elles ne nous ont jamais paru si regrettables, ni si
attristantes pour notre orgueil national. M. de Bismarck épie
avec une assiduité réjouie les fautes commises à la Chambre.
M. Boulanger était le seul coupable, mais c'est la France tout
entière qui est frappée parla remarque du chancelier allemand.
La leçon, pour dure qu'elle soit, n'a pas fait réfléchir les
organes avancés du parti républicain. M. Rochefort croit
devoir rappeler aux Belges la mort de Charles I" et celle de
Louis XVI. « Si la Belgique, conclut-il, aspire à avoir égale-
ment son Quatre-Vingt-Neuf et même son Quatre-Vingt-Treize,
ce n'est pas à la France qu'il appartiendrait de s'en plaindre. »
Le Cri du Peuple insiste sur ce point, que le 18 mars < notre
fête à nous, » dit-il, a été le réveil de l'esprit républicain, et il
crie « Vive la République universelle ! » Un autre journal
éprouve le besoin de dire que c'est « au souffle des idées de
progrès et de liberté qui ont naguère transformé la France, »
que la vieille société européenne chancelle. C'est fournir à
plaisir des arguments à M. de Bismark et des sujets de ran-
cunes à nos voisins. Enfin l'on annonce que M. Baslj, député
français, doit aller faire une conférence à Bruxelles. Il faut
espérer que, si cela est vrai, le gouvernement belge nous rendra
le service de mettre M. Basly en lieu sur.
Voici le passage du discours de M. de Bismarck auquel nous
faisons allusion. Il suffit de le citer pour en montrer la gravité.
L'empire allemand, a dit M. de Bismarck, peut aussi être exposé
à des dangers qui ne résulteraient pas de sa situation intérieure.
Il existe aujourd'hui un mouvement socialiste très développé dans
plusieurs pays. Je vous rappellerai les temps de la première
Révolution où les armées françaises se firent le champion d'une
idée politique dont on a dit à tort qu'elle a fait le tour du monde.
Il est certain cependant que les idées apportées dans les pays
étrangers, à l'ombre du drapeau français de 1792, furent le levier
intellectuel et puissant des victoires des Français. Qui vous dit
que si nous devions avoir de nouveau la guerre avec ce pays, les
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 53
drapeaux de l'armée ennemie ne seraient pas des drapeaux rouges
portant haut l'idée socialiste? Aujourd'hui, l'armée française est en
face du mouvement ouvrier à Decazeville ; mais nous ne savons
pas si nous devons plutôt tenir compte de ce fait qu'elle tient ce
mouvement en échec ou des indications parties du banc ministé-
riel, ovi l'on nous a dit que le soldat d'aujourd'hui est l'ouvrier
d'hier, et l'ouvrier d'aujourd'hui le soldat d'hier. Nous ne savons
pas qui, dans ce mouvement, remportera finalement la victoire en
France.
Bref, si de nouvelles grandes secousses européennes devaient
survenir, elles seraient beaucoup plus compliquées que celles qui
sont derrière nous, et elles auraient certainement un caractère
international. Si pareille chose devait arriver, je voudrais que l'em-
pire allemand eût la solidité que nous lui aurions donnée en
temps de paix.
Nous vivons en paix depuis quinze ans. Si je fais abstraction de
l'activité du ministre de la guerre, je trouve que nous ne les avons
pas employés comme nous aurions dû le faire pour consolider
l'empire. 11 est temps encore.
Je ne vois pas un danger imminent, quoique je doive avouer, au
détriment peut-être de ma réputation diplomatique, qu'au prin-
temps de 1870 je ne prévoyais pas non plus que quelques mois
plus tard la guerre éclatei^ait.
Une élection sénatoriale a eu lieu dimanche dans les Deux-
Sèvres : M. Garrau de Balzan a été élu. Il succède à un
républicain.
Deux ministres anglais, MM. Chamberlain et Trevelyan, n'ont
pas voulu attendre, pour se retirer, la date du 8 avril, fixée
par M. Gladstone pour présenter au Parlement ses projets
relatifs à l'Irlande. La reine a accepté leur démission et le
premier ministre leur a donné pour successeurs MM. Stans-
feld et Dalhousie. M. Stansfeld est ce vétéran du radicalisme
qui, étant l'un des lords de la Trésorerie sous lord Palmerston,
fut gravement compromis pour avoir prêté son nom et son
adresse officielle à Mazzini, alors comme toujours engagé dans
les conspirations. Depuis lord, M. Stansfeld a déjà été prési-
dent du Local government Board dans le premier ministère
Gladstone de 1868-1874.
Lord Dalhousie est un pair du Royaume-Uni, grand proprié-
taire en Ecosse, connu par la sincérité et l'ardeur de son libé-
ralisme avancé. N'étant encore que lord Ramsay, du vivant de
54 ANNALES CATHOLIQUES
son père, et étant aide de camp naval du duc d'Edimbourg, il
scandalisa le monde des clubs de Londres en se présentant à la
députation, poui' Liverpool, avec un programme radical qui
allait jusqu'au home rule inclusivement. On attend avec impa-
tience, en Angleterre, cette date du 8 avril qui sera mémorable
dans les annales du Royaume-Uni.
L'on connaît enfin le rapport de la Commission de la Chambre
des seigneurs du Landtag prussien sur les améliorations intro-
duites au projet de révision des lois ecclésiastiques.
La commission accorde en principe la liberté aux convicts ou
pensionnats destinés aux aspirants ecclésiastiques qui doivent
suivre les cours des gymnases officiels, ainsi qu'aux séminaires
pratiques où les étudiants en théologie des universités de
l'Etat passent une année pour se former aux vertus de leur
vocation. Les autorités ecclésiastiques qui fonderont de pareils
établissements devront déposer au ministère des cultes le texte
des statuts et des règlements, ainsi que les noms des directeurs
et des professeurs, qui devront être allemands.
La Commission décrète, en outre, la réouverture des quatre
grands séminaires de Fulda, de Trêves, de Paderborn et de
Hildesheim, qui étaient fermés depuis 1873.
Pour la réouverture de ces grands séminaires, il faudrait :
1° communiquer au gouvernement le programme scolaire et les
noms des professeurs et des docteurs ; 2° les études des sémi-
naires doivent être égales à celles des Universités ; 3° les direc-
teurs et les professeurs ne doivent jamais être pris parmi les
personnes minus gratce\ 4° les professeurs doivent montrer par
un examen, qu'ils sont capables d'enseigner dans une Université
les matières qu'ils enseignent aux séminaires ; 5° le ministre
des cultes indiquera les séminaires qui remplissent les condi-
tions légales.
Les diocèses de Posen-Gnesen et de Kulm ne profiteront pas
de ces dispositions : un décret royal seul peut y autoriser la
réouverture des séminaires. Le gouvernement veut donc main-
tenir l'état d'exception dans la Pologne prussienne.
Pour les établissements de discipline ou de correction, oîi
seront envoyés des prêtres ayant démérité ou devant subir
une punition, il y aura obligation de communiquer au ministère,
en outre des statuts, les noms des délinquants, la durée de leur
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANClÈXiK 55
séjour, les dates de leur entrée et de leur sortie. Le tribunal
ecclésiastique, tel que le gouvernement l'avait organisé, sera
supprimé. La Commission a restreint l'appel comme d'abus et
substitué au tribunal supérieur de Berlin l'arrêté royal, en cas
de déposition des prêtres.
M. de Gossler, ministre des cultes, a déclaré, au cours des
délibérations de la Commission, que, si l'on donnait à entendre,
lors de la discussion publique, qu'un accord avait eu lieu entre
le gouvernement et la Curie au sujet du projet de loi, il pour-
rait assurer qu'il ne s'est rien produit qui porte atteinte à l'in-
dépendance de la législation prussienne ni à celle des résolu-
tions du Saint-Siège. Cette déclaration est implicitement
confirmée par un télégramme que la Germania a reçu de son
correspondant de Rome. 11 y est dit que les décisions prises par
la Commission de la Chambre des Seigneurs ne sont pas de
nature à pouvoir obtenir l'adhésion du Vatican.
REVUE ÉCONOiMIQUE ET FINANCIÈRE
Certaines Sociétés industrielles émettent des obligations dites
hypothécaires, auxquelles seraient affectés, en garantie, des terrains,
ou des immeubles à eux appartenant. Ces hypothèques sont-elles
valables ? Presque jamais.
La jurisprudence déclare qu'il faut que les procès-verbaux des
assemblées d'actionnaires contenant le mandat d'hypothèque donnés
aux gérants bu directeurs des Sociétés, soient passés devant un
notaire, autrement l'hypothèque est nulle. Les porteurs d'obliga-
tions sont exposés, sur la demande en revendication d'un syndic
ou d'un créancier, à perdre la principale garantie de leurs titres.
On a cherché différents moyens de remédier à cette cause d'invali-
dation; on n'a encore rien trouvé d'efficace.
Voici un cas spécial qui vous fera bien comprendre l'iraportance
de la question :
En 1875, les administrateurs de la Société de plomb argentifère
de la Haute-Savoie ont dressé un projet de statuts, énonçant que la
Société pourrait constituer un fonds de roulement indépendant du
fonds social par l'émission d'obligations hypothécaires et autorisant,
pour assurer l'exécution de cette mesure, le Conseil d'administra-
tion à contracter, pour le compte de la Société, un emprunt de un
million, à la garantie duquel serait affectée une hypothèque conférée
56 ANNALES CATHOLIQUES
sur les biens de la Société. On avait même stipulé que, pour obtenir
cette hypothèque, les premiers souscripteurs formeraient une Société
syndicale, civile, à laquelle l'hypothèque serait consentie.
Par un jugement tout récent, le tribunal de la Seine vient d'an-
nuler cette hypothèque en la déclarant irrégulièrement consentie.
Voici des considérants qui résument toute la question :
« Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'hypothèque con-
sentie par les sieurs Dalon et Lesourd ès-noms, en exécution des
articles 10 et 34 susvisés au profit du sieur Bouvier, gérant de la
Société civile, des porteurs d'obligations de la Société dont s'agit,
aux termes de l'acte du 11 août 1876, l'a été en vertu d'une affecta-
tion hypothécaire constituée par des mandataires tenant le pouvoir
de la réaliser de procès-verbaux sous seings privés d'assemblées
générales de la Société Minière de la Haute-Loire ;
« Qu'ainsi l'hypothèque conférée par l'acte du 11 août 1876 l'a été
en violation de l'article 2,127 du Code civil, lequel prescrit que
l'hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par un
acte passé devant notaire, et ce, afin que les parties contractantes,
avant d'y souscrire, soient spécialement éclairées par cet officier
public sur l'étendue et les conséquences des obligations qu'elles
vont contracter;
« Attendu que si les actes sous seings privés susvisés ont été
depuis déposés pour minute en l'élude de M*" Sebert, notaire, l'ac-
complissement de cette formalité toute matérielle ne saurait donner
auxdits actes l'authenticité qui leur a manqué lorsqu'ils ont été
passés, et telle que l'exige l'article 2,127 susénoncé, avec ses garan-
ties protectrices pour les intérêts des parties contractantes. »
Nombre de Sociétés sont dans ce cas; il est possible que plusieurs
de nos lecteurs aient dans les mains des obligations dites hypothé-
caires: qu'ils s'informent si le notaire y a passé et si leurs obligations
sont garanties comme on pouvait le croire, ou si, malheureusement,
ils ne sont plus que de simples créanciers chirographaires. Nous
avons rempli notre devoir de vigilance.
Espérons que la nouvelle loi sur les Sociétés comblera cette lacune.
Les obligations du Ci'édit foncier ne sont point hypothécaires,
mais comme leurs fonds servent à prêter sur première hypothèque,
elles en ont toutes les garanties; c'est ce qui explique qu'elles sont
si recherchées. Nous ne cessons de vous signaler l'anomalie qui
existe entre les obligations libérées et celles non libérées; ces der-
nières valent les premières en tous points et coûtent 20 à 22 fr. de
moins. Pourquoi? Nous vous l'avons dit, il y a huit jours: paresse
de se déranger. A. H.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. — Imp. de l'Œuvre de Saint-Panl G. Picquoin, 51, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
A M. GRÉVY
Mgr Guibert vient d'adresser au Président de la Répu-
blique une lettre qu'on lira plus bas. C'est une éloquente
protestation contre les épreuves que la politique actuelle
fait subir depuis cinq ans à l'Église catholique. Elle em-
prunte au sujet qu'elle traite, comme au caractère de
l'éminent prélat, une importance et une autorité parti-
culières.
On se rappelle la lettre touchante que l'archevêque de
Paris écrivit à Victor Hugo mourant, lettre empreinte
d'une si grande dignité et à la fois d'une si profonde bien-
veillance. C'est à un autre vieillard que Mgr Guibert, le
doj^en de l'épiscopat français, s'adresse aujourd'hui, à celui
que les événements ont placé à la plus haute des dignités
publiques. Dans un langage d'autant plus émouvant qu'il
est plus modéré, Mgr Guibert fait un appel suprême à la
raison, à l'équité du chef de l'Etat; il retrace un tableau
saisissant des persécutions qui frappent non seulement le
clergé, mais tous les catholiques. Il ne se recommande que
de la liberté, il ne réclame que le droit. Cet appel sera-t-il
entendu? On peut prévoir que non. Fidèle à la ligne de
conduite qu'il s'est tracée, et qui consiste à s'effacer com-
plètement pour ne pas compromettre sa situation ni ses
intérêts, M. Grévy répondra, sans doute, qu'il a transmis
la lettre de Mgr Guibert à ses ministres. Ce n'est cependant
pas à eux que l'archevêque de Paris s'adressait. On ne fait
pas appel à l'équité d'un Goblet.
u\n. — 10 AVRIL 1886. 5
58 ANNALES CATHOLIQUES
Yoici la lettre de Son Éminence :
Paria, le 30 mars 1886.
A Monsieur le Président de la Re'puhlique.
Monsieur le Président,
L'Eglise de France traverse un temps de pénibles épreuves.
Elle se plaint d'être l'objet des rigueurs de l'État ; l'Etat l'ac-
cuse d'avoir provoqué ces rigueurs par son opposition au régime
politique que le pays s'est donné. Le conflit devenant tous les
jours plus aigu, vous ne serez pas étonné que le plus ancien des
évoques de France, celui dans le diocèse duquel est établi le
siège du gouvernement, s'adresse à vous, comme au chef dn
pouvoir, et vous fasse entendre, avec ses respectueuses protes-
tations, de justes doléances, qui répondent, je n'en doute pas,
au sentiment général des membres de l'épiscopat.
Comment pourrions-nous laisser s'accréditer, par notre
silence, des accusations qui dénaturent entièrement notre atti-
tude et ne peuvent qu'égarer l'opinion ? Jusqu'ici, le clergé
français a fait preuve d'une patience et d'une modération qu'on
peut appeler plus qu'exemplaires . Désireux avant tout de
maintenir la paix et d'obéir en cela aux directions si sages du
Souverain Pontife, il a subi sans se plaindre bien des injustices.
n n'a élevé la voix que pour défendre les intérêts des âmes,
l'enseignement religieux, les nécessités du culte, et il l'a fait
avec calme et mesure, ne demandant aux pouvoirs publics que
la justice et la bienveillance qui lui avaient été loyalement
accordées sous les régimes précédents.
On lui a reproché de s'être montré favorable, dans les der-
nières luttes électorales, aux candidats opposés au gouverne-
ment. Si cette accusation est fondée, nous pouvons affirmer que
la politique était tout à fait étrangère à la pensée des votants,
et qu'ils n'ont eu en vue que les conséquences du scrutin par
rapport aux intérêts religieux. Il y avait deux sortes de candi-
dats : les uns, qui voulaient conserver l'enseignement de la
religion, protéger la liberté du culte et favoriser les œuvres
chrétiennes, les autres, qui annonçaient ouvertement l'intention
de supprimer tout de suite, ou dans un temps plus ou moins
rapproché, la foi catholique parmi nous. Qui pourrait faire un
crime au prêtre d'avoir donné ses préférences aux premiers ?
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT ©»
C'était pour lui un devoir de conscience, et l'accomplissement
de la mission qu'il a reçue de l'Église et, l'on pourrait dire en
un sens, de l'État lui-même.
Non, le clergé n'a jamais eu, et n'a pas même aujourd'hui, un
parti-pris d'hostilité contre les institutions actuelles. S'il montre
de la froideur et des inquiétudes, ces dispositions dont on se
plaint ne datent que du jour oii les représentants de ce régime
ont fait cause commune avec les ennemis de la religion. Si la
République acceptait l'obligation imposée à tous les gouverne-
ments de respecter les croyances et le culte de l'immense
majorité de notre pays, il n'y a rien dans la doctrine de
l'Église, ni dans ses traditions, qui pût motiver chez le prêtre
un sentiment de méfiance ou d'opposition. Mais si ceux qui se
sont donné la mission d'implanter cette forme politique en
France ont en même temps pris à tâche de blesser toutes les
consciences, si chaque année de leur domination a été marquée
par de nouveaux coups portés contre quelqu'une des institutions
catholiques, comment pourrait-on reprocher, je le répète, aux
hommes d'Église de préférer ceux qui les protègent à ceux qui
les dépouillent, ceux qui honorent leur ministère à ceux qui le
décrient, ceux qui secondent l'influence de la religion sur les
âmes à ceux qui font tout pour le détruire !
Aux esprits prévenus qui s'étonneraient encore de la conduite
du clergé, je dirais : Relisez l'histoire des cinq dernières années.
En 1880, les ordres religieux sont dispersés par la violence, en
vertu de lois contestées et sans pouvoir obtenir des juges. En
même temps, des lois fiscales, dont le poids s'aggrave à chaque
budget, viennent accabler les communautés de femmes, sans
égard pour les services immenses qu'elles rendent aux pauvres,
aux malades, à la jeunesse. En 1882, une loi scolaire efi'ace la
religion du programme de l'enseignement publique et inflige â
la France chrétienne, sous le nom jusqu'ici inconnu de neutra-
lité, la flétrissure d'un athéisme officiel. D'année en année, le
budget des cultes est diminué. En cinq ans, on lui a ôté sept
millions. Les traitements des évêques sont réduits, ceux des
chanoines menacés ; les bourses des séminaires sont rayées du
budget, les cathédrales se voient retirer les allocations néces-
saires à la dignité du culte et à l'entretien des édifices ; les
vicariats sont supprimés par centaines.
Partout oii les municipalités se font l'instrument des passions
antireligieuses, le gouvernement marche à leur suite et tolère
60 ANNALES CATHOLIQUES
OU sanctionne les usurpations les plus illégales. C'est ainsi que
les ministres de la religion sont exclus des hôpitaux et des
établissements qui dépendent de l'État ou des communes; leg
funérailles d'un écrivain célèbre, qui avait refusé les prières de
l'église, servent de prétexte à la profanation d'un temple
chrétien dédié à la patronne de Paris ; les curés enfin, ces
humbles serviteurs du peuple dans nos villages, ne sont pas
traités avec moins d'injustice. Le modeste traitement qui repré-
sente imparfaitement la dette sacrée de la nation envers l'Eglise
cesse d'être assuré au prêtre qui remplit fidèlement ses obscurs
devoirs. Une dénonciation, le plus souvent inspirée par la haine
ou par l'intérêt, suffit à l'en priver. On lui applique une
pénalité exorbitante, qu'aucune loi n'autorise, qu'aucun juge-
ment ne précède.
Cinq années ont suffi pour accumuler toutes ces violences.
L'année présente nous réservait des étonnements non moins
douloureux. En attendant la loi qui doit porter le dernier coup
au culte catholique par l'abrogation de la dispense du service
militaire en faveur du clergé, nous assistons, dans le Parlement,
à la discussion d'un projet de loi qui achève d'ôter à l'enseigne-
ment public tout caractère chrétien. Au cours de ces débats,
nous avons entendu M. le ministre des cultes attaquer, du haut
de la tribune, les dogmes essentiels du christianisme. Il y a dix
ans, l'on disait : Le cléricalisme, voila l'ennemi! et l'on voilait
à dessein sous l'ambiguïté du mot une intention qu'on eût craint
d'avouer alors. Aujourd'hui cette précaution est devenue inutile.
Ce qu'on attaque directement, c'est la prière, c'est le culte de
la sainte Vierge, c'est le dogme de la chute originelle. Pour
justifier l'interdiction qui doit fermer désormais aux instituteurs
congréganistes l'accès des écoles publiques, on déclare que ces
instituteurs, parce qu'ils sorti catholiques, enseigneraient des
choses que l'État ne peut laisser dire par les maîtres qu'il
entretient.
En vérité, monsieur le Président, je ne puis m'empêcher de
me demander oii nous en sommes. Le Concordat est-il abrogé,
ou est-il encore en vigueur? On voit bien que M. le ministre
des cultes est favorable à la séparation de l'Église et de l'État,
mais qu'en même temps il en redoute les conséquences pour les
institutions actuelles et veut y préparer l'opinion. C'est sans
doute afin de mieux préparer la résiliation de ce contrat qu'il
commence par en violer ouvertement et les clauses et l'esprit.
LETTRE I>U CARDINAL GUIBERT 61
L'article 17 du Concordat prévoit le cas où quelqu'un des
successeurs du Premier Consul ne serait pas catholique, et dis-
pose que, dans ce cas, les droits et iirérogatives mentionnés
dans V article 16 et la nomination aux evêches seraient réglés
par une nouvelle convention. Ainsi, dans la pensée des signa-
taires du Concordat, les prérogatives reconnues au chef du gou-
vernement français étaient subordonnées à la condition qu'il
professerait la foi catholique. Et voici qu'un ministre de ce gou-
vernement, celui-là même qui exerce sous sa responsabilité les
prérogatives concordataires, prononce des discours officiels
contre la croyance catholique! A l'en croire, l'État se doit à
lui-même de ne pas laisser enseigner dans ses écoles les dogmes
de notre foi, et l'Etat cependant continue à nommer les évêques
qui sont les gardiens de cette foi!
Monsieur le président, j'en appelle à votre raison et à votre
impartialité. Ai-je fait autre chose, en ce qui précède, que de
relever des faits notoires et officiels? Et peut-on contester la
conclusion qui s'en dégage et que je formule ainsi : le clergé
catholique n'a fait aucune opposition au gouvernement qui régit
la France, mais le gouvernement, depuis six ans, n'a cessé de
poursuivre le clergé, d'affaiblir les institutions chrétiennes et
de préparer l'abolition de la religion elle-même.
Il est certain, monsieur le Président, que la Constitution, en
vous déclarant irresponsable, laisse entière votre influence
morale. Votre âge, votre grande expérience, votre dévouement
ancien à la cause républicaine, la confiance dont l'Assemblée
nationale vous a renouvelé le témoignage, tout cela, en gran-
dissant votre autorité, semble vous inviter à intervenir dans la
situation difficile qui s'est produite. Vous avez le droit d'avertir
ceux qui partagent avec vous la charge du pouvoir, et de leur
montrer les conséquences de leur dangereuse politique; ils ne
pourraient, sans faire preuve de légèreté et d'imprudence, ne
pas céder à vos sages conseils et ne pas avoir égard à vos
sérieuses observations.
Permettez donc à un vieil évêque, qui a vu dans sa vie chan-
ger sept fois le régime politique de son pays, permettez-lui de
vous dire une dernière fois ce que lui suggère sa longue expé-
rience.
En continuant dans la voie oii elle s'est engagée, la Répu-
blique peut faire beaucoup de mal à la religion ; elle ne par-
viendra pas à la tuer. L'Eglise a connu d'autres périls, elle a
62 ANNALES CATHOLIQUES
traversé d'autres orages, et elle vit encore dans le cœur de la
France. Elle assistera aux funérailles de ceux qui se flattent de
l'anéantir.
La République n'a reçu ni de Dieu, ni de l'histoire aucune pro-
messe d'immortalité. Si votre influence pouvait la ramener au
respect des consciences, à une application loyale du Concordat
dans son esprit aussi bien que dans sa lettre, vous auriez fait
beaucoup pour assurer la paix publique et pour ramener l'union
dans les esprits. Si vous échouez contre cette entreprise, ou si
vous ne croyez pas pouvoir la tenter, alors ce n'est pas le clergé,
ce n'est pas l'Église qu'on pourra accuser de travailler à la
ruine de l'établissement politique dont vous avez la garde ;
vous savez que la révolte n'est pas une arme à notre usage. Le
clergé continuera de souff'rir patiemment, il priera pour ses
ennemis; il demandera à Dieu de les éclairer et de leur inspirer
de plus justes sentiments; mais ceux qui auront voulu cette
guerre impie s'y détruiront eux-mêmes, et de grandes ruines
auront été faites avant que notre bien-aimé pays revoie des
jours prospères. Les passions subversives, dont plus d'un indice
fait redouter le prochain réveil, créeront des périls autrement
graves que les prétendus abus qu'on reproche au clergé. Et
Dieu veuille que dans cette aftreuse tempête, oii les appétits
déchaînés ne trouveront plus devant eux aucune barrière mo-
rale, on ne voie pas sombrer la fortune et jusqu'à l'indépen-
dance de notre patrie !
Parvenu à l'extrémité d'une longue carrière, j'ai voulu, avant
d'aller rendre compte à Dieu de mon administration, dégager
ma responsabilité à l'égard de pareils malheurs. Mais je ne me
résous pas à clore cette lettre sans exprimer l'espoir que la
France ne se laissera jamais dépouiller des saintes croyances
qui ont fait sa force et sa gloire dans le passé et lui ont assuré
le premier rang parmi les nations.
Je confie ces graves réflexions, monsieur le Président, à votre
sagesse et à votre haute intelligence, et vous prie d'agréer l'hom-
mage de ma plus respectueuse considération.
-{- J.-Hipp., cardinal Guibert,
archevêque de Paris.
L'admirable lettre de S. Em. le cardinal Guibert, si digne, si
modérée et en même temps si énergique, a produit sur l'opinion
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 63
une profonde émotion. Nous en trouvons l'écho dans les jour-
naux de toutes nuances. Nous devons en citer quelques-uns :
La Paix, journal de l'Elysée, malgré son titre, se montre
belliqueuse et menaçante :
Ainsi, pour que le clergé consentît à accepter franchement le
régime républicain et à se départir de tout mauvais vouloir, il fau«
drait revenir sur tout ce qui a été fait dans le sens de la laïcisation
des services publics et rendre aux curés leur ancienne prépondérance
dans l'école. Ce n'est qu'à ce prix que le clergé pourra désarmer.
Eh bien ! nous avons le regret de le dire à l'honorable prélat, si la
paix entre l'Église et la République ne peut se produire qu'à [de
semblables conditions, elle ne se fera jamais. M. Guibert se trompe
absolument s'il croit que le mouvement de laïcisation qui s'est pro-
duit dans ces dernières années est le fait de quelques hommes ou
même d'un parti politique. Ce mouvement est sorti des entrailles
mêmes de la société moderne, si l'on peut s'exprimer ainsi, et il est
un de ceux sur lesquels les peuples ne reviennent jamais.
Qu'on ait poussé les choses trop loin, soit; qu'il y ait eu quelques
excès, qu'on ait apporté une trop grande précipitation dans les
mesures de laïcisation, nous n'en disconvenons pas; — lorsqu'il y a
lutte entre deux principes, entre deux conceptions différentes de la
vie des sociétés, il faut toujours s'attendre à ce que la juste limite
soit dépassée tant d'un côté que de l'autre; — mais quant au prin-
cipe même de la neutralité de l'Etat en matière religieuse et par
conséquent la laïcité de tous les services qui relèvent l'Etat, y com-
pris le service de l'enseignement public, il échappe à toute critique,
et pour le faire disparaître de notre législation, il ne faudrait pas
moins qu'une révolution où tomberaient à la fois toutes nos institu-
tions et toutes les aspirations de la société française moderne.
Le clergé doit donc en prendre son parti. La laïcisation est un
fait accompli, sur lequel on ne reviendra pas, et c'est sur d'autres
points qu'il doit faire porter ses réclamations, s'il tient à être écouté.
Le Siècle dit :
M. Guibert exhorte le président de la République à user de sa
grande influence pour ramener la République « au respect des cons«
ciences et à une application loyale du Concordat », sinon il entrevoit
dans l'avenir des déchirements funestes à la France et à la Répu-
blique elle-même. Ces appréhensions sont exprimées dans un langage
élevé, avec l'autorité que donne une longue carrière approchant du
terme inévitable. Mais M. l'archevêque de Paris se place au point de
vue des intérêts particuliers de l'Église; il oublie le mouvement de
la société française vers la séparation de l'Église et de l'État, mouve-
ment qu'il n'est au pouvoir de personne d'arrêter, et il oublie ensuite
64 ANNALES CATHOLIQUES
que si ce divorce peut nuire à l'influence politique du clergé, la reli-
gion elle-même n'a rien à craindre du régime de la liberté, parce
qu'alors, dégagée des passions politiques, elle aura repris sa place
véritable et sa fonction naturelle.
La France :
. Le Concordat, est, en effet, assez mal adapté à l'état présent des
choses, et nous sommes prêts à appuyer cordialement les évêques
qui voudront faire campagne pour l'abolition d'un contrat suranné,
dont l'application devient de jour en jour plus difficile pour les deux
parties, plus choquante pour toutes les opinions.
La France libre dit qu'elle est « obligée de déclarer que
le « mandement de l'Exécutif » lui a paru très raisonnable
d'un bout à l'autre », et tâche d'en faire un argument pour la
séparation de l'Église et de l'État :
« Nous n'avons plus de place dans cet État-là et nous nous en
retirons ! »
Telle serait la véritable conclusion logique de toutes les obser-
vations qui précèdent. L'Archevêque ne la formule pas, cela va
sans dire, mais il est curieux de noter qu'il la frise, en passant,
de bien près.
Le sénicuriste de l'ÉIysée, le destinataire de la lettre, ne souf-
flera mot, c'est certain ; mais l'opinion se chargera de répondre
pour lui d'une façon bien simple, qui résume, tei'mine et tranche
tout au mieux de la dignité des deux parties, en imposant la
dénonciation du Concordat, qui est violé par tout le monde et dont
la pratique ne peut plus constituer désormais qu'une comédie de
plus en plus scandaleuse.
La Justice dit que la lettre du cardinal Guibert montre com-
bien logique et nécessaire est la séparation de l'Église et de
J'État.
h^Exiénement, le Succès, le Constitutionnel, arrivent à la
même conclusion. C'est aussi celle dn Radical, de la Lanterne,
de V Intransigeant , du Paris et de la Nation, qui mettent une
grossièreté sans égale dans leur argumention.
Le Rappel, lui, trouve la lettre inconstitutionnelle.
Quant au XIX" Siècle, M. Liébert y écrit en parlant de
Mgr Guibert :
Il a le talent d'exprimer des pensées violentes d'un ton bénin,
bénin. Il met de la persuasion et de la douceur jusque dans la
distillation de la haine. S'il n'y a pas grossièreté dans la forme,
l'insolence est au fond qui s'étale à l'œil nu...
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 65
Si quelque évêque s'était permis de publier des manifestes sem-
blables au temps où l'auteur du Concordat régnait sur la France,
les magistrats impériaux auraient vite fait jeter le prélat impru-
dent dans quelque cul de basse-fosse, car l'empereur ne plaisan-
tait point sur le chapitre du respect. Pour le gouvernement actuel,
il n'est pas désarmé, s'il veut user de ses droits stricts, et les
articles 201 et suivants du Code pénal subsistent toujours...
On ne peut demander à la Piépublique de s'inspirer du Syllabus;
à l'Eglise catholique de s'incliner devant la Déclaration des droits
de l'homme.
Il est clair que, dans de telles conditions d'existence, — et ce
sont celles où vivent à présent l'Eglise et l'Etat, — ■ une rupture
est inévitable; elle est évidemment prochaine, et nous n'avons
plus qu'à chercher le meilleur modus vivendi dont on pourra
s'accommoder jusqu'au jour de la grande séparation. Il faudrait y
mettre assurément beaucoup de loyauté de part et d'autre. On a
pu reprocher, je ne dirai pas à la République, mais à une partie
des républicains, un esprit de représailles un peu mesquin, dont
les incessantes provocations du clergé ont été du reste la grande
excuse; mais encore serait-il bon de ne plus encourir de ce côté
l'ombre d'un reproche. Par une tolérance infatigable, nous ne
ramènerons certes pas le clergé, mais nous garderons jusqu'au
bout le bon rôle. Quant à l'Eglise, sa haine contre nos principes
étant incurable, nous n'en obtiendrons rien de plus par douceur
que par force ; mais nous la laisserons hâter elle-même le dénoue-
ment prévu en achevant de se rendre odieuse. Nous n'aurons
qu'à former avec patience le dossier des pièces qui justifient la
divorce de l'Etat et de l'Eglise, dont l'union forcée est devenue
aussi contraire à la raison qu'à la morale, depuis que la démocra-
tie a pris la place qu'occupait autrefois le despotisme, appuyé sur
la superstition dans l'Etat.
La République française essaie seulement de dire, comme
tous ses congénères, que l'archevêque de Paris renverse les
rôles, et que c'est le clergé qui « a pris dès l'origine l'attitude
la plus violemment hostile à l'égard de la République. » Elle
conclut ainsi :
Tant que nos évêques altéreront l'histoire contemporaine ainsi
que vient de le faire l'auteur de la lettre signée Guibert ; tant que
leur orgueil les empêchera d'avouer que cette « guerre impie »,
comme ils disent, c'est eux et eux seuls qui l'ont commencée ; tant
qu'ils se poseront en victimes d'une persécution inique; tant qu'ils
menaceront la République de la colère divine, au lieu de se fi-apper
eux-mêmes la poitrine, ils ne pourront espérer nous désarmer, car
66 ANNALES CATHOLIQUES
leurs propositions de paix ne sauraient être, comme la lettre à
M. Grévy, que de simples manœuvres de guerre.
Le caractère comrûinatoire qui se manifeste dans ces lignes
se retrouve dans le Gagne-Petit, qui écrit avec un aplomb
remarquable :
La République n'a pas provoqué le clergé ; elle s'est simplement
défeadue contre ses attaques, elle a obéi à un légitime et naturel
instinct de conservation. Les mesures qu'elle prend et contre
lesquelles proteste M. Guibert ont pour but de la prémunir, par des
moj^ens légaux et dans la limite du Concordat, contre un retour
offensif. Que l'Eglise cesse d'être militante, et l'on cessera de militer
contre elle.
Le Temps termine ainsi l'article qu'il consacre à la lettre du
cardinal :
Il faudrait chercber dans les limites posées un modus vivendi
pacifique. Les républicains ne peuvent pas nier qu'ils soient allés
jusqu'au bout, et peut-être au-delà, des mesures administratives et
intérieures qu'ils pouvaient prendre. Il ne reste plus rien à faire en
ce sens sans tomber dans une persécution stupide et violente. Ils
n'ont maintenant devant eux que la séparation de l'Eglise et de
l'Etat. Qu'on la discute donc à la Chambre, et qu'une fois pour toutes
on sache sous quel régime nous allons vivre. On connaît notre sen-
timent à cet égard : la République n'a rien à gagner et tout à perdre
à tenter, dans un pays comme le nôtre, cette formidable aventure;
ce serait faire bénévolement dans les plus épaisses ténèbres le saut
périlleux. Mais enfin que la Chambre en décide! Nous saurons à quoi
nous en tenir. Si elle repousse, comme nous en sommes convaincus,
la solution radicale et aventureuse de la séparation; si elle maintient
le Concordat, alors que le parti républicain se souvienne que le
Concordat est un traité de paix et qu'on se résigne d'un cœur franc
à la paix. La République et la religion sont deux choses d'ordre
essentiellement différent : la première est d'ordre politique, la
seconde d'ordre moral. Rien, dès lors, n'est plus absurde que de les
mettre en conflit comme deux forces dont l'une doit détruire l'autre.
Deux journaux républicains font exception dans ce concert
d'injures, de mauvaise foi, d'insanités de toute espèce. Le Jour-
nal des Déhais écrit :
La lettie que l'archevêque de Paris vient d'adresser au président
de la République offre peu de prise à la malveillance. Elle est écrite
d'un style que les radicaux et les prêtrophobes n'aiment guère à ren-
contrer sous la plume des prélats. Cette modération de langage et de
pensée déconcerte les hostilités de parti-pris. Il est difficile de trou-
ijjSjXXixrj uu \jjxi:%,uxi.^.Aj^ uuxDiiiXVX
ver là prétexte à diatribes et à injures; un pareil document ne laisse
place qu'à une honnête discussion. Les radicaux, les prêtrophobes,
les pourfendeurs d'évêques en sont un peu interdits. M. Guibert gâte
leur métier.
Cependant la malveillance est ingénieuse et ne se laisse pas aisé-
ment désarmer. L'archevêque a beau prendre toutes les précautions
possibles pour éviter de troubler l'onde pure où le radicalisme se
désaltère :
— Tu la troubles, répond cette bête cruelle.
Et à lire certains journaux, on croirait qu'un nouvel attentat vient
d'être commis par Tépiscopat français contre la société civile, la
pensée moderne et la République.
Plus loin, après avoir cité la République française, qui écrit :
« Nous constatons que, à part la crise des élections, le clergé
« montre généralement une certaine réserve. Nous serions même
« bien surpris si l'on découvrait à présent parmi les évêques un
« conspirateur comme en 1877... A Pie IX a succédé Léon XIIL
« Le Pape régnant a tout fait pour jeter de l'eau sur le brasier
« oii son prédécesseur versait du pétrole, » — le Journal des
Débats répond :
S'il en est ainsi, — et venant du journal où nous le rencontrons,
cet aveu ne peut être suspect, — nous demanderons : Qu'a-t-on fait
pour profiter de cet heureux changement, pour encourager ces bonnes
dispositions, pour les faire servir à l'assoupissement de vieilles que-
relles, pour arriver enfin à l'établissement de la paix religieuse, si
désirable pour le repos du pays, si nécessaire pour l'affermissement
de la République? On n'a rien fait, ou plutôt toute la politique a été
dirigée dans un sens diamétralement opposé. A mesure que l'apaise-
ment a paru se faire du côté de l'Église, les passions antireligieuses
sont devenues plus ardentes et les sévérités se sont aggravées du
côté de l'État. Le clergé a été d'autant plus maltraité qu'il s'est mon-
tré moins hostile ; plus il a semblé disposé à faire la paix avec la
société civile, plus rudement on lui a fait sentir les rigueurs de la
guerre
Que conclure de là, sinon que, de la part des hommes qui inspirent
ou dirigent cette politique, il n'y a pas un désir sincère de conclure
cette paix, et qu'ils n'ont d'autre pensée que de prolonger indéfini-
ment un régime de mauvais procédés, de mauvais traitements et de
représailles?
S'ils ne voulaient qu'assurer les droits de la société civile et s'op-
poser aux empiétements du spirituel sur le temporel, — ce que, pour
notre compte, nous souhaitons fort, — ils en viendraient aisément à
bout par l'exécution loyale du Concordat. Mais ils veulent autre
68 ANNALES CATHOLÎQL^HS
cliose. Ils veuleat, tout en maintenant le Concordat, — qui est ua
instrument de paix, — touc en conservant les avantages qu'il confère
à l'État, faire une guerre impitoyable à l'Eglise et à toutes les
crayaaces religieuses, qu'ils veulent remplacer par de nouveaux
dogmes et par une philosophie d'Etat.
Cette philosophie nuageuse, c'est celle que M. le ministre des cultes
esquissait il y a quelques jours à la tribune, en faisant entendre
qu'elle seule, à l'exclusion de toute doctrine religieuse ou même spi-
ritualiste, pouvait décemment être enseignée dans les écoles de l'Etat.
C'est cette philosophie, c'est ce dogme nouveau dont il faut faire pro-
fession, sous peine d'être tenu pour suspect et exclu des fonctions
publiques. Ainsi l'Etat se pose eu adversaire déclaré de tous les cultes
qu'il reconnaît et dont il est censé protéger l'exercice; il renie les
principes mêmes du Concordat, qu'il n'ose pourtant pas dénoncer.
La Liberté' écrit de son côté :
Mgr Guibert vient d'adresser au président de la République une
lettre qui produira sans doute une vive et profonde impression
sur tous ceux que n'aveugle pas la haine implacable de l'Eglise.
Le vénérable archevêque de Paris, le doyen de l'épiscopat fran-
çais, parle au chef de l'État un langage plein de dignité, de modé-
ration, de sagesse et de vérité. Ce n'est pas une protestation vio-
lente contre l'esprit d'intolérance et d'oppression dont la religion
est victime; c'est un exposé calme et impartial de la situation, fait
sans passion et sans colère, mais avec cette tristesse amère qui
saisit tous les coeurs honnêtes quand le droit est manifestement
méconnu et la liberté violée.
... L'Église a été mise, par tous ces faits, en droit de légitime
défense. Pouvait-elle donc se laisser opprimer et renverser sans
rien dire ? Si elle est intervenue, comme ses ennemis le lui repro-
chent, dans les luttes électorales, n'est-ce pas parce que son exis-
tence même était en jeu devant le suffrage universel? Qui pourrait
refuser à ses ministres le droit de préférer hautement les candidats
qui veulent la défendre aux candidats qui veulent la détruire ?
Personne ne parviendra-t-il, enfin, à apaiser cette guerre impie,
qui, si elle est funeste pour les intérêts de la religion, est bien
plus funeste encore pour les intérêts de l'État et pour l'honneur
de notre époque? La religion est une force morale et sociale dont
tout gouvernement doit chercher à se faire un auxiliaire. Si la
République a perdu tant de terrain depuis quelques années, c'est
certainement à la persécution religieuse qu'elle le doit.
La lettre si noble, si simple, si émouvante de l'archevêque de
Paris est, à nos yeux, comme un rameau de paix tendu par le plus
haut placé des membres du clergé français au plas haut magistrat
de la République.
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 69
Pour terminer, écoutons le Times, organe du protestantisme
anglais. M. de Blowitz, son correspondant de Paris, lui écrit :
M. Grévy ne doit pas ignorer que bien du mal a déjà été causé
par quelques-unes des mesures dont se plaint M. Guibert. Homme
d'P^llat prudent et animé des sentiments de conciliation, il est im-
possible qu'il ne sente pas que la lutte a été poussée trop loin et
qu'une réaction pourrait bien se produire. En définitive, le catho-
licisme est la religion réelle ou officielle de la majorité des Fran-
çais. Il a en réserve de forces dont il ne faudrait pas oublier de
tenir compte. Le cardinal donne, au sujet des conséquences que
pourrait avoir une politique anticléricale, des avertissements que
la République ne saurait se permettre de négliger. Bien que, pour
le moment, on ne puisse signaler aucune agitation dangereuse de
la part des princes, la République ne jouit pas d'un tel prestige
qu'elle soit en état de dédaigner l'hostilité d'une partie de la popu-
lation avec laquelle elle aura toujours à compter. Pour bien des
causes, on a toujours eu, en France, tendance à identifier l'Église
catholique avec les institutions conservatrices, et les républicains
ont pu, pendant un certain temps, se plaindre de l'attitude de
l'Église. 11 n'en est plus ainsi maintenant. Aujourd'hui, rien ne
peut excuser la série des votes législatifs qui incitent le clergé
sans profiter sensiblement à l'État. Ce n'est pas l'affaire d'un gou-
vernement de travailler à la propagation d'opinions particulières,
qu'elles soient favorables ou défavorables à l'Église ; cette vérité
élémentaire est trop souvent oubliée. M. Paul Bert est à Saigon,
son esprit est resté en France, et certains députés semblent ne pas
trouver de manière plus agréable d'exercer leur mandat que celle
qui consiste à vexer l'Église catholique. Ils peuvent être sûrs,
cependant, que l'Église ne se laissera pas abattre sans résistance ;
et, comme le fait sentir le cardinal Guibert, la République n'a reçu
de Dieu ni de l'histoire promesse d'immortalité.
Le cardinal touche une note d'après laquelle un grand nombre
de Français et un plus grand nombre de Françaises régleront leur
conduite. Il fait valoir des arguments qui, puissants par eux-mêmes,
acquièrent plus de poids encore à une époque où l'Europe sur-
veille avec anxiété l'application de quelques-unes des doctrines
des ennemis du cléricalisme.
70 ANNALES CATHOLIQUES
LA SUSPENSION
DES TRAITEMENTS ECCLÉSIASTIQUES
M. Fernand Nicolay, avocat chargé de la consultation sur la
suspension des traitements ecclésiastiques, nous communique les
observations suivantes au sujet du jugement qui vient d'être rendu
contre M. l'abbé Mourot :
Le jugement d'incompétence, eu matière de suppression de
traitements ecclésiastiques, est tout entier fondé sur les argu-
ments suivants :
« Le Concordat, acte diplomatique, ne peut équivaloir à un
« contrat de droit civil entre l'État et le clergé : le gouverne-
« ment n'a pas traité en tant que simple particulier, mais en
« sa qualité de puissance souveraine. »
Qu'on me permette ici quelques observarions respectueuses.
Une convention diplomatique ne peut-elle pas contenir acces-
soirement des obligations d'ordre civil au profit de tiers formel-
lement désignés dans l'acte?
L'histoire du droit public n'en fournit-elle pas des exemples?
Je m'explique :
Un traité intervient entre deux puissances relativement à une
délimitation territoriale, à la cession d'une voie ferrée, d'une
compagnie industrielle... Les contractants, après avoir tranché
les questions internationales, prévoient dans un pacte addi-
tionnel et distinct une indemnité en faveur de tels ou tels inté-
ressés lésés.
Est-il sûr que les tiers indiqués au contrat ne pourront pas
venir dire à la Justice : « Il y a là une somme qui m'a été
« attribuée formellement : je la réclame; l'État me la doit
« comme il me devrait le prix d'une expropriation ; de ce chef
« et dans cette mesure restreinte, il y a intérêt privé en jeu et
« droit acquis. »
Assurément les tribunaux ne sauraient être compétents en
ce qui concerne les matières diplomatiques.
Ainsi ils ne peuvent, dans l'espèce, sans entreprendre sur
les fonctions administratives, connaître par exemple de la nomi-
nation aux évêchés, de la publicité du culte, des circonscriptions
diocésaines, du choix des curés, en un mot de tout ce qui fait
l'objet des conventions internationales.
LA SUSPENSION DES TRAITEMENTS ECCLÉSIASTIQUES 71
Mais, à côté de l'acte diplomatique de 1801 passé entre Rome
et Paris, il y a concurremment promesse de rente au clergé
français, relativement à des biens français, promesse faite au
nom de la France à des nationaux, en échange de l'abandon
définitif de ces biens et comme condition même de cet abandon.
En cela le pacte n'est assurément pas international.
Le telle sorte qu'on doit reconnaître que Pie YII a stipulé tout
ensemble, et comme Pontife souverain quant aux intérêts
généraux de l'Eglise, et comme mandataire du clergé de
France quant à cette question d'ordre privé des biens ecclé-
siastiques.
Et j'ajouterai : il était le mandataire naturel du clergé, le
seul pouvant traiter ès-qualité, puisque le clergé avait cessé
d'être un ordre dans l'Etat.
Le clergé n'est donc plus ici seulement un tiers bénéficiaire
désigné : c'est un co-contractant.
En effet, c'est bien vis-à-vis de lui, clergé, que l'engagement
est pris : « évoques et curés », dit l'article 14; et, d'autre part,
c'est bien aussi au nom du clergé que dans l'article 13 le Pape
promet qu'on n'élèvera désormais aucune réclamation à raison
de la dépossession consommée des biens ecclésiastiques de
France.
D'ailleurs, e'st-il acceptable que le clergé soit partie au contrat
par son mandataire quant à ses obligations (et, comme tel,
obligé de ne troubler en rien les acquéreurs de biens nationaux),
et, que, d'autre part, on l'estime étranger audit contrat quant
à ses droits?
Sans doute le traité pouvait n'être qu'international, comme
les concordats de 1827 avec les Pays-Bas, de 1851 avec l'Es-
pagne, de 1855 avec l'Autriche, de 1857 avec le Portugal
Mais en réalité, l'acte de 1801 est double, car les questions
pécuniaires prévues aux articles 13 et 14 ne sont nullement de
l'essence des concordats ; elles n'y sont qu'à titre particulier,
comme transaction d'ordre civil à raison de la situation excep-
tionnelle faite aux biens du clergé par la main-mise du 2 no-
vembre 1789.
Qu'il s'agisse des biens d'une collectivité, peu importe : l'État
qui exproprie un quartier tout entier ou traite avec une société
ne contracte pas moins en matière de propriété.
« Le clergé renoncera à toute réclamation quant à ses biens,
et moi Etat, en échange, je lui assurerai une rente. »
72 ANNALES CATHOLIQUES
TgI est le pacte civil adjoint à l'acte diplomatique. Il a cette
portée, ou il est dépourvu de sens.
Au point de vue de la bonne foi, la question ne se pose même
pas : la disposition a été manifestement déterminante, et per-
sonne ne soutiendra que sans elle le Concordat eût été agréé.
On remarquera en outre que les articles organiques, publiés
non seulement en dehors, mais à l'encontre de la volonté de
Rome, ne sont assurément pas un acte international.
Que signifient dès lors les dispositions de la section troisième,
qui précisent le chiifre du traitement des ministres du culte?
Ici encore faut-il admettre que l'Etat n'est pas plus lié par une
promesse que par une autre, et que sa parole et rien sont même
chose devant le droit ?
Qui donc autorise un Etat plutôt qu'un particulier à manquer
à la foi des engagements? Remarquez que la question n'est
pas de savoir si, le droit étant reconnu, affirmé, le clergé
aurait moyen pratiquement de le faire triompher : on sait
à n'en pas douter que le droit peut être méconnu et opprimé.
Ah ! j'entends bien que l'État ne délivrera pas volontiers contre
lui-même un titre exécutoire. Mais, de ce que le plus fort
résiste, faut-il conclure qu'il ait raison ?
Non, les princijpes seraient saufs et la conscience publique
soulagée, si le jugement donnait au moins à entendre qu'une
promesse formelle, d'où qu'elle vienne, contient le germe d'une
obligation; et que les États, eux aussi, peuvent avoir des
devoirs. La souveraineté les rend d'autant plus sacrés... L'État
doit être honnête homme.
Au contraire, on semble admettre que légalement, le gouver-
nement n'est pas tenu « parce qu'il n'a pas traité comme parti-
culier, mais comme puissance souveraine ». Assurément, il est
de toute évidence que le Concordat est un contrat sui generis.
Cependant, théoriquement, en quoi un contrat spécial est-il*
moins obligatoire qu'un autre? Y aurait-il des catégories de
traités qui ne lient pas les signataires?
« 11 n'existe point d'obligation civile parce que le pouvoir
n'a pas traité comme particulier », dit-on.
Eh quoi! un gouvernement qui stipule peut-il être jamais
dans la condition d'un citoyen ? En faut-il conclure à la doctrine
de l'arbitraire pur et du bon plaisir !
L'Etat qui émet un emprunt national, qui exproprie pour
cause d'utilité publique, ne se comporte pas à la manière d'ua
LA SUSPENSION DES TRAITEMENTS ECCLÉSIASTIQUES 73
simple contribuable. Est-il donc autorisé à retenir les intérêts
des rentes, ou l'indemnité du prix, si telle est sa fantaisie,
parce que dans ces cas divers il a af^i autrement qu'un citoyen
quelconque? Est-il délié de toute obligation légale vis-à-vis de
ses créanciers et de ses crédi-rentiers parce qu'il a traité avec
eux en tant que puissance ?
On ne voit véritablement pas pourquoi un contrat serait
moins respectable par le motif qu'il est plus solennel ; pourquoi
il présenterait moins de garantie par la raison qu'il émane du
pouvoir.
Certes, l'Etat doit être bien tenté d'invoquer sa « souve-
raineté », afin de se dégager quand une convention le gêne...
Mais c'est justement pour cela que les faibles ont besoin
d'être jalouserxient défendus contre la « souveraineté » commi-
natoire ; c'est précisément parce iyxxen fait l'impunité est à
craindre, qu'en droit on aimerait voir formuler le j3?'/^c/p(^ cZe
l'obligation, dût le débiteur omnipotent la méconnaître, dût
la procédure aboutir à me forclusion.
Au moins « on aurait dit Je bon droit, » selon le mot de nos
pères, et l'opinion, s'éclairant d'une autorité auguste et res-
pectée, comprendrait qui est en faute et qui elle doit blâmer
au nom de la morale.
C'eût été une précieuse compensation au préjudice subi.
Contraindre un adversaire à invoquer devant le juge, par exem-
ple, une prescription déloyale pour échapper à une dette équi-
table, c'est sans doute perdre son procès ; cependant c'est
obtenir justice.
Et souvent cela suffit.
En résumé, non seulement la justice se déclare impuissante
à protéger les citoyens contre la « souveraineté, » ce qui n'est
que trop vrai; mais, chose qui nous touche davantage, elle
n'établit même pas en principe la moindre diftërence, ni la
moindre distinction entre le cas où l'Etat s'est engagé formel-
lement et celui oii il n'aurait absolument rien promis.
A la veille d'un emprunt, contrat de bonne foi passé avec
cette « souveraineté', » jugée irresponsable, on se prend à
réfléchir.
Fernand Nicolay,
avocat à la Cour de Paris.
74 ANNALES CATHOLIQUES
TRIBUNAUX
A l'audience du 2 avril, du Tribunal civil de la Seine
(1" Chambre présidé par M. Aubépin), a été appelée l'affaire
de Mgr de Dreux-Brézé, évêque de Moulins, contre l'État et
M. Jules Ferry, ancien ministre de l'instruction publique et
des beaux arts.
Nous empruntons à la Gazette des Tribunaux le compte-
rendu de l'audience :
Petit séminaire d'Iseure. — Immeuble domanial. — Désaffectation. —
Dépenses. — Demande en paiement de ti'avaux. — Compromis. —
Sentence arbitrale. — Déclinatoires. — Incompétence. — Sursis.
« En règle générale et au point de vue de la compétence, l'acte ou le
contrat administratif se caractérise par ce fait qu'il émane d'un repré-
sentant de l'État, agissant dans le cercle des pouvoirs que sa fonction
lui confère, quel qu'en soit, d'ailleurs, l'objet, et un compromis, pas
plus qu'une autre convention ou une vente, ne saui'ait échapper à ce
principe. »
L'immeuble domanial d'Iseure avait été affecté tant au petit
séminaire du diocèse de Moulins qu'à la jouissance personnelle
de Mgr de Dreux-Brézé, évoque de ce diocèse.
A ce titre, Mgr de Dreux-Brézé avait fait, de ses deniers et
en vue de cette affectation, des dépenses très considérables dans
cet immeuble.
Par décret du 31 juillet 1880, cette affectation fut retirée,
Mgr de Dreux-Brézé réclama alors à l'État l'indemnité qui lui
était due et exerça à titre de garantie un droit de rétention
sur l'immeuble.
Les représentants de l'État n'ont jamais contesté la légiti-
mité de la réclamation et du droit de Mgr de Dreux-Brézé,
et il est même intervenu, à la date des 6 et 8 août 1881, un
compromis nommant des arbitres pour évaluer le chiffre de
l'indemnité due à l'évêque de Moulins.
A ]a suite de ce compromis, et le 7 novembre 1881, une
sentence arbitrale a fixé à 554.099 fr. 90 c. le montant de ce
que l'État devrait rembourser à Mgr de Dreux-Brézé pour les
dépenses par lui faites dans le domaine d'Iseure.
En exécution de cette sentence, l'évêque de Moulins quitta,
ainsi que le séminaire, le domaine d'Iseure, où il était resté
jusque-là en vertu de son droit de rétention.
TRIBUNAUX 7o
Mais la Chambre des députés refusa d'autoriser ce paiement,
par le motif que les ministres ne peuvent compromettre au
nom de l'I^tat et que, dans l'espèce, le compromis du 6 août 1881
ayant été consenti par M. Jules Ferry, ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, il l'avait été « par une personne
juridiquement incapable ». (Rapport de la commission de la
Chambre des députés.)
C'est dans ces conditions que Mgr de Dreux-Brézé s'est
adressé à la justice.
Il a assigné devant le tribunal civil de la Seine M. le ministre
de l'instruction publique et des beaux-arts, comme représen-
tant l'État, et M. Jules Ferrj^ personnellement.
Il réclame à l'État la somme de 554,099 fr. 90, montant,
d'après la sentence arbitrale du 7 novembre 1881, des travaux
et améliorations par lui faits dans le domaine d'Iseure, et il
demande contre M. Jules Ferry, tant comme ancien ministre
que personnellement, le paiement de la somme de 6.810 francs
pour les frais d'expertise et d'enregistrement de la sentence
arbitrale qu'il aurait été en faute de consentir sans en avoir la
capacité juridique. Enfin, il réclame 50.000 francs de dommages-
intérêts pour la perte du droit de rétention de l'immeuble
d'Iseure.
Des déclinatoires d'incompétence ont été présentés par l'Etat
sur ces deux demandes.
M° Robinet de Glérj, avocat, a exposé la demande au nom
de Mgr de Dreux-Brézé, évêque de Moulins.
M. le substitut Commoy a soutenu les déclinatoires d'incom-
pétence proposés.
Le tribunal a rendu sur ces deux demandes le jugement
suivant :
Le Tribunal,
Joint les causes à raison de leur connexité et statuant par un seul
et même jugement sur les deux déclinatoires présentés par le préfet
de la Seine en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du l^r juin 1828,
l'un dans l'instance introduite par l'évêque de Moulins contre le
ministre de l'instruction publique, l'autre dans l'instance introduite
par l'évêque de Moulins contre le ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts et contre Jules Ferry personnellement :
En ce qui touche la première demande;
Attendu qu'elle a pour objet principal de faire déclarer que l'État
est lié par le compromis intervenu les 6 et 8 août 1881 entre le
ministre de l'instruction publique et des beaux-arts et l'évêque de
76 ANNALES CATHOLIQUES
Moulins, lequel soumettait â des arbitres l'évaluation des coastruc-
tions et améliorations utiles effectuées par ce dernier ou ses prédé-
cesseurs sur l'immeuble d'Iseure ;
Qu'elle a en outre et par voie de conséquence pour objet prin-
cipal de faire décider que la sentence arbitrale du 7 novembre 1881
a acquis l'autorité de la chose jugée ;
Qu'elle tend subsidiairement à obtenir contre l'Etat une condam-
nation au paiement d'une somme de 554,099 fr. 90 ^eprésent^ nt la
valeur des constructions d'amélioration sus-indiquées, avec intérêts
du 7 août 1881 ;
Attendu que dans son objet principal la demande de l'evêque de
Moulins implique l'examen du point de savoir si le ministre de l'ins-
truction publique et des beaux-arts, en signant le compromis des
6 et 8 août 1881, a pu engager l'Etat, ou si au contraire il avait
consenti un acte qui serait nul et non avenu ;
Attendu que le compromis des 6 et 8 août 1881 porte sur des
intérêts dont la sauvegarde, en ce qui concerne l'Etat, appartenait
au ministre et dont le règlement rentrait dans ses attributions;
Qu'il constitue par là-même un acte administratif dont la validité
ne saurait être appréciée par l'autorité judiciaire ;
Attendu qu'il importerait peu qu'en l'absence d'une convention
particulière, les difficultés qui existaient entre l'Etat et l'evêque de
Moulins dussent relever du droit commun et être soumises aux
tribunaux ordinaires ;
Qu'il n'importerait pas davantage que le compromis des 6 et
8 août 1881 eût été consenti par le ministre contrairement à l'article
1004 du Code de procédure civile, c'est-à-dire en violation d'une
règle de droit commun ;
Attendu, en effet, qu'en règle générale et au point de vue de la
compétence, l'acte ou le contrat administratif se caractérise par ce
fait qu'il émane d'un représentant de l'Etat agissant dans le cercle
des pouvoirs que sa fonction lui confère, quel qu'en soit d'ailleurs
l'objet;
Qu'un compromis ne saurait échapper à ce principe plus qu'aucune
autre convention quelle qu'elle soit ou une vente :
Attendu que la décision à intervenir sur le compromis des 6 et
8 août 1881 emporte évidemment la validité ou la nullité de la sen-
tence arbitrale du 7 novembre suivant ;
Qu'incompétente pour statuer sur l'un, l'autorité judiciaire est
conséquemment incompétente pour décider à l'égard de l'autre;
Attendu, quant à la demande subsidiaire de l'evêque de Moulins,
que le tribunal a, au contraire, pleine compétence pour en connaître ;
Qu'elle suppose, en effet, que le compromis des 6 et 8 août 1881
ayant été annulé, les parties sont replacées dans les conditions où
elles se trouvaient avant qu'il intervînt ;
TRIBUNAUX 77
Qu'il s'agit alors de régler entre elles les conséquences purement
civiles de la reprise par l'Etat d'un domaine affecté antérieurement
au petit séminaire du diocèse de Moulins et à la jouissance person-
nelle de l'évêque ;
Que ce règlement doit s'opérer comme s'il avait lieu entre simples
particuliers, suivanf les principes ordinaires du droit et non plus en
vertu d'un acte qui le soumet à une juridiction spéciale;
Qu'en d'autres termes, il n'apparaît dans aucun acte émané d'un
représentant de l'État et pouvant faire échec aux lois ordinaires de
la compétence ;
Attendu néanmoins que dans l'espèce le jugement de la demande
subsidiaire de l'évêque de Moulins est nécessairement subordonné à
la décision qui interviendrait sur sa demande principale.
Que la demande subsidiaire serait même sans objet si la juridiction
compétente déclarait valable le compromis des 6 et 8 août 1881, et
si la sentence arbitrale du 7 novembre suivant conservait son
autorité ;
Qu'il convient donc de surseoir pour y statuer jusqu'à la décision
à intervenir sur la demande principale ;
En ce qui touche la seconde demande de l'évêque de Moulins :
Attendu qu'elle a pour but d'obtenir solidairement contre le
ministre de l'instruction publique et des beaux -arts et contre
Jules Ferry personnellement la restitution d'une somme totale de
6,810 fr. 10 avancée par le demandeur tant pour les honoraires
d'arbitres que pour les frais d'enregistrement afférents à la sentence
arbitrale du 7 novembre 1881 ;
Qu'elle a également pour but d'obtenir contre les deux défendeurs
une condamnation solidaire de 50,000 francs de dommages-intérêts,
à raison de ce fait que l'évêque de Moulins aurait été déterminé à
quitter l'immeuble d'iseure et à renoncer au droit de détention qu'il
entendait exercer sur le dit immeuble par la confiance qu'il accordait
au compromis des 6 et 8 août 1881 et à la signature du ministre;
Attendu, sur le premier chef, que la demande de l'évêque de
Moulins constitue en réalité une répétition de l'indu dirigée contre
ceux pour qui le paiemment avait eu lieu ;
Qu'à ce titre, elle est de la compétence de l'autorité judiciaire,
mais qu'elle ne saurait être appréciée isolément et que son admission
ou son rejet en totalité ou en partie dépend nécessairement de
la décision à intervenir sur la validité du compromis et de la sen-
tence arbitrale qui en a été la suite ;
Qu'il y a donc lieu de surseoir à y statuer ;
Attendu, sur ce second chef, que la compétence de l'autorité judi-
ciaire impliquerait, de la part de Jules Ferry, dans les traités sus-
visés, une faute personnelle dont il devrait répondre en son propre
6t privé nom, et dont l'État serait d'ailleurs responsable;
78 ANNALES CATHOLIQUES
Qu'il résulte de toutes les circonstances de la cause que les actes
imputés au défendeur se lient étroitement entre eux; qu'ils ne
sauraient être envisagés isolément et qu'ils ont été accomplis par
lui dans les mêmes conditions, c'est-à-dire en vertu et dans l'exercice
de ses fonctions ministérielles, de telle sorte qu'une seule responsa-
bilité lui incombait pour chacun d'eux;
Qu'en d'autres termes, la faute prétendue contre lui ne pourrait
être appréciée par l'autorité judiciaire sans qu'il en résultât une
appréciation de sa responsabilité dans l'ensemble des négociations
suivies entre lui et»révêque de Moulins, laquelle appartient exclusi-
vement à l'autorité administrative ;
« Attendu, dès lors, que le Tribunal est incompétent pour statuer
à l'égard de Jules Ferry et qu'à plus forte raison il l'est également
pour statuer à l'égard de l'État comme responsable des actes de
celui-ci :
Par ces motifs,
Se déclare incompétent sur la demande principale formée par
l'évêque de Moulins contre le ministre de l'instruction publique et
des beaux-arts et tendant à faire décider que l'Etat est lié par le
compromis des 6 et 8 août 1881 et par sa sentence arbitrale du
7 novembre suivant ;
Se déclare également incompétent sur la demande de dommages-
intérêts formée par l'évêque de Moulins contre le ministre de l'ins-
truction publique et des beaux-arts et contre Jules Ferry personnel-
lement ;
Se déclare, au contraire, compétent sur la demande subsidiaire
formée par l'évêque de Moulins contre le ministre de l'instruc-
tion publique et des beaux -arts en paiement d'une somme de
544,099 fr. 90.
Se déclare également compétent sur la demande formée par
l'évêque de Moulins contre le ministre de l'instruction publique et
des beaux-arts et contre Jules Ferry personnellement en restitution
d'une somme de 6,810 fr. 10;
Surseoit à statuer sur ces deux dernières demandes jusqu'à ce
qu'il ait été prononcé par l'autorité compétente sur la validité du
compromis des 6 et 8 août 1881 et de la sentence arbitrale du
7 novembre suivant ;
Condamne l'évêque de Moulins aux dépens faits dans les deux
premières demandes et réserve ceux qui sont afférents aux deux
dernières.
DON ALESSANDRO TORLONIA 79
DON ALESSANDRO TORLONIA
Nous avons déjà parlé de la perte immense, causée par la
mort de don Alessandro Torlonia, chef de la branche princiére
ou cadette de cette maison romaine.
Mais la vie d'un personnage tel que don Alessandro Torlonia
mérite qu'on s'en occupe en détail ; aussi nous y revenons pour
confirmer- les éloges si mérités rendus à l'illustre défunt, et
pour relever davantage encore les côtés plus remarquables et
plus particulièrement édifiants d'une vie chrétienne, si longue
et si parfaitement remplie.
Nous y revenons aussi pour corriger certaines légendes et
divers jugements inexacts, répandus sur l'origine et la richesse
de la maison Torlonia, par un certain nombre de journaux
qui semblent, en l'occurrence, avoir préféré la sensation à
l'exactitude.
Disons d'abord quelques mots sur l'origine de la famille.
Quelques-uns prétendent qu'elle est d'origine auvergnate. Le
lieu d'origine serait, selon les uns, la commune d'Augerolles,
à quelques lieues de Thiers, en Auvergne ; selon les autres, ce
serait la ville de Tours. Figaro parle aussi de l'origine auver-
gnate et ajoute que le fondateur de la famille, un Auverg'nat,
était attaché à la maison du cardinal Aquaviva et père de don
Giovanni, lequel était le père de don Alessandro.
Figaro dit qu'une pension viagère, laissée par le cardi-
nal Aquaviva, permit à cet Auvergnat de faire un commerce
d'aiguilles et de dentelles et de donner une bonne éducation à
son fils Giovanni.
On parle aussi de centaines de millions non comptés, attribués
au prince Torlonia par une partie de la presse italienne, et de
six millions annuels d'impôt foncier qu'il aurait payés, d'après
la Gazette de Cologne.
Il faut dire d'abord que, selon le bruit de Rome, le fondateur
de la maison était de la famiglia d'un cardinal, ce qui signifie
attaché à la maison, dans le sens romain du mot, et ce que
ne paraît pas avoir compris le Figaro. Ce qui est certain en
outre, c'est que Giovanni Torlonia est né en 1754, à Sienne,
en Toscane, ville que son père n'avait jamais quittée, et que
lui-même n'en était parti qu'au temps de Pie VI; que le car-
80 ANNALES CATHOLIQUES
dinal Ottavio Aquaviva, archevêque de Naples, est mort en
1612 et que !<? cardinal Trojano Aquaviva, ambassadeur de don
Carlos, fils de Philippe V d'Espagne (devenu roi de Naples),
était mort bien avant la naissance de Giovanni Torlonia, et que
ces deux cardinaux sont les seuls de cette maison napolitaine.
Ces faits indiquent déjà suffisamment l'erreur commise par
le garant du Figaro.
La vérité est que le père de don Alessandro Torlonia, fonda-
teur de la maison, est né à Sienne, opulente ville commerciale
de la Toscane, en 1754, de parents de condition modeste, qui y
exerçaient un métier honorable et y avaient le droit de cité.
On peut supposer que la légende de l'origine auvergnate est née
d'une circonstance fortuite; elle ne paraît avoir pris racine
qu'au commencement du siècle, lors de l'occupation française
de Rome.
Sienne s'est toujours enorgueillie d'avoir été le berceau de la
maison Torlonia, comme elle fut celui des maisons Borghèse et
Chigi, dont la première est l'héritière du nom et du patrimoine
de la branche princière de Torlonia, et la seconde son alliée
par le mariage de feu la princesse Chigi avec feu don Jules
Torlonia, chef de la branche ducale ou aînée.
Le fils de ce bourgeois de Sienne, après avoir reçu dans sa
ville natale une bonne éducation, vint à Rome, au commence-
ment du pontificat de Pie VI, de sainte mémoire.
Le jeune Siennais s'y voua au négoce. Le moment était pro-
pice. Pie VI venait de monter sur le trône pontifical. De vastes
travaux d'utilité publique furent entrepris, des monuments res-
taurés ou relevés de leurs ruines. Le travail immense du dessè-
chement des marais Pontins, commencé sous les empereurs,
continué sous divers Papes, puis abandonné, fut repris. Une
souscription volontaire procura des fonds considérables, et douze
mille arpents de terre furent rendus à la culture; la voie Ap-
pienne fut dégagée, un canal de décharge fut construit, et le
commerce et l'industrie prirent alors un essor inattendu, dont
Giovanni Torlonia ne fut pas le dernier à profiter.
Son génie industriel et commercial put alors se développer à
son aise. Il s'associa avec un riche négociant nommé Cechi et
lorsque la Révolution française survint, la maison Torlonia
était déjà installée au palais Raggi et occupait le premier rang
parmi les maisons de banque romaines.
Bientôt le temps vint oii Giovanni fut appelé à rendre de
DON ALESSANDRO TO'.ILONIA 81
grands services à Rome et à la papauté. Napoléon venait d'oc-
cuper les Marches, le Pape fut contraint de signer, en 1796,
l'armistice de Bologne, de verser une contribution de vingt
millions et de souscrire en février 1797, au traité de Tolentino,
qui l'obligeait au versement d'une nouvelle somme de trente
millions. L'année suivante, lors des événements qui suivirent la
mort violente de Duphot, Romeetla province durentpayerencore
une somme de trente-six millions. Les caisses publiques étaient
vides, la banque n'avait plus un écu, même le mont-de-piété
avait dû fermer faute de fonds ; riiabilaté commerciale de Gio-
vanni Torlonia suppléa à tout, et grâce à lui, on finit par pou-
voir faire face aux exigences de l'occupation française.
Mais bientôt le Pape fut emmené prisonnier, et les autorités
anciennes, les cardmaux, les prélats, les personnages les plus
distingués de la ville durent émigrer. Le crédit public descendit
à un tel degré que lesfamilles les plusriches du patriarcat romain
tombèrent dans un état voisin de la gêae. Les palais, les villas,
les propriétés rurales étaient vendus à un taux dérisoire. Gio-
vanni Torlonia, au lieu d'enfouir son or comme les autres,
remplo3"a pour l'acquisition de propriétés immobilières et fon-
cières, et les sauva ainsi d'une ruine et d'une décadence finale
tout en faisant une excellente aifaire. 11 emplo3^a son argent
encore mieux. Lors du mémorable conclave de Venise, don
Giovanni Torlonia offrit au Sacré-Collège trois mille ducas, à
titre d'oftrande pour les frais du conclave ; aussi, après son
élection, Pie VII, de sainte niémoire, le créa marquis de Roma-
Vecchia.
Sa prospérité augmenta d'année en année, et au milieu de la
tourmente politique qui souffla alors en Italie, de la cime des
Alpes au cap Spartivento, Giovanni Torlonia sut maintenir la
solidité et la renommée de sa maison. En 1803, il acquit le châ-
teau et la terre de Bracianno, propriété de la maison d'Orsini,
située au nord-ouest et à 28 kilomètres de Rome, vendue au siè-
cle dernier à la maison Odelscalchi. Cette acquisition lui valut
des droits féodaux, le titre ducal et le patriarcat romain.
Lors de la captivité de Pie VII, le nouveau duc de Bracianno
était, par sa situation, forcé d'avoir des relations avec le géné-
ral Miollis ; toutefois, ces relations n'entachèrent en rien ses
sentiments pour le Souverain-Pontife. Aussi, lorsque Pie VII,
de sainte mémoire, rentra de la captivité de Fontainebleau, il
lui rendit non seulement ses bonnes grâces, mais le chargea
82 ANNALES CATHOLIQUES
aussi de l'exécution d'importants plans financiers, élaborés
pour remettre l'ordre dans toutes les brandies de l'adminis-
tration.
Pie VII ne pouvait pas choisir mieux ; tout ce dont le génie
économique et commercial de Griovanni Torlonia dut s'occuper
réussit à merveille. Ainsi, il avait obtenu la ferme générale des
célèbres aluniéres de la Tolfa, prés de Civita-Vecchia; il donna
à cette industrie un tel , développement et la perfectionna
tellement, que bientôt l'alun de la Tolfa eut une réputation uni-
verselle.
Sa probité, son activité infatigable avaient fait de sa maison
la plus puissante de l'Italie, et malgré les temps si agités, il
n'oublia jamais qu'il dut l'origine de sa fortune à la papauté.
Le bonheur intérieur ne lui manquait pas non plus ; il avait
choisi pour compagne donna Anna-Maria Sculteis, digne et par-
faite chrétienne, qui dirigeait son intérieur avec toutes les vertus
de la femme forte de l'Evangile.
Il en eut trois fils et deux filles. L'ainé de ses fils, don Giovanni,
né le 6 septembre 1796, héritier du duché de Bracianno (duché
que la maison Odescalchi a racheté depuis), est devenu le fon-
dateur de la ligne aînée ou ducale : il s'est marié avec une
princesse de l'illustre maison Sforza ; le second, don Carlo, né
le 18 décembre 1798, est mort en 1848, sous le coup des événe-
ments de l'époque ; le troisième, né le 1" juin 1800, est celui
dont nous nous occupons. Les sœurs de ces trois frères furent
demandées en mariage par des membres de la haute aristocratie
romaine; l'une d'elles, donna Maria, née le 4 janvier 1804, vit
encore, elle est mère de don Orsini, chef de cette maison pa-
tricienne ; sa sœur défunte avait été épousée par le comte
Machescotti.
C'est ajuste titre qu'on cherchait l'alliance d'une telle fa-
mille, car les services rendus par la maison Torlonia, après les
événements de 1815, furent immenses. Par suite du bouleverse-
ment révolutionnaire de l'ancien état de choses, certains impôts
avaient été supprimés, le crédit détruit ; le vieux banquier
trouva le moyen de relever tout, grâce aux mesures financières
et d'économie politique proposées et acceptées par le Souverain-
Pontife.
La puissance et la fortune de sa maison de banque ne firent
alors que prospérer ; il en fit le plus noble usage, en faveur des
pauvres, de l'Eglise, des établissements de bienfaisance, des arts
DON ALESSANDRO TORLONIA 83
et sciences et des splendeurs artistiques de la capitale du
monde chrétien ; et, lorsqu'il mourut, sa mémoire fut bénie de
tous, et sa famille était alliée et parente des premières et plus
illustres familles romaines.
C'est don Alessandro, le troisième de ses fils, qui fut l'héritier
de son génie d'économiste consommé. Ce que le père avait en-
trepris, le fils le continua en compagnie de son frère don Carlo.
Ils obtinrent, et à Rome et à Naples, la ferme générale des
monopoles des tabacs et du sel, l'émission d'emprunts d'État et
d'autres affaires financières.
Les bénéfices très considérables qu'ils en tirèrent pendant
trente ans, furent aussitôt employés à des travaux d'utilité pu-
blique et à des entreprises qui, toutes, réussirent à merveille.
En première ligne il faut citer le dessèchement du lac de Fu-
cino, qui certes est une des œuvres les plus hardies de notre
époque. On en jugera quand on pense que jadis seule la construc-
tion du canal de décharge de ce lac, creusé à travers le mont
Salviano, força l'empereur Claude à faire travailler 30,000 es-
claves pendant onze ans.
Ce lac, situé près de Sulmona, la patrie d'Ovide, avait
16 kilomètres de long sur 8 kilomètres de large ; il appartenait
autrefois aux familles Colonna et Cesarini ; le prince Torlonia
s'en rendit acquéreur et fit reprendre les travaux de Claude. Ce
travail gigantesque, commencé en 1852, ne fut achevé qu'en
1875. Le prince Torlonia y avait dépensé 35 millions, mais
aussi il y gagna 150 kilomètres carrés d'excellentes terres
labourables ; l'honneur de ces travaux revient à des ingénieurs
français, dirigés par M. de Montricher.
Lors de leur achèvement en 1875, le gouvernement du Qui-
rinal voulut donner à don Alessandro Torlonia le collier de la
Santissima Annunziata ; le prince déclara qu'il le refuserait.
Alors Victor-Emmanuel fit frapper à son intention une médaille
d'or et la lui fit remettre. Don Alessandro Torlonia se rendit par
suite au Quirinal^ et cette visite ne laissa pas de causer quelque
étonnement. Pour l'expliquer, don Alessandro mit en avant la
courtoisie. On dit aussi qu'il avait au préalable demandé l'auto-
risation au Vatican ; mais l'on comprend que les libéraux cher-
chèrent à se prévaloir de cette visite ; ils se trompaient : don
Alessandro Torlonia sut promptement les faire taire : ni Victor-
Emmanuel, ni son fils le roi Humbert ne revirent le prince au
Quirinal.
84 ANNALES CATHOLIQUES
L'œuvre du fils fut prospère comme celle du père.
Don Alessandro Torlonia a consacré ses immenses richesses à
la pauvreté et à la misère, en fondant ou en dotant des hospices,
asiles, dépôts de mendicité, fourneaux économiques, établisse-
ments de charité maternelle, etc. Il les a encore consacrées aux
aux arts et à la science, en faisant construire ou restaurer des
palais somptueux, établir des villas qui, en splendeur, rappellent
celles qui faisaient autrefois la renommée de Tusculum, de
Tib'ir et de Prœneste. Il ne comptait pas non plus quand il s'a-
gissait de rendre aux basiliques et églises romaines leurs '
anciennes splendeurs artistiques.
Sa magnificence apparaît dans l'histoire quand on admire
tout ce qu'il a fait sous ce rapport à Rome ; ses oeuvres sont des
œuvres vraiment royales ; l'énumération partielle en a été déjà
faite par nos correspondants romains. Il administrait sa fortune
en bourgeois modeste et prudent et en dépensait les revenus en
roi et en apôtre.
Il aida les savants et les artistes de sa bourse et de son crédit
dans leurs études et leurs voyages.
Il acheta à grand prix des collections artistiques et des œuvres
d'art qu'il installa dans ses palais et villas. Grâce à don Ales-
sandro Torlonia, des palais, tels que celui de Bramante, entre
le château Saint-Ange et le Vatican, qu'il avait mis lors du
Concile à la disposition du Souverain-Pontife ; des villas telles
que celle d'Albani, qu'il avait achetée aux héritiers du prince
de Castelbarco, ne tombèrent pas dans des mains étrangères.
Ce qui est particulièrement remarquable dans sa vie, c'est sa
piété si éclairée, sa charité apostolique ; au milieu de tant de
bienfaits, il garda une prudence tempérante, une modestie dans
sa manière de vivre et s'habiller qui furent connues de tous ceux
qui séjournent ou ont séjourné à Rome. C'est avec une véritable
édification que nous rappelons les traits et la mise de ce grand
Romain, car en tout il montrait une modestie vraiment tou-
chante. Il était grand quand il s'agissait de bonnes œuvres et
d'œuvres utiles ; pour ie reste, il n'était que semblable au plus
humble chrétien.
Pie IX, de sainte mémoire, fut toujours un père pour Ales-
sandro Torlonia, et celui-ci n'a jamais manqué d'être son fils
dévoué et reconnaissant. Il est mort, jour pour jour, huit ans
après son bien-aimé souverain et père, et, chose étrange, tout
comme les funérailles de Pie IX dans la nuit du 13 juillet 1881,
DON ALESSANDRO TORLONIA 85
ont donné ]ieu <à des désordres, ses funérailles dans la soirée du
9 février ont donné lieu à de très graves désordres sur la place
des Saints-Apôtres, au moment où sa dépouille fat transférée
de son palais à l'église paroissiale des Saints-Apôtres.
Son amour, son dévouement pour Pie IX, pour Léon XIII et
la Papauté furent sans bornes. Dans toutes les graves circon-
stances, il intervint de sa personne et des moyens que la divine
Providence avait mis à sa disposition. En 1865, il aida à sauver
les emprunts romains d'une dépréciation tramée par le gouver-
nement subalpin ; deux ans plus tard, il offrit ses millions pour
repousser l'invasion garibaldienne ; en 1870, lors du concile, il
donna la plus vaste hospitalité aux Pères du Concile dans un de
ses palais; il donna son obole annuelle à la Papauté comme il
donna aux pauvres et aux déshérités son argent — à pleines
mains. Du reste, il aimait les pauvres de tout son cœur, et
même dans sa tombe il a voulu être revêtu de leur habit, de
l'habit de saint François.
Chaque jour il allait adorer le Saint-Sacrement dans l'église
oî^ se célébraient les Quarante Heures, et visitait des écoles,
des asiles, des hospices, des établissements charitables et des
prisons; c'est avec une joie particulière qu'il remplissait toutes
les œuvres de miséricorde.
Nous avons déjà parlé de son testament : c'est un monument
digne de lui et des sentiments élevés de son âme; nul doute
qu'une vie si dignement couronnée après avoir été si pleine, ne
lui ait promptement obtenu les célestes récompenses.
Don Alessandro Torlonia, veuf de donna Teresia Colonna-
Doria depuis le 17 mars 1875, eut de ce mariage deux i311es :
donra Giacinta-Carolina, morte il y a quelques années, et
donna Anna, mariée au duc de Ceri, troisième fils du prince
Marc-Antoine Borghèse et de Thérèse de la Rochefoucauld-
d'Estissac. De ce mariage sont issus deux fils et deux filles, qui
ajouteront leur nom à celui de Torlonia.
Par ce mariage, donna Teresa Torlonia est entrée non seu-
lement dans l'illustre maison Borghèse, mais elle est aussi
devenue l'alliée de grandes maisons romaines, napolitaines,
toscanes, françaises, autrichiennes et allemandes.
La renommée de don Alessandro Torlonia allait au-delà de
Rome et de l'Italie. Sa mémoire suivra le chemin de sa renom-
mée; les preuves d'estime qui lui ont été prodiguées par Rome,
l'Italie et le monde catholique, et la douleur avec laquelle sa
86 ANNALES CATHOLIQUES
mort fat accueillie chez tous les catholiques, en sont la
garantie.
Don Alessandro Torlonia a laissé son nom, son enfant et sa
fortune à un membre de la grande et illustre maison Borghèse,
à laquelle l'Eglise doit Paul V. Les nobles souvenirs du défunt
lui susciteront dans son gendre et dans ses petits-enfants des
imitateurs dignes de leur nom. Rome, capitale du monde catho-
lique, et l'Italie s'en trouveront bien, et ce sera là la plus belle
récompense ici-bas que l'on puisse souhaiter pour la mémoire
de don Alessandro Torlonia. (Univers.)
CONFERENCES DE NOTRE-DAME (1)
QUATRIÈME CONFÉRENCE. — Lcs droUs du prêtre.
La consécration du prêtre lui confère une dignité que l'on
pourrait appeler divine; cette dignité lui impose des devoirs de
science et de sainteté dont l'accomplissement fait de lui l'homme
social par excellence. Mais, en imposant des devoirs, la dignité
sacerdotale crée aussi des droits qui lient la société à l'égard du
prêtre, comme lui-même est lié à l'égard de la société. Irré-
vocables et imprescriptibles, ces droits ont toujours été plus ou
moins contestés, alors même qu'ils étaient inscrits d'office dans
les religieuses constitutions des peuples chrétiens; aujourd'hui
que le droit public se laïcise à outrance, c'est à la suppression
que l'on tend.
Partant de cette vérité que le prêtre est un fonctionnaire
divin dans le plus important et le plus noble des services publics,
nous en tirerons ces trois conclusions : — ■ Premièrement le
prêtre a droit au respect de la vocation qui le destine aux fonc-
tions divines ; secondement : le prêtre a droit à la complète
liberté de ses fonctions; troisièmement : le prêtre a droit de
vivre de son service public.
(1) Cette analyse des Conférences du R. P. Monsabré à Notre-Dame
de Paris est faite exclusivement pour les Annales Catholiques.
Nous rappelons que les conférences du R. P. Monsabré sont
publiées m extenso dans V Année dominicaine, en suppléments qui
se vendent séparément, 25 centimes chaque, ou 1 fr. 50 les neuf
suppléments (par abonnement).
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 87
Le prêtre ne devient pas du jour au lendemain un homme
sacré. 11 faut qu'après avoir entendu l'appel de Dieu, il se pré"
pare à la mystérieuse inscription de son serment. Avec quel
respect et quelle maternelle sollicitude l'Eglise le dirige en sa
divine vocation ! Pour lui elle a ouvert ces refuges bénis oii les
clercs rassemblés sont l'objet d'une longue et pieuse culture.
On appelle ces maisons des séminaires : des séminaires, parce
que c'est là que poussent les jeunes plants qui doivent rem-
placer dans le clergé les arbres que la fatigue a rendus stériles
et ceux que la mort a renversés ; des séminaires, parce que c'est
là qu'on prépare et qu'on amasse le bon grain de vérité et de
vertu que la main du prêtre, divin semeur, doit répandre dans
les âmes. Dans ces maisons saintes, les élus de Dieu, en appre-
nant leurs devoirs, commencent à affirmer leurs droits. Le
premier de tous, est le droit au respect de la vocation qui des-
tine le prêtre aux fonctions divines. Or, ce respect doit se tra-
duire d'abord;, par une généreuse sympathie toujours prête à
venir en aide aux vocations sacerdotales. Dieu commence les
vocations par un appel mystérieux, mais il nous réserve une
part dans leur développement. Les gouvernements intelligents
ont compris que c'était un honneur pour eux, autant qu'un
avantage pour la société, de coatribuer par des largesses au
recrutement et à la formation des ouvriers évangéliques. S'ils
retirent aujourd'hui leur concours, l'œuvre de l'Église ne sera
pas compromise.
En second lieu, le respect dû aux vocations sacerdotales doit
se traduire par une religieuse réserve qui interdit, sur la vie de
ceux que Dieu a choisis, tout prélèvement capable d'offenser
la sainteté de leur état, de troubler ou de compromettre leur
vocation. Il serait plus qu'étrange que des sociétés chrétiennes
eussent moins d'égards pour le sacerdoce que des sociétés
païennes qui laissaient le prêtre à ses fonctions.
A ceux qui disent que l'ère des privilèges est passée, dit alors le
P. Monsabré, et que personne ne peut plus être exempté des grands
services que chaque citoyen doit à son pays, l'Eglise répond : « Quels
services ? Ne voyez-vous pas que mes lévites et mes prêtres sont des-
tinés et appliqués au plus important et au plus noble des services
publics ? N'est-ce pas servir son pays que d'être le représentant de
ses sentiments religieux et l'ambassadeur de ses hommages près de
Celui sans qui les peuples ne seraient plus que de vils troupeaux ?
N'est-ce pas servir son pays que d'appeler sur lui par prières et par
»0 ANNALES CATHOLIQUES
S icrifices les bénâ lictioâs du ciel dans la paix comme dans la guerre?
N'est-ce p s servir son p^ys que d'être auprès de l'ignorauce Tinter-
prète des vo!o-.t's diviiijs;que d'apprendre à tous, à partir de
l'enfance, les gr.;nds myst:jres de leur origine, de leur état, de leurs
destinées, et les devoirs qui font l'honnête homme et le chrétien ?
N'est-ce pas servir son pays que d'avoir les mains coustamment
pleine des grâces qui régénèrent et vivifient les âmes, et de consacrer
sa vie à guérir les plaies, la corruption, les langueurs, les infirmités
des consciences ? N'est-ce pas servir son pays que d'être, auprès de
toutes les infortunes et de toutes les misères humaines, le pléni-
potentiaire de la miséricorde divine ? Que voulez-vous de plus : que
mes lévites et mes prêtres concourent de leurs deniers aux charges
de l'Etat? Vous le savez bien, il y a longtemps que leur bourse est
ouverte ; prenez -y ce qu'il vous faut, mais ne touchez pas à leur vie
consacrée : « Nolite tangere christos meos. »
Ce n'est pas une prière que fait l'Eglise, c'est une loi qu'elle
a depuis longtemps édictée. Les idolâtres d'égalité n'en veulent
plus entendre parler. Ils ne manquent pas d'éloquence pour
prouver que les peuples doiveut se tenir sur un respectable
pied de guerre, s'ils veulent avoir la paix ; que, pour résister
aux masses qu'on met en branle aujourd'hui, il faut que tout le
monde soit soldat, qu'il n'y a pas de profession qui puisse exemp-
ter un citoyen de se mettre en état de paj-er à la patrie l'impôt
du sang, si elle en a besoin.
L'orateur de Notre-Dame détruit très facilement le principe
impie, contre lequel il invoque la sagesse humaine, le plus vul-
gaire bon sens. Peut-il tuer, celui qui est appelé à donner à tous
la vie ? Peut-il être arraché, ne fut-ce qu'un jour, au soin de
son troupeau? La vocation sacerdotale étant une vocation divine,
personne ne peut avoir le droit d'eu troubler la préparation ni
d'en retarder l'épanouissement, en prélevant sur une jeune vie
les années les plus propices au développement de l'intelligence,
à la formation du caractère, à l'acquisition de la science sacrée
et des saintes habitudes qui font le prêtre éclairé et vertueux ;
la licence des lieux où le soldat apprend son métier est plus
propre à corrompre une âme pure qu'à l'aguerrir contre la
contagion des mauvaises moeurs ; le séminaire ne peut que
perdre en se déversant dans la caserne, et la caserne est un
vestibule dangereux pour le séminaire. Enfin, aux naïfs et
aux rusés qui prétendent que l'habitude de ,1a discipline et le
sentiment de l'honneur compensent la liberté des moeurs mili-
taires; que celui qui a fait l'expérience des faiblesses humaines
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAXE 89
deviendra plus propre à comprendre et à guérir les maux dont
pâtissent les consciences, le bon sens le plus vulgaire répond :
que les vénérables éducateurs des clercs savent aussi bien leur
faire prendre l'habitude de la discipline et leur inculquer le
sentiment de l'honneur que le ferait un capitaine instructeur;
que la liberté des mœurs laisse dans une âme des souvenirs et
des penchants qui peuvent nuire à la sainteté sacerdotale ;
finalement, qu'un médecin n'a pas besoin d'être malade pour
connaître et savoir guérir les maladies.
Quant à payer l'impôt du sang, il n'est aucun prêtre qui s'y
refuse ; mais ils veulent le payer sans que la loi de l'Église soit
violée, sans que leur vocation soit outragée. N'est-ce pas l'im-
pôt du sang qu'ils payent en ces pays lointains oii, au prix de
mille fatigues et de mille dangers, ils implantent, avec les
vertus de l'Evangile, l'estime et le respect de la nation dont
ils sont issus? N'est-ce pas leur martyre qui sème là-bas des
chrétiens et devient comme le pionnier des influences euro-
péennes? L'impôt du sang de nos soldats ne nous aurait-il pas
cov\té moins cher si l'on avait su tenir plus de compte de l'im-
pôt du sang de nos prêtres et des expériences acquises dans les
guerres qu'ils livrent à la barbarie, aux dépens de leur vie ?
Viennent les fléaux qui dévastent les villes et les campagnes,
vous les verrez aux premiers rangs de ceux qui se dévouent.
Viennent les jours sinistres des grandes collisions qui mettent
le pays en danger, vous pourrez faire appel à leur patriotisme
et en user jusqu'à la mort. Les hôpitaux, les ambulances et les
champs de bataille les verront surmonter l'écrasante fatigue
des nuits sans sommeil, braver la pourriture et la contagion,
affronter, sans les avoir provoqués, les balles et les obus, se
pencher avec amour sur les blessés et sur les mourants, soi-
gner, consoler, bénir, absoudre, montrer le ciel, recevoir avec
une tendresse et une fidélité d'amis les dernières volontés de
ceux qui expirent, mourir eux-mêmes d'une mort non moins
héroïque et glorieuse que celle des soldats tués à l'ennemi. Et
ainsi, tout le monde sera satisfait : le pays qui veut des sacri-
fices, et l'Eglise qui veut des respects pour la vocation de ses
prêtres.
II
Avec le respect de la vocation, le prêtre a droit à la liberté
des fonctions.
7
90 ANrJALES CA.THOLlgUES
Le prêtre tient de Dieu lui-même, et de Dieu seul, son carac-
tère et ses fonctions.
Dès leur première campagne évangélique, les Apôtres pro-
clament audacieusement leur droit à la liberté des fonctions
sacerdotales.
C'est Dieu qui parle par la bouche de ses prêtres, c'est Dieu
qui répand ses dons par leurs mains consacrées. Donc, le prêtre
a le droit de dire à tous, en tout temps, et partout, toutes les
vérités que Dieu l'a chargé d'annoncer au monde. Le royaume
des âmes est le domaine du prêtre, il faut qu'il puisse s'y mou-
voir à l'aise et y exercer librement ses fonctions. L'opposition,
d'oii qu'elle vienne, est plus qu'une injustice, c'est un attentat
sacrilège dont Dieu lui-même reçoit directement l'affront.
Et cependant, que de fois les pouvoirs humains ont commis
cet attentat ! La sinistre histoire des violences faites au minis-
tère sacerdotal serait longue à raconter. On y voit plus que des
profanations de choses saintes et des contraintes de personnes,
on y voit du sang.
Et de nos jours, que ne voyons-nous pas tenter contre la
liberté du ministère sacerdotal! Cette liberté, les ennemis de
Dieu osent se promettre de l'étouffer, mais on n'étouffe pas
plus les libertés de Dieu qu'on n'étouffe les eaux qui descendent
par de mystérieuses artères des montagnes aux vallées. Bouchez
une source, vous l'entendrez sourdre et la verrez jaillir à quel-
ques pas de là plus abondante et plus vive. Ainsi en sera-t-il de
la liberté sacerdotale. Que si pourtant on pouvait, en entassant
les obstacles, l'empêcher de répandre sur nos contrées, aujour-
d'hui chrétiennes, les deux grands bienfaits de Dieu, la vérité
et la grâce, comme l'eau des sources elle se ferait un chemin
vers d'autres pays, dont elle irait féconder les terres arides,
laissant les générations ingrates, qui auraient détourné son
cours, s'éteindre misérablement dans le ténébreux désert de
l'erreur et de la corruption. Que Dieu nous préserve d'un pareil
malheur !
III
Enfin le prêtre a le droit de vivre de son service public.
Ce droit était écrit dans la nature avant d'être écrit dans
aucune loi divine et humaine.
C'est d'après cette loi de nature, que Dieu règle, chez son
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 91
peuple, la conditiou de tout le corps sacerdotal. Lévi appartient
au Seigneur et le Seigneur est sou partage : c'est pourquoi on
ne lui donne point de part dans les terres et les biens distribués
à ses frères des autres tribus ; mais tous lui doivent une rede-
vance qui est l'hommage rendu au Seigneur, de cet hommage
toute la tribu sacerdotale se nourrit, et avec elle l'étranger, la
veuve et l'orphelin.
Il s'agissait d'un impôt rigoureux que la loi nouvelle n'a pas
confirmé. En instituant son sacerdoce d'amour, non seulement
le Christ ne lui a rien donné, mais il l'a dépouillé do tout. Le
condamne-t-il parla à une misère basse et honteuse? Non, mais
il leur apprend le détachement du cœur, le mépris des biens
que les hommes se transmettent, parce qu'ils les considèrent
comme une partie d'eux-mêmes ; mais il leur assure, en même
temps, un patrimoine qui, pour n'être pas de même nature que
jCelui dont le possesseur peut dire : c'est à moi, doit cependant
les récompenser avec honneur de leurs travaux, car il dit :
« Dignus est operarius mercede sua. » Cette récompense, il ne
la détermine pas, il compte sur la conscience et la générosité
des générations nouvelles auxquelles il va donner un cœur
filial, à la place du cœur servile qui battait dans la poitrine
de l'ancien peuple de Dieu. Lui-même, avec ses premiers
prêtres, il vit de l'assistance de ceux qui bénéficient de son
ministère, afârinant ainsi le droit de tous les prêtres qui vien-
dront après lui.
Le prêtre doit vivre de l'Évangile, et en doit vivre avec
honneur. Il ne faut pas que la pauvreté du prêfre soit une
charge perpétuelle qui pèse sur les fidèles; que les caprices ou
la lassitude du peuple chrétien l'obligent à une laborieuse et
humiliante mendicité ; que le côté humain de sa vie soit enchaîné
par des nécessités matérielles qui absorbent son temps, ses
sollicitudes et ses forces au détriment de son caractère, et
créent des servitudes nuisibles à la parfaite liberté dont il doit
jouir pour l'accomplissement de sa mission et l'exercice de son
pouvoir; que la question du vivre, du vêtement et du logement
se pose quotidiennement pour lui, quand le devoir l'appelle à
la prière, au sacrifice, à la prédication, à l'enseignement, à
l'administration des sacrements, auprès des pauvres, des
affligés, des malades, des mourants et des morts; qu'on
puisse mettre la grandeur et la sublimité de ses fonctions
divines en regard d'une profession vulgaire; qu'un métier ou
92 ANNALES CATHOLIQUES
un négoce quelconque l'exposent à des désirs, à des avidités, à
des calculs, à des démarches, à des agissements qui nuiraient
infailliblement à sa considération. Et, d'autre part, il est raison-
nable, il est juste, il est nécessaire qu'il puisse faire honneur
aux obligations multiples que lui crée son ministère d'amour.
Ces impérieuses nécessités et ces hautes convenances ont été
comprises par le peuple chrétien. Dés l'origine de l'Église,
nous voyons les fidèles donner l'hospitalité aux apôtres, leur
apporter le prix des biens dont ils se dépouillent volontai
rement, prévenir leurs besoins, venir en aide à toutes leurs
bonnes œuvres, leur envoyer de loin leurs offrandes destinées
au soulagement des Eglises nouvellement fondées. Sous le
règne sanglant des empereurs païens, les patriciens convertis
cèdent aux prêtres leurs maisons et leurs biens. Enfin, le droit
sacerdotal s'affirmant davantage, à mesure que la société
chrétienne grandit et réclame plus de sollicitudes et de soins,
des libéralités intelligentes et dévouées conspirent à créer des
hénéfîces qui assurent définitivement au prêtre une vie hono-
rable et indépeadante, lui permettant de ne pas se distraire de
ses saintes fonctions et de satisfaire largement à ses obligations
de charité".
Mais les siècles de désintéressement et de foi avaient compté
sans le brigandage des révolutions. Dieu l'a permis, pour châtier
sans dou te les abus d'une prospérité temporelle qui, détournée
de son emploi légitime, conspirait contre le désintéressement
évangélique, et devenait une scandaleuse servitude au lieu d'être
une source de noble indépendance.
C'est en vain que l'Eglise protestait contre ces abus, la pente
était prise et Dieu seul pouvait, par un coup de maître, remédier
au mal qui menaçait de corrompre avec le sacerdoce les biens
mêmes dont la libéralité des fidèles l'avait doté. Il trouva bon
de supprimer la cause de ce mal en lâchant les voleurs.
Rois, princes ou peuples, ils ont fait aujourd'hui leur œuvre
en divers pays ; le nôtre n'a pas été épargné. Nous n'approfon-
dirons pas ce mystère de justice divine et d'iniquité humaine.
Il a pu modifier la condition temporelle du clergé, mais il n'a
pas entamé son droit, et l'Église, tout en faisant, pour le bien
de la paix, des concessions aux ravisseurs de ses propriétés,
n'entend point sacrifier le principe qui assure à ses prêtres la
rémunération de leur service public.
Si cependant, les misérables prétextes qu'on invoque pour sd
NÉCROLOGIE 93
débarrasser de cette charge publique venaient à triompher de
la conscience des législateurs, qu'arriverait-il? Le droit ne
serait point changé, mais tout simplement le sacerdoce revien-
drait à son point de départ, l'Église renouvellerait avec plus
d'instance les exhortations qu'elle adressait au peuple chrétien
à l'époque où le protestantisme commençait à la voler, et le
peuple chrétien ferait pour le prêtre ce qu'il a fait pour les
œuvres catholiques, depuis que l'Eglise ne peut plus les soutenir
comme aux jours de sa prospérité. Et cela, jusqu'à ce que le
bon sens public, triomphant des haines, des sophismes, des
attentats de l'impiété révolutionnaire, s'indigne de voir les
fonctionnaires de Dieu condamnés aux soucis et aux aventures
de la mendicité, et reconnaisse solennellement leur droit, sous
quelque forme nouvelle en rapport avec la condition et les
besoins des sociétés modernes.
Ajons confiance. Dieu n'abandonnera pas son prêtre.
NECROLOGIE
Les funérailles de M°" la comtesse de Chambord ont été célé-
brées, le 3 avril, à Goritz, avec une grande pompe. La ville
tout entière a tenu à manifester son deuil. Les troupes formaient
la haie depuis la villa Lantieri jusqu'à la cathédrale.
Selon le cérémonial arrêté, les députations, communautés et
corporations ont constitué le cortège. Le corbillard, traîné par
six chevaux, portait les armes de France et d'Esté. Les cou-
ronnes envoyées de France, d'Autriche et d'Italie étaient véri-
tablement admirables. Immédiatement après le char marchait le
représentant de l'Empereur, l'archiduc François d'Autriche-
Este.
Il conduisait le deuil. Venaient ensuite Mgr le duc de Madrid,
Mgr le duc de Parme, un prince de la maison de Bavière repré-
sentant le Roi, le duc délia Grazia représentant le roi de Naples.
Plus de cent Français marchaient après les princes. Avant la
cérémonie, ils étaient allés chercher au monastère de Castagna-
vizza l'étendard blanc d'Henri V. Une affluence considérable se
pressait dans la cathédrale, dont la décoration funèbre était
admirable.
A l'occasion de ces funérailles, des messes ont été dites dans
94 AN>,'Ar:KS CATHOLlQtJKS
toutes les églises de Paris et dans beaucoup de sanctuaires en
province. Le chef de la Maison de France a fait célébrer un
service à Saint-François-Xaxier, et les notabilités raonarchiquas
ont répondu à son appel, se montrant ainsi unis dans le deuil
comme ils le sont dans leurs patriotiques espérances.
L'église Saint-François-Xavier ,àPari?était ornée de tentures
noires sur lesquelles se détachaient les armes de la Maison de
et de la maison d'Esté. Autour du catafalque avaient pris place
France à droite : LL. AA. RR. le duc de Chartres, 1^ comte de
Caserte, le duc de Nemours, le duc d'Alençon. le prince Henri
d'Orléans, le duc de Penthiévre, le prince Czartoryski.
A gauche : LL. AA. RR. la duchesse de Chartres, la prin-
cesse Blanche d'Orléans, la princesse Marguerite, la princesse
Czartoryska. A leur suite, on remarquait M™" la comtesse de
Vanssay et la comtesse Adhéaume de Chevigné, M"*' la vicom-
tesse de Butler, du Parquet, de Chazelles.
Voici quelques détails sur le testament de la comtesse de
Chambord, détails absolument authentiques et venant de source
officielle.
La fortune personnelle de la comtesse consiste en Frohsdorf,
nom collectif qui comprend plusieurs terres, et de nombreuses
valeurs d'argent déposées chez MM. de Rothschild; on n'en
connaît pas encore le total, mais certainement tout cela ne
monte pas à six millions de francs.
On dit que cette fortune se partagera en parts à peu près
égales entre don Alphonse et le fils aîné de don Carlos, Il y a,
en outre, une série de legs pour la commune de Frohsdorf, les
domestiques, les employés, etc.
La fortune du comte de Chambord, dont la comtesse avait
l'usufruit, passe maintenant, on le sait, à ses neveux le duc de
Parme et le comte de Bardi. La liquidation durera longtemps,
parce qu'il faut régler certaines questions relatives au droit
d'exterritorialité, qui a été accordé dans le temps par l'Empe-
reur au comte de Chambord, et à lui seul parmi tous les princes
existants. Ce droit dispense les héritiers des taxes et des impôts
qui seraient énormes. C'est pourquoi le grand maréchalat de la
Cour dirigera lui-même la liquidation de cette fortune.
U Union franc-comtoise de Besançon, nous annonce dans les
termes suivants une douloureuse nouvelle :
Nous apprenons avec regret la mort de l'un de nos compatriotes les
NÉCROLOGIE 95
plus érainents. S. G. Mgr Guillcmin, évoque titulaire de Cybistra,
vicaire apostolique de Caatou, a rendu sou âme à Dieu hier soir, daus
notre ville, où il était venu passer quelques jours. Depuis plusieurs
années, le prélat s'était retiré dans sa famille à Vuillafans. Avant
d'entrer au séminaire des Missions-Étrangères, il avait été successi-
vement vicaire à Saint-Jean et secrétaire de l'archevêché.
Les obsèques de Mgr Guillemiii auront lieu demain, mercredi, à dix
heures du matin, en la basilique métropolitaine de Saint-Jean.
Mgr Philippe-François-Zéphirin Guillemin était né à Vuil-
lafans le 16 mars 1814, Il avait été élevé à l'épiscopat le
5 août 1875.
Mgr VON DER Marwitz, évêque de Culm, vient de mourir
presque subitement, après deux jours de maladie, à l'âge de
quatre-vingt-onze ans.
Né le 20 avril 1795, ordonné prêtre en 1830, il avait été sacré
évêque en 1857. Mgr de îa Marwitz fut un des rares évêques
de Prusse que le Kulberkampf n'obligea pas à s'expatrier ; mais il
fut sur le point, pour transgre.ssion des lois de mai, d'être
incarcéré; ce qui paraît avoir détourné de sa tête les efifets de
la. justice du Kulturkarapf, c'est que le prélat avait été dans sa
jeunesse officier de l'armée et ami personnel de l'empereur, et
qu'en outre son grand âge faisait craindre un dénouement fatal;
cette perspective de nature à émouvoir éventuellement l'opinion
publique, désarma sans doute le bras de M. Bismarck.
Sa longue carrière épiscopale fut tout entière consacrée
à l'extension du royaume de Dieu. Lors de l'insurrection polo-
naise de 1863 et de 1864, l'évêque de Culm s'employa de son
mieux à ramener l'ordre et la paix; il y réussit si bien que le
gouvernement prussien ne put s'empêcher de rendre hommage
à son zèle. Dans un manifeste du roi de Prusse, en 1864, celui-ci
remerciait l'évêque de Culm d'avoir su maintenir ses ouailles
dans le respect et la soumission à l'autorité, et la même année,
Mgr de la Marwitz reçut la décoration de l'Aigle-Rouge de
première classe en reconnaissance de son patriotisme. De même,
vingt ans plus tard, à l'occasion de son jubilé épiscopal, l'évêque
de Cuira fut honoré d'une lettre autographe de l'empereur, qui
la lui fit porter par un courrier spécial, et en même temps d'un
télégramme de félicitations de l'impératrice. Le président supé-
rieur de la province alla trouver le prélat, au nom du gouver-
nement, et lui offrit ses congratulations. Le vénérable évêque
eut également la consolation d'être félicité par S. S. Léon XIII,
par son clergé et ses diocésains.
ANNALES CATHOLIQUES
NOUVELLES RELIGIEUSES
I\ome et PItalie.
On assure que le consistoire pour la création des nouveaux
cardinaux et la préconisation des évêques aura lieu au mois de
mai, et l'on ajoute que ceux des nonces apostoliques qui seront
élevés au cardinalat continueront pendant quelque temps de
rester à leur poste, avec le titre de pro-nonces, comme cela a
eu lieu en d'autres circonstances.
Le prince Napoléon est à Rome depuis quelques jours et a
été reçu au Quirinal. A cette occasion, les journaux italiens
publient une lettre de Cavour au prince, dans laquelle on peut
voir les vrais sentiments du ministre italien sur le pouvoir tem-
porel et Rome capitale. Cette lettre est datée du 16 mars 1861,
trois mois avant la mort de Cavour. Elle félicite le prince de
son discours prononcé au Sénat contre le pouvoir temporel.
« Le discours de Votre Altesse, dit-elle, est pour le pouvoir
temporel ce que Solférino a été pour la domination autrichienne.
Quoique bien près du but, je sens que nous avons encore bien
des difficultés à vaincre pour l'atteindre. L'aide de Votre
Altessse ne nous fera pas défaut. Après avoir fait une si large
brèche aux murailles de la cité éternelle, Votre Altesse nous
donnera un coup d'épaule pour nous en faciliter l'entrée. Ce
sera un grand événement non seulement pour l'Italie, mais pour
la France et pour l'univers. La destruction du pouvoir temporel
sera un des faits les plus glorieux et les plus féconds dans
l'histoire de l'humanité, auquel le nom de Votre Altesse demeu-
rera à jamais attaché. »
Cette lettre met bienànules sentiments de celui qui l'a écrite
et de celui qui l'a reçue.
Les journaux catholiques de Rome du 2 avril contiennent un
décret de la Sacrée-Congrégation du Saint-Office, en date du
1" avril, condamnant et proscrivant le pamphlet publié par
M. des Houx sous le titre de Souvenirs d'un journaliste fran-
çais à Rome.
Au cours même de son scandaleux écrit, M. des Houx pro-
NOUVELLES RELIGIEUSES 97
teste à plusieurs reprises de sa foi et de son obéissance de
catholique. Nous souhaitons vivement pour lui qu'il prouve la
sincérité des sentiments qu'il affirme en se soumettant à la con-
damnation qui le frappe et en sortant de la déplorable voie où
il s'est encrage.
Tandis que S, G-. Mgr Agliardi, délégué apostolique dans les
Indes, revient à Rome avec tous les honneurs, le gouvernement
italien voit avec honte- et ennui revenir le général Pozzolini,
qu'il avait envoyé en mission près du roi d'Abyssinie. Mgr Agli-
ardi ne peut assez se louer des honneurs qu'on lui a faits dans
sa délégation, les Anglais surtout lui ont rendu tous les services
dans leurs colonies. M. Pozzolini, au contraire, après avoir été
à la recherche du roi Jean, a dépensé les présents que le roi
Humbert envoyait au roi d'Abyssinie, et n'a pu, malgré toutes
les bassesses, obtenir la moindre concession. Les Italiens sont
honteux de leur défaite et surtout de leur empressement à faire
la cour au Négus, qui les a si mal reçus. Toujours les mêmes
contrastes. D'un côté la gloire et le respect, de l'autre les humi-
liations et les mécomptes ; tel est le tableau que l'on peut voir à
Rome depuis que le Quirinal est occupé par les usurpateurs. Le
général italien revient d'une mission compromettante oti l'hon-
neur du pays a subi une rude atteinte, tandis que le colonel
anglais Smith, qui l'avait accompagné, reste et sera probable-
ment reçu avec honneurs par le Négus !
La destruction de Rome est le thème dont continuent à s'oc-
cuper tous les journaux italiens. Si quelques journaux officieux
cherchent à défendre le gouvernement et la municipalité,
d'autres, et c'est le grand nombre, font le triste aveu que Rome
se transforme, perd son cachet et n'acquiert rien de beau et
d'artistique avec les monuments nouveaux. Si la municipalité
proteste^ on lui oppose la liste des chefs-d'œuvre d'art détruits
depuis 1870. Rome, a dit un journal libéral, est une ville inter-
Dationale, elle appartient à l'art et aux artistes de même que la
Grèce. Sous les Papes elle avait conservé son caractère, les
Italiens le lui veulent enlever et en faire une simple capitale de
royaume. «Vous n'avez su que détruire, sans pouvoir réédifier
avec art>, s'écrie un autre journal, et la. Riforma reproche aux
Italiens de donner d'eux une bien pauvre idée. < A Rome, dit-
98 ANNALES CATHOLIQUES
elle, l'Italie ne sait même pas élever une demeure convenable
pour elle ou pour ses rois. Le gouvernement a'ctuel manque
autant de justice que d'esthétique. Il est ignorant. Rome sera
toujours une ruine vénérable, elle ne sera jamais une capitale
moderne, de même que l'Italie ne sera jamais une grande
puissance. » D'autres journaux libéraux répètent que l'on n'a
que des ingénieurs à la place d'architectes. Vous n'avez même
pas de bons maçons, dit un autre, et malheureusement le fait a
été prouvé. Cette semaine encore, quatre ouvriers ont été ense-
velis sous les décombres d'une maison à laquelle ils travaillaient.
et trois autres sont grièvement blessés. Rome est devenue un
vaste chantier de spéculations. On démolit les palais et les
lias pour y placer des pâtés de maisons bâties à la hâte. Les
ouvriers se sont émus eux-mêmes ; ils ont accompagné au
nombre de plus de dix mille les cadavres de leurs frères morts
victimes de l'incurie et de la spéculation. En voyant ces
hommes traverser les rues de Rome, tous agités par le même
sentiment d'indignation, on pouvait à un certain moment
craindre un soulèvement, surtout lorsque le cortège s'est arrêté
et que des ouvriers ont parlé, protestant contre la municipalité
qui laisse faire les spéculateurs au détriment de la vie des
pauvres. «A ceux qui nous tuent on donne la croix de comman-
deur, à nous, on nous accorde la croix du cimetière. » Une réu-
nion anarchiste devait avoir lieu le lendenaain sur une place de
Rome ; on a pu heureusement l'empêcher. La destruction de
Rome porte ses fruits. Les maisons nouvelles s'écroulent, le
peuple s'indigne, les gens cultivés et les artistes déplorent le
vandalisme, et dans les pays étrangers, on voit ce dont l'Italie
est capable à Rome. « L'Italie n'a pas compris Rome, et nous
devons être honteux de ce qu'elle en a fait », dit la Riforma.
«Malgré les réclamations, on continuera la destruction, on
ruinera la Rome ancienne en la remplaçant par une Rome qui
sera une honte pour l'art. Le gouvernement italien ne peut
comprendre ces choses, car lui-même est la négation de toute
grandeur et de toute vertu. » Lorsque des journaux antireli-
gieux parlent ainsi, n'est-on pas en droit de dire que l'Italie
«ent la faute de sa venue à Rome !
Ce n'est pas seulement l'esthétique et le goût des arts qui
manquent en Italie . Nous sommes obligés de constater une
NOUVELLES RELIGIEUSES 99
triste décadence morale dans toute la péninsule. La statistique
sur les causes de mortalité nous fournit un tableau douloureux
de l'accroissement des suicides depuis 1870. Les chiffres ont
leur éloquence, et le tableau ci-joint montre l'état lamentable
de la moralité, depuis que le gouvernement l'ait la guerre à
l'Église et empêche son action bienfaisante et éducatrice sur la
jeunesse et sur le peuple.
Années Suicides
1871 836
1872 890
1873 975
1874 1015
1875 1022
1876 1024
1877 1139
1878 1158
1879 1225
1880 1261
1881 1343
1882 1389
1883 1456
1884 1970
Les données déjà recueillies pour Tannée 1885 permettent d'af-
firmer que cette triste progression s'est notablement accentuée.
F'rance.
Un pétionnement général va être organisé, sous les auspices
et par les soins du Comité de défense religieuse, contre les lois
déjà votées et celles dont nous sommes menacés en matière
d'enseignement primaire. Nous sommes heureux de porter cette
nouvelle à la connaissance des catholiques.
A tous les motifs déjà invoqués, d'autres encore se sont
ajoutés depuis la publication de la lettre de S. Em. le cardinal
Guibert à M. Grévy. Cette lettre ne contenait pas seulement, à
l'adresse des républicains, des conseils et des remontrances
dont il ne sera pas tenu compte ; elle renferme indirectement,
à l'usage des catholiques, des avis dont nous devons faire notre
proût.
Sommes
Femmes
684
152
704
186
788
187
767
253
847
275
854
170
915
224
920
238
1001
224
1005
256
1068
275
1147
242
1167
289
1715
255
100 ANNALES CATHOLIQUES
La formule de pétition que le Comité de défense religieuse
propose à la signature des catholiques est ainsi conçue :
Messieurs les sénateurs,
Messieurs les députés,
La nouvelle loi sur l'enseignement primaire chasse à bref délai
de l'école non seulement les Frères et les Sœurs, à qui on ne peut
reprocher que leur dévouement à nos enfants et les soins prodi-
gués à nos pauvres et à nos malades, mais encore tout maître
chrétien qui ne consent pas à étouffer la voix de la conscience.
Avec un gouvernement qui attaque les dogmes fondamentaux
de la religion et qui traite de superstition des manifestations
chères à la piété catholique, l'enseignement imposé par l'État
devient pour nous une odieuse tyrannie.
On nous oblige ainsi à payer deux fois : d'un côté, sur nos con-
tributions, un enseignement public antireligieux ; de l'autre côté,
sur nos sacrifices volontaires, un enseignement libre conforme à
notre foi. Mais celui-ci est entouré de tant d'entraves que sa
liberté devient illusoire.
Le but de toutes ces mesures, c'est la confiscation de l'àme de
nos enfants.
Nous ne saurions nous y soumettre et nous demandons :
Que la religion reprenne sa place dans l'école ;
Que les instituteurs soient vraiment les représentants des pères
de famille ;
Que les conseils municipaux puissent opter entre les laïques et
les congréganistes ;
Que l'Etat subventionne toutes les écoles publiques ou libres,
proportionnellement au nombre de leurs élèves;
Enfin qu'il continue à dispenser du service militaire tous les
instituteurs qui jouissent de cette immunité.
La justice et l'égalité l'exigent, et sans la liberté d'élever nos
enfants dans notre foi, il n'y aurait plus pour nous de patrie.
Aussi nous vous prions d'abroger ou de rejeter les lois qui
nous dépouillent des plus sacrés et des plus chers de nos droits.
Reims. — Le comité républicain de Charleville vient
d'adresser à M. Laurent, maire de cette ville, une lettre pour
lui demander d'interdire les processions. Le Courrier des
Ardennes publie la léponse du maire, qui refuse cette
interdiction. Nous extrayons de sa lettre le passage suivant ;
Par votre lettre du 27 mars dernier, vous me demandez la sup-
pression des processions, vous appuyant des atteintes qu'elles
portent à la liberté de conscience et aussi de l'existence à
Charleville d'un temple protestant.
NOUVELLES RELIGIEUSES 101
Or, M. le pasteui' protestant a, dans une lettre rendue publique
l'an dernier, déclaré que « jamais les protestants de Charleville
tt n'useront du droit de demander la suppression des processions,
« parce qu'ils aiment et respectent par-dessus tout la liberté de
<c conscience ».
Vous le voyez, Messieurs, les protestants que vous mettez en
cause comprennent la liberté de conscience dans un sens diamé-
tralement opposé au vôtre.
Ils veulent la liberté pour tous et non pas seulement pour
quelques-uns.
Étranger.
Allemagne. — La pacification religieuse en Allemagne vient
de faire un pas décisif. Les longues négociations entre Léon XIII
et M. de Bismarck ont enfin abouti à un résultat considérable,
le chancelier venant de faire, au dernier moment, des conces-
sions importantes.
Le projet de loi, tel qu'il sortait des délibérations de la
Commission, réalisait déjà un progrès notable. Malheureu-
sement, il contenait quelques points inacceptables pour l'Eglise
et les catholiques, notamment le droit de veto de l'État à la
nomination des professeurs de séminaires, l'appel comme d'abus
au gouvernement des décisions disciplinaires des évêqueS;,
lorsqu'elles impliqueraient l'éloignement d'un ecclésiastique de
son poste ou d'une diminution de son traitement, le droit pour
l'Etat, en certains cas, d'éloigner un ecclésiastique de sa charge.
La Congrégation des Cardinaux, à laquelle, la semaine der-
nière, fut soumis ce projet de loi, jugea qu'en ces conditions,
malgré les améliorations incontestables qu'il contenait d'ailleurs,
il était contraire aux principes de l'Eglise. En conséquence, la
Secrétairie d'Etat envoya des instructions aux évêques expri-
mant la pensée que les catholiques ne pouvaient pas le voter.
Cependant les pourparlers diplomatiques continuèrent et ils
viennent d'aboutir au consentement du gouvernement à laisser
tomber ces trois points. Le vote de la loi est donc assuré. Le
Saint-Siège a répété que, comme en 1879, il était toujours
disposé à accorder dans une certaine mesure V Anzeigej^flicht,
c'est-à-dire l'assujetissement des nominations de curés à l'agré-
ment gouvermental. Mais le règlement de cette question fera
l'objet de négociations ultérieures. Le gouvernement, de son
côté, accordera de nous^eau aux jeunes ecclésiastiques le béné-
fice de l'exemption militaire. En attendant, l'on peut dire, en
somme, que c'est la fin du A'^<^f^(r/f«mj5/' prussien.
102 ANNALES CATHOLIQUES
LES CHAMBRES
Samedi 3 avril. — Chambre des députés. — M. Wilson lit
son rapport sur le projet d'emprunt de 900 millions.
Il demande à la Chambre de voter le projet présenté sur la demande
de M. Sadi-Carnot.
La discussion est fixée à lundi.
L'ordre du jour appelle la discussion sur les élections des Landes.
M. DE Lamarzelle attaque vivement les élections, qui, dit-il, sont
entachées de la pression officielle la plus effrénée. L'orateur dit que
les élections ne sont pas sincères puisqu'elles ont été faites sur
l'affirmatioû du gouvernement de ne pas recourir â l'emprunt et de
ne pas établir d'impôts nouveaux.
M. de Lamarzelle lit ensuite de nombreux articles de journaux
promettant tout â ceux qui voteront pour les républicains. L'orateur
conclut à l'invalidation de l'élection républicaine dans les Laudes.
M. Julien, rapporteur, conteste tous les faits apportés à la tribune
par M. de Lamarzelle, et déclare que tout est bien régulier dans ces
élections.
Après une réplique de M. de Lamarzelle, les élections sont
validées par 367 voix contre 173.
Cela ne faisait pas doute ; il s'agissait de valider des républicains.
Hiundi t» avril. — Sénat. — AL le Président annonce la mort
de M. Le Provost de Launay, sénateur des Côtes-du-Nord et fait son
éloge funèbre.
Le Sénat décide le renvoi à un mois de l'interpellation de M. de
Gavardie sur la désorganisation de la police en France.
Lordre du jour appelle la reprise de la 2« délibération sur le projet
relatif à la caisse nationale des retraites pour la vieillesse.
M. BozÉRiAN dépose un projet réprimant les provocations ou exci-
tations publiques par voie de parole ou de presse, tendant à entraver
le travail.
Le Sénat statuera ultérieurement sur ce projet.
Chambre des députés. — L'ordre du jour appelle la discussion du
projet d'emprunt.
M. Amagat critique les déclarations optimistes de l'ancienne Com-
mission du budget et fait ressortir les contradictions qui existent
entre les actes et les promesses du gouvernement. Le gouvernement
demande un emprunt pour payer les dettes échues ou à échoir, mais
quand il aura fait cela, il n'aura rien fait. La Dette flottante remon-
tera, après la consolidation, au même point où elle est maintenant,
«t on puisera dans les Caisses d'Épargne comme auparavant. Le
LES CHAMBRES 103
projet du i: ouverneraeat est uu simple moyen de vivre, un expédient
peu digne du gouvernement.
M. Amagat estime le déficit total à deux milliards et demi, et
déclare que l'emprunt actuel est le simple prélude d'emprunts
successifs.
L'orateur conclut en déclarant qu'il votera l'emprunt, mais à con-
dition que le gouvernement promettra des économies.
M, Daynaud proteste contre l'exclusion arbitraire dont la minorité
est l'objet. Cette exclusion, que l'on comprendrait à la rigueur pour
un projet politique, devient inique quand il s'agit de la fortune
publique. C'est l'oppression du droit par la force.
M. Daynaud continue en faisant le procès aux finances républi-
caines, dont le déficit ne fait qu'empirer.
L'orateur déclare qu'il ne votera pas l'emprunt, qui est fait unique-
quement pour payer les dettes les plus criardes et permettre au
gouvernement de recommancer après. Il ne votera pas l'emprunt
parce qu'il n'a pas confiance en la République.
L'orateur, descendant de la tribune, est vivement félicité.
M. WiLSON monte à la tribune pour soutenir les conclusions de
son rapport. Il nie avec énergie que le déficit se présente sous les
couleurs avec lesquelles l'a dépeint le précédent orateur. L'emprunt
sera bien suffisant pour le combler.
M. Wilson reprend ensuite un à un tous les considérants de son
rapport et s'applique à les justifier.
Mardi & avril. — Sénat. — Après avoir voté quelques lois
d'intérêt local, le Sénat aborde un projet concernant l'ouverture
de crédits spéciaux d'exercices périmés et clos, d'autres crédits
afférents aux budgets annexés rattachés pour ordre au budget
général de l'Etat.
M. Blavier présente quelques observations auxquelles répond
M. Casimir-Périer, et le projet est adopté.
Puis on a voté lo reste de la loi sur la caisse nationale des retraites
pour la vieillesse.
On vote le projet relatif à l'usurpation des médailles et récompense
industrielles.
Vient alors une proposition qui modifie les articles du code d'ins-
truction criminelle et du code pénal sur les circonstances atténuantes.
Cette proposition est, sur la demande de M. Grandperret, ren-
voyée à la Cour de cassation.
Pour finir, un incident. La censure est prononcée contre M. de
Gavardie, au cours d'une discussion d'intérêt local.
Chambre des députés. — La Chambre continue la discussion de
l'emprunt.
M. Lalande combat le projet au point de vue des moyens. L'Ktat
104 ANNALES CATHOLIQUES
va exciter à la dépense et augmenter la dette exigible. Il conviendrait
de réduire l'emprunt à 500 millions.
M. Keller constate que l'emprunt est en contradiction avec ce
que le Gouvernement avait déclaré au pays. C'est, en effet, tromper
le pays que de lui dire qu'on va supprimer l'exigibilité de la dette
flottante, qu'il s'agit do payer les dettes des régimes antérieurs et
que le budget est dans une bonne situation.
La dette flottante ne sera pas moins exigible après qu'avant l'em-
prunt. Le jour où une crise se produirait, les caisses d'épargne ne
pourraient vendre leurs rentes pour rembourser les déposants.
Il n'est pas plus exact de prétendre qu'à l'avenir il n'y aura plus
de nouvelle dette flottante. Quand on en consolide une partie, on ne
fait que la mettre en mesure de recourir à de nouvelles ressources.
Les nouvelles ressources qii'on propose de créer ont surtout pour
objet de pourvoir aux nécessités du moment et à celles de l'avenir.
C'est le principal motif pour lequel M. Keller ne votera pas l'emprunt.
Si on veut examiner l'avenir, on sera amené à conclure que le déficit
du budget de 1886 sera considérable. Et le budget de 1887 ne permet
pas des prévisions meilleures.
La situation nous inspire de sérieuses réflexions. Quand l'Alle-
magne est en pleine prospérité, nous voyons chez nous la fortune
publique sensiblement atteinte.
M. Jules Roche prétend que la minorité n'a pas le droit de se
plaindre d'avoir été exclue de la commission du budget.
Il affirme ensuite que la plus grosse partie de l'augmentation du
budget est afi'érente au service de la dette.
M. Jules Roche entre dans de longues considérations sur les
travaux publics qui ont, dit-il, été exécutés à l'honneur du gouver-
nement de la République.
Et l'orateur terminera son discours jeudi.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
France et Belgique. — Arrestations à Decazeviîle. — Élections du 4 avril.
Un scandale. — Etranger.
8 avril 1886.
L'ordre étant à peu près rétabli en Belgique, on commence à
discuter chez nous les troubles qui se sont produits, les procédés
qu'on a employés pour y mettre un terme, et, d'une manière
générale, les divers mouvements auxquels a donné lieu ce com-
mencement de guerre sociale.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 105
Un de nos journaux du soir, à qui il est difficile de contester
la qualité de républicain quand on se rappelle qu'il a invité les
électeurs de Paris à voter pour MM. Basly et Camélinat, a com-
paré cette émeute belge, dans ses diverses phases et dans les
divers jugements qu'en ont portés en Belgique les organes les
plus autorisés de l'opinion, à ce qui se passe actuellement chez
nous. Il avait raison. Rien n'est plus curieux et plus instructif
qu'un rapprochement qui nous permet d'apprécier comment, en
présence de manifestations antisociales, se comportent, en Bel-
gique et en France, le gouvernement, le Parlement et la presse.
Qu'avons-nous vu en Belgique ? Beaucoup d'énergie dans la
répression : un général traquant, dispersant l'émeute au nom de
la loi, sans cruautés inutiles comme sans transactions compro-
mettantes, et livrant ses prisonniers à la justice ordinaire, qui
n'a faibli ni devant leur arrogance ni devant leur nombre. Voilà
pour le gouvernement.
A la Chambre, le premier ministre fournit toutes les explica-
tions qu'on lui demande, et son langage est aussi loin de la
timidité que de la violence. Le ferme sentiment qu'il a de son
droit le maintient à égale distance des récriminations stériles et
des concessions dangereuses. Il ne provoque ni ne pactise. Avec
un grand calme et une parfaite possession de soi, il reconnaît
aux manifestations et aux revendications ouvrières une certaine
liberté légale qu'il ne prétend pas entraver; mais en même
temps il se proclame résolu à réprimer énergiquement tout abus,
toute espèce de tentative en dehors de la loi.
Et que fait à côté de lui l'opposition? Voici son chef, M. Frère-
Orban : savez-vous de quoi il se plaint? Non pas de la répres-
sion elle-même ni d'un excès de rigueur qu'on y aurait apporté,
mais, au contraire, de la lenteur qu'on y a mise et de l'insuffi-
sance des forces envoyées contre l'émeute, et du sac des pro-
priétés qu'on eiit pu éviter par une intervention plus ferme et
plus prompte. Enfin, il enchérit sur les déclarations ministé-
rielles et ne reproche au cabinet que de n'avoir pas défendu
assez efficacement la société. Voilà pour le Parlement !
Quant à la presse, elle a fait preuve, dans tout le cours de
cette crise, de la plus parfaite modération et du plus étonnant
sang-froid, n'exagérant rien, démentant les fausses nouvelles
au lieu de les propager, s'appliquant à ne point semer l'alarme,
à ne point créer d'embarras au gouvernement, et surtout à ne
pas encourager l'émeute. Un seul journal, à ce qu'il paraît, la
106 ANNALES CATHoLiQUKS
Réforme, a témoigné quelque sympathie aux insurgés, sans
leur épargner le blâme pour les moyens employés, pour les
excès commis, sans dissimuler l'horreur que lui inspirait ce
brigandage révolutionnaire. Voilà pour les journaux!
En France, au contraire, qu'avons-nous vu? La fraternité de
la gamelle préchée, par qui? Par le ministre de la guerre. Le
chef de l'armée a dit que les soldats étaient à Decazeville pour
partager leur soupe avec les grévistes. Nous avons vu des sen-
tinelles attaquées la nuit et qui avaient tiré an hasard sans
atteindre personne, presque désavouées pour avoir fait usage
de leurs armes. On leur a adressé publiquement des félicitations
démenties par des instructions secrètes, dans lesquelles on
recommandait aux officiers la plus extrême prudence... Que
Bignifie donc cette prudence, quand il s'agit de sentinelles
menacées? Nous avons vu des conseils municipaux voter des
secours aux grévistes, et le ministre de l'intérieur soutenir
sans y croire, et par pure défaillance, qu'il ne pouvait rien
contre ce genre de charité. Voilà pour le gouvernement!
Dans le Parlement nous avons vu le désordre, l'émeute, le
meurtre même, glorifiés; les noms des choses changés, l'assas-
sinat devenant un acte de justice, une simple exécution; les
responsabilités absolument déplacées, les passions excitées, la
propriété calomniée et menacée ; des députés, des législateurs
attisant le feu, et voitures, aux frais du Trésor public, comme
commis-voyageurs en grèves; la guerre sociale conseillée et
encouragée sous toutes ses formes. Voilà pour la Chambre !
Restent les journaux! quelques-uns semblent écrits avec de
la dynamite et du pétrole. Vous savez quelle fureur ils res-
pirent ! Un étranger qui ne serait pas prévenu du répit que le
nihilisme français veut bien encore nous accorder, croirait
que toute notre société va périr demain dans un formidable
incendie.
Tels sont les deux tableaux! Il n'est pas étonnant qu'après
en avoir signalé le contraste, le journal républicain dont nous
avons parlé préfère le premier au second, et la conduite de la
monarchie belge à l'attitude de la République française. Nous
aussi!
Notons néanmoins à la décharge de la République un premier
acte d'énergie : après plusieurs mois d'hésitations, le gouverne-
ment s'est décidé à prendre, à Decazeville, les mesures depuis
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 107
longtemps nécessaires. MM. Duc-Quercy et Ernest Roche ont
été arrêtés dimanche matin, sous l'inculpation d'avoir « à l'aide
de violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses,
amené ou maintenu, tenté d'amener ou de maintenir une cessa-
tion concertée de travail, dans le but de forcer la hausse ou la
baisse des salaires, ou de porter atteinte au libre exercice de
l'industrie ou du travail, » délit visé par l'article 414 du code
pénal. De ce fait, MM. Duc-Quercy et Roche sont passibles
d'un emprisonnement de six jours à trois ans, et d'une amende
de seize francs à trois mille francs.
Les mineurs sont restés silencieux devant cette double
arrestation.
Il y a vingt jours qu'on aurait dû mettre en lieu sûr ces deux
honorables citoyens qui, sous le commandement de MM. Baslj
et Camélinat, sont allés là-bas fomenter la guerre civile. Leur
arrestation arrive bien tard. Et qui sait si elle empêchera tous
les effets de leur sinistre campagne de se produire avant long-
temps! Car enfin si, au lieu de vouloir prouver qu'il reste encore
aux ministres un peu de pouvoir, M. de Freycinet voulait sé-
rieusement couper court à la situation alarmante qu'on a laissée
se développer à loisir dans l'Aveyron, il lui aurait été facile de
recourir aux remèdes héroïques. Que n'a-t-il dés l'origine des
troubles, déposé à la Chambre une demande en autorisation de
poursuites contre MM. Basly et Camélinat, qui ont eu dans ces
lamentables affaires de Decazeville un rôle si fâcheux? Pour-
quoi, aujourd'hui encore, ne dépose-t-il pas cette demande?
Duc-Quercy et Roche ne sont que des comparses. Emprisonnés
aujourd'hui, ils seront remplacés par d'autres camarades —
jusqu'à ce qu'ils aient fini leur temps de prison si, par hasard,
le tribunal correctionnel de Villefranche ose condamner ces
dignes citoyens à quelques jours ou à quelques mois de prison,
et en attendant qu'on en fasse des députés!
Deux élections sénatoriales ont eu lieu dimanche et ont
donné les résultats suivants :
AISNE
MM. Sebline, républicain libéral . 934. Élu.
Sandrique, républicain . . . 377
Blancs et nuls 70
Il s'agissait de remplacer M. de Saint-Vallier, sénateur repu-
108 ANNALES CATHODIQUES
blicain, décédé. M. de Saint-Vallier avait été élu pour la pre-
mière fois le 30 janvier 1876. Au renouvellement du 25 jan-
vier 1885, il avait été réélu deuxième de la liste républicaine
par 1,050 voix sur 1,378 votants. Il n'y avait pas de candidat
conservateur.
SEINE-ET-OISE
MM. Maze . 772. Élu.
Sainte-Beuve 504
Hèvre 40
Devoisin 9
Il s'agissait de remplacer M. Gilbert-Boucher, sénateur répu-
blicain, décédé. M. Gilbert-Boucher était sénateur depuis le
30 janvier 1876. Au renouvellement du 8 janvier 1882, il avait
été réélu le troisième de la liste républicaine par 412 voix sur
781 votants. Le premier élu de la liste, M. Léon Say, l'avait
été par 655 voix.
Le succès de M. Sèbline constitue un échec significatif pour
le parti républicain. L'ancien préfet de l'Aisne avait dû, en
effet, se retirer de l'administration à la suite de son attitude
indépendante dans l'enquête agricole. Il s'était nettement pro-
noncé en faveur de la protection du travail national. Les oppor-
tunistes, unis aux radicaux, n'ont rien négligé pour combattre
M. Sébline, et ils avaient fait choix de M. Sandrique, député
de l'Aisne et ancien secrétaire de M. Gambetta, comme candidat
sénatorial. Une immense majorité a prouvé que les électeurs
condamnaient la coalition de M. Ferry et de M. Turquet.
Les électeurs ont clairement dit qu'ils avaient assez de la
politique ruineuse de la République, et ils ont voulu récom-
penser M. Sébline d'avoir eu le courage de défendre les intérêts
confiés à son administration.
Nous ne cacherons pas la satisfaction que nous cause l'élec-
tion de l'Aisne, et nous croj^ons que les votes de M. Sébline ne
seront pas de nature à apaiser le dépit républicain.
Dans l'Yonne avait lieu, le même jour, l'élection d'un député.
Le scrutin n'a pas donné de résultat. Enfin, dimanche encore,
avaient lieu plusieurs élections départementales. Elles ont
partout donné l'avantage aux conservateurs qui gagnent un
siège dans le Tarn.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 109
Après le scandale, d'ailleurs prévu, de la validation des élec-
tions des Landes, un autre scandale nous est annoncé.
La sous-commission chargée d'examiner les opérations élec-
torales de Tarn-et-Garonne vient de conclure à leur invalidation.
Au 4 octobre, quatre conservateurs avaient été élus : l'élec.
tion fut annulée; un nouveau scrutin a envoyé de nouveau à la
Chambre MM. Prax-Pâris, Trubert et Arnault, et l'on dit que
le républicain M. Lasserre n'avait aucun droit, de par l'arith-
métique, à être substitué au quatrième candidat conservateur.
Ce serait donc aux trois élus à protester en faveur de leur
collègue injustement écarté.
Et cependant, la sous-commission ne craint pas de demander
que les électeurs soient appelés une troisième fois à voter.
Espérerait-on, par la lassitude, vaincre les répugnances du
suffrage universel?
Le Reichstag a prorogé pour deux ans la loi contre les socia-
listes. M. de Bismarck est intervenu au moment oii l'on allait
voter, et il a fait aussitôt une très vive sortie contre les socia-
listes, particulièrement contre M. Bebel, un de leurs chefs.
« M. Bebel, a dit le chancelier, non seulement a approuvé les
attentats des nihilistes russes, l'assassinat d'Alexandre II et des
fonctionnaires fidèles à leur devoir, il a même déclaré que le
régicide était permis et fait partie du droit de chacun. L'assas-
sinat est donc inscrit dans le programme socialiste. »
M. Bebel, ainsi mis en cause, s'est défendu ; expliquant les
paroles qu'il a prononcées en 1881 après l'assassinat du czar, il
a répété qu'il est resté sur le terrain de la théorie, en faisant
cette observation que le despotisme fatalement conduit à des actes
violents. Une situation semblable en Allemagne pourrait pro-
duire certainement des résultats identiques, mais l'Allemagne,
bien qu'on puisse se plaindre du despotisme du chancelier, est
un Étai constitutionnel, avec la liberté de la presse et la liberté
électorale. La classe ouvrière peut faire entendre sa voix au
Reichstag. Le nihilisme n'est donc pas à craindre en Allemagne.
M. de Bismarck, très agité, se lève et dit :
« Habemus confitentem reum! » Si une situation identique à celle
de la Russie existait ea Allemagne, vous vous croiriez autorisé à
commettre un régicide. Il ne dépend donc que de votre appréciation
que le souverain soit menacé dans sa vie. Il y a donc des cas où
l'assassinat est légitime à vos yeux. »
110 ANNALES CATHOLIQUES
M. de Bismark voulait une prorogation de cinq ans ; il en a
obtenu une de deux ans.
Le centre a voté cette prorogation.
Tous les signataires du traité de Berlin se sont mis d'accord
pour la rédaction d'un protocole qui reconnaît le prince Alexan-
dre de Battenberg comme gouverneur général de Roumélie,
dans les conditions stipulées à Berlin, c'est-à-dire pour cinq ans.
Il est vraisemblable que l'arrangement sera signé au moment où
ces lignes paraîtront, à moins, toutefois, que la Russie ne sus-
cite une nouvelle difflculié au dernier moment.
Quant au prince Alexandre, il paraît avoir pris le sage parti
de se tenir à l'écart de la table de la conférence et de se conten-
ter des avantages de la possession. Beati possidenies ! comme
dit le prince de Bismark. Dans cinq ans, s'il a assuré d'ici là la
prospérité des populations réunies sous son gouvernement, quels
sont les gendarmes européens qui oseront venir lui demander
ses papiers ? Mais cinq ans de tranquillité — à cette fin de siècle
— sur la route de Constantinople pour les uns, — de Salonique
pour les autres, — c'est une hypothèse bien hasardeuse.
Reste à savoir encore si, après la signature du protocole, la
Russie s'accommodera de la protestation muette, sinon officielle,
du prince Alexandre, et si les Grecs accepteront le prétexte de
cette transaction pour déposer leur fourniment guerrier et re-
venir à leurs affaires en rapportant pour tout bulletin de victoire
après une campagne fort coûteuse, le protocole de Constanti-
nople, et, pour tout butin, une formidable augmentation de la
dette publique.
PETITE CHRONIQUE
L'Académie a décerné le grand prix Gobert à M. Paul Thnreau-
Dangin, pour le 3^ volume de son Histoire du gourernement de
juillet.
Le second prix Gobert est attribué à M. Décrue pour un livre
d'éducation intitulé : Œuvres de Montmorency .
Le prix Thérouanne est décerné ainsi qu'il suit :
1,500 francs à M. le baron Kervyn de Lettenhoven, auteur d'un
livre intitulé : Les Huguenots.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE 111
1,500 francs à M. Stourra pour un livre intitulé : Les Finances de
Cancien régime et la Rêoolution.
1,000 francs à M. Dubédat, pour son Histoire du parlement de
Toulouse.
Sur le prix Thiers :
1,500 fi-aacs sont accordés à M. Barthélémy Pauquet, pour un
ouvrage en deux volumes intitulé : les Origines de la Révolution en
Bretagne.
— La maison Krupp vient d,'achever un canon qui a une longueur
de 14 mètres. Le poids de cet engin de guerre est de 125,500 kilo-
grammes. Le calibre du canon est de 40 centimètres. Pour s'en servir
avec efficacité, il faut une charge de 500 kilogrammes de poudre,
afin de lancer un projectile de 800 à 1,000 kilogrammes. Comme
soutien, il faut à ce géant d'airain un aifût en fer et en acier, de
la moitié de son poids total. Ce canon monstre est fait sur com-
mande du gouvernement italien. On ne dit pas ce qu'il coûte; mais
il est certain qu'il représente le capital d'une belle fortune bourgeoise.
— Les journaux boulevardiera rendent compte d'un duel qui vient
d'avoir lieu en Belgique, à Waterloo, entre une doctoresse française,
M™^ Astïe de Valseyre, et une doctoresse américaine. Celle-ci a été
blessée dans cette rencontre d'un nouveau genre qui montre ce que
fait de la femme la moderne et païenne éducation.
— Un grand incendie a détruit une partie de la ville de Key«
West, dans l'Etat de Floride. Plus de cent maisons ont été la proie
des flammes dans le quartier des affaires. On a dû requérir des
troupes et faire sauter certains bâtiments pour préserver des édifices
voisins. Les pertes sont évaluées à cinq millions de dollars (vingt-cinq
milllions de francs).
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
On nous demande ce que c'est qu'une action de jouissance ?
Plusieurs Compagnies ont stipulé, dans leurs statuts le rembour-
sement, an pair, de leurs aclions par amortissement et tirage au
sort. Bien que l'actionnaire ait reçu le prix de son action, on lui
remet néanmoins dans celte situation un autre litre qui ne participe
plus à l'amortissement et qu'on appelle action de jouissance.
Cette action se nomme ainsi parce qu'elle jouit encore de certains
droits. Elle ditl'ère des aclions de capital en ce qu'elle ne représente
plus aucune mise sociale susceptible de remboursement. Elle attribue
simplement un droit de participation dans les bénéfices réservés,
lequel droit est en quelque sorte acquis à titre d'indemnité à Tac-
112 ANNALKS CATHOLIQUES
tionnaire, qu'un remboursement prématuré et presque toujours
onéreux pour lui, dépossède de ses droits primitifs.
Les Coinpa{;fnies de chemins de fer, certaines actions industrielles,
telles que ie Gaz, les Omnibus, etc., remboursent graduellement
leurs actions de capital pour les remplacer par des actions de jouis-
sance. Comme à l'expiration de leurs concessions, ces Compagnies
n'auront plus rien entre les mains, leur actif faisant retour à l'Etat
ou à la ville, elles amortissent de façon à ce que l'actionnaire soit
rentré dans l'argent qu'il a versé jadis à la Compagnie.
Règle générale : l'action de jouissance touche un revenu égal à
l'action de capital qui revient à cette dernière sous forme de divi-
dende. L'action de capital touche l'intérêt et les deux, concurrem-
ment, touchent le reste qui s'appelle dividende. L'intérêt statutaire
n'est pas le même pour toutes les Compagnies ; il est de 4 °/„ pour
l'Est ; de 3 °/o pour l'Orléans, de 4 °/o pour le Nord ; de o "j^ pour
leiMidi; de 3 1/2 °j„ pour l'Ouest. Le Lyon n'ayant pas encore
amorti, n'a pas d'action de jouissance; il ne le fera qu'en 4907.
Avant de partager avec l'action de jouissance, l'action de capital
touche donc l'intérêt statutaire énoncé plus haut.
Sur ces données, on peut donc facilement établir le prix de re-
vient entre l'action de capital et l'action de jouissance.
Le remboursement des actions de c ipital a commencé pour l'Est
en 1879 ; pour le iMidi en 4871 ; pour le Nord en 1863 ; pour
l'Orléans en 1833; pour l'Ouest en 1863.
Au prix où sont nos bonnes valeurs, il est toujours désagréable
d'être remboursé au pair; voyez pour le Nord, le pair est 400 fr.
et le cours actuel est 1,313. L'action de capital touchera 64 fr.,
quand celle de jouissance ne recevra plus que 48 fr.
L'Emprunt, l'Emprunt ! l'on n'entend que ces mots. N'en aura
pas qui voudra, clament les preneurs. C'est possible; mais il y en
a beaucoup aussi qui n'y tiendront pas énormément. On sait main-
tenant ce qu'il en coûte de démarches, de déplacements de fonds,
de remboursements et de la difficulté d'un remploi. Pouravoir 20 fr.
de rente, on en demande 200 et on est exposé à en avoir aussi bien
10 que 130, suivant qu'il plaira aux gros banquiers de faire la
souscription de la dernière heure ; opération d'autant plus facile et
plus fructueuse qu'ils sont placés mieux que personne pour savoir
où l'on en est.
Après l'Emprunt, le Métropolitain, chemin de fer parisien. C'est
M. Christophle, gouverneur du Crédit foncier, qui est à la tête de
l'affaire financière. Bon patronage. On sait ce que M. Christophle a
fait du Crédit foncier et on connaît le succès et la solidité de ses
obligations. Nous vous recommandons en toute assurance les obli-
gations, non libérées, 1880 et 1883 ; elles sont loin d'être à leur
prix. A. H.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. — Imj>. de TCEnvre de Swiat-Paul G. Pioquoin, 51, me de LiHe.
ANNALES CATHOLIQUES
-©3-«CD®0-<=^-
LE PETITIONNEMENT
Voici le texte d'une circulaire, que le Comité de défense
religieuse vient d'adresser à ses adhérents :
Paris, le 9 avril 1886.
Un grand nombre de nos amis nous témoignent le désir de
protester par voie de pétition contre la loi sur l'instruction pri-
maire qui vient d'être votée au Sénat et qui va revenir à la
Chambre des députés.
En effet, cette loi organise d'une façon définitive l'enseigne-
ment public séparé de la religion, dirigé par l'État seul et
soustrait à tout contrôle des pères de famille et des conseils
municipaux. Elle en exclut à bref délai les Frères et les Sœurs,
et condamne l'instituteur chrétien à étouffer la voix de sa
conscience. Elle prive les Frères de l'immunité du servicçi^
militaire et elle atteint par là dans leur recrutement les maîtres
les plus dévoués de l'enseignement libre. Ainsi se complète la
loi de malheur de 1882, qui a pour but avoué de confisquer
l'âme des enfants du peuple et d'en arracher la foi.
Il est impossible qu'un pareil attentat se consomme sans
soulever les protestations unanimes de ceux qui ont à cœur de
défendre la liberté de conscience, le droit des pères de famille
et l'avenir de la patrie.
Il ne s'agit point ici d'une question politique, mais d'un
intérêt religieux et social de premier ordre, comme l'atteste la
lettre du vénérable cardinal-archevêque de Paris du 30 mars
dernier.
Nous comptons sur votre zèle et sur votre dévouement bien
connus pour assurer dans votre département le succès de ce
pétitionnement. Vous vous rappelez qu'en 1879, vous avez
protesté contre une loi qui atteignait l'enseignement secondaire
donné par un certain nombre de congrégations religieuses.
LVII. — n AVRIL 1886. 9
114 ANNALES CATHOLIQUES
Aujourd'hui ce qui est menacé, c'est l'instruction chrétienne
de la nation tout entière. Il importe donc que le nombre des
signatures soit proportionné à l'étendue du péril.
Nous nous chargerons volontiers de faire déposer à la Chambre
des députés ou au Sénat toutes les pétitions faites à ce sujet,
et nous vous engageons à nous les adresser, pour que le nombre
des signatures de chaque département puisse être exactement
constaté.
Sans exclure les formules qui rendraient mieux votre senti-
ment propre, nous vous envoyons uu texte de pétition qui nous
paraît résumer la pensée générale, et qui pourra être signé par
toutes les personnes majeures, hommes ou femmes, comprenant
la nécessité de résister à une pareille tyrannie.
Nous sommes entièrement à votre disposition pour vous
e-nvoyer les pétitions et les renseignements dont vous aurez
besoin.
Le droit de pétition est un droit garanti par la Constitution
et par la loi.
En vertu de l'article 20 de la loi sur la presse du 29 juillet
1881, la distribution et le colportage accidentels d'une pétition
ne sont assujettis à aucune autorisation, à aucune déclaratioH.
Le règlement des Chambres demande que les signatures des
pétitionnaires soient légalisées. Mais deux ou trois notables de
«haque commune peuvent attester les signatures des autres
personnes et se contenter de faire légaliser leurs propres signa-
tures, apposées en présence du maire.
Si ]a légalisation était refusée par le maire, le règlement dit
que les pétitionnaires, feraient mention de ce refus à la suite
de la pétition.
Veuillez nous mettre sans retard au courant de ce que vous
croirez possible de faire autour de vous, et agir avec la plus
grande célérité pour que les pétitions puissent être déposées et
discutées avant la séparation des Chambres.
Recevez, M..., l'assurance de nos sentiments dévoués.
Le président. Le vice-président,
Ch. Chesnelong. E. Keller.
Baron de Mackau, G. de Ravignan, Kolb-Bernard,
vice-amiral marquis Gicquel des Touches, A. Benoist
d'Azy, vicomte de Bélizal, O. Depeyre, comte Lanjuinais.
LES JÉSUITES ALLEMANDS 115
LES JÉSUITES ALLEMANDS
ET LA SCIENCE DEPUIS 1848
(Suite et fin, voir le numéro du 13 mars 1886.)
HISTOIRE.
L'œuvre principale, grandiose même, est V Histoire synehro*'
nistique de l'Église et du monde au moyen âge, par le
R. P. Damberger. C'est une histoire du moj^en âge vraiment
unique tant sous le rapport de la richesse des matériaux
que de l'étude des sources, de la multitude des documents,
de la portée des recherches, de l'érudition et de la sincérité qui
s'y manifeste partout. Le P. Damberger naquit à Passau en 1795,
à une époque oii régnait en Bavière l'illuminisme, dont les
principes étaient enseignés à l'université de Landshut et au
lycée de Salzbourg, qu'il fréquenta dans sa jeunesse; mais il fat
préservé dans la foi et puis conduit au sacerdoce et à l'état
religieux par son goût pour l'histoire et par le zèle qu'il ressen-
tait de travailler à la défense de la vérité. Gomme prêtre et
comme jésuite, il résolut de s'opposer au courant rationaliste et
d'étudier à fond la vérité sur l'Église et les Papes. En 1845,
nous le trouvons à Lucerne oh il enseigne l'histoire ecclésias-
tique. Mais après la défaite du Sonderbund ^n 1847, il dut
■prendre la fuite avec ses confrères, chargé de ses précieuses
notices historiques, qui lui furent arrachées et en partie détruites
lorsqu'il arriva à Novare. Il recommença ses recherches et les
poursuivit avec une persévérance à toute épreuve, de sorte qu'il
put déjà commencer à publier son ouvrage monumental en 1853-.
Le P. Rattinger le termina après la mort de l'auteur, qui eut
lieu en 1859. Le quinzième volume, qui parut en 1863, va
jusqu'à l'année 1378. On ne pouvait effectivement clôturer
à cette date l'histoire du premier âge proprement dit; car
l'explosion du schisme occidental, qui eut lieu cette année-là,
•pouvait convenablement ouvrir l'histoire des temps modernes.
Depuis la mort du P. Damberger, il s'est fait, il est vrai,
beaucoup pour l'histoire, les matériaux se sont amoncelés d'une
manière vraiment colossale, malgré cela V Histoire synchronis-
tique n'a guère perdu de son importance. Toujours est-il qu'on
116 ANNALES CATHOLIQUES
est frappé de stupeur lorsqu'on examine comment un seul homme
a pu produire quinze gros volumes hérissés de documents et
quinze volumes de Critiques, et cela malgré les circonstances
les plus favorables et dans un temps relativement court.
Le P. Rattinger a hérité de la patience et de la persévérance
de Damberger ; lui aussi occupe les loisirs involontaires que lui
a faits le Culturkampf, à explorer les bibliothèques et à pâlir
sur les manuscrits pour colliger les données éparses des histo-
riens. Le quinzième volume de critique de V Histoire synchro-
atiistique renferme de lui une dissertation intéressante sur
Théodoric de Nyem, l'un des faussaires de l'histoire des qua-
torzième-quinzième siècles, écrivain prévenu contre les Papes.
Rattinger prouve que Théodoric n'a pas été un témoin bien
informe' des infamies qu'il raconte, et qu'il n'a pas été évêque
de Cambrai, etc. Notre savant explorateur a publié un écrit
inédit de cet auteur qu'il a découvert dans la bibliothèque du
Vatican et qui a pour titre : De hono regimine Romani Ponli-
flcis, adressé au pape Jean XXII, en 1410. Ce Théodore de
Nyem, qui à part quelques courtes interruptions vécut à la cour
pontificale avant le commencement du schisme (1378) jusqu'à
sa mort, arrivée en 1418, en qualité à' abherviator litterarum
apostolicarum, , se répand dans ses livres De schistnate, liber
unionis et VitaJoannis XXIII, en invectives venimeuses contre
les Papes, raison pour laquelle il a été loué comme étant une
source impartiale de premier ordre. Le P. Rattinger a donc fait
une bonne œuvre en prouvant qu'il manque à cet historien
l'amour de la vérité et la connaissance des faits qu'il dénature,
du moins tel que son livre se présente aujourd'hui. Car l'original
n'existe plus et ces écrits ont été réédités par des ennemis de
l'Église. Le Répertoire des sources historiques du moyen-âge^
par Chevalier, est incomplet là-dessus et à corriger; il faut
également rétablir la vraie date de la mort de Théodoric, qui
est le 22 mars 1418, comme le P. Rattinger l'établit. Le savant
religieux a exposé dans son étude sur le Pape et les États de
VÉglise (1860), Laacher Sttmmen, première série, les droits que
possèdent le Pape et tous les catholiques sur ces Etats, question
qu'il élucide sous toutes ses faces et sous tous les points de vue.
Le même auteur a fait paraître plusieurs travaux sur l'Orient,
tout en prenant en considération les espérances et les craintes
de l'Église catholique, relativement aux Églises schismatiques
et à la Turquie, en prévision de la prochaine dissolution de cet
LES JÉSUITES ALLEMANDS 117
empire. Nous avons de lui : Les Bulgares et VÈglise schisma-
tique, cinq articles publiés en 1875, Ibid, p. 677. — Le Pa-
triarcat catholique œcuménique. — Les saints Cyrilles et
Méthode, les grands apôtres des Slaves. Il est à remarquer
que l'auteur s'appuie partout sur les sources et que, surtout
dans ce dernier travail, il s'occupe beaucoup de la partie chro-
nologique et géographique de son sujet. Il suffit plus loin de
lire ce qu'il dit de la ville de Phullae. Il démontre que le Li-
bellus de conversione Bagoariorum et Carantanorum , publié
dans les Monumenta Germaniae, dont on ne connaissait pas le
but, est un mémoire destiné à être soumis au concile de Salz-
bourg l'an 871, pour servir le droit de juridiction des évêques
de Salzbourg et de Passau et pas de Méthode sur la Pannonie,
Le travail qui a pour titre : Le territoire patriarcal et me'tro-
politain de Constantinople et l'Église de Bulgarie au temps
delà domination latine à Byzance. Hisior. lahrhuch, 1880-81
s'occupe en premier lieu du passé catholique des Bulgares et de
la réorganisation à eux accordée ou du moins approuvée par le
pape Innocent III. On y examine la position géographique de
difTérents sièges épiscopaux inconnus, corrigeant les erreurs
commises dans l'atlas de 0. Spruner et d'autres. On y trouve
en outre des recherches spéciales sur l'ancien territoire du
patriarcat latin de Constantinople qui conduisent l'auteur à
l'examen du Codex provincialis ou simplement Provinciale^
dont ce dernier est extrait. Ce document, dont on trouve des
copies dans toutes les grandes bibliothèques de l'Europe, est la
nomenclature officielle élaborée à la cour de Rome (vers l'an
1210) de tous les diocèses du monde catholique. De là le nom
Provinciale qui veut dire : série de toutes les provinces ec-
clésiastiques d'après leur distribution ecclésiastique et géo-
graphique.
Le Provinciale ne renfermait pas précisément tous les sièges
existants alors, mais aussi ceux qui avaient existé auparavant,
et cela par la raison que justement à cette époque après la
prise de Constantinople, on songeait à la conquête ultérieure
de tout l'Orient, et que les églises qui avaient existé autrefois
devaient servir de base dans la réorganisation pour la nouvelle
circonscription. Le P. Rattinger indique les parties constitu-
tives ou sources du Provinciale, et il fait voir clair dans ce
chaos : il constate la concordance et les rapports du Provin-
ciale avec le catalogue des diocèses, donné par Guillaume de
118 ANNALES CATHOLIQUES
Tyr, par Nilus Doxapatrius (an 1145), avec d'autres catalogues
grecs, et il facilite essentiellement leur contrôle et contribue à
l'étude de la géographie comparative du site des villes épisco-
pales inconnues jusqu'ici, dont il est donné un spécimen. Le
Codex 'provincialis a bien été édité à plusieurs reprises, mais
pas encore d'une manière correcte, ni avec explications histo-
riques et géographiques nécessaires : le P. Rattinger m'a
annoncé une nouvelle qu'il prépare.
Les Voix de Laach [Laacher Stimmen) ont donné une ving-
taine d'articles du P. Baur sur la révolte contre l'autorité du
Saint-Siège : le P. Dreves a publié dans la même revue Johannes
Maurop'us, étude biographique courte mais instructive, d'après
le livre : Johannis Euchaitorum rnetropolitœ in quœ codice
Vaticano grœco 676 supersunt...^ qui nous montre un contem-
porain du second fondateur du schisme de Michel Cérulaire,
poète et orateur, lequel est mort peu après 1054, et qui chante
le prince des Apôtres, « protecteur de Rome... Rocher de la foi...
le fondement perpétuel de l'Église universelle, sois loué dans
nos cantiques sacrés ! »
Le P. Ehrle, S. J., édite avec le P. Deniile, de l'Ordre de
Saint-Dominique, Archives pour Vhistoire littéraire et ecclé-
siastique du moyen-âge, qui, sous bien des rapports, peut être
comparé à la Bibliothèque de VÉcole des Chartes. La première
édition de cette savante revue vient de paraître. Cette nouvelle
publication périodique doit livrer : 1° des textes inédits; 2° des
études d'après les sources; 3° des notices brèves et variées,
extraites d'archives et de manuscrits.
Le P. Grisar, auteur des Portraits des Re' formateurs, pré-
pare un recueil de toutes les bulles qui se rapportent au pays
de Tyrol, qui deviendra une base excellente pour une histoire
ecclésiastique de ce pays. Le P. Werner a édité, il y a un an,
un Atlas des Missions catholiques qui se trouve déjà épuisé en
très peu de temps; un atlas ecclésiastique du monde et d'après
les diocèses est en préparation. Portons à cette occasion l'atten-
tion sur les Tableaux chronologiques pour servir à l'étude de
Vhistoire ecclésiastique, par le P. Ehrenberger.
Le P. Durh fait paraître des Lettres et relations inédites sur
la suppression de la Compagnie de Jésus en Allemagne [Hist.
Jahrbuch., 1885, 3). 11 fait remarquer entre autres qu'un prince
de Hohenlohe-Schillingsfûrst écrivait en 1775, en apprenant la
nouvelle de la suppression, qu'il fallait faire des démarches à
LES JÉSUITES ALLEMANDS 119
Rome pour pouvoir conserver au moins la Compagnie en Alle-
magne. « L'Espagne, dit-il, a perdu l'esprit chrétien et avec
cela peut-être aussi le Chili et le Pérou par suite de la destruc-
tion de l'Ordre des Jésuites; la France ne s'en ressent pas d'une
manière moins vive. Toute cette machination n'est qu'une suite
des iîitrigues jansénistes, desquelles sont provenus les libres-
penseurs. Les ennemis des jésuites sont, en eflet, des hommes
sans foi, indifférents ou immoraux. »
Nous avons du P. Cornely l'ouvrage : De la succession légi-
time sur le siège patriarcal arménien (Paris, 1866) et la Vie
des saints martyrs Charles Spinola et ses compagnons ; du
P. Pachtler, différents travaux sur l'histoire du christianisme
en Chine, au Tonkin et en Cochinchine, et en outre son Art télé-
graphique des anciens ; du P. Riess, une dissertation chronolo-
gique sur V Année exacte de la naissance de Jésus-Chrisi ; du
P. Ebner, les Lettres officielles et inédites des généraux et des
provinciaux de la Compagnie de Jésus et l'abus qu'on en a
fait; du P. Brischar, une biographie pleine d'intérêt du
JR. P. Athanase Kircher, de la Compagnie de Jésus, que le
célèbre Leibnitz disait « digne de l'immortalité ». Le P. Kobler
a traduit de l'anglais les Études sur les couvents du moyen âge.
Le P. Grisar a fait paraître un volume d'études sur Galilée,
qui a été traduit en espagnol. L'auteur ne nie certes pas le
jugement erroné porté contre Galilée par la congrégation
romaine ; mais cette décision n'a aucun rapport avec l'infailli-
bilité du Pape. La raison principale de la conduite tenue par les
tribunaux romains n'a pas été, comme on l'a dit, < l'inimitié
de l'aristotélisme contre le copernicanisme. > Aussi les mérites
de Galilée furent-ils reconnus dans la suite, selon toute leur
étendue, sous les jeux mêmes du gouvernement ecclésiastique.
Terminons ce chapitre en nommant VHistoire de la cons-
truction de l'église Saint-Victor à Xanien, par le P. Beissel;
un travail biographique du P. Brischar sur le R. P. Contzen;
et un autre du P. Dreves sur Adam de Saint-Victor, le célèbre
auteur du Liber sententiarum et de la Summa Britonis.
LES SCIENCES EXACTES ET NATURELLES.
Il suffira ici de cataloguer les auteurs et les ouvrages :
Solutions of the Bombay university Matriculaiion Examin,a-
tions Papersof Algebra. (Bombay, 1870.)
]20 ANNALES CATHOLIQUES
Le P. Dressel, dont un ouvrage sur la formation du basalte a
été couronné en Hollande, a encore écrit : Les laves du lac de
Laach. — Études géognostiques et géologiques sur le lac de
Laach. (Munster, 1870.) Sur la matière anime'e et inanimée.
Le P. Graffweg : Sur les lentilles qui, rayonnant sur la lu-
mière homogène d'un point donne', 2^^'oduiseott une image
mathématiquement exacte.
Le P. Epping : Circulation dans les Kosmos; le P. Spilman :
Lu Cap au Zanbési; il est question des expéditions des mis-
sionnaires jésuites faites, déjà avant le retour de Stanley, par
le R. P. Depelchin et ses compagnons dans le pays du Zambèze,
ouvrage important pour l'ethnographie de l'Afrique méridio-
nale; P. Baumgarten : V Ecosse.
Le P. Colberg : Voyage à l'Equateur, ouvrage salué des
éloges unanimes et son auteur comparé à Humboldt par des
savants protestants.
La revue Natur und Offenharung (Nature et Révélation),
qui se publie à Munster, a pour but de concilier la science avec
la foi dans l'étude des sciences naturelles. Bien qu'elle ne soit
pas dirigée par des jésuites, les Pères Dressel, Jivigens, Was-
mann, et Braun en sont de zélés collaborateurs. Le P. Braun,
qui est directeur de l'Observatoire établi à Coloeza en Hongrie,
parle cardinal Haynald, publie régulièrement dans cette revue
les observations astronomiques pour le mois suivant. Parmi les
articles du P. Wasmann, nous portons l'attention sur son étude
scientifique sur V Instinct intitulée ; Der Frichterwinkler, petit
scarabée, le chynchites betulae de Linné, qui, pour ce qui con-
cerne l'instinct, oô're des phénomènes remarquables, comme
l'abeille et la fourmi, et donne des preuves théologiques admi-
rables de l'existence de Dieu. Un autre article du même auteur,
inséré dans les Voix de Laach, qui mérite d'être également
cité à cause de son sujet des plus intéressants, porte le titre :
Sur les couleurs protectrices des insectes.
LANGUES, HISTOIRE LITTÉRAIRE, BELLES-LETTRES, MUSIQUE
Le P. BoUig, sous-secrétaire de la bibliothèque Vaticane,
est généralement connu comme un second Mezzofanti, connais-
sant la plupart des langues existantes ; le P. Strassmeier passe
pour le plus grand assyriologue de nos jours. Ses nombreux
ouvrages sur les écrits cunéiformes servent de fondement à
LES JÉSUITES ALLEMANDS 121
l'étude de ces écrits en général et pour l'histoire ancienne de
l'Orient.
D'autres jésuites s'occupent de l'histoire littéraire et de la
langue de leur propre pays. Le P. Kreiten, dans son étude sur
Voltaire, qui a été traduite en français, offre plus que le titre
n'indique, car elle renferme presque toute l'histoire de la civi-
lisation, de la littérature et des sommités du siècle où vécut
son héros, surtout celle des mœurs à la cour de Frédéric II,
Son verdict sur Voltaire est écrasant. Il a publié sur Molière un
travail non moins important.
Le P. Baumgartner a caractérisé Goethe, Lessing, Longfeh
loio, Calderon, Vonclel, et mérité, à cause de son universalité
littéraire le nom de « Janssen de l'histoire littéraire » qui lui a
été décerné par le protestant Nippold.
Les études du P. Diel sur le poète Brentano, rentrent dans
le même ordre d'idées et, bien que jésuite, l'auteur s'est frayé
un chemin parmi le public littéraire en Allemagne. On a encore
de lui une tragédie : Skandeg.
Le P. Stecher s'est donné la tâche de reedre accessible aux
familles chrétiennes, la plupart des monuments littéraires ger-
maniques des temps anciens, en les retravaillant et les moder-
nisant, — peut-être un peu trop.
La Compagnie a aussi ses poètes, parmi lesquels nous nom-
merons le P. de Waldbourg-Zeil, dont les Chants respirent la
sainte nostalgie du ciel ; le P. Kreiten, biographe du P. Diel, a
publié ses Chants de Vexil qui savent bien trouver le chemin
de l'âme; le P. Diel, dont le Magasin (protestant) écrivait
dernièrement : « Ce n'est pas le jésuite, mais le poète banni
qui attire nos sympathies, le poète dont les strophes, écrites
sous les cyprès et les palmiers de Provence, soupirent vers la
patrie. »
Après la poésie, le chant et la musique, qui en sont en quelque
sorte le corrélatif.
Les jésuites allemands ont dans le P. de Doss leur représen-
tant pour cette dernière partie. Les loisirs forcés de l'exil, il
les emploie à composer des opéras, des opérettes, des choeurs,
des oratoriums, des messes. L'une de ces dernières a été cou-
ronnée par l'Académie des beaux-arts à Bruxelles. Lors do la
dernière audience donnée à Rome aux Allemands par Léon XIII,
une de ses compositions a été chantée par les élèves du Collège
germanique et a ravi l'auditoire.
Le P. Schmid prend à partie Richard Wfgner, et &a musique
122 ANNALES CATHOLIQUES
de l'avenir, dans son Art musical de l'avenir et son tnaitre;
il travaille à la réforme de la musique religieuse dans ses
Lettres sur la micsique d'église.
Le P. Dreves vise spécialement à réaliser l'unité dans le
chant des cantiques populaires dans les églises de sa patrie. II
a écrit : Un mot sur la question du Recueil de cantiques ou
proie' g amènes, 2'>ouvant servir à la composition d'un recueil de
chants religieux populaires. (Frihourg. 1885.) Puisse-t-il
comme il le souhaite, rendre au peuple les vieux cantiques de
ses pères, qu'un siècle pauvre de foi lui a ravis ou corrompus,
>et renouer enfin les vieilles traditions des àgos de foi !
La Compagnie de Jésus dirige en Allemagne les revues pério-
diques suivantes : 1° les Laacher Stimmen (Voix de Laach) que
nous comparerons^à' IsLCiviltà catiolica iàni ^our le programme
qu'il suit que pour le talent de ses écrivains ; 2° la Theologische
Zeitschrift, rédigée à Innspruck, par les PP. Stentrup et Grisar:
3° (Messager du Saint-Cœur de Jésus), le Sendbote des H. Her-
zens Jesu, revue de piété, sous la rédaction du P. Hattler, et
enfin 4° les Missions catholiques, qui paraissent mensuellement
chez Herder, à Fribourg. Comme nous l'avons dit précédemment
la revue Natur und Offenharung jouit de la collaboration de
plusieurs religieux de la Compagnie.
• Concluons. Les jésuites que l'Empire d'Allemagne a proscrits
se sont montrés dignes de leur ancienne renommée. Bien qu'exilés
de corps, leurs travaux intellectuels profitent encore à la mère-
patrie, et leurs productions littéraires y exercent une influence
d'autant plus considérable, que la plupart de ces publications
sont répandues par tout le pays. Même les protestants doivent
compter avec elles, et nous avons même relevé plusieurs juge-
ments favorables prononcés en leur faveur. Tout récemment
encore, le Reichs und Staatsanzeiger faisait l'éloge du livre
du P. Kolberg, sur l'Equateur. Bien que le compte-rendu qu'il
en fait soit long et entre au fond des matières, bien qu'il fasse
mention de la qualité de catholique chez l'auteur, il se garde
avec le plus grand soin de donner à entendre que le spirituel
et savant écrivain soit un des jésuites chassés de l'Empire. Les
savants di\x Journal Officiel ont peur des deux lettres S. J.,
ils n'en font nulle mention. Et cela pour de bonnes raisons.
Que pourraient-ils, par exemple, répondre, s'il venait à la
pensée de certain lecteur haut placé de demander pourquoi on
a expulsé d'Allemagne des hommes de cette valeur?
L'abbé N.-J. Cornet.
UNE MESSE A a CÉNACLE 123
UNE MESSE AU CENACLE
Le 5 avril 1860, une scène touchante se passa à Jérusalem.
Plusieurs écrits du temps la racontèrent en allemand, en fran-
çais et en italien, et excitèrent partout un légitime intérêt.
Toutefois, comme ils n'ont pu se garantir de plusieurs inexac-
titudes, nous avons cru de notre devoir de retracer cet émou-
vant tableau, d'après les narrations authentiques de témoins
oculaires (1). Nous sommes assuré de trouver bon accueil
auprès de nos chers lecteurs, dont la dévotion au Très-Saiut
Sacrement nous est trop bien connue, pour que nous puissions
les croire indifférents au culte du Sanctuaire oii le divin Sau-
veur institua le prodige de son amour.
Les témoins oculaires, auteurs premiers de ce récit, se trou-
vaient à Jérusalem au printemps de 1860, en compagnie d'un
homme de Dieu, l'archevêque de Smjrne. Mgr Spaccapietra,
c'était lui, animé d'une ardente piété, exprima dans un cercle
intime le désir d'offrir le saint Sacrifice de la messe le Jeudi-
Saint dans la salle du Cénacle. Rien ne transpira de ce hardi
projet. Seul, le vénérable religieux préposé à la garde de la
Terre-Sainte et gardien du couvent des Pères Franciscains, en
reçut la confidence et promit son assistance. Il alla donc, le
mercredi de la Semaine sainte, trouver le supérieur du couvent
des Derviches, qui contient le Cénacle dans son enceinte, et lui
demanda, sans laisser entrevoir la moindre arrière-pensée, de
vouloir accorder à un groupe de pèlerins de faire leurs dévotions
le lendemain matin dans le sanctuaire. La requête était trop
ordinaire pour exciter des soupçons. Aussi fut-elle favorable-
ment accueillie, et les initiés au projet reçurent ordre le même
soir de se tenir au rendez-vous le lendemain de bonne heure.
(1) Ces témoins sont Son Altesse la princesse douairière Catherine
de HohenzoUera, depuis fondatrice de Beuron, les révérendissimes
Pères Dom Maur Wolter, depuis archiabbé de la congrégation de
Beuron, et Dom Placide Wolter, depuis abbé de Saint-Benoît de
Maredsous, qui voulurent bien mettre à notre disposition leurs
carnets de voyages contenant de précieux détails notés de leurs
mains. Outre ces trois personnages, il y av^ait encore le révérend
Père Don Nicks, bénédictin de Saint-Paul de Rome, le révérend
Père Alphonse Ratisbonne, deux Pères Franciscains, et la marquise
Pauline Nicolaï, qui mourut en odeur de sainteté en 1868.
Î24 ANNALES CATHOLIQUE
L'archevêque avec son serviteur et d'autres compagnons
privilégiés se trouvaient vers quatre heures et demie à la
« maison des pèlerins, » où le reste des invités les rejoignit
bientôt. Une lanterne à la main, le serviteur prit les devants
en silence ; anxieux et ému, le petit cortège le suivit à travers
les rues étroites et encore désertes de la Ville sainte.
La caravane arriva à la porte de Sion, celle-ci était encore
fermée. On éveilla un des soldats turcs étendus sous le portique,
le priant d'ouvrir. Le gardien s'y refusa d'abord. Mais dés
qu'on eut fait miroiter à ses yeux une pièce de hakschich (1),
son trousseau de clefs se trouva dans ses mains comme par
enchantement, et bientôt la porte tourna sur ses gonds. Les
pèlerins se dirigèrent vers la partie méridionale du mont Sion,
actuellement situé en dehors de l'enceinte de la ville. Cinq
heures allaient sonner, et du sommet voisin de la montagne de
Sion les premiers rayons du soleil levant saluaient la pieuse
caravane. Le cortège prit à droite, et passa devant le couvent
des Arméniens et l'église du Sauveur, construite, suivant la
tradition, sur l'emplacement de la maison de Caïphe, où le
Seigneur, dans la nuit de son emprisonnement, fut jugé par les
juifs et renié par Pierre. Non loin de ce monument se trouve
une colonne en pierre, célèbre par une antique légende qui s'y
rattache. C'est là, rapporte-t-on, que les juifs assaillirent le
cortège des disciples lorsque ceux-ci transportèi-ent le corps de
la très sainte Vierge, de la maison située sur le mont Sion, non
loin du Cénacle où elle avait rendu le dernier soupir, vers la
sépulture préparée pour elle au pied du mont des Oliviers.
Mais les assaillants ne purent enlever le précieux trésor. Leurs
mains impies se desséchèrent miraculeusement, et plusieurs
d'entre eux se convertirent à la suite ùl^ ce prodige.
Cependant les pèlerins s'acheminaient à pas lents vers le
lieu de la dernière Cène. Une coupole et un minaret, qui se
baignaient dans la pourpre de l'aurore, marquaient l'emplace-
ment du Cénacle. Une petite porte taillée dans le mur d'enceinte
fut ouverte et la caravane entra. Partout un silence de mort :
on était dans le Ramadan, le mois de carême turc, pendant
lequel les musulmans, forcés de garder un jeûne strict durant
tout le jour, se livrent à leurs plaisirs avec d'autant plus de
licence depuis le coucher du soleil jusqu'au matin. Le canon de
(1) Pourboire.
UNE MESSE AU CENACLE 12&
la citadelle avait annoncé depuis une heure le retour du jeûne,
et tout le monde était plongé dans le lourd repos d'un premier
sommeil.
Les pèlerins furent surpris à leur entrée de découvrir dans
la demi-obscurité une femme postée sous le portique et cachée
dans les plis de son manteau oriental. Debout, immobile comme
une statue, elle laissa passer la caravane sans mot dire. Les
pèlerins montèrent l'escalier extérieur, à gauche dans la cour,
qui conduit directement au Cénacle. La porte n'oiFrit aucune
résistance, et, le coeur ému et palpitant, ils entrèrent dans la
•« salle du premier étage, » dans le merveilleux sanctuaire de
la Chrétienté. C'est ici, se dirent-ils, c'est ici qu'au soir de sa
passion, le divin Maître, dans son adorable humilité, lava les
pieds à ses apôtres, qu'il mangea avec eux l'agneau pascal, et
célébra le premier sacrifice de la messe ; c'est ici que le divin
Pontife offrit la victime non sanglante, avant de consommer
sur l'autel de la croix l'immolation sanglante de la victime du
salut ; c'est ici encore, qu'après sa glorieuse résurrection, il
apparut aux siens et leur permit de toucher ses plaies sacrées.
C'est dans ce sanctuaire que le Saint-Esprit, au milieu des
véhémentes commotions d'un ouragan, descendit sous forme de
f-eu sur les apôtres groupés autour de la Mère du Seigneur.
C'est ici enfin le lieu de naissance de la sainte Église, le siège
le plus ancien du vicaire du Christ, le point de départ d'où les
douze messagers de la bonne nouvelle se sont élancés à la con-
quête du monde. Que de grands souvenirs, que de puissantes
émotions !
Dans quel état ce lieu béni, témoin de tant de merveilles,
s'offrait-il alors aux regards des pèlerins qui en franchissaient
le seuil? Ils se trouvaient dans une grande salle, dont la voûte
à double nef, repose sur deux colonnes gothiques ; elle est telle
que nos ancêtres l'ont embellie au moj'en-àge. L'agneau de
Dieu figure dans la clef de voûte, comme un sceau sacré d'im-
périssable souvenir. Pour le reste, le sanctuaire est dans un
étal de déplorable abandon, de profanation et de désolation
écœurantes. Depuis le départ des fils de saint François, qui en
furent chassés en 1559, voilà trois siècles et au delà que cette
salle vénérée sert au culte des infidèles comme mosquée musul-
mane. Le tapis de paille qui couvre le pavement, les œufs d'au-
truche suspendus çà et là à des cordes, enfin les ordures et la
poussière accumulées partout, ne témoignent que trop de cette
déplorable destination.
126 ANNALES CATHOLIQUE»
Et pourtant les musulmans regardent eux aussi^ cet endroit
comme sacré, d'autant plus qu'ils y conservent et vénèrent le
tombeau du roi David que la tradition place sous les construc-
tions du Cénacle.
Malgré l'état déplorable où ils trouvaient le sanctuaire, les
pèlerins étaient à la jubilation, et on se disposa à retirer des
valjses les vêtements et les vases sacrés que l'on avait apportés
pour la sainte Messe.
Mais soudain un Turc, accompagné d'un petit garçon et de
quelques enfants, fait invasion dans la salle et interdit toute
cérémonie religieuse. Le doute n'est plus possible ; notre mys-
tère est trahi ou découvert,, et le Turc a reçu ordre d'empêcher
toute prétendue profanation du Sanctuaire. Enfin le bon fra
Guiseppe, frère lai franciscain, arabe d'origine, fit au Turc des
propositions en sa langue maternelle. Il semble résolu à ne pas
se laisser émouvoir et demeure impassible.
Désolés et priant en silence, les pèlerins allaient et venaient
dans la salle, puis tombaient à genoux, suppliant le Seigneur
de ne pas les frustrer du bonheur si longtemps désiré, de pou*
voir célébrer les saints mj'stéres dans ce sanctuaire vénéré, au
jour béni où la chrétienté entière s'y transporte en esprit.
Cependant le Turc persévère dans son obstination. L'illustre
princesse se lève alors avec deux de ses compagnes, et parvient
à entraîner le Turc jusque sur la terrasse en dehors de la salle.
Là enfin l'envoyé se laisse fléchir, et vaincu par les prières de
la noble chrétienne, il lui tend la main, en gage de la promesse
qu'il lui fait d'attendre une demi-heure devant la porte avant
de rentrer dans la salle.
Un autel portatif à trois pieds surmonté d'un crucifix et de
chandeliers est dressé en toute hâte. L'archevêque en ornements
sacrés y monte et commence le saint Sacrifice. Un fils de Benoît,
dom Anselme Nickes, soutient l'autel par derrière, tandis que
les augustes frères dom Maur et dom Placide Wolter assistent
le vénéré pontife, fils lui-même de saint Vincent de Paul. Les
heureux pèlerins qui entourent l'autel sont comme absorbés
dans la contemplation et en proie à l'émotion la plus vive, au
souvenir de l'institution du saint Sacrifice de la messe, et de la
première communion des saints apôtres et de la Vierge Marie.
Au Gloria, le pieux prélat ne peut contenir son émotion et
éclate en sanglots. Un des moines assistants lui adresse quelques
paroles qui le raniment et le saint Sacrifice se poursuit heu-
reusement.
UNE MESSE AU CÉNACLE 127
La consécration vient d'avoir lieu et, pour la première fois
depuis de longues années, le Verbe éternel incarné, l'Agneau
de Dieu glorifié est descendu du ciel dans ce sanctuaire si cher
à son amour. Le moment indescriptible de la sainte communion
approche. Douze pèlerins — ce nombre^ sans être calculé
d'avance, s'adaptait merveilleusement à cette scène — entou-
rent à genoux l'archevêque et, les yeux baignés de larmes
d'émotion, reçoivent de sa main le corps sacré du Sauveur.
En ce moment la porte s'ouvre, et le Turc entre dans la salle,
La princesse, agenouillée près d'une des colonnes à coté du
P. Alphonse Ratisbonne, lui fait de la main un geste suppliant
qui le décide à se retirer. Mais, tandis que l'archevêque donne
la dernière bénédiction, un bruit confus se fait entendre dans
l'intérieur de la maison. Le Turc se précipite de nouveau dans
la place ; cette fois la frayeur et la consternation sont peintes
sur son visage ; il invite les pèlerins à prendre la fuite en toute
hâte. L'archevêque récite le dernier évangile, tout en déposant
les ornements sacrés: pierre d'autel, calice, vêtements, tout
est emballé, moitié dans la salle, moitié sous l'escalier et sous
le portique d'entrée, et la petite caravane s'éloigne dans un
saint recueillement, passe par la porte de Sion déjà ouverte, et
se dirige vers l'église du Saint-Sépulcre. C'est là que les pèle-
rins achèvent l'action de grâces, à l'endroit même qui fut
témoin du crucifiement et de la résurrection du Dieu d'amour
qui venait de descendre dans leurs cœurs.
Les douze privilégiés reçurent de l'archevêque un billet de
communion pascale, qu'ils gardent soigneusement comme un
'souvenir précieux de cette Pâque incomparable. Tous l'avaient
célébrée avec la double intention d'obtenir eux-mêmes la grâce
d'une dernière communion parfaite avant la mort, et pour
l'Église le bonheur de rentrer bientôt en possession du Cénacle.
Ils apprirent plus tard qu'ils avaient échappé à un danger sérieux ;
car les derviches, dans leur zèle satauique, étaient décidés à
mettre obstacle à tout prix à la célébration de toute cérémonie
religieuse dans ce vénérable sanctuaire.
128 ANNALES CATHOLIQUES
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET L'ÉPISCOPAT.
L'épiscopat français presque tout entier adhère à la lettre
du vénéré cardinal-archevêque de Paris au Président de la
République. Ces adhésions, preuve indéniable de l'unité
qui régne dans le clergé français et qui fait sa force en
attendant qu'elle amène le triomphe de l'Église dans notre
chère patrie, doivent trouver place dans ces Annales. Nous
en commençons dès aujourd'hui la publication.
Arras et Cambrai. — Lettre collective de l'archevêque de
Cambrai et de l'évêque d' Arras :
Votre lettre à M. le Président de la République apporte un soula»
gement à la conscience des catholiques de France, et elle est la fidèle
et éloquente expression de nos propres sentiments. Malgré notre
respect pour l'autorité civile, nous ne pouvons garder toujours le
silence en face du progrès légal de l'irréligion dans notre cher pays.
Ministres de Jésus-Christ qui, tout en se laissant attacher à la croix,
a rendu hautement témoignage à la vérité, nous ne prêcherons
jamais l'insurrection et la révolte ; mais nous protesterons toujours
avec énergie contre tout ce qui nous paraîtra porter atteinte à notre
sainte religion et compromettre le salut des âmes. Le gouvernement,
en nous proposant au Pape pour l'épiscopat, a dû vouloir par cela
même nous confier les intérêts religieux du pays ; donc, même à ce
seul point de vue, nous manquerions à notre mandat si nous négli-
gions de l'avertir lorsque nous le voyons provoquer des mesures
oposées à ces mêmes intérêts.
Votre Eminence a rempli cet office avec autant de dignité que de
sagesse, et nous nous associons à sa protestation.
AuTUN. — Lettre de Mgr Perraud, évêque d'Autun :
Une fois de plus, dans votre récente lettre à M. le président de
la République, vous avez expinmé les sentiments des catho-
liques et du clergé français.
Votre longue expérience des Aicissiludes de notre pays depuis
le commencement de ce siècle et les services que vous n'avez
cessé de rendre à l'Eglise pendant plus de quarante-quatre ans
d'épiscopat, vous désignaient pour parler en notre nom et pour faire
entendre aux hommes investis de la puissance publique, des con-
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 129
seils puisés aux sources les plus pures de la sagesse, du
patriotisme et de la charité.
Qui donc pourrait élever des doutes sur la sincérité de vos
paroles ou se méprendre sur la parfaite loyauté de vos intentions?
Permettez-nous, Éminence, de nous approprier les unes et les
autres et de demander avec vous à quel homme sérieux il sera
possible de persuader qu'en nous accablant de ses rigueurs le
gouvernement se borne à user contre nous du droit de légitime
défense comme si, depuis seize ans, le clergé de France n'avait
cessé de faire une opposition systématique à la forme actuelle de
nos institutions ?
Est-il donc nécessaire de rappeler en combien de circonstances
le Souverain-Pontife et les Evèques ont formulé sur ce point la
constante doctrine de l'Église catholique, étrangère par état aux
discussions de l'ordre purement politique et uniquement soucieuse
d'accomplir son mandat spirituel à l'égard de tous les hommes,
sans distinction non seulement de races ou de classes, mais de
drapeau et de parti?
Il y a peu de semaines encore, dans son encyclique Immoriale
Bei, après avoir rappelé les principes sur lesquels doit reposer
la constitution chrétienne des Etats, Léon XIII faisait entendre
au monde cette déclaration solennelle : « Les règles tracées par
K l'Eglise ne réprouvent en soi aucune des différentes formes
« de gouvernement, parce que, en elle-mèmes, elles n'ont rien
« qui répugne à ses principes; et que, appliquées avec sagesse
« et justice, elles peuvent toutes contribuer à la prospérité
« publique. »
Et comme s'il avait eu plus particulièrement en vue nos sociétés
démocratiques, le Pape ajoutait : « La participation plus ou moins
« grande prise par le peuple au gouvernement peut, en certains
« temps et sous certaines lois, être tout à la fois un avantage pour
« le pays et un devoir pour les citoyens. »
D'où vient donc le malaise profond qui trouble parmi nous les
relations de l'Église et de l'État et compromet à chaque instant la
paix publique?
Votre Éminence l'a dit et l'impartiale histoire confirmera son
témoignage. On a, de parti pris, blessé la conscience d'un grand
nombre de citoyens français et fait d'une irréligion officiellement
intolérante et aggressive, un principe de gouvernement. Oui, si
depuis quelques années, à travers les conflits des systèmes ou
les rivalités des hommes qui représentent les différentes nuances
de l'idée républicaine, il y a eu dans la politique intérieure unité
de direction et d'action, cette unité ne s'est établie et maintenue
qu'aux dépens de la liberté et des d)-oits des catholiques. Divisés
sur toutes les autres questions, diplomatie étrangère, entreprises
10
130 ANNALES CATHOLIQUES
coloniales, traités de commerce, économie agricole et industrielle,
nos législateurs et nos hommes d'Etat ne se sont mis d'accord
que lorsqu'il s'est agi de soumettre l'Église au régime dont
votre lettre du 30 mars a résumé avec une si navrante exacti-
tude la pensée dominante, la progression logique et les néfastes
résultats.
Il n'est pas nécessaire de reprendre, après Votre Eminence,
rénumération de toutes les mesures légales ou administratives
par lesquelles, surtout dans le cours de ces six dernières années,
les divers cabinets qui se sont transmis le pouvoir n'ont pas cessé
de témoigner au clergé et aux fidèles leur défiance et leur hosti--
lité. On en est même venu tout récemment à un excès qu'on peut
qualifier d'inouï dans les annales parlementaires et politiques de
notre pays. Votre Eminence l'a relevé avec l'accent d'une doulou-
reuse émotion, et nous avons le droit de dire avec elle combien
nous avons été surpris et affligés lorque le ministi"e, chargé par
le gouvernement de présider à l'administration des cultes, s'est
permis d'attaquer directement, du haut de la tribune, plusieurs
des dogmes essentiels du christianisme. Trouvera-t-on ici nos
susceptibilités exagérées et nos griefs dénués de fondement?
Est-ce de notre côté que sont parties les déclarations de guerre, et
si la paix est troublée entre les deux puissances dont l'accord eût
été si nécessaire au relèvement de la patrie affaiblie, mutilée,
ébranlée à la suite d'une guerre étrangère et d'une guerre sociale,
est-ce bien à l'Église qu'il faut demander compte des premières
provocations et des menaces de rupture? Peut-on hésiter sur le
partage équitable des responsabilités, quand on voit de quelle
façon ont été accueillies les plus récentes avances du chef de
l'Église? Léon XIII venait à nous, tenant à la main l'olivier de
paix et n'ayant sur les lèvres que des paroles de concorde. On lui
a répondu en redoublant de sévérités arbitraires contre les mi-
nistres du culte professé par la majorité des Français et en por-
tant de nouvelles et profondes atteintes à la liberté déjà si
restreinte des familles qui veulent donner à leurs enfants une
éducation chrétienne.
Nous n'en voulons pas moins persévérer dans les sentiments si
dignement exprimés par Votre Eminence au nom d'une tradition
qui remonte jusqu'au temps où saint Paul disait : « Les ennemis
a de notre foi nous outragent et nous traitent comme la balayure
« du monde, nous prions pour eux. Il nous maudissent : nous les
a bénissons. » Si les hommes sont injustes à notre égard, nous
demanderons à Dieu d'augmenter notre confiance en sont infaillible
justice; et nous le prenons à témoin de la sincérité avec laquelle,
dans les cruels conflits de l'heure présente, nous sommes unique-
ment préoccupés des intérêts de la religion.
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 131
Il y a ua au, Éininence, lo diocèse de Paris et loule l'Kglise
de France, unie de cœur à votre famille spirituelle, demandaient
avec instance au Seigneur la conservation de vos jours menacés
par une redoutable maladie. Nos prières ont été exaucées. Vous
demeurez encore parmi nous et vous venez de rendre un nouveau
service à l'Église et à notre pays, en écrivant, pour les adresser à
M. le président de la République, ces pages d'une si haute et si
ferme inspiration.
Puisse votre noble et loyal langage être entendu et compris pour
le plus grand bien d'une nation si visiblement intéressée à voir
tous ses enfants unis dans une concorde vraiment fraternelle et
faisant de la pacification religieuse le solide fondement de la paix
sociale !
Tel est le vœu formé avec Votre Eminence par tous ceux qui
sont résolus à ne pas séparer dans leurs affections ce que Dieu
lui-même a si fortement uni dans le passé de notre histoire :
l'Église et la Patrie 1
Chartres. — Mgr l'évêque écrit :
Je partage tous les sentiments que vous exprimez avec tant de
dignité, de sagesse, de modération et de force.
J'ai aimé, Monseigneur, à vous entendre parler de la très sainte
Vierge et du culte qui lui est dû. Je venais moi-même dans une
de mes lettres, de louer le nom béni de Marie, Mère de miséri-
corde, et me faire le champion de son honneur et de sa gloire.
Pouvait-il en être autrement, étant le gardien de son sanctuaire
vénéré le plus ancien et l'un des plus célèbres de l'univers.
Marseille. — Mgr l'évêque de Marseille écrit :
Je viens de lire avec une respectueuse admiration la lettre de
Votre Eminence au président de la République.
Depuis quelques années, les mesures attentatoires aux droits et à la
liberté de l'Eglise n'ont cessé de se produire toujours plus nombreuses
et plus violentes. Le moment était venu où une voix plus autorisée
devait se faire entendre pour protester au nom des consciences catho-
liques. Votre Eminence l'a fait avec le calme, la dignité, la fermeté
et toute l'autorité que lui donnent son long épiscopat et la haute
situation, qu'il occupe dans l'Église. En écoutant sa voix, tous les
catholiques se sont sentis soulagés d'un poids qui les oppressait.
Maurienne. — Mgr l'évêque de Maurienne :
Forte, digne et sereine comme la vérité, elle sera accueillie avec
respect et admiration par ceux que n'aveugle pas la passion ni l'es-
prit de parti. Puisque la justification si calme que le Sauveur fit de
132 ANNALES CATHOLIQUES
sa doctrine pendant sa passion, lui valut à l'instant un cruel soufflet
de la part d'un valet, je ne serais pas étonné si votre belle défense
du clergé vous attirait les outrages de quelque serviteur de la Révo-
lution. Mais j'aime à espérer que les ennemis mêmes de notre foi,
qui ont le sentiment des convenances, respecteront comme il le
mérite, votre message de paix.
Quoi qu'il en soit, vous avez, Eminence, procuré aux consciences
catholiques un grand soulagement dans les afflictions de l'heure
actuelle, et vous avez rendu un immense service à la cause de la jus-
tice et de la sainte Église. Pour moi, heureux de me faire l'organe
des prêtres et des fidèles de mon diocèse, je vous en remercie de
tout mon cœur et de toute mon âme.
Orléans. — Mgr révêque d'Orléans :
Avec l'autorité de votre expérience et de vos vertus, vous avez
encore une fois. Monseigneur, vengé la vérité, si odieusement
méconnue; vous avez défendu, comme il était juste de le faire, cet
admirable clergé français dont le patriotisme et l'abnégation sont
au-dessus de tout éloge.
Quand je parcours l'un après l'autre les presbytères de mon dio-
cèse, et que je vois à l'œuvre, dans leur pauvreté et leur solitude,
tous ces prêtres si prudents, si dévoués, si courageux, je me demande
comment l'histoire qualifiera l'injustice des reproches qui leur sont
adressés, même au sein de nos assemblées parlementaires, et la per-
sécution dont ils sont l'objet.
Nous ne pouvions, nous leurs défenseurs naturels, laisser, par
notre silence, s'accréditer auprès des populations de nos campagnes
« des accusations qui dénaturent entièrement notre attitude et ne
peuvent qu'égarer l'opinion. »
Dans cette pénible conjoncture, votre pi'otestation, Monseigneur,
est venue soulager l'angoisse qui étreignait mon cœur et ma con-
science, et je m'y associe pleinement. Si elle ne parvient pas à faire
cesser un douloureux antagonisme, aussi préjudiciable à l'Etat qu'à
l'Église, puisse-t-elle au moins consoler tant d'âmes simples que l'on
veut arracher à Dieu, à la vérité, à la vertu, et qui, laissées à elles-
mêmes, ne demanderaient qu'à rester dans la bonne voie.
Quoi qu'il arrive, qu'il me soit permis de le redire avec Votre
Eminence, « le clergé continuera de souffrir patiemment ; il priera
pour ses eonemis; il demandera à Dieu de les éclairer et de leur
inspirer de plus justes sentiments ». Je m'en porte garant pour tous
les prêtres de ce diocèse, dont l'unique souci est de remplir, dans un
esprit de concorde et de paix, les saintes fonctions de leur ministère.
Reims. — Le Bulletin religieux du diocèse de Reims publie
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 133
la lettre d'adhésion de S. Exe. Mgr Langénieux, lettre où nous
lisons :
Nul ne pouvait avec plus d'autorité et de sagesse que Votre Émi-
neuce, répondre aux accusations imméritées dont le clergé ne cesse
d'être l'objet; nul ne pouvait démontrer plus clairement qu'elles n'ont
d'autre but, dans l'esprit de ceux-là mêmes qui les formulent, que
d'égarer l'opinion et de justifier, aux yeux des masses populaires, les
mesures violentes dont nous souffrons, et avec nous les intérêts sacrés
dont nous avons la charge.
Déjà Notre Saint-Père le Pape, dans la récente encyclique Imniorta.le
Dei, avait mis dans son plein jour cette vérité que l'Eglise ne répudie
aucune forme de gouvernement. Aujourd'hui, après vos nobles décla-
rations, qui osera prétendre encore que le clergé français professe et
pratique à cet égard une doctrine opposée à celle du Souverain Pontife?
— Non! ce ne sont pas nos institutions politiques que nous condam-
nons, ce sont les actes coupables et dangereux qu'on accomplit en leur
nom contre les âmes, contre l'Église, contre la France elle-même! Ce
que nous demandons, ce n'est pas, quoi qu'on dise, le renversement du
pouvoir que la France s'est donné, mais, sans réclamer la bienveillance
à laquelle nous aurions droit, du moins nous ne pouvons nous résigner
à n'avoir aucune part à sa justice. Nous ne le repoussons pas, nous le
convions, au contraire, lui né d'hier, à travailler avec nous à l'œuvre
de salut spirituel et temporel que l'Église poursuit depuis dix-huit
siècles, qu'elle a merveilleusement réalisée au milieu de nous, et dont
nous sommes les ouvriers nécessaires.
Mais loin de nous aider, après avoir paru se désintéresser de notre
action exclusivement religieuse, après nous avoir promis la liberté en
nous retirant son appui, après avoir créé, propagé et soutenu les
équivoques les plus déloyales, voici qu'il a pris une attitude d'hostilité
ouverte, qu'il combat officiellement nos croyances et, par un ensemble
de faits dont il ne peut plus déguiser la portée véritable, il témoigne
tous les jours qu'en « poursuivant le clergé », en « affaiblissant les
institutions chrétiennes », il « prépare l'abolition de la religion elle-
même ».
Les plus indifférents, les plus inattentifs à la marche des événements
ne liront pas sans émotion, dans la lettre de Votre Éminence, le rapide
et saisissant résumé des coups portés à l'Église depuis six ans.
... Ah! nous avions besoin de délivrer notre âine, de protester contre
des violences et des discours officiels capables de troubler les cons-
ciences et d'exciter les pires passions. Pour ma part, je vous remercie.
Monseigneur, d'avoir traduit mes propres pensées avec cette modéra-
tion et cette fermeté qui conviennent si bien à votre âge et à votre
haute situation dans l'Église. Je ne puis mieux faire que de m'associer
entièrement à Votre Éminence et lui dire qu'elle ne s'est pas trompée
en affirmant que ses paroles répondent au sentiment général des
membres de l'épiscopat.
Avec vous, pour le bien de l'Église et de l'Etat, nous demandons
qu'on en revienne enfin, à « l'application loyale du Concordat, aussi
bien dans son esprit que dans sa lettre ». — Ce n'est pas, assurément.
134 ANNALES CATHOLIQUES
trop exiger du gouvernement de notre pays que de lui demander de
garder fidèlement les engagements solennels qui le lient vis-à-vis du
Saint-Siège et de la grande majorité de ses sujets qui sont catholiques
Avec vous aussi, nous prévoyons de grandes ruines et d'irréparables
malheurs, si le pouvoir actuel ne reprend pas les traditions religieuses
qui ont fait la force et la gloire de notre nation.
Nous n'ignorons pas, en effet, le sort des peuples infidèles à leur
vocation et à leurs serments, et nous ne pouvons pas ne pas trembler
en face des signes trop visibles qui annoncent de prochaines catastrophes.
— Vous avez, Eminence, discrètement soulevé le voile qui cache encore-
aux regards insouciants ou ennemis les inévitables périls de l'avenir.
Dieu veuille que votre voix prophétique soit écoutée !
Vannes. — Monseigneur l'évoque de Vannes écrit :
La situation douloureuse faite depuis quelques années à l'Eglise
de France, alarme notre religion et notre patriotisme. Votre
Eminence avait qualité pour interpréter, avec la sagesse et la
modération qui caractérisent tous ses actes, nos peines et nos
inquiétudes.
En m'associant à vos respectueuses protestations et à vos justes
doléances, j'ai à cœur de remplir mon devoir d'évêque caholique et
de bon citoyen. Le clergé et les fidèles de ce diocèse partageront
mon admiration et ma reconnaissance.
Respectueux de toute autorité légitime, nous ne donnerons
jamais l'exemple de la révolte. Nous saurons souffrir, prier et
pardonner. Mais pourrions-nous oublier, Monseigneur, que nous
avons charge d'âmes? Les brebis ont droit d'attendre de leurs
pasteurs assistance et direction. Nous n'hésiterions pas à défendre,
au péril même de notre vie, celles dont nous avons la garde.
Si, ce qu'à Dieu ne plaise ! de plus mauvais jours étaient réser-
vés, dans un avenir prochain, à notre cher et malheureux pays, les
évêques rivaliseraient encore de courage, de dévouement et de
générosité.
Les odieux attentats dirigés contre les personnes et les pro-
priétés, les vols et les profanations qui se multiplient dans nos
églises, l'audace toujours croissante des ennemis jurés de la
famille et de la société, le débordement d'une impiété et d'une
immoralité sans frein, voilà, me semble-t-il, autant de signes
avant-coureurs de bouleversements épouvantables.
Nous avons donc tous raison, Monseigneur, de gémir sur notre
triste sort, d'implorer le secours du ciel et de réclamer, sans témé-
rité ni faiblesse, des pouvoirs publics protection, justice et liberté.
J'entends dire que notre voix ne sera pas écoutée. Si nos efforts
restaient vains, nous aurions du moins sauvé l'honneur. Le maître
que nous servons n'exige pas le succès.
LE DISCOURS DE M. JULES SIMON 135
LE DISCOURS DE M. JULES SIMON
Nous avons analysé en son temps, et apprécié le discours
remarquable prononcé au Sénat par M. Jules Simon pendant la
deuxième délibération de la loi sur l'enseignement primaire.
L'importance de ce discours, la force des arguments présentés
par l'orateur, la haute autorité dont il jouit ajuste titre, nous
font un devoir de revenir sur ce sujet qui est, hélas! d'une si
persistante actualité. Au moment oii va se signer en masse la
pétition dont il nous a déjà été donné d'entretenir nos lecteurs,
il n'est pas inutile de voir ce que pense de cette loi néfaste et
impie un homme dont le républicanisme ne saurait être contesté.
C'est à la séance du 18 mars que M. Jules Simon a pris la
parole.
M. LE Président. — L'article 17 est ainsi conçu :
« Dans les écoles publiques de tout ordre, l'enseignement est
exclusivement confié à un personnel laïque. »
La parole est à M. Jules Simon. (Mouvement d'attention.)
M. Jules Simon. — Messieurs, il m'a été impossible de prendre la
parole dans la première délibération du projet de loi.
Je ne suis même pas certain d'avoir assez de voix pour prendre
part à la discussion actuelle aussi activement que je le soubaiterais.
Je comprends, en outre, ce qu'il y a de fâcheux dans la situation
■que m'impose la nécessité de revenir quelque peu sur certains argu-
ments qui ont déjà été entendus par le Sénat.
J'espère qu'il voudra bien prendre en considération cette situation
toute particulière.
La question qui est aujourd'hui soulevée devant vous par l'ar»
ticle 17 est celle de la laïcisation des écoles publiques.
M. le ministre de l'instruction publique disait naguère que c'était
là. une doctrine désormais passée dans les lois, et qu'il n'était pas
possible de revenir sans cesse sur une question déjà décidée.
M. le ministre voudra cependant bien comprendre que ceux qui
s'admettent pas cette doctrine saisissent toutes les occasions de
protester contre elle. (Très bien! très bien! à droite et au centre.)
L'opération qui consiste à exclure de l'enseignement tous les con-
gréganistes n'est pas seulement, j'ai eu déjà l'occasion de le dire,
«ne opération scolaire; c'est un système de gouvernement. (Très
bien! très bien! sur les mêmes bancs.)
Ce système proclame la toute-puissance de l'Etat dans une matière
<yn nous étions accoutumés à croire que la liberté doit être entière et
complète. (Très bien! très bien! à droite et au centre.)
136 ANNALES CATHOLIQUES
Au cours de cette discussion, j'aurai plus d'une fois à reproduire
les arguments qui ont été développés dans les admirables discours
de MM. Buffet et Chesnelong.
Mais entre eux et moi il y a cette différence, c'est qu'ils combat-
taient pour leurs écoles, pour leur foi.
Telle n'est pas ma situation.
Si j'avais à voter dans ma commune, et mon très cher ami M. Bar-
doux, qui a prononcé un si remarquable discours dans la première
délibération, serait de mon avis — donc, si M. Bardoux et moi nous
avions à voter dans notre commune sur le choix de l'école, nous
voterions pour l'école laïque ; mais, au cas où la majorité serait d'un
avis contraire, nous nous inclinerions devant elle. Ce n'est pas pour
l'école que nous parlons, c'est pour la liberté. (Très bien! très bien!
à droite et au centre.)
Je ne puis dire cela sans me rappeler qu'il y a quarante ans
une grande discussion s'était élevée entre les ultramontains et les
philosophes.
La question était celle du monopole de l'Université.
J'étais alors un universitaire et j'étais philosophe, ce que je n'ai
pas cessé d'être.
Du sein même de l'Université j'élevai la voix contre le monopole
universitaire.
Je voulais que la liberté de l'enseignement devînt une vérité dans
notre pays. (Très bien! très bien! sur les mêmes bancs.)
Lorsque vous éliminez les congréganistes de l'enseignement
public, vous poursuivez la même politique que lorsque vous votiez
l'article 7, que j'ai eu l'honneur de faire repousser par le Sénat.
Dans les discussions qui ont eu lieu au sujet de cette loi, M. le
ministre a fait observer qu'entre l'article 7 et la disposition qui vous
est soumise, il y a une très grande différence.
L'article 7 interdisait aux religieux toute espèce d'enseignement,
tandis que l'article qui vous est soumis leur ferme seulement l'accès
des écoles de l'Etat.
Il y a là, je le reconnais, une différence. Mais n'y a-t-il pas beau-
coup de cas oi\ l'article nouveau fait exactement ce que faisait
l'article??
On a répondu à l'objection : Mais il vous restera des écoles où
vous régnerez, et qui vous appartiendront absolument ; la liberté est
donc entière.
Non, la liberté n'est pas tout à fait entière, parce que ce n'est pas
la liberté que de pouvoir se procurer l'enseignement en payant.
Tout le monde ne peut pas payer, et il ne faut pas que la liberté
soit un objet de luxe. (Très bien! très bien! à droite et au centre.)
De plus, il faudra trouver un maître, et vous rendez la profession
d'instituteur libre tellement difficile, que cela ne sera pas aisé. On a
LE DISCOURS DE M. JULES SIMON 137
dit que vous tuiez l'enseignement libre, je ne veux pas me servir
d'un mot qui pourrait être taxé d'exagération, mais je dirai que vous
le rendrez bien malade (sourires) et qu'il est certain que les écoles
publiques seront désormais à peu près les écoles uniques.
En tous cas, vous reconnaîtrez avec moi que le fait d'exclure d'une
fonction publique toute une catégorie de citoyens est un fait consi-
dérable. (Très bien! très bien! à droite.)
Nous avons dans notre droit public, cette doctrine que les fonc-
tions sont également accessibles à tous les citoyens. Nous regardons
ce principe comme une des plus importantes conquêtes de la Révo-
lution.
Or, quand vous décidez que toute une catégorie de citoyens sera
exclue d'une fonction, il me semble que vous oubliez ce principe.
(Très bien ! très bien ! â droite.)
A cela, vous répondrez qu'à tout principe il peut y avoir des
dérogations.
C'est vrai, et vous citez les nombreuses incompatibilités que les
lois ont édictées.
Seulement vous conviendrez qu'une incompatibilité qui frappe toute
une classe de citoyens est considérable, et qu'il faut avoir des raisons
bien graves pour se résoudre à cette extrémité.
Je ne veux pas discuter, quant à présent, le principe même ; je me
bornerai à examiner les motifs de la dérogation que vous y avez
apportée, et je vous dis que ces motifs ne sont pas de nature à jus-
tifier la mesure que vous prenez.
Quels sont les motifs qui vous déterminent â la prendre ?
Il faut qu'ils soient bien sérieux, bien graves; je le répète, non
seulement parce que vous violez ainsi un des principes les plus
essentiels de notre droit public, mais aussi parce que vous n'ignorez
pas que vous vous mettez en contradiction avec une portion consi-
dérable de vos concitoyens.
Vous courez le danger énorme, pour un gouvernem.ent, je ne dis
pas pour un ministre, de mettre des citoyens dans l'impossibilité de
donner à leurs enfants, non point dans les villes où ces écoles pro-
blématiques pourront encore subsister, mais dans les hameaux,
l'enseignement conforme à leurs idées, à leur foi. (Très bien ! très
bien ! à droite.;
Vous mettez la main sur leurs consciences. (Nouvelle approbation.)
Pour poursuivre depuis plusieurs années une telle entreprise avec
autant de persévérance, il faut que vous ayez, en vérité, des raisons
bien solides.
Eh bien ! ces raisons, je les ai examinées, et je crois pouvoir les
réduire sous trois chefs :
Premièrement on veut la neutralité de l'école au point de vue
religieux, et l'on dit que les congréganistes ne peuvent pas l'observer.
138 ANNALES CATHOLIQUES
Deuxièmement, on veut que le maître d'école enseigne la Répu-
blique à ses élèves, qu'il leur fasse aimer les institutions qui nous
régissent, et on dit que jamais les congréganistes ne se cliargeront
de cette mission.
Il en est une troisième, qui diffère des deux autres en ceci qu'on
apporte volontiers les deux premières à la tribune, et qu'on parle
moins souvent de la troisième.
J'examinerai les trois ordres d'objections.
En ce qui concerne la neutralité, je crois pouvoir vous dire, en
un mot, que votre argumentation repose sur une idée fausse. Non
que je prétende que les congréganistes pourront être neutres dans
l'école. Ce n'est pas possible, et vous avez raison de le dire.
Vous avez raison de penser qu'ils ne se chargeront pas de faire
aimer les institutions républicaines, bien que cela soit moins dé-
montré.
Et la démonstration serait encore plus difficile si vous n'aviez pas
pris, en quelque soi'te, à tâche de rendre la République désagréable
aux instituteurs congréganistes. (Sourires et applaudissements à
droite.'^
Mais je l'admets, ce n'est pas sur ce point que vous vous trompez.
Où je trouve que vous vous trompez, c'est quand vous pensez que
le maître d'école doit être neutre en matière religieuse, mais qu'il
peut être apôtre en politique.
Non, il ne peut pas plus être neutre en religion qu'il ne doit être
apôtre en politique ; et je vais vous le prouver.
D'abord, voyons pour la neutralité religieuse.
Vous dites que votre école publique sera neutre et que, dès lors,
les pères catholiques pourront sans crainte y envoyer leurs enfants.
Mais vous ne dites pas que votre école sera neutre au point de
vue politique, et elle ne le sera point, puisqu'on y apprendra à
aimer la République.
Or, pouvez-vous ignorer que les pères tiennent tout autant à leurs
opinions politiques qu'à leurs croyances religieuses? (Très bien! très;
bien ! â droite.)
Donc, si vous n'aviez la neutralité que pour la religion, vous ne
gagneriez pas grand'chose contre les adversaires de l'obligation.
D'ailleurs, votre neutralité est impossible, avec la meilleure foi du
monde.
Vous aurez beau donner les plus rigoureuses instructions, exercer
la surveillance la plus active et la plus sévère, vous ne l'obtiendrez pas.
L'autre jour, à cette tribune, un orateur de la droite s'écriait :
« Est-ce que quelqu'un ici est neutre? Est-ce qu'on peut réellement,
absolument, être neutre ? »
Eh bien ! notre collègue avait parfaitement raison. On n'est jamais
neutre, en politique ni en religion.
LE DISCOURS DE M. JULES SIMON 1 39
S'il en existe, par hasard, de ceux-là, je les plains. Celui qui es
•neutre est nul. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)
Et puis, il y a tant de manières de violer cette neutralité! Le
maître ne restera pas neutre.
On enseigne par le geste, par la physionomie, par l'intonation de
la voix, par les exemples d'écriture mis sous les yeux des enfants,
par les livres mis dans leurs mains. Que de façons de violer la neu"
tralité !
Et la littérature française, est-ce que vous la supprimerez dans les
«coles ?
Or, depuis trois cents ans nos grands écrivains expriment des opi-
nions diverses; certains affirment, certains combattent des idées que
l'instituteur fera, suivant ses propres principes, connaître à ses élèves.
Au reste, je ne veux pas de profession neutre parce que je n'es-
time pas le professeur, s'il est tel. En effet, il est impossible qu'il
n'ait pas d'opinion, et s'il a -une opinion, pourquoi la cache-t-il?
Est-ce donc là le modèle que vous donnez aux enfants ? (Très bien I
•à droite et au centre.)
L'école neutre est une école déshonorée, et s'il y en avait, il fau-
drait en rougir. (Applaudissements à droite et au centre.)
Messieurs, quand on a commencé cette petite guerre... (Interrup-
tions) je la qualifiais de petite pour faire plaisir à mes adversaires,
mais je la trouve grande.
M. LE Ministre de l'instruction publique. — Oui, grande, en effet.
M. Jules Simon. — Eh bien ! quand on a commencé cette guerre,
on s'est attaqué d'abord aux congrégations religieuses non autorisées,
Ensuite, ce sont les congrégations autorisées qu'on a voulu exclure
de l'enseignement, tels les Frères de la Doctrine chrétienne, telles les
Soeurs de Saint-Vincent de Paul.
On a étendu l'ostracisme aux prêtres, on les a exclus avec un soin
que j'allais qualifier de religieux. (Rires sur plusieurs bancs.)
On avait demandé que le prêtre pût venir à certaines heures dans
l'école publique pour y donner l'enseignement religieux.
Comment ! a-t-on dit, y pensez-vous ! introduire la soutane dans
nos écoles ! Mais elles seraient contaminées par sa seule présence.
(Rires ironiques à droite.)
On a donc interdit l'entrée de l'école de la commune au curé.
Et la proscription a compris les catholiques, les chrétiens et même
nous autres, les déistes !
Mais voyons pourquoi l'on veut exclure de l'enseignement des
écoles publiques les congréganistes, les Frères de la Doctrine chré-
tienne.
Parce que, dit-on, ce ne sont pas des hommes comme les autres ;
parce qu'ils ont un supérieur général, lequel a au-dessus de lui un
antre supérieur qui réside à l'étranger; parce qu'ils prononcent des
140 ANNALES CATHOLIQUES
vœux et qu'ils soat soumis à certaines règles qui leur enlèvent leur
libre arbitre.
Et puis, on dit aussi :
Ces congréganistes vont avoir à enseigner la vie aux enfants.
La première chose de la vie à leur apprendre c'est la loi du travail.
Or, pour nous, hommes du X1X<' siècle, pour nous démocrates et
républicains, le travail, c'est la glorification de l'existence.
Pour eux, au contraire, c'est le fruit de la malédiction divine.
Pour eux, la vie est une épreuve; pour nous, c'est un but d'activité
féconde.
M. LE ]\IiNiSTRE. — J'ai dit que la terre était, d'après la doctrine
catholique, un lieu d'expiation.
M. Jules Simon. — Oui, mais ce n'est pas à vous seul que je réponds,
monsieur le ministre, c'est à tous mes adversaires.
Ce n'est pas mon rôle de discuter toutes les allégations qui ont été
produites au sujet des congréganistes.
C'est le rôle de ces messieurs. (L'orateur désigne la droite.)
Pourtant je voudrais dire quelques mots sur deux ou trois points.
D'abord, dit-on, les religieux ont fait des vœux.
Eh bien ! messieurs, n'y a-t-il que les religieux qui fassent des
vœux? Ne connaissez-vous pas d'autres hommes qui en prononcent,
sans que vous songiez pour cela à leur contester la qualité de
citoyens? (Approbation à droite.)
On dit aussi : le travail pour les catholiques est une condamnation.
Je crois que vous faites ici une confusion.
Je connais la Bible et le dogme chrétien. Je sais ce qu'ils ensei-
gnent du paradis terrestre, d'où l'homme fut- chassé par Dieu pour
avoir failli, et dont il sortit pour « gagner son pain à la sueur de
son front ».
Oui, je sais cela. Mais le genre humain n'habite plus le paradis
terrestre ; il l'a quitté depuis bien des siècles. (Rires à droite.)
Et c'est pour ce genre humain, chassé du paradis terrestre, que
les lois humaines sont faites, et même que le christianisme a été fait.
Eh bien! quand j'étudie la religion, je ne vois pas qu'elle s'inspire
des sentiments que vous croyez. Il me semble qu'elle n'a jamais
enseigné que l'oisiveté est supérieure 'au travail. (Applaudissements
â droite.)
M. le Ministre. — C'est fort bien dit, mais je n'ai pas avancé le
contraire.
M. Jules Simon. — Veuillez croire qu'il n'y a dans mes paroles
rien d'agressif pour vous.
Je réponds plus aux|autres qu'à vous-même...
Je vois donc, messieurs, que dans la société chrétienne, le travail
est non seulement enseigné par des préceptes, mais par des exemples.
Regardez ces Frères des écoles chrétiennes, qui parcourent nos
rues, revêtus d'un habit grossier. Sont-ce des oisifs?
LE DISCOURS DE M. JULES SlMONi 141
Et les Sœurs, dont je puis parler, car je les connais mieux, je les
connais bien, et par des circonstances de ma propre vie dont je me
souviens avec tristesse et avec fierté. (Bravos à droite ! très bien 1
très bien !)
Or, disais-je, les Soeurs prêchent-elles l'oisiveté? La pratiquent-
elles? Avez-vous songé jamais à ces pauvres femmes, qui, après avoir
fait cinq heures de classe, ne quittent les enfants que pour aller
porter du pain au père et â la mère? (Applaudissements à droite.)
Voix à gauche. — Ce n'est pas exact !
M. Jules Simon. — Vous leur reprochez de considérer la vie comme
la préparation à une existence future.
Ce ne sont pas seulement les catholiques, les chrétiens qui pensent
ainsi, ce sont tous ceux qui croient en Dieu ; c'est la doctrine de
toutes les écoles spiritualistes.
Cette doctrine-là, je l'ai enseignée ; si j'en avais la force, je serais
fier de l'enseigner encore.
J'espère un jour, qui n'est peut-être pas éloigné, m'endormir avec
elle, et l'honneur de ma vie sera d'avoir fait pénétrer ces grandes
idées dans quelques esprits. (Applaudissements à droite.)
M, LE Ministre de l'instruction publique. — Je n'ai pas prononcé
dans mon discours un seul mot contraire â ce que vous dites en ce
moment.
M. Jules Simon. — Votre système tend à diminuer les religieux, à
les déshonorer.
Je ne crois pas beaucoup à la neutralité dans l'école.
Je ne veux pas d'apostolat en matière politiqiie.
Oui, je crains de voir entrer la politique dans l'école, car je crois
la religion plus près de la conscience que la politique.
Voyez ce que vaut la politique â l'école. Vous souvient-il du pre-
mier Empire et du catéchisme qu'on enseignait alors aux enfants ?
Vous vous en souvenez assurément, car c'est, avec raison, un des
griefs que vous avez le plus souvent invoqués contre l'Empire.
Ne disait-on pas aux enfants que l'amour de l'empereur était l'un
des premiers devoirs ?
Traversons quelques années et arrivons au second Empire. On
enseignait alors â aimer aussi le second Empire dans les écoles.
L'éloge du gouvernement était répété souvent ; on faisait chanter
l'hymne en l'honneur de l'empereur en obligeant les élèves â se lever,
et l'on forçait aussi tous les assistants à se lever. (Mouvement.)
Que pensiez-vous de cela, républicains et légitimistes?
Vous vous révoltiez alors, vous aviez raison ; mais cependant, sous
le second Empire, l'enseignement n'était pas obligatoire, ce qui
constituait une différence. (Nouveau mouvement. — Applaudisse-
ments au centre et sur divers bancs à droite.)
Vous vous indigniez! Aviez-vous tort ? Si vous aviez raison, ne
142 • ANNALES CATHOLIQUES
faites pas aujourd'hui ce que vous blâmiez jadis ; autrement, si vous
le faites, on. pourrait dire : Vous avez joué la comédie!... (Appro-
bation à droite et au centre.)
Non, messieurs, il ne faut pas flatter d'une certaine façon le maître
d'école; vous avez tort de lui dire : Tu es le magistrat de la jeunesse,
et d'ajouter : Tu es le représentant de l'idée moderne. -Te le regrette,
c'est avec cette idée que vous avez élevé ces monuments dans les
villages, où l'idée est représentée par la pierre ; vous avez voulu
opposer la maison d'école au clocher. (Nouvelle et vive approbation
à droite et au centre. — Rumeurs à gauche.)
Vous voulez faire du maître d'école un agent de la politique!
Non, il est impossible que le campagnard, homme simple, à l'hori-
zon limité, ne se laisse pas, ainsi, écarter de la situation réelle.
Vous voulez grandir le maître d'école?
Mais je le grandis davantage en en faisant un simple maître d'école
de village, et je préfère ce titre à tous les euphémismes avec lesquels
on le trompe et l'on se trompe. (Très bien! au centre et à droite.)
Vous voulez en faire un professeur, le charger de trop de cours,
coui's de morale, cours d'instruction civique; eh bien! c'est trop pour
le maître et trop pour les élèves; le premier est incapable de le faire,
et les seconds de le comprendre.
Si on me rappelait que j'ai enseigné la morale et si l'on me repro-
chait de montrer cet enseignement comme un péril, je répondrais
que le fait d'avoir enseigné la philosophie, la morale donne la cons-
cience des difficultés qu'il y a à faire un cours de morale à des
enfants de dix ans.
L'enseignement de la morale dans les lycées à des élèves de dix-
huit ans, qui savent bien des choses, même beaucoup trop de choses'
(on rit), par des agrégés, cet enseignement lui-même me fait quelque
peur. Ce qui me rassurerait, ce serait qu'on reçût à l'école, dans
l'enseignement primaire, un enseignement moral donné comme le
donnent le père et la mère, sans disserter et fait au jour le jour.
(Très bien! très bien! au centre et à droite.)
Mais je ne veux pas de l'enseignement qui tendrait à détruire
toutes les croyances, sans réussir à en faire naître une seule. (Nou-
veau mouvement.)
La première éducation de l'enfant se fait par un acte de foi; quand
vous aurez appris à l'enfant à être bon, fraternel, juste, comme il
apprend à parler et à marcher, il sera invincible; alors il pourra
recevoir cet enseignement philosophique et moral des maîtres qui
autrement ne font bien souvent que troubler les esprits.
Et par là aussi vous aurez des patriotes, car c'est surtout l'ensemble
de ces hautes doctrines qui constitue la patrie et en inspire l'amour.
(Applaudissements à droite.)
Oui, lorsque vous aurez enseigné le patriotisme, la liberté et la
LE DISCOURS DE M. JQLES SIMON 145^
justice, VOUS leur aurez enseigné la République, ^fns la nommer,
(Vive sensation.)
Je vous ai fait connaître mon sentiment sur les deux arguments
que l'on emploie le plus souvent pour mettre en relief l'incompati-
bilité qui existe entre l'enseignement congréganiste et l'enseignement
laïque.
Je voudrais vous dire maintenant un mot d'un autre argument
qu'on apporte moins souvent â cette tribune.
Je crois pour ma part, messieurs, que c'est moins une théorie que
vous appliquez qu'une passion que vous poursuivez. (Très bien!
très bien ! au centre.)
Cela est si vrai que tous ceux qui sont les plus anticléricaux
avouent sans trop de peine dans l'intimité, que la loi qu'ils veulent
voter est une loi de colère, une loi de revanche.
Nous avons vu, disent-ils, le clergé tout-puissant et nous l'avons
vu intolérant; quand il a été tout-puissant, il ne s'est pas gêné pour
revendiquer la haute main sur l'école; aujourd'hui que nous avons
le pouvoir, nous voulons être les maîtres, et nous le serons. (Nou-
velle approbation au centre.)
Telle est la raison qu'on n'avoue pas souvent, au moins à la tri-
bune, mais qui est la raison déterminante, exclusive de ceux qui
poussent à la laïcisation, et qui font de l'article que nous discutons
et de l'article 66, la pensée dominante de la loi. (Très bien! très
bien! à droite.)
Mhîs je m'étonne, néanmoins, que vous ayez inscrit une pareille
disposition dans la loi. Quel besoin en aviez-vous? N'aviez-vous pas
déjà les moyens légaux d'écarter les congréganistes des écoles
publiques? Oui, vous en aviez et les moyens et le droit. Vous en
aviez si bien le droit que vous avez à peu près terminé la transfor-
mation pour les écoles de garçons.
Si la tâche est moins avancée pour les écoles de filles, c'est que
vous manquiez de maîtresses. Vous pouvez bien dire que vous avez
sous la main beaucoup de brevetées et beaucoup de demandes, cela
ne veut pas dire que vous ayez beaucoup de maîtresses. (Très bien!
au centre et à droite.)
L'autre jour, quand mon ami, l'honorable M. Chalamet, vous
demandait avec éloquence, par un amendement, de permettre que
les écoles mixtes fussent, suivant les cas, confiées soit à des institu-
teurs, soit à des institutrices, il vous donnait d'excellentes raisons.
C'est qu'en effet les brevetées, les maîtresses laïques ne se résou-
dront pas toujours à aller dans les écoles de hameau, tandis que les
religieuses y seraient allées, car elles vont partout. (Réclamations
à gauche.)
Oui, elles vont partout, lès religieuses, parce que leur cornette
est un porte-respect aussi bien qu'un porte-courage. (Très bien!
très bien! au centre et â droite.)
144 . • . ANNALES CATHOLIQUES
Je dis donc (J^si vous n'avez pas encore accompli la transforma-
tion des écoles de filles, c'est uniquement parce que vous manquiez
de personnel, et non parce que vous n'en aviez pas les moyens légaux.
Pourquoi donc avez-vous inscrit dans la loi ces deux articles?
Ah! en y regardant de près, on s'en rend compte.
On veut obliger le ;ministre à user, dans l'avenir, d'un droit qu'il
avait, mais dont il pouvait ne pas user.
C'est donc une aggravation nouvelle de la situation présente. (Très
bien! très bien! au centre et à droite.)
Cela est grave, messieurs, car vous allez obliger la majorité des
citoyens français à faire élever leurs enfants par des maîtres qui ne
partagent pas leurs opinions.
Cela est grave, parce qu'on va dépouiller les communes du droit
qu'on leur avait reconnu jusqu'à ce jour.
Jusqu'à présent elles ont pu conserver l'espérance que leurs vœux
seraient entendus : cette espérance même va disparaître car tout va
être sacrifié à la toute-puissance de l'État. (Très bien ! très bien ! au
centre et à droite.)
Messieurs, nous avons connu d'autres époques où l'Etat était tout-
puissant, nous en avons souffert et nous nous sommes jetés avec
passion dans la décentralisation, nous républicains. (Très bien! très
bien! au centre.)
Je me rappelle les éclats de notre indignation contre cette main-
mise de l'État sur les départements et sur les communes. Nous
avons crié contre le pouvoir absolu, et chaque fois que nous
gagnions quelque chose contre lui, nous considérions que nous
gagnions quelque chose pour la liberté et le progrès, (Très bien !
très bien ! sur un grand nombre de bancs.)
Et voilà qu'après avoir augmenté les droits des communes et des
départements en matière de finances, vous allez les dépouiller en
matière d'instruction.
Eh bien ! nous pourrions vous pardonner de mettre la main sur
nos biens, nous ne pouvons vous accorder le droit de la mettre sur
nos consciences. (Très bien ! très bien ! sur un grand^nombre de bancs.)
Nous vous livrerons plutôt notre bien-être, mais l'âme de nos
enfants, nous ne la livrerons à personne. (Très bien ! très bien ! sur
les mêmes bancs.)
Si je parle ainsi, ce n'est pas que j'aie peur de vos écoles.
Je parle pour la liberté des autres, c'est-à-dire pour la liberté.
(Très bien ! très bien! sur les mêmes bancs.)
Autrefois on citait comme un sarcasme cette parole que M. Veuillot
adi'essait aux républicains (1) :
« Quand vous êtes au pouvoir, nous vous demandons la liberté
(1) C'est une parole de M. de Montalembert faussement attribuée
â Louis Veuillot.
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 145
parce que c'est votre dogme, et lorsque nous sMhnes les maîtres,
nous vous la refusons parce que c'est le nôtre.
A gauche. — C'était cynique.
On a vu là un sarcasme. Hh bien ! moi, je vous demande d'y voir
un éloge pour le parti républicain.
Que les autres nous refusent la liberté, c'est leur aftaire. Notre
devoir, à nous, c'est de la donner à tous, même à ncn adversaires.
(Très bien! très bien ! sur les mêmes bancs.)
Pourquoi aurions-nous lutté, pourquoi aurions-nous vécu, si ce
n'était pour conquérir un tel droit?
Pour moi, qui ai lutté cinquante ans et qui aujourd'hui suis un
vieillard, je suis prêt à donner la liberté même à ceux qui voudraient
s'en servir contre moi.
La liberté, oui, voilà le but de ma vie; je le répète, j'ai lutté pour
elle pendant cinquante ans; s'il fallait y renoncer, je considérerais
comme perdue cette vie que j'ai tout entière consacrée au service de
mon pays. (Très bien ! très bien! et applaudissements sur les mêmes
bancs.)
Sous l'empire, il y en avait qui disaient : Si nous prenons sa
place, souvenons-nous de ses leçons. Jamais, non, jamais je n'ai
partagé cette doctrine.
Il ne faut pas faire à notre tour ce que nous considérions comme
un mal, comme une injustice. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes
bancs.)
Quelques-uns sourient de mes paroles; je le regrette pour eux.
Est-ce pour faire du mal que vous combattez?
Laissez-moi croire, messieurs, que le parti républicain sera tou-
jours ce que j'ai pensé et ce que je pense qu'il doit être : le parti «le
la justice, de la liberté, du progrès. (Très bien ! très bien ! et applau-
dissements réitérés à droite et au centre.)
L'orateur, en retournant à son banc, reçoit de nombreuses
félicitations.
CONFERENCES DE NOTRE-DAME (1)
CINQUIÈME CONFÉRENCE : Le gén&ateur du sacerdoce.
D'oii vient la consécration sacerdotale; d'où, ce sublime pou-
voir et cette éminente dignité, source de si grands devoirs et
(1) Cette analyse des Conférences du R. P. Monsabré à Notre-Dame
de Paris est faite exclusivement pour les Annales Catholiques.
Nous rappelons que les conférences du R. P. Monsabré sont
publiées in extenso dans V Année dominicaine, en suppléments qui
se vendent séparément, 25 centimes chaque, ou 1 fr. 50 les neuf
suppléments (par abonnement).
11
146 ANNALES CATHOLIQUES
de si respectab)!^ droits? — Saint Tliomas nous dit que c'est
un écoulement du sacerdoce de Jésus-Christ : Christus est fons
totius sacerdotii. Mais cet écoulement ne se fait pas directe-
ment de rame du prêtre éternel dans l'àme de celui qui doit
participer à sa puissance et à sa grandeur ; il passe par les
mains d'un homme auguste que nous avons aperçu au sommet
de la hiérarchie.
Cet homme, c'est l'évêque, générateur du sacerdoce. L'étude
du sacrement de l'ordre n'est achevée que lorsqu'on connaît
bien l'évêque, ce prêtre parfait : — prêtre parfait dans la gran-
deur ; — ■ prêtre parfait dans le devoir.
Jésus-Christ, voulant établir son Église, a commencé par
appeler ceux qui devaient en être les chefs suprêmes, ceux qui
devaient y engendrer les pères et les enfants.
Ce n'est qu'après avoir constitué le collège apostolique qu'il
appelle des disciples, chargés de le précéder et de préparer, par
des bienfaits et des miracles, sa divine mission, dans les lieux
qu'il doit parcourir. La tradition est unanime dans l'interpré-
tation de ce double choix du Sauveur ; les apôtres sont les
évêques, les disciples sont les prêtres qu'on verra se perpétuer
dans la sainte hiérarchie : les évêques au sommet; les prêtres,
à un degré inférieur.
Cette prééminence des évêques, dit l'apôtre saint Paul, est
une œuvre de l'Esprit-Saint qui leur a confié le gouvernement
de l'Église de Dieu. Et cette œuvre de FEsprit-Saint est re-
connue et respectée par toutes les générations qui suivent de
près les temps apostoliques.
Telle est la foi des premiers siècles. Arius essaie de l'enta-
mer : l'Église est promptement victorieuse de son erreur sans
écho, elle continue pendant douze siècles encore la pacifique
évolution de sa hiérarchie, jusqu'à ce que les prétentions égali-
taires de la réforme l'obligent à une définition solennelle de la
foi catholique et à des anatbémes vengeurs de la dignité, de la
puissance et des droits de l'épiscopat.
C'est par une consécration plus solennelle que celle du prêtre
que l'évêque entre dans ses honneurs et ses pouvoirs.
Je jure, je veux, je crois, dit l'élu ; et, comme pour le sacer-
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 147
doce, tout le ciel est convoqué à l'effusion du don de Dieu, de
la criûce insigne qui doit bénir, sanctifier et consacrer le nouvel
évéque.
L'évêque est consacré. — A-t-il reçu un nouveau sacrement
pour entrer dans un nouvel ordre ; ou bien l'Eglise ne fait-ella
que compléter en lui, pour l'élever au sommet de l'Ordre sacer-
dotal, la consécration qu'elle donne à son prêtre? Est-il marqué
d'un nouveau caractère ; ou bien ne fait-il qu'acquérir une
nouvelle puissance, par l'extension du caractère qu'il a déjà
reçu, à de nouveaux offices, à un plus ample ministère, à une
plus haute dignité ? — Nous laissons aux théologiens ces ques-
tions d'école. Il nous suffit, de croire avec l'Eglise que, par la
grâce de son sacre, l'évêque prend le premier rang dans la
sainte hiérarchie et est investi d'un pouvoir auguste que ne
donne point la consécration sacerdotale.
Il est le prêtre parfait dans la grandeur; et sa première
grandeur est de devenir père. Et le pouvoir générateur est tel-
ment son propre, que d'illustres docteurs l'ont considéré comme
la note caractéristique de sa supériorité et de sa grandeur.
En eflet, de la paternité découlent toutes le.-b prérogatives
qui font de l'évêque le prêtre parfait dans la grandeur. Tout
ce qui lui est commun avec le prêtre, sous le rapport de la
dignité, s'épanouit et se renforce en lui, jusqu'à la suprême
excellence.
Le prêtre est le divin présenteur du peuple; l'évêque est le
divin présenteur du sacerdoce. Le prêtre chargé de prier pour
tous est une personne publique et comme la bouche de l'Église;
l'évêque ouvre cette bouche et lui dicte les paroles qu'elle doit
adresser au ciel. Les adorations, les action? de grâce, les sup-
plications de la liturgie ne prennent leur essor vers Dieu que
lorsqu'il les approuve. Là oii il apparaît, il préside : partout oii
il préside on ne fait rien sans lui. Il donne le signal de la prière
publique : il reçoit la confession générale du peuple et du clergé,
il bénit tout le monde et toutes choses et personne ne le bénit.
S'il n'a pas, en vertu de son caractère, un pouvoir plus grand
que celui du prêtre dans l'acte sacrifical, cet acte, cependant,
dépend de sa féconde et souveraine puissance. C'est lui qui arme
les lèvres des prêtres des paroles divines dont les coups renou-
vellent l'immolation du calvaire ; c'est lui qui donne au sacer-
doce ses temples, ses autels et ses vases sacrés.
Jadis, personne ne devait célébrer en sa présence ; aujourd'hui
148 ANNALES CATHOLIQUES
on ne le peut qu'avec son assentiment. Et lui-même, quand il
célèbre, avec qu'elle pompe et quelle majesté! Comme on voit
bien qu'il est le Grand-Prêtre ! Tous les Ordres subsistent
éminemment en sa personne sacrée, et pour attester qu'il en est
le générateur, il en porte, l'un sur l'autre, tous les vêtements.
« En sa personne, c'est le sacerdoce dans toutes ses parties,
c'est le sacrement de l'Ordre tout entier qui se meut, qui agit,
qui vaque à ses fonctions suprêmes. »
Prêtre parfait dans la grandeur, quand il s'agit de repré-
senter le peuple chrétien à la prière et au sacrifice, l'évêque
est encore le prêtre parfait dans la grandeur quand il s'agit de
dispenser les dons de Dieu : la vérité et la grâce.
La vérité que donne le prêtre lui vient du ciel, avons-nous
dit, c'est la parole même du Verbe incarné, éternel témoin des
secrets de la science divine. Or, sa parole, le Verbe incarné Ta
confiée directement à ceux qui habitent les sommets de la sainte
hiérarchie, à ceux qu'il a appelés la lumière du monde : Vos
estis lux mundi, à ceux qu'il a envoyés comme son Père céleste
l'a envoyé lui-même.
L'Evêque est d'office le lieutenant de Jésus-Christ. Episco-
pus gerit in Ecclesia personam Christi. L'Épiscopat est le
premier dépositaire de la vérité, et, par conséquent, le maître
chargé de la transmettre au sacerdoce, et par le sacerdoce
à toute l'Église. Le prêtre reçoit de l'évêque mandat de prêcher
la vérité, l'évêque a reçu mandat de Jésus-Christ lui-même.
Il est gardien né de la foi, conjointement avec le maître
suprême à qui il doit rendre compte des traditions de son
Église.
Solidairement héritiers du droit d'enseigner que leur ont
transmis les Apôtres, les évêques ont hérité aussi de leur solli-
citude à l'endroit du dépôt que le Verbe de Die.u a confié à son
Église. « Depositum custodi; » disait saint Paul à Timothée,
et cette parole, traversant les espaces et les siècles, passe d'un
évoque à l'autre, comme un testament qui garantit l'intégrité
de la foi. Aussi, est-ce à l'Episcopat que s'adresse le docteur
suprême et universel quand il veut se rendre compte de l'état
de la tradition dans le monde catholique. Deux cent mille
prêtres lui en diraient moins que deux cents évêques.
Mais non seulement ces évêques sont des conseillers dont les
témoignages l'éclairent en ses définitions, ils participent à son
droit de définir ; ils communient à son infaillibilité. Quand le
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 149
monde, travaillé et obscurci par l'erreur, a besoin d'une de ces
puissantes émissions de lumière auxquelles nulles ténèbres ne
peuvent résister, voyez comme les maîtres de la vérité se
rassemblent autour de leur chef! En définitive, lorsqu'il s'agit
de la dispensation de la vérité, l'évêque est juge, interprète,
définiteur, docteur titulaire : le prêtre n'est que le répétiteur
des hautes leçons que l'Episcopat donne à l'Eglise.
Si érainente dans la dispensation de la vérité, la perfection
sacerdotale de Tévêque ne l'est pas moins dans la dispensation
de la grâce. Non seulement il a seul le droit ordinaire de con-
firmer, c'est-à-dire de faire passer ceux que le prêtre baptise
de l'enfance à la virilité chrétienne, de conférer la plénitude
de grâce qui convient à l'âge parfait et s'ajoute à la plénitude
initiale du sacrement par lequel nous avons été engendrés sur-
naturellement; de choisir et d'armer pour le combat les recrues
de la milice du Christ ; mais son pouvoir générateur lui met
en main toutes les grâces, et, en quelque sorte, tout le corps
mystique de Jésus-Christ. Aucun mystère n'y serait plus célébré
et la vie divine s'y épuiserait, si la fécondité de l'évêque subite-
ment tarie cessait de produire des ministres et des prêtres.
II
Le principe d'oii nous sommes partis pour déterminer les
obligations du sacerdoce, à savoir, que la dignité est la mesure
de ses obligations, revient et s'applique aujourd'hui avec plus
de solennité et de force. Il est bien évident que l'évêque, prêtre
parfait dans la grandeur, doit être prêtre parfait dans le devoir.
L'épiscopat, dit saint Thomas, est le plus parfait des états,
parce que l'évêque ne doit pas se contenter de tendre à la per-
fection pour lui-même ; il faut qu'il la donne. Le premier dans
la hiérarchie, par la dignité, il doit précéder tout le monde,
entraîner tout le monde à sa suite, former tout le monde, peuple
et clergé, dans la science et la sainteté.
Le prêtre possède la science de la vérité et de la vie pour
instruire et conduire une petite partie du troupeau de Jésus-
Christ, l'évêque pour éclairer l'Eglise et diriger les évolutions
de sa vie militante à travers le monde et les siècles. C'est à lui
que l'Esprit-Saint a dit, par la bouche de l'Apôtre : « Applique-
toi à la lecture des Saintes Lettres : « Attende lectioni. * C'est
150 A>'NALES CATHOLIQUES
dans ce réservoir des révélations divines qu'il doit puiser sans
cesse les vérittis dont il est le juge, l'interprète, le gardien et le
défenseur.
Avec TEcriture, il possède des livres vénérables, oeuvres des
Conciles et des Pères, oii la science sacrée s'est enrichie de
définitions précieuses et de doctes interprétations. Qu'il s'appli-
que aies connaître : Attende lectioni.
Il est lumière et aussi propagateur de la lumière. Ses lévites
et ses prêtres attendent de lui la science de la vérité et de la
vie. Dieu merci, il y a des précédents qui l'invitent et le pous-
sent aux largesses du savoir.
Propagateur de la science sacrée, il en est, par devoir encore,
le gardien officiel et le naturel défenseur. Dieu l'a placé sur
une hauteur d'où il inspecte.
Dans ce poste d'observateur, toujours difficile et souvent
périlleux, l'évêque, comme le grand Hilaire, ne doit craindre
que trois choses : « les dangers de l'Eglise, le crime du silence
et le jugement de Dieu. » Fort, vaillant, résolu, il doit aller
au-devant de^ contradicteurs et les confondre par sa science.
Homme de paix et de modération, il deviendra guerrier et âpre
au combat plutôt que de trahir par le silence et l'inaction la
sainte cause de Dieu. Enfin, il y a dans la propagation comme
dans la défense de la science sacrée, des initiatives qui n'appar-
tiennent qu'à lui, des affirmations dont lui seul est capable,
des audaces qui ne sont permises qu'à sa haute position, des
libertés que lui seul peut prendre, car il est à la fois le soutieri
et le rempart de son Eglise. Pour se garantir des erreurs de
doctrine et de conduite qui compromettraient leur ministère,
c'est en sa maîtresse science que se repose l'intelligence et que
s'abrite la conscience de ses prêtres.
Leur maître dans la science, il faut qu'il soit leur maître
dans la sainteté. Le prêtre est l'exemplaire qui se rapproche le
plus du peuple, l'évêque est l'exemplaire du prêtre. « Il faut,
dit saint Paul, que l'évêque soit irrépréhensible, sobre, prudent,
chaste, décent, hospitalier, modeste, désintéressé, doux, docile,
patient, qu'il ne néglige pas la grâce qu'il a reçue par l'imposi-
tion des mains, mais que chaque jour il s'y fortifie, — que toute
sa vie se passe dans la vigilance et le travail, que ceux du
dehors lui rendent bon témoignage, car aucune tache ne doit
■souiller sa réputation; — qu'il soit l'exemple de son troupeau
dans ses paroles, sa manière de vivre, sa charité, sa foi, sa
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 151
chasteté et que ses progrés dans la vertu soit manifestes aux
yeux de tous; — que Dieu l'approuve et voie en lui un ouvrier
irréprochable. C'est à cette régie de sainteté que l'évêque doit
comparer chaque jour sa vie; et que doit revenir sans cesse
son âme purifiée. Inspecteur des mœurs chrétiennes et sacerdo-
tales, gardien des lois de Dieu et de la discipline ecclésiastique,
comment pourrait-il exercer ses droits et faire sentir son pou-
voir, s'il n'était dans sa vie le miroir de la perfection qu'il veut
obtenir des fidèles et du clergé. Chaque fois qu'il rappelle à ses
prêtres l'obligation qu'ils ont d'être saints; chaque fois qu'il
leur répète le commandement du Seigneur : « Sanctificamini^
sancii estote », il doit, se repliant sur lui-même, dire à sa cons-
cience : « Et moi, plus encore; Plus ego ». Doué d'une plus
ample et plus féconde puissance dans les mystères divins, il en
reçoit avec plus de force ce triple précepte : sépare-toi, purifie-
toi, donne-toi.
Faites l'histoire de tous les corps respectables qui représentent
en ce monde quelque attribut de Dieu, autorité, force, justice,
au service de la société, nulle part, autant que dans l'histoire
des saints eux-mêmes, il n'est facile de voir que le Plus ego a
enlevé une foule de grandes et fortes âmes jusqu'à l'héroïsme
du devoir. Avec les religieux qui tendent par état à devenir
parfaits, les évêques fixés, par état, dans la perfection, sont les
plus nombreux au culte que l'Église rend à ceux de ses enfants
qui se sont illustrés par leur vertu et par leurs miracles.
Remarquons aussi que ce sont les Évêques qui ont les préfé-
rences de l'impiété dans la guerre qu'elle fait à la religion,
ïarquin le Superbe voulant décider du sort d'une ville, oii son
fils s'était introduit par trahison, conduisit le messager que
celui-ci lui avait envoyé pour le consulter, dans le jardin de son
palais. Là, se promenant en silence, il abattit avec une baguette
toutes les têtes de pavots qui dépassaient les autres. Le fils
comprit cette barbare allégorie, il fit décapiter les principaux
habitants de Gables et livra la ville aux Romains.
Nous n'en sommes pas encore à la décapitation de l'épiscopat,
mais il est aisé de voir que les ennemis de Dieu se préoccupent
de son influence et de sa force. S'ils flattent quelquefois par
d'hypocrites attendrissements ce qu'ils appellent le bas clergé,
ils s'efi'orcent d'amoindrir le suprême sacerdoce. En attendant
les extrêmes rigueurs qu'ils méditent, ils dépeuplent les conseils
de l'Évêque, suppriment le religieux cortège de sa majesté,
152 ANNALES CATHOLIQUES
menacent les recrues sur lesquelles il compte pour renouveler
son clergé, poursuivent avec âpreté des abus imaginaires et
multiplient les leçons pédantes. Ils ignorent sans doute cette
belle parole du grand et courageux Ambroise : « Les persécu-
tions des pouvoirs portent bonheur aux Evêques plus que leurs
caresses : Felicius episcopos ^lersequuntur imperatores quam
diUgunt. »
Je fiais, Messieurs, dit eu terminant le R. P. Monsabré, et je suis
presque tenté de vous demander pardon du discours que vous venez
d'entendre. Il était écrit, et vous l'avez déjà lu plus d'une fois, dans
les pompes de cette métropole, où vous avez pu contempler le prêtre
parfait dans la grandeur, dans la vie des deux éminents prélats qui
gouvernent ce diocèse ; où vous admirez chaque jour le prêtre par-
fait dans le devoir. Dieu soit béni du spectacle qu'il nous donne. Le
sacerdoce n'est pas près de finir tant qu'il aura de tels pères. Sa-
luons-les j-vec amour. Messieurs, et disons tous ensemble : « Longues
années, longues années!... Ad multos annos!...
LES CHAMBRES
•leudi 8 avril. — Sénat. — Discussion du projet de loi sur
les sociétés de secours mutuels.
Chambre des députés. — L'ordre du jour appelle la suite de la
discussion du projet d'emprunt.
M. Jules Roche, continuant son discours, combat l'emprunt, qui
n'est pas indispensable, et ne produira pas les effets qu'on en attend.
Il critique très vivement tous les détails du projet et affirme que
l'emprunt n'aura aucun avantage, mais au contraire de nombreux
inconvénients politiques et financiers, et attaque le type 3 0/0 qui
impose à l'État une dette nominale très supérieure à la recette
effective. Enfin l'emprunt serait une arme entre les mains de l'oppo-
sition qui proclamerait bien haut que la République a ruiné la
France.
M. Sadi-Carnot maintient toutes les résolutions prises de concert
par le gouvernement et la commission. Il s'étonne que M. Roche ne
consente pas à l'emprunt, lui qui réclame continuellement la sup-
pression du budget extraordinaire.
M. Amagat dit qu'à la suite d'une catastrophe un emprunt s'impose,
mais, depuis quinze ans, il n'y a rien eu de pareil, c'est donc parce
que la fortune publique est mal administrée. Il fait l'historique des
budgets depuis 1815 et montre l'habileté et l'honnêteté des adminis-
LES CHAMBRES 153
tratious jusqu'à la République. Il conclut en disant : Votre Ré-
publique, loin de pacifier le pays, vous l'avez livrée à la haine et
au soupçon, et non contents d'avoir fait la misère, vous vous en
glorifiez.
M. LE Président rappelle l'orateur à l'ordre.
M. DE Freycinet assure que l'emprunt n'est pas nécessaire pour
équilibrer le budget. L'emprunt a été réduit de 1.500 millions à 900,
parce que sur le désir de la commission le gouvernement a réservé
les questions des trésoriers généraux et du budget extraordinaire;
il n'y a rien dans tout cela qui puisse alarmer le pays et il ne peut y
voir qu'une mesure de prévoyance.
La clôture est prononcée par 293 voix contre 239.
La Chambre décide de passer à la discussion des articles.
Les articles 1 et 2 sont adoptés.
M. Raoul Duval propose un article additionnel portant que les
rentes émises ne pourront être frappées d'aucun impôt. En effet, la
Chambre, après la prise en considération de la proposition de
M. Ballue qui demande un impôt sur la rente, pour l'honneur
du pays, ne doit pas émettre ces rentes sous le coup de cette
incertitude.
M. WiLSON combat cet amendement. On ne peut pas donner à
certaines rentes des garanties spéciales. La commission s'en rapporte
aux déclarations faites par le ministre des finances dernièrement.
Par 315 voix contre 186, l'amendement est repoussé.
Les quatre derniers articles sont votés sans observations.
• M. Arnous propose un article additionnel soumettant les opéra-
tions de l'emprunt et surtout les frais de l'émission au contrôle de
la Cour des comptes.
Cet amendement est repoussé par 320 voix contre 181.
Un autre amendement est proposé et accepté par le gouvernement.
Il est relatif à l'ouverture d'un crédit annuel pour l'amortissement
du présent emprunt.
L'ensemble du projet est adopté par 292 voix contre 233.
Samedi lO «▼ril. — Sénat. — M. Demole combat l'urgence
d'une proposition Bozérian relative à la répression des excitations à
la cessation du travail.
M. Bozérian répond que les circonstances actuelles justifient biea
l'urgence de sa proposition. L'orateur croit qu'il faudrait, en matière
de grève, une procédure plus expéditive que celle qui est actuelle-
ment en vigueur.
AI. ToLAiN combat l'urgence. La liberté publique en est cause. Il
ne faut pas agir précipitamment.
Il est procédé au scrutin.
L'urgence est déclarée par 153 voix contre 102 sur 255 votants.
154 ANNALES CATHOLIQUES
■Le Sénat adopte ensuite le projet relatif aux sociétés de secours
mutuels, puis le projet de loi pour la conservation des monuments
historique».
Chambre des députés. — L'ordre du jour appelle la discussion de
l'interpellation Maillard sur les événements de Decazeville.
M. Maillard regrette que l'ingénieur Bochet ne se soit pas fait
accompagner par des ouvriers dans sa visite aux mines. Il a subi en
cela l'influence de la Compagnie.
L'orateur dénonce ensuite l'arrestation de MM. Roche et Duc-
Qnorcy. Ces deux arrestations sont illégales, dit-il, et contraires à la
loi sur la presse. En effet, les deux inculpés n'ont rien fait d'autre
à Decazeville que leur métier de journalistes. En sortant ainsi de la
légalité, le gouvernement croit-il engager les mineurs à y rester?
M. Baihaut répond en justifiant la conduite de MM. Laur et Bochet.
En ne se faisant pas accompagner par des cmvriers, M. Bochet n'a
fait que se conformer aux instructions arrêtées en Conseil des
ministres. En effet, ces délégués grévistes ne représentent personne.
Le gouvernement n'a donc pas à les connaître. L'orateur déclare que
les gisements houillers de Decazeville ne courent aucun danger; tous
les bruits contraires sont le résultat d'une campagne dont le but est
de provoquer la déchéance de la Compagnie. On fait croire aux
mineurs qu'on leur donnerait ensuite la mine. C'est une chimère qui
entraînerait la ruine de l'industrie et des ouvriers eux-mêmes.
M. Demole déclare que l'arrestation de MM. Duc-Quercy et Roche
a été faite sous ses ordres formels. On prétend que les prisonniers
sont soumis à la loi sur la presse. Le gouvernement soutient, au
contraire, qu'ils sont soumis au droit commun. C'est à la Cour de
cassation de trancher le différend et non à la Chambre. On demande
aussi pourquoi M. Basly n'a pas été arrêté : c'est qu'il joue un rôle
très effacé; mais s'il en était autrement, le gouvernement n'hésiterait
pas à le poursuivre inflexiblement.
M. Brousse demande la déchéance de la Compagnie de Decazeville^
M. BoYER lit un long discours dans lequel il signale l'emploi de
tout le temps que M. Bochet a passé à Decazeville. Il reproche au
général Boulanger de n'avoir pas tenu sa promesse au sujet du par-
tage de la gamelle et se plaint que les officiers ne l'aient point salué.
Enfin, M. Boyer termine en déposant un ordre du jour suivant lequel
la Chambre, considérant que la loi a été violée, invite le gouverne-
ment à punir les magistrats et les fonctionnaires coupables.
M. MiLLBRAND iusiste sur l'illégalité des arrestations de Decazeville.
M. GoBLET répond que la loi sur la presse ne soustrait nullement
les journalistes au droit commun.
M. DE Cassagnag reproche les paroles qu'ont prononcées à la tri-
bune M. Boulanger et M. Boyer et les déplore. L'orateur conclut
que l'ordre social étant en jeu, il soutiendra le gouvernement.
LES CHAMBRES 155
M. DE Freycinet repousse ralliance de la droite; il dit que le
gouveraement ne veut que la confiance du parti républicain.
Sept ordres du jour sont présentés. Le gouvernement accepte un
ordre du jour de M. Letellier disant : « La Chambre, approuvant la
déclaration du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »
L'ordre du jour pur et simple est repoussé par 394 voix contre 92.
L'ordre du jour de M. Letellier, accepté par le gouvernement, est
adopté par 435 voix contre 65.
IL.undi 1^ avril. — MM. Keller et de Mun demandent d'inter-
peller le gouvernement sur les événements de Châteauvillain. La dis-
cussion est fixée à mardi.
L'ordre du jour appelle la discussion sur les élections de Corse.
M. Ganivet demande une enquête sur ces élections. Il signale de
nombreuses protestations qui se sont élevées contre la pression qui a
été opérée et sur les fraudes commises par ce qu'en Corse on appelle
la coterie.
M. ViGER, rapporteur, répond que ces protestations ne peuvent
pas servir de base à une demande d'enquête.
La Chambre, par 347 voix contre 175, repousse l'enquête et valide
l'élection.
IMardî 13 avril. — Sénat. — Après l'adoption do l'article 6 du
projet sur les monuments historiques, réservé à la dernière séance,
M. Lafond de Saint-Mur demande au ministre de l'agriculture ce
qu'il compte faire au sujet de l'arrêté de son prédécesseur suppri-
mant un certain nombre de concours régionaux. M. Develle répond
qu'il se conformera à ce sujet à l'avis des conseils généraux qui vont
se réunir.
Le Sénat valide l'élection de M. Garran de Balzan, conformément
aux conclusions du rapporteur, M. de Rosière.
MM. Naquet, de Gavardie, Ninard, Allou, parlent sur une pro-
position qui modifie l'article 310 du Code civil en ce sens que lorsque
la séparation de corps aura duré trois ans, le jugement devra être
converti en jugement de divorce sur la demande d'un des époux. La
proposition Naquet est prise en considéi*ation.
Chambre des députés. — M. de Mun vient demander compte au
gouvernement des sanglants événements de la Combe, qui ont jeté
l'épouvante dans une population honnête et laborieuse, l'émotion
dans le pays tout entier. Quand on entend dire qu'un domicile privé
a été violé, que le propriétaire et les habitants d'un logis ont été mis
à mort, on se tourne ordinairement vers le Gouvernement pour lui
demander ce qu'il a fait dans le but de prévenir ou réprimer ce crime.
Cette fois, c'est le gouvernement lui-même qui a commis l'attentat.
Les gendarmes ont fait feu, par ordre du sous-préfet, sur le directeur
156 ANNALES CATHOLIQUES
de l'usine, qui représentait le propriétaire absent. Il a été griève-
ment blessé. Une femme a été tuée, une jeune fille blessée, d'autres
poursuivies à coups de revolver, tout simplement parce que dans
l'intérieur de l'usine il y avait une chapelle où l'on avait l'audace de
dire et d'entendre la messe.
Cela a suffi pour faire expédier par le ministre de l'instruction
publique, à la date du 29 mars, une date prédestinée...
(A ce moment, de violentes interruptions|partent|c]es bancs de la
gauche. Au milieu du tumulte, nous entendons M. Le Provost de
Launay s'écrier, s'adressant au ministre de l'instruction publique :
« Il y a du sang qui retombe sur vous ! »)
M. DE MuN continue son discours. 11 n'appartient pas, dit-il, à des
hommes qui demandent sans cesse la séparation de l'Eglise et de
l'État de régler la manière dont ceux qui croient doivent exercer leur
culte.
La chapelle était très utile à cause de l'éloignement de l'église.
Elle est devenue trop petite; on l'a refaite dans une propriété close
de murs. Alléguer qu'il n'y a pas eu d'autorisation écrite pour cette
reconstruction, c'est une misérable chicane indigne d'un gouverne-
ment. En tout cas, le sous-préfet a violé un domicile privé. En avait-il
le droit? C'est là qu'est la question. Le préfet pouvait saisir l'autorité
judiciaire, qui aurait intenté des poursuites. C'est un principe sacré
que le domicile est inviolable. On ne peut s'introduire dans le domi-
cile d'autrui sans encourir les rigueurs de la loi.
M. de Mun, traitant ensuite le côté politique de la question, dit
que s'il est admis qu'un sous-préfet pourra violer le domicile sur une
simple dépêche d'un ministre, il n'y a plus de garantie pour les
citoyens.
Ce n'est pas tout. Le sous-piéfet a agi avec une brutalité et une
sauvagerie inexcusables.
L'orateur reprend alors les détails des faits que nous publions plïts
loin. Il en ressort, dit-il, que M. Fischer ne se reconnaissait pas le droit
de laisser pénétrer dans la maison sans l'autorisation du propriétaire.
Le sous-préfet ne l'ignorait pas; il aurait dû attendre. M. Fischer a
usé de son droit, et ce droit doit être affirmé, dans un temps oii tout
citoyen est exposé à voir forcer ses portes et violer son domicile.
M. Fischer, lorsqu'il vit le siège commencé, tira trois coups de
revolver en l'air. Il voulait faire reculer l'autorité. La porte ayant
cédé, il tira deux coups de revolver en bas qui n'atteignirent per-
sonne. Où est l'agression de sa part?
M. de Mun, du haut de la tribune, adresse un témoignage de res-
pectueuse sympathie à cet homme qui est tombé à son poste, défen-
dant la propriété de son maître, à cet ancien soldat blessé à Belfort
par les balles prussiennes, et qui devait tomber sous une balle fran-
çaise pour avoir cru que le droit de la propriété était inviolable en
LES CHAMUIiES 157
Fraace. Le même témoignage doit être adressé aux ouvrières atta-
chées à leur maître et qui ont été frappées en courant à son secours.
Il y a un mois, on demandait au gouvernement pourquoi les gen-
darmes n'étaient pas intervenus pour défendre M. Watrin. Le ministre
de la guerre répondait que les gendarmes ne pouvaient tirer sur cette
foule dans laquelle se trouvaient des femmes. Ici encore il y avait
des femmes. Le pays fera la comparaison entre les deux situations.
Il verra qu'à l'heure où la guerre sociale est menaçante, le gouverne-
ment n'a d'attention que pour une usine organisée chrétiennement,
et n'a d'énergie et de force que pour empêcher les ouvrières de prier.
M. GoBLET ne répond pas à ce qu'il y a de personnel dans le dis-
cours de M. de Mun. 11 soutient que les événements do Château-
villain ont été inexactement rapportés. Le droit du gouvernement
était incontestable. Il devait fermer la chapelle. Si les ministres sont
coupables, qu'on les poursuive donc !
La chapelle de la Combe existe depuis longtemps, mais elle n'est
pas nécessaire, puisque les villages environnants ont chacun leur
église. La fermeturfi a été prononcée à la suite d'un conflit entre le
curé de Châteauvillain et son vicaire.
Le ministre a dû autoriser le préfet à fermer ce lieu de culte non
autorisé, parce que l'exécution de l'arrêté devait être confiée à un
agent chargé d'apposer les scellés et qui, en cas de résistance, aurait
à se concerter avec le parquet du ressort.
Lorsque les autorités se sont présentées, le tocsin sonnait,
M. Fischer était armé. Les ouvrières étaient rassemblées derrière
lui. Le ministre regrette de n'avoir pas été prévenu à temps et de
n'avoir pu donner d'autres instructions. Mais il ne prévoyait pas que
la résistance prendrait cette forme violente.
Le sous-préfet a vainement essayé de négocier, M. Fischer et le
curé lui ont répondu par des propos violents. C'est alors qu'il a fallu
recourir à la force. Les gendarmes n'ont tiré que lorsque M. Fischer
a eu tiré sur eux deux coups de revolver.
Quant au sous-préfet, il a fait son devoir. La conduite des gen-
darmes a été également approuvée par l'autorité militaire.
Le ministre soutient qu'une lourde responsabilité pèse sur le direc-
teur de l'usine. 11 résulte, en effet, d'un rapport, qu'une lettre de
M. Giraud a été saisie sur le bureau de M. Fischer. Elle avait été
reçue avant midi et était ouverte. Cette lettre lui enjoignait de no
pas faire de résistance. M. Fischer est un homme très estimable, un
courageux Alsacien, mais il a encouru la plus grave des responsa-
bilités. Quant aux prêtres, ce n'est pas le moment d'apprécier leur
rôle. Le curé est peut-être en ce moment entre les mains de la
justice.
Il y a d'autres responsabilités, ajoute le ministre, il y a colle des
journaux qui excitent à la guerre civile, qui annoncent que ce drame
158 ANNALES CATHOLIQUES
est un avertissement pour le jour de l'exécution de la loi sur Tins-
truction primaire. C'est un appel à la révolte.
Le régime de la liberté voudrait que l'on pût exercer son culte
comme on l'entend. Mais tant que l'Etat ne sera pas plus libre que
l'Eglise, il sera impossible de laisser ouvrir des chapelles destinées à
devenir des foyers d'hostilité et de résistance contre le gouvernement.
La séance est suspendue à cinq heures moins dix.
La séance est reprise à cinq heures un quart.
M. Keller regrette que le ministre ait soutenu que le sous-préfet
et les gendarmes ont bien fait en tirant sur des femmes. Que la res-
ponsabilité en retombe sur lui.
Le gouvernement n'a pas usé de son droit dans des circonstances
normales.
C'est une misérable querelle du maire qui a amené la fermeture.
Le ministre avait le droit de la prononcer ; mais il fallait un mandat
judiciaire. La voie à suivre, c'était de constater le délit, de pour-
suivre le délinquant et d'exécuter ensuite le jugement de con-
damnation.
M. Keller soutient que M. Fischer n'a pas lu la' lettre de M. Gi-
raud. 11 vient de recevoir une dépêche qui l'atteste. M. Giraud
affirme aussi que M. Fischer n'a tiré sur personne. On ne peut donc
pardonner au ministre d'avoir, ce jour-là, déshonoré l'uniforme
français.
Des voix à gauche crient : A l'ordre ! à l'ordre !
M. Floquet rappelle M. Keller à l'ordre.
M. Keller termine en disant qu'un jour viendra où les catholi-
ques aimeront mieux mourir que de sacrifier leurs libertés et leurs
droits. Ils proclament le droit de légitime défense et ne sont pas
disposés à recommencer le rôle des victimes de 1793.
Avant de descendre de la tribune, M. Keller dépose un ordre du
jour ainsi conçu :
« La Chambre, flétri'ssant l'intervention illégale et meurtrière de
l'administration à Châteauvillain, passe à l'ordre du jour. »
M. GoBLET vient déclarer qu'il était décidé à demandé l'ordre du
jour pur et simple. Mais en présence de l'ordre du jour Keller, il
réclame l'approbation de ses déclarations.
M. JoLiBOis s'en tient à la question de droit. Il démontre que la
chapelle en question était un domicile privé, puisqu'elle était dans
une propriété close de murs. Il y a donc eu violation de domicile.
De plus, le préfet n'avait pas le droit de déléguer un sous-préfet et
l'autorité administrative n'a pas le droit de se substituer à l'autorité
judiciaire.
Après M. Jolibois, M. de Douville-Maillefeu monte à la tribune
pour dire qu'il ne se contentera pas d'un ordre du jour anodin. Et il
en dépose un, fortement motivé, et indiquant comme remède à
toutes ces luttes la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 159
Quatre autres ordres du jour invitent le gouvernement à dénoncer
le Concordat. Cinq sont des ordres du jour de confiance et approu-
vent les déclarations de M.. Goblet..
Le onzième est celui qu'a déposé M. Keller.
La priorité est refusée à l'ordre du jour pur et simple demandé par
M. Raoul Du val.
L'ordre du jour de M. Keller est repoussé par 354 voix contre 176.
Enfin, l'ordre du jour de M. Rondeleu est adopté par 340 voix
contre 187.
Cet ordre du jour est ainsi conçu :
« La Chambre approuvant les déclarations du gouvernement, passe
à l'ordre du jour. *
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les assassinats de Chateauvillain. — Élections du 11 avril. — Le bill
Gladstone. — Sénégal. — Etranger.
15 avril 1886.
On a lu plus haut rinterpellation adressée par M. de Mua
au ministre Goblet, et nous allons donner ici les détails de
l'ignoble scène de tuerie qui a motivé l'intervention de l'illustre
orateur catholique, scène dont une usine d'une petite commune
de l'Isère vient d'être le théâtre.
Ge récit ne peut manquer de soulever dans toutes les cons-
ciences honnêtes un cri unanime de réprobation et de dégoût.
De pauvres femmes, dont tout le crime était de ne vouloir
point se laisser déposséder de l'humble chapelle dans laquelle
elles avaient coutume d'aller prier Dieu, ont été l'objet d'un
siège en régie. Le sang a coulé sous les balles des gendarmes !
Une femme a été tuée sur le coup, plusieurs sont grièvement
blessées ; le directeur de l'usine est agonisant !
C'est le plus récent exploit de la République !
Mais force est finalement restée à la loi. C'est le mot par
lequel les feuilles républicaines, que ne gêne pas autrement,
semble-t-il, cette victoire ignominieuse des gendarmes, ont
terminé le récit de ce monstrueux attentat.
Jugez donc : une chapelle existait dans l'usine, un lieu quel-
conque, plus spécialement réservé au recueillement et à la
piété, oii ces femmes et ces jeunes filles, dans les intervalles
160 ANNALES CATHOLIQUES
du temps consacré an travail, se réunissaient pour prier Dieu
en commun et lui demander, avec le pain de chaque jour, la
patience et la force dans les épreuves de la vie.
Qu'importait à la République athée cette chapelle dans cette
usine? Plus qu'on ne croit, car les radicaux du lieu n'ont eu de
repos qu'ils ne fussent arrivés à la faire fermer.
Et, comme le dit si bien le Citoyen, ce gouvernement de pos-
sédés, qui, dans tout l'arsenal de nos lois, n'en sait ou n'en
veut trouver aucune pour arrêter la licence du mal qui s'étale
sous toutes les formes; pour réprimer les excitations malsaines
qui poussent le peuple à la révolte et à l'anarchie ; fermer ces
clubs d'où demain, la torche à la main, sortiront des hordes
déterminées à mettre à sac la société ; ces hommes d'État vo-
lontairement impuissants devant le crime, dés qu'il s'agit de
persécuter la religion, de violenter les consciences, de fouler
aux pieds les droits les plus sacrés, les libertés les plus légi-
times, d'expulser des religieux ou de molester des femmes,
n'hésitent plus à s'armer bravement des lois les plus caduques,
à mettre en mouvement fonctionnaires et crocheteurs et, au
besoin, à requérir la force armée. Tout est licite, tout devient
légal contre les honnêtes gens ; il n'y a pas d'égards dont la
canaille ne soit jugée digne !
La persécution républicaine, il faut l'avouer, ne s'était point
encore affichée avec ce raffinement de cynisme et de cruauté.
On n'avait point encore vu des soldats, et quels soldats ? des
gendarmes, les gardiens assermentés de l'ordre, les défenseurs
de la paix publique, décharger leurs revolvers sur des femmes
et les percer de leurs sabres !
Mais, il faut bien qu'il y ait un commencement à tout.
Puisque c'est une guerre à mort et sans merci que la Répu-
blique a déclarée à la religion, on devait s'attendre à en arriver
là. Si les catholiques ne sont pas d'avance résignés à tout subir
en silence ; si, n'entendant pas se laisser écraser sans protesta-
tion, ils veulent défendre contre la tyrannie jacobine la liberté
de leur conscience, les droits de leur âme et les droits de Dieu,
ils doivent se convaincre que les fusillades de Châteauvillain
ne sont qu'un prélude.
La République maçonnique leur fera revoir, c'est inévitable,
les scènes lugubres qui souillent les annales de ses devancières,
et ainsi s'achèvera, dans la honte et le sang, un régime que ses
origines condamnaient fatalement à chercher des soutiens et
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 161
des complices daus l'innombrable armée du vice et du crime,
et à proscrire, comme incompatible avec ses principes, cette
élite de croyants et de gens de bien qui seule a fait jusqu'ici la
force d'un peuple.
Un gouvernement qui a plus de rigueurs contre des femmes
qui prient que contre des socialistes qui prêchent le pillage et
l'incendie, ne se condamne-t-il pas lui-même?
Voici le récit des faits :
La fabrique de soieries de Châteauvillain appartient à
MM. Giraud depuis cinquante ans, et la chapelle y est annexée
depuis quarante-trois ans. Depuis quarante-trois ans le culte y
était pratiqué sans soulever la moindre objection. Le curé du
village y célébrait la messe le dimanche.
Or, au mois de juin dernier, le maire de Châteauvillain, un
maire des nouvelles couches, informa le propriétaire de l'usine
qu'il aurait à se pourvoir d'une autorisation spéciale pour con-
tinuer à ouvrir sa chapelle à ses ouvrières.
M. Giraud répondit à ce magistrat une lettre fort courtoise
qui sembla avoir convaincu le maire, car celui-ci no renouvela
pas son invitation de fermer la chapelle.
Mais ce silence cachait tout simplement le mauvais projet de
M. le maire qui, dans son entourage, parmi ses amis, les fortes
têtes libre-penseuses de la localité, laissait entendre qu'il ne
tolérerait pas plus longtemps l'existence de la chapelle.
En conséquence, le 6 avril, le commissaire de police le plus
voisin de Châteauvillain se présenta à l'usine, porteur d'un
arrêté préfectoral ordonnant la fermeture de la chapelle.
Cet arrêté fut signifié au directeur de l'usine, M. Fischer,
qui répondit qu'il s'opposait formellement à l'apposition des
scellés sans qu'on eût auparavant prévenu M. Giraud.
La conduite de M.Fischer n'était-elle pas absolumentcorrecte?
Si le préfet de l'Isère avait simplement et sincèrement voulu
se borner à faire respecter la loi qui veut que, pour établir une
chapelle dans un domicile particulier, on se munisse d'une
autorisation spéciale, ne lui était-il pas facile de faire parvenir
une sommation régulière à M. Giraud ?
Oui, mais ce n'était pas cela du tout que voulait le maire de
Châteauvillain.
Il fallait un coup d'éclat, une scène de crochetage, un
scandale bien authentique, à l'instar de ceux de Paris, qu-elque
12
162 ANNALES CATHOLIQUES
chose qui le mît en lumière, et le signalât à la faveur des répu-
blicains du cru !
Pourquoi, lui, mair© de Châteauvillain, n'aurait-il pas à son
actif, tout comme un préfet de la Seine, un acte d'énergie, un
haut-fait de persécution religieuse? L'occasion était bonne. Il
n'a pas voulu la laisser échapper.
Sans attendre, et dès le lendemain, le commissaire de police
se présenta donc à l'usine et renouvela la sommation qu'il avait
adressée la veille à M. Fischer. Celui-ci ayant répondu par la
même fin de non-recevoir, le commissaire se retira^ mais pour
revenir à quatre heures en force et en armes.
C'est ici que commence la scène odieuse qui a abouti à
l'assassinat que les journaux républicains voudraient nous
représenter comme une juste exécution, en dénaturant les faits.
Voici ce qui se passa :
Le commissaire de police, suivi des gendarmes, entreprit le
siège de l'usine. Une porte vermoulue donnait accès dans les
jardins au milieu desquels se trouvent les bâtiments : avec
l'aide d'un serrurier, on la force; le rossignol grince dans la
serrure.
M. Fischer, qui voit dans cet acte la violation du domicile
dont il a la garde, veut essayer d'empêcher la perpétration de
ce qu'il considère comme illégal, et, poussé par un sentiment
peut-être imprudent, du moins justifiable, il décharge en l'air
deux coups de son revolver.
C'est alors, et seulement alors que la porte du jardin est
forcée tout à fait par les gendarmes. Ceux-ci passent par la
porte du jardin. Ils n'ont pu voir M. Fischer tirer le coup de
revolver ; ils n'ont pu qu'entendre le bruit de la détonation.
N'importe, ils s'élancent. Ils ont devant eux deux cents
femmes aflolées, et ils font feu... M. Fischer tombe, la figure
labourée par une balle qui pénètre par la joue droite jusqu'au
col : des Ilots de sang coulent de la blessure.
Toutes les ouvrières alors perdent la tête : les unes s'enfuient
éperdues ; d'autres s'élancent vers leur directeur pour le
secourir; l'une d'elles, Henriette Bonnerie, âgée de cinquante-
deux ans, saisit un baquet plein d'eau et le jette à la tête d'un
gendarme; celui-ci épaule son fusil, fait feu, et la balle va
frapper sous l'aisselle droite l'infortunée, qui tombe foudroyée f
Une jeune fille de vingt ans, Joséphine Martinet, en fuyant est
atteinte par un gendarme qui la menace de son sabre.
CHRONIQUK DiL LA SEMAINE 163
Une petite fille de Lyon, Marie Brevet, âgée de seize ans,
reçoit une balle dans la cuisse : elle s'appuie défaillante à un
mur pendant qu'un gendarme dirige contre elle la pointe de son
sabre.
« Laissez-moi, crie la pauvre enfant, vous m'avez fait a^sez
mal comme ça ! »
Et le gendarme pousse la générosité jusqu'à ne pas lui enfon-
cer son sabre dans le corps !
Tel est, dans son épouvantable vérité, le récit du drame de
Châteauvillain.
Voilà ce que les républicains ont osé appeler une émeute, une
résistance à la loi, un acte de rébellion et de fanatisme
religieux.
Et ce qu'il y a de plus grave en ceci, c'est que cette espèce
de boucherie a été ordonnée, conduite, poursuivie sous les yeux
du sous-préfet Balland.
Ce fonctionnaire, pour se rendre maître d'une chapelle qu'en-
touraient deux cents femmes sans armes, sans défense, n'a pas
hésité à user de la force publique comme s'il s'était agi de livrer
bataille à des malfaiteurs.
Encore, pour des malfaiteurs, on prend des précautions, on
cherche à s'en emparer sans les blesser. Lui, il a ordonné de
fusiller et de sabrer, comme s'il eût eu devant lui une troupe
armée.
Et cela, parce que le gouvernement républicain n'aime pas
les gens qui vont à la messe ! Parce que, pour un fonctionnaire,
c'est un moyen d'avancement que de s'associer à la persécution
contre la religion.
Nous en sommes là ! On distribue de l'argent aux grévistes
qui ont assassiné l'ingénieur Watrin. On distribue des coups
de fusil et de sabre aux femmes et aux jeunes ouvrières qui
commettent le crime d'aller dans une chapelle que n'autorise
pas M. le maire !
Etii se trouve un Goblet pour j ustifier de telles monstruosités,
et il se trouve une majorité parlementaire assez criminelle pour
lui donner raison !
De pillard de propriétés religieuses, le gouvernement devient
égorgeur de citoyens. Le voleur passe assassin. C'est la loi natu-
relle, et il fallait s'y attendre, un jour ou l'autre.
Il faut une autorisation, affirme-t-on cyniquement, pour
aller à la messe dans un oratoire intime, privé, tout comme il
164 ANNALES CATHOLIQUES
en faut une pour le casino qu'illustra Jacotin le sénateur, comme
pour la maison qui rendit Duhamel célèbre.
Il est permis de donner des repas de cent couverts, de s'y
bourrer de salade et de veau, l'anniversaire du jour oîi tomba
la tête de Louis XVI, et d'être cinq cents porcs rouges à se
gorger d'autres cochons, le Vendredi-Saint. On peut, sans auto-
risation, donner chez soi des fêtes folles et hideuses. On peut
manger, boire, hurler des refrains hideux, se souiller à l'abri
des portes closes.
Mais on ne peut pas se mettre à genoux et parler tout bas à
Dieu sans voir les portes voler en éclats et les balles pleuvoir
sur vous.
Et le gouvernement sous lequel se passent ces épouvantables
contradictions qui jurent avec la raison, avec le bon sens, avec
la morale, ça s'appelle la République !
Dimanche dernier avait lieu une élection législative dans les
Deux-Sèvres, où il s'agissait de remplacer M. Ganne, député
républicain, décédé. Ses coreligionnaires politiques, aidés du
concours abusif de l'administration, ont réussi à faire nommer
leur candidat, M. Georges Richard, par 43,536 voix contre
39.092 données à son concurrent conservateur, M. Taudière. On
voit, par ces chiffres, que le dandidat conservateur l'aurait
emporté sans la pression administrative. Il suffisait, en effet,
pour que les résultats du scrutin fussent changés, d'un déplace-
ment de 1.500 voix.
Dimanche également ont eu lieu deux élections aux conseils
généraux du Nord et de la Vendée. MM. Morcrette et de Cor-
nulier de la Lande, candidats conservateurs, ont été élus par de
fortes majorités, le premier pour le canton de Clary, et le
second pour celui de Montaigu.
Le bill que M. Gladstone vient de présenter en faveur de
l'Irlande a été voté en première lecture par la Chambre des
communes.
Quoique ce vote ne préjuge rien (il est en effet dans les
habitudes de ne pas s'opposer au passage à la seconde lecture),
les partisans de M. Gladstone espèrent obtenir la majorité si
leur chef fait quelques concessions aux libéraux dissidents.
La seconde lecture du projet est renvoyée au 8 mai.
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 165
De mauvaises nouvelles arrivent du Sénégal :
Un courrier expédié par le commandant de Bakel annonce
que le poste a repoussé, les 3 et 4 avril, « sans pertes », deux
attaques furieuses de Mahmadou-Lamine. Le village et les
comptoirs environnants ont été pillés et incendiés; quelques
traitants ont été tués et blessés.
Le fort est parfaitement approvisionné, et il n'y a aucune
crainte à concevoir, La ligne télégraphique est coupée entre
Bakel et Matam.
Voici quelques renseignements sur Bakel : Le fort et le
village sont situés sur la rive gauche du Sénégal, à 880 kilo-
mètres de Saint-Louis, Entouré d'une enceinte bastionnée, le
fort est placé sur un monticule qui domine le fleuve, à 24 mètres
au-dessus des eaux les plus basses. En face du village, la
largeur du fleuve est de 2 à 300 mètres environ à l'étiage.
Le grand village qui a été incendié était établi autour du
poste,
Bakel est un centre de traite très important. Malheureuse-
ment, comme tous les points du haut fleuve, il n'est en commu-
nication avec Saint-Louis que pendant l'hivernage. Il serait
donc actuellement très difficile de faire arriver promptement
les secours du chef-lieu de la colonie au point attaqué ; mais il
est possible qu'on apprenne prochainement que la colonne de
ravitaillement commandée par le colonel Frey ait envoyé de
Kayes une partie de ses forces pour débloquer le poste de
Bakel, lequel, ajoutons-le, est à l'abri de toute attaque. La
distance de Kayes à Bakel est de 80 kilomètres.
Le résultat des élections espagnoles peut être indiqué
comme suit. Le gouvernement a obtenu 310 sièges : 230 voix
relèvent du groupe Sagasta, sur lequel il peut absolument
compter et qui lui assure à lui seul la majorité absolue ; 30 du
groupe Martos, Moret, Bérenger et Montero Rios, et 50 du
groupe centraliste Alonzo Martinez et Vega de Armijo, Les
conservateurs sont réduits à 63 membres, M. Romero Robledo
et ses partisans à 11, la gauche dynastique à 9, Malgré la rup-
ture ouverte de Castelar avec les membres des autres groupes,
les républicains, au lieu de 6 représentants qu'ils avaient dans
l'ancienne Chambre, en auront 27, dont 9 possibilistes et
18 progressistes et fédéralistes. Enfin, 2 carlistes ont été élus
166 ANNALES CATHOLIQUES
à Estella et Azpeita, de sorte que ropposition disposera en
somme de 120 Yoix environ.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
D'après les derniers renseignements, il est très probable quô
le Consistoire aura lieu au mois de mai. Outre les deux cardi-
naux américains, l'archevêque de Québec et celui de Baltimore,
dont la nomination est certaine, on parle de quatre nonces de
première classe, c'est à dire ceux de Paris, de Vienne, de
Lisbonne et de Madrid, ainsi que de Mgr Theodoli, majordome
des palais apostoliques, qui seraient promus aux honneurs de
la pourpre. On nomme encore Mgr Foschi, archevêque de
Pérouse, et quelques autres prélats de la cour. D'après ce qu'on
dit, il faut croire qu'il y aura au moins dix cardinaux, quelques-
uns même disent quinze. Rien de certain n'est encore décidé au
sujet des cardinaux français. On désigne cependant Mgr Ber-
nadou, archevêque de Sens, Mgr Place, archevêque de Rennes,
et Mgr Langénieux, archevêque de Reims. Ces nominations ne
se feraient pas, dit-on, d'après les formes reçues pour la créa-
tion des cardinaux français. Le gouvernement de la République
ne pouvant vaincre les résistances du Saint-Père, doit avoir
fait connaître à la curie romaine qu'il renonçait à son droit de
présentation, depuis que la Chambre a supprimé les traitements
affectés aux cardinaux français. Le Saint-Père choisira donc
librement par un moiu proprio, ceux qu'il voudra orner de la
pourpre romaine dans l'Épiscopat de France.
Il est sérieusement question d'établir des relations diploma-
tiques entre la Grèce et le Saint-Siège.
La Sacrée-Congrégation des Rites a tenu mardi, au Vatican,
une séance relative à la cause de béatification du Vénérable
Juvénal Ancina, l'un des premiers disciples de saint Philippe
de Néri.
a-EVUE ÉCONOMIQUK ET FINANCIERE 167
Nous apprenons que S. S. Léon XIII, dont on connaît la haute
sollicitude pour tout ce qui a trait aux études classiques, a
daigné donner la somme de 20,000 francs en faveur de la nou-
velle école grecque catholique de Constantinople.
Grâce à ce don généreux, Constantinople aussi bien que
Rome pourra témoigner de l'intérêt tout spécial que le savant
Pontife porte à l'étude de la littérature grecque.
ï''i*ance.
Le Journal officiel a publié le texte de la sentence comme
d'abus prononcée par le Conseil d'Etat, contre Monseigneur
l'êvêque de Saint-Dié. En voici la partie essentielle :
Considérant que c'est une des règles les plus anciennes et les
plus importantes de notre droit public que, sous aucun prétexte,
les bulles, brefs, rescrits, constitutions, décrets et autres expé-
ditions de la Cour de Rome, à l'exception de ceux concernant le
for intérieur seulement et les dispenses de mariage, ne peuvent
être reçus, publiés, ni autrement mis à exécution sans avoir été
préalablement vus et vérifiés par le gouvernement; que celte règle
a été formellement consacrée par l'article 1" susvisé des orga-
niques ;
Considérant que l'êvêque de Saint-Dié a adressé au clergé et
aux fidèles de son diocèse un mandement dont l'article premier
porte : Les encycliques Immortale Dei et Quod auctoritate sont
publiées dans notre diocèse ;
Considérant que la publication officielle par un mandement pas-
toral d'encycliques qui n'avaient pas été préalablement vues et
vérifiées par le gouvernement constitue une contravention à l'ar-
ticle premier des organiques et tombe par suite sous l'applicaticiii
de l'article 6 ci-dessus visé;
Le Conseil d'Etat entendu,
Décrète :
Article premier. — 11 y a abus dans le mandement de l'êvêque
de Saint-Dié, en date du 23 janvier 188S, en ce qu'il a ordonné,
sans autorisation du gouvernement, la publication des deux en-
cycliques JmmoriaZe Bei et Quod auctoritate.
Art. 2. — Ledit mandement est et demeure supprimé.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Aujourd'hui de quoi parler à la Bourse, si ce n'est de l'Emprunt
national, et après lui de l'Emprunt de la ville de Paris?
168 ANNALES CATHOLIQUES
L'Emprunt est voté par la Chambre des députés, emprunt tron-
qué de 500 millions, quand il eût fallu liquider énergiquement la
situation ; mais demander au pays un milliard et demi, ce n'était
pas une petite affaire. Pourtant il faudrait avoir le courage de son
opinion et reconnaître, une fois pour toutes, que la République est
un mode de gouvernement Quœrens quem devoret ; qu'elle a un
estomac capable de digérer tout ce qu'on ne lui offre pas, mais
qu'elle prend. Cette fois-ci , citoyens , vous ne pouvez plus nous
rabâcher que vous liquidez les suites de la guerre de 1870, c'est
un argument usé jusqu'à la corde. L'emprunt de ce jour, pas plus
que le petit milliard au 3 °/o amortissable du caméléon Léon Say, ne
sont des emprunts de guerre ; l'emprunt actuel n'est pas non plus
un emprunt de paix ; c'est l'emprunt du déficit; c'est un moyen de
payer les folies, les augmentations budgétaires d'un gouvernement
qui disait devoir moins coûter qu'un autre, attendu qu'il n'avait
pas de liste civile. A la place de celle-ci, nous avons le fonction-
narisme qui a bien son petit mérite, il coûte depuis 1872, cinq cent
millions de plus qu'avant. Cinq cent millions d'appointements au
lieu de 25 à 30 millions de liste civile qui entretenait tout un monde.
Mais laissons ces détails écœurants et glissons sur l'Emprunt, au-
quel vous ne souscrirez pas, c'est probable, attendu que, quoi que
vous tassiez, prenant beaucoup pour avoir peu ou bien ayant tout
ce que vous aurez demandé, en ayant demandé bien plus que vous
ne voulez, vous serez toujours la proie des gros banquiers.
Voyez-les, au lieu de laisser tomber le 3 °/o, ils le font monter
pour vous exciter et, au dernier moment, selon leur convenance,
ils vous le feront encore monter ou baisser alors de pluseiurs
unités. Quand vous voulez de la rente, achetez-en tout simple-
ment; vous savez ce que vous faites et vous vous évitez bien des
ennuis.
Nous verrons, plus tard, l'EmpruntMe la'' ville de Paris, puis
les travaux du Métropolitain, puis la Société civile de l'Exposition,
un comble celle-là; enfin, une souscription d'obligations du canal
de Panama, on parle de l'émission de 600 millions en obligations à
lots ; ce n'est pas encore le moment d'examiner l'affaire.
Dans quelques jours, l'Assemblée généi'ale des actionnaires du
Crédit foncier : on donnera 60 fr. par action, avec un beau solde à
la réserve; nous y reviendrons. En attendant, je vous ferai remar-
quer que les obligations des dernières émissions sont à 434 fr.
et 435 fr. ; libérées, l'une de 90 fr., l'autre de 135 fr. ; mais, après
l'Emprunt, il y a gros à parier que les capitaux qui n'auront pas
obtenu de coupures de rentes dans la répartition de la souscription
publique, iront, pour une bonne part, à ces obligations du Crédit
foncier. Il serait judicieux de les devancer.
A. H.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. — Imp. de VŒuvre de Sasint-Panl G. Picquoin, 51, rne de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LA MORT DE JESUS
Les soldats avaient achevé leur œuvre, fixant Jésus sur la
croix, enfonçant les clous dans les membres divin. Le Sei-
gneur en prit occasion de prier pour eux: «Mou Père, dit-il,
pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils font. » Touchante parole,
que les bourreaux entendirent à peine, car d'autres soins les
occupaient déjà. Comme la loi romaine leur attribuait les
dépouilles du condamné, ils se partageaient la tunique et le
manteau de Jésus, Ce dernier vêtement, étant fait de plusieurs
pièces, fut divisé sans peine en quatre parties ; mais il n'en fut
pas de même de la tunique, car elle était sans couture, « depuis
le haut jusqu'en bas de même tissu (1). » Séparer cette robe,
c'eût été en détruire la valeur. « Ne la déchirons pas, dirent
les- soldats, mais jetons le sort à qui l'aura. » Et ils s'en remi-
rent au hasard pour décider de la robe du Christ. « C'était,
dit saint Jean, l'accomplissement des paroles prophétiques : Ils
ont partagé mes vêtements entre eux, ils ont jeté le sort sur
ma robe. » Tout étant fini, les soldats s'assirent au pied de la
croix et veillèrent à ce que personne n'enlevât les corps des
crucifiés, avant qu'ils eussent expiré (2).
D'ordinaire, sur l'échafaud, les criminels sont entourés de
pitié et de respect; Jésus n'eut mêrae pas cette consolation.
Repoussés du prétoire, ses ennemis vinrent à la croix et se
vengèrent sur lui, en le couvrant d'opprobres. Au premier rang
se trouvaient les faux témoins que le sanhédrin avait produits
la nuit précédente. Ils passaient et repassaient devant le gibet,
(1) La tunique que les juifs portaient ordinairement se composait
de deux morceaux d'éloft'e unis ensemble sur le côté. Les prêtres
seuls portaient de longues robes sans couture et de fin lin. Ewald
y a vu la preuve que Jésus appartenait à une famille lévitique. Ne
vaut-il pas mieux supposer, en respectant les témoignages formels
des généalogies, que de pieuses mains, celles de Marie ou des
saintes femmes, avaient lissé ce précieux vêtement?
(2) Les quatre soldats restèrent sur le Calvaire, car tout poste
romain se composait de ce nombre de légionnaires.
Lvi. — 24 AVRIL 1886. 13
170 ANNALES CATHOLIQUES
branlant la tête en signe de mépris, blasphémant et rappelant
au Christ la calomnie dont il était victime : « Va donc, toi qui
détruis le temple de Dieu et qui le rebâtis en trois jours, sauve-
toi toi-même et descends de la croix ! » D'autres lui lançaient
le défi que Jésus avait entendu au jour de la tentation : « Si tu
es le Fils de Dieu, descends de la croix 1 »
Cependant la foule restait immobile, regardant le Sauveur
avec plus de curiosité que de haine. Ce silence irrita les sanhé-
drites, car il suffisait pour que le cri de la justice se fît entendre
au fond des cœurs. Aussi vit-on bientôt ces princes d'Israël
prendre part aux injures avec leurs valets. C'étaient les mêmes
outrages, la même fureur ; seule l'arrogance les distinguait.
lis ne daignaient même pas se tourner vers le Christ et lui
insulter en face : prêtres, scribes, anciens raillaient entre eux
sa muette agonie. N'osant nier devant le peuple les miracles
du Galiléen, ils tentaient de les obscurcir par l'impuissance
où on le voyait réduit : « Il a sauvé les autres et il ne peut se
sauver lui-même ! » Puis levant les jeux vers l'inscription dont
Pilate leur imposait l'humiliante ironie : « Que le Christ, le roi
d'Israël, descende présentement de sa croix, disaient-ils, afin
que nous le voyions et que nous croyions en lui ! » Le nom de
Christ rappelait à Jésus l'interrogatoire de la nuit; celui de
roi, les luttes d'oii Pilate était sorti vaincu, lui-même flagellé
et conduit au supplice. Leur rage alla plus loin ; elle osa s 'at-
taquer à l'amour de Jésus pour son Père, et par un blasphème
défier jusqu'au Tout-Puissant : « Il s'est confié en Dieu; si donc
Dieu l'aime, qu'il le délivre, puisqu'il a dit : « Je suis le Fils
de Dieu ! » Rien n'arrêtait ce débordement d'injures qui entraîna
bientôt tout le peuple et les soldats eux-mêmes. Ceux-ci s'étant
levés tendirent avec une pitié moqueuse la coupe de vin (1)
qu'ils buvaient entre eux, et crièrent à Jésus: « Si tu es le roi
des juifs, sauve-toi donc ! »
Toutefois rinsulte n'était pas à son comble. Jésus avait des
(1) Maldouat entend ici par oxos le vinaigre que les bourreaux
apportaient au lieu de l'exécutioa pour ranimer les condamnés quand
ils s'évanouissaient dans l'effroi de la douleur ; mais telle n'était pas
en ce moment l'intention des soldats, car nous verrons plus tard que
leurs bras ne pouvaient atteindre auxlèvres de Jésus (Mat., xxvii, 48),
la coupe qu'ils tendaient au Sauveur par dérision contenait donc,
seloQ toute apparence, le vin grossier qui leur servait de boisson, et
qui est désigné par quelques auteurs sous le nom de vinaigre. (Végèce,
Èe Re militari, IV, 7, etc.)
LA MORT DE JESUS 171
compagnons de supplice : il vit ceux-là même se tourner contre
lui, et des croix dressées à ses côtés, il entendit qu'on répétait
ce blasphème : « Si tu es le Christ, sauve-toi, sauve-nous ! »
Un seul des larrons avait parlé, l'autre contemplait le SauveuT,
admirait sa résignation, et se sentait attiré vers lui. Aussi
quand il entendit l'outrage de son compagnon, lui fit-il ce
reproche : « Tu ne crains pas Dieu, quoique tu te trouves con-
damné au même supplice. Encore pour nous c'est avec justice,
puisque nous souffrons la peine que nous avons méritée, mais
celui-ci n'a rien fait de mal. » Et sa foi s'échaufiant dans ce
témoignage : « Seigneur, ajouta-t-il, quand vous serez venu en
votre royaume, souvenez-vous de moi. » Jamais grâce plus
soudaine ne transforma un criminel en mai^tyr, mais jamais
aussi confession ne fut plus méritoire, car c'est à l'heure où,
renié de tous, Jésus expirait sur le gibet, que le bon larron
salua sa royauté divine.
Le Sauveur ne pouvait faire un mouvement sans augmenter
ses souffrances ; mais ayant ouï cette prière, il tourna la tête
vers son compagnon et lui répondit : « Je vous le dis, en vérité,
vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (1). » L'humble
pénitent ne demandait qu'un souvenir, et c'est le plus riche don
qui lui est accordé : la béatitude au sein de Dieu. Il se conten-
tait d'une espérance, et dès ce jour-là même une félicité sans
bornes devint son partage. Nous ne trouvons cet épisode que
dans le troisième Evangile. Saint Mathieu et saint Marc sem-
blent l'avoir ignoré, car ils parlent en termes vagues de blas-
phèmes proférés par les brigands. On sait tout ce que saint Lue
dut à Marie ; c'est d'elle sans doute qu'il apprit cet entretien
murmuré au haut de la croix et entendu par la mère qui s'atta-
chait au gibet de son Fils expirant.
(1) Les scribes avaient interprété dans va sens trop matériel
TEden, le paradis des premiers jours (Gen., xi, 15) pour que.Jésu^
employât ce mot lorsqu'il parlait du ciel; il avait besoin d'un terme
nouveau comme le bonheur qu'il promettait ; l'éternelle félicité,
dans la doctrine du Sauveur, c'est, « le royaume des cieux », «-le
royaume de Dieu », S'il parle ici ouvertement du paradis, c'est que
pour le malheureux crucifié à ses côtés, ce mot ne pouvait être que
ce qu'il est devenu pour nous, une vision des cieux. Le mot Paradi-
nos, employé par les Septante pour traduire les jardins de l'Eden,
paraît avoir été emprunté à la langue des Perses paradaéza ; « clô-
ture, endroit clos de murailles, » de para-dih, « élever une digue,
un mur autour. » Ce mot a été introduit dans la langue grecque, par
Xénophon, dans les écrits duquel il signifie un jardin d'agrément ou
un parc dé chasse. {Œconomicus, vi, 14).
172 ANNALES CATHOLIQUES
Cependant Temportenient des ennemis du Christ était moins
violent; des rumeurs couraient encore dans le peuple, des cris
éclataient çâ et là; mais déjà de sombres vapeurs flottant au-
dessus du sol montaient vers la croix et l'enveloppaient d'un
Toile funèbre. L'effroi éclaircit les rangs de la foule; bientôt le
pied des gibets fut libre, un petit groupe s'en approcha : il se
composait de trois femmes et d'un disciple. C'était la Vierge
sainte et sa sœur Marie, femme de Cléophas, prés d'elle Made-
leine la pécheresse ; Jean les suivait. Son nom n'est pas écrit
dans le récit inspiré, mais tout révèle sa présence, et la réserve
avec laquelle il se désigne, et cette place à laquelle le bien-
aimé ne pouvait manquer.
Ils s'arrêtèrent, devant la croix, debout, les yeux fixés sur
celui qu'ils aimaient. Jésus occupé d'abord de ses bourreaux
pour leur pardonner, de son compagnon de supplice pour lui
ouvrir les cieux, Jésus abaissa enfin ses regards sur ses amis
qui lui demandaient un dernier adieu, sur sa mère percée du
glaive que lui avait annoncé le vieillard Siméon. La plus tou-
chante de nos hymnes, le Stabat, rend à peine ce qu'avait de
poignant pour une mère un tel spectacle. Mieux que personne
.Jésus le sentait; il voyait approcher pour lui la mort; pour sa
mère, le deuil et l'abandon. De tous ses apôtres, Jean seul
demeurait près de lui, et plus fidèle à mesure que croissait le
danger, il soutenait Marie. Évitant de la nommer, pour ne pas
l'exposer aux insultes en révélant qui elle était : « Femme, dit
Jésus, voici votre fils! » et à Jean : « Voici votre mère! »
Depuis ce moment, le disciple prit Marie dans sa demeure et la
regarda comme sa mère.
Cette dernière attache rompue, Jésus se jeta dans le sein de
Dieu pour consommer sa Passion. Il était midi quand les pre-
mières ténèbres s'élevèrent sur le Golgotha; depuis ce temps,
elles montaient toujours, étendant un linceul sur Jérusalem, la
Judée, le monde entier (I). Aucune cause naturelle ne suffit à
expliquer ce phénomène, car la lune alors dans son plein, ren-
dait une éclipse de soleil impossible. Mais la terre a coutume
de se couvrir de noires vapeurs aux approches des tremblements
qui la déchirent, et elle s'enveloppait de deuil pour pleurer son
Dieu (2). La croix où expirait le Christ était cachée par un
{\) Epi pasan ttn gén (Mat., xxvii. 43). IFressort de ces paroles
que les ténèbres couvrirent au moins la Judée et probablement tout
notre hémisphère.
(2) Ce prodige avait frappé les païens eux-mêmes. TertuUien en
LA MORT DE JKSUS 173
nuage; tous les bruits s'éteignirent, et le cri qu'en cette cir-
constance l'antiquité prêtait à Denys l'Aréopagite exprime
l'effroi sous lequel haletaient tous les cœurs : « Ou la divinité
soulFre, ou elle compatit à quelque grande affliction (1). »
Les tortures croissaient à chaque instant dans le supplice de
la croix : les pieds et les mains déchirés, le corps violemment
tendu, la contraction des muscles, la soif, le délire de la fièvre,
portaient les douleurs à un tel excès que le crucifié appelait la
mort comme une délivrance.
Pendant trois heures Jésus lutta sans proférer une seule
plainte. Que se passait-il dans ces ombres impénétrables? Les
évangélistes, qui ont raconté l'agonie du jardin, se taisent sur
celle de la croix. Mais à la fin un grand cri perça les ténèbres,
révélant le mystère de ces heures d'angoisse. Saint Marc l'a con-
servé tel qu'il vint sur les lèvres de Jésus, dans cette langue
araméenne qu'enfant il avait parlée sur les genoux de Marie :
« JEloï! Eloï! lamma sahachtani? Mon Dieu ! mon Dieu ! pour-
quoi m'avez-vous abandonné? »
Cette lamentation est le début du psaume oii se trouvent pré-
dites la Passion du Messie, ses forces s'écoulant avec son sang,
ses blessures enflammées, cette soif brûlante qu'un mourant
seul connaît. Mais qu'étaient les tortures du corps auprès des
souffrances de l'âme? Ce sont celles-là surtout qui se révèlent
dans le cri de détresse : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi
m'avez-vous abandonné? »
Jamais mourant n'a senti comme Jésus l'abandon de Dieu,
parce que nul autre que lui n'a vécu de Dieu et en Dieu. Sus-
pendu entre les malédictions de la terre et le ciel qui le repous-
sait, il demeura livré aux angoisses qui avaient passé sur lui à
Gethsémani, et cette fois il but la coupe jusqu'à la lie. Pour
embrasser l'étendue de cette désolation, il faut se rappeler que,
malgré son innocence, Jésus sur la croix était chargé de crimes
véritables et qu'il soutenait l'iniquité du monde. Dieu ayant
transporté sur lui les péchés commis depuis l'origine jusqu'à la
fin des temps, tous lui apparurent distinctement et dans leurs
moindres circonstances. Trahisons, vengeances, adultères, dis-
solutions honteuses, blasphèmes, calomnies, entrèrent à flots
prenait à témoin leurs archives publiques : (Apologeticus, xxi.) Au
temps d'Origène le fait passait pour incontestable, les uns y voyant
un phénomène surnaturel, d'aulres une éclipse. (Voir dans Migae,
Patrologie grecque, t. X, p. 99, le témoignage de Jules Africain et
d'Origène, Contra Celsum, II, 33.)
(1) Denys l'Aréopagite, Epist. vu. — Migne, Pat. grec, ni.)
]74 ANNALES CATHOLIQUES
dans son âme et l'abîmèrent sous des torrents d'iniquité. Et
c'est à l'heure même oii le Christ était comme perdu dans cette
confusion que Dieu se retirait de lui pour l'accabler du poids
de ses vengeances. Jésus, devenu péché pour nous, fait « malé-
diction, exécration », selon l'expression de saint Paul, Jésus
souffrait de la part de Dieu je ne sais quoi d'effroyable qu'aucune
parole humaine ne peut rendre. A cette heure le ciel se voila;
l'enfer seul resta devant le Sauveur, qui entrevit le désespoir
éternel, infini comme le Dieu qu'il venge.
Une dernière désolation s'ajoutait à cette douleur : c'était la
pensée du petit nombre de ceux qui profiteraient de sa Passion.
La multitude des damnés se présentait à ses yeux; quelle que
fût leur indignité, ils étaient les membres de son corps mystique,
unis si étroitement à lui qu'ils n'en pouvaient être séparés sans
violence. Jésus, en se voyant arracher une partie si chère de
lui-même, se sentait comme délaissé et réprouvé en eux. « Il
se plaignait, dit Arnaud de Chartres, que le fruit de ses combats
lui fût ravi; il déclarait hautement que ses sueurs, ses travaux
et sa mort n'étaient point récompensés, puisque ceux pour les-
quels il avait tant souffert étaient abandonnés à la perdition
éternelle. De là ce cri lamentable : « Mon Dieu ! mon Dieu !
m'abandonnez-vous! »
Quel moyen d'accorder en Jésus cet apparent désespoir avec
la béatitude essentielle à sa personne divine ! Il y a là un mys-
tère insondable, le mystère de l'Incarnation. Pour comprendre
comment le fils de Dieu a pu se dire délaissé de son Père, il
faudrait expliquer comment l'Etre Infini a pu prendre une
nature finie, car il n'y a entre ces deux abaissements qu'une
différence de degré; l'abandon de Jésus sur la croix continua
ce qui s'était accompli dans l'Incarnation, et dans ces deux mys-
tères la divinité resta également inviolable. Il en était du Christ
souffrant comme des montagnes dont la cime perce les nues.
Souvent l'orage s'attache aux flancs et les couvre de ruines,
mais rien ne trouble le sommet qui, au dessus des tempêtes,
demeure serein et couronné de lumière.
A cette même heure, les ténèbres disparaissant et avec elles
l'épouvante, les juifs s'enhardirent à répéter la parole de Jésus
et feignirent de confondre le nom divin d'Eloï avec celui du
prophète (8). « Il appelle Elle », disaient-ils. Mais cette rail-
(8) Il est impossible d'admettre que cette méprise ait été faite non
par les Juifs, mais par les soldats romains, car ces derniers igno-
LA MORT DE JÉSUS 175
lerie même trahissait un reste d'effroi, car tout Israël savait
que le terrible voyant devait reparaître dans un jour de feu et
de terreur, sous un ciel voilé, une lune sanglante, au milieu
des puissances du ciel ébranlées.
Tout à coup un nouveau cri se fait entendre : « J'ai soif (1), »
disait Jésus, lamentant la plus affreuse torture du crucifie-
ment (2). Un des assistants courut tremper une éponge (3)
dans l'aigre boisson (4) des soldats et l'offrit au Sauveur, et
comme son bras ne pouvait atteindre à la tête du crucifié il prit
un roseau (5), mit l'éponge au bout de la tige et l'approcha des
lèvres du Christ. Cet acte de pitié excita dans la foule un cri
de haine : « Laisse donc, laisse-nous donc voir si Elie viendra
le sauver. — Laissez-moi faire, dit l'homme, nous verrons alors
si Elie le sauvera. »
Le Sauveur appuya ses lèvres contre l'éponge imbibée de
vinaigre ; puis ranimé, il attacha encore une fois ses regards
sur le monde. Sa vue embrassait toute la durée des temps et
son oeuvre entière : les justes qui l'avaient précédé, tous ceux
qui dans l'avenir devaient croire en lui se tournaient vers la
croix et y trouvaient leur salut. « Tout est consommé, dit-il,
et ma Passion, et ma vie et le salut du genre humain. » Après
raient la langue hébraïque et connaissaient peu le prophète. D'ailleurs
le nom d'Elie, sous sa forme araméenne Elijahu, différant complète-
ment du mot Eloï, « Dieu », il est également difficile de croire que
les Juifs aient pu se tromper aux paroles de Jésus. Il n'y eut donc
là qu'une raillerie satanique, et la volonté de tourner en dérision la
prière que le Sauveur empruntait aux saints livres.
(1) Saint Jean fait observer que cette soif et le vinaigre offert à
Jésus étaient prédits aux psaumes lxviit, 23.
(2) As-Sujuti, écrivain arabe, a décrit les souffrances d'un jeune
Turc, crucifié à Damas en 1247. « La plus terrible de ses souffrances,
dit-il, était la soif. J'ai entendu un témoin oculaire me raconter qu'il
tournait ses yeux de tous côtés, suppliant qu'on lui donnât un pett
d'eau. »
(3) On croit généralement que cette éponge avait été apportée par
les soldats pour essuyer le sang qui jaillissait sur eux pendant le
crucifiement.
(4) Hoxoua (Mat. xxvii, 48) désigne ici, comme dans saint
Luc (xxiii, 36) la « posca », le vin amer et épicé que buvaient les
soldats romains.
(5) Il est difficile d'indiquer quelle plante saint Jean (xix, 29)
désigne sous le nom d'hysope. Ce n'est certainement pas la plante
aromatique qui porte ce nom parmi nous : hyssopus officinalis. Le
docteur Forbes-Royle a cru la retrouver dans le câprier. Les plus
anciennes traditions nomment la marjolaine sauvage, dont la tige
est évidemment trop faible pour soutenir le poids d'une éponge
imbibée de vinaigre. Le terme dont se servent saint Mathieu
(xxvii, 48"* et saint Marc (xv, 36), Calaraos, montre qu'il s'agit ici
d'un roseau ferme, comme le roseau-canne.
176 ANNALES CATHOLIQUES
avoir adressé à la terre cet adieu, il s'abandonna â son Père
céleste : « Père ! dit-il avec un grand cri, je remets rnon esprit
eatre vos mains. » C'était la voix du Fils se jetant dans les bras
de son Père, et en même temps la parole de « Celui à qui
personne ne prend son âme, mais qui la dépose quand il lui
plaît (1) ». La plupart des disciples, contem[jlant cette scène
de loin, n'entendirent que « le grand cri » dont parlent saint
Mathieu et saint Marc. C'est d'un témoin demeuré près de la
croix, de Mairie peut-être, que saint Luc recueillit la parole
suprême de Jésus. Jean était là, regardant le Sauveur ; il le vit
pencher la tête et mourir (2).
L'abbé Fouard.
LA SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM (3)
Passer la semaine sainte à Jérusalem, se trouver sur le
théâtre authentique do la Passion, au milieu de ce magnifique
ensemble de monuments et de ruines qui remuent jusqu'à la
dernière fibre du cœur ; entendre les échos de Sion répéter les
gémissements des prophètes, assister en quelque sorte en témoin
attendri au drame sanglant du Calvaire, c'est le rêve de tous
les chrétiens; rêve bien naturel, mais dont les complications
de la vie rendent la réalisation difficile.
Nous qui sommes en possession d'une félicité si rare, nous
voudrions, par un récit succinct mais fidèle, rendre nos amis
participants de notre bonheur ; je dirai donc jour par jour ce
que j'ai vu, ce que j'ai senti durant cette triste commémoration
du plus grand mystère qui se soit accompli chez les hommes.
Dimanche des Rameaux.
Le matin, la population hiérosolymitaine et un nombre infini
d'étrangers accourus de toutes les parties du monde stationnent
aux abords du Saint-Sépulcre.
(1) Aucun des Evangélistes ne dit : « il mourut » : Ethanen ; les
termes dont ils se servent indiquent un acte volontaire, libre, spoa-
tané : (Marc, xv, 38; Luc xxiir, 46; Mat., xxxiii 50; Joan. xîx, 30).
(2) Extrait de l'excellente : Vie de Noire-Seigneur Jésus-Christ,
de M. l'abbé Fouard. — Paris, Leeoffre.
(3) L'auteur de ces lignes, adressées, naguère au Courrier de
Bruxelles a passé à Jérusalem la Semaine sainte de 1885.
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM 177
L'ouverture solennelle de la porte eut lieu à cinq heures, et
la foule inapatiente se précipita dans la Basilique comme un
torrent qui a rompu ses digues.
A voir ce mélange bruyant de Latins, de Grecs, d'Arméniens
et de Mulsumans, étendus sur le pavé à l'entrée des chapelles,
on dirait que les caravanes des diverses nations sont venues se
reposer dans ce temple comme dans un Khan. L'église la plus
sainte de l'univers se change, ce jour-là, en une place publique.
Les hommes parlent, crient, se disputent, se battent quelque-
fois ; les femmes rient et conversent comme dans une réunion
champêtre... Un détachement de soldats turcs faisait la haie,
«'efforçant de sauvegarder l'ordre. Je dois dire qu'ils s'acquit-
taient de leur humiliant et nécessaire ministère avec bonté et
humanité et montraient des égards particuliers aux catholiques.
En avançant dans l'enceinte, nous sommes frappés de la
variété infinie des physionomies et des habits. Comme toujours,
les Russes sont en phalanges pressées; on les distingue à leur
casquette nationale, à leurs grandes bottes rougies parla neige,
et à leurs longues lévites dont ils s'enveloppent frileusement.
Les pèlerins de l'Anatolie, de la Morée, de l'Archipel et du
Liban étalent toutes les splendeurs du costume oriental : pan-
talons bouffants, vestes brodées d'or, ceintures de soie rouge,
kuffsehs multicolores, larges turbans blancs enroulés autour de
la tête. Les femmes, groupées dans les entrecolonnements, sont
enveloppées de longs voiles blancs qu'elles relèvent parfois avec
une grâce singulière : alors on aperçoit leurs beaux visages
d'une pâleur un peu ambrée, leurs chevelures ornées de corail
et de cercles d'or, leurs corsages de velours noir ou de soie rose
brillants de breloques, de chaînettes, et de bijoux de toute
sorte, un véritable étalage d'orfèvrerie.
A six heures précises, Mgr le Patriarche fit son entrée solen-
nelle dans la Basilique. Revêtu de ses habits pontificaux et
accompagné de tout son clergé, il s'avança vers le Saint-
Sépulcre tout ruisselant de lumières. Il entra seul dans l'édicule
sacré pour y bénir les palmes qu'il distribua de sa main aux
prêtres et aux religieux d'abord, puis au consul de France, aux
étrangers ensuite et aux principaux catholiques de Jérusalem.
Ces palmes cueillies dans les champs de Gaza, vertes et fraîches,
hautes de cinq à six pieds, ne sont pas travaillées artisteraent
comme celles de Rome, mais elles ont toute la grâce de l'arbre
qui les a portées, et je les préfère de beaucoup aux premières.
178 ANNALES CATHOLIQUES
La bénédiction des Rameaux fut suivie immédiatement de la
procession qui fit trois fois îe tour du Saint-Sépulcre dans ua
ordre et un recueillement parfaits.
Pendant quelesyeux sont fixés sur la majestueuse cérémonie,
l'âme est tout entière aux souvenirs qu'elle retrace. Pour les
rendre plus vifs, des voix exécutent l'antienne Pueri Hebrœo-
rum, et vous croyez entendre les acclamations des enfants de
Jérusalem accourus avec la foule au devant du divin Triompha-
teur ; vous assistez vous-même au triomphe.
La procession terminée, le patriarche se rendit à la chapelle
de la Madeleine, abritée sous les ombres séculaires qui régnent
dans les voûtes du Nord.
Tout se prépare pour la messe. Le moment solennel de la
Passion est arrivé.
Trois religieux Franciscains doués de voix superbes commen-
cent le lugubre drame. Le religieux qui chante le récit est un
ténor à la voix mâle et forte ; le second redit d'un ton pénétrant
les paroles des témoins, des juges et des bourreaux ; les paroles
du Sauveur sortent d'une basse ample et profonde. Les cris du
peuple sont exprimés par le choeur accompagné de voix enfantines
et appuyé de l'orgue. C'était d'un eôet si large et si sur, qu'à
chaque reprise on tressaillait involontairement. J'écoutais avec
ravissement cette musique religieuse, la plus pénétrante qu'il
m'ait été donné d'entendre.
L'office terminé, nous assistâmes, d'une des galeries supé-
rieures du dôme, à la procession des Grecs, des Arméniens et
des Cophtes. Voilà certes la plus incroyable fortune de pitto-
resque que nous ayons encore rencontrée jusqu'ici, et je renonce
à en traduire l'elïet. Des évêques brillants d'or et d'argent, des
officiants revêtus de lourdes chapes où reluisent les émaux et
les gemmes, des filières interminables de prêtres couverts de
riches dalmatiques et à demi perdus dans des nuages d'encens ;
des bannières où ondulent en ramages splendides les brocarts
et les damas, mêlées à la forêt de palmes et de flambeaux portés
par une fouie effervescente, passaient et repassaient devant nos»
yeux ainsi qu'une vision fantastique, pendant que retentissait
à nos oreilles la mélopée nasillarde des hymnes grecques, et la
clameur étourdissante des cymbales froissant leurs disques de
cuivre comme des armures entre-choquées.
Toutefois, il fautledire, malgré la pompe extérieure, l'éblouis-
sèment de l'or et des couleurs, les cérémonies schismatiques
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM 179
ressemblent à des spectacles de place publique, et sont bien
loin d'égaler la touchante et simple majesté des fonctions
latines, qui enchantent les Musulmans eux-mêmes.
Mercredi-Saint.
Jérusalem fait entendre continuellement sa voix plaintive.
Tous ses sanctuaires retentissent des accents de sa douleur...
Hier, la station avait lieu à la Flagellation, petite chapelle très
recueillie située en face du Prétoire de Pilate et appartenant
exclusivement aux Franciscains. Aujourd'hui, c'est à Gethsé-
mani, dans cette grotte de l'Agonie, oii le Christ voulut en une
heure suprême supporter toutes les douleurs de l'humanité !
A trois heures de l'après-midi, les Ténèbres allaient ouvrir
la suite non interrompue des grandes cérémonies qui font de la
Semaine Sainte à Jérusalem la Semaine incomparable.
Au Saint-Sépulcre, nous trouvons la même foule houleuse et
turbulente... Nous nous isolons comme nous pouvons pour
prêter l'oreille au chant sublime des Psaumes et des Lamen-
tations.
Toute la musique sacrée est exécutée par les Franciscains.
C'est une harmonie de plus que les grandes douleurs de la
Passion soient racontées par des moines que leur vie austère et
leur vêtement de pénitence rendent les images vivantes du
Christ souffrant.
Il n'y a dans aucune histoire, ni sacrée, ni profane, un
poème plus fort, plus énergique, plus sublime que celui des
Lamentations.
Quelle grandeur, quelle inépuisable variété d'images ! Comme
la plainte est amère, la mélancolie profonde, la malédiction
éloquente !
Mais comment exprimer l'effet de cette divine poésie, enten-
due en face du Tombeau sacré, au milieu des ruines delà Jéru-
salem nouvelle, misérable et soumise au tribut comme au temps
où pleurait le Prophète ! Il me semblait entendre la voix de
Jérémie lui-même gémir à mon oreille ; le passé d'Israël si
semblable à son présent, sortait de la tombe et m'apparaissait
avec tous ses malheurs ! Jamais accent n'a retenti plus avant
dans mon âme, jamais poésie n'a plus fortement ébranlé mon
imagination.
Jeudi Saint.
Le poste du pèlerin pendant la Semaine Sainte est au Saint-
Sépulcre.
180 ANNALES CATIîXjLIQUES
Nous y sommes ramenés dés l'aurore pour célébrer l'anniver-
saire de l'institution eucharistique.
La basilique est parée comme aux plus belles solennités. Un
autel d'argent, pompeusement chargé de vases et de chandeliers
d'or, est dressé à la porte du saint Tombeau, En face, appujé
au chœur des Grecs, tout ruisselant d'or et de mosaïques, est
placé le siège du patriarche ; sur les côtés sont des bancs
destinés aux prêtres et aux religieux.
C'est dans l'étroit espace compris entre l'autel et le trône
pontifical, une espèce de vestibule qui n'a pas six mètres de
largeur, que doit se développer la pompe des cérémonies catho-
liques ! Qui ne déplorerait la position amoindrie faite aux
Latins dans cette église conquise par leur sang, l'état d'isole-
ment et d'abandon où les laisse la chrétienté ?
Mgr Braco fit son entrée dans la basilique à 7 heures, et
après le chant des Laudes, la messe solennelle commença, messe
en musique brillamment exécutée.
Le moment arrivé, nous vîmes avec édification le consul de
France, en grand uniforme, s'avancer respectueusement vers
l'autel pour recevoir la communion des mains du Patriarche,
qui la distribua ensuite au clergé, aux pèlerins et aux fidèles
de Jérusalem, qui la reçurent avec une dévotion touchante.
La communion dura près de deux heures ; les choristes ne
cessaient de répéter l'antienne si attendrissante 0 Sacrum
convivtum. Mais quelle langue pourrait jamais raconter les
délices du banquet sacré lorsqu'on s'en approche au jour com-
mémoratif de son institution, dans la Ville sainte oii le mjstère
d'amour s'est accompli !
Après la messe, six religieux revêtus de chapes éclatantes
d'or et d'argent vinrent recevoir, sous un dais magnifique, le
Saint-Sacrement porté par le Patriarche; les fidèles l'accom-
pagnaient un flambeau à la main, en répétant l'hymne sainte
consacrée au mystère de l'Eucharistie.
La procession fit trois fois le tour du Saint-Sépulcre, puis le
Patriarche entra dans l'intérieur du tombeau pour y déposer
l'hostie sainte dans un tabernacle portatif en argent, entouré de
cierges et de fleurs. Le corps du Sauveur resta sur le tombeau
jusqu'à l'office du lendemain. Deux religieux venaient alterna-
tivement y passer une heure d'adoration, mais l'accès en était
interdit aux laïques.
Il était onze heures et demie quand nous quittâmes la basi-
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM 181
lique. Les lourds vantaux du portail so refermèrent aussitôt
pour se rouvrir de nouveau, mais un instant seulement, à une
heure de l'après-midi.
L'heure était précise, inexorable... Malheur aux retarda-
taires ! ! Nous fûmes, hélas ! de ce nombre. En vain nous
conjurâmes, nous invoquâmes toutes les autorités, même celle
du bakchich, à laquelle d'ordinaire rien ne résiste ; tout fut
inutile, la porte resta impitoyablement fermée.
Privés d'assister à l'intéressante cérémonie du Lavement des
pieds et des Ténèbres qui devaient suivre, nous nous consolâmes
en accomplissant le plus touchant des pèlerinages, celui du
Saint Cénacle au mont Sion. Le Cénacle est une grande salle
vide, blanchie à la chaux et soutenue par deux colonnes. Pros-
ternés sur le pavé, nous lûmes dans saint Jean les adieux de
Jésus à SOS Apôtres dans son suprême et dernier banquet.
Jamais nos âmes n'avaient été aussi émues.
Du Cénacle on communique par une petite porte au tombeau
de David, dont les Musulmans gardent soigneusement l'entrée.
D'ordinaire, c'est la curiosité qui pousse le pèlerin en ces lieux
autrefois inaccessibles ; un autre sentiment guidait nos pas.
Nous voulions vénérer la tombe du chantre de Sion, du grand
roi dont les regards prophétiques avaient contemplé, mille ans
avant leur accomplissement, toutes les soufirances et toutes les
gloires du Christ, qu'il appelle à la fois son fils et son Dieu.
Le sépulcre de David se compose de deux chambres : la
première est taillée dans le roc et l'entrée en est interdite aux
Musulmans eux-mêmes. La seconde n'a qu'un cénotaphe couvert
d'un tapis vert: aucun chrétien n'en peut franchir le seuil;
mais elle est parfaitement visible à travers la large grille qui
sert de porte.
Vendredi Saint.
Jérusalem est en deuil !
Je prête l'oreille à la pluie qui tombe, à la brise qui passe sur
les coupoles grises... On dirait que les hommes et toute la créa-
tion forment comme un immense soupir qui monte vers le Ciel !
A cinq heures et demie nous stationnons sur la place du
Saint-Sépulcre en attendant l'ouverture de la porte. La foule
est bien diminuée, ou plutôt il n'y a pas de foule. L'accès de
la basilique n'est donné qu'aux Latins, et l'heure trop matinale
ne permet pas à tous de se trouver au rendez-vous.
L'assistance recueillie et silencieuse monte au Calvaire.
182 ANNALES CA.THOLIQUES
Quelle tristesse!
Ce n'est plus cette chapelle toute ruisselante d'or et de lu-
mières ; c'est une grotte sombre oii quelques lampes aux feux
rouges et verts projettent leur clarté douteuse.
Toutes les splendeurs du culte sont effacées et ont fait place
à des images austères. On n'aperçoit plus ni les marbres, ni les
porphyres, ni les lames d'argent, et autour de l'autel dégarni,
l'ange du Calvaire cache sa tête sous ses ailes et pleure !
L'office, présidé par le Patriarche, commence dans le plus
lugubre appareil.
C'est saint Jean, le disciple de l'amour, celui qui a suivi son
Maître jusqu'à la fin, qui vient aujourd'hui raconter en témoin
ses souffrances et ses ignominies.
Aucun Èvangéliste n'a rendu avec ce pathétique l'interroga-
toire de Jésus chez Pilate. On entend les questions anxieuses du
gouverneur romain et les réponses pleines d'autorité du Sau-
veur ; on voit le calme, la noble attitude et la résignation de
Jésus en même temps que les troubles, l'embarras, les faiblesses
et les retours de son juge prévaricateur...
Finalement, l'iniquité triomphe, le Juste est condamné et
mis en croix !
Consummatum est ! s'écrie le chantre de la Passion.
A ce mot, toute l'assistance tombe à genoux, et le Golgotha
sembla frémir encore et s'ébranler !
Un moment, le ciel parut vide, vide par l'absence d'un Dieu
immolé ; les chants des Séraphins sont muets , les harpes
célestes sont détendues, et des notes lugubres traversent
l'espace...
Jésus-Christ est mort ! Ces mots répétés par l'écho du Cal-
vaire jettent l'âme dans une sorte de stupeur.
Cependant l'office se poursuit : on arrive à la prière pour les
Juifs...
Quoi de plus émouvant que cette Oraison de l'Eglise pro-
noncée à pareil jour, en face des malheureux restes de la
nation déicide, parias honnis, condamnés à subir l'outrage de
tous, comme ces oiseaux de nuit rencontrés de jour, que pour-
suivent tous les oiseaux du ciel !
Les Oraisons finies, tout se prépare pour l'adoration de la
croix.
Le Patriarche, debout, découvre l'un après l'autre les bras
de la croix comme pour manifester le mystère du Calvaire.
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM 183
Lorsqu'il l'a déposée sur un riche coussin, lui-même, dépouillé
des insignes de sa dignité, se prosterne trois fois sur Ja pierre
du sanctuaire et vient poser ses lèvres sur les plaies du Dieu
crucifié. Tout le clergé et les fidèles font de même pendant que
le chœur d'une voix basse et plaintive fait entendre le chant si
touchant de V Improperium :
Popule meus, quid fecit tihi ?
Ainsi étaient expiées par une adoration véritable les dérisions
sacrilèges du Golgotha.
Un esprit de componction s'était répandu sur la montagne de
la Rédemption : chacun se retira en silence en se frappant la
poitrine comme le Centurion.
A Jérusalem, le Vendredi-Saint, l'Eglise ne cesse de rappeler
le fidèle au souvenir de la Passion.
A une heure avait lieu le chemin de la Croix.
Les pèlerins se pressent dans la Via Bolorosa, et c'est à
peine si l'on peut y trouver place. Depuis vingt ans, disait avec
émotion un religieux de Saint-Sauveur, le chemin de la Croix ne
s'est pas fait dans la Ville Sainte avec autant de solennité.
Le Frère Liévin retrace brièvement, mais avec l'exactitude
qui lui est propre, l'historique de chaque station, marquée, ici
par des pierres brutes, là par des masures ou des bornes gros-
sières, dont l'aspect indique assez que ce ne sont point les gran«
deurs de la terre qui ont passé par ce chemin !
A trois heures les Pères se réunissent de nouveau pour
l'office des Ténèbres et le prophète d'Anathot fait entendre ses
plus belles et ses plus déchirantes Lamentations.
Malheureusement, ces saintes et lugubres harmonies se
perdent aujourd'hui à travers des flots de peuple et un bruit
immense...
A six heures, a lieu la dernière, la plus populaire et la plus
pathétique des cérémonies du Vendredi-Saint. Son objet est de
représenter la Descente de Croix et l'Ensevelissement du
Christ.
Le concours du peuple est tel qu'elle se passe rarement sans
accidents graves : « N'y allez pas, nous disaient quelques-uns
de nos compagnons d« voyage, vous serez étoufî'és. »
Mais résolus à tout braver, nous nous rendîmes en toute hâte
au Saint-Sépulcre ; plus de quatre mille personnes avaient
déjà envahi l'église; pas une galerie, pas un pilier, pas un coin
qui ne fût occupé : c'était une cohue, un pêle-mêle, une chalettr
184 ANNALES CATHOLIQUES
indescriptibles et ua bruit immense semblable au mugissement
de la mer!... On se battait, on s'injuriait, et les enfants à demi
étoufl'és poussaient des gémissements... Nous nous avançâmes
vers le Calvaire ; les Russes s'y étaient parqués comme un
troupeau; une demi-heure après arrivèrent les soldats turcs
qui les chassèrent impitoyablement, poursuivant les plus récal-
citrants du bâton et de l'épée. L'étroit espace du Golgotha devait
rester aux catholiques.
Le révérendissime Père Custode, revêtu d'une chape magni-
fique de velours noir brodé d'or, coiffé de la mître pontificale,
et suivi de tous les religieux de Saint-Sauveur, rangés deux à
deux avec un flambeau à la main, se mit en marche à travers la
multitude qui se heurtait et s'ébranlait, pour visiter successive-
ment les divers sanctuaires de la Basilique. Les jeunes Arabes
élevés au couvent chantaient le Stahat avec charme et harmo-
nie. A chaque station, un discours prononcé en une des sept
langues par un religieux franciscain, retraçait en abrégé les
souffrances du Sauveur.
Arrivé au Calvaire, le grand crucifix porté en tête de la pro-
cession fut posé au pied de l'autel où le Christ expire ! Un pre-
mier sermon fut débité avec une grande chaleur d'expression,
dans la chapelle du crucifiement, par un Père allemand. Le
second, prononcé à l'endroit de la plantation de la Croix, fut
confié à un vaillant et savant prêtre de Paris, qui vient de
prendre l'habit de saint François. Il développa avec une grande
éloquence les bienfaits de la Rédemption et le thème si doulou.
reux de l'ingratitude des hommes. Puis il s'écria : « Mais qu'ai-
je besoin de parler dans ce lieu oii tout vous parle, et la terre
qui a tremblé, et les rochers qui se sont fendus, et la nature
entière qui a pris le deuil!... » Il y eut un mouvement dans
l'auditoire, tous les cœurs étaient émus.
Le discours achevé, le Crucifix de la procession a été planté
là où fut plantée la croix du Sauveur. Un religieux a dévote-
ment attaché une écharpe blanche aux bras du Christ, lui a
ôté la couronne d'épines, lui a décloué ses pieds et ses mains
avec un marteau et une tenaille, puis les bras sont tombés
d'eux-mêmes comme les bras d'un mort ; ensuite on a descendu
le Christ de la même manière que le Sauveur fut descendu
quand il eut expiré ! Le spectacle nous [faisait frissonner... Il
nous semblait assister à la scène terrible qui ensanglanta le
Golgotha, il y a dix-huit siècles !
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM 185
La procession se remit en marche pour atteindre la pierre de
l'Onction : la couronne et les clous étaient portés dans un bassin
d'argent par un religieux, et le Christ par quatre autres, de la
même manière que l'on porte un mort au' tombeau.
La descente de la Sainte Montagne fut encore plus difficile
que la montée.
Une ardeur contagieuse précipitait vers l'étroit escalier du
Calvaire deux cents, trois cents, quatre cents personnes, là oii
trois personnes ne sauraient marcher de front. Tout le monde
voulait descendre à la fois...
Très heureusement, nous suivions le consul de France ; ses
kawass nous protégèrent, ce qui nous empêcha d'être écrasés.
Nous parvînmes à la pierre de l'Onction. Toutes choses
étaient préparées pour la sépulture ; la pierre était recouverte
d'un linge blanc très fin ; sur les coins étaient les vases de par-
fums. Le corps, enveloppé d'un suaire y fut déposé, la tête
appuyée sur un coussin. Le célébrant l'arrosa d'essence de rose
et fit brûler des parfums. Après quelques instants de recueille-
ment, le religieux latin qui remplit les fonctions de curé, monté
sur un des pilliers qui avoisinent la porte de l'église, fit un
discours arabe, très écouté ; quant il eut cessé de parler, la
procession s'avança vers le saint Tombeau où fut déposée
l'effigie du Christ; un dernier sermon mit fin à la lugubre
cérémonie.
Samedi Saint.
Il n'y a pas dans l'histoire du monde un espace de temps
aussi solennel que celui pendant lequel le Fils de Dieu est
couché au Sépulcre : l'univers moral est comme en suspens, et
la vérité attend son dernier témoignage !
Le Christ soulève la pierre de son tombeau ; il sort vain-
queur de la mort ; la terre qui était dans le deuil jette au Ciel
un hymne d'allégresse, et le joyeux Alléluia retentit autour du
Saint-Sépulcre !
L'office est célébré avec solennité ; il diûere peu de ce qui se
pratique dans nos églises d'Occident ; mais ce qui est pour mol
un sujet d'admiration toujours nouveau, c'est la dignité du
Patriarche et la piété des Pères ; malgré leurs fatigues de jour
et de nuit, et le service incessant de la prière, ils gardent la
même gravité imposante, la même attitude recueillie. Ils font
l'édification de tous et des Turcs eux-mêmes !
14
186 ANNALES CATHOLIQUES
C'est une loi pour le voyageur de tout voir, de tout examiner :
on nous avait tant parlé du feu sacré des Grecs, de la comédie
sacrilège jouée par leurs prêtres, des clameurs scandaleuses du
peuple, des danses, des rondes, de l'ivresse universelle qui
s'empare de toutes les têtes, quand le feu sacré vient à briller
autour du saint Tombeau, que nous voulions nous rendre à
cette cérémonie qui a lieu à trois heures après-midi, lorsqu'on
vint nous proposer de nous joindre à la caravane française qui
allait visiter la mosquée d'Omar : l'occasion était si agréable,
nous acceptâmes.
Le Patriarche grec est, à ce qu'il paraît, soucieux de sa
renommée, jaloux de la vertu qu'il voit régner dans le clergé
latin ; il voudrait introduire dans ses couvents un peu d'ordre et
de discipline, dissiper l'énorme ignorance de ses prêtres.
En tout cas, il a dit, m'a-t-on assuré, « qu'il ne croyait point
et qu'il ne prêcherait pas que le Feu sacré descendait du Ciel,
mais qu'il l'appelait sacré parce qu'il s'allumait au saint tom-
beau, et que tout ce qui en sort est vraiment sacré. »
La mosquée d'Omar nous a donné une des plus fortes impres-
sions, une des plus étonnantes surprises que nous ayons eues à
Jérusalem, non pas tant à cause de la mosquée, qui passe cepen-
dant pour le chef-d'œuvre le plus accompli de l'art arabe, que
pour le temple de Salomon, qui semblait nous apparaître dans
sa splendida immensité, avec la variété infinie de ses détails, de
ses richesses, et la magie de ses souvenirs historiques et reli-
gieux.
Nous avons vu le vieil autel des holocaustes, quartier de roc
labouré par le temps, où matin et soir coulait le sang des ani-
maux, et sur lequel les prêtres entretenaient un feu perpétuel,
la fontaine qui n'est autre que la mer d'Airain, destinée à la
purification des victimes, et le Saint des Saints où fut placée
l'Arche d'alliance.
Rien de plus sublime que le mont Moria, où s'éleva la de-
meure de Jéhovah : le sentiment de la grandeur, de l'infini qui
vous saisit à Saint-Pierre de Rome est plus vif ici encore. Aucun
bruit, aucun mouvement ne vient troubler le silence et la soli-
tude du tableau sacrée. Tout y invite à la méditation et au
souvenir du passé... On y reconstitue à son gré les galeries, les
vestibules et les trois enceintes successives qui faisaient du
Temple une cité à part dans la cité choisie !
En continuant de visiter la surface du Haram, rempli de pe-
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM 187
tits monuments décorés avec la fantaisie exquise du j^oût mau-
resque, nous arrivons à El'Aksa, dépendance -de la mosquée
d'Omar. C'est une basilique romaine qui n'a besoin que du prêtre
et de l'autel pour devenir chrétienne.
De là, nous sommes descendus dans les souterrains, voûtes
magnifiques portées par des forêts de pilliers semblables à des
tours, et qui abritent le système le plus compliqué de substruc-
tionsde galeries, de citernes et d'égouts qui se puisse imaginer.
Est-ce l'œuvre de Saloraon ou d'Hérode?
Quelle que soit la réponse définitive de la science, elle n'arra-
chera jamais le voyageur à la fascination mystérieuse qu'exerce
sur lui le palais merveilleux que l'imagination orientale se plaît
à peupler de génies !
Dimanche de Pâques.
L'horizon blanchit et s'illumine... Des rayons précurseurs
annoncent le radieux soleil de la résurrection...
Pâques, Pâques ! ! ce nom vole de bouche en bouche avec le
son joyeux des cloches qui ébranle l'air.
Jérusalem a secoué le linceul gris qui l'enveloppe... Les ca-
tholiques ont revêtu leurs habits de fête et la tristesse de leurs
front fait place à une espèce de gaieté.
Avec Magdeleine et les saintes femmes, nous courons dés l'au-
rore pour vénérer le divin Tombeau d'où est sortie la lumière,
la consolation et la liberté du monde !
Ce sépulcre, qu'Isaïe saluait de « Sépulcre glorieux » est
tout couvert de flambeaux et de lampes, qui brillent comme les
constellations brillent au ciel.
Une messe solennelle, suivie d'une triomphante procession, à
laquelle assistent une multitude de chrétiens, clôt les impo-
santes cérémonies de cette grande semaine !
On a redit les quatre Évangiles de la Résurrection.
Le dernier, le beau et pathétique récit de [saint Luc, a été-
chanté vis-à-vis de la Pierre de l'Onction.
M. S. DE V.
188 ANNALES CATHOLIQUES
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET l'ÉPISCOPAT
(Suite. — V. le numéro précédent.)
Angoulême. — Mgr rÊvêque écrit au cardinal Guibert :
Aucune voix n'était autorisée comme la vôtre à faire entendre des
plaintes que justifient non seulement les actes accomplis ou les lois
portées dans ces dernières années contre les droits de l'Église et les
intérêts surnaturels des âmes, mais récemment encore des paroles
officielles profondément affligeantes pour tous les cœurs pieux. Aussi
votre langage, Monseigneur, en traduisant les sentiments de l'épis-
copat, a-t-il été un vrai soulagement pour nos consciences oppressées.
Vous n'avez pas moins fidèlement exposé notre attitude à l'égard
de l'autorité civile dans la lutte à laquelle nous sommes contraints,
lutte eno-agée non coutre la forme du gouvernement qui nous régit,
mais contre tout un système antichrétien et un travail de désorga-
nisation sur lequel il est impossible de se méprendre.
Qu'arrivera-t-il ? Nul ne saurait le dire. Vous avez, du moins,
Monseio-neur, plaidé la cause de la justice et de la vérité avec une
fermeté et une hauteur de vues qui en préparent le triomphe dans
les esprits sincères.
C'est donc un nouveau service rendu à l'Église et au pays lui-
même, dont nous désirons tous la grandeur et la prospérité.
Je me permets de vous en remercier.
Beauvais. — Mgr l'Evèque de Beauvais :
Permettez-moi de m'associer entièrement aux sentiments qui vous
ont inspiré les considérations si sages, si élevées, si modérées, et
j'ose ajouter malheureusement si motivées que vous avez adressées
à M. le président de la République sur cette série de mesures, ou-
vertement ou indirectement hostiles, qui, depuis plusieurs années,
se succèdent sans intermittence contre la religion, contre ses insti-
tutions, contre l'enseignement, contre tous les droits, contre toutes
les libertés catholiques.
Ces hostilités légales ou administratives qui so déclarent sur tous
les terrains et sous toutes les formes ont d'autant plus lieu de sur-
prendre, que nous pouvons remire hautement ce témoignage au
clergé de nos diocèses — et je le fais sans exception aucune pour le
clergé du diocèse de Beauvais — qu'il n'a donné aucune cause,
aucune ouverture, aucun prétexte à ces mesures violant' s prise»
contre lui, qu'il a fait constamment preuve d'une modération et
d'une patience à toute épreuve, et qu'il ne cesse de piofesser une
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 189
soumission respectueuse pour les droits légitimes de l'Etat auquel il
demande seulement de respecter les croyances et les institutions
catholiques, et de ne pas entraver de toutes manières l'exercice de
la religion de la majorité des Français par les persécutions de la
civilisation, trop semblables, comme on l'a remarqué, aux persécu-
tions de la barbarie.
Cahors. — Mgr l'évêque de Gahors :
Votre Éminencc vient encore de faire entendre, avec de res-
pectueuses protestations, de justes doléances, ne doutant pas
qu'elles ne répondent au sentiment do ses collègues dans l'épis-
copat. Un des plus anciens parmi eux, je regarde comme un
devoir, dans la situation qui nous est faite, d'unir mon entière
adhésion à la déclaration si modérée et si juste de Votre Émi-
nence. Nul, plus qu'elle, par sa longue expérience et sa haute
position, n'avait le droit de parler au nom de l'Eglise de France et
de se faire l'interprète de l'épiscopat. Votre Eminence n'a pas
hésité, malgré ses forces affaiblies, à prendre la parole pour
faire connaître le véritable esprit du clergé et protester contre
d'injustes et persévérantes accusations.
Nous tenons à le dire après vous : non, le clergé de France,
fidèle aux sages conseils du Chef de TÉglise, ne fait pas œuvre de
parti et il n'a d'autre but par ses paroles et par ses actes que de
sauvegarder les droits qui lui appartiennent et de défendre la
religion, dont les intérêts lui sont confiés ; en obéissant aux ins-
pirations de sa foi, il croit faire et il fait, en réalité, œuvre de
patriotisme.
C'est pour nous une grande tristesse de voir nos intentions
méconnues et nos réclamations les plus légitimes devenir une
nouvelle source d'accusation; mais nous avons trop confiance
dans notre pays pour ne pas espérer qu'il finisse par reconnaître
la justice de notre cause et par rendre hommage à la modération
de notre conduite.
Moulins. — Mgr l'évêque de Moulins :
Impossible de résumer avec plus de précision, plus de clarté,
plus de calme et en même temps avec un plus touchant accent les
douleurs des cœurs chrétiens depuis quelques années. Le salut
des âmes doit être et est, sans nul doute, la préoorupalion à
laquelle le clergé subordonne toutes les autres. En se disculpant
de visées bien différentes et d'un ordre fort inférieur, dont la
supposition, en dépit de l'évidence, sert de prétexte à un cri de
guerre contre l'Église, vous avez signalé des dangers moins chi-
mériques pour une nation que ceux auxquels on nous accuse de
l'exposer.
190 ANNALES CATHOLIQUES
C'est donc un patriotisme égal à votre zèle apostolique qui
a dicté vos sages réflexions. Puissent-elles recevoir le favorable
accueil qui leur est dû, et mettre ainsi notre bien-aimée France à
l'abri des incalculables ruines matérielles et morales dont la
menace devient chaque jour plus évidente!
Nevers. — Mgr révêque de Nevers :
Elle est souverainement opportune et traduit on ne peut mieux les
sentiments qu'éprouvent toutes les âmes honnêtes en face des tristes
événements dont nous avons la douleur d'être les témoins. C'est pour
elles une consolation de voir Votre Éminence réfuter avec autant de
dignité, de force et de mesure, les accusations injustes qu'on lance
en ce moment contre le clergé français. La tactique de ses adversaires
est évidemment de tromper l'opinion publique. Votre Éminence
réclaire et, dissipant toute équivoque, elle montre par des faits incon-
testables et malheureusement déjà trop nombreux que, loin d'être
agresseurs, nous sommes victimes.
Il est impossible d'opposer à cette lumineuse démonstration le
moindre argument sérieux, et la conclusion qui s'en dégage produira
sans nul doute une grande impression sur tout esprit impartial.
Je vous remercie pour ma part, Éminence, de cette noble et
courageuse protestation et des salutaires avertissements qui l'accom-
pagnent, et qui prennent sous votre plume un caractère spécial d'au-
torité et de majesté. Seront-ils compris par ceux qui animaient si
grand intérêt à en tenir compte? On ne peut guère l'espérer; mais
du moins, si vos prévisions, hélas! trop fondées, se réalisent; si la
France doit, dans un avenir prochain, passer par ces rudes épreuves
dont la menace gronde déjà terrible à l'horizon, on ne reprochera
pas aux évoques, et en particulier à Votre Eminence, d'avoir manqué
de clairvoyance pour prévoir ces malheurs, ou de courage et de
patriotisme pour jeter le cri d'alarme et s'efforcer de les prévenir.
Nîmes. — Mgr l'évêque de Nîmes :
Vous avez porté, au nom de l'épiscopat français, vos doléances et
vos avertissements au chef de l'Etat, et personne d'entre vos collè-
gues n'hésitera à reconnaître que vous vous êtes fait de la manière
la plus opportune l'interprète nécessaire des sentiments de tous.
Dans le temps où le clergé tenait des assemblées générales, vous
auriez été délégué par le suffrage unanime de vos pairs pour remplir
auprès des rois de France la délicate mission dont les Beaumont et
les La Rochefoucauld s'acquittèrent jusqu'à la veille de la Révolution
française.
Quel que soit l'accueil que les pouvoirs publics fassent à vos cou--
rageuses et éloquentes réclamations, l'histoire en tiendra compte e
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 191
la postérité s'en souviendra. Nous sentons d'ailleurs que nous ne
parlons pas seulement au nom du clergé, mais au nom du peuple ;
que le peuple est avec nous, et que les factions qui s'unissent dans
les Chambres pour nous accabler de leur poids ne représentent ni la
France, ni même la République.
Il y a, au-dessus de ces majorités parlementaires et factices liguées
contre l'Eglise, une majorité réelle, profonde, immense, un peu con-
fuse encore, mais qui se forme et qui s'éclaire tous les jours, et
qui tôt ou tard imposera à ses mandataires de rendre à l'Eglise les
trois choses qu'on lui refuse aujourd'hui : le respect, la justice et la
liberté.
Nous venons de parcourir une partie de notre diocèse, et partout
on n-ovLS a fait assez comprendre quel attachement, quelle obéissance,
quelle fidélité on entend garder envers la religion.
On a eu beau nier nos dogmes dans le Sénat, lo Sénat a eu
beau applaudir â ces négations et en décréter l'affichage dans toutes
les communes de France; ce ne sont pas ces affiches d'un jour qui
prévaudront jamais contre le catéchisme. On n'a pas même pris la
peine de les lire, et le premier souffle du printemps en a déjà balayé
les lambeaux.
Hier, j'ai salué à l'angle d'un jardin, près de la première mai-
son de Castillon-du-Gard, une croix toute parée de fleurs et au-des-
sous de laquelle on lit cette inscription : Le monde passe, la Croix
reste. Ainsi passera la tempête du jour. Vous avez eu, Eminence, le
courage de la signaler; nous la braverons avec vous, pieusement age-
nouillés autour de la Croix qui ne passe jamais, et nous nous relève-
rons, sous ses bras protecteurs, pour semer, planter et bâtir encore,
dussions-nous semer, planter et bâtir au milieu de nouA''elles ruines.
Pamiers. — Mgr l'évêque de Pamiers :
Votre lettre à M. le président de la République soulage la con-
science des catholiques, rafi'ermit le courage des prêtres menacés, et
porte une lueur d'espoir aux religieux atteints dans leur existence
et dans leur liberté. De tout cœur j'adhère à cette noble et ferme
protestation : c'est celle du droit méconnu, de la liberté outragée;
c'est l'affirmation calme et sereine de la vitalité de l'Eglise, qui ae
chancelle pas sous un décret, qui ne succombe pas sous un système
de lois, mais qui, malgré tous les obstacles, persévère dans la pra-
tique du bien et, après la tourmente, apparaît de nouveau d'autant
plus nécessaire aux particuliers et aux peuples qu'elle a été plus
méconnue. Répétée par mille et mille voix sympathiques, votre
parole éveillera les consciences opprimées et fera avancer l'heure
inévitable de la réparation et de la justice.
Rodez. — Mgr l'évêque de Rodez :
Vous nous avez habitués dans toutes les grandes circonstances
192 ANNALBS CATHOLIQUES
à parler en notre nom, et nous ne saurions avoir de plus cligne repré-
sentant de notre cause, ni de meilleur défenseur de nos droits.
... Avec bien moins d'autorité que Votre Eminence, mais avec la
même conviction des torts que nos pouvoirs publics faisaient au
pays, en poursuivant ces attaques injustifiées contre l'Église, que
tous les bons citoyens déplorent depuis cinq ou six ans, j'exprimais
dernièrement, à Paris, mes craintes et mes alarmes à M. le président
du conseil des ministres.
Il voulut bien me répondre qu'il lui semblait que la crise dont je
me plaignais entrait dans une période descendante, et que l'on mar-
cliait vers un apaisement qu'il était le premier à désirer. J'aurais été
bien heureux de voir ces espérances se réaliser et ne pas devenir une
généreuse illusion.
Les événements qui se passent dans mon diocèse depuis deux mois
ne donnent que trop raison aux appréhensions qiie vous manifestez
dans votre lettre et à mes propres pressentiments. Cette grève de
Decazeville qui se prolonge aux yeux de l'Europe étonnée et qui
semble n'être que le premier épisode de la guerre sociale qui se
prépare partout, nous dit assez ce que seraient les populations
modernes lorsqu'on leur aurait enlevé le frein salutaire de la
religion et de la conscience. On ne verrait que de coupables excita-
tions d'un côté, et les plus dangereux entraînements à la suite.
Quand Dieu, le premier maître, ne sera plus servi, les autres
devoirs ne seront pas mieux remplis. Quand on aura laissé au
pauvre, au déshérité des biens matériels, d'autre perspective qu'un
labeur incessant ici-bas et le néant après la mort, on n'en aura fait
qu'un révolté qui demandera hardiment sa part au bien-être com-
mun, et qui la prendra violemment si elle ne lui est pas donnée
telle qu'il la conçoit et telle que les flatteurs la lui montrent. Quand
on éloignera les peuples de Dieu, il faudra les rapprocher du gen-
darme; lorsque l'église sera fermée, il faudra multiplier les lieux de
sauvegarde et de réclusion.
... L'avenir de notre pays est entre les mains de Dieu; il se fait
tous les jours d'ardentes prières, par des âmes bien pures, pour
qu'il continue de l'aimer et de le protéger. Mais puisque, dans votre
lettre à M. le président de la République, vous avez fait appel à
l'histoire, permettez à un vieux professeur de cette Sorbonne théolo-
gique qui a vu fermer ses portes pour les ouvrir à ses contradicteurs,
de vous dire ce que l'histoire lui a appris avec Bossuet, et ce qu'elle
apprendra à quiconque voudra l'étudier sincèrement et sans parti-
pris : c'est que les nations qui se séparent de Dieu et de sa loi se
séparent de tous les principes d'élévation et de grandeur, et tombent
infailliblement dans l'asservissement et dans la ruine.
Que Dieu écarte de notre pauvre France les malheurs qu'un tel
divorce améliorait après lui !
LE SAINT-SIÈGE ET L'aLLEMAGNE 193
Toulouse. — S. Em. le cardinal Desprez, archevêque de
Toulouse :
Au nom de la vérité et de la justice, au nom de la religion et du
clergé de France, je viens vous remercier de la lettre que vous
avez cru devoir adresser à M. le président de la République.
J'adhère pleinement à tous les sentiments et à toutes les obser-
vations exprimés dans cette lettre, qui ajoute une belle page à
l'histoire déjà si belle de votre vie.
Troyes. — Mgr l'évêque de Trojes :
Votre longue expérience, votre situation exceptionnelle, votre
sagesse et vos vertus donnent à cette lettre, qui deviendra un
document précieux pour l'histoire, un caractère particulier de
grandeur et d'élévation qui commande à tous l'attention et le
respect. J'adhère, de toute mon âme d'évêque et de Français, aux
sentiments que vous exprimez et aux observations si justes que
vous présentez à ceux qui sont investis de la puissance politique.
Je demande à Dieu de vous conserver longtemps encore à l'E-
glise de France et au diocèse de Paris; vous êtes pour nous
tous une lumière, une force et un vaillant défenseur de nos plus
chers intérêts.
LE SAINT-SIEGE ET L'ALLEMAGNE
Si le Reichstag a commencé ses vacances de Pâques, ce n'est
pas une raison pour que les négociations entre le gouvernement
prussien et le Saint-Siège subissent une interruption.
Voici le texte de la note relative à V Anzeigepflicht^ que le
cardinal Jacobini a adressée le 4 avril à l'envoyé de Prusse
auprès du Vatican :
Dans la dernière note du 26 du mois dernier, le cardinal secré-
taire d'Elat soussigné a communiqué à Son Excellence l'envoyé
extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Prusse qu'immédia-
tement après que le projet de loi actuel, avec les changements
qu'on sait, serait accepté et promulgué, on chargerait les évêques
de notifier au gouvernement prussien les noms des ecclésiasiiques
qui seront appelés aux paroisses pour le moment vacantes. On
ajoutait que si dans l'avenir, comme on peut l'espérer, la paix
religieuse est atteinte, la notification pourrait être étendue. Cette
marche à suivre avait été arrêtée par suite de la considération que,
194 ANNALES CATHOLIQUES
quoique le présent projet avec ses derniers amendements contienne
des améliorations essentielles, dont on reconnaît volontiers l'im-
portance, cependant on ne peut admettre que la paix religieuse
soit complètement atteinte tant que subsistent encore d'autres
dispositions de la précédente législation dont il n'est pas fait
mention dans le projet de loi. C'est pour cela qu'on estime que
l'autorisation de la notification pour les cures actuellement va-
cantes constituait une avance importante et que, par l'accord pro-
gressif, on préparait le terrain par une paix religieuse complète.
Par là, l'autorisation permanente de la notification correspondra
avec cet état d'ordre complet que le Saint-Siège verrait avec
plaisir réalisé le plus tôt possible.
De leur côté, les catholiques ne verraient pas avec satisfaction
le Saint-Siège accorder cette autorisation permanente avant qu'il
leur soit donné de jouir de la paix religieuse définitive. Aussi
compte-t-on sur des dispositions conformes à la nature da 1»
chose et qui se trouvent exprimées dans les précédents documents
du Saint-Siège.
On a cependant appris de différents côtés, et spécialement par
la dernière déclaration de S. Exe. le prince de Bismarck, que le
présent projet de loi avec ses derniers amendements serait diffici-
lement adopté par la majorité du Parlement, si le Saint-Siège ne
consentait pas à autoriser dès maintenant la notification perma-
nente. Le Saint-Père, pénétré de la gravité de cette pénible situa-
tion, proposerait au gouvernement prussien, pour diminuer des
deux côtés les difficultés, que le présent projet de loi se complétât
par la révision des dispositions antérieures dont il n'est pas parlé
dans ce projet, de façon qu'on pût compter sûrement sur une
complète restauration de la paix religieuse.
L'acceptation de cette proposition donnerait entière satisfaction
au Saint-Père et serait accueillie avec une si véi'itable joie par les
catholiques, que Sa Sainteté pourrait dès maintenant concéder la
notification permanente. Si, cependant, dans les circonstances
actuelles, la complète et immédiate révision des lois de mai ne
pouvait être accomplie dans le sens indiqué, le cardinal secrétaire
d'État soussigné est autorisé à faire connaître que, dès que le
Saint-Siège aura reçu officiellement l'assurance qu'on entreprendra
cette révision dans un avenir très prochain, le Saint-Père accor-
dera la notification permanente dans le sens de la réponse qui est
contenue dans la note du 26 mars à la 3* question posée par
l'ambassade prussienne dans sa note du même jour.
Le gouvernement prussien reconnaîtra dans ces dernières pro-
positions une nouvelle preuve du souci continuel qu'a le Saint-
Père d'arriver à la paix religieuse, comme aussi de ses efforts pour
écarter les obstacles dans l'examen des moyens qui pourraient
amener la paix. Signé : Cardinal Jacobini..
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 195
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME (])
SIXIÈME CONFÉRENCE. — Les ennemis du sacerdoce.
Le Sacerdoce, si élevé au-dessus de tous les pouvoirs de ce
monde, si nécessaire à la vie religieuse des peuples, si bienfai-
sant à l'humanité, si évidemment divin dans son origine, son
caractère et ses fonctions, ne devrait rencontrer autour de lui
qu'admiration, respect et reconnaissance. Mais il semble que
Dieu ait redouté pour son prêtre l'enivrement de la grandeur;
et même en celui que les honneurs ne pouvaient séduire, il
lui a préparé des contradicteurs. Et peu à peu, plus le sacer-
doce affirme son action, plus la contradiction devient violente
et plus les ennemis se multiplient. Les bienfaits et le dévoue-
ment du clergé n'ont désarmé ni la haine du monde, ni
l'infernal besoin de persécution qui le tourmente ; et présente-
ment, l'on dirait que Dieu veut nous ramener aux plus mauvais
jours de la contradiction.
Nous sommes aujourd'hui en présence des ennemis du sacer-
doce. Qui sont-ils? — Que reprochent-ils au clergé? — Où
veulent-ils en venir en lui faisant la guerre?
Nous sommes le nombre, disent les ennemis du sacerdoce.
Cette affirmation est bien osée et l'on peut douter qu'elle
puisse soutenir le contrôle d'une statistique générale de l'état
des consciences et des besoins religieux qui tourmentent, plus
qu'on ne le croit, la masse populaire. Dans ce nombre dont se
.glorifie l'impiété, il ne faut évidemment pas compter ceux qui,
n'ayant point le droit légal de sufi'rage, ont cependant une
âme à sauver et qui prétendent user pour cela du ministère de
ceux qui ont reçu de Dieu leurs pouvoirs : enfants, à l'âme
naïve, adolescents troublés par l'approche des passions, femmes,
(1) Cette analyse des Conférences du R. P. Monsabré à Notre-Dame
de Paris est faite exclusivetnent pour les Annales Catholiques.
Nous rappelons que les conférences du R. P. Monsabré sont
publiées in extenso dans V Année dominicaine, en suppléments qui
se vendent séparément, 25 centimes chaque, ou 1 fr. 50 les neuf
suppléments (par abonnement).
196 ANNALES CATHOLIQUES
dont le cœur naturelleroeiit religieux ne peut trouver que dans
les mystères de grâce, dispensés par le sacerdoce, le soutien
d'un fidèle amour et d'un perpétuel dèvoùment. Retranchez avec
cela les hommes convaincus dont la vie chrétienne est une
profession publique de respect et de soumission envers les
ministres de Dieu; retranchez même, parmi ceux dont Timpiété
enregistre les suifrages à son profit, une foule d'indifférents,
déshabitués des pratiques religieuses, mais conservant au fond
de l'âme le levain de foi que leur a donné le baptême et peu
disposés à l'étouffer par l'apostasie. Et, après ces retranche-
ments, faites la somme de ce qui reste et dites si les ennemis du
sacerdoce ont bien le droit de s'écrier : — Nous sommes le
nombre!
Et quand ce serait! — Le nombre ne peut rien contre Dieu,
ni contre les oeuvres divines. N'était-ce pas le nombre qui écra-
sait le divin Prêtre à l'heure oii il allait consommer son sacri
fice? N'était-ce pas le nombre : le nombre immense, animé des
plus mauvaises passions et armé de toutes les violences, qui se
dressait devant les douze hommes auxquels Jésus-Christ venait
de confier ses pouvoirs?
Le nombre, par lui-même, ne prouve r'en contre le droit.
C'est une force bête et brutale quand il s'attaque au droit. Il
peut le violer, il ne le supprime pas ; il ne prouve absolument
rien contre lui.
Ah ! on pourrait avoir peur du nombre s'il était en même
temps la raison et la vertu, parce qu'alors il pourrait nous faire
douter de notre droit. Mais c'est précisément ce que l'on cher-
cherait en vain chez les ennemis du sacerdoce. Ce n'est point
par des appels au bon sens des masses, ni par des arguments
capables de convaincre ceux qui raisonnent qu'ils recrutent des
adhésions à leur parti pris; mais bien par de vieux mensonges
dont l'ignorance et la légèreté n'iront jamais chercher nulle
part la réfutation, et surtout par des déclamations passionnées
où figurent une demi-douzaine d'invectives prenant la tournure
d'aphorismes ; celles-ci par exemple: Le sacerdoce étouffe la
raison humaine dans la superstition ; — le parti-prêtre a hor-
reur de la liberté et du progrès; — le cléricalisme c'est
l'ennemi !
Non seulement le nombre, tout à fait discutable, dont se
vantent les ennemis du sacerdoce, n'est pas la raison : il n'est
pas la vertu.
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 197
On pourrait s'émouvoir de rencontrer chez ceux qui nous
font la guerre les grandes vertus qui ont illustré le sacerdoce,
particulièrenaent cette profonde abnégation, ce parfait désinté-
ressement, cette active charité, ces dévoiiraents héroïques dont
il s'est montré prodigue dans tous les âges de sa longue his-
toire et dont il donne encore de si beaux exemples. Mais, Dieu
merci, nous n'avons rien à craindre de ce côté, et nous pouvons
toujours croire que ce n'est pas sans une assistance divine que
la sainteté fleurit dans l'état sacerdotal.
Certes, je ne prétends pas que nos ennemis sont absolument
dépourvus de toute honnêteté. Il y a parmi eux des infortunés
qui n'ont jamais connu de la religion, de l'Eglise, du sacerdoce,
que le mal qu'on leur en a dit, et chez qui la prêtrophobie est
une sorte de maladie mentale qu'ils allient tant bien que mal
avec certaines vertus naturelles. Ces maniaques, hélas ! sont
l'exception. Combien qui ne sont devenus les ennemis du prêtre
qu'après avoir abjuré leur foi! Evidemment le prêtre est de
trop pour eux. « Entourons-le, disent-ils : Circumveniamus
Justum. Opprimons-le par l'injure et la persécution : Contu-
melia et tormento interrogamus eum. »
Et maintenant, regardez et voyez l'effet produit par ce cri de
guerre ; sont-ce les honnêtes gens qu'il rallie? Non. — Mais il
fait tressaillir les passions violentes et abjectes. Vous pouvez
être sûrs de rencontrer à peu prés tous les voleurs, tous les ■
intempérants, tous les libertins, tous les tarés dans les bataillons
panachés que recrutent les ennemis du sacerdoce. Si c'est avec
cela qu'on fait le nombre, il n'y a pas lieu de s'en vanter.
En fin de compte, ce n'est donc ni le nombre, ni la raison, ni
la vertu qui font la guerre au prêtre, c'est une secte vouée par
serment à la destruction des choses saintes, et depuis longtemps
démasquée ; c'est la passion aveugle que, ni l'intérêt de la
chose publique, ni la honte de ses conséquences ne peuvent
contenir; c'est l'iniquité impudente appelant à son aide tous les
vices pour se débarrasser des hommes sacrés dont la mission et
les vertus lui sont devenues un insupportable fardeau. Certes,
on pourrait se contenter de mépriser de pareils ennemis jusqu'à
ce que Dieu les traite comme ils le méritent. Cependant, je
crois qu'il est à propos de discuter les reproches qu'ils nous
adressent, puisque c'est au moyen de ces reproches qu'ils
espèrent pervertir l'esprit public et créer en leur faveur l'illu-
sion du nombre.
-198 AN M A LES CATHOLIQUES
II
L'acte d'accusation qui pèse sur le sacerdoce est chargé et
s'enrichit tous les jours de quelque nouveau détail. Il suffit,
sans en discuter tous les articles, de les ramener à ces trois
chefs : les idées, les tendances, les mœurs.
Le prêtre n'est pas de son temps, dit-on, ses idées sont
rétrogrades.
Que le prêtre soit le gardien des grands principes qui, appro-
chant de plus près des causes premières et finales de toutes
choses, pénétrent tout, commandent tout, règlent tout, qu'il ait
reçu en dépôt des vérités divines qu'il faut croire, bien que la
raison ne puisse, ni les découvrir par ses propres forces, ni les
comprendre ; que ces principes soient inflexibles, que ces vérités
soient immuables, c'est incontestable. Mais, l'inflexible, l'im-
muable, sont nécessaires à toute science et à tout progrès. Ils
n'étouffent pas l'activité de l'esprit humain ; ils la contiennent,
ils la mesurent, ils la préservent des courses folles et des hon-
teux avortements auxquels la condamneraient fatalement des
évolutions sans règle. L'inflexible, l'immuable n'ont point em-
pêché de grandes âmes sacerdotales de devancer leur siècle sur
la voie des sciences et du progrès. Et aujourd'hui encore, dans
tontes les sciences philosophiques, historiques, physiques et
mathémathiques, ne voit-on pas figurer avec honneur des noms
de prêtres ?
Le prêtre cultive la science et il en bénit ces heureuses appli-
cations qu'on appelle le progrès. Il est vrai que, au nom de
l'inflexible et de l'immuable, il condamne les abus que l'on fait
de la science, les conclusions erronées qu'on en tire, et signale
les fausses routes que prend le progrès; mais, agir ainsi, c'est
se conduire en ami sage et éclairé et non pas en ennemi. Quant
aux besoins et aux aspirations modernes, personne ne les com-
prend mieux et ne les respecte plus que le prêtre; mais toujours
armé de l'inflexible et de l'immuable, il en modère l'élan et les
arrête sur les pentes oh besoins et aspirations no tarderaient pas
à dégénérer en appétits dépravés et en désirs criminels.
Vous aimez la liberté ! — Prenez-en tant que vous voudrez
pour faire ce qui est juste, honnête et saint, en cela il n'y a pas
de limites.
Vous aspirez à l'expansion de vos idées. — Allez-y de bon
cœur, pourvu que vos idées soient justes et saines.
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 199'
Vous voulez qu'on respecte la conscience individuelle. — Res-
pectez-la.
Vous avez besoin de répandre l'instruction parmi le peuple.
— Cela n'est pas nouveau. Depuis longtemps le sacerdoce vous
a précédés dans cette grande œuvre.
L'égalité vous plaît. — C'est bien, vous ne la ferez jamais
aussi belle et aussi touchante que les prêtres l'ont faite.
Vous demandez la participation du peuple au gouvernement
des aifaires. Il n'j a rien à reprendre à cela. Le sacerdoce, dans
les institutions monastiques, fonctionne depuis longtemps sous
ce régime.
Vous êtes les enfants de la révolution. — Mais vous avez fait
de la révolution une chose folle, indécente, atroce, monstrueuse,
déshonorante par les souvenirs qu'elle évoque et les menaces
qu'elle fait entendre. Eh bien ! sachez que, si tout être doit
progresser, si tout progrès s'accomplit par des révolutions, une
vraie révolution n'est pas une catastrophe ruineuse, mais un
mouvement tranquille et pacifique, procédant dans l'ordre, et
oifrant, à point nommé, la face des sociétés qui doit être éclairée,
réchauffée, vivifiée, glorifiée, au radieux et éternel soleil qu'on
appelle la vérité suprême et le souverain bien.
Tel est le langage du sacerdoce, langage des idées hautes et
larges. Ces idées ne peuvent être "méconnues que par ceux qui
prennent pour de la hauteur les enflures de l'orgueil, pour de la
largeur les excentricités d'une volonté mal réglée.
Justifiée du côté des idées, le sacerdoce peut l'être facilement
du côté des tendances. Il en est une qu'on lui reproche avec
plus d'opiniâtreté et d'insistance : la tendance à la domination.
Les ambitions et les empiétements du clergé ne sont pas aux
yeux des masses ignorantes un moindre épouvantail que ses
idées rétrogrades.
L'heure est bien choisie, vraiment, pour porter contre le
sacerdoce une pareille accusation.
A part certaines personnalités ambitieuses et entreprenantes
qui ne peuvent compromettre toute la race sacrée des ministres
de Dieu, le sacerdoce n'est jamais allé de son propre mouve-
ment au-devant des honneurs ni des offices publics. Quand on
l'en a requis, il a rendu des services qui n'ont pas été sans
gloire, toujours pénétré de cette conviction : que le gouverne-
ment des affaires de ce monde ne peut être qu'un accident dans
sa vie, et qu'il ne se doit, par devoir, qu'au gouvernement des
âmes.
200 ANNALES CATHOLIQUES
Cette conviction est trop manifeste et trop bien établie au-
jourd'liui pour qu'on l'ignore et qu'on n'en tienne pas compte.
Aussi, la domination que craignent les ennemis du sacerdoce
n'est-elle point celle qu'ils accusent le clergé de convoiter,
mais bien la domination du Christ, que le clergé a reçu de Dieu
même la mission de faire régner dans les âmes.
Mais qu'ils ne comptent pas que leurs menaces et leurs vio-
lences fassent jamais fléchir le prêtre sur ce point. Oui, nous
voulons que le Christ régne dans les âmes par sa vérité, sa loi,
sa grâce !... Oui, nous voulons être libres de travailler à son
règne. Et nous le serons, dussions-nous y mettre notre sang !
Arrivons à une troisième accusation, plus délicate, et peut-
être plus dangereuse, parce qu'elle a plus de prise sur l'opinion
publique. Elle vise les mœurs du clergé et se résume en ces
quelques mots dont on fait grand bruit: scandales du clergé,
Certes, nous ne nions pas les torts des prêtres infidèles à l'es-
prit et aux devoirs de leur vocation, mais nous devons protester,
au nom de la justice, contre la déloyale, impudente et lâche
exploitation qu'on en fait au détriment de la plus respectable
des corporations.
Pour quelques faits certains, combien de soupçons sans fon-
dement ! combien d'insinuations perfides ! Toute accusation
contre un prêtre semble de bonne prise, et il en coûterait trop
à la main déloyale de ses ennemis de l'arracher du pilori oii
elle flétrit l'innocence.
A la déloj'auté, ajoutez l'impudence. Non seulement la plu-
part des fautes qu'on reproche au clergé, comme des crimes,
passent inaperçues ou sont facilement absoutes dans la vie des
autres hommes ; mais les ennemis du sacerdoce leur ont préparé
une excuse dont ils ne veulent tenir aucun compte lorsque la
faute est commise. Que n'ont-ils pas dit et écrit, par exemple,
contre la loi du célibat ecclésiastique? Avec quelle âpreté ils
s'appliquent à démontrer qu'elle outrage la nature, qu'elle est
au-dessus des forces de l'homme, qu'il faut l'abolir! Et quand
un malheureux prêtre l'enfreint^ au lieu de l'accueillir comme
un libre et courageux champion du droit naturel et hun-.ain
dont ils se sont faits les apôtres, ils l'accablent de leurs récri-
minations et accrochent à sa soutane leur écriteau d'infamie :
scandales du clergé ! — Exécrables tartufes !
Et ces tartufes sont des lâches. Ils connaissent les habitudes
timides et pacifiques des hommes d'Eglise. Et ils abusent de
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 201
son humilité et de sa charité pour grossir jusqu'à la pro[)ortion
du crime des faits sans importance, pour donner à de mépri-
sables commérages l'allure de récits authentiques, pour trans-
former en accusations sérieuses des dénonciations aussi bêtes
que méchantes, pour manger tous les jours un peu de prêtre
dans les entrefilets et colonnes de leurs feuilles impies.
L'ex[jloitation des scandales du clergé est déloyale, impu-
dente et lâche. Mais les scandales subsistent, dira-i-on. Eh !
oui. Il y en a aujourd'hui, il y en avait hier, il y en a toujours
eu. Le divin Prêtre, en communiquant ses pouvoirs à des
hommes, ne leur a point transmis son impeccabilité.
Dieu a permis et permet encore les défections dans le corps
sacré à qui il a contié ses pouvoirs, afin de montrer que ces
pouvoirs sont indépendants du mérite de celui qui les reçoit;
qu'ils ne t^ont point donnés à l'homme pour lui-même, mais pour
un service public auquel le peuple chrétien peut et doit toujours
recourir.
Cependant, il faut bien le dire, la réprobation du scandale
vous frappe moins que le scandale lui-même. Pourquoi cela?
Parce que, quoi qu'on dise et qu'on fasse, nous croyons à la
grandeur du prêtre. Aux autres hommes publics nous nous con-
tentons de demander la probité; du prêtre nous attendons la
sainteté comme une chose naturelle à son état.
En somme, c'est moins la quantité des désordres qui nous
frappe dans le sacerdoce, que leur énorraité relative, et pour
peu que nous ayons quelque tendance à l'exagération, nous pas-
sons vite à des généralisations injustes.
« Votre œil malveillant, dit saint Augustin, ne voit que la
paille dans notre maison, si vous vouliez vous approcher davan-
tage, vous verriez bien vite le froment. » — Et ailleurs :
« Cherchez les fruits dans notre champ, le bon grain dans notre
aire, vous le trouverez facilement. Pourquoi ne prendre garde
qu'aux balayures? »
Les fruits dont parle le saint docteur ont plutôt augmenté que
diminué. Tenons-en compte et nous ne serons pas plus troublés
de ce que nos ennemis appeUent les scandales du clergé que de
sa tendance à la domination et de ses idées rétrogrades.
Pour conclure, encore quelques mots en réponse à cette troi-
sième question : Oia veulent en venir les ennemis du sacerdoce
en lui faisant la guerre ?
15
202 ANNALES CATHOLIQUES
m
L'entente est faite entre nos ennemis, sur le chapitre des
hostilités qu'il nous font subir, mais ils ne sont pas d'accord sur
le but qu'ils se proposent d'atteindre. Ceux-ci voudraient une
société sans religion. Ceux-là n'entendent pas priver l'homme
de tout commerce avec un être supérieur, s'il j croit; mais ils
prétendent que, pour cela, l'homme n'a pas besoin d'un inter-
médiaire, et qu'il peut régler directement avec la divinité ses
affaires de conscience : c'est la religion sans sacerdoce. D'autres
enfin daignent tenir compte des instincts religieux de l'huma-
nité. Ils accordent que certaines âmes ont besoin de pratiques
extérieures pour lesquelles l'intervention du prêtre est indis-
pensable, et qu'on ne peut abolir, tout à coup, une religion et
un sacerdoce enracinés depuis bientôt dix-neuf cents ans dans
les habitudes des peuples. Mais cette religion et ce sacerdoce
doivent renoncer à tout privilège et à toute influence sur le
monde moderne, et ne point embarrasser de leurs croyances,
lois, pratiques, besoins et exigences le gouvernement de la
société civile, essentiellement laïque et absolument maîtresse
de sa vie publique et de ses destinées.
Inutile de prouver qu'une société sans religion est une chose
bestiale et monstrueuse qu'on ne rencontre même pas chez les
sauvages les plus dégradés. Tous les eff'orts que fera l'impiété
pour se donner cette honte n'aboutiront qu'au déplacement d'un
profond instinct qu'on ne peut étouffer. Après avoir chassé le
Christ, ses adorateurs et ses prêtres, on verrait les hommes
essentiellement laïques, qui veulent une société sans religion,
verser dans une grossière et humiliante superstition, pontifiant
dans les temples profanés, défilant dans les rues sous quelque
habit grotesque à force de prétention. Et sur les autels au bout
du défilé, il j aurait leur saint sacrement : non plus un Dieu
caché sous les voiles pudiques d'une substance qu'il a trans-
formée, mais je ne sais quelle courtisane habillée en raison, ou
quelque gros imbécile déguisé en progrés. Nous serions bien
vengés.
Quant à la religion sans sacerdoce, nous avons vu que c'était
une chose impossible; impossible, parce que la société se devant
à Dieu et au même titre que l'individu, ne peut échapper
à l'obligation d'un culte public, pour lequel elle a besoin d'un
CONFÉRENCE DE NOTRE-DAME 203
représentant; impossible, parce que la religion tend à son acte
parfait qui est le sacrifice et que, par une disposition providen-
tielle, le sacrifice et le sacerdoce sont, partout, indissolublement
unis.
Reste le troisième but à atteindre : séparer la religion et le
sacerdoce de l'État. On sait ce qu'il faut penser théoriquement
de cette séparation. Une récente encyclique nous apprend de
quelle manière doivent être gouvernées les sociétés. Ce n'est
pas la séparation qu'elle enseigne, mais la nécessité d'un
système de rapports bien ordonné entre le pouvoir civil et le
sacerdoce.
Dût-on ne pas tenir compte de ces leçons, dit en terminant
l'orateur de Notre-Dame, il faudrait encore tenir compte d'une
difficulté pratique résultant des conventions sur la foi desquelles
la génération sacerdotale, actuellement existante, s'est engagée
au service public de la religion. Mais il est probable. Messieurs,
que ni la raison, ni le sentiment de l'honneur n'arrêteront les
ennemis du sacerdoce. — Qu'adviendra-t-il lorsqu'ils auront pro-
noncé leur sentence de divorce entre le sacré et le profane?
Fidèles à leurs principes, donneront-ils au sacerdoce la liberté ? Il
y en a parmi eux qui le disent et nous serons peut-être assez
naïfs pour le croire. Sans sacrifier la vérité théorique, nous accep-
terons loyalement de combattre les combats de Dieu avec l'arme
que l'ennemi aura mise entre nos mains. Mais si cette arme a
été frauduleusement forgée, si l'acier en est mal trempé et se
binse sur la cuirasse de parti pris et de mauvais vouloir dont se
couvre le faux libéralisme, la honte sera, non pas au chevalier qui
aura loyalement lutté pour la sainte cause de Dieu, mais au félon
qui l'aura trompé.
Hélas ! cette sinistre conclusion n'est que trop à craindre. L'hy-
pocrisie du grand nombre déguise mal la brutale franchise de
ceux qui obéissent, sans vergogne, à la logique de la haine.
L'amoindrissement et la déconsidération du sacerdoce ne leur
suffisent pas. Ils prononceront la séparation pour s'exonérer, au
mépris de la parole jurée, des engagements solennellement con-
tractés par le pouvoir, mais dans le fait ils ne se sépareront pas
plus du sacerdoce que le carnassier ne se sépare de la proie qu'il
dépèce. Après l'avoir amoindri et déconsidéré, ils voudront le
détruire, et après lui toute religion, jusqu'à ce qu'ils puissent dire:
a le nommé Dieu n'est plus, le monde est à nous. »
Avez-vous peur qu'ils ne triomphent. Messieurs? — rassurez-
vous. Le grand Apôtre dont vous avez entendu les plaintes au com-
mencement de ce discours, pousse un cri d'espoir et de confiance
204 ANNALES CATHOLIQUES
qui doit retentir au cœur de tous les prêtres et de tous les chréliens.
— « Nous sommes pressés de toutes parts, dit-il, mais nous
ne sommes pas étouffés : In omnibus tribulalionera patimur, sed
non angustiamur ; nous sommes appauvris, mais non dénués de
tout secours : Aporiamur, sed non destituimur; nous sommes per-
sécutés, mais non pas abandonnés : persecutionent patimur, sed
non dfirelinquimur ; nous sommes rejetés, mais nous ne périrons
pas : dejicimur, sed non périmas ». Et qui donc doit veiller sur le
sacerdoce, secourir sa misère, lui tenir compagnie dans le mal-
heur, l'empêcher de périr? — Vous, Messieurs, vous les tenants
de la cause de Dieu et les amis dévoués de ses prêtres, et avec
vous, au-dessus de vous, plus que vous, Dieu qui a compté les
heures des puissances de ténèbres, Dieu qui a dit à son prèlre :
« Entre loi et moi, c'est pour toujours : 2w es Sacerdos in
œternum. »
NECROLOGIE
Mgr IzQuiERDO, évêque de Madrid, au moment où il allait
bénir les ramoaux, le IS avril, a été frappé sur le seuil de sa
cathédrale de deux balles de revolver.
L'assassin est un prêtre du nom de Galeota. Il était aumônier
d'un couvent de religieuses de l'Incarnation et avait été destitué
pour cause de mauvaise conduite. Il donnait depuis quelque
temps des signes d'aliénation. Récemment il avait écrit à
l'évéque pour lui annoncer qu'il était résolu à laisser croître sa
barbe.
Le journal El Resumen dit que le prêtre Galeota lui avait
récemment apporté une annonce pour demander un emploi de
concierge. L'administration du journal avait refusé l'in.'ertion.
Galeota avait insisté à plusieurs reprises poi'.r qu'on publiât
ses doléances sur sa pauvreté. Il avait envoyé tout un cahier
renfermant ses plaintes, fondées sur le non paiement des messes
célébrées par lui, et les copies de lettres écrites à l'évéque et à
d'autres personnes pour demander à être occupé dans une
paroisse à un titre quelconque, même comme sacristain. On
avait cru avoir affaire à un fou.
El Progressa avait aussi reçu une vingtaine de lettres con-
çues dans le même sens. Ces lettres ont été remises au tribunal.
L'assassin arriva devant le portique de la cathédrale une
NÉCROLOGIE 205
demi-heure avant le crime. Il parla avec calme à plusieurs
vendeurs de rameaux, et leur demanda s'ils en vendaient beau-
coup et ajouta : « Je vais dans un instant faire une meilleure
affaire que vous. »
Des médecins sont immédiatement accourus pour donner des
soins à l'évêque. En lui enlevant ses vêtements, on a constaté
qu'il portait uu cilice.
Mgr Izquierdo a déclaré au juge d'instruction qu'il pardonnait
à son assassin qu'il ne connaissait pas. Il a ajouté qu'il ne vou-
lait pas se porter partie civile.
Le vénéré prélat a succombé à ses horribles blessures, le
lendemain à cinq heures un quart. Dés trois heures le prélat
avait perdu connaissance et son agonie commençait; elle a été
paisible. Prés du chevet du mourant se trouvaient le nonce qui
lui a administré les derniers sacrements, l'archevêque de
Tolède, le marquis de la Vega de Armijo et quelques familiers.
Pendant que les cloches, selon la coutume espagnole, son-
naient l'agonie, le spectacle dans les rues de Madrid était vrai-
ment émouvant. Rue de Tolède la foule était énorme, mais silen-
cieuse et comme atteinte par un malheur public. Les femmes
pleuraient, les hommes se découvraient respectueusement.
L'indignation contre le meurtrier est sans égrale.
Mgr Orbin, évêque de Fribourg, vient de mourir dans sa ville
épiscopale. Il n'était promu à la dignité épiscopale que depuis
moins de quatre ans. Né à Bruchsal, en 1806, il avait soixante-
seize ans quand le choix de ses collègues du chapitre de
Fribourg l'appela à prendre la succession, ouverte depuis 1868,
de Mgr Herraann de Vicari; à quoi il ne put se décider que sur
les pressantes instances de son souverain, le grand-duc de Bado,
qui l'avait en haute estime, du chapitre cathédral et surtout du
Pape. Après avoir passé les vingt premières années de sa vie
sacerdotale dans le ministère paroissial, en qualité de vicaire,
d'administrateur et de curé, il fut nommé chanoine en 1847 et
archiprêtre de la cathédrale. En 1868, alors qu'il s'agissait de
procéder au choix d'un nouvel archevêque, le chanoine Orbin
figurait sur la liste présentée au gouvernement : les exigences
du ministre grand-ducal Jolly, qui prétendait imposer au can-
didat un serment incompatible avec la conscience d'un prêtre,
206 ANNALES CATHOLIQUES
rendirent impossible le remplacement de l'archevêque décédé.
Cet état de choses devait se prolonger jusqu'en 1882.
Dans l'intervalle, le chanoine Orbin fut nommé « officiai », et
comme tel il fit preuve d'un zèle et d'une ponctualité exem-
plaires, en même temps que de la plus grande énergie dans la
défense des droits de l'Église vis-à-vis des prétentions gouver-
nementales, tandis que Mgr de Kiibel, évêque sans titre, admi-
nistrait le diocèse en qualité de vicaire capitulaire.
A la mort de ce dernier, eu 1881, le chanoine Orbin fut
appelé par le chapitre à lui succéder, et l'année suivante, grâce
à une détente générale dans les rapports des gouvernements
allemands avec le Saint-Slége, l'administrateur diocésain fut
élevé, malgré les répugnances dont nous avons parlé, au rang
de prince de l'Eglise. Depuis lors, dans les trop courtes années
que Mgr Orbin occupa le siège de Fribourg, tous ses efi"orts
s'étaient portés vers la pacification, qu'il appelait de tous ses
vœux et espérait bien voir se réaliser. Son espoir a été déçu,
quoique le prélat fût dans les meilleurs termes avec le gouver-
nement grand-ducal et en eût obtenu d'ailleurs plus d'une
concession.
On annonce la mort de :
M. le comte de Cornulier-Lucinière, sénateur inamovible et
frère de l'amiral Cornulier, sénateur de la Vendée, décédé il
y a deux mois. M. de Cornulier-Luciniére siégeait à droite et
avait fait partie de l'Assemblée nationale. Il était âgé de 77 ans.
La mort de ce sénateur catholique et royaliste inspirera de vifs
regrets ;
M. Gabriel Charmes, collaborateur du Journal des Débats et
à peine âgé de 35 ans, M. Gabriel Charmes avait rapidenaent
conquis une place d'élite dans la presse, et nous nous associons
à la douleur de sa famille et de ses collaborateurs. Ajoutons
qu'il a reçu avant de mourir les derniers sacrements ;
M. le baron de Cabrières, ancien officier de marine, frère de
Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, décédé au château
de Longua, près de Mussidan (Dordogne) ;
M. Edmond-Charles-Auguste de la Croix, duc de Castries,
beau-frère du maréchal Mac-Mahon, décédé à Paris à l'âge de
48 ans.
LES CHAMBRES 207
LES CHAMBRES
•leudi 1S> avril. — Sénat. — Adoption de divers projets de
loi sans importance.
Chambre des députés. — L'ordre du jour appelle la première déli-
bération sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la procé-
dure en matière de divorce et de séparation de corps.
L'urgence est déclarée.
M. DE LA Ferrière, au nom de la minorité de la commission, fait
des réserves sur le divorce en lui-même et ajoute que, la loi ayant
été votée, il n'aurait pas fait d'objection à la simplification de la
procédure, si le projet avait maintenu les garanties nécessaires d'une
résolution réfléchie; mais ce projet amoindrit les garanties exis-
tantes, et c'est pourquoi l'orateur et ses amis ne peuvent s'y associer.
(Très bien! à droite.)
Le projet est adopté.
Adoption du projet de loi sur l'espionnage.
"Vendredi lO avril. — M. d'Audiffret-Pasquier dépose
une demande d'interpellation sur les événements de Châteauvillain.
L'orateur dit qu'il a reçu du ministre de l'instruction publique et
des cultes une lettre l'informant qu'il annoncera demain, à l'ouver-
ture de la séance du Sénat, s'il lui est possible d'accepter l'inter-
pellation.
Le renvoi à demain est ordonné.
M. Dauphin dépose le rapport sur l'emprunt. La commission
approuve le projet sauf deux dispositions afin d'arrêter le développe-
ment de la dette flottante. Elle réclame la révision de la législation
des caisses d'épargne et propose d'en saisir le gouvernement avant
la discussion du budget de 1887.
Samedi IT avril. — Sénat. — Interpellation de M. d'Audif-
fret-Pasquier sur les événements de Châteauvillain.
Nous publierons plus bas in-extenso le discours de l'honorable
sénateur.
L'ordre du jour pur et simple demandé par M. Goblet est voté
par 191 voix contre 89.
Chambre des députés. — Vote de diverses lois d'intérêt local.
Hiundi 19 avril. — Sénat. — On aborde la discussion du
projet d'emprunt.
M. Chesnelong critique vivement le projet. Il compare la gestion
financière des gouvernements antérieurs à celle de la République.
En soixante-dix ans, les gouvernements antérieurs ont emprunté
208 ANNALES CATHOLIQUES
'325 millions à la dette Hottante, tandis que la République en a
emprunté 400 en huit ans. Tous ces emprunts sont inexplicables en
pleine paix. Vous dites que vous avez dépensé beaucoup, mais vous
n'avez pas enrichi le pays qui est plus malheureux que jamais.
L'orateur critique ensuite le projet lui-même et s'élève contre la
suppression de l'amortissement qui devrait être opéré au même prix
sans impôts nouveaux.
Le budget n'est donc pas en équilibre et l'emprunt est fait pour
combler le déficit et non pas pour consolider la dette flottante,
comme on l'annonce.
M. Dauphin soutient son rapport. Il affirme que le budget de 1887
est paifaitement équilibré et que l'emprunt proposé ne servira ni à
parfaire le budget de 1887 ni à des dépenses nouvelles.
M. Blavier demande que l'oQ ajourne le vote du projet jusqu'après
le vote de la loi assurant des garanties promises par le rapport.
Chambre des députés. — M. de Soland combat la pris=e en consi-
dération d'une proposition de M. Siegfried, portant modification des
articles 4 et 23 de la loi du 10 août 1871, relative aux conseils géné-
raux, et d'une propo?ition de M. Loustalot ayant pour objet le
doublement des conseillers généraux des cantons au-dessus do
20,000 habitants.
La prise en considération est adoptée. L'urgence est également
votée.
Mardi SO avril. — Sénat. — Suite de la discussion <le l'em-
prunt. L'honorable M. Blavier, monte à la tribune et achève son
savant et trop véridique exposé de la situation financière de la
République.
L'emprunt actuel, dit-il en substance, est un emprunt obligatoire
qui ne devait être voté qu'après l'examen du budg-^.t de 1887 dont il
est une conséquence. Le budget extra(jrdinaire ne sera nullement
supprimé ; en vertu des conventions avec les Compagnies de chemins
de fer, l'Ktat aura à payer des annuités fort lourdes pour rembourser
les travaux exécutés par elles, sans parler des garanties d'intérêt.
Tout le monde pense qu'il faut enrayer; les impôts directs eux-
mêmps donnent 28 millions de moins. Vous placez vos bons du
Trésor à 1 1/2, 2 0/0; vous faites l'emprunt à 3 0/0, vous allez donc
perdre la différence et augmenter vos charges.
M. Sadi-Carnot, ministre des finances, nous sert alors un dis-
cours dans lequel il réédite les vieux clichés sur la prospérité des
finances opportunistes, et se vante d'avoir présenté un budget très
exact.
L'honorable M. Chesnelong répond au ministre des finances ft
démontre éloquemment que la République n'a réussi, en huitanaéea,
l'affaire de chateauvillain 209
qu'à augmenter la dette publique de 4 milliards, sans avoir eu à
supporter de complications sérieuses à l'extérieur comme à l'intérieur.
Après une courte suspension de séance, l'orateur poursuit son
argumentation et dit que l'emprunt n'est nécessité que pour le
remboursement des bons du Trésor, soit 242 millions, c'est seule-
ment ce qu'il consentira à voter.
Il rappelle en terminant la contradiction flagrante qui existe entre
la déclaration faite par le cabinet lors de son arrivée aux affaires et
le projet qu'il patronne aujourd'hui.
Voici venir M. de Fheycinet. — Le président du conseil se donne
beaucoup de mal, pour démontrer que le budget est en équilibre
parfait. L'emprunt n'est donc nullement nécessité par l'insuffisance
budgétaire.
M. de Frpycinet défend comme il peut la déclaration faite par le
ministère à sa formation. 11 paraît que cette déclaration n'a jamais
voulu dire que le Gouvernement se refusait le droit de faire un
emprunt.
Il^lemande, en terminant, au Sénat, de voter le projet dans son
intégralité.
Le projet d'emprunt est voté, sauf l'article 7 qui est rejeté. Cet
article piévoyait un amortissement impossible à faire.
Chambre des députés. — Validation des élections de Tarn-et-
Garonue.
mercredi îSl avril. — Sénat. — Validation des élections de
MM. Decroix et Journault.
Dé|)ôt du projet de loi relatif à l'Exposition de 1889. — Vote de
divers projets de lois d'affaires.
Le Sénat s'ajourne au 2.3 mai.
Chambre des députés. — Vote par 350 voix contre 131 du projet
de loi relatif à l'Exposition universelle do 1889.
A loption du proj'^t d'empriiiit de 900 millions modifié par le Sénat.
Vote d'un crédit de 300,000 francs pour l'assainissement de Toulon.
La Cliambre s'ajourne au 25 mai.
L'AFFAIRE DE CHATEAUVILLAIN
Sénat. — Séance du 17 avril 1886.
M. LE DUC d'Audiffrkt-Pasquier. — Les événements de Chateau-
villain ont été l'objet d'une interpellation à la Chambre des députés.
Les explications par lesquelles M. le ministre a répondu à nos élo-
quents amis m'ont paru excessives et incomplètes. Pourquoi a-t-il été
210 ANNALES CATHOLIQUES
retirer de la poussière un décret et une loi auxquels personne ne son-
geait plus et qui ont été faits pour protéger la religion catholique?
M. Faustin Hélie, qui est un des vôtres et dont vous vous honorez
avec juste raison, et M. le procureur général Dupin, qu'on n'accusera
pas d'être un clérical, disent que ce décret et cette loi ne sont plus
applicables, qu'ils porteraient atteinte à la liberté des cultes garantie
par la Charte de 1830 et par la Constitution de 1848.
Même en admettant votre droit, il vous resterait encore â m'expli-
quer pourquoi et comment vous en avez usé. J'ai lu et relu vos expli-
cations â la Chambre des députés, les rapports que vous lui avez
communiqués. Je n'y ai rien trouvé de satisfaisant.
Non, rien, absolument rien.
Le maire et le curé, dit-on, n'étaient pas d'accord. Eh bien? cela
arrive. L'attitude du curé était hostile : vous avez allégué, mais vous
n'avez rien prouvé à ce sujet.
Comment avez-vous pu apprécier la gravité de faits que vous ne
connaissiez qu'imparfaitement? ou si vous aviez des documents, des
preuves décisives confirmant votre appréciation, pourquoi n'en avez-
vous pas fait part à la Chambre? Il n'y a donc rien.
Si, je me trompe : il y a quelque chose. Il y a la conduite du vicaire,
il y a des paroles de lui peu respectueuses pour certains membres du
conseil municipal. Il aurait poussé, dit-on, l'irrévérence jusqu'à com-
parer certaines têtes municipales à des têtes d'animaux. Peut-on
penser que les membres du conseil municipal demeuraient en reste,
ou même n'osaient pas provoquer ces irrévérences? Est-ce pour de
pareilles vétilles que vous avez jugé qu'il y avait lieu d'agir?
Ah! il y a encore l'hostilité du curé envers le maire. Il y a â ce
propos un point bien singulier dans vos explications. Ce maire a
appelé sur le curé les sévérités administratives : on a suspendu son
traitement. Y a-t-il lieu de s'étonner de son mécontentement? Non,
mais ce qui peut paraître surprenant, c'est que cette suspension de
traitement, vous l'ignoriez. Vous l'avez dit â la tribune : le préfet
avait suspendu le traitement en omettant de vous en avertir. (Rires
et approbation à droite.)
En vérité, vos agents politiques ont des mœurs singulières!
Dernièrement, on nous révélait qu'un sous-préfet des Landes avait
violé le secret des lettres. (Exclamations à droite.)
Voilà un préfet qui suspend un traitement ecclésiastique sans vous
en informer, enlevant ainsi à la victime cette chance d'impartialité
qu'elle pouvait trouver dans le recours â l'autorité supérieure.
Eh bien ! on dépouille arbitrairement un curé de son traitement,
et vous êtes étonné qu'il ne soit pas content; moi, je trouve cela
assez naturel. (Rires sur divers bancs.)
Mais enfin, le curé et le vicaire se sont mal conduits, avec hostilité,
avec irrévérence, envers la municipalité, et vous frappez qui ? le
l'affaire de chateauvillain 211
propriétaire de l'usine et son délégué, et leis braves femmes qui
fréquentent la chapelle de l'usine. Mais quel rapport cela a-t-il
avec le crime de lèse-majesté municipale que vous reprochez au
curé ? (Très bien ! à droite.)
Pourquoi les frappez-vous ? Est-ce que vous croyez que c'est peu
de chose que de fermer une chapelle dont on jouissait paisiblement
depuis quarante-trois ans ? Elle rappelait à tous bien des souvenirs :
plus d'un y avait fait sa première communion, s'y était marié ; ses
dalles étaient usées par les pieds des anciens. Il y avait là pour tous
ces braves gens une source de pieux et chers souvenirs. On ne touche
pas à cela impunément.
On ne touche pas impunément à ces souvenirs bénis que les
paysans, retenus aux champs toute la semaine par un rude labeur,
ae rappelle le dimanche, près du seuil sacré, en rattachant ce sou-
■ venir à des espérances consolatrices. (Vive approbation et applaudis-
sements à droite.)
Est-ce un pareil lieu qu'on ferme brusquement avec une brutalité
qu'on ne mettrait pas à fermer un estaminet ?
Je dis que vous n'en aviez pas le droit et que vous n'auriez pu
prendre une aussi grave décision que si la chapelle avait été le
théâtre de désordres, si on s'y était livré â des prédications séditieuses.
Je vous somme donc, au nom du bon sens et de la raison publique,
de nous dire pourquoi vous avez fermé cette chapelle, en vous
exposant â des conséquences dont la réalisation irréparable vous a
si cruellement punis. (Très bien ! très bien ! à droite.)
Voilà ma première question.
Je vais passer à la seconde, c'est-à-dire â l'exécution. (Mouvement.)
, Voyons vos instructions. Vous avez prévu le cas de résistance et
avez ordonné à votre sous-préfet d'avoir recours à l'autorité judiciaire
et de vous en référer ; il vous a désobéi de point en point.
M. Giraud avait écrit à M. Fischer pour lui dire de se soumettre ; on
dit que celui-ci avait lu cette lettre, j'affirme qu'il ne l'avait pas lue ;
il suffisait donc de quelques heures de patience pour éviter la scène
sanglante que vous connaissez. M. Fischer avait lu la consultation
de M. Jules Grévy sur l'inviolabilité du domicile, consultation signée
par MM. Gatineau, Jules Favre, Le Rpyer, Jules Ferry et tant
d'autres. Il voyait aussi qu'à la salle Favié et ailleurs on prêche
ouvertement le pillage et l'assassinat. Comment a-t-il pu croire
qu'en laissant de pareilles prédications impunies on irait poursuivre
de malheureuses femmes qui prient dans un endroit écarté?
Mais, me direz-vous peut-être, vous faites là de M. Fischer un
portrait qui n'est pas exact.
M. Fischer affichait des sentiments hostiles; il était poussé par le
curé, par le vicaire... Eh bien, s'il en était ainsi, je vous refuserais
le droit de lui savoir mauvais gré.
212 ANNALES CATHOLIQUES
Qui donc a semé en France des sentiments de division et de zizanie?
Qui donc en est responsable! C'est vous! (Très bien! très bien! —
Applaudissements à droite.)
Oui, c'est vous et la politique que vous avez suivie, depuis les
décrets qui ont suivi le rejet de l'article 7. N'avons-nous pas assisté
depuis lors à une guerre implacable faite à nos croyances? N'avons
nous pas vu les congrégations chassées, les serrures crochetées, les
curés privés de leurs traitements, l'image de Dieu exclue de l'école
et du prétoire, les Frères expulsés des écoles, les Sœurs chassées des
hospices?
Pouvez-vous donc vous étonner du sentiment d'hostilité qui a
éclaté contre vous.
Une seule chose me surprend, c'est qu'il n'ait pas éclaté plus tôt,
et que notre patience ait été aussi longue et n'ait été lassée que par
vos excès mêmes. (Très bien ! ti es bien ! et applaudissements à droite.)
Si ces sentiments existent, c'est vous qui les avez faits. (Très bien!
très bien! à droite.)
La résistance éclate. Le sous-préfet arrive. Il n'avait même pas
mis son uniforme. Il portait un veston de voyage et un chapeau mou.
Mais il est accompagné par quatre gendarmes.
Je ne vous ferai pas un récit minutieux de ce qui s'est passé alors.
Je n'en retiendrai que quelques détails,
M. Fischer voit son domicile envahi. Il tire des coups de revolver,
mais il affirme n'avoir visé personne et avoir tiré en l'air. Dans tous
les cas il ne blesse personne.
Deux gendarmes se précipitent, et c'est alors qu'il est désarmé,
jeté par terre et maintenu par deux gendarmes, pendant qu'un troi-
sième gendarme lui brûle la cervelle. (Mouvements divers.)
A droite. — C'est abominable! c'est odieux!
M. René Goblet, minidire de l'instruction publique et des cultes.
— Je n'ai vu cela nulle part.
M. LE DUC d'Audiffret-Pasquier, — Vous auriez pu le lire dans
les journaux locaux. Mais qui faut-il rendre responsable? Ce n'est
pas les gendarmes...
A gauche. — Ce sont les curés. (Bruit à droite.)
M, LE DUC d'Audiffret-Pasquier. — Les gendarmes étaient char-
gés d'une triste besogne ; je les plains, je ne les blâme pas, et je
trouve même naturel et légitime ce sentiment qui fait qu'un mili-
taire ne peut supporter que l'unitorme qu'il porte soit souillé.
Mais si, au lieu d'être conduits par un sous-préfet, ces gendarmes
avaient été commandés par un officier, il les aurait retenus et ne les
aurait pas laisser tirer pur un homme désarmé et sur des femmes en
fuite. (Très bien! très bien! à droite. — Bruit et protestations à
gauche.)
Votre agent porte donc tout lo poids d'une responsabilité écrasante,
J
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 213
et quoi que vous fassiez, vous ne le disculperez pas, (Très bien ! très
bien! à droite. — Bruit à gauche.)
Le combat fini, le sous-préfet compte les victimes et dit : « En
voilà assez. » (Bruit et protestations à gauche.)
M. Blkfet. — Il n'a pas dit : En voilà trop.
M. Mayran. — On lui donnera de l'avancement.
M, LE DUC d'Audiffret-Pasquier. — Oui, je le répète, c'est votre
agent qui est responsable, c'est lui qui porte le poids de cette épou-
vantable catastrophp. (Très bien! très bien! à droite.)
Envoyez-lui vos éloges. Pour nous, les nôtres ne s'égareront pas.
Ils iront aux victimes. (Très bien! très bien! et applaudissements à
droite.)
Salut à Fischer! Salut à la pauvre fille qui a été tuée en défendant
les droits de la conscience et de la fidélité, la porte de son maître et
la porte de son Dieu! Salut, à la jeune fille qui a été blessée en
défendant son maître qu'elle craignait de voir assassiner. (Applau-
dissements à droite.) (A suivre.)
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le procès de Villefranche. — La révolution à Paris. — Les gaietés
révolutionnaires. — Sénégal. — Etranger.
22 avril 1886.
MM. Duc-QuercY et Ernest Roche sont condamnés à quinze
mois de prison. L'arrêt paraîtra sévère à quelques-uns, et l'on
imagine aisément le déchaînement de colère des journaux
socialistes. Mais on se convaincra qu'il est simplement juste,
en récapitulant les faits qui ont amené les deux publicistes
devant le tribunal de Villefranche. Leurs discours, leurs actes
n'ont eu qu'un but : transformer le mouvement économique en
mouvement socialiste; ils ont prêché la haine, ils ont attisé les
dissentiments qui séparaient la Compagnie et les mineurs; la
discorde a été entretenue par leurs soins. Autant que M. Basly,
ils sont responsables des intérêts lésés. Nul ne nous contredira
lorsque nous dirons que, sans eux, la grève serait terminée
depuis longtemps. Ceux qui ont fait se continuer cette lamen-
table situation sont frappés, c'est justice.
Qui dira les drames domestiques qu'ils ont causés à Deca-
zeville.^ Qui peut affirmer que des femmes et des entants n'ont
pas, de leur fait, soutien de la faim ? Qui osera prétendre que
214 ANNALES CATHOLIQUES
toute cette population ouvrière n'a pas été atteinte dans sa
moralité pendant ces deux longs mois, oii les chantiers ont été
fermés et les cabarets ouverts? Qui donc peut être certain que
les paroles enflammées, que les excitations à la violence, que
l'idée du partage social ne gerpjieront pas chez ces malheureux,
dont on a exploité la misère et l'ignorance pour les transformer
en champions de la révolution sociale? Un seul point de cet
arrêt laisse à désirer : on regrettera qu'il ne contienne pas les
noms de MM. Baslv et Camélinat.
La lecture du compte-rendu du procès de Viliefranche don-
nera à l'étranger une triste idée de nos moeurs judiciaires,
lorsqu'elles sont atteintes par la politique. M. Laguerre, qui
croit sans doute avoir trouvé son procès Baudin, a adressé au
procureur de la République des injures personnelles que le
président a laissé applaudir sans avoir l'énergie d'user de son
droit de faire évacuer la salle. Le socialisme a eu ses deux
journées à Viliefranche. On ne peut, en effet, imaginer anar-
chie plus complète aussi bien à l'intérieur du Palais-de-Justice
qu'au dehorse : le président et le procureur échangeant des
mots aigres-doux, deux avocats insultant le gouvernement et
les représentants de la loi.
Dans la rue, la foule a hué les gendarmes, hurlé la Marseil-
laise, et crié : « Vive la révolution sociale ! » Le sous-préfet a
blâmé fortement les représentants de la force publique qui
s'efforçaient de dissiper les rassemblements. La conduite de ce
sous-préfet, réprimant l'ardeur belliqueuse des gendarmes, est
à remarquer. Elle paraîtrait inexplicable en face de celle de
son confrère de la Tour-du-Pin. Mais il y a une distinction à
faire : à Viliefranche, les gendarmes étaient en présence d'une
populace agressive, composée d'anarchistes et de radicaux, on
l'a ménagée; à Châteauvillain, on avait devant soi des femmes
catholiques, on a fait feu sur elles. En agissant ainsi dans les
deux cas, on savait plaire à nos gouvernants.
Malgré un ordre du jour des moins pacifiques : « Appel à la
justice populaire, » le meeting organisé dimanche après-midi
à la salle Favié par le comité révolutionnaire et les guesdistes,
sous la présidence du « citoyen Basly, député, retour de Deçà-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 215
zeville,, » comme le portaient les affiches, n'a donné lieu à
aucune violence.
« Le citoyen-président * a été souvent interrompu.
Dans des circonstances aussi graves, dit-il, ma résidence
devait être plutôt à Decazeville qu'à Paris.
— Oui, mais vous avez eu peur de perdre vos vingt-cinq
francs !
Cette interruption soulève un léger tumulte.
Après avoir rendu le gouvernement responsable des événe-
ments de Decazeville, il fait ensuite l'éloge des « députés
ouvriers socialistes qui ne deviendront jamais des Tolain, ni
des Nadaud. » Plusieurs salves d'applaudissements couvrent la
voix de l'orateur.
Il termine par le récit de l'arrestation des citoyens Duc-
Quercy et Roche. « Si j'étais parti, dit-il, si je n'avais pas été
là, de grands malheurs auraient pu arriver... Si les ouvriers
ne comprennent pas que j'ai bien agi, alors tant pis pour eux ! »
Les orateurs habituels défilent ensuite à la tribune. Tour à
tour s'y sont succédé les citoj-ens Vaillant, Jules Guesde, Chau-
viére, Fourniére, Susini, etc.
M. Boyer, député de Marseille, annonce qu'une grande union
est en train de se former avec les socialistes anglais, allemands
et italiens. Les députés français vont s'entendre avec les députés
étrangers pour porter le même jour, à leur Parlement respectif,
les mêmes revendications, de telle sorte que toute l'Europe se
lève en même temps. Il termine par ces mots : « Nous sommes
décidés à faire une transformation réejle de la société. »
La foule s'est écoulée lentement, au chant de la Carmagnole
et aux cris de : Vive la Commune ! Vive la Révolution !
Durant la séance, on a voté par acclamations l'ordre du jour
suivant :
Devant l'appel du comité de la grève de Decazeville, les citoyens
réunis salle Favié le 18 avril, se ralliant au projet du congrès
électoral destiné à concentrer toutes les forces socialistes, invitent
les députés, les conseillers, tous les journaux socialistes et les
délégués des grandes organisations ouvrières, à constituer au plus
tôt le comité qui fera choix du candidat unique, et comptent sur
les électeurs parisiens pour assurer, avec le triomphe de cette
candidature, la revanche du droit et de la justice odieusement
outragés.
Ils les engagent en outre à présenter comme candidat celui des
216 ANNALES CATHOLIQUES
deux accusés de Villefi'anclie qui sera le plus condamné et, au
cas où ils seraient condamnés pareillement, laisser au sort le
soin de désigner lequel des deux sera candidat.
Les politiciens de Paris ont une imagination à décourager les
prévisions les plus fantaisistes. Après Basly, on a parlé, comme
on vient de le voir, d'élire MM. Duc-Queicj ou Ernest Roche.
C'est déjà joli ! On a trouvé mieux. Un groupe d'ouvriers vient
d'offrir la candidature à Soubrié. Soubrié est ce délégué des
mineurs de Decazeville qui a été condamné à quatre mois de
prison pour avoir parlé de « watrinage » dans une réunion pu-
blique. Il est actuellement sous les verrous ; de ce fait, il a autant
de droits aux suffrages des Parisiens que MM. Duc-Quercy et
Roche. 11 y a bien une difficulté. Soubrié ne parle que le patois
de l'Aveyron. La Chambre ne perdrait pas grand'chose à cette
élection, et la gaieté y gagnerait tellement qu'on arriverait
presque à la souhaiter, si l'on ne devait en rire qu'en France.
La situation s'aggrave au Sénégnl ; les dernières nouvelles
reçues au ministère de la marine portent que la petite garnison
de Bakel, ayant fait une sortie, a réussi à disperser les indi-
gènes, auxquels elle a tué quatre cents hommes; mais elle a
perdu un canon de quatre et se[)t soldats, plus un officier blessé.
Les renforts partis de Saint-Louis pour dégager la garnison
ne peuvent arriver avant trois semaines devant Bakel.
Deux élections sénatoriales et deux élections législatives ont
eu lieu dimanche.
Dans la Loire-Infêrienre, M. Decroix, conservateur catho-
lique; — dans Seine-et-Oise, M. Journault, opportuniste, ont
été élus sénateurs.
Dans l'Yonne, M. Duguyot, radical, et dans l'Aisne, M. Hano-
taux, également radical, ont été élus députés.
Le prince de Bismarck, en votant les amendements de
Mgr Kopp, au projet de loi ecclésiastique, a déterminé le résultat
final. On peut dire que le Culturkampf est tei-miné et que le
triomphe du Pape est évident. Les libéraux ont retiré leur
motion, demandant le retrait de la loi ecclésiastique.
CHRONIQUE DE LA SKMAINE 217
Un fait fini n)étite d'être relevé, c'est que le prince de Bis-
marck est intervenu [>ersonneilemeiit dans le débat pour enlever
le vote.
Les négociations, poursuivies pendant huit ans avec une
patience à tonte épreuve, ont donc abouti. Le Souverain-Pontife
a enfin la satisfaction de voir le goiivernetnent prussien se placer
sur le terrain qu'il avait indiiiué connue celui d'une conciliation
possib'e et conclure la paix.
La Chambre des seigneur's a voté les amendements apportés
au iirojet du gou ver'iieineut par un évêque catholique. C'est là
un t'ait iin[>ortant, et ce t'ait permet d'es(térer une entente com-
plète entre l'Eglise catholique et l'I'^iat prussien.
Le Saitit-Siégi^ [Kiiissant aussi loin (pie possible la condes-
cendance, est allé au-devant du gouvernement prussien sans
sii'iriti'^r la lil)erté et les droits de la sainte Eglise. On a su le
coiu|irendie à Herliu.
La sagesse de Notre Saint-Péte Léon XIII a remporté un
beau tîioinphe, dont tous les fidèles se réjouiront. Dieu fasse
que d'autres triomphes suivent c-liii-ei, non seulement en Alle-
magne, mais partout oii le Pape lutte pour les droits et la liberté
de la sainte Eglise romaine.
On s'inquiète beauo)iip des préparatifs persistants de la
Grèce et <le rin>pa<se d lus huiuelle s'est rais le cabinet d'A-
thènes, d'où il ne semble [)Ouvoir sortir que par la guerre.
L'Angleterre et l'Alleuiague semblefit décidées à prendre les
mesures les plus ènergi |iirts pour empêcher un conflit de se pro-
duire. L'opinion des cercles bi,>M informés e>t toujours que la
Grèce ne vent pas pivn Ire l'iiiiiiat.i ve des hoscilités, mais qu'elle
compte que cette iuii.iative ser-a i)fi-e |)ar la Turquie, et que dès
lors l'E irj[>e ne poiuri pas lui in'erdire de se défendre. La
tacti lue du gouverne nent, d'Atliè tes est donc d'obliger la Tur-
quie à l'attaipier, rèi;:t des finances turques ne lui [lermettant
plus, d'ai leurs, de supp ut r la [.i-olotijation du statu quo. Ou
es[)ère que ce plan 8.ira déj ué et que l'attitude lésolue de l'An-
gleterrj et de l'Allemagne forcera sous peu de jours la Grèce à
désarmer.
218 ANNALES CATHOLIQLES
VARIÉTÉS
]%I. de Bismark photographe.
Germanus fait passer dans la Gazette de Liège toute une
séii'^ de portraits dessinés d'après nature. Nous ne voudrions
pas nous porter garants de leur exacte ressemblance avec ceux
qu'ils représentent. La chose en elle-niême est d'ailleurs assez
ini"'rérente, car ces tableaux tirent surtout leur grande valeur
dn nom du peintre qui les a produits. Ils ont, en effet, pour
auteur son Altesse le prince de Bismark.
Commençons par Jules Favre, Les Allemands étaient devant
Paris et la place assiégée songeait à capituler ; Jules Favre
avait été chargé de négocier pour elle les conditions de la paix.
Voici comment s'exprime le chancelier :
Ces Français sont cependant de drôles de gens. Favre vient auprès
de moi comme un saint martyr et fait avec cela une moue comme
s'il avait à me communiquer les choses les plus importantes. Voyons
cela, je lui dis : «. Ne voulons-nous pas monter? » — « Oui, dit-il,
montons. » Mais arrivé en haut, il s'assied, écrivit lettre sur lettre,
et c'est en vain que j'attendis une communication de quelque impor-
tance. Il n'avait rien à me dire. Ce qu'il a fait pour nous peut se
mettre sur deux petites pages.
Après une autre entrevue, M. de Bismark déclara qu'il (Favre)
avait réellement eu l'air de vouloir pleurer (il s'en était vanté
dans son rapport) et qu'il avait essayé de le consoler un peu ;
mais après l'avoir bien regardé, il avait acquis la certitude qu'il
était parfaitement incapable de verser une seule larme.
Le bon Favre, continue le chancelier, voulait simplement jouer la
comédie, comme s'il était au Palais à Paris. Je suis aussi certain
qu'il s'est mis du blanc, surtout la seconde fois, afin de pouvoir
mieux jouer le rôle d'un homme peiné et douloureusement atteint.
Maintenant, il est peut-être possible que cet homme soufi're un peu
des malheurs de son pays, mais en tout cas, pourquoi jouer cette
comédie avec nous? Ce n'est pas en politique. Il devrait savoir que
les sentimentalités ne servent de rien dans les affaires de diplomatie.
Quand je lui ai parlé de Strasbourg, il s'est mis à sourire comme si
je voulais plaisanter. J'aurai pu lui dire ce que m'a dit une fois un
marchand de fourrures. Je m'étais rendu chez lui pour lui acheter
une pelisse, il me demanda un prix exorbitant : « Vous plaisantez,
lui dis-je. » — « Jamais, monsieur, jamais dans les affaires. »
Une autre fois, pendant les négociations relatives à l'armis-
M. DE BISMARK PHOTOGRAPHE 219
tice, Jules Favre ayant voulu y faire comprendre Garibaldi,
M. de Bismark refusa :
Je crois, dit-il, après cette entrevue, que Favre est sorti aujour-
d'hui uniquement pour cela. J'entends à cause de notre discussion
d'hier, où je n'ai pas voulu reconnaître que Garibaldi est un héros.
Évidemment, il craignait pour lui parce que je ne l'avais pas compris
dans l'armistice. En véritable avocat, il en avait appelé à l'article l^"",
mais je lui dis : « Oui, cela est la règle, mais ensuite viennent les
exceptions, et il est de ce nombre. Qu'un Français prenne les armes
contre nous, je le comprends, il défend son pays et en a le droit.
Mais cet aventurier, avec sa république cosmopolite et sa bande de
révolutionnaires de tous les coins de l'univers, je ne lui reconnais
pas ce droit. » 11 demanda ensuite ce que nous ferions de lui, s'il
devenait notre prisonnier. — « Oh! dis-je, nous le ferons voir pour
de l'argent. »
Voici maintenant l'appréciation du chancelier sur M. Thiers :
C'est un homme intelligent et aimable, malin et spirituel. Mais
chez lui pas trace de diplomate ; trop sentimental pour le métier.
C'est certainement une nature beaucoup plus distinguée que celle de
Jules Favre, mais ce n'est pas l'homme qu'il faut pour discuter une
affaire, pas même tin achat de fchevaux. Il se laisse facilement
impressionner; il trahit ce qu'il éprouve, et il se laisse sonder. C'est
ainsi que j'ai pu tirer de lui une foule de choses, entre autres qu'ils
n'ont plus que pour trois ou quatre semaines de vivres.
Un autre jour, M. de Bismark, parlant de l'entretien qu'il
avait eu avec Thiers relativement aux frais de la guerre,
s'exprimait ainsi :
11 ne voulait, dit-il, accorder en tout cas que quinze cents millions
d'indemnité, disant que je ne pouvais me figurer combien la guerre
leur avait coûté ; que tout ce qu'on leur avait vendu était frauduleux,
que le drap avait été si mauvais que quand un soldat tombait, il
n'avait plus de pantalon, que les semelles des souliers étaient en
carton, et que les fusils, surtout les fusils américains, avaient été
faits sans soin. Je lui répondis ; « Figurez-vous ce cas : un homme
vous surprend et veut vous frapper ; vous vous défendez et lorsque
voua demandez réparation, il répond : « Les verges dont je voulais
vous frapper m'ont coûté fort cher et elles étaient mal fabriquées. »
Qu'en dites-vous? Du reste, il y a une jolie différence entre quinze
cents millions et six milliards.
220 ANNALES CATHOLIQUES
Passons à présent au portrait de Napoléon III :
Il est, dit le chancelier, d'une bien moilleure pâte qu'on ne le croit
communément, et il est loin d'être l'homme habile dont on lui a
fait la réputation. Malgré tout ce qu'on peut penser de son coup
d'État, c'est un homme bon, sensible, sentimental môme, mais son
intelligence ne va pis loin ni son instruction non plus. C'est surtout
sur la géographie qu'il n'est pas fort, quoiqu'il ait été élevé en
Allemagne et qu'il y ait été à l'école. Enfin, il vit dans un monde
d'idées fantastiques. Au mois de juillet (1870), il a passé trois jours
à hésiter sans pouvoir prendre un parti, et encore à présent il ne
sait ce qu'il veut.
Ses connais«ances sont telles que chez nous, il ne serait pas
capable de subir l'examen de référendaire. On n'a pas voulu m'en
croire, mais je l'avais déjà dit il y a longtemps. En 1854 et 1855, je
le disais déjà au Roi. Il n'a pas la moindre idée de l'état de nos
affaires. En 1862, il a dit en parlant de moi : Ce n'est pas un homme
sérieux, propos que je me gardai bien de lui rappeler dans la
bicoque de Donchérv. (Endroit où il eut une entrevue avec Napoléon
prisonnier après Sedan).
Au tour à présent du célèbre voyageur et naturaliste
Alexandre de Huraboldt. Lo portrait que le chancelier trace de
lui est des plus divertissants :
Chez le feu Roi, notre seigneur, dit-il, j'étais l'unique victime
quand Humboldt entretenait à sa manière la société pendant les
soirées. 11 y lisait ordinairement, souvent pendant des heures
entières, la biographie de quelque savant ou de quelque architecte
français qui n'intéressait que lui seul. Dana ces occasions, il était
debout et tenait le livre tout près de la lampe. De temps en temps,
il suspendait sa lecture pour donner plus de développement à quelque
observation savante. Personne ne l'écoutait, mais il avait toujours la
parole. ,
La Reine ne discontinuait pas un instant de travailler à une
tapisserie et n'écoutait assurément pas un mot de tout ce que disait
Humboldt. Le Roi regardait un livre de gravures ou d'estampes
qu'il feuilletait avec bruit, évidemment afin de ne rien entendre.
Au fond de la pièce et sur les côtés, les jeunes gens causaient
sans se gêner, en riant sous cape et en faisant un bruit qui étoufTait
la voix du conférencier, dont la parole continuait de couler sans
interruption comme le murmure d'un ruisseau. Gerlach, qui se trou-
vait là d'ordinaire, était assis sur un petit tabouret rond autour
duquel son gros derrière débordait de tous côtés, et s'endormait au
point de ronfler en sorte que le roi le réveilla un jour et lui ditj:
M. DE BISMARK PHOTOGRAPHE 221
« — Gerlach, ne ronflez donc pas connme cela. » J'étais son unique
auditeur résigné, c'est-à-dire que je gardais le silence en faisant
semblant de l'écouter, tandis que je suivais le fil de mes propres
pensées, jusqu'à ce qu'on aiiportât enfin la collation froide et le vin
blanc.
Le boa vieillard était liés désappointé quand on ne le laissait pas
prendre la parole. Je nie souviens qu'un j^'ur, un des assistants
s'empara de la conversation, et cola d'une manière toute naturelle,
en racontant avec esprit des choses qui intéressaient tout le monde.
Humbol It était hors de lui. Dans sa mauvaise humeur, ilremplit son
assiette d'un tas aussi haut que cela — le chancelier indiqua la
hauteur avnc la main — de pâté de foie gras, d'anguille grasse, de
queues de homards et d'autres choses indigestes..., une vraie mon-
tagne ! C'est étonnant tout ce que ce vieillard pouvait manger.
Lorsqu'il ne put en absorber davantage, il ne se donna plus île repos
et es>:aya de reconquérir la parole. » — Sur le sommet du Popoka-
tèpel... » comnu'aça-t-il. Mais il ne réussit pas, et le narrateur ne
se laissa pas détouiner de son sujet. « — Sur le sommet du Popoka-
tèpel, à sept mille toises au-dessus. . » Nouvel échec, le narrateur
continuait tranquillement son récit — « Sur le sommet du Popoka-
tèpel à sept mille toises au-dessus du niveau de la mer » — dit-il
du ne voix haute et émue, mais avec tout aussi peu de succès : le
narrateur continua à parler et la société continua à n'écouter que
lui. C'était inouï ! c'était un ciime !... HiimboUlt se rassit furieux et
tomba dans une profonde méditation sur l'ingratitude des hommes,
même à la Cour... Il savait du reste raconter aussi beaucoup de
jolies choses quand on était seul avec lui.
Toutes ces citations sont extraites des Propos de Table, de
M. Mainice Busch, ancien secrétaire du chancelier, qtn les
avait recueillis relij'ietiserûent dans son journal quotidien,
durant la guerre de France.
Nous pourrions continuer longtemps encore des citations de
ce genre, surtout sur de>^ personnages allemands. Cependant
comme ils sont en général moins connus de nos lecteurs, nous
pi'éférons nous arrêter ici. Ce qui précède suffit d'ailleurs
amplement pour montrer au lecteur que le chancelier n'est pas
seulement un homme politique, mais qu'il sait aussi être im
intéressant causeur.
222
ANNALES CATHOLIQUES
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE (1)
1. — Révision et reconsti-
tution de la cbronologie
biblique et profane. —
Etude piéliiûinaire : Les sour-
ces et les caractères d'une
véritable chronologie biblique
et profane des premiers âges
du monde, par M. l'abbé V.
Dumax. — Un vol. in-1'2 de
120 pages. — Paris 1886, chez
Haton. — Prix: 1 fr. 25.
Cet opuscule renferme des in-
dications sommaires et très inté-
ressantes sur les sources de la
chronologie, sur les caractères
exigés par le comput des premiers
âges, sur les principaux systèmes
adoptés jusqu'à ce jour et sur
les avantages d'une méthode
nouvelle proposée par M. Che-
vallier; cette méthode, M. l'abbé
Dumax l'adopte et il en tire tous
les corollaires, en y ajoutant
quelques modifications jugées uti-
les ou nécessaires.
La présente brochure est, â
vrai dire, le premier fascicule
d'un grand ouvrage, intitulé ; Ré-
vision et reconstitution de la
chronologie, dont l'auteur doit
publier successivement, en 1886,
les diverses parties, répondant à
chacune des grandes époques du
inonde ancien. Ici l'on trouve,
ainsi que le dit l'auteur, l'outil-
lage nécessaire aux travaux qui
vont suivre.
Les Sources et les Caractères
d'une légitime et véritable chro-
nologie biblique et profane, of-
frent l'intérêt le plus agréable et
le plus instructif. La lecture n'en
est pas, comme on pourrait le
croire de prime abord, pénible
et hérissée de chiffres. C'est une
analyse historique rapide, mais
captivante, initiant l'esprit sans
fatigue aucune, aux secrets de la
chronologie, lui en montrant les
sources et les caractères, tenant
le lecteur en haleine et le con-
duisant, jusqu'à la dernière page,
avec une curiosité puissamment
mise en éveil. On se croirait con-
duit devant un édifice encore
plongé dans la pénombre, mais
dont on a laissé soupçonner les
proportions majestueuses et le
fini de l'exécution ; les jets de
lumière qui doivent mettre en
relief toutes ses beautés cachées
sont attendus avec impatience.
C'est dire qu'après avoir parcouru
les Sources et les Caractères
dune légitime et véritable chro-
nologie, les sept petits volumes
qui font suite seront impatiem-
ment attendus par le public ;
nous espérons que M. l'abbé
Dumax ne tardera pas à nous
faire profiter des résultats obte-
nus par plus de quinze années
de travaux sérieux et persévé-
rants.
2. — La mort des persé-
cuteurs de l'E^glise et de
la I*apauté, par M. l'abbé
Pluot. — Un beau vol. in-12
de III-420 pages. — Paris, 1886,
chez Perret.
« Tous ceux qui ont mangé du
Pape en sont morts », a dit de
Maistre. C'est là un fait et un
fait tellement répété et tellement
constant qu'on peut dire qu'il a
atteint le caractère d'une loi. On
en peut juger mieux encore à la
(1) Il est rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Annales catholiques- MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Annales se charge de fournir,
au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans ce
bulletin.
RBVUE ECONOMIQUE ET FINANCIERE
223
lecture de l'ouvrage de M. l'abbé
Pluot, qui n'est autre chose qu'une
large et victorieuse démonstra-
tioQ de l'intervention divine dans
les choses humaines. Déjà Lac-
tance, le Cicéron chrétien, cons-
tatait aux premiers temps de
l'Eglise, que l'on ne s'attaque
pas en vain à Celui qui demeure
éternellement. Mais depuis lors
combien de ses persécuteurs n'ont-
ils pas été soudainement frappés
dans tout l'éclat de leur triom-
phe?
Développant avec autorité cette
thèse magistrale et l'appuyant du
récit des grands drames histori-
ques, survenus à travers les siè-
cles jusqu'à nos jours, l'auteur a
écrit un volume auquel les exem-
ples et les noms contemporains
donnent une actualité saisissante.
Les chrétiens à la foi ferme et
robuste y trouveront un affer-
missement dans leur croyance.
Les faibles et les tièdes y pui-
seront le courage et l'énergie
nécessaire pour résister au dé-
couragement, aux entraînements
irréfléchis. Quant à ceux qui ont
l'incomparable malheur de faire
la guerre à leur mère, la sainte
Eglise, puissent-ils ouvrir ce livre
et le lire : ils y verront qu'ils
sont sur le bord d'un abîme et
peut-être réfléchiront-ils et s'ar-
rêteront-ils pendant qu'il en sera
temps encore.
3.
Un écbo des Joies du
Ciel, ou l'âme au pied des
autels, par l'auteur iV Allons au
Ciel. — Un beau vol. in- 18 de
vl-450 pages. — Paris, 1886,
chez Delhomme et Briguet, —
Prix : 2 fr. 50.
Pour faire connaître à nos
lecteurs la valeur ascétique et
littéraire de ce beau livre, il nous
suffira de donner un extrait de
quelques-unes des approbations
dont il est enrichi : « Cet ouvrage
est digne de ses aînés, écrit Mon-
seigneur l'évêque de Versailles.
On y trouve la même vivacité de
foi, la même élévation de senti-
ments, le même charme du style.
L'auteur y décrit fidèlement la
joie ineffable que procure l'usage
fréquent de la sainte Eucharistie,
et profitant de l'ardeur que cet
avant-goût du ciel doit inspirer
à l'âme fidèle, il l'entraîne à dire
avec un pieux auteur de l'Imita-
tion : « Mon Dieu et mon tout... »
Vous aviez écrit Allons au Ciel,
alors vous indiquiez la route,
maintenant vous y faites entrer. »
— « L'âme se repose avec bonheur,
écrit un théologal chargé d'exami-
ner ce volume, sur ces pages
embaumées du parfum de la plus
tendre piété et bien propres à
ranimer la dévotion envers Jésus-
Hostie Tout annonce que
ce livre aura un plein succès.
Quand on l'aura lu, on voudra
le relire encore, et il deviendra
le manuel du pieux communiant,
et de toutes les âmes dévotes à
la sainte Eucharistie. »
REVUE ÉCOiNOMIQUE ET FINANCIÈRE
L'Emprunt avait été voté par la Chambre des députés; puis le
Sénat a été saisi à son tour du projet de loi voté par la Chambre.
Là, le gouvernement a trouvé des hommes de sens et d'expérience
qui ont pu démontrer, sinon au ministère , car il n'est pire sourd
que celui qui ne veut rien entendre, mais au public, aux contri-
buables, que la situation était déplorable, et que s'il fallait arriver à.
224 ANNA.I.RS CATHOLIQUES
l'Emprunt, il était convcnalKc de moilirn'i- la loi île finances, votre
par la C.hainbre. Mal.^ré les elVorls loimis, mais niallieiii-ciiN, de
ÂIM. Sadi-Carnot et de Freycinel, le Sénat a adopté les inodifaMlinns
demandées pai' la commission, et la loi, ainsi aiiiemlée, est relouinée
devant la (Miambre des dé;)ntés.
Si ce relai'd est bon comme principe, il ne vaut rien comme ap-
plication en matière d'atï'aii'es. Quand on s'(îst déciilé à empr .nier,
il faut le frtii'e vile; l'annonce d'un em|ifiiiit cause Imijouis une
perturbation, et son retaid à la coiUi'acter suspimd ou ar.ête les
affaires.
La Ciiambre des députés s'occupe activement du Métropolitain
de Paris et de l'Exposition de 1889. Les rapports pourront, être
déposés api'ès les vacances de Pâques. Avec nu peu «b; bonne vo-
lonté, le Parlement doit avoir volé les deux lois poni* la lin du mois
pi'ocbain. La seconde moitié de raiincc bénéticiorait de l'inaugui-a-
lion des travaux.
Les grèves se multiplient; il n'en peut être autrement, en ])vé-
sence de l'attitude du gouvei'nemenl. Ci; sont toujours les mêmes
exigences de la part des ouvriers : augmentai ion des salaires,
diminution des beures de travail ; on dirait (|ue l'ouvrier veut la
ruine du patron. El après? espère-t-il ilonc picndre sa place?
Nos Henies sont calmes, on ailcnd ; les fonds d'Eiat étrangers
sonl faibles. Si M. Glidstmie fait passer sa loi irlandaise, TAniiie-
terre va faire, à très bref délai, nu empi-unt de 1,'250 millions. Ne
nous laissons pas dislancer et faisons notre emprunt avec celui-là.
L'Assemblée générale ilu (^'élit fouciei' vieul d'avoir lien; on a
distribué un dividenle île 6 > fr. et auj;in;'-nié encore les réserves.
M. Cbristop'ile a enlreten i l'Assemblée di {U'^jet de lui ridatif au
Mélropoliliin l^e Go'ivem mu* d i (^-élit foncier e^l à li tête d'une
Société au capital de oO m liions, destiu'.j à fure les ti-ava ix ; unis
le Crédit f)ncier sera le bin inier du Méi'-Ojjolilain et trouvera dans
celle entreprise de nombreux éltMiieuls de bém'lices.
Les Ordig liions comin inaîes 188!) et foncières 1883, non libé-
rées, sont toujours au même prix, 43o environ; il n'y a pas lieu de
s'en étonner, i^a bausse serait logique, mais il n'est pas mauvais
qu'elle soit précédée par un bon classement que les cours acimds
favorisent de la manière la plus avant.igeuse pour les aidieleiirs.
Les actions des Cbemins de W'r étiangi-rs !-onl faibles ; ils subis-
sent la conséquence des diminutions de rec(Mles. et n'ont pas, comme
nos Cbemins de fer fiançais, la garantie de l'Etat pour eu atténuer
l'effet.
Les valeurs industrielles: Gaz, Oinnibns, Voitures, sont bien
tenues ; le Suez est nn)iiis ferme ; mais les valeurs du Panama se
réveillent plus que jamais. A. H.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. — Imp. de l'Œuvre «ie Saint-Paul G. rioquoin, 51, rue île LUIe.
ANNALES CATHOLIQUES
-Qs-oï^DOO-'S©-
A NOTRE-DAME
Comme les années précédentes, plus encore peut-être,
le nombre des fidèles qui se sont rendus le jour de Pâques
à Notre-Dame était considérable. La cérémonie a eu ce
caractère d'édification qui lui est particulier et qui est si
saisissant.
Apiès la messe, le R. P. Monsabré est monté en chaire
et a prononcé l'allocution suivante :
Salvum fac populum tuum, Domine,
et beaedic haereditati tute.
Messieurs, vous venez de recevoir le plus grand don de Dieu
et, par la chair immolée du Sauveur, vous êtes unis au Prêtre
éternel qui présente en ce moment vos hommages et vos vœux
à son divin Père. Sous l'impression des vérités que vons avez
entendues pendant le cours de cette station, il me semble que
vos âmes chrétiennes s'épanchent toutes en cette commune
prière : « Seigneur, sauvez votre peuple et bénissez votre
héritage, Saloiim fac populum tuum, Domine, et benedic
hœreditali luœ. » Vous êtes, vous, le peuple de Dieu, le sacer-
doce est son héritage ; et ces deux choses se tiennent si bien
ensemble que l'une ne peut être sauvée que l'autre ne soit
bénie.
Vous avez pu vous en convaincre en étudiant avec moi les
merveilles du sacrement de l'Ordre, la vie du peuple chrétien
est comme suspendue à la vie du prêtre. Le prêtre absent, il
ne sait plus comment faire parvenir au ciel l'expression pu-
blique et collective de ses adorations et de ses vœux; t^es voix
dispersées s'égarent et sa religion n'a plus la grandiose et
vivante unité qui fait sa magnificence et sa force. Plus de
sacrifices, plus de victimes sur ses autels déserts, plus d'hôte
divin dans ses tabernacles vides, par conséquent plus de centre
Lvi. — 1" MAI 1886. . 17
226 ANNALES CA.THOLIQUES
pour rallier ses forces religieuses. Les choses sacrées de l'hu-
manité ne montent plus vers Dieu; les choses sacrées de Dieu
ne descendent plus sur Thumanité. La sainte vérité s'obscurcit
peu à peu dans l'esprit de ceux qui l'ont entendue, et eux-
mêmes, n'ajant point reçu mission delà répandre, n'en peuvent
conserver les épaves défigurées aux générations infortunées
que n'instruiseni plus les lèvres du prêtre. Les sources de la
grâce sont taries, et la vie divine ne coulant plus dans le lit
sacré qui va de la génération spirituelle à la perfection, la
nature déchue est de nouveau tourmentée et vaincue par les
ferments de corruption auxquels l'humanité, dans sa triste
et longue histoire, doit tant de peuples abjects.
Un peuple, sans le sacerdoce que Dieu lui-même a consacré,
est un peuple perdu pour Dieu. Il y moissonnera peut-être,
dans les ombres d'une infidélité générale, quelques âmes simples
et dociles dont sa grâce récompensera mystérieusement la
bonne foi; mais ce ne sera plus son peuple à lui, le peuple chez
lequel il se plaisait à manifester sa miséricorde et sa puissance
et dont il se servait- pour l'exécution de ses grands desseins.
Ils ont bien compris cela, messieurs, les misérables qui, non
contents d'avoir prononcé le divorce officiel de la société et de
la religion, s'appliquent, par toutes sortes de précautions
impies et de mesures vexatoires, à gêner les libres rapports du
prêtre avec les âmes. On constate déjà dans les jeunes géné-
rations qu'ils élèvent le résultats de leurs sacrilèges eftorts, et
l'on pressent ce que pourra être un jour le peuple sans Dieu,
après qu'ils l'auront fait sans prêtre.
Hélas ! je ne puis me défendre d'une sombre tristesse et d'une
sorte de désespoir lorsque je vois le sacerdoce investi par une
lente et adroite persécution qui tous les jours progresse et veut,
quoi qu'on en dise, aboutir à son extinction; lorsque, au-delà
de cette extinction, j'aperçois dans l'avenir un peuple sans
croyances, sans vertus religieuses, sans noblesse, sans couj-age,
sans patriotisme, tout à la matière et au plaisir, vaincu par
l'ennemi du dehors après avoir été vaincu par l'ennemi du
dedans, et rendant sous la botte de je ne sais quel barbare,
avec le dernier râle de la vie corrompue, les restes de la
richesse dont il aura abusé. Et cela à la place de cette grande
et religieuse nation depuis si longtemps conduite et protégée
par de merveilleuses interventions de la Providence et dont on
appelait les généreuses actions : les gestes de Dieu par les
Francs : Gesta Dei per Francos. »
A NOTRE-DAMK 227
Ahsit! Ahsit! me direz-vous; taisez-vous, prophète de
malheur! — Et pourtant, messieurs, ce que je dis arrivera, si
Dieu ne nous sauve ; et Dieu ne nous sauvera que s'il daigne
bénir le sacerdoce, son héritage.
Je fais donc appel à vos sentiment? chrétiens et à votre
patriotisme, et puisque chaque année je vous demande une prière
pour assurer le fruit de votre communion, profitez, je vous en
conjure, de la présence du Prêtre divin, qui possède en ce
moment vos âmes, pour lui adresser, avec toute la ferveur
dont vous êtes capables, cette supplique à double effet : « Sei-
gneur, sauvez votre peuple ! et pour cela bénissez le sacerdoce,
votre héritage : Salvum fac populu7n iuwn. Domine, et
beredic hœreditati tuœ. »
0 Christ! source et chef du sacerdoce, bénissez vos prêtres!'
Faites-les dignes, par la science et la sainteté, de leur sublime
mission et de leur divin caractère.
Bénissez vos prêtres ! "n les rendant fidèles à leurs devoirs,
confirmez leurs droits; compensez à leur égard! les mépris de
l'impiété par le profond respect des âmes chiiétiennes ; protêge^-
les contre toute entreprise capable de troubler leur vocation et
d'offenser la sainteté de leur état ; rompez le cercle des forces
ennemies qui entrave la liberté de leurs saintes fonctions;
assurez-leur, par la charité des fidèles, à défaut de la bienveil-
lance des pouvoirs, une vie honorable et indépendante qui leur
permette de se donner tout entiers à leur ministère de vérité et
de grâce et d'exercer libéralement leurs miséricordieux officea
auprès de toutes les infortunes.
Bénissez vos prêtres ! Multipliez-les sous la main féconde de
leurs vénérables générateurs, et ne permettez pas que les périls
des temps empêchent les âmes craintives d'entendre vos appels i
Bénissez vos prêtres! Donnez-ieur le courage de supporter
humblement et sans maudire personne le poids des ridicules^,
injustes, déloj^ales, impudentes et lâches accusations qui tendent
à déconsidérer dans l'opinion publique leurs idées, leurs ten-
dances et leurs moeurs. Elargissez leurs vues, réglez leur»
désirs, purifiez leur vie et rendez-les si prudents et si sage»
qu'on ne voie jamais planer l'ombre même du scandale sur leur
bonne renommée !
Bénissez vos prêtres ! Préservez-les de toute embûche, déli-
vrez-les de toute persécution, sans que votre justice se montre
cruelle envers leurs ennemis!
228 ANNALES CATHOLIQUES
O Christ adoré! Pontife éternel! Ami des Francs! Bénissez
vos prêtres et sauvez votre peuple : Salvum fac populum tuum.
Domine, et henedic hœreditaii tuœ.
UN OUVRAGE DU CARDINAL PITRA (1)
Bien des années se sont écoulées déjà, depuis le jour où
M. l'abbé Pitra attirait subitement l'attention de l'Europe
savante par la découverte faite par lui à Autun et par le réta-
blissement d'une épitaphe en vers grecs acrostiches des pre-
miers siècles de l'ère chrétienne ; mais on peut dire sans exagé-
ration que chacune d'elles a vu croître son mérite et sa
réputation.
Moine Bénédictin depuis quarante-cinq ans, associé aux tra-
vaux des modernes Bollandistes et à la composition de la
Patrologie de feu M. l'abbé Migne, auteur d'ouvrages qui lui
ont fait un grand nom dans la science, agrégé par le Souve-
rain Pontife Pie IX, d'heureuse mémoire, au Sacré Collège
depuis vingt-cinq ans, évêque de Porto et de Sainte-Sabine,
bibliothécaire de la sainte Eglise romaine, Son Éminence le
cardincil Pitra aurait pu, beaucoup plus légitimement que bien
d'autres, s'endormir sous ses lauriers et jouir du repos, si bien
mérité par ses travaux antérieurs. Mais il est des esprits
robustes et des âmes fortement trempées qui ne connaissent
aucun déclin et pour qui rien n'est fait, tant qu'il reste encore
quelque chose à faire. Son Eminence est de ce nombre. Un
dix-septième volume in-4"' récemment publié à Paris, chez
M\T. Roger et Chernowitz, vient de continuer dignement le
Spicilegium Soîesmev>se, les AnaJecta Sacra et le recueil des
Canons de l'Eglise grecque : ce sont les Analecia novissima.
Cet ouvrage se divise en deux parties : la première est une
étude sur les lettres des Papes, depuis saint Clément jusqu'à
Boniface VIII ; la seconde intitulée Miscellanea Pontificœ
(1) Analecta novissima, ppicelegii Solesmensis altéra continuatio,
tom. I, — De Epistolis et liegistris Romanorum Pontificum disse-
ruit Jiiannes-Baptista Cardinalis Pitra, Episcopus Porluensis et
S. Rufiiige, S. R. E. Bibliothecarius. XIV-686 pages. — Parisiis,
Roger et Chernowitz, 1885.
UN OUVRAGE DU CARDINAL PITRA 229
(Mélanges Pontificaux) est un recueil de diverses pièces inédites
concernant l'histoi/e de la Papanlé.
Nous devons d'abord nous réjouir de ce que l'étude sut- les
lettres des Papes ait été rédifrée dans notre langue, de piéférence
à la langue latine, que Son Eminence manie cependant si bien,
mais qui n'est plus, comnne autrefois, à la portée de toutes les
intelligences, et dont l'adoption aurait nui certainement au
succès de l'ouvrage et à son utilité.
S'il est des documents précieux pour l'histoire des siècles
passés, ce sont bien assurément les lettres des Souverains Pon-
tifes. Toutes les questions en effet qui intéressent la civilisation
depuis bientôt dix-neuf siècles ; tout ce qui concerne le domine,
la moi-ale, la politique, la diffusion de la vérité évangélii|ue,
la conversion des peuples, la défdnse des droits de tous, la pré-
dication des devoirs, l'ordre, le maintien et le déve]o[ipernent
de la hiérarchie ecclésiastique, la ci'éation des paroisses, des
diocèses, des églises, des communautés, des ordres reli.irieux,
des royaumes, des nations et des em|iii'es modernes; rétablis-
sement, la conservation et la sup[)i ession des privilèges ; la
lutte contre les erreurs, contre les vices, contre les abus, contre
les ennemis du nom chrétien ; en un mot, tout ce qui s'est fait
d'important, depuis saint Pierre jusiiu'â Sa Sainteté Léon XIII,
par l'Eglise, pour l'Eglise ou contre l'Eglise, tout cela se trouve
traité avec une autorité souveraine, siècle par siècle, année
par année, dans cette corr-espondance sans égale. Il ne peut
donc pas y avoir d'objet d'étude plirs im[)ortant et plus précieux.
Malheureusement le temps a exercé ses ravages sur cette
immense collection. Pour l'époque qui a précédé le Concile de
Nicée, les recueils les plus complets n'ont pas pu atteindre le
chiffre de deux cents lettres certainement écrites par des
Souverains Pontifes et intégr-aleraent conservées. Un écrivain
moderne a dit pour ce motif, que « l'histoire de Rome chré-
tienne se compose do pages blanches »; mais il n'a pas songé
que « dix ans dui'ant, la persécution meurtrière et cauteleuse
de Dioclétien s'étudia à détruire les écritures des chrétiens. »
D'ailleurs, ainsi que le dit très bien S. Era. le cardinal Pitra,
« ces pages sont trempées dans le sang; c'est la plus éloquente
histoire. »
Dès que la liberté a été accordée à l'Eglise par Constantin,
la correspondance des Papes s'étend et acquiert une importance
toujours plus considérable. « De saint Sylvestre à saint Léon le
230 ANNALES CATHOLIQUES
Grand, leurs lettres scwit souvent d'amples traités (iraciaforiœ),
des commoniioires, des tomes, selon le terme adopté. Des
légats, en ambassade solennelle, les portent aux empereurs et
aux conciles. On les lit, à l'ouverture des Synodes, comme un
programme œcuménique. A Rome, on les dépose au sainium\
les registres officiels apparaissent et font autorité. Une pièce
envoyée ou reçue n'a de valeur que par ce dépôt, et les copies
ne sont officielles que par la conformité aux originaux roma.ns.
Déjà saint Jérôme nomme un archive romain, qu'il enrichit de
ses pages, quand, seci-étaire de Daraase, il répond en son nom
aux consultations de l'Orient et de l'Occident.
« Et parmi ces correspondants du monde entier, se rencontrent
les plus grands noms de l'ère des Docteurs : Athanase, Basile,
Flavien, Cyrille, Ghrjsostome, Epiphane, Augustin. Aux pieds
du trône apostolique se trouvent même les coryphées des
grandes erreurs : Nestorius, Eutychés, Valens, Ursuce, Pelage,
Ccîlestius. Sans lin se succèdent les légats des empereurs
Valentinien, Gratien, Honorius, Arcade, avec les députations
des conciles de Constantinople et d'Éphése, de Carthage, de
Miléve et d'Arles, de l'Afrique et des Gaules. »
La création des archives pontificales remonte, d'après Anas-
tase, au pape saint Jules I" (337-352), qui donna ordre au
premier des notaires de recueillir tous les dossiers qui appar-
tenaient au Saint-Siège. Dés le temps de saint Léon le Grand,
ces archives étaient di^jà si considérables, que son successeur,
saint Hilaire, dut doubler l'espace, en faisant construire deux
bibliothè(iues dans le l)a[)tistére du Latran.
Saint Grégoire le Grand, qui avait habité Constantinople,
conmie apocrisiaii'e au nonce de Pelage II, son prédécesseur,
organisa l'administration pontificale sur le modèle de l'adminis-
tration byzantine et compléta aussi, d'après le même modèle,
les aichives du Latran et la hiérarchie des notaires pontificaux.
Au VHP siècle, Jean VII ayant transpoité le séjour des papes
sur le mont Palatin, y créa une autre bibliothèque (c/iariit/«rm).
Une j>arlie au moins des legislres pontificaux y fut conservée.
Mais, à l'époque des luttes du sacerdoce et de l'Empire, sous
saint Grégoire VII et des successeurs, le triomphe passager des
Césars alleniands et de leurs antipapes fit tomber entre leui'S
mains ce précieux déjiôt.. Est-ce pour ce motif que douze cents
ans de rejiistres pontificaux ont péri? Ont-ils été détruits dans
le terrible incendie allumé dans la guerre qui éclata entre
I
UN OUVRAGE DU CARDINAL PITRA 231
Robert Guiscard et l'emperenr Henri IV, incendie qui dévasta
pour totijours les quartiers du Palatin et du Latran? On ne
peut pas le dire sijieraerit ; mais ce qui est certain, c'est que les
registi-es de cent soixante-trois papes nous manijuent, et qu'il
n'en reste plus que des parties plus ou moins considérables.
Cependant, outre les T'ecueils officiels des lettres pontificales,
il s'était fait des collecti<»ns privées. Parmi celles qui subsistent
encore, il en est qui remontent à l'époque du pape Hermisdas;
d'autr-es à celle de Vii-gile, de Symniaque et de divers autres
Papes du VI* siècle. Parmi ces recueils, ceux deDenjs le Petit,
— car ce savant homme en a fait plusieurs, — ceux de Denjs
le Petit sont au nombre des plus célét)res.
Les lettres de saiut Léon le Graïul, par exemple, ont été
l'objet de vingt-qua're collections difféfentes. Plus tard, nous
trouvons le Codex Carolinus, recueil très précieux de quatre-
vingt- lix-n:?uf lettres pontificales ad re-sées à Charles Martel, à
Pépin le Bref et à Ch irietnagne. C'est le [jreraier tome d'un
Bullaire français et le plus ancien registre de nos archives
nationales.
Vers l'an 680, saint Isidore de Séville fait, pour l'Espagne,
un recueil officiel de cent trois Itttres pontificales qu'il joint
aux canons des conciles et auxquelles il reconnaît la même
autorité.
Malheureusement le faux Isidore, qui parait avoir été un clerc
de Mayence, nommé Benoît le Lévite, ne tarde pas à jeter dans
le monde sa collection apocryphe défausses décrétales, qui sont
accueillies trop facilement par les évê(iues allemands et fran-
çais, parce qu'elles n'innovent en rien, et qui finissent par péné-
trer, malgré les protestations de plusieurs Papes, dans les
recueils postérieurs de dr-oit can'n.
A Innocent III commencent les registres pontificaux conservés
en entier dans les archives du Vatican. Ils s'arrêtent à Sixte-
Quint et atteignent lechifi'ie énor'me de deux mille seize volumes
in-folio, renfermant environ âeixx millions de lettres pontificales».
Les lettres des correspondants de la papauté forment un nombre
à peu près égal de volumes.
« Sixte-Quint eut la [iremière pensée d'une collection géné-
rale des lettres pontificales, et pourtant, en créant les quinze
congrégations romaines, il interrom[iit sans retour la série des
registres. Il y eut désor-mais quinze tr-ibunaux, dont chacun eut
sa chancellirie et ses archives distinctes. Le mouvement régu-
232 ANNALES CATHOLIQUES
lier des affaires, conformément aux réformes du Concile de
Trente, exigeait cette division du travail apostolique. Mais, en
posaut cette création colossalo, le hardi poiilife sentit le besoin
de recueillir ce qui avait pi'ècédé et de soustr;i.ire aux ravages
'du temps ce qu'avaient écrit avant lui les successeurs de Pierre. »
De là deux collections géiiéiales commencées par ses ordres :
l'une ne devant renfermer que les lettres papales appelées du
nom de bulles, en commençant à saint Léon le Grand; l'antre
devant réiniir toutes les lettres papales, à dater de saint Clément.
!'■' Laert.ius Chérubin! fut char-gé d'imprimer le grand BuUaire ;
Antoine Carafa, l'ami de Baronius, l'un des correcteurs de la
Vulgate, le Bibliothécaire de la sainte Eglise romaine, dut
s'occuper de la collection générale. Il s'agissait surtout, pour
ce dernier recueil, de combler rénorme lacune (jui, dans les
regi-^tres, s'étend de saint Clément à Innocent III.
Carafa mit résolument la main à l'œuvre, mais il ne put
l'achever. Antoine d'Aquin, qu'il avait choisi pour collaborateur,
la continua après lui jusqri'à saint Grégoire VII, et publiM, en
trois volumes de grand format, tour, ce qu'il avait pu retrouver
de la correspondance des papes, antérieure à ce pontificat.
Mais cette édition devint rare, et de nouvelles découvertes la
rendirent incomplète. Un siècle plus tard, la Congrégation de
Saint- Maur chargea doin Constant de recommencer ce travail.
Cet illustre Bénédictin, assisté de dom Mopinot, qui lui prêtait,
quand besoin était, l'élégance de son stvle, recueillit les maté-
riaux et poussa l'impression de la nouvelle collection jiisciu'à
saint, Léon le Grand. Tous les savants qui se sontoccupés depuis
des documents pontificaux des cinq premiers siècles, lui ont fait
de larges emprunts, souvent sans le nommer, ou lui ont payé
un tribut d'éloges bien méidté.
Après lui et dom Mopinot,. dora Durand, chargé de continuer
son œuvre, se contenta de faire imprimer seize cents lettres
recueillies en France par dom Martène, mais appartenant géué-
ralonient à des papes du moyen-âge.
Sous Benoît XIV, les frères Ballerin publièrent, avec beau-
coup d'intelligence etdesoin,le registre de .«aint Léon le Grand.
Le grand BuUaire était arrivé au 32'"*' volume. Mais alors tout
s'arrête : il faut laisser passer le siècle de Voltaire et de la
Révolution française, qui doit amonceler de nouvelles ruines.
A[)rès quatre-vingt-dix ans d'interruption, Grégoire XVI,
d'heureuse mémoire, fit reprendre, en 1834, l'impression du
UN OUVRAGE DU CARDINAL PITRA 233
grand Bnllaire. Elle s'est terminée en 1850 sous le Pontificat
du irrand Pie IX. Cette collection comptait alors quarante-cinq
volumes in-folio.
C'est un savant Israélite, Philippe Jaffé, qui a repris en
sous-œuvre, il y a environ trente ans, l'œuvre des Caraffa et
des dom Constant. Ses Reyesta commencent à saint Clément et
s'art'ètent à l'anaée 1198, mais ils ne donnent pas, comme les
éditions précédentes, les lettres des correspondants de la
pa|iauté. M. Poltliast les a continués jusqu'à Boniface VllI. De
S vants allemands en publient actuellement une deuxième édition
00 nplétée par des documents nouveaux. Ce sont MM. Watten-
bxch, Kaltenbriinner, Ewald et Loewenfeld. De son côté,
M. \ an Harthing annonce aussi de nouvelles découvertes.
Noas ne sommes plus au temps où l'on mettait au rebut tout
ce nui venait de Rome, en disant : « Ce n'est qu'une bulle. »
L'An,^leterre protestante a voulu avoir son Bullaire. En l'année
184J), vingt-huit magnifiques volumes in-folio, qui renfermaient
toutes les bulles des Papes concernant le Rojaume-Uni, depuis
Honorius III jusqu'aux derniers Stuarts, furent solennellement
reçus par le Parlement anglais et déposés par ses ordres au
Musée Britannique.
La Russie a fait de même : depuis l'année 1841, elle a son
Bullaire, recueilli par M. Tuigenef dans les archives du Vatican.
Giàce à la munificence de Pie IX, l'infatigable P. Theiner a
doté aussi de leurs Bullaires la Hongrie, la Pologne, l'Irlande,
la Roumanie et les États pontificaux.
Dans cet admirable retour vers l'étude des choses passées dan»
ses sources les plus pures, la France n'a pas voulu rester en
arriére. MM. Uljsse Robert, Léopold Delisle, Elle Bei'ger,
Charles Grandjean et bien d'autres après eux, ont repris les
travaux des anciens Bénédictins. En ce moment, une légion de
travailleurs, venue de tous les points de l'Europe, se presse
dans les archives du Vatican et se prépare à livrer enfin à la
publicité ces registres pontificaux encore inédits et qui ren-
ferment tant de trésors cachés.
Ce sera une des gloires de Sa Sainteté Léon XÏII, d'avoir
favorisé cet élan de l'Europe savante vers l'étude des lettres
pontificales, en ouvrant à tous les hommes studieux ces archives
du Vatican que, jusqu'à ce jour, des motifs diplomatiques
aujourd'hui disparus avaient tenues fermées au public. Après
avoir illustré les débuts de son pontificat par les encourage-
234 ANNALES CATHOLIQUES
ments drinnés aux études philosoplii'iues, théologiques et his^
toiiipicî.s, l'ilhistre pontife, qui gouverne avec tant de sagesse
l'Eglise fie Dieu, a ouvert, par son Bref à Leurs Enoinences les
cardiiKuix de Luca, Pitra et Hergenrrether, une ère nouvelle
pour riiistoire des tenaps modernes. Il en sortira, comme on l'a
très bien dit, « la plus belle a|)ologie de la Papauté. »
INLiis, au milieu de ces ouvriers empressés, qui arrivent da
tous les coins du raouile, il fallait un guide autorisé qui put
ensi^ignei' à tous la route à suivre, les êeueils à éviter. Ce
guide, c'est VElude sur les lettres des Papes de S. Em. 1«
cardinal Pi ira.
Utilisant ses vastes connaissances, ses travaux antérieurs,
les ni'ui'ireux voyages entrepris par lui pour visiter les princi-
pales bibliothèques de l'Eui-ope, son éminent auteur 3' indique,
avec nue sûreté et une précision admirables, ce qui a été fait
et ce qui reste encie àfaiie pour la publication de ces lettres;
les niôriies et les défauts, les lacunes et les découvertes qu'il ft
constatés dans les travaux accomplis sur cette matière, depuis
les piemiers siècles jusqu'à nos jours.
Cette étude n'est pas une sèche nomenclature : c'est un récit
qui revêt partois Téclat de la haute éloquence, mais enti^e^
mêlé d'une multitude innombrable de renseignements, de
réflexions, de discussions qui, toutes, ont leur intérêt. C'est
une sorte d'encyclopédie sur ce sujet.
Des détails précieux sur cei-tains faits mal connus, sur
quelques pontificats mal appréciés, sur divers actes ou divers
événements dont l'importîxuce ou les conséquences ont échappé
aux écrivains antérieurs, accroissent encore le mérite de cette
étude. En un mot, elle est, à tous les points de vue, une œuvre
magistrale, que son auteur seul était en état de composer et
qui, grâce à Dieu, a pu voir le jour au moment opportun.
Les paities de ce travail qui sont consacrées à la correspon-
dance de saint Grégoire le Grand, de Jean VIII, de saint
Grégoire VU, d'Innocent III, d'Honorius III, sont particu-
lièrement remarquables.
Dans les Miscellanea, S. Em. le cardinal Pitra a réuni un
grand nombre de pièces presque toutes inédites, à savoir :
trois catalogues dilféi-ents des Souverains Pontifes; la liste
des bibliothécaires de la sainte Eglise romaine, depuis saint
Sergius l" (680-701) jusqu'à Sa Sainteté Léon XIII; un cata-
logue dea principaux BuUaires; une apologie du pape Virgile,
l'affaire de chateauvillain 235
par dom Constant; un choix de lettres adressées à des Souve-
rains Pontifes ou écrites par eux. Parmi ces dernières, il y en
60 d'Innocent III et 41 d'Honoriu? III.
Dans cette deuxième partie de son livre, l'illustre prince de
l'Église s'unit d'une autre manière aux travailleurs érudits
dont il a raconté et apprécié les travaux et fournit, par la
publication de ses précieuses découvertes, de nouveaux élé-
ments aux futurs éditeurs des lettres ponlilîcales. Ainsi, après
avoir donné le précepte, il donne encore l'exemple par ces
pénibles, mais très utiles labeurs.
L'abbé A. Benoit.
L'AFFAIRE DE CHATEAUVILLAIN
AU SÉNAT
(Suite et fia. — V. le numéro précédent.)
Mais, direz-vous, vous prêchez donc la rébellion contre la loi?
Je ne saurais accepter un tel roproche, surtout de vous.
Vous appartenez à cette écule Jibéi'ale qui mit son honneur à sou«
tenir qu'il exi&le uu droit naturel que personne ne peut violer.
Si Ton touche à la conscience, à la famille, si même c'est au nom
de la loi qu'on viole cette enceinte sacrée, on a le droit de résister.
Oui, comme vous et plus que vous peut-être nous avons le respect
de la légalité, mais c'est à deux conditions. La première, c'est que
la loi ne mette pas le pied sur le domaine privé et sacré de la con-
Bcience; la seconde, c'est qu'elle soit appliquée avec justice, avec
équité.
Eh bien! là se dresse un parallèle, un contraste dont vous ne
pouvez éviter le reproche, qu'on vous a déjà indiqué et sur lequel je
vous demande la permission de revenir.
D'un côté, à Decazeville, nous vovons, par le fait de la faiblesse de
l'autorité, un homme dont l'agonie a duré quatre heures, en pré-
sence de nombreux témoins, en l'absence des gendarmes qui ne l'ont
pas défendu, qu'on avait écartés.
De l'autre, nous assistons à ce spectacle : des femmes sont occu-
pées à prier; la force publique arrive, et, sans ménagements, sans
sommations, avec une brutalité inouïe, ell« tire sur ces malheureuses
et OQ les tue.
236 ANNALES CATHOLIQUES
Vous «lirez ce que vous voudrez, cette comparaison saisit et afflige
toutes If s consciences. (Très bien! très bien! à droite.)
Vmis avez donné là un douloureux exemple de défaillance morale.
Si les gpndarmes ne sont pas venus protéger Watrin, le maire n'est
pas coupable! Si vous tuez des femmes en prière, vous n'êtes pas
cou|iHbles non plus!
Nmh! cela n'est pas! ces atténuations ne sauraient rien justifier.
Nous n'avons pas mis seulpment en dépôt, entre vos me.ins, la force
matérielle, mais aussi la foi ce morale du pays.
Et malgré les défenses que vous essayez de présenter, malgré la
mal'Miocmtreuse idylle du soldat partageant sa gamelle avec l'ouvrier,
je dis (ju'il y a là une déf;iill;ince.
Je dis que ces atténuations offensent ce que le caractère national
a de si net, de si loyal, de si franc.
Il y a là comme un lambeau de la conscience de mon pays qui
s'en va et qui tombe. (Très bien! très bien! et applaudissements à
droite.) Cela me révolte et vous révolte avec moi.
Mriis il doit y avoir une sanction à tout cela. On ne peut ainsi
laisser en suspens la leçon de ces catastrophes, que vous déplorez
autant que moi.
Allez-vous laisser l'opinion publique sur cette parole, qui est une
appiobation, que le sous-préfot a fait son devoir?
N'entendrons- nous donc pas dire par un réveil de franchise, un
beiu mouvement de gétiéro<ité et de loyauté, que d'avoir tué
M. Wntrin, c'est un acte criminel, un crime, non un malheur.
Ciiiiiinel d'avoir tiré sur des femmes! Et comme sanction il nous
faut, il faut à la conscience publique la sanction et la réparation de
la destitution de l'agent qui a désobéi à vos instructions, qui n'a pas
craint de marcher dans le sang. (Api)laudisseinents à droite.)
Il faut, et c'est là l'objet de ma troisième questi(;n, il faut que le
décret qui permet de pareilles eneurs, de pareilles fautes, disparaisse
de nos lois. (Très bien ! très bien !)
Allez-vous continuer de telles expéditions?
Vous avez dit à la Chambre que vouz en aviez le plein pouvoir, et
que vous vous serviriez à votre gré des armes ensanglantées à Châ-
teauvillain.
Cette déclaration n'est pas rassurante. (Très bien! très bien! à
droite.)
La loi est la loi ! ]\n userez-vous, ou n'en userez-vous pas? Aurez*
vous le droit de pénétrer chez moi, de briser des clôtures, de fermer
des chapelles privées, des sanctuaires intimes où nous sommes réunis
pour prier? Dites-le! Nous voulons le savoir. (Applaudissements
à droite.)
Quant à nous, nous croyons qu'il est malsain d'agir ainsi ; nous
croyons i^u'il est redoutable de placer un homme dans une situatioQ
l'affaire de chateauvillain 237
qui l'oblige â choisir entre le respect de sa foi et le respect de la loi.
(Très bien ! très bien !)
Nous le croyons, et nous vous disons : Arrêtez-vous, n'allez pas
plus loin dans cette voie fatale.
Quand vous serez sorti de la poussière des combats, quand, après
la lutte, vous jouirez en paix de la retraite; quand vous serez rentré
choz vous et que vous retrouverez à votre foyer les souvenirs de votre
jeunesse honorable, de votre vie dévouée à la liberté, ne regretteriez-
vous pas alors, monsieur le ministre, les entraînements d'aujourd'hui
et la responsabilité que vous acceptez en ce moment!
Oh ! ne me dites pas que nous sommes des cléricaux, que c'est nous
qui avons cherché la lutte, organisé le conflit.
Non! s'il y a parmi nous certains catholiques exaltés qui ont un
idéal social qui n'est plus de notre temps, nous ne sommes pas avec
eux, nous n'y avons jamais été.
Nous sommes, nous, des catholiques sincères, des chrétiens fer-
vents, qui avons gardé les croyances de notre jeunesse, fortifiées par
l'expérience de la vie.
Ntjus voulons placer nos enfants, au début de la vie, sous le signe
de la croix, et les élever dans la morale chrétienne, qui seule peut
soutenir et guider leur intelligence.
C'est sous cette protection de Dieu, du Dieu lare, que nous mettons
notre foyer, et ce sont les consolations et les espérances de la foi que
nous ap}iellerons au moment de quitter cette vie pour l'autre. (Très
bien ! très bien ! et applaudissements à droite.)
Mais nous ne contestons pas les droits de l'Etat, et si on les atta-
quait, nous serions les premiers à les défendre. Nous sommes les
héritiers, nous sommes les descendants de ces vieilles familles parle-
mentaires qui ont consacré leur vie à la défense de la religion, du
droit et de la liberté. (Très bien! très bien! et applaudissements à
droite.)
Nous n'avons rien répudié de tout cela, mais nous voulons pouvoir
prier et rendre hommage à notre Dieu librement.
Nous voulons que nos lirètres soient respectés, parce qu'il n'y en a
pas de plus dignes de respect dans le monde chrétien par la piété, la
charité et le patriotisme. (Très bien! très bien! à droite.)
Dieu me garde, monsieur le ministre, de prononcer une parole qui
ressemble à une menace; mais je ne puis pas ne pas vous dire :
Arrêtez- vous! Si, après avoir chassé Dieu de ses asiles, vous voulez
encore le chasser de ce dernier refuge, l'église, la chapelle, vous
trouverez devant vous la résistance de nos consciences révoltées.
Et s'il y avait conflit, si les malheurs qui sont déjà arrivés se
renouvelaient, le pays, qui nous entend et nous juge, saurait distin-
guer les provocations et apprécier les responsabilités. (Applaudisse-
ments répétés à droite.)
238 ANNALES CATHOLIQUES
^L'orateur, de retour à son baac, reçoit de nombreuses félicitations.)
M. GoBLET, ministre de l'instruction publique et des cultes. — Ma
première appréciation ét/^.it justifiée : M. le duc d'Audiffret-Pasquier
n'a apporté aucun fait nouveau. Il a dit que le décret de 1812 était
ignoré; mais il est appliqué tous Ips ans.
Les instructions que j'p^vais données au sous-préfet n'ont pas été
attaquées; il est vrai qu'elles ont été dépassées. C'est une question
d'appréciation de la part du gouvernement de savoir si les circon-
stances justifient le fonctionnaire qui les avait reçues.
Le ministre revient sur les circonstances telles qu'elles sont expo-
sées par les rapports. 11 déclare que la rébellion était ouverte et que
le sous-préfet a fait son devoir.
L'évêque a refusé de déplacer le desservant, qui passait tout son
temps à la chapelle et ne se trouvait jamais à Ciiâteauvillain. Il fal-
lait donc mettre un terme à cette sitiiation.
Le gouvernement veut la paix des esprits; il y travaille de toutes
ses forces. Si l'Eglise la veut aussi, il faut qu'elle commence par prê-
cher le respect du gouvernement et l'obéissance à la loi.
<M. Lucien Brun. — Il faut à ce débat une solution, et si nous pou-
vons être en désaccord sur bien des points, nous nous réunirons tous
certainement dans une douleur commune. S'il s'était agi de saisir un
criminel notoire dans l'usine de M. Giraud, le sous-préfet et les gen-
darmes n'auraient pas pu pénétrer. Mais il s'agissait de fermer une
chapelle; c'est pour eela qu'on est entré, qu'on a tué un homme gar-
rotté, qu'on a blessé mortellement une femme et qu'on a dispersé les
jiutres femmes présentes.
'Le gouvernement approuve-t-il la façon dont ses ordres ont été
exécutés? Nous avons le droit de le lui demander. Je ne conteste
pas les textes cités par M. le ministre ; mais je dis que ce décret et
cette loi sont tombés en désuétude et sont, d'ailleurs, contraires à
notre droit public. Ils ne peuvent d'ailleurs, infirmer les dispositions
de l'article du Code pénal, sinon il faudrait dire qu'un maire de
village a le droit de violer un domicile dans lequel il existe ou il a
existé une chapelle.
L'orateur s'attache à démontrer que la violation de domicile est
incontestable et que l'illégalité est flagrante ; il dit que tous les
renseignements donnés par le gouvernement émanent du sous-
préfet, c'est-à-dire du coupable; il est donc impossible d'y avoir con-
fiance. C'est ainsi, dit l'orateur, qu'on a affirmé que M. Fischer
aurait lu la lettre de M. Giraud; cependant le procureur de la Répu-
blique a trouvé cette lettre cachetée.
M. LE Ministre de l'instruction publique et des cultes. —
Attendez l'instruction judiciaire.
M. Lucien Brun. — Cependant j'accepte tout ce que vous avez
avancé et je viens vous demander pourquoi vous avez fermé une
l'aff/vire de chateauvillain 239
chapelle ouverte depuis quarante-trois an?, qui n'avait jamais donné
lieu à aucua trouble? Vous avez allégué Je conflit entre le conseil
municipal et le curé de Chateauvillain; il n'y avait là aucune raisoa
sérieuse pour justifier une mesure aussi grave. Je demande ensuite
pourquoi la précipitation mise dans toute cette affaire, et je réponds
que le préfet voulait empêcher l'affaire d'entrer dans la voie de la
Conciii;ition.
M. Georges Martin. — Le préfet n'était pas si pressé, puisqu'il
a écrit plusieurs fois !
^I. Lucien Brun. — Il a écrit plusieurs fois, mais en quinze jours.
M. ToLAiN. — Les autres n'étaient pas pressés d'obéir à la loi.
M. Luc. EN Brun. — Mais il y a une autre preuve. Je vous
demande, monsieur le ministre, comment M. le préfet, après avoir
sollicité et obtenu de vous de prendre un arrêté ordonnant la ferme-
ture de la chapelle, comment n'a-t-il pas eu la pensée, s'il n'avait
d'autre désir que d'en finir pacifiquement, de demander l'interven-
tion de révoque du diocèse? (Bruyantes exclamations à gauche.)
A droite. — Comment ? Qu'est-ce que cela veut diie ?
M. LE Ministre. — On lui avait demandé le déplacement de ce
desservant, et on ne l'avait pas obtenu.
M. Lucien Bhun. — J'ai entre les mains la preuve que si l'on
s'était adressé à lui...
M. ToLAiN. — Cette déclaration arrive en retard.
M. LuciT-N Brun. — M. le ministre le sait, s'il avait dit un mot à
Mgr l'évêque de Grenoble, celui-ci aurait fait fermer la chapelle.
M. ToLAiN. — On n'en sait rien ; c'est une hypothèse.
M. LE Ministre. — J'attends l'information judiciaire.
M. Lucien Brun. — Vous avez, monsieur le ministre, une lettre
de Mgr l'évêque de Grenoble qui ne vous laisse aucun doute sur co
point...
M. LE Ministre. — Elle est venue après coup, après les
événements.
M. Georges Martin. — Après les excitations de l'évêque dans le
département!
M. Lucien Brun. — Qu'est-ce que vous en savez, vous qui n'êtes
pas de l'Isère? Comment le savez-vous?
M. Georges Martin. — Par les journaux.
Un sénateur à droite : — Par le Cri du Peuple! (Rires approbatifs
â droite.)
M. ToLAiN. — Vous même, monsieur Lucien Brun, êtes-vous de
l'Isère, pour adresser cette question â l'un do nos collègues?
M. Lucien Brun. — Je connais les hommes et les choses dont je
parle.
A droite •.' — Ne répondez pas â ces interruptions.
M. Lucien Brun. — Mais enfin, monsieur le ministre, pourquoi
n'avez-vous pas essayé ?
240 ANNALES CATHOLIQUES
Comment! vous savez, et vous l'avez dit vous-même, que M. Giraud
est un catholique fidèle.
Vous savez qu'une demande de l'évêque à M. Giraud ne trouvera
pas de résistance, et votre préfet n'a pas l'idée — vous savez bien
pourquoi il ne l'a pas eue (Interruptions à gauche) — d'aller dire à
l'évoque : Voilà l'ordre de fermer, priez donc M. Giraud de m'épar-
gner l'exécution de cet ordre ? Et il n'y va pas! 11 n'essaye pas !
Et lorsque vous me dites que vous ne savez pas ce qui serait
résulté de cette démarche...
M. ToLAiN. — L'évêque a refusé le déplacement du vicaire!
M. Lucien Brun. — Monsieur Tolain, je vous prie de ne pas
m'interrompre.
M. Georges Martin. — 11 serait indigne do la part d'un préfet,
d'aller se mettre aux ordres d'un évêque ! (Exclamations à droite.)
M. LE Président. — N'interrompez ])as, M. Georges Martin.
M. Lucien Brun. — Permettez-moi de vous dire, monsieur
Georges Martin, que je crois savoir ce que dignité veut dire, et que
gi j'avais l'invraisemblable honneur d'être préfet, et si j'étais chargé
par le ministre d'obtenir la fermeture d'une chapelle, je croirais ne
faire que mon devoir strict et le faire très dignement en essayant
de l'obtenir sans violence, et en allant dire à l'évêque : Monsei-
gneur, une exécution va avoir lieu, qui peut donner lieu à des
incidents graves, un mot de vous suffirait à l'empêcher...
M. le Ministre. — Cela dépend des évêques.
M. Lucien Brun. — Ces interruptions, messieurs, fatiguent l'ora-
teur, mais elles ne sauraient rien changer à la vérité; la vérité,
monsieur le ministre, c'est que si votre préfet n'était pas venu, tout
le monde le sait dans l'Isère, pour faire du Kèle et pour se signaler
à la faveur du parti auquel appartient M. le maire de Château-
villain ; s'il n'avait pas tenu, je le répète, à éviter les négociations,
parce qu'il voulait faire une exécution, il serait allé dire à l'évêque :
Je vais exécuter demain mon arrêté, je vous demande de faire, vous-
même, fermer la chapelle, et la chapelle aurait été fermée.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que vous regrettiez ces
faits. Je ne doute pas de la sincérité de vos regrets, mais je dois
vous dire ce que vous devez surtout regretter.
Quand vous avez donné ordre. Monsieur le ministre, il fallait
d'abord aller à l'évêque et lui demander la fermeture de la chapelle
et il aurait fait droit à cette demande.
M. LE Ministre. — Jamais je n'agirai ainsi; je n'ai fait qu'exercer
mon droit! (Très bien! à gauche. — Protestations à droite.)
M. Lucien Brun. — Ce que vous devez regretter, c'est de n'avoir
pas demandé au préfet de justifier du refus formel de M. Giraud.
Tous ces douloureux événements eussent été évités. Ce que j'ai â
vous reprocher, et ce que vous devez regretter, c'est d'avoir cédé
l'affaire de chrteauvillain 241
aux rancunes d'un maire et au zélé ambitieux d'un préfet que vous
devez bien connaître, car c'est vous qui l'avpz nommé (Apiihiudis-
semonts à droite) ; c'est d'avoir cédé aux exigences de la politique
déf=asti-eu5e dont vous êtes le docile et trop ardent serviteur.
Il faut, disiez-vous, que force reste à la loi. C'est au droit que
force doit rester, et le premier droit de l'homme, c'est le droit d'obéir
à la loi de Dieu.
Ne soyez pas étonnés, messieurs, que le moment arrive où la
patience échappe aux plus pacifiques.
Souvenez-vous do ce que vou> avez f;ut, vous et ceux qui vous ont
précédés, quand vous avez, substituant aux lois le régime des décrets,
violé le domicile de citoyens français qui n'avaient d'autre tort que
de pratiquer une règle religieuse; lorsque vous avpz exhumé des lois
nées dans les plus mauvais joui-s de la Révolution et des décrets de
l'Empire depuis longtemps oubliés, les expulsés en ont appelé aux
tribunaux.
Mais ils ont trouvé semée de pièges et d'embûches la route de la
justice et de la libre défense.
M. LK Président. — Parler de Vexécution d'une loi, et dire que
cette exécution a été entourée d'embuscades, d'embûches, ce n'est pas
tolérable.
M. Lucien Brun. — .Te n'ai pas parlé de l'exécution d'une loi, j'ai
parlé de l'exécution d'un décret.
J'ai dit, et m'excusant si l'on veut de la vivacité de l'expression,
j'ai le droit de dire que sur le chemin qui mène à la justice, les
victimes des décrets se sont heurtées à des obstacles parmi lesquels
je ne SMurais oublier le trop justement célèbre tribunal des conflits;
j'ai le droit d'ajouter que l'on sait ce qu'il en a coûté aux mngistrats
qui n'ont pas partagé l'opinion du gouvernement. (Bravos à droite.)
Nous savons que c'est par le même chemin semé d'embûches que
devront passer les pères de fnmille qui voudront essayer de défendre
leurs enfants contre les exigences d'une loi abominable. (Applaudis-
sements à droite. — Murmures à gauche.)
J'ai le droit de la qualifier ainsi, elle n'est pas encore définitive-
ment votée. (Bravos et nouveaux applaudissements à droite ) Plus
tard j'aurai pour elle le respect parlementaire, mais en ce moment
je puis dire ce que j'en pense. (Tiès bien! très bien! à droite.)
Reprochez-vous surtout d'avoir, par vos discours et par vos acte?,
fait comprendre à tous vos agents que contre ce que vous appelez
les cléricaux, les ménagements n'étaient pas nécessaires. (Très bien!
à droite.)
M. i,E Ministre. — Je n'ai jamais rien dit de pareil, monsieur!
Vous m'imputez des paroles contre lesquelles je proteste absolument.
M. Lucien Brcn. — Je ne suis pas seul à tirer cette conséquence
de vos discours.
18
242 ANNALES CATHOLIQUES
M. LE Ministre. — Il n'y a riea de semblable dans mes discours I
IntPi [irêtGr ainsi, c'est trahir.
I\l. i.E BARON DE Ravignan. — Ce sont vos actes, monsieur le
miniPt.ro !
M. Lucien Brun. — Est-il vrai, oui ou non, que, en ce moment,
il n'y a pas un fonctionnaire qui ne sache qu'il n'est pas nécessaire
d'avoir des ménagements pour les institutions et les œuvres catho»
liqiK^s ; qui ne sache de qxK^ côté vient la faveur?
M FoRiQUET. — Vous avez bien raison!
M. LiciE.v Brun. — Aussi votre personnel vous échappe. Vous ne
gouvcrnrz plus ; vous ordonnez d'attendre les instructions, de re-
courir à l'intervention du parquet, de ne pas brusquer une exécution ;
vous n'êtes pas obéi, et quand le crime est commis, quand le sang a
coulé, vous n'osez pas frajqier les coupables.
ISI.iiulenant — et c'esc mon dernier mot — ne vous étonnez pas
que couK que vous ne protég''z plus se piéparent à se protéger eux-
mêmes. (Ah ! ah! à gauche. — Très bien! à droite.)
Quant à nous, tant que cette tribune restera libre, et en attendant
le jour do la justice lente à venir, mais qui viendra, nous protes-
terons contre cette politique de sectaires, contre cette politique de
haine. (Exclamations à gauche. — Très bien! à droite.) Politique
fatale qui, après avoir chassé les religieux de leurs asiles et chassé
Dieu de l'éctde (prot'^stations à gauche), en est venue à coucher des
cailavres sur le seuil ensanglanté des chapelles. (Bruit à gaucbe. —
Très bien! tiès bien! à dioite )
J'ai l'honneur de déposer l'ordre du jour que voici... (Bruit et
applaudissements ironiques à gauche.)
Je SUIS charmé de ces acclamations que je ne m'explique guère, je
vous avoue.
T>I. Buffet. — Et qui sont inconvenantes.
M. Lucien Brun. — Qui ne sont peut-être pas très respectueuses
ni très parlementaires.
« Le Sénat blâmant l'application arbitraire, et condamnant l'exé-
cution irrégulière... (Interruptions à gauche)... et violente d'une
législation tombée en désuétude, passe à l'ordre du jour. » (Très
bien! très bien! et applaudissements prolongés à droite. — L'orateur,
en retournant à son banc, reçoit les félicitations d'un grand nombre
de ses collègues de la di-oite.)
M. LE Président donne lecture des ordres du jour déposés. Un
ordre du jour de MM. Georges Martin, Macé, Lemonnier, Giraud et
Naquet réclame la dénonciation du Concoi'dat.
Un ordre du jour de MM. Lenoel et Labiche est ainsi conçu :
« Le Sénat,
« Regrettant que les instructions du ministre n'aient point été
suivies.
LL SITUATION RELIGIEUSE EN ORIENT 243
« Déplorant les malheurs qui sont résultés de leur inexécution,
« Passe â l'ordre du jour. »
TJq troisième ordre du jour est déposé, le voici :
« Le Sénat,
« Considérant qu'il était possible d'éviter les déplorables événe-
ments de Châteauvilaiu, en procédant par la voie judiciaire, passe
â Tordre du jour. »
Ont signé : MM. Bardoux, Bérenger, vicomte de Saint-Pierre, de
Pressensé, Calmon, Denormandie, La Caze, Robert de Massy, Bar-
thélémy Saint-Hilaire.
M. Casimir Fournieu demande l'ordre du jour pur et simple.
M. LE MixisraE de l'Instruction publique et des Cultes accepte
l'ordre du jour pur et simple.
Il est procédé sur l'ordre du jour pur et simple â un scrutin dont
voici le résultat :
Nombre de votants 2S0
Majorité absolue 141
Pour 191
Contre 89
L'ordre du jour pur et simple est adopté. (Bruits divers.)
Le Sénat adopie le projet de loi créant des pénalités conti'B
l'espionnage.
Le Sénat s'ajourne à lundi, deux heures.
La séance est levée à six heures et demie.
LA SITUATION RELIGIEUSE EN ORIENT
Les Missions catholiques publient sur la situation reli-
gieuse en Orient une très curieuse lettre, qu'elles font
précéder de la note suivante :
Les événements politiques qui s'accoraplissent aujourd'hui en
Orient ont une gravité incontestable au point de vue de nos
missions; aussi nous empressons-nous de publier cette lettre.
Elle nous est adressée par un personnage à qui sa position et
sa haute intelligence permettent déjuger d'un regard sur ce
•qui se passe dans la péninsule des Ballcans.
Voici maintenant les parties les plus importantes de cette
correspondance, datée du 6 février 1886 :
Enfin, la convention est conclue, ou, pour mieux dire, l'ai-
244 ANNALES CATHOLIQUES
liance offensive et défensive entre la Sublime Porte et le prince
de Biil.craiie. C'est un catlioliqne, Gadban Effendi, qui a été
rinterinédiaire entre le prince Alexandre et le grand-vizir.
U-adban Effenrli, qui jouit de la confiance du grand-vizir, avait
été envové à Sofia en qualité de comnaissaire pour les loakoufs
(legs |jieux rausuhnan?.) Il a profité de sa position et des circons-
tances pour entaiûer des pourparlers, qui ont abouti à la
convention signôe entre S. A. Kiamil pacha et M. Tzonoff, le
représentant de la Bulgarie. Par ce traité, le prince Alexandre
sera nommé, par S. M. le sultan, valy de la Rouraélie orientale.
L'union personnelle a donc été acceptée comme base de solution.
La nomination devra èi,re renouvelée chaque période de cinq
ans, si l'attitude du prince est correcte vis-à-vis de la cour
suzeraine.
Cet acte est certainement peu agréable au gouvernement
russe. Mais les intérêts de la Sublime-Porte et de la Bulgarie
exigeiiient une telle union. Au point de vue des intérêts
catholiques, autant l'action de la Russie est diminuée sur les
populations cbrétiennes de la péninsule balkanique, autant la
propagande religieuse devient facile. Il est certain que le gou-
vernement du cznr chercheia tous les moj-ens pour ne pas
laisser irop cimentei- cette union entre la cour ottomane et la
pi'iucipauté vass;ib', l)ien que, pour le moment, il l'accepte pour
paralyser les velléités militaires de la Serbie et de la Grèce.
Ces derniers événements ont envenimé encore davantage la
sépaintion, la haine et l'aversion entre les deux races, bulgare
et grecque. L'éb^nent hellène se croit sérieusement menacé par
l'union personnelle de la Roumélie orientale avec la principauté
de la Bulgarie. L'unité administrative en est, en effet, la consé-
quence, et un COI ps com|>acte de plus de quatre millions de
Bulgares menacera la Macédoine, composée elle-même d'une
majorité écrasante de Bulgares, quoi qu'en disent les journaux
de la Grèce.
L.t |)at,riarcat grec a stigmatisé le schisme bulgare avec le nom
de l^lnlc'lisme, ex[)ression inconnue jusqu'ici des saints Pères,
et cela dans l'unique but national d'isoler les Bulgares, de les
disciéditer comme schismatiques dans le grand monde des
chréiiens de l'Oiient. Mais les foudres du Phanar n^ont pas
produit le moindre effet; au contraire, elles ont donné une
plus vive impulsion à la formation de la nationalité bulgare.
L'histoire se répète : dans les siècles passés l'élément bulgare
LA. SITUATION RELIGIEUSE EN OPIENT 245
avait, par ?es assaut.:? réitères, affaibli l'empire byzantin; au-
joiiid'liiii enCDie rcléuient bulgare joue le plu.? grand rôle clans
la (jnesiion {l'Oi ieiit,.
L'Eglise grecque, an lieu de lancer des anathèmes impuis-
sants, aurait dû entamer des pourparlers avec le Saint-Siège
afin d'arriver à une entente et entrer dans la grande et puissante
Eglise de l'Occident.: alors, seulement, elle aurait mis le désar-
roi dans le camp de la nation bulgare, voire même de la nation
russe. Plusieurs personnages distingués parmi les Grecs ont eu
cette idée. Mgr Rotelli, le savant et sympathique délégué du
Saint-Siège à Coiistaiitiuople, avait, dans le temps, tendu la
main au patriarcat giec et, par son entremise, à toute la nation
gieciiue; mais ce ii'e>t que par des compliments et des phrases
de courtoisie (ju'ou a voulu répondre à l'acte éminemment poli-
tique du représentant de Sa Sainteté Léon XIII.
M. Tricoupi, mieux ((ue tous ses compatriotes, avait compris
la portée de l'iniiiative prise par Mgr Rotelli. Mais les person-
nages haut i)lacés, soit ecclésiasti(|nes, soit laïques, de la nation
giecipie, malheureusement n'ont pas montré les bonnes dispo-
sitions nécessaires fiour poursuivre et accom[dir une œuvre qui
devait corriger !a faute conjiuise par Photius. L'occasion n'est
pas encore perdue. L'élément bulgare devient de plus en plus
menaçant contre l'hclléuisme. Ce n'est pas par ses forces
mateiielles et par sa flotte que la Gièce sauvera son existence,
mais bien par une sa.e politique, dont elle pourra s'inspirer en
étudiant avec i'npaitialité l'histoire de son Eglise. Il lui faut
une alliance ecclésinsticiue; le tiône qui se décore pompeuse-
ment du titre 'i^ Œcuménique, ne peut plus se soutenir, s'il
ne cherche un appui ati centre du chriàtianisme dans l'Eglise
romaine.
C'est presque le même raisonnement que nous devons faire
pour l'élément arrnéuien, l'un des liois éléments chrétiens les
plus importants de l'Orient. L'Eirlise arménienne, non unie, dite
giégorienne, subit utie lente désagrégation. Le slavisme russe
l'a déjà fortement eniamée en Russie ; en Turquie, elle n'est
pas sans courir- un danger sérieux.
Sans ap[)ui, l'Eglise arménienne ne pourra pas résister au
choc du slavisme moscovite. Ainsi avec son Église, sera com-
promise également sa nationalité ! Le patriarcat arménien-
catholique, bien que, pour le moment, numériquement inférieur
aux trois autres, présente par soa union avec le Vatican des
conditions plus solides d'existence.
246 ANNALES CATHOLIQUES
On a dit et on répète souvent que, dans sa grande majorité,
l'Eglise arnnénienne non unie se ralliera à Rome, tandis qu'une
petite minorité se donnera au protestantisme. Les événements
commencent à justifier cette parole. Les conversions au catho-
licisme ont redoublé dans ce dernier mois dans la province du
Pont. Amasie, Marsivan, et plusieurs villages du même district
ont vu plus de cent familles arméniennes ou grégoriennes ren-
trer dans le véritable bercail. Pour les protestants, s'ils font
quelques brèches dans le sein de la nation arménienne, c'est
grâce à leurs ressources matérielles, au luxe de leurs missions
et à leurs promesses attrayantes. Mais ces succès ne reposent
sur aucune base morale.
Combien salutaire serait l'union en masse de l'Arménie avec
la sainte Église catholique, soit au point de vue ecclésiastique,
soit au point de vue national ! Par ses qualités et ses aptitudes
spéciales, elle occuperait alors la première place en Orient.
Mais, hélas! comme l'Eglise et la nation grecques, l'Eglise et
la nation arméniennes, minées par les mêmes causes intrin-
sèques et extrinsèques, semblent coradamnées à une lente et
progressive dissolution. C'est sur des ruines que le catholicisme
viendra relever peu à peu les anciennes Églises et les évêchés
de rOrient : aussi, ne serait-il pas dans l'intérêt de la famille
chrétienne de conclure dés à présent cette union avec le centre
du catholicisme, qui, seul, peut sauver l'avenir de ces Églises
en pleine décadence V
LE CANADA ET LA FRANCE
La Semaine Religieuse de Montréal nous a apporté, il j a
quehiue temps, un très intéressant article du CathoUc Worldy
qui fait penser à ce que serait aujourd'hui la France, si la
Révolution ne l'avait point fait sortir de ses voix traditionnelles
et ce que pourraient devenir les colonies qu'elle cherche à so
créer encore maintenant.
Lor?que Louisbourg; tomba aux mains des Anglais en 1758, les
Français étaient seulement 60,000; ils sont maintenant un million
et demi dans le seul Canada. Ce grand accroissement naturel de la
population dans une si courte période cesse d'étonner quand on réflé-
chit que les familles des Canadiens-Français sont en moyenne com-
LE CANADA ET LA FRANCE 247
posées de npuf enfanta et que celles où il y en a douze ou dix-huit
ne sont f>a3 rares.
Il n'y a pas eu d'éraigratioa française qui vaille la peine d'en
parlei-, dans le Bas-Canada, depuis la conquête de l'Angleterre, mais
il y a eu un courant constant d étnigratinn de Canadiens-Françaia
aux Etals-Unis. Dos av icats «listingués du i-epatriement, tels que
J.-A. Chapleuu, si-natc^ur Trudeî, Charles Thibault, îiffirment qu'il y
a dans les Etats de l'E>t seul-, sis cent mille Fr;inçais-Canadiens. La
rareté des noms français pourrait faire douter de cette affirmation,
mais, quand on se rappf^lle combien de noms sont anglicisés, parmi
nous, chaque jour, on y ajoute plus de confiance. Dans certains Etats
on trouve des établissements dont les habitants ont les traits et les
caiacléristiqups des Français quoiqu'ils n'en jjarlent plus la langue.
On peut donc aifirniei- que les GO, 000 Français de 1758 sont aujour-
d'hui 2.000,000, dont 1,500,000 habitent le Canada. En outre, si rien
d'extraordinaire n'arrive et s'ils transmettent à leui-s enfants las
grandes qualités morales et physiques qu'ils ont reçues de leurs
ancêtres, l'an d(-ux mille de Notre-Seigneur, les Fiançais-Canadiens
seront 25,000,000.
L'i Dominion Canadien est en train de subir, silencieusement mais
sûrement, une opération de francisation qui commence à attirer
l'attention. Les munici|)alité3 changent d'anglais en français les
noms des localités et des rues, et prennent généralement des mesures
qui notifient aux Anglais qu'il faut qu'ils s'en aillent. Le cri d'alarme
à la vue de cette expansion du pouvoir et de l'influence des Fiançais
est poussé par certains journaux comme le Globe de Torento et le
Tintes d'Hamilton, mais que faire pour y porter remède? Une loi ne
peut être passée pour défendre aux Français d'avoir de si nombreuses
familles et pour augmenter celles des .\nglais. En matière de légis-
lation, les Français peuvent soutenir leurs droits. Ils ont deux repré-
sentants de leur race dans le caljinet d'Ottawa et deux autres sont
sous leur conîiôle immédiat, et dans le Parlement ils tiennent la
balance du pouvoir. Pendant que les jouinaux ultra-anglais et ultra-
protestants usent leurs dents sur le traité qui a accoi-dé aux Fran-
çais « leur langue, leur religion et leurs lois », ceux-ci marchent
avec t-érénité, espérant que, dans un avenir prochain, ils formeront
une nation indépendante, aussi libre du contrôle des paiens de Paris
que des impérialistes de Londres.
Excepté les changements produits par leur entourage et par suite
d'une meilleure éducation, les Français-Canadiens sont les même-
qu'étaient leurs ancêtres Normands et Bretons, il y a trois cents ans
— aussi braves, aussi religieux, aussi simples, aussi industrieux et
aussi croyants en Dieu. Dans les villes comme Montréal et Québec,
ils ont les vices inhérents aux villes, mais dans les districts ruraux,
sur les bords du Saint-Laurent, les vices sont inconnus. Quant au
248 ANXALES CATHOLIQUES
travail, aucun mortel ne travaille plus longtemps ni avec plus d'ardeur
que le Crinadien-Français : peu de leurs frnies sont hypothéquées;
leur nourriture est frugale mais Rj:ine ; ils ont de belles églises dans
tout le pays, qu'ils ont élevées eux-mêmes à la gloire de Dieu.
J'étais en pension il y a quelques années, près de Saint- iMarc, sur
la rivière Richelieu, chez un riche fermer fjui est un vrai type de
cette race. Il avait neuf enfants qui tous travaillaient, d'un côlé ou
de l'autre, dans la maison ou sur la ferme de deux cents acres. Ils
étaient les plus heureuses créatures vivantes et les plus pieuses. Les
vieux chants bretons étaient chantés dans cette maison, et le Rosaire
était dit à une heure réglée, par la f;imille assemblée, les serviteurs
inclus Les filles parlaient le plus pur français qu'elles avaient appris
à la vieille Ville-marie, et jouaient des airs normîinds sur le piano.
Ils allaient tous à la messe dans la vaste voiture de famille le
dimanche et les jours de fête, et tous étaient de la Congrégation de
la Vierge.
Des observateurs, comme Joakim Miller, qui se sont donné quel-
que peine pour étudier les Français-Canadiens, ont été enchantés
d'eux et de leur pays. Les qualités morales d un peuple, disent les
savants, se reflètent sur leurs traits. S'il en est ainsi, en voyant
Québec, qui est la ville la plus purement française du continent,
leurs qualités morales ne peuvent êti-e que bonnes. Les visiteurs de
France admettent que leur beau langage n'a rien perdu sur les bords
du Saint-Laurent, qu'il a même acquis une vigueur littéraire, ainsi
que Garneau, Bourinot, Fréchette, Benjamin Suite, et bien d'autres
le prouvent par leurs écrits — écrits donnés au monde par les Cana-
diens Français, tandis que les Anglais Américains n'ont pas encore
produit un seul auteur éminent. Le français de la il/ï«ert;e, du Cana-
dien et de la Patrie est tout aussi pur que le français de la Répu-
blique Française, pendant que les habitants des superbes mais u?
de la rue Saint-Denis, à Montréal, parlent le langage de Corndlle
et de Racine aussi correctement et aussi harmonieusement que les
habitants du faubourg Sâint-Germain. Le plus illustre poète du
Canada est le Français-Canadien Fréchette, le plus grand oiateur le
Français-Canadien J. A. Chapleau. Les Français-Canadiens ont une
université à eux, et de nombreux collèges et écoles où sont enseignées
les plus hautes branches de l'enseignement, et. quoique sous certains
rapports, ils soient en arrière de leurs compatriotes d'origine anglaise,
sous d'autres, ils leur sont supérieurs. Indubitablement ils les sur-
passent dans la littérature et dans les arts, mais ils leur sont infé-
rieurs dans l'éducation technique. Les prêtres fi-ançais de la province
de Québec, spécialement dons les districts, sont ce qu'étaient les
prêtres fi-ançais de Bretagne, il y a deux cents ans, et sont aujour-
d'hui les pères de leur peuple. Plusieurs d'entre eux appartiennent
aux vieilles familles de la province. Il y en a peu parmi eux qui ne
puissent bien parler trois langues ou même plus.
LE CANADA. ET LA FRANCE 2 49
Oa rloit avouer qu'ils no sont pas un clergé « fa.«hionable », car
leurs vêtements ont une coupe provinciale et peut-être même rus-
tif|Uo; mais ils paraissent satiî^faire leur pcu[)Ie, qui les aime et les
honore. Il est vrai aussi que quelques-uns «l'entre eux se mêlent de
temps en temps de la politique. Quand cela anive, c'est Voltaire et
Rousseau qu'ils comb.-ttent sous la forme de quelques rejetons des
politiciens de iMontréal qui, après avoir visité la France, rappoi tent
avec eux le scepticisme de Pans. Il est assez naturel que les prêties
n'aiment pas cela. Ce serait ét'ange s'ils ne le faisaient pas, et plus
étrange encore si, CDmr-ne prêtres catholiques, ils né<>'ligeaient de
s'opposer aux hommes <|ui combattent la religion par la politique.
La vie des prêtres français-canadiens n'est pas une vie facile. Les
paroisses ont souvent cent milles carrés (!'éten<lue, et ils ont à célé-
brer la messe, dans un jour, dans des localités séparées de trenie
milles. Ils ont à travailler comme le peuple dont, selon le jargon des
philosophes, ils sont issus.
La société franco-canadienne est, en somme, dans une condition
saine. Les chefs ont l'esprit et la culture de leurs ancêtres avant que
lîi corruption d'une cour débauchée et les enseignements des encyclo-
pédistes ne les eussent pervertis et conduits à cette révolution dans
laquelle la France se débat encore. Tous les signes du temps indi-
quent, dans un avenir prochain, la création d'un état fiançais indé-
pendant, ayant le noble fleuve Saint-Laurent pour principale arlèie
commerciale et la ville de Montréal pour capitale.
J.-C. Flemin.
Ainsi, tandis que la mère-patrie voit sa population cesser (\&
croître et s'étioler d'une manière effrayante; tandis qu'elle est
obligée de baisser pavillon devant ses puissants voisins et qu'elle
ne peut même iilus mener à bonne fia une guerre contre des
barbares que, dans leur fatuité, ses gouvernants avaient appelés
« une quantité négligeable », la colonie ft)ndée par elle il y a
deux siècles contimie de montrer les qualités et les vertus que
le catholicisme avait données à la race française, et la prépon-
dérance que ces qualités nous assuraient dans le monde.
Quand la France comprendra-t-elle que, si elle ne veut mou-
rir, et surtout si elle veut recouvrer son ancienne puissance et
son ancienne gloire, elle doit enfin rejeter le poison révolution-
naire qui s'est lépandu dans toutes les institutions et a gagné
presque toutes les familles, pour reveuir à ses traditions et à
ses vertus chrétiennes?
250 ANNALES CATHOLIQUES
LES ŒUFS DE PAQUES
C'était ]e Samedi-Saint de l'année 1882, vers trois heures de
raprés-midi.
M. Renaud, ancien capitaine au 20* régiment de ligne, était
accoudé sur l'appui de sa fenêtre et fumait sa pipe eu regardant
les passants.
Le vieux î^oldat était venu prendre sa retraite dans son
village natal, au milieu de paysans qu'il ne connaissait plus et
qui le connaissaient tous pour l'avoir vu tout jeune sur les
genoux de sa mère, vers 1825. Il occupait le logis paternel,
mais il j vivait seul, avec une femme de ménage, car ses
parents étaient morts depuis longtemps. Sa solitude n'était
égajée, de temps à autre, que par la visite, presque toujours
intéressée, de quelques mauvais sujets, qui venaient lui deman-
der à dîner et payaient leur dette en lui racontant de vieilles et
sottes histoires dans les(iuels les curés jouaient toujours un
rôle ridicule et odieux.
Car le capitaine était impie, foncièrement impie. Ce n'était
pas le scepticisme fleuri de certains salons, ni l'indifférence de
yiveur hébété, ni le dé^iain superbe du politicien de village ;
c'était la haine ouverte, avouée et persévérante de l'Eglise, de
la religion, des prêtres et de toute cérémonie religieuse. Il
fallait le voir dauber les curés, les moines et surtout ces
pauvres Frères des écoles chrétiennes ! On était sur de lui
plaire et d'obtenir de lui toutes sortes de services en flattant
sa passion de sectaire et en applaudissant à ses propos de
garnison.
La paroisse, très chrétienne, dans laquelle tous les hommes
presque sans exception, avaient jusque-là fait leurs Pâques,
était scandalisée par la présence de cet homme qui avait sans
cesse le blasphème à la bouche, ne mettait jamais les pieds à
l'église, gardait son chapeau ou son képi quand les processions
passaient devant luiet ne pariait de rien moins que d'étrangler
le curé.
— Etrangler M. le curé, disaient les bonnes dames du hourg!
Cet homme est possédé ! Conçoit-on que Rosalie ait consenti à
tenir son ménage !
LES ŒUFS DE PAQUEà 2 51
Mais Rosalie répondit en souriant :
— C'est justement M. le curé qui m'a dit d'accepter. Il a son
idée, sans doute.
L'idée du vieux prêtre était fort simple. Il voulait convertir
M. Renaud, qu'il avait connu, jeune encore, et dont la mère
était morte saintement. Mais toutes ses tentatives avaient
échoué ! En vain avait-il gardé pendant de longues années, les
deux places occupées jadis à l'église par M. et M"" Renaud: les
places étaient restées vides. En vain s'était-il pressente le premier
chez le capitaine; le capitaine ne l'avait pas reçu. En vain
avait-il multiplié les politesses, les sourires et les petits
mots affectueux qu'on jette en passant pour entamer une con-
versation : ce diable d'homme avait repoussé toutes les avances,
et plus le vieillard, aimé de tous ses paroissiens, vénéré comme
un père, redoublait d'efforts, plus le farouche soldat redoublait
d'impiété.
— Pour le coup. Monsieur le curé, disait le sacristain, vous
êtes pris ! Celui-là vous échappera. Ce sera le premier.
— Attendons, mon brave Buron, attendons l'heure de Dieu,
répondit le saint homme.
Or, ce jour-là, quatre avril, le soleil, dans toute sa splen-
deur, réchauffait la terre et faisait éclore toutes les fleurs du
printemps.
Le ciel était bleu, de ce beau bleu d'azur qu'on ne se lasse
pas d'admirer. Il n'y avait pas un nuage. Les insectes bourdon-
naient comme au mois de juillet. Aucun bruit ne s'élevait de la
campagne. On ne travaille pas, le samedi saint, dans les paroisses
chrétiennes; on va à confesse, à l'office, et on se prépare à la
grande fête du lendemain. C'est ce qui donne tant de charme et
poésie à ces belles journées pascales.
Le capitaine se sentait ému, d'une émotion singulière, en face
de la nature rajeunie, reverdie, comme ressuscilée. A son insu,
il prenait part à la fête universelle, et crojait entendre le loin-
tain écho d'un Alléluia oublié. Il se rappelle tout à coup que
sa mère était morte à pareil jour et presque à pareille heure,
et il sentit la honte monter à sou front en pensant qu'il n'avait
jamais vu sa tombe.
Au même instant, il entendit les deux cloches de l'église,
muettes depuis deux jours, sonner joyeusement à toutes volées.
Bientôt les cloches des bourgs voisins repondirent aux pre-
mières, et ce concert majestueux et doux fit vibrer en son âme
certaines cordes qu'il croj-ait brisées depuis longtemps.
252 ANNALES CATHOLIQUES
— Mille millions de tonnerres, murmnra-t-il, on a beau
Tieillir, on se laisse toujours pi-endre à ces choses-là !
Une demi-heure plus tard, la roule se remplit d'une foule
joyeuse et agitée. C'était le peuple chrétien qui venait de
chanter 0 fiJii et filiœ, et qui rentrait en ses foyers.
Les rayons du soleil couchant donnaient à cette scène une
teinte chaude, dorée et lumineuse qui ravissait les yeux.
Tout à coup, de petites voix d'enfants s'élevèi'ent au loin,
aigMiës et peiçantes comme les clairons du 20° de ligne ; elles
chantaient un refi-ain local. Le capitaine tressaillit. Il connais-
sait cet air, ce gai refrain, mais il avait oublié les paroles.
Rien de plus frais, de plus gr-acieux, de plus pénétrant que
ces voix lointaines, à l'unisson, dominant les bruits légers de la
campagne et le murmure de la brise du soir.
Les voix se rapi)rochérent. Le capitaine aperçut bientôt les
enfants. Ils étaient quatre, et chacun d'eux avait un panier
recouvert de fleurs et orné de rubans roses. Sur leur tête nue
était posée une petite couronne de lilas en boutons. On eût dit
quatre chérubins descendus du ciel, mais quatre chérubins très
gais et très polis, car ils remerciaient en riant de foi't bonne
glace tous les fermiers et métayers qui emplissaient leurs
paniers d'œufs de canes ou d'œnfs de poules.
Les quatre enfants passèrent devant la mai'^on de M. Renaud
et semblèrent délibérer un instant; mais la ré[)utation du capi-
taine les effraya; ils n'osèrent chanter leur cluéiienne et naïve
chanson devant l'ennemi du prêtre et de Dieu, et, hâtant le
pas, ils gagnèrent une ferme éloignée.
Le capitaine sentit le coup et frappa du pied.
— Tonnerre de Brest! s'écria-t-il, je ne suis pourtant pas
le diable. C'est le curé, sans doute, qui excite ces enfants
contre moi.
Quelques minutes après, M. Renaud allait fermer sa fenêtre
et descendre à la salle à manger, lorsqu'une petite voix, plus
fraîche encore que les précédentes, se fit entendre juste au-
dessous de lui.
M. Renaud baissa les yeux et aperçut un enfant de l'école
des Frères, le petit Guillaume, à peine âgé de dix ans, qu'il
avait naguère protégé contre une attaque furieuse de cinq ou
six polissons du voisinage. Depuis cette époque, l'enfant se
montrait reconnaissant et n'oubliait jamais de saluer en passant
^e vieux militaire. On avait dit au capitaine que la mère du
LSS ŒUFS DE PAQUE=; 253
petit Guillaurae, morte depuis deux ans, était une cousine éloi-
gnée de la sienne, et ce rapproaheraent avait augmenté sa
sympathie pour l'enfant.
Celui-ci, couronné de lilas comme ses amis, un panier fleuri
passé dans son bras droit, souriant et regardant le capitaine,
chantait ainsi :
Donnez, donnez aux enfants de chœur,
Qui demandent au nom du Sauveur.
Et vos poules, toute l'année,
Pondront à foisonnée !
Le capitaine fit monter l'enfant. La vieille chanson tradition-
nelle était revenue en sa mémoire. Il se rappelait avoir été lui-
même aux œufs de Pâques, en sa jeunesse, quand sa mère était
près de lui.
— Je te remercie d'être venu, dit-il au petit Guillaume. Tu
n'as pas fait comme tes camarades. Tu n'as pas eu peur de moi.
Mais je ne suis pas un méchant homme. Mets ceci dans ion
panier. Ta mère achètera des œufs pour toi... Mais j'y pense,
mon pauvre enfant, tu es comme moi, tu n'as plus ni père ni
mère. Tu es orphelin. Qui s'occupe de toi? qui te nourrit? qui
t'habille?
— Monsieur le curé, répondit l'enfant.
Le capitaine resta un instant pensif; puis, tout à coup :
— Dis-moi, petit, tu sais où est le cimetière ?
— Oui, capitaine.
— Veux-tu m'y conduire ?
— Volontiers, répondit Guillaume sans hésitation.
Le capitaine et l'enfant prirent à travers champs. En quelques
minutes, ils arrivèrent au mur de clôture, surmonté d'une
grande croix de bois.
— Il faut aller à la porte, dit Guillaume.
— Non, fit le capitaine. Je ne me soucie pas qu'on ma voie.
Je vais franchir la muraille, et je te ferai passer si tu veux me
suivre.
Le capitaine se haussa sur la pointe du pied et jeta les yeux
sur le cimetière. Le vieux curé était pieusement agenouillé sur
une tombe et priait avec ferveur. M. Renaud attendit qu'il fiât
parti ; puis, avec une agilité extraordinaire, il escalada le mur
d'enceinte en enlevant dans ses bras robustes le petit Guillaume,
toujours orné de ses lilas et chargé de son panier fleuri.
254 ANNALES CATHOLIQUES
— Saig-tu, demanda en tremblant le capitaine, oii se troure
la tombe de ma mère ?
— Oui, mon capitaine : c'est la grande croix, là-bas, sous
le saule.
— Conduis-moi, mon ami.
L'enfant prit sans façon la main du capitaine et le condaisit
droit à la tombe ou, quelques minutes auparavant, priait le curé
de la paroisse. Le capitaine remarqua cette coïncidence, aperçut
une branche de rameau fraîchement déposée sur la pierre, et,
fort ému, troublé jusqu'au fond de Tàme, mordit sa moustache
grise. Un reste de respect humain l'empêchait encore de prier.
Mais l'enfant avait plus de courage ou, du moins, plus de foi.
Il sii mit tranquillement à genoux et récita son Pater.
En entendant cette petite voix, le capitaine se senti vaincu.
Il tomba, sanglotant, sur la mousse du tombeau :
— Oh ! ma pauvre mère, s'écria-t-il, vous êtes donc là !
Mais l'enfant, le regardant avec surprise :
— Vous savez bien que non, mon capitaine; elle est au ciel
avec le bon Dieu !
Le lendemain, saint jour de Pâques, à dix heures, la paroisse,
réunie tout entière à l'église pour célébrer la glorieuse résur-
rection du Sauveur du monde, fut bien surprise en voyant entrer
le capitaine Renaud, en grande tenue d'ofticier français, trois
croix sur la poitrine, la tète haute et droite, comme il con-
vient au soldat, mais sans orgueil et sans fierté. De son pas
militaire, il traversa la nef et alla s'asseoir, en dissimulant de
son mieux uno émotion profonde, au premier rang, à la place
de sa mère. Près de lui s*assit le petit Guillaume, qu'il semblait
avoir adopté.
Un frisson joyeux parcourut la foule. Le sacristain Buron se
troubla dans sa sonnerie. C'est uno si grande joie, même ici-
bas, dans les paroisses chrétiennes, quand un [)écheur se récon-
cilie franchement avec Dieu ! Après l'évangile, le curé, dont
l'émotion était visible, fit un petit discours sur la résurrection
et annonf;a qu'une messe serait chantée, après les fêtes, pour
le repos de l'àme de Mme Renaud.
Après le saint office, le capitaine, toujours suivi de son pro-
tégé, se rendit sur la [dace publique et serra joyeusement la
main d'une foule de braves gens qui, jusque-là, le craignaient
et s'écartaient de lui. Le vieux curé vint à son tour. M. Renaud
alla à sa rencontre les deux mains tendues, des larmes de joie
dans les yeux.
LA BANQUEROUTE DU PROTESTANTISME 255
— Ah! monsieur le curé, s'écria-t-il, quand Dieu veut da
bien à des orgueilleux comme moi, voyez comme il emploie do
petits moyens : cet enfant, un vieux retriiin et une prière sur
un tombeau...
— C'est son grand secret, mon capitaine, répondit le vieux
prêtre. Remercions-le, bénissons-le, et allons fêter les œufs de
Pâques.
Charles Saint-Martin.
LA BANQUEROUTE DU PR0T:^:STANTISME
Une grande partie des calvinistes néerlandais ont perdu tout
droit de réclamer le titre de chrétiens, et n'en ont d'ailleurs
plus l'envie.
Le R. P. W. Wilde a écrit à ce sujet un travail remarquable,
digne d'être lu par les catholiques et les protestants croyants,
dont nous extrayons quelques idées.
C'est le cœur navré, que les protestants sincères voient gran-
dir l'incrédulité dans leur église. Des hommes dont les inten-
tions ne sont peut-être pas si mauvaises, aident à démolir ce
qni est resté du christianisme. Lorsque les protestants quittèrent
le roc de l'Eglise catholique, ils croyaient conserver un appui
dans la Bible. Mais tout leur échappe, jusqu'à ce qu'ils péris-
sent sans espoir.
Cette déchéance est due au principe protestant du libre exa-
men, sur lequel ils édifiaient toute leur croyance.
Us invoquaient cette liberté comme leur force, mais elle 3St
devenue une force qui les anéantira. Us cherchaient un [)rin-
cipe vital, et ils ont trouvé un principe de dissolution. Car c'est
en vertu de ce principe du lilire examen, que les apôtre:^ de
l'incrédulité ont commencé et continuent leur œuvre de
destruction.
Us examinent et que trouvent-ils? leur propre fausse gran-
deur, et en fin de compte tout aboutit à une glorification per-
sonnelle. Le protestanlisme du XVP siècle repoussa l'Eglise
catholique et le prêtre, mais retint la Bible et le Méiliateur
céleste. Mais aujourd'lnii les modernes ne veulent plus, ni de
l'église, ni du prêtre, ni du Sauveur. Us veulent n'avoir affaire
256 ANNALES CATHOLIQUES
qu'à Dieu, directement, sans intermédiaire. Qu'en auraient-ils
besoin ? — Ils portent en eux ces trésors de foi, d'espérance et
de charité! et ne faut-il [las s'étonner par conséquent, que la
Bilile n'a pas pour eux plus de valeur que le Védas des Hindous,
le Zund-Avesta des Perses, l'Alcoran des Musulmans^ car rien
ne trouve grâce à leurs yeux. La personne sacrée de Jésus-
Christ n'est puur eux qu'une caiicature, un homme, brillant
par ses talents et ses vertus, mais en même temps un homme
horriblement trompé ou un tiompeur infâme.
En débitant ces blasplièmes, ils osent soutenir que le Christ
commence seulement à cLi'e compris par nous, — que l'eireur
provient du titre de Messie et de la superstition païenne croyant
à des lils de Dieu, en cliair et en os, — que le récit des miracles
des Evangiles est né du langage symbolique de i'Oiient, et que
l'express^iun de la réconciliation par le sang de Jésus, employée
par saint Paul, n'est guère réussie. Un prédicant de Pamaribo,
M. Sieijnis, a publié récemment un petit livre intitulé : Démo-
lir et édifier, qui se résume en ces mots : « Nous démolissons
toute l'Eglise chrétienne et la foi vive dans la révélation de
Dieu ; — nous édifions ia doctrine de la déification personnelle,
la tour de l'orgueil humain. »
Cette incrédulité s'allie à la haine la plus violente pour le
Christ et le Christianisme. Comme preuve nous citerons un
extiait d'un livre du D' Hartogh Heijs de Zouteveen, qui a paru
en 1883. Il dit : « Si le Christ a réellement vécu, ce que nous ne
savons pas même, en ce cas il était un meneur du peuple très
ordinaiie de la classe ouvrière, qui, s'il n'a pas été fou, possé-
dait indubitablement une grande dose d'ambition, injuriait tout
ce qui dans la société se trouvait au-dessus de lui, et qui
em[)runtait ses doctrines morales, pour autant quelles sont
bonnes, aux écrits des docteurs et des pharisiens qu'il com-
battait si souvent. »
Tout l'écrit de Hartogh est rempli d'expressions aussi horri-
bles. Le bouddhisme est pour lui « la forme de religion la plus
sublime qui existe sur la terre. »
Nous finirons en apprenant à nos lecteurs que ces horreurs
sont enseignées publi(iuement aux universités, et ce qui doit
surtout peiner les protestants croyants, c'est que non seulement
les membres ordinaires de leur communauté, mais des diacres
et des conseils d'église adhérent aux idées modeines, — que de
nombreux prédicants les enseignent et se font les défenseurs
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 257
de rincrédulité, — que ce sont ainsi les pasteurs qui conduisent
leurs brebis dans le chemin de l'incrédulité, — qu'ils le font en
vertu du grand principe protestant.
C'est de là que sont nés dans l'église protestante les conflits
actuels, et la situation intenable. On prétend que Rome est le
plus grand ennemi du protestantisme, mais si on avait le cou-
rage de l'avouer, on chercherait l'ennemi ailleurs. Un aveu
impartial et désintéressé reconnaîtrait que l'ennemi, ce senties
modernes.
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET l'ÉPISCOPAT
(Suite. — V. le numéro précédent.)
Ajaccio. — Monseigneur l'évêque d'Ajaccio écrit :
C'est à Rome, où je me trouve en ce moment, que je viens de lire
la remarquable lettre adressée par Votre Éminence au chef de l'Etat.
Elle exprime admirablement les pensées et les sentiments de l'épis-
copat français en présence des douloureux événements dont nous
sommes les témoins attristés. Nul doute que toutes les âmes droites
n'approuvent vos trop justes doléances et n'applaudissent à vos
légitimes revendications.
Pour ma part, je ne saurais trop vous féliciter, Éminentissime
Seigneur, du nouveau service que vous venez de rendre à l'Eglise et
à notre cher pays, en vengeant si énergiquement le clergé français
des injustes accusations portées contre lui. Désormais, l'opinion pu-
blique détrompée, tout homme sincère reconnaîtra l'attitude loyale
et vraiment patiente des nobles victimes que vous défendez avec un
langage si ferme et si digne. L'histoire impartiale enregistrera
cette page éloquente.
Vos salutaires avertissements seront-ils perdus pour la Fille aînée
de l'Église? Espérons contre toute espérance que votre voix, fidèle
écho de celle qui, du haut du Vatican, parle avec une autorité infail-
lible à tous les peuples de la terre, nous ramènera la paix et la con-
corde, en restituant à l'Église la légitime part qui lui revient dans
le gouvernement des choses de ce monde.
Albi. — Monseigneur l'archevêque d'Albi :
J'ai l'honneur d'adhérer à la lettre si pleine de vérité et de sagesse
19
258 ANNALES CATHOLIQUES
que VOUS venez d'adresser à M. le président de la République. En
accomplissant ce devoir, j'interprète sûrement les sentiments et les
aspirations des populations de l'Albigeois, si dévouées à leurs pas-
teurs, à leurs instituteurs chrétiens et aux nombreuses communautés
religieuses de mon diocèse. Puisse votre voix autorisée être en-
tendue, et la paix sera rétablie au sein de notre chère France !
Bayonne. — Mgr l'évêque de Bajonne :
Essayer de reprendre l'un ou l'autre des points que vous avez
touchés d'une main si autorisée et si sûre, ce serait m'exposer à
amoindrir la force de nos trop légitimes doléances.
Je ne sais donc, Monseigneur, que voua remercier de toute mon
âme de votre courageuse et opportune initiative. Nul ne pouvait
dire aussi bien que Votre Erainence nos angoisses chaque jour plus
vives et nos appréhensions pour l'avenir des intérêts sacrés dont
nous avons la garde.
Daigne Notre-Seigueur Jésus-Christ, qui malgré tout aime la
France, faire que votre solennelle démarche ne soit pas stérile !
Puissions-nous retrouver, avec le respect de nos croyances et de nos
droits indispensables, la liberté du dévouement et du bien, la seule
que nous ambitionnions, parce qu'elle ne pourrait être longtemps
entravée sans dommage pour la patrie comme pour l'Eglise, toujours
inséparables dans nos préoccupations et notre amour.
Belley. — Mgr l'évêque de Bellej' :
J'ai l'honneur de vous exprimer mon adhésion pleine et entière
aux sages observations présentées par Votre Éminence à M. le pré-
sident de la République, au sujet des aggravations apportées chaque
jour à la situation de l'Église catholique en France.
Je forme, Eminence, les vœux les plus profonds pour que les
graves accents arrachée â votre conscience d'évêque par votre foi et
votre patriotisme soient écoutés de ceux qui noue gouyernent et qui
assument de si lourdes responsabilités.
Digne. — Mgr l'évêque de Digne :
Entré le dernier dans la phalange illustre des évoques français,
mais les yeux fixés avec attention sur ses aînés pour y trouver sa
ligne de conduite en tout ce qui touche à l'amour de la sainte Église
et de notre bien-aimée patrie, l'évêque de Digne adhère pleinement
aux sentiments d'amertume, de préoccupation, de chagrin profond
si bien exprimés dans votre lettre du 30 mars dernier à M. le prési-
dent de la République; elles sont cruelles en effet, ces accusations
portées contre le clergé de France, si noble pourtant, si courageux,
si pieux, si dévoué, si désintéressé toujours !
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 259
Avec Votre Éminence, nous nous étonnons des sévérités inatten-
dues dont nous sommes victimes, et comme elle nous souhaitons
ardemment le retour de l'union dans les esprits et dans les cœurs :
ce qui serait assurer, à bref délai, la paix publique en notre chère
patrie.
Tarées. — Mgr Tévêque de Tarbes :
Ce n'est pas sans un profond dessein de bonté miséricordieuse
pour l'Église et la France, dont les destinées sont toujours unies
comme celles d'une mère et de sa fille, que la divine Providence
exauce nos prières en prolongeant la chaîne de vos jours si précieux,
et si aimés. Elle vous conserve, et nous lui en rendons d'incessantes
actions de grâces, comme une sentinelle non moins vigilante qu'in-
corruptible, pour jeter le cri d'alarme toutes les fois que notre sainte
religion est menacée ou frappée dans ses droits et ses intérêts. Et
votre voix, à laquelle tous les échos s'empressent de répondre, à
mesure qu'elle se rapproche du ciel qui vous appelle, prend pour la
terre je ne sais quoi de plus en plus divin qui nous fait ressouvenir
'de ce que nos poètes classiques nous racontent de certains cygnes de
l'antiquité.
C'est ainsi surtout que votre dernière lettre, adressée au chef de
l'Etat, se présente à l'admiration et à la reconnaissance de tous les
cœurs catholiques et français. Après la mémorable encyclique Im-
mortale Dei, dont elle est un brillant reflet, une vive application à
notre pays et à notre temps, nous déclarons n'avoir rien vu où
éclatent avec une si merveilleuse harmonie la sagesse et le courage,
le respect et la franchise, la modération et l'énergie, la simplicité
et l'éloquence antique. Non, l'épiscopat français ne pouvait avoir un
plus fidèle, un plus sublime interprète des sentiments qui l'animent.
Aussi l'évêque, le clergé et les fidèles du diocèse de Tarbes, mus
d'un même élan d'enthousiasme et de gratitude, éprouvent le besoin
de s'associer à vos respectueuses protestations et à vos légitimes
doléances. Ils vous remercient de cœur et d'âme d'avoir allégé par
elles leur conscience du lourd poids qui l'oppressait. Nous pouvons
d'autant mieux nous exprimer de la sorte qu'à peine nous terminons
une tournée générale, où il nous a été donné de voir de près et
pasteurs et troupeaux, d'entendre leurs paroles et de sentir comme
le souffle même de leur âme.
Eh bien! oui, nos populations sont profondément chrétiennes,
profondément catholiques ; et tout ce qui blesse leurs croyances,
entrave l'exercice de leur liberté religieuse, les froisse et les irrite.
Au contraire, tout ce qui leur rappelle les beautés de leur foi, les
magnificences de leur culte, les remplit de joie et de bonheur.
... De nos prêtres aussi, que nous connaissions déjà, mais qu'au-
jourd'hui nous connaissons mieux encore, que dirons-nous? Nous
260 ANNALES CATHOLIQUES
les avons trouvés, et nous en avons mille fois béni Dieu, admirables
de sagesse et de piété, de patience et de douceur, de calme et de
sérénité évangélique. Si les mesures hostiles énumérées par Votre
Eminence contristent leur foi et leur patriotisme, ils savent puiser
eu Dieu ce qu'il leur|faut de courage et de force pour supporter
l'épreuve. Ils ne repoussent aucune forme de gouvernement, aucune
institution honnête et féconde, aucun progrès véritable, â quelque
ordre qu'il se rattache. Dans leurs actes de citoyens, en respectant
la liberté chez les autres, ils prennent pour eux celle de n'écouter
que les inspirations de leur conscience. Voilà leur politique, la seule
qu'ils connaissent, et surtout la seule qu'ils pratiquent.
... A révêque et au diocèse de Notre-Dame de Lourdes, Eminence,
vous voudrez bien permettre de vous offrir des remercîments parti-
culiers et presque personnels. Vous avez eu l'attention courageuse,
en effet, parmi les outrages infligés â la religion, de signaler ceux
qu'on n'a pas craint de jeter à la face de la Vierge Immaculée. Ah ! ils
ont douloureusement retenti, sans aucun doute, dans l'âme de tous
les vrais catholiques; mais ils sont tombés comme _^des charbons
ardents dans le cœur de celui dont telle est la devise épiscopale l
Posuit me custode m.
Tulle. — Mgr l'évêque de Tulle :
Comme doyen des archevêques et des cardinaux français, il vous
appartenait de prendre la parole, dans de si graves circonstances,
avec toute l'autorité de l'âge et de la dignité, de l'expérience et de la
sagesse, des services rendus et du dévouement â l'Église et à la
France.
Mais si cette lettre a déjà tant d'importance par tous les titres de
son auteur, elle n'en a pas moins en elle-même par ses qualités
éminemment épiscopales. Que Votre Eminence me permette de le
dire sans détour : cet acte tristement opportun et nécessaire sera
pour elle une gloire de plus dans les annales de l'Eglise, après avoir
produit dans le clergé et les catholiques une impression aussi salutaire
que profonde. Avec tout le respect et tous les égards qui sont dus à
l'autorité, vous avez fait entendre ou entrevoir la vérité tout entière
sur la déplorable situation qui nous est faite et sur les conséquences
plus funestes encore qu'elle pourrait bientôt entraîner. Dans vos
quelques pages, rien ne manque, ni Vapologie, ni la protestation, ni
V avertissement.
Oui, il fallait d'abord l'apologie de nos intentions et de notre con-
duite. Avec une indulgente condescendance, vous avez montré à
bien des hommes prévenus ou abusés que, sans aucun parti pria
d'hostilité, nous nous bornions à réclamer la paix des consciences
avec la liberté de notre ministère, en poussant la modération et la
patience jusqu'à leurs dernières limites, selon la direction que le
LA VÉRITÉ SUR l'aFFAIRE DE CHATEAUVILLAIN 261
Saint-Pere a tenu â nous donner. Depuis un demi-siècle, presque
tous les partis ont tour à tour accusé le clergé français d'accepter
avec trop de facilité les différentes formes de gouvernement qui se
sont succédé, comme s'il avait pour principe et pour règle une
indifférence complète en matière politique. Dans ces derniers temps,
j'ai pu constater, à Rome, que les catholiques et les évêques des
autres nations, après nous avoir rendu pleine justice, commençaient
à s'étonner de notre résignation et de notre silence.
Nous avions ensuite besoin d'une protestation d'autant plus ferme
qu'elle serait plus calme et plus respectueuse. Aussi, dans vos trop
justes doléances, après avoir montré au pouvoir qu'il n'avait aucun
motif légitime de nous frapper, vous avez résumé la longue série
des coups qui nous ont été successivement portés ou qui nous
menacent encore, les lois et les mesures qui atteignent peu à peu
p;;rmi nous toutes les sources de la vie catholique, dans la liberté
du culte et du ministère sacrés, dans les modiques ressources du
clorgé, dans l'avenir des séminaires et dans l'éducation chrétienne
des enfants. Ce sont là des faits indiscutables, que tout le monde
connaît, qui suivent une progression constante, selon le plan con-
certé pour détruire la foi, et Votre Éminence achève ce lugubre
tableau en rappelant les attaques publiques contre les dog'mes essen-
tiels de la religion chrétienne.
Enfin, pour décharger complètement votre responsabilité et la
nôtre, vous avez fait entendre un double avertissement qui est tout
à la fois un cri d'alarme et un cri d'espérance ; d'après les leçons du
passé et à la lueur parfois sinistre des événements contemporains,
vous avez signalé, avec la caducité des institutions humaines, les
redoutables périls que la continuation et l'aggravation de cette lutte
feraient courir â la France; mais pourtant votre patriotisme éclairé
n'a pas désespéré de son avenir catholique; nous exprimons volon-
tiers avec vous l'espoir que la France ne se laissera pas dépouiller
des saintes croyances qui ont fait sa force et sa gloire et qui lui ont
assuré le premier rang parmi les nations.
LA VERITE
SUR l'affaire de CHATEAUVILLAIN
Rectifications par Mg7' Vévêque de Grenoble.
Sous ce titre, nous lisons dans la Semaine y^eligieuse de
Grenoble :
M. le ministre des cultes a prononcé plusieurs fois, dans son
262 ANNALES CATHOLIQUES
discours à la Chambre des députés, le nom de M. le curé de
Châteauvillain et le nôtre, ainsi qu'au Sénat, en donnant comme
vraies des choses qui ne le sont pas. La presse a porté en tous
lieux ces erreurs : la presse portera aussi nos rectifications.
C'est justice.
1. Nous affirmons que depuis plusieurs années, M. l'abbé
Guillaud est poursuivi odieusement par uu groupe d'hommes
qui se servent du maire de Châteauvillain pour arinver à leur
fin : le déplacement du curé.
Le public nomme les principaux meneurs, et il dit qu'ils sont
francs-maçons . C'est aussi ce que m'affirmait, il j a quelques
jours, un habitant du pays, homme instruit, sérieux et parfai-
tement renseigné. Il serait facile, à son avis, de retrouver la
main de ces chefs dans les pièces qui émanent de la mairie de
Châteauvillain, le maire étant plus habile à manier sa charrue
qu'une plume.
2. Le curé de Châteauvillain et son vicaire sont accusés
d'avoir ridiculisé le conseil municipal de cette commune devant
les chantres de la paroisse. Peut-on prouver ce fait, tel qu'il
est présenté'^ Non.
Quoi qu'il en soit, il faut dire que cet acte relevait, ou des
tribunaux ordinaires, on de celui de l'évêque. Dans le premier
cas, pourquoi les municipaux n'ont-ils pas demandé justice,
s'ils voulaient se plaindre, au juge compétent? Dans le second
cas, l'évêque examine la plainte, la juge, et s'il y a lieu, inflige
un blâme au délinquant. C'est son alfaire et celle des coupables,
et le public n'a pas le droit de demander qu'on l'instruise de la
mesure qui a été prise.
3. M. le curé a été accusé par M. le ministre des cultes, du
haut de la tribune, d'avoir désobéi à son évêque, à propos de
catéchismes qu'il aurait refusé de faire à l'église paroissiale.
Voici la vérité, en deux mots, et je prends toute la paroisse
à témoin de ce que je vais dire.
M. le curé, vu le froid rigoureux de l'hiver, faisait le caté-
chisme à l'école libre des Soeurs dans une salle chauffée. Les
enfants des écoles communales s'y rendaient volontiers. La
coterie s'émut, et la préfecture, informée, envoya l'ordre de
cesser cette manière de faire. Pour apaiser cette guerre,
j'invitai M. le curé à donner satisfaction aux plaignants. Alors
il annonça, le dimanche, à ses paroissiens, que M. le vicaire
catéchiserait les enfants des écoles laïques à l'église.
LA VÉRITÉ SUR l'aFFAIRE DE CHATEAUVILLAIN 263
Ceux-ci n'y vinrent pas, mais coururent d'eux-mêmes
à l'école congréganiste, dans la chambre bien chauffée. M. le
curé les pria de sortir. Ils n'en firent rien. Pouvait-il les
empoigner par les épaules et les jeter à la porte? Non, évi-
demment.
La scène se renouvela, et le curé fut aussi impuissant que la
première fois.
Voilà comment il m'a désobéi. Si M. le ministre m'avait fait
l'honneur de se renseigner auprès de moi, il n'aurait pas com-
mis l'erreur que je signale.
Nous ne pouvons nous empêcher d'exprimer ici le regret de
voir attiser de la sorte le feu de la division et abaisser ainsi
les caractères. Avec tin pareil système, notre peuple va devenir
un peuple d'esclaves, ne sachant plus que trembler, par crainte
d'en haut, par crainte d'en bas.
4. M. le ministre s'est plaint de n'avoir pu obtenir de nous le
changement du curé, plusieurs fois sollicité.
Son Excellence doit savoir que l'évêque est obligé d'être
juste dans son administration.
Or, le déplacement d'un curé serait un acte injuste, s'il
n'était pas motivé par des faits répréhensibles et sérieux. Des
actes de cette nature n'existant pas, loin de là, je ne. pouvais
donner suite aux plaintes des ennemis d'un excellent prêtre ;
d'autant plus que le mot d'ordre avait été lancé, semble-t-il, à
une foule de maires, et chacun d'eux devait apporter aux anti-
cléricaux un prêtre, un frère ou une religieuse immolés de sa
main. A l'heure présente, j'ai une quinzaine de curés sacrifiés
sans motifs, sans examen contradictoire, sans jugement, et en
dehors de toute légalité.
5. Je dirai aussi que j'ai écrit à M. Goblet, au sujet de la
triste affaire de Châteauvillain. J'ai rappelé à M. le ministre
que ni son ministère ni la préfecture de l'Isère ne m'ont jamais
écrit un mot au sujet de la fermeture de la chapelle, oubliant
ainsi que si, aux termes des lois organiques et autres, le gou-
vernement autorise l'ouverture des chapelles, il appartient à
l'évêque du diocèse d'en faire la demande, d'y ordonner le
culte religieux, d'y placer un prêtre, de l'y maintenir ou de le
déplacer.
De sorte qu'un aumônier, dans ces conditions, n'a pas d'ordres
à recevoir du maire, ni d'un fonctionnaire public quelconque,
mais seulement de son évêque. Il n'appartient pas à un préfet
264 ANNALES CATHOLIQUES
d'envoyer relever un soldat en faction : pour(|uoi aurait-il la
mission de retirer un prêtre de son poste ?
Il fallait simplement que M. le ministre m'écrivît de faire
cesser le service religieux à la chapelle de la Combe. Avant ou
après, je lui aurais présenté mes observations respectueuses,
mais j'aurais obéi. Ai-je jamais fait résistance à un ordre du
gouveruement, alors même que mes droits étaient méconnus?
Que le ministre, s'il pense autrement, prouve qu'il a raison.
Eu agissant comme je viens de dire, les massacres de La
Combe eussent été évités, car alors MM. Giraud n'auraient pas
eu à défendre ou à faire défendre leur domicile. C'est de là que
tout part. Il n'y a pas eu de résistance à la chapelle.
D'ailleurs ayant appris, le 7 avril, en arrivant à Meyzieu,
qu'il s'agissait de fermer la chapelle de la Combe, j'avais dit
d'ôter le Saint-Sacrement du tabernacle, de le mettre en lieu
sûr et de cesser tout office dans la maison. Le clergé de Châ-
teau villain n'a donc pas eu à faire résistance, et, s'il y a eu
protestation, c'est pour la violation du domicile.
6. M. le ministre a dit au Sénat que ma lettre à lui adressée,
le 14 de ce mois, était arrivée trop tard : n'est-ce pas M. le
ministre qui est parti trop tôt ? MM. Giraud avaient, non six
mois, mais dix mois pour se mettre eu règle avec l'adminis-
tration, comme le prouve ci-après une consultation juridique.
Or, l'ordre de fermer leur chapelle est daté du 19 juin 1885. Le
délai légal finissait donc le 19 avril, et c'est le 8 avril que le
domicile de MM. Giraud a été violé : on:(e Jours avant l'expi-
rafion du délai légal. Quelles terribles conséquences s'en-
suivent pour plusieurs personnes !
En résumé, j'ai eu l'honneur de l'écrire à M. le ministre :
nous voulons, nous catholiques, la paix et la liberté, par le
respect de l'ordre. Nous combattons l'erreur : c'est notre droit
et notre devoir. L'erreur, elle, nous attaque sans droit ; car il
n'y a pas de droit contre le droit. Qu'elle désarme donc, en
nous laissant libres et tranquilles. Au lieu de poursuivre son
rêve de destruction à l'endroit du catholicisme, qu'elle en
prenne son parti. Il vivra malgré elle, car Dieu le veut ; et
nous catholiques, nous voulons lui rester fidèles, à la vie et à
la mort !
-{- Amand Joseph,
Evêque de Grenoble.
NOUVELLES RELIGIEUSES 265
A la suite de ces observations, la Semaine religieuse
publie une savante consultation juridique de M. Desplagnes
ancien magistrat, à laquelle Mgr Fava fait allusion. M. Des-
plagnes, prenant la thèse même de M. Goblet, établit :
1° qu'il y a dans tous les actes officiels, en vertu même des
lois invoquées par le ministre des cultes, une illégalité com-
plète ; 2" que même en admettant son interprétation fausse
des lois sur lesquelles il s'est appuyé, ses agents sont non
« des fonctionnaires accomplissant un acte administratif
légal, bien qu'odieux et inutile, mais des fonctionnaires
violant la loi, se rendant responsables des meurtres et
d'actes absolument arbitraires et illégaux ».
Et M. Desplagnes conclut ainsi :
« La situation est grave ; rarement des illégalités ont amené
des suites aussi fâcheuses. Il est de l'intérêt de tous que les
vrais coupables soient atteints. •»
NOUVELLES RELIGIEUSES
Ironie et l'Italie.
Fidèle à ses « principes » impies, la Franc-maçonnerie ne
peut pardonner au Pape d'avoir démasqué ses intentions et son
but par l'Encyclique Humanum genus. Elle veut maintenant
établir trône contre trône, et fixer à Rome même le centre de
sa direction générale, en un mot instituer une espèce de pape
maçonnique. Plusieurs Loges d'Italie ont déjà formulé ce vœu
et une des Loges belges d'Anvers s'y est associée.
Ce Grand-Orient général de la Franc-Maçonnerie, aurait sa
curie, ses rentes, un denier de la Franc-Maçonnerie établi sur
le modèle du Denier de Saint-Pierre.
De cette façon on pourrait convoquer à Rome des congrès
franc-maçonniques internationaux et agir en maîtres dans la
capitale du monde chrétien.
Ces aspirations de la secte nous montrent son esprit. Il est
fort à craindre que ce gouvernement que la révolution a porté
à Rome avec le concours de la secte, non seulement ne puisse
266 ANNALES CATHOLIQUES
pas empêcher ces insultes à l'univers catholique, mais soit
obligé de les favoriser. Les outrages continuels dont on abreuve
le chef vénéré de l'Eglise catholique, la liberté avec laquelle
toute société antichrétienne peut faire ses démonstrations
publiques tandis que les cérémonies extérieures du culte catho-
lique sont défendues, sont une preuve évidente que la révolu-
tion italienne n'en veut pas seulement au pouvoir temporel,
mais qu'elle s'ingère dans la liberté spirituelle, et rend tous les
jours la situation plus pénible et plus intolérable au Souverain
Pontife.
Il se produit en ce moment un grand mouvement de pèleri-
nages à Rome. Les catholiques de toutes nations veulent venir
à Rome pour y rendre leurs hommages au Pape et gagner les
indulgences du jubilé. On annonce pour le mois de mai un
pèlerinage hollandais. C'est la première fois qu'un pèlerinage
exclusivement composé de Hollandais se dirige vers la Ville-
Eternelle. Le Saint-Père, informé du pieux projet, a daigné
bénir les organisateurs de ce pèlerinage à la tête duquel se
trouve le R. P. Rensa, de la Compagnie de Jésus. Les jeunes
gens des associations catholiques italiennes recevront les pèlerins
dans les différentes villes d'Italie et se mettront à leur disposi-
tion pendant leur séjour. On annonce aussi un pèlerinage espa-
gnol et un autre composé de Hongrois.
Mercredi, 28 avril, dans la salle du Trône, au palais du
Vatican, le Souverain-Pontife a accompli la cérémonie solen-
nelle de l'imposition des insignes de la Toison-d'Or au cardinal-
secrétaire d'État, à qui elles ont été apportées par le nouvel
ambassadeur d'Espagne, S. Exe. M. Groizard y Gomez de la
Serna^ en témoignage de reconnaissance pour l'heureuse issue
de la médiation pontificale dans le conflit des îles Carolines.
Les pouvoirs royaux que la couronne d'Espagne a l'usage de
conférer en pareille occasion, d'après les statuts de l'ordre su-
prême de la Toison-d'Or, ont été délégués en effet par la reine
régente à S. S. Léon XIII dans une lettre autographe qui a été
apportée et remise au Saint-Père par le nouvel ambassadeur.
On fait à ce sujet la remarque que le Pape est reconnu, à bref
intervalle, comme souverain par les deux puissances qui avaient
recouru à sa médiation.
NOUVELLES RELIGIEUSES 267
On mande de Rome, le 14 avril :
Les négociations entre le Saint-Siège et la Chine se sont terminées
dimanche, et le Vatican a décidé d'envoyer un représentant officiel
auprès de la cour de Pékin. L'envoyé du Saint-Siège portera proba-
blement le titre de délégué apostolique ; mais à cause de l'importance
de la charge, il aura le rang et les privilèges d'un nonce de première
classe, et la délégation de Pékin sera considérée comme un poste
cardinalice, à l'égal des nonciatures de Paris, de Vienne, de Madrid
et de Lisbonne.
ï^rance.
On lit dans la correspondance hebdomadaire du Comité de
défense religieuse :
L'initiative du comité de défense religieuse est accueillie partout
avec la plus vive sympathie, et l'on répond à son appel avec
un empressement plein d'espérances. Les félicitations que reçoit
le Comité montrent bien qu'il a été l'interprète des sentiments de
tous les catholiques et qu'il a répondu au cri de leurs consciences
en les invitant à protester contre le projet de loi sur l'ensei-
gnement primaire.
Sa circulaire vient à peine d'être distribuée, et nous pouvons
déjà annoncer que le pétitionnement s'organise dans le Nord, qui,
comme toujours, a été le premier à demander un envoi considé-
rable de feuilles de pétitions; dans le Rhône, où les comités se
chargent de faire remplir 10.000 exemplaires ; dans l'Ardèche, le
Cher, la Meurthe-et-Moselle, le Doubs, la Charente, les Basses-
Pyrénées, l'Indre-et-Loire, la Loire-Inférieure, TEure, le Loiret,
la Seine-Inférieure, Seine-et-Oise et à Paris.
Le mouvement va s'accentuer davantage, car ces premières
réponses ne font qu'indiquer le besoin de protestation que
ressentent toutes les âmes honnêtes et chrétiennes.
On sait que la Chambre s'est hâtée de nommer ia commission
qui aura à étudier le projet de loi que lui a renvoyé le Sénat, et
que le gouvernement ainsi que la majorité républicaine désii^e-
raient terminer promptement celte œuvre de passion et de haine.
On annonce déjà que la commission va travailler sans relâche
pendant les vacances de Pâques, dans l'intention de déposer son
rapport à la reprise de la session. Elle est l'image trop fidèle de la
Chambre qui l'a nommée pour que nous attendions d'elle un
examen loyal et impartial des redoutables questions que soulève
le projet. Néanmoins nous avons lieu de croire qu'elle ne pourra
aller, dans sa honteuse besogne, aussi vite que le voudraient ses
amis, car, bien que la minorité conservatrice n'ait qu'un seul repré-
sentant au sein de cette commission, M. Keller est un de ces
268 ANNALES CATHOLIQUES
lutteurs vàîllants et énergiques avec lesquels il faut compter et
clans lequel les catholiques savent qu'ils possèdent un défenseur
obstiné et intrépide.
Quoi qu'il en soit, il n'y a pas un moment à perdre pour orga-
niser le pétitionnement ; il faut qu'il produise, dans le plus bref
délai possible, les résultats qu'en attend le Comité de défense
religieuse ; et, quelle que soit la précipitation que veuillent appor-
ter la commission et la Chambre elle-même, il faut que la pro-
testation des catholiques arrive à temps, comme un suprême
avertissement et un dernier appel à la justice nationale.
Le secrétariat du comité de défense religieuse, rue de Gre-
nelle, 35, à Paris, expédiera sans délai toutes les formules de
pétitions qui lui seront demandées; on peut également s'adres-
ser à lui pour tous renseignements relatifs au pétitionnement.
Clermont. — Mgr l'évêque de Clermont a adressé à MM. les
curés de son diocèse la lettre suivante :
Monsieur et cher curé.
Dans une lettre que je dus vous adresser, le 15 janvier dernier,
pour vous notifier les arrêtés ministériels qui privaient de leurs
vicaires un certain nombre de nos paroisses, je vous parlais en même
temps de la situation douloureuse faite à plusieurs de vos confrères
par la suppression de l'indemnité attachée à leur titre de desservant,
et j'exprimais l'espérance que ces suppressions ne seraient pas
maintenues.
Je fondais cet espoir sur l'excellence de la cause que j'avais
entrepris de défendre.
En effet, dès les premiers jours du mois de décembre, j'avais pu
être en mesure d'exposer â M. le ministre les raisons qui, en droit
comme en fait, me paraissaient pouvoir suffire â faire rapporter la
décision en vertu de laquelle vos chers confrères avaient été privés
de leur traitement.
En droit :
— Si tous les traitements sont la propriété des titulaires, parce
qu'ils sont la rémunération légitime du travail et, comme tels, invio-
lables, les traitements ecclésiastiques sont insaisissables, pour le
même motif et pour cette autre raison encore qu'ils sont attribués
au clergé comme une indemnité stipulée à la suite d'une spoliation.
A ce titre, ces indemnités sont placées sous la sauvegarde non seu-
lement de la loi, mais d'une loi spéciale : la loi concordataire ;
— Toute peine doit être édictée par la loi ;
— Le droit sacré de la défense demande que l'accusé soit entendu
avant d'être condamné.
NOUVELLES RELIGIEUSES 269
Tels étaient, en droit, les motifs de mon espérance.
En fait :
J'avais eu la consolation de transmettre à M. le ministre des
témoignages qui me semblaient devoir réduire à néant les faits
incriminés.
Tous vos confrères avaient été frappés à cause de leur attitude
durant la période électorale, — leur attitude non comme citoyens,
mais comme prêtres. — Et en réalité, on reprochait au plus grand
nombre d'avoir mêlé la politique à l'exercice de leurs saintes fonc-
tions, notamment d'avoir tenu en chaire un langage qui n'aurait
point dû s'y produire.
C'était mon droit et c'était mon devoir de vérifier l'exactitude de
l'accusation. Je commençais aussitôt une enquête. Et comme il s'agissait
de propos tenus publiquement à l'église, je ne tardais pas à recevoir
des différentes paroisses les dépositions des paroissiens assidus aux
saints offices, attestant n'avoir jamais entendu tomber de la chaire
des paroles du genre de celles qu'on attribuait à leur pasteur. D'autre
part, les populations, des conseils municipaux eux-mêmes m'écri-
vaient pour m' affirmer qu'à l'église comme au dehors, le curé de
leur paroisse n'avait rien dit ni rien fait qui put provoquer une
semblable condamnation.
Je réunissais tous ces témoignages, et, en les transmettant à M. le
ministre, j'exprimais mon absolue confiance qu'après un nouvel
examen des faits, la décision ne serait pas maintenue.
Un peu plus tard, le 12 janvier, je faisais auprès du ministère de
nouvelles instances en faveur des prêtres pour lesquels j'avais
demandé justice au nom de la vérité.
Enfin, il y a trois jours, par une dépêche datée du 18 mars, M. le
ministre m'a informé qu'après avoir examiné avec la plus sérieuse
attention les pièces que j'avais eu l'honneur de lui transmettre dans
le but de faire rapporter la décision du 13 novembre dernier, portant
suppression du traitement de treize titulaires ecclésiastiques de mon
diocèse, en raison de leur attitude pendant la période électorale...,
il se voyait obligé de maintenir la décision précitée.
Il est vrai que M. le ministre me laisse entendre que, dans l'avenir
et selon les circonstances, il ne refusera pas de se départir de cette
rigueur.
Mais, en attendant l'avenir, la situation présente de nos prêtres
est déplorable; plusieurs d'entre eux, absolument dénués de res-
sources personnelles, sont, depuis quatre mois, réduits à la misère.
J'ai pu partager avec quelques-uns de ces chers confrères le peu que
laissent à l'évêque les charges énormes qui pèsent sur lui. Mais ce
peu ne suffit pas.
Il y a donc une résolution à prendre.
Dans la lettre que je vous écrivais le 15 janvier et à laquelle je
270 ANNALES CATHOLIQUES
faisais allusion tout â l'heure, je vous disais : « Si, ce qu'à Dieu ne
« plaise ! on refuse aux pasteurs de ces paroisses le moyen de vivre,
« nous demanderons â la charité publique de leur donner au moins
« le pain quotidien. Nous solliciterons auprès du clergé et des fidèles
« le denier du culte pour le diocèse de Clermont. »
En conséquence, je vous informe, Monsieur le curé, qu'une sous-
cription pour le denier du culte est dès maintenant ouverte dans la
Semaine religieuse du diocèse.
J'ai confiance que l'inépuisable charité nous permettra de rendre
ainsi à vos chers confrères ce qui est nécessaire à la dignité de leur
vie. Car le prêtre le plus pauvre demeure, dans sa paroisse, le pèi'-e
des pauvres ; et en donnant à ces pasteurs ce qui est indispensable à
leur existence, nous leur rendrons par là même la consolation de
pouvoir faire encore la part des pauvres.
Je sais bien et je pi'évois, comme vous, très cher monsieur, ce que
sont et seront les obstacles à surmonter pour maintenir debout et
nos autels et nos foyers chrétiens ! — Une législation nouvelle se
prépare, qui va ravir aux familles chrétiennes, daus les campagnes
et les villages surtout, le dernier reste de liberté qui leur était laissée,
ponr donner â leurs enfants l'éducation qui fait à la fois le chrétien
fidèle et le bon citoyen. Afin d'assurer aux enfants, qui sont l'avenir
de l'Eglise et de la patrie, le bien s-uprême d'une telle éducation,
nous aurons à vaincre des difficultés plus nombreuses et à accepter
de plus grands sacrifices ; mais nous avons foi en la puissance de
Celui dont nous sommes les serviteurs et les xninistres.
Ne désespérons jamais, cher monsieur! c'est la parole que je ne
cesserai de vous redire jusqu'à la fia. — Nous sommes les ouvriers
de Dieu, et, si Deus pro nobis, guis contra nos ?
Recevp.z, très cher monsieur le curé, la nouvelle expression de
mon dévouement affectueux en N.-S.
•\- J. -Pierre, évêque de Clermont.
Toulouse. — Le vénérable curé-doj^en de l'Isle-en-Dodon
(Haute-Garonne), M. l'abbé Bordatges, ayant été privé de son
traitement sur de misérables dénonciations, a lu en chaire,
dimanche dernier, la déclaration suivante :
Mes Frères,
Depuis le 1" janvier 1886 et par décision de S. Exe. M. le ministre
des Cultes, mon traitement de curé-doyen de l'Isle-en-Dodon demeure
supprimé.
De cette mesure gouvernementale qui me frappe, je ne veux rien
dire; mais, en vertu d'une liberté que je ne reconnais â personne le
droit ni le pouvoir de m'enlever, j'en pense ce qu'il me plaît.
NOUVELLES RELIGIEUSES 271
S'il m'appartieat de vous donner un conseil, et si cela peut vous
convenir, je vous engage à faire comme moi.
Personnellement, je n'ai pas l'honneur d'être connu de M. le
ministre des cultes ; d'autre part, que je sache, je n'ai pas de délit à
me reprocher, puisqu'on n'a pas songé â déférer aux tribunaux ma
personne ou mes actes.
Je suid donc autorisé â conclure que quelques-uns de mes parois-
siens m'ont désigné aux sévérités de l'administration civile.
Permettez-moi, mes Frères, de vous en témoigner hautement et
ma surprise et ma douleur.
Il y a trois ans, je fus chargé de cette paroisse, et depuis cette
époque, j'ose affirmer que je n'ai fait de mal à personne. Dans le
passé, les populations d'Alan, d'Aurignac, de Saint-Gaudens, de
Villeneuve-de-Rivière et de Boulogne m'accordèrent successivement
et me conservèrent jusqu'à la fin une estime et une affection qui
furent l'honneur, la consolation et la précieuse récompense de mon
ministère.
Aujourd'hui, puisque l'heure de l'épreuve a sonné pour moi,
je viens remplir un devoir. Je tious à vous donner en même temps
un exemple et une leçon.
Je veux prouver à ceux qui me poursuivent gratuitement de leur
haine, que nous n'avons pas, eux et moi, la même manière d'entendre
et de pratiquer la belle maxime du jour : la fraternité.
Eu face du Christ, qui sera un jour leur juge et le mien, en
présence de cet auditoire, la main sur la conscience, je déclare que
je leur pardonne purement et simplement le mal qu'ils ont voulu
me faire et le préjudice qu'ils m'ont causé.
Je demande du fond du cœur et je demanderai tous les jours au
Dieu vengeur de l'inuocence d'éloigner de leur lit de mort l'inévi-
table amertume que provoque dans une âme honnête, â ses derniers
moments, le triste souvenir d'une maiivaise action.
Je n'apprendrai rien à ceux qiii me connaissent en leur disant que
je n'eus jamais de préoccupation de me créer des rentes sur mon
modeste traitement. Je vécus au Jour le jour, faisant de mon mieux
la part des pauvres de Jésus-Christ. Maintenant que la question de
vivre s'impose à moi dans toute sa rigueur, j'ai hâte de vous dire
que je dispense mes paroissiens de trouver la solution.
J'entends n'être à charge à personne, et je demanderai â mon
travail le pain de chaque jour.
Une souscription faite spontanément par les paroissiens a
rendu immédiatement au pauvre prêtre le maigre traitement
que lui a volé le gouvernement républicain.
272 ANNALES CATHOLIQUES
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les duels. — Toujours le général Boulanger. — M. des Houx.
La paix en Orient. — Allemagne.
29 avril 1886.
A défaut de débats des Chambres, fort heureusement en
vacances, la chronique parisienne est pour le moment fort
occupée de plusieurs duels qui viennent d'avoir lieu sans causer
d'ailleurs la mort de personne.
Le premier était surtout comique à cause de son principal
acteur, le citoyen Edmond Magnier, rédacteur en chef de
l'Événement. On a souvent parlé des mésaventures de ce per-
sonnage qui n'a jamais réussi — malgré son journal et ses
efforts — à se faire prendre au sérieux par les électeurs et par
son propre parti. Son journal avait cependant un très fort
tirage; il était assez répandu dans les établissements publics et
il était d'ailleurs rédigé par des écrivains qui avaient une cer-
taine renommée dans le parti républicain. Mais lesdits écrivains
étaient les premiers à détester leur rédacteur en chef et à le
dire partout très haut. Il paraît d'ailleurs que M. Edmond
Magnier, tout en se pavant le luxe d'habiter des hôtels d'un
lojer de 50,000 francs, se montre envers ses collaborateurs
d'une négligence incroyable. On cite tel et tel de ceux-ci à qui
leur rédacteur eu chef doit des mois et des mois de traitement.
N'importe! à cause sans doute de la dureté des temps, M. Ma-
gnier voyait la plupart de ses journalistes lui rester fidèles. Il
a fallu les ridicules incidents d'un récent duel avec un certain
M. de Dion pour faire un vide sérieux dans l'état-major de
V Evénement. Dans ce fameux duel, M. Magnier, déconcerté
par une brusque attaque de son adversaire, lui tourna vivement
le dos pour détaler. A la vérité, il finit par s'arrêter, et son
adversaire consentit à recommencer le combat. Mais le spectacle
avait été si drôle que les témoins de M. de Dion ne purent se
tenir d'abord de raconter la chose, puis de la publier dans la
presse. M. Magnier se fâcha. Mais ses propres témoins appelés
en témoignage par ceux de M. de Dion ne purent que confirmer
le récit de ces derniers. En même temps ils donnèrent leur
démission de rédacteurs de ÏEve'nement et M. Magnier, que
M. de Dion avait atteint d'un coup d'épée sans gravité, décla-
rait qu'il allait provoquer les témoins de M. de Dion. Comme
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 273
M. Magnier se sent coulé de plus en plus dans l'opinion, il a
tenu sa promesse. Il arrêta, pour l'époque où il serait tout à
fait rétabli, sa rencontre avec le premier témoin de M. de Dion.
C'est la rencontre qui a eu lieu il y a quelques jours. M. Ma-
gnier en est sorti encore une fois sans grand dommage, avec
une égratignure à l'avant-bras. Nous ne savons s'il donnera
suite à ses premiers projets et s'il provoquera le second témoin
de M. de Dion. Alors nous entendrons encore parler de lui et
nous saurons que, pour la troisième fois dans l'année, il est
obligé de s'aliter à la suite d'un troisième coup. Mais M. Ma-
gnier se trompe s'il pense que cette série comique de duels le
délivrera du renom de ridicule qu'il s'est acquis et qu'il se
réhabilitera dans l'opinion. Il ferait mieux en tout cas de rendre
son journal plus honnête et de payer ses collaborateurs.
Les autres duels dont il faut bien parler puisque tout Paris
en parle, ont un tout autre caractère que le duel héroï-comique
du citoyen Edmond Magnier. Ils ont pour principal acteur
M. Edouard Drumont, jadis rédacteur à la Liberté, en dernier
lieu rédacteur du Monde dont il a du se séparer. M. Drumont est
un écrivain de valeur dont le public catholique appi'éciait le cou-
rage etletalent. Commenta-t-il été entraîné jusqu'au duel, jusqu'à
une violation publique de la loi de Dieu? Voici ce qui est arrivé:
M. Drumont vient de faire paraître chez Marpon et Flamma-
rion un volume intitulé : La France juive. M. Drumont y
établit que la France, comme d'ailleurs la plus grande partie
de l'Europe chrétienne, est livrée aux juifs, et que si nous
voulons nous sauver, il faut secouer à tout prix le joug des
enfants d'Israël. La thèse n'est point mauvaise et pour qui
connaît ce rôle prépondérant des juifs à notre époque, elle est
facile à soutenir. En outre M. Drumont, journaliste instruit et
alerte, devait au développement d'un pareil sujet trouver
l'emploi de sa faculté d'observation et de ses dons satiriques.
Il s'en est tellement bien servi, qu'un véritable t(jUe s'élève
contre lui. Figaro qui, rien que dans sa rédaction, compte
deux ou trois juifs, est parti le premier en guerre; et il mêla
aussi vilainement que sottement l'archevêché de Paris et le
journal le Monde à la publication d'un livre personnel de
M. Drumont. Le Gaulois, organe royaliste, suivit la piste du
Figaro parce qu'il a l'honneur d'être dirigé par un Israélite
pur sang, et son directeur, M. Arthur Meyer, provoqua aussitôt
l'auteur de la France Juive.
19
274 ANNALES CATHOLIQUES
Celui-ci, qui déjà avait dû répondre à un autre juif, M. Lau-
rent du Paris, accepta également et fut assez grièvement
blessé, quoique non dangereusement.
C'est avec douleur qu'on voit un homme comme M. Drumont
donner l'exemple d'une désobéissance religieuse. Mais son livre
a véritablement du bon et la fureur de ses adversaires est bien
faite pour le rendre intéressant.
Les vacances de Pâques n'ont aucun effet sur l'activité du
général Boulanger. Nous ne voulons pas paraître systématique-
ment opposé aux idées du ministre de la guerre, et nous le
louerons cette fois sans réserves. Il ne saurait être étonnant
que dans le nombre considérable des réformes qu'il accomplit,
il s'en trouve une qui soit réellement dictée par un besoin, et
qui mette fin à un état de choses dangereux pour notre prestige
militaire. Celle dont nous parlons est de ce nombre. Le général
Boulanger a remarqué que les collégiens portent des képis qui
ressemblent à ceux des officiers. Cette similitude expose les
soldats à honorer du salut militaire des jeunes gens qui n'y ont
aucun droit.
M. Boulanger a signalé le fait à son collègue, ^L Goblet, et
les deux ministres examinent ensemble la question. Ils sont
faits pour s'entendre. Signalons au zèle du général une anoma-
lie semblable. On voit, dans les rues, les jours de carnaval, des
enfants de trois ou quatre ans costumés en capitaines, ce qui
expose des lieutenants même à les gratifier indûment d'un
salut. L'Europe, haletante, attend une circulaire à ce sujet.
Pour qu'il puisse soutenir la candidature à lui offerte par les
socialistes de Paris, M. Roche, le condamné de Villefranche,
vient d'être mis en liberté provisoire.
Si Troppmann vivait de nos jours, il est probable qu'on lui
offrirait une candidature pour lui éviter les ennuis de la prison
ou de la guillotine.
M. Henry des Houx, dont on n'a pas oublié les récents scan-
dales, informe ses lecteurs du Matin, dans un article paru
dimanche, qu'il a envoyé « un acte d'acquiescement complet à
« l'autorité de N. S. P. le Pape Léon XIII et du Saint-Office ».
On sait qu'il avait été, à raison de son livre récent, déféré à la
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 275
congrégation dite du Saint-Office; une condamnation avait été
prononcée contre lui. M. des Houx ajoute en parlant de son
acte d'acquiescement : « J'espère qu'il sera agréé et qu'il me
« sera possible de le publier sous peu peu de jours. »
Enfin la paix paraît provisoirement assurée en Orient. Sur les
instances amicales de la France, la Grèce consent à désarmer.
Voici le texte de la déclaration française :
DÉCLARATION DE LA FRANCE
La France a donné à la Grèce des marques non équivoques de
son amitié. Dans ces derniers temps, elle lui a adressé, à diverses
reprises, des conseils dictés par la plus sincère sympathie. Au-
jourd'hui, sous l'influence du même sentiment, elle croit devoir lui
faire entendre un solennel avertissement.
L'attitude actuelle de la nation grecque l'expose aux plus graves
pénis. En y persistant, elle court au-devant d'une catastrophe et
d'une humiliation. Sans vouloir préjuger les résolutions de l'Eu-
rope, nous sommes certains qu'elle opposera une barrière aux
entreprises que la Grèce pourrait former contre la Turquie.
Bientôt sans doute les puissances notifieront cette volonté au
cabinet hellénique et le mettront en demeure de renoncer à ses
ai'mements. A ce moment, quelle sera sa situation? Ne sera-t-il
pas obligé, un peu plus tôt ou un peu plus tard, d'obtempérer à
cette injonction? Nous voudrions éviter cette pénible extrémité à
la Grèce.
C'est pourquoi nous venons dire à son gouvernement : œ Ren-
« dez-vous à l'évidence. Ecoutez la voix d'une puissance amie.
œ Suivez des conseils qui n'ont x'ien de blessant pour votre amour-
ce propre. Prenez, pendant qu'il en est temps encore, une initiative
<c dont vous êtes les maîtres et dont vous aurez tout le mérite. »
Nous ajouterons que, si des jours plus favorables doivent luire
pour la Grèce, son gouvernement les préparera par cette attitude
prévoyante dont l'Europe entière lui saura gré.
Nous-mêmes, nous n'oublierons pas qu'en déférant à nos vœux,
la Grèce nous aura épargné le chagrin de nous associer à des
démarches d'un tout autre caractère, auxquelles notre constant
souci de la paix générale nous interdit de l'efuser notre concours.
En Allemagne, on peut dés maintenant présager la complète
et prochaine pacification religieuse.
276 ANNALES CATHOLIQUES
La loi polico-ecclésiastique qui vient d'être votée par la
chambre des seigneurs, avec les amendements de Mgr Kopp,
restitue à l'Église :
1° La liberté des grands séminaires, sans le droit de veto
pour la nomination des supérieurs et des professeurs ;
2° La liberté des séminaires pratiques d'un an, c'est-à-dire
des séminaires où les élèves en théologie des universités
viennent terminer leurs études, après la fréquentation pendant
trois ans d'une faculté de théologie catholique ;
3° La liberté des convicts, c'est-à-dire de ces internats qui,
établis près des universités et des gymnases, placent les élèves
de ces établissements sous la direction et la surveillance de
l'autorité ecclésiastique;
4° La suppression de l'examen d'État.
Voilà pour la première partie de la loi, relative à l'éducation
du clergé.
La seconde, qui a trait à la discipline et à la juridiction,
renferme les dispositions principales suivantes :
1° Rétablissement du pouvoir disciplinaire du Saint-Siège
en Prusse ;
2° Suppression de l'appel comme d'abus ;
3° Suppression de la déposition des évêques et des prêtres
par la cour ecclésiastique.
Quant à la nomination des curés, l'on sait que le Saint-Siège
et la Prusse paraissent s'être mis d'accord pour substituer à
VAnzeigepflicht des lois de mai la notification des nominations
des curés d'après le système en vigueur dans le royaume de
Wurtemberg. Voici en quoi consiste ce système :
L'évêque, en nommant un curé, doit faire connaître au gou-
vernement le titulaire de la paroisse, pour que son nom soit
publié dans le Moniteur officiel. Si, dans l'intervalle de trois
semaines, le gouvernement soulève une difficulté contre la
nomination de ce prêtre, au point de vue civil et politique,
l'évêque ne peut pas lui donner l'investiture avant que le gou-
vernement ait déclaré que cette difficulté n'existe plus.
Si l'évêque ne tient pas compte du veto ministériel, le prêtre
n'a aucun droit au traitement de curé, mais le gouvernement
ne peut pas l'éloigner de son poste ni l'entraver dans l'exercice
de son ministère.
L9 Saint-Siège accorde au gouvernement prussien le droit
de veto pour la nomination, dans les mêmes limites déjà con-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 277
cédées au gouvernement wurtembergeois, mais à condition
que la Prusse élargisse la loi politico-ecclésiastique dans le
sens d'une révision totale des lois de mai.
La loi doit maintenant passer par la Chambre allemande.
Elle n'y sera discutée qu'au commencement du mois de mai.
Dans l'intervalle, les commentaires vont leur train. La presse
catholique se tient dans l'expectative, elle attend des résultats
pratiques avant de se prononcer sur l'issue des négociations
pendantes. Catholiques et protestants, libéraux et conserva-
teurs, tous en Allemagne sont d'accord pour reconnaître que
jamais, depuis 1870, un objet d'une importance plus capitale n'a
occupé l'attention publique : la paix avec Rome !
Qui eût osé prononcer ce mot, il y a quelques années? Toute
l'Allemagne de Luther pleine de jalousie et de ressentiments
contre la Rome des Papes n'était-elle pas derrière le redoutable
chancelier pour le seconder dans l'assaut formidable qu'il diri-
geait contre l'Église du Christ ?
Pour les protestants orthodoxes, la guerre de Rome était la
guerre sainte, le triomphe de la cause prussienne, celui de la
cause luthérienne. Joignez aux motifs de haine religieuse les
doctrines dissolvantes du libéralisme antichrétien, panthéiste
ou matérialiste, qui, elles aussi, souhaitent la ruine de Rome
comme celle de leur plus grande ennemie, et vous constaterez
qu'humainement la partie n'était pas égale. La lutte s'engageait
entre l'État tout-puissant et l'Église sans défense. L'État frappa
à coups redoublés, l'Église souffrit beaucoup, mais chaque coup
porté sur elle, loin de l'écraser, augmenta sa force de résistance.
Ses ennemis se sont enfin lassés de frapper et n'ont pu retenir
leur admiration en constatant la vigueur dont jouissait encore
leur victime. Les protestants orthodoxes se sont convaincus
qu'en essayant de détruire l'Église romaine, ils avaient porté
une atteinte considérable au sentiment religieux en général, et
qu'en résumé c'était pour le libéralisme qu'ils avaient travaillé.
Le libéralisme n'est pas plus protestant que catholique ; il est
partout le même : antireligieux dans son origine, athée dans
ses résultats. Les protestants l'ont compris, et c'est pour cela
qu'ils désirent la fin du Kulturkampf.
M. de Bismarck, lui aussi, veut le rétablissement de la paix
religieuse. Pourquoi ? Nous n'essayerons pas de répondre à
-cette question. L'histoirela résoudra peut-être un jour. Mais
278 ANNALES CATHOLIQUES
pour le moment il serait bien difficile de préciser le motif de
cette étonnante évolution du chancelier allemand. Est-ce la
terrible complication de la question sociale ou bien quelque
danger pour la patrie allemande que l'œil de lynx du grand
Prussien entrevoit à l'horizon, qui ont opéré en lui ce revire-
ment? Peut-être l'un et l'autre...
L'Allemagne a de grands ennemis qui la menacent continuel-
lement à l'intérieur comme à l'extérieur. M. de Bismarck le
sait mieux que personne et ses efforts tendent à réunir toutes
les forces vitales de son pays pour la défense de l'Empire qu'il
a créé. Dans les vues du chancelier, le Kulturkampf n'a jamais
été qu'une manœuvre politique dout le but était de séparer
l'Eglise catholique allemande de celle de Rome , pour do-
miner plus facilement la première. Aujourd'hui que ce but
n'a pu être atteint, M. de Bismarck cesse la lutte parce qu'il le
croit utile à ses intérêts.
A sa louange nous devons dire qu'il n'a jamais hésité à revenir
sur ses pas quand il reconnaît avoir fait fausse route; ce n'est
pas un de ces hommes qui s'entêtent dans une idée et n'en
veulent jamais démordre. Combien de fois n'a-t-il pas répondu
au Parlement à ceux qui lui reprochaient d'avoir défendu dans
le passé d'autres théories : Mais c'est vrai; autrefois, j'étais de
cet avis, aujourd'hui je suis d'un avis contraire. On apprend
tous les jours; je serais bien à plaindre si depuis mon entrée au
pouvoir je n'avais jamais été amené à changer d'idée.
Quels que soient d'ailleurs les motifs de l'évolution du chan-
celier, elle n'en constitue pas moins un fait historique de la
plus haute importance, tant en lui-même que dans ses con-
séquences. Que l'Italie garibaldienne ne soit pas satisfaite
de la tournure des événements, c'est chose assez naturelle,
mais elle se gardera bien de se plaindre trop vivement.
Il est facile de prendre Rome et de faire le Pape prisonnier,
mais c'est un peu plus difficile d'aller assiéger Berlin et de
mettre la main sur M. de Bismarck. Aussi l'Italie contient-elle
prudemment son courroux.
N'est-ce pas une chose étonnante et providentielle de voir
ainsi le grand Empire protestant se rapprocher de la Rome
catholique? N'est-il pas extraordinaire d'entendre une bouche
luthérienne faire l'éloge d'un Pape? N'est-il pas surprenant de
voir un fils de Luther rendre à la papauté son antique éclat en
en faisant la médiatrice entre deux srrandes nations ? Tout cela
REVUE ÉCONOMIQIjE ET FINANCIÈRE 279
est incroyable, mais tout cela est cependant, et qui sait encore
ce que l'avenir nous réserve ?
Un coup d'œil sur la triste situation de l'Italie nous donnera
une idée de ce que devient un gouvernement où la révolution a
tous les droits. La situation parlementaire est une vraie Babel.
Les partis se disputent, il ne s'agit plus de savoir si le pays
sera bien administré, mais si le parti de M. Depretis ou celui
des révolutionnaires extrêmes aura le pouvoir. Les journaux
gouvernementaux sont obligés d'avouer qu'ils ne comprennent
plus rien eux-mêmes dans cette débâcle générale. On parle de
dissolution de la Chambre, de démission du ministère et l'on ne
peut se résoudre à rien. Pendant ce temps des agitations agraires
se produisent, les paysans se soulèvent contrôles propriétaires,
ils coupent les vignes, arrachent les plantations dans différentes
provinces et partout on soulève les ouvriers, on affiche des
manifestes subversifs. Des grèves se produisent en Lombardie,
et la police est obligée les réprimer. Si, avec tout cela, le peuple
doit procéder aux élections générales, la confusion sera grande.
Et pour comble d'infortune, le choléra fait son apparition à
Brindes, où il y a déjà eu plus de 80 morts. Dans une journée
on compte dix cas. L'épidémie se répand, à en croire certains
journaux, et doit exister aussi à Padoue. Cela fera peut-être
ajourner la dissolution de la Chambre, mais la situation n'en
sera pas meilleure.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
La crise économique, qui sévit en ce moment dans toute l'Europe,
se fait vivement sentir sur les Chemins de fer. Les actionnaires des
grandes Compagnies françaises s'en préoccupent peu, attendu que
leurs administrateurs ont eu le talent d'obtenir du gouvernement
un revenu minima réservé. Aussi, cette année, ce sont les contri-
buables qui, de leur poche, paieront une grande partie de ce revenu
aux actionnaires ; trouvez-vous cela logique? Pas trop, n'est-ce pas?
Les actionnaires des Compagnies étrangères sont moins favorisés;
ils n'ont aucune garantie, et suivent la bonne ou la mauvaise for-
tune de leur chemin. En ce moment, c'est la mauvaise fortune qui
l'emporte ; les recettes diminuent, les dividendes s'amoindrissent,
ou disparaissent. Le cours des actions doit nécessairement s'en
ressentir vivement.
Aujourd'hui on a pris l'habitude, après la constitution d'un
capital actions, de demander tous les crédits nouveaux à des créa-
280 AKNALES CATHOLIQUES
tioiis d'obligations, qui reçoivent leur intérêt avant que l'action
vienne toucher un centime. On comprend que plus le nombre
d'obiii^atioiis est grand, plus il faudra d'argent pour en payer les
intérêts. Prenons un exemple:
Une Comp'ignie qui gagne 50 millions, tous frais d'exploitation
payés, et qni aurait son capital représenté, moitié par des actions
moitié par des obligations, pourrait distribuer un dividende de
2o millions, si la charge de ses intérêts était d'autant. Ses recettes
venant à fléchir de 10 millions, elle aurait encore 40 millions à
répartir, dont 2o millions aux obligataires qui restent toujours en
dehors des iluciuations de recettes et lo millions à ses actionnaires.
Mais que le capital soit représenté pour les huit dixièmes par les
obligataires qui exigeraient justement, dans le cas présent, une
somme de 40 millions, il n'y aurait plus rien pour les actionnaires.
Presque toutes les Compagnies accroissent leur capital-obligations
et laissent stationnaire le capital-actions, de sorte que le dividende
afféicni à ce dernier sera à merci des plus petites perturbations
économiques et disparaîtra soudain.
Aussi vous voyez, depuis un an, le Saragosse baisser de 125 fr. ;
le Nord d'Espagne de 185 fr. ; les Lombards de 55 fr. ; les Autri-
chiens de 140 fr.
I^rotlions de la circonstance pourvous faire observerqu'en France
et dans d'autres pajs, les obligations ont toutes le même rang, les
premières comme les dernières créées, à moins de conventions spé-
ciales et formelles. En Espagne, les obligations ont un caractère
hypothécaire en ce sens que la première émission a privilège sur la
deuxii me, celle-ci sur la troisième et ainsi de suite. Si vous achetez
des obligations de Chemins de fer espagnols, ayez bien soin de
distinguer et de regarder si l'on vous livre bien la série que vous
avez voulu acheter.
La baisse actuelle des Chemins de fer étrangers n'a rien qui doive
vous étonnei". En vous parlant, il y a quelques mois, des Chemins
de fer français, nous vous avions déjà mis en garde sur ce point.
Les actions des Chemins de fer français auraient aujourd'hui le
même sort, sans les trop fameuses conventions de 1883. C'est une
lourde charge pour le budget.
L'Emprunt est voté, on dit que l'émission aura lieu le 10 mai.
A orendre note pour ceux qui en voudraient. On le travaille déjà
et l'on fait monter nos Rentes.
Les obligations non libérées 1880 et 1885 du Crédit foncier
méritent toujours l'allention de ceux qui veulent faire un bon et
solide placement ; bon parce qu'ils achètent 20 à 25 fr. meilleur
marché que les obligations similaires et que le niveau est forcé ;
solide parce que ces obligations sont de tout repos.
A. H.
Le ge'rant : P. Chantrel.
Paris. — loip. de rCEuvre de S«int-Paul G. Pie<rnoin, 51, rue de Lièle.
ANNALES CATHOLIQUES
DEUX POLITIQUES
De graves événements viennent de se produire en Allemagne
•et en France.
En Allemagne, le chancelier de fer a reconnu la nécessité de
se réconcilier avec l'E^-lise et de donner la paix religieuse pour
base à l'oeuvre urgente de la pacification sociale.
En France, la République tourne de plus en plus au jacobi-
nisme, elle va de 89 à 93, de la persécution légale à la persécu-
tion sanglante, des décrets du 29 mars aux brutalités officielles
contre la liberté du culte catholique et contre le domicile des
citoyens « suspects » de cléricalisme.
Il est tout naturel de se demander laquelle de ces deux poli-
tiques contradictoires est la plus clairvoyante, la plus prudente
et la plus habile.
Nous ne pensons pas qu'on puisse sérieusement nous taxer
de partialité si nous (qualifions M. le prince de Bismark, l'auteur
principal de l'unité allemande, d'homme d'Etat de premier
ordiô. Il n'est personue qui ne le trouve supérieur de plusieurs
coudées à M. de Cavour, le machiavélique artisan de l'unité
italienne. A plus forte raison, n'y a-t-il pas de comparaison
possible entre ce colosse germanique et les tristes gringalets
qui mènent et qui exploitent la République française.
Ce témoignage est d'autant moins suspect sous notre plume
que le chancelier de l'Empire d'Allemagne s'est montré naguère
plus hostile à l'Eglise catholique. Arrivé au faîte de la puissance
et de la fortune, il s'est, pour ainsi dire, grisé de son omnipo-
tence et il a été atteint de ce vertige ambitieux qui fait tourner
les têtes les plus fermes. Comme Napoléon, il a voulu régner
tout à la fois sur les corps et les âmes, et, rencontrant l'Eglise
sur sa route, il a voulu faire sauter le catholicisme comme l'in-
génieur fait sauter le quartier de rocher qui barre le tracé de
son chemin de fer.
On sait ce qu'il en est advenu et comment les catholiques
Lvi. — 8 MAI 1886. 21
280 ANNALES CATHOLIQUES
allemands ont traversé cette rude épreuve, forts par leur union,
glorieux par leur constance, inébranlables dans leur étroite
fidélité à l'épiscopat et à la Chaire apostolique. Ils ont souffert,
ils ont lutté, ils ont connu les amertumes de la persécution, ils
ont vu la désolation du sanctuaire et la proscription des pasteurs;
mais ils ont vu aussi que le roc qu'on voulait faire voler en
éclats n'a pas même été entamé.
Aujourd'hui, M. le prince de Bismarck lui-même reconnaît
qu'il a fait fausse route, il engage l'empereur d'Allemagne à se
réconcilier avec ses sujets catholiques et, s'il n'a pas fait le
pèlerinage de Canossa, c'est qu'il voyage en grand seigneur,
sans s'arrêter aux petites stations et en prenant le train direct
pour Rome.
Cette conversion politique — car rien hélas ' ne nous autorise
à croire à une conversion religieuse — fait honneur au génie
da chancelier germanique. Devant le caractère aigu de la crise
sociale et en prévision de complications extérieures toujours
possibles, il a jugé que le meilleur moyen de consolider l'empire
allemand et de stimuler le patriotisme était de mettre un terme
aux luttes intestines et d'assurer désormais aux catholiques le
bienfait de la paix confessionnelle. C'est le calcul, nous le
voulons bien, qui a déterminé ce revirement. Mais qu'importe?
Nous qui, par la grâce de notre baptême et de notre foi, pou-
vons nous placer à un point de vue plus élevé que celui de la
politique utilitaire, nous avons d'autant plus de motifs de
constater, par ce nouvel exemple, que le meilleur moyen d'être
habile c'est, après tout, d'être juste.
Tournons maintenant nos regards du côté de la France.
Un tout autre spectacle y attire notre attention : Nous y
voyons de toutes parts les fruits de cette funeste politique dont
Gambetta a légué le programme à ses successeurs: « Le cléri-
calisme, voilà l'ennemi ! » Le désarroi financier, gouvernemental
et social, la dissolution intérieure et l'abaissement extérieur de
la France vont de pair avec une persécution légale, dont le
cardinal Guibert vient tout récemment encore d'esquisser le
navrant tableau.
Il n'y avait, il y a quelques jours, rien à ajouter aux remon-
trances!, si graves dans leur modération et dans leur autorité,
adressées par le vénérable archevêque de Paris au président
Grévy. Depuis lors les événements ont marché et nous sommes
entrés dans la phase qui mène de la persécution légale à la
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE 281
persécution sanglante. La Révolution a évidemment soif de
sang chrétien et sacerdotal. De plus en plus, la République
ci-devant conservatrice, ci-devant athénienne, ci-devant aima-
ble, tourne au Jacobinisme et à la Commune. On cherchera
comme toujours et l'on cherche déjà, mais en vain, à apaiser le
le monstre révolutionnaire en lui donnant du prêtre à manger.
Le gouvernement exécute le prologue d'une tragédie dont il ne
tardera pas à devenir lui-même la victime. D'un jour à l'autre,
la France peut se réveiller en pleine Jacquerie ou en pleine
Terreur. Tels sont les résultats de « la politique anticléricale! »
Eh bien ! nous demanderons maintenant à nos adversaires,
habituellement si prompts à chercher à l'étranger des exemples
bons à imiter, si ce double spectacle de la pacification religieuse
en Allemagne et de la persécution religieuse en France n'est
pas fait pour leur inspirer de salutaires réflexions... De quel
côté croient-ils que se trouvent la sagesse, la prévoyance, la
raison politique : du côté de M. le prince de Bismarck ou du
côté de M, Goblet? La décadence trop visible, hélas ! de la
nation française, l'écho des discours qui retentissent à la
Chambre des députés, n'en disent-ils pas bien long sur la valeur
d'un système de gouvernement qui pratique avant tout « l'art
d'affamer les curés » en attendant qu'il déchaîue de nouveau
les fureurs de l'impiété populaire?
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE
I
Le gouvernement usurpateur de Rome a voulu marquer son
passage par quelques travaux d'une certaine importance. Il fait
procéder à l'établissement de grands quais sur les deux rives
du Tibre, à travers toute la ville; une bonne partie des murs
est déjà construite. Il a décidé d'ouvrir une grande artère,
appelée Via nazionale, allant de la gare jusqu'à la place
Saint-Pierre; déjà elle est achevée sur un long parcours et les
travaux de démolition atteignent bientôt le bord du Tibre. Ce
n'est point une voie droite, mais tortueuse : on l'appelle le grand
serpent. Des plantations d'arbres, à l'instar des boulevards de
282 ANNALES CATHOLIQUES
Paris, devaient la border de chaque côté: mais le soleil d'Italie
brûle le>; jeunes plants et les premiers essais sont restés infruc-
tueux, en sorte que cette large voie sans ombre devient coreime
un désert inabordable pendant les mois de grande chaleur.
L'œuvre capitale à laquelle les usurpateurs veulent attacher
leur nom est le monument de Victor-Emmanuel, qui doit être
élevé près du Canitole, sur les ruines du couvent des Francis-
cains de VAra-Cœli. On y travaille avec ardeur en ce moment,
et il n'y a pas trois semaines que la pioche des démolisseurs
faisait tomber la tour de Paul III, l'un des monuments caracté-
risti(iues de la ville de Rome. Le gouvernement n'a rien res-
pecté; tous les souvenirs les plus vénérables sont sacrifiés au
plan régulateur, selon lequel on voudrait faire de la ville de
Rome un échiquier semblable à la ville de Turin. Et pendant
que ces travaux publics se poursuivent, la spéculation crée des
rues et des quartiers nouveaux dans toutes les directions. Ces
constructions se font à la hâte et à l'économie; elles ne tiennent
pas. Déjà tout un côté de la grande place Victor-Emmanael
s'est écroulé; les locataires s'empressent de déserter ces-
chàùeaux branlants, et l'on prévoit un krach financier qui
devra nécessairement faire suite à l'effondrement des murailles.
Les spéculateurs des consti'uctions sont en grande pai-tie des
Allemands et des juifs. Ils sont aussi peu soucieux de la vie
des ouvriers qu'ils emploient que de celle des locataires qu'ils
exposent à périr sous des ruines. Dernièrement, dans le quartier
des Prati, sur la droite du Tibre, non loin du Vatican, un
échafaudage légèrement monté s'est rompu et a coûté la vie à
deux maçons. Dix mille ouvriers ont accompagné au cimetière
le cercueil de ces infortunés et ont tenu un meeting de protes-
tation. Quelques jours plus tard, deux autres ouvriers ont été
ensevelis dans une sablière. L'opinion publique est si émue de
ces fréquents accidents que le gouvernement et la municipalité
ont dû prendre quelques mesures de rigueur contre les entre-
preneurs, en vue do prévenir le retour de pareils désastres.
Mais les protestations ne viennent pas seulement du milieu
des ouvriers, elles arrivent aujourd'hui de toutes les parties de
l'Europe contre l'ensemble même des travaux entrepris ou
favorisés par le gouvernement italien à Rome, travaux qui ont
pour résultat et ont eu probablement pour premier but de
détruire le cachet de l'ancienne ville des Papes. Deux savants'
protestants de l'Allemagne ont publié à ce sujet des protesta
LA RUINE DE LA. ROME ANTIQUE 283
tions qui ont produit la plus vive impression sur le monde du
Quiiinal. C'est d'abord M. Hermann Grimm, qui a inséré un
grand article dans la Deutsche Rundschau, de Berlin. L'article
a été ensuite traduit en italien et publié en une brochure très
répandue à Rome. Le titre était : La Destruction de Rome;
voici quelques extraits :
Lorsqu'après une séparation de dix ans, il m'a de nouveau été per-
mis de rentrer à Rome, les impressions que j'ai reçues furent impré-
vues et terribles. J'ai vu qu'on s'apprêtait à détruire moralement et
intellectuellement Rome, en voulant en faire la capitale du royaume
italien ; j'ai vu que les conversations se concentraient sur ce point;
que chacun comprenait qu'il y a quelque chose à faire : mais per-
sonne ne savait quoi. J'ai lu dans la Galette nationale l'article de
Gregoiovius intitulé : Pour la défense de Rome contre sa destruction
d'aujourd'hui. De cette étude sortait comme l'impression que
quelque chose périssait qu'on ne pouvait sauver. Moi, qui dppuia
trente ans ai écrit pour la gloire de Florence et de toute la Pénin-
sule, j'aurais bien eu le droit d'élever ma voix. Mais j'ai remarqué
bientôt qu'une lettre aux Romains ne servirait de rien. 11 n'y a ici
qu'une minorité qui sente la honte et la tristesse de l'état de choses
actuel, ce sont des vieillards, ceux qui sentent le prix de ce qu'on
va détruire. Mais ils ont été forrés de céder et de renoncer â la lutte.
Cependant, il y a une Rome qui a des citoyens dans tous les pays :
c'est cette Rome qu'on va détruire. Ce que je puis faire, c'est de
leur faire .savoir ce qui se passe ici. Tous ceux-là non seulement ont
le droit, mais le devoir de protester. Peut-être se produira-t-il une
pression de l'opinion publique qui arrêtera là dévastation de la ville.
S'adresser aux Romains serait vain.
On est persuadé de la nécessité des mesures prises. On croit qu'on
fait plutôt trop peu. La ville n'a-t-elle pas besoin de lumière, d'air
et de voies de communications? Ne faut-il pas préparer des loge-
ments au nombre de plus en plus considérable des habitants? 11 faut
en finir vite et radicalement. Depuis mille ans, la Rome des Papes
se lient debout sur les ruines de la capitale de l'ancien empire
romain : les temps sont venus où il est nécessaire de donner une
capitale à l'Italie une et florissante. C'est une transformation que les
soupirs des historiens sentimentaux ne pourront pas arrêter...
Les Romains n'ont pas seuls le droit de revendiquer ce qui leur
est àû; les Italiens, quand ils modernisent Rome, ne doivent pas
seulement écouter les catholiques de tous les pays, mais aussi les
protestants et tous ceux qui savent apprécier le développement de
l'humanité et voir dans ces monuments des symboles dont chacun
a le droit de demander la conservation. On pourrait se demander ce
que ces mas?es de pierres, quelle que soit leur beauté, ont à faire.
284 ANNALES CATHOLIQUES
dans leur immobilité, avec le bien de l'humanité. Beaucoup. Des
lieux où ont vécu de grands hommes, d'où sont parties de grandes
pensées, ont quelque chose de sacré. Si un tremblemeut de terre
abattait aujourd'hui le Vatican et la basilique de Saint-Pierre, ce
serait une perte pour l'humanité : on lui prendrait quelque chose
qui, mort ou infécond en apparence, serait cependant « irrem-
plaçable ».
Ce palais et cette basilique s'élevaient jusqu'ici dans la solitude,
en dehors de la ville. Or, que fait-on aujourd'hui? Sur les prairies
qui entourent Rome au noid, des rues nouvelles sont tracées jus-
qu'au bord des jardins du Vatican. On voit s'élever des séries de
maisons colossales sans aucune architecture, destinées à loger sim-
plement du monde, et, au milieu d'elles, surgissent les casernes
formidables de carabinieri.
Les habitants du Vatican actuel ne me regardent pas. Je n'en
connais aucun, et il m'est indifférent qui y est libre ou prisonnier.
Mais ce palais des papes, que Bramante a exécuté si merveilleu-
sement, est un monument qui appartient au monde entier, aussi
bien que le temple de Michel-Ange. C'est une offense de rapprocher
cette masse de maisons sans art de cette demeure. Il n'y a là que
des maisons qui ne répondent pas même aux conditions d'hygiène,
car on spécule plus sur l'exploitation du terrain qu'on ne songe au
bien des habitants. L'aspect de ceux qui y demeurent déjà témoigne
combien il est malsain de demeurer dans ces agglomérations de
maisons colossales. C'est comme une enceinte qui enserre le Vatican.
La fumée s'étend en nuages immondes sur les jardins du Pape...
Ce spectacle sera un reproche éternel; il dira qu'en transformant
la Rome des Papes en "une capitale du royaume italien, on n'a pas
procédé avec les égards dus au passé que représente la papauté,
égards dus aussi au temple de Michel- Ange et au palais de Bramante.
Pourquoi construire ces trois casernes colossales, ces monstruo-
sités de l'architecture qui écrasent tout à l'entour? Qu'on ne croie
pas que je veuille protester contre le soin que mettent les Italiens à
élever leur armée... Mais pourquoi, en rapetissant deux des chefs"
d'œuvre les plas imposants de Rome, veut-on inspirer aux jeunes
générations comme le dédain de ce qui a un prix si grand pour
l'histoire du pays?
On pourrait objecter qu'on doit parler ici tout au plus de manque
d'habileté et de tact historique. Mais Grégorovius a employé le mot
de Vandales dans son étude. Demandons-nous ce que cela signifie.
Le vandalisme, c'est une destruction inutile et sans but. On est
sur le point de détruire le cloître de VAra-Cœli et la tour de
Paul 111 sur l'emplacement qui doit recevoir le monument futur de
Victor-Emmanuel. Ces deux édifices appartiennent au patrimoine
historique de Rome; mais on pourrait, à la rigueur, s'en passer. Ce
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE 285
irerait autre chose si l'on voulait abattre le palaszetto di Venezia,
sous prétexte dVlaP!<ir la rue qui monte au Capitule. Ce serait du
vanilalisme de sacrifier l'église de Y Ara-Cœli, une des plus antiques
et des plus vénérables de Rome; on assure, cependant, qu'on va
rabatti*e. Ce serait du van'ialisme si on allait, comme on le dit,
demiilii- d'autres palais encore
Beaucoup sentent le besoin de marquer d'un sceau personnel et
suprême leurs études historiques et esthétiques. A ce point de vue,
Rome était devenue, depuis le commencement de ce siècle, le lieu
central des pèlerinages dont le miracle consistait à bien classer dans
l'esprit les souvenirs et les goûts historiques. Il ne m'est pas permis
d'insister : on a tout dit sur ce point. Les littératures de tous les
peuples renferment les aveux et les mémoires de ceux qui ont fait
ce voyage et ressenti cet effet mervpilleux.
Les génies les plus nobles de l'Allemagne, de l'Angleterre, de
l'Amérique, de la France et de l'Italie datent de cette heure bénie
où ils ont rpçu, au contact de Rome, comme un nouveau baptême
intérieur, comme une sorte de rénovation intellectuelle. Le spec-
tacle de la ville, le séjour au sein des grandeurs sereines et calmes
sont le meilleur moyen de comprendre la valeur des choses
historiques.
Rome est la doyenne d'âge des villes. Elle forme une chaîne
ininterrompue de destinées qui ont agi sur le cours et l'histoire des
puples. Toutes les époques ont marqué Ipur empreinte sur ce
centre du monde, et les étudier, c'est se mettre en contact immédiat
avec tous les temps passés. Rome, c'est le compendium de tous les
monuments de chaque période; les détruire, les changer équivau-
drait à une destruction de ce que le monde a de plus beau dans
Rome.
Rome s'offre à nous comme un sanctuaire historique, comme une
merveille. La vue de ses ruines élève, rafraîchit, fortifie l'âme.
Fuuler ce sol béni a je ne sais quoi de ravissant : c'est comme une
patrie, après une longue séparation. Cette terre ne peut et ne doit
pas être livrée aux spéculateurs et à leurs dévastations. Je ne sais
comment mettre un terme à la continuation lamentable de cette
activité. Mon devoir n'est plus, d'ailleurs, de me soucier d'en
rechercher les moyens. Mais il faut dire, et le dire bien haut, quelle
perte feraient les nations, si l'on abandonnait Rome à l'exploitation
de cette chasse aux richesses.
Je me souviens des temps où l'on demandait au monde si Rome
devait rester le patrimoine des Papes. L'Italie aspirait à la posséder,
comme si, sans Rome, le pays ne devait jamais se calmer. C'était
comme si l'on allait mettre un terme à la misère du peuple, après
avoir planté le drapeau italien sur le Capitole ! Quelle Rome ne
verrait-on pas, ai elle était une fois soustraite à la « tyrannie » du
286 ANNALES CATHOLIQUES
gouvernement pontifical? Qui ne s'élevait pas contre ce régime? Je
me rappelle avec quelle chaleur je demandais moi-même Rome
capitale.
D'abord, on avait choisi Florence. On avait commencé à gouverner
comme si cette ville devait être la capitale définitive. Le roi et le
gouvernement s'y étaient établis. La ville a fait des dettes pour
opérer cet établissement d'une capitale. Ces dettes ont amené la
ruine de Florence. Rome est conquise. Et Florence, au lieu de
s'épouvanter, sonna toutes les cloches lorsque la nouvelle arriva. La
joie tiiompha da toutes les craintes et de toutes les jalousies !
Et maintenant! Ce sol sacré de Rome, le voilà livré aux spécula-
teurs ! A ceux qui se plaignent, on répond par des haussements
d'épaules. On prétend qu'il est impossible d'arrêter le développement
de ce qui doit arriver.
J"ai toujours aimé les Italiens d'un sentiment de sympathie mêlé
de reconnaissance. Leur manière de penser répond à la nôtre,
malgré de fortes divergences. Leurs efi'orts vers la grandeur nous
inspirent le respect, leurs malheurs des sympathies. Dante, Michel-
Ange et Raphaël unissent pour toujours l'empire allemand au
royaume italien. Mais des jours difficiles peuvent se lever sur cette
nation, comme sur d'autres. Si, alors, la question de Rome, de la
sainte Ville éternelle, devait se poser de nouveau, eh bien ! on
répondra froidement que, dans les années quatre-vingts, cette Rome
a été détruite par les Italiens eux-mêmes.
Hermann Grimm.
(A suivre.)
LE PROGRAMME FRANC-MAÇON
La franc-maçonnerie s'occupe-t-elle de politique, et parti-
culièrement de politique antireligieuse ?
A-t-elle mis la main sur le gouvernement de la France?
Est-ce bien elle qui h imaginé et fait voter les lois sur
l'instruction primaire comme les armes les plus sûres pour
combattre et pour étouffer l'Eglise ?
Aux naïfs qui ne savent encore que répondre (et à supposer
qu'il en existe), nous recommandons le discours que le F.-. Fer-
nand Faure, orateur du Couvent, a prononcé à la dernière
assemblée générale du Grand-Orient de France.
Les membres du Conseil de l'Ordre et les délégués de pres-
que toutes les loges de France assistaient aux séances, au
nombre de 241.
LE PROGRAMME FRANC-MAÇON 287
En outre du F.*. Séraphin Maynard, bien connu à Lyon où
il a été adjoint, nous pouvons citer les F.'. Coquet, Michaud.
Guy, Bénassy, Bouvet, Picoury, Warnier et Girard, de Lyon;
Jugy, de Villefranche ; Gordes, de Belleville; Dubief, de Ma-
çon ; Lagarde, de Tournus ; Isembart, de Beaune ; Moiton, de
Dijon; Renaud, de Dole; Gaulion, de Lons-le-Saunier ; Giiaud,
de Bourg; Perdu, de Belley ; Gauthier, de Saint-Claude; Bru-
nier, de Saint-Sorlin ; Bérier, de Voiron ; Chaulon, de Grenoble;
Blanc, de Gap; Guibert, d'Annonay; Paquier, d'Avignon; Ma-
rius Gas, de Nîmes; Pichon, de Valence; Savigné et Claudius
Tardif, de Vienne; Pétrel et Richard, de Saint-Étienne ; Du-
pont, de Roanne ; Millet-Lacombe, de Vichy, etc., etc.
Voici les passages les plus frappants du discours du F.-. Faure,
discours officiel, chaudement applaudi :
Nous voulons, nous maçons français, après avoir donné à notre
pMys le régime républicain et démocratique qui est le sien, nous
voulons le rendre à jamais inébranlable et indestructible, nous
voulons le développer, le perfectionner sans cesse, nous voulons
en faire un instrument supérieur, qui puisse, de la façon la plus
féconde, nous permettre de réaliser le progrès que nous pour-
suivons.
Mais quel progrès ? L'orateur, comme on va voir, parle de
ce qu'il faut détruire et des moyens de destruction : il ne va
pas au-delà.
De vagues phrases sur l'idéal et sur l'insuffisance politique
des hommes d'État ne sortent pas de la sphère de la plus creuse
rhétorique. On ne parle de progrès et de lumières que pour
masquer les ruines qu'on veut entasser.
Cet idéal que je voudrais voir au cœur de tous nos concitoyens,
ne doit rien avoir de commun avec ce que l'on appelle une utopie;
il ne doit être non plus ni une conception religieuse, ni une con-
ception métaphysique quelconque.
Je dis que nous devons fournir de la façon la plus énergique,
la plus constante dans notre société française, Vélimination de
l'idée religieuse.
Je m'explique là-dessus.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'insister devant vous pour
vous dire que nous devons chercher à exclure cette influeuce reli-
gieuse, qu'on appelle l'influence cléricale.
Je passe là-dessus, et je vais plus loin. Je dis que nous devons
éliminer Vinfluence religieuse, sous quelque forme qu'elle se pré-
sente, même en dehors et au-dessus du cléricalisme.
288 ANNALES CATHOLIQUES
Je vais plus loin encore. Nous devons éliminer toutes les idées
métaphysiques.
Ces croyances s'adressent à l'esprit, c'est sur l'esprit qu'il f;iut
exercer une influence, et c'est exclusivement à l'esprit que nous
pouvons nous adresser.
Aussi ai-je toujours pensé qui si nous pouvons essayei* de
diminuer, de détruire l'influence des idées religieuses et niéla-
phy-îiques, c'est par l'instruiMion vie-à-vis des mineurs, c'est par
la propagande vis-à-vis de nos concitoyens majeurs.
Pour les mineurs, c'est-à-dire pour les enfants, la loi sur la
ne itralité prétenlue de l'enseigûerûeût formera les francs-
maçons de l'avenir.
Nous avons à l'école primaire les rudiments grossiers de cette
instruction civique et politique indispensable; nous les avons depuis
deux ou trois ans. Mais les avons-nous dans l'enseignement supéi leur?
Avec les hommes faits, on emploiera, on multipliera les
Sociétés de libres-[)enseurs.
Il conviendrait que la franc-maçonnerie fût l'association des libres-
penseurs, que nous fussions en quelque sorte leur association pro-
fessionnelle, et je pense que par ce seul fait ils pourraient acquérir
une grande puissance.
Ils rendraient sérieuses et fondées les craintes de l'Eglise, en se
corrigeant de quelques-unes de leurs fa blesses qu'elle exploite très
habilement contre eux. Ils se donneraient en particulier la force,
non seulement d'affirmer et de porter autour d'eux leurs idées libé-
rales, mais encore celle de conformer vigoureusement leur conduite
à leurs doctrines. Ils cesseraient d'offrir le triste spectacle, si fré-
quent encore, de libres-penseurs venant s'incliner à de certains
moments devant l'autorité de l'Eglise.
Cela signifie qu'on ne fait pas assez bien la garde autour du
lit des mourants et que la franc-maçonnerie demande à s'ea
charger, pour être plus sûi'e que le prêtre et le pardon ne pour-
ront jamais s'en approcher.
Et l'orateur, après ce programme, s'écrie :
Voilà des réformes qui s'imposent entre toutes. Que sont à côté
d'elles les réformes purement économiques ou politiques?
C'est ce dernier mot qui est le secret de toutes les fautes de
la République.
Que lui importent les richesses de la France ou le bien-être
des ouvriers, pourvu qu'on ferme une chapelle, qu'on expulse
MGR DE LANGALER E 289
une Sœur de charité, qu'on vexe ou qu'on mette à la misère un
curé? Ou bien, comme disent les francs-maçons, que sont les
réformes économiques à côté de la propagande de l'athéisme?
C'est aussi clair et aussi menaçant que les paroles que le
F.*. Blatin, professeur à l'École de médecine de Ciermont-
Ferrand, avait prononcées à la clôture du couvent de 1883.
Ce jour-lâ, notre œuvre aura véritablement accompli ses destinées.
Dans les édifices élevés de toutes parts, depuis des siècles, aux
superstitions religieuses et aux suprématies sacerdotales, nous serons
appelés à notre tour à prêcher nos doctrines, et au lieu des psalmo-
dies cléricales qui y résoanent encore, ce seront les maillets, les
batteries et les acclamations de notre Ordre qui en feront retentir
les larges voûtes et les vastes piliers.
Vaines illusions d'une haine impuissante !
Nous fêtions, il y a quelques jours, la résurrection de notre
Christ, et ce n'est pas en ce temps que nous pourrions craindre
la mort de son Eglise !
MONSEIGNEUR DE LANGALERIE
Le service de quarantaine . pour Mgr de Langalerie a eu lieu à la
cathédrale d'Auch, jeudi 8 avril. L'oraison funèbre a été prononcée
par M. le chanoine Laprie, de Bordeaux, qui avait déjà donné un beau
discours sur le même sujet le jour des obsèques.
Ce second éloge a pour texte ces paroles des psaumes : Paulo minus
ab angelis. Vous Favez placé, mon Dieu, inen qu'un peu au-dessous
des anges.
Montrer que le prélat défunt a parcouru comme un ange les diverses
phases de sa vie, tel est le sujet que l'orateur a développé durant
deux heures, devant im auditoire magnifique et charmé.
On pourra juger de cette œuvre brillante par les extraits sui-
vants :
Comme sainte Nonna, M"^ de Langalerie demanda à Dieu
de prendre son Henri pour le service des autels, et, dés la pre-
mière heure, elle l'éleva en vue de ce service. Elle lui parlait
souvent du sacerdoce. Le petit Henri y prenait plaisir. A qui
l'interrogeait sur ce qu'il serait un jour, il répondait, sans
jamais se déjuger, qu'il voulait être prêtre.
Déjà, du reste, il se faisait remarquer, aux heures de la
prière, par les naïfs élans d'une piété précoce. On admirait
290 ANNALES CATHOLIQUES
aussi la naissante charité de cet enfant à l'égard des pauvres.
Sur les petites sommes dont ses parents lui faisaient largesse,
il voulait faire toujours la part des indigents ; et lorsque ceux-
ci venaient frapper à la porte de la maison, courant à eux, le
visage épanoui, il leur remettait joyeusement entre les mains
la généreuse dîme prélevée sur ses plaisirs.
Mais ce qui distinguait Henri plus que tout le reste, c'était
l'extraordinaire tendresse qu'il témoignait à sa ruére. Cette
tendresse avait toutes les apparences d'une sorte de culte ; culte
charmant qui s'accentuera toujours davantage, à mesure que
les années viendront blanchir, cheveu par cheveu, cette tête si
chère, à mesure que la main du temps burinera, sur ce front
vénéré, les signes de la vieillesse. La mort même ne fera qu'en
consacrer le touchant caractère, en transperçant d'une inguéris-
sable blessure le cœur du plus aimant des fils...
C'était dans les premières années de la Restauration. Une
Altesse Royale, la fille du Roi martyr, celle qui, dans les
cachots de la Tour du Temple, avait trempé ses lèvres au calice
d'un malheur presque divin, la duchesse d'Angoulême, de pas-
sage à Bordeaux, voulut faire un pèlerinage au sanctuaire de
Notre-Dame de Verdelais. Ce sanctuaire orne et protège un
étroit vallon, non loin du cours de la Garonne. Pour faire hon-
neur à l'auguste visiteuse, à celle que la France appelait offi-
ciellement Madame, le séminaire de Bazas se transporta à
Venlelais. Or, Madame venait d'arriver sous les vieux ormeaux
qui ombrageaient alors les abords de la chapelle. Groupé devant
le porche, un groupe de séminaristes était en train d'exécuter,
en l'honneur de Son Altesse, un chant de bienvenue. Henri de
Langalerie, qui était doué d'un timbre de voix suave comme
son âme, faisait partie de ce groupe. Il était un des deux ou
trois principaux chanteurs sur lesquels reposait le succès de la
cantate.
Donc, au milieu d'un silence ravi, il chantait; mais voilà tout
à coup que sa voix tremble et fléchit. Le coryphée le regarde ;
il le voit rougir, il voit poindre les larmes dans ses yeux :
« Chantez donc », lui dit-il. La voix fléchit encore, les larmes
coulent. « Mais qu'avez-vous ? » — « J'ai aperçu maman, » répond
enfin, à bout de voix, le candide virtuose.
M"" de Langalerie s'était, en efi'et, mêlée à la société borde-
laise, qui avait tenu à honneur d'escorter la duchesse d'Angou-
lême, et le regard de son fils venait de la découvrir dans les
MGR DE LANGALERIE 291
rangs du cortège. Oubliant aussitôt et l'importance de son rôle,
€t la première dame de France, et la brillante cour qui entou-
rait la Royale Altesse, il n'avait plus vu que sa mère !...
Lejour oii Mgr de Langalerie dut courber sa tête sous le fardeau
de l'épiscopat, il remercia le bon Dieu, puisqu'il avait voulu le
faire évêque, de l'avoir fait évêque de Belley, et cela pour deux
■raisons : parce qu'il serait ainsi évêque d'un diocèse dont une
portion considérable avait été gouvernée autrefois par saint
François de Sales, et parce que, en vertu de ce titre, il devenait
révêque du curé d'Ars.
Le curé d'Ars! quelle étonnante merveille, Messieurs, et,
• dans cette merveille, quelle piquante revanche de la divine
Providence !
Ne savez-vouspas que le siècle qui a précédé le nôtre, le dix-
huitième siècle, fit le pèlerinage de Ferney en l'honneur (ce
•c'est plus moi qui vais parler, c'est le plus prodigieux de nos
poètes), en l'honneur...
.... D'un sinofe de génie
Chez l'homme en mission par Toufer envoyé (1).
Or, la Providence, qui se joue dans le monde, ladens in orbe
terrarum, la Providence a voulu que, dans le même coin de
notre territoire, le dix-neuvième siècle fît le pèlerinage d'Ars,
-en l'honneur d'un pauvre curé de campagne qui, pendant trente
ans, passa chaque jour seize heures entre les planches d'un
confessionnal, et dont tout le génie consistait à dire : « Mes
enfants, aimez bien le bon Dieu... Il est si bon, aimez-le bien ! »,
mais pratiquant pour son compte, à la fanon des séraphins, ce
•qu'il prêchait aux autres d'une façon si naïve.
A peine installé dans son siège de Belley, Mgr de Langalerie
s'empressa, sous un prétexte quelconque, de se rendre dans la
paroisse d'Ars, pour y voir de ses yeux le prêtre qu'il appréciait
comme le plus riche diamant de sa couronne.
Quelle rencontre que celle de cet Evêque et de ce prêtre, de
•ces deux âmes si dignes l'une de l'autre!
Le poète fameux, auquel je faisais allusion tout à l'heure,
a décrit, quelque part, ce moment solennel oii le soleil cou-
chant va toucher la surface d'une mer tranquille, qui réfléchit
«on disque d'or, le moment où le soleil et son image vont
fraternellement s'embrasser :
Comme deux rois amis, l'on voyait deux soleils
Venir l'un au-devant do l'autre.
(1) Victor Hugo.
292 ANNALES CATHOLIQUES
En songeant à la première rencontre de Mgr de Langalerie et
du curé d'Ars, en songeant au premier embrassement de ces
deux belles âmes, ne vous imaginez-vous pas, messieurs, un
spectacle analogue à celui que chantait le grand poète sur sa
lyre, alors chrétienne ?
Dès ce moment, comme jadis saint Athanase après avoir vu
saint Antoine au désert, Mgr de Langalerie ne se lassa plus de
parler de la merveille qu'il avait contemplée.
Un jour vint, oii il fut informé quy le curé d'Ars, selon la
propre expression de celui-ci, approchait de sa pauvre fin.
Aussitôt le prélat accourt. Haletant, ému, priant à haute voix,
et fendant les flots de la foule agenouillée autour de l'humble
presbytère de M. Vianney, il arrive auprès du vénérable mou-
rant. C'est sur sa croix pectorale que tombèrent les larmes de
joie, par lesquelles l'héroïque serviteur de Dieu saluait les
rivages de l'éternité, les horizons de la patrie. C'est lui qui, le
jour des funérailles, en présence du cercueil, sur la place de
l'église, devant un immense auditoire, oii toute la France était
représentée, prononça l'oraison funèbre de l'heureux défunt,
plus vivant que jamais. C'est lui qui, jusqu'à sa dernière
heure, s'est intéressé plus ardemment que personne à la cano-
nisation du curé d'Ars, son ancien diocésain...
J'aperçois d'ici sa chambre et son oratoire : dans cette sorte
de sanctuaire, tout, jusqu'à la moindre des images qui le
décorent, tout respire la piété d'un auguste ami de Dieu. Qui
nous dira la ferveur des prières exhalées chaque jour, en ce
lieu-là, de l'âme de notre Archevêque! Des prières, il s'en était
imposé, pour son usage quotidien, une série presque intermi-
nable. « C'est long, disait-il, mais cela me fait du bien à
l'âme », Il en avait même rédigé pour ses heures d'insomnie.
J'aperçois son cabinet de travail. Sur cette table destinée
à ses écritures, sa plume ne s'exerçait, en dehors de la corres-
pondance épistolaire, que sur des matières sacrées, et préféra-
blement sur des sujets mystiques. Pendant les deux dernières
années de son existence, il s'occupa de composer, non pour le
public, mais pour lui-même, un Traité de la vie de notre âme
avec Jésus-Christ en Dieu.
J'aperçois la chapelle domestique où il avait coutume de
célébrer la sainte messe. C'est là qu'il venait, plusieurs fois le
jour, épancher, aux pieds de Jésus-Eucharistie, le trop plein de
son cœur; c'est là qu'on pouvait entendre s'échapper de sa
LES CHANOINES DE CARTHAGE 293
poitrine les plus brûlantes aspirations. C'est là que tous les
jours, avant le dernier repas de la communauté épiscopale, il
venait passer une heure entière, qu'il appelait son heure de la
messe du soi?-. 11 la consacrait à faire le chemin de la croix, et
à contempler l'adorable Sacrement.
Chanoine Laprie.
LES CHANOINES DE CARTHAGE
La Bulle qui porte institution du diocèse de Carthage impo-
sait au nouvel archevêque l'obligation d'établir un Chapitre
métropolitain, dès que les circonstances le lui permettraient.
Pour obéir à cette disposition, S. Em. le cardinal Lavigerie a
mis la main à l'œuvre, et, grâce au concours qui lui a été
donné par des ecclésiastiques de France, il a déjà pu instituer
une partie de ces canonicats.
Ces fondations ont eu lieu sur le modèle de ce qui s'est fait, à
Rome, pour les grandes basiliques, au moyen de la constitution
des fonds nécessaires pour fournir les traitements des cha-
noines. Le Saint-Siège a accordé en outre la faculté aux fonda-
teurs de pouvoir se réserver à eux-mêmes, s'ils sont dans les
conditions exigées par les saints canons, la prébende fondée
par eux, avec dis[)ense perpétuelle de la résidence et autorisa-
tion de se faire suppléer par un coadjuteur désigné par l'arche-
vêque parmi les prêtres attachés au chapitre.
Afin d'honorer les grands souvenirs qui se rattachent à
l'église primatiale de Carthage, N. S. P. le Pape vient encore
d'accorder à ce Chapitre le plus insigne privilège. En vertu
d'un Bref qui porte la date du 23 mars 1886, Sa Sainteté a
daigné accorder les honneurs de la prélature aux chanoines
titulaires, présents et futurs, de Carthage, et leur a donné
à cet effet, rang dans le corps de SdS chapelains d'honneur. Ce
privilège donne aux chanoines de Carthage le droit de porter le
titre de Monseigneur, de prendre des armes prélatrices et de
revêtir les habits violets. Le corps des chapelains d'honneur du
Saint-Père forme, en effet, l'un des collèges de prélature de la
Maison pontificale. Il assiste le Pape dans les cérémonies de sa
chapelle, comme le collège des camériers secrets l'assiste dans
294 ANNALES CATHOLIQUES
ses appartements. Il jouit des mêmes honneurs et il porte le.
même costume.
Comme nous l'avons dit ci-dessus, les canonicats du Chapitre
de Carthage ont été fondés jusqu'ici par des ecclésiastiques de
France. Ils sont institués par des ordonnances archiépiscopales.
C'est l'Œuvre des Écoles d'Orient, dont le centre est à Paris,
rue du Regard, 12, qui a servi d'intermédiaire aux fondatiojis
déjà effectuées dans les conditions fixées par une ordonnance
canonique de S. Em. le cardinal archevêque de Carthage, qui
avait reçu à cet égard, dès l'origine, les pouvoirs de Sa Sain-
teté. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails sur les fonda-
tions qui restent encore à faire, mais ceux qui désireraient
avoir des renseignements complémentaires sur un sujet aussi
intéressant pourraient s'adresser au directeur de l'Œuvre des.
Écoles d'Orient.
Voici la traduction du Bref dont il est question ci-dessus :
LÉON XI! i, PAPE
POUR PERPÉTUELLE MEMOIRE.
Selon l'usage des Pontifes romains No~ prédécesseurs, Nous avons
coutume de rendre plus vénérables, en lour accor lant des honneurs
particuliers, les ecclésiastiques qui accomp'issent leur mim t'^ie dans
les temples les plus illustres, pour qu'ils puissent ainsi s'attir^T de
plus PQ plus le respect du peuple chrétien et mintrer, par leui- cos-
tume même, combien ils sont placés au-dessus des autres en gian-
deur et en dignité.
Or, comme il Nous a été exposé par Notre véaéi-able Fière
Dominique, archevêque de Tyr, secrétaire de la Sacrée-Congrégation
de la Propagande, que Notre cher Fils Charles, cardinal Lavigerie,
par dispense apostolique, archevêque do Carthage, désire que Nous
accordions aux chanoines de ce Chapitre métropolitain le titre et ]ri
costume de Nos chapelains d'honneur. Nous avons très volontiers-
acquiescé à ce vœu. C'est pourquoi, voulant donner un témoignage-
de Notre particulière bienveillance à tous ceux que concernent No.s
présentes Lettres, et les ayant dans ce but, absous auparavant de
toute censure ou sentence d'excommunication, d'interdit ou autre
portées contre eux pour quelque raison que ce soit, si par hasard ils
les avaient encourues, et les considérant comme absous de Notre
autorité apostolique, en vertu des présentes lettres, Nous accordons
qu'à perpétuité les chanoines du Chapitre métropolitain de Carthage
puissent et doivent jouir du titre et des insignes de Nos chapelain.s
d'honneur, décernant que les présentes lettres doivent rester à
NOUVEAUX MASSACRES AU TONG-KING 295
jamais fermes, valides et efficaces, et servir à perpétuité en tout et
pour tout, de la manière la plus pleine, à ceux qu'elles concernent,
enlevant à cet égard tout pouvoir de rien décerner de contraire à
tous JBges ecclésiastiques, ordinaires ou délégués, même aux édi-
teurs des causes du Sacré-Palais apostolique, aux Nonces du Saint-
Siège et aux cardinaux de la sainte Eglise romaine, même légats
a latere, ou à aucun d'entre eux pris en particulier, de juger ou
d'interpréter autrement les présents privilèges, déclarant nul et de
nul effet ce qu'il arriverait à quelqu'un d'entre eux, soit sciemment,
soit incnnsciemment, d attenter contre ces droits nonobstant toute
autre disposition contraire.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le
vingt-huitième jour de mars de l'année 1886, do Notre pontificat la
neuvième.
Signé : M. Cardinal Ledochowski.
(Lieu du sceau.)
NOUVEAUX MASSACRES AU TONG-KING
Nous lisons dans un des derniers numéros des Missions
catholiques :
Pas une semaine ne se passe sans que nous recevions et
ayons le triste devoir de communiquer à nos lecteurs la nou-
Te'le de quelque affreux désastre dans l'une des missions de
l'Annam.
Aujourd'hui c'est du Tong-King méridional que nous avons
à les entretenir. Le P. Frichot, provicaire apostolique, qui
dirige cette belle mission veuve de son premier pasteur, adres-
sait de Xa-Doai, aux mois de janvier et de février derniers,
une série de correspondances, dont voici des extraits :
A la date du 15 décembre 1885, je vous écrivais que la
mission comptait déjà plus de deux raille néophytes massacrés:
à présent, il faut ajouter à ce chiifre celui de six cents, qui
représente environ les deux tiers des chrétiens des deux
paroisses de Du-Loc et de Qui-Hoa. Je ne sais pas encore bien
précisément les pertes subies par le district de Dong-Thanh.
Il y a quelques jours, le P. jKlingler, soutenu par une colonne
de soldats français, est allé visiter quelques villages de ce dis-
trict pour en ramener sous escorte les néophytes réfugiés sur
22
296 ANNALES CATHOLIQUES
les montagnes, supposé toutefois que ces malheureux n'y soient
pas morts de faim et qu'ils aient pu éviter la fureur des païens
qui reclierchent nos chrétiens dans les taillis et fourrés des
monta-rnes en lançant des chiens à leur poursuite.
Voici ce que m'écrivait le P. Kliiigler à la date du 14 janvier
dernier : «... A Nhuân Trach, il ne reste plus de chrétiens.
A Quang-Lang, village païen, j'en ai rencontré vingt-huit. J'ai
pu en découvrir neuf autres qui appartiennent à différents
villages. L'église a été démontée et transportée au fort des
reh-lles. Plus de traces du village de Dong-Trac. Apprenant
que des chrétiens étaient cachés dans la montagne voisine,
j'envoie leur faire savoir qu'ils peuvent se montrer sans crainte.
Quelques heures après, ces malheureux m'arrivent au nombre
de vingt-cinq, tant hommes que femmes et enfants. Ils étaient
plus décharnés que ceux de Nhuàn-Trach. Tous étaient chargés
déjeunes pousses de bananes sauvages, d'herbes et de racines.
C'éiait. leur unique nourriture depuis deux ou trois mois. On
leur a procuré de suite de la viande d*e bœuf. Demain, je les
ferai conduire sous bonne escorte à notre résidence. A vous,
cher provicaire, de vous ingénier pour les nourrir désormais... »
Mon Dieu! que ces tem[js sont tristes, et quelle barbarie!
Nous conservons ici, comme souvenir, un énorme coutelas
retrouvé sur le théâtre des événements; il est recouvert d'une
épaisse couche de sang coagulé et a servi à égorger nos
pauvres chrétiens. Les victimes étaient si nombreuses que
parfois les bourreaux faisaient la besogne à moitié. Aujourd'hui
même, j'ai reçu la visite d'un pauvre homme dont la famille se
coui posait de treize personnes; lui seul survit! mais dans quel
état! Il a les deux doigts de la main gauche conpés et trois
larges cicatrices derrière la tête. C'est quelque chose d'affreux.
On se demande comment il a pu survivre à ses blessures.
La mission a déjà fait un lourd emprunt pour nourrir ses
affamés; je suis à la veille d'en contracter un second. Mais
quand toutes ces ressources seront épuisées qu'arrivera-t-il?
Chose désolante! dans beaucoup d'endroits, les païens refusent
de iious vendre du riz.
Mon Dieu, ayez pitié de nous! nos malheurs continuent.
Pe[>nis le 19 novembre 1885 jusqu'aux premiers jours de
janvier, le district du Binh Chinh, qui compte vingt-deux mille
chrétiens, avait déjà été bien éprouvé. Vingt villages avaient
été pillés et soixante néophytes tués ou massacrés. Le mal ne
NOUVEAUX MASSACRES AU TONG-KING 297
devait pas s'arrêter là. Je reçois une lettre d'un prêtre indigène
récemment échappé du Binh Chinli et qui vient d'arriver par
mer au port du Cuâ-Lô. Je la résume.
Le commandant Grégoire, fixé au fort de Dong-Hoi, gardait
le Binh Chinh, théâtre de ces tristes événements. Dans les
derniers jours de décembre, la tête d'une partie de ses troupes
poursuivit l'ennemi au-delà de Bài Diec, Il avait loué quatre-
vingt-dix barques chrétiennes et cinquante porteurs également
■chrétiens pour cette expédition. Barques et porteurs, arrivés à
un certain endroit, ont dû s'arrêter quelque temps. Il devait se
remettre au service de la colonne à son retour de Binh Chinh.
Or, la colonne partie, les barques ont été cernées par les
rebelles, et les rameurs massacrés. Ces barques étaient comme
enfermées dans une anse et d'un côté dominées par des rochers.
D'en haut l'ennemi faisait rouler sur elles d'énormes blocs de
pierre pour les briser et les faire sombrer. Vingt à trente bar-
ques seulement ont pu prendre le large. Le reste avec son per-
sonnel est anéanti. Quant aux quatre-vingt-dix porteurs, ils
ont été arrêtés par les rebelles au marché de Rôii en retournant
chez eux. Tous ont été jetés à l'eau et noyés; la plupart avaient
été liés deux ensemble. Deux malheureux seulement, porteurs
d'un couteau, ont pu couper leurs liens et réussir à s'échapper.
Pendant ce temps, des deux Pères qui étaient chargés d'ad-
ministrer le Binh Chinh, il ne restait que le P. Pineau. En effet,
le P. Tortuyeaux avait accompagné la colonne du commandant
Grégoire pour lui servir de guide et d'interprète. Le 7 ou 8 jan-
vier, profitant du départ d'une partie des troupes françaises,
les rebelles ont dévasté deux paroisses limitrophes : Vinli Phuoc
de 1,800 âmes, et Hoâ Ninh de 1,870. Deux éléphants des
rebelles ont mis le désordre et jeté l'épouvante parmi nos chré-
tiens qui ont abandonné la place. J'ignore le nombre des victimes.
Le P. Thiên, prêtre indigène, curé de Hoà Ninh, voyant la
cause perdue, prit la fuite ; mais, arrivé à la paroisse de Côii
Nàm, il mourut, au bout d'une heure, de fatigue et d'émotion.
Que s'est-il passé au Binh Chinh après le départ du prêtre indi-
gène qui m'a fourni ces détails? Nous le saurons plus tard et je
vous le ferai connaître.
16 février 1886.
Enfin, j'ai quelques détails sur les événements du Binh Chinh.
-Le poste principal est Huong Phuong. Vu son importance, il
298 ANNALKS CATHOLIQUES
était pourvu de munitions de guerre pour être en mesure de
soutenir un siège de quelques jours, en attendant qu'on pût
venir à son secours.
Les rebelles se gardèrent bien de l'attaquer tout d'abord;
ils commencèrent par se jeter sur les autres chrétientés du dis-
trict qu'ils mirent à feu et à sang pendant la première quinzaine
de janvier. Après plusieurs brillants succès, les chrétiens,
débordés par le nombre et attaqués sur plusieurs points à la fois,
ont été finalement vaincus. Bref, sauf deux paroisses relative-
ment peu endommagées, et deux autres dont j'ignore le sort,
vu la difficulté des communications, le reste a été la proie des
flammes. Les provisions de tout genre ont été anéanties. Sans
compter trois mille chrétiens que nous sommes obligés d'entre-
tenir au Nighé, en voilà donc douze cents autres au Binh Chinh
en particulier qu'il faut empêcher de mourir de faim. Je ne
parle pas d'un nombre indéfini de néophytes disséminés dans les
montagnes et dans les bois, qu'il faudra ramener peu à peu,
s'ils sont encore vivants, et pourvoir de tout.
Après avoir dévasté ces chrétientés, les rebelles se ruent sur
la résidence de Huong-Phuong. C'est que, maîtres de cette posi-
tion, il leur eût été facile ensuite d'achever l'extermination du
reste du district. Les détails de ce long siège malheureusement
me font défaut. Voici ce que je sais :
Un de nos prêtres indigènes, vénérable par son âge et ses
vertus, le P. Van, s'est mis à la tête de la défense avec une
énergie et un sang-froid qu'on ne lui soupçonnait guère. Aidé
par sept ou huit catéchistes, les plus déterminés du village, il
soutint le choc de l'ennemi depuis le 15 janvier jusqu'au 17 fé-
vrier. A ce moment, Huong Phuong fut débloqué par le brave
commandant Cardot.
Un de nos prêtres, le P. Kième, chargé depuis plus de vingt-
cinq ans de la paroisse de Côn Nâm, n'avait pu se résoudre à
suivie l'exemple de ses confrères et à prendre la fuite. Il voulut
rester à son poste. Quand il vit que tout était humainement
perdu, il se rendit à l'église et se mit en prière en attendant la
mort. Il ne tarda pas à être saisi par les rebelles ainsi que ses
deux fidèles catéchistes. Ses cheveux blancs et sa réputation
de lettré ne touchèrent pas les bourreaux; ils le décapitèrent
avec ses catéchistes en face même de Huong-Phong qu'ils cer-
naient de tous côtés, et où ils l'avaient amené pour que les
assiégés, témoins de ce lamentable spectacle, fussent terrifiés.
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 299
En ce moment, Xâ Doai, d'où je vous écris, poste principal
de la mission, est sur le point d'être assailli par les rebelles
qu'on évalue à plus de mille. Mais leur nombre va se jrrossir
encore des villag-es païens environnants. Trois de nos confrères
et un prêtre indig-ène sont à la tête de nos chrétiens imyirovisés
en soldats et se portent à la rencontre de l'ennemi. J'ifrnore
quelle va être l'issue de cette lutte qui sera certainement
acharnée. Mais je sais que missionnnaires et chrétiens sont
pleins d'ardeur et qu'ils semblent avoir pris la devise des
Machabées : Moriamur in virtaie.
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET l'ÉPISCOPAT
(Suite. — V. les numéros précédents.)
Annecy. — S. G. Mgr Tévêque d'Annecy vient d'écrire à
M, le président de la Républi(]ue pour lui faire connaître qu'il
« adhère de la manière la plus expresse » à la lettre de Son
Éminence le cardinal archevêque de Paris.
Ms:r l'évèque d'Annecj'' ajoute :
J'adhère à ses respoctueuses protestations contre « les violences
qui se sont accumulées, depuis cinq années, au détfimr'iit des
catholiques et dans le but de dépouiliftr l'Église en Franco, de décrier
ses ministres et de détruire la religion »; contre «cette pénalité
exorbitante qu'aucune loi n'autorise, qu'aucun jugomont ne précède
et qui a été appliquée à un nombre considéi-able de prêtrps ».
J'adhère notamment à ses protestations contre le langHgp tenu à
la tribune du Sénat par M. le ministre des cultes, qui, « exerçant
au nom du gouvernement, l^s prérogatives concordataires, prononce
des discours officiels contre la croyance catholiqup, » et « viole ainsi
ouvertement et les clauses et l'espiit du Ct)ncorHMt. »
Avec Son Eminence, «j'en app^^Ue, M. le Président, à votre raison,
à votre impartialité, à votre longue expt'rience de la vie et des
affaires publiques ; et c'est en pensant « au compte que je dois
rendre à Dieu de mon administration » que je me fais un devoir de
formuler cette adhésion et de la rendre publique. »
Flour (Saint-). — Mgr l'évèque de Saint-Flour écrit au
cardinal Guibert *
J'ai hâte de vous en remercier, Eminence, et je le fais, en même
300 ANNALES CATHOLIQUES
temps, au nom de mes prêtres et des nombreux catholiques du
diocèse de Saiut-Flour, qui gémissent tous, aussi bien que leur
évêque, de la guerre par trop déloyale depuis si longtemps, hélas !
dirigée contre la religion.
Votre parole, Eminence, qui rappelle celle des Ambroise et des
Athanase, apportera un immense soulagement à la conscience des
catholiqu'^s français. Sous le prestige de la haute autorité et des
grandes vertus d'un Pi)iitife en qui Paris et la France entière aiment
à saluer et le prince de TEglise et le digne successeur de saint Denis,
elle recevra, espérons-le, l'accueil bienveillant qu'elle mérite, et,
dans tous les cas, elle éclairera tout esprit judicieux et de bonne foi.
11 y a trois mois environ, pressé par ma conscience d'évêqiie,
je crus devoir, avec toute la convenance et tout le respect dus au
chef de l'Etat, faire parvenir directement à M. le Président de la
République quelques observations qui n'étaient point destinées à la
publicité. Dans ma pensée, j'accomplissais un devoir.
Depuis, les attaques contre le clergé et la religion se sont encore
accentuées. Après la suppression de nombreux vicariats, si nécessaires
cependant pour le service parois-ial dans nos pauvres campagnes, et
après bien d autres atteintes portées à la loi concordataire, la France
a entendu naguère avec une tristesse profonde un membre du cabinet
« attaquer, du haut de la tribune, les dogmes essentiels du christia-
nisme et des croyances chères à toutes les âmes catholiques... » La
France vient aussi d'assister, non sans une anxiété bien vive, à la
discussion et au vote d'un projet de loi « qui achève d'ôter à l'ensei-
gnement public tout caractère chrétien, et qui rendra en même temps
l'enseignement libre, à peu près impossible, par la difficulté qu'éprou-
veront les congrégations d'hommes â se recruter... » Cette loi, désas-
treuse pour tous les diocèses au point de vue religieux, le sera plus
partif'uliérement encore pour celui de Saint-Flour, parce qu'il a
l'avantjige de posséder un nombre assez considérable d'écoles congré-
ganistes, écoles partout a])pri'ciées et partout florissantes... Aussi nos
populations se préoccupent-elles déjà plus qu'on ne pense du danger
qui menace ces écoles, et je puis, en parcourant les paroisses oi\ la
visite pastorale m'appelle, recueillir les doléances non seulement du
clergé, mais des pères et des mères de famille, qui répètent avec une
inquiétude pleine d'angoisse : Où allons-nous donc et que vont devenir
nos enfants?
Quoi qu'il en soit de l'avenir, Eminence, notre chère patrie, espé-
rons-le, par cela même qu'elle porte le titre glorieux de fille aînés
de l'Eglise, ne cessera pas d'être chrétienne.
Vous l'avez si bien dit vous-même : « En continuant dans la voie
où elle s'est engagée, la République peut faire beaucoup de mal à la
religion; elle ne parviendra pas à la tirer. L'Église a connu d'autres
périls, elle a traversé d'autres orages, est elle vit encore dans le
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 301
cœur de la Francp. Elle assist'Ta nux furicM-ailles de ceux qui se
flattf^nt H*» l'atK-'antir. » Tel est notre dernier mot et telle est aussi
notre suprême espérance.
Lyon. — Dans une lettre a^lressée à S. Ém. le cardinal
Guibert, par S. Em. la cardinal Caverot, nous lisons :
Je viens de |»rendie connaissanfe, dans les journaux, de la lettre
que vous avez jugé à propos d'adresser à M. le président de la
République.
Je crois de mon devoir devons d('clarer que j'adhère poniplèteraent
aux sentiments qui y sont ex^iriraés et aux observations qu'elle
contient.
Nancy. — S. G. Mgr Tminaz, évèque do Nancj, vient
d'écrire à S. Km. le caidinal aiclievêque de Paris pour lui dire
qu'il adliérait « de toute son ànie » à sa protestation « si élevée
et si opportune ». et lui expiinier « sa vive reconnaissance »o
Mgr de Nancy dit à Mgr Gnibert :
Votre âge, votre expérif>ncp, vos vertus, votre long et glorieux
épiscopat, la vénération iiniverpplle qui vous entoure, votre situation
exceptionnelle parmi les évêqnes de France vous donnaient le droit
de faire entendre an chf^f de l'Ktat, avec une autorité sans égale,
des vérités non seulement utiles, mais nécessaires.
D'une part, vous avp/. rappelé la série de lois, de décrets, de
mesures hostiles à la religion, et, d'autre part, vous avez pu affiimer
que « le clertïé avait donné la preuve d'une modération et d'une
patience plus qu'exoinplairos », et qu'il a toujours été disposé à se
soumettie aux gouvernements qui respectent les croyances, la justice
et la liberté.
Il faut reconnaître que cette modérati<in et cette patience n'ont
arrêté ni les attacjucs dirigées du haut de la tribune par M. le mi-
nistre des cultes contre les dogmes chrétiens, ni les accusations do
nos ennemis, ni les lois de plus en plus funestes aux causes confiées
à notre sollicitude et à notie dévnnpm"nt.
Il y a, dit l'Esprit-Saint, le t>nnps de se taire et le temps de
parler. Le temps de parler ne serait-il pas venu? Ne faut-il pas
éclairer les populations sur les périls qui se multiplient et qui gran-
dissent chaque jour et défendre avec énergie ce qui subsiste encore
des droits ei des libertés catholiques?
On aurait pu, il y a quelques années, nous reprocher de compro-
mettre, par les entraînements du zèle, les intérêts que nous voulions
servir. Mais, depuis quelque temps déj'i, n'est-il pas évidenf, pour
qui veut voir et comprendre, que les Chambres et le gouvernement
302 ANNALES CATHOLIQUES
sont décidés à poursuivre la lutte religieuse jusqu'à ses dernières
limites et qu'il s'agit, à cette heure, de l'existence de la religion
dans notre pays ?
Nantes. — Mgr l'évêque de Nantes écrit :
Avec vous, Eminence, je déplore, au point de vue patriotique et
social, comme au point de vue religieux, la guerre faite au clergé
depuis un certain nombre d'années ; comme vous, je désire vive-
ment, dan-^ l'intérêt des âmes et de l'ordre public lui-même, que
la religion puisse librement et pacifiquement exercer sur tous sa
divine influence.
Vos paroles, Eminence, inspirées par un esprit si calme et si
élevé, seront- elles écoutées? Vos conseils, où respire une si hante
sagesse, seront-ils suivis? Quoi qu'il arrive, Eminence, l'Eglise
de France, accoutumée à vous considérer depuis longtemps comme
son oracle et son modèle, n'oubliera pas le nouveiu service que
vous venez de lui rendre, à cette heure surtout où elle traverse
.^ne crise pleine de tristesses et de périls.
NîCE. — S. Em. le cardinal Guibert a reçu l'adhésion sui-
vante de Mgr l'évêque de Nice :
Dans une lettre que j'avais l'honneur d'écrire à Sa Sainteté, il y
a a ijuelquos mois, je disais : « Très Saint Père..., je suis trop heu-
« reux et trop fier d'èlre l'élève, le fils et l'humble frère de l'émi-
« nent et si sage cardinal Guibert pour ne pas m'inspirer de son
« esprit et de ses vues. En faisant ainsi, je suis assuré de suivre
« toujours la ligne de conduite que vous nous tracez et que vous
a aimez vous-même... »
Je reproduis ces lignes ici pour mieux dire à Votre Eminence
avec quelle plénitude d'esprit et de cœur j'adhère, comme tous mes
vénérés collègues, à la lettre si admirable, si modérée et si légi-
time dans ses respectuenses doléances qu'elle vient d'adresser à
M. le pi'ésidont de la République.
Non, les évoques et les prêtres ne sont pas systématiquement
hostiles au gouvernement. Non, l'Eglise catholique, en France,
n'est pas plus qu'ailleurs l'ennemie de la société civile ; non, elle
ne mérite pas les rigueurs croissantes dont on la poursuit. Nous
demandons la justice, la liberté et la paix.
Je reconnais volontiers que, jusqu'ici, j'ai eu moins de motif»
de me plaindre que la plupart de mes collègues; mais les dernières
lois sur les instituteurs vont atteindre mon diocèse comme les
autres, et l'avenir nous menace comme eux.
Que la France gagnerait, au dedans et au dehors, si l'on rendait
à la religion sa liberté et ses droits !
LE CA-THOLICiSME AU GRAND-DUCHÉ DE HESSE 303
LE CATHOLICISME
JANS LE GRAND DUCHÉ DE HESSE
La Prusse a donné, en Allemagne, le signal de la guerre
contre l'Eglise catholique. Les autres États suivirent soq
exemple, les uns un peu plus tôt, les autres un peu plus tard.
En 1874 déjà, M. de Bismarck avait ac(;[uis la certitude (jua
la réussite de sa politique religieuse devait être reléguée parmi
les choses irréalisables. C'est pourquoi il voulut tenter un der-
nier effort. Il déciéta la suppression du traitement des prêtres,
l'expulsion des ordres religieux^ et promulgua les lois en
faveur des « Vieux-catholiques ». En les frappant d'une
manière plus immédiate, le chancelier crut forcer les catho-
liques à se soumettre aux lois de 1873. Efforts stériles !
Le gouvernement de Hesse choisit justement ce moment pour
ouvrir sa campagne contre le catholicisme. Dans la législation
qu'il créa, on remarqua plusieurs lois tirées du code prussien.
Partout la même rigueur, sauf pour quelques points, où le
miniijtére du Grand-duché renchérissait encore en sévérité sur
les gouvernants de Berlin.
Si l'on ne considère que la lettre de la loi, on dirait que
celle-ci s'étend de la même façon aux protestants comme aux.
catholiques. Mais en réalité, il n'en est pas ainsi. Comme
M. le député Schmitt, le représentant du culte réformé à la
Chambre haute, l'a fait remarquer, le gouvernement avait
tellement bien étudié la situation du protestantisme, y avait si
bien adapté le nouveau Code, que les intérêts de la religion
luthérienne étaient parfaitement bauvegardés et tout conflit
entre elle et l'État rendu impossible. C'était dire clairement
que le gouvernement visait à la ruine du catholicisme au profit
du protestantisme.
Jusque aujourd'hui, on ne s'est nullement relâché de la pre-
mière rigueur. Aussi la position des catholiques est-elle deve-
nue insoutenable. Voici quelques faits qui permettront d'en
juger.
Il y a dix ans, Mgr Ketteler descendit au tombeau ; depuis
lors, le siège épiscopal de Mayence est resté vacant et les
catholiques sont privés de leur défenseur à la Chambie haute.
Si le siège n'est pas occupé, qu'on se garde cependant bien
304 ANNALES CATHOLIQUES
d'en rejeter la faute sur la curie romaine, ou sur le chapitre de
la cathôdrale, ou sur le clergé : de ce cèié, tout a été tenté
pour mettre fin à cette triste s^ituation. Mais le gouveiiiement
a posé des conditions tellement onéreuses aux dilFérents can-
didats proposés par le cha])itre pour remplir les fonctions épis-
copales. qu'aucun de ceux-ci ne put en conscience acre[)ter la
dignité qu'on lui présentait. Il y a 70 ans que la ville de
Mayence est enclavée dans le grand-duché de Hesse, et, pen-
dant ce laps de temps, grâce aux nombreuses difticultés que
nous suscitèrent les ministres du graud-duc, nous avons été
pendant 23 ans sans avoir d'évê.|ue. La chose est significative.
Par suite de la vacance du siège épiscopal, le chtipitre n'est
plus au complet, et l'administration du diocèse devient chaque
jour plus pénible.
En outre, la moitié à peu près des paroisses sont dépourvues
de pasteurs. Et qu'on remarque bien ici la politique anticatho-
lique du gouvernement. Un curé meurt, il ne peut être rem-
placé, à moins que les fidèles ne soient dans l'impossibilité
absolue de pourvoir autrement à leurs besoins, et, dans ce cas,
le consentement du ministre étunt donné à la nomination d'un
prêtre dans cette paroisse, il faut que les fidèles s'entendent
entre eux et constituent de leurs pro{)res deniers un traitement
à ce prêtre. Et notez que le gouvernement se réserve le droit
d'interdire à cet ecclésiastique toute fonction dans le ministère
pastoral, à partir du moment ou il le jugera convenable.
De plus, le grand séminaire de Mayence, dont les lois nous
garantissaient cependant le maintien, ainsi que les autres
établissements qui avaient pour but la formation du clergé,
sont supprimés. On refuse même de reconnnî're comme aptes à
enseigner la religion les jeunes prêtres formés au grand sémi-
naire d'Eicbstadt. Et cependant le gouvernement bavarois a
déclaré que l'enseignement donné au grand séminaire d'Eicb-
stadt n'était nullement inférieur à l'instruction donnée aux
facultés théologiques de l'État. D'un autre côté, ni la Prusse, ni
aucun autre gouvernement n'ont jamais fait de ce chef des
difficultés pour admetti-e aux fonctions pastorales un prêtre
formé à ceite école. Le ministère du grand-duché de Hesse seul
juge à pro[)OS d'en faire.
La manière d'agir du gouvernement à l'égard des religieuses
est encore davantage entachée d'arbitraire. Les Sœurs de cha-
rité et autres sont soumises à la surveillance de la police; dans
LE CATHOLICISME AU GRAND-DUCHÉ DE HESSE 305
les maisons d'éducation qu'elles dirigent leur nombre est limité>
et soit que la maladie, soit que l'âge rendent l'une ou l'autre des
Sœurs incapable de remplir sa rude mission, on ne peut pas
admettre de supplémentaire : le nombre une fois déterminé ne
peut pas être dépassé, quoi qu'il arrive. Voilà pour la religion
catholique. Et d'autre part, les autorités ne savent accorder
assez de faveurs et de privilèges aux diaconesses (religieuses
protestantes).
En outre, l'Eglise n'a pns le droit d'administrer ses biens par
elle-même : il faut que l'Etat s'en mêle.
Enfin, il n'est pas de moyens qu'on n'ait employés pour
dépouiller le Pape de sa juridiction sur le clergé du Grand-
Duché. On a créé le fameux tribunal pour le « recursus ab
ahusu », où tout prùtrc peut se pourvoir contre le prétendu
abus que le Vicaire de Jésus-Christ fait de son autorité. L'Etat
s'est arrogé les droits de l'Eglise dans l'éducation du clei'gé, le
pouvoir de nommer aux postes et de révoquer les prêtres; il a
créé un tribunal pour les affaires ecclésiastiques et ce tribunal
est investi des pouvoirs et des droits de révê(]ue, etc.
Mais j'ai hâte d'en arriver aux choses qui se sont passées
dans ces derniers temps. Les actes posés par le gouvernement
blessent profondément les populations catholiques et sont de
nature à montrer clairement que dans ce pays on espère encore
triompher du catholicisme alors que dans les États environ-
nants, et surtout en Prusse, on ait déjà abandonné depuis long-
temps cette espérance.
Jusque dans ces derniers temps, le gouvernement avait
reconnu à l'Eglise le droit de faire enseigner la religion catho-
lique dans les écoles par ses prêtres. De[»uis quelques jours, le
ministère, sans nier ce droit d'une manière explicite, ne laisse
cependant pas de prendre des mesures telles que l'exercice de
ce droit devient impossible.
Je disais plus haut que la mort avait frappé un grand nombre
de curés et de vicaires de la Hesse, depuis l'origine du Kultur-
kampf. D'autre part, elles ne sont pas rares les paroisses oii le
pasteur est affaibli par l'âge ou les infirmités au point de ne plus
pouvoir suffire par lui-même aux nombreux devoirs de sa charge.
Dans plusieurs de ces localités, les gens ont demandé un prêtre
auxiliaire; le traitement a été fourni par les postulants eux-
mêmes: le gouvernement ne l'accordait pas. Or, l'une des
premières charges de ces prêtres auxiliaires était l'enseigne-
303 ANNALES CATHOLIQUES
inent fie la religion aux enfants catholiques dans les nombreuses
ècnles fifS pMioisses. Dans le principe, le gouverneraent ne fit
a»icuiie flifficnlté, et laissa passer la chose qui du reste était
parf.iitenient correcte.
M.iis lorsqu'il vit que les prêtres auxiliaires devenaient nom-
breux, il cheicha et trouva un prétexte pour mettre un terme
à leur activité. « L'enseignement de la religion catholique ne
peut être donné dans les écoles, dit-il, que par les seuls prêtres
qui sont en lègle pnr rapport à la loi portée, en 1875, sur l'édu-
cation du clergé. Or, les prêtres auxiliaires, continue-t-il, ne
se Sont pas conforuiés à cette prescription. »
Partant de ce principe, on défendit d'abord aux nouveaux
prêtres auxiliaires d'enseigner à l'avenir la religion catholique
dans les écoles.
De là, on alla pins loin : il y avait des pi'êtres auxiliaires qui
depuis longtemps déjà enseignaient la religion dans les écoles :
la faculté dont ils jouissaient leur fut retirée.
Enfin, le gouvernement crut devoir jeter le masque et montrer
ouvertement où il prétendait en venir. Voici comment il
pro-éda :
Un |)rêtre était occupé à donner son cours de religion pendant
l'heuie qui lui était assignée : l'inspecteur apparaît tout à coup
et met le prêtre à la por'e.
Dans une autre commune, on interdit au prêtre de se servir
du local des écoles pour donner l'instruction religieuse aux
enfants, même en dehors des heures de classe.
Enfin, voulant parler franchement, un autre inspecteur
défend même que le prêtre réunisse les enfants catholiques à
l'église ou à la sacristie, pour leur enseigner les principes de
celte religion dans laiiuelle les parents désirent les voir élevés.
Les tendances du gouvernement ne sauraient être un mystère
pour pei'sonne. Que poursuit-il donc? En enlevant l'enseignement
de la religion catholique à l'Eglise et à ses ministres pour le
reniettie entre les mains des laï'>s, il travaille uniquement au
triom[)he complet du protestantisme sur le catholicisme.
Peu lui impoite que pour arriver à cette fin, il foule aux
pieds les droits de l'Eglise, droits dont l'État avait cependant
juré le respect.
Peu lui importe de violer de la manière la plus tyrannique la
conscience de 250,000 catholiques, parents ou enfants ; peu lui
impoite de voir le prêtre catholique avili, blessé dans son
NÉCROLOGIE 307
honneur d'homme de bien et de savant : les aptitudes que le
gouvernement refuse de lui reconnaître, à lui qui s'est livré
pendant douze ans à des études sérieuses et réelles, il les re-
connaît à des instituteurs qui pour l'ordinaire n'ont mis que
trois ans, rarement quatre, pour se rendre capables d'enseigner
avec succès.
Peu lui importe de s'attirer la honte qui rejaillit de la contra-
diction reconnue et soutenue malgré cela : car, dans sa lettre à
l'administrateur du diocèse de Mayence, le ministre reconnaît
que « l'enseignement de la religion catholique est une fonction
ecclésiastique » et, d'autre part, il refuse de la lui laisser
exercer! Quelle inconséquence et en même temps quelle
tyrannie !
L'administrateur du diocèse de Mayence s'est adressé au
ministère pour faire cesser cet état de choses. Le ministre a cru
devoir lui répondre par un refus catégorique.
Vivement émus de la position faite à leurs coreligionnaires,
les six députés catholiques de la Chambre basse (car depuis la
mort de Mgr Ketteler, nous n'avons plus de défenseur à la
Chambre haute,) ont déposé un projet de loi tendant à l'abo-
lition du Kulturkampf en Hesse. Je ne sais ce que nous obtien-
drons. Mais dussions-nous même échouer, nos intérêts religieux
ne perdront absolument rien d'avoir été sérieusement discutés
devant les mandataires du Grand-Duc.
H. J. K.
NECROLOGIE
M. l'abbé Jules Corblet, chanoine honoraire d'Amiens, di-
recteur de la Revue de l'art chrétien, etc., vient de mourir à
Versailles, après quelques semaines seulement de maladie.
M. Corblet avait quitté le diocèse d'Amiens avec l'agrément
de Mgr Bataille, alors évêque de cette ville, pour travaillera
un ouvrage qu'il méditait depuis longtemps et qui nécessitait
de longues et incessantes recherches dans les bibliothèques de
la capitale. La presse religieuse a parlé de VHistoire dogma-
tique, liturgique et archéologique des Sacrements, ouvrage
d'une haute valeur, à en juger par les deux volumes parus sur
le Baptême et les éloges que l'auteur en a reçus.
308 ANNALES CATHOLIQUES
C'est en travaillant, pour ainsi dire, jour et nuit à ce monu-
i^ent, que l'abbé Corblet a contracté les germes de la œaladia
qui ncus l'a ravi. Le diocèse d'Amiens lui doit son Hagiographie^
ouvra2:e des plus remarquable et des plus complets en ce genre.
La mort de ce prêtre aussi modeste et vertueux qu'instruit est
une perte pour le clergé et pour les Sociétés savantes auxquelles
il appartenait.
M. l'abbé Corblet était chevalier de la Légion d'honneur,
officier d'académie, directeur de la Revue de l'art chrétien,
correspondant du ministère de l'instruction publique, etc.
On annonce la mort subite de Mgr Saturnin Fernandez de
Castro, archevêque de Burgos.
Mgr de Castro avait été préconisé évêque de Léon le 5 juillet
1875 et promu à l'archevêché de Burgos le 15 mars 1883.
L'art français vient de faire une perte douloureuse en la per-
sonne à' Eugène-Louis-Gabriel Isabey, mort le 26 avril, à l'âge
de quatre-vingt-deux ans.
Fils et élève de Jean-Baptiste Isabej — le célèbre peintre
miniaturiste français — il débuta fort jeune et dés l'âge de
vingt ans, exposa au Salon.
Travailleur infatigable, l'énumération de ses œuvres les plus
connues serait trop longue à publier. Le musée du Luxembourg
possède une de ses plus belles toiles, V embarquement de Ruy ter.
Il remporta toutes les médailles du Salon, fut nommé chevalier
de la Légion d'honneur en 1832 et promu officier le 22 janvier
1852.
Eugène Isabey est mort dans sa propriété de Lagny, où il
demeurait avec sa femme. Il soufl"rait de la goutte depuis long-
temps, et cette maladie, compliquée d'une fluxion de poitrine,
emporta le malheureux artiste.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Ftome et l'Italie.
Nous reproduisons, d'après le Correo, organe officieux de
M. Sagasta, le discours suivant adressé par le Saint-Père au
NOUVELLES RELIGIEUSES 309
nouvel ambassadeur d'Espagne, le jour de la présentation
solennelle des lettres de créance.
Monsieur l'ambassadeur, Nous recevons de vos mains
avec la plus vive satisfaction la lettre par laquelle S. l\î. la
reine-régente, votre auguste souveraine, vous accrédite en
qualité d'ambassadeur extraordinaire d'Espagne auprès du
Saint-Siège. Avec non moins de satisfaction. Nous ven^ms
d'entendre les nobles et affectueuses paroles par lesquelles
vous avez accompagné la présentation de vos lettres de
créance, et qui manifestent la reconnaissance de la î-eine-
régente et de son gouvernement pour ce que Nous avons fait
lors des deux événements récents de la mort prématurée du
roi Alphonse et du conflit qui avait surgi au sujet des îles
Carolines.
Nous Nous empressons de vous déclarer, en retour, que
Nous ne pouvions agir d'autre manière, car Nous aimons
grandement l'Espagne, cette nation qui Nous est si chère
par la fermeté de sa foi et par la constante affection que les
rois catholiques ont toujours professée envers ce Siège
apostolique. Aussi, Nous ne pouvions faire moins que de
prendre la plus vive part à l'affliction unanime que toute
la nation espagnole a ressentie sous le coup d'un deuil su-
prême, et, pareillement. Nous lui avons consacré nos bons
offices avec le plus ardent désir d'éviter le péril de la guerre
et de rétablir la paix entre deux puissantes nations.
Nous aimons à ajouter que la mission d'arbitre Nous a été
aussi très agréable en cette occasion parce qu'elle Nous a
permis, tout en sauvegardant la justice, de témoigner une
fois de plus Notre aS'ection pour l'Espagne et le vif intérêt
que Nous portons à sa prospérité et à sa gloire.
Nous avons été très heureux d'apprendre que l'Espagne,
jalouse de son titre de nation catholique et sûre désormais
de sa domination sur les îles Carolines, se préoccupe déjà
de la vraie civilisation et de la culture religieuse des habi-
tants de ces îles, et que, par son ordre, des missionnaires
franciscains sont déjà partis pour ces lointaines contrées,
afin d'y propager la lumière de l'Évangile. En agissant de
310 ANNALES CATHOLIQUES
la sorte, il en résultera immanquablement que les relations
amicales et cordiales qui ont toujours existé entre le Siège
apostolique et la nation espagnole seront étendues et con-
solidées.
Nous ne doutons pas, Monsieur l'ambassadeur, que votre
mission ne soit couronnée d'un heureux succès, car Nous
connaissons les mérites, les qualités qui vous distinguent et
que Nous avons pu déjà apprécier lorsque une autre fois,
à Notre pleine satisfaction, vous avez occupé la haute charge
d'ambassadeur d'Espagne auprès de ce Saint-Siège.
Le 28 avril, a eu lieu, au palais apostolique du Vatican,
l'imposition solennelle de la Toison d'or à S. E. le cardinal
Ludovic Jacobini, secrétaire-d'Etat de Sa Sainteté. Les insignes
de cet Ordre suprême, envojés par S. M. la Reine-Régente, en
témoignage de reconnaissance pour l'heureux résultat de la
médiation pontificale dans la question des îles Carolines, avaient
été apportés par le nouvel ambassadeur d'Espagne près le
Saint-Siège, S. Ex. M. Groizard y Gomez de la Serna, en
même temps que la lettre de Sa Majesté priant le Saint-
Père d'exercer en cette occasion les pouvoirs royaux qui, aux
termes des statuts de l'Ordre de la Toison d'or, reviendraient
aux souverains d'Espagne.
La cérémonie solennelle a eu lieu dans la salle du Consistoire
où, après du Trône pontifical, avaient pris place, LL. EEm.
Ledocbowski et Pecci, en leur qualité de cardinaux palatins,
ainsi que les EEmes d'Hohenlohe, Blanchi et Mertel, comme
ajant été revêtus de distinctions spéciales de la Couronne
d'Espagne. Etaient également présents LL. EEx. Mgr Mocenni,
substitut de la Secrétairerie d'Etat, Mgr Galimberti, pro-secrè-
taire de la Congrégation des Afi'aires ecclésiastiques extraordi-
naires, Mgr Dominique Jacobini, secrétaire de la Propagande;
Mgr Gretoni, secrétaire de la Propagande pour les afi'aires de
Rite oriental; Mgr Pallotti, auditeur de la Rév. Chambre
Apostolique; Mgr Delicati, etc. décorés des Ordres chevale-
resques d'Espagne. Enfin, on remarquait dans l'assistance l'am-
bassadrice d'Espagne Mme Groizard y Gomez de la Sarna, avec
ses enfants, ainsi que les familles de M. de la Barrera, premier
secrétaire de l'ambassade d'Espagne, et de l'Em. cardinal
NOUVEI.LES RELIGIEUSES 311
secrétaire d'État. L'élite de la colonie espagnole était égale-
ment représentée à cette cérémonie.
Le Souverain-Pontife, après avoir endossé la /"aZcZa et l'étole,
est entr-é, à 11 heures, dans la Salle du Consistoire, où il a été
précédé par les prélats et personnages de sa noble Cour et
accompagné de LL. EEra. le cardinal Ludovic Jacobini, et le
cardinal Simeoni, délégué pour remplir auprès de Son éminent
collègue les fonctions de parrain, ainsi que de S. Exe. l'am-
bassadeur d'Espagne.
Ayant pris place sur le trône, le Saint-Père a reçu l'hommage
du premier secrétaire de l'ambassade d'Espagne, qui lui a pré-
senté les lettres de S. M. la Reine-Régente, dont l'une est
adressée à S. S. Léon XIII, pour le prier d'accomplir la céré-
monie de l'imposition de la Toison d'or, et l'autre, au Cardinal-
Secrétaire d'Etat, pour lui offrir les insignes de cet Oidre
suprême. Sa Sainteté a passé ces lettres au préfet des cérémo-
nies pontificales, Mgr Catakii, lui ordonnant de les publier,
selon la formule : Publicentur.
Après cette publication, un maître des cérémonies a invité
Son Em. le cardinal Simeoni, en sa qualité de parrain, à
accompagner le cardinal élu, l'E"' Jacobini devant le trône
pontifical, où le premier secrétaire de l'ambassade d'E-pagne,
sur l'invitation du Saint-Père, a donné lecture du diplôme
roval conférant la Toison d'or au Cardinal-Secrétaire d'État.
En même temps, S. Exe. M. Groizard j Gomez de la Serna, à
genoux devant le trône, présentait à Sa Sainteté les insignes
do la Toison d'or. Alors, S. Em. le cardinal Jacobini a prononcé,
d'après la formule suivante, le serment d'usago :
Beatissime Pater, Ego Ludovicus S. R. E. presbyter cardinalis
Jacobini, si Sanctitati Vestrse placuerit, instanter, instantius, instan-
tissirae peto mihi tradi et consignari lasignia nobilissimte militiae
Aurei Velleris, quse mihi ex benignitate Sorenissimse Marite Chiistinae
Hispaaiarum Catholicse Reginse Regeotis concassa fuere, et spoodeo
régulas ac Statua prsedictse noblissintiEe militiœ juxta Constitutiones
Romaaorum Pontificum Decessorum Vestrorum, et juxta ea quae coa-
grueatia sunt Gardinalitice Digoitati me observaturum.
Le Souverain-Pontife a pris alors des mains de l'ambassadeur
d'Espagne les insignes de la Toison d'or et les a imposés, avec
l'assistance du cardinal-parrain, au cardinal secrétaire d'État.
Ensuite l'Eme L. Jacobini a baisé la main de Sa Sainteté et en a
23
312 ANNALES CATHOLIQUES
reçu l'accolade d'usage ; puis, s'êtant placé devant le trône, le
cardinal a prononcé le discours suivant :
La cérémonie solennelle et l'imposition de la Toison d'or, que
Votre Sainteté a daigné accomplir, remplit mon âme de la plus
respectueuse gratitude. Je suis profondément pénétré de l'insigne
faveur que S. M. Catholique la reine Marie-Christine Régente
d'Espagne m'a faite en m'agrégeant parmi les Chevaliers d'un Ordre
aussi illustre et élevé. Cet honneur m'est d'autant plus précieux
qu'il se rattache à l'heureux événement de la concorde et de la paix
que Vous, Très-Saint Père, par l'efficacité de vos conseils, avez
affermie heureusement entre deux très nobles nations, l'Espagne et
l'Allemagne. L'auguste reine, aimant à faire l'objet d'une bénignité
spéciale celui qui a l'honneur de servir de plus près Votre Sainteté,
a voulu lui témoigner de la sorte le haut prix qu'elle attache à la
médiation interposée par Votre Sainteté et qui est vraiment l'œuvre
de votre esprit et de votre cœur, œuvre dans laquelle la majesté du
pontificat romain a resplendi d'une nouvelle gloire.
Que Votre Sainteté daigne donc agréer l'hommage de mes plus
vives actions de grâce, et qu'EUe me permette de témoigner ici au
digne représentant de S. M. Catholique les sentiments de ma gratitude
et les vœux que je forme du fond de mon cœur pour la prospérité et
la gloire de l'auguste souveraine.
Daigne Votre Sainteté, réconforter par sa Bénédiction apostolique
la Sérénissime Marie-Christine reine régente, sa royale famille et la
généreuse nation espagnole si profondément catholique, dont l'his-
toire a enregistré dans des pages glorieuses les témoignages si
nombreux d'adhésion et d'attachement au Siège Apostolique.
Le Saint-Père a daigné répondre par le discours suivant :
La cérémonie qui vient d'être accomplie et par laquelle
ous venons de vous imposer, Monsieur le Cardinal, les
insignes de l'Ordre très noble de la Toison d'or, a été pour
Nous l'objet d'une satisfaction toute spéciale.
Nous sommes très heureux. Monsieur le cardinal, que
vous ayez reçu de la reine régente d'Espagne un témoignage
de si haute considération, tant à cause du grand honneur
qui en découle pour vous, que parce que cet honneur vous
ayant été conféré eu votre qualité de Notre Secrétaire
d'État, Nous offre une nouvelle preuve des relations cor-
diales et amicales et du dévouement profond qui unissent la
noble nation espagnole à ce Siège Apostolique.
Nous nous réjouissons aussi à la pensée que la distinction
NOUTELLES RELIGIEUSES 313
honorifique qui vous est accordée, est pour nous un précieux
souvenir de la médiation exercée dans la question des îles
Carolines : par cette médiation, secondant la tendance
propre au pontificat romain, il Nous a été donné d'éliminer
tout différend entre deux puissantes et illustres nations.
Aussi ne pouvons-Nous faire moins que d'accueillir et
même de faire Nôtres les vœux que vous, Monsieur le
Cardinal, vous venez d'exprimer pour la prospérité de la
Reine-Régente et pour la grandeur et la gloire du royaume
catholique d'Espagne.
C'est pourquoi, avec toute la ferveur de Notre âme. Nous
implorons sur ce royaume les grâces les plus insignes du
Ciel et Nous venons en donner le gage dans la bénédiction
apostolique que Nous accordons avec une aff'ection pater-
nelle, particulièrement à l'auguste Reine qui tient en main
les destinées de l'Espagne et à la Famille royale, et que
Nous étendons aussi à M. l'ambassadeur ici présent, son
digne représentant auprès de Nous, et à toute la nation
espagnole.
Après que le Saint-Père a prononcé la formule de la béné-
diction pontificale, Mgr le préfet des cérémonies a donné lecture
de l'acte authentique de l'imposition de la Toison d'or, en invi-
tant comme témoins LL. EExc. Mgr le majordome et Mgr le
maître de Chambre. Enfin, avant de quitter le Consistoire, le
Saint-Père, étant descendu du trône, a daigné donner sa main
à baiser à tous les assistants et, en premier lieu, à M™^ l'ambas-
sadrice, ainsi qu'aux personnages de la colonie espagnole.
Le Vaierland, de Lucerne, la Kœlnische Volkszeitung, de
Cologne, la ReichszeituriL/, de Bonn, la Post, de Stras-
bourg, etc., publient un texte identique d'un discours prononcé
par le Souverain Pontife, sur la situation politico-ecclésiastique
prussienne, à l'occasion de la réception d'une députation du
diocèse de Munster, venue pour faire une offrande au Denier de
Saint-Pierre. Cette députation se composait de deux prêtres,
de quatre députés de la fraction du centre, de magistrats et de
jeunes avocats. Les journaux, qui publient le texte, disent que
le caractère privé de la réception exclut tout compte-rendu
314 ANNALES CATHOLIQUES
proprement dit, mais que le Saint-Pére a prononcé eu langue
française, sinon textuellement, du moins en substance, le dis-
cours suivant :
Nous Nous réjouissons de vous voir autour de Nous.
Plusieurs d'entre vous auront à s'occuper prochainement
de la nouvelle loi politico-ecclésiastique. C'est un pas fait
dans la voie de la conciliation. Ou Nous a exprimé à ce
sujet les sentiments du gouvernement prussien, que Nous
croyons sincères, et Nous espérons obtenir avec le temps
une paix bonne et durable. Nous attachons une importance
toute particulière à la réouverture des séminaires, parce
qu'ils sont les vraies pépinières pour l'éducation du clergé
et la propagation de la foi. On Nous a demandé une transac-
tion avec le gouvernement au sujet de la personne même
des professeurs des séminaires ; mais il est absolument
nécessaire que les évêques aient le choix entièrement
libre des titulaires. La nomination régulière aux vacances
qui se sont produites ou pourront se produire dans les postes
du clergé formera dorénavant une digue contre les progrès
de l'irréligion et du mouvement socialiste.
Nous croyons que vous pouvez envisager avec confiance
l'avenir. Comptez aussi sur la sollicitude de ce Saint-Siège
apostolique. Sa Majesté votre empereur Nous a fait expri-
mer ses sentiments les plus bienveillants pour Notre per-
sonne et Nous a fait donner l'assurance de sa résolution
d'aller au-devant des désirs de ses sujets catholiques. Dès
les premiers jours de Notre pontificat. Nous avons cons-
tamment pensé à l'Allemagne et prié Dieu de lui rendre la
paix religieuse. Il Nous parait qu'il y a maintenant une
amélioration dans votre situation. Nous avons suivi avec le
plus grand soin la marche des aff'aires dans votre patrie, et
Nous avons fait pour elle tout ce qu'il Nous a été possible
de faire, selon Nos moyens. On ne peut pas tout obtenir à
la fois ; l'amélioration lente, mais progressive, est dans la
nature des choses humaines ; et puis dans votre patrie, où
l'unité de la foi n'existe plus, on est d'autant plus obligé de
chercher un accommodement, que l'on se trouve en face du
NOUVELLES RELIGIEUSES 315
protestantisme, qui, par sa nature même, est l'ennemi du
catholicisme.
Il est aussi essentiellement de l'intérêt de l'État que les
vacances des curés cessent et que l'influence du catholi-
cisme reprenne son cours; car les catholiques sont pré-
servés, par la fermeté de leurs principes, de tout contact
avec le socialisme, et l'Etat se trouvera également bien que
les catholiques puissent remplir leurs devoirs religieux.
Vous savez tous que vous avez des devoirs envers l'Église,
envers l'État et envers votre souverain. Nous aimons extrê-
mement l'Allemagne, et Nous prions tous les jours pour
elle, et Nous Nous réjouissons de la digne attitude du peuple
catholique allemand, qui s'est donné, dans sa représentation
nationale, des députés si excellents, dont le rôle a été si
méritoire au point de vue des intérêts catholiques, qui ont
montré tant de persévérance et d'abnégation ; c'est grâce,
en partie, à leurs efforts que l'Église jouit de nouveau d'une
liberté plus étendue. S'il y avait à supporter de nouvelles
luttes, vous seriez, certes, tous prêts à faire preuve du
même courage et de la même persévérance ; mais Nous ne
craignons pas cette éventualité, et c'est avec reconnaissance
envers Dieu que tous Nous devons accepter les amélio-
rations qui vont se produire.
Vous serez bientôt appelés à vous prononcer sur ce point.
Certaines réserves seront pourtant de circonstance, mais
Nous ne voulons point ici Nous ériger en juge; vous savez
ce dont a besoin l'Église, et les conseils de vos sages chefs
ne vous feront pas défaut.
Préparez à la nouvelle loi un accueil bienveillant et con-
ciliant, quoiqu'elle n'accorde pas à l'Église tout ce qu'elle a
le droit d'attendre.
Mgr Groethals, archevêque de Calcutta, est à Rome depuis
quelques jours, arrivant du Bengale. Son séjour dans la "Vil'e
Éternelle sera d'une couple de semaines. Sa Grandeur a déjà
rendu visite à plusieurs cardinaux attachés à la Propagande.
Il ne tardera pas à être reçu en audience particulière par Sa
Sainteté Léon XIII, qui s'intéresse vivement aux progrés du
316 ANNALES CATHOLIQUES
catholicisme dans l'Inde et à l'importante mission de la Compa-
gnie de Jésus qui a son siège à Calcutta.
On écrit de Rome à l' Univers :
Les négociations entre le Saint-Siège et la Chine se sont terminée
dimanche, et le Vatican a décidé d'envoyer un représentant officiel
anprès de la Cour de Pékin. L'envoyé du Saint-Siège portera proba-
tlement le titre de délégué apostolique; mais, à cause de l'impor-
tance de la charge, il aura le rang et les privilèges d'un nonce de
première classe, et la délégation de Pékin sera considérée comme
iiLL poste cardinalice, à l'égal des nonciatures de Paris, de Vienne,
de 'Madrid et de Lisbonne. On croit que Mgr Agliardi, le délégué
apostolique des Indes, qui vient de retourner en Italie pour y réta-
blir sa santé, sera le nouvel envoyé du Pape à Pékin. Encore une
prérogative glorieuse de la fille aînée de l'Église, le protectorat des
catholiques en Orient, qui va disparaître.
F'rance.
Le Comité de défense religieuse n'avait pas trop présumé des
dispositions des catholiques en les invitant à protester contre le
nouveau projet de loi sur l'enseignement primaire et à user de
leurs droits de citoyens pour en demander le rejet aux Chambres.
Le sentiment de réprobation qu'ont soulevé dans tout le pays
les mesures iniques et brutales édictées par ce projet a ménagé
partout le plus sympathique accueil à l'appel du Comité; les
feuilles de pétition qu'il avait adressées à ses correspondants
ont été rapidement distribuées et leur nombre n'a pas tardé à
se trouver insuffisant; aussi chaque jour de nouvelles et im-
portantes demandes lui sont-elles adressées.
Aujourd'hui, ces feuilles circulent dans tous les départements
et le Comité a reçu les informations les plus encourageantes sur
l'activité et le dévouement que déploient les catholiques de
tout rang et de toute condition dans 64 de ces départements et
en Algérie. Parmi ceux que ces premiers renseignements
signalent comme ayant déjà organisé le pétitionnement d'une
façon complète et pratique, nous devons nommer: l'Ardéche,
l'Aube, le Calvados, le Cantal, le Doubs, la Drôme, l'Eure, la
Haute-Garonne, l'Indre, le Jura, le Loir-et-Cher, la Loire,
la Haute-Loire, la Loire-Inférieure, le Maine-et-Loire, la
Mayenne, la Meurthe-et-Moselle, la Meuse, le Morbihan, le
NOUVELLES RELIGIEUSES 317
Nord, les Basses-Pyrénées, la Haute-Savoie, la Seine-et-Oise,
la Somme, le Tarn, le Tarn-et-Garonne, les Vosges et la Seine.
Paris. — On lit dans la Semaine religieuse :
Le Cardinal-Archevêque de Paris a été chargé par le Saint-Office
de notifier à M. Henri des Houx la condamnation dont son livre inti-
tulé : Souvenirs d'un journaliste français à Rome, avait été frappé
par la Sacrée-Congrégation de l'Index.. M. Henri des Houx s'est
soumis au jugement porté contre son livre et il a fait sa rétractation
dans une lettre adressée à Son Eminence le cardinal Monaco, se-
crétaire de la Suprême Congrégation de l'Inquisition. Le Saint-Pèi'e
a daigné agréer la rétractation et envoyer à M. Henri des Houx la
bénédiction apostolique, en chargeant Son Eminence le Cardinal-
Archevêque de Paris de faire publier cet acte, pour réparer le
scandale causé par la publication du livre condamné.
Nous donnons ici le texte même de la lettre écrite par M. Heniû
des Houx à Son Eminence le cardinal Monaco :
A S. Ein. Rme le cardinal Monaco de la Valetta, évcque suburbi-
caire d'Albano, grand pénitencier de S. Em. Rme, secrétaire de la
Sacrée-Congrégation de l'Inquisition romaine et universelle.
« Eminence Révérendissime,
« L'Éminentissime Gardinal-Arehevêque de Paris, suivant les
instructions transmises par Votre Eminence, m'a appelé à l'Arche-
vêché, m'a signifié la décision de la Sacrée-Congrégation de
l'Index relative à mon livre intitulé : Souvenirs d'un journaliste
français à Rome, et m'a fait connaître les graves obligations que
m'impose la Sacrée-Congrégation du Saint-Office, sous peine de
mesures plus sévères encore.
« Je vous déclare m'y soumettre absolument et sans réserve
d'aucune sorte. Fermement résolu à demeurer attaché d'esprit et
de cœur aux doctrines, aux enseignements et à l'autorité de
l'Eglise catholique, apostolique et romaine, dans laquelle je suis
né, veux vivre et mourir, j'entends rester obéissant et soumis à
toutes les volontés de son Chef infaillible, Notre Très-Saint Père le
Pape Léon XIII, ainsi qu'aux décisions des Sacrées Congrégations
romaines qui administrent, en son nom, le Saint-Siège et l'Église
universelle.
« Persuadé que l'unité, Tordre et la discipline dans l'Eglise consti-
tuent la première des nécessités sociales, j'incline volontiers mes opi-
nions et mes préférences personnelles, même dans les matières où
par erreur je les avais crues libres et permises, devant la décisiou
des Pasteurs à qui le Christ a remis la conduite de son troupeau.
318 ANNALES CATHOLIQUES
« C'est pourquoi les condaranalloQs; portées contre mou ouvrage par
les Congrégations de l'Index et du Saint-Office font loi absolue pour
ma conscience, et j'adhère pleinement aux défenses qui me sont
enjointes pour l'avenir.
« Donc, conformément aux ordres du Saint-Office :
a Je déplore le scandale que mon ouvrage a pu apporter aux ânnes
des fidèles et les dommages qu'elles en ont pu recevoir; je ferai tout
ce qui sera en mon pouvoir pour le réparer.
« Je prends l'engagement solennel, devant le Saint-Siège, de ne
pul)lier à l'avenir aucun écrit qui puisse apporter aucune affliction
au Souverain-Pontife, aucune atteinte au respect dii à la hiérarchie
sacrée, et causer le moindre scandale dans la communauté de mes
frères catholiques.
« En outre, je demande humblement pardon à Dieu des fautes que
le^ Pères de la Sacrée-Congrégation du Saint-Office ont souveraine-
ment décidé que j'avais commises, et au Souverain-Pontife, Notre
Saint- Père le Pape Léon XIII, des déplaisirs que mes écrits ont pu
lui appoiter.
« Je veux que la présente déclaration devienne désormais la loi de
ma vie.
« Je supiilie Votre Kminence de présenter cette lettre au Saint-
Père, comme un faible et imparfait témoignage de ma bonne volonté,
comme un gage suffisant de mes résolutions pour l'avenir, et d'im-
, ploi-er pour moi, de sa souveraine mansuétude, la bénédiction apos-
tolique.
« Kn ces sentiments, j'ai l'honneur de me dire, de Votre Eminence
Révérendissime, le très humble et très obéissant serviteur.
« Henri des Houx-Morimbeau. »
Paris, le 20 avril 1886.
Moulins. — La Gazette de France a reçu cette lettre, signée
du comte de Bourbon-Busset, qui raconte des faits analogues,
moins le sang versé, au drame de Chàteauvillain :
J'ai une vieille usine à trois kilomètres de Cusset, nommé les
Grivats; cette usine ne fonctionne plus.
Je l'ai mise à la disposition de M. le curé de Cusset, qui désirait
faire entendre la parole de Dieu, pendant le Carême, à ses parois-
siens éloignés. Il n'était venu à personne l'idée d'une infraction aux
lois. Le gouvernement ne l'a pas jugé ainsi.
Procès-verbal a été dressé contre M. le curé de Cusset et contra
moi - par le commissaire de police. Ce procès-verbal a été envoyé
â la préfecture, et M. le curé a été prévenu officiellement que
l'a-torité était saisie d'une plainte contre lui.
Ce n'est pas tout. Le zélé doyen de Cusset qui a une paroisse très
NOUVELLES RELIGIEUSES 319
étendue, a voulu aussi instruire chrétiennement lo petit village de
Chassigny, où M. Liouville lui avait prêté une grange pour réunir
ses paroissiens.
M. Liouville et moi sommes couchés sur le^raême procès-verbal,
m'a-t-il été dit par M. le curé, pour avoir prêté nos locaux à notre
bon doyen.
Je suis très heureux d'avoir été utile en quelque chose à l'Église,
je voudrais faire bien 'plus pour Dieu et pour la France.
Vous voyez, mon cher monsieur, quelle position est faite â nos
croyances, aux catholiques. On veut nous intimider. Mais pour bien
exprimer ma pensée, j'emprunterai la fîère devise des Rohan : leur
concussus resurgo : plus on me frappe, plus je me relève.
Et nous attendons l'autorité de pied ferme.
Comte de Bourbon-Busset.
A Busset (Allier).
Étranger.
Australie. — Les évêques d'Australie, réunis en concile
régional à Sydney, avaient adressé une Lettre collective aux
Etats-Unis. Mgr Gibbons, archevêque de Baltimore, vient d'y
répondre, au nom de tout l'épiscopat de la grande République
américaine, par la Lettre suivante, dont nous empruntons la
traduction au Moniteur de Rome :
Très illustres et vénérés Frères,
Votre message de salut fraternel a été reçu par l'épiscopat des
États-Unis non seulement avec le profond respect dû à ses véné-
rables auteurs, mais encore avec les sentiments de gratitude et d'admi-
ration qu'un si précieux document devait inspirer à vos frères en
Jésus-Christ.
Elle nous a été particulièrement agréable, l'assurance que vous
nous donnez qu'au milieu de vos pénibles et incessants labeurs, voi
compagnons et vos collègues des États-Unis ont une part dans vos
pensées et vos affections.
Votre noble adresse rappelle les lettres d'amour fraternel échangées
entre les chrétientés des premiers temps, et elle est une preuve
vivante de l'unité de foi qui relie les enfants de l'Eglise d'Australie
à leurs frères d'Amérique.
Quoique entre nous s'étende un vaste océan, nous avons une foi
commune et un héritage commun; quoique séparés par la distance,
nous appartenons au même corps mystique sous le même Chef
visible, puisant notre vie spirituelle à la même source, qui est le
Cœur divin de Jésus-Christ.
Grande est notre joie, vénérables Frères, d'apprendre les progrès
S20 ANNALES CATHOLIQUES
considérables que notre sainte religion a faits en Australie depuis
1885, alors que le premier vicaire apostolique mit le pied sur ces
rivages.
Le spectacle d'un cardinal-archevêque, d'un archevêque, de seize
évêques qui constituent votre hiérarchie actuelle, avec la perspec-
tive de voir s'augmenter le nombre des sièges suifragants et métro-
politains, est un témoignage évident du zèle et du succès qui ont
marqué vos labeurs apostoliques, en même temps qu'un gage assuré
de l'avenir glorieux qui vous est réservé. Il est aussi une preuve
éloquente de l'infatigable dévouement du clergé et des laïques, sans
la coopération desquels ces résultats n'auraient pu être obtenus.
Nous pouvons rappeler, avec un légitime orgueil, les contrées
immenses conquises par le catholicisme de langue anglaise pendant
ces trois derniers siècles. Au concile de Trente, il n'y avait que quatre
évêques parlant notre langue; au concile du Vatican, il y en avait
cent vingt qui ont pris part à ses délibérations. En ce moment, ils
sont au nombre de cent soixante, et nous pouvons prédire sans témé-
rité qu'avant la fin du siècle ils seront plus de deux cents. Ea outre,
les ouvrages de doctrine et de dévotion, si rares en Angleterre il y a
cinquante ans, se trouvent maintenant dans tous les foyers catholi-
ques. Notre belle langue, qui pendant trois siècles a servi par la
parole et la plume à répandre au dehors tant d'erreurs religieuses,
est devenue mainteuant, grâce à Dieu, le véhicule qui porte la foi
aux autres nations, et do même qu'elle est aujourd'hui le grand
moyen de communication pour le commerce, ainsi elle deviendra de
plus en plus le canal qui transmettra raix hommes les lîénédictions
et les consolations de l'Evangile.
Puissent l'Australie et l'Amérique continuer, dans une sainte ému-
lation, à étendre le royaume de Dieu ! Paissent les progrès de la vraie
foi s'allier partout avec ceux de la civilisation matérielle ! Ce sera
alors pour nous une joie et une consolation de penser aux luttes
héroïques et triomphantes de ces évêques-pionniers des deux pays
qui ont semé dans les larmes ce que nous récoltons dans la joie.
Ces progrès du catholicisme en Amérique et en Australie, nous les
devons dans une large mesure, après Dieu, à la liberté religieuse,
qui constitue un des plus nobles caractères de nos gouvernements
respectifs. Ces gouvernements étendent sur nous l'égide de leur pro-
tection, sans intrusion dans le sanctuaire, et en respectant nos pré-
rogatives spirituelles, ils nous mettent à même de remplir notro
sublime mission sans entraver notre liberté apostolique.
Permettez-nous, vénérables Frères, d'exprimer l'espoir que votrf^.
(.oncile plénier, terminé récemment, contribuera, par la grâce de
Dieu, à resserrer les liens de fraternité, à favoriser les progrès de la
aine discipline, à raviver la foi et à infuser une vie nouvelle dans
.outes les branches et toutes les fibres de la vigne du Seigneur plantée
^ana votre cher pays.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 321
Croyez-nous vos dévoués et affectionnés Frères en Jésus-Christ, au
nom de tous les Pères et en mon nom propre.
-j- James Gibbons,
archevêque de Baltimore.
Baltimore, fête de saint Grégoire le Grand, 1886.
Missions.
Perse. — Le Moniteur de Rome annonce que S. S. Léon XIII
a envoyé, avec une lettre de remerciement, le cordon de Pie IX
à deux princes de la maison royale de Perse, en reconnaissance
de la protection qu'ils accordent aux chrétiens.
Les catholiques, dit notre confrère, jouissent en Perse d'une
liberté et d'une tolérance qu'ils n'ont certes pas dans bien des
pays chrétiens. Le fils aîné du Schah, le prince Mahsoud, est si
bien disposé à leur égard et les protège si ouvertement que les
musulmans l'accusent d'hérésie et de favoritisme. Le prince
recherche la société des missionnaires catholiques, et il était
en relation d'étroite amitié avec l'ancien supérieur des Armé-
niens catholiques, le Père Arakélien. Le prince Mahsoud, doué
d'éminentes qualités, est appelé un jour à être « le régénérateur
de l'Asie centrale ». C'est le témoignage d'un missionnaire qui
l'a beaucoup connu.
Bien que les catholiques latins et orientaux aient à lutter
contre la propagande des missions protestantes, anglaises et
américaines, qui disposent de moyens pécuniaires considérables,
la situation de l'Eglise catholique en Perse est relativement
prospère. Elle y possède un délégué apostolique et trois stations.
Les missionnaires catholiques sont généralement aimés et res-
pectés par la population ; ils rencontrent même des sympathies
déclarées jusque dans la classe des nobles et des lettrés. A côté
du prince Mahsoud, il faut citer son médecin particulier, le
recteur de l'Université d'Ispahan. le général Baghi-Kan, le
directeur du journal le Forhang (la Sagesse), qui ne cache pas
son goiit pour le catholicisme et qui s'efforce d'établir un cou-
rant de sympathie entre les musulmans et les Arméniens catho-
liques.
La démarche que vient de faire Sa Sainteté Léon XIII ne
pourra certes que contribuer à entretenir et augmenter cette
sympathie avouée et déjà si répandue pour l'Eglise.
322 ANNALES CATHOLIQUES
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Élection législative de Paris. — Electioa sénatoriale de Vendée. — A
Saint-Jean d'Angély. — L'incident Lacascade. — Conseils généraux. —
A la Sorbonne. — Angleterre. — Allemagne.
6 mai 1886.
Par 146,018 voix contre 100,795 données « au condamné de
Villefranche », M. Gaulier a été élu dimanche député de Paris
en remplacement de M. Rochefort.
M. Gaulier Ta emporté sur M. Roche, mais les abstentions
l'ont emporté sur M. Gaulier; on en compte plus de 300,000.
Le nouvel élu de Paris ne représente pas la moitié des élec-
teurs, et ï Intransigeant , qui ne manque jamais d'imagination,
trouve que « le triomphe de la coalition opportuno-orZeawo-
radicale est maigre ». M. Rochefort attribue de plus le succès
de M. Gaulier aux conservateurs. Il faut dire que les journaux
qui soutenaient la candidature de ce dernier nous apprennent
de leur côté, que si le citoyen Roche a réuni cent mille voix,
c'est parce que beaucoup de « réactionnaires » ont voté pour
lui. On ne saurait nier que le résultat de l'élection laisse les
conservateurs indifférents, Gaulier ou Ernest Roche, Ernest
Roche ou Gaulier, c'est bonnet rouge ou rouge bonnet. M. Gau-
lier va entrer à la Chambre et M. Ernest Roche rentrera eu
prison o\\ il pourra donner à son ami Duc-Quercy des nouvelles
du « plein-air » parisien.
En Vendée le même jour avait lieu une élection sénatoriale.
En voici le résultat :
Inscrits : 855. — Votants : 853.
MM. De Béjarry, conservateur 465 Eiu
Daniel Lacombe, républicain 383
Il s'agissait de remplacer M. de Cornulier, sénateur conser-
vateur, décédé. M. de Cornulier avait été élu le 30 janvier 1870
le second sur trois, par 198 voix sur 366 votants. Le premier
candidat de la liste républicaine avait obtenu 146 voix. Au
renouvellement de janvier 1882, M. de Cornulier avait été
réélu premier de la liste conservatrice, par 200 voix ; le pre-
mier candidat de la liste républicaine avait obtenu 158 voix.
Depuis, est intervenue la loi du 9 décembre 1884, qui a aug-
menté, on le sait, dans une assez forte proportion le nombre
des électeurs sénatoriaux.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 323
La ville de Saint-Jean-d'Angély a inauguré un Hôtel de
ville. Cette cérémonie a été signalée par un discours de M. l'a-
miral Aube, ministre de la marine, qui était venu la présider,
et par l'ascension scientifique d'un ballon. Par l'ascension de
deux ballons, devrions-nous plutôt dire, car le discours minis-
tériel n'est, en réalité, qu'un ballon d'essai en vue d'une candi-
dature probable dans ces régions.
M. l'amiral Aube, qui appartient au ministère, qui a approuvé
le massacre de Ohàteauvillain, et qui, par conséquent, en a
accepté sa part de hideuse responsabilité, a parlé, nous ne
savons trop pourquoi, des martyrs protestants qui tombèrent
victimes de leur amonr pour la liberté de conscience et de celle
de prier, et a conclu en manifestant l'espoir qu'un jour tous les
citoyens confondront leur amour et leurs efforts dans un même
élan de reconnaissance pour la République.
Les martyrs protestants nous les connaissons. Si l'histoire ne
nous avait pas appris comment ils entendaient la liberté de
conscience et celle de prier, leurs petits-enfants que nous voyons
aujourd'hui alliés et serviteurs de la tyrannie républicaine
libre-penseuse, nous révéleraient les traditions qu'ils leur ont
léguées au sujet de cette liberté.
Quant à l'appel à l'union sous l'étendard républicain que fait
l'amiral, il nous porte à penser que nous n'avons devant nous,
avec ce soldat, qu'un inconscient qui ne comprend pas le gou-
vernement qu'il sert et ne saurait par conséquent en assumer
les responsabilités.
Nous avons une assez triste aventure en Nouvelle-Calédonie.
Là comme ailleurs, les ministres protestants font une rude
guerre à l'influence française. Tant qu'il n'est question que
d'influence, ça va bien; mais quand le missionnaire évangélique
emploie les fonds des sociétés bibliques à exciter la guerre,
nos gouverneurs sont vexés.
Or, dans une des îles Loyalty, qui dépendent de la Nouvelle-
Calédonie, le ministre protestant Jones était parvenu à ameu-
ter les Canaques contre nous : c'est le cas où nos fonctionnaires
cessent ordinairement de tout tolérer.
On voulait renverser le chef canaque ami de la France.
Le gouverneur, M. Le Boucher, résolut, pour rétablir l'ordre,
d'envoyer un détachement de 100 hommes ; mais, pour donner
324 ANNA.LRS CATHOLIQUES
plus de poids à l'expédition, il eut la raalencontreuse idée de
mettre à la tête le directeur de l'intérieur.
M. Lacascade avait reçu, outre les pleius pouvoirs du gouver-
neur, — dit VlndèiJendant de Nouméa, — des instructions qui
devaient renfermer son action dans certaines limites et. qui peu-
vent se résumer ainsi : 1° rétablir l'autorité de Haîsseline (le chef
canaque dévoué à la France) ; 2" consolider celle du pasteur Grug
(pasteur français) ; 3° agir avec fermeté à l'égard du R. Jones et
fermer le temple de Rô (qui était devenu le centre de résistance
du parti hostile à la France).
M. Lacascade, ajoute le XIX" Siècle, a si singulièrement rempli
son mandat, qu'il s'est placé sous la protection dudit Jones, qu'il
avait mission de rappeler au respect de la loi française, parcou-
rant les tribus sous l'égide du missionnaire protestant et les
haranguant par son organe.
Quant au temple de Rô, il avait absolument oublié de le fermer,
et quand il reçut du gouverneur l'ordre apporté par un officier du
Duchaffault, envoyé tout exprès à Mare, de réparer cet oubli, il
aurait répondu en propres termes à cet officier ; « Je refuse
d'obéir. »
A la suite de ce refus d'obéissance, le gouverneur de la
Nouvelle-Calédonie a pris un arrêté pour renvoyer Lacascade
en France expliquer sa conduite et, de suite, il l'a suspendu de
ses fonctions.
Lacascade arrive ; mais au lieu d'être châtié, l'étrange fonc-
tionnaire en revenant reçoit sa nomination de gouverneur de
Taïti.
C'est véritablement incroyable !
Les conseils généraux ont ouvert leurs séances. Peu d'inci-
dents à signaler. Dans l'Aisne, M. Sébline a été élu vice-prési-
dent. Dans le Loir-et-Cher, la séance n'a pu avoir lieu, le
député rouge Tassin et ses collègues refusant de siéger à côté
du préfet, M. Duilos, dont ils n'ont pu obtenir le changement.
Ce changement avait été promis aux trois députés radicaux de
Loir-et-Cher, en échange d'un vote qu'ils n'ont pas eu à émettre
et qui n'a pas reçu cette récompense.
Ils espèrent l'obtenir aujourd'hui par la grève, et comme il
y a une lâcheté à commettre, il est fort probable que le gouver
nement leur donnera gain de cause.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 325
La séance générale des Sociétés savantes a eu lieu comme
d'ordinaire, le samedi de Pâques, sons la présidence de M. Goblet.
M. Alexandre Bertrand, qui avait été nommé président du
congrès, a souhaité la bienvenue an ministre et donné un rapide
aperçu d'nn projet qui a été longuement développé par son
auteur, M. Monin.
Il s'agit de dresser le bilan de la France politique et écono-
mique avant 1879 et depuis i7S9. On fait appel au zèle et aux
lumières de tous les membres des sociétés savantes.
M. G-oblet approuve pleinement cette idée. « N'est-ce pas, a-
« t-il dit, le plus solide hommage à rendre à la Révolution que
« de faire chaque jour la lumière plus grande sur son œuvre?
« Dissiper les légendes, rétablir la vérité de l'histoire en la
« puisant aux sources, c'est-à-dire dans les écrits et dans les
« actes de la Révolution elle-même, c'est le meilleur moyen
« d'en célébrer dignement le centenaire. Vous nous y aiderez,
« Messieurs. »
Mais ce n'est pas sur cette partie du discours que nous vou-
lons insister en ce moment; nous laissons également de côté,
aujourd'hui, ce qui est dit des réformes projetées dans l'ensei-
gnement secondaire et ses programmes ; nous avons hâte d'ar-
river au passage le plus important, celui que M. Goblet a con-
sacré à l'apologie de la loi sur l'enseignement primaire qu'il
avait trouvée dans la succession de M. Ferry, qu'il a faite
sienne et dont il vient de célébrer, en vrai jacobin, les disposi-
tions jacobines. Il faut citer textuellement ses paroles :
Le caractère essentiel de cette loi, c'est qu'elle fait de l'ensei-
gnement public, au premier degré comme aux autres, un ensei-
gnement d'Etat.
Le principe est-il juste? Comment en douter, quand on veut bien
prendre la peine d'y réfléchir! Dans notre France démocratique,
égalitaire, gouvernée par le suffrage universel, plus noua devons
nous montrer soucieux d'étendre autant que possible les libertés
individuelles et les franchises locales, plus nous devons avoir à cœur
de fortifier aussi tout ce qui fait l'unité de la nation. Et la question
revient par conséquent à savoir quelle est à cet égard la fonction de
l'enseignement public.
Or, si l'indépendance des idées et la diversité des méthodes sont
une condition de vie pour l'enseignement supérieur, l'unité nous
apparaît, au contraire, comme la règle naturelle, sinon nécessaire,
de cette première instruction qui est commune â tous les citoyens.
L'enseignement élémentaire public ouvert à tous, imposé â ceux qui
326 ANNALES CATHOLIQUKS
ne peuvent se faire instruire ailleurs, ne doit-il pas être le même
pour tous, animé du même esprit, régi pat- les mêmes programmes,
donné par les mêmes maîtres?
L'Ktat qui est seul capable d'assumer la charge d'un tel service,
le premier des services [)ubl]C.s, peut-il, dans ses propres écoles,
donner un autre enseignement que celui qu'il juge conforme à ses
principes, peut-il le confier à d'autres maîtres qu'à ceux qu'il a
formés ft agréés ?
La loi ne fait pas autre chose. On dit qu'elle porte atteinte à la
liberté; et cependant non seulement elle assure à tous les maîtres
qui remplissent les conditions de moralité et de capacité nécessaires
le droit d'enseigner librement, mais elle n'oblige à fréquenter les
écoles de l'Etat que ceux qui n'en ont pas d'autres et ne peuvent
recevoir l'enseignement dans leur famille.
On dit qu'elle menace, qu'elle opprime les consciences, et cepen-
dant, jiour garantir les croyances contre toute atteinte, non seule-
ment elle protège la liberté de l'enseignement, elle respecte la liberté
des dogmes et des cultes, mais elle limite le rôle de l'État à l'ins-
truction proprement dite, et lui impose la plus stricte neutralité
dans tout ce qui défiasse ce domaine.
Messieurs, laissez-moi le dire en toute sincérité, comme je le
pense, ceux-là seuls peuvent contester la légitimité de la loi qui
se refusent à accepter l'indi'pendance de l'Etat et de la société civile.
Pour tout esprit libre et sincère, la loi est juste dans son principe.
Sans doute dans l'application les abus sont possibles; il en est ainsi
de toutes les œuvi'es humaines. C'est au contrôle de l'opinion publi-
que qu'il appartient de les prévenir, d'en avoir raison au besoin ; et
l'opinion parle assez librement et assez haut dans notre temps pour
rassurer toutes les consciences. Quant à ceux qui ne veulent être ni
rassurés, ni convaincus, ils ne sauraient nous détourner de notre devoir.
Voilà donc comment le libéralM. Goblet comprend la mission
de l'Etat et la liberté d'enseignement.
La pseudo-habileté diplomatique de M. de Fre^^cinet est en
train de subir, en Grèce, un échec qui restera célèbre non tant
à cause de l'homme depuis longtemps jugé, mais du pays quia
le malheur d'être représenté par lui.
Avant d'entrer en négociations avec les Grecs, il eiît été sage
de consulter les intéressés, c'est-à-dire l'Europe et l'Angleterre
en particulier ; avant de se faire le complice bénévole de l'orgueil
grec qui a mieux aimé se rendre à qui ne le lui demandait pas
qu'à ceux qui le lui demandaient, il eut été prudent de sonder
les l'epiésentants des Puissances. L'Europe n'a pas voulu se
prêter à cette niche enfantine et a fait quand même remettre
un ultimatum par ses représentants à Athènes au cabinet grec.
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 827
Voilà qui n'est pas fait pour noas relever aux yeux des nations
étrangères, car si l'Europe jjersiste et repousse notre médiation
devenue un fait accompli, il n'y a pas à dire, c'est l'iuimiliation
et une humiliation qu'il nous faudra dévorer en silence et sans
partage, car pour la Grèce, il y a peut-être la ruine pour elle
dans la soumission, mais aucune honte à coup sur.
Comment pourrait-elle résister?
Les libéraux dissidents anglais poursuivent avec une sorte
d'acharnement la campagne oratoire qu'ils ont entreprise contre
les projets irlandais de M. Gladstone.
Après avoir tenu des meetings de protestation dans les
grandes villes d'Ani;leterre, ils organisent maintenant des réu-
nions en Ecosse, et ils se font a|iplaudir par cdux-là même qui
étaient autrefois les plus ardents partisans de la politique du
premier ministre.
Si celui-ci se fut trouvé vendredi à Edimbourg, il aurait pu
constater le revirement d'opinion qui s'est produit depuis
quelques mois chez ses «fidèles» Ecossais. Parlant en cette
ville devant une assemblée très nomhr-euse et composée uni-
quement de libéraux, lord Hartington et M. Goschen se sont
élevés avec force contre les projets du home raie et du landbill
irlandais. Lord Hartington, entre autres choses, a déclaré
qu'aucun engagement n'obligeait le parti libéial à suivre en
Ldaiide la politique dangereuse préconisée par le chef du
cabinet.
Pendant que les libéraux modérés critiquaient les projets du
gouvernement à Edimbourg, M. John Morley était oc.cupé à les
défendre à Glascow. Le secrétaire pour l'Irlande approuve en
tous points les projets irlandais et il défie lord Hartington et
M. Goschen de proposer des réformes meilleures que celles que
veut faire adopter M. Gladstone pour l'île sœur.
Le clergé catholique d'Irlande est, lui aussi, satisfait des
projets du premier ministre, et il vient à ce sujet d'exprimer sa
reconnaissance à M. Gladstone. ]\Jgr Croke^ archevêque de
Cashell, a envoyé à M. Gladstone une adresse qu'il a fait signer
par la plupart des prêtres de son diocé<e. « Le clergé irlandais,
dit l'adresse, est profondément touché du courage héroïque et
du désintéressement dont M. Gladstone a fait, preuve dans l'éla-
boration des mesures qu'il a proposées pour donner un meilleur
24
328 ANNALES CATHOLIQUES
gouvernement à l'Irlande. Nous lui souhaitons du fond du
cœur les meilleurs dons que Dieu puisse accorder à l'homme et
nous le prions d'accepter l'expi-ession de notre plus profond
respect et de notre éternelle reconnaissance. »
L'allocution adressée par le Saint-Père à la Députation du
diocèse de Munster, a eu, en Allemagne, un très grand reten-
tissement. Elle caractérise on ne peut mieux la situation et
permet de se faire une idée exacte de l'état de la question
religieuse.
Pour Léon XIII comme pour tous les catholiques allemands, le
projet de loi déjà voté parla Chambre des Seigneurs, et qui est
en ce moment soumis à la discussion de la Chambre des députés
est un pas fait dans la voie de conciliation; mais ce n'est pas
encore la fin du Culturkampf. Comme nous le disions dernière-
ment, c'est l'aurore de la paix religieuse. Cette aurore sera-
t-elle suivie d'un beau jour? Il est permis de l'espérer, puisque
l'auguste chef de la chrétienté lui-même espère obtenir avec le
temps une paix bonne et durable et qu'il croit que l'on peut
envisager avec confiance l'avenir.
Ces paroles du Souverain Pontife viennent bien à leur heure
pour soutenir jusqu'au bout le courage dee fidèles catholiques
allemands. La presse est remplie d'avis si contradictoires, les
uns optimistes les autres pessimistes, qu'on ne sait plus à la fin
à quelle opinion s'arrêter. Les débats de la Chambre des
députés sur le projet religieux sont attendus avec impatience;
car on ne sait pas encore au juste quelle attitude vont prendre
les anciens amis du Culturkampf. Le rejet éventuel de la loi
serait une terrible désillusion! Au point oh les choses en sont
arrivées, nous ne pouvons croire cependant que cela soit
possible. Le centre et le gros des conservateurs qui A'otera
probablement pour la loi, suffiraient d'ailleurs à assurer une
majorité suffisante. Quand la loi sera sanctionnée par le roi et
insérée au Journal officiel, il y aura lieu, comme le dit la
Germania, de rechercher ce qu'il subsistera encore de l'édifice
du Culturkampf. En tous cas, il restera aux catholiques une
lourde tâche à accomplir et ce ne sera pas l'œuvre d'un jour.
« On ne peut, dit Léon XIII, tout obtenir à la fois : l'ame'lio-
ration lente mais progressive, est dans la nature des choses
humaines. »
PKTITE CHRONIQUE 329
L'admirable parti du centre comprendra la vérité de ces
profondes paroles; il puisera aussi de nouvelles forces et un©
vigueur nouvelle dans les éloges si mérités que le Vicaire de
Jésus-Christ vient de lui adresser.
Persévérance et abnégation, tel a toujours été la devise du
Centre et tel est aussi le secret de sa puissance et de ses succès.
P. S. — La discussion du nouveau projet de loi ecclésiastique
a commencé mardi au Landtag prussien. M. de Bismarck a
supplié les députés de déchirer les lois du Culturkampf, dont il
est un des principaux auteurs.
La loi sera sans doute votée en première lecture.
PETITE CHRONIQUE
A Decazeville, les ouvriers commencent enfin à trouver que les
délégués sont des farceurs, et on parle de paix.
Roche, le candidat de Paris, fier d'avoir amené cent mille vrais
socialistes à se compter sur son nom, se rend à Villefranche som-
mer la justice de lui rendre sa cellule ou, si elle refuse, d'élargir
Duc-Quercy.
— Le célèbre aliéniste Legrand du Saulle, médecin en chef de la
-Salpêtrière et de l'infirmerie du Dépôt, est mort subitement ce matin.
On sait quelle réputation méritée M. Legrand du Saulle avait
acquise dans sa carrière toute d'étude et de labeur.
Il laisse un grand nombre d'ouvrages appréciés et d'observations
mmutieuses, qui n'ont pas moins contribué que son immense pra-
tique à établir sa renommée exceptionnelle d'aliéniste.
— On annonce la mort de M. Blondel, ancien sénateur de l'Empire.
Il avait été successivement inspecteur géaéral des finances, direc-
teur général de l'administration des forêts et conseiller d'Etat ; il
était entré au Sénat de l'Empire en 1866, Il était commandeur de la
Légion d'honneur.
— En Amérique, à Chicago, une terrible émeute socialiste jette
des bombes de dynamite sur la police qui veut disperser un meeting;
trente-deux constables sont tués ou blessés. Il y a combat sanglant.
"Voilà l'idéal.
— En Birmanie, les Dacoïts brûlent à nouveau 4,000 maisons de
Mandalay. La garnison anglaise est impuissante. On envoie des
renforts.
330 ANNALES CATHOLIQUES
— Le Conseil de l'Université de Londres vient d'appeler à faire
partie de son comité annuel un simple Frère des Ecoles chrétiennes,
le Frère O'Reilly. Il est vrai que cet humble religieux est docteur
es-sciences et que son nom fait autorité dans le monde savant. Voilà
qui n'est pas mal pour un « ignorantin ».
— Voicî quelques-unes des bizarreries qui causent de si grands
embarras aux étrangers qui veulent se familiariser avec la langu-e
française.
Nous portions, les portions.
Les portions, les portions-nous ?
Les poules du couvent couvent.
Mes fils ont cassé mes fils.
Il est de l'Est.
Je vis ces vis.
Cet homme est fier; peut-on s'y fier ?
Nous éditions de belles éditions.
Nous relations ces relations intéressantes.
Nous acceptions ces diverses acceptions de mots.
Nous inspections les inspections elle-mêmes.
Nous exceptions ces exceptions.
Je suis content qu'ils content cette histoire.
Il convient qu'ils convient leurs amis.
Ils ont un caractère très violent : ils violent leurs promesses.
Ils expédient leurs lettres : c'est un bon expédient.
Nos intentions sont que nous intentions ce procès.
Ils négligent leurs devoirs; je suis moins négligent.
Nous objections beaucoup de choses contre vos objections.
Ils résident à Paris chez le résident d'une cour étrangère.
Les poissons affluent à un affluent.
VARIETE
Les libéraux et le Concordat.
M. Jules Simon a publié dans \e Matin un article sur le Con-
cordat où il y aurait bien des réserves à faire, tant sur les faits
que sur les appréciations. Mais ce n'est pas le moment, et nous
y pourrons revenir. Bornons-nous pour aujourd'hui h citer
cette conclusion :
En admettant, ce que je n'admets pas, qu'un peuple puisse être
heureux et policé sans un culte, peut-on envisager comme possible
et réalisable en notre pays l'élimination du culte catholique?
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIERE 331
Six années de persécution, la guillotine, les noyades, les massacres,
la déportation, la fermeture des églises, la proscription des emblème»
religieux et la suppression de tout subsi le n'ont pas suffi.
Faut-il établir dès à présent l'Église libre dans l'État libre?
Bonaparte, à son apogée, ne s'est pas jugé assez fort pour en
tenter l'expérience. Ajoutons que l'Etat libre qui recevrait dans son
sein l'Eglise libre est encore à constituer. Nous n'en avons ni les
lois ni les mœurs. Si nous avions l'Etat libre en force, il faudrait
rendre l'Église libre à l'instant. Mais à c'4a personne ne pense. Non,
personne! Ceux qui veulent l'Église séparée la veulent asservie.
Faut-il les suivre? Faut-îl transformer le Concordat en simple loi
de l'Etat, mais en loi oppressive qui mettrait le clergé et la religion
à la discrétion du pouvoir politique?
Ce serait marcher à reculons. Ce serait le commencement d'une
longue guerre, et d'une guerre contre le principe même de la répu-
blique. Les armes dont l'État dispose aujourd'hui ont été forgées de
la main de Bonaparte, qui s'y connaissait en autorité. Osera-t-on
dire que ce qui suffisait, en 1801, au premier consul Bonaparte, ne
peut plus suffire, en 1886, à M. le président de la République?
Jules Simon,
Il paraît bien qu'en effet cela ne peut plus suffire aux libé-
raux du jour, puisqu'en attendant de faire disparaître le Con-
cordat, ils le suppriment vii tuellçraent en le dénaturant, le
torturant et le violant tous les jours de mille manières.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
li'eniiirunt.
La loi autorisant une éinission de 900 millions de rentes 3 °/o a
été promulguée au Journal officiel, sous la date du 1" mai 1886.
Eu même temps, le Journal officiel a publié : 1° un décret fixant
le taux de l'emprunt; '2° un arrêté déteruiinant les conditions dans
lesquelles s'effectuera l'émission de rentes 3 % ; 3° un décret relatif
à la Caisse des dépôts et consignations.
Voici d'abord le décret fixant le taux de l'emprunt :
Article premier. — Le ministre des finances est autorisé à
procéder, par voie de souscription publique, à l'aliénation de la
332 ANNALES CATHOLIQUES
somme de rentes 3 % nécessaire pour produire un capital effectif
de 500 millions de francs, augmenté de la somme de 4 millions de
francs à laquelle a été fixé le maximum des dépenses matérielles
et de tous les frais quelconques de l'émission de rentes 3 % auto-
risée par la loi du 1"' mai 1886.
Art. 2. — Lesdites rentes 3 <>/o seront émises au taux de soixante-
dix-neuf francs quatre-vingts centimes (79 fr. 80) par trois francs
(3 fr.) de rente.
Voici maintenant l'arrêté fixant les conditions de l'émission :
Article premier. — Une souscription publique sera ouverte
le lundi 10 mai 1886 au matin, et close le soir même, pour la réa-
lisation d'une somme de 504 millions de francs en rentes 3 %•
Il ne sera admis aucune liste de souscriptions.
Art. 2. — Les souscriptions seront reçues :
1° A Paris et dans le département de la Seine :
A la Caisse centrale du Trésor, rue de Rivoli ;
A la Caisse des dépôts et consignations, quai d'Orsay, n" 3 ;
A la recette centrale de la Seine, place Vendôme, n° 16 ;
A la caisse de tous les receveurs-percepteurs de Paris ;
A la caisse des percepteurs des arrondissements de Saint-Denis
et de Sceaux qui auront été désignes par le ministre des finances ;
A la recette municipale de la Ville de Paris (à l'Hôtel-de-Ville) ;
Aux mairies des vingt arrondissements de Paris ;
2° Dans les autres départements, à l'exception de la Corse et
de l'Algérie ;
A la caisse des trésoriers-payeurs généraux et des receveurs
particuliers des finances ;
A la caisse des percepteurs qui auront été désignés par le ministre
des finances ;
3° En Corse et en Algérie :
A la caisse du trésorier-payeur général et des trésoriers-payeurs;
A la caisse des receveurs des finances et des payeurs particuliers
qui auront été désignés par le ministre des finances.
Les bureaux destinés à recevoir les souscriptions seront ouverts
de neuf heures du matin à quatre heures du soir, sans interruption.
Art. 3. — Les rentes sei'ont émises au prix de 79 fr. 80 par 3 fr.
de rente.
Jusqu'à la réalisation de ce prix, les versements porteront intérêt
dans les conditions déterminées par l'article 8 ci-après.
Art. 4. — Il ne sera pas admis de souscription inférieure à 3 fr.
de rente.
Au-dessus de cette somme, les souscriptions seront reçues
pour 10 fr. de rente et les multiples de 10 francs.
Toutefois, les souscriptions supérieures à 3,000 francs de rente
ne seront reçues que pour des multiples de 100 fr. de rente.
Les souscriptions devront être faites sans conditions, et le
ministre des finances restera seul juge de leur validité.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIERE 333
Art. 5. — Les souscripteurs seront tenus de garantir leur sous-
cription par le versement immédiat d'une somme de 15 fr. par 3 fr.
de rente.
Art. 6. — Les souscriptions seront constatées au moyen de la
délivrance d'un récipicé à talon, au porteur, visé au contrôle,
conformément à la loi du 24 avril 1833.
Seront seuls admis les versements en numéraire ou en billets de
la Banque de France, et en Algérie, en billets de la Banque de
l'Algérie.
Art. 1. — Le versement du prix des rentes attribuées sera
effectué comme il suit :
Le jour de la souscription 15 » par 5 fr. de rente.
Le le»- juillet 1886 21 60 —
Le 1" octobre 1886 21 60 —
Le 1" janvier 1887 2160 —
Total. 79 80 par 3 fr. de rente-
Art. 8. — Les intérêts courus sur les versements effectués
avant la libération complète des titres seront déduits des verse-
ments successivement exigibles.
Le montant desdits intérêts est fixé ainsi qu'il suit :
Au l»"" juillet 1886, 0 fr. 15 par 3 fr. de rente.
Au l^' octobre 1886, 0 fr. 30 par 3 fr. de rente.
Au l*^"" janvier 1887, 0 fr. 60 par 3 fr. de rente.
Art. 9. — Le versement des termes exigibles les l^"" juillet et
1er octobre 1886 et 1" janvier 1887 pourra être effectué dans un
délai de quinze jours, soit au plus tard les 15 juillet et 15 oc-
tobre 1886 et 15 janvier 1887.
En cas de relard, le débiteur sera passible de plein droit d'inté-
rêt envers le Trésor, à raison de 5 0/0 l'an, à courir de l'échéance
effective de chacun des termes, c'est-à-dire du 1"' juillet au l^'' oc-
tobre 1886 et l^"" janvier 1887 inclusivement.
En outre, le ministre pourra déclarer le porteur déchu de ses
droits et faire etïectuer, sans mise en demeure préalable, la vente
des rentes représentées par le certificat pour couvrir le Trésor des
sommes qui lui seraient dues.
Art. 10. — Si le montant des souscriptions dépasse la somme
de rente à aliéner, toutes les souscriptions, quel qu'en soit le
chiffre, seront soumises à une réduction proportionnelle.
Toutefois, le ministre des finances se réserve de statuer en ce
concerne les souscriptions qui se trouveraient réduites à 3 fr. ou
au-dessous de 3 fr. de rente.
Au-dessus de cette somme il ne sera atllribué en rente que 5 fr.
ou des multiples de 5 fr.; il ne sera plus tenu compte des fractions
qui donneraient droit à moins de 2 fr. 50 de rente ; les fractions de
2 fr. 50 et au-dessus seront comptées pour 5 fr. de rente.
Un avis inséré au Journal officiel fera connaître le résultat de la
souscription et la réduction s'il y a lieu.
334 ANNALES CATHOLIQUES
Art. H. — A parlir du jour qui sera indiqué par un avi«5 inséré
au Journal officiel, les réi-ipissés ])r()visoires de sousci-iption
seront échangés contre des eerlificaîs d'emprunt au porteur munis
de talons de versement et les excédents de versement seront
rembouisés aux souscripteurs.
Toutefois, pour les soùscriplions de 1,500 fr. de renie et au-
dessus, un remt)oursement partiel pouri'a èlre autorisé avant la
délivrance du certificat d'emprunt.
Art. 12. — Les souscripteurs auront, à dater du l»"" oc-
tobre 188G, la faculté de libérer par aniicipation les certificats
d'emprunt. Un arrêté ullérieui- déterminera les conditions de cette
libéralion.
Le ministre des finances se réserve d'ailleurs le droit d'autoriser
avant celte date, s'il y avait lieu, la libération anticipée des termes
de payement non échus.
Art. 13. — Aussitôt après leur libération intégrale, les certificats
d'eni[)runl seront échanges, au choix des parties, contre des ius-
criplions de rentes nominatives, mixtes ou au porteur.
Ces insci'iptions porteront jouissance courante.
Art. 14. — Les bons du Trésor, délivrés à l'échéance d'une
année au plus, seront i-emboursés le 10 mai 1886, sous déduction
d'un escompte de 2 0/0 l'an, aux porleui-s qui en feront la demande
pour affecter à la souscription les fonds à provenir de ce rem-
boursement.
Voici le décret relatif à la Caisse des dépôts et consignations :
Art. premier. — Est autorisée l'inscription an grand livre de
la dette publique, avec jouissance du l""" avril 1883, d'une somme
de 15,031,593 francs de rente, représentant, à raison de 79 fr. 80 c.
par '3 francs de rente, le ca[)ital de 400 millions dont la réalisation
est prévue par l'article premier de la loi du 1<^' mai 1886.
Ces rentes seront immatriculées savoir:
Jusqu'à concurrence de 13, loi, 894 francs, au compte: Caisse
des dépôts et consignations, fi)nd s provenant des caisses d'épargie ;
Jusqu'à concurrence de 1.879,699 francs au compte: Caisse des
dépôts et consignations, retraites pour la vieillesse.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. — Itnp. de l'Œuvre de Saint-['au4 G. Picquoin, 51, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
-^T-^Z^OC^-e^-
APPELS COMME D'ABUS
Le monde a reçu d'un jurisconsulte en situation de bien
connaître et d'apprécier les agissements du gouvernement
et de son Conseil d'Etat, en matière de poursuites pour
abus, l'important article qu'on va lire. Nous regrettons que
le défaut de place ne nous ait pas permis de l'insérer plus
tôt; mais, quoique les décisions examinées dans ce travail
aient été rendues depuis un certain temps déjà, les obser-
vations qui suivent n'ont rien perdu de leur intérêt, ni,
malheureusement, de leur actualité :
Dans un espace de temps très court, un mois environ, quatre
évêques ont été déférés devant le Conseil d'État et par lui
déclarés d'abus.
Il n'est pas d'exemple, croyons-nous, depuis six années,
d'appel comme d'abus proposé par le gouvernement qui ait été
l'objet d'une décision de rejet. Le Conseil d'État, sur ce point,
n'admet pas de discussion et ne connaît point de refus. Tout
membre du clergé cité devant lui est condamné par avance. On
ne lui demande pas s'il y a abus, mais on lui demande de dire
qu'il y a abus.
De cette complaisance aveugle résulte l'application de la
déclaration d'abus aux cas les plus bizarres et les plus étrangers
aux prévisions du légistateur.
Ce sont NN. SS. les évêques de Pamiers, de Grenoble, de
Séez et de Saint-Dié qui ont eu l'honneur d'être dernièrement
condamnés par les juges laïques du ministre des cultes.
Trois d'entre eux avaient écrit des lettres dans lesquelles il
était fait allusion aux entraves apportées aujourd'hui à la liberté
religieuse.
Quant à Mgr l'évêque de Saint-Dié, son crime était d'avoir
Lvi. — 16 MAI 1886. 25
336 ANNALES CATHOLIQUES
publié sans l'avis du gouvernement une encyclique du Sou-
verain-Pontife qui n'est pas faite pour plaire à nos gouvernants-
Laissant de côté cette dernière déclaration d'abus, nous
demandons la permission de revenir sur les trois autres.
Mgr l'évêque de Pamiers, ayant annoncé, dans une admirable
lettre pastorale au clergé et aux fidèles de son diocèse, que
trente-cinq de ses prêtres venaient d'être privés de traitement
par le gouvernement, ajoutait que ces prêtres continueraient à
desservir leurs paroisses tant que la misère ne les contraindrait
pas à se retirer; mais que, ce jour venu, les fidèles seraient
privés du service divin et des cérémonies religieuses. L'évêque
prêchait en même temps la soumission aux lois qui ne sont pas
contraires aux règles de l'Église, la résignation, la concorde, et
se bornait à signaler l'état précaire dans lequel la suppression
des traitements ecclésiastiques allait placer l'Église de Pamiers.
Que fait le Conseil d'État? Il décide que, conformément à la
thèse soutenue par Mgr l'évêque de Pamiers, on ne peut con-
traindre les desservants à continuer le service du culte, s'ils ne
consentent à le faire par charité ou si les fidèles ou les fabriques
ne subvienaorit ~as à leur entretien à défaut de l'État. Mais,
tout en approuvant la doctrine de l'évêque, il déclare contre lui
l'abus.
Le Journal des Débats, donnant le résumé de cette afi'aire,
s'exprimait en ces termes :
« Pour le ministre, on avait soutenu au sein du Conseil que
« les curés pouvaient être contraints à continuer le service du
« culte, mais cette solution n'a pas prévalu.
«K Finalement, la déclaration d'abus a été prononcée contre
« l'Evêque de Pamiers. »
Le commentaire n'est-il pas tout entier dans la contradiction
qui existe entre la décision et les motifs qui la précèdent?
Ce système d'avis contradictoires dans leurs termes pai^ait du
reste être passé à l'état de jurisprudence au Conseil d'État, en
matière ecclésiastique.
Pour ne pas faire croire à une honteuse ignorance ou à une
trop flagrante violation des textes, ce Conseil émet des avis en
désaccord formel avec les considérants qui les précédent ou
avec les textes qu'il vise.
Qu'on se reporte aux avis relatifs à la suppression des trai-
tements ecclésiastiques et à V alie'nation des menses épisco-
APPELS COMME d'aeUS 337
•pales, on verra qu'il est impossible de mieux dira au ministre :
en droit vous avez tort, mais en fait je vous donne raison.
L'appel comme d'abus contre Mgr l'évêque de Grenoble con-
stitue, lui aussi, une application bizarre de la loi de germinal
an X. Ce prélat, consulté par ses prêtres sur l'attitude à tenir
en présence des menaces contre le clergé contenues dans la
déclaration ministérielle du 16 janvier 1886, leur répond par
une circulaire renfermant des avis et des conseils tels qu'il con-
vient à un supérieur d'en donner à ses subordonnés.
M. Goblet, mis en susceptibilité par cette lettre, qu'il n'avait
pas à connaître, défère TEvêque contre le Conseil d'Etat. Seu-
lement, comme une circulaire d'un évêque à son clergé ne sau-
rait rentrer dans les cas d'abus prévus par l'article 6 de la loi
de germinal an X, il applique dans son rapport le procédé qui
lui réussit d'ordinaire à la tribune du Sénat : il affirme que la
lettre a été lue en chaire dans toutes les églises du diocèse de
Grenoble. L'article 6 devient applicable par cette supercherie.
En vain Mgr de Grenoble proteste-t-il contre ce mensonge :
on prend acte de sa déclaration, on en constate l'exactitude,
mais on déclare l'abus.
L'évêque de Séez avait écrit une lettre sur l'enseignement :
il est déclaré d'abus. Ici c'est le fait lui-même qui devrait être
hors de l'atteinte d'une déclaration d'abus, car s'il est un sujet
éminemment religieux, c'est la question de l'enseignement de
l'enfance.
On ne saurait trop protester contre les déclarations d'abus
dont le gouvernement se sert pour tracasser le clergé, et surtout
pour éloigner les populations du respect qu'inspirent la parole
ou les écrits du premier pasteur d'un diocèse.
Cette arme lâche de l'abus, qui combat par le blâme et con-
damne sans discussion, sans défense et sans publicité, est deve
nue l'arme de la dénonciation et de la calomnie.
Il semble à M. Goblet que les termes comminatoires des
décrets qui renferment déclaration d'abus, en témoignant de la
haine et du mépris que professent pour les membres du clergé
ceux qui nous gouvernent, peuvent discréditer jusqu'à un cer-
tain point les évêques aux yeux de leurs diocésains et les curés
aux yeux de leurs paroissiens.
En effet, dans les pays de foi droite et naïve, n'est-ce pas
quelque chose de faire lire au paysan que son évêque, dont la
personne lui est sacrée, est déclaré d'abus pour avoir troublé
338 ANNALES CATHOLIQUES
arbitrairement les consciences, compromis Vhonneur des
citoyens, commis des actes qui ont dégénéré en injure et en
scandale public ?
Ce sont là les termes des déclarations d'abus prononcées
contre tant d'évêques français, parce que ce sont les termes de
l'article 6 des fameux articles organiques.
On serait en droit de s'étonner des termes si vagues et si
imposants dont s'est servi le législateur de l'an X pour déter-
miner les cas d'abus; mais, d'une part, il faut se souvenir
qu'on cherchait à conserver les sanctions d'une législation
désormais sans objet pour les appliquer à un ordre nouveau et
tout différent de l'ancien. De plus, le législateur de l'an X ne
visait, par l'article 6, que le cas spécial d'un abus commis par
un ministre du culte dans V exercice même du culte, et il n'en-
tendait nullement soumettre à la critique et à la censure du
gouvernement tous les écrits, tous les actes, toutes les entre-
prises des évoques et des prêtres.
Ce recours pour abus, créé de toutes pièces par le législateur
de l'an X et qui n'a d'ancien que le nom ; cette arme, imaginée
traîtreusement, sans le concours de la cour de Rome, sans
l'assentiment du Souverain Pontife, même sagement appliquée,
a toujours été considérée comme une grave usurpation du gou-
vernement français.
Ne nous étonnons donc pas si l'appel comme d'abus a dégénéré
en tracasseries arbitraires, si les cas oh. il est appliqué sont
devenus sans limites, puisque son origine même est irrégulière
et contraire à la convention du Concordat.
Malheureusement pour les haines ministérielles, si l'abus
peut être indéfiniment étendu, il n'en est pas de même des con-
séquences qu'il entraîne.
L'article 8 de la loi du 18 germinal est très net sur ce point.
Il est dit que V affaire est définitivement terminée en la forme
administrative , ou renvoyée, selon l'exigence des cas, aux
autorités compétentes.
La déclaration d'abus constitue donc, aux yeux du législateur,
une sorte de décision disciplinaire, qui à tort ou à raison blâme
les ministres du culte à l'occasion de faits accomplis dans
Vexercice du culte, mais par suite les met à l'abri de toutes
autres poursuites.
Voilà pourquoi, si le fait incriminé présente les caractères
d'un délit ou d'un crime, l'abus ne doit pas être prononcé, mais
LA NOUVELLE LOI SCOLAIRE 339
l'aifaire doit être renvoyée par le Conseil d'Etat devant les
tribunaux de droit commun, à moins toutefois qu'on ne trouve
dans les circonstances de l'affaire une excuse suffisante résultant
de l'exercice même du culte, auquel cas la déclaration d'abus
peut encore arrêter les poursuites judiciaires. L'article 8 est
formel et ne distingue pas.
Telles sont les règles qui se dégagent de l'examen des arti-
cles 6 et 8 de la loi du 18 germinal an X.
Nous sommes loin aujourd'hui de leur application sincère et
juridique; d'autant plus loin que le Conseil d'Etat ne peut se
décider même à appliquer l'article 8 tel que nous venons de
l'expliquer.
Cet article disant que la déclaration d'abus met fin aux pour-
suites et que le renvoi devant les tribunaux exclut la déclara-
tion d'abus, il s'ensuit : d'une part, que si on ne déclare pas
l'abus et que les tribunaux acquittent le ministre du culte qui
fait l'objet des poursuites, il y a échec pour le gouvernement,
triomphe pour le clergé; mais, d'autre part, déclarer l'abus,
c'est fermer les tribunaux aux plaignants et faire échapper
quelque desservant à la possibilité d'une condamnation pénale.
En présence de cette alternative, la plupart du temps on
déclare l'abus avec l'espérance que la Cour de cassation finira
par se rendre aux vœux du gouvernement et par faire litière
des prescriptions de l'article 8 de la loi de l'an X, en autorisant
des poursuites même après une déclaration d'abus.
Jusqu'ici la Cour de cassation a persisté ; mais on compte
qu'elle finira par céder. Si cela arrivait, la déclaration d'abus
aurait pour effet non plus de soustraire, mais de désigner les
ministres du culte aux poursuites judiciaires; c'est ce qu'on
désire.
LA NOUVELLE LOI SCOLAIRE
Dans une récente Chronique, la Revue des Deux-Mondes apprécie
comme il suit la loi dont M. Goblet poursuit avec tant d'acharne-
ment l'application :
Qu'est-ce que cette loi dont la discussion se ravive sans cesse
à chaque délibération nouvelle et semble n'être jamais épuisée?
C'est certainement la plus audacieusement mainmise de l'Etat
340 ANNALES CATHOLIQUES
sur la jeunesse du pays par un enseignement officiel, né d'une
inspiration de parti ou de secte. Elle n'a rien de nouveau, si
l'on veut, elle n'est que la suite ou le complément d'une loi qui
a été votée il y a quelques années, et qui prétendait organiser
ce qu'on appelle l'instruction laïque avec des instituteurs laïques,
c'est-à-dire à l'exclusion de tout ce qui est congréganiste.
L'ancienne loi, cependant, laissait encore une certaine latitude ;
elle mettait des degrés et des tempéraments dans l'application
du principe. La loi nouvelle a précisément pour objet de ne plus
admettre aucun tempérament, d'organiser l'enseignement obli-
gatoire et laïque au nom de l'Etat, sans restriction^ sans con-
cession, sans tenir compte ni des sentiments des familles, ni
même de l'intervention des communes.
L'enseignement primaire, avec son esprit nouveau, avec ses
méthodes et son armée d'instituteurs laïques, c'est le plus
grand instrument de règne pour l'Etat républicain. M. le mi-
nistre de l'instruction publique ci-oit avoir tout dit et p?llié le
despotisme qu'il organise avec ce simple mot de neutralité des
écoles, qu'il répète sans cesse, qui joue un grand rôle dans la
discussion. Mais cette neutralité, comment l'entend-il lui-
même ? Il n'explique rien et ne pallie rien. Ce n'est pas sérieu-
sement, sans doute, qu'il accuse de pauvres maîtres d'école
portant l'habit religieux d'enseigner à leurs élèves que la vie
est une expiation et que le travail est une peine ! La vérité est
que l'on est pressé de chasser les congréganistes, parce qu'ils
sont congréganistes, qu'on tient à bannir toute influence reli-
gieuse des écoles, qu'on veut opposer le palais scolaire à l'église,
l'instituteur au curé, les manuels civiques et la morale indépen-
dante au simple catéchisme. Et c'est là ce qu'on appelle la neu-
tralité ! C'est la garantie offerte aux pères de famille à qui on
inflige l'obligation d'envoyer leurs enfants à l'école primaire.
De quoi se plaint-on ? La loi ne laisse-t-elle pas toute liberté
à l'enseignement privé si on ne veut pas de l'enseignement de
l'État? Oh ! sans doute, M. le ministre de l'instruction publique
est un grand libéral ; il a sa manière d'entendre la liberté aussi
bien que la neutralité. Que des républicains sérieux et éclairés
comme M. Bardoux, M. Barbey, M. Emile Labiche, présentent
des amendements qui n'ont, après tout, d'autre objet que d'adou-
cir une loi rigoureuse, de laisser tout au moins au gouverne-
ment la faculté de s'inspirer des sentiments locaux, de consulter
les municipalités, M. le ministre de l'instruction publique s'em-
LA. NOUVELLE LOI SCOLAIRE 341
porte : il comljat avec une sorte d'âpreté toutes ces propositions
comme autant d'attentats contre l'enseignement laïque, contre
l'État. Il refuse aux municipalités le droit d'avoir désormais
une opinion sur leurs écoles, sur ce qui conviendrait aux popu-
lations ; il leur reconnaît par exemple le droit de s'imposer et
de payer, si on les j oblige : tout le reste est de Tanarchie, il a
dit le mot.
Et c'est ainsi qu'en vrai libéral de la nouvelle école républi-
caine, il comprend la liberté des communes ! S'agit-il de l'ensei-
gnement privé, le système est complet. Non, sans doute, M. le
ministre de l'instruction publique ne le tue pas l'enseignement
privé, comme le lui a dit avec une spirituelle ironie M. Jules
Simon dans un éloquent discours, il ne tue pas : il le réduit
seulement à un état maladif où il aura de la chance s'il peut
vivre. D'abord l'instituteur privé aura d'assez grandes difficultés
pour s'établir; puis à peine établi, il sera pris par le service
militaire : il n'a plus l'exemption qu'on réserve aux instituteurs
publics.
S'il parvient à rester dans son école, il relèvera d'un conseil
départemental composé de fonctionnaires, où il sera représenté
par grâce, et pour plus de garantie, sans doute aussi par respect
pour l'égalité, ses délégués seront désignés par le ministre,
tandis que les instituteurs publics choisiront eux-mêmes leurs
représentants. Il restera naturellement aussi sous l'œil vigilant
de tous les inspecteurs possibles. Bref, moyennant qu'il se tire
de tout cela, qu'il échappe au service militaire, aux surveillances,
aux inspections, aux délations, aux juges administratifs, le
représentant de l'enseignement privé pourra vivre; il aura tout
juste les libertés dont parle Figaro. M. le ministre de l'instruc-
tion publique ne s'est pas douté qu'il réalisait dans la loi ce
plaisant idéal.
Voilà donc où l'on peut arriver quand on subit cette impla-
cable obsession de l'esprit de secte ! On dirait que ce ministre et
cette majorité, également impatients de précipiter les autres
dans la servitude, ont oublié toutes les traditions des libertés
françaises. Et si on fait observer à M. le ministre de l'instruc-
tion publique qu'il peut rencontrer des résistances, qu'il est
pourtant étrange de s'exposer, en pleine république, à voir des
instituteurs établis par la force malgré les populations, il aune
dernière réponse : C'est la loi, tout le monde doit respecter la
loi ! Comme si l'oppression cessait d'être l'oppression parce
342 ANNALES CATHOLIQUES
qu'elle prend un masque de légalité, ainsi que le lui a dit
M. Labiche dans un discours aussi vif que sensé. M. le ministre
de l'instruction publique a réussi sans doute ou paraît avoir
réussi. Il aura sa majorité, il a dans tous les cas le bruyant
cortège des radicaux, dont il a satisfait les passions. Et après
cela le gouvernement en a-t-il plus d'autorité et de force ?
La Revue des Deux-Mondes conclut ainsi :
Singulier gouvernement qui passe sa vie à froisser dans tous
leurs sentiments ceux dont l'appui lui serait le plus utile, et à
s'abaisser devant ceux qui ne sont occupés qu'à l'embarrasser
de leur alliance, à lui imposer leur fanatisme, à le désarmer
devant les agitations intérieures comme dans son rôle extérieur.
Et cependant, encore une fois, ce ne serait pas pour la France
le moment de mettre toute sa politique dans ces misérables jeux
de partis.
Mais il s'agit bien de la France pour nos sectaires, qui veulent
avant tout ruiner la foi chrétienne.
LA QUESTION OUVRIERE EN ALLEMAGNE
La reconstruction des corporations ouvrières est à l'ordre du
jour en Allemagne. On sait qu'elle est aussi réclamée par les
cercles ouvriers catholiques de France, dont M. de Mun est
l'infatigable promoteur et l'éloquent interprète. Un point
reste sujet à controverse : faut-il que l'entrée dans la corpora-
tion soit libre ou qu'elle soit rendue obligatoire? En Prusse,
pays de réglementation, où l'initiative est partie de l'Etat,
on penche vers l'obligation légale. Sans vouloir trancher la
question et tout en maintenant nos préférences pour un régime
qui sauvegarderait le principe de la liberté du travail, nous
reproduisons ici le principal passage d'un discours prononcé à
ce sujet devant une assemblée de gens de métiers, à Munster,
le 26 avril, par M. Schorlemer-Alst, un des principaux
membres du parti catholique au Reichstag :
La décadence des métiers date de l'époque où l'on supprima les
anciennes corporations, sans rien mettre à leur place, au lieu de
les reconstituer d'après les idées du temps. La décision de
LÀ QUESTION OUVRIERE EN ALLEMAGNE 343
l'Assemblée nationale française de l'an 1791 par laquelle elle
supprimait d'un trait les corporations, en prohibait à jamais le
rétablissement et favorisait ainsi, en détruisant l'esprit de corps'
l'isolement de l'individu dans la société, contient le principe d'après
lequel, sous le titre hypocrite de liberté économique, de soi-disant
libre concurrence, a été confectionnée la législation moderne
industrielle. La libre concurrence dont l'école de Manchester a
fait un idéal, n'est qu'un mensonge, puisqu'en fait elle conduit à
une lutte entre des forces tout à fait différentes, lutte dans laquelle
la défaite de la partie la plus faible est décidée d'avance.
Ainsi la concurrence entre le capital et le travail devait nécessai-
rement faire descendre ce dernier au rang de serviteur du premier.
Le capital privé de vie est devenu un facteur vivant et productif,
tandis que l'homme et sa vivante activité ont été mis au rang
d'instruments sans vie. Je ne suis pas l'ennemi du capital qui peut
certainement revendiquer une place légitime dans le monde écono-
mique, mais je suis l'ennemi de sa puissance exagérée au moyen
de laquelle il a réduit en une honteuse servitude les autres
facteurs de production, l'agriculture et les métiers, et au moyen
de laquelle il s'est soumis politiquement des nations tout entières.
Mais les métiers ont réagi fortement contre cette oppression et
ont obtenu déjà des résultats qui pour ne pas être encore suffisants,
sont cependant d'une certaine valeur.
A l'heure actuelle, ceux qui travaillent avec zèle â une réforme
ne passent plus comme autrefois pour de sombres réactionnaires.
Le mot Corporation a lui-même reconquis une bonne réputation.
La présence de hauts fonctionnaires du gouvernement dans
cette assemblée prouve que vous avez déjà fait beaucoup de chemin
dans la voie de l'établissement d'une meilleure situation. Mais
vous devez ne jamais perdre de vue votre but qui est la corpora-
tion obligatoire... Sous ce rapport, j'attire votre attention sur deux
points : d'abord, la corporation obligatoire ne pourra jamais se
passer de la protection et de la bienveillance du gouvernement ;
mais, en second lieu, elle doit se développer par ses propres
forces et sans aucune intervention bureaucratique pour pouvoir
être viable et durable...
L'Etat qui pour d'autres buts a toujours des millions à sa dispo-
sition, est tenu à mon avis de ne pas reculer devant les sacriflces
fmanciers pour aider à la solution de la question ouvrière. Une
réforme satisfaisante de la situation des travailleurs enlèvera au
socialisme un vaste champ d'agitation. Avant tout, il faut que le
mouvement ouvrier conserve toujours une base chrétienne et ne
poursuive pas seulement des buts matériels, mais qu'il ait aussi
un but moral. Ce n'est qu'avec les principes chrétiens que peut
devenir une vérité la maxime qui dit : a Tous pour chacun et chacun
pour tous ! »
344 ANNALES CATHOLIQUES
LA FRANCE JUIVE (1).
Qu'il se trame à cette heure dans le monde une vaste et for-
midable conspiration, qui, à l'insu de la presque totalité des
conjurés, ne tend à rien moins qu'à asseoir la domination du
Juif sur nos sociétés appauvries et déchristianisées par lui,
c'est ce dont l'observation la plus superficielle ne permet pas
de douter. Mais ce qu'il serait également difficile de nier, c'est
que tous les juifs. Dieu merci, ne trempent point dans cette
entreprise d'expropriation et d'asservissement des peuples
chrétiens par une race sans patrie, qui longtemps proscrite et
tenue, non sans raison, à l'écart de l'Europe chrétienne, s'est,
depuis un siècle, activement mêlée à sa vie, sans en adopter les
idées, les habitudes et les mœurs, sans rien perdre, en un mot,
de sa physionomie particulière, de ses préventions contre le
chrétien et de ses haines séculaires.
Nous connaissons des juifs religieux, charitables, tolérants,
dignes d'estime à tous égards, qui ne songent pas plus à persé-
cuter les chrétiens qu'à les exploiter. Il ne serait donc pas
équitable de les confondre avec cette société juive incroyante
et avide d'or et de plaisirs, dont le caractère essentiel est la
haine du christianisme et du chrétien, et qui, à cette heure,
semblerait presque avoir achevé la conquête du monde, grâce à
la triple et toute-puissante coalition de la finance, des sociétés
secrètes et de la presse.
Les esprits modérés eussent été tentés, peut-être, de nous
blâmer de ne pas faire cette réserve; mais après l'avoir faite,
avec la plus absolue sincérité, nous ne pouvons hésiter à
déclarer qu'il n'y a rien à reprendre aux conclusions du livre
terrible dans lequel M. Drumont, avec autant de verve que
d'esprit et d'énergie, vient de raconter et de stigmatiser cette
conquête juive destinée, si on n'y prend garde, à être aussi
fatale à la patrie française qu'aux croyances qui la firent, dans
le passé, si forte, si prospère et si glorieuse.
Il y a quelques années un vaillant prêtre de Bordeaux, un
ancien aumônier militaire, M. l'abbé Chavauty, se hasarda à
jeter le premier un cri d'alarme dans un livre intitulé : Les
(1) La France Juive, par Edouard Drumont, 2 vol. ia-18, Marpon
et Flammarion, éditeurs. En vente à la Librairie Marseillaise.
LA FRANCE JUIVE 345
Juifs nos maîtres. C'est en quelque sorte la justification de ce
titre, c'est la démonstration, par les faits, de cette vérité qu'il
faut crier sur les toits, que les juifs, à la lettre, tiennent la
France et la piétinent, qu'ils y régnent et gouvernent, la
rançonnant et la corrompant à plaisir, que M. Drumont a eu le
courage d'entreprendre, et jamais le danger que court le pays
ne fut plus vigoureusement dénoncé.
On a parlé, à ce propos, d'intolérance et de fanatisme. C'était
inévitable. Il y a longtemps, en effet, qu'on devrait savoir que
la liberté de conscience consiste, pour le juif ou le franc-maçon,
à opprimer impunément le chrétien; mais que le chrétien qui
ose se permettre de résister à l'oppression fait acte de fanatisme.
Mais, en vérité, à qui la faute s'il y a, en ce moment, en
Europe, une question juive; si en Allemagne, en Autriche, en
Russie, et plus près de nous, en Algérie, on a vu se former des
ligues antisémitiques à la grande joie de quiconque n'était pas
juif, quelles que fussent, d'ailleurs, en politique ou en religion,
ses opinions personnelles?
Il y a évidemment des raisons à ce soulèvement des peuples
européens contre les juifs. M. Drumont les déduit et les expose
avec beaucoup de sagacité et d'érudition. Il fait voir que les
juifs, aujourd'hui comme au moyen-âge, sont victimes de leur
propres fautes, de leur prodigieux entêtement, de leurs préjugés
indéracinables, de l'impossibilité radicale où ils sont de s'assi-
miler avec les peuples au milieu desquels ils vivent et dont ils
sucent la moelle. Il prouve que les juifs restent juifs en dépit
de tout; qu'ils forment, quand même et volontairement, une
race à part, en lutte ouverte avec le genre humain, haïssant
tous les peuples et se faisant haïr de tous.
Pendant que la haute banque accapare, par l'agiotage, la
fortune publique et force les pouvoirs à capituler devant ses
guichets, par la presse, dont ils commanditent les principaux
organes, les juifs régentent l'opinion, au besoin, la fabriquent
de toutes pièces, asservissant ainsi les esprits et corrompant
les cœurs. Les principaux meneurs de la campagne anticléri-
cale sont des juifs; juifs aussi les éditeurs de ces innombrables
publications pornographiques dont nos villes et nos campagnes
sont inondées et qui contribuent si puissamment à la déprava-
tion des masses. La franc-maçonnerie avec ses rites, son sym-
bolisme, ses traditions, est toute juive. La loge, pour le juif,
est essentiellement un moyen d'arriver, de dicter aux pouvoirs
346 ANNALES CATHOLIQUES
publics, d'imposer au pays des lois qui servent le juif et qui
concourent à modeler sur lui la société tout entière.
En lisant le livre de M. Drumont, on est véritablement effrayé
du nombre de juifs qui figurent dans le gouvernement, dans les
corps publics, dans les Chambres, dans l'administration, dans
la presse et, par lesquels d'imbéciles Français ont la naïveté de
se croire représentés, lorsque en réalité ils ne sont qu'exploités
et trahis.
Et, spectacle bien propre à affliger le croyant et le patriote,
et que M. Drumont flétrit avec une indignation qui soulagera
la conscience publique, pendant que la franc-maoonnerie et
la presse juive s'acharnent ainsi à détruire, au profit de la
synagogue, cette France faite par l'Église, une trop notable
portion de l'aristocratie française, aflamée de plaisirs et de
publicité, ne rougit pas de frayer avec ce prétendu grand monde
de financiers juifs, d'enrichis d'hier, dont la fortune, M. Dru-
mont le prouve, n'a que trop souvent les origines les plus sus-
pectes.
Dans cette promiscuité avilissante, la société française, qui
devrait donner l'exemple des fortes vertus, sans lesquelles
aucun peuple ne saurait vivre, en est arrivée à n'avoir même
plus le sens moral. La vraie notion de la vie s'est totalement
effacée de l'esprit de ces riches égoïstes et jouisseurs, et des
idées absolument juives, que demain le socialisme affamé
retournera victorieusement contre eux, se sont substituées aux
idées chrétiennes, qui faisaient la raison d'être de la vieille
aristocratie.
Il semble, en vérité, que le problème social tel que la Révolu-
tion le pose à la fin de ce siècle de bouleversements et d'avor-
tements, doive se résumer ainsi : La société sera-t-elle catho-
lique ou juive?
Les termes de ce dilemme ne paraîtront bizarres qu'aux
esprits légers qui, du fait visible, ne se sont jamais, par la
réflexion, élevés à l'idée qui le produit.
Le fondement des sociétés telles que le christianisme était
venu les établir, a été jusqu'ici le renoncement, l'esprit de
sacrifice. A cette doctrine sublime qui enseigne à l'homme qu'il
n'est sur la terre qu'un passant et lui promet des compensa-
tions, après les épreuves d'un voyage de quelques jours, le
socialisme, qui nie en bloc tout ce que l'Eglise affirme, est
venu opposer la doctrine de la jouissance avant tout, de la
LA. FRANCE JUIVE 347
satisfaction des sens, du paradis sur cette terre. Le plaisir est
selon lui, l'unique but de la vie humaine, et quiconque
l'attrape, comme disait Voltaire, a fait son salut.
Eh bien ! comment ne pas voir que le socialisme est essentiel-
lement une doctrine juive? Le matérialisme saducéen dont, à
cette heure, presque tous les juifs sont imbus et qui, niant
l'immortalité de l'âme, ne reconnaît pas de sainteté effective en
dehors de la possession de la richesse, n'est pas autre chose
que la coupable utopie dont on leurre présentement les misé-
rables. Ignore-t-on, d'ailleurs, que la plupart des docteurs du
socialisme, que ses principaux journalistes, ses meneurs les
plus audacieux et les plus actifs sont juifs^? Tout cela vraiment
ne veut-il rien dire ?
En venant jeter le désarroi au milieu de la bande juive qui,
tranquillement occupée comme jadis à nous spolier et à nous
asservir corps et âmes, n'imaginait pas, sans doute, qu'on pût
en ce siècle d'indifférence et de lâcheté, la venir troubler dans
sa besogne, M. Drumont aura, en outre, puissamment contribué
nous voulons l'espérer, à ouvrir les yeux à ces chrétiens qui
assistaient inertes et indifférents, sinon complices, à la ruine de
la patrie, à l'oppression de la foi des aïeux.
Il était temps que ces dupes de la juiverie cosmopolite com-
prissent enfin que tout est perdu s'ils ne secouent leur torpeur.
Il n'y a pas à espérer, en effet, qu'aucun sentiment de repen-
tir puisse jamais s'éveiller dans le cœur des mécréants qui
déchirent la France chrétienne, parce qu'ils ne lui sont
attachés par aucun lien, qu'ils ne sont pas soi^tis de son sein,
que ce sont, en un mot, des intrus et des ennemis, réfractaires
à tout ce qui est chrétien et français, et n'aspirant qu'à venger
sur la nation aimée du Christ une haine dix-neuf fois sécu-
laire (1).
>
Etienne Jouve.
(1) Extrait de l'excellent Citoyen de Marseille.
348 ANNALES CATHOLIQUES
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE
(Suite. — Voir le numéro précédent.)
II
Mais ce n'est pas seulement par un article de journal auquel
fait allusion M. Hermann Grimm, qu'a protesté le savant Gré-
gorovius. Il l'a fait encore et plus énergiquement dans une
lettre qu'on va lire.
Lettre ouverte au pre'sident de V Académie
des beaux-arts de San Luca, à Rome.
Très honoré loonsieur,
En lisant les feuilles de la presse étrangère, vous avez dii vous
apercevoir que l'on suit, au delà des Alpes, avec un intérêt de plus
en plus marqué, les progrès de la transformation actuelle de la ville
de Rome. Ne vous en étonnez pas, car Rome est encore aujourd'hui,
comme dans les temps lointains, en sa qualité de monument le plus
sublime de l'histoire, l'objet de la vénération de tout homme civilisé.
Aucun? nation pivilisée ne saurait être indifférente à la façon
dont on veut transmettre aux races futures ce grand sanctuaire du
genre humain. Ne vous étonnez donc pas que les Allemands s'y
intéressent tant, car nous aimons Rome d'une passion aussi ancienne
que légitime. Les relations séculaires de notre histoire et de notre
civilisation l'expliquent suffisamment. Je crois aussi que les Romains
et les Italiens feront quelque cas du jugement que des nations amies
peuvent porter sur la transformation moderne de Rome. Car de
toutes les métamorphoses subies depuis Auguste, celle que l'on
projette maintenant sera probablement la plus grande et imposera
son caractère pour des temps très longs.
La Papauté avait pris, pendant treize siècles, Rome sous sa pro-
tection; elle s'est acquittée de sa tâche avec un zèle digne des plus
grands Romains. Lorsque le pouvoir temporel s'éteignit, toute
l'Europe a cru que la protection de l'Italie unifiée était tout naturel-
lement acquise à la Ville éternelle; d'autre part, il a été déjà dit
que pas un peuple de la terre ne pouvait se vanter d'avoir une
capitale aussi sublime, mais qu'en même temps ce peuple encourait
vis-à-vis du monde civilisé la plus grande et la plus grave des
responsabilités !
Voilà quinze ans que les Italiens ont jugé nécessaire la rénovation
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE 349
de Rome capitale. Dans ce laps de temps beaucoup de choses ont été
changées, beaucoup d'autre» ont été créées et des dispositions pra-
tiques ont été pi'ises.
En réalité, les nouvelles constructions ont été généralement fort
peu goûtées. Quand je m'avise de dire aux personnes qui blâment
ce qui a été fait, que quinze années ne suffisent pas pour créer
quelque chose de digne de Rome, et qu'il faut attendre que se
lèvent des artistes capables d'engendrer des œuvres comme Bramante,
Michel- Ange, le Bernin, on m'objecte que les Athéniens ont mis à
peine cinq ans pour construire les Propylées, et encore moins pour
le Parthénon.
Sixte IV et Sixte-Quint ont, en peu d'années, doté Rome des plu»
nobles édifices, et aujourd'hui nous voyons à Berlin et à Vienne, en
fort peu de temps, élever les constructions les plus magnifiques.
Passons, car hélas ! il y a des reproches bien autrement graves à
faire contre la rénovation de Rome. C'est un fait acquis ; on démolit
bien trop pour ne pas fiévreusement reconstruire, et tous ceux qui
aiment Rome se révoltent à l'idée de voir disparaître le caractère
historique de la ville, sa beauté enchanteresse, la solitude majes-
tueuse dont tant de ses monuments ont été entourés. Le Colisée, le
Mont-Coelius, l'Aventin, les prés de Néron, le Vatican sont mainte-
nant entourés d'une fourmilière de rues monotones, garnies de
maisons de rapport les plus prosaïques.
La sincérité m'impose de ne pas contredire de pareils réquisitoires.
On m'objecte encore que les besoins de la population nouvelle
exigent de remplir les vides qui se trouvent encore en dedans de
l'enceinte aurélienne. Cette objection tombe d'elle-même quand on
pense que la prévoyance édilitaire des gouvernements précédents a
laissé assez d'espace dans la ville proprement dite. La Rome des
Césars avait une population que la capitale de l'Italie moderne
n'atteindra pas au bout de plusieurs siècles.
Et pourtant cette Rome césarienne était ornée de monuments
superbes, de temples, de colonnades, de thermes, de théâtres qui ne
gênaient en rien la grâce du paysage, celle des villas, des jardins,
comme nous le prouvent encore aujourd'hui le champ de Mars, le
Pincio, les Carènes, l'Esquilin, le Viminal, le Vatican, le Trans-
tévère.
Personne au delà des Alpes ne comprendra la nécessité de changer
les plus splendides villas en terrains à bâtir où se mouvra ensuite
une population courant après ses besoins matériels. La villa Ludo-
visi tombe sous la hache du démolisseur; c'était un parc de rois et
de sages, qui avait un caractère enchanteur, sublime. Horace,
Virgile, Marc-Aurèle, Dante auraient été ravis de pouvoir se pro-
mener à travers ses bosquets de lauriers, ses allées de cyprès.
C'était un parc d'une beauté idéale et classique, digne de renfermer
pendant deux siècles la fameuse statue de Junon.
350 ANNALES CATHOLIQUES
Chaque arbre, frappé par la hache du démolisseur, a dû pousser
un cri plus déchirant que celui de Pierre des Vignes, dont Dante a
entendu le cri plaintif :
Perche mi scerpi ?
Non hai tu spirto di pietate alcunof
Pourquoi me déchirer?
0 cruel! et ton cœur est-il donc de rocher?
Rien n'a autant froissé les sentiments publics en Allemagne que
ces dévastations. Ceux qui les ont ordonnées auraient dû, avant de
le faire, relire les paroles généreuses, adressées jadis par Bélisaire,
le grand défenseur de Rome, à Totila, roi des Goths, pour l'exhorter
à ne pas détruire la Ville éternelle. Il lui écrit de Portus :
« Fonder des villes, c'est servir la société, c'est s'immortaliser
soi-même; les détruire, c'est se déclarer l'ennemi des hommes et se
déshonorer à jamais. Tout l'univers s'accorde à reconnaître la ville
de Rome pour la plus grande et la plus magnifique qui soit au
monde. Aussi n'est-elle pas l'ouvrage d''un seul homme ni d'une
seule année ; une longue suite de rois, de consuls, d'empereurs
travaillent depuis plus de treize cents ans à l'embellir, et ces superbes
édifices qu'elle présente à vos yeux sont autant de monuments qui
consacrent leur mémoire. On ne peut y porter atteinte sans faire
tort aux siècles passés en effaçant les traces de leur gloire, et aux
siècles à venir en les privant de ce beau spectacle ! »
Je ne veux pas vous fatiguer des doléances auxquelles donne lieu
le triste sort des ruines de Rome ancienne, la perte de tant de
monuments du moyen âge; j'en ai déjà parlé dans une lettre anté-
rieure, et l'affaire a été jugée et par des étrangers et par des Romains
eux-mêmes.
Vous et tous les membres de l'Académie des Beaux-Arts, ses
amis et tous nos confrères vous ne sauriez, sans la douleur la plus
profonde, dire adieu au tableau enchanteur de Rome d'autrefois, qui
a été l'admiration de tant de générations humaines.
Tout homme civilisé est navré de voir disparaître pour toujours de
leur cadre historique et de leur entourage merveilleux les monuments
et ruines de Rome, et chacun pleure sur l'aspect actuel du Forum et
de son voisin, le mont Palatin. Tout le monde se lamente de la dispa-
rition des monuments du moyen âge, tels que la tour Orsini de
YAnguillara, des sacrifices exigés par la correction du Tibre !
Quel aspect lamentable que l'île du Tibre, où le superbe couvent
de Saint-Barihélemy a été si tristement déparé par la construction
d'une morgue ! Le monde entier aies plus vives appréhensions au sujet
du sort du Capitole, le plus sublime monument de l'univers, en com-
pagnie de l'Acropolis d'Athènes. Malgré l'avis du conseil municipal,
malgré la protestation de l'académie des Beaux-Arts, on a adopté le
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUK 551
projet qui donne à la forme tant de fois séculaire du Capitole uno
transformation aussi moderne que possible. On a commencé la
démolition du couvent d'Ara-Cœli et de la tour de Paul III. C'est
ainsi qu'on fera disparaître cette puissante construction qui, comme
une arx des anciens, dominait la ville et le Capitole, construction à
laquelle s'attachaient les traditions des merveilles romaines du
palais d'Octave, et c'est ainsi que se tranchera tôt ou tard le sort
de la basilique maintenant isolée d'Ara-Cœli, au moyen âge l'église
du Sénat romain.
N'a-t-on pas le droit de se demander si l'on obéissait en réalité à
une nécessité inéluctable, en procédant à des destructions aussi
violentes? Tout le monde stupéfait se pose cette question au delà des
Alpes.
Le but de ma lettre est rempli. Je tenais essentiellement à vous
faire savoir combien dans ma patrie l'opinion publique est en proie
aux doutes et aux appréhensions de voir que cette réformation
actuelle de la Ville éternelle peut devenir tout autre chose qu'une
nouvelle renaissance, qui aurait été saluée par tous les peuples
civilisés. Je me suis adressé à vous parce que vous êtes le digne
président d'une célèbre corporation qui garde dans Rome les tradi-
tions des grands maîtres et le palladium de la beauté artistique.
Vous rectifierez mes assertions, s'il y en a d'erronées, mais vous
excuserez aussi ma manifestation, car elle m'est dictée par ma
vénération et mon amour pour Rome, que je ressens d'autant plus
que je suis, quoique le plus humble de tous, un fils adoptif de VAlma
mater Rama.
Je suis, avec la plus profonde, considération, votre très dévoué
collègue de l'Académie de Saint-Luc.
Fernand Gregorovius.
Munich, 17 mars 1886.
La lettre de Gregorovius fait le tour de toute la presse
universelle. Mais elle ne fait aucune inapression sur les bar-
bares qui tiennent leurs assises au Quirinal et au Capitole.
Totila répondit à Bélisaire qu'il le remerciait de ses avis et
qu'il y aurait égard, A Gregorovius, on répondra en hâtant les
démolitions entreprises de tous les côtés. Les temps des bar-
bares sont revenus. Complétons maintenant les documents de
ce gi'ave débat.
(.4 suivre.)
352 ANNALES CATHOLIQUES
LE CHANT DU PEUPLE
DANS LES ÉGLISES (1)
« Nous irons, mesdemoiselles, à Notre-Dame de Rancoudray.
Je vous adresserai une exhortation à lE'vangile, et vous, vous
chanterez quelques cantiques. — Impossible, monsieur l'abbé. —
Comment? vous êtes une pléiade de musiciennes distinguées et
vous savez certainement plusieurs cantiques à la Vierge. —
Impossible, trois fois impossible ; nous n'avons pas le temps de
nous préparer, et d'ailleurs il n'y a pas d'orgue dans cette
chapelle ; on ne chante pas sans accompagnement devant un
public. » (Ce public se composait des mères, qui se proposaient
d'accompagner leurs filles.) Et voilà comment un groupe de
très pieuses musiciennes fit un pèlerinage muet et s'en revint
sans avoir chanté seulement un Monstra te esse matrem !
On s'étonne que les offices divins ne soient plus fréquentés.
Le clergé s'en afflige non sans raison. Le dimanche trop souvent
ne se distingue plus des autres jours que par une basse messe
entendue à la hâte et trop souvent avec beaucoup de tiédeur.
Un dimanche qui, dans la distribution de ses heures, fait à Dieu
la part du pauvre^ ne peut réparer efficacement les infidélités
de la semaine qui s'achève et donner le cœur qu'il faut pour
bien remplir les devoirs de la semaine qui commence. Ce
dimanche laïcisé, ou peu s'en faut, aura-t-il une place pour la
fréquentation des sacrements, faute de laquelle la vie chrétienne
s'éteint ?
Les exigences de l'existence contemporaine, je les connais et
j'y compatis. Quand la semaine a été extrêmement occupée,
quand un long, dur et fastidieux labeur l'a remplie, chaque
dimanche, la détente, le délassement, la promenade sont néces-
saires et doivent être autorisés. Qui ne se réjouirait de voir, le
dimanche, l'ouvrier et sa famille parcourir les sentiers fleuris
en habits de fête ! Pauvres gens ! n'est-il pas juste qu'ils aient
une fois par semaine le loisir de respirer ? Le jour du Père qui
est dans les cieux doit être un jour de consolation et de conten-
tement pour ses enfants sur la terre.
Aussi les interminables offices ne sont plus de saison. En
(1) Extrait de V Univers.
LE CHANT DU PEUPLE 353
quelques pays, de vieilles traditions les maintiennent encore ;
mais qu'arrive-t-il ? Sauf en certaines solennités, la population
les déserte, et quand c'est aux champs, dans des paroisses où
cette grand'messe de deux longues heures est la seule messe, la
désertion se fait dans la maison de Dieu et l'abrutissement d'une
population commence.
Mais entre une simple messe basse une fois tous les sept jours
et d'interminables offices, il est un sage milieu.
L'assistance aux offices, à des offices de longueur raisonnable,
peut et doit d'ailleurs être elle-même, au moins pour la plupart
des assistants, non seulement un moyen de sanctification, mais
l'un des éléments de délassement et de contentement du jour
béni.
Les offices doivent donc être attrayants.
Pour qu'ils le soient, le clergé n'épargne p^s ses peines. Que
n'a-t-il pas fait depuis le commencement de ce siècle, pour la
restauration, la construction, l'ornementation des églises? Il
faut que ces beaux édifices aient une voix. Ils l'ont. La plus mo-
deste église de campagne est pourvue d'un harmonium ; les
églises des villes out de puissantes orgues. Mais l'instrument
inanimé ne suffit pas; dans les églises, quand les foules y sont
réunies, il faut la voix humaine. On y abuse parfois de l'ins-
trument qui, surtout entre les mains d'un maestro inexpérimenté
ou mondain, dissipe ou ennuie. La voix humaine demeure,
malgré ses imperfections, le plus expressif de tous les instru-
ments, le seul dont les masses ne se fatiguent pas.
Mais voici le malheur de l'heure présente. Dans un très grand
nombre de nos églises, la voix humaine pèche par défaut, ou
par excès. Par défaut au village. Les hommes de bon vouloir et
de foi, ayant le goût du plain-chant et fiers de l'exécuter aussi
bien que possible, deviennent de plus en plus rares dans nos
campagnes ; un pauvre curé en est réduit à se contenter de ce
qu'il trouve, comme nombre et comme valeur : nombre insuffi-
sant, un seul chantre parfois; valeur plus insuffisante encore.
Dans les paroisses des grandes villes auxquelles leur budget
permet ce luxe, un chœur nombreux exécute de la musique
savante, parfois religieuse, parfois émaillée de réminiscences
des plus profanes; on y entend des éclats de voix et l'on
y assiste aux victoires remportées sur la « difficulté », comme
au théâtre.
En certaines occasions solennelles, de majestueuses affiches
354 ANNALES CATHOLIQUES
apprennent aux fidèles qu'ils pourront à la messe ou au salut
entendre la diva, le ténor ou le baryton en vogue chanter un
motet ou même un morceau de leur répertoire, adapté à la
conjoncture. Mais la foule reste silencieuse. Cela est extrême-
ment fâcheux, et il est bien facile de s'en convaincre.
A un office mal chanté, les fidèles s'endorment. Ils font de
leur mieux, sans j bien réussir, pour s'isoler de cette caco-
phonie ; les plus courageux tâchent de lire dans leurs livres de
prières comme dans un wagon on lit le journal en s'eflforçant de
ne pas entendre la conversation bruyante et insipide de fâcheux
compagnons de voyage. Les autres, sans livre, dans une posture
médiocrement respectueuse, le regard errant, attendent, en
songeant à tout excepté à l'office, la fin de la cérémonie comme
on attend dans une gare le signal du départ. Ils sont venus par
ordre ou ils ont voulu remplir consciencieusement un acte de
pénitence pour obéir à l'Eglise et pour donner un exemple qui
ne sera guère suivi.
Aux offices chantés en très grande pompe, selon les règles
les plus compliquées de l'art musical, beaucoup de gens, peu
musiciens, s'ennuieront tout autant ou à peu près, qu'à l'audi-
tion du plain-chant martyrisé bruyamment par des chantres de
village. Les autres se lasseront d'entendre de la très savante
musique à l'église, comme on se lasse de faire chaque jour le
tour des lacs au bois de Boulogne, comme on se lasse d'en-
tendre de l'excellente musique au théâtre.
Soit au point de vue de l'attrait, soit au point de vue des résul-
tats, il manque quelque chose d'essentiel aux offices du dimanche
et à tout office de l'Eglise, quand le chant y est constamment
réservé à quelques-uns au lieu d'être sur les lèvres de tous.
Les offices ne sont pas la religion, mais ils en sont la mani-
festation et la sauvegarde. La fréquentation des offices, c'est
la prière en commun, la prière catholique et patriotique, la
meilleure des prières. La fréquentation des offices, c'est le
succès de l'enseignement chrétien assuré. Les fidèles qui
suivent les offices écoutent la prédication avec des dispositions
qui en assurent le succès; les éclectiques qui se bornent à venir
écouter un «s orateur de la chaire » n'apportent trop souvent
qu'une disposition de curiosité qui pousse « l'orateur de la
chaire » à de regrettables innovations, voire à des dissertations
qu'on n'ose plus commencer au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. La fréquentation des offices, c'est la fréquentation
LE CHANT DU PEUPLE 355
de l'Eucharistie, à laquelle ne songent même pas les catho-
liques accoutumés à la messe basse pour tout office.
Pour que les offices soient fréquentés, il faut que, dans la
plus large mesure, tous les assistants, en y. prenant part, s'y
intéressent. De là, la très grande utilité pour les fidèles de la
connaissance de la liturgie. Les beaux travaux de dom Gué-
ranger sur cette matière viennent d'être repris par sa famille
religieuse; que Dieu en soit béni! Mais je m'arrête à un .«eul
point. Pendant les offices, les assistants doivent chanter. Les
chantres ne sont que solistes et les chefs d'attaque du chœur :
le chœur, c'est le peuple chrétien tout entier.
Deux sortes de chants sont pratiquement en usage dans nos
églises : le chant liturgique, dans l'immuable langue de l'Église ;
le chant des cantiques, en langue vulgaire. Le chant liturgique
est seul usité dans les offices, les cantiques peuvent le précéder
ou le suivre; ils sont d'un usage fréquent dans les pieuses
réunions qui n'ont pas le caractère d'offices proprement dits,
catéchismes, mois de Marie, réunions de confréries et autres.
Il importe de faire à chacune de ces formes du chant chrétien
la place qui lui convient : le premier est essentiel, le second
est accessoire; tous deux sont d'une grande utilité.
Faut-il répondre au reproche plus d'une fois adressé aux
chants liturgiques? Comment le peuple prendra-t-il goût à
chanter des paroles dont il ignore le sens? — Le peuple
chrétien n'ignore pas le sens des chants liturgiques. Il le
connaît d'une manière très suffisante pour que sa foi soit mise
en éveil et sa piété ranimée. N'a-t-il pas sous les yeux la
traduction de toutes ses prières? Ne sait-il pas qu'il demande
miséricorde quand il chante le Kyrie; qu'il glorifie le Vjrbe
fait chair quand il chante le Gloria; qu'il affirme sa foi quand
il chante le Credo; qu'il adore Jésus-Christ présent dans
l'Eucharistie quand il chante le Tanturn ergo; qu'il s'unit à
Marie pour remercier le Seigneur quand il chante le Magni-
ficat; qu'il se met sous la garde de la Vierge-Mère quand il
chante Ave maris Stella; qu'il intercède pour les pauvres
trépassés quand il chante le De profundis? Précisément parce
que la prière est une aspiration vers l'infini, la prière répugne
généralement aux formules positives qui conviennent à l'ensei-
gnement; elle se plaît au demi-jour, et le sentiment général
des paroles dans lesquelles, pour devenir une prière commune,
elle a du se condenser, lui suffit.
356 ANNALES CATHOLIQUES
C'était pendant cette triste guerre de 1870. J'avais réuni
dans la maison de Dieu de jeunes soldats qui devaient aller le
lendemain à la bataille. J'entonnai le Magnificat. On le chanta
avec un enthousiasme qui prouvait bien que cette prière latine
n'était pas pour ces enfants du village ou de l'atelier une
langue indéchiffrable. Quand ce fut fait, l'un d'eux me dit :
Encore une fois le Magnificat !
Encore une fois le cri de confiance du chrétien à sa mère,
avant d'aller présenter sa poitrine aux balles ennemies ! Nous
avions pourtant des cantiques, beaux, patriotiques, très goûtés
des soldats. A la veille de la bataille, ils voulaient bisser le
Magnificat !
Et quand, à Notre-Dame, le jour de Pâques, les milliers
d'hommes qui ont pris part au divin banquet et portent le
Ressuscité dans leur poitrine entonnent ensemble le C7'edo,
ceux-là mêmes qui n'ont pas étudié la langue latine savent
ce qu'ils font; leur regard brillant de foi et d'espérance en
témoigne assez.
La liturgie se compose de deux patries distinctes, l'une est
variable et ne peut dés lors être chantée que par les personnes
exercées au plain-chant, puisqu'elle s'exécute généralement
sans préparation préalable, grâce à sa simplicité auguste. Sauf
exception, les introïts, graduels et antiennes seront exécutés
par les chantres seuls.
L'autre part se compose des prières qui reviennent dans
tous les offices, que chacun arrive à savoir ou à peu près,, et
qui notées sur des airs faciles, peu nombreux sinon toujours
les mêmes, doivent être chantées par le peuple tout entier. On
se lasse des plus belles messes en musique, peu de gens se
soucient de les entendre jusqu'à trois fois ; elles perdent les
neuf dixièmes de leurs charmes en perdant l'attrait de la nou-
veauté, bien plus encore de leur action sur l'âme chrétienne, si
cette action s'est fait sentir. De la messe de Dumont, on ne se
lasse jamais. Elle sera toujours goûtée et toujours solennelle.
Ainsi en est-il du Tantum ergo sur l'air liturgique ordinaire
du Pange, lingua.
Non seulement on aime toujours ces ineffables mélodies,
mais on aimerait à unir sa voix aux voix qui les chantent.
L'homme naît chanteur, comme il naît parleur. Mais il ne naît
pas virtuose; c'est pourquoi, pour qu'un chant devienne popu-
laire, il est indispensable qu'il soit d'une exécution facile. C'est
LE CHANT DU PEUPLE 357
précisément la condition des morceaux de plain-chant les plus
usuels. Et quand ils sont cliantés à l'unisson par des masses de
voix, les fausses notes se perdent dans l'ensemble. La mesure
laisserait davantage à désirer, mais il arrive très heureusement
que la mesure n'a pas dans le plain-cliant l'importance qu'elle
a dans la musique profane.
Donc, les chrétiens qui assistent aux offices sont prédisposés
à sortir d'un mutisme contre nature : néanmoins ils ne le font
guère, sinon dans quelque chapelle isolée et pas trop éclairée,
ou dans quelque réunion intime, et encore à demi-voix, comme
s'ils craignaient d'être entendus de Dieu qui les écoute; d'oii
cela vient-il ?
Cela vient, disait à Lille, au congrès catholique de 1880,
M. l'abbé Lebeau, d'un manque de foi sans doute. On peut dire,
hélas! que cette cause n'est déjà que trop fréquente, mais ce
n'est pas la seule.
Il y a surtout cette lourde chaîne qui pèse sur les âmes
faibles, connaissant leur devoir, mais n'osant l'accomplir, sa-
chant et leur état et le besoin de prier l'Auteur de tout bien,
mais craignant le regard ou le sourire d'un voisin sans foi ou
plus hardi pour le mal, c'est-à-dire plus lâche au bien : j'ai
nommé le respect humain.
Au dépérissement de la foi dans les âmes il faut opposer le
cri fortement senti d'une foi vive.
A la crainte de se montrer suppliant devant le Créateur, il
faut opposer hardiment ces larges harmonies de la grande voix
du peuple s'élevant à Dieu dans un élan unanime.
Un seul Dieu, un seul cœur, une seule voix ! Les fidèles,
dans la maison de la prière, ne sont pas des spectateurs. Le
prêtre chante, et si le clergé n'était pas trop nombreux et
trop accablé de travail, les chantres laïques ne devraient
pas pénétrer dans le sanctuaire. Le sacrifice du prêtre est
aussi le sacrifice des fidèles : « Priez, mes frères, afin que ce
sacrifice, qui est mien et qui est vôtre, soit agréable au Dieu
tout-puissant. »
Le chant entonné par le prêtre doit être poursuivi par toute
l'assemblée sainte.
Ecoutons un illustre maître, Félix Clément. C'est un laïque
qui parle à des laïques :
« Dieu a donné à l'homme un goût tout particulier pour le
chant collectif, et il y a attaché une influence bien plus
358 ANNALES CATHOLIQUES
salutaire et bien plus propre à agir sur l'âme que ce plaisir un
peu égoïste et isolé que ressent un musicien à l'audition d'un
beau morceau de musique. Ce chant collectif constitue de plus
une communauté de prières et de louanges, et comme nous
sommes tous membres d'un même corps en qualité de chré-
tiens, nous j trouvons un avant-goùt du chant^ encore plus
parfait, que nous devons entendre (et exécuter) dans le
royaume des cieux. »
Si nous envisageons le chant collectif comme une commu-
nauté de prières et de louanges, ses avantages sont manifestes
et sa puissance est grande aux yeux de Dieu.
Ce chant inspire à chacun de nous un sentiment plus vif de
fraternité chrétienne, car il exprime l'union de tous les membres
d'un même corps et de toutes les voix en une seule. S'agit-il
ici d'une de ces entreprises dont les immenses difficultés
peuvent déconcerter les plus fermes courages ?
Qu'un chrétien, qu'une chrétienne de bonne volonté s'en-
tendent avec quelques autres fidèles pour donner le signal et
l'exemple; qu'assuré d'être soutenu le pasteur encourage ses
paroissiens à revenir aux bonnes coutumes des aïeux, qu'on
n'ait pas peur d'une plaisanterie et qu'on persévère : la paroisse
entière suivra.
On prêchait une mission dans la banlieue de Paris, région
des moins mystiques. La châtelaine, qui en suivait assidûment
les exercices et aimait à chanter, s'avisa d'aller s'asseoir au
milieu des petites filles de l'école et de chanter avec elles. Elle
y conquit aussitôt une popularité que la construction d'une
école et d'autres bienfaits importants n'avaient pas obtenue.
« La comt3sse n'est pas fière, disaient les laboureurs, elle
chante avec nos enfants. » La cause du château chrétien fut
gagnée ce jour-là, et la cause de Dieu le fut en même temps.
Francs catholiques, chantons à l'église; la cause des offices
sera gagnée et celle des âmes avec elle.
Arrivons aux cantiques. Ils firent la joie de nos aïeux,
témoin ces vieux noëls qui donnaient tant de charme à la
célébration annuelle de la naissance du Dieu sauveur. Avant
même cette bienheureuse naissance de l'Emmanuel, le peuple
de Dieu se plaisait aux cantiques. Les psaumes de David
étaient des cantiques en langue nationale, et les musiciens
officiels du temple n'étaient pas seuls à les chanter.
Mais quels cantiques faut-il préférer? Car chaque jour en
LE CHANT DU PEUPLE 359
voit éclore. Il existe trois espèces de cantiques : les anciens,
qui ont reçu la consécration du temps, qu'on sait partout,
qu'anime un souffle de foi profond, et dont la forme naïve
couvre les enseignements les plus substantiels du christia-
nisme :
Esprit-Saint, descendez en nous! — Venez divin Messie!
— Travaillez à voire salut! — Quand l'eau sainte du
baptême! — Le monde en vain par ses biens et ses charmes!
— Reviens, pe'cheur, à ion Dieu qui t'appelle, etc.
Ces cantiques-là, il faut les garder, comme on garde dans
une maison les vieux fauteuils dans lesquels se sont assis les
grands-parents; il faut les garder comme on garde les monu-
ments bâtis par les ancêtres, sans retouches et sans ornementa-
tion de fantaisie. Ils sont le patrimoine commun des fidèles
des divers diocèses, comme un cri de ralliement entre tous les
catholiques d'un même pays. Ils rappellent les souvenirs des
jeunes années, de la première communion; ils rattachent le
passé à l'avenir. Leur simplicité les met à la portée de tous, et
merveilleusement ils unissent les voix et les coeurs.
Le culte des vieux cantiques doit-il aller jusqu'à bannir en
bloc les cantiques modernes? Un triage doit être opéré. Nous
en savons qui sont devenus justement populaires : De Marie
qu'on publie et la gloire et les grandeurs, — Aimons la voix
du Seigneur, — Je suis chrétien, voilà ma gloire, — Sauvez
Rome et la France, et bien d'autres. Nous en savons d'exquis :
le dialogue de l'ange et du chrétien sur l'Eucharistie, ce
chef-d'œuvre de Mgr de la Bouillerie, Ils ne sont plus ces jours
de larmes, du P. Hermann, etc., etc.
Mais nous demandons aux cantiques modernes deux choses :
la première, qu'ils soient des compositions véritablement reli-
gieuses, et non pas un vain cliquetis de mots sonores : verdure
et nature, cœurs et fleurs, amours et toujours.
Le cantique est le jeune frère de l'hymme liturgique. Il est
destiné à être chanté, sinon dans les offices sacrés, du moins
dans le saint lieu. S'il se confond avec la romance de Clapisson,
si l'on n'y trouve qu'une vague religiosité, il est mauvais. La
poésie de bon aloi n'y gâte rien; nous voudrions même l'y
trouver toujours. Mais un chant religieux, un chant qui est
une prière, doit avant tout être fortement chrétien.
J'aime mieux la prose rimée de tel de nos cantiques popu-
laires^ que les rimes riches et les délicates images d'un cantique
360 ANNALES CATHOLIQUES
qui ne dit rien à l'âme chrétienne, et ressemble en son genre
à ces mères portant un poupon qu'on vend chez les marchands
de tableaux sous la rubrique de Vierge-mère. Il est à remarquer
d'ailleurs, et ceux qui composent pour le théâtre le savent fort
bien, que les conditions de la poésie destinée à être chantée diffè-
rent notablement de celles d'une pièce qui doit être lue. Le sen-
timent j joue un rôle beaucoup plus important que l'image. Le
but qu'on se propose, c'est d'émouvoir; une composition trop
savante j ferait parfois obstacle. Sans doute le sentiment doit
avoir lui-même pour point d'appui une pensée, et dans le
cantique, cette pensée doit être puisée aux sources les plus
pures de l'enseignement chrétien; mais l'ornementation de cette
pensée joue un rôle secondaire dans le cantique.
Donc, les cantiques qui doivent être préférés sont ceux qui
parlent au cœur un langage chrétien et ont pour objet le déve-
loppement d'un sentiment chrétien. A ce dernier point de vue,
les cantiques à refrain sont de beaucoup préférables aux autres.
La foule arrive aisément n savoir par cœur le refrain, et alors
elle chante !
Elle chante ! C'est là, hélas ! ce qui agace les nerfs des vir-
tuoses. On disait un jour à un groupe de jeunes filles qui, à la
tribune de l'orgue, exécutaient magistralement les cantiques du
P. Hermann : « Pourquoi ne chantez-vous plus ce cantique qui
est si beau et que tout le monde entend avec tant de bonheur ?
— C'est impossible maintenant. — Et pourquoi ? — Tout le
inonde chante le refrain. » — Vojez-vous d'ici ces bonnes créa-
tures, fort courroucées de ce qu'elles auraient dû, avec un
gramme d'humilité sous le crâne, considérer comme le plus
désirable succès ?
Qu'un chœur de chanteuses, qui s'est soigneusement pré-
paré à chanter dans une occasion solennelle des morceaux aussi
difficiles que charmants, soit agacé quand du milieu de l'assem-
blée une voix d'une justesse douteuse leur apporte un concours
qu'elles ne demandaient pas, nous ne refuserons pas de compatir
à cette épreuve ; mais un système de chant organisé non pour
amener la foule des fidèles à chanter les cantiques, mais au con-
traire pour les en empêcher, est un système barbare, et nous le
disons sans périphrase, scandaleux. L'église n'est pas une salle
de concert ; c'est une miiison de prière. Qu'on donne des con-
certs ailleurs; ira les entendre qui voudra.
Un dernier mot sur le côté musical de la question. L'air d'un
LE CINQUIÈME CONGRES DES ŒUVRES EUCHARISTIQUES 361
cantique eu est le vêtement. Le vêtement doit être en rapport
avec le personnage et la fonction que celui-ci remplit. Or, ici,
le personnage est un serviteur de Dieu et sa fonction est de
rendre plus intime l'union des enfants du Seigneur avec leur
père. La musique des cantiques doit donc, l3ien qu'avec d'autres
procédés, avoir comme le plain-cliant un caractère nettement
religieux, bannir sévèrement toute tendance molle, sensuelle,
user très sobrement des effets compliqués et bannir absolument
le tour de force dont la place n'est pas à l'église. Une mélodie
simple sans vulgarité, d'une exécution facile, produisant d'au-
tant plus d'effet qu'elle est chantée, même à l'unisson, par des
voix plus nombreuses, mais venue d'un jet et ne faisant pas
d'emprunts aux airs profanes du jour, voilà ce qui convient le
mieux pour le cantique.
Nous ne prolongerons pas davantage ces réflexions. Elles suf-
firont à nos lecteurs, cro3'Ons-nous, pour leur faire apprécier l'ex-
trême importance da chant des fidèles dans les églises, et les
convaincre qu'en chantant sans respect humain et dans un vif
sentiment de foi, non seulement ils s'associeront aux anges et
aux élus, mais encore ils exerceront, soit durant les saints offices
soit aux diverses réunions de piété, un véritable apostolat.
A. Delaporte, p. m.
LE V* CONGRES DES ŒUVRES EUCHARISTIQUES
Nous avons déjà annoncé que le nouveau congrès des Œuvres
eucharistiques aurait lieu à Toulouse, du 20 au 25 juin pro-
chain, sous la présidence de S. Em. le cardinal Desprez, arche-
vêque de Toulouse, et la direction de S, G. Mgr Mermillod,
évêque de Lausanne et de Genève.
Mais on nous permettra, en raison de l'importance de cette
grande réunion, d'y revenir et d'appeler sur elle avec instance
l'attention des catholiques.
Lorsque S. Em. le cardinal Desprez annonçait en 1884 au
clergé et aux fidèles de son diocèse la tenue de ce congrès, —
on sait que c'est le choléra qui a empêché le congrès d'avoir
lieu à cette époque — il disait que c'était « une grâce que
« la Providence réservait à son diocèse, et que la cause de
363 ANNALES CATHOLIQUES
« ces congrès est non restreinte et bornée, mais étendue et
« catholique, peut-on dire, comme l'Église elle-même. »
Rien n'est plus exact, et pour comprendre quel intérêt ce
congrès présente pour les catholiques, il suffira de lire avec
soin le programme des questions proposées au Congrès. Lo
voici :
1" Section.
Foi et pieté. — Adoration et réparation. — Sainte messe
et communion.
1. Foi et piété. — Efforts à faire pour accroître la connaissance
théorique et pratique de la divine Eucharistie. — Démon-tration de
son influence sociale. — La dévotion eucharistique centre, aliment
et but final de toutes les autres, spécialement de la dévotion au Sacré-
Cœur. — Catéchismes; écoles de catéchisme pour les enfants qui fré-
quentent les écoles laïques; enseignement tout particulier du dogme
eucharistique dans les catéchismes. — Prédications eucharistiques.
— Moyens de défendre notre foi eucharistique contre l'erreur et l'in-
crédulité. — Formation des diverses catégories de fidèles à la piété
eucharistique, particulièrement des enfants, des membres des œuvres
de jeunesse et des œuvres ouvrières, des étudiants des Facultés.
2. Adoration et réparation. — Adoration diurne et nocturne dans
les villes et dans les campagnes: moyens de la rendre vraiment per-
pétuelle. — Quarante-Heures. — Heure sainte. — Visite au Très-
Saint-Sacrement. — Réparation des profanations et des blasphèmes
contre la sainte Eucharistie. — Moyens matériels de prévenir et
d'empêcher les entreprises sacrilèges et les outrages contre le Très-
Saint-Sacrement. — Respect dans les églises; tenue et mise modeste
des femmes; usage traditionnel du voile de communion pour elles.
3. Sainte messe et communion. — La sainte messe. — Assistance
quotidienne au saint sacrifice. — Messe paroissiale. — Messe des
écoles. — Moyens de faciliter aux pauvres l'assistance à la messe du
dimanche. — Messes expiatoires. — Messes de Requiem. — Fonda-
tions de messes. — Œuvres de préparation à la première communion
et de persévérance. — Communion fréquente. — Communion répara-
trice. — Communion des infirmes et des malades. — Moyens d'assu-
rer aux mourants les derniers sacrements. — Saint Viatique. — Béné-
dictions du Très-Saint-Sacrement. — Moyens d'associer les absents
eux-mêmes à la célébration de la messe et aux bénédictions.
2* Section.
Hommages publics. — Associations. — Histoire.
Art et propagande.
1. Hommages publics. — Célébration solennelle de la Fête-Dieu
et des offices votifs du Très-Saint-Sacrement. — Processions. —
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 363
Pèlerinages eucharistiques. — Congrès des œuvres eucharistiques ;
manière do les promouvoir, de les rendre pratiquement féconds,
d'en assurer les résultats et d'en continuer l'influence ; comités
eucharistiques établis dans ce but.
2. Associations. — Confréries du Très-Saint-Sacrement et Asso-
ciations eucharistiques dans les villes et dans les campagnes. —
Relations à établir entre elles et avec les autres associations et
œuvres catholiques. — Leur influence sociale et religieuse. — Asso-
ciations diverses pour les nécessités du culte dans les églises pauvres
et dans les missions. — Congrégations religieuses vouées au culte
eucharistique. — Oblats du Très-Saint-Sacrement.
3. Histoire. — Histoire et statistique. — Faits mémorables. ~
Miracles eucharistiques. — Renseignements et documents sur la
dévotion eucharistique et ses progrés dans les divers pays chrétiens.
Personnages célèbres, en ce siècle surtout, par leur dévotion au
Très-Saint-Sacrement ; influence de leur vie et hommages rendus à
leur mémoire.
4. Art. — L'art et ses diverses manifestations au service de la
sainte Eucharistie ; architecture, sculpture, peinture, musique ; rè-
gles et traditions. — Musées et bibliothèques eucharistiques. —
Monuments en l'honneur de la divine Eucharistie.
5. Propagande. — Propagande des œuvres eucharistiques dans le
monde entier. — Publications eucharistiques ; livres, revues, bro-
chures, tracts, images populaires. — Réédition des meilleurs ouvrages
d'autrefois ; composition d'ouvrages nouveaux en rapport avec les
nécessités d'aujourd'hui ; traduction d'ouvrages écrits en langues
étrangères ; bibliographie et catalogues de propagande.
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET l'ÉPISCOPAT
(Suite. — V. les numéros précédents.)
Bordeaux. — Mgr l'archevêque de Bordeaux écrit au car
dinal Guibert :
Il n'est certes pas un évêque français qui ne déplore amèrement
avec vous la triste guerre, aussi gratuite que funeste, qui se poursuit
chez nous, depuis plusieurs années, contre la religion et le clergé.
N'est-il pas, en effet, souverainement injuste et puéril d'accuser
l'Eglise d'être l'ennemie de la démocratie moderne et du progrès.
364 ANNALES CATHOLIQUES
lorsqu'elle a vécu et doit vivre sous tous les régimes, qu'elle les
bénit tous et ne leur demande que d'être équitables.
« Non, comme le dit si bien Votre Éminence, le clergé n'a jamais
eu et n'a pas même aujourd'hui un parti pris d'hostilité contre les
institutions actuelles. S'il montre de la froideur et des inquiétudes,
ces dispositions dont on se plaint ne datent que du jour où les
représentants de ce régime ont fait cause commune avec les ennemis
de la religion.
« Si la Republique acceptait l'obligation, imposée â tous les gou-
vernements, de respecter les croyances et le culte de l'immense
majorité de notre pays, il n'y a rien dans la doctrine de l'Eglise, ni
dans ses traditions qui pût motiver chez le prêtre un sentiment de
méfiance ou d'opposition. »
Nous avons longtemps espéré que ceux qui nous gouvernent sau-
raient s'en rendre compte et s'arrêteraient dans une voie périlleuse.
Nous voulons encore l'espérer, car tant de préjugés et de préven-
tions, qui n'ont pas de raison d'être, ne peuvent se perpétuer
indéfiniment.
D'ailleurs, nos populations chrétiennes, témoins chaque jour du
dévouement de leur clergé, finissent par faire justice des calomnies
insensées dont il est l'objet, et notre nation, toujours foncièrement
catholique, à l'exception d'une infime minorité de sectaires impies,
commence à se lasser d'hostilités religieuses qui sont certainement
pour elle le plus grand des périls.
Oui, nous espérons que nos sénateurs et nos députés le compren-
dront aussi bien que leurs lecteurs et s'efforceront de nous assurer
la concorde et la paix, qui ne sont pas moins nécessaires à l'Etat
qu'à l'Eglise.
Puisse, Monseigneur, votre grave et si sage avertissement contri-
buer puissamment â cet heureux résultat, avec la protection de Dieu
qui veille toujours sur notre France.
La Rochelle. — Mgr l'évêque de La Rochelle :
J'étais à peine revenu de mon voyage à Rome, lorsque j'ai reçu la
communication que vous avez bien voulu me faire de votre lettre à
M. le président de la République.
Je l'ai lue avec l'intérêt que j'attache à tous les actes qu'inspirent
â Votre Éminence son profond dévouement à l'Église et son zèle
ardent pour défendre, avec autant d'éloquence que de modération,
la grande cause de notre sainte religion. Les hautes et sages consi-
dérations qu'elle contient sont bien capables d'ouvrir les yeux à ceux
qui cherchent à calomnier l'Église et ses ministres.
A l'exemple de Léon XIII, nous n'avons pas la pensée de discuter
la forme du gouvernement que la France s'est donné. Nous ne
LETTRE DU GARDINAL GUIBERT 365
demandons qu'à travailler avec lui à la gloire et à la prospérité de
notre chère patrie.
Mais les destinées de la France ont toujours été intimement liées
à celles de l'Église. C'est pourquoi nous ne pouvons les séparer ni
dans nos affections, ni dans nos sollicitudes.
Le clergé de mon diocèse, fidèle à l'accomplissement de ses im-
portants devoirs, reste étranger aux luttes politiques. Il se contente
d'user paisiblement des droits que lui accordent nos lois et se montre
courageux dans les épreuves.
Nous conjurons la divine Providence de faire bientôt cesser ces
épreuves, parfois bien lourdes à porter ! Avec Votre Eminence, nous
désirons tous voir régner la paix et la concorde au sein de notre
bien-aimé pays.
Meaux. — Mgr l'évêque de Meaux :
Votre Eminence oublie les fatigues de l'âge et de la maladie
toutes les fois qu'il s'agit de défendre les intérêts de l'Église et de
la France. C'est un besoin et un soulagement pour notre foi d'adhérer
à votre lettre à M. le président de la République, dans laquelle vous
exprimez avec tant de noblesse et de dignité les sentiments de la
France chrétienne.
Poitiers. — Mgr l'évêque de Poitiers :
L'épiscopat ne pouvait rester insensible aux maux dont l'Église
souflfre chaque jour davantage : encore moins devait-il garder le
silence après les derniers incidents qui ont révélé la gravité de la
situation faite aux catholiques et le parti-pris de flétrir nos pra-
tiques les plus pieuses et jusqu'aux dogmes de notre foi.
Il était cependant sage d'attendre qu'une voix autorisée entre
toutes fût l'interprète de la douleur commune ; et personne n'ayant
plus que vous qualité pour faire entendre une respectueuse, mais
solennelle protestation, c'est vous, Eminence, qui aviez l'impérieuse
obligation de traduire nos appréhensions et nos doléances dans un
langage aussi digne que ferme.
Ce langage si modéré et d'un accent si patriotique, si français,
aurait dû être mieux compris. Il a été regardé comme une menace.
Amené par la logique et l'examen des faits à vous demander où
nous en sommes, et si le Concordat est abrogé ou s'il est encore
en vigueur, vous avez fait ressortir ce qu'il y a d'étrange, sous
l'empire du Concordat, à traiter l'Église comme si le Concordat
n'existait plus. Signaler l'injustice de ces procédés et les périls que
crée à notre pays cette fatale politique, est-ce donc faire acte d'im-
prudent et de mauvais citoyen, et encourir, le cas échéant, la respon-
sabilité d'une dénonciation du Concordat, lorsque, au contraire.
366 ANNALES CATHOLIQUES
votre lettre au président de la République n'a d'autre but que
d'avertir les hommes du pouvoir des écueils auxquels ils nous
exposent, et de les rappeler à l'esprit du Concordat, qui fait loi pour
nous ?
Vous êtes, Éminence, au-dessus de ces appréciations erronées ;
des commentaires aussi éloignés de la vérité no sont pas de nature à
donner le change sur vos paroles. Ceux-là seulement auront pu s'y
méprendre qui l'auront voulu. En écrivant cette lettre d'une calme
et haute raison, vous avez accompli un devoir sacré; et vos frères
dans l'épiscopat ne font également que céder au cri de leur con-
science lorsqu'ils vous adressent leurs remerciements et leur pleine
adhésion.
C'est ce que je vous demande, Eminence, la permission de faire
aussi bien que le moindre des évêques. Le grand Hilaire sur le siège
duquel je suis assis n'eût jamais consenti à taire la vérité au moment
opportun : je ne dois pas la taire non plus.
Tarentaise, — Monseigneur l'évêque de Tarentaise :
Votre lettre est un acte de courage, de haute sagesse et de par-
faite opportunité, qui s'ajoute aux gloires de votre épiscopat et que
l'Eglise de France sera fière de consigner dans ses annales.
C'est avec une douleur profonde que nous voyons s'accuser de plus
en plus cette persécution légale qui nous enlève, une à une, toutes
nos libertés. Le doute aujourd'hui n'est plus possible : la religion est
menacée dans son existence même; on prépare le triomphe de la
libre-pensée.
11 y a longtemps que l'épiscopat, gardien vigilant de la foi catho-
lique, signale la conjuration ourdie dans l'ombre par les ennemis de
l'Eglise et dénonce le péril avec cette indépendance qui est un de-
voir, mais aussi avec cette modération qui a mérité vos éloges.
... Que Votre Eminence soit bénie d'avoir élevé la voix avec cette
autorité devant laquelle s'inclinent tous le catholiques de France ! 11
vous appartenait de faire entendre cesjustes doléances, qui devraient
être écoutées comme une haute leçon ; nul mieux que vous n'avait
le droit de rappeler les violences des cinq dernières années, de ven-
ger nos saintes croyances attaquées publiquement du haut de la tri-
bune ; de protester contre l'ostracisme dont on frappe les maîtres
parce qu'ils sont catholiques ; de signaler cette violation du pacte
concordataire, dont on fait une machine de guerre, alors qu'il ne
devrait être et n'avait été jusqu'ci qu'un instrument de paix.
Les conseils de votre patriotique sagesse seront-ils écoutés ? S'ar-
rêtera-t-on sur cette pente fatale qui mène aux abîmes ? N'aurez-vous
pas la douleur de voir, une huitième fois, le régime politique de
notre pays s'effondrer sous le poids de ses fautes ?
LETTRE JjU CARDINAL GUIBERT 367
Sous la menace des derniers malheurs, Votre Eminence a voulu
dégager sa responsabilité ; l'épiscopat français dégage la sienne avec
vous et comme vous. Pour ma part, c'est de cœur et d'âme que je
donne à votre admirable protestation mon adhésion la plus entière
et ia plus formelle.
Un jour, Emineuce, quand l'opinion publique et le bons sens chré-
tien auront fait justice de la persécution dont nous sommes victimes,
l'histoire ne racontera pas sans confusion les défaillances d'un pays
qui fut autrefois la nation très chrétienne; mais, au milieu de ces
défaillances, elle montrera avec une vive admiration votre figure
vénérable, si belle de sainte indépendance et de douce sérénité; elle
dira qu'après avoir combattu soixante ans pour l'Église, arrivé aux
dfiruières années d'une glorieuse vieillesse, vous avez trouvé dans
votre cœur d'évêque et de Français d'incomparables accents pour
défendre jusqu'à la fin la justice, la liberté, la vérité.
Valence. — Mgr l'évêque de Valence :
Mes sentiments sont assez connus de Votre Eminence et de mes
vénérables collègues pour que je ne puisse être suspecté de tiédeur,
alors même que je garderais le silence. J'ai fnrmul^ depuis longtemps
mes appréciations sur les dispositions du pouvoir civil à l'égard de
l'Église, et à voir le mouvement qui se produit, j'aime à supposer
que ceux qui auraient pu m'accuser d'exagération ne sont pas éloi-
gnés de partager, aujourd'hui, ma manière de voir.
Néanmoins, je tiens à vous offrir, non seulement en mon nom
personnel, mais au nom de mon clergé tout entier et de mes diocé-
sains fidèles, l'hommage de la respectueuse admiration et de la vive
reconnaissance qui nous ont été inspirées par la lecture de votre
lettre à M. le président de la République.
L'exposé que vous faites des violences accumulées contre la
religion, pendant les cinq années qui viennent de s'écouler, n'est
hélas ! que trop exact.
Ce que l'impiélé poui'suit, ce n'est pas seulement la ruine des
institutions chrétiennes, si nécessaires à la société ; c'est encore
l'abolition des lois ecclésiastiques et l'anéantissement de l'autorité
léguée par Jésus-Christ aux cvêques pour régir l'Église de Dieu;
c'est, en un mot, la mise hors la loi dos catholiques et du clergé.
Avec une perfidie calculée, on confond les principes d'un gouver-
nement qui pourrait être honnête avec l'application malhonnête
qu'on nous en fait ; et l'on nous accuse d'être les ennemis des
institutions actuelles, quand nous ne sommes que les ennemis de
l'irréligion, de l'arbitraire et de l'iniquité. Sous ce vain prétexte,
rp]tat s'arroge le droit de supprimer les traitements et les titres,
d'eiiger le déplacement des prêtres chargés d'administrer les pa-
roisses, et cela sans avis préalable, sans enquête et contrairement à
27
368 ANNALES CATHOLIQUES
toutes les règles de la justice. Il fait plus encore et s'immisce dans
des questions de conscience, décidant que tel ou tel fivre peut être
mis entre les mains des écoliers catholiques, alors même qu'il est
condamné par l'Eglise, et privant des curés de l'indemnité qui leur
est due parce qu'ils ont refusé les sacrements à des chrétiens sans
courage et sans foi.
A voir le cas et l'usage que nos hommes d'Etat font des sacrements,
on se demande d'où leur vient cette étrange sollicitude et comment
ils concilient leur athéisme gouvernemental avec de telles prétentions.
Mais à quoi bon la logique, le Concordat et le droit commun, lors-
qu'il s'agit d'entraver l'action de l'Église et de porter atteinte à
sa liberté ?
Les tristes événements qui viennent de se passer dans notre régioa
nous fournissent une nouvelle preuve des dispositions dont les
pouvoirs publics sont animés à cet égard. Le contraste choquant
d'une patience scandaleuse devant l'émeute et l'assassinat, et d'une
fureur sauvage exercée, au mépris de toute légalité, contre des
citoyens qui défendent leur propriété et contre des femmes qui
prient, nous révèlent assez le fond des cœurs et le dernier mot des
projets formés contre nous.
Pleins de confiance en Celui qui veille sur son Eglise et qui sait
tirer le bien du mal, nous attendons sans crainte le résultat final de
cette lutte, où le plus fort triomphera; et le plus fort, c'est Dieu.
En attendant, Eminentissime et très vénéré Seigneur, nous nous
associons de tout cœur à vos respectueuses protestations et à vos
justes doléances, qui répondent, sans aucun doute, au sentiment
général de l'épiscopat, du clergé et des catholiques ; et nous faisons
des vœux sincères sans grand espoir de les voir exaucés, pour que
la voix de la sagesse et de la justice dont vous êtes l'organe soit
enfin entendue.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
Le consistoire aui'a lieu dans la première quinzaine de juin.
Le Souverain-Pontife j créera six cardinaux : son majordome,
Mgr Teodoli, et NN. SS. les archevêques de Reims, de Rennes,
de Sens, de Baltimore aux États-Unis et de Québec au Canada.
Mgr Teodoli sera remplacé dans ses fonctions de majordome
par Mgr Ruffo-Scilla, archevêque de Chieti. Aucun mouvement
diplomatique ou administratif ne sera donc nécessaire à cette
occasion.
NOUVELLES RELIGlliUSES 369
On assure que le mouvement clans les nonciatures, par suite
de ia promotion au cardinalat de plusieurs nonces, aura lieu
l'automne prochain.
Dans Je consistoire de juin, le Saint-Pére prononcera une
allocution relative au rétablissement de la paix religieuse en
Allemagne. On annonce que, la pacification une fois accomplie,
la Prusse élèvera au rang d'ambassade sa légation prés le
Vatican.
La question des relations entre la Chine et le Vatican a
donné lieu à un échange de trois notes entre le Saint-Siège et
le gouvernement français.
Dans une première note expédiée il y a quinze jours, et dont
le texte, très court, se tenait sur la réserve, le Vatican commu-
niquait au gouvernement les propositions faites par la Chine et
acceptées par le Pape. La note demandait là-dessus l'avis de
la France.
M. de Freycinet répondait à cette note vendredi dernier par
une dépêche très brève aussi, assez modérée dans la forme
mais assez vive pour le fond. Il laissait entrevoir que la déci-
sion du Saint-Siège pourrait avoir des conséquences fort
graves, dont la France déclinait la responsabilité.
Dimanche (îernier, le Vatican répondit par une nouvelle note
plus longue et très détaillée contenant une large exposition des
principes généraux qui ont guidé le Saint-Siège dans ses négo-
ciations avec la Chine. Il proclamait en terminant sa ferme
décision d'établir, quoi qu'il doive advenir, des relations directes
officielles avec le gouvernement chinois.
La question peut donc être considérée comme résolue en
principe. Le Saint-Siège par suite, nommera très prochai-
nement un prélat italien comme nonce à Pékin.
Dans le courant de cette semaine, S. Exe. M. de Schlœzer,
ministre de Prusse près le Saint-Sicpe, a remis à Sa Sainteté
une lettre autographe particulière de l'empereur d'Allemagne
accompagnée d'une magnifique croix pectorale. Cette croix en
or massif est ornée de rubis et de diamants; c'est un travail
artistique d'une très grande valeur. Elle est accompagnée d'une
superbe chaîne en or. Dans sa lettre, l'empereur d'Allemagne
exprime au Pape sa haute satisfaction pour l'issue de la média-
370 ANNALES CATHOLIQUES
tion et annonce qu'il lui envoie ce présent en souvenir de cet
heureux événement. La lettre est conçue en termes d'une
haute déférence pour la personne du Souverain-Pontife. Ces
actes d'hommage envers le Saint-Pére doivent réjouir tous les
catholiques, qui voient ainsi leur chef suprême honoré et res-
pecté par toutes les puissances. C'est une consolation et une
gloire pour l'Eglise entière qui, par son Pontife Léon XIII,
triomphe et obtient la paix et l'hommage de ses anciens
ennemis.
Les libéraux italiens voient avec dépit les négociations de la
paix religieuse en Prusse.
Tous voient dans ce rapprochement entre l'Allemagne et le
Saint-Siège le prélude d'une complication politique pour
l'Italie. C'est un symptôme très curieux que les catholiques
constatent. La presse libérale entre en fureur à la vue des
heureux résultats des négociations. Elle est unanime à se
déclarer contre les concessions au Vatican.
France. •
Les anciens élèves des écoles des Frères ont lormé un comité
de pétitionnement contre la nouvelle loi scolaire faisant suite à
la loi scélérate.
Ce comité, présidé par M. Camille Rémont, a adopté le texte
de la pétition ci-après :
Messieurs les sénateurs,
Messieurs les députés,
Les soussignés, anciens élèves des écoles des Frères, ont l'hon-
neur de vous prier de vouloir bien rejeter la loi sur l'organisation
de l'enseignement primaire dont vous êtes actuellement saisis.
Ce projet exclut de l'enseignement public les instituteurs con-
gréganistes, et s'il leur laisse encore ouverte la cai'rière de l'en-
seignement libre, c'est en les rendant justiciables de conseils
composés en majeure partie de fonctionnaires dont la dépendance
met l'impartialité en péril, et en compromettant leur recrutement
par la suppression de la dispense du service militaire.
Les soussignés protestent énergiquement contre ce projet de
loi, qui ne tient aucun compte des éclatants services rendus par
les instituteurs congréganistes à l'instruction populaire, qui viole
à leur détriment toutes les règles du droit public et tous les prin-
NOUVELLES RELIGIEUSES 371
cipes de nos lois constitutionnelles, qui prive arbitrairement les
communes des avantages d'un enseignement économe de leurs
ressources, et qui supprimerait pour la plupart des familles
pauvres la faculté de choisir l'école répondant le mieux à lenrs
convictions et à leurs croyances.
Citoyens dévoués au pays, ils déclarent que c'est par les leçons
el les exemples de leurs maîtres qu'ils ont appris à aimer la patrie
et à remplir leurs devoirs de Français.
Pères de famille, ils entendent procurer à leurs enfants, en toute
liberté et sécurité, l'éducation qu'ils ont reçue eux-mêmes, et ils
réclament à cet effet la protection que la loi doit à tous les
honnêtes gens.
Le projet qui vous est soumis les blesse dans leurs convictions
et dans leurs sentiments de légitime reconnaissance en même
temps qu'il inquiète leurs consciences et porte atteinte à leurs
droits.
Vous ferez justice en le repoussant.
Communication de ce texte a été faite à tous les anciens
élèves par une circulaire dont les signataires sont tous anciens
élèves des Parères.
BoNE. — On écrit, de Bône, au Monde, en date du 4 mai :
On commence ici les préparatifs du centenaire de la conversion de
saint Aupfustiu. Cette solennité, à laquelle doivent assister tous les
évêques d'Afrique, se célébrera le dimanche 16 mai. Elle aura lieu
tout entière sur les ruines mêmes d'Hippone et au sommet de la
principale des trois collines de cette ville, celle où, dès les premiers
temps de notre conquête, un monument a été élevé par les soins de
Mgr Dupuch à la mémoire de saint Augustin.
Le sommet et la plus grande partie de cette colline appartiennent
maintenant au diocèse de Constantine, pour lequel ils ont été
achetés, il y a six ans, par les soins de Son Eminence le cardinal
archevêque d'Alger, alors administrateur de ce diocèse. Les Petites-
Sœurs des Pauvres y ont établi un asile pour les vieillards; et à côté
de leur maison, s'élève peu à peu une basilique dédiée à saint
Augustin, et dont M. l'abbé Pouillet est l'architecte.
C'est là, je le répète, que se célébreront les solennités du pèle-
rinage. Un autel monumental se dresse en plein air, recouvert de
tentures et de feuillages. Les pèlerins qui doivent y venir de France
y assisteront à la grand'messe et aux vêpres pontificales, ainsi qu'à
la procession où sera portée la relique insigne du bras de saint
Augustin, solennellement transférée d'Italie en Afrique en 1842, par
sept évêques de France, tous morts aujourd'hui. Les pèlerins v
seront tout à fait chez eux, puisque, ainsi qu'on l'a dit plus haut,
372 ANNALES CATHOLIQUES
la colline est la propriété privée du diocèse. C'est do ublement heu
reux, car, pai- ce temps de municipalités radicales en Algérie comme
en France, on peut compter que, si la fête avait dû se célébrer
à Bône, le maire de cette ville aurait eu la pensée de mettre tous
les obstacles possibles à ces mani'"estations de la piété.
Cependant, la population de Bône est en très grande partie ^'•.atho-
lique ; et elle ne compte pas moins de 9,000 Maltais et de 6,000 Ita-
liens, tous très attachés à leur foi. Mais ces catholiques n'ont
aucune espèce de droit légal ou électoral, puisqu'ils sont étrangers;
et c'est une poigAée de radicaux qui fait la loi avec ses journaux,
tous soudoyés par les Juifs, comme dans le reste de l'Algérie,
Ceux-ci n'ont pas manqué, au premier moment, de témoigner
leur mauvaise humeur contre une manifestation de piété catholique.
Cependant, il y a là des souvenirs si glorieux, même au simple point
de vue humain; les souvenirs et le nom de saint Augustin jettent
un tel éclat sur le nom d'Hippone; le mouvement qui se manifeste
de la part des chrétiens du France est si avantageux au pays lui-
même, que les contradicteurs n'ont pas été nombreux et ont même
disparu après la publication de la lettre da Mgr Combes, évêque de
CoDstantine, au curé de la cathédrale de Bône, lettre dans laquelle
ce vénérable prélat fait valoir avec sagesse toutes ces considérations.
En voici le texte, que nos lecteurs liront avec intérêt :
Constantine, le 19 avril 1886.
Monsieur le Curé,
Vous aurez peut-êlre appris que notre pèlerinage d'Hippone va
recevoir une marque d'honneur et de sympathie de la part d'un
grand nombre de Français, qui se rendront tout exprès dans votre
ville.
Chaque année, il se forme en France un pèlerinage patriotique qui
a pour but d'aller prier au pied du Calvaire, pour demander la pro-
tection de Dieu sur notre patrie. Le but atteint par ces manifestations
annuelles n'est pas seulement un but spirituel, il a encore un intérêt
national : celui de montrer aux religieuses populations d'Orient
l'amour que la France, qui est leur protectrice séculaire et officielle,
ne cesse de leur porter. Voilà poui-quoi les agents du gouvernement
français en Syrie favorisent constamment ces manifestations et leur
donnent leur aide.
Cette année, les organisatf^urs de ce pèlerinage se sont souvenus
que l'Église célèbre le iudIs prochain le (juinzième anniversaire sécu-
laire de la conversion de saint Augustin, et ils ont tenu à célébrer ce
centenaire par une visite aux niin-îs d'Hippone et au monument qui
y est élevé à la mémoire do saint Augustin.
C'est le dimanche IG mai, jour où nous célébrerons cette année
NOUVELLES RELIGIEUSES 373
«xtraordinairement ici la conversion de saint Augustio, que les mem"
bres de ce pèlerinage, se rendant en Terre-Sainte, arriveront à Bône
sur un navire spécialement frété à cet effet. Ils se rendront directe-
ment sur les ruines d'Hippone, où la solennité religieuse se passera
tout entière, comme cela a lieu chaque année au mois d'août, le jour
de la fête de saint Augustin. J'y serai présent moi-même, et mon
vénérable prédécesseur sur le siège de saint Augustin, Mgr Rubert,
évêque de Marseille, a promis d'honorer aussi cette fête de sa présence.
J'ajoute que j'invite à la présider S. Era. le cardinal Lavigerie,
archevêque d'Alger et notre métropolitain, et que j'espère le voir
accompagné par Mgr Dusserre, qui a été aussi votre évêque.
11 ne vous échappera pas, monsieur le curé, combien une telle ma-
nifestation religieuse est de nature à honorer, aux j'eux du monde
chrétien tout entier, votre ville de Bône, en rappelant par ce pèleri-
nage les souvenirs incomparables de son histoire passée.
Il ne vous échappera pas non plus que la venue de tant de person-
nages considérables ne peut que servir la cause de l'Algérie en la
faisant mieux connaître. Ce qui lui nuit, en effet, partout et même
en France, c'est de ne pas être suffisamment connue. Tous ceux qui
la visitent sont séduits par les beautés que la nature y prodigue,
émerveillés par les progrès matériels accomplis en si peu de temps.
Recevoir des hôtes en si grand nombre, les rendre témoins de notre
activité industrielle et commerciale, de la prospérité de nos popula-
tions, est donc une chose heureuse.
C'est ce qu'exprimait, dans la lettre récemment adressée par lui,
en mon nom, au directeur du pèlerinage pour le féliciter de sa pensée,
S, Era. le cardinal Lavigerie :
oc Je ne doute pas que vos pèlerins ne soient tous heureux d'accom-
« plir un tel acte de patriotisme chrétien.
« Je ne doute pas qu'ils ne soient heureux de voir de leurs yeux,
« dans cette ville de Bône, une des plus florissantes de notre Afrique,
« ce que notre France nouvelle a déjà réalisé de progrès dans tous
« les ordres de l'activité et de l'industrie humaine.», sur une terre que
« protège encore l'ombre d'Augustin et où les indigènes musulmans
« gardent encore son souvenir. »
Je vous prie donc, monsieur le curé, de vouloir bien faire connaître
tout ce qui précède à vos paroissiens, de leur dire combien je suis
heureux de pouvoir favoriser l'exécution d'une pensée qui me paraît
si avantageuse pour eux à tous les points de vue, et combien je
compte qu'ils auront à cœur de donner à leurs hôtes d'un jour les
marques de sympathie fraternelle auxquelles ils ont droit en leur
double qualité de Français et d'amis de notre Algérie.
Veuillez agréer, monsieur le curé, l'assurance de mon plus affec-
tueux dévouement en Notre-Seigneur.
-j- Clément,
évêque de Constantine et d'Hippone.
374 ANNALES CATHOLIQUES
Ohalons. — La ville de Châlons a célébré jeudi G mai uue
fête patriotique à la mémoire des soldats de la Marne tombés
sur le champ de bataille en 1870. Grâce à l'union des autorités
religieuse, militaire et civile, et au concours de toute la popu-
lation, cette fête a pris un caractère de véritable grandeur. Le
général commandant le 6' corps d'armée, sept ou huit officiers
généraux, tous les colonels, tout l'état-major, le préfet, la ma-
gistrature, le conseil général de la Marne, le conseil municipal,
les délégués de toutes les communes, tous les fonctionnaires
remplissaient la vaste cathédrale. Après le service funèbre et
avant l'absoute, Mgr Tévêque de Châlons a prononcé les paroles
suivantes :
Nous venons de recommander à la miséricorde de Dieu l'âme des
braves soldats de la Marne qui combattirent et moururent pour l'in-
dépendance de la patrie dans nos jours de malheurs. Nous avons
imprimé le caractère religieux à cette cérémonie, selon le vœu de
leurs familles, qui sont chrétiennes, et de l'immense majorité non
moins chrétienne des enfants de la Champagne. La commission du
monument s'est honorée aux yeux de tous en partageant ce vœu.
Nous avons prié avec confiance, car si Dieu récompense un simple
verre d'eau froide donné en son nom, quelle récompense ne destine-
t-il pas au sang versé pour le pays? Dans le christianisme, tous les
grands militaires pensent que mourir pour la patrie est une branch'i
du martyre, que tomber sur les champs de bataille, c'est se relever
au ciel. C'était bien la pensée de Turenne, priant au bivouac, la
pensée de Condé s'agenouillant après le dernier coup de canon de
Rocroi, la pensée de Gustave- Adolphe priant sur le front des troupes
la pensée de Bayard baisant la garde de son épée en guise de croix
Quoi qu'il m'en coûte, j'ajouterai : notre vainqueur, le roi Guillaume
se mit à genoux après la bataille de Sedan !
En venant prier ici pour les victimes de la guerre, nous imitons
les grands militaires de l'histoire, nous prions en illustre et nom
breuse compagnie.
Le sentiment qui domine cette assemblée n'est pas le deuil : nou^j
estimons, avec les Macchabées, qu'il est plus dur de survivre à la
gloire de la patrie que de mourir les armes à la main : Melius
mort in bello quam videre mala gentis nostrce. Le sentiment qui
domine l'assemblée n'est donc pas lo deuil : c'est le besoin de méditer
les graves souvenirs. Si les soldats de la Marne qui succombèrent
dans la guerre de 70 pouvaient choisir l'inscription de leur mausolée,
ils y graveraient ces mots : « N'oubliez pas ! »
N'oubliez pas ! cela veut dire que les revers noblement portés équii
valent à des triomphes. Saint Louis, le vaincu, le prisonnier de
NOUVELLES RELIGIEUSES 375
Sarrasins, était leur maître ; ils étaient à ses pieds, parce que ce
vaincu était plus grand que ses vainqueurs. Avant lui, avant tous,
Jésus-Christ a dominé le monde, non pas en portant une couronne
de lauriers, mais en portant une couronne d'épines : Portans coro-
nam spineam mundiim vincebat. (S. Bern.)
Faisons de même. Portons noblement nos revers, nous serons plus
grands que nos vainqueurs.
N'oubliez pas! cela veut dire que, au lieu de précipiter le pays
dans les mollesses et les gaîtés de la luxure, il faut l'élever aux
bonnes mœurs. 11 faut préparer des jeunes gens vertueux, généreux,
convaincus, capables de lever la tête vers le ciel, pour bien traiter les
intérêts de la terre. Et s'il faut quelques plaisirs, quelque repos, un
lit entre deux journées de travail, ce n'est pas le lit de Sardana-
pale. .. Dans le temps présent, et tant que dureront les suites de
l'épreuve, le repos des Français doit consister â se coucher dans les
plis du drapeau national avec la croix pour oreiller. Il faut cela, tout
cela, pour la sûreté du pays. La France est comme la statue â pro-
pos de laquelle le prince de Babylone consultait le prophète Daniel :
quand la France aurait une tête d'or, c'est-à-dire la science naturelle;
une poitrine d'argent, c'est-à-dire un trésor public surabondant; des
reins et des bras d'airain, c'est-à-dire une armée superbe ; si elle a
les pieds de limon, c'est-à-dire des mœurs corrompues, une pierre,
un accident politique, un rien suffirait pour la renverser.
N'oubliez pas ! cela veut dire que la France retrouvera sa prospé-
rité quand elle voudra ; car Dieu l'a éprouvée non pour sa ruine,
mais pour sa régénération : Non ad interitmn, sed ad correctionem.
Il suffit de bien comprendre cette vérité. Elle se relèvera si elle a
soin de rassembler toutes ses forces vives, si, au lieu de dire à telle
de ses forces : «je me sers de vous, » â telle autre : « je vous rejette »,
si, au lieu de cela, elle se sert de toutes, et surtout de la plus
ancienne, de la plus profonde, de la plus vivace, de la plus ration-
nelle de ses forces, je veux dire la foi nationale ; si, comme dans
tout le cours de son histoire, elle a Dieu pour base, Dieu pour cou-
ronnement. Dieu pour soutien, alors, oui, elle vivra, elle se relèvera.
Sinon, écoutez le prophète : Nisi Dominus custodierit civitatem,
frustra vigilat qui custodit eam. Et si quelqu'un ici n'aimait pas la
langue des prophètes, je lui dirais : écoutez un des deux ou trois
plus grands esprits de l'Allemagne : * La France peut être tuée non
par la main de l'étranger, mais par sa propre main... »
N'oublies pas! voilà le sens du mausolée que vous avez élevé à
vos enfants.
Notre armée n'oublie pas, elle donne l'exemple. Elle se recueille,
elle travaille, elle se prépare, elle obéit, elle respecte, elle espère.
Les catholiques chantent fièrement ces mots dans leur Symbole :
« J'attends la vie immortelle : Exspecto resurrectionem mortuorum. »
376 ANNALES CATHOLIQUES
Quand je passe sur le front des casernes de Châlons, il me semble
lire sur la porte un article du Symbole propre à notre armée : Je
prépare la résurrection de la gloire nationale, je l'attends, j'y crois :
Exspecto, credo gloriœ resurrectionem.
Quelques-uns de vous lisent la Bibie, et ils font bien. Se rappellent-
ils le songe de Judas Macchabée voyant apparaître un grand homme,
un grand patriote, le pontife Onias, qui lui remit un glaive d'or? Eh
bien, aujourd'hui, regardez au-dessus du mausolée de nos soldats ;
sachez y découvrir notre Pontife suprême, Notre-Seigneur .Jésus-
Christ. Il vient offrir à tous, non seulement aux soldats, mais aussi
aux hommes politiques, aux magistrats, aux prêtres, aux ouvriers,
aux chefs de famille, il vient oflfiir à tous un glaive d'or. Ce glaive
d'or, c'est le caractère trempé de sagesse et de virilité. Voilà le
premier des glaives ; portons-le bien, ayons tous un caractère sage
et viril, mais sage autant que viril. A cette condition, ce jour sei'a
une date pour nous tous.
Lyon. — Les juges de paix de Lyon ont reçu, le 30 avril,
dans la soirée, la lettre suivante :
Lyoa, le 4 avril 1886.
Monsieur le juge de paix,
J'ai l'honneur de vous faire connaître que, conformément au désir
formellement exprimé par le conseil municipal de Lyon, dans la
séance qu'il a tenue le 23 février dernier, mon administration a l'in-
tention de faire disparaître les emblèmes religieux qui peuvent se
trouver dans les locaux mis par la ville à votre disposition.
Je donne des instructions à M. l'architecte en chef de la ville afin
de se concerter avec vous pour l'exécution de cette décision.
Agréez, Monsieur le juge de paix, l'assurance de ma considération
la plus distinguée.
Pour le maire de Lyon :
L'adjoint délégué,
Robin.
Le Nouvelliste de Lyon proteste hautement contre cet
attentat :
Les crucifix, dit le Nouvelliste, ont été enlevés hier des prétoires
de nos justices de paix de Lyon.
Quand l'image du Christ est bannie, lui qui donna la liberté et qui
mourut pour la justice, on sent que la liberté n'est plus qu'un mot
et que la justice est bien près de ne plus être qu'un mensonge.
On parlera de la neutralité religieuse et du respect qui est dû à
toutes les opinions.
Ceux qui ont commis le sacrilège n'ont pas même l'excuse d'une
NOUVELLES RELIOIEUSES 377
loi impie, car, lorsque la Chambre avait voté la suppression des
emblèmes religieux, le Sénat avait encore eu le mérite de s'y opposer.
Les consciences au moins se sont révoltées. M. Pézerat, sup-
pléant du juge de paix du premier canton, vient d'adresser la
lettre suivante à M. le procureur do la République :
Lyon, 2 mai 1886.
Monsieur le Procureur de la République,
En présence de l'acte auquel M. le maire de Lyon a fait procéder
hier dans les prétoires des justices de paix, j'ai la profonde douleur
de vous adresser ma démission de suppléant de M. le juge de paix
du premier canton.
Veuillez agréer. Monsieur le procureur de la République, l'expres-
sion de mes sentiments très distingués.
PÉZERAT, avocat.
Voilà comment on procède à la déchristianisation de la France.
L'athéisme est officiel.
Étranger.
Allemagne. — C'était une pensée heureuse que celle de
mettre sous la protection du grand apôtre de l'Allemagne
l'association dont le but était précisément de travailler à
l'œuvre qui fut la sienne, il y a plus de onze siècles, et que la
soi-disant Réforme a depuis failli ruiner pour jamais. L'Associa-
tion de Saint-Boniface, fondée en 1849, honorée du haut patro-
nage de tout l'épiscopat allemand et autrichien, s'est imposé la
tâche de recueillir les fonds nécessaires à la propagation du
catholicisme dans les parties exclusivement protestantes ou
mixtes de l'Allemagne, et dans tous les pays qui s'y rattachent
par des liens quelconques, y compris la Suisse et le Danemark.
Par une protection visible d'en haut, elle a obtenu de magni-
fiques résultats, ainsi qu'en font foi un rescrit de S. S. Léon XIII
du 25 juillet 1881 et les attestations nombreuses des évêques
d'Allemagne et d'Autriche. Depuis le jour de sa fondation
jusqu'à la fin de l'année 1884^ l'œuvre a réuni environ quinze
millions de francs, qui ont servi à établir le culte catholique
dans 364 villes et bourgs d'oii il avait disparu complète-
ment depuis le XVP siècle ; à assurer, en outre, le maintien
de 200 paroisses -missions condamnées à tomber, faute de
ressources.
378 ANNALES CATHOLIQUES
Elle a construit environ 300 églises et locaux destinés à la
célébration publique du culte, plus 275 écoles catholiques dans
des localités nouvelles. En 1883, on comptait 745 établissements
entretenus ou notablement aidés dans 488 postes de mission,
dont 219 paroisses et 228 écoles. La somme recueillie en cette
année 1883 était de plus de 900,000 francs; en 1884, elle
montait à 950.000 francs.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Ministres en campagne. — Un bon exemple. — Le blocus des côtes grec-
ques. — Le projet de loi politico-religieux'^ allemand. — Noces d'argent
de la Revue du Monde Catholique.
13 mai 1886.
Tandis que les Chambres sont en vacances, les ministres
profitent du répit qui leur est donné pour travailler de leur
mieux. C'est très naturel et en soi fort louable. Chacun s'occupe
suivant son tempérament et'ttrouve?! moyen de faire parler do
lui. Précieux hommes d'Etat qui ne veulent pas connaître le
repos et tiennent à montrer au pays tout ce qu'on pourrait
attendre d'eux s'ils n'étaient pas un peu gênés par la pré-
sence des censeurs, peu sévères icependant, qu'on appelle les
sénateurs et les députés.
Voici d'abord 'M. de Freycinet. Il est ministre des affaires
étrangères; c'est donc dans la conduite des affaires extérieures
qu'il a tenu à se distinguer. Il y avait justement à l'ordre du
jour une question aussi intéressante que délicate. M. de Frey-
cinet a saisi cette occasion de démontrer l'ingénieuse fertilité
de son esprit. Les puissances européennes, tout en «'entendant,
avaient quelque peine à obtenir de la Grèce qu'elle renonçât à
ses projets belliqueux. Quelle gloire pour la France et spécia-
lement pour son premier ministre, a pensé M. de Freycinet, si
j'obtenais seul ceque tous les autres poursuivent en vain! Une
fois cette idée dans son cerveau, il en poursuit sans retard l'exé-
cution. Il va de l'avant, ne se préoccupant pas s'il est suivi,
ni même s'il est approuvé. Il part, il est parti! 0 fortune! La
Grèce s'incline devant ses désirs. Quel diplomate je suis!
pensait M. de Freycinet. Maii voilà que l'Europe ne se montre
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 379
pastouctiêe; elle ne désapprouve pas la démarche de la France,
elle fait pis : elle l'ignore, sauf pour eu concevoir queliiue irri-
tation. Résultat le plus clair de l'initiative de M. de Freycinet :
il n'a rien obtenu, mais il a mécontenté les puissances et
attiré une humiliation à la France. C'est quelque chose certai-
nement. Peut-être cependant eût-il mieux valu que M. de Frey-
cinet allât se reposer à la campagne.
M..Sarrien ne fait pas grand'chose, mais il enregistre des
faits intéressants. Il y a par exemple dans le département de
Loir-et-Cher un préfet qui déplaît à M. Tassin, député oppor-
tuniste. Ce dernier réclame le renvoi du préfet; M. Sarrien, le
promet, mais le temps pn-sse. La session des conseils généraux
s'est ouverte; le préfet est toujours là. M. Tassin, et les deux
vice-présidents du conseil général, refusent de siéger. Leurs
amis les imitent. C'est un conllit. Alors M. Sarrien déclare qu'il
maintiendra le préfet. Résultat : le conllit est plus aigu et les
aft'aires du département restent en souffrance.
Le ministre des travaux publics prend modèle sur son collègue
des affaires étrangères. Celui-ci s'est mêlé des affaires de Grèce
sans en être prié; celui-là s'interpose entre la Compagnie et les
mineurs de Decazeville. Il obtient un double succès. La Com-
pagnie réconduit poliment et les mineurs avec grossièreté.
Cela ne fait pas avancer d'un pas la solution du coniiit, mais le
gouvernement est bafoué.
L'amiral Aube se livre à des exercices plus coûteux pour la
France. Il supprime de sa propre autorité des navires ayant
coûté cent millions et se livre à des expériences pour savoir si
les torpilleurs pourront les détruire. Le spectacle est rare et
beau. Il coûte un peu cher aux contribuables, mais ou n'a rien
pour rien.
M. Goblet pérore à Montdidier. C'est à l'occasion des fêtes de
Parmentier que le Dioclétieu picard a fait des déclarations qui
lui ont valu quelques huées. « Je suis venu ici, a-t-il dit, comme
un ministre, et c'est en ministre d'un gouvernement qui tient
toutes ses promesses que je parlerai. » Presque au même
moment, M. Baïhaut disait, à Marseille, qu'il était nécessaire
de « rendre des capitaux » à l'industrie. On avouera q'u'il a
fallu « l'immense aplomb » mentionné par l'auteiir de 'Jérôme
Pâturât, pour affirmer que le ministère tient ses promesses, et
pour parler de rendre des capitaux la veille du jour où s'ouvrait
la souscription à un emprunt que M. de Freycinet avait promis
380 ANNALKS CATHOLIQUES
de ne pas faire, la veille du jour où l'on enlevait do la circula-
tion un appoint de cinq cenis millions pour combler le c^ouffre
creusé par les prodig'alités et les folies de nos gouvernants !
Le plus inofFensif est encore M. Lockroy. Il est ministre
du Commerce, mais se considère surtout comme ministre du
travail; il a le désir d'étudier les institutions économiques de
l'Angleterre. Il se figure qu'il les trouvera dans les rues
de Londres. Le voilà parti pour la capitale de l'Angleterre,
et comme c'est un homme d'intérieur, il emmène avec lui
sa famille. Victor Hugo a écrit ÏArt d'être grand\-père;
M. Lockroy emmenant avec lui le petit-fils et la petite-fille du
poète montre qu'il pratique l'art d'être beau-père. Les autres
ministres..., mon Dieu, les autres ministres n'ont l'air de rien
faire; ce sont les plus sages. Il est vrai que les vacances parle-
mentaires ne sont pas terminées. Attendons.
Les chambres sont en vacances ; les ministres s'occupent; ils
s'amusent peut-être. S'ils ne faisaient qu'ennuyer le pays, il y
aurait demi-mal. Le malheur, c'est qu'ils l'inquiètent.
Nous sommes heureux de constater que les conservateurs
ont, durant la session des conseils généraux qui s'achève sans
grands incidents, protesté avec énergie contre les violences
arbitraires ou les hypocrisies — qui sont encore illégales — de
M. Goblet. La cause des paroisses privées de leurs vicaires, la
cause de l'enseignement chrétien ont été vigoureusement
défendues. Mais il est un département où l'initiative des
conseillers généraux méi'itc d'être particulièrement remarquée,
car elle crée un précédent utile à signaler.
Le Gers a subi la tyrannie laïcisatrice, et dans plus d'uue
commune la volonté des po[)ulations a été méconnue. Dans
notre pays, on n'est pas dupe de la [liperie des mots. On sait
très bien que pour êtie laïiiue, un instituteur n'est pas athée,
et l'on n'entend nullement méconnaître les services des bons
instituteurs, plus fiJéles à leur devoir de chrétien qu'aux
tristes préceptes d'une sacrilège neutralité. On juge le maître
à son enseignement. Il n'y a pas lutte entre la robe du Frère et
le paletot de l'instituteur. Mais l'autorité républicaine, qui
espère régner en divisant, a jeté dans certaines communes des
brandons di discorde et allumé la guerre dans des villes et
dans des villages où l'on ne demandait qu'à vivre en paix.
CHRONIQUE r>E LA SEMAINE 381
C'est ainsi que le préfet a expulsé ;es Frères de Plaisance, de
Miradoux et de Lectoure, au mépris des désirs très nettement
exprimés parles pères de famille et de promesses formelles.
Qu'est-il advenu? Les congréganistes déf.ouillés ont dû,
devant le vœu des populations, ouvrir des écoles libres; leurs
élèves les ont suivis et la. charité catholique s'est imposé de
généreux sacrifices afin de pourvoir au budget, si modeste
d'aillrfurs, de ces maîtres que la France entoure de ses hom-
mages et que la république honore de ses persécutions.
Le conseil général a répondu aux brutalités iniques du
pouvoir républicain par un acte plus efficace que les plus
éloquentes protestations.
Il a voté des allocations en faveur des écoles chrétiennes
libres.
"Voilà un excellent exemple.
Le préfet a gardé le silence devant cette éclatante condam-
nation de sa vilaine besogne, et les conseillers généraux répu-
blicains, n'osant pas — rendons-leur justice — approuver le
scandale des écoles sans Dieu, sont tout d'un coup devenus
muets, tant ils ont senti que la droite de l'assemblée départe-
mentale était l'interprète fidèle des populations, qui n'accor-
dent leurs sympathies et leur estime qu'aux écoles dans
lesquelles le crucifix garde sa place d'honneur et où les jeunes
générations grandissent saines et fortes pour Dieu et pour la
patrie.
Les puissances n'ayant pas obtenu satisfaction par leur ulti-
matum ont déclaré le blocus des côtes grecques. Les représen-
tants de l'Angleterre, de l'Allemagne, do l'Autriche et de
l'Italie, mettant leurs menaces antérieures à exécution, ont
quitté Athènes et se sont embarqués sur les navires stationnés
au Pyrée, Avant leur départ, ils ont adressé chacun séparé-
ment une note annonçant qu'ils laissaient leurs secrétaires
comme chargés d'afî'aires de leur légation respective.
Le représentant de la Porte, qui a laissé aussi le premier
secrétaire de la légation, a annoncé qu'il partait parce que ses
collègues quittaient Athènes sur une question inhérente à la
sûreté de la Turquie. De son côté, le ministre de la Grèce à
Constantinople s'est embarqué pour Athènes.
Seul le ministre de France, M. le comte de Moûy, est resté
à son poste.
382 ANNALES CATHOLIQUES
La Russie a pris une situation a part, depuis le début des
négociations, sans cependant se séparer du concert des puis-
sances. On était donc curieux de savoir quelle serait son atti-
tude. Elle a été fort simple. L'ambassadeur, M. de Butzow,
appelé il v a quelque temps à Livadia par l'empereur
Alexandre, se trouve ainsi absent. Le chargé d'affaires est, de
son côté, revenu à Athènes juste pour voir partir les ambassa-
deurs; mais le fait ne peut tirer à conséquence, puisque les
autres puissances j maintiennent aussi leurs chargés d'affaires.
Est-ce la guerre? La situation a incontestablement empiré;
mais ce serait une erreur de croire à une ouverture imminente
des hostilités. Les dépêches d'Athènes sont pessimistes. Elles
annoncent des mouvements de l'armée turque et des concentra-
tions vers la frontière ; de Constantinople on envoie des
démentis; or, c'est incontestablement du côté de la Turquie
qu'est la vérité. Ce n'est certainement pas elle qui ouvrira les
hostilités.
Sera-ce la Grèce ? L'affectation qu'elle met à craindre,
contre toute évidence, une attaque de la Turquie, la rend sus-
pecte. Néanmoins, elle proteste de ses intentions pacifiques;
elle s'estime liée par l'adhésion qu'elle a donnée aux conseils
de la France, et il est certain qu'une guerre survenant dans
cette situation, achèverait l'isolement de la France, qui doit
user de toute son influence à Athènes pour prévenir les graves
conséquences qui résulteraient pour elle d'une guerre dont elle
serait complice responsable.
Telles sont les apparences. Reste à savoir s'il n'y a pas
d'autres intérêts qui, à un moment donné, mettront les armées
aux prises.
En attendant, le blocus vient d'avoir un premier résultat :
M. Deljannis a donné sa démission, et le roi Georges semble
disposé à l'accepter. Ce changement de ministère pourrait avoir
des conséquences heureuses pour le maintien de la paix, si
l'opinion publique était moins surexcitée. Chaque jour se repro-
duisent de nouvelles manifestations du patriotisme grec. Une
foule énorme, partie du Pirée, s'est portée sur l'une des places
d'Athènes avec des cris belliqueux. En présence de cet état des
esprits, il est à redouter que le cabinet Tricoupis, qu'on cherche
à former, ne puisse faire œuvre utile.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 383
Le blocus pacifique que les chargés d'affaires des puissances
ont notifié au cabinet d'Athènes n'est pas reconnu par tous les
écrivains qui font autorité en matière de droit international.
Parmi ces derniers est M. de Martens, l'éminent professeur de
Saint-Pétersbourg, qui soutient qu'il ne saurait y avoir de blocus
sans guerre déclarée, le blocus étant par lui-même un acte de
guerre. De plus, il y a lieu de remarquer que presque jamais
les blocus pacifiques ne se sont terminés sans qu'il ait été tiré
quelques coups de canon.
Les blocus pacifiques les plus célèbres sont ceux de 1827
contre les côtes turques de la Grèce (Angleterre, France, Russie),
de 1831 contre le Portugal (France), de 1836 contre laNouvelle-
(xrenade (Angleterre), de 1838 contre le Mexique (France), de
1838 à 1846 contre les ports argentins (Angleterre et France),
et enfin le blocus des côtes grecques en 1850 (afi[aire Pacifico)
par l'escadre anglaise de l'amiral Parker, qui captura près de
200 navires de commerce grecs.
Le vote du projet da loi politico-religieux soumis aux discus-
sions du Landtag de Berlin ne paraît plus être qu'une question
de fort peu de temps. Et comme le Reichstag, l'assemblée de
l'empire allemand, n'a pas à connaître de cette question, l'objet
des débats étant la modification des lois de mai pour les pro-
vinces du royaume de Prusse, la solution qui ne tardera pas à
intervenir sera définitive. Il n'y a pas à douter que les autres
parties de l'empire, dont les législations ont plus ou moins été
modelées sur celles de la Prusse, ne s'empressent d'entrer à
leur tour dans la voie de la pacification ; pour mieux dire ce
mouvement a déjà commencé.
Le spectacle du grand exemple que donne le prince de Bis-
marck en brisant lui-même d'une main ferme les chaînes qu'il
avait forgées pour l'Église, confond et horripile les adversaires
de celle-ci en tous pays. Voici à ce sujet une étonnante réflexion
du Temps, journal protestant:
L'explication de ce contraste n'est pas bien difficile à trouver.
C'est, d'une part, que, dans sa lutte avec le pouvoir spirituel, le
représentant le mieux armé et le plus puissant du pouvoir civil et
de tout ce que l'autorité de l'État a de puissance matérielle et de
force en quelque sorte brutale, s'est trouvé singulièrement faible et
incapable de venir à bout d'une résistunce qui avait son fondement
et ses ressources dans la conscience et dans la conscience seule.
28
384 ANNALES CATHOLIQUES
beau joueur, le prince de Bismarck, quand il abandonne la partie et
jette les cartes, ne marchande pas ses concessions.
Et le journal qui a fait cet aveu bien digne d'être relevé,
c'est celui-là même qui, avec les airs les plus doucereux,
applaudit à toutes les mesures de persécution prises par le
gouvernement républicain contre la majorité des citoyens
français !
Aujourd'hui du moins, il fait indirectement à ses patrons une
sévère leçon.
En voici une autre, de la même source, à l'adresse des
nationaux-libéraux allemands :
Seuls les nationaux-libéraux, qui semblent mettre tout ce qui leur
reste — et c est peu — de leur libéralisme d'antan dans leur haine
persistante contre l'Eglise, faisaient miae d'offrir quelque résistance
â la capitulation du prince de Bismarck. Personne, d'ailleurs, n'igno-
rait que ce parti ne se permettait une telle opposition que parce
qu'il en savait d'avance la parfaite inutilité et le caractère purement
démonstratif.
Dans sa séance de mercredi, après le vote contre le renvoi
du projet de loi à une Commission, M. de Gossler, ministre des
cultes, a fait ressortir que le gouvernement cherchait à s'en-
tendre directement avec le Saint-Siège, parce qu'on lui avait
toujours dit que le Centre désirait se trouver en présence d'une
expression positive de la volonté du Pape, à laquelle il ne
pourrait pas s'opposer.
Le ministre a ajouté que le gouvernement ne procédait à
une révision de la législation que parce qu'il espérait amener
ainsi la paix, dont la preuve la plus tangible pour le public
serait la notification des nominations ecclésiastiques.
Le ministre a déclaré en terminant que le gouvernement ne
voulait pas de concordat.
Les deux premières lectures sont terminées ; la troisième el
dernière aura lieu lundi.
Un pas immense va donc être fait dans la voie de la pacifica-
tion religieuse, et cette fois tout porte à croire qu'une paix
solide et durable sera bientôt accordée à l'Eglise catholique
allemande. Pour toui dire, en un mot, le gouvernement de
Berlin donne déjà l'assurance officielle qu'il est disposé à com-
pléter la révision des lois de mai, c'est-à-dire à déposer, peu
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 385
après la discussion qui s'achève, une nouvelle loi destinée à
régler les nombreux points dont la loi actuellement en discus-
sion ne fait aucune mention.
Puisque M. de Bismarck veut sincèrement la paix, espérons
qu'il la voudra jusqu'au bout, et qu'une entente amiable inter-
viendra pour écarter à tout jamais les derniers débris du Cul-
turkampf. En reconnaissance des bonnes dispositions de la
Prusse, Léon XIII lui a accordé le droit de veto aux nomina-
tions à faire dans les cures actuellement vacantes.
Voici à ce sujet deux documents officiels : le premier émane
■du ministre des cultes, et est adressé au président de la Chambre
des députés ; l'autre est une lettre du cardinal Jacobini.
I
Berlin, l'^ mai 1886.
Par lettre du 8 avril dernier, j'ai communiqué à M. le président
de la Chambre des Seigneurs, une note du cardinal secrétaire d'iîtat
Jacobini en date du 4 avril, qui promet la concession du veto per-
manent dès après le vote et la publication du projet de loi religieux
actuellement en discussion pour Id cas où le Saint-Siège recevrait
Tassuranco officielle que l'on entreprendrait dans un prochain avenir,
une révision dos dispositions des lois politico-religieuses, dont il
n'est pas fait mention dans le projet actuel.
Le gouvernement de Sa Majesté no pouvant voir là qu'une réponse
amicale aux avances faites ]iar lui dans le projet soumis au Landtag,
n'a pas hésité de donner au Saint-Siège, par note du 23 avril, l'assu-
rance qu'il était disposé à une r.^vision j)lus complète des lois politico-
religieuses. A sa grande sutisfacticn, le gouvernement du roi est
aujourd'hui en état de communiquer à la représentation nationale
une nouvelle note du cardinal-secrctaiie d'Ktat Jacobini en date du
25 avril, d'après laqurdle Sa Saint'vté le Pape, pour donner un gage
réel de ses dispositions pacifiques, s'est déciiié de sa propre initiative
et sans attendre que les con'Iitions stipulées fussent toutes accom-
plies, à remplir dès à présent, une partie des promesses faites par
Elle, en accordant le droit de veto pour les cures présentement
vacantes.
En vous transmettant cette note traduite on allemand, je vous
prie en même temps de vouloir la communiquer aux membres de la
Chambre des députés.
II
Vatican, 25 avril 1886.
Après avoir porté à la connaissance de Sa Sainteté la note du
gouvernement prussien du 23 avril, en réponse à la dernière note du
386 ANNALES CATHOLIQUES
Saint-Siège, le soussigné Cardinal Secrétaire d'Etat, s'empresse de
communiquer ce qui suit à Votre Excellence :
Le Saint-Père a appris avant tout, avec une véritable satisfaction,
que la proposition du Saint-Siège d'entreprendre une révision ulté-
rieure des dispositions légales non visées dans le projet actuel, a été
accueillie par le gouvernement prussien, comme un, acte de réconci-
liation qui servirait à rétablir complètement la paix religieuse.
L'assurance donnée au Saint-Siège de s'occuper de cette révision
et de soumettre aux Chambres un nouveau projet, dans ces sens, ne
pouvait qu'être agréable à Sa Sainteté. Le succès obtenu à la
Chambre des Seigneurs par le projet de loi actuel et ses amende-
ments a été aussi un sujet de satisfaction pour Sa Sainteté.
C'est à cause de cela et pour témoigner du grand cas qu'il en
fait, ainsi que pour donner au gouvernement prussien une preuve
nouvelle el spéciale de sa confiance et de sa condescendance, que
le Saint-Père a autorisé le soussigné Cardinal Secrétaire d'État
à faire savoir au gouvernement qu'il entrait dans ses inten-
tions que les présentations (des noms des curés au gouverne-
ment) pour les cures actuellement vacantes se fissent dès à pré-
sent et sans retard. En faisant la présente communication à son
gouvernement, Votre Excellence ne manquera pas d'en faire res-
sortir l'importance particulière relativement surtout au rétablis-
sement de la paix religieuse définitive.
Le soussigné saisit celte occasion, etc.
Signé : Cardinal JAcoemi.
Depuis quelque temps, aux États-Unis, une plante parasite
d'origine exotique avait pris un développement extraordinaire.
Dans ces régions bénies du ciel, où, d'après tant d'écono-
mistes des premières générations de ce siècle, la question
sociale devait toujours être pratiquement inconnue, eu égard à
l'immense abondance des terres et au monopole de fait constitué
au profit des travailleurs par la limitation de leur nombre —
dans ce pars d'élection des classes laborieuses, l'anarchisme tel
que le prêche la Ireiheit, l'organe de M. Most, avait conquis
de nombreux adhérents. A New-Yo'"k, à Boston, à Philadel-
phie, à Cincinnati, à Milwaukee, à Chicago, partout où l'in-
dustrie a accumulé ses capitaux et ses entreprises et aggloméré
ses ouvriers, les doctrines chères au communisme révolution-
naire ont trouvé un auditoire favorable et des convertis tout
préparés.
Ces dernières semaines, la crise avait pris un caractère de
CHRONIQUE DK LA. SEMAINE 387
gravité et d'urgence tout particulier. A Milwaukee, capitale
du Michigan, dans le grand centre de la brasserie du Lager-
béer, c'est-à-dire dans un milieu tout allemand, des conllits
sanglants ont eu lieu au sujet de la journée de huit heures.
C'est à Chicago, toutefois, que les troubles ont été les plus
graves. Plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers étaient en
grève depuis quelques semaines.
Les anarchistes qui se vantent de posséder dans la métropole
commerciale et industrielle de l'Ohio une puissante organisa-
tion, s'étaient appliqués à envenimer le conflit et à exaspérer
les esprits. Un grand meeting ouvrier était annoncé pour le
5 mai, sur l'une des places publiques de la ville, à l'efiet d'ar
rêter les mesures nécessaires pour le triomphe immédiat de la
cause socialiste. Le maire de Chicago, responsable de l'ordre
dans les rues de la ville, avait lancé une proclamation interdi-
sant les attroupements sur les places publiques.
Comme les masses rassemblées n'obéissaient point aux injonc-
tions réitérées de la police, le commissaire en chef crut devoir
procéder aux sommations légales, pendant que les orateurs
anarchistes poursuivaient imperturbablement leurs harangues
inflammatoires. A_ peine la formule légale était prononcée
qu'une voix demeurée jusqu'à présent inconnue s'écriait : Aux
armes ! et trois bombes explosibles venaient tomber dans les
rangs de la police et y faire de nombreuses victimes.
En présence de cette agression, les agents se sont crus en
droit de riposter. Une vive fusillade a éclaté, des charges ont
été faites, d'un côté et de l'autre, plusieurs morts et un nombre
considérable de blessés ont été laissés sur le terrain. Il était
permis de croire qu'une telle catastrophe répandrait quelque
terreur parmi les plus malintentionnés et que l'ordre, chère-
ment acheté au prix d'une telle journée, régnerait de nouveau
à Chicago. Il n'en est encore rien. De nouvelles grèves sont
signalées. Des foules composées de milliers de personnes se
portent sur les magasins dans des intentions de pillage et ne
sont dispersées que par la force des armes. Bref, la situation à
Chicago comme à Milwaukee, où des incidents analogues ont
eu lieu, demeure éminemment grave, et l'on se demande si l'Etat
d'Ohio, en première ligne, et le pouvoir fédéral, en second
lieu, ne devront pas intervenir pour rétablir l'ordre à Chicago.
Le socialisme violent a fait son entrée bruyante sur la scène
en Amérique.
388 ANNAÎ.RS CATHOLIQUES
Jeudi dernier, au café Corazza, se sont réunis en un fraternel
banquet, une quarantaine d'écrivains catholiques conviés par
M. V. Palmé, l'éditeur des BoUandistes, pour célébrer les noces
d'argent de ]a. Revue du Monde catholique.
En même temps qu'au grand éditeur catholique, c'est à
M. J. Chantrel, on le sait, qu'est due la fondation de cette utile
revue. C'est aussi M. J. Chantrel qui en fut le premier directeur,
contrairement à ce que dit un journal religieux, bien placé
cependant pour savoir avec quel désintéressement, quelle géné-
rosité le regretté écrivain abandonna la direction de la Revue,
en faveur de M. Eugène Veuillot, dont le journal venait d'être
supprimé par l'Empire. Ce trait, qui honore si grandement
M. J. Chantrel, devait être rappelé ici.
PETITE CHRONIQUE
Voici quelques détails sui- le départ de Monsieur le Comte et de
Madame la Comtesse de Paris pour le Portugal :
Monsieur le Comte et Madame la Comtesse de Paris quitteront
Paris lundi prochain 17 mai, à quatre heures du soir, par un train
spécial composé en grande partie de sleeping cars.
En arrivant à Irun, à six heures du matin, on devra changer de
voitures, la voie espagnole ayant plus de largeur que la française.
On passera par Miranda, Médina, Salamanca, en Espagne, et
Guarda, Pamphilosa, Coimbra et Santarem, en Portugal, parcou-
rant la ligne construite sous le l'ègne de feu le roi Alphonse, qui
n'a pas encore été livrée au public. Cette nouvelle ligne, comblant
la lacune qui existait entre le chemin de Paris à Madrid et la ligne
portugaise de Beira-Alla, complète la communication directe des
Pyrénées à Eisbonne et à Porto.
A chaque arrêt du train royal, les délégations des compagnies
espagnoles iront à la renconti-e des augustes voyageurs.
On arrivera en Portugal b 19, vers deux heures du matin. En
raison de cette heure matinale, le chef de la Maison de France a
prié S. A. R. le duc de Bragance de ne pas venir à sa rencontre â
la frontière.
Son Altesse royale ne se trouvera donc qu'à Pamphilosa, gare
de bifurcation de la Beira-Alta avec la lig-ne de Lisbonne.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIERE 389
C'est là qu'à neuf heures du malin aura lieu la réception
officielle.
Deux heures plus tard, après avoir déjeûné à l'Entrocamento, le
train se remettra en marche pour Lisbonne à cinq heures du soir.
On prépare là une réception digne des augustes voyageurs et de
leurs hôtes royaux.
— La reine d'Angleterre vient de faire offrir à la Bibliothèque,
Vaticane la collection du catalogue raisonné des œuvres de Raphaë^
dont elle conserve des copies au palais de Windsor. Ce catalogue a
été tiré à cent exemplaires, dont deux seulement ont été offerts à des
personnes en Italie : ce sont le Pape et Mgr Farabulini. Il est bon de
noter que le gouvernement italien n'a obtenu aucun exemplaire.
— La statistique officielle du suicide pour l'an 1884 dit que le
nombre des morts volontaires s'est élevé à 7,572, c'est-à-dire qu'il est
doublé depuis trente ans, et qu'il progresse encore chaque année.
Parmi ces désespérés de la vie, il se trouve plus de 1.600 femmes,
près de 100 enfants et 331 jeunes gens de seize à vingt et un ans. Le
département de la Seine, à lui seul, a fourni 1,420 victimes.
C'est là ceitainemeat un des fruits de ce prosélytisme irréligieux
qui s'exerce si largement et sans répression aucune à l'heure actuelle.
Il n'y a pas de Dieu, pas de vie future, pas de ciel, pas d'enfer. Alors,
pourquoi la vie, pourquoi son intolérable fardeau?... hâtons-noua
d'en finir!
— M. Auguste Honnoré, sénateur de la Meuse, a succombé dans
la nuit, hier, aux suites d'un accès de goutte.
Magistrat sous l'Empire, il avait été, peu après la révolution du
4 septembre, nommé substitut du procureur, puis procureur de la
République, à Nancy.
Révoqué au 16 mai 1877, réintégré l'année suivante par M. Dufaure,
il fut porté comme candidat républicain de la Meuse, aux élections
sénatoriales et élu le 5 janvier 1879.
Il était inscrit au groupe de la Gauche républicaine.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FL\ANCIÈRE
Les gens de la Bourse, qui ont plusieurs côtés communs avec
les moutons de Panurge, célèbrent à l'envi le succès de l'Emprunt
qui aurait été couvert vingt et une fois et demie.
Notre heureux ministre des finances est embarrassé devant un
390 ANNALES CATHOLIQUES
pareil luxe de demandes. Que va-t-il faire ? Comment contenter
les 247,000 souscripteurs? « H n'y aura aucune souscription irré-
ductible, disait-on. » Alors il faudrait donner à chaque souscripteur
le 1/21, soit 12 à 15 centimes de rentes, par 3 fr. de demandes, et
payables en quatre termes égaux. Cette solution, outre qu'elle serait
ridicule, serait aussi inapplicable. M. Carnot usera donc du pouvoir
qu'il s'est réserve de traiter à son gré les souscriptions de 3 fr. de
rente, et de les soustraire à l'irréductibilité proportionnelle. Il restera
à savoir combien il y a de souscii|.tions de 3 fr. de rente, et ce que
pourra faire en leur faveur le ministre des finances. Du moment
que, pour résoudre cette question, il faut entrer dans le régime du
bon plaisir, nous nous abstenons d'aller plus loin. Quant aux gros
souscripteurs, ils seraient alors d'autant plus réduits que les petits
l'auront moins été.
Les iVnglais ont fait tout ce qu'ils ont pu, aidés des Allemands,
pour contre-carrer le succès de notre Emprunt. Us ont augmenté
de 1 "/o le taux de leur escompte, et ont, eu Grèce, brouillé les
cartes que la France, par extraordinaire, avait réussi à ranger. La
Bourse a pu être effrayée quelques heures, mais tout le monde s'est
vite rassuré.
L'Emprunt est-il bien placé, ou a-t-il été souscrit par spéculation?
C'est ce que la Bourse ne va pas tarder h nous apprendre. Si nous
voyons venir beaucoup de récépissés provisoires, ciîla prouvera que
les vendeurs n'ont jamais entendu faire un placement ; mais jouer
la différence des cours ; et c'est ce qui arrivera. Seulement, les
titres, grâce aux fonds déplacés, seront facilement absorbés.
On voit généralement ce mois en hausse, parce qu'il faudra
remplacer l'argent décaissé. Déjà les bonnes valeurs s'en ressentent.
En tête, le Crédit foncier, dont les actions montent de 30 fr. et
dont les obligations vont suivre le même chemin; surtout celles non
libérées 1880 et 1885, dont les prix sont si alléchants, 20 à 22 fr.
moins chères que les obligations absolument similaires du même
établissement.
Nos Kentes se soutiennent vaillamment et les obligations de nos
grandes lignes de Chemins de fer retrouvent leurs cours les plus
élevés; l'obligation du Nord touche 400 fr. Décidément létaux de
l'intérêt de l'argent baisse chaque jour et les placements deviennent
de plus en plus difficiles à indiquer. A. H.
Le gérant: P. Chantrel.
«ris. — laip. de TŒuvre de Saint-Pau4 G. Piequoin, 51, me de Liaie.
ANNALES CATHOLIQUES
LE CHEMIN DE LA CROIX
S'il est une dévotion qui doit être chère aux chrétiens en
raison de son divin objet, c'est assurément l'exercice du
chemin de la croix. C'est à cette dévotion que Mgr Freppel
a consacré cette année sa lettre pastorale de carême.
Après avoir exposé doctrinalement ce qu'est la rédemption,
« dogme fondamental de la religion chrétienne, grand acte
dans lequel tout se résume et par lequel s'expliquent égale-
ment le passé et l'avenir du genre humain », Mgr l'évéque
d'Angers y rappelle l'admirable mouvement des croisades
et l'élan de piété qui, pendant des siècles, a poussé vers les
Lieux-Saints les pèlerins du monde entier. C'est quand la
chute de Constantinople vint forcément arrêter cet élan,
que prit naissance la dévotion du chemin de la croix. Aussi,
dit Mgr Freppel, « il serait difficile d'indiquer une dévotion
que les Papes se soient plu à favoriser davantage et à pro-
pager avec plus de zèle dans l'univers chrétien ».
Mais dans quel esprit convient-il de suivre les stations
du chemin de la croix ?
Les quatorze stations du chemin de la croix, répond l'éminent
évêque, sont autant de pages d'un livre déployé aux yeux du
monde pour l'instruction et la consolation de âmes : livre à la
fois sublime et populaire, aussi propre à exercer les méditations
du génie qu'il est accessible aux intelligences les plus simples
et les plus communes; livre écrit dans toutes les langues de la
terre, ou, pour mieux dire, dans une seule, mais qui est univer-
sellement comprise, la langue du cœur; livre où les actes
tiennent lieu des paroles, mille fois plus expressifs que ne sau.
raient l'être les plus merveilleux discours ; livre imprimé sur la
chair d'un Homme-Dieii, d'oii chacun de ses caractères se
détache avec un relief incomparable ; livre que le Fils de Dieu
Lvi. — MAI 22 1886. 29
392 ANNALES CATHOLIQUES
a écrit de son sang-, pour en mieux graver les leçons dans la
mémoire des hommes; livre qui est en même temps le poème de
l'amour divin et la révélation la plus effrayante de la malice
humaine; livre unique par le don, qu'il ne partage au même
degré avec aucun autre, d'adoucir toutes les souffrances, d'ins-
pirer tous les sacrifices, d'apaiser toutes les haines, et de ne
s'ouvrir devant aucune âme sans la rendre meilleure, moins
faible contre l'adversité, plus constante et plus ferme dans les
combats du devoir et de la vertu.
Toile et lege, prenez et lisez : ce mot de la grâce, qui décida
de la conversion de saint Augustin, s'applique tout particuliè-
rement à un livre où se trouvent résumés, avec les obligations
de la vie chrétienne, tous les motifs que nous avons de croire,
d'espérer et d'aimer, Oui, prenez en mains ce livre où tout est
lumière, force et vie ; suivez avec attention et ferveur le che-
min de la croix, et, à chaque pas que vous ferez dans cette voie
royale de la souffrance, vous sentirez croître et s'augmenter en
vous la foi et la divine charité.
Jésus-Christ, injustement condamné à mort par Pilate, vous
fera comprendre tout ce qu'il peut y avoir de cruel et d'inique
dans les jugements des hommes, du moment qu'ils cessent
d'avoir la loi de Dieu pour principe et pour règle. Quelle force
dans ce sublime exemple et quelle source de consolations pour
tous ceux que la médisance et la calomnie poursuivent et
accablent de leurs traits ! Qui pourrait se plaindre d'être en
butte à la haine et à la vengeance, en voyant que la sainteté
idéale n'a pu préserver le Juste par excellence de la fureur des
méchants ? Sans parler des martyrs de la primitive Église, ne
comprenez-vous pas ce que la scène du prétoire a dû inspirer
de courage et de résignation à toutes ces nobles victimes dont
l'histoire ne prononce les noms qu'avec attendrissement, depuis
Jeanne d'Arc expirant au milieu des flammes, le nom de Jésus
sur les lèvres, jusqu'à Charles I" d'Angleterre et à Louis XVI
tombant sous les coups d'une multitude en délire?
Et s'il est rare de voir les hommes soumis à d'aussi grandes
épreuves, s'il ne s'agit pour la plupart d'entre eux ni de persé-
cutions à souffrir ni de supplices à endurer, la vie humaine est
ainsi faite que les afflictions et les contrariétés ne manquent
jamais d'y trouver place. Quelque paisible et sereine que puisse
être notre existence ici-bas, le monde aura toujours assez d'in-
justices pour exercer notre patience, ses critiques assez de
LE CHEMIN DE CROIX 393
malignité, ses procédés assez de violence ou d'indélicatesse.
Grande leçon que le chemin de la croix nous donne dès le
premier pas, pour nous apprendre à préférer aux vaines opi-
nions des hommes le témoignage de notre conscience, en atten-
dant le jugement suprême de Dieu !
Jésus-Christ chargé du fardeau de la croix vous enseignera
que nous avons tous notre croix à porter, que cette croix est
toujours prête et qu'elle nous attend partout : Crux semper
parafa est, et uhique te expectat (1). Car la loi de la souffrance
est écrite sur le berceau du monde. Dieu la promulgua le jour
oii le premier homme entraîna dans sa chute toute sa descen-
dance. Depuis ce moment-là, un joug dur pèse sur les enfants
d'Adam : Jugum grave super filios Adam (2). Tous, nous par-
ticipons à l'expiation comme à la faute; et quelque effort que
nous fassions pour échapper à la souffrance, nous ne parvenons
jamais à l'éviter entièrement : Non potes effugere, uhicumque
cucurreris (3). Quand elle s'éloigne de notre corps, elle se
réfugie dans l'âme pour remplacer la douleur physique par les
peines morales; et, à défaut de causes intérieures qui l'entre-
tiennent, nous trouvons au dehors des occasions qui la font
naître, dans les accidents H-» !a vie et dans les vicissitudes de
ce monde : Aut enivn in corpore dolorem senties, aut in anima
spiritus tribulationem sustivebis (4). Telle est la destinée de
l'homme sur la terre : il n'est pas de vie humaine où la souf-
france n'ait eu son jour ou son heure. Ce qui importe, c'est de
l'accepter des mains de Dieu avec une soumission filiale, pour
avoir part à la gloire comme à la peine : Et si socius fueris
pœnœ, socius eris et gloriœ (5).
Jésus-Christ tombant à trois reprises sous le poids de l'ins-
trument du supplice, vous avertira de l'infirmité de notre
nature, si sujette à défaillir sur lo chemin de la vie, oii les
blessures de l'âme viennent s'ajouter aux souffrances du corps
pour entraîner tout l'homme dans des chutes multipliées. Car
vous n'oublierez pas, en suivant le chemin de la croix, qu'ici
chaque détail renferme une leçon morale, et que l'histoire du
genre humain se résume tout entière dans ce drame unique,
(1) De Imiiitatione Cfiristi, Kb. H, capv XH.
(2) Ecdi., XL, 1.
(3) De Irait . Christi, ibidem.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
394 ANNALES CATHOLIQUES
dont le sens intime dépasse infiniment la simple apparence du
fait extérieur et sensible. Le Fils de Dieu succombe sous le far-
deau de nos péchés qu'il a pris sur lui pour les racheter, bien
plus que sous la croix qui pèse sur ses divines épaules; et les
trois chutes qui se succèdent sur la voie douloureuse répondent
aux défaillances de l'humanité tombée sous le joug de la triple
concupiscence dont parle l'apôtre saint Jean : l'orgueil, la con-
voitise et la sensualité. Mystérieuse expiation, aussi propre à
nous pénétrer du sentiment de notre faiblesse qu'à ranimer
notre confiance! Car si le Sauveur nous apprend à ne jamais
présumer de nos forces, il nous enseigne en même temps qu'avec
le secours de Dieu nous pouvons toujours nous relever de nos
chutes, rafî'ermir nos pas chancelants, et reprendre avec courage
le chemin qui doit nous conduire au terme de nos épreuves et
de nos tribulations.
Jésus-Christ rencontrant sa très sainte Mère sur la voie des
souffrances, vous rappellera que Marie a été établie de Dieu le
salut des infirmes et la consolatrice des affligés, qu'il sera doux
pour nous de recueillir le bienfait de cette assistance mater-
nelle au milieu de nos peines, et surtout à l'heure de notre
mort. Nul doute, on effet, que dans cet abandon universel, écla-
tant mais triste témoignage de la lâcheté et de l'ingratitude
des hommes, la vue et la compassion de la sainte Vierge n'aient
été pour l'adorable victime un adoucissement suprême au plus
amer des tourments. Là du moins, dans la foule des accusateurs
et des bourreaux, et faisant contraste avec l'indifférence et la
haine, il y avait un regard plein de tendresse, des yeux baignés
de larmes, un cœur percé du glaive de la douleur... Ainsi Dieu
a-t-il voulu que la plus pure et la plus sainte des affections
humaines ne fût pas absente de cette grande scène, afin d'in-
diquer tout ce qu'il y a pour l'homme de force et de consolation
dans ces sentiments de famille, qui, prenant racine au plus pro-
fond de son être, le suivent du berceau à la tombe, le soutenant
dans la mauvaise comme dans la bonne fortune, pour ajouter à
ses joies ou pour diminuer ses peines, et ne le laissant jamais
sans un rayon d'espérance, alors même qu'il serait délaissé du
monde entier. A toutes ses leçons, le chemin de la croix ajoute
celle-ci, d'une si grande élévation morale : en nous montrant
la passion du Fils devenue la compassion de la Mère, il s'associe
dans l'ordre de la grâce et de la rédemption ce qu'il y a de plus
étroitement uni dans la nature et dans la société humaine.
LE CHEMIN DE CROIX 395
Jésus-Christ, aidé par Simon de Cyrène à porter sa croix,
vous enseignera que nous devons tous nous entr'aider sur le
chemin de la vie, nous soutenir mutuellement, nous fortifier
les uns les autres par la parole et par l'exemple, et par un
échange fraternel de services et de bienfaits. C'est la loi fon-
damentale du christianisme : Alter alterius onera portate, et
sic adimplehitis legem Christi (1).
Loin de nous cet égoïsme inhumain qui consiste à ne s'occuper
que de soi, sans s'occuper d'autrui; car il est écrit : Unicuique
mandavit Deus de proximo suo : « Dieu ordonne à chacun de
s'intéresser à son prochain (2). » Membres d'une même famille,
d'une même cité, d'un même État, d'une même Église, la loi
de l'assistance réciproque s'impose à nous , et cette loi n'a
d'autres limites que celles de l'humanité. Ainsi se forment et
se resserrent les liens qui doivent nous unir comme autant de
frères, et il n'est pas de sacrifice auquel nous ayons le droit
de nous dérober, du moment qu'il est en notre pouvoir d'alléger
pour nos semblables le poids de la soufifrance et du malheur.
Car nous ne formons tous qu'un seul corps dans le Christ, qui
en est la tête (3) ; et c'est la croix même du Sauveur que nous
soulevons de nos mains en aidant nos frères à porter la leur.
Jésus-Christ imprimant sa sainte face sur le suaire que lui
tend la pieuse Véronique, vous rappellera que nous devons tous
reproduire en nous-mêmes la sainteté de Dieu à l'image de qui
nous avons été créés. Heureuse femme qui, en retour de cet
acte de foi et de charité, reçoit l'empreinte des traits du Sau-
veur sur le voile qu'elle lui présente pour essuyer son visage
couvert de poussière, de sueur et de sang! Elle aura pour
récompense de sa courageuse piété l'insigne faveur de déployer
ce voile aux yeux du monde entier, d'off"rir à l'adoration des
hommes cette face auguste qui fait le ravissement des anges et
des esprits bienheureux ; cette face où la majesté divine res-
plendit à travers les opprobres de la Passion , et que nous
sommes tous appelés à essuyer à notre tour en réparant les
outrages de l'impiété par la prière, par la louange et par l'ado-
ration. Œuvre de réparation méritoire entre toutes, touchante
dévotion qui s'est ranimée de nos jours, à quelques pas du tom-
beau de saint Martin, sous les auspices d'un fidèle serviteur de
(1) Galat., VI, 2.
(2) Eccl., xvii, 12.
(3) Epbes., IV, 15; Rom., xii, 15.
396 ANNALES CATHOLIQUES
Dieu, et qui est bien fait pour graver dans notre cœur l'image
d'un Dieu souffrant, comme d'ailleurs elle nous prépare mer-
veilleusement à contempler un jour l'incomparable beauté de
cette sainte face devenue toute rayonnante de lumière et de
gloire.
Monseigneur l'évêque d'Angers tire avec cette grande
doctrine un enseignement de chacune des stations et con-
clut ainsi :
Que vous semble? N'a\ons-nous pas eu raison de dire que
les quatorze stations du chemin de la croix sont un résumé
incomparable des obligations de la vie chrétienne? Oii trouver
ailleurs et sous une forme plus saisissante que dans ce pieux
exercice tout l'ensemble de la doctrine évangélique? Comment
.ne pas se sentir plus de force et de courage dans l'accomplis-
sement du devoir, eu parcourant cette voie du sacrifice oii le
Sauveur a laissé à chaque pas la marque ineffaçable d'une
constance et d'une résignation surhumaines? Quelles épreuves
pourraient nous paraître dures et pénibles à la vue d'un tel
enchaînement do s upplices et d'opprobres? Est-il une lutte
devant laquelle reculerait notre faiblesse, une passion que nous
trouverions trop difficile à vaincre, après avoir repassé en
esprit tout ce que Jésus-Christ a dii souffrir pour expier nos
fautes? Placez donc cette grande dévotion au premier rang de
celles qui vous sont les plus chères. Aimez à faire le chemin de
la croix, soit en votre particulier, soit en prenant part à l'office
public de vos paroisses.
A chaque station, entrez dans les sentiments de foi, de piété,
de componction salutaire qu'inspirent si vivement, les uns après
les autres, tous les actes du drame divin de la Passion. Tout
païen qu'il était, le Centurion, témoin de cette grande scène, ne
s'écriait-il pas avec l'accent d'une âme sincère et qui ne résiste
pas à la vérité : « Vraiment celui-là était le Fils de Dieu (1) ».
Et le peuple de Jérusalem, resté jusque-là si indifférent et si
lâche, ne descendait-il pas du Calvaire en se frappant la
poitrine : Percutientes pectora sua revertebantur (2)? Ainsi
sentirez-vous s'accroître et se fortifier en vous l'amour de Dieu,
la charité envers vos frères, le renoncement à vous-mêmes.
(1) S. Matth. xxviT, 54.
(2) S. Luc, XXIII, 48.
LES ORIGINES DE LA CIVILISATION MODERNE 397
l'esprit d'abnégation et de sacrifice, l'horreur du péché, la
contrition de tos fautes et l'espérance d'une vie future, terme
et couronnenaent de la vie présente; car c'est par la souffrance
que le Christ est entré dans la gloire, et le chenain de la croix
est aussi le chemin du bonheur et de l'immortalité.
LES ORIGINES DE LA CIVILISATION MODERNE
PAR M. GODEFROID KURTH,
PROFESSEUR A l'uNIVERSITÉ DE LIEGE (1)
Depuis longtemps nous nous promettons de donner à nos
lecteurs un compte-rendu détaillé de ce beau livre, qui a
paru au commencement de l'année. La nécessité de suivre
au jour le jour les incidents multiples de la politique cou-
rante nous a empêché jusqu'ici de réaliser notre projet.
Nos lecteurs n'y auront rien perdu, puisque nous sommes
à même de leur offrir un travail des plus complets dû à une
plume autorisée. C'est M. l'abbé Onclair qui s'est chargé
d'analyser et d'apprécier l'œuvre magistrale du professeur
de Liège. Nous reproduisons en grande partie son article,
auquel la Revue catholique des Institutions et du Droit
a fait les honneurs de sa livraison d'avril.
Après un court préambule où il indique les affinités qui
existent entre l'histoire de la civilisation et l'œuvre de res-
tauration sociale que poursuivent les jurisconsultes et les
hommes d'État associés pour publier la savante Revue de
Grenoble, l'écrivain aborde ainsi sa tâche :
Dés la préface de ce livre, on sent l'homme maître de son
sujet, que dis-je, amoureux de son sujet avec lequel il a vécu
de longues années, qui lui a coûté des recherches patientes, des
lectures à faire frémir la légèreté contemporaine, mais aussi
des satisfactions sereines et pleines de grandeur. Comme les
penseurs d'autefois, dont il est l'héritier, il a sacrifié son repos,
(1) Deux magnifiques volumes gr. in-S" de xlvi, 387 — -xlvit, 313 pp.
— Prix: 12 fr. — Louvain, Ch. Peeters; Paris, Vict. Lecoffre 1886.
398 ANNALES CATHOLIQUES
sa santé, à ses chères études ; il confie au lecteur ses amertumes
du présent, en même temps qu'il regarde l'avenir avec l'iné-
branlable confiance du chrétien. Puisse Dieu lui commander
encore d'autres œuvres pareilles ! Quand Dieu commande, il
donne la force d'accomplir.
L'Introduction nous présente une étude sur le principe
civilisateur lui-même. La question y est posée et résolue avec
une franchise et une netteté toute philosophique et toute
chrétienne. Comme le dit avec raison l'éminent écrivain, cette
question est de celles que le penseur doit résoudre de toute
nécessité, au risque de flotter sans cesse dans le vague, dans
l'incertain ; au risque de se heurter constamment à des impos-
sibilités. Nous voudrions voir nos hommes d'expédients, nos
soi-disant libres-penseurs répondre aux déductions irrésistibles
de M. Kurth.
A moins que de se faire le champion du principe matérialiste,
ou, comme on dit aujourd'hui, positiviste, on ne saurait admet-
tre que la civilisation soit uniquement matérielle, qu'elle ne
connaisse que la matière; que l'intelligence et la morale n'y
soient pour rien. C'est mentir à la nature même de l'homme,
aux aspirations de celui-ci vers l'immortalité. La destinée de
l'homme est donc un des facteurs essentiels de la civilisation,
la destinée de la société en est un autre ; mais celle-ci dépend
nécessairement de celle-là. Or, la société antérieure au chris-
tianisme, que savait-elle en matière de civilisation ? Bien peu
de chose, en vérité, si ce n'est qu'elle avait conservé des aspi-
rations vers un idéal qui, pour elle, était un rêve, une inconnue.
Les pages que consacre M. Kurth à cette grave question sont
assez nombreuses, mais elles ne sont pas longues tant elles sont
étincelantes de vérité, de simplicité, de conviction. Aucun lec-
teur sérieux ne les passera ; tous les liront comme une véri-
table jouissance, et se diront : C'est beau, c'est vrai, et c'est
grand !
Le terrain ainsi déblayé, l'auteur entre de plain-pied dans
son sujet, il y est à l'aise. L'histoire se déroule sous sa main
avec sa majesté, ses enseignements lumineux, dans son harmonie
providentielle.
L'écrivain nous présente d'abord la société qui s'écroule sous
le poids de ses vices, de sa corruption, tout autant que sous les
coups des barbares (ch. I"). En face d'elle, se di^esse le monde
germanique, dont l'organisation est étudiée avec une patience
LES ORIGINES DE LA CIVILISATION MODERNE 399
bénédictine, une grande élévation de vues, une non moins
grande fermeté de jugement.
Au-dessus de la société qui s'effondre, et de celle qui grandit
et va se transformer, plane YÉglise, avec ses origines et ses
destinées divines, avec sa puissante unité, ses doctrines sur-
naturelles, son désintéressement et son amour. Le iii^ chapitre
est radieux, magnifique, grandiose, plein de théologie rigou-
reusement scientifique, et par suite orthodoxe. Nous voudrions
pouvoir le copier en entier, et le livrer à l'admiration des uns,
à la critique impuissante des autres.
Les trois combattants du champ clos où vont se décider les
destinées de la civilisation moderne, sont désormais connus.
Nous allons assister à présent à la lutte la plus gigantesque
dont l'histoire fasse mention, et, faut-il le dire, cette lutte ne
cessera qu'avec la fin des temps, lorsque le genre humain sorti
des mains de Dieu et retourné vers lui, aura définitivement
accompli son rôle providentiel.
L'Empire romain d'Occident se dissout le premier (ch. iv);
celui de Bjzance survit, pour montrer au monde l'impuissance
d'un pouvoir sorti des voies de la Providence. Ces empereurs,
à part deux ou trois qui paraissent se souvenir qu'ils sont les
ministres de Dieu pour le bien, ces empereurs sont misérables
et ridicules à la fois ; ils entraînent après eux la société dégé-
nérée, aux destinées de laquelle ils président (ch. vi). Le monde
germanique, au contraire, après avoir entassé les ruines, après
avoir abattu ce qui était condamné à périr, se jette dans les
bras de l'Église, dont la majesté, la douceur et une auréole
divine qu'elle a au front, captivent ces natures pleines de sève
et d'aspirations élevées, en dépit de leurs mœurs et de leurs
institutions. L'Église les assouplit, les purifie et les transforme;
et les origines de la civilisation moderne allaient apparaître
si l'hérésie arienne, s'attaquant à l'essence même du christia-
nisme, n'était venue en arrêter l'essor (ch. vu).
C'est une histoire délicate, pleine de périls pour l'écrivain
laïque, que celle de l'arianisme. Mais c'est aussi une histoire
riche en enseignements féconds, même au point de vue de
l'histoire moderne. Si l'arianisme a entravé la marche de la
civilisation aux premiers siècles de l'ère chrétienne, le protes-
tantisme, ou la grande apostasie du XVP siècle, qui est, nous
osons le dire, la synthèse de toutes les hérésies, a empêché son
épanouissement et son triomphe.
400 ANNALES CATHOLIQUES
Le protestantisme, en effet, a travesti l'idée de libe rté et
celle d'autorité, qui sont deux facteurs essentiels de la civilisa-
tion. Il a brisé l'alliance de l'autorité religieuse et de l'autorité
civile, et proclamé la suprématie de celle-ci sur celle-là. Or,
si le parallélisme des deux pouvoirs est, dans les questions qui
sont du ressort de tous deux, une erreur manifeste et colossale,
la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir religieux, est une
absurdité, même au point de vue de la simple raison.
Mais, il importe do le remarquer, si l'Église est une puissance
civilisatrice, elle ne l'est qu'accidentellement, son but premier
et essentiel étant de conduire l'homme à son salut éternel, par
les moyens surnaturels que son divin Fondateur a mis à sa
disposition. Cette digression sur le protestantisme n'appartient
pas à M. Kurth. Nous en demandons pardon à nos lecteurs. Le
savant professeur est resté rigoureusement dans son rôle d^his-
torien. Mais, ne sommes-nous pas en droit d'en sortir un instant,
s'il est vrai que l'histoire est l'enseignement donné par le passé
au présent et à l'avenir.^ Ici se termine le premier volume de
ce monument historique que nous essayons d'analyser (1).
Le second volume, quoi qu'en dise modestement l'auteur dans
la préface de son ouvrage, ne le cède en rien au premier. Même
érudition, même logique, même enchaînement rigoureux,
même éclat de style. Nous oserions affirmer, au contraire, que
l'édifice gagne en majesté, à mesure qu'il se rapproche da
sommet.
Ce second volume contient six chapitres ; le lecteur en com-
prendra immédiatement toute l'importance à la seule nomen-
clature des titres : Ch. VIII, Naissance des sociétés catho-
liques ; — Ch. IX, la Société' barbare au VI" siècle; —
Ch. X et XI, Action de V Eglise ; — Ch. XII, les Carlovin-
giens ; — Ch. XIII, Charlemagne. L'ouvrage se termine par
un ensemble de pièces justificatives. Parmi elles, il y a une
leçon de critique historique donnée avec autant de bon sens
que de modération à M. Havet, à propos de la lettre du Pape
Anastase à Clovis, que M. Kurth regarde, ajuste titre, comme
authentique, jusqu'à preuve du contraire ; puis cinquante
pages environ de notes bibliographiques, rédigées et mises en
(1) Voici les titres des chapitres que comprend ce volume : UEm-
pire romain. — Le monde germanique. — L'É^glise. — La chute de
VEfnpire romain en Occident. — Progrès de l'Église. — Byzance. —
Les royaumes ariens.
LES ORIGINES DE LA CIVILISATION MODERNE 401
ordre avec une rare patience et une grande fermeté de juge-
ment. Après cet exposé, qu'il nous soit permis de reprendre
notre analyse au point oii nous l'avons laissée.
Nous voudrions transcrire ici le début du chapitre viii, qui
ouvre ce second volume. Il y a là des pages éloquentes que l'on
dirait tracées avec le burin de Tacite, mais d'un Tacite chré-
tien, sur la situation de l'Occident, de l'Orient, et de l'Église
catholique, « au moment oii se fermait le V* siècle ». Or, dit
M. Kurth, « c'est en ce moment solennel que retentit à travers
« l'Europe une nouvelle extraordinaire : Clovis, le roi des
« Francs Saliens, venait de se convertir au catholicisme, et
« une grande partie de son peuple était descendue avec lui
« dans les eaux baptismales de Reims. Arrivant à cette heure
« critique entre toutes, un pareil événement, si modeste que
« fussent ses proportions, avait tous les caractères d'une révo-
« lution historique. La main de la Providence semblait sortir
« des nuages, et, suspendant brusquement la marche de l'his-
« toire, la détournait de sa direction pour la lancer dans une
« voie nouvelle. » Voilà un coup d'œil de penseur chrétien, une
vue d'ensemble que l'histoire vérifie admirablement. La récom-
pense temporelle de la conversion des Francs, et son influence
sur la civilisation, sont décrites avec sagacité et concision,
ainsi que la transformation de toute l'Europe occidentale et le
triomphe de l'Église, dans cette partie de l'ancien monde
romain.
L'auteur, comme c'était son devoir, s'est arrêté à raconter
les origines du pouvoir temporel des Papes. Ces origines sont
décrites avec sagesse, avec une grande sagacité de critique
historique. Peut-être pourrait-on désirer un peu plus de
netteté didactique. Mais ce n'est là qu'un peut-être sur lequel
nous n'insistons pas. L'histoire prouve du reste suffisamment
que le pouvoir temporel des Papes est une institution providen-
tielle, destinée à servir de modèle, d'institutrice et d'arbitre
aux pouvoirs chrétiens, de sauvegarde à la Papauté spirituelle.
C'est à tous ces titres qu'elle a soulevé contre elle la calomnie
et les haines du rationalisme impie. •* A la fin du IV* siècle,
« (c'est par ces mots que M. Kurth conclut ce viii* chapitre) :
« l'Eglise, pareille à la stérile de l'Écriture, se voyait subite-
« ment entourée d'une multitude d'enfants, et armée de l'éten-
« dard de la civilisation, elle s'avançait vers l'avenir suivie
« d'un long cortège de peuples qu'elle avait enfantés. >
402 ANNALES CATHOLIQUES
« Les barbares, dit M. Kurth au début du ix* chapitre, les
« barbares étaient baptisés, ils n'étaient pas encore chrétiens. »
Ce mot signale le travail qui incombait à l'Église catholique,
cette mère féconde des nations modernes. Travail gigantesque
qui eût effrayé, sans contredit, tout autre agent qui n'aurait
pas eu des garanties d'immortalité. Faire des chrétiens ! mais
c'est renouveler la face de la terre, c'est faire régner la justice
et la charité qui, comme l'a dit un autre penseur profond,
M. Charles Périn, sont les deux pivots sur lesquels roule l'édi-
fice chrétien, c'est faire germer les plus sublimes vertus sur le
fumier infecte de la barbarie. Nos contemporains, ingrats
à l'égard de l'Église et ignorants des services qu'elle leur
a rendus, ne savent pas ce qu'il en a coûté de labeurs, de
dévouements, d'abaissements grandioses, de sang même aux
missionnaires, aux moines, aux évêques, aux Papes do cette
époque, pour réaliser cette merveille de la transformation du
monde et de l'inauguration de la civilisation moderne. M. Kurth
décrit avec une cruelle concision la situation du monde barbare,
il a des accents de véritable poésie dantesque pour célébrer
l'action de l'Église. Nous n'hésitons pas à dire que ces deux
chapitres, le x' et le xi% sont un hymne d'amour et de recon-
naissance. Rien de lyrique pourtant dans l'expression, mais la
froide raison du savant et de l'historien qui s'échaufte et se
dilate à ia radieuse réalité des faits. Il passe en revue, avec sa
logique habituelle et son inflexible impartialité, les obstacles
que rencontrait l'action civilisatrice de l'Église et de la part des
populations à transformer, et de la part des pouvoirs publics,
et, ce qui est plus grave, ceux qui se présentaient dans son
propre sein. D'autre part, il pèse les moyens puissants dont
l'Église disposait, il les discute avec calme et sincérité, puis il
raconte simplement les faits et laisse au lecteur le soin de
conclure.
Ce travail des premiers civilisateurs de la société moderne
mérite d'être étudié avec soin par les chrétiens d'aujourd'hui,
et par les ministres de l'Église eux-mêmes, qui ont à défendre
le dépôt de la foi et de la morale contre l'invasion d'une
barbarie nouvelle, plus détestable que la barbarie ancienne
parce qu'elle est le fruit de l'apostasie. Nous croyons que ces
deux chapitres dont nous présentons en ce moment l'analyse
ont dû coûter à l'écrivain bien des recherches, un travail dur
et opiniâtre. Qu'on les compare aux Moines d'Occident, du
LES ORIGINES DE LA CIVILISATION MODERNE 403
noble et vaillant comte Ch. de Montalembert. C'est un parallèle
que nous nous permettons de conseiller, sans présenter au
lecteur nos conclusions personnelles. Nous nous sommes arrêté
longtemps à rendre compte de ces pages, parce que, d'après
nous, elles forment le nœud de ce grand drame historique dont
l'Europe occidentale est le théâtre. Pendant que nous les
étudiions nous-mêmes avec des jouissances que nous voudrions
communiquer à nos lecteurs, nous avions sous les yeux une
foule de livres qui ont traité le même sujet, tantôt pour un
point du globe, et tantôt pour un autre. S'il en est parmi eux
qui brillent par le charme des détails, des anecdotes curieuses,
émouvantes même, ainsi que par la magie d'un style coloré et
éloquent, nous devons à la vérité de dire que la palme de
l'historien sévère, clairvoyant et consciencieux revient
à M. Kurth. Ce n'est pas cependant que son style soit sec,
aride, didactique, oh! non, il est au contraire imagé et nerveux.
« Il ne suffisait pas, dit-il par exemple à la page 117 de ce
« 2* volume, de porter la lumière dans les esprits, il fallait
« aussi rétablir l'ordre dans les coeurs, et extirper les passions
« en même temps que les préjugés. Cette partie de l'œuvre
« civilisatrice présentait plus de difficultés encore. Les volontés
« se défendent d'une autre manière que les intelligences;
« celles-ci n'opposent qu'une résistance passive; celles-là, au
« contraire, traduisent leur volonté par des actes et mettent
« toutes les ressources de la force brutale au service du parti
« pris. Le barbare converti admettait que la religion renversât
« ses arbres sacrés, il ne tolérait pas qu'elle touchât à l'objet
« de ses passions, et il défendait ses vices avec plus d'énergie
« que ses dieux. Rien de terrible comme les éclats de sa colère
« et de son indignation, aux heures où il se voyait aux prises
« avec les ennemis de ses plaisirs. C'était la bête qui se débat-
« tait contre le joug, et dont la résistance était d'autant plus
« furieuse que la main du dompteur était plus ferme. » Qui
d'entre nous ne sait que sous ce rapport les temps n'ont guère
changé? Que la bête humaine, pour nous servir d'une expression
de Lacordaire, hurle toujours après la liberté brutale? Qui ne
sait que les modernes barbares de la libre pensée ne différent pas
sensiblement des barbares du VP siècle, si ce n'est par l'hypo-
crisie des prétextes qu'ils ont en plus? Les sectes hostiles à la
civilisation chrétienne le savent bien. Aussi ont-elles fait du
sensualisme leur arme de prédilection.
404 ANNALES CATHOLIQUES
L'auteur examine encore dans ces deux chapitres l'action de
l'Eglise sur la vie publique et sociale, il y discute avec une rare
sagesse les conditions de la liberté évangélique, et trace au
ix' chapitre un tableau saisissant, plein de clartés et de science,
de la vie monastique. « Ce sont, dit-il en parlant des moines,
« les humbles et opiniâtres ouvriers qui, fuyant le plaisir et la
« renommée, et se vouant tout entiers à leur oeuvre sublime,
« cachent leur vie et leur nom dans les fondements de l'édifice
« majestueux qu'ils élèvent vers le ciel. La pensée constante
« qui leur fait poursuivre dans la solitude de leurs cellules
« leurs longues et patientes études, c'est la gloire de Dieu, le
« triomphe de l'Évangile, le salut des âmes. »
Le chapitre suivant traite de la race carlovingienne. Il est
un acheminement ou, si on le préfère, un portique au règne
incomparable de Charles le Grand ou de Charlemagne. La
famille carlovingienne, dit avec raison M. Kurth, représente
dans l'histoire le triomphe du principe chrétien sur la barbarie.
A ce titre elle mérite d'être étudiée à fond. Elle le mérite
encore à raisoo des grands hommes, des héros qu'elle a produits,
de la popularité dont elle jouissait et de la supériorité intellec-
tuelle et morale de ses membres. Voilà des titres de légitimité
incontestables. Cette histoire des Carlovingiens est étudiée par
M. Kurth avec un soin spécial. Il a des vues profondes sur
l'action de la Providence dans la formation des nationalités.
Parlant de Pépin le Bref, il le qualifie d'un mot qui montre
bien à quelles grandes pensées s'inspire l'historien : « Vraie
« nature de roi, dit-il, parce qu'il comprenait tous les besoins
« de son temps et qu'il savait se dominer lui-même et les autres,
« il était fait pour couronner la fortune de sa maisim. » Le
peuple franc est brave et généreux, il veut des princes qui lui
ressemblent, et quand la Providence les lui a donnés, il les
entoure d'un véritable culte. Charles-Martel conquit un
immense empire sur les populations franques, par sa terrible
et sanglante victoire de Poitiers sur les musulmans; il avait en
ce jour mémorable sauvé l'Occident chrétien. L'historien décrit
avec habileté la sagesse de la famille carlovingienne à l'égard
des grands, son respect pour les droits acquis, sa diplomatie
aussi prudente que ferme et persévérante, puis il conclut :
« C'est donc sans exception une série de grands civilisateurs
« que nous présente la famille d'Arniilf, depuis Pépin d'Héristal
« jusqu'à Charlemagne. Ils méritèrent tous ce nom glorieux.
LES ORIGINES DE LA CIVILISATION MODERNE 405
« parce que tous, par des moyens divers et à divers degrés,
« se firent les protecteurs et auxiliaires de l'Église, en qui
« vivait le principe de la civilisation. » Il signale l'alliance des
rois francs et de la Papauté, l'influence des conciles nationaux
sur la vie religieuse et sociale des populations germaniques.
Puis il termine ce chapitre par le récit exact et concis de la des-
cente des Francs en Italie, pour venir en aide à la Papauté
menacée, lui assurer son indépendance nécessaire et sa supré-
matie bienfaisante sur tous les pouvoirs chrétiens.
Le dernier chapitre du livre de M. Kurth porte à son fron-
tispice, comme le dit l'écrivain lui-même, « un nom uràque
dans l'histoire, Charlemagne! »
Le savant critique reproduit ici deux pages entières du
livre de M. Kurth consacrées à retracer la physionomie du
grand empereur d'Occident. M. l'abbé Onclair apprécie
commue il suit cet admirable portrait, que nous avons pu,
grâce à une communication de l'éditeur, publier dans notre
numéro du 20 janvier dernier :
Mieux qu'aucun commentaire, ces pages font connaître
l'homme exceptionnel dont l'historien trace l'histoire en rac-
courci, et donnent en même temps une idée de la manière de
l'écrivain. Nous ne croyons pas qu'aucun écrivain ait jamais
tracé un portrait plus grandiose et plus rigoureusement ressem-
blant du héros chrétien.
... Qu'il nous suffise de dire que ce tableau, d'une vérité
historique saisissante, est péremptoirement justifié par M. Kurth
dans le dernier chapitre de son livre.
Tel est ce magnifique ouvrage que nous avons lu et analysé,
nous l'avouons, avec une vive admiration et une profonde
reconnaissance pour cet éminent service rendu à la science
historique, à l'enseignement et à l'Église.
Heureux les jeunes gens qui sont admis à écouter de pareilles
leçons ! Ce livre fait honneur à l'homme désormais illustre, au
maître savant et sympathique qui l'a écrit, à l'Université de
lùège, à l'Église catholique.
L'auteur l'a dédié à sa femme, qui est la compagne aimable et
intelligente de sa vie et de ses études.
Puissions-nous avoir excité, parmi les hommes studieux, le
désir de le lire, de le méditer ; puissions-nous avoir inspiré à
d'autres l'idée de marcher sur les traces de ce maître !
406 ANNALES CATHOLIQUES
Mais il y aurait, de notre part, un oubli sans excuse, si
nous ne félicitions pas l'éditeur, M. Ch. Peeters, de Louvain,
de son travail magnifique à tous égards.
Qu'il nous soit permis, avant de finir, de présenter une
requête à notre savant ami, M. Kurth. Qu'il veuille bien ne
pas s'arrêter dans la voie où il est entré. Qu'après un repos
laborieusement gagné, il rentre dans l'arène. Personne mieux
que lui n'est à même de nous donner V Histoire de la Société
chrétienne, depuis Charlemagne jusqu'au jour oii la civilisation
chrétienne atteignit son sommet sous le règne de l'immortel
pontife saint Grégoire VII. C'est une histoire de luttes, de
grandes batailles, de splendides triomphes que le monde n'ou-
bliera jamais.
Aug. Onclair, prêtre.
LA GRECE ET LE VATICAN
Deux journaux grecs, V Acropole et VAnatolie, ont signalé
récemment une très intéressante démarche faite près du Saint-
Siège par M. Zénopoulos, membre du Parlement hellénique.
M. Zénopoulos a rendu visite au cardinal Jacobini, qui l'a reçu
avec une extrême bienveillance, et l'entretien a porté sur les
affaires de la Grèce. Le cardinal montra un tel désir de con-
naître les affaires de ce pays, que lorsque, à trois ou quatre
reprises, M. Zénopoulos se leva pour prendre congé du mi-
nistre d'Etat de Sa Sainteté, celui-ci l'invita à prolonger la
conversation.
M. Zénopoulos, écrit-on de Rome à Y Acropole, en profita pour
exposer au cardinal Jocobini l'intérêt qu'aurait le Saint-Siè^e à
exercer en faveur de la Grèce son influence en Autriche d'abord,
mais surtout auprès du prince de Bismarck, qui montre d'ailleurs
des sentiments si bienveillants, et d'engager ces puissances à
sauvegarder les intérêts helléniques, lesquels sont unis aux inté-
rêts d'un si grand nombre de grecs latins (lisez : catholiques-
unis), répandus dans la partie de la Grèce qui n'est pas encore
affranchie. Le cardinal Jacobini répondit qu'il parlerait de tout
cela au Saint-Père; il ajouta que le Souverain-Pontife demanderait
sans doute à voir personnellement M. Zénopoulos.
LA GRÈCE ET LE VATICAN 407
Nous ne sachions pas que cette audience ait encore été accor-
dée. Il n'en est pas moins vrai, comme le remarque VAcropole,
que « la mission remplie par M. Zénopoulos a une grande
signification. Quand nous considérons, ajoute ce journal, les
rapports sympathiques que la Grèce a toujours entretenus avec
le Saint-Siège, nous ne pouvons nier que, sans avoir jamais
établi, depuis la constitution du royaume, des relations avec
la Cour de Rome, le gouvernement ne s'est cependant jamais
montré malveillant envers elle, et qu'il a reconnu à son tour
avoir trouvé dans le Saint-Siège une protection aussi efficace
qu'auprès des plus grandes puissances. »
L'histoire nous apprend que, malgré ses dissidences reli-
gieuses avec le Saint-Siège, la nation hellénique a recouru à
lui dans les cas de grave nécessité, le reconnaissant ainsi, non
seulement comme la plus grande puissance morale de l'univers,
mais encore comme la puissance la mieux placée, par l'in-
fluence qu'elle exerce sur les gouvernements, pour faire au
peuple grec autant de bien que les plus grandes puissances
matérielles qui se proclament ses amies.
Un journal catholique-uni, VAnatolie, qui se publie dans
l'île de Syra, a reproduit les informations de VAcropole, et les
a accompagnées de réflexions que nous reproduisons en partie,
parce qu'elles achèveront d'indiquer les dispositions du monde
officiel et de l'opinion hellénique vis-à-vis du centre de la
catholicité.
h'Anatolie se réjouit des sentiments de sympathie que le
député grec a trouvés chez le ministre d'État de Léon XlII.
Ces sentiments, le Saint-Siège ne cessa jamais de les manifes-
ter. Ils les a prouvés en plusieurs circonstances. Mais gardons-
nous de prêter l'oreille aux calomnies et aux injures que certaines
gens dirigent à dessein contre le Saint-Siège, afin d'engager un
peuple simple et facile à tromper à les maintenir sur leurs propres
sièges. Imitons ceux qui ont gouverné notre nation depuis notre
affranchissement, et qui, sans se laisser émouvoir par les injures
et les calomnies de certains démagogues, ont fait appel à la Cour
de Rome. S'ils n'ont pas obtenu complètement le but qu'ils pour-
suivaient, il faut l'attribuer à ces soi-disant démocrates et aux
ambitieux de tous les temps, lesquels ont empêché, à dessein et
par mille agissements, la réalisation des intentions généreuses
des hommes qui recouraient au Saint-Siège.
Et un peu plus loin, VAnatolie ajoute :
Confiant en ces témoignages de sympathie, M. Zénopoulos ne
408 ANNALES CATHOLIQUES
laissa point échapper celte heureuse occasion d'invoquer la pro-
tection du Saint-Siège sur la nation hellénique. Toutefois, ce n'est
point par intérêt, comme le dit le correspondant de VAcropoley
mais par devoir, que le cardinal Jacobini demanda à M. Zénopoulos
des renseignements sur la Grèce, car — ceci est réalisé tous les
jours — l'Eglise romaine a le devoir d'étendre sa protection et ses
bienfaits, non seulement sur les gréco-latins, mais sur tous les
chrétiens, étant la mère de tous les chrétiens et possédant un
dro>it sur tous les hommes qui ont reçu le baptême.
Ce serait un grand bienfait pour notre pays, si notre gouverne-
ment, prenant en considération d'une part, la situation critique de
la Grèce, et, de l'autre, les sentiments manifestés par le Saint-
Siège en faveur de la nation hellénique, si notre gouvernement,
disons-nous, qui devine si bien les services que le Saint-Siège
peut rendre à notre pays, établissait avec lui des rapports diplo-
matiques, et envoyait un représentant auprès du Pape, qui voit
déjà auprès de lui non seulement les ambassadeurs des puissances
catholiques, mais ceux des nations hétérodoxes, comme l'Alle-
magne, le Portugal, la Prusse, la Russie, le Brésil, la Bolivie, le
Pérou, la République de Saint-Domingue, et aujourd'hui la Chine
elle-même.
Le gouvernement hellénique ne doit point laisser passer une
occasion si favorable d'établir, avec le Vatican, des relations
diplomatiques qui élèveront l'importance de notre nation.
Nous ne savons si les espérances qu'exprime ici le journal
grec catholique se réaliseront. Mais nous avons cru utile de
signaler la démarche de M. Zénopoulos, et les commentaires
auxquels elle a donné lieu. C'est une preuve ajoutée à tant
d'autres du prestige de la Papauté et de la renommée de
Léon XIII.
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE
(Suite. — Voir le numéro précédent.)
D'abord il faut bien se persuader que les travaux exécutés
à Rome n'ont pas été décrétés en vue d'une nécessité plus ou
moins discutable ; le plan régulateur est inspiré par la pensée
de détruire le cachet de la Rome des Papes. On ne peut pas
dire davantage que les constructions des nouveaux 'quartiers
sont le simple fait des spéculateurs, et que le gouvernement
n'y est pour rien. D'abord, le gouvernement a eu soin lui-même
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE 409
de planter pour ainsi dire le noyau de ces quartiers par
quelque édifice officiel. Par exemple, la construction principale
des Praii di Castello, dans le voisinage du palais du Vatican,
est une immense caserne. Or, la Capitale a révélé naguère
l'intention qui préside à la construction de ce quartier :
« Dans quelques mois, disait la feuille révolutionnaire, le
« Vatican, cerné dès maintenant, sera assiégé comme une for-
« teresse. »
Ce sont donc des travaux de siège que l'on poursuit autour
du Vatican.
Voici maintenant un autre point sur lequel on a décidé la
ruine de la Ville Éternelle. On sait que Rome, outre les grands
édifices chrétiens, possède d'innombrables richesses d'art dans
les villas et les galeries des familles princières. Après avoir
visité les sanctuaires, les musées du Vatican, de Saint-Jean de
Latran et du Capitole , il reste encore pour l'amateur une infi-
nité de chefs-d'oeuvre à étudier aux galeries du palais et de la
villa Borghèse, à celles du palais Doria. du palais Colonna, du
palais Rospigliosi, pour ne parler que des principaux. Or, la
destruction de la Rome antique a été décidée jusque dans ces
propriétés privées. Voici comment ; c'est encore à la protesta-
tion du docteur Grimm que nous empruntons le cri d'alarme :
La loi qui abolit les majorais, dit-il, vient d'entrer en vigueur,
et la conséquence sera de provoquer le partage des grandes
familles. C'est la fin des galeries Borghèse, Doria et Colonna,
pour ne nommer que les plus célèbres... L'éparpiUement de leurs
richesses serait une perte irréparable. Elles représentent ce dont
peu se préoccupent aujourd'hui : la flnur de l'activité artistique aux
dix-septième et dix-huitième siècles. De môme les chefs-d'œuvre
d'architecture de ces deux siècles sont mis en question, ces
merveilles dont le goût exquis nous remplit d'admiration. Toutes
ces grandeurs, dont la destruction est visée par le plan régulateur,
doivent-elles disparaître? Ces galeries doivent-elles s'éparpiller?
Quel scandale, sile Pape voulait vendre ou soustraire au public les
tableaux du Vatican! Et l'on reste indifférent à l'éventualité de
perdi'e la galerie Borghèse, etc.!...
Le docteur Grimm regrette surtout la vente et l'exploitation
de la villa Ludovisi, les anciens jardins de Salluste, qu'il
appelle « la plus belle du monde ».
Si l'on nous avait dit, écrit-il, qu'un jour cette merveille serait
livrée à la ruine, on aurait crié à la folie, on aurait considéré
410 ANNALES CATHOLIQUES
comme l'ennemi le plus déclaré de la nouvelle Italie celui qui
aurait fait une telle prophétie ! Ei comment démolit-on ces jardins?
On parlera plus tard de ce conwtent. On transforme ces villas en
terrains de construction... Et cependant il ne saurait être question
d'une nécessité. On le fait parce que la villa Ludovisi se trouve sur
un emplacement précieux comme spéculation...
Le duc de Piombino, à qui appartenait cette villa, s'est
décidé à en sacrifier une partie, précisément parce que l'aboli-
tion de la loi sur les majorats ne lui laisse plus la liberté de
conserver intègre ce joyau de la vieille Rome.
D'autres villas ont déjà disparu. Le journal français de
Rome, V Italie, en publiait naguère la liste ; elle est loAgue ;
nous croyons utile, néanmoins, delà reproduire ici :
On dit que la belle villa Campana, célèbre par le musée de ce nom,
située entre le Colisée et la place Saint- Jean-de-Latran, a été achetée
au prix de 430,000 francs par les religieux de la Grande-Chartreuse
de Grenoble, qui y construiront un établissement pour les Chartreux
qui étaient aux Thermes de Dioclétien.
La disparition de cette villa nous amène à donner la nomenclature
de toutes les villas qui ont été détruites, en totalité ou en partie,
dans ces dernières années. On verra combien la liste en est longue.
Procédons par ordre chronologique :
1» La première villa que l'on commença à détruire fut l'ancienne
villa de Sixte-Quint, connue sous le nom de villa Montalto, et qui
s'étendait depuis la porte Saint-Laurent, où l'on voit encore un grand
arc qui, soit dit entre parenthèses, gêne considérablement la circula-
tion, jusqu'à Sainte-Marie-Majeure et la rue Viminale. Ce fut pour
construire la gare que l'on commença à détruire cette villa, dont on
fait disparaître aujourd'hui le dernier vestige en démolissant le casino
de Sixte-Quint, rue Cavour.
2° La villa Altieri, près de Saint-Jean-de-Latran, commença à être
détruite en 1868 par Mgr de Mérode. C'était un chef-d'œuvre du genre.
Il reste encore une partie de cette villa qui sert de maison de peine
pour femmes. C'est là que se trouve depuis trois ans M"»* Fadda, con-
damnée aux travaux forcés à perpétuité pour avoir poussé son amant
à assassiner le capitaine Fadda, son mari.
3» La villa Grazioli fut détruite en 1872, quand on commença à
construire les maisons du Macao.
4» La villa Torlonia, hors la porte Pia ; la moitié de cette villa fut
achetée par l'Angleterre, qui y établit la résidence de son ambassade.
5° Le jardin botanique à la Lungara, près du palais Salviati, au-
jourd'hui collège militaire.
Le ministère de l'instruction publique, jugeant ce jardin trop petit
pour continuer à servir de jardin botanique comme sous le gouverne-
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE 411
ment pontifical, l'abandonna d'abord et le détruisit ensuite; mais il
ne l'a pas encore remplacé.
6» La villa Aldobrandini fut détruite en partie pour le prolonge-
ment de la rue Nazionale.
7» La villa de la Farnesio à la Lungara a été détruite en partie par
suite des travaux du Tibre. L'expropriation a coûté à l'État près d'un
million et a donné lieu à un procès des plus compliqués, le proprié-
taire de la villa, le duc de Ripalta, prétendant que cette démolition
avait occasionné des lésions au casino et avait ainsi porté dommage
aux fresques de Raphaël.
8» En 1880, on a détruit la moitié de la villa Mellini, à Monte-
Mario, pour y construire un fort.
9" En 1882, le prince Barberini vend une grande partie de sa villa
et le Sferisterio, rue Venti Settembre.
10° En 1883, la surintendance des fouilles détruit les Orti Farne-
siani pour poursuivre les fouilles du Palatin. Le splendide portail de
Vignola, sur la demande des archéologues, a été conservé : il fut
enlevé morceau par morceau, de manière qu'il sera facile de le
reconstituer.
Il» Dans la même année, on a détruit la villa Corsini, à la Lun-
gara. Ce n'a pas été une grande perte, parce que cette villa ne ren-
fermait rien de bien remarquable ; mais ce que tout le monde déplore,
c'est que l'on ait détruit le bois annexé à la villa, bois de toute
beauté et dont la disparition n'était justifiée par aucun motif. On a
détruit pour détruire.
12" En 1884, destruction de la villa Casali, au mont Cœlius, pour la
construction de l'hôpital militaire.
13» Dans la même année, destruction de la villa Giustiniani, â Saint-
Jean de Latran.
14° Disparition d'une partie de la villa Bonaparte, rue Salaria,
vendue à une société de constructeurs.
15* En 1885, destruction de la villa Ludovisi, qui sans contredit
était la plus belle de Rome.
Il faut citer encore la villa Patrizi et la villa Mattei, hors la porte
Fia; la villa Massimo, la villa Lucernari et la villa Sciarra, au Janicule.
YHtalie n'est pas le seul journal qui ait fait écho à l'inquié-
tude des savants étrangers. D'autres journaux de Rome, ont
essayé, quoique d'une voix timide, d'exprimer un blâme et un
avertissement. Voici quelques citations :
Le FanfuUa fait des considérations sur la question du renou-
vellement de Rome, et dit qu'elle est bien ardue. « Il n'est que
trop vrai que l'art italien subit en ce moment une crise. On n'a
pas d'architectes de valeur, et le monument de Victor-Emma-
nuel ne sera pas ce qu'il y aura de mieux dans l'histoire de
412 ANNALES CATHOLIQUES
l'art. On s'est empressé de bâtir pour loger ceux qui ont aug-
menté du double la population de Rome; on s'est hâté, et on
n'a pas eu le temps de produire quelque chose de bon. »
La Rassegna publie une lettre du professeur Villari, de
Florence, qui recherche les causes de la décadence de l'art à
Rome. « L'architec+e, dit-il, est un artiste et ne peut se former
que parmi les artistes. On le fait, au contraire, étudier à l'école
d'application, qui est une école scientifique où l'on ne peut
former que des ingénieurs. Sans le diplôme de cette école, per-
sonne ne peut être appelé à entreprendre des travaux pour
l'État ou pour les communes. De là vient le manque d'art dans
nos monuments. Le remède à ce mal consistée mettre les élèves
architectes en contact avec les artistes de l'Académie des Beaux-
Arts et de créer à Rome une véritable école d'architecture. La
question est importante. L'Italie possède beaucoup de monu-
ments d'art, elle a eu le génie de l'art et a produit les plus
grands architectes. Il faut qu'elle ne perde point cette pré-
rogative. »
"Sous le titre La Novara a Rorna, la Riforma fait les
réflexions suivantes :
Nous avons dû rappeler la convention de septembre à ceux qui se
nomment les successeurs de Cavour. Ils savent que cette date n'est
pas la seule compromettante pour eux dans l'histoire de l'Italie. Ils
ont encore la guerre de 1863 et la campagne diplomatique de 1870,
ainsi que la loi des garanties et les pires arrangements qui l'ont
précédée. Ils ont même sur la conscience d'être venus à Rome malgré
eux. Tout cela démontre que jamais ils n'ont su comprendre la
révolution. De même aussi, ils n'ont pu comprendre Rome. Quand
on ne sait pas respecter les traditions patriotiques, on n'a point de
triomphes politiques.
De même aussi on ne respecte point la tradition artistique, et
l'on donne une maigre idée de soi, car à Rome, l'Italie ne sait pas
même s'élever une demeure convenable pour elle ou pour ses rois.
Le gouvernement actuel manque autant d'esthétique que de justice.
Il est ignorant. Rome sera toujours une ruine vénérable, elle ne
sera jamais une vraie capitale moderne, de même que l'Italie ne sera
jamais un grand pays, une grande puissance. Nous sommes â Rome,
c'est vrai; mais sommes-nous aussi éloignés des hontes de Novare?
Les journaux ministériels italiens sont si offusqués des pro-
testations du monde étranger, qu'ils en viennent à demander
de fermer désormais l'accès de Rome et de l'Italie à MM. Grimm
et Grégorovius. Le Diritto ose exposer ce système de repré-
LA RUINE DE LA ROME ANTIQUE 413
sailles comme possible! Grégorovius, qui est en ce moment à
Palerme, en prend occasion d'écrire une nouvelle lettre au
président de l'Académie de Saint-Luc, à Rome ; il dit :
Taot que durera l'idée d'universalité qui s'attache à Rome, les
étrangers continueront de la considérer comme un monument sacré
pour tous les horames cultivés et, par conséquent, à prendre leur
vive part d'intérêt aux transformations auxquelles sera exposée la
Ville Eternelle.
Il y a quelques jours, l'éminent archéologue romain, M. Horace
Marucchi, faisait à l'Académie tibérine une conférence ayant pour
sujet : Le Capitale dans Vhistoire romaine. 11 a montré qu'à travers
toutes les vicissitudes le Capitole est toujours demeuré le centre
moral et le symbole de la puissance de Rome, ainsi que le royal
asile des arts et des antiquités. Aujourd'hui cette glorieuse auréole est
brisée pour faire place au vulgaire monument de Victor-Emmanuel.
Et si l'on a refusé d'autres emplacements plus convenables proposés
pour ce monument, le motif en est dans le dessein bien arrêté du
gouvernement de détruire par tous les moyens le cachet vénérable
de la Rome antique.
Terminons par la lettre que S. Ém. le cardinal Dominique
Bartolini, préfet de la Sacrée-Congrégation des Rites, a adressée
à M. le professeur Busiri, président de l'Académie romaine de
Saint-Luc:
Monsieur le président,
J'ai reçu par la poste un exemplaire de la lettre que vous avez
faite en réponse aux justes et sages critiques d'illustres personnages
étrangers sur la destruction les monuments antiques que voit s'ac-
complir la Ville Éternelle. D'après les paroles écrites en tête de
l'opuscule, je vois que vous m'adressez cette lettre en ma qualité de
membre d'honneur de l'Académie dont vous êtes le président.
En agissant ainsi, Monsieur le président, vous n'avez sans doute
pas réfléchi à la manière dont vous vous conduisiez envers moi,
Romain et dignitaire de l'Eglise, qui m'estimais honoré de faire
partie d'une institution romaine éminemment pontificale, puisqu'elle
a été instituée par les Papes et enrichie par eux de privilèges et
d'honneurs, mais qui ne saurait participer à un acte inqualifiable tel
que votre lettre, où vous prenez la défense des destructions accom-
plies et de celles qu'on prépare encore pour l'avenir. En me plai-
gnant. Monsieur le président, du procédé peu délicat dont vous
avez usé à mon égard, je vous déclare que je m'unis aux sentiments
exprimés dans la lettre de M. le comte Soderini.
414 ANNALES CATHOLIQUES
Ce sont les sentiments des vrais Romains qui aiment de tout cœur
leur patrie et déplorent les misères qui nous ont été apportées par
des étrangers. J'ai l'honneur de vous prévenir, Monsieur le président,
qu'en vue de ma position, je donnerai publicité à cette lettre.
Veuilles agréer, etc.
Dominique card. Bartolini.
Rome, 19 avril 1886.
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET l'ÉPISCOPAT
(Suite. — V. les numéros précédents.)
Avignon. — Mgr l'archevêque écrit:
Je tiens à vous dire sans retard que je m'associe pleinement aux
observations respectueuses et aux doléances trop justifiées que vous
adressez au Chef de l'État.
Je le fais, Monseigneur, non point seulement en mon nom per-
sonnel, mais je crois avoir le droit de le dire, au nom de tous les
vénérés prélats de ma province, de tout mon clergé et de tous les
fidèles de mou diocèse.
Tous, Éminentissime Seigneur, nous admirons le zèle infatigable
de Votre Éminence pour les intérêts sacrés de l'Église de France et
ceux de la patrie, intérêts qui se confondent plus qu'on ne semblo
vouloir le croire dans la région du pouvoir, et nous vous remercions
du fond du cœur d'avoir été, en cette circonstance comme en tant
d'autres, le courageux et éloquent interprète de nos pensées et de
nos sentiments.
La situation faite à l'Eglise dans notre cher et malheureux pays
est de celles qui ne peuvent durer sans entraîner de grands et peut-
être irréparables désordres.
Si les détenteurs actuels de la puissance publique sont sages et
prudents, ils comprendront, à la lumière que vos paroles font briller
à leurs yeux, qu'ils font fausse route, et que leurs injustes préjugés
contre l'Église et les mesures que ces préjugés leur inspirent ne
sont pas moins funestes à la paix et à l'ordre matériel, aux intérêts
temporels de la France qu'au bien des âmes et aux intérêts
spirituels.
Agen. — Mgr l'évêque d'Agen :
La lettre si grave et si mesurée que vous venez d'adresser à M. le
président de la République, au sujet des continuelles attaques
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 415
dirigées, depuis quelques anuées, contre la religion et le clergé
catholiques, répond trop bien à mes propres sentiments pour que je
ne tienne pas à cœur de vous en remercier personnellement.
Nous ne sommes les ennemis de personne ; Votre Eminence le
prouve ; mais nous ne pouvons laisser attaquer ce que nous avons
charge de défendre. Votre haute situation de prince de l'Eglise,
votre longue expérience, votre âge vous donnaient le droit de parler
en notre nom. Votre Eminence l'a fait ; je m'unis â tous mes collè-
gues de l'épiscopat pour vous envoyer mon adhésion pleine et
entière et l'expression de ma reconnaissance.
Le Mans. — Mgr l'évêque du Mans :
C'est à bon droit que votre voix autorisée vient d'élever une pro-
testation solennelle contre la situation faite â l'Église de France par
les actes dont votre lettre à M. le président de la République con-
tient la douloureuse énumération.
Permettez-moi, Monseigneur, de joindre mon humble suffrage à
vos graves avertissements. Combien serait-il à souhaiter que des
observations si mesurées et si sages, présentées avec une fermeté
apostolique, fussent écoutées de ceux à qui elles s'adressent !
L'intérêt de la France y est non moins engagé que celui de la
religion.
MoNTAUBAN. — Mgr l'évêque de Montauban :
Le langage si plein de sagesse, de modération et de fermeté que
vous venez de faire entendre au chef de l'Etat a produit dans tous
les cœurs catholiques l'impression la plus vive et la plus profonde.
Vous avez montré une fois de plus que l'Église garde toujours les
courageuses traditions des Ambroise, des Léon, des Chrysostome.
Ce n'est pas seulement en mon nom personnel, c'est au nom des
chrétiennes populations de mon diocèse, au nom du clergé pieux et
dévoué qui les dirige, que je viens offrir à Votre Eminence l'hom-
mage de la plus respectueuse admiration, de la plus sincère recon-
naissance et de l'adhésion la plus complète.
Aucun homme de bonne foi ne saurait contester un seul mot dans
cette longue et douloureuse énumération que vous avez faite des
attaques violentes, des vexations arbitraires, des injustices criantes
dont l'Eglise a été l'objet depuis quelques années. Et cependant,
comme vous l'affirmez hautement, le clergé n'a pas cessé de donner
la preuve d'une modération et d'une patience plus qu'exemplaires.
Il s'est montré disposé au respect et à l'obéissance à l'égard des insti-
tutions et des lois, dans la mesure où ce respect et cette obéissance
pouvaient se concilier avec la mission qu'il tient de Dieu et dont
aucun pouvoir humain ne saurait lui interdire l'accomplissement.
416 ANNALES CATHOLIQUE»
Puissent vos respectueuses doléances et vos justes protestations
recevoir l'accueil qu'elles méritent à tous les titres ! Puisse ce noble
et patriotique langage inspirer à ceux qui le pourraient si facilement,
le désir et la volonté de rétablir au milieu de nous la paix religieuse,
con'^ition nécessaire de la paix sainte dont le besoin se fait si vive-
ment sentir !
Puissent enfin se réaliser bientôt les espérances et les vœux que
forment, avec Votre Eminence, tous ceux qui dans leur amour et
leur dévouement ne séparent jamais les intérêts de la France de
ceux de la religion.
Montpellier. — Mgr l'évêque de Montpellier :
Quelle satisfaction profonde j'ai éprouvée en lisant ce grave et
douloureux résumé de toutes nos tristesses et de toutes nos craintes,
cette protestation contenue, mais d'autant plus éloquente, contre les
procédés immérités par lesquels, en même temps qu'on outrage nos
croyances, on désole notre patriotisme- Le silence prolongé de
l'Épiscopat risquait d'étonner, presque de scandaliser les pieux
catholiques, accoutumés à chercher dans la parole de leurs premiers
pasteurs la règle de leurs pensées et l'inspiration de leurs sentiments.
... Dociles par habitude, par conviction, par devoir, les catholiques
sincères veulent recevoir le mot d'ordre : ils ont la passion d'agir
sous l'impulsion d'une obéissance éclairée ; et, si impatients qu'ils
soient du joug qu'on fait peser sur eux, ils se méfient de leur
propre initiative, ils se demandent s'ils ne sont pas exagérés ou
téméraires. La mansuétude prolongée de leurs évêques leur paraît
indiquer qu'il ne faut ni se plaindre, ni murmurer ; et comme cepen-
dant ils voient clairement que jamais les plaintes ne furent plus
légitimes, ni les murmures mieux justifiés, ils en viennent à ne
comprendre ni l'attitude réservée, ni la modération, ni la patience
plus qu'exemplaires que nous croyons devoir garder.
Parler est donc nécessaire. Il faut, comme le dit si justement
Mgr l'évêque de Nancy, éclairer nos fidèles sur les périls qui se
multiplient et qui grandissent chaque jour. Il faut défendre avec
énergie ce qui subsiste encore des droits et des libertés catholiques,
en annonçant la résolution de ne pas abandonner pour toujours la
revendication des droits et des libertés qu'on nous a i-avis.
Si nous nous taisions plus longtemps, nous semblerions nous
désintéresser de cette protection des consciences chrétiennes qui est
le plus ancien et le plus précieux privilège de notre ministère,
comme le plus certain de nos devoirs.
Nous paraîtrions ne pas être assez unis de cœur et de foi à ces
vaillants orateurs du Sénat et de la Chambre qui ont l'honneur de
soutenir avec un si grand éclat la cause de nos libertés, mais dont
LETTRE DU CARDINAJL GUIBERT 417
'uaii^ uerécompea^e humaiae est de se sentir soutenus par la sym-
pathie recon naissante de tout le peuple chrétien.
... Soyez donc béni, Eminentissime Seigneur, de nous avoir ai
opportunément fourni l'occasioa d'uair noa protestations aux vôtres,
et d'avoir ajouté ainsi un nouvel anneau à la longue chaîne des
services que vous avez rendus, depuis près d'un denai-siècle, à
l'Église et à la France !
PÉRiGUEUX. — Mgrl'évêque de Périgueux:
Au point où en sont arrivées les entreprises dirigées contre la foi
de la France catholique, il fallait qu'une voix se fît entendre en son
nom, une voix qui portât devant les pouvoirs publics ses « protes-
tations et ses doléances » ; et nulle autre, Eminence, n'y pouvait
être plus autorisée que la vôtre.
Avec quelle haute raison, avec quel accent calme ^et ferme de
vérité vous avez rempli ce grand devoir, il n'y a plus à le redire.
Vous avez fait parler les faits, et ni les lumières ne manquent â ceux
qui doutent, ni les avertissements â ceux qui s'égarent.
Et qu'en sera-t-il cependant ? Hélas ! l'heure présente est aux
aveuglements de la passion, aux partis pris de la haine; elle est à
une de ces situations douteuses, équivoques, où il semble que l'on
n'entrevoie plus aucune espérance de salut et de paix, sinon à
travers la violence des dénouements. Et alors on se prend à redire
comme irrésistiblement, à l'adresse de ceux de qui viennent ces
cruelles incertitudes, la parole du Sauveur au disciple qui va le
trahir, demeuré sourd aux avertissements de sa tendresse : « Ce que
tu fais, fais-le vite ! » Quod facis, fac citius.
Quoi qu'il arrive. Monseigneur, je veux espérer avec vous « que
« la France ne se laissera jamais dépouiller des saintes croyances
« qui ont fait sa force et sa gloire dans le passé et lui ont assuré le
« premier rang parmi les nations. »
Saint-Dié. — Mgr l'évêque de Saint-Dié:
Je ne saurais assez remercier Dieu de vous avoir inspiré l'admi-
rable lettre dans laquelle vous dépeignez avec tant de vérité les
périls de la foi et les embûches de l'impiété dans notre malheureuse
patrie. Les droits de Dieu et ceux des parents chrétiens sont égale-
ment foulés aux pieds ; mais ce qui semble à peine croyable, c'est
que la loi même du nombre, dont on veut faire aujourd'hui la base
unique du droit, le principe de la majorité, est entièrement mé-
connue et violée. Je prends pour exemple le département des Vosges;
la population, i^auf une minorité presque imperceptible, désire l'en-
seignement religieux dans les écoles, et il serait bien facile de s'en
assurer en provoquant â cet égard un vote des parents, comme on l'a
418 ANNALES CATHOLIQUES
fait déjà pour l'enseignement secondaire, avec le résultat que tout
le monde sait. Ce serait un acte de vérité, de justice et de liberté, et
ce serait aussi la condamnation éclatante de l'athéisme officiel. La
Franc-Maçonnerie le sait bien ; aussi la voyons-nous s'arroger le
droit exclusif de disposer de l'âme des enfants, sans tenir compte
du vœu de la population. Au point de vue même de ce qu'on appelle
le droit moderne, peut-on concevoir une oppression plus inique ?
Séez. — Mgr l'évêque de Séez :
Amis et ennemis sont obligés de rendre justice au langage si
élevé, si épiscopal, si débordant de la charité chrétienne que ren-
ferme votre sublime lettre à M. le président de la République.
Mais ceux auxquels vous vous adressez particulièrement ne la
comprendront, je le crains, que lorsque le torrent qui menace la
société aura rompu sa dernière digue, qui semble déjà fortement
ébranlée, et il sera trop tard !
Un personnage politique a dit, je le tiens d'un témoin auricu-
laire : a 11 faut que dans trente ans il ne soit plus question de la
religion catholique en France. »
A l'époque marquée, cet ennemi du catholicisme, ainsi que ses
frères et amis, auront été très probablement rejoindre leur chef
qui, le premier, a poussé dans ces derniers temps contre l'Eglise
du Christ ce cri de guerre qui retentit encore si douloureusement
autour de nous : œ Le cléricalisme, voilà l'ennemi! »
Et les colonnes de l'Église, restées inébranlables, proclameront
une fois de plus l'infaillibilité de la promesse divine : « Ils ne
prévaudront jamais ! »
Mais en attendant, que de ruines en perspective!
Que Dieu, dans sa miséricorde, ne sépare pas, cette fois encore,
la France de l'Eglise, et les sauve ensemble.
Versailles. — Mgr l'évêque de Versailles :
Un des plus grands évêques des Gaules, saint Hilaire de Poi-
tiers, écrivant à l'empereur Constance pour défendre la foi et les
libertés de l'Église, expliquait son attitude et sa détermination par
ces paroles de la sainte Écriture : Il y a un temps de se taire et
un temps de parler (Ecclb., m, 1). L'intrépide champion de l'ortho-
doxie s'était tu quelque temps; mais le devoir commandait, il allait,
sans faillir, dire la vérité.
La conduite de l'Église et de ses plus illustres chefs est tou-
jours la même. Devant les persécutions, suivant l'exemple de son
divin Fondateur, elle commence par se taire, afin qu'on ne puisse
pas l'accuser de violence ou de rébellion contre les pouvoirs
établis. Mais lorsque le silence deviendrait une défaillance et une
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 419
trahison, quels que soient les risques, elle fait entendre une voix
qui est celle de la modération et de la sagesse parce qu'elle
s'inspire uniquement de la vérité.
Quand ce moment est venu, la généralité des évêques et la masse
du peuple chrétien sont heureuses de trouver pour leur servir
d'organe, la parole d'un homme dont les vertus, la doctrine et les
longs services puissent commander à tous l'attention et le
respect.
Laissez-moi vous le dire, Eminence, avec la franchise d'un cœur
reconnaissant et dévoué, vous êtes cet homme pour l'Eglise de
France attristée et menacée. Gomme vous l'aviez pressenti, vos
respectueuses protestations et vos justes doléances répondent au
sentiment général des membres de l'épiscopat. Evêques et fidèles,
nous nous félicitons d'avoir trouvé un organe aussi accrédité et
aussi silr.
Avec vous, nous déplorons les atteintes portées déjà aux droits
séculaires de l'Église, aux institutions qu'elle a fait naître, à la
liberté de l'enseignement; nous partageons vos tristesses et vos
patriotiques appréhensions; nous adressons un appel pressant,
sans qu'il cesse d'être respectueux, au pouvoir qui a mission de
protéger la soeiété et par conséquent de nous défendre.
... Puissent ceux qui président aux destinées de la France
méditer ces leçons des événements et accueillir avec faveur les
avertissements salutaires auxquels votre désintéressement et votre
longue expérience donnent un si grand poids.
Ayant pour mission de procurer la paix en soutenant la foi,
désireux, pour le troupeau qui nous est confié, de toute sorte de
biens, nous nous réjouirons de voir la sécurité rendue aux
consciences, la liberté du bien assurée, et la société française
trouvant dans le respect de la loi de Dieu une garantie certaine
de force et de prospérité.
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
L'association e< la division du travail dans la série animale. — Les
transformations de la terre.
Le but de la science, dit Littré, est l'acquisition des idées
générales qui mènent à la découverte des lois naturelles. C'est
ce que les spécialistes, confinés dans un coin du domaine des
sciences d'observation, semblent oublier complètement par ces
temps de positivisme, où les petits esprits revendiquent trop
420 ANNALES CATHOLIQUES
souvent le monopole du savoir. Incapables de généraliser et
d'abstraire, ils affichent la prétention d'en remontrer aux mé-
taphysiciens et de monopoliser en quelque sorte la science et la
philosophie. On ne saurait assez réagir contre cette tendance
fatale de l'esprit moderne qui mène droit au matérialisme et
égare la recherche scientifique sur des pistes sans issue, ou-
vertes par les infirmes de l'intelligence.
Quelles sont les lois, quelles sont les données capitales qui
se dégagent aujourd'hui des innombrables observations des
naturalistes dans le domaine de la vie?
Telle est la question que s'est posée dernièrement M, Proost,
qui s'adonne depuis longtemps à l'étude des problèmes de la
biologie et professe la zoologie à l'Institut agronomique de
Louvain.
L'étude des animaux inférieurs comparée à l'étude des cel-
lules qui forment la trame des tissus des animaux supérieurs, a
permis de constater, dans bien des cas, l'identité des phéno-
mènes de la vie, depuis le bas de l'échelle jusqu'au sommet.
L'œuf de tous les animaux, depuis l'infusoire et le polj'pe jus-
qu'à l'éléphant, est formé d'abord d'une seule cellule presque
microscopique, qui engendre par division ou bourgeonnement
interne ou externe, des cellules pins ou moins diff"érenciéeg,
suivant la nature de l'être. Si ces cellules ainsi engendrées se
séparent du germe à mesure qu'elles se produisent, t'animai
reste simple. Tels sont les protozoaires, qui sont tous formés
d'une seule cellule et parmi lesquels on compte les mon'eres,
les infusoires et les foraminifères qui peuplent les océans et
forment depuis les âges les plus reculés les bancs de craie par
l'accumulation de leurs carap ices calcaires.
Si les cellules provenant du bourgeonnement de la cellule-
mère restent adhérentes à leur souche, il se forme une colonie
et, dans ce cas, V association engendre la division du travail
et des fonctions.
Plus l'association et la subordination des cellules est étroite,
plus la division du travail s'accentue, et plus l'animal formé
par cette agrégation d'individus simples, est élevé en orga-
Bisation.
Les colonies les plus simples sont représentées par les épon-
ges, qui ne sont qu'une association àe protozoaires appartenant
généralement à deux types bien distincts : les infasoire« ciliés
et les amibes. Ces derniers correspondent exactement aux glo-
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 421
bules blancs du sang qui nagent librement dans le torrent cir-
culatoire des animaux supérieurs. Les amibes, 'considérés par
Claude Bernard comme l'élément plastique et régénérateur du
sang et des organes, se différencient dans les éponges pour
former les éléments reproducteurs. Ils donnent naissance à des
germes ciliés, rappelant exactement la forme des infusoires,
qui nagent dans l'eau de mer au moyen des cils dont ils sont
munis, jusqu'à ce qu'ils trouvent un endroit convenable pour
se fixer, et commencer à bourgeonner à leur tour pour donner
naissance à une nouvelle colonie. Tous les polypes et la plupart
des mollusques et des vers proviennent du bourgeonnement
d'un germe analogue, rappelant les infusoires libres et ciliés.
C'est pourquoi M. J.-P. Van Beneden, dit un éminent profes-
seur à l'Université deLouvain, les a réunis en un seul embran-
chement sous le nom de molluscos-radiés, un grand nombre de
polypes présentant une forme étoilée ou radiée, comme les
fleurs, d'oii le nom d'animaux plantes ou de '/leurs de mer.
Les polypes nous présentent un remarquable exemple de la
division du travail et de la subordination de l'individu à l'exis-
tence de la communauté. Il existe dans la Méditerranée plusieurs
genres de polypes qui ne sont en réalité qu'une république
d'individus, sortis d'un même germe et transformés en organe
ponr les besoins de la colonie.
Certains d'entre eux se transforment en véritable vessie na-
tatoire gonflée d'air pour permettre à la colonie de s'élever à la
surface de l'eau. D'autres se métamorphosent en rames, en
engins de pêche, en cellules urticantes destinées à paralyser la
ï>roie qui servira à alimenter toute la république. Car, chose
curieuse, tous ces individus hétérogènes communiquent entre
eux par un canal digestif rudimentaire.
Chez certaines espèces, on voit une série d'individus mono-
poliser la digestion au profit de toute la colonie. Ils ne sont que
houche et estomac ! D'autres se chargent exclu si ve'ment de la
reproduction de la colonie. C'est ainsi que nous voyons appa-
raître aux degrés inférieurs de l'échelle animale^ les différents
appareils de la vie organique, et qu'il nous est donné de sur-
prendre en quelque sorte les procédés admirables qui, dans le
plan de la création, ont servi à fabriquer les animaux.
Si l'on voit les individus se transformer en organe, on peut
aussi, dans certains cas, assister à la ti^ansformation des
organes en individus. Telles sont les méduses par exemple, ces
422 ANNALES CATHOLIQUES
disques gélatineux et transparents, si communs en été sur les
bords de la mer du Nord.
Ces méduses qui possèdent souvent une bouche, un estomac,
un système circulatoire et locomoteur, quelquefois même un
système nerveux rudimentaire, ne sont que les bourgeons
reproducteurs d'un polype fixé au fond de la mer.
Certains polypes, comme l'hydre d'eau douce, présentent au
plus haut degré le phénomène de la scissiparité ; c'est-à-dire
qu'ils tombent spontanément en morceaux et représentent
autant d'individus qu'ils ont engendré de fragments.
L'étude des vers nous montre qu'ils sont également formés
d'une colonie dont les bourgeons restent adhérents suivant une
série linéaire ou longitudinale pour se différencier ou s'adapter à
des fonctions diverses. Les insectes sortent d'une larve vernii-
forme dont les anneaux primitivement homogènes se concentrent
et se différencient ensuite pour donner naissance aux ailes, aux
divers articles de la bouche, de la tête, du corselet et de
l'abdomen.
M. Proost s'est attaché en terminant sa conférence à faire
ressortir le caractère providentiel de VinsUnct dans la série
animale.
D'après les positivistes modernes, l'intelligence humaine ne
serait qu'un produit d'évolution de l'instinct des animaux.
L'observation démontre qu'il n'en est rien. En effet, l'instinct
chez les insectes, qui n'ont qu'un cerveau rudimentaire, pré-
sente un caractère d'infaillibilité et une sûreté de calcul tra-
hissant une cause intelligente extrinsèque à l'animal, évidem-
ment inconscient de ses actes, car il ne manifeste aucune
intelligence quand on l'écarté du cycle fatal de ses actes
instinctifs.
La division du.travail dans les colonies d'abeilles et de four-
mis, n'est pas seulement fonctionnelle, elle est aussi organique.
La nature a adapté chaque série d'individus à la fonction spé-
ciale qu'il est appelé à remplir dans la colonie. Mais ici les
individus sont libres au lieu d'être agrégés, comme dans les
colonies de polypes. C'est pourquoi les ouvrières sont neutres,
chez les abeilles ; c'est pourquoi les soldats sont caractérisés
chez les fourmis par un développement anormal des mâchoires
transformées en véritables tenailles, et des pattes mieux adap-
tées à la course, tandis que ces organes sont presque rudimen-
taires chez les individus occupés aux travaux d'intérieur.
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 423
Bref, c'est le cas de dire avec Voltaire, dont le bon sens
s'insurgea contre le matérialisme en dépit de son impiété,
« que. la montre prouve V existeyice de Vhorloger •». Les maté-
rialistes préfèrent admettre pour les besoins d'une mauvaise
cause que la montre et l'horloger ne font qu'un, ou que l'hor-
loger est logé dans la montre !
C'est ainsi qu'au dire de Washington Irwing, le grand chef
des Hurons après avoir observé longuement la grande horloge
de la cathédrale de Québec, conclut qu'un homme se tenait
caché derrière le cadran pour faire suivre aux aiguilles la
marche du soleil.
M. Flammarion a publié récemment un très intéressant article
sur les transformations de la terre, à propos dos îles de Ecrehou
et des rivages de Normandie, dont le sol s'abaisse chaque année
et que la mer envahit tous les jours d'une façon lente mais
certaine.
Il est, dit-il, un point du littoral de la France bien remar-
quable à cet égard : c'est le Havre. Nos lecteurs savent tous
que cette ville, très moderne, n'a pas encore quatre siècles
d'existence et qu'elle n'a été fondée qu'en 1516, par François I".
Toute cette plaine sur laquelle cette importante cité s'est si
rapidement élevée a été formée par les alluvions de la Seine et
les dépôts de sable rejetés par la mer aux grandes marées, le
tout en partie resté à l'état de marais jusqu'en ce siècle même,
La Seine charrie des sables qui tendent à exhausser son fond,
et lentement elle les dépose à son embouchure jusqu'à une
grande distance dans l'intérieur de la mer. Mais, aux jours de
grandes marées et de tempêtes, la mer repousse ces dépôts et
modifie incessamment le sous-sol. Le résultat définitif est un
avancement des rives du fleuve et une diminution dans le
domaine de la mer.
Autrefois, les navires pouvaient arriver jusqu'à Harfleur. On
a montré pendant longtemps les anneaux de fer qui servaient
à les amarrer, et nous avons vu nous-même, en 1865, au
milieu d'un jardin, un mur au pied duquel les eaux de la marée
arrivaient encore au seizième siècle. Malgré les digues, le
mascaret des grandes marées a encore une action très efficace
pour modifier les rivages du fleuve, depuis Quillebœuf jusqu'au
delà de Caudebec, et c'est cette violente poursuite des eaux
33
424 ANNALES CATHOLIQUES
douces par les amères qui a le plus agi pour contrebalancer
l'action du fleuve. La rive droite de la Seine s'allonge très
lentement au delà du Havre; la rive gauche s'allonge assez
rapidement, en ce sens que la plage sablonneuse de Tiouville
s'élargit de plus en plus dans la mer. Des hauteurs d'Ingouville
on distingue nettement le lit jaune de la Seine dans la mer
verte, jusqu'au delà de Trouville.
Harfleur était, au quinzième siècle, un grand port. Le Havre
l'a remplacé, puis tué. Là oii passe actuellement le chemin de
fer, des navires ont navigué. Lorsqu'on creusa le canal de
Harfleur, on déterra, vers l'église de Graville, la quille entière
d'un navire qui avait 80 pieds de long. En 1868, en construisant
les nouvelles formes sèches dans l'ancienne citadelle du Havre,
on trouva de gros arbres au-dessous du niveau des vives eaux
actuelles; des forêts ont abrité des nids sur ces terres aujour-
d'hui submergées par la mer. Quatre ports existaient en cette
région lorsque François P' fonda le Havre : Harfleur; un peu
plus bas, les Neiges; plus loin encore, Leure ; et au delà du
Havre actuel, au pied du cap de la Hève, Saint-Depis-Chef-de-
Caux, sur lequel la mer roule aujourd'hui, en face de Sainte-
Adresse.
Depuis la fin du onzième siècle, il y a là 1,400 mètres de
dévorés par l'avancement de la mer; c'est près de deux mètres
par an.
L'examen de Tembouchure du Rhône apporte les plus inté-
ressants documents sur cette même question géologique et his-
torique de la variation des rivages. L'histoire d'Aigues-Mortes,
entre autres, est particulièrement remarquable, non point,
comme on le croit généralement, que la mer se soit retirée
depuis l'époque oii saint Louis s'y est embarqué pour les croi-
sades, mais parce que l'embouchure du Rhône a subi là des
transformations significatives. La mer s'est retirée, en effet,
mais non comme on l'enseigne généralement : pas du tout au
point du littoral le plus voisin d'Aigues-Mortes, de 4 kilomètres
à l'embouchure du petit Rhône, et de 10 kilomètres à l'embou-
chure du grand Rhône.
Le Rhône apporte annuellement à son embouchure dix-huit à
vingt millions de mètres cubes de sable et de vase, et s'avance
graduellement. Les vagues de la mer, surtout aux jours de tem-
pête, chassent à leur tour ce sable et dessinent la configuration
du rivage sous la direction du vent dominant (Est-Sud-Est
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 425
vers Ouest-Nord-Ouest). On a construit des tours à son embou-
chure ; on en compte aujourd'hui quatre ou cinq de chaque
côté ; la dernière, élevée en 1737 sur le rivage même, en est
aujourd'hui à plus de sept kilomètres. C'est là un témoignage
que le lit du Rhône s'est prolongé peu à peu dans la mer par des
atterrissements successifs. C'est le contraire de ce qui se passe
au cap de la Hêve pour les phares. L'avancement de la grande
bouche du Rhône est à peu près de soixante mètres par an.
Tout le golfô du Lion, depuis les Pjrénées jusqu'à Marseille,
offre des témoignages de la variété d'action des éléments dans
la modification permanente du globe. Il y a deux mille ans,
avant la domination romaine et pendant cette domination, un
nombre considérable de villes florissantes étaient échelonnées le
long de ce golfe : lUibéris, à l'eraboiichure du Tech ; Ruscino,
sur la Tét ; Narbonne, sur l'Attax ; Agde, sur l'PIérault;
Aigues-Mortes, Saint-Gilles, Héraclée, Rhodanusia et Arles,
sur les différents bras du Rhône. Quatre de ces florissantes
cités ont entièrement disparu, et il n'en reste que des ruines.
Les autres sont mortes, et leur état actuel n'est que l'ombre de
leur splendeur passée. Autrefois, les cours d'eau étaient pro-
fonds et navigables, au moins à leur embouchure, et le long du
rivage des lagunes analogues à celles dé Venise étaient ouvertes
à la navigation. Alimentées autrefois par leurs fleuves respectifs,
nées pour ainsi dire des lagunes, ces villes ont décliné et sont
mortes avec elles. Les forêts ont été maladroitement détruites
par l'homme. Les lagunes se sont changées en étangs, les
étangs en marais fiévreux. Depuis plusieurs siècles, on essaie de
dessécher la plus grande surface de ces marais, mais la végéta-
tion n'y trouve pas encore une terre assez ferme. Insensiblement,
l'ancien domaine maritime fera place au domaine agricole.
On conçoit facilement que la tendance des fleuves à leur
embouchure soit d'allonger le continent aux dépens de la mer
et de déposer progressivement les débris arrachés aux mon-
tagnes par les torrents et pulvérisés. Ce mouvement sufflt pour
transformer lentement la configuration géographique des
diverses contrées. L'exemple de rcmlx)uchure du Pô, en Italie,
est des plus caractéristiques et des mieux étudiés. La ville
d'Adria, qui a donné son nom à l'Adriatique, était à son origine,
du temps des Étrusques, il y a environ trois mille ans, sur le
rivage même de la mer. Elle est aujourd'hui éloignée à
26 kilomètres du point le plus proche ; l'Adige et les divers
426 ANNALES CATHOLIQUES
bras du Pô chassent insensiblement le rivage ; l'embouchure
principale du fleuve est actuellement à 35 kilomètres du méri-
dien d'Adria. L'avancement de la terre dans la mer est sur ce
point de 70 mètres par an.
On reçoit la même impression si l'on examine l'embouchure
du Tibre, à Ostie, près de Rome. Ostie, comme tout le monde
le sait, veut dire bouche. Ce port a été établi dés l'origine de
Rome par Ancus Martius, à l'embouchure même du fleuve.
Actuellement, les ruines de l'antique Ostia se trouvent à
4,000 mètres de l'embouchure du fleuve.
Les anciens n'ignoraient pas ces changements, dont les
atterrissements du Nil en Egypte leur offraient un exemple si
remarquable.
Il y a deux mille quatre cents ans, Hérodote écriv^ait que les
prêtres de l'Egypte regardaient déjà leur pays « comme un
présent du Nil. » Jadis les branches du fleuve qui se jettent
dans la mer à Canope et à Peluse, étaient les principales, et la
côte s'étendait presque en ligne droite de l'une à l'autre,
comme on le voit sur les cartes de Ptolémée. Maintenant
Canope et Peluse sont en ruine dans l'oubli du passé, les
bouches principales du fleuve se sont rapprochées l'une de
l'autre et portent depuis deux mille ans les eaux dans la direc-
tion de Rosette et de Damiette, cités bâties au bord de la mer
il y a moins de mille ans et qui en sont déjà reculées à 8 kilo-
mètres.
Le Mississipi et le Gange sont plus remarquables encore. Le
premier a poussé ses alluvions jusqu'à 40 kilomètres dans la
mer; le Gange et le Brahmapoutre versent dans la baie du
Bengale 1,132,000,000 de mètres cubes de terre par an.
Nous pourrions facilement multiplier ces exemples. Nous
avons choisi les principaux types caractéristiques ; nos lecteurs
peuvent eux-mêmes leur en adjoindre d'autres : il suffit d'exa-
miner une carte de département riverain pour remarquer les
échancrures formées dans la mer par les alluvions des embou-
chures de fleuves et de rivières. A Dive, la mer s'est retirée de
deux kilomètres depuis l'époque (1066) oii Guillaume, duc de
Normandie, s'y embarqua avec 400 navires et 67,000 hommes
d'armes pour aller conquérir l'Angleterre ; de vastes prairies
occupent aujourd'hui l'emplacement de l'ancien port.
La Belgique et la Hollande descendent lentement ; le sol des
villes bâties non loin du rivage est au-dessous du niveau de la
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 427
mer, même aux plus basses marées ; en plusieurs points, le
niveau des hautes mers surpasse les toits des maisons. Si ces
réii'ious sont encore continentales et habitées, elles le doivent
non à la nature, mais aux digues construites par les hommes,
et cela depuis les origines mêmes de l'histoire des « Pays-Bas, »
qu'une admirable persévérance maintient contre la menace de
l'élément marin.
Il n'est pas rare de retrouver les ruines englouties. En 1869,
nous avons vu, à l'embouchure de l'Escaut, du pont du bateau
qui faisait le service d'Anvers, des ruines très distinctes sub-
mergées à une grande profondeur.
Le sol s'abaisse également sur le littoral des départements
du Nord et du Pas-de-Calais. A Calais, les rues ne se trouvent
plus qu'un mètre au-dessus des hautes marées, et le sol cultivé
descend jusqu'à la limite du flot ; à Dunkerque, la hauteur des
rues n'est plus que de 60 centimètres, et les champs sont labou-
rés jusqu'à un mètre en contre-bas de la mer; à Furnes, à
Ostende, les rues sont encore plus basses, et le niveau des
polders ne cesse de s'abaisser ; prés des bouches de l'Escaut, ce
niveau est de 3 mètres 50 au-dessous des hautes marées ; pen-
dant les fortes tempêtes de l'ouest, la vague de houle est, sur
la plage de Hollande, à 5 m. 50 au-dessus du pavé d'Amsterdam.
On observe des faits analogues sur les rivages de l'Océan, à
l'embouchure de la Gironde. Il suffit de comparer les cartes
hydrographiques dressées en 1752 avec celles de 1842 pour cons-
tater que, dans cet intervalle si court (90 ans), la mer a pris
1,200 mètres à la pointe de Grave. En 1774, la ligne de haute
mer à Soulac, était à 950 mètres de l'église ; en 1848, elle était
à 650 mètres, et, en 1865, à 560 mètres seulement.
Le rocher de Cordouan, sur lequel s'élève la célèbre tour,
faisait autrefois partie du continent; en 1500, il n'en ctait
encore séparé, à marée basse, que par un passage étroit et
guéable. Aujourd'hui, sa distance du rivage est de sept kilo-
mètres et l'on n'aborde plus à la tour qu'aux basses marées. De
siècle en siècle, cette terre s'est rétrécie pour n'être qu'un
rocher découvrant à mer basse. On a même pu mesurer d'une
manière exacte, mathématique, quel a été le taux de l'abaisse-
ment annuel. En eftet, la portée des feux du phare de Coidouan
ayant constamment diminué à cause de l'abaissement graduel
du fanal lui-même, il a fallu exhausser de nouveau la tour pour
donner à la lumière la même portée qu'il y a un siècle. L'abais-
428 ANNALES CATHOLIQUES
sèment du sol est de trois centimètres par an, trois mètres par
siècle.
Ces témoignages, choisis parmi un nombre considérable, suf-
fisent amplement pour prouver que la terre oii nous sommes
se transforme rapidement. Il y aurait tout un livre à écrire sur
cette métamorphose incessante. Ce n'en est pas le lieu. Nous
pourrions ajouter que l'Angleterre était autrefois réunie à la
France, que la Manche s'élargit de siècle en siècle, comme le
détroit de Gibraltar, etc., etc.
LA PERSECUTION EN CHINE
Un excellent ami veut bien nous communiquer deux inté-
ressantes lettres de son fils, missionnaire en Chine. Nous
sommes heureux de pouvoir les faire passer sous les jeuj.
de nos lecteurs. Ils y liront, avec un poignant intérêt, les
navrants détails de ces épisodes, liélas! si fréquents, de la
persécution à laquelle sont sans cesse en butte les chré-
tientés du Céleste-Empire.
La première de ces lettres est adressée par le R. P. Platel
à son frère, la seconde à son vénérable père.
Près Song-Kang, le 22 mars 1886.
Mon cher Léopold,
Les journaux t'ont peut-être appris déjà ce qui s'est passé
le 10 et le 11 dans notre ville de Song-Kang. Les étudiants let-
trés y étaient réunis, pour l'examen du baccalauréat des sept
sous-préfectures de Song-Kang, au nombre de plus de mille.
Ils venaient continuellement par bandes, comme les autres an-
nées, visiter notre église et nos établissements, et le bachelier
chrétien qui garde la maison n'eut jamais de sérieuses difficultés
avec eux. Bien plus, le dimanche précédent, 7 mars, premier
dimanche de la lune chinoise, nous avons eu en ville une grande
réunion de chrétiens que j'ai présidée; un grand nombre de let-
trés y assistaient : pendant toute la cérémonie et particulière-
ment durant tout mon sermon, il y a eu silence parfait.
LA PERSÉCUTION EN CHINE 429
Le 10, ni le P. Deffond, missionnaire de l'endroit, ni moi-
même, nous n'étions en ville. Avec préméditation, et sans aucune
cause ou aucun prétexte, même apparent, ils sont venus d'abord
voler insolemment les fleurs des autels; puis ensuite, en une
foule toujours croissante, vers trois heures de l'aprés-roidi, ila
ont commencé à dévaster notre église, notre maison, tous nos
bâtiments, et ils ont tout, absolument tout brisé, brûlé ou em-
porté. C'est ainsi que la statue de saint Joseph n'existe plus, et
aussi le groupe de Notre-Dame de la Salette qu'Antoine m'avait
envoyé et pour lequel je venais de faire faire une très belle niche;
écris-le-lui, je t'en prie. Tout ce que je venais de recevoir de
matante Alix a eu le même sort; j'ai cependant sauvé l'image
souvenir de mon oncle, le chapelet en bois de senteur et des
images de saint Joseph.
La nuit les a surpris dans leur œuvre de dévastation : il ne
restait plus rien que les toits et quelques murs. Ils passèrent
alors de l'autre côté de la rue, où se trouve l'orphelinat avec
école-pensionnat des filles, dirigé par les Vierges Présentan-
dines. Il y avait dans l'intérieur plus de quarante personnes
présentes, dont une vingtaine de petites enfants; impossible de
s'enfuir plus tôt, parce que la rue était complètement remplie
par les lettrés et tous les vauriens qui s'étaient joints à eux, et
que l'établissement n'a pas de porte de derrière. Les Présen-
tandines gardèrent toute leur présence d'esprit, et elles firent
échapper tout leur petit monde par-dessus le mur du jardin, à
l'aide de deux échelles; cette fuite nocturne et périlleuse était
en train de s'exécuter quand les lettrés enfoncèrent la porte, et
là encore ils brisèrent absolument tout ce qu'ils n'emportèrent
pas: deux petites filles, l'une de six jours, l'autre de deux ans
accomplis, furent écrasées sous leurs pieds. Ce fut un sac en
règle qui dura toute la nuit.
Dès le commencement de l'émeute, tous les mandarins de la
ville, les mandarins des lettrés, les mandarins civils et les man-
darins militaires, étaient venus avec la troupe pour prêter leur
secours, et ils se sont conduits admirablement pour nous, empê-
chant au moins de détruire l'église. Le grand général y est
venu lui-même le lendemain, comme je vais le dire tout à
l'heure. Durant la nuit, la troupe demeura sur pied; mais le
lendemain, un lettré ayant été blessé par un soldat, les étu-
diants se portèrent en foule à la préfecture; le préfet leur
reprocha leur conduite, disant que dans notre église on n'avait
430 ANNALES CATHOLIQUES
aucun tort envers eux. Ils partirent furieux, annonçant qu'ils
allaient brûler l'église. Le préfet effrayé, appela les deux pré-
fets, et avec eux se rendit chez le grand général pour délibérer ;
ils délibéraient quand ils aperçurent le feu de l'incendie qui
commençait, c'était l'orphelinat qui brûlait. Alors les mandarins
se rendent de nouveau à l'église, le grand général donne l'ordre
que toutes les troupes de la ville soient sur pied et lui-même y
court. J'arrivais à ce moment-là dans une chrétienté du fau-
bourg de la porte du Sud, parce que pendant la nuit, j'avais été
averti; je vis la fumée de l'incendie, et j'entendis les trois coups
de canon qui annonçaient la sortie du général. — Il y eut des
scènes indescriptibles : tu sais que les lettrés pendant leurs
examens, sont comme des êtres sacrés, personne n'oserait porter
sur eux la main, et si par hasard ils refusent en masse de con-
tinuer leurs examens, tous les mandarins de la ville sont siirs
de perdre leur position : c'est ridicule, mais c'est ainsi. Le
grand général qui est un vénérable vieillard et qui de plus est
mandarin de premier ordre, se mit à les supplier, leur disant
qu'agir ainsi c'est insulter à l'Empereur qui approuve que la
religion soit prêchée dans l'empire; que d'ailleurs il y a partout
des églises et des chrétiens, etc.. Un lettré lui jeta une pierre
à la tête ; le grand général put l'éviter, mais il la reçut à
l'épaule. Le premier colonel de la ville fat frappé d'une pierre
au front, et en reçut une autre sur son chapeau de cérémonie.
Voyant la tournure que prenaient les affaires, le colonel com-
mandant de la place ordonna à ses soldats de charger, et déjà
la trompette donnait le signal, le carnage allait commencer,
lorsque le préfet, un vieillard de 72 ans, intervint, et lui
ordonna de ne pas verser le sang du peuple.
Enfin les soldats parvinrent à dissiper les malfaiteurs, et les
mandarins réussirent à sauver de l'incendie notre belle église.
Cependant les lettrés cherchaient le Père Deffond et moi, disant
qu'ils voulaient nous tuer; ils cherchaient partout aussi les Pré-
sentandines vierges, au moins pour les insulter. Si nous avions
été massacrés, sans aucun doute nous aurions eu le bonheur
d'être martyrs, c'est évident, car il n'y avait pas l'ombre d'un
prétexte à tout ceci, l'unique raison a été la haine de notre
sainte religion et de Notre-Seigneur. Aussi ont-ils pris plaisir
à profaner tout ce qui pour nous est sacré; et la belle statue du
Sacré-Cœur, venue de Munich, qui dominait le maître-autel, a
été par eux longtemps traînée à terre et frappée avec rage,
LA PERSÉCUTION EN CHINE 431
puis emportée ainsi dans la rue ; et là ils la décapitèrent ; la
tête, tête sacrée de Notre-Seigneur, ils la jetèrent dans une
fosse de lieux d'aisance; le tronc décapité, ils le brisèrent en
mille pièces, et s'en disputèrent les débris qu'ils emportèrent
comme un souvenir du triomphe de la journée.
Ils menaçaient de brûler le soir même les chrétientés situées
hors la porte du Nord, qui sont au nombre de quatre, et de se
porter de là sur Yosai. Toutes les troupes reçurent l'ordre de
se tenir toute la nuit prêtes à marcher; et d'un autre côté les
mandarins oljtinrent que les lettrés consentissent à continuer
leurs examens.
Dès ce soir-là, je voulus compter moi-même toutes les
pauvres enfants de l'école et de l'orphelinat; les deux petites
écrasées manquaient, et quelques autres aussi, qui, elles du
moins, ont été retrouvées depuis; je les fis s'embarquer après
souper, et pendant la nuit elles gagnèrent une chrétienté
éloignée oii elles étaient en sûreté. Dès le soir même aussi, je
commençai à traiter l'affaire; les mandarins montrent de bonnes
dispositions, le sous-préfet est venu me trouver, le iaodai
a envoyé un mandarin pour faire l'enquête, lequel est venu me
voir aussi; de la capitale de la province un autre mandarin
vient d'arriver aujourd'hui pour traiter l'affaire. En attendant
je n'ai pas voulu reprendre nos établissements en ruines avant
que l'affaire ne soit bien traitée, et actuellement il y a 140 sol-
dats qui gardent nos bâtiments.
Si tu juges à propos de faire imprimer cette lettre dans un
journal de Paris, je ne m'y oppose pas, car il y a utilité à ce
que l'on connaisse les faits, et tout ce que raconte cette lettre
est authentique.
Toi-même, cher Léopold, et notre bien-aimé père, je vous
embrasse de tout cœur. Priez saint Joseph.
Ton frère,
Lud. Pla-tel, s. J.
Chine, en barque, 29 mars 1886.
Mon bien-aimé père,
Votre lettre du 11 février vient de m'arriver, je me hâte de
vous en remercier et de vous donner de nos nouvelles. La
lettre que j'ai écrite à Léopold il y a huit jours, et dans
laquelle je lui raconte nos malheurs du Song-Kang, vous font
432 ANNALES CATHOLIQUES
bien sûr désirer de nouveaux détails. Aujourd'hui je n'ai que
le temps de vous jeter un mot pour vous rassurer; j'ai été voir
nos ruines, c'est navrant. L'affaire se traite, mais en Chine
tout va doucement.
Je n'oublierai pas le 4 mai. Je vous embrasse de tout cœur
ainsi qu'Albert et Léopold. Priez pour nous.
Votre fils affectionné,
Lud. Platel, s. J.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie*
La date du prochain consistoire est défiaitinement fixée au
7 juin. L'accord entre le Vatican et le gouvernement français
pour la création de trois cardinaux français a été officiellement
conclu. Ces trois futurs cardinaux sont NN. SS. les archevêques
de Sens et de Rennes, dont la désignation a été faite par notre
gouvernement, et Mgr l'archevêque de Reims ; l'initiative de
ce dernier choix est venue du Vatican.
Le Saint-Père a résolu de ne publier, au prochain consistoire
du î juin, qu'un seul cardinal italien, Mgr Theodoli; mais on
annonce qu'un autre cardinal sera créé en même temps et
réservé in petto ; on suppose qu'il s'agit du [maître de chambre
de Sa Sainteté, Mgr Macchi, qui occupait déjà ce poste sous le
pontificat de Pie IX et qui va y rester quelque temps encore,
au lieu de passer à celui de majordome, où Mgr Theodoli aura
pour successeur l'archevêque de Chieti, Mgr Ruffoscila, de la
famille princiére de ce nom.
Quatre cardinaux créés dans les consistoires précédents vien-
dront recevoir le chapeau, avec Mgr Theodoli, dans le consistoire
public du 10 juin prochain. Ce sont : le patriarche de Lisbonne,
l'archevêque de Vienne, et les archevêques de Valence et de
Séville.
On mande de Rome kV Agence Havas que la congrégation de
la Propagande a reçu do très mauvaises nouvelles sur la situation
NOUVELLES RELIGIEUSES 433
des missions catholiques dans l'Afr/gue centrale. Mgr Lasserre,
évêque titulaire de Marocco, coadjuteurde Mgr Taurin, évêque
titulaire d'Adramitto, vicaire apostolique iDOurle territoire des
Gallads, a dû, sur l'ordre du roi de Choa, Menelik, quitter ce
pays, et il s'est enfui à Obock pour se placer sous le protectorat
des Français. Le roi Menelik aurait été poussé à expulser les
missionnaires par le négus d'Abjssinie. Le nombre des catho-
liques habitant le territoire des Gallas est évalué à 10,000 âmes.
On sait que cette mission, desservie par les Pères capucins
italiens, était précédemment dirigée par S. Em. le cardinal
Massaïa.
A la suite de l'heureuse issue des négociations entre le gou-
vernement de Lisbonne et le Saint-Siège concernant le patronat
de la couronne de Portugal aux Indes-Orientales, le Souverain
Pontife promulguera prochainement une Constitution apostolique
réglant la i;ouvelle organisation des évêehés relevant de Goa et
de ceux qui continueront de dépendre directement de la Propa-
gande.
F'fance.
Paris. — L'entreprise de l'église votive du Sacré-Cœur, à
Montmartre, vient d'entrer dans une nouvelle phase. L'archi-
tecte en chef, M. Daumet, s'est définitivement retiré, laissant à
un nouvel architecte, non encore désigné, le soin de terminer
l'œuvre commencée par M. Abadie.
On n'a pas oublié qu'au mois de février dernier, M. Daumet
ayant voulu apporter au plan de M. Abadie certaines modifica-
tions, il s'en suivit un différend assez sérieux entre l'architecte
et le comité de l'œuvre, ce qui entraîna la suspension des
travaux.
Choisis pour arbitres pour trancher le différend, trois hommes
compétents entre tous, MM. Bailly, Charles Garnier et Vaudre-
mer décidèrent, à l'unanimité, que l'œuvre conçue par
M. Abadie devait être respectée jusque dans ses moindres
détails.
A la suite de cette décision, les travaux furent repris.
Cependant, il était à craindre que M. Daumet ne fût plus
désormais l'architecte qu'il fallait pour faire exécuter des tra-
vaux dont il désapprouvait certaines parties essentielles. De
là, entre les membres du comité et l'architecte, une situation
334 ANNALES CATHOLIQUES
tendue, puis quelques froissements qui, finalement, ont entraîné
la retraite de M. Daumet.
Inutile d'ajouter que nombre de nos architectes en renom
sont déjà sur les rangs pour recueillir la succession de
M. Daumet.
Ce nouvel incident n'a eu nullement pour effet de faire sus-
pendre les travaux, qui suivent leur marche régulière.
— Voici une note que publie la Semaine Religieuse du
diocèse de Paris en réponse à un article infâme du Figaro :
Un journal du matin publiait, il y a deux jours, au sujet du
voyage de Mgr le coadjuteur à Rome, de prétendues iaformations
qu'il donnait sous toutes réserves, mais avec l'intention manifeste de
les faire accepter du public.
D'après cet article, on aurait découvert au ministère des cultes
que, « lors de la nomination, déjà ancienne, de Mgr Richard en
« qualité de coadjuteur, des omissions et des irrégularités auraient
« été commises qui, sans porter atteinte à sa position d'évêque
« auxiliaire auprès de Mgr Guibert, n'entraînerait pas de plein droit
« sa succession comme archevêque de Paris ; c'est ainsi qu'aucune
« délibération du conseil des ministres n'aurait eu lieu, qu'aucun
« décret spécial n'aurait été rendu, que rien n'aurait été inséré au
« Journal officiel, ni au Bulletin des Lois. »
Le journal bien informé annonce, en conséquence, que « le gou-
« vernement ne se considérerait pas comme lié par la mesure exclu-
« sivement religieuse qui a appelé l'ancien évêque de Belley près
« l'archevêque de Paris », et comme, en outre, « il trouverait que
« Mgr Richard, aux vertus duquel tout le monde d'ailleurs rend
« hommage, n'aurait peut-être pas été préparé par l'administration
« du modeste diocèse de Belley au poste épineux et difficile d'arche-
« vêque de Paris », il songerait à lui ménager une compensation
honorable en obtenant du Pape qu'il fût nommé cardinal, résidant à
Rome. Le voyage du coadjuteur aurait pour motif réel la négociation
de ce projet.
Pour apprécier ce tissu d'inventions, il suffit de rappeler les faits.
Quand Mgr Guibert fut appelé, en 1871, à l'archevêché de Paris,
il avait déjà soixante-neuf ans. Il hésita beaucoup à prendre, à cet
âge, la charge d'un si grand diocèse récemment désolé par de terribles
calamités. Il finit par céder aux instances du gouvernement de
M. Thiers et de M. Jules Simon, et au désir du Saint-Père. Mais il
fut convenu qu'on ne lui refuserait pas l'aide qu'il estimerait néces-
saire à l'accomplissement de sa tâche.
Quatre ans après, en 1875, Mgr Guibert jugea le moment venu de
NOUVELLES RELIGIEUSES 435
demander un coadjutenr avec future succession. Il s'adressa au pré-
sident du conseil, M. Buffet, qui saisit de l'affaire le président de la
République et le conseil des ministres. A l'unanimité, le conseil fut
d'avis d'accéder à la demande de l'archevêque. Le choix de celui-ci
se porta sur l'évêque de Belley, qu'il avait connu pendant quinze ans
lorsque, étant archevêque de Tours, il le voyait assister de son
dévouement éclairé le vénérable évêque de Nantes, Mgr Jacquemet.
Ce choix, fait d'accord avec le gouvernement, fut approuvé par le
Saint-Père. Les choses se passèrent, en cette circonstance, confor-
mément aux précédents et comme elles se sont passées dans toutes
les nominations de coadjuteurs. Les bulles furent reçues par le gou-
vernement, enregistrées par lui avant d'être remises au titulaire,
qui prit possession immédiatement auprès du Chapitre. Un an après,
en 1870, Mgr Dupanloup obtenait, dans des conditions identiques,
le coadjuteur qui lui a succédé de plein droit et par le fait même de
sa mort, en 1878.
Si la feuille mondaine, qui veut raisonner des affaires ecclésias-
tiques, avait pris la peine de s'informer exactement, elle aurait
constaté ce que nous venons de dire. Si elle était moins étrangère
aux. choses qui intéressent le clergé, elle saurait que Mgr Richard
avait été préparé aux hautes fonctions qu'il exerce par vingt années
d'une participation active et distinguée au gouvernement de l'Eglise
de Nantes, où il jouissait, comme vicaire général, de la confiance
absolue de son évêque et de tout le diocèse; par quatre années d'un
épiscopat fructueux, dont les prêtres et les fidèles de Belley n'ont
pas perdu le souvenir. Le même journal, avec un peu de réflexion,
aurait reconnu que les pouvoirs de coadjuteur, exercés pendant
onze ans à Paris, constituent au profit du futur archevêque une
préparation spéciale qu'il est bien rare de trouver aussi complète,
car il n'est pas aujourd'hui, dans ce grand diocèse, un seul prêtre
qui n'ait eu des relations particulières avec le prélat, pas une
paroisse de la ville et de la banlieue qu'il n'ait visitée plus d'une
fois, pas uue oeuvre qui ne lui soit familière, pas un chrétien sérieux
qui n'ait eu l'occasioa de constater par lui-même les qualités émi-
nentes de l'esprit et du cœur qui l'avaient désigné au choix du véné-
rable Cardinal.
Est-il besoin, dès lors, d'ajouter que le voyage de l'archevêque de
Larisse ne saurait avoir pour objet la négociation inventée par le
journal? Tous les quatre ans, les évêques vont à Rome pour faire
ce qu'on appelle le voyage ad limina et remettre au Pape le compte-
rendu de leur diocèse. L'état de santé du cardinal l'a empêché de
faire ce voyage en 1885, et c'est pour remplir, au nom de Son Emi-
neuce, ce devoir ordinaire dos évêques, que Mgi- Richard est parti
pour Rome, il y a dix jours. Il est en route en ce moment pour
regagner Paris, n'ayant eu aucune affaire particulière à traiter dans
la Ville-Éternelle.
436 ANNALES CATHOLIQUES
Nous voulons croire que le journal dont il s'agit tiendra â honneur
de rectifier des assertions directement contraires à la vérité, et que
des réserves vagues et fuyantes protègent mal contre le reproche de
légèreté.
Au reste, nous sommes heureux de déclarer que si notre vénérable
Cardinal n'a pas recouvré toutes les forces nécessaires pour reomplir
les fonctions extérieures de son ministère, il est dans un état de
santé qui lui permet de s'occuper très sérieusement des affaires de
l'administration, et nous formons les vœux les plus ardeats pour que
Dieu le cons-erve longtemps encore au respect et à l'affection de ses
diocésains.
CoiNSTANTiNE. — DimancliG a eu lieu, près de Bone, une
imposante cérémonie. Le pèlerinage parti de Marseille pour
Jérusalem, a fait escale à Bone et s'est rendu procesâionnelle-
nieut, avec l'évêque et le clergé de Constantine, sur la colline
d'Hippone, oh a eu lieu, il y a quinze siècles, à cette même date,
la conversion de saint Angustin.
Le cardinal Lavigerie a officié pontificalement à l'un des
seize autels élevés en plein air. Le soir, les vêpres ont été chan-
tées par les pèlerins, qui sont revenus ensuite à Bone, accom-
pagnés par une partie du clergé.
Une basilique s'élèvera bientôt sur ce même emplacement,
grâce à l'initiative du cardinal, dont les œuvres ne se comptent
plus. Saint Augustin sera enfin vénéré eu Afrique, et Hippone
se relèvera un peu de ses ruines sous la protection du grand
saint qui Ta illustré.
Le Puy. — MM. Urbe et de Pélacot, vicaires généraux de
Mgr Le Breton, évêque du Puy, ont fait insérer dans la
Semaine religieuse du diocèse, du 14 mai, une communication
officielle qui doit être lue en chaire et dans laquelle il est dit :
L'état de santé de Mgr l'évêque du Puy s'est notablement
aggravé dans ces derniers temps et inspire de sérieuses inquié-
tudes. En conséquence, messieurs les vicaires généraux croient
devoir recommander le vénérable malade aux prières du clergé ei
des fidèles...
Tous se rappelleront, dans celte douloureuse circonstance, ce
qu'ils doivent au Père de leurs âmes, au digne et saint évêque
qui, pendant vingt-deux ans, s'est dévoué au bien de ce diocèse.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 437
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Election de l'Aisne. — Réception princière du 15 mai. — Projets d'expul-
sion. — La nouvelle loi militaire. — L'affaire de Chateauvillain. — Le
château de Chambord. — Belgique. — Grèce. — Espagne. — Italie.
20 mai 1886.
Comme il fallait s'y attendre, M. Sébline a été réélu dimanche
sénateur pour le département de l'Aisne, et les journaux répu-
blicains annoncent que ce préfet réfractaire a, d'un scrutin à
l'autre, gagné sur son concurrent opportuniste une cinquantaine
de voix. Aussi il faut lire dans la presse républicaine de Paris
les commentaires qu'inspire cette réélection. Les électeurs
sénatoriaux de l'Aisne sont traités en ennemis de la République,
en gens arriérés et pervers qui méprisent les lois. On leur
annonce sur tous les tons que leur élu sera de nouveau invalidé.
Nous supposons que ce genre de menaces laisse les délégués,
sénatoriaux de l'Aisne fort indiiférents. Ils ont réélu une
seconde fois M. Sébline; ils le rééliront une troisième fois :
voilà tout. Ils sont bien libres, en somme, ces électeurs séna-
toriaux de l'Aisne, de préférer M. Sébline aux candidats qu'on
veut leur imposer. Mais, dit-on, cette mauvaise plaisanterie des
réélections et des invalidations de l'Aisne va coûter au Trésor
la bagatelle de 90,000 francs. Sans doute; cependant il convient
de remarquer que M. Sébline avait lui-même sollicité l'ajourne-
ment de l'élection, et un gouvernement qui a pu ouvrir les
portes de la prison de Villefranche à Jules Roche afin de lui
permettre de venir soutenir sa candidature à Paris, pouvait
bien ajourner de quelques semaines l'élection de l'Aisne. Si
on a agi au contraire avec un empressement sans exemple,
c'était pour mettre les électeurs dans l'impossibilité de choisir
M. Sébline. Et comme les électeurs ont fait « l'impossible » en
nommant M. Sébline avec enthousiasme, on est justement em-
barrassé d'être pris à son propre piège et d'avoir à payer,
bientôt peut-être, le dernier appoint des 90,000 francs sans
avoir pu encore empêcher les électeurs de l'Aisne de tenir
mordicus à leur candidat. Mais on peut dire que la perspective
du succès définitif de M. Sébline est bien plus désagréable au
ministère que cette grosse dépense de 90,000 fr., laquelle, après
tout, sort de la poche des contribuables et non de celle des
ministres.
438 ANNALES CATHOLIQUES
Avant de quitter Paris pour se rendre à Lisbonne où va s'ac-
complir le mariage de la princesse Amélie, sa iiile, avec le duc
de Bragance, héritier du trône de Portugal, le comte de Paris
a tenu à recevoir dans son hôtel de la rue de Varenne les
nombreux amis de la Maison de France.
De neuf heures du soir à une heure du matin, plus de quatre
mille personnes, représentant toutes les illustrations de la nais-
sance, de la pensée, de la politique, de l'art, de la fortune, de
l'industrie, du commerce, ont défilé en flots pressés dans les
salons du magnifique hôtel.
Ce bel hôtel est un des plus grandioses édifices du faubourg
Saint-Germain. Après avoir appartenu à Mme la princesse
Adélaïde et plus tarda M, le duc de Montpensier, il est aujour-
d'hui la propriété de Mme la duchesse de Galliera qui, vivant
très retirée depuis la mort de sou mari, dont elle continue les
généreuses traditions, et passant sa vie dans la pratique des
bonnes oeuvres, a cédé tout le rez-de-chaussée à Monsieur le
comte de Paris. Mais quelque vastes que soient les apparte-
ments, ils eussent été, certes, insuffisants pour l'affluence con-
sidérable qui s'y pressait, si l'on n'eût élevé, pour la circons-
tance, du côté des jardins, une immense galerie décorée avec
un goût rare, qui la mettait presque de pair avec les splendides
salons qui font de cette demeure un logis vraiment princier.
Grâce à cette heureuse idée, l'encombrement n'a point dégénéré
en cohue, et la foule des invités a pu circuler sans s'écraser.
C'était M. le marquis de Beauvoir qui était chargé de pré-
senter les invités à Madame la comtesse de Paris, qui se tenait
à droite, à l'entrée du grand salon, avec Madame la princesse
Amélie à ses côtés : celle-ci vêtue d'une simple robe de tulle
blanche, ravissante de grâce et de beauté. On sait avec quelle
exquise affabilité Madame la comtesse de Paris sait accueillir;
et de tous ceux qui avaient l'honneur de l'approcher pour la
première fois hier, il n'est personne qui n'en ait été frappé et
touché.
Un peu plus loin, seul au milieu du salon, Monsieur le comte
de Paris tendait la main aux arrivants, trouvant pour chacun
un mot aimable, un souvenir bienveillant, un délicat remercie-
ment.
Après avoir défilé devant Monsieur le comte et Madame la
comtesse de Paiis, et devant M™' la princesse Amélie, on péné-
trait dans les autres salons, oix les princes et les princesses de la
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 439
famille royale étaient épars un peu partout : M. le duc d'Aumale,
M. le prince et Madame la princesse de Joinville, M. le duc de
Nemours, M. le prince Csartoryski et M""' la princesse Czar-
torjska, la princesse Blanche, M'"' la princesse Hélène, le grand
duc et la grande-duchesse Vladimir de Russie.
Dans un salon à droite, se tenaient la princesse Clémentine
de Saxe-Cobourg-Gotha, le prince Henri d'Orléans, M"® la
princesse Marguerite et M. le duc d'Orléans; ce dernier, fils
aîné de M. le comte de Paris, grand jeune homme à la figuer
intelligente et ouverte, à l'air décidé, dont la fière mine a
produit une grande impression.
Presque tous les membres du corps diplomatique étaient
présents. S. Exe. le nonce apostolique, l'ambassadeur d'Es-
pagne, M. de Albarda, le comte de Munster, le comte de Moltke,
le baron et la baronne de Beyeus, le vicomte d'Azevedo, le
comte de Villeneuve, représentant le Brésil, le général Nazare-
Aga, ministre de Perse, le vicomte de Faria, consul général de
Portugal à Paris, la vicomtesse et M"^ de Faria, M. Brula-
tour, etc. Toutes les personnes de la maison des princes :
MM. le comte 0. d'Huussonville, le marquis d'Harcourt, le
vicomte de Bondy, le baron de Chabaud La Tour, le marquis
Pasquier, le comte Chevilly, le duc de Glucksberh, Aubry-
Vitet, Emmanuel Bocher, Saint-Marc-Girardin, Eugène Du-
feuille, Auguste Boucher, Camille Dupuy, comte Adrien de
Riancej', etc., etc.
A une heure du matin, la réception était terminée. Monsieur
le comte et Madame la comtesse de Paris, Madame la prin-
cesse Amélie et tous les membres de la famille royale ont
traversé la grande galerie et les salons pour rentrer dans leurs
appartements.
Les princes ont quitté Paris le 17 mai par train spécial et ont
dû arriver hier à Lisbonne.
Le programme des quatre jours de fête (jui doivent avoir
lieu à l'occasion du mariage de LL. AA. RR. le duc de Bra-
gance et Mme la princesse Amélie de France est fixé comme il
suit :
Le 22, grande solennité religieuse dans l'église Saint-Domi-
nique, célébrée par le patriarche de Lisbonne, qui donnera la
bénédiction nuptiale.
Le 23, réception au palais de Belem, oii Leurs Altesses
S2
440 ANNALES CATHOLIQUES
Royales admettront en leur présence tous ceux qui désireront
leur apporter leurs vœux de félicitation.
Le 24, réception officielle par LL. MM. le roi et la reine de
Portugal, au palais royal d'Ajuda.
Le 25, grande revue des troupes de la garnison dans l'avenue
de la Liberté. Il y aura en tout sept mille hommes : l'artillerie
avec quatre-vingt-dix canons ; l'infanterie, avec trois régi-
ments, et un régiment de cavalerie.
Les nombreuses marques de respect et de sympathie dont les
princes ont été entourés pendant ces derniers jours, ne laissent
pas d'irriter les républicains et déjà l'on a parlé d'expulsion
partielle ou même totale. Ce serait un dérivatif aux préoccu-
pations pénibles qui assiègent chaque jour nos gouvernants.
Donc, sans doute, nous allons avoir une interpellation sur
l'attitude des princes, et la seule question à trancher au
moment où nous sommes, ce n'est pas de savoir si la mesure
est juste, opportune, libérale, mais bien quel sera le groupe
d'oii viendra l'initiative de la demande d'expulsion. Sera-ce
l'extrême gauche, sera-ce l'union des gauches ? Enfin ne con-
viendrait-il pas au ministère lui-même de prendre les devants
et de prononcer, par décret, l'expulsion immédiate du comte de
Paris tout au moins ?
Mais on peut supprimer un homme, on ne supprime pas un
fait. Or, le fait qui choque nos gouvernants est celui-ci : que,
samedi, à l'hôtel Galliera, autour d'une famille, dont les
ancêtres ont régné sur la France, se trouvaient réuni le per-
sonnel complet d'un grand gouvernement, ses diplomates, ses
pairs, ses députés, ses conseillers d'Etat, ses fonctionnaires, en
un mot, tout le pays conservateur croyant et monarchique
et comme la représentation en résumé de toutes les forces
sociales. Yoilà un fait, en même temps un principe, puis-
qu'il y avait chez le comte de Paris des hommes de toutes
les opinions politiques, des républicains modérés tels que
M. Jules Simon, des impérialistes qui marchent la main dans la
main avec les autres monarchistes, dans l'intérêt du parti con-
servateur;, des savants célèbres comme M. Pasteur, des illustra-
tions dans tous les genres. En quoi ce principe sera-t-il détruit,
en quoi le fait sera-t-il amoindri par l'expulsion ?
CHRONIQUE D£ LA SEMAINE 441
Le général Boulanger vient enfin de présenter au conseil des
ministres, la nouvelle loi militaire qu'il a si longuement
élaborée.
Son projet est volumineux ; il n'a pas moins de deux à trois
cents articles. Il comprend une loi sur le recrutement, un
projet d'organisation d'armée coloniale, et il introduit des
modifications considérables dans la composition des différents
corps de troupes.
Conîme le général Campenon, le général Boulanger préconise
le système de trois ans obligatoire pour tous. Le service auxi-
liaire, la disponibilité et tontes les dispenses de droit sont sup-
primés. En outre on accorde des sursis d'appel, renouvelables
pendant quatre ans pour cause d'achèvement d'études. Ils seront
dans la proportion de dix pour cent.
A l'exemple du général Campenon, le ministre envoie les
séminaristes à la caserne ; il se contente cependant d'exiger un
an de présence sous les drapeaux au lieu des trois ans réclamés
par son prédécesseur. Mais comme le général Boulanger a
promis de soumettre son projet à M. Goblet, il est probable
que le ministre des cultes s'empressera de rétablir le service
de trois ans pour les séminaristes.
Les jeunes gens pourvus d'un brevet d'instruction militaire
préparatoire seront, après deux ans de service, renvoyés dans
leurs foyers.
En outre, les dispensés seront soumis à des exercices mili-
taires qui auront lieu une fois par mois, au chef-lieu de canton.
Ils seront soumis à une taxe dont le minimum sera de 21 fr. 60.
Le contingent annuel étant fixé à 192,000 h., l'armée com-
prendra donc, déduction faite des pertes, 540,000 h., soit un
excédent de 70,000 h. sur les prévisions budgétaires. Pour
parer à cette difficulté financière, on renverra la classe libérable
aussitôt après les manoeuvres d'automne.
Chaque corps d'armée se recrutera sur son territoire, mais
les conscrits seront dirigés en dehors de la subdivision à
laquelle ils appartiennent.
L'armée se recrutera au moyen d'engagements volontaires et
de rengagements. En outre tous les jeunes gens des colonies
seront forcés de servir un an dans ses rangs.
Quarante régiments de chasseurs à pied seront créés à la
place des trente bataillons qui existent actuellement; on aug-
mentera en outre le nombre des régiments de cavalerie et l'on
créera un corps d'ingénieurs militaires.
442 ANNALES CATHOLIQUES
Par contre beaucoup de fonctions seront supprimées dans
l'état-major général de l'armée et l'on fera fusionner le génie
et l'artillerie de forteresse.
Telle est, en résumé, la base du projet que présente le
ministre de la guerre. Nous l'étudierons plus complètement
quand le ministre aura terminé sa rédaction définitive et qu'il
le présentera à la tribune de la Chambre.
MM. Giraud et Fischer et les héritiers d'PIenriette Bonnevie,
tuée à l'assaut donné par le sous-préfet Balland et les gen-
darmes de Châteauvillain à l'usine Giraud, ont adressé à M. le
président de la cour de Grenoble une plainte à fin de constitu-
tion civile devant le juge d'instruction contre les auteurs de
l'attentat que toute la France connaît. Le gouvernement a l'au-
dace de prendre les devants. Et il fait annoncer par ses jour-
naux que le parquet va traîner devant la police correctionnelle,
non seulement MM. Giraud et Fischer, mais aussi le curé et le
vicaire de Châteauvillain. Les autorités républicaines, n'ayant
pas osé tuer tout le moude, veulent au moins intimider tout le
monde et prouver aux Français qu'il ne faut pas plaisanter avec
les caprices administratifs de M. Goblet. Cette manœuvre ne
trompera personne. On sait bien que le gouvernement n'aurait
jamais osé poursuivre devant la justice les victimes du mauvais
coup de M. Goblet. Il a fallu les démarches des victimes pour
que le gouvernement se décidât à annoncer des poursuites.
C'est honteux, et nous verrons bien s'il j a encore des juges en
France malgré l'épuration.
La crise subsiste toujours à Decazeville, mais dans des con-
ditions qui annoncent la fatigue des ouvriers et par conséquent
la fin prochaine de la grève. On assure que les embauchages
d'ouvriers ont repris d'une façon satisfaisante pour la Compa-
gnie et que d'ici quinze jours la moitié de l'ancien personnel
sera de nouveau employée dans les raines et les ateliers. Les
tristes fauteurs de cette grève n'auiont donc réussi, après
toutes leurs provocations et leurs menaces, qu'à causer la
mort d'un homme de cœur, victime de son devoir, et qu'à
plonger toute la population ouvrière de la localité dans une
noire misère. Car c'est la misère qui aujourd'hui ramène à
l'atelier et à la mine tous ces pauvres égarés. S'ils étaient
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 443
logiques, ils auraient une singulière reconnaissance pour les
industriels qui les ont conduits à ces extrémités.
Dans quelques jours la Chambre reprendra ses séances. Elle
les interrompra vers le 10 juillet. Elle pourra donc siéger une
trentaine de fois au plus, c'est-à-dire une centaine d'heures.
Or, trois interpellations sont déjà inscrites : l'une sur la grève
de Decaze ville, l'autre sur « le fonctionnement de la justice »,
la troisième sur la politique extérieure. Et comme le zèle des
interpellateurs ne s'arrêtera pas là, on peut compter qu'une
dizaine de séances au moins, seront ainsi remplies par des
débats inutiles. Si nous comptons dix séances pour la politique
pure, il ne reste plus que trente heures pour les choses sérieuses.
Dés aujourd'hui on a fait le sacrifice delà discussion du budget;
elle aura lieu pendant la saison d'hiver... à moins qu'on n'en
revienne aux douzièmes provisoires. Au prix qu'ils lui coûtent,
le pays serait en droit d'attendre davantage de ses députés.
Un débat s'est élevé récemment et se continue encore au
sujet du château de Chambord, que Victor Hugo a appelé
« l'Alhambra de la France, beau comme un palais de fées,
grand comme un palais de rois. » On connaît l'origine de la
discussion. En 1820, le château de Chambord allait tomber
sous les coups de la bande noire, tant vantée par Paul-Louis
Courier. Une souscription nationale, qui produisit plus d'un
million et demi, permit de racheter le domaine qui fut offert
au duc de Bordeaux. Depuis, le vieux château royal est resté
la propriété du comte de Chambord, qui l'a légué avec ses
autres biens à ses deux neveux, le duc de Parme et le comte
de Bardi. A la mort de la comtesse de Chambord qui eu avait
l'usufruit, le domaine est donc passé aux mains de deux
princes étrangers.
On voudrait maintenant enlever le château à ces princes,
sous prétexte qu'ils ne sont pas français, et le conseil général
de Loir-et-Cher a émis un vœu pour revendiquer Chambord
comme propriété nationale. Propriété nationale est bientôt dit.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que la question se pose et elle a déjà
été tranchée. Un arrêt du 3 février 1841, rendu par le tribunal
de Blois, précise, en effet, que la donation de 1820 « est une
donation pure et simple, qui a investi le donataire de la pleine
propriété de la chose donnée, sans réversibilité au domaine de
444 ANNALES CATHOLIQUES
l'État. » Le domaine, appartenant absolument au comte de
Chambord, pouvait être légué par lui à qui boa lui semblait.
Que l'on regrette que ce legs ait été fait à des princes étrangers,
on le peut; qu'on rachète à ces princes une propriété qui tient
par des liens si nombreux à l'histoire de la France, on le peut
encore; mais qu'on veuille le leur prendre, on ne le peut pas :
la loi s'j oppose.
Mais qu'est la loi en République?
Mardi, 18 mai, a en lieu à Bruxelles un scrutin de ballottage
pour l'élection d'un député. Le résultat a été ce que l'on pouvait
prévoir, à la suite de l'alliance des libéraux doctrinaires et des
radicaux. Leur candidat, M. Buis, bourgmestre de Bruxelles,
a été élu par 9,920 voix. Le candidat indépendant, le général
Jacqraart, a obtenu 7,951 voix, c'est-à-dire 1,024 voix de plus
qu'au premier tour de scrutin qui avait eu lieu huit jours
auparavant.
Le Courrier de Bruxelles dit, au sujet de l'élection de
M. Buis :
M. Buis a obtenu le 18 mai 9,920 voix.
Il en avait obteau le 11 mai 6,399 »
Différence en plus : 3,521 »
M. Janson avait obtenu le 11 mai 3,799 voix. Il y a donc eu
3,521 électeurs jansoniens qui ont donné leurs voix à celui
« qui n'a pas leur confiance ». 279 seulement ont eu assez de
dignité pour s'abstenir.
M. Buis est donc l'élu des radicaux. Mais il n'est pas leur
chef. Il est donc leur prisonnier. C'est à eux, et à eux seuls
qu'il doit son siège.
Les affaires grecques marchent tout doucement vers un
dénouement, dont tous les homme olitiques sentent à Athènes
la nécessité, mais dont chacun répugne d'endosser la responsa-
bilité, devant l'attitude du peuple que l'on a excité, enconragé
par de folles espérances, et qui peiit-(;tre fera un mauvais parti
à ceux qui oseront faire aux puissance -• la concession inévitable
du désarmement.
M. Tricoupis n'a pas accepté du roi la mission de former un
cabinet; M. Papamichalopoulos s'en était chargé, mais n'a pu
en venir à bout, « la plupart des hommes politiques auxquels il
s'était adressé lui ayant refusé leur concours », dit naïvement
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIERE 445
une dépêche d'Athènes. Alors, le roi est sorti des cadres parle"
mentaires et a mis les portefeuilles sous le bras d'un brave
magistrat du nom de Valuis,et celui-ci a enfin constitué, vaille
que vaille, un ministère pris en dehors de tous les cadres poli-
tiques. Seulement, il est bien entendu que ce ministère ne veut
pas faire de lui-même le désarmement : il commencera par
soumettre la question au Parlement, qui va être incessamment
convoqué.
Espérons que les députés sauront élever leur âme à la
hauteur des devoirs pénibles et redoutables que le patriotisme
impose. Le courage civique qui affronte l'impopularité et accepte
les responsabilités nécessaires est plus rare et de meilleure
trempe que le courage militaire qui affronte la mort.
Le 17 mai, la reine Christine, veuve du roi Alphonse XII
d'Espagne, a donné le jour à un fils qui est dès à présent roi
de toutes les Espagnes sous le nom d'Alphonse XIII.
L'Espagne a donc un roi, et la Majesté de cinq ans que la
mort d'Alphonse XII avait provisoirement fait monter sur le
trône d'Isabelle et de Charles-Quint, en est descendue au pre-
mier vagifsement de l'enfant que la reine-mère vient de mettre
au monde. Ainsi la régence, on pourrait presque dire l'inter-
règne, se trouve prolongée de cinq années, longum œvi spa-'
iiuni, en présence des menées républicaines. Ajoutons que cette
naissance coupe court au projet de fusion des deux dynasties,
qui consistait à unir don Jaime, le fils de don Carlos, à l'héri-
tière de la couronne d'Alphonse XII. Il y a bien des nuages sur
ce berceau oii vient d'arriver un roi au milieu des tempêtes et
des bouleversements de la nature, moins graves peut-être que
les orages et les périls de toute sorte qui attendent sa fragile
existence.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
M.Garnot est bien embarrassé ; comment va-t-il Irailer les petites
coupures de rEmprunl? S'il ne fait pas subir à celles-ci la réduc-
tiou proportionnelle de 21,5, la réduction sera bien plus forte pour
les autres coupures qui perdront en chiffres ce que les autresauront
gagné.
446 ANNALES CATHOLIQUES
Ce succès d'un emprunt couvert vingt et une fois et demie ne
signifie absolument rien, du moment qu'on en a faussé toutes les
bases, il ne se justifie plus et ne démontre plus rien. Disons plus :
ce succès est absolument négatif; l'Emprunt, malgré ses soi-disant
247,000 souscripteurs, n'est ni souscrit ni classé, et la preuve,
c'est qu'il revient, tout entier, à la Bourse pour y être reconstitué
en coupures au gré des demandes.
Les petits n'ont rien eu, ou peu de chose, les gros détiennent le
reste. Or, ce n'est pas pour garder, mais pour vendre, avec béné-
fices, qu'ils ont souscrit l'Emprunt ; aussi ont-ils mis le feu aux
poudres et ont-ils surexcité les fibres liaussières de la Bourse.
Voilà pourquoi tout monte et tout se soutient, afin d'écouler cet
emprunt. Le seul point saillant de celte opération, c'est le déplace-
ment énorme de fonds qu'elle a nécessité: ces fonds ont cherché
remploi. A cet égard, prévoyant ce résultat, nous vous avons invités,
il y a un mois environ, à acheter des obligations 3 °/o du Crédit
foncier, en choisissant les obligations non libéiées des emprunts 4880
et 1885. Nous vous disions que ces obligations étaient de22à2ofr.
au-dessous des cours des obligations absolument similairesdumême
établissement. En vous signalant cette anomalie, nous terminions
en déclarant, qu'à la suite de l'Emprunt, ces obligations monteraient
de 5 fr. Notre appréciation a été trop modeste ; car de 434 tV. ces
obligations sont arrivées à 444 fr., soit 10 fr. de hausseen 15 jours.
Voilà l'attention du public attirée sur cette valeur et, d'ici la fin de
l'année, elle aura repris le niveau des autres; prenez-en bonne
note.
Nos lecteurs nous sauront gré, nous l'espérons du moins, de
leur mettre sous les yeux la liste des emprunts français, depuis
que le gouvernement a adopté le système dit souscription publique;
celui qui vient d'être souscrit est le douzième.
Mois.
Année.
Intérêt.
Capital émis.
Taux.
Mars
1854
3
0/0
155
millions
65.25
Janvier
1855
»
345
»
65.25
Juillet
1855
»
689
»
65.25
Mai
1859
»
508
»
60.50
Janvier
1864
»
345
»
66.30
Août
1868
»
450
»
69.25
Août
1810
»
805
»
60.60
Juin
1871
5
0/0
2,293
»
82.50
Juillet
1878
»
3,498
»
84.50
1878
amori
tissable
550
»
divers
Mars
1881
»
1,006
»
83.25
Mai
1886
3
0/0
905
»
79.80
En attendant la suite, ce qui ne peut manquer d'arriver sous le
régime actuel, on va recommencer, d'ici à la fin de l'année, une
émission d'obligations à court terme et une émission de nouveaux
bons du Trésor : c'était prévu ! A. H.
Le gérant: P. Chantrei..
ark. — Irop. (ie TŒuvre de Saint-Pairi G. Piequoin, 61, rue de Li*le.
Lundi prochain, 31 mai, second anniversaire de
la mort de M. Joseph Chantrel, fondateur des
Annales Catholiques, une messe sera célébrée en
l'église Saint-Lambert de Yaugirard pour le repos
de l'âme du vaillant écrivain.
Nous demandons à tous nos amis de joindre
leurs suffrages aux nôtres, en ce jour de souvenirs
particulièrement douloureux.
Celui dont chaque jour nous fait sentir davan-
tage l'absence, n'a plus besoin de nos prières, nous
en avons la consolante certitude.
Mais nous qui sommes dans l'arène, qui luttons,
faibles que nous sommes, dans des temps excep
tionnellement difficiles, nous ne les demandons
qu'avec plus d'instances, pour qu'heureusement
inutiles au juste qui n'est plus,, elles retombent en
bénédictions fécondes sur son œuvre et sur ses
enfants.
P. Chantrel.
Lvi. — 29 MAI 1886.
ANNALES CATHOLIQUES
-@^-sCD@CI>-=^-
LA FRANGE, LA CHINE ET LE SAINT-SIEGE
Les négociations actuellement en cours entre Rome et Pékin
viennent de provoquer, dans la presse européenne, une polé-
mique qu'il eût été certes mieux d'éviter. Il est à regretter
qu'une affaire aussi délicate soit tombée, des régions sereines
des arrangements diplomatiques, dans le domaine de la discus-
sion publique et même boulevardiére. Exciter les passions, se-
mer les défiances, tendre à préjuger par ces procédés sommaires
les décisions définitives, est plus qu'un manque du tact et de
discrétion , c'est une faute dont les conséquences retombent
toujours sur ses auteurs.
Posée ainsi devant le forum de l'opinion publique , cette
grave question demande une explication plus complète. Elle
constitue, eu effet, dans l'histoire des missions catholiques, un
épisode important et qui exercera une influence considérable
sur l'avenir de la religion et de la civilisation dans l'Extrême-
Orient. Le temps de parler est donc venu. Il faut rectifier et
expliquer.
Toute la thèse des adversaires d'une entente directe entre le
Saint-Siège et la Chine, se réduit, au fond, à une seule accu-
sation, à savoir que cet arrangement serait une atteinte portée
aux intérêts de la France, un acte de malveillance contre cette
nation si chrétienne, si chevaleresque dans ses entreprises, si
superbe de foi, de générosité et de dévouement, quand il s'agit
de porter sur tous les points du globe les promesses éternelles
du Ciel et le règne du Père qui est aux cieux. On est allé jus-
qu'à exploiter la coïncidence purement fortuite de la pacifi-
cation en Prusse avec l'ouverture des négociations avec la
Chine, comme s'il pouvait y avoir une connexion quelconque
entre ces deux faits, comme si ces affaires éminemment reli-
gieuses et purement pacifiques pouvaient cacher une vengeance
politique ou provoquer des représailles coupables !
Est-il bien nécessaire de repousser ces accusations que peut
LA FRA.NCE, LA. CHINE ET LE SAINT-SIEGE 449
seul inspirer l'esprit de parti ? Tout le gouvernement, tout
l'esprit, tous les actes de Léon XIII ne sont-ils pas là pour pro-
tester contre ces insinuations aussi futiles que tapageuses ? Qui,
en effet, plus que le Pape actuel, a versé sur la France des
trésors d'affectueuse longanimité et de miséricorde paternelle?
Que l'on examine l'histoire des rapports entre Paris et Rome,
pendant ce pontificat. Où a-t-on vu s'unir le tact le plus mer-
veilleux à la patience la plus douce, quand, cependant, la
guerre sévissait , les institutions religieuses menaçaient de
tomber en ruine, quand les passions de parti les plus ineptes
étaient menées à l'assaut contre l'Église?
C'est Léon XIII qui a écrit cette Encyclique Nohilissimo
Gallorum gens dont le titre seul, superbe et harmonieux, res-
tera à jamais comme un hommage glorieux rendu à cette
nation privilégiée; c'est Léon XIII quia adressé à M. Grévy
une lettre de paix et d'esprit de conciliation, pour arrêter la
République sur la voie des conilits ; c'est Lui qui, malgré les
réductions continuelles faites au budget des cultes, vient d'ho-
norer ce pays par la création de trois cardinaux, de sorte que
la France marchera de nouveau, après Rome, à la tête du
Sacré-Collège; c'est Lui qui a épuisé toutes les ressources de
raccommodement ; qui n'a voulu ni rompre avec le gouverne-
ment, ni laisser se déchirer le Concordat, cette charte de la
paix religieuse en France ; c'est, en un mot, Lui et peut-(5tro
Lui seul qui, par la majesté de sa patience et de son attitude, a
maintenu les derniers restes de longs siècles d'harmonie et de
féconde cohabitation.
A la douceur de Pie VII, Léon XIII a uni l'aftection effective,
sans cesse agissante, cet esprit pondéré, cet équilibre harmo-
nieux des actes et des enseignements pour forcer en quelque
sorte le parti au pouvoir à reculer devant trop de responsa-
bilités et trop de fautes. Au-dessus de l'effervescence passionnée
des coteries parlementaires, Léon XIII a vu et aimé la France,
Il n'a pas voulu en faire la victime expiatoire des actes persé-
cuteurs du radicalisme allié à la franc-maçonnerie.
Ce simple ressouvenir n'est-il pas le meilleur démenti infligé
par les faits à des récriminations aussi peu fondées? Oui, et
l'histoire le dira un jour, Léon XIII a tout fait pour sauver la
France des crises, pour lui conserver les bienfaits inappré-
ciables de la paix civile.
Mais, institution cosmopolite au premier chef, placée sur les
4o0 ANNALES CATHOLIQUES
hauteurs du Vatican pour embrasser de sa sollicitude tous les
royaumes et toutes les âmes, la Papauté constitue d'office la
Providence visible de toutes les chrétientés, et lorsqu'une
occasion d'étendre et de propager le règne de Dieu s'offre à son
regard, son devoir est engagé, sa mission tracée d'avance.
La Chine vient de fournir cette occasion providentielle. En
proposant d'entrer en relations officielles et directes avec Rome,
elle place les missions catholiques sous la tutelle immédiate,
tangible du Saint-Siège et de la Propagande. Jusqu'ici cette
protection était réglée diplomatiquement par un traité avec la
France. C'était celle-ci qui, intermédiaire politique, devait
sauvegarder les intérêts de ces chrétientés; c'était la Chine et
la France qui avaient combiné, concerté, pratiqué d'un commun
accord ce qu'on est convenu d'appeler le protectorat français.
Eh bien, le Saint-Siège ne lèse aucun droit, il ne rompt avec
rien et avec personne. A côté d'un traité politique, il peut
accepter une institution religieuse, à côté d'une forme transi-
toire, étroite, nationale, établir une forme régulière, perma-
nente, générale; à côté du drapeau d'un peuple, planter la
bannière du Christ, l'étendard de la Papauté. Que sera-ce si,
non seulement le Vatican n'use d'aucun manque d'égard, mais
s'il se borne simplement à correspondre à une offre gracieuse
pour lui, profitable pour les âmes, avantageuse à l'épanouis-
sement radieux et fécond de son action civilisatrice?
Aurait-il dû repousser ces avances d'un Souverain, au
moment où la Chine s'ouvre au mouvement moderne, oii les
persécutions en Orient jaillissent souvent des rivalités poli-
tiques çt nationales, oii les missions ont plus que jamais un rôle
de premier ordre à jouer dans ses pays lointains; où, enfin, de
cette compénétration de deux civilisations occidentale et orien-
tale, sortira probablement une ère nouvelle, soit pour l'Eglise,
soit pour l'Europe. L'avenir s'avance de l'Orient : l'Eglise
doit-elle se fermer les routes qui y aboutissent? Quand la
Chine aura une représentation prés le Saint-Siège, peut-on
craindre encore, au même degré, les revanches de l'esprit per-
sécuteur? Dans quelques années, lorsque la civilisation aura
porté sa lumière à l'intérieur de ce monde fermé jusqu'ici,
lorsque, selon les prédictions des voyageurs les plus perspicaces
et les mieux informés, la Chine débordera sur l'Europe et les
autres parties du monde, est-il croyable que les'rapports de cet
empire avec les puissances seraient les mêmes qu'aujourd'hui?
LA FRANCE, LA CHINE ET LE SAINT-SIEGE 451
Rien, dans tout cela, ne saurait porter ombrage à la France.
Sans cloute, le gouvernement français a rendu d'éminents
services aux missions. Mais son protectorat n'a-t-il pas été, en
retour, pour lui, une source de prestige, un principe de
rayonnement et d'influence politique? Si, par l'action des évé-
nements et la force des choses, cette situation doit se trans-
former, revêtir un autre type, faut-il en rendre le Saint-Siège
responsable? Est-il permis de voir dans cette marche naturelle
des affaires une atteinte au droit du gouvernement, un manqua
d'égards pour la nation? Le prétendre, ce serait absurde; ce
serait vouloir accréditer le préjugé que la Papauté subordonne
les intérêts des âmes et des missions à des combinaisons poli-
tiques.
Serait-ce trop bien penser de la France en la jugeant inca-
pable d'exiger uu Saint-Siège un rôle semblable? Comment
croire, d'iàlleurs, qu'il puisse y avoir là un froissement de
l'amour propre national?
Aussi, loin de nous l'idée que la France puisse se désaffec-
tionner momentanément du Saint-Siège pour un sim[ile incident
où rien ne justifierait un ressentiment quelconque. En le faisant
elle tomberait dans le piège que lui tendent ses ennemis.
Ombrageuse, rendue susceptible par tout l'ensemble du la poli-
tique générale en Europe, elle doit savoir résister, en face
de? efforts que font ses adversaires pour la brouiller défini-
tivement avec le Saint-Siège et lui ravir ainsi toutes les
causes de son relèvement, de sa régénération, de son retour
aux glorieuses traditions du passé. La vue juste et impar-
tiale des choses lui fera seule conjurer ce danger. Pas de
passion, mais une appréciation calme et sereine de l'ensemble
des faits-
Cerles, ce n'est pas la France catholique qui peut assister,
jalouse et irritée, au développement plus large du catholicisme
dans l'Extrême-Oriônt, car, en entrant en relations directes
avec la Chin.e, Léon XIII fait acte d'apôtre à la fois et d'homme
nolitique : il prépare un avenir plus fécond aux missions et à la
civilisation chrétienne.
[Monitew^ de Rome.)
452 ANNALES CATHOLIQUES
LE CARDINAL PIE
ET LA SÉCULARISATION
Plusieurs lettres épiscopales adressées à Mgr Baunard
ont indiqué, en termes pleins d'enthousiasme, la haute
valeur du livre où il a raconté la vie du grand évêque de
Poitiers (1). h' Univers vient de consacrer à ce même livre
une série d'articles dus à la plume du R. P. Delaporte.
Nous croyons devoir reproduire le dernier de ces articles,
qui présente un vif intérêt. Les pages dans lesquelles
Mgr Baunard montre comment l'évêque de Poitiers com-
prenait le relèvement et le progrès de la société temporelle
elle-même sont, croyons-nous, les plus instructives d'un
livre si fécond en enseignements,
Mgr Pie était convaincu que la sécularisation, c'est-à-dire
l'exclosion de l'influence de la religion, ne peut aboutir qu'aux
plus effroyables ruines. Il le disait et le démontrait en toute
occurrence : « D'un bout à l'autre de sa carrière d'évêque, il
n'eut qu'une pensée : faire rentrer l'Eglise dans la société. »
— Notre siècle, disait-il aux membres de la Société de Saint-
Vincent de Paul de Poitiers, est celui des transactions; on
tend à amalgamer le bien et le mal, le vice et la vertu, la foi
et l'incrédulité. C'est pourquoi je vous dirai avec l'Apôtre :
« Ne vous assimilez point au monde; assimilez le monde à
vous. Voilà votre mission ; mais commencez par vous assimiler
à vous-mêmes la vérité pleine. »
Observateur sagace, il s'était rendu compte de l'action pré-
pondérante de la bourgeoisie en notre siècle; il la gourman-
dait sans détour, et avec quelque vivacité, mais en père, et ses
enseignements produisirent souvent parmi ses auditeurs les plus
heureux fruits. Il fallait refaire en France une opinion chré-
tienne. L'évêque de Poitiers en voyait à la fois la nécessité et
les difficultés.
L'État-Dieu, disait-il à la veille du coup d'État de 1851, est plus
que jamais en plein triomphe dans la Chambre. Dieu donnera son
vole, à sa façon, par quelque coup de tonnerre. Le conserva-
(i) Deux vol. in-S". Paris, Oudin.
LE CARDINAL PIE 453
torisme est inconverlissable; il ne veut pas être sauve, il ne le
sera pas.
Et il ajoutait tristement :
La prudence est partout, et bientôt le courage ne sera plus
nulle part. Nous périrons de sagesse, vous verrez. Nos devanciers
n'étaient pas si tranquillistes.
Le grand évêque n'a-t-il pas vu trop juste? Aujourd'hui que
les attentats les plus liideux se sont succédé sans relâche, en
un temps où la persécution religieui^e s'étale en plein soleil,
devant la papauté captive, les crucifix brisés, les prêtres ré-
duits à la misère, l'enfance jetée aux seutines d'athéisme, les
masses ouvrières embrigadées par l'anarchie, ne vovons-nous
pas des milliers et des milliers de conservateurs supporter tout
ce qui ne les atteint pas en plein visage, ou du moins en pleine
caisse, avec une tranquillité dont rien ne les peut faire sortir?
Il faut être de son temps ; ce temps-ci ne veut plus de la reli-
gion; alors sachons nous résoudre à vivre sans elle!,..
Revenons à l'évêque de Poitiers. Mgr Sibour, dans les plus
louables intentions, avait donné un mandement sur « Vinier-
vention du clergé dans la politique •». L'archevêque plaçait le
devoir, pour le clergé, dans l'abstention de toute participation
aux choses politiques, avec lesquelles la religion n'avait rien
de commun : telle était sa thèse et sa conclusion. Mgr Pie crut
nécessaire de rectifier dans son mandement de carême (1851)
ce qu'il y avait d'excessif dans ce langage. Il le fit discrète-
ment et prudemment, en opposant à la variabilité du fait en
politique l'inflexibilité du droit.
L'Eglise, y disait-il, n'est pas une de ces puissances capri-
cieuses qui apportent ou qui retirent à leur gré à une cause quel-
conque un appoint plus ou moins décisif. Il ne lui est pas loisible
de se gouverner d'après ses affections ou ses répugnances, ni
même d'après les règles de la prudence humaine et la prévision
des chances de l'avenir. Elle est invariablement tenue de pourvoir
partout et toujours à l'observation de la loi divine, et la loi divine
entend protéger tous nos droits. C'est à ce point de vue qu'il faut
se placer pour apprécier nos actes ; et le dogme commode de la
neutralité politique ne saurait avoir ici son application.
Mgr l'évêque de Poitiers allait se voir amené à traiter plus
directement la question. Le vieil évêque de Chartres avait fait
du mandement de Paris une réfutation publique qui, dans la
454 ANNALES CATHOLIQUES
forme, pouvait laisser à désirer. Mgr Sibour, par une ordon-
nance que publièrent les journaux, avait à son tour assigné
Mgr Clauzel à répondre de sa lettre pastorale devant le concile
provincial, qui devait se tenir à Paris.
Mgr Pie avait compris immédiatement que la cause était
grave, et que c'était au Saint Siège qu'il appartenait de fixer les
principes. Il ne s'agissait de rien moins, comme le faisait
observer judicieusement Donoso Cortès, que de décider la con-
duite à observer par le clergé catholique au milieu des boule-
versements du monde.
Le mémoire de l'évêque de Poitiers sur cet important sujet
est un chef-d'œuvre de logique sur le point de fond et de ten-
dresse filiale sur la question de la forme assez âpre du mande-
ment de Chartres. A défaut de la prudence, qui avait laissé à
désirer, Mgr Pie relève la franchise du vieillard; il le montre
allant droit et visière levée à son adversaire : « Le vieil Eléazar,
dit-il, eût rougi de déshonorer ses cheveux blancs par une
feinte. » Enfin, dit Mgr Baunard, il fait de lui ce portrait, tracé
de main de fils : « Je suis l'enfant et le disciple afî'ectionné du
vénérable évéque de Chartres... Je puis le dire avec un orgueil
filial : c'est l'âme la plus haute, c'est la foi la plus vive, c'est le
courage le plus apostolique que le Ciel ait suscité parmi nous en
ce siècle. 11 a commencé la lutte contre le pouvoir lorsque le
pouvoir était représenté par un prince qui avait toutes ses
afi'ections. »
Pie IX rétablit la paix sans se prononcer solennellement sur
la question, ce qui, à cette heure, eût présenté de très graves
inconvénients. On devait trouver plus tard une règle conforme
à la pensée de l'évêque de Poitiers dans divers enseignements
pontificaux, notamment dans la lettro de Léon XIII au cardinal
Guibert (20 octobre 1885), que l'historien reproduit à cette page
de son ouvrage (I, p. 250).
Le coup d'Etat du 2 décembre fut accueilli par l'évêque de
Poitiers avec une juste défiance. Un coup d'État de Dieu pour
établir le règne de son Fils dans les âmes, voilà ce qu'il deman-
dait dans son cœur. « Je m'abstiendrai, écrivait-il; mais la
masse du clergé dira ouï, par haine des trois ou quatre brigands
qui, dans chaque paroisse, portaient la terreur depuis quinze
mois. »
L'attitule de l'évêque de Poitiers en face de Napoléon III est
bien connus. Il lui fit entendre aux jours de la prospérité, de
LE CARDINAL l'IE 455
sévères avertissements; il refusa de se joindre à ceux qui l'ou-
tragrèrent après sa défaite. Mgr Baunard raconte ces choses
avec un eachaîiieinent et une clarté qui les font paraître
neuves; mais le point tout particulièrement intéressant de son
récit est celui où il montre l'évèque de Poitiers, qui avait ren-
contré à Rome M. de Vanssay, au printemps de 1873, esquissant
d'une main ferme le programme de la royauté chrétienne.
In virtuti tua, Deus, lœtabitur rex, et in salutari tuo exultabit
vehementer. Le roi trouvant sa force dans le libre déploiement de la
force divine, dans le libre exercice des droits supérieurs de Dieu; le
roi tressaillant avec ardeur quand l'œuvre du salut s'accomplit par
le Christ dans ses Etats : c'est là le type de la vraie royauté, de la
royauté chrétienne. Pour être délaissé, honni, rejeté, ce programme
n'en reste pas moins le programme de tout pouvoir régulier au sein
des nations catholiques... Ce n'est point au point do vue de l'intérêt
que le prince chrétien doit se placer : l'intérêt est plein d'obscurité,
en des temps comme ceux-ci surtout. Mais qu'il agisse en vue d'un
devoir, qu'il agisse avec constance, avec force. S'il y a péril pour lui
de succomber à la tâche et de périr à l'œuvre, tomber pour tomber,
ne vaut-il pas mieux tomber martyr du devoir? C'est tomber alors
comme l'arbre qui a donné son fruit, qui laisse sa graine, c'est-à-dire
la semence de sa multiplication.
Virile et opportune leçon, que d'autres que les rois doivent
entendre et recueillir! L'évèque écrivait en un autre endroit
ces paroles d'énergique et confiant espoir :
Non, je n'accepterai jamais pour la France la nécessite absolue et
définitive de ce qu'on appelle Yhypothèse, en haine de la thèse chré-
tienne. J'estime trop mon pays, j'ai trop haute idée de sa prédestina-
tion divine, je connais trop sa facilité à revenir au bien après qu'il
est irrémédiablement assis dans le mensonge. Non, la France n'est
point apostate à toujours.
M. de Vanssay avait demandé au prélat un exposé sommaire
des principes fondamentaux d'un gouvernement chrétien. Nous
n'avons, dit Mgr Baunard, que le premier jet et les linéaments
principaux de ce travail, mais ils suffisent à montrer en quelle
sage mesure l'idéal et le possible, les principes et la pratique se
combinent harmonieusement dans la pensée de l'homme de
l'Eglise appelé, durant une heure, au rôle de conseiller du
trône et d'homme d'Etat. (II, 491.)
Même après les lumineux enseignements de Léon XHI sur la
constiliUion chrétienne des sociétés, ces fragments sont du plus
haut intérêt, soit parce qu'ils visent plus particulièrement la
456 ANNALES CATHOLIQUES
France, soit parce qu'ils montrent que le Vicaire de Jésus-Christ
n'a rien innové et n'a fait que reproduire, comme l'évêque de
Poitiers, mais avec une autorité plus haute, la tradition catho-
lique sur les devoirs de ceux qui, dans l'ordre politique, sont les
délégués de Dieu et les dépositaires de son autorité souveraine.
Mgr Pie repousse d'abord, au nom de l'Eglise et de l'histoire,
toute idée d'absolutisme : la royauté chrétienne, particulière-
ment la royauté française, n'a jamais été une royauté arbitraire
ni même absolue. Elle avait un tempérament primitif dans
l'existence des divers ordres du royaume, dans les assemblées
provinciales, les Etats généraux, les parlements, les libertés et
coutumes locales, dans l'Église constituée, dans les lois, les ins-
titutions, et plus encore dans les mœurs chrétiennes Après
que la Révolution, qui voulait détruire le despotisme, eut brisé,
au contraire, presque toutes les digues du despotisme, la maison
de Bourbon, rendue à la France, a apporté avec elle une forme
nouvelle de tempérament à l'exercice de l'autorité royale. Dans
la monarchie ainsi reconstituée, le souverain exerce l'autorité
avec le concours de deux Chambres, dont l'une est nommée par
lui dans des catégories déterminées, et dont l'autre est nommée
par la nation, selon le mode de suil'rage réglé par la loi.
L'évêque accepte le fait de la monarchie constitutionnelle,
en écartant habilement des contestations de mots oiseuses et
irritantes.
« L'ordre, dit-il un peu plus loin, c'est que la force soit au
service du droit Ce qu'il faut au monde, c'est le poi te-glaive, le
grand justicier, comme on disait de saint Louis. Cet homme si doux
avait pour recommandation : Bonne et raide justice. La parole, si
peu justifiée ensuite, de Napoléon III, a fait toute sa fortune : « Il
est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent. »
Il conciliait ainsi le droit du catholicisme avec la tolérance
qui ne peut être refusée, dans les sociétés actuelles, aux cultes
dissidents :
La religion catholique, qui est pour les Français la religion de
quatorze siècles dans le passé et de trente-cinq millions de citoyens
sur trente-six dans le présent, est la religion du pays et de ses
institutions.
Les citoyens qui professent les autres cultes jouissent de toutes
les garanties assurées par la loi.
C'était la note juste.
Le comte de Chambord goiita les pensées de Mgr Pie et 1^
CONFIDENCES DE LAMENNAIS 457
remercia chaleureusement des conseils qu'il avait donnés. On
sait comment la monarchie chrétienne ne se fit pas.
Il n'a pas vu, hélas! la victoire des vérités qu'il a, dans ses
discours et ses écrits, si merveilleusement exposées et vengées.
Mais l'on peut dire qu'il a, entre tous, assuré leur futur
triomphe, en leur donnant un tel éclat qu'elles ont conquis les
esprits supérieurs qui ont médité ses enseignements, et formé
un groupe de catholiques tels qu'il les avait passionnément
souhaités, assez soumis de cœur au magistère romain et assez
appliqués à l'étude approfondie des enseignements de l'Eglise
pour mettre désormais la vérité intégrale au-dessus de tout
courant d'erreur dans notre pays.
CONFIDENCES DE LAMENNAIS (1).
Il existe un Lamennais, pour ainsi dire, officiel — le La-
mennais de tout le monde, — et celui-là, il faut bien l'avouer,
est le contraire d'un homme aimable. Sombre, sinistre, fielleux,
atrabilaire, mécontent d'autrui parce qu'il est surtout mécon-
tent de lui-même, on se demande à quelle phase de sa vie on
devrait le prendre pour entrevoir un sourire d'approbation sur
ses lèvres contractées par une douloureuse ironie. Sous la Res-
tauration, qui devait être son gouvernement de prédilection,
il est déjà aussi agité, aussi grincheux, aussi irascible, que si
Messeigneurs de Frayssinous et de Quélen le blessaient dans ses
convictions les plus chères.
La colère est son état chronique. Il se plaint — et ses plaintes
sont des invectives, qu'on n'en finisse pas avec le gallicanisme,
qu'on prenne au sérieux le Concordat, qu'on épargne de vieux
évêques, échappés à la Révolution et à l'Empire. C'est un indé-
pendant avant d'être un révolté ; un irrégulier avant d'être un
déserteur. La discipline lui pèse, alors même qu'elle favorise
les croyances dont il s'est fait le champion. Il inquiète ceux qui
l'admirent; il épouvante ceux qu'il sert. Son orgueil est si
gigantesque, qu'il étoufl'e son ambition. Toutes les dignités de
(1) Lettres inédites de 1821 à 1848, publiées avec une latroductioa
et des notes, par Arthur du Bois de la Villerabel. — (Nantes,
Emile Grimaud. — Paris. Perrin et C'<=).
458 ANNALES CATHOLIQUES
l'Église, toutes les richesses da ce monde sont au-deçsous de
son rêve. Volontiers, il dirait : « Pape ne puis, évèque ne daigne,
Lamennais je suis. » Volontiers, il s'enfermerait dans une man-
sarde,, il vivrait de pain sec et d'eau claire, s'il pouvait, du
fond de sa retraite, lancer des ukases h la société chrétienne,
régenter las consciences, dominer i'épiscopat et le clergé, ré-
gner parallèlement au Souverain-Pontifa, dicter des lois à
l'Église au lieu d'accomplir les siennes, créer au besoin un nou-
veau christianisme, où se combineraient t:int bien que mal la
pauvreté évangélique, la simplicité apostolique, la foi des pre-
miers siècles, le pouvoir d'un seul, et l'autorité suprême, l'om-
nipotence démocratique du suffrage universel, appliqué aux
vérités religieuses..
Regardez le portrait de Lamennais, peint par Paulin Guérin,
au plus beau moment de cette orageuse carrière, lorsque
l'illustre auteur de V Essai sur Vindiffifrence est encore l'oracle
des catholiques et des royalistes, le collaborateur de Mld. de
Chcâteaubriand et de Bonald au Conservateur, le rédacteur du
Drapeau blanc, l'honneur tt l'espoir de la littérature chré-
tienne. Il supplée à la sécurité par le prestige; son génie tran-
quillise ceux que son caractère effraye. Ils sont trop fiers de
lui pour ne pas lui passer ses âpretés, ses inégalités et ses
boutades. Pourtant, regardez bien. Est-ce le feu du Ciel ou le
feu de l'Enfer qui brûle ou qui couve sous cette arcade sourci-
lière, si profondément enfoncée? Ce teint jaune, presque livide,
doit-on l'expliquer par les mortifications, les jeûnes et les
veilles, ou par la fermentation incessante d'une pensée solli-
citée par l'erreur, par le mensonge, par Yau-delà, du vrai et
du divin? Hélas! la Bible nous apprend que les deux feux
peuvent se confondre, et la suite des événements nous rappelle
que déjà le sectaire perçait sous le masque du prêtre. Cette
religion qui vit d'obéissance, il voulait que dans ses mains elle
devint à la fois un élément d'indépendince et un instrument de
domination. Il commençait comme TertuUien a fini.
Que serait-ce, si je parlais du Lamennais après la chute,
— le seul qu'il m'ait été donné de voir de près et de connaître?
le Lamennais surtout des dernières années?... Ah! il ne
donnait pas envie de le suivre à travers les sentiers du schisme
et de l'hérésie ! Il n'avait ni la sérénité doucereuse de M. Ernest
Renan, ni l'aplomb hâbleur du Père Hyacinthe. Jamais prêtre
apostat ne garda plus profondément l'empreinte de cette estam-
CONFIDENCES DE LAMENNAIS 459
pille terrible, indélébile, qui fait les réprouvés quand elle ne
fait pas les élus. Jamais hostalî^ie sacerdotale ne fut plus
étroitement unie à la négation radicale de tout ce qui constitue,
consacre, divinise le sacerdoce.
Ce caractère ineffaçable dont il avait essayé de s'affranchir,
il le portait incrusté sur son pâle visage. Cette soutane dont il
s'était dépouillé, on eût dit qu'elle s'était collée à sa peau
comme la robe de Nessus. Oreste avait tué sa mère ; lui
n'avait pu qu'affliger la sienne, qui ne peut pas mourir ; et
cependant, il semblait, comme Oreste, poursuivi par des furies
invisibles. Quels que fussent les éminents services qu'il
aurait pu rendre à la religion, s'il était resté fidèle, quelle que
fût l'éloquence, la beauté des pages qu'il aurait écrites, je ne
sais vraiment si sa physionomie, son attitude, le rapide déclin
de son génie à dater de sa rupture avec Rome, ne furent pas
des preuves encore plus frappantes de la vérité de ces dogmes,
de ces mystères qu'il démontrait en les récusant. Ses silences
parlaient; ses ténèbres disaient où il avait laissé la lumière.
Son abattement enseignait à quelles conditions un ministre du
Seigneur peut marcher tète haute, et regarder en face les
ennemis de son Dieu. Cette image de l'amputé qui souffre en-
core dans le membre qu'il n'a plus recevait ici son application
exacte. Lamennais avait mal à la religion qu'il n'avait plus.
Eh ! bien, ce désespéré, ce damné dantesque, dont je n'ai
aperçu que le spectre, et à qui on ne peut songer sans frisson,
deux sortes d'avocats plaident pour lui des circonstances atté-
nuantes ; l'immensité de son malheur, et la persistance de
sympathies que lui ont gardées quelques catholiques restés
fidèles tout ensemble aux préceptes de l'Église et aux souvenirs
de la Chênaie.
L'intéressante publication de M. Arthur du Bois de la Ville-
rabel, a cela d'excellent qu'elle remet en lurûiére les deux
Lamennais, le Lamennais aussi malheureux qu'un coupable
peut l'être en ce monde, et le Lamennais des années heureuses,
où il s'appelait l'abbé Fëli, et où des intelligences élevées,
pures, pieuses, sincères, originales, exquises, l'acceptaient à la
fois comme un maître et un apôtre, comme un supérieur et un
charmeur.
Il avait donc du charme, ce petit vieillard ridé et ratatiné,
que je voyais, en montant ma garde aux portes du Palais-Bour-
bon, sortant de la Chambre comme un condamné à mort sorti-
460 ANNALES CATHOLIQUES
rait de la Cour d'assises ! Il avait eu de l'éloquence, ce convive
taciturne qui, au sortir de table où il n'avait rien dit, se hâtait
de demander l'échiquier ou le trictrac, pour se dispenser de rien
dire! Il avait eu le secret des cœurs, des consciences et des
âmes, ce misanthrope, ce Schopenhauer antidaté, qui semblait
toujours nous dire : « Ne me demandez pas ce dont je me sou-
viens, ce que je pense, ce que je crois, ce que j'aime; mes
pensées sont des supplices, mes tendresses sont des martyres,
mes doutes sont des bourreaux, mes souvenirs sont des fan-
tômes ! » Il faut bien se rendre à l'évidence.
L'homme qui groupait autour de lui, par une irrésistible
magie, les esprits les plus éminents et les plus variés, Monta-
lembert et Lacordaire, Gerbet et de Ceux, Maurice de Guérin
et Emmanuel d'Alzon, La Gournerie et Carné, Salinis et
Cazalés, Champagnv et d'Ortigue, Liszt et Cabat, Turquettj
et Jehan Duseigneur, l'homme dont la clientèle alla un moment
de Lamartine à Victor Hugo, et dont les disciples ne connurent
pas de plus grande douleur que d'avoir un jour à choisir entre
leur Credo et son amitié, cet homme avait évidemment reçu
du Ciel, non seulement le génie de l'écrivain, qu'exacerba,
envenima et finalement atrophia son apostasie, mais ce don,
ce don mystérieux, indéfinissable, magnétique, réservé à un
bien petit nombre, la faculté d'attirer à soi un groupe d'élite,
comme l'aimant attire le fer, comme le tribun attire les mul-
titudes.
Ces Confidences inédites sont les lettres adressées à un
voisin, à un ami, M. Marion, une de ces belles âmes qui ne se
reprennent plus après s'être données, M. de la Villerabel nous
apprend à aimer cet homme de bien, de la forte race malouine,
qui aurait pu, sous la Restauration, grâce à MM. de Chateau-
briand et de Lamennais, venir à Paris, occuper un poste impor-
tant, avoir sa part de crédit et de célébrité, mais aima mieux
être plus utile que puissant, ne consentit jamais à quitter sa
terre de Mordreuc, voisine de la Chênaie, et préféra les
humbles fonctions de marguillier de sa paroisse à celles de
conseiller d'État. Il y a quelque chose de touchant dans cette
fraternité de deux intelligences inégales, mais dignes de s'ap-
précier et de se comprendre, dont l'une, la moins douée, reste
droite et pure, tandis que l'autre s'aveugle et s'égare.
C'est la fable des Deux pigeons, avec cette différence que l'un
des deux pigeons est un aigle. Nous n'avons pas les lettres de
CONFIDENCES DE LAMENNAIS 461
M. Marion à son illustre et malheureux ami. Mais on peut sup-
poser que, après la rupture, à dater de 1834, il ne toucha qu'avec
une extrême délicatesse et une discrétion infinie à la plaie sai-
gnante, d'autant plus réfractaire à tout contact qu'elle était
plus douloureuse et plus vive. Il avait assez étudié le caractère
de Lamennais, susceptible et irritable, doublé d'entêtement et
d'orgueil, pour être sûr, premièrement, que l'intime blessure
parlait plus haut que toutes les remontrances ; secondement,
que les plus beaux sermons n'aboutiraient qu'à enfoncer plus
avant le coupable dans sa faute, le rebelle dans sa révolte, le
sectaire dans son schisme.
Aussi me permettrai-je de chicaner M, de la Villerabel sur
ce mot : « Confidences. » — Un grand poète a appelé la con-
fession une confidence divinisée. C'est que le pénitent ou la
pénitente ne cache rien ou ne doit rien cacher à son confident
sacré. Humainement, la confidence, c'est la confiance absolue,
qui parle ou qui écrit.- Le mot a un sens d'expansion, qui
n'admet ni dissimulation, ni prétention, ni réticence.
Une âme qui s'épanche tout entière dans une autre âme, dans
une âme-sœur, — soeur de charité, — voilà la confidence. Ici
je vois bien la sœur de charité ; il n'en est pas de plus attentive,
de plus douce, de plus dévouée. Mais le malade ne l'emploie que
pour causer avec elle de sujets étrangers à son mal. Les allu-
sions sont si vagues, si lointaines, qu'il faut deviner ce que n'écri-
vent ni M. Marion, ni M. de Lamennais. Une amicale prière du
catholique, resté en Bretagne, conjurant Lamennais de ne pas
renoncer à revenir à la Chênaie, signifie que ce retour tant
désiré au milieu de ses fidèles Bretons impliquerait nécessaire-
ment une réconciliation du rebelle avec l'Église et avec lui-
même. Lamennais, demandant grâce pour ses vieux arbres,
exprimant ses regrets de ne pouvoir rentrer au bercail, évo-
quant, en quelques lignes d'une mélancolie et d'une poésie
incomparables, les images de ce coin de terre, inséparable de
la foi perdue , c'est l'exilé volontaire, qui ne dit pas, mais qui
laisse entendre qu'il n'a pas eu, depuis cet exil, une heure de
repos, un jour de bonheur; que sa rupture avec l'Eglise n'a pas
été pour lui une délivrance, mais un déchirement.
A. DE PONTMARTIN (1).
(1) Gazette de France.
462 ANNALES CATHOLIQUES
LES ETUDES A ROME
Le touriste qui visite l'Italie, écrivait-on récemment au
Courrier de Genève, cherche et voit le passé beaucoup plus
que le présent. Les souvenirs de l'antiquité chrétienne et de
l'empire romain l'attirent tout d'abord. S'il aime à se livrer aux
douces impressions religieuses dans ces augustes sanctuaires
qui racontent comme d'une voix vivante les origines aposto-
liques et la sainteté de l'Église, il n'est pas moins vivement
frappé du spectacle de ces grandioses ruines de la civilisation
païenne, partout mêlées aux monuments chrétiens.
La science moderne professe une espèce de culte pour tout
ce qui porte l'empreinte de la main des anciens Romains : on
recueille les œuvres d'art dans les musées, sans en négliger
les moindres fragments ; on recherche et l'on conserve avec soin
les vestiges des temples, des amphithéâtres, des thermes, de
toute construction qui peut attester un des caractères de ia vie
publique ou de la vie privée de cette société disparue : un pan
de muraille, un carré de pavé, tout fixe l'attention et mérite
le respect, dès qu'on peut y attacher le nom de ruine romaine.
Le voyageur est acheminé à travers tous ces débris pour ainsi
dire par des chemins battus. Les Guides ont tracé d'avance la
route, une route do convention qui est comme le train express
des régions de l'art, et souvent ne laisse pas plus admirer le
véritable aspect des choses d'art que le train des chemins de
fer ne laisse voir la beauté des paysages qu'il traverse. Néan-
moins il est peu de touristes qui s'écartent de la route de leur
Guide. C'est pourquoi ils ne voient que la Rome des galeries
et des musées, la Rome du Colisée et du Forum, une Rome
morte. La Rome actuelle, vivante, ce que l'on pourrait appeler
l'àme de la Rome catholique, leur reste complètement inconnue.
Autrefois, ils avaient au moins les cérémonies pontificales de
la semaine sainte, qui réunissaient de si grandes foules à Saint-
Pierre; aujourd'hui que le Pape est prisonnier, que le Temple
saint est désolé, les étrangers et les Romains eux-mêmes ne
peuvent plus voir le Pape, ni recevoir cette solennelle béné-
diction qui prosternait cent mille personnes sur la place de
Saint-Pierre, et laissait des souvenirs à jamais inefi'aoables.
Rome est une cité découronnée. Et si l'on ajoute que le gouver-
LES ÉTUDES A ROME 463
nement envahisseur s'applique à bouleverser la physionomie
même topographique de la ville, par dos démolitions et des
ali'^nements de rues, sans respecter ni souvenirs chrétiens ni
souvenirs païens, on peut prévoir un avenir prochain où Rome
n'aura plus que le cachet d'une simple capitale moderne, moins
bien partagée que beaucoup d'autres.
Mais sortons de ces tristes prévisions. Il existe à Rome uno
vie cachée, une force qui les empêchera de se réaliser : c'est la
vie intellectuelle catholique. Pendant que les empereurs
romains triomphaient encore dans leurs palais dorés, et que la
foule leur demandait du pain et des spectacles au cirque, une
société nouvelle grandissait dans les catacombes et se préparait
silencieusement aux destinées que Jésus-Christ lui avait
promises. Aujourd'hui, pendant que la Révolution un instant
triomphante bâtit avec une précipitation fiévreuse des casernes,
des palais de ministres et un monumeiit à Victor-Emmanuel,
cette antique société des catacombes continue son œuvre et sa
vie modeste. A ne voir que le dehors des choses, il semble quo
le monde du Qairinal, comme on nomme les usurpateurs, aura
bientôt tout conquis et tout façonné à Teffigie révolutionnaire :
c'est au point que les hérétiques mêmes s'émeuvent de cette
audace de destruction et de transformation, et protestent contre
le vandalisme moderne avec une indignation dont Grimm et
Ciregorovius viennent de se faire les éloquents interprètes. Mais
encore un peu de temps, et le roi d'Italie sera forcé de rendre
Rome aux Papes. Il a contre lui une force qui a fait reculer
tous les conquérants : le légitime possesseur de la Rome
ancienne a dû transporter son trône à Constantinople dés que
l'Église elle-même a eu besoin d'un trône visible; cette dispo-
sition providentielle est devenue comme une loi de l'histoire :
l'indépendance temporelle du Pape est une nécessité; donc. Je
domaine temporel sera reconstitué. Telle est la conviction du
monde catholique; et c'est surtout à Rome même que cette
conviction s'impose; et le monde du Quirinal en est aussi
pénétré que le monde du Vatican : il n'y a pas un ministre du
roi Humbert, pas un homme d'État qui n'avoue, dans l'intimité,
qu'il faudra trouver un moyen de rendre Rome au Pape. Aucune
solution de la question romaine n'est possible sans cette restitu-
tion. Chaque fois que, dans ses allocutions, le Pape proteste et
revendique son indépendance violée, le monde du Quirinal se
tait, se sent frappé, se reconnaît coupable. On voit les hommes
33
464 ANNALES CATHOLIQUES
d'État de la France, de l'Allemagne, de la Suisse, montrer de
l'irritation, se déclarer blessés dans leur prétendu honneur
national, lorsque le Pape démontre leurs attentats aux droits de
l'Eglise. Ici, à Rome, rien de pareil ne se produit. Les protesta-
tions de Léon XIII sont d'une vigueur et d'une persévérance
sans égales. Eh bien! jamais le roi Humbert ni ses ministres
les plus mauvais n'ont répondu un mot! C'est pour ainsi dire le
silence du criminel devant la sentence qui le condamne. Et la
raison de ce silence est le profond sentiment que tous les
Italiens ont des droits imprescriptibles et de la force de l'Église.
Ceci soit dit à leur honneur.
L'esprit du peuple italien est essentiellement catholique, on
pourrait même dire théologique. Ici, en eflet, on n'a pas un
catholicisme de sentiment, mais un catholicisme de raison : on
n'est pas catholique seulement parce que l'Eglise a de belles
cérémonies qui charment les jeux, des dogmes consolants qui
s'harmonisent avec les besoins du cœur et donnent de la poésie
à la vie humaine, on est catholique par le principe d'autorité
divine qui est le fondement de l'Eglise, c'est-à-dire que l'on
possède la foi par son côté le plus viril et le plus surnaturel.
Et cela n'est pas le privilège des hautes classes, c'est le domaine
commun de toute la nation ; l'enfant du pauvre est élevé dans
cette force des convictions comme l'enfant du prince; le simple
laïque a le sens des dogmes catholiques comme le clergé : la
théologie demeure mêlée à toute l'instruction classique et il n'y
a pas un savant, pas un lettré qui ne porte au fond de son esprit
des notions religieuses exactes qui le préserveront toujours de
ces accès d'erreurs si communs dans les pays protestants. Voiià
ce qui rend la révolution italienne si peu sûre d'elle-même et
la cause de l'indépendance du Saint-Siège si forte, malgré l'op-
pression du moment. Il est vrai que l'on a tenté aussi de chan-
ger cet esprit national par l'enseignement de l'Etat; mais
l'enseignement libre à tous les degrés réagit victorieusement :
à Rome, les écoles primaires du Saint-Siège comptent un nombre
d'enfants bien supérieur à celui des écoles de l'Etat. D'ailleurs,
les chefs mêmes de la révolution veulent que leurs enfants
reçoivent une éducation parfaitement catholique ; c'est ainsi
que Nicotera, ministre et homme politique le plus important de
la gauche, fait élever actuellement son fils chez les moines du
Mont-Cassin, qui ont un florissant collège.
Cet esprit théologique est ce qui domine tout à Rome. Il y
LES ÉTUDES A ROME 465
est entretenu à des sources si pures et si abondantes qu'il n'y
a pas crainte de les voir se tarir. De même que l'on rencontre
en diverses places de la ville ces fontaines jaillissantes qui
donnent de la fraîcheur à tout un quartier, de même les
Romains connaissent ces sanctuaires de la science, où la pure
doctrine coule comme leurs grandes eaux. Le monde entier
vient y puiser. Toutes les nations ont un séminaire à Rome,
quelquefois deux : la France, l'Allemagne, l'Irlande, l'Angle-
terre, les Amériques, les nations du rite oriental rivalisent
d'ardeur pour la prospérité de ces établissements, oii elles
envoient leurs élèves se former à l'esprit romain, qui est un
espritecclésiastiqueplus siir et plus parfait que partout ailleurs.
Le séminaire français, par exemple, compte près de cent élèves
choisis dans les divers diocèses de la France. Chaque séminaire
n'a pas ses professeurs particuliers; tous envoient leurs élèves
à l'une des trois grandes écoles qui se partagent l'enseignement
théologique à Rome : la Minerve, le Collège germanique et
l'Apollinaire. L'Apollinaire est le séminaire du Pape pour le
clergé de Rome. La Minerve est le séminaire des Dominicains,
et le Collège germanique le séminaire des Jésuites. Les pro-
fesseurs les plus éminents sont appelés dans ces établissements,
ainsi qu'au collège de la Propagande, qui garde son enseigne-
ment à part. Les élèves de chaque maison se distinguent par la
couleur ou la forme de leurs soutanes, et ce n'est pas une des
moindres curiosités que de les voir circuler par groupes dans
les rues, oii ils sont, d'ailleurs, parfaitement respectés, comme
tout prêtre l'est à Rome,
Outre ces collèges, Léon XIII a fondé une haute académie
ecclésiastique où des cours sont donnés chaque jour soit par
des prêtres, soit par des laïques : elle a pour directeur un
évêque, Mgr Sepiaci, qui donne lui-même deux conférences
par semaine sur les rapports de l'Eglise et de l'État. Mgr Ta-
lamo, l'un des plus éminents philosophes de notre époque, y
enseigne la philosophie du droit ; M. le commandeur de Rossi
y donne des conférences archéologiques ; M. Visconti fait le
cours d'épigraphie latine ; M. Camille Re celui de législation
comparée, etc.
Léon XIII a fondé aussi à l'Apollinaire deux nouvelles
chaires de haute littérature, l'une de littérature italienne,
l'autre de littérature latine. Il a confié la première à un jeune
prêtre de la Haute-Italie, M. l'abbé Poletto, connu par ses
travaux sur le Dante.
466 ANNALES CATHOLIQUES
Rien n'est si intéressant pour un éfranger qui dispose de
quelques heures libres à Rome, que d'assister à l'un ou l'autre
de ces cours académiques.
Ce haut enseignement, répandu à Rome avec tant de profu-
sion, ne demeure pas seulement le secret de quelques initiés.
Les échos en sont répercutés dans tous les rangs de la so-
ciété. Le Dante avait pris Virgile pour guide, parce que, au
XIIP siècle, Virgile était un auteur familier à tous les Italien.".
De même aujourd'hui, on peut dire que le Dante est familier à
tout esprit tant soit peu cultivé : il jouit d'un culte intellectuel
en Italie : en s'en approprie non pas seulement la forme poé-
tique, mais surtout la doctrine, qui est si profondément philo-
sophique et théologique. Et quelle différence entre un peuple
nourri de l'esprit du Dante et un peuple nourri de l'esprit de
Voltaire ou de Rousseau !
Il est frappant de voir avec quelle calme sécurité toutes les
études se continuent, malgré l'invasion de Rome. De même
qu'au moyen-âge les moines conservaient le flambeau de la
science dans leurs cloîtres pendant le passage des hordes bar-
bares, de même aujourd'hui la vie intellectuelle et morale n'est
point troublée des ruines momentanées. Les usurpateurs
sentent tellement eux-mêmes la supériorité de la science catho-
lique qu'ils cherchent à marcher sur ses traces. Les profes-
seurs de l'Etat donnent, tous les jeudis et dimanches, des con-
férences populaires sur les matières explorées avec tant de
succès par M. de Rossi et son illustre école archéologique;
mais le drapeau est porté trop haut pour qu'il puisse jamais
tomber en leurs mains. Les savants catholiques continuent
leurs investigations avec une noble ardeur; ils laissent loin
derrière eux ceux qui voudraient tenter de donner une autre
direction aux études.
UN MIRACLE A LOURDES
Dans une des chapelles latérales de Saint-Pierre d'Arène, à
Kice, s'élève au milieu d'un bosquet de verdure, sur une roche
artificielle habilement imitée, la statue de la Vierge pleine de
grâces. La robe blanc de neige, la ceinture d'azur, les grains
d'argent du rosaire suspendu à ses mains, la rose mystique qui
TN MIRACLE A LOURDES 467
s'épanouit sur ses pieds, tout indique Tinaa^e de Notre-Dame de
Lourdes. La grotte, les fleurs, les cierges qui brûlent devant le
rocliei-, les fidèles réunis maliu et soir pour prier, complètent le
tableau et transportent l'àrae vers ces lieux bénis visités par la
Reine du ciel.
Ce sanctuaire a été érigé au mois de mai dernier, en recon-
naissance de la giiérison miraculeuse d'une jeune dame polo-
naise de la famille princiére des Czetwcrtynski, M'"" la baronne
Gauthier, Nous ne résistons pas à l'envie de raconter cette
pathétique histoire.
La maladie de M"'' la baronne Gauthier remonte à l'âge de
douze ans, époque de sa première communion. Fortune, grand
nom, grâces naturelles, tout semblait sourire à cette noble jeune
fille au printemps de la vie; mais Je divin Maître, qui venait d3
lui apporter le mystère de l'amour, avait choisi cette heure
pour lui présenter le calice de. la souffrance et la faire participer
au mj'stère de la croix.
Cette maladie cruelle a reçu de la science thérapeutique un
nom que nous devons reproduire pour l'intelligence du récit : la
coxalgie. M"' IMicheline Czetwertynska était alors à Paris, oii
elle passait l'iiiver pour son éducation. Le mal dura deux ans;
la jambe droite se rétrécit de plusieurs centimètres, et il devint
impossible à la malade de marcher. Los plus grandes célébrités
médicales furent appelées; les docteurs Nélaton, Bouvier, Guer-
san et Michaud se donnèrent rendez-vous trois fois la semaine
en consultation : tous avaient déclaré que si la jeune malade
guérissait, elle ne pourrait marcher qu'à l'aide de béquilles.
Grâce à ces soins intelligents qu'accompagnaient beaucoup de
prières, la coxalgie disparut, mais la faiblesse resta. Les méde-
cins avaient prévenu qu'une rechute serait très dangereuse et
réclamaient les plus grandes attentions. N'était-ce pas trop
attendre de la jeunesse?
A seize ans, la jeune fille vint en Italie, à Bologne, chez sa
sœur et son beau-frère, le comte de Poninski, commandant à
l'armée de Piémont. Dans une promenade à cheval, la bête,
jeune et fringante, prit peur en présence d'un précipice. L'im-
prudente araazon,e fit Un bond pour descendre du côté droit. La
monture fut arrêtée, mais dans la précipitation de la descente,
un sursaut de dislocation et de douleur se fit sentir à la hanche.
Bravant la souffrance. M'" Micheline continua la promenade,
quoique le mal ne la quittât pas. Au retour, il fallut se mettre
468 ANNAI.ES CATHOLIQUES
au lit, d'où elle ne devait se relever qu'après dix grands mois.
La rechute tant redoutée était un fait accompli. Surexcitation
générale, fatigue habituelle, mal de tête, appétit perdu, toux de
mauvaise nature. C'étaient les symptômes de la coxalgie, sans
en être précisément les mêmes douleurs.
Le docteur Rizzoli, qui soignait la malade, l'envoya à Venise
pour y prendre les bains de mer sous la direction d'une célébrité
médicale de cette ville, le docteur Nanuyas. La saison des bains
ne fut pas sans amener un peu de bien; la marche fut même à
peu près possible. Afin de hâter la guérison, on envoya la
patiente à Abanon, près de Padoue, aux bains de boue sulfu-
reuse. Mais là, elle s'occupa peu de sa santé, car le lendemain
de son arrivée, sa sœur, qui l'accompagnait, eut une attaque de
choléra. Devant le terrible fléau, elle ne voulut pas la quitter
un instant, et M"" Poninska n'avait d'autres soins que ceux
d'une sœur de charité et ceux de sa propre sœur, quand son
mari, prévenu, arriva enfin. La malade de la veille trouva une
force extraordinaire dans la crise dont elle avait été le témoin.
Sa sœur guérit; elle revint avec elle à Bologne, oii le grand
air, le repos, la réciprocité des soins fraternels qu'elle reçut
alors, semblaient la convier à jouir de la vie. Avec le temps,
les forces reparurent, et, quoique faible encore, on la crut com-
plètement remise. Les années suivantes se passèrent en voyages.
A vingt-deux ans, M"^ Micheline Czetwertj^nska revint en
Italie, chez sa sœur, alors à Bari, et épousa le baron Gauthier
de Confiengo, jeune et brillant officier de l'armée italienne, des-
cendant d'une ancienne race. Dieu bénit cette union, et les trois
enfants, deux fils et une fille, qui en naquirent, furent élevés
dès le berceau dans les sentiments d'une tendre piété. La santé
de M™* la baronne se soutint assez bien pendant un temps, mais
elle tomba définitivement en janvier 1880, à Lodi, où son mari
était en garnison.
Son père, le prince Czetwertynski, qui demeurait à cette
époque à Paris, vint voir le jeune ménage affligé. La fille ne
voulut pas absolument laisser son père retourner seul : elle l'ac-
compagna jusqu'à Paris. Le voyage se fit à la bâte et non sans
grandes fatigues. On était au cœur de l'hiver, les Alpes avaient
revêtu leur manteau de neige; quand il fallut les franchir, un
froid glacial s'empara de la malade. Néanmoins elle ne voulut
rester que quelques jours à la capitale, et elle repartit aussitôt
pour Lodi, où son mari résidait. Le trajet s'exécuta sans arrêt;
UN MIRACLE A LOURDES 469
OU voyageait jour et nuit. Tremblante sous le froid et déjà saisie
par la fièvre, elle dut aflVonter à nouveau la glacière des Alpes.
En passant à Turin, où demeurait sa belle-mère, la baronne
douairière Gauthier, celle-ci, effrayée à son aspect de souffrance
et de fatigue, voulut la retenir. A peine consentit-elle à passer
la nuit, et le lendemain elle courait la poste sur la route de
Lodi.
C'est eu y arrivant que la maladie qui couvait dans son sein
depuis quelques jours devait l'abattre. La crise se manifesta par
des douleurs atroces dans tous les membres, surtout à la tête et
à l'épine dorsale. Le soir ramenait des convulsions si violentes
que la malade s'emparait de tout ce qui pouvait lui tomber sous
la main et le tordait dans une espèce de rage. Ou a appelé cette
dernière rechute une inflammation de la moelle épinière.
Après trois semaines passées sur le lit, le docteur pensant
qu'un peu de locomotion pourrait faire du bien, la baronne
essaya de mettre les pieds à terre; mais, ô terreur! ses jambes,
elle ne les sentait plus, elles ne la portaient plus : elle était
paralysée.
Cet état se prolongea pendant un an et demi, tandis qu'une
souffrance aiguë se maintenait dans l'épine dorsale. Les bras
d'un poids accablant, les jambes sans vie, la tête défaillante,
les yeux trop faibles pour supporter la lumière, les oreilles
agacées par le moindre bruit, était tout ce qu'on pouvait
attendre d'un énervement général. L'appétit avait complète-
ment disparu; la gorge, en quelque sorte rétractée, ne pouvait
rien avaler sans peine. Aucune nourriture solide ne pouvait
plus passer. Un peu de vin, du café noir, du cognac, quelques
cuillerées de bouillon, à petites doses, maintenaient une faible
flamme dans cette lampe qui s'éteignait.
On profita d'un intervalle de mieux pour transporter la
malade dans un établissement d'hydrothérapie à Regoledo. Le
docteur Visconti de Milan venait régulièrement la visiter.
Grâce à son traitement, les douleurs diminuèrent, la vue sup-
porta un peu plus de jour et l'estomac un peu plus d'alimen-
tation : œufs, gelées, mais ni pain ni viande. Sur l'avis des
médecins qui voulaient pour elle le grand air, et afin qu'elle
fût plus à leur portée, on transporta la malade à la campagne.
Le docteur Castelli vint chaque semaine la visiter de Turin.
Un mieux sensible se manifesta, les souflrances étaient moins
aiguës, les crises moins fréquentes, les yeux pouvaient s'ouvrir
à la lumière et parfois se fermer dans un doux sommeil.
470 ANNALES CATHOLIQUES
Au commencement de l'hiver de 1S81, la baronne, toujours
aux ordres de la facuUé, fut transportée à Bordighera; elle
y trouva un climat et un soleil tempérés. A la fin de l'hiver,
comme il nj avait pas encore d'amélioration radicale dans sou
état, elle se rendit à Paris pour j provoquer une consultation
des maîtres de la science. Les docteurs Charcot, Geoffroy et
Keller la soumirent pendant trois semaines à un traitement
hydrothérapeutique. Ce traitement consciencieusement achevé,
elle fut envoyée à Champel-sur-Arve , prés Genève, pour
essaj^er des bains de cette localité, iille y passa l'été de 1882.
Toutes les eaux thermales devaient avoir prouvé leur ineffi-
cacité avant qu'on recouiût à celle de Lourdes.
A Champel, une amélioration générale réveilla l'espérance.
La malade commença à remuer un peu les jambes. Elle en fut
si heureuse qu'elle persuada à son mari de passer l'hiver en ce
lieu. Dans ce but, elle loua une viila en attendant le retour
de la belle saison. Mais les frimas arrivèrent et la malade
retomba au-dessous de ce qu'eile était à son arrivée. L'hiver
se passa sur le lit. Au mois de juin, le mieux reparut avec les
chaleurs. Madame 1» baronne reprit des bains, mais elle n'en
éprouva pas le même bienfait qu'après le premier essai. Les
jambes restèrent insensibles.
Au mois d'octobre 1883, nouvelle transplantation. On essaya
du climat de Nies, sous la gouverne des docteurs Gouaran et
Figuiera. Après d'autres tentatives, on en vint aux boutons
de feu, puis aux pointes de feu, qui la soulagèrent momentané-
ment, en sorte qu'on disait, qu'il n'y avait que le feu et l'eau
qui pouvaient lui faire du bien. En somme, malgré la douce
et bienfaisante température de Nice, la santé ne revint pas.
Toujours paralysée et à la recherche du grand air, M"'' la ba-
ronne Gauthier se faisait conduire dans sa petite voiture au
bord de la mer, à la belle promenade des Anglais. C'est sur-
cette plage ensoleillée que nous l'avons rencontrée pour la
première fois en 1884. Il nous semble encore voir cette figure
pâle, aux joues creuses sillonnées souvent par les larmes.
Autour d'elle ses jeunes enfants gais et heureux, mais en
deuil! Triste ironie du sort, semblaient dire les passants :
Pourquoi sous ce beau ciel oii tout appelle les rayons de la vie,
voir descendre les ombres de la mort?
Hélas ! cette année n'avait pas manqué de raisons pour
mériter le surnom de néfaste. Le pér© de M"" la baronne^
UN MIRACLE A LOURDES 471
alors à Paris , y tomba gravement malade. L'impossibilité
d'aller le voir, l'appréliension d'un dénouement fatal, il n'en
fallait pas plus pour surexciter la nature nerveuse de sa fille.
Mais après un moment d'énergie factice, ne devait-elle pas se
retrouver plus laiiguissante? Néanmoins, comme les nouvelles
di Paris n'annonçaient plus d'espoir, on lui permit d'aller
embrasser son pauvre père mourant. Elle arriva trop tard, le
jour seulement de la cérémonie funèbre. Quelle rude secousse
elle en ressentit!
Les médecins cédant, peut-être sans se l'avouer, à la ten-
tation de se débarrasser d'une malade qui leur faisait peu
d'honneur, lui prescrivirent de nouveau un voyage en Italie.
Elle alia revoir, d'après l'avis du docteur Visconti, les bains
de Regoledo, dont l'issue fut nulle. On vint s'établir à Nice en
septembre 1884. Le baron Gauthier avait dû quitter sa carrière
militaire afin de consacrer tous ses soins à une épouse si
profondément affligée. Au mois de novembre, la maladie de sa
fille, atteinte do la dyphtérie, força M'"' la baronne à une
terrible séparation dans l'intérêt de ses plus jeunes enfants.
Elle en éprouva de vives angoisses, qui provoquèrent de nou-
veau une névrose générale.
L'hiver n'avait donc amené aucune amélioration, et sous le
coup d'émotions qui auraient ébi*anlê une forte santé, il avait
achevé de briser une nature épuisée. Humainement le progrés
du mal devait bientôt achever son œuvre. Un seul espoir restait
au cœur de la malade, aller à Lourdes implorer le Salut des
infirmes, la Vierge miraculeuse. Depuis longtemps elle pensait
à ce pèlerinage, elle le désirait avec ardeur comme une dernière
planche de salut. Mais comment l'entreprendre dans son état
de santé?
Au mois de mars, étant allé frapper â la porte charitable
de Mme la baronne Gauthier, nous la trouvâmes plus pâle
et plus abattue que jamais. En présence de cette pauvre mère
qui se mourait et de jeunes enfants qui l'entouraient, nous ne
pûmes retenir un sentiment de pitié et de tristesse profondes.
C'est alors qu'elle nous fit part du projet qu'elle avait formé
d'un pèlerinage à Lourdes, et nous fûmes heureux de la con-
firmer dans son dessein en lui l'acontant les faits miraculeux
dont nous avions été nous-même témoin sur ce terrain de la
puissance de Marie. Mais il n'en était pas besoin, elle n'atten-
dait que le moment opportun. L'occasion se présenta dans le
472 ANNALES CATHOLIQUES
mois de mai. Sa belle-raére étant venue la voir de Turin, se
proposa pour l'accompagner. L'offre fut acceptée aussitôt, et
le 19 du mois on se mit en route. Le voyage se lit prudemment
par étapes. La première nuit on s'arrêta à Marseille, la
deuxième à Narbonne, et le troisième jour, 21 mai, la malade
arrivait à Lourdes à quatre heures du soir, très fatiguée, mais
éprouvant un grand calme. On la transporta immédiatement à
l'hôtel, où elle se mit au lit. Elle put prendre un peu de
bouillon, mais toujours avec douleur.
Le vendredi matin, à neuf heures, elle se fit porter à la
crypte pour y commencer la neuvaine en l'honneur de
rimmaculée-Conception. Elle assista à la messe et communia
avec sa belle-mère et sa femme de chambre. Malgré les maux de
tête qui ne la quittaient pas, elle voulut assister à une seconde
messe. Comme on était prés de la maison des Pères, on en
profita pour aller voir le baron de Maclou, médecin du pèleri-
nage. De là on revint à la grotte, où la malade ne resta que
quelques instants. Elle était encore à jeun et très faible. Puis
on la reconduisit dans une petite voiture à l'hôtel.
Le même jour, à trois heures, elle se fit porter à la basilique
pour l'instruction, la récitation du rosaire et le salut. N'étant
pas trop fatiguée par l'office, le mal de tête n'étant pas plus
violent, elle se fit conduire à la grotte, et but de l'eau de cette
source mystérieuse, et se faisant avancer par ses porteurs
jusque dans l'intérieur, elle voulut réciter son chapelet. Mais
devant ce rocher, en présence de la Vierge immaculée, son
âme tout entière se sentit envahie par une émotion surnatu-
relle. Pendant que les yeux du corps étaient attachés sur
l'image de Marie, son àrae, dépassant l'enveloppe matérielle,
adressait à la Reine du ciel une prière ineffable.
Dans cette grotte, elle se sentait sous une protection puis-
sante et remplie de confiance en la toute divine bonté de la
Mère de Dieu. « Elle me voit, pensait-elle, elle connaît mes
peines. » Repartir guérie était tout son vœu, et cependant elle
craignait de trop le demander. Mais quoi qu'il arrivât, elle
voulait être résignée à la volonté d'en haut. Ne pouvant parler
qu'avec peine, elle ne récita point de prières vocales. Dans ses
visites à ia grotte, elle prenait bien son chapelet avec l'inten-
tion de le dire, elle en balbutiait quelques grains, et puis elle
restait là tranquille, écoutant l'inspiration céleste, la voix
intérieure de Marie.
UN MIRACLE A LOURDES 473
Tout parle à Lourdes, la couronne de montagnes aux cimes
brillantes de neige, les eaux limpides et fugitives du Gave, les
roches de Massabielle, la basilique, la grotte, la foule immense
des pèlerins, le carillon des cloches, les chants, les lumières.
Le parfum de la Rose mystique semble imprégner l'atmosphère.
Tout élevait l'âme de la délaissée de la science vers le trône de
Marie, tout autour d'elle lui renvoyait l'écho de ces paroles :
Je suis V Immaculée Conception !
Le samedi matin, à huit heures et demie, deuxième jour de
la neuvaine, la malade communia de nouveau à la crypte. Le
soir, à trois heures, elle voulut malgré ses maux de tête et de
nerfs, être présente aux vêpres, à l'instruction et au salut. De
là, elle se fit porter comme la veille à la grotte, but de l'eau
miraculeuse, se sentit après sa prière plus calme et plus
confiante, et fut reconduite dans sa petite voiture à l'hôtel.
Le lendemain, à l'aurore, les joyeuses volées des clochea
de la basilique annonçaient avec Y Angélus la grande solennité
du jour ; c'était le dimanche de la Pentecôte. La malade, plus
exténuée que la veille, se rendit plus tard à la crypte.
Dix heures allaient sonner, les messes basses y étaient
achevées. Il fallut monter à la basilique, où la grand'messe
allait commencer. On installa Mme la baronne dans un fauteuil,
à la porte de la sacristie, à la droite du grand autel. Là elle fut
oubliée, et ne put communier qu'après l'office. Midi était
sonné qu'elle n'avait encore rien pris. Peut-être se glissa-t-il
dans sa prière une petite plainte de découragement à Marie.
C'était le troisième jour de la neuvaine, et pas de mieux; elle
allait donc repartir sans mieux.
La longueur du jeûne, la grande faiblesse, lui firent manquer
vêpres. La belle-mère voulait qu'elle se reposât le reste du
jour. Mais la belle-fille, qui était dans un état de surexcitation
depuis son arrivée, voulut se rendre à la basilique quand
même. Ces dames arrivèrent à temps pour assister à la dernière
partie du sermon et au salut. Il y avait une affluence extraor-.
dinaire dans la basilique, toutes les places étaient prises, on
craignait que la trop grande chaleur ne fatiguât la malade. Elle
insista, une touche intérieure, sans doute, la poussait, car
c'était le grand jour ! Placée dans une des chapelles latérales,
celle de saint Joseph, derrière la chaire, dans un fauteuil qu'on
lui avait préparé devant un confessionnal, elle n'avait sous les
pieds qu'un tapis, car à quoi lui eiit servi un prie-Dieu ? Mais
474 ANNALES CATHOLIQUES
elle pouvait entendre le prédicateur et voir l'autel. Près d'elle,
un peu en avant, se tenait sa belle-naère, et derrière, à gauche,
une de ses servantes.
Pendant le salut, alors qu9 les éctiog de la basilique retenu
tissaient des chants sublimes de la fête et que les nuages d'en-
cens s'élevaient au milieu des lumières et des fleurs, dans ce
modeste réduit, s'élevait le parfum d'une autre prière, ardente,
pleine de foi et d'amour. Les dernières notes du Tanium ergo
expiraient, suivies du silence solennel qui précède la bénédic-
tion, et le Dieu-Hostie planait et répandait son esprit de feu et
d'amour sur la foule prosternée. Tout à coup la malade,
recueillie et la tête un peu inclinée, se sent glisser malgré elle
de son fauteuil. Comme poussée par une force mystérieuse,
elle tombe à genoux, le corps droit, sans appui. Un froid
d'épouvante s'empare des personnes voisines; quelques pèlerins
qui ont aperçu ce mouvement croient à un évanouissement. Ils
font signe à la belle-mére courbée en adoration. Celle-ci suppose
la chute de son châle, elle y regarde, voit qu'elle se trompe, et
se retourne épouvantée vers sa belle-fille, croyant à son tour à
un évanouissement. A peine la bénédiction achevée, elle sort
pour appeler les porteurs. En même temps plusieurs fidèles
s'étaient empressés autour de la malade, surpris, efi'rayés,
hésitant à porter la main sur elle. Quant à la baronne, occupée
à prier, elle ne se rendait pas compte de ce qui était arrivé.
« Quand on voulait me prendre, dit-elle, je faisais signe de ne
pas me toucher. »
Qelques instants après, sa belle-mère était revenue avec les
porteurs. Elle restait à genoux. Sa belle-mère et plusieurs
personnes voulurent l'aider à se relever : « Je leur ijs signe,
dit-elle, de me laisser tranquille, que je me lèverais seule. Jo
pris en efi'et le bras que ma mère me tendait, mais snns m'y
appuyer, car elle n'était pas assez forte pour me soutenir. -* La
baronne descendit ainsi les deux marches de la chapelle, se
dirigeant vers la grande porte de sortie. En ce moment les
fidèles débouchaient, chantant à l'unisson le psaume Laudate
Dominian. La baronne marcha ainsi tout le long de la nef, la
foule se levant et se pressant autour d'elle, tout en lui faisant
passage. Elle descendit les marches de la grande porte jusqu'à
la balustrade du perron, juste en face de la statue de la saints
Vierge. Laissons-lui la parole et qu'elle soit elle-même le
héraut de son miracle. « C'est en sortant de l'église que je me
UN MIRACLE A LOURDES 475
rendis un peu mieux compte du changement qui s'était opéré
en moi : toute douleur avait disparu comme par enchantement.
J'étais enivrée, je tremblais d'émotion. »
Le bruit de cette guérison instantanée s'était répandu comme
réclair dans la foule. On criait, on entourait la malade. Le flot
populaire grossissait, il était temps de s'j soustraire. La
baronne aurait pu descendre les marches du perron, elle s'en
sentait la force, mais son entourage s'y refusa. Elle vint à la
grotte dans sa petite voiture. Arrivée devant l'esplanade, elle
la quitta, s'avança jusqu'au rocher et se mit à genoux toute
seule. Essayer de redire les émotions, les élans de reconnais-
sance filiale qui l'agiièrent pendant qu'elle restait aux pieds
de la Vierge Immaculée, serait une témérité. De là, elle se
rendit, au bras de sa belle-mère, à la fontaine afin d'y boire
l'eau miraculeuse. La foule l'y avait suivie et ne la laissa libre
qu'à la porte de l'hôtel. Encore de nombreux visiteurs vinrent-
ils dans la soirée savoir des nouvelles de la miraculée.
Les premières émotions calmées, la baronne voulut récapi-
tuler les bienfaits qu'elle devait à Notre-Dame de Lourdes. Le
mal de tête était complètement dissipé. La sensibilité et la vie
circulaient dans les jambes; la gorge n'avait plus de peine à
avaler; plus de pesanteur dans les bras, plus de douleurs dans
l'épine dorsale. Enfin l'appétit et le sommeil signalaient leur
retour. La nuit se passa très bonne, elle ne se souvenait pas
d'avoir aussi bien dormi depuis longtemps. Avant cette pré-
cieuse nuit, une dépêche triomphante était partie pour Nice.
Le lendemain, lundi de la Pentecôte, la baronne alla faire la
sainte communion à la basilique, à la grand'messe. Ce jour-là
elle se sentit un peu plus faible. La première émotion, qui
l'avait d'abord soutenue, avait pris fin. Mais la maladie était
très bien guérie, il n'y avait plus à attendre que le retour
graduel des forces. Comme la veille, elle prit le bras de sa
mère en se rendant à la grotte. Le mardi de la Pentecôte, elle
ne voulut plus l'aide de personne^ mais elle s'aida de ses
béquilles. Elle alla avec elles do la porte de la crypte à la sainte
table, où elle les laissa et s'agenouilla seule. Dans l'après-midi
elle revint pour les vêpres, le sermon et le salut à la basilique,
conduite encore dans sa voiture, et elle en sortit seule, appuyée
sur ses béquilles pour entrer dans le sanctuaire. Après la béné-
diction elle voulut se rendre à la grotte, mais cette fois, pour y
laisser ses béquilles. Le mercredi et le jeudi elle revint encore
476 ANNALES CATHOLIQUES
à la crypte pour assister à la messe et faire la sainte commu'
nion. Dans l'après-midi du jeudi, après sa visite à la grotte,
elle marcha seule jusqu'à la piscine. A peine y était-elle plongée
que la réaction se fit immédiatement, cette réaction qu'elle
n'avait pu obtenir des bains si vantés et si variés dont elle
avait essayé. Elle sortit de la piscine plus forte et plus vigou-
reuse, les jambes s'étaient complètement raffermies; elle
marcha jusqu'à la grotte. Toutefois, pour ne pas dépenser ses
forces, elle se laissa reconduire à son hôtel dans la chaise
roulante.
Le vendredi de la Pentecôte était le jour de la clôture de la
neuvaine. La Vierge Immaculée n'en avait pas attendu la fin
pour récompenser la foi vive, la confiance et l'amour filial de
la malade. Il fallut enfin songer à dire adieu à ces lieux bénis.
Ce ne fut pas sans tristesse ; et des larmes mêlées de joie cou-
lèrent doucement à cette suprême visite. Le retour en Pro-
vence s'eflectua sans peine. On quitta Lourdes le vendredi soir.
Nos pèlerins s'arrêtèrent le dimanche à Marseille, où la mira-
culée alla présenter ses hommages à Notre-Dame de la Garde,
et le mardi à midi, saine et sauve, elle sautait du wagon dans
les bras de son mari et de ses enfants émerveillés et ivres de.
joie. La table de famille avait été dressée; à la grande allé-
gresse de tous, elle put y reprendre sa place, qu'elle avait si
longtemps laissée vide. Inutile de chercher à dépeindre l'éton-
nement, la surprise de tous ceux qui l'avaient connue para-
lytique, et qui la contemplaient pleine de santé et de vie.
Une année s'est écoulée depuis cette cure inexplicable à la
science. La petite voiture a eu le temps de se rouiller, car elle
n'a plus servi. Nous avions pu saluer M™* la baronne quelques
jours après le retour de Lourdes. Nous la revoyons encore
assez souvent. Sa santé est parfaite. Sa langueur a complè-
tement disparu. Elle qui, même avant la dernière maladie, ne
pouvait faire maigre, s'astreint facilement à l'abstinence du
vendredi. Elle peut manger de n'importe quoi, elle n'est plus
sujette à aucune douleur. Souvent même, après les courses du
jour, elle prolonge la veille jusqu'à une heure assez avancée de
la nuit, si sa présence peut être utile ou agréable au prochain.
En juin dernier, quelques semaines après son pèlerinage,
M™' la baronne Gauthier, avec sa famille, s'est rendue à Turin.
De là, elle est passée en Pologne, pour faire voir aux siens le
changement opéré en sa personne. Elle a supporté ce long
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 477
voyage sans malaises. Dans sa foi ardente et sa tendro recon-
naissance envers Notre-Dame de Lourdes, elle aurait voulu
montrer et allumer partout le feu de l'amour qui la consumait.
La baronne, avec sa famille, est revenue do Pologne à Nice à
la fin d'octobre, aussi énergique et aussi solide qu'à son départ.
Les pieux habitants de Saint-Pierre d'Arène peuvent souvent
la voir au pied de la grotte do Lourdes à laquelle se rattachent
ses plus doux souvenirs. Puisse ce nouveau sanctuaire de Marie
devenir une source de grâces et de bénédictions pour tous les
membres de cette paroisse, selon le désir ardent de son zélé et
vénéré pasteur !
Puissent ceux qui liront ces lignes apprendre ou se souvenir
que Marie n'est pas en vain nommée le Salut des infirmes, que
son cœur de Mère voit les larmes et écoute les gémissements
de ceux qui souffrent, et qu'il n'y a pas de peine qu'elle ne sou-
lage, quand ces faveurs insignes doivent contribuer à la plus
grande gloire de Dieu et au bonheur de ses enfants.
Ce sera accomplir en même temps le vœu le plus cher de
notre heureuse miraculée, le seul but qu'elle se soit proposé,
en permettant de livrer à la publicité le récit intime des tribu-
lations de son cœur, et des consolations par lesquelles Notre-
Dame de Lourdes a voulu les surpasser, suivant cette parole du
Psalmiste : « Secundum multitudinem dolorum meorum in
corde meo, consolationes iuœ lœliflcaverunt animam meam.
(Ps. xcii, 19.) »
Nice, 21 mai 1886.
A. Lebouvier,
Prêtre des Missions Africaines.
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET l'ÉPISCOPAT
(Suite. — V. les numéros précédents.)
Aire. — Mgr l'évêque d'Aire :
Je croirais manquer à un grand devoir si je ne vous remerciais,
pour mon humble part, du nouveau service que vous venez do
rendre à l'Eolise de France.
478 ANNALES CATHOLIQUES
Le cri d'alarme que vous avez fait entendre en son nom sera, me
serable-t-il, un véritable soulagement pour la conscience publique.
Je ne crains pas d'affirmer, du moins, que les sentiments que vous
avez exprimés, dans un langage si élevé et avec une évidence de
raison qui défie toute contradiction, répondent à ceux qui depuis
longtemps préoccupent et affligent, aussi bien que leur évêque,
tous les prêtres et tous les vrais catholiques de mon diocèse.
Comment auraient-ils pu voir, sans en conclure à un parti-pris
de ruiner la religion parmi nous, les mesures d'oppression succes-
sives et de jour en jour plus accentuées qui ont été prises contre
elle depuis cinq ans?
Un prélat étranger, homme d'une haute sagesse et d'une rare
distinction, qui aime la France comme sa propre patrie, m'écrivait :
« Nous nous étonnons ici que le clergé français se laisse imposer en
silence, peu à peu, une sorte de Constitution civile; et nous nous
demandons comment les pères de famille de votre pays, au fond
toujours si catholique, ne se lèvent pas en masse pour protester
contre l'athéisme officiel de vos écoles. »
Il y a plus de deux ans que ces pénibles réflexions m'étaient
exprimées; et depuis lors, que de rigueurs et d'entraves nouvelles
n'avons-nous pas subies! Qu'ont dû dire ceux qui nous observent au
dehors, en voyant, dans ces derniers temps, nos prêtres privés, à
rencontre do droits imprescriptibles, de leur modeste traitement,
sur de simples dénonciations le p'us souvent inspirées, comme vous
le dites, Émincnce, et comme nous ne l'avons que trop constaté
parmi nous, par la haine ou par l'intérêt? Quel douloureux étonne-
ment n'a pas dû causer au loin cette loi sur l'instruction primaire
récoiiuaônt vîiscutée, qui, si elle nous était imposée, inaugurerait un
système d'irréligion scolaire tel que n'en connut jamais aucune
nation de l'Europe, même parmi celles qui ont sacrifié au faux prin-
cipe de neutralité!
Si les pères de famille qui veulent léguer à leurs enfants la foi
qu'ils professent ne protestent pas hautement, nous savons qu'ils
gémissent de cette atteinte portée à la plus sacrée de leurs libertés.
S'il répugne à nos prêtres de revendiquer devant les tribunaux des
droits qui leur sont pourtant garantis par le Concordat, ils ne
se sentent pas moins humiliés d'être traités avec si peu d'égards,
soit qu'on les frappe sans même les avoir entendus, soit qu'on les
gracie comme des criminels auxquels on applique une mesure de
clémence.
C'est bien à vous qu'il appartenait, Éminence, en votre qualité de
prince de l'Église, de vous faire l'interprète de plaintes si considé-
rables et si légitimes. 11 ne convenait pas moins à l'aulorité que vous
donnent votre longue expérience et votre haute sagesse de signaler
es dangers de la guei're que l'on fait actuellement à l'Eglise. Puisse
LETTRE DU CARDINAL GUIiiERT 479
votre voix, à laquelle je suis fier et heureux de faire écho, être favo-
rablement entendue de ceux qui tiennent eu main lo pouvoir! En
mettant tin à cette guerre aussi inexplicable qu'impie, ils épaigne-
raient sans doute à la religion bien des maux, mais ils on épargne-
raient de plus grands encore à notre pays si diversement et si
cruellement éprouvé.
Blois. — Mgr révèque de Blois :
Dieu vous a inspiré la pensée de prendre en mains une fois encore
les intérêts sacrés de la religion et de l'Eglise. La lettre que Votre
Érainence vient d'adresser à M. le président de la République est
le plaidoyer le plus éloquent qui pût être présenté en faveur de nos
droits méconnus et foulés aux pieds. Pas un homme de bonne foi
ne lira ces pages, si pleines de sagesse et de vérité, sans éprouver
une respectueuse admiration et une profonde gratitude envers votre
vénérée personne.
Permettez-moi, Monseigneur, de vous remercier avec effusion de
ce nouveau service rendu à la cause catholique.
Bourges. — Mgr l'archevêque de Bourges :
Les respectueuses protestations et les justes doléances que vous
venez d'adresser à M. le président de la République ont répondu,
nul n'en saurait douter, au sentiment de l'épiscopat de la France
catholique. En dégageant votre responsabilité par ces graves aver-
tissements, qui ont rendu les partis eux-mêmes attentifs, vous avez
aussi dégagé la nôtre; une fois de plus, c'est un devoir et un hon-
neur pour nous et pour tous ceux qui aiment l'Église et se dévouent
à son service, de vous remercier d'un acte vraiment digne de votre
sagesse et de votre prudence, en même temps que de votre courage
et de votre tranquille fermeté. Votre parole a consolé et fortifié les
chrétiens, et elle fera réfléchir ceux qui croient encore à l'action de
Dieu en ce monde et aux leçons de l'histoire. Il est donc permis
d'espérer avec vous, Monseigneur, que jamais la France ne se lais-
sera déposséder des saintes croyances qui ont fait sa force et sa
gloire dans le passé et lui ont assuré le premier rang parmi les
nations.
C'est pourquoi je prie Votre Eminence de recevoir mon adhésion
pleine et entière à votre lettre du 30 mars à M. le président de la
République.
35
480 ANNALES CATHOLIQUES
NOUVELLES RELIGIEUSES
ïtome et l'Italie.
Le 22 mai, dans la salle Ducale du palais apostolique du
Vatican, le Souverain Pontife a reçu en audience solennelle
un pèlerinage hollandais. MgrLeijten, évêqne de Bréda, a d'a-
bord exprimé en langue latine les sentiments de foi et de piété
filiale des fidèles de son diocèse qui ont pris part au pèlerinage.
Ensuite une Adresse a été lue, en français, au nom de tous les
pèlerins, par M^r Boermans, évêque titulaire de Thermopolis
et coadjuteur de Ruremonde.
Assistaient à cette audience solennelle LL. EEm. les car-
dinaux Sacconi, Ledochowski, Simeoni, Franzelin, Jacobini,
Bianchi, Masotti, Melchers, Schiaffino, Verga et Ricci-Farac-
ciani. Une députation du Cercle de Saiut-Pierre qui avait
accueilli les pèlerins à leur arrivée au Vatican, avait été .inssi
admise à l'audience.
Sa Sainteté a adressé aux pèlerins le discours suivant:
Très chers Fils,
C'est toujours avec une grande satisfaction que Nous
voyons accourir à Rome de nouveaux pèlerins catholiques,
mais plus grande encore est Notre joie quand, comme vous,
Nos chers Fils de la Hollande, ces pèlerins Nous arrivent
de pays séparés de la communion de l'Église. N'est-ce pas,
en effet, un spectacle partiiîiilièrement beau et consolant,
que de voir ces poignées de braves et fervents chrétiens,
qui conservent intacte et immaculée, au milieu de popula-
tions hérétiques, l'antique foi de leurs pères, venir se
grouper autour du Vicaire de Jésus-Christ et déposer à ses
pieds l'hommage de leur respect, de leur obéissance et de
leur filial attachement! Ces sentiments, que vous avez
voulu professer hautement devant Nous par la bouche des
chefs de votre pieux pèlerinage, étaient ceux de vos glorieux
ancêtres, de ces héros de la liberté et de l'indépendance de
la sainte Église, de ces martyrs de la foi, dont la mémoire
vous est chère et dont vous perpétuez les pieuses traditions.
NOUVELLES RELIGIEUSES 481
Nous VOUS félicitons, très chers Fils, de vos généreuses
dispositions, et Nous remercions le Seigneur de la charité
toute chrétienne qu'il a déversée dans vos âmes et qui vous
réunit en ce moment, dans une même pensée et sous là
conduite de vos dignes pasteurs, autour de la personne de
son Vicaire.
Cette union et cette concorde est un bienfait immense
non seulement pour vous, mais encore pour toutes vos
provinces des Pays-Bas; bienfait d'autant plus précieux
que les dangers pour la tranquillité publique et la paix des
peuples sont aujourd'hui plus menaçants. Vous n'ignorez
pas, en effet, cliers Fils, à quels maux très graves s'ex-
po.^ent le<^ individus, les familles et les nations qui se
laissent séduire par des doctrines perverses et par des
maîtres fallacieux. Récemment, dans des régions peu éloi-
gnées des vôtres, vous en avez vu de bien tristes exemples.
La grande leçon qui se dégage de ces convulsions sociales,
c'est la nécessité pour les peuples de raviver leur foi, de
tenir la religion plus eu honneur et de régler leur vie
d'après les enseignements de l'Église catholique, unique
fondement de leur sécurité et de leur bien-être.
C'est à cette même fin, très chers Fils, et afin de retremper
de plus en plus vos propres âmes dans cet esprit de soumis-
sion et d'obéissance aux enseignements de ce Siège Apos-
tolique, que, profitant du jubilé extraordinaire accordé par
Nous à tous les fidèles, vous êtes venus prier au tombeau
des saints Apôlres et dans les basiliques de la Ville
Éternelle.
Que le Dieu de toute bonté et de toute miséricorde daigne
exaucer toutes vos prières, et notamment les vœux que
vous faites monter au Ciel pour le retour à la vraie foi de
vos compatriotes. De Notre côté, Nous implorons sur vous
et sur eux l'abondance de ses grâces ; et, com.me gage de
ces faveurs célestes, Nous vous accordons de tout cœur, à
vous, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers et à
tous les catholiques de la Hollande, la bénédiction apos-
tolique.
482 ANNALES CATHOLIQUES
La Propagande a été invitée à prendre part à l'exposition
coloniale que la reine Victoria a inaugurée à Londres, il y a
trois jours. Elle y a donc envoyé les objets suivants : 1° La
carte géographique du monde de Diego Ribero, de 1529 (ori-
ginale en parchemin et d'une grande rareté). 2° Un Album
des établissements catholiques en Australie. 3" Une copie gra-
vée de mappemonde du XV* siècle, dont l'original en cuivre
est conservé au musée. 4° Un atlas des missions catholiques
avec vingt cartes géographiques. Sur la carte de Riberto, on
voit la linea divisionis sive demarcationis, indiquée par
Alexandre VI pour éviter le conflit entre l'Espagne et le
Portugal au sujet de la domination sur mer.
Dans le prochain consistoire, outre les cardinaux dont les
noms ont été publiés, le Pape créera un septième cardinal, le
P. Mazzella, jésuite, grand thomiste, professeur de théologie
dogmatique au Collège romain.
Le P. Mazzella était professeur de théologie depuis onze ans
au collège de Woodstock, en Amérique, quand, en 1879, le Pape
le fit appeler pour professer au Collège Romain, après la publi-
cation de l'encyclique ^Eterni Patris sur saint Thomas.
En recevant le billet de la secrétairerie d'État, qui l'infor-
mait de sa nomination, le P. Mazzella s'est écrié qu'il en était
indigne, et il a supplié son supérieur de tâcher de faire revenir
le Pape sur sa décision. Reçu hier soir par le Saint-Père en
audience privée, l'humble religieux supplia lui-même le Souve-
rain Pontife de ne pas le créer cardinal. Mais Léon XIII,
vantant son savoir et ses vertus, lui a imposé obéissance.
Il sera donc créé.
S. S. Léon XIII vient de désigner pour porter la barrette
cardinalice aux cardinaux créés au prochain consistoire les
gardes nobles suivants :
A S. G. Mgr l'archevêque de Sens, M. le comte Ferdinand
Folicaldi; à S. G. Mgr l'archevêque de Reiras, M. le comte Pie
Salimei; à S. G. Mgr l'archevêque de Baltimore, M. le comte
Stanislas Muccioli ; à S. G. Mgr l'archevêque de Québec, M. le
comte Charles Gazzoli.
Les gardes nobles partiront de Rome pour ce message, le
jour même du consistoire.
NOUVELLES RELIGIEUSES 483
Par billets de la Secrétairerie d'État en date du 24 mai, ]e
Saint-Père a daigné nommer les ablégats destinés à porter la
barrette cardinalice aux nouveaux cardinaux étrangers. Ce
sont : Mgr Misciatelli, de la Noble Académie ecclésiastique,
pour Mgr l'archevêque de Sens ; Mgr Vico, secrétaire de la
Nonciature apostolique, pour Mgr l'archevêque de Reims ;
Mgr Grassi-Landi, pour Mgr l'archevêque de Rennes ;
Mgr Straniero, attaché à la nonciature de Vienne, pour Mgr l'ar-
chevêque de Baltimore, et Mgr O'Brjen, pour Mgr l'arche-
vêque de Québec.
SS. Léon XIII, recevant dimanche dernier l'ambassadeur de
France, M. Lefebvre de Béhaine, lui a déclaré que la question
de la représentation pontificale en Chine ne sera pas tranchée
sur-le-champ, mais qu'il sera sursis encore à la solution. La
question sera résolue au moment opportun, et elle le sera de
façon à satisfaire tous les intérêts en jeu.
Les formalités relatives à la cause de la béatification du
vénérable Grignon de Montfort ont été terminées, dans une
séance de la Sacrée -Congrégation des Rites tenue devant le
Souverain-Pontife. Les cardinaux et prélats qui font partie
de la Congrégation ont voté la formule : Tuto procedi posse.
S. Em. le cardinal Massaia, de l'ordre des Mineurs capucins,
vient de publier à Rome le second volume de relations sur ses
missions en Afrique. Le premier volume de cet ouvrage, inti-
tulé ; « Mes trente-cinq années de mission dans la haute
Ethiopie > a été très recherché, le second ne le sera pas moins,
ainsi que ceux qui suivront. L'éminent écrivain écrit simple-
ment, comme un missionnaire; mais son récit n'est pas instruc-
tif seulement au point de vue des mœurs des pays et des diffé-
rentes coutumes, il l'est encore pour les questions politiques.
Il est également intéressant pour les belles pensées, les récits
d'aventures de toute cette vie si accidentée du missionnaire
catholique. Le second volume qui vient d'être publié sera sur-
tout apprécié par les explorateurs de l'Afrique centrale. Le
récit du voyage fait par Mgr Massaia pour arriver au pays des
Gallas, offrira un intérêt particulier aux Italiens, qui feraient
bien d'étudier les mœurs, les forces et les ressources des peuples
de l'Abyssinie, dont ils se rapprochent par leur colonie de
484 ANNALES CATHOLIQUES
Massouah. Le livre montre enfla quelle est l'importance des
missions et l'influence des missionnaires ; les gens qui nous
gouvernent peuvent y voir combien se trompent les gouverne-
ments hostiles à l'Eglise, lorsqu'ils mettent empêchement aux
vocations apostoliques dans leur pajs, car on voit là, une fois
de plus, que le missionnaire peut faire prés des sauvages le
plus grand bien pour sa propre patrie.
F'rance.
Angoulême. — Un fait inouï, qui vient de se passer à Dignac,
à 15 kilomètres d'Angouleme, prouve que M. Goblet entend
continuer la série des attentats naguère inaugurée par le crime
de Châteauvillain.
Voici ce que raconte à ce sujet les journaux de la Charente :
Il y a deux ans, M. Goumard, propriétaire à Dignac, avait
mis un immeuble à la disposition de l'école communale dirigée
par les Sœurs. Aucun bail n'avait été signé, et la commune
n'avait jamais songé à payer le moindre loyer.
Ne pouvant parvenir à se faire payer, Mme Gou'.uard résolut
de congédier la commune, sa locataire, et elle loua la maison à
un habitant au pays, M. de Juglart. Le bail était enregistré le
8 mai, dans toutes les formes requises par la loi.
Quelques jours après, l'école était laïcisée, et les Sœurs, à
qui l'on avait signifié un arrêté d'expulsion, quittaient l'im-
meuble dont le locataire, M. de Juglart, prenait possession,
M. de Juglart était à peine installé dans son nouvel apparte-
ment, que l'inspecteur primaire faisait irruption dans le village.
Ne trouvant pas d'immeuble à sa convenance, cet étrange
-fonctionnaire ne trouva rien de mieux que de mettre la main
sur la maison dont M. de Juglart avait payé la location.
Mettant son plan à exécution, il se rend donc à l'appartement
de M. de Juglart, suivi du maire et de deux gendarmes.
Laissons la parole au Matin Charentais, qui raconte la fin de
l'entrevue ;
— Je suis ici pour visiter l'école, répondit l'inspecteur, et je veux
y entrer.
— L'école n'est plus ici, réponJit M. de Juglart, et je vous interdis
l'entrée de mon domicile ; voici le bail enregistré qui prouve que je
suis chez moi.
— J'en ai un moi aussi, répondit le maire, qui a bien soin de
ne pas faire voir le titre dont il a la prétention de se prévaloir, et
NOUVELLES RELIGIEUSES 485
qne, pour la circonstance, il a fait enregistrer depuis deux ou troia
jours seulement.
— Nous ne sommes pas ici pour discuter, reprend l'inspecteur, et,
r.'.oc UD geste superbe : « Monsieur le maire, faites votre devoir».
Immédiatement, le maire envoie chi^rcher un maréchal-ferrant
pour crocheter les portes.
M. do Juglart lit alors à l'inspecteur l'article 184 du code pénal,
sous l'application duquel ce fonctionnaire va tomber en agissant
sans les formalités prescrites par la loi. Puis, se retournant vers le
maréchal, il lui lit la seconde partie de l'article.
Le malheureux hésite et, décidément, refuse d'obéir.
— Je n'ai pas envie de me faire assommer, dit-il.
— Je réponds de tout, riposte l'inspecteur.
M. de Juglart élève la voix de façon à être entendu par la foule.
— Je ne veux pas répandre le sang, dit-il ; je ne veux pas de vio-
lence, je la laisse aux représentants de la République; mais M. l'ins-
pecteur qui répond de tout, fera-t-il la prison de cet homme s'il y
est condamné pour avoir violé ma propriété ? ressusciterait-il ce
malheureux si, moios calme que je ne le suis, je lui cassais la tête
quand il va enfoncer ma porte ! Je cède à la force.
La foule ciie ; « Vive M. du Juglart ! »
11 iallait en finir : ou brise la petite porte ; puis, comme il faut
faire passer les meubles de la nouvelle institutrice, on commence à
fracturer la grande grille, lorsque, pour éviter des dégâts, quelqu'un
passe la clef.
Voici les crocheteurs dans la cour.
Il fallait pénétrer dans la maison, dans laquelle M. de Juglart
venait de s'enfermer.
Cette fois, on procède par effraction et escalade, on brise un volet,
on casse une vitre, on ouvre la fenêtre, et on entre par cette brèche,
— Vous allez nous céder la place ! s'écrie nerveusement l'inspecteur.
— Pas du tout ; je suis chez moi, j'y reste, et n'en sortirai que
manu militari.
— Très bien !
L'inspecteur ordonne, et deux gendarmes, qui semblent honteux
de la triste corvée qu'on leur impose, empoignent M. de Juglart par-
dessous le bras et le transportent dans la rue.
Puis, c'est le tour des invités qui, chacun à leur tour, sont déposés
sur le pavé, au milieu de la foule qui acclame ces honnêtes gens
traités comme des malfaiteurs.
En s'introcluisantpar la force dans la maison d'autrui, l'agent
de M. Goblet a commis tout à la fois un vol avec effraction et
une violation de domicile. Nous n'osons espérer que les magis-
trats d'Angoulêrae fassent arrêter les coupables, comme c'est
486 ANNALES CATHOLIQUES
leur devoir; mais nous avons la confiance que ces attentats
répétés réveilleront les consciences endormies, et que les
catholiques sauront enfin se grouper pour revendiquer leurs
droits, que l'on viole avec un cjnisme si révoltant.
Langues. — Voici un nouvel exploit des administrateurs du
gouvernement de la République. Il nous est signalé ]}SivV Avenir
de la Haute-Marne, dont nous résumons les informations.
Donc, en ce département de la Haute-Marne, il existe à
Auberive une ancienne prison transformée en maison de cor-
rection pour jeunes filles, et c'est la coutume que les pension-
naires de cet établissement spécial sont, en raison même de
leur provenance, enterrées, quand elles viennent à mourir,
dans un cimetière spécial que possède l'établissement. Pour
quel motif la directrice actuelle de la maison de correction,
Mme Henri Hubert, voulut-elle, l'autre jour, faire enterrer
dans le cimetière communal une de ses pensionnaires? Nous ne
le rechercherons pas, nous bornant à constater que le maire
présenta des objections et déclara ne pouvoir faire droit à sa
demande sans l'avis du conseil municipal. Mais la directrice
tint bon. «Je suis, disait-elle, l'amie de M. Herbette », et cela
devait suffire.
Saisi du conflit, le préfet donna raison à la directrice et,
pour être plus sûr de voir exécuter sa volonté, il chargea le
juge de paix, M. Testevuide, de se transporter au chef-lieu et
d'y prendre les pouvoirs du maire. Celui-ci, sans s'opposer à la
mission du délégué, proposa par esprit de conciliation, de
choisir dans le cimetière un endroit isolé, afin de ménager les
susceptibilités des habitants. Mais, à l'annonce de l'arrivée du
délégué, les habitants s'étaient émus, et quand l'émissaire du
préfet vint au cimetière, il en trouva la porte solidement
barricadée à l'aide d'une forte chaîne fermée par un cadenas.
La situation devenait grave. Le délégué le comprit et fit
appel au maire pour faire ouvrir la porte ; mais le maire avait
déjà envoyé sa démission pour répondre à la mesure du préfet.
L'adjoint, requis de remplacer le maire pour cet office, refusa
non moins nettement. Il fallait avoir recours à un serrurier. On
n'en trouva point qui voulût se charger de la besogne.
Finalement le délégué préfectoral dut télégraphier au préfet
d'envoyer un serrurier et la force armée. Nous prenons ici le
récit de V Avenir de la Haute-Marne :
Samedi, dans la nuit, tout dormait dans la petite ville d'Auberive.
NOUVELLES RELIGIEUSES 487
Soudain le pas retentissant des chevaux et le cliquetis des sabres
battant les étriers réveillent les dormeurs paisibles. Des têtes effarée»
se montrent aux fenêtres, et les yeux encore mi-clos des citoyens
voient s'enfoncer dans l'ombre les sombres escadrons. Les gendarmes
de Langres et de Prauthoy arrivaient. Le jour de gloire était arrivé
un peu avant eux : deux heures sonnaient au beffroi d'Auberive.
— Œ Halte! » commanda le chef à voix basse. On était devant
l'hôtel Rouget. — « Au nom du préfet, ouvrez !» — « Eh ! qu'y
a-t-il ! » demanda le maître d'hôtel. « Au nom du préfet, ouvrez ! »
— « Mais, messieurs, il n'y a pas besoin du nom du préfet. Ici on
reçoit les voyageurs à toute heure. »
Les gendarmes expliquèrent alors au patron le but et le plan de
leur expédition, et l'un d'eux lui dit : Il faut qice vous nous aidiez à
calmer la population. Nous serions fâchés d'être obligés de tirer sur
elle. On nous affirme que ces paroles ont été dites, et chacun en
comprendra la gravité. La gendarmerie avait donc ordre de tirer sur
le peuple, le cas échéant, et la moindre imprudence de la part d'un
habitant pouvait amener une nouvelle édition du massacre de Châ-
teauvillain. Heureusement, en face des provocations inouïes de
l'autorité, la population d'Auberive a su rester calme et montrer
une dignité qui fait contraste avec les procédés violents et injurieux
des agents de la République...
Dès la pointe du jour, les trois brigades de gendarmerie sillonnaient
les rues d'Auberive. Pendant ce temps, le serrurier opérait sans
bruit le crochetage de la porte du cimetière.
A huit heures du matin, les troupes se concentrent à leur quartier
général, à l'hôtel Rouget. Les gendarmes se rendent dans le jardin
de l'hôtel et chargent leurs revolvers. Ils prennent ensuite leurs
dispositions de combat, pendant que le funèbre cortège s'avance vers
le cimetière, précédé par cinq gendarmes, en pointe d'avant-garde,
la baïonnette au bout du canon de leur carabine. Une partie de la
gendarmerie, le sabre au clair, est massée près de la porte. Mais ce
déploiement de force est heureusement inutile. Les habitants ter-
rifiés, et sachant avec quelle facilité les gendarmes de la République
font feu sur les femmes sans défense, restent prudemment chez eux,
se contentant de regarder ce qui se passe à travers leurs fenêtres
entrebaillées. L'inhumation a eu lieu sans incident et les fossoyeurs
de la prison achèvent la triste opération sous la protection des
gendarmes.
Redoutant les conséquences de cet acte, qui n'est qu'un abus de
pouvoir, car la police du cimetière appartient au maire, et mieux
conseillé aujourd'hui ou cédant aux menaces de la population, le
préfet a envoyé sur los lieux un conseiller de préfecture qui sous
prétexte de faire une enquête, a présenté au maire les excuses de
l'administration. Il l'a engagé à retirer sa démission et à calmer le
conseil municipal.
488 ANNALES CATHOLIQUES
Les conseillers municipaux, appelés à délibérer sur la situation,
ont résolu, à Vunanimité, de maintenir leur démission. L'indigna-
tion de la population ne s'est pas calmée.
Tel est le nouvel exploit des républicains. Il est inutile de le
commenter longuement, et il n'y a poui' conclure qu'à demander
avec V Avenir de la Haute-Marne, si nos gouvernants, tout
en croyant sauver la République, n'ont pas juré de la perdre
par cette série de mesures si bien faites pour révolter les popu-
lations. C'est une conséquence qu'on peut prévoir et qui n'est
pas pour nous déplaire.
(Univers.)
Le Puy. — Un nouveau deuil vient affliger l'Église de
France. Mgr Pierre-Marc Le Breton, évêque du Puy, est mort
vendredi dernier, 21 mai, en sa ville épiscopale, à l'âge de
quatre-vingt-un ans, après une longue maladie qui faisait
malheureusement prévoir ce douloureux événemement.
Mgr Le Breton était né à Pleven (Cote? du Nord), le
25 avril 1805. De bonne heure il avait fait remarquer les
qualités qui devaient l'élever au rang des princes de l'Église,
et il était chanoine titulaire et vicaire général de Saint-Brieuc
quand il fut choisi, eu 1863, pour occuper le siège du Puy.
Troyes. — Un fait scandaleux s'est produit le 20 mai pendant
les exercices du mois de Marie, dans l'église Saint-Martin de
Troyes .
Le prédicateur était monté en chaire, dit V Autorité', lorsque
quelques auditeurs, qui jamais, d'ordinaire, ne franchissent le
seuil de l'église, y pénètrent. Ils faisaient un tel bruit, que les
jeunes gens des Cercles catholiques, qui voulaient écouter,
durent leur imposer silence. Les nouveaux venus les bous-
culent. Un sous-ofiicier de chasseurs, indigné de cette atteinte
portée à la liberté, prend fait et cause pour ceux qui prient.
« Enlevez-le, » s'écrient les tapageurs.
Des soldats de cavalerie accourent au secours de leur camarade
bousculé.
Quelques arrestations de perturbateurs sont faites, mais elles
ne sont pas maintenues.
Un ancien gardien de la paix, M. J..., très digne et honnête
homme, a reçu un coup sur la face et un pavé dans la poitrine.
Et comme il tombait baigné dans son sang, les « hommes à
NOUVELLES RELIGIEUSES 489
casquettes > se sont écriés : « Achevons-le! » Il n'a pu qu'à
grand'peine rentrer chez lui.
On a voulu faire un mauvais parti à trois militaires qui pas-
saient et qui regagnaient leur quartier. Mais, sans dégainer,
tenant seulement leur latte à la main, ils ont tenu en respect
les forcenés qui criaient : « Au pavé! au caillou ! »
M. le curé de Savières a reçu plusieurs blessures et M. R...
a été assez grièvement atteint.
Missions.
Iles Sandwich. — Mgr Hermann Kœckmann, de la Congré-
gation des Sacrés Coeurs, vicaire apostolique des îles Sandwich,
adresse de Honoluiu à MM. les directeurs de l'œuvre de la
Propagation de la Foi, une lettre que publient les Missions
catholiques^ et que nous reproduisons à peu près intégra-
lement :
L'état social de nos îles est continuellement en voie de transfor-
mation. Dans ces dernières années surtout, les changements ont été
plus sensibles que par le passé. Les baleiniers ayant cessé de venir
ici, on a vigoureusement poussé les plantations de cannes à sucre,
ce qui a eu pour suite l'immigration rapide de toute espèce de
monde. Les Chinois sont près de vingt mille, presque tous hommes;
il n'y a pas mille femmes parmi eux. Ils sont païens, à l'exception
de trois à quatre cents protestants et environ cinquante catho-
liques. — Nous ne pouvons pas agir directement sur eux, parce que
nous ne savons pas encore leur langue; du reste, en général, ils
montrent très peu de bonnes dispositions.
Les Japonais sont environ au nombre de douze cents, dont trente
à quarante catholiques et quatre cents protestants; les autres sont
païens. Les Portugais, hommes, femmes et enfants, sont au delà de
dix mille. A l'exception de quelques mauvais sujets, ils sont tous
catholiques croyants, simples et plus ou moins fervents en pratique;
mais, en général, ils sont assez ignorants. Comme ils sont employés
par centaines dans différentes plantations, quelquefois assez loin de
nos chapelles, il faut agrandir les anciennes et en bâtir de nouvelles
pour eux. Depuis le mois de juillet 1881, nous avons construit qua-
torze nouvelles chapelles, une quinzième s'achève et d'autres sont en
projet. Et comme les Portugais sont pauvres et leurs maîtres presque
tous protestants, ces frais tombent principalement sur la mission.
Par contre, nous venons d'abandonner deux chapelles dans l'île
d'Oahu, parce que les villages ont été envahis par les Chinois païens
qui ont remplacé les indigènes chrétiens.
Depuis quelques années, nous sommes en bons rapports avec le
gouvernement, qui nous est assez favorable. Nous jouissons d'une
490 ANNALES CATHOLIQUKS
liberté parfaite, quoique les lois qui concernent l'éducation et le
mariage (grande facilité de divorcer) nous entravent et nous gênent
beaucoup dans l'exercice du saint ministère. Le roi Kalakaus et son
gouvernement nous montrent même quelquefois de la bienveillance.
C'est le roi et son gouvernement qui ont fait venir des Sœurs fran-
ciscaines pour le service des hôpitaux, principalement pour les
lépreux.
LES CHAMBRES
Sénat.
Ma?di 23 mai. — Fixation de l'ordre du jour.
Cîhambre des députés.
Mardi 25 mai. — Discussion sur la prise en considération d'un
projet attribuant une indemnité aux conseillers généraux. La prise
enconsidération est repoussée.
M. le baron bes Rotours combat la prise en considération d'une
proposition de MM. Paul Bert, Cantagrel et Révillon, ayant pour but
d'assurer, à titre de récompense nationale, des pensions viagères aux
survivants des blessés de février 1848 et à leurs ascendants, veuves
et orphelins.
L'orateur fait remarquer que chaque parti qui arrive au pouvoir
veut enrichir sa clientèle. C'est une voie détestable, dans laquelle le
gouvernement ne voudra pas s'engager.
M. Legkand de Lécelles dit que la question a un caractère budgé-
taire et que ce serait un mauvais exemple de donner uue prime à
l'insurrection.
M. Madier de Montjau répond que le devoir de la justice prime le
devoir de l'économie. On ne peut refuser une obole à ceux qui ont
combattu derrière les barricades pour défendre le droit.
M. Paul DE Cassagnac demande s'il est politique, alors que le pays
est dans un état de souffrance si aigu, de réclamer encore de l'argent
à ce pays. Chaque mois, chaque semaine le parti républicain tend la
main à la France et lui demande de l'argent qu'elle n'a plus. Accor-
der une récompense nationale à la révolte, c'est flétrir l'armée qui
l'a combattue. A la suite de nos guerres en Tunisie et au Tonkin,
xxn grand nombre d'officiers ont succombé. Combien ont laissé une
pension insuffisante à leur veuve! C'est en pi-ésence de ces besoins
qu'on accorderait des pensions à de mauvais citoyens qui ont pris lea
armes contre le gouvernement régulier du pays.
M. ToNY-RÉviLLON soutient que les blessés de février ont des droits
écrits dans une loi de mars 1848. Ces blessés ont attendu, parce qxie
l'Empire est venu trop tôt après la révolatioa da février. Lu majorité
voudra payera ces hommes la dette de la patrie et de la République.
M. DE La Rochefoucauld dit que les victimes de la révolution de
1848 sont des insurgés. S'ila sont restés victorieux, c'est parce qu'on
n';i pas voulu tirer sur eux,
I^es conclusions de la commission sont adoptées par 386 voix
contre 184.
La Chambre prend ensuite en considération la proposition de
M. Lacroix relative à l'organisation municipale de la ville de
Paris, et la proposition de M. Renioiville, relative à la réforme du
code de procédure.
La loi sur les livrets ouvriers revient du Sénat en première
lecture.
M. Lyonnais, député de la Seine-Inférieure, réclame la suppres-
sion du livret obligatoire, dont les patrons, dit-il, se plaignent
autant que les ouvriers.
La suite du discours de M. Lyonnais est renvoyée à la prochaine
séance.
Vient ensuite la demande d'interpellation de MM. Michelin et
Planteau sur la continuation de la grève de Decazeville. M. Miche-
lin réclame la fixation à samedi ou à lundi. M. Lockroy, au nom
du gouvernement, demande qu'on attende, pour cette fixation, la
présence de son collègue des travaux publics. La Chambre,
consultée, remet la fixation à jeudi.
DERNiiîRE Heure. — Chambre des députés : séance du jeudi
27 mai. — Le gouvernement dépose un projet de loi l'autorisant à
expulser, quand bon lui semble, tout membre d'une famille ayant
réi^né sur la France. — L'ursrence est déclarée.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le mariage de la princesse Amélie. — Pai'oles de M. Billot. — Baptême
d'Alphonse XIIL ~ Election d'îlle-et- Vilaine. — L'anniversaire de
Victor Hugo. — Au Père Lachaise. — Etranger.
27 mai 188G.
Les fêtes du mariage du duc de Bragance avec la princesse
Amélie, qui ont eu lieu samedi dernier, 22 mai, se sont passées
avec la plus grande solennité au milieu de l'enthousiasme
populaire.
Le roi et la reine de Portugal, le prince royal, duc de
Bragance, l'infant don Auguste et les représentants des gou-
vernements étrangers se sont rendus directement du palai?
492 ANNALES CATHOLIQUES
d'Ajuda, à l'église de Santa-Justa et Rufina, où ils sont arrivés
quelques minutes avant les princes d'Orléans.
Le comte et la comtesse de Paris, la princesse Amélie, les
princes et les princesses de la maison d'Orléans sont allés
directement à l'église en sortant du palais oii ils habitent
depuis leur arrivée à Lisbonne.
Le cortège a un aspect imposant : il se compose de quatre
carrosses et de plusieurs autres voitures traînées par des
mulets. Le carrosse dans lequel se trouve la princesse Amélie
a été construit à Rome par l'ordre du pape Clément II et offert
au roi Jean V.
Sur tout le parcours jusqu'à l'église, la princesse Amélie
a été l'objet de chaleureuses ovations.
L'église est richement décorée. Cinq cents lustres ont été
allumés.
Douze tribunes ont été préparées pour recevoir les corps
diplomatiques, les députés et les personnages de distinction.
Prés de l'autel se trouve un trône grandiose sur lequel vont se
placer le roi et la reine.
A l'entrée de la princesse Amélie, que vient prendre le duc
de Bragance pour la conduire à l'autel, l'orchestre de la cha-
pelle royale se fait entendre.
Le duc et la princesse vont ensuite prendre place sur des
fauteuils au milieu du chœur; au-dessus de leurs têtes se trouve
la couronne royale, en or, avec des banderoUes aux couleurs
portugaises et ornée de palmiers, d'azalées, de rhododendrons
et de camélias.
Le carJinal patriarche S. S. Neto dit la messe. Après les
premières prières, il se lève, et, s'approchant des fiancés, il
leur adresse à haute voix les demandes d'usage :
« Son Altesse le prince royal veut-il prendre pour épouse la
princesse Marie-Amélie d'Orléans? »
Avant de répondre le oui sacramentel, le duc de Bragance
s'est levé et s'est dirigé vers le roi et la reine et leur a baisé
les mains, pour bien prouver ainsi, en présence de la cour, de
toute la noblesse du royaume, que c'était avec l'autorisation
de Leurs Majestés qu'il épousait la princesse Amélie. La même
question, adressée ensuite à la princesse Amélie, fut suivie de
la même manifestation de respect. La princesse embrassa, très
émue, Mgr le comte et M"' la comtesse de Paris.
Puis, le cardinal-archevêque ayant béni les anneaux de
à
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 493
mariage, les remit à Leurs Altesses qui les échangèrent entre
eux.
A ce moment, les cloches de l'église sonnèrent à toute volée,
les canons commencèrent leurs salves prolongées et des fusées
furent lancées dans les airs. C'était un signal, et dans le port,
sur tous les navires de l'Etat, les marins s'agenouillèrent pour
joindre leurs prières à celles des assistants.
Le cardinal entonne le Te Deum, repris par la maîtrise de la
chapelle et l'orchestre. Ce morceau a été composé pour la cir-
constance,
La cérémonie terminée, le patriarche conduit les mariés
jusqu'aux portes de l'église, puis, au milieu des acclamations
de la. foule, le cortège se rend à Belem, le palais des nouveaux
époux.
Les hauts dignitaires désignés par le roi qui tiennent le dais
à la porte de l'église, sont douze marquis de la plus ancienne
noblesse de Portugal.
Le duc de Bragance porte l'uniforme de capitaine d'artillerie;
la princesse Amélie porte une robe de soie blanche montante,
avec le fameux voile exécuté sous les ordres de M"'° la comtesse
de Paris, par les dentelières de Normandie; la comtesse de
Paris une robe en velours de Gênes frappé à traîne, et un cor-
sage ruisselant de jais blanc; la reine Maria-Pia une robe en
velours bleu brodée et garnie d'une guirlande de faille se
détachant sur un fond bleu, avec des fleurs de grenade.
Les dames portaient toutes des robes vertes, aux couleurs de
la maison de Bragance.
Le « Club naval •» de Lisbonne, dont le duc de Bragance est
président, a organisé une grande manifestation.
Tous les yachts, chaloupes, bateaux à voiles et à rames,
montés par les clubmen, se sont rendus vers quatre heures sur
le Tage, dans la direction du palais de Belem, devant lequel
ils sont restés à l'ancre pendant quatre jours. Ils ont illuminé
chaque nuit.
Toute la ville était pavoisée.
Dans toutes les rues ont été dressés des tréteaux sur lesquels,
pendant les quatre soirées de gala, ont joué les musiques mili-
taires et les fanfares populaires.
En somme, partout grand enthousiasme pour la famille
royale, vive et touchante sympathie pour les princes d'Orléans
qui, à chacune de leurs sorties dans la ville, étaient accueillis
494 ANNALES CATHOLIQUES
par les cris répétés de : « Vive la France! Vive le comte de
Paris! »
M. Billot, ministre plénipotentiaire de France à Lisbonne,
était chargé de représenter le gouvernement français au
mariage du duc de Bragance avec la princesse Amélie; il a été
reçu avec le cérémonial accoutumé.
L'introducteur des ambassadeurs est allé le prendre au palais
de la légation de France, dans un carrosse de la cour, avec une
escorte de cavalerie. Un régiment rendait les honneurs à la
porte du palais d'Ajuda, résidence du roi.
Introduit dans la salle du Trône, oii le roi se trouvait entouré
de sa cour, M. Billot lui a adressé le discours suivant :
Sire,
M, le président de la République française m'a donné l'honorable
mission d'exprimer à Votre Majesté le vif intérêt qu'il porte à tout
ce qui touche la famille royale de Portugal, pays ami de la France,
ainsi que la sympathie avec laquelle son gouvernement envisage une
union qui doit établir un lien de plus entre les deux pays.
Ce discours est la répétition à peu prés textuelle de la lettre
par laquelle M, Grévy a remercié le roi de Portugal de lui
avoir fait part du mariage du prince-héritier avec la fille aînée
du comte de Paris.
Le roi a répondu :
Monsieur le ministre,
Je remercie le gouvernement français de vous avoir choisi pour
m'exprimer les afFectueux sentiments dont vous venez de vous faire
l'interprète. Le mariage d'une princesse française avec mon fils ne
peut qu'être utile à la France et au Portugal.
M. Billot a ensuite été présenté à la reine, et reconduit avec
le même cérémonial à la légation française.
Ces quelques paroles de M. Billot rendront la tâche du
cabinet bien difficile, s'il est décidé, comme on feint de le
croire, à expulser les princes. Comment, en eôet, pourra-t-on
infiio-or un pareil aifront à la famille régnante de Portugal ?
Comment osera-t-on prendre une semblable mesure après avoir
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 495
dit que cette union < doit établir un lien de plus entre les deux
pays »'! Le gouvernement français ne peut avoir deux opinions :
celle qu'exprime son représentant et celle que lui dicte un
certain parti politique. Après ce qui a été dit à Lisbonne, si on
expulsait le comte de Paris, il faudrait en même temps rappeler
M. Billot.
La question de l'expulsion des princes commence d'ailleurs
à occuper la presse étrangère. Les journaux de Vienne notam-
ment consacrent de longs articles à cet incident, qu'ils consi-
dèrent généralement comme peu favorable à la politique étran-
gère de la France. Dans un article qu'il intitule : Un Français
de moi'ûs, le Taghlatt paraphrase le mot célèbre de Louis XVIII
rentrant à Paris en 1814 : « Il n'y a rien de changé en France;
il n'y a qu'un Français de plus. » Cette fois, dit le Taghlatt, on
se tromperait iort en disant qu'il n'y aura rien de changé, qu'il
y aura seulement un Français de moins. L'expulsion des princes
d'Orléans aura, au contraire, d'après la feuille démocratique,
une signification internationale ; elle accentuera plus que jamais
l'isoleme^nt de la France républicaine au milieu de l'Europe
monarchique.
Le même jour avait lieu à Madrid, à une heure de l'après-
midi, dans la chapelle du Palais-Royal, le baptême d'Al-
phonse XIII.
Dans les tribunes se trouvaient les membres du corps diplo-
matique, les généraux, les commissions des deux Chambres, les
chevaliers de la Toison d'Or, ainsi que plusieurs notabilités.
La tribune principale était occupée par le prince Antoine, fils
du duc de Montpensier, l'infante Eulalie, la princesse des Astu-
ries, l'infante Marie-Thérèse et la suite.
Le cortège sortit des appartements royaux à une heure un
quart, pour se diriger vers la chapelle. Des hallebardiers, en
grand uniforme, formaient la haie.
Après les hauts dignitaires de la cour et les ministres mar-
chait la nourrice, portant le jeune roi, tout recouvert de fines
broderies de soie blanche. A ses côtés étaient l'infante Isabelle,
habillée en satin blanc, avec un superbe manteau brodé.
De l'autre côté marchait le nonce apostolique, dans son cos-
tume ordinaire.
36
496 ANNALE? CATHOLIQUES
Après l'entrée dans la chapelle, le i^rand or.^ue a fait entendre
la marche royale devant l'assistance et le clergé debout.
Le cardinal de Tolède et les prêtres assistants étaient vêtus
de magnifiques ornements du XVIP siècle, avec des broderies
merveilleuses, représentant différents passages de l'Evangile.
Le cardinal baptisa le roi, que le nonce tenait dans ses bras.
Ensuite, un Te Deum a été chanté, après quoi le cortège est
rentré dans les appartements du palais.
La cérémonie a été terminée à deux heures et demie.
Le roi a été baptisé avec de l'eau du Jourdain et a reçu les
noms de Alphonse, Léon, Ferdinand, Marie, Isidore, Pascual.
TJne élection avait lieu dimanche dans l'Iile-et-Vilaine pour
pourvoir au remplacement de M. Lelièvre, radical, décédé. Le
résultat répond pleinement à nos espérances.
L'honorable M. Carron, candidat conservateur, est élu avec
une écrasante majorité de 7,694 voix.
Aux élections du 18 octobre 1885, le candidat républicain
que l'on remplaçait dimanche avait été élu par 53,455 voix.
Au mois de février dernier, une élection législative avait
lieu dans le même département, en remplacement de M. de
Lariboisiére, démissionnaire. Les conservateurs s'abstinrent;
le républicain, M. Le Hérissé, fut élu par 57,200 voix.
Aux élections de dimanche, le républicain n'obtient plus que
47,761 voix.
Ainsi, depuis le mois de février, les républicains ont perdu
dans rille-jt- Vilaine 7,500 voix, et depuis le mois d'octobre
13,500 voix.
Voilà la réponse du corps électoral aux violences radicales,
aux entreprises de la majorité républicaine contre les croyances
du pays.
L'honneur de ce résultat revient en grande partie à
M. Goblet ; ce sont ses déclarations antireligieuses, sa politique
de sectaire, ses lois de déchristianisation de l'eriseignemeni,
que l'honorable M. Carron avaient surtout visées dans sa cir-
culaire, ce sont elles que le corps électoral a condamnées.
Les conservateurs ont le droit d'être fiers de cette élection,
elle est la juste récompense de leurs efiorts et de leur union.
C'est la première fois depuis les élections de 1871 que les
CHRONIQUE DK LA. SEMAINE 497
conservateurs remintrtont au siMutin de liste dans ce départe-
ment qui paraissait iotéodê à ia politique des Waldeck-
Rousseau et des Martin-Feuiiièe.
Pendant que la République était ainsi battue en Bretagne,
les communard^:, sous les plis du drapeau rouge, se rendaient eu
pèlerinage au Pére-Lacliaise. La scène se passait sur la fosse
commune du cimetière, à l'occasion du 24 mai.
Par ordre, ou [)ar peur, dit le Cri du Peuple, l'appareil
militaire déployé pour la circonstauce s'est borné à encadrer
le flot montant des socialistes « qui n'oublient pas ».
Car ii.s éraitfut là les drapeaux! s'écrie le journal radical
socialiste ;
« lis surgissaient, comme l'àme mêaie de la Commune, du
sol labouré par les mitrailleuses de l'ordre et ensemencé du
sang fédéré. »
Ils étaient là, malgré « l'interdiction formelle » dont les
avait frappés un pouvoir imbécile, aboyant d'autant plus qu'il
se sait incapable de mordre.
« Et c'est à leur ombre, sous le grand soleil résurrecteur,
qu'après s'être retrempé dans le souvenir de ses morts bé-
roïquCv', le Prolétariat parisien a juré de les venger en conti-
nuant leur oeuvre, et en la faisant aboutir ».
Au pied du mur des fédérés les manifestants ont donc pu
déployer le drapeau rouge. A l'extérieur du cimetière, la pré-
sence d'une force armée imposante a suffi pour calmer les
« vainqueurs de demain ». Ils ont poussé à leur aise le cri mille
fois répété de ; Vive ia commune! Ils ont même eu la fantaisie
de se servir de l'intermédiaire d'un gamin revêtu du costume
des bataillons scolaires, avec le grade de caporal, pour faire
passer les drapeaux rouges interdits à l'extérieur, tolérés à
l'intérieur, par dessus le mur du cimetière.
Franchement, les communards passés et futurs seraient bien
difficiles s'ils n'étaient point satisfaits de la tolérance du gou-
vernement. Nous comprenons qu'ils se fassent illusion sur
leur prochain triomphe, qu'ils conseillent aux ouvriers de
< s'attendre à tout événement, l'heure étant grave ».
Oui, l'heure est grave quand on songe à la faiblesse du gou-
vernement qui tolèi-e d'aussi malsaines excitations et permet
aux anarchistes de faire flotter le drapeau rouge dans un lieu
-« public » et d'évoquer l'heure prochaine de la revanche !
498 ANNALES CATHOLIQUES
Il y a un an, Victor Hugo mourait. Sur le passage du cortège,
tout Paris se pressait, attiré plutôt par la curiosité et la magni-
ficence des obsèques que par respect et déférence pour le pauvre
poète. Cependant, la vie de la capitale tout entière avait été
suspendue pendant vingt-quatre heures, et cent mille hommes
avaient veillé pendant une nuit le cadavre de l'auteur de ÏOde
à la colonne, placé sous l'Arc-de-Triomphe. Le Panthéon fut
« désaffecté » pour lui : on profana un temple pour ce demi-
dieu. Un an s'est passé : l'enthousiasme est tombé. Les fleurs
posées sur son cercueil se sont fanées et n'ont pas été renou-
velées. Les quelques fidèles qui ont été porter des couronnes
à Victor Hugo sont passés inaperçus dans Paris qu'une fête
avait attiré au Champ-de-Mars, Deux livres ont paru depuis
un an, portant la signature de celui qui fut l'enfant sublime, et
la curiosité publique s'y est moins intéressée qu'à une première
de Sardou. H semble que le Victor Hugo, si populaire, soit celui
qu'il faut le moins admirer. Le peuple de Paris, tel que l'ont
fait les clubs, les feuilles radicales, les excitations permanentes
à l'envie et à la révolte, ne connaît de lui que les Châtiments et
les Misérables, et les cris de haine ne trouvent qu'un écho
momentané. Les tombes des fédérés ont reçu les visites de
plusieurs milliers de clients de V Intransigeant et du Cri du
Peuple. Cent personnes à peine ont été au Panthéon.
Les élections générales pour le renouvellement de la Chambre
italienne ont donné des résultats favorables à M. Depretis sans
cependant répondre complètement à ses espérances. M. Depretis
s'en contentera cependant pour le vote du budget et atteindra
ainsi les vacances ; durant ces dernières, le président du con-
seil renforcera la majorité en modifiant les éléments minis-
tériels. Parmi les nouveaux députés, on remarque M. Cipriani,
qui a joué un rôle actif pendant la Commune de Paris et qui a
été expulsé de France il j a quelques années. M. Cipriani a été
élu dans deux collèges. M. Rochefort lui consacre, dans Vln-
transigeant, un long article intitulé « le Forçat député. »
L'ex-représentant de Paris regarde cette élection avec un œil
d'envie et en profite pour reprocher à la Chambre française
d'avoir invalidé Blanqui. Si les Italiens n'ouvrent pas toutes
grandes les portes du Parlement à M. Cipriani, il y aura du
bruit... dan? le Landerneau de M. Rochefort.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 499
La Belgique vient également de passer par Ja période électo-
rale. On sait qu'il s'agissait du renouvellement par moitié des
assemblées provinciales ; les résultats ne changent en rien la
situation générale, car, comme précédemment, sur neuf assem-
blées provinciales, cinq compteront une majorité catholique.
La situation s'est subitement détendue en Grèce. Le gouver-
nement hellénique, effrayé probablement par l'efferves-
cence belliqueuse qui se manifestait dans l'armée, a pris des
mesures énergiques pour assurer la paix. Les réservistes exempts
ou ajournés en temps ordinaire, les volontaires, les réservistes
des classes de 1857 à 1863 sont renvoj-^és dans leurs fojers. La
réserve navale va être également licenciée. On s'attend, par
conséquent, à ce que les puissances lèvent le blocus prochai-
nement.
On prévoit que la discussion du bill irlandais durera jusqu'à
la fin de la semaine à la Chambre des Communes. Le débat, en
se poursuivant, rend des chances à M. Gladstone, qui pourrait
bien finir par triompher. L'opinion publique parait décidément
favorable au vieil homme d'Etat, et c'est un élément avec
lequel le monde de la cour et le monde parlementaire seront
obligés de compter.
Aussi, tout l'effort des adversaires du home rule se con-
centre-t-il sur un point : empêcher la dissolution, au cas oii le
bill serait rejeté. Mais il est douteux qu'ils y réussissent, mal-
gré l'appui de la cour. Ce n'est pas en réunissant dans un
même cabinet lord Salisbury et M. Chamberlain, avec lord
Hartington comme trait d'union, que l'on pourra former un
ministère capable de résister aux assauts de M. Gladstone uni
à M. Parnell.
Quoiqu'il ne puisse entrer dans notre intention de résumer
ici une discussion dont les détails oftViraient peu d'intérêt pour
nos lecteurs, nous mentionnerons cependant un argument de
M. James Bryce qui paraît avoir produit une grande sensation.
L'honorable député a rappelé que le Danemark avait mis un
terme aux tiraillements qui existaient avec l'Islande en accor-
dant à cette île un Parlement distinct. Depuis lors, les Danois
peuvent compter absolument sur la fidélité des Islandais, tandis
qu'ils ont perdu le Schleswig pour lui avoir refusé quelques
concessions.
500 ANNALES CATHOLIQUES
A l'occasion de la naissance du jeune roi d'Espagne, Don
Carlos adresse de Lucarne une manifeste aux Espagnols.
Nous en citons les principaux passages :
Mes ancêtres ont protesté contre la primitive violation de nos
droits et contre toutes les manifestations successives, ainsi que je le
fis moi-même coatra l'acte prétorien de Sagunto, étant secondé dans
cette protestation par vos bras virils et par vos cœurs courageux...
Cette protestation, je la reoouvelle aujourd'hui non pas les armes
à la main, mais avec une énergie qui n'est pas moindre, affirmant
ma résolution de maintenir mes droits dans toute leur intégrité, et
de ne jamais me prêter à aucune renonciation ni transaction d'aucun
genre.
Mes droits, qui se confondent avec ceux de l'Elspagne, ne sont pas
moins foulés aux pieds par la présence sur le trône d'un prince ou
d'une princesse, instrum^-nts inconscients de la révolution, que par
la proclamation de la République ; et pour les faire valoir de la
manière la plus efficace, je suivrai toujours sans hésiter le chemin,
et je choisirai les procédés que le devoir me tracera.
Don Carlos remercie les Espagnols de leur sublime constance
et leur donne ensuite l'assarance que jusqu'au dernier souffle
la vie de leur roi légitime leur appartiendra en entier.
.VARIETES
La Franc-^ïilaçoanerîe et les XempSIers.
Le dernier livre de M. Léo Taxil qui vient de paraître sou.s
ce titre « le Culte du Grand Architecte » publie d'étranges ré-
vélations ; on y voit notamment le rôle que les Templiers jouent
dans la Franc-Maçonnerie. Ce n'est pas seulement dans les
opéras qu'on les érige en martyrs de la Papauté à grand ren-
fort de musique et de feux de Bengale; les francs-maçons dans
leurs banquets secrets n'oublient jamais de porter aux Tem-
pliers des toasts significatifs. Ainsi font-ils dans des Agapes
des Kadosch, banquet obligatoire qui a eu lieu le 30 novembre.
Nous citons :
Si l'on veut bien se rappeler que la légenrle de la réception au
grade de Kadosch roule sur les Templiers, dont il est question de
venger la mort en transperçant uu crâne surmonté d'une couronne
et un crâne surmonté d'une tiare, et si l'on n'a pas oublié que cette
I
KEVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE 501
réception est aussi marquée par ua sacrifice à Satan personnifié, on
comprendra le vrai sens des toasts de l'agape... Le premier toast se
porte à Salomon, c'est le Saloœon impie de la fin de son règne... Le
second toast se porte à Zorobabel... Le troisième toast se porte au
soleil dont la maçonnerie occulte fait le symbole de Lucifer... Le
quatrième toast se porte ainsi :
— A saint Jacques et aux apôtros martyrs ! Il s'agit ici de Jacques
Molay, grand maître de l'ordre du Temple et des autres Templiers
brûlés à Paris en 1314...
Toutes les santés qui précèdent se boivent avec le cérémonial du
banquet des Elus... Avant de boire on plonge le poignard (bijou des
Kadosch) dans le verre de vin rouge et tandis que coulent les gouttes
figurant symboliquement du sang, on s'écrie, tous à la fois : Deus
Sanctus Nokem !
Les deux premiers mots, en latin, signifient ; « Dieu saint ». C'est
Satan. Le dernier mot, qui est hébreu, veut dire : « Vengeur! »
Après avoir bu, on donne un coup de poignard dans la direction
du Ciel en s'écriant d'un ton sauvage (il est de rigueur!)
— Nekain Adonai !
C'est-à-dire : Vengeance contre toi, ô Seigneur, Adonaï est un
<ies noms donnés à Dieu. Quand la maçonnerie occulte prononce le
nom de Dieu, c'est de Lucifer qu'elle entend parler, et quand elle
dit Adonaï, c'est de Dieu. »
Voilà l'impiété odieuse et satanique prise sur le fait.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
M. Sadi Cariiot, après bien des hésitations , ou après bien des
tâlonnements, s'est décidé, le 2o mai, de faire paraître, à ï Officiel,
son rapport sur le dernier emprunt.
La souscription aurait donné les résultats suivants:
Nombre de souscripteurs. Rentes souscrites. Sommes versées
Paris 33.467 339,052,974 4,793,264,870
Départements 212.940 42,766,339 243,832,693
Totaux 248.4U7 401,819,543 2,009,097,365
L'Emprunt a donc été souscrit par 248,407 personnes et couvert
21 fois et demie environ. On fait de suite la remarque, que la
province a fourni le plus grand nombre de souscripteurs et le plus
petit nombre en espèces, tandis qu'à Paris, la spéculation a pris des
502 ANNALES CATHOLIQUES
allures tout à fait envahissantes. C'est bien là un symptôme des
temps.
Le classement des souscriptions par coupures de renies, donne
les résultats suivants :
Souscriptions de 3 fr. de rente
153,451
— de 10 à 100
74,019
— ■ 110 à 1,000
16,877
— 1,000 à 10,000
3,3-24
et au-dessus
736
Total :
248,407
M. Carnot accorde 3 fr. de rente à tous les souscripteurs de
3 à 60 ; ils sont au nombre de 217,837, et prennent sur les
18,947,368 fr. de rentes à émettre, la somme de 653,511 fr. ; il
ne reste donc plus que 18,293,857 fr. de rentes à repartir entre les
autres souscripteurs. Ceux-ci recevront donc 4 fr. 5^25 de renies
par 100 fr. de rentes souscrites, avec cette mention que tout solde
inférieur à 2 fr. sera négligé, et supéi'ieur à ce chilïre comptera
pour le chiffre l'épartiteur supérieur.
L'échange des titres provisoires contre des récipissés de souscrip-
teurs et la liquidation des versements, aura lieu à Paris, le 27 mai,
et dans les déparlemenls le 31 mai.
Comme résumé, le souscripteur de 100 fr. en demande aura dû
verser 500 fr. ; on lui donne 4 fr. 57 qui coûteraient à raison
de 79 fr. 80, la somme de 121 fr. 56. Pour obtenir ce résulUit, il
a dû décaisser 500 fr. ; aller rechercher son solde espèce et son
titre provisoire, puis son titre définitif. Que veut-il faire de cet
atgcnl non employé ? Il fera un placement nouveau et prendra ce
qu'il y a de meilleur et de plus sûr, selon lui, à la Bourse. Tout le
monde courant après cet oiseau rare, on a vu arriver ce que nous
avions pressenti: les obligations du Crédit foncier, surtout les non
libérées, si en relard, et sans cause, sur leurs similaires, passer
de 434 à 443. Ce n'est qu'une étape et ces obligations doivent se
niveler avec celles à qui elles ressemblent en tous points et qui
valent 460 et 464. Ce niveau se fera-t-il par la descente des obliga-
tions libérées, ou par la hausse des obligations non libérées? La
réponse est unanime cbeztout le monde; les obligations moins chères
rejoindront les plus cbèrei:;. C'est pourquoi nous avons recommandé
ce placement, et nous ne cesserons de le faire.
Ces jours derniers, on a fait une conversion de rente de la dette
de l'île de Cuba ; nous ne vous parlons jamais de ces placements
lointains, impossibles à surveiller, et dont il faut docilement et
fatalement accepter toutes les conséquences.
La Bourse est ferme, mais l'emprunt y vient en grand nombre,
aussi la prime baisse déjà. A. H.
Le gérant: P. Chantrbc,
aria. — fmp de l'Œuvre * »aint-Pawl G. Picquoin, 51, rue <ie IJlle.
ANNALES CATHOLIQUES
LA POMPE DANS LES EGLISES
De récents scandales ont inspiré à Mgr Isoard, évêque
d'Annecy, les réflexions suivantes sur la Pompe dans les
églises :
On prononce assez souvent ce mot : les pompes du culte, les
pompes de l'Église.
Qu'est-ce qui constitue, selon les appréciations communes,
la pompe qui est déployée tel ou tel jour dans une de nos églises?
C'est le nombre des ministres qui servent à l'autel et la richesse
des ornements dont ils sont revêtus; c'est la décoration de l'au-
tel, du sanctuaire, et parfois de toute l'église; c'est enfin le
caractère particulier des chants sacrés, la musique, le talent
des chanteurs, la valeur de l'accompagnement.
Est-il légitime et conforme à l'esprit et aux désirs de la sainte
Église de recourir à l'emploi de ces pompes extraordinaires dans
la célébration de certaines de nos solennités?
Oui, sans aucun doute.
Mais, d'autre part, n'ont-elles pas été l'objet d'avis et même
d'interdictions émanés du Saint-Siège?
Oui, très certainement...
Les pompes religieuses aujourd'hui acceptées ou tolérées en
France sont-elles conformes à l'esprit de l'Église? Répondent-
elles aux intentions souvent manifestées par le Saint-Siège? Ou
tout au contraire, n'ont-elles pas perdu quelque chose du carac-
tère qui leur est propre? Et, ce qui serait beaucoup plus grave,
ne tombent-elles point quelquefois sous des condamnations for-
melles et indiscutables?
C'est ce que nous voulons examiner à cette heure.
En France, on rapproche et l'on compare l'un à l'autre ces
trois lieux de réunion : l'église, la salle de concert et la salle de
théâtre, et l'on dit : Une église ne peut jamais devenir une salle
de concert ou une salle de théâtre; elle doit rester une église.
Lvi. — 5 JUIN 1886. 37
504 ANNALES CATHOLIQUES
Donc, aux approches d'une grande et exceptionnelle solennité,
appelez à votre aide les tapissiers, les fleuristes, les chanteurs,
les instrumentistes; mais ne les abandonnez pas à eux-mêmes;
mais surveillez de près leurs programmes, leurs devis. Si, dans
ce grand jour, et malgré cet appareil inusité, votre église est
restée une église, vous avez fait beaucoup de bien; mais si elle
a pris les apparences d'une salle de concert, si on a pu y retrou-
ver quelque chose de ce qu'on trouve au théâtre, vous avez fait
beaucoup de mal...
Pendant de longues années, les tapissiers n'envahissaient les
églises, en France du moins, qu'à l'occasion des funérailles. Ils
couvraient les murs du sanctuaire et même de toute l'église de
tentures sur lesquelles ils fixaient les armes, le chiffre du défunt.
Mais, depuis quelque temps, on fait également subir à la maison
de Dieu une transformation lorsque doit y être célébré le ma-
riage de personnes riches et qui aiment à faire montre de leurs
richesses. On a commencé par étendre dans le chœur des tapis
qui, peu à peu, ont été s'allongeant du maître-autel jusqu''au
marchepied de la voiture qui amène les jeunes époux; puis ont
apparu les draperies et les fleurs. Tout récemment, on célébrait
à Paris le mariage de la fille d'un célèbre compositeur de
musique :
Le maître-autel, nous dit-on, était orné d'une profusion de
plantes rares. Des arbustes moins précieux encombraient le
chœur et bordaient l'avenue conduisant de la porte à l'autel.
On était cependant en Carême, en un temps oti un mariage ne
doit pas être célébré; la liturgie ne permettait pas que la béné-
diction nuptiale fût donnée à la mariée. N'importe! il fallait
honorer la famille, et, par le fait seul de ces décorations, l'église
cessait déjà d'être une église.
Les chants commencent, et achèvent de donner aux assistants
une impression toute différente de celle qui devait leur être
ménagée. Les journaux nous en ont conservé le programme :
V^ni Creator, quatuor exécuté par la maîtrise.
Rédemption (Ah! qu'ils sont beaux !), M'°<= Fuchs et chœur de la
maîtrise.
Benedictus, de la messe du Sacré-Cœur, quatuor et chœur.
Ave Maria, solo, soprano et violon, piano, orgue et chœur,
exécuté par M"<= Fuchs, M"* Madeleine Godard, Saint-Saëns, Jacob,
et chœur de la maîtrise.
(Sortie.) Laudate, chœur de la maîtrise.
LA POMPE DANS LES ÉGLISES 505
« La façon dont M™* Fuchs, secondée de M'"*^ Bonrdeau, Ganidel,
Cornes, Levasseur, Landais, Levaux ; MM. Gillandi, Cammas, Dreis,
Cadelaglii, Bonissavin, a chanté les différentes parties du programme,
a adouci les regrets qu'on pouvait éprouver du départ de M, T... »
Ce M. T... est un acteur qui avait fait une scène à haute
voix^ d'abord à la tribune, puis dans le chœur, parce qu'on ne
lui avait pas confié le chant de VAve Maria.
Maintenant, prononcez. Ces appareils et ces exécutants
disaient-ils aux assistants, aux parents, aux invités, aux
étrangers: Vous êtes dans une église; vous pouvez y prier-
pour ces jeunes époux ; le Très-Saint-Sacrifice de la Messe, le
plus grand acte qui puisse s'accomplir en ce monde, s'ofi're en
ce moment dans ce temple, sur l'autel? Était-ce le langage de
tout cet appareil de tapisseries, de fleurs, de chanteurs et
d'instruments? Non, mille fois non! L'Église n'était plus une
église ; et ce très grand mal ne pouvait être atténué ou com-
pensé par l'espérance du bien que vous espériez atteindre ; la
fin ne justifie pas les moyens.
Mgr Isoard répond en ces termes aux personnes qui
pensent justifier par la fin qu'ils se proposent d'obtenir,
les assemblées de cliarité et les auditions de messes en
musique dont il a montré l'abus et les excès :
Les inconvénients qui peuvent être relevés dans ces assem-
blées ne sont-ils pas compensés, et au-delà, par le bien que le
produit de la quête nous permettra de faire ? -
Non ! chers Messieurs, non, le mal, le scandale ne sera pas
compensé, corrigé, eâ"acé par les actes charitables que les
sommes recueillies vous permettront d'accomplir. A l'afi'ermis-
sement, à la dilatation d'une bonne oeuvre, l'argent et les
secours matériels ne suffisent pas : il faut d'abord que ses pro-
moteurs lui ménagent, attirent sur elle la bénédiction de Dieu.
Et comment l'attendre, cette bénédiction qui donne la vie,
d'une réunion oii la sainteté de Dieu est si étrangement mécon-
nue? Rapetisser la religion, achever d'effacer dans lésâmes
les dernières notions ou impressions des idées de sainteté et de
respect, — et, en retour, se procurer quelques centaines de
francs, quelle opération fructueuse !
Ce n'est pas avec des fêtes ofiertes aux mondains, ce n'est
pas en adoptant leurs modes et en s'ajustant à leurs goûts que
saint Dominique et saint François d'Assise ont bâti, ont édifié
d ns l'Eglise de Dieu. Ce n'est pas avec des chanteurs et des
506 ANNALES CATHOLIQUES
chanteuses que saint Vincent de Paul créait toutes ces Œuvres
de charité dont le Souverain Pontife vient de le déclarer le
patron. Bien au contraire, tous les Saints disaient avec saint
Paul : « Le monde est pour moi un crucifié, et moi, de mon
côté, je suis aussi pour le monde, un crucifié. » Et ailleurs :
« Si je plaisais aux hommes, je ne serais plus un disciple de
« Jésus-Christ. »
C'est grand cas, dans la vie, que de savoir oii il convient de
placer son point d'appui : le nôtre, c'est l'esprit de l'Evangile :
« Qui essaye de bâtir sur un autre terrain n'édifiera point. »
Mgr Isoard parle ensuite de la Charité par le Plaisir :
Les assemblées de charité et les auditions extraordinaires de
messes en musique nous amènent à considérer avec quelque
attention les réunions qui^ par leur caractère et leur but, dif-
fèrent peu de celles que nous venons d'étudier. Ce sont les
Fêtes de bienfaisance, les concerts, les bals, les représentations
théâtrales, qui, nous disent les programmes, sont donnés au
profit de telles catégories de pauvres gens, dételles Œuvres de
charité.
Le raisonnement des organisateurs de ces fêtes est simple et
il est juste. Ils disent : Notre Œuvre a besoin d'argent. Si nous
sollicitons des secours par les moyens ordinairement employés,
les quêtes et les souscriptions, nous serons évincés par quelques-
uns de ceux à qui nous nous adresserons; de la part des per-
sonnes les plus favorablement disposées à notre endroit, nous
ne recevrons que des sommes insignifiantes et n'aj'ant aucune
proportion avec nos besoins. Encore nous faudra-t-il, avant de
coucher sur nos listes cette très modeste offrande, recueillir
des plaintes, entendre des gémissements sur l'exagération tou-
jours croissante du budget de la charité, sur l'impossibilité de
satisfaire à des exigences incessamment renouvelées.
Voilà ce qui nous attend : des murmures et une maigre
récolte. Si nous organisons une fête, non seulement ces braves
gens n'élèveront point de réclamations, mais ils ne compteront
même pas ce que nous leur ferons donner. On leur dira : C'est
pour votre plaisir que nous travaillons, et vous serez en même
temps utiles à des infortunés, sans vous apercevoir que vous
faites un sacrifice ; l'anesthèsie par le plaisir ! — On leur dira
cela, et ils partiront gaiement. Puis, nous-mêmes, nous profite-
rons de cette soirée agréable, ce qui est assurément très légi-
time, et tout le monde sera content.
A LA DÉRIVE 507
Ce procédé présentait de tels avantages qu'il est devenu en
peu d'années d'un usage habituel. Les fêtes de bienfaisance se
sont multipliées, et surtout elles ont bientôt reçu ces proportions
démesurées, colossales, que la facilité des transports donne à
tout ce qui s'entreprend de nos jours. Les Catholiques ne .«e
sont point départis, dans ces occasions, du rôle assez chétif
auquel ils se condamnent assez liabituellement ; ils ont dit : On
danse, on chante pour faire la charité sans s'en douter : c'est
la mode, suivons la mode !
Nous n'avons plus, grâce à Dieu, à faire le procès à une
manière d'agir qui était une véritable apostasie de l'esprit chré-
tien. Le Cardinal archevêque de Paris a stigmatisé ces faiblesses,
il y a trois années, et Notre Saint-Père le Pape leur a infligé
quelques semaines après, un blâme sévère qui équivaut à une
condamnation.
Mgr ISOARD.
A LA DERIVE
A la dérive! C'est le titre d'un tableau exposé au Salon de
cette année, et qui produit une certaine sensation. Sur une mer
qui n'est plus même en fureur, mais qui roule encore des
vagues écumantes, sous un ciel livide et bas, une épave de
navire; un tronçon de mât avec sa vergue qui flotte au hasard.
Et sur cette vergue, le cadavre d'un matelot qui vient de
mourir et s'y cramponne encore. Où cela va-t-il? On ne sait.
Mais ce débris sera sûrement ce soir ou demain la proie de
l'abime.
Je ne sais quelle est l'intention du peintre. Mais ce tableau
n'est-il pas l'image frappante et navrante de la France, telle
que nous la fait la République? Que reste-t-il de tout ce qui a
fait vivre et constitué pendant des siècles ce noble et beau pays
qui s'appelait la France, et qui résumait en lui toutes les gran-
deurs et tous les sentiments généreux et élevés? Socialement
parlant, répond très justement 1' Univers, rien du tout : tout va
à la dérive.
A la dérive la famille! Quand les lois, ou ce qui en porte le
nom, s'attachent à briser l'indissolubilité du lien conjugal et à
préparer ce qu'on appelle les unions libres, c'est-à-dire la bes-
508 ANNALES CATHOLIQUES
tialité, le mariage, base de la famille, est à la dérive. Quand
l'État arrache l'enfant à la famille pour le façonner et le dresser
à sa manière comme un animal et en dehors de toute action du
père et de la mère, qui ont vis-à-vis de leur enfant des droits
et des devoirs qu'ils tiennent de Dieu, un élément essentiel est
enlevé à la famille : elle ne vit plus, elle va à la dérive. Et
avec elle c'est la société qui est à la dérive.
A la dérive la propriété, cette autre base de la société! Que
peut devenir ce droit sacré, qui est en tête de la plus ancienne
législation, quand les législateurs et le pouvoir exécutif foulent
aux pieds tous les contrats, tous les engagements, violent le
droit de propriété dans ce qu'il a de plus intime, le domicile
privé; se servent des outils à l'usage des voleurs pour pénétrer
dans des maisons privées et en expulser les propriétaires, font
au besoin appel à la force armée pour consommer ces attentats,
et applaudissent à toutes les théories qui détruisent la pro-
priété, que devient en effet ce droit primordial? Il va à la
dérive.
A la dérive la sûreté individuelle; à la dérive le plus vulgaire
sentiment de l'honneur et du respect des faibles ! Quand un
homme est massacré à cinquante pas de la force publique et que
celle-ci ne bouge pas, on n'est plus en pays civilisé. Mais quand
la force publique frappe un homme désarmé, qui proteste en
faveur du droit, quand elle fusille des femmes et des jeunes
filles, et que les gouvernants couvrent de leur protection et de
leurs applaudissements les assassins, dans ce paj'S-là, on est
au-dessous du sauvage. Or, ces choses se passent non pas en
France, mais en république. Demandez à Decaze ville, demandez
à Châteauvillain, et allez écouter Goblet et les bravos de sa
majorité. En tous cas, plus de sûreté, plus d'honneur, plus de
respect du faible. Tout cela à la dérive.
Et qui invoquer pour revendiquer cet honneur foulé aux
pieds et garantir la sûreté individuelle? Il y avait en France une
magistrature judiciaire respectée et respectable. Un jour, cette
magistrature s'est indignée des iniquités qui se commettaient au
nom de l'Etat, elle a voulu défendre les victimes. C'était trop
d'audace : elle a été brisée, on a cherché non plus des hommes
du devoir, mais des hommes de service, des valets, et on en a
trouvé. A la dérive le droit à la justice!
Les fonctionnaires de l'ordre administratif ont toujours été
plus ou moins les hommes-lif^^es du pouvoir. Mais pourtant on
A LA DÉRIVE 509
leur demandait une certaine dose d'honnêteté et de capacité
administrative. La République n'a pas besoin de ces vieilles
choses; elle ne pose qu'une question au candidat aux fonctions
les plus humbles comme aux plus élevées : Es-tu républicain?
Aussi, du haut en bas de l'échelle, il y a des actes arbitraires
couverts du nom d'administration; dans toutes les cases admi-
nistratives, et le nombre en est grand, il y a des mannequins
figuratifs coûteux, mais l'administration, elle est à la dérive.
La France avait une armée qui avait promené son drapeau
victorieux sur tous les grands chemins de l'Europe. Dans une
guerre d'amour-propre, imprudente et mal préparée, elle a
subi de sanglantes défaites. Cette armée vaincue était en train
de se refaire. Mais on comptait sans les politiciens de la répu-
blique. En vue de plaire à la démagogie, qui a ses raisons pour
ne pas aimer l'armée, ils s'attachent, par de prétendues
réformes, sinon à la détruire, du moins à rendre impossible
toute armée sérieuse. C'est une manière de préparer la revanche
qui ne déplaît pas à M. de Bismarck. L'armée cessera bientôt
d'être un corps discipliné pour devenir une cohue de passage.
Elle aussi, elle va à la dérive.
Les hôpitaux avaient à leur service une légion d'anges
descendue sur la terre sous la forme des sœurs de charité.
Avec la pœur, le pauvre malade voyait s'asseoir à son chevet le
dévouement en personne, les attentions délicates, la tendresse
et puis la vigilance infatigable pour son corps et son âme.
Le Christ dans la salle rappelait au mourant le principe du
dévouement de la sœur et à lui ses hautes espérances. On a
décroché le crucijîx, puis chassé les sœurs ; et on les a rem-
"placées par des mercenaires, qui s'occupent peu du corps, et
ont horreur de rappeler au malade qu'il a une âme. Trop
souvent les ordonnances du médecin passent par le gosier ou
dans la poche des infirmiers et infirmières. Et le malheureux
délaissé n'a pas même le droit de se plaindre. La charité, elle
est une inconnue dans ce monde-là. Et la bienfaisance, cette
'pauvre et chère bienfaisance, disait hier un journal peu suspect,
elle devient de plus en plus cabotine. La charité est inconnue
et la bienfaisance va à la dérive.
La guerre a déchiré la France et de plus lui a enlevé cinq
milliards. A une nation aussi éprouvée l'économie, l'économie
rigoureuse serait nécessaire. Eh bien non ! Depuis que la France,
sous l'étiquette de république, est tombée entre les mains de
510 ANNALES CATHOLIQUES
maltôtiers gueux qui ont besoin de s'enrichir et de doter leurs
smalas, un gouffre s'est ouvert qui ne se ferme plus. La répu-
blique emprunte, emprunte, emprunte toujours et sous toutes
les formes. Plusieurs milliards de dettes ont été faits en pleine
paix, sans qu'un prétexte sérieux puisse expliquer ces folles
dépenses. On crie de toutes parts : Casse-cou ! La république
glisse sur la planche savonnée qui conduit à la banqueroute.
A ces alarmes de Cassandre on répond par un nouvel emprunt
vingt fois couvert. C'est l'aveuglement dans la folie. La
situation fitiauciére de la France à la dérive.
Faut-il passer en revue l'agriculture, l'industrie, le cora
merce : où en sommes-nous? L'agriculture est aux abois; le
travail ne nourrit plus le fermier, et le paysan, que l'on s'efforce
de dégager des principes du Décalogue, commence à regarder
de ti'avers son propriétaire. L'industrie : elle succombe scus
les coups répétés de la surproduction, du chômage et de la
grève, et de plus, le patron est obligé de se défendre contre les
tentatives du vol, qui sont soutenues d'un bout de la France à
l'autre, comme le prouve la grève sans fin de Decazeville. Et le
commerce! Le commerce fait faillite et se meurt. Donc encore
le commerce à la dérive, l'agriculture à la dérive. Tout ce qui
fait la prospérité matérielle d'un pays, à la dérive.
Il n'y a donc plus rien sur cette épave flottante, rien pour
arrêter sa marche vers l'abirae? Rien. Mais je me trompe, il y
aies conservateurs. Les conservateurs sont les restes épars de
la France. Mais ils ne savent pas bien ce qu'ils sont, et si on
excepte un petit bataillon qui, sachant ce qu'il veut, combat
haut et ferme et sur toute la ligne, les autres, c'est-à-dire
l'immense majorité, se disputent sur les moyens à emplo^'er
pour sauver le navire, quand ils daignent s'en inquiéter. Le
plus souvent ils regardent et blâment les combattants, et quand
ils veulent bien, de temps à autre, faire un effort, ils vont
jusqu'à déposer dans une urne un nom qui ne cause pas trop
d'effroi à la république, et rentrent en repos. Malheureuse épave,
ce ne sont pas les conservateurs qui t'arracheront au gouffre,
tu peux aller à la dérive. Oui! à l'intérieur, tout à la dérive.
Et à l'extérieur, qu'en est-il? Je ne veux en donner qu'un
exemple :
Il y a quelques mois, un grave différend surgit entre une
grande nation protestante et l'Espagne catholique, relativement
faible. Les deux gouvernements s'entendent pour confier au
CONFIDENCES DE LAMENNAIS 511
Pape la solution du différend. Léon XIII prononce, les deux
puissances acceptent sa sentence arbitrale : causa finita est.
La Grèce et la Turquie se regardent de travers. Pour une
cause ou pour une autre, la diplomatie européenne ne veut pas
que la guerre éclate, et elle impose à la Grèce, qui est plus
faible, un désarmement humiliant. Ce petit pays jette un regard
sur la France, elle croit que la voix de la France compte encore
en Europe, elle lui demande de sauver la dignité de la Grèce
par' sa bienveillante intervention. M. de Freycinêt fait des
frais, la Grèce accepte son arbitrage. Mais les puissances
européennes se moquent de l'intervention de la république,
établissent le blocus des ports de la Grèce, et imposent à cette
nation minuscule la soumission pure et simple, dût cette humi-
liation intempestive provoquer une révolution. Evidemment ce
n'est pas seulement la Grèce qu'on voulait humilier, mais bien
la république française. Donc sa diplomatie et son influence au
dehors, comme tout le reste, à la dérive !
Il y a encore d'honnêtes gens qui prétendent qu'entre la répu-
blique et la France catholique, — car tout ce qui se fait est
avant tout et surtout dirigé contre la France catholique, — il
n'y a qu'un malentendu. Et on espère que ce malentendu, dispa-
raîtra... Ah oui ! sans doute... avec l'épave.
CONFIDENCES DE LAMENNAIS
(Suite et fin. — V. le numéro précédent.)
Ces lettres sont donc des confidences à côté, des confidences
par induction; les en dessus de confidences dont les en dessous
sont livrés à notre pénétration. Si j'osais, je proposerais le titre
suivant : « Correspondance do Lamennais avec un ami resté
catholique ».
La première lettre est du 4 mars 1821. Nous sommes encore
bien loin des jours d'orage. Et pourtant le très vif intérêt de
cette correspondance ne commence guère qu'après la révolution
de 1830. Lamennais, qui fut, dès le début, un indépendant, est
dés lors un factieux; mais ce n'est, — en attendant pire, —
que contre le gouvernement de Louis-Philippe, dont il brave
et subit les rigueurs. Ce tempérament révolutionnaire, ces
512 ANNALES CATHOLIQUES
instincts de malcontent quand même s'étaient déjà révélés
en 1828, lorsque parurent les ordonnances, signées Feutrier,
répressives ou restrictives de la liberté d'enseignement. J'étais
en rhétorique. Lamennais ne nous apparaissait, à mes cama-
rades et à moi, que sous les traits d'un fougueux ultramontain,
d'un royaliste passionné, auteur de V Essai sur Vindifférence^
écrivain du Conservateur et du Drapeau blanc. Le titre de
son nouvel ouvrage : Des progrès de la Révolution et de la
guerre contre VEglise, répondait parfaitement à cette idée d'un
ultra en religion et en politique. Quelle ne fut pas notre sur-
prise, quand nous vîmes, parmi les saints et les sages, dans les
rangs du clergé de Paris et des prêtres de Saint-Sulpice plus
d'anxiété que d'enthousiasme et qua,nd nous entendîmes les
libéraux à outrance se déclarer enchantés de ce pamphlet!
Dans les deux camps, on avait deviné juste; ici, le futur sec-
taire; là, le futur allié. Mgr de Quélen ne s'y méprit pas. Il
censura le livre, et c'est alors que le terrible jouteur, au lieu
de se taire et se soumettre, écrivit les deux lettres célèbres,
beaucoup plus voisines de Jean-Jacques Roussea^^ que de
Fénelon. La première commençait à peu prés ainsi (je n'ai pas
le texte sous les yeux) :
« Monseigneur, depuis que vous occupez un des premiers
sièges du monde chrétien, bien des livres ont paru, qui
outragent la religion, la royauté et la morale. Votre Grandeur
n'a pas cru devoir mettre les fidèles en garde contre ces mau-
vaises lectures. Un pauvre prêtre, frappé des dangers qui
menacent l'Eglise, a essayé d'avertir les catholiques; c'est lui
que vous avez choisi pour le dénoncer aux méfiances des amis
de la Religion et de la Monarchie, etc.. » — On le voit, la
mèche était sous la mine. Que fallait-il pour déterminer l'explo-
sion? Deux catastrophes qui se complétèrent l'une par l'autre;
la révolution de juillet, qui survint tout à point pour accélérer
les déviations de ce génie, ivre d'indépendance et de liberté,
trop prévenu pour comprendre qu'un aflaiblissement de l'auto-
rité et de l'esprit de respect ne pouvait pas être favorable aux
intérêts de l'Eglise; — et un conflit avec la cour de Rome; un
de ces conflits où, pour un homme tel que Lamennais, un sem-
blant d'obéissance n'est que le prélude d'une rébellion.
Ce qui acheva de tout perdre, ce fut la coïncidence fatale do
cette fausse soumission, de ces hésitations, de cette rupture,
avec un moment de vertige, de fièvre chaude et de délire, oii
CONFIDENCES DE LAMENNAIS 513
se mêlÔJ^ent les ardeurs du romantisme, les libertés de l'Eglise
saint-simonienne, la croisade contre le mariage, les velléités
républicaines, l'espoir et la volonté d'en finir avec tous les
jougs, toutes les gênes, tous les pouvoirs, tous les dogmes et
toutes les disciplines. Il suffit de relire les Lettres d'un voya-
geur, les articles de Sainte-Beuve et du malheureux Ler-
minier, le roman de Spiridion, pour se faire une idée de ce
moment unir[ue dans notre siècle. La passion dominait tout,
justifiait tout, remplaçait tout. Sous prétexte d'idéal, on dédai-
gnait la vérité. On avait trop de droits pour s'astreindre à des
devoirs, trop de philosophie pour être sage, trop d'héroïsme
pour être honnête homme, trop de vertu pour être honnête
femnîe. A ce Cénacle il fallait un saint; à cet Evangile il
fallait un apôtre ; à cette chapelle il fallait un aumônier. Juste-
ment, l'abbé de Lamennais tombait du ciel (hélas ! dans le plus
douloureux de tous les sens). On s'empara de lui, on l'accapara,
on le grisa d'encens, on le couvrit de fleurs.
Ces néo-chrétiens, mi-partie de Judée et de Bohême, disciples
de la fantaisie, de l'amour libre et du hasard, ne lui laissèrent
pas le temps de respirer, de réfléchir, de se reconnaître. Ils le
félicitèrent d'avoir le goût du schisme, avant qu'il en eût le
courage ; d'avoir brûlé ses vaisseaux lorsqu'il n'avait encore
avarié que sa chaloupe. Ce fut comme une ronde du Sabbat,
tournoyant autour de ce prêtre, l'étourdissant de ses bruyantes
spirales. Il chancelait; l'étourdissement le fit choir; à peu prés
comme ces danseurs novices qui perdent pied au milieu du
tourbillonnement des valseurs. Le désenchantement ne se fit
pas attendre. Bien peu de temps après, le vide commença à se
faire autour de lui. Le maître de la Chênaie eut à se demander
s'il avait gagné ou perdu en échangeant l'abbé Lacordaire
contre M. Pierre Leroux, Montalembert contre Charles Didier,
et Sœur Rosalie contre M'°' Sand.
Ces souvenirs me mèneraient trop loin. Revenons bien vite à
ces précieuses lettres, publiées par M. de la Villerabel, avec
une introduction et des commentaires qui en augmentent
encore le prix. Deux notes attirent l'attention du lecteur
Tune délicieuse, l'autre insensée.
Le grand écrivain reparaît avec un charme inexprimable
chaque fois que son imagination, assombrie par l'impossibilité
de se fixer le ramène au pays natal, à la Chênaie, à Mordreuc
vers cet horizon dont jadis les lueurs, au couchant, se confon
514 ANNALES CATHOLIQUES
daient pour lui avec d'autres clartés. Singulier contraste !
Cette sensibilité, qu'avaient laissée intacte ses violences, ses
révoltes et ses colères, il l'aurait dissimulée, comme une fai-
blesse et une honte, à ses nouveaux amis, dont les opinions
semblait-il, s'accordaient avec les siennes; et il ne craignait
pas de la faire voir à M. Marion, dont il se savait désormais
séparé par un abîme! J'ai dit un mot des vieux arbres que l'on
songeait à abattre, parce qu'ils dépérissaient. Voici la sup-
plique de l'absent :
« Quoique je ne doive jamais, selon toute apparence, revoir
la Chênaie, j'y tiens toujours par mes souvenirs, et je n'ai pu
me représenter ce joli coteau, si soigné par moi, dépouillé de
sa parure, nu en partie, sans en éprouver une vive peine.
Qu'est-ce qu'un peu d'argent prés de cela? C'est ce que je me
suis dit. J'erre encore, en imagination, sous ces arbres dans la
sève desquels coule ma vieille vie. Eux partis, il me semble
que je resterais seul en ce monde. D'autres les abattront, je le
sais bien, mais alors je ne sei-ai plus. Je demande donc giàce
pour ces pauvres arbres : leur caducité ne ressemble que trop
à la mienne, et ceux qui m'ont vu naître, je ne veux pas les
voir mourir. » (31 décembre 1844.)
Quel stjle ! Quelle sobriété ! Comme tous les mots portent !
Comme c'est plus pénétrant que la mélancolie, toujours un peu
théâtrale, de M. de Chateaubriand ! Et remarquez un détail qui
a son importance. Cette lettre est du 31 décembre 1844.
Lamennais a soixante-deux ans. 11 y en a dix qu'il n'est plus
chrétien : or, tout ce qu'il a écrit pour le public pendant cette
phase lamentable, tout ce qui témoigne de son ardeur à brûler
ce qu'il avait adoré est pitoyable, même au point de vue
purement littéraire. Le déclin, — disons le mot, — le rabâ-
chage s'y accuse et s'y aggrave d'année en année.
Son livre intitulé Amschaspands et Darvands, publié en
1843, est un tissu d'extravagances sans poésie, sans esprit,
sans agrément d'aucune sorte. C'est à propos des Affaires de
Rome, que Sainte-Beuve éciivait à ses amis de Lausanne :
«L'injure y est crasseuse ». Le Livre du peuple, V Esclavage
moderne, VÉvangile du, peuple, sont illisibles ; Lamennais
journaliste révolutionnaire, démagogue, socialiste, collabo-
rateur de George Sand, de Louis Blanc et de RibeyroUes, a
éparpillé dans le Monde (ne pas confondi-e), dans le Peuple
constituant, dans la Réforme, des articles dont pas une page
CONFIDENCES DE LAMENNAIS 515
n'a mérité de survivre. Les Paroles d'un croyant elles-mêmes,
dont le succès produisit l'effet de l'explosion d'une chaudière,
semblent aujourd'hui plus vieillies que la prose poétique des
Martyrs.
Dans tous ces écrits, le défaut absolu de proportion et de
mesure, qui déparait déjà les ouvrages de la première manière,
prend des dimensions extraordinaires. L'idée fixe se change en
hallucination ; le penchant devient une manie, la manie devient
un tic. Pour cette imagination maladive, poussée au noir,
consumée par un perpétuel accès de fièvre, tout grossit et
s'exagère dans le sens le plus pessimiste. L'objection est une
insulte, la contradiction est un outrage, la modération est un
crime, la richesse est un vol, l'autorité est une oppression,
l'adversaire est un scélérat. Le monde est peuplé d'ennemis, de
conspirateurs masqués, de sicaires invisibles, acharnés à la
perte du prêtre, qui s'est défroqué par amour de l'humanité.
L'iniquité couvre la face de la terre, des histoires de bandits
couronnés, d'assassins revêtus de pourpre, de prévaricateurs
armoiries, s'écrivent en marge de l'Apocalypse.
Pathmos charge MM. Armand Marrast et Jules Favre de
moraliser Babjlone, Ce ne sont partout que ferments de haine,
sujets de méfiance, motifs de représailles, revendications viru-
lentes, pièges, trahisons, embûches, guet-apens,' coupe-gorge,
écrasement des faibles par les forts, des pauvres par les
riches, des petits par les grands, vaste conspiration enlaçant
comme un réseau les travailleurs au profit des jouisseurs. Cet
homme de génie, qui a plané sur les cimes avec Dante et
Bossuet, adopte et répète ce que dirait un tribun d'estaminet,
ce qu'écrirait un journaliste de cabaret.
Eh bien! il lui suffit de correspondre avec M. Marion, ce
breton, ce chrétien de la vieille roche, pour retrouver les
accents attendris, afi'ectueux, doux, mélancoliques, d'un temps
plus heureux. Il redevient presque le Lamennais d'autrefois,
non pas, hélas! de fait, non pas même d'intention, mais par
la magie des regrets, par le mirage des souvenirs. Si enraciné
qu'il soit dans son incrédulité et son irapénitence, il ne peut
pas faire que ces arbres qui l'ont vu naître, et pour lesquels
il demande grâce, ne l'aient pas vu aussi, en soutane, s'age-
nouiller, prier et bénir.
Il ne peut pas faire que chaque paysage, chaque buisson,
chaque rocher, chaque ruisseau de son pays, ne soit pas
5X6 ANNALES CA.TH0L1QUES
associé, dans sa mémoire, à une scène de sa vie cléricale,
à un épisode du temps ou de pieux et admirables jeunes gens
entouraient avec amour l'abbé Féli, recueillaient ses leçons,
écoutaient avidement sa parole, s'inspiraient de sa foi et de
son génie, et peut-être, à son insu, lui préparaient des média-
teurs auprès de la miséricorde divine. C'est pour cela que ces
images le hantaient, c'est pour cela qu'il ne voulait pas revenir
à la Chênaie. Etait-ce seulement de peur d'être, pour ces popu-
lations catholiques, un sujet de scandale? N'était-ce pas aussi
une vague appréhension, la crainte que le passé ne le ressaisît,
ou du moins ne reprît sur lui trop d'empire? Le doute seul CiSt
un hommage au Dieu qu'il avait renié. Aussi ne saurait-on
assez remercier M. de la Villerabel d'avoir publié ces lettres.
La note insensée, — vous l'avez déjà deviné, — c'est l'achar-
nement furieux de Lamennais contre le Roi, les Chambres, les
ministres, la bourgeoisie, la société, de 1835 à 1848. Un puri-
tain, pessimiste et misanthrope, qui viendrait aujourd'hui à
Paris pour la première fois, qui s'arrêterait suffoqué devant
d'immondes étalages, qui assisterait au triomphe de tous les
genres de prostitution, de pornographie et d'obscénité, que l'on
mettrait au courant de toutes les ignominies républicaines,
des complaisances du pouvoir pour le vice et pour le crime,
des faits et gestes de nos députés et de notre Conseil municipal,
de l'abaissement du pays vis-à-vis les puissances étrangères,
des rapports du ministre de la guerre avec l'armée, de ce
cloaque infecte qu'on appelle, par habitude, le gouvernement,
ne parlerait pas de la France de 1886, de MM. Goblet, Lockroy,
Boulanger, Camélinat, Baslj et Brialou, comme Lamennais
parle de la France, de MM. Mole, Guizot et Duchâtel. Jugez-en
par quelques échantillons : « Jamais on ne vit tant de cor-
ruption et d'impudence dans la corruption, » — « Les plus
infâmes époques de la France étaient glorieuses auprès de
celle-ci. » — « L'armée est désorganisée au-delà de tout ce
que l'on peut dire, l'artillerie détruite, la cavalerie à pied.
Nous ne serions pas en état de soutenir une guerre contre
la Prusse; la trahison est effrayante... » — « On ne se figure
pas en quel mépris la Chambre est tombée. C'est, en vérité,
une complète dissolution sociale. La France pourrit sur un
fumier. Nul ne peut dire combien de temps durera la dégoû-
tante agonie de ce demi-cadavre étendu dans la boue dont
il se gorge et qui l'étouffé. » — « Je ne sais ce qu'il y a dans
LA JEUNK ITALIK, LA «VIEILLE PAPAUTÉ 517
l'air; mais on n'entend parler que de malheurs, de crimes
atroces et de suicides (1838). — La loi s'est faite la protectrice
de l'infamie... » — « L'effrénée corruption qui gangrène rapi-
dement le pays, et dont le pouvoir s'est fait le principal moyen
de gouvernement... » — « L'avilissement de la France au
dehors, sa position prosternée aux pieds des puissances du
Nord, et ses intérêts sacrifiés aux intérêts d'une dynastie
aussi lâche à l'extérieur qu'oppressive au-dedans. » — « Le
ministère (Mole) se traîne à quatre pattes dans la boue. Jamais
on ne porta plus loin le courage de la bassesse. » — « Il a suffi
de l'haleine empestée d'un seul homme (Louis-Philippe), pour
empoisonner trente millions de Français... etc., etc., etc. »
— Toute cette partie de la correspondance est du même ton.
Voyez pourtant la différence entre la vérité divine, et la
vérité humaine ! La religion de Lamennais ne serait pas plus
vraie aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a cinquante ans; et,
pour que sa politique fût d'une vérité absolue, il suffirait
de dater de 1886 ce qu'il date de 1838.
Armand de Pontmartin.
LA JEUNE ITALIE, LA VIEILLE PAPAUTÉ
La Civillà Cattolica trace un parallèle saisissant entre
la jeune Italie et la vieille Papauté :
Pendant que la nouvelle Italie entraînée par ses méthodes
absurdes s'obstinait à faire entrer dans la tête de ses habi-
tants les doctrines allemandes, Léon XIII proposait à tous les
catholiques, par son encyclique ^ternis Patris, comme maître
de la philosophie italienne et catholique, le grand docteur de
l'Eglise saint Thomas d'Aquin et, fait sans précédent?, il ouvrait
à l'étude les archives du Vatican, donnant ainsi une nouvelle
impulsion aux recherches historiques, il encourageait les études
des sciences naturelles et, malgré sa pauvreté, honorait et
secourait les savants et fondait des écoles. Les applaudisse-
ments par lesquels l'Europe a reçu ces premiers actes en Italie
et à Rome ont fait comprendre comment la Papauté conserve,
sans cesse, le patronat de la science auquel les sociétés chré-
518 ANNALES CATHOLIQUES
tiennes doivent leur supériorité intellectuelle sur les autres
nations. '
En attendant, la Franc-Maçonnerie s'emparait partout des
choses publiques et continuait dans tous les Etats civilisés, sa
guerre à mort contre le christianisme. Elle continuait ses
usurpations particulièrement à Rome, et le Pontife invincible
fulminait la secte pur son encyclique Hutnanurn genus, et du
fond de sa prison protestait hautement en repoussant toute
concession trompeuse, et redemandait les droits du Saint-
Siège.
Que ne donnerait pas l'Italie libérale, non reconnue par les
puissances, si ce n'est qu'en tant qu'un fait sans droit, pour que
cette voix qui fait toujours renaître la question romaine fût
rendue silencieuse! Elle sent que la Papauté vit; elle ne vit
pas seulement, mais pendant que l'Italie est en décadence, elle,
lorsqu'on s'y attend le moins, revient aux fastes les plus
glorieux de son existence.
Qui se serait attendu dans notre siècle à un arbitrage du
Pape entre deux puissances? Qui aurait songé à le voir proposé
par une puissance protestante ? Et qui, enfin, espérait voir con-
sidérer cet arbitrage comme une chose très rationnelle, par les
protestants, vu la dignité de Pontife et de Souverain du Pape
et vu ses qualités personnelles? Combien l'Italie n'était-elle pas
fière lorsqu'on a soumis à un de ses jurisconsultes un arbitrage
sur VAlabarna. Maintenant que la voici bien établie à Rome,
combien n'a pas an être douloureux pour elle ce fait de voir
demander un médiateur non pas à Montecitorio, mais au
Vatican? Mais que faire? Supposons que l'on ait voulu suffoquer
ces éclairs de la majesté du Pontife qui illuminent les hontes
de son adversaire humilié. Mais les triomphes venaient l'un
après l'autre.
Pendant que la diplomatie italienne subissait toutes les
humiliations, le Pape Léon XIII recevait l'Angleterre désireuse
de renouer avec le Saint-Siège des relations rompues depuis
trois siècles, il aplaniss.nit les difficultés surgies depuis plu-
sieurs lustres en Suisse, il rétablissait la Nonciature en Bel-
gique, commencjait des relations officielles avec la Chine, et,
enfin, ouvrait les négociations qui devaient conduire, non à
Canossa, mais à Rome, le Chancelier de fer, le plus grand des
politiques de nos jours et l'amener à rendre aux catholiques
d'Allemagne une paix que l'on n'osait espérer.
COMME QUOI ON DESCEND l'eSCALIER ROUGE 519
Nous n avons pas pour but de représenter dans toute sa
grandeur la figure majestueuse de Léon XÎII, ni d'exposer la
vigueur niagniâque déployée sous son règne par la Papauté.
L'esquisse que nous venons d'en tracer est plus que suffisante
pour servir à notre démonstration. Nous nous étions proposé
tout simplement de réunir en un seul tableau deux faits, l'un
avoué par ses propres auteurs, l'autre évident à tous ceux qui
voient. Le premier, c'est la désorganisation de la nouvelle
Italie antipapale; l'autre, la glorieuse vitalité de cette ins-
titution de la Papauté.
Ce double spectacle servira, peut-être, à désillusionner ceux
qui peuvent être dans la bonne foi, et certainement il donnera
un courage nouveau aux catholiques fidèles sans restriction
aucune, au Vicaire de Jésus-Christ. Si la faction dominante se
nourrissait d'un véritable amour de la patrie, si elle n'était pas
animée d'une aversion satanique contre le Christ et son Église,
ce double fait, qu'elle ne connaît que trop, l'aurait déjà con-
duite à sortir de la voie mauvaise pour travailler à la restaura-
tion d'une Italie unie, mais sur les principes de la morale évan-
gélique. La Franc-Maçonnerie, maîtresse du sort de l'Italie, la
jettera plutôt dans les bras du nihilisme que de la donner au
Christ. Continuera-t-on ainsi? Nous espérons que non. En tous
les cas, une chose est hors de doute, la Papauté n'a pas besoin,
et elle n'a pas peur de la nouvelle Italie, et la vraie Italie n'a
d'autre espoir de salut que dans la Papauté.
COMME QUOI ON DESCEND L'ESCALIER ROUGE
En vérité, je vous le dis, nous descendons l'escalier rouge.
Voyez, la même persécution contre la religion, la même haine
contre toute supériorité.
En même temps que dans les clubs, et en plein Conseil mu-
nicipal de Paris, on parle de piller la Banque, de confisquer les
propriétés, ceux qui, encore pour quelque temps moins « avan-
cés », plus timides, sont censés gouverner nos finances, ne nous
mènfent-ils pas à la ruine, aux assignats, à la banqueroute?
Dans un ordre du iour, à propos de la grève de Decazeville,
n'a-t-on pas vu le... Gouvernement promettre « de veiller aux
38
520 ANNALES CATHOLIQUES
intérêts de l'Etat et à ceux des travailleurs, » n'oser même pas
proposer à la Chambre, qui, d'ailleurs, l'aurait repoussé, d'ajou-
ter à cette promesse celle de faire respecter les intérêts de la
propriété ?
N'oublions pas que ce mot de travailleurs a été employé pour
la première fois à propos des assassins soldés en 1792, lors du
massacre des prisonniers. Peut-être doit-on s'étonner de ne pas
voir encore les assassins des otages et les incendiaires de Paris,
aujourd'hui glorifiés, réclamer leur salaire, mais ça viendra.
Et dans cet assaut de lâcheté, n'a-t-on pas vu un général,
ministre do la guerre, remporter la palme de la couardise ?
Ce malheureux M. Boulanger, enivré des plus folles espé-
rances, ne comprenant pas quelle piètre position il aura dans
l'armée, et parmi les autres généraux, ses anciens, lorsque
demain ou après demain il sera tombé du ministère, ce malheu-
reux M. Boulanger a-t-il fait autre chose, en s'élevant contre
la « noblesse » dans l'armée, qu'imiter servilement les hommes
de 1792 ?
Et ce Conseil municipal votant un encouragement de dix
mille francs pour les grévistes de Decazeville, ne rappelle-t-il
pas l'enthousiasme pour les Suisses insurgés de Chateauvieux,
et est-il impossible que nous voyions prochainement une fête
où on promène en triomphe les assassins de l'ingénieur Watrin?
— après avoir alloué, comme en septembre 1792, vingt-quatre
livres à chacun des « travailleurs » auxquels Billaud Varennes,
pendant le « travail » criait : « Peuple, tu immoles tes ennemis,
tu fais ton devoir ! v après quoi, sur la demande de leur chef.
Maillard, il fait donner vingt-quatre pintes de vin à ces
« braves travailleurs. »
En cotte Chambre ne chassant pas avec des huées un député
qui ose approuver cet assassinat et l'appeler une exécidlon, ne
réveille-t-elle pas le souvenir de l'approbation que rencontre
ce député qui, en 1792, appela, en pleine Assemblée, les mas-
sacres des prisons « des moyens rigoureux, » et tandis que le
« citoyen Tanche » appelait ces malheurs « les accidents sur-
venus aux Carmes » et l'élégant Barrére, à propos des atrocités
commises par Joseph Lebon, le blâmait « d'avoir eu des formes
un peu acerbes? »
Et ce cabaretier Basly, prenant le rôle du cabaretier San-
COMME QUOI ON DESCEND l'eSCALIER ROUGE 521
teri'e, comme sur les théâtres de province des histrions subal-
ternes jouent les Elleviou et le^ Martin; allant au milieu des
malheureux ouvriers de Decazeville, les poussant à une résis-
tance qui ne peut avoir de résultat pour eux et leur famille que
la misère et la faim !
Et son compère Came'linat qui vient ânonner à la Chambre
des députés un papier écrit qu'on lui a rédigé ! ces « amis du
peuple » n'essajent-ils pas déjouer les Marat?
Et quand j'entends le cabaretier Baslj, le je ne sais quoi
Camélinat et leurs acoljtes les journalistes, prétendre qu'ils
n'ont fait que prêcher la modération, je me rappelle le modèle
Marat disant en pleine Assemblée : « Je ne viens point ici jeter
une pomme de discorde; ou sait quo si j'ai parcouru les
sociétés populaires, c'est pour leur prêcher la modération et
l'obéissance aux lois. »
Les Génois ont un proverbe à propos de leur belle église de
marbre noir et de marbre blanc et d'une petite rue étroite qui
y conduit; « La via del Filo, disent-ils, va toujours à San
Lorenzo. »
La même folie, la même lâcheté mènent toujours aux mêmes
désastres.
Comme le Petit Poucet, ramenant ses frères à la maison en
retrouvant les petits cailloux blancs qu'il a semés sur la route,
je m'efforce de retrouver et de signaler les cailloux... rouges
qui marquent les traces de la Révolution de 1792 et de la
Terreur.
Les plus violents l'emporteront toujours sur les autres,
toujours la Montagne guillotinera les Girondins.
Je vous le dis en vérité, nous descendons l'escalier rouge, et
nous eu avons déjcà descendu plusieurs degrés ; il est bien temps,
il n'est que temps de se mettre en défense. N'attendons pas
d'être désarmés, enchaînés et « ligotés » pour essayer de
résister :
A moins que, de même que le mode des hauts chignons, des
souliers pointus et des vertugadins, vous ne soyez résignés à
voir revenir la mode qui, en 1792-1793 consistait à attendre la
mort et à la subir avec bonne grâce, élégance et même une
certaine gaieté de bon goût.
522 ANNALES CATHOLIQUES
Si VOUS êtes décidés à attendre et à accepter cette mode, je
n'ai plus rien à dire.
J'ajouterai seulement que, depuis que je parle, nous avons
encore descendu quelques marches de l'escalier rouge.
Alphonse Karr.
LE SOCIALlSxME ITALIEN
SES ORIGINES ET SES AFFINITÉS POLITIQUES
En présence du progrés toujours croissant que le socialisme
fait en Europe, l'attention publique se réveille ; bien des esprits,
jusqu'aujourd'hui indifférents ou aveugles, cherchent avec
effroi les causes de ce mal intime qui ronge notre société
moderne et dont de récentes et criminelles manifestations
semblent nous promettre un si funeste avenir. On en parle à
toute occasion ; les journaux en discourent dans leurs colonnes ;
c'est la question à l'ordre du jour. Mais la conclusion dépend
naturellement du point de vue où l'on se place. Pour nous,
catholiques, qui savons que nous pouvons sûrement et juste-
ment juger des choses en nous mettant au point de vue supérieur
de la foi, c'est-à-dire de la vérité souveraine dont dépend toute
autre vérité, la solution au problème social qui se pose devant
nous n'est pas difficile à trouver. Voici à ce propos, le résumé
très succinct d'un article de la Civiltà caitolica, oii la savante
revue, ètudisint le socialisme en Italie, nous offre des réllexions
d'autant plus dignes de notre attention qu'elles s'appliquent
avec autant de justesse à l'Europe entière qu'à la péninsule
italienne.
Après avoir rappelé les différentes grèves qui ont éclaté
naguère en Angleterre, en France, en Belgique, en Italie, la
Civiltà continue :
Ce qui nous étonne, ce n'est pas tant l'explosion de ces grèves,
mais c'est Tétonnement même de cette partie des classes dites diri-
geantes, qui se compose de gros bourgeois, de propriétaires, de
commerçants, de banquiers, de patrons d'ateliers, lesquels ne savent
comprendre que, chez vous en particulier, le prétendu nationalisme
libéral, ait si rapidement engendré le socialisme, et un socialisme si
bien organisé et discipliné, surtout dans les campagnes.
LE SOCIALISME ITALIEN 523
Il faut être volontairement aveugle pour ne pas voir le lien
qui unit le nationalisme révolutionnaire que le libéralisme a
caressé par intérêt avec le socialisme qu'il déteste également
par intérêt.
On vous a prouvé mille fois, ô Italiens, que tous deux ont la
même origine de principes et de faits, qu'ils se servent des mêmes
moyens pour arriver à leurs fins et tnème que l'un doit èlre néces-
sairement le moyen de l'aiilrc. Toutes ces négations du droit qui
vous ont conduils à la révolulion politico-religieuse contre l'aulo-
rité légitime, doivent nécessairement conduire le peuple à la
révolulion politico-sociale contre la légitime propriété, ('es deux
choses reposent en effet sur une même base et il est impossible
de renverser le principe de l'autorité sans renverser celui de la
propriété Vous avez copié en Italie la Révolution française,
cl vous vous étonnez d'en voir se retourner contre vous les
conséquences logiques.
C'est, d'ailleurs, ce que disait naguère en propres termes,
Y liJ g alite, journal socialiste des plus modelés : « Nous suivrons,
« dirait-il, l'exemple que vous donna, au siècle dernier, le
« Tiers-Etat, c'est-à-dire la bourgeoisie. Nous nous empare-
« rons d'abord du pouvoir, puis de la propriété. »
Mais tout en admettant que le socialisme naisse du libéra-
lisme comme de son principe, comment se fait-il, dira-t-on,
qu'il ait pris si vite en Italie de si formidables [jropoitions'/ On
comprend son extension en France qui jouit, depuis bientôt un
siècle d'une liberté nouvelle ; mais en Italie, à peine compte-t-on
cinq lustres de rédemption politique !...
Si la Révolulion a mis un siècle à asservir la France, il faut se
ra[)peler qu'elle a eu bien des entraves à renverser ; elle a été
soumise à la dictature napoléonienne et elle îi subi de longues
guerres qui ont arrêté son essor dans l'intérieur du pays. Mais en
Itnlie, l'œuvre corruptrice du nationalisme libéral n'a rencontré
aucun obstacle; elle a même été favorisée de toute façon par le
gouvernement qui l'a dirigée lui-même.
Témoin l'accord persévérant que cette Révolution affublée
du manteau lojal ne cessa d'entretenir dan^s les sectes maçon-
niques et l'appui qu'elle ne dédaigna pas recevoir des déma-
gogues les plus dévergondés, comme l'ont montré les exploits
de Garibaldi et de ses brigands.
A,i()ut)ns à cela la nouvelle Morale et le nouveau Droit cano-
nisés par un gouvernement qui, pour y conformer sa politique,
524 ANNALES CATHOLIQUES
dut se déclarer athée et antichvétien. Puis la licence d'une presstr
qui ne se nourrissait que de mensonges, de blasiDhcmes, de scan-
dales et du mépris de ce qu'il y a de plus saint au ciel et sur la
terre. Après cela, l'exemple solennel de socialismo que donne au
peuple le gouvernement en décrétant que les biens de l'Église
étaient biens d'État, et violant ainsi un droit de propriété qui, par
son caractère de sainteté même, était considéré universellement
par le peuple comme plus inviolable Enfin, pour ne rien dire
d'autre, remarquons qu'à mesure que le gouvernement, au moyen
de la corruption légale^ enlevait Dieu au peuple, et lui ai^rachait
aussi d'autre part, par des impôts exorbitants, le morceau de
pain auquel il avait droit.
Que les classes dirigeantes viennent s'étonner après cela de
la diifusion et de l'explosion formidable des idées socialistes!
Si l'on veut maintenant pénétrer plus avant et voir de plus
près quelles sont les trois causes qui donnent le plus de
vigueur et d'audace au socialisme, nous les trouvons dans la
misère, Vartifice des sectes et Yirréligiosité des e'coles.
La misère, mais partout le regard en rencontre l'horrible tableau
dans les villes et dans les campagnes, et partout on en accuse le
gouvernement. Les dépenses excessives de l'Etat, dit le comte
d'Arcû (1), se répercutant dans l'excès des impôts, mettent les
propriétaires dans l'impossibilité de satisfaire aux plaintes en
partie justes des ouvriers et préparent la révolte dans plusieurs
provinces du royaume.
Cet excès d'impôts que le sénateur Jacini appelle spoliaieu7^s,
que le député Luzzati qualifie de sauvages, que le député
Sandino-Sjdnej, nomme la négation du Pater noster, entre-
rait, d'après la Civiltà, pour 3/5 dans les causes du socialisme
actuel en Italie.
Et de fait, sans parler des quatorze millions que le gouvernement
prélève rien que sur le pain du pauvre peuple, en les volant aux
œuvres pies, n'est-ce pas un spectacle unique que ces 80,000 petits
propriétaires expropriés de leurs biens-fonds parce qu'ils ne savent
pas payer les quelques lire d'impôt qu'on leur réclame? Vraiment,
l'Italie, grâce aux spoliations fiscales, devient, pour la majeure partie
de ses habitants, une nation de mendiants, de misérables, d'affamés;
et on a le frisson en pensant à ce que nous réserve l'avenir quand
on aura éteint les restes de religion qui durent encore dans le cœur
d'un grand nombre; quand aura grandi cette génération qu'on
(1) Actes officiels, p. 12,749.
I
LE SOCIALISME ITALIEN 525
essaye d'élever sans foi et sans Dieu, c'est-à-dire sans le frein salu-
taire qui arrête les passions et les fureurs les plus bestiales.
La Clviltà cite à l'appui de ces réflexions, une lettre du
comte Ignace Lana, qui nous dépeint sous de tristes couleurs la
situation économique du Lombardo-Vénitien. Dans cette région
tout est imposé par l'État, la province et la commune ; les
biens-fonds, le sucre, les spiritueux, le sel, le tabac, le vin, la
viande, le pain et jusqu'à la quinine, comme pour empêcher les
pauvres ouvriers qui travaillent dans les rizières de combattre
les fièvres malignes qu'ils y contractent. Vraiment, il ne manque
plus qu'un impôt sur l'air qu'on respire; mais personne ne nous
assure qu'il n'arrivera pas bientôt. Et notons qu'on peut en
dire autant ou à peu prés des diverses provinces du roj'aume.
Voilà la belle unité qui est sortie du nationalisme, auquel on
a sacrifié tant de droits divins et humains. Ce n'est ni l'unité
des esprits, ni l'unité des cœurs, ni l'unité des langues (car
jamais ou a été en présence d'une pareille Babel), mais c'est
l'unité de la misère, qui nous conduit à celle de l'anarchie.
Au désespoir de la faim, si ou ajoute tous les nouveaux besoins
artificiels : le tabac, les spiritueux, les jeux, les plaisirs qu'on a fait
contracter au peuple, on comprend qu'avec cela et les idées de
liberté effrénée qui ont envahi toutes les têtes, les agitateurs et les
sectaires aient trouvé assez do matières inflammables, pour exciter
les incendies dès longtemps prémédités.
Le pauvre peuple est toujours, dans les révolutions, l'instrument
aveugle, mais très utile, des ambitieux et des brouillons. Le nationa-
lisme libéral s'est servi du peuple, et même c'est au nom du peuple
et de ses droits qu'il a prétendu s'emparer de toute l'Italie. Arrivé à
son but, il a procuré au peuple le bonheur dont celui-ci jouit, en lui
rongeant les os pour rendre millionnaires des vampires, ses favoris,
eelon l'expression d'un député à la Chambre de Montecitorio. Main-
tenant le peuple est attiré, séduit et poussé contre le nationalisme
par les coryphées des sectes radicales, qui aspirent à supplanter les
repus pour se substituer à eux avec leur socialisme et s'engraisser â
leur tour. Et le peuple, toujours semblable â lui-même, les suit
d'autant plus volontiers qu'il lui paraît impossible que le socialisme
des radicaux le trompe et l'exploite plus que ne l'a fait le nationa-
lisme des libéraux.
Et comment s'est faite et se fait encore cette propagande? Avec les
moyens ordinaires aux sectaires ; les écrits et les journaux qui atti-
sent les plus mauvaises passions, les proclamations et les adresses,
les enrôlements habiles et incessants qui réunissent en groupe d'aveu-
526 ANNALES CATHOLIQUES
gles adeptes, lesquels sont ensuite laissés sous la main d'un chef
occulte qui dirige la trame. Or, dans les proclamations qui se sont
trouvées amoncelées dernièrement au banc des assises de Venise, on
lisait des phrases comme celle-ci : « Ouvriers, réjouissez-vous, nos
ennemis sont remplis de crainte. Le règne de riniustice est désor-
mais fini; c'est maintenant que va commencer l'égalité complète, la
liberté. Le gouvernement de la monarchie chancelle et s'en va; il va
faire place au gouvernement du peuple. »
Voilà quel a été le langage de tous les fauteurs d'agitations
socialistes qui se sont répandus dans les campagnes de Mantoue,
de Milan, de la Lombardie, de Naples et de Rome. A la suite de
ces provocation?, on a vu se soulever dans ces régions des
masses de pa^-sans, travaillés depuis longtemps par les agents
de chefs suprêmes et secrets, dont les ordres sont absolus et qui
les expédient on ne sait d'oii.
Et nos libéraux des classes dirigeantes, craignant maintenant pour
leur bourse, se battent les flancs et se demandent avec étonnement
comment a jailli un mouvement pareil de socialisme dans la terre si
douce et si policée de l'Italie. Qu'ils aillent en chercher la raison
dans la liberté, si applaudie par eux, de la presse et des associations.
Pour eux, il y avait danger et même grand dommage à permettre les
associations de religieux et de religieuses; voilà pourquoi ils les ont
dissoutes, après en avoir dévoré les biens. Aux communautés reli-
gieuses se sont substituées, sous l'égide du nationalisme, les sectes
protéiforraes des socialistes, et c'est seulement maintenant qu'on
s'aperçoit qu'on a nourri un serpent dans son sein.
La troisième cause des progrès de la Révolution est bien
plus grave encore que les deux précédentes. On doit la voir
dans le zèle infernal que les socialistes, soutenus par le gou-
vernement avec ses lois et sa politique, ont déployé pour
arracher au peuple la religion.
Pour ne point parler d'autre chose, considérons les écoles pri-
maires, celles qui ne reçoivent que les enfants du peuple et qui sont
maintenant obligatoires de par la loi. Déjà tout enseignement reli-
gieux est banni du plus grand nombre d'entre elles. La morale
y est enseignée selon des règles et par des maîtres qui sont loin
de rassurer les gens honnêtes et chrétiens. L'éducation préten-
dument nationale, si exaltée par le libéralisme, tend à devenir
partout une perversion brutale. Le député Rosano l'a bien prouvé,
il y a trois ans, à la Chambre, lorsque, exhibant les statistiques
criminelles du royaume, il prouva clairement que plus se multiplient
les écoles, plus aussi croissent les délits des mineurs de quatorze
LA JUSTICE CRIMINELLE EN 1884 527
à vingt et un an, élevés dans ces écoles. La dernière statistique qu'il
put citer, celle de 1880, présentait l'horrible chiffre de 22,527 mineurs
jugés par les tribunaux. C'est une augmentation do plu^ d'un tiers
sur le chiffre de 1875-1870. Et il ajoutait que pour 1881 et 1SS2
ce total s'était démesurément accru.
Passant des élèves aux maîtres, le susdit député les jugeait,
en général, ou incapables, ou ennemis de l'Etat. Ruggero
Bonghi renchérissant encore, ajoutait : « Il nous faut une
« enquête pour trouver le remède au mal qui nous envahit,
« car si nous avançons encore quelques années ainsi, à l'aveugle,
« nous trouverons notre pays, non pas plus instruit, mais plus
« corrompu, parce que les maîtres deviennent chaque jour
« moins capables d'exercer une bonne influence sur les popu-
« lations. »
Or, l'athéisme enseigné dans les écoles, qui l'ignore? c'est la reli-
gion du socialisme. Le système religieux qui paît de ce principe
négatif, Dieu n'est pas, aboutit à ce principe positif du système
moral qui lui correspond : La propriété est un vol. De là tout le reste
s'en suit. Comme le dit très bien le député OJescalchi, à la Chambre,
le 11 mars de l'an passé : le socialisme révolutionnaire dans sa der-
nière et plus répandue formule en Italie et en Espagne, est positive-
ment athée... il affirme l'anarchie ; ses adeptes travaillent à la
destruction générale par le pétrole et par la dynamite, rêvant à la
suite une reconstruction encore inconnue.
Voilà, bien démontré, comment l'école liiïcisée par le natio-
nalisme libéral, prépare, mémo dans les campagnes, le peuple
auquel elle enlève Dieu, à chercher un soulagement à ses
misères dans les bras des sectes socialistes.
Nous verrons dans un prochain article, s'il reste quelque
remède à un si déplorable fléau. J. M.
LA JUSTICE CRIMINELLE EN 1884
Nous avons sous les 3'eux le compte-rendu de l'administration
de la justice criminelle pour l'année 1884, récemment adressé
par le garde des sceaux à M. Grévy. Tout étant pour le mieux
dans la meilleure des républiques, le rapport officiel devait
nécessairement conclure que le niveau de la moralité va plutôt
s'élevant que s'abaissant, que la magistrature épurée et les
528 ANNALES CATHOLIQUBS
jurys criminels ont fait tous leurs efforts pour réaliser de jour
en jour les 'progrès désirables. Les chiffres ont, malheureuse-
ment, leur éloquence, trop significative. Nous les soumettons
au lecteur ; les interprétera-t-il à la façon du ministre de la
justice ?
Le rapport constate que le nombre des affaires criminelles
portées devant les cours d'assises est moindre en 1884 qu'en 1883,
moindre de 23. Il était, en 1883, de 3,299; il est, en 1884
de 3,276.
Il convient d'ajouter que la diminution avait été bien autre-
ment sensible de 1882 à 1883 ; elle était alors de près de 400.
Mais il est manifeste que ce n'est pas le nombre des affaires
soumises aux jurj's qui peut donner la mesure exacte et juste
de la criminalité. On sait que la direction donnée aux informa-
tions, les appréciations plus ou moins sévères, plus ou moins
indulgentes des magistrats instructeurs, des parquets et des
Chambres des mises en accusation, sont autant d'éléments trop
souvent variables, qui grossissent ou diminuent le chiffre des
-renvois en cour d'assises.
On n'ignore pas non plus que, chaque jour, s'accentue davan-
tage la tendance du ministère public à saisir les tribunaux
correctionnels de faits qui, juridiquement, constituent des
crimes.
Quoi qu'il en soit, ce qui doit surtout nous préoccuper, c'est
la nature des accusations qui, à côté de celles dont le chiffre a
pu diminuer dans de bien faibles proportions, sont devenues
plus nombreuses.
Ce qui nous frappe tout d'abord, ce sont les attentats à la
pudeur sur les enfants, qui s'élèvent d'une année à l'autre
de 675 à 705, et sur ce dernier chiffre 43 sont imputables à des
mineurs de 16 ans. Ce sont les assassinats et les meurtres qui,
de 386 en 1883, sont aujourd'hui au nombre de 425.
Cette chose sainte et sacrée entre toutes, la pudeur de l'en-
fance, comment veulent-ils qu'on n'y porte pas atteinte, que
les passions les plus grossières et les plus sauvages ne se
déchaînent pas, eux qui ne reconnaissent et ne proclament
d'autre loi que celle enseignée par les P. Bert et les Compayré ?
Et la vie de l'homme, à laquelle Dieu seul a le droit de
toucher, pourquoi la respecterait-on, puisque Dieu n'est plus
le témoin et juge du crime, puisqu'il n'y a plus de Dieu?
Il est vrai que cet accroissement des attentats sur les per-
LA JUSTICE CRIMINELLE 529
sonnes n'est pas fait pour toucher le garde des sceaux. Il en
trouve cette explication, trop facile, que la répression est
aujourd'hui mieux assure'e.
Nous voudrions que cela fut ; mais alors qu'on nous apprenne
quels sont les auteurs de ces grands crimes qui se renouvellent
presque chaque jour, qui répandent la terreur dans la popula-
tion honnête et qui, sous le nom de mystères, demeurent
impunis ? Qu'on nous montre, entre autres, l'assassin du préfet
de l'Eure, qu'on le livre à la justice !
Et pourquoi les crimes de faux ont- ils, eux aussi, progressé?
Pourquoi, de 267 en 1883, ont-ils, en 1884, atteint le chiffre
de 301 ? La vérité est que, pour ceux qu'on a détournés de Dieu
et qui ne croient plus à Dieu, l'avancement dans le mal est
devenu fatal.
Et d'ailleurs, l'exemple du faux ne vient-il pas aujourd'hui
de ce qu'on appelle le haut de nos législateurs eux-mêmes ?
Quel est le faussaiz'e qui, à l'heure présente, ne sera comme en
droit de demander à ses juges pourquoi on le traîne sur les
bancs de la cour d'assises, tandis qu'on ne touche pas à l'arche
sainte, le Sénat et la Chambre? Le ministre de la justice ferait
bien de méditer, si toutefois il le peut comprendre, le beau
langage que tenait Cicéron dans son Traité des lois :
« Eo, peruiciosius de republica mereatur vitiosi principes
« quod non solum vitia concipiunt ipsi, sed ea infundunt in
« civitatem ; plusque exemple quam peccato nocent. »
S'il est vrai que les chiffres que nous venons de reproduire
rassurent le garde des sceaux, il n'est pas difficile. S'il y trouve
un gage de la moralité croissante, il voit les choses autrement
que nous. Nous, ces mêmes chiffres nous attristent, nous
affligent et nous effraient.
Quant au satisfecit que si libéralement le rapport octroie à
nos jurés, est-il vraiment mérité?
Tout en faisant la part de la faiblesse permise à des juges
éphémères, ce n'est pas sans une certaine amertume que nous
les voyons sévères quelquefois à l'excès à l'égard des crimes
■contre la propriété, et le plus souvent désarmant en face des
crimes contre les personnes : les acquittements en matière
d'attentats à la pudeur et d'homicides sont, en 18S4, de 29 sur
100 accusations. Qu'une sorte d'instinct leur dise qu'ils doivent
condamner le vol parce qu'ils ne sont pas eux-mêmes à l'abri
du vol, et quïl.s le condamnent, c'est bien, mais ce n'est pas
530 ANNALES CATHOLIQUES
assez. N'est-ce pas pins haut qu'ils devraient élever leurs
esprits et leurs cœurs? N'est-ce pas vers la pure et sereine
justice, planant au-dessus de tous les intérêts seulement
humains ?
Pendant que le nombre des affaires criminelles a tant soit
peu diminué, celui des affaires correctionnelles est en notable
progression. Elle était déjà sensible en 1883 : de 172,930 en
1882, le chiffre était en 1883 de 179,279. En 1884, il s'élève à
184,949 ; c'est, en deux années, une augmentation de prés de
7 pour 100. Là encore, comme devant les cours d'assises, nous
retrouvons l'augmentation portant sur les délits contre les
mœurs, ainsi que sur les coups volontaires et les violences.
C'est surtout en matière de vagabondage et de mendicité que
l'on constate, dit le rapport, Yaccroisseinent le plus doulou-
reux : 8,542 affaires de plus en 1883 qu'en 1882, et 1,350 de
plus en 1884 qu'en 1883 « Douloureux, dit-il, parce qu'il est
la consc'qucnce c'videnle de la crise agricole et industrielle qui
se'vil depuis plusieurs aoine'es. »
Mais, puisque ces mendiants qui nous assiègent dans les
rues, ces vagabonds (jui se font ramasser par centaines sur les
quais et sur les bancs de nos boulevards, sont les malheureuses
victimes de la crise, cette crise, à qui donc est-elle imputable?
qui donc en est responsable? A qiji la faute si la confiance
n'est nulle part, si la gène est partout, si la ruine menace de
tout envahir? A qui la faute si les usines se ferment, si les
ateliers chôment, si les grèves s'étendent et se propagent, avec
leurs sinistres escortes?
A qui? Nous ne pouvons demander à un ministre de la Répu-
blique, alors même qu'il entre dans la voie des demi-aveux,
d'aller jusqu'au bout et jusqu'à la vérité tout entière. Qu'il
nous suffise de dire que ce qui est vraiment douloureux, c'est
moins encore cette ciise même et la profonde misère qu'elle
engendre, que le fol et satanique aveuglement de ceux qui,
pour le malheur de notre pauvre France, nous gouvernent
aujourd'hui. Ils ont cru qu'ils pouvaient impunément flatter,
exciter les plus mauvaises passions populaires et s'en servir à
leur profit, qu'ils pouvaient jouer avec le feu. Le feu couve
encore; mais il peut éclater demain; demain l'incendie peut
tout dévorer; et ceux qui l'auront allumé seront les plus
impuissants à l'éteindre. C'est à nous que la tâche incombera.
Le rapport ne s'arrête pas aux crimes et aux délits qu'atteint
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 531
la loi pénale : il relève encore les morts accidentelles et les
suicides. Il dresse le tableau des suicides : il constate qu'en
1881, le nombre total était de 6,741; en 1882, de 7,213; en
1883, de 7,207; qu'en 1884, il est de 7,572. On voit que la
progression s'accentue chaque année, qu'elle devient presque
désespérante. Et quand on interroge l'âge des suicidés, on
s'arrête, non sans effroi, devant les chiffres : 67 (un pour cent)
de mineurs de seize ans, 331 (cinq pour cent) de mineurs de
vingt et un ans. Si l'on se reporte aux motifs déterminants,
l'œuvre de la misère est de treize pour cent, celle de l'abus des
liqueurs alcooliques de onze pour cent.
Voilà oii nous en sommes venus ! O prospérité ! ô moralité
républicaines! — (Monde.)
LA LETTRE DU CARDINAL GUIBERT
ET l'ÉPISCOPAT
(Suite. — V. les numéros précédents.)
Chalons. — Mgr l'évêque de Châlons :
C'est un soulagement bien grand pour moi de voir les droits de la
conscience chrétienne, qui sont chaque jour et de plus en plus
foulés aux pieds, défendus par vous avec tant de justesse, tant de
force, tant de dignité et tant de modération.
Ah! c'est avec des larmes de sang qu'il faudrait pleurer la sépara-
tion que les guides présents de notre pays s'efforcent d'opérer entre
la Fi'ance et l'Eglise. Cette séparation, avant même d'être complète,
cause la perle éternelle de beaucoup d'âmes faibles, dont plusieurs
lois nouvelles ébranlent la fidélité. Elle cause aussi la chute poli-
tique de notre chère Francp, qui tirait de son rang élevé parmi les
nations chrétiennes tant d'honneur et des alliances si précieuses.
Encore quelques pas dans cette voie, et les peuples étrangers, la
voyant descendue tant au-dessous d'elle-même, si opposée aux prin-
cipes universellement reçus, s'écarteront d'elle, soit par dégoût, soit
par nécessité de se préserver contre la contagion de ses exemples.
Vos conseils, Monseigneur, sont la leçon de tous les siècles passés,
de la pratique de tous les pays qui jouissent encore sous nos yeux
d'une prospérité solide et glorieuse. L'histoire rendra un jour justice
aux évêques français, à vous surtout, qu'ils aiment à regarder comme
leur organe, d'avoir fait de suprêmes efforts pour retenir leu» patrie
532 ANNALES CATHOLIQUES
dans ces conditions sages, prévoyantes, dont le triomphe suffirait
encore aujourd'liui pour réparer tant de maux. Si les évêques ne
sont pas écoutés, ceux que Dieu rappellera bientôt à lui ne regrette-
ront pas de mourir, puisqu'ils n'auront pas la tristesse de survivre à
la grandeur de la France.
CouTANCES. — Mgr l'évêque de Coutances :
Aucune âme loyale ne refusera son adhésion aux respectueuses
protestations, aux justes doléances que Votre Eminence vient
d'adresser à M. le président de la République.
C'est le gémissement de la France non moins que de l'Eglise.
Le pays pourra voir une fois de plus comment un évêque les sait
aimer.
Je les aime comme vous, Eminence, et je veux, sans tarder un
instant, vous remercier d'avoir plaidé leur cause avec des accents si
généreux.
Grenoble. — Mgr l'évêque de Grenoble :
L'évêque de Grenoble et son clergé font écho aux paroles que
votre Eminence vient d'adresser au chef de l'État pour dire que
nous sommes non les agresseurs du gouvernement, mais des vic-
times plus qu'exem,plaires .
Nous souhaitons que la haute raison du président de la Répu-
blique reconnaisse que le Concordat do 1801 donne Ugalement droit
de cité, en France, à rÉgliso catholique, pour imprimer à nos lois,
à notre conscience publique et â nos mœurs le cachet chrétien.
Puisque Votre Eminence défend publiquement les droits de
l'Kglise, il est certain que sa lettre trouvera des contradicteurs de la
part des tenants du naturalisme. Elle aura du moins soulagé et
encouragé les consciences catholiques.
Langres. — Mgr l'évêque de Langres :
A l'exemple de mon vénérable métropolitain, S. Em. le cardinal
Caverot, archevêque de Lyon, je tiens à vous dire que je partage
tous vos sentiments. Je suis profondément désolé en voyant les
atteintes portées, depuis quelques années, à nos institutions reli-
gieuses, et en songeant aux malheurs qui nous menacent. Puissent
ceux qui nous gouvernent, et dont nous respectons l'autorité, pro-
fiter des salutaires avertissements qui leur sont donnés par le doyen
de l'épiscopat, par celui que nous vénérons tous comme notre chef
et notre modèle! Puissent-ils mettre en pratique les enseignements
contenus dans la dernière Encyclique de N. S. P. le Pape Léon XIII,
le plus doux et le plus conciliant des Pontifes! Puissent-ils com-
prendre que faire la guerre à la religion est tout ce qu'il y a de plus
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 533
dangereux, et que travailler à détruire la foi dans les âmes, c'est
travailler par là même à la ruine de notre bien-aimée patrie !
Limoges. — Mgr l'évêque de Limoges :
Eu face des attaques aussi odieuses qu'incessantes dont la religion
est l'objet, l'Épiscopat inquiet sentait que, s'il y a un temps pour
se taire, il y a aussi un temps pour parler, sous peine d'encourir
le juste reproche adressé autrefois aux prophètes prévaricateurs.
Mais il attendait qu'une voix autorisée exprimât ses doléances
de façon à empêcher les plus habiles eux-mêmes à dénaturer ses
intentions.
Votre Éminence n'a pas hésité à se charger de cette mission, qui
lui appartenait à tous les titres, et elle a rendu ainsi un nouveau
service à la cause de Dieu.
Ne considérant que le péril extrême de l'Eglise indignement
calomniée, et vous appuyant sur une longue expérience, vous avez
su, Monseigneur, vous présenter courageusement devant les puis-
sances de la terre avec ce tact, cette modération de langage dont
vous avez le secret, et leur rappeler noblement le non licet de
Jean-Baptiste.
Vous ne succomberez pas, j'en ai la confiance, à une entreprise
si héroïque; la France chrétienne vous soutiendra, et elle ne per-
mettra pas qu'on lui ravisse sa foi, avec l'âme de ses enfants.
Mende. — Mgr l'évêque de Mende :
Vous avez pu dire en toute vérité que vous étiez l'interprète des
sentiments de l'Épiscopat français.
Avec vous, Éminence, nous déclarons qu'on nous calomnie en
nous représentant comme hostiles à la forme du gouvernement que
la France s'est donnée. Interpréter dans ce sens la conduite du
clergé en temps d'élections serait une injustice. Le clergé ne fait
que remplir un devoir de conscience en donnant ses préférences aux
candidats qu'il sait favorablement disposés à l'égard des intérêts
religieux dont la garde lui a été confiée.
Mais, si le clergé n'est pas hostile, il ne peut néanmoins se
défendre de certaines inquiétudes bien légitimes. Comment ne pas
comprendre ces inquiétudes, en face des actes, projetés ou accomplis,
qui prouvent qu'on persiste à voir dans le catholicisme un ennemi
dont il faut se débarrasser? Comment ne pas comprendre ces
inquiétudes, à la veille du vote définitif sur la loi de l'enseignement
primaire, dont le but est d'exclure les Frères et les Soeurs do toutes
les écoles communales, pour livrer l'enfance à des instituteurs qui
n'auront qu'à s'inspirer des déclarations de M. le ministre des cultes
à la tribune du Sénat pour s'affranchir d'une neutralité invoquée
jusqu'à ce jour en vue de calmer les alarmes des catholiques?
534 ANNALES CATHOLIQUES
Sans doute nous aimons la paix, et Dieu sait â quel prix noua
voudrions la maintenir dans notre société travaillée par des divisions
profondes. Mais l'amour de la paix ne peut aller jusqu'à nous faire
oublier les devoirs de notre ministère. Nous parlerons donc, dût
notre langage paraître importun, parce qu'il est des circonstances
où il n'est pas permis de se taire.
C'est là l'exemple que nous donne Votre Éminence.
Avec l'aide de Dieu, nous tâcherons de l'imiter, mettant de côté
toute considération humaine, à la pensée du jour peu éloigné où
nous devrons rendre compte à Diau de notre administration.
Saint-Claude. — Mgr l'évêque de Saint-Claude :
Dans votre lettre à M. le Président de la République, lettre que
je ne louerai point, parce que je la juge au-dessus de tout éloge,
vous voulez bien vous dire l'interprète des pensées et des
sentiments de l'épiscopat tout entier.
Permellez, Eminence, à l'évêque de Saint-Claude de s'associer
pour sa paît de cœur et d'âme à la grande doctrine que vous
enseignez et aux nobles protestations que vous exprimez.
Verdun. — Mgr l'évêque de Verdun :
Votre Éminence a qualité pour élever la voix, comme elle l'a fait,
au nom de l'épiscopat français, qui vénère en elle le plus auguste
de ses reprcsenlanls.
Pour ma part, en m'associant à vos respectueuses protestations
et â vos sages avertissements, mon âme se sent comme soulagée.
Lorsque vous écrivez, Eminence, ces mots si pleins de vérité :
« En continuant dans la voie où elle s'est engagée, U République
peut faire beaucoup de mal à la religion, elle ne parviendra pas à
la tuer », vous évoquez en moi un souvenir encore récent, et vous
éveillez aussi l'espérance que voire appel au premier magistrat de
notre pays ne sera pas sans efficacité. Voici le souvenir :
Il y avait un an, le 5 novembre dernier, j'avais l'honneur, au
prélude de mon épiscopat, d'être reçu en audience particulière par
le chef de l'Élat. Au cours de noire entretien, je crus devoir
affirmer à M. le Président de la République que je m'efforcerais
toujours de concilier mes devoirs d'évèque avec ceux de bon
citoyen. Voici la réponse que me fil M. Grévy :
« Vous avez bien raison de parler de conciliation et d'accord
entre l'Église et l'Élat. Je regarde, en effet, cette entente mu-
tuelle non seulement comme très utile, mais comme absolument
nécessaire. Si elle n'existait pas, vous pourries nous faire beaucoup
de mal, nous vous en ferions beaucoup aussi, et c'est la France
tout entière qui en soutTrirait. »
LETTRE DU CARDINAL GUIBERT 535
Uq an et demi s'est écoulé depuis celte déclaration, et Votre
Eminence a pu faire, dans sa lettre, une douloureuse énuméralion
des mesures vexatoires prises contre l'Eglise. Celle-ci les endure
avec dignité sans doute, mdis cruellement, L'Etat, de son côté,
s'en porte-t-il mieux? Ce qu'il y a de trop certain, c'est que la
France entière en gémit.
Puisse votre grave et noble parole être prise en considération
par ceux qui nous gouvernent ! Puisse-t-elle contribuer à établir
celte pacification religieuse que tous les cœurs catholiques et
français appellent de leurs vœux les plus ardents !
Viviers. — Mg:r l'évêque de Viviers :
Dans un langage ferme et d'autant plus fort qu'il est plus modéré,
vous rappelez les épreuves cruelles infligées de nos jours à l'Église
de France ; vous éaumérez les blessures faites, depuis quelques
années, aux consciences catholiques, ainsi que les graves atteintes
portées à leurs droits les plus inviolables et jusqu'à cette heure les
plus respectés.
Après cette énuméralion, qu'il eût été facile d'étendre encore, vous
vous plaignez avec raison des attaques dirigées du haut de la tribune
nationale, par un membre du gouvernement, contre les dogmes essen-
tiels du christianisme et certaines dévotions particulièrement chères
à la piété des fidèles. Cet étrange langage, depuis longtemps inusité
dans nos assemblées françaises, a été pour les âmea catholiques une
surprise et le sujet des plus douloureuses appréhensions. N'y a-t-il
pas lieu de craindre, en effet, que les paroles tombées des lèvres du
chef officiel de notre enseignement public n'aient un triste écho sur
les plus hautes chaires de l'État et n'aillent retentir jusque dans nos
écoles les plus modestes, où elles sont de nature à provoquer des
imprudences de langage et des négations impies toujours dangereuses
et si souvent mortelles pour la foi du jeune enfant.
Et vraiment, est-ce bien l'heure, alors qu'un souffle matérialiste
passe sur notre pays et réveille au sein des masses des passions ar-
dentes, est-ce bien l'heure de déconsidérer et de proscrire dans l'édu-
cation nationale ce haut spiritualisme chrétien qui avait fait l'Europe
civilisée et demeure, en face d'un redoutable avenir, notre dernière
ressource et notre suprême espoir, puisqu'il peut seul donner leur
vraie solution aux problèmes sociaux qui tourmentent les esprits et
où s'épuise vainement la raison des sages?
Dans la guerre impie que vous dénoncez au chef de l'État, on s'est
toujours efforcé de déplacer les responsabilités; vous protestez, Emi-
nence, et vous protestez noblement contre ce rôle de provocateur que
l'on s'attache, avec une obstination calculée, à attribuer au clergé,
tandis qu'il n'est en réalité qu'une victime patiente et désarmée.
39
536 ANNALES CATHOLIQUES
Nous avons constamment apporté, dans l'exercice de nos droits les
plus légitimes, une modération que voua appelez exemplaire et qui a
paru à quelques-uns de la faiblesse, tant la défense de notre part a
usé de réserve et a eu peur des conflits.
Avec une clairvoyance que les événements ont tant de fois justifiée,
vous signalez les grandes ruines qui sont les conséquences et le châ-
timent de la persécution religieuse. Témoin de nos vicissitudes poli-
tiques depuis près d'un siècle, vous pouvez pailer de la mobilité de
nos gouvernements humains : ils passent et l'Église demeure. Heu-
reux les peuples qui, en s'unissant à elle, lui empruntent quelque
chose de son immortalité!
Je vous remercie, Eminence, du nouveau service que vous avez
rendu à l'Eglise et à notre pays.
Vous avez été, une fois de plus, l'interprète éloquent de nos tris-
tesses, de nos protestations et de nos trop justes alarmes; une fois
de plus vous avez été l'écho de ce clergé de France qui, quoi qu'on,
puisse dire, ne sépare point dans ses affections l'Eglise de la patrie;
vous avez réjoui le cœur et vous avez relevé le courage de tous ces
catholiques français qui, au prix de si généreux sacrifices, luttent si
vaillamment pour leur foi et leur liberté.
Dieu veuille que ces graves avertissements, inspirés par un patrio-
tisme si pur et si élevé, soient entendus de ceux auxquels ils s'adres-
sent et amènent le résultat qu'appellent nos vœux et nos prières : la
paix de l'Eglise par la justice et la liberté, le bonheur de notre chère
France par la conservation de sa foi et de ses chrétiennes traditions.
Le défaut de place nous oblige à renvoyer au prochain
numéro le compte-rendu de l'Assemblée générale des catho-
liques qui vient de se tenir à Paris.
NECROLOGIE
La Commune mettait nos soldats au mur. L'opportunisme
procède d'une façon moins expéditive, mais tout aussi sûre.
Ses mensonges et ses diffamations ont tué le pauvre colonel
Herbinger aussi sûrement que les cartouches glissées par les
Roebefort dans les fusils communards tuaient les gendarmes.
NECROLOGIE
537
Le pauvre colonel est mort le 27 mai à trois heures, chez sa
mère, répétant dans son dernier délire : «Et penser qu'ils me
prennent pour un ivrogne. »
Ces drôles n'ont pu avoir l'honneur du pauvre soldat. Mais
ils ont eu sa vie. Ils doivent être contents.
Le colonel Herbinger était né à Strasbourg en 1838, d'une
vieille famille de soldats. En 1859, il entre à Saint-Cyr ; il en
sort le premier de sa promotion en 1861 et passe sous-lieutenant
au 1" zouaves au Mexique. Après un an de campagne, il est
nommé lieutenant pour faits de guerre, puis décoré à 21 ans à
la suite d'une grave blessure.
En 1870, il était capitaine et il fut englobé dans la capi-
tulation de Metz après avoir été proposé pour chef de bataillon,
deux fois de suite. A son retour de captivité, M. Herbinger est
nommé capitaine adjudant major au lOP de ligne avec lequel il
fait le second siège de Paris. C'est alors qu'il reçut une nou-
velle et grave blessure au moment oii, le drapeau à la main, il
entraînait se s hommes à l'assaut d'une barricade formidable
construite au coin de la rue Cadet et de la rue Lafayette, il
reçut à bout portant un coup de fusil dans la figure. Il tomba
sur la barricade pendant que ses soldats continuaient à aller à
l'assaut et on ne le releva que dans la soirée presque mort.
Chef de bataillon en 1876, M. Herbinger fut choisi Tannée
suivante pour professer le cours de tactique d'infanterie à
l'École supérieure de guerre que le général Lewal venait
d'organiser. Ses deux années de cours sont restées en renom
parmi les jeunes officiers. Nommé lieutenant-colonel, M. Her-
binger fut désigné le 1" octobre 1884, pour se rendre au
Tonkin. Sa nomination fut faite par le général Campenon sur
ce mot : « Il faut que l'expédition du Tonkin serve au moins
à nous donner des généraux en chef de l'avenir. » On sait la
suite.
Plus de six mille personnes ont assisté aux obsèques. Dans
cette foule, sept ou huit cents officiers de toutes armes en
tenue. Des députations du 26* bataillon de chasseurs à pied et
du 25* de ligne portaient des croix de fleurs et dlmmenses cou-
ronnes avec des inscriptions. Les honneurs étaient rendus par
un régiment de ligne.
Le deuil était conduit par M. le colonel de Morincourt,
cousin de la mère de notre pauvre ami.
Derrière lui, le général de Courcy en tenue, et M. Bou-
538 ANNALES CATHOLIQUES
langer, ministre, en bourgeois. L'absoute a été donnée par
M. le curé de Saint-Pierre du Gros-Caillou. C'est à peine si le
tiers des assistants a pu trouver place dans l'église. Mais la
foule a suivi le char funèbre jusqu'au cimetière Montparnasse.
Sur tout le parcours, le cortège a été l'objet des manifestations
les plus respectueuses de la foule. Au cimetière, trois discours
ont été prononcés. Ces discours ne contenaient aucune allusion
politique. De nombreux cris de : A bas Ferry! ont été poussés,
quelqu'efforts qui aient été faits pour maintenir le calme dans
la foule. Nous n'approuvons pas ces manifestations bruyantes
sur une tombe. L'affluence qui se pressait derrière le cercueil du
lieutenant-colonel était une protestation suffisante contre les
infâmes calomnies qui ont tué la victime des rancunes répu-
blicaines.
Nous avons la douleur d'apprendre la mort de Mgr Jamot,
décédé dans sa ville épiscopale de Pétersborough, le 4 mai 1886,
dans la cinquante-sixième année de son âge et la douzième de
son épiscopat.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l*Italie.
La Congrégation des rites vient de décider qu'on pourrait
procéder à l'examen des causes des vénérables Grignon de
Montfort, Clément-Marie Hofbauer, frère Êgidius-Marie de
Saint-Joseph et sœur Sainte-Agnès connue sous le nom d'Inès
de Benigamin. L'authenticité de leurs miracles avait été pro-
clamée le 21 février.
On va commencer le procès du vénérable Félix de Nicosie,
capucin.
Par décret de la Propagande du 15 mai 1886, Sa S. le Pape
Léon XIII a daigné créer dans les limites du vicariat aposto-
lique de la Microuésie, en Océanie, une mission spéciale aux
îles Carolines. Cette mission sera divisée en deux parties :
la première embrassera les îles Carolines proprement dites,
soit les Carolines orientales; la deuxième, les îles Palaos ou
Carolines occidentales. 'Toutes deux ont été confiées aux
RR. PP. Capucins de la province d'Espagne.
NOUVELLES RELIGIEUSES 539
UAgence Havas communique aux journaux la dépêche
suivante :
Mgr Renier, prélat de la maison du Pape, a renoncé à la religion
catholique romaine pour entrer dans l'ICglise catholique italienne,
eu se plaçant sous le protectorat de l'épiscopat anglican.
Mgr Renier est un écrivain et un prédicateur distingué; il est âgé
de soixante ans et descend de l'avant-dernier doge de Venise.
La famille de l'avant-dernier doge de Venise aurait pu
mieux finir.
Quant à l'Eglise « catholique italienne » dans laquelle entre
le malheureux apostat, elle est juste le pendant en importance
de l'Eglise « catholique française » de M. Loyson. Nous n'avons
pas besoin de faire remarquer qu'en accouplant le mot de
catholique, c'est-à-dire universelle, au mot d'italienne ou
de française, ces pauvres gens se condamnent eux-mêmes.
Voici, d'ailleurs au sujet de cette misérable secte et de celui
qui vient d'y entrer, quelques détails qui pourront intéresser
nos lecteurs.
Depuis l'occupation italienne de Rome, la nouvelle capitale
de l'Italie a subi une véritable invasion de ministres protestants
appartenant à toutes les confessions et dont les poches sont
largement munies d'or anglais. Déjà plus de 70 chapelles pro-
testantes, plus somptueuses les unes que les autres, s'élèvent
dans les rues de Rome et de préférence aux endroits oii elles
doivent le plus frapper le regard des catholiques : c'est ainsi
que l'église évangélique italienne est située juste en face du
pont Saint-Ange, à l'entrée de ce qu'on appelle la cité léonine;
une très vaste église méthodiste fait face, dans la via délia
Scrofa, au palais du Vicariat, et le cardinal-vicaire, de ses
fenêtres, entend les chants de l'Église réformée.
Malgré de nombreuses distributions d'argent, le peuple de
Rome reste rebelle à la prédication anglicane; beaucoup empo-
chent l'argent, prennent les vêtements ou les bibles précieuses
qu'on leur distribue dans les chapelles protestantes et de là
retournent à leur paroisse.
On imagina alors de favoriser à Rome, comme transition, un
schisme analogue à celui de M. Hyacinthe Loyson en France et
on constitua sous le nom d'église catholique italienne une secte
protégée par l'épiscopat anglican, subventionnée par cette
caisse très opulente oii puisent les missionnaires anglicans dans
les cinq parties du monde.
540 ANNALES CATHOLIQUES
La nouvelle Eglise possède un local infiniment plus beau que
celui de la rue d'Arras, à Paris, où prêche M. Lovson, et les
ministres du nouveau culte disposent de toutes les ressources
qui manquent à « TÉglise anglicane » fondée par l'ancien pré-
dicateur de Notre-Dame.
La chapelle des « catholiques italiens », richement décorée,
est située dans la plus belle rue de la nouvelle Rome, via
Nazionale, en face du théâtre national à présent en construction.
Le pontife de la nouvelle religion appartenait aussi jadis à la
prélature; certaines hardiesses doctrinales et autres lui cau-
sèrent des embarras avec le Saint-Siège et Mgr Savarese se
sépara bruvarament de l'Église romaine. Un décret public rendu
par le cardinal-vicaire et affiché à la porte de toutes les églises
jeta l'anathème sur Mgr Savarese et ses adeptes. Ce qui n'em-
pêche pas Mgr Savarese de se promener encore dans les rues
de Rome sous le brillant costume de prélat romain. En Italie,
il n'y a pas de loi contre le port illégal du costume ecclésias-
tique, ou, s'il y en a, le gouvernement ne les applique pas.
Mgr Renier, qui vient de se ranger sous la bannière de
Mgr Savarese et de demander sa part des subventions anglaises,
est bien connu à Rome. Il appartient, comme on l'a dit, à une
famille ducale de Venise, d'origine probablement autrichienne.
Sous le gouvernement de Pie IX, le cardinal Antonelli le
chargea, dit-on, de missions importantes : on le récompensa par
la prélature et la charge lucrative d'abbé commanditaire da
magnifique hôpital de Santo Spirito.
Lorsque les Italiens, maîtres de Rome, sécularisèrent l'hô-
pital et la banque corrélative du Saint-Esprit, Mgr Renier,
dont les relations avec la cour d'Italie dataient de loin, fut
agréé au Quirinal et investi par le roi Humbert de la charge de
gardien ou custode de la tombe de Victor-Emmanuel au Pan-
théon. Mgr Renier était donc devenu bien plutôt un prélat delà
maison du roi d'Italie qu'un prélat de la maison du Pape.
Sa physionomie très accentuée devint presque populaire,
parce que Mgr Renier garda toujours l'ancien costume des pré-
lats romains : redingote ouverte, culotte courte, bas violets,
grand tricorne. Aujourd'hui très peu de prélats sont demeurés
fidèles à cette vieille mode.
Puis, tout à coup, Mgr Renier disparut. Malgré tous les soins
apportés à étoufî'er les motifs de cette disparition, une partie de
la presse les divulgua; ils n'ont donc rien de secret. Mgr Renier
NOUVKLLES RELIGIEUSES 541
était impliqué comme complice, avec un prévenu et une pré-
venue, dans une grave affaire de chantage et d'escroquerie.
Tous les trois furent condamnés par le tribunal correctionnel
de Rome, chacun à six mois de prison.
La Société d'archéoloî^ie chrétienne a fait faire, pendant
plusieurs mois, des fouilles aux catacombes de Saint-Sébastien.
Ces travaux ont amené des découvertes très heureuses, car on
a rais au jour près de quinze tombeaux intacts qui portent tous
les signes du martyre, la fiole et la palme. Quelques-unes de
ces tombes sont même ornées d'une inscription qui nous donne
le nom du bienheureux confesseur de la foi. Le savant archéo-
loguo, M. De Rossi, est allé visiter plusieurs fois ces tombes.
S. Em. le cardinal-vicaire s'y est rendu, à son tour, pour
constater les signes qui annoncent la présence d'un corps de
martyr. On ne s'est, cependant, point prononcé encore. Les
corps des martyrs que l'on découvre maintenant ne sont cepen-
dant plus extraits des catacombes; on les y laisse reposer sans
même ouvrir leur tombe. On peut ainsi, en visitant ces lieux
consacrés par nos pèros dans la foi, vénérer les ossements des
glorieux confesseurs à l'endroit même où ils ont été déposés.
Ce sera un charme de plus qui attirera les pieux visiteurs dans
les cimetières chrétiens. On a déjà suivi cette règle pour les
catacombes de sainte Agnès, oii les fidèles rencontrent encore
plusieurs corps de martyrs.
L'Italie comprend, enfin, quelle est l'importance des missions
catholiques, et elle fait tous ses efforts pour s'assurer la bien-
veillance des missionnaires. On assure même que M. De Luca,
ministre italien en Cliine, qui a été rappelé par M. de Robilant,
ne se trouve ici que pour recevoir directement des instructions,
dans le cas où des relations diplomatiques s'établiraient enti'e le
Vatican et la Chine. On ajoute même que M. de Robilant
cherche à protéger autant que possible les missionnaires dans
l'extrême Orient, et la Consulte a donné des ordres de ce genre
à tous ses agents diplomatiques et consuls. — Le gouvernement
a aussi compris la nécessité des aumnôiers militaires, au moins
en Afri([ue. Deux prêtres qui se trouvent forcément sous les
armes, à la suite de la loi militaire qui n'a aucun égard pour
leur caractère, doivent faire partie des troupes de garnison en
542 AlNNALKS CAT HnLUR'KS
Afrique. On a arrêté que ces deux militaires seront considérés
comme en cougé illimité pour ce qui concerne le service mili-
taire et, en même temps, entreront au service comme aumô-
niers militaires provisoires, avec le rang de sous-lieutenant;
l'un sera destiné à Massouah, et l'autre à Assab.
France.
Nancy. — S. G. Mg-r l'évêque de Nancy a adressé à M. Pas-
teur la lettre suivante :
Nancy, le S mai 1886.
Monsieur,
Permettez à un évêque de vous adresser sous ce pli sa modeste
offrande en faveur de ïinstitut qui doit, sous votre direction, com-
battre une maladie terrible et préparer sans doute de nouvelles décou-
vertes de la science.
Quoi qu'en disent quelques-uns, les évêques de France ne sont pas
riches, et les œuvres catholiques et les pauvres les sollicitent sans
cesse. Mais je tiens comme à un honneur et à un devoir de vous
donner du moins un faible témoignage de mon admiration et de ma
reconnaissance.
Je vous dois un témoignage de mon admiration, car l'Eglise, ainsi
que le disait naguère le grand Pape Léon XIII, l'Eglise a toujours
applaudi aux conquêtes de la science, et en particulier à celles « qui
ont pour but d'embellir la vie et de la rendre plus heureuse *.
Je vous dois un témoignage de reconnaissance, car vous consacrez
ces conquêtes de la science au soulagement des malades, des infortu-
nés, pour lesquels l'Eglise a eu toujours une tendresse de mère.
Que Dieu vous soutienne et vous guide dans vos travaux, et qu'il
vous accorde, dans de nouveaux et éclatants succès, la récompense
qu'ambitionne votre noble cœur!
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma haute considération.
7 Charles-Fra.nçois,
évêque de Nancy et de Toul.
\f . Pasteur a répondu le 9 mai à Monseigneur de Nancy pour
le remercier et lui dire combien il était touché de son offrande.
PÉRiGUEUx. — Le diocèse de Périgueux et do Sarlat va célé-
brer dans quelques semaines le cinquantième anniversaire de
l'ordination sacerdotale de Mgr Dabert, qui occupe le siège
épiscopal de Périgueux depuis bientôt vingt-trois ans.
Étranger.
Allemagne. — Après avoir conclu son traité de paix avec la
Prusse, Léon XIII a tout espoir d'arriver à une entente égale-
NOUVELLES RELIGIEUSES 54S
meut heureuse avec les deux autres États de l'Allemagne où
sévit le Kulturkampf, les grands-duchés de Hesse et de Bade.
Dans le premier des deux pays, le siège épiscopal de Mayence,
vacant depuis la mort de Mgr von Ketteler, c'est-à-dire depuis
plus de dix ans, sera bientôt de nouveau occupé à la suite d'une
convention conclue directement entre le Pape et le gT-and-duc;
c'est M. le chanoine von Haffner de Mayence qui est le succes-
seur désigné de Mgr Ketteler.
Quant au grand-duché de Bade, oii le siège archiépiscopal
de Fribourg est vacant depuis quelques semaines à la suite
du décès de Mgr Orbiui, le nonce apostolique de La Haye,
Mgr Spolverini est arrivé à Karlsrulie en mission spéciale du
Saint-Père et a eu plusieurs audiences prés du grand-duc pour
s'entendre avec lui sur la personne du futur archevêque.
Avant-hier le grand-duc a donné un dîner gala en l'honneur
du nonce, et tout fait espérer que non seulement la question de
la succession au siège de Fribourg, mais aussi toute la législa-
tion ecclésiastico-politique de Bade sera promptement revisée
dans un sens favorable aux vœux des catholiques.
Espagne. — Le Moniteur de Rome du 28 mai publie le texte
suivant de la Lettre par laquelle le Souverain Pontife a fait con-
naître à Sa Majesté la reine-régente d'Espagne qu'il acceptait
d'être le parrain de l'enfant qui est aujourd'hui Alphonse XIII :
Majesté,
Le désir que Votre Majesté expose dans sa lettre remise au Nonce
apostolique auprès de sa royale cour est un nouveau témoignage de
la filiale affection qu'ElIe professe envers Notre personne et envers
le Saint-Siège. Aussi accueillons-Nous ce désir avec une déférence
paternelle et Nous empressons-Nous de Vous manifester que, dan»
Notre bienveillance paternelle pour la catholique Espagne, pour
Votre Majesté et pour la Famille royale, il Nous sera très agréable
de contracter à leur égard un nouveau lien spirituel, en tenant sur
les fonts baptismaux, avec Notre chère fille en Jésus-Christ, l'Infante
Isabelle, l'enfant que Votre Majesté va mettre au jour. En cette
occasion, le Nonce apostolique sera Notre représentant à la céré-
monie sacrée.
En attendant, Nous prions vivement le Seigneur qu'il daigne
accorder à Votre Majesté d'heureuses couches, afin que vos vœux
maternels reçoivent leur réalisation.
A cette même fin, Nous Vous accordons du fond du cœur la béné-
diction apostolique.
Donné au Vatican, le 12 mai 1886.
LEON XIII, PAFE.
1
544 ANNALES CATHOLIQUES
Madagascar. — Voici une lettre du R. P. Camboué, de la
Compagnie de Jésus, missionnaire apostolique, relative à l'arri-
vée de Mgr Cazet à Madagascar.
Tamatave, 10 avril 1886.
Dans la matinée du 5 avril, mouillait en rarle de Tamatave le
vaisseau-transport de l'État la Nive, ayant à son bord Mgr Jean-
Baptiste Cazet, évêque de Sosuza, vicaire apostolique de Madagascar,
accompagné de huit nouveaux missionnaires, dont six Frères de la
Doctrine chrétienne et un Frère scolastique indigène envoyé en
Europe pour ses études.
A peine le navire avait-il laissé tomber ses ancres, que Sa Gran-
deur allait rendre ses hommages à M. le contre-amiral Miot à bord
de la fi'égate la Naïade.
L'entrée solennelle du prélat fut fixée pour quatre heures de
l'après-midi. Au moment où Mgr le vicaire apostolique quittait le
bord pour se rendre à terre dans la baleinière de l'amiral, pavoisée
aux couleurs nationales, une salve des canons de la frégate annonçait
à la grande île africaine que son premier pasteur venait en prendre
possession au nom du divin roi le Christ Jésus.
Au débarcadère, les Pères de la mission en surplis, M. l'aumônier
de la division navale, les Frères de la Doctrine chrétienne, les Soeurs
de Saint-Joseph de Cluny, les écoles de garçons et de filles, de
nombreux officiers et soldats du corps expéditionnaire et un grand
concours d'habitants européens et .indigènes attendaient la première
bénédiction de Févêque.
Sa Grandeur, après avoir revêtu ses ornements pontificaux, prît
place sous le dais, dont un officier hova, dixième honneur, ancien
élève de la mission, avait tenu à porter l'un des coins.
La procession se mit alors en marche dans la grande avenue de
Tamatave, pendant que les chants liturgiques, la fanfare du collège
et les joyeuses volées des cloches mêlaient leurs accents pour jeter
dans les airs le Benedictus qui venit in nomine Domini !
A l'église, après les diverses cérémonies prescrites par le ponti-
fical, Sa Grandeur, dans quelques mots du cœur, renvoyant à Dieu
tous les honneurs qui lui étaient rendus, exhorta son peuple
à remercier le Tout-Puissant pour la paix enfin rétablie entre la
France et Madagascar, et à prier pour la prospérité des deux nations.
Chaque jour, depuis son arrivée, Mgr le vicaire apostolique reçoit
les témoignages les plus sympathiques de la population civile et
militaire. M. le contre-amiral commandant en chef le corps expédi-
tionnaire, les officiers supérieurs, d'autres officiers en grand nombre,
les principaux résidents de la ville ont tenu à rendre leurs hom-
mages au nouvel évêque. Toutefois, le séjour de Mgr Cazet à Tama-
1.KS CHAMBRES 545
tave ne se prolongera point. Sa Grandeur a hâte de se rendre
auprès de la partie la plus nombreuse et la plus éprouvée de son
troupeau.
Dès demain, le prélat se propose de partir pour Tananarive,
malgré les grandes pluies et le mauvais état des chemins. Son cœur
de pasteur et de père est pressé d'aller porter secours aux pauvres
affamés qui, depuis bientôt trois ans, criaient vers le Seigneur,
demandant le pain que personne ne pouvait leur rompre.
Déjà, sous les auspices de saint Joseph, plusieurs missionnaires,
précédant leur évêque, sont partis pour les provinces d'Iinérina et
des Betsiléos. Nos braves néophytes, dont on connaît la belle con-
duite dans l'épreuve, voient enfin leurs vœux exaucés et la réali-
sation de la parole du divin Maître : j>!on relinquam vos orphanos :
veniatn ad vos.
D'ailleurs les deux gouvernements français et hova semblent
animés des meilleures dispositions envers la mission catholique.
Ces jours-ci encore le premier ministre de S. M. la reine Ranava-
lona III écrivait à M. le contre-amiral Miot que les missionnaires
français étaient assurés de trouver auprès de lui aide et protection
pour leur œuvre civilisatrice et chrétienne.
Mais que de ruines à relever! que de brèches à réparer! que
d'obstacles à vaincre longuement préparés durant ces trois années
par les envoyés des Sociétés bibliques de Londres, seuls maîtres
de la position. Pour relever ces ruines, réparer ces brèches, vaincre
ces obstacles, la mission de Madagascar compte surtout sur la
divine Providence et sur les prières et les aumônes des associés
de la Propagation de la Foi et de toutes les âmes généreuses qui
voudront s'associer à une œuvre tout à la fois catholique, civilisa-
trice et française.
LES CHAMBRES
Sénat.
Jeudi 27 mai. — L'ordre du jour appelle la discussion de
l'interpellation de M. de Gavardie sur un déni de justice commis à
l'égard d'un ancien commissaire de police. Il s'agit d'un sieur La-
treille, ancien commissaire de police de Bazas, qui compte trente-
un ans de bons et loyaux services, et qui n'a pu jusqu'ici obtenir
ni une pension ni même un secours.
M. Sarrien répond que M. Latreille n'a pas droit à une pension :
d'abord, parce qu'il a été révoqué^ et, en second lieu, parce que
les commissaires de police n'ont pas droit à une reti^aite.
L'ordre du jour appelle la discussion de l'interpellation de M. db
Gavardie sur la police en France et en Algérie.
546 ANNALES CATHOLIQUES
L'orateur dépose l'ordre du jour suivant :
« Le Sénat, invitant le gouvernement à prendre les mesures
nécessaires pour le maintien de la sécurité publique, passe à
l'ordre du jour.
M. Sarrien proteste contre les allégations de M. de Gavardie. 11
assure que la police remplit son devoir et qu'elle a droit à l'appui
du ministère. Cet appui ne lui fera pas défaut.
L'ordre du jour pur et simple est adopté.
L'élection de M. Bejarry, sénateur de la Vendée, est validée.
M. DE Gavardie questionne le ministre de la justice au sujet de
la révocation de M. Saint-Martin, juge de paix à Tarbes.
M, Demole dit que M. Brisson crut devoir révoquer ce magistrat
pour s'être livré en dehors de ses fonctions à des agissements
inadmissibles.
L'incident est clos.
M. de Gavardie interpelle le ministre des finances au sujet de la
veuve Rigaud pour laquelle il demande un emploi dans l'atelier du
Timbre.
M. Sadi Carnot répond que le règlement s'y oppose. Il ne peut
le violer.
Mardi 1'^'' juin. — Vote d'un projet de loi relatif aux monuments
et objets d'art ayant un caractère historique.
Le Sénat commence ensuite la discussion d'un projet relatif à la
chasse.
Chambre des députés.
Jeudi 27 mai. — A trois heures moins un quart, M. Demole,
garde des sceaux, ministre de la justice — on se demande ce que la
justice vient faire ici — monte à la tribune et lit le projet de loi
qui trouble depuis huit jours tant de cervelles républicaines.
L'exposé des motifs en est vague et ressemble assez, sur ce point, â
ces réquisitoires vides et entortillés dont certains accusateurs pu-
blics, à court de griefs sérieux et précis, ont usé, dans un autre
temps, devant les tribunaux révolutionnaires. Voici le morceau :
M. LE GARDE DES SCEAUX, lisant : « Messieurs, à la différence des
gouvernements monarchiques, la République a cru devoir abroger
les lois d'exil édictées contre les dynasties déchues.
« En permettant aux membres des familles qui ont régné en
France de résider et de s'établir sur son territoire, en leur recon-
naissant les mêmes droits qu'aux autres citoyens, la République
devait compter qu'ils répondraient à cette politique de modération
et de confiance par le respect du régime établi.
* Cette attente a été trompée. (Applaudissements à droite. —
Bruit à gauche.) Les héritiers des anciennes dynasties n'ont rien
abdiqué de leurs prétentions. Bien loin de le» dissimuler, ils re-
LES CHAMBRES 547
cherchent ouvertement toutes les occasions d'ébranler les institu-
tions que le pays s'est librement données. (Applaudissements à
gauche. — Interruptions à droite.)
M. LE DUC DE La RocHEFOUCAULD-BisAcclA. — Elles s'ébranlent
bien toutes seules.
M. Calès. — Essayez !
Ce M. Calès, comme l'étymologie de son nom l'indique, doit être
un homme chaud. Quelques-uns de ses voisins lui font remarquer
que son essayez! répond mal à la juste remarque du duc de La Ro-
chefoucauld. Il se calme, et M. Demôle continue :
M. LE MINISTRE. — « Il y a quelques mois à peine, le gouverne-
ment se refusait à prendre contre eux dos mesures que réclamait
une grande partie de l'opinion. Cette attitude semble n'avoir eu
d'autre effet que de les encourager à de nouvelles provocations.
(Très bien ! très bien ! à gauche.)
L'épreuve est donc complète et nous estimons que le moment est
venu de mettre un terme à un état de choses qui ne pourrait se
continuer sans porter gravement atteinte à l'autorité de la Consti-
tution et aux intérêts du pays. (Nouvelles marques d'approbation.)
Nous avons l'honneur, en conséquence, de vous proposer d'adopter
le projet de loi suivant :
Article premier. — Le gouvernement est autorisé à interdire le
territoire de la République aux membres des familles ayant régné
en France.
« L'interdiction est prononcée par un arrêté du ministre de
l'intérieur pris en conseil des ministres. »
M. Paul de Cassagnac. — Comme pour M"* de Sombreuil (Applau-
dissements et rires à droite.)
M, LE PRÉSIDENT. — Prenez garde à vos assimilations. (Applau-
dissements à gauche.)
M. LE MINISTRE. — Art. 2. — Celui qui, en violation de l'arrêté
d'interdiction, sera trouvé en France, en Algérie ou dans les colo-
nies, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans.
« A l'expiration de sa peine, il sera reconduit à la frontière. »
Je demande l'urgence et le renvoi du projet aux bureaux.
A peine M. Demôle esl-il retourné à sa place qu'un certain
nombre d'impatients de l'extrême-gauche réclament la discussion
immédiate. On leur rit au nez et la Chambre, tout en votant l'ur-
gence, renvoie le projet à une commission qui sera nommée
samedi dans les bureaux. — « Voilà l'imbécillité prédite par
M. Thiers ! » s'écrie le comte de Maillé, M. Floquet rappelle à
l'ordre ce judicieux interrupteur, et on se figure que, pour le
moment, tout est fini, lorsque M. Basly, député de Paris, élu sur
la liste unique, paraît à la tribune, armé d'une seconde proposition.
Celle-ci a encore plus de valeur que l'autre, et nous nous ferions
5i8 ANNALES CATHOLIQUES
un scrupule de priver nos lecteurs d'un seul mot de son précieux
texte. Tout y est caractéristique et net :
M. Basly. — J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la
Chambre une proposition de loi sur la restitution à la nation des
biens des familles ayant régné en France. (Bruit à droite.)
M. DK Paudry d'Asson. — Lisez! lisez!
M. LE Président. — M. Basly ayant l'intention de demander
l'urgence, la lecture est de droit.
M. Basly. — Voici l'exposé des motifs et le texte de la
proposition :
a Nous estimons que la présence des prétendus princes sur le
territoire français ne constitue aucun danger pour la République
qui est au-dessus des menées des partis.
œ En conséquence nous repoussons toute loi d'exception. Si les
prétendus princes conspirent contre la République, nous deman-
dons qu'ils soient jugés comme de simples citoyens.
« D'an autre côté, les prétendus princes détiennent des biens
indûment acquis qui doivent faire retour à la nation.
a En conséquence, nous vous présentons, messieurs, la propo-
sition suivante :
Article premier. — Les biens meubles et immeubles des familles
ci-devant royale et impériale des Bourbons et des Bonapartes de
toutes branches sont mis à la disposition de la nation.
Art. 2. — Ces biens meubles et immeubles constitueront une
première dotation de la caisse nationale de retraite pour la
vieillesse.
« Signé : Basly, Camélinat, A. Boyer, Prudon, Planteau,
Michelin. »
M, CuNÉo d'Ornano. — IjCS membres des anciennes familles
régnantes pourront-ils prendre part eux-mêmes à ces retraites?
(Rires à droite.)
N'est-il pas vrai que cette seconde proposition complète la pre-
mière, et qu'il semble tout naturel de s'occuper des biens après
s'être occupé des personnes? La confiscation, corollaire de l'exil,
c'est de tradition ! Les ministres le comprennent si bien qu'aucune
protestation ne part de leurs bancs, et que, malgré quelques mur-
mures qui se font entendre derrière son dos, M. de Freycinet ne
songe pas un seul instant à séparer sa cause de celle de M. Basly.
La droite, de son côté, ne voit aucun inconvénient à réunir ces
deux ennemis des princes.
Les deux propositions Freycinet et Basly seront donc renvoyées à
la même commission.
On reprend ensuite la discussion sur le projet relatif aux livrets
ouvriers.
Samedi 29 mai. — Nomination dans les bureaux de la commission
LES CHAMBRES 549
d'expulsioa. Sur onze membres, elle en compte six partisans de l'ex-
pulsion obligatoire et générale, telle qu'elle est formulée soit dans la
proposition Floquet, soit dans la proposition Duché, et cinq qui sont
opposés à toute expulsion. Sur ces cinq derniers, il y a deux mem-
bres de la droite : MM. de Mun et Jolibois, Le ministère a « donné »
de toute la force dont il est capable. Les ministres-députés se sont
rendus dans les bureaux pour prendre part au vote, et M. Goblet a
même prononcé un discours dont on lira plus loin un résumé.
En séance, on discute une nouvelle interpellation sur la grève de
Decazeville. L'ordre du jour pur et simple pst adopté.
Lundi 31 mai. — La Chambre vote à l'unanimité un crédit de
2JO,000 francs pour secours aux viclimes des tremblements de terre
et des inouilations en Algérie.
Un second crédit de même somme pour l'Iastitut-Pasteur est adopté
par 468 voix contre 7.
On reprend la discussion sur les livrets d'ouvriers.
La Chambre décide qu'elle passera a une seconde lecture.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de
M. Ballue ayant pour objet l'assimilation de l'armée de terre à l'ar-
mée de mer, en ce qui concerne le commandement.
Adopté.
Mardi 1^^ juin. — M. de Lamàrzelle prend la parole dans la dis-
cussion de la proposition de MM. Planteau et Michelin, portant abro-
gation de la loi du 18 germinal an X.
11 rappelle que M. Brisson a récemment reconnu que l'opinion de
la majorité du pays n'est pas favorable à la séparation de l'Eglise et
de l'État. Les électeurs qui ont voté pour les députés siégeant au
centre ne veulent pas cette séparation. Ceux, au nombre de 3 millions
et demi, qui ont voté pour les députés de la droite, pensent de même.
Dans ces conditions, et par respect pour le suffrage universel, la
question devrait être écartée pour celte législature.
Dans la dernière législature, la question a été soulevée. Elle a été
l'objet d'un rapport. Elle n'est jamais venue en discussion, bien que
le gouvernement y ait été convié à plusieurs reprises.
C'est à cette occasion que M. Goblet se prononça avec éclat contre
la suppression du traitement du clergé et demanda qu'on mît un
terme à cet état de choses par la séparation.
Pourquoi n'a-t-on pas encore discuté la séparation de l'Eglise et de
l'État? C'est parce qu'elle amènerait dans chaque commune la guerre
entre les citoyens, et que de cette guerre résulterait la chute de la
République. C'est M. Paul Bert qui l'a écrit.
Le parti républicain n'ose pas faire cotte séparation, et il ne peut
pas la rejeter sans se mettre en contradiction avec lui-même. Le suf-
frage universel s'est nettement prononcé contre la séparation de
l'Église et de l'État. La Chambre est fatalement condamnée à uno
550 ANNALES CATHOLIQUES
politique de tracasseries mesquines qui n'est pas digne d'un gouver-
nement républicain et qu'on verra pratiquer par celui-là même qui
l'a le plus énergiqueraent flétrie.
M. GoBLET appuie la prise en considération : c'est la seule manière,
dit-il, de savoir ce que pense réellement le suffrage universel d'une
question sur laquelle le Gouvernement désire qu'il y ait un grand
débat.
Mgr Fbeppel déclare qu'il a des doutes sur l'opportunité du débat
•que veut provoquer M. Goblet, d'accord avec M. Michelin, en repre-
nant en France le kulturkampf. Il n'y a ni dans le Parlement, ni
dans le pays, une majorité pour séparer l'Eglise de l'Etat, pour
dénoncer le concordat et supprimer le budget des cultes.
Pourquoi donc aborder une discussion qui ne peut aboutir à un
vote ?
Le grand débat que l'on cherche demeurera stérile. On aura agité
le pays en pure perte.
La prise en considération est adoptée par 296 voix contre 250.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
L'expulsion des princes. — Le budget des cultes. — Projet Quyot. —
Atï'aire de ChâteauviUain. — Etranger.
Comme on l'a vu dans notre précédent numéro et plus haut
le gouvernement s'est décidé à demander aux Chambres le vote
d'un projet de loi l'autorisant à expulser les princes, mais il
faut avouer qu'en voulant aller au-devant des vœux du parti
républicain, le ministère a mal réussi. Sur les onze commis-
saires nommés par les bureaux il n'y a pas un seul partisan du
projet du gouvernement. Cinq sont absolument opposés à toute
expulsion. Ce sont : MM. Jolibois et de Mun de la droite et
MM. Henri Maret, Anatole de la Forge et Michon de l'extrême
gauche. Les six autres commissaires représentent la moyenne
de l'opinion du parti républicain, lequel est d'avis qu'il faut
purement et simplement interdire aux prétendants le territoire
de la République.
Dans la discussion des bureaux, le ministère — en la per-
sonne de MM. Goblet et Sarrien, ministres de l'instruction
publique et de l'intérieur — n'a pas été brillant. Messieurs les
ministres ont en effet déclaré que la conduite des princes avait
cessé d'être correcte et qu'alors le gouvernement se voyait dans
CHHONIQUE DE LA SEiMAlNE 551
la nécessité de demander contre eux à la Chambre une loi
d'exception. Mais mis au pied du mur et sommés à droite
comme à gauche de donner des preuves, de citer des faits et
par conséquent d'édifier le pays, les honorables ministres sont
restés cois. M. Sarrien a de plus ajouté que, de l'aveu de
M. Jules Ferry lui-même on n'était pas suffisamment armé
contre les princes par des lois de haute police. Il s'est attiré
une vive riposte de M. Jules Fei ry qui tient à rester un homme
de gouvernement et qui n'admet évidemment pas qu'un ministre
républicain puisse être gêné par la question des princes.
En somme, mauvaise afi'aire pour le gouvernement. Il n'est
pas bien sur d'obtenir son projet de loi, à moins de le modifier
selon les vues d'une majorité qui ne s'entend guère. Et s'il
obtient son projet amendé ou non, il n'en restera pas moins
profondément ébranlé. Car il est évident qu'il n'a aucune action
sur la Chambre, qu'il ne tient plus debout et qu'il ne tombe
pas uniquement parce que ses héritiers présomptifs veulent lui
laisser l'agrément de déblayer le terrain de cette périlleuse
question des prétendants. Sans être grand prophète on peut
prédire que M. de Freycinet s'en ira probablement avant la
chute des feuilles.
Pendant que le ministère, les Chambres et la presse sont
uniquement, pour ainsi dire, absorbés par la question des
princes, les princes, on doit l'avouer, prennent assez philoso-
phiquement leur condition de futurs proscrits. Nous parlons,
bien entendu, des princes de la Maison de France, car pour le
moment le prince Jérôme et son héritier ne comptent pas encore.
Mgr le duc d'Aumale était rentré à Chantilly le surlendemain
des noces de Lisbonne et, depuis sa rentrée, il ne manque ni une
séance de l'Académie, ni une soirée théâtrale. Avant-hier
encore il était à l'Opéra.
Quant à M. le comte de Paris, le voici de retour à Eu avec
sa famille, et c'est là qu'il aurait décidé d'attendre l'ordre
d'expulsion, s'il doit venir. C'est là, qu'entouré des princes de
sa maison, et sans doute aussi d'amis dévoués, il recevrait la
notification officielle de la mesure.
Le comte de Chambord disait, en écartant l'idée de certaines
témérités, « que le roi de France ne peut risquer dd sô faire
mettre au poste. » M. le comte de Paris ne compromettra pas
davantage la dignité royale; mais il y a cependant des vio-
40
552 ANNALES CATHOLIQUES
lences qu'il faut faire constater, et sans doute il tiendra, dans
la forme qui convient à son caractère et à sa situation, à bien
établir qu'il ne cède qu'à la force brutale.
Le Prince pourrait choisir entre la rue de Varennes, à Paris,
et le château d'Eu pour recevoir l'injonction officielle. A Paris,
la scène eût pu avoir plus d'éclat, avec des proportions plus
imposantes, mais aussi avec des inconvénients dont la malveil-
lance aurait pu tirer parti. Rue de Yarennes, le Prince aurait
eu l'air de chercher une démonstration, de faire appel aux
passions politiques. Il ne l'a pas voulu, et, dès le premier
moment, il aurait écarté toute idée de ce genre pour aller à
Eu, loin de toute excitation et de tout tapage, attendre chez lui
les exécuteurs.
La Chambre paraît-il, n'avait pas assez de discussions inu-
tiles et dangereuses en expectative. La commission du budget
vient d'en soulever une nouvelle. Elle s'est prononcée pour la
suppression du budget des cultes et nous avons donné les noms
des treize de ses membres contre neuf qui ont voté dans ce
sens.
Il est vrai qu'elle n'a pas tardé à revenir sur cette pre-
mière résolution et ce qui se passe depuis est vraiment iné-
narrable. La décision dont nous venons de parler avait été
prise le mercredi 26 mai; dés le surlendemain, la commission
décidait, au contraire, de le discuter, c'est-cà-dire d'accep-
ter son maintien en principe. Mais si elle s'était bornée à
cette première résolution, c'eût été trop simple. Cinq minutes
après, elle se déjugeait en votant que le budget des cultes,
néanmoins, ne serait examiné que lorsque la Chambre se
serait prononcée sur le principe de la séparation de l'Eglise et
de l'Etat. Quelques instants plus tard, nouveau changement à
vue : si la Chambre ne se dépêche pas de statuer sur le prin-
cipe de la séparation, on procédera sans plus attendre à
l'examen de ce malheureux budget.
Le lecteur demandera sans doute quelle idée se dégage de
ces votes successifs? Il ne se dégage qu'une absence complète
d'idée.
On connaît ces pantins dont les membres sont mis en mouve-
ment, par un système de fils, avec ordre et méthode; qu'un fil
casse, et les mouvements deviennent désordonnés, de réglés
qu'ils étaient; le pantin déséquilibré gigotte lamentablement..
CHRONK'UK DE LA SEMAINE 553
Nos polichinelles — ■ comme les appelait si bien Courbet
— ont un fil cassé, sinon plusieurs ; ils s'agitent dans le vide,
désespérément, sans pouvoir s'arrêter, et ce serait très drôle,
à force d'être bête, si la circonstance permettait le rire.
Au cours de ces tergiversations de la commission du budget,
M. Gerville-Réache ayant demandé à M. Yves Guyot s'il
n'avait pas préparé un projet de loi relatif à la séparation des
Eglises et de l'Etat, celui-ci a répondu qu'en effet il avait un
projet de loi remettant aux communes la libre disposition des
46 millions du budget des cultes et leur donnant ainsi la
faculté de supprimer les allocations aux ministres des diffé-
rentes religions. Il a ajouté que son projet était prêt et qu'il le
déposerait dès le lendemain.
En voici le texte :
Proposition de loi sur la séparation facultative
des Églises et de l'État.
Article i^". — La direction des cultes au ministère de Tinstruc-
lion publique est supprimée. En conséquence, il ne sei'a plus ins-
crit au budget de crédit pour le personnel, le matériel et les
impressions des bureaux de cultes.
Art. 2. — Les crédits affectés aux traitements des curés, aux
allocations aux desservants et vicaires, au personnel des cultes
protestant, israélite et musulman, aux dépenses des séminaires
protestants et Israélites, aux frais d'administration de l'Eglise de
la confession d'Augsbourg, sont répartis entre les communes au
prorata de la pai't attribuée à chacune d'elles pour l'exercice 1886.
lies crédits affectés aux traitements des archevêques et évêques,
aux allocations, aux vicaires généraux et aux chanoines, aux mo-
biliers des archevêchés et évêchés, aux loyers pour évèchés, sémi-
naires, seront répartis entre les communes de chaque circons-
cription diocésaine.
Art. 3. — Ces crédits constitueront une dotation perpétuelle
pour les communes.
Art. 4. — Les crédits affectés aux églises classées comme mo-
numents historiques seront reportés au service des beaux-arts.
Les crédits affectés aux édifices religieux non classés comme
monuments historiques (secours pour les églises et presbytères,
secours pour les édifices des cultes protestant, israélite, dépenses
du matériel du culte musulman), seront remis aux communes sur
le territoire desquelles ces édifices sont situés.
Art. 5. — La somme représentant le total des crédits rerais aux
commune en vertu de l'article 2, sera prélevée sur le produit des
554 ANNALES CATHOLIQUES
contributions directes. La répartition entre les contribuables devra
être faite au prorata des contributions directes payées par chacun
d'eux. Sur l'avertissement pour l'acquit des contributions directes,
aux indications actuelles, ainsi conçues : « Dans le montant des
cotes ci-contre, il revient, savoir à l'Etat, au département, à la
commune », il sera ajouté : « aux cultes ».
Art. 6. — Dans les trois mois de la publication des rôles, chaque
contribuable pourra déclarer qu'il entend être dégrevé de la part
des centimes communaux équivalent à sa part contributive pour le
service des cultes.
Cette déclaration, faite par écrit, sera remise au maire, qui la
transmettra au sous-préfet. Le préfet communiquera les déclara-
tions au directeur des contributions directes. La déclaration sera
exempte du droit de timbre.
Art. 7. — Le conseil municipal pourra réduire ou supprimer en
totalité les subventions accordées aux cultes et les traitements
alloués aux ministres ou représentants des cultes.
Il pourra employer la subvention de l'État correspondante à tel
usage qu'il lui conviendra.
Art. 8. — Lorsque la moitié plus un des contribuables de la
commune aura refusé de contribuer aux frais des cultes, la totalité
de la subvention de l'État servira de plein droit au dégrèvement
des centimes additionnels communaux.
Art. 9. — La réduction ou la suppression des subventions et des
traitements même au cours de l'année ne pourra donner lieu à
aucune réclamation de la part des ministres ou représentants des
cultes, nonobstant toute clause contraire insérée dans les traités
ou conventions passées par eux avec les communes.
Art. 10. — Les associatioas religieuses sont assimilées aux syn-
dicats professionnels, et soumises aux dispositions de la loi du
21 mars 1884.
Art. 11. — Les ministres qui renonceront à l'exercice du culte
dans un délai de trois ans à partir de la promulgation de la pré-
sente loi, recevront de l'Etat un secours temporaire s'ils sont âgés
de moins de soixante ans, viager s'ils ont dépassé cet âge.
Art. 12. — Les conseils municipaux peuvent changer l'affectation
des édifices consacrés au culte qui appartiennent aux communes.
Art. 13. — La convention du 26 messidor an IX, dite le Concor-
dat de 1801, est dénoncée. Toutes les lois antérieures contraires
aux dispositions de la présente loi, et spécialement la loi du
18 germinal an X, dite articles organiques, sont abrogées.
C'est à n'y pas croire, mais enfin cela est! Les victimes.de
(3HR0NIQUE DE LA SEMAINE 555
Châteauvillain sont poursuivies. Voici en effet le texte de
l'assignation qui vient de leur être remise :
Tribunal correctionnel de Bourgoin.
ASSIGNATION A PREVENUS.
L'an 1886 et le 22 du mois de mai, je, Louis Bert, huissier près
le tribunal de l""* instance de l'arrondissement judiciaire de Bour-
goin (Isère), résidant à Bourgoin, soussigné, à la requête de
M. le procureur de la République près ledit tribunal, qui fait
élection de domicile en son parquet sis au Palais-de-Justice de
ladite ville, j'ai donné assignation à :
1° Fischer (Jules), 38 ans, directeur de l'usine de la Combe,
demeurant à Châteauvillain.
2° Etc., etc., (les autres nommés ci-après).
en son domicile, où je me suis exprès transporté, parlant à la
personne de son épouse, ainsi déclarée, pour comparaître devant
ledit tribunal, jugeant en police correctionnelle, à l'audience qu'il
donnera le jeudi 1"'^ juillet iSSQ, à l'auditoire du Palais-de-Justice,
à huit heures du matin, pour répondre et défendre sur la préven-
tion d'avoir :
1» En ce qui concerne Fischer, Julie Chapot, Pauline Cutivet,
Marie CoUomb, Eugénie Bally, Marie Boilon, Pbilomène Ferrand ;
d'avoir, le 8 avril 1886, à la Combe, sur le teritoire de la commune
de Châteauvillain, en réunion non armée de trois à vingt per-
sonnes, commis une résistance avec violence et voies de fait
envers des agents de la force publique, délit prévu et réprimé par
les art. 209 et 211, § 2 du Code pénal ;
2° En ce qui concerne Fischer, Marie Boiton et Philomène
Ferrand, d'avoir, le 8 avril 1886, et au même lieu, volontairement
exercé des violences et voies de fait soit envers des magistrats de
l'ordre administratif ou judiciaire, soit envers des agents de la
force publique dans l'exercice de leurs fonctions, délits prévus et
réprimés par les art. 228 et 230 du Code pénal ;
3° En ce qui concerne Marie Bonnevie, Joséphine Bernard, Marie
Delorme, Marie Chapeland, Marie Ginon et Philomène Perraud,
d'avoir, le 8 avril 1886, et au même lieu, outragé par paroles,
gestes ou menaces, soit des magistrats de l'ordre administratif ou
judiciaire, soit des commandants de la force publique dans l'exer-
cice de leurs fonctions, délits prévus et réprimés par les art. 222,
223, 22'i et 225 du Code pénal ;
4° En ce qui concerne Constant Guillaud (curé de Châteauvillain),
Lucien Revol (vicaire), Emilie Sibuet, Marie Jullien, Félicie Ma-
zerat, Joséphine Augier (quatre religieuses), de s'être, à la même
époque et au même lieu, rendus complices des délits ci-dessus qua-
lifiés : 1° en aidant et assistant avec connaissance les auteurs
556 ANNALES CATHOLIQUES
dans les faits qui ont préparé, facilité ou consommé lesdils délits ;.
2° en provoquant à ces délits par abus d'autorité ou de pouvoir et
en donnant des instructions pour les commettre, délits prévus et
réprimés par les art. 209, 211, § 2, 228, 230, 222, 223, 224, 225,
59 et 60 du Code pénal;
Et s'entendre condamner, en cas de conviction, aux peines
portées par les articles énoncés.
Etc..
Signé : h. Bert, huissier.
II faut être en République pour assister à de pareilles
énormitès !
L'interdiction d'une manifestation ouvrière qui devait avoir
lieu à Bruxelles, le 13 juin, en faveur du suffrage universel,
provoque une vive agitation en Belgique. M. Buis, le bourg-
mestre, a fait une enquête préalable sur cette démonstration
monstre ; il est arrivé à la conviction qu'elle attirerait à Bruxelles
une foule de 100,000 ouvriers environ. Pour contenir cette masse,
l'autorité communale dispose de 1,500 agents de police, de quel-
ques bataillons de la garde civique et, en dernier recours, de la
troupe, que le bourgmestre no veut requérir à aucun prix. En
présence de cet état de choses, M. Buis n'a plus hésité et a fait
savoir au secrétaire du conseil général du parti ouviuer qu'il
interdisait la manifestation. Celle-ci aura lieu cependant, dit le
Temps, non pas en bloc à Bruxelles seulement, mais en détail,
dans les divers chefs-lieux de province.
La situation s'éclaircit, et si les Anglais, qui engagent si
volontiers des paris, veulent risquer quelques guinées sur une
question politique, la plupart des parieurs, croyons-nous, tien-
dront pour le succès de M. Gladstone.
Ce que le chef du cabinet anglais paraît avoir obtenu, grâc»
aux concessions qu'il a faites aux dissidents dans la réunion
libérale du jeudi, ce n'est pas leur adhésion au bill de home
rule actuellement en discussion, mais simplement au principe
du home rule. En d'autres termes, le projet de loi dont la
Chambre des communes est saisie à cette heure disparaîtra
aussitôt que voté en seconde lecture. M. Gladstone ne consi-
dérera son adoption que comme un engagement pris par la
Chambre de doter l'Irlande d'un Parlement national. Ce n'est
point pour discuter les articles du projet de loi que la Chambre
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIERE 557
sera convoquée en session extraordinaire au mois d'octobre; le
projet en question sera considéré comme enterré, et les deux
délibérations dont il fait l'objet comme nulles et non avenues.
La Chambre se réunira en octobre pour examiner un projet de
home rule tout nouveau, qui devra traverser toutes les phases
de la discussion publique : la première lecture, la seconde, etc.
En d'autres termes, le pacte intervenu entre M. Gladstone et
la majorité est celui-ci : le vote du home rule bill actuel, en
seconde délibération, sera interprété uniquement comme une
promesse formelle d'accorder à l'Irlande une législation dis-
tincte et d'arrêter définitivement, l'automne prochain, les con-
ditions dans lesquelles cette législature fonctionnera concur-
remment avec le Parlement impérial. Telles sont, d'après les
nouvelles explications fournies par M. Gladstone, les termes de
l'entente intervenue jeudi.
Ainsi présenté, le triomphe, que M. Gladstone est sur le
point de remporter, paraît moins grand et moins décisif qu'il
ne semblait à première vue. En réalité, il est sans précédent.
Il y a un an, quiconque eut parlé de doter l'Irlande d'un Par-
lement national eût été taxé de folie; quand M. Gladstone en
a parlé pour la première fois, il a été traité de criminel. Et
voilà que la Chambre des communes va prendre l'engagement
de créer un Parlement irlandais, pas plus tard que dans cinq
mois, ce qui, dans la vie d'un peuple, est un bien court espace
de temps. L'Irlande a de bonnes raisons de se tenir pour satis-
faite, en comptant sur un très prochain avenir.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
La reprise des débats parlementaires a généralement pour efifet
d'arrêtei' temporairement l'expansion du marché financier. Le public,
qui paie tant d'impôts, n'aime pas ces interpellations, ces dis-
cours à sensation, ces propositions bruyantes autant que mal venues.
Ce qu'on appelle, à la Bourse et sans doute aussi ailleurs, la ques-
tion des princes, a singulièrement refroidi l'élan de hausse qui
avait suivi la clôture de l'emprunt; on ne voudrait pas voir cette
question même se soulever; l'argent est craintif; il aime la tran-
quillité.
Nous n'avons point, à cette place à traiter cette question des
558 ANNALES CATHOLIQUES
princes, cependant dans notre faible mesure de concours dans ce
journal, nous déclarons que nous en partigeons toutes les idées.
Le classement de l'emprunt se fait difficilement, les titres ou
plutôt ce qu'on appelle les promesses arrivent de la province; on
croirait vraiment que celle-ci en souscrivant n'ait voulu faire qu'une
spéculation, à l'instar des grands financiers de la capitale.
Ces gros financiers qui ont presque tout l'emprunt, poussaient,
poussaient les cours, mais cette hausse subite a produit l'effet
contraire à celui qu'ils attendaient : la hausse a produit l'arrivée
des titres sur le marché et non l'achat de l'emprunt avec l'argent
rendu ; il fallait ou faire une réaction pour empêcher les livraisons
qui ne sortaient pas de leur caisse ou absorber ce qui venait sur le
marché. Ils ont préféré la réaction.
Voilà la liquidation de fin mai qui se met de la partie; elle ne se
fera pas en hausse, c'est probable.
La Commission sénatoriale s'est montrée hostile à l'emprunt de
250 millions de la ville de Paris ; grande colère au sein du conseil
municipal.
La faveur est toujours sur les obligations ; soit celles de la ville
de Paris ou celles des grandes lignes de nos chemins de fer ; soit
enfin sur les obligations du Crédit foncier. Depuis le \" juin les
obligations foncières 3 °/„ 1883 sont libérées de 140 fr., par suite d'un
versement de oO fr. par titre qu'on devait etfectuer le 31 mai, dernier
délai. Malgré ce versement ces titres ne manifestent aucune fai-
blesse. Du reste l'échelonnement des paiements de six mois en six
mois se prête aux exigences de la plus petite épargne. L'obligation
communale 1880 est également bien tenue; elle est en tirage
le o de ce mois. Ces deux types d'obligations ont chacune six
tirages par an, soit tous les deux mois et comme les tirages alter-
nent entre les obligations 1880 et 1883, celui qui posséderait une
obligalion de chaque type, aurait tous les mois un tirage à vérifier.
On a fait grand bruit, ces temps derniers, autour du canal de
Panama. Le ministre s'est même plaint d'une indiscrétion qui s'était
commise dans ses bureaux et a déclaré qu'il ferait une enquête. On
sait, sous la République, ce que ce mot veut dire. Le public s'est
ému de ce ton énigmatique ; on a parlé du rapport de M. Rousseau,
ingénieur en chef des Ponts et chaussées, envoyé à Panama par le
gouvernement pour de visu, se rendre compte de cette affaire et on
a conclu à un rapport défavorable. Tout est possible ; mais il fau-
drait avoir un peu de patience et attendre la publication de ce
rapport. Les titres du Panama, d'abord très affectés, ont repris
leur ancien niveau. Que demande le public qui a donné son argent ?
— De la lumière! Donnez-en donc! L'administration de Panama
saura se défendre en supposant que le rapport de M. Rousseau
l'attaque véritablement.
A. H.
Le gérant: P. Chantrbl,
Paris. — fmç. G, PicQnoiN,51, rne de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
-€fc-0©C^>^:^-
ACTES DU CONSISTOIRE SECRET
DU 7 JUIN 1886.
N. T. S. P. le Pape Léon XIII a tenu le 7 juin au matin,
dans le palais apostolique du Vatican, un consistoire secret.
Après y avoir prononcé une allocution, Sa Sainteté a daigné
créer et publier cardinaux de la sainte Eglise romaine :
Dans l'ordre des 2orêtres :
Mgr Victor-Félix Bernadou, archevêque de Sens, né à
Castres, dans l'archidiocése d'Albi, le 25 juin 1816;
Mgr Alexandre Taschereau, archevêque de Québec, né à
Sainte-Marie-de-la-Beauce, le 17 février 1820;
Mgr Benoît-Marie Langénieux, archevêque de Reims, né à
Villefranche (Rhône), dans l'archidiocése de Lyon, le 15 oc-
tobre 1824;
Idgi' Jacques Gibbons, archevêque de Baltimore, né à Balti-
more, le 13 juillet 1834;
Mgr Charles-Philippe Place, archevêque de Rennes, né à
Paris, le 14 février 1814;
Dans V ordre des diacres :
Mgr Auguste Theodoli, préfet des saints palais apostoliques
et maj ordome de Sa Sainteté, né à Rome, le 18 septembre 1815 ;
Le Rme P. Camille Mazzella, de la Compagnie de Jésus, né
à Vitulano, dans l'archidiocése de Bénévent, le 10 février 1833.
Ensuite Sa Sainteté a daigné désigner et pourvoir les
églises suivantes :
L'Eglise métropolitaine de Tolède, pour l'Eme et Rme car-
dinal Michel Paya y Rico, transféré du siège de Compostelle ;
L'Église me'Lropolitaine de Sorrente, pour le R. D. Joseph
GiusTiNiANi, de Naples, oii il fait partie de l'académie de Saint-
Thomas d'Aquin, juge des causes matrimoniales auprès de la
Curie archiépiscopale de Naples, recteur du séminaire de cette
ville, où il est aussi chanoine de l'église métropolitaine, enfin
docteur en théologie;
Lvi. — 12 JUIN 1886. 41
560 ANNALES CATHOLIQUES
L'Eglise cathêdralelde Groswaradein, de rite latin, pour
Mgr Arnold Ipoly Stumer, transféré du siège de Néosolio ;
UEgliae cathédrale de Novare, pour Mgr David Riccardi,
transféré du siège d'Ivrée, qu'il retient en administration pro-
risoire ;
L'Église cathédrale de Reggio d'Emilie, pour Mgr Vincent
Manicardi, transféré du siège de Borgo San Donnino, qu'il
retient en administration provisoire ;
L'Eglise titulaire épiscopale de Leuca, pour Mgr Gaétan
Bacile de Castiglione, grand prieur de San Nicolas-de-Bari
qu'il retient en administration provisoire et évêque démission-
naire de Castellaneta;
L'Église cathédrale de Casale, pour Mgr Philippe Chiesa,
transféré du siège de Pignerol, qu'il retient en administration
provisoire ;
L'Eglise cathédrale d' A versa, pour Mgr Charles Caputo,
transféré du siège de Monopoli, qu'il retient en administration
provisoire ;
L'Eglise cathédrale de Monopoli, pour le R. D. François
d'Albore, de l'archidiocése de Capoue, où il est examinateur
pro-synodal et chanoine honoraire de l'église métropolitaine ;
L'église cathédrale de Castellaneta pour le R. P. Giocondi,
de San Giovanni Rotondo, dans l'archidiocése de Manfredonia,
de l'ordre des Mineurs Observants réformés de Saint-François,
professeur de théologie et ministre provincial de là province de
San-Angelo di Puglia;
L'église cathédrale de Livourne, pour le R. D. Léopold
Franchi, de Prato, professeur de théologie morale au sémi-
naire de sa ville natale, oii il est aussi chanoine de la cathé-
drale et vicaire-général;
L'église cathédrale de Borgo San Donnino, pour Mgr Jean-
Baptiste Tescari, du diocèse de Vicence, agrégé au clergé
de Parme, camérier secret surnuméraire de Sa Sainteté, exami-
nateur synodal dans les deux diocèses de Vicence et de Parme,
chanoine de la cathédrale de ce dernier diocèse et diacre
prébende do Saint-Second ;
L'église cathédrale de Pignerol^ pour le R. D. Jean-Marie
Sardi, du diocèse d'Asti, oii il est examinateur pro-synodal,
avec rang de second archidiacre de la cathédrale et vicaire-
général;
L'église cathédrale d'Ivrée, pour le R. D. Augustin Ri-
ACTES DU CONSISTOIRE SECRET 501
CHELMT, de Turin, professeur de théologie au séminaire de
cette ville, supérieur du monastère du Saint-Rosaire, exami-
nateur synodal, chanoine honoraire de l'église métropolitaine
et docteur en théologie ;
L'église cathédrale de Trente, pour le R. D. Eugène-Charles
Valussi, de l'archidiocése d'Udine, agrégé au clergé de Goritz,
oii il est directeur spirituel et professeur de théologie morale
au séminaire central, examinateur pro-synodal, assesseur du
tribunal ecclésiastique, chanoine prévôt du chapitre métro-
politain et docteur en théologie;
L'église cathédrale de Cébu, ou Nom de Jésus, aux îles
Philippines, pour le R. P. Martin Garcia Alcocer, de l'ar-
chidiocése de Tolède, prêtre profés des Mineurs Observants
déchaussés de Saint-François, recteur du collège do son ordre
à Pastrana, pour les îles Philippines;
L'église titulaire épiscopale de Lita, pour le R. D. Philippe
Degni, de la famille des barons de Salento, de Naples, où il
est supérieur de plusieurs congrégations, consulteur pour les
affaires de cette mense archiépiscopale et docteur dans l'un
et l'autre droit ;
Véglise titulaire épiscopale de Derbe, pour le R. D. Vin-
cent Alda y Sancho, du diocèse de Tarazona, archidiacre de
l'église métropolitaine de Saragosse, oii il est vicaire général,
licencié en théologie, député auxiliaire de l'Em. cardinal
archevêque de Saragosse.
LES RUINES
Où ne retrouve-t-on pas aujourd'hui l'influence de la Révo-
lution? Elle est partout, dans l'état économique, dans l'indus-
trie, dans les arts aussi bien que dans les principes. Quand on
a énuméré toutes les catastrophes politiques, toutes les ruines
sociales de ce siècle, on n'a pas encore fait connaître tous les
dommages que la Révolution a causés à la société. Rien n'a
échappé à son action destructive.
Les erreurs ont eu leur retentissement dans les faits. Tout
s'est ressenti de ce grand bouleversement des idées et des
choses. La condition générale de la vie en est si profondément
changée qu'il faut remonter dans le passé pour retrouver
562 ANNALES CATHOLIQUES
l'image d'un état paisible et heureux. Il n'y a plus de bonheur
qu'en souvenir. Seule la vision des choses d'autrefois éclaire et
réjouit nos sombres jours. Le peuple parle toujours avec regret
du bon vieux temps. Que de choses ont changé! que de choses
ont péri depuis un siècle ! Le bonheur domestique, la vie do
famille, la sécurité du lendemain, la paix publique, l'esprit
d'union et de concorde entre citoyens, tout cela a disparu avec
la Révolution. Et ce n'est pas tout ce qui périra.
D'autres destructions menacent de nous atteindre dans notre
vanité, et elles iront jusqu'à supprimer du nombre des siècles
ce siècle si fier de son génie et de ses progrès. Les grands
admirateurs de la civilisation moderne commencent à se
demander ce qui restera de nous dans cent ou deux cents ans.
Hélas ! on n'a plus guère le souci de léguer sa maison à ses
enfants, de se survivre dans les lieux qu'on a habités; car qui
a une maison aujourd'hui, ou qui est sûr de pouvoir la con-
server avec la loi révolutionnaire de l'expropriation ? Mais
toutes ces grandes bâtisses à compartiments et tout en façade,
toutes ces maisons de décor édifiées pour l'ornement des rues
et le profit des entrepreneurs de location, toutes ces construc-
tions de villes modernes, elles sont vouées, paraît-il, à une
destruction assez prochaine.
Le bois, trop humide, que la fièvre de spéculation n'a pas
laissé sécher, pourrira: le fer, employé pour aller plus vite et
occuper moins de place, s'oxydera intérieurement; les murs en
plâtras ne supporteront pas le poids du temps et tout croulera.
Avant deux siècles, le Paris « haussmannisé » ne sera plus
qu'une ruine comme Troie ou Carthage. Tout notre mobilier
de pacotille aura péri bientôt. C'est en vain que les petits-
enfants chercheront le fauteuil de l'aïeul. Les plus élégants
articles de l'industrie parisienne n'auront qu'un jour. Meubles,
étofî'es, dorures, tout est fragile. Nos livres de cinquante ans
tombent déjà en poussière sous la main qui les feuillette. Le
papier est mauvais et la reliure ne tient pas. De toute cette
multitude de journaux, de publications, de volumes de toute
sorte, qui représentent pour nous l'œuvre de la pensée du
XIX* siècle, que survivra-t-il ^ l'efi'et du temps?
Tout est si mesquin, si caduc, si vulgaire aujourd'hui, que
notre époque ne fournira pas même à la postérité la matière
d'un chant ou d'un spectacle. Le moyen âge, avec sa poésie et
son pittoresque, a revécu pour nous dans des poèmes, dans des
LES RUINES 563
représentations de toute sorte. De quelle tragédie, de quelle
épopée le plus grand homme du jour, Garabetta, inventeur de
l'opportunisme, sera-t-il le héros? Sur quel théâtre, dans
quelle ville verra-t-on reproduire en tableaux, en cavalcades,
des personnages ou des scènes empruntés à l'histoire de ce
temps? Se figure-t-on, autrement qu'en caricature, un drame
oii paraîtrait M. Grévy, président de la République française,
un cortège dont le conseil municipal de Paris serait le sujet?
Toutes ces figures, toutes ces choses du jour, aussi laides
qu'éphémères, disparaîtront à jamais des yeux, des souvenirs
de la postérité.
Il ne restera même rien de nos ossements, avec cette loi
barbare sur la crémation que la sottise et la tyrannie des
dominateurs d'à présent voudront rendre obligatoire comme la
loi sur l'instruction. Ruines de monuments, ruines de sou-
venirs, ruines d'hommes : notre siècle ne laissera après lui que
des ruines.
Prenons un exemple. Un expert en art, admirateur autant
que personne de la civilisation moderne, vient de pousser un
cri d'alarme sur nos tableaux. Le cas est grave. Le savait-on?
Notre peinture moderne, une des grandes vanités de ce temps,
est menacée de périr. Ce ne sont pas seulement les couleurs
qui-brunissent comme dans les toiles des maîtres de la fin du
XVP siècle; mais dans les tableaux vieux à peine de trente ou
quarante ans, la « peinture se craquelle, s'écaille, se disloque.
Les glacis disparaissent, dévorés par la lumière du jour. Les
bitumes du dessous ressortent et font des taches. » Il en est
beaucoup de ces oeuvres, et des plus admirées, « dont on peut,
dès aujourd'hui, prédire à courte échéance la complète destruc-
tion ». Do toutes ces toiles que l'engouement des acheteurs
couvre d'or, c'est le petit nombre qui échappera, et aucune ne
demeurera intacte.
Mais on demandera peut-être où est ici la Révolution? Nous
répondrons avec le Siècle, journal révolutionnaire : Comparez
les anciens tableaux à ceux d'aujourd'hui.
« Prenez au Louvre le Portrait d'homme, d'Antonello, et la
Vierge au donateur, de Jean Van Eyck : ces deux tableaux
ont la même fraîcheur, la même finesse de coloris, la même
puissance, la même netteté que le premier jour. Ils sont préci-
sément dans l'état où ils se trouvaient au sortir de l'atelier du
peintre. »
564 ANNALES CATHOLIQUES
Et pourquoi cette différence? Pourquoi ici ces belles et
fraîches couleurs, cette solidité de peinture, cette parfaite tenue
de l'œuvre; là ces masses épaissies ou déteintes, cette décolo-
ration, ce changement de tons et de nuances, cette métamor-
phose, cet évanouissement du tableau? Pourquoi? Ecoutons
encore le Siècle.
< Si les artistes qu'on est convenu d'appeler des primitifs
ont fait de la peinture merveilleusement durable, c'est qu'ils
savaient merveilleusement leur métier, c'est qu'ils étaient des
maîtres accomplis en fait de technique, alors que nous ne
sommes plus guère, sur ce terrain, que des prétentieux et des
ignorants. »
Entendez-vous, peintres à la mode, qui vous croyez plus forts
que van Eyck et Memling, plus grands que Giovanni da Fiesole
et Francia, parce que vos toiles se payent cent fois plus cher,
sur le marché de Paris ou de New-York, qu'on ne payait les
œuvres de ces primitifs : ceux-là savaient leur métier et vous
ne le savez plus, et ils le savaient parce qu'ils l'apprenaient de
la bonne manière.
« Aux temps anciens, en effet, on ne s'improvisait pas peintre,
comme cela arrive de nos jours. Pour être en droit de peindre
il fallait avoir conquis une sorte de brevet, il fallait être
arrivé à la maîtrise, et pour cela avoir fait un apprentissage
long et difficile et appris le métier par ses commencements...
Avant de peindre, on apprenait à composer et à fabriquer les
matières dont on allait se servir. Plus tard, quand l'appren-
tissage était fini, quand on était en état de faire son chef-
d'œuvre et d'être reçu maître dans la communauté, on n'était
plus embarrassé, et l'on pouvait répondre de la qualité intrin-
sèque de son tableau, sachant de quelle matière la peinture en
était faite. »
Mais la Révolution a changé tout cela. Plus d'apprentissage,
plus de corporation, plus de garanties de la bonne exécution de
l'œuvre. Aujourd'hui, il s'agit uniquement de réussir et au plus
vite. A-t-on le temps d'apprendre? A l'âge oii l'élève d'autre-
fois se formait encore aux pratiques du métier dans l'atelier du
maître, on veut déjà exposer, avoir des réclames dans les
journaux, faire des affaires avec les marchands. Arriére
l'humble molette à broyer les couleurs! Nos jeunes peintres
veulent tenir d'emblée la palette. Peut-être arriveront-ils à la
LES RUINES 565
gloire sans savoir même leur métier. Et ils auront alors de
somptueux ateliers, ornés des meubles les plus rares, des bibe-
lots les plus curieux. Ces magnifiques salons ne sont pas faits
pour recevoir des apprentis, encore moins conviennent-ils à la
préparation des couleurs! Le maître dédaigne ces vulgaires et
salissantes besognes; il n'a pas non plus le temps de former des
élèves, tout occupé qu'il est de satisfaire aux commandes.
Nos artistes sont plus marchands de tableaux que peintres.
Ils produisent pour le commerce. Qu'importe l'avenir, pourvu
que l'œuvre plaise sur le moment et se vende bien ! Mais l'Etat
et les particuliers qui ont acquis leurs toiles à prix d'or, que se
trouveront-ils posséder dans cinquante, dans cent ans ? Que
leur restera-t-il de cette peinture payée si cher ?
Les statuts et règlements de la communauté de peintres de
Rouen, édictés en 1508, contenaient les prescriptions suivantes :
« Lesdits maîtres pourront œuvrer et besongner de toutes matières
de bois, de pierre, de corne, d'yvoire et de toutes autres matières et
peintures bonnes et loyales... Mais seront tenus de peindre à l'huile
et de bonnes matières et loyales sous peine d'amende arbitraire à la
discrétion de justice. »
Et plus loin :
« Il est prohibé et deffendu à tous de peindre aucuns images,
tables, tableaux ou autres ouvrages, soit à églises ou autres lieux
qui ne soient bien et duement plâtrez ou imprimez à huile, et
devant que d'être assouvis, seront ébauchez de fausses couleurs tant
d'étotTe que de portraiture, sous peine d'amende, comme dessus. »
Et enfin :
Si la marchandise est trouvée bonne et loyale, elle pourra être
exposée et vendue, et au contraire, s'il est trouvé aucune déception
ou faute, elle sera corrigée et amendée, si faire se peut, ou autre-
ment elle sera rompue et cassée, comme fausse et déloyale. »
Ces statuts étaient communs à toutes les confréries ou com-
munautés de peintres. La corporation veillait à leur exécution.
Outre la garantie de bonne fabrication offerte à l'acheteur par
la longue durée de l'apprentissage, il y avait le contrôle per-
pétuel des jurés qui assurait la bonne qualité des matières
employées, la loyauté de la marchandise, la bonne exécution
de l'œuvre. Avec ces sages règlements on avait des tableaux
durables. La peinture des XV' et XVP siècles est intacte. Les
musées d'Italie, d'Allemagne et de France en témoignent.
566 ANNALES CATHOLIQUES
Aujourd'hui est peintre qui veut et comme il veut. C'est la
liberté. Aucune autre condition n'est imposée à l'art que de
plaire. Le peintre fait son tableau, et c'est tout : on l'achète ou
on ne l'achète pas. Aucune garantie n'est offerte au public sur
l'artiste; aucun recours n'existe contre lui. Si un tableau est
comme l'on disait autrefois, bon et loyal, il l'ignore tout le
premier. La toile, les couleurs, il a tout reçu des mains du
marchand et, aussi étranger que l'acheteur à la fabrication des
matières qu'il emploie, il ne sait pas plus qi;e lui comment elles
ont été préparées ni si elles sont bonnes. Il peint au hasard.
Tant mieux si l'œuvre subsiste, tant pis si elle périt! L'ache-
teur a payé, et c'en est fini entre lui et l'artiste.
S'il n'y avait que l'intérêt particulier en jeu, peut-être pour-
rait-on dire encore que le régime de la liberté est préférable
à l'état ancien de réglementation. Mais il y va aussi de l'intérêt
de l'art. A supposer que les oeuvres de la peinture moderne
soient aussi précieuses qu'elles sont admirées, n'est-il pas
regrettable que la disparition des anciens règlements protec-
teurs les ait exposées à une ruine si prochaine. « Attendons-
nous, s'écrie tristement le critique d'art du Siècle, à voir
disparaître une à une les œuvres dont nous avons salué la
glorieuse apparition. »
Ce n'est que trop vrai. Sous nos yeux, le fameux Naufrage
de la Méduse ne fond-il pas de toutes parts? Et ces rutilantes
peintures de Delacroix ne sont-elles pas en train de se déco-
lorer? Et ces paysages de Rousseau, si éclatants il y a trente
ans, ne sont-ils pas déjà tout effacés? Les rouges s'en vont,
et quand les verts seront partis à leur tour, que restera-t-il
de ce brillant coloris? Devant ces désastres, se trouverait-il un
partisan assez décidé des principes de la Révolution pour ne
point regretter que ces brillants artistes n'aient pas été obligés,
comme autrefois, de faire un apprentissage sérieux du métier
et d'être à même de connaître les couleurs avant de s'en servir?
C'est bien la Révolution qui, en détruisant toutes les insti-
tutions du passé, a fondé ce nouvel état de choses où, sous le
nom de liberté, fleurissent l'ignorance, la cupidité et la fraude.
L'honnêteté publique n'est plus qu'un mot. Tout est faux et
déloyal. Nous sommes dans un temps de tromperie générale.
La falsification est devenue la règle du commerce et de l'indus-
trie. Chacun veut arriver, chacun est pressé de faire fortune
et de s'élever par tous les moyens. Avant tout on veut jouir,
DÉCADENCE 567
et au plus vite. C'est une des causes de la grande perturbation
sociale de ce temps, un des efl'ets de la Révolution, qui en
arrivera à tout détruire, l'art lui-même, comme elle a boule-
versé l'ordre public (1). Arthur Loth.
DECADENCE
C'est, hélas ! le mot qui convient pour qualifier l'état singu-
lier d'une partie de la haute société parisienne à l'heure
actuelle.
Nous disons parisienne, car en province le mal n'est pas aussi
grand ; nombreuses sont les familles chrétiennes qui s'inspirent
encore des traditions d'honneur, de charité et de foi.
A Paris même, il est des centres oii domine le respect de soi
et de la vertu, ils sont ignorés des hommes, mais bénis de
Dieu.
Une fièvre de cabotinage semble s'être emparée de l'aristo-
cratie. Dans son ouvrage si discuté, La France /wefe, M.Drura-
mont s'indignait contre cette envie de paraître qui arrache à
leur famille les mères et les épouses, les jette sur les planches
en pâture à la curiosité de tous.
Les journaux mondains peuvent être rendus responsables de
cet état de choses dans une certaine mesure; jadis les joies
des familles comme leurs peines étaient sacrées et intimes ; les
reporters étalent à plaisir les unes et les autres.
Mme de X... donne-t-elle un bal, par exemple, dix journaux
racontent aussitôt la chose au monde étonné. Et quel luxe de
détails ! La robe de la maîtresse de maison était rose avec des
pampilles; la toute gracieuse comtesse était coiffée en Diane
avec un croissant de perles ; suit la description du buffet, l'énu-
raération des plats, etc., etc.
Pour peu que ces réunions se multiplient, les feuilles dont
nous parlons sont remplies de ces fadaises.
Le contact maintenant continuel des premières classes de la
société avec le juif enrichi, n'a pas peu contribué à mettre en
honneur cette folie du pavanage^ si complètement opposée à
(1) Univers.
568 ANNALES CATHOLIQUES
l'ancienne distinction et à la réserve hautaine de la vieille
noblesse.
Certes, il n'est pas étonnant que les Israélites richissimes
cherchent à faire parler de leurs bijoux et de leur faste.
Ce n'est point le goiàt des belles choses qui les pousse, mais
Tenvie d'épater le badaud. Vanderbilt fils ne vient-il pas de
tapisser de banknotes le plafond de son fumoir ? Un véritable
grand seigneur eût acheté pour des sommes folles l'œuvre maî-
tresse d'un peintre illustre.
Le Figaro, qui est l'organe quasi-officiel de tous ces désor-
dres, publie dans le même numéro deux articles, l'un de ré-
clame, et l'autre de critique, sur les représentations de cirque
organisées par le high-life.
Nous citons pour l'édification de nos lecteurs.
Le cirque de M. Molier, dont les deux représentations de chaque
année sont toujours comptées parmi les attractions les plus recher-
chées, a donné hier sa première soirée.
On a souvent décrit ce charmant petit cirque construit par un
homme du monde pour des hommes du 'inonde : hier, les loggia et
les moindres petits réduits étaient envahis dès huit heures par une
foule de jolies femmes et la représentation n'a été qu'une longue
ovation pour tous les artistes.
Les deux premiers numéros surtout ont été particulièrement
applaudis : un cheval monté en haute école et dressé avec une
science parfaite par M. Molier; un travail en double et haute école,
par M"^' V... et L..., deux charmantes élèves du directeur : M"<= L...
est une jeune écuyère qu'on verra bientôt au cirque X...
Grand succès pour Miss P..., M"^ B..., MM. Saint-Michel Rivey^
d'Aimery, Lanqueten, Hubert de La Rochefoucauld, etc., etc.
D'ailleurs, il faudrait tout citer, si l'on voulait rappeler ici tout
ce qui a été applaudi.
Parmi les plus jolies toilettes, M™^' (suivent les noms plus ou
moins propres).
Cette soirée consacrée aux demi-mondaines (!!), sera suivie d'une
soirée consacrée aux femmes du monde.
La fête s'est terminée fort avant dans la nuit par un souper et un
bal très réussis.
Ces soirées consacrées aux « demi-mondaines » et suivies de
soirées consacrées aux « femmes du monde » constituent, il faut ■
l'avouer, un triste signe du temps. Le même journal qui lance
cette réclame paraît en avoir compris le cynisme, car voici
DÉCADENCE 5C9
comment il apprécie cet étrange cabotinage qui déshonore la
noblesse :
Le cirque Molier ouvre ses portes ce soir, pour une série de repré-
sentations, avec des numéros nouveaux. La fantaisie d'un jour est
devenue une mode; et la mode est en passe de devenir une insti-
tution. Il faut bien s'en occuper. N'est-ce pas notre devoir de con-
naître tout ce qui jette un jour sur nos mœurs! Que si les gentils-
hommes et gentlemen qui descendent dans l'arène nous disaient
qu'ils sont chez eux et que ce qui s'y fait ne nous regarde pas, nous
leur répondrions qu'ils ont justifié notre curiosité par le peu de soin
qu'ils ont mis à fermer leur porte. Visiblement, ils ont cherché
l'applaudissement du public; ils ne sauraient s'étonner de trouver,
à côté de cet applaudissement, la critique. Car ils ont pris grand
soin qu'on n'ignorât pas leurs récréations. Ils les ont fait annoncer
dans les journaux ; ils ont sollicité les reporters ou les critiques de
sport d'y assister, pour en rendre compte. Et rien n'est plus aisé
que d'avoir sous les yeux le programme illustré de la séance, où
M. le duc figure en clown et M. le vicomte en hercule, dans la
réalité d'une photographie qui fait valoir leurs personnes, avec le
costume qui sied le mieux à leur genre de beauté.
En toute sincérité, je le dis aux gens du monde qui changent
l'habit noir contre le maillot et qui exhibent leurs musculatures, le
moment est mal choisi pour ces exercices. Si les classes dirigeantes
et la noblesse, si les gens qui se donnent eux-mêmes pour une élite
sociale veulent sans se laisser prendre aux chimères, user simple-
ment du droit de légitime défense qui leur appartient, ils ne retrou-
veront quelque autorité parmi nous qu'à force de bon sens et surtout
de dignité. Le dernier hommage que la démocratie rend encore à la
noblesse de race, c'est de se montrer sévère pour elle !
Signalons, pendant que nous y sommes, un autre travers non
moins dangereux; c'est la multiplication effrayante des fêtes
dites de bienfaisance.
On méconnaît les austères devoirs de la vraie charité ; si l'on
se dépouille de quelques louis pour les pauvres, c'est sans y
songer. Ventes, tombolas, bals, concerts excentriques se suivent
sans relâche. Les salons du Grand-Hôtel se transforment en
grottes féeriques, en palais d'Aladin.
Pour 40 francs le boutiquier opulent pourra contempler toutes
ces merveilles, et qui plus est, frôler de grandes mondaines, la
princesse de L. ou de A., dont la présence est annoncée comme
certaine dans les réclames.
Oii est la charité?
570 ANNALES CATHOLIQUES
C'est en dansant que l'on procure aux écoles libres le denier
qui les fait vivre pour sauver les âmes des petits enfants.
BUDGET DU PRETi^vE. - BUDGET DU MINISTRE.
Monsieur le rédacteur, écrit à VUnivers un de ses lecteurs,
je me permets de vous livrer quelques réflexions dont vous
ferez rasage que bon vous seinblo'a.
Je crois qu'il serait utile de faire connaître les ressources du
clergé, et voilà pourquoi je soumets à votre haute appréciation
les lignes suivantes :
LES TROIS BUDGETS.
La guerre acharnée faite au clergé, le vol scandaleux appelé
suJ)piession de traitement, demandent une explication claire
et sincère. Il faut, en un mot, exposer la situation terrible pour
le vicaire, navrante pour le curé, odieuse pour le spoliateur.
Et cette triple situation, je vais la mettre sous les yeux dans
toute sa vérité eu faisant ressortir ce qui peut empêcher un
prêtre de mourir de faim et un ministre de rougir de honte.
§ 1. — Le budget du vicaire.
En quittant le séminaire, le jeune prêtre emporte une malle
contenant ses vêtements et ses livres, plus le souvenir d'une
dette de 1,000 à 1,200 francs pour frais de nourriture et d'en-
tretien pendant un séjour de 4 ou 5 ans.
Lorsqu'il prend possession du modeste vicariat que lui confie
son évêque, le prêtre reçoit de l'Etat une pension de 450 francs,
la fabrique ou la commune donne un supplément de 300 francs;
les messes (quand on peut en procurer) procurent une moyenne
de 500 francs ; plus le fameux casuel, tant prôné par les répu-
blicains, et dont le chiffre moyen est de 50 francs, ce qui cons-
titue un budget de 1,300 francs.
Mais sur ce chiffre de 1,300 francs, il faut déduire la pension
que le vicaire paye à son curé pour la nourriture, 500 fi^ancs ;
l'éclairage, 40 francs ; le chauffage, 60 francs ; et qui ramène le
total à 700 francs, soit 1 fr. 90 par jour.
BUDGET DU PRETRE — BUDGET DU MINISTRE 571
Or, c'est avec le chiffre do 700 francs que le vicaire sera
tenu de se vêtir, faire ses aumônes, payer sa dette du séminaire,
et souvent hélas? subvenir aux besoins de parents âgés et peu
riches.
C'est avec 700 francs que le vicaire, pendant les quatre ou
cinq ans qu'il restera avec son curé, devra monter son ménage,
acheter lit, table, chaises, linge et vaisselle !
C'est avec 700 francs qu'il devra pourvoir au soulagement
des malades indigents et des bonnes œuvres dans la paroisse!
C'est avec un si maigre budget que le vicaire sera tenu de
payer les dettes du passé, faire honneur à celles du présent,
éviter celles de l'avenir!
N'est-ce pas là un état voisin de la misère?
Si les messes font défaut!.,, si une maladie longue et coûteuse
vient le clouer sur son lit!... si les parents ont besoin de l'assis-
tance de leur fils!... quelle terrible situation!
Il est impossible au malheureux prêtre de faire face aux
nécessités du moment, et alors, c'est la soutane râpée, couverte
de pièces ; le feu de la cheminée remplacé par la couverture
grossière du lit et enveloppant les jambes pour y donner un
peu de chaleur (je pourrais citer des faits), les sabots à gros
clous, afin d'épargner l'achat d'une seconde paire de souliers!
Et cependant cela ne suffit pas, car le traitement est trop
maigre et la vie trop coûteuse pour arriver à mettre bout à
bout.
Le vicariat va finir; il faut emprunter pour monter son
ménage; c'est, au bas mot 2,000 francs d'emprunt qui, ajoutés
à la dette du séminaire, non entièrement soldée, grève pour la
vie le peu fortuné prêtre.
Ah ! messieurs les républicains qui croyez aux richesses du
clergé ! Heureuses victimes du 2 décembre qui palpez sans peine
et sans travail les 1,000 francs que vous vaut un titre plus ou
moins honorable, osez donc comparer votre situation à celle du
vicaire de campagne, et dites-moi si le plus inintelligent des
apprentis manoeuvres voudrait se contenter d'un si pitoyable
budget!
§ II. — Le budget du cure'.
Les dettes se sont accumulées et les quelques milliers de
francs, indispensables pour l'acquisition d'un ménage, ont fait
572 ANNALES CATHOLIQUES
du vicaire, nommé curé, un prêtre désormais sans fortune et
sans économies.
Si les charges du vicariat sont difficiles à supporter, celles
de la cure sont navrantes.
L'Etat qui augmente sans cesse ceux qu'il paye, donne
aujourd'hui au clergé ce qu'il accordait il y a 50 ans, quoique
tout ait triplé de prix.
Le curé touche 900 francs du gouvernement; s'il peut se pro-
curer des messes, l'augmentation peut aller jusqu'à 500 francs;
ajoutez à cela 100 francs de casuel, ce qui fait un budget annuel
de 1,500 francs. Je donne là des chifi'res maximum, car il est
rare que les messes donnent 500 francs et le casuel 100.
Mais il faut une domestique; en la payant un prix ordinaire,
c'est 200 francs, plus la nourriture 400 francs, ce qui fait
600 francs à retrancher de 1,500 francs; reste 900 francs.
Avec ces 900 francs le vicaire endetté, devenu desservant,
devra pourvoir à tous les besoins du ménage.
Il faudra renouveler de temps en temps le linge de l'armoire,
la garde robe bien usée; le bûcher de la cuisine et entretenir
le jardin potager.
Avec ces 900 francs, le curé devra s'attendre à voir son pres-
bytère assiégé par une foule innombrable d'ouvriers sans
ouvrage, dont le passage dans le cours de l'année diminue
certainement le budget d'une somme de 50 à 80 francs.
Avec ces 900 francs, il y a surtout des pauvres de la paroisse,
dont les besoins sont aussi multiples que journaliers; car
tantôt c'est une famille dont le père est malade, vite du bouillon
et de la viande. Tantôt c'est une pauvre veuve avec trois petits
enfants, vite une paire de sabots, quelques mètres de toile.
Tantôt encore, c'est une vocation à soutenir, des malheureux
qui n'ont plus de bois pour l'hiver, des indigents dont il faut
payer le loyer.
Est-ce que toutes les misères, les infortunes et les souffrances
ne se donnent pas reqdez-vous à la porte de presbytère?
Alors le bon curé se souvient qu'il est le père des pauvres ;
il s'ingénie à porter des soutanes râpées, un chapeau rapiécé,
des bas raccommodés par des mains charitables, des souliers
faits de mauvais cuir.
Ce prêtre peut être âgé, et dans sa vieillesse son estomac
débile a besoin d'aliments plus solides; mais il n'y a que
900 francs, des pauvres et des dettes ! Heureusement, le jardin
BUDGET DU PRÊTRE BUDGET DU MINISTRE 573
lui fournit le repas du soir, et le lendemain la domestique
devra se montrer assez habile pour allonger la sauce avec
quelques pommes de terre.
J'en connais de ces bons et charitables vieillards qui, dans le
Limousin, ne vivent que de châtaignes et de légumes !
La vie est chère et le traitement fourni par l'État n'est que
l'aumône qui empêche de mourir de faim.
C'est la misère, il est vrai, et le dénuement est complet;
mais, si vous ajoutez à cet état, voisin de la mendicité, un père
paralytique, une mère infirme, un frère, une sœur sans asile,
que sera-ce donc que la vie du curé de campagne?
Dieu seul connaît alors les privations héroïques, les souffrances
physiques et morales du presbytère, devenu l'asile de la souf-
france et de la pauvreté.
Et ces hommes respectables, ces vieillards à cheveux blancs,
ces martyrs du devoir et de la résignation, on les insulte impu-
nément en leur jetant à la face le titre de salarié ! On leur
enlève, au mépris de tout droit et de toute justice, ce morceau
de pain que l'on décore du nom pompeux dC allocation !
Et l'homme qui fait cela puise à pleines mains dans le trésor
de l'État! C'est un ministre payé 5,000 francs par mois, qui
fait du clergé français un clergé mendiant ! C'est un mi-
nistre honnête homme dont les doigts palpent chaque année
60,000 francs, et qui trouve que les 900 francs du prêtre con-
stituent un traitement scandaleux.
Comparons donc maintenant la situation d'un Goblet quel-
conque avec celle du desservant.
§ IIL — Budget du ministre.
Un ministre républicain, qu'il soit proposé ou non à la garde
des sceaux, de la justice et des cultes, perçoit, sans crainte de
les voir supprimer, 60,000 francs.
Vous pouvez ajouter à ce modeste chiffre le riche mobilier de
l'hôtel, le linge fin de la table somptueusement servie^ la vais-
selle émaillée, l'éclairage de tous les appartements, le chauffage
des nombreuses cheminées, les gens de service payés par l'Etat,
les fonds secrets dont on ne parle point, et alors, sans crainte,
doublez la somme, soit 120,000 francs. (Ces chiffres sont réels.)
De plus, vous n'ignorez pas que les voyages en 1" classe sont
aussi gratuits que fréquents, puisque la circulation se fait tou-
jours aux frais des contribuables.
574 ANNALES CATHOLIQUES
Cependant, soyons justes, car le desservant, lui aussi, pos-
sède certains privilèges.
Ainsi, le prêtre de Dieu et le ministre de la république sont
logés gratuitement; mais quelle différence de luxe et de confor-
table ! S'il faut remplacer quelques tuiles au toit du presbytère,
souvent humide et malsain, la fabrique sans ressources risque
fort de faire des dettes pour empêcher le curé d'attraper des
rhumatismes.
L'hôtel garni de M. le ministre est, au contraire, l'objet des
réparations les plus délicates. Meublé aux frais du peuple sou-
verain, rien n'y manque : fauteuils de velours, tapis précieux,
étoffes de soie, candélabres luxueux, etc., etc.; tout cela em-
bellit les superbes appartements de celui qui se dévoue pour la
chose publique.
Le prêtre et le ministre jouissent encore du privilège de voir
leurs portes assaillies par une foule de solliciteurs ; et, tandis
que l'un fouille dans son porte-monnaie pour y chercher quelques
adoucissements à une misère noire, l'autre se sert des traite-
ments ecclésiastiques pour contenter la honteuse cohue de men-
diants galonnés.
Tandis que vicaire et curé s'efforcent, toujours inutilement,
d'équilibrer un budget de 900 francs, le ministre se fait voter
par les chambres des fonds secrets pour faire honneur à sa
haute et peu enviable situation.
Le ministre! voilà l'homme des banquets et des fêtes, et qui
trouve que V allocation du clergé français est plus que suffisante
pour vivre !
Le ministre! voilà l'homme de la justice (dit-on) et des
cultes qui, chaque année, rogne l'humble morceau de pain du
prêtre catholique !
Le ministre ! voilà Vaustère républicain voyageant aux quatre
coins de la France, buvant Champagne^ bordeaux et madère
dans des coupes de cristal; dînant dans de la vaisselle ciselée,
se faisant héberger aux frais des municipalités de province et
trouvant que le petit cidre et le vin clairet du prêtre sont
choses de luxe à une table de presbytère !
Le ministre! voilà l'homme que nous payons 60,000 fr., sans
compter le reste, pour se mettre au-dessus des lois, afin de
frapper sans honte et sans faiblesse des malheureux auxquels
on n'offre même pas la ressource d'un tribunal pour écouter
leurs plaintes légitimes et faire droit à leurs justes demandes !
BUDGET DU PRÊTRE BUDGET DU MINISTRE 575
Le franc-maçon qui, chaque jour, met à la mendicité des
vieillards infirmes, des curés sans fortune et des vicaires sans
position, ose s'intituler ministre de la justice !
Et cet homme dont la main confisque impunément le traite-
ment du prêtre, fait condamner par ses tribunaux l'indigent
coupable d'avoir pris quelques sous pour apaiser sa faim!
N.'ai-je pas raison de dire que ce contraste scandaleux entre
le traitement du ministre et celui de l'ecclésiastique est de
toutes les injustices la plus criante et la moins rationnelle?
Que sera-ce donc, si le plus fort, abusant de la situation
qu'il s'est créée, fait disparaître la maigre ration de 450 ou
900 fr.?
Que sera-ce donc, si le plus fort défend aux juges de soutenir
les droits de l'innocence et à la victime de se plaindre?
Que sera-ce donc, enfin, si le curé spolié, voulant réclamer
sa créance, se voit dénoncé comme d'abus à un tribunal soi-
gneusement épuré?
Cependant contre la force il y a la protestation de la con-
science outragée; en face des voleurs, sûrs de l'impunité, se
dresse la victime indignement volée.
Le temps passe ; la république devient odieuse par ses rapines
et ses délations, mais elle passe,
Goblet le spoliateur peut palper son gros traitement et
dépouiller le clergé; qu'il jouisse, s'amuse et empoche; lui
aussi passera, le visage cinglé par le fouet vengeur de tous
ceux qui ont encore de l'honneur et la conscience ! il passera,
le ^3e^î7 homme rageur, et l'histoire ne l'oubliera pas au pilori
des malfaiteurs politiques; il passera, le fabricant de circu-
laires insolentes, mais cela pour rendre compte à Dieu d'une
vie employée à torturer la religion et spolier le clergé.
42
576 ANNALES CATHOLIQUES
L'ASSOCIATION CHRÉTIENNE DES HONNÊTES GENS
SUR LE TERRAIN DES AFFAIRES (1)
I
Une des physionomies les plus sympathiques du mouvement
catholique contemporain est celle du P. Ludovic de Besse, qui,
pour remédier aux souffrances et aux misères morales des
travailleurs, s'est fait le propagateur en France des banques
populaires, des sociétés de consommation ou économats domes-
tiques, des bureaux de placement gratuits. Il en a fondé dans
la plupart des villes où son ministère l'a conduit. L'idée s'en
est ensuite répandue de proche en proche, et partout où les
hommes de zèle veulent faire quelque chose de pratique pour le
bien du peuple, ils établissent des institutions analogues à celles
dont le P. Ludovic a créé les 'types. En cela, le vénérable
Capucin est fidèle aux traditions franciscaines. Ceux qui
s'étonnent de voir un religieux descendre des hauteurs de la
chaire pour mettre la main à des applications économiques
essentiellement contingentes oublient le grand rôle que les
fils de Saint-François ont rempli au moyen-âge en se mêlant
profondément aux intérêts populaires. Les Franciscains ont
une page tout à fait originale dans l'histoire de l'influence de
l'Église sur les rapports sociaux. Précisément parce qu'ils ont
poussé les conseils de la pauvreté évangélique jusqu'à ses
extrêmes limites, ils semblent s'être trouvés particulièrement
aptes à traiter les problèmes moraux que le développement de
la richesse soulève incessamment. Au XIV siècle, à Florence,
l'un d'eux faisait reconnaître contre des prédicateurs rigoristes
la légitimité d'un emprunt en rentes émis par la Seigneurie.
Matteo Villani raconte avec des traits fort piquants la contro-
verse économique qui eut alors pour théâtre les principales
chaires de la cité. Plus tard, les Franciscains ont propagé dans
l'Italie, et de là dans tout le monde catholique, les monts-de-
(1) L'association chrétienne des honnêtes gens sur le terrain des
affaires, par le P, Ludovic de Besse. 1 vol. in-12. — Paris, 1884,
chez le directeur du Crédit mutuel et populaire, 23, rue des
Lombards.
l'association chrétienne des honnêtes gens 577
piété, institution fort bienfaisante alors et qu'il ne faut pas
juger d'après la forme administrative qu'elle a prise
aujourd'hui.
Le P. Ludovic développe ses idées avec la simplicité de
langage recommandée par saint François à S3S enfants, et il y
met un zélé qui s'appuie au besoiu sur une science théologique
consommée. En propageant les institutions qu'il juge les plus
propres à soulager les souffrances actuelles, il ne déprécie
aucune œuvre catholique, ni aucun autre procédé inspiré par
l'amour du bien. Quand on l'attaque, il se défend, mais il le
fait avec une charité qui désarme ses adversaires et un humour
qui met le public de son côté (1).
L'importance prise par ses œuvres et l'attention, que leur
ont donnée depuis dix ans tous les congrès catholiques, ont
amené le P. Ludovic à coordonner ses divers écrits de propa-
gande dans le volume dont nous avons placé le titre en tête de
cet article, car il indique fort heureusement la pensée-mère de
toutes ses œuvres. Depuis qu'il a paru, il a recueilli les appro-
bations de nombreux évêques, d'économistes et même de finan-
ciers expérimentés, tels que M. Maurice Aubry. Tout un
mouvement de discussions et de faits nouveaux en a éprouvé
les idées fondamentales.
Ce sont ces idées que nous voudrions signaler ici aujourd'hui.
Quant à leur réalisation, elle s'opère dans des combinaisons
très variées selon les circonstances locales et aussi, selon les
dispositions d'esprit des populations. On les trouve recueillies
et décrites depuis six ans dans un journal spécial, Y Union
économique, dirigé avec beaucoup de talent par M. E. Faligan,
et dont la collection constitue un recueil unique en France de
documents sur les institutions économiques populaires.
II
Il n'est guère d'acte humain qui, au moins par son intention
et par ses conséquences, soit absolument indifférent. Peut-il
donc l'être de porter sa clientèle à des commerçants ennemis
do la religion, alors qu'on peut s'adresser à des fournisseurs
chrétiens ? L'est-il de choisir ses ouvriers parmi les ennemis
(1). Une accusation d'illusion et de libéralisme, réponse du Père
Ludovic de Besse à Y Association catholique. Brochure ia-12. —
Paris, 1885, chez le directeur du Crédit mutuel et populaire, 23, rue
des Lombards.
578 ANNALES CATHOLIQUES
de l'ordre social, alors qu'on a autour de soi des travailleurs
honnêtes ?
Il devrait suffire de poser la question pour la résoudre, et
cependant il est peu de devoirs plus méconnus aujourd'hui.
Des catholiques sincères, quelquefois même pieux, perdent
complètement de vue l'obligation oii chacun est de faire
observer la justice autour de soi dans la limite de ses forces.
Tout en faisant les distinctions exigées par les situations parti-
culières, le Père Ludovic établit de manière à ne laisser place
à aucune échappatoire la thèse que chaque chrétien est obligé
en principe de refuser son patronage aux mauvais et de le
porter de préférence aux bous. Les Livres saints n'ont-ils pas
dit : « Si vous faites du bien, sachez à qui vous le faites, afin
« que ce bien emprunte à votre connaissance une perfection
« qui le rende plein de grâces ! » Et encore : « Accordez vos
« faveurs à l'homme pieux et compatissant et refusez-les à
« l'impie Faites du bien à celui qui est humble et ne
« donnez point au méchant de peur qu'il ne devienne plus
« puissant que vous. » [Ecclésiastique, cap. XII.)
Mgr Isoard, l'éminent évêque d'Annecy, en envoyant son
approbation au Père Ludovic, voit dans la méconnaissance de
ces devoirs une manifestation dangereuse de l'idée, absolument
fausse, « qui prétend reléguer la religion exclusivement dans
« le domaine de l'imagination, du cœur, de la vie intime et
« toute personnelle du fidèle. Or, par l'institution divine, c'est
« toute l'activité de l'homme, et aussi loin que peut s'étendre
« son rayon, c'est la société dans toutes les ramifications de
« son organisme qui doivent être gouvernées par la religion. »
Disons-le toutefois : — à titre de circonstances atténuantes
bien des chrétiens ne se rendent pas compte de l'importance
pour un commerçant du renouvellement de son capital par les
ventes journalières. De là cependant dépend le succès pour lui ;
l'arrêt dans le mouvement des affaires, c'est la faillite à bref
délai.
Ceux-là seuls qui ont vécu avec les travailleurs honnêtes
savent quelle blessure fait à leurs sentiments de justice l'aban-
don oii les laissent trop souvent les personnes haut placées,
alors que des convictions communes devraient les rapprocher
dans les relations d'affaires de chaque jour.
S'il s'agit de chefs d'atelier ou d'usine, à ces considérations
s'ajoute celle du bien ou du mal qu'ils font, pai les influences
l'association chrétienne des honnêtes gens 579
bonnes ou mauvaises dont ils entourent leurs ouvriers. N'est-ce
pas coopérer au mal, que d'augmenter la puissance de tel ou
tel pervertisseur avéré en faisant son succès industriel?
Il y a trente ans déjà, alors que la situation était moins mau-
vaise, un homme d'une haute portée d'esprit, M, Adolphe
Baudon, depuis président général des conférences de Saint-
Vincent de Paul, traitait de Vattitude que les catholiques
doivent prendre envers l'industrie. Après avoir montré que les
jeunes gens des familles riches ne devaient pas se désintéresser
du travail industriel et commercial, sous peine de subir une
déchéance économique inévitable, il ajoutait :
Parmi les catholiques, d'autres ne sont pas dans les affaires,
mais placent leurs capitaux dans les compagnies industrielles,
si nombreuses aujourd'hui. Le plus souvent dans ces place-
ments une seule considération les touche, celle de l'intérêt
pécuniaire. Sans négliger cet intérêt, qu'en pères de famille ils
doivent nécessairement sauvegarder, nous les supplions de
songer ici encore qu'ils sont catholiques et de joindre à leurs
déterminations un autre élément, la considération des per-
sonnes. A mérite égal, à sûreté pareille, pourquoi ne pas pré-
férer l'entreprise qui est dirigée par des hommes de leurs con-
victions, qui a peut-être un but moi^al en vue, ou qui du moins
s'applique à marcher dans les voies les plus chrétiennes? Y
pense-t-on assez généralement? S'en préoccupe-t-on entre
catholiques, comme il est de notoriété que les protestants le
font entre eux, comme les Israélites le font pour leurs coreli-
gionnaires? Non certainement, et c'est là évidemment une des
causes d'infériorité des commerçants catholiques. On s'adresse
à eux quoique catholiques. Tantôt par crainte de favoriser
l'hypocrisie, tantôt sous prétexte de revers essuyés par des
maisons honorables, tantôt par une déûance instinctive, à cause
de leurs convictions, on se tient à distance d'eux et on va porter
les affaires, le mouvement, le crédit à des maisons animées de
principes tout autres. Il n'en faut pas plus pour expliquer la
faiblesse relative de ces maisons (1).
Aujourd'hui, nous n'avons plus à invoquer, pour nous tracer
la marche à suivre, seulement l'exemple des Israélites, qui
tiennent l'empire de la Bourse par leur solidarité cosmopolite,
ou celui de communautés protestantes, qui ont dû de légitimes
(1) Correspondant de septembre 1854.
580 ANNALES CATHOLIQUES
succès dans les affaires à l'appui fraternel et aussi au sévère
contrôle moral que leurs membres exerçaient les uns sur les
autres.
La Franc-Maçonnerie doit, en grande partie, sa puissance à
l'appui mutuel que ses affiliés se donnent aussi bien dans les
affaires commerciales que quand il s'agit de s'emparer du
pouvoir politique. Les journaux maçonniques insistent fré-
quemment sur le devoir des frères de s'assister de cette ma-
nière, et ils publient un certain nombre d'annonces commer-
ciales sous ce titre que nous n'hésitons pas à trouver fort bon :
déférence fraternelle.
III
Le devoir social, dont le P. Ludovic démontre de nouveau et
avec tant d'à-propos l'importance, peut s'accomplir sans doute
individuellement. Dans bien des cas, il devra toujours en être
ainsi. Mais son accomplissement est beaucoup plus fécond quand
il s'appuie sur l'association.
Des groupements de toute sorte doivent aider à le réaliser,
depuis les syndicats agricoles à la campagne jusqu'aux banques
populaires dans le petit commerce. Les applications d'une idée
aussi juste sont innombrables, avons-nous dit. En ce moment
même, à Paris, des groupes paroissiaux de commerçants chré-
tiens se forment sous le titre à' Union du commerce et de
Vindustrie et font appel à l'appui d'un comité pris parmi les
consommateurs pour appeler la préférence des catholiques sur
leurs industries et leur signaler les garanties qu'offre le con-
trôle mutuel exercé par eux-mêmes dans leur recrutement.
Nos lecteurs n'ont certainement pas oublié la recommandation
chaleureuse qui a été donnée ici même à cette excellente ini-
tiative (1). Nous dirons seulement qu'une institution fondée
absolument sur les mêmes principes fonctionne depuis plusieurs
années à Gand et que c'est par des groupements de ce genre
que les Canadiens français, pauvres et dispersés au début, ont
réussi à conserver leur nationalité aux Etats-Unis et à devenir
dans plusieurs Etats un facteur politique important. C'est par
une grande union agricole que les conservateurs chrétiens de
Westphalie ont repris la direction des affaires dans leur pays,
(1) Voir le Monde du 18 mars dernier.
l'association chrétienne des honnêtes gens 581
au plus fort de la persécution politique et religieuse dirigée
contre eux par M. de Bismarck.
Ces oeuvres répondent particulièrement au régime écono-
mique moderne. La liberté di(, travail, qui en est la base, n'est
pas autre chose que le droit pour chaque citoyen de choisir libre-
ment sa profession, d'en établir le siège dans le lieu qui lui con-
vient et d'employer les procédés qu'il juge les plus avantageux.
C'est par un abus de langage que des personnes peu au courant
des questions juridiques et économiques ont prétendu stigma-
tiser sous ce nom la théorie erronée et immorale selon laquelle
les relations du travail et les affaires échapperaient à la subor-
dination à la loi divine.
Le P. Ludovic prouve que ce régime légal et la libre concur-
rence industrielle qui en découle n'ont rien de contraire aux
principes de la morale. Par conséquent, c'est user stérilement
ses forces que de tenir les yeux exclusivement fixés sur les
anciens régimes sociaux ; or, une foule de corps privilégiés
avaient, comme compensation de leur monopole, l'obligation de
faire respecter la loi morale et y réussissaient plus ou moins
bien selon les temps, que de regretter des institutions incompa-
tibles avec l'essor incessant des inventions, avec la communi-
cation de tous les marchés et avec les nécessités de la grande
industrie. Au lieu de cela, les catholiques doivent soigneuse-
ment recueillir dans l'histoire de ces antiques formes sociales
l'esprit chrétien qui en faisait la vie aux bonnes époques, et le
transporter dans les nouvelles institutions, qui doivent à leur
tour faire respecter la justice par des procédés appropriés aux
circonstances économiques actuelles. La pratique les fait surgir
presque spontanément, tant la situation les impose et indique
ainsi la voie où l'effort des hommes de zèle doit s'exercer.
Le savant évêque de Bayeux, Mgr Hugonin, dans une lettre
au comité catholique des œuvres ouvrières de Caen, qui a été
très remarquée, se demande : « Quel fut le rôle de l'Eglise au
« milieu de ces transformations économiques ? » et il répond
avec l'histoire tout entière : « Ce n'est pas elle qui les provoque,
« ni qui les accomplit. Elle n'est pas vaincue avec le régime
« ancien ; elle ne triomphe pas avec le régime nouveau. Seule-
< ment, elle continue son apostolat à l'égard de tous, en l'accom-
« modant avec les besoins créés par les relations nouvelles (1). >
{A suivre.) Claudio Jeannet.
(1) Monde.
582 ANNALES CATHOLIQUES
LA BIBLE
ET LA CRITIQUE RATIONALISTE.
Il est peu d'ecclésiastiques qui n'aient placé sur un rayon
choisi de leur bibliothèque la. Bible et les découvertes modernes,
les Mélanges bibliques, le Manuel biblique, à côté desquels ils
vont maintenant ajouter les Livres saints et la critique ratio-
naliste, par M. l'abbé Vigoureux (1). Mais ce ne sont pas seule-
ment les membres du clergé qui peuvent profiter des travaux
du docte sulpicien. Beaucoup de laïques instruits se sont déjà
fait un devoir et un plaisir de les posséder et de les lire, et nous
espérons qu'un nombre chaque jour plus grand de catholiques
s'acquitteront de ce devoir et se donneront ce plaisir. Ils y trou-
veront un double intérêt, un double profit. Les croj-ances qui
sont la plus chère partie de leur vie morale et intellectuelle sont
défendues dans ces livres contre les assauts de l'incrédulité.
C'est là pour des chrétiens un intérêt et un profit capital. Mais,
de plus, dans les écrits de M, l'abbé Vigoureux, on trouve expo-
sés une multitude de faits scientifiques très importants et très
instructifs par eux-mêmes, auxquels il est bon que les catho-
liques un peu lettrés soient initiés, et dont il est excellent qu'ils
puissent prendre l'initiation dans des exposés dirigés par une
pensée générale vraiment et sûrement catholique.
Il y a, en efi'et, un danger réel dans la nécessité où se trouvent
quelquefois les étudiants chrétiens, ceux surtout dont l'esprit
curieux et investigateur se sent porté vers les hautes études,
de puiser certains ordres de connaissances, faute de travaux
catholiques en ces matières, dans des écrits composés par des
savants libres-penseurs ou même par des esprits souvent ortho-
doxes d'intention, mais trop peu versés dans les saines doctrines
théologiques et imbus de ce semi-rationalisme oii la tendance
générale de notre époque nous conduit facilement à nous laisser
aller. Aussi n'y a-t-il rien de plus utile, même quand il s'agit
(1) Les Livres saints et la critique rationaliste, histoire et réfutation
des objections des incrédules contre les Saintes Ecritures, par
F. Vigoureux, prêtre de Saint-Sulpice, avec des illustrations d'après
les monuments, par M. l'abbé Douillard, architecte. Tome l*"". —
Paris, A. Roger et F. Chernoviz, 1888. In-8» de XVII-536 pages.
I^Une édition in-12 va être mise en vente.)
LA. BIBLE ET LA. CRITIQUE RATIONALISTE 583
de faits qui, par eux-mêmes, n'intéressent pas directement la
foi religieuse, que des exposés faits par un savant d'une doctrine
absolument sûre.
Le nouvel ouvrage de M. l'abbé Vigoureux comprendra deux
grandes parties : l'histoire de la Bible et des attaques dirigées
contre elle, et la défense de la Bible contre les objections que
lui ont adressées ou que lui adressent les adversaires de la vraie
religion. C'est à l'histoire de la Bible qu'est consacré le premier
volume, que nous avons sous les 3'eux, et il conduit cette his-
toire depuis l'origine jusqu'à Spinoza, point où la reprendra
prochainement le second volume.
Le dernier paragraphe de l'introduction, consacré à la
question du surnaturel et du miracle dans leurs rapports avec
la science historique, a une remarquable valeur polémique et
méthodique. L'auteur y a exposé avec une excellente clarté les
preuves philosophiques qui attestent la. possibilité da surnaturel
et du miracle, niée par la philosophie et par la science incré-
dule. Il a très bien fait ressortir l'argument d'analogie qui
découle de la comparaison de la nature humaine avec les natures
inférieures à l'homme. « Nous sommes capables de faire des
choses qui dépassent les forces des animaux les plus intelli-
gents; s'ils pouvaient raisonner et se rendre compte de nos
actes, ils devraient appeler surnaturel, à leur point de vue, ce
qui est au-dessus de leur nature. Que penserions-nous du rai-
sonnement du castor s'il disait : « Je ne puis que construire des
digues sur les fleuves; l'homme ne peut, par conséquent, con-
struire des vaisseaux à l'aide desquels il traverse l'Océan. Un
vaisseau serait, pour nous castors, une chose surnaturelle ; il
n'existe donc pas. » Mais refuser à Dieu la puissance d'exécuter
ce que nous ne pouvons exécuter nous-mêmes, n'est-ce point
raisonner à la façon de ces castors?
Au point de vue méthodique, nous avons été très frappés des
pages consacrées par I\L l'abbé Vigouroux à l'analyse du récit
de la guérison de l'aveugle-né, tel que saint Jean nous l'a
transmis au chapitre neuvième de son Evangile. Il nous semble
qu'il y a dans ces pages un remarquable exemple de cette cri-
tique intrinsèque dont la science incrédule a singulièrement
abusé, mais dont la science orthodoxe pourrait parfois faire,
croyons-nous, un heureux usage. Nos lecteurs ne nous sauront
pas mauvais gré de placer ces pages intégralement sous leurs
yeux.
584 ANNALES CATHOLIQUES
Oq .peut assurer, dit M. l'abbé Vigoureux, que le récit de la
guérison de l'aveugle-né, fait par un témoin oculaire du miracle,
porte en quelque sorte avec lui la preuve de son origine. Celui qui
l'a écrit savait mieux manier un filet qu'une plume. En lisant
l'original, on s'aperçoit sur le champ qu'il ne connaissait pas le grec,
ou du moins qu'il n'en connaissait que ce qu'un pécheur de la
Galilée pouvait en apprendre tant bien que mal en vivant au milieu
des Grecs de la classe populaire, en Asie-Mineure. Il en ignore les
délicatesses et les richesses infinies. Cette langue admirable, élevée
à une si haute perfection par tant de génies, qui pouvait rendre
jusqu'aux plus fines nuances de la pensée, est dans son Évangile
d'une pauvreté égale à celle des idiomes sémitiques. Les mots sont
des Hellènes, mais la phrase est des Hébreux. Où est l'art mer-
veilleux de Platon dans ses dialogues immortels ? Ici, point de liai-
sons, point de style. « Il dit ; il répondit », voilà le nœud du discours,
toujours le même. Tout est dans la pensée et dans le mouvement des
personnages, rien dans l'élocution. Et pourtant, malgré son inha-
bileté, malgré son ignorance, l'auteur de ce récit a composé un
chef-d'œuvre. Son art consiste à n'en point avoi" • i' o'o/ïW!.o çf>ntn>lÀ-
tement, il se contente de reproduire les paroles des interlocuteurs,
comme un écho fidèle. C'est du réalisme, et c'est le beau. Dans la
mémoire de cette âme droite et aimante, tout ce qu'avait fait son
maître avait laissé une empreinte ineffaçable. Après de longues
années écoulées, il voit la scène comme au jour où elle s'est passée,
et il nous la fait voir. Qu'on cherche dans toutes les littératures
anciennes et modernes, on ne trouvera dans aucune une narration,
comparable à celle-ci pour la simplicité et le naturel.
Eh bien ! de tels faits, de tfiUes réponses, un tel langage ne
s'inventent pas. Quel accent de sincérité! quel ton de vérité ! Pas un
seul trait qui ne soit pri.s sur le vif. C'est comme un procès-verbal
des événements, et cependant quelle vie! quel relief! L'occasion du
miracle est d'abord exposée. Jésus rencontre un aveugle-né ; il
profite de cette circonstance pour apprendre à ses apôtres cette
vérité importante que les maux dont souffrent les hommes ne sont
pas toujours la punition de leurs péchés. Puis il guérit l'aveugle. Si
jamais événement a été contrôlé et discuté, c'est celui-là. C'est
d'abord la foule indifférente, mais bavarde et cancanière, — les
voisins, — dont la curiosité est piquée et qui fait une première
enquête à sa manière. Le miracle est ainsi une première fois
constaté.
Alors, comme il arrive au peuple quand il est vivement frappé et
impressionné, la foule veut annoncer le prodige aux grands et aux
savants, pour jouir de leur étonnement et savoir ce qu'ils en pensent.
On conduit l'aveugle guéri aux pharisiens. Les incrédules ne sont
pas nés de nos jours. Il y en avait du temps du Jésus-Christ. Les
LA BIBLE ET LA CRITIQUE RATIONALISTE 585
hautes classes de la société ont toujours eu un certain penchant au
scepticisme. A Jérusalem, les scribes et les pharisiens n'étaient nul-
lement disposés â croire les yeux fermés aux miracles du Sauveur,
qui avait souvent démasqué leurs vices et censuré leur conduite. La
haine est perspicace. On peut être sûr â l'avance qu'ils ne néglige-
ront rien pour établir la fausseté du miracle, si les faits prêtent la
moindre prise â la critique.
Ils interrogent d'abord l'aveugle guéri. Il répond simplement et
nettement; les faits gênent les pharisiens. Gomme les rationalistes
d'aujourd'hui, ils veulent les rejeter a priori : Jésus ne peut avoir
fait un miracle, parce qu'il viole le sabbat. Ils essayent de faire de
l'aveugle un complice de leur incrédulité et lui demandent ce qu'il
pense de celui qui lui a donné la vue; il les déconcerte en leur ré-
pondant : « C'est un prophète. »
Cette première enquête ne tourne pas au gré de leurs désirs ; ils
font une contre-enquête et mandent les parents de Faveugle-né. Si
saint Jean ne racontait point les faits tels qu'ils se sont passés, il
aurait dit assurément que le père et la mère du mendiant guéri
avaient confirmé tout ce qu'avait dit leur fils ; mais il est historien
fidèle et, en nous transmettant exactement leur réponse, il nous dé-
peint parfaitement, sans y songer, les gens du peuple, très facile-
ment accessibles â la peur et cherchant à se tirer d'embarras par des
faux-fuyauts et par la ruse. On croirait entendre un madré normand
s'évertuant â se tirer d'un mauvais pas. Ils ne nient pas ce qu'ils
savent être la vérité, mais ils se gardent bien de l'avouer. Ils esqui-
vent la difficulté en répondant : JEtatem hahet, parole qui est deve-
nue proverbiale. Mais en attendant, tout en ayant bien soin de ne
pas se compromettre, ils nous certifient les points sur lesquels il
nous importe le plus, à nous, d'être fixés, savoir que leur fils est
réellement né aveugle et qu'il jouit maintenant de la vue.
Ainsi, malgré ces réticences, la déposition des parents du miraculé
ne fait que confirmer le prodige, et la contre-enquête en est une
preuve nouvelle. Les pharisiens le sentent et, en hommes qui veulent
â tout prix arriver à leurs fins et prévenir l'effet fâcheux qu'un tel
événement produirait sur le peuple en faveur de leur ennemi, ils
rappellent une seconde fois l'aveugle, espérant le couper dans ses
paroles et l'embarrasser par leurs questions subtiles. On doit conve-
nir qu'ils s'acquittent bien de leur rôle de juge d'instruction. Ils font
appel à sa piété et ils parlent avec l'assurance qu'affecte un supé-
rieur devant un inférieur qu'il peut intimider et à qui il compte im-
poser son opinion : ils savent, eux, que Jésus est un pécheur.
L'aveugle avait la naïveté de l'homme du peuple et s'imaginait que
les docteurs de la loi ne devaient rien ignorer, mais, en même temps
il était intelligent et plein de bon sens. Il avait répondu la première
fois avec simplicité et de grand cœur, comme un homme sans
586 ANNALES CATHOLIQUES
défiance; il perce maintenant à jour leurs mauvais desseins, et dès
q'u'i! s'aperçoit que ce qu'on veut de lui c'est la négation du miracle,
non un exposé sincère de la vérité, il affirme une seconde fois, ron-
dement les faits, brisant leurs sophisraes comme ferait un fauve
puissant des faibles mailles d'un filet dans lequel on aurait tenté de
l'enserrer.
Lorsque les pharisiens lui demandent de répéter ce qu'il leur
a déjà dit sur Jésus une première fois, il leur répond de ce ton
goguenard que prend volontiers le mendiant qu'on essaye de tromper
et qui est trop finaud pour se laisser prendre : Est-ce que vous
voudriez devenir aussi ses disciples? Mot cruel et terrible qui
démasque tout à la fois leur malice, leur hypocrisie et leurs inten-
tions perfides. Le trait avait frappé juste. 11 devait provoquer la
colère des ennemis du Sauveur. Ils n'avaient plus rien à attendre de
cet homme, qui savait leur tenir tête, pénétrait leurs secrètes pensées
et allait les couvrir de ridicule devant tout le peuple. Ils n'avaient
plus qu'à le chasser : c'est ce qu'ils firent. Les pharisiens étaient
battus; le miracle était maintenant à jamais établi par la déposition
des témoins et par ces débats contradictoires.
Une dernière scène achève ce drame. Après la discussion violente
qui s'était terminée par l'expulsion de l'aveugle, le thaumaturge et
le miraculé se rencontrent de nouveau face à face. Quel changement
dans l'attitude et dans le langage du mendiant guéri! Fier, moqueur,
contredisant devant les pharisiens, il est humble, docile, soumis
devant Jésus. 11 a argumenté contre les docteurs de son peuple et
refusé de croire à leurs paroles ; le Sauveur ne dit qu'un mot, et il
se prosterne et l'adore. Voilà une dernière preuve de la réalité du
miracle, qui n'est pas moins convaincante que toutes les autres et
que la fiction n'aurait jamais su inventer.
Cette belle analyse critique est un heureux exemple de la
force de la science catholique, aux progrés de laquelle ont, du
reste, généralement si bien contribué les travaux de M. l'abbé
Vigoureux. La science incrédule, malgré son injustice et son
infatuation, devra sérieusement compter avec une telle science
orthodoxe.
Marius Sepet.
UN MISSIONNAIRE BELGE A l'iLE VAN COUVER 587
UN MISSIONNAIRE BELGE
A l'île van couver
Nous trouvons dans lo Courrier de Bruxelles la lettre suivante,
adressée à Monseigneur le recteur du Collège américain de Louvain
par M. Aug. Brabant, de Courtrai, miss-ionnaire à l'île Van Couver.
Elle sera lue avec intérêt par nos lecteurs qu'elle initiera aux suf-
frages, aux labeurs, aux périls, aux épreuves et aux consolations des
ouvriers de l'Evangile :
Hesquiat, 18 novembre 1885.
Très Révérend et cher Monseigneur,
J'ai l'honneur de vous faire part du mariage de miss Clotilde
Pattpaja-outla, fille du chef des Hesquiats avec M. Auguste
Mamakweg, jeune homme appartenant à l'aristocratie de cette
tribu ! — C'est par cette laconique lettre de faire part que je
commence ma trop longue missive.
Que je vous dise tout d'ahord que Clotilde Pattpaya-outla est
la sœur de Mattahaw, ce jeune chef des Hesquiats qui, il y a
neuf ans, tenta de me tuer, et me blessa à la main droite, puis
dans la poitrine, puis dans le dos. Certes, je dois pour la ma-
nière miraculeuse dont j'échappai alors, de vives actions de
grâces au bon Dieu, ainsi qu'aux excellents amis de Belgique,
ma patrie, qui prient pour nous tous. — Je me rappelle que
dans ces circonstances, je reçus, parmi plusieurs autres, une
lettre de félicitations de la part d'un évêque, oblat de Marie
Immaculée ; le saint prélat y disait que cette épreuve tournerait
à l'avantage de notre mission et que j'aurais la consolation
d'assister moi-même à la conversion des Indiens confiés à mes
soins. Quand Sa Grandeur, Mgr D'herbomez, évêque de la
Colombie britannique, m'écrivait ces consolantes paroles, il
était prophète : je veux n'en donner qu'une preuve; la voici :
Clotilde, dont je vous ai parlé plus haut, est venue, il y a peu
do temps, à ma cabane et m'a demandé à être baptisée : peu de
jours plus tard, elle était fiancée à un Indien chrétien de cette
tribu, et c'est ainsi qu'elle vient de recevoir la bénédiction
nuptiale de cette même main que son frère a estropiée et mutilée
pour jamais.
Il y a neuf ans, les Indiens de cette tribu étaient païens et
588 ANNALES CATHOLIQUES
c'est dans cette mission même que Mattahaw commit son at-
tentat. Sa sœur (Clotilde aujourd'hui) habitait à 8 ou 9 milles
d'ici. Les Indiens, irrités de l'acte du coupable, se saisirent de
la jeune fille et l'emmenèrent sur la plage, devant ma cabane ;
Clotilde ignorait absolument ce qu'on lui préparait et elle était
bien loin de soupçonner que, pendant qu'on la laissait là toute
seule et en pleurs, les Indiens complotaient sa mort pour venger
le mal que son frère m'avait fait. — Telle était la situation.
Lorsque le plan fut bien arrêté, un vieux sauvage vint se
précipiter comme un ouragan dans la cabane oii je gisais, atten-
dant d'heure en heure la mort (car mes blessures étaient extrê-
mement graves en ce moment) ; il désirait avoir mon opinion
et mon approbation pour le plan des Indiens : il s'agissait tout
simplement de tuer la jeune fille! Et tandis que le vieillard
parlait, ses cheveux étaient hérissés sur la tête, l'écume lui
venait aux lèvres et tous ses membres tremblaient horriblement.
Je donnai immédiatement des ordres pour qu'on mît la jeune
fille en lieu sûr et qu'on en eût bien soin, puis j'engageai ces
pauvres sauvages, encore tout enflammés du désir de la ven-
geance, à s'occuper de leurs propres affaires. — Et voilà l'his-
toire de miss Clotilde, à laquelle vous souhaiterez, avec moi, je
n'en doute pas, vie longue et prospère avec « Monsieur » Au-
guste Mamakweg !
Puisque j'ai commencé le chapitre mariage, je veux vous
donner quelques détails sur les us et coutumes matrimoniaux
en ces parages. La période pendant laquelle les jeunes gens se
font la cour est extrêmement courte : j'ai même connu plus
d'un cas où des Indiens étaient déjà mariés depuis deux ou trois
jours et cependant n'avaient encore jamais adressé la parole à
leur femme ! Voici ce qui vous expliquera ce mystère : L'Indien
qui a un fils en âge de se marier fait lui-même toutes les dé-
marches nécessaires; il propose d'abord le mariage à son fils,
mais cela une fois fait, c'est le père qui règle toute l'affaire avec
les père et mère ou les plus proches parents de la future.
Tout d'abord, il tâche d'avoir un entretien secret dans lequel
il sonde le terrain : s'il voit les chances du mariage sérieuses,
il s'en vient avec bon nombre de ses amis et parle plus à décou-
vert; enfin, quelque temps après, il revient une troisième fois
à la charge, accompagné cette fois d'une nombreuse troupe de
sauvages couronnés de plumes et tatoués; le cortège s'avance
en chantant et au son de cymbales, mais nullement « bene
UN MISSIONNAIRE BELGE A l'iLE VAN COUVER 589
sonantibus. » Il offre à la famille de la fiancée un certain nom-
bre de couvertures (c'est la monnaie de ces pays), et, quand les
chants, les cris d'allégresse et le bruit des cymbales paraissent
avoir satisfait tout le monde intéressé, on proclame que la jeune
fille est donnée en mariage, et cette annonce est toujours suivie
de fêtes et de réjouissances générales.
Telle était la façon dont on procédait : maintenant, Dieu
merci, nous sommes dans la communauté chrétienne de Hes-
quiat; aussi ai-je fait mettre au rancart cette sorte de trafic ou
de marché de la femme : aujourd'hui nos sauvages pourraient
sous bien des rapports en remontrer aux blancs pour la manière
dont se passe le temps de la cour. Et qu'on ne croie pas cependant,
que le missionnaire ait à intervenir pour mettre le bon ordre ;
non, voici toute mon intervention : lorsque les jeunes gens qui se
sont vus un certain temps désirent se marier, j'interroge en
particulier le jeune homme et la jeune fille sur leurs dispositions
réciproques et leur consentement; après quoi, ils se préparent
eux-mêmes comme de bons chrétiens à la digne réception du
saint Sacrement ; ils se marient à la messe et reçoivent la béné-
diction nuptiale. — L'introduction du mariage chrétien n'a pas
été la dernière des difficultés que j'ai eues à surmonter, mais
aujourd'hui, on l'estime davantage, même chez les infidèles, et
les observances païennes de jadis sont considérées avec un réel
mépris.
L'âge du mariage pour les jeunes filles varie de 12 à 14 ans
et quelquefois 15 ans; les jeunes gens se marient quelques-uns
dès 16 ans, et bien peu d'entre eux, si même il y en a, peuvent
se dire célibataires à 20 ans. C'est ainsi que, environ une demi-
douzaine de mes écoliers se sont mariés aux dernières
vacances.
En fait de particularités relatives au mariage, vous serez
peut-être surpris d'apprendre que les Indiens donnent à leurs
enfants un nom longtemps avant leur naissance : c'est un trait
de mœurs assez étrange, mais il est parfaitement exact. Le
nom en général s'applique surtout aux enfants du sexe féminin;
mais aussitôt qu'on sait que le nouveau-né est du sexe mas-
culin, on lui change bien vite son nom : et depuis cette époque
jusqu'à la vieillesse, d'après les circonstances, les sauvages se
donnent de nouveaux noms, de sorte que quelques-uns d'entre
eux ont jusqu'à 20 noms difi'érents, qu'on peut appeler noms
de famille; car, bien que fils et filles ne portent jamais le
590 ANNALES CATHOLIQUES
nom de leurs parents, ils prennent cependant un de ces innom-
brables noms qui ont appartenu au grand-père ou à la grand'-
mère, aa grand-oncle ou à la grand'tante.
Dès que quelqu'un meurt, son nom meurt avec lui, c'est-à-
dire que plus personne n'ose prononcer ce nom, surtout en
présence des parents du défunt; et si quelqu'un de la tribu a un
nom qui se rapproche de celui du défunt, il le change immédia-
tement; il y a plus : on abandonne les dénominations d'objets
inanimés, qui par leur consonnance rappellent le nom du mort
et l'on recourt aux synonymes pour se tirer d'embarras, et cela
dure quelquefois pendant plusieurs années. — Aussi voici un
résultat assez comique de cet usage : aujourd'hui on connaît
tous et chacun de ses paroissiens par son nom; six mois après,
on peut s'estimer heureux de pouvoir nommer encore la moitié
d'entre eux ! Les noms chrétiens apportent sous ce rapport une
incontestable amélioration : toutefois celui qui les choisit doit
être bien prudent dans son choix : car les Indiens n3 peuvent
prononcer toutes nos lettres. Un jeune homme appelé Damien,
interrogé l'autre jour par un prêtre sur son nom, répondit sans
la moindre hésitation « Dam you » croyant dire « Damien! »
En voilà assez, je pense, sur le chapitre des noms. Que je
vous donne maintenant quelques détails sur l'enfance de nos
sauvages. On peut, sans contredit, appeler cet âge le meilleur
temps de leur existence. Quelques-uns de ces tout jeunes enfants
réclament leur nourriture jusqu'à cent fois le jour : les jeunes
mères chez les sauvages ne font littéralement rien d'autre que
cela et se négligent à tel point que nous sommes souvent obligés
de les réprimander et de les blâmer. A l'âge de 2 ou 3 ans,
les enfants sont pleins de vie et bien plus éveillés que ceux des
blancs : ils pleurent rarement ; le froid, la pluie, les rigueurs
de l'hiver semblent ne les toucher que médiocrement, et pourvu
que leurs jeunes estomacs aient en abondance le poisson sec, la
laitance ou toute autre nourriture moins délicate encore, leur
félicité dure autant que le jour lui-même. — Les vieux Indiens
ne peuvent se lasser d'admirer ces bambins et les commentaires
vont leur train sur ce que cette jeunesse deviendra ou ne
deviendra pas! Aussitôt que l'enfant est en état de se tenir sur
les jambes, ses heureux parents lui fabriquent canots, pagaies,
arcs, flèches, harpons, etc., le tout de dimension proportionnée
à l'enfant et dés lors le principal passe-temps est de commencer
à pratiquer ce qui sera un jour pour lui son moyen d'existence.
UN MISSIONNAIKE iJKU;.-: A l/lLE VAN COUVER 591
— Dès qu'un gamin indien a tué son prenaier oiseau on péché
son premier poisson, c'est l'occiision pour les' parents cl'orjj^a-
iiiserdes fêtes, auxquelles est invitée toute la tribu, alla de lui
faire part de radres?e du jeune cliasseur ou pécheur.
Je ne sache pas que jamais un Indien ait battu son enfant : il
le réprimande, mais encore rarement; et si le fils a brisé,
détruit on perdu quelque objet, son père n'y trouve absolument
rien à redire et il considère que sa progéniture avait parfaite-
ment le droit de faire ce qu'elle a fait.
En règle généi-ale, les Indiens ont un grand respect pour
leurs parents : ils recherchent leurs caresses, ont une profonde
admiration pour leurs actes, suivent leurs conseils, et s'il
arrive que les parents soient superstitieux ou immoraux, nul
doute que les enfants ne fassent de même. Ce n'est qu'après être
arrivés à l'âge viril qu'ils commencent à penser et à agir par
eux-mêmes, et encore, en plus d'un cas, a-t-on à redouter
l'influence des parents : c'est ce qui vous explique pourquoi nous
mettons plus d'espoir dans la seconde génération d'Indiens con-
vertis que dans la première; car elle sera soutenue et encou-
ragée par les parents, catholiques eux-mêmes.
Mais il me semble que je vous entends qui me dites : Bon,
ho'A, laissons-là toutes les histoires, et dites-moi, ami Auguste,
comment va votre petit troupeau? Voici ma réponse : Bien,
parfaitement bien. Le jour du nouvel an, j'ai fait faire la pre-
mière communion à 14 Indiens adultes, et en ce moment j'ai
24 adultes également qui se préparent à ce grand acte. Peut-
être l'arrivée de Mgr l'Evoque, que nous attendons sous peu,
viendra-t-elle nous fournir l'occasion favorable. Première com-
munion et confirmation ! N'est-ce pas que cela résonne bien aux
oreilles? Dans cette solitude, dans ce coin abandonné de l'uni-
vers, où, il y a peu d'années, Satan régnait en maître absolu,
où les vices, le crimo et l'homicide étaient du pain quotidien,
oui, parler de première communion et de confirmation, admi-
nistrées par le premier évêque élevé au Collège américain et
assisté par les élèves de ce même Collège, se répéter qu'il v a
là devant moi toute une région amenée à la connaissance du
vrai Dieu et des milliers d'àraes qui étaient condamnées à être
perdues, mises maintenant sur la voie du salut par l'entremise
instrumentale de vos anciens élèves, voilà, en vérité, qui
résonne bien aux oreilles et qui, je le pense, Très Révérend
43
592 ANNALES CATHOLIQUES
Monseigneur, sera pour vous un puissant encouragement dans
les fatigues de vos multiples et difficiles fonctions.
En me recommandant à vos prières, je me dis votre recon-
naissant élève,
AuG. Brabant.
ASSEMBLEE GENERALE DES CATHOLIQUES
Séance du inardi 25 mai.
Mgr Richard, coadjuteur de Paris, présidait, ayant à ses
côtés MM. le duc de Brissac, le comte de Mérode, de Ravignan,
marquis de Dampierre, marquis des Cars, les curés de Saint-
Roch et de Saint-Jean-Saint-François, Depeyre, Theillier de
Poncheville, d'Herbelot, de Caulaincourt, de Bovent, d'Alvinar,
de Lamarzelle, etc., etc.
M. Chesnelong, s'adressant à Mgr Richard, a témoigné à Sa
Grandeur la joie que sa présence causait à l'assemblée, puis il
a donné lecture de la dépêche suivante, adressée au Saint-
Père :
Très Saint-Père,
Les membres de l'assemblée des catholiques sont heureux d'inau-
gurer leur quinzième réunion annuelle en déposant aux pieds de
Votre Sainteté rhomraage de leur profond respect, do leur soumis-
sion absolue à vos enseignements et de leur inaltérable dévouement,
et ils sollicitent humblement votre bénédiction apostolique.
Le président,
Charles Chesnelong, sénateur.
Après cette lecture, couverte d'applaudissements, M. Ches-
nelong prend la parole.
Il n'est pas besoin d'insister sur l'éloquence bien connue de
l'honorable sénateur. Rappelons en quelques mots les grandes
lignes du discours d'ouverture, qu'il a dû prononcer en l'absence
de M. Keller, retenu par une indisposition.
L'orateur a exhorté les catholiques à lutter plus énergique-
ment que jamais contre le divorce impie qui se consomme entre
la France et l'Eglise, Montrant aux catholiques leur force,
puisée dans l'union commune avec les SS. CC. de Jésus et de
Marie en face de l'anarchie iateiiectuelle et morale, d'un jaco-
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQUES 593
binisrate sectaire, d'un pouvoir libre-penseur, il se demande
comment il peut encore se trouver des catholiques timides ou
tiédes, tandis qu'il s'agit de l'àme des enfants et de l'existence
de la société clirétienne. Rien ne pourrait résister à une explo-
sion générale de la foi catholique, encore vivace dans les popu-
lations qui, par leurs votes des 4 et 18 octobre, ont réprouvé la
persécution religieuse.
Le plus grand malheur serait en ce moment l'indifférence pu-
blique, c'est-à-dire la ruine de la France, ce qui ne peut se
voir.
L'orateur retrace ensuite rapidement la mission et les bien-
faits de l'Eglise, qui est la mère de ses ennemis eux-mêmes, et
l'indignation éclate lorsqu'il rappelle l'affichage des discours où
un ministre des cultes affirmait à la tribune des doctrines en
contradiction absolue et flagrante avec la doctrine chrétienne et
déclarait l'incompatibilité des conceptions chrétiennes avec l'en-
seignement qui devait être celui des jeunes Français. Dans une
situation pareille^ il est donc du devoir de tous les bons catho-
liques de s'unir et de prendre pour régies de conduite les ins-
tructions si nettes et si éclairées formulées par le Saint-Père
dans gabelle encyclique. «Avec la foi, l'espérance et la charité,
continue Torateur catholique, on a conquis le monde ; avec cela
on peut sauver la France. »
La parole est ensuite donnée à M. Cazeaux, avocat à la cour
d'appel, qui lit un intéressant et spirituel rapport sur les œuvres
eucharistiques de Paris. Il y a dans la capitale, oia tant de per-
sonnes passent leurs nuits dans la débauche, des hommes de foi
qui sacrifient leur repos à l'adoration nocturne du Saint-Sacre-
ment, exposé perpétuellement dans quelque église de Paris.
Dans le jour, ils sont remplacés par des dames chrétiennes.
Cinq cents églises et chapelles du diocèse font partie de l'œuvro
de l'Adoration perpétuelle, et depuis les plus humbles quartiers
jusqu'aux plus riches, le nombre des adorateurs laïques s'ac-
croît chaque année, sans compter les communautés religieuses
qui ont le privilège de passer le jour et la nuit devant le Saint-
Sacrement.
A la chapelle du Sacré-Cœur de Montmartre, oii le Saint-
Sacrement est constamment exposé, Paris et la province se
disputent chrétiennement le tour d'adoration. Lorsque saint
François, éparpillant ses frères et ses disciples par tout le
monde, se réservait Paris, il disait que c'était l'endroit où le
594 ANNALES CATHOLIQUES
Saint-Sacrement était le plun aimé. M. Cazeaux, en nous rap-
pelant ce souvenir, montre qu'il n'y a rien de changé aujour-
d'hui, sinon un développement dans l'amour des Parisiens pour
le Saint-Sacrement, et il termine en citant le mot de Mgr l'iir-
chevèque de Paris : « Mes bons messieurs, une ville qui
possède Notre-Dame des Victoires et l'église du Sacré-Cœur ne
peut manquer d'attirer sur elle les bénédictions de la Provi-
dence, et j'espère bien qu'on l'appellera un jour Jérusalem la
Nouvelle. »
Son rapport est vivement applaudi.
Le P. Lallemand, de l'Oratoire, agrégé ès-lettres, insiste
sur la nécessité de conserver l'enseignement du grec et du
latin, la France ayant le devoir de transmettre à ses enfants
les littératures d'oix a découlé la sienne. Il repasse en termes
chaleureux l'histoire de la littérature française, et reproduit à
l'appui de son insertion l'opinion de du Bellay, s'élevant contre
ceux qui écrivent en latin alors qu'ils possèdent une si belle
langue française, mais plus encore contre ceux qui écrivent en
français sans avoir étudié le latin. L'éloquent oratorien réclame
les Grecs et les Latins enseignés chrétiennement.
Mgr Richard, en dernier lieu, apporte la bénédiction de
Rome aux travaux du Congrès, puis fait une touchante des-
cription de ce voyage prescrit à chaque évêque pour y rendre
compte du gouvernement de son diocèse et prier sur le tombeau
des Apôtres.
On comprend, a dit l'éminent prélat, que le Saint-Père est le
vicaire de l'autorité de Jésus-Christ ; mais il faut être aux pieds
de Sa Sainteté pour apprécier le Vicaire de la charité de Notre-
Seigneur, tant le Pape témoigne de sollicitude pour les besoins
de tous et la participation des plus petits aux sacrements? Le
Saint-Père a parlé de la douleur que lui avait causée le renvoi
des aumôniers du chevet des malades à Paris ; néanmoins,
Mgr Richard se félicite d'avoir pu lui procurer des consolations
en lui parlant de cette même ville de Paris et du zèle ardent
qu'y déploie les catholiques. Heureuse d'assister à l'une de ces
œuvres de zèle, Sa Grandeur parle de la confiance que S. Em.
le cardinal Guibert a mise dans les œuvres des Congrès catho-
liques et adresse ses meilleurs remerciements aux catholiques
présents et à leur président, M. Chesnelong.
La France, oii se manifeste tant de foi chrétienne, est fort
aimée du Saint-Père à t^ui le vèaûrable prélat a pu dire :
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQUES 595
« Ayez confiance; sous l'influence de vos enseignements,
l'union se fait de plus en plus entre les catholiques, et tous
marciieront à votre voix pour servir la cause de l'Eglise. » Le
Pape considère toujours la France comme la fille aînée de
l'Eglise.
Nous devons donc avoir une confiance inébranlable dans
l'avenir : Rome et la France, dont toutes les institutions tien-
nent le premier rang dans la Ville éternelle, sont plus unies
que jamais.
Séance du 26 mai.
Après la prière d'usage, M. le général de Montarby a lu un
rapport de M. le vice-amiral Gicquel des Touches sur les oeu-
vres militaires. Avant d'aborder la question, où nos soldats et
marins du Tonkin avaient fourni un si vaste et souvent si ti iste
sujet d'expérience, l'amiral Gicquel des Touches rappelle qu'il
est du devoir de tout chrétien d'adresser au glorieux amiral
Courbet, comme à ceux qui sont morts avec lui au service de la
France, l'hommage de son souvenir et de ses prières.
Le salut des jeunes gens que le gouvernement appelle sous
les drapeaux sans aucun souci de leur faciliter l'accomplissement
de leurs devoirs religieux est le premier objet de l'Œuvre des
militaires et des marins. A cet eflet, l'Œuvre s'efî'orce do déve-
lopper la prière pour les armées de terre et de mer, dans les
familles, les paroisses, les séminaires, les communautés reli-
gieuses, sous l'égide de Notre-Dame des Armées.
Outre la prière, il y a l'organisation matérielle. Le service de
l'aumônerie dans les hôpitaux miliiaires par les vicaires, si fai-
blement rétribués et occupés d'ailleurs à leur ministère, est
insuffisant, en France comme en Algérie et en Tunisie. Au Ton-
kin, nos aumôniers militaires envoyés par le gouveinement
étaient en trop petit nombre, ainsi que les missionnaires, pour
assurer les secours aux soldats, dont plusieurs sont morts da
choléra sans avoir vu le piètre.
Le comité a essayé de procurer à ces braves soldats des prê-
tres et des sœurs de charité; il a même dépassé pour cela ses
ressources, avec la confiance que L>ieu n'abandonnerait pas une
cause aussi chrétienne. Immédiatement, des aumôniers volon-
taires sont allés retrouver notre corps expéditionnaire, et à ce
propos le rapporteur rend hommage à l'abbé de Bonde, mort en
martyr de la charité.
596 ANNALES CATHOLIQUES
En 1870, l'aiimônerie gouvernementale était furt médiocre-
ment orc-anisée; au Tonkin, elle l'était plus mal encore. Que
serait-elle aujourd'hui, si la guerre éclatait? Il nous appartient
donc de nous opposer à ce que les soldats, les pères de famille
de l'avenir, ^e corrompent au régiment l'àme et le corps, et
pour cela les vœux suivants sont proposés :
1° Qu'on rétablisse la loi de 1814 sur les aumôneries militaires ;
2° Qu'une messe de départ soit célébrée pour tous les conscrits
dans tontes les paroisses;
3° Qu'on donne des lettres de recommandation aux conscrits
pour les prêtres qu'ils vont trouver dans leurs garnisons;
4° Que le soldat ait la liberté uu dimaDcbe;
5° Qu'on répande la prière à Notre-Dame des Armées;
6° Qu'on fasse connaître l'œuvre pour parer à toute éven-
tualité.
L'assemblée, à l'invitation de M. Chesnelong, a témoigné par
ses applaudissements qu'elle voulait s'affranchir du pire des
esclavages, celui qui l'obligeait à envoyer mourir au loin ses
enfants privés des secours de la religion.
M. DE Caux a lu un spirituel et intéressant travail sur l'érec-
tion de la statue de sainte Geneviève. La souscription populaire
dont le comité a pris Tinitiative s'est montée à 25,000 fumes.
Les quartiers pauvres de Paris : Saint-Laurent, Notre-Dame
de Clignancourt, Sainte-Marguerite et d'autres se sont particu-
lièrement distingués par leur générosité, ainsi que les écoles
dirigées par les Frères des diocèses de Limoges, de Versailles
et la ville de Constantinople.
M, Champeaux, secrétaire général des comités catholiques
de Lille, inspire une légitime fierté aux personnes de foi en
montrant, dans un rapport très nourri et très éloquent, les
merveilles que leurs frères du Nord ont accomplies par d'im-
menses sacrifices dans l'œuvre de l'Université catholique de
Lille. On connaît assez la réputation de cette magnifique cité
universitaire, oii sont établies cinq facultés avec leurs splen-
dides dépendances. Un grand nombre d'étudiants de partout y
suivent, sous la direction de professeurs distingués, des cours
qui leur assurent chaque année de brillants résultats aux
examens. A ces différentes facultés est adjointe une école de
hautes études industrielles et agricoles destinée à former des
patrons chrétiens qui contribueront à l'honneur et à la prospérité
du pays.
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQUES 597
Mgr d'Hulst, avec beaucoup de finesse et de charme, a
exposé la situation de l'enseignement supérieur libre et des
facultés catholiques. S'élevant contre le monopole d'Etat sous
toutes ses formes, particulièrement sous la forme enseignante,
l'éloquent prélat engage les catholiques à ne laisser à personne,
sous aucun régime politique, le soin de traiter leurs affaires de
conscience, et à défendre la liberté de l'enseignement supérieur
en même temps qu'on émancipe l'enseignement primaire. A
Lille, les parents catholiques rougiraient d'envoyer leurs
enfants aux facultés de l'État; pourquoi, ailleurs, des familles
chrétiennes, après avoir fait élever leurs enfants dans les
maisons religieuses, ne les confient-elles pas, lorsqu'il s'agit
des études supérieures, aux facultés catholiques? N'y trouve-
t-on pas un enseignement aussi robuste que celui de l'État,
avec un complément d'esprit chrétien?
Vient ensuite un exposé détaillé des chaires de haut ensei-
gnement chrétien en France et une statistique consolante des
succès des différentes facultés catholiques. L'orateur termine
par un appel énergique et applaudi en faveur de ces établisse-
ments auxquels il adjure les pères de famille chrétiens de
donner leur or et leurs enfants.
M. Pierre de Kergorlay rend compte du fonctionnement de
l'hôpital libre et chrétien de Saint-Joseph, en ce moment pro-
priétaire de 46,000 mètres carrés de terrain à Montrouge. Déjà
les constructions y sont commencées, et déjà, en les attendant,
des bâtiments hygiéniques ont été loués oii l'œuvre de Notre-
Dame de Consolation a manifesté son zèle pour l'assistance
spirituelle et corporelle des malades.
M. de Kergorlay donne ensuite les résultats, fort satisfai-
sants, de la situation financière. Toutes les actions sont libérées,
les dépenses soldées, il reste en caisse un reliquat assez impor-
tant, et une nouvelle émission d'actions en faveur des construc-
tions nouvelles aura lieu prochainement.
L'orateur recommande en terminant, l'œuvre de Notre-Dame
de consolation, qui vit au jour le jour, en étudiant les moyens
pratiques de fonder de nouveaux lits dans le but d'assurer aux
malades les soins du corps et de l'àme.
Mgr d'Hulst remercie le rapporteur et rappelle la solidarité
qui existe entre cette œuvre et le projet d'une école chrétienne
de médecine.
M. Antonin Rondelet recommande les cours de la salle
598 ANNALKS CATHOLIQUES
Albert-le-Grand, établis sous le patçonage de Mgr d'Hulst poui'
donner aux jeunes filles du monde, en même temps que les
préparations aux diplômes, la haute éducation littéraire et chré-
tienne qui doit suivre l'âge où l'on sort de pension. Ces cours,
groupés dans l'après-midi du mercredi et du samedi, ont pour
but de donner les connaissances que ne comporterait pas la
première éducation absorbée par l'étude des dates ou des
nomenclatures.
Les cours de géographie pittoresque, d'histoire de France,
d'histoire des arts, de la littérature française et étrangère ont
pour effet de mûrir et d'assouplir en même temps l'intelligence
de la jeune fille. Quant au cours de littérature contemporaine,
en formant le jugement sur les livres de notre époque, il mettra
la jeune fille en garde contre les préjugés et les erreurs qui
courent aujourd'hui le monde. Plus d'une jeune femme, ajoute
le rapporteur, a voulu reprendre le chemin de la salle Albert-
le-Grand qu'elle a suivi avant son mariage et s'en est félicitée.
L'orateur espère que l'assemblée recommandera aux familles
les cours de la salle Albert-le-Grand.
(A suivre.)
NECROLOGIE
Un coup bien cruel et soudain vient de frapper M. Eugène
"Veuillot, réminent rédacteur en chef de 1' Univers.
Le second de ses trois fils, Bernard, qui terminait ses études
chez les PP. Jésuites, au collège anglais de Canterburj, est
mort après quelques heures de souôrance, sans que rien fit
prévoir un pareil malheur. II a pu, avant de mourir, recevoir
les derniers sacrements.
La veille de sa mort, Bernard Veuillot, plein de vie, écrivait
encore à son père une de ces lettres charmantes qu'il avait
accoutumé d'envoyer aux siens et oii son cœur de fils se mon-
trait tout entier, avec les rares qualités qui en faisaient l'or-
nement.
A dix-huit ans, en eâ"et, bien que possédant déjà une matu-
rité fort au-dessus de son âge, il gardait cet inappréciable don
de la spontanéité naïve qui est proprement le charme de l'en-
fance. Personne ne l'approchait qui ne fût en un instant séduit
NOUVELLES RELIGIEUSES 590
et comme captivé par ce franc, loj'al et doux regard, reflet
d'une âme virginale et forte, naturellement enthousiaste pour
toutes les grandes causes et les grandes pensées.
Le corps de Bernard Veuillot a été rapporté à Paris et lundi,
à dix heures, un service solennel a été célébré en l'église
Sainte-Clotilde.
Nos lecteurs joindront leurs prières aux nôtres, à celles de
tous les amis de M. Eugène Yeuillot, et pour le repos de l'âme
de Bernard Veuillot, et pour le père frappé si douloureusement
mais si chrétiennement résigné.
NOUVELLES RELIGIEUSES
I\oîxie et l'Italie.
Voici le texte du discours prononcé par le Souverain Pontife
dans le Consistoire dont on a lu plus haut les actes :
Vénérables Frères,
Nous avons décidé de vous réunir aujourd'hui en ce
Consistoire sacré non seulement pour doter de nouveaux
évêques les églises qui étaient veuves de leurs pasteurs,
mais aussi pour procéder à la création de cardinaux que
l'éclat et la dignité de votre Collège ainsi que la situation
actuelle paraissaient réclamer de Nous. Car vous regrettez
avec Nous la mort, survenue en ces dernières années, de
beaucoup de vos Frères, au remplacement desquels Nous
avons résolu de pourvoir.
Et comme Notre sollicitude apostolique s'étend à tous les
catholiques des diverses nations que Nous embrassons du
fond du cœur d'une affection paternelle ; comme, d'autre
part, Nous Nous réjouissons vivement chaque fois qu'une
occasion favorable s'offre à Nous de leur témoigner Notre
bienveillance. Nous avons jugé opportun, en cette circons-
tance, de choisir pour leur donner place dans les rangs de
votre Ordre, des évêques illustres appartenant aux diverses
contrées de l'ancien et du nouveau monde.
Tout d'abord Nous avons tourné nos regards vers la
600 ANNALES CATHOLIQUES
France, où des évêques d'élite, et attachés au Siège apos-
tolique par un zèle d'une admirable ardeur et un dévoue-
ment constant, donnent un grand et très recommandable
exemple d'unité avec le Chef de l'iilglise ; et où les fidèles
confiés à leurs soins ne cessent, à travers de nombreuses
et graves difficultés, de témoigner par des œuvres presque
innombrables de charité et de piété leur amour pour l'Église,
leur fidélité inébranlable envers le vicaire de Jésus-Christ
et dépensent généreusement leurs forces et leurs ressources
pour la défense de la cause catholique. C'est pourquoi, par
la proclamation que Nous faisons aujourd'hui de nouveaux
cardinaux. Nous avons décidé de donner publiquement un
gage particulier de Notre aff'ection tant à l'épiscopat fran-
çais qu'à tout le peuple de France ; et Nous avons voulu
ainsi resserrer plus étroitement encore les liens de respect
et d'amour qui unissent cette généreuse nation à l'Eglise
romaine et au Pontificat romain.
Ensuite, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada solli-
citent notre attention. L'état florissant, aux États-Unis, de
la religion catholique, qui chaque jour y fait de nouveaux
progrés et acquiert de nouvelles forces ; la constitution
même et la forme dans laquelle, conformément aux règles
des saints Canons, ces églises s'organisent de plus en plus.
Nous invitent et même Nous poussent à donner dans le
Sacré-Collège un nouveau siège à un membre choisi parmi
les plus éminents évêques de ce pays.
Pour ce qui concerne les Canadiens, il est connu de tous
combien ferme est leur attachement à la foi catholique,
combien sincère et ardent leur amour pour l'Eglise et
quels beaux témoignages de piété et de fidélité envers le
Pontife romain ils ont donnés, en des circonstances cri-
tiques. C'est pourquoi Nous ne doutons pas que l'élévation
de l'un des archevêques du Canada à une si haute dignité
ne contribue à l'honneur de la religion catholique, ne soit
un bon et heureux événement pour le peuple canadien et
n'apporte un accroissement et une force nouvelle à son
dévouement à l'Église romaine.
NOUVELLES RELIGIEUSES 601
Voici donc ceux que Nous avons jugé devoir adjoindre,
de diverses contrées du monde, à votre Collège. Ce sont :
Victor- Félix Bernadou, archevêque de Sens et
d'Auxerre ;
Alexandre Taschereau, archevêque de Québec;
Benoîl-Marie Langénieux, archevêque de Reims ;
Jacques Gibbons, archevêque de Baltimore ;
Charles-Philippe Place, archevêque de Rennes.
Que recommandent tous hautement un zèle ardent pour
les progrès de la religion catholique et le salut des âmes,
une particulière soumission à ce Siège Apostolique et la
sagesse dans l'administration.
Mais Nous n'avons pas oublié l'Italie et Nous y avons
choisi pour les honorer de la même dignité, Auguste
Theodoli, prélat très distingué appartenant au clergé
romain, qui, après s'être acquitté avec un grand succès de
diverses autres charges et fonctions, a géré, dans ces
derniers temps, avec beaucoup de fidélité et de zèle, la
Préfecture de Notre Palais Apostolique ; et Camille
Mazzella, de la Compagnie de Jésus, que signale son
éminente renommée de science et de vertu.
Que vous en semble?
C'est pourquoi, par l'autorité de Dieu tout-puissant, des
saints apôtres Pierre et Paul et la Nôtre, Nous créons et
publions cardinaux prêtres de la S. E. R. :
Victor-Félix Bernadou,
Alexandre Taschereau,
Benoit-Marie Langénieux,
Jacques Gibbons,
Charles-Philippe Place,
Et cardinaux diacres :
Auguste Theodoli,
Caraille Mazzella.
kNQQ, les dispenses, dérogations et clauses nécessaires
et opportunes. Au nom du Père f et du Fils f et du
Saint f Esprit. Ainsi soit-il.
602 ANNALES CATHOLIQUES
Dans le Consistoire du 7 juin, avant l'allocution du Souve-
rain-Pontife, S. Èm. le cardinal Jacobini, agissant en qualité
de procureur de S. Ém. le cardinal Agostini, patriarche de
Venise, s'est démis du titre de Saint-Eusèbe et a opté pour le
titre vacant de Sainte-Marie-de-la-Paix.
Après le consistoire, les nouveaux cardinaux Mgr Theodoli et
Mo-r Mazzella ont reçu — le premier, dans les appartements du
Majordome, au Vatican ; le second, au collège germanique de
l'université Grégorienne — les visites dites di calore, c'est-à-
dire les félicitations de la prélature, du corps diplomatique et
du patriciat.
Des visites analogues ont été rendues aux trois cardinaux
étrangers créés l'année dernière et venus à Rome pour recevoir
le chapeau dans le consistoire public du 10 courant. Ces trois
cardinaux sont LL. EEm. le cardinal Sébastien Neto, pa-
triarche de Lisbonne ; le cardinal Monescilio y Viso, archevêque
de Valence, et le cardinal Ganglbauer, archevêque de Vienne.
C'est dans le consistoire public du 10 courant que le Saint-
Père assignera leurs titres presbytéraux aux cinq archevêques
étrangers créés cardinaux dans le consistoire d'hier, et les
diaconies aux deux nouveaux cardinaux italiens. Puis il préco-
nisera d'autres évêques, parmi lesquels un nouveau vicaire
apostolique pour le Congo français.
Outre l'allocution prononcée dans le consistoire, on annonce
la publication prochaine d'une Constitution apostolique sur
l'organisation de la hiérarchie dans les Indes Orientales par
rapport au protectorat portugais, ainsi que d'autres documents
pontificaux, notamment une Lettre aux évêques de Hongrie
ayant pour but l'affermissement parmi les fidèles de l'esprit
d'union et de soumission ; enfin une nouvelle Lettre encyclique
sur la question sociale.
A l'occasion de leur mariage, le duc de Bragance et son
épouse ont fait demander au Saint-Pére la bénédiction aposto-
lique par l'entremise de l'ambassadeur du Portugal. Sa Sainteté
a fait répondre qu'Elle bénissait de tout cœur les jeunes époux.
Au Quirinal, ce mariage a causé des embarras. Le prince héri-
tier de Portugal est par sa mère le neveu du roi Humbert. On
aurait voulu recevoir à Rome le neveu et sa jeune épouse pour
NOUVELLES RELIGIEUSES 603
les fêter et les loger au Qnirinal. Seulement réternelle question
romaine s'est présentée. J. es jeunes princes en arrivant à Rome
voulaient faire une visite au Pape. Mais le Saint-Père a posé
depuis quelques années la règle formelle qu'il ne recevrait
aucun prince catholique qui irait habiter le Qnirinal ou qui ne
lui ferait pas la première visite. Malgré cela, le duc d'Aoste a
fait son possible à Lisbonne pour obtenir une visite, espérant
peut-être que les jeunes princes viendraient à Rome sans voir
lo Pape, Mais il a échoué dans sa diplomatie. Si les princes vont
à Rome, ils iront donc d'abord offrir leurs hommages au prison-
nier du Vatican. Ce serait une insulte pour le Quirinal; aussi
l'on dit (^ue le Roi et la Cour iront bientôt à Monz.i ou dans
quelque autre ville de la haute Italie. Ils pourront recevoir là
les princes, étant légitimement seigneurs dans ce pays. Les
piinces viendraient ensuite à Rome oii ils ne seraient considérés
que comme des visiteurs du Pape auquel ils iraient offrir leurs
hommages. Il sera inutile de remarquer ici à quelle compli-
cation donne lieu la cohabitation du Souverain-Pontife et du
Roi dans la même ville. Ainsi, pour permettre au Pape de rece-
voir librement des princes, il faut que la cour d'Italie se retire
de Rome. N'est-ce pas reconnaître soi-même que l'on est de
troj), que la situation ne peut pas durer!
LES CHAMBRES
Sénat.
Samedi 5 juin. — L'ordre du jour appelle la discussion d'une
interpellation de M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir, sur la direc-
tion donnée au service de la gendarmerie.
H. DE l'Angle-Beaumanoir, après avoir développé son interpel-
lation, dépose l'ordre du jour suivant :
« Le Sénat, considérant que le décret impérial du 1""^ mars 1854,
défiait de la manière la plus complète et la plus honorable les
devoirs de la gendarmerie, passe à l'ordre du jour.
]M. LE GÉNÉiiAL BoLLANGER défend l'csprit de SOS instructions.
L'ordie du jour pur et simple, accepte par le ministère est adopté.
M. i\DOUAUD MiLLAUD, au nom de la conimission des finances,
dépose le rapport sur le projet de loi tondant à ouvrir un crédit
de 200,000 francs pour l'Institut Pasteur.
604 ANNALES CATHOLIQLKS
Mardi S juin. — L'ordre du jour appelle la suite de la première
délibération sur la proposition de loi do ]\I. Labitte sur la chasse.
Le Sénat décide qu'il passera à une seconde délibération. 11
s'ajourne ensuite à vendredi.
t3B»ambi*e des dépistéfs.
Lundi 1 juin. — L'ordre du jour appelle la discussion de la pro-
position de M. Beaucaire-Leroux tendant à proroger la taxe de
7 francs sur les sucres étrangers européens ot à l'étendre aux sucres
étrangers coloniaux.
M. Sans-Leroy, rapporteur, demande l'urgence qui est déclarée
par 334 voix contre 194.
Mardi 8 juin. — L'ordre du jour appelle la suite de la discussion
sur les propositions tendant à la prorogation de la surtaxe sur les
sucres et à son extension à tous les sucres étrangers.
M. Pelletan dépose son rapport sur l'expulsion des princes. La
discussion de ce rapport aura lieu jeudi.
M. Farcy dépose une proposition tendant à l'institution d'une
médaille pour les marins et soldats qui ont pris part à rexpédition
de Madagascar, et demande la déclaration d'urgence.
Mardi dernier, 8 juin, a été célébré, dans l'Église Saint-
Lambert de Vaugirard, le mariage de M. Henri Chantrel,
administrateur àe^ Annales catholiques, avec M"^ Marthe
Prat.
La messe a été dite par M. l'abbé Chantrel, frère du marié.
M. l'abbé Pelgé, vicaire-général de Paris, archidiacre
de Saint-Denis, oncle de M. Henri Chantrel, a donné aux
jeunes époux la bénédiction nuptiale, et leur a prorais, dans
une touchante allocution, tout le bonheur dont leurs
qualités sérieuses, leurs solides principes religieux sont le
gage assuré. En terminant, il leur a annoncé que le
Souverain Pontife daignait leur envoyer, dans une dépèche
reçue quelques instants avant la cérémonie, sa spéciale et
paternelle bénédiction.
Nous demandons aux religieux abonnés des Annales
catholiques de joindre leurs prières aux nôtres pour le
bonheur des nouveaux mariés.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 605
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
La séparation de l'Eglise et de l'Etat. — L'expulsion des princes. — La
démence eu commun. — Elections belges. — Angleterre. — Madagascar.
10 juin 1886.
La République, emportant dans sa course ceux qui se flat-
taient de la contenir et de la diriger, étend ses ravages et
recule, par de nouveaux attentats, la limite que les habiles,
jour lesquels la politique n'est qu'un métier lucratif, se fai-
saient fort de no point franchir.
La séparation de l'Église et de l'État est un acte révolution-
aaire qui s'impose à notre majorité de mécréants, et, s'il y
ivait lieu, en l'espèce, à quelque étonnement de la part des
^lonnêtes gens, ce serait, à coup sur, de constater qu'il n'est
3ncore qu'un projet. La logique révolutionnaire ne pouvait pas
permettre,, en effet, aux républicains d'éluder cette grave
question.
Si, jusqu'ici, par des considérations politiques ou à l'aide de
Snesses de tacticiens, ils ont pu momentanément l'écarter, il
îtait manifeste qu'il faudrait tôt ou tard qu'elle fût officielle-
nent portée devant le Parlement et que l'attentat contre l'âme
ie la France fût accompli.
La Chambre, en prenant en considération par 296 voix contre
250, le projet d'abrogation du Concordat déposé par MM. Plan-
:eau et Michelin, vient donc d'ouvrir ce grand débat qui mar-
quera dans l'histoire de nos convulsions religieuses et poli-
:iques.
Ce vote, dit très bien le Citoyen de Marseille, est un pas
louveau vers la déchéance sociale de la France, c'est un défi
nsolentjetéà cette majorité de croyants auxquels les impos-
tures d'un suffrage universel malhonnêtement pratiqué im-
pos3nt la domination d'une minorité de francs-macons. Mais
î'est aussi le produit naturel et forcé de la Révolution, c'est
.'inévitable conséquence de ce régime, qui, concevant une
lumanité à rebours, entend lui imposer d'autres assises et
i'autres lois que celles qui lui furent données par Dieu.
Comprenons bien qu'il ne se pouvait pas que la République
l'en arrivât point à cette séparation violente et officielle de
^'Église et de l'État, de la religion et de la société. Par quelle
608 ANNALES CATHOLIQUES
anomalie llagraute un régime qui a cliassé Dieu de l'école et
proscrit la religion de l'enseignement, pourrait-il se résigner
à se considérer comme lié plus longtemps à cette religion de
l'action et de l'influence de laquelle il a la prétention d'éman-
ciper l'esprit humain ?
D'ailleurs, en voyant à quelles violations quotidiennes de oe
Concordat qu'ils prétendent pourtant respecter, ces tristes
hommes d'Etat ne craignent pas d'avoir recours, pour donner
des gages à la meute jacobine qui les harcèle, on serait presque
tenté de se demander s'il n'y a pas un intérêt majeur à ce que
la (juestion soit une bonne fois tranchée, que les masques dont
se couvrent des ennemis perfides soient arrachés et que les
républicains achèvent de se montrer tels qu'ils sont en réalité?
Peut-être même ce dernier attentat est-il nécessaire pour
ouvrir les yeux d'un ti^op grand nombre d'honnêtes gens qui
s'arrêtent aux discours et ne savent pas toujours discerner les
démentis que les actes leur infligent, de catholiques confiants
et volontiers endormis dans l'expectative.
Il importe surtout qu'ils soient bien convaincus que cette
prétendue séparation de l'Église et de l'Etat que veulent opérer
nos modernes Jacobins, ne saurait avoir aucun point de res-
semblance avec cette séparation dont quelques catholiques
abusés faisaient jadis un des articles de leur programme de
régénération. Dans la naïveté de leur libéralisme, ceux-ci
disaient : « L'Eglise libi-e dans l'Etat libi'e : l'Eglise doit
régner sur les âmes, mais l'État doit être laïque. » Eh bien!
non, ce n'est point de cette façon, d'ailleurs condamnée par
l'Église, que l'entend la Révolution. Elle voit dans l'Église,
dont elle est la négation formelle, une trop redoutable ennemie
pour se résigner à la laisser jouir d'une liberté qui serait, à ses
yeux, pour la société dite moderne, c'est-à-dire antichrétienne,
une ofi"ense et une menace.
L'abrogation du Concordat ne sera pour la secte au pouvoir
qu'une étape vers cette vaste domination des consciences qui
est son objectif. A la formule libérale : l'É»'lise libre dans l'État
libre, ne tardera pas à succéder la seule formule que le jacobi-
nisme puisse admettre : l'Église asservie dans l'État athée.
La séparation de l'Église et de l'État n'est donc point la
solution d'un problème, c'est le début d'un nouvel ordre de
choses, c'est le premier pas d'un pouvoir sectaire vers de plus
CHRONIQUB DE LA SEMAINE 607
hardies et de plus générales tentatives d'oppression des cons-
ciences et de persécution religieuse.
Voilà ce dont les catholiques ont le devoir de se convaincre.
L'heure approche où ils devront se ceindre les reins et se pré-
parer à ces luttes décisives auxquelles, dans la dernière séance
du Congrès des catholiques de France, M. Keller, le vaillant
député de l'Alsace, les conviait, en un luâle et magnifique
langage que nous nous réservons le plaisir de mettre prochai-
nement sous les yeux de nos lecteurs.
Comme on l'a vu plus haut, la commission d'expulsion des
princes a enfin déposé son rapport et on le discute en ce moment
à la Chambre.
Dés le début, le rapport, de M. Pelletan constate la distinc-
tion établie par la commission entre les questions do présence
des princes sur le sol français, et les questions relatives à leurs
biens.
L'expérience a démontré, dit le rapport, que la présence des
prétendants, qui affectent le rôle de souverains en expectative,
est une cause de trouble et d'inquiétude, sans constituer un
danger imminent pour aujourd'hui.
La présence des princes est une menace suffisante pour que
la tranquillité publique ne reste point entière.
L'expulsion du sol national est en quelque sorte le droit com-
mun à l'égard des prétendants qui n'ont point abdiqué leurs
prétentions.
Elle est le seul moyen que le gouvernement établi possède
pour préserver le pays de surprises possibles.
Toutefois, nous vivons à une époque où les solutions nettes
qui suffisaient au bon vieux temps ne s'exercent plus avec
succès.
La commission, désil-euse d'une part d'aboutir à une solution
précise et résolue, animée d'autre part d'un désir d'entente avec
le gouvernement, a consenti à entrer dans la voie transaction-
nelle.
Elle n'a pas réussi à transiger; la commission voulait que le
gouvernement engageât sa responsabilité chaque fois qu'il au-
toriserait l'un des princes à résider sur le sol français; le gou-
vernement n'entendait engager sa responsabilité que dans les
cas où il expulserait du sol français l'un des princes.
44
608 ANNALES CATHOLIQUES
Un prince peut, sans être prétendant soi-même, préparer-
puissamment les voies à une restauration.
M. Pelletan rappelle, à ce propos, le rôle dont il fat question
pour le duc d'Aumale, alors qu'une fraction de l'Assemblée de
1871 rêvait le retour de la royauté.
Une sorte de stathoudérat lui aurait été dévolu comme pour
créer une période transitoire entre la République et la monar-
chie; des menées du même ordre ne pourraient-elles se renou-
veler ?
La commission, dans le doute, s'est décidée en faveur d'une
solution qui ferait tous les princes égaux devant la loi d'exil.
En conséquence, elle propose le projet de loi suivant :
Article 1". — Le territoire de la République française est et
demeure interdit à tous les membres des familles ayant régné
sur la France.
Art. 2. — Celui qui en violation de la loi sera trouvé en
France, en Algérie ou dans les colonies, sera puni d'un empri-
sonnement de deux à cinq ans.
A l'expiration de sa peine il sera reconduit à la frontière.
Pendant que nos fous de la Chambre se livrent à ces irri-
tantes discussions, les déments du Conseil municipal de Paris
s'appliquent à ne pas rester en arriére. Décidément, la libre-
pensée est une folie, et, de toutes celles qui peuvent dégrader
l'homme, la plus abjecte et la plus dangereuse.
Prenez dans un asile d'aliénés le fou le plus furieux et le plus
enragé, il sera moins nuisible à la société que tel fanatique
d'athéisme qui, dans la presse, à la tribune, dans la plupart de
nos corps élus, se livre impunément à sa manie homicide. Et
ce qui caractérise bien l'abominable époque où nous vivons^
c'est que, loin de songer à lui enlever les moyens de nuire, les
pouvoirs publics approuvent cette folie, la partagent et l'encou-
ragent. Elle est officiellement protégée par eux au nom de la
liberté de conscience ; c'est avec la garantie du gouvernement
qu'elle sévit et cause d'irréparables ravages.
Un récent débat, soulevé dans cette assemblée, à propos
d'un livre de lecture et d'instruction à l'usage de l'enfance,
fort répandu dans les écoles officielles, va permettre à nos
lecteurs d'en juger.
Ce livre, signé G. Bruno, a été tout d'abord attribué à
M. Fouillée, professeur à l'école normale et libre-penseur
CHRONIQUK r>E LA SEMAINE COO
■notoire. Mais c'est, paraît- il, Aline Fouillée qui en est l'auteur,
et cet universitaire qui ne professe pas les mêmes doctrines que
sa femme, admire les livres qu'elle écrit, et en écrit lui-même
d'un esprit tout opposé.
Or, dans le volume en question, on lit des phrases comme
celles-ci ;
Page 71. — L'École : « Je ne sais rien, mais je voudrais m'iustruire,
devenir bon, aimer Dieu de tout mon cœur. En travaillant, j'ap-
prendrai vite à lire. En priant Dieu, je deviendrai meilleur.
« J'aime l'école, où l'on sait tant de choses :
« Sur les grands murs sont inscrits :
ce Dieu nous voiti . . »
C'est avec les accents de la plus profonde indignation qu'un
conseiller municipal, M. Hovelacque, a dénoncé ces phrases qui
parlent de Dieu sans blasphémer et demandé comment un livre
pareil avait pu s'introduire dans les écoles de Paris.
C'est bien simple, a répondu le directeur de l'enseignement
primaire, l'ouvrage est conforme au programme ministériel.
M. JoFFRiN. — Il est joli, alors, le programme, c'est du propre!
M. Maurice Binder. — Nous sommes de votre avis, pas pour cela,
par exemple.
M. JoFFRiN. — On fera bientôt croire à nos enfants que c'est le
bon Dieu qui a inventé le téléphone (Rires).
M. LE Directeur de l'enseignement primaire. — Les doctrines
spiritualistes ayant leur place dans les programmes officiels, les ins-
tituteurs, en choisissant G. Bruno, n'ont rien fait qui soit ea
désaccord avec la lettre ni avec l'esprit de ces programmes.
La loi prescrit tout ce qui présente un caractère dogmatique, tout
ce qui est propagande ou polémique pour ou contre un culte
quelconque.
Mais elle laisse aux instituteurs la faculté de choisir un livre qui
fait leur part aux doctrines spiritualistes. Quant à la commission de
révision, elle ne saurait, sans abus de pouvoir, rayer cet ouvrage de
la liste des instituteurs. Il en eût été autrement s'il se fût agi d'une
œuvre de propagande ou de polémique religieuse (c'est-à-dire d'un
livre catholique).
M. Navarre. — Si ce livre ne fait pas de polémique, il fait de la
propagande.
M. Longuet. — C'est la foi du charbonnier.
M. JoFFRiN. — Vous voulez atrophier la cervelle de nos enfants.
M. LE Directeur de l'enseignement primaire. — La commission
de révision des listes des livres scolaires se réunira prochainement.
610 ANNALES CATHOLIQUES
Elle examinera dans quelle mesure elle aura à tenir compte de votre
vœu. Mais je ne saurais trop insister sur ce point, à savoir qu'i7
appartient aux instituteurs seuls de désigner les livres classiques, et
à la commission de révision de contrôler leurs choix.
Rien de plus faux, pour le dire en passant. Les bons ouvrages,
c'est-à-dire les ouvrages catholiques, sont formellement inter-
dits dans les écoles, et c'est seulement parmi les mauvais que
les instituteurs ont la liberté de choisir. Le livrede Mme Fouillée
n'est pas jugé suffisamment mauvais, voilà tout.
Mais n'est-il pas réjouissant de voir, malgré les gages nom-
breux qu'ils ne cessent de prodiguer à la libre-pensée, le préfet
de la Seine et les membres de son administration accusés de
cléricalisme par les maniaques malfaisants du conseil municipal
de Paris?
— Si les instituteurs, dit le conseiller Chautemps, se savaient sous
les ordres d'un préfet et d'un directeur qui ne fussent pas cléricaux,
ils n'auraient jamais osé choisir un pareil ouvrage.
— Il est évident, dit M. Longuet, que lorsqu'un ministre, — M. Ferry,
«'il vous plaît — déclare que l'enseignement officiel sera spiritualiste
et déiste, cela veut dire qu'il sera un enseignement chrétien et clérical.
— 11 est vraiment étrange, insiste M. Vaillant, d'avoir encore un
enseignement sectaire et spiritualiste.
Donc, quiconque croit en Dieu est clérical. Par conséquent,
plus de Dieu à l'école, plus de spiritualisme, plus de morale.
Citons encore :
^L JoBBÉ-DfVAL. — Ne faites donc pas d'enseignement moral à
l'école primaire.
M. Vaillant. — Ce n'est pas cela non plus que je demande. Ce
que je veux, c'est qu'on élimine le surnaturel, le miracle, les idées
surannées, de l'enseignement, c'est qu'on cesse enfin d'inculquer aux
enfants des idées fausses sur les sciences.
M. Longuet. — Surtout sur l'anatomie, à cause des ailes des anges.
(Rires.)
M. Vaillant. — Sans fermer les yeux au péril clérical, toujours
rebaissant autant que jamais, on peut affirmer que pour Paris, pour
les écoles communales du moins, c'est le péril spiritualiste qui est le
plus à redouter.
Les enfants des écoles parisiennes sont hors de l'atteinte de la pro-
pagande cléricale, mais on leur donne encore ces conceptions fausses
résultant de la conception spiritualiste du monde, origine de toutes
les superstition?.
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 611
Du spiritualisme, en effet, découlent les erreurs les plus grosses de
'histoire et de renseignement, comme de la politique.
Eliminons le spiritualisme de l'école, et nous nous appuierons alors
lUi- des bases certaines, réelles, pour faire entrer dans l'esprit des
infants des idées salues et exactes.
Restent l'athéisme brutal et l'abject matérialisme. Ils n'ex-
îluent pas la bêtise, comme le prouve la suite de la discussion :
M. lE PaÉsiPENT. — La parole est â INI. Monteil.
M. Maurice Binder. — C'est inutile, nous connaissons le cliché.
M. Monteil. — Eh bien ! peut-être qu'à force de vous le mettre
lous les yeux, je finirai par changer vos idées, qui, à mon sentiment,
m ont grand besoin.
Un instituteur à qui je demandais dernièrement pourquoi, lui que
e savais libre-penseur, il faisait faire la première communion à son
înfant, m'a répondu par cette parole, qui peut caractériser ce débtit :
— Si je ne la lui faisais pas faire, il n'y a pas de persécution à
aquelle je ne fusse en butte de la part de l'administration de l'ensei-
gnement.
Le directeur de l'enseignement primaire est tout suffoqué :
— C'est une calomnie! s'écrie-t-il; je mets M. Monteil au
iéfi de justifier ce qu'il avance contre moi.
Naturellement, M. Monteil ne justifie rien. Quelle accusation
'ut jamais plus invraisemblable? A. Paris ! dans les écoles pri-
maires ! les libres-penseurs persécutés parles catholiques ! C'est
?e moquer du monde.
La proposition Hovelacqne a été adoptée haut la main,
Mme Fouillée ne vendra pas son livre et le Temps n'est pas sa-
tisfait. Tant qu'on n'a exclu que les livres catholiques, il ap-
plaudissait : mais on met à l'index radical les ouvrages des
iibres-penseuis, il commence à s'apercevoir que la liberté est
violée.
Les conservateurs belges viennent de remporter une nouvelle
et éclatante victoire. Le vote du 8 juin 1886 complète le verdict
qui, il y a deux ans, a délivré nos voisins du joug de la Franc-
Maçonnerie.
Quatre provinces étaient appelées à prendre part à la grande
lutte qui s'est décidée mardi : la Flandre orientale, le Lim-
bourg, le Hainaut et la province de Liège.
Tous les arrondissements de la Flandre et du Limbourg
étaient déjà acquis aux catholiques. Gund seul était au pouvoir
612 ANNALES CATHOLIQUES
de leurs adversaires, et c'est sur ce grand arrondissement que
se portait le principal effort de la lutte. Or, cette position maî-
tresse, nos amis l'ont aujourd'hui reconquise. Toute la députa-
tion libérale gantoise, M. Rolin compris, est renversée, et du
coup un déplacement de 16 voix s'opère dans la Chambre au
profit de la droite.
En résumé, les catholiques gagnent onze sièges et auront dé-
sormais à la Chambre une majorité sans précédents dans les
annales de la Belgique : 90 voix contre 38. Ils ont atteint et dé-
passent, pour défendre les institutions nationales, cette majorité
de deux tiers qui eût été nécessaire au libéralisme radicalisé
pour les réviser et les détruire.
Le projet irlandais de M. Gladstone a été repoussé à la
Chambre des communes par 341 voix contre 311. Quoique les
débats de ces derniers jours pussent faire prévoir ce résultat,
on ne s'attendait pas à une majorité aussi forte contre le projet
Vu l'importance de la question, presque tous les députés ont
pris part au vote et il y a eu 652 votants sur 670 membres,
dont se composent les Communes. Le résultat du vote a été
proclamé au milieu d'une indescriptible émotion. M. Gladstone
a lutté jusqu'au dernier moment. Il a parlé pendant près de
deux heures. Après le vote, le premier ministre a proposé
l'ajournement de la Chambre à aujourd'hui, motion qui n'a pas
été adoptée sans tumulte, et l'assemblée s'est séparée aux cris
de : Gladstone for ever! poussés par les députés irlandais.
Deux mois de longs et irritants débats ont donc abouti au
rejet pur et simple d'une question qui a provoqué dans le pays
une agitation qu'il sera malaisé de calmer.
Quant aux conséquences de ce vote, il est encore impossiMe
d'en prévoir toute l'importance. En effet, M. Gladstone peut,
ou bien donner sa démission à la Reine, ou lui proposer la
dissolution de la Chambre des communes. On dit beaucoup que
c'est à cette dernière combinaison qu'il était résolu de s'arrêter :
toutefois il n'y a là qu'une conjecture, fondée sur ce qu'on sait
du caractère de M. Gladstone. Dans vingt-quatre heures, plus
ou moins, nous serons fixés à cet égard; mais, quoi qu'il arrive,
on est en droit de dire qu'une période d'agitation aiguë s'ouvre
en ce moment pour l'Angleterre.
De graves nouvelles arrivent de Madagascar, depuis deux ou
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIERE G13
trois jours. Se préparerait-il là, pour le ministère Frejcinet,
un nouveau Lang-Son, au cas où sa platitude dans la question
des princes viendrait à sauver son portefeuille? L'avenir nous
le dira. En attendant, le traité du 17 décembre que les
Chambres ont ratifié ne paraît devoir être pour la France qu'un
traité de dupe. C'est du reste le sort réservé à toutes les
conventions diplomatiques qui portent l'estampille ministérielle
de M. de Freycinet. En ce qui concerne Madagascar, tout est
remis à peu prés en question et la situation présente même, en
ce moment, un caractère bien plus grave qu'au début de notre
expédition.
L'évacuation de Vohémar par nos troupes a été le signal
d'affreuses scènes de carnage. Les Hovas se sont précipités sur
les Sakalaves, nos anciens alliés, ont exterminé les hommes et
ont emmené en esclavage les femmes et les enfants. C'est le
commencement d'une guerre d'extermination que les Hovas
vont faire aux Sakalaves, qui ont eu le malheur de compter sur
les promesses du gouvernement de la République française.
Cette éventualité n'est pas faite pour relever le prestige de
la France en Afrique et ailleurs.
REVUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Ce qui frappe plus parliculièrenienl à la Bourse, en ce moment,
ce n'est point la hausse ou la fermeté de nos Rentes françaises;
mais la campagne qui se fait aulour de certains Fonds d'Etals
étrangers. L'Italien, qui au fond ne rapporte que 4 fr. 3i est au-
dessus de 100 fi'ancs ; le 4 l/*^ 0/0 russe a des cours voisins du
pair; le Hongrois 4 0/0, dont il n'y a pas bien longtemps on ne
voulait pas à 80 francs, fait aujourd'hui 86 ; le 4 0/0 Autrichien,
émis il y a peu d'années à oS francs, est coté 94; l'Espagnol est
aussi très enlevé ; jusqu'au Turc qu'on tente de relever. Qui fait
don(* cette campagne de hausse? Evidemment ce n'est point le
comptant, mais bien la spéculation et encore on doit dire la spécula-
tion du dessus du panier.
Cette campagne de hausse qui dure depuis plus de deux ans et
qui a été si brillamment conduite a procuré de gros bénéfices à ces
gros bonnets ; mais elle peut aussi avoir son revers et être la cause
de plus d'un désastre. La hausse sur certains de ces Fonds d'Etats
a eu pour objectif plus ou moins éloigné d'opérer une conversion ;
sur d'autres Fonds, on n'a cherché qu'à gagner de l'argent. La
question peut donc être envisagée sous cette double face.
Examinons la seconde hypothèse : Il arrive aujourd'hui que les
cours inespérés qu'obtiennent plusieurs de ces Fonds, ont fait naître
aux gouvernements qui les ont émis, de nouvelles ambitions qu'il
614 ANNALES CATHOLIQUES
'audra bientôt satisfaire. Tous vont se dire que, du moment où leur
crédit est si haut prisé, ils auraient bien toit de n'en pas pi-ofiler
pour se livrer à de grosses dépenses h couvrir par de gros empruiils.
A l'argent qu'ils ont déjà immobilisé dans les Fonds antérieurement
émis pour les amener aux cours où nous les voyons, les banquiers
devront donc ajouter un nouvel argent. Ils ne se tireront pas facile-
ment de l'engrenage dans lequel ils se sont laissés prendre. Leur
ruse ne peut aller qu'en grossissant.
Quant à la question de conversion, on en parle pour la Prusse,
l'Italie et la Uussie. Laissons de côté les Fonds prussiens dent on ne
s'occupe pas sur notre place et passons aux deux autres.
Ce n'est nn secret pour personne s'occupant un peu spécialement
de finances que la conversion de o 0/0 italien est un but qu'on
tente d'atteindre depuis plusieurs années et que, suivant nous, on
n'est pas près d'atteindre. Les gros détenteurs de titres, les instiga-
teurs de riMnprunt italien ont toujours soutenu ses cours et de
90 francs à 100 francs, n'ont pas cessé d'acheter, on de faire achelor
leur clientèle. Aujourd'hui, le marché se trouve en présence de
trois classes d'acheteurs ou de détenteurs d'Italien bien distinctes :
1° les gros, les instigateurs, 2° les banquiers et les syndicats; 3° le
petit public. Or, que va-t-il arriver? Pour qu'une conversion soit
possible, il faut que le Fonds d'État à convertir tiépasse notable-
ment le pair; car des offres inopinées ou malveillanies pourraient
faire manquer la conversion, en ramenant la valeur au pair ou au
dessous. Qu'est-ce que c'est qu'une conversion? c'est une diminu-
tion du taux «le l'intérêt sur la valeur à cotivertir. Dans l'espèce,
l'Italien converti ne donnerait plus que 4 0/0. Donc, en allenilant,
on peut dire que le porteur d Italien ne touche plus que 4 francs
avec un coupon supplémentaire de 34 cent, jusqu'au moment de la
conversion. L'Italien a 101 francs et même lO'â francs, à cette
époque, est au-ilessous du pair, atler.du que le 1''' juillet, il détache
un coupon de 2 fr. 50 brut et «!(! 2 fr. 17 net; pour être au pair, il
faudrait voir les cours de 102 fr. 50 et nous n'en sommes p.is là;
les élections en Italie ne sont pas des plus favorables au ministère.
C'est un point très délicat que de convertir; en France, on a voulu
que notre o 0/0 eût atteint bien au delà du pair, puisqu'un moment
il a fait plus de 120 francs. Tous ceux qui ont acheté de l'Italien en
vue d'une conversion vendront dès que l'Italien fera lOf ou
103 francs; il en sera de môme des gros, s'ils sont habiles.
Qu'est-ce qui restera sur la brèche? Les banquiers, les Etablisse-
ments de crédit et les syndicats à qui l'on fera croire à nn appui
puissant et à un bénéfice qui ne deviendra réel que si les circons-
tances s'y prêtent, c'est-à-dire si les promoteurs de la conversion
■V' ont un intérêt puissant.
A. H.
Le gérant: P. Chantrel.
8009. — Paris. Imp. G. Picquoin, 5i, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
CONSISTOIRE DU 10 JUIN 1886.
N. T. S. P. le Pape Léon XIII a tenu, le 10 juin au matin, un
Consistoire public dans le Palais apostolique du Vatican, pour
donner le chapeau cardinalice aux EEmes et RRnaes cardinaux
Joseph Sébastien Neto, créé et publié dans le Consistoire secret
du 24 mars 1884; Antonin Monesciilo f Viso et Célestin Gangl-
bauer, créés et publiés daas le Consistoire secret du 10 novem-
bre 1884 ; Auguste Theodoli et Camille Mazzella, créés et
publiés dans le Consistoire secret de lundi dernier.
A cet effet, les nouveaux cardinaux se sont rendus, à neuf
heures et demie du matin, à la chapelle Sixtine, et là, pendant
que les chapelains-chantres-pontificaux exécutaient des motets
de circonstance, ils ont prêté serment, d'après les Constitutions
apostoliques, en présence des EEmes et RRmes cardinaux chefs-
d'ordre, du Camerlingue et "du vice-chancelier de la sainte
Eglise romaine; ainsi que du Camerlingue du Sacré-Collége.
Pendant ce temps. Sa Sainteté est descendue avec sa noble
cour dans la salle des Paramenti, oii l'attendaient les EEmes
et RRmes cardinaux, les lUmes et Rmes prélats vice-camerlin-
gue de la sainte Eglise et auditeur de la R. C. A., les archevê-
ques et évêques, les divers collèges de la prélature romaine, les
officiers et les cubiculares, ainsi que le secrétaire de la S. Con-
grégation des Rites, le Promoteur de la Foi, les avocats con-
sistoriaux et les autres personnages admis à prendre part aux
cérémonies pontificales solennelles.
Là, le Souverain-Pontife a revêtu les ornements sacrés ; puis,
s'avançant dans la salle Ducale, il a pris place sur la Sedia
gestatoria au milieu des flahelli, et, escorté des personnages
susdits, il a fait son entrée dans la salle Royale oii, étant monté
sur le trône, il a commencé la cérémonie solennelle du Consis-
toire.
Les EEmes et RRmes cardinaux ont prêté d'abord au Saint-
Père l'acte d'obédience, pendant que les chapelains-chantres-
Lvi. — 19 JUIN 1886. 45
616 ANNALES CATHOLIQUES
pontificaux exécutaient des motets de circonstance. Alors, les
nouveaux princes de l'Eglise, introduits dans la salle Royale
par les cardinaux de l'ordre des Diacres, se sont avancés jus-
qu'au trône du Souverain-Pontife auquel ils ont baisé le pied et
la Kiain et dont ils ont reçu le baiser de paix. Ils ont reçu de
même l'accolade de leurs EEmes collègues et, ensuite, ils ont
occupé au milieu d'eux la place respective qui leur est assignée.
Cela fait, les cinq nouveaux cardinaux sont revenus devant le
trône, oii ils ont reçu le chapeau cardinalice des mains du Saint-
Père avec le cérémonial d'usage.
Pendant les intervalles de cette cérémonie, l'avocat consisto-
rial, M. le chevalier Philippe Gioazzini, a plaidé pour la troi-
sième fois en faveur de la cause de béatification de la vénérable
servante de Dieu, Sœur Marie-Gertrude Salandri, romaine.
Sa Sainteté, s'étant alors levée devant le trône, a béni tous
les assistants, et ayant de nouveau pris place sur la Sedia
gestaioria, elle est retournée, avec le même cérémonial qu'au-
paravant et escortée du Sacré-Collège et de toute la cour à la
salle Ducale et à celle des Parmnenti, où elle a déposé les or-
nements sacrés, pour rentrer avec sa noble cour dans ses appar-
tements particuliers.
Ensuite les EEmes et RRmes cardinaux se sont rendus pro-
cessionnellement à la chapelle Sixtine, précédés des chapelains-
chantres-pontificaux qui chantaient le Te Deum. L'hymne
d'actions de grâces étant achevée, S. Em. le cardinal-doyen a
récité l'oraison Super creatos cardinales, et, au sortir de la
chapelle Sixtine, les nouveaux princes de l'Eglise ont reçu,
pour la seconde fois, le baiser de paix de leurs EEmes collè-
gues.
Le Consistoire public étant ainsi terminé, le Consistoire se-
cret a eu lieu dans la salle habituelle. Le Saint-Père, après
avoir, selon l'usage, fermé la bouche aux EEmes et RRmes
cardinaux Neto, Monescillo y Viso, Ganglbauer, Theodoli et
Mazzella, a proposé et pourvu les églises suivantes :
L'Eglise métropolitaine de Port-au-Prince, pour Mgr Cons-
tant- Maihurin Hilion, promu du siège de Cap Haïtien ;
L'Eglise me'tropolitaine de Compostelle, pour Mgr VictO"
rien Guisaola y Fernandez, promu du siège d'Orthuela ou
Alicante ;
L'Eglise métropolitaine de Burgos, pour Mgr Emmanuel
GoMEz Y Salazar, promu du siège de Malaga ;
CONSISTOIRE DU 10 JUIN 1886 617
L'Eglise métropolitaine d'Aix, pour le R. D. François-
Xavier GouTHE-SouLARD, de l'archidiocèse de Lyon, curé de
Saint-Pierre-de-Vaise, dans le même archidiocèse et docteur en
théologie ;
L'Eglise cathédrale de Madrid, pour Mgr Cyriac Sancha-
Hervaz, transféré du siège d'Avila ;
L'Eglise cathédrale de Malaga, t^out Mgr Marcel Spinola y
Maestre, transféré du siège de Coria ;
L'Eglise cathédrale de Majorque^ pour Mgr Hyacinthe-
Marie Cervera y Cervera, démissionnaire du siège de Téné-
riffe ou Saint-Christophore-de-Laguna ;
V Eglise cathédrale de Perpignan, t^ouv Mgr Noël- Mathieu-
Victor-Marie Gaussail, transféré du siège d'Oran ;
L'Eglise cathédrale de Fréjus, pour Mgr Frédéric- Henry
OuRT, transféré du siège de la Guadeloupe ou Basse-Terre;
L'Eglise cathédrale de Dijon, pour le R. D. Victor-Luc ien-
Sulpice Lecot, du diocèse de Soissons, curé de Saint-Antoine
à Compiégne, dans le diocèse de Beauvais ;
L'Eglise cathédrale rf'Or«ji,pour le R. D. Gérald Soubrier,
du diocèse de Saint-Flour, chanoine-curé de la métropole
d'Alger.
L'Eglise cathédrale de Mayence, pour le R. D. Paul Hafp-
NER, chanoine de la cathédrale de ce même diocèse et docteur
en théologie ;
L'Eglise cathédrale de Pampelune, pour le R. D. Antoine
Riuz Cabal, recteur du séminaire de Séville et chanoine doc-
toral de cette métropole ;
L'Eglise cathédrale de Coria, pour le R. D. Philippe
Ortiz, de l'archidiocèse de Séville, doyen de la métropole de
ValladoJid et docteur en théologie ;
L'Eglise cathédrale d'Astorga, pour le R. D. Jean-Baptiste
Grau, chanoine et vicaire-général de Tarragone;
L'Eglise cathédrale de Mondonedo, pour le R. D. Joseph-
Marie Ces, chanoine de la cathédrale d'Oviedo et docteur en
théologie ;
L'Eglise cathédrale d'Orihuela ou Alicante, pour le R. D.
Jean Maura y Gelabert, professeur de théologie au séminaire
de Majorque, où il est vicaire capitulaire, docteur en théologie
et licencié en droit canonique ;
L'Eglise cathédrale de Léon, pour le R. D, François Gomez
618 ANNALES CATHOLIQUES
Salazar, professeui' de droit canonique à l'Université de
Madrid, docteur en théologie;
L'Eglise cathédrale de Linarès, au Mexique, pour le R. D.
Hyacinthe Lopez, de l'archidiocèse de Guadalaxara, secrétaire
de chambre et d'administration de cet archidiocèse, chanoine-
magistral de cette même Eglise métropolitaine et bachelier en
théologie ;
VEglise cathédrale de Tahasco, au Mexique, pour le R, D.
Joseph Perfetto Amesquità, de l'archidiocèse de Guadalaxara,
membre de la congrégation de la mission de Saint-Vincent de
Paul, supérieur de la maison de cette congrégation dans la ville
de Mexico ;
D Eglise titulaire épiscopale de Dora et prieuré des Ordres
militaires d'Espagne avec siège à Ciudad Real, pour le R. D.
Joseph-Marie Rangés y Villanueva, chanoine de la cathédrale
de Cadix.
Sa Sainteté a désigné ensuite les Eglises suivantes précé-
demment pourvues par bref :
Les Eglises métropolitaines unies de Gnesen et Posen, pour
le R. D. Jules-Joseph Dinder, du diocèse de Warnia, chanoine
honoraire de ce même diocèse, prévôt de l'église de Kœnigs-
berg;
L'Eglise cathédrale de Savannah, aux Etats-Unis d'Amé-
rique, pour Mgr Thom as- Andr é Becker, transféré du siège de
Wilmington;
LEglise cathédrale de Warnia, pour le R. D. André
Thiel, du diocèse de Warnia, où il est examinateur pro-
synodal, chanoine de la cathédrale et docteur en théologie ;
Les Eglises cathédrales unies de Doivn et Conyior, en Ir-
lande, pour le R. D. Patrice-Marie Alister;
LEglise cathédrale de Kilmore, en Irlande, pour le R. D.
Bernard Finegan ;
L'Eglise cathédrale de Limerick^ en Irlande, pour le R. D.
Edouard O'Deuser ;
L'Eglise cathédrale de Green Bay, pour le R. D. Frédéric
Katzer ;
LEglise cathédrale de Panama, pour le R. D. Joseph-
Alexandre Peralta, curé de Saint-André, dans le diocèse de
la Nouvelle-Pampelune ;
L'Eglise titulaire épiscopale de Nilopolis, pour le R. D.
François de Souza Prado de Lacerda, du patriarcat de Lis-
CONSISTOIRE DU 10 JUIN 1886 619
bonne, vicaire forain et curé de Saint-Biaise à Chamusca, dans
ce même patriarcat, député coadjuteur avec future succession de
Mgr l'évêque d'Angra ;
L'Eglise titulaire e'piscopale de Gerral, pour le R. D. Henry-
Charles-Camille Lambrecht, du diocèse de Gand, où il est cha-
noine honoraire et trésorier de la fabrique de la cathédrale, et
docteur en théologie, délégué coadjuteur avec future succession
de Mgr l'évêque de Gand ;
L'Eglise titulaire e'piscopale de Tranopolis, pour le R. D.
Pierre Power, député coadjuteur avec future succession de
Mgr l'évêque de Waterford ;
I/Eglise titulaire e'piscopale de Mirina, pour le R. D.
Joseph-André Boyer, de la Société des Missions étrangères de
Paris, député coadjuteur avec future succession du vicaire
apostolique de la Mandchourie ;
V Eglise titulaire épiscopale de Sergiopolis, pour le R. D.
Jean Rooney, député coadjuteur avec future succession du
vicaire apostolique du cap de Bonne-Espérance ;
L'Eglise titulaire e'piscopale de Sarepta, pour le R. D.
Paul Palesthy, du diocèse de Kashau, professeur de morale à
l'Université de Buda-Pesth, chanoine de l'Eglise métropolitaine
de Strigonie et docteur en théologie, député auxiliaire de l'Eme
et Rme cardinal-archevêque do Strigonie ;
U Eglise titulaire ëpiscopale de Memphis, pour le R. D.Jean
Kniaz de Kolzielsko Puzyna, de l'archidiocése de Lemberg,
examinateur pro-synodal dans le diocèse de Premislia, oii il est
assesseur et référendaire de la Curie épiscopale de rite latin,
chanoine de la cathédrale et docteur en droit, député auxiliaire
de Mgr l'archevêque de Lemberg, de rite latin ;
L'Eglise titulaire épiscopale de Calama, pour le R. D.
Ludovic PiNEAR, de la Société des missions étrangères de Paris,
député vicaire apostolique du Tonkin méridional ;
L'Eglise titulaire épiscopale de Dorile'e, pour le R. D. An-
toine Carrie, de la Congrégation du Saint-Esprit, député
vicaire apostolique du Congo français, nouvellement érigé par
Sa Sainteté ;
L'Eglise titiUaire épiscopale de Priene, pour le R. D. An-
toine Gangran, des Oblats de Marie, député vicaire apostolique
de l'Etat libre d'Orange, vicariat nouvellement érigé par Sa
Sainteté.
Le Saint-Père a ensuite ouvert la bouche, selon le rite
620 ANNALES CATHOLIQUES
d'usage, aux EEmes et RRmes cardinaux Neto, Monescillo y
Viso, Ganglbauer, Theodoli et Mazzella.
Puis, l'instance du Sacré Pallium a été faite à Sa Sainteté
pour les églises métropolitaines de Tolède, de Port-au-Prince,
Compostelle, Burgos, Sorrente, A.ix, Gnesen et Posen, et pour
les deux Eglises récemment érigées en métropolitaines, celle de
Montréal, en faveur de Mgr Edouard Fabre, et celle d'Ottawa,
pour Mgr Thomas Duhamel ; ainsi que pour la cathédrale de
Warnia, dotée de ce privilège par le pape Benoît XIV.
Enfin, Sa Sainteté a remis l'anneau cardinalice aux nouveaux
princes de l'Eglise, en assignant à l'Eme Neto le titre presby-
téral des SS. Douze-Apôtres ; celui de Saint-Augustin à
l'Eme Monescillo y Viso ; à l'Eme Ganglbauer, celui de Saint-
Eusèbe ; la diaconie de Sainte-Marie de la Scala, à S. Em. le
cardinal Theodoli ; et à S.Em. le cardinal Mazzella, l'autre titre
également diaconal de Saint-Adrien-au-Forum-Romain.
Après être rentré dans ses appartements privés, le Saint-Père
a reçu en audience particulière les nouveaux cardinaux.
LES NOUVEAUX CARDINAUX.
Six prélats éminents et un savant religieux, membre de la
Compagnie de Jésus, viennent d'être élevés, par la souveraine
bienveillance du Saint-Père Léon XIII, heureusement régnant,
à la dignité cardinalice.
Parmi les nouveaux cardinaux, il en est trois de nationalité
française, deux Américains et deux de nationalité italienne.
Cinq appartiennent à l'épiscopat, un à la prélature romaine et
un à la Compagnie de Jésus.
Voici sur chacun d'eux, d'après l' Univers et le Monde,
quelques détails biographiques.
Mgr BERNADOU.
Mgr Victor-Philippe Bernadou, archevêque de Sens et
Auxerre, est né le 25 juin 1816, à Castres (Tarn); il fut, à la
suite de sérieuses études ecclésiastiques, d'abord curé, puis
archiprêtre de la cathédrale d'Alger. Pie IX, de sainte mémoire,
le préconisa évêque de Gap, dans le consistoire du 7 avril 1862,
LES NOUVEAUX CARDINAUX 621
et réleva le 12 juillet 1867, au siège métropolitain de Sens et
Auxerre. Les travaux d'un long épiscopat s'exerçant dans un
vaste diocèse, ont marqué au Sacré-Collège la place de
Mgr Bernadou.
Mgr LANGÉNIEUX.
Mgr Benoît-Marie Langénieux, archevêque de Reims, est né
le 15 octobre 1824 à Villefranche-sur-Rhône; il fit ses études
au séminaire de Saint-Nicolas à Paris, et débuta dans le minis-
tère sacerdotal comme vicaire à Saint-Roch ; en 1859 le cardi-
nal-archevêque de Paris, Mgr Morlot, l'appelait à la chan-
cellerie archi-épiscopale. En 1863 il devint curé de Saint-
Ambroise, et en 1867 curé de Saint-Augustin, récemment
érigée en paroisse. Après les désastres de 1870-71, Mgr Gui-
bert, archevêque de Paris, nomma M. le curé Langénieux archi-
diacre de Notre-Dame et vicaiT'e-généraL
Le 25 juillet 1873, Pie IX, de sainte mémoire, le préconisa
évêque de Tarbes ; mais il n'y resta que le temps de faire
apprécier et regretter son court passage; le 21 décembre 1874
il était appelé au siège métropolitain de Reims. On sait de
quel éclat et de quelle fécondité a été son administration sur
le siège de Saint-Remi. Les mémorables fêtes d'Urbain II,
les congrès des jurisconsultes catholiques, la défense de l'ensei-
gnement chrétien ont mis en lumière les qualités, les vertus
apostoliques de Mgr Langénieux, qui n'a pas dédaigné de
rédiger lui-même, pour mieux travailler à la conservation de
son peuple, un petit traité d'histoire chrétienne dont le succès
dans toute la France a été vraiment merveilleux.
Parmi les lettres épiscopales d'adhésion récemment adressées
à S. E. le cardinal Guibert, on avait particulièrement remarqué
celle de Mgr Langénieux protestant avec une éloquente indi-
gnation contre le ministre impie qui, à la tribune, n'avait pas
craint d'attaquer les dogmes essentiels de notre foi et de « tenir
sur la piété filiale des fidèles à l'égard de la très sainte Vierge,
un langage que ne permettrait pas la plus vulgaire bien-
séance. »
Mgr PLACE.
Mgr Charles-Philippe Place, archevêque de Rennes, est né à
Paris le 14 février 1814 ; il fit ses études à Paris et se destina
d'abord au barreau, où il se fit remarquer par son talent
622 ANNALES CATHOLIQUES
oratoire. En 1849 il était secrétaire du comte de Corcelles,
chargé d'affaires de France auprès de Pie IX, réfugié à Gaëte.
Rentré en France, le secrétaire d'ambassade fit des étude»
théologiques pour entrer dans les ordres ; il fut plus tard placé
comme supérieur à la tête du séminaire d'Orléans par Mgr Du-
panloup qui le nomma ensuite son vicaire général.
En 1863 il remplaça au tribunal de la Rote Mgr de Lavi-
gerie, et le 22 juin 1866, le Saint-Père Pie IX le préconisa
évêque de Marseille et daigna le sacrer lui-même. Sa Sainteté
Léon XIII l'appela, à la mort du cardinal Brossais Saint-Marc,
au siège métropolitain de Rennes.
Mgr GIBBONS.
Mgr Jacques Gibbons, archevêque de Baltimore, dans l'État
de Maryland, aux Etats-Unis, est né dans sa ville épiscopale le
13 juillet 1845; il se distingua de bonne heure dans diverses
charges ecclésiastiques. Dès avant son épiscopat, son goût des
sciences et des lettres lui avait fait un nom et lui avait acquis
en Amérique de nombreuses et vives sympathies.
Pie IX le nomma, par bref apostolique en date du 3 mars 1868,
évêque titulaire d'Adramittio et vicaire apostolique pour la
Caroline du Nord. Le 30 juillet 1872, il l'appela au siège de
Richemond et cinq ans après. Sa Sainteté le nomma coadj,u
teur avec future succession de l'archevêque de Baltimore; il
reçut à cette occasion le titre épiscopal de Lonopole, en
Paphlagonie.
Dès le 5 octobre 1877, il succédait à Mgr Roosvoelt Bailey..
En 1884, il assistait à la conférence tenue par les évoques
d'Amérique à Rome ; il présida ensuite le mémorable concile
plénier de Baltimore, où furent prises d'importantes solutions,
dont V Univers a rendu compte en publiant le texte même de la
lettre collective adressée aux fidèles américains par les Pères
du concile.
Mgr TASCHEREAU.
Mgr Alexandre Taschereau, archevêque de Québec, métro-
politain du Canada, appartient à l'une des grandes familles
françaises qui ont laissé dans cette partie de l'Amérique les
traces les plus glorieuses de leur activité.
Il est né à Sainte-Marie-de-la-Beauce, le 17 février 1820.
Après avoir fait ses premières études classiques au séminaire
LES NOUVEAUX CARDINAUX 623
de Québec, il vint à Rome à l'âge de seize ans, pour y suivre
les grands cours de philosophie et de théologie à l'université
Orégorienne.
De retour au Canada, il devint professeur au séminaire de
Québec, poste qu'il occupa jusqu'en 1847, alors qu'il fut nommé
missionnaire de la Grosse-Isle, ravagée à cette époque par la
fièvre typhoïde. Il s'y dévoua à l'administration des malades,
en compagnie de sept autres prêtres. Mais au bout de huit jours
le zélé missionnaire faillit être victime de son zèle et de son
dévouement : il fut frappé par cette terrible épidémie, qui le
conduisit aux portes 'du tombeau. L'art médical triompha
cependant de l'implacable maladie, et au mois de septembre
de la même année, M. l'abbé Taschereau était assez bien pour
reprendre ses travaux. Le séminaire de Québec le comptait de
nouveau parmi ses professeurs les plus distingués.
Il parcourut ensuite presque toute l'échelle du professorat à
cette institution; il enseigna tour à tour la rhétorique, l'astro-
nomie, l'histoire universelle, la littérature, la théologie morale
et dogmatique et l'Écriture Sainte.
Voulant compléter ses études de droit canonique, M. l'abbé
Taschereau revint à Rome en 1852. Il entra alors au séminaire
français, qui avait été fondé depuis peu et dont il fut l'un des
premiers et des plus brillants élèves. Aussi y a-t-on conservé
le meilleur souvenir de son amour du travail, de son obéissance
au règlement et de sa pratique des plus solides vertus. On l'y
citait comme un modèle de régularité, et son exemple est resté
consigné dans les annales de cet établissement en des termes
que l'on ne peut relire sans émotion. Après avoir suivi pendant
deux ans le cours de droit à l'Apollinaire, sous la direction de
l'éminent canoniste De Angelis, il subit un examen des plus
brillants et reçut le grade de docteur. A l'occasion de ce
deuxième voyage à Rome, il fut chargé de présenter à
S. S. Pie IX les décrets du second concile provincial.
A son retour de la Ville Sainte, en 1856, M. l'abbé Tasche-
reau fut nommé directeur du petit séminaire de Québec, puis
recteur du grand séminaire, et en 1860 recteur de l'Université
de Laval. Deux ans après, Mgr Baillargeon, alors métropolitain
de Québec, le nomma vicaire-général.
En 1869, M. l'abbé Taschereau revint à Rome, en qualité de
théologien de S. G. Mgr Baillargeon, au concile du Vatican
Un témoin oculaire écrit à ce propos : « Nous nous rappelle-
624 ANNALES CATHOLIQUES
rons toujours avec plaisir son arrivée dans la ville des Papes,
et les zouaves pontificaux de Québec n'oublieront jamais la
sollicitude toute particulière qu'il leur porta dans toutes les
circonstance^ où il put exercer son influence en faveur de ses
chers compatriotes. »
Peu après son retour de Rome, Mgr Baillargeon descendait
dans la tombe, au milieu des regrets et des pleurs de la popu-
lation catholique du Canada.
Les regards de l'épiscopat canadien tombèrent aussitôt sur
M. le graad vicaire Taschereau, qui fut élu archevêque de
Québec le 24 décembre 1870. Les bulles «pontificales arrivèrent
en cette ville le 23 février 1871. Mgr Taschereau fut sacré
archevêque le 19 mars 1871.
Voilà donc quinze ans qu'il est chargé de la direction reli-
gieuse de cette importante province ecclésiastique et qu'il con-
tinue de faire briller sur le plus ancien siège de l'Amérique du
Nord toutes les vertus du bon pasteur, au milieu même des
plus graves difficultés. La pourpre romaine devient aujour-
d'hui l'ornement de ces vertus et le témoignage de la sollicitude
toute spéciale de Léon XIII pour cette partie de l'Eglise où la
foi et l'esprit de dévouement chrétien ont jeté de si profondes
racines.
Mgr THEODOLI.
Mgr Auguste Theodoli est né à Rome, le 18 septembre 1819»
de l'illustre famille des marquis de ce nom. En 1842, Gré-
goire XVI le nomma chanoine de Sainte-Marie-Majeure, d'où,
en 1847, Pie IX le promut au canonicat de Saint-Pierre. En
1850, il fut envoyé à Vienne en qualité d'ablégat pontifical,
pour porter la barrette cardinalice à l'Eme archevêque d'Ol-
miitz. Appelé en 1856, par la confiance de Pie IX, aux fonc-
tions de iionente de la Sacra Consulta ou conseil d'Etat du
gouvernement pontifical, et, en 1866 au poste d'auditeur du
tribunal de la signature papale de justice, il y déploya ce tact
supérieur, cette sûreté de vues et ce zèle éclairé qui en ont fait
l'un des plus fidèles et des plus dévoués serviteurs du Saint-
Siège.
Ces qualités maîtresses continuèrent de se manifester pen-
dant les quatorze années qu'il occupa, depuis le 9 juin 1868,
l'importante charge d'économe de la fabrique de Saint-Pierre.
Les travaux considérables de restauration et d'embellissement
LES NOUVEAUX CARDINAUX 625
exécutés avec un soin si parfait pendant toute cette période
attestent encore et témoigneront à jamais, dans les annales de
l'économat de la grande basilique, l'activité si intelligente et
le dévouement si infatigable de Mgr Theodoli pour accroître la
splendeur du plus beau temple de la chrétienté.
Parmi les oeuvres principales exécutées sous son administra-
tion, nous pouvons signaler la restauration de toute la partie
extérieure de la coupole de Saint-Pierre, qu'il fit recouvrir
d'immenses lames de plomb. Il fit restaurer de même, à l'inté-
rieur, avec une richesse éblouissante de dorures et de couleurs,
toutes les travées de la voûte de la grande nef, tout le pavé en
marbre de cette même nef, ainsi que les chapelles du choeur et
les fonts baptismaux.
La place de Saint-Pierre lui doit aussi la restauration de la
grande colonnade du Bernin, du côté de la porte Angelica;
et la place de Sainte-Marthe, attenante à la sacristie, lui est
redevable de son nivellement et l'on peut dire aussi de son
assainissement, grâce au grand canal collecteur qui a régularisé
l'écoulement des eaux. La sacristie elle-même a été entièrement
remise à neuf et sa coupole recouverte de lames de plomb,
comme celle de la basilique.
Il faudrait citer aussi, parmi les œuvres d'embellissement, le
nouveau tableau en mosaïque de la chapelle souterraine des
Apôtres; la grande inscription, également en mosaïque, qui se
déroule le long de la frise ; bref tout un ensemble de travaux
magnifiques à l'impulsion desquels les quatorze années de
l'économat de Mgr Theodoli ont puissamment contribué.
Aussi ne peut-on qu'admirer le sage discernement de
Léon XIII, lorsque, en 1882, il appela ce bon et fidèle adminis-
trateur à occuper auprès de lui le premier poste de la cour,
celui de majordome pontifical et de préfet des palais aposto-
liques. Dans l'exercice de cette charge, l'une de celles qui
sont désignées sous le nom de cardinalices, parce qu'elles
conduisent aux honneurs de la pourpre, on peut dire à la lettre
que Mgr Theodoli a fait sa meilleure préparation à l'éminente
dignité de prince de l'Église, tellement il a su justifier la
confiance du Saint-Père et confirmer la haute réputation
acquise par ses vertus et ses longs services.
Le nouveau cardinal est le quatrième des princes de l'Église
issus de cette illustre famille des marquis Theodoli, qui est
apparentée avec les premières maisons du patriciat romain. Le
626 ANNALES CATUOLIQUES
premier cardinal de ce nom, Albert Theodoli, créé en 1127 sous
le pontificat d'Honorius II est aussi le plus ancien des cardinaux
parmi ceux qui sont issus des familles patriciennes de Rome.
LE R. P. MAZZELLA.
Le R. P. Mazzella, de la Compagnie de Jésus, est appelé à
faire briller dans le Sacré-Collége, avec ses vertus éminentes,
l'éclat de la science théologique, dans laquelle il a déjà acquis
une si haute réputation.
Né à Vitulano, dans l'archidiocése de Bénévent, le 10 fé-
vrier 1833, le R. P. Mazzella a fait ses études au collège des
PP. Jésuites à Bénévent. Au mois de septembre 1855, bien
qu'il n'eût encore que 22 ans, il fut ordonné prêtre avec dis-
pense pontificale. Deux ans après, le 4 septembre 1857, il
entra dans la Compagnie de Jésus, oii pendant deux ans il fut
chargé de l'enseignement de la philosophie.
En 1860, ses supérieurs l'envoyèrent en France. Il ne tarda
pas à s'y distinguer par une thèse publique De universa iheo'
logia^ qu'il soutint à Lyon avec le plus brillant succès. Dans
cette même ville de Lyon, il continua d'enseigner la théologie
pendant cinq ans, et dés lors il fit présager dans cet enseigne-
ment les qualités les plus éminentes.
Rappelé à Rome en 1866, il y accomplit, dans la maison de
retraite de Saint-Eusèbe, la iTo\s,\èviïQ prohation prescrite par
les Constitutions de saint Ignace. Le 31 juillet de l'année sui-
vante, le général de la Compagnie de Jésus l'envoya aux Etats-
Unis d'Amérique, où venait d'être fondé un grand collège de
philosophie et de théologie pour les étudiants de la Compagnie
dans les provinces des États-Unis et du Canada. Il y enseigna
lui-même la théologie avec la supériorité dont il avait déjà favt
preuve à Lyon, et il y occupa aussi la charge de préfet général
des études jusqu'au mois d'octobre 1878.
Ses mérites ayant dès lors attiré l'attention du monde savant,
S. S. Léon XIII daigna manifester le désir de le voir se
dévouer, à Rome, à l'enseignement de la théologie. Il fut
appelé, en effet, à donner cet enseignement dans l'université
Grégorienne. En 1870, le R. P. Kleutgen ayant dû laisser,
pour raison de santé, la charge de préfet général des études
à l'université Grégorienne, cette importante charge fut confiée
au R. P. Mazzella, qui l'a occupée jusqu'à ces derniers temps
avec un talent supérieur, en se consacrant surtout à l'impulsioa
l'homme en regard de la création 627
des hautes études thomistes, d'après les enseignements de
Léon XIII.
Le R. P. Mazzella fait partie de l'académie romaine de Saint-
Thomas-d'Aquin, fondée par sa Sa Sainteté Léon XIII, et du
Collège théologique de Rome. Il appartient en qualité de con-
sulteur aux SS. Congrégations du Saint-Office et des Études.
Ses publications théologiques, qui ont contribué surtout à faire
apprécier les brillantes qualités que se modestie se plaisait à
cacher, ont eu l'honneur de plusieurs éditions. Il a collaboré
aussi à plusieurs revues scientifiques de France, d'Amérique et
de Rome, toujours prêt à propager les saines doctrines dont il
a été l'apôtre infatigable et qu'il saura faire briller d'un nouvel
éclat dans cet auguste Sénat de l'Eglise où l'appelle le haut
discernemert de Léon XIII.
L'HOMME EN REGARD DE LA CREATION
C'est la petitesse et la grandeur.
'La petitesse. — Elle est vraiment petite la place qu'il
occupe individuellement dans l'espace et dans le temps : ce
n'est qu'un point, ce n'est qu'un instant. Si la plus haute des
montagnes, par rapport au globe terrestre, offre proportionnel-
lement moins de saillie c^ne les rugosités d'une écorce d'orange;
si un siècle, comparativement à la durée, est moins qu'une
miaule relativement à nos heures : que dire de l'homme !
Qu'est l'étendue qu'il occupe par son corps, relativement à
l'Hymalaya, par exemple ; à plus forte raison relativement à
la masse terrestre; à plus forte raison encore, relativement à
l'univers! Qu'est le temps de son existence, relativement à la
durée du monde ? Mon Dieu ! que nous sommes petits!
Et pourtant ce point doué d'intelligence embrasse par cette
faculté la nature entière et plus. La faculté qu'il a de connaître
égale la nature qui fait l'objet de ses connaissances et si l'équa-
tion pèche par un côté, c'est du côté de la nature, que l'intelli-
gence dépasse, capable qu'elle est — je ne dirai pas de
s'élever., — mais à^être eïeuee jusqu'à la connaissance surnatu-
relle de Dieu.
Que de grandeur dans la petitesse ! petit, que tu es grand!
La faculté que l'homme a de connaître, ai-je dit — il est ici
628 ANNALES CATHOLIQUES
question de l'ordre purement naturel — égale au moins son
objet, lequel est la nature entière que Dieu a livrée à ses
études ; la nature entière, rien que cela : non pas que l'équa-
tion soit posée en fait; elle ne l'est encore qu'en puissance.
Un exemple me fera aisément comprendre. Qui n'a vu de ces
décamètres en étoffe, enroulés dans un cercle de cuivre ? En
cet état, il est bien évident qu'il n égale pas même un mètre
en longueur. Déroulez : ça s'étend, ça s'étend, ça dépasse
bientôt les dimensions linéaires de l'objet mesuré. C'est une
image de l'intelligence. Enroulée dans sa puissance, elle se
développe, se développe sans cesse, et elle se développera —
sinon celle de l'individu au moins celle de l'humanité — tant
que la nature aura des secrets qui la solliciteront, qui la tire-
ront de sa puissance... à condition que le temps lui soit donné.
D'intuition je soupçonne que Varhre de vie^ planté dans le
Paradis terrestre, n'est qu'un symbole, qu'un signe sensible de
la connaissance adéquate de la nature ; d'intuition, je soup-
çonne que la nature offre les remèdes nécessaires aux maladies
qui proviennent elles-mêmes de contacts irréguliers entre la
nature, c'est-à-dire entre les êtres environnants et l'homme.
Depuis le péché, l'arbre de vie a disparu, et n'eût-il pas
disparu qu'il serait impuissant à nous rendre immortels; car la
mort ne s'explique plus seulement par l'action de causes exclu-
sivement physiques, naturelles ; mais encore par l'action dis-
solvante de causes 'inorales par l'action dissolvante du péché,
par la rupture entre l'âme et Dieu et, eonséquemment par la
rupture entre nos puissances supérieures et nos puissances infé-
rieures. Dieu est le centre de l'ordre universel, le centre de
l'harmonie du monde : le centre perdu l'ordre disparaît et
le désordre descend d'échelon en échelon jusqu'au dernier
degré de l'échelle des êtres. Dieu est \q premier moteur, le
premier régulateur, il imprime un mouvement régulier à l'être
le plus rapproché de lui ; celui-ci communique à son tour le
mouvement reçu à l'être le plus rapproché : ainsi de suite. Si
le premier mobile, après Dieu — et le premier mobile, c'est
l'homme — imprime un mouvement déréglé, le désordre est
partout. Hélas! ce n'est pas une hypothèse, c'est un fait!...
Mais voici Notre-Seigneur Jésus-Christ!
LE RECENSEMENT 629
LE RECENSEMENT
Nous recevons dos nouvelles au sujet du dernier recen-
sement.
En ce qui touche Paris, elles sont plus que déplorables.
550.000 bulletins de ménage ont été retournés, paraît-il, sans
avoir été garnis.
Des milliers de bulletins individuels portent les indications
les plus fantaisistes et rappellent ces albums jadis à la mode,
dans lesquels on vous priait de dire, sous forme de confession,
si vous aimiez les blondes ou les brunes, et quels étaient vos
défauts et vos vertus.
On affirme même qu'un très grand nombre ont servi de déve-
loppement à des considérations obscènes.
En résumé, le recensement de Paris serait totalement raté.
Il paraîtrait impossible d'en tirer le moindre résultat pratique.
Le Journal des débats tout particulièrement, se montre navré
de l'aventure.
Pour l'expliquer, il entasse hypothèse sur hypothèse.
Il lui répugne tout d'abord de supposer la population de Paris
trop bête pour procéder à la confection d'un bulletin de ménage.
Le fait est que ce serait roide de la part de la ville, que les
républicains appellent la ville lumière, probablement parce
qu'elle possède un plus grand nombre de becs de gaz que les
autres villes.
La vraie raison de la déconfiture du recensement doit être
ailleurs. C'est du moins, ce qu'espère le Journal des Débats.
Il la trouve ingénieusement dans la paresse, dans l'indiffé-
rence, dans l'esprit d'opposition de la population parisienne.
Malheureusement, il va plus loin, poussant l'audace jusqu'à
insinuer que Paris ne serait plus qu'un abominable repaire de
gens sans aveux, qu'une caverne ayant l'horreur raisonnée de
toute investigation, de toute clarté.
Et si vous croyez que nous exagérons sa pensée, vous n'avez
qu'à lire les quelques lignes suivantes :
Le chiffre absolument exceptionnel des abstentions semblerait
prouver ce dont on se cloutait vaguement, c'est que Paris devient de
plus en plus le refuge des gens de situation équivoque, de ménages
interlopes et des déclassés de la province et de l'étranger qui, pour
des causes dont ils n'ont pas à s'enorgueillir, viennent se cacher
630 ANNALES CATHOLIQUES
dans la grande ville, changent de nom, pas toujours de profession,
et ne demandent qu'à rester dans une obscurité discrète.
Nous nous en étions un peu douté, mais nous n'aurions
jamais osé le dire.
Ainsi donc, voilà ce que la république aurait fait de la capi-
tale de la France !
Elle n'aurait dépeuplé les départements, n'aurait enlevé les
bras qui manquent à l'agriculture que pour entasser à Paris
tous les coquins, tous les filous, tous les escarpes de la nation.
Cela expliquerait la multiplicité des attaques nocturnes, la
quantité d'assassinats dont on ne découvre jamais les auteurs
et nous doutons qu'un pareil tableau, fait par un journal
républicain, soit de nature à fortement exciter les provinciaux
ou les étrangers à venir vivre dans un milieu pareil.
Le Journal des Débais est pourtant de ceux qui poussèrent
et poussent encore le gouvernement à tout faire pour Paris au
détriment de la province, tellement que les honnêtes gens qui
ont le malheur d'habiter encore la capitale, sont effroyablement
pressurés d'impôts et autres emprunts, à la seule fin de faire
vivre l'innombrable et sinistre collection dont le Journal des
Débats nous fait la peu rassurante énumération.
D'ailleurs, une ville qui nomme Camélinat et Baslj et qui
s'enorgueillit de Germain Casse et de Brialou, ne peut être en
effet que la succursale des Calabres ou des Abbruzzes.
Néanmoins nous n'irons pas jusqu'à croire, avec le Journal
des Débats, que Paris compte six cent mille individus, ou qui
sortent du bagne, ou qui se disposent à j entrer.
Non.
Ces SIX CENT MILLE Parisiens qui ont refusé de prendre part
aux opérations du recensement ou qui les ont éludées, sont tout
simplement, à notre avis, et en grande partie des gens avisés.
Ils se sont dit qu'en temps de République, il n'est pas sage
de donner son nom et son adresse, car la liste de recensement
d'aujourd'hui peut devenir la liste des proscriptions de demain.
Avec un gouvernement pareil, on ne sait jamais ce qui peut
vous arriver au point de vue de la fortune ou de la liberté.
Et voilà pourquoi les habitants de Paris se sont terrés comme
des lapins dans leurs clapiers, lorsque les roquets de l'adminis-
tration sont venus aboyer dans les rues.
La prudence est la mère de la sûreté, particulièrement au
temps où nous vivons. [Autorité). Paul de Cassagnac.
l'association chrétienne des honnêtes gens 631
L'ASSOCIATION CHRÉTIENNE DES HONNETES GENS.
(Suite et fin. — V. le numéro précédent.)
IV
Une des parties les plus intéressantes du livre du Père Ludovic
est celle où il montre que V Association chrétienne des honnêtes
gens sur le terrain des affaires est le meilleur moyen de réaliser
le vœu exprimé par le Saint-Pére dans l'Encyclique Huma-
num genus en faveur d'une restauration des corporations dans
des conditions appropriées aux besoins du temps présent. Il
réagit ainsi judicieusement contre des opinions, venues d'Alle-
magne, qui prétendent s'autoriser de ce grave document pour
préconiser le rétablissement des monopoles et des privilèges
des anciennes corporations de métier.
« Il ne faut pas, disait-on récemment dans ce journal avec
« autorité, abuser de certaines analogies de termes pour mettre
« l'autorité du Saint-Siège au service d'idées particulières.
« L'encyclique Humanum genus a loué dans le passé les insti-
< tutions, corporations qu'on ne peut plus ressusciter en leur
« forme ancienne. Elle a recommandé dans le présent toutes
« les formes d'associations chrétiennes destinées à protéger les
« intérêts spirituels et temporels des ouvriers. Qui osera
« sérieusement soutenir que le Pape ait voulu sanctionner de
« son autorité souveraine des systèmes économiques à peine
« encore formulés, contestés par d'excellents esprits. »
Ce qui a fait la haute valeur des corporations d'autrefois pour
le bien moral et la paix sociale, ce n'est pas le monopole indus-
triel et les privilèges dont elles jouissaient, conformément à la
constitution politique générale de ces temps; mais bien la con-
frérie que l'Eglise avait créée à côté d'elles et souvent dans
leur sein. La corporation sans la confrérie deviendrait un
instrument redoutable d'oppression aux mains d'un Etat démo-
cratique, ainsi qu'elle l'a été effectivement après le protestan-
tisme, au profit de l'absolutisme et de l'aristocratie, dans l'Alle-
magne du Nord et en Angleterre.
La corporation industrielle, ressuscitée par la législation,
serait aujourd'hui un corps sans âme, qui étoufferait en leur
germe toutes les manifestations de l'esprit chrétien, tous les
groupements spontanés des forces catholiques.
46
632 ANNALES CATHOLIQUES
Il est des principes nécessaires à toute société; ils forment
ce qu'un maître illustre a appelé la constitution essentielle de
l'Humanité. De ce nombre sont le patronage et l'association.
Mais l'un et l'autre principe doivent revêtir des formes fort
différentes, selon les temps.
Mgr Hugonin, dans la lettre pastorale que nous citions plus
haut, dit fort judicieusement à propos des anciennes et des
nouvelles formes du patronage :
« On a cru voir dans la grande industrie l'établissement
« d'une nouvelle féodalité. L'usine serait le château; le direc-
« teur de l'usine, le seigneur féodal ; les ouvriers environnant
« l'usine, les serfs qui vivaient au pied du château. Ce sont là
« des ressemblances plus apparentes que réelles. L'ouvrier
« n'est pas le serf du chef d'usine, quoiqu'il dépende de lui,
« parce que c'est par le travail de l'usine qu'il vit. Les liens
« qui l'attachent à son chef ne sont pas des liens seigneuriaux...
« Maîtres et ouvriers forment une vraie société... Les membres
« de cette société sont inégaux par leurs mises sociales: les
« uns sont puissants, les autres faibles. Le patronage est néces-
« saire; mais le patronage seigneurial reposait sur un droit
« juridique; celui qu'exigent nos sociétés modernes doit être
« désintéressé : il a pour fondement et pour règle la charité. »
Ainsi en est-il du principe de l'association. Les anciennes
corporations de métier s'étaient fondées à une époque dont le
régime se caractérisait d'abord par le groupement des hommes
ayant des intérêts identiques, par suite de l'exercice de la
même profession ou de l'habitation sur le même territoire; puis,
par l'indépendance et la compétition de chacun de ces groupes,
dans le vaste sein de la république chrétienne.
Le premier besoin était alors la conservation de l'art, objet
du métier. Pour atteindre ce but, chaque commune forçait les
artisans de même profession à former un corps auquel elle
constituait un monopole : car, pour conserver et défendre un
métier, on ne voyait rien de mieux que d'empêcher d'autres
personnes de l'exercer autour de soi. Aujourd'hui, dans l'inévi-
table mouvement de la concurrence internationale, il faut lutter
et s'efforcer de jour en jour de produire à meilleur compte. Le
grand objectif des groupements professionnels modernes doit
donc être non pas d'exclure autrui, comme autrefois, du champ
du travail, mais d'arriver par l'association libre et volontaire
de producteurs ayant confiance les uns dans les autres à dimi-
l'association chrétienne des honnêtes gens G33
nuer les frais de production, à éliminer les intermédiaires
onéreux, en un mot à augmenter la production de l'industrie
humaine et à moraliser les travailleurs, deux choses étroitement
liées. Ces groupements pourront alors à bon droit se décorer
comme d'un titre de noblesse du vieux et beau nom de corpo-
ration chrétienne, sans qu'aucun malentendu se produise.
V
C'est là ce qu'a admirablement saisi le Père Ludovic et ce
qui constitue le caractère éminemment pratique des œuvres
qu'il a fondées ou qui s'inspirent de sa pensée. Personne moins
que nous ne méconnaît le grand rôle qu'a à remplir, surtout
dans un pays tel que le nôtre, la souveraineté fondée sur le
droit national et ayant la conscience de ses devoirs envers Dieu.
Mais encore le prince légitime, le prince chrétien ne peut pas
en un jour rendre la société chrétienne.
Il faut qu'il soit soutenu dans cette tâche de longue haleine
par des forces sociales ayant une vitalité propre. Or, ce sont
les oeuvres dans lesquelles les gens de bien s'organiseront et se
solidariseront sur le terrain des affaires qui fourniront au
pouvoir chrétien le point d'appui sans lequel il serait impuissant.
D'ailleurs, en attendant ce jour, ce sont des groupements de ce
genre qui préparent le plus efficacement un milieu social
meilleur.
Nul ne peut prévoir les desseins de Dieu sur notre malheu-
reux pays. Que notre société se rassoie sur ses assises tradi-
tionnelles ou qu'elle doive être ballottée longtemps encore par
. la tourmente révolutionnaire, le devoir élémentaire des chré-
tiens, quelles que soient leurs opinions économiques et leurs
visées de reconstruction sociale, est de se serrer les uns contre
les autres, de soutenir mutuellement leur courage, d'empêcher
leurs frères dans la foi de succomber aux difficultés de l'heure
présente, en les aidant à sauver leur foyer domestique et leur
atelier de travail. C'est ce à quoi nous convie le Père Ludovic,
trente ans après M. Baudon, et c'est là aussi, nous nous l'ima-
ginons, ce que devaient faire les chrétiens de la primitive
Eglise pendant ces persécutions dont l'œil humain ne pouvait
pas apercevoir le terme. Sachons en faire autant au milieu de
la persécution sociale que la Maçonnerie déchaîne sur nous et
de l'oppression financière qu'elle exerce dans le commerce et
l'industrie sur ceux qui ne veulent pas porter sa marque et ses
chaînes. Claudio Jannet.
634 ANNALES CATHOLIQUES
LES CHAMBRES
Sénat.
Vendredi 11 juin. — Après l'expédition d'ua certain nombre de
projets de loi d'intérêt local, M. Guichard, au nom du sixième
bureau, dépose le rapport sur l'élection sénatoriale du département
de l'Aisne. Le rapport conclut à l'invalidation de l'élection de
M. Sébline, qui, au moment du vote, ne réunissait pas les conditions
d'âge exigées par la loi.
MM. Lenoel et Malézieux combattent les conclusions du rapport
et demandent la validation de l'élection de M. Sébline, qui a qua-
rante ans aujourd'hui, jour de la validation.
11 est procédé au scrutin sur les conclusions du bureau : l'élection
de M. Sébline est annulée par 158 voix contre 92, sur 250 votants.
L'ordre du jour appelle la deuxième délibération sur le projet de
loi relatif aux sociétés de secours mutuels.
Samedi 12 juin. — M. le Président annonce la mort de M. Léon
Cabannes, sénateur du Cantal : de M. de Lavrignais, sénateur de la
Loire-Int'érieure ; de M. Laurent-Pichat, sénateur inamovible. Il
retrace la vie des défunts et exprime les regrets que leur mort cause
au Sénat.
Le Sénat adopte au scrutin, à l'unanimité de 253 votants, le projet
de loi tendant à ouvrir un crédit de 200,000 fr. destiné à contribuer
à la souscription ayant pour objet la fondation d'un établissement
pour le traitemeut de la rage (Institut-Pasteur).
M. Lenoel dépose un rapport sur le projet de loi tendant à ouvrir
un crédit de 325,500 fr. pour organisation des résidences à Mada-
gascar.
L'ordre du jour appelle la suite de la seconde délibération sur le
projet de loi sur les sociétés de secours mutuels.
Les articles 4 à 9 sont adoptés.
M. Demole, au nom de M. le ministre de l'intérieur et au sien,
dépose un projet de loi relatif aux membres des familles ayant régné
sur la France.
L'urgence est déclarée.
M. LE Président : Le projet sera renvoyé à l'examen des bureaux.
Voix à gauche : Tout de suite ! tout de suite ! (Réclamations à
droite.)
M. LE Président : Les convenances exigent que l'on ne statue pas
dans les bureaux avant mardi.
M. Tesseren Bdec ort dépose son rapport sur le projet de loi
relatif â TExposition de 1889.
Mardi 15 juin. — Suite de la seconde délibération relative aux
Sociétés de secours mutuels.
LES CHAMBRES 635
Chambre des députés.
Jeudi 10 juin. — La validation de M. Carron, député d'Ille-et-
Vilaine, ouvre la séance. Après un défilé de rapports et de propo-
sitions que la Chambre écoute distraitement, l'ordre du jour appelle
la discussion du projet relatif à l'expulsion des princes.
M. LE COMTE DE MuN a la parole. 11 ne vient pas faire, entre les
divei'ses propositions, des distinctions dont la subtilité lui échappe;
il y a une question simple posée devant la Chambre et dans le pays,
et le vote final de la commission l'établit du moins nettement. 11 ne
s'embarrassera pas dans les artifices de langage dont on cherche
à envelopper la proposition d'exil. Il s'agit d'une question plus
haute; il s'agit du droit et de la justice.
L'exil pur et simple, sans phrases, est une chose qui se comprend.
(Applaudissements ironiques à gauche.) C'est la pure tradition jaco-
bine. (Cris à gauche : Dites la tradition monarchiste !)
M. DE MuN. — Cette mesure est la violence franchement avouée.
Le système que l'on propose, c'est l'hypocrisie dans la violence.
(Applaudissements â droite.) Quelque détour qu'on prenne, il n'y a
au fond de toutes les propositions qu'une même chose : la pros-
cription. Ce n'est pas une loi que l'on va faire, c'est un arrêt que
l'on va rendre, et l'histoire en gardera le souvenir.
On ne comprendra pas qu'il pût s'y mêler les étroites considé-
rations de l'intérêt ministériel.
Quand, par une sorte de dérision, le ministre qui représente la
justice dans le cabinet est venu déposer le projet, on se demandait
comment il pourrait le motiver.
L'orateur rappelle les précédentes déclarations de M. de Freycinet.
Quel événement s'était donc produit pour amener un revirement?
Un marifige princier avait eu lieu. Le ministère, rompant avec nos
traditions chevaleresques, avait-il donc voulu jeter â une jeune
princesse la prosciiption de tous les siens en réponse aux applau-
dissements qui saluaient à l'étranger non seulement sa personne
et son rang, mais son titre de Française? (Applaudissements â
droite.)
Ou bien a-t-on voulu, une fois de plus, donner un gage à la
politique de l'isolement systématique?
L'orateur rappelle l'envoi et l'attitude de M. Billot, à Lisbonne.
Il était difficile de concilier cette attitude avec le projet; on a donc
préféré ne donner aucune explication, et c'est dans ces conditions
que la commission s"est réunie.
M. le président du conseil a parlé d'une réception à laquelle il
était venu beaucoup de monde.
M. Paul de Cass.\gnac. — Même M. Jules Simon. (Rires à gauche.)
M, Tony Révillon. — Gardez-le!
636 ANNALES CATHOLIQUES
M. de Mun continue; il rappelle qu'on a aussi parlé de syndicats
agricoles et de sociétés qui existaient il y a trois mois, lors de la
précédente déclaration du gouvernement.
Et c'est tout; on n'a rien trouvé d'autre à alléguer. Quelle a donc
été la vraie origine de la mesure proposée? On a voulu se laver de
l'accusation portée par M. Clemenceau dans la dernière discussion.
Entre la majorité républicaine et les princes, il y a le gouvernement.
Le gouvernement couvre les princes, voilà le reproche que l'on
a craint de mériter de nouveau.
Le président du conseil a cédé, peut-être à regret; c'est ce qu' Ar-
mand Carrel appelait la polilique de l'abandon.
Alors a commencé le marchandage de la proscription; on a livré
d'abord les descendants directs, les chefs de famille, les princes
d'Orléans, puis, suivant un mot inoubliable de M. de Freycinet —
par un sentiment d'équilibre — les princes Bonaparte. (Rires à
droite.)
M. JoLiBois. — C'est textuel.
Les vrais promoteurs du projet ont accepté la transaction, parce
qu'ils ne voulaient qu'ébranler le portefeuille ministériel et non le
faire tomber immédiatement, dans la crainte peut-être d'avoir trop
tôt à le ramasser.
On a transigé pour sauver un portefeuille, et c'est cette misérable
question à laquelle on a livré le droit et la justice.
On a osé dire qu'il n'y avait pas besoin de faits pour condamner
les princes, pour violer les lois qui règlent l'état des citoyens. (Bruit
à gauche.)
Voilà votre théorie, s'écrie M. de Mun, et vous ne vous êtes pas
dit que la famille de ces condamnés sans jugement avait fait la
France, et que, sans les huit siècles de leur politique persévérante,
il n'y aurait peut-être pas de patrie française! (Applaudissements
à droite.)
Vous ne vous êtes pas dit que, s'il suffisait d'un vote et d'un trait
de plume pour les arracher de leur pays, les souvenirs de notre
grandeur les accompagneraient dans l'exil.
Il vous paraît tout simple de faire de cette famille si profondément
mêlée à la vie nationale, une famille de parias sans terre et sans
patrie.
A ceux que vous laisserez encore quelque temps sur notre sol vous
ne réservez, sous l'œil de la police, qu'une patrie provisoire. Et voilà
ce que vous appelez d'un mot prodigieux le droit commun des princes!
On invoquera que les monarchies en ont fait autant. Non, il ne
s'est rien fait de semblable sous les monarchies. Il y a eu, au lende-
main des révolutions, des lois de bannissement, mais on n"a jamais
vu un gouvernement, après quinze ans d'existence, assez imprudent
pour se donner à lui-même un pareil témoignage de faiblesse, et la
^LES CHAMBRES 637
loi s'appliquait à des princes qui n'étaient pas sur le territoire. Mais
les expulser, c'est un genre de proscription qui appartient exclusi-
vement au gouvernement actuel.
D'ailleurs, s'il y a eu des lois d'exil sous les monarchies, ce n'est
pas une justification pour le parti républicain, dont la tradition est
de regarder toujours la proscription comme un crime et une faute.
(Applaudissements à droite.)
La France est fatiguée des révolutions, elle aspire au repos et à la
p.aix ; c'était pour des hommes politiques une noble ambition de
laisser là les rancunes et les haines et de constituer un Etat nou-
veau avec ce qu'il y a de grand dans le passé et de fécond dans l'avenir.
La défaite des opinions aurait trouvé sa consolation dans la grandeur
de la patrie. (Vifs applaudissements à droite.)
On a préféré se traîner dans les chemins battus des petites persé-
cutions. Maîtres du pouvoir depuis dix ans, les républicains ont
peuplé l'administration, réformé l'instruction, ils ont pu faire une
génération à leur image et ils en sont cependant à abriter la pros-
cription et la violence derrière la raison d'Etat.
On trouve que les princes sont gênants; on ne demande pas encore
leur mort, mais on demande leur expulsion; c'est un genre de
mort. En fructidor déjà on avait inauguré le droit commun de la
proscription ; aujourd'hui on croit n'avoir besoin ni de faits, ni de
formes pour condamner les princes, c'est une première catégorie de
suspects. (Très-bien! à droite.)
Après les princes, tout le monde sera menacé, parce qu'une fois
la brèche ouverte, tout y passe ; on pourra frapper au même titre
leurs amis, leurs partisans, tous ceux même qui ne seront pas leurs
ennemis.
Le parti dominant pourra toujours chasser ses adversaires comme
dangereux et déjà M. Basly est venu, après M. le garde des sceaux,
comme son châtiment, pour déposer une proposition qui aura certai-
nement une suite. Le conseil municipal de Paris s'est déjà prononcé
pour la spoliation en même temps que pour la proscription. Le gou-
vernement cédera aussi bien sur cette question-là que sur les autres ;
à force de suivre ceux à qui on n'ose pas résister, on finit par les
conduire.
Deux portes sont ouvertes devant la Chambre : celle de la justice
et celle de la proscription ; elle peut choisir ; mais quahd une
assemblée a passé la porte de la proscription, elle ne retourne
jamais en arrière. (Applaudissements répétés à droite.)
M. SusiNi, « qui se place sur le terrain supérieur des grandes
questions sociales », défend le projet d'expulsion ; la république,
comme tous les gouvernements, a le droit de se défendre. 11 faut
proscrire les princes et épurer les services publics. Pour que le
638 ANNALES CATHOLIQUES
peuple français devienne libre et égal, il faut travailler sans relâche
à améliorer le sort des classes sociales et démocratiques.
M. DuGuÉ DE LA Fauconnerie dit que les paysans demandent
seulement la tranquillité ; aussi ils ne peuvent pas désirer l'expulsion
des princes, parce que, lorsque les passions sont surexcitées, les
affaires ne marchent pas, et parce que, lorsqu'un gouvernement a
peur, il ne peut pas protéger les intérêts. (Applaudissements à droite.)
Le gouvernement sait bien que les princes ne conspirent pas et
qu'ils ne menacent pas l'ordre public ; mais il cède aux injonctions
de ses adversaires qui veulent le renverser pour se mettre à sa place.
(Applaudissements à droite) La politique du pays n'est pas celle des
politiciens. (Applaudissements à droite.) Le pays veut qu'on le laisse
tranquille.
L'orateur affirme que l'immense majorité de ses électeurs est
hostile à l'expulsion des princes. Quel est le député qui pourrait
dire que la majorité de ses électeurs la demande ? (.applaudisse-
ments à droite).
M. Madier de Montjau dit qu'il faut en finir. La question des
princes revient sans cesse, il faut la vider complètement. Les princes
ne sont pas des citoyens.
L'orateur parle de l'exécution du duc d'Enghien, de l'expulsion
des princes de la branche aînée par la branche cadette, et s'étonne
que les partisans de la monarchie osent protester aujourd'hui contre
l'exil des princes.
L'orateur rappelle que M. Thiers justifiait les lois d'expulsion, il
les nommait des lois de précaution destinées à garantir la souve-
raineté nationale. 11 considérait comme dangereux pour la république
de tolérer dans son sein un prince qui reste toujours prince.
M. Madier de Montjau combat le projet du gouvernement et le
projet Brousse, qui laissent la porte ouverte à l'arbitraire. Les
princes doivent être expulsés « parce qu'ils sont des princes »
(Applaudissements à gauche.)
« Aucun des princes d'Orléans ne mérite, déclare l'orateur, la
tolérance dont on veut faire bénéficier quelques-uns; il ne faut pas
avoir confiance dans des paroles royales. On met en avant l'âge du
duc d'Aumale; il a soixante-trois ans, c'est vrai, mais l'âge qui
éteint les autres passions, ne détruit pas l'ambition. » (Rires et
applaudissements à gauche.)
Faisant allusion aux grèves de Decazeville, l'orateur dit que les
causes n'en sont pas seulement industrielles. « Puisqu'on dit que
rien ne va sous la république, il est temps de nous débarrasser de ce
qui nous gêne. » (Exclamations à droite. Applaudissements à gauche.)
M. Anatole de la Forge. — J'obéis à ma conscience en repous-
sant toute loi d'exception, et je ne veux pas inaugurer un régime
de proscription. (Applaudissements sur quelques bancs au centre.)
LES CHAMBRES 639
L'expulsion des princes ferait croire que la république a peur, alors
qu'il n'eu est rien. Pour moi, ainsi que je l'ai déclaré au sein des
réunions publiques, je voterai avec la droite, toutes les fois que la
droite aura raison.
La Chambre doit choisir entre la politique jacobine (murmures à
gauche) et la politique libérale. J'ajoute que la question des princes
ne sera pas résolue par l'expulsion et qu'ils seront plus diminués par
l'indifférence que par l'exil.
Rappelant à M. Madier do Montjau un mot que ce dernier a pro-
noncé sur le tombeau de Victor Hugo, l'orateur l'adjure de rester
« le soldat du droit et de la liberté. »
Après ce discours, très applaudi à droite et au centre, M. Saint-
Romme et Mgr Freppel renoncent à leur tour de parole.
M. Piou s'élève, comme M. Anatole de la Forge, contre les lois
d'exception. Il montre Victor Hugo et Louis Blanc adversaires de la
proscription et rappelle les regrets de Jules Favre d'avoir voté l'exil
des princes en 1848.
Les princes, citoyens comme les autres, soumis aux lois du pays,
ne sont ni un embarras, ni un péril ; si la démocratie doit être un
jour pour eux, elle saura bien aller les chercher jusque dans l'exil.
(Applaudissements à droite. Cris : la clôture!)
M. JoLiBois dit qu'on ne saurait clore une discussion de cette
nature et de cette gravité sans entendre le gouvernement.
M. DE Freycinet, président du conseil, se déclare prêt à fournir
toutes les explications désirables, mais l'heure est avancée... (Inter-
ruptions prolongées.)
La clôture, mise aux voix, n'est pas prononcée.
Vendredi 11 jui7i. — La Chambre adopte sans discussion le
projet de loi relatif à un emprunt de la ville d'Évreux, puis l'ordre
du jour appelle la suite de la discussion du Projet d'expulsion des
princes.
M. Henri Maret a la parole. Si la république était en péril, dit
l'orateur, il faudrait prendre les factieux au collet; mais invoquer la
raison d'Etat pour une simple gêne, cela peut mener loin; cela peut
amener à supprimer la liberté de la presse et la liberté de réunion,
qui, elles aussi, peuvent gêner.
C'est là un système monarchique; ce ne sera jamais un système
républicain. (Approbation.)
Quant au prétendu droit commun des princes, c'est lâ une pure
chinoiserie. Voulez-vous écarter tout danger? Faites une constitution
républicaine qui ne donne pas, comme la nôtre, envie à un roi d'y
entrer.
Si Louis-Philippe est devenu roi, si Louis Bonaparte est devenu
empereur, ce n'est pas parce qu'ils étaient en France, c'est parce que
^40 ANNALES CATHOLIQUES
la France n'était pas républicaine, c'est parce que Louis Bonaparte
était président de la république.
Maintenant, la France est républicaine et le danger n'existe pas;
s'il existait, il se manifesterait par des actes tombant sous le coup
de la loi. Et si jamais la majorité des Chambres devenait monar-
ctiste, n'aurait-elle pas bientôt fait de rapporter les lois d'exil?
La république a traversé de bien d'autres périls, et l'histoire
s'étonnera que ce soit après avoir triomphé de tous les obstacles
qu'elle songe à prendre des mesures de salut; ce n'est pas ainsi
qu'un parti pourra reconquérir aux yeux du pays sa popularité
ébranlée. (Applaudissements sur divers bancs.)
M. Frédéric Passy monte à la tribune. (Exclamations.) En
réponse à ces exclamations de gauche, un grand nombre de députés
à gauche, au centre et à droite applaudissent M. Frédéric Passy.
L'orateur commence par s'étonner qu'un ancien proscrit ait pu
parler de proscription.
M. DE JouvENCEL. — Parce qu'il ne veut pas retourner en exil.
M. Frédéric Passy rappelle que M. Eugène Pelletan a voté, par
deux fois, contre les lois de proscription.
M. Madier de ]\Iontjau a dit : Il faut en finir. Oui, il faut en finir
avec cette question; mais il faut en finir pour l'éteindre et non pour
la rallumer. 11 a dit encore : Il faut nous débarrasser de ce qui nous
gêne. Oui, il faut nous débarrasser, non des personnes, mais des
agitations stériles et des troubles périodiques.
Prenez garde, M. Madier de Montjau, continue M. Passy, je vous
le dis avec le respect dû à votre grand talent et à vos longues
souffrances pour la liberté; prenez garde! vous avez prononcé là une
parole bien imprudente. Il faut nous débarrasser de ce qui nous
gêue, mais vous gêniez l'empire, M. Madier de Montjau. (Mouve-
ments divers.)
Votre doctrine d'aujourd'hui, c'est la justification de tous les
arbitraires, c'est la glorification de la force et la négation du droit
sur lequel repose toute société régulière.
L'orateur cite les paroles de M. Laboulaye, en 1875, lors du vote
qui a fondé la république.
M. Raoul Duval. — Dans les discours d'outre-tombe il y a quel-
quefois du bon.
M. Frédéric Passy continue. M. Laboulaye disait alors que, de
toutes les leçons de l'histoire, il en était une qui dominait toutes
les autres, c'était une leçon de modération. L'orateur rappelle une
lettre qu'il adressait, en 1873, à M. d'Audiffret-Pasquier, pour le
détourner de travailler à une restauration monarchique.
M. MiLLERAND. — L'avez-vous convaincu? (On rit.)
M. Frédéric Passy. — Si je ne l'ai pas convaincu, il n'y a pas eu
du moins de restauration monarchique.
LES CHAMBRES 641
Ce que je disais alors à M. d'Audiffret-Pasquier, je le dis aux
républicains aujourd'hui : en ouvrant l'ère des proscriptions, ils
s'exposent à voir le pays revenir en arrière.
11 y a toujours dans une société quelqu'un ou quelque chose qui
gêne quelque chose ou quelqu'un. Danton gênait Robespierre.
Attachons-nous, je le demande, aux vrais amis de la république;
attachons-nous â la vraie ancre qui nous reste; la justice et la
liberté. (Applaudissements.)
M. MiCHO'J a la parole. (Exclamations).
C'est au point de vue pratique que veut se placer l'orateur. Assez
de transcendance ; nous sommes sur la terre, il faut rester sur la
terre. (On rit)
Si l'on veut déblayer tout à fait le terrain, il ne suffit pas d'expul-
ser les princes ; il faut les tuer, ou plutôt il faut les laisser tran-
quilles et ne pas ressusciter pour eux le dogme du péché originel.
Est-il admissible que ce soient les partisans de l'amnistie qui
réclament la proscription et que les amis de la république veulent
rayer de sa devise les mots de liberté et d'égalité ?
Les princes ne sont pas plus dangereux au dedans qu'au dehors.
Louis-Philippe n'a jamais conspiré sous la Restauration ; ce sont
les bonapartistes et les républicains qui ont fait la Révolution de
1830. En 1848, le prince Louis-Napoléon avait été élu par un seul
département, si on l'avait laissé dans l'Assemblée, il se serait perdu
dans la foule. On a voulu l'expulser, il est revenu comme président
de la république, puis comme empereur. (Bruit.)
M. DE Freycinet monte à la tribune (mouvement d'attention).
L'orateur dit que le gouvernement revendique l'initiative des
mesures proposées contre les prétendants. 11 est un point auquel on
est inévitablement ramené, c'est le droit pour le gouvernement de
prendre des mesures spéciales contre les représentants des autres
gouvernements ; si la Chambre se prononce pour la négative, elle
repoussera tous les projets qui seront soumis. Mais ce droit existe.
Tous les gouvernements se sont crus autorisés â prendre de ces
mesures, souvent avec une exagération qu'on ne saurait trop con-
damner. Bien plus les hommes les plus modérés des régimes passés
ont tous proclamé la légitimité de ce principe.
L'orateur cite l'exemple de MM.Thiers et Dufaure et il continue :
En effet, qu'ils le veuillent ou non, les princes représentent une forme
de gouvernement autre que celle qui est établie ; ils peuvent ne pas
conspirer dans le sens étroit du mot, mais ils sont la promesse
vivante d'un gouvernement nouveau et tendant à discréditer le gou-
vernement établi. On objecte que la république ne doit pas tomber
dans les errements des monarchies et qu'elle doit substituer la force
du droit au droit de la force.
Mais il y a des nécessités supérieures qui s'imposent et auxquelles
b4!i ANNALES CATHOLIQUES
la république pas plus que les autres gouvernements ne peut te
soustraire. Pourquoi la république qui a abrogé les lois d'exil, qui
a vécu quinze ans sans ces lois, en a-t-elie besoin aujourd'hui?
Une voix à droite, — Parce qu'elle est à l'agonie. (Bruit.)
M. DE Freycinet dit que la république n'est pas à l'agonie, qu'elle
n'est pas dans cet état d'aberration qui fait que l'on se jette dans
des mesures iniques et violentes.
La cause de la loi proposée est précisément dans l'abrogation de
la loi de 1871 et dans les conséquences qu'elle a entraînées. Les
conséquences n'échappaient pas à la majorité qui se réservait de
rétablir la monarchie. Elle a fait tous ses efforts pour réussir et si
elle n'y a pas réussi, c'est sa faute.
Le danger ne s'est pas rencontré tout de suite, parce que, comme
le disait M. Thiers, il y avait trois têtes pour une couronne, il y
avait une sorte de neutralisation des aspirations de chacun. La
fusion est venue, le prince impérial est mort, le comte de Cham-
bord est mort à son tour et il n'est plus resté qu'un seul prétendant
sérieux avec lequel on doit compter : le chef de la maison d'Orléans.
(Mouvements divers.)
Jusqu'en 1883, les véritables prétendants étaient hors de France et
à ce point de vue encore le danger était écarté. Mais depuis cette
époque le parti républicain a senti le besoin de mesures pour garan-
tir la république. Une première loi fut votée par la Chambre et
repoussée par le Sénat. Plus tard, la Constitution revisée éloigna les
princes de la présidence de la république. D'autres dispositions leur
interdirent l'entrée du Sénat.
Personne ne fut surpris alors de ces dérogations au droit commun.
Les princes, alors que leurs familles régnaient, ont-ils été soumis à
ce droit commun? Non. Ils ont bénéficié d'une foule de dérogations
au droit commun, notamment aux lois militaires.
Il y a trois mois, l'orateur s'est opposé aux mesures qu'on présen-
tait, parce que c'était au pouvoir exécutif qu'il appartenait d'en
prendre l'initiative le jour où ce serait nécessaire.
On pouvait espérer alors qu'après les élections d'octobre, la
réélection du président de la république et la formation d'un nou-
veau cabinet imbu d'esprit de conciliation, que l'avertissement
donné par le parti républicain suffisait et que les princes compren-
draient la réserve à laquelle les oblige leur séjour sur le territoire
français. S'ils veulent conspirer contre la république, qu'ils aillent à
l'étranger comme le plus noble d'entre eux, le comte de Chambord.
Avant d'en venir à des mesures qui ne sont une satisfaction pour
personne, qui sont un devoir douloureux à remplir, le gouverne-
ment a épuisé toute sa longanimité; mais après avoir une première
fois couvert les princes il a constaté que leur attitude restait la
même, qu'on préparait de longue date la manifestation par laquelle
LES CHAMBRES 643
à Toccasion d'une fête de famille, oa a prétendu afficher les rela-
tions du parti.
On a passé une revue du personnel politique, on a répandu des
cartes comparatives de la France sous la monarchie et sous la
république, comme si la république était responsable des provinces
perdues. (Interruptions à droite.) On a affecté de recueillir les
cadeaux envoyés par les dames de telle ou telle province.
Est-ce que ce n'était pas là faire acte de prétendant? On a même
convié à la fête les représentants des pays étrangers.
Les choses ne pouvaient aller plus loin et, sans attendre l'initia-
tive de personne, il a formulé une proposition qui n'atteint pas tous
les membres des familles ayant régné sur la France, parce qu'il y eu
a d'inoffensifs qui ne prennent pas part à ces manifestations et dont
la présence n'est pas un danger. Si elle le devenait, on leur appli-
querait la mesure.
On n'a voulu, pour le moment, que faire sortir de France les
prétendants qui organisent uu gouvernement en face de celui de la
République, une sorte de gouvernement en expectative.
Il faut que ni en France ni au dehors, on puisse croire qu'il y a
deux gouvernements dans le pays. Tel est l'esprit de la proposition,
elle est à la fois juste, modérée et nécessaire. Le mal auquel il faut
mettre un terme est le discrédit qui résulterait pour la république
d'une plus longue tolérance. Le rejet de la proposition créerait une
telle situation que la Chambre n'hésitera pas certainement à la
voter.
M. JouBOTS dit qu'il proteste contre les paroles de M. de Freycinet
à l'égard du parti dont il s'honore d'être le chef. Il oppose au prési-
dent du conseil son langage d'il y a trois mois.
Pourquoi reprocher aux princes d'avoir invité les ambassadeurs à
la soirée de l'hôtel Galliera, alors qu'on a envoyé un ambassadeur
extraordinaire à Lisbonne pour féliciter le roi de Portugal de son
alliance avec la famille d'Orléans ?
L'expulsion est injuste et dangereuse, dit l'orateur, qui développe
la doctrine de l'appol au peuple. Il parle ensuite de la guerre de
1870.
M. Floquet rappelle à la question l'orateur, qui descend bientôt
de la tribune.
La discussion générale est close.
M. Barodet lit une déclaration expliquant pourquoi lui et un
certain nombre de ses amis repoussent le proj et d'expulsion.
M. Î^IiCHELiN déclare qu'il avait voté il y a trois mois contre l'ex-
pulsion; mais aujourd'hui, après les discours de MM. de Mun et
J olibois, posant nettement la question monarchique, il votera pour
l'expulsion .
M. Gaussorgues déclare qu'il votera contre l'expulsion.
644 ANNALES CATHOLIQUES
La Chambre décide, par 310 voix contre 223, de passer â la dis-
cussion des articles.
Sur l'article !■='■ du projet de la commission, M. Cunéo d'Ornano
développe un amendement tendant â faire précéder cet article par
ces mots : « Le peuple sera consulté par oui ou par non sur la dis-
position suivante. »
M. Pelletan parle contre l'amendement ; il fait le procès du sys-
tème plébiscitaire. L'orateur déclare ensuite chimérique l'idée do
chercher un prince ami de la République : ceux cachant leur jeti
sont les plus dangereux (applaudissements à gauche). Il faut donc
les expulser tous.
L'amendement de M. Cunéo d'Ornano est rejeté.
L'article l^r du projet de la commission est repoussé au scrutin
public, â la tribune, par 314 voix contre 220.
L'article l^"" du contre-projet Brousse, accepté par le gouverne-
ment, est adopté par 315 voix contre 232.
L'article 2 est adopté par 324 voix contre 235.
Les articles 3 et 4 sont adoptés sans scrutin.
M. Cunéo propose de nouveau un amendement tendant à soumettre
l'ensemble du projet à l'appel au peuple.
M. Floquet déclare que cet amendement est anticonstitutionnel.
(Cris : la question préalable.)
M. Cunéo proteste et dit que c'est le vote de la loi qui est anti-
constitutionnel. (Interruptions.)
M. Floquet rappelle plusieurs fois l'orateur à la question et
déclare qu'il va consulter la Chambre sur le point de savoir s'il doit
maintenir la parole à l'orateur. (Exclamations à droite.)
M. Cunéo d'Ornano proteste contre la violence qui lui est faite et
descend de la tribune au milieu d'un épouvantable tumulte.
M. Beauquier retire son amendement tendant à abroger les titres
nobiliaires.
L'ensemble du projet Brousse, accepté par le gouvernement et
tendant â l'expulsion restreinte est adopté sans scrutin.
La séance est levée à neuf heures un quart.
La Chambre s'ajourne à mardi.
Mardi 15 juin. — Suite de la discussion relative aux propositions
sur le régime des sucres.
UNE IsOUVELLE INFAMIE 645
UNE NOUVELLE INFAMIE
M. Goblet vient d'adresser à NN. SS. les évêques une circu-
laire confidentielle ainsi conçue :
Paris, le 10 juin 1886.
Monsieur l'évêque,
Aux termes de l'article 4 de la loi du 18 germinal an X, aucun
concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune
assemblée délibérante n'aura lieu sans la permission expresse du
gouvernement. Les réunions qui, sous le nom de congrès eucharis-
tiques ou congrès catholiques, ont eu lieu précédemment, soit à
Lille, soit dans d'autres villes, n'ont pas paru au gouvernement
tomber sous l'application de la loi précitée. Mais il résulte de mes
informations que, par son caractère particulier, la réunion projetée
à Toulouse par Mgr l'archevêque de ce diocèse rentrerait, s'il y était
donné suite, dans la catégorie de celles que la loi du 18 germinal
an X soumet à l'autorisation expresse et préalable du gouvernement.
Cette autorisation n'ayant pas été accordée, le concile de Toulouse
ne saurait avoir lieu régulièrement.
Informé qu'un certain nombre de prélats français et étrangers ont
été convoqués et y ont annoncé leur présence, je crois de mon
devoir, monsieur l'évêque, de vous faire connaître que la participa-
tion des membres du clergé à une assemblée de cette nature serait
considérée par le gouvernement comme une infraction aux lois con-
cordataires et engagerait de la manière la plus grave la responsabilité
des prélats qui s'y rendraient ou permettraient aux prêtres de leur
diocèse de s'y rendre.
Agréez, monsieur l'évêque, l'assurance de ma haute considération.
Le ministre de l'instruction publique^
des beaux-arts et des cul tes,
René Goblet.
Comme on le voit, le prétexte de cette interdiction est puisé
dans la législation césarienne, annexée au Concordat par le
despotisme impérial, et qui interdit la réunion de conciles sans
l'autorisation du pouvoir civil.
Il est superflu de faire remarquer que cette législation,
odieuse et surannée, n'a jamais été applicable à des réunions
séculières et sans aucun caractère canonique, comme les
congrès eucharistiques.
Le gouvernement républicain a pu lui-même s'en convaincre
646 ANNALES CATHOLIQUES
par les assemblées analogues tenues antérieurement à Lille, à
Liège, à Avignon, à Fribourg, etc. Son interdiction n'est donc
en réalité qu'un acte de persécution dirigé contre l'expression
légitime de la liberté religieuse. Le catholicisme est l'ennemi
pour la République et elle saisit toutes les occasions de blesser
les catholiques dans leurs consciences et dans leur foi. Si c'est
au moyen d'une telle politique qu'on espère acclimater les ins-
titutions républicaines, on se trompe et de beaucoup !
Nous recevons en outre communication des importants docu-
ments qui suivent.
D'abord la lettre par laquelle M. Goblet a notifié à S. Em. le
cardinal Desprez, archevêque de Toulouse, ses résolutions au
sujet du Congrès eucharistique projeté; en voici la teneur :
Paris, le 9 juin 1886.
Monsieur l'archevêque,
Il résulte d'informations que j'ai le regret de ne pas avoir reçues
directement de vous qu'il se prépare à Toulouse, sous votre autorité
et par votre initiative, une réunion d'ecclésiastiques qualifiée de
concile dans les documents mêmes émanés de votre archevêché- A la
différence des réunions analogues tolérées précédemment dans d'autres
villes, celle-ci devrait, dans la pensée de ses promoteurs, revêtir,
tant par sa composition que par l'exclusion des laïques et par la
nature du programme, le caractère d'une assemblée délibérante
rentrant dans les définitions de l'article 4 de la loi du 18 germinal
an X, aux termes duquel « aucun concile national ou métropolitain,
* aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante n'aura lieu
« sans la permission expresse du gouvernement. »
Je ne saurais m'empêcher de regretter, M. l'archevêque, qu'en
présence de ces dispositions législatives, vous ayez cru pouvoir
convoquer plusieurs prélats français et étrangers et adresser un
appel au clergé de votre diocèse en vue de la réunion projetée avant
de vous être assuré de l'autorisation expresse que le gouvernement
ne saurait maintenant vous accorder, le concile projeté ne peut avoir
lieu sans constituer une violation formelle des lois concordataires,
dont j'aime à penser que vous ne voudrez pas assumer la respon-
sabilité.
Agréez, M. l'archevêque, l'assurance de ma haute considération,
Le ministre de l'instruction publique,
des beaux-arts et des cultes,
René Goblet.
UNE NOUVELLE INFAMIE 647
A cette lettre, S. Em. le cardinal Desprez a fait la réponse
que voici :
Toulouse, le 12 juin 1886.
Monsieur le ministre.
Votre lettre du 9 juin courant, relative au Congrès eucharistique
qui doit se réunir prochainement à Toulouse, m'a causé une vive
surprise, et j'ai hâte de vous faire ol)server que les réunions dont
vous vous préoccupez, dans l'intérêt de la )oi do germinal, n'ont
rien de commun avec les assemblées conciliaires, synodales ou sim-
plement délibérantes pour lesquelles l'article 4 de nos lois orga-
niques exige l'autorisation expresse du gouvernement.
Si le Congrès eucharistique avait été qualifié de concile, comme le
suppose votre dépêche, ce serait une erreur; mais je n'ai pu jusqu'ici
en découvrir la trace dans aucun des documents que j'ai publiés ou
fait publier sur cette question. Du reste, il ne m'en coûterait pas
de la reconnaître, puisque je veux moi-même la réfuter.
Notre Congrès eucharistique n'est pas un concile national. Pour
réunir en concile tous les évêques de France, j'aurais eu besoin
d'une autorisation papale, que je n'ai ni sollicitée, ni obtenue.
Notre Congrès eucharistique n'est pas un concile métropolitain.
On n'invite à ce dernier que les évêques de la province, et j'ai prié
bien d'autres prélats que mes sufFragants d'apporter l'éclat de leur
présence et de leur parole à nos fêtes eucharistiques, qui sont,
comme l'indique ce qualificatif, des fêtes exclusivement religieuses.
Du reste, Portails semble avoir prévu l'objection quand il dit : « Les
« évêques sont partout juges de la foi, mais il ne faudrait pas con-
« cluie de là qu'il y a un concile partout oii il y a une assemblée
« d'évêques. »
Le Congrès qui va s'ouvrir à Toulouse n'est pas davantage un
synode diocésain. Le synode a un tout autre but, et l'on n'y convoque
que le clergé du diocèse. Or, dans la circulaire par laquelle j'annon-
çai, en 1884, l'ouveiture du Congrès, et dont une lettre ci-incluse
de mon vicaire général n'a fait que rappeler les conseils, ce n'est
pas seulement aux prêtres, mais aux fidèles que je me suis adressé,
en vue de stimuler le zèle dos uns et la piété des autres.
Cette observation me paraît suffire pour montrer que le Congrès
n'est pas une réunion synodale et que dans la pensée de ses initia-
teurs, dont la plupart sont des laïques, les simples fidèles peuvent et
doivent y prendre part
Je reconnais qu'un des programmes ci-inclus vise quelques réu-
nions exclusivement sacerdotales ; mais ces réunions elles-mêmes
échappent aux prévisions de l'article de loi dont vous voulez bien me
rappeler le dispositif. Des prêtres qui n'ont reçu aucune convocation
officielle, aucun mandat législatif, et qui, pendant 4 ou 5 jours, se
réunissent pour étudier en commun, ne forment pas une assemblée
47
648 ANNALES CATHOLIQUES
délibérante, et il n'est que trop juste de leur appliquer cet autre
mot de Portalis commentant la loi de germinal : « Des évêques par-
ticuliers qui se donnent un rendez-vous commun pour conférer ou
écrire sur une matière ne font point un corps d'ovèques. »
Eu terminant, monsieur le ministre, je crois devoir ajouter, con-
trairement aux affirmations de votre dépêche, que le Congrès eucha-
ristique ne diffère pas de ceux qui se sont déjà réunis à Avignon et
à Lille. C'est le même esprit qui l'anime. C'est le même comité,
dont le siège est à Lille, qui l'organise. C'est le même bien à la fois
religieux et patriotique qu'il poursuit, en travaillant à faire recon-
naître les droits souverains et imprescriptibles du Dieu fait Homme
qui réside sur nos autels et qui tient en main la solution des pro-
blèmes sociaux et économiques dont les peuples et leurs chefs ont
aujourd'hui à se préoccuper.
Veuille?, agréer, monsieur le ministre, l'assurance de ma haute
considération.
Cette réponse est décisive. Des prétextes de légalité rois en
avant par M. Goblet, que reste-t-il ? Rien. Il ne reste de tout
ceci qu'une preuve nouvelle et éclatante de la sottise du sec-
taire rageur qui frajipe à tort et à travers sans savoir pourquoi.
Pardon, il sait qu'un acte de ce genre lui vaudra les applaudis^
sements des radicaux. C'est tout ce qu'il désire : aussi bien
est-ce là tout ce qu'il mérite.
ASSEMBLEE GENERALE DES CATHOLIQUES
(Suite. — V. le numéro précédent.)
Séance du 27 mai.
Cette troisiènae séance était présidée par le vénérable curé
de Saint-Roch, M. l'abbé Millaud. Au début, la parole est
donnée au R. P. Delaporte, qui entretient l'Assemblée des
Congrès eucharistiques. Cette année, Toulouse est la ville
choisie pour la tenue du Congrès eucharistique ; un pèlerinage
à Lourdes en sera le couronnement. Lourdes! ce nom inspire
au P. Delaporte des accents chaleureux et enflammés. A sa
suite, M. Chesnelong rappelle et flétrit de nouveau, en quelques
phrases d'une éloquence vibrante, comme il l'avait déjà fait à
la tribune du Sénat, les odieux et ineptes sarcasmes du blas-
phémateur Goblet essayant de jeter le ridicule sur les manifes-
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQUES 649
talions consolantes et chaque jour répétées dont la grotte do
Massabielle est le théâtre consacré.
M. LE COMTE PE FoNTAiNE DE Resbecq so lève et avec la
compétence spéciale qui lui appartient, examine et critique les
dispositions du projet !>ur l'enseignement primaire que le Sénat
a récemment voté. Résumant à grands traits, mais avec une
précision parfaite, les monstrueuses innovations de cette
seconde « loi de malheur, » complémentaire de la loi du
28 mars 1882, l'orateur montre ses conséquences funestes au
point de vue des finances, de l'ordre social lui-même, de
l'égalité vraie, de la liberté. Sur notre terre de France, on est
en train de faire du droit pour les parents de choisir les maîtres
de leurs enfants, un objet de luxe, à la porté»? des riches seuls!
Et les palinodies des républicains sur la question du mode de
nomination des instituteurs! M. do Resbecq le.'! flagelle en
homme qui connaît à fond son sujet et les gens à qui il a
affaire; Its hautes fonctions qu'il occupait naguère, d'une façon
si distinguée, au ministère de l'instruction publique, lui ont
permis d'étudier les choses et déjuger les hommes; le témoi-
gnage qu'il rend éloquemment au méj-ite pédagogique, aux
vertus et au patriotisme de nos maîtres congréganistes n'eu a
qu'une valeur plus décisive.
lu. l'abbé Schlosser parle de « l'Œuvre des catéchismes
pour les élèves des écoles publiques de 8 à 10 ans ; » il la
montre fonctionnant dans la paroisse à laquelle il appartient
(Saint-Laurentj et dans beaucoup d'autres paroisses de Paris.
M. Chesnelo>.Tt dit que l'œuvre des catéchismes lui paraît
à ce point capitale, indispensable, urgente, qu'il ne saurait 1^
laisser passer saus adresser à son tour au clergé et à tous les
catholiques le plus pressant appel en sa faveur. Elle peut seule
remédier, dans la mesure du possible, aux lamentables et né-
fastes résultats du régime légal qui tend à établir l'ignorance
obligatoire des choses de la religion. Encouragée par les papes
depuis le XVP siècle, elle était tout récemment recommandée
avec la dernière insistance par le vénéré cardinal Guibert. Si
le clergé, déjà assailli par tant de devoirs, est en mesure de
suffire seul à la tâche, tant mieux! Mais dans le cas contraire,
qui est à Paris le cas le plus fréiiuent, des laïques, soigneu-
sement choisis, peuvent et doivent être appelés à donner un
concours qui sera autrement sîir que ne l'était autrefois celui
650 ANNALES CATHOLIQUES
d'instituteurs et d'iastitutrices exécutant une consigne contre
laquelle ils protestaient trop souvent dans leur for intérieur.
Vient ensuite un discours de M. de Lapparent, « la science »,
tel est le sujet choisi par le professeur de l'Institut catholique.
Il ne vient certes pas dénigrer la science, ce serait de sa part
une inconséquence et une mauvaise action; mais il vient, au
nom de la vraie science, protester contre les prétentions des
téméraires et outrecuidants novateurs — faux savants pour la
plupart — qui parient d'édifier de toutes pièces une société
sur des bases « exclusivement scientifiques ».
L'heure avancée n'ayant pas permis d'entendre les autres
rapports inscrits à l'ordre du jour, M. l'abbé Millaud, curé de
Saint-Roch, a terminé la séance par une éloquente allocution,
pleine d'encouragements et de conseils virils. Gardons la foi que
nous avons le bonheur de posséder; mais pratiquons aussi l'es-
pérance et exerçons l'action. Une dizaine do chapelets et une
ofi'rande avancent plus les choses que des heures de lamenta-
tions sur le malheur des temps. Pas de gémissements lâches
et stériles! « Les saules pleureurs n'ont jamais ombragé que
des tombes. » Luttons, et nous triompherons; Dieu, que nous
servons, sera pour nous. [A suiv7'e.)
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
Par billets de la Secrétairerie d'État, le Souverain-Pontife a
assigné les S. Congrégrations suivantes aux EE™" cardinaux
qui ont reçu le chapeau dans le Consistoire de ce matin :
A. S. Em. le cardinal Neto, patriarche de Lisbonne : la Pro-
pagande, les Rites, les Indulgences, et Stes-Reliques, la
Laurétane;
à S. Em. le cardinal Alonescillo y Viso, archevêque de
Valence : le Concile, l'Index, la Discipline régulière, les
Études ;
à S. Em. le cardinal Ganglbauer, archevêque de Vienne :
les Évêques et Réguliers, les Rites, les Études, le Cérémo-
nial ;
à S. Em, le cardinal Theodoli : le Concile, les Rites, le
Cérémonial, la Fabrique de Saint-Pierre ;
NOUVELLES RELIGIEUSES 651
à S. Em. le cardinal Mazzella : la Propagande, l'Index, les
Etudes, les Indulgences et Stes Reliques.
France.
Aire. — Par arrêté du préfet des Landes, l'école chrétienne
communale de la ville de Dax vient d'être laïcisée.
Le 14 juin, les P>éres de la Doctrine chrétienne ont quitté
l'établissement qu'ils dirigeaient depuis près de soixante ans;
et telle est la hâte qu'on a de les voir partir, qu'on n'attend
même pas pour les expulser la fin de l'année scolaire.
On leur a donné à peine huit jours, comme à un domestique
renvoyé pour mauvaise conduite.
Nous n'aurons pas la naïveté de nous en montrer surpris;
l'esprit de M. Goblet a soufflé sur les provinces, et ceci n'est
qu'un commencement. Qu'un préfet soit violent, impudent et
grossier, la chose est naturelle, et nous n'imaginons pas qu'on
l'eût nommé s'il n'était pas tout cela.
CouTANCES. — Le 31 mai 1885, un décret de M. Goblet
enlevait au culte catholique le temple dédié à sainte Geneviève.
Le 31 aoîit prochain, une autre église non moins fameuse sera
fermée : c'est la basilique du Mont-Saint-Michel. Ainsi l'a
décidé le même M. Goblet.
Comme nos lecteurs le voient, la guerre déclarée par le
ministre des cultes au Christianisme ne relâche rien de ses
rigueurs. Pour punir la Basse-Normandie de ses votes, les
autorités républicaines mettent en interdit le plus illustre et le
plus visité de ses sanctuaires. Voilà déjà longtemps que cer-
taines influences bien connues sollicitaient cette mesure; le
respect que nous devons à nos lecteurs et que nous nous devons
à nous-mêmes ne nous permet pas, malheureusement, d'insister
sur les inavouables intrigues qui, depuis plusieurs années,
s'acharnaient contre les missionnaires. Des hommes d'Etat
auraient refusé de se faire les instruments de ces viles ran-
cunes. Mais, chez les sectaires qui nous gouvernent, la haine
du catholicisme étouffe tous les scrupules.
Le 4 octobre dernier, les électeurs de la Manche rempla-
cèrent les députés républicains par des députés royalistes : les
ennemis des Pères recommandèrent immédiatement au ministre
compétent la sécularisation de la basilique inontoise comme une
revanche du scrutin. Le fanatisme de M. Goblet s'accommoda
652 ANNALES CATHOLIQUES
facîleraent dô cette lâche vengeance ; le marclié fut accepté et
la fennetui'e de réglise fixée au 31 août 1886.
Meaux. — Dans son numéro du 1" mai dernier, Y Union
r(^2-)ublicaine de Fontainebleau avait inséré le récit d'une
scène scandaleuse qu'il avait la perfidie d'imputer à « certain
abbé fripon dont la résidence est établie dans une petite
commune dont nous tairons le nom, et qui est située sur les
bords du Loing. »
L'honnête journal se croyait ainsi à l'abri d'un démenti. La
calomnie, à demi-voilée, pouvait courir à son aise.
Les curés dos paroisses situées sur les bords du Loing ont
pris une résolution que l'on ne saurait assez approuver. Ils se
sont réunis pour conf)ndre le calomniateur, à qui ils ont
adressé, par huissier, une lettre collective ainsi conçue :
Monsieur le Gérant,
Vous avez publié, dans votre numéro du le"" mai, un récit contenant
l'accusation la plus grave contre le curé d'une des communes situées
sur les bords du Loing. Vous avez eu la prudence de taire le nom de
cette commune, mais votre accusation est formulée de manière à
rejaillir sur tous les curés des paroisses dont le territoire est tra-
versé par cette rivière, en laissant planer le soupçon sur chacun
d'eux.
La loi nous donne donc le droit de protester. L'insertion de notre
protestation dans votre journal est pour vous une obligation légalo
autant qu'un devoir de loyauté..
Nous affirmons qu'il n'y a pas un mot de vrai dans votre récit. Si
vous y persistez, nous vous sommons de nommer le curé que vous
avez voulu désignei", afin qu'il vous oblige à faire en justice la
preuve de votre accusation.
Recevez, monsieur, nos civilités.
Signé : Pougeois. Hébert, Go-
defroy, Baudard, Millot, La-
j)roste. Boulet, Crescitz, Mo-
rin, Baudin, Vedel, Petit-
frère, Aluliier, Lenoir, Laine,
Sevestre, Besonnfit, Toury,
Moroau, Presles, Chambnlle,
Boisquillon, Marlange, For-
tin, Couturier, Picarn, Au-
vray, Lamy et Genin, curés.
Le 26 mai 1886.
NOUVELLES RELIGIEUSES 653
U Union républicaine a enregistré ce démenti. Elle n'a
désigné personne, prétendant que la preuve offerte serait
refusée par la justice.
Le prétexte ne vaut pas mieux que l'odieuse invention mise
à néant par l'énergique protestation des ecclésiastiques
calomniés.
UUnion républicaine de Fontainebleau ne peut ignorer que
ses amis de la Chambre et du Sénat, pour encourager le scandale
contre les prêtres, ont voté en 1881 une loi autorisant la preuve
des faits diffamatoires imputés à des ecclésiastiques. Cette
preuve se fait devant le jury.
Même devant le jury de Seine-et-Marne, dont l'indulgence
lui serait certainement acquise si elle pouvait apporter l'onribre
d'un indice à l'appui de sa calomnie, V Union républicaine
recule devant ce procès.
Peut-il y avoir une démonstration plus évidente de l'infâme
invention que ce journal a imaginée? — [Univers.)
Reims. — On nous écrit de Reims :
Jeudi, 10 juin, à trois heures et denfiie a eu lieu au palais archié-
piscopal, la remise du « billet » et de la calotte à S. Em. Mgr Lan-
génieux.
Ainsi qu'il a été dit déjà, cette cérémonie était tout intime. En
dehors du clergé de la ville et des supérieurs des maisons religieuses
— auxquels étaient venus se joindre M. l'archipiêtre de Relhel et
deux piètres distingués du diocèse de Paris : MM. Taillandier et de
Saint-Pern, chanoines honoraires de Reims — avaient été invités .:
MM. les comtes romains.
MM. les chevaliers de Saint-Grégoire le Grand.
MM. les membres du bureau de l'Académie.
MM. les présidents d'œuvres religieuses.
Plus trois ou quatre autres personnes.
MM. les chanoines seuls étaient en habit de chœur.
Son Em. Mgr le cardinal se tenait dans un des salons, où chacun
fut admis à lui présenter ses hommages.
A l'heure indiquée, M. le comte Jean Nazelli est introduit.
C'est un grand, jeune et beau cavalier, revêtu d'un brillant uni-
forme militaire, casque en tète. Il s'avance vers le cardinal et, pré.
sentant à Son Eminence un pli cacheté et un écHa qui contient la
calotte, exprime sa satisfaction d'avoir été choisi pour remplir cette
mission.
Son Eminence prend la calotte et la pose sur sa tête. Puis
Mgr Langénieux prononce le discours suivant :
654 ANNALES CATHOLIQUES
« Monsieur le comte,
« Permettez qu'avant même de vous remercier, ma pensée et mon
cœur, par un élan plus rapide encore que la vapeur qui vous a amené
si tôt près de moi, aillent, directement et d'un seul bond, jusqu'au
trône de Celui dont vous êtes l'envoyé; et que là, prosterné en
esprit aux pieds de Léon XIII, je redise â ce grand Pontife ma vive,
profonde et respectueuse gratitude.
« Depuis qu'il a plu à Sa Sainteté de me faire connaître ses bien-
veillantes intentions à mon égard, je me prépare sous l'œil de Dieu
à l'imposante cérémonie de ce jour. — Mais, je le sens, une fois
l'heure venue, au moment d'être officiellement investi d'une si haute
et si auguste dignité, mon âme s'émeut comme au premier jour, et
je ne sais plus que redire la parole du psalmiste : Nimis honorati
sunt amici lui, Domine.
« Car, vous ne l'ignorez pas, monsieur le comte, et je puis lo
répéter devant l'élite de mon Clergé et des fidèles de la cité, qui
comprendront mes sentiments et y feront écho, c'est un honneur
suprême ajouté â la faveur insigne dont je suis l'objet, d'être élevé
â la pourpre romaine par le choix personnel et persévérant de Notre
Très Saint-Père. — Voilà, certes, de quoi confondre de plus méri-
tants que moi ; et pour expliquer cette distinction incomparable, je
suis bien obligé de remonter le cours des âges pour trouver, dans
l'histoire de cette glorieuse Eglise de Reims des titres qui puissent
justifier une semblable exception.
« Je me suis donc rappelé : l'origine apostolique de ce siège mé-
tropolitain; les services signalés rendus par mes illustres prédéces-
seurs, pendant près de dix-huit siècles, à l'Kglise et à la patrie; les
privilèges innombrables dont les Papes n'ont cessé de les combler â
toutes les époques. J'ai ajipris de nos annales que, parmi les cent
archevêques de Reims, treize sont révérés comme saints et que dix-
huit ont été élevés aux honneurs de la pourpre sacrée ; enfin, que
Rome elle-même s'est gloiifiéo d'avoir pour Pontifes suprêmes
quatre grands hommes sortis de ce diocèse. J'ai évoqué le souvenir
plus récent de l'éminent et bon cardinal Gousset, les travaux trop
tôt interrompus de Mgr Landriot et me voyant l'héritier de tant de
gloire et de tant de saintes œuvres, il n'est plus qu'une seule chose
qui puisse m'étonner : c'est que ma personne n'ait pas été un
obstacle aux faveurs dont Léon XIÎl, dans sa souveraine bonté,
voulait combler le siège de Reims. La parole de Notre-Seigneur
reçoit donc ici sa complète application : « Alius est qui seminat,
alius est qui metit. »
« Mais moi, qui recueille de si précieux fruits, je suis, plus que
tout autre, obligé à la reconnaissance, et voilà pourquoi, après avoir
remercié le Vicaire de Jésus-Christ, j'ai voulu dire ce que je dois â
mon Éo-lise.
NOUVELLES RELIGTEUSES 655
« Vous porterez, monsieur le comte, l'expression de notre grati-
tude aux pieda de notre bien-aimé et vénéré Pontife ; vous lui direz
que le nouveau cardinal-archevêque de Reims, à défaut d'autre
mérite, est et sera, à l'exemple de ses prédécesseurs, l'humble mais
infatigable serviteur du Saint-Siège, et qu'il n'aura rien de plus à
cœur que de maintenir ici, dans toute l'étendue de son pouvoir, les
belles traditions de dévouement au Pape, qui ont toujours fait
l'honneur, la force et la consolation du diocèse. — Vous lui direz
que vous avez vu réunis autour de son élu, et animés des mêmes sen-
timents de respect et d'amour, l'élite des prêtres et des laïques, je
veux dire, parmi ces derniers, ceux dont le dévouement à l'Église a
déjà reçu, de la munificence du Saint-Siège, de nobles récompenses
— et ceux dont Sa Sainteté parlait en termes si vrais, dans le Con-
sistoire de lundi dernier, lorsqu'elle disait « Fidèles... innumeris
« pœne caritatis et pietatis operibus sumn in Ecclesiam amoreni et
« immotam erga Jesu Chrisli Vicarium fidem, plures inter graves-
a que difficultates, splendide profiteri non cessant ; ac rei catholicœ
« tuendce vires suas et facilitâtes libenter imp'endunt. » — Je veux
devant vous, monsieur le garde-noble, en cette circonstance solen-
nelle, leur rendre le témoignage que méritent leurs œuvres.
« Et maintenant, monsieur le comte, soyez remercié. La confiance
si marquée dont Notre Très Saint Père vous honore suffirait pour
vous gagner les respects de toute cette assemblée. Il m'est doux,
cependant, d'ajouter que ce m'est une grande satisfaction de rece-
voir, de vos mains, la notification officielle de ma nouvelle dignité,
et une joie de rendre mes devoirs, en votre personne, à votre
illustre famille, et à toute cette noblesse romaine si dévouée, en
toutes circonstances, au Pape et à l'Église.
Après cette remarquable et noble allocution — dans laquelle
dominent la reconnaissance et la modestie — M. l'abbé Péchenard,
vicaire général, lit la lettre d'investiture.
La maîtrise, placée dans un salon voisin, chante alors une invoca-
tion pour voix d'enfants. Jamais, certainement, ce chœur modèle
n'a été meilleur. Il convient notamment de complimenter le jeune
soliste, qui s'est comporté en artiste. Le maître de tels élèves ne
- saurait être non plus oublié.
De nouveau, les assistants ont présenté leurs respectueuses salu-
tations au cardinal, qui a eu un mot aimable pour chacun. Puis
l'assemblée s'est séparée, emportant une douce et salutaire émotion
de cette séance tout à la fois empreinte de grandeur et de simplicité.
Tarées. — Mgr l'évêque de Tarbes vient de publier un man-
dement sur les guérisons miraculeuses obtenues à Lourdes;
nous en donnons les extraits suivants :
Depuis dix-huit ans qu'on les compte, mille sept cent quatre
ANNALKS CATHOLIQUES
vingt quatre processions, ou grands pèlerioageff organisé?, ont
amené sur l'cS' bords du Gare' Un million et demi de pèlerin-s d6
France et trente mille d'E?pagtie, de Portugal, de Belgique, dé
Hollande, d'Ano-lelerre, de Suisse, d'Allfeniagne, d'Italie, de Hon-
grie, des États-Unis et du Canada.
Aui milieu de ces flots populaires^, on a vu les princes et lesi rois',
même des pays proteslants, attirés par la renommée de Notre^-Domô'
de Lourdes. Des pèlerins sont venus à pied non seulement des pro-
vinces éloignées de France, mais encore de l'Alsace, de l'Italie et
même de la Hongrie. C'étaient quelquefois de pauvres femmes et
d'humbles religieuses, qui vivaient d'aumônes durant ce long et
pénible voyage.
On a surtout contemplé avec admiration les processions d'hommes-
seuls, formant, dans leur ensemble, une armée d'e'soixante-dir milli»
soldats du Christ. Ils portaient fièrera'ent l'es-" bannières; l^eur poi-
trine était couverte de Croix et de méd'aill'es ;' ils égrenaient Itenr
chapelet ou chantaient le Credo. Eu' ^^yant passer ces- nouveaux
croisés, le monde a dit : Le siècle de Voltaire est fini; Notre-Dame-
de Lourdes a tué le respect humain!
Notre époque a connu ce qu'ignorèrent les' âges passés : des pro-
cessions de malades. Pauvres pour la plupart et amenés par la
charité, souvent incurables, quelquefois presque mourants, ils ont
été portés par centaines à la fois db tontes les provinces de France
et de Belgique. Les voitures d'es chemins de fer devenaient des
ambulances, et la grotte une immense infirmerie. C'était là un
spectacle digne des anges, qui faisait couler les larmes. Tandis que
les Hospitaliers se prodiguaient pour soulager toutes ces* infirmités,
toutes ces misères, des luilliers de pèlerin's priaienf, lies bras en
croix, et baisaient la terre durant' des journées entières et une
partie des nuits. Les gémissements de la prière étaient souvent
interrompus par le Magnificat, annonçant d'es guérisons.
Le mandement se termine ainsi :
La volonté du Saint-Père, dont il nous a renouvelé do vive voix.
l'expression, cette volonté souveraine a été accomplie, autant quo
les circonstances et les obstacles divers l'ont permis. Par les soins
de notre vénérable prédécesseur' et par les nôtres, des enquêtes ont été
faites, des témoins entendus, tous les détails des apparitions reli-
gieusement recueillis; Ites guérisons déjà étudiées, vont l'être plus
rigoureusement encore par de savants médecins. Nous avons institué
une commission, présidée par nous, et composée des prêtres les
mieux placés pour bien connaître et apprécier les faits. Des méde-
cins et autres hommes compétents lui viendront en aide pour con-
firmer et, au besoin, compléter les enquêtes, ainsi que pour exami-
ner les écrits relatifs à Notre-Dame dé Lourdes. De tout notre cœttr.
NOUVELLES RELIGIEUS,ES 657
,au nom du Saint-Père,. au nom de la Vierge Immaculée, nous fai-
,60asappelà toutes personnes pouvant fournir un document nou-
veau, pouvant coopérer de q.uelque manière à la glorification de
.Marie. .ûu.'ilsvieninejit,. les historiens et les poèteg, les savants et les
iorateurs ; qu'ils racontent et qu'ils chantent, qw'ils étudient ou
.analysent, qu'ils exaltent les merveilles et les bienfaits de Notre-
,Dame de Laurdes.
Alsace-Lorraine — Les nouvelles de la santé du vénéré
..Évêq.ue de Metz, , Mgr Dupont des Loges, mauvaises depuis
quelque terijps, sont très favorables aujourd'hui. P!aprés le
huUetin .de ce matin, 8 heures, « l'état général continue à être
aussi satisfaisant que possible; la journée d'hier et la nuit ont
été excellentes; absence complète de fièvre ; faiblesse moins
grande. »
Autriche. — On écrit de Carlsruhe au Monde :
VousiatïBQnciez,iîl y. a quelques jours, à vos lecteurs queM-gr Spol-
rve fini, internonce apostolique dans les Pays-Bas, venait de se rendre
m Cai'lsruhe pour coopérer à la nomination d'un nouvel archevêque
■ de Fribaurg.
Pendant son séjour dans eette ville le prélat a reçu les témoi-
gnagas les plus flatteurs d'estime et de sympathie, témoignages
, hautement justifiés d'ailleurs par le tact intelligent et pieux avec
lequel il a accompli sa mission.
Avant le départ de l'internonce, le grand-duc donna en son
honneur un déjeuner, où furent conviés pour la seconde fois tous
les hauts dignitaires de l'Ktat.
Le lendemain, 6 juin Son Altesse, envoyait â Mgr Spolverini, par
l'intermédiaire de son chambellan, le grand-collier de l'ordre de
Zahring pour le remercier de son concours efficace dans une affaire
si promptement et si heureusement terminée.
Peu de temps auparavant, S. M. l'empereur d'Autriche avait con-
.féré au même .prélat la grand'croix de l'ordre de François-Joseph.
Portugal. — Voici le texte de la dépêche de remerciement
et de filiale affection que le roi de Portugal a envoyée à Sa
Sainteté, Léon XIII :
Pour SaliSainteté LéoniXIII au Vatican — Rome. — Profondément
ému de ce que Votre Sainteté, après avoir béni, à ma prière, l'union
de- mon fils, ait bien voulu, encore que le jour du mariage du prince
restât marqué par l'accord final sur un Concordat, dans des con-
658 ANNALES CATHOLIQUES
ditlons que mon ambassadeur assur'e être honorables pour la nation
portugaise, je m'empresse d'en témoigner à Votre Sainteté ma très
respectueuse gratitude. Dans l'espoir que le nouveau Concordat
reçoive l'approbation de mon gouvernement et des Chambres légis-
latives, je fais des vœux pour qu'il en résulte le progrès de la reli-
gion catholique dans l'Inde, et le maintien dans ces vastes régions
du prestige de la nation portugaise, qui a été la première à y allu-
mer le flambeau de la foi.
Que Dieu prolonge, très Saint-Père, pour le bien de l'Église
universelle, le règne si glorieux de Votre Sainteté, tels sont les
vœux et la prière adressés au Ciel par toute ma royale famille et
votre fils en Jésus-Christ, qui vous demande humblement votre
bénédiction apostolique pour tous les siens et pour lui-même.
Signé : Louis I^'.
Le Saint-Père s'est empressé de faire répondre dans les
termes suivants :
A Sa Majesté Très Fidèle, le roi Louis, de Portugal,
à Lisbonne,
Le Saint-Père, heureux de la coïncidence du mariage du prince
royal avec la conclusion des négociations pour le nouveau Concordat,
me confie l'honorable mandat de faire agréer à Votre Majesté ses
vives félicitations. Sa Sainteté accorde de tout cœur sa bénédiction
apostolique à Votre Majesté, à la famille royale et à tous ses sujets.
Signé : L. Cardinal Jacobini.
Russie. — Nous lisons dans le Kuryer Poznanski (Courrier
de Posen) du 8 juin :
L'abbé Srpajlo, prêtre digne des plus grands éloges, ci-devant
curé de la cathédrale de Minsk (Lithuanie), sentant la mort venir,
appela son vicaire, l'abbé Malecki, et lui recommanda de prendre en
mains, après son décès, l'administration de la paroisse, jusqu'à la
nomination d'un nouveau curé par l'archevêque métropolitain de
Mohilow.
Dès que Sa Grandeur reçut avis de la mort de l'abbé Srpajlo, elle
télégraphia à l'abbé Malecki l'ordre d'administrer la paroisse. Mais
tout cela ne plut pas au gouvernement russe, qui prétend que la
direction des choses spirituelles lui appartient. La police ordonna
donc au vicaire de remettre sur-le-champ l'administration à l'abbé
Wojewodzki. L'abbé Malecki «'y refusa avec décision, en ajoutant
qu'il ne la céderait qu'au titulaire nommé par le métropolitain.
La suite de cette affaire était facile à prévoir : la suite habituelle
de ces sortes de conflits dans la Pologne russe. En effet, le 27 mai
dernier à 2 heures du matin, l'abbé Malecki était envoyé en exil —
Où ? On n'en sait rien. — Prêtre depuis deux ans seulement, il mar-
NÉCROLOGIE 659
chait sur Ifis traces de son pi-édécessour. Quoique encore bien jeune,
il s'est distingué par sa modestie et par sa piété. .
11 y a une semaine quo ]\1insk possède un nouveau gouverneur, le
prince Troubeckoï et la déportation de l'abbé Malecki a été le pre-
mier acte de son gouvernement.
NECROLOGIE
Nous avons la douleur d'apprendre la mort de M. Paul
Decaux, décédé à la suite d'uue congestion, k l'âge de 67 ans.
Les oeuvres catholiques de toute nature perdent en ce vaillant
chrétien un de leurs ouvriers les plus actifs, les plus intelligents
et les plus dévoués.
Depuis plus de quarante ans, la Société de Saint-Vincent-de-
Paul connaît son zèle si persévérant et si ingénieux ?
Rédacteur du Bulletin de Saint- Vin cent- de- Paul, président
de l'Œuvre des Patronages et de l'Œuvre des Fourneaux,
M. Decaux a montré plus que personne, par son propre
exemple, que l'adnDirable société fondée par Ozanam est la mère
de toutes les œuvres catholiques.
Membre du bureau central de VUnion des associations ou-
vrières catholiques, il prenait une part importante dans la pré-
paration et dans les travaux des congrès organisés en province
par cette œuvre.
Le Comité catholique de Paris était aussi devenu une de ses
œuvres de prédilection.
Enfin l'œuvre des écoles chrétiennes avait aussi sa part dans
les sollicitudes et dans le dévouement de M. Decaux. Il était
membre du comité des écoles libres du XIV* arrondissement, et
un membre actif et zélé.
On annonce la -mort de M. de Lavrignais, sénateur de la
Loire-Inférieure. Inspecteur général du génie maritime, après
une vie consacrée tout entière au travail, M. de Lavrignais, en
prenant sa retraite, s'était retiré à son château de Bois-Cheva-
lier, près Legé. Elu bientôt conseiller général de son canton, il
se faisait, par son intelligence et la variété de ses connaissances,
une place considérable dans l'assemblée départementale. En
1876 et en 1879, les voix des électeurs sénatoriaux se portèrent
naturellement sur lui pour envoyer représenter à la Chambre
Haute les intérêts de la Loire-Inférieure.
ANNADBS CATHOLIQUES
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
L'expulsion des princes. — I;a nouvelle magistrature. — Mort du roi de
Bavière. — Etranger.
17 juin 1886.
Le projet Brousse est voté. -Le Comte de Paris, le prince
Napoléon et leurs fils aînés seront expulsés. S'ils violent cette
prescription, ils seront punis d'.un emprisonnement de deux à
cinq ans. Le gouvernement est autorisé à expulser par décret
les autres princes, qui sont exclus do toutes les fonctions
publiques. C'est donc une victoire pour le président du. conseil.
315 députés contre 232 ont cédé à ses prières. Il lui reste main-
tenant à obtenir le vote du Sénat.
Certes, si nous avions pu douter que la cause de, la justice et
de la liberté eût pu triompher, que la voix.de la raison eût pu
faire taire celle de la passion, dous aurions pu espérer .encore
que la politique de, pro.scription ne prévaudrait point. Après le
magnifique discours de M. de Mu n, les spiiituelles paroles de
M. Dug.ué, l'éloquente, proiestaticn .de. M.. Anatole de la. Forge
et la remarquable harangue de M. .Piou, si, la Chambre n'eut
pas été aveuglée par l'esprit de parti et diminuée par .des con-
sidérations étrangères au débat, elle aurait dû .comprendre à
quelle faute politique et .à quelle. ini,quité on la poussait. Mais
chaque député avait son siège fait et tout, ce q.u'on a pu dire
.n'a pu changer les.dispositions^de. la majorité.
Nous sommes ibeureux et fiers d'avoir .entendu retentir la
tribune fraqr-aise de- nobles et;généreuses iprotestations, et, nous
fr'.'licitons sincèrement les orateurs monarchiques. et les orateurs
républicains, qui, bien que -sachant l'impuissance de leurs
eôorts, ont coiirageuseiûent défendu les droits de la vérité. Les
sages et les justes sont désormais à la merci des violents. La
révolution, .comme autrefois, demande, des victimes. Les modé-
rés leux-r^m'èraes, croient pouvoir se sauver en lui en livrant,
erreur profonde! Ils ne feront .qu'exciter les insatiables appé-
tits du monstre révolutionnaire, et ils seront dévorés à leur
■tour.
Ceux qui engagent la République dans cette voie détestable
lui crient que c'est le pays qui le veut. C'est faux. Le pays no
réclame pas et n'a jamais réclamé l'expulsion des princes ni les
CHRON-I.QUE DE LA SEMAINE 661
mesures de proscription qui répugnent in^tinclivement à la-
générosité traditionnelle de la France. Il n'}' a pas, sur tout le'
ei'ritoire, en dehors de quelques comités révolutionnaires, le
tmoindre mouvement d'opinion à cet égard.
Le pays a bien d'autres soucis. Il a souci de sa religion
bafouée et persécutée, de ses finances qui sont en diésordire, de
son commerce qui est dans le marasme, de son industrie qui est>
en. détresse, de ses populations agricoles et ouvrières qui sont
dans la misère, de tous- ses intérêts qui sont en souffi'ance,.
c'est de cela qu'il voudrait voir ses représentants s'occuper.
Le pays parlera bientôt : il sera sévère envers ceux qui
trahissent tous leurs devoirs envers la patrie pour faire le jeu-
de quelques intrigues d<i coteries- et de quelques compétitions^
de pouvoir !
On annonce, en effet, que les élections pour le renouvelle-
ment de la moitié des membres des conseils généraux auront
lieu le 1" août. La session devant s'ouvrir le 16, il était imi-
possible de reculer davantage la d'ate da scrutin. Les ballot-
tages seront vidés le 8 août.
L'état d'effervescence dans lequel se trouvent les partis,
l'importance des questions écononaiiques qui seront diiscutée^
dans la session législative d'octobre, l'accentuation de la persé-
cution religieuse et la hardi'Ossecroissante des- révolutionnaires!
donneront une sérieuse signification à^ces^ élections. Les intérêts^
locaux s'efî'aceroîit devant la manifestation politique, qui sera,
nous voulons l'espérer, l'éclatante revanche du bon sens, de la-
sagesse et de la justice.
Les journaux sont remplis dfe détails sur rexpivlsiion. Nous
les résumons pour nos lecteurs.
Après le vote de vendredi, du matin au soir, le public n'ai
cessé d'affluer à l'hètel Galliera, résidence du comte de Paris,
devant lequel il y avait deux rangées de voitures.
L'iiôtel était cependant désert. On avait annoncé à- tort le»
retour du comte de Paris, qui ne pense^pas^ encore à revenir,
mais un registre était ouvert chez le' suisse de l'hôtel. On n'a
pas idée du nombre de noms, grands et modestes, qui y ont
été inscrits.
Le duc de Chartres et ses deux fils sont partis pour Eu, oÙ!
ils ont trouvé, à côté du comte de Paris, le baron de Chabaud-
Latour et le marquis de Beauvoir. On sait que ce dernier est
662 ANNALES CATHOLIQUES
l'un des trois secrétaires particuliers du chef de la Maison de
France.
A l'étranger, le comte de Paris gardera sa maison, dont les
services lui seront plus que jamais nécessaires. La correspon-
dance sera naturellement plus chargée.
Le lieu de sa première retraite n'est pas encore fixé. Le
comte attendra, pour prendre une décision, le vote du Sénat,
Il a cependant déclaré dans une entrevue avec M. de Blo-
witz, correspondant du Times, qu'il se retirerait en Angleterre.
La loi de proscription est maintenant devant le Sénat, qui a
procédé hier à la nomination d'une commission chargée de
l'examiner. Sur neuf membres, six sont hostiles au projet. Ce
sont MM. Bérenger, de Pressensé, Dide, Barthélemy-Saint-
Hilaire, Robert de Massy et Scherer. Trois membres seule-
ment : MM. Journault, Henri Didier et Caduc soutiendront le
projet du gouvernement. Il ne faudrait pas conclure de cette
situation que le Sénat se refusera à voter l'expulsion, mais il
paraît certain que la majorité qui s'y ralliera — s'il y en a une
— sera insignifiante.
A l'heure actuelle, le Sénat est réduit à 292 membres : sept
sénateurs sont morts; le huitième, M. Sébline, vient d'être de
nouveau invalidé. Si l'on défalque en plus la voix du président,
qui s'abstient, suivant l'usage, on voit que le nombre des
votants est réduit à 291. Sur ce nombre, 120 sont absolument
opposés à toute expulsion, 20 sont douteux, 5 autres enfin sont
ou absents par congé ou décidés à s'abstenir. Restent donc
146 membres siirement favorables à l'expulsion , soit la
moitié seulement. Il serait bizarre que les princes fussent
expulsés par une voix. Ce ne serait pas la première fois depuis
treize ans que des majorités semblables auraient décidé d'évé-
nements importants.
M. Goblet fait école. Dans l'afi'aire de Châteauvillain, il y a
eu des agresseurs et des victimes. Ce sont les victimes qui
seront poursuivies. Le tribunal de Blaye vient de se recom-
mander à la bienveillance ministérielle par un jugement qui
présente certaines analogies avec cette bizarre façon de pro-
céder : Un ecclésiastique était poursuivi pour avoir blessé
légèrement, en se défendant contre lui, un ivrogne qui le har-
celait dans la rue. L'ivrogne — c'était un repris de justice —
fut condamné à 5 francs d'amende; l'ecclésiastique à 50 francs
CHRONIQUE DE LA SEMAINB 663
et à 200 francs de dommages-intérêts. C'est déjà caractéris-
tique, mais il y a mieux. Le président, dans ses attendus,
établit que les prêtres ne sont pas des fonctionnaires.
(Jette distinction concorde bien avec l'esprit de persécution
qui règne en ce moment contre le clergé. Pour condamner les
prêtres et priver de leurs traitements ceux qui ont eu le malheur
de déplaire à quelque préfet, on soutient qu'ils sont fonction-
naires; ils ne le sont plus s'il s'i^git de réparer un dommage
qui leur a été causé.
Ce n'est pas tout. Le jugement prétend que cela est surtout
vrai à l'heure oii « la séparation des pouvoirs temporel et
spirituel s'accentue journellement. « On n'attend pas, à Blaye,
que la loi réglant la séparation de l'Eglise et de l'État soit
votée pour l'invoquer. Le jugement a été réformé, c'est vrai,
mais n'est-ce pas un signe des temps qu'il se soit trouvé un
magistrat pour le prononcer?
Le régne de Louis II de Bavière, qui s'était ouvert, il y a
vingt-deux ans, sous de si heureux auspices et au milieu des
espérances d'un peuple dévoué à la dynastie, n'a guère répondu
à l'attente de la nation bavaroise. Le souverain a complètement
oublié sa mission et ses devoirs pour dépenser son temps et son
argent dans de capricieuses faveurs à Richard Wagner et à des
constructions fastueuses dans le genre de celles de Louis XIV
le roi soleil. Peu à peu, les fantaisies du roi de Bavière ont
tourné à la monomanie, et sa manière de faire était si étrange
que depuis longtemps déjà l'on se demandait s'il était dans la
possession de ses facultés mentales. Mais à Berlin et à Munich,
le parti au pouvoir avait intérêt à prolonger cette douloureuse
situation qui profitait au parti libéral et au Kulturkampf. D'un
autre côté, les conservateurs répugnaient à provoquer une
déchéance qui devait porter une grave atteinte, aux yeux des
foules, au prestige de l'autorité souveraine.
Mais depuis quelques semaines, la démence de Louis II était
devenue un obstacle au gouvernement du royaume. Le sou-
verain refusait sa signature à toutes les mesures qui lui étaient
présentées, et passait ses journées à rédiger des décrets de
haute fantaisie, ordonnant un jour qu'on crève un œil à chacun
de ses ministres, une autre fois les condamnant tous à mort
par la décollation.
Il fallait en finir. Deux médecin.^ aliéuistes se sont dévoués.
48
664 ANNALES CATHOLIQUES
Sous un déguisement, ils ont réussi à se faire admettre dans le
château de Hoiiensçhangau et ont recueilli les faits et les motifs
à l'appui d'une consultation médicale qui, en constatant officiel-
lement la démence, devait permettre l'établissement d'une
régence.
Le roi Louis II n'aura pas survécu longtemps à la perte de
son autorité souveraine. Ramené samedi au château de Berg
où il était plus facile de lui faire suivre le traitement que
réclamait sa triste situation, il a réussi, dés le lendemain, à
attirer dans le parc, pour une prétendue promenade le long du
lac de Starnberg, le médecin aliénisteà qui il était spécialement
confié. Les deux ont trouvé la mort dans les iiots, soit que,
comme le dit la version officielle, Louis II se soit jeté à l'eau et
qtiele D"" Gudden ait péri lui aussi en s'efforcant de sauver le roi,
soit que, comme d'autres le croient, le pauvre aliéné se soit
jeté sur le docteur et ait réussi à le pousser dans le lac, ce qui
les aura entraînés tous deux dans une même mort.
La couronne ne tombe du front de Louis II que pour être
placée sur la tète d'un autre prince atteint d'aliénation mentale
et qui régnera sans gouverner sous le titre d'Othon I".
Louis II de Bavière était né à Nymphenburg (la tour des
Njmphes), le 25 août 1845. Il n'avait donc pas tout à fait
41 ans.
Grand de sa personne, les épaules larges, la physionomie
intelligente et éveillée, il semblait taillé pour fournir sur le
trône une longue carrière. Et voilà que la folie l'abat et le tue,
comme elle avait abattu son aïeul Louis I" et son frère Othon,
qui vient d'être proclamé roi.
« Il semble, dit une notice consacrée au roi défunt, que le
destin s'acharne depuis le début du siècle sur la maison de
Wittelsbach. » Nous ne partageons pas, quant à nous, l'étonné-
ment de qui a tracé cas lignes : ce qui lui apparaît comme une
fatalité mystérieuse trouve son explication dans les égarements
du roi Louis I". Ce souverain, dont les ancêtres avaient pris
une part glorieuse à la guerre de Trente ans et s'étaient illus-
trés en combattant la Réforme, est le premier auteur de»
malheurs de sa race : épris d'une danseuse Lola Montés, il
déshonora sa vieillesse et troubla son royaume en jetant des
millions aux pieds de cette femme de théâtre.
Louis II, son petit-fils, tomba dans des égarements d'un
autre genre, mais oii l'on retrouve les goûts passionnés de son
CHRONIQUE DE LA 8EMAINK 6S5
aïeul pour le théâtre. Ou connaît ses relations avec le cornposi-
tewr Wagrier, dont il «,vait fait son eonam'ensal et son ami. Au
mépris des devoirs de la souveraineté, -le rtaonarque ouMiait
dans ïa sodété de cet artiste les graves responsabilités -du gou-
vernement; uniquement préoccupé de se-s plaisirs d'artiste, il
avait donné 'cartô blanche à un ministre frnnc-maçon pouï*
gouverner libéralement, c'est-à-dire dans le sens antichrétien.
Ce pays '«['ii\>, aw XVI* siècle, avait été un des boulevards du
catholicisme en Europe .et qui, jusque d^fts ces derniers temps,
n'a cessé de protester contre les tendances de son gouver-
nemient sectaiire en eûvoyant dans la Chambre élue dos majo-
riîtés GGtiioliqués.
Au début de S'oin règne, — il avait été proclamé le 10 mars 1864
à la mort de son père Maximilien, — Louis II prit à peine part
à la direction des affaires de son pays que compliquait alors la
rivalité de la Prusse contre l'Autriche. Cette question d'hégé-
monie ne l'intéiessait guère, et peut-être déjà alors ses sjnopa-
thies étaient-e'lles acquises à l'uniâcation allemande, qui devait
faire des dynasties emglobôes autant de satellites du futur
Eïïipire.
Indifférent aiix traditions historiques de sa ïnaison, l'héritier
des Wittelsbach comblait de ses libéralités le tnaëstro Wagner
et érigeait sous sa direction le théâtre des fêtes de Bajreuth.
C'était un souverain qui jouait au Mécène et qui, comme ua
autï-ê iuâïen, semblait prendre à tâche de réhabiliter le paga-
nisme dans les sphères de l'art^ D'autres eussent bâti des
églises ; lui construisait des palais et des glyptothèques calqués
sur les ruines delà Grèce antique* Mais il bâtissait surtout des
théâtres, et * Vùt dramatique reçut sous son règne une impul-
sion dout les scènes de l'Europe entière., écrit un panégyriste,
subissent actuellement le contre-coup. »
Libéralisme et cabotinisme, ce sont -ces deux fléaux qui, de
ehute en chuté, ont amené le -malheureux prince jusqu'à l'abîme
oii il vient de tomber.
On ne peut oublier l'appui qu'il prêta ouvertement aux vieux
catholiques et la protection dont il couvrit le chanoine Doel-
linger, persécuté en raison de ses grands travaux théologiques
contre le dogme nouveau.
Hélas! le protecteur couronné du vieux catholicisme et de la
musique de l'avenir est allé bien tristement rejoindre dans
l'éteï'oitè tous eeox qui, ayant mangé du Pape, en sont morts!
666 ANNALES CATHOLIQUES
Voici les rè::ultats des élections pour le renouvellement
annuel et partiel du conseil municipal de Rome :
Le nombre des conseillers sortants à remplacer était de 18.
Inscrits : 26,000. Votants : 19,625. Sont élus : six libéraux
figurant sur toutes ou sur la plupart des listes, j compris les
listes cléricales.
Quatre cléricaux modérés, soutenus par la presse libérale, et
huit cléricaux figurant sur la liste cléricale seule.
Voilà un résultat qui ne semble pas fait pour combler de joie
les « libéraux » italiens. Les plaintes élevées par l'Europe
Savante contre la destruction systématique de la Rome papale
doivent être pour quelque chose dans l'événement.
La dissolution de la Chambre des communes était inévitable,
elle est prononcée, et une nouvelle période électorale ne tardera
guère à s'ouvrir en Angleterre.
Les libéraux et les radicaux dont la défection a entraîné
l'échec du ministère se remuent activement pour commencer
leur organisation électorale en vue des prochaines élections
générales. Ils font même dire partout que leurs afi'aires marchent
très bien et qu'ils n'ont aucune inquiétude sur le résultat de la
lutte. Cette assurance est bien prématurée pour être sincère.
M. Gladstone a déjà adressé un manifeste aux électeurs du
Midlothian. 11 dit que la Reine a sanctionné la dissolution afin
d'obtenir la décision du pays sur une des questions les plus
graves qu'on ait soumises au pays depuis des siècles. Il n'y
a que deux politiques possibles : ou gouverner par la coer-
cition, ou laisser l'Irlande régler ses propres afi'aires. M. Glad-
stone conteste à ses adversaires le droit de prendre le titre
d'unionistes.
Il dit que l'union qu'il cherche à modifier, c'est une union
obtenue par la fraude et la force et jamais sanctionnée par le
peuple irlandais.
L'Irlande ne demande pas l'abrogation de l'union, mais la
restitution de son Parlement, sans les prérogatives qui pour-
raient aff'aiblir les intérêts de l'empire. M. Gladstone ajoute
que les bienfaits de sa politique sont : 1° la consolidation de
l'unité de l'empire et une augmentation de sa force; 2° l'aboli-
tion des querelles en Irlande et le développement de ses res-
sources ; 3" la rédemption de l'honneur de la Grande-Bretagne,
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 667
de 11 Uétrissure qui lui a été attachée par le jugement du
monde civilisé entier; enfin le rétablissement de la dignité du
Parlement impérial et le progrés pour les affaires du pays.
Au scrutin de ballottage du 15 juin, en Belgique, les libéraux
ont été réélus à Verviers et à Mons.
A Charleroi ils perdent un siège.
La nouvelle Chambre comptera donc 98 conservateurs et
40 libéraux.
L'issue de ces élections contient plusieurs indications géné-
rales d'un haut intérêt. Tout d'abord, l'assiette du gouver-
nement et du parti conservateur, élargie et consolidée, ne
pourra plus se déplacer. Quels que soient les résultats des élec-
tions de 1888, la position du ministère ne s'ébranlera plus. Ce
danger du renouvellement est écarté. En 1888, les élections
porteront sur des arrondissements qui, sauf Arlon et Virton,
sont représentés à la Chambre par des catholiques ou des
indépendants.
Les catholiques n'auront qu'à gagner un ou deux sièges de
plus, alors que les libéraux lutteront pour reconquérir des
positions qui leur ont longtemps appartenu.
Eh bien, la majorité conservatrice est devenue, mardi, si
forte qu'un revirement dans le sens libéral en 1888 ne jetterait
pas à bas le gouvernement réparateur.
D'ailleurs, ^le mouvement conservateur grandira. Fort et
porté par le courant populaire, le parti conservateur entre dans
une nouvelle période, nous dirions presque une évolution nou-
velle. Jusqu'à ce jour, il a lutté pour l'existence, il a dû assurer
le lendemain; mais, maintenant que l'avenir ne se couvre plus
de nuages, et ne trouble pas la sérénité des hommes d'Etat
catholiques, les œuvres positives, les initiatives en faveur des
restaurations sociales et religieuses s'épanouiront dans un bel
essor et assureront pour longtemps l'attachement des popula-
tions au régime conservateur. Sur le terrain économique, il y
aura beaucoup à faire, beaucoup de fautes à éviter. Depuis
l'écrasement du parti doctrinaire, le radicalisme ouvrier est
devenu une menace d'autant plus sérieuse que ïidr'e sociale
rayonne partout avec le prestige de l'opportunité et de la force
d'une fatalité historique. C'est à arracher ce « quatrième Etat »
aux étreintes du socialisme de toutes les nuances ; c'est à le
gagner à l'idée religieuse par des réformes adoptées aux besoins
668 ANNALES CATHOLIQUES
actuels, q«e le parti oaiiservateur doit ele préférence consacrer
ses nobles efforts, en faisant ainsi à la fois œuvre d'habileté et
de justice sociale. Question religieuse et question sociale, o^
sont là les deux pôles de la vie d'aujourd'hui et de demain.
Celte victoire est, enfin, une sanction lunaineuse de l'attitude
si forte à la fois et si sage du gouvernement réparateur.
Le ministère Beernaert a été à la hauteur des difficultés. Le
chef du cabinet a été un réformateur habile, sage, fort et avançant
opportunément. Il a préparé la victoire d'hier, qui sera le pré-
lude du triomphe complet de demain. M. de Bismarck s'écriait,
ces jours-ci, à la Chambre des députés prussiens : « La poli-
tique n'est pas une science, o'^at un art; et celui qui ne Va pa3
naturellement, doit ne pas y toucher. »
C'est un peu absolu mais plein de justesse. M. Beernaert n
cet art, cet art si difficile et si rare, composé de tact et d'au-
dace, de force et de ménagements, de souplesse pliante et de
ténacité d'acier, sachant temporiser, attendre ici, brusquer là,
provoijuant, guettant et choisissant les meilleures occasions de
réaliser, dans une institution ou une loi, les principes de la
cause qu'il a l'honneur de défendre et de soutenir.
Telle a été la conduite du ministère. Gouvernement répara-
teur hier, il sera demain le gouvernement préservateur des
dangers du radicalisme socialiste qui constitue la seule menace
possible pour le ministère, les conservateurs et la société. C'est
une tâche haute et noble que les gouvernements doivent s'im-
poser de nos jours : réaliser l'équilibre social, en appliquant
économii]uement et politiquement les doctrines divinement
généreuses et justes de l'Évangile et de l'Église. Aux ères et
aux évolutions politiques, succède rare s&ciale. Là est l'avenir,
plantons-y notre drapeau.
BULLI;TIN BIBLIOaRAPHIQUB (1.)
1. — Bue culte «lu gp-^ncl fort vol. a?â paj^es. — Ps.ri3,.
arciiiiecto, nouv^Hfs lévé- 1886, chez tietquz,ey. — Prix :
latiinis sur hi Fianc-Maçoa- 3 fp. 50.
nerie par Léo TaxiK — Ua Dans Les Frères- Trais-Points,
(1) Il est rendu compte ^e tout ouvrage dont deux exemplaires ont
été déposés dans les k>HKPaux des Annales ctttholiq'jes. MM. les
auteurs e-t MM. les auditeurs sont pries d'indiquer le prix des livres
qn'ils envoient. — l^'aiiministration des Annales se charge de fournir,
au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu cumpte dans ce
bulletin.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 069
M. Léo Tasil avait dévoilé le compléto des T.ogos et Aniôpo-
mécanit-rne de rorganisatiou ma- Loj^es de France, avec l'indica-
çonnique et nous avait f;jit assis- tioa des locaux danschaciue ville,
ter aux initiations successives de les jours de séance, les datos de
la secte, depuis celle du ni^^-aud, fondation, aini»i que les noms,
recruté, apprenti, jus(|u'à celles adresses, professions civiles et
des meneurs astucieux, élevés grades maçonniques des chefs;
aux plus hauts grades, chefs soit une lii^te d'environ 800 per-
occultes et directeurs suprêmes. sonnagps, tous maçons militants
Il avait aussi déchiré les voiles en diable, et la plupart mêlés,
qui cachent aux * Profanes » les à Paris et eu province, à bi vie
mystérieuses intrigues politiques politique la plus active. — Enfin,
et sociales de la Maçonnerie. nous signaleions le vocabulaire
Dans le culte du grand a.rchi- d'argot maçonnique qui complète
tecle, M. L^o Taxil nous révèle le volume et qui. certainen.ent,
la liturgie de la ténébreuse asso- en forme l'un des principaux
dation ; car les Loges et les attraits.
Arrière-Loges .ont leurs céré-
monies particulières. Rien n'est
plus curieux que les rituels des Manuel polyglotte, pour la
mariages maçonniques, des bap- confession des Espagnols, des
têmes de louveteaux, des banquets Italiens, des Anglais, des Aile-
mystiques, de la cène (sacrilège mands. Pans, chez Roger et
parodie de l'institution de rp:u- Chernoviz. — Prix franco :
charistie), des agapes, particuliè- 1 ^^- ^^•
rement odieuses, des consécra- Voilà un petit travail qui nous
tioBs de temples, des pompes paraît destiné à rendre ie.s pla*
funèbres maçonniques, riilicule3 grands services, au clergé ea
singeries où l'on arrose d'eau, de général, mais surtout aux ecclé»
lait et de vin un grand rouleau siastiques qui exercent leur saint
de papier à chandelle figurant ministère dans nos hôpitaux, dans
l'âme du F.\ défunt. Dans toutes les grandes villes, sur nos fron-
ces cérémonies, les sectaires ren- tières, dans les villes d'eaux, etc.
dent un véritable culte au « Grand Complet, court, commode, ac-
Architecte », c'est-à-dire à Satan compagne de la prononciation
déifié, l'invoqui^nt et lui chantent francisée, ce livre leur pei-met-
même des « cantiques. » tra, non seulement dentendr©
On lira aussi avec intérêt les la confession des étrangers sans
chapitres consacrés à la Maçon- connaître leur langue, mais eq.-
nerie Forestière ou Carbona- core de les instruire, au bes(nu,
risme, branche essentieilpment de les assister dans leurs maja-
politique de la secte, et au régime dies et au moment de la mort,
des Juges Philosophes, scjrte Nous apprenons sans étonnement
d'école d'espionnage comportant que cette œuvre de zèle est ac-
Utt « noviciat de trois ans ». cueillie avec satisfaeiion et re»
Le culte du grand architecte connaissance par tous les amis
donne encoi'e la nomenclature des âmes.
REVUE ÉCONOMIQUE FINANCIÈRE
Nous vous avons (léjà rais en garde contre des commis-voyageurs
en valeurs, parcourant les villes et les camp.-ignes pour le compte
d'agences qui veiideat à tempérament des obligations de la ville de
Pans ou dti Crédit foncier de Fi'juice.
Ces agences s'ingénient à donner à leurs certificats de versements
670 annal.p:s CATUuMvfts
une certaine ressemblance extérieure avec le titre qu'ils s'engagent
à livrer. Ils adoptent le même format, la même couleur, la disposi-
tion des signatures est la même. Les encadrements et vignettes
sont une imitation des encadrements et vignettes que l'on trouve
sur le véritable titre. Il y a même jusciu'à un certain arrangement
de coupons qui donne illusion. La clientèle est recrutée naturel-
lement parmi les gens qui n'ont point la moindre notion des choses
de la finance; ils savent que les obligations de la ville de Paris et
celles du Crédit foncier sont excellentes et ils croient, avec ce chiffon
de papier qu'on leur délivre, avoir des droits réels sur la ville de
Pai'is ou le Crédit foncier.
Nous espérons que pas un de nos lecteurs né se sera laissé
prenflie à ce piège grossier. La 8' chami)re du tribunal de première
instance, jugeant cori'ectionnellement, vient de condamner, à
100 francs d'amende, le directeur d'une de ces agences en question
pour avoir émis des formules d'engagement dont les dispositions
exléi'ieures avaient quelque ressemblance avec celles des titres
mentionnés aux dits engagements. Si le prévenu n'a été condamné
qu'à iOO francs d'amende, c'e>t qu'il avait dès le début, renoncé à
CCS pratiques. Ce sera, pour les autres, un avertissement.
Celte industrie de vente à tempérament va sans doute disparaître,
au moins pour un temps. Le parquet est disposé à se montrer très
sévère quand il recevra des plaintes; il recherche même si on ne
peut pas lui appliquer une contravention à la loi sur la loierie. Dans
tous les cas, il nous semble qu'on peut appliquer h ces gens-là la
loi sur le prêt usuraire et sur l'empièiement du monopole des
Agents de change.
L'opinion publique est de plus en plus surexcitée contre ces
agences de vente à Crédit, qui lont autant de victimes qu'ils ont
trouvé de clients. Notre opinion n'a jamais changé et nous vous
disons aujourd'hui, comme autrefois : « Faites vos affaires vous-
mêmes, autant que possible et adressez-vous toujours à un agent de
change qui vous garantira vos titres dans le cas où ils seraient faux,
ou sortis aux tirages. S'adresser à un agent de change coûte moins
cher que chez n'importe qui.
Les obligations foncières par leur extrême solidité et par leurs
six tirages par an, sont des valeur.->, naturellement toujours recher-
chées et les agences dont nous parlons plus haut, avaient eu la
main heureuse en les choisissant. Mais pourquoi payer une prime
de 40 à oO francs quanu on peut avoir au prix du cours du jour? Il
est certain que vous allez voir une nouvelle hausse se produire, en
juillet, sur les obligations 1880 et 1883. Nous les recommandons
parce que ce sont celles qui coûtent le moins cher, tout en valant
auant que celles cotées *:20 à '23 au-dessus, l/obligalion 1879 est
cotée 470 et celle 188o 441 francs; celui qui voudrait prouver que
la première vaut mieux que la seconde serait bien embarrassé.
La Bourse est calme; le comptant agit peu et la spéculation se
remue. A. H.
Le ge'ran t : P . •') k -^ x r r, EL .
Paris. Itnp. G. Picquoin, 3i, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
-^r'-^DOC^^o:^-
LEON XIII ET LA FRANCE
Dans le dernier Consistoire d'hier, Sa Sainteté n'a abordé
aucun des graves problèmes qui passionnent les esprits. Ça été
une allocution tout intime, oii Léon XIII a épanché son cœur
de Pasteur et de Père.
La plus privilégiée, la France, a eu le premier rang. C'est
avec une effusion harmonieusement grave que le Pontife a fait
l'éloge de cette « généreuse nation» qui, malgré les excès du
radicalisme officiel, reste superbe de foi et de dévouement
sans bornes à l'Église et à la Papauté.
Ces paroles prendront place, dans l'histoire des rapports du
Saint-Siège avec la vieille Gaule, à côté de l'admirable Ency-
clique Nobilissitna Gallorum gens.
Ce serait une œuvre très intéressante que de tracer le
tableau de toute cette compénétration historique de la France
et de la Papauté, à travers le labyrinthe des siècles, depuis le
jour oii Charlemagne est venu s'incliner devant la majesté de
la tiare pontificale jusqu'au Consistoire d'hier, où Léon XIII a
fait à cette nation le don de trois cardinaux.
Jusqu'à l'heure où la civilisation a rapproché également
toutes les nations et celle-ci de Rome, la France a été comme
la gardienne d'avant-poste et la sentinelle séculaire du Saint-
Siège. Cette nation brillante a marché à la tête de toutes les
œuvres de foi et de chevalerie catholique. C'est elle qui a créé,
la première, ce budget de la charité du monde pour le Pape ;
c'est elle qui a suscité les ressources des missions ; elle qui a
fondé les écoles d'Orient ; elle qui a doté la Propagande des
plus riches dons ; elle, en un mot, qui, dans la hiérarchie
incomparable des générosités catholiques, a tenu le premier
rang, pendant quelque temps, le seul. Elle a été, dans tous ces
domaines, la grande et féconde initiatrice. C'est sa couronne
ro3^ale, son privilège providentiel, la marque de Dieu sur elle.
Si, maintenant, depuis que son exemple irrésistible a entraîné
Lvi. — 26 JUIN 1886. 49
672 ANNALES CATHOLIQUES
jusqu'aux peuples les plus lointains dans ce siliag-e des œuvres
dafoi et d'aitachement à Rome, si maintenant elle voi^ d'aiïtres
nations plus jeunes rivaliser avec elle de générosité et de
dévouement, elle n'en maintient pas moins ses traditions che-
valeresques. Elle reste à son poste comme par le passé.
Oui, Léon XIII a raison. La France donne toujours au monde
le spectacle du bien, A côté de ce monde officiel, qui repré-
sente le radicalisme, s'agite le monde des croyants. Derrière
cette représentation extérieure de l'irréligion, il y a la province
des œuvres de tous genres. La France est aujourd'hui, peut-
être, le pays le plus en vue qui, à la surface, présente les
dehors de la décadence, mais il ne faut pas oublier que, sous
cette écorce, s'épanouissent les grandes idées et les sentiments
généreux. C'est ce dualisme regrettable qui explique les juge-
ments si contradictoires que les étrangers, comme les Français
eux-mêmes, portent sur ce pays. Œuvre de la Révolution qui
a- trop séparé le monde social et religieux, cette division de
l'âme nationale est le plus grand malheur.
Si jamais la France doit reprendre son prestige et sa robus-
tesse d'autrefois, cet antagonisme, ou plutôt cette séparation,
tranchée des divers ordres de la vie publique, doit cesser. Mais
quelles que soient les décadences politiques et gouvernemen-
tales, la France conserve des réservoirs de générosité, d'esprit,
de force et de foi, qui alimenteront à jamais son tempérament
âexible à tous les grands courants de l'histoire. Paris incarna
admirablement cette double France. Paris qui s'amuse et oii^
l'on vient s'amuser. Paris avec le scandale de ses vices et de
ses défaillances; Paris qui, aussi, crée chaque jour des œuvres
admirables, qui travaille, prie et se sacrifie ; ce Paris des
grandes choses et des initiatives sans égales et sans nombre.
Eh bien, c'est cette France du bien, à laquelle Léon XIII
prodigue l'effusion de son amour da Pontife. Il veut « serrer
plus étroitement les liens qui unissent cette nation généreuse
avec l'église de Rome et le Pontificat romain. » Ces liens sont
indissolubles. Ici, encore, la France a pris les devants dans lô
large et merveilleux mouvement de concentration autour de
Rome. Notre siècle a été rempli des chevaleries des catholiques
français pour le Saint-Siège.
Qui ne se rappelle les luttes retentissantes de ses meilleurs
fils pour l'indépendance et les gloires rayonnantes de la
dynastie des Papes? Ce sont les Guéranger, les Dupanloup, les
HOME RULE 673
Pie, les Falloux, les Montalerabert, etc. ; ce sont tous ces noms
brillants et leurs disciples qui ont monté la garde de l'élo-
quence, de la foi et de la fidélité autour des hauteurs du Vatican.
C'est la France catholique qui a entraîné le monde entier aux
pieds du Successeur de Saint-Pierre, dans cette vaste concen-
tration religieuse vers le centre de l'unité, concentration qui a
été comme la marche de l'univers chrétien sur Rome. Quand on
fait ces grandes choses, on ne déchoit pas, on ne fléchit pas.
On garde ses suprématies et ses gloires, et ce n'est pas en vain
que Léon XIII est venu, hier, les faire briller d'un éclat
nouveau, opportun, providentiel. Il y a des discours qui sont
des actes. (Moniteur de Rome.)
HOME RULE
Le rejet du projet de loi pour l'amélioration de la condition
de l'Irlande, présenté par M. Gladstone, quoique des plus regret-
tables, ne met pas fin à cette question brûlante qui passionne de-
puis si longtemps toute la population de la Grande-Bretagne. Cet
acte du Parlement anglais, plus ou moins prévu, n'apaisera pas
les esprits en Irlande, et ne contentera pas davantage les An-
glais, qui reconnaissent la nécessité absolue, de la part de leur
nation, de mettre fin à l'horrible oppression qui désole l'île
sœur. La question ne deviendra que plus formidable, car c'est,
au fond, plutôt une question religieuse que politique.
Les souffrances de l'Irlande sont connues du monde entier,
mais d'une manière vague. On sait que sous les rois et les par-
lements protestants d'Angleterre, les Irlandais ont été atroce-
ment persécutés pour leur fidélité à la foi catholique; mais on
ne s'imagine pas que cette persécution, en réalité, n'a jamais
cessé.
La religion catholique, il est vrai, est ouvertement pratiquée
et jouit de beaucoup de liberté, mais les populations catholiques
de l'île souffrent une persécution, sous une autre forme, aussi
cruelle, impitoyable et diabolique que celle d'Elisabeth et de
Cromwell. Et la source de cette persécution se trouve dans la
haine, aussi vivace que jamais, de la plupart des protestants
contre l'Eglise. Les catholiques anglais eux-mêmes, subissent
674 ANNALES CATHOLIQUES
SOUS ce rapport l'influence malsaine de la presse protestante,
surtout celle des grands journaux quotidiens de Londres. Il y
en a, en grand nombre, qui demandent que l'état de choses
actuel en Irlande cesse ; mais il y en a aussi qui, dans leurs
propos, décèlent une ignorance surprenante de la situation, La
conduite des Orangistes et les discours des lords R. Churchill,
Hartington, Montagu et autres chefs des partis politiques,
démontrent assez nettement de quel côté se met le protestan-
tisme anglais. Sans doute, il y a des exceptions individuelles,
mais la masse ne cherche qu'à continuer l'horrible système qui
écrase la pauvre Irlande.
Un personnage catholique anglais, éminent par son rang, sa
fortune et sa position, s'est permis de dire l'autre jour que
« depuis cinquante ans le peuple anglais s'évertue à mettre
fin aux injustices dont se plaignent les Irlandais. »
Or, voyons ce qui se passe en Irlande depuis cinquante ans.
Commençons par le témoignage d'un évêque dans le comté de
Meath, qui a vu expulser de leurs demeures, en un jour,
700 personnes. A l'exception d'une seule, dit ce prélat, ces per-
sonnes ne devaient pas un centime à leur propriétaire. Deux
des familles expulsées avaient le typhus chez elles, mais malgré
cela on a enlevé la toiture, laissant pénétrer ainsi la pluie
froide d'octobre qui tombait à torrents. Le lendemain on a
retiré quatre cadavres !
Le curé de ce village, témoin oculaire, a écrit :
Je n'oublierai jamais les scènes d'horreur dont j'étais témoin. Les
lamentations des femmes, les cris, la terreur, la consternation des
enfants, l'angoisse muette de ces hommes, honnêtes et laborieux,,
arrachaient des larmes à tous ceux qui se trouvaient là. J'ai vu les
officiers et les agents de police en grand nombre (obligés par leurs
devoirs officiels de se tenir là), pleurer comme des enfants à la vue
des souffrances cruelles de ce peuple, qu'ils auraient été cependant
forcés de massacrer à la moindre velléité de résistance.
Les pluies froides qui généralement accompagnent l'équinoxe
d'automne tombaient à torrents pendant la nuit et révélaient à ces
pauvres êtres sans abri la terrible réalité de leur condition. -le les
ai visités le lendemain, pour leur ofi"rir toutes les consolations en.
mon pouvoir. L'aspect de ces malheureux, hommes, femmes et
enfants, comme ils sortaient des ruines de ce qui avait été leur foyer
domestique, trempés de pluie, noircis de suie, grelottant de froid et
de misère, offraient positivement le spectacle le plus navrant qu'on
puisse imaginer.
HOME RULK 675
Et si l'on demande pourquoi ou n'a pas offert au moins l'hos-
pitalité d'un simple abri à ces pauvres expulsés, surtout dans
un pays renommé pour son hospitalité, c'est que les propriétaires
du sol, « les étrangers, » comme on les a toujours appelés
veillaient. Ecoutons ce même curé :
Les propriétaires tout autour, sur une étendue de plusieurs milles
(lisons lieues) dans toutes les directions, avaient averti leurs tenan-
ciers, avec des menaces d'une vengeance terrible, de faire taire leur
humanité, de ne point accorder l'hospitalité de leur toit, ne fût-ce
que pour une seule nuit, à leurs pauvres voisins. Beaucoup d'entre
ces derniers ne pouvaient émigrer avec leurs familles, alors que chez
eux, dans leur propre pays, ils voyaient la main de tous levée ainsi
contre eux.
Ils furent expulsés du sol où la Providence les avait placés, et
virent dans la condition de la société au milieu de laquelle ils se
trouvèrent, tous les chemins de la vie rigoureusement fermés. Quel
en fut le résultat? Après une vaine lutte contre la maladie et la
misère, ils descendirent par des étapes douloureuses de l'asile des
pauvres (Workhouse) à la tombe, et au bout de trois ans, plus ou
moins, un quart de ces victimes gisait au cimetière.
Ce n'est pas là un cas exceptionnel, hélas ! C'est l'état nor-
mal de ce malheureux pays. On a raconté comment, en 1845,
un nommé Walsfc, propriétaire, avait détruit tout un village, à
BelmuUet. En 1848, dans deux villages voisins, cinquante
maisons furent rasées, en plein hiver, et à 40 milles du plus
prochain Workhouse. On laissa ainsi, sans abri, 140 familles!
c'est-à-dire 800 personnes !
Dans la seule année de 1849, dit M. Ray, plus de cinquante
mille familles furent impitoyablement expulsées de leurs
pauvres demeures (et il faut les voir pour comprendre le dénue-
ment des cabanes irlandaises), et laissées là sans ressources et
sans abri. Cinquante mille familles représentent facilement
deux cent mille personnes, peut-être davantage, car il est
notoire que les familles irlandaises sont nombreuses.
Dans les dix ans, de 1841 à 1851, le nombre de maisons qui
avaient été rasées était de 282.545!!! M. John Bright, le
célèbre radical, en parla en plein Parlement, qui passe pour
être le siège par excellence de la justice, et là surtout on
ricana! Telle est la justice de l'Angleterre.
En 1858, le procès intenté par M. le curé O'Fay, docteur en
théologie, contre le major Burke, de l'armée anglaise, attira
beaucoup l'attention. On prouva que sur l'invitation du père de
676 ANNALES CATHOLIQUES
ce dernier, le curé avait loué, avec bail à vie, un petit lopin de
terre inculte, abandonnée. Il dépensa à peu près 2.000 francs
par an, pendant cinq à six ans, et obtint de son travail des
résultats étonnants. Ces résultats finirent par exciter la convoi-
tise du major, héritier de son père décédé, et il donna simple-
ment avis au curé de son intention de reprendre possession de
la terre. Le curé avait son bail; il avait dépensé beaucoup
d'argent; il avait bâti des naaisons, il avain complètement
défriché la terre qu'il avait faite productive, au delà de toute
espérance. Tout cela plaidait en sa faveur, mais plus il dé-
montra les améliorations dont il était l'auteur, plus le proprié-
taire se décidait à l'expulser, s'il ne voulait pas abandonner
son bail et payer un loyer très élevé. Le curé fut expulsé. Il
avait C2 ans.
Remarquez qu'il ne devait pas un centime de loyer au pro-
priétaire. La loi faite par les Anglais pour les Irlandais catho-
liques permet cela. Le juge du tribunal devant lequel la cause
fut apportée, se trouvait impuissant, en présence de cette loi,
et fut forcé de prononcer un jugement contre le curé. Il s'ex-
primait ainsi :
Il n'y a rien qui répugne davantage aux principes de la justice
naturelle que de permettre à un propriétaire de rester d'anùée en
année spectateur d'améliorations faites à grands frais par son loca-
taire, sans qu'il le prévienne de son intention de l'expulser. Il n'est
point de ma compétence d'administrer l'équité, dans le sens naturel
du mot; autrement, je n'aurais aucune difficulté à faire un décret
contre le major Burke (le propriétaire). Je suis tenu à administrer
un système artificiel, et étant ainsi tenu, je suis forcé, à mon grand
regret, de commettre une injustice en ce cas.
Voici maintenant le jugement de Mgr Bagshawe, évêque de
Nottingham (Angleterre) :
L'administration intérieure d'Irlande par l'Angleterre, et par le Par-
lement anglais, surtout depuis l'Union (c'est-à-dire depuis lasuiqires-
slon du Pai lement protestant Irlandais, au commencement de ce siècle)
ne s'est distinguée ni par la justice, ni par la bienfaisance, ni par le
Buccès ; au contraire, elle n'a été inspirée que par une convoitise
égo'iste, et elle a infligé à ce malheureux pays, des horreurs sans
nombre, la ruine et la désolation. Il est temps que l'on permette à
l'Irlande l'administration de ses propres affaires.
Il ne faut pas oublier qu'il s'agit toujours au fond d'une
question religieuse, du désir chez les protestants irlandais»,
HOME RULE 677
tous dû races étrangères, de rester les maîtres, de posséder le
sol, de terir les catholiques sous leur talon. Ils ont toujours été
encouragés par le gouvernement anglais. Les Orangistes seuls
peuvent faire leurs processions politico-religieuses, armés jus-
qu'aux dents et jamais leurs fôtes ne se célèbrent sans qu'ils
provoquent les catholiques, et sans qu'ils en assassinent
quelques-uns. Cela est pour le moins toléré par le gouverne-
ment anglais.
Comment voulez-vous, s'écrie un savnnt prêtre irlandais, que les
Anglais fassent justice à mon pays! Ils sont d'une autre race, ils
professent une autre religion, ils ne connaissent nullement l'Irlande,
et ils ne veulent pas la connaître. La représentation irlandaise au
Parlement impérial est une infime minorité. Les électeurs irlandais
ne représentent que l'un ou l'autre des partis politiques anglais.
Ceux qui gouvernent, ou plutôt ceux qui tiennent lo pouvoir en
Irlande, ne sympathisent point avec elle, ils ignorent et négligent
ses intérêts les plus chers, même les plus nécessaires à son existence.
Tout cela demande un remède; niais on est loin, même
parmi les catholiques irlandais, d'être d'accord sur le remède
proposé. On se méfie de la source. Feu le cardinal Cullen,
archevêque de Dublin, a rappelé que l'auteur du Home Rule
est non seulement protestant, mais qu'il est, de plus, l'ami des
chefs du mouvement antireligieux en France. M. Parnell a été,
en effet, l'ami de Gambetta, Victor Hugo, Henri Martin et tutti
quanti, et le Cardinal, qui aurait préféré une persécution san-
glante à l'apostasie do ?a nation, tremblait devant la possibilité
d'un piège caché sous des apparences de liberté politique et
religieuse. Les craintes du Cardinal sont partagées par plu-
sieurs sinon par tous les membres de Tépiscopat irlandais.
Il serait trop long d'entreprendre ici l'analyse du bill pré-
senté par M. Gladstone au Parlement impérial. Il se pouvait
que cette mesure fût défectueuse ; mais il est certain, qu'au
fond, le Home Rule, le règlement par les Irlandais de leurs
affaires purement intérieures, est le seul remède aux maux
dont ils souffrent. Le cardinal Manning de Westminster, s'est
exprimé en ce sens, et avec lui tout l'épiscopat anglais. Il n'y
a, que nous sachions, que quelques laïques catholiques in-
fluents, comme le duc de Norfolk, qui se sont faits remarquer
par une hostilité au Home Rule, qui n'est pas à leur honneur.
Devant des faits tels que ceux que nous avons reproduits, et
dont le récit fait frémir, il semble impossible que, de nos jours»
678 ANNALES CATHOLIQUES
il se trouve des chrétiens, quelle que soit leur opinion en
matière religieuse, capables de refuser à leurs semblables
même la pitié qu'inspire le malheur. Il n'y a pas un autre pays
au monde où le paysan est traité avec tant de cruauté barbare
qu'en Irlande.
Au moment même oii nous traçons ces lignes, au moment où
le Parlement d'une nation puissante et riche rejetait une
mesure qui promettait du moins un peu de justice à ces pauvres
paysans irlandais, les évictions se font sur une large échelle
dans la partie ouest de l'île. La désolation, la ruine et la
famine régnent sur tout le Connemara, district d'une grande
étendue, où l'on n'entend aujourd'hui que le son de la pioche des
démolisseurs, où l'on ne voit que des affamés errant par cen-
taines dans les champs et cherchant comme des bêtes de quoi
satisfaire leur faim. Beaucoup sont morts de faim et de froid,
exposés comme ils sont, sans abri, sans secours d'aucune sorte.
Leurs propriétaires, avec la permission de la loi anglaise, faite
expressément contre les catholiques irlandais, leur refusent
l'abri qu'on aurait honte de ne pas accorder à son chien ou à
son cheval.
Nous n'inventons rien. C'est dans les journaux anglais que
nous avons puisé ces détails.
La justice des hommes fait défaut à ces pauvres gens. A
quand la justice de Dieu? {Citoyen).
E. M.
UNE COMPARAISON !
FRANCE ET BELGIQUE.
Sous ce titre on lit dans le Lorrain :
Les catholiques belges viennent de l'emporter aux élections
législatives qui ont eu lieu mardi : ce succès nous fournit l'occa-
sion d'une comparaison pleine d'espérance entre la France et la
Belgique.
Les libéraux do Bruxelles, de Gand, de Liège avaient crié bien
haut que la victoire des catholiques, au scrutin de 1884, était
une surprise et que bientôt une réaction se produirait inévita-
UNK COMPARAISON 679
blement, et ferait regagner au libéralisme tout le terrain qu'il
avait perdu. Pendant quelque temps, on a cru qu'il en serait
ainsi : les libéraux n'en doutèrent pas quand ils virent le Roi
intervenir lui-même pour arrêter le zèle de ses ministres catho-
liques. Depuis lors ils n'ont pas cessé d'espérer, malgré les divi-
sions qui les affaiblissaient entre eux; comptant sur les fautes
et sur les exagérations de leurs adversaires, comme si cela
devait suffire pour vaincre, ils ont oublié la devise belge :
L'union fait la force. Radicaux et modérés ont continué à
donner le spectable d'un antagonisme fort peu libéral; ils ont
ainsi fatigué le pays et perdu la confiance des plus honnêtes
de leurs électeurs.
Cependant les véritables patriotes, réveillés au scrutin de
1884, ne s'étaient pas rendormis sur leurs premiers lauriers :
soutenus par l'action catholique, ils avaient silencieusement
poursuivi la lutte contre la franc-maçonnerie et ils viennent de
remporter une victoire éclatante et définitive. Depuis plus de
cinquante ans les catholiques belges n'ont pas eu un pareil succès,
et le ministère actuel est assuré de demeurer longtemps au
pouvoir : c'est le salut de la Belgique.
Or, en France pareil résultat pourrait se produire si on le
voulait, et d'aucuns prétendent qu'on doit l'espérer.
Le succès des conservateurs français, au scrutin d'octobre
dernier, n'a pas été non plus une surprise, et si les élections
avaient été préparées de plus longue main, les républicains
eussent été bien près de perdre la partie. Depuis, à l'instar des
libéraux belges, ils se divisent, se déchirent et ne trouvent de
terrain commun que dans leur haine contre l'Eglise et le clergé.
Leur conduite fatigue et écœure la France ; aussi les conserva-
teurs encouragés par ce premier succès, mieux conduits, atten-
dent, avec plus de confiance les luttes électorales de l'avenir :
ils ne font pas de bruit en ce moment parce qu'ils ne sont pas
encore prêts; mais quand un ministère Clemenceau ou Floquet
aura quelque peu augmenté les craintes des honnêtes gens qui
restent fidèles à la République parce qu'ils n'aiment pas à être
dérangés, il se peut que le vent tourne et que les Français sui-
vent l'exemple des Belges.
Le Temps ne le croit pas encore, mais on dirait qu'il le craint :
il écrit, en effet, à propos de l'écrasement des libéraux en Bel-
gique : « Mieux vaut nous livrer au sentiment de tristesse que
ne peut manquer d'inspirer à tous les amis de la liberté un
680 ANNALES CATHOMQIEF
événement aussi déplorable par ses conséquences, et qui sur-
vient si rafil à propos dans une Europe où tant de forces réac-
tionnaires menacent déjà la démocratie et le progrès.
Si le Temps a pensé à la France en écrivant ces condoléances,
il fant s'en réjouir et espérer le salut contre toute espérance.
LES SOCIETES DE SECOURS MUTUELS
Les sociétés de secours mutuels viennent de tenir un congrès
à Marseille. Les questions qui ont occupé un congrès étant à
l'or ira du jour un peu partout, nous ci'oyons devoir eu donner
ici un couit compte-rendu :
La première question qui soit venue en discussion a été celle-
ci : le projet d'e loi su'r la caisse nationale des retraites, voté
par la Chambre' des députés, amendé par le Sénat, où il va
subir proch'ainement une seconde lecture, donne-t-il satisfac-
tion aux desiderata des sociétés de secours mutuels:' La com-
mission qui a étudié ce sujet a répondu négativement et le con-
grès a fiiit de même. Ce que l'on reproche à ce projet de loi,
tel que l'a modifié le' Sénat, c'e>t d'avoir non-seulement réduit,
mais rendu variable la rémunération que payera la caisse des
retraites aux capitaux qni lui seront confiés; c'est, ensuite,
d'avoir supprimé la subvention, égale à l'intérêt de dix millions
de francs, que la Chambre des députés avait maintenue.
Les arguments que l'on a fait valoir pour la fixité des taux
de l'intérêt et dé la capitalisation n'infirment en rien ceux qu'a
donnés M, Léon Say au Sénat pour la faire supprimer; ils n'en
sont pas tnoinâ très forts au point de vue des sociétés de secours
mutuels. Avec la variabilité, a dit M. Vermond, de Rouen, les
sociétés seront dans l'impossibilité de faire leurs calculs pour
fixer la pension qu'elles promettent à leurs membres. On pour-
rait ne rien déterminer comme chiff"re, mais ce serait une cause
de grande faiblesse; étant donné le milieu dans lequel se recru-
tent les sociétés de secours mutuels, l'indication du montant de
la pension est indispensable.
Donc, a affirmé le congrès, les taux de l'intérêt et de la capi-
talisation doivent être fixés; mais quels doivent être ces taux?
Le plus élevés possible : 4 1/2 0/0 pour l'intérêt et 5 0/0 pour
LKS SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS 681
la capitalisation des pensions alimentaires, c'est-à-dire de
360 francs au maximum; au-delà de 4 1/2 0/0 dans les deux
cas. La diflerence entre les taux probables, lors de la mise en
vigueur de la loi, et les taux légaux actuels fera que, pour
100 francs de rente, il faudra avoir versé 2,222 francs au lieu
de 1,096 francs, soit 226 francs de plus. Tous les mémoires
envoyés par les sociétés condamnent énergiquement le projet
de loi et affirment qu'il ne tient pas compte ainsi qu'il le devrait
des efforts accomplis par les sociétés pour développer la pré-
voyance par la mutualité !
C'est le même reproche que l'on formule à propos de la sup-
pression de la subvention aux caisses de retraites des sociétés.
Il fiut, a dit M. Vermond, encourager les gens à faire eux-
mêmes leur situation, et il a cité un mot de M. Tirard, alors
ministre : « Il faut aider ceux qui s'aident eux-mêmes. »
On a bien dit que les raisons qui avaient décidé le Sénat
étaient d'ordre budgétaire, que c'était la nécessité, qui s'impose
à l'heure actuelle, de faire des économies; mais cet argument
n'a pas paru arrêter un seul instant un seul des membres du
congrès. L'un deux a même affirmé que la subvention était un
droit ba?é sur les économies que les sociétés de secours mutuels
font réaliser à l'Assistance publique. Un autre a mis en balance
la pension alimentaire de 360 francs, à réaliser par le concours
de l'État, avec la dépense d'un vieillard dans un hospice,
laquelle est d'environ 600 francs par an.
Les avantages de la subvention sont si évidents que des
orateurs ont été amenés à réclamer qu'elle fût élevée au revenu
annuel de 20 millions ; mais le congrès, par 93 voix contre 84,
a refusé de s'engager sur cette pente ei s'est borné à réclamer
le maintien des 10 millions de capital.
Le congrès s'est séparé, après avoir sabr^la fin de son ordre
du jour. La grosse question du choix à faire entre la caisse de
l'Etat et l'industrie privée a d'ailleurs été escamotée, par suite
du désir de l'assemblée de mettre un terme à des conflits per-
sonnels. C'est dommage, car c'est l'une des questions théoriques
et pratiques les plus importantes du problème de la mutualité.
Oa n'a pu, cependant, se dispenser d'y toucher à diverses
reprises, à propos notamment de la question de savoir si l'on
pourrait améliorer et étendre les services des sociétés de
secours mutuels en augmentant les cotisations. La réponse ne
pouvait pas être douteuse, car ce n'est pas du luxe, tant en
682 ANiN'ALES CATHOLIQUES
secours qu'en soins médicaux et pharmaceutiques, que l'on
assure aux mutualistes français, moyennant leur contribution
de 1 fr. 50 ou de 2 francs par mois. Au nombre des services
nouveaux indiqués a figuré l'assurance eu cas de décès.
Un des devoirs du chef de tamiile, quelle que soit sa condi-
tion, est de se préoccuper de la situation des siens, au cas oii il
viendrait à disparaîire, et de prendi"^ ses précautions pour ne
pas laisser le dénuement après lui. Il a été constaté que 80 pour
cent des familles indigentes de Paris ont été plongées dans cette
situation par le décès du père. Le mémoire des Amis de la mu-
tualité, dont j'ai parlé dans ma première lettre, démontre que
les rentes purement viagères sont une immoralité, qu'elles
entravent la constitution des petits patrimoines et amènent la
destruction de ceux qui existent, par le placement à fonds
perdus; l'assurance mixte pour la vieillesse et en cas de décès
provoque, au contraire, la constitution des petits patri-
moines. L'expérience, d'ailleurs, prouve que c'est le système
préféré. Le père de famille qui s'assure se préoccupe autant du
sort de sa femme et de ses enfants que du sien propre. Il ne
peut, d'autre part, accepter que l'argent versé par lui soit perdu
en cas de mort anticipée. Seulement^ la caisse des retraites
refuse cette combinaison aux sociétés de secours mutuels; et
cela a amené le congrès, bien qu'il fût ëialiste acharné, à
recommander le recours aux compagnies privées pour l'assu-
rance en cas de décès.
A propos de cette question et à propos de la demande d'ins-
titution — par l'Etat, toujours — d'une caisse spéciale des
retraites à l'usage des sociétés de secours mutuels, — caisse,
bien entendu, pourvue d'un taux plus avantageux que la
caisse de tout le monde, quelques protestations libertaires se
sont fait entendre. Le docteur Millioud a déclaré que l'on
devait s'affranchir de la tutelle de l'État; M. Berna a demandé
pourquoi les compagnies françaises ne pourraient pas réussir les
opérations d'assurance qu'opère avec tant de succès la Compa-
gnie la Prudential, d'Angleterre. Un autre orateur est allé
jusqu'à accuser l'État de dilapider les fonds qu'il oblige la pré-
voyance mutuelle de lui confier, et il a cité la caisse des inva-
lides de la marine, que l'État veut bien rendre aux intéressés,
mais vide des millions qu'elle doit contenir. Un autre encore a
ajouté que l'État ne se souciait que fort peu de voir augmenter
le taux des versements, parce que cela pourrait amener les in-
LES SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS 683
téressês à réclamer un droit de contrôle qu'il ne voudrait pas
admettre, parce qu'il est l'Etat.
A serrer la question de prés, on s'aperçoit que ces discussions
fort intéressantes en théorie, n'ont pas un autre caractère. En
effet, la moyenne des pensions auxquelles sont arrivées les
sociétés de secours mutuels est de 70 francs annuels, soit environ
18 centimes, par jour et par pensionnaire. Et c'est la moyenne,
ce qui signifie qu'il y a des pensions inférieures, s'il y en a
de supérieures. Des compagnies d'assurance privées remonte-
raient-elles beaucoup létaux de ces pensions? Ce n'est pas pro-
bable. Il est vrai qu'avec les taux nouveaux, la moyenne quoti-
dienne des retraites va descendre à dix centimes. La perspective
d'avoir deux sous par jour pour se nourrir, se loger, s'habiller
et acheter le tabac si cher aux vieillards n'est pas, il faut en
convenir, bien faite pour encourager la prévoyance par l'inter-
médiaire des sociétés de secours mutuels.
Le congrès s'est prononcé en faveur du maintien des deux
catégories de sociétés déjà reconnues par la loi : les autorisées
et les approuvées, mais en demandant que les droits des pre-
mières fussent considérablement étendus, qu'elles puissent,
notamment, comme les autres, recevoir des dons et legs et
placer leurs fonds de retraite à la caisse de l'Etat. La distinction
ne porterait plus que sur le droit de participer aux subventions.
Cet argument j;>'o domo m'a paru étrange dans une assemblée
oii tout le monde avait à la bouche le mot de fraternité. Et
pourquoi? Pour quatre ou cinq cent mille francs à répartir
entre sept mille sociétés et deux millions de membres! Ajou-
tons que ces subventions sont précaires et qu'en cas de dissolu-
tion de la société, l'Etat exerce une répétition sur tout ce qu'il
a versé, sans se demander si une partie n'a point été employée,
c'est-à-dire dépensée.
En terminant, je relèverai les principaux vœux formulés. On
a demandé que les sociétés ne soient plus confinées sur le terri-
toire d'une commune, et qu'elles puissent s'étendre sur toute la
France; ou, encoi^e, qu'elles puissent s'unir, se fédérer entre
elles, comme le font les friendly societies d'Angleterre.
684 ÂimALES CATHOLIQUES
LE BUT SUPREME DE LA FRANG-MAÇONNERIE
Le prêtre chassé du logis des pauvres qu'on lui interdit
d'assister au nom de la philantropie, le confesseur éloigné du
chevet des malades et des moribonds sous prétexte de liberté,
le curé enfermé dans son église jusqu'au jour oii on viendra
brutalement lui en disputer la possession, le peuple éloigné de
ces mêmes églises à force d'amusements, d'intrigues et de
calomnies, la tâche de la Franc-Maçonnerie n'est pas achevée.
Elle veut extirper du sein des masses chrétiennes jusqu'à la
racine même de la religion, et, pour en venir à bout, elle ne
craint pas de révolutionner et de bouleverser tout l'ordre social.
En octobre 1885, les francs-maçons les plus avancés (32° et
33* degrés) ont été convoqués à Paris pour recevoir la commu-
nication suivante du pouvoir dirigeant delà Franc-Maçonnerie,
rite écossais.
« L'ordre réclame la mise en pratique immédiate du Dr.
M.'. I.'. quand même. »
Tous les assistants ont prêté serment d'obéissance.
Les lettres D M I sont les initiales des mots : Destruction,
Matérialisation, Imposition,
Les trois points .'. qui accompagnent chacune d'elles ont la
signification précise suivante :
DESTRUCTION : du sumaturalisme ; — de l'autoritarisme; —
de l'anti-maçonnisme;
MATÉRIALISATION : dc la conscicHce ; — de l'enseignement;
— de Vétat;
IMPOSITION : à la famille; — à la nation; — à l'humanité.
En conséquence, l'ordre de mise en pratique du D.'. M.'. /.•.
quand même, veut dire :
« Par tous les moyens, quels qu'ils soient, il faut imposer
pratiquement à la Famille d'abord, et à la Nation ensuite,
pour parvenir à l'imposer à V Humanité : la Destruction du
Su7-nat'uralis7ne, c'est-à-dire de toute religion, de VAutorita-
risme, c'est-à-dire de toute autorité, et de V Anti-maçonnisme,
c'est-à-dire de tout ce qui s'oppose au triomphe complet de la
Franc-Maçonnerie, afin de faire régner le Matérialisme dans
les consciences, dans l'enseignement à tous les degrés et dans
l'État.
LE BUT SUPRÊME DE LA FRANC-MAÇONNERIE 685
N'assistons-nous point, depuis longtemps déjà, à la réalisa-
tion de ce plan infernal?
La vie civile des peuples européens était jadis tout entière
imprégnée de l'idée cbrétienne, ,et ce n'était que justice, car
c'était le christianisme qui, par l'influence de ses doctrines, le
zèle de ses apôtres, l'héroïsme de ses vierges et de ses martyrs,
avait transformé le vieux monde païen. C'était lui qui avait
civilisé le barbare et régénéré le citoyen romain des siècles de
décadence. C'était lui qui avait éveillé en leur cœur « toutes
ces voix supérieures de la pudeur, de l'humanité, de l'honneur,
de la conscience, toutes ces pratiques qui composent la civilisa-
tion des âmes, toutes ces forces secrètes qui, d'un troupeau de
brutes, avaient fini par faire une société d'hommes. »
Aussi, le Christ était-il vénéré par tout le monde comme le
Maître et le Seigneur.
Avant de monter sur leur trône, les rois et les empereurs
venaient humblement courber le front devant ses pontifes; les
juges rendaient la justice en son nom, et c'est en l'invoquant
que les guerriers marchaient à la mort ou à la victoire. Dans
les campagnes, l'église paroissiale était le vrai centre de la vie
sociale, et dans les villes, oii cette vie est plus intense, l'in-
fluence des idées chrétiennes était aussi plus apparente. C'était
autour d'une chapelle que se réunissaient les anciennes corpo-
rations, c'était sous la bannière du Saint protecteur que se
rassemblaient leurs membres. C'était enfin sous les auspices
d'un Saint que les habitants de chaque quartier groupaient
leurs maisons et alignaient leurs rues. Sur les places, dans les
carrefours, les croix monumentales étendaient alors leur ombre
■protectrice sur les petits enfants qui aimaient à venir se reposer
à leur pied.
C'est à la destruction de cet élément social chrétien, bien
plus qu'à la réforme des abus de l'ancien régime, que la Franc-
Maçonnerie a travaillé avec tant de succès en 93. Depuis, les
abus ont presque tous reparu sous d'autres noms, mais le chris-
tianisme n'a pas recouvréVians la vie sociale la place qui lui
était due. Il ne reste, pour ainsi dire, parmi nous que des ves-
tiges de son ancienne puissance. Ce sont ces vestiges que la
secte s'applique aujourd'hui à faire disparaître de nos mœurs.
On change le vocable des rues; au nom des saints on substitue
celui de personnages incroyants ou sceptiques, parfois d'une
immoralité notoire. Au souvenir^des saints, c'est-à-dire à celui
686 ANNALES CATHOLIQUES
des véritables héros populaires, de ces hommes dont chaque
acte était, pour les pauvres, un exemple d'abnégation, un
modèle de vertu, un encouragement au bien, on substitue la
mémoire de guerriers, d'écrivains, d'artistes, de gens dont le
moindre tort est de n'avoir aucun rapport avec les conditions
ordinaires de la vie du peuple, et de ne pouvoir lui offrir aucun
modèle ni aucun enseignement.
On s'acharne contre les croix; on les mutile, on les renverse,
on outrage leurs débris. On les chasse des places publiques et
même des cimetières. Tant pis pour les infortunés qui venaient
puiser, dans la contemplation de ce vénéré symbole d'espérance
et de vie future, la force de vivre et d'espérer encore, malgré
la misère noire, la solitude et l'abandon! Qu'mportent à la
Franc-Maçonnerie leurs larmes et leur désespoir!
C'est principalement dans les écoles qu'il faut suivre l'œuvre
de destruction de l'idée chrétienne tentée par la secte. D'abord,
là comme ailleurs, au nom de la liberté, on a commencé par
chasser le prêtre, le religieux, la religieuse, puis on a proscrit
l'enseignement religieux lui-même, ainsi que toute formule de
prières. Dans les campagnes, où les écoles de hameau sont
souvent très loin des églises, oii les parents peu instruits ne
peuvent suppléer aux leçons absentes, c'est fatalement con-
damner les enfants à l'ignorance et à l'irréligion. Dans les
villes, ces mesures négatives, si désastreuses qu'elles soient
pour l'âme des enfants, ont paru insuffisantes. On y a joint
toutes sortes de tracasseries et de mesures prohibitoires. Ici^
par exemple, aux exercices scolaires réguliers on en a ajouté
d'autres, à l'heure même où les enfants devraient remplir leurs
devoirs religieux. On a fixé au dimanche matin les exercices
militaires, les revues, les promenades, et on les termine assez
tard pour que ces malheureux ne puissent assister à la messe.
Cependant, dans les classes, le buste de la République trône
à la place de la croix; le chant de la iVIarseillaise a remplacé
sur les lèvres des petits garçons, même sur celles des petites
filles, les pieux cantiques d'autrefois. Des images ineptes ou
d'un goût douteux ont été substituées à celles de la Vierge et
des Saints. Non seulement tout livre de piété a été banni des
bibliothèques scolaires, mais on a été jusqu'à proscrire tous
ceux qui renfermaient une allusion aux choses religieuses. Les
grammairiens et les pédagogues ont dû refaire leurs manuels
dans le sens ces idées maçonniques, et, dernier outrage au
LE BUT SUPRÊME DE LA FRANC-MAÇONNERIE 687
génie des écrivains qui ont, aux siècles passés, illustré notre
langue, on n'a pas craint de mutiler leurs immortels chefs-
d'œuvre, pour en effacer le nom auguste de Dieu.
Jusqu'à présent, certains manuels civiques se contentent de
prêcher une morale athée et dépourvue de sanction dans la vie
future, mais un jour viendra certainement oii l'on enseignera
ouvertement dans nos écoles l'irréligion et l'athéisme : M. Go-
blet l'a bien fait entendre dans la dernière discussion relative à
la loi sur l'enseignement priaiaire. Là où la Franc-Maçonnerie
se trouve maîtresse d'agir à sa guise, elle l'a déjà entrepris.
C'est ainsi qu'à Genève, par exemple, elle a introduit dans le
programme du cours supérieur des écoles de filles un Cours
d'histoire des Religions dans lequel toutes les religions sont
présentées comme le fruit du développement du « sentiment
religieux et de ses manifestations dans l'humanité. » Tous les
cultes, depuis le Brahmanisme et le Bouddhisme jusqu'au
« Christianisme et ses principales branches, » y sont mis sur
le même pied. Le vide qui se fait chez nous autour des écoles
sans Dieu fait encore hésiter la secte, mais, nous pouvons en
être certains, si rien ne met obstacle à l'exécution des projets
arrêtés au fond des Loges, le cours d'histoire des religions,
confiné jusqu'ici dans les régions de l'enseignement supérieur,
figurera avant peu dans le programme de nos Lycées de filles.
Que seront, se demande, en terminant ces observations,
l'excellente Semaine de Cambrai, que seront ces générations
sans religion et sans croyance au surnaturel, dans lesquelles on
aura tué tout espoir ou toute crainte d'une vie future?
Avec quelle âpre ardeur, avec quelle fureur aveugle ces âmes
dans lesquelles on aura fait le vide, se précipiteront-elles à la
conquête de la fortune et à la recherche du plaisir, désormais
leur seule loi, le seul but de leur existence!
Quels effroyables malheurs ne déchaînera pas sur nos sociétés
modernes l'invasion de pareils monstres, sans conscience, sans
respect de la propriété, ni des personnes, ni de l'honneur?
Nombre de Francs-Maçons, de ceux-là même qui ont le plus
contribué à cette œuvre de perversion, commencent à s'en
effrayer
« Tous ceux des écrivains qui ont embrassé de haut les péri-
péties du duel entre l'esprit moderne et l'orthodoxie romaine,
MM. Renan, Renouvier, de Laveley, Castelar, Mariano, avoue
M. Goblet d'Alviella, ont fait ressortir les inconvénients, voire
50
688 ANNALES CATHOLIQUES
les périls qui accoinpagnent en matière de religion, toute tenta-
tive de détruire sans remplacer. »
« De toute part, écrit de son côté Findel, les nuoges s'accu-
mulent, do tous côtés se manifestent les signes précurseurs de
l'orage. La plus dure épreuve pour une société est l'écroule-
ment des idées religieuses, et, d'après l'histoire de Rome et de
la Grèce, nous pouvons mesurer la grandeur du danger. »
Ce n'est donc pas en aveugle que la Franc-Maconnerie con-
duit vers les abîmes les nations et les peuples. Mais il 3' a dans
ceux qui la dirigent tout l'emportement, toule la folie furieuse
et impitoyable des sectaires. Que leur importe que les âmes se
perdent, que les nations se dissolvent, que les sociétés avilies
croulent dans la boue et dans le sang, pourvu que la secte
triomphe. Là-dessus, Belges, Espagnols, Allemands, Français,
tous sont d'accord; tous déclarent que, dût notre vieux monde
se couvrir de ruines, rien ne saurait les empêcher de travailler
à l'application de leurs doctrines athées et à la réalisation de
leur idéal satanique.
Pour nous, souvenons-nous de la terreur que les progrés de
la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus ont toujours inspirée à la
secte niaçonnique ; et, pendant la fin de ce mois de juin, redou-
blons nos hommages et nos supplications à co Cœur adorable,
refuge et salut de la société chrétienne contre la Révolution.
MGR DE SEGUR ET L'EUCHARISTIE (1).
Le 13 juin 1853, un suppliant^était agenouillé aux pieds d.u
saint pape Pie IX. Il était sous le coup, je n'ose pas dire d'une
profonde tristesse, mais certainement d'une grau.de épreuve,
et il demandait une consolation au cœur si bon du Souveiain-
Pontife, dont il connaissait déjà d'ailleurs la paternelle ten-
dresse à son égard. Le Pape hésita un instant; il allait répondre
par un refus, quand, vaincu par l'expression douloureuse em-
preinte sur le visage du solliciteur, il lui dit, en lui prenant la
(1) Extraits d'un travail présenté au congrès eucharistique de
Fribourg, en 1885, par le R. P. Henri, dominicain, disciple de
Mgr de Ségur. On sait que Mgr de Ségur est le fondateur des Con-
grès eucharistiques.
MQPv DE SÉOUIl ET l'eUCHARISTIE 689
tête entre ses deux mains : « A un autre, je dirais : non; raais
à vous, jo dis ; oui, parce que je vous aime! » Ce solliciteur,
quel était-il donc? Quelle était son épreuve? et que demaudait-
il au vicaire de Jésus-Christ?
C'était un jeune prélat français, de noble race, ami des
pauvres et des petits. Déjà {gravement atteint dans sa vue, il
était menacé de cécité complète à courte échéance; il implorait
la faveur de conserver, dans sa chapelle piivée, le 'Jrés Saint-
Sacrement. Son nom, il est à peine nécessaire de le d.'re, c'était
Louis-Gaston de Ségur.
Il mérite une place d'honneur parmi ces « hommes qui, dans
notre siècle surtout, se sont rendus célèbres par leur dévotion
envers la sainte Eucharistie, » et dont le programme de vos
travaux nous invitait à dire les œuvres et l'influence.
Quand il disait, en parlant de sa maison : « Le vrai Maître
ici, c'est le Très Saint-Sacrement, » il livrait le secret de sa
vie. Mais, que dis-je, le secret? Ce n'était un secret pour per-
sonne; quiconque l'approchait un instant, ne pouvait pas ne
pas respirer le parfum du tabernacle. L'un de ses collaborateurs
des premiers jours disait de lui : « On eut dit que ses lèvres
distillaient sans cesse « le sang eucharistique du matin. »
Entrons dans cette chapelle, véritable salle du Irône ou le
Roi Jésus donnait ses audiences, oii son Cœur a distribué des
grâces si nombreuses; jetons un regard sur ce U^ône que l'amour
du saint prêtre avait élevé à son Dieu.
L'heure est matinale, et déjà nous trouvons le courtisan
fidèle à la porte de son Maître, de son ami, de son Dieu. Et
encore, n'est-ce pas sa première visite! Pendant les heures de
la nuit, au souvenir d'un horrible sacrilège dont il reçut la
triste confidence et dont il se fit, pendant plus de quinze années,
le réparateur, il a quitté sa dure couchette, et vous l'eussiez vu,
revêtu de la coule blanche du Trappiste, traverser, guidé par
son cœur et attiré par son amour, la distance qui séparait sa
chambre à coucher de la chapelle, et venir dire à son Dieu :
Paie)', dimitie illis : non enim sciunl quid faciunt (Luc, xxiu) !
Cette adoration réparatrice se prolongeait ordinairement pen-
dant deux heures, le plus souvent de trois heures à cinq heures
du matin. Pour ne livrer à personne le secret de ses veilles,
à cinq heures moins cinq minutes, il revenait, transi de froid,
à son pauvre lit, ne se doutant pas d'ailleurs qu'on l'avait pieu-
sement épié, et que le simple déplacement de sa chaussure le
690 ANNALES CATHOLIQUES
trahissait aux regards vigilants de son fidèle domestique. Seuls,
les anges du tabernacle savent le nombre précis des heures
qu'il passa ainsi en leur compagnie, les provoquant à aimer
plus que lui le Dieu qu'ils contemplent dans le ciel.
Mais, le matin est venu et, de nouveau, il est là. Trois
lampes, de grande valeur, éclairent la chapelle, symbole de
sa foi, de sa prière, de son amour; mais la vraie lampe, qui
éclaire et qui réchaufie : lucerna ardens et lucens (Joan., v, 35),
c'est lui. Voyez-le, revêtu de son surplis, autant par respect
pour Notre-Seigneur, qu'afin d'être sans retard à la disposition
de ceux qui vont venir lui demander la grâce de l'absolution,
à genoux, les mains jointes, les yeux ouverts, fixés sur le
tabernacle, comme pour en contempler le divin Prisonnier,
il se prépare, immobile^ à la célébration de la sainte messe.
Oh! la messe de Mgr de Ségur! Quel édifiant spectacle, quels
moments délicieux! Quelle prédication! Quelle prière! Sans
doute, son infirmité lui imposait une mesure de mouvements
qui lui faisait dépasser la limite ordinaire du temps du saint
Sacrifice ; mais nul ne songeait à s'en plaindre : la gravité de sa
parole, le ton pénétré de sa voix, la majesté de sa personne, tout,
en lui, montrait son union intime avec Notre-Seigneur, dans ce
moment où il agissait, plus que jamais, en son nom. C'était
d'ailleurs, une des industries de sa piété, dans la préparation
à la messe, de s'unir à Notre-Seigneur, à ses intentions, à ses
désirs, à son amour pour son Père; et je me rappelle — per-
mettez-moi ce souvenir — que, quand je vins pour la première
fois célébrer la sainte messe dans sa chapelle, il me dit en me
bénissant et en m'embrassant : « Tu vas dire la sainte messe,
mon enfant: dis-la bien avec Notre-Seigneur, c'est le moyen
de la bien dire. »
Les convenances extérieures du saint Sacrifice le préoccu-
paient également : la cire la plus pure, des meubles d'un goût
parfait, des ornements d'or, de soie ou de velours, préparés,
ainsi que les pains du sacrifice, par les mains des épouses de
Notre-Seigneur, des vases sacrés de grand prix, des calices
qu'il avait obtenu de faire consacrer par Pie IX lui-même...
C'était sa joie de mettre toutes ses richesses au service de Celui
qui daignait résider dans le tabernacle.
Le tabernacle! Sur la porte dorée, on lisait ces mots, en
émail d'azur : Hic adest! Il est là! Au-dessous, sur le seuil :
Vita! cœlum! amor ! La vie, le ciel, l'amour! Et puis, au-
MGR DE SKGUR ET l'eUCHARISTIE 691
dessus de la porte elle-même, la parole du Pape lui accordant
la permission de conserver chez lui la sainte Eucliaristie : ad
consolalionem î « pour votre consolation. »
Avec quel accent de reconnaissance joyeuse et respectueuse
à la fois, il expliquait à ceux auxquels il faisait, malgré sa
cécité, les honneurs de sa chapelle, ce mot ad consolaiionem!
Avec quelle confiance surtout, il allait chercher auprès de son
Dieu, non seulement un dédommagement à la perte de ses
jeux, « que la bonne sainte Vierge avait envoyés l'un après
l'autre en purgatoire », comme il le disait, mais la vraie conso-
lation de son âme dans les peines nombreuses et amères qu'il
plut au Seigneur de lui envoyer.
Un jour, au mois de décembre 18G4, par une permission de
Dieu et à la suite de circonstances suffisamment connues, que
nous n'avons pas à rappeler ici, le ministère sacerdotal de
Mgr de Ségur se trouva brusquement interrompu; nulle épreuve
ne pouvait être plus sensible au cœur du zélé prélat : ses péni-
tents! ses chers enfants! Or, le soir de ce jour, Monseigneur fit
semblant de se coucher : mais un moment après, quand il put
supposer que les serviteurs étaient eux-mêmes allés prendre
leur repos, il revint devant le Très Saint-Sacrement et y passa
toute la nuit en prières. Le matin venu, il se laissa conduire
dans sa chambre, et, en traversant le salon, il disait : « Comme
Notre-Seigneur sait bien nous consoler! Voyez-vous_, mon cher
Méthol, ces petits chagrins et ces petites inquiétudes nous font
entrer dans le cœur même de Notre-Seigneur. N'en sortons
jamais! » J'avais envie de pleurer, ajoute le fidèle serviteur,
et Monseigneur remerciait Dieu de la grâce qu'il lui avait
faite, pour l'attacher plus intimement à lui.
Du reste, on l'avait remarqué, quand Mgr de Ségur sortait
de la chapelle, il y avait toujours sur ses lèvres un sourire et
sur tout son visage comme un rayonnement de bonheur.
Je ne parle pas des statues et des reliques des saints, des
tableaux, des ex-voto, qui ornaient la chapelle : « Faisons
pour le mieux, disait un jour Monseigneur à son domestique,
en lui recommandant le soin de la chapelle; si nous logeons bien
Notre-Seigneur chez nous, il y a des chances pour qu'à son
tour il nous loge bien chez lui, là haut, dans son paradis. »
Oui, Notre-Seigneur était bien logé dans cette chapelle ;
mais il était encore mieux dans le cœur du saint prêtre, dans
ce cœur si jaloux de Thonneur de son Dieu, que, pendant do
692 ANNALES CATHOLIQUES
longues années, il ne monta jamais à l'autel sans avoir reçu la
grâce préparatoire fie l'absolution ; dans ce cœur si désireux de
s'unir à lui que, privé parfois du bonheur do célébrer, une
iaipossibilité pouvait seule le faire renoncer à recevoir au moins
la sainte communion ; dans ce cœur enfin si heureux de posséder
son trésor, que s'il trouvait près de lui, en ce moment, une
âme qui fît écho à la sienne, il ne savait s'empêcher de dire
avec une profonde émotion, en mettant la main sur sa poitrine :
« Que Noire-Seigneur est bon ! 11 est là! »
Une fois, une seule fois, paraît-il, pendant les longues
années de sa cécité, Mgr de Ségur exprima un petit regret de-
là perte de sa vue ; voici en quelles circonstances :
« Un matin, nous a raconté sou fidèle valet de chambre, je
revenais de l'Adoration nocturne, et j'exprimais à Monseigneur
combien j'avais été édifié par quelques ouvriers alsaciens, qui,
ne sachant pas lire le laiin et ne pouvant prendre part à la
récitation de l'office, étaient demeurés à genoux, la nuit entière»
devant le Très Saint-Sacrement, le chapelet à la main. « Si je
« voyais, me dit Monseigneur, je vous accompagnerais bien
« volontiers. » Et aussitôt, et comme regrettant cette parole :
« A quoi bon V ajonta-t-il ; est-ce que je ne puis pas y aller
« toute la nuit, si je veux, dans ma chapelle? »
Or, nous savons s'il se privait de ce bonkeur!...
Voici la nomenclature des opuscules de Mgr de Ségur ayant
trait directement à la sainte Eucharistie, avec le nombre des
éditions qu'ils ont eues et celui des exemplaires imprimés. Ces
chiffres s'arrêtent au 1" mai 1885,
1858. Le Prie-Dieu, 14 éditions à 1,050, 23,100. — 1860.
La très sainte Communion, 120 éditions à 3,300, 306,000. —
1861. Les Pâques, 151 éditions à 3,300, 498,300. — 1865. La
Pre'scnce réelle, 18 éditions, à 3,300, 59,400. — 1866. Aux en-
fants, conseils pratiques sur la communion, 45 éditions à
3,300, 14<,500. — 1869. Les saints Mystères, 7 éditions à
1,650, 11,550. — 1809. La sainte Messe, 14 éditions à 3,300,
46,200. — 1873. ia France au pied du Sacr(f-Cceur, 34 édi-
tions à 3,300, 112,200. — 1874. La Lrance au j)ied du Très
Saint-Sacrement, 13 éditions à 3,300, 42,900. — 1877. Tous
les huit Jours, 27 éditions à 3,300, 89,100. — 1877. Veniez tous
à moi, 33 éditions à 3,300, 75,900.
Total : 1,503,150.
I.E CONGRE-^ DE TOULOUSE 693
Il faillirait ajouter à ce chiU're les traductions de la plupart
de ces ti ailés en presque toutes les langues.
Monseigneur de Sêgur a été et restera l'apôtre de la sainte
Eucharistie au dix-neuvième siècle.
Quelques lignes de son testament diront l'objet de ses der-
nières préoccupations et les aspirations suprêmes de son cœur :
« Je meurs comme j'ai vécu... dans l'amour du Très Saint-
« Sacrement do l'autel... Je désire être enseveli... en aube et
« en chasuble blanche, en signe de mon amour ardent envers
« la sainte Eucharistie et la bienheureuse Vierge.
« Mon cœur sera embaumé, puis porté et déposé devant le
« Très Saint-Sacrement, au monastère de la Visitation, où ma
« sœur Sabine a eu le bonheur de vivre et de mourir, et où
« repose déjà le cœur de ma mère. Je demande à nos bennes et
« chères Sœurs de la Visitation que mou pauvre cœur soit
« déposé au milieu d'elles, pour y faire l'adoration perpétuelle
« devant le Très Saint-Sacrement, et participer à toutes les
« prières et communions de la communauté. Sur la boîte de
« plomb qui renfermera mon cœur, on gravera ces mots :
« Jésus, mon Dieu, je vous aime et je vous adore de tout mon
« cœur au Très Saint-Sacrement de l'autel. »
LE CONGRES DE TOULOUSE
M. Goblet a longtemps persisté à vouloir interdire le Congrès
eucharistique de Toulouse. S. Em. le cardinal Desprez lui avait
péremptoirement prouvé, dans la lettre publiée par nous le
IG juin, que sa prétention d'assimiler le Congrès projeté à ua
concile ou à un sj'node ne supportait pas l'examen. Mais la presse
radicale le sommait de ne pas céder. Si la démonstration de
Mgr l'archevêque de Toulouse était topique, les injonctions des
radicaux étaient formelles. En de telles conditions, nous eus-
sions été surpris que M. Goblet hésitât à maintenir une prohibi-
tion dont l'absurdité et l'injustice avaient été si clairement
établies.
M. Goblet n'a pas trompé notre attente, ni démenti l'opinion
que nous avions de son caractère, bien inutilement d'ailleurs.
Voici la lettre nouvelle qu'il vient d'adresser à S. Em. le car-
dinal archevêque de Toulouse :
Paris, 17 juiu 1886.
Monsieur l'archevêque,
Les explications contenues dans votre lettre du 12 iuin courant ne
694 ANNALES CATHOLIQUES
sont pas parvenues à me faire revenir sur l'opinion que j'avais eu
l'honneur de vous faire connaître par ma lettre du 9 de ce mois,
touchant l'illégalité du concile de Toulouse. Il est vrai que le
congrès dit eucharistique, auquel s'appliquent divers documents qui
ont été livrés à la publicité, peut ressembler sous quelques rapports
aux congrès précédemment tenus à Avignon et à Lille. Je ne puis
me dispenser de regretter, pour ma part, que des évoques en aussi
grand nombre croient pouvoir quitter leur diocèse et se réunir, en vue
de manifestations de ce genre, sans remplir les formalités prévues par
l'article 20 de la loi du 18 germinal an X. Je reconnais cependant
qu'à cet égard, il s'est établi, dans ces dernières années, une certaine
tolérance, et si le congrès que vous avez convoqué à Toulouse
n'avait pas dû avoir un autre caractère que les précédents, je ne
serais pas intervenu pour y faire obstacle.
Mais il résulte de documents non publiés, et que j'ai sous les
yeux, qu'à côté et au moyen de ce congrès dit eucharistique, voua
avez organisé une assemblée purement ecclésiastique, où les laïques
ne doivent pas être admis et à laquelle vous-même avez donné,
à maintes reprises, exclusivement le nom de concile. Je lis en effet
dans l'une de ces pièces :
ARCHEVÊCHÉ
DE TOULOUSE
« Monsieur le curé,
« Horaire du concile de Toulouse.
« Dimanche 20 juin, à huit heures du soir. — Chant du Yent
« Creator; allocution par un des évoques présents au concile...
« Lundi 21 juin, à onze heures. — Réunion sacerdotale. Le pro-
« gramme de ces réunions sera envoyé à tous les ecclésiastiques qui
« feront connaître leur intention d'assister au concile...
« A trois heures et demie. — Réunion du bureau général du
Concile... »
Un autre document débute ainsi :
ARCHEVÊCHÉ
DE TOULOUSE
« Monsieur le curé,
« Son Eminence me prie de vous faire connaître le canevas des
« divers sujets traités entre les cvcqiies et le clergé lors du concile
« qui doit se tenir à Toulouse du 20 au 25 juin de la présente année,
« et vous prie avec instances de préparer les diverses objections qui
« vous sembleront discutables à l'effet de montrer aux prélats qui
LE CONGRÈS DE TOULORSE C95
« le présideront que les prêtres de la Haute-Garonne sont intelli-
« gents et solides. Nul civil ne sera introduit dans ces réunions
« privées... \° 2° 3° 4° Catéchismes. Écoles de catéchisme pour les
« enfants qui fréquentent l'école laïque.
« 18° Relations à établir entre les associations de France et œuvres
« catholiques... »
Il résulte de ces pièces adressées par vous au clergé que ces
assemblées sacerdotales, ainsi que vous les appelez vous-mêmes,
doivent être secrètes et que le programme n'en sera communiqué
qu'aux seuls ecclésiastiques qui auront adhéré.
Vous ne pouvez contester, monsieur l'archevêque, que de sem-
blables réunions tombent expressément sous le coup de la dispo-
sition de l'article 4 de la loi du 18 germinal an X, qui interdit toute
assemblée délibérante ecclésiastique sans l'autorisation préalable du
gouvernement.
Je ne puis donc que persister à cet égard dans les observations
que je vous ai faites et vous répéter que, s'il était passé outre, ce
serait sous votre responsabilité.
La lettre que je vous avais adressée le 9 juin et la circulaire con-
fidentielle aux évêques ayant été livrées à la publicité, je publie
également cette réponse.
Agréez, monsieur l'archevêque, l'assurance de ma haute considé-
ration.
Le ministre de l'instruction publique, des
beaux-arts et des cultes,
René Goblet.
La lecture de cette lettre nous a plongé dans un étonnement
que l'on s'expliquera lorsque nous aurons dit que nous avons
nous-même sous les yeux VHoraire du Congrès de Toulouse
et que nous n'y voyons pas ce mot de « concile » dont M. le
ministre se prévaut. Nous y lisons :
Horaire du congres de Toulouse.
Dimanche 20 juin, à huit heures du soir. — Chant du Yeni Creator;
allocution par un des évêques présents au congrès...
Lundi 21 juin, à onze heures. — Réunion sacerdotale. Le pro-
gramme de ces réunions sera envoyé â tous les ecclésiastiques qui
feront connaître leur intention d'assister au congrès...
A trois heures et demie. — Réunion de bureau général du congrès.
Serait-ce donc que, dans quelques-unes des pièces expédiées
de l'archevêché de Toulouse, un copiste inattentif aurait écrit
ou fait imprimer le mot « concile » au lieu du mot « congrès »?
Ou bien M. Goblet serait-il victime d'une mystification? OU
6S6 ANNAL!iS CATHOLIQUES
bien serait-ce...? L'affnire devient si... extraordinaire que ton.'?
les soupçons sont permis.
Voici, en effet, la réponse que S. Em. le cardinal Desprez a
adressée à M. le ministre des cultes :
Toulouse, le 18 juin 188G.
Monsieur le Ministre,
L'exemplaire du fac-similé que vous avez bien voulu me commu-
niquer est êoidemment l'œuvre d'un faussaire, qui a cherché à vous
rendre victime d'une mystif cation. Le seul horaire vrai est celui que
j'ai en l'honneur de vous adresser avec ma lettre du 10 juin. Vous
ne serez donc pas surpris si nous nous y conformons, sous mon
entière responsabilité.
Veuillez agréer, monsieur le ministre, l'assurance de ma haute
considération.
•j- Florian, cardinal Desprez,
Archevêque de Toulouse.
En conséquence, le Congrès s'est ouvert comme il avait été
indiqué et nous en rendrons compte.
ASSEMBLEE GENERALE DES CATHOLIQUES
(Suite et fin. — V. les numéi-os précédents.)
Séance du 28 ynai.
L'art, la science, l'économie sociale^ les intérêts religieux
entêté l'objet, dans cette séance, des rapports et des discours
qui ont successivement fixé l'attention et provoqué les applau-
dissements des auditeurs.
L'art, l'art chrétien, a trouvé dans le R. P. Clair un défen-
seur, ou, pour mieux dire, un apôtre éloquent. Il réclame qu'un
combat soit livré ; il montre une victoire à remporter et pour
empêcher un graaJ mal : la perversion des âmes par l'art
corrompu et corrupteur, et pour procurer un grand bien : la
glorification de la vérité et de la vertu par l'âge régénéré et
redeveau ce qu'il était aux âges de foi, profondément chrétien.
La Sociëië de Saint-Jean, présidée avec tant de distinction
par M. le baron d'Avril, livre ce combat et poursuit cette
victoire.
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQUES 697
M. DE VoRGES a entretenu l'Assemblée, avec la compé(ence
qu'on lui connaît, du futur congrès des savants catholiques.
L'idée de ce congrès est née dans la réunion des catholiques de
Normandie, au mois de décembre dernier. Une commission,
composée primitivement de 25 membres et qui en compte
maintenant 52, tant de France que de l'étranger, en prépare la
réalisation. De cette asseri:blée où des savants catholiques de
tous les pajs se réuniront pour présenter leurs travaux, pour
causer entre eux de l'objet de leurs études, pour se communi-
quer leurs idées et leurs découvertes, la science aura certaine-
ment à se féliciter et la foi à se réjouir.
Sur la redoutable et difficile question ouvrière, on a entendu
M. Thellier DE PoNCHEViLLE. Le Vaillant député du Nord est un
catholique, un ami de l'ouvrier et un orateur. Il l'a bien prouvé.
Dans son magnifique discours, il a fait sommairement justice
de toutes les théories socialistes, depuis celles qui ont une
apparence plausible jusqu'aux plus insensées. Il a dit ensuite,
d'une façon générale, le devoir et la volonté des catholiques à
l'égard de l'ouvrier, et d'une façon particulière, ce que des
catholiques éminents cherchent à obtenir, sur le terrain de la
législation, pour remédier aux accidents du travail.
Après avoir félicité M. Thellier de Poneheville, M. Chesne-
LONG a ajouté : Si, eu cette grande (j[uestion ouvrière, il existe
des points de détail sur lesquels les catholiques peuvent discu-
ter, il y a des points capitaux sur lesquels nous sommes tous
d'accord. Nous voulons tous la liberté véritable d'association,
et non la prétendue liberté d'association, menteuse et hostile,
<iue préparent nos législateurs du jour. Nous voulons tous
l'amélioration du sort de l'ouvrier par l'exercice de la vertu de
charité, accompli comme un devoir de conscience et non pas
imposé et réglé à titre de justice, de la façon que l'entend le
socialisme. Tous enfin nous refusons, en tout et pour tout, de
subir la tyrannie du dieu-Etat.
Parmi les récents attentats de ce triste dieu, la nouvelle loi
scolaire doit être, certes, placée en bon rang. On sait qu'un
pétitionnement contre cette loi néfaste est organisé dans la
France entière. M. le baron de Ravignan a dit à l'Assemblée
les résultats déjà obtenus et ceux qu'il faut poursuivre encore.
Si la parole de l'éloquent sénateur et l'appel enflammé que
M. Chesnelong a fait entendre ensuite avaient pu retentir sur
tous les poiuts de la France, le succès du pétitionnement suffi-
698 ANNALES CATHOLIQUES
rait, sans nul doute, non pas pour convertir les oppresseurs,
mais pour les instruire de leur défaite certaine et prochaine.
L'Œuvre des écoles d'Orient a trouvé, dans le R. P. Char-
METANT, un avocat des plus autorisés et qui a été des plus
applaudis. Eu Orient, pour la conversion des chrétiens schis-
matiques ou hérétiques, c'est moins l'œuvre du missionnaire
que celle de l'instituteur catholique qu'il faut. Les dons pour
les écoles d'Orient servent au rachat des âmes avec une effi-
cacité analogue à celle des dons pour la propagation de la foi
dans les pays sauvages.
Séance du 29 mai.
Le R. P. Regnault vient prêcher la résistance à la Franc-
Maçonnerie et insiste sur le caractère impie et sur l'influence
désastreuse de la secte. Sur ces deux points, la lumière a été
faite avec un éclat souverain par le suprême Docteur. Il se
propose en outre de recommander l'union des catholiques
contre l'union de leurs ennemis, et de prêcher une incessante
action contre leurs attaques incessantes. Il l'a fait dans un bref
et vigoureux rapport, résumant ou indiquant les dispositions
très pratiques marquées dans le Manuel de la ligue antima-
çonnique, petit livre dont le R. P. Regnault souhaite vivement
la propagation.
Avec le rapport de M. David de Pénanrun, il était encore
question de maçons, mais de ceux pour lesquels il faut placer
l'épithéte de « franc » après et non pas avant. M. de Pénanrun
est du nombre de ces quelques architectes parisiens qui ont pris
l'initiative d'une « Association pour le repos du dimanche dans
l'industrie du bâtiment. « De cette Société sont appelés à faire
partie, avec les architectes, les propriétaires, ainsi que les
entrepreneurs et les maîtres ouvriers en toutes les industries
qui se rattachent à la bâtisse. La Société est fondée; ses cadres
sont formés; elle a tenu déjà plusieurs réunions. Ainsi que l'a
dit M. Chesnelong, c'est un grand fait que l'apparition de cette
œuvre dans une ville comme Paris. Le jour où le respect reli-
gieux du dimanche serait pratiqué par la majorité des ouvriers,
la question ouvrière serait plus qu'à moitié dégagée de ses
difficultés et de ses périls.
Hélas! ceux qui dirigeront en ce sens la solution des ques-
tions sociales n'habitent pas présentement les palais gouverne-
mentaux. On aurait pu l'apprendre, si on ne le savait déjà de
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQUES 699
tant de façons, en écoutant l'énergique et éloquent rapport de
M. Paul Lauras sur « quelques faits récents de persécution
religieuse ». M. Lauras a montré, sous la forme la plus saisis-
sante, l'illégalité, l'iniquité et l'atrocité des faits dont l'autorité
républicaine s'est rendue coupable à Châteauvillain, et autour
de ce tableau il a mis en relief nombre d'autres attentats commis
par la même autorité en haine de la religion. L'Assemblée a
témoigné à M. Lauras par des applaudissements répétés combien
elle s'associait à ses justes indignations.
Un des attentats de la République, qui demandait, pour être
bien caractérisé et bien expliqué, un jurisconsulte éminent, dont
la parole eût le don d'éclairer les questions techniques les plus
compliquées, c'est le nouvel impôt qui frappe les congrégations
religieuses. M. Delamarre est venu traiter ce sujet. Le savant
et lucide rapporteur n'a parlé que quelques minutes; mais ce
temps lui a suffi et les auditeurs ont pu comme toucher du
doigt le mécanisme de cet ingénieux appareil fiscal, au moyen
duquel on fait payer un droit aux congrégations pour l'exis-
tence de revenus qui n'existent pas et pour l'accroissement de
capitaux qui ne s'accroissent pas.
Mais le vrai procès, le procès décisif, parce qu'il était com-
plet, a été fait aux hommes et aux choses qui perdent la France
par M. Keller. Les applaudissements de l'Assemblée ont salué
l'illustre orateur dés qu'il s'est levé pour prendre la parole.
Les applaudissements ont souligné encore chaque passage de ce
discours, chef-d'œuvre de haute et pénétrante éloquence, que
nous ne résumons pas parce qu'on le lira prochainement dans
son entier.
M. Chesnelong, dans son allocution de clôture, a relevé le
drapeau de l'espérance :
La Pologne disait, aux jours de désastres : « La France est
bien loin, et Dieu est bien haut. » La France n'est pas loin de
nous, catholiques, car nous sommes la France. Mais si l'on
veut parler de cette France qui donne à nos oppresseurs leur
pouvoir d'un jour, elle n'est pas loin de nous, non plus. Les
conducteurs qu'elle s'est infligés la mènent aux malheurs et
aux catastrophes. Or, aux jours de malheur, vers qui se
tourne-t-elle, à qui s'adresse-t-elle, sinon aux vrais conserva-
teurs, aux catholiques, chez qui elle sait bien qu'elle trouvera,
avec les principes sauveurs, la droiture de volonté et le
700 ANNALES CATHOLIQUES
dévouement? Les élections de 1849, celles de 1870 sont là pour
l'attester, et nous pouvons y joindre celles d'octobre 1885.
Dieu est bien haut, sans doute, mais les hauteurs sublimes
qu'il habite sont d'un accès facile pour la prière. D'ailleurs, s'il
habite très haut, il réside aussi tout près de nous. Demain,
à neuf heures, nous serons réunis dans le sanctuaire du Sacré-
Cœur, à Montmartre; à deux heures, nous nous réunirons
encore dans l'église de Notre-Dame des Victoires. Ici et là.
Dieu sera, de sa présence réelle, au milieu de nous. Avec Dieu
et pour la France ! Que ce soit non seulement le cri de rallie-
ment, mais le cri de la confiance et de l'espoir.
Mgr Bélouino a terminé la séance en adressant, en termes
heureux, des félicitations aux membres du congrès. Le vénéré
prélat y a joint quelques utiles enseignements tout empreints
de l'autorité et de l'onction évangéliques.
Voici le texte de l'Adresse envoyée au Souverain Pontife par
l'assemblée des catholiques :
Très Saint-Père,
Les membres de la quinzième Assemblée des catholiques de France,
prosternés aux pieds de Votre Sainteté, lui offrent l'hommage de
leur vénération la 2')lus profonde et d'un amour qui ne sortira jamais
de leurs cœurs.
Vous tenez auprès de nous. Très Saint-Père, la place de Jésus-
Christ, notre Dieu et notre Roi ; nous resterons toujours attachés
du fond de l'âme à votre personne sacrée, et vos enseignements
infailUbles nous trouverunt toujours soumis.
Nous nous inspirerons, dans notre conduite, des oracles que vous
avez fait successivemeut entendre au monde catholique. Nous nous
appliquerons, en particulier, à développer en nous et à répandre
l'esprit d'obéissance envers le Saint-Siège et l'iipiseopat, l'esprit
d'union fraternelle, l'esprit de prière et de pénitence, la dévotion à
la sainte Vierge, au Saint-Sacrement, et au Sacré-Cœur. Nous nous
efforcerons de préserver par tous les moyens possibles, et spéciale-
ment par ceux que Votre Sainteté a indiqués, la foi des jeunes
générations, mise en péril dans les écoles sans Dieu ; à sauvegarder
celle des adultes, aussi mise en danger par un grand nombre de
causes et principalement par une presse impie et Hcencieuse. Nous
ne négligerons pas de combattre la Franc-Maçonnerie et les autres
associations antichrétiennes réprouvées par Votre Sainteté.
Nous faisons particulièrement profession, Très Saint -Père,
T.ES CHAMBRES îOl
d'adhérer de tout notre cœur, sans restriction aucune, d Votre
Encyclique sur la con,titution chrétienne des Etats.
Nous faisons nôtres toutes les doctrines qu'Elle proclame.
Nous nous conformerons aux désirs et aux conseils qu'Elle
formule.
Nous déclarons que nous voulons être hautement catholiques, en
tout, partout et toujours.
Qunnd nous pensons qu'an milieu de sollicitudes de toutes sortes,
malgré tant de fatigues inséparables du suprême Pontificat, Votre
Sainteté ne cesse de multiplier ses lumineux enseignements pour
éclairer nos pas, une si paternelle bonté nous laisse péuétrés de
reconnaissance.
Dans ces sentiments, nous sollicitons humblement, Très Saint
Père, votre bénédiction apostolique.
LES CHAMBRES
@énut.
Jeudi VI juin. — L'ordre du jour appelle la suite de la discussion
du projet sur les sociétés de secours mutuels.
Samedi 19 juin. — M. Béhenger dépose son rapport sur le
projet d'expulsion des princes.
Sur la demande du Sénat, il en donne lecture.
Jusqu'ici les propositions réclamant l'expulsion des princes avaient
été repoussées, la dernière il n'y a pas trois mois, sur la demande
même du gouvernement. Faut-il la voter aujourd'hui après la
Chambre ?
Votre commission a examiné la question. Elle a entendu le gou-
vernement qui lui a dit qu'il fallait adopter le projet de la Chambre
« pour faire l'union du parti républicain ». La majorité de votre
coai mission n'a pas cru qu'elle pouvait sacrifier les principes qui
intéressent le droit public, la liberté et la civilisation. Nous avons
pensé que nous ne pouvions pas appliquer une peine — car le ban-
nissement est une peine — que peut seul prononcer le pouvoir judi-
ciaire, lequel ne statue qu'après que les accusés ont été entendus et
que la liberté de la défense a été complète.
On a invoqué le caractère particulier de la personne des princes ;
la commission ne comprend pas, que cent ans après la révolution,
il y ait des citoyens en dehors du droit commun, sui'tout sous un
gouvernement comme la république, qui inscrit dans sa formule ce
mot : égalité.
702 ANNALES CATHOLIQUES
On a invoqué aussi en faveur de l'expulsion les précédents histo-
riques ; mais, ainsi comprise, l'histoire pourrait justifier tous les
excès, tous les crimes. Il ne faut pas examiner si les gouvernements
précédents ont fait ce qu'on vous propose de faire, mais s'ils avaient
le droit de le faire et s'il est juste de suivre leur exemple.
Dans le cas présent, le gouvernement n'a pas allégué de dangers :
il a invoqué l'organisation du parti orléaniste se ramifiant on pro-
vince par des comités, par une propagande active, des distributions
de brochures, de portraits, etc. La réception de l'hôtel Galliera et
surtout les invitations adressées au corps diplomatique lui ont paru,
a-t-il dit, combler la mesure.
Or, la commission a dû constater que les citoyens ont toujours le
droit de faire triompher par les moyens légaux leur opinion ; les
actes reprochés aux princes ne sont pas illicites : pourquoi, dès lors,
vouloir les frapper ? La commission a d'ailleurs pensé qu'on avait
exagéré la gravité de ces actes ; le gouvernement ne s'en est pas
ému, du reste, tout d'abord, puisqu'il chargeait notre ambassadeur â
Lisbonne de féliciter le roi de Portugal de ce mariage dont les inci-
dents sont aujourd'hui le prétexte de ce projet d'expulsion.
Le gouvernement craint qu'on n'élève gouvernement contre gou-
vernement, mais n'est-ce pas là ce qu'il tolère à l'autre extrémité de
l'opinion, et la faiblesse, les complaisances qu'il a pour certains
partis extrêmes ne sont-elles pas plus dangereuses que la présence
des princes sur le territoire français?
Le gouvernement condamne lui-même son projet d'expulsion des
princes en disant qu'il n'y a pas de danger immédiat. Ajoutons qu'il
n'est pas certain que le bannissement produise les effets qu'on en
attend, car un illustre exilé datait ses manifestes du dehors.
La commission du Sénat repousse donc le projet d'expulsion des
princes voté par la Chambre parce qu'elle considère qu'il aurait
des conséquences graves au point de vue de la tranquillité intérieure
et de nos relations extérieures, parce que ce projet constitue pour
ceux qu'il frappe une condamnation sans les garanties judiciaires,
sans les droits de la défense, c'est-à-dire une condamnation pro-
noncée arbitrairement par le pouvoir législatif.
Lundi 21 juin. — L'ordre du jour appelle la discussion du projet
de loi relatif aux membres des familles ayant régné sur la France.
M. JouRNAULT a le premier la parole ; il va parler sans colère et
sans défaillance, suivant le mot du président du conseil.
Le gouvernement nous demande, dit l'orateur, de prendre des
mesures contre les membres des familles qui ont régné sur la France;
le gouvernement, en agissant ainsi, est dans son droit.
Ce droit n'a été contesté par personne. La question est de savoir si
le gouvernement a raison d'user de son droit; c'est ce qu'il faut
examiner.
LES CHAMBRES 703
Je voudrais, auparavant, examiner l'argument do droit commun.
La majorité de la commission pense qu'on ferait bien de se |ilacer
sur le terrain du droit commun et d'appliquer ce droit commua à
tous les citoyens, même aux princes.
Cet argument s'est déjà produit, en 1848, lorsqu'il s'agissait d'un
prétendant qui ne paraissait pas pouvoir être un danger. On sait à
quoi aboutissent de pareilles générosités.
La venté, c'est que le droit commun est pour les princes « le pri-
vilège ; » ils tiennent des grands cordons de la Légion-d'Honneur
dans leur berceau. Cette situation privilégiée leur impose des dev(nrs,
et surtout une grande réserve en face d'une démocratie. Voyops
comment ils ont observé cette réserve. L'orateur dit que les princes
n'ont pas observé cette réserve; cependant, le gouvernement avait
un parti-pris de mansuétude et ne voulait exclure personne.
Viennent les électious de 1885; on sait le lôle que le comte de
Paris y a joué; deux cents monarchistes sont entrés à la Chambre,
en grantle partie par l'intervention du parti réactionnaire dirigé par
le comte de Paris. Malgré cela le gouvernement n'a pas cru qu'il fût
nécessaire d'agir. On a dit aux princes : « Tcicliez de vous faire
oublier! » Ils nous ont forcés de nous souvenir.
Voilà pourquoi, dit l'orateur, en nous propose ces mesures. On dit
que c'est de la proscription; JM. Thiers disait : « Ce n'est pas de la
proscription, c'est de la précaution. »
En quoi ces mesures sont-elles violentes? Sous la monarchie, c'est
la confiscation, la peine de mort; ici il n'y a rien de pareil ; il n'y a
que la prudence. Sur ce mot de prudence, on dit : « Vous avez peur!
la république agonise ! »
On nous dit que le danger ne disparaîtra pas; mais nous voulons
arrêter ceux qui allaient vers ceux qu'ils croyaient être le soleil
levanl. On dit que l'exil est un piédestal pour les princes, l'éloigne-
ment affaiblira leur influence.
On a dit, dans le rapport, que le vote de la loi pourrait nuire à
nos relations extérieures. Pour qui nous prend-on?
M. Tkstelin : On ne nous accuse pas d'avoir offert de l'argent au
roi de Bavière !
M. JouRN.vuLT : Il y a en Europe un courant démocratique dont
tous les gouvernements ne peuvent s'empêcher de tenir compte.
L'Europe monarchique demande à la France d'avoir un gouverne-
ment ferme, stable et sérieux.
Le gouvernement, qui a pour mission de veiller au maintien de la
paix publique, vous demande des mesures qu'il considère comme
nécessaires. La Chambre a pensé, comme lui, que ces mesures
étaient nécessaires.
Si vous les repoussiez, vous assumeriez une lourde responsabilité;
je vous conjure de ne pas prendre celle responsabilité; je vous le
51
704 ANNALES CATHOLIQUES
demande au nom du Sénat et au nom de la république. (Très-bien!
très-bien! et applaudissements à gauche.)
M. Jules Simox a la parole.
Messieurs, dit-il, M. Journault faisait tout à l'heure allusion à la
politique suivie en 1811 par M. Thiers, et semblait dire que si
M. Thiers était encore parmi nous, il s'étonnerait de voir parmi les
adversaires du projet actuel quelques-uns de ses amis et de ses
disciples. Je le connaissais bien et jo sais ce qu'il penserait aujour-
d'hui.
En 1871, il ne voyait pas sans appréhension rentrer les princes
d'Orléans en France, et j'étais dans le même sentiment que lui.
Sommes-nous aujourd'hui dans une même situation?
La République était alors le gouvernement de fait, non de droit,
attaqué d'un côlé par la Commune et ayant devant lui une Assemblée
monarchique.
Si la République se maintint, c'est que cette majorité voulait plu-
sieurs monarchies. M. Thiers disait : « 11 n'y a qu'un trône et voua
êtes trois ! » La fusion s'est faite, mais elle a rencontré deux obs-
tacles; le premier a été le refus du comte de Charabord de faire une
concession qu'on lui demandait.
Le principe de la légitimité, tel qu'il l'entendait, l'en empêcha;
on doit lui rendre cet hommage que ses convictions étaient d'un
grand cœur, et bien qu'il n'ait pas régné, il est resté un des grands
noms de notre histoire. (Tiès bien ! à droite; mouvement à gauche.)
tJn autre obstacle se serait produit; c'est que la fusion était faite
dans le Parlement, mais non dans le pays, il est probable qu'une
guerre civile s'en serait suivie.
Voilà la raison de la conduite de M. Thiers. Aujourd'hui, est-ce
la même République? Sont-ce les mêmes princes? Aujourd'hui la
République ne peut être ébranlée que par ses fautes, elle a la con-
sécration de la loi et celle de la durée.
Ce ne sont plus les mêmes princes; c'étaient alors des exilés qui
demandaient à rentrer. AujourdhHi ce sont des citoyens qui deman-
dent à rester. (Interruptions à gauche.)
Ils ont été faits citoyens par cette même Assemblée qui a fait le
Sénat et la République. Non seulement l'Assemblée les a appelés à
jouir des droits de citoyens, mais le suffrage universel a ratifié cette
décision. N'ont-ils pas été élus députés? Ils ont fait les lois avec
nous. Il n'y a donc pas parité entre les princes de 1871 et ceux
de 1886.
La peine du bannissement est connue dans nos lois, mais vous y
ajoutez une peine qui n'est pas dans nos lois : c'est la réversibilité.
Je ne discute pas la question de droit ; je vous soumets des consi-
dérations politiques. Vous prononcez le bannis-sement avec réversi-
bilité; je vous demande quels motifs vous avez de le faire et q-uels
LES CHAMBRES 705
fruits voua en attendez. Quels sont los motifs qui vou3 ont déter-
miaûs ?
M. B renger, dans son rapport, dit : « Nous ne trouvons pas de
fails dominants ; il n'y a que des faits d'importance médiocre. * Je
vais plus loin : les faits qn'on a rapportés n'ont aucune importance,
aucune gravité.
Oo s'est étonné que des faits aussi insignifiants aient mis en mou-
vement tous les rouages gouvernementaux. On a parlé d'une soirée,
d'un mariage. Un père de famille a une fille; il la marie, et quand
il la marie, il reçoit ses amis.
Si parmi eux il y a des ambassadeurs, il les invite. Faut-il qu'un
prince, parce qu'il est prince, agisse à la dérobée?
Je rougis de ce que je dis, puisque ces motifs ont été allégués
pour faire sortir des citoyens français du territoire. Il y a bien une
allégation plus grave, mais moins justifiée.
On dit : « Il y a un gouvernement occulte, tout prêt à rempHcer
le gouvernement actuel.» Mais ce n'est qu'une allégation. Si elle
était prouvée, je dirais au gouveinement de s'adresser aux tribunaux.
Il eu aurait le devoir. Mais je ne connais pas ce gouvernement
occulte. Celui que je puis voir, c'est celui qui siège à l'Hôtel-de-
Yille. Il s'y trouve une minorité importante par le talent et la téna»
cité de quelques-uns de ses membres qui revendiquent les droits de
la Commune de Paris.
Au mois d'avril, on a présenté au conseil municipal de Paris une
délibération dans laquelle on visait un décret de la Commune insur-
vectionnelle.
Une autre fois, un conseiller a dit : « C'est nous le gouverne-
ment. » On y a revendiqué le drapeau rouge comme le vrai drapeau
de la France.
Vous usez cependant de magnanimité vis-à-vis de ce gouverne-
ment-là.
J'arrive aux deux raisons que l'on peut discuter sérieusement :
les élections d'octobre et la qualité de successeur éventuel de la
République. Ce n'est ni le comte de Paris ni le prince Napoléon qui
ont faic ces élections, c'est le Tonkin.
D'ailleurs, si les préteûdaats agissent sur les électeurs, ils pour-
ront agir également de l'extérieur. Le comte de Chambord pensait
que son action serait plus efficace s'il restait au dehors. M. de Frey-
cinet a dit que la mort de deux des prétendants avait changé la
situation. La mort du prince impérial a diminué la force du parti
bonapartiste, et il est certain que la mort du comte de Chambord a
fortifié la situation du comte de Paris ; mais est-ce que cela dépend
de l'endroit où il réside?
Invoquez cette raison pour avoir peur, si vous voulez, mais non
pour le proscrire. Pour résumer le débat, je dirai que je n'admets
700 ANNALES CATHOLIQUES
pas plus une loi d'exception que la violation de la loi. D'ailleurs
votrij loi d'exception ne vous sert pas, elle vous nuit, elle ne nuit
pas aux princes, elle les sert. (Mouvements divers.)
Ello augrneate leurs chances, ils y gagnent une plus grande
liberté d'action et pour eux et pour leurs amis; ils y gagnent, parce
qu'en France on profite toujours d'être peisécuté. Vuus appliquez au
Conit<; (le Paris l'ostracisme qui grandit ceux qu'il frappe, et votre
loi lu dé-igne d'une façon plus manifeste à tous. Vous reconnaissez
les principes de la succession monarchique; vous reconnaissez la loi
saliquo. (Rires à droite.)
Il y a trois mois, vous répondiez par un refus à ceux qui vous
deman laiont une telle mesure, c'était une conduite digne du chef
d'un grand Etat. Aujourd'hui vous avez changé d'avis; pourquoi?
c'est qu'alors vous n'aviez pas peur et aujourd'hui vous avez peur.
Quant au reproche fait par M. Journ^ult au rapport de s'occuper
de l'influence que le vote de la loi pouvait avoir sur nos relations
extérieures, je ne le comprends pas. Faut-il dire que le Parlement
français ne doit pas s'occuiior de ce qui se passe à la frontière? Il
faut éviilemment tenir compte de ce que pensent les gouvernements
étrangers, sinon vous êtes des fous.
Celle mesure vous nuit par sa nature même; c'est une loi d'excep-
tion, donc elle vous nuit. Le plus grand malheur qu'on pourrait
souhaiter à un gouvernement qu'oQ voudrait renveiscr serait de
faire des lois d'exception ; elles prouvent qu'un gouvernement n'est
plus avec le pays et qu'il devient une secte.
Vous avez commencé les lois d'exception par l'article 7. Nous
avons combattu cet article; vous nous avez dit : « Si vous ne leur
refusez pas le droit d'enseigner, nous leur refuserons le droit d'exis-
ter. » J ai dit à ce moment-là que c'était un système de gouverne-
ment. Vous nous avez dit : il s'agit des Jésuites. Vous avez englobé
avec eux les congréganistes non autorisés, vous avez ensuite touché
au clergé séculier.
Vous êtes venus demander au Parlement de vous obliger à les
chasser. De même pour les princes; vous pouviez les expulser par
décrets; vous avez voulu qu'on vous y forçât par une loi. Après la
guerre au cléricalisme, vous avez fait la guerre de l'épuration. Vous
avez ébranlé la magistrature, vous avez fait en outre des épurations
parmi les fonctionnaires amovibles; oa vous demande d'en faire de
nouvelles.
Api os la guerre aux idées religieuses, la guerre aux fonction-
naires. Vous êtes vis-à-vis du Sénat dans cette situation qu'il paraît
opposé à la mesure que vous proposez. Alors on parle au Sénat de
révision ; on lui dit : « Accepte ou meurs... » (Mouvements divers.)
Si Ton enlevait au Sénat le droit d'exprimer son opinion, il vau-
drait mieux pour lui mourir. Le danger pour un corps est de devenir
LES CHAMBRES 707
inutile; ce jour-là, il ne vit plus. Voulez-vous défendre le Si'nat?
Dites votre opinion, dites-la bien haut et vous serez puissant dans le
pays.
On avait présenté devant la Chambre un projet plus violent, il a
été atténué grâce à l'action de M. le président du conseil; mais en
réalité, je ne fais aucune différence entre les deux projets.
Un orateur de la Chambre des Déjtutés a résumé la polilirme du
gouvernement ainsi qu'il suit : Chassons qui nous gêne. (Ri'!cl,\ma-
tions à gauche. — Applaudissements à droite.) C'est ce système que
je combats depuis six ans et qui excite ma colère; c'est la doctiine
qui a fait la révocation de l'édit de Nantes. (Rires à gauche.) Riez si
vous voulez; mais c'est la vérité, c'est elle (lui a prévalu en HOS et
en 1793. 1789 avait été le triomphe du droit et de la justice contre
l'oppression. 1792 et 1793 ont été une époque de boue et de sang
(ap])laudisscments à droite) où l'on essayait de déshonorer tout ce
que la France avait de grand et de beau.
Je sais que vous avez horreur de 93.
M. Peytiiai,. — Pas du tout! (Exclamations à droite.)
M. Jules Simon. — Je change ma jihrase et je dis que la majorité
d'entre vous en a peur, mais une peur obéissante. Commencrz prr
les princes. Les exilés que vous ferez sortiront du tombeau; ils
attesteront à l'Europe, à l'histoire, que la France n'est pas maîfiesso
d'elle-même, et que la lutte entre 89 qui est la révolution du dioit,
et 93 qui est la révolution de la haine, n'est pas terminée. (Vive
approbation et applaudissements à droite et au centie.)
L'orateur, en revenant à son banc, est félicité par un grand
nombre de ses collègues.
La séance est suspendue à trois heures quarante-cinq minutes et
est reprise à quatre heures.
M. Clam.\ger.an, qui demande l'expulsion des princes, invoque les
lois de 1816, 1832 et 1848.
L'orateur croit que les articles 87 et 89 du code pénal ne peuvent
être appliqués au cas des piinces qui trament des complots perma-
nents, mai-! impossibles à constater.
M. liKON Rknault se demande si la mesure proposée est de nfiture
à consolider les institutions réiiuhlicainos. et il combat le ] roji t au
nom du droit commun. La loi de 1871 a fait, dit-il, les princes
citoyens comme vous (Vives interruptions à gauche : non! non!);
la présence des princes sur le territoire français n'a pas empêché la
fondation de la république en 1875, ni le fonctionnement de ses
institutions depuis cette date.
On fait un crime au comte de Paris d'avoir reçu les ambassadeurs
étrangers, mais ils représentaient les familles alliées à la sienne :
Que voulez-vous? on a les parents qu'on peut! (Rires.)
L'heure est très grave. Le Sénat doit choisir entre une politique
708 ANNALES CATHOLIQUES
saine de droit, de justice et une politique d'arbitraire, de passion et
de haine. Si c'est la dernière qu'il adopte, il portera au pays un coup
bien redoutable qui l'atteindra lui-même.
La question est posée aujourd'hui non entre la république et les
princes, mais entre la république et la politique jacobine : je suis
pour la première contre la seconde. (Applaudissements à droite et
au centre.)
La discussion continuera demain.
Mardi 22 juin. — On commence par un discours de M. Marcou,
un mammouth du jacobinisme qui parle d'une vois chevrotante,
singe M. Madier de Monijau et semble échappé d'un comité de
1793. Au moins est-il cocasse, avec ses grands gestes, ses phrases
tonitruantes, son type de Prud'homme radical compliqué de Poli-
chinelle. Il regrette qu'on n'exile pas tous les princes, grands et
petits, car quand on fait une exécution, il faut la faire complète.
Le mot exécution est beau, souligne M. Paris.
Il y a un pacte tacite entre tuus les princes pour usurper la cou-
ronne, tout prince est un conspirateur-né, il conspire sans cesse, il
conspire de nuit et de jour.
Un éclat de rire à peu près général interrompt l'orateur, qui ne
comprend pas, car il est sourd, et continue en appliquant aux
princes la théorie des pTésomptions, clierche son éloquence dans se»
papiers et glapit ses lieux communs néo-terroristes. A l'ent'^ndre,
(on ne l'entend guère et on l'écoute moins encore,) à l'entendre, on
injurie les princes en les appelant des citoyens. Si ce sont des
citoyens, objecte-t-il d'un toa triomphant, remettez celui-ci à la
tête de son régiment, celui-là à la tète de son corps d'armée.
M. Marcou trouve que la tolérance du gouvernement rappelle
l'anecdote de l'enfant du fouet qu'on plaçait auprès du Dauphin pour
recevoir la correction, quand celui-'ci faisait des sottises. Les princes
sont coupables, hurle-t-il, et on menace le conseil municipal de
Paris, on menace la liberté de la presse, des réunions.
Ces images d'un goût délicieux fatiguent.
M. Bardoux s'emnare du discours du vieux jacobin et le met en
pièces avec une puissance de logique digne de l'écrivain auquel on
doit de très beaux ouvrages sur les légistes.
Il a débuté par une excellente réplique à M. Testelin, qui lui
disait : Alors toutes les monarchies ont violé le droit. — Je ne
demande pas aux monarchies des exemples, mais des leçons, a-t-il
dit.
Non, s'écrie-t-il fort éloquemment en retraçant les amertumes de
l'exil pour les cœurs patriotiques; non, on n'emporte pas la patrie à
la semelle de ses souliers. Et comme la gauche tempête, il répond :
« J'ai toujours défendu la liberté, je vous ai défendus, j'ai plaidé
pour vous sous l'Empire, j'ai le droit de parler aujourd'hui. »
LES CHAMBRES 709
— Il n'y a pas d'assimilation! Nous n'étions pas princes ! hurlent
MM. Testelin et C".
Le pays ne s'inquièto pas d'une soirée, continue M. Bardoux, il
vous demande de porter remède â une terrible crise économique, il
vous demande de réfléchir. Eh bien, si le pays est calme, pourquoi
l'agitez-vous ainsi tous les trois mois?
Croyez-vous eu finir avec cette question? Dans un gouvernement
d'opinion, les majorités n'en finissent pas avec les minorités. Oa
n'en finit avec elles qu'en gouvernant bien, en restaurant les tradi-
tions de gouvernement; autrement les pro-criptions sont un com-
mencement pour les espérances, et aussi, hélas! un commencement
pour les violations successives du droit.
Croyez-vous qu'avec cette loi vous allez rattacher cette masse
flottante d'indécis qui ne demandent qu'à vivre? On ne peut pas
gouverner sans eux et malgré eux; au contraire, vous faites l'union
avec les violents, vous ne marchez pas en avant, vous descendez la
pente.
Voici venir, enfin, M. de Freycinet. La petite Souris rouge
a vainement essayé de grignoter le très remarquable discours do
M. Bardoux. Gomme d'ordinaire, M. de Freycinet a escamoté la
muscade et plaidé les circonstances atténuantes.
L'histoire à la main, le premier ministre affirme que la loi est
excellente; tous les gouvernements ont usé de certains droits pour
se défendre, et spécialement du droit d'éloigner ceux dont les prin-
cipes sont opposés aux leurs. Il a cité la loi de 1816, celles de 1832,
de 1848, les errements du second empire.
M. de Freycinet fait un perfide éloge des hommes d'Etat du gou-
vernement de Juillet.
— Il faut les imiter par leurs bons côtés, interrompt M. db
Gavardie.
M. de Freycinet continue en rappelant les paroles de M. Thiera.
Tous les gouvernements sont soumis aux mêmes lois, aucun ne
peut supporter à côté de soi le symbole, la personnification, l'espé-
rance d'un autre gouvernement. (Une partie de la gauche applaudit.)
M. de Malleville essaie de placer quelques mots et se fait rappeler
à l'ordre.
L'objection tirée de ce que l'Assemblée de 1871 a rouvert aux
princes les portes de la patrie ne trouble pas le leader du ministère.
Klle caraissait l'espoir de ramener la monarchie; aujourd'hui les cir-
constances sont contraires, nécessitent une conduite contraire.
Nous avons supporté longtemps ce danger, c'est vrai, mais depuis
1871 jusqu'en 1883 les véritables prétendants n'étaient pas sur le
sol de la France. Le comte de Chambord n'y était pas, parce qu'il
comprenait que quand on veut proclamer son droit de faire la
710 ANNALES CATHOLIQUES
monarchie contre la république, on ne doit pas lui demander l'hos-
pitalité.
Si vous le voulez, vous aurez, vous, princes, à faire oublier vos
origines, et les prétentions qu'on vous prête; vous avez des devoirs
à remplir, plus de réserve que les autres à observer; vous êtes un
centre, un point de ralliement. Comment la république pourrait-elle
permettre une conspiration permanente? cola ne s'est jamais vu dans
l'histoire; cela ne se verra jamais.
M. le président du conseil ne se flatte pas que les conservateurs
abdiquent leurs prétentions, renoncent à leur action ; mais il
recommande le remède : c'est l'union du parti républicain, qui s'est
désagrégé un peu vite qui ne peut se diviser encore en deux fractions
en face d'une minorité puissante qui guette toutes les occasions.
M. LE DUC d'Audiffret-Pasquier. — En vous entendant tout
à l'heure, ma pensée se reportait en arrière. Vous parliez en faveur
de l'amnistie et vous disiez pourquoi vous aviez changé d'avis. Vous
parliez d'apeurement et votre voix fut entendue. Aujourd'hui, de la
môme voix douce et pénétrante, vous nous demandez une loi
d'expulsion. Aujourd'hui, il ne s'agit plus d'oubli, d'apaisement.
Vous faites appel aux passions mauvaises qu'il vaudrait mieux
apaii-er.
Quand les princes dont le nom rappelle les souvenirs les plus
glorieux de notre paya franchissaient la fr-ontière, ils laissaient
derrière eux les horreurs de la Commune.
Pour accepter une situation si grave, vous avez de graves motifs.
Tout gouvernement doit se défendre, mais, qui vous fait croire à
un péril? surtout venant d'hommes qui habitent la France depuis
quinze ans.
11 y a différentes manières de voir parmi les partisans de la
royauté : les uns pensent, avec Berryer, que celui qui porte les
traditions de la Franco ne doit pas rester dans le pays; les autres ne
peuvent pas résister au désir de respirer l'air du pays, de combattre
pour lui, d'aller porter des secours aux cholériques de Marseille.
Cette conduite a aussi sa grandeur.
Les meilleurs arguments, pour répondre à M. le président du
conseil sont les arguments qu'il a donnés lui-même le 4 mars.
Pourquoi a-t-il changé d'avis? Quelles sont ses raisons. Vous faites
un appel à vos amis et vous dites que la République est compromise
si votre projet n'est pas voté.
Dans tout gouvernement, il y a deux garanties : le pouvoir exécutif
et le Sénat; mais la première disparaît quand le chef du pouvoir
exécutif cède par la défaillance et soutient des idées contraires aux
siennes.
Quant à la seconde, on la supprime aussi, en demandant au Sénat
de céder contrairement à ses convictions : Vous m'accuseriez d'exa-
LES CHAMBRES 711
gération si je vous rappelais les excès de la première Révolution.
Mais il me suffit de vous rappeler pour vous montrer les entraîne-
ments d'une assemblée, le jour qui précéda votre entrée au pouvoir
et où l'on voulait mettre en accusation votre prédécesseur.
Au-dessus de mes afïectious, je place l'intérêt de mon pays ; aussi
suis-je heureux de voir se poser la question entre la République
modérée et la République violente et sanglante.
J'en appelle à la France libérale de nos faiblesses et de nos
violences.
On ne peut s'arrêter, monsieur le ministre, dans la voie où voua
êtes entré. Vous continuerez la persécution religieuse, l'épuration,
le désordre dans le budget, les mesures d'expulsion; nous avons
combattu contre tout ce système. Nous le combattrons encore. Si
contre notre désir, vous votez le projet actuel, nous resterons
l'avocat de toutes les grandes choses que vous attaquez : nous vous
plaindrons, mais nous ne nous plaindrons pas.
La discussion générale est close.
On passe à la discussion des articles.
Il est procédé au scrutin sur l'article l*"" du projet de loi.
Il est adopté par 137 voix contre 122.
Il y a vingt-huit abstentions.
Les articles 2, 3 et 4 sont adoptés à mains levées.
Il est procédé sur l'ensemble à un scrutin secret avec appel
nominal.
Le résultat est proclamé â sept heures quarante-cinq.
Il y a 141 voix pour le projet et 107 contre.
Voici le texte complet de la loi :
« Article premier. — Le territoire de la république est et demeure
interdit aux chefs des familles ayant régné en France et à leurs
héritiers directs, dans l'ordre de primogéniture.
« Art. 2. — Le gouvernement est autorisé à interdire le territoire
de la république aux autres membres de ces familles. L'interdiction
est prononcée par un décret du président de la république rendu en
conseil des ministres.
« Art. 3. — Celui, qui en violation de l'interdiction, sera trouvé
en France, en Algérie ou dans les colonies, sera puni d'un empri-
sonnement de deux à cinq ans. A l'expiration de sa peine, il sera
reconduit à la frontière.
« Art. 4. — Les membres des familles ayant régné en France ne
pourront entrer dans les armées de terre et de mer, ni exercer
aucune fonction publique, ni aucun mandat électif. »
Chambre des cléputéa.
Jeudi 17, samedi 19, lundi 21 et mardi 22 juin. — Discussion de
la loi sur le régime des sucres.
7153 ANNALïrS CATHOLIQUES
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Ltf '♦^jfe été ïai Ibi d'expulsion. — Le départ des princes. — Le jugemen
d» Rodez. — Constaus ambassadeur. — > Etranger.
Le Tréport, 24 juin 1886.
La voilà donc votée la loi inique, définitivement votée, et
amintenant sans recours possible !
Le Sénat trompant une fois de plus les espérances des
cîtoyens dont la sagesse est, hélas ! moins clairvoyante qu'opti-
miste, a accepté la mesure de proscription qui chasse de leur
pays des citoyens français, et jette irrémédiablement notre
patrie dans la route de la Révolution.
Sa faiblesse a achevé ce que la violence de la Chambre avait
commencé !
Désormais, nous le savons,, la devise de -nos adversaires est :
Débarrassons-nous de ce qui nous gêneflls en ont fait l'aveu
cynique. Les princes les gênaient, et ils jettent les princes hors
de la frontière !... A qui le tour, maintenant?
Et pourquoi, après cet abominable et révoltant essai d'ar-
bitraire qui vient de si bien réussir au gouvernement républi-
cain, n'emploierait-il pas les mêmes procédés, à l'occasion,
pour se débarrasser de ce qui pourra, dans l'avenir, le gêner
encore? Ce qu'on a fait naguère contre les religieux, ce qu'on
fait aujourd'hui contre des princes, on peut bien le faire
contre de simples citoyens, et on le fera !
C'est la logique.
Songeons ïoaintenant à ceux qui partent et qui dans quelques
heures vont prendre passage sur le vapeur que nous venons de
visiter et qui attend à son bord les augustes proscrits pour les
conduire à Douvres. Songeons à ces princes qu'on chasse indi-
gnement de leur pays, à Monsieur le comte de Paris, condamné
à l'exil sans que jamais sa conduite ait été autre que celle d'un
brave et loyal Français. Songeons à son auguste épouse, à
cette mère anxieusement penchée, en ce moment, sur le berceau
cil sa fille, la princesse Louise, se débat sous l'étreinte d'une
dangereuse maladie...
Et voyons se dresser ce saisissant contraste :
D'une part la république acclamant, plaçant à sa tête, se
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 713
donnant pour chefs et comblant d'honneurs les anciens membres
de la Commune, ceux qui ont sa«cagé Paris, brûlé les palais,
fait couler à flots le pétrole et le sang des otages...
D'autre part, cette même république qui met hors la loi,
chasse du territoire comme des malfaiteurs ces princes français
qui ont poussé l'amour de la patrie jusqu'à prendre le voile de
l'anonyme pour pouvoir combattre dans l'armée pendant ki
guerre de 1871; qui depuis quinze ans ont donné l'exemple de
toutes les vertus civiques ; qui ont secouru toutes les mis.éi»as
depuis les cholériques de Marseille jusqu'aux mystérieus.ôs
détresses ; dont la présence, enfin, était pour notre commerce
et notre industrie, une sorte de compensation à la pénurie des
commandes.
Mais il n'est pas possible que l'injustice et le mal triomphent
toujours.
Au moment donc où ils vont prendre le chemin amer de l'exil,
nous adress-ons notre hommage respectueux, un salut de fidélité
■et d'espoir à ceux que la république chasse de ce sol oii ils sont
nés et qu'ils aiment d'un amour si profondément filial!
Puisque Monsieur le comte de Paris est traité en roi de
France par la république qui, pour l'exiler, lui reconnaît son
titre, qu'il se dise que son pays a besoin de lui.
Le cœur et le caractère de l'héritier de la Maison de France,,
sont à la hauteur de l'épreuve passagère qu'il subit et qui le
revêt en même temps de tout son prestige.
Il peut compter sur la constance inébranlable de ses amis.
Lui et nous, nous avons une foi égale dans l'avenir de la
France qui se confond avec le retour de la monarchie chrétienne.
Là seulement est le salut.
11 y a ici une influence énorme de visiteurs, venant, à côté
des populations consternées de ce pays foncièrement dévoué au
comte de Paris et à sa famille, présenter leurs respectueux
hommages au Chef de la Maison de France et à Madame la
comtesse de Paris. On est frappé du calme avec lequel M. le
comte de Paris, qui ne cherche pas à cacher son affliction,
envisage les douleurs de l'exil, et l'on sent que ce calme puise
sa source dans la ferme espérance d'un prochain retour.
Les sénateurs et députés, les représentants de la presse
monarchique sont arrivés à Eu hier et ce matin. Aucune mani-
714 ANNALES CATHOLIQUES
festation bruyante n'aura lieu, raais en accomplissant un devoir^
les défenseurs de la roj-auté traditionnelle affirmeront les
droits de la justice et de la liberté.
Les élections départementales prochaines préoccupent vive-
ment et le parti républicain et le gouvernement en France. Les
députés et les sénateurs do la majorité qui, à l'occasion des
vacances de Pâques, ont passé quelques semaines dans leurs
départemeats, sont rentrés à Paris fort inquiets de symptômes
qu'ils y ont vus; les renseignements envoyés par les fonction-
naires au gouvernement ne troublent pas moins celui-ci. Le
pays s'apprête à confirmer ses votes du 4 octobre, et les élec-
tions départementales ne vont être que la prolongation des
élections législatives.
Cela ne fait doute pour personne, pas plus dans le parti répu-
blicain que dans le parti conservateur. Le Français croit que
le nombre de sièges que les partisans des institutions actuelles
se verront enlever par leurs adversaires au mois d'août prochain
sera très considérable, et que, dans plus d'un département, les
conservateurs reprendront au conseil général la majorité sur
les républicains.
Huit ans de travaux forcés, cinq, six et sept ans de réclusion
pour ceux qui ont frappé mortellement; l'acquittement pour
ceux qui ont piétiné le cadavre et martvrisé la victime. Voilà
tout le châtiment que le tribunal de l'Aveyron a infligé aux
assassins de M. Watrin !
Eh bien, franchement, ce n'est pas payer cher un abominable
crime, et à ce prix-là, les mineurs de Decazeville peuvent se
dire qu'ils auraient eu tort de ne pas s'ofîrir leur sanguinaire
divertissement.
Les grévistes de l'avenir ne trouveront pas dans ce jugement
un exemple bien terrible qui les arrête dans leurs fureurs san-
glantes, et l'on voit que, par le temps de république qui court,
un assassinat n'est pas considéré comme un si grand forfait,
puisque ceux qui le commettent encourent des peines assuré-
ment peu proportionnées avec la grandeur du crime.
Tout scandaleux qu'il est ce jugement a été précédé d'un
incident non moins scandaleux et qui permet de toucher du
doigt les progrés de l'esprit démagogique.
La veille du jour où le jugement a été prononcé, le maire de
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 715
Rodez a offert un punch, à riiôtel-rle-ville, aux défenseiiis des
accusés et à la presse socialiste. Il les a rerus comme on i ece-
vrait des soldats qui viennent de sauver l'honneur du dfîipeau,
aux accents de la Marseillaise ymcQ pai- la musique munici|iale.
II leur a souhaité la bienvenue. Il a ap})laudi à un discours de
M. Laguerre fait au nom des députés intransigeants, à un
discours de M. Carrié fait au nom des « exécuteurs » de
M. Watrin, à un discours de M. Fourniéres, du Cri du Peuple,
fait au nom de la presse insurrectionnelle. Il a terminé la
soirée par une allocuiion émue dans laquelle il a fraternisé
avec les pires démagogues. Brvif il a joué à Rodez, devant les
magistiats, devant les jurés, le rôle ini|nalifiable que M. Cay-
rade a joué à Decazeville devant la foule furieuse. « Ça se
corse, » disait M. Cavrade en renvoyant les gendarmes qui
auraient pu sauver la vie de M. Watrin.
On peut ajouter que le laisser-aller administratif « se corse »
étrangement. Ainsi, voilà un maire qui, pour faire sa cour aux
révoluticnnaiies, prostitue son pouvoir aux plus viles pa>^sions.
Celui-là sans doute, espère aussi se faire nommer député,
puisqu'aujourd'hui le scandale mène à tout.
On se rappelle peut-être le citoyen Constans, l'ancien inven-
teur des poDipas mobiles de Barcelone, le député de Toulouse,
l'ancien ministre qui se montra si acharné et si brutal dans le
crochetage des couvents et l'expulsion des religieux? Bien qu'on
parlât peu de lui, M. Constans n'était pas mort. Entré pauvre
aux affaires, il était devenu riche et jouissait de sa fortune. Il
ne tenait plus à remonter au pouv ir; les temps ne sont pas
bons pour les mini.<tres; mais il mourait d'envie d'arriver aux
grandes charges, déjouer un rôle quelcontiue auprès des cours
étrangères. Il levait d'avoir un habit brodé et d'être ambassa-
deur. Et ce rêve est aujourd'hui réalisé, si nous en croyons les
informations des feuilles officieuses. M. Constans, M. Constans
lui-même, est ambassadeur. Sa nomination va paraître à VOffi-
ciel. Seulement, ce n'est pas en Europe que M. Constans va
briller dans ce nouveau rôle. M. de Freycinet l'envoie à I\"kin.
A la place du Fils du Soleil, nous n'accueillerions pas sans
objection le choix d'un pareil ambassadeur. 11 est de notoriété
européenne que INI. Constans ne set.t pas bon. Après cela, en
Chine, on vit beaucoup au grand air, et puis le voyage désin-
fectera l'ambassadeur de M. Grévy.
716 A.WiSALES CATHOLIQUES
Admirons M. de Freycinet. En Annam, la République a le
•devoir de protéger les missions chrétiennes contre la fureur des
mandarins et des lettrés annamites. Et M. de Frejxinet a ima-
giné de transformer l'aboTeur à la soutane, M. Paul Bert^ en
protecteur forcé de nos missions. Aujourd'hui qu'il faut avoir
à Pékin un homme au courant des questions religieuses, autant
que des affaires compliquées de l'Extrême-Oiient, c'est M. Cons-
tans, l'expulseur des religieux, que M. de Freycinet envoie au
Fils du Ciel. Au fait, M. de Freycinet désire peut-être que
MM. Paul Bert et Constans enseignent aux Chinois et aux
Annamites l'art de se débarrasser « du phylloxéra clérical »
sans sabres et sans fusils. Mais alors, à quoi bon parler de poli-
tique coloniale?
La situation a repris un caractère des plus graves, en Bel-
gique, au point de vue des grèves.
Les charbonnages de Flenu et de Quaregnon sont en grève
complète. Trois mille mineurs ont abandonné le travail, et ils
exercent une pression violente sur les ouvriers des autres
industries, les obligeant à quitter les ateliers. Les désordres
ont revêtu un caractère si violent que la gendarmerie a été obli-
gée de charger sur plusieurs points.
1-es troupes sont insuffisantes pour maîtriser les ouvriers
insurgés.
Au Borinage, la grève est complète aussi.
Des groupes de femmes très surexcitées parcourent le pays
portant des drapeaux noirs.
Ou n'évalue pas à moins de sept mille les ouvriers actuelle-
ment en grève.
Une dépêche de Mons signale l'extension de la grève. Le
nombre des grévistes serait actuellement de 5000. Dix-huit
grévistes ont été arrêtés. Une bande de 6000 grévistes, portant
des drapeaux rouges, est partie de Quaregnon et se dirigeant
vers Jemmapes en commettant des désordres, s'est enfuie
devant les gendarmes.
Pendant que le Saint-Père tenait consistoire au Vatican, le
roi Humbert ouvrait solennellement la nouvelle Chambre et
prononçait le discours le plus lameatable. Les grandes questions
politiques ont été passées sous silence; rien sur la politique
intérieure, ni sur la politique extérieure. Et c'était peut-être
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 717
tFé» prudent, car on n'aurait eu qu'à rappeler des faits honteux
et déshonorants pour l'Italie. Cet enabarras et ce silence se
comprennent, car le scrutin a trompé l'attente du gouvernement,
on comptait sur un parti ministériel solide et compacte, et on
est en présence d'une Chambre qui pourra bien se disloquer au
premier choc. On n'ose dire ce que l'on veut et oii l'on va, de
peur d'être en face de conflits nouveaux. En somme, la con-
fusion est la même et le confusionisme régnera comme aupara-
vant. On pourrait faire une magnifique étude sur la force morale
et la dignité des deux souverains qui résident à Rome. Le pri-
sonnier du Vatican se fait entendre, et les nations se réjouissent
et s'inclinent en admirant la sagesse du Pontife; le roi d'Italie
prononce un discours, et ses sujets, ses plus fidèles partisans
sont obligés de constater l'effet lamentable des paroles de leur
roi. Le Quirinal usurpateur fait bien mesquine figure à côté de
l'auguste prisonnier du Vatican.
Nous connaissons maintenant le résultat des élections qui ont
eu lieu mardi eu Hollande pour le renouvellement de la seconde
Chambre. Les libéraux ont 46 sièges, et les anti-libéraux 34,
et il y a 4 ballottages. Les libéraux auront donc la majorité.
La Chambre précédente, dans laquelle la gauche et la droite
catholique et protestante comptaient un nombre égal do voix,
avait entrepris la révision de la Constitution, Cette tâche était
au-dessus de ses forces. Les deux partis de la Chambre, dont
aucun ne pouvait donner la majorité au ministère de M. Heems-
kerk, se scindèrent en fractions diverses quand on en vint à
l'article 194 de la Constitution, qui stipule la laïcité des écoles.
II ne put se faire d'entente entre les divers groupes, et le minis-
tère, après avoir donné sa démission, fut rappelé par le roi et
autorisé à dissoudre la Chambre.
Quel sera le résultat dos élections qui auront lieu bientôt
pour la première Chambre?
La nomination du Sénat hollandais est confiée aux onze
assemblées provinciales. Ces assemblées viennent d'être renou-
velées. Deux de ces conseils, ceux de la Groningue et de
Drenthe, sont composés exclusivement de libéraux; cinq, ceux
de la Hollande du Sud et du Nord de la Zélande, de la Frise,
de rOverjssel, ont des majorités libérales; dans quatre seule-
ment de ces assemblées, celles du Brabant du Nord, de la
G-ueldre, de la province d'Utrecht, du Limbourg, les anti-libé-
718 ANNALES CATHOLIQUES
raux remportent. Les libéraux peuvent donc compter sur une
majorité assez forte dans la première Chambre du royaume.
De tristes nouvelles nous parviennent d'Annam. Une dépêche
de Saigon signale de nouveaux massacres de chrétiens. Quel
est le chiffre des victimes? On l'ignore. Il est à craindre qu'il
soit important, car les Annamites sout arrivés jusqu'aux envi-
rons de Tourane; deux officiers français ont été tués et des
villages ont été biùlés à peu de distance de cette ville. 11 faut
espérer que le corps d'occui)ation n'est pas menacé par ce réveil
des Annamites, et qu'il sufhra à venger ses officiers et les mal-
heureux chrétiens.
L'optimisme de M. Paul Bert se trouvera-t-il atteint par la
connaissance de ces faits? Le résident apprendra — aux dépens
des autres — que son titre de membre de l'Institut n'est pas
suffisant pour pacifier une contrée. Par une navrante coïnci-
dence, le numéro de ï Avenir du Tonkin, qui nous arrive en
même temps que cette dépêche, constate « avec plaisir » les
sentiments de « bonne cordialité » qui président aux relations
entre Français et Annamites. Le même journal raconte avec
satisfaction que M. Paul Bert a reçu à Hanoï, l'ambassadeur
envoyé par le roi d'Annam — fait sans précédent, dit-il — au-
devant de lui. Fait encore sans précédent, le roi lui a rendu
visite à Hué.
Le souverain d'Annam aurait-il deviné l'infatuation do notre
résident et endormi sa vigilance par ses flatteries? M. Jules
Ferry qui disait, il y a peu de jours à la Chambre, que si « ses
actions ne faisaient pas encore prime, elles étaient du moins au
pair, » trouvera sans doute que ces nouvelles ne sont pas de
nature à « les faire monter ».
REVUE ÉCONOMIQUE Eï FINANCIÈRE.
On a détaché, la semaine dernière, le coupon semestriel sur le
3 0/0 ancien, qui va sans doute, s'il continue, regagner rapidement
son coupon. Les autres types de nos rentes IVançaiscs ont également
des cours soutenus.
La fin de la grève de Decazeville n'est peut être pas étrangère à ce
mouvement de hausse des tonds publics et puis, est-il besoin de le
dire, en liaut lieu on tient à la h:iusse tant que la question des
princes ne sera pas terminée; vous comprenez comnu cela ferait
mauvais effet une baisse de oO cent, ou de 1 franc sur nos renies.
Le ministre de l'intérieur veut voir tout en beau; il prétendait, à
nndes derniers conseils des ministres qu'il y avait un commence-
RKVUK ÉCONOMIQUK ET FINANCIÈRE 719
aient de reprise industrielle dans nos ét.iblissenieiits du Nord. S'il
pouvait dire vrai ! l'ourlant la slalislique de notre coniincrce exté-
rieur, pour les cinq premiers mois de l'année, est encore loin de
montrer la situation sous un jour satisfaisant, bien qu'il y ait un peu
de progrès à l'exportation.
Le Journal ufficicl du 13 juin a publié le rendement de l'impôt
de 3 0/0 sur le revenu des valeurs mobilières pour les cinq
premiers mois de 1886.
Les évaluations budgétaires pour cet impôt s'élevaient à
24.''26i.500 francs. L'impôt a donné 5:^4.893.000 IVar.cs, soituu boni
de 3^28. 3d0 francs. Or, si l'on fait lecomptc de ce que l'eprésenlecct
impôt., comme revenu encaissé par les capitalistes grands et petits,
on trouve que, pour cinq mois, le revenu des valeurs soumises à la
taxe, s'est élevé à 829. 763. 63B francs et, dins ce total, ne sont
compris ni les coupons de nos renies, ni ceux des valeurs étrangères.
Ces énormes rentrées n'espliqueut-elles pas suffisamuient la
hausse incessante des rentes et des bonnes valeurs. Car c'est aux
renies, aux obligations du Crédit foncier et à celles de nos chemins
de fer que va naturellement tout ce qui est économisé sur le revenu,
depuis que l'épargne n'est plus sollicitée par des affaires nouvelles,
cl surtout bonnes ; et voilà aussi pourquoi la baisse ne peut prévaloir,
aidée même par des évéuernenfcs qui, autrefois, avaient mis la
bourse et la cote par dessus boi-d.
Les bilans du Ui mai publiés par les grands établissements de
crédit nous montrent une accumulation de capitaux improductifs qui
prend des proportions inusitées. Les comptes de chèques ont consi-
dérablement grossi; l'encaisse des Banques atteint des chiffres
énormes. Qu'est-ce qu'on attend? La confiance et elle est loin!
Pourtant, avec des institutions plus stables, une faible partie de ce
qui dort ainsi suftirait pour faire cesser la crise dontsoulîVe le pays.
^ Les journaux de tous les partis s'égosillent à crier : « Travaillons! »
comme les comparses des chœurs de théâtre et personne ne met la
main à l'ouvi'age. Nous avons pourtant l'emprunt de la ville de
Paris, le Métropolitain, les canaux de Bordeaux à Narbonne, celui du
Nord, les ii-rigations du Hhône ; les obligations du Panama ; autant
d'affaires qui ne peuvent, étant bien conduites, que donner de
bons résultats financiers, tout en dotant notre pays d'un outillage
de premier ordre.
Comme le capitaliste et le rentier ne savent plus où placer leurs
économies et qu'ils sont las de laisser dans les banques leur argent
à 1 0/0 ; ils offrent à l'étranger cet argent que la France refuse
d'employer; ou ils achètent les quelques bonnes valeurs de la cote,
valeurs qui deviennent d'un prix de plus en plus élevé.
A ceux qui ont des achats à faire, nous ne pouvons leur recom-
mander mieux pour le moment que l'obligation foncière 188o,
libérée de 140 francs, dont le premier tirage aura lieu le 5 juillet
prochain. Elle est à 57 francs au-dessous de son taux de rembour-
sement. C'est un point à examiner que le taux de remboursement
d'un titre. Ce sera l'objet d'un article spécial qui, nous l'espérons,
vous donnera satisfaction. A. H.
TABLE DES MATIERES
(ij
IVnméro T^îe (3 avril 1886.)
— Les intentions de Léoa XIII
5. — L'article 58 de la nou-
velle loi sur renseignement
primaire (suite et fin), 12. —
Le Bienlieurcux Grignon de
Montforl, -18. — Tribunaux.
La suppression du traitement
des desservants, 20. — Confé-
rences do Notre-Dame, par le
R. P. Monsabré, 2'. — La
comtesse de Chambord, 34. —
Nouvelles religieuses, 37. —
Les Chambres, 44. — Chro-
nique de la semaine, Ll. —
Revue économique et finan-
cière, 55.
IVnméro T-^T (10 avril 1886).
— Lettre du cardinal Guibert
à M. Grévy, 57. — La suspen-
sion des traitements ecclésias-
tiques, par M. Fernand Nicolay,
70. — Tribunaux, 74. — Don
Alessandro Torlonia, 79. —
Conféi'ences de Notre-Dame,
par le R. P. Monsabré, 86. —
Nécrologie, 03. — Nouvelles
religieuses, 96. — Les Cham-
bres, 102. — Chronique de la
semaine, 104. — Petite chro-
nique, 110. — Revue écono-
mique et financière, 111.
Numéro r-SS (17 avril 188G).
Le pétitionnement, 113. — Les
jésuites allemands (suite et fin),
1 15. — Une messe au Cénacle,
123. — La lettre du cardinal
Guibert et l'Episcopat, 128. —
Le discours de M. Jules Simon,
135. — Conférences de Notre-
Dame, par le R. P. Monsabré,
145. — Les Chambres, 152. —
Chronique de la semaine, ]56.
— Nouvelles religieuses, 166.
— Revue économique et finan-
cière, 167.
IVuméro r49 (24 avril 1886).
La mort de Jésus par l'abbé
Fouard, 169. — La semaine
sainte à Jérusalem, par M. S.
de V., 169. — La lettre du
cardinal Guibert et l'Episcopat
(suite), 188. — Le Saint-Siège
et l'Allemagne, 193. — Confé-
rences de Notre-Dame, par le
R. P. Monsabré, 195. — Nécro-
logie, 204. — Les Chambres
207. — L'affaire de Château-
villain, 209. — Chronique de la
semaine, 213. — Variétés, M. de
Bismark photographe, 218. —
Bulletin bibliographique, 222.
— Revue économique et finan-
cière, 223.
IVuméro r^O (1" mai 1886).
A Notre-Dame, 225. — Un
ouvrage du cardinal Pitia, par
l'a'Dbé A. Benoit, 228. — L'af-
fairede Châteauvillain au Sénat
(suite et fin), 235. — La situa-
tion religieuse en Orient, 243.
— Le Canada et la France, 246.
— Les œufs de Pâques par
Charles Saint-Martin, 250. —
La banqueroute du protestan-
tisme, 255. — La lettre du
cardinal Guibert et l'Episcopat
(Suite), 257. — La vérité sur
l'aifaire de Châteauvillain, 261.
— Nouvelles religieuses, 265.
— Chronique de la semaine,
272. — Revue économique et
financière, S!79.
]%uméro T^l (8 mai 1886).
Duel politique, 279. — La
ruine de la Rome antique, par
Hermann Grimm, 281. — Lo
programme Franc-Maçon, 283.
— Monseigneur de Langaie-
rie, 289. — Les chanoines de
Carthage, 293. — Nouveaux
massacres au Tong-King, 295.
— La lettre du cardinal Gui-
bert et l'Episcopat, (suite),
299. — Le catholicisme dans
le Grand-Duché de Hesse, 303,
— Nécrologie, 307. — Nou-
velles religieuses, 308. — Chro-
nique de la semaine, 322. —
Petite chroniciue, 329. — Va-
riétés, 336. — Revue écono-
mique et financière, 331.
IVuméro "^S^ (15 mai 1886).
Appels comme d'abus, 335. —
La nouvelle loi scolaire, 339.
— La Francejuive, par Etienne
(1) Les chiffres qui suivent les différents articles indiquent les pages.
TABLE DES MATIERES
721
Jouve, 342. -La ruine de la
Rome antique (puit^), i)i». —
Le chant du peuple, par A. ^e-
lapoite, P. M. 35-2. - Le V<=
Con<^rès des œuvres eucharis-
tiques, 30 1. — La lettre du
cardinal Guibert et TEpiscopat
(suite), 363. — Nouvelles reli-
./leuses, 36S. — Chroni'jue do
U semaine. .^78. — Petite
chronique, 3S8. — Revue éco-
nomique et financière, 3b9.
muméro r:53 (-22 .mai 1885)
L» chemin de la croix. 391. —
Lf« ori'^inps de la civilisation
moderne, 397. — La Grèce et le
Vatican, 406. — La rume de
la Rome antique (suite), 40h.
La lettre du cardinal Gui-
bert et l'Episcopat (suite) 414.
Causerie scientiiic[ue, 41J.
La persécution en Chine,
4-28. Mouvelle^ religieuses,
43-2. — Chronique de la se-
maine, 437. — aevue_ écono-
mique et financière, 445.
IWwméro Tli-^ (29 mai 1886)
Deuxième anniversaire de la
mort de M. J. Chantrel, 44;.
La France, la Chine et le
Saint-Siège, 448. — Le cardi-
nal Pie et la sécularisation,
4r,o_ — Confidences de, Lamen-
nais, 4.DI
— Les études à
Rome, 4G2. — Un miracle a
Lourdes, 466. — La lettre du
cardinal Guibert et TEpiscopat
(suite), 477. — Nouvelles reli-
tv-ieu-ses, 480. — Les Chambres
4y(), _ Chronique de la se-
maine, 491. — Variétés, 500.
Revue économique et finan-
cière, 501.
■WisïtîK-^'"** ■ysâ
|5 luin
1S88).
La pompe dails les églises, o03.
A la dérive, 507. — Con-
fidences de Lamennais (suite
et fin), 511.— La jeune Italie,
la vieille Papauté, 517. —
Comme quoi en descend l'es-
calier rouge, 519. — Le so-
cialisme italien, 522. — La
justice criminelle en 1884, 527.
La lettre du cardinal Gui-
bert et TEpiscopat (suite), 531.
— Nécrologie, 536. — Nou-
velles religieuses, 538. — Les
Chambres, 5i5. — Chronique
de la semaine, 550. — Revue
économique et financière, 557.
IVuméro T?50 (12 juin 1886).
Actes du Co-^sistoire secret,
559. — Les Ruines, 5G1. —
D'-cadence. 567. — Budget do
prêtre, budget du miuistre,
570. — L'association chrétienne
des honnêtes gens, 576. — La
Bible et la critique rationaliste,
582. — Un missionnaire belge
à l'île Van Couver, 587. —
Assemblée générale des Catho-
liques, 592. — Nécrologie, 598.
Nouvelles religieuses, 599. —
Les Cham lires, 603. — Chro-
nique de la semaine, 605. —
Revue économique et finaa-
cière, 613.
Numéro TSr (19 juin 1886).
Consistoire du 10 juin 1885,
615 — Les nouveaux Cardi-
naux, 620. — L'homme en
regard de la création, 627.^ —
Le recensement, 6:9. — L as-
,sociatioa chrétienne des hon-
nêtes gens (suite et tin), 631.
Les Chambres, 634. — Une
nouvelle infamie, 645. — As-
semblée générale des Catho-
liques, 648. — Nouvelles reli-
gieuses, 650. — Nocrologie,
659. — Chronique de la se-
maine, 660. — Bulletin biblio-
graphique, 66i. — i^evue éco-
nomique et financière, 66»,
IVîiméro TSS® (23 juin 1886).
Léon XUl et ia France, 6il.
Home-Rule, 673. — Une com-
paraison, Franco et Belgique,
G78 — Les sociétés de secours
mutuels, 6S0. — Le but su-
prême de la franc-maçonner^ie,
^34. _ Mgr de Ségur et I eu-
charistie, 638. — Le Congres
de Toulouse, 693. — Assem-
blée générale des Catholiques
(suite et fin), 696. — Les
Chambres, 701. — Chronique
de la semaine, 712. — Revue
économique et financière^ /l».
— Table des matières, 720. —
Table alphabétique, 722.
TABLE ALPHABÉTIQUE
(1)
Abus. — Déclaration d'abus ron-
tie l'Evêque de Saint-Dié, 567.
— Appels comme d'abu?, 335,
Académie. — Attribution do prix,
110.
A In dérive, 507.
Allemagne. — La nouvelleloi reli-
gieuse, 54, 101, 216, 275, 328,
383. — L'Allemagne et le Saint-
Siège, 193. — Prorogation de
la loi contre les socialistes, 109.
• — La question ouvrière, 342.
Amélie (la princesse) d'Orléans.
— Son mariage avec le duc de
Bragance, 388,491. — Paroles
de l'ambassadeur de France,
494.
Angleterre. — Les projets relatifs
à rirlande, 53, 164, 327, 499,
556, 612. — Dissolution de la
Chambre des Communes, 666.
Appels comme d'abus, 335.
Assemblée générale des catholi-
ques, 37, 592, 618, 696.
Association (!') chrétienne des
honnêtes gens sur le terrain
des affaires, par le P. L. de
Besse, 5:6, 631.
Augustin (Saint-). — Son cen-
tenaire à Rome, 371, 436.
Australie. — Réponse de Mgr Gib-
bons aux évoques d'Australie,
319.
Banqueroute (la) du Protestan-
tisme, 255.
Bavière. — Folio et suicide du
roi Louis II, 663.
Belgique. — Troubles et grèves,
51. — Election do Bi-uxelles,
444. — Election du 8 juin, 611,
667. — Interdiction de la ma-
nifestation du 13 juin à Bruxel-
les, 556.
Benoit (abbé). — Un ouvrage du
cardinal Pilra, 228.
Besse (R. P. L. de). — L'associa-
tion des houriètes gens sur le
terrain des affaires, 576, 631.
Bible (1h) et la ciilique latioua»
lisle par M. Mai-ius Sepet, 582.
Bismark (M. de) photographe,
218.
Budget des cultes. — Décision
de la commission de no pas le
discuter, 552.
Budget du prêtre. Budget du
minislre, 570.
Bullf-lin bibliographique, 222,
668.
But (le) suprême do la franc-ma-
çonnerie, 684.
Canada (le) et la France, 246.
Cardinaux (les nouveaux). —
Wgr Bernailou, 620. — Mgr Lan-
géiiioux, 621. — Mgr Place,
621. — Mgr Gibbons, 622. —
Mgr Taschereau, 622. — Mgr
Theodoli, 624. — Le R. P.
Mazzella. 626.
Carolines (les). — Création d'une
mission spéciale, 538.
Cassagnac (P. de). — Le Recen-
sement, 629.
Causerie scientifique, 419.
Chambord (comtesse dp). — Sa
mort, 34. — Biogra|)hip, 35.
Chambres (les) 44, 102. 152, 207,
490, 545, 603, 634, 701,
Chant (le) du peuple dans les
Eglises par le R. P. Delaporte,
352.
Chanlrel (Henri). — Son mariage
avec mademoiselle Prat, GO't.
Chantrei. (.loseph), fondateur des
Annales calholiques. — Second
anniversaire de sa mort, 447.
(1) Dans cette Table, les chiffres qui suivent les articles indiquent
les pages; les noms des auteurs dont les travaux ont été publiés
dans co volume des Annales sont en petites majuscules; les titres
des livres sont en italiques.
TABLE ALPHABETIQUE
723
Châteauvillain (affaire de ). —
Interpellation de M. de iMun,
155. — Récit des f.iifs, 159. —
Interpollatioa au Sonat, 209,
235. — La vérité sur l'affaire
de Châtpauvillain , par Mgr
Fava, 261. — Les victimes
poursuivies, 442, 555.
Chpmin (le) <ic la Croix, par Mgr
Fre-pel, 39L
Chine (la) et le Saint-Siège, 267,
31G, 369. — Persécution. 4->8,
— Lettres du P. Platel, 4\Î8.
Chi'onique (Petite), 110, 329, 388.
Chronique de la Semaine. 51, 104,
15G, 1M3, 27-2, H2-2. 378, 437,
491, 550, 005, 060, 712.
Comme quoi on descend l'escf.lier
louge par Alph. Karr, 519.
Comparaison (une). — France et
Belgique, 678.
Conférences île Notre-Dame, par
le R. P. MoNSABRÉ, 27, 86,
145. 195, 225.
Confidences do Lamennais par
.M. DE PONTMARTIN, 457, 511.
Congiès des œuvres Eucharisti-
ques 693. — Progiamme. 36 L —
Interdiction du Congiès, 645.
— Lettres de M. Goblot, 645,
6i6. — Lettre du cardinal Des-
prez, 647, 693.
Conseil d'Etat. — V. Abus.
Conseil niiinicijial do Pans, 608.
Conseils généiaux, 524.
Consistoires des 7 et lU juin, 432,
559; — discours du Pape, 599.
CoR.NET (abbé N.). — Les Jésuites
allemands et ia science depuis
1848, 115.
Cuile (le) du grand architecte,
par Léo Taxil, 668.
D
Décadence, 5^7.
Dei.ap«)Rte (R. P.). — Le chant
du peuple dans les Eglises, 352.
Deux politiques, 279.
Drumont(Edouard). — La France
juice, 344. — Ses duels, 272.
Dumax (abbé). — Iléoi.sion et re-
constitution de la chronologie
Biblique et profane, 2.;2.
e:
EcJio (un) des joies du ciel, 2?3.
Enseignement primaire. — V.
Chaiiibros. — Discours de ^L J.
SiMox, 135. — Lettre de iMgrTu-
uiNAZ à M. Goblet, 12. — Péti-
tionnemont contre ia nouvelle
loi, 99, ll:{, 267, 316, 370. —
La nouvelle loi scolaire, 339.
Espagne. — Les élections, 165.
— Assassinat de 1 évêque de
Madrid, 204. — Naissance du
Roi, 445. — Baptême du Roi,
495. — Lettre du Pape à la
Reine-Régente, 543.
Etats-Unis. — Le socialisme, 386.
Etudes (les) à Rome, 462.
Fava (Mgr), évêque de Grenoble.
— Lettre à M. Goblet, 38. —
La vérité sur l'affaire de Châ-
teauvillain, 261.
Fouard (l'abbé). — La mort de
Jésus, 169.
France. — V. Chambres, Nou-
vi^lles religieuses. Chronique,
Petite Chronique, etc. — Elec-
tions sénatoriales, 53, 107, 216,
322, 437. — Elections, à la
Chambre, 108, 164, 216, Sll,
496. — La grève de Decaze-
ville, 105. 214, 442. — Procès
de Villefranche, 213. — Affaire
Lacascade, 322. — Les lois
d'expulsion des princes, V.
Chambres, Comte de Paris,
Chronique, etc. — L'anniver-
saire du 24 mai, 497.
Fram e (la), la Chine et le Saint-
Siège, 448.
France (la) juive, par Et. JouvK,
344.
Franc-Maçonnerie et les Tem-
pliers, 500.
FREPPEL(.\lgr), évêque d'Angers.
Le Chemin de la Croix, 391.
G
Grèce, 217. — Intervention de la
France, 275. — Avortementde
la médiation française, 326, —
Le blocus, 381.
Grèce (la) et le Vatican, 406.
725
TABJaE ALPHABETIQUE
Missions. — V. Tonkiti, Chine.
MoNSABRÉ (R. P.). — Conférences
de Notre-Dame, 27, 86, 145, 159.
— A Notre-Dame, 225,
Mort (la) de Jésus par M. l'abbé
FOUARD, 169.
Mort (la) des persécuteurs de
i'Eqlùe et de la papauté, par
l'abbé Pluot, 222.
Nécrologie. — La comtesse de
Ghambord, 34, 98. — Mgr Guil-
lemiu, 95. — Mgr Von der Mar-
wit/, 95. — Mgr Izquierdo,
204. — Mgr Orbin, 205. —
M. de Cornuïier-Lucinière , 206.
— M. G. Charmes, 206. — M. de
la Croix, duc de Castries, 206.
— M. de Cabrières, 206. —
L'abbé Corblet, 307. — Mgr Fer-
nandoz de Castro, 308. — Isa-
bey, 308. — Le D'' Lee,rand du
Saulle, 329. — M. Blondel, 329.
— M. Honnoré, 389. — Mgr Le
Breton, 436, 488. — Le colonel
Herbinger, 536. — M. Jamot,
538. —"Bernard Veuillot, 598.
— M. de Canx, 659. — M. de
Lavrignais, 659.
NicoLAY (Fernand). — La sus-
pension des traitements ecclé-
siastiques, 70.
Nouvelles religieuses, 37, 96, 166,
265, 308, 368, 432, 480, 538,
599, 650.
O
Œufs (les) de Pâques, par C. Saint-
Maiîtin, 250.
Orient. — Situation religieuse.
Orient (question d'). — V. Grèce.
Origines (les) de la civllisatioa
ciireiicrnuè, o97.
Ouvrage (un) du cardinal Pitra,
par l'abbé Benoit, 228.
Paris (Comte de). — Mariage de
la princesse Amélie, 388. —
Réception de l'hôtel Galliera,
438. — Départ des prince.^,
439. — L'expulsion, 440. 494.
550, 607, 060, 712 — L'expul-
sion à laChambre.V. Chambres.
Perse. — Léon XIll décore deux.
princes persans, 321.
Persécution (la). — Attentat de
Dignac, 484. — Le cimetière
d'Àuberive, 48ë. — V. Ghâ-
teauvillain.
Pie (le cardinal) et la sécularisa-
tion, 452.
Pluot (l'abbé). — La mort des
persécuteurs de l'Eglise e; d«
la papauté, 222.
Pompe (la) dans les églisea, par
Mgr IsoARD, 503.
Programme (le) franc-maçon, 286.
Question (la) ouvrière en Allema-
gne, 342.
R
Renier (Monsignor). — Son apos-
tasie, 539.
Recensement (le) par P. de Ca8-
SAGNA.C, 629.
Révision et reconstitution de la
chronologie hlbiiqxie et pro-
fane, par l'abbé Dumax, 222.
Revue économique et financière»
55, 111, 167, 223, 279, 331, 389,
445, 501, 557. 613, 669, 718.
Richard (Mgr) coadjuteur da
Paris. — Article du Figaro
relatif aux prétendues inten-
tions du gouvernement à son
égard, 434. — Note de la Se-
maine religieuse, 434.
Rome. — Destruction de la Rome
antique, 97, 408 ; — la ruine de
la Rome antique, 281 ; — let-
tre d'Hermann Grimm, 283; —
lettre de Gregorovius, 348.
Ruine (la) de la Rome antique.
V. Rome.
Ruines (les) par Arthur Loth, 561.
Russie. — Déportation d'un prê-
tre, 658.
ANNALES CATHOLIQUES
724
Grignon de Montfort (le Bienheu-
reux). — Décret concernaat sa
béatification, 18, 483.
GuiBERT (Mgr) carclinal-arche-
vêque de Paris. — Lettre à
M. Grévy, 58. — Adhésion de
l'épiscopat, 128, 188, 257, 299,
363, 414, 4-7, 531. — Appré-
ciatioa de la presse, 57, 03.
H
Hesse (grand duché de). — Le
catholicisme, 303. — La pacifi-
cation relicrieuse, 543,
Home Ru le, 673.
Homme (F) en regard de la créa-
tion, 627.
Houx (H. de). — Décret proscri-
vant ses Souvenirs d'un jour-
naliste, 96. — Sa soumission,
274, 317.
Incinération (1'). — V. Chambres.
Infamie (une nouvelle). — Inter-
diction du Congrès eucharis-
tique, 645. — V. Congrès.
Intentions (les) de Léon XIII, par
Mgr Mermillod, 5.
IsoARD (Mgr), évoque d'Annecy.
— La pompe dans les églises,
503.
Italie, 279, 498. — Elections
municipales de Rome, 666.
Italie (la jeune) et la vieille Pa-
pauté, 517.
r^
Laïcisation (la). — V. Nouvelles
religieuses. — Les crucifix de«
justices de paix à Lyon, 376.
— Laïcisation des écoles de
Dax, 051.
Langfilerie (Mgr de), par M, le
Chanoine Laprie, 289.
Laprie (Chanoine). — Mgr de
Langaleiie, 289.
Lebouvier (abbé E.). — Un mi-
racle à Lourdes, 466.
LÉON XIII. — V. Nouvelles reli-
gieuses, Allemagne, etc. —
Brefs à Mgr l'archevêque de
Rouen, 42; — à l'archevêque
de Tours, 43; — relatif aux
Chanoines de Carthage, 294;
— Consistoires des 7 et 10 jaia,
559, 615. — Allocution, 599. —
Lettre à la Reine-Régente
d'Espagne, 543; — au roi de
Portugal, 657. — Discours au
nouvel ambassadeur d'Espagne,
309; — au cardinal Jarobini en
lui imposant laToison d'or, 312;
— à une députation du diocèse
de Munster, 313; — aux pèle-
rins hollandais, 480.
Léon XllI et la France, 671.
Libéraux (les) et le Concordat,
330.
Livres. — V. Bulletin bibliogra-
phique.
Loi (la nouvelle) militaire, 441.
Loi (la nouvelle) scolaire, 339. —
V. Enseignement.
LoTH (Arthur). — Les ruines, 561.
Jacobini (cardinal). — Le saint
Père lui impose la Toison d'or,
312.
Jésuites (les) allemands et la
science depuis 1848, par l'abbé
Cornet, 115.
Jouve (Etienne). — La France
juive de M. Drumont, 344.
Justice (la) criminelle en 1884, 527.
K
Karr (Alphonse). — Comme quoi
on descend l'escalier rouge, 519.
M
Madagascar, 612. — Arrivée de
Mgr Cazet, 544.
Manuel Vohjglotte, 669.
Mermillod (Mgr) évêque de Lau-
sanne. — Les intentions de
Léon XIII, 5.
Messe (une) au Cénacle, 123.
Michel (Mont Saint-). — Ferme-
ture de la basilique, 651.
Miracle (un) à Lourdes, par
E. Lebouvier, 466.
Missionnaire (un) à l'île Van
Couver, 587.
726
ANNALES CATHOLIQUE»
Ségur (Mgr de) et l'Eucharistie,
688.
Saint-Martin (C). — Les œufs de
Pâques, 250.
Saint-Siège (le) et l'Allemagne,
193, — et la Chine, 267, 316,
369.
Semaine (la) sainte à Jérusalem,
SénégMl, 1C5, 216.
Sépai-ation de 1 Eglise et de l'Etat,
605. — Projet de Yves Guyot,
553.
Sepet (Maiius). — La Bible et la
critique rationaliste, 582.
Simon (JuIpis) sénateur. — Dis-
cours contre Taiticle 17 de la
loi primaire, 135.
Situation religieuse en Orient,
243.
Socialisme (le) italien, ses ori-
gines et ses affinités politiques,
522.
Sociétés (les) de secours mutuels,
680.
Sociétés savantes. — Réunion à
la Sorbonne, 325. — Discours
de M. Goblet, 325.
Suppression du traitement des
desservants. — Procès de l'abbé
Mourot, 20. — Lettre de Mgr
révoque de Clermont., 268. —
Lettre de M. le doyen Bordat-
ges, 270.
Suspension (la) des traitements
ecclésiastiques, parF.NicoLAY,
70.
Taxil (Léo). — Le culte du grand
archiiecle, 668.
Tonkin. — Nouveaux massacres,
295.
Torlonia (don Alessandro), 79.
Tribunaux. — Procès de l'abbé
Mou rot, 20. — ]\Igr l'évêque de
Moulins contre ^l. Ferry à pro-
pos du séminaire d'Izeure, 74.
TuRiNAZ (Mgr) évêque de Nancy.
— Lettres à M. Goblet sur
l'enseignement primaire, 13;
— à M. Pasteur, 5'i2.
Variétés. — M. de Bismark pho-
togiaphe, 218. — Les libéi-aux
et le C/oncordat, 330. — La
franc-maçonnerie et les Tem-
pliers, 500.
Vœu national au Sacré-Cœur, 433.
Le gc'rant : P. Chantrel.
Paris. — Imp. G. Picqnoin, 51, rue de Lille.
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