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Full text of "Annales catholiques : revue religieuse hebdomadaire de la France et de l'église"

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ANNALES 

CATHOLIQUES 


NOUVELLE  SERIE 
II 

A.VRIL,-.TUII!V 

1886 


ANNALES 

CATHOLIQUES 


REVUE  HEBDOMADAIRE 

PUBLIÉE   AVEC   l'aPPBOBATION   ET   l'ENCOUHAGEMENT 

DE  LEURS   ÉMINENCES  U^'  LE   CARDINAL-ARCHEVÊQUE  DE   ROUEN 

ET  LE  CARDINAL-ARCHEVÊQUE   DE   CAMBRAI, 

DE  LL.  EXC.  MS'  l'archevêque  DE  REIMS,  ET  LES  ARCHEVÊQUES  DE  TOULOUSE, 

DE  BOURGES,  D'aIX  ET  DE   BESANÇON,  ET  DE  NN.  SS.   LES  ÉVÊQUES  d'aRRAS, 

DE  BEAUVAIS,   d'aNGERS,  DE  BLOIS,  DE  CAHORS,  d'ÉVREUX,  DU  MANS, 

DU   PUY,    DE  LIMOGES,   DE   CHALONS,    DE   MEAUX,   DE    MENDE,    DE    NANCY, 

DE   MARSEILLE,   DE  NANTES,    DE    NEVERS,    DE    NIMES,  d'ORLÉANS,   DE    PAMIERS, 

DE  SAINT-CLAUDE,   DE  SAINT-DIÉ,  DE   TARENTAISE,  DE  TROYES,  D'aUTUN, 

DE   VANNES,     DE   SÉEZ,   DE    FRÉJUS,    d'aNNECT,  DE    CONSTANTINE,     D'hÉBRON, 

DE  CARACAS,   DE   CARTHAGÈNE,  d'oLINDA,  DE  LÉON  DU  MEXIQUE,  ETC. 

RÉDACTEUR  EN  CHEF 

P.  CHANTREL 

CHEVALIER  DE  l'oRDRE  DE  L'iMMACULÉE-CONCEPTION 


TOME  DEUXIEME 

AVRIL  -JUI]^ 

1SS6 

(tome  lvii  de  la  collection) 


(L.'-fir><iSS^<ns'~r*-» 


PARIS 
114,  RUE  BLOMET,  114. 


PARI?.    —    IMP.    DE    L  ŒUVRE    DE    SAINT-PAUL,    G.    PICQUOIN 
51,    RUE    DE   LILLE,    51 


ANNALES    CATHOLIQUES 


-©^-«CZiQCIS*':^- 


LES  INTENTIONS  DE  LEON  XIII 

Au  lendemain  de  l'avènement  de  Léon  XIII,  un  illustre  pré- 
lat, Mgr  Merraillod,  précisait  en  ces  termes  les  rapports  qui 
unissaient,  dans  son  espoir,  le  Pontificat  qui  venait  de  finir  avec 
celui  dont  il  saluait  l'aurore  : 

Il  y  a  dans  les  âmes  comme  un  pressentiment  que  le  glorieux 
tombeau  de  Pie  IX  est  le  portique  de  l'ordre  social  chrétien.  Le 
grand  Pontife  à  qui  l'univers  entier  a  rendu  hommage  dans  un  deuil 
plein  d'espérance,  nous  semble  Moïse  dirigeant  le  peuple  de  Dieu 
à  travers  les  souffrances  et  les  luttes;  ses  prières  nous  obtiendront 
un  Josué  qui  nous  conduira  à  la  terre  promise  des  triomphes  évan- 

géliques Pie  IX  a  tracé  le  plan  et  les  lois  de  la  société  chrétienne; 

Léon  XIII,  c'est  notre  espoir,  les  appliquera  aux  constructions  des 
temps  nouveaux. 

Si  le  cardinal  Pecci  n'avait  pas  justifié  d'avance  ces  espé- 
rances, nous  dirions  volontiers  que  ces  prévisions  étaient  une 
prophétie.  Est-ce  que  Mgr  Mermillod  s'est  souvenu  de  sa  pré- 
diction, lorsque,  tout  récemment,  en  compagnie  de  tout  ce  que 
Rome  avait  de  plus  distingué,  il  célébrait  le  huitième  anniver- 
saire de  l'avènement  de  Léon  XIII,  dans  ce  cercle  du  Vatican, 
dont  sa  brillante  et  délicate  parole  a  fait  l'ornement  et  la  vie? 
Nous  le  savons,  Mgr  Mermillod  a  semé  tant  d'opportunes  pa- 
roles à  travers  le  monde,  qu'il  peut  bien  s'accorder  la  permis- 
sion d'en  oublier  quelques-unes.  Il  n'y  a  que  les  pauvres  qui 
portent  tout  leur  trésor  avec  eux.  Pour  nous,  qui  avions  gravé 
dans  notre  mémoire  ces  glorieux  pressentiments,  nous  sommes 
heureux  de  les  reproduire  aujourd'hui  que  les  événements  les 
ont  vérifiés.  Ecrites  il  y  a  huit  ans,  les  lignes  que  nous  avons 
citées  dessinent  l'œuvre  de  Léon  XIII,  et  résument,  pour  ainsi 
dire,  les  deux  lettres  pastorales  que  Sa  Grandeur  a  laissées 
à  ses  diocésains,  à  son  départ  pour  Rome.  En  ce  moment, 
Mgr  Mermillod  ne  dit  plus  :  «  C'est  notre  espoir  !  »  mais  :  «  C'est 
la  consolante  réalité  !  » 


6  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  grand  Pontife  qui  préside  aux  destinées  de  l'Église  a  achevé 
de  démêler  l'ombre  d'avec  la  lumière,  et  il  vient  d'appliquer 
aux  reconstructions  des  temjis  nouveauoj  les  lois  de  la  société' 
chrétienne  définies  par  Pie  IX.  Tout  est  dans  ces  paroles  :  la 
suite  des  deux  Pontificats,  la  mission  de  Léon  XIII  et  jusqu'au 
titre  de  l'admirable  Encyclique  qui  clôt,  coordonne,  complète  et 
applique  les  enseignements  des  Papes  antérieurs. 

Mgr  Mermillod  a  donc  eu  le  privilège  de  pressentir  la  mission 
de  Léon  XIII;  il'a  aujourd'hui  le  mérite  de  comprendre  les  inten- 
tions du  Souverain-Pontife  et  d'en  donner  de  lumineux  com- 
mentaires. Nous  avons  rapporté  les  directions  si  précises  et  si 
sûres  que  l'illustre  évêque  donne  aux  journalistes  ;  cette  page  a 
été  reproduite  par  la  presse  étrangère.  Le  mandement  de  carême 
nous  fournit  des  éclaircissements  sur  les  intentions  de  Léon  XIII ; 
nous  nous  faisons  une  joie  de  les  recueillir.  La  question  est  im- 
portante. Sa  Grandeur  nous  explique  comment  le  Pape  entend 
les  reconstructions  des  temps  nouveaux. 

Léon  XIII  veut  surtout  reconstruire;  mais  il  comprend  que 
les  assises  de  la  cité  chrétienne  ne  peuvent  reposer  que  sur  des 
âmes  chrétiennes.  Il  ouvre  donc  encore  une  fois  sur  le  monde 
les  trésors  de  la  sainte  Eglise.  Il  convoque  les  fidèles  à  la  péni- 
tence, à  la  prière,  au  renouvellement  intérieur.  C'est  l'habitude 
du  grand  Pontife  de  faire  suivre  les  actes  de  sa  haute  adminis- 
tration d'un  appel  à  la  prière.  L'opportunité  de  la  nouvelle  faveur 
qu'il  fait  au  monde  ne  peut  échapper  à  personne.  Les  salutaires 
leçons  sur  «  les  questions  contemporaines  les  plus  brûlantes  et 
«  les  plus  délicates  »  resteraient  sans  fruit,  si  elles  ne  tombaient 
sur  des  âmes  bien  préparées.  Les  plus  lumineuses  théories  sur 
l'organisation  des  sociétés  seraient  stériles,  si  chacune  ne  s'ap- 
pliquait «  à  penser  et  à  agir  chrétiennement  aussi  bien  en  public 
«  que  dans  son  particulier;  car  l'ordre  politique...  se  forme  à 
«  l'image  des  opinions  et  des  mœurs.  »  Ces  paroles  du  Souve- 
rain-Pontife nous  marquent  le  lien  qui  rattache  l'Encjclique  sur 
le  Jubilé  à  celle  sur  la  constitution  chrétienne  des  Etats.  «  Il  y 
«  a  une  raison  particulière,  ajoute-t-il,  qui  fera  paraître  plus 
«  opportune  que  jamais  Notre  décision.  En  efî'et,  après  que  Nous 
«  avons  enseigné,  dans  Notre  dernière  Lettre  encyclique,  com- 
«  bien  il  importe  aux  Etats  de  se  rapprocher  de  la  véz^ité  et  de 
«  la  forme  chrétienne,  on  comprendra  facilement  combien  il 
«  importe  au  but  que  Nous  Nous  y  sommes  proposé  de  Nous 
«  efforcer,  par  tous  les  moyens  eu  Notre  pouvoir,  d'exciter  ou 


LES    INTENTIONS    DE    LÉON    XIII  7 

«  de  ramener  les  hommes  aux  vertus  chrétiennes.  Car  un  Etat 
«  est  ce  que  le  fout  les  mœurs  du  peuple...  L'ordre  politique 
«  périt,  et  avec  lui  tout  ce  qui  constitue  l'action  de  la  vie  pu- 
«  blique,  s'il  ne  procède  que  du  fait  des  hommes...  »  Léon  XIII 
demande  deux  choses  aux  catholiques  :  des  croj'ances  et  des 
vertus  renouvelées  dans  la  pénitence  et  la  prière  ;  la  cessation 
des  dissentiments  qui  les  affaiblissent. 

Laissant  à  la  chaire  clirètienne  l'éloquente  thèse  oii  Sa  Gran- 
deur a  développé  la  doctrine  des  indulgences,  nous  rapporterons 
ici  les  commentaires  qu'elle  donne  sur  la  double  intention  du 
Souverain-Pontife. 

Quelles  sont  donc  les  intentioas  du  Chef  de  l'Égliso  dans  la  publi- 
cation de  ce  Jubilé?  Léon  XIII,  nous  l'avons  dit,  veut  relever  le  sens 
surnaturel  dans  les  âmes,  fortifier  les  liens  qui  doivent  resserrer  les 
enfants  de  la  foi;  il  supplie  les  âmes  de  se  convertir,  de  se  sanctifier 
et  de  s'unir.  Il  faut  former  avant  tout  des  chrétiens  qui  vivent  de  l'es* 
prit  de  Jésus-Christ,  qui  le  reçoivent  dans  leurs  cœurs,  afin  qu'ils 
soient  de-s  citoyens  qui  le  gardent  dans  un  peuple. 

Sans  doute,  Léon  XIII  est  ému  devant  les  périls  qui  menacent  la 
société  et  les  persécutions  soulevées  contre  l'Eglise;  mais  ce  qui  anime 
son  zèle,  ce  sont  les  dangers  intérieurs  de  l'Eglise,  c'est-à-dire  des 
fidèles  qui  n'ont  plus  l'esprit  de  Jésus-Christ;  ce  sont  des  catholiques 
qui  perpétuent  leurs  discordes  et  ne  savent  pas  répondre  à  l'appel  du 
Sauveur  :  «  Que  mes  disciples  soient  consommés  dans  l'unité  !  » 

Hélas  !  Léon  XIII  peut  répéter  la  plainte  de  l'apôtre  saint  Paul  :  «  Je 
«  le  dis  avec  des  larmes,  il  y  en  a  beaucoup  parmi  vous  qui  sont  ennemis 
«  de  la  croix  de  Jésus-Christ.  »  Les  demi-vérités  gouvernent  les  intel- 
ligences et  les  demi-vertus  régnent  dans  les  âmes;  de  là  un  christia- 
nisme affadi  et  un  Évangile  abaissé  dans  la  vie  pratique.  Ne  l'oubliez 
pas,  notre  siècle  est  celui  des  transactions.  On  tend  à  amalgamer  le 
bien  et  le  mal,  le  vice  et  la  vertu,  la  foi  et  l'incrédulité.  A  peine 
trouve-t-on  un  caractère  ferme  et  constant;  les  luttes  d'ambition,  les 
rivalités  personnelles,  l'amour  immodéré  du  bien-être,  la  soif  de  la 
fortune,  la  course  aux  plaisirs,  l'horreur  de  la  peine  et  la  fuite  du 
travail,  tout  ce  qui  corrom.pt  ou  énerve  les  âmes  pénètre  les  popula- 
tions chrétiennes.  La  piété  trop  superficielle  subit  cette  influence 
délétère  :  elle  vit  de  dévotions  faciles  ou  bruyantes;  elle  remplace 
l'esprit  de  sacrifice,  la  religion  simple  et  sérieuse,  sans  faste,  par  des 
émotions  où  l'on  cherche,  dit  saint  François  de  Sales,  plus  les  consO' 
lations  de  Dieu  q^ie  le  Dieu  des  consolations.  Ce  christianisme 
amoindri  redoute  l'abnégation,  s'alarme  de  ce  qiii  crucifie  la  nature; 
il  cherche  à  convertir  en  jouissances  mondaines  les  devoirs  les  plue 
saints,  même  les  obligations  de  la  charité.  Les  livres  de  piété  se  voient 
dans  les  mêmes  mains  que  les  pernicieux  romans  en  vogue;  les  fautes 


8  ANNALES    CATHOLIQUES 

laissent  plus  de  dépit  et  de  mécomptes  d'orgueil  que  de  vrai  repentir; 
la  pénitence  est  réduite  à  des  mitigations  habiles.  L'éducation  de 
l'enfance  elle-même  n'est  plus  la  formation  des  hommes  énergiques 
et  des  femmes  fortes;  elle  n'a  d'autre  point  d'appui  que  l'attrait  du 
plaisir  et  le  succès  de  l'amour-propre.  Hélas  !  les  robustes  populations 
de  nos  campagnes  n'échappent  pas  à  ces  séductions  :  ne  les  voyons- 
nous  pas  quelquefois  déserter  les  joies  bienfaisantes  de  la  famille,  les 
allégresses  de  nos  offices  religieux,  les  chants  de  nos  vêpres,  pour  ces 
réunions  où  des  jeunes  gens,  des  chefs  de  maison  et  même  des  vieil- 
lards vont  détruire,  dans  une  ivresse  coupable,  leur  fortune  modeste, 
leur  santé  et  leur  conscience?  Que  le  Jubilé,  à  l'appel  du  Pape,  nous 
rende  les  mâles  vertus  de  nos  ancêtres;  que  sous  le  souffle  de  la 
parole  évangélique,  les  âmes  se  relèvent  en  écoutant  les  leçons  du 
Sauveur  :  «  Si  quelqu'un  veut  venir  après  moi,  qu'il  se  renonce  lui- 
«  même,  qu'il  porte  sa  croix  et  qu'il  me  suive  !  » 

Voilà  le  christianisme  tel  qu'il  est  compris,  accepté  et  pratiqué; 
il  n'y  en  aura  jamais  d'autre.  Ni  les  demi-vérités  dans  les  croyances, 
'ni  les  demi-vertus  dans  la  vie  ne  font  de  sérieux  disciples  de  l'Évan- 
gile. 

D'où  vient  donc  cette  altération  du  sens  chrétien?  L'Épiscopat 
suisse  en  a  signalé  les  causes  :  la  presse  irréligieuse,  antichrétienne, 
qui  verse  le  blasphème  sous  des  apparences  scientifiques  ou  des 
formes  licencieuses,  l'esprit  de  famille  qui  se  dissout,  le  dimanche 
profané  par  des  fêtes  qui  envahissent  le  temps  réservé  à  la  prière 
publique.  Ne  soyez  donc  pas  surpris  que  le  Chef  de  l'Église  donne 
à  nos  avertissements  l'autorité  et  la  solennité  de  sa  parole. 

Il  déplore  aussi  le  partage  que  font  des  consciences  trop  faciles  : 
elles  allient  l'esprit  du  monde  et  les  exercices  de  piété;  chez  quelques 
tommes,  la  vie  publique  n'est  pas  toujours  en  rapport  avec  la  vie 
privée.  Nul  ne  peut  servir  deux  maîtres.  La  conscience  ne  peut  pas 
être  double  ;  partout  et  toujours  l'existence  entière  doit  être  péné- 
trée d'un  même  principe  et  rapporter  à  Dieu  tous  ses  actes. 

Le  Souverain  Pontife  déplore  ces  pusillanimités  ou  ces  erreurs  de 
quelques  croyants  qui  ont  une  conscience  devant  Dieu  et  une  autre 
dans  la  vie  sociale.  C'est  en  vain  que  le  naturalisme  voudrait  séparer 
la  vie  civile  de  la  vie  religieuse  ;  la  foi  doit  tout  inspirer,  le  juste  vit 
de  la  foi.  Faire  abstraction  de  l'Évangile  dans  le  devoir  social,  agir 
â  l'extérieur  comme  si  le  christianisme  n'existait  pas,  c'est  mécon- 
naître l'influence  de  la  religion,  ses  rapports  avec  la  morale,  et  faire 
nn  partage  que  Dieu  et  la  conscience  réprouvent. 

Ce  qui  surtout  attriste  profondément  le  Vicaire  de  Jésus-Christ, 
ce  sont  les  discordes  qui  affaiblissent  l'union  entre  les  catholiques; 
sa  parole  émue  révèle  les  douleurs  intimes  de  son  cœur  ;  plusieurs 
fois  déjà  il  a  multiplié  ses  instances;  aujourd'hui  il  rend  responsables 
devant  Dieu  les  Évêques  s'ils  n'usent  pas  de  leur  autorité  et  de  leur 


LES    INTENTIONS    DE    LIÉON    XIII  9 

vigilance  pour  écarter  ce  mal  de  la  division,  qui  est  toujours  l'œuvre 
de  l'ennemi  de  Jésus-Christ.  Entendez,  nos  très  chers  frères,  ces 
accents  du  Père  de  nos  âmes;  comprenez  que  cette  faveur  du  Jubilé 
est  surtout  accordée  dans  le  but  de  rétablir  la  paix  des  esprits  et  des 
cœurs  ! 

Comme  ses  prédécesseurs,  et  avec  non  moins  d'énergie  que 
les  plus  illustres  d'entre  eux,  Léon  XIII  a  condamné  les  fausses 
doctrines  et  les  fausses  libertés  qui  portent  le  nom  de  droit 
nouveau.  Il  a  réprouvé  solennellement  l'indifférence  religieuse 
sociale;  la  liberté  illimitée  de  penser,  de  parler  et  d'écrire;  la 
séparation  de  l'ordre  civil  et  de  la  religion,  de  l'Église  et  de 
l'État,  de  la  vie  publique  et  de  la  conscience  privée,  du  chrétien 
et  du  citoyen,  etc.  Mais  en  même  temps,  il  salue  et  bénit  tout 
ce  qui  fait  l'honneur  de  notre  civilisation  :  la  sauvegarde  des 
intérêts  des  peuples,  le  respect  de  la  grandeur  et  des  droits  de 
la  personnalité  humaine,  l'exercice  d'une  sage  liberté  dans  la 
famille,  la  commune  et  l'Etat. 

Il  encourage  «  tous  les  vrais  progrés  des  sciences,  des  lettres, 
des  arts,  de  l'industrie,  l'amélioration  matérielle  et  morale  des 
classes  ouvrières,  les  découvertes  fécondes  du  génie,  les  oeuvres 
admirables  de  la  foi  et  de  la  sainteté  (1)  ».  Depuis  son  avène- 
ment à  la  Chaire  de  Saint-Pierre,  il  s'efforce  de  réconcilier  les 
peuples  et  les  princes  avec  l'Église  et  de  ramener  partout  la 
concorde  et  l'union  entre  les  deux  autorités.  Or,  qui  ne  com- 
prend combien  ces  efforts  seraient  infructueux  et  quel  sujet  ils 
prêteraient  même  à  la  dérision  des  impies,  si  le  Pape,  qui  prêche 
partout  la  paix  dans  le  monde,  ne  parvenait  à  la  faire  parmi 
ses  propres  enfahts  ?  Aussi,  chaque  Encyclique  semble  accroître 
la  force  de  ces  pressantes  adjurations.  Aujourd'hui,  il  rejette, 
pour  ainsi  dire,  la  faute  de  ces  dissensions  permanentes  sur  ses 
vénérables  Frères  dans  l'épiscopat.  «  Vous  êtes  les  gardiens 
«  de  la  discipline  ecclésiastique  et  de  la  charité  mutuelle,  leur 
«  dit-il;  Nous  voulons  que  vous  appliquiez  sans  cesse  votre 
«  vigilance  et  votre  autorité  à  écarter  un  si  grave  dommage. 
«  Faites  en  sorte  par  vos  avis,  vos  exhortations,  vos  reproches, 
«  que  tous  aient  souci  de  garder  Vunité  de  l'esprit  dans  le 
«  lien  de  la  paix,  et  que  les  auteurs  de  ces  dissensions,  s'il  en 
«  est,  reviennent  à  leur  devoir.  » 


(1)  Lettre  collective  des  évoques  de  la  province  ecclésiastiç[ue  dQ 
Normandie,   à  Sa  Sainteté  Léon  XIII. 


10  ANNALES    CATHOLIQUES 

Sur  cette  question  délicate,  nous  recueillons  avec  respect  la 
parole  de  Mgr  Mermillod  : 

a  Mais  parce  que  le  premier  et  le  principal  fruit  du  Jubilé,  comme 
Nous  l'avons  indiqué  tout  à  l'heure,  doit  être  l'amendemenl  de  la 
vie  et  le  progrès  dans  la  vertu,  Nous  estimons  qu'il  est  tout  parti- 
culièrement nécessaire  de  se  tenir  à  l'abri  du  mal  sur  lequel  Nous 
avons  appelé  votre  attention  dans  notre  précédente  Lettre  encycli- 
que. Nous  voulons  parler  des  dissensions  intestines  et  pour  ainsi 
dire  domestiques  de  quelques-uns  d'entre  nous;  elles  rompent  ou 
au  moins  relâchent  les  liens  de  la  charité,  et  font  aux  âmes  un 
tort  plus  grand  qu'on  ne  saurait  dire.  C'est  pourquoi,  Vénérables 
Frères,  Nous  vous  l'avons  de  nouveau  rappelé  ici,  à  vous  qui  èles 
les  gardiens  de  la  discipline  ecclésiastique  et  de  la  charité  mutuelle, 
parce  que  Nous  voulons  que  vous  appliquiez  sans  cesse  votre  vigi- 
lance et  votre  autorité  à  écai'ter  un  si  grave  dommage.  Faites  en 
sorte  par  vos  avis,  vos  exhortations  et  vos  reproches,  que  tous 
aient  souci  de  garder  l'unité  de  l'esprit  dans  les  liens  de  la  paix, 
et  que  les  auteurs  de  ces  dissensions,  s'il  en  est,  reviennent  à  leur 
devoir,  se  rappelant  pendant  le  cours  de  leur  vie  que  le  Fils  unique 
de  Dieu,  à  l'approche  même  des  derniers  tourments  de  sa  Passion, 
ne  demanda  rien  à  son  Père  avec  plus  d'instance,  que  ceux  qui 
croyaient  ou  qui  devaient  croire  en  lui,  s'aimassent  les  uns  les 
autres,  afin  que  tous  soient  un,  comme  vous,  mon  Père,  vous  l'êtes 
en  moi,  et  moi  en  vous,  qu'eux  aussi  soient  un  en  vous.  » 

Nul  catholique  ne  voudra  résister  à  ces  pressantes  exhortations  ; 
quelle  joie  pour  le  Père  de  la  famille  chrétienne  s'il  voyait  ses  fils 
réaliser  cette  belle  union  des  fidèles  où  la  multitude  des  croyants 
n'avait  qu'un  C02ur  et  qu'une  âme  !  Les  païens  s'écriaient  :  Voyez 
comme  ils  s'aiment  1  et  le  succès  était  l'accroissement  des  chrétiens. 

Cette  union  de  tous  les  enfants  de  l'Eglise,  des  fidèles  avec  les 
prêtres,  des  prêtres  et  des  fidèles  avec  les  évoques,  de  tous  avec 
le  successeur  de  Pierre,  c'est  là  notre  force  invincible,  notre  force 
déjà  victorieuse,  même  à  l'heure  où  nous  semblons  vaincus. 

Sans  doute,  il  y  a  des  situations  diverses,  il  y  a  des  émulations 
légitimes  dans  l'ordre  temporel;  vous  avez  le  droit,  à  cause  du  libre 
jeu  des  institutions  modernes,  de  nos  constitutions  démocratiques,  de 
prendre  part  à  nos  comices  électoraux  ;  bien  plus,  vous  avez  le  devoir 
et  la  responsabilité  devant  Dieu  et  devant  le  pays  de  choisir  comme 
dépositaires  de  l'autorité  ceuxque  leur  foi  sincère,  leur  probité,  leur 
expérience,  leur  désintéressement  indiquent  à  vos  suffrages  ;  vous  ne 
devez  jamais  être  ni  serviles,  ni  factieux  ;  jamais  non  plus  il  n'est  per- 
permis  d'user  de  calomnie,  de  déloyauté,  ou  de  garder  la  haine  dans  le 
cœur.  Qui  que  vous  soyez,  modestes  travailleurs,  hommes  de  race 
ou  de  fortune,  simples  citoyens  ou  magistrats,  vous  êtes  tous  frères 


LES    INTENTIONS    DE    LÉON   XIII  11 

en  Jésus-Christ.  Ni  la  naissance,  ni  la  richesse,  ni  la  politique,  ni 
les  compétitions  d'affaires,  rien  ne  vous  dispense  des  lois  qui  sont 
le  fondement  de  la  vie  chrétienne,  de  l'humilité,  de  l'abnégation, 
de  la  charité;  sans  ses  vertus,  on  peut  avoir  une  apparence  de 
christianisme,  mais  on  n'est  pas  un  vrai  disciple  de  notre  adorable 
Sauveur.  Les  divisions  usent  les  forces  et  dépensent  en  pure  perte 
les  meilleures  énergies  d'uu  pays;  elles  le  conduisent  à  la  décadence. 
Saint  Augustin  le  proclamait  :  «  Faites  l'unité  dans  une  multitude, 
«  vous  avez  un  peuple  ;  ôtez  l'unité,  vous  n'avez  plus  qu'une  foule, 
«  Qu'est-ce,  en  effet,  qu'une  foule,  si  ce  n'est  une  multitude  trou- 
a  blée  ?  » 

Ne  l'oubliez  pas,  nos  très  chers  Frères:  les  discordes  civiles 
engendrent  les  paroles,  les  sentiments  de  l'envie  et  de  la  haine;  là 
est  la  source  de  nombreux  péchés.  Prenez  garde,  Dieu  a  des  ï-e- 
présailles.  «  Nos  péchés,  s'écriait  avec  tristesse  un  grand  Pontife, 
«  saint  Grégoire,  nos  péchés  accablent  l'Etat  ;  la  République  n'en 
a  peut  plus  sous  ce  poids.  » 

Dieu  nous  est  témoin  que  dès  les  premières  heures  de  notre 
retour  sur  le  sol  de  notre  patrie,  nous  n'avons  cessé  de  prier  avec 
toute  notre  ardeur  le  Prince  de  la  paix  de  vous  l'accorder;  nous 
avons  conjuré  nos  bien-aimés  diocésains  de  travailler  à  cette 
unité,  qui  est  le  bien  le  plus  désirable  des  peuples  !  Que  de  fois 
nous  avons  invoqué  avec  des  larmes  l'austère  et  doux  pacificateur 
de  la  Suisse,  notre  Bienheureux  Nicolas  de  Flûe,  le  suppliant  de 
hâter  pour  ce  cher  pays  tout  entier  le  règne  de  la  justice  et  de  la 
paix  :  Orietur  justitia  et  abundantia  pacis  I  Que  le  Jubilé  porte  ses 
fruits,  et  que  les  chrétiens  dociles  à  la  voix  paternelle  et  souveraine 
de  Léon  XIII  affirment  la  vérité  sans  alliage  et  sans  faiblesse, 
mais  qu'ils  ne  blessent  jamais  la  charité,  qui  est  la  perfection  de 
la  loi. 

Nous  espérons  ces  consolants  résultats,  nous  les  espérons 
de  votre  foi,  de  votre  obéissance,  de  la  prière  unanime  du  monde 
catholique  ;  nous  l'espérons  surtout  de  la  protection  de  la  Reine 
delà  paix,  de  Notre-Dame  du  Rosaire.  Ce  doux  Jubilé  du  pardon 
et  de  l'amour  est  en  l'honneur  de  la  Vierge  bénie  ;  il  est  confié  à  sa 
maternelle  protection  ;  jamais  elle  n'a  été  invoquée  en  vain  !  Nul 
catholique  ne  repoussera  les  secours  de  notre  Mère  dans  le  ciel 
et  ne  trompera  les  saintes  espérances  de  notre  Père  qui  est  au 
Vatican.  Le  récent  triomphe  public  de  l'Eucharistie  ,  qui  est  le 
centre  de  l'unité  et  le  lien  de  la  chainté,  nous  présage  ces  grâces 
de  prédilection. 


12  ANNALES   CATHOLIQUES 

L'ARTICLE  58 

DE    LA   NOUVELLE    LOI    SUR   l'eNSEIGNEMENT   PRIMAIRE 


Lettre  de  Mgr  Turin xz  à  M.  Goblet. 

(Suite    et  fin,    —    V.    les   numéi'os    précédents.) 

Ainsi  c'est  bien  entendu,  la  liberté  des  négations  sacrilèges, 
la  liberté  de  l'immoralité  qui  s'étale  partout,  la  liberté  des 
grèves  qui  ruinent  les  patrons  et  les  ouvriers,  et  qui  menacent 
la  sécurité  de  notre  pajs,  la  liberté  des  réunions  où  tous  les 
crimes  sont  encouragés  et  glorifiés,  la  liberté  absolue  des  mem- 
bres de  la  Commune  devenus  députés,  en  attendant  qu'ils  devien- 
nent ministres,  la  liberté  des  théories  sauvages  exposées  à  la 
tribune  de  nos  assemblées,  ces  libertés-là  ne  sont  pas  l'anarchie, 
ce  sont  des  libertés  précieuses  et  nécessaires,  des  libertés  qui 
font  aujourd'hui  déjà  et  qui  feront  demain  plus  encore  la  pros- 
périté et  la  gloire  de  la  France.  Mais  la  liberté  de  la  religion 
de  la  majorité  des  Français,  la  liberté  des  familles  chrétiennes, 
la  liberté  des  consciences  et  des  âmes,  la  liberté  de  l'enseigne- 
ment privé  et  des  congrégations  enseignantes,  la  liberté  du 
dévouement  dans  nos  hôpitaux,  la  liberté  de  l'enfance,  la 
liberté  de  la  vie,  de  la  mort  et  de  la  sépulture  elle-même,"  la 
liberté  des  admirables  Frères  de  nos  Écoles,  et  de  nos  reli- 
gieuses héroïques,  vous  l'avez  dit,  c'est  l'anarchie  ! 

Évidemment,  Monsieur  le  ministre,  vous  avez  juré  de  dépasser 
les  plus  sombres  prévisions,  et  de  jeter  un  perpétuel  défi  au 
sens  commun  et  au  sens  moral  ! 

Je  l'ai  déjà  fait  remarquer,  mais  je  trahirais  un  grand  devoir 
de  justice  et  de  reconnaissance  si  je  n'insistais  de  nouveau. 
L'article  que  le  Sénat  vient  de  voter  atteint,  au  premier  rang, 
les  Frères  des  Écoles  chrétiennes,  les  disciples  de  l'abbé  de  la 
Salle.  Et  quelle  congrégation  pourrait  leur  être  comparée  au 
point  de  vue  du  nombre  des  maîtres  qu'ils  fournissent  à  l'ensei- 
gnement primaire,  et  au  point  de  vue  de  l'éclat  des  services 
qu'ils  rendent  dans  l'univers  entier?  Pour  moi,  je  les  connais 
bien,  je  les  ai  étudiés  de  près  :  dans  leurs  constitutions,  dans 
leurs  noviciats,  dans  leurs  travaux  de  chaque  jour,  dans  leur 
vie  si  austère  et  si  pauvre  ;  et  j'affirme  que  parmi  les  congre- 


l'articlk  58  13 

gâtions  religieuses  d'hommes,  il  n'en  est  pas  une  qui  soit 
supérieure  à  ce  grand  institut  par  l'esprit  religieux,  par  la 
régularité,  par  l'obéissance  parfaite  et  par  le  vrai  dévouement. 
Ces  humbles  religieux,  ils  sont  bien  les  frères,  les  chers 
frères  des  ouvriers  et  des  pauvres,  dont  ils  élèvent  les  enfants. 
C'est  leur  saint  fondateur  qui  a  été  le  vrai  initiateur  de  l'ensei- 
gnement des  enfants  du  peuple.  Le  grand  Lorrain,  Pierre  Fourier 
qui  avait  réussi  à  fonder  l'enseignement  des  jeunes  filles,  avait 
échoué  pour  l'enseignement  des  garçons. 

Cet  enseignement  des  écoles  primaires,  des  écoles  vraiment 
nationales^  parce  qu'on  y  enseigne  au  peuple  la  langue  natio- 
nale, c'est  l'abbé  de  la  Salle  et  ses  disciples  qui  l'ont  fondé. 

Permettez-moi  de  citer  des  paroles  que  je  prononçais  sur  ce 
sujet,  en  1878,  dans  l'église  de  Saint-Roch,  à  Paris. 

«  Qui  peut  contester  que  la  langue  est  une  des  causes  les 
plus  puissantes  de  l'unité  d'un  peuple?  Elle  fait  circuler  dans 
toutes  les  intelligences  comme  un  principe  unique  de'  vie;  elle 
transmet,  d'une  extrémité  à  l'autre  d'un  grand  pays,  avec  la 
douceur  et  la  force  des  mêmes  accents,  les  mêmes  anxiétés  et 
les  mêmes  douleurs,  les  mêmes  joies  et  les  mêmes  espérances. 
Elle  fait  tressaillir  toutes  les  âmes  aux  chants  des  poètes  et 
sous  la  parole  enflammée  des  orateurs.  Elle  porte  l'empreinte 
de  l'esprit  du  peuple  et  elle  conserve  à  cet  esprit  ses  tendances, 
ses  qualités  et  ses  caractères   distinctifs. 

«  C'est  pourquoi,  répandre  dans  tout  un  peuple  la  connais- 
sance de  la  langue  nationale,  est  une  grande  œuvre  de  patrio- 
tisme. Or,  cette  œuvre,  non  seulement  les  Frères  des  Écoles 
chrétiennes  l'accomplissent  chaque  jour  admirablement,  mais 
ils  ont  été  les  premiers  à  l'entreprendre.  A  l'époque  oii  le 
vénérable  de  la  Salle  fondait  son  Institut,  la  langue  de  Vaugelas 
et  de  saint  François  de  Sales,  la  langue  de  Pascal,  de  Corneille 
et  de  Bossuet,  la  langue  de  Racine,  de  Fléchier  et  de  Fénelon 
avait  acquis,  sous  les  efi'orts  du  génie,  toute  son  harmonie, 
toute  sa  vigueur  et  toute  sa  beauté.  Elle  était  devenue  la  langue 
de  la  politique  et  des  cours,  des  savants  et  des  académies  ; 
de  la  Salle  voulut  en  faire  la  langue  du  peuple. 

«  Certes,  l'entreprise  était  difficile  et  capable  de  déconcerter 
l'intelligence  la  plus  élevée  et  le  cœur  le  plus  vaillant.  Pour  y 
consacrer  uniquement  tous  les  efi'orts  de  ses  disciples,  le  saint 
fondateur  leur  interdit  l'étude  de  la  langue  latine. 

«  Il  lutte  contre  les  préjugés  avec  une  indomptable  énergie  ; 


14  ANNALES   CATHOLIQUES 

il  surmonte  tous  les  obstacles  par  sa  prudence,  son  habileté  et 
la  persévérance  des  maîtres  qu'il  a  formés.  Il  rédige  lui-même, 
dans  cette  langue,  des  alphabets,  des  catéchismes,  des  traités 
élémentaires  ;  il  en  réduit  les  principes  aux  régies  les  plus 
claires  et  les  plus  simples  ;  il  groupe  les  lettres,  puis  les  syl- 
labes ;  il  analyse,  il  divise,  il  subdivise  les  phrases  ;  il  précise 
le  sens  de  chaque  parole. 

«  A  la  méthode  déplorable  qui  consacrait  successivement  à 
chaque  élève,  aux  dépens  des  autres,  toute  l'action  du  maître, 
il  substitue  la  méthode  qui  concentre  l'attention  de  tous  sur  une 
seule  leçon.  Il  fonde  enfin  cet  enseignement  qui  ne  sera  jamais 
surpassé. 

«  Si  donc  l'instruction  du  peuple  a  réalisé  d'incontestables 
progrès,  si  la  langue  française  est  parlée  des  Alpes  aux  rivages 
de  la  Bretagne,  des  frontières  de  ia  Belgique  au  sommet  des 
Pyrénées,  c'est  au  fondateur  des  Écoles  chrétiennes  et  à  ses 
disciples  que  nous  devons  ce  que  j'appellerais  un  prodige  de 
patriotisme. 

«  Et  ne  l'oublions  pas,  par  l'influence  de  la  langue  et  par  la 
clarté  de  sa  méthode,  cet  enseignement  a  contribué  à  conserver 
à  l'esprit  français  l'élévation,  la  netteté,  la  rapidité  des  concep- 
tions, et  cette  faculté  d'exposition  qu'aucun  autre  peuple  ne 
possède  au  même  degré. 

Ainsi,  on  resserrant  les  liens  de  l'unité  nationale,  en  répan- 
dant l'instruction  parmi  les  classes  populaires,  le  Vénérable  de 
la  Salle  et  ses  humbles  disciples  ont  créé,  au  sein  du  peuple  de 
France,  un  courant  qui  transmet  les  pensées  élevées,  les  passions 
généreuses,  l'ardeur  du  savoir,  l'admiration  pour  les  nobles 
actions  et  pour  les  chefs-d'œuvre  de  l'esprit  humain.  » 

Est-ce  là,  dites-moi^  un  service  public? 

Et  c'est  cet  enseignement  que  vous  voulez  leur  ravir,  et  c'est 
de  ces  écoles  qu'ils  ont  créées  que  vous  voulez  les  bannir  ! 

Faut-il  rappeler  le  dévouement  des  Frères  des  Ecoles  chré- 
tiennes pendant  notre  dernière  et  lamentable  guerre,  et  les 
éloges  qui  leur  ont  été  décernés  par  des  généraux  sur  les  champs 
de  bataille  ?  Faut-il  rappeler  ce  prix  destiné  par  la  ville  de 
Boston  à  la  personne  qui  avait  montré  le  plus  de  dévouement 
pendant  le  siège  de  Paris,  et  qui  a  été  accordé  par  l'Académie 
française,  interprète  de  l'admiration  de  l'étranger  et  de  la 
reconnaissance  nationale,  aux  Frères  des  Ecoles  chrétiennes? 
Faut-il  redire  ce  témoignage  de  l'illustre  compagnie,  déclarant 


l'article  58  15 

qu'elle  est  heureuse  de  rendre  justice  à  ces  religieux  si  dévoués, 
et  que  ce  prix  sera  comme  la  croix  d'honneur  attachée  au  dra» 
peau  du  régiment  ? 

Eh!  bien,  ces  religieux  et  ces  Finançais,  cet  admirable  institut 
et  ce  régiment  héroïque,  vous  les  condamne?;  à  mort  !  La  France 
ne  vous  le  pardonnera  pas. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  au  milieu  de  nous  que  les  Frères 
des  Ecoles  chrétiennes  aiment  et  servent  leur  patrie  :  partout 
oii  ils  portent  leurs  pas,  partout  où  ils  ouvrent  une  école,  ils 
font  respecter  et  aimer  la  France,  ils  font  rayonner  l'ascendant 
de  notre  pars.  Et,  dites-moi,  la  France  amoindrie  et  humiliée 
que  vous  nous  faites  tous  les  jours,  peut-elle  dédaigner  de 
pareils  auxiliaires  ? 

Écoutez,  parmi  tant  d'autres  que  je  pourrais  citer,  ces  témoi- 
gnages que  j'emprunte  au  rapport  d'un  inspecteur  général  hono- 
raire de  l'Instruction  publique  (1)  :  «  Un  de  nos  plus  illustres 
hommes  de  mer  qui  a  fait  trois  fois  le  tour  du  monde,  l'amiral 
La  Roncière  Le  Nourry,  présidant  un  jour  une  modeste  distri- 
bution de  prix,  disait  aux  Frères  directeurs  de  l'École  :  «  Je 
«  vous  ai  rencontrés,  mes  Frères,  sur  bien  des  points  du  globe. 
«  Partout  vous  faites  honneur  au  nom  Français,  partout  vous 
«  inculquez  aux  populations,  par  le  respect  de  la  religion,  le 
«  respect  afiectueux  de  la  France.  » 

«  Qui  dit  catholique  en  Orient  dit  Français,  et,  ajoute  le 
rapport,  toute  école  religieuse  qui  s'élève  sur  les  rivages  de 
Tunisie,  d'Egypte  ou  de  Syrie,  est  une  forteresse  pacifique  d'où 
rayonne,  avec  le  respect  de  notre  drapeau,  un  invincible  amour 
de  la  France.  » 

«  En  1860,  Fuad-Pacha  disait  au  consul  français  de  Syrie  : 
«  Je  ne  crains  pas  les  40,000  baïonnettes  qu3  vous  avez  à  Damas. 
Je  crains  les  60  robes  que  voilà,  dit-il,  en  montrant  les  religieux. 
—  Et  pourquoi,  demanda  le  consul?  —  Parce  que  ces  robes-là 
font  germer  la  France  dans  ce  pays  (2).  » 

(1)  Les  petits  Noviciats  des  Frères  des  Ecoles  Chrétiennes.  Rap- 
port présenté  par  M.  Eugène  Rendu,  inspecteur  général  honoraire 
de  rinst.'-uctJon  publique,  ancien  député,  délégué  du  conseil  de 
l'enseignement  primaire  libre,  dans  la  séance  annuelle  du  16  dé- 
cembre 1885. 

(2)  M.  Rendu  ajoute  :  «  Qui  raconte  ce  trait?  Un  écrivain  du  Jour- 
nal des  Débats,  T\I.  Gabriel  Charles  »,  et  il  cite  encore  le  témoignage 
de  M.  Francis  Charles,  aujourd'hui  directeur  des  aifaires  politiques 
au  ministère  des  affaires  étrangères,  et  qui  appelle  les  Frères  des 
Ecoles  Chrétiennes  :  «  Ces  vaillants  pionniers  qui  défrichent  le 
terrain  où  notre  civilisation  poussera.  » 


16  ANNALES   CATHOLIQUES 

Admirables  paroles  !  Oui,  ces  humbles  Frères  font  germer  la 
France  au  milieu  de  nous,  dans  les  pays  lointains  et  sur  tous 
les  rivages  du  monde  !  Oui,  ils  font  germer  la  France  des  fortes 
croyances  et  des  nobles  vertus,  la  France  des  guerriers  valeu- 
reux, des  ouvriers  laborieux  et  honnêtes  et  des  familles  bénies, 
la  France  des  héros  et  des  saints,  la  France  puissante,  respectée, 
aimée,  la  France  des  nobles  alliances  et  des  pacifiques  conquêtes, 
la  vraie  France,  Monsieur  le  Ministre. 

La  France  que  font  germer  ceux  qui  outragent  ces  humbles 
Frères  et  qui  les  persécutent,  c'est  la  France  des  alliances 
impuissantes  ou  de  l'abandon,  la  France  qui  laisse  massacrer, 
dans  les  pays  qu'elle  veut  conquérir,  ses  enfants  dévoués  et  ses 
seuls  alliés  fidèles,  les  missionnaires  et  les  chrétiens,  la  France 
des  traités  que  nous  connaissons  ;  la  France  qui  envoie,  pour  la 
représenter  dans  des  régions  lointaines,  les  prétendus  amis  du 
du  peuple,  comblés  d'or  et  de  dignités,  tandis  que  le  peuple, 
auquel  il  s'eiforce  d'enlever  toute  consolation  et  toute  espérance, 
tandis  que  le  peuple  manque  de  pain  !  Et  quelle  France,  grand 
Dieu  !  vont-ils  faire  germer  là-bas  ! 

Vous  êtes  pour  cette  France-là,  sans  doute,  Monsieur  le 
Ministre,  puisque  l'autre  France  vous  la  combattez  sans  pitié. 
Moi,  je  suis  pour  la  France  que  fait  germer,  au  milieu  de  nous 
et  au  loin,  Injustice  et  la  vraie  liberté.  Je  suis  pour  la  France 
que  fait  germer  l'enseignement  chrétien,  la  pauvreté  volontaire, 
l'abnégation  sans  limite,  le  dévouement  qui  donne  tout  et  qui  ne 
coiàte  rien.  Je  suis  contre  la  France  des  ambitieux  et  des  blas- 
phémateurs, des  révoltés  et  des  persécuteurs.  Je  suis  pour  la 
France  des  Ecoles  Chrétiennes  et  des  Soeurs  de  charité. 

Mais  il  faut  finir,  et  je  veux  le  redire  en  finissant,  la  question 
que  je  traite  ici,  est  pour  les  catholiques  une  question  de  vie  ou 
de  mort,  La  cause  que  je  défends,  c'est  la  cause  de  l'existence 
des  congrégations  enseignantes  et  de  l'enseignement  chrétien, 
c'est  la  cause  de  la  liberté  des  consciences  et  des  âmes,  et  par 
conséquent  de  toutes  les  libertés  et  de  tous  les  droits,  la  cause 
de  la  justice  et  du  patriotisme. 

C'est  la  cause  de  la  religion.  Après  les  écoles  primaires  libres, 
les  écoles  secondaires  et  supérieures  seront  détruites,  les  sémi- 
naristes et  les  prêtres  seront,  jusqu'à  l'âge  de  quarante  ans, 
soumis  au  service  militaire,  le  recrutement  du  clergé  et  le 
service  des  paroisses  deviendront  impossibles,  et  la  religion 
catholique  et  toute  religion  disparaîtra, 


l'article  58  17 

C'est  la  cause  du  passé  qui  a  droit  à  notre  reconnaissance,  et 
qui  est  la  seule  assise  sur  laquelle  nous  puissions  bâtir;  c'est  la 
cause  du  présent  désolé  par  des  luttes  et  des  angoisses  de 
chaque  jour;  c'est  la  cause  de  l'avenir  qui  apparaît  lugubre  et 
qui  peut  devenir  fatal  pour  notre  pays,  car  dans  ces  luttes, 
la  France  elle-niême  peut  périr. 

Il  s'agit  d'être  ou  de  n'être  pas.  Les  catholiques  de  France  le 
comprendront-ils  enfin? 

Vous  espérez  sans  doute,  Monsieur  le  Ministre,  qu'ils  ne  le 
comprendront  pas  !  Et  vous  me  demandez  à  quoi  peuvent  aboutir 
mes  protestations.  Elles  ne  peuvent  arrêter,  je  le  reconnais,  ni 
les  Chambres  ni  le  Gouvernement,  sur  les  pentes  fatales  oii  ils 
sont  engagés,  et  je  ne  vois  pas  qu'elles  émeuvent  beaucoup,  en 
ce  moment,  les  catholiques  de  France.  IjCS  félicitations  qui  me 
sont  adressées  ne  constituent,  je  le  sais,  ni  une  résistance 
sérieuse  contre  vos  desseins,  ni  un  secours  efficace  pour  les 
causes  que  je  défends. 

Mais  ce  ne  sont  pas  les  catholiques  seulement  qui  restent 
ensevelis  dans  l'indifférence,  ce  sont  tous  les  Français  soucieux 
dô  leurs  libertés  et  de  leurs  droits,  de  la  sécurité  et  de  l'avenir 
de  leur  pays,  qui  attendent  pour  protester,  pour  se  lever  et 
pour  agir,  que  nos  maux  soient  sans  remèdes  et  que  nous 
touchions  au  fond  des  abîmes. 

Mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  cet  aveuglement  fatal  et  de  cette 
insouciance  criminelle,  j'aurai  du  moins  accompli  mon  devoir, 
j'aurai  fait  entendre  les  revendications  de  la  religion  persé- 
cutée, de  la  liberté  outragée,  de  la  justice  foulée  aux  pieds,  les 
revendications  des  faibles  et  des  vaincus.  J'aurai,  une  fois 
encore,  délivré  mon  âme,  si  je  ne  puis  délivrer  les  autres. 

S'il  faut  succomber,  je  succomberai  comme  le  soldat  qui, 
sur  les  remparts  démantelés,  sur  la  brèche  ouverte  vers  laquelle 
s'élancent  les  légions  du  vainqueur,  salue  d'un  dernier  cri 
d'amour  et  de  fidélité  le  drapeau  qu'il  défend  encore  du  dernier 
tronçon  de  son  épée... 

Mais  non,  quoi  qu'il  arrive,  je  ne  désespérerai  pas.  Je  ne 
désespérerai  pas,  parce  que  je  crois  au  droit  imprescrictible  et  à 
la  justice  éternelle,  parce  que  je  crois  au  Cœur  de  mon  Dieu  et 
à  l'âme  de  la  France. 

Recevez,  Monsieur  le  Ministre,  l'expression  de  mes  sentiments 
respectueux.  -|-  Charles-François,. 

Evêque  de  Nancy  et  de  Toul. 
2 


18  ANNALES    CATHOLIQUES 


LE  BIENHEUREUX  GRIGNON  DE  MONTFORT 

Nous  avons  annoncé  que,  le  21  février,  N.  T.  S.  P.  le  Pape 
avait  proclamé  l'authenticité  des  miracles  attribués  à  quatre 
serviteurs  de  Dieu,  parmi  lesquels  le  Vén.  Grignon  deMontfort, 
et  que  cet  acte  était  le  dernier  requis  avant  qu'il  fut  procédé 
à  la  cérémonie  solennelle  de  béatification.  Voici  la  teneur  du 
décret  concernant  le  Vén.  Grignon  de  Montfort  : 

A  un  siècle  où,  dans  le  riant  pays  de  France,  tout  semblait  être 
devenu  concupiscence  de  la  chair ^  concupiscence  des  yeux  et  orgueil 
de  la  vie,  ce  qui  ne  vient  pas  du,  Père,  mais  du  monde  (I  Jean,  ii), 
Dieu  voulut  opposer  un  homme  selon  son  cœur,  le  vénérable 
Louis-Marie  Grignon,  appelé  Montfort  du  nom  de  la  ville  de 
Bretagne  qui  lui  a  donné  le  jour,  pour  faire  éclater  aux  yeux  de 
tous,  par  sa  vie  et  sa  conduite,  la  folie  de  la  Croix  de  Jésus-Christ. 
Il  envoya  ce  prêtre  tout  rempli  d'un  zèle  apostolique,  prêcher  la 
parole  sainte,  non  pas  avec  les  discours  étudiés  de  la  sagesse 
humaine,  mais  avec  les  effets  sensibles  de  l'esprit  et  de  la  vertu 
(I  Cor.  Il),  et  détacher  les  hommes  des  trompeuses  chimères  de 
cette  vie,  pour  les  ramener  aux  pensées  de  l'éternité  et  à  l'humble 
observance  de  l'Évangile.  De  fait,  on  doit  regarder  comme  un 
prodige  de  la  puissance  de  Dieu  tant  de  travaux  accomplis  dans 
les  missions,  tant  d'efforts  admirables  pour  réveiller  la  foi  et  la 
piété  dans  toute  la  partie  occidentale  de  la  France,  pour  dissiper,  à 
la  lumière  de  la  vérité  catholique,  les  subtiles  erreurs  du  jansé- 
nisme, pour  propager  la  dévotion  aux  augustes  mystères  de  la  Pas- 
sion et  envers  l'immaculée  Mère  de  Dieu,  principalement  par  la  pra- 
tique du  Rosaire  de  Marie.  Sur  ce  point,  il  ne  l'a  cédé  à  aucun  des 
plus  zélés  disciples  du  patriarche  saint  Dominique,  et  c'est  avec 
raison  qu'on  le  regarde  comme  le  digne  émule  de  saint  Bernard. 
Il  fonda  deux  congrégations,  celle  des  Missionnaires  du  Saint- 
Esprit  et  celle  des  Filles  de  la  Sagesse.  C'est  au  milieu  de  tant  et 
de  si  grands  travaux,  entrepris  pour  la  gloire  de  Dieu  et  pendant 
qu'il  exerçait  le  saint  ministère  au  bourg  de  Saint-Laurent-sur- 
Sèvre,  alors  du  diocèse  de  La  Rochelle,  aujourd'hui  du  diocèse  de 
Luçon,  qu'il  couronna  sa  vie  par  une  sainte  mort,  le  28  avril  1716, 
à  peine  entré  dans  sa  quarante-quatrième  année.  La  confiance  des 
fidèles  envers  ce  Père  bien-aimé  s'est  affermie  de  jour  en  jour,  en 
présence  des  guérisons  éclatantes  par  lesquelles  il  a  plu  à  la 
puissance  divine  de  rendre  son  tombeau  glorieux  jusqu'à  nos 
jours.  C'est  pourquoi,  l'héroïcité  des  vertus  du  vénérable  servi- 
teur de  Dieu  ayant  été  déjà  reconnue  par  le  décret  de  Pie  IX,  de 


LE    BIENHEURKUX   GRIGNON   DE    MONTFORT  19 

sainte  mémoire,  du  29  septembre  1869,  il  a  été  permis  de  choisir 
quatre  miracles  opérés  par  son  intercession  et  requis  pour  cette 
cause.  La  Sacrée-Congrégation  des  Rites  les  a  examinés  avec  la 
sévérité  ordinaire,  d'abord  dans  la  séance  antépréparatoire,  tenue 
en  présence  du  cardinal  Louis  Bilio,  rapporteur  de  la  cause,  d'il- 
lustre mémoire,  le  12  juin  1883,  puis  dans  la  séance  préparatoire 
tenue  dans  le  palais  du  Vatican,  le  24  février  1885,  enfin  dans  la 
réunion  générale  tenue  devnt  N.  T.  S.  P.  le  Pape  Léon  XIII,  dans 
ce  même  palais  du  Vatican,  le  5  janvier  de  cette  année  1886.  Dans 
cette  séance,  le  Révérendissime  cardinal  Bartholini,  préfet  de  la 
Sacrée-Congrégation  et  rapporteur  de  la  cause,  à  la  place  du 
cardinal  Bilio,  décédé,  ayant  proposé  le  doute  suivant  :  L'authen- 
ticité des  miracles  est-elle  établie  ?  quels  sont  ces  -miracles  et  sont-ils 
concluants  dans  la  cause?  les  Révérendissimes  Cardinaux  et  les 
Pères  consulteurs  ont  donné  tour  à  tour  leur  avis.  N.  T.  S.  P.  le 
Pape,  après  avoir  recueilli  leurs  suffrages,  les  a  exhoriés  à  implo- 
rer avec  ferveur  le  secours  de  Dieu  pour  que  l'assistance  céleste 
ne  lui  fît  pas  défaut  dans  une  définition  d'un  si  grave  intérêt. 

En  ce  jour  donc  du  dimanche  de  la  Septuagésime,  au  lendemain 
du  huitième  anniversaire  de  son  élévation  au  souverain  pontificat, 
célébré  avec  des  transports  de  joie  par  l'Eglise  universelle,  après 
avoir  offert  le  saint  sacrifice  au  Dieu  tout-puissant,  il  a  fait  venir 
auprès  de  lui,  dans  cette  salle  du  palais  du  Vatican,  ledit  Révéren- 
dissime cardinal  Dominique  Bartholini,  préfet  de  la  Sacrée-Con- 
grégation et  ponant  de  la  cause,  ainsi  que  le  R.  P.  Auguste 
Caprara,  promoteur  de  la  Foi,  et  le  secrétaire  soussigné,  et  en  leur 
présence  a  proclamé  l'authenticité  des  quatre  miracles  proposés, 
obtenus  par  l'intercession  du  Vén.  Louis-Marie  Grignon,  savoir  : 
pour  le  premier,  la  guérison  instantanée  et  complète  d'une  jeune 
fille,  nommée  Régina  Malle,  atteinte  de  coxalgie,  avec  luxation 
de  la  jambe  droite;  pour  le  second,  la  guérison  instantanée  et 
complète  de  Sœur  Saint-Lin,  des  Filles  de  la  Sagesse,  atteinte 
d'une  affection  chronique  de  la  moelle  épinière  ;  pour  le  troisième, 
la  guérison  instantanée  et  complète  de  Sœur  Saint-Gabriel,  atteinte 
de  phtisie  pulmonaire  et  de  tumeur  intestinale,  jointe  à  une  mala. 
die  de  cœur;  pour  le  quatrième,  la  guérison  instantanée  et  com- 
plète de  Sœur  Emmanuel,  atteinte  d'hémiplégie  de  l'épine  dorsale. 
Sa  Sainteté  a  ordonné  la  publication  de  ce  décret  et  son  inser- 
tion aux  actes  de  la  Sacrée-Congrégation  des  Rites,  le  21  fé- 
vrier 1883. 

(Lieu  du  sceau.)  Cardinal  Bartholini, 

Préfet  de  la  Sacrée-Congrégation  des  Rites, 
Laurent  Saltati,  secrétaire. 


20  ANNALES    CATHOLIQUES 

TRIBUNAUX 
L<a  suppression  du  traitement  des  desservants. 

Privé  de  son  traitement  par  décision  ministérielle  en  date  du 
23  août  1883,  M.  l'abbé  Mourot,  ancien  curé  de  Monthureux-le- 
Sec,  en  a  appelé  aux  Tribunaux  et  poursuivait  le  ministre  des 
cultes  devant  le  tribunal  civil  de  la  Seine  en  payement  de 
son  traitement  non  payé  depuis  cette  date  jusqu'à  celle  du 
23  août  1885  époque  à  laquelle  le  demandeur  avait  quitté  sa 
paroisse. 

L'affaire  est  venue  à  l'audience  du  19  mars. 

A  l'appel  de  la  cause,  M.  le  substitut  Commoy  a  lu  le  décli- 
natoire  suivant  signé  du  préfet  de  la  Seine  : 

Considérant  que,  sans  qu'il  soit  besoin  d'examiner  ici  la  nature  et 

l'existence  du  prétendu  droit  invoqué  par  l'abbé  Mourot,  l'acte  on  vertu 

duquel  le  paiement  de  l'allocation  qu'il  recevait  a  été  suspendu  contitue 

'exercice  d'un  pouvoir  réservé  au  ministre  et  au  préfet,  comme  agent 

de  l'administration  ; 

Considérant  que  l'appréciation  de  cet  acte  administratif  exige  l'inter- 
prétation des  principales  dispositions  de  la  convention  passée  à  Paris, 
le  26  messidor  an  IX,  entre  le  Pape  et  le  gouvernement  français,  ainsi 
que  des  articles  organiques  de  ladite  convention,  promulguée  par  la  loi 
du  18  germinal  an  X,  et  notamment  des  articles  relatifs  à  l'orgonisation 
du  culte  catholique  en  France  et  à  la  rétribution  des  divers  titulaires 
ecclésiastiques  ; 

Considérant  que  la  connaissance  d'un  acte  de  cette  nature  est  formel- 
lement attribuée  par  les  lois  en  vigueur  à  la  juridiction  administrative, 
qu'elle  échappe,  en  conséquence,  à  la  compétence  des  tribunaux  civils, 
qui  ne  sauraient  retenir  le  litige  dont  il  s'agit  sans  violer  les  lois 
établissant  la  séparation  des  pouvoirs  administratif  et  judiciaire  ; 

Considérant,  eu  outre,  que  la  demande  de  l'abbé  Mourot  tend  à  faire 
déclarer  l'État  débiteur  d'un  salaire  administratif  et  qu'il  n'appartient, 
aux  termes  des  lois  et  arrêtés  des  17  juillet,  8  avril  1790  et  2  germinal 
an  V,  et  du  décret  du  20  septembre  1793,  qu'à  l'autorité  administrative 
de  faire  liquider  ces  salaires  ; 

Par  ces  motifs. 

Le  préfet  de  la  Seine,  soussigné,  avant  d'élever  le  conflit,  conformé- 
ment à  l'article  6  de  l'ordonnance  du  1"  juin  1828, 

Requiert  la  déclaration  d'incompétence  de  l'autorité  judiciaire  sur 
rinstance  introduite  pour  les  causes  sus-énoncées  par  l'abbé  Mourot 
contre  l'État,  dans  la  personne  du  ministre  de  l'instruction  publique, 
des  beaux-arts  et  des  cultes, 

M.  Fourcaulx,  avocat  de  M.  l'abbé  Mourot,  a  pris  ensuite  la 


TRIBUNAUX  21 

parole  et  fait  remarquer  tout  d'abord  au  tribunal  que  Tinstance 
de  son  client  ressortit  bien  à  la  juridiction  civile,  puisqu'il 
vient  établir  un  droit  de  créance  sur  l'Etat,  son  débiteur,  en 
vertu  d'un  contrat  faisant  la  loi  des  parties. 

«  Le  déclinatoire  qui  vient  de  vous  être  lu,  dit  M.  Fourcaulx, 
eonsidère  qu'il  n'est  pas  besoin  d'examiner  la  nature,  ni  l'exis- 
tence du  prétendu  droit  par  nous  invoqué.  Tout  est  là  au 
contraire. 

«  Moi,  citoyen,  je  suis,  en  raison  d'un  contrat,  créancier  de 
quelqu'un,  particulier  ou  gouvernement,  peu  m'importe  !  Je 
poursuis  mon  débiteur.  Mais  un  préfet,  mettons  un  ministre, 
arbitrairement  et  par  caprice,  se  plaît  à  prendre  un  arrêté  qui 
enjoigne  à  ce  débiteur  de  ne  me  point  paver,  et  l'affaire  devient 
parla  même  de  compétence  administrative?  —  Vous  avez,  nous 
dit-on,  à  respecter  la  séparation  des  pouvoirs  ! 

«  Mais  quel  procès,  à  ce  compte,  pourriez- vous  jamais  retenir 
à  votre  barre?  L'autorité  aura  donc  licence  de  s'immiscer  en 
toute  affaire,  aussi  bien  intime  que  générale,  aussi  bien  entre 
membres  d'une  même  famille  qu'entre  personnes  étrangères, 
s'il  lui  suffit  de  glisser  au  travers  un  acte  soi-disant  adminis- 
tratif pour  prétendre  que  l'appréciation  de  cet  acte  dépasse  la 
limite  de  vos  pouvoirs  et  que  vous  n'avez  dans  l'instance  rien  à 
juger  en  dehors  de  lui? 

«  C'est  la  prétention  du  déclinatoire. 

«  Considérant,  dit-il,  en  effet,  que  l'appréciation  de  cet  acte 
«  administratif  exige  l'interprétation  des  principales  disposi- 
«  tiens  du  Concordat  et  des  articles  organiques...  et  que  la  con- 
«  naissance  d'un  acte  de  cette  nature  est  formellement  attribuée 
«  par  les  lois  en  vigueur  à  la  juridiction  administrative...  etc.  » 

«  Nous  sommes  ici  en  face  d'une  pétition  de  principes.  Ce 
n'est  nullement  l'appréciation  de  la  décision  ministérielle  qui 
nous  amène  à  l'analyse  du  Concordat,  mais  c'est  l'étude  du 
Concordat  lui-même  qui  nous  dispense  d'examiner  l'acte  admi- 
nistratif. Je  n'imagine  pas  que  ce  soit  la  même  chose. 

«  Si  nous  découvrons  en  notre  faveur  un  droit  d'essence 
civile  et  que  ce  droit,  contre  qui  l'administration  n'a  rien  à 
prétendre,  soit  cependant  tenu  par  elle  en  échec,  le  tribunal, 
sans  lire  l'arrêté  qui  nous  entrave,  sans  ouvrir  même  le  pli  qui 
le  contient,  doit  déclarer,  avant  tout  examen,  que  cette  déci- 
sion n'a  pas  raison  d'être  ;  il  doit  répondre  qu'il  se  trouve  en 
présence  de  la  poursuite  la  plus  banale,  découlant  du  pur  droit 


22  ANNALES    CATHOL-ÏQUES 

commun  et  d'où  les  juges  n'ont  qu'à  écarter  le  fonctionnaire  qui 
s'est  imprudemment  «  et  sans  motif  introduit  dans  le  débat  ». 

«  En  notre  espèce,  il  s'agit  d'une  propriété,  d'un  droit  de 
créance  acquis,  incontestable,  que  nous  avons  in  bonis  et  dont 
nous  sommes  propriétaires.  C'est  d'ailleurs  ce  qu'enseignent 
tous  les  jurisconsultes  quand  ils  disent  que  le  mandat  de 
paiement  est  une  propriété  pour  la  partie  prenante.  Propriété, 
cela  veut  dire  compétence  judiciaire.   » 

Et  arrivant  au  Concordat,  I\P  Fourcaulx  ajoute  : 

«  Qu'est-ce  donc  que  le  Concordat'/  Une  convention  qui 
participe  —  comme  le  déclare  Portails,  l'un  de  ceux  qui  s'y 
trouvèrent  le  plus  mêlés  —  de  la  nature  des  traités  diploma- 
tiques, c'est-à-dire  à\in  ve'ritable  contrat  et  qui,  par  consé- 
quent, lie  également  les  deux  parties  contractantes.  Le  cardinal 
Consalvi  et  Talleyrand,  dans  leur  correspondance  officielle, 
l'appellent  «  une  transaction  ». 

«  Un  contrat  sjnallagmatique,  une  transaction  !  C'est  ce 
document  ainsi  dén.ni  que  le  déclinatoire  semble  avoir  la  pré- 
tention de  soustraire  à  votre  compétence.  Et  cela  parce  que  ce 
traité  a  été  conclu  par  le  gouvernement  en  tant  que  puissance 
publique  et  que  les  conventions  générales  émanées  d'un  pouvoir, 
stipulant  comme  tel,  ne  sauraient  rentrer  dans  les  pactes  dont 
vous  puissiez  connaître.  Mais  l'État  relativement  au  point  qui 
nous  occupe,  n'en  a  pas  moins  traité  comme  personne  morale 
ayant  un  patrimoine,  comme  particulier  capable  de  posséder, 
d'acquérir,  d'aliéner  son  domaine.  C'est  à  ce  dernier  titre  seul 
que  nous  l'assignons.  Il  est,  par  suite  même  du  Concordat, 
devenu  propriétaire  légitime  des  biens  ecclésiastiques  ;  mais, 
ainsi  que  nous  Talions  voir,  moyennant  certaines  réserves,  sous 
certaines  conditions  dûment  stipulées,  qui  constituent  précisé- 
ment ce  caractère  transactionnel  admis  et  signalé  par  Talleyrand 
lui-même. 

«  Nous  osons  dire  qu'il  a  été  accepté  alors  une  sorte  de... 
donation,  si  le  mot  peut  s'appliquer  ici  !  donation  avec  charges. 
Si  exceptionnelle  que  soit  la  nature  de  l'instrument  par  lequel 
les  clauses  en  ont  été  consacrées,  nous  n'en  restons  pas  moins 
en  face  du  fait  acquis  et  vis-à-vis  d'un  donataire,  qui,  en  retour 
de  la  nu-propriété  de  tous  nos  biens  et  de  leur  jouissance 
presque  totale,  s'est  engagé  à  nous  servir,  comme  en  manière 
d'usufruit,  une  rente  perpétuelle,  laquelle  d'ailleurs  représente 
un  peu  moins  que  le  quinzième  des  revenus  ainsi  abandonnés 


TRIBUNAUX  23 

par  le  clergé,  selon  le  bilan  établi  au  Tribunat  par  le  tribun 
Siméon.  Et  ce  n'était  pas  là,  comme  on  le  voit,  une  trop  mau- 
vaise aôaire. 

«  C'est  donc  au  détenteur,  au  donataire  que  nous  réclamons 
la  redevance  stipulée  par  nous  ou  pour  nous  et  par  lui  consentie 
dans  un  contrat  synallagmatique.  Si  cette  convention  n'est  point 
de  droit  commun  et  de  nature  civile,  je  cherclie  en  vain  quelle 
autre  on  pourrait  comprendre  dans  cette  catégorie.  ^ 

M^  Fourcaulx  fait  ensuite  remarquer  la  promesse  que  Ber- 
nier,  le  négociateur  chargé  par  le  premier  Consul  des  confé- 
rences préliminaires  du  Concordat,  faisait  à  S.  S.  le  Pape 
Pie  YII  : 

«  Le  gouvernement  suppléera  par  un  traitement  honnête  et 
indépendant  d'une  nouvelle  loi  au  dénùmeut  actuel  du  clergé 
français,  et  l'Eglise  de  France  ajoutera  à  l'influence  qae  de- 
vraient lui  donner  ses  vertus  l'avantage  d'une  aisance  honnête, 
à  l'abri  des  besoins  et  des  privations. 

«  Bernier  nous  montre  là  dans  le  «  traitement  convenable  » 
qui  figurera  plus  tard  dans  l'article  14  du  Concordat,  un  traite- 
ment honnête  et  indépendant  d'une  nouvelle  loi  !  Comment 
\oulez-vous  alors  qu'une  mesure  à  laquelle  un  contrat  souverain 
a  voulu  assurer  la  perpétuité,  àl'encontre  même  des  actes  légis- 
latifs éventuels,  soit  maintenant  à  la  merci  d'un  simple  arrêté 
administratif? 

«  L'article  14  du  Concordat  déclare  que  le  «  gouvernement 
assurera  un  traitement  «  convenable  aux  évêques  et  aux  curés  » 

«  Mais  M.  l'abbé  Mourot  n'est  qu'un  desservant,  et  le  Con- 
-cordat  ne  fait  même  pas  mention  des  desservants. 

«  J'en  arrive  donc  à  l'examen  de  l'article  68  des  Organiques, 
oii  gît  incontestablement  pour  nous,  au  regard  de  la  loi  fran- 
çaise, la  consécration  du  droit  de  créance  établi  en  notre  faveur 
par  le  Concordat  et  par  nous  invoqué.  Cet  article  dispose  :  «Les 
«  vicaires  et  desservants  seront  choisis  parmi  les  ecclésiastiques 
«  pensionnés,  en  exécution  des  lois  de  l'Assemblée  constituante, 
«  Le  montant  de  ces  pensions  et  le  produit  des  oblations  forme- 
«  ront  leur  traitement.  » 

«  L'interprétation  française  du  Concordat  déclare  donc  que 
ceux  que  le  gouvernement  appelle  les  desservants  ont  droit  à 
une  rémunération,  rémunération  dont  le  principe  est  contenu 
dans  l'article  14  du  Concordat  et  qui  conserve,  par  suite,  tous 
les  caractères  énumérés  tout  à  l'heure.  Nous  remarquons,  en 


24  ANNALES    CATHOLIQUES 

outre,  qu'il  y  est  toujours  question  d'un  traitement.  Les  inven- 
tions toutes  modernes  et  les  substitutions  de  mots  ingénieuses 
de  la  Chambre  des  députés  d'hier,  qui  dans  les  dernières  lois 
de  finances  s'est  imaginé  de  remplacer  le  mot  «  traitement  » 
par  celui  «  d'allocation  »  ,  n'empêcheront  pas  que,  dans  la  loi 
comme  dans  l'usage,  chaque  fois  qu'il  y  a  lieu  de  mentionner 
la  rémunération  des  desservants,  on  se  serve  de  l'expression 
invariable  de  traitement.  L'article  68,  qui  est  en  ce  moment 
notre  base  de  discussion,  déclare  que  le  montant  des  pensions  et 
le  produit  des  oblations  formeront  le  «  traitement  »  des  desser- 
vants et  vicaires.  Le  même  mot  et  la  même  idée  se  retrouvent 
dans  l'article  G  du  décret-loi  du  11  germinal  an  XII,  dans  l'ar- 
ticle 1  "du  décret-loi  du  5  nivôse  an  XIII,  dans  l'article  6  du 
décret-]oi  du  30  septembre  1807,  sans  parler  des  ordonnances 
innombrables,  ni  de  cent  autres  textes  législatifs. 

«Nous  nous  retrouvons  toujours  pour  les  desservants,  comme 
pour  les  curés,  en  face  du  «  traitement  convenable  »  stipulé  par 
l'article  14  du  Concordat. 

«  L'article  70  dispose  que  «  tout  ecclésiastique  pensionnaire 
de  l'Etat  sera  privé  de  sa  pension  s'il  refuse,  sans  cause  légi- 
time, les  fonctions  qui  pourront  lui  être  confiées  ».  Il  ne  s'agit 
donc  plus  d'une  pension  qui,  de  sa  nature,  était  viagère,  mais 
bien  d'un  traitement,  d'une  rénumération  en  retour  d'une 
charge  exercée.  Le  gouvernement  se  reconnaît  à  lui-même  une 
«  obligation  de  donner  »  contre  une  <■<  obligation  de  faire  ».  Cela 
ne  sort  pas,  je  crois,  des  limites  du  droit  civil. 

«  C'est  ici  que  le  déclinatoire  nous  oppose  une  nouvelle 
objection.  Il  prétend  que  cette  obligation  de  donner  de  la  part 
de  l'État,  ne  saurait  être  considérée  autrement  que  comme  le 
service  d'un  salaire  administratif,  lequel,  aux  termes  de  toute 
une  nomenclature  de  lois  et  d'arrêtés,  ne  peut  être  liquidé  que 
par  l'autorité  administrative.  Et  voici  que  le  curé  ou  le  succur- 
saliste n'est  plus  qu'un  fonctionnaire  dépendant  du  gouverne- 
ment, le  servant,  payé  à  ce  titre. 

«  Eh  bien  !  non, les  prêtres  ne  sont  pas  des  fonctionnaires!  La 
Convention,  la  Convention  elle-même  le  reconnaissait  dans 
deux  ordres  du  jour  motivés  des  10  décembre  1792  et  25  bru- 
maire an  II,  dont  le  second  porte  que  «  les  prêtres  n'ont  jamais 
été  considérés  comme  des  fonctionnaires  publics  »,  et  cette 
assertion  a  été  reproa'uite  le  15  juin  1848,  dans  un  rapport  du 
comité  des  cultes  adopté  par  l'Assemblée  constituante.  Enfin  la 
Cour  de  cassation  partage  encore  le  même  avis. 


TRIBUNAUX  25 

«  Quand  notre  procès  devra  être  plaidé  au  fond,  nous  aurons 
à  examiner  si  M.  l'abbé  Mourot  est  tombé  sous  le  coup  des 
quelques  textes  qui  prévoient  les  cas  limitatifs  et  éventuels  de 
diminution  ou  de  suspension  de  traitement,  non  à  titre  de  puni- 
tion, mais  en  raison  de  nécessités  budgétaires,  et  nous  verrons 
que  jamais  il  ne  s'est  placé  dans  aucune  des  circonstances 
déterminées. 

«  Ce  qui  nous  importe  seul  aujourd'hui,  c'est  de  savoir  si 
vous  pouvez  connaître  du  litige!  Eh  bien!  oui,  puisque  nous 
réclamons  le  paiement  d'une  créance  découlant  d'un  contrat 
productif  d'obligations  civiles,  cela,  que  M.  Levavasseur  de  Pré- 
court, commissaire  du  gouvernement  au  Conseil  d'État,  recon- 
naissait lui-même  au  cours  d'un  récent  procès  administratif,  le 
23  novembre  1883.  Il  avouait,  en  effet,  dans  son  rapport  au 
Conseil  d'État,  que  «  le  traitement  des  ecclésiastiques  a  le 
caractère  d'une  dette  obligatoire  pour  l'État.  » 

«  J'ajouterai  qu'en  ce  qui  concerne  M.  l'abbé  Mourot,  il  y  a 
doublement  droit  acquis,  car  les  lois  de  finances  déterminant 
les  budgets  de  1883,  1884  et  1885  ont,  en  exécution  du  Con- 
cordat, attribué  au  desservant  de  la  commune  de  Monthureux- 
le-Sec,  comme  à  tous  les  autres,  les  sommes  constituant  son 
traitement.  Mon  client  a  rempli  toutes  ses  obligations  et  con- 
tinué ses  services.  La  rémunération  lui  en  est  due,  l'échéance 
lui  en  est  accomplie,  le  Tribunal  a  le  droit  d'ordonner  que  le 
paiement  en  soit  fait.  » 

Après  une  péroraison  très  émue  et  vraiment  éloquente  de 
M.  Fourcaulx,  M.  le  substitut  Commoy  a  demandé  au  tribunal 
de  se  déclarer  incompétent. 

Conformément  à  ces  conclusions,  le  Tribunal  a  rendu  le 
jugement  suivant  : 

Le  Tribunal 

Donne  défaut  contre  le  ministre  des  cultes,  qui  ne  comparaît  pas, 
bien  que  régulièrement  assigné,  et  pour  le  profit,  statuant  sur  le 
déclinatoire  proposé  par  le  préfet  de  la  Seine,  conformément  à 
l'article  6  de  Fordonnance  du  l"'' juin  1828  ; 

Attendu  que  l'abbé  Mourot,  ancien  desservant  de  la  paroisse  de 
Monthureux-le-Sec  (Vosges),  poursuit  le  paiement  d'une  somme  de 
1,800  francs,  montant  du  traitement  qui  lui  serait  dû  depuis  le 
23  août  1883,  date  à  laquelle  le  ministre  des  cultes  a  supprimé  le 
dit  traitement  jusqu'au  23  août  1885,  époque  à  laquelle  le  deman- 
deur a  cessé  d'exercer  ses  fonctions  pastorales  dans  sa  paroisse  ; 

Attendu  que  la  décision  ministérielle  qui  fait  échec  à  la  demande 


26  ANNALES    CATHOLIQUES 

a  les  caractères  d'un  acte  administratif  pris  par  le  ministre  dans 
l'exercice  de  se?  fonctions,  dont  le  Tribunal  ne  pouvait  apprécier  ni 
la  légalité,  ni  les  motifs,  sans  entreprendre  sur  les  fonctions  admi- 
nistratives ; 

Que  vainement  l'abbé  Mourot  prétend  n'exercer  qu'un  droit  de 
créance  directe  contre  l'État  résultant  d'un  contrat  qui  dériverait, 
selon  lui,  des  articles  13  et  14  du  Concordat  du  29  messidor  an  IX, 
et  dont  la  connaissance  appartiendrait  à  l'autorité  judiciaire  ; 

Que  si,  dans  les  articles  précités  du  Concordat,  le  Souverain  Pon- 
tife, d'une  part,  s'est  engagé  à  ne  troubler  en  aucune  manière  les 
propriétaires  des  biens  ecclésiastiques  aliénés  après  le  décret  du 
2  novembre  1789,  et  si,  d'autre  part,  le  gouvernement  de  la  Répu- 
blique française  a  promis  d'assurer  un  traitement  convenable  aux 
évêques  et  aux  curés,  il  est  constant  que  l'Etat  n'a  pas  traité  avec  le 
Saint-Siège  comme  un  simple  particulier  tenu  d'obligations  civiles 
envers  les  précédents  détenteurs  des  patrimoines,  mais  qu'il  a  agi 
en  sa  qualité  de  puissance  souveraine  ; 

Que  le  Concordat  a  dans  toutes  ses  parties  les  caractères  d'une 
convention  diplomatique  ayant  en  outre  force  de  loi  en  France 
depuis  sa  promulgation,  mais  qu'il  ne  peut  être  considéré  comme 
constituant  un  contrat  de  drcit  civil  entre  l'État  et  le  clergé  ; 

Que  les  articles  organiques  du  18  germinal  an  X  en  déterminant 
les  allocations  des  divers  titulaires  ecclésiastiques,  n'ont  pas  davan- 
tage créé  au  profit  de  eeux-ci  des  droits  incorporels  contre  l'État, 
mais  qu'ils  ont  simplement  réglé  le  fonctionnement  d'un  service 
public  ; 

Qu'il  en  est  de  même  des  lois  de  finances  de  1883,  1884  et  1885, 
qui  n'ont  fait  qu'appliquer  ce  règlement,  en  déterminant  le  budget 
des  dépenses  du  culte  catholique  ; 

Que,  dès  lors,  il  n'existe  au  procès  aucun  contrat  qui  justifierait  la 
compétence  de  l'autorité  judiciaire,  et  que  le  Tribunal  ne  saurait 
retenir  la  cause  sans  violer  les  lois  qui  ont  établi  la  séparation  des 
pouvoirs  judiciaire  et  administratif  ; 

Par  ces  motifs. 

Se  déclare  incompétent  ; 

Condamne  l'abbé  Mourot  à  tous  les  dépens. 


CONFERENCES    DE   NOTRE-DAME  ^t 

CONFÉRENCES  DE  NOTRE-DAME  (1) 

Troisième  conférence.  —  Les  devoirs  dit  prêtre. 

Dans  les  instructions  qu'elle  donne  aux  diacres  qui  vont 
devenir  prêtres,  l'Église  a  soin  de  mettre  en  regard  du  sacer- 
doce les  devoirs  qu'imposent  ce  sublime  honneur  et  ce  divin  far- 
deau. En  deux  mots,  qui  résument  ces  instructions,  l'Eglise 
demande  au  prêtre  la  science  et  la  sainteté.  Mais  elle  ne  se  con- 
tente pas  de  montrer  le  devoir;  par  tout  l'ensemble  de  sa 
maternelle  législation,  elle  en  garantit  l'accomplissement.  C'est 
ce  que  nous  allons  voir  dans  cette  conférence. 


Dispensateur  des  choses  sacrées,  le  prêtre  doit  illuminer  les 
âmes,  relever  celles  qui  sont  tombées,  guérir  celles  qui  sont 
malades,  fortifier  celles  qui  sont  faibles,  entretenir  la  santé  de 
celles  qui  sont  valides,  les  diriger  toutes  vers  le  terme  suprême, 
où  se  fixent  éternellement  les  évolutions  de  la  vie  humaine,  oii 
se  couronnent  les  opérations  de  la  grâce.  Pour  cela,  il  faut  qu'il 
possède  la  science  de  la  vérité  et  la  science  de  la  vie. 

La  vérité  dont  il  s'agit  ici,  elle  est  descendue  des  cieux  par 
la  bouche  de  celui  qui  en  est  l'éternel  témoin,  le  Verbe  de  Dieu. 
L'orgueil  contemporain  lui  refuse  le  droit  de  se  proposer  comme 
l'objet  d'une  science.  —  Pourquoi  cela?  —  Est-ce  parce  qu'il 
n'y  a  de  scientifique  que  les  êtres  et  les  phénomènes  qui  relèvent 
de  l'observation  des  sens?  —  Mais  alors  il  faut  exclure  de  la 
science  tout  un  monde  d'entités  immatérielles  qui  ne  peuvent 
être  saisies  que  par  l'intelligence,  et  parquer  les  connaissances 
humaines  dans  le  cercle  d'un  matérialisme  au^si  étroit  qu'abject. 
—  Veut-on  qu'il  n'y  ait  de  scientifique  que  ce  que  comprend  la 
raison?  —  Mais  qu'importe  qu'une  chose  soit  comprise  ou  incom- 
prise, si  l'on  sait  certainement  qu'elle  existe.  Et  ce  que  nous 
savons  est-il  moins  certain  que  les  vérités  d'expérience  et  de 

(1)  Cette  analyse  des  Conférences  du  R.  P.  Monsabré  à  Notre-Dame 
de  Paris  est  faite  exclusivement  pour  les  Annales  Catholiques. 

Nous  rappelons  que  les  conférences  du  R.  P.  Monsabré  sont 
publiées  in  extenso  dans  Y  Année  dominicaine,  en  suppléments  qui 
se  vendent  séparément,  25  centimes  chaque,  ou  1  fr.  50  les  neuf 
suppléments  (par  abonnement). 


28  ANNALES    CATHOLIQUES 

raison,  parce  que  d'irrécusables  témoignages  nous  disent  que 
c'est  Dieu  lui-même  qui  nous  a  enseigné  toutes  ces  choses? 

Jouissez  de  vos  conquêtes,  Messieurs  les  savants,  mais  ne 
nous  contestez  pas  notre  place  à  la  science. 

Le  premier  devoir  du  prêtre  est  incontestablement  de  pos- 
séder la  science  sacrée,  sous  peine  de  n'avoir  plus  qu'un  pou- 
voir aveugle  dont  Dieu  répudie  les  offices.  Et  jamais  l'esprit  du 
prêtre  n'est  affranchi  de  l'obligation  d'étudier  la  doctrine  sainte. 
Les  laborieuses  années  de  son  noviciat  sacerdotal  ne  sont  que 
l'apprentissage  d'un  travail  qu'il  doit  poursuivre  toute  sa  vie. 
Et  il  ne  s'agit  pas  seulement  pour  lui  de  savoir  pour  savoir  et 
de  se  complaire  dans  d'égoïstes  contemplations  ;  il  faut  qu'il 
donne  ;  le  Christ,  son  maître  et  son  docteur,  lui  en  fait  un 
commandement  :  «  Euntes  docete  :  allez,  enseignez.  »  Et  qui 
donc?  «  Tout  le  monde  :  Omnes  génies.  >  Le  prêtre  n'est  pas 
un  professeur  destiné  seulement  à  instruire  des  auditeurs 
d'élite  ;  les  plus  humbles  esprits  doivent  profiter  de  sa  science 
sacrée.  Il  faut  donc  qu'il  l'élabore  de  manière  à  la  rendre 
universelle. 

Mais  la  vérité  céleste  a  des  accointances  avec  toutes  les 
connaissances  humaines.  L'orgueil  de  la  raison  lui  oppose  mille 
contradictions;  il  faut  les  vaincre,  et  faire  la  soudure  du  divin, 
du  mystérieux,  de  l'incompréhensible  avec  toutes  les  certitudes 
acquises  par  l'esprit  humain.  Il  faut  donc  que  la  science  du 
prêtre,  plus  haute  par  nature  que  toutes  les  sciences,  soit,  par 
nécessité,  la  plus  vaste;  cette  science  doit  se  compléter  dans 
une  âme  sacerdotale  par  la  science  de  la  vie.  N'est-ce  pas  en 
effet  aux  plus  intimes  et  aux  plus  saintes  profondeurs  de  la  vie 
humaine  que  le  prêtre  doit  exercer  son  divin  office  de  dispen- 
sateur de  la  grâce?  Préposé  au  soin  des  âmes,  il  faut  qu'il  voie 
clair  dans  ce  monde  mystérieux  où  il  est  à  la  fois  juge,  théra- 
peute et  directeur. 

De  bon  compte,  cette  noble  science  de  la  vie  ne  vaut-elle  pas 
celle  des  anatomistes,  physiologistes  et  biologistes  qui  dis- 
sèquent le  corps  humain,  décrivent  ses  organes,  analysent  ses 
fonctions,  et  se  glorifient  de  connaître  les  lois  en  vertu  des- 
quelles se  produisent  les  phénomènes  de  la  vie  matérielle  ? 
Dois-je  croire  que  le  prêtre  est  moins,  qu'eux,  un  savant,  parce 
qu'il  pénètre  plus  profondément  qu'eux  dans  le  mystère  de 
notre  grande  nature  ? 

Evidemment,  il  y  a  une  science  sacerdotale.  Posséder  cette 


CONFÉRENCES   DE   NOTRE-DAME  29 

science  est  le  premier  devoir  du  prêtre,  devoir  aussi  impérieux 
que  sont  sublimes  les  fonctions  qu'il  doit  remplir  auprès  des 
âmes.  Du  reste,  l'Église  ne  lui  permet  pas  de  s'endormir  dans 
l'accomplissement  de  ce  devoir.  Dès  l'origine,  elle  lui  a  dit  par 
la  bouche  du  grand  apôtre  :  «  Applique-toi  à  la  lecture,  à  la 
prédication,  à  la  doctrine.  »  Puis  elle  lui  montre  l'auréole  de 
ses  docteurs  ;  elle  lui  rappelle  les  travaux  de  ses  interprètes  de 
l'Ecriture,  de  ses  théologiens,  de  ses  controversistes,  de  ses 
canonistes,  de  ses  casuistes,  de  ses  annalistes  ;  jamais  elle  ne  se 
lasse  de  l'exciter,  de  l'encourager,  de  l'aider  à  étudier.  Et 
récemment  encore,  nous  l'entendions,  cette  voix  de  l'Eglise, 
dans  une  mémorable  encyclique,  éternel  honneur  de  notre 
Léon  XIII,  et  l'un  des  plus  puissants  encouragements  qu'ait 
jamais  reçus  le  clergé  pour  cultiver  la  science  sacrée. 

Sans  doute,  les  prêtres,  bien  qu'ils  soient  tous  égaux  en 
dignité,  ne  peuvent  pas  être  tous  égaux  en  science;  mais,  aussi, 
tous  n'ont  pas  les  mêmes  âmes  à  instruire,  ni  les  mêmes  com- 
bats à  soutenir  contre  l'erreur.  En  tenant  compte  de  la  diver- 
sité des  ministères,  il  se  peut  qu'un  modeste  curé  de  campagne, 
dont  personne  ne  parle,  en  sache  plus  long  qu'un  brillant  orateur 
dont  la  renommée  court  le  monde.  Du  reste,  sachons-le  bien, 
Dieu  doit  un  supplément  de  lumière  à  ceux  de  ses  ministres 
qui,  reconnaissant  leur  insuffisance,  ont  recours  à  lui  d'un  cœur 
humble  et  pieux.  Ce  n'est  pas  en  vain  que  l'Eglise  a  mis  dans 
la  bouche  de  ses  prêtres  tant  et  de  si  expressives  invocations 
à  l'Esprit-Saint.  Ces  invocations  peuvent  faire  des  miracles  ; 
nous  en  avons  eu  de  nos  jours  un  admirable  exemple  dans  le 
saint  curé  d'Ars.  Le  plus  ignorant  des  hommes,  comme  il 
s'appelait  lui-même,  il  savait  dire  dans  le  plus  simple  langage 
des  choses  si  profondes,  si  élevées,  si  pénétrantes,  que  les 
esprits  les  plus  éminents  étaient  stupéfaits  et  ne  pouvaient 
s'empêcher  d'admirer  en  lui  l'accomplissement  de  cet  oracle 
des  saintes  Lettres  :  «  Les  lèvres  du  prêtre  seront  les  gar- 
diennes de  la  science,  on  ira  lui  demander  la  loi  qu'il  faut 
suivre.  »  Cet  exemple  nous  amène  naturellement  à  traiter  du 
devoir  de  la  sainteté. 

II 

La  sainteté  du  prêtre  est  cette  parfaite  rectitude  d'intentions, 
de  désirs,   de  sentiments  et  d'actions  qui  met  sa  vie  en  har- 


30  ANNALES    CATHOLIQUES 

monie  avec  son  éminente  dignité.  Dieu  la  demandait,  cette 
harmonie,  au  sacerdoce  de  la  loi  ancienne  dont  le  ministère  était 
purement  figuratif.  Plus  noble  est  le  service  des  prêtres  de  la 
loi  nouvelle,  plus  profonde  et  plus  efficace  est  leur  consécration, 
plus  grande  aussi  doit  être  leur  sainteté. 

Le  devoir  de  la  sainteté  sacerdotale  ne  fùt-il  pas  écrit  dans 
les  livres,  il  est  écrit  dans  les  mystères  divins,  dans  les  choses 
sacrées  dont  le  prêtre  est  le  dispensateur,  et  dans  la  consécra- 
tion qu'il  a  reçue  pour  représenter,  à  la  fois,  Dieu  et  les  hommes. 

Son  âme  transformée  jusqu'à  l'excellence,  la  place  éminente 
qu'il  occupe  dans  le  monde,  les  grands  biens  que  le  ciel  et  la 
terre  attendent  de  lui,  tout  lui  dit:  sépare-toi,  purifie-toi, 
donne-toi. 

Le  prêtre  doit  habiter  une  région  sainte,  oii  il  se  tient,  par 
état,  à  la  proximité  de  Dieu,  et  qu'il  ne  doit  toucher  l'humanité 
que  par  les  sacrés  sommets  oii  les  âmes  dégagées  des  choses 
périssables  se  rapprochent  elles-mêmes  de  l'éternel  et  du  divin. 

Il  faut  donc  que  le  prêtre  se  sépare,  non  pas  du  monde  dont 
il  est  le  religieux  représentant,  mais  de  la  mondanité,  qui  est 
toute  faite  d'irréligion.  C'est  pour  son  âme  consacrée  un  com- 
mencement, car  les  saints  mystères  l'invitent  à  se. purifier  en- 
core. De  quelque  côté  qu'il  se  retourne,  il  rencontre  la  sainteté 
même.  Ne  sait-il  pas  que  c'est  la  parole  d'un  Dieu  qu'il  annonce, 
que  c'est  un  Dieu  qu'il  appelle  sur  l'autel,  un  Dieu  qu'il  touche, 
un  Dieu  qu'il  incorpore,  un  Dieu  qu'il  donne,  une  vie  divine 
qu'il  communique  aux  âmes;  que  ce  sont  des  enfants  de  Dieu 
qu'il  engendre  spirituellement,  que  c'est  la  place  d'un  Dieu 
qu'il  occupe  lorsqu'il  juge  et  absout  les  pécheurs?  Et  alors  ce 
n'est  pas  assez  d'être  purifié  matériellement  par  l'eau  et  par  le 
sang  des  souillures  légales,  il  faut  poursuivre  et  eflfacer  jusqu'au 
plus  intime  de  l'âme  tout  ce  qui,  n'étant  pas  saint,  pouri'ait 
sembler  une  oftense  à  l'immaculée  perfection  de  celui  qu'on 
rencontre  en  toutes  les  choses  sacrées. 

Séparé,  purifié,  le  prêtre  va-t-il,  dans  un  repos  égoïste,  at- 
tendre qu'on  lui  demande  ou  qu'on  vienne  chercher  près  de  lui 
les  choses  sacrées  dont  il  est  le  dispensateur?  Il  ne  le  peut 
pas,  les  choses  sacrées  le  pressent,  l'importunent,  le  tourmen- 
tent jusqu'à  ce  que,  obéissant  au  mouvement  de  donation  par 
lequel  Dieu  se  livre  à  lui,  il  se  donne  lui-même. 

Coopérateur  né  de  la  Providence  dans  un  ordre  tout  spirituel, 
il  se  sent  le  besoin  de  la  suivre  partout  et  de  descendre  avec 


CONFiRENCES   DE   NOTRE-DAME  31 

elle  jusqu'aux  menus  détails  de  ses  bontés.  C'est  dans  le  temple 
et  à  l'autel  qu'il  fait  ses  plus  grandes  largesses;  mais  n'est-ce 
pas  lui  encore  qu'on  rencontre  le  plus  souvent  dans  la  demeure 
des  pauvres  et  près  de  ceux  qui  souffrent?  N'est-ce  pas  lui  qui 
organise,  dirige,  encourage,  soutient  de  son  influence  ces  mil- 
liers d'oeuvres  par  lesquelles  la  charité  chrétienne  vient  en 
aide  à  toutes  les  faiblesses,  à  toutes  les  hontes,  à  toutes  les 
souffrances  humaines  ? 

En  résumé,  le  prêtre  constamment  en  rapport  avec  les  choses 
saintes  y  doit  apprendre  et  y  apprend,  en  effet,  la  pieuse  gravité, 
la  prudence,  la  discrétion,  la  réserve,  le  désintéressement,  la 
justice,  la  modestie,  la  chasteté  et  surtout  le  saint  amour  de 
Dieu  et  des  hommes,  la  sainte  charité  mère  du  sacrifice,  tout  un 
ensemble  de  vertus  qui  confirme  par  l'exemple  la  prédication 
de  la  science  et  de  la  parole.  Voilà  le  devoir  sacerdotal  de  la 
sainteté. 

L'Église  veut  que  son  prêtre  soit  saint,  et  elle  met  tout  en 
œuvre  pour  cela.  Les  graves  admonestations  qu'elle  lui  adresse 
avant  sa  consécration  ne  sont  que  le  résumé  d'une  législation 
dont  chaque  chapitre  aboutit  à  cette  conclusion  :  «  Sanctifica- 
mini,  sancti  estote.  » 

Il  y  aurait  une  étude  intéressante  à  faire  de  toute  la  législa- 
tion de  l'Eglise  à  ce  sujet.  Occupons-nous  seulement  un  instant 
d'une  loi  qui,  plus  que  toutes  les  autres^  fait  écho  aux  leçons 
que  le  prêtre  reçoit  des  saints  mystères,  une  loi  qui  dit  au 
prêtre  ce  que  lui  disent  les  choses  sacrées  :  sépare-toi,  purifie- 
toi,  donne-toi  :  c'est  la  loi  du  célibat. 

Je  n'ai  point  à  vous  dire  actuellement  les  gloires  et  les  avantages 
du  célibat,  dit  alors  le  R.  P.  Monsabré,  en  tant  qu'il  est  dans  l'hu- 
manité chrétienne  la  libre  pratique  d'un  conseil  évangélique,  nous 
reviendrons  plus  tard  et  à  propos  du  mariage,  sur  cet  intéressant 
sujet.  Pour  le  moment,  nous  sommes  en  présence  d'une  loi  ecclé- 
siastique, née  dans  les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne,  au 
centre  même  de  la  catholicité,  répandue  de  l'occident  dans  l'orient, 
intrépidement  soutenue  par  les  Souverains-Pontifes  et  les  conciles 
contre  le  torrent  des  prévarications,  attaquée  avec  un  acharnement 
diabolique  par  les  patriarches  de  la  réforme,  dont  la  tragique  ré- 
volte, dit  Érasme,  aboutit  à  la  catastrophe  comique  du  mariage  et 
à  cette  singulière  contradiction  de  donner  en  spectacle  au  monde 
les  basses  rébellions  de  la  chair  quand  on  pi'étendait  n'agir  que 
sous  l'impulsion  de  l'esprit  de  Dieu.  Laissons  de  côté  les  féroces 
argumentations  des  marieurs  de  prêtres,  remuant  de  fond  en  com- 


32  ANNALES   CATHOLIQUES 

ble  l'Ecriture,  l'histoire  et  la  nature  humaine  pour  excuser  leur 
besoin  d'entrer  en  famille,  et  mettons-nous  en  présence  des  ad- 
mirables convenances  du  céhbat  sacerdotal,  c'est  assez  pour  le 
justifier. 

Ce  n'est  point  Jésus-Christ  qui  a  imposé  au  sacerdoce  la  loi  du 
célibat,  il  l'a  simplement  proposée  ;  mais  l'Église  ne  pouvait  pas 
manquer  de  demander  à  ses  prêtres  de  se  montrer  plus  grands, 
plus  nobles,  plus  généreux  dans  le  retranchement  des  satisfactions 
de  la  chair  que  les  prêtres  de  toute  l'antiquité  et  de  tous  les  peu- 
ples, à  qui  l'instinct  religieux  et  les  diverses  législations  ont  tou- 
jours imposé  quelque  sacrifice.  Non  seulement  la  loi  judaïque  vou- 
lait que  les  prêtres  fussent  purs  pour  entrer  dans  le  sanctuaire, 
mais  les  païens  eux-mêmes  demandaient  à  l'hiérophante  la  plus 
rigoureuse  continence...  Si  nous  comparons,  Messieurs  les  choses 
saintes  de  l'antiquité  aux  mystères  divins  du  christianisme,  n'esl- 
il  pas  mille  fois  évident  qu'un  prêtre  vierge  convient  mieux  à  ces 
mystères  qu'un  prêtre  sur  lequel  la  femme  a  des  droits  et  dont  la 
chair,  soumise  à  de  redoutables  devoirs,  risque  d'y  être  blessée 
par  l'aiguillon  mortel  de  la  volupté. 

Comment  le  prêtre  habitera-t-il  dans  cette  sereine  région  où  il 
se  tient  sans  cesse  à  proximité  de  Dieu  pour  lui  rendre  les  devoirs 
de  l'humanité,  où  il  ne  doit  toucher  l'humanité  que  par  les  sommets 
sacrés  de  sa  vie  religieuse,  si,  alourdi  par  le  poids  d'une  famille, 
il  est  obligé  de  descendre  dans  le  monde,  de  mêler  sa  vie  à  la  vie 
du  monde,  de  manier  des  affaires  vulgaires,  de  discuter  des  inté- 
rêts sans  rapports  avec  son  ministère,  s'ils  ne  tendent  pas  à  le 
déconsidérer?  Comment  le  prêtre  s'assurei^a-t-il  cette  bonne  et 
sainte  renommée  qui  convient  aux  hommes  de  Dieu  si,  avec  la 
responsabilité  de  ses  propres  actions,  il  doit  endosser  la  respon- 
sabilité des  actions  d'une  femme  et  d'une  demi-douzaine  d'enfants? 
Comment  espérer  que  les  consciences  obligées  à  des  aveux  pour 
obtenir  la  grâce  du  pardon,  viendront  volontiers  déposer  leurs 
secrets  dans  le  cœur  d'un  prêtre  à  qui  le  mariage  a  donné  d'autres 
confidents  intimes  que  son  Dieu  ?  Le  prêtre,  nous  l'avons  dit,  doit 
être  séparé  :  le  célibat  le  sépare. 

En  le  séparant,  il  le  purifie.  11  lui  épargne  la  confusion  de  ne 
mettre  au  service  du  si  noble  office  de  la  prière  publique  qu'une 
bouche  avilie  par  les  accents  d'un  amour  profane,  la  honte  de 
passer  des  embrassements  et  des  caresses  de  la  créature  aux 
redoutables  et  sublimes  attouchements  d'un  Dieu,  la  crainte  de 
n'avoir  pas  le  cœur  assez  libre  ni  les  mains  assez  pures  pour 
traiter  saintement  les  signes  augustes  par  où  passe  la  vie  de  Dieu 
et  où  réside  substantiellement  sa  personne  adorable  ! 

Ce  ministre  du  plus  grand  des  amours,  ce  coopérateur  officiel  de 
la  Providence,  ce  plénipotentiaire  de  la  miséricorde  divine,  com- 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAME 


33 


ment  pourra-l-il  être,  sans  réserve  e!  à  toute  heure,  le  serviteur  de 
tous,  si  une  loi  naturelle  l'enchaîne  à  une  foule  de  services  do- 
mestiques ?  Comment  pourra-t-il  multiplier  ses  largesses  si  l'éco- 
nomie du  foyer  ferme  sa  bourse?  Gomment  deviendra-t-il  le  pro- 
moteur, l'organisateur,  le  directeur,  le  soutien  de  toutes  les  bonnes 
œuvres,  s'il  lui  faut  satisfaire  aux  caprices  d'une  femme,  aviser 
aux  besoins  de  ses  enfants,  faire  leur  éducation,  leur  préparer  une 
carrière,  assurer  leur  avenir,  pourvoir  à  leur  établissement?  Enfin, 
comment  pourra-t-il  se  donner  si  la  famille  le  possède  ? 

Eh  bien  !  non,  la  famille  ne  le  possédera  pas,  car  la  loi  du  célibat 
lui  garantit  la  liberté,  et  l'Église  lui  dit  :  Prêtre,  tu  n'appartiens 
qu'à  Dieu  et  â  toi-même  ;  donne-loi. 

Évidemment,  la  loi  du  célibat  est  un  des  plus  puissants  moyens 
que  l'Église  puisse  mettre  en  œuvre  pour  aider  le  prêtre  à  accom- 
plir son  devoir  de  sainteté.  Quand  bien  même  elle  serait  postérieure 
à  cet  âge  de  formation  pour  lequel  le  protestantisme  réserve 
sa  profondé  vénération,  il  faudrait  encore  en  admirer  les  conve- 
nances et  la  recevoir  avec  respect.  Mais  il  n'en  va  pas  ainsi.  Un 
Christ  vierge,  des  apôtres  vierges  ou  continents  ont  commencé  la 
lignée  des  prêtres  célibataires.  Les  docteurs  et  les  conciles  l'ont 
saluée  au  passage,  comme  un  fruit  béni  de  l'Évangile  ;  pourquoi 
vouloir  l'interrompre?  Est-ce  que  cela  regarde  les  laïques  indis- 
crets qui  ont  fort  à  faire  déjà  de  gouverner  leurs  affaires  domes- 
tiques, et  qui  devraient  bien  y  metttre  ordre  avant  de  s'occuper  de 
marier  le  clergé  ? 

Est-ce  qu'il  faut  tenir  compte  de  la  lâcheté  de  ceux  qui  réclament 
la  légitimtiiiou  de  leur  faiblesse  plutôt  que  de  se  donner  la  peine 
de  la  combattre  ou  d'en  expier  les  écarts  par  un  généreux  et  sincère 
repentir?  La  chair  du  prêtre  est  fragile  comme  celle  de  tout  autre 
homme.  Oui,  mais  il  a  des  grâces  d'état  que  n'ont  point  les  autres 
hommes;  il  sait  mieux  que  le  commun  des  chrétiens  à  quoi  sert  la 
mortification,  et  comment  il  faut  la  mettre  en  pratique  ;  il  est  trop 
près  des  saints  mystères  pour  ne  pas  briser  son  cœur  et  répandre 
des  larmes  amères  quand  il  se  sent  indigne  d'y  prendre  part.  La 
chair  du  prêtre  sera-t-elle  donc  moins  faible  quand  elle  sera  offi- 
ciellement satisfaite?  Ses  fautes  seront-elles  moins  honteuses 
quand  elles  se  compliqueront  d'adultère  ?  Y  aura-t-il  moins  à 
craindre  pour  sa  considération  quand  il  pourra  être  déshonoré  par 
la  légèreté  d'une  femme  à  lui,  et  devenir  aux  yeux  d'un  monde 
libertin,  qui  s'amuse  des  trahisons  domestiques,  d'autant  plus 
ridicule  qu'il  est  plus  sacré  ? 

Législateurs  d'aventure  qui  voulez  modifier  la  condition  du 
clergé,  laissez  donc  faire  l'Eglise,  elle  est  plus  sage  que  vous.  C'est 
en  vain  que  vous  vous  armez,  pour  justifier  vos  prétentions  réfor- 
matrices,  de  ce   que  vous   appelez   les  scandales  du  clergé.  Je  sais 

3 


34  ANNALES   CATHOLIQUES 

qu'on  les  exploite,  et  je  vous  dirai  bientôt  ce  qu'on  doit  penser  de 
cette  déloyale  exploitation;  pour  le  moment,  je  me  contente  de  vous 
faire  remarquer  que  les  scandales  donnés  dans  une  corporation  ne 
sauraient  nuire  à  ceux  qui  remplissent  fidèlement  leur  devoir  ;  que 
si  les  ennemis  du  sacerdoce  ont  l'œil  ouvert  sur  ses  fautes,  les  vrais 
chrétiens  doivent  en  détourner  publiquement  leur  regard  et  les 
couvrir  du  manteau  de  leur  discrétion  et  de  leur  silence  ;  que  c'est 
du  côté  des  bons  prêtres  qu'ils  doivent  regarder,  et  dans  l'orbe  de 
ces  aslres  sacrés  où  brillent  la  science  et  la  sainteté  qu'ils  doivent 
se  laisser  entraîner. 

Ce  n'est  pas  tout  encore,  Messieurs,  si  vous  êtes  de  vrais  chrétiens, 
vous  vous  associerez  à  la  prière  que  faisait  avant  de  mourir  un 
homme  que  l'Église  se  prépare  à  honorer  d'un  culte  public.  «  Sei- 
gneur, disait  le  vénérable  Grignon  de  Montfort,  ne  me  rebutez  pas. 
Qu'est-ce  que  je  vous  demande?  Rien  en  ma  faveur,  tout  pour  votre 
gloire.  »  Donnez-nous  des  prêtres  libres  de  votre  liberté,  détachés 
de  tout,  sans  père,  sans  mère,  sans  frères,  sans  sœurs,  sans  parents 
selon  la  chair,  sans  amis  selon  le  monde,  sans  biens,  sans  embarras, 
sans  soins,  et  même  sans  volonté  propre.  Des  esclaves  de  votre 
amour  et  de  votre  volonté,  des  hommes  selon  votre  cœur,  qui,  sans 
propre  volonté  qui  les  souille  et  les  arrête,  fassent  toutes  vos  volontés 
et  terrassent  tous  vos  ennemis...  Des  âmes  élevées  de  terre  et  pleines 
de  la  rosée  céleste,  qui,  sans  empêchement,  volent  de  tous  côtés 
selon  le  souffle  du  Saint-Esprit...  Des  gens  toujours  à  votre  main, 
toujours  prêts  à  vous  obéir...  à  tout  souffrir  avec  vous  et  pour  vous.,. 


LA   COMTESSE   DE    CHAMBORD 

Une  dépêche  de  Goritz  parvenue  à  Paris  le  25  mars  au  soir 
est  venue  annoncer  la  mort  de  Madame  la  comtesse  de  Chambord. 

Depuis  le  16  novembre  1846,  jour  où  sa  destinée  fut  unie  à 
celle  de  l'héritier  de  nos  rois,  dans  l'exil  oii  il  ne  devait  plus 
sortir,  Marie-Thérèse-Béatrice-Gaëtane,  archiduchesse  d'Antri* 
che-Este,  fut  un  modèle  rare  de  toutes  les  vertus  qui  rehaussent» 
dans  la  situation  la  plus  élevée,  les  dons  naturels  de  l'intelli- 
gence  et  du  cœur. 

Ce  n'est  pas  le  moment  de  dire  avec  quelle  douce  vaillance 
elle  soutint  durant  trente-cinq  ans  la  série  d'épreuves  par 
lesquelles  il  plut  à  Dieu  de  faire  éclater  la  haute  piété  du  couple 
royal.  Après   le   chagrin   d'une   stérilité   qui   semblait   fermer 


LA    COMTESSE    DE    CHAMBORD  S^ 

l'avenir  à  la  descendance  directe  de  la  maison  de  France,  com- 
bien ne  souffrit-elle  pas  de  voir  la  France,  obstinée  dans  les 
voies  révolutionnaires,  se  refuser  jusqu'au  bout  à  préparer  le 
retour  de  celui  qui  pouvait  du  moins,  par  un  règne  dont  on 
escomptait  l'influence,  ramener  dans  les  chemins  du  droit  ce 
pays  de  France  si  cher  aux  royaux  exilés. 

La  catastrophe  du  24  août  1883  mit  fin  cruellement  à  ces 
longues  espérances.  Ce  fut  pour  Madame  la  comtesse  de  Gbam- 
bord  un  brisement  indicible,  et  ceux  qui  avaient  l'honneur  de 
l'approcher  purent  prévoir  dés  lors  qu'à  cette  blessure  pro- 
fonde elle  ne  survivrait  pas  longtemps. 

Pourtant  Dieu  lui  a  permis  de  vivre  assez  pour  recueillir  le 
noble  héritage  des  œuvres  que  lui  laissait  son  glorieux  époux  et 
qu'elle  eut  à  cœur  d'assurer  par  des  fondations  qui  feront  à 
jamais  bénir  sa  sainte  mémoire.  C'est  le  témoignage  que  nous 
voulons  aujourd'hui  déposer  sur  sa  tombe  royale,  avec  la'caa- 
fiance  que  bientôt  du  haut  du  ciel,  le  comte  et  la  comtesse'  de 
Chambord  opéreront  pour  la  France,  par  leur  intercession,  les 
fruits  bénis  que  nous  promettait  leur  règne,  si  la  France, 
connaissant  le  don  de  Dieu,  avait  su  le  mériter. 


Marie-Thérèse-Bêatrice-Gaëtane,  archiduchesse  d'AuTRi- 
CHE-EsTE,  fille  aînée  de  feu  François  IV  duc  de  Modène,  était 
née  le  14  juillet  1807  ;  elle  s'était  mariée  par  procuration  au 
comte  de  Chambord  le  7  novembre  1847,  à  Modène. 

Depuis  la  mort  du  comte  de  Chambord,  le  24  aoiit  1883,  elle 
menait  une  vie  des  plus  retirées  dans  la  solitude  de  Frohsdo-rf 
ou  de  Goritz.  Elle  n'y  vivait  que  des  souvenirs  de  son  passé. 

Son  entourage  était  peu  nombreux.  Elle  ne  recevait  que  très 
rarement  ses  intimes.  Quoique  cachée  à  tous,  ses  vertus,  sa 
charité,  sa  piété  surtout  révélaient  sa  présence  partout  où  elle 
se  trouvait. 

Personne  ne  saura  jamais  ce  qu'elle  dépensait  annuellement 
en  œuvres  de  charité. 

La  surdité  dont  elle  souffrait  depuis  longtemps  ne  la  rendait 
pas  malheureuse.  Elle  avait  l'habitude  de  dire  que  ce  malheur 
était  pour  elle  un  bonheur,  car  cela  empêchait  les  distractions 
qui  viennent  à  l'àme  des  bruits  mondains. 

C'est  à  Goritz  qu'elle  se  rendait  pendant  l'hiver,  habitant  une 
petite   maison  en   face    du    couvent   de    Castagnavizza.    Cette 


36  ANNALES   CATHOLIQUES 

demeure  avait  été  choisie  pour  être  le  plus  près  possible  du 
tombeau  de  celui  qui  avait  été  son  seul  bien  sur  la  terre. 


La  comtesse  de  Chambord  est  morte  d'une  paralysie  du  cœur 
compliquée  d'un  refroidissement.  Elle  n'a  été  qu'un  jour  fau 
lit  et  a  conservé  toute  sa  lucidité  jusqu'au  dernier  moment. 

La  comtesse  souffrait  depuis  des  années  d'un  mal  organique 
du  cœur. 

Les  funérailles  auront  lieu  samedi  3  avril.  Le  comte  de  Paris 
y  sera  représenté  par  un  prince  de  la  maison  d'Orléans. 


Samedi,  à  dix  heures  du  matin,  M.  le  comte  de  Paris  a  assisté 
avec  sa  famille  au  service  funèbre  qu'il  a  fait  célébrer  à  l'église 
de  Notre-Dame  des  Pins  à  Cannes  pour  Madame  la  comtesse  de 
Chambord. 

L'intérieur  de  l'église  était  entièrement  tendu  de  velours  noir 
bordé  de  franges  argentées. 

La  cérémonie  a  gardé  un  caractère  simple  et  imposant  à  la 
fois.  Le  service  a  été  célébré  par  l'abbé  Chaude,  desservant  de 
la  chapelle. 


UUnivers  a  reçu  communication  d'une  touchante  lettre,  l'une 
des  dernières  qu'ait  écrites  Madame  la  comtesse  de  Chambord. 
Elle  est  tout  entière  de  sa  main  et  adressée  à  l'un  des 
hauts  dignitaires  de  l'Église  d'Afrique,  qui  avait  fait  connaître 
à  Madame  que  le  chapitre  des  dames  chanoinesses  de  Saint- 
Louis  de  Cartage  avait  fait  inscrire  son  nom  et  celui  de  son 
royal  époux  parmi  ceux  pour  lesquels  ce  chapitre  priait  chaque 
jour  au  tombeau  de  saint  Louis.  On  sait  que  Monsieur  le  comte 
de  Chambord  avait,  par  son  testament,  légué  une  somme  consi- 
dérable à  S.  Em,  le  cardinal  Lavigerie,  qui  a  voulu  l'appliquer 
tout  entière  à  la  reconstruction  du  sanctuaire  élevé  sur  le  lieu 
011  est  mort  le  grand  Louis  IX. 

On  remarquera  avec  attendrissement  la  phrase  oii  la  reine 
dit  que  :  «  morte  au  monde,  elle  ne  songe  plus  qu'au  Ciel,  où 
elle  espère  aller  prier  avec  son  Henri  pour  la  France  qu'il 
a  tant  aimée.  » 

A  son  tour,  la  France  priera  pour  elle  et  entourera  de  son 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  37 

respect  et  de  sa  vénération  la  tombe  q^ui  recouvre  tant  de  sou- 
venirs et  qui  rappelle  tant  de  vertus. 

Voici  le  texte  de  cette  lettre,  datée  de  Goritz,  le  10  mars  1886, 
c'est-à-dire  quinze  jours  avant  sa  mort  : 

Monseigneur, 

Je  viens  de  recevoir  votre  lettre,  et  je  m'empresse  de  vous  en  remer- 
cier du  fond  de  mon  cœur.  Je  ne  saurais  vous  exprimer  combien  j'en  ai 
été  touchée,  comme  d'ailleurs  de  tout  ce  qui  me  vient  de  vous,  à  qui 
mon  bien-aimé  Henri  avait  voué  un  si  vif  attachement. 

Pénétrée  de  la  plus  sincère  gratitude  pour  les  offres  que  vous  avez 
la  bonté  de  me  faire,  j'accepte  avec  bonheur  les  prières  que  le  chapitre 
des  dames  chanoinesses  voudra  bien  faire,  à  mon  intention,  pour  mon 
cher  mari,  prières  auxquelles  je  suis  heureuse  de  m'associer. 

Morte  au  monde,  je  ne  songe  plus  qu'au  Ciel,  où  j'espère  aller 
prier  avec  mon  Henri  pour  la  France  et  pour  l'Afrique  qu'il  a  tant 
aimées! 

Je  vous  prie,  Monseigneur,  de  compter  toujours  sur  mes  meilleurs 
sentiments,  et  d'en  recevoir  la  nouvelle  et  respectueuse  assurance, 
Votre  toute  dévouée, 

Marie-Thérèse  comtesse  de  Chambord. 

Goritz,  le  10  mars  1886. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Paris.  —  La  quatorzième  assemblée  générale  des  catholiques 
de  France  se  réunira  à  Paris  du  25  au  30  mai  prochain,  sous 
la  présidence  de  M.  Chesnelong,  sénateur,  dans  l'hôtel  de  la 
Société  de  Géographie,  184,  boulevard  Saint-Germain. 

Le  nombre  et  la  gravité  des  questions  qui  s'imposent  actuel- 
lement aux  préoccupations  des  catholiques,  donneront  à  ce 
Congrès  une  importance  exceptionnelle.  Il  s'agit,  en  eflfet,  de 
pourvoir  à  la  défense  des  intérêts  les  plus  sacrés  si  douloureu- 
sement atteints  par  tant  de  mesures  vexatoires  et  odieuses  ;  et 
en  même  temps,  comme  les  catholiques  ne  désespèrent  pas  plus 
de  la  France  que  de  l'Eglise,  de  fortifier  les  œuvres  qui  seront 
le  salut  de  l'avenir  et  qui  rendront  à  ce  pays  la  paix,  l'honneur 
et  sa  traditionnelle  influence  parmi  les  nations. 

Les  organisateurs  du  Congrès  ont  donc  l'espoir  que  tous  ceux 
qui    travaillent  à  la  défense  des    libertés  chrétiennes  et  au 


38  ANNALES    CATHOLIQUES 

développement  des  œuvres  catholiques  répondront  à  leur  appel, 
soit  par  leur  concours  personnel,  soit  en  leur  adressant  des 
notes  et  docunaents  relatifs  aux  questions  que  devra  traiter 
l'assemblée  des  catholiques. 

—  Deux  jeunes  filles  atteintes  de  la  petite  vérole  ont  été 
transportées,  il  y  a  six  jours,  à  l'hôpital  Saint-Denis,  laïcisé, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  le  4  mars  dernier. 

L'économe  s'est  adressé  aux  surveillantes  qui  remplacent  les 
Sœurs  pour  obtenir  que  l'une  d'elles  voulût  bien  soigner  les 
deux  malades,  mais  elles  ont  jugé  le  poste  trop  périlleux  :  au- 
cune n'a  voulu  s'en  charger. 

L'économe  ne  savait  comment  sortir  de  cette  situation,  quand 
quelques  heures  plus  tard,  un  mendiant,  rongé  par  la  maladie 
et  mourant  de  faim,  vint  demander  une  soupe  à  l'hôpital. 

Idée  sublime  !  l'économe  lui  offrit,  en  échange  de  la  nourri- 
ture qui  lui  serait  quotidiennement  donnée,  la  charge  àH infir- 
mière auprès  des  deux  jeunes  filles,  charge  que  le  mendiant 
s'empressa  d'accepter. 

Ainsi,  grâce  à  la  laïcisation,  voilà  un  garçon  de  dix-neuf 
ans,  un  vagabond  dont  on  ne  connaît  ni  le  passé,  ni  les  ins- 
tincts, ni  la  moralité,  qui  se  trouve  nuit  et  jour  auprès  de  deux 
jeunes  filles  âgées  l'une  de  dix-sept,  l'autre  de  dix-huit  ans, 
que  leur  maladie  a  obligé  de  placer  dans  un  pavillon  isolé  et 
qui  leur  change  leur  linge,  leur  passe  leurs  chemises,  etc.,  etc. 

N'est-ce  pas  odieux,  indigne,  immoral? 

Lorsque  autrefois  les  Sœurs  de  Charité  étaient  chargées  du 
service  des  malades,  elles  ne  craignaient  aucune  maladie;  les 
saintes  filles  soignaient  ces  infortunés  avec  une  abnégation  et 
un  dévouement  admirables  ;  aujourd'hui  les  infirmiers  laïques 
reculent  devant  le  danger,  et  il  faut  avoir  recours  aux  men- 
diants, aux  vagabonds,  pour  soigner  des  jeunes  filles. 

0  laïcisation  !  que  tes  œuvres  sont  belles  ! 

[Gaulois.') 

Grenoble.  —  S.  G.  Mgr  l'évêque  de  Grenoble  vient  d'adresser  la 
lettre  suivante  à  M.  le  ministre  des  cultes  : 

Sérézin-du-Rhône  (en  cours  de  visite  pastorale), 
le  22  mars  1886. 

A  Son  Excellence  le  ministre  des  cultes. 

Monsieur  le  Ministre, 
J'ai  eu  l'honneur  de  vous  accuser  réception  de  la  communica- 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  39 

tioa  que  m'a  faite  Votre  Excellence  pour  m'informer  que,  dans 
ma  lettre  au  clergé  de  mon  diocèse  en  date  du  22  janvier  der- 
nier, il  y  avait  abus. 

Considérant  que  le  décret  présidentiel  relatant  cette  décision 
a  été  publié  dans  les  journaux,  et  que,  par  le  vague  de  sa  rédac- 
tion, il  est  préjudiciable  à  la  vérité  et  à  ma  cause,  je  crois  devoir 
user  de  mon  droit  de  réponse,  non  pour  maudire  mes  juges, 
mais  pour  éclairer  la  conscience  publique. 

I.  Le  décret  commence,  monsieur  le  ministre,  par  viser  la 
lettre  que  vous  m'avez  adressée  le  2  février  1886.  En  effet,  je 
l'ai  reçue,  et  comme  vous  m'offriez  de  prendre  connaissance  du 
mémoire  à  ma  charge,  que  vous  aviez  déposé  au  secrétariat 
du  Conseil  d'État,  je  priai  un  de  mes  amis  de  m'en  envoyer 
copie.  Vous  y  affirmiez  que  j'avais  fait  lire  en  chaire  ma  lettre 
au  clergé.  Cela  prouvait  que  vous  n'aviez  pas  fait  d'enquête, 
ou  bien  que  vous  aviez  été  trompé,  car  il  est  faux  que  ma  lettre 
ait  été  lue  en  chaire.  Elle  a  simplement  été  imprimée  dans  la 
Semaine  religieuse,  oii  le  clergé  a  pu  la  lire. 

La  loyauté  m'imposait  l'obligation  de  vous  éclairer.  Je  le  fis 
et  n'eus  pas  l'honneur  d'une  réponse.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la 
suite  donnée  à  ma  lettre,  ce  n'était  qu'une  rectification,  et  pas 
une  défense.  Il  me  plaît  qu'on  ne  l'ignore  pas. 

IL  Chacun  sait  ce  qu'il  faut  penser  des  Articles  organiques 
visés  ensuite  par  ledit  décret.  Si  la  séparation  de  l'Église  et  de 
l'État,  demandée  par  les  loges  maçonniques,  est  votée  par  les 
Chambres,  elle  aura  du  moins  pour  l'Église  de  France  le  pré- 
cieux avantage  de  la  délivrer  à  jamais  de  l'intrusion  desdits 
Articles  organiques.  Sûrement  on  ne  parviendra  plus  à  les  atta- 
cher au  flanc  du  futur  Concordat. 

III.  «  Considérant,  continue  le  décret,  qu'il  est  de  maxime 
fondamentale  dans  le  droit  public  français,  que  l'Église  et  ses 
ministres  n'ont  reçu  de  puissance  que  sur  les  choses  spirituelles, 
et  non  pas  sur  les  choses  temporelles  et  civiles...  »  Expliquons- 
nous. 

Les  choses  temporelles  et  civiles  pouvant  donner  lieu  à  des 
cas  de  conscience,  sont  évidemment,  quand  cela  se  présente,  du 
domaine  de  la  théologie,  et,  sous  ce  rapport,  elles  deviennent 
spirituelles. 

Or,  les  questions  de  cette  nature  regardent  directement 
l'Église  et  ses  ministres.  Les  évêques  et  les  prêtres  peuvent 
donc   alors,  et   doivent  s'en   occuper.   Les  élections,  les  lois 


40  A^ÎNAIvKS    CATHOLIQUES 

scolaires  et  autres  semblables  rentrent  clans  la  catégorie  des 
choses  mixtes.  Nous  ne  saurions  nous  en  désintéresser. 

D'ailleurs,  le  Concordat  a  pour  but  de  permettre  à  l'État  de 
s'occuper  du  spirituel  en  certains  cas;  à  l'Eglise,  du  temporel 
dans  d'autres  cas;  c'est  là  sa  raison  d'être. 

IV.  Le  décret  ajoute  :  «  L'évèque  de  Grenoble  discute  les 
termes  de  la  déclaration  ministérielle  et  critique  d'une  façon 
injurieuse  la  politique  suivie  par  le  gouvernement.  » 

Est-ce  un  crime  de  discuter  les  termes  d'une  déclaration 
ministérielle  publique?  Ou  bien  ce  qui  est  permis  à  tout  citoyen 
est-il  défendu,  en  France,  aux  évèques?  On  pourrait  le  pré- 
tendre si  les  évéques  étaient  des  fonctionnaires  de  l'Etat  ; 
car,  dans  cette  hypothèse,  ils  devraient  subir  les  ordres  du 
gouvernement  ;  mais  les  évéques  remplissent  des  fonctions 
ecclésiastiques,  et  non  des  fonctions  gouvernementales. 

Par  ailleurs,  en  quoi  ai-je  injurié  le  gouvernement? 

Ce  que  j'ai  dit  est  vrai  ou  faux.  Si  c'est  vrai,  l'injure  est 
donc  de  l'avoir  dit.  Mais  alors,  monsieur  le  ministre,  veuillez 
remarquer  que  la  mission  des  évéques  est  précisément  de  dire 
la  vérité  aux  grands  aussi  bien  qu'aux  petits  :  en  France,  le 
Concordat  nous  assure  la  liberté  de  notre  apostolat. 

Lorsque  l'évèque  Ambroise  arrêta  au  seuil  de  son  église 
l'empereur  ïhéodose,  pour  un  acte  d'administration  civile,  il 
fit  son  devoir;  et  l'histoire  l'en  a  glorifié.  Le  royal  coupable  eut 
le  bon  sens  et  la  force  de  reconnaître  sa  faute  et  d'en  faire 
pénitence,  au  lieu  de  prétendre  qu'il  y  avait  abus  dans  la  con- 
duite de  l'archevêque  de  Milan. 

Si  ce  que  j'ai  dit  du  gouvernement  est  faux  aux  yeux  des 
membres  du  Conseil  d'Etat,  pourquoi  ne  m'ont-ils  pas  demandé 
de  prouver  que  le  gouvernement  subit  l'infiuence  de  la  Maçon- 
nerie? J'ai  sous  la  main  tous  les  Bulletins  maçonniques  publiés 
en  France,  et  ils  me  fournissent  cent  preuves  à  l'appui  de  ma 
proposition.  En  voici  une  seulement,  tirée  du  Bulletin  du 
Grand-Orient  de  France  : 

Le  F.'.  Colfavru  disait  naguère  en  pleine  assemblée  maçon- 
nique : 

«  C'est  le  moment  de  faire  appel  à  tous  nos  frères  qui  sont 
membres  du  Parlement  et  qui  doivent  tant  à  la  Franc-Maçon, 
nerie  dans  leur  élévation  ;  c'est  le  moment  de  leur  rappeler 
qu'ils  ont  à  montrer,  parleur  activité  et  leur  dévouement,  qu'ils 
étaient  et  sont  dignes  de  la  confiance  de  leurs  frères,  et  à  justi- 


NOUVELLES   E,ELIGIEX3SES  41 

lier  cette  confiance.,.  Nous  avons  vu  déjà  hier  notre  éminent 
Fr.*.  Faure  faire  précéder  les  paroles  remarquables  qu'il  vous  a 
apportées  par  la  visite  faite  au  ministre  de  l'intérieur,  auquel  il 
est  allé  porteries  revendications  de  la  Franc-Mar-onnerie  venant 
dire  au  gouvernement  que,  si  nous  ne  demandions  pas  à  être 
protégés,  nous  demandions  du  moins  à  être  respectés  !  Eh  bien, 
il  faut  le  dire  à  leur  honneur,  les  FF.  Allain-Targé  et  de  Girar- 
din,  auquel  il  s'est  adressé,  se  sont  déclarés  prêts  à  soutenir  la 
Franc-Maçonnerie,  à  venir  à  son  aide,  à  s'associer  complète- 
ment de  cœur  et  d'action  à  ses  intérêts.  »  [Bulletin  du  Grand- 
Orient,  novembre-décembre  1885,  page  740.1 

Yeut-on  que  nous  gardions  le  silence  et  que  nous  nous  croi- 
sions les  bras  en  face  de  cette  société,  qui  a  juré  de  détruire 
l'Église?  Yeut-on,  quand  on  nous  condamne  d'abus  pour  avoir 
donné  l'alarme  à  nos  frères,  nous  intimider  et  nous  faire  taire  ? 
On  peut  le  penser,  mais  ce  système  ne  réussira  pas.  Nous  ne 
pouvons  point  ne  point  parler  :  Non  jiossumus. 

Croyez,  monsieur  le  ministre,  que  je  n'excite  pas  mon  clergé 
au  mépris  du  gouvernement  de  la  République,  nous  avons  autre 
chose  à  faire  en  ce  monde.  Nous  servons  Dieu,  l'Église  et  la 
France.  Nous  voudrions  nous  unir  au  gouvernement,  à  la  magis- 
trature et  à  l'armée  pour  défendre  la  propriété',  si  menacée  en 
Europe  et  en  Amérique.  Hélas  !  on  répudie  notre  concours,  et 
c'est  là  que  se  trouve  le  véritable  abus. 
Recevez,  monsieur  le  ministre,  l'expression  de  mon  respect. 

•\-  Amand-Joseph, 
Evêque  de  Grenoble. 

Perpignan.  -  Le  Conseil  d'Etat  vient,  en  violation  des  arti- 
cles 8,  34  et  45  du  décret  du  6  novembre  1813,  sur  la  conserva- 
tion et  l'administration  des  menses,  de  proroger  les  pouvoirs  du 
commissaii'e  administrateur  de  la  mense  épiscopale  de  Perpi- 
gnan, et  de  l'autoriser  à  aliéner  plusieurs  immeubles  qui  en 
dépendent.  Aux  termes  de  l'article  8  du  décret  précité,  l'évêque 
seul  a  le  droit  d'aliéner,  avec  l'autorisation  du  gouvernement. 

Ces  immeubles  consistent  dans  :  1°  l'école  secondaire  libre  de 
Saint-Louis  de  Gonzague  établie  à  Perpignan  ;  2°  une  maison 
de  Sœurs  gardes-malades  établie  à  Amélie-les-Bains.  Ces  deux 
établissements  avaient  été  fondés  par  des  testateurs  ou  dona- 
teurs qui  avaient  chargé  Mgr  l'évêque  de  Perpignan  de  leur 
installation  et  de  leur  entretien.  C'est  donc  une  véritable  spolia- 
tion contraire  aux  intérêts  les  plus  respectables. 


42  ANNALES   CATHOLIQUES 

Le  gouvernement  poursuit  lentement  cette  œuvre  impie  et 
hypocrite  de  la  conversion  de  tous  les  biens  ecclésiastiques  en 
rentes  sur  l'État.  Il  y  trouve  le  double  avantage,  d'une  part,  de 
supprimer  ou  tout  au  moins  de  troubler  les  oeuvres  catholi- 
ques installées  dans  les  immeubles  appartenant  aux  évêchés  de 
France  ;  de  l'autre,  de  préparer  une  confiscation  possible  des 
biens  du  clergé. 

Rouen.  —  Le  Moniteur  de  Rome  du  26-27  mars  publie  le 
texte  latin  de  la  lettre  du  Saint-Père  en  réponse  de  la  lettre 
collective  des  évêques  de  la  province  de  Normandie. 

Cette  publication  est  précédée,  dans  la  feuille  romaine,  de  la 
note  et  de  la  pièce  ci-après  : 

L'Adresse  des  évêques  de  Normandie  que  nous  avons  publiée 
dernièrement  élait  accompagnée  d'une  lettre  personnelle  de 
Mgr  Thomas,  conçue  dans  ces  termes  : 

«  Rouen,  le  12  février  1886. 
«  Très-Saint  Père,. 

«  Je  m'empresse  de  joindre  à  la  lettre  des  évêques  de  la  province 
de  Normandie,  mon  adhésion  personnelle  à  tous  les  enseignements 
de  l'Encyclique  Iminortale  Bel.  Je  les  accepte  de  grand  cœur,  sans 
aucune  réserve,  sans  autre  interprétation  que  la  Vôtre,  très  résolu 
à  les  exposer  d'une  manière  l'igoureusement  conforme  au  texte  et 
à  l'esprit  de  cette  admirable  Encyclique,  ainsi  qu'à  l'intégralité  des 
enseignements  adressés  par  Votre  Sainteté  aux  pasteurs  et  aux 
fidèles  de  l'Église  catholique. 

«  J'ose  espérer  que  Votre  Sainteté  daignera  me  conserver  l'es- 
time et  l'affection  qu'ElIe  m'a  constamment  témoignées.  Je  ne 
négligerai  rien  pour  m'en  rendre  plus  digne  et  pour  ne  jamais 
contrister  Votre  cœur. 

«  Prosterné  à  Vos  pieds,  je  demande  pour  moi  et  pour  les  fidèles 
confiés  à  ma  sollicitude  pastorale,  la  bénédiction  apostolique. 

a  Très-Saint  Père,  de  Votre  Sainteté, 

«  Le  très  humble  et  obéissant  fils  et  serviteur, 

«    -[-   LÉON, 
«  archevêque  de  Rouen.  » 

Voici  le  texte  de  la  lettre  du  Saint-Père  : 

Vénérable  Frère,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

Nous  connaissions  déjà  le  mérite  des  évêques  de  la  province  de 
Normandie,  mais  il  Nous  a  été  agréable  de  le  connaître  encore  plus 
par  la  lettre  collective  qui  Nous  a  été  adressée  il  y  a  peu  de  temps, 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  43 

et  OÙ  Nous  avons  vu  avec  quel  zèle,  quel  empressement  et  quel  accord 
dans  l'obéissance  vous  avez  tous  accepté  Notre  Encyclique  Immortale. 
Cette  déclaration  est  venue  s'ajouter  aux  témoignages  semblables  qui 
Nous  arrivent  de  différents  côtés;  elle  a  reçu  de  Nous  la  plus  com- 
plète approbation.  Aussi  Nous  vous  demandons  de  transmettre  à  vos 
collègues  dans  l'épiscopat  et  d'interpréter  Nos  sentiments  de  bien- 
veillance et  de  gratitude. 

Pour  vous,  Vénérable  Frère,  vous  avez  voulu  surabondamment 
satisfaire  votre  cœur,  enjoignant  à  cette  lettre  collective  une  lettre 
personnelle  qui  est  tout  entière  à  votre  honneur.  Vous  déclarez  en 
eflfet  —  ce  qui,  pour  aucun  motif,  ne  pouvait  être  mis  en  doute  — 
que  vous  donnez  votre  ferme  et  pleine  adhésion  à  Nos  derniers  ensei- 
gnements, ainsi  qu'à  toutes  Nos  doctrines  et  à  celles  du  Saint-Siège, 
et  cela  avec  une  netteté  et  une  énergie  sans  égales.  Nous  vous  aimons 
beaucoup  à  cause  de  cette  volonté,  comme  toujours  très  ardente  pour 
le  devoir  et  pleine  d'une  grande  modestie.  Quant  à  l'incident  qui  s'est 
produit  naguère,  pour  peu  qu'il  vous  préoccupe,  quittez  vite  tout 
souci  à  cet  égard.  Non  seulement  rien  n'a  été  changé  dans  Notre 
paternelle  afïection  envers  vous,  non  seulement  Notre  constante  estime 
n'a  pas  diminué,  mais  volontiers  Nous  vous  dirions  que  vous  avez 
encore  fait  grandir  l'une  et  l'autre  en  Nous  exprimant  avec  tant  de 
cœur  votre  résolution  de  défendre  Notre  cause  en  toute  circonstance. 

C'est  pourquoi,  comme  gage  des  grâces  célestes  et  en  témoignage 
de  Notre  particulière  bienveillance,  recevez  la  bénédiction  apostolique 
que  Nous  vous  donnons  avec  un  grand  amour  dans  le  Seigneur,  â 
vous  d'abord.  Vénérable  Frère,  à  vos  collègues,  au  clergé  et  aux 
fidèles  du  diocèse  de  Rouen. 

Donné  â  Rome,  près  Saint-Pierre,  le  quatrième  jour  de  mars  de 
l'année  MDCCCLXXXVI,  la  neuvième  de  Notre  Pontificat. 

LÉON  XIII,  PAPE. 

Tours.  —  La  Semaine  religieuse  du  diocèse  de  Tours  publie 
le  bref  suivant,  adressé  à  Mgr  Meignan  : 

Vénérable  Frère,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

Quoique  Nous  connaissions  parfaitement,  et  depuis  longtemps,  vos 
sentiments  d'amour  à  Notre  égard,  il  ne  Nous  en  a  pas  été  moins 
agréable  d'en  recevoir  la  confirmation  dans  la  lettre  que  vous  Nous 
avez  envoyée  à  l'occasion  des  fêtes  de  Noël,  lettre  toute  remplie  de 
témoignages  de  votre  dévouement.  Nous  y  avons  vu  une  fois  de  plus 
de  quel  esprit  vous  êtes  animé  envers  le  Saint-Siège,  et  avec  quel 
empressement  et  quelle  religion  vous  accueillez  toutes  les  directions 
et  les  instructions  que  Nous  donnons  pour  le  salut  commun  dans 
l'Eglise.  C'est  pourquoi  Nous  vous  félicitons  de  la  vertu  épiscopale 
qui  est  en  vous.  Nous  avons  la  confiance  très  assurée  que  les  soins  et 


44  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  vigilance  qui  jusqu'à  cette  heure  ont  été  si  profitables  au  peuple 
de  Touraine  continueront  avec  la  même  utilité,  non  seulement  pour 
maintenir  l'intégrité  de  la  foi,  ce  qui  est  le  point  capital,  mais  encore 
pour  sauvegarder  la  concorde  et  la  charité  mutuelle,  dont  vous  n'igno- 
rez pas  l'importance  dans  les  temps  présents. 

Vénérable  Frère,  Nous  vous  donnons  dans  le  Seigneur  et  avec 
amour,  à  vous,  à  votre  clergé  et  au  diocèse  à  la  tête  duquel  vous  êtes 
placé  avec  une  autorité  sacrée,  la  bénédiction  apostoUque,  gage  des 
biens  célestes  et  témoignage  de  Notre  paternelle  bienveillance. 

Donné  à  Rome,  à  Saint-Pierre,  le  8  février  1886,  la  huitième  année 
de  Notre  Pontificat. 

LÉON  XIII,  PAPE. 


LES  CHAMBRES 


•ffeudi  Î5î£5  mare.  —  Sénat.  —  Le  Sénat  déclare  l'urgence  sur 
le  projet  de  loi  tendant  à  appliquer  à  la  ville  de  Paris  la  loi  sur  les 
listes  électorales  municipales  et  sur  le  projet  de  la  loi  portant  appro- 
bation :  1»  d'actes  additionnels  à  la  convention  de  l'union  postale 
universelle  et  aux  arrangements  concernant  les  lettres  avec  valeurs 
déclarées,  les  mandats  de  poste  et  les  colis  postaux;  2»  d'un  arrange 
ment  concernant  le  service  des  recouvrements  par  la  poste  conclus 
à  Lisbonne  le  21  mars  1885. 

Les  trois  articles  et  l'ensemble  de  ce  dernier  projet  de  loi  sont 
adoptés. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  deuxième  délibération  sur  le 
projet  de  loi  relatif  à  l'organisation  de  l'enseignement  primaire. 
L'article  25,  modifié  par  la  commission,  est  adopté. 
M.  DE  RA.VIGNAN  propose  un  paragraphe  additionnel  ainsi  conçu  : 
«  Les  dispositions  du  paragraphe  3  de  l'article  3  de  la  loi  du  30  no- 
vembre 1875,  portant  interdiction  à  tout  agent  de  l'autorité  publique 
ou  municipale  de  distribuer  des  bulletins  de  vote,  professions  de  foi 
et  circulaires  des  candidats,  sont  applicables  aux  instituteurs  publics.» 
L'orateur  demande  si  le  ministre  de  l'intérieur  a  réellement  adressé 
une  circulaire  demandant  aux  préfets  de  lui  donner  les  noms  des 
fonctionnaires  de  l'Etat  qui  envoient  leurs  enfants  dans  des  institu- 
tions privées  et  font  ainsi  acte  d'hostilité  contre  le  gouvernement. 
M.  GoBLET.  —  Je  n'en  ai  pas  connaissance. 

M.  DE  Ravignan  dit  que  des  faits  récents  démontrent  la  nécessité 
d'un  tel  amendement. 
M.  GoBLET.  —  Lesquels  .' 
M.  DE  Ravignan  dit  que  dans  les  Landes,  le  président  du  comité 


LES    CHAMBRES  45 

républicain  a  envoyé  une  circulaire  aux  instituteurs  du  département 
avec  cent  bulletins  de  vote  en  faveur  de  la  liste  républicaine.  Il 
ajoute  que  dans  une  école  l'instituteur  a  distribué  lui-même  les 
circulaires  des  candidats  républicains.  (Applaudissements  â  droite.) 

M.  GoBLET.  —  Je  suis  partisan  de  l'interdiction  réclamée  par  M.  de 
Ravignan,  mais  je  refuse  de  l'introduire  dans  la  loi  parce  que  ce 
serait  marquer  une  défiance  injurieuse  contre  les  instituteurs;  je 
repousse  donc  l'amendement. 

M.  DE  Ravignan  dit  que  les  instituteurs  sont  des  fonctionnaires 
publics;  pourquoi  les  traiter  différemment?  11  cite  une  autre  circu- 
laire analogue  à  la  première  qu'il  a  déjà  apportée  dans  le  débat. 
(La  clôture  !  la  clôture  !) 

Il  est  précédé  au  scrutin  sur  l'amendement  de  M.  de  Ravignan. 
Cet  amendement  est  repoussé  par  190  voix  contre  63,  sur  252  votants. 

L'ensemble  do  l'article  25  est  adopté. 

M.  DE  Gavardie,  sur  l'article  26,  combat  la  disposition  qui  porte 
que  les  instituteurs  et  institutrices  stagiaires  enseignent  en  vertu 
d'une  délégation  de  l'inspecteur  d'académie. 

I/article  26  est  adopté. 

Un  amendement  de  M.  Chesnelong  à  l'article  27,  tendant  à  faire 
concourir  les  pères  de  famille  à  la  présentation  des  instituteurs,  est 
combattu  par  M.  Goblet  et  rejeté  par  183  voix  contre  66. 

Chambre  des  députés. —  Nominations  dans  les  bureaux  de  la  Com- 
mission du  budget.  Sont  nommés  : 

l»""  Bureau.  —  E.  Lefèvre,  radical;  Deandreis,  radical;  Thomson, 
opportuniste. 

2«  Bureau.  —  Dreyfus,  radical;  Etienne,  opportuniste;  Heredia, 
radical. 

3»  Bureau.  —  Gomot,  opportuniste;  Salis,  radical  ;  Maret,  radical. 

4"  Bureau.  —  Yves  Guyot,  radical  ;  Menaud-Dorian,  radical  ; 
Blandin,  opportuniste. 

5*  Bureau.  • —  Casimir-Périer,  opportuniste  ;  Bizarelli,  opportu- 
niste ;  Thiers,  radical. 

6*  Bureau.  —  Laisant,  radical;  Antonin  Proust,  opportuniste; 
Constans,  opportuniste. 

7*  Bureau.  —  Rouvier,  opportuniste;  Saint- Prix;  Lanessan, 
opportuniste. 

8«  Bureau.  —  Andrieux,  opportuniste;  Symian  ;  Jules  Roche, 
opportuniste. 

9e  Bureau.  —  Clemenceau,  radical;  Burdeau,  radical;  Prevet, 
radical. 

10"  Bureau.  —  Laguerre,  radical;  Leguay,  opportuniste;  Wilson, 
opportuniste. 

11»  Bureau.    —    Viette,    opportuniste;    Sansbroy,    opportuniste 
Oerville-Réache,  opportuniste. 


46  ANNALES   CATHOLIQUES 

Comme  on  le  voit,  les  gauches  ont  tenu  leur  parole  :  aucun 
membre  de  la  minorité  conservatrice  ne  fait  partie  de  la  commission 
du  budget. 

M.  Rouvier  est  président  de  la  commission.  M.  Andrieux  rappor- 
tera le  budget  des  Cultes. 

Samedi  ^T  mai-s,  —  Sénat.  —  M.  LE  Président  donne  lecture 
de  deux  décrets  retirant  le  projet  de  loi  sur  l'organisation  de  l'armée 
coloniale  et  des  troupes  d'Afrique  et  le  projet  de  loi  sur  le  recrute- 
ment de  l'armée. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  délibération  sur  le  projet  de 
loi  adopté  par  la  Chambre  des  Députés,  sur  l'organisation  de  l'ensei- 
gnement primaire. 

M.  DiDE,  sur  l'article  27,  propose  un  amendement  portant  que  la 
nomination  des  instituteurs  titulaires  sera  faite  par  le  recteur,  sous 
l'autorité  du  ministre  de  l'instruction  publique,  le  préfet  consulté, 
et  sur  la  proposition  de  l'inspecteur  d'académie. 

L'orateur  demande  que  l'on  adopte  son  amendement  qui  ne  mécon- 
naît pas,  d'ailleurs,  l'autorité  des  préfets,  puisque  les  préfets  seront 
consultés.  Cet  amendement  est  conforme  à  la  tradition  républicaine. 
M.  Ferrouillat.  rapporteur,  combat  l'amendement. 
M.  Wallon  demande  que  l'on  adopte  l'amendement  de  M.  Dide, 
en  laissant  de  côté  les  mots  :  «  le  préfet  entendu.  » 

Il  est  procédé  sur  l'amendement  de  M.  Dide,  moins  les  mots  :  «  le 
préfet  entendu  »  dont  M.  Wallon  demande  la  suppression,  à  un 
scrutin  dont  voici  le  résultat  : 

L'amendement  est  repoussé  par  157  voix  contre  1]  4,  sur  271  votants. 
L'article  27  est  adopté,  ainsi  que  l'article  28. 

L'article  29,  qui  porte  que  le  changement  de  résidence  est  prononcé 
par  le  préfet  sur  la  proposition  de  l'inspecteur  d'académie,  est  adopté. 
M.    Claris   demande   que  l'on  ajoute   une   condition,    c'est   l'avis 
motivé  du  conseil  municipal  intéressé. 

L'amendement  est  repoussé  par  162  voix  contre  102,  sur  264  votants. 
M.  DE  Carné  demande  que  les  déplacements  d'instituteurs  n'aient 
lieu  qu'après  avis  du  conseil  départemental. 

L'amendement  de  M.  de  Carné  est  rejeté  par  187  voix  contre  86, 
Les  articles  29  à  43  sont  adoptés. 

Chambre  des  députés.  —  La  Chambre  termine  enfin  la  discussion 
de  l'interpellation  sur  les  tarifs  de  chemin  de  fer  qui  dure  depuis  un 
mois. 

Un  ordre  du  jour  présenté  par  MM.  Steeg  et  Remoiville  (gauche 
radicale)  est  voté  par  378  voix  contre  136.  Il  prend  acte  des  bonnes 
résolutions  du  gouvernement  et  donne  de  l'extension  aux  pouvoir^ 
de  la  commission  parlementaire  des  chemins  de  fer. 

ILiundi  »0  mara.  —  Sénat.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  suite 


LES   CHAMBRES  47 

de  la  deuxième  délibération  sur  le  projet  de  loi  relatif  à  rorgani- 
sation  de  l'enseignement  primaire. 

L'article  32  est  adopté  après  une  modification  portant  que  l'appel 
ne  sera  pas  suspensif. 

M.  Pakis  demande,  sur  l'article  41,  qui  règle  la  procédure  contre 
les  instituteurs  privés  pour  cause  de  faute  grave,  que  l'appel  soit 
suspensif  quand  l'interdiction  est  purement  locale. 

L'amendement,  combattu  par  M.  Ferrouillat,  est  repoussé. 

L'article  41  est  adopté. 

L'article  44  règle  la  composition  du  conseil  départemental. 

M.  Claris  dépose  un  amendement  ayant  pour  but  de  faire  entrer 
dans  le  conseil  départemental  tous  les  inspecteurs  de  l'enseignement 
primaire  et  pas  seulement  deux  d'entre  eux,  comme  le  demande  le 
projet. 

L'amendement  de  M.  Claris  est  repoussé. 

Les  autres  paragraphes  et  l'ensemble  de  l'article  44  sont  adoptés. 

Les  articles  45  à  51  sont  adoptés. 

M.  DE  Carné,  sur  l'article  52,  demande  que  le  conseiller  général, 
le  ou  les  conseillers  d'ai^rondissement  fassent  de  droit  partie  de  la 
délégation  du  canton  qui  les  a  élus. 

L'amendement  est  repoussé  par  174  voix  contre  94.  L'article  52 
est  adopté. 

Un  amendement  de  M.  Naquet  demandant  la  nomination  des 
commissions  scolaires  par  le  pouvoir  central  est  rejeté. 

Les  articles  54  â  57  sont  adoptés. 

L'article  58  combattu  par  M,  de  Ratignan,  est  défendu  par 
M.  GoBLET  et  adopté. 

Sur  l'article  60,  M.  Batbie  propose  que  les  père,  mère  et  tuteur 
puissent  se  faire  représenter  par  des  mandataires  devant  les  commis- 
sions scolaires. 

M.  Ferrouillat  repousse  l'amendement  et  le  Sénat  se  range  de 
son  avis  par  159  voix  contre  90.  L'ensemble  de  l'article  est  ensuite 
adopté,  et  la  discussion  est  renvoyée  à  demain. 

Chambre  des  députes.  —  Encore  une  séance  de  la  Chambre  con- 
sacrée à  une  interpellation.  Encore  une  après-midi  perdue,  puis- 
q;i'après  trois  heures  de  débats,  l'ordre  du  jour  pur  et  simple  a  été 
adopté  par  369  voix  contre  153.  Mais  l'interpellation  a  pour  nos 
députés  un  charme  auquel  ils  ne  peuvent  se  soustraire.  Amener  un 
ministre  à  la  tribune  leur  paraît  un  aimable  passe-temps.  Le  sujet 
du  divertissement  était  la  catastrophe  récente  de  Monte-Carlo  oii 
deux  trains  se  sont  rencontrés  et  ont  été  en  partie  précipités  dans 
la  mer.  C'est  M.  Delattre,  député  de  la  Seine,  qui  s'était  chargé 
de  l'interpellation. 

Mardi  30  mars.  —  Sénat.  —  Après  le  vote  d'un  projet  qui 


48  ANNALES    CATHOLIQUES 

modifie  l'article  30  de  la  loi  du  10  août  1871  sur  les  conseils  géné- 
raux, le  Sénat  adopte  les  articles  62  à  65  du  projet  sur  l'enseigne- 
ment primaire.  M.  Batbie  demande  le  rejet  de  l'article  66  qui  porte 
que  «  jusqu'au  vote  d'une  nouvelle  loi  sur  le  recrutement  militaire, 
l'engagement  de  se  vouer  pendant  dix  ans  à  l'enseignement,  ne 
pourra  être  réalisé  que  dans  les  enseignements  publics.  » 

La  commission  a  adopté  un  amendement  de  M.  Paris,  qui  permet 
aux  instituteurs  privés  de  continuer  à  jouir  de  la  dispense,  s'ils  ont 
contracté  l'engagement  décennal  avant  la  promulgation  de  la  loi. 
Bon  pour  ceux-ci,  observe  M.  Batbie,  mais  les  autres  ne  seront  pas 
protégés. 

Après  réplique  de  M.  Goblet,  l'article  est  voté  par  172  voix 
contre  90,  de  même  que  l'article  67  nouveau,  présenté  par  la  com- 
mission, pour  le  cas  où  la  laïcisation  rendrait  nécessaire  d'acquérir 
ou  construire  une  maison  d'école. 

M.  DE  Gavakdie,  porteur  de  plusieurs  articles  additionnels,  com- 
mence par  demander  que  la  loi  de  1850  reste  applicable  à  l'Algérie 
et  aux  colonies.  Inutile  d'annoncer  le  sort  de  son  amendement  que 
l'inévitable  M.  Ferrouillat  combat. 

Après  l'adoption  de  l'article  68,  on  vote  sur  l'ensemble  de  la  loi, 
qui  obtient  173  voix  contre  107. 

Chambre  des  députés.  —  La  Chambre  comiîience  la  discussion  en 
deuxième  délibération  de  la  loi  sur  la  liberté  des  funérailles. 

Mgr  Freppel  prend  le  premier  la  parole  et  s'attache  à  critiquer 
la  forme  de  la  loi  qu'il  croit  défectueuse.  On  ne  sait  point,  par 
exemple,  de  quelles  dispositions  il  s'agit  dans  le  texte  de  l'article  le"". 
Cet  article  ajoute  que  ces  dispositions  seront  appliquées;  il  faudrait 
dire  :  seront  applicables,  pour  rester  dans  la  vérité  des  choses. 

Dans  l'article  2,  il  est  dit  qu'on  ne  pourra  établir  de  prescriptions 
particulières  applicables  aux  funérailles  en  raison  de  leur  caractère 
religieux  ou  civil.  Or  le  mot  prescription  s'applique  surtout  aux 
ordonnances  médicales. 

Mgr  Freppel  demande  le  renvoi  de  ces  deux  articles  à  la  com- 
mission pour  qu'ils  reçoivent  une  rédaction  plus  conforme  à  la 
langue  du  droit. 

Le  rapporteur,  M.  Chevandier,  soutient  que  le  texte  de  la  com- 
mission est  très  clair.  Il  a  été  rédigé  pour  les  villes  de  Paris  et  de 
Lyon,  qui  ne  sont  pas  comprises  dans  la  loi  de  1884. 

La  commission  maintient  donc  son  article. 

Le  renvoi  des  articles  1  et  2  n'est  pas  prononcé.  Ces  deux  articles 
sont  adoptés. 

Sur  l'article  3,  M.  Pally  propose  d'étendre  la  faculté  de  régler 
leurs  funérailles  aux  mineurs  âgés  de  plus  de  seize  ans. 

L'amendement,  mis  aux  voix,  n'est  pas  adopté. 

M.  Blatin  présente  un  amendement  tendant  à  ajouter  à  l'article  3 
la  faculté  d'opter  pour  l'incinération. 


LES    CHAMBRES  49 

Il  coQvient,  selon  lui,  d'inscrire  cette  faculté  dans  la  loi.  L'inhu- 
mation est  le  plus  dangereux  de  tous  les  modes  de  sépulture.  L'inci- 
nération, au  contraire,  ne  fait  courir  aucun  danger  à  l'hygiène. 

On  craint  d'entraver  les  recherches  de  la  justice.  Les  vérifications 
pourraient  cependant  se  faire  plus  utilement  avant  l'incinération, 
sauf  pour  le  cas  d'empoisonnement.  Encore  y  a-t-il  des  poisons  qui 
se  retrouvent  parfaitement  dans  les  cendres. 

Le  sous-secrétaire  d'État  â  l'intérieur,  M.  Bernard,  répond  que  la 
législation  actuelle  ne  permet  pas  la  crémation.  Une  loi  nouvelle  est 
nécessaire  pour  autoriser  l'application  de  ce  système  qui  soulève 
d'ailleurs  des  objections,  des  répugnances  et  des  préjugés  irraisonnés 
reposant  sur  les  croyances  religieuses  et  le  culte  des  morts. 

Le  Gouvernement  repousse  donc  l'amendement,  mais  il  appuiera 
une  proposition  de  loi  spéciale  si  M.  Blatin  prend  l'initiative  de  la 
présenter  à  la  Chambre. 

Mgr  Freppel  rappelle  qu'en  1867  la  question  fut  soulevée  au 
Sénat  et  qu'elle  fut  écartée  sommairement.  Depuis  cette  époqxie, 
l'idée  de  l'incinération  n'a  fait  quelques  progrès  qu'en  Italie,  où  l'on 
se  préoccupait  sans  doute  d'imiter  après  leur  mort  les  anciens 
Romains  qu'on  n'avait  pu  imiter  de  leur  vivant. 

L'incinération  constitue  un  recul  dans  la  voie  de  la  civilisation  et 
un  retour  au  paganisme  matérialiste.  Pourquoi  revenir  à  ce  système, 
qui  a  toujours  été  le  symbole  de  l'anéantissement  complet,  corps  et 
àme,  de  l'individu?  On  ne  propose  que  l'incinération  facultative, 
mais  on  sent  trop  bien  avec  quelle  facilité  l'on  passe  du  facultatif  à 
l'obligatoire.  Or,  le  sens  moral  se  révolte  à  l'idée  que  l'homme 
se  fasse  lui-même  l'agent  de  destruction  de  ceux  qu'il  a  aimés. 
Faire  disparaître  la  dépouille  du  défunt  le  jour  même  des  obsèques, 
en  présence  de  la  famille,  c'est  un  acte  de  sauvagerie  qui  répugne  à 
tout  sentiment  humain. 

Au  point  de  vue  de  la  criminalité,  la  crémation  assurerait  l'impu- 
nité à  beaucoup  d'assassins. 

Il  ne  faut  pas  affaiblir  le  culte  des  morts.  Avec  l'incinération,  il 
n'y  a  plus  de  tombes  particulières,  il  n'y  a  plus  de  champs  de  repos, 
on  retombe  en  plein  paganisme  et  il  ne  reste  aux  populations  que 
l'image  du  néant. 

M.  Frédéric  Passy  conteste  que  les  partisans  de  l'incinération 
soient  nécessairement  des  matérialistes  ennemis  de  toute  croyance 
dans  la  vie  future  et  oublieux  du  respect  dû  aux  morts.  Rien  n'est 
plus  irrespectueux  pour  ceux  que  nous  avons  perdus  que  de  les 
livrer  â  la  décomposition.  Il  doit  être  permis  de  se  les  représenter 
sous  la  forme  aérienne  d'une  fumée  qui  s'élève  vers  le  ciel. 

M.  Bernard  revient  à  la  charge.  Il  croit  que  la  question  de  la 
crémation  est  assez  grande  pour  ne  pas  s'introduire  par  voie  d'amen- 
dement sans  que  les  bureaux  en  aient  délibéré. 

4 


50  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  clôture  est  prononcée. 

L'amendement  de  M.  Blatin  est  adopté  par  323  voix  contre  180. 

Cet  amendement  devient  le  premier  paragraphe  de  l'article  3. 

M.  DE  Lamarzelle  demande  comment  on  pourra,  en  cas  de  contes- 
tation, organiser  en  vingt-quatre  heures  la  vérification  d'écriture.  Il 
faudrait  organiser  l'administration  de  la  preuve. 

Les  2«  et  S^  paragraphes  de  l'article  3  sont  adoptés  ainsi  que 
l'ensemble  de  l'article. 

L'article  4,  sur  la  demande  du  rapporteur,  est  renvoyé  à  la 
commission. 

Mgr  Freppel  discute  l'article  5  et  soutient  que  les  articles  199  et 
200  du  code  pénal  ne  sont  pas  applicables  aux  infractions  à  la  pré- 
sente loi  sur  les  funérailles.  L'article  199  s'adresse  aux  troubles 
provoqués  par  les  ministres  des  cultes.  D'après  le  nouveau  projet, 
les  parents  et  amis  du  défunt  sont  transformés  en  autant  d'ecclé- 
siastiques. 

Le  rapporteur  maintient  la  rédaction  de  la  commission. 

L'article  5  est  adopté. 

M.  Le  Roy  combat  la  nouvelle  rédaction  de  la  commission  sur 
l'article  4.  11  est  matériellement  impossible  que  le  juge  de  paix 
puisse  statuer,  sauf  appel  devant  le  président  du  tribunal  civil,  dans 
un  délai  de  vingt-quatre  heures.  11  vaudrait  mieux  s'en  tenir  au 
droit  commun. 

Après  une  réponse  du  rapporteur,  qui  soutient  qu'il  n'y  a  rien 
d'impraticable  dans  la  rédaction  de  l'article  4,  l'amendement  de 
M.  Le  Roy  est  repoussé.  L'article  4  est  ensuite  adopté. 

M.  DE  LA  Ferronnays  propose  un  article  additionnel  tendant  à  ce 
que  la  famille  puisse  réclamer  des  dommages-intérêts  aux  promo- 
teurs d'un  enterrement  civil  quand  il  aura  été  établi  par  la  suite  que 
le  défunt  ne  l'avait  pas  demandé. 

L'amendement  est  repoussé. 

L'article  6  est  adopté. 

L'ensemble  do  la  loi  est  voté  par  338  voix  contre  165. 


AVIS 

Nous  prions  ceux  d3  nos  souscripteurs  dont  l'abon- 
nement est  expiré  depuis  le  31  mars  de  vouloir  bien 
le  renouveler  aussitôt  que  possible  afin  de  n'éprouver 
aucun  retard  dans  la  réception  de  la  revue. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  51 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Les  troubles  belges.  —  Une  menace.  —  Election  sénatoriale.  —  Angleterre. 

Allemagne. 

!=••  avril  1886, 

Deux  faits  d'une  haute  importance  se  partagent  cette 
semaine  l'opinion  publique  :  les  troubles  de  Belgique  et  les 
menaces  de  M.  de  Bismarck  au  Reichstag.  Nous  ne  croyons  pas 
que  ces  événements  soient  indépendants  et  qu'il  n'y  ait  aucune 
corrélation  entre  eux.  A  Charleroi,  et  dans  les  vallées  de  la 
Meuse  et  de  la  Sambre,  la  guerre  sociale  est  ouverte  avec 
toutes  ses  horreurs.  A  l'incendie  des  châteaux  et  des  usines 
répondent  les  fusillades  de  l'armée.  Quel  but  poursuivent  les 
émeutiers?  Nul  ne  le  sait  pas  plus  qu'eux-mêmes.  Qu'espèrent- 
ils?  Les  usines  sont  détruites,  des  richesses  industrielles  consi- 
dérables sont  perdues.  L'élévation  des  salaires  sortira-t-elle  de 
ces  ruines  ?  Les  affolés  qui  tuent  et  se  font  tuer  sous  l'influence 
d'une  impulsion  dont  ils  ne  se  rendent  pas  compte,  ne  réflé- 
chissent pas  jusque-là.  C'est  maintenant  la  bestialité  des  foules 
qui  agit.  Comment  la  «  bête  populaire»  a-t-elle  été  déchaînée? 
On  ne  peut  méconnaître  l'influence  de  la  crise  qui  frappe  le 
monde  entier  ;  mais  la  cause  immédiate  de  ce  mouvement  a  été 
la  propagande  socialiste  et  révolutionnaire  qui,  depuis  l'amnis- 
tie accordée  aux  insurgés  de  la  Commune  de  Paris,  s'est  pro- 
duite ouvertement  en  France  et  a  gagné  de  là  les  pays  voisins 
et  en  particulier  la  Belgique.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  pre- 
miers incidents  de  la  Jacquerie  belge  se  sont  produits  le 
18  mars  dernier,  après  la  célébration  de  l'anniversaire  révolu 
tionnaire  parisien. 

M.  de  Bismarck  a  dénoncé  au  Reichstag,  en  l'exagérant  à 
dessein,  l'influence  que  les  idées  socialistes  françaises  ont  eue 
sur  ces  événements.  Son  discours  affecte  le  ton  le  plus  agres- 
sif. M.  de  Bismarck  y  parle  de  la  France  comme  d'une  ennemie 
et  laisse  entrevoir  la  possibilité  d'une  guerre  avec  elle,  cette 
année  même.  Certes,  nous  commençons  à  ne  plus  nous  émouvoir 
de  ces  rodomontades,  nous  savons  que  M.  de  Bismarck  agite  le 
spectre  français,  qu'il  a,  pour  la  circonstance,  uni  au  spectre 
rouge,  lorsqu'il  veut  peser  sur  les  décisions  de  son  Parlement- 


52  ANNALES    CATHOLIQUES 

Mais  il  a  pu,  cette  fois,  attaquer  directement  notre  ministre  de 
la  guerre,  prendre  acte  de  ses  paroles  malheureuses  pour 
montrer  l'impuissance  de  notre  gouvernement  à  réprimer  les 
troubles,  et  sa  sympathie  non  dissimulée  pour  les  partisans  des 
des  doctrines  au  nom  desquelles  on  pille  les  usines  et  brûle  les 
châteaux.  Nous  avions  déjà  blâmé  les  déclarations  du  général 
Boulanger;  elles  ne  nous  ont  jamais  paru  si  regrettables,  ni  si 
attristantes  pour  notre  orgueil  national.  M.  de  Bismarck  épie 
avec  une  assiduité  réjouie  les  fautes  commises  à  la  Chambre. 
M.  Boulanger  était  le  seul  coupable,  mais  c'est  la  France  tout 
entière  qui  est  frappée  parla  remarque  du  chancelier  allemand. 
La  leçon,  pour  dure  qu'elle  soit,  n'a  pas  fait  réfléchir  les 
organes  avancés  du  parti  républicain.  M.  Rochefort  croit 
devoir  rappeler  aux  Belges  la  mort  de  Charles  I"  et  celle  de 
Louis  XVI.  «  Si  la  Belgique,  conclut-il,  aspire  à  avoir  égale- 
ment son  Quatre-Vingt-Neuf  et  même  son  Quatre-Vingt-Treize, 
ce  n'est  pas  à  la  France  qu'il  appartiendrait  de  s'en  plaindre.  » 
Le  Cri  du  Peuple  insiste  sur  ce  point,  que  le  18  mars  <  notre 
fête  à  nous,  »  dit-il,  a  été  le  réveil  de  l'esprit  républicain,  et  il 
crie  «  Vive  la  République  universelle  !  »  Un  autre  journal 
éprouve  le  besoin  de  dire  que  c'est  «  au  souffle  des  idées  de 
progrès  et  de  liberté  qui  ont  naguère  transformé  la  France,  » 
que  la  vieille  société  européenne  chancelle.  C'est  fournir  à 
plaisir  des  arguments  à  M.  de  Bismark  et  des  sujets  de  ran- 
cunes à  nos  voisins.  Enfin  l'on  annonce  que  M.  Baslj,  député 
français,  doit  aller  faire  une  conférence  à  Bruxelles.  Il  faut 
espérer  que,  si  cela  est  vrai,  le  gouvernement  belge  nous  rendra 
le  service  de  mettre  M.  Basly  en  lieu  sur. 


Voici  le  passage  du  discours  de  M.  de  Bismarck  auquel  nous 
faisons  allusion.  Il  suffit  de  le  citer  pour  en  montrer  la  gravité. 

L'empire  allemand,  a  dit  M.  de  Bismarck,  peut  aussi  être  exposé 
à  des  dangers  qui  ne  résulteraient  pas  de  sa  situation  intérieure. 
Il  existe  aujourd'hui  un  mouvement  socialiste  très  développé  dans 
plusieurs  pays.  Je  vous  rappellerai  les  temps  de  la  première 
Révolution  où  les  armées  françaises  se  firent  le  champion  d'une 
idée  politique  dont  on  a  dit  à  tort  qu'elle  a  fait  le  tour  du  monde. 
Il  est  certain  cependant  que  les  idées  apportées  dans  les  pays 
étrangers,  à  l'ombre  du  drapeau  français  de  1792,  furent  le  levier 
intellectuel  et  puissant  des  victoires  des  Français.  Qui  vous  dit 
que  si  nous  devions  avoir  de  nouveau  la  guerre  avec  ce  pays,  les 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  53 

drapeaux  de  l'armée  ennemie  ne  seraient  pas  des  drapeaux  rouges 
portant  haut  l'idée  socialiste?  Aujourd'hui,  l'armée  française  est  en 
face  du  mouvement  ouvrier  à  Decazeville  ;  mais  nous  ne  savons 
pas  si  nous  devons  plutôt  tenir  compte  de  ce  fait  qu'elle  tient  ce 
mouvement  en  échec  ou  des  indications  parties  du  banc  ministé- 
riel, ovi  l'on  nous  a  dit  que  le  soldat  d'aujourd'hui  est  l'ouvrier 
d'hier,  et  l'ouvrier  d'aujourd'hui  le  soldat  d'hier.  Nous  ne  savons 
pas  qui,  dans  ce  mouvement,  remportera  finalement  la  victoire  en 
France. 

Bref,  si  de  nouvelles  grandes  secousses  européennes  devaient 
survenir,  elles  seraient  beaucoup  plus  compliquées  que  celles  qui 
sont  derrière  nous,  et  elles  auraient  certainement  un  caractère 
international.  Si  pareille  chose  devait  arriver,  je  voudrais  que  l'em- 
pire allemand  eût  la  solidité  que  nous  lui  aurions  donnée  en 
temps  de  paix. 

Nous  vivons  en  paix  depuis  quinze  ans.  Si  je  fais  abstraction  de 
l'activité  du  ministre  de  la  guerre,  je  trouve  que  nous  ne  les  avons 
pas  employés  comme  nous  aurions  dû  le  faire  pour  consolider 
l'empire.  11  est  temps  encore. 

Je  ne  vois  pas  un  danger  imminent,  quoique  je  doive  avouer,  au 
détriment  peut-être  de  ma  réputation  diplomatique,  qu'au  prin- 
temps de  1870  je  ne  prévoyais  pas  non  plus  que  quelques  mois 
plus  tard  la  guerre  éclatei^ait. 

Une  élection  sénatoriale  a  eu  lieu  dimanche  dans  les  Deux- 
Sèvres  :  M.  Garrau  de  Balzan  a  été  élu.  Il  succède  à  un 
républicain. 

Deux  ministres  anglais,  MM.  Chamberlain  et  Trevelyan,  n'ont 
pas  voulu  attendre,  pour  se  retirer,  la  date  du  8  avril,  fixée 
par  M.  Gladstone  pour  présenter  au  Parlement  ses  projets 
relatifs  à  l'Irlande.  La  reine  a  accepté  leur  démission  et  le 
premier  ministre  leur  a  donné  pour  successeurs  MM.  Stans- 
feld  et  Dalhousie.  M.  Stansfeld  est  ce  vétéran  du  radicalisme 
qui,  étant  l'un  des  lords  de  la  Trésorerie  sous  lord  Palmerston, 
fut  gravement  compromis  pour  avoir  prêté  son  nom  et  son 
adresse  officielle  à  Mazzini,  alors  comme  toujours  engagé  dans 
les  conspirations.  Depuis  lord,  M.  Stansfeld  a  déjà  été  prési- 
dent du  Local  government  Board  dans  le  premier  ministère 
Gladstone  de  1868-1874. 

Lord  Dalhousie  est  un  pair  du  Royaume-Uni,  grand  proprié- 
taire en  Ecosse,  connu  par  la  sincérité  et  l'ardeur  de  son  libé- 
ralisme avancé.  N'étant  encore  que  lord  Ramsay,  du  vivant  de 


54  ANNALES    CATHOLIQUES 

son  père,  et  étant  aide  de  camp  naval  du  duc  d'Edimbourg,  il 
scandalisa  le  monde  des  clubs  de  Londres  en  se  présentant  à  la 
députation,  poui'  Liverpool,  avec  un  programme  radical  qui 
allait  jusqu'au  home  rule  inclusivement.  On  attend  avec  impa- 
tience, en  Angleterre,  cette  date  du  8  avril  qui  sera  mémorable 
dans  les  annales  du  Royaume-Uni. 


L'on  connaît  enfin  le  rapport  de  la  Commission  de  la  Chambre 
des  seigneurs  du  Landtag  prussien  sur  les  améliorations  intro- 
duites au  projet  de  révision  des  lois  ecclésiastiques. 

La  commission  accorde  en  principe  la  liberté  aux  convicts  ou 
pensionnats  destinés  aux  aspirants  ecclésiastiques  qui  doivent 
suivre  les  cours  des  gymnases  officiels,  ainsi  qu'aux  séminaires 
pratiques  où  les  étudiants  en  théologie  des  universités  de 
l'Etat  passent  une  année  pour  se  former  aux  vertus  de  leur 
vocation.  Les  autorités  ecclésiastiques  qui  fonderont  de  pareils 
établissements  devront  déposer  au  ministère  des  cultes  le  texte 
des  statuts  et  des  règlements,  ainsi  que  les  noms  des  directeurs 
et  des  professeurs,  qui  devront  être  allemands. 

La  Commission  décrète,  en  outre,  la  réouverture  des  quatre 
grands  séminaires  de  Fulda,  de  Trêves,  de  Paderborn  et  de 
Hildesheim,  qui  étaient  fermés  depuis  1873. 

Pour  la  réouverture  de  ces  grands  séminaires,  il  faudrait  : 
1°  communiquer  au  gouvernement  le  programme  scolaire  et  les 
noms  des  professeurs  et  des  docteurs  ;  2°  les  études  des  sémi- 
naires doivent  être  égales  à  celles  des  Universités  ;  3°  les  direc- 
teurs et  les  professeurs  ne  doivent  jamais  être  pris  parmi  les 
personnes  minus  gratce\  4°  les  professeurs  doivent  montrer  par 
un  examen,  qu'ils  sont  capables  d'enseigner  dans  une  Université 
les  matières  qu'ils  enseignent  aux  séminaires  ;  5°  le  ministre 
des  cultes  indiquera  les  séminaires  qui  remplissent  les  condi- 
tions légales. 

Les  diocèses  de  Posen-Gnesen  et  de  Kulm  ne  profiteront  pas 
de  ces  dispositions  :  un  décret  royal  seul  peut  y  autoriser  la 
réouverture  des  séminaires.  Le  gouvernement  veut  donc  main- 
tenir l'état  d'exception  dans  la  Pologne  prussienne. 

Pour  les  établissements  de  discipline  ou  de  correction,  oîi 
seront  envoyés  des  prêtres  ayant  démérité  ou  devant  subir 
une  punition,  il  y  aura  obligation  de  communiquer  au  ministère, 
en  outre  des  statuts,  les  noms  des  délinquants,  la  durée  de  leur 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANClÈXiK  55 

séjour,  les  dates  de  leur  entrée  et  de  leur  sortie.  Le  tribunal 
ecclésiastique,  tel  que  le  gouvernement  l'avait  organisé,  sera 
supprimé.  La  Commission  a  restreint  l'appel  comme  d'abus  et 
substitué  au  tribunal  supérieur  de  Berlin  l'arrêté  royal,  en  cas 
de  déposition  des  prêtres. 

M.  de  Gossler,  ministre  des  cultes,  a  déclaré,  au  cours  des 
délibérations  de  la  Commission,  que,  si  l'on  donnait  à  entendre, 
lors  de  la  discussion  publique,  qu'un  accord  avait  eu  lieu  entre 
le  gouvernement  et  la  Curie  au  sujet  du  projet  de  loi,  il  pour- 
rait assurer  qu'il  ne  s'est  rien  produit  qui  porte  atteinte  à  l'in- 
dépendance de  la  législation  prussienne  ni  à  celle  des  résolu- 
tions du  Saint-Siège.  Cette  déclaration  est  implicitement 
confirmée  par  un  télégramme  que  la  Germania  a  reçu  de  son 
correspondant  de  Rome.  11  y  est  dit  que  les  décisions  prises  par 
la  Commission  de  la  Chambre  des  Seigneurs  ne  sont  pas  de 
nature  à  pouvoir  obtenir  l'adhésion  du  Vatican. 


REVUE  ÉCONOiMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

Certaines  Sociétés  industrielles  émettent  des  obligations  dites 
hypothécaires,  auxquelles  seraient  affectés,  en  garantie,  des  terrains, 
ou  des  immeubles  à  eux  appartenant.  Ces  hypothèques  sont-elles 
valables  ?  Presque  jamais. 

La  jurisprudence  déclare  qu'il  faut  que  les  procès-verbaux  des 
assemblées  d'actionnaires  contenant  le  mandat  d'hypothèque  donnés 
aux  gérants  bu  directeurs  des  Sociétés,  soient  passés  devant  un 
notaire,  autrement  l'hypothèque  est  nulle.  Les  porteurs  d'obliga- 
tions sont  exposés,  sur  la  demande  en  revendication  d'un  syndic 
ou  d'un  créancier,  à  perdre  la  principale  garantie  de  leurs  titres. 
On  a  cherché  différents  moyens  de  remédier  à  cette  cause  d'invali- 
dation; on  n'a  encore  rien  trouvé  d'efficace. 

Voici  un  cas  spécial  qui  vous  fera  bien  comprendre  l'iraportance 
de  la  question  : 

En  1875,  les  administrateurs  de  la  Société  de  plomb  argentifère 
de  la  Haute-Savoie  ont  dressé  un  projet  de  statuts,  énonçant  que  la 
Société  pourrait  constituer  un  fonds  de  roulement  indépendant  du 
fonds  social  par  l'émission  d'obligations  hypothécaires  et  autorisant, 
pour  assurer  l'exécution  de  cette  mesure,  le  Conseil  d'administra- 
tion à  contracter,  pour  le  compte  de  la  Société,  un  emprunt  de  un 
million,  à  la  garantie  duquel  serait  affectée  une  hypothèque  conférée 


56  ANNALES    CATHOLIQUES 

sur  les  biens  de  la  Société.  On  avait  même  stipulé  que,  pour  obtenir 
cette  hypothèque,  les  premiers  souscripteurs  formeraient  une  Société 
syndicale,  civile,  à  laquelle  l'hypothèque  serait  consentie. 

Par  un  jugement  tout  récent,  le  tribunal  de  la  Seine  vient  d'an- 
nuler cette  hypothèque  en  la  déclarant  irrégulièrement  consentie. 
Voici  des  considérants  qui  résument  toute  la  question  : 

«  Attendu  qu'il  résulte  de  ce  qui  précède  que  l'hypothèque  con- 
sentie par  les  sieurs  Dalon  et  Lesourd  ès-noms,  en  exécution  des 
articles  10  et  34  susvisés  au  profit  du  sieur  Bouvier,  gérant  de  la 
Société  civile,  des  porteurs  d'obligations  de  la  Société  dont  s'agit, 
aux  termes  de  l'acte  du  11  août  1876,  l'a  été  en  vertu  d'une  affecta- 
tion hypothécaire  constituée  par  des  mandataires  tenant  le  pouvoir 
de  la  réaliser  de  procès-verbaux  sous  seings  privés  d'assemblées 
générales  de  la  Société  Minière  de  la  Haute-Loire  ; 

«  Qu'ainsi  l'hypothèque  conférée  par  l'acte  du  11  août  1876  l'a  été 
en  violation  de  l'article  2,127  du  Code  civil,  lequel  prescrit  que 
l'hypothèque  conventionnelle  ne  peut  être  consentie  que  par  un 
acte  passé  devant  notaire,  et  ce,  afin  que  les  parties  contractantes, 
avant  d'y  souscrire,  soient  spécialement  éclairées  par  cet  officier 
public  sur  l'étendue  et  les  conséquences  des  obligations  qu'elles 
vont  contracter; 

«  Attendu  que  si  les  actes  sous  seings  privés  susvisés  ont  été 
depuis  déposés  pour  minute  en  l'élude  de  M*"  Sebert,  notaire,  l'ac- 
complissement de  cette  formalité  toute  matérielle  ne  saurait  donner 
auxdits  actes  l'authenticité  qui  leur  a  manqué  lorsqu'ils  ont  été 
passés,  et  telle  que  l'exige  l'article  2,127  susénoncé,  avec  ses  garan- 
ties protectrices  pour  les  intérêts  des  parties  contractantes.  » 

Nombre  de  Sociétés  sont  dans  ce  cas;  il  est  possible  que  plusieurs 
de  nos  lecteurs  aient  dans  les  mains  des  obligations  dites  hypothé- 
caires: qu'ils  s'informent  si  le  notaire  y  a  passé  et  si  leurs  obligations 
sont  garanties  comme  on  pouvait  le  croire,  ou  si,  malheureusement, 
ils  ne  sont  plus  que  de  simples  créanciers  chirographaires.  Nous 
avons  rempli  notre  devoir  de  vigilance. 

Espérons  que  la  nouvelle  loi  sur  les  Sociétés  comblera  cette  lacune. 

Les  obligations  du  Ci'édit  foncier  ne  sont  point  hypothécaires, 
mais  comme  leurs  fonds  servent  à  prêter  sur  première  hypothèque, 
elles  en  ont  toutes  les  garanties;  c'est  ce  qui  explique  qu'elles  sont 
si  recherchées.  Nous  ne  cessons  de  vous  signaler  l'anomalie  qui 
existe  entre  les  obligations  libérées  et  celles  non  libérées;  ces  der- 
nières valent  les  premières  en  tous  points  et  coûtent  20  à  22  fr.  de 
moins.  Pourquoi?  Nous  vous  l'avons  dit,  il  y  a  huit  jours:  paresse 
de  se  déranger.  A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 


Paris.  —  Imp.  de  l'Œuvre  de  Saint-Panl    G.  Picquoin,  51,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

A   M.    GRÉVY 

Mgr  Guibert  vient  d'adresser  au  Président  de  la  Répu- 
blique une  lettre  qu'on  lira  plus  bas.  C'est  une  éloquente 
protestation  contre  les  épreuves  que  la  politique  actuelle 
fait  subir  depuis  cinq  ans  à  l'Église  catholique.  Elle  em- 
prunte au  sujet  qu'elle  traite,  comme  au  caractère  de 
l'éminent  prélat,  une  importance  et  une  autorité  parti- 
culières. 

On  se  rappelle  la  lettre  touchante  que  l'archevêque  de 
Paris  écrivit  à  Victor  Hugo  mourant,  lettre  empreinte 
d'une  si  grande  dignité  et  à  la  fois  d'une  si  profonde  bien- 
veillance. C'est  à  un  autre  vieillard  que  Mgr  Guibert,  le 
doj^en  de  l'épiscopat  français,  s'adresse  aujourd'hui,  à  celui 
que  les  événements  ont  placé  à  la  plus  haute  des  dignités 
publiques.  Dans  un  langage  d'autant  plus  émouvant  qu'il 
est  plus  modéré,  Mgr  Guibert  fait  un  appel  suprême  à  la 
raison,  à  l'équité  du  chef  de  l'Etat;  il  retrace  un  tableau 
saisissant  des  persécutions  qui  frappent  non  seulement  le 
clergé,  mais  tous  les  catholiques.  Il  ne  se  recommande  que 
de  la  liberté,  il  ne  réclame  que  le  droit.  Cet  appel  sera-t-il 
entendu?  On  peut  prévoir  que  non.  Fidèle  à  la  ligne  de 
conduite  qu'il  s'est  tracée,  et  qui  consiste  à  s'effacer  com- 
plètement pour  ne  pas  compromettre  sa  situation  ni  ses 
intérêts,  M.  Grévy  répondra,  sans  doute,  qu'il  a  transmis 
la  lettre  de  Mgr  Guibert  à  ses  ministres.  Ce  n'est  cependant 
pas  à  eux  que  l'archevêque  de  Paris  s'adressait.  On  ne  fait 
pas  appel  à  l'équité  d'un  Goblet. 

u\n.  —  10  AVRIL  1886.  5 


58  ANNALES    CATHOLIQUES 

Yoici  la  lettre  de  Son  Éminence  : 

Paria,  le  30  mars  1886. 
A  Monsieur  le  Président  de  la  Re'puhlique. 

Monsieur  le  Président, 

L'Eglise  de  France  traverse  un  temps  de  pénibles  épreuves. 
Elle  se  plaint  d'être  l'objet  des  rigueurs  de  l'État  ;  l'Etat  l'ac- 
cuse d'avoir  provoqué  ces  rigueurs  par  son  opposition  au  régime 
politique  que  le  pays  s'est  donné.  Le  conflit  devenant  tous  les 
jours  plus  aigu,  vous  ne  serez  pas  étonné  que  le  plus  ancien  des 
évoques  de  France,  celui  dans  le  diocèse  duquel  est  établi  le 
siège  du  gouvernement,  s'adresse  à  vous,  comme  au  chef  dn 
pouvoir,  et  vous  fasse  entendre,  avec  ses  respectueuses  protes- 
tations, de  justes  doléances,  qui  répondent,  je  n'en  doute  pas, 
au  sentiment  général  des  membres  de  l'épiscopat. 

Comment  pourrions-nous  laisser  s'accréditer,  par  notre 
silence,  des  accusations  qui  dénaturent  entièrement  notre  atti- 
tude et  ne  peuvent  qu'égarer  l'opinion  ?  Jusqu'ici,  le  clergé 
français  a  fait  preuve  d'une  patience  et  d'une  modération  qu'on 
peut  appeler  plus  qu'exemplaires .  Désireux  avant  tout  de 
maintenir  la  paix  et  d'obéir  en  cela  aux  directions  si  sages  du 
Souverain  Pontife,  il  a  subi  sans  se  plaindre  bien  des  injustices. 
n  n'a  élevé  la  voix  que  pour  défendre  les  intérêts  des  âmes, 
l'enseignement  religieux,  les  nécessités  du  culte,  et  il  l'a  fait 
avec  calme  et  mesure,  ne  demandant  aux  pouvoirs  publics  que 
la  justice  et  la  bienveillance  qui  lui  avaient  été  loyalement 
accordées  sous  les  régimes  précédents. 

On  lui  a  reproché  de  s'être  montré  favorable,  dans  les  der- 
nières luttes  électorales,  aux  candidats  opposés  au  gouverne- 
ment. Si  cette  accusation  est  fondée,  nous  pouvons  affirmer  que 
la  politique  était  tout  à  fait  étrangère  à  la  pensée  des  votants, 
et  qu'ils  n'ont  eu  en  vue  que  les  conséquences  du  scrutin  par 
rapport  aux  intérêts  religieux.  Il  y  avait  deux  sortes  de  candi- 
dats :  les  uns,  qui  voulaient  conserver  l'enseignement  de  la 
religion,  protéger  la  liberté  du  culte  et  favoriser  les  œuvres 
chrétiennes,  les  autres,  qui  annonçaient  ouvertement  l'intention 
de  supprimer  tout  de  suite,  ou  dans  un  temps  plus  ou  moins 
rapproché,  la  foi  catholique  parmi  nous.  Qui  pourrait  faire  un 
crime  au  prêtre  d'avoir  donné  ses  préférences  aux  premiers  ? 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  ©» 

C'était  pour  lui  un  devoir  de  conscience,  et  l'accomplissement 
de  la  mission  qu'il  a  reçue  de  l'Église  et,  l'on  pourrait  dire  en 
un  sens,  de  l'État  lui-même. 

Non,  le  clergé  n'a  jamais  eu,  et  n'a  pas  même  aujourd'hui,  un 
parti-pris  d'hostilité  contre  les  institutions  actuelles.  S'il  montre 
de  la  froideur  et  des  inquiétudes,  ces  dispositions  dont  on  se 
plaint  ne  datent  que  du  jour  oii  les  représentants  de  ce  régime 
ont  fait  cause  commune  avec  les  ennemis  de  la  religion.  Si  la 
République  acceptait  l'obligation  imposée  à  tous  les  gouverne- 
ments de  respecter  les  croyances  et  le  culte  de  l'immense 
majorité  de  notre  pays,  il  n'y  a  rien  dans  la  doctrine  de 
l'Église,  ni  dans  ses  traditions,  qui  pût  motiver  chez  le  prêtre 
un  sentiment  de  méfiance  ou  d'opposition.  Mais  si  ceux  qui  se 
sont  donné  la  mission  d'implanter  cette  forme  politique  en 
France  ont  en  même  temps  pris  à  tâche  de  blesser  toutes  les 
consciences,  si  chaque  année  de  leur  domination  a  été  marquée 
par  de  nouveaux  coups  portés  contre  quelqu'une  des  institutions 
catholiques,  comment  pourrait-on  reprocher,  je  le  répète,  aux 
hommes  d'Église  de  préférer  ceux  qui  les  protègent  à  ceux  qui 
les  dépouillent,  ceux  qui  honorent  leur  ministère  à  ceux  qui  le 
décrient,  ceux  qui  secondent  l'influence  de  la  religion  sur  les 
âmes  à  ceux  qui  font  tout  pour  le  détruire  ! 

Aux  esprits  prévenus  qui  s'étonneraient  encore  de  la  conduite 
du  clergé,  je  dirais  :  Relisez  l'histoire  des  cinq  dernières  années. 
En  1880,  les  ordres  religieux  sont  dispersés  par  la  violence,  en 
vertu  de  lois  contestées  et  sans  pouvoir  obtenir  des  juges.  En 
même  temps,  des  lois  fiscales,  dont  le  poids  s'aggrave  à  chaque 
budget,  viennent  accabler  les  communautés  de  femmes,  sans 
égard  pour  les  services  immenses  qu'elles  rendent  aux  pauvres, 
aux  malades,  à  la  jeunesse.  En  1882,  une  loi  scolaire  efi'ace  la 
religion  du  programme  de  l'enseignement  publique  et  inflige  â 
la  France  chrétienne,  sous  le  nom  jusqu'ici  inconnu  de  neutra- 
lité, la  flétrissure  d'un  athéisme  officiel.  D'année  en  année,  le 
budget  des  cultes  est  diminué.  En  cinq  ans,  on  lui  a  ôté  sept 
millions.  Les  traitements  des  évêques  sont  réduits,  ceux  des 
chanoines  menacés  ;  les  bourses  des  séminaires  sont  rayées  du 
budget,  les  cathédrales  se  voient  retirer  les  allocations  néces- 
saires à  la  dignité  du  culte  et  à  l'entretien  des  édifices  ;  les 
vicariats  sont  supprimés  par  centaines. 

Partout  oii  les  municipalités  se  font  l'instrument  des  passions 
antireligieuses,  le  gouvernement  marche  à  leur  suite  et  tolère 


60  ANNALES    CATHOLIQUES 

OU  sanctionne  les  usurpations  les  plus  illégales.  C'est  ainsi  que 
les  ministres  de  la  religion  sont  exclus  des  hôpitaux  et  des 
établissements  qui  dépendent  de  l'État  ou  des  communes;  leg 
funérailles  d'un  écrivain  célèbre,  qui  avait  refusé  les  prières  de 
l'église,  servent  de  prétexte  à  la  profanation  d'un  temple 
chrétien  dédié  à  la  patronne  de  Paris  ;  les  curés  enfin,  ces 
humbles  serviteurs  du  peuple  dans  nos  villages,  ne  sont  pas 
traités  avec  moins  d'injustice.  Le  modeste  traitement  qui  repré- 
sente imparfaitement  la  dette  sacrée  de  la  nation  envers  l'Eglise 
cesse  d'être  assuré  au  prêtre  qui  remplit  fidèlement  ses  obscurs 
devoirs.  Une  dénonciation,  le  plus  souvent  inspirée  par  la  haine 
ou  par  l'intérêt,  suffit  à  l'en  priver.  On  lui  applique  une 
pénalité  exorbitante,  qu'aucune  loi  n'autorise,  qu'aucun  juge- 
ment ne  précède. 

Cinq  années  ont  suffi  pour  accumuler  toutes  ces  violences. 
L'année  présente  nous  réservait  des  étonnements  non  moins 
douloureux.  En  attendant  la  loi  qui  doit  porter  le  dernier  coup 
au  culte  catholique  par  l'abrogation  de  la  dispense  du  service 
militaire  en  faveur  du  clergé,  nous  assistons,  dans  le  Parlement, 
à  la  discussion  d'un  projet  de  loi  qui  achève  d'ôter  à  l'enseigne- 
ment public  tout  caractère  chrétien.  Au  cours  de  ces  débats, 
nous  avons  entendu  M.  le  ministre  des  cultes  attaquer,  du  haut 
de  la  tribune,  les  dogmes  essentiels  du  christianisme.  Il  y  a  dix 
ans,  l'on  disait  :  Le  cléricalisme,  voila  l'ennemi!  et  l'on  voilait 
à  dessein  sous  l'ambiguïté  du  mot  une  intention  qu'on  eût  craint 
d'avouer  alors.  Aujourd'hui  cette  précaution  est  devenue  inutile. 
Ce  qu'on  attaque  directement,  c'est  la  prière,  c'est  le  culte  de 
la  sainte  Vierge,  c'est  le  dogme  de  la  chute  originelle.  Pour 
justifier  l'interdiction  qui  doit  fermer  désormais  aux  instituteurs 
congréganistes  l'accès  des  écoles  publiques,  on  déclare  que  ces 
instituteurs,  parce  qu'ils  sorti  catholiques,  enseigneraient  des 
choses  que  l'État  ne  peut  laisser  dire  par  les  maîtres  qu'il 
entretient. 

En  vérité,  monsieur  le  Président,  je  ne  puis  m'empêcher  de 
me  demander  oii  nous  en  sommes.  Le  Concordat  est-il  abrogé, 
ou  est-il  encore  en  vigueur?  On  voit  bien  que  M.  le  ministre 
des  cultes  est  favorable  à  la  séparation  de  l'Église  et  de  l'État, 
mais  qu'en  même  temps  il  en  redoute  les  conséquences  pour  les 
institutions  actuelles  et  veut  y  préparer  l'opinion.  C'est  sans 
doute  afin  de  mieux  préparer  la  résiliation  de  ce  contrat  qu'il 
commence  par  en  violer  ouvertement  et  les  clauses  et  l'esprit. 


LETTRE    I>U    CARDINAL    GUIBERT  61 

L'article  17  du  Concordat  prévoit  le  cas  où  quelqu'un  des 
successeurs  du  Premier  Consul  ne  serait  pas  catholique,  et  dis- 
pose que,  dans  ce  cas,  les  droits  et  iirérogatives  mentionnés 
dans  V article  16  et  la  nomination  aux  evêches  seraient  réglés 
par  une  nouvelle  convention.  Ainsi,  dans  la  pensée  des  signa- 
taires du  Concordat,  les  prérogatives  reconnues  au  chef  du  gou- 
vernement français  étaient  subordonnées  à  la  condition  qu'il 
professerait  la  foi  catholique.  Et  voici  qu'un  ministre  de  ce  gou- 
vernement, celui-là  même  qui  exerce  sous  sa  responsabilité  les 
prérogatives  concordataires,  prononce  des  discours  officiels 
contre  la  croyance  catholique!  A  l'en  croire,  l'État  se  doit  à 
lui-même  de  ne  pas  laisser  enseigner  dans  ses  écoles  les  dogmes 
de  notre  foi,  et  l'Etat  cependant  continue  à  nommer  les  évêques 
qui  sont  les  gardiens  de  cette  foi! 

Monsieur  le  président,  j'en  appelle  à  votre  raison  et  à  votre 
impartialité.  Ai-je  fait  autre  chose,  en  ce  qui  précède,  que  de 
relever  des  faits  notoires  et  officiels?  Et  peut-on  contester  la 
conclusion  qui  s'en  dégage  et  que  je  formule  ainsi  :  le  clergé 
catholique  n'a  fait  aucune  opposition  au  gouvernement  qui  régit 
la  France,  mais  le  gouvernement,  depuis  six  ans,  n'a  cessé  de 
poursuivre  le  clergé,  d'affaiblir  les  institutions  chrétiennes  et 
de  préparer  l'abolition  de  la  religion  elle-même. 

Il  est  certain,  monsieur  le  Président,  que  la  Constitution,  en 
vous  déclarant  irresponsable,  laisse  entière  votre  influence 
morale.  Votre  âge,  votre  grande  expérience,  votre  dévouement 
ancien  à  la  cause  républicaine,  la  confiance  dont  l'Assemblée 
nationale  vous  a  renouvelé  le  témoignage,  tout  cela,  en  gran- 
dissant votre  autorité,  semble  vous  inviter  à  intervenir  dans  la 
situation  difficile  qui  s'est  produite.  Vous  avez  le  droit  d'avertir 
ceux  qui  partagent  avec  vous  la  charge  du  pouvoir,  et  de  leur 
montrer  les  conséquences  de  leur  dangereuse  politique;  ils  ne 
pourraient,  sans  faire  preuve  de  légèreté  et  d'imprudence,  ne 
pas  céder  à  vos  sages  conseils  et  ne  pas  avoir  égard  à  vos 
sérieuses  observations. 

Permettez  donc  à  un  vieil  évêque,  qui  a  vu  dans  sa  vie  chan- 
ger sept  fois  le  régime  politique  de  son  pays,  permettez-lui  de 
vous  dire  une  dernière  fois  ce  que  lui  suggère  sa  longue  expé- 
rience. 

En  continuant  dans  la  voie  oii  elle  s'est  engagée,  la  Répu- 
blique peut  faire  beaucoup  de  mal  à  la  religion  ;  elle  ne  par- 
viendra pas  à  la  tuer.  L'Eglise  a  connu  d'autres  périls,  elle  a 


62  ANNALES    CATHOLIQUES 

traversé  d'autres  orages,  et  elle  vit  encore  dans  le  cœur  de  la 
France.  Elle  assistera  aux  funérailles  de  ceux  qui  se  flattent  de 
l'anéantir. 

La  République  n'a  reçu  ni  de  Dieu,  ni  de  l'histoire  aucune  pro- 
messe d'immortalité.  Si  votre  influence  pouvait  la  ramener  au 
respect  des  consciences,  à  une  application  loyale  du  Concordat 
dans  son  esprit  aussi  bien  que  dans  sa  lettre,  vous  auriez  fait 
beaucoup  pour  assurer  la  paix  publique  et  pour  ramener  l'union 
dans  les  esprits.  Si  vous  échouez  contre  cette  entreprise,  ou  si 
vous  ne  croyez  pas  pouvoir  la  tenter,  alors  ce  n'est  pas  le  clergé, 
ce  n'est  pas  l'Église  qu'on  pourra  accuser  de  travailler  à  la 
ruine  de  l'établissement  politique  dont  vous  avez  la  garde  ; 
vous  savez  que  la  révolte  n'est  pas  une  arme  à  notre  usage.  Le 
clergé  continuera  de  souff'rir  patiemment,  il  priera  pour  ses 
ennemis;  il  demandera  à  Dieu  de  les  éclairer  et  de  leur  inspirer 
de  plus  justes  sentiments;  mais  ceux  qui  auront  voulu  cette 
guerre  impie  s'y  détruiront  eux-mêmes,  et  de  grandes  ruines 
auront  été  faites  avant  que  notre  bien-aimé  pays  revoie  des 
jours  prospères.  Les  passions  subversives,  dont  plus  d'un  indice 
fait  redouter  le  prochain  réveil,  créeront  des  périls  autrement 
graves  que  les  prétendus  abus  qu'on  reproche  au  clergé.  Et 
Dieu  veuille  que  dans  cette  aftreuse  tempête,  oii  les  appétits 
déchaînés  ne  trouveront  plus  devant  eux  aucune  barrière  mo- 
rale, on  ne  voie  pas  sombrer  la  fortune  et  jusqu'à  l'indépen- 
dance de  notre  patrie  ! 

Parvenu  à  l'extrémité  d'une  longue  carrière,  j'ai  voulu,  avant 
d'aller  rendre  compte  à  Dieu  de  mon  administration,  dégager 
ma  responsabilité  à  l'égard  de  pareils  malheurs.  Mais  je  ne  me 
résous  pas  à  clore  cette  lettre  sans  exprimer  l'espoir  que  la 
France  ne  se  laissera  jamais  dépouiller  des  saintes  croyances 
qui  ont  fait  sa  force  et  sa  gloire  dans  le  passé  et  lui  ont  assuré 
le  premier  rang  parmi  les  nations. 

Je  confie  ces  graves  réflexions,  monsieur  le  Président,  à  votre 
sagesse  et  à  votre  haute  intelligence,  et  vous  prie  d'agréer  l'hom- 
mage de  ma  plus  respectueuse  considération. 

-{- J.-Hipp.,  cardinal  Guibert, 
archevêque  de  Paris. 


L'admirable  lettre  de  S.  Em.  le  cardinal  Guibert,  si  digne,  si 
modérée  et  en  même  temps  si  énergique,  a  produit  sur  l'opinion 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  63 

une  profonde  émotion.  Nous  en  trouvons  l'écho  dans  les  jour- 
naux de  toutes  nuances.  Nous  devons  en  citer  quelques-uns  : 
La  Paix,  journal  de  l'Elysée,  malgré  son  titre,  se  montre 
belliqueuse  et  menaçante  : 

Ainsi,  pour  que  le  clergé  consentît  à  accepter  franchement  le 
régime  républicain  et  à  se  départir  de  tout  mauvais  vouloir,  il  fau« 
drait  revenir  sur  tout  ce  qui  a  été  fait  dans  le  sens  de  la  laïcisation 
des  services  publics  et  rendre  aux  curés  leur  ancienne  prépondérance 
dans  l'école.  Ce  n'est  qu'à  ce  prix  que  le  clergé  pourra  désarmer. 

Eh  bien  !  nous  avons  le  regret  de  le  dire  à  l'honorable  prélat,  si  la 
paix  entre  l'Église  et  la  République  ne  peut  se  produire  qu'à  [de 
semblables  conditions,  elle  ne  se  fera  jamais.  M.  Guibert  se  trompe 
absolument  s'il  croit  que  le  mouvement  de  laïcisation  qui  s'est  pro- 
duit dans  ces  dernières  années  est  le  fait  de  quelques  hommes  ou 
même  d'un  parti  politique.  Ce  mouvement  est  sorti  des  entrailles 
mêmes  de  la  société  moderne,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  et  il  est 
un  de  ceux  sur  lesquels  les  peuples  ne  reviennent  jamais. 

Qu'on  ait  poussé  les  choses  trop  loin,  soit;  qu'il  y  ait  eu  quelques 
excès,  qu'on  ait  apporté  une  trop  grande  précipitation  dans  les 
mesures  de  laïcisation,  nous  n'en  disconvenons  pas;  —  lorsqu'il  y  a 
lutte  entre  deux  principes,  entre  deux  conceptions  différentes  de  la 
vie  des  sociétés,  il  faut  toujours  s'attendre  à  ce  que  la  juste  limite 
soit  dépassée  tant  d'un  côté  que  de  l'autre;  —  mais  quant  au  prin- 
cipe même  de  la  neutralité  de  l'Etat  en  matière  religieuse  et  par 
conséquent  la  laïcité  de  tous  les  services  qui  relèvent  l'Etat,  y  com- 
pris le  service  de  l'enseignement  public,  il  échappe  à  toute  critique, 
et  pour  le  faire  disparaître  de  notre  législation,  il  ne  faudrait  pas 
moins  qu'une  révolution  où  tomberaient  à  la  fois  toutes  nos  institu- 
tions et  toutes  les  aspirations  de  la  société  française  moderne. 

Le  clergé  doit  donc  en  prendre  son  parti.  La  laïcisation  est  un 
fait  accompli,  sur  lequel  on  ne  reviendra  pas,  et  c'est  sur  d'autres 
points  qu'il  doit  faire  porter  ses  réclamations,  s'il  tient  à  être  écouté. 

Le  Siècle  dit  : 

M.  Guibert  exhorte  le  président  de  la  République  à  user  de  sa 
grande  influence  pour  ramener  la  République  «  au  respect  des  cons« 
ciences  et  à  une  application  loyale  du  Concordat  »,  sinon  il  entrevoit 
dans  l'avenir  des  déchirements  funestes  à  la  France  et  à  la  Répu- 
blique elle-même.  Ces  appréhensions  sont  exprimées  dans  un  langage 
élevé,  avec  l'autorité  que  donne  une  longue  carrière  approchant  du 
terme  inévitable.  Mais  M.  l'archevêque  de  Paris  se  place  au  point  de 
vue  des  intérêts  particuliers  de  l'Église;  il  oublie  le  mouvement  de 
la  société  française  vers  la  séparation  de  l'Église  et  de  l'État,  mouve- 
ment qu'il  n'est  au  pouvoir  de  personne  d'arrêter,  et  il  oublie  ensuite 


64  ANNALES    CATHOLIQUES 

que  si  ce  divorce  peut  nuire  à  l'influence  politique  du  clergé,  la  reli- 
gion elle-même  n'a  rien  à  craindre  du  régime  de  la  liberté,  parce 
qu'alors,  dégagée  des  passions  politiques,  elle  aura  repris  sa  place 
véritable  et  sa  fonction  naturelle. 

La  France  : 

.  Le  Concordat,  est,  en  effet,  assez  mal  adapté  à  l'état  présent  des 
choses,  et  nous  sommes  prêts  à  appuyer  cordialement  les  évêques 
qui  voudront  faire  campagne  pour  l'abolition  d'un  contrat  suranné, 
dont  l'application  devient  de  jour  en  jour  plus  difficile  pour  les  deux 
parties,  plus  choquante  pour  toutes  les  opinions. 

La  France  libre  dit  qu'elle  est  «  obligée  de  déclarer  que 
le  «  mandement  de  l'Exécutif  »  lui  a  paru  très  raisonnable 
d'un  bout  à  l'autre  »,  et  tâche  d'en  faire  un  argument  pour  la 
séparation  de  l'Église  et  de  l'État  : 

«  Nous  n'avons  plus  de  place  dans  cet  État-là  et  nous  nous  en 
retirons  !  » 

Telle  serait  la  véritable  conclusion  logique  de  toutes  les  obser- 
vations qui  précèdent.  L'Archevêque  ne  la  formule  pas,  cela  va 
sans  dire,  mais  il  est  curieux  de  noter  qu'il  la  frise,  en  passant, 
de  bien  près. 

Le  sénicuriste  de  l'ÉIysée,  le  destinataire  de  la  lettre,  ne  souf- 
flera mot,  c'est  certain  ;  mais  l'opinion  se  chargera  de  répondre 
pour  lui  d'une  façon  bien  simple,  qui  résume,  tei'mine  et  tranche 
tout  au  mieux  de  la  dignité  des  deux  parties,  en  imposant  la 
dénonciation  du  Concordat,  qui  est  violé  par  tout  le  monde  et  dont 
la  pratique  ne  peut  plus  constituer  désormais  qu'une  comédie  de 
plus  en  plus  scandaleuse. 

La  Justice  dit  que  la  lettre  du  cardinal  Guibert  montre  com- 
bien logique  et  nécessaire  est  la  séparation  de  l'Église  et  de 
J'État. 

h^Exiénement,  le  Succès,  le  Constitutionnel,  arrivent  à  la 
même  conclusion.  C'est  aussi  celle  dn  Radical,  de  la  Lanterne, 
de  V Intransigeant ,  du  Paris  et  de  la  Nation,  qui  mettent  une 
grossièreté  sans  égale  dans  leur  argumention. 

Le  Rappel,  lui,  trouve  la  lettre  inconstitutionnelle. 

Quant  au  XIX"  Siècle,  M.  Liébert  y  écrit  en  parlant  de 
Mgr  Guibert  : 

Il  a  le  talent  d'exprimer  des  pensées  violentes  d'un  ton  bénin, 
bénin.  Il  met  de  la  persuasion  et  de  la  douceur  jusque  dans  la 
distillation  de  la  haine.  S'il  n'y  a  pas  grossièreté  dans  la  forme, 
l'insolence  est  au  fond  qui  s'étale  à  l'œil  nu... 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  65 

Si  quelque  évêque  s'était  permis  de  publier  des  manifestes  sem- 
blables au  temps  où  l'auteur  du  Concordat  régnait  sur  la  France, 
les  magistrats  impériaux  auraient  vite  fait  jeter  le  prélat  impru- 
dent dans  quelque  cul  de  basse-fosse,  car  l'empereur  ne  plaisan- 
tait point  sur  le  chapitre  du  respect.  Pour  le  gouvernement  actuel, 
il  n'est  pas  désarmé,  s'il  veut  user  de  ses  droits  stricts,  et  les 
articles  201  et  suivants  du  Code  pénal  subsistent  toujours... 

On  ne  peut  demander  à  la  Piépublique  de  s'inspirer  du  Syllabus; 
à  l'Eglise  catholique  de  s'incliner  devant  la  Déclaration  des  droits 
de  l'homme. 

Il  est  clair  que,  dans  de  telles  conditions  d'existence,  —  et  ce 
sont  celles  où  vivent  à  présent  l'Eglise  et  l'Etat,  — ■  une  rupture 
est  inévitable;  elle  est  évidemment  prochaine,  et  nous  n'avons 
plus  qu'à  chercher  le  meilleur  modus  vivendi  dont  on  pourra 
s'accommoder  jusqu'au  jour  de  la  grande  séparation.  Il  faudrait  y 
mettre  assurément  beaucoup  de  loyauté  de  part  et  d'autre.  On  a 
pu  reprocher,  je  ne  dirai  pas  à  la  République,  mais  à  une  partie 
des  républicains,  un  esprit  de  représailles  un  peu  mesquin,  dont 
les  incessantes  provocations  du  clergé  ont  été  du  reste  la  grande 
excuse;  mais  encore  serait-il  bon  de  ne  plus  encourir  de  ce  côté 
l'ombre  d'un  reproche.  Par  une  tolérance  infatigable,  nous  ne 
ramènerons  certes  pas  le  clergé,  mais  nous  garderons  jusqu'au 
bout  le  bon  rôle.  Quant  à  l'Eglise,  sa  haine  contre  nos  principes 
étant  incurable,  nous  n'en  obtiendrons  rien  de  plus  par  douceur 
que  par  force  ;  mais  nous  la  laisserons  hâter  elle-même  le  dénoue- 
ment prévu  en  achevant  de  se  rendre  odieuse.  Nous  n'aurons 
qu'à  former  avec  patience  le  dossier  des  pièces  qui  justifient  la 
divorce  de  l'Etat  et  de  l'Eglise,  dont  l'union  forcée  est  devenue 
aussi  contraire  à  la  raison  qu'à  la  morale,  depuis  que  la  démocra- 
tie a  pris  la  place  qu'occupait  autrefois  le  despotisme,  appuyé  sur 
la  superstition  dans  l'Etat. 

La  République  française  essaie  seulement  de  dire,  comme 
tous  ses  congénères,  que  l'archevêque  de  Paris  renverse  les 
rôles,  et  que  c'est  le  clergé  qui  «  a  pris  dès  l'origine  l'attitude 
la  plus  violemment  hostile  à  l'égard  de  la  République.  »  Elle 
conclut  ainsi  : 

Tant  que  nos  évêques  altéreront  l'histoire  contemporaine  ainsi 
que  vient  de  le  faire  l'auteur  de  la  lettre  signée  Guibert  ;  tant  que 
leur  orgueil  les  empêchera  d'avouer  que  cette  «  guerre  impie  », 
comme  ils  disent,  c'est  eux  et  eux  seuls  qui  l'ont  commencée  ;  tant 
qu'ils  se  poseront  en  victimes  d'une  persécution  inique;  tant  qu'ils 
menaceront  la  République  de  la  colère  divine,  au  lieu  de  se  fi-apper 
eux-mêmes  la  poitrine,  ils  ne  pourront  espérer  nous  désarmer,  car 


66  ANNALES    CATHOLIQUES 

leurs   propositions    de   paix   ne   sauraient  être,    comme    la    lettre  à 
M.  Grévy,  que  de  simples   manœuvres  de  guerre. 

Le  caractère  comrûinatoire  qui  se  manifeste  dans  ces  lignes 
se  retrouve  dans  le  Gagne-Petit,  qui  écrit  avec  un  aplomb 
remarquable  : 

La  République  n'a  pas  provoqué  le  clergé  ;  elle  s'est  simplement 
défeadue  contre  ses  attaques,  elle  a  obéi  à  un  légitime  et  naturel 
instinct  de  conservation.  Les  mesures  qu'elle  prend  et  contre 
lesquelles  proteste  M.  Guibert  ont  pour  but  de  la  prémunir,  par  des 
moj^ens  légaux  et  dans  la  limite  du  Concordat,  contre  un  retour 
offensif.  Que  l'Eglise  cesse  d'être  militante,  et  l'on  cessera  de  militer 
contre  elle. 

Le  Temps  termine  ainsi  l'article  qu'il  consacre  à  la  lettre  du 
cardinal  : 

Il  faudrait  chercber  dans  les  limites  posées  un  modus  vivendi 
pacifique.  Les  républicains  ne  peuvent  pas  nier  qu'ils  soient  allés 
jusqu'au  bout,  et  peut-être  au-delà,  des  mesures  administratives  et 
intérieures  qu'ils  pouvaient  prendre.  Il  ne  reste  plus  rien  à  faire  en 
ce  sens  sans  tomber  dans  une  persécution  stupide  et  violente.  Ils 
n'ont  maintenant  devant  eux  que  la  séparation  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat.  Qu'on  la  discute  donc  à  la  Chambre,  et  qu'une  fois  pour  toutes 
on  sache  sous  quel  régime  nous  allons  vivre.  On  connaît  notre  sen- 
timent à  cet  égard  :  la  République  n'a  rien  à  gagner  et  tout  à  perdre 
à  tenter,  dans  un  pays  comme  le  nôtre,  cette  formidable  aventure; 
ce  serait  faire  bénévolement  dans  les  plus  épaisses  ténèbres  le  saut 
périlleux.  Mais  enfin  que  la  Chambre  en  décide!  Nous  saurons  à  quoi 
nous  en  tenir.  Si  elle  repousse,  comme  nous  en  sommes  convaincus, 
la  solution  radicale  et  aventureuse  de  la  séparation;  si  elle  maintient 
le  Concordat,  alors  que  le  parti  républicain  se  souvienne  que  le 
Concordat  est  un  traité  de  paix  et  qu'on  se  résigne  d'un  cœur  franc 
à  la  paix.  La  République  et  la  religion  sont  deux  choses  d'ordre 
essentiellement  différent  :  la  première  est  d'ordre  politique,  la 
seconde  d'ordre  moral.  Rien,  dès  lors,  n'est  plus  absurde  que  de  les 
mettre  en  conflit  comme  deux  forces  dont  l'une  doit  détruire  l'autre. 

Deux  journaux  républicains  font  exception  dans  ce  concert 
d'injures,  de  mauvaise  foi,  d'insanités  de  toute  espèce.  Le  Jour- 
nal des  Déhais  écrit  : 

La  lettie  que  l'archevêque  de  Paris  vient  d'adresser  au  président 
de  la  République  offre  peu  de  prise  à  la  malveillance.  Elle  est  écrite 
d'un  style  que  les  radicaux  et  les  prêtrophobes  n'aiment  guère  à  ren- 
contrer sous  la  plume  des  prélats.  Cette  modération  de  langage  et  de 
pensée  déconcerte  les  hostilités  de  parti-pris.  Il  est  difficile  de  trou- 


ijjSjXXixrj     uu     \jjxi:%,uxi.^.Aj^    uuxDiiiXVX 


ver  là  prétexte  à  diatribes  et  à  injures;  un  pareil  document  ne  laisse 
place  qu'à  une  honnête  discussion.  Les  radicaux,  les  prêtrophobes, 
les  pourfendeurs  d'évêques  en  sont  un  peu  interdits.  M.  Guibert  gâte 
leur  métier. 

Cependant  la  malveillance  est  ingénieuse  et  ne  se  laisse  pas  aisé- 
ment désarmer.  L'archevêque  a  beau  prendre  toutes  les  précautions 
possibles  pour  éviter  de  troubler  l'onde  pure  où  le  radicalisme  se 
désaltère  : 

—  Tu  la  troubles,  répond  cette  bête  cruelle. 

Et  à  lire  certains  journaux,  on  croirait  qu'un  nouvel  attentat  vient 
d'être  commis  par  Tépiscopat  français  contre  la  société  civile,  la 
pensée  moderne  et  la  République. 

Plus  loin,  après  avoir  cité  la  République  française,  qui  écrit  : 
«  Nous  constatons  que,  à  part  la  crise  des  élections,  le  clergé 
«  montre  généralement  une  certaine  réserve.  Nous  serions  même 
«  bien  surpris  si  l'on  découvrait  à  présent  parmi  les  évêques  un 
«  conspirateur  comme  en  1877...  A  Pie  IX  a  succédé  Léon  XIIL 
«  Le  Pape  régnant  a  tout  fait  pour  jeter  de  l'eau  sur  le  brasier 
«  oii  son  prédécesseur  versait  du  pétrole,  »  —  le  Journal  des 
Débats  répond  : 

S'il  en  est  ainsi,  —  et  venant  du  journal  où  nous  le  rencontrons, 
cet  aveu  ne  peut  être  suspect,  —  nous  demanderons  :  Qu'a-t-on  fait 
pour  profiter  de  cet  heureux  changement,  pour  encourager  ces  bonnes 
dispositions,  pour  les  faire  servir  à  l'assoupissement  de  vieilles  que- 
relles, pour  arriver  enfin  à  l'établissement  de  la  paix  religieuse,  si 
désirable  pour  le  repos  du  pays,  si  nécessaire  pour  l'affermissement 
de  la  République?  On  n'a  rien  fait,  ou  plutôt  toute  la  politique  a  été 
dirigée  dans  un  sens  diamétralement  opposé.  A  mesure  que  l'apaise- 
ment a  paru  se  faire  du  côté  de  l'Église,  les  passions  antireligieuses 
sont  devenues  plus  ardentes  et  les  sévérités  se  sont  aggravées  du 
côté  de  l'État.  Le  clergé  a  été  d'autant  plus  maltraité  qu'il  s'est  mon- 
tré moins  hostile  ;  plus  il  a  semblé  disposé  à  faire  la  paix  avec  la 
société  civile,  plus  rudement  on  lui  a  fait  sentir  les  rigueurs  de  la 
guerre 

Que  conclure  de  là,  sinon  que,  de  la  part  des  hommes  qui  inspirent 
ou  dirigent  cette  politique,  il  n'y  a  pas  un  désir  sincère  de  conclure 
cette  paix,  et  qu'ils  n'ont  d'autre  pensée  que  de  prolonger  indéfini- 
ment un  régime  de  mauvais  procédés,  de  mauvais  traitements  et  de 
représailles? 

S'ils  ne  voulaient  qu'assurer  les  droits  de  la  société  civile  et  s'op- 
poser aux  empiétements  du  spirituel  sur  le  temporel,  —  ce  que,  pour 
notre  compte,  nous  souhaitons  fort,  —  ils  en  viendraient  aisément  à 
bout  par  l'exécution  loyale  du   Concordat.   Mais   ils  veulent  autre 


68  ANNALES     CATHOLÎQL^HS 

cliose.  Ils  veuleat,  tout  en  maintenant  le  Concordat,  —  qui  est  ua 
instrument  de  paix,  —  touc  en  conservant  les  avantages  qu'il  confère 
à  l'État,  faire  une  guerre  impitoyable  à  l'Eglise  et  à  toutes  les 
crayaaces  religieuses,  qu'ils  veulent  remplacer  par  de  nouveaux 
dogmes  et  par  une  philosophie  d'Etat. 

Cette  philosophie  nuageuse,  c'est  celle  que  M.  le  ministre  des  cultes 
esquissait  il  y  a  quelques  jours  à  la  tribune,  en  faisant  entendre 
qu'elle  seule,  à  l'exclusion  de  toute  doctrine  religieuse  ou  même  spi- 
ritualiste,  pouvait  décemment  être  enseignée  dans  les  écoles  de  l'Etat. 
C'est  cette  philosophie,  c'est  ce  dogme  nouveau  dont  il  faut  faire  pro- 
fession, sous  peine  d'être  tenu  pour  suspect  et  exclu  des  fonctions 
publiques.  Ainsi  l'Etat  se  pose  eu  adversaire  déclaré  de  tous  les  cultes 
qu'il  reconnaît  et  dont  il  est  censé  protéger  l'exercice;  il  renie  les 
principes  mêmes  du  Concordat,  qu'il  n'ose  pourtant  pas  dénoncer. 

La  Liberté'  écrit  de  son  côté  : 

Mgr  Guibert  vient  d'adresser  au  président  de  la  République  une 
lettre  qui  produira  sans  doute  une  vive  et  profonde  impression 
sur  tous  ceux  que  n'aveugle  pas  la  haine  implacable  de  l'Eglise. 
Le  vénérable  archevêque  de  Paris,  le  doyen  de  l'épiscopat  fran- 
çais, parle  au  chef  de  l'État  un  langage  plein  de  dignité,  de  modé- 
ration, de  sagesse  et  de  vérité.  Ce  n'est  pas  une  protestation  vio- 
lente contre  l'esprit  d'intolérance  et  d'oppression  dont  la  religion 
est  victime;  c'est  un  exposé  calme  et  impartial  de  la  situation,  fait 
sans  passion  et  sans  colère,  mais  avec  cette  tristesse  amère  qui 
saisit  tous  les  coeurs  honnêtes  quand  le  droit  est  manifestement 
méconnu  et  la  liberté  violée. 

...  L'Église  a  été  mise,  par  tous  ces  faits,  en  droit  de  légitime 
défense.  Pouvait-elle  donc  se  laisser  opprimer  et  renverser  sans 
rien  dire  ?  Si  elle  est  intervenue,  comme  ses  ennemis  le  lui  repro- 
chent, dans  les  luttes  électorales,  n'est-ce  pas  parce  que  son  exis- 
tence même  était  en  jeu  devant  le  suffrage  universel?  Qui  pourrait 
refuser  à  ses  ministres  le  droit  de  préférer  hautement  les  candidats 
qui  veulent  la  défendre  aux  candidats  qui  veulent  la  détruire  ? 

Personne  ne  parviendra-t-il,  enfin,  à  apaiser  cette  guerre  impie, 
qui,  si  elle  est  funeste  pour  les  intérêts  de  la  religion,  est  bien 
plus  funeste  encore  pour  les  intérêts  de  l'État  et  pour  l'honneur 
de  notre  époque?  La  religion  est  une  force  morale  et  sociale  dont 
tout  gouvernement  doit  chercher  à  se  faire  un  auxiliaire.  Si  la 
République  a  perdu  tant  de  terrain  depuis  quelques  années,  c'est 
certainement  à  la  persécution  religieuse  qu'elle  le  doit. 

La  lettre  si  noble,  si  simple,  si  émouvante  de  l'archevêque  de 
Paris  est,  à  nos  yeux,  comme  un  rameau  de  paix  tendu  par  le  plus 
haut  placé  des  membres  du  clergé  français  au  plas  haut  magistrat 
de  la  République. 


LETTRE   DU    CARDINAL   GUIBERT  69 

Pour  terminer,  écoutons  le  Times,  organe  du  protestantisme 
anglais.  M.  de  Blowitz,  son  correspondant  de  Paris,  lui  écrit  : 

M.  Grévy  ne  doit  pas  ignorer  que  bien  du  mal  a  déjà  été  causé 
par  quelques-unes  des  mesures  dont  se  plaint  M.  Guibert.  Homme 
d'P^llat  prudent  et  animé  des  sentiments  de  conciliation,  il  est  im- 
possible qu'il  ne  sente  pas  que  la  lutte  a  été  poussée  trop  loin  et 
qu'une  réaction  pourrait  bien  se  produire.  En  définitive,  le  catho- 
licisme est  la  religion  réelle  ou  officielle  de  la  majorité  des  Fran- 
çais. Il  a  en  réserve  de  forces  dont  il  ne  faudrait  pas  oublier  de 
tenir  compte.  Le  cardinal  donne,  au  sujet  des  conséquences  que 
pourrait  avoir  une  politique  anticléricale,  des  avertissements  que 
la  République  ne  saurait  se  permettre  de  négliger.  Bien  que,  pour 
le  moment,  on  ne  puisse  signaler  aucune  agitation  dangereuse  de 
la  part  des  princes,  la  République  ne  jouit  pas  d'un  tel  prestige 
qu'elle  soit  en  état  de  dédaigner  l'hostilité  d'une  partie  de  la  popu- 
lation avec  laquelle  elle  aura  toujours  à  compter.  Pour  bien  des 
causes,  on  a  toujours  eu,  en  France,  tendance  à  identifier  l'Église 
catholique  avec  les  institutions  conservatrices,  et  les  républicains 
ont  pu,  pendant  un  certain  temps,  se  plaindre  de  l'attitude  de 
l'Église.  11  n'en  est  plus  ainsi  maintenant.  Aujourd'hui,  rien  ne 
peut  excuser  la  série  des  votes  législatifs  qui  incitent  le  clergé 
sans  profiter  sensiblement  à  l'État.  Ce  n'est  pas  l'affaire  d'un  gou- 
vernement de  travailler  à  la  propagation  d'opinions  particulières, 
qu'elles  soient  favorables  ou  défavorables  à  l'Église  ;  cette  vérité 
élémentaire  est  trop  souvent  oubliée.  M.  Paul  Bert  est  à  Saigon, 
son  esprit  est  resté  en  France,  et  certains  députés  semblent  ne  pas 
trouver  de  manière  plus  agréable  d'exercer  leur  mandat  que  celle 
qui  consiste  à  vexer  l'Église  catholique.  Ils  peuvent  être  sûrs, 
cependant,  que  l'Église  ne  se  laissera  pas  abattre  sans  résistance  ; 
et,  comme  le  fait  sentir  le  cardinal  Guibert,  la  République  n'a  reçu 
de  Dieu  ni  de  l'histoire  promesse  d'immortalité. 

Le  cardinal  touche  une  note  d'après  laquelle  un  grand  nombre 
de  Français  et  un  plus  grand  nombre  de  Françaises  régleront  leur 
conduite.  Il  fait  valoir  des  arguments  qui,  puissants  par  eux-mêmes, 
acquièrent  plus  de  poids  encore  à  une  époque  où  l'Europe  sur- 
veille avec  anxiété  l'application  de  quelques-unes  des  doctrines 
des  ennemis  du  cléricalisme. 


70  ANNALES   CATHOLIQUES 

LA  SUSPENSION 

DES  TRAITEMENTS   ECCLÉSIASTIQUES 

M.  Fernand  Nicolay,  avocat  chargé  de  la  consultation  sur  la 
suspension  des  traitements  ecclésiastiques,  nous  communique  les 
observations  suivantes  au  sujet  du  jugement  qui  vient  d'être  rendu 
contre  M.  l'abbé  Mourot  : 

Le  jugement  d'incompétence,  eu  matière  de  suppression  de 
traitements  ecclésiastiques,  est  tout  entier  fondé  sur  les  argu- 
ments suivants  : 

«  Le  Concordat,  acte  diplomatique,  ne  peut  équivaloir  à  un 
«  contrat  de  droit  civil  entre  l'État  et  le  clergé  :  le  gouverne- 
«  ment  n'a  pas  traité  en  tant  que  simple  particulier,  mais  en 
«  sa  qualité  de  puissance  souveraine.  » 

Qu'on  me  permette  ici  quelques  observarions  respectueuses. 

Une  convention  diplomatique  ne  peut-elle  pas  contenir  acces- 
soirement des  obligations  d'ordre  civil  au  profit  de  tiers  formel- 
lement désignés  dans  l'acte? 

L'histoire  du  droit  public  n'en  fournit-elle  pas  des  exemples? 
Je  m'explique  : 

Un  traité  intervient  entre  deux  puissances  relativement  à  une 
délimitation  territoriale,  à  la  cession  d'une  voie  ferrée,  d'une 
compagnie  industrielle...  Les  contractants,  après  avoir  tranché 
les  questions  internationales,  prévoient  dans  un  pacte  addi- 
tionnel et  distinct  une  indemnité  en  faveur  de  tels  ou  tels  inté- 
ressés lésés. 

Est-il  sûr  que  les  tiers  indiqués  au  contrat  ne  pourront  pas 
venir  dire  à  la  Justice  :  «  Il  y  a  là  une  somme  qui  m'a  été 
«  attribuée  formellement  :  je  la  réclame;  l'État  me  la  doit 
«  comme  il  me  devrait  le  prix  d'une  expropriation  ;  de  ce  chef 
«  et  dans  cette  mesure  restreinte,  il  y  a  intérêt  privé  en  jeu  et 
«  droit  acquis.  » 

Assurément  les  tribunaux  ne  sauraient  être  compétents  en 
ce  qui  concerne  les  matières  diplomatiques. 

Ainsi  ils  ne  peuvent,  dans  l'espèce,  sans  entreprendre  sur 
les  fonctions  administratives,  connaître  par  exemple  de  la  nomi- 
nation aux  évêchés,  de  la  publicité  du  culte,  des  circonscriptions 
diocésaines,  du  choix  des  curés,  en  un  mot  de  tout  ce  qui  fait 
l'objet  des  conventions  internationales. 


LA    SUSPENSION   DES    TRAITEMENTS   ECCLÉSIASTIQUES  71 

Mais,  à  côté  de  l'acte  diplomatique  de  1801  passé  entre  Rome 
et  Paris,  il  y  a  concurremment  promesse  de  rente  au  clergé 
français,  relativement  à  des  biens  français,  promesse  faite  au 
nom  de  la  France  à  des  nationaux,  en  échange  de  l'abandon 
définitif  de  ces  biens  et  comme  condition  même  de  cet  abandon. 

En  cela  le  pacte  n'est  assurément  pas  international. 

Le  telle  sorte  qu'on  doit  reconnaître  que  Pie  YII  a  stipulé  tout 
ensemble,  et  comme  Pontife  souverain  quant  aux  intérêts 
généraux  de  l'Eglise,  et  comme  mandataire  du  clergé  de 
France  quant  à  cette  question  d'ordre  privé  des  biens  ecclé- 
siastiques. 

Et  j'ajouterai  :  il  était  le  mandataire  naturel  du  clergé,  le 
seul  pouvant  traiter  ès-qualité,  puisque  le  clergé  avait  cessé 
d'être  un  ordre  dans  l'Etat. 

Le  clergé  n'est  donc  plus  ici  seulement  un  tiers  bénéficiaire 
désigné  :  c'est  un  co-contractant. 

En  effet,  c'est  bien  vis-à-vis  de  lui,  clergé,  que  l'engagement 
est  pris  :  «  évoques  et  curés  »,  dit  l'article  14;  et,  d'autre  part, 
c'est  bien  aussi  au  nom  du  clergé  que  dans  l'article  13  le  Pape 
promet  qu'on  n'élèvera  désormais  aucune  réclamation  à  raison 
de  la  dépossession  consommée  des  biens  ecclésiastiques  de 
France. 

D'ailleurs,  e'st-il  acceptable  que  le  clergé  soit  partie  au  contrat 
par  son  mandataire  quant  à  ses  obligations  (et,  comme  tel, 
obligé  de  ne  troubler  en  rien  les  acquéreurs  de  biens  nationaux), 
et,  que,  d'autre  part,  on  l'estime  étranger  audit  contrat  quant 
à  ses  droits? 

Sans  doute  le  traité  pouvait  n'être  qu'international,  comme 
les  concordats  de  1827  avec  les  Pays-Bas,  de  1851  avec  l'Es- 
pagne, de  1855  avec  l'Autriche,   de  1857  avec  le  Portugal 

Mais  en  réalité,  l'acte  de  1801  est  double,  car  les  questions 
pécuniaires  prévues  aux  articles  13  et  14  ne  sont  nullement  de 
l'essence  des  concordats  ;  elles  n'y  sont  qu'à  titre  particulier, 
comme  transaction  d'ordre  civil  à  raison  de  la  situation  excep- 
tionnelle faite  aux  biens  du  clergé  par  la  main-mise  du  2  no- 
vembre 1789. 

Qu'il  s'agisse  des  biens  d'une  collectivité,  peu  importe  :  l'État 
qui  exproprie  un  quartier  tout  entier  ou  traite  avec  une  société 
ne  contracte  pas  moins  en  matière  de  propriété. 

«  Le  clergé  renoncera  à  toute  réclamation  quant  à  ses  biens, 
et  moi  Etat,  en  échange,  je  lui  assurerai  une  rente.  » 


72  ANNALES    CATHOLIQUES 

TgI  est  le  pacte  civil  adjoint  à  l'acte  diplomatique.  Il  a  cette 
portée,  ou  il  est  dépourvu  de  sens. 

Au  point  de  vue  de  la  bonne  foi,  la  question  ne  se  pose  même 
pas  :  la  disposition  a  été  manifestement  déterminante,  et  per- 
sonne ne  soutiendra  que  sans  elle  le  Concordat  eût  été  agréé. 

On  remarquera  en  outre  que  les  articles  organiques,  publiés 
non  seulement  en  dehors,  mais  à  l'encontre  de  la  volonté  de 
Rome,  ne  sont  assurément  pas  un  acte  international. 

Que  signifient  dès  lors  les  dispositions  de  la  section  troisième, 
qui  précisent  le  chiifre  du  traitement  des  ministres  du  culte? 
Ici  encore  faut-il  admettre  que  l'Etat  n'est  pas  plus  lié  par  une 
promesse  que  par  une  autre,  et  que  sa  parole  et  rien  sont  même 
chose  devant  le  droit  ? 

Qui  donc  autorise  un  Etat  plutôt  qu'un  particulier  à  manquer 
à  la  foi  des  engagements?  Remarquez  que  la  question  n'est 
pas  de  savoir  si,  le  droit  étant  reconnu,  affirmé,  le  clergé 
aurait  moyen  pratiquement  de  le  faire  triompher  :  on  sait 
à  n'en  pas  douter  que  le  droit  peut  être  méconnu  et  opprimé. 

Ah  !  j'entends  bien  que  l'État  ne  délivrera  pas  volontiers  contre 
lui-même  un  titre  exécutoire.  Mais,  de  ce  que  le  plus  fort 
résiste,  faut-il  conclure  qu'il  ait  raison  ? 

Non,  les  princijpes  seraient  saufs  et  la  conscience  publique 
soulagée,  si  le  jugement  donnait  au  moins  à  entendre  qu'une 
promesse  formelle,  d'où  qu'elle  vienne,  contient  le  germe  d'une 
obligation;  et  que  les  États,  eux  aussi,  peuvent  avoir  des 
devoirs.  La  souveraineté  les  rend  d'autant  plus  sacrés...  L'État 
doit  être  honnête  homme. 

Au  contraire,  on  semble  admettre  que  légalement,  le  gouver- 
nement n'est  pas  tenu  «  parce  qu'il  n'a  pas  traité  comme  parti- 
culier, mais  comme  puissance  souveraine  ».  Assurément,  il  est 
de  toute  évidence  que  le  Concordat  est  un  contrat  sui  generis. 
Cependant,  théoriquement,  en  quoi  un  contrat  spécial  est-il* 
moins  obligatoire  qu'un  autre?  Y  aurait-il  des  catégories  de 
traités  qui  ne  lient  pas  les  signataires? 

«  11  n'existe  point  d'obligation  civile  parce  que  le  pouvoir 
n'a  pas  traité  comme  particulier  »,  dit-on. 

Eh  quoi!  un  gouvernement  qui  stipule  peut-il  être  jamais 
dans  la  condition  d'un  citoyen  ?  En  faut-il  conclure  à  la  doctrine 
de  l'arbitraire  pur  et  du  bon  plaisir  ! 

L'Etat  qui  émet  un  emprunt  national,  qui  exproprie  pour 
cause  d'utilité  publique,  ne  se  comporte  pas  à  la  manière  d'ua 


LA    SUSPENSION   DES   TRAITEMENTS    ECCLÉSIASTIQUES  73 

simple  contribuable.  Est-il  donc  autorisé  à  retenir  les  intérêts 
des  rentes,  ou  l'indemnité  du  prix,  si  telle  est  sa  fantaisie, 
parce  que  dans  ces  cas  divers  il  a  af^i  autrement  qu'un  citoyen 
quelconque?  Est-il  délié  de  toute  obligation  légale  vis-à-vis  de 
ses  créanciers  et  de  ses  crédi-rentiers  parce  qu'il  a  traité  avec 
eux  en  tant  que  puissance  ? 

On  ne  voit  véritablement  pas  pourquoi  un  contrat  serait 
moins  respectable  par  le  motif  qu'il  est  plus  solennel  ;  pourquoi 
il  présenterait  moins  de  garantie  par  la  raison  qu'il  émane  du 
pouvoir. 

Certes,  l'Etat  doit  être  bien  tenté  d'invoquer  sa  «  souve- 
raineté »,  afin  de  se  dégager  quand  une  convention  le  gêne... 

Mais  c'est  justement  pour  cela  que  les  faibles  ont  besoin 
d'être  jalouserxient  défendus  contre  la  «  souveraineté  »  commi- 
natoire ;  c'est  précisément  parce  iyxxen  fait  l'impunité  est  à 
craindre,  qu'en  droit  on  aimerait  voir  formuler  le  j3?'/^c/p(^  cZe 
l'obligation,  dût  le  débiteur  omnipotent  la  méconnaître,  dût 
la  procédure  aboutir  à  me  forclusion. 

Au  moins  «  on  aurait  dit  Je  bon  droit,  »  selon  le  mot  de  nos 
pères,  et  l'opinion,  s'éclairant  d'une  autorité  auguste  et  res- 
pectée, comprendrait  qui  est  en  faute  et  qui  elle  doit  blâmer 
au  nom  de  la  morale. 

C'eût  été  une  précieuse  compensation  au  préjudice  subi. 
Contraindre  un  adversaire  à  invoquer  devant  le  juge,  par  exem- 
ple, une  prescription  déloyale  pour  échapper  à  une  dette  équi- 
table, c'est  sans  doute  perdre  son  procès  ;  cependant  c'est 
obtenir  justice. 

Et  souvent  cela  suffit. 

En  résumé,  non  seulement  la  justice  se  déclare  impuissante 
à  protéger  les  citoyens  contre  la  «  souveraineté,  »  ce  qui  n'est 
que  trop  vrai;  mais,  chose  qui  nous  touche  davantage,  elle 
n'établit  même  pas  en  principe  la  moindre  diftërence,  ni  la 
moindre  distinction  entre  le  cas  où  l'Etat  s'est  engagé  formel- 
lement et  celui  oii  il  n'aurait  absolument  rien  promis. 

A  la  veille  d'un  emprunt,  contrat  de  bonne  foi  passé  avec 
cette  «  souveraineté',  »  jugée  irresponsable,  on  se  prend  à 
réfléchir. 

Fernand  Nicolay, 
avocat  à  la  Cour  de  Paris. 


74  ANNALES    CATHOLIQUES 


TRIBUNAUX 


A  l'audience  du  2  avril,  du  Tribunal  civil  de  la  Seine 
(1"  Chambre  présidé  par  M.  Aubépin),  a  été  appelée  l'affaire 
de  Mgr  de  Dreux-Brézé,  évêque  de  Moulins,  contre  l'État  et 
M.  Jules  Ferry,  ancien  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux  arts. 

Nous  empruntons  à  la  Gazette  des  Tribunaux  le  compte- 
rendu  de  l'audience  : 

Petit  séminaire  d'Iseure.  —  Immeuble  domanial.  —  Désaffectation.  — 
Dépenses.  —  Demande  en  paiement  de  ti'avaux.  —  Compromis.  — 
Sentence  arbitrale.  —  Déclinatoires.  —  Incompétence.  —  Sursis. 
«  En  règle  générale  et  au  point  de  vue  de  la  compétence,  l'acte  ou  le 
contrat  administratif  se  caractérise  par  ce  fait  qu'il  émane  d'un  repré- 
sentant de  l'État,  agissant  dans  le  cercle  des  pouvoirs  que  sa  fonction 
lui  confère,  quel  qu'en  soit,  d'ailleurs,  l'objet,  et  un  compromis,  pas 
plus  qu'une  autre  convention  ou  une  vente,  ne  saui'ait  échapper  à  ce 
principe.  » 

L'immeuble  domanial  d'Iseure  avait  été  affecté  tant  au  petit 
séminaire  du  diocèse  de  Moulins  qu'à  la  jouissance  personnelle 
de  Mgr  de  Dreux-Brézé,  évoque  de  ce  diocèse. 

A  ce  titre,  Mgr  de  Dreux-Brézé  avait  fait,  de  ses  deniers  et 
en  vue  de  cette  affectation,  des  dépenses  très  considérables  dans 
cet  immeuble. 

Par  décret  du  31  juillet  1880,  cette  affectation  fut  retirée, 
Mgr  de  Dreux-Brézé  réclama  alors  à  l'État  l'indemnité  qui  lui 
était  due  et  exerça  à  titre  de  garantie  un  droit  de  rétention 
sur  l'immeuble. 

Les  représentants  de  l'État  n'ont  jamais  contesté  la  légiti- 
mité de  la  réclamation  et  du  droit  de  Mgr  de  Dreux-Brézé, 
et  il  est  même  intervenu,  à  la  date  des  6  et  8  août  1881,  un 
compromis  nommant  des  arbitres  pour  évaluer  le  chiffre  de 
l'indemnité  due  à  l'évêque  de  Moulins. 

A  ]a  suite  de  ce  compromis,  et  le  7  novembre  1881,  une 
sentence  arbitrale  a  fixé  à  554.099  fr.  90  c.  le  montant  de  ce 
que  l'État  devrait  rembourser  à  Mgr  de  Dreux-Brézé  pour  les 
dépenses  par  lui  faites  dans  le  domaine  d'Iseure. 

En  exécution  de  cette  sentence,  l'évêque  de  Moulins  quitta, 
ainsi  que  le  séminaire,  le  domaine  d'Iseure,  où  il  était  resté 
jusque-là  en  vertu  de  son  droit  de  rétention. 


TRIBUNAUX  7o 

Mais  la  Chambre  des  députés  refusa  d'autoriser  ce  paiement, 
par  le  motif  que  les  ministres  ne  peuvent  compromettre  au 
nom  de  l'I^tat  et  que,  dans  l'espèce,  le  compromis  du  6  août  1881 
ayant  été  consenti  par  M.  Jules  Ferry,  ministre  de  l'instruction 
publique  et  des  beaux-arts,  il  l'avait  été  «  par  une  personne 
juridiquement  incapable  ».  (Rapport  de  la  commission  de  la 
Chambre  des  députés.) 

C'est  dans  ces  conditions  que  Mgr  de  Dreux-Brézé  s'est 
adressé  à  la  justice. 

Il  a  assigné  devant  le  tribunal  civil  de  la  Seine  M.  le  ministre 
de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  comme  représen- 
tant l'État,  et  M.  Jules  Ferrj^  personnellement. 

Il  réclame  à  l'État  la  somme  de  554,099  fr.  90,  montant, 
d'après  la  sentence  arbitrale  du  7  novembre  1881,  des  travaux 
et  améliorations  par  lui  faits  dans  le  domaine  d'Iseure,  et  il 
demande  contre  M.  Jules  Ferry,  tant  comme  ancien  ministre 
que  personnellement,  le  paiement  de  la  somme  de  6.810  francs 
pour  les  frais  d'expertise  et  d'enregistrement  de  la  sentence 
arbitrale  qu'il  aurait  été  en  faute  de  consentir  sans  en  avoir  la 
capacité  juridique.  Enfin,  il  réclame  50.000 francs  de  dommages- 
intérêts  pour  la  perte  du  droit  de  rétention  de  l'immeuble 
d'Iseure. 

Des  déclinatoires  d'incompétence  ont  été  présentés  par  l'Etat 
sur  ces  deux  demandes. 

M°  Robinet  de  Glérj,  avocat,  a  exposé  la  demande  au  nom 
de  Mgr  de  Dreux-Brézé,  évêque  de  Moulins. 

M.  le  substitut  Commoy  a  soutenu  les  déclinatoires  d'incom- 
pétence proposés. 

Le  tribunal  a  rendu  sur  ces  deux  demandes  le  jugement 
suivant  : 

Le  Tribunal, 

Joint  les  causes  à  raison  de  leur  connexité  et  statuant  par  un  seul 
et  même  jugement  sur  les  deux  déclinatoires  présentés  par  le  préfet 
de  la  Seine  en  vertu  de  l'article  6  de  l'ordonnance  du  l^r  juin  1828, 
l'un  dans  l'instance  introduite  par  l'évêque  de  Moulins  contre  le 
ministre  de  l'instruction  publique,  l'autre  dans  l'instance  introduite 
par  l'évêque  de  Moulins  contre  le  ministre  de  l'instruction  publique 
et  des  beaux-arts  et  contre  Jules  Ferry  personnellement  : 

En  ce  qui  touche  la  première  demande; 

Attendu  qu'elle  a  pour  objet  principal  de  faire  déclarer  que  l'État 
est  lié  par  le  compromis  intervenu  les  6  et  8  août  1881  entre  le 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  et  l'évêque  de 


76  ANNALES    CATHOLIQUES 

Moulins,  lequel  soumettait  â  des  arbitres  l'évaluation  des  coastruc- 
tions  et  améliorations  utiles  effectuées  par  ce  dernier  ou  ses  prédé- 
cesseurs sur  l'immeuble  d'Iseure  ; 

Qu'elle  a  en  outre  et  par  voie  de  conséquence  pour  objet  prin- 
cipal de  faire  décider  que  la  sentence  arbitrale  du  7  novembre  1881 
a  acquis  l'autorité  de  la  chose  jugée  ; 

Qu'elle  tend  subsidiairement  à  obtenir  contre  l'Etat  une  condam- 
nation au  paiement  d'une  somme  de  554,099  fr.  90  ^eprésent^  nt  la 
valeur  des  constructions  d'amélioration  sus-indiquées,  avec  intérêts 
du  7  août  1881  ; 

Attendu  que  dans  son  objet  principal  la  demande  de  l'evêque  de 
Moulins  implique  l'examen  du  point  de  savoir  si  le  ministre  de  l'ins- 
truction publique  et  des  beaux-arts,  en  signant  le  compromis  des 
6  et  8  août  1881,  a  pu  engager  l'Etat,  ou  si  au  contraire  il  avait 
consenti  un  acte  qui  serait  nul  et  non  avenu  ; 

Attendu  que  le  compromis  des  6  et  8  août  1881  porte  sur  des 
intérêts  dont  la  sauvegarde,  en  ce  qui  concerne  l'Etat,  appartenait 
au  ministre  et  dont  le  règlement  rentrait  dans  ses  attributions; 

Qu'il  constitue  par  là-même  un  acte  administratif  dont  la  validité 
ne  saurait  être  appréciée  par  l'autorité  judiciaire  ; 

Attendu  qu'il  importerait  peu  qu'en  l'absence  d'une  convention 
particulière,  les  difficultés  qui  existaient  entre  l'Etat  et  l'evêque  de 
Moulins  dussent  relever  du  droit  commun  et  être  soumises  aux 
tribunaux  ordinaires  ; 

Qu'il  n'importerait  pas  davantage  que  le  compromis  des  6  et 
8  août  1881  eût  été  consenti  par  le  ministre  contrairement  à  l'article 
1004  du  Code  de  procédure  civile,  c'est-à-dire  en  violation  d'une 
règle  de  droit  commun  ; 

Attendu,  en  effet,  qu'en  règle  générale  et  au  point  de  vue  de  la 
compétence,  l'acte  ou  le  contrat  administratif  se  caractérise  par  ce 
fait  qu'il  émane  d'un  représentant  de  l'Etat  agissant  dans  le  cercle 
des  pouvoirs  que  sa  fonction  lui  confère,  quel  qu'en  soit  d'ailleurs 
l'objet; 

Qu'un  compromis  ne  saurait  échapper  à  ce  principe  plus  qu'aucune 
autre  convention  quelle  qu'elle  soit  ou  une  vente  : 

Attendu  que  la  décision  à  intervenir  sur  le  compromis  des  6  et 
8  août  1881  emporte  évidemment  la  validité  ou  la  nullité  de  la  sen- 
tence arbitrale  du  7  novembre  suivant  ; 

Qu'incompétente  pour  statuer  sur  l'un,  l'autorité  judiciaire  est 
conséquemment  incompétente  pour  décider  à  l'égard  de  l'autre; 

Attendu,  quant  à  la  demande  subsidiaire  de  l'evêque  de  Moulins, 
que  le  tribunal  a,  au  contraire,  pleine  compétence  pour  en  connaître  ; 

Qu'elle  suppose,  en  effet,  que  le  compromis  des  6  et  8  août  1881 
ayant  été  annulé,  les  parties  sont  replacées  dans  les  conditions  où 
elles  se  trouvaient  avant  qu'il  intervînt  ; 


TRIBUNAUX  77 

Qu'il  s'agit  alors  de  régler  entre  elles  les  conséquences  purement 
civiles  de  la  reprise  par  l'Etat  d'un  domaine  affecté  antérieurement 
au  petit  séminaire  du  diocèse  de  Moulins  et  à  la  jouissance  person- 
nelle de  l'évêque  ; 

Que  ce  règlement  doit  s'opérer  comme  s'il  avait  lieu  entre  simples 
particuliers,  suivanf  les  principes  ordinaires  du  droit  et  non  plus  en 
vertu  d'un  acte  qui  le  soumet  à  une  juridiction  spéciale; 

Qu'en  d'autres  termes,  il  n'apparaît  dans  aucun  acte  émané  d'un 
représentant  de  l'État  et  pouvant  faire  échec  aux  lois  ordinaires  de 
la  compétence  ; 

Attendu  néanmoins  que  dans  l'espèce  le  jugement  de  la  demande 
subsidiaire  de  l'évêque  de  Moulins  est  nécessairement  subordonné  à 
la  décision  qui  interviendrait  sur  sa  demande  principale. 

Que  la  demande  subsidiaire  serait  même  sans  objet  si  la  juridiction 
compétente  déclarait  valable  le  compromis  des  6  et  8  août  1881,  et 
si  la  sentence  arbitrale  du  7  novembre  suivant  conservait  son 
autorité  ; 

Qu'il  convient  donc  de  surseoir  pour  y  statuer  jusqu'à  la  décision 
à  intervenir  sur  la  demande  principale  ; 

En  ce  qui  touche  la  seconde  demande  de  l'évêque  de  Moulins  : 

Attendu  qu'elle  a  pour  but  d'obtenir  solidairement  contre  le 
ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux -arts  et  contre 
Jules  Ferry  personnellement  la  restitution  d'une  somme  totale  de 
6,810  fr.  10  avancée  par  le  demandeur  tant  pour  les  honoraires 
d'arbitres  que  pour  les  frais  d'enregistrement  afférents  à  la  sentence 
arbitrale  du  7  novembre  1881  ; 

Qu'elle  a  également  pour  but  d'obtenir  contre  les  deux  défendeurs 
une  condamnation  solidaire  de  50,000  francs  de  dommages-intérêts, 
à  raison  de  ce  fait  que  l'évêque  de  Moulins  aurait  été  déterminé  à 
quitter  l'immeuble  d'iseure  et  à  renoncer  au  droit  de  détention  qu'il 
entendait  exercer  sur  le  dit  immeuble  par  la  confiance  qu'il  accordait 
au  compromis  des  6  et  8  août  1881  et  à  la  signature  du  ministre; 

Attendu,  sur  le  premier  chef,  que  la  demande  de  l'évêque  de 
Moulins  constitue  en  réalité  une  répétition  de  l'indu  dirigée  contre 
ceux  pour  qui  le  paiemment  avait  eu  lieu  ; 

Qu'à  ce  titre,  elle  est  de  la  compétence  de  l'autorité  judiciaire, 
mais  qu'elle  ne  saurait  être  appréciée  isolément  et  que  son  admission 
ou  son  rejet  en  totalité  ou  en  partie  dépend  nécessairement  de 
la  décision  à  intervenir  sur  la  validité  du  compromis  et  de  la  sen- 
tence arbitrale  qui  en  a  été  la  suite  ; 

Qu'il  y  a  donc  lieu  de  surseoir  à  y  statuer  ; 

Attendu,  sur  ce  second  chef,  que  la  compétence  de  l'autorité  judi- 
ciaire impliquerait,  de  la  part  de  Jules  Ferry,  dans  les  traités  sus- 
visés,  une  faute  personnelle  dont  il  devrait  répondre  en  son  propre 
6t  privé  nom,  et  dont  l'État  serait  d'ailleurs  responsable; 


78  ANNALES  CATHOLIQUES 

Qu'il  résulte  de  toutes  les  circonstances  de  la  cause  que  les  actes 
imputés  au  défendeur  se  lient  étroitement  entre  eux;  qu'ils  ne 
sauraient  être  envisagés  isolément  et  qu'ils  ont  été  accomplis  par 
lui  dans  les  mêmes  conditions,  c'est-à-dire  en  vertu  et  dans  l'exercice 
de  ses  fonctions  ministérielles,  de  telle  sorte  qu'une  seule  responsa- 
bilité lui  incombait  pour  chacun  d'eux; 

Qu'en  d'autres  termes,  la  faute  prétendue  contre  lui  ne  pourrait 
être  appréciée  par  l'autorité  judiciaire  sans  qu'il  en  résultât  une 
appréciation  de  sa  responsabilité  dans  l'ensemble  des  négociations 
suivies  entre  lui  et»révêque  de  Moulins,  laquelle  appartient  exclusi- 
vement à  l'autorité  administrative  ; 

«  Attendu,  dès  lors,  que  le  Tribunal  est  incompétent  pour  statuer 
à  l'égard  de  Jules  Ferry  et  qu'à  plus  forte  raison  il  l'est  également 
pour  statuer  à  l'égard  de  l'État  comme  responsable  des  actes  de 
celui-ci  : 

Par  ces  motifs, 

Se  déclare  incompétent  sur  la  demande  principale  formée  par 
l'évêque  de  Moulins  contre  le  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts  et  tendant  à  faire  décider  que  l'Etat  est  lié  par  le 
compromis  des  6  et  8  août  1881  et  par  sa  sentence  arbitrale  du 
7  novembre  suivant  ; 

Se  déclare  également  incompétent  sur  la  demande  de  dommages- 
intérêts  formée  par  l'évêque  de  Moulins  contre  le  ministre  de  l'ins- 
truction publique  et  des  beaux-arts  et  contre  Jules  Ferry  personnel- 
lement ; 

Se  déclare,  au  contraire,  compétent  sur  la  demande  subsidiaire 
formée  par  l'évêque  de  Moulins  contre  le  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  et  des  beaux -arts  en  paiement  d'une  somme  de 
544,099  fr.  90. 

Se  déclare  également  compétent  sur  la  demande  formée  par 
l'évêque  de  Moulins  contre  le  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts  et  contre  Jules  Ferry  personnellement  en  restitution 
d'une  somme  de  6,810  fr.  10; 

Surseoit  à  statuer  sur  ces  deux  dernières  demandes  jusqu'à  ce 
qu'il  ait  été  prononcé  par  l'autorité  compétente  sur  la  validité  du 
compromis  des  6  et  8  août  1881  et  de  la  sentence  arbitrale  du 
7  novembre  suivant  ; 

Condamne  l'évêque  de  Moulins  aux  dépens  faits  dans  les  deux 
premières  demandes  et  réserve  ceux  qui  sont  afférents  aux  deux 
dernières. 


DON    ALESSANDRO    TORLONIA  79 


DON  ALESSANDRO  TORLONIA 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  perte  immense,  causée  par  la 
mort  de  don  Alessandro  Torlonia,  chef  de  la  branche  princiére 
ou  cadette  de  cette  maison  romaine. 

Mais  la  vie  d'un  personnage  tel  que  don  Alessandro  Torlonia 
mérite  qu'on  s'en  occupe  en  détail  ;  aussi  nous  y  revenons  pour 
confirmer- les  éloges  si  mérités  rendus  à  l'illustre  défunt,  et 
pour  relever  davantage  encore  les  côtés  plus  remarquables  et 
plus  particulièrement  édifiants  d'une  vie  chrétienne,  si  longue 
et  si  parfaitement  remplie. 

Nous  y  revenons  aussi  pour  corriger  certaines  légendes  et 
divers  jugements  inexacts,  répandus  sur  l'origine  et  la  richesse 
de  la  maison  Torlonia,  par  un  certain  nombre  de  journaux 
qui  semblent,  en  l'occurrence,  avoir  préféré  la  sensation  à 
l'exactitude. 

Disons  d'abord  quelques  mots  sur  l'origine  de  la  famille. 
Quelques-uns  prétendent  qu'elle  est  d'origine  auvergnate.  Le 
lieu  d'origine  serait,  selon  les  uns,  la  commune  d'Augerolles, 
à  quelques  lieues  de  Thiers,  en  Auvergne  ;  selon  les  autres,  ce 
serait  la  ville  de  Tours.  Figaro  parle  aussi  de  l'origine  auver- 
gnate et  ajoute  que  le  fondateur  de  la  famille,  un  Auverg'nat, 
était  attaché  à  la  maison  du  cardinal  Aquaviva  et  père  de  don 
Giovanni,  lequel  était  le  père  de  don  Alessandro. 

Figaro  dit  qu'une  pension  viagère,  laissée  par  le  cardi- 
nal Aquaviva,  permit  à  cet  Auvergnat  de  faire  un  commerce 
d'aiguilles  et  de  dentelles  et  de  donner  une  bonne  éducation  à 
son  fils  Giovanni. 

On  parle  aussi  de  centaines  de  millions  non  comptés,  attribués 
au  prince  Torlonia  par  une  partie  de  la  presse  italienne,  et  de 
six  millions  annuels  d'impôt  foncier  qu'il  aurait  payés,  d'après 
la  Gazette  de  Cologne. 

Il  faut  dire  d'abord  que,  selon  le  bruit  de  Rome,  le  fondateur 
de  la  maison  était  de  la  famiglia  d'un  cardinal,  ce  qui  signifie 
attaché  à  la  maison,  dans  le  sens  romain  du  mot,  et  ce  que 
ne  paraît  pas  avoir  compris  le  Figaro.  Ce  qui  est  certain  en 
outre,  c'est  que  Giovanni  Torlonia  est  né  en  1754,  à  Sienne, 
en  Toscane,  ville  que  son  père  n'avait  jamais  quittée,  et  que 
lui-même  n'en  était  parti  qu'au  temps  de  Pie  VI;  que  le  car- 


80  ANNALES    CATHOLIQUES 

dinal  Ottavio  Aquaviva,  archevêque  de  Naples,  est  mort  en 
1612  et  que  !<?  cardinal  Trojano  Aquaviva,  ambassadeur  de  don 
Carlos,  fils  de  Philippe  V  d'Espagne  (devenu  roi  de  Naples), 
était  mort  bien  avant  la  naissance  de  Giovanni  Torlonia,  et  que 
ces  deux  cardinaux  sont  les  seuls  de  cette  maison  napolitaine. 

Ces  faits  indiquent  déjà  suffisamment  l'erreur  commise  par 
le  garant  du  Figaro. 

La  vérité  est  que  le  père  de  don  Alessandro  Torlonia,  fonda- 
teur de  la  maison,  est  né  à  Sienne,  opulente  ville  commerciale 
de  la  Toscane,  en  1754,  de  parents  de  condition  modeste,  qui  y 
exerçaient  un  métier  honorable  et  y  avaient  le  droit  de  cité. 
On  peut  supposer  que  la  légende  de  l'origine  auvergnate  est  née 
d'une  circonstance  fortuite;  elle  ne  paraît  avoir  pris  racine 
qu'au  commencement  du  siècle,  lors  de  l'occupation  française 
de  Rome. 

Sienne  s'est  toujours  enorgueillie  d'avoir  été  le  berceau  de  la 
maison  Torlonia,  comme  elle  fut  celui  des  maisons  Borghèse  et 
Chigi,  dont  la  première  est  l'héritière  du  nom  et  du  patrimoine 
de  la  branche  princière  de  Torlonia,  et  la  seconde  son  alliée 
par  le  mariage  de  feu  la  princesse  Chigi  avec  feu  don  Jules 
Torlonia,  chef  de  la  branche  ducale  ou  aînée. 

Le  fils  de  ce  bourgeois  de  Sienne,  après  avoir  reçu  dans  sa 
ville  natale  une  bonne  éducation,  vint  à  Rome,  au  commence- 
ment du  pontificat  de  Pie  VI,  de  sainte  mémoire. 

Le  jeune  Siennais  s'y  voua  au  négoce.  Le  moment  était  pro- 
pice. Pie  VI  venait  de  monter  sur  le  trône  pontifical.  De  vastes 
travaux  d'utilité  publique  furent  entrepris,  des  monuments  res- 
taurés ou  relevés  de  leurs  ruines.  Le  travail  immense  du  dessè- 
chement des  marais  Pontins,  commencé  sous  les  empereurs, 
continué  sous  divers  Papes,  puis  abandonné,  fut  repris.  Une 
souscription  volontaire  procura  des  fonds  considérables,  et  douze 
mille  arpents  de  terre  furent  rendus  à  la  culture;  la  voie  Ap- 
pienne  fut  dégagée,  un  canal  de  décharge  fut  construit,  et  le 
commerce  et  l'industrie  prirent  alors  un  essor  inattendu,  dont 
Giovanni  Torlonia  ne  fut  pas  le  dernier  à  profiter. 

Son  génie  industriel  et  commercial  put  alors  se  développer  à 
son  aise.  Il  s'associa  avec  un  riche  négociant  nommé  Cechi  et 
lorsque  la  Révolution  française  survint,  la  maison  Torlonia 
était  déjà  installée  au  palais  Raggi  et  occupait  le  premier  rang 
parmi  les  maisons  de  banque  romaines. 

Bientôt  le  temps  vint  oii  Giovanni  fut  appelé  à  rendre  de 


DON    ALESSANDRO    TO'.ILONIA  81 

grands  services  à  Rome  et  à  la  papauté.  Napoléon  venait  d'oc- 
cuper les  Marches,  le  Pape  fut  contraint  de  signer,  en  1796, 
l'armistice  de  Bologne,  de  verser  une  contribution  de  vingt 
millions  et  de  souscrire  en  février  1797,  au  traité  de  Tolentino, 
qui  l'obligeait  au  versement  d'une  nouvelle  somme  de  trente 
millions.  L'année  suivante,  lors  des  événements  qui  suivirent  la 
mort  violente  de  Duphot,  Romeetla  province  durentpayerencore 
une  somme  de  trente-six  millions.  Les  caisses  publiques  étaient 
vides,  la  banque  n'avait  plus  un  écu,  même  le  mont-de-piété 
avait  dû  fermer  faute  de  fonds  ;  riiabilaté  commerciale  de  Gio- 
vanni Torlonia  suppléa  à  tout,  et  grâce  à  lui,  on  finit  par  pou- 
voir faire  face  aux  exigences  de  l'occupation  française. 

Mais  bientôt  le  Pape  fut  emmené  prisonnier,  et  les  autorités 
anciennes,  les  cardmaux,  les  prélats,  les  personnages  les  plus 
distingués  de  la  ville  durent  émigrer.  Le  crédit  public  descendit 
à  un  tel  degré  que  lesfamilles  les  plusriches  du  patriarcat  romain 
tombèrent  dans  un  état  voisin  de  la  gêae.  Les  palais,  les  villas, 
les  propriétés  rurales  étaient  vendus  à  un  taux  dérisoire.  Gio- 
vanni Torlonia,  au  lieu  d'enfouir  son  or  comme  les  autres, 
remplo3"a  pour  l'acquisition  de  propriétés  immobilières  et  fon- 
cières, et  les  sauva  ainsi  d'une  ruine  et  d'une  décadence  finale 
tout  en  faisant  une  excellente  aifaire.  11  emplo3^a  son  argent 
encore  mieux.  Lors  du  mémorable  conclave  de  Venise,  don 
Giovanni  Torlonia  offrit  au  Sacré-Collège  trois  mille  ducas,  à 
titre  d'oftrande  pour  les  frais  du  conclave  ;  aussi,  après  son 
élection,  Pie  VII,  de  sainte  niémoire,  le  créa  marquis  de  Roma- 
Vecchia. 

Sa  prospérité  augmenta  d'année  en  année,  et  au  milieu  de  la 
tourmente  politique  qui  souffla  alors  en  Italie,  de  la  cime  des 
Alpes  au  cap  Spartivento,  Giovanni  Torlonia  sut  maintenir  la 
solidité  et  la  renommée  de  sa  maison.  En  1803,  il  acquit  le  châ- 
teau et  la  terre  de  Bracianno,  propriété  de  la  maison  d'Orsini, 
située  au  nord-ouest  et  à  28  kilomètres  de  Rome,  vendue  au  siè- 
cle dernier  à  la  maison  Odelscalchi.  Cette  acquisition  lui  valut 
des  droits  féodaux,  le  titre  ducal  et  le  patriarcat  romain. 

Lors  de  la  captivité  de  Pie  VII,  le  nouveau  duc  de  Bracianno 
était,  par  sa  situation,  forcé  d'avoir  des  relations  avec  le  géné- 
ral Miollis  ;  toutefois,  ces  relations  n'entachèrent  en  rien  ses 
sentiments  pour  le  Souverain-Pontife.  Aussi,  lorsque  Pie  VII, 
de  sainte  mémoire,  rentra  de  la  captivité  de  Fontainebleau,  il 
lui  rendit  non  seulement  ses  bonnes  grâces,  mais  le  chargea 


82  ANNALES    CATHOLIQUES 

aussi  de  l'exécution  d'importants  plans  financiers,  élaborés 
pour  remettre  l'ordre  dans  toutes  les  brandies  de  l'adminis- 
tration. 

Pie  VII  ne  pouvait  pas  choisir  mieux  ;  tout  ce  dont  le  génie 
économique  et  commercial  de  Griovanni  Torlonia  dut  s'occuper 
réussit  à  merveille.  Ainsi,  il  avait  obtenu  la  ferme  générale  des 
célèbres  aluniéres  de  la  Tolfa,  prés  de  Civita-Vecchia;  il  donna 
à  cette  industrie  un  tel  ,  développement  et  la  perfectionna 
tellement,  que  bientôt  l'alun  de  la  Tolfa  eut  une  réputation  uni- 
verselle. 

Sa  probité,  son  activité  infatigable  avaient  fait  de  sa  maison 
la  plus  puissante  de  l'Italie,  et  malgré  les  temps  si  agités,  il 
n'oublia  jamais  qu'il  dut  l'origine  de  sa  fortune  à  la  papauté. 

Le  bonheur  intérieur  ne  lui  manquait  pas  non  plus  ;  il  avait 
choisi  pour  compagne  donna  Anna-Maria  Sculteis,  digne  et  par- 
faite chrétienne,  qui  dirigeait  son  intérieur  avec  toutes  les  vertus 
de  la  femme  forte  de  l'Evangile. 

Il  en  eut  trois  fils  et  deux  filles.  L'ainé  de  ses  fils,  don  Giovanni, 
né  le  6  septembre  1796,  héritier  du  duché  de  Bracianno  (duché 
que  la  maison  Odescalchi  a  racheté  depuis),  est  devenu  le  fon- 
dateur de  la  ligne  aînée  ou  ducale  :  il  s'est  marié  avec  une 
princesse  de  l'illustre  maison  Sforza  ;  le  second,  don  Carlo,  né 
le  18  décembre  1798,  est  mort  en  1848,  sous  le  coup  des  événe- 
ments de  l'époque  ;  le  troisième,  né  le  1"  juin  1800,  est  celui 
dont  nous  nous  occupons.  Les  sœurs  de  ces  trois  frères  furent 
demandées  en  mariage  par  des  membres  de  la  haute  aristocratie 
romaine;  l'une  d'elles,  donna  Maria,  née  le  4  janvier  1804,  vit 
encore,  elle  est  mère  de  don  Orsini,  chef  de  cette  maison  pa- 
tricienne ;  sa  sœur  défunte  avait  été  épousée  par  le  comte 
Machescotti. 

C'est  ajuste  titre  qu'on  cherchait  l'alliance  d'une  telle  fa- 
mille, car  les  services  rendus  par  la  maison  Torlonia,  après  les 
événements  de  1815,  furent  immenses.  Par  suite  du  bouleverse- 
ment révolutionnaire  de  l'ancien  état  de  choses,  certains  impôts 
avaient  été  supprimés,  le  crédit  détruit  ;  le  vieux  banquier 
trouva  le  moyen  de  relever  tout,  grâce  aux  mesures  financières 
et  d'économie  politique  proposées  et  acceptées  par  le  Souverain- 
Pontife. 

La  puissance  et  la  fortune  de  sa  maison  de  banque  ne  firent 
alors  que  prospérer  ;  il  en  fit  le  plus  noble  usage,  en  faveur  des 
pauvres,  de  l'Eglise,  des  établissements  de  bienfaisance,  des  arts 


DON   ALESSANDRO    TORLONIA  83 

et  sciences  et  des  splendeurs  artistiques  de  la  capitale  du 
monde  chrétien  ;  et,  lorsqu'il  mourut,  sa  mémoire  fut  bénie  de 
tous,  et  sa  famille  était  alliée  et  parente  des  premières  et  plus 
illustres  familles  romaines. 

C'est  don  Alessandro,  le  troisième  de  ses  fils,  qui  fut  l'héritier 
de  son  génie  d'économiste  consommé.  Ce  que  le  père  avait  en- 
trepris, le  fils  le  continua  en  compagnie  de  son  frère  don  Carlo. 
Ils  obtinrent,  et  à  Rome  et  à  Naples,  la  ferme  générale  des 
monopoles  des  tabacs  et  du  sel,  l'émission  d'emprunts  d'État  et 
d'autres  affaires  financières. 

Les  bénéfices  très  considérables  qu'ils  en  tirèrent  pendant 
trente  ans,  furent  aussitôt  employés  à  des  travaux  d'utilité  pu- 
blique et  à  des  entreprises  qui,  toutes,  réussirent  à  merveille. 

En  première  ligne  il  faut  citer  le  dessèchement  du  lac  de  Fu- 
cino,  qui  certes  est  une  des  œuvres  les  plus  hardies  de  notre 
époque.  On  en  jugera  quand  on  pense  que  jadis  seule  la  construc- 
tion du  canal  de  décharge  de  ce  lac,  creusé  à  travers  le  mont 
Salviano,  força  l'empereur  Claude  à  faire  travailler  30,000  es- 
claves pendant  onze  ans. 

Ce  lac,  situé  près  de  Sulmona,  la  patrie  d'Ovide,  avait 
16  kilomètres  de  long  sur  8  kilomètres  de  large  ;  il  appartenait 
autrefois  aux  familles  Colonna  et  Cesarini  ;  le  prince  Torlonia 
s'en  rendit  acquéreur  et  fit  reprendre  les  travaux  de  Claude.  Ce 
travail  gigantesque,  commencé  en  1852,  ne  fut  achevé  qu'en 
1875.  Le  prince  Torlonia  y  avait  dépensé  35  millions,  mais 
aussi  il  y  gagna  150  kilomètres  carrés  d'excellentes  terres 
labourables  ;  l'honneur  de  ces  travaux  revient  à  des  ingénieurs 
français,  dirigés  par  M.  de  Montricher. 

Lors  de  leur  achèvement  en  1875,  le  gouvernement  du  Qui- 
rinal  voulut  donner  à  don  Alessandro  Torlonia  le  collier  de  la 
Santissima  Annunziata  ;  le  prince  déclara  qu'il  le  refuserait. 
Alors  Victor-Emmanuel  fit  frapper  à  son  intention  une  médaille 
d'or  et  la  lui  fit  remettre.  Don  Alessandro  Torlonia  se  rendit  par 
suite  au  Quirinal^  et  cette  visite  ne  laissa  pas  de  causer  quelque 
étonnement.  Pour  l'expliquer,  don  Alessandro  mit  en  avant  la 
courtoisie.  On  dit  aussi  qu'il  avait  au  préalable  demandé  l'auto- 
risation au  Vatican  ;  mais  l'on  comprend  que  les  libéraux  cher- 
chèrent à  se  prévaloir  de  cette  visite  ;  ils  se  trompaient  :  don 
Alessandro  Torlonia  sut  promptement  les  faire  taire  :  ni  Victor- 
Emmanuel,  ni  son  fils  le  roi  Humbert  ne  revirent  le  prince  au 
Quirinal. 


84  ANNALES     CATHOLIQUES 

L'œuvre  du  fils  fut  prospère  comme  celle  du  père. 

Don  Alessandro  Torlonia  a  consacré  ses  immenses  richesses  à 
la  pauvreté  et  à  la  misère,  en  fondant  ou  en  dotant  des  hospices, 
asiles,  dépôts  de  mendicité,  fourneaux  économiques,  établisse- 
ments de  charité  maternelle,  etc.  Il  les  a  encore  consacrées  aux 
aux  arts  et  à  la  science,  en  faisant  construire  ou  restaurer  des 
palais  somptueux,  établir  des  villas  qui,  en  splendeur,  rappellent 
celles  qui  faisaient  autrefois  la  renommée  de  Tusculum,  de 
Tib'ir  et  de  Prœneste.  Il  ne  comptait  pas  non  plus  quand  il  s'a- 
gissait de  rendre  aux  basiliques  et  églises  romaines  leurs  ' 
anciennes  splendeurs  artistiques. 

Sa  magnificence  apparaît  dans  l'histoire  quand  on  admire 
tout  ce  qu'il  a  fait  sous  ce  rapport  à  Rome  ;  ses  oeuvres  sont  des 
œuvres  vraiment  royales  ;  l'énumération  partielle  en  a  été  déjà 
faite  par  nos  correspondants  romains.  Il  administrait  sa  fortune 
en  bourgeois  modeste  et  prudent  et  en  dépensait  les  revenus  en 
roi  et  en  apôtre. 

Il  aida  les  savants  et  les  artistes  de  sa  bourse  et  de  son  crédit 
dans  leurs  études  et  leurs  voyages. 

Il  acheta  à  grand  prix  des  collections  artistiques  et  des  œuvres 
d'art  qu'il  installa  dans  ses  palais  et  villas.  Grâce  à  don  Ales- 
sandro Torlonia,  des  palais,  tels  que  celui  de  Bramante,  entre 
le  château  Saint-Ange  et  le  Vatican,  qu'il  avait  mis  lors  du 
Concile  à  la  disposition  du  Souverain-Pontife  ;  des  villas  telles 
que  celle  d'Albani,  qu'il  avait  achetée  aux  héritiers  du  prince 
de  Castelbarco,  ne  tombèrent  pas  dans  des  mains  étrangères. 

Ce  qui  est  particulièrement  remarquable  dans  sa  vie,  c'est  sa 
piété  si  éclairée,  sa  charité  apostolique  ;  au  milieu  de  tant  de 
bienfaits,  il  garda  une  prudence  tempérante,  une  modestie  dans 
sa  manière  de  vivre  et  s'habiller  qui  furent  connues  de  tous  ceux 
qui  séjournent  ou  ont  séjourné  à  Rome.  C'est  avec  une  véritable 
édification  que  nous  rappelons  les  traits  et  la  mise  de  ce  grand 
Romain,  car  en  tout  il  montrait  une  modestie  vraiment  tou- 
chante. Il  était  grand  quand  il  s'agissait  de  bonnes  œuvres  et 
d'œuvres  utiles  ;  pour  ie  reste,  il  n'était  que  semblable  au  plus 
humble  chrétien. 

Pie  IX,  de  sainte  mémoire,  fut  toujours  un  père  pour  Ales- 
sandro Torlonia,  et  celui-ci  n'a  jamais  manqué  d'être  son  fils 
dévoué  et  reconnaissant.  Il  est  mort,  jour  pour  jour,  huit  ans 
après  son  bien-aimé  souverain  et  père,  et,  chose  étrange,  tout 
comme  les  funérailles  de  Pie  IX  dans  la  nuit  du  13  juillet  1881, 


DON    ALESSANDRO    TORLONIA  85 

ont  donné  ]ieu  <à  des  désordres,  ses  funérailles  dans  la  soirée  du 
9  février  ont  donné  lieu  à  de  très  graves  désordres  sur  la  place 
des  Saints-Apôtres,  au  moment  où  sa  dépouille  fat  transférée 
de  son  palais  à  l'église  paroissiale  des  Saints-Apôtres. 

Son  amour,  son  dévouement  pour  Pie  IX,  pour  Léon  XIII  et 
la  Papauté  furent  sans  bornes.  Dans  toutes  les  graves  circon- 
stances, il  intervint  de  sa  personne  et  des  moyens  que  la  divine 
Providence  avait  mis  à  sa  disposition.  En  1865,  il  aida  à  sauver 
les  emprunts  romains  d'une  dépréciation  tramée  par  le  gouver- 
nement subalpin  ;  deux  ans  plus  tard,  il  offrit  ses  millions  pour 
repousser  l'invasion  garibaldienne  ;  en  1870,  lors  du  concile,  il 
donna  la  plus  vaste  hospitalité  aux  Pères  du  Concile  dans  un  de 
ses  palais;  il  donna  son  obole  annuelle  à  la  Papauté  comme  il 
donna  aux  pauvres  et  aux  déshérités  son  argent  —  à  pleines 
mains.  Du  reste,  il  aimait  les  pauvres  de  tout  son  cœur,  et 
même  dans  sa  tombe  il  a  voulu  être  revêtu  de  leur  habit,  de 
l'habit  de  saint  François. 

Chaque  jour  il  allait  adorer  le  Saint-Sacrement  dans  l'église 
oî^  se  célébraient  les  Quarante  Heures,  et  visitait  des  écoles, 
des  asiles,  des  hospices,  des  établissements  charitables  et  des 
prisons;  c'est  avec  une  joie  particulière  qu'il  remplissait  toutes 
les  œuvres  de  miséricorde. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  son  testament  :  c'est  un  monument 
digne  de  lui  et  des  sentiments  élevés  de  son  âme;  nul  doute 
qu'une  vie  si  dignement  couronnée  après  avoir  été  si  pleine,  ne 
lui  ait  promptement  obtenu  les  célestes  récompenses. 

Don  Alessandro  Torlonia,  veuf  de  donna  Teresia  Colonna- 
Doria  depuis  le  17  mars  1875,  eut  de  ce  mariage  deux  i311es  : 
donra  Giacinta-Carolina,  morte  il  y  a  quelques  années,  et 
donna  Anna,  mariée  au  duc  de  Ceri,  troisième  fils  du  prince 
Marc-Antoine  Borghèse  et  de  Thérèse  de  la  Rochefoucauld- 
d'Estissac.  De  ce  mariage  sont  issus  deux  fils  et  deux  filles,  qui 
ajouteront  leur  nom  à  celui  de  Torlonia. 

Par  ce  mariage,  donna  Teresa  Torlonia  est  entrée  non  seu- 
lement dans  l'illustre  maison  Borghèse,  mais  elle  est  aussi 
devenue  l'alliée  de  grandes  maisons  romaines,  napolitaines, 
toscanes,  françaises,  autrichiennes  et  allemandes. 

La  renommée  de  don  Alessandro  Torlonia  allait  au-delà  de 
Rome  et  de  l'Italie.  Sa  mémoire  suivra  le  chemin  de  sa  renom- 
mée; les  preuves  d'estime  qui  lui  ont  été  prodiguées  par  Rome, 
l'Italie  et  le  monde  catholique,  et  la  douleur  avec  laquelle  sa 


86  ANNALES    CATHOLIQUES 

mort  fat   accueillie    chez    tous    les    catholiques,    en    sont    la 
garantie. 

Don  Alessandro  Torlonia  a  laissé  son  nom,  son  enfant  et  sa 
fortune  à  un  membre  de  la  grande  et  illustre  maison  Borghèse, 
à  laquelle  l'Eglise  doit  Paul  V.  Les  nobles  souvenirs  du  défunt 
lui  susciteront  dans  son  gendre  et  dans  ses  petits-enfants  des 
imitateurs  dignes  de  leur  nom.  Rome,  capitale  du  monde  catho- 
lique, et  l'Italie  s'en  trouveront  bien,  et  ce  sera  là  la  plus  belle 
récompense  ici-bas  que  l'on  puisse  souhaiter  pour  la  mémoire 
de  don  Alessandro  Torlonia.  (Univers.) 


CONFERENCES  DE  NOTRE-DAME  (1) 

QUATRIÈME  CONFÉRENCE.  —  Lcs  droUs  du prêtre. 

La  consécration  du  prêtre  lui  confère  une  dignité  que  l'on 
pourrait  appeler  divine;  cette  dignité  lui  impose  des  devoirs  de 
science  et  de  sainteté  dont  l'accomplissement  fait  de  lui  l'homme 
social  par  excellence.  Mais,  en  imposant  des  devoirs,  la  dignité 
sacerdotale  crée  aussi  des  droits  qui  lient  la  société  à  l'égard  du 
prêtre,  comme  lui-même  est  lié  à  l'égard  de  la  société.  Irré- 
vocables et  imprescriptibles,  ces  droits  ont  toujours  été  plus  ou 
moins  contestés,  alors  même  qu'ils  étaient  inscrits  d'office  dans 
les  religieuses  constitutions  des  peuples  chrétiens;  aujourd'hui 
que  le  droit  public  se  laïcise  à  outrance,  c'est  à  la  suppression 
que  l'on  tend. 

Partant  de  cette  vérité  que  le  prêtre  est  un  fonctionnaire 
divin  dans  le  plus  important  et  le  plus  noble  des  services  publics, 
nous  en  tirerons  ces  trois  conclusions  :  — ■  Premièrement  le 
prêtre  a  droit  au  respect  de  la  vocation  qui  le  destine  aux  fonc- 
tions divines  ;  secondement  :  le  prêtre  a  droit  à  la  complète 
liberté  de  ses  fonctions;  troisièmement  :  le  prêtre  a  droit  de 
vivre  de  son  service  public. 

(1)  Cette  analyse  des  Conférences  du  R.  P.  Monsabré  à  Notre-Dame 
de  Paris  est  faite  exclusivement  pour  les  Annales  Catholiques. 

Nous  rappelons  que  les  conférences  du  R.  P.  Monsabré  sont 
publiées  m  extenso  dans  V Année  dominicaine,  en  suppléments  qui 
se  vendent  séparément,  25  centimes  chaque,  ou  1  fr.  50  les  neuf 
suppléments  (par  abonnement). 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAME  87 

Le  prêtre  ne  devient  pas  du  jour  au  lendemain  un  homme 
sacré.  11  faut  qu'après  avoir  entendu  l'appel  de  Dieu,  il  se  pré" 
pare  à  la  mystérieuse  inscription  de  son  serment.  Avec  quel 
respect  et  quelle  maternelle  sollicitude  l'Eglise  le  dirige  en  sa 
divine  vocation  !  Pour  lui  elle  a  ouvert  ces  refuges  bénis  oii  les 
clercs  rassemblés  sont  l'objet  d'une  longue  et  pieuse  culture. 
On  appelle  ces  maisons  des  séminaires  :  des  séminaires,  parce 
que  c'est  là  que  poussent  les  jeunes  plants  qui  doivent  rem- 
placer dans  le  clergé  les  arbres  que  la  fatigue  a  rendus  stériles 
et  ceux  que  la  mort  a  renversés  ;  des  séminaires,  parce  que  c'est 
là  qu'on  prépare  et  qu'on  amasse  le  bon  grain  de  vérité  et  de 
vertu  que  la  main  du  prêtre,  divin  semeur,  doit  répandre  dans 
les  âmes.  Dans  ces  maisons  saintes,  les  élus  de  Dieu,  en  appre- 
nant leurs  devoirs,  commencent  à  affirmer  leurs  droits.  Le 
premier  de  tous,  est  le  droit  au  respect  de  la  vocation  qui  des- 
tine le  prêtre  aux  fonctions  divines.  Or,  ce  respect  doit  se  tra- 
duire d'abord;,  par  une  généreuse  sympathie  toujours  prête  à 
venir  en  aide  aux  vocations  sacerdotales.  Dieu  commence  les 
vocations  par  un  appel  mystérieux,  mais  il  nous  réserve  une 
part  dans  leur  développement.  Les  gouvernements  intelligents 
ont  compris  que  c'était  un  honneur  pour  eux,  autant  qu'un 
avantage  pour  la  société,  de  coatribuer  par  des  largesses  au 
recrutement  et  à  la  formation  des  ouvriers  évangéliques.  S'ils 
retirent  aujourd'hui  leur  concours,  l'œuvre  de  l'Église  ne  sera 
pas  compromise. 

En  second  lieu,  le  respect  dû  aux  vocations  sacerdotales  doit 
se  traduire  par  une  religieuse  réserve  qui  interdit,  sur  la  vie  de 
ceux  que  Dieu  a  choisis,  tout  prélèvement  capable  d'offenser 
la  sainteté  de  leur  état,  de  troubler  ou  de  compromettre  leur 
vocation.  Il  serait  plus  qu'étrange  que  des  sociétés  chrétiennes 
eussent  moins  d'égards  pour  le  sacerdoce  que  des  sociétés 
païennes  qui  laissaient  le  prêtre  à  ses  fonctions. 

A  ceux  qui  disent  que  l'ère  des  privilèges  est  passée,  dit  alors  le 
P.  Monsabré,  et  que  personne  ne  peut  plus  être  exempté  des  grands 
services  que  chaque  citoyen  doit  à  son  pays,  l'Eglise  répond  :  «  Quels 
services  ?  Ne  voyez-vous  pas  que  mes  lévites  et  mes  prêtres  sont  des- 
tinés et  appliqués  au  plus  important  et  au  plus  noble  des  services 
publics  ?  N'est-ce  pas  servir  son  pays  que  d'être  le  représentant  de 
ses  sentiments  religieux  et  l'ambassadeur  de  ses  hommages  près  de 
Celui  sans  qui  les  peuples  ne  seraient  plus  que  de  vils  troupeaux  ? 
N'est-ce  pas  servir  son  pays  que  d'appeler  sur  lui  par  prières  et  par 


»0  ANNALES    CATHOLIQUES 

S  icrifices  les  bénâ  lictioâs  du  ciel  dans  la  paix  comme  dans  la  guerre? 
N'est-ce  p  s  servir  son  p^ys  que  d'être  auprès  de  l'ignorauce  Tinter- 
prète  des  vo!o-.t's  diviiijs;que  d'apprendre  à  tous,  à  partir  de 
l'enfance,  les  gr.;nds  myst:jres  de  leur  origine,  de  leur  état,  de  leurs 
destinées,  et  les  devoirs  qui  font  l'honnête  homme  et  le  chrétien  ? 
N'est-ce  pas  servir  son  pays  que  d'avoir  les  mains  coustamment 
pleine  des  grâces  qui  régénèrent  et  vivifient  les  âmes,  et  de  consacrer 
sa  vie  à  guérir  les  plaies,  la  corruption,  les  langueurs,  les  infirmités 
des  consciences  ?  N'est-ce  pas  servir  son  pays  que  d'être,  auprès  de 
toutes  les  infortunes  et  de  toutes  les  misères  humaines,  le  pléni- 
potentiaire de  la  miséricorde  divine  ?  Que  voulez-vous  de  plus  :  que 
mes  lévites  et  mes  prêtres  concourent  de  leurs  deniers  aux  charges 
de  l'Etat?  Vous  le  savez  bien,  il  y  a  longtemps  que  leur  bourse  est 
ouverte  ;  prenez -y  ce  qu'il  vous  faut,  mais  ne  touchez  pas  à  leur  vie 
consacrée  :  «  Nolite  tangere  christos  meos.  » 

Ce  n'est  pas  une  prière  que  fait  l'Eglise,  c'est  une  loi  qu'elle 
a  depuis  longtemps  édictée.  Les  idolâtres  d'égalité  n'en  veulent 
plus  entendre  parler.  Ils  ne  manquent  pas  d'éloquence  pour 
prouver  que  les  peuples  doiveut  se  tenir  sur  un  respectable 
pied  de  guerre,  s'ils  veulent  avoir  la  paix  ;  que,  pour  résister 
aux  masses  qu'on  met  en  branle  aujourd'hui,  il  faut  que  tout  le 
monde  soit  soldat,  qu'il  n'y  a  pas  de  profession  qui  puisse  exemp- 
ter un  citoyen  de  se  mettre  en  état  de  paj-er  à  la  patrie  l'impôt 
du  sang,  si  elle  en  a  besoin. 

L'orateur  de  Notre-Dame  détruit  très  facilement  le  principe 
impie,  contre  lequel  il  invoque  la  sagesse  humaine,  le  plus  vul- 
gaire bon  sens.  Peut-il  tuer,  celui  qui  est  appelé  à  donner  à  tous 
la  vie  ?  Peut-il  être  arraché,  ne  fut-ce  qu'un  jour,  au  soin  de 
son  troupeau?  La  vocation  sacerdotale  étant  une  vocation  divine, 
personne  ne  peut  avoir  le  droit  d'eu  troubler  la  préparation  ni 
d'en  retarder  l'épanouissement,  en  prélevant  sur  une  jeune  vie 
les  années  les  plus  propices  au  développement  de  l'intelligence, 
à  la  formation  du  caractère,  à  l'acquisition  de  la  science  sacrée 
et  des  saintes  habitudes  qui  font  le  prêtre  éclairé  et  vertueux  ; 
la  licence  des  lieux  où  le  soldat  apprend  son  métier  est  plus 
propre  à  corrompre  une  âme  pure  qu'à  l'aguerrir  contre  la 
contagion  des  mauvaises  moeurs  ;  le  séminaire  ne  peut  que 
perdre  en  se  déversant  dans  la  caserne,  et  la  caserne  est  un 
vestibule  dangereux  pour  le  séminaire.  Enfin,  aux  naïfs  et 
aux  rusés  qui  prétendent  que  l'habitude  de  ,1a  discipline  et  le 
sentiment  de  l'honneur  compensent  la  liberté  des  moeurs  mili- 
taires; que  celui  qui  a  fait  l'expérience  des  faiblesses  humaines 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAXE  89 

deviendra  plus  propre  à  comprendre  et  à  guérir  les  maux  dont 
pâtissent  les  consciences,  le  bon  sens  le  plus  vulgaire  répond  : 
que  les  vénérables  éducateurs  des  clercs  savent  aussi  bien  leur 
faire  prendre  l'habitude  de  la  discipline  et  leur  inculquer  le 
sentiment  de  l'honneur  que  le  ferait  un  capitaine  instructeur; 
que  la  liberté  des  mœurs  laisse  dans  une  âme  des  souvenirs  et 
des  penchants  qui  peuvent  nuire  à  la  sainteté  sacerdotale  ; 
finalement,  qu'un  médecin  n'a  pas  besoin  d'être  malade  pour 
connaître  et  savoir  guérir  les  maladies. 

Quant  à  payer  l'impôt  du  sang,  il  n'est  aucun  prêtre  qui  s'y 
refuse  ;  mais  ils  veulent  le  payer  sans  que  la  loi  de  l'Église  soit 
violée,  sans  que  leur  vocation  soit  outragée.  N'est-ce  pas  l'im- 
pôt du  sang  qu'ils  payent  en  ces  pays  lointains  oii,  au  prix  de 
mille  fatigues  et  de  mille  dangers,  ils  implantent,  avec  les 
vertus  de  l'Evangile,  l'estime  et  le  respect  de  la  nation  dont 
ils  sont  issus?  N'est-ce  pas  leur  martyre  qui  sème  là-bas  des 
chrétiens  et  devient  comme  le  pionnier  des  influences  euro- 
péennes? L'impôt  du  sang  de  nos  soldats  ne  nous  aurait-il  pas 
cov\té  moins  cher  si  l'on  avait  su  tenir  plus  de  compte  de  l'im- 
pôt du  sang  de  nos  prêtres  et  des  expériences  acquises  dans  les 
guerres  qu'ils  livrent  à  la  barbarie,  aux  dépens  de  leur  vie  ? 
Viennent  les  fléaux  qui  dévastent  les  villes  et  les  campagnes, 
vous  les  verrez  aux  premiers  rangs  de  ceux  qui  se  dévouent. 
Viennent  les  jours  sinistres  des  grandes  collisions  qui  mettent 
le  pays  en  danger,  vous  pourrez  faire  appel  à  leur  patriotisme 
et  en  user  jusqu'à  la  mort.  Les  hôpitaux,  les  ambulances  et  les 
champs  de  bataille  les  verront  surmonter  l'écrasante  fatigue 
des  nuits  sans  sommeil,  braver  la  pourriture  et  la  contagion, 
affronter,  sans  les  avoir  provoqués,  les  balles  et  les  obus,  se 
pencher  avec  amour  sur  les  blessés  et  sur  les  mourants,  soi- 
gner, consoler,  bénir,  absoudre,  montrer  le  ciel,  recevoir  avec 
une  tendresse  et  une  fidélité  d'amis  les  dernières  volontés  de 
ceux  qui  expirent,  mourir  eux-mêmes  d'une  mort  non  moins 
héroïque  et  glorieuse  que  celle  des  soldats  tués  à  l'ennemi.  Et 
ainsi,  tout  le  monde  sera  satisfait  :  le  pays  qui  veut  des  sacri- 
fices, et  l'Eglise  qui  veut  des  respects  pour  la  vocation  de  ses 
prêtres. 

II 

Avec  le  respect  de  la  vocation,  le  prêtre  a  droit  à  la  liberté 
des  fonctions. 

7 


90  ANrJALES    CA.THOLlgUES 

Le  prêtre  tient  de  Dieu  lui-même,  et  de  Dieu  seul,  son  carac- 
tère et  ses  fonctions. 

Dès  leur  première  campagne  évangélique,  les  Apôtres  pro- 
clament audacieusement  leur  droit  à  la  liberté  des  fonctions 
sacerdotales. 

C'est  Dieu  qui  parle  par  la  bouche  de  ses  prêtres,  c'est  Dieu 
qui  répand  ses  dons  par  leurs  mains  consacrées.  Donc,  le  prêtre 
a  le  droit  de  dire  à  tous,  en  tout  temps,  et  partout,  toutes  les 
vérités  que  Dieu  l'a  chargé  d'annoncer  au  monde.  Le  royaume 
des  âmes  est  le  domaine  du  prêtre,  il  faut  qu'il  puisse  s'y  mou- 
voir à  l'aise  et  y  exercer  librement  ses  fonctions.  L'opposition, 
d'oii  qu'elle  vienne,  est  plus  qu'une  injustice,  c'est  un  attentat 
sacrilège  dont  Dieu  lui-même  reçoit  directement  l'affront. 

Et  cependant,  que  de  fois  les  pouvoirs  humains  ont  commis 
cet  attentat  !  La  sinistre  histoire  des  violences  faites  au  minis- 
tère sacerdotal  serait  longue  à  raconter.  On  y  voit  plus  que  des 
profanations  de  choses  saintes  et  des  contraintes  de  personnes, 
on  y  voit  du  sang. 

Et  de  nos  jours,  que  ne  voyons-nous  pas  tenter  contre  la 
liberté  du  ministère  sacerdotal!  Cette  liberté,  les  ennemis  de 
Dieu  osent  se  promettre  de  l'étouffer,  mais  on  n'étouffe  pas 
plus  les  libertés  de  Dieu  qu'on  n'étouffe  les  eaux  qui  descendent 
par  de  mystérieuses  artères  des  montagnes  aux  vallées.  Bouchez 
une  source,  vous  l'entendrez  sourdre  et  la  verrez  jaillir  à  quel- 
ques pas  de  là  plus  abondante  et  plus  vive.  Ainsi  en  sera-t-il  de 
la  liberté  sacerdotale.  Que  si  pourtant  on  pouvait,  en  entassant 
les  obstacles,  l'empêcher  de  répandre  sur  nos  contrées,  aujour- 
d'hui chrétiennes,  les  deux  grands  bienfaits  de  Dieu,  la  vérité 
et  la  grâce,  comme  l'eau  des  sources  elle  se  ferait  un  chemin 
vers  d'autres  pays,  dont  elle  irait  féconder  les  terres  arides, 
laissant  les  générations  ingrates,  qui  auraient  détourné  son 
cours,  s'éteindre  misérablement  dans  le  ténébreux  désert  de 
l'erreur  et  de  la  corruption.  Que  Dieu  nous  préserve  d'un  pareil 
malheur  ! 

III 

Enfin  le  prêtre  a  le  droit  de  vivre  de  son  service  public. 
Ce  droit  était  écrit  dans  la  nature  avant  d'être  écrit  dans 
aucune  loi  divine  et  humaine. 

C'est  d'après  cette  loi  de  nature,  que  Dieu  règle,  chez  son 


CONFÉRENCES   DE   NOTRE-DAME  91 

peuple,  la  conditiou  de  tout  le  corps  sacerdotal.  Lévi  appartient 
au  Seigneur  et  le  Seigneur  est  sou  partage  :  c'est  pourquoi  on 
ne  lui  donne  point  de  part  dans  les  terres  et  les  biens  distribués 
à  ses  frères  des  autres  tribus  ;  mais  tous  lui  doivent  une  rede- 
vance qui  est  l'hommage  rendu  au  Seigneur,  de  cet  hommage 
toute  la  tribu  sacerdotale  se  nourrit,  et  avec  elle  l'étranger,  la 
veuve  et  l'orphelin. 

Il  s'agissait  d'un  impôt  rigoureux  que  la  loi  nouvelle  n'a  pas 
confirmé.  En  instituant  son  sacerdoce  d'amour,  non  seulement 
le  Christ  ne  lui  a  rien  donné,  mais  il  l'a  dépouillé  do  tout.  Le 
condamne-t-il  parla  à  une  misère  basse  et  honteuse?  Non,  mais 
il  leur  apprend  le  détachement  du  cœur,  le  mépris  des  biens 
que  les  hommes  se  transmettent,  parce  qu'ils  les  considèrent 
comme  une  partie  d'eux-mêmes  ;  mais  il  leur  assure,  en  même 
temps,  un  patrimoine  qui,  pour  n'être  pas  de  même  nature  que 
jCelui  dont  le  possesseur  peut  dire  :  c'est  à  moi,  doit  cependant 
les  récompenser  avec  honneur  de  leurs  travaux,  car  il  dit  : 
«  Dignus  est  operarius  mercede  sua.  »  Cette  récompense,  il  ne 
la  détermine  pas,  il  compte  sur  la  conscience  et  la  générosité 
des  générations  nouvelles  auxquelles  il  va  donner  un  cœur 
filial,  à  la  place  du  cœur  servile  qui  battait  dans  la  poitrine 
de  l'ancien  peuple  de  Dieu.  Lui-même,  avec  ses  premiers 
prêtres,  il  vit  de  l'assistance  de  ceux  qui  bénéficient  de  son 
ministère,  afârinant  ainsi  le  droit  de  tous  les  prêtres  qui  vien- 
dront après  lui. 

Le  prêtre  doit  vivre  de  l'Évangile,  et  en  doit  vivre  avec 
honneur.  Il  ne  faut  pas  que  la  pauvreté  du  prêfre  soit  une 
charge  perpétuelle  qui  pèse  sur  les  fidèles;  que  les  caprices  ou 
la  lassitude  du  peuple  chrétien  l'obligent  à  une  laborieuse  et 
humiliante  mendicité  ;  que  le  côté  humain  de  sa  vie  soit  enchaîné 
par  des  nécessités  matérielles  qui  absorbent  son  temps,  ses 
sollicitudes  et  ses  forces  au  détriment  de  son  caractère,  et 
créent  des  servitudes  nuisibles  à  la  parfaite  liberté  dont  il  doit 
jouir  pour  l'accomplissement  de  sa  mission  et  l'exercice  de  son 
pouvoir;  que  la  question  du  vivre,  du  vêtement  et  du  logement 
se  pose  quotidiennement  pour  lui,  quand  le  devoir  l'appelle  à 
la  prière,  au  sacrifice,  à  la  prédication,  à  l'enseignement,  à 
l'administration  des  sacrements,  auprès  des  pauvres,  des 
affligés,  des  malades,  des  mourants  et  des  morts;  qu'on 
puisse  mettre  la  grandeur  et  la  sublimité  de  ses  fonctions 
divines  en  regard  d'une  profession  vulgaire;  qu'un  métier  ou 


92  ANNALES    CATHOLIQUES 

un  négoce  quelconque  l'exposent  à  des  désirs,  à  des  avidités,  à 
des  calculs,  à  des  démarches,  à  des  agissements  qui  nuiraient 
infailliblement  à  sa  considération.  Et,  d'autre  part,  il  est  raison- 
nable, il  est  juste,  il  est  nécessaire  qu'il  puisse  faire  honneur 
aux  obligations  multiples  que  lui  crée  son  ministère  d'amour. 

Ces  impérieuses  nécessités  et  ces  hautes  convenances  ont  été 
comprises  par  le  peuple  chrétien.  Dés  l'origine  de  l'Église, 
nous  voyons  les  fidèles  donner  l'hospitalité  aux  apôtres,  leur 
apporter  le  prix  des  biens  dont  ils  se  dépouillent  volontai 
rement,  prévenir  leurs  besoins,  venir  en  aide  à  toutes  leurs 
bonnes  œuvres,  leur  envoyer  de  loin  leurs  offrandes  destinées 
au  soulagement  des  Eglises  nouvellement  fondées.  Sous  le 
règne  sanglant  des  empereurs  païens,  les  patriciens  convertis 
cèdent  aux  prêtres  leurs  maisons  et  leurs  biens.  Enfin,  le  droit 
sacerdotal  s'affirmant  davantage,  à  mesure  que  la  société 
chrétienne  grandit  et  réclame  plus  de  sollicitudes  et  de  soins, 
des  libéralités  intelligentes  et  dévouées  conspirent  à  créer  des 
hénéfîces  qui  assurent  définitivement  au  prêtre  une  vie  hono- 
rable et  indépeadante,  lui  permettant  de  ne  pas  se  distraire  de 
ses  saintes  fonctions  et  de  satisfaire  largement  à  ses  obligations 
de  charité". 

Mais  les  siècles  de  désintéressement  et  de  foi  avaient  compté 
sans  le  brigandage  des  révolutions.  Dieu  l'a  permis,  pour  châtier 
sans  dou  te  les  abus  d'une  prospérité  temporelle  qui,  détournée 
de  son  emploi  légitime,  conspirait  contre  le  désintéressement 
évangélique,  et  devenait  une  scandaleuse  servitude  au  lieu  d'être 
une  source  de  noble  indépendance. 

C'est  en  vain  que  l'Eglise  protestait  contre  ces  abus,  la  pente 
était  prise  et  Dieu  seul  pouvait,  par  un  coup  de  maître,  remédier 
au  mal  qui  menaçait  de  corrompre  avec  le  sacerdoce  les  biens 
mêmes  dont  la  libéralité  des  fidèles  l'avait  doté.  Il  trouva  bon 
de  supprimer  la  cause  de  ce  mal  en  lâchant  les  voleurs. 

Rois,  princes  ou  peuples,  ils  ont  fait  aujourd'hui  leur  œuvre 
en  divers  pays  ;  le  nôtre  n'a  pas  été  épargné.  Nous  n'approfon- 
dirons pas  ce  mystère  de  justice  divine  et  d'iniquité  humaine. 
Il  a  pu  modifier  la  condition  temporelle  du  clergé,  mais  il  n'a 
pas  entamé  son  droit,  et  l'Église,  tout  en  faisant,  pour  le  bien 
de  la  paix,  des  concessions  aux  ravisseurs  de  ses  propriétés, 
n'entend  point  sacrifier  le  principe  qui  assure  à  ses  prêtres  la 
rémunération  de  leur  service  public. 

Si  cependant,  les  misérables  prétextes  qu'on  invoque  pour  sd 


NÉCROLOGIE  93 

débarrasser  de  cette  charge  publique  venaient  à  triompher  de 
la  conscience  des  législateurs,  qu'arriverait-il?  Le  droit  ne 
serait  point  changé,  mais  tout  simplement  le  sacerdoce  revien- 
drait à  son  point  de  départ,  l'Église  renouvellerait  avec  plus 
d'instance  les  exhortations  qu'elle  adressait  au  peuple  chrétien 
à  l'époque  où  le  protestantisme  commençait  à  la  voler,  et  le 
peuple  chrétien  ferait  pour  le  prêtre  ce  qu'il  a  fait  pour  les 
œuvres  catholiques,  depuis  que  l'Eglise  ne  peut  plus  les  soutenir 
comme  aux  jours  de  sa  prospérité.  Et  cela,  jusqu'à  ce  que  le 
bon  sens  public,  triomphant  des  haines,  des  sophismes,  des 
attentats  de  l'impiété  révolutionnaire,  s'indigne  de  voir  les 
fonctionnaires  de  Dieu  condamnés  aux  soucis  et  aux  aventures 
de  la  mendicité,  et  reconnaisse  solennellement  leur  droit,  sous 
quelque  forme  nouvelle  en  rapport  avec  la  condition  et  les 
besoins  des  sociétés  modernes. 

Ajons  confiance.  Dieu  n'abandonnera  pas  son  prêtre. 


NECROLOGIE 


Les  funérailles  de  M°"  la  comtesse  de  Chambord  ont  été  célé- 
brées, le  3  avril,  à  Goritz,  avec  une  grande  pompe.  La  ville 
tout  entière  a  tenu  à  manifester  son  deuil.  Les  troupes  formaient 
la  haie  depuis  la  villa  Lantieri  jusqu'à  la  cathédrale. 

Selon  le  cérémonial  arrêté,  les  députations,  communautés  et 
corporations  ont  constitué  le  cortège.  Le  corbillard,  traîné  par 
six  chevaux,  portait  les  armes  de  France  et  d'Esté.  Les  cou- 
ronnes envoyées  de  France,  d'Autriche  et  d'Italie  étaient  véri- 
tablement admirables.  Immédiatement  après  le  char  marchait  le 
représentant  de  l'Empereur,  l'archiduc  François  d'Autriche- 
Este. 

Il  conduisait  le  deuil.  Venaient  ensuite  Mgr  le  duc  de  Madrid, 
Mgr  le  duc  de  Parme,  un  prince  de  la  maison  de  Bavière  repré- 
sentant le  Roi,  le  duc  délia  Grazia  représentant  le  roi  de  Naples. 
Plus  de  cent  Français  marchaient  après  les  princes.  Avant  la 
cérémonie,  ils  étaient  allés  chercher  au  monastère  de  Castagna- 
vizza  l'étendard  blanc  d'Henri  V.  Une  affluence  considérable  se 
pressait  dans  la  cathédrale,  dont  la  décoration  funèbre  était 
admirable. 

A  l'occasion  de  ces  funérailles,  des  messes  ont  été  dites  dans 


94  AN>,'Ar:KS     CATHOLlQtJKS 

toutes  les  églises  de  Paris  et  dans  beaucoup  de  sanctuaires  en 
province.  Le  chef  de  la  Maison  de  France  a  fait  célébrer  un 
service  à  Saint-François-Xaxier,  et  les  notabilités  raonarchiquas 
ont  répondu  à  son  appel,  se  montrant  ainsi  unis  dans  le  deuil 
comme  ils  le  sont  dans  leurs  patriotiques  espérances. 

L'église  Saint-François-Xavier  ,àPari?était  ornée  de  tentures 
noires  sur  lesquelles  se  détachaient  les  armes  de  la  Maison  de 
et  de  la  maison  d'Esté.  Autour  du  catafalque  avaient  pris  place 
France  à  droite  :  LL.  AA.  RR.  le  duc  de  Chartres,  1^  comte  de 
Caserte,  le  duc  de  Nemours,  le  duc  d'Alençon.  le  prince  Henri 
d'Orléans,  le  duc  de  Penthiévre,  le  prince  Czartoryski. 

A  gauche  :  LL.  AA.  RR.  la  duchesse  de  Chartres,  la  prin- 
cesse Blanche  d'Orléans,  la  princesse  Marguerite,  la  princesse 
Czartoryska.  A  leur  suite,  on  remarquait  M™"  la  comtesse  de 
Vanssay  et  la  comtesse  Adhéaume  de  Chevigné,  M"*'  la  vicom- 
tesse de  Butler,  du  Parquet,  de  Chazelles. 

Voici  quelques  détails  sur  le  testament  de  la  comtesse  de 
Chambord,  détails  absolument  authentiques  et  venant  de  source 
officielle. 

La  fortune  personnelle  de  la  comtesse  consiste  en  Frohsdorf, 
nom  collectif  qui  comprend  plusieurs  terres,  et  de  nombreuses 
valeurs  d'argent  déposées  chez  MM.  de  Rothschild;  on  n'en 
connaît  pas  encore  le  total,  mais  certainement  tout  cela  ne 
monte  pas  à  six  millions  de  francs. 

On  dit  que  cette  fortune  se  partagera  en  parts  à  peu  près 
égales  entre  don  Alphonse  et  le  fils  aîné  de  don  Carlos,  Il  y  a, 
en  outre,  une  série  de  legs  pour  la  commune  de  Frohsdorf,  les 
domestiques,  les  employés,  etc. 

La  fortune  du  comte  de  Chambord,  dont  la  comtesse  avait 
l'usufruit,  passe  maintenant,  on  le  sait,  à  ses  neveux  le  duc  de 
Parme  et  le  comte  de  Bardi.  La  liquidation  durera  longtemps, 
parce  qu'il  faut  régler  certaines  questions  relatives  au  droit 
d'exterritorialité,  qui  a  été  accordé  dans  le  temps  par  l'Empe- 
reur au  comte  de  Chambord,  et  à  lui  seul  parmi  tous  les  princes 
existants.  Ce  droit  dispense  les  héritiers  des  taxes  et  des  impôts 
qui  seraient  énormes.  C'est  pourquoi  le  grand  maréchalat  de  la 
Cour  dirigera  lui-même  la  liquidation  de  cette  fortune. 

U  Union  franc-comtoise  de  Besançon,  nous  annonce  dans  les 
termes  suivants  une  douloureuse  nouvelle  : 
Nous  apprenons  avec  regret  la  mort  de  l'un  de  nos  compatriotes  les 


NÉCROLOGIE  95 

plus  érainents.  S.  G.  Mgr  Guillcmin,  évoque  titulaire  de  Cybistra, 
vicaire  apostolique  de  Caatou,  a  rendu  sou  âme  à  Dieu  hier  soir,  daus 
notre  ville,  où  il  était  venu  passer  quelques  jours.  Depuis  plusieurs 
années,  le  prélat  s'était  retiré  dans  sa  famille  à  Vuillafans.  Avant 
d'entrer  au  séminaire  des  Missions-Étrangères,  il  avait  été  successi- 
vement vicaire  à  Saint-Jean  et  secrétaire  de  l'archevêché. 

Les  obsèques  de  Mgr  Guillemiii  auront  lieu  demain,  mercredi,  à  dix 
heures  du  matin,  en  la  basilique  métropolitaine  de  Saint-Jean. 

Mgr  Philippe-François-Zéphirin  Guillemin  était  né  à  Vuil- 
lafans le  16  mars  1814,  Il  avait  été  élevé  à  l'épiscopat  le 
5  août  1875. 

Mgr  VON  DER  Marwitz,  évêque  de  Culm,  vient  de  mourir 
presque  subitement,  après  deux  jours  de  maladie,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-onze  ans. 

Né  le  20  avril  1795,  ordonné  prêtre  en  1830,  il  avait  été  sacré 
évêque  en  1857.  Mgr  de  îa  Marwitz  fut  un  des  rares  évêques 
de  Prusse  que  le  Kulberkampf  n'obligea  pas  à  s'expatrier  ;  mais  il 
fut  sur  le  point,  pour  transgre.ssion  des  lois  de  mai,  d'être 
incarcéré;  ce  qui  paraît  avoir  détourné  de  sa  tête  les  efifets  de 
la.  justice  du  Kulturkarapf,  c'est  que  le  prélat  avait  été  dans  sa 
jeunesse  officier  de  l'armée  et  ami  personnel  de  l'empereur,  et 
qu'en  outre  son  grand  âge  faisait  craindre  un  dénouement  fatal; 
cette  perspective  de  nature  à  émouvoir  éventuellement  l'opinion 
publique,  désarma  sans  doute  le  bras  de  M.  Bismarck. 

Sa  longue  carrière  épiscopale  fut  tout  entière  consacrée 
à  l'extension  du  royaume  de  Dieu.  Lors  de  l'insurrection  polo- 
naise de  1863  et  de  1864,  l'évêque  de  Culm  s'employa  de  son 
mieux  à  ramener  l'ordre  et  la  paix;  il  y  réussit  si  bien  que  le 
gouvernement  prussien  ne  put  s'empêcher  de  rendre  hommage 
à  son  zèle.  Dans  un  manifeste  du  roi  de  Prusse,  en  1864,  celui-ci 
remerciait  l'évêque  de  Culm  d'avoir  su  maintenir  ses  ouailles 
dans  le  respect  et  la  soumission  à  l'autorité,  et  la  même  année, 
Mgr  de  la  Marwitz  reçut  la  décoration  de  l'Aigle-Rouge  de 
première  classe  en  reconnaissance  de  son  patriotisme.  De  même, 
vingt  ans  plus  tard,  à  l'occasion  de  son  jubilé  épiscopal,  l'évêque 
de  Cuira  fut  honoré  d'une  lettre  autographe  de  l'empereur,  qui 
la  lui  fit  porter  par  un  courrier  spécial,  et  en  même  temps  d'un 
télégramme  de  félicitations  de  l'impératrice.  Le  président  supé- 
rieur de  la  province  alla  trouver  le  prélat,  au  nom  du  gouver- 
nement, et  lui  offrit  ses  congratulations.  Le  vénérable  évêque 
eut  également  la  consolation  d'être  félicité  par  S.  S.  Léon  XIII, 
par  son  clergé  et  ses  diocésains. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


NOUVELLES   RELIGIEUSES 

I\ome  et  PItalie. 

On  assure  que  le  consistoire  pour  la  création  des  nouveaux 
cardinaux  et  la  préconisation  des  évêques  aura  lieu  au  mois  de 
mai,  et  l'on  ajoute  que  ceux  des  nonces  apostoliques  qui  seront 
élevés  au  cardinalat  continueront  pendant  quelque  temps  de 
rester  à  leur  poste,  avec  le  titre  de  pro-nonces,  comme  cela  a 
eu  lieu  en  d'autres  circonstances. 

Le  prince  Napoléon  est  à  Rome  depuis  quelques  jours  et  a 
été  reçu  au  Quirinal.  A  cette  occasion,  les  journaux  italiens 
publient  une  lettre  de  Cavour  au  prince,  dans  laquelle  on  peut 
voir  les  vrais  sentiments  du  ministre  italien  sur  le  pouvoir  tem- 
porel et  Rome  capitale.  Cette  lettre  est  datée  du  16  mars  1861, 
trois  mois  avant  la  mort  de  Cavour.  Elle  félicite  le  prince  de 
son  discours  prononcé  au  Sénat  contre  le  pouvoir  temporel. 
«  Le  discours  de  Votre  Altesse,  dit-elle,  est  pour  le  pouvoir 
temporel  ce  que  Solférino  a  été  pour  la  domination  autrichienne. 
Quoique  bien  près  du  but,  je  sens  que  nous  avons  encore  bien 
des  difficultés  à  vaincre  pour  l'atteindre.  L'aide  de  Votre 
Altessse  ne  nous  fera  pas  défaut.  Après  avoir  fait  une  si  large 
brèche  aux  murailles  de  la  cité  éternelle,  Votre  Altesse  nous 
donnera  un  coup  d'épaule  pour  nous  en  faciliter  l'entrée.  Ce 
sera  un  grand  événement  non  seulement  pour  l'Italie,  mais  pour 
la  France  et  pour  l'univers.  La  destruction  du  pouvoir  temporel 
sera  un  des  faits  les  plus  glorieux  et  les  plus  féconds  dans 
l'histoire  de  l'humanité,  auquel  le  nom  de  Votre  Altesse  demeu- 
rera à  jamais  attaché.  » 

Cette  lettre  met  bienànules  sentiments  de  celui  qui  l'a  écrite 
et  de  celui  qui  l'a  reçue. 

Les  journaux  catholiques  de  Rome  du  2  avril  contiennent  un 
décret  de  la  Sacrée-Congrégation  du  Saint-Office,  en  date  du 
1"  avril,  condamnant  et  proscrivant  le  pamphlet  publié  par 
M.  des  Houx  sous  le  titre  de  Souvenirs  d'un  journaliste  fran- 
çais à  Rome. 

Au  cours  même  de  son  scandaleux  écrit,  M.  des  Houx  pro- 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  97 

teste  à  plusieurs  reprises  de  sa  foi  et  de  son  obéissance  de 
catholique.  Nous  souhaitons  vivement  pour  lui  qu'il  prouve  la 
sincérité  des  sentiments  qu'il  affirme  en  se  soumettant  à  la  con- 
damnation qui  le  frappe  et  en  sortant  de  la  déplorable  voie  où 
il  s'est  encrage. 


Tandis  que  S,  G-.  Mgr  Agliardi,  délégué  apostolique  dans  les 
Indes,  revient  à  Rome  avec  tous  les  honneurs,  le  gouvernement 
italien  voit  avec  honte-  et  ennui  revenir  le  général  Pozzolini, 
qu'il  avait  envoyé  en  mission  près  du  roi  d'Abyssinie.  Mgr  Agli- 
ardi ne  peut  assez  se  louer  des  honneurs  qu'on  lui  a  faits  dans 
sa  délégation,  les  Anglais  surtout  lui  ont  rendu  tous  les  services 
dans  leurs  colonies.  M.  Pozzolini,  au  contraire,  après  avoir  été 
à  la  recherche  du  roi  Jean,  a  dépensé  les  présents  que  le  roi 
Humbert  envoyait  au  roi  d'Abyssinie,  et  n'a  pu,  malgré  toutes 
les  bassesses,  obtenir  la  moindre  concession.  Les  Italiens  sont 
honteux  de  leur  défaite  et  surtout  de  leur  empressement  à  faire 
la  cour  au  Négus,  qui  les  a  si  mal  reçus.  Toujours  les  mêmes 
contrastes.  D'un  côté  la  gloire  et  le  respect,  de  l'autre  les  humi- 
liations et  les  mécomptes  ;  tel  est  le  tableau  que  l'on  peut  voir  à 
Rome  depuis  que  le  Quirinal  est  occupé  par  les  usurpateurs.  Le 
général  italien  revient  d'une  mission  compromettante  oti  l'hon- 
neur du  pays  a  subi  une  rude  atteinte,  tandis  que  le  colonel 
anglais  Smith,  qui  l'avait  accompagné,  reste  et  sera  probable- 
ment reçu  avec  honneurs  par  le  Négus  ! 

La  destruction  de  Rome  est  le  thème  dont  continuent  à  s'oc- 
cuper tous  les  journaux  italiens.  Si  quelques  journaux  officieux 
cherchent  à  défendre  le  gouvernement  et  la  municipalité, 
d'autres,  et  c'est  le  grand  nombre,  font  le  triste  aveu  que  Rome 
se  transforme,  perd  son  cachet  et  n'acquiert  rien  de  beau  et 
d'artistique  avec  les  monuments  nouveaux.  Si  la  municipalité 
proteste^  on  lui  oppose  la  liste  des  chefs-d'œuvre  d'art  détruits 
depuis  1870.  Rome,  a  dit  un  journal  libéral,  est  une  ville  inter- 
Dationale,  elle  appartient  à  l'art  et  aux  artistes  de  même  que  la 
Grèce.  Sous  les  Papes  elle  avait  conservé  son  caractère,  les 
Italiens  le  lui  veulent  enlever  et  en  faire  une  simple  capitale  de 
royaume.  «Vous  n'avez  su  que  détruire,  sans  pouvoir  réédifier 
avec  art>,  s'écrie  un  autre  journal,  et  la.  Riforma  reproche  aux 
Italiens  de  donner  d'eux  une  bien  pauvre  idée.  <  A  Rome,  dit- 


98  ANNALES    CATHOLIQUES 

elle,  l'Italie  ne  sait  même  pas  élever  une  demeure  convenable 
pour  elle  ou  pour  ses  rois.  Le  gouvernement  a'ctuel  manque 
autant  de  justice  que  d'esthétique.  Il  est  ignorant.  Rome  sera 
toujours  une  ruine  vénérable,  elle  ne  sera  jamais  une  capitale 
moderne,  de  même  que  l'Italie  ne  sera  jamais  une  grande 
puissance.  »  D'autres  journaux  libéraux  répètent  que  l'on  n'a 
que  des  ingénieurs  à  la  place  d'architectes.  Vous  n'avez  même 
pas  de  bons  maçons,  dit  un  autre,  et  malheureusement  le  fait  a 
été  prouvé.  Cette  semaine  encore,  quatre  ouvriers  ont  été  ense- 
velis sous  les  décombres  d'une  maison  à  laquelle  ils  travaillaient. 
et  trois  autres  sont  grièvement  blessés.  Rome  est  devenue  un 
vaste  chantier  de  spéculations.  On  démolit  les  palais  et  les 
lias  pour  y  placer  des  pâtés  de  maisons  bâties  à  la  hâte.  Les 
ouvriers  se  sont  émus  eux-mêmes  ;  ils  ont  accompagné  au 
nombre  de  plus  de  dix  mille  les  cadavres  de  leurs  frères  morts 
victimes  de  l'incurie  et  de  la  spéculation.  En  voyant  ces 
hommes  traverser  les  rues  de  Rome,  tous  agités  par  le  même 
sentiment  d'indignation,  on  pouvait  à  un  certain  moment 
craindre  un  soulèvement,  surtout  lorsque  le  cortège  s'est  arrêté 
et  que  des  ouvriers  ont  parlé,  protestant  contre  la  municipalité 
qui  laisse  faire  les  spéculateurs  au  détriment  de  la  vie  des 
pauvres.  «A  ceux  qui  nous  tuent  on  donne  la  croix  de  comman- 
deur, à  nous,  on  nous  accorde  la  croix  du  cimetière.  »  Une  réu- 
nion anarchiste  devait  avoir  lieu  le  lendenaain  sur  une  place  de 
Rome  ;  on  a  pu  heureusement  l'empêcher.  La  destruction  de 
Rome  porte  ses  fruits.  Les  maisons  nouvelles  s'écroulent,  le 
peuple  s'indigne,  les  gens  cultivés  et  les  artistes  déplorent  le 
vandalisme,  et  dans  les  pays  étrangers,  on  voit  ce  dont  l'Italie 
est  capable  à  Rome.  «  L'Italie  n'a  pas  compris  Rome,  et  nous 
devons  être  honteux  de  ce  qu'elle  en  a  fait  »,  dit  la  Riforma. 
«Malgré  les  réclamations,  on  continuera  la  destruction,  on 
ruinera  la  Rome  ancienne  en  la  remplaçant  par  une  Rome  qui 
sera  une  honte  pour  l'art.  Le  gouvernement  italien  ne  peut 
comprendre  ces  choses,  car  lui-même  est  la  négation  de  toute 
grandeur  et  de  toute  vertu.  »  Lorsque  des  journaux  antireli- 
gieux parlent  ainsi,  n'est-on  pas  en  droit  de  dire  que  l'Italie 
«ent  la  faute  de  sa  venue  à  Rome  ! 


Ce  n'est  pas  seulement  l'esthétique  et  le  goût  des  arts  qui 
manquent  en  Italie .  Nous  sommes  obligés  de  constater  une 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  99 

triste  décadence  morale  dans  toute  la  péninsule.  La  statistique 
sur  les  causes  de  mortalité  nous  fournit  un  tableau  douloureux 
de  l'accroissement  des  suicides  depuis  1870.  Les  chiffres  ont 
leur  éloquence,  et  le  tableau  ci-joint  montre  l'état  lamentable 
de  la  moralité,  depuis  que  le  gouvernement  l'ait  la  guerre  à 
l'Église  et  empêche  son  action  bienfaisante  et  éducatrice  sur  la 
jeunesse  et  sur  le  peuple. 

Années  Suicides 

1871  836 

1872  890 

1873  975 

1874  1015 

1875  1022 

1876  1024 

1877  1139 

1878  1158 

1879  1225 

1880  1261 

1881  1343 

1882  1389 

1883  1456 

1884  1970 

Les  données  déjà  recueillies  pour  Tannée  1885  permettent  d'af- 
firmer que  cette  triste  progression  s'est  notablement  accentuée. 

F'rance. 

Un  pétionnement  général  va  être  organisé,  sous  les  auspices 
et  par  les  soins  du  Comité  de  défense  religieuse,  contre  les  lois 
déjà  votées  et  celles  dont  nous  sommes  menacés  en  matière 
d'enseignement  primaire.  Nous  sommes  heureux  de  porter  cette 
nouvelle  à  la  connaissance  des  catholiques. 

A  tous  les  motifs  déjà  invoqués,  d'autres  encore  se  sont 
ajoutés  depuis  la  publication  de  la  lettre  de  S.  Em.  le  cardinal 
Guibert  à  M.  Grévy.  Cette  lettre  ne  contenait  pas  seulement,  à 
l'adresse  des  républicains,  des  conseils  et  des  remontrances 
dont  il  ne  sera  pas  tenu  compte  ;  elle  renferme  indirectement, 
à  l'usage  des  catholiques,  des  avis  dont  nous  devons  faire  notre 
proût. 


Sommes 

Femmes 

684 

152 

704 

186 

788 

187 

767 

253 

847 

275 

854 

170 

915 

224 

920 

238 

1001 

224 

1005 

256 

1068 

275 

1147 

242 

1167 

289 

1715 

255 

100  ANNALES   CATHOLIQUES 

La  formule  de  pétition  que  le  Comité  de  défense  religieuse 
propose  à  la  signature  des  catholiques  est  ainsi  conçue  : 

Messieurs  les  sénateurs, 
Messieurs  les  députés, 

La  nouvelle  loi  sur  l'enseignement  primaire  chasse  à  bref  délai 
de  l'école  non  seulement  les  Frères  et  les  Sœurs,  à  qui  on  ne  peut 
reprocher  que  leur  dévouement  à  nos  enfants  et  les  soins  prodi- 
gués à  nos  pauvres  et  à  nos  malades,  mais  encore  tout  maître 
chrétien  qui  ne  consent  pas  à  étouffer  la  voix  de  la  conscience. 

Avec  un  gouvernement  qui  attaque  les  dogmes  fondamentaux 
de  la  religion  et  qui  traite  de  superstition  des  manifestations 
chères  à  la  piété  catholique,  l'enseignement  imposé  par  l'État 
devient  pour  nous  une  odieuse  tyrannie. 

On  nous  oblige  ainsi  à  payer  deux  fois  :  d'un  côté,  sur  nos  con- 
tributions, un  enseignement  public  antireligieux  ;  de  l'autre  côté, 
sur  nos  sacrifices  volontaires,  un  enseignement  libre  conforme  à 
notre  foi.  Mais  celui-ci  est  entouré  de  tant  d'entraves  que  sa 
liberté  devient  illusoire. 

Le  but  de  toutes  ces  mesures,  c'est  la  confiscation  de  l'àme  de 
nos  enfants. 

Nous  ne  saurions  nous  y  soumettre  et  nous  demandons  : 

Que  la  religion  reprenne  sa  place  dans  l'école  ; 

Que  les  instituteurs  soient  vraiment  les  représentants  des  pères 
de  famille  ; 

Que  les  conseils  municipaux  puissent  opter  entre  les  laïques  et 
les  congréganistes  ; 

Que  l'Etat  subventionne  toutes  les  écoles  publiques  ou  libres, 
proportionnellement  au  nombre  de  leurs  élèves; 

Enfin  qu'il  continue  à  dispenser  du  service  militaire  tous  les 
instituteurs  qui  jouissent  de  cette  immunité. 

La  justice  et  l'égalité  l'exigent,  et  sans  la  liberté  d'élever  nos 
enfants  dans  notre  foi,  il  n'y  aurait  plus  pour  nous  de  patrie. 

Aussi  nous  vous  prions  d'abroger  ou  de  rejeter  les  lois  qui 
nous  dépouillent  des  plus  sacrés  et  des  plus  chers  de  nos  droits. 

Reims.  —  Le  comité  républicain  de  Charleville  vient 
d'adresser  à  M.  Laurent,  maire  de  cette  ville,  une  lettre  pour 
lui  demander  d'interdire  les  processions.  Le  Courrier  des 
Ardennes  publie  la  léponse  du  maire,  qui  refuse  cette 
interdiction.  Nous  extrayons  de  sa  lettre  le  passage  suivant  ; 

Par  votre  lettre  du  27  mars  dernier,  vous  me  demandez  la  sup- 
pression des  processions,  vous  appuyant  des  atteintes  qu'elles 
portent  à  la  liberté  de  conscience  et  aussi  de  l'existence  à 
Charleville  d'un  temple  protestant. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  101 

Or,  M.  le  pasteui'  protestant  a,  dans  une  lettre  rendue  publique 
l'an  dernier,  déclaré  que  «  jamais  les  protestants  de  Charleville 
tt  n'useront  du  droit  de  demander  la  suppression  des  processions, 
«  parce  qu'ils  aiment  et  respectent  par-dessus  tout  la  liberté  de 
<c  conscience  ». 

Vous  le  voyez,  Messieurs,  les  protestants  que  vous  mettez  en 
cause  comprennent  la  liberté  de  conscience  dans  un  sens  diamé- 
tralement opposé  au  vôtre. 

Ils  veulent  la  liberté  pour  tous  et  non  pas  seulement  pour 
quelques-uns. 

Étranger. 

Allemagne.  —  La  pacification  religieuse  en  Allemagne  vient 
de  faire  un  pas  décisif.  Les  longues  négociations  entre  Léon  XIII 
et  M.  de  Bismarck  ont  enfin  abouti  à  un  résultat  considérable, 
le  chancelier  venant  de  faire,  au  dernier  moment,  des  conces- 
sions importantes. 

Le  projet  de  loi,  tel  qu'il  sortait  des  délibérations  de  la 
Commission,  réalisait  déjà  un  progrès  notable.  Malheureu- 
sement, il  contenait  quelques  points  inacceptables  pour  l'Eglise 
et  les  catholiques,  notamment  le  droit  de  veto  de  l'État  à  la 
nomination  des  professeurs  de  séminaires,  l'appel  comme  d'abus 
au  gouvernement  des  décisions  disciplinaires  des  évêqueS;, 
lorsqu'elles  impliqueraient  l'éloignement  d'un  ecclésiastique  de 
son  poste  ou  d'une  diminution  de  son  traitement,  le  droit  pour 
l'Etat,  en  certains  cas,  d'éloigner  un  ecclésiastique  de  sa  charge. 

La  Congrégation  des  Cardinaux,  à  laquelle,  la  semaine  der- 
nière, fut  soumis  ce  projet  de  loi,  jugea  qu'en  ces  conditions, 
malgré  les  améliorations  incontestables  qu'il  contenait  d'ailleurs, 
il  était  contraire  aux  principes  de  l'Eglise.  En  conséquence,  la 
Secrétairie  d'Etat  envoya  des  instructions  aux  évêques  expri- 
mant la  pensée  que  les  catholiques  ne  pouvaient  pas  le  voter. 

Cependant  les  pourparlers  diplomatiques  continuèrent  et  ils 
viennent  d'aboutir  au  consentement  du  gouvernement  à  laisser 
tomber  ces  trois  points.  Le  vote  de  la  loi  est  donc  assuré.  Le 
Saint-Siège  a  répété  que,  comme  en  1879,  il  était  toujours 
disposé  à  accorder  dans  une  certaine  mesure  V Anzeigej^flicht, 
c'est-à-dire  l'assujetissement  des  nominations  de  curés  à  l'agré- 
ment gouvermental.  Mais  le  règlement  de  cette  question  fera 
l'objet  de  négociations  ultérieures.  Le  gouvernement,  de  son 
côté,  accordera  de  nous^eau  aux  jeunes  ecclésiastiques  le  béné- 
fice de  l'exemption  militaire.  En  attendant,  l'on  peut  dire,  en 
somme,  que  c'est  la  fin  du  A'^<^f^(r/f«mj5/' prussien. 


102  ANNALES    CATHOLIQUES 


LES  CHAMBRES 

Samedi  3  avril.  —  Chambre  des  députés.  —  M.  Wilson  lit 
son  rapport  sur  le  projet  d'emprunt  de  900  millions. 

Il  demande  à  la  Chambre  de  voter  le  projet  présenté  sur  la  demande 
de  M.  Sadi-Carnot. 

La  discussion  est  fixée  à  lundi. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  sur  les  élections  des  Landes. 

M.  DE  Lamarzelle  attaque  vivement  les  élections,  qui,  dit-il,  sont 
entachées  de  la  pression  officielle  la  plus  effrénée.  L'orateur  dit  que 
les  élections  ne  sont  pas  sincères  puisqu'elles  ont  été  faites  sur 
l'affirmatioû  du  gouvernement  de  ne  pas  recourir  â  l'emprunt  et  de 
ne  pas  établir  d'impôts  nouveaux. 

M.  de  Lamarzelle  lit  ensuite  de  nombreux  articles  de  journaux 
promettant  tout  â  ceux  qui  voteront  pour  les  républicains.  L'orateur 
conclut  à  l'invalidation  de  l'élection  républicaine  dans  les  Laudes. 

M.  Julien,  rapporteur,  conteste  tous  les  faits  apportés  à  la  tribune 
par  M.  de  Lamarzelle,  et  déclare  que  tout  est  bien  régulier  dans  ces 
élections. 

Après  une  réplique  de  M.  de  Lamarzelle,  les  élections  sont 
validées  par  367  voix  contre  173. 

Cela  ne  faisait  pas  doute  ;  il  s'agissait  de  valider  des  républicains. 

Hiundi  t»  avril.  —  Sénat.  —  AL  le  Président  annonce  la  mort 
de  M.  Le  Provost  de  Launay,  sénateur  des  Côtes-du-Nord  et  fait  son 
éloge  funèbre. 

Le  Sénat  décide  le  renvoi  à  un  mois  de  l'interpellation  de  M.  de 
Gavardie  sur  la  désorganisation  de  la  police  en  France. 

Lordre  du  jour  appelle  la  reprise  de  la  2«  délibération  sur  le  projet 
relatif  à  la  caisse  nationale  des  retraites  pour  la  vieillesse. 

M.  BozÉRiAN  dépose  un  projet  réprimant  les  provocations  ou  exci- 
tations publiques  par  voie  de  parole  ou  de  presse,  tendant  à  entraver 
le  travail. 

Le  Sénat  statuera  ultérieurement  sur  ce  projet. 

Chambre  des  députés.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  du 
projet  d'emprunt. 

M.  Amagat  critique  les  déclarations  optimistes  de  l'ancienne  Com- 
mission du  budget  et  fait  ressortir  les  contradictions  qui  existent 
entre  les  actes  et  les  promesses  du  gouvernement.  Le  gouvernement 
demande  un  emprunt  pour  payer  les  dettes  échues  ou  à  échoir,  mais 
quand  il  aura  fait  cela,  il  n'aura  rien  fait.  La  Dette  flottante  remon- 
tera, après  la  consolidation,  au  même  point  où  elle  est  maintenant, 
«t  on  puisera  dans  les  Caisses  d'Épargne  comme  auparavant.  Le 


LES    CHAMBRES  103 

projet  du  i:  ouverneraeat  est  uu  simple  moyen  de  vivre,  un  expédient 
peu  digne  du  gouvernement. 

M.  Amagat  estime  le  déficit  total  à  deux  milliards  et  demi,  et 
déclare  que  l'emprunt  actuel  est  le  simple  prélude  d'emprunts 
successifs. 

L'orateur  conclut  en  déclarant  qu'il  votera  l'emprunt,  mais  à  con- 
dition que  le  gouvernement  promettra  des  économies. 

M,  Daynaud  proteste  contre  l'exclusion  arbitraire  dont  la  minorité 
est  l'objet.  Cette  exclusion,  que  l'on  comprendrait  à  la  rigueur  pour 
un  projet  politique,  devient  inique  quand  il  s'agit  de  la  fortune 
publique.  C'est  l'oppression  du  droit  par  la  force. 

M.  Daynaud  continue  en  faisant  le  procès  aux  finances  républi- 
caines, dont  le  déficit  ne  fait  qu'empirer. 

L'orateur  déclare  qu'il  ne  votera  pas  l'emprunt,  qui  est  fait  unique- 
quement  pour  payer  les  dettes  les  plus  criardes  et  permettre  au 
gouvernement  de  recommancer  après.  Il  ne  votera  pas  l'emprunt 
parce  qu'il  n'a  pas  confiance  en  la  République. 

L'orateur,  descendant  de  la  tribune,  est  vivement  félicité. 

M.  WiLSON  monte  à  la  tribune  pour  soutenir  les  conclusions  de 
son  rapport.  Il  nie  avec  énergie  que  le  déficit  se  présente  sous  les 
couleurs  avec  lesquelles  l'a  dépeint  le  précédent  orateur.  L'emprunt 
sera  bien  suffisant  pour  le  combler. 

M.  Wilson  reprend  ensuite  un  à  un  tous  les  considérants  de  son 
rapport  et  s'applique  à  les  justifier. 

Mardi  &  avril.  —  Sénat.  —  Après  avoir  voté  quelques  lois 
d'intérêt  local,  le  Sénat  aborde  un  projet  concernant  l'ouverture 
de  crédits  spéciaux  d'exercices  périmés  et  clos,  d'autres  crédits 
afférents  aux  budgets  annexés  rattachés  pour  ordre  au  budget 
général  de  l'Etat. 

M.  Blavier  présente  quelques  observations  auxquelles  répond 
M.  Casimir-Périer,  et  le  projet  est  adopté. 

Puis  on  a  voté  lo  reste  de  la  loi  sur  la  caisse  nationale  des  retraites 
pour  la  vieillesse. 

On  vote  le  projet  relatif  à  l'usurpation  des  médailles  et  récompense 
industrielles. 

Vient  alors  une  proposition  qui  modifie  les  articles  du  code  d'ins- 
truction criminelle  et  du  code  pénal  sur  les  circonstances  atténuantes. 

Cette  proposition  est,  sur  la  demande  de  M.  Grandperret,  ren- 
voyée à  la  Cour  de  cassation. 

Pour  finir,  un  incident.  La  censure  est  prononcée  contre  M.  de 
Gavardie,  au  cours  d'une  discussion  d'intérêt  local. 

Chambre  des  députés.  —  La  Chambre  continue  la  discussion  de 
l'emprunt. 

M.  Lalande  combat  le  projet  au  point  de  vue  des  moyens.  L'Ktat 


104  ANNALES    CATHOLIQUES 

va  exciter  à  la  dépense  et  augmenter  la  dette  exigible.  Il  conviendrait 
de  réduire  l'emprunt  à  500  millions. 

M.  Keller  constate  que  l'emprunt  est  en  contradiction  avec  ce 
que  le  Gouvernement  avait  déclaré  au  pays.  C'est,  en  effet,  tromper 
le  pays  que  de  lui  dire  qu'on  va  supprimer  l'exigibilité  de  la  dette 
flottante,  qu'il  s'agit  do  payer  les  dettes  des  régimes  antérieurs  et 
que  le  budget  est  dans  une  bonne  situation. 

La  dette  flottante  ne  sera  pas  moins  exigible  après  qu'avant  l'em- 
prunt. Le  jour  où  une  crise  se  produirait,  les  caisses  d'épargne  ne 
pourraient  vendre  leurs  rentes  pour  rembourser  les  déposants. 

Il  n'est  pas  plus  exact  de  prétendre  qu'à  l'avenir  il  n'y  aura  plus 
de  nouvelle  dette  flottante.  Quand  on  en  consolide  une  partie,  on  ne 
fait  que  la  mettre  en  mesure  de  recourir  à  de  nouvelles  ressources. 
Les  nouvelles  ressources  qii'on  propose  de  créer  ont  surtout  pour 
objet  de  pourvoir  aux  nécessités  du  moment  et  à  celles  de  l'avenir. 
C'est  le  principal  motif  pour  lequel  M.  Keller  ne  votera  pas  l'emprunt. 
Si  on  veut  examiner  l'avenir,  on  sera  amené  à  conclure  que  le  déficit 
du  budget  de  1886  sera  considérable.  Et  le  budget  de  1887  ne  permet 
pas  des  prévisions  meilleures. 

La  situation  nous  inspire  de  sérieuses  réflexions.  Quand  l'Alle- 
magne est  en  pleine  prospérité,  nous  voyons  chez  nous  la  fortune 
publique  sensiblement  atteinte. 

M.  Jules  Roche  prétend  que  la  minorité  n'a  pas  le  droit  de  se 
plaindre  d'avoir  été  exclue  de  la  commission  du  budget. 

Il  affirme  ensuite  que  la  plus  grosse  partie  de  l'augmentation  du 
budget  est  afi'érente  au  service  de  la  dette. 

M.  Jules  Roche  entre  dans  de  longues  considérations  sur  les 
travaux  publics  qui  ont,  dit-il,  été  exécutés  à  l'honneur  du  gouver- 
nement de  la  République. 

Et  l'orateur  terminera  son  discours  jeudi. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

France  et  Belgique.  —  Arrestations  à  Decazeviîle.  —  Élections  du  4  avril. 
Un  scandale.  —  Etranger. 

8  avril  1886. 

L'ordre  étant  à  peu  près  rétabli  en  Belgique,  on  commence  à 
discuter  chez  nous  les  troubles  qui  se  sont  produits,  les  procédés 
qu'on  a  employés  pour  y  mettre  un  terme,  et,  d'une  manière 
générale,  les  divers  mouvements  auxquels  a  donné  lieu  ce  com- 
mencement de  guerre  sociale. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  105 

Un  de  nos  journaux  du  soir,  à  qui  il  est  difficile  de  contester 
la  qualité  de  républicain  quand  on  se  rappelle  qu'il  a  invité  les 
électeurs  de  Paris  à  voter  pour  MM.  Basly  et  Camélinat,  a  com- 
paré cette  émeute  belge,  dans  ses  diverses  phases  et  dans  les 
divers  jugements  qu'en  ont  portés  en  Belgique  les  organes  les 
plus  autorisés  de  l'opinion,  à  ce  qui  se  passe  actuellement  chez 
nous.  Il  avait  raison.  Rien  n'est  plus  curieux  et  plus  instructif 
qu'un  rapprochement  qui  nous  permet  d'apprécier  comment,  en 
présence  de  manifestations  antisociales,  se  comportent,  en  Bel- 
gique et  en  France,  le  gouvernement,  le  Parlement  et  la  presse. 

Qu'avons-nous  vu  en  Belgique  ?  Beaucoup  d'énergie  dans  la 
répression  :  un  général  traquant,  dispersant  l'émeute  au  nom  de 
la  loi,  sans  cruautés  inutiles  comme  sans  transactions  compro- 
mettantes, et  livrant  ses  prisonniers  à  la  justice  ordinaire,  qui 
n'a  faibli  ni  devant  leur  arrogance  ni  devant  leur  nombre.  Voilà 
pour  le  gouvernement. 

A  la  Chambre,  le  premier  ministre  fournit  toutes  les  explica- 
tions qu'on  lui  demande,  et  son  langage  est  aussi  loin  de  la 
timidité  que  de  la  violence.  Le  ferme  sentiment  qu'il  a  de  son 
droit  le  maintient  à  égale  distance  des  récriminations  stériles  et 
des  concessions  dangereuses.  Il  ne  provoque  ni  ne  pactise.  Avec 
un  grand  calme  et  une  parfaite  possession  de  soi,  il  reconnaît 
aux  manifestations  et  aux  revendications  ouvrières  une  certaine 
liberté  légale  qu'il  ne  prétend  pas  entraver;  mais  en  même 
temps  il  se  proclame  résolu  à  réprimer  énergiquement  tout  abus, 
toute  espèce  de  tentative  en  dehors  de  la  loi. 

Et  que  fait  à  côté  de  lui  l'opposition?  Voici  son  chef,  M.  Frère- 
Orban  :  savez-vous  de  quoi  il  se  plaint?  Non  pas  de  la  répres- 
sion elle-même  ni  d'un  excès  de  rigueur  qu'on  y  aurait  apporté, 
mais,  au  contraire,  de  la  lenteur  qu'on  y  a  mise  et  de  l'insuffi- 
sance des  forces  envoyées  contre  l'émeute,  et  du  sac  des  pro- 
priétés qu'on  eiit  pu  éviter  par  une  intervention  plus  ferme  et 
plus  prompte.  Enfin,  il  enchérit  sur  les  déclarations  ministé- 
rielles et  ne  reproche  au  cabinet  que  de  n'avoir  pas  défendu 
assez  efficacement  la  société.  Voilà  pour  le  Parlement  ! 

Quant  à  la  presse,  elle  a  fait  preuve,  dans  tout  le  cours  de 
cette  crise,  de  la  plus  parfaite  modération  et  du  plus  étonnant 
sang-froid,  n'exagérant  rien,  démentant  les  fausses  nouvelles 
au  lieu  de  les  propager,  s'appliquant  à  ne  point  semer  l'alarme, 
à  ne  point  créer  d'embarras  au  gouvernement,  et  surtout  à  ne 
pas  encourager  l'émeute.  Un  seul  journal,  à  ce  qu'il  paraît,  la 


106  ANNALES    CATHoLiQUKS 

Réforme,  a  témoigné  quelque  sympathie  aux  insurgés,  sans 
leur  épargner  le  blâme  pour  les  moyens  employés,  pour  les 
excès  commis,  sans  dissimuler  l'horreur  que  lui  inspirait  ce 
brigandage  révolutionnaire.  Voilà  pour  les  journaux! 

En  France,  au  contraire,  qu'avons-nous  vu?  La  fraternité  de 
la  gamelle  préchée,  par  qui?  Par  le  ministre  de  la  guerre.  Le 
chef  de  l'armée  a  dit  que  les  soldats  étaient  à  Decazeville  pour 
partager  leur  soupe  avec  les  grévistes.  Nous  avons  vu  des  sen- 
tinelles attaquées  la  nuit  et  qui  avaient  tiré  an  hasard  sans 
atteindre  personne,  presque  désavouées  pour  avoir  fait  usage 
de  leurs  armes.  On  leur  a  adressé  publiquement  des  félicitations 
démenties  par  des  instructions  secrètes,  dans  lesquelles  on 
recommandait  aux  officiers  la  plus  extrême  prudence...  Que 
Bignifie  donc  cette  prudence,  quand  il  s'agit  de  sentinelles 
menacées?  Nous  avons  vu  des  conseils  municipaux  voter  des 
secours  aux  grévistes,  et  le  ministre  de  l'intérieur  soutenir 
sans  y  croire,  et  par  pure  défaillance,  qu'il  ne  pouvait  rien 
contre  ce  genre  de  charité.  Voilà  pour  le  gouvernement! 

Dans  le  Parlement  nous  avons  vu  le  désordre,  l'émeute,  le 
meurtre  même,  glorifiés;  les  noms  des  choses  changés,  l'assas- 
sinat devenant  un  acte  de  justice,  une  simple  exécution;  les 
responsabilités  absolument  déplacées,  les  passions  excitées,  la 
propriété  calomniée  et  menacée  ;  des  députés,  des  législateurs 
attisant  le  feu,  et  voitures,  aux  frais  du  Trésor  public,  comme 
commis-voyageurs  en  grèves;  la  guerre  sociale  conseillée  et 
encouragée  sous  toutes  ses  formes.  Voilà  pour  la  Chambre  ! 

Restent  les  journaux!  quelques-uns  semblent  écrits  avec  de 
la  dynamite  et  du  pétrole.  Vous  savez  quelle  fureur  ils  res- 
pirent !  Un  étranger  qui  ne  serait  pas  prévenu  du  répit  que  le 
nihilisme  français  veut  bien  encore  nous  accorder,  croirait 
que  toute  notre  société  va  périr  demain  dans  un  formidable 
incendie. 

Tels  sont  les  deux  tableaux!  Il  n'est  pas  étonnant  qu'après 
en  avoir  signalé  le  contraste,  le  journal  républicain  dont  nous 
avons  parlé  préfère  le  premier  au  second,  et  la  conduite  de  la 
monarchie  belge  à  l'attitude  de  la  République  française.  Nous 
aussi! 

Notons  néanmoins  à  la  décharge  de  la  République  un  premier 
acte  d'énergie  :  après  plusieurs  mois  d'hésitations,  le  gouverne- 
ment s'est  décidé  à  prendre,  à  Decazeville,  les  mesures  depuis 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  107 

longtemps  nécessaires.  MM.  Duc-Quercy  et  Ernest  Roche  ont 
été  arrêtés  dimanche  matin,  sous  l'inculpation  d'avoir  «  à  l'aide 
de  violences,  voies  de  fait,  menaces  ou  manœuvres  frauduleuses, 
amené  ou  maintenu,  tenté  d'amener  ou  de  maintenir  une  cessa- 
tion concertée  de  travail,  dans  le  but  de  forcer  la  hausse  ou  la 
baisse  des  salaires,  ou  de  porter  atteinte  au  libre  exercice  de 
l'industrie  ou  du  travail,  »  délit  visé  par  l'article  414  du  code 
pénal.  De  ce  fait,  MM.  Duc-Quercy  et  Roche  sont  passibles 
d'un  emprisonnement  de  six  jours  à  trois  ans,  et  d'une  amende 
de  seize  francs  à  trois  mille  francs. 

Les  mineurs  sont  restés  silencieux  devant  cette  double 
arrestation. 

Il  y  a  vingt  jours  qu'on  aurait  dû  mettre  en  lieu  sûr  ces  deux 
honorables  citoyens  qui,  sous  le  commandement  de  MM.  Baslj 
et  Camélinat,  sont  allés  là-bas  fomenter  la  guerre  civile.  Leur 
arrestation  arrive  bien  tard.  Et  qui  sait  si  elle  empêchera  tous 
les  effets  de  leur  sinistre  campagne  de  se  produire  avant  long- 
temps! Car  enfin  si,  au  lieu  de  vouloir  prouver  qu'il  reste  encore 
aux  ministres  un  peu  de  pouvoir,  M.  de  Freycinet  voulait  sé- 
rieusement couper  court  à  la  situation  alarmante  qu'on  a  laissée 
se  développer  à  loisir  dans  l'Aveyron,  il  lui  aurait  été  facile  de 
recourir  aux  remèdes  héroïques.  Que  n'a-t-il  dés  l'origine  des 
troubles,  déposé  à  la  Chambre  une  demande  en  autorisation  de 
poursuites  contre  MM.  Basly  et  Camélinat,  qui  ont  eu  dans  ces 
lamentables  affaires  de  Decazeville  un  rôle  si  fâcheux?  Pour- 
quoi, aujourd'hui  encore,  ne  dépose-t-il  pas  cette  demande? 
Duc-Quercy  et  Roche  ne  sont  que  des  comparses.  Emprisonnés 
aujourd'hui,  ils  seront  remplacés  par  d'autres  camarades  — 
jusqu'à  ce  qu'ils  aient  fini  leur  temps  de  prison  si,  par  hasard, 
le  tribunal  correctionnel  de  Villefranche  ose  condamner  ces 
dignes  citoyens  à  quelques  jours  ou  à  quelques  mois  de  prison, 
et  en  attendant  qu'on  en  fasse  des  députés! 

Deux  élections  sénatoriales  ont  eu  lieu  dimanche  et  ont 
donné  les  résultats  suivants  : 

AISNE 

MM.  Sebline,  républicain  libéral .     934.  Élu. 
Sandrique,  républicain  .    .    .     377 
Blancs  et  nuls 70 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  de  Saint-Vallier,  sénateur  repu- 


108  ANNALES   CATHODIQUES 

blicain,  décédé.  M.  de  Saint-Vallier  avait  été  élu  pour  la  pre- 
mière fois  le  30  janvier  1876.  Au  renouvellement  du  25  jan- 
vier 1885,  il  avait  été  réélu  deuxième  de  la  liste  républicaine 
par  1,050  voix  sur  1,378  votants.  Il  n'y  avait  pas  de  candidat 
conservateur. 

SEINE-ET-OISE 

MM.  Maze .  772.  Élu. 

Sainte-Beuve 504 

Hèvre 40 

Devoisin 9 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Gilbert-Boucher,  sénateur  répu- 
blicain, décédé.  M.  Gilbert-Boucher  était  sénateur  depuis  le 
30  janvier  1876.  Au  renouvellement  du  8  janvier  1882,  il  avait 
été  réélu  le  troisième  de  la  liste  républicaine  par  412  voix  sur 
781  votants.  Le  premier  élu  de  la  liste,  M.  Léon  Say,  l'avait 
été  par  655  voix. 

Le  succès  de  M.  Sèbline  constitue  un  échec  significatif  pour 
le  parti  républicain.  L'ancien  préfet  de  l'Aisne  avait  dû,  en 
effet,  se  retirer  de  l'administration  à  la  suite  de  son  attitude 
indépendante  dans  l'enquête  agricole.  Il  s'était  nettement  pro- 
noncé en  faveur  de  la  protection  du  travail  national.  Les  oppor- 
tunistes, unis  aux  radicaux,  n'ont  rien  négligé  pour  combattre 
M.  Sébline,  et  ils  avaient  fait  choix  de  M.  Sandrique,  député 
de  l'Aisne  et  ancien  secrétaire  de  M.  Gambetta,  comme  candidat 
sénatorial.  Une  immense  majorité  a  prouvé  que  les  électeurs 
condamnaient  la  coalition  de  M.  Ferry  et  de  M.  Turquet. 

Les  électeurs  ont  clairement  dit  qu'ils  avaient  assez  de  la 
politique  ruineuse  de  la  République,  et  ils  ont  voulu  récom- 
penser M.  Sébline  d'avoir  eu  le  courage  de  défendre  les  intérêts 
confiés  à  son  administration. 

Nous  ne  cacherons  pas  la  satisfaction  que  nous  cause  l'élec- 
tion de  l'Aisne,  et  nous  croj^ons  que  les  votes  de  M.  Sébline  ne 
seront  pas  de  nature  à  apaiser  le  dépit  républicain. 

Dans  l'Yonne  avait  lieu,  le  même  jour,  l'élection  d'un  député. 
Le  scrutin  n'a  pas  donné  de  résultat.  Enfin,  dimanche  encore, 
avaient  lieu  plusieurs  élections  départementales.  Elles  ont 
partout  donné  l'avantage  aux  conservateurs  qui  gagnent  un 
siège  dans  le  Tarn. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  109 

Après  le  scandale,  d'ailleurs  prévu,  de  la  validation  des  élec- 
tions des  Landes,  un  autre  scandale  nous  est  annoncé. 

La  sous-commission  chargée  d'examiner  les  opérations  élec- 
torales de  Tarn-et-Garonne  vient  de  conclure  à  leur  invalidation. 

Au  4  octobre,  quatre  conservateurs  avaient  été  élus  :  l'élec. 
tion  fut  annulée;  un  nouveau  scrutin  a  envoyé  de  nouveau  à  la 
Chambre  MM.  Prax-Pâris,  Trubert  et  Arnault,  et  l'on  dit  que 
le  républicain  M.  Lasserre  n'avait  aucun  droit,  de  par  l'arith- 
métique, à  être  substitué  au  quatrième  candidat  conservateur. 

Ce  serait  donc  aux  trois  élus  à  protester  en  faveur  de  leur 
collègue  injustement  écarté. 

Et  cependant,  la  sous-commission  ne  craint  pas  de  demander 
que  les  électeurs  soient  appelés  une  troisième  fois  à  voter. 
Espérerait-on,  par  la  lassitude,  vaincre  les  répugnances  du 
suffrage  universel? 

Le  Reichstag  a  prorogé  pour  deux  ans  la  loi  contre  les  socia- 
listes. M.  de  Bismarck  est  intervenu  au  moment  oii  l'on  allait 
voter,  et  il  a  fait  aussitôt  une  très  vive  sortie  contre  les  socia- 
listes, particulièrement  contre  M.  Bebel,  un  de  leurs  chefs. 

«  M.  Bebel,  a  dit  le  chancelier,  non  seulement  a  approuvé  les 
attentats  des  nihilistes  russes,  l'assassinat  d'Alexandre  II  et  des 
fonctionnaires  fidèles  à  leur  devoir,  il  a  même  déclaré  que  le 
régicide  était  permis  et  fait  partie  du  droit  de  chacun.  L'assas- 
sinat est  donc  inscrit  dans  le  programme  socialiste.  » 

M.  Bebel,  ainsi  mis  en  cause,  s'est  défendu  ;  expliquant  les 
paroles  qu'il  a  prononcées  en  1881  après  l'assassinat  du  czar,  il 
a  répété  qu'il  est  resté  sur  le  terrain  de  la  théorie,  en  faisant 
cette  observation  que  le  despotisme  fatalement  conduit  à  des  actes 
violents.  Une  situation  semblable  en  Allemagne  pourrait  pro- 
duire certainement  des  résultats  identiques,  mais  l'Allemagne, 
bien  qu'on  puisse  se  plaindre  du  despotisme  du  chancelier,  est 
un  Étai  constitutionnel,  avec  la  liberté  de  la  presse  et  la  liberté 
électorale.  La  classe  ouvrière  peut  faire  entendre  sa  voix  au 
Reichstag.  Le  nihilisme  n'est  donc  pas  à  craindre  en  Allemagne. 

M.  de  Bismarck,  très  agité,  se  lève  et  dit  : 

«  Habemus  confitentem  reum!  »  Si  une  situation  identique  à  celle 
de  la  Russie  existait  ea  Allemagne,  vous  vous  croiriez  autorisé  à 
commettre  un  régicide.  Il  ne  dépend  donc  que  de  votre  appréciation 
que  le  souverain  soit  menacé  dans  sa  vie.  Il  y  a  donc  des  cas  où 
l'assassinat  est  légitime  à  vos  yeux.  » 


110  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  de  Bismark  voulait  une  prorogation  de  cinq  ans  ;  il  en  a 
obtenu  une  de  deux  ans. 

Le  centre  a  voté  cette  prorogation. 


Tous  les  signataires  du  traité  de  Berlin  se  sont  mis  d'accord 
pour  la  rédaction  d'un  protocole  qui  reconnaît  le  prince  Alexan- 
dre de  Battenberg  comme  gouverneur  général  de  Roumélie, 
dans  les  conditions  stipulées  à  Berlin,  c'est-à-dire  pour  cinq  ans. 
Il  est  vraisemblable  que  l'arrangement  sera  signé  au  moment  où 
ces  lignes  paraîtront,  à  moins,  toutefois,  que  la  Russie  ne  sus- 
cite une  nouvelle  difflculié  au  dernier  moment. 

Quant  au  prince  Alexandre,  il  paraît  avoir  pris  le  sage  parti 
de  se  tenir  à  l'écart  de  la  table  de  la  conférence  et  de  se  conten- 
ter des  avantages  de  la  possession.  Beati  possidenies  !  comme 
dit  le  prince  de  Bismark.  Dans  cinq  ans,  s'il  a  assuré  d'ici  là  la 
prospérité  des  populations  réunies  sous  son  gouvernement,  quels 
sont  les  gendarmes  européens  qui  oseront  venir  lui  demander 
ses  papiers  ?  Mais  cinq  ans  de  tranquillité  —  à  cette  fin  de  siècle 
—  sur  la  route  de  Constantinople  pour  les  uns,  —  de  Salonique 
pour  les  autres,  —  c'est  une  hypothèse  bien  hasardeuse. 

Reste  à  savoir  encore  si,  après  la  signature  du  protocole,  la 
Russie  s'accommodera  de  la  protestation  muette,  sinon  officielle, 
du  prince  Alexandre,  et  si  les  Grecs  accepteront  le  prétexte  de 
cette  transaction  pour  déposer  leur  fourniment  guerrier  et  re- 
venir à  leurs  affaires  en  rapportant  pour  tout  bulletin  de  victoire 
après  une  campagne  fort  coûteuse,  le  protocole  de  Constanti- 
nople, et,  pour  tout  butin,  une  formidable  augmentation  de  la 
dette  publique. 


PETITE  CHRONIQUE 

L'Académie  a  décerné  le  grand  prix  Gobert  à  M.  Paul  Thnreau- 
Dangin,  pour  le  3^  volume  de  son  Histoire  du  gourernement  de 
juillet. 

Le  second  prix  Gobert  est  attribué  à  M.  Décrue  pour  un  livre 
d'éducation  intitulé  :  Œuvres  de  Montmorency . 

Le  prix  Thérouanne  est  décerné  ainsi  qu'il  suit  : 

1,500  francs  à  M.  le  baron  Kervyn  de  Lettenhoven,  auteur  d'un 
livre  intitulé  :  Les  Huguenots. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE  111 

1,500  francs  à  M.  Stourra  pour  un  livre  intitulé  :  Les  Finances  de 
Cancien  régime  et  la  Rêoolution. 

1,000  francs  à  M.  Dubédat,  pour  son  Histoire  du  parlement  de 
Toulouse. 

Sur  le  prix  Thiers  : 

1,500  fi-aacs  sont  accordés  à  M.  Barthélémy  Pauquet,  pour  un 
ouvrage  en  deux  volumes  intitulé  :  les  Origines  de  la  Révolution  en 
Bretagne. 

—  La  maison  Krupp  vient  d,'achever  un  canon  qui  a  une  longueur 
de  14  mètres.  Le  poids  de  cet  engin  de  guerre  est  de  125,500  kilo- 
grammes. Le  calibre  du  canon  est  de  40  centimètres.  Pour  s'en  servir 
avec  efficacité,  il  faut  une  charge  de  500  kilogrammes  de  poudre, 
afin  de  lancer  un  projectile  de  800  à  1,000  kilogrammes.  Comme 
soutien,  il  faut  à  ce  géant  d'airain  un  aifût  en  fer  et  en  acier,  de 
la  moitié  de  son  poids  total.  Ce  canon  monstre  est  fait  sur  com- 
mande du  gouvernement  italien.  On  ne  dit  pas  ce  qu'il  coûte;  mais 
il  est  certain  qu'il  représente  le  capital  d'une  belle  fortune  bourgeoise. 

—  Les  journaux  boulevardiera  rendent  compte  d'un  duel  qui  vient 
d'avoir  lieu  en  Belgique,  à  Waterloo,  entre  une  doctoresse  française, 
M™^  Astïe  de  Valseyre,  et  une  doctoresse  américaine.  Celle-ci  a  été 
blessée  dans  cette  rencontre  d'un  nouveau  genre  qui  montre  ce  que 
fait  de  la  femme  la  moderne  et  païenne  éducation. 

—  Un  grand  incendie  a  détruit  une  partie  de  la  ville  de  Key« 
West,  dans  l'Etat  de  Floride.  Plus  de  cent  maisons  ont  été  la  proie 
des  flammes  dans  le  quartier  des  affaires.  On  a  dû  requérir  des 
troupes  et  faire  sauter  certains  bâtiments  pour  préserver  des  édifices 
voisins.  Les  pertes  sont  évaluées  à  cinq  millions  de  dollars  (vingt-cinq 
milllions  de  francs). 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

On  nous  demande  ce  que  c'est  qu'une  action  de  jouissance  ? 

Plusieurs  Compagnies  ont  stipulé,  dans  leurs  statuts  le  rembour- 
sement, an  pair,  de  leurs  aclions  par  amortissement  et  tirage  au 
sort.  Bien  que  l'actionnaire  ait  reçu  le  prix  de  son  action,  on  lui 
remet  néanmoins  dans  celte  situation  un  autre  litre  qui  ne  participe 
plus  à  l'amortissement  et  qu'on  appelle  action  de  jouissance. 

Cette  action  se  nomme  ainsi  parce  qu'elle  jouit  encore  de  certains 
droits.  Elle  ditl'ère  des  aclions  de  capital  en  ce  qu'elle  ne  représente 
plus  aucune  mise  sociale  susceptible  de  remboursement.  Elle  attribue 
simplement  un  droit  de  participation  dans  les  bénéfices  réservés, 
lequel  droit  est  en  quelque  sorte  acquis  à  titre  d'indemnité  à  Tac- 


112  ANNALKS   CATHOLIQUES 

tionnaire,  qu'un  remboursement  prématuré  et  presque  toujours 
onéreux  pour  lui,  dépossède  de  ses  droits  primitifs. 

Les  Coinpa{;fnies  de  chemins  de  fer,  certaines  actions  industrielles, 
telles  que  ie  Gaz,  les  Omnibus,  etc.,  remboursent  graduellement 
leurs  actions  de  capital  pour  les  remplacer  par  des  actions  de  jouis- 
sance. Comme  à  l'expiration  de  leurs  concessions,  ces  Compagnies 
n'auront  plus  rien  entre  les  mains,  leur  actif  faisant  retour  à  l'Etat 
ou  à  la  ville,  elles  amortissent  de  façon  à  ce  que  l'actionnaire  soit 
rentré  dans  l'argent  qu'il  a  versé  jadis  à  la  Compagnie. 

Règle  générale  :  l'action  de  jouissance  touche  un  revenu  égal  à 
l'action  de  capital  qui  revient  à  cette  dernière  sous  forme  de  divi- 
dende. L'action  de  capital  touche  l'intérêt  et  les  deux,  concurrem- 
ment, touchent  le  reste  qui  s'appelle  dividende.  L'intérêt  statutaire 
n'est  pas  le  même  pour  toutes  les  Compagnies  ;  il  est  de  4  °/„  pour 
l'Est  ;  de  3  °/o  pour  l'Orléans,  de  4  °/o  pour  le  Nord  ;  de  o  "j^  pour 
leiMidi;  de  3  1/2  °j„  pour  l'Ouest.  Le  Lyon  n'ayant  pas  encore 
amorti,  n'a  pas  d'action  de  jouissance;  il  ne  le  fera  qu'en  4907. 

Avant  de  partager  avec  l'action  de  jouissance,  l'action  de  capital 
touche  donc  l'intérêt  statutaire  énoncé  plus  haut. 

Sur  ces  données,  on  peut  donc  facilement  établir  le  prix  de  re- 
vient entre  l'action  de  capital  et  l'action  de  jouissance. 

Le  remboursement  des  actions  de  c  ipital  a  commencé  pour  l'Est 
en  1879  ;  pour  le  iMidi  en  4871  ;  pour  le  Nord  en  1863  ;  pour 
l'Orléans  en  1833;  pour  l'Ouest  en  1863. 

Au  prix  où  sont  nos  bonnes  valeurs,  il  est  toujours  désagréable 
d'être  remboursé  au  pair;  voyez  pour  le  Nord,  le  pair  est  400  fr. 
et  le  cours  actuel  est  1,313.  L'action  de  capital  touchera  64  fr., 
quand  celle  de  jouissance  ne  recevra  plus  que  48  fr. 

L'Emprunt,  l'Emprunt  !  l'on  n'entend  que  ces  mots.  N'en  aura 
pas  qui  voudra,  clament  les  preneurs.  C'est  possible;  mais  il  y  en 
a  beaucoup  aussi  qui  n'y  tiendront  pas  énormément.  On  sait  main- 
tenant ce  qu'il  en  coûte  de  démarches,  de  déplacements  de  fonds, 
de  remboursements  et  de  la  difficulté  d'un  remploi.  Pouravoir  20  fr. 
de  rente,  on  en  demande  200  et  on  est  exposé  à  en  avoir  aussi  bien 
10  que  130,  suivant  qu'il  plaira  aux  gros  banquiers  de  faire  la 
souscription  de  la  dernière  heure  ;  opération  d'autant  plus  facile  et 
plus  fructueuse  qu'ils  sont  placés  mieux  que  personne  pour  savoir 
où  l'on  en  est. 

Après  l'Emprunt,  le  Métropolitain,  chemin  de  fer  parisien.  C'est 
M.  Christophle,  gouverneur  du  Crédit  foncier,  qui  est  à  la  tête  de 
l'affaire  financière.  Bon  patronage.  On  sait  ce  que  M.  Christophle  a 
fait  du  Crédit  foncier  et  on  connaît  le  succès  et  la  solidité  de  ses 
obligations.  Nous  vous  recommandons  en  toute  assurance  les  obli- 
gations, non  libérées,  1880  et  1883  ;  elles  sont  loin  d'être  à  leur 
prix.  A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 

Paris.  —  Imj>.  de  TCEnvre  de  Swiat-Paul    G.  Pioquoin,  51,  me  de  LiHe. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


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LE  PETITIONNEMENT 

Voici  le  texte  d'une  circulaire,  que  le  Comité  de  défense 
religieuse  vient  d'adresser  à  ses  adhérents  : 

Paris,  le  9  avril  1886. 

Un  grand  nombre  de  nos  amis  nous  témoignent  le  désir  de 
protester  par  voie  de  pétition  contre  la  loi  sur  l'instruction  pri- 
maire qui  vient  d'être  votée  au  Sénat  et  qui  va  revenir  à  la 
Chambre  des  députés. 

En  effet,  cette  loi  organise  d'une  façon  définitive  l'enseigne- 
ment public  séparé  de  la  religion,  dirigé  par  l'État  seul  et 
soustrait  à  tout  contrôle  des  pères  de  famille  et  des  conseils 
municipaux.  Elle  en  exclut  à  bref  délai  les  Frères  et  les  Sœurs, 
et  condamne  l'instituteur  chrétien  à  étouffer  la  voix  de  sa 
conscience.  Elle  prive  les  Frères  de  l'immunité  du  servicçi^ 
militaire  et  elle  atteint  par  là  dans  leur  recrutement  les  maîtres 
les  plus  dévoués  de  l'enseignement  libre.  Ainsi  se  complète  la 
loi  de  malheur  de  1882,  qui  a  pour  but  avoué  de  confisquer 
l'âme  des  enfants  du  peuple  et  d'en  arracher  la  foi. 

Il  est  impossible  qu'un  pareil  attentat  se  consomme  sans 
soulever  les  protestations  unanimes  de  ceux  qui  ont  à  cœur  de 
défendre  la  liberté  de  conscience,  le  droit  des  pères  de  famille 
et  l'avenir  de  la  patrie. 

Il  ne  s'agit  point  ici  d'une  question  politique,  mais  d'un 
intérêt  religieux  et  social  de  premier  ordre,  comme  l'atteste  la 
lettre  du  vénérable  cardinal-archevêque  de  Paris  du  30  mars 
dernier. 

Nous  comptons  sur  votre  zèle  et  sur  votre  dévouement  bien 
connus  pour  assurer  dans  votre  département  le  succès  de  ce 
pétitionnement.  Vous  vous  rappelez  qu'en  1879,  vous  avez 
protesté  contre  une  loi  qui  atteignait  l'enseignement  secondaire 
donné   par   un  certain    nombre    de    congrégations   religieuses. 

LVII.  —   n   AVRIL   1886.  9 


114  ANNALES    CATHOLIQUES 

Aujourd'hui  ce  qui  est  menacé,  c'est  l'instruction  chrétienne 
de  la  nation  tout  entière.  Il  importe  donc  que  le  nombre  des 
signatures  soit  proportionné  à  l'étendue  du  péril. 

Nous  nous  chargerons  volontiers  de  faire  déposer  à  la  Chambre 
des  députés  ou  au  Sénat  toutes  les  pétitions  faites  à  ce  sujet, 
et  nous  vous  engageons  à  nous  les  adresser,  pour  que  le  nombre 
des  signatures  de  chaque  département  puisse  être  exactement 
constaté. 

Sans  exclure  les  formules  qui  rendraient  mieux  votre  senti- 
ment propre,  nous  vous  envoyons  uu  texte  de  pétition  qui  nous 
paraît  résumer  la  pensée  générale,  et  qui  pourra  être  signé  par 
toutes  les  personnes  majeures,  hommes  ou  femmes,  comprenant 
la  nécessité  de  résister  à  une  pareille  tyrannie. 

Nous  sommes  entièrement  à  votre  disposition  pour  vous 
e-nvoyer  les  pétitions  et  les  renseignements  dont  vous  aurez 
besoin. 

Le  droit  de  pétition  est  un  droit  garanti  par  la  Constitution 
et  par  la  loi. 

En  vertu  de  l'article  20  de  la  loi  sur  la  presse  du  29  juillet 
1881,  la  distribution  et  le  colportage  accidentels  d'une  pétition 
ne  sont  assujettis  à  aucune  autorisation,  à  aucune  déclaratioH. 

Le  règlement  des  Chambres  demande  que  les  signatures  des 
pétitionnaires  soient  légalisées.  Mais  deux  ou  trois  notables  de 
«haque  commune  peuvent  attester  les  signatures  des  autres 
personnes  et  se  contenter  de  faire  légaliser  leurs  propres  signa- 
tures, apposées  en  présence  du  maire. 

Si  ]a  légalisation  était  refusée  par  le  maire,  le  règlement  dit 
que  les  pétitionnaires,  feraient  mention  de  ce  refus  à  la  suite 
de  la  pétition. 

Veuillez  nous  mettre  sans  retard  au  courant  de  ce  que  vous 
croirez  possible  de  faire  autour  de  vous,  et  agir  avec  la  plus 
grande  célérité  pour  que  les  pétitions  puissent  être  déposées  et 
discutées  avant  la  séparation  des  Chambres. 

Recevez,  M...,  l'assurance  de  nos  sentiments  dévoués. 

Le  président.  Le  vice-président, 

Ch.  Chesnelong.  E.  Keller. 

Baron  de  Mackau,  G.  de  Ravignan,  Kolb-Bernard, 
vice-amiral  marquis  Gicquel  des  Touches,  A.  Benoist 
d'Azy,  vicomte  de  Bélizal,  O.  Depeyre,  comte  Lanjuinais. 


LES   JÉSUITES    ALLEMANDS  115 

LES  JÉSUITES  ALLEMANDS 

ET    LA   SCIENCE   DEPUIS    1848 
(Suite  et  fin,  voir  le  numéro  du  13  mars  1886.) 

HISTOIRE. 

L'œuvre  principale,  grandiose  même,  est  V Histoire  synehro*' 
nistique  de  l'Église  et  du  monde  au  moyen  âge,  par  le 
R.  P.  Damberger.  C'est  une  histoire  du  moj^en  âge  vraiment 
unique  tant  sous  le  rapport  de  la  richesse  des  matériaux 
que  de  l'étude  des  sources,  de  la  multitude  des  documents, 
de  la  portée  des  recherches,  de  l'érudition  et  de  la  sincérité  qui 
s'y  manifeste  partout.  Le  P.  Damberger  naquit  à  Passau  en  1795, 
à  une  époque  oii  régnait  en  Bavière  l'illuminisme,  dont  les 
principes  étaient  enseignés  à  l'université  de  Landshut  et  au 
lycée  de  Salzbourg,  qu'il  fréquenta  dans  sa  jeunesse;  mais  il  fat 
préservé  dans  la  foi  et  puis  conduit  au  sacerdoce  et  à  l'état 
religieux  par  son  goût  pour  l'histoire  et  par  le  zèle  qu'il  ressen- 
tait de  travailler  à  la  défense  de  la  vérité.  Gomme  prêtre  et 
comme  jésuite,  il  résolut  de  s'opposer  au  courant  rationaliste  et 
d'étudier  à  fond  la  vérité  sur  l'Église  et  les  Papes.  En  1845, 
nous  le  trouvons  à  Lucerne  oh  il  enseigne  l'histoire  ecclésias- 
tique. Mais  après  la  défaite  du  Sonderbund  ^n  1847,  il  dut 
■prendre  la  fuite  avec  ses  confrères,  chargé  de  ses  précieuses 
notices  historiques,  qui  lui  furent  arrachées  et  en  partie  détruites 
lorsqu'il  arriva  à  Novare.  Il  recommença  ses  recherches  et  les 
poursuivit  avec  une  persévérance  à  toute  épreuve,  de  sorte  qu'il 
put  déjà  commencer  à  publier  son  ouvrage  monumental  en  1853-. 
Le  P.  Rattinger  le  termina  après  la  mort  de  l'auteur,  qui  eut 
lieu  en  1859.  Le  quinzième  volume,  qui  parut  en  1863,  va 
jusqu'à  l'année  1378.  On  ne  pouvait  effectivement  clôturer 
à  cette  date  l'histoire  du  premier  âge  proprement  dit;  car 
l'explosion  du  schisme  occidental,  qui  eut  lieu  cette  année-là, 
•pouvait  convenablement  ouvrir  l'histoire  des  temps  modernes. 
Depuis  la  mort  du  P.  Damberger,  il  s'est  fait,  il  est  vrai, 
beaucoup  pour  l'histoire,  les  matériaux  se  sont  amoncelés  d'une 
manière  vraiment  colossale,  malgré  cela  V Histoire  synchronis- 
tique  n'a  guère  perdu  de  son  importance.  Toujours  est-il  qu'on 


116  ANNALES    CATHOLIQUES 

est  frappé  de  stupeur  lorsqu'on  examine  comment  un  seul  homme 
a  pu  produire  quinze  gros  volumes  hérissés  de  documents  et 
quinze  volumes  de  Critiques,  et  cela  malgré  les  circonstances 
les  plus  favorables  et  dans  un  temps  relativement  court. 

Le  P.  Rattinger  a  hérité  de  la  patience  et  de  la  persévérance 
de  Damberger  ;  lui  aussi  occupe  les  loisirs  involontaires  que  lui 
a  faits  le  Culturkampf,  à  explorer  les  bibliothèques  et  à  pâlir 
sur  les  manuscrits  pour  colliger  les  données  éparses  des  histo- 
riens. Le  quinzième  volume  de  critique  de  V Histoire  synchro- 
atiistique  renferme  de  lui  une  dissertation  intéressante  sur 
Théodoric  de  Nyem,  l'un  des  faussaires  de  l'histoire  des  qua- 
torzième-quinzième siècles,  écrivain  prévenu  contre  les  Papes. 
Rattinger  prouve  que  Théodoric  n'a  pas  été  un  témoin  bien 
informe'  des  infamies  qu'il  raconte,  et  qu'il  n'a  pas  été  évêque 
de  Cambrai,  etc.  Notre  savant  explorateur  a  publié  un  écrit 
inédit  de  cet  auteur  qu'il  a  découvert  dans  la  bibliothèque  du 
Vatican  et  qui  a  pour  titre  :  De  hono  regimine  Romani  Ponli- 
flcis,  adressé  au  pape  Jean  XXII,  en  1410.  Ce  Théodore  de 
Nyem,  qui  à  part  quelques  courtes  interruptions  vécut  à  la  cour 
pontificale  avant  le  commencement  du  schisme  (1378)  jusqu'à 
sa  mort,  arrivée  en  1418,  en  qualité  à' abherviator  litterarum 
apostolicarum, ,  se  répand  dans  ses  livres  De  schistnate,  liber 
unionis  et  VitaJoannis  XXIII,  en  invectives  venimeuses  contre 
les  Papes,  raison  pour  laquelle  il  a  été  loué  comme  étant  une 
source  impartiale  de  premier  ordre.  Le  P.  Rattinger  a  donc  fait 
une  bonne  œuvre  en  prouvant  qu'il  manque  à  cet  historien 
l'amour  de  la  vérité  et  la  connaissance  des  faits  qu'il  dénature, 
du  moins  tel  que  son  livre  se  présente  aujourd'hui.  Car  l'original 
n'existe  plus  et  ces  écrits  ont  été  réédités  par  des  ennemis  de 
l'Église.  Le  Répertoire  des  sources  historiques  du  moyen-âge^ 
par  Chevalier,  est  incomplet  là-dessus  et  à  corriger;  il  faut 
également  rétablir  la  vraie  date  de  la  mort  de  Théodoric,  qui 
est  le  22  mars  1418,  comme  le  P.  Rattinger  l'établit.  Le  savant 
religieux  a  exposé  dans  son  étude  sur  le  Pape  et  les  États  de 
VÉglise  (1860),  Laacher  Sttmmen,  première  série,  les  droits  que 
possèdent  le  Pape  et  tous  les  catholiques  sur  ces  Etats,  question 
qu'il  élucide  sous  toutes  ses  faces  et  sous  tous  les  points  de  vue. 

Le  même  auteur  a  fait  paraître  plusieurs  travaux  sur  l'Orient, 
tout  en  prenant  en  considération  les  espérances  et  les  craintes 
de  l'Église  catholique,  relativement  aux  Églises  schismatiques 
et  à  la  Turquie,  en  prévision  de  la  prochaine  dissolution  de  cet 


LES    JÉSUITES    ALLEMANDS  117 

empire.  Nous  avons  de  lui  :  Les  Bulgares  et  VÈglise  schisma- 
tique,  cinq  articles  publiés  en  1875,  Ibid,  p.  677.  —  Le  Pa- 
triarcat catholique  œcuménique.  —  Les  saints  Cyrilles  et 
Méthode,  les  grands  apôtres  des  Slaves.  Il  est  à  remarquer 
que  l'auteur  s'appuie  partout  sur  les  sources  et  que,  surtout 
dans  ce  dernier  travail,  il  s'occupe  beaucoup  de  la  partie  chro- 
nologique et  géographique  de  son  sujet.  Il  suffit  plus  loin  de 
lire  ce  qu'il  dit  de  la  ville  de  Phullae.  Il  démontre  que  le  Li- 
bellus  de  conversione  Bagoariorum  et  Carantanorum  ,  publié 
dans  les  Monumenta  Germaniae,  dont  on  ne  connaissait  pas  le 
but,  est  un  mémoire  destiné  à  être  soumis  au  concile  de  Salz- 
bourg  l'an  871,  pour  servir  le  droit  de  juridiction  des  évêques 
de  Salzbourg  et  de  Passau  et  pas  de  Méthode  sur  la  Pannonie, 
Le  travail  qui  a  pour  titre  :  Le  territoire  patriarcal  et  me'tro- 
politain  de  Constantinople  et  l'Église  de  Bulgarie  au  temps 
delà  domination  latine  à  Byzance.  Hisior.  lahrhuch,  1880-81 
s'occupe  en  premier  lieu  du  passé  catholique  des  Bulgares  et  de 
la  réorganisation  à  eux  accordée  ou  du  moins  approuvée  par  le 
pape  Innocent  III.  On  y  examine  la  position  géographique  de 
difTérents  sièges  épiscopaux  inconnus,  corrigeant  les  erreurs 
commises  dans  l'atlas  de  0.  Spruner  et  d'autres.  On  y  trouve 
en  outre  des  recherches  spéciales  sur  l'ancien  territoire  du 
patriarcat  latin  de  Constantinople  qui  conduisent  l'auteur  à 
l'examen  du  Codex  provincialis  ou  simplement  Provinciale^ 
dont  ce  dernier  est  extrait.  Ce  document,  dont  on  trouve  des 
copies  dans  toutes  les  grandes  bibliothèques  de  l'Europe,  est  la 
nomenclature  officielle  élaborée  à  la  cour  de  Rome  (vers  l'an 
1210)  de  tous  les  diocèses  du  monde  catholique.  De  là  le  nom 
Provinciale  qui  veut  dire  :  série  de  toutes  les  provinces  ec- 
clésiastiques d'après  leur  distribution  ecclésiastique  et  géo- 
graphique. 

Le  Provinciale  ne  renfermait  pas  précisément  tous  les  sièges 
existants  alors,  mais  aussi  ceux  qui  avaient  existé  auparavant, 
et  cela  par  la  raison  que  justement  à  cette  époque  après  la 
prise  de  Constantinople,  on  songeait  à  la  conquête  ultérieure 
de  tout  l'Orient,  et  que  les  églises  qui  avaient  existé  autrefois 
devaient  servir  de  base  dans  la  réorganisation  pour  la  nouvelle 
circonscription.  Le  P.  Rattinger  indique  les  parties  constitu- 
tives ou  sources  du  Provinciale,  et  il  fait  voir  clair  dans  ce 
chaos  :  il  constate  la  concordance  et  les  rapports  du  Provin- 
ciale avec  le  catalogue  des  diocèses,  donné  par  Guillaume  de 


118  ANNALES    CATHOLIQUES 

Tyr,  par  Nilus  Doxapatrius  (an  1145),  avec  d'autres  catalogues 
grecs,  et  il  facilite  essentiellement  leur  contrôle  et  contribue  à 
l'étude  de  la  géographie  comparative  du  site  des  villes  épisco- 
pales  inconnues  jusqu'ici,  dont  il  est  donné  un  spécimen.  Le 
Codex  'provincialis  a  bien  été  édité  à  plusieurs  reprises,  mais 
pas  encore  d'une  manière  correcte,  ni  avec  explications  histo- 
riques et  géographiques  nécessaires  :  le  P.  Rattinger  m'a 
annoncé  une  nouvelle  qu'il  prépare. 

Les  Voix  de  Laach  [Laacher  Stimmen)  ont  donné  une  ving- 
taine d'articles  du  P.  Baur  sur  la  révolte  contre  l'autorité  du 
Saint-Siège  :  le  P.  Dreves  a  publié  dans  la  même  revue  Johannes 
Maurop'us,  étude  biographique  courte  mais  instructive,  d'après 
le  livre  :  Johannis  Euchaitorum  rnetropolitœ  in  quœ  codice 
Vaticano  grœco  676  supersunt...^  qui  nous  montre  un  contem- 
porain du  second  fondateur  du  schisme  de  Michel  Cérulaire, 
poète  et  orateur,  lequel  est  mort  peu  après  1054,  et  qui  chante 
le  prince  des  Apôtres,  «  protecteur  de  Rome...  Rocher  de  la  foi... 
le  fondement  perpétuel  de  l'Église  universelle,  sois  loué  dans 
nos  cantiques  sacrés  !  » 

Le  P.  Ehrle,  S.  J.,  édite  avec  le  P.  Deniile,  de  l'Ordre  de 
Saint-Dominique,  Archives  pour  Vhistoire  littéraire  et  ecclé- 
siastique du  moyen-âge,  qui,  sous  bien  des  rapports,  peut  être 
comparé  à  la  Bibliothèque  de  VÉcole  des  Chartes.  La  première 
édition  de  cette  savante  revue  vient  de  paraître.  Cette  nouvelle 
publication  périodique  doit  livrer  :  1°  des  textes  inédits;  2°  des 
études  d'après  les  sources;  3°  des  notices  brèves  et  variées, 
extraites  d'archives  et  de  manuscrits. 

Le  P.  Grisar,  auteur  des  Portraits  des  Re' formateurs,  pré- 
pare un  recueil  de  toutes  les  bulles  qui  se  rapportent  au  pays 
de  Tyrol,  qui  deviendra  une  base  excellente  pour  une  histoire 
ecclésiastique  de  ce  pays.  Le  P.  Werner  a  édité,  il  y  a  un  an, 
un  Atlas  des  Missions  catholiques  qui  se  trouve  déjà  épuisé  en 
très  peu  de  temps;  un  atlas  ecclésiastique  du  monde  et  d'après 
les  diocèses  est  en  préparation.  Portons  à  cette  occasion  l'atten- 
tion sur  les  Tableaux  chronologiques  pour  servir  à  l'étude  de 
Vhistoire  ecclésiastique,  par  le  P.  Ehrenberger. 

Le  P.  Durh  fait  paraître  des  Lettres  et  relations  inédites  sur 
la  suppression  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  Allemagne  [Hist. 
Jahrbuch.,  1885,  3).  11  fait  remarquer  entre  autres  qu'un  prince 
de  Hohenlohe-Schillingsfûrst  écrivait  en  1775,  en  apprenant  la 
nouvelle  de  la  suppression,  qu'il  fallait  faire  des  démarches  à 


LES    JÉSUITES    ALLEMANDS  119 

Rome  pour  pouvoir  conserver  au  moins  la  Compagnie  en  Alle- 
magne. «  L'Espagne,  dit-il,  a  perdu  l'esprit  chrétien  et  avec 
cela  peut-être  aussi  le  Chili  et  le  Pérou  par  suite  de  la  destruc- 
tion de  l'Ordre  des  Jésuites;  la  France  ne  s'en  ressent  pas  d'une 
manière  moins  vive.  Toute  cette  machination  n'est  qu'une  suite 
des  iîitrigues  jansénistes,  desquelles  sont  provenus  les  libres- 
penseurs.  Les  ennemis  des  jésuites  sont,  en  eflet,  des  hommes 
sans  foi,  indifférents  ou  immoraux.  » 

Nous  avons  du  P.  Cornely  l'ouvrage  :  De  la  succession  légi- 
time sur  le  siège  patriarcal  arménien  (Paris,  1866)  et  la  Vie 
des  saints  martyrs  Charles  Spinola  et  ses  compagnons  ;  du 
P.  Pachtler,  différents  travaux  sur  l'histoire  du  christianisme 
en  Chine,  au  Tonkin  et  en  Cochinchine,  et  en  outre  son  Art  télé- 
graphique des  anciens  ;  du  P.  Riess,  une  dissertation  chronolo- 
gique sur  V Année  exacte  de  la  naissance  de  Jésus-Chrisi ;  du 
P.  Ebner,  les  Lettres  officielles  et  inédites  des  généraux  et  des 
provinciaux  de  la  Compagnie  de  Jésus  et  l'abus  qu'on  en  a 
fait;  du  P.  Brischar,  une  biographie  pleine  d'intérêt  du 
JR.  P.  Athanase  Kircher,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  que  le 
célèbre  Leibnitz  disait  «  digne  de  l'immortalité  ».  Le  P.  Kobler 
a  traduit  de  l'anglais  les  Études  sur  les  couvents  du  moyen  âge. 

Le  P.  Grisar  a  fait  paraître  un  volume  d'études  sur  Galilée, 
qui  a  été  traduit  en  espagnol.  L'auteur  ne  nie  certes  pas  le 
jugement  erroné  porté  contre  Galilée  par  la  congrégation 
romaine  ;  mais  cette  décision  n'a  aucun  rapport  avec  l'infailli- 
bilité du  Pape.  La  raison  principale  de  la  conduite  tenue  par  les 
tribunaux  romains  n'a  pas  été,  comme  on  l'a  dit,  <  l'inimitié 
de  l'aristotélisme  contre  le  copernicanisme.  >  Aussi  les  mérites 
de  Galilée  furent-ils  reconnus  dans  la  suite,  selon  toute  leur 
étendue,  sous  les  jeux  mêmes  du  gouvernement  ecclésiastique. 

Terminons  ce  chapitre  en  nommant  VHistoire  de  la  cons- 
truction de  l'église  Saint-Victor  à  Xanien,  par  le  P.  Beissel; 
un  travail  biographique  du  P.  Brischar  sur  le  R.  P.  Contzen; 
et  un  autre  du  P.  Dreves  sur  Adam  de  Saint-Victor,  le  célèbre 
auteur  du  Liber  sententiarum  et  de  la  Summa  Britonis. 


LES    SCIENCES    EXACTES    ET    NATURELLES. 

Il  suffira  ici  de  cataloguer  les  auteurs  et  les  ouvrages  : 
Solutions  of  the  Bombay  university  Matriculaiion  Examin,a- 
tions  Papersof  Algebra.  (Bombay,  1870.) 


]20  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  P.  Dressel,  dont  un  ouvrage  sur  la  formation  du  basalte  a 
été  couronné  en  Hollande,  a  encore  écrit  :  Les  laves  du  lac  de 
Laach.  —  Études  géognostiques  et  géologiques  sur  le  lac  de 
Laach.  (Munster,  1870.)  Sur  la  matière  anime'e  et  inanimée. 

Le  P.  Graffweg  :  Sur  les  lentilles  qui,  rayonnant  sur  la  lu- 
mière homogène  d'un  point  donne',  2^^'oduiseott  une  image 
mathématiquement  exacte. 

Le  P.  Epping  :  Circulation  dans  les  Kosmos;  le  P.  Spilman  : 
Lu  Cap  au  Zanbési;  il  est  question  des  expéditions  des  mis- 
sionnaires jésuites  faites,  déjà  avant  le  retour  de  Stanley,  par 
le  R.  P.  Depelchin  et  ses  compagnons  dans  le  pays  du  Zambèze, 
ouvrage  important  pour  l'ethnographie  de  l'Afrique  méridio- 
nale; P.  Baumgarten  :  V Ecosse. 

Le  P.  Colberg  :  Voyage  à  l'Equateur,  ouvrage  salué  des 
éloges  unanimes  et  son  auteur  comparé  à  Humboldt  par  des 
savants  protestants. 

La  revue  Natur  und  Offenharung  (Nature  et  Révélation), 
qui  se  publie  à  Munster,  a  pour  but  de  concilier  la  science  avec 
la  foi  dans  l'étude  des  sciences  naturelles.  Bien  qu'elle  ne  soit 
pas  dirigée  par  des  jésuites,  les  Pères  Dressel,  Jivigens,  Was- 
mann,  et  Braun  en  sont  de  zélés  collaborateurs.  Le  P.  Braun, 
qui  est  directeur  de  l'Observatoire  établi  à  Coloeza  en  Hongrie, 
parle  cardinal  Haynald,  publie  régulièrement  dans  cette  revue 
les  observations  astronomiques  pour  le  mois  suivant.  Parmi  les 
articles  du  P.  Wasmann,  nous  portons  l'attention  sur  son  étude 
scientifique  sur  V Instinct  intitulée  ;  Der  Frichterwinkler,  petit 
scarabée,  le  chynchites  betulae  de  Linné,  qui,  pour  ce  qui  con- 
cerne l'instinct,  oô're  des  phénomènes  remarquables,  comme 
l'abeille  et  la  fourmi,  et  donne  des  preuves  théologiques  admi- 
rables de  l'existence  de  Dieu.  Un  autre  article  du  même  auteur, 
inséré  dans  les  Voix  de  Laach,  qui  mérite  d'être  également 
cité  à  cause  de  son  sujet  des  plus  intéressants,  porte  le  titre  : 
Sur  les  couleurs  protectrices  des  insectes. 

LANGUES,  HISTOIRE  LITTÉRAIRE,  BELLES-LETTRES,  MUSIQUE 

Le  P.  BoUig,  sous-secrétaire  de  la  bibliothèque  Vaticane, 
est  généralement  connu  comme  un  second  Mezzofanti,  connais- 
sant la  plupart  des  langues  existantes  ;  le  P.  Strassmeier  passe 
pour  le  plus  grand  assyriologue  de  nos  jours.  Ses  nombreux 
ouvrages  sur  les  écrits  cunéiformes   servent   de   fondement  à 


LES    JÉSUITES    ALLEMANDS  121 

l'étude  de  ces  écrits  en  général  et  pour  l'histoire  ancienne  de 
l'Orient. 

D'autres  jésuites  s'occupent  de  l'histoire  littéraire  et  de  la 
langue  de  leur  propre  pays.  Le  P.  Kreiten,  dans  son  étude  sur 
Voltaire,  qui  a  été  traduite  en  français,  offre  plus  que  le  titre 
n'indique,  car  elle  renferme  presque  toute  l'histoire  de  la  civi- 
lisation, de  la  littérature  et  des  sommités  du  siècle  où  vécut 
son  héros,  surtout  celle  des  mœurs  à  la  cour  de  Frédéric  II, 
Son  verdict  sur  Voltaire  est  écrasant.  Il  a  publié  sur  Molière  un 
travail  non  moins  important. 

Le  P.  Baumgartner  a  caractérisé  Goethe,  Lessing,  Longfeh 
loio,  Calderon,  Vonclel,  et  mérité,  à  cause  de  son  universalité 
littéraire  le  nom  de  «  Janssen  de  l'histoire  littéraire  »  qui  lui  a 
été  décerné  par  le  protestant  Nippold. 

Les  études  du  P.  Diel  sur  le  poète  Brentano,  rentrent  dans 
le  même  ordre  d'idées  et,  bien  que  jésuite,  l'auteur  s'est  frayé 
un  chemin  parmi  le  public  littéraire  en  Allemagne.  On  a  encore 
de  lui  une  tragédie  :  Skandeg. 

Le  P.  Stecher  s'est  donné  la  tâche  de  reedre  accessible  aux 
familles  chrétiennes,  la  plupart  des  monuments  littéraires  ger- 
maniques des  temps  anciens,  en  les  retravaillant  et  les  moder- 
nisant, —  peut-être  un  peu  trop. 

La  Compagnie  a  aussi  ses  poètes,  parmi  lesquels  nous  nom- 
merons le  P.  de  Waldbourg-Zeil,  dont  les  Chants  respirent  la 
sainte  nostalgie  du  ciel  ;  le  P.  Kreiten,  biographe  du  P.  Diel,  a 
publié  ses  Chants  de  Vexil  qui  savent  bien  trouver  le  chemin 
de  l'âme;  le  P.  Diel,  dont  le  Magasin  (protestant)  écrivait 
dernièrement  :  «  Ce  n'est  pas  le  jésuite,  mais  le  poète  banni 
qui  attire  nos  sympathies,  le  poète  dont  les  strophes,  écrites 
sous  les  cyprès  et  les  palmiers  de  Provence,  soupirent  vers  la 
patrie.  » 

Après  la  poésie,  le  chant  et  la  musique,  qui  en  sont  en  quelque 
sorte  le  corrélatif. 

Les  jésuites  allemands  ont  dans  le  P.  de  Doss  leur  représen- 
tant pour  cette  dernière  partie.  Les  loisirs  forcés  de  l'exil,  il 
les  emploie  à  composer  des  opéras,  des  opérettes,  des  choeurs, 
des  oratoriums,  des  messes.  L'une  de  ces  dernières  a  été  cou- 
ronnée par  l'Académie  des  beaux-arts  à  Bruxelles.  Lors  do  la 
dernière  audience  donnée  à  Rome  aux  Allemands  par  Léon  XIII, 
une  de  ses  compositions  a  été  chantée  par  les  élèves  du  Collège 
germanique  et  a  ravi  l'auditoire. 

Le  P.  Schmid  prend  à  partie  Richard  Wfgner,  et  &a  musique 


122  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  l'avenir,  dans  son  Art  musical  de  l'avenir  et  son  tnaitre; 
il  travaille  à  la  réforme  de  la  musique  religieuse  dans  ses 
Lettres  sur  la  micsique  d'église. 

Le  P.  Dreves  vise  spécialement  à  réaliser  l'unité  dans  le 
chant  des  cantiques  populaires  dans  les  églises  de  sa  patrie.  II 
a  écrit  :  Un  mot  sur  la  question  du  Recueil  de  cantiques  ou 
proie' g  amènes,  2'>ouvant  servir  à  la  composition  d'un  recueil  de 
chants  religieux  populaires.  (Frihourg.  1885.)  Puisse-t-il 
comme  il  le  souhaite,  rendre  au  peuple  les  vieux  cantiques  de 
ses  pères,  qu'un  siècle  pauvre  de  foi  lui  a  ravis  ou  corrompus, 
>et  renouer  enfin  les  vieilles  traditions  des  àgos  de  foi  ! 

La  Compagnie  de  Jésus  dirige  en  Allemagne  les  revues  pério- 
diques suivantes  :  1°  les  Laacher  Stimmen  (Voix  de  Laach)  que 
nous  comparerons^à'  IsLCiviltà  catiolica  iàni  ^our  le  programme 
qu'il  suit  que  pour  le  talent  de  ses  écrivains  ;  2°  la  Theologische 
Zeitschrift,  rédigée  à  Innspruck,  par  les  PP.  Stentrup  et  Grisar: 
3°  (Messager  du  Saint-Cœur  de  Jésus),  le  Sendbote  des  H.  Her- 
zens  Jesu,  revue  de  piété,  sous  la  rédaction  du  P.  Hattler,  et 
enfin  4°  les  Missions  catholiques,  qui  paraissent  mensuellement 
chez  Herder,  à  Fribourg.  Comme  nous  l'avons  dit  précédemment 
la  revue  Natur  und  Offenharung  jouit  de  la  collaboration  de 
plusieurs  religieux  de  la  Compagnie. 

•  Concluons.  Les  jésuites  que  l'Empire  d'Allemagne  a  proscrits 
se  sont  montrés  dignes  de  leur  ancienne  renommée.  Bien  qu'exilés 
de  corps,  leurs  travaux  intellectuels  profitent  encore  à  la  mère- 
patrie,  et  leurs  productions  littéraires  y  exercent  une  influence 
d'autant  plus  considérable,  que  la  plupart  de  ces  publications 
sont  répandues  par  tout  le  pays.  Même  les  protestants  doivent 
compter  avec  elles,  et  nous  avons  même  relevé  plusieurs  juge- 
ments favorables  prononcés  en  leur  faveur.  Tout  récemment 
encore,  le  Reichs  und  Staatsanzeiger  faisait  l'éloge  du  livre 
du  P.  Kolberg,  sur  l'Equateur.  Bien  que  le  compte-rendu  qu'il 
en  fait  soit  long  et  entre  au  fond  des  matières,  bien  qu'il  fasse 
mention  de  la  qualité  de  catholique  chez  l'auteur,  il  se  garde 
avec  le  plus  grand  soin  de  donner  à  entendre  que  le  spirituel 
et  savant  écrivain  soit  un  des  jésuites  chassés  de  l'Empire.  Les 
savants  di\x  Journal  Officiel  ont  peur  des  deux  lettres  S.  J., 
ils  n'en  font  nulle  mention.  Et  cela  pour  de  bonnes  raisons. 
Que  pourraient-ils,  par  exemple,  répondre,  s'il  venait  à  la 
pensée  de  certain  lecteur  haut  placé  de  demander  pourquoi  on 
a  expulsé  d'Allemagne  des  hommes  de  cette  valeur? 

L'abbé  N.-J.  Cornet. 


UNE    MESSE    A  a    CÉNACLE  123 


UNE  MESSE  AU  CENACLE 

Le  5  avril  1860,  une  scène  touchante  se  passa  à  Jérusalem. 
Plusieurs  écrits  du  temps  la  racontèrent  en  allemand,  en  fran- 
çais et  en  italien,  et  excitèrent  partout  un  légitime  intérêt. 
Toutefois,  comme  ils  n'ont  pu  se  garantir  de  plusieurs  inexac- 
titudes, nous  avons  cru  de  notre  devoir  de  retracer  cet  émou- 
vant tableau,  d'après  les  narrations  authentiques  de  témoins 
oculaires  (1).  Nous  sommes  assuré  de  trouver  bon  accueil 
auprès  de  nos  chers  lecteurs,  dont  la  dévotion  au  Très-Saiut 
Sacrement  nous  est  trop  bien  connue,  pour  que  nous  puissions 
les  croire  indifférents  au  culte  du  Sanctuaire  oii  le  divin  Sau- 
veur institua  le  prodige  de  son  amour. 

Les  témoins  oculaires,  auteurs  premiers  de  ce  récit,  se  trou- 
vaient à  Jérusalem  au  printemps  de  1860,  en  compagnie  d'un 
homme  de  Dieu,  l'archevêque  de  Smjrne.  Mgr  Spaccapietra, 
c'était  lui,  animé  d'une  ardente  piété,  exprima  dans  un  cercle 
intime  le  désir  d'offrir  le  saint  Sacrifice  de  la  messe  le  Jeudi- 
Saint  dans  la  salle  du  Cénacle.  Rien  ne  transpira  de  ce  hardi 
projet.  Seul,  le  vénérable  religieux  préposé  à  la  garde  de  la 
Terre-Sainte  et  gardien  du  couvent  des  Pères  Franciscains,  en 
reçut  la  confidence  et  promit  son  assistance.  Il  alla  donc,  le 
mercredi  de  la  Semaine  sainte,  trouver  le  supérieur  du  couvent 
des  Derviches,  qui  contient  le  Cénacle  dans  son  enceinte,  et  lui 
demanda,  sans  laisser  entrevoir  la  moindre  arrière-pensée,  de 
vouloir  accorder  à  un  groupe  de  pèlerins  de  faire  leurs  dévotions 
le  lendemain  matin  dans  le  sanctuaire.  La  requête  était  trop 
ordinaire  pour  exciter  des  soupçons.  Aussi  fut-elle  favorable- 
ment accueillie,  et  les  initiés  au  projet  reçurent  ordre  le  même 
soir  de  se  tenir  au  rendez-vous  le  lendemain  de  bonne  heure. 

(1)  Ces  témoins  sont  Son  Altesse  la  princesse  douairière  Catherine 
de  HohenzoUera,  depuis  fondatrice  de  Beuron,  les  révérendissimes 
Pères  Dom  Maur  Wolter,  depuis  archiabbé  de  la  congrégation  de 
Beuron,  et  Dom  Placide  Wolter,  depuis  abbé  de  Saint-Benoît  de 
Maredsous,  qui  voulurent  bien  mettre  à  notre  disposition  leurs 
carnets  de  voyages  contenant  de  précieux  détails  notés  de  leurs 
mains.  Outre  ces  trois  personnages,  il  y  av^ait  encore  le  révérend 
Père  Don  Nicks,  bénédictin  de  Saint-Paul  de  Rome,  le  révérend 
Père  Alphonse  Ratisbonne,  deux  Pères  Franciscains,  et  la  marquise 
Pauline  Nicolaï,  qui  mourut  en  odeur  de  sainteté  en  1868. 


Î24  ANNALES    CATHOLIQUE 

L'archevêque  avec  son  serviteur  et  d'autres  compagnons 
privilégiés  se  trouvaient  vers  quatre  heures  et  demie  à  la 
«  maison  des  pèlerins,  »  où  le  reste  des  invités  les  rejoignit 
bientôt.  Une  lanterne  à  la  main,  le  serviteur  prit  les  devants 
en  silence  ;  anxieux  et  ému,  le  petit  cortège  le  suivit  à  travers 
les  rues  étroites  et  encore  désertes  de  la  Ville  sainte. 

La  caravane  arriva  à  la  porte  de  Sion,  celle-ci  était  encore 
fermée.  On  éveilla  un  des  soldats  turcs  étendus  sous  le  portique, 
le  priant  d'ouvrir.  Le  gardien  s'y  refusa  d'abord.  Mais  dés 
qu'on  eut  fait  miroiter  à  ses  yeux  une  pièce  de  hakschich  (1), 
son  trousseau  de  clefs  se  trouva  dans  ses  mains  comme  par 
enchantement,  et  bientôt  la  porte  tourna  sur  ses  gonds.  Les 
pèlerins  se  dirigèrent  vers  la  partie  méridionale  du  mont  Sion, 
actuellement  situé  en  dehors  de  l'enceinte  de  la  ville.  Cinq 
heures  allaient  sonner,  et  du  sommet  voisin  de  la  montagne  de 
Sion  les  premiers  rayons  du  soleil  levant  saluaient  la  pieuse 
caravane.  Le  cortège  prit  à  droite,  et  passa  devant  le  couvent 
des  Arméniens  et  l'église  du  Sauveur,  construite,  suivant  la 
tradition,  sur  l'emplacement  de  la  maison  de  Caïphe,  où  le 
Seigneur,  dans  la  nuit  de  son  emprisonnement,  fut  jugé  par  les 
juifs  et  renié  par  Pierre.  Non  loin  de  ce  monument  se  trouve 
une  colonne  en  pierre,  célèbre  par  une  antique  légende  qui  s'y 
rattache.  C'est  là,  rapporte-t-on,  que  les  juifs  assaillirent  le 
cortège  des  disciples  lorsque  ceux-ci  transportèi-ent  le  corps  de 
la  très  sainte  Vierge,  de  la  maison  située  sur  le  mont  Sion,  non 
loin  du  Cénacle  où  elle  avait  rendu  le  dernier  soupir,  vers  la 
sépulture  préparée  pour  elle  au  pied  du  mont  des  Oliviers. 
Mais  les  assaillants  ne  purent  enlever  le  précieux  trésor.  Leurs 
mains  impies  se  desséchèrent  miraculeusement,  et  plusieurs 
d'entre  eux  se  convertirent  à  la  suite  ùl^  ce  prodige. 

Cependant  les  pèlerins  s'acheminaient  à  pas  lents  vers  le 
lieu  de  la  dernière  Cène.  Une  coupole  et  un  minaret,  qui  se 
baignaient  dans  la  pourpre  de  l'aurore,  marquaient  l'emplace- 
ment du  Cénacle.  Une  petite  porte  taillée  dans  le  mur  d'enceinte 
fut  ouverte  et  la  caravane  entra.  Partout  un  silence  de  mort  : 
on  était  dans  le  Ramadan,  le  mois  de  carême  turc,  pendant 
lequel  les  musulmans,  forcés  de  garder  un  jeûne  strict  durant 
tout  le  jour,  se  livrent  à  leurs  plaisirs  avec  d'autant  plus  de 
licence  depuis  le  coucher  du  soleil  jusqu'au  matin.  Le  canon  de 

(1)  Pourboire. 


UNE    MESSE    AU    CENACLE  12& 

la  citadelle  avait  annoncé  depuis  une  heure  le  retour  du  jeûne, 
et  tout  le  monde  était  plongé  dans  le  lourd  repos  d'un  premier 
sommeil. 

Les  pèlerins  furent  surpris  à  leur  entrée  de  découvrir  dans 
la  demi-obscurité  une  femme  postée  sous  le  portique  et  cachée 
dans  les  plis  de  son  manteau  oriental.  Debout,  immobile  comme 
une  statue,  elle  laissa  passer  la  caravane  sans  mot  dire.  Les 
pèlerins  montèrent  l'escalier  extérieur,  à  gauche  dans  la  cour, 
qui  conduit  directement  au  Cénacle.  La  porte  n'oiFrit  aucune 
résistance,  et,  le  coeur  ému  et  palpitant,  ils  entrèrent  dans  la 
•«  salle  du  premier  étage,  »  dans  le  merveilleux  sanctuaire  de 
la  Chrétienté.  C'est  ici,  se  dirent-ils,  c'est  ici  qu'au  soir  de  sa 
passion,  le  divin  Maître,  dans  son  adorable  humilité,  lava  les 
pieds  à  ses  apôtres,  qu'il  mangea  avec  eux  l'agneau  pascal,  et 
célébra  le  premier  sacrifice  de  la  messe  ;  c'est  ici  que  le  divin 
Pontife  offrit  la  victime  non  sanglante,  avant  de  consommer 
sur  l'autel  de  la  croix  l'immolation  sanglante  de  la  victime  du 
salut  ;  c'est  ici  encore,  qu'après  sa  glorieuse  résurrection,  il 
apparut  aux  siens  et  leur  permit  de  toucher  ses  plaies  sacrées. 
C'est  dans  ce  sanctuaire  que  le  Saint-Esprit,  au  milieu  des 
véhémentes  commotions  d'un  ouragan,  descendit  sous  forme  de 
f-eu  sur  les  apôtres  groupés  autour  de  la  Mère  du  Seigneur. 
C'est  ici  enfin  le  lieu  de  naissance  de  la  sainte  Église,  le  siège 
le  plus  ancien  du  vicaire  du  Christ,  le  point  de  départ  d'où  les 
douze  messagers  de  la  bonne  nouvelle  se  sont  élancés  à  la  con- 
quête du  monde.  Que  de  grands  souvenirs,  que  de  puissantes 
émotions  ! 

Dans  quel  état  ce  lieu  béni,  témoin  de  tant  de  merveilles, 
s'offrait-il  alors  aux  regards  des  pèlerins  qui  en  franchissaient 
le  seuil?  Ils  se  trouvaient  dans  une  grande  salle,  dont  la  voûte 
à  double  nef,  repose  sur  deux  colonnes  gothiques  ;  elle  est  telle 
que  nos  ancêtres  l'ont  embellie  au  moj'en-àge.  L'agneau  de 
Dieu  figure  dans  la  clef  de  voûte,  comme  un  sceau  sacré  d'im- 
périssable souvenir.  Pour  le  reste,  le  sanctuaire  est  dans  un 
étal  de  déplorable  abandon,  de  profanation  et  de  désolation 
écœurantes.  Depuis  le  départ  des  fils  de  saint  François,  qui  en 
furent  chassés  en  1559,  voilà  trois  siècles  et  au  delà  que  cette 
salle  vénérée  sert  au  culte  des  infidèles  comme  mosquée  musul- 
mane. Le  tapis  de  paille  qui  couvre  le  pavement,  les  œufs  d'au- 
truche suspendus  çà  et  là  à  des  cordes,  enfin  les  ordures  et  la 
poussière  accumulées  partout,  ne  témoignent  que  trop  de  cette 
déplorable  destination. 


126  ANNALES  CATHOLIQUE» 

Et  pourtant  les  musulmans  regardent  eux  aussi^  cet  endroit 
comme  sacré,  d'autant  plus  qu'ils  y  conservent  et  vénèrent  le 
tombeau  du  roi  David  que  la  tradition  place  sous  les  construc- 
tions du  Cénacle. 

Malgré  l'état  déplorable  où  ils  trouvaient  le  sanctuaire,  les 
pèlerins  étaient  à  la  jubilation,  et  on  se  disposa  à  retirer  des 
valjses  les  vêtements  et  les  vases  sacrés  que  l'on  avait  apportés 
pour  la  sainte  Messe. 

Mais  soudain  un  Turc,  accompagné  d'un  petit  garçon  et  de 
quelques  enfants,  fait  invasion  dans  la  salle  et  interdit  toute 
cérémonie  religieuse.  Le  doute  n'est  plus  possible  ;  notre  mys- 
tère est  trahi  ou  découvert,,  et  le  Turc  a  reçu  ordre  d'empêcher 
toute  prétendue  profanation  du  Sanctuaire.  Enfin  le  bon  fra 
Guiseppe,  frère  lai  franciscain,  arabe  d'origine,  fit  au  Turc  des 
propositions  en  sa  langue  maternelle.  Il  semble  résolu  à  ne  pas 
se  laisser  émouvoir  et  demeure  impassible. 

Désolés  et  priant  en  silence,  les  pèlerins  allaient  et  venaient 
dans  la  salle,  puis  tombaient  à  genoux,  suppliant  le  Seigneur 
de  ne  pas  les  frustrer  du  bonheur  si  longtemps  désiré,  de  pou* 
voir  célébrer  les  saints  mj'stéres  dans  ce  sanctuaire  vénéré,  au 
jour  béni  où  la  chrétienté  entière  s'y  transporte  en  esprit. 

Cependant  le  Turc  persévère  dans  son  obstination.  L'illustre 
princesse  se  lève  alors  avec  deux  de  ses  compagnes,  et  parvient 
à  entraîner  le  Turc  jusque  sur  la  terrasse  en  dehors  de  la  salle. 
Là  enfin  l'envoyé  se  laisse  fléchir,  et  vaincu  par  les  prières  de 
la  noble  chrétienne,  il  lui  tend  la  main,  en  gage  de  la  promesse 
qu'il  lui  fait  d'attendre  une  demi-heure  devant  la  porte  avant 
de  rentrer  dans  la  salle. 

Un  autel  portatif  à  trois  pieds  surmonté  d'un  crucifix  et  de 
chandeliers  est  dressé  en  toute  hâte.  L'archevêque  en  ornements 
sacrés  y  monte  et  commence  le  saint  Sacrifice.  Un  fils  de  Benoît, 
dom  Anselme  Nickes,  soutient  l'autel  par  derrière,  tandis  que 
les  augustes  frères  dom  Maur  et  dom  Placide  Wolter  assistent 
le  vénéré  pontife,  fils  lui-même  de  saint  Vincent  de  Paul.  Les 
heureux  pèlerins  qui  entourent  l'autel  sont  comme  absorbés 
dans  la  contemplation  et  en  proie  à  l'émotion  la  plus  vive,  au 
souvenir  de  l'institution  du  saint  Sacrifice  de  la  messe,  et  de  la 
première  communion  des  saints  apôtres  et  de  la  Vierge  Marie. 
Au  Gloria,  le  pieux  prélat  ne  peut  contenir  son  émotion  et 
éclate  en  sanglots.  Un  des  moines  assistants  lui  adresse  quelques 
paroles  qui  le  raniment  et  le  saint  Sacrifice  se  poursuit  heu- 
reusement. 


UNE    MESSE    AU    CÉNACLE  127 

La  consécration  vient  d'avoir  lieu  et,  pour  la  première  fois 
depuis  de  longues  années,  le  Verbe  éternel  incarné,  l'Agneau 
de  Dieu  glorifié  est  descendu  du  ciel  dans  ce  sanctuaire  si  cher 
à  son  amour.  Le  moment  indescriptible  de  la  sainte  communion 
approche.  Douze  pèlerins  —  ce  nombre^  sans  être  calculé 
d'avance,  s'adaptait  merveilleusement  à  cette  scène  —  entou- 
rent à  genoux  l'archevêque  et,  les  yeux  baignés  de  larmes 
d'émotion,  reçoivent  de  sa  main  le  corps  sacré  du  Sauveur. 

En  ce  moment  la  porte  s'ouvre,  et  le  Turc  entre  dans  la  salle, 
La  princesse,  agenouillée  près  d'une  des  colonnes  à  coté  du 
P.  Alphonse  Ratisbonne,  lui  fait  de  la  main  un  geste  suppliant 
qui  le  décide  à  se  retirer.  Mais,  tandis  que  l'archevêque  donne 
la  dernière  bénédiction,  un  bruit  confus  se  fait  entendre  dans 
l'intérieur  de  la  maison.  Le  Turc  se  précipite  de  nouveau  dans 
la  place  ;  cette  fois  la  frayeur  et  la  consternation  sont  peintes 
sur  son  visage  ;  il  invite  les  pèlerins  à  prendre  la  fuite  en  toute 
hâte.  L'archevêque  récite  le  dernier  évangile,  tout  en  déposant 
les  ornements  sacrés:  pierre  d'autel,  calice,  vêtements,  tout 
est  emballé,  moitié  dans  la  salle,  moitié  sous  l'escalier  et  sous 
le  portique  d'entrée,  et  la  petite  caravane  s'éloigne  dans  un 
saint  recueillement,  passe  par  la  porte  de  Sion  déjà  ouverte,  et 
se  dirige  vers  l'église  du  Saint-Sépulcre.  C'est  là  que  les  pèle- 
rins achèvent  l'action  de  grâces,  à  l'endroit  même  qui  fut 
témoin  du  crucifiement  et  de  la  résurrection  du  Dieu  d'amour 
qui  venait  de  descendre  dans  leurs  cœurs. 

Les  douze  privilégiés  reçurent  de  l'archevêque  un  billet  de 
communion  pascale,  qu'ils  gardent  soigneusement  comme  un 
'souvenir  précieux  de  cette  Pâque  incomparable.  Tous  l'avaient 
célébrée  avec  la  double  intention  d'obtenir  eux-mêmes  la  grâce 
d'une  dernière  communion  parfaite  avant  la  mort,  et  pour 
l'Église  le  bonheur  de  rentrer  bientôt  en  possession  du  Cénacle. 
Ils  apprirent  plus  tard  qu'ils  avaient  échappé  à  un  danger  sérieux  ; 
car  les  derviches,  dans  leur  zèle  satauique,  étaient  décidés  à 
mettre  obstacle  à  tout  prix  à  la  célébration  de  toute  cérémonie 
religieuse  dans  ce  vénérable  sanctuaire. 


128  ANNALES    CATHOLIQUES 

LA  LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET    L'ÉPISCOPAT. 

L'épiscopat  français  presque  tout  entier  adhère  à  la  lettre 
du  vénéré  cardinal-archevêque  de  Paris  au  Président  de  la 
République.  Ces  adhésions,  preuve  indéniable  de  l'unité 
qui  régne  dans  le  clergé  français  et  qui  fait  sa  force  en 
attendant  qu'elle  amène  le  triomphe  de  l'Église  dans  notre 
chère  patrie,  doivent  trouver  place  dans  ces  Annales.  Nous 
en  commençons  dès  aujourd'hui  la  publication. 

Arras  et  Cambrai.  —  Lettre  collective  de  l'archevêque  de 
Cambrai  et  de  l'évêque  d'  Arras  : 

Votre  lettre  à  M.  le  Président  de  la  République  apporte  un  soula» 
gement  à  la  conscience  des  catholiques  de  France,  et  elle  est  la  fidèle 
et  éloquente  expression  de  nos  propres  sentiments.  Malgré  notre 
respect  pour  l'autorité  civile,  nous  ne  pouvons  garder  toujours  le 
silence  en  face  du  progrès  légal  de  l'irréligion  dans  notre  cher  pays. 
Ministres  de  Jésus-Christ  qui,  tout  en  se  laissant  attacher  à  la  croix, 
a  rendu  hautement  témoignage  à  la  vérité,  nous  ne  prêcherons 
jamais  l'insurrection  et  la  révolte  ;  mais  nous  protesterons  toujours 
avec  énergie  contre  tout  ce  qui  nous  paraîtra  porter  atteinte  à  notre 
sainte  religion  et  compromettre  le  salut  des  âmes.  Le  gouvernement, 
en  nous  proposant  au  Pape  pour  l'épiscopat,  a  dû  vouloir  par  cela 
même  nous  confier  les  intérêts  religieux  du  pays  ;  donc,  même  à  ce 
seul  point  de  vue,  nous  manquerions  à  notre  mandat  si  nous  négli- 
gions de  l'avertir  lorsque  nous  le  voyons  provoquer  des  mesures 
oposées  à  ces  mêmes  intérêts. 

Votre  Eminence  a  rempli  cet  office  avec  autant  de  dignité  que  de 
sagesse,  et  nous  nous  associons  à  sa  protestation. 

AuTUN.  —  Lettre  de  Mgr  Perraud,  évêque  d'Autun  : 

Une  fois  de  plus,  dans  votre  récente  lettre  à  M.  le  président  de 
la  République,  vous  avez  expinmé  les  sentiments  des  catho- 
liques et  du  clergé  français. 

Votre  longue  expérience  des  Aicissiludes  de  notre  pays  depuis 
le  commencement  de  ce  siècle  et  les  services  que  vous  n'avez 
cessé  de  rendre  à  l'Eglise  pendant  plus  de  quarante-quatre  ans 
d'épiscopat,  vous  désignaient  pour  parler  en  notre  nom  et  pour  faire 
entendre  aux  hommes  investis  de  la  puissance  publique,  des  con- 


LETTRE   DU    CARDINAL   GUIBERT  129 

seils   puisés    aux    sources    les    plus    pures    de   la    sagesse,    du 
patriotisme  et  de  la  charité. 

Qui  donc  pourrait  élever  des  doutes  sur  la  sincérité  de  vos 
paroles  ou  se  méprendre  sur  la  parfaite  loyauté  de  vos  intentions? 
Permettez-nous,  Éminence,  de  nous  approprier  les  unes  et  les 
autres  et  de  demander  avec  vous  à  quel  homme  sérieux  il  sera 
possible  de  persuader  qu'en  nous  accablant  de  ses  rigueurs  le 
gouvernement  se  borne  à  user  contre  nous  du  droit  de  légitime 
défense  comme  si,  depuis  seize  ans,  le  clergé  de  France  n'avait 
cessé  de  faire  une  opposition  systématique  à  la  forme  actuelle  de 
nos  institutions  ? 

Est-il  donc  nécessaire  de  rappeler  en  combien  de  circonstances 
le  Souverain-Pontife  et  les  Evèques  ont  formulé  sur  ce  point  la 
constante  doctrine  de  l'Église  catholique,  étrangère  par  état  aux 
discussions  de  l'ordre  purement  politique  et  uniquement  soucieuse 
d'accomplir  son  mandat  spirituel  à  l'égard  de  tous  les  hommes, 
sans  distinction  non  seulement  de  races  ou  de  classes,  mais  de 
drapeau  et  de  parti? 

Il  y  a  peu  de  semaines  encore,  dans  son  encyclique  Immoriale 
Bei,  après  avoir  rappelé  les  principes  sur  lesquels  doit  reposer 
la  constitution  chrétienne  des  Etats,  Léon  XIII  faisait  entendre 
au  monde  cette  déclaration  solennelle  :  «  Les  règles  tracées  par 
K  l'Eglise  ne  réprouvent  en  soi  aucune  des  différentes  formes 
«  de  gouvernement,  parce  que,  en  elle-mèmes,  elles  n'ont  rien 
«  qui  répugne  à  ses  principes;  et  que,  appliquées  avec  sagesse 
«  et  justice,  elles  peuvent  toutes  contribuer  à  la  prospérité 
«  publique.  » 

Et  comme  s'il  avait  eu  plus  particulièrement  en  vue  nos  sociétés 
démocratiques,  le  Pape  ajoutait  :  «  La  participation  plus  ou  moins 
«  grande  prise  par  le  peuple  au  gouvernement  peut,  en  certains 
«  temps  et  sous  certaines  lois,  être  tout  à  la  fois  un  avantage  pour 
«  le  pays  et  un  devoir  pour  les  citoyens.  » 

D'où  vient  donc  le  malaise  profond  qui  trouble  parmi  nous  les 
relations  de  l'Église  et  de  l'État  et  compromet  à  chaque  instant  la 
paix  publique? 

Votre  Éminence  l'a  dit  et  l'impartiale  histoire  confirmera  son 
témoignage.  On  a,  de  parti  pris,  blessé  la  conscience  d'un  grand 
nombre  de  citoyens  français  et  fait  d'une  irréligion  officiellement 
intolérante  et  aggressive,  un  principe  de  gouvernement.  Oui,  si 
depuis  quelques  années,  à  travers  les  conflits  des  systèmes  ou 
les  rivalités  des  hommes  qui  représentent  les  différentes  nuances 
de  l'idée  républicaine,  il  y  a  eu  dans  la  politique  intérieure  unité 
de  direction  et  d'action,  cette  unité  ne  s'est  établie  et  maintenue 
qu'aux  dépens  de  la  liberté  et  des  d)-oits  des  catholiques.  Divisés 
sur  toutes  les  autres  questions,  diplomatie  étrangère,  entreprises 

10 


130  ANNALES    CATHOLIQUES 

coloniales,  traités  de  commerce,  économie  agricole  et  industrielle, 
nos  législateurs  et  nos  hommes  d'Etat  ne  se  sont  mis  d'accord 
que  lorsqu'il  s'est  agi  de  soumettre  l'Église  au  régime  dont 
votre  lettre  du  30  mars  a  résumé  avec  une  si  navrante  exacti- 
tude la  pensée  dominante,  la  progression  logique  et  les  néfastes 
résultats. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  reprendre,  après  Votre  Eminence, 
rénumération  de  toutes  les  mesures  légales  ou  administratives 
par  lesquelles,  surtout  dans  le  cours  de  ces  six  dernières  années, 
les  divers  cabinets  qui  se  sont  transmis  le  pouvoir  n'ont  pas  cessé 
de  témoigner  au  clergé  et  aux  fidèles  leur  défiance  et  leur  hosti-- 
lité.  On  en  est  même  venu  tout  récemment  à  un  excès  qu'on  peut 
qualifier  d'inouï  dans  les  annales  parlementaires  et  politiques  de 
notre  pays.  Votre  Eminence  l'a  relevé  avec  l'accent  d'une  doulou- 
reuse émotion,  et  nous  avons  le  droit  de  dire  avec  elle  combien 
nous  avons  été  surpris  et  affligés  lorque  le  ministi"e,  chargé  par 
le  gouvernement  de  présider  à  l'administration  des  cultes,  s'est 
permis  d'attaquer  directement,  du  haut  de  la  tribune,  plusieurs 
des  dogmes  essentiels  du  christianisme.  Trouvera-t-on  ici  nos 
susceptibilités  exagérées  et  nos  griefs  dénués  de  fondement? 
Est-ce  de  notre  côté  que  sont  parties  les  déclarations  de  guerre,  et 
si  la  paix  est  troublée  entre  les  deux  puissances  dont  l'accord  eût 
été  si  nécessaire  au  relèvement  de  la  patrie  affaiblie,  mutilée, 
ébranlée  à  la  suite  d'une  guerre  étrangère  et  d'une  guerre  sociale, 
est-ce  bien  à  l'Église  qu'il  faut  demander  compte  des  premières 
provocations  et  des  menaces  de  rupture?  Peut-on  hésiter  sur  le 
partage  équitable  des  responsabilités,  quand  on  voit  de  quelle 
façon  ont  été  accueillies  les  plus  récentes  avances  du  chef  de 
l'Église?  Léon  XIII  venait  à  nous,  tenant  à  la  main  l'olivier  de 
paix  et  n'ayant  sur  les  lèvres  que  des  paroles  de  concorde.  On  lui 
a  répondu  en  redoublant  de  sévérités  arbitraires  contre  les  mi- 
nistres du  culte  professé  par  la  majorité  des  Français  et  en  por- 
tant de  nouvelles  et  profondes  atteintes  à  la  liberté  déjà  si 
restreinte  des  familles  qui  veulent  donner  à  leurs  enfants  une 
éducation  chrétienne. 

Nous  n'en  voulons  pas  moins  persévérer  dans  les  sentiments  si 
dignement  exprimés  par  Votre  Eminence  au  nom  d'une  tradition 
qui  remonte  jusqu'au  temps  où  saint  Paul  disait  :  «  Les  ennemis 
a  de  notre  foi  nous  outragent  et  nous  traitent  comme  la  balayure 
«  du  monde,  nous  prions  pour  eux.  Il  nous  maudissent  :  nous  les 
a  bénissons.  »  Si  les  hommes  sont  injustes  à  notre  égard,  nous 
demanderons  à  Dieu  d'augmenter  notre  confiance  en  sont  infaillible 
justice;  et  nous  le  prenons  à  témoin  de  la  sincérité  avec  laquelle, 
dans  les  cruels  conflits  de  l'heure  présente,  nous  sommes  unique- 
ment préoccupés  des  intérêts  de  la  religion. 


LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT  131 

Il  y  a  ua  au,  Éininence,  lo  diocèse  de  Paris  et  loule  l'Kglise 
de  France,  unie  de  cœur  à  votre  famille  spirituelle,  demandaient 
avec  instance  au  Seigneur  la  conservation  de  vos  jours  menacés 
par  une  redoutable  maladie.  Nos  prières  ont  été  exaucées.  Vous 
demeurez  encore  parmi  nous  et  vous  venez  de  rendre  un  nouveau 
service  à  l'Église  et  à  notre  pays,  en  écrivant,  pour  les  adresser  à 
M.  le  président  de  la  République,  ces  pages  d'une  si  haute  et  si 
ferme  inspiration. 

Puisse  votre  noble  et  loyal  langage  être  entendu  et  compris  pour 
le  plus  grand  bien  d'une  nation  si  visiblement  intéressée  à  voir 
tous  ses  enfants  unis  dans  une  concorde  vraiment  fraternelle  et 
faisant  de  la  pacification  religieuse  le  solide  fondement  de  la  paix 
sociale  ! 

Tel  est  le  vœu  formé  avec  Votre  Eminence  par  tous  ceux  qui 
sont  résolus  à  ne  pas  séparer  dans  leurs  affections  ce  que  Dieu 
lui-même  a  si  fortement  uni  dans  le  passé  de  notre  histoire  : 
l'Église  et  la  Patrie  1 

Chartres.  —  Mgr  l'évêque  écrit  : 

Je  partage  tous  les  sentiments  que  vous  exprimez  avec  tant  de 
dignité,  de  sagesse,  de  modération  et  de  force. 

J'ai  aimé,  Monseigneur,  à  vous  entendre  parler  de  la  très  sainte 
Vierge  et  du  culte  qui  lui  est  dû.  Je  venais  moi-même  dans  une 
de  mes  lettres,  de  louer  le  nom  béni  de  Marie,  Mère  de  miséri- 
corde, et  me  faire  le  champion  de  son  honneur  et  de  sa  gloire. 

Pouvait-il  en  être  autrement,  étant  le  gardien  de  son  sanctuaire 
vénéré  le  plus  ancien  et  l'un  des  plus  célèbres  de  l'univers. 

Marseille.  — Mgr  l'évêque  de  Marseille  écrit  : 

Je  viens  de  lire  avec  une  respectueuse  admiration  la  lettre  de 
Votre  Eminence  au  président  de  la  République. 

Depuis  quelques  années,  les  mesures  attentatoires  aux  droits  et  à  la 
liberté  de  l'Eglise  n'ont  cessé  de  se  produire  toujours  plus  nombreuses 
et  plus  violentes.  Le  moment  était  venu  où  une  voix  plus  autorisée 
devait  se  faire  entendre  pour  protester  au  nom  des  consciences  catho- 
liques. Votre  Eminence  l'a  fait  avec  le  calme,  la  dignité,  la  fermeté 
et  toute  l'autorité  que  lui  donnent  son  long  épiscopat  et  la  haute 
situation,  qu'il  occupe  dans  l'Église.  En  écoutant  sa  voix,  tous  les 
catholiques  se  sont  sentis  soulagés  d'un  poids  qui  les  oppressait. 

Maurienne.  —  Mgr  l'évêque  de  Maurienne  : 

Forte,  digne  et  sereine  comme  la  vérité,  elle  sera  accueillie  avec 
respect  et  admiration  par  ceux  que  n'aveugle  pas  la  passion  ni  l'es- 
prit de  parti.  Puisque  la  justification  si  calme  que  le  Sauveur  fit  de 


132  ANNALES  CATHOLIQUES 

sa  doctrine  pendant  sa  passion,  lui  valut  à  l'instant  un  cruel  soufflet 
de  la  part  d'un  valet,  je  ne  serais  pas  étonné  si  votre  belle  défense 
du  clergé  vous  attirait  les  outrages  de  quelque  serviteur  de  la  Révo- 
lution. Mais  j'aime  à  espérer  que  les  ennemis  mêmes  de  notre  foi, 
qui  ont  le  sentiment  des  convenances,  respecteront  comme  il  le 
mérite,  votre  message  de  paix. 

Quoi  qu'il  en  soit,  vous  avez,  Eminence,  procuré  aux  consciences 
catholiques  un  grand  soulagement  dans  les  afflictions  de  l'heure 
actuelle,  et  vous  avez  rendu  un  immense  service  à  la  cause  de  la  jus- 
tice et  de  la  sainte  Église.  Pour  moi,  heureux  de  me  faire  l'organe 
des  prêtres  et  des  fidèles  de  mon  diocèse,  je  vous  en  remercie  de 
tout  mon  cœur  et  de  toute  mon  âme. 

Orléans.  —  Mgr  révêque  d'Orléans  : 

Avec  l'autorité  de  votre  expérience  et  de  vos  vertus,  vous  avez 
encore  une  fois.  Monseigneur,  vengé  la  vérité,  si  odieusement 
méconnue;  vous  avez  défendu,  comme  il  était  juste  de  le  faire,  cet 
admirable  clergé  français  dont  le  patriotisme  et  l'abnégation  sont 
au-dessus  de  tout  éloge. 

Quand  je  parcours  l'un  après  l'autre  les  presbytères  de  mon  dio- 
cèse, et  que  je  vois  à  l'œuvre,  dans  leur  pauvreté  et  leur  solitude, 
tous  ces  prêtres  si  prudents,  si  dévoués,  si  courageux,  je  me  demande 
comment  l'histoire  qualifiera  l'injustice  des  reproches  qui  leur  sont 
adressés,  même  au  sein  de  nos  assemblées  parlementaires,  et  la  per- 
sécution dont  ils  sont  l'objet. 

Nous  ne  pouvions,  nous  leurs  défenseurs  naturels,  laisser,  par 
notre  silence,  s'accréditer  auprès  des  populations  de  nos  campagnes 
«  des  accusations  qui  dénaturent  entièrement  notre  attitude  et  ne 
peuvent  qu'égarer  l'opinion.  » 

Dans  cette  pénible  conjoncture,  votre  pi'otestation,  Monseigneur, 
est  venue  soulager  l'angoisse  qui  étreignait  mon  cœur  et  ma  con- 
science, et  je  m'y  associe  pleinement.  Si  elle  ne  parvient  pas  à  faire 
cesser  un  douloureux  antagonisme,  aussi  préjudiciable  à  l'Etat  qu'à 
l'Église,  puisse-t-elle  au  moins  consoler  tant  d'âmes  simples  que  l'on 
veut  arracher  à  Dieu,  à  la  vérité,  à  la  vertu,  et  qui,  laissées  à  elles- 
mêmes,  ne  demanderaient  qu'à  rester  dans  la  bonne  voie. 

Quoi  qu'il  arrive,  qu'il  me  soit  permis  de  le  redire  avec  Votre 
Eminence,  «  le  clergé  continuera  de  souffrir  patiemment  ;  il  priera 
pour  ses  eonemis;  il  demandera  à  Dieu  de  les  éclairer  et  de  leur 
inspirer  de  plus  justes  sentiments  ».  Je  m'en  porte  garant  pour  tous 
les  prêtres  de  ce  diocèse,  dont  l'unique  souci  est  de  remplir,  dans  un 
esprit  de  concorde  et  de  paix,  les  saintes  fonctions  de  leur  ministère. 

Reims.  —  Le  Bulletin  religieux  du  diocèse  de  Reims  publie 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  133 

la  lettre  d'adhésion  de  S.  Exe.  Mgr  Langénieux,  lettre  où  nous 
lisons  : 

Nul  ne  pouvait  avec  plus  d'autorité  et  de  sagesse  que  Votre  Émi- 
neuce,  répondre  aux  accusations  imméritées  dont  le  clergé  ne  cesse 
d'être  l'objet;  nul  ne  pouvait  démontrer  plus  clairement  qu'elles  n'ont 
d'autre  but,  dans  l'esprit  de  ceux-là  mêmes  qui  les  formulent,  que 
d'égarer  l'opinion  et  de  justifier,  aux  yeux  des  masses  populaires,  les 
mesures  violentes  dont  nous  souffrons,  et  avec  nous  les  intérêts  sacrés 
dont  nous  avons  la  charge. 

Déjà  Notre  Saint-Père  le  Pape,  dans  la  récente  encyclique  Imniorta.le 
Dei,  avait  mis  dans  son  plein  jour  cette  vérité  que  l'Eglise  ne  répudie 
aucune  forme  de  gouvernement.  Aujourd'hui,  après  vos  nobles  décla- 
rations, qui  osera  prétendre  encore  que  le  clergé  français  professe  et 
pratique  à  cet  égard  une  doctrine  opposée  à  celle  du  Souverain  Pontife? 
—  Non!  ce  ne  sont  pas  nos  institutions  politiques  que  nous  condam- 
nons, ce  sont  les  actes  coupables  et  dangereux  qu'on  accomplit  en  leur 
nom  contre  les  âmes,  contre  l'Église,  contre  la  France  elle-même!  Ce 
que  nous  demandons,  ce  n'est  pas,  quoi  qu'on  dise,  le  renversement  du 
pouvoir  que  la  France  s'est  donné,  mais,  sans  réclamer  la  bienveillance 
à  laquelle  nous  aurions  droit,  du  moins  nous  ne  pouvons  nous  résigner 
à  n'avoir  aucune  part  à  sa  justice.  Nous  ne  le  repoussons  pas,  nous  le 
convions,  au  contraire,  lui  né  d'hier,  à  travailler  avec  nous  à  l'œuvre 
de  salut  spirituel  et  temporel  que  l'Église  poursuit  depuis  dix-huit 
siècles,  qu'elle  a  merveilleusement  réalisée  au  milieu  de  nous,  et  dont 
nous  sommes  les  ouvriers  nécessaires. 

Mais  loin  de  nous  aider,  après  avoir  paru  se  désintéresser  de  notre 
action  exclusivement  religieuse,  après  nous  avoir  promis  la  liberté  en 
nous  retirant  son  appui,  après  avoir  créé,  propagé  et  soutenu  les 
équivoques  les  plus  déloyales,  voici  qu'il  a  pris  une  attitude  d'hostilité 
ouverte,  qu'il  combat  officiellement  nos  croyances  et,  par  un  ensemble 
de  faits  dont  il  ne  peut  plus  déguiser  la  portée  véritable,  il  témoigne 
tous  les  jours  qu'en  «  poursuivant  le  clergé  »,  en  «  affaiblissant  les 
institutions  chrétiennes  »,  il  «  prépare  l'abolition  de  la  religion  elle- 
même  ». 

Les  plus  indifférents,  les  plus  inattentifs  à  la  marche  des  événements 
ne  liront  pas  sans  émotion,  dans  la  lettre  de  Votre  Éminence,  le  rapide 
et  saisissant  résumé  des  coups  portés  à  l'Église  depuis  six  ans. 

...  Ah!  nous  avions  besoin  de  délivrer  notre  âine,  de  protester  contre 
des  violences  et  des  discours  officiels  capables  de  troubler  les  cons- 
ciences et  d'exciter  les  pires  passions.  Pour  ma  part,  je  vous  remercie. 
Monseigneur,  d'avoir  traduit  mes  propres  pensées  avec  cette  modéra- 
tion et  cette  fermeté  qui  conviennent  si  bien  à  votre  âge  et  à  votre 
haute  situation  dans  l'Église.  Je  ne  puis  mieux  faire  que  de  m'associer 
entièrement  à  Votre  Éminence  et  lui  dire  qu'elle  ne  s'est  pas  trompée 
en  affirmant  que  ses  paroles  répondent  au  sentiment  général  des 
membres  de  l'épiscopat. 

Avec  vous,  pour  le  bien  de  l'Église  et  de  l'Etat,  nous  demandons 
qu'on  en  revienne  enfin,  à  «  l'application  loyale  du  Concordat,  aussi 
bien  dans  son  esprit  que  dans  sa  lettre  ».  —  Ce  n'est  pas,  assurément. 


134  ANNALES    CATHOLIQUES 

trop  exiger  du  gouvernement  de  notre  pays  que  de  lui  demander  de 
garder  fidèlement  les  engagements  solennels  qui  le  lient  vis-à-vis  du 
Saint-Siège  et  de  la  grande  majorité  de  ses  sujets  qui  sont  catholiques 

Avec  vous  aussi,  nous  prévoyons  de  grandes  ruines  et  d'irréparables 
malheurs,  si  le  pouvoir  actuel  ne  reprend  pas  les  traditions  religieuses 
qui  ont  fait  la  force  et  la  gloire  de  notre  nation. 

Nous  n'ignorons  pas,  en  effet,  le  sort  des  peuples  infidèles  à  leur 
vocation  et  à  leurs  serments,  et  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  trembler 
en  face  des  signes  trop  visibles  qui  annoncent  de  prochaines  catastrophes. 
—  Vous  avez,  Eminence,  discrètement  soulevé  le  voile  qui  cache  encore- 
aux  regards  insouciants  ou  ennemis  les  inévitables  périls  de  l'avenir. 
Dieu  veuille  que  votre  voix  prophétique  soit  écoutée  ! 

Vannes.  —  Monseigneur  l'évoque  de  Vannes  écrit  : 

La  situation  douloureuse  faite  depuis  quelques  années  à  l'Eglise 
de  France,  alarme  notre  religion  et  notre  patriotisme.  Votre 
Eminence  avait  qualité  pour  interpréter,  avec  la  sagesse  et  la 
modération  qui  caractérisent  tous  ses  actes,  nos  peines  et  nos 
inquiétudes. 

En  m'associant  à  vos  respectueuses  protestations  et  à  vos  justes 
doléances,  j'ai  à  cœur  de  remplir  mon  devoir  d'évêque  caholique  et 
de  bon  citoyen.  Le  clergé  et  les  fidèles  de  ce  diocèse  partageront 
mon  admiration  et  ma  reconnaissance. 

Respectueux  de  toute  autorité  légitime,  nous  ne  donnerons 
jamais  l'exemple  de  la  révolte.  Nous  saurons  souffrir,  prier  et 
pardonner.  Mais  pourrions-nous  oublier,  Monseigneur,  que  nous 
avons  charge  d'âmes?  Les  brebis  ont  droit  d'attendre  de  leurs 
pasteurs  assistance  et  direction.  Nous  n'hésiterions  pas  à  défendre, 
au  péril  même  de  notre  vie,  celles  dont  nous  avons  la  garde. 

Si,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise  !  de  plus  mauvais  jours  étaient  réser- 
vés, dans  un  avenir  prochain,  à  notre  cher  et  malheureux  pays,  les 
évêques  rivaliseraient  encore  de  courage,  de  dévouement  et  de 
générosité. 

Les  odieux  attentats  dirigés  contre  les  personnes  et  les  pro- 
priétés, les  vols  et  les  profanations  qui  se  multiplient  dans  nos 
églises,  l'audace  toujours  croissante  des  ennemis  jurés  de  la 
famille  et  de  la  société,  le  débordement  d'une  impiété  et  d'une 
immoralité  sans  frein,  voilà,  me  semble-t-il,  autant  de  signes 
avant-coureurs  de  bouleversements  épouvantables. 

Nous  avons  donc  tous  raison,  Monseigneur,  de  gémir  sur  notre 
triste  sort,  d'implorer  le  secours  du  ciel  et  de  réclamer,  sans  témé- 
rité ni  faiblesse,  des  pouvoirs  publics  protection,  justice  et  liberté. 
J'entends  dire  que  notre  voix  ne  sera  pas  écoutée.  Si  nos  efforts 
restaient  vains,  nous  aurions  du  moins  sauvé  l'honneur.  Le  maître 
que  nous  servons  n'exige  pas  le  succès. 


LE    DISCOURS    DE    M.    JULES    SIMON  135 


LE   DISCOURS  DE  M.  JULES  SIMON 

Nous  avons  analysé  en  son  temps,  et  apprécié  le  discours 
remarquable  prononcé  au  Sénat  par  M.  Jules  Simon  pendant  la 
deuxième  délibération  de  la  loi  sur  l'enseignement  primaire. 

L'importance  de  ce  discours,  la  force  des  arguments  présentés 
par  l'orateur,  la  haute  autorité  dont  il  jouit  ajuste  titre,  nous 
font  un  devoir  de  revenir  sur  ce  sujet  qui  est,  hélas!  d'une  si 
persistante  actualité.  Au  moment  oii  va  se  signer  en  masse  la 
pétition  dont  il  nous  a  déjà  été  donné  d'entretenir  nos  lecteurs, 
il  n'est  pas  inutile  de  voir  ce  que  pense  de  cette  loi  néfaste  et 
impie  un  homme  dont  le  républicanisme  ne  saurait  être  contesté. 

C'est  à  la  séance  du  18  mars  que  M.  Jules  Simon  a  pris  la 
parole. 

M.  LE  Président.  —  L'article  17  est  ainsi  conçu  : 

«  Dans  les  écoles  publiques  de  tout  ordre,  l'enseignement  est 
exclusivement  confié  à  un  personnel  laïque.  » 

La  parole  est  à  M.  Jules  Simon.  (Mouvement  d'attention.) 

M.  Jules  Simon.  —  Messieurs,  il  m'a  été  impossible  de  prendre  la 
parole  dans  la  première  délibération  du  projet  de  loi. 

Je  ne  suis  même  pas  certain  d'avoir  assez  de  voix  pour  prendre 
part  à  la  discussion  actuelle  aussi  activement  que  je  le  soubaiterais. 

Je  comprends,  en  outre,  ce  qu'il  y  a  de  fâcheux  dans  la  situation 
■que  m'impose  la  nécessité  de  revenir  quelque  peu  sur  certains  argu- 
ments qui  ont  déjà  été  entendus  par  le  Sénat. 

J'espère  qu'il  voudra  bien  prendre  en  considération  cette  situation 
toute  particulière. 

La  question  qui  est  aujourd'hui  soulevée  devant  vous  par  l'ar» 
ticle  17  est  celle  de  la  laïcisation  des  écoles  publiques. 

M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  disait  naguère  que  c'était 
là.  une  doctrine  désormais  passée  dans  les  lois,  et  qu'il  n'était  pas 
possible  de  revenir  sans  cesse  sur  une  question  déjà  décidée. 

M.  le  ministre  voudra  cependant  bien  comprendre  que  ceux  qui 
s'admettent  pas  cette  doctrine  saisissent  toutes  les  occasions  de 
protester  contre  elle.  (Très  bien!  très  bien!  à  droite  et  au  centre.) 

L'opération  qui  consiste  à  exclure  de  l'enseignement  tous  les  con- 
gréganistes  n'est  pas  seulement,  j'ai  eu  déjà  l'occasion  de  le  dire, 
«ne  opération  scolaire;  c'est  un  système  de  gouvernement.  (Très 
bien!  très  bien!  sur  les  mêmes  bancs.) 

Ce  système  proclame  la  toute-puissance  de  l'Etat  dans  une  matière 
<yn  nous  étions  accoutumés  à  croire  que  la  liberté  doit  être  entière  et 
complète.  (Très  bien!  très  bien!  à  droite  et  au  centre.) 


136  ANNALES    CATHOLIQUES 

Au  cours  de  cette  discussion,  j'aurai  plus  d'une  fois  à  reproduire 
les  arguments  qui  ont  été  développés  dans  les  admirables  discours 
de  MM.  Buffet  et  Chesnelong. 

Mais  entre  eux  et  moi  il  y  a  cette  différence,  c'est  qu'ils  combat- 
taient pour  leurs  écoles,  pour  leur  foi. 

Telle  n'est  pas  ma  situation. 

Si  j'avais  à  voter  dans  ma  commune,  et  mon  très  cher  ami  M.  Bar- 
doux,  qui  a  prononcé  un  si  remarquable  discours  dans  la  première 
délibération,  serait  de  mon  avis  —  donc,  si  M.  Bardoux  et  moi  nous 
avions  à  voter  dans  notre  commune  sur  le  choix  de  l'école,  nous 
voterions  pour  l'école  laïque  ;  mais,  au  cas  où  la  majorité  serait  d'un 
avis  contraire,  nous  nous  inclinerions  devant  elle.  Ce  n'est  pas  pour 
l'école  que  nous  parlons,  c'est  pour  la  liberté.  (Très  bien!  très  bien! 
à  droite  et  au  centre.) 

Je  ne  puis  dire  cela  sans  me  rappeler  qu'il  y  a  quarante  ans 
une  grande  discussion  s'était  élevée  entre  les  ultramontains  et  les 
philosophes. 

La  question  était  celle  du  monopole  de  l'Université. 

J'étais  alors  un  universitaire  et  j'étais  philosophe,  ce  que  je  n'ai 
pas  cessé  d'être. 

Du  sein  même  de  l'Université  j'élevai  la  voix  contre  le  monopole 
universitaire. 

Je  voulais  que  la  liberté  de  l'enseignement  devînt  une  vérité  dans 
notre  pays.  (Très  bien!  très  bien!  sur  les  mêmes  bancs.) 

Lorsque  vous  éliminez  les  congréganistes  de  l'enseignement 
public,  vous  poursuivez  la  même  politique  que  lorsque  vous  votiez 
l'article  7,  que  j'ai  eu  l'honneur  de  faire  repousser  par  le  Sénat. 

Dans  les  discussions  qui  ont  eu  lieu  au  sujet  de  cette  loi,  M.  le 
ministre  a  fait  observer  qu'entre  l'article  7  et  la  disposition  qui  vous 
est  soumise,  il  y  a  une  très  grande  différence. 

L'article  7  interdisait  aux  religieux  toute  espèce  d'enseignement, 
tandis  que  l'article  qui  vous  est  soumis  leur  ferme  seulement  l'accès 
des  écoles  de  l'Etat. 

Il  y  a  là,  je  le  reconnais,  une  différence.  Mais  n'y  a-t-il  pas  beau- 
coup de  cas  oi\  l'article  nouveau  fait  exactement  ce  que  faisait 
l'article?? 

On  a  répondu  à  l'objection  :  Mais  il  vous  restera  des  écoles  où 
vous  régnerez,  et  qui  vous  appartiendront  absolument  ;  la  liberté  est 
donc  entière. 

Non,  la  liberté  n'est  pas  tout  à  fait  entière,  parce  que  ce  n'est  pas 
la  liberté  que  de  pouvoir  se  procurer  l'enseignement  en  payant. 
Tout  le  monde  ne  peut  pas  payer,  et  il  ne  faut  pas  que  la  liberté 
soit  un  objet  de  luxe.  (Très  bien!   très  bien!  à  droite  et  au  centre.) 

De  plus,  il  faudra  trouver  un  maître,  et  vous  rendez  la  profession 
d'instituteur  libre  tellement  difficile,  que  cela  ne  sera  pas  aisé.  On  a 


LE    DISCOURS    DE    M.    JULES    SIMON  137 

dit  que  vous  tuiez  l'enseignement  libre,  je  ne  veux  pas  me  servir 
d'un  mot  qui  pourrait  être  taxé  d'exagération,  mais  je  dirai  que  vous 
le  rendrez  bien  malade  (sourires)  et  qu'il  est  certain  que  les  écoles 
publiques  seront  désormais  à  peu  près  les  écoles  uniques. 

En  tous  cas,  vous  reconnaîtrez  avec  moi  que  le  fait  d'exclure  d'une 
fonction  publique  toute  une  catégorie  de  citoyens  est  un  fait  consi- 
dérable. (Très  bien!  très  bien!  à  droite.) 

Nous  avons  dans  notre  droit  public,  cette  doctrine  que  les  fonc- 
tions sont  également  accessibles  à  tous  les  citoyens.  Nous  regardons 
ce  principe  comme  une  des  plus  importantes  conquêtes  de  la  Révo- 
lution. 

Or,  quand  vous  décidez  que  toute  une  catégorie  de  citoyens  sera 
exclue  d'une  fonction,  il  me  semble  que  vous  oubliez  ce  principe. 
(Très  bien  !  très  bien  !  â  droite.) 

A  cela,  vous  répondrez  qu'à  tout  principe  il  peut  y  avoir  des 
dérogations. 

C'est  vrai,  et  vous  citez  les  nombreuses  incompatibilités  que  les 
lois  ont  édictées. 

Seulement  vous  conviendrez  qu'une  incompatibilité  qui  frappe  toute 
une  classe  de  citoyens  est  considérable,  et  qu'il  faut  avoir  des  raisons 
bien  graves  pour  se  résoudre  à  cette  extrémité. 

Je  ne  veux  pas  discuter,  quant  à  présent,  le  principe  même  ;  je  me 
bornerai  à  examiner  les  motifs  de  la  dérogation  que  vous  y  avez 
apportée,  et  je  vous  dis  que  ces  motifs  ne  sont  pas  de  nature  à  jus- 
tifier la  mesure  que  vous  prenez. 

Quels  sont  les  motifs  qui  vous  déterminent  â  la  prendre  ? 

Il  faut  qu'ils  soient  bien  sérieux,  bien  graves;  je  le  répète,  non 
seulement  parce  que  vous  violez  ainsi  un  des  principes  les  plus 
essentiels  de  notre  droit  public,  mais  aussi  parce  que  vous  n'ignorez 
pas  que  vous  vous  mettez  en  contradiction  avec  une  portion  consi- 
dérable de  vos  concitoyens. 

Vous  courez  le  danger  énorme,  pour  un  gouvernem.ent,  je  ne  dis 
pas  pour  un  ministre,  de  mettre  des  citoyens  dans  l'impossibilité  de 
donner  à  leurs  enfants,  non  point  dans  les  villes  où  ces  écoles  pro- 
blématiques pourront  encore  subsister,  mais  dans  les  hameaux, 
l'enseignement  conforme  à  leurs  idées,  à  leur  foi.  (Très  bien  !  très 
bien  !  à  droite.; 

Vous  mettez  la  main  sur  leurs  consciences.  (Nouvelle  approbation.) 

Pour  poursuivre  depuis  plusieurs  années  une  telle  entreprise  avec 
autant  de  persévérance,  il  faut  que  vous  ayez,  en  vérité,  des  raisons 
bien  solides. 

Eh  bien  !  ces  raisons,  je  les  ai  examinées,  et  je  crois  pouvoir  les 
réduire  sous  trois  chefs  : 

Premièrement  on  veut  la  neutralité  de  l'école  au  point  de  vue 
religieux,  et  l'on  dit  que  les  congréganistes  ne  peuvent  pas  l'observer. 


138  ANNALES   CATHOLIQUES 

Deuxièmement,  on  veut  que  le  maître  d'école  enseigne  la  Répu- 
blique à  ses  élèves,  qu'il  leur  fasse  aimer  les  institutions  qui  nous 
régissent,  et  on  dit  que  jamais  les  congréganistes  ne  se  cliargeront 
de  cette  mission. 

Il  en  est  une  troisième,  qui  diffère  des  deux  autres  en  ceci  qu'on 
apporte  volontiers  les  deux  premières  à  la  tribune,  et  qu'on  parle 
moins  souvent  de  la  troisième. 

J'examinerai  les  trois  ordres  d'objections. 

En  ce  qui  concerne  la  neutralité,  je  crois  pouvoir  vous  dire,  en 
un  mot,  que  votre  argumentation  repose  sur  une  idée  fausse.  Non 
que  je  prétende  que  les  congréganistes  pourront  être  neutres  dans 
l'école.  Ce  n'est  pas  possible,  et  vous  avez  raison  de  le  dire. 

Vous  avez  raison  de  penser  qu'ils  ne  se  chargeront  pas  de  faire 
aimer  les  institutions  républicaines,  bien  que  cela  soit  moins  dé- 
montré. 

Et  la  démonstration  serait  encore  plus  difficile  si  vous  n'aviez  pas 
pris,  en  quelque  soi'te,  à  tâche  de  rendre  la  République  désagréable 
aux  instituteurs  congréganistes.  (Sourires  et  applaudissements  à 
droite.'^ 

Mais  je  l'admets,  ce  n'est  pas  sur  ce  point  que  vous  vous  trompez. 

Où  je  trouve  que  vous  vous  trompez,  c'est  quand  vous  pensez  que 
le  maître  d'école  doit  être  neutre  en  matière  religieuse,  mais  qu'il 
peut  être  apôtre  en  politique. 

Non,  il  ne  peut  pas  plus  être  neutre  en  religion  qu'il  ne  doit  être 
apôtre  en  politique  ;  et  je  vais  vous  le  prouver. 

D'abord,  voyons  pour  la  neutralité  religieuse. 

Vous  dites  que  votre  école  publique  sera  neutre  et  que,  dès  lors, 
les  pères  catholiques  pourront  sans  crainte  y  envoyer  leurs  enfants. 

Mais  vous  ne  dites  pas  que  votre  école  sera  neutre  au  point  de 
vue  politique,  et  elle  ne  le  sera  point,  puisqu'on  y  apprendra  à 
aimer  la  République. 

Or,  pouvez-vous  ignorer  que  les  pères  tiennent  tout  autant  à  leurs 
opinions  politiques  qu'à  leurs  croyances  religieuses?  (Très  bien!  très; 
bien  !  â  droite.) 

Donc,  si  vous  n'aviez  la  neutralité  que  pour  la  religion,  vous  ne 
gagneriez  pas  grand'chose  contre  les  adversaires  de  l'obligation. 

D'ailleurs,  votre  neutralité  est  impossible,  avec  la  meilleure  foi  du 
monde. 

Vous  aurez  beau  donner  les  plus  rigoureuses  instructions,  exercer 
la  surveillance  la  plus  active  et  la  plus  sévère,  vous  ne  l'obtiendrez  pas. 

L'autre  jour,  à  cette  tribune,  un  orateur  de  la  droite  s'écriait  : 

«  Est-ce  que  quelqu'un  ici  est  neutre?  Est-ce  qu'on  peut  réellement, 
absolument,  être  neutre  ?  » 

Eh  bien  !  notre  collègue  avait  parfaitement  raison.  On  n'est  jamais 
neutre,  en  politique  ni  en  religion. 


LE    DISCOURS    DE   M.    JULES    SIMON  1  39 

S'il  en  existe,  par  hasard,  de  ceux-là,  je  les  plains.  Celui  qui  es 
•neutre  est  nul.  (Très  bien  !  très  bien  !  à  droite  et  au  centre.) 

Et  puis,  il  y  a  tant  de  manières  de  violer  cette  neutralité!  Le 
maître  ne  restera  pas  neutre. 

On  enseigne  par  le  geste,  par  la  physionomie,  par  l'intonation  de 
la  voix,  par  les  exemples  d'écriture  mis  sous  les  yeux  des  enfants, 
par  les  livres  mis  dans  leurs  mains.  Que  de  façons  de  violer  la  neu" 
tralité  ! 

Et  la  littérature  française,  est-ce  que  vous  la  supprimerez  dans  les 
«coles  ? 

Or,  depuis  trois  cents  ans  nos  grands  écrivains  expriment  des  opi- 
nions diverses;  certains  affirment,  certains  combattent  des  idées  que 
l'instituteur  fera,  suivant  ses  propres  principes,  connaître  à  ses  élèves. 

Au  reste,  je  ne  veux  pas  de  profession  neutre  parce  que  je  n'es- 
time pas  le  professeur,  s'il  est  tel.  En  effet,  il  est  impossible  qu'il 
n'ait  pas  d'opinion,  et  s'il  a -une  opinion,  pourquoi  la  cache-t-il? 
Est-ce  donc  là  le  modèle  que  vous  donnez  aux  enfants  ?  (Très  bien  I 
•à  droite  et  au  centre.) 

L'école  neutre  est  une  école  déshonorée,  et  s'il  y  en  avait,  il  fau- 
drait en  rougir.  (Applaudissements  à  droite  et  au  centre.) 

Messieurs,  quand  on  a  commencé  cette  petite  guerre...  (Interrup- 
tions) je  la  qualifiais  de  petite  pour  faire  plaisir  à  mes  adversaires, 
mais  je  la  trouve  grande. 

M.  LE  Ministre  de  l'instruction  publique.  —  Oui,  grande,  en  effet. 

M.  Jules  Simon.  —  Eh  bien  !  quand  on  a  commencé  cette  guerre, 
on  s'est  attaqué  d'abord  aux  congrégations  religieuses  non  autorisées, 

Ensuite,  ce  sont  les  congrégations  autorisées  qu'on  a  voulu  exclure 
de  l'enseignement,  tels  les  Frères  de  la  Doctrine  chrétienne,  telles  les 
Soeurs  de  Saint-Vincent  de  Paul. 

On  a  étendu  l'ostracisme  aux  prêtres,  on  les  a  exclus  avec  un  soin 
que  j'allais  qualifier  de  religieux.  (Rires  sur  plusieurs  bancs.) 

On  avait  demandé  que  le  prêtre  pût  venir  à  certaines  heures  dans 
l'école  publique  pour  y  donner  l'enseignement  religieux. 

Comment  !  a-t-on  dit,  y  pensez-vous  !  introduire  la  soutane  dans 
nos  écoles  !  Mais  elles  seraient  contaminées  par  sa  seule  présence. 
(Rires  ironiques  à  droite.) 

On  a  donc  interdit  l'entrée  de  l'école  de  la  commune  au  curé. 

Et  la  proscription  a  compris  les  catholiques,  les  chrétiens  et  même 
nous  autres,  les  déistes  ! 

Mais  voyons  pourquoi  l'on  veut  exclure  de  l'enseignement  des 
écoles  publiques  les  congréganistes,  les  Frères  de  la  Doctrine  chré- 
tienne. 

Parce  que,  dit-on,  ce  ne  sont  pas  des  hommes  comme  les  autres  ; 
parce  qu'ils  ont  un  supérieur  général,  lequel  a  au-dessus  de  lui  un 
antre  supérieur  qui  réside  à  l'étranger;  parce  qu'ils  prononcent  des 


140  ANNALES    CATHOLIQUES 

vœux  et  qu'ils  soat  soumis  à  certaines  règles  qui  leur  enlèvent  leur 
libre  arbitre. 

Et  puis,  on  dit  aussi  : 

Ces  congréganistes  vont  avoir  à  enseigner  la  vie  aux  enfants. 

La  première  chose  de  la  vie  à  leur  apprendre  c'est  la  loi  du  travail. 

Or,  pour  nous,  hommes  du  X1X<'  siècle,  pour  nous  démocrates  et 
républicains,  le  travail,  c'est  la  glorification  de  l'existence. 

Pour  eux,  au  contraire,  c'est  le  fruit  de  la  malédiction  divine. 

Pour  eux,  la  vie  est  une  épreuve;  pour  nous,  c'est  un  but  d'activité 
féconde. 

M.  LE  ]\IiNiSTRE.  —  J'ai  dit  que  la  terre  était,  d'après  la  doctrine 
catholique,  un  lieu  d'expiation. 

M.  Jules  Simon.  —  Oui,  mais  ce  n'est  pas  à  vous  seul  que  je  réponds, 
monsieur  le  ministre,  c'est  à  tous  mes  adversaires. 

Ce  n'est  pas  mon  rôle  de  discuter  toutes  les  allégations  qui  ont  été 
produites  au  sujet  des  congréganistes. 

C'est  le  rôle  de  ces  messieurs.  (L'orateur  désigne  la  droite.) 

Pourtant  je  voudrais  dire  quelques  mots  sur  deux  ou  trois  points. 

D'abord,  dit-on,  les  religieux  ont  fait  des  vœux. 

Eh  bien  !  messieurs,  n'y  a-t-il  que  les  religieux  qui  fassent  des 
vœux?  Ne  connaissez-vous  pas  d'autres  hommes  qui  en  prononcent, 
sans  que  vous  songiez  pour  cela  à  leur  contester  la  qualité  de 
citoyens?  (Approbation  à  droite.) 

On  dit  aussi  :  le  travail  pour  les  catholiques  est  une  condamnation. 

Je  crois  que  vous  faites  ici  une  confusion. 

Je  connais  la  Bible  et  le  dogme  chrétien.  Je  sais  ce  qu'ils  ensei- 
gnent du  paradis  terrestre,  d'où  l'homme  fut-  chassé  par  Dieu  pour 
avoir  failli,  et  dont  il  sortit  pour  «  gagner  son  pain  à  la  sueur  de 
son  front  ». 

Oui,  je  sais  cela.  Mais  le  genre  humain  n'habite  plus  le  paradis 
terrestre  ;  il  l'a  quitté  depuis  bien  des  siècles.  (Rires  à  droite.) 

Et  c'est  pour  ce  genre  humain,  chassé  du  paradis  terrestre,  que 
les  lois  humaines  sont  faites,  et  même  que  le  christianisme  a  été  fait. 

Eh  bien!  quand  j'étudie  la  religion,  je  ne  vois  pas  qu'elle  s'inspire 
des  sentiments  que  vous  croyez.  Il  me  semble  qu'elle  n'a  jamais 
enseigné  que  l'oisiveté  est  supérieure  'au  travail.  (Applaudissements 
â  droite.) 

M.  le  Ministre.  —  C'est  fort  bien  dit,  mais  je  n'ai  pas  avancé  le 
contraire. 

M.  Jules  Simon.  —  Veuillez  croire  qu'il  n'y  a  dans  mes  paroles 
rien  d'agressif  pour  vous. 

Je  réponds  plus  aux|autres  qu'à  vous-même... 

Je  vois  donc,  messieurs,  que  dans  la  société  chrétienne,  le  travail 
est  non  seulement  enseigné  par  des  préceptes,  mais  par  des  exemples. 

Regardez  ces  Frères  des  écoles  chrétiennes,  qui  parcourent  nos 
rues,  revêtus  d'un  habit  grossier.  Sont-ce  des  oisifs? 


LE   DISCOURS    DE    M.    JULES    SlMONi  141 

Et  les  Sœurs,  dont  je  puis  parler,  car  je  les  connais  mieux,  je  les 
connais  bien,  et  par  des  circonstances  de  ma  propre  vie  dont  je  me 
souviens  avec  tristesse  et  avec  fierté.  (Bravos  à  droite  !  très  bien  1 
très  bien  !) 

Or,  disais-je,  les  Soeurs  prêchent-elles  l'oisiveté?  La  pratiquent- 
elles?  Avez-vous  songé  jamais  à  ces  pauvres  femmes,  qui,  après  avoir 
fait  cinq  heures  de  classe,  ne  quittent  les  enfants  que  pour  aller 
porter  du  pain  au  père  et  â  la  mère?  (Applaudissements  à  droite.) 

Voix  à  gauche.  —  Ce  n'est  pas  exact  ! 

M.  Jules  Simon.  —  Vous  leur  reprochez  de  considérer  la  vie  comme 
la  préparation  à  une  existence  future. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  catholiques,  les  chrétiens  qui  pensent 
ainsi,  ce  sont  tous  ceux  qui  croient  en  Dieu  ;  c'est  la  doctrine  de 
toutes  les  écoles  spiritualistes. 

Cette  doctrine-là,  je  l'ai  enseignée  ;  si  j'en  avais  la  force,  je  serais 
fier  de  l'enseigner  encore. 

J'espère  un  jour,  qui  n'est  peut-être  pas  éloigné,  m'endormir  avec 
elle,  et  l'honneur  de  ma  vie  sera  d'avoir  fait  pénétrer  ces  grandes 
idées  dans  quelques  esprits.  (Applaudissements  à  droite.) 

M,  LE  Ministre  de  l'instruction  publique.  — Je  n'ai  pas  prononcé 
dans  mon  discours  un  seul  mot  contraire  â  ce  que  vous  dites  en  ce 
moment. 

M.  Jules  Simon.  —  Votre  système  tend  à  diminuer  les  religieux,  à 
les  déshonorer. 

Je  ne  crois  pas  beaucoup  à  la  neutralité  dans  l'école. 

Je  ne  veux  pas  d'apostolat  en  matière  politiqiie. 

Oui,  je  crains  de  voir  entrer  la  politique  dans  l'école,  car  je  crois 
la  religion  plus  près  de  la  conscience  que  la  politique. 

Voyez  ce  que  vaut  la  politique  â  l'école.  Vous  souvient-il  du  pre- 
mier Empire  et  du  catéchisme  qu'on  enseignait  alors  aux  enfants  ? 

Vous  vous  en  souvenez  assurément,  car  c'est,  avec  raison,  un  des 
griefs  que  vous  avez  le  plus  souvent  invoqués  contre  l'Empire. 

Ne  disait-on  pas  aux  enfants  que  l'amour  de  l'empereur  était  l'un 
des  premiers  devoirs  ? 

Traversons  quelques  années  et  arrivons  au  second  Empire.  On 
enseignait  alors  â  aimer  aussi  le  second  Empire  dans  les  écoles. 
L'éloge  du  gouvernement  était  répété  souvent  ;  on  faisait  chanter 
l'hymne  en  l'honneur  de  l'empereur  en  obligeant  les  élèves  â  se  lever, 
et  l'on  forçait  aussi  tous  les  assistants  à  se  lever.  (Mouvement.) 

Que  pensiez-vous  de  cela,  républicains  et  légitimistes? 

Vous  vous  révoltiez  alors,  vous  aviez  raison  ;  mais  cependant,  sous 
le  second  Empire,  l'enseignement  n'était  pas  obligatoire,  ce  qui 
constituait  une  différence.  (Nouveau  mouvement.  —  Applaudisse- 
ments au  centre  et  sur  divers  bancs  à  droite.) 

Vous  vous  indigniez!  Aviez-vous  tort  ?  Si  vous  aviez    raison,  ne 


142  •  ANNALES    CATHOLIQUES 

faites  pas  aujourd'hui  ce  que  vous  blâmiez  jadis  ;  autrement,  si  vous 
le  faites,  on.  pourrait  dire  :  Vous  avez  joué  la  comédie!...  (Appro- 
bation à  droite  et  au  centre.) 

Non,  messieurs,  il  ne  faut  pas  flatter  d'une  certaine  façon  le  maître 
d'école;  vous  avez  tort  de  lui  dire  :  Tu  es  le  magistrat  de  la  jeunesse, 
et  d'ajouter  :  Tu  es  le  représentant  de  l'idée  moderne.  -Te  le  regrette, 
c'est  avec  cette  idée  que  vous  avez  élevé  ces  monuments  dans  les 
villages,  où  l'idée  est  représentée  par  la  pierre  ;  vous  avez  voulu 
opposer  la  maison  d'école  au  clocher.  (Nouvelle  et  vive  approbation 
à  droite  et  au  centre.  —  Rumeurs  à  gauche.) 

Vous  voulez  faire  du  maître  d'école  un  agent  de  la  politique! 

Non,  il  est  impossible  que  le  campagnard,  homme  simple,  à  l'hori- 
zon limité,  ne  se  laisse  pas,  ainsi,  écarter  de  la  situation  réelle. 

Vous  voulez  grandir  le  maître  d'école? 

Mais  je  le  grandis  davantage  en  en  faisant  un  simple  maître  d'école 
de  village,  et  je  préfère  ce  titre  à  tous  les  euphémismes  avec  lesquels 
on  le  trompe  et  l'on  se  trompe.  (Très  bien!  au  centre  et  à  droite.) 

Vous  voulez  en  faire  un  professeur,  le  charger  de  trop  de  cours, 
coui's  de  morale,  cours  d'instruction  civique;  eh  bien!  c'est  trop  pour 
le  maître  et  trop  pour  les  élèves;  le  premier  est  incapable  de  le  faire, 
et  les  seconds  de  le  comprendre. 

Si  on  me  rappelait  que  j'ai  enseigné  la  morale  et  si  l'on  me  repro- 
chait de  montrer  cet  enseignement  comme  un  péril,  je  répondrais 
que  le  fait  d'avoir  enseigné  la  philosophie,  la  morale  donne  la  cons- 
cience des  difficultés  qu'il  y  a  à  faire  un  cours  de  morale  à  des 
enfants  de  dix  ans. 

L'enseignement  de  la  morale  dans  les  lycées  à  des  élèves  de  dix- 
huit  ans,  qui  savent  bien  des  choses,  même  beaucoup  trop  de  choses' 
(on  rit),  par  des  agrégés,  cet  enseignement  lui-même  me  fait  quelque 
peur.  Ce  qui  me  rassurerait,  ce  serait  qu'on  reçût  à  l'école,  dans 
l'enseignement  primaire,  un  enseignement  moral  donné  comme  le 
donnent  le  père  et  la  mère,  sans  disserter  et  fait  au  jour  le  jour. 
(Très  bien!  très  bien!  au  centre  et  à  droite.) 

Mais  je  ne  veux  pas  de  l'enseignement  qui  tendrait  à  détruire 
toutes  les  croyances,  sans  réussir  à  en  faire  naître  une  seule.  (Nou- 
veau mouvement.) 

La  première  éducation  de  l'enfant  se  fait  par  un  acte  de  foi;  quand 
vous  aurez  appris  à  l'enfant  à  être  bon,  fraternel,  juste,  comme  il 
apprend  à  parler  et  à  marcher,  il  sera  invincible;  alors  il  pourra 
recevoir  cet  enseignement  philosophique  et  moral  des  maîtres  qui 
autrement  ne  font  bien  souvent  que  troubler  les  esprits. 

Et  par  là  aussi  vous  aurez  des  patriotes,  car  c'est  surtout  l'ensemble 
de  ces  hautes  doctrines  qui  constitue  la  patrie  et  en  inspire  l'amour. 
(Applaudissements  à  droite.) 

Oui,  lorsque  vous  aurez  enseigné  le  patriotisme,  la  liberté  et  la 


LE    DISCOURS    DE    M.    JQLES    SIMON  145^ 

justice,  VOUS  leur  aurez  enseigné  la  République,  ^fns  la  nommer, 
(Vive  sensation.) 

Je  vous  ai  fait  connaître  mon  sentiment  sur  les  deux  arguments 
que  l'on  emploie  le  plus  souvent  pour  mettre  en  relief  l'incompati- 
bilité qui  existe  entre  l'enseignement  congréganiste  et  l'enseignement 
laïque. 

Je  voudrais  vous  dire  maintenant  un  mot  d'un  autre  argument 
qu'on  apporte  moins  souvent  â  cette  tribune. 

Je  crois  pour  ma  part,  messieurs,  que  c'est  moins  une  théorie  que 
vous  appliquez  qu'une  passion  que  vous  poursuivez.  (Très  bien! 
très  bien  !  au  centre.) 

Cela  est  si  vrai  que  tous  ceux  qui  sont  les  plus  anticléricaux 
avouent  sans  trop  de  peine  dans  l'intimité,  que  la  loi  qu'ils  veulent 
voter  est  une  loi  de  colère,  une  loi  de  revanche. 

Nous  avons  vu,  disent-ils,  le  clergé  tout-puissant  et  nous  l'avons 
vu  intolérant;  quand  il  a  été  tout-puissant,  il  ne  s'est  pas  gêné  pour 
revendiquer  la  haute  main  sur  l'école;  aujourd'hui  que  nous  avons 
le  pouvoir,  nous  voulons  être  les  maîtres,  et  nous  le  serons.  (Nou- 
velle approbation  au  centre.) 

Telle  est  la  raison  qu'on  n'avoue  pas  souvent,  au  moins  à  la  tri- 
bune, mais  qui  est  la  raison  déterminante,  exclusive  de  ceux  qui 
poussent  à  la  laïcisation,  et  qui  font  de  l'article  que  nous  discutons 
et  de  l'article  66,  la  pensée  dominante  de  la  loi.  (Très  bien!  très 
bien!  à  droite.) 

Mhîs  je  m'étonne,  néanmoins,  que  vous  ayez  inscrit  une  pareille 
disposition  dans  la  loi.  Quel  besoin  en  aviez-vous?  N'aviez-vous  pas 
déjà  les  moyens  légaux  d'écarter  les  congréganistes  des  écoles 
publiques?  Oui,  vous  en  aviez  et  les  moyens  et  le  droit.  Vous  en 
aviez  si  bien  le  droit  que  vous  avez  à  peu  près  terminé  la  transfor- 
mation pour  les  écoles  de  garçons. 

Si  la  tâche  est  moins  avancée  pour  les  écoles  de  filles,  c'est  que 
vous  manquiez  de  maîtresses.  Vous  pouvez  bien  dire  que  vous  avez 
sous  la  main  beaucoup  de  brevetées  et  beaucoup  de  demandes,  cela 
ne  veut  pas  dire  que  vous  ayez  beaucoup  de  maîtresses.  (Très  bien! 
au  centre  et  à  droite.) 

L'autre  jour,  quand  mon  ami,  l'honorable  M.  Chalamet,  vous 
demandait  avec  éloquence,  par  un  amendement,  de  permettre  que 
les  écoles  mixtes  fussent,  suivant  les  cas,  confiées  soit  à  des  institu- 
teurs, soit  à  des  institutrices,  il  vous  donnait  d'excellentes  raisons. 

C'est  qu'en  effet  les  brevetées,  les  maîtresses  laïques  ne  se  résou- 
dront pas  toujours  à  aller  dans  les  écoles  de  hameau,  tandis  que  les 
religieuses  y  seraient  allées,  car  elles  vont  partout.  (Réclamations 
à  gauche.) 

Oui,  elles  vont  partout,  lès  religieuses,  parce  que  leur  cornette 
est  un  porte-respect  aussi  bien  qu'un  porte-courage.  (Très  bien! 
très  bien!  au  centre  et  â  droite.) 


144  .      •     .       ANNALES    CATHOLIQUES 

Je  dis  donc  (J^si  vous  n'avez  pas  encore  accompli  la  transforma- 
tion des  écoles  de  filles,  c'est  uniquement  parce  que  vous  manquiez 
de  personnel,  et  non  parce  que  vous  n'en  aviez  pas  les  moyens  légaux. 

Pourquoi  donc  avez-vous  inscrit  dans  la  loi  ces  deux  articles? 

Ah!  en  y  regardant  de  près,  on  s'en  rend  compte. 

On  veut  obliger  le  ;ministre  à  user,  dans  l'avenir,  d'un  droit  qu'il 
avait,  mais  dont  il  pouvait  ne  pas  user. 

C'est  donc  une  aggravation  nouvelle  de  la  situation  présente.  (Très 
bien!  très  bien!  au  centre  et  à  droite.) 

Cela  est  grave,  messieurs,  car  vous  allez  obliger  la  majorité  des 
citoyens  français  à  faire  élever  leurs  enfants  par  des  maîtres  qui  ne 
partagent  pas  leurs  opinions. 

Cela  est  grave,  parce  qu'on  va  dépouiller  les  communes  du  droit 
qu'on  leur  avait  reconnu  jusqu'à  ce  jour. 

Jusqu'à  présent  elles  ont  pu  conserver  l'espérance  que  leurs  vœux 
seraient  entendus  :  cette  espérance  même  va  disparaître  car  tout  va 
être  sacrifié  à  la  toute-puissance  de  l'État.  (Très  bien  !  très  bien  !  au 
centre  et  à  droite.) 

Messieurs,  nous  avons  connu  d'autres  époques  où  l'Etat  était  tout- 
puissant,  nous  en  avons  souffert  et  nous  nous  sommes  jetés  avec 
passion  dans  la  décentralisation,  nous  républicains.  (Très  bien!  très 
bien!  au  centre.) 

Je  me  rappelle  les  éclats  de  notre  indignation  contre  cette  main- 
mise de  l'État  sur  les  départements  et  sur  les  communes.  Nous 
avons  crié  contre  le  pouvoir  absolu,  et  chaque  fois  que  nous 
gagnions  quelque  chose  contre  lui,  nous  considérions  que  nous 
gagnions  quelque  chose  pour  la  liberté  et  le  progrès,  (Très  bien  ! 
très  bien  !  sur  un  grand  nombre  de  bancs.) 

Et  voilà  qu'après  avoir  augmenté  les  droits  des  communes  et  des 
départements  en  matière  de  finances,  vous  allez  les  dépouiller  en 
matière  d'instruction. 

Eh  bien  !  nous  pourrions  vous  pardonner  de  mettre  la  main  sur 
nos  biens,  nous  ne  pouvons  vous  accorder  le  droit  de  la  mettre  sur 
nos  consciences.  (Très  bien  !  très  bien  !  sur  un  grand^nombre  de  bancs.) 

Nous  vous  livrerons  plutôt  notre  bien-être,  mais  l'âme  de  nos 
enfants,  nous  ne  la  livrerons  à  personne.  (Très  bien  !  très  bien  !  sur 
les  mêmes  bancs.) 

Si  je  parle  ainsi,  ce  n'est  pas  que  j'aie  peur  de  vos  écoles. 

Je  parle  pour  la  liberté  des  autres,  c'est-à-dire  pour  la  liberté. 
(Très  bien  !  très  bien!  sur  les  mêmes  bancs.) 

Autrefois  on  citait  comme  un  sarcasme  cette  parole  que  M.  Veuillot 
adi'essait  aux  républicains  (1)  : 

«  Quand  vous  êtes  au  pouvoir,  nous  vous  demandons  la  liberté 

(1)  C'est  une  parole  de  M.  de  Montalembert  faussement  attribuée 
â  Louis  Veuillot. 


CONFÉRENCES    DE   NOTRE-DAME  145 

parce  que  c'est  votre  dogme,  et  lorsque  nous  sMhnes  les  maîtres, 
nous  vous  la  refusons  parce  que  c'est  le  nôtre. 

A  gauche.  —  C'était  cynique. 

On  a  vu  là  un  sarcasme.  Hh  bien  !  moi,  je  vous  demande  d'y  voir 
un  éloge  pour  le  parti  républicain. 

Que  les  autres  nous  refusent  la  liberté,  c'est  leur  aftaire.  Notre 
devoir,  à  nous,  c'est  de  la  donner  à  tous,  même  à  ncn  adversaires. 
(Très  bien!  très  bien  !  sur  les  mêmes  bancs.) 

Pourquoi  aurions-nous  lutté,  pourquoi  aurions-nous  vécu,  si  ce 
n'était  pour  conquérir  un  tel  droit? 

Pour  moi,  qui  ai  lutté  cinquante  ans  et  qui  aujourd'hui  suis  un 
vieillard,  je  suis  prêt  à  donner  la  liberté  même  à  ceux  qui  voudraient 
s'en  servir  contre  moi. 

La  liberté,  oui,  voilà  le  but  de  ma  vie;  je  le  répète,  j'ai  lutté  pour 
elle  pendant  cinquante  ans;  s'il  fallait  y  renoncer,  je  considérerais 
comme  perdue  cette  vie  que  j'ai  tout  entière  consacrée  au  service  de 
mon  pays.  (Très  bien  !  très  bien!  et  applaudissements  sur  les  mêmes 
bancs.) 

Sous  l'empire,  il  y  en  avait  qui  disaient  :  Si  nous  prenons  sa 
place,  souvenons-nous  de  ses  leçons.  Jamais,  non,  jamais  je  n'ai 
partagé  cette  doctrine. 

Il  ne  faut  pas  faire  à  notre  tour  ce  que  nous  considérions  comme 
un  mal,  comme  une  injustice.  (Très  bien  !  très  bien  !  sur  les  mêmes 
bancs.) 

Quelques-uns  sourient  de  mes  paroles;  je  le  regrette  pour  eux. 

Est-ce  pour  faire  du  mal  que  vous  combattez? 

Laissez-moi  croire,  messieurs,  que  le  parti  républicain  sera  tou- 
jours ce  que  j'ai  pensé  et  ce  que  je  pense  qu'il  doit  être  :  le  parti  «le 
la  justice,  de  la  liberté,  du  progrès.  (Très  bien  !  très  bien  !  et  applau- 
dissements réitérés  à  droite  et  au  centre.) 

L'orateur,  en  retournant  à  son  banc,  reçoit  de  nombreuses 
félicitations. 


CONFERENCES  DE  NOTRE-DAME  (1) 
CINQUIÈME  CONFÉRENCE  :  Le  gén&ateur  du  sacerdoce. 

D'oii  vient  la  consécration  sacerdotale;  d'où,  ce  sublime  pou- 
voir et  cette  éminente  dignité,  source  de  si  grands  devoirs  et 

(1)  Cette  analyse  des  Conférences  du  R.  P.  Monsabré  à  Notre-Dame 
de  Paris  est  faite  exclusivement  pour  les  Annales  Catholiques. 

Nous  rappelons  que  les  conférences  du  R.  P.  Monsabré  sont 
publiées  in  extenso  dans  V Année  dominicaine,  en  suppléments  qui 
se  vendent  séparément,  25  centimes  chaque,  ou  1  fr.  50  les  neuf 
suppléments  (par  abonnement). 

11 


146  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  si  respectab)!^  droits?  —  Saint  Tliomas  nous  dit  que  c'est 
un  écoulement  du  sacerdoce  de  Jésus-Christ  :  Christus  est  fons 
totius  sacerdotii.  Mais  cet  écoulement  ne  se  fait  pas  directe- 
ment de  rame  du  prêtre  éternel  dans  l'àme  de  celui  qui  doit 
participer  à  sa  puissance  et  à  sa  grandeur  ;  il  passe  par  les 
mains  d'un  homme  auguste  que  nous  avons  aperçu  au  sommet 
de  la  hiérarchie. 

Cet  homme,  c'est  l'évêque,  générateur  du  sacerdoce.  L'étude 
du  sacrement  de  l'ordre  n'est  achevée  que  lorsqu'on  connaît 
bien  l'évêque,  ce  prêtre  parfait  :  —  prêtre  parfait  dans  la  gran- 
deur ;  — ■  prêtre  parfait  dans  le  devoir. 


Jésus-Christ,  voulant  établir  son  Église,  a  commencé  par 
appeler  ceux  qui  devaient  en  être  les  chefs  suprêmes,  ceux  qui 
devaient  y  engendrer  les  pères  et  les  enfants. 

Ce  n'est  qu'après  avoir  constitué  le  collège  apostolique  qu'il 
appelle  des  disciples,  chargés  de  le  précéder  et  de  préparer,  par 
des  bienfaits  et  des  miracles,  sa  divine  mission,  dans  les  lieux 
qu'il  doit  parcourir.  La  tradition  est  unanime  dans  l'interpré- 
tation de  ce  double  choix  du  Sauveur  ;  les  apôtres  sont  les 
évêques,  les  disciples  sont  les  prêtres  qu'on  verra  se  perpétuer 
dans  la  sainte  hiérarchie  :  les  évêques  au  sommet;  les  prêtres, 
à  un  degré  inférieur. 

Cette  prééminence  des  évêques,  dit  l'apôtre  saint  Paul,  est 
une  œuvre  de  l'Esprit-Saint  qui  leur  a  confié  le  gouvernement 
de  l'Église  de  Dieu.  Et  cette  œuvre  de  FEsprit-Saint  est  re- 
connue et  respectée  par  toutes  les  générations  qui  suivent  de 
près  les  temps  apostoliques. 

Telle  est  la  foi  des  premiers  siècles.  Arius  essaie  de  l'enta- 
mer :  l'Église  est  promptement  victorieuse  de  son  erreur  sans 
écho,  elle  continue  pendant  douze  siècles  encore  la  pacifique 
évolution  de  sa  hiérarchie,  jusqu'à  ce  que  les  prétentions  égali- 
taires  de  la  réforme  l'obligent  à  une  définition  solennelle  de  la 
foi  catholique  et  à  des  anatbémes  vengeurs  de  la  dignité,  de  la 
puissance  et  des  droits  de  l'épiscopat. 

C'est  par  une  consécration  plus  solennelle  que  celle  du  prêtre 
que  l'évêque  entre  dans  ses  honneurs  et  ses  pouvoirs. 

Je  jure,  je  veux,  je  crois,  dit  l'élu  ;  et,  comme  pour  le  sacer- 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAME  147 

doce,  tout  le  ciel  est  convoqué  à  l'effusion  du  don  de  Dieu,  de 
la  criûce  insigne  qui  doit  bénir,  sanctifier  et  consacrer  le  nouvel 
évéque. 

L'évêque  est  consacré.  —  A-t-il  reçu  un  nouveau  sacrement 
pour  entrer  dans  un  nouvel  ordre  ;  ou  bien  l'Eglise  ne  fait-ella 
que  compléter  en  lui,  pour  l'élever  au  sommet  de  l'Ordre  sacer- 
dotal, la  consécration  qu'elle  donne  à  son  prêtre?  Est-il  marqué 
d'un  nouveau  caractère  ;  ou  bien  ne  fait-il  qu'acquérir  une 
nouvelle  puissance,  par  l'extension  du  caractère  qu'il  a  déjà 
reçu,  à  de  nouveaux  offices,  à  un  plus  ample  ministère,  à  une 
plus  haute  dignité  ?  —  Nous  laissons  aux  théologiens  ces  ques- 
tions d'école.  Il  nous  suffit,  de  croire  avec  l'Eglise  que,  par  la 
grâce  de  son  sacre,  l'évêque  prend  le  premier  rang  dans  la 
sainte  hiérarchie  et  est  investi  d'un  pouvoir  auguste  que  ne 
donne  point  la  consécration  sacerdotale. 

Il  est  le  prêtre  parfait  dans  la  grandeur;  et  sa  première 
grandeur  est  de  devenir  père.  Et  le  pouvoir  générateur  est  tel- 
ment  son  propre,  que  d'illustres  docteurs  l'ont  considéré  comme 
la  note    caractéristique  de    sa  supériorité  et  de    sa    grandeur. 

En  eflet,  de  la  paternité  découlent  toutes  le.-b  prérogatives 
qui  font  de  l'évêque  le  prêtre  parfait  dans  la  grandeur.  Tout 
ce  qui  lui  est  commun  avec  le  prêtre,  sous  le  rapport  de  la 
dignité,  s'épanouit  et  se  renforce  en  lui,  jusqu'à  la  suprême 
excellence. 

Le  prêtre  est  le  divin  présenteur  du  peuple;  l'évêque  est  le 
divin  présenteur  du  sacerdoce.  Le  prêtre  chargé  de  prier  pour 
tous  est  une  personne  publique  et  comme  la  bouche  de  l'Église; 
l'évêque  ouvre  cette  bouche  et  lui  dicte  les  paroles  qu'elle  doit 
adresser  au  ciel.  Les  adorations,  les  action?  de  grâce,  les  sup- 
plications de  la  liturgie  ne  prennent  leur  essor  vers  Dieu  que 
lorsqu'il  les  approuve.  Là  oii  il  apparaît,  il  préside  :  partout  oii 
il  préside  on  ne  fait  rien  sans  lui.  Il  donne  le  signal  de  la  prière 
publique  :  il  reçoit  la  confession  générale  du  peuple  et  du  clergé, 
il  bénit  tout  le  monde  et  toutes  choses  et  personne  ne  le  bénit. 

S'il  n'a  pas,  en  vertu  de  son  caractère,  un  pouvoir  plus  grand 
que  celui  du  prêtre  dans  l'acte  sacrifical,  cet  acte,  cependant, 
dépend  de  sa  féconde  et  souveraine  puissance.  C'est  lui  qui  arme 
les  lèvres  des  prêtres  des  paroles  divines  dont  les  coups  renou- 
vellent l'immolation  du  calvaire  ;  c'est  lui  qui  donne  au  sacer- 
doce ses  temples,  ses  autels  et  ses  vases  sacrés. 

Jadis,  personne  ne  devait  célébrer  en  sa  présence  ;  aujourd'hui 


148  ANNALES   CATHOLIQUES 

on  ne  le  peut  qu'avec  son  assentiment.  Et  lui-même,  quand  il 
célèbre,  avec  qu'elle  pompe  et  quelle  majesté!  Comme  on  voit 
bien  qu'il  est  le  Grand-Prêtre  !  Tous  les  Ordres  subsistent 
éminemment  en  sa  personne  sacrée,  et  pour  attester  qu'il  en  est 
le  générateur,  il  en  porte,  l'un  sur  l'autre,  tous  les  vêtements. 
«  En  sa  personne,  c'est  le  sacerdoce  dans  toutes  ses  parties, 
c'est  le  sacrement  de  l'Ordre  tout  entier  qui  se  meut,  qui  agit, 
qui  vaque  à  ses  fonctions  suprêmes.  » 

Prêtre  parfait  dans  la  grandeur,  quand  il  s'agit  de  repré- 
senter le  peuple  chrétien  à  la  prière  et  au  sacrifice,  l'évêque 
est  encore  le  prêtre  parfait  dans  la  grandeur  quand  il  s'agit  de 
dispenser  les  dons  de  Dieu  :  la  vérité  et  la  grâce. 

La  vérité  que  donne  le  prêtre  lui  vient  du  ciel,  avons-nous 
dit,  c'est  la  parole  même  du  Verbe  incarné,  éternel  témoin  des 
secrets  de  la  science  divine.  Or,  sa  parole,  le  Verbe  incarné  Ta 
confiée  directement  à  ceux  qui  habitent  les  sommets  de  la  sainte 
hiérarchie,  à  ceux  qu'il  a  appelés  la  lumière  du  monde  :  Vos 
estis  lux  mundi,  à  ceux  qu'il  a  envoyés  comme  son  Père  céleste 
l'a  envoyé  lui-même. 

L'Evêque  est  d'office  le  lieutenant  de  Jésus-Christ.  Episco- 
pus  gerit  in  Ecclesia  personam  Christi.  L'Épiscopat  est  le 
premier  dépositaire  de  la  vérité,  et,  par  conséquent,  le  maître 
chargé  de  la  transmettre  au  sacerdoce,  et  par  le  sacerdoce 
à  toute  l'Église.  Le  prêtre  reçoit  de  l'évêque  mandat  de  prêcher 
la  vérité,  l'évêque  a  reçu  mandat  de  Jésus-Christ  lui-même. 
Il  est  gardien  né  de  la  foi,  conjointement  avec  le  maître 
suprême  à  qui  il  doit  rendre  compte  des  traditions  de  son 
Église. 

Solidairement  héritiers  du  droit  d'enseigner  que  leur  ont 
transmis  les  Apôtres,  les  évêques  ont  hérité  aussi  de  leur  solli- 
citude à  l'endroit  du  dépôt  que  le  Verbe  de  Die.u  a  confié  à  son 
Église.  «  Depositum  custodi;  »  disait  saint  Paul  à  Timothée, 
et  cette  parole,  traversant  les  espaces  et  les  siècles,  passe  d'un 
évoque  à  l'autre,  comme  un  testament  qui  garantit  l'intégrité 
de  la  foi.  Aussi,  est-ce  à  l'Episcopat  que  s'adresse  le  docteur 
suprême  et  universel  quand  il  veut  se  rendre  compte  de  l'état 
de  la  tradition  dans  le  monde  catholique.  Deux  cent  mille 
prêtres  lui  en  diraient  moins  que  deux  cents  évêques. 

Mais  non  seulement  ces  évêques  sont  des  conseillers  dont  les 
témoignages  l'éclairent  en  ses  définitions,  ils  participent  à  son 
droit  de  définir  ;  ils  communient  à  son  infaillibilité.  Quand  le 


CONFÉRENCES   DE    NOTRE-DAME  149 

monde,  travaillé  et  obscurci  par  l'erreur,  a  besoin  d'une  de  ces 
puissantes  émissions  de  lumière  auxquelles  nulles  ténèbres  ne 
peuvent  résister,  voyez  comme  les  maîtres  de  la  vérité  se 
rassemblent  autour  de  leur  chef!  En  définitive,  lorsqu'il  s'agit 
de  la  dispensation  de  la  vérité,  l'évêque  est  juge,  interprète, 
définiteur,  docteur  titulaire  :  le  prêtre  n'est  que  le  répétiteur 
des  hautes  leçons  que  l'Episcopat  donne  à  l'Eglise. 

Si  érainente  dans  la  dispensation  de  la  vérité,  la  perfection 
sacerdotale  de  Tévêque  ne  l'est  pas  moins  dans  la  dispensation 
de  la  grâce.  Non  seulement  il  a  seul  le  droit  ordinaire  de  con- 
firmer, c'est-à-dire  de  faire  passer  ceux  que  le  prêtre  baptise 
de  l'enfance  à  la  virilité  chrétienne,  de  conférer  la  plénitude 
de  grâce  qui  convient  à  l'âge  parfait  et  s'ajoute  à  la  plénitude 
initiale  du  sacrement  par  lequel  nous  avons  été  engendrés  sur- 
naturellement;  de  choisir  et  d'armer  pour  le  combat  les  recrues 
de  la  milice  du  Christ  ;  mais  son  pouvoir  générateur  lui  met 
en  main  toutes  les  grâces,  et,  en  quelque  sorte,  tout  le  corps 
mystique  de  Jésus-Christ.  Aucun  mystère  n'y  serait  plus  célébré 
et  la  vie  divine  s'y  épuiserait,  si  la  fécondité  de  l'évêque  subite- 
ment tarie  cessait  de  produire  des  ministres  et  des  prêtres. 


II 

Le  principe  d'oii  nous  sommes  partis  pour  déterminer  les 
obligations  du  sacerdoce,  à  savoir,  que  la  dignité  est  la  mesure 
de  ses  obligations,  revient  et  s'applique  aujourd'hui  avec  plus 
de  solennité  et  de  force.  Il  est  bien  évident  que  l'évêque,  prêtre 
parfait  dans  la  grandeur,  doit  être  prêtre  parfait  dans  le  devoir. 

L'épiscopat,  dit  saint  Thomas,  est  le  plus  parfait  des  états, 
parce  que  l'évêque  ne  doit  pas  se  contenter  de  tendre  à  la  per- 
fection pour  lui-même  ;  il  faut  qu'il  la  donne.  Le  premier  dans 
la  hiérarchie,  par  la  dignité,  il  doit  précéder  tout  le  monde, 
entraîner  tout  le  monde  à  sa  suite,  former  tout  le  monde,  peuple 
et  clergé,  dans  la  science  et  la  sainteté. 

Le  prêtre  possède  la  science  de  la  vérité  et  de  la  vie  pour 
instruire  et  conduire  une  petite  partie  du  troupeau  de  Jésus- 
Christ,  l'évêque  pour  éclairer  l'Eglise  et  diriger  les  évolutions 
de  sa  vie  militante  à  travers  le  monde  et  les  siècles.  C'est  à  lui 
que  l'Esprit-Saint  a  dit,  par  la  bouche  de  l'Apôtre  :  «  Applique- 
toi  à  la  lecture  des  Saintes  Lettres  :  «  Attende  lectioni.  *  C'est 


150  A>'NALES    CATHOLIQUES 

dans  ce  réservoir  des  révélations  divines  qu'il  doit  puiser  sans 
cesse  les  vérittis  dont  il  est  le  juge,  l'interprète,  le  gardien  et  le 
défenseur. 

Avec  TEcriture,  il  possède  des  livres  vénérables,  oeuvres  des 
Conciles  et  des  Pères,  oii  la  science  sacrée  s'est  enrichie  de 
définitions  précieuses  et  de  doctes  interprétations.  Qu'il  s'appli- 
que aies  connaître  :  Attende  lectioni. 

Il  est  lumière  et  aussi  propagateur  de  la  lumière.  Ses  lévites 
et  ses  prêtres  attendent  de  lui  la  science  de  la  vérité  et  de  la 
vie.  Dieu  merci,  il  y  a  des  précédents  qui  l'invitent  et  le  pous- 
sent aux  largesses  du  savoir. 

Propagateur  de  la  science  sacrée,  il  en  est,  par  devoir  encore, 
le  gardien  officiel  et  le  naturel  défenseur.  Dieu  l'a  placé  sur 
une  hauteur  d'où  il  inspecte. 

Dans  ce  poste  d'observateur,  toujours  difficile  et  souvent 
périlleux,  l'évêque,  comme  le  grand  Hilaire,  ne  doit  craindre 
que  trois  choses  :  «  les  dangers  de  l'Eglise,  le  crime  du  silence 
et  le  jugement  de  Dieu.  »  Fort,  vaillant,  résolu,  il  doit  aller 
au-devant  de^  contradicteurs  et  les  confondre  par  sa  science. 
Homme  de  paix  et  de  modération,  il  deviendra  guerrier  et  âpre 
au  combat  plutôt  que  de  trahir  par  le  silence  et  l'inaction  la 
sainte  cause  de  Dieu.  Enfin,  il  y  a  dans  la  propagation  comme 
dans  la  défense  de  la  science  sacrée,  des  initiatives  qui  n'appar- 
tiennent qu'à  lui,  des  affirmations  dont  lui  seul  est  capable, 
des  audaces  qui  ne  sont  permises  qu'à  sa  haute  position,  des 
libertés  que  lui  seul  peut  prendre,  car  il  est  à  la  fois  le  soutieri 
et  le  rempart  de  son  Eglise.  Pour  se  garantir  des  erreurs  de 
doctrine  et  de  conduite  qui  compromettraient  leur  ministère, 
c'est  en  sa  maîtresse  science  que  se  repose  l'intelligence  et  que 
s'abrite  la  conscience  de  ses  prêtres. 

Leur  maître  dans  la  science,  il  faut  qu'il  soit  leur  maître 
dans  la  sainteté.  Le  prêtre  est  l'exemplaire  qui  se  rapproche  le 
plus  du  peuple,  l'évêque  est  l'exemplaire  du  prêtre.  «  Il  faut, 
dit  saint  Paul,  que  l'évêque  soit  irrépréhensible,  sobre,  prudent, 
chaste,  décent,  hospitalier,  modeste,  désintéressé,  doux,  docile, 
patient,  qu'il  ne  néglige  pas  la  grâce  qu'il  a  reçue  par  l'imposi- 
tion des  mains,  mais  que  chaque  jour  il  s'y  fortifie,  — que  toute 
sa  vie  se  passe  dans  la  vigilance  et  le  travail,  que  ceux  du 
dehors  lui  rendent  bon  témoignage,  car  aucune  tache  ne  doit 
■souiller  sa  réputation;  —  qu'il  soit  l'exemple  de  son  troupeau 
dans  ses  paroles,  sa  manière  de  vivre,  sa  charité,  sa  foi,  sa 


CONFÉRENCES   DE   NOTRE-DAME  151 

chasteté et  que  ses  progrés  dans  la  vertu  soit  manifestes  aux 

yeux  de  tous;  — que  Dieu  l'approuve  et  voie  en  lui  un  ouvrier 
irréprochable.  C'est  à  cette  régie  de  sainteté  que  l'évêque  doit 
comparer  chaque  jour  sa  vie;  et  que  doit  revenir  sans  cesse 
son  âme  purifiée.  Inspecteur  des  mœurs  chrétiennes  et  sacerdo- 
tales, gardien  des  lois  de  Dieu  et  de  la  discipline  ecclésiastique, 
comment  pourrait-il  exercer  ses  droits  et  faire  sentir  son  pou- 
voir, s'il  n'était  dans  sa  vie  le  miroir  de  la  perfection  qu'il  veut 
obtenir  des  fidèles  et  du  clergé.  Chaque  fois  qu'il  rappelle  à  ses 
prêtres  l'obligation  qu'ils  ont  d'être  saints;  chaque  fois  qu'il 
leur  répète  le  commandement  du  Seigneur  :  «  Sanctificamini^ 
sancii  estote  »,  il  doit,  se  repliant  sur  lui-même,  dire  à  sa  cons- 
cience :  «  Et  moi,  plus  encore;  Plus  ego  ».  Doué  d'une  plus 
ample  et  plus  féconde  puissance  dans  les  mystères  divins,  il  en 
reçoit  avec  plus  de  force  ce  triple  précepte  :  sépare-toi,  purifie- 
toi,  donne-toi. 

Faites  l'histoire  de  tous  les  corps  respectables  qui  représentent 
en  ce  monde  quelque  attribut  de  Dieu,  autorité,  force,  justice, 
au  service  de  la  société,  nulle  part,  autant  que  dans  l'histoire 
des  saints  eux-mêmes,  il  n'est  facile  de  voir  que  le  Plus  ego  a 
enlevé  une  foule  de  grandes  et  fortes  âmes  jusqu'à  l'héroïsme 
du  devoir.  Avec  les  religieux  qui  tendent  par  état  à  devenir 
parfaits,  les  évêques  fixés,  par  état,  dans  la  perfection,  sont  les 
plus  nombreux  au  culte  que  l'Église  rend  à  ceux  de  ses  enfants 
qui  se  sont  illustrés  par  leur  vertu  et  par  leurs  miracles. 

Remarquons  aussi  que  ce  sont  les  Évêques  qui  ont  les  préfé- 
rences de  l'impiété  dans  la  guerre  qu'elle  fait  à  la  religion, 
ïarquin  le  Superbe  voulant  décider  du  sort  d'une  ville,  oii  son 
fils  s'était  introduit  par  trahison,  conduisit  le  messager  que 
celui-ci  lui  avait  envoyé  pour  le  consulter,  dans  le  jardin  de  son 
palais.  Là,  se  promenant  en  silence,  il  abattit  avec  une  baguette 
toutes  les  têtes  de  pavots  qui  dépassaient  les  autres.  Le  fils 
comprit  cette  barbare  allégorie,  il  fit  décapiter  les  principaux 
habitants  de  Gables  et  livra  la  ville  aux  Romains. 

Nous  n'en  sommes  pas  encore  à  la  décapitation  de  l'épiscopat, 
mais  il  est  aisé  de  voir  que  les  ennemis  de  Dieu  se  préoccupent 
de  son  influence  et  de  sa  force.  S'ils  flattent  quelquefois  par 
d'hypocrites  attendrissements  ce  qu'ils  appellent  le  bas  clergé, 
ils  s'efi'orcent  d'amoindrir  le  suprême  sacerdoce.  En  attendant 
les  extrêmes  rigueurs  qu'ils  méditent,  ils  dépeuplent  les  conseils 
de  l'Évêque,  suppriment  le  religieux  cortège  de    sa   majesté, 


152  ANNALES     CATHOLIQUES 

menacent  les  recrues  sur  lesquelles  il  compte  pour  renouveler 
son  clergé,  poursuivent  avec  âpreté  des  abus  imaginaires  et 
multiplient  les  leçons  pédantes.  Ils  ignorent  sans  doute  cette 
belle  parole  du  grand  et  courageux  Ambroise  :  «  Les  persécu- 
tions des  pouvoirs  portent  bonheur  aux  Evêques  plus  que  leurs 
caresses  :  Felicius  episcopos  ^lersequuntur  imperatores  quam 
diUgunt.  » 

Je  fiais,  Messieurs,  dit  eu  terminant  le  R.  P.  Monsabré,  et  je  suis 
presque  tenté  de  vous  demander  pardon  du  discours  que  vous  venez 
d'entendre.  Il  était  écrit,  et  vous  l'avez  déjà  lu  plus  d'une  fois,  dans 
les  pompes  de  cette  métropole,  où  vous  avez  pu  contempler  le  prêtre 
parfait  dans  la  grandeur,  dans  la  vie  des  deux  éminents  prélats  qui 
gouvernent  ce  diocèse  ;  où  vous  admirez  chaque  jour  le  prêtre  par- 
fait dans  le  devoir.  Dieu  soit  béni  du  spectacle  qu'il  nous  donne.  Le 
sacerdoce  n'est  pas  près  de  finir  tant  qu'il  aura  de  tels  pères.  Sa- 
luons-les j-vec  amour.  Messieurs,  et  disons  tous  ensemble  :  «  Longues 
années,  longues  années!...  Ad  multos  annos!... 


LES  CHAMBRES 


•leudi  8  avril.  —  Sénat.  —  Discussion  du  projet  de  loi  sur 
les  sociétés  de  secours  mutuels. 

Chambre  des  députés.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la 
discussion  du  projet  d'emprunt. 

M.  Jules  Roche,  continuant  son  discours,  combat  l'emprunt,  qui 
n'est  pas  indispensable,  et  ne  produira  pas  les  effets  qu'on  en  attend. 
Il  critique  très  vivement  tous  les  détails  du  projet  et  affirme  que 
l'emprunt  n'aura  aucun  avantage,  mais  au  contraire  de  nombreux 
inconvénients  politiques  et  financiers,  et  attaque  le  type  3  0/0  qui 
impose  à  l'État  une  dette  nominale  très  supérieure  à  la  recette 
effective.  Enfin  l'emprunt  serait  une  arme  entre  les  mains  de  l'oppo- 
sition qui  proclamerait  bien  haut  que  la  République  a  ruiné  la 
France. 

M.  Sadi-Carnot  maintient  toutes  les  résolutions  prises  de  concert 
par  le  gouvernement  et  la  commission.  Il  s'étonne  que  M.  Roche  ne 
consente  pas  à  l'emprunt,  lui  qui  réclame  continuellement  la  sup- 
pression du  budget  extraordinaire. 

M.  Amagat  dit  qu'à  la  suite  d'une  catastrophe  un  emprunt  s'impose, 
mais,  depuis  quinze  ans,  il  n'y  a  rien  eu  de  pareil,  c'est  donc  parce 
que  la  fortune  publique  est  mal  administrée.  Il  fait  l'historique  des 
budgets  depuis  1815  et  montre  l'habileté  et  l'honnêteté  des  adminis- 


LES   CHAMBRES  153 

tratious  jusqu'à  la  République.  Il  conclut  en  disant  :  Votre  Ré- 
publique, loin  de  pacifier  le  pays,  vous  l'avez  livrée  à  la  haine  et 
au  soupçon,  et  non  contents  d'avoir  fait  la  misère,  vous  vous  en 
glorifiez. 

M.  LE  Président  rappelle  l'orateur  à  l'ordre. 

M.  DE  Freycinet  assure  que  l'emprunt  n'est  pas  nécessaire  pour 
équilibrer  le  budget.  L'emprunt  a  été  réduit  de  1.500  millions  à  900, 
parce  que  sur  le  désir  de  la  commission  le  gouvernement  a  réservé 
les  questions  des  trésoriers  généraux  et  du  budget  extraordinaire; 
il  n'y  a  rien  dans  tout  cela  qui  puisse  alarmer  le  pays  et  il  ne  peut  y 
voir  qu'une  mesure  de  prévoyance. 

La  clôture  est  prononcée  par  293  voix  contre  239. 

La  Chambre  décide  de  passer  à  la  discussion  des  articles. 

Les  articles  1  et  2  sont  adoptés. 

M.  Raoul  Duval  propose  un  article  additionnel  portant  que  les 
rentes  émises  ne  pourront  être  frappées  d'aucun  impôt.  En  effet,  la 
Chambre,  après  la  prise  en  considération  de  la  proposition  de 
M.  Ballue  qui  demande  un  impôt  sur  la  rente,  pour  l'honneur 
du  pays,  ne  doit  pas  émettre  ces  rentes  sous  le  coup  de  cette 
incertitude. 

M.  WiLSON  combat  cet  amendement.  On  ne  peut  pas  donner  à 
certaines  rentes  des  garanties  spéciales.  La  commission  s'en  rapporte 
aux  déclarations  faites  par  le  ministre  des  finances  dernièrement. 

Par  315  voix  contre  186,  l'amendement  est  repoussé. 

Les  quatre  derniers  articles  sont  votés  sans  observations. 
•    M.  Arnous  propose  un  article  additionnel  soumettant  les  opéra- 
tions de  l'emprunt  et  surtout  les  frais  de  l'émission  au  contrôle  de 
la  Cour  des  comptes. 

Cet  amendement  est  repoussé  par  320  voix  contre  181. 

Un  autre  amendement  est  proposé  et  accepté  par  le  gouvernement. 
Il  est  relatif  à  l'ouverture  d'un  crédit  annuel  pour  l'amortissement 
du  présent  emprunt. 

L'ensemble  du  projet  est  adopté  par  292  voix  contre  233. 

Samedi  lO  «▼ril.  —  Sénat.  —  M.  Demole  combat  l'urgence 
d'une  proposition  Bozérian  relative  à  la  répression  des  excitations  à 
la  cessation  du  travail. 

M.  Bozérian  répond  que  les  circonstances  actuelles  justifient  biea 
l'urgence  de  sa  proposition.  L'orateur  croit  qu'il  faudrait,  en  matière 
de  grève,  une  procédure  plus  expéditive  que  celle  qui  est  actuelle- 
ment en  vigueur. 

AI.  ToLAiN  combat  l'urgence.  La  liberté  publique  en  est  cause.  Il 
ne  faut  pas  agir  précipitamment. 

Il  est  procédé  au  scrutin. 

L'urgence  est  déclarée  par  153  voix  contre  102  sur  255  votants. 


154  ANNALES    CATHOLIQUES 

■Le  Sénat  adopte  ensuite  le  projet  relatif  aux  sociétés  de  secours 
mutuels,  puis  le  projet  de  loi  pour  la  conservation  des  monuments 
historique». 

Chambre  des  députés.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  de 
l'interpellation  Maillard  sur  les  événements  de  Decazeville. 

M.  Maillard  regrette  que  l'ingénieur  Bochet  ne  se  soit  pas  fait 
accompagner  par  des  ouvriers  dans  sa  visite  aux  mines.  Il  a  subi  en 
cela  l'influence  de  la  Compagnie. 

L'orateur  dénonce  ensuite  l'arrestation  de  MM.  Roche  et  Duc- 
Qnorcy.  Ces  deux  arrestations  sont  illégales,  dit-il,  et  contraires  à  la 
loi  sur  la  presse.  En  effet,  les  deux  inculpés  n'ont  rien  fait  d'autre 
à  Decazeville  que  leur  métier  de  journalistes.  En  sortant  ainsi  de  la 
légalité,  le  gouvernement  croit-il  engager  les  mineurs  à  y  rester? 

M.  Baihaut  répond  en  justifiant  la  conduite  de  MM.  Laur  et  Bochet. 
En  ne  se  faisant  pas  accompagner  par  des  cmvriers,  M.  Bochet  n'a 
fait  que  se  conformer  aux  instructions  arrêtées  en  Conseil  des 
ministres.  En  effet,  ces  délégués  grévistes  ne  représentent  personne. 
Le  gouvernement  n'a  donc  pas  à  les  connaître.  L'orateur  déclare  que 
les  gisements  houillers  de  Decazeville  ne  courent  aucun  danger;  tous 
les  bruits  contraires  sont  le  résultat  d'une  campagne  dont  le  but  est 
de  provoquer  la  déchéance  de  la  Compagnie.  On  fait  croire  aux 
mineurs  qu'on  leur  donnerait  ensuite  la  mine.  C'est  une  chimère  qui 
entraînerait  la  ruine  de  l'industrie  et  des  ouvriers  eux-mêmes. 

M.  Demole  déclare  que  l'arrestation  de  MM.  Duc-Quercy  et  Roche 
a  été  faite  sous  ses  ordres  formels.  On  prétend  que  les  prisonniers 
sont  soumis  à  la  loi  sur  la  presse.  Le  gouvernement  soutient,  au 
contraire,  qu'ils  sont  soumis  au  droit  commun.  C'est  à  la  Cour  de 
cassation  de  trancher  le  différend  et  non  à  la  Chambre.  On  demande 
aussi  pourquoi  M.  Basly  n'a  pas  été  arrêté  :  c'est  qu'il  joue  un  rôle 
très  effacé;  mais  s'il  en  était  autrement,  le  gouvernement  n'hésiterait 
pas  à  le  poursuivre  inflexiblement. 

M.  Brousse  demande  la  déchéance  de  la  Compagnie  de  Decazeville^ 

M.  BoYER  lit  un  long  discours  dans  lequel  il  signale  l'emploi  de 
tout  le  temps  que  M.  Bochet  a  passé  à  Decazeville.  Il  reproche  au 
général  Boulanger  de  n'avoir  pas  tenu  sa  promesse  au  sujet  du  par- 
tage de  la  gamelle  et  se  plaint  que  les  officiers  ne  l'aient  point  salué. 
Enfin,  M.  Boyer  termine  en  déposant  un  ordre  du  jour  suivant  lequel 
la  Chambre,  considérant  que  la  loi  a  été  violée,  invite  le  gouverne- 
ment à  punir  les  magistrats  et  les  fonctionnaires  coupables. 

M.  MiLLBRAND  iusiste  sur  l'illégalité  des  arrestations  de  Decazeville. 

M.  GoBLET  répond  que  la  loi  sur  la  presse  ne  soustrait  nullement 
les  journalistes  au  droit  commun. 

M.  DE  Cassagnag  reproche  les  paroles  qu'ont  prononcées  à  la  tri- 
bune M.  Boulanger  et  M.  Boyer  et  les  déplore.  L'orateur  conclut 
que  l'ordre  social  étant  en  jeu,  il  soutiendra  le  gouvernement. 


LES   CHAMBRES  155 

M.  DE  Freycinet  repousse  ralliance  de  la  droite;  il  dit  que  le 
gouveraement  ne  veut  que  la  confiance  du  parti  républicain. 

Sept  ordres  du  jour  sont  présentés.  Le  gouvernement  accepte  un 
ordre  du  jour  de  M.  Letellier  disant  :  «  La  Chambre,  approuvant  la 
déclaration  du  gouvernement,  passe  à  l'ordre  du  jour.  » 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  est  repoussé  par  394  voix  contre  92. 

L'ordre  du  jour  de  M.  Letellier,  accepté  par  le  gouvernement,  est 
adopté  par  435  voix  contre  65. 

IL.undi  1^  avril.  —  MM.  Keller  et  de  Mun  demandent  d'inter- 
peller le  gouvernement  sur  les  événements  de  Châteauvillain.  La  dis- 
cussion est  fixée  à  mardi. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  sur  les  élections  de  Corse. 

M.  Ganivet  demande  une  enquête  sur  ces  élections.  Il  signale  de 
nombreuses  protestations  qui  se  sont  élevées  contre  la  pression  qui  a 
été  opérée  et  sur  les  fraudes  commises  par  ce  qu'en  Corse  on  appelle 
la  coterie. 

M.  ViGER,  rapporteur,  répond  que  ces  protestations  ne  peuvent 
pas  servir  de  base  à  une  demande  d'enquête. 

La  Chambre,  par  347  voix  contre  175,  repousse  l'enquête  et  valide 
l'élection. 

IMardî  13  avril.  —  Sénat.  —  Après  l'adoption  do  l'article  6  du 

projet  sur  les  monuments  historiques,  réservé  à  la  dernière  séance, 
M.  Lafond  de  Saint-Mur  demande  au  ministre  de  l'agriculture  ce 
qu'il  compte  faire  au  sujet  de  l'arrêté  de  son  prédécesseur  suppri- 
mant un  certain  nombre  de  concours  régionaux.  M.  Develle  répond 
qu'il  se  conformera  à  ce  sujet  à  l'avis  des  conseils  généraux  qui  vont 
se  réunir. 

Le  Sénat  valide  l'élection  de  M.  Garran  de  Balzan,  conformément 
aux  conclusions  du  rapporteur,  M.  de  Rosière. 

MM.  Naquet,  de  Gavardie,  Ninard,  Allou,  parlent  sur  une  pro- 
position qui  modifie  l'article  310  du  Code  civil  en  ce  sens  que  lorsque 
la  séparation  de  corps  aura  duré  trois  ans,  le  jugement  devra  être 
converti  en  jugement  de  divorce  sur  la  demande  d'un  des  époux.  La 
proposition  Naquet  est  prise  en  considéi*ation. 

Chambre  des  députés.  —  M.  de  Mun  vient  demander  compte  au 
gouvernement  des  sanglants  événements  de  la  Combe,  qui  ont  jeté 
l'épouvante  dans  une  population  honnête  et  laborieuse,  l'émotion 
dans  le  pays  tout  entier.  Quand  on  entend  dire  qu'un  domicile  privé 
a  été  violé,  que  le  propriétaire  et  les  habitants  d'un  logis  ont  été  mis 
à  mort,  on  se  tourne  ordinairement  vers  le  Gouvernement  pour  lui 
demander  ce  qu'il  a  fait  dans  le  but  de  prévenir  ou  réprimer  ce  crime. 
Cette  fois,  c'est  le  gouvernement  lui-même  qui  a  commis  l'attentat. 
Les  gendarmes  ont  fait  feu,  par  ordre  du  sous-préfet,  sur  le  directeur 


156  ANNALES   CATHOLIQUES 

de  l'usine,  qui  représentait  le  propriétaire  absent.  Il  a  été  griève- 
ment blessé.  Une  femme  a  été  tuée,  une  jeune  fille  blessée,  d'autres 
poursuivies  à  coups  de  revolver,  tout  simplement  parce  que  dans 
l'intérieur  de  l'usine  il  y  avait  une  chapelle  où  l'on  avait  l'audace  de 
dire  et  d'entendre  la  messe. 

Cela  a  suffi  pour  faire  expédier  par  le  ministre  de  l'instruction 
publique,  à  la  date  du  29  mars,  une  date  prédestinée... 

(A  ce  moment,  de  violentes  interruptions|partent|c]es  bancs  de  la 
gauche.  Au  milieu  du  tumulte,  nous  entendons  M.  Le  Provost  de 
Launay  s'écrier,  s'adressant  au  ministre  de  l'instruction  publique  : 
«  Il  y  a  du  sang  qui  retombe  sur  vous  !  ») 

M.  DE  MuN  continue  son  discours.  11  n'appartient  pas,  dit-il,  à  des 
hommes  qui  demandent  sans  cesse  la  séparation  de  l'Eglise  et  de 
l'État  de  régler  la  manière  dont  ceux  qui  croient  doivent  exercer  leur 
culte. 

La  chapelle  était  très  utile  à  cause  de  l'éloignement  de  l'église. 
Elle  est  devenue  trop  petite;  on  l'a  refaite  dans  une  propriété  close 
de  murs.  Alléguer  qu'il  n'y  a  pas  eu  d'autorisation  écrite  pour  cette 
reconstruction,  c'est  une  misérable  chicane  indigne  d'un  gouverne- 
ment. En  tout  cas,  le  sous-préfet  a  violé  un  domicile  privé.  En  avait-il 
le  droit?  C'est  là  qu'est  la  question.  Le  préfet  pouvait  saisir  l'autorité 
judiciaire,  qui  aurait  intenté  des  poursuites.  C'est  un  principe  sacré 
que  le  domicile  est  inviolable.  On  ne  peut  s'introduire  dans  le  domi- 
cile d'autrui  sans  encourir  les  rigueurs  de  la  loi. 

M.  de  Mun,  traitant  ensuite  le  côté  politique  de  la  question,  dit 
que  s'il  est  admis  qu'un  sous-préfet  pourra  violer  le  domicile  sur  une 
simple  dépêche  d'un  ministre,  il  n'y  a  plus  de  garantie  pour  les 
citoyens. 

Ce  n'est  pas  tout.  Le  sous-piéfet  a  agi  avec  une  brutalité  et  une 
sauvagerie  inexcusables. 

L'orateur  reprend  alors  les  détails  des  faits  que  nous  publions  plïts 
loin.  Il  en  ressort,  dit-il,  que  M.  Fischer  ne  se  reconnaissait  pas  le  droit 
de  laisser  pénétrer  dans  la  maison  sans  l'autorisation  du  propriétaire. 
Le  sous-préfet  ne  l'ignorait  pas;  il  aurait  dû  attendre.  M.  Fischer  a 
usé  de  son  droit,  et  ce  droit  doit  être  affirmé,  dans  un  temps  oii  tout 
citoyen  est  exposé  à  voir  forcer  ses  portes  et  violer  son  domicile. 

M.  Fischer,  lorsqu'il  vit  le  siège  commencé,  tira  trois  coups  de 
revolver  en  l'air.  Il  voulait  faire  reculer  l'autorité.  La  porte  ayant 
cédé,  il  tira  deux  coups  de  revolver  en  bas  qui  n'atteignirent  per- 
sonne. Où  est  l'agression  de  sa  part? 

M.  de  Mun,  du  haut  de  la  tribune,  adresse  un  témoignage  de  res- 
pectueuse sympathie  à  cet  homme  qui  est  tombé  à  son  poste,  défen- 
dant la  propriété  de  son  maître,  à  cet  ancien  soldat  blessé  à  Belfort 
par  les  balles  prussiennes,  et  qui  devait  tomber  sous  une  balle  fran- 
çaise pour  avoir  cru  que  le  droit  de  la  propriété  était  inviolable  en 


LES    CHAMUIiES  157 

Fraace.  Le  même  témoignage  doit  être  adressé  aux  ouvrières  atta- 
chées à  leur  maître  et  qui  ont  été  frappées  en  courant  à  son  secours. 
Il  y  a  un  mois,  on  demandait  au  gouvernement  pourquoi  les  gen- 
darmes n'étaient  pas  intervenus  pour  défendre  M.  Watrin.  Le  ministre 
de  la  guerre  répondait  que  les  gendarmes  ne  pouvaient  tirer  sur  cette 
foule  dans  laquelle  se  trouvaient  des  femmes.  Ici  encore  il  y  avait 
des  femmes.  Le  pays  fera  la  comparaison  entre  les  deux  situations. 
Il  verra  qu'à  l'heure  où  la  guerre  sociale  est  menaçante,  le  gouverne- 
ment n'a  d'attention  que  pour  une  usine  organisée  chrétiennement, 
et  n'a  d'énergie  et  de  force  que  pour  empêcher  les  ouvrières  de  prier. 
M.  GoBLET  ne  répond  pas  à  ce  qu'il  y  a  de  personnel  dans  le  dis- 
cours de  M.  de  Mun.  11  soutient  que  les  événements  do  Château- 
villain  ont  été  inexactement  rapportés.  Le  droit  du  gouvernement 
était  incontestable.  Il  devait  fermer  la  chapelle.  Si  les  ministres  sont 
coupables,  qu'on  les  poursuive  donc  ! 

La  chapelle  de  la  Combe  existe  depuis  longtemps,  mais  elle  n'est 
pas  nécessaire,  puisque  les  villages  environnants  ont  chacun  leur 
église.  La  fermeturfi  a  été  prononcée  à  la  suite  d'un  conflit  entre  le 
curé  de  Châteauvillain  et  son  vicaire. 

Le  ministre  a  dû  autoriser  le  préfet  à  fermer  ce  lieu  de  culte  non 
autorisé,  parce  que  l'exécution  de  l'arrêté  devait  être  confiée  à  un 
agent  chargé  d'apposer  les  scellés  et  qui,  en  cas  de  résistance,  aurait 
à  se  concerter  avec  le  parquet  du  ressort. 

Lorsque  les  autorités  se  sont  présentées,  le  tocsin  sonnait, 
M.  Fischer  était  armé.  Les  ouvrières  étaient  rassemblées  derrière 
lui.  Le  ministre  regrette  de  n'avoir  pas  été  prévenu  à  temps  et  de 
n'avoir  pu  donner  d'autres  instructions.  Mais  il  ne  prévoyait  pas  que 
la  résistance  prendrait  cette  forme  violente. 

Le  sous-préfet  a  vainement  essayé  de  négocier,  M.  Fischer  et  le 
curé  lui  ont  répondu  par  des  propos  violents.  C'est  alors  qu'il  a  fallu 
recourir  à  la  force.  Les  gendarmes  n'ont  tiré  que  lorsque  M.  Fischer 
a  eu  tiré  sur  eux  deux  coups  de  revolver. 

Quant  au  sous-préfet,  il  a  fait  son  devoir.  La  conduite  des  gen- 
darmes a  été  également  approuvée  par  l'autorité  militaire. 

Le  ministre  soutient  qu'une  lourde  responsabilité  pèse  sur  le  direc- 
teur de  l'usine.  11  résulte,  en  effet,  d'un  rapport,  qu'une  lettre  de 
M.  Giraud  a  été  saisie  sur  le  bureau  de  M.  Fischer.  Elle  avait  été 
reçue  avant  midi  et  était  ouverte.  Cette  lettre  lui  enjoignait  de  no 
pas  faire  de  résistance.  M.  Fischer  est  un  homme  très  estimable,  un 
courageux  Alsacien,  mais  il  a  encouru  la  plus  grave  des  responsa- 
bilités. Quant  aux  prêtres,  ce  n'est  pas  le  moment  d'apprécier  leur 
rôle.  Le  curé  est  peut-être  en  ce  moment  entre  les  mains  de  la 
justice. 

Il  y  a  d'autres  responsabilités,  ajoute  le  ministre,  il  y  a  colle  des 
journaux  qui  excitent  à  la  guerre  civile,  qui  annoncent  que  ce  drame 


158  ANNALES    CATHOLIQUES 

est  un  avertissement  pour  le  jour  de  l'exécution  de  la  loi  sur  Tins- 
truction  primaire.  C'est  un  appel  à  la  révolte. 

Le  régime  de  la  liberté  voudrait  que  l'on  pût  exercer  son  culte 
comme  on  l'entend.  Mais  tant  que  l'Etat  ne  sera  pas  plus  libre  que 
l'Eglise,  il  sera  impossible  de  laisser  ouvrir  des  chapelles  destinées  à 
devenir  des  foyers  d'hostilité  et  de  résistance  contre  le  gouvernement. 

La  séance  est  suspendue  à  cinq  heures  moins  dix. 

La  séance  est  reprise  à  cinq  heures  un  quart. 

M.  Keller  regrette  que  le  ministre  ait  soutenu  que  le  sous-préfet 
et  les  gendarmes  ont  bien  fait  en  tirant  sur  des  femmes.  Que  la  res- 
ponsabilité en  retombe  sur  lui. 

Le  gouvernement  n'a  pas  usé  de  son  droit  dans  des  circonstances 
normales. 

C'est  une  misérable  querelle  du  maire  qui  a  amené  la  fermeture. 
Le  ministre  avait  le  droit  de  la  prononcer  ;  mais  il  fallait  un  mandat 
judiciaire.  La  voie  à  suivre,  c'était  de  constater  le  délit,  de  pour- 
suivre le  délinquant  et  d'exécuter  ensuite  le  jugement  de  con- 
damnation. 

M.  Keller  soutient  que  M.  Fischer  n'a  pas  lu  la' lettre  de  M.  Gi- 
raud.  11  vient  de  recevoir  une  dépêche  qui  l'atteste.  M.  Giraud 
affirme  aussi  que  M.  Fischer  n'a  tiré  sur  personne.  On  ne  peut  donc 
pardonner  au  ministre  d'avoir,  ce  jour-là,  déshonoré  l'uniforme 
français. 

Des  voix  à  gauche  crient  :  A  l'ordre  !  à  l'ordre  ! 

M.  Floquet  rappelle  M.  Keller  à  l'ordre. 

M.  Keller  termine  en  disant  qu'un  jour  viendra  où  les  catholi- 
ques aimeront  mieux  mourir  que  de  sacrifier  leurs  libertés  et  leurs 
droits.  Ils  proclament  le  droit  de  légitime  défense  et  ne  sont  pas 
disposés  à  recommencer  le  rôle  des  victimes  de  1793. 

Avant  de  descendre  de  la  tribune,  M.  Keller  dépose  un  ordre  du 
jour  ainsi  conçu  : 

«  La  Chambre,  flétri'ssant  l'intervention  illégale  et  meurtrière  de 
l'administration  à  Châteauvillain,  passe  à  l'ordre  du  jour.  » 

M.  GoBLET  vient  déclarer  qu'il  était  décidé  à  demandé  l'ordre  du 
jour  pur  et  simple.  Mais  en  présence  de  l'ordre  du  jour  Keller,  il 
réclame  l'approbation  de  ses  déclarations. 

M.  JoLiBOis  s'en  tient  à  la  question  de  droit.  Il  démontre  que  la 
chapelle  en  question  était  un  domicile  privé,  puisqu'elle  était  dans 
une  propriété  close  de  murs.  Il  y  a  donc  eu  violation  de  domicile. 
De  plus,  le  préfet  n'avait  pas  le  droit  de  déléguer  un  sous-préfet  et 
l'autorité  administrative  n'a  pas  le  droit  de  se  substituer  à  l'autorité 
judiciaire. 

Après  M.  Jolibois,  M.  de  Douville-Maillefeu  monte  à  la  tribune 
pour  dire  qu'il  ne  se  contentera  pas  d'un  ordre  du  jour  anodin.  Et  il 
en  dépose  un,  fortement  motivé,  et  indiquant  comme  remède  à 
toutes  ces  luttes  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  159 

Quatre  autres  ordres  du  jour  invitent  le  gouvernement  à  dénoncer 
le  Concordat.  Cinq  sont  des  ordres  du  jour  de  confiance  et  approu- 
vent les  déclarations  de  M..  Goblet.. 

Le  onzième  est  celui  qu'a  déposé  M.  Keller. 

La  priorité  est  refusée  à  l'ordre  du  jour  pur  et  simple  demandé  par 
M.  Raoul  Du  val. 

L'ordre  du  jour  de  M.  Keller  est  repoussé  par  354  voix  contre  176. 
Enfin,  l'ordre  du  jour  de  M.  Rondeleu  est  adopté  par  340  voix 
contre  187. 

Cet  ordre  du  jour  est  ainsi  conçu  : 

«  La  Chambre  approuvant  les  déclarations  du  gouvernement,  passe 
à  l'ordre  du  jour.  * 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Les   assassinats    de    Chateauvillain.  —  Élections   du  11   avril.  —  Le   bill 
Gladstone.  —  Sénégal.  —  Etranger. 

15  avril  1886. 

On  a  lu  plus  haut  rinterpellation  adressée  par  M.  de  Mua 
au  ministre  Goblet,  et  nous  allons  donner  ici  les  détails  de 
l'ignoble  scène  de  tuerie  qui  a  motivé  l'intervention  de  l'illustre 
orateur  catholique,  scène  dont  une  usine  d'une  petite  commune 
de  l'Isère  vient  d'être  le  théâtre. 

Ge  récit  ne  peut  manquer  de  soulever  dans  toutes  les  cons- 
ciences honnêtes  un  cri  unanime  de  réprobation  et  de  dégoût. 

De  pauvres  femmes,  dont  tout  le  crime  était  de  ne  vouloir 
point  se  laisser  déposséder  de  l'humble  chapelle  dans  laquelle 
elles  avaient  coutume  d'aller  prier  Dieu,  ont  été  l'objet  d'un 
siège  en  régie.  Le  sang  a  coulé  sous  les  balles  des  gendarmes  ! 
Une  femme  a  été  tuée  sur  le  coup,  plusieurs  sont  grièvement 
blessées  ;  le  directeur  de  l'usine  est  agonisant  ! 

C'est  le  plus  récent  exploit  de  la  République  ! 

Mais  force  est  finalement  restée  à  la  loi.  C'est  le  mot  par 
lequel  les  feuilles  républicaines,  que  ne  gêne  pas  autrement, 
semble-t-il,  cette  victoire  ignominieuse  des  gendarmes,  ont 
terminé  le  récit  de  ce  monstrueux  attentat. 

Jugez  donc  :  une  chapelle  existait  dans  l'usine,  un  lieu  quel- 
conque, plus  spécialement  réservé  au  recueillement  et  à  la 
piété,  oii  ces  femmes  et  ces  jeunes  filles,  dans  les  intervalles 


160  ANNALES   CATHOLIQUES 

du  temps  consacré  an  travail,  se  réunissaient  pour  prier  Dieu 
en  commun  et  lui  demander,  avec  le  pain  de  chaque  jour,  la 
patience  et  la  force  dans  les  épreuves  de  la  vie. 

Qu'importait  à  la  République  athée  cette  chapelle  dans  cette 
usine?  Plus  qu'on  ne  croit,  car  les  radicaux  du  lieu  n'ont  eu  de 
repos  qu'ils  ne  fussent  arrivés  à  la  faire  fermer. 

Et,  comme  le  dit  si  bien  le  Citoyen,  ce  gouvernement  de  pos- 
sédés, qui,  dans  tout  l'arsenal  de  nos  lois,  n'en  sait  ou  n'en 
veut  trouver  aucune  pour  arrêter  la  licence  du  mal  qui  s'étale 
sous  toutes  les  formes;  pour  réprimer  les  excitations  malsaines 
qui  poussent  le  peuple  à  la  révolte  et  à  l'anarchie  ;  fermer  ces 
clubs  d'où  demain,  la  torche  à  la  main,  sortiront  des  hordes 
déterminées  à  mettre  à  sac  la  société  ;  ces  hommes  d'État  vo- 
lontairement impuissants  devant  le  crime,  dés  qu'il  s'agit  de 
persécuter  la  religion,  de  violenter  les  consciences,  de  fouler 
aux  pieds  les  droits  les  plus  sacrés,  les  libertés  les  plus  légi- 
times, d'expulser  des  religieux  ou  de  molester  des  femmes, 
n'hésitent  plus  à  s'armer  bravement  des  lois  les  plus  caduques, 
à  mettre  en  mouvement  fonctionnaires  et  crocheteurs  et,  au 
besoin,  à  requérir  la  force  armée.  Tout  est  licite,  tout  devient 
légal  contre  les  honnêtes  gens  ;  il  n'y  a  pas  d'égards  dont  la 
canaille  ne  soit  jugée  digne  ! 

La  persécution  républicaine,  il  faut  l'avouer,  ne  s'était  point 
encore  affichée  avec  ce  raffinement  de  cynisme  et  de  cruauté. 
On  n'avait  point  encore  vu  des  soldats,  et  quels  soldats  ?  des 
gendarmes,  les  gardiens  assermentés  de  l'ordre,  les  défenseurs 
de  la  paix  publique,  décharger  leurs  revolvers  sur  des  femmes 
et  les  percer  de  leurs  sabres  ! 

Mais,  il  faut  bien  qu'il  y  ait  un  commencement  à  tout. 

Puisque  c'est  une  guerre  à  mort  et  sans  merci  que  la  Répu- 
blique a  déclarée  à  la  religion,  on  devait  s'attendre  à  en  arriver 
là.  Si  les  catholiques  ne  sont  pas  d'avance  résignés  à  tout  subir 
en  silence  ;  si,  n'entendant  pas  se  laisser  écraser  sans  protesta- 
tion, ils  veulent  défendre  contre  la  tyrannie  jacobine  la  liberté 
de  leur  conscience,  les  droits  de  leur  âme  et  les  droits  de  Dieu, 
ils  doivent  se  convaincre  que  les  fusillades  de  Châteauvillain 
ne  sont  qu'un  prélude. 

La  République  maçonnique  leur  fera  revoir,  c'est  inévitable, 
les  scènes  lugubres  qui  souillent  les  annales  de  ses  devancières, 
et  ainsi  s'achèvera,  dans  la  honte  et  le  sang,  un  régime  que  ses 
origines  condamnaient  fatalement  à  chercher  des  soutiens    et 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  161 

des  complices  daus  l'innombrable  armée  du  vice  et  du  crime, 
et  à  proscrire,  comme  incompatible  avec  ses  principes,  cette 
élite  de  croyants  et  de  gens  de  bien  qui  seule  a  fait  jusqu'ici  la 
force  d'un  peuple. 

Un  gouvernement  qui  a  plus  de  rigueurs  contre  des  femmes 
qui  prient  que  contre  des  socialistes  qui  prêchent  le  pillage  et 
l'incendie,  ne  se  condamne-t-il  pas  lui-même? 

Voici  le  récit  des  faits  : 

La  fabrique  de  soieries  de  Châteauvillain  appartient  à 
MM.  Giraud  depuis  cinquante  ans,  et  la  chapelle  y  est  annexée 
depuis  quarante-trois  ans.  Depuis  quarante-trois  ans  le  culte  y 
était  pratiqué  sans  soulever  la  moindre  objection.  Le  curé  du 
village  y  célébrait  la  messe  le  dimanche. 

Or,  au  mois  de  juin  dernier,  le  maire  de  Châteauvillain,  un 
maire  des  nouvelles  couches,  informa  le  propriétaire  de  l'usine 
qu'il  aurait  à  se  pourvoir  d'une  autorisation  spéciale  pour  con- 
tinuer à  ouvrir  sa  chapelle  à  ses  ouvrières. 

M.  Giraud  répondit  à  ce  magistrat  une  lettre  fort  courtoise 
qui  sembla  avoir  convaincu  le  maire,  car  celui-ci  no  renouvela 
pas  son  invitation  de  fermer  la  chapelle. 

Mais  ce  silence  cachait  tout  simplement  le  mauvais  projet  de 
M.  le  maire  qui,  dans  son  entourage,  parmi  ses  amis,  les  fortes 
têtes  libre-penseuses  de  la  localité,  laissait  entendre  qu'il  ne 
tolérerait  pas  plus  longtemps  l'existence  de  la  chapelle. 

En  conséquence,  le  6  avril,  le  commissaire  de  police  le  plus 
voisin  de  Châteauvillain  se  présenta  à  l'usine,  porteur  d'un 
arrêté  préfectoral  ordonnant  la  fermeture  de  la  chapelle. 

Cet  arrêté  fut  signifié  au  directeur  de  l'usine,  M.  Fischer, 
qui  répondit  qu'il  s'opposait  formellement  à  l'apposition  des 
scellés  sans  qu'on  eût  auparavant  prévenu  M.  Giraud. 

La  conduite  de  M.Fischer  n'était-elle  pas  absolumentcorrecte? 

Si  le  préfet  de  l'Isère  avait  simplement  et  sincèrement  voulu 
se  borner  à  faire  respecter  la  loi  qui  veut  que,  pour  établir  une 
chapelle  dans  un  domicile  particulier,  on  se  munisse  d'une 
autorisation  spéciale,  ne  lui  était-il  pas  facile  de  faire  parvenir 
une  sommation  régulière  à  M.  Giraud  ? 

Oui,  mais  ce  n'était  pas  cela  du  tout  que  voulait  le  maire  de 
Châteauvillain. 

Il  fallait  un  coup  d'éclat,  une  scène  de  crochetage,  un 
scandale  bien  authentique,  à  l'instar  de  ceux  de  Paris,  qu-elque 

12 


162  ANNALES    CATHOLIQUES 

chose  qui  le  mît  en  lumière,  et  le  signalât  à  la  faveur  des  répu- 
blicains du  cru  ! 

Pourquoi,  lui,  mair©  de  Châteauvillain,  n'aurait-il  pas  à  son 
actif,  tout  comme  un  préfet  de  la  Seine,  un  acte  d'énergie,  un 
haut-fait  de  persécution  religieuse?  L'occasion  était  bonne.  Il 
n'a  pas  voulu  la  laisser  échapper. 

Sans  attendre,  et  dès  le  lendemain,  le  commissaire  de  police 
se  présenta  donc  à  l'usine  et  renouvela  la  sommation  qu'il  avait 
adressée  la  veille  à  M.  Fischer.  Celui-ci  ayant  répondu  par  la 
même  fin  de  non-recevoir,  le  commissaire  se  retira^  mais  pour 
revenir  à  quatre  heures  en  force  et  en  armes. 

C'est  ici  que  commence  la  scène  odieuse  qui  a  abouti  à 
l'assassinat  que  les  journaux  républicains  voudraient  nous 
représenter  comme  une  juste  exécution,  en  dénaturant  les  faits. 

Voici  ce  qui  se  passa  : 

Le  commissaire  de  police,  suivi  des  gendarmes,  entreprit  le 
siège  de  l'usine.  Une  porte  vermoulue  donnait  accès  dans  les 
jardins  au  milieu  desquels  se  trouvent  les  bâtiments  :  avec 
l'aide  d'un  serrurier,  on  la  force;  le  rossignol  grince  dans  la 
serrure. 

M.  Fischer,  qui  voit  dans  cet  acte  la  violation  du  domicile 
dont  il  a  la  garde,  veut  essayer  d'empêcher  la  perpétration  de 
ce  qu'il  considère  comme  illégal,  et,  poussé  par  un  sentiment 
peut-être  imprudent,  du  moins  justifiable,  il  décharge  en  l'air 
deux  coups  de  son  revolver. 

C'est  alors,  et  seulement  alors  que  la  porte  du  jardin  est 
forcée  tout  à  fait  par  les  gendarmes.  Ceux-ci  passent  par  la 
porte  du  jardin.  Ils  n'ont  pu  voir  M.  Fischer  tirer  le  coup  de 
revolver  ;  ils  n'ont  pu  qu'entendre  le  bruit  de  la  détonation. 

N'importe,  ils  s'élancent.  Ils  ont  devant  eux  deux  cents 
femmes  aflolées,  et  ils  font  feu...  M.  Fischer  tombe,  la  figure 
labourée  par  une  balle  qui  pénètre  par  la  joue  droite  jusqu'au 
col  :  des  Ilots  de  sang  coulent  de  la  blessure. 

Toutes  les  ouvrières  alors  perdent  la  tête  :  les  unes  s'enfuient 
éperdues  ;  d'autres  s'élancent  vers  leur  directeur  pour  le 
secourir;  l'une  d'elles,  Henriette  Bonnerie,  âgée  de  cinquante- 
deux  ans,  saisit  un  baquet  plein  d'eau  et  le  jette  à  la  tête  d'un 
gendarme;  celui-ci  épaule  son  fusil,  fait  feu,  et  la  balle  va 
frapper  sous  l'aisselle  droite  l'infortunée,  qui  tombe  foudroyée  f 
Une  jeune  fille  de  vingt  ans,  Joséphine  Martinet,  en  fuyant  est 
atteinte  par  un  gendarme  qui  la  menace  de  son  sabre. 


CHRONIQUK    DiL    LA    SEMAINE  163 

Une  petite  fille  de  Lyon,  Marie  Brevet,  âgée  de  seize  ans, 
reçoit  une  balle  dans  la  cuisse  :  elle  s'appuie  défaillante  à  un 
mur  pendant  qu'un  gendarme  dirige  contre  elle  la  pointe  de  son 
sabre. 

«  Laissez-moi,  crie  la  pauvre  enfant,  vous  m'avez  fait  a^sez 
mal  comme  ça  !  » 

Et  le  gendarme  pousse  la  générosité  jusqu'à  ne  pas  lui  enfon- 
cer son  sabre  dans  le  corps  ! 

Tel  est,  dans  son  épouvantable  vérité,  le  récit  du  drame  de 
Châteauvillain. 

Voilà  ce  que  les  républicains  ont  osé  appeler  une  émeute,  une 
résistance  à  la  loi,  un  acte  de  rébellion  et  de  fanatisme 
religieux. 

Et  ce  qu'il  y  a  de  plus  grave  en  ceci,  c'est  que  cette  espèce 
de  boucherie  a  été  ordonnée,  conduite,  poursuivie  sous  les  yeux 
du  sous-préfet  Balland. 

Ce  fonctionnaire,  pour  se  rendre  maître  d'une  chapelle  qu'en- 
touraient deux  cents  femmes  sans  armes,  sans  défense,  n'a  pas 
hésité  à  user  de  la  force  publique  comme  s'il  s'était  agi  de  livrer 
bataille  à  des  malfaiteurs. 

Encore,  pour  des  malfaiteurs,  on  prend  des  précautions,  on 
cherche  à  s'en  emparer  sans  les  blesser.  Lui,  il  a  ordonné  de 
fusiller  et  de  sabrer,  comme  s'il  eût  eu  devant  lui  une  troupe 
armée. 

Et  cela,  parce  que  le  gouvernement  républicain  n'aime  pas 
les  gens  qui  vont  à  la  messe  !  Parce  que,  pour  un  fonctionnaire, 
c'est  un  moyen  d'avancement  que  de  s'associer  à  la  persécution 
contre  la  religion. 

Nous  en  sommes  là  !  On  distribue  de  l'argent  aux  grévistes 
qui  ont  assassiné  l'ingénieur  Watrin.  On  distribue  des  coups 
de  fusil  et  de  sabre  aux  femmes  et  aux  jeunes  ouvrières  qui 
commettent  le  crime  d'aller  dans  une  chapelle  que  n'autorise 
pas  M.  le  maire  ! 

Etii  se  trouve  un  Goblet  pour  j  ustifier  de  telles  monstruosités, 
et  il  se  trouve  une  majorité  parlementaire  assez  criminelle  pour 
lui  donner  raison  ! 

De  pillard  de  propriétés  religieuses,  le  gouvernement  devient 
égorgeur  de  citoyens.  Le  voleur  passe  assassin.  C'est  la  loi  natu- 
relle, et  il  fallait  s'y  attendre,  un  jour  ou  l'autre. 

Il  faut  une  autorisation,  affirme-t-on  cyniquement,  pour 
aller  à  la  messe  dans  un  oratoire  intime,  privé,  tout  comme  il 


164  ANNALES    CATHOLIQUES 

en  faut  une  pour  le  casino  qu'illustra  Jacotin  le  sénateur,  comme 
pour  la  maison  qui  rendit  Duhamel  célèbre. 

Il  est  permis  de  donner  des  repas  de  cent  couverts,  de  s'y 
bourrer  de  salade  et  de  veau,  l'anniversaire  du  jour  oîi  tomba 
la  tête  de  Louis  XVI,  et  d'être  cinq  cents  porcs  rouges  à  se 
gorger  d'autres  cochons,  le  Vendredi-Saint.  On  peut,  sans  auto- 
risation, donner  chez  soi  des  fêtes  folles  et  hideuses.  On  peut 
manger,  boire,  hurler  des  refrains  hideux,  se  souiller  à  l'abri 
des  portes  closes. 

Mais  on  ne  peut  pas  se  mettre  à  genoux  et  parler  tout  bas  à 
Dieu  sans  voir  les  portes  voler  en  éclats  et  les  balles  pleuvoir 
sur  vous. 

Et  le  gouvernement  sous  lequel  se  passent  ces  épouvantables 
contradictions  qui  jurent  avec  la  raison,  avec  le  bon  sens,  avec 
la  morale,  ça  s'appelle  la  République  ! 

Dimanche  dernier  avait  lieu  une  élection  législative  dans  les 
Deux-Sèvres,  où  il  s'agissait  de  remplacer  M.  Ganne,  député 
républicain,  décédé.  Ses  coreligionnaires  politiques,  aidés  du 
concours  abusif  de  l'administration,  ont  réussi  à  faire  nommer 
leur  candidat,  M.  Georges  Richard,  par  43,536  voix  contre 
39.092  données  à  son  concurrent  conservateur,  M.  Taudière.  On 
voit,  par  ces  chiffres,  que  le  dandidat  conservateur  l'aurait 
emporté  sans  la  pression  administrative.  Il  suffisait,  en  effet, 
pour  que  les  résultats  du  scrutin  fussent  changés,  d'un  déplace- 
ment de  1.500  voix. 

Dimanche  également  ont  eu  lieu  deux  élections  aux  conseils 
généraux  du  Nord  et  de  la  Vendée.  MM.  Morcrette  et  de  Cor- 
nulier  de  la  Lande,  candidats  conservateurs,  ont  été  élus  par  de 
fortes  majorités,  le  premier  pour  le  canton  de  Clary,  et  le 
second  pour  celui  de  Montaigu. 

Le  bill  que  M.  Gladstone  vient  de  présenter  en  faveur  de 
l'Irlande  a  été  voté  en  première  lecture  par  la  Chambre  des 
communes. 

Quoique  ce  vote  ne  préjuge  rien  (il  est  en  effet  dans  les 
habitudes  de  ne  pas  s'opposer  au  passage  à  la  seconde  lecture), 
les  partisans  de  M.  Gladstone  espèrent  obtenir  la  majorité  si 
leur  chef  fait  quelques  concessions  aux  libéraux  dissidents. 

La  seconde  lecture  du  projet  est  renvoyée  au  8  mai. 


CHRONIQUE   DE   LA.    SEMAINE  165 

De  mauvaises  nouvelles  arrivent  du  Sénégal  : 

Un  courrier  expédié  par  le  commandant  de  Bakel  annonce 
que  le  poste  a  repoussé,  les  3  et  4  avril,  «  sans  pertes  »,  deux 
attaques  furieuses  de  Mahmadou-Lamine.  Le  village  et  les 
comptoirs  environnants  ont  été  pillés  et  incendiés;  quelques 
traitants  ont  été  tués  et  blessés. 

Le  fort  est  parfaitement  approvisionné,  et  il  n'y  a  aucune 
crainte  à  concevoir,  La  ligne  télégraphique  est  coupée  entre 
Bakel  et  Matam. 

Voici  quelques  renseignements  sur  Bakel  :  Le  fort  et  le 
village  sont  situés  sur  la  rive  gauche  du  Sénégal,  à  880  kilo- 
mètres de  Saint-Louis,  Entouré  d'une  enceinte  bastionnée,  le 
fort  est  placé  sur  un  monticule  qui  domine  le  fleuve,  à  24  mètres 
au-dessus  des  eaux  les  plus  basses.  En  face  du  village,  la 
largeur  du  fleuve  est  de  2  à  300  mètres  environ  à  l'étiage. 

Le  grand  village  qui  a  été  incendié  était  établi  autour  du 
poste, 

Bakel  est  un  centre  de  traite  très  important.  Malheureuse- 
ment, comme  tous  les  points  du  haut  fleuve,  il  n'est  en  commu- 
nication avec  Saint-Louis  que  pendant  l'hivernage.  Il  serait 
donc  actuellement  très  difficile  de  faire  arriver  promptement 
les  secours  du  chef-lieu  de  la  colonie  au  point  attaqué  ;  mais  il 
est  possible  qu'on  apprenne  prochainement  que  la  colonne  de 
ravitaillement  commandée  par  le  colonel  Frey  ait  envoyé  de 
Kayes  une  partie  de  ses  forces  pour  débloquer  le  poste  de 
Bakel,  lequel,  ajoutons-le,  est  à  l'abri  de  toute  attaque.  La 
distance  de  Kayes  à  Bakel  est  de  80  kilomètres. 


Le  résultat  des  élections  espagnoles  peut  être  indiqué 
comme  suit.  Le  gouvernement  a  obtenu  310  sièges  :  230  voix 
relèvent  du  groupe  Sagasta,  sur  lequel  il  peut  absolument 
compter  et  qui  lui  assure  à  lui  seul  la  majorité  absolue  ;  30  du 
groupe  Martos,  Moret,  Bérenger  et  Montero  Rios,  et  50  du 
groupe  centraliste  Alonzo  Martinez  et  Vega  de  Armijo,  Les 
conservateurs  sont  réduits  à  63  membres,  M.  Romero  Robledo 
et  ses  partisans  à  11,  la  gauche  dynastique  à  9,  Malgré  la  rup- 
ture ouverte  de  Castelar  avec  les  membres  des  autres  groupes, 
les  républicains,  au  lieu  de  6  représentants  qu'ils  avaient  dans 
l'ancienne  Chambre,  en  auront  27,  dont  9  possibilistes  et 
18  progressistes  et  fédéralistes.  Enfin,  2  carlistes  ont  été  élus 


166  ANNALES   CATHOLIQUES 

à  Estella  et  Azpeita,   de   sorte    que  ropposition  disposera  en 
somme  de  120  Yoix  environ. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Rome  et  l'Italie. 

D'après  les  derniers  renseignements,  il  est  très  probable  quô 
le  Consistoire  aura  lieu  au  mois  de  mai.  Outre  les  deux  cardi- 
naux américains,  l'archevêque  de  Québec  et  celui  de  Baltimore, 
dont  la  nomination  est  certaine,  on  parle  de  quatre  nonces  de 
première  classe,  c'est  à  dire  ceux  de  Paris,  de  Vienne,  de 
Lisbonne  et  de  Madrid,  ainsi  que  de  Mgr  Theodoli,  majordome 
des  palais  apostoliques,  qui  seraient  promus  aux  honneurs  de 
la  pourpre.  On  nomme  encore  Mgr  Foschi,  archevêque  de 
Pérouse,  et  quelques  autres  prélats  de  la  cour.  D'après  ce  qu'on 
dit,  il  faut  croire  qu'il  y  aura  au  moins  dix  cardinaux,  quelques- 
uns  même  disent  quinze.  Rien  de  certain  n'est  encore  décidé  au 
sujet  des  cardinaux  français.  On  désigne  cependant  Mgr  Ber- 
nadou,  archevêque  de  Sens,  Mgr  Place,  archevêque  de  Rennes, 
et  Mgr  Langénieux,  archevêque  de  Reims.  Ces  nominations  ne 
se  feraient  pas,  dit-on,  d'après  les  formes  reçues  pour  la  créa- 
tion des  cardinaux  français.  Le  gouvernement  de  la  République 
ne  pouvant  vaincre  les  résistances  du  Saint-Père,  doit  avoir 
fait  connaître  à  la  curie  romaine  qu'il  renonçait  à  son  droit  de 
présentation,  depuis  que  la  Chambre  a  supprimé  les  traitements 
affectés  aux  cardinaux  français.  Le  Saint-Père  choisira  donc 
librement  par  un  moiu  proprio,  ceux  qu'il  voudra  orner  de  la 
pourpre  romaine  dans  l'Épiscopat  de  France. 

Il  est  sérieusement  question  d'établir  des  relations  diploma- 
tiques entre  la  Grèce  et  le   Saint-Siège. 

La  Sacrée-Congrégation  des  Rites  a  tenu  mardi,  au  Vatican, 
une  séance  relative  à  la  cause  de  béatification  du  Vénérable 
Juvénal  Ancina,  l'un  des  premiers  disciples  de  saint  Philippe 
de  Néri. 


a-EVUE  ÉCONOMIQUK  ET  FINANCIERE  167 

Nous  apprenons  que  S.  S.  Léon  XIII,  dont  on  connaît  la  haute 
sollicitude  pour  tout  ce  qui  a  trait  aux  études  classiques,  a 
daigné  donner  la  somme  de  20,000  francs  en  faveur  de  la  nou- 
velle école  grecque  catholique  de  Constantinople. 

Grâce  à  ce  don  généreux,  Constantinople  aussi  bien  que 
Rome  pourra  témoigner  de  l'intérêt  tout  spécial  que  le  savant 
Pontife  porte  à  l'étude  de  la  littérature  grecque. 

ï''i*ance. 

Le  Journal  officiel  a  publié  le  texte  de  la  sentence  comme 
d'abus  prononcée  par  le  Conseil  d'Etat,  contre  Monseigneur 
l'êvêque  de  Saint-Dié.  En  voici  la  partie  essentielle  : 

Considérant  que  c'est  une  des  règles  les  plus  anciennes  et  les 
plus  importantes  de  notre  droit  public  que,  sous  aucun  prétexte, 
les  bulles,  brefs,  rescrits,  constitutions,  décrets  et  autres  expé- 
ditions de  la  Cour  de  Rome,  à  l'exception  de  ceux  concernant  le 
for  intérieur  seulement  et  les  dispenses  de  mariage,  ne  peuvent 
être  reçus,  publiés,  ni  autrement  mis  à  exécution  sans  avoir  été 
préalablement  vus  et  vérifiés  par  le  gouvernement;  que  celte  règle 
a  été  formellement  consacrée  par  l'article  1"  susvisé  des  orga- 
niques ; 

Considérant  que  l'êvêque  de  Saint-Dié  a  adressé  au  clergé  et 
aux  fidèles  de  son  diocèse  un  mandement  dont  l'article  premier 
porte  :  Les  encycliques  Immortale  Dei  et  Quod  auctoritate  sont 
publiées  dans  notre  diocèse  ; 

Considérant  que  la  publication  officielle  par  un  mandement  pas- 
toral d'encycliques  qui  n'avaient  pas  été  préalablement  vues  et 
vérifiées  par  le  gouvernement  constitue  une  contravention  à  l'ar- 
ticle premier  des  organiques  et  tombe  par  suite  sous  l'applicaticiii 
de  l'article  6  ci-dessus  visé; 

Le  Conseil  d'Etat  entendu, 

Décrète  : 

Article  premier.  —  11  y  a  abus  dans  le  mandement  de  l'êvêque 
de  Saint-Dié,  en  date  du  23  janvier  188S,  en  ce  qu'il  a  ordonné, 
sans  autorisation  du  gouvernement,  la  publication  des  deux  en- 
cycliques JmmoriaZe  Bei  et  Quod  auctoritate. 

Art.  2.  —  Ledit  mandement  est  et  demeure  supprimé. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

Aujourd'hui  de  quoi  parler  à  la  Bourse,  si  ce  n'est  de  l'Emprunt 
national,  et  après  lui  de  l'Emprunt  de  la  ville  de  Paris? 


168  ANNALES    CATHOLIQUES 

L'Emprunt  est  voté  par  la  Chambre  des  députés,  emprunt  tron- 
qué de  500  millions,  quand  il  eût  fallu  liquider  énergiquement  la 
situation  ;  mais  demander  au  pays  un  milliard  et  demi,  ce  n'était 
pas  une  petite  affaire.  Pourtant  il  faudrait  avoir  le  courage  de  son 
opinion  et  reconnaître,  une  fois  pour  toutes,  que  la  République  est 
un  mode  de  gouvernement  Quœrens  quem  devoret  ;  qu'elle  a  un 
estomac  capable  de  digérer  tout  ce  qu'on  ne  lui  offre  pas,  mais 
qu'elle  prend.  Cette  fois-ci ,  citoyens ,  vous  ne  pouvez  plus  nous 
rabâcher  que  vous  liquidez  les  suites  de  la  guerre  de  1870,  c'est 
un  argument  usé  jusqu'à  la  corde.  L'emprunt  de  ce  jour,  pas  plus 
que  le  petit  milliard  au  3  °/o  amortissable  du  caméléon  Léon  Say,  ne 
sont  des  emprunts  de  guerre  ;  l'emprunt  actuel  n'est  pas  non  plus 
un  emprunt  de  paix  ;  c'est  l'emprunt  du  déficit;  c'est  un  moyen  de 
payer  les  folies,  les  augmentations  budgétaires  d'un  gouvernement 
qui  disait  devoir  moins  coûter  qu'un  autre,  attendu  qu'il  n'avait 
pas  de  liste  civile.  A  la  place  de  celle-ci,  nous  avons  le  fonction- 
narisme qui  a  bien  son  petit  mérite,  il  coûte  depuis  1872,  cinq  cent 
millions  de  plus  qu'avant.  Cinq  cent  millions  d'appointements  au 
lieu  de  25  à  30  millions  de  liste  civile  qui  entretenait  tout  un  monde. 
Mais  laissons  ces  détails  écœurants  et  glissons  sur  l'Emprunt,  au- 
quel vous  ne  souscrirez  pas,  c'est  probable,  attendu  que,  quoi  que 
vous  tassiez,  prenant  beaucoup  pour  avoir  peu  ou  bien  ayant  tout 
ce  que  vous  aurez  demandé,  en  ayant  demandé  bien  plus  que  vous 
ne  voulez,  vous  serez  toujours  la  proie  des  gros  banquiers. 

Voyez-les,  au  lieu  de  laisser  tomber  le  3  °/o,  ils  le  font  monter 
pour  vous  exciter  et,  au  dernier  moment,  selon  leur  convenance, 
ils  vous  le  feront  encore  monter  ou  baisser  alors  de  pluseiurs 
unités.  Quand  vous  voulez  de  la  rente,  achetez-en  tout  simple- 
ment; vous  savez  ce  que  vous  faites  et  vous  vous  évitez  bien  des 
ennuis. 

Nous  verrons,  plus  tard,  l'EmpruntMe  la'' ville  de  Paris,  puis 
les  travaux  du  Métropolitain,  puis  la  Société  civile  de  l'Exposition, 
un  comble  celle-là;  enfin,  une  souscription  d'obligations  du  canal 
de  Panama,  on  parle  de  l'émission  de  600  millions  en  obligations  à 
lots  ;  ce  n'est  pas  encore  le  moment  d'examiner  l'affaire. 

Dans  quelques  jours,  l'Assemblée  généi'ale  des  actionnaires  du 
Crédit  foncier  :  on  donnera  60  fr.  par  action,  avec  un  beau  solde  à 
la  réserve;  nous  y  reviendrons.  En  attendant,  je  vous  ferai  remar- 
quer que  les  obligations  des  dernières  émissions  sont  à  434  fr. 
et  435  fr.  ;  libérées,  l'une  de  90  fr.,  l'autre  de  135  fr.  ;  mais,  après 
l'Emprunt,  il  y  a  gros  à  parier  que  les  capitaux  qui  n'auront  pas 
obtenu  de  coupures  de  rentes  dans  la  répartition  de  la  souscription 
publique,  iront,  pour  une  bonne  part,  à  ces  obligations  du  Crédit 
foncier.  Il  serait  judicieux  de  les  devancer. 

A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 

Paris.  —  Imp.  de  VŒuvre  de  Sasint-Panl    G.  Picquoin,  51,  rne  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LA    MORT    DE    JESUS 

Les  soldats  avaient  achevé  leur  œuvre,  fixant  Jésus  sur  la 
croix,  enfonçant  les  clous  dans  les  membres  divin.  Le  Sei- 
gneur en  prit  occasion  de  prier  pour  eux:  «Mou  Père,  dit-il, 
pardonnez-leur,  ils  ne  savent  ce  qu'ils  font.  »  Touchante  parole, 
que  les  bourreaux  entendirent  à  peine,  car  d'autres  soins  les 
occupaient  déjà.  Comme  la  loi  romaine  leur  attribuait  les 
dépouilles  du  condamné,  ils  se  partageaient  la  tunique  et  le 
manteau  de  Jésus,  Ce  dernier  vêtement,  étant  fait  de  plusieurs 
pièces,  fut  divisé  sans  peine  en  quatre  parties  ;  mais  il  n'en  fut 
pas  de  même  de  la  tunique,  car  elle  était  sans  couture,  «  depuis 
le  haut  jusqu'en  bas  de  même  tissu  (1).  »  Séparer  cette  robe, 
c'eût  été  en  détruire  la  valeur.  «  Ne  la  déchirons  pas,  dirent 
les- soldats,  mais  jetons  le  sort  à  qui  l'aura.  »  Et  ils  s'en  remi- 
rent au  hasard  pour  décider  de  la  robe  du  Christ.  «  C'était, 
dit  saint  Jean,  l'accomplissement  des  paroles  prophétiques  :  Ils 
ont  partagé  mes  vêtements  entre  eux,  ils  ont  jeté  le  sort  sur 
ma  robe.  »  Tout  étant  fini,  les  soldats  s'assirent  au  pied  de  la 
croix  et  veillèrent  à  ce  que  personne  n'enlevât  les  corps  des 
crucifiés,  avant  qu'ils  eussent  expiré  (2). 

D'ordinaire,  sur  l'échafaud,  les  criminels  sont  entourés  de 
pitié  et  de  respect;  Jésus  n'eut  mêrae  pas  cette  consolation. 
Repoussés  du  prétoire,  ses  ennemis  vinrent  à  la  croix  et  se 
vengèrent  sur  lui,  en  le  couvrant  d'opprobres.  Au  premier  rang 
se  trouvaient  les  faux  témoins  que  le  sanhédrin  avait  produits 
la  nuit  précédente.  Ils  passaient  et  repassaient  devant  le  gibet, 

(1)  La  tunique  que  les  juifs  portaient  ordinairement  se  composait 
de  deux  morceaux  d'éloft'e  unis  ensemble  sur  le  côté.  Les  prêtres 
seuls  portaient  de  longues  robes  sans  couture  et  de  fin  lin.  Ewald 
y  a  vu  la  preuve  que  Jésus  appartenait  à  une  famille  lévitique.  Ne 
vaut-il  pas  mieux  supposer,  en  respectant  les  témoignages  formels 
des  généalogies,  que  de  pieuses  mains,  celles  de  Marie  ou  des 
saintes  femmes,  avaient  lissé  ce  précieux  vêtement? 

(2)  Les  quatre  soldats  restèrent  sur  le  Calvaire,  car  tout  poste 
romain  se  composait  de  ce  nombre  de  légionnaires. 

Lvi.  —  24  AVRIL  1886.  13 


170  ANNALES    CATHOLIQUES 

branlant  la  tête  en  signe  de  mépris,  blasphémant  et  rappelant 
au  Christ  la  calomnie  dont  il  était  victime  :  «  Va  donc,  toi  qui 
détruis  le  temple  de  Dieu  et  qui  le  rebâtis  en  trois  jours,  sauve- 
toi  toi-même  et  descends  de  la  croix  !  »  D'autres  lui  lançaient 
le  défi  que  Jésus  avait  entendu  au  jour  de  la  tentation  :  «  Si  tu 
es  le  Fils  de  Dieu,  descends  de  la  croix  1  » 

Cependant  la  foule  restait  immobile,  regardant  le  Sauveur 
avec  plus  de  curiosité  que  de  haine.  Ce  silence  irrita  les  sanhé- 
drites,  car  il  suffisait  pour  que  le  cri  de  la  justice  se  fît  entendre 
au  fond  des  cœurs.  Aussi  vit-on  bientôt  ces  princes  d'Israël 
prendre  part  aux  injures  avec  leurs  valets.  C'étaient  les  mêmes 
outrages,  la  même  fureur  ;  seule  l'arrogance  les  distinguait. 
lis  ne  daignaient  même  pas  se  tourner  vers  le  Christ  et  lui 
insulter  en  face  :  prêtres,  scribes,  anciens  raillaient  entre  eux 
sa  muette  agonie.  N'osant  nier  devant  le  peuple  les  miracles 
du  Galiléen,  ils  tentaient  de  les  obscurcir  par  l'impuissance 
où  on  le  voyait  réduit  :  «  Il  a  sauvé  les  autres  et  il  ne  peut  se 
sauver  lui-même  !  »  Puis  levant  les  jeux  vers  l'inscription  dont 
Pilate  leur  imposait  l'humiliante  ironie  :  «  Que  le  Christ,  le  roi 
d'Israël,  descende  présentement  de  sa  croix,  disaient-ils,  afin 
que  nous  le  voyions  et  que  nous  croyions  en  lui  !  »  Le  nom  de 
Christ  rappelait  à  Jésus  l'interrogatoire  de  la  nuit;  celui  de 
roi,  les  luttes  d'oii  Pilate  était  sorti  vaincu,  lui-même  flagellé 
et  conduit  au  supplice.  Leur  rage  alla  plus  loin  ;  elle  osa  s 'at- 
taquer à  l'amour  de  Jésus  pour  son  Père,  et  par  un  blasphème 
défier  jusqu'au  Tout-Puissant  :  «  Il  s'est  confié  en  Dieu;  si  donc 
Dieu  l'aime,  qu'il  le  délivre,  puisqu'il  a  dit  :  «  Je  suis  le  Fils 
de  Dieu  !  »  Rien  n'arrêtait  ce  débordement  d'injures  qui  entraîna 
bientôt  tout  le  peuple  et  les  soldats  eux-mêmes.  Ceux-ci  s'étant 
levés  tendirent  avec  une  pitié  moqueuse  la  coupe  de  vin  (1) 
qu'ils  buvaient  entre  eux,  et  crièrent  à  Jésus:  «  Si  tu  es  le  roi 
des  juifs,  sauve-toi  donc  !  » 

Toutefois  rinsulte  n'était  pas  à  son  comble.  Jésus  avait  des 

(1)  Maldouat  entend  ici  par  oxos  le  vinaigre  que  les  bourreaux 
apportaient  au  lieu  de  l'exécutioa  pour  ranimer  les  condamnés  quand 
ils  s'évanouissaient  dans  l'effroi  de  la  douleur  ;  mais  telle  n'était  pas 
en  ce  moment  l'intention  des  soldats,  car  nous  verrons  plus  tard  que 
leurs  bras  ne  pouvaient  atteindre  auxlèvres  de  Jésus  (Mat.,  xxvii,  48), 
la  coupe  qu'ils  tendaient  au  Sauveur  par  dérision  contenait  donc, 
seloQ  toute  apparence,  le  vin  grossier  qui  leur  servait  de  boisson,  et 
qui  est  désigné  par  quelques  auteurs  sous  le  nom  de  vinaigre.  (Végèce, 
Èe  Re  militari,  IV,  7,  etc.) 


LA   MORT   DE    JESUS  171 

compagnons  de  supplice  :  il  vit  ceux-là  même  se  tourner  contre 
lui,  et  des  croix  dressées  à  ses  côtés,  il  entendit  qu'on  répétait 
ce  blasphème  :  «  Si  tu  es  le  Christ,  sauve-toi,  sauve-nous  !  » 
Un  seul  des  larrons  avait  parlé,  l'autre  contemplait  le  SauveuT, 
admirait  sa  résignation,  et  se  sentait  attiré  vers  lui.  Aussi 
quand  il  entendit  l'outrage  de  son  compagnon,  lui  fit-il  ce 
reproche  :  «  Tu  ne  crains  pas  Dieu,  quoique  tu  te  trouves  con- 
damné au  même  supplice.  Encore  pour  nous  c'est  avec  justice, 
puisque  nous  souffrons  la  peine  que  nous  avons  méritée,  mais 
celui-ci  n'a  rien  fait  de  mal.  »  Et  sa  foi  s'échaufiant  dans  ce 
témoignage  :  «  Seigneur,  ajouta-t-il,  quand  vous  serez  venu  en 
votre  royaume,  souvenez-vous  de  moi.  »  Jamais  grâce  plus 
soudaine  ne  transforma  un  criminel  en  mai^tyr,  mais  jamais 
aussi  confession  ne  fut  plus  méritoire,  car  c'est  à  l'heure  où, 
renié  de  tous,  Jésus  expirait  sur  le  gibet,  que  le  bon  larron 
salua  sa  royauté  divine. 

Le  Sauveur  ne  pouvait  faire  un  mouvement  sans  augmenter 
ses  souffrances  ;  mais  ayant  ouï  cette  prière,  il  tourna  la  tête 
vers  son  compagnon  et  lui  répondit  :  «  Je  vous  le  dis,  en  vérité, 
vous  serez  aujourd'hui  avec  moi  dans  le  paradis  (1).  »  L'humble 
pénitent  ne  demandait  qu'un  souvenir,  et  c'est  le  plus  riche  don 
qui  lui  est  accordé  :  la  béatitude  au  sein  de  Dieu.  Il  se  conten- 
tait d'une  espérance,  et  dès  ce  jour-là  même  une  félicité  sans 
bornes  devint  son  partage.  Nous  ne  trouvons  cet  épisode  que 
dans  le  troisième  Evangile.  Saint  Mathieu  et  saint  Marc  sem- 
blent l'avoir  ignoré,  car  ils  parlent  en  termes  vagues  de  blas- 
phèmes proférés  par  les  brigands.  On  sait  tout  ce  que  saint  Lue 
dut  à  Marie  ;  c'est  d'elle  sans  doute  qu'il  apprit  cet  entretien 
murmuré  au  haut  de  la  croix  et  entendu  par  la  mère  qui  s'atta- 
chait au  gibet  de  son  Fils  expirant. 

(1)  Les  scribes  avaient  interprété  dans  va  sens  trop  matériel 
TEden,  le  paradis  des  premiers  jours  (Gen.,  xi,  15)  pour  que.Jésu^ 
employât  ce  mot  lorsqu'il  parlait  du  ciel;  il  avait  besoin  d'un  terme 
nouveau  comme  le  bonheur  qu'il  promettait  ;  l'éternelle  félicité, 
dans  la  doctrine  du  Sauveur,  c'est,  «  le  royaume  des  cieux  »,  «-le 
royaume  de  Dieu  »,  S'il  parle  ici  ouvertement  du  paradis,  c'est  que 
pour  le  malheureux  crucifié  à  ses  côtés,  ce  mot  ne  pouvait  être  que 
ce  qu'il  est  devenu  pour  nous,  une  vision  des  cieux.  Le  mot  Paradi- 
nos,  employé  par  les  Septante  pour  traduire  les  jardins  de  l'Eden, 
paraît  avoir  été  emprunté  à  la  langue  des  Perses  paradaéza  ;  «  clô- 
ture, endroit  clos  de  murailles,  »  de  para-dih,  «  élever  une  digue, 
un  mur  autour.  »  Ce  mot  a  été  introduit  dans  la  langue  grecque, par 
Xénophon,  dans  les  écrits  duquel  il  signifie  un  jardin  d'agrément  ou 
un  parc  dé  chasse.  {Œconomicus,  vi,  14). 


172  ANNALES    CATHOLIQUES 

Cependant  Temportenient  des  ennemis  du  Christ  était  moins 
violent;  des  rumeurs  couraient  encore  dans  le  peuple,  des  cris 
éclataient  çâ  et  là;  mais  déjà  de  sombres  vapeurs  flottant  au- 
dessus  du  sol  montaient  vers  la  croix  et  l'enveloppaient  d'un 
Toile  funèbre.  L'effroi  éclaircit  les  rangs  de  la  foule;  bientôt  le 
pied  des  gibets  fut  libre,  un  petit  groupe  s'en  approcha  :  il  se 
composait  de  trois  femmes  et  d'un  disciple.  C'était  la  Vierge 
sainte  et  sa  sœur  Marie,  femme  de  Cléophas,  prés  d'elle  Made- 
leine la  pécheresse  ;  Jean  les  suivait.  Son  nom  n'est  pas  écrit 
dans  le  récit  inspiré,  mais  tout  révèle  sa  présence,  et  la  réserve 
avec  laquelle  il  se  désigne,  et  cette  place  à  laquelle  le  bien- 
aimé  ne  pouvait  manquer. 

Ils  s'arrêtèrent,  devant  la  croix,  debout,  les  yeux  fixés  sur 
celui  qu'ils  aimaient.  Jésus  occupé  d'abord  de  ses  bourreaux 
pour  leur  pardonner,  de  son  compagnon  de  supplice  pour  lui 
ouvrir  les  cieux,  Jésus  abaissa  enfin  ses  regards  sur  ses  amis 
qui  lui  demandaient  un  dernier  adieu,  sur  sa  mère  percée  du 
glaive  que  lui  avait  annoncé  le  vieillard  Siméon.  La  plus  tou- 
chante de  nos  hymnes,  le  Stabat,  rend  à  peine  ce  qu'avait  de 
poignant  pour  une  mère  un  tel  spectacle.  Mieux  que  personne 
.Jésus  le  sentait;  il  voyait  approcher  pour  lui  la  mort;  pour  sa 
mère,  le  deuil  et  l'abandon.  De  tous  ses  apôtres,  Jean  seul 
demeurait  près  de  lui,  et  plus  fidèle  à  mesure  que  croissait  le 
danger,  il  soutenait  Marie.  Évitant  de  la  nommer,  pour  ne  pas 
l'exposer  aux  insultes  en  révélant  qui  elle  était  :  «  Femme,  dit 
Jésus,  voici  votre  fils!  »  et  à  Jean  :  «  Voici  votre  mère!  » 
Depuis  ce  moment,  le  disciple  prit  Marie  dans  sa  demeure  et  la 
regarda  comme  sa  mère. 

Cette  dernière  attache  rompue,  Jésus  se  jeta  dans  le  sein  de 
Dieu  pour  consommer  sa  Passion.  Il  était  midi  quand  les  pre- 
mières ténèbres  s'élevèrent  sur  le  Golgotha;  depuis  ce  temps, 
elles  montaient  toujours,  étendant  un  linceul  sur  Jérusalem,  la 
Judée,  le  monde  entier  (I).  Aucune  cause  naturelle  ne  suffit  à 
expliquer  ce  phénomène,  car  la  lune  alors  dans  son  plein,  ren- 
dait une  éclipse  de  soleil  impossible.  Mais  la  terre  a  coutume 
de  se  couvrir  de  noires  vapeurs  aux  approches  des  tremblements 
qui  la  déchirent,  et  elle  s'enveloppait  de  deuil  pour  pleurer  son 
Dieu  (2).  La  croix  où  expirait  le  Christ  était  cachée  par  un 

{\)  Epi  pasan  ttn  gén  (Mat.,  xxvii.  43).  IFressort  de  ces  paroles 
que  les  ténèbres  couvrirent  au  moins  la  Judée  et  probablement  tout 
notre  hémisphère. 

(2)  Ce  prodige  avait  frappé  les  païens  eux-mêmes.  TertuUien  en 


LA   MORT   DE   JKSUS  173 

nuage;  tous  les  bruits  s'éteignirent,  et  le  cri  qu'en  cette  cir- 
constance l'antiquité  prêtait  à  Denys  l'Aréopagite  exprime 
l'effroi  sous  lequel  haletaient  tous  les  cœurs  :  «  Ou  la  divinité 
soulFre,  ou  elle  compatit  à  quelque  grande  affliction  (1).  » 

Les  tortures  croissaient  à  chaque  instant  dans  le  supplice  de 
la  croix  :  les  pieds  et  les  mains  déchirés,  le  corps  violemment 
tendu,  la  contraction  des  muscles,  la  soif,  le  délire  de  la  fièvre, 
portaient  les  douleurs  à  un  tel  excès  que  le  crucifié  appelait  la 
mort  comme  une  délivrance. 

Pendant  trois  heures  Jésus  lutta  sans  proférer  une  seule 
plainte.  Que  se  passait-il  dans  ces  ombres  impénétrables?  Les 
évangélistes,  qui  ont  raconté  l'agonie  du  jardin,  se  taisent  sur 
celle  de  la  croix.  Mais  à  la  fin  un  grand  cri  perça  les  ténèbres, 
révélant  le  mystère  de  ces  heures  d'angoisse.  Saint  Marc  l'a  con- 
servé tel  qu'il  vint  sur  les  lèvres  de  Jésus,  dans  cette  langue 
araméenne  qu'enfant  il  avait  parlée  sur  les  genoux  de  Marie  : 
«  JEloï!  Eloï!  lamma  sahachtani?  Mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  pour- 
quoi m'avez-vous  abandonné?  » 

Cette  lamentation  est  le  début  du  psaume  oii  se  trouvent  pré- 
dites la  Passion  du  Messie,  ses  forces  s'écoulant  avec  son  sang, 
ses  blessures  enflammées,  cette  soif  brûlante  qu'un  mourant 
seul  connaît.  Mais  qu'étaient  les  tortures  du  corps  auprès  des 
souffrances  de  l'âme?  Ce  sont  celles-là  surtout  qui  se  révèlent 
dans  le  cri  de  détresse  :  «  Mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  pourquoi 
m'avez-vous  abandonné?  » 

Jamais  mourant  n'a  senti  comme  Jésus  l'abandon  de  Dieu, 
parce  que  nul  autre  que  lui  n'a  vécu  de  Dieu  et  en  Dieu.  Sus- 
pendu entre  les  malédictions  de  la  terre  et  le  ciel  qui  le  repous- 
sait, il  demeura  livré  aux  angoisses  qui  avaient  passé  sur  lui  à 
Gethsémani,  et  cette  fois  il  but  la  coupe  jusqu'à  la  lie.  Pour 
embrasser  l'étendue  de  cette  désolation,  il  faut  se  rappeler  que, 
malgré  son  innocence,  Jésus  sur  la  croix  était  chargé  de  crimes 
véritables  et  qu'il  soutenait  l'iniquité  du  monde.  Dieu  ayant 
transporté  sur  lui  les  péchés  commis  depuis  l'origine  jusqu'à  la 
fin  des  temps,  tous  lui  apparurent  distinctement  et  dans  leurs 
moindres  circonstances.  Trahisons,  vengeances,  adultères,  dis- 
solutions honteuses,  blasphèmes,  calomnies,  entrèrent  à  flots 

prenait  à  témoin  leurs  archives  publiques  :  (Apologeticus,  xxi.)  Au 
temps  d'Origène  le  fait  passait  pour  incontestable,  les  uns  y  voyant 
un  phénomène  surnaturel,  d'aulres  une  éclipse.  (Voir  dans  Migae, 
Patrologie  grecque,  t.  X,  p.  99,  le  témoignage  de  Jules  Africain  et 
d'Origène,  Contra  Celsum,  II,  33.) 

(1)  Denys  l'Aréopagite,  Epist.  vu.  —  Migne,  Pat.  grec,  ni.) 


]74  ANNALES    CATHOLIQUES 

dans  son  âme  et  l'abîmèrent  sous  des  torrents  d'iniquité.  Et 
c'est  à  l'heure  même  oii  le  Christ  était  comme  perdu  dans  cette 
confusion  que  Dieu  se  retirait  de  lui  pour  l'accabler  du  poids 
de  ses  vengeances.  Jésus,  devenu  péché  pour  nous,  fait  «  malé- 
diction, exécration  »,  selon  l'expression  de  saint  Paul,  Jésus 
souffrait  de  la  part  de  Dieu  je  ne  sais  quoi  d'effroyable  qu'aucune 
parole  humaine  ne  peut  rendre.  A  cette  heure  le  ciel  se  voila; 
l'enfer  seul  resta  devant  le  Sauveur,  qui  entrevit  le  désespoir 
éternel,  infini  comme  le  Dieu  qu'il  venge. 

Une  dernière  désolation  s'ajoutait  à  cette  douleur  :  c'était  la 
pensée  du  petit  nombre  de  ceux  qui  profiteraient  de  sa  Passion. 
La  multitude  des  damnés  se  présentait  à  ses  yeux;  quelle  que 
fût  leur  indignité,  ils  étaient  les  membres  de  son  corps  mystique, 
unis  si  étroitement  à  lui  qu'ils  n'en  pouvaient  être  séparés  sans 
violence.  Jésus,  en  se  voyant  arracher  une  partie  si  chère  de 
lui-même,  se  sentait  comme  délaissé  et  réprouvé  en  eux.  «  Il 
se  plaignait,  dit  Arnaud  de  Chartres,  que  le  fruit  de  ses  combats 
lui  fût  ravi;  il  déclarait  hautement  que  ses  sueurs,  ses  travaux 
et  sa  mort  n'étaient  point  récompensés,  puisque  ceux  pour  les- 
quels il  avait  tant  souffert  étaient  abandonnés  à  la  perdition 
éternelle.  De  là  ce  cri  lamentable  :  «  Mon  Dieu  !  mon  Dieu  ! 
m'abandonnez-vous!  » 

Quel  moyen  d'accorder  en  Jésus  cet  apparent  désespoir  avec 
la  béatitude  essentielle  à  sa  personne  divine  !  Il  y  a  là  un  mys- 
tère insondable,  le  mystère  de  l'Incarnation.  Pour  comprendre 
comment  le  fils  de  Dieu  a  pu  se  dire  délaissé  de  son  Père,  il 
faudrait  expliquer  comment  l'Etre  Infini  a  pu  prendre  une 
nature  finie,  car  il  n'y  a  entre  ces  deux  abaissements  qu'une 
différence  de  degré;  l'abandon  de  Jésus  sur  la  croix  continua 
ce  qui  s'était  accompli  dans  l'Incarnation,  et  dans  ces  deux  mys- 
tères la  divinité  resta  également  inviolable.  Il  en  était  du  Christ 
souffrant  comme  des  montagnes  dont  la  cime  perce  les  nues. 
Souvent  l'orage  s'attache  aux  flancs  et  les  couvre  de  ruines, 
mais  rien  ne  trouble  le  sommet  qui,  au  dessus  des  tempêtes, 
demeure  serein  et  couronné  de  lumière. 

A  cette  même  heure,  les  ténèbres  disparaissant  et  avec  elles 
l'épouvante,  les  juifs  s'enhardirent  à  répéter  la  parole  de  Jésus 
et  feignirent  de  confondre  le  nom  divin  d'Eloï  avec  celui  du 
prophète  (8).  «  Il  appelle  Elle  »,  disaient-ils.  Mais  cette  rail- 

(8)  Il  est  impossible  d'admettre  que  cette  méprise  ait  été  faite  non 
par  les  Juifs,  mais  par  les  soldats  romains,  car  ces  derniers  igno- 


LA   MORT    DE    JÉSUS  175 

lerie  même  trahissait  un  reste  d'effroi,  car  tout  Israël  savait 
que  le  terrible  voyant  devait  reparaître  dans  un  jour  de  feu  et 
de  terreur,  sous  un  ciel  voilé,  une  lune  sanglante,  au  milieu 
des  puissances  du  ciel  ébranlées. 

Tout  à  coup  un  nouveau  cri  se  fait  entendre  :  «  J'ai  soif  (1),  » 
disait  Jésus,  lamentant  la  plus  affreuse  torture  du  crucifie- 
ment (2).  Un  des  assistants  courut  tremper  une  éponge  (3) 
dans  l'aigre  boisson  (4)  des  soldats  et  l'offrit  au  Sauveur,  et 
comme  son  bras  ne  pouvait  atteindre  à  la  tête  du  crucifié  il  prit 
un  roseau  (5),  mit  l'éponge  au  bout  de  la  tige  et  l'approcha  des 
lèvres  du  Christ.  Cet  acte  de  pitié  excita  dans  la  foule  un  cri 
de  haine  :  «  Laisse  donc,  laisse-nous  donc  voir  si  Elie  viendra 
le  sauver.  — Laissez-moi  faire,  dit  l'homme,  nous  verrons  alors 
si  Elie  le  sauvera.  » 

Le  Sauveur  appuya  ses  lèvres  contre  l'éponge  imbibée  de 
vinaigre  ;  puis  ranimé,  il  attacha  encore  une  fois  ses  regards 
sur  le  monde.  Sa  vue  embrassait  toute  la  durée  des  temps  et 
son  oeuvre  entière  :  les  justes  qui  l'avaient  précédé,  tous  ceux 
qui  dans  l'avenir  devaient  croire  en  lui  se  tournaient  vers  la 
croix  et  y  trouvaient  leur  salut.  «  Tout  est  consommé,  dit-il, 
et  ma  Passion,  et  ma  vie  et  le  salut  du  genre  humain.  »  Après 

raient  la  langue  hébraïque  et  connaissaient  peu  le  prophète.  D'ailleurs 
le  nom  d'Elie,  sous  sa  forme  araméenne  Elijahu,  différant  complète- 
ment du  mot  Eloï,  «  Dieu  »,  il  est  également  difficile  de  croire  que 
les  Juifs  aient  pu  se  tromper  aux  paroles  de  Jésus.  Il  n'y  eut  donc 
là  qu'une  raillerie  satanique,  et  la  volonté  de  tourner  en  dérision  la 
prière  que  le  Sauveur  empruntait  aux  saints  livres. 

(1)  Saint  Jean  fait  observer  que  cette  soif  et  le  vinaigre  offert  à 
Jésus  étaient  prédits  aux  psaumes  lxviit,  23. 

(2)  As-Sujuti,  écrivain  arabe,  a  décrit  les  souffrances  d'un  jeune 
Turc,  crucifié  à  Damas  en  1247.  «  La  plus  terrible  de  ses  souffrances, 
dit-il,  était  la  soif.  J'ai  entendu  un  témoin  oculaire  me  raconter  qu'il 
tournait  ses  yeux  de  tous  côtés,  suppliant  qu'on  lui  donnât  un  pett 
d'eau.  » 

(3)  On  croit  généralement  que  cette  éponge  avait  été  apportée  par 
les  soldats  pour  essuyer  le  sang  qui  jaillissait  sur  eux  pendant  le 
crucifiement. 

(4)  Hoxoua  (Mat.  xxvii,  48)  désigne  ici,  comme  dans  saint 
Luc  (xxiii,  36)  la  «  posca  »,  le  vin  amer  et  épicé  que  buvaient  les 
soldats  romains. 

(5)  Il  est  difficile  d'indiquer  quelle  plante  saint  Jean  (xix,  29) 
désigne  sous  le  nom  d'hysope.  Ce  n'est  certainement  pas  la  plante 
aromatique  qui  porte  ce  nom  parmi  nous  :  hyssopus  officinalis.  Le 
docteur  Forbes-Royle  a  cru  la  retrouver  dans  le  câprier.  Les  plus 
anciennes  traditions  nomment  la  marjolaine  sauvage,  dont  la  tige 
est  évidemment  trop  faible  pour  soutenir  le  poids  d'une  éponge 
imbibée  de  vinaigre.  Le  terme  dont  se  servent  saint  Mathieu 
(xxvii,  48"*  et  saint  Marc  (xv,  36),  Calaraos,  montre  qu'il  s'agit  ici 
d'un  roseau  ferme,  comme  le  roseau-canne. 


176  ANNALES    CATHOLIQUES 

avoir  adressé  à  la  terre  cet  adieu,  il  s'abandonna  â  son  Père 
céleste  :  «  Père  !  dit-il  avec  un  grand  cri,  je  remets  rnon  esprit 
eatre  vos  mains.  »  C'était  la  voix  du  Fils  se  jetant  dans  les  bras 
de  son  Père,  et  en  même  temps  la  parole  de  «  Celui  à  qui 
personne  ne  prend  son  âme,  mais  qui  la  dépose  quand  il  lui 
plaît  (1)  ».  La  plupart  des  disciples,  contem[jlant  cette  scène 
de  loin,  n'entendirent  que  «  le  grand  cri  »  dont  parlent  saint 
Mathieu  et  saint  Marc.  C'est  d'un  témoin  demeuré  près  de  la 
croix,  de  Mairie  peut-être,  que  saint  Luc  recueillit  la  parole 
suprême  de  Jésus.  Jean  était  là,  regardant  le  Sauveur  ;  il  le  vit 
pencher  la  tête  et  mourir  (2). 

L'abbé  Fouard. 


LA  SEMAINE  SAINTE  A  JÉRUSALEM   (3) 

Passer  la  semaine  sainte  à  Jérusalem,  se  trouver  sur  le 
théâtre  authentique  do  la  Passion,  au  milieu  de  ce  magnifique 
ensemble  de  monuments  et  de  ruines  qui  remuent  jusqu'à  la 
dernière  fibre  du  cœur  ;  entendre  les  échos  de  Sion  répéter  les 
gémissements  des  prophètes,  assister  en  quelque  sorte  en  témoin 
attendri  au  drame  sanglant  du  Calvaire,  c'est  le  rêve  de  tous 
les  chrétiens;  rêve  bien  naturel,  mais  dont  les  complications 
de  la  vie  rendent  la  réalisation  difficile. 

Nous  qui  sommes  en  possession  d'une  félicité  si  rare,  nous 
voudrions,  par  un  récit  succinct  mais  fidèle,  rendre  nos  amis 
participants  de  notre  bonheur  ;  je  dirai  donc  jour  par  jour  ce 
que  j'ai  vu,  ce  que  j'ai  senti  durant  cette  triste  commémoration 
du  plus  grand  mystère  qui  se  soit  accompli  chez  les  hommes. 

Dimanche  des  Rameaux. 

Le  matin,  la  population  hiérosolymitaine  et  un  nombre  infini 
d'étrangers  accourus  de  toutes  les  parties  du  monde  stationnent 
aux  abords  du  Saint-Sépulcre. 

(1)  Aucun  des  Evangélistes  ne  dit  :  «  il  mourut  »  :  Ethanen  ;  les 
termes  dont  ils  se  servent  indiquent  un  acte  volontaire,  libre,  spoa- 
tané  :  (Marc,  xv,  38;  Luc  xxiir,  46;  Mat.,  xxxiii  50;  Joan.  xîx,  30). 

(2)  Extrait  de  l'excellente  :  Vie  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ, 
de  M.  l'abbé  Fouard.  —  Paris,  Leeoffre. 

(3)  L'auteur  de  ces  lignes,  adressées,  naguère  au  Courrier  de 
Bruxelles  a  passé  à  Jérusalem  la  Semaine  sainte  de  1885. 


SEMAINE    SAINTE    A   JÉRUSALEM  177 

L'ouverture  solennelle  de  la  porte  eut  lieu  à  cinq  heures,  et 
la  foule  inapatiente  se  précipita  dans  la  Basilique  comme  un 
torrent  qui  a  rompu  ses  digues. 

A  voir  ce  mélange  bruyant  de  Latins,  de  Grecs,  d'Arméniens 
et  de  Mulsumans,  étendus  sur  le  pavé  à  l'entrée  des  chapelles, 
on  dirait  que  les  caravanes  des  diverses  nations  sont  venues  se 
reposer  dans  ce  temple  comme  dans  un  Khan.  L'église  la  plus 
sainte  de  l'univers  se  change,  ce  jour-là,  en  une  place  publique. 
Les  hommes  parlent,  crient,  se  disputent,  se  battent  quelque- 
fois ;  les  femmes  rient  et  conversent  comme  dans  une  réunion 
champêtre...  Un  détachement  de  soldats  turcs  faisait  la  haie, 
«'efforçant  de  sauvegarder  l'ordre.  Je  dois  dire  qu'ils  s'acquit- 
taient de  leur  humiliant  et  nécessaire  ministère  avec  bonté  et 
humanité  et  montraient  des  égards  particuliers  aux  catholiques. 

En  avançant  dans  l'enceinte,  nous  sommes  frappés  de  la 
variété  infinie  des  physionomies  et  des  habits.  Comme  toujours, 
les  Russes  sont  en  phalanges  pressées;  on  les  distingue  à  leur 
casquette  nationale,  à  leurs  grandes  bottes  rougies  parla  neige, 
et  à  leurs  longues  lévites  dont  ils  s'enveloppent  frileusement. 
Les  pèlerins  de  l'Anatolie,  de  la  Morée,  de  l'Archipel  et  du 
Liban  étalent  toutes  les  splendeurs  du  costume  oriental  :  pan- 
talons bouffants,  vestes  brodées  d'or,  ceintures  de  soie  rouge, 
kuffsehs  multicolores,  larges  turbans  blancs  enroulés  autour  de 
la  tête.  Les  femmes,  groupées  dans  les  entrecolonnements,  sont 
enveloppées  de  longs  voiles  blancs  qu'elles  relèvent  parfois  avec 
une  grâce  singulière  :  alors  on  aperçoit  leurs  beaux  visages 
d'une  pâleur  un  peu  ambrée,  leurs  chevelures  ornées  de  corail 
et  de  cercles  d'or,  leurs  corsages  de  velours  noir  ou  de  soie  rose 
brillants  de  breloques,  de  chaînettes,  et  de  bijoux  de  toute 
sorte,  un  véritable  étalage  d'orfèvrerie. 

A  six  heures  précises,  Mgr  le  Patriarche  fit  son  entrée  solen- 
nelle dans  la  Basilique.  Revêtu  de  ses  habits  pontificaux  et 
accompagné  de  tout  son  clergé,  il  s'avança  vers  le  Saint- 
Sépulcre  tout  ruisselant  de  lumières.  Il  entra  seul  dans  l'édicule 
sacré  pour  y  bénir  les  palmes  qu'il  distribua  de  sa  main  aux 
prêtres  et  aux  religieux  d'abord,  puis  au  consul  de  France,  aux 
étrangers  ensuite  et  aux  principaux  catholiques  de  Jérusalem. 
Ces  palmes  cueillies  dans  les  champs  de  Gaza,  vertes  et  fraîches, 
hautes  de  cinq  à  six  pieds,  ne  sont  pas  travaillées  artisteraent 
comme  celles  de  Rome,  mais  elles  ont  toute  la  grâce  de  l'arbre 
qui  les  a  portées,  et  je  les  préfère  de  beaucoup  aux  premières. 


178  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  bénédiction  des  Rameaux  fut  suivie  immédiatement  de  la 
procession  qui  fit  trois  fois  îe  tour  du  Saint-Sépulcre  dans  ua 
ordre  et  un  recueillement  parfaits. 

Pendant  quelesyeux  sont  fixés  sur  la  majestueuse  cérémonie, 
l'âme  est  tout  entière  aux  souvenirs  qu'elle  retrace.  Pour  les 
rendre  plus  vifs,  des  voix  exécutent  l'antienne  Pueri  Hebrœo- 
rum,  et  vous  croyez  entendre  les  acclamations  des  enfants  de 
Jérusalem  accourus  avec  la  foule  au  devant  du  divin  Triompha- 
teur ;  vous  assistez  vous-même  au  triomphe. 

La  procession  terminée,  le  patriarche  se  rendit  à  la  chapelle 
de  la  Madeleine,  abritée  sous  les  ombres  séculaires  qui  régnent 
dans  les  voûtes  du  Nord. 

Tout  se  prépare  pour  la  messe.  Le  moment  solennel  de  la 
Passion  est  arrivé. 

Trois  religieux  Franciscains  doués  de  voix  superbes  commen- 
cent le  lugubre  drame.  Le  religieux  qui  chante  le  récit  est  un 
ténor  à  la  voix  mâle  et  forte  ;  le  second  redit  d'un  ton  pénétrant 
les  paroles  des  témoins,  des  juges  et  des  bourreaux  ;  les  paroles 
du  Sauveur  sortent  d'une  basse  ample  et  profonde.  Les  cris  du 
peuple  sont  exprimés  par  le  choeur  accompagné  de  voix  enfantines 
et  appuyé  de  l'orgue.  C'était  d'un  eôet  si  large  et  si  sur,  qu'à 
chaque  reprise  on  tressaillait  involontairement.  J'écoutais  avec 
ravissement  cette  musique  religieuse,  la  plus  pénétrante  qu'il 
m'ait  été  donné  d'entendre. 

L'office  terminé,  nous  assistâmes,  d'une  des  galeries  supé- 
rieures du  dôme,  à  la  procession  des  Grecs,  des  Arméniens  et 
des  Cophtes.  Voilà  certes  la  plus  incroyable  fortune  de  pitto- 
resque que  nous  ayons  encore  rencontrée  jusqu'ici,  et  je  renonce 
à  en  traduire  l'elïet.  Des  évêques  brillants  d'or  et  d'argent,  des 
officiants  revêtus  de  lourdes  chapes  où  reluisent  les  émaux  et 
les  gemmes,  des  filières  interminables  de  prêtres  couverts  de 
riches  dalmatiques  et  à  demi  perdus  dans  des  nuages  d'encens  ; 
des  bannières  où  ondulent  en  ramages  splendides  les  brocarts 
et  les  damas,  mêlées  à  la  forêt  de  palmes  et  de  flambeaux  portés 
par  une  fouie  effervescente,  passaient  et  repassaient  devant  nos» 
yeux  ainsi  qu'une  vision  fantastique,  pendant  que  retentissait 
à  nos  oreilles  la  mélopée  nasillarde  des  hymnes  grecques,  et  la 
clameur  étourdissante  des  cymbales  froissant  leurs  disques  de 
cuivre  comme  des  armures  entre-choquées. 

Toutefois,  il  fautledire,  malgré  la  pompe  extérieure,  l'éblouis- 
sèment  de  l'or  et   des  couleurs,  les  cérémonies   schismatiques 


SEMAINE    SAINTE    A    JÉRUSALEM  179 

ressemblent  à  des  spectacles  de  place  publique,  et  sont  bien 
loin  d'égaler  la  touchante  et  simple  majesté  des  fonctions 
latines,  qui  enchantent  les  Musulmans  eux-mêmes. 

Mercredi-Saint. 
Jérusalem  fait  entendre  continuellement  sa  voix  plaintive. 
Tous  ses  sanctuaires  retentissent  des  accents  de  sa  douleur... 
Hier,  la  station  avait  lieu  à  la  Flagellation,  petite  chapelle  très 
recueillie  située  en  face  du  Prétoire  de  Pilate  et  appartenant 
exclusivement  aux  Franciscains.  Aujourd'hui,  c'est  à  Gethsé- 
mani,  dans  cette  grotte  de  l'Agonie,  oii  le  Christ  voulut  en  une 
heure  suprême  supporter  toutes  les  douleurs  de  l'humanité  ! 

A  trois  heures  de  l'après-midi,  les  Ténèbres  allaient  ouvrir 
la  suite  non  interrompue  des  grandes  cérémonies  qui  font  de  la 
Semaine  Sainte  à  Jérusalem  la  Semaine  incomparable. 

Au  Saint-Sépulcre,  nous  trouvons  la  même  foule  houleuse  et 
turbulente...  Nous  nous  isolons  comme  nous  pouvons  pour 
prêter  l'oreille  au  chant  sublime  des  Psaumes  et  des  Lamen- 
tations. 

Toute  la  musique  sacrée  est  exécutée  par  les  Franciscains. 
C'est  une  harmonie  de  plus  que  les  grandes  douleurs  de  la 
Passion  soient  racontées  par  des  moines  que  leur  vie  austère  et 
leur  vêtement  de  pénitence  rendent  les  images  vivantes  du 
Christ  souffrant. 

Il  n'y  a  dans  aucune  histoire,  ni  sacrée,  ni  profane,  un 
poème  plus  fort,  plus  énergique,  plus  sublime  que  celui  des 
Lamentations. 

Quelle  grandeur,  quelle  inépuisable  variété  d'images  !  Comme 
la  plainte  est  amère,  la  mélancolie  profonde,  la  malédiction 
éloquente  ! 

Mais  comment  exprimer  l'effet  de  cette  divine  poésie,  enten- 
due en  face  du  Tombeau  sacré,  au  milieu  des  ruines  delà  Jéru- 
salem nouvelle,  misérable  et  soumise  au  tribut  comme  au  temps 
où  pleurait  le  Prophète  !  Il  me  semblait  entendre  la  voix  de 
Jérémie  lui-même  gémir  à  mon  oreille  ;  le  passé  d'Israël  si 
semblable  à  son  présent,  sortait  de  la  tombe  et  m'apparaissait 
avec  tous  ses  malheurs  !  Jamais  accent  n'a  retenti  plus  avant 
dans  mon  âme,  jamais  poésie  n'a  plus  fortement  ébranlé  mon 
imagination. 

Jeudi  Saint. 

Le  poste  du  pèlerin  pendant  la  Semaine  Sainte  est  au  Saint- 
Sépulcre. 


180  ANNALES    CATIîXjLIQUES 

Nous  y  sommes  ramenés  dés  l'aurore  pour  célébrer  l'anniver- 
saire de  l'institution  eucharistique. 

La  basilique  est  parée  comme  aux  plus  belles  solennités.  Un 
autel  d'argent,  pompeusement  chargé  de  vases  et  de  chandeliers 
d'or,  est  dressé  à  la  porte  du  saint  Tombeau,  En  face,  appujé 
au  chœur  des  Grecs,  tout  ruisselant  d'or  et  de  mosaïques,  est 
placé  le  siège  du  patriarche  ;  sur  les  côtés  sont  des  bancs 
destinés  aux  prêtres  et  aux  religieux. 

C'est  dans  l'étroit  espace  compris  entre  l'autel  et  le  trône 
pontifical,  une  espèce  de  vestibule  qui  n'a  pas  six  mètres  de 
largeur,  que  doit  se  développer  la  pompe  des  cérémonies  catho- 
liques ! Qui  ne  déplorerait  la  position  amoindrie  faite  aux 

Latins  dans  cette  église  conquise  par  leur  sang,  l'état  d'isole- 
ment et  d'abandon  où  les  laisse  la  chrétienté  ? 

Mgr  Braco  fit  son  entrée  dans  la  basilique  à  7  heures,  et 
après  le  chant  des  Laudes,  la  messe  solennelle  commença,  messe 
en  musique  brillamment  exécutée. 

Le  moment  arrivé,  nous  vîmes  avec  édification  le  consul  de 
France,  en  grand  uniforme,  s'avancer  respectueusement  vers 
l'autel  pour  recevoir  la  communion  des  mains  du  Patriarche, 
qui  la  distribua  ensuite  au  clergé,  aux  pèlerins  et  aux  fidèles 
de  Jérusalem,  qui  la  reçurent  avec  une  dévotion  touchante. 

La  communion  dura  près  de  deux  heures  ;  les  choristes  ne 
cessaient  de  répéter  l'antienne  si  attendrissante  0  Sacrum 
convivtum.  Mais  quelle  langue  pourrait  jamais  raconter  les 
délices  du  banquet  sacré  lorsqu'on  s'en  approche  au  jour  com- 
mémoratif  de  son  institution,  dans  la  Ville  sainte  oii  le  mjstère 
d'amour  s'est  accompli  ! 

Après  la  messe,  six  religieux  revêtus  de  chapes  éclatantes 
d'or  et  d'argent  vinrent  recevoir,  sous  un  dais  magnifique,  le 
Saint-Sacrement  porté  par  le  Patriarche;  les  fidèles  l'accom- 
pagnaient un  flambeau  à  la  main,  en  répétant  l'hymne  sainte 
consacrée  au  mystère  de  l'Eucharistie. 

La  procession  fit  trois  fois  le  tour  du  Saint-Sépulcre,  puis  le 
Patriarche  entra  dans  l'intérieur  du  tombeau  pour  y  déposer 
l'hostie  sainte  dans  un  tabernacle  portatif  en  argent,  entouré  de 
cierges  et  de  fleurs.  Le  corps  du  Sauveur  resta  sur  le  tombeau 
jusqu'à  l'office  du  lendemain.  Deux  religieux  venaient  alterna- 
tivement y  passer  une  heure  d'adoration,  mais  l'accès  en  était 
interdit  aux  laïques. 

Il  était  onze  heures  et  demie  quand  nous  quittâmes  la  basi- 


SEMAINE    SAINTE    A    JÉRUSALEM  181 

lique.  Les  lourds  vantaux  du  portail  so  refermèrent  aussitôt 
pour  se  rouvrir  de  nouveau,  mais  un  instant  seulement,  à  une 
heure  de  l'après-midi. 

L'heure  était  précise,  inexorable...  Malheur  aux  retarda- 
taires !  !  Nous  fûmes,  hélas  !  de  ce  nombre.  En  vain  nous 
conjurâmes,  nous  invoquâmes  toutes  les  autorités,  même  celle 
du  bakchich,  à  laquelle  d'ordinaire  rien  ne  résiste  ;  tout  fut 
inutile,  la  porte  resta  impitoyablement  fermée. 

Privés  d'assister  à  l'intéressante  cérémonie  du  Lavement  des 
pieds  et  des  Ténèbres  qui  devaient  suivre,  nous  nous  consolâmes 
en  accomplissant  le  plus  touchant  des  pèlerinages,  celui  du 
Saint  Cénacle  au  mont  Sion.  Le  Cénacle  est  une  grande  salle 
vide,  blanchie  à  la  chaux  et  soutenue  par  deux  colonnes.  Pros- 
ternés sur  le  pavé,  nous  lûmes  dans  saint  Jean  les  adieux  de 
Jésus  à  SOS  Apôtres  dans  son  suprême  et  dernier  banquet. 
Jamais  nos  âmes  n'avaient  été  aussi  émues. 

Du  Cénacle  on  communique  par  une  petite  porte  au  tombeau 
de  David,  dont  les  Musulmans  gardent  soigneusement  l'entrée. 
D'ordinaire,  c'est  la  curiosité  qui  pousse  le  pèlerin  en  ces  lieux 
autrefois  inaccessibles  ;  un  autre  sentiment  guidait  nos  pas. 
Nous  voulions  vénérer  la  tombe  du  chantre  de  Sion,  du  grand 
roi  dont  les  regards  prophétiques  avaient  contemplé,  mille  ans 
avant  leur  accomplissement,  toutes  les  soufirances  et  toutes  les 
gloires  du  Christ,  qu'il  appelle  à  la  fois  son  fils  et  son  Dieu. 

Le  sépulcre  de  David  se  compose  de  deux  chambres  :  la 
première  est  taillée  dans  le  roc  et  l'entrée  en  est  interdite  aux 
Musulmans  eux-mêmes.  La  seconde  n'a  qu'un  cénotaphe  couvert 
d'un  tapis  vert:  aucun  chrétien  n'en  peut  franchir  le  seuil; 
mais  elle  est  parfaitement  visible  à  travers  la  large  grille  qui 
sert  de  porte. 

Vendredi  Saint. 
Jérusalem  est  en  deuil  ! 

Je  prête  l'oreille  à  la  pluie  qui  tombe,  à  la  brise  qui  passe  sur 
les  coupoles  grises...  On  dirait  que  les  hommes  et  toute  la  créa- 
tion forment  comme  un  immense  soupir  qui  monte  vers  le  Ciel  ! 

A  cinq  heures  et  demie  nous  stationnons  sur  la  place  du 
Saint-Sépulcre  en  attendant  l'ouverture  de  la  porte.  La  foule 
est  bien  diminuée,  ou  plutôt  il  n'y  a  pas  de  foule.  L'accès  de 
la  basilique  n'est  donné  qu'aux  Latins,  et  l'heure  trop  matinale 
ne  permet  pas  à  tous  de  se  trouver  au  rendez-vous. 

L'assistance  recueillie  et  silencieuse  monte  au  Calvaire. 


182  ANNALES    CA.THOLIQUES 

Quelle  tristesse! 

Ce  n'est  plus  cette  chapelle  toute  ruisselante  d'or  et  de  lu- 
mières ;  c'est  une  grotte  sombre  oii  quelques  lampes  aux  feux 
rouges  et  verts  projettent  leur  clarté  douteuse. 

Toutes  les  splendeurs  du  culte  sont  effacées  et  ont  fait  place 
à  des  images  austères.  On  n'aperçoit  plus  ni  les  marbres,  ni  les 
porphyres,  ni  les  lames  d'argent,  et  autour  de  l'autel  dégarni, 
l'ange  du  Calvaire  cache  sa  tête  sous  ses  ailes  et  pleure  ! 

L'office,  présidé  par  le  Patriarche,  commence  dans  le  plus 
lugubre  appareil. 

C'est  saint  Jean,  le  disciple  de  l'amour,  celui  qui  a  suivi  son 
Maître  jusqu'à  la  fin,  qui  vient  aujourd'hui  raconter  en  témoin 
ses  souffrances  et  ses  ignominies. 

Aucun  Èvangéliste  n'a  rendu  avec  ce  pathétique  l'interroga- 
toire de  Jésus  chez  Pilate.  On  entend  les  questions  anxieuses  du 
gouverneur  romain  et  les  réponses  pleines  d'autorité  du  Sau- 
veur ;  on  voit  le  calme,  la  noble  attitude  et  la  résignation  de 
Jésus  en  même  temps  que  les  troubles,  l'embarras,  les  faiblesses 
et  les  retours  de  son  juge  prévaricateur... 

Finalement,  l'iniquité  triomphe,  le  Juste  est  condamné  et 
mis  en  croix  ! 

Consummatum  est  !  s'écrie  le  chantre  de  la  Passion. 

A  ce  mot,  toute  l'assistance  tombe  à  genoux,  et  le  Golgotha 
sembla  frémir  encore  et  s'ébranler  ! 

Un  moment,  le  ciel  parut  vide,  vide  par  l'absence  d'un  Dieu 
immolé  ;  les  chants  des  Séraphins  sont  muets ,  les  harpes 
célestes  sont  détendues,  et  des  notes  lugubres  traversent 
l'espace... 

Jésus-Christ  est  mort  !  Ces  mots  répétés  par  l'écho  du  Cal- 
vaire jettent  l'âme  dans  une  sorte  de  stupeur. 

Cependant  l'office  se  poursuit  :  on  arrive  à  la  prière  pour  les 
Juifs... 

Quoi  de  plus  émouvant  que  cette  Oraison  de  l'Eglise  pro- 
noncée à  pareil  jour,  en  face  des  malheureux  restes  de  la 
nation  déicide,  parias  honnis,  condamnés  à  subir  l'outrage  de 
tous,  comme  ces  oiseaux  de  nuit  rencontrés  de  jour,  que  pour- 
suivent tous  les  oiseaux  du  ciel  ! 

Les  Oraisons  finies,  tout  se  prépare  pour  l'adoration  de  la 
croix. 

Le  Patriarche,  debout,  découvre  l'un  après  l'autre  les  bras 
de  la  croix  comme  pour  manifester  le  mystère  du   Calvaire. 


SEMAINE    SAINTE   A   JÉRUSALEM  183 

Lorsqu'il  l'a  déposée  sur  un  riche  coussin,  lui-même,  dépouillé 
des  insignes  de  sa  dignité,  se  prosterne  trois  fois  sur  Ja  pierre 
du  sanctuaire  et  vient  poser  ses  lèvres  sur  les  plaies  du  Dieu 
crucifié.  Tout  le  clergé  et  les  fidèles  font  de  même  pendant  que 
le  chœur  d'une  voix  basse  et  plaintive  fait  entendre  le  chant  si 
touchant  de  V Improperium  : 

Popule  meus,  quid  fecit  tihi  ? 

Ainsi  étaient  expiées  par  une  adoration  véritable  les  dérisions 
sacrilèges  du  Golgotha. 

Un  esprit  de  componction  s'était  répandu  sur  la  montagne  de 
la  Rédemption  :  chacun  se  retira  en  silence  en  se  frappant  la 
poitrine  comme  le  Centurion. 

A  Jérusalem,  le  Vendredi-Saint,  l'Eglise  ne  cesse  de  rappeler 
le  fidèle  au  souvenir  de  la  Passion. 

A  une  heure  avait  lieu  le  chemin  de  la  Croix. 

Les  pèlerins  se  pressent  dans  la  Via  Bolorosa,  et  c'est  à 
peine  si  l'on  peut  y  trouver  place.  Depuis  vingt  ans,  disait  avec 
émotion  un  religieux  de  Saint-Sauveur,  le  chemin  de  la  Croix  ne 
s'est  pas  fait  dans  la  Ville  Sainte  avec  autant  de  solennité. 

Le  Frère  Liévin  retrace  brièvement,  mais  avec  l'exactitude 
qui  lui  est  propre,  l'historique  de  chaque  station,  marquée,  ici 
par  des  pierres  brutes,  là  par  des  masures  ou  des  bornes  gros- 
sières, dont  l'aspect  indique  assez  que  ce  ne  sont  point  les  gran« 
deurs  de  la  terre  qui  ont  passé  par  ce  chemin  ! 

A  trois  heures  les  Pères  se  réunissent  de  nouveau  pour 
l'office  des  Ténèbres  et  le  prophète  d'Anathot  fait  entendre  ses 
plus  belles  et  ses  plus  déchirantes  Lamentations. 

Malheureusement,  ces  saintes  et  lugubres  harmonies  se 
perdent  aujourd'hui  à  travers  des  flots  de  peuple  et  un  bruit 
immense... 

A  six  heures,  a  lieu  la  dernière,  la  plus  populaire  et  la  plus 
pathétique  des  cérémonies  du  Vendredi-Saint.  Son  objet  est  de 
représenter  la  Descente  de  Croix  et  l'Ensevelissement  du 
Christ. 

Le  concours  du  peuple  est  tel  qu'elle  se  passe  rarement  sans 
accidents  graves  :  «  N'y  allez  pas,  nous  disaient  quelques-uns 
de  nos  compagnons  d«  voyage,  vous  serez  étoufî'és.  » 

Mais  résolus  à  tout  braver,  nous  nous  rendîmes  en  toute  hâte 
au  Saint-Sépulcre  ;  plus  de  quatre  mille  personnes  avaient 
déjà  envahi  l'église;  pas  une  galerie,  pas  un  pilier,  pas  un  coin 
qui  ne  fût  occupé  :  c'était  une  cohue,  un  pêle-mêle,  une  chalettr 


184  ANNALES   CATHOLIQUES 

indescriptibles  et  ua  bruit  immense  semblable  au  mugissement 
de  la  mer!...  On  se  battait,  on  s'injuriait,  et  les  enfants  à  demi 
étoufl'és  poussaient  des  gémissements...  Nous  nous  avançâmes 
vers  le  Calvaire  ;  les  Russes  s'y  étaient  parqués  comme  un 
troupeau;  une  demi-heure  après  arrivèrent  les  soldats  turcs 
qui  les  chassèrent  impitoyablement,  poursuivant  les  plus  récal- 
citrants du  bâton  et  de  l'épée.  L'étroit  espace  du  Golgotha  devait 
rester  aux  catholiques. 

Le  révérendissime  Père  Custode,  revêtu  d'une  chape  magni- 
fique de  velours  noir  brodé  d'or,  coiffé  de  la  mître  pontificale, 
et  suivi  de  tous  les  religieux  de  Saint-Sauveur,  rangés  deux  à 
deux  avec  un  flambeau  à  la  main,  se  mit  en  marche  à  travers  la 
multitude  qui  se  heurtait  et  s'ébranlait,  pour  visiter  successive- 
ment les  divers  sanctuaires  de  la  Basilique.  Les  jeunes  Arabes 
élevés  au  couvent  chantaient  le  Stahat  avec  charme  et  harmo- 
nie. A  chaque  station,  un  discours  prononcé  en  une  des  sept 
langues  par  un  religieux  franciscain,  retraçait  en  abrégé  les 
souffrances  du  Sauveur. 

Arrivé  au  Calvaire,  le  grand  crucifix  porté  en  tête  de  la  pro- 
cession fut  posé  au  pied  de  l'autel  où  le  Christ  expire  !  Un  pre- 
mier sermon  fut  débité  avec  une  grande  chaleur  d'expression, 
dans  la  chapelle  du  crucifiement,  par  un  Père  allemand.  Le 
second,  prononcé  à  l'endroit  de  la  plantation  de  la  Croix,  fut 
confié  à  un  vaillant  et  savant  prêtre  de  Paris,  qui  vient  de 
prendre  l'habit  de  saint  François.  Il  développa  avec  une  grande 
éloquence  les  bienfaits  de  la  Rédemption  et  le  thème  si  doulou. 
reux  de  l'ingratitude  des  hommes.  Puis  il  s'écria  :  «  Mais  qu'ai- 
je  besoin  de  parler  dans  ce  lieu  oii  tout  vous  parle,  et  la  terre 
qui  a  tremblé,  et  les  rochers  qui  se  sont  fendus,  et  la  nature 
entière  qui  a  pris  le  deuil!...  »  Il  y  eut  un  mouvement  dans 
l'auditoire,  tous  les  cœurs  étaient  émus. 

Le  discours  achevé,  le  Crucifix  de  la  procession  a  été  planté 
là  où  fut  plantée  la  croix  du  Sauveur.  Un  religieux  a  dévote- 
ment attaché  une  écharpe  blanche  aux  bras  du  Christ,  lui  a 
ôté  la  couronne  d'épines,  lui  a  décloué  ses  pieds  et  ses  mains 
avec  un  marteau  et  une  tenaille,  puis  les  bras  sont  tombés 
d'eux-mêmes  comme  les  bras  d'un  mort  ;  ensuite  on  a  descendu 
le  Christ  de  la  même  manière  que  le  Sauveur  fut  descendu 
quand  il  eut  expiré  !  Le  spectacle  nous  [faisait  frissonner...  Il 
nous  semblait  assister  à  la  scène  terrible  qui  ensanglanta  le 
Golgotha,  il  y  a  dix-huit  siècles  ! 


SEMAINE    SAINTE    A   JÉRUSALEM  185 

La  procession  se  remit  en  marche  pour  atteindre  la  pierre  de 
l'Onction  :  la  couronne  et  les  clous  étaient  portés  dans  un  bassin 
d'argent  par  un  religieux,  et  le  Christ  par  quatre  autres,  de  la 
même  manière  que  l'on  porte  un  mort  au' tombeau. 

La  descente  de  la  Sainte  Montagne  fut  encore  plus  difficile 
que  la  montée. 

Une  ardeur  contagieuse  précipitait  vers  l'étroit  escalier  du 
Calvaire  deux  cents,  trois  cents,  quatre  cents  personnes,  là  oii 
trois  personnes  ne  sauraient  marcher  de  front.  Tout  le  monde 
voulait  descendre  à  la  fois... 

Très  heureusement,  nous  suivions  le  consul  de  France  ;  ses 
kawass  nous  protégèrent,  ce  qui  nous  empêcha  d'être  écrasés. 

Nous  parvînmes  à  la  pierre  de  l'Onction.  Toutes  choses 
étaient  préparées  pour  la  sépulture  ;  la  pierre  était  recouverte 
d'un  linge  blanc  très  fin  ;  sur  les  coins  étaient  les  vases  de  par- 
fums. Le  corps,  enveloppé  d'un  suaire  y  fut  déposé,  la  tête 
appuyée  sur  un  coussin.  Le  célébrant  l'arrosa  d'essence  de  rose 
et  fit  brûler  des  parfums.  Après  quelques  instants  de  recueille- 
ment, le  religieux  latin  qui  remplit  les  fonctions  de  curé,  monté 
sur  un  des  pilliers  qui  avoisinent  la  porte  de  l'église,  fit  un 
discours  arabe,  très  écouté  ;  quant  il  eut  cessé  de  parler,  la 
procession  s'avança  vers  le  saint  Tombeau  où  fut  déposée 
l'effigie  du  Christ;  un  dernier  sermon  mit  fin  à  la  lugubre 
cérémonie. 

Samedi  Saint. 

Il  n'y  a  pas  dans  l'histoire  du  monde  un  espace  de  temps 
aussi  solennel  que  celui  pendant  lequel  le  Fils  de  Dieu  est 
couché  au  Sépulcre  :  l'univers  moral  est  comme  en  suspens,  et 
la  vérité  attend  son  dernier  témoignage  ! 

Le  Christ  soulève  la  pierre  de  son  tombeau  ;  il  sort  vain- 
queur de  la  mort  ;  la  terre  qui  était  dans  le  deuil  jette  au  Ciel 
un  hymne  d'allégresse,  et  le  joyeux  Alléluia  retentit  autour  du 
Saint-Sépulcre  ! 

L'office  est  célébré  avec  solennité  ;  il  diûere  peu  de  ce  qui  se 
pratique  dans  nos  églises  d'Occident  ;  mais  ce  qui  est  pour  mol 
un  sujet  d'admiration  toujours  nouveau,  c'est  la  dignité  du 
Patriarche  et  la  piété  des  Pères  ;  malgré  leurs  fatigues  de  jour 
et  de  nuit,  et  le  service  incessant  de  la  prière,  ils  gardent  la 
même  gravité  imposante,  la  même  attitude  recueillie.  Ils  font 
l'édification  de  tous  et  des  Turcs  eux-mêmes  ! 

14 


186  ANNALES    CATHOLIQUES 

C'est  une  loi  pour  le  voyageur  de  tout  voir,  de  tout  examiner  : 
on  nous  avait  tant  parlé  du  feu  sacré  des  Grecs,  de  la  comédie 
sacrilège  jouée  par  leurs  prêtres,  des  clameurs  scandaleuses  du 
peuple,  des  danses,  des  rondes,  de  l'ivresse  universelle  qui 
s'empare  de  toutes  les  têtes,  quand  le  feu  sacré  vient  à  briller 
autour  du  saint  Tombeau,  que  nous  voulions  nous  rendre  à 
cette  cérémonie  qui  a  lieu  à  trois  heures  après-midi,  lorsqu'on 
vint  nous  proposer  de  nous  joindre  à  la  caravane  française  qui 
allait  visiter  la  mosquée  d'Omar  :  l'occasion  était  si  agréable, 
nous  acceptâmes. 

Le  Patriarche  grec  est,  à  ce  qu'il  paraît,  soucieux  de  sa 
renommée,  jaloux  de  la  vertu  qu'il  voit  régner  dans  le  clergé 
latin  ;  il  voudrait  introduire  dans  ses  couvents  un  peu  d'ordre  et 
de  discipline,  dissiper  l'énorme  ignorance  de  ses  prêtres. 

En  tout  cas,  il  a  dit,  m'a-t-on  assuré,  «  qu'il  ne  croyait  point 
et  qu'il  ne  prêcherait  pas  que  le  Feu  sacré  descendait  du  Ciel, 
mais  qu'il  l'appelait  sacré  parce  qu'il  s'allumait  au  saint  tom- 
beau, et  que  tout  ce  qui  en  sort  est  vraiment  sacré.  » 

La  mosquée  d'Omar  nous  a  donné  une  des  plus  fortes  impres- 
sions, une  des  plus  étonnantes  surprises  que  nous  ayons  eues  à 
Jérusalem,  non  pas  tant  à  cause  de  la  mosquée,  qui  passe  cepen- 
dant pour  le  chef-d'œuvre  le  plus  accompli  de  l'art  arabe,  que 
pour  le  temple  de  Salomon,  qui  semblait  nous  apparaître  dans 
sa  splendida  immensité,  avec  la  variété  infinie  de  ses  détails,  de 
ses  richesses,  et  la  magie  de  ses  souvenirs  historiques  et  reli- 
gieux. 

Nous  avons  vu  le  vieil  autel  des  holocaustes,  quartier  de  roc 
labouré  par  le  temps,  où  matin  et  soir  coulait  le  sang  des  ani- 
maux, et  sur  lequel  les  prêtres  entretenaient  un  feu  perpétuel, 
la  fontaine  qui  n'est  autre  que  la  mer  d'Airain,  destinée  à  la 
purification  des  victimes,  et  le  Saint  des  Saints  où  fut  placée 
l'Arche  d'alliance. 

Rien  de  plus  sublime  que  le  mont  Moria,  où  s'éleva  la  de- 
meure de  Jéhovah  :  le  sentiment  de  la  grandeur,  de  l'infini  qui 
vous  saisit  à  Saint-Pierre  de  Rome  est  plus  vif  ici  encore.  Aucun 
bruit,  aucun  mouvement  ne  vient  troubler  le  silence  et  la  soli- 
tude du  tableau  sacrée.  Tout  y  invite  à  la  méditation  et  au 
souvenir  du  passé...  On  y  reconstitue  à  son  gré  les  galeries,  les 
vestibules  et  les  trois  enceintes  successives  qui  faisaient  du 
Temple  une  cité  à  part  dans  la  cité  choisie  ! 

En  continuant  de  visiter  la  surface  du  Haram,  rempli  de  pe- 


SEMAINE    SAINTE   A   JÉRUSALEM  187 

tits  monuments  décorés  avec  la  fantaisie  exquise  du  j^oût  mau- 
resque, nous  arrivons  à  El'Aksa,  dépendance  -de  la  mosquée 
d'Omar.  C'est  une  basilique  romaine  qui  n'a  besoin  que  du  prêtre 
et  de  l'autel  pour  devenir  chrétienne. 

De  là,  nous  sommes  descendus  dans  les  souterrains,  voûtes 
magnifiques  portées  par  des  forêts  de  pilliers  semblables  à  des 
tours,  et  qui  abritent  le  système  le  plus  compliqué  de  substruc- 
tionsde  galeries,  de  citernes  et  d'égouts  qui  se  puisse  imaginer. 

Est-ce  l'œuvre  de  Saloraon  ou  d'Hérode? 

Quelle  que  soit  la  réponse  définitive  de  la  science,  elle  n'arra- 
chera jamais  le  voyageur  à  la  fascination  mystérieuse  qu'exerce 
sur  lui  le  palais  merveilleux  que  l'imagination  orientale  se  plaît 
à  peupler  de  génies  ! 

Dimanche  de  Pâques. 

L'horizon  blanchit  et  s'illumine...  Des  rayons  précurseurs 
annoncent  le  radieux  soleil  de  la  résurrection... 

Pâques,  Pâques  !  !  ce  nom  vole  de  bouche  en  bouche  avec  le 
son  joyeux  des  cloches  qui  ébranle  l'air. 

Jérusalem  a  secoué  le  linceul  gris  qui  l'enveloppe...  Les  ca- 
tholiques ont  revêtu  leurs  habits  de  fête  et  la  tristesse  de  leurs 
front  fait  place  à  une  espèce  de  gaieté. 

Avec  Magdeleine  et  les  saintes  femmes,  nous  courons  dés  l'au- 
rore pour  vénérer  le  divin  Tombeau  d'où  est  sortie  la  lumière, 
la  consolation  et  la  liberté  du  monde  ! 

Ce  sépulcre,  qu'Isaïe  saluait  de  «  Sépulcre  glorieux  »  est 
tout  couvert  de  flambeaux  et  de  lampes,  qui  brillent  comme  les 
constellations  brillent  au  ciel. 

Une  messe  solennelle,  suivie  d'une  triomphante  procession,  à 
laquelle  assistent  une  multitude  de  chrétiens,  clôt  les  impo- 
santes cérémonies  de  cette  grande  semaine  ! 

On  a  redit  les  quatre  Évangiles  de  la  Résurrection. 

Le  dernier,  le  beau  et  pathétique  récit  de  [saint  Luc,  a  été- 
chanté  vis-à-vis  de  la  Pierre  de  l'Onction. 

M.  S.  DE  V. 


188  ANNALES    CATHOLIQUES 

LA  LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET    l'ÉPISCOPAT 
(Suite.  —  V.  le  numéro  précédent.) 

Angoulême.  —  Mgr  rÊvêque  écrit  au  cardinal  Guibert  : 

Aucune  voix  n'était  autorisée  comme  la  vôtre  à  faire  entendre  des 
plaintes  que  justifient  non  seulement  les  actes  accomplis  ou  les  lois 
portées  dans  ces  dernières  années  contre  les  droits  de  l'Église  et  les 
intérêts  surnaturels  des  âmes,  mais  récemment  encore  des  paroles 
officielles  profondément  affligeantes  pour  tous  les  cœurs  pieux.  Aussi 
votre  langage,  Monseigneur,  en  traduisant  les  sentiments  de  l'épis- 
copat,  a-t-il  été  un  vrai  soulagement  pour  nos  consciences  oppressées. 

Vous  n'avez  pas  moins  fidèlement  exposé  notre  attitude  à  l'égard 
de  l'autorité  civile  dans  la  lutte  à  laquelle  nous  sommes  contraints, 
lutte  eno-agée  non  coutre  la  forme  du  gouvernement  qui  nous  régit, 
mais  contre  tout  un  système  antichrétien  et  un  travail  de  désorga- 
nisation sur  lequel  il  est  impossible  de  se  méprendre. 

Qu'arrivera-t-il  ?  Nul  ne  saurait  le  dire.  Vous  avez,  du  moins, 
Monseio-neur,  plaidé  la  cause  de  la  justice  et  de  la  vérité  avec  une 
fermeté  et  une  hauteur  de  vues  qui  en  préparent  le  triomphe  dans 
les  esprits  sincères. 

C'est  donc  un  nouveau  service  rendu  à  l'Église  et  au  pays  lui- 
même,  dont  nous  désirons  tous  la  grandeur  et  la  prospérité. 

Je  me  permets  de  vous  en  remercier. 

Beauvais.  —  Mgr  l'Evèque  de  Beauvais  : 

Permettez-moi  de  m'associer  entièrement  aux  sentiments  qui  vous 
ont  inspiré  les  considérations  si  sages,  si  élevées,  si  modérées,  et 
j'ose  ajouter  malheureusement  si  motivées  que  vous  avez  adressées 
à  M.  le  président  de  la  République  sur  cette  série  de  mesures,  ou- 
vertement ou  indirectement  hostiles,  qui,  depuis  plusieurs  années, 
se  succèdent  sans  intermittence  contre  la  religion,  contre  ses  insti- 
tutions, contre  l'enseignement,  contre  tous  les  droits,  contre  toutes 
les  libertés  catholiques. 

Ces  hostilités  légales  ou  administratives  qui  so  déclarent  sur  tous 
les  terrains  et  sous  toutes  les  formes  ont  d'autant  plus  lieu  de  sur- 
prendre, que  nous  pouvons  remire  hautement  ce  témoignage  au 
clergé  de  nos  diocèses  —  et  je  le  fais  sans  exception  aucune  pour  le 
clergé  du  diocèse  de  Beauvais  —  qu'il  n'a  donné  aucune  cause, 
aucune  ouverture,  aucun  prétexte  à  ces  mesures  violant'  s  prise» 
contre  lui,  qu'il  a  fait  constamment  preuve  d'une  modération  et 
d'une  patience  à  toute  épreuve,  et  qu'il  ne  cesse  de  piofesser  une 


LETTRE   DU   CARDINAL   GUIBERT  189 

soumission  respectueuse  pour  les  droits  légitimes  de  l'Etat  auquel  il 
demande  seulement  de  respecter  les  croyances  et  les  institutions 
catholiques,  et  de  ne  pas  entraver  de  toutes  manières  l'exercice  de 
la  religion  de  la  majorité  des  Français  par  les  persécutions  de  la 
civilisation,  trop  semblables,  comme  on  l'a  remarqué,  aux  persécu- 
tions de  la  barbarie. 

Cahors.  —  Mgr  l'évêque  de  Gahors  : 

Votre  Éminencc  vient  encore  de  faire  entendre,  avec  de  res- 
pectueuses protestations,  de  justes  doléances,  ne  doutant  pas 
qu'elles  ne  répondent  au  sentiment  do  ses  collègues  dans  l'épis- 
copat.  Un  des  plus  anciens  parmi  eux,  je  regarde  comme  un 
devoir,  dans  la  situation  qui  nous  est  faite,  d'unir  mon  entière 
adhésion  à  la  déclaration  si  modérée  et  si  juste  de  Votre  Émi- 
nence.  Nul,  plus  qu'elle,  par  sa  longue  expérience  et  sa  haute 
position,  n'avait  le  droit  de  parler  au  nom  de  l'Eglise  de  France  et 
de  se  faire  l'interprète  de  l'épiscopat.  Votre  Eminence  n'a  pas 
hésité,  malgré  ses  forces  affaiblies,  à  prendre  la  parole  pour 
faire  connaître  le  véritable  esprit  du  clergé  et  protester  contre 
d'injustes  et  persévérantes  accusations. 

Nous  tenons  à  le  dire  après  vous  :  non,  le  clergé  de  France, 
fidèle  aux  sages  conseils  du  Chef  de  TÉglise,  ne  fait  pas  œuvre  de 
parti  et  il  n'a  d'autre  but  par  ses  paroles  et  par  ses  actes  que  de 
sauvegarder  les  droits  qui  lui  appartiennent  et  de  défendre  la 
religion,  dont  les  intérêts  lui  sont  confiés  ;  en  obéissant  aux  ins- 
pirations de  sa  foi,  il  croit  faire  et  il  fait,  en  réalité,  œuvre  de 
patriotisme. 

C'est  pour  nous  une  grande  tristesse  de  voir  nos  intentions 
méconnues  et  nos  réclamations  les  plus  légitimes  devenir  une 
nouvelle  source  d'accusation;  mais  nous  avons  trop  confiance 
dans  notre  pays  pour  ne  pas  espérer  qu'il  finisse  par  reconnaître 
la  justice  de  notre  cause  et  par  rendre  hommage  à  la  modération 
de  notre  conduite. 

Moulins.  —  Mgr  l'évêque  de  Moulins  : 

Impossible  de  résumer  avec  plus  de  précision,  plus  de  clarté, 
plus  de  calme  et  en  même  temps  avec  un  plus  touchant  accent  les 
douleurs  des  cœurs  chrétiens  depuis  quelques  années.  Le  salut 
des  âmes  doit  être  et  est,  sans  nul  doute,  la  préoorupalion  à 
laquelle  le  clergé  subordonne  toutes  les  autres.  En  se  disculpant 
de  visées  bien  différentes  et  d'un  ordre  fort  inférieur,  dont  la 
supposition,  en  dépit  de  l'évidence,  sert  de  prétexte  à  un  cri  de 
guerre  contre  l'Église,  vous  avez  signalé  des  dangers  moins  chi- 
mériques pour  une  nation  que  ceux  auxquels  on  nous  accuse  de 
l'exposer. 


190  ANNALES   CATHOLIQUES 

C'est  donc  un  patriotisme  égal  à  votre  zèle  apostolique  qui 

a  dicté  vos  sages  réflexions.  Puissent-elles  recevoir  le  favorable 
accueil  qui  leur  est  dû,  et  mettre  ainsi  notre  bien-aimée  France  à 
l'abri  des  incalculables  ruines  matérielles  et  morales  dont  la 
menace  devient  chaque  jour  plus  évidente! 

Nevers.  —  Mgr  révêque  de  Nevers  : 

Elle  est  souverainement  opportune  et  traduit  on  ne  peut  mieux  les 
sentiments  qu'éprouvent  toutes  les  âmes  honnêtes  en  face  des  tristes 
événements  dont  nous  avons  la  douleur  d'être  les  témoins.  C'est  pour 
elles  une  consolation  de  voir  Votre  Éminence  réfuter  avec  autant  de 
dignité,  de  force  et  de  mesure,  les  accusations  injustes  qu'on  lance 
en  ce  moment  contre  le  clergé  français.  La  tactique  de  ses  adversaires 
est  évidemment  de  tromper  l'opinion  publique.  Votre  Éminence 
réclaire  et,  dissipant  toute  équivoque,  elle  montre  par  des  faits  incon- 
testables et  malheureusement  déjà  trop  nombreux  que,  loin  d'être 
agresseurs,  nous  sommes  victimes. 

Il  est  impossible  d'opposer  à  cette  lumineuse  démonstration  le 
moindre  argument  sérieux,  et  la  conclusion  qui  s'en  dégage  produira 
sans  nul  doute  une  grande  impression  sur  tout  esprit  impartial. 

Je  vous  remercie  pour  ma  part,  Éminence,  de  cette  noble  et 

courageuse  protestation  et  des  salutaires  avertissements  qui  l'accom- 
pagnent, et  qui  prennent  sous  votre  plume  un  caractère  spécial  d'au- 
torité et  de  majesté.  Seront-ils  compris  par  ceux  qui  animaient  si 
grand  intérêt  à  en  tenir  compte?  On  ne  peut  guère  l'espérer;  mais 
du  moins,  si  vos  prévisions,  hélas!  trop  fondées,  se  réalisent;  si  la 
France  doit,  dans  un  avenir  prochain,  passer  par  ces  rudes  épreuves 
dont  la  menace  gronde  déjà  terrible  à  l'horizon,  on  ne  reprochera 
pas  aux  évoques,  et  en  particulier  à  Votre  Eminence,  d'avoir  manqué 
de  clairvoyance  pour  prévoir  ces  malheurs,  ou  de  courage  et  de 
patriotisme  pour  jeter  le  cri  d'alarme  et  s'efforcer  de  les  prévenir. 

Nîmes.  —  Mgr  l'évêque  de  Nîmes  : 

Vous  avez  porté,  au  nom  de  l'épiscopat  français,  vos  doléances  et 
vos  avertissements  au  chef  de  l'Etat,  et  personne  d'entre  vos  collè- 
gues n'hésitera  à  reconnaître  que  vous  vous  êtes  fait  de  la  manière 
la  plus  opportune  l'interprète  nécessaire  des  sentiments  de  tous. 
Dans  le  temps  où  le  clergé  tenait  des  assemblées  générales,  vous 
auriez  été  délégué  par  le  suffrage  unanime  de  vos  pairs  pour  remplir 
auprès  des  rois  de  France  la  délicate  mission  dont  les  Beaumont  et 
les  La  Rochefoucauld  s'acquittèrent  jusqu'à  la  veille  de  la  Révolution 
française. 

Quel  que  soit  l'accueil  que  les  pouvoirs  publics  fassent  à  vos  cou-- 
rageuses  et  éloquentes  réclamations,  l'histoire  en  tiendra  compte  e 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  191 

la  postérité  s'en  souviendra.  Nous  sentons  d'ailleurs  que  nous  ne 
parlons  pas  seulement  au  nom  du  clergé,  mais  au  nom  du  peuple  ; 
que  le  peuple  est  avec  nous,  et  que  les  factions  qui  s'unissent  dans 
les  Chambres  pour  nous  accabler  de  leur  poids  ne  représentent  ni  la 
France,  ni  même  la  République. 

Il  y  a,  au-dessus  de  ces  majorités  parlementaires  et  factices  liguées 
contre  l'Eglise,  une  majorité  réelle,  profonde,  immense,  un  peu  con- 
fuse encore,  mais  qui  se  forme  et  qui  s'éclaire  tous  les  jours,  et 
qui  tôt  ou  tard  imposera  à  ses  mandataires  de  rendre  à  l'Eglise  les 
trois  choses  qu'on  lui  refuse  aujourd'hui  :  le  respect,  la  justice  et  la 
liberté. 

Nous  venons  de  parcourir  une  partie  de  notre  diocèse,  et  partout 
on  n-ovLS  a  fait  assez  comprendre  quel  attachement,  quelle  obéissance, 
quelle  fidélité  on  entend  garder  envers  la  religion. 

On  a  eu  beau  nier  nos  dogmes  dans  le  Sénat,   lo  Sénat  a  eu 

beau  applaudir  â  ces  négations  et  en  décréter  l'affichage  dans  toutes 
les  communes  de  France;  ce  ne  sont  pas  ces  affiches  d'un  jour  qui 
prévaudront  jamais  contre  le  catéchisme.  On  n'a  pas  même  pris  la 
peine  de  les  lire,  et  le  premier  souffle  du  printemps  en  a  déjà  balayé 
les  lambeaux. 

Hier,  j'ai  salué  à  l'angle  d'un  jardin,  près  de  la  première  mai- 
son de  Castillon-du-Gard,  une  croix  toute  parée  de  fleurs  et  au-des- 
sous de  laquelle  on  lit  cette  inscription  :  Le  monde  passe,  la  Croix 
reste.  Ainsi  passera  la  tempête  du  jour.  Vous  avez  eu,  Eminence,  le 
courage  de  la  signaler;  nous  la  braverons  avec  vous,  pieusement  age- 
nouillés autour  de  la  Croix  qui  ne  passe  jamais,  et  nous  nous  relève- 
rons, sous  ses  bras  protecteurs,  pour  semer,  planter  et  bâtir  encore, 
dussions-nous  semer,  planter  et  bâtir  au  milieu  de  nouA''elles  ruines. 

Pamiers.  —  Mgr  l'évêque  de  Pamiers  : 

Votre  lettre  à  M.  le  président  de  la  République  soulage  la  con- 
science des  catholiques,  rafi'ermit  le  courage  des  prêtres  menacés,  et 
porte  une  lueur  d'espoir  aux  religieux  atteints  dans  leur  existence 
et  dans  leur  liberté.  De  tout  cœur  j'adhère  à  cette  noble  et  ferme 
protestation  :  c'est  celle  du  droit  méconnu,  de  la  liberté  outragée; 
c'est  l'affirmation  calme  et  sereine  de  la  vitalité  de  l'Eglise,  qui  ae 
chancelle  pas  sous  un  décret,  qui  ne  succombe  pas  sous  un  système 
de  lois,  mais  qui,  malgré  tous  les  obstacles,  persévère  dans  la  pra- 
tique du  bien  et,  après  la  tourmente,  apparaît  de  nouveau  d'autant 
plus  nécessaire  aux  particuliers  et  aux  peuples  qu'elle  a  été  plus 
méconnue.  Répétée  par  mille  et  mille  voix  sympathiques,  votre 
parole  éveillera  les  consciences  opprimées  et  fera  avancer  l'heure 
inévitable  de  la  réparation  et  de  la  justice. 

Rodez.  —  Mgr  l'évêque  de  Rodez  : 

Vous  nous  avez  habitués  dans  toutes  les   grandes   circonstances 


192  ANNALBS    CATHOLIQUES 

à  parler  en  notre  nom,  et  nous  ne  saurions  avoir  de  plus  cligne  repré- 
sentant de  notre  cause,  ni  de  meilleur  défenseur  de  nos  droits. 

...  Avec  bien  moins  d'autorité  que  Votre  Eminence,  mais  avec  la 
même  conviction  des  torts  que  nos  pouvoirs  publics  faisaient  au 
pays,  en  poursuivant  ces  attaques  injustifiées  contre  l'Église,  que 
tous  les  bons  citoyens  déplorent  depuis  cinq  ou  six  ans,  j'exprimais 
dernièrement,  à  Paris,  mes  craintes  et  mes  alarmes  à  M.  le  président 
du  conseil  des  ministres. 

Il  voulut  bien  me  répondre  qu'il  lui  semblait  que  la  crise  dont  je 
me  plaignais  entrait  dans  une  période  descendante,  et  que  l'on  mar- 
cliait  vers  un  apaisement  qu'il  était  le  premier  à  désirer.  J'aurais  été 
bien  heureux  de  voir  ces  espérances  se  réaliser  et  ne  pas  devenir  une 
généreuse  illusion. 

Les  événements  qui  se  passent  dans  mon  diocèse  depuis  deux  mois 
ne  donnent  que  trop  raison  aux  appréhensions  qiie  vous  manifestez 
dans  votre  lettre  et  à  mes  propres  pressentiments.  Cette  grève  de 
Decazeville  qui  se  prolonge  aux  yeux  de  l'Europe  étonnée  et  qui 
semble  n'être  que  le  premier  épisode  de  la  guerre  sociale  qui  se 
prépare  partout,  nous  dit  assez  ce  que  seraient  les  populations 
modernes  lorsqu'on  leur  aurait  enlevé  le  frein  salutaire  de  la 
religion  et  de  la  conscience.  On  ne  verrait  que  de  coupables  excita- 
tions d'un  côté,  et  les  plus  dangereux  entraînements  à  la  suite. 

Quand  Dieu,  le  premier  maître,  ne  sera  plus  servi,  les  autres 
devoirs  ne  seront  pas  mieux  remplis.  Quand  on  aura  laissé  au 
pauvre,  au  déshérité  des  biens  matériels,  d'autre  perspective  qu'un 
labeur  incessant  ici-bas  et  le  néant  après  la  mort,  on  n'en  aura  fait 
qu'un  révolté  qui  demandera  hardiment  sa  part  au  bien-être  com- 
mun, et  qui  la  prendra  violemment  si  elle  ne  lui  est  pas  donnée 
telle  qu'il  la  conçoit  et  telle  que  les  flatteurs  la  lui  montrent.  Quand 
on  éloignera  les  peuples  de  Dieu,  il  faudra  les  rapprocher  du  gen- 
darme; lorsque  l'église  sera  fermée,  il  faudra  multiplier  les  lieux  de 
sauvegarde  et  de  réclusion. 

...  L'avenir  de  notre  pays  est  entre  les  mains  de  Dieu;  il  se  fait 
tous  les  jours  d'ardentes  prières,  par  des  âmes  bien  pures,  pour 
qu'il  continue  de  l'aimer  et  de  le  protéger.  Mais  puisque,  dans  votre 
lettre  à  M.  le  président  de  la  République,  vous  avez  fait  appel  à 
l'histoire,  permettez  à  un  vieux  professeur  de  cette  Sorbonne  théolo- 
gique qui  a  vu  fermer  ses  portes  pour  les  ouvrir  à  ses  contradicteurs, 
de  vous  dire  ce  que  l'histoire  lui  a  appris  avec  Bossuet,  et  ce  qu'elle 
apprendra  à  quiconque  voudra  l'étudier  sincèrement  et  sans  parti- 
pris  :  c'est  que  les  nations  qui  se  séparent  de  Dieu  et  de  sa  loi  se 
séparent  de  tous  les  principes  d'élévation  et  de  grandeur,  et  tombent 
infailliblement  dans  l'asservissement  et  dans  la  ruine. 

Que  Dieu  écarte  de  notre  pauvre  France  les  malheurs  qu'un  tel 
divorce  améliorait  après  lui  ! 


LE    SAINT-SIÈGE    ET    L'aLLEMAGNE  193 

Toulouse.  —  S.  Em.  le  cardinal  Desprez,  archevêque  de 
Toulouse  : 

Au  nom  de  la  vérité  et  de  la  justice,  au  nom  de  la  religion  et  du 
clergé  de  France,  je  viens  vous  remercier  de  la  lettre  que  vous 
avez  cru  devoir  adresser  à  M.  le  président  de  la  République. 

J'adhère  pleinement  à  tous  les  sentiments  et  à  toutes  les  obser- 
vations exprimés  dans  cette  lettre,  qui  ajoute  une  belle  page  à 
l'histoire  déjà  si  belle  de  votre  vie. 

Troyes.  —  Mgr  l'évêque  de  Trojes  : 

Votre  longue  expérience,  votre  situation  exceptionnelle,  votre 
sagesse  et  vos  vertus  donnent  à  cette  lettre,  qui  deviendra  un 
document  précieux  pour  l'histoire,  un  caractère  particulier  de 
grandeur  et  d'élévation  qui  commande  à  tous  l'attention  et  le 
respect.  J'adhère,  de  toute  mon  âme  d'évêque  et  de  Français,  aux 
sentiments  que  vous  exprimez  et  aux  observations  si  justes  que 
vous  présentez  à  ceux  qui  sont  investis  de  la  puissance  politique. 

Je  demande  à  Dieu  de  vous  conserver  longtemps  encore  à  l'E- 
glise de  France  et  au  diocèse  de  Paris;  vous  êtes  pour  nous 
tous  une  lumière,  une  force  et  un  vaillant  défenseur  de  nos  plus 
chers  intérêts. 


LE  SAINT-SIEGE  ET  L'ALLEMAGNE 

Si  le  Reichstag  a  commencé  ses  vacances  de  Pâques,  ce  n'est 
pas  une  raison  pour  que  les  négociations  entre  le  gouvernement 
prussien  et  le  Saint-Siège  subissent  une  interruption. 

Voici  le  texte  de  la  note  relative  à  V Anzeigepflicht^  que  le 
cardinal  Jacobini  a  adressée  le  4  avril  à  l'envoyé  de  Prusse 
auprès  du  Vatican  : 

Dans  la  dernière  note  du  26  du  mois  dernier,  le  cardinal  secré- 
taire d'Elat  soussigné  a  communiqué  à  Son  Excellence  l'envoyé 
extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  de  Prusse  qu'immédia- 
tement après  que  le  projet  de  loi  actuel,  avec  les  changements 
qu'on  sait,  serait  accepté  et  promulgué,  on  chargerait  les  évêques 
de  notifier  au  gouvernement  prussien  les  noms  des  ecclésiasiiques 
qui  seront  appelés  aux  paroisses  pour  le  moment  vacantes.  On 
ajoutait  que  si  dans  l'avenir,  comme  on  peut  l'espérer,  la  paix 
religieuse  est  atteinte,  la  notification  pourrait  être  étendue.  Cette 
marche  à  suivre  avait  été  arrêtée  par  suite  de  la  considération  que, 


194  ANNALES   CATHOLIQUES 

quoique  le  présent  projet  avec  ses  derniers  amendements  contienne 
des  améliorations  essentielles,  dont  on  reconnaît  volontiers  l'im- 
portance, cependant  on  ne  peut  admettre  que  la  paix  religieuse 
soit  complètement  atteinte  tant  que  subsistent  encore  d'autres 
dispositions  de  la  précédente  législation  dont  il  n'est  pas  fait 
mention  dans  le  projet  de  loi.  C'est  pour  cela  qu'on  estime  que 
l'autorisation  de  la  notification  pour  les  cures  actuellement  va- 
cantes constituait  une  avance  importante  et  que,  par  l'accord  pro- 
gressif, on  préparait  le  terrain  par  une  paix  religieuse  complète. 
Par  là,  l'autorisation  permanente  de  la  notification  correspondra 
avec  cet  état  d'ordre  complet  que  le  Saint-Siège  verrait  avec 
plaisir  réalisé  le  plus  tôt  possible. 

De  leur  côté,  les  catholiques  ne  verraient  pas  avec  satisfaction 
le  Saint-Siège  accorder  cette  autorisation  permanente  avant  qu'il 
leur  soit  donné  de  jouir  de  la  paix  religieuse  définitive.  Aussi 
compte-t-on  sur  des  dispositions  conformes  à  la  nature  da  1» 
chose  et  qui  se  trouvent  exprimées  dans  les  précédents  documents 
du  Saint-Siège. 

On  a  cependant  appris  de  différents  côtés,  et  spécialement  par 
la  dernière  déclaration  de  S.  Exe.  le  prince  de  Bismarck,  que  le 
présent  projet  de  loi  avec  ses  derniers  amendements  serait  diffici- 
lement adopté  par  la  majorité  du  Parlement,  si  le  Saint-Siège  ne 
consentait  pas  à  autoriser  dès  maintenant  la  notification  perma- 
nente. Le  Saint-Père,  pénétré  de  la  gravité  de  cette  pénible  situa- 
tion, proposerait  au  gouvernement  prussien,  pour  diminuer  des 
deux  côtés  les  difficultés,  que  le  présent  projet  de  loi  se  complétât 
par  la  révision  des  dispositions  antérieures  dont  il  n'est  pas  parlé 
dans  ce  projet,  de  façon  qu'on  pût  compter  sûrement  sur  une 
complète  restauration  de  la  paix  religieuse. 

L'acceptation  de  cette  proposition  donnerait  entière  satisfaction 
au  Saint-Père  et  serait  accueillie  avec  une  si  véi'itable  joie  par  les 
catholiques,  que  Sa  Sainteté  pourrait  dès  maintenant  concéder  la 
notification  permanente.  Si,  cependant,  dans  les  circonstances 
actuelles,  la  complète  et  immédiate  révision  des  lois  de  mai  ne 
pouvait  être  accomplie  dans  le  sens  indiqué,  le  cardinal  secrétaire 
d'État  soussigné  est  autorisé  à  faire  connaître  que,  dès  que  le 
Saint-Siège  aura  reçu  officiellement  l'assurance  qu'on  entreprendra 
cette  révision  dans  un  avenir  très  prochain,  le  Saint-Père  accor- 
dera la  notification  permanente  dans  le  sens  de  la  réponse  qui  est 
contenue  dans  la  note  du  26  mars  à  la  3*  question  posée  par 
l'ambassade  prussienne  dans  sa  note  du  même  jour. 

Le  gouvernement  prussien  reconnaîtra  dans  ces  dernières  pro- 
positions une  nouvelle  preuve  du  souci  continuel  qu'a  le  Saint- 
Père  d'arriver  à  la  paix  religieuse,  comme  aussi  de  ses  efforts  pour 
écarter  les  obstacles  dans  l'examen  des  moyens  qui  pourraient 
amener  la  paix.  Signé  :  Cardinal  Jacobini.. 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAME  195 

CONFÉRENCES  DE  NOTRE-DAME  (]) 
SIXIÈME  CONFÉRENCE.  —  Les  ennemis  du  sacerdoce. 

Le  Sacerdoce,  si  élevé  au-dessus  de  tous  les  pouvoirs  de  ce 
monde,  si  nécessaire  à  la  vie  religieuse  des  peuples,  si  bienfai- 
sant à  l'humanité,  si  évidemment  divin  dans  son  origine,  son 
caractère  et  ses  fonctions,  ne  devrait  rencontrer  autour  de  lui 
qu'admiration,  respect  et  reconnaissance.  Mais  il  semble  que 
Dieu  ait  redouté  pour  son  prêtre  l'enivrement  de  la  grandeur; 
et  même  en  celui  que  les  honneurs  ne  pouvaient  séduire,  il 
lui  a  préparé  des  contradicteurs.  Et  peu  à  peu,  plus  le  sacer- 
doce affirme  son  action,  plus  la  contradiction  devient  violente 
et  plus  les  ennemis  se  multiplient.  Les  bienfaits  et  le  dévoue- 
ment du  clergé  n'ont  désarmé  ni  la  haine  du  monde,  ni 
l'infernal  besoin  de  persécution  qui  le  tourmente  ;  et  présente- 
ment, l'on  dirait  que  Dieu  veut  nous  ramener  aux  plus  mauvais 
jours  de  la  contradiction. 

Nous  sommes  aujourd'hui  en  présence  des  ennemis  du  sacer- 
doce. Qui  sont-ils?  —  Que  reprochent-ils  au  clergé? —  Où 
veulent-ils  en  venir  en  lui  faisant  la  guerre? 


Nous  sommes  le  nombre,  disent  les  ennemis  du  sacerdoce. 

Cette  affirmation  est  bien  osée  et  l'on  peut  douter  qu'elle 
puisse  soutenir  le  contrôle  d'une  statistique  générale  de  l'état 
des  consciences  et  des  besoins  religieux  qui  tourmentent,  plus 
qu'on  ne  le  croit,  la  masse  populaire.  Dans  ce  nombre  dont  se 
.glorifie  l'impiété,  il  ne  faut  évidemment  pas  compter  ceux  qui, 
n'ayant  point  le  droit  légal  de  sufi'rage,  ont  cependant  une 
âme  à  sauver  et  qui  prétendent  user  pour  cela  du  ministère  de 
ceux  qui  ont  reçu  de  Dieu  leurs  pouvoirs  :  enfants,  à  l'âme 
naïve,  adolescents  troublés  par  l'approche  des  passions,  femmes, 

(1)  Cette  analyse  des  Conférences  du  R.  P.  Monsabré  à  Notre-Dame 
de  Paris  est  faite  exclusivetnent  pour  les  Annales  Catholiques. 

Nous  rappelons  que  les  conférences  du  R.  P.  Monsabré  sont 
publiées  in  extenso  dans  V Année  dominicaine,  en  suppléments  qui 
se  vendent  séparément,  25  centimes  chaque,  ou  1  fr.  50  les  neuf 
suppléments  (par  abonnement). 


196  ANNALES   CATHOLIQUES 

dont  le  cœur  naturelleroeiit  religieux  ne  peut  trouver  que  dans 
les  mystères  de  grâce,  dispensés  par  le  sacerdoce,  le  soutien 
d'un  fidèle  amour  et  d'un  perpétuel  dèvoùment.  Retranchez  avec 
cela  les  hommes  convaincus  dont  la  vie  chrétienne  est  une 
profession  publique  de  respect  et  de  soumission  envers  les 
ministres  de  Dieu;  retranchez  même,  parmi  ceux  dont  Timpiété 
enregistre  les  suifrages  à  son  profit,  une  foule  d'indifférents, 
déshabitués  des  pratiques  religieuses,  mais  conservant  au  fond 
de  l'âme  le  levain  de  foi  que  leur  a  donné  le  baptême  et  peu 
disposés  à  l'étouffer  par  l'apostasie.  Et,  après  ces  retranche- 
ments, faites  la  somme  de  ce  qui  reste  et  dites  si  les  ennemis  du 
sacerdoce  ont  bien  le  droit  de  s'écrier  :  —  Nous  sommes  le 
nombre! 

Et  quand  ce  serait!  —  Le  nombre  ne  peut  rien  contre  Dieu, 
ni  contre  les  oeuvres  divines.  N'était-ce  pas  le  nombre  qui  écra- 
sait le  divin  Prêtre  à  l'heure  oii  il  allait  consommer  son  sacri 
fice?  N'était-ce  pas  le  nombre  :  le  nombre  immense,  animé  des 
plus  mauvaises  passions  et  armé  de  toutes  les  violences,  qui  se 
dressait  devant  les  douze  hommes  auxquels  Jésus-Christ  venait 
de  confier  ses  pouvoirs? 

Le  nombre,  par  lui-même,  ne  prouve  r'en  contre  le  droit. 
C'est  une  force  bête  et  brutale  quand  il  s'attaque  au  droit.  Il 
peut  le  violer,  il  ne  le  supprime  pas  ;  il  ne  prouve  absolument 
rien  contre  lui. 

Ah  !  on  pourrait  avoir  peur  du  nombre  s'il  était  en  même 
temps  la  raison  et  la  vertu,  parce  qu'alors  il  pourrait  nous  faire 
douter  de  notre  droit.  Mais  c'est  précisément  ce  que  l'on  cher- 
cherait en  vain  chez  les  ennemis  du  sacerdoce.  Ce  n'est  point 
par  des  appels  au  bon  sens  des  masses,  ni  par  des  arguments 
capables  de  convaincre  ceux  qui  raisonnent  qu'ils  recrutent  des 
adhésions  à  leur  parti  pris;  mais  bien  par  de  vieux  mensonges 
dont  l'ignorance  et  la  légèreté  n'iront  jamais  chercher  nulle 
part  la  réfutation,  et  surtout  par  des  déclamations  passionnées 
où  figurent  une  demi-douzaine  d'invectives  prenant  la  tournure 
d'aphorismes  ;  celles-ci  par  exemple:  Le  sacerdoce  étouffe  la 
raison  humaine  dans  la  superstition  ;  —  le  parti-prêtre  a  hor- 
reur de  la  liberté  et  du  progrès;  —  le  cléricalisme  c'est 
l'ennemi  ! 

Non  seulement  le  nombre,  tout  à  fait  discutable,  dont  se 
vantent  les  ennemis  du  sacerdoce,  n'est  pas  la  raison  :  il  n'est 
pas  la  vertu. 


CONFÉRENCES   DE   NOTRE-DAME  197 

On  pourrait  s'émouvoir  de  rencontrer  chez  ceux  qui  nous 
font  la  guerre  les  grandes  vertus  qui  ont  illustré  le  sacerdoce, 
particulièrenaent  cette  profonde  abnégation,  ce  parfait  désinté- 
ressement, cette  active  charité,  ces  dévoiiraents  héroïques  dont 
il  s'est  montré  prodigue  dans  tous  les  âges  de  sa  longue  his- 
toire et  dont  il  donne  encore  de  si  beaux  exemples.  Mais,  Dieu 
merci,  nous  n'avons  rien  à  craindre  de  ce  côté,  et  nous  pouvons 
toujours  croire  que  ce  n'est  pas  sans  une  assistance  divine  que 
la  sainteté  fleurit  dans  l'état  sacerdotal. 

Certes,  je  ne  prétends  pas  que  nos  ennemis  sont  absolument 
dépourvus  de  toute  honnêteté.  Il  y  a  parmi  eux  des  infortunés 
qui  n'ont  jamais  connu  de  la  religion,  de  l'Eglise,  du  sacerdoce, 
que  le  mal  qu'on  leur  en  a  dit,  et  chez  qui  la  prêtrophobie  est 
une  sorte  de  maladie  mentale  qu'ils  allient  tant  bien  que  mal 
avec  certaines  vertus  naturelles.  Ces  maniaques,  hélas  !  sont 
l'exception.  Combien  qui  ne  sont  devenus  les  ennemis  du  prêtre 
qu'après  avoir  abjuré  leur  foi!  Evidemment  le  prêtre  est  de 
trop  pour  eux.  «  Entourons-le,  disent-ils  :  Circumveniamus 
Justum.  Opprimons-le  par  l'injure  et  la  persécution  :  Contu- 
melia  et  tormento  interrogamus  eum.  » 

Et  maintenant,  regardez  et  voyez  l'effet  produit  par  ce  cri  de 
guerre  ;  sont-ce  les  honnêtes  gens  qu'il  rallie?  Non.  —  Mais  il 
fait  tressaillir  les  passions  violentes  et  abjectes.  Vous  pouvez 
être  sûrs  de  rencontrer  à  peu  prés  tous  les  voleurs,  tous  les  ■ 
intempérants,  tous  les  libertins,  tous  les  tarés  dans  les  bataillons 
panachés  que  recrutent  les  ennemis  du  sacerdoce.  Si  c'est  avec 
cela  qu'on  fait  le  nombre,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  vanter. 

En  fin  de  compte,  ce  n'est  donc  ni  le  nombre,  ni  la  raison,  ni 
la  vertu  qui  font  la  guerre  au  prêtre,  c'est  une  secte  vouée  par 
serment  à  la  destruction  des  choses  saintes,  et  depuis  longtemps 
démasquée  ;  c'est  la  passion  aveugle  que,  ni  l'intérêt  de  la 
chose  publique,  ni  la  honte  de  ses  conséquences  ne  peuvent 
contenir;  c'est  l'iniquité  impudente  appelant  à  son  aide  tous  les 
vices  pour  se  débarrasser  des  hommes  sacrés  dont  la  mission  et 
les  vertus  lui  sont  devenues  un  insupportable  fardeau.  Certes, 
on  pourrait  se  contenter  de  mépriser  de  pareils  ennemis  jusqu'à 
ce  que  Dieu  les  traite  comme  ils  le  méritent.  Cependant,  je 
crois  qu'il  est  à  propos  de  discuter  les  reproches  qu'ils  nous 
adressent,  puisque  c'est  au  moyen  de  ces  reproches  qu'ils 
espèrent  pervertir  l'esprit  public  et  créer  en  leur  faveur  l'illu- 
sion du  nombre. 


-198  AN  M  A  LES    CATHOLIQUES 

II 

L'acte  d'accusation  qui  pèse  sur  le  sacerdoce  est  chargé  et 
s'enrichit  tous  les  jours  de  quelque  nouveau  détail.  Il  suffit, 
sans  en  discuter  tous  les  articles,  de  les  ramener  à  ces  trois 
chefs  :  les  idées,  les  tendances,  les  mœurs. 

Le  prêtre  n'est  pas  de  son  temps,  dit-on,  ses  idées  sont 
rétrogrades. 

Que  le  prêtre  soit  le  gardien  des  grands  principes  qui,  appro- 
chant de  plus  près  des  causes  premières  et  finales  de  toutes 
choses,  pénétrent  tout,  commandent  tout,  règlent  tout,  qu'il  ait 
reçu  en  dépôt  des  vérités  divines  qu'il  faut  croire,  bien  que  la 
raison  ne  puisse,  ni  les  découvrir  par  ses  propres  forces,  ni  les 
comprendre  ;  que  ces  principes  soient  inflexibles,  que  ces  vérités 
soient  immuables,  c'est  incontestable.  Mais,  l'inflexible,  l'im- 
muable, sont  nécessaires  à  toute  science  et  à  tout  progrès.  Ils 
n'étouffent  pas  l'activité  de  l'esprit  humain  ;  ils  la  contiennent, 
ils  la  mesurent,  ils  la  préservent  des  courses  folles  et  des  hon- 
teux avortements  auxquels  la  condamneraient  fatalement  des 
évolutions  sans  règle.  L'inflexible,  l'immuable  n'ont  point  em- 
pêché de  grandes  âmes  sacerdotales  de  devancer  leur  siècle  sur 
la  voie  des  sciences  et  du  progrès.  Et  aujourd'hui  encore,  dans 
tontes  les  sciences  philosophiques,  historiques,  physiques  et 
mathémathiques,  ne  voit-on  pas  figurer  avec  honneur  des  noms 
de  prêtres  ? 

Le  prêtre  cultive  la  science  et  il  en  bénit  ces  heureuses  appli- 
cations qu'on  appelle  le  progrès.  Il  est  vrai  que,  au  nom  de 
l'inflexible  et  de  l'immuable,  il  condamne  les  abus  que  l'on  fait 
de  la  science,  les  conclusions  erronées  qu'on  en  tire,  et  signale 
les  fausses  routes  que  prend  le  progrès;  mais,  agir  ainsi,  c'est 
se  conduire  en  ami  sage  et  éclairé  et  non  pas  en  ennemi.  Quant 
aux  besoins  et  aux  aspirations  modernes,  personne  ne  les  com- 
prend mieux  et  ne  les  respecte  plus  que  le  prêtre;  mais  toujours 
armé  de  l'inflexible  et  de  l'immuable,  il  en  modère  l'élan  et  les 
arrête  sur  les  pentes  oh  besoins  et  aspirations  no  tarderaient  pas 
à  dégénérer  en  appétits  dépravés  et  en  désirs  criminels. 

Vous  aimez  la  liberté  !  —  Prenez-en  tant  que  vous  voudrez 
pour  faire  ce  qui  est  juste,  honnête  et  saint,  en  cela  il  n'y  a  pas 
de  limites. 

Vous  aspirez  à  l'expansion  de  vos  idées.  —  Allez-y  de  bon 
cœur,  pourvu  que  vos  idées  soient  justes  et  saines. 


CONFÉRENCES    DE   NOTRE-DAME  199' 

Vous  voulez  qu'on  respecte  la  conscience  individuelle.  — Res- 
pectez-la. 

Vous  avez  besoin  de  répandre  l'instruction  parmi  le  peuple. 
—  Cela  n'est  pas  nouveau.  Depuis  longtemps  le  sacerdoce  vous 
a  précédés  dans  cette  grande  œuvre. 

L'égalité  vous  plaît.  —  C'est  bien,  vous  ne  la  ferez  jamais 
aussi  belle  et  aussi  touchante  que  les  prêtres  l'ont  faite. 

Vous  demandez  la  participation  du  peuple  au  gouvernement 
des  aifaires.  Il  n'j  a  rien  à  reprendre  à  cela.  Le  sacerdoce,  dans 
les  institutions  monastiques,  fonctionne  depuis  longtemps  sous 
ce  régime. 

Vous  êtes  les  enfants  de  la  révolution.  —  Mais  vous  avez  fait 
de  la  révolution  une  chose  folle,  indécente,  atroce,  monstrueuse, 
déshonorante  par  les  souvenirs  qu'elle  évoque  et  les  menaces 
qu'elle  fait  entendre.  Eh  bien  !  sachez  que,  si  tout  être  doit 
progresser,  si  tout  progrès  s'accomplit  par  des  révolutions,  une 
vraie  révolution  n'est  pas  une  catastrophe  ruineuse,  mais  un 
mouvement  tranquille  et  pacifique,  procédant  dans  l'ordre,  et 
oifrant,  à  point  nommé,  la  face  des  sociétés  qui  doit  être  éclairée, 
réchauffée,  vivifiée,  glorifiée,  au  radieux  et  éternel  soleil  qu'on 
appelle  la  vérité  suprême  et  le  souverain  bien. 

Tel  est  le  langage  du  sacerdoce,  langage  des  idées  hautes  et 
larges.  Ces  idées  ne  peuvent  être  "méconnues  que  par  ceux  qui 
prennent  pour  de  la  hauteur  les  enflures  de  l'orgueil,  pour  de  la 
largeur  les  excentricités  d'une  volonté  mal  réglée. 

Justifiée  du  côté  des  idées,  le  sacerdoce  peut  l'être  facilement 
du  côté  des  tendances.  Il  en  est  une  qu'on  lui  reproche  avec 
plus  d'opiniâtreté  et  d'insistance  :  la  tendance  à  la  domination. 
Les  ambitions  et  les  empiétements  du  clergé  ne  sont  pas  aux 
yeux  des  masses  ignorantes  un  moindre  épouvantail  que  ses 
idées  rétrogrades. 

L'heure  est  bien  choisie,  vraiment,  pour  porter  contre  le 
sacerdoce  une  pareille  accusation. 

A  part  certaines  personnalités  ambitieuses  et  entreprenantes 
qui  ne  peuvent  compromettre  toute  la  race  sacrée  des  ministres 
de  Dieu,  le  sacerdoce  n'est  jamais  allé  de  son  propre  mouve- 
ment au-devant  des  honneurs  ni  des  offices  publics.  Quand  on 
l'en  a  requis,  il  a  rendu  des  services  qui  n'ont  pas  été  sans 
gloire,  toujours  pénétré  de  cette  conviction  :  que  le  gouverne- 
ment des  affaires  de  ce  monde  ne  peut  être  qu'un  accident  dans 
sa  vie,  et  qu'il  ne  se  doit,  par  devoir,  qu'au  gouvernement  des 
âmes. 


200  ANNALES    CATHOLIQUES 

Cette  conviction  est  trop  manifeste  et  trop  bien  établie  au- 
jourd'liui  pour  qu'on  l'ignore  et  qu'on  n'en  tienne  pas  compte. 
Aussi,  la  domination  que  craignent  les  ennemis  du  sacerdoce 
n'est-elle  point  celle  qu'ils  accusent  le  clergé  de  convoiter, 
mais  bien  la  domination  du  Christ,  que  le  clergé  a  reçu  de  Dieu 
même  la  mission  de  faire  régner  dans  les  âmes. 

Mais  qu'ils  ne  comptent  pas  que  leurs  menaces  et  leurs  vio- 
lences fassent  jamais  fléchir  le  prêtre  sur  ce  point.  Oui,  nous 
voulons  que  le  Christ  régne  dans  les  âmes  par  sa  vérité,  sa  loi, 
sa  grâce  !...  Oui,  nous  voulons  être  libres  de  travailler  à  son 
règne.  Et  nous  le  serons,  dussions-nous  y  mettre  notre  sang  ! 

Arrivons  à  une  troisième  accusation,  plus  délicate,  et  peut- 
être  plus  dangereuse,  parce  qu'elle  a  plus  de  prise  sur  l'opinion 
publique.  Elle  vise  les  mœurs  du  clergé  et  se  résume  en  ces 
quelques  mots  dont  on   fait  grand  bruit:  scandales  du  clergé, 

Certes,  nous  ne  nions  pas  les  torts  des  prêtres  infidèles  à  l'es- 
prit et  aux  devoirs  de  leur  vocation,  mais  nous  devons  protester, 
au  nom  de  la  justice,  contre  la  déloyale,  impudente  et  lâche 
exploitation  qu'on  en  fait  au  détriment  de  la  plus  respectable 
des  corporations. 

Pour  quelques  faits  certains,  combien  de  soupçons  sans  fon- 
dement !  combien  d'insinuations  perfides  !  Toute  accusation 
contre  un  prêtre  semble  de  bonne  prise,  et  il  en  coûterait  trop 
à  la  main  déloyale  de  ses  ennemis  de  l'arracher  du  pilori  oii 
elle  flétrit  l'innocence. 

A  la  déloj'auté,  ajoutez  l'impudence.  Non  seulement  la  plu- 
part des  fautes  qu'on  reproche  au  clergé,  comme  des  crimes, 
passent  inaperçues  ou  sont  facilement  absoutes  dans  la  vie  des 
autres  hommes  ;  mais  les  ennemis  du  sacerdoce  leur  ont  préparé 
une  excuse  dont  ils  ne  veulent  tenir  aucun  compte  lorsque  la 
faute  est  commise.  Que  n'ont-ils  pas  dit  et  écrit,  par  exemple, 
contre  la  loi  du  célibat  ecclésiastique?  Avec  quelle  âpreté  ils 
s'appliquent  à  démontrer  qu'elle  outrage  la  nature,  qu'elle  est 
au-dessus  des  forces  de  l'homme,  qu'il  faut  l'abolir!  Et  quand 
un  malheureux  prêtre  l'enfreint^  au  lieu  de  l'accueillir  comme 
un  libre  et  courageux  champion  du  droit  naturel  et  hun-.ain 
dont  ils  se  sont  faits  les  apôtres,  ils  l'accablent  de  leurs  récri- 
minations et  accrochent  à  sa  soutane  leur  écriteau  d'infamie  : 
scandales  du  clergé  !  —  Exécrables  tartufes  ! 

Et  ces  tartufes  sont  des  lâches.  Ils  connaissent  les  habitudes 
timides  et  pacifiques  des  hommes  d'Eglise.  Et  ils  abusent  de 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAME  201 

son  humilité  et  de  sa  charité  pour  grossir  jusqu'à  la  pro[)ortion 
du  crime  des  faits  sans  importance,  pour  donner  à  de  mépri- 
sables commérages  l'allure  de  récits  authentiques,  pour  trans- 
former en  accusations  sérieuses  des  dénonciations  aussi  bêtes 
que  méchantes,  pour  manger  tous  les  jours  un  peu  de  prêtre 
dans  les  entrefilets  et  colonnes  de  leurs  feuilles  impies. 

L'ex[jloitation  des  scandales  du  clergé  est  déloyale,  impu- 
dente et  lâche.  Mais  les  scandales  subsistent,  dira-i-on.  Eh  ! 
oui.  Il  y  en  a  aujourd'hui,  il  y  en  avait  hier,  il  y  en  a  toujours 
eu.  Le  divin  Prêtre,  en  communiquant  ses  pouvoirs  à  des 
hommes,  ne  leur  a  point  transmis  son  impeccabilité. 

Dieu  a  permis  et  permet  encore  les  défections  dans  le  corps 
sacré  à  qui  il  a  contié  ses  pouvoirs,  afin  de  montrer  que  ces 
pouvoirs  sont  indépendants  du  mérite  de  celui  qui  les  reçoit; 
qu'ils  ne  t^ont  point  donnés  à  l'homme  pour  lui-même,  mais  pour 
un  service  public  auquel  le  peuple  chrétien  peut  et  doit  toujours 
recourir. 

Cependant,  il  faut  bien  le  dire,  la  réprobation  du  scandale 
vous  frappe  moins  que  le  scandale  lui-même.  Pourquoi  cela? 
Parce  que,  quoi  qu'on  dise  et  qu'on  fasse,  nous  croyons  à  la 
grandeur  du  prêtre.  Aux  autres  hommes  publics  nous  nous  con- 
tentons de  demander  la  probité;  du  prêtre  nous  attendons  la 
sainteté  comme  une  chose  naturelle  à  son  état. 

En  somme,  c'est  moins  la  quantité  des  désordres  qui  nous 
frappe  dans  le  sacerdoce,  que  leur  énorraité  relative,  et  pour 
peu  que  nous  ayons  quelque  tendance  à  l'exagération,  nous  pas- 
sons vite  à  des  généralisations  injustes. 

«  Votre  œil  malveillant,  dit  saint  Augustin,  ne  voit  que  la 
paille  dans  notre  maison,  si  vous  vouliez  vous  approcher  davan- 
tage, vous  verriez  bien  vite  le  froment.  »  —  Et  ailleurs  : 
«  Cherchez  les  fruits  dans  notre  champ,  le  bon  grain  dans  notre 
aire,  vous  le  trouverez  facilement.  Pourquoi  ne  prendre  garde 
qu'aux  balayures?  » 

Les  fruits  dont  parle  le  saint  docteur  ont  plutôt  augmenté  que 
diminué.  Tenons-en  compte  et  nous  ne  serons  pas  plus  troublés 
de  ce  que  nos  ennemis  appeUent  les  scandales  du  clergé  que  de 
sa  tendance  à  la  domination  et  de  ses  idées  rétrogrades. 

Pour  conclure,  encore  quelques  mots  en  réponse  à  cette  troi- 
sième question  :  Oia  veulent  en  venir  les  ennemis  du  sacerdoce 
en  lui  faisant  la  guerre  ? 

15 


202  ANNALES    CATHOLIQUES 


m 

L'entente  est  faite  entre  nos  ennemis,  sur  le  chapitre  des 
hostilités  qu'il  nous  font  subir,  mais  ils  ne  sont  pas  d'accord  sur 
le  but  qu'ils  se  proposent  d'atteindre.  Ceux-ci  voudraient  une 
société  sans  religion.  Ceux-là  n'entendent  pas  priver  l'homme 
de  tout  commerce  avec  un  être  supérieur,  s'il  j  croit;  mais  ils 
prétendent  que,  pour  cela,  l'homme  n'a  pas  besoin  d'un  inter- 
médiaire, et  qu'il  peut  régler  directement  avec  la  divinité  ses 
affaires  de  conscience  :  c'est  la  religion  sans  sacerdoce.  D'autres 
enfin  daignent  tenir  compte  des  instincts  religieux  de  l'huma- 
nité. Ils  accordent  que  certaines  âmes  ont  besoin  de  pratiques 
extérieures  pour  lesquelles  l'intervention  du  prêtre  est  indis- 
pensable, et  qu'on  ne  peut  abolir,  tout  à  coup,  une  religion  et 
un  sacerdoce  enracinés  depuis  bientôt  dix-neuf  cents  ans  dans 
les  habitudes  des  peuples.  Mais  cette  religion  et  ce  sacerdoce 
doivent  renoncer  à  tout  privilège  et  à  toute  influence  sur  le 
monde  moderne,  et  ne  point  embarrasser  de  leurs  croyances, 
lois,  pratiques,  besoins  et  exigences  le  gouvernement  de  la 
société  civile,  essentiellement  laïque  et  absolument  maîtresse 
de  sa  vie  publique  et  de  ses  destinées. 

Inutile  de  prouver  qu'une  société  sans  religion  est  une  chose 
bestiale  et  monstrueuse  qu'on  ne  rencontre  même  pas  chez  les 
sauvages  les  plus  dégradés.  Tous  les  eff'orts  que  fera  l'impiété 
pour  se  donner  cette  honte  n'aboutiront  qu'au  déplacement  d'un 
profond  instinct  qu'on  ne  peut  étouffer.  Après  avoir  chassé  le 
Christ,  ses  adorateurs  et  ses  prêtres,  on  verrait  les  hommes 
essentiellement  laïques,  qui  veulent  une  société  sans  religion, 
verser  dans  une  grossière  et  humiliante  superstition,  pontifiant 
dans  les  temples  profanés,  défilant  dans  les  rues  sous  quelque 
habit  grotesque  à  force  de  prétention.  Et  sur  les  autels  au  bout 
du  défilé,  il  j  aurait  leur  saint  sacrement  :  non  plus  un  Dieu 
caché  sous  les  voiles  pudiques  d'une  substance  qu'il  a  trans- 
formée, mais  je  ne  sais  quelle  courtisane  habillée  en  raison,  ou 
quelque  gros  imbécile  déguisé  en  progrés.  Nous  serions  bien 
vengés. 

Quant  à  la  religion  sans  sacerdoce,  nous  avons  vu  que  c'était 
une  chose  impossible;  impossible,  parce  que  la  société  se  devant 
à  Dieu  et  au  même  titre  que  l'individu,  ne  peut  échapper 
à  l'obligation  d'un  culte  public,  pour  lequel  elle  a  besoin  d'un 


CONFÉRENCE  DE  NOTRE-DAME  203 

représentant;  impossible,  parce  que  la  religion  tend  à  son  acte 
parfait  qui  est  le  sacrifice  et  que,  par  une  disposition  providen- 
tielle, le  sacrifice  et  le  sacerdoce  sont,  partout,  indissolublement 
unis. 

Reste  le  troisième  but  à  atteindre  :  séparer  la  religion  et  le 
sacerdoce  de  l'État.  On  sait  ce  qu'il  faut  penser  théoriquement 
de  cette  séparation.  Une  récente  encyclique  nous  apprend  de 
quelle  manière  doivent  être  gouvernées  les  sociétés.  Ce  n'est 
pas  la  séparation  qu'elle  enseigne,  mais  la  nécessité  d'un 
système  de  rapports  bien  ordonné  entre  le  pouvoir  civil  et  le 
sacerdoce. 

Dût-on  ne  pas  tenir  compte  de  ces  leçons,  dit  en  terminant 
l'orateur  de  Notre-Dame,  il  faudrait  encore  tenir  compte  d'une 
difficulté  pratique  résultant  des  conventions  sur  la  foi  desquelles 
la  génération  sacerdotale,  actuellement  existante,  s'est  engagée 
au  service  public  de  la  religion.  Mais  il  est  probable.  Messieurs, 
que  ni  la  raison,  ni  le  sentiment  de  l'honneur  n'arrêteront  les 
ennemis  du  sacerdoce.  —  Qu'adviendra-t-il  lorsqu'ils  auront  pro- 
noncé leur  sentence  de  divorce  entre  le  sacré  et  le  profane? 
Fidèles  à  leurs  principes,  donneront-ils  au  sacerdoce  la  liberté  ?  Il 
y  en  a  parmi  eux  qui  le  disent  et  nous  serons  peut-être  assez 
naïfs  pour  le  croire.  Sans  sacrifier  la  vérité  théorique,  nous  accep- 
terons loyalement  de  combattre  les  combats  de  Dieu  avec  l'arme 
que  l'ennemi  aura  mise  entre  nos  mains.  Mais  si  cette  arme  a 
été  frauduleusement  forgée,  si  l'acier  en  est  mal  trempé  et  se 
binse  sur  la  cuirasse  de  parti  pris  et  de  mauvais  vouloir  dont  se 
couvre  le  faux  libéralisme,  la  honte  sera,  non  pas  au  chevalier  qui 
aura  loyalement  lutté  pour  la  sainte  cause  de  Dieu,  mais  au  félon 
qui  l'aura  trompé. 

Hélas  !  cette  sinistre  conclusion  n'est  que  trop  à  craindre.  L'hy- 
pocrisie du  grand  nombre  déguise  mal  la  brutale  franchise  de 
ceux  qui  obéissent,  sans  vergogne,  à  la  logique  de  la  haine. 
L'amoindrissement  et  la  déconsidération  du  sacerdoce  ne  leur 
suffisent  pas.  Ils  prononceront  la  séparation  pour  s'exonérer,  au 
mépris  de  la  parole  jurée,  des  engagements  solennellement  con- 
tractés par  le  pouvoir,  mais  dans  le  fait  ils  ne  se  sépareront  pas 
plus  du  sacerdoce  que  le  carnassier  ne  se  sépare  de  la  proie  qu'il 
dépèce.  Après  l'avoir  amoindri  et  déconsidéré,  ils  voudront  le 
détruire,  et  après  lui  toute  religion,  jusqu'à  ce  qu'ils  puissent  dire: 
a  le  nommé  Dieu  n'est  plus,  le  monde  est  à  nous.  » 

Avez-vous  peur  qu'ils  ne  triomphent.  Messieurs?  — rassurez- 
vous.  Le  grand  Apôtre  dont  vous  avez  entendu  les  plaintes  au  com- 
mencement de  ce  discours,  pousse  un  cri  d'espoir  et  de  confiance 


204  ANNALES    CATHOLIQUES 

qui  doit  retentir  au  cœur  de  tous  les  prêtres  et  de  tous  les  chréliens. 
—  «  Nous  sommes  pressés  de  toutes  parts,  dit-il,  mais  nous 
ne  sommes  pas  étouffés  :  In  omnibus  tribulalionera  patimur,  sed 
non  angustiamur ;  nous  sommes  appauvris,  mais  non  dénués  de 
tout  secours  :  Aporiamur,  sed  non  destituimur;  nous  sommes  per- 
sécutés, mais  non  pas  abandonnés  :  persecutionent  patimur,  sed 
non  dfirelinquimur ;  nous  sommes  rejetés,  mais  nous  ne  périrons 
pas  :  dejicimur,  sed  non  périmas  ».  Et  qui  donc  doit  veiller  sur  le 
sacerdoce,  secourir  sa  misère,  lui  tenir  compagnie  dans  le  mal- 
heur, l'empêcher  de  périr?  —  Vous,  Messieurs,  vous  les  tenants 
de  la  cause  de  Dieu  et  les  amis  dévoués  de  ses  prêtres,  et  avec 
vous,  au-dessus  de  vous,  plus  que  vous,  Dieu  qui  a  compté  les 
heures  des  puissances  de  ténèbres,  Dieu  qui  a  dit  à  son  prèlre  : 
«  Entre  loi  et  moi,  c'est  pour  toujours  :  2w  es  Sacerdos  in 
œternum.  » 


NECROLOGIE 


Mgr  IzQuiERDO,  évêque  de  Madrid,  au  moment  où  il  allait 
bénir  les  ramoaux,  le  IS  avril,  a  été  frappé  sur  le  seuil  de  sa 
cathédrale  de  deux  balles  de  revolver. 

L'assassin  est  un  prêtre  du  nom  de  Galeota.  Il  était  aumônier 
d'un  couvent  de  religieuses  de  l'Incarnation  et  avait  été  destitué 
pour  cause  de  mauvaise  conduite.  Il  donnait  depuis  quelque 
temps  des  signes  d'aliénation.  Récemment  il  avait  écrit  à 
l'évéque  pour  lui  annoncer  qu'il  était  résolu  à  laisser  croître  sa 
barbe. 

Le  journal  El  Resumen  dit  que  le  prêtre  Galeota  lui  avait 
récemment  apporté  une  annonce  pour  demander  un  emploi  de 
concierge.  L'administration  du  journal  avait  refusé  l'in.'ertion. 

Galeota  avait  insisté  à  plusieurs  reprises  poi'.r  qu'on  publiât 
ses  doléances  sur  sa  pauvreté.  Il  avait  envoyé  tout  un  cahier 
renfermant  ses  plaintes,  fondées  sur  le  non  paiement  des  messes 
célébrées  par  lui,  et  les  copies  de  lettres  écrites  à  l'évéque  et  à 
d'autres  personnes  pour  demander  à  être  occupé  dans  une 
paroisse  à  un  titre  quelconque,  même  comme  sacristain.  On 
avait  cru  avoir  affaire  à  un  fou. 

El  Progressa  avait  aussi  reçu  une  vingtaine  de  lettres  con- 
çues dans  le  même  sens.  Ces  lettres  ont  été  remises  au  tribunal. 

L'assassin  arriva   devant  le  portique  de  la  cathédrale  une 


NÉCROLOGIE  205 

demi-heure  avant  le  crime.  Il  parla  avec  calme  à  plusieurs 
vendeurs  de  rameaux,  et  leur  demanda  s'ils  en  vendaient  beau- 
coup et  ajouta  :  «  Je  vais  dans  un  instant  faire  une  meilleure 
affaire  que  vous.  » 

Des  médecins  sont  immédiatement  accourus  pour  donner  des 
soins  à  l'évêque.  En  lui  enlevant  ses  vêtements,  on  a  constaté 
qu'il  portait  uu  cilice. 

Mgr  Izquierdo  a  déclaré  au  juge  d'instruction  qu'il  pardonnait 
à  son  assassin  qu'il  ne  connaissait  pas.  Il  a  ajouté  qu'il  ne  vou- 
lait pas  se  porter  partie  civile. 

Le  vénéré  prélat  a  succombé  à  ses  horribles  blessures,  le 
lendemain  à  cinq  heures  un  quart.  Dés  trois  heures  le  prélat 
avait  perdu  connaissance  et  son  agonie  commençait;  elle  a  été 
paisible.  Prés  du  chevet  du  mourant  se  trouvaient  le  nonce  qui 
lui  a  administré  les  derniers  sacrements,  l'archevêque  de 
Tolède,  le  marquis  de  la  Vega  de  Armijo  et  quelques  familiers. 

Pendant  que  les  cloches,  selon  la  coutume  espagnole,  son- 
naient l'agonie,  le  spectacle  dans  les  rues  de  Madrid  était  vrai- 
ment émouvant.  Rue  de  Tolède  la  foule  était  énorme,  mais  silen- 
cieuse et  comme  atteinte  par  un  malheur  public.  Les  femmes 
pleuraient,  les  hommes  se  découvraient  respectueusement. 

L'indignation  contre  le  meurtrier  est  sans  égrale. 


Mgr  Orbin,  évêque  de  Fribourg,  vient  de  mourir  dans  sa  ville 
épiscopale.  Il  n'était  promu  à  la  dignité  épiscopale  que  depuis 
moins  de  quatre  ans.  Né  à  Bruchsal,  en  1806,  il  avait  soixante- 
seize  ans  quand  le  choix  de  ses  collègues  du  chapitre  de 
Fribourg  l'appela  à  prendre  la  succession,  ouverte  depuis  1868, 
de  Mgr  Herraann  de  Vicari;  à  quoi  il  ne  put  se  décider  que  sur 
les  pressantes  instances  de  son  souverain,  le  grand-duc  de  Bado, 
qui  l'avait  en  haute  estime,  du  chapitre  cathédral  et  surtout  du 
Pape.  Après  avoir  passé  les  vingt  premières  années  de  sa  vie 
sacerdotale  dans  le  ministère  paroissial,  en  qualité  de  vicaire, 
d'administrateur  et  de  curé,  il  fut  nommé  chanoine  en  1847  et 
archiprêtre  de  la  cathédrale.  En  1868,  alors  qu'il  s'agissait  de 
procéder  au  choix  d'un  nouvel  archevêque,  le  chanoine  Orbin 
figurait  sur  la  liste  présentée  au  gouvernement  :  les  exigences 
du  ministre  grand-ducal  Jolly,  qui  prétendait  imposer  au  can- 
didat un  serment  incompatible  avec  la  conscience  d'un  prêtre, 


206  ANNALES    CATHOLIQUES 

rendirent  impossible  le  remplacement  de  l'archevêque  décédé. 
Cet  état  de  choses  devait  se  prolonger  jusqu'en  1882. 

Dans  l'intervalle,  le  chanoine  Orbin  fut  nommé  «  officiai  »,  et 
comme  tel  il  fit  preuve  d'un  zèle  et  d'une  ponctualité  exem- 
plaires, en  même  temps  que  de  la  plus  grande  énergie  dans  la 
défense  des  droits  de  l'Église  vis-à-vis  des  prétentions  gouver- 
nementales, tandis  que  Mgr  de  Kiibel,  évêque  sans  titre,  admi- 
nistrait le  diocèse  en  qualité  de  vicaire  capitulaire. 

A  la  mort  de  ce  dernier,  eu  1881,  le  chanoine  Orbin  fut 
appelé  par  le  chapitre  à  lui  succéder,  et  l'année  suivante,  grâce 
à  une  détente  générale  dans  les  rapports  des  gouvernements 
allemands  avec  le  Saint-Slége,  l'administrateur  diocésain  fut 
élevé,  malgré  les  répugnances  dont  nous  avons  parlé,  au  rang 
de  prince  de  l'Eglise.  Depuis  lors,  dans  les  trop  courtes  années 
que  Mgr  Orbin  occupa  le  siège  de  Fribourg,  tous  ses  efi"orts 
s'étaient  portés  vers  la  pacification,  qu'il  appelait  de  tous  ses 
vœux  et  espérait  bien  voir  se  réaliser.  Son  espoir  a  été  déçu, 
quoique  le  prélat  fût  dans  les  meilleurs  termes  avec  le  gouver- 
nement grand-ducal  et  en  eût  obtenu  d'ailleurs  plus  d'une 
concession. 

On  annonce  la  mort  de  : 

M.  le  comte  de  Cornulier-Lucinière,  sénateur  inamovible  et 
frère  de  l'amiral  Cornulier,  sénateur  de  la  Vendée,  décédé  il 
y  a  deux  mois.  M.  de  Cornulier-Luciniére  siégeait  à  droite  et 
avait  fait  partie  de  l'Assemblée  nationale.  Il  était  âgé  de  77  ans. 
La  mort  de  ce  sénateur  catholique  et  royaliste  inspirera  de  vifs 
regrets  ; 

M.  Gabriel  Charmes,  collaborateur  du  Journal  des  Débats  et 
à  peine  âgé  de  35  ans,  M.  Gabriel  Charmes  avait  rapidenaent 
conquis  une  place  d'élite  dans  la  presse,  et  nous  nous  associons 
à  la  douleur  de  sa  famille  et  de  ses  collaborateurs.  Ajoutons 
qu'il  a  reçu  avant  de  mourir  les  derniers  sacrements  ; 

M.  le  baron  de  Cabrières,  ancien  officier  de  marine,  frère  de 
Mgr  de  Cabrières,  évêque  de  Montpellier,  décédé  au  château 
de  Longua,  près  de  Mussidan  (Dordogne)  ; 

M.  Edmond-Charles-Auguste  de  la  Croix,  duc  de  Castries, 
beau-frère  du  maréchal  Mac-Mahon,  décédé  à  Paris  à  l'âge  de 
48  ans. 


LES   CHAMBRES  207 


LES  CHAMBRES 

•leudi  1S>  avril.  —  Sénat.  —  Adoption  de  divers  projets  de 
loi  sans  importance. 

Chambre  des  députés.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  première  déli- 
bération sur  le  projet  de  loi,  adopté  par  le  Sénat,  relatif  à  la  procé- 
dure en  matière  de  divorce  et  de  séparation  de  corps. 

L'urgence  est  déclarée. 

M.  DE  LA  Ferrière,  au  nom  de  la  minorité  de  la  commission,  fait 
des  réserves  sur  le  divorce  en  lui-même  et  ajoute  que,  la  loi  ayant 
été  votée,  il  n'aurait  pas  fait  d'objection  à  la  simplification  de  la 
procédure,  si  le  projet  avait  maintenu  les  garanties  nécessaires  d'une 
résolution  réfléchie;  mais  ce  projet  amoindrit  les  garanties  exis- 
tantes, et  c'est  pourquoi  l'orateur  et  ses  amis  ne  peuvent  s'y  associer. 
(Très  bien!  à  droite.) 

Le  projet  est  adopté. 

Adoption  du  projet  de  loi  sur  l'espionnage. 

"Vendredi  lO  avril.  —  M.  d'Audiffret-Pasquier  dépose 
une  demande  d'interpellation  sur  les  événements  de  Châteauvillain. 

L'orateur  dit  qu'il  a  reçu  du  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  cultes  une  lettre  l'informant  qu'il  annoncera  demain,  à  l'ouver- 
ture de  la  séance  du  Sénat,  s'il  lui  est  possible  d'accepter  l'inter- 
pellation. 

Le  renvoi  à  demain  est  ordonné. 

M.  Dauphin  dépose  le  rapport  sur  l'emprunt.  La  commission 
approuve  le  projet  sauf  deux  dispositions  afin  d'arrêter  le  développe- 
ment de  la  dette  flottante.  Elle  réclame  la  révision  de  la  législation 
des  caisses  d'épargne  et  propose  d'en  saisir  le  gouvernement  avant 
la  discussion  du  budget  de  1887. 

Samedi  IT  avril.  —  Sénat.  —  Interpellation  de  M.  d'Audif- 
fret-Pasquier sur  les  événements  de  Châteauvillain. 

Nous  publierons  plus  bas  in-extenso  le  discours  de  l'honorable 
sénateur. 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  demandé  par  M.  Goblet  est  voté 
par  191  voix  contre  89. 

Chambre  des  députés.  —  Vote  de  diverses  lois  d'intérêt  local. 

Hiundi  19  avril.  —  Sénat.  —  On  aborde  la  discussion  du 
projet  d'emprunt. 

M.  Chesnelong  critique  vivement  le  projet.  Il  compare  la  gestion 
financière  des  gouvernements  antérieurs  à  celle  de  la  République. 
En  soixante-dix  ans,  les  gouvernements  antérieurs  ont  emprunté 


208  ANNALES    CATHOLIQUES 

'325  millions  à  la  dette  Hottante,  tandis  que  la  République  en  a 
emprunté  400  en  huit  ans.  Tous  ces  emprunts  sont  inexplicables  en 
pleine  paix.  Vous  dites  que  vous  avez  dépensé  beaucoup,  mais  vous 
n'avez  pas  enrichi  le  pays  qui  est  plus  malheureux  que  jamais. 

L'orateur  critique  ensuite  le  projet  lui-même  et  s'élève  contre  la 
suppression  de  l'amortissement  qui  devrait  être  opéré  au  même  prix 
sans  impôts  nouveaux. 

Le  budget  n'est  donc  pas  en  équilibre  et  l'emprunt  est  fait  pour 
combler  le  déficit  et  non  pas  pour  consolider  la  dette  flottante, 
comme  on  l'annonce. 

M.  Dauphin  soutient  son  rapport.  Il  affirme  que  le  budget  de  1887 
est  paifaitement  équilibré  et  que  l'emprunt  proposé  ne  servira  ni  à 
parfaire  le  budget  de  1887  ni  à  des  dépenses  nouvelles. 

M.  Blavier  demande  que  l'oQ  ajourne  le  vote  du  projet  jusqu'après 
le  vote  de  la  loi  assurant  des  garanties  promises  par  le  rapport. 

Chambre  des  députés.  —  M.  de  Soland  combat  la  pris=e  en  consi- 
dération d'une  proposition  de  M.  Siegfried,  portant  modification  des 
articles  4  et  23  de  la  loi  du  10  août  1871,  relative  aux  conseils  géné- 
raux, et  d'une  propo?ition  de  M.  Loustalot  ayant  pour  objet  le 
doublement  des  conseillers  généraux  des  cantons  au-dessus  do 
20,000  habitants. 

La  prise  en  considération  est  adoptée.  L'urgence  est  également 
votée. 

Mardi  SO  avril.  —  Sénat.  —  Suite  de  la  discussion  <le  l'em- 
prunt. L'honorable  M.  Blavier,  monte  à  la  tribune  et  achève  son 
savant  et  trop  véridique  exposé  de  la  situation  financière  de  la 
République. 

L'emprunt  actuel,  dit-il  en  substance,  est  un  emprunt  obligatoire 
qui  ne  devait  être  voté  qu'après  l'examen  du  budg-^.t  de  1887  dont  il 
est  une  conséquence.  Le  budget  extra(jrdinaire  ne  sera  nullement 
supprimé  ;  en  vertu  des  conventions  avec  les  Compagnies  de  chemins 
de  fer,  l'Ktat  aura  à  payer  des  annuités  fort  lourdes  pour  rembourser 
les  travaux  exécutés  par  elles,  sans  parler  des  garanties  d'intérêt. 

Tout  le  monde  pense  qu'il  faut  enrayer;  les  impôts  directs  eux- 
mêmps  donnent  28  millions  de  moins.  Vous  placez  vos  bons  du 
Trésor  à  1  1/2,  2  0/0;  vous  faites  l'emprunt  à  3  0/0,  vous  allez  donc 
perdre  la  différence  et  augmenter  vos  charges. 

M.  Sadi-Carnot,  ministre  des  finances,  nous  sert  alors  un  dis- 
cours dans  lequel  il  réédite  les  vieux  clichés  sur  la  prospérité  des 
finances  opportunistes,  et  se  vante  d'avoir  présenté  un  budget  très 
exact. 

L'honorable  M.  Chesnelong  répond  au  ministre  des  finances  ft 
démontre  éloquemment  que  la  République  n'a  réussi,  en  huitanaéea, 


l'affaire  de  chateauvillain  209 

qu'à  augmenter  la  dette  publique  de  4  milliards,  sans  avoir  eu  à 
supporter  de  complications  sérieuses  à  l'extérieur  comme  à  l'intérieur. 

Après  une  courte  suspension  de  séance,  l'orateur  poursuit  son 
argumentation  et  dit  que  l'emprunt  n'est  nécessité  que  pour  le 
remboursement  des  bons  du  Trésor,  soit  242  millions,  c'est  seule- 
ment ce  qu'il  consentira  à  voter. 

Il  rappelle  en  terminant  la  contradiction  flagrante  qui  existe  entre 
la  déclaration  faite  par  le  cabinet  lors  de  son  arrivée  aux  affaires  et 
le  projet  qu'il  patronne  aujourd'hui. 

Voici  venir  M.  de  Fheycinet.  —  Le  président  du  conseil  se  donne 
beaucoup  de  mal,  pour  démontrer  que  le  budget  est  en  équilibre 
parfait.  L'emprunt  n'est  donc  nullement  nécessité  par  l'insuffisance 
budgétaire. 

M.  de  Frpycinet  défend  comme  il  peut  la  déclaration  faite  par  le 
ministère  à  sa  formation.  11  paraît  que  cette  déclaration  n'a  jamais 
voulu  dire  que  le  Gouvernement  se  refusait  le  droit  de  faire  un 
emprunt. 

Il^lemande,  en  terminant,  au  Sénat,  de  voter  le  projet  dans  son 
intégralité. 

Le  projet  d'emprunt  est  voté,  sauf  l'article  7  qui  est  rejeté.  Cet 
article  piévoyait  un  amortissement  impossible  à  faire. 

Chambre  des  députés.  —  Validation  des  élections  de  Tarn-et- 
Garonue. 

mercredi  îSl  avril.  —  Sénat.  —  Validation  des  élections  de 
MM.  Decroix  et  Journault. 

Dé|)ôt  du  projet  de  loi  relatif  à  l'Exposition  de  1889.  —  Vote  de 
divers  projets  de  lois  d'affaires. 

Le  Sénat  s'ajourne  au  2.3  mai. 

Chambre  des  députés.  —  Vote  par  350  voix  contre  131  du  projet 
de  loi  relatif  à  l'Exposition  universelle  do  1889. 

A  loption  du  proj'^t  d'empriiiit  de  900  millions  modifié  par  le  Sénat. 

Vote  d'un  crédit  de  300,000  francs  pour  l'assainissement  de  Toulon. 

La  Cliambre  s'ajourne  au  25  mai. 


L'AFFAIRE  DE  CHATEAUVILLAIN 

Sénat.  —  Séance  du  17  avril  1886. 

M.  LE  DUC  d'Audiffrkt-Pasquier.  —  Les  événements  de  Chateau- 
villain ont  été  l'objet  d'une  interpellation  à  la  Chambre  des  députés. 
Les  explications  par  lesquelles  M.  le  ministre  a  répondu  à  nos  élo- 
quents amis  m'ont  paru  excessives  et  incomplètes.  Pourquoi  a-t-il  été 


210  ANNALES   CATHOLIQUES 

retirer  de  la  poussière  un  décret  et  une  loi  auxquels  personne  ne  son- 
geait plus  et  qui  ont  été  faits  pour  protéger  la  religion  catholique? 
M.  Faustin  Hélie,  qui  est  un  des  vôtres  et  dont  vous  vous  honorez 
avec  juste  raison,  et  M.  le  procureur  général  Dupin,  qu'on  n'accusera 
pas  d'être  un  clérical,  disent  que  ce  décret  et  cette  loi  ne  sont  plus 
applicables,  qu'ils  porteraient  atteinte  à  la  liberté  des  cultes  garantie 
par  la  Charte  de  1830  et  par  la  Constitution  de  1848. 

Même  en  admettant  votre  droit,  il  vous  resterait  encore  â  m'expli- 
quer  pourquoi  et  comment  vous  en  avez  usé.  J'ai  lu  et  relu  vos  expli- 
cations â  la  Chambre  des  députés,  les  rapports  que  vous  lui  avez 
communiqués.  Je  n'y  ai  rien  trouvé  de  satisfaisant. 
Non,  rien,  absolument  rien. 

Le  maire  et  le  curé,  dit-on,  n'étaient  pas  d'accord.  Eh  bien?  cela 
arrive.  L'attitude  du  curé  était  hostile  :  vous  avez  allégué,  mais  vous 
n'avez  rien  prouvé  à  ce  sujet. 

Comment  avez-vous  pu  apprécier  la  gravité  de  faits  que  vous  ne 
connaissiez  qu'imparfaitement?  ou  si  vous  aviez  des  documents,  des 
preuves  décisives  confirmant  votre  appréciation,  pourquoi  n'en  avez- 
vous  pas  fait  part  à  la  Chambre?  Il  n'y  a  donc  rien. 

Si,  je  me  trompe  :  il  y  a  quelque  chose.  Il  y  a  la  conduite  du  vicaire, 
il  y  a  des  paroles  de  lui  peu  respectueuses  pour  certains  membres  du 
conseil  municipal.  Il  aurait  poussé,  dit-on,  l'irrévérence  jusqu'à  com- 
parer certaines  têtes  municipales  à  des  têtes  d'animaux.  Peut-on 
penser  que  les  membres  du  conseil  municipal  demeuraient  en  reste, 
ou  même  n'osaient  pas  provoquer  ces  irrévérences?  Est-ce  pour  de 
pareilles  vétilles  que  vous  avez  jugé  qu'il  y  avait  lieu  d'agir? 

Ah!  il  y  a  encore  l'hostilité  du  curé  envers  le  maire.  Il  y  a  â  ce 
propos  un  point  bien  singulier  dans  vos  explications.  Ce  maire  a 
appelé  sur  le  curé  les  sévérités  administratives  :  on  a  suspendu  son 
traitement.  Y  a-t-il  lieu  de  s'étonner  de  son  mécontentement?  Non, 
mais  ce  qui  peut  paraître  surprenant,  c'est  que  cette  suspension  de 
traitement,  vous  l'ignoriez.  Vous  l'avez  dit  â  la  tribune  :  le  préfet 
avait  suspendu  le  traitement  en  omettant  de  vous  en  avertir.  (Rires 
et  approbation  à  droite.) 

En  vérité,  vos  agents  politiques  ont  des  mœurs  singulières! 
Dernièrement,  on  nous  révélait  qu'un  sous-préfet  des  Landes  avait 
violé  le  secret  des  lettres.  (Exclamations  à  droite.) 

Voilà  un  préfet  qui  suspend  un  traitement  ecclésiastique  sans  vous 
en  informer,  enlevant  ainsi  à  la  victime  cette  chance  d'impartialité 
qu'elle  pouvait  trouver  dans  le  recours  â  l'autorité  supérieure. 

Eh  bien  !  on  dépouille  arbitrairement  un  curé  de  son  traitement, 
et  vous  êtes  étonné  qu'il  ne  soit  pas  content;  moi,  je  trouve  cela 
assez  naturel.  (Rires  sur  divers  bancs.) 

Mais  enfin,  le  curé  et  le  vicaire  se  sont  mal  conduits,  avec  hostilité, 
avec  irrévérence,  envers  la  municipalité,   et   vous  frappez  qui  ?  le 


l'affaire  de  chateauvillain  211 

propriétaire  de  l'usine  et  son  délégué,  et  leis  braves  femmes  qui 
fréquentent  la  chapelle  de  l'usine.  Mais  quel  rapport  cela  a-t-il 
avec  le  crime  de  lèse-majesté  municipale  que  vous  reprochez  au 
curé  ?  (Très  bien  !  à  droite.) 

Pourquoi  les  frappez-vous  ?  Est-ce  que  vous  croyez  que  c'est  peu 
de  chose  que  de  fermer  une  chapelle  dont  on  jouissait  paisiblement 
depuis  quarante-trois  ans  ?  Elle  rappelait  à  tous  bien  des  souvenirs  : 
plus  d'un  y  avait  fait  sa  première  communion,  s'y  était  marié  ;  ses 
dalles  étaient  usées  par  les  pieds  des  anciens.  Il  y  avait  là  pour  tous 
ces  braves  gens  une  source  de  pieux  et  chers  souvenirs.  On  ne  touche 
pas  à  cela  impunément. 

On  ne  touche  pas  impunément  à  ces  souvenirs  bénis  que  les 
paysans,  retenus  aux  champs  toute  la  semaine  par  un  rude  labeur, 
ae  rappelle  le  dimanche,  près  du  seuil  sacré,  en  rattachant  ce  sou- 
■  venir  à  des  espérances  consolatrices.  (Vive  approbation  et  applaudis- 
sements à  droite.) 

Est-ce  un  pareil  lieu  qu'on  ferme  brusquement  avec  une  brutalité 
qu'on  ne  mettrait  pas  à  fermer  un  estaminet  ? 

Je  dis  que  vous  n'en  aviez  pas  le  droit  et  que  vous  n'auriez  pu 
prendre  une  aussi  grave  décision  que  si  la  chapelle  avait  été  le 
théâtre  de  désordres,  si  on  s'y  était  livré  â  des  prédications  séditieuses. 

Je  vous  somme  donc,  au  nom  du  bon  sens  et  de  la  raison  publique, 
de  nous  dire  pourquoi  vous  avez  fermé  cette  chapelle,  en  vous 
exposant  â  des  conséquences  dont  la  réalisation  irréparable  vous  a 
si  cruellement  punis.  (Très  bien  !  très  bien  !  à  droite.) 

Voilà  ma  première  question. 

Je  vais  passer  à  la  seconde,  c'est-à-dire  â  l'exécution.  (Mouvement.) 
,  Voyons  vos  instructions.  Vous  avez  prévu  le  cas  de  résistance  et 
avez  ordonné  à  votre  sous-préfet  d'avoir  recours  à  l'autorité  judiciaire 
et  de  vous  en  référer  ;  il  vous  a  désobéi  de  point  en  point. 

M.  Giraud  avait  écrit  à  M.  Fischer  pour  lui  dire  de  se  soumettre  ;  on 
dit  que  celui-ci  avait  lu  cette  lettre,  j'affirme  qu'il  ne  l'avait  pas  lue  ; 
il  suffisait  donc  de  quelques  heures  de  patience  pour  éviter  la  scène 
sanglante  que  vous  connaissez.  M.  Fischer  avait  lu  la  consultation 
de  M.  Jules  Grévy  sur  l'inviolabilité  du  domicile,  consultation  signée 
par  MM.  Gatineau,  Jules  Favre,  Le  Rpyer,  Jules  Ferry  et  tant 
d'autres.  Il  voyait  aussi  qu'à  la  salle  Favié  et  ailleurs  on  prêche 
ouvertement  le  pillage  et  l'assassinat.  Comment  a-t-il  pu  croire 
qu'en  laissant  de  pareilles  prédications  impunies  on  irait  poursuivre 
de  malheureuses  femmes  qui  prient  dans  un  endroit  écarté? 

Mais,  me  direz-vous  peut-être,  vous  faites  là  de  M.  Fischer  un 
portrait  qui  n'est  pas  exact. 

M.  Fischer  affichait  des  sentiments  hostiles;  il  était  poussé  par  le 
curé,  par  le  vicaire...  Eh  bien,  s'il  en  était  ainsi,  je  vous  refuserais 
le  droit  de  lui  savoir  mauvais  gré. 


212  ANNALES    CATHOLIQUES 

Qui  donc  a  semé  en  France  des  sentiments  de  division  et  de  zizanie? 
Qui  donc  en  est  responsable!  C'est  vous!  (Très  bien!  très  bien!  — 
Applaudissements  à  droite.) 

Oui,  c'est  vous  et  la  politique  que  vous  avez  suivie,  depuis  les 
décrets  qui  ont  suivi  le  rejet  de  l'article  7.  N'avons-nous  pas  assisté 
depuis  lors  à  une  guerre  implacable  faite  à  nos  croyances?  N'avons 
nous  pas  vu  les  congrégations  chassées,  les  serrures  crochetées,  les 
curés  privés  de  leurs  traitements,  l'image  de  Dieu  exclue  de  l'école 
et  du  prétoire,  les  Frères  expulsés  des  écoles,  les  Sœurs  chassées  des 
hospices? 

Pouvez-vous  donc  vous  étonner  du  sentiment  d'hostilité  qui  a 
éclaté  contre  vous. 

Une  seule  chose  me  surprend,  c'est  qu'il  n'ait  pas  éclaté  plus  tôt, 

et  que  notre  patience  ait  été  aussi  longue  et  n'ait  été  lassée  que  par 

vos  excès  mêmes.  (Très  bien  !  ti  es  bien  !  et  applaudissements  à  droite.) 

Si  ces  sentiments  existent,  c'est  vous  qui  les  avez  faits.  (Très  bien! 

très  bien!  à  droite.) 

La  résistance  éclate.  Le  sous-préfet  arrive.  Il  n'avait  même  pas 
mis  son  uniforme.  Il  portait  un  veston  de  voyage  et  un  chapeau  mou. 
Mais  il  est  accompagné  par  quatre  gendarmes. 

Je  ne  vous  ferai  pas  un  récit  minutieux  de  ce  qui  s'est  passé  alors. 
Je  n'en  retiendrai  que  quelques  détails, 

M.  Fischer  voit  son  domicile  envahi.  Il  tire  des  coups  de  revolver, 
mais  il  affirme  n'avoir  visé  personne  et  avoir  tiré  en  l'air.  Dans  tous 
les  cas  il  ne  blesse  personne. 

Deux  gendarmes  se  précipitent,  et  c'est  alors  qu'il  est  désarmé, 
jeté  par  terre  et  maintenu  par  deux  gendarmes,  pendant  qu'un  troi- 
sième gendarme  lui  brûle  la  cervelle.  (Mouvements  divers.) 
A  droite.  —  C'est  abominable!  c'est  odieux! 

M.  René  Goblet,  minidire  de  l'instruction  publique  et  des  cultes. 
—  Je  n'ai  vu  cela  nulle  part. 

M.  LE  DUC  d'Audiffret-Pasquier,  —  Vous  auriez  pu  le  lire  dans 
les  journaux  locaux.  Mais  qui  faut-il  rendre  responsable?  Ce  n'est 
pas  les  gendarmes... 

A  gauche.  —  Ce  sont  les  curés.  (Bruit  à  droite.) 
M,  LE  DUC  d'Audiffret-Pasquier.  —  Les  gendarmes  étaient  char- 
gés d'une  triste  besogne  ;  je  les  plains,  je  ne  les  blâme  pas,  et  je 
trouve  même  naturel  et  légitime  ce  sentiment  qui  fait  qu'un  mili- 
taire ne  peut  supporter  que  l'unitorme  qu'il  porte  soit  souillé. 

Mais  si,  au  lieu  d'être  conduits  par  un  sous-préfet,  ces  gendarmes 
avaient  été  commandés  par  un  officier,  il  les  aurait  retenus  et  ne  les 
aurait  pas  laisser  tirer  pur  un  homme  désarmé  et  sur  des  femmes  en 
fuite.  (Très  bien!  très  bien!  à  droite.  —  Bruit  et  protestations  à 
gauche.) 

Votre  agent  porte  donc  tout  lo  poids  d'une  responsabilité  écrasante, 


J 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  213 

et  quoi  que  vous  fassiez,  vous  ne  le  disculperez  pas,  (Très  bien  !  très 
bien!  à  droite.  —  Bruit  à  gauche.) 

Le  combat  fini,  le  sous-préfet  compte  les  victimes  et  dit  :  «  En 
voilà  assez.  »  (Bruit  et  protestations  à  gauche.) 

M.  Blkfet.  —  Il  n'a  pas  dit  :  En  voilà  trop. 

M.  Mayran.  —  On  lui  donnera  de  l'avancement. 

M,  LE  DUC  d'Audiffret-Pasquier.  —  Oui,  je  le  répète,  c'est  votre 
agent  qui  est  responsable,  c'est  lui  qui  porte  le  poids  de  cette  épou- 
vantable catastrophp.  (Très  bien!  très  bien!  à  droite.) 

Envoyez-lui  vos  éloges.  Pour  nous,  les  nôtres  ne  s'égareront  pas. 
Ils  iront  aux  victimes.  (Très  bien!  très  bien!  et  applaudissements  à 
droite.) 

Salut  à  Fischer!  Salut  à  la  pauvre  fille  qui  a  été  tuée  en  défendant 
les  droits  de  la  conscience  et  de  la  fidélité,  la  porte  de  son  maître  et 
la  porte  de  son  Dieu!  Salut,  à  la  jeune  fille  qui  a  été  blessée  en 
défendant  son  maître  qu'elle  craignait  de  voir  assassiner.  (Applau- 
dissements à  droite.)  (A  suivre.) 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Le  procès  de  Villefranche.  —  La  révolution  à  Paris.  —  Les  gaietés 
révolutionnaires.  —  Sénégal.  —  Etranger. 

22  avril  1886. 

MM.  Duc-QuercY  et  Ernest  Roche  sont  condamnés  à  quinze 
mois  de  prison.  L'arrêt  paraîtra  sévère  à  quelques-uns,  et  l'on 
imagine  aisément  le  déchaînement  de  colère  des  journaux 
socialistes.  Mais  on  se  convaincra  qu'il  est  simplement  juste, 
en  récapitulant  les  faits  qui  ont  amené  les  deux  publicistes 
devant  le  tribunal  de  Villefranche.  Leurs  discours,  leurs  actes 
n'ont  eu  qu'un  but  :  transformer  le  mouvement  économique  en 
mouvement  socialiste;  ils  ont  prêché  la  haine,  ils  ont  attisé  les 
dissentiments  qui  séparaient  la  Compagnie  et  les  mineurs;  la 
discorde  a  été  entretenue  par  leurs  soins.  Autant  que  M.  Basly, 
ils  sont  responsables  des  intérêts  lésés.  Nul  ne  nous  contredira 
lorsque  nous  dirons  que,  sans  eux,  la  grève  serait  terminée 
depuis  longtemps.  Ceux  qui  ont  fait  se  continuer  cette  lamen- 
table situation  sont  frappés,  c'est  justice. 

Qui  dira  les  drames  domestiques  qu'ils  ont  causés  à  Deca- 
zeville.^  Qui  peut  affirmer  que  des  femmes  et  des  entants  n'ont 
pas,  de  leur  fait,  soutien  de  la  faim  ?  Qui  osera  prétendre  que 


214  ANNALES    CATHOLIQUES 

toute  cette  population  ouvrière  n'a  pas  été  atteinte  dans  sa 
moralité  pendant  ces  deux  longs  mois,  oii  les  chantiers  ont  été 
fermés  et  les  cabarets  ouverts?  Qui  donc  peut  être  certain  que 
les  paroles  enflammées,  que  les  excitations  à  la  violence,  que 
l'idée  du  partage  social  ne  gerpjieront  pas  chez  ces  malheureux, 
dont  on  a  exploité  la  misère  et  l'ignorance  pour  les  transformer 
en  champions  de  la  révolution  sociale?  Un  seul  point  de  cet 
arrêt  laisse  à  désirer  :  on  regrettera  qu'il  ne  contienne  pas  les 
noms  de  MM.  Baslv  et  Camélinat. 


La  lecture  du  compte-rendu  du  procès  de  Viliefranche  don- 
nera à  l'étranger  une  triste  idée  de  nos  moeurs  judiciaires, 
lorsqu'elles  sont  atteintes  par  la  politique.  M.  Laguerre,  qui 
croit  sans  doute  avoir  trouvé  son  procès  Baudin,  a  adressé  au 
procureur  de  la  République  des  injures  personnelles  que  le 
président  a  laissé  applaudir  sans  avoir  l'énergie  d'user  de  son 
droit  de  faire  évacuer  la  salle.  Le  socialisme  a  eu  ses  deux 
journées  à  Viliefranche.  On  ne  peut,  en  effet,  imaginer  anar- 
chie plus  complète  aussi  bien  à  l'intérieur  du  Palais-de-Justice 
qu'au  dehorse  :  le  président  et  le  procureur  échangeant  des 
mots  aigres-doux,  deux  avocats  insultant  le  gouvernement  et 
les  représentants  de  la  loi. 

Dans  la  rue,  la  foule  a  hué  les  gendarmes,  hurlé  la  Marseil- 
laise, et  crié  :  «  Vive  la  révolution  sociale  !  »  Le  sous-préfet  a 
blâmé  fortement  les  représentants  de  la  force  publique  qui 
s'efforçaient  de  dissiper  les  rassemblements.  La  conduite  de  ce 
sous-préfet,  réprimant  l'ardeur  belliqueuse  des  gendarmes,  est 
à  remarquer.  Elle  paraîtrait  inexplicable  en  face  de  celle  de 
son  confrère  de  la  Tour-du-Pin.  Mais  il  y  a  une  distinction  à 
faire  :  à  Viliefranche,  les  gendarmes  étaient  en  présence  d'une 
populace  agressive,  composée  d'anarchistes  et  de  radicaux,  on 
l'a  ménagée;  à  Châteauvillain,  on  avait  devant  soi  des  femmes 
catholiques,  on  a  fait  feu  sur  elles.  En  agissant  ainsi  dans  les 
deux  cas,  on  savait  plaire  à  nos  gouvernants. 


Malgré  un  ordre  du  jour  des  moins  pacifiques  :  «  Appel  à  la 
justice  populaire,  »  le  meeting  organisé  dimanche  après-midi 
à  la  salle  Favié  par  le  comité  révolutionnaire  et  les  guesdistes, 
sous  la  présidence  du  «  citoyen  Basly,  député,  retour  de  Deçà- 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE  215 

zeville,,  »  comme  le  portaient  les  affiches,  n'a  donné  lieu  à 
aucune  violence. 

«  Le  citoyen-président  *  a  été  souvent  interrompu. 

Dans  des  circonstances  aussi  graves,  dit-il,  ma  résidence 
devait  être   plutôt  à  Decazeville   qu'à  Paris. 

—  Oui,  mais  vous  avez  eu  peur  de  perdre  vos  vingt-cinq 
francs  ! 

Cette  interruption  soulève  un  léger  tumulte. 

Après  avoir  rendu  le  gouvernement  responsable  des  événe- 
ments de  Decazeville,  il  fait  ensuite  l'éloge  des  «  députés 
ouvriers  socialistes  qui  ne  deviendront  jamais  des  Tolain,  ni 
des  Nadaud.  »  Plusieurs  salves  d'applaudissements  couvrent  la 
voix  de  l'orateur. 

Il  termine  par  le  récit  de  l'arrestation  des  citoyens  Duc- 
Quercy  et  Roche.  «  Si  j'étais  parti,  dit-il,  si  je  n'avais  pas  été 
là,  de  grands  malheurs  auraient  pu  arriver...  Si  les  ouvriers 
ne  comprennent  pas  que  j'ai  bien  agi,  alors  tant  pis  pour  eux  !  » 

Les  orateurs  habituels  défilent  ensuite  à  la  tribune.  Tour  à 
tour  s'y  sont  succédé  les  citoj-ens  Vaillant,  Jules  Guesde,  Chau- 
viére,  Fourniére,   Susini,  etc. 

M.  Boyer,  député  de  Marseille,  annonce  qu'une  grande  union 
est  en  train  de  se  former  avec  les  socialistes  anglais,  allemands 
et  italiens.  Les  députés  français  vont  s'entendre  avec  les  députés 
étrangers  pour  porter  le  même  jour,  à  leur  Parlement  respectif, 
les  mêmes  revendications,  de  telle  sorte  que  toute  l'Europe  se 
lève  en  même  temps.  Il  termine  par  ces  mots  :  «  Nous  sommes 
décidés  à  faire  une  transformation  réejle  de  la  société.  » 

La  foule  s'est  écoulée  lentement,  au  chant  de  la  Carmagnole 
et  aux  cris  de  :  Vive  la  Commune  !  Vive  la  Révolution  ! 

Durant  la  séance,  on  a  voté  par  acclamations  l'ordre  du  jour 
suivant  : 

Devant  l'appel  du  comité  de  la  grève  de  Decazeville,  les  citoyens 
réunis  salle  Favié  le  18  avril,  se  ralliant  au  projet  du  congrès 
électoral  destiné  à  concentrer  toutes  les  forces  socialistes,  invitent 
les  députés,  les  conseillers,  tous  les  journaux  socialistes  et  les 
délégués  des  grandes  organisations  ouvrières,  à  constituer  au  plus 
tôt  le  comité  qui  fera  choix  du  candidat  unique,  et  comptent  sur 
les  électeurs  parisiens  pour  assurer,  avec  le  triomphe  de  cette 
candidature,  la  revanche  du  droit  et  de  la  justice  odieusement 
outragés. 

Ils  les  engagent  en  outre  à  présenter  comme  candidat  celui  des 


216  ANNALES    CATHOLIQUES 

deux  accusés  de  Villefi'anclie  qui  sera  le  plus  condamné  et,  au 
cas  où  ils  seraient  condamnés  pareillement,  laisser  au  sort  le 
soin  de  désigner  lequel  des  deux  sera  candidat. 


Les  politiciens  de  Paris  ont  une  imagination  à  décourager  les 
prévisions  les  plus  fantaisistes.  Après  Basly,  on  a  parlé,  comme 
on  vient  de  le  voir,  d'élire  MM.  Duc-Queicj  ou  Ernest  Roche. 
C'est  déjà  joli  !  On  a  trouvé  mieux.  Un  groupe  d'ouvriers  vient 
d'offrir  la  candidature  à  Soubrié.  Soubrié  est  ce  délégué  des 
mineurs  de  Decazeville  qui  a  été  condamné  à  quatre  mois  de 
prison  pour  avoir  parlé  de  «  watrinage  »  dans  une  réunion  pu- 
blique. Il  est  actuellement  sous  les  verrous  ;  de  ce  fait,  il  a  autant 
de  droits  aux  suffrages  des  Parisiens  que  MM.  Duc-Quercy  et 
Roche.  11  y  a  bien  une  difficulté.  Soubrié  ne  parle  que  le  patois 
de  l'Aveyron.  La  Chambre  ne  perdrait  pas  grand'chose  à  cette 
élection,  et  la  gaieté  y  gagnerait  tellement  qu'on  arriverait 
presque  à  la  souhaiter,  si  l'on  ne  devait  en  rire  qu'en  France. 

La  situation  s'aggrave  au  Sénégnl  ;  les  dernières  nouvelles 
reçues  au  ministère  de  la  marine  portent  que  la  petite  garnison 
de  Bakel,  ayant  fait  une  sortie,  a  réussi  à  disperser  les  indi- 
gènes, auxquels  elle  a  tué  quatre  cents  hommes;  mais  elle  a 
perdu  un  canon  de  quatre  et  se[)t  soldats,  plus  un  officier  blessé. 

Les  renforts  partis  de  Saint-Louis  pour  dégager  la  garnison 
ne  peuvent  arriver  avant  trois  semaines  devant  Bakel. 

Deux  élections  sénatoriales  et  deux  élections  législatives  ont 
eu  lieu  dimanche. 

Dans  la  Loire-Infêrienre,  M.  Decroix,  conservateur  catho- 
lique; —  dans  Seine-et-Oise,  M.  Journault,  opportuniste,  ont 
été  élus  sénateurs. 

Dans  l'Yonne,  M.  Duguyot,  radical,  et  dans  l'Aisne,  M.  Hano- 
taux,  également  radical,  ont  été  élus  députés. 

Le  prince  de  Bismarck,  en  votant  les  amendements  de 
Mgr  Kopp,  au  projet  de  loi  ecclésiastique,  a  déterminé  le  résultat 
final.  On  peut  dire  que  le  Culturkampf  est  tei-miné  et  que  le 
triomphe  du  Pape  est  évident.  Les  libéraux  ont  retiré  leur 
motion,  demandant  le  retrait  de  la  loi  ecclésiastique. 


CHRONIQUE    DE    LA    SKMAINE  217 

Un  fait  fini  n)étite  d'être  relevé,  c'est  que  le  prince  de  Bis- 
marck est  intervenu  [>ersonneilemeiit  dans  le  débat  pour  enlever 
le  vote. 

Les  négociations,  poursuivies  pendant  huit  ans  avec  une 
patience  à  tonte  épreuve,  ont  donc  abouti.  Le  Souverain-Pontife 
a  enfin  la  satisfaction  de  voir  le  goiivernetnent  prussien  se  placer 
sur  le  terrain  qu'il  avait  indiiiué  connue  celui  d'une  conciliation 
possib'e  et  conclure  la  paix. 

La  Chambre  des  seigneur's  a  voté  les  amendements  apportés 
au  iirojet  du  gou  ver'iieineut  par  un  évêque  catholique.  C'est  là 
un  t'ait  iin[>ortant,  et  ce  t'ait  permet  d'es(térer  une  entente  com- 
plète entre  l'Eglise  catholique  et  l'I'^iat  prussien. 

Le  Saitit-Siégi^  [Kiiissant  aussi  loin  (pie  possible  la  condes- 
cendance, est  allé  au-devant  du  gouvernement  prussien  sans 
sii'iriti'^r  la  lil)erté  et  les  droits  de  la  sainte  Eglise.  On  a  su  le 
coiu|irendie  à  Herliu. 

La  sagesse  de  Notre  Saint-Péte  Léon  XIII  a  remporté  un 
beau  tîioinphe,  dont  tous  les  fidèles  se  réjouiront.  Dieu  fasse 
que  d'autres  triomphes  suivent  c-liii-ei,  non  seulement  en  Alle- 
magne, mais  partout  oii  le  Pape  lutte  pour  les  droits  et  la  liberté 
de  la  sainte  Eglise  romaine. 

On  s'inquiète  beauo)iip  des  préparatifs  persistants  de  la 
Grèce  et  <le  rin>pa<se  d  lus  huiuelle  s'est  rais  le  cabinet  d'A- 
thènes, d'où  il  ne  semble  [)Ouvoir  sortir  que  par  la  guerre. 
L'Angleterre  et  l'Alleuiague  semblefit  décidées  à  prendre  les 
mesures  les  plus  ènergi  |iirts  pour  empêcher  un  conflit  de  se  pro- 
duire. L'opinion  des  cercles  bi,>M  informés  e>t  toujours  que  la 
Grèce  ne  vent  pas  pivn  Ire  l'iiiiiiat.i  ve  des  hoscilités,  mais  qu'elle 
compte  que  cette  iuii.iative  ser-a  i)fi-e  |)ar  la  Turquie,  et  que  dès 
lors  l'E  irj[>e  ne  poiuri  pas  lui  in'erdire  de  se  défendre.  La 
tacti  lue  du  gouverne  nent,  d'Atliè  tes  est  donc  d'obliger  la  Tur- 
quie à  l'attaipier,  rèi;:t  des  finances  turques  ne  lui  [lermettant 
plus,  d'ai  leurs,  de  supp  ut  r  la  [.i-olotijation  du  statu  quo.  Ou 
es[)ère  que  ce  plan  8.ira  déj  ué  et  que  l'attitude  lésolue  de  l'An- 
gleterrj  et  de  l'Allemagne  forcera  sous  peu  de  jours  la  Grèce  à 
désarmer. 


218  ANNALES    CATHOLIQLES 

VARIÉTÉS 

]%I.  de  Bismark  photographe. 

Germanus  fait  passer  dans  la  Gazette  de  Liège  toute  une 
séii'^  de  portraits  dessinés  d'après  nature.  Nous  ne  voudrions 
pas  nous  porter  garants  de  leur  exacte  ressemblance  avec  ceux 
qu'ils  représentent.  La  chose  en  elle-niême  est  d'ailleurs  assez 
ini"'rérente,  car  ces  tableaux  tirent  surtout  leur  grande  valeur 
dn  nom  du  peintre  qui  les  a  produits.  Ils  ont,  en  effet,  pour 
auteur  son  Altesse  le  prince  de  Bismark. 

Commençons  par  Jules  Favre,  Les  Allemands  étaient  devant 
Paris  et  la  place  assiégée  songeait  à  capituler  ;  Jules  Favre 
avait  été  chargé  de  négocier  pour  elle  les  conditions  de  la  paix. 
Voici  comment  s'exprime  le  chancelier  : 

Ces  Français  sont  cependant  de  drôles  de  gens.  Favre  vient  auprès 
de  moi  comme  un  saint  martyr  et  fait  avec  cela  une  moue  comme 
s'il  avait  à  me  communiquer  les  choses  les  plus  importantes.  Voyons 
cela,  je  lui  dis  :  «.  Ne  voulons-nous  pas  monter?  »  —  «  Oui,  dit-il, 
montons.  »  Mais  arrivé  en  haut,  il  s'assied,  écrivit  lettre  sur  lettre, 
et  c'est  en  vain  que  j'attendis  une  communication  de  quelque  impor- 
tance. Il  n'avait  rien  à  me  dire.  Ce  qu'il  a  fait  pour  nous  peut  se 
mettre  sur  deux  petites  pages. 

Après  une  autre  entrevue,  M.  de  Bismark  déclara  qu'il  (Favre) 
avait  réellement  eu  l'air  de  vouloir  pleurer  (il  s'en  était  vanté 
dans  son  rapport)  et  qu'il  avait  essayé  de  le  consoler  un  peu  ; 
mais  après  l'avoir  bien  regardé,  il  avait  acquis  la  certitude  qu'il 
était  parfaitement  incapable  de  verser  une  seule  larme. 

Le  bon  Favre,  continue  le  chancelier,  voulait  simplement  jouer  la 
comédie,  comme  s'il  était  au  Palais  à  Paris.  Je  suis  aussi  certain 
qu'il  s'est  mis  du  blanc,  surtout  la  seconde  fois,  afin  de  pouvoir 
mieux  jouer  le  rôle  d'un  homme  peiné  et  douloureusement  atteint. 
Maintenant,  il  est  peut-être  possible  que  cet  homme  soufi're  un  peu 
des  malheurs  de  son  pays,  mais  en  tout  cas,  pourquoi  jouer  cette 
comédie  avec  nous?  Ce  n'est  pas  en  politique.  Il  devrait  savoir  que 
les  sentimentalités  ne  servent  de  rien  dans  les  affaires  de  diplomatie. 
Quand  je  lui  ai  parlé  de  Strasbourg,  il  s'est  mis  à  sourire  comme  si 
je  voulais  plaisanter.  J'aurai  pu  lui  dire  ce  que  m'a  dit  une  fois  un 
marchand  de  fourrures.  Je  m'étais  rendu  chez  lui  pour  lui  acheter 
une  pelisse,  il  me  demanda  un  prix  exorbitant  :  «  Vous  plaisantez, 
lui  dis-je.  »  —  «  Jamais,  monsieur,  jamais  dans  les  affaires.  » 

Une  autre  fois,  pendant  les  négociations  relatives  à  l'armis- 


M.    DE    BISMARK   PHOTOGRAPHE  219 

tice,  Jules  Favre   ayant  voulu  y  faire  comprendre  Garibaldi, 
M.  de  Bismark  refusa  : 

Je  crois,  dit-il,  après  cette  entrevue,  que  Favre  est  sorti  aujour- 
d'hui uniquement  pour  cela.  J'entends  à  cause  de  notre  discussion 
d'hier,  où  je  n'ai  pas  voulu  reconnaître  que  Garibaldi  est  un  héros. 
Évidemment,  il  craignait  pour  lui  parce  que  je  ne  l'avais  pas  compris 
dans  l'armistice.  En  véritable  avocat,  il  en  avait  appelé  à  l'article  l^"", 
mais  je  lui  dis  :  «  Oui,  cela  est  la  règle,  mais  ensuite  viennent  les 
exceptions,  et  il  est  de  ce  nombre.  Qu'un  Français  prenne  les  armes 
contre  nous,  je  le  comprends,  il  défend  son  pays  et  en  a  le  droit. 
Mais  cet  aventurier,  avec  sa  république  cosmopolite  et  sa  bande  de 
révolutionnaires  de  tous  les  coins  de  l'univers,  je  ne  lui  reconnais 
pas  ce  droit.  »  11  demanda  ensuite  ce  que  nous  ferions  de  lui,  s'il 
devenait  notre  prisonnier.  —  «  Oh!  dis-je,  nous  le  ferons  voir  pour 
de  l'argent.  » 

Voici  maintenant  l'appréciation  du  chancelier  sur  M.  Thiers  : 

C'est  un  homme  intelligent  et  aimable,  malin  et  spirituel.  Mais 
chez  lui  pas  trace  de  diplomate  ;  trop  sentimental  pour  le  métier. 
C'est  certainement  une  nature  beaucoup  plus  distinguée  que  celle  de 
Jules  Favre,  mais  ce  n'est  pas  l'homme  qu'il  faut  pour  discuter  une 
affaire,  pas  même  tin  achat  de  fchevaux.  Il  se  laisse  facilement 
impressionner;  il  trahit  ce  qu'il  éprouve,  et  il  se  laisse  sonder.  C'est 
ainsi  que  j'ai  pu  tirer  de  lui  une  foule  de  choses,  entre  autres  qu'ils 
n'ont  plus  que  pour  trois  ou  quatre  semaines  de  vivres. 

Un  autre  jour,  M.  de  Bismark,  parlant  de  l'entretien  qu'il 
avait  eu  avec  Thiers  relativement  aux  frais  de  la  guerre, 
s'exprimait  ainsi  : 

11  ne  voulait,  dit-il,  accorder  en  tout  cas  que  quinze  cents  millions 
d'indemnité,  disant  que  je  ne  pouvais  me  figurer  combien  la  guerre 
leur  avait  coûté  ;  que  tout  ce  qu'on  leur  avait  vendu  était  frauduleux, 
que  le  drap  avait  été  si  mauvais  que  quand  un  soldat  tombait,  il 
n'avait  plus  de  pantalon,  que  les  semelles  des  souliers  étaient  en 
carton,  et  que  les  fusils,  surtout  les  fusils  américains,  avaient  été 
faits  sans  soin.  Je  lui  répondis  ;  «  Figurez-vous  ce  cas  :  un  homme 
vous  surprend  et  veut  vous  frapper  ;  vous  vous  défendez  et  lorsque 
voua  demandez  réparation,  il  répond  :  «  Les  verges  dont  je  voulais 
vous  frapper  m'ont  coûté  fort  cher  et  elles  étaient  mal  fabriquées.  » 
Qu'en  dites-vous?  Du  reste,  il  y  a  une  jolie  différence  entre  quinze 
cents  millions  et  six  milliards. 


220  ANNALES     CATHOLIQUES 

Passons  à  présent  au  portrait  de  Napoléon  III  : 

Il  est,  dit  le  chancelier,  d'une  bien  moilleure  pâte  qu'on  ne  le  croit 
communément,  et  il  est  loin  d'être  l'homme  habile  dont  on  lui  a 
fait  la  réputation.  Malgré  tout  ce  qu'on  peut  penser  de  son  coup 
d'État,  c'est  un  homme  bon,  sensible,  sentimental  môme,  mais  son 
intelligence  ne  va  pis  loin  ni  son  instruction  non  plus.  C'est  surtout 
sur  la  géographie  qu'il  n'est  pas  fort,  quoiqu'il  ait  été  élevé  en 
Allemagne  et  qu'il  y  ait  été  à  l'école.  Enfin,  il  vit  dans  un  monde 
d'idées  fantastiques.  Au  mois  de  juillet  (1870),  il  a  passé  trois  jours 
à  hésiter  sans  pouvoir  prendre  un  parti,  et  encore  à  présent  il  ne 
sait  ce  qu'il  veut. 

Ses  connais«ances  sont  telles  que  chez  nous,  il  ne  serait  pas 
capable  de  subir  l'examen  de  référendaire.  On  n'a  pas  voulu  m'en 
croire,  mais  je  l'avais  déjà  dit  il  y  a  longtemps.  En  1854  et  1855,  je 
le  disais  déjà  au  Roi.  Il  n'a  pas  la  moindre  idée  de  l'état  de  nos 
affaires.  En  1862,  il  a  dit  en  parlant  de  moi  :  Ce  n'est  pas  un  homme 
sérieux,  propos  que  je  me  gardai  bien  de  lui  rappeler  dans  la 
bicoque  de  Donchérv.  (Endroit  où  il  eut  une  entrevue  avec  Napoléon 
prisonnier  après  Sedan). 

Au  tour  à  présent  du  célèbre  voyageur  et  naturaliste 
Alexandre  de  Huraboldt.  Lo  portrait  que  le  chancelier  trace  de 
lui  est  des  plus  divertissants  : 

Chez  le  feu  Roi,  notre  seigneur,  dit-il,  j'étais  l'unique  victime 
quand  Humboldt  entretenait  à  sa  manière  la  société  pendant  les 
soirées.  11  y  lisait  ordinairement,  souvent  pendant  des  heures 
entières,  la  biographie  de  quelque  savant  ou  de  quelque  architecte 
français  qui  n'intéressait  que  lui  seul.  Dana  ces  occasions,  il  était 
debout  et  tenait  le  livre  tout  près  de  la  lampe.  De  temps  en  temps, 
il  suspendait  sa  lecture  pour  donner  plus  de  développement  à  quelque 
observation  savante.  Personne  ne  l'écoutait,  mais  il  avait  toujours  la 
parole.  , 

La  Reine  ne  discontinuait  pas  un  instant  de  travailler  à  une 
tapisserie  et  n'écoutait  assurément  pas  un  mot  de  tout  ce  que  disait 
Humboldt.  Le  Roi  regardait  un  livre  de  gravures  ou  d'estampes 
qu'il  feuilletait  avec    bruit,  évidemment    afin   de  ne   rien  entendre. 

Au  fond  de  la  pièce  et  sur  les  côtés,  les  jeunes  gens  causaient 
sans  se  gêner,  en  riant  sous  cape  et  en  faisant  un  bruit  qui  étoufTait 
la  voix  du  conférencier,  dont  la  parole  continuait  de  couler  sans 
interruption  comme  le  murmure  d'un  ruisseau.  Gerlach,  qui  se  trou- 
vait là  d'ordinaire,  était  assis  sur  un  petit  tabouret  rond  autour 
duquel  son  gros  derrière  débordait  de  tous  côtés,  et  s'endormait  au 
point  de   ronfler  en   sorte  que  le  roi  le   réveilla  un  jour  et  lui  ditj: 


M.    DE    BISMARK    PHOTOGRAPHE  221 

«  —  Gerlach,  ne  ronflez  donc  pas  connme  cela.  »  J'étais  son  unique 
auditeur  résigné,  c'est-à-dire  que  je  gardais  le  silence  en  faisant 
semblant  de  l'écouter,  tandis  que  je  suivais  le  fil  de  mes  propres 
pensées,  jusqu'à  ce  qu'on  aiiportât  enfin  la  collation  froide  et  le  vin 
blanc. 

Le  boa  vieillard  était  liés  désappointé  quand  on  ne  le  laissait  pas 
prendre  la  parole.  Je  nie  souviens  qu'un  j^'ur,  un  des  assistants 
s'empara  de  la  conversation,  et  cola  d'une  manière  toute  naturelle, 
en  racontant  avec  esprit  des  choses  qui  intéressaient  tout  le  monde. 
Humbol  It  était  hors  de  lui.  Dans  sa  mauvaise  humeur,  ilremplit  son 
assiette  d'un  tas  aussi  haut  que  cela  —  le  chancelier  indiqua  la 
hauteur  avnc  la  main  —  de  pâté  de  foie  gras,  d'anguille  grasse,  de 
queues  de  homards  et  d'autres  choses  indigestes...,  une  vraie  mon- 
tagne !  C'est  étonnant  tout  ce  que  ce  vieillard  pouvait  manger. 
Lorsqu'il  ne  put  en  absorber  davantage,  il  ne  se  donna  plus  île  repos 
et  es>:aya  de  reconquérir  la  parole.  »  —  Sur  le  sommet  du  Popoka- 
tèpel...  »  comnu'aça-t-il.  Mais  il  ne  réussit  pas,  et  le  narrateur  ne 
se  laissa  pas  détouiner  de  son  sujet.  «  —  Sur  le  sommet  du  Popoka- 
tèpel,  à  sept  mille  toises  au-dessus.  .  »  Nouvel  échec,  le  narrateur 
continuait  tranquillement  son  récit  —  «  Sur  le  sommet  du  Popoka- 

tèpel  à  sept  mille  toises  au-dessus  du  niveau  de  la  mer »  —  dit-il 

du  ne  voix  haute  et  émue,  mais  avec  tout  aussi  peu  de  succès  :  le 
narrateur  continua  à  parler  et  la  société  continua  à  n'écouter  que 
lui.  C'était  inouï  !  c'était  un  ciime  !...  HiimboUlt  se  rassit  furieux  et 
tomba  dans  une  profonde  méditation  sur  l'ingratitude  des  hommes, 
même  à  la  Cour...  Il  savait  du  reste  raconter  aussi  beaucoup  de 
jolies  choses  quand  on  était  seul  avec  lui. 

Toutes  ces  citations  sont  extraites  des  Propos  de  Table,  de 
M.  Mainice  Busch,  ancien  secrétaire  du  chancelier,  qtn  les 
avait  recueillis  relij'ietiserûent  dans  son  journal  quotidien, 
durant  la  guerre  de  France. 

Nous  pourrions  continuer  longtemps  encore  des  citations  de 
ce  genre,  surtout  sur  de>^  personnages  allemands.  Cependant 
comme  ils  sont  en  général  moins  connus  de  nos  lecteurs,  nous 
pi'éférons  nous  arrêter  ici.  Ce  qui  précède  suffit  d'ailleurs 
amplement  pour  montrer  au  lecteur  que  le  chancelier  n'est  pas 
seulement  un  homme  politique,  mais  qu'il  sait  aussi  être  im 
intéressant  causeur. 


222 


ANNALES   CATHOLIQUES 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  (1) 


1.  —  Révision  et  reconsti- 
tution de  la  cbronologie 
biblique    et   profane.   — 

Etude  piéliiûinaire :  Les  sour- 
ces    et     les    caractères    d'une 
véritable  chronologie  biblique 
et   profane   des  premiers  âges 
du  monde,    par  M.   l'abbé    V. 
Dumax.  —   Un    vol.    in-1'2  de 
120  pages.  —  Paris  1886,  chez 
Haton.  —  Prix:  1  fr.  25. 
Cet  opuscule  renferme  des  in- 
dications sommaires  et  très  inté- 
ressantes  sur  les   sources   de  la 
chronologie,    sur    les    caractères 
exigés  par  le  comput  des  premiers 
âges,  sur  les  principaux  systèmes 
adoptés  jusqu'à   ce  jour   et    sur 
les     avantages     d'une     méthode 
nouvelle   proposée   par  M.   Che- 
vallier; cette  méthode,  M.  l'abbé 
Dumax  l'adopte  et  il  en  tire  tous 
les    corollaires,    en    y    ajoutant 
quelques  modifications  jugées  uti- 
les ou  nécessaires. 

La  présente  brochure  est,  â 
vrai  dire,  le  premier  fascicule 
d'un  grand  ouvrage,  intitulé  ;  Ré- 
vision et  reconstitution  de  la 
chronologie,  dont  l'auteur  doit 
publier  successivement,  en  1886, 
les  diverses  parties,  répondant  à 
chacune  des  grandes  époques  du 
inonde  ancien.  Ici  l'on  trouve, 
ainsi  que  le  dit  l'auteur,  l'outil- 
lage nécessaire  aux  travaux  qui 
vont  suivre. 

Les  Sources  et  les  Caractères 
d'une  légitime  et  véritable  chro- 
nologie biblique  et  profane,  of- 
frent l'intérêt  le  plus  agréable  et 
le  plus  instructif.  La  lecture  n'en 
est  pas,  comme  on  pourrait  le 
croire  de  prime  abord,  pénible 
et  hérissée  de  chiffres.  C'est  une 


analyse  historique  rapide,  mais 
captivante,  initiant  l'esprit  sans 
fatigue  aucune,  aux  secrets  de  la 
chronologie,  lui  en  montrant  les 
sources  et  les  caractères,  tenant 
le  lecteur  en  haleine  et  le  con- 
duisant, jusqu'à  la  dernière  page, 
avec  une  curiosité  puissamment 
mise  en  éveil.  On  se  croirait  con- 
duit devant  un  édifice  encore 
plongé  dans  la  pénombre,  mais 
dont  on  a  laissé  soupçonner  les 
proportions  majestueuses  et  le 
fini  de  l'exécution  ;  les  jets  de 
lumière  qui  doivent  mettre  en 
relief  toutes  ses  beautés  cachées 
sont  attendus  avec  impatience. 
C'est  dire  qu'après  avoir  parcouru 
les  Sources  et  les  Caractères 
dune  légitime  et  véritable  chro- 
nologie, les  sept  petits  volumes 
qui  font  suite  seront  impatiem- 
ment attendus  par  le  public  ; 
nous  espérons  que  M.  l'abbé 
Dumax  ne  tardera  pas  à  nous 
faire  profiter  des  résultats  obte- 
nus par  plus  de  quinze  années 
de  travaux  sérieux  et  persévé- 
rants. 


2.  —  La  mort  des  persé- 
cuteurs de  l'E^glise  et  de 
la  I*apauté,  par  M.  l'abbé 
Pluot.  —  Un  beau  vol.  in-12 
de  III-420  pages.  —  Paris,  1886, 
chez  Perret. 

«  Tous  ceux  qui  ont  mangé  du 
Pape  en  sont  morts  »,  a  dit  de 
Maistre.  C'est  là  un  fait  et  un 
fait  tellement  répété  et  tellement 
constant  qu'on  peut  dire  qu'il  a 
atteint  le  caractère  d'une  loi.  On 
en  peut  juger  mieux  encore  à  la 

(1)  Il  est  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Annales  catholiques-  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Annales  se  charge  de  fournir, 
au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans  ce 
bulletin. 


RBVUE  ECONOMIQUE  ET  FINANCIERE 


223 


lecture  de  l'ouvrage  de  M.  l'abbé 
Pluot,  qui  n'est  autre  chose  qu'une 
large  et  victorieuse  démonstra- 
tioQ  de  l'intervention  divine  dans 
les  choses  humaines.  Déjà  Lac- 
tance,  le  Cicéron  chrétien,  cons- 
tatait aux  premiers  temps  de 
l'Eglise,  que  l'on  ne  s'attaque 
pas  en  vain  à  Celui  qui  demeure 
éternellement.  Mais  depuis  lors 
combien  de  ses  persécuteurs  n'ont- 
ils  pas  été  soudainement  frappés 
dans  tout  l'éclat  de  leur  triom- 
phe? 

Développant  avec  autorité  cette 
thèse  magistrale  et  l'appuyant  du 
récit  des  grands  drames  histori- 
ques, survenus  à  travers  les  siè- 
cles jusqu'à  nos  jours,  l'auteur  a 
écrit  un  volume  auquel  les  exem- 
ples et  les  noms  contemporains 
donnent  une  actualité  saisissante. 

Les  chrétiens  à  la  foi  ferme  et 
robuste  y  trouveront  un  affer- 
missement dans  leur  croyance. 
Les  faibles  et  les  tièdes  y  pui- 
seront le  courage  et  l'énergie 
nécessaire  pour  résister  au  dé- 
couragement, aux  entraînements 
irréfléchis.  Quant  à  ceux  qui  ont 
l'incomparable  malheur  de  faire 
la  guerre  à  leur  mère,  la  sainte 
Eglise,  puissent-ils  ouvrir  ce  livre 
et  le  lire  :  ils  y  verront  qu'ils 
sont  sur  le  bord  d'un  abîme  et 
peut-être  réfléchiront-ils  et  s'ar- 
rêteront-ils pendant  qu'il  en  sera 
temps  encore. 


3. 


Un  écbo  des  Joies  du 


Ciel,  ou  l'âme  au  pied  des 
autels,  par  l'auteur  iV Allons  au 
Ciel.  —  Un  beau  vol.  in- 18  de 
vl-450  pages.  —  Paris,  1886, 
chez  Delhomme  et  Briguet,  — 
Prix  :  2  fr.  50. 

Pour  faire  connaître  à  nos 
lecteurs  la  valeur  ascétique  et 
littéraire  de  ce  beau  livre,  il  nous 
suffira  de  donner  un  extrait  de 
quelques-unes  des  approbations 
dont  il  est  enrichi  :  «  Cet  ouvrage 
est  digne  de  ses  aînés,  écrit  Mon- 
seigneur l'évêque  de  Versailles. 
On  y  trouve  la  même  vivacité  de 
foi,  la  même  élévation  de  senti- 
ments, le  même  charme  du  style. 
L'auteur  y  décrit  fidèlement  la 
joie  ineffable  que  procure  l'usage 
fréquent  de  la  sainte  Eucharistie, 
et  profitant  de  l'ardeur  que  cet 
avant-goût  du  ciel  doit  inspirer 
à  l'âme  fidèle,  il  l'entraîne  à  dire 
avec  un  pieux  auteur  de  l'Imita- 
tion :  «  Mon  Dieu  et  mon  tout...  » 
Vous  aviez  écrit  Allons  au  Ciel, 
alors  vous  indiquiez  la  route, 
maintenant  vous  y  faites  entrer.  » 
—  «  L'âme  se  repose  avec  bonheur, 
écrit  un  théologal  chargé  d'exami- 
ner ce  volume,  sur  ces  pages 
embaumées  du  parfum  de  la  plus 
tendre  piété  et  bien  propres  à 
ranimer  la  dévotion  envers  Jésus- 
Hostie Tout     annonce     que 

ce  livre  aura  un  plein  succès. 
Quand  on  l'aura  lu,  on  voudra 
le  relire  encore,  et  il  deviendra 
le  manuel  du  pieux  communiant, 
et  de  toutes  les  âmes  dévotes  à 
la  sainte  Eucharistie.  » 


REVUE  ÉCOiNOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 


L'Emprunt  avait  été  voté  par  la  Chambre  des  députés;  puis  le 
Sénat  a  été  saisi  à  son  tour  du  projet  de  loi  voté  par  la  Chambre. 
Là,  le  gouvernement  a  trouvé  des  hommes  de  sens  et  d'expérience 
qui  ont  pu  démontrer,  sinon  au  ministère ,  car  il  n'est  pire  sourd 
que  celui  qui  ne  veut  rien  entendre,  mais  au  public,  aux  contri- 
buables, que  la  situation  était  déplorable,  et  que  s'il  fallait  arriver  à. 


224  ANNA.I.RS    CATHOLIQUES 


l'Emprunt,  il  était  convcnalKc  de  moilirn'i-  la  loi  île  finances,  votre 
par  la  C.hainbre.  Mal.^ré  les  elVorls  loimis,  mais  niallieiii-ciiN,  de 
ÂIM.  Sadi-Carnot  et  de  Freycinel,  le  Sénat  a  adopté  les  inodifaMlinns 
demandées  pai'  la  commission,  et  la  loi, ainsi  aiiiemlée,  est  relouinée 
devant  la  (Miambre  des  dé;)ntés. 

Si  ce  relai'd  est  bon  comme  principe,  il  ne  vaut  rien  comme  ap- 
plication en  matière  d'atï'aii'es.  Quand  on  s'(îst  déciilé  à  empr  .nier, 
il  faut  le  frtii'e  vile;  l'annonce  d'un  em|ifiiiit  cause  Imijouis  une 
perturbation,  et  son  retaid  à  la  coiUi'acter  suspimd  ou  ar.ête  les 
affaires. 

La  Ciiambre  des  députés  s'occupe  activement  du  Métropolitain 
de  Paris  et  de  l'Exposition  de  1889.  Les  rapports  pourront,  être 
déposés  api'ès  les  vacances  de  Pâques.  Avec  nu  peu  «b;  bonne  vo- 
lonté, le  Parlement  doit  avoir  volé  les  deux  lois  poni*  la  lin  du  mois 
pi'ocbain.  La  seconde  moitié  de  raiincc  bénéticiorait  de  l'inaugui-a- 
lion  des  travaux. 

Les  grèves  se  multiplient;  il  n'en  peut  être  autrement,  en  ])vé- 
sence  de  l'attitude  du  gouvei'nemenl.  Ci;  sont  toujours  les  mêmes 
exigences  de  la  part  des  ouvriers  :  augmentai  ion  des  salaires, 
diminution  des  beures  de  travail  ;  on  dirait  (|ue  l'ouvrier  veut  la 
ruine  du  patron.  El  après?  espère-t-il  ilonc  picndre  sa  place? 

Nos  Henies  sont  calmes,  on  ailcnd  ;  les  fonds  d'Eiat  étrangers 
sonl  faibles.  Si  M.  Glidstmie  fait  passer  sa  loi  irlandaise,  TAniiie- 
terre  va  faire,  à  très  bref  délai,  nu  empi-unt  de  1,'250  millions.  Ne 
nous  laissons  pas  dislancer  et  faisons  notre  emprunt  avec  celui-là. 

L'Assemblée  générale  ilu  (^'élit  fouciei' vieul  d'avoir  lien;  on  a 
distribué  un  dividenle  île  6  >  fr.  et  auj;in;'-nié  encore  les  réserves. 
M.  Cbristop'ile  a  enlreten  i  l'Assemblée  di  {U'^jet  de  lui  ridatif  au 
Mélropoliliin  l^e  Go'ivem  mu*  d  i  (^-élit  foncier  e^l  à  li  tête  d'une 
Société  au  capital  de  oO  m  liions,  destiu'.j  à  fure  les  ti-ava  ix  ;  unis 
le  Crédit  f)ncier  sera  le  bin  inier  du  Méi'-Ojjolilain  et  trouvera  dans 
celle  entreprise  de  nombreux  éltMiieuls  de  bém'lices. 

Les  Ordig liions  comin  inaîes  188!)  et  foncières  1883,  non  libé- 
rées, sont  toujours  au  même  prix,  43o  environ;  il  n'y  a  pas  lieu  de 
s'en  étonner,  i^a  bausse  serait  logique,  mais  il  n'est  pas  mauvais 
qu'elle  soit  précédée  par  un  bon  classement  que  les  cours  acimds 
favorisent  de  la  manière    la  plus  avant.igeuse  pour  les  aidieleiirs. 

Les  actions  des  Cbemins  de  W'r  étiangi-rs  !-onl  faibles  ;  ils  subis- 
sent la  conséquence  des  diminutions  de  rec(Mles.  et  n'ont  pas,  comme 
nos  Cbemins  de  fer  fiançais,  la  garantie  de  l'Etat  pour  eu  atténuer 
l'effet. 

Les  valeurs  industrielles:  Gaz,  Oinnibns,  Voitures,  sont  bien 
tenues  ;  le  Suez  est  nn)iiis  ferme  ;  mais  les  valeurs  du  Panama  se 
réveillent  plus  que  jamais.  A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 

Paris.  —  Imp.  de  l'Œuvre  «ie  Saint-Paul    G.  rioquoin,  51,  rue  île  LUIe. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


-Qs-oï^DOO-'S©- 


A   NOTRE-DAME 

Comme  les  années  précédentes,  plus  encore  peut-être, 
le  nombre  des  fidèles  qui  se  sont  rendus  le  jour  de  Pâques 
à  Notre-Dame  était  considérable.  La  cérémonie  a  eu  ce 
caractère  d'édification  qui  lui  est  particulier  et  qui  est  si 
saisissant. 

Apiès  la  messe,  le  R.  P.  Monsabré  est  monté  en  chaire 
et  a  prononcé  l'allocution  suivante  : 

Salvum  fac  populum  tuum,  Domine, 
et  beaedic  haereditati  tute. 

Messieurs,  vous  venez  de  recevoir  le  plus  grand  don  de  Dieu 
et,  par  la  chair  immolée  du  Sauveur,  vous  êtes  unis  au  Prêtre 
éternel  qui  présente  en  ce  moment  vos  hommages  et  vos  vœux 
à  son  divin  Père.  Sous  l'impression  des  vérités  que  vons  avez 
entendues  pendant  le  cours  de  cette  station,  il  me  semble  que 
vos  âmes  chrétiennes  s'épanchent  toutes  en  cette  commune 
prière  :  «  Seigneur,  sauvez  votre  peuple  et  bénissez  votre 
héritage,  Saloiim  fac  populum  tuum,  Domine,  et  benedic 
hœreditali  luœ.  »  Vous  êtes,  vous,  le  peuple  de  Dieu,  le  sacer- 
doce est  son  héritage  ;  et  ces  deux  choses  se  tiennent  si  bien 
ensemble  que  l'une  ne  peut  être  sauvée  que  l'autre  ne  soit 
bénie. 

Vous  avez  pu  vous  en  convaincre  en  étudiant  avec  moi  les 
merveilles  du  sacrement  de  l'Ordre,  la  vie  du  peuple  chrétien 
est  comme  suspendue  à  la  vie  du  prêtre.  Le  prêtre  absent,  il 
ne  sait  plus  comment  faire  parvenir  au  ciel  l'expression  pu- 
blique et  collective  de  ses  adorations  et  de  ses  vœux;  t^es  voix 
dispersées  s'égarent  et  sa  religion  n'a  plus  la  grandiose  et 
vivante  unité  qui  fait  sa  magnificence  et  sa  force.  Plus  de 
sacrifices,  plus  de  victimes  sur  ses  autels  déserts,  plus  d'hôte 
divin  dans  ses  tabernacles  vides,  par  conséquent  plus  de  centre 

Lvi.  —  1"  MAI  1886.  .  17 


226  ANNALES    CA.THOLIQUES 

pour  rallier  ses  forces  religieuses.  Les  choses  sacrées  de  l'hu- 
manité ne  montent  plus  vers  Dieu;  les  choses  sacrées  de  Dieu 
ne  descendent  plus  sur  Thumanité.  La  sainte  vérité  s'obscurcit 
peu  à  peu  dans  l'esprit  de  ceux  qui  l'ont  entendue,  et  eux- 
mêmes,  n'ajant  point  reçu  mission  delà  répandre,  n'en  peuvent 
conserver  les  épaves  défigurées  aux  générations  infortunées 
que  n'instruiseni  plus  les  lèvres  du  prêtre.  Les  sources  de  la 
grâce  sont  taries,  et  la  vie  divine  ne  coulant  plus  dans  le  lit 
sacré  qui  va  de  la  génération  spirituelle  à  la  perfection,  la 
nature  déchue  est  de  nouveau  tourmentée  et  vaincue  par  les 
ferments  de  corruption  auxquels  l'humanité,  dans  sa  triste 
et  longue  histoire,  doit  tant  de  peuples  abjects. 

Un  peuple,  sans  le  sacerdoce  que  Dieu  lui-même  a  consacré, 
est  un  peuple  perdu  pour  Dieu.  Il  y  moissonnera  peut-être, 
dans  les  ombres  d'une  infidélité  générale,  quelques  âmes  simples 
et  dociles  dont  sa  grâce  récompensera  mystérieusement  la 
bonne  foi;  mais  ce  ne  sera  plus  son  peuple  à  lui,  le  peuple  chez 
lequel  il  se  plaisait  à  manifester  sa  miséricorde  et  sa  puissance 
et  dont  il  se  servait- pour  l'exécution  de  ses  grands  desseins. 

Ils  ont  bien  compris  cela,  messieurs,  les  misérables  qui,  non 
contents  d'avoir  prononcé  le  divorce  officiel  de  la  société  et  de 
la  religion,  s'appliquent,  par  toutes  sortes  de  précautions 
impies  et  de  mesures  vexatoires,  à  gêner  les  libres  rapports  du 
prêtre  avec  les  âmes.  On  constate  déjà  dans  les  jeunes  géné- 
rations qu'ils  élèvent  le  résultats  de  leurs  sacrilèges  eftorts,  et 
l'on  pressent  ce  que  pourra  être  un  jour  le  peuple  sans  Dieu, 
après  qu'ils  l'auront  fait  sans  prêtre. 

Hélas  !  je  ne  puis  me  défendre  d'une  sombre  tristesse  et  d'une 
sorte  de  désespoir  lorsque  je  vois  le  sacerdoce  investi  par  une 
lente  et  adroite  persécution  qui  tous  les  jours  progresse  et  veut, 
quoi  qu'on  en  dise,  aboutir  à  son  extinction;  lorsque,  au-delà 
de  cette  extinction,  j'aperçois  dans  l'avenir  un  peuple  sans 
croyances,  sans  vertus  religieuses,  sans  noblesse,  sans  couj-age, 
sans  patriotisme,  tout  à  la  matière  et  au  plaisir,  vaincu  par 
l'ennemi  du  dehors  après  avoir  été  vaincu  par  l'ennemi  du 
dedans,  et  rendant  sous  la  botte  de  je  ne  sais  quel  barbare, 
avec  le  dernier  râle  de  la  vie  corrompue,  les  restes  de  la 
richesse  dont  il  aura  abusé.  Et  cela  à  la  place  de  cette  grande 
et  religieuse  nation  depuis  si  longtemps  conduite  et  protégée 
par  de  merveilleuses  interventions  de  la  Providence  et  dont  on 
appelait  les  généreuses  actions  :  les  gestes  de  Dieu  par  les 
Francs  :  Gesta  Dei  per  Francos.  » 


A   NOTRE-DAMK  227 

Ahsit!  Ahsit!  me  direz-vous;  taisez-vous,  prophète  de 
malheur!  —  Et  pourtant,  messieurs,  ce  que  je  dis  arrivera,  si 
Dieu  ne  nous  sauve  ;  et  Dieu  ne  nous  sauvera  que  s'il  daigne 
bénir  le  sacerdoce,  son  héritage. 

Je  fais  donc  appel  à  vos  sentiment?  chrétiens  et  à  votre 
patriotisme,  et  puisque  chaque  année  je  vous  demande  une  prière 
pour  assurer  le  fruit  de  votre  communion,  profitez,  je  vous  en 
conjure,  de  la  présence  du  Prêtre  divin,  qui  possède  en  ce 
moment  vos  âmes,  pour  lui  adresser,  avec  toute  la  ferveur 
dont  vous  êtes  capables,  cette  supplique  à  double  effet  :  «  Sei- 
gneur, sauvez  votre  peuple  !  et  pour  cela  bénissez  le  sacerdoce, 
votre  héritage  :  Salvum  fac  populu7n  iuwn.  Domine,  et 
beredic  hœreditati  tuœ.  » 

0  Christ!  source  et  chef  du  sacerdoce,  bénissez  vos  prêtres!' 
Faites-les  dignes,  par  la  science  et  la  sainteté,  de  leur  sublime 
mission  et  de  leur  divin  caractère. 

Bénissez  vos  prêtres  !  "n  les  rendant  fidèles  à  leurs  devoirs, 
confirmez  leurs  droits;  compensez  à  leur  égard!  les  mépris  de 
l'impiété  par  le  profond  respect  des  âmes  chiiétiennes  ;  protêge^- 
les  contre  toute  entreprise  capable  de  troubler  leur  vocation  et 
d'offenser  la  sainteté  de  leur  état  ;  rompez  le  cercle  des  forces 
ennemies  qui  entrave  la  liberté  de  leurs  saintes  fonctions; 
assurez-leur,  par  la  charité  des  fidèles,  à  défaut  de  la  bienveil- 
lance des  pouvoirs,  une  vie  honorable  et  indépendante  qui  leur 
permette  de  se  donner  tout  entiers  à  leur  ministère  de  vérité  et 
de  grâce  et  d'exercer  libéralement  leurs  miséricordieux  officea 
auprès  de  toutes  les  infortunes. 

Bénissez  vos  prêtres  !  Multipliez-les  sous  la  main  féconde  de 
leurs  vénérables  générateurs,  et  ne  permettez  pas  que  les  périls 
des  temps  empêchent  les  âmes  craintives  d'entendre  vos  appels  i 

Bénissez  vos  prêtres!  Donnez-ieur  le  courage  de  supporter 
humblement  et  sans  maudire  personne  le  poids  des  ridicules^, 
injustes,  déloj^ales,  impudentes  et  lâches  accusations  qui  tendent 
à  déconsidérer  dans  l'opinion  publique  leurs  idées,  leurs  ten- 
dances et  leurs  moeurs.  Elargissez  leurs  vues,  réglez  leur» 
désirs,  purifiez  leur  vie  et  rendez-les  si  prudents  et  si  sage» 
qu'on  ne  voie  jamais  planer  l'ombre  même  du  scandale  sur  leur 
bonne  renommée  ! 

Bénissez  vos  prêtres  !  Préservez-les  de  toute  embûche,  déli- 
vrez-les de  toute  persécution,  sans  que  votre  justice  se  montre 
cruelle  envers  leurs  ennemis! 


228  ANNALES    CATHOLIQUES 

O  Christ  adoré!  Pontife  éternel!  Ami  des  Francs!  Bénissez 
vos  prêtres  et  sauvez  votre  peuple  :  Salvum  fac  populum  tuum. 
Domine,  et  henedic  hœreditaii  tuœ. 


UN  OUVRAGE  DU  CARDINAL  PITRA  (1) 

Bien  des  années  se  sont  écoulées  déjà,  depuis  le  jour  où 
M.  l'abbé  Pitra  attirait  subitement  l'attention  de  l'Europe 
savante  par  la  découverte  faite  par  lui  à  Autun  et  par  le  réta- 
blissement d'une  épitaphe  en  vers  grecs  acrostiches  des  pre- 
miers siècles  de  l'ère  chrétienne  ;  mais  on  peut  dire  sans  exagé- 
ration que  chacune  d'elles  a  vu  croître  son  mérite  et  sa 
réputation. 

Moine  Bénédictin  depuis  quarante-cinq  ans,  associé  aux  tra- 
vaux des  modernes  Bollandistes  et  à  la  composition  de  la 
Patrologie  de  feu  M.  l'abbé  Migne,  auteur  d'ouvrages  qui  lui 
ont  fait  un  grand  nom  dans  la  science,  agrégé  par  le  Souve- 
rain Pontife  Pie  IX,  d'heureuse  mémoire,  au  Sacré  Collège 
depuis  vingt-cinq  ans,  évêque  de  Porto  et  de  Sainte-Sabine, 
bibliothécaire  de  la  sainte  Eglise  romaine,  Son  Éminence  le 
cardincil  Pitra  aurait  pu,  beaucoup  plus  légitimement  que  bien 
d'autres,  s'endormir  sous  ses  lauriers  et  jouir  du  repos,  si  bien 
mérité  par  ses  travaux  antérieurs.  Mais  il  est  des  esprits 
robustes  et  des  âmes  fortement  trempées  qui  ne  connaissent 
aucun  déclin  et  pour  qui  rien  n'est  fait,  tant  qu'il  reste  encore 
quelque  chose  à  faire.  Son  Eminence  est  de  ce  nombre.  Un 
dix-septième  volume  in-4"'  récemment  publié  à  Paris,  chez 
M\T.  Roger  et  Chernowitz,  vient  de  continuer  dignement  le 
Spicilegium  Soîesmev>se,  les  AnaJecta  Sacra  et  le  recueil  des 
Canons  de  l'Eglise  grecque  :  ce  sont  les  Analecia  novissima. 

Cet  ouvrage  se  divise  en  deux  parties  :  la  première  est  une 
étude  sur  les  lettres  des  Papes,  depuis  saint  Clément  jusqu'à 
Boniface   VIII  ;    la   seconde   intitulée   Miscellanea    Pontificœ 

(1)  Analecta  novissima,  ppicelegii  Solesmensis  altéra  continuatio, 
tom.  I,  —  De  Epistolis  et  liegistris  Romanorum  Pontificum  disse- 
ruit  Jiiannes-Baptista  Cardinalis  Pitra,  Episcopus  Porluensis  et 
S.  Rufiiige,  S.  R.  E.  Bibliothecarius.  XIV-686  pages.  —  Parisiis, 
Roger  et  Chernowitz,  1885. 


UN    OUVRAGE    DU    CARDINAL    PITRA  229 

(Mélanges  Pontificaux)  est  un  recueil  de  diverses  pièces  inédites 
concernant  l'histoi/e  de  la  Papanlé. 

Nous  devons  d'abord  nous  réjouir  de  ce  que  l'étude  sut-  les 
lettres  des  Papes  ait  été  rédifrée  dans  notre  langue,  de  piéférence 
à  la  langue  latine,  que  Son  Eminence  manie  cependant  si  bien, 
mais  qui  n'est  plus,  comnne  autrefois,  à  la  portée  de  toutes  les 
intelligences,  et  dont  l'adoption  aurait  nui  certainement  au 
succès  de  l'ouvrage  et  à  son  utilité. 

S'il  est  des  documents  précieux  pour  l'histoire  des  siècles 
passés,  ce  sont  bien  assurément  les  lettres  des  Souverains  Pon- 
tifes. Toutes  les  questions  en  effet  qui  intéressent  la  civilisation 
depuis  bientôt  dix-neuf  siècles  ;  tout  ce  qui  concerne  le  domine, 
la  moi-ale,  la  politique,  la  diffusion  de  la  vérité  évangélii|ue, 
la  conversion  des  peuples,  la  défdnse  des  droits  de  tous,  la  pré- 
dication des  devoirs,  l'ordre,  le  maintien  et  le  déve]o[ipernent 
de  la  hiérarchie  ecclésiastique,  la  ci'éation  des  paroisses,  des 
diocèses,  des  églises,  des  communautés,  des  ordres  reli.irieux, 
des  royaumes,  des  nations  et  des  em|iii'es  modernes;  rétablis- 
sement, la  conservation  et  la  sup[)i  ession  des  privilèges  ;  la 
lutte  contre  les  erreurs,  contre  les  vices,  contre  les  abus,  contre 
les  ennemis  du  nom  chrétien  ;  en  un  mot,  tout  ce  qui  s'est  fait 
d'important,  depuis  saint  Pierre  jusiiu'â  Sa  Sainteté  Léon  XIII, 
par  l'Eglise,  pour  l'Eglise  ou  contre  l'Eglise,  tout  cela  se  trouve 
traité  avec  une  autorité  souveraine,  siècle  par  siècle,  année 
par  année,  dans  cette  corr-espondance  sans  égale.  Il  ne  peut 
donc  pas  y  avoir  d'objet  d'étude  plirs  im[)ortant  et  plus  précieux. 

Malheureusement  le  temps  a  exercé  ses  ravages  sur  cette 
immense  collection.  Pour  l'époque  qui  a  précédé  le  Concile  de 
Nicée,  les  recueils  les  plus  complets  n'ont  pas  pu  atteindre  le 
chiffre  de  deux  cents  lettres  certainement  écrites  par  des 
Souverains  Pontifes  et  intégr-aleraent  conservées.  Un  écrivain 
moderne  a  dit  pour  ce  motif,  que  «  l'histoire  de  Rome  chré- 
tienne se  compose  do  pages  blanches  »;  mais  il  n'a  pas  songé 
que  «  dix  ans  dui'ant,  la  persécution  meurtrière  et  cauteleuse 
de  Dioclétien  s'étudia  à  détruire  les  écritures  des  chrétiens.  » 
D'ailleurs,  ainsi  que  le  dit  très  bien  S.  Era.  le  cardinal  Pitra, 
«  ces  pages  sont  trempées  dans  le  sang;  c'est  la  plus  éloquente 
histoire.  » 

Dès  que  la  liberté  a  été  accordée  à  l'Eglise  par  Constantin, 
la  correspondance  des  Papes  s'étend  et  acquiert  une  importance 
toujours  plus  considérable.  «  De  saint  Sylvestre  à  saint  Léon  le 


230  ANNALES    CATHOLIQUES 

Grand,  leurs  lettres  scwit  souvent  d'amples  traités  (iraciaforiœ), 
des  commoniioires,  des  tomes,  selon  le  terme  adopté.  Des 
légats,  en  ambassade  solennelle,  les  portent  aux  empereurs  et 
aux  conciles.  On  les  lit,  à  l'ouverture  des  Synodes,  comme  un 
programme  œcuménique.  A  Rome,  on  les  dépose  au  sainium\ 
les  registres  officiels  apparaissent  et  font  autorité.  Une  pièce 
envoyée  ou  reçue  n'a  de  valeur  que  par  ce  dépôt,  et  les  copies 
ne  sont  officielles  que  par  la  conformité  aux  originaux  roma.ns. 
Déjà  saint  Jérôme  nomme  un  archive  romain,  qu'il  enrichit  de 
ses  pages,  quand,  seci-étaire  de  Daraase,  il  répond  en  son  nom 
aux  consultations  de  l'Orient  et  de  l'Occident. 

«  Et  parmi  ces  correspondants  du  monde  entier,  se  rencontrent 
les  plus  grands  noms  de  l'ère  des  Docteurs  :  Athanase,  Basile, 
Flavien,  Cyrille,  Ghrjsostome,  Epiphane,  Augustin.  Aux  pieds 
du  trône  apostolique  se  trouvent  même  les  coryphées  des 
grandes  erreurs  :  Nestorius,  Eutychés,  Valens,  Ursuce,  Pelage, 
Ccîlestius.  Sans  lin  se  succèdent  les  légats  des  empereurs 
Valentinien,  Gratien,  Honorius,  Arcade,  avec  les  députations 
des  conciles  de  Constantinople  et  d'Éphése,  de  Carthage,  de 
Miléve  et  d'Arles,  de  l'Afrique  et  des  Gaules.  » 

La  création  des  archives  pontificales  remonte,  d'après  Anas- 
tase,  au  pape  saint  Jules  I"  (337-352),  qui  donna  ordre  au 
premier  des  notaires  de  recueillir  tous  les  dossiers  qui  appar- 
tenaient au  Saint-Siège.  Dés  le  temps  de  saint  Léon  le  Grand, 
ces  archives  étaient  di^jà  si  considérables,  que  son  successeur, 
saint  Hilaire,  dut  doubler  l'espace,  en  faisant  construire  deux 
bibliothè(iues  dans  le  l)a[)tistére  du  Latran. 

Saint  Grégoire  le  Grand,  qui  avait  habité  Constantinople, 
conmie  apocrisiaii'e  au  nonce  de  Pelage  II,  son  prédécesseur, 
organisa  l'administration  pontificale  sur  le  modèle  de  l'adminis- 
tration byzantine  et  compléta  aussi,  d'après  le  même  modèle, 
les  aichives  du  Latran  et  la  hiérarchie  des  notaires  pontificaux. 

Au  VHP  siècle,  Jean  VII  ayant  transpoité  le  séjour  des  papes 
sur  le  mont  Palatin,  y  créa  une  autre  bibliothèque  (c/iariit/«rm). 
Une  j>arlie  au  moins  des  legislres  pontificaux  y  fut  conservée. 
Mais,  à  l'époque  des  luttes  du  sacerdoce  et  de  l'Empire,  sous 
saint  Grégoire  VII  et  des  successeurs,  le  triomphe  passager  des 
Césars  alleniands  et  de  leurs  antipapes  fit  tomber  entre  leui'S 
mains  ce  précieux  déjiôt..  Est-ce  pour  ce  motif  que  douze  cents 
ans  de  rejiistres  pontificaux  ont  péri?  Ont-ils  été  détruits  dans 
le  terrible  incendie  allumé  dans   la  guerre  qui   éclata    entre 


I 


UN    OUVRAGE    DU    CARDINAL    PITRA  231 

Robert  Guiscard  et  l'emperenr  Henri  IV,  incendie  qui  dévasta 
pour  totijours  les  quartiers  du  Palatin  et  du  Latran?  On  ne 
peut  pas  le  dire  sijieraerit ;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  les 
registi-es  de  cent  soixante-trois  papes  nous  manijuent,  et  qu'il 
n'en  reste  plus  que  des  parties  plus  ou  moins  considérables. 

Cependant,  outre  les  T'ecueils  officiels  des  lettres  pontificales, 
il  s'était  fait  des  collecti<»ns  privées.  Parmi  celles  qui  subsistent 
encore,  il  en  est  qui  remontent  à  l'époque  du  pape  Hermisdas; 
d'autr-es  à  celle  de  Vii-gile,  de  Symniaque  et  de  divers  autres 
Papes  du  VI*  siècle.  Parmi  ces  recueils,  ceux  deDenjs  le  Petit, 
—  car  ce  savant  homme  en  a  fait  plusieurs,  —  ceux  de  Denjs 
le  Petit  sont  au  nombre  des  plus  célét)res. 

Les  lettres  de  saiut  Léon  le  Graïul,  par  exemple,  ont  été 
l'objet  de  vingt-qua're  collections  difféfentes.  Plus  tard,  nous 
trouvons  le  Codex  Carolinus,  recueil  très  précieux  de  quatre- 
vingt- lix-n:?uf  lettres  pontificales  ad re-sées  à  Charles  Martel,  à 
Pépin  le  Bref  et  à  Ch  irietnagne.  C'est  le  [jreraier  tome  d'un 
Bullaire  français  et  le  plus  ancien  registre  de  nos  archives 
nationales. 

Vers  l'an  680,  saint  Isidore  de  Séville  fait,  pour  l'Espagne, 
un  recueil  officiel  de  cent  trois  Itttres  pontificales  qu'il  joint 
aux  canons  des  conciles  et  auxquelles  il  reconnaît  la  même 
autorité. 

Malheureusement  le  faux  Isidore,  qui  parait  avoir  été  un  clerc 
de  Mayence,  nommé  Benoît  le  Lévite,  ne  tarde  pas  à  jeter  dans 
le  monde  sa  collection  apocryphe  défausses  décrétales,  qui  sont 
accueillies  trop  facilement  par  les  évê(iues  allemands  et  fran- 
çais, parce  qu'elles  n'innovent  en  rien,  et  qui  finissent  par  péné- 
trer, malgré  les  protestations  de  plusieurs  Papes,  dans  les 
recueils  postérieurs  de  dr-oit  can'n. 

A  Innocent  III  commencent  les  registres  pontificaux  conservés 
en  entier  dans  les  archives  du  Vatican.  Ils  s'arrêtent  à  Sixte- 
Quint  et  atteignent  lechifi'ie  énor'me  de  deux  mille  seize  volumes 
in-folio,  renfermant  environ  âeixx  millions  de  lettres  pontificales». 
Les  lettres  des  correspondants  de  la  papauté  forment  un  nombre 
à  peu  près  égal  de  volumes. 

«  Sixte-Quint  eut  la  [iremière  pensée  d'une  collection  géné- 
rale des  lettres  pontificales,  et  pourtant,  en  créant  les  quinze 
congrégations  romaines,  il  interrom[iit  sans  retour  la  série  des 
registres.  Il  y  eut  désor-mais  quinze  tr-ibunaux,  dont  chacun  eut 
sa  chancellirie  et  ses  archives  distinctes.  Le  mouvement  régu- 


232  ANNALES    CATHOLIQUES 

lier  des  affaires,  conformément  aux  réformes  du  Concile  de 
Trente,  exigeait  cette  division  du  travail  apostolique.  Mais,  en 
posaut  cette  création  colossalo,  le  hardi  poiilife  sentit  le  besoin 
de  recueillir  ce  qui  avait  pi'ècédé  et  de  soustr;i.ire  aux  ravages 
'du  temps  ce  qu'avaient  écrit  avant  lui  les  successeurs  de  Pierre.  » 
De  là  deux  collections  géiiéiales  commencées  par  ses  ordres  : 
l'une  ne  devant  renfermer  que  les  lettres  papales  appelées  du 
nom  de  bulles,  en  commençant  à  saint  Léon  le  Grand;  l'antre 
devant  réiniir  toutes  les  lettres  papales,  à  dater  de  saint  Clément. 
!'■'  Laert.ius  Chérubin!  fut  char-gé  d'imprimer  le  grand  BuUaire  ; 
Antoine  Carafa,  l'ami  de  Baronius,  l'un  des  correcteurs  de  la 
Vulgate,  le  Bibliothécaire  de  la  sainte  Eglise  romaine,  dut 
s'occuper  de  la  collection  générale.  Il  s'agissait  surtout,  pour 
ce  dernier  recueil,  de  combler  rénorme  lacune  (jui,  dans  les 
regi-^tres,  s'étend  de  saint  Clément  à  Innocent  III. 

Carafa  mit  résolument  la  main  à  l'œuvre,  mais  il  ne  put 
l'achever.  Antoine  d'Aquin,  qu'il  avait  choisi  pour  collaborateur, 
la  continua  après  lui  jusqri'à  saint  Grégoire  VII,  et  publiM,  en 
trois  volumes  de  grand  format,  tour,  ce  qu'il  avait  pu  retrouver 
de  la  correspondance  des  papes,  antérieure  à  ce  pontificat. 

Mais  cette  édition  devint  rare,  et  de  nouvelles  découvertes  la 
rendirent  incomplète.  Un  siècle  plus  tard,  la  Congrégation  de 
Saint- Maur  chargea  doin  Constant  de  recommencer  ce  travail. 
Cet  illustre  Bénédictin,  assisté  de  dom  Mopinot,  qui  lui  prêtait, 
quand  besoin  était,  l'élégance  de  son  stvle,  recueillit  les  maté- 
riaux et  poussa  l'impression  de  la  nouvelle  collection  jiisciu'à 
saint,  Léon  le  Grand.  Tous  les  savants  qui  se  sontoccupés  depuis 
des  documents  pontificaux  des  cinq  premiers  siècles,  lui  ont  fait 
de  larges  emprunts,  souvent  sans  le  nommer,  ou  lui  ont  payé 
un  tribut  d'éloges  bien  méidté. 

Après  lui  et  dom  Mopinot,. dora  Durand,  chargé  de  continuer 
son  œuvre,  se  contenta  de  faire  imprimer  seize  cents  lettres 
recueillies  en  France  par  dom  Martène,  mais  appartenant  géué- 
ralonient  à  des  papes  du  moyen-âge. 

Sous  Benoît  XIV,  les  frères  Ballerin  publièrent,  avec  beau- 
coup d'intelligence  etdesoin,le  registre  de  .«aint  Léon  le  Grand. 
Le  grand  BuUaire  était  arrivé  au  32'"*'  volume.  Mais  alors  tout 
s'arrête  :  il  faut  laisser  passer  le  siècle  de  Voltaire  et  de  la 
Révolution  française,  qui  doit  amonceler  de  nouvelles  ruines. 
A[)rès  quatre-vingt-dix  ans  d'interruption,  Grégoire  XVI, 
d'heureuse  mémoire,  fit  reprendre,  en   1834,  l'impression  du 


UN    OUVRAGE    DU    CARDINAL    PITRA  233 

grand  Bnllaire.  Elle  s'est  terminée  en  1850  sous  le  Pontificat 
du  irrand  Pie  IX.  Cette  collection  comptait  alors  quarante-cinq 
volumes  in-folio. 

C'est  un  savant  Israélite,  Philippe  Jaffé,  qui  a  repris  en 
sous-œuvre,  il  y  a  environ  trente  ans,  l'œuvre  des  Caraffa  et 
des  dom  Constant.  Ses  Reyesta  commencent  à  saint  Clément  et 
s'art'ètent  à  l'anaée  1198,  mais  ils  ne  donnent  pas,  comme  les 
éditions  précédentes,  les  lettres  des  correspondants  de  la 
pa|iauté.  M.  Poltliast  les  a  continués  jusqu'à  Boniface  VllI.  De 
S  vants  allemands  en  publient  actuellement  une  deuxième  édition 
00  nplétée  par  des  documents  nouveaux.  Ce  sont  MM.  Watten- 
bxch,  Kaltenbriinner,  Ewald  et  Loewenfeld.  De  son  côté, 
M.  \  an  Harthing  annonce  aussi  de  nouvelles  découvertes. 

Noas  ne  sommes  plus  au  temps  où  l'on  mettait  au  rebut  tout 
ce  nui  venait  de  Rome,  en  disant  :  «  Ce  n'est  qu'une  bulle.  » 
L'An,^leterre  protestante  a  voulu  avoir  son  Bullaire.  En  l'année 
184J),  vingt-huit  magnifiques  volumes  in-folio,  qui  renfermaient 
toutes  les  bulles  des  Papes  concernant  le  Rojaume-Uni,  depuis 
Honorius  III  jusqu'aux  derniers  Stuarts,  furent  solennellement 
reçus  par  le  Parlement  anglais  et  déposés  par  ses  ordres  au 
Musée  Britannique. 

La  Russie  a  fait  de  même  :  depuis  l'année  1841,  elle  a  son 

Bullaire,  recueilli  par  M.  Tuigenef  dans  les  archives  du  Vatican. 

Giàce  à  la  munificence  de  Pie  IX,  l'infatigable  P.  Theiner  a 

doté  aussi  de  leurs  Bullaires  la  Hongrie,  la  Pologne,  l'Irlande, 

la  Roumanie  et  les  États  pontificaux. 

Dans  cet  admirable  retour  vers  l'étude  des  choses  passées  dan» 
ses  sources  les  plus  pures,  la  France  n'a  pas  voulu  rester  en 
arriére.  MM.  Uljsse  Robert,  Léopold  Delisle,  Elle  Bei'ger, 
Charles  Grandjean  et  bien  d'autres  après  eux,  ont  repris  les 
travaux  des  anciens  Bénédictins.  En  ce  moment,  une  légion  de 
travailleurs,  venue  de  tous  les  points  de  l'Europe,  se  presse 
dans  les  archives  du  Vatican  et  se  prépare  à  livrer  enfin  à  la 
publicité  ces  registres  pontificaux  encore  inédits  et  qui  ren- 
ferment tant  de  trésors  cachés. 

Ce  sera  une  des  gloires  de  Sa  Sainteté  Léon  XÏII,  d'avoir 
favorisé  cet  élan  de  l'Europe  savante  vers  l'étude  des  lettres 
pontificales,  en  ouvrant  à  tous  les  hommes  studieux  ces  archives 
du  Vatican  que,  jusqu'à  ce  jour,  des  motifs  diplomatiques 
aujourd'hui  disparus  avaient  tenues  fermées  au  public.  Après 
avoir  illustré  les  débuts  de  son  pontificat  par  les  encourage- 


234  ANNALES    CATHOLIQUES 

ments  drinnés  aux  études  philosoplii'iues,  théologiques  et  his^ 
toiiipicî.s,  l'ilhistre  pontife,  qui  gouverne  avec  tant  de  sagesse 
l'Eglise  fie  Dieu,  a  ouvert,  par  son  Bref  à  Leurs  Enoinences  les 
cardiiKuix  de  Luca,  Pitra  et  Hergenrrether,  une  ère  nouvelle 
pour  riiistoire  des  tenaps  modernes.  Il  en  sortira,  comme  on  l'a 
très  bien  dit,  «  la  plus  belle  a|)ologie  de  la  Papauté.  » 

INLiis,  au  milieu  de  ces  ouvriers  empressés,  qui  arrivent  da 
tous  les  coins  du  raouile,  il  fallait  un  guide  autorisé  qui  put 
ensi^ignei'  à  tous  la  route  à  suivre,  les  êeueils  à  éviter.  Ce 
guide,  c'est  VElude  sur  les  lettres  des  Papes  de  S.  Em.  1« 
cardinal  Pi  ira. 

Utilisant  ses  vastes  connaissances,  ses  travaux  antérieurs, 
les  ni'ui'ireux  voyages  entrepris  par  lui  pour  visiter  les  princi- 
pales bibliothèques  de  l'Eui-ope,  son  éminent  auteur  3'  indique, 
avec  nue  sûreté  et  une  précision  admirables,  ce  qui  a  été  fait 
et  ce  qui  reste  encie  àfaiie  pour  la  publication  de  ces  lettres; 
les  niôriies  et  les  défauts,  les  lacunes  et  les  découvertes  qu'il  ft 
constatés  dans  les  travaux  accomplis  sur  cette  matière,  depuis 
les  piemiers  siècles  jusqu'à  nos  jours. 

Cette  étude  n'est  pas  une  sèche  nomenclature  :  c'est  un  récit 
qui  revêt  partois  Téclat  de  la  haute  éloquence,  mais  enti^e^ 
mêlé  d'une  multitude  innombrable  de  renseignements,  de 
réflexions,  de  discussions  qui,  toutes,  ont  leur  intérêt.  C'est 
une  sorte  d'encyclopédie  sur  ce  sujet. 

Des  détails  précieux  sur  cei-tains  faits  mal  connus,  sur 
quelques  pontificats  mal  appréciés,  sur  divers  actes  ou  divers 
événements  dont  l'importîxuce  ou  les  conséquences  ont  échappé 
aux  écrivains  antérieurs,  accroissent  encore  le  mérite  de  cette 
étude.  En  un  mot,  elle  est,  à  tous  les  points  de  vue,  une  œuvre 
magistrale,  que  son  auteur  seul  était  en  état  de  composer  et 
qui,  grâce  à  Dieu,  a  pu  voir  le  jour  au  moment  opportun. 

Les  paities  de  ce  travail  qui  sont  consacrées  à  la  correspon- 
dance de  saint  Grégoire  le  Grand,  de  Jean  VIII,  de  saint 
Grégoire  VU,  d'Innocent  III,  d'Honorius  III,  sont  particu- 
lièrement remarquables. 

Dans  les  Miscellanea,  S.  Em.  le  cardinal  Pitra  a  réuni  un 
grand  nombre  de  pièces  presque  toutes  inédites,  à  savoir  : 
trois  catalogues  dilféi-ents  des  Souverains  Pontifes;  la  liste 
des  bibliothécaires  de  la  sainte  Eglise  romaine,  depuis  saint 
Sergius  l"  (680-701)  jusqu'à  Sa  Sainteté  Léon  XIII;  un  cata- 
logue dea  principaux  BuUaires;  une  apologie  du  pape  Virgile, 


l'affaire  de  chateauvillain  235 

par  dom  Constant;  un  choix  de  lettres  adressées  à  des  Souve- 
rains Pontifes  ou  écrites  par  eux.  Parmi  ces  dernières,  il  y  en 
60  d'Innocent  III  et  41  d'Honoriu?  III. 

Dans  cette  deuxième  partie  de  son  livre,  l'illustre  prince  de 
l'Église  s'unit  d'une  autre  manière  aux  travailleurs  érudits 
dont  il  a  raconté  et  apprécié  les  travaux  et  fournit,  par  la 
publication  de  ses  précieuses  découvertes,  de  nouveaux  élé- 
ments aux  futurs  éditeurs  des  lettres  ponlilîcales.  Ainsi,  après 
avoir  donné  le  précepte,  il  donne  encore  l'exemple  par  ces 
pénibles,  mais  très  utiles  labeurs. 

L'abbé  A.  Benoit. 


L'AFFAIRE  DE  CHATEAUVILLAIN 

AU  SÉNAT 
(Suite   et  fia.    —    V.    le  numéro   précédent.) 

Mais,  direz-vous,  vous  prêchez  donc  la  rébellion  contre  la  loi? 

Je  ne  saurais  accepter  un  tel  roproche,  surtout  de  vous. 

Vous  appartenez  à  cette  écule  Jibéi'ale  qui  mit  son  honneur  à  sou« 
tenir  qu'il  exi&le  uu  droit  naturel  que  personne  ne  peut  violer. 

Si  Ton  touche  à  la  conscience,  à  la  famille,  si  même  c'est  au  nom 
de  la  loi  qu'on  viole  cette  enceinte  sacrée,  on  a  le  droit  de  résister. 

Oui,  comme  vous  et  plus  que  vous  peut-être  nous  avons  le  respect 
de  la  légalité,  mais  c'est  à  deux  conditions.  La  première,  c'est  que 
la  loi  ne  mette  pas  le  pied  sur  le  domaine  privé  et  sacré  de  la  con- 
Bcience;  la  seconde,  c'est  qu'elle  soit  appliquée  avec  justice,  avec 
équité. 

Eh  bien!  là  se  dresse  un  parallèle,  un  contraste  dont  vous  ne 
pouvez  éviter  le  reproche,  qu'on  vous  a  déjà  indiqué  et  sur  lequel  je 
vous  demande  la  permission  de  revenir. 

D'un  côté,  à  Decazeville,  nous  vovons,  par  le  fait  de  la  faiblesse  de 
l'autorité,  un  homme  dont  l'agonie  a  duré  quatre  heures,  en  pré- 
sence de  nombreux  témoins,  en  l'absence  des  gendarmes  qui  ne  l'ont 
pas  défendu,  qu'on  avait  écartés. 

De  l'autre,  nous  assistons  à  ce  spectacle  :  des  femmes  sont  occu- 
pées à  prier;  la  force  publique  arrive,  et,  sans  ménagements,  sans 
sommations,  avec  une  brutalité  inouïe,  ell«  tire  sur  ces  malheureuses 
et  OQ  les  tue. 


236  ANNALES     CATHOLIQUES 

Vous  «lirez  ce  que  vous  voudrez,  cette  comparaison  saisit  et  afflige 
toutes  If  s  consciences.  (Très  bien!  très  bien!  à  droite.) 

Vmis  avez  donné  là  un  douloureux  exemple  de  défaillance  morale. 
Si  les  gpndarmes  ne  sont  pas  venus  protéger  Watrin,  le  maire  n'est 
pas  coupable!  Si  vous  tuez  des  femmes  en  prière,  vous  n'êtes  pas 
cou|iHbles  non  plus! 

Nmh!  cela  n'est  pas!  ces  atténuations  ne  sauraient  rien  justifier. 
Nous  n'avons  pas  mis  seulpment  en  dépôt,  entre  vos  me.ins,  la  force 
matérielle,  mais  aussi  la  foi  ce  morale  du  pays. 

Et  malgré  les  défenses  que  vous  essayez  de  présenter,  malgré  la 
mal'Miocmtreuse  idylle  du  soldat  partageant  sa  gamelle  avec  l'ouvrier, 
je  dis  (ju'il  y  a  là  une  déf;iill;ince. 

Je  dis  que  ces  atténuations  offensent  ce  que  le  caractère  national 
a  de  si  net,  de  si  loyal,  de  si  franc. 

Il  y  a  là  comme  un  lambeau  de  la  conscience  de  mon  pays  qui 
s'en  va  et  qui  tombe.  (Très  bien!  très  bien!  et  applaudissements  à 
droite.)  Cela  me  révolte  et  vous  révolte  avec  moi. 

Mriis  il  doit  y  avoir  une  sanction  à  tout  cela.  On  ne  peut  ainsi 
laisser  en  suspens  la  leçon  de  ces  catastrophes,  que  vous  déplorez 
autant  que  moi. 

Allez-vous  laisser  l'opinion  publique  sur  cette  parole,  qui  est  une 
appiobation,  que  le  sous-préfot  a  fait  son  devoir? 

N'entendrons- nous  donc  pas  dire  par  un  réveil  de  franchise,  un 
beiu  mouvement  de  gétiéro<ité  et  de  loyauté,  que  d'avoir  tué 
M.  Wntrin,  c'est  un  acte  criminel,  un  crime,  non  un  malheur. 

Ciiiiiinel  d'avoir  tiré  sur  des  femmes!  Et  comme  sanction  il  nous 
faut,  il  faut  à  la  conscience  publique  la  sanction  et  la  réparation  de 
la  destitution  de  l'agent  qui  a  désobéi  à  vos  instructions,  qui  n'a  pas 
craint  de  marcher  dans  le  sang.  (Api)laudisseinents  à  droite.) 

Il  faut,  et  c'est  là  l'objet  de  ma  troisième  questi(;n,  il  faut  que  le 
décret  qui  permet  de  pareilles  eneurs,  de  pareilles  fautes,  disparaisse 
de  nos  lois.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

Allez-vous  continuer  de  telles  expéditions? 

Vous  avez  dit  à  la  Chambre  que  vouz  en  aviez  le  plein  pouvoir,  et 
que  vous  vous  serviriez  à  votre  gré  des  armes  ensanglantées  à  Châ- 
teauvillain. 

Cette  déclaration  n'est  pas  rassurante.  (Très  bien!  très  bien!  à 
droite.) 

La  loi  est  la  loi  !  ]\n  userez-vous,  ou  n'en  userez-vous  pas?  Aurez* 
vous  le  droit  de  pénétrer  chez  moi,  de  briser  des  clôtures,  de  fermer 
des  chapelles  privées,  des  sanctuaires  intimes  où  nous  sommes  réunis 
pour  prier?  Dites-le!  Nous  voulons  le  savoir.  (Applaudissements 
à  droite.) 

Quant  à  nous,  nous  croyons  qu'il  est  malsain  d'agir  ainsi  ;  nous 
croyons  i^u'il  est  redoutable  de  placer  un  homme  dans  une  situatioQ 


l'affaire  de  chateauvillain  237 

qui  l'oblige  â  choisir  entre  le  respect  de  sa  foi  et  le  respect  de  la  loi. 
(Très  bien  !  très  bien  !) 

Nous  le  croyons,  et  nous  vous  disons  :  Arrêtez-vous,  n'allez  pas 
plus  loin  dans  cette  voie  fatale. 

Quand  vous  serez  sorti  de  la  poussière  des  combats,  quand,  après 
la  lutte,  vous  jouirez  en  paix  de  la  retraite;  quand  vous  serez  rentré 
choz  vous  et  que  vous  retrouverez  à  votre  foyer  les  souvenirs  de  votre 
jeunesse  honorable,  de  votre  vie  dévouée  à  la  liberté,  ne  regretteriez- 
vous  pas  alors,  monsieur  le  ministre,  les  entraînements  d'aujourd'hui 
et  la  responsabilité  que  vous  acceptez  en  ce  moment! 

Oh  !  ne  me  dites  pas  que  nous  sommes  des  cléricaux,  que  c'est  nous 
qui  avons  cherché  la  lutte,  organisé  le  conflit. 

Non!  s'il  y  a  parmi  nous  certains  catholiques  exaltés  qui  ont  un 
idéal  social  qui  n'est  plus  de  notre  temps,  nous  ne  sommes  pas  avec 
eux,  nous  n'y  avons  jamais  été. 

Nous  sommes,  nous,  des  catholiques  sincères,  des  chrétiens  fer- 
vents, qui  avons  gardé  les  croyances  de  notre  jeunesse,  fortifiées  par 
l'expérience  de  la  vie. 

Ntjus  voulons  placer  nos  enfants,  au  début  de  la  vie,  sous  le  signe 
de  la  croix,  et  les  élever  dans  la  morale  chrétienne,  qui  seule  peut 
soutenir  et  guider  leur  intelligence. 

C'est  sous  cette  protection  de  Dieu,  du  Dieu  lare,  que  nous  mettons 
notre  foyer,  et  ce  sont  les  consolations  et  les  espérances  de  la  foi  que 
nous  ap}iellerons  au  moment  de  quitter  cette  vie  pour  l'autre.  (Très 
bien  !  très  bien  !  et  applaudissements  à  droite.) 

Mais  nous  ne  contestons  pas  les  droits  de  l'Etat,  et  si  on  les  atta- 
quait, nous  serions  les  premiers  à  les  défendre.  Nous  sommes  les 
héritiers,  nous  sommes  les  descendants  de  ces  vieilles  familles  parle- 
mentaires qui  ont  consacré  leur  vie  à  la  défense  de  la  religion,  du 
droit  et  de  la  liberté.  (Très  bien!  très  bien!  et  applaudissements  à 
droite.) 

Nous  n'avons  rien  répudié  de  tout  cela,  mais  nous  voulons  pouvoir 
prier  et  rendre  hommage  à  notre  Dieu  librement. 

Nous  voulons  que  nos  lirètres  soient  respectés,  parce  qu'il  n'y  en  a 
pas  de  plus  dignes  de  respect  dans  le  monde  chrétien  par  la  piété,  la 
charité  et  le  patriotisme.  (Très  bien!  très  bien!  à  droite.) 

Dieu  me  garde,  monsieur  le  ministre,  de  prononcer  une  parole  qui 
ressemble  à  une  menace;  mais  je  ne  puis  pas  ne  pas  vous  dire  : 

Arrêtez- vous!  Si,  après  avoir  chassé  Dieu  de  ses  asiles,  vous  voulez 
encore  le  chasser  de  ce  dernier  refuge,  l'église,  la  chapelle,  vous 
trouverez  devant  vous  la  résistance  de  nos  consciences  révoltées. 

Et  s'il  y  avait  conflit,  si  les  malheurs  qui  sont  déjà  arrivés  se 
renouvelaient,  le  pays,  qui  nous  entend  et  nous  juge,  saurait  distin- 
guer les  provocations  et  apprécier  les  responsabilités.  (Applaudisse- 
ments répétés  à  droite.) 


238  ANNALES   CATHOLIQUES 

^L'orateur,  de  retour  à  son  baac,  reçoit  de  nombreuses  félicitations.) 

M.  GoBLET,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  cultes.  —  Ma 
première  appréciation  ét/^.it  justifiée  :  M.  le  duc  d'Audiffret-Pasquier 
n'a  apporté  aucun  fait  nouveau.  Il  a  dit  que  le  décret  de  1812  était 
ignoré;  mais  il  est  appliqué  tous  Ips  ans. 

Les  instructions  que  j'p^vais  données  au  sous-préfet  n'ont  pas  été 
attaquées;  il  est  vrai  qu'elles  ont  été  dépassées.  C'est  une  question 
d'appréciation  de  la  part  du  gouvernement  de  savoir  si  les  circon- 
stances justifient  le  fonctionnaire  qui  les  avait  reçues. 

Le  ministre  revient  sur  les  circonstances  telles  qu'elles  sont  expo- 
sées par  les  rapports.  11  déclare  que  la  rébellion  était  ouverte  et  que 
le  sous-préfet  a  fait  son  devoir. 

L'évêque  a  refusé  de  déplacer  le  desservant,  qui  passait  tout  son 
temps  à  la  chapelle  et  ne  se  trouvait  jamais  à  Ciiâteauvillain.  Il  fal- 
lait donc  mettre  un  terme  à  cette  sitiiation. 

Le  gouvernement  veut  la  paix  des  esprits;  il  y  travaille  de  toutes 
ses  forces.  Si  l'Eglise  la  veut  aussi,  il  faut  qu'elle  commence  par  prê- 
cher le  respect  du  gouvernement  et  l'obéissance  à  la  loi. 

<M.  Lucien  Brun.  —  Il  faut  à  ce  débat  une  solution,  et  si  nous  pou- 
vons être  en  désaccord  sur  bien  des  points,  nous  nous  réunirons  tous 
certainement  dans  une  douleur  commune.  S'il  s'était  agi  de  saisir  un 
criminel  notoire  dans  l'usine  de  M.  Giraud,  le  sous-préfet  et  les  gen- 
darmes n'auraient  pas  pu  pénétrer.  Mais  il  s'agissait  de  fermer  une 
chapelle;  c'est  pour  eela  qu'on  est  entré,  qu'on  a  tué  un  homme  gar- 
rotté, qu'on  a  blessé  mortellement  une  femme  et  qu'on  a  dispersé  les 
jiutres  femmes  présentes. 

'Le  gouvernement  approuve-t-il  la  façon  dont  ses  ordres  ont  été 
exécutés?  Nous  avons  le  droit  de  le  lui  demander.  Je  ne  conteste 
pas  les  textes  cités  par  M.  le  ministre  ;  mais  je  dis  que  ce  décret  et 
cette  loi  sont  tombés  en  désuétude  et  sont,  d'ailleurs,  contraires  à 
notre  droit  public.  Ils  ne  peuvent  d'ailleurs,  infirmer  les  dispositions 
de  l'article  du  Code  pénal,  sinon  il  faudrait  dire  qu'un  maire  de 
village  a  le  droit  de  violer  un  domicile  dans  lequel  il  existe  ou  il  a 
existé  une  chapelle. 

L'orateur  s'attache  à  démontrer  que  la  violation  de  domicile  est 
incontestable  et  que  l'illégalité  est  flagrante  ;  il  dit  que  tous  les 
renseignements  donnés  par  le  gouvernement  émanent  du  sous- 
préfet,  c'est-à-dire  du  coupable;  il  est  donc  impossible  d'y  avoir  con- 
fiance. C'est  ainsi,  dit  l'orateur,  qu'on  a  affirmé  que  M.  Fischer 
aurait  lu  la  lettre  de  M.  Giraud;  cependant  le  procureur  de  la  Répu- 
blique a  trouvé  cette  lettre  cachetée. 

M.  LE  Ministre  de  l'instruction  publique  et  des  cultes.  — 
Attendez  l'instruction  judiciaire. 

M.  Lucien  Brun.  —  Cependant  j'accepte  tout  ce  que  vous  avez 
avancé  et  je  viens  vous  demander  pourquoi  vous  avez  fermé  une 


l'aff/vire  de  chateauvillain  239 

chapelle  ouverte  depuis  quarante-trois  an?,  qui  n'avait  jamais  donné 
lieu  à  aucua  trouble?  Vous  avez  allégué  Je  conflit  entre  le  conseil 
municipal  et  le  curé  de  Chateauvillain;  il  n'y  avait  là  aucune  raisoa 
sérieuse  pour  justifier  une  mesure  aussi  grave.  Je  demande  ensuite 
pourquoi  la  précipitation  mise  dans  toute  cette  affaire,  et  je  réponds 
que  le  préfet  voulait  empêcher  l'affaire  d'entrer  dans  la  voie  de  la 
Conciii;ition. 

M.  Georges  Martin.  —  Le  préfet  n'était  pas  si  pressé,  puisqu'il 
a  écrit  plusieurs  fois  ! 

^I.  Lucien  Brun.  —  Il  a  écrit  plusieurs  fois,  mais  en  quinze  jours. 

M.  ToLAiN.  —  Les  autres  n'étaient  pas  pressés  d'obéir  à  la  loi. 

M.  Luc. EN  Brun.  —  Mais  il  y  a  une  autre  preuve.  Je  vous 
demande,  monsieur  le  ministre,  comment  M.  le  préfet,  après  avoir 
sollicité  et  obtenu  de  vous  de  prendre  un  arrêté  ordonnant  la  ferme- 
ture de  la  chapelle,  comment  n'a-t-il  pas  eu  la  pensée,  s'il  n'avait 
d'autre  désir  que  d'en  finir  pacifiquement,  de  demander  l'interven- 
tion de  révoque  du  diocèse?  (Bruyantes  exclamations  à  gauche.) 

A  droite.  —  Comment  ?  Qu'est-ce  que  cela  veut  diie  ? 

M.  LE  Ministre.  —  On  lui  avait  demandé  le  déplacement  de  ce 
desservant,  et  on  ne  l'avait  pas  obtenu. 

M.  Lucien  Bhun.  —  J'ai  entre  les  mains  la  preuve  que  si  l'on 
s'était  adressé  à  lui... 

M.  ToLAiN.  —  Cette  déclaration  arrive  en  retard. 

M.  LuciT-N  Brun.  —  M.  le  ministre  le  sait,  s'il  avait  dit  un  mot  à 
Mgr  l'évêque  de  Grenoble,  celui-ci  aurait  fait  fermer  la  chapelle. 

M.  ToLAiN.  —  On  n'en  sait  rien  ;  c'est  une  hypothèse. 

M.  LE  Ministre.  —  J'attends  l'information  judiciaire. 

M.  Lucien  Brun.  —  Vous  avez,  monsieur  le  ministre,  une  lettre 
de  Mgr  l'évêque  de  Grenoble  qui  ne  vous  laisse  aucun  doute  sur  co 
point... 

M.  LE  Ministre.  —  Elle  est  venue  après  coup,  après  les 
événements. 

M.  Georges  Martin.  — Après  les  excitations  de  l'évêque  dans  le 
département! 

M.  Lucien  Brun.  —  Qu'est-ce  que  vous  en  savez,  vous  qui  n'êtes 
pas  de  l'Isère?  Comment  le  savez-vous? 

M.  Georges  Martin.  —  Par  les  journaux. 

Un  sénateur  à  droite  :  —  Par  le  Cri  du  Peuple!  (Rires  approbatifs 
â  droite.) 

M.  ToLAiN.  —  Vous  même,  monsieur  Lucien  Brun,  êtes-vous  de 
l'Isère,  pour  adresser  cette  question  â  l'un  do  nos  collègues? 

M.  Lucien  Brun.  —  Je  connais  les  hommes  et  les  choses  dont  je 
parle. 

A  droite  •.' —  Ne  répondez  pas  â  ces  interruptions. 

M.  Lucien  Brun.  —  Mais  enfin,  monsieur  le  ministre,  pourquoi 
n'avez-vous  pas  essayé  ? 


240  ANNALES    CATHOLIQUES 

Comment!  vous  savez,  et  vous  l'avez  dit  vous-même,  que  M.  Giraud 
est  un  catholique  fidèle. 

Vous  savez  qu'une  demande  de  l'évêque  à  M.  Giraud  ne  trouvera 
pas  de  résistance,  et  votre  préfet  n'a  pas  l'idée  —  vous  savez  bien 
pourquoi  il  ne  l'a  pas  eue  (Interruptions  à  gauche)  —  d'aller  dire  à 
l'évoque  :  Voilà  l'ordre  de  fermer,  priez  donc  M.  Giraud  de  m'épar- 
gner  l'exécution  de  cet  ordre  ?  Et  il  n'y  va  pas!  11  n'essaye  pas  ! 

Et  lorsque  vous  me  dites  que  vous  ne  savez  pas  ce  qui  serait 
résulté  de  cette  démarche... 

M.  ToLAiN.  —  L'évêque  a  refusé  le  déplacement  du  vicaire! 

M.  Lucien  Brun.  —  Monsieur  Tolain,  je  vous  prie  de  ne  pas 
m'interrompre. 

M.  Georges  Martin.  —  11  serait  indigne  do  la  part  d'un  préfet, 
d'aller  se  mettre  aux  ordres  d'un  évêque  !  (Exclamations  à  droite.) 

M.  LE  Président.  —  N'interrompez  ])as,  M.  Georges  Martin. 

M.  Lucien  Brun.  —  Permettez-moi  de  vous  dire,  monsieur 
Georges  Martin,  que  je  crois  savoir  ce  que  dignité  veut  dire,  et  que 
gi  j'avais  l'invraisemblable  honneur  d'être  préfet,  et  si  j'étais  chargé 
par  le  ministre  d'obtenir  la  fermeture  d'une  chapelle,  je  croirais  ne 
faire  que  mon  devoir  strict  et  le  faire  très  dignement  en  essayant 
de  l'obtenir  sans  violence,  et  en  allant  dire  à  l'évêque  :  Monsei- 
gneur, une  exécution  va  avoir  lieu,  qui  peut  donner  lieu  à  des 
incidents  graves,  un  mot  de  vous  suffirait  à  l'empêcher... 

M.  le  Ministre.  —  Cela  dépend  des  évêques. 

M.  Lucien  Brun.  —  Ces  interruptions,  messieurs,  fatiguent  l'ora- 
teur, mais  elles  ne  sauraient  rien  changer  à  la  vérité;  la  vérité, 
monsieur  le  ministre,  c'est  que  si  votre  préfet  n'était  pas  venu,  tout 
le  monde  le  sait  dans  l'Isère,  pour  faire  du  Kèle  et  pour  se  signaler 
à  la  faveur  du  parti  auquel  appartient  M.  le  maire  de  Château- 
villain  ;  s'il  n'avait  pas  tenu,  je  le  répète,  à  éviter  les  négociations, 
parce  qu'il  voulait  faire  une  exécution,  il  serait  allé  dire  à  l'évêque  : 
Je  vais  exécuter  demain  mon  arrêté,  je  vous  demande  de  faire,  vous- 
même,  fermer  la  chapelle,  et  la  chapelle  aurait  été  fermée. 

Vous  avez  déclaré,  monsieur  le  ministre,  que  vous  regrettiez  ces 
faits.  Je  ne  doute  pas  de  la  sincérité  de  vos  regrets,  mais  je  dois 
vous  dire  ce  que  vous  devez  surtout  regretter. 

Quand  vous  avez  donné  ordre.  Monsieur  le  ministre,  il  fallait 
d'abord  aller  à  l'évêque  et  lui  demander  la  fermeture  de  la  chapelle 
et  il  aurait  fait  droit  à  cette  demande. 

M.  LE  Ministre.  —  Jamais  je  n'agirai  ainsi;  je  n'ai  fait  qu'exercer 
mon  droit!  (Très  bien!  à  gauche.  —  Protestations  à  droite.) 

M.  Lucien  Brun.  —  Ce  que  vous  devez  regretter,  c'est  de  n'avoir 
pas  demandé  au  préfet  de  justifier  du  refus  formel  de  M.  Giraud. 
Tous  ces  douloureux  événements  eussent  été  évités.  Ce  que  j'ai  â 
vous  reprocher,  et  ce  que  vous  devez  regretter,  c'est  d'avoir  cédé 


l'affaire  de  chrteauvillain  241 

aux  rancunes  d'un  maire  et  au  zélé  ambitieux  d'un  préfet  que  vous 
devez  bien  connaître,  car  c'est  vous  qui  l'avpz  nommé  (Apiihiudis- 
semonts  à  droite)  ;  c'est  d'avoir  cédé  aux  exigences  de  la  politique 
déf=asti-eu5e  dont  vous  êtes  le  docile  et  trop  ardent  serviteur. 

Il  faut,  disiez-vous,  que  force  reste  à  la  loi.  C'est  au  droit  que 
force  doit  rester,  et  le  premier  droit  de  l'homme,  c'est  le  droit  d'obéir 
à  la  loi  de  Dieu. 

Ne  soyez  pas  étonnés,  messieurs,  que  le  moment  arrive  où  la 
patience  échappe  aux  plus  pacifiques. 

Souvenez-vous  do  ce  que  vou>  avez  f;ut,  vous  et  ceux  qui  vous  ont 
précédés,  quand  vous  avez,  substituant  aux  lois  le  régime  des  décrets, 
violé  le  domicile  de  citoyens  français  qui  n'avaient  d'autre  tort  que 
de  pratiquer  une  règle  religieuse;  lorsque  vous  avpz  exhumé  des  lois 
nées  dans  les  plus  mauvais  joui-s  de  la  Révolution  et  des  décrets  de 
l'Empire  depuis  longtemps  oubliés,  les  expulsés  en  ont  appelé  aux 
tribunaux. 

Mais  ils  ont  trouvé  semée  de  pièges  et  d'embûches  la  route  de  la 
justice  et  de  la  libre  défense. 

M.  LK  Président.  —  Parler  de  Vexécution  d'une  loi,  et  dire  que 
cette  exécution  a  été  entourée  d'embuscades,  d'embûches,  ce  n'est  pas 
tolérable. 

M.  Lucien  Brun.  —  .Te  n'ai  pas  parlé  de  l'exécution  d'une  loi,  j'ai 
parlé  de  l'exécution  d'un  décret. 

J'ai  dit,  et  m'excusant  si  l'on  veut  de  la  vivacité  de  l'expression, 
j'ai  le  droit  de  dire  que  sur  le  chemin  qui  mène  à  la  justice,  les 
victimes  des  décrets  se  sont  heurtées  à  des  obstacles  parmi  lesquels 
je  ne  SMurais  oublier  le  trop  justement  célèbre  tribunal  des  conflits; 
j'ai  le  droit  d'ajouter  que  l'on  sait  ce  qu'il  en  a  coûté  aux  mngistrats 
qui  n'ont  pas  partagé  l'opinion  du  gouvernement.  (Bravos  à  droite.) 

Nous  savons  que  c'est  par  le  même  chemin  semé  d'embûches  que 
devront  passer  les  pères  de  fnmille  qui  voudront  essayer  de  défendre 
leurs  enfants  contre  les  exigences  d'une  loi  abominable.  (Applaudis- 
sements à  droite.  —  Murmures  à  gauche.) 

J'ai  le  droit  de  la  qualifier  ainsi,  elle  n'est  pas  encore  définitive- 
ment votée.  (Bravos  et  nouveaux  applaudissements  à  droite  )  Plus 
tard  j'aurai  pour  elle  le  respect  parlementaire,  mais  en  ce  moment 
je  puis  dire  ce  que  j'en  pense.  (Tiès  bien!  très  bien!  à  droite.) 

Reprochez-vous  surtout  d'avoir,  par  vos  discours  et  par  vos  acte?, 
fait  comprendre  à  tous  vos  agents  que  contre  ce  que  vous  appelez 
les  cléricaux,  les  ménagements  n'étaient  pas  nécessaires.  (Très  bien! 
à  droite.) 

M.  i,E  Ministre.  —  Je  n'ai  jamais  rien  dit  de  pareil,  monsieur! 
Vous  m'imputez  des  paroles  contre  lesquelles  je  proteste  absolument. 

M.  Lucien  Brcn.  —  Je  ne  suis  pas  seul  à  tirer  cette  conséquence 
de  vos  discours. 

18 


242  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  LE  Ministre.  —  Il  n'y  a  riea  de  semblable  dans  mes  discours I 
IntPi  [irêtGr  ainsi,  c'est  trahir. 

I\l.  i.E  BARON  DE  Ravignan.  —  Ce  sont  vos  actes,  monsieur  le 
miniPt.ro  ! 

M.  Lucien  Brun.  —  Est-il  vrai,  oui  ou  non,  que,  en  ce  moment, 
il  n'y  a  pas  un  fonctionnaire  qui  ne  sache  qu'il  n'est  pas  nécessaire 
d'avoir  des  ménagements  pour  les  institutions  et  les  œuvres  catho» 
liqiK^s  ;  qui  ne  sache  de  qxK^  côté  vient  la  faveur? 

M    FoRiQUET.  —  Vous  avez  bien  raison! 

M.  LiciE.v  Brun.  —  Aussi  votre  personnel  vous  échappe.  Vous  ne 
gouvcrnrz  plus  ;  vous  ordonnez  d'attendre  les  instructions,  de  re- 
courir à  l'intervention  du  parquet,  de  ne  pas  brusquer  une  exécution  ; 
vous  n'êtes  pas  obéi,  et  quand  le  crime  est  commis,  quand  le  sang  a 
coulé,  vous  n'osez  pas  frajqier  les  coupables. 

ISI.iiulenant  —  et  c'esc  mon  dernier  mot  —  ne  vous  étonnez  pas 
que  couK  que  vous  ne  protég''z  plus  se  piéparent  à  se  protéger  eux- 
mêmes.  (Ah  !  ah!  à  gauche.  —  Très  bien!  à  droite.) 

Quant  à  nous,  tant  que  cette  tribune  restera  libre,  et  en  attendant 
le  jour  do  la  justice  lente  à  venir,  mais  qui  viendra,  nous  protes- 
terons contre  cette  politique  de  sectaires,  contre  cette  politique  de 
haine.  (Exclamations  à  gauche.  —  Très  bien!  à  droite.)  Politique 
fatale  qui,  après  avoir  chassé  les  religieux  de  leurs  asiles  et  chassé 
Dieu  de  l'éctde  (prot'^stations  à  gauche),  en  est  venue  à  coucher  des 
cailavres  sur  le  seuil  ensanglanté  des  chapelles.  (Bruit  à  gaucbe.  — 
Très  bien!  tiès  bien!  à  dioite  ) 

J'ai  l'honneur  de  déposer  l'ordre  du  jour  que  voici...  (Bruit  et 
applaudissements  ironiques  à  gauche.) 

Je  SUIS  charmé  de  ces  acclamations  que  je  ne  m'explique  guère,  je 
vous  avoue. 

T>I.  Buffet.  —  Et  qui  sont  inconvenantes. 

M.  Lucien  Brun.  —  Qui  ne  sont  peut-être  pas  très  respectueuses 
ni  très  parlementaires. 

«  Le  Sénat  blâmant  l'application  arbitraire,  et  condamnant  l'exé- 
cution irrégulière...  (Interruptions  à  gauche)...  et  violente  d'une 
législation  tombée  en  désuétude,  passe  à  l'ordre  du  jour.  »  (Très 
bien!  très  bien!  et  applaudissements  prolongés  à  droite.  —  L'orateur, 
en  retournant  à  son  banc,  reçoit  les  félicitations  d'un  grand  nombre 
de  ses  collègues  de  la  di-oite.) 

M.  LE  Président  donne  lecture  des  ordres  du  jour  déposés.  Un 
ordre  du  jour  de  MM.  Georges  Martin,  Macé,  Lemonnier,  Giraud  et 
Naquet  réclame  la  dénonciation  du  Concoi'dat. 

Un  ordre  du  jour  de  MM.  Lenoel  et  Labiche  est  ainsi  conçu  : 

«  Le  Sénat, 

«  Regrettant  que  les  instructions  du  ministre  n'aient  point  été 
suivies. 


LL    SITUATION   RELIGIEUSE    EN    ORIENT  243 

«  Déplorant  les  malheurs  qui  sont  résultés  de  leur  inexécution, 

«  Passe  â  l'ordre  du  jour.  » 

TJq  troisième  ordre  du  jour  est  déposé,  le  voici  : 

«  Le  Sénat, 

«  Considérant  qu'il  était  possible  d'éviter  les  déplorables  événe- 
ments de  Châteauvilaiu,  en  procédant  par  la  voie  judiciaire,  passe 
â  Tordre  du  jour.  » 

Ont  signé  :  MM.  Bardoux,  Bérenger,  vicomte  de  Saint-Pierre,  de 
Pressensé,  Calmon,  Denormandie,  La  Caze,  Robert  de  Massy,  Bar- 
thélémy Saint-Hilaire. 

M.  Casimir  Fournieu  demande  l'ordre  du  jour  pur  et  simple. 

M.  LE  MixisraE  de  l'Instruction  publique  et  des  Cultes  accepte 
l'ordre  du  jour  pur  et  simple. 

Il  est  procédé  sur  l'ordre  du  jour  pur  et  simple  â  un  scrutin  dont 
voici  le  résultat  : 

Nombre  de  votants 2S0 

Majorité  absolue 141 

Pour 191 

Contre 89 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  est  adopté.  (Bruits  divers.) 

Le  Sénat  adopie  le  projet  de  loi  créant  des  pénalités  conti'B 
l'espionnage. 

Le  Sénat  s'ajourne  à  lundi,  deux  heures. 

La  séance  est  levée  à  six  heures  et  demie. 


LA  SITUATION  RELIGIEUSE  EN  ORIENT 

Les  Missions  catholiques  publient  sur  la  situation  reli- 
gieuse en  Orient  une  très  curieuse  lettre,  qu'elles  font 
précéder  de  la  note  suivante  : 

Les  événements  politiques  qui  s'accoraplissent  aujourd'hui  en 
Orient  ont  une  gravité  incontestable  au  point  de  vue  de  nos 
missions;  aussi  nous  empressons-nous  de  publier  cette  lettre. 
Elle  nous  est  adressée  par  un  personnage  à  qui  sa  position  et 
sa  haute  intelligence  permettent  déjuger  d'un  regard  sur  ce 
•qui  se  passe  dans  la  péninsule  des  Ballcans. 

Voici  maintenant  les  parties  les  plus  importantes  de  cette 
correspondance,  datée  du  6  février  1886  : 

Enfin,    la  convention  est  conclue,  ou,  pour  mieux  dire,  l'ai- 


244  ANNALES    CATHOLIQUES 

liance  offensive  et  défensive  entre  la  Sublime  Porte  et  le  prince 
de  Biil.craiie.  C'est  un  catlioliqne,  Gadban  Effendi,  qui  a  été 
rinterinédiaire  entre  le  prince  Alexandre  et  le  grand-vizir. 

U-adban  Effenrli,  qui  jouit  de  la  confiance  du  grand-vizir,  avait 
été  envové  à  Sofia  en  qualité  de  comnaissaire  pour  les  loakoufs 
(legs  |jieux  rausuhnan?.)  Il  a  profité  de  sa  position  et  des  circons- 
tances pour  entaiûer  des  pourparlers,  qui  ont  abouti  à  la 
convention  signôe  entre  S.  A.  Kiamil  pacha  et  M.  Tzonoff,  le 
représentant  de  la  Bulgarie.  Par  ce  traité,  le  prince  Alexandre 
sera  nommé,  par  S.  M.  le  sultan,  valy  de  la  Rouraélie  orientale. 
L'union  personnelle  a  donc  été  acceptée  comme  base  de  solution. 
La  nomination  devra  èi,re  renouvelée  chaque  période  de  cinq 
ans,  si  l'attitude  du  prince  est  correcte  vis-à-vis  de  la  cour 
suzeraine. 

Cet  acte  est  certainement  peu  agréable  au  gouvernement 
russe.  Mais  les  intérêts  de  la  Sublime-Porte  et  de  la  Bulgarie 
exigeiiient  une  telle  union.  Au  point  de  vue  des  intérêts 
catholiques,  autant  l'action  de  la  Russie  est  diminuée  sur  les 
populations  cbrétiennes  de  la  péninsule  balkanique,  autant  la 
propagande  religieuse  devient  facile.  Il  est  certain  que  le  gou- 
vernement du  cznr  chercheia  tous  les  moj-ens  pour  ne  pas 
laisser  irop  cimentei-  cette  union  entre  la  cour  ottomane  et  la 
pi'iucipauté  vass;ib',  l)ien  que,  pour  le  moment,  il  l'accepte  pour 
paralyser  les  velléités  militaires  de  la  Serbie  et  de  la  Grèce. 

Ces  derniers  événements  ont  envenimé  encore  davantage  la 
sépaintion,  la  haine  et  l'aversion  entre  les  deux  races,  bulgare 
et  grecque.  L'éb^nent  hellène  se  croit  sérieusement  menacé  par 
l'union  personnelle  de  la  Roumélie  orientale  avec  la  principauté 
de  la  Bulgarie.  L'unité  administrative  en  est,  en  effet,  la  consé- 
quence, et  un  COI  ps  com|>acte  de  plus  de  quatre  millions  de 
Bulgares  menacera  la  Macédoine,  composée  elle-même  d'une 
majorité  écrasante  de  Bulgares,  quoi  qu'en  disent  les  journaux 
de  la  Grèce. 

L.t  |)at,riarcat  grec  a  stigmatisé  le  schisme  bulgare  avec  le  nom 
de  l^lnlc'lisme,  ex[)ression  inconnue  jusqu'ici  des  saints  Pères, 
et  cela  dans  l'unique  but  national  d'isoler  les  Bulgares,  de  les 
disciéditer  comme  schismatiques  dans  le  grand  monde  des 
chréiiens  de  l'Oiient.  Mais  les  foudres  du  Phanar  n^ont  pas 
produit  le  moindre  effet;  au  contraire,  elles  ont  donné  une 
plus  vive  impulsion  à  la  formation  de  la  nationalité  bulgare. 
L'histoire  se  répète  :  dans  les  siècles  passés  l'élément  bulgare 


LA.    SITUATION    RELIGIEUSE    EN    OPIENT  245 

avait,  par  ?es  assaut.:?  réitères,  affaibli  l'empire  byzantin;  au- 
joiiid'liiii  enCDie  rcléuient  bulgare  joue  le  plu.?  grand  rôle  clans 
la  (jnesiion  {l'Oi  ieiit,. 

L'Eglise  grecque,  an  lieu  de  lancer  des  anathèmes  impuis- 
sants, aurait  dû  entamer  des  pourparlers  avec  le  Saint-Siège 
afin  d'arriver  à  une  entente  et  entrer  dans  la  grande  et  puissante 
Eglise  de  l'Occident.:  alors,  seulement,  elle  aurait  mis  le  désar- 
roi dans  le  camp  de  la  nation  bulgare,  voire  même  de  la  nation 
russe.  Plusieurs  personnages  distingués  parmi  les  Grecs  ont  eu 
cette  idée.  Mgr  Rotelli,  le  savant  et  sympathique  délégué  du 
Saint-Siège  à  Coiistaiitiuople,  avait,  dans  le  temps,  tendu  la 
main  au  patriarcat  giec  et,  par  son  entremise,  à  toute  la  nation 
gieciiue;  mais  ce  ii'e>t  que  par  des  compliments  et  des  phrases 
de  courtoisie  (ju'ou  a  voulu  répondre  à  l'acte  éminemment  poli- 
tique du  représentant  de  Sa  Sainteté  Léon  XIII. 

M.  Tricoupi,  mieux  ((ue  tous  ses  compatriotes,  avait  compris 
la  portée  de  l'iniiiative  prise  par  Mgr  Rotelli.  Mais  les  person- 
nages haut  i)lacés,  soit  ecclésiasti(|nes,  soit  laïques,  de  la  nation 
giecipie,  malheureusement  n'ont  pas  montré  les  bonnes  dispo- 
sitions nécessaires  fiour  poursuivre  et  accom[dir  une  œuvre  qui 
devait  corriger  !a  faute  conjiuise  par  Photius.  L'occasion  n'est 
pas  encore  perdue.  L'élément  bulgare  devient  de  plus  en  plus 
menaçant  contre  l'hclléuisme.  Ce  n'est  pas  par  ses  forces 
mateiielles  et  par  sa  flotte  que  la  Gièce  sauvera  son  existence, 
mais  bien  par  une  sa.e  politique,  dont  elle  pourra  s'inspirer  en 
étudiant  avec  i'npaitialité  l'histoire  de  son  Eglise.  Il  lui  faut 
une  alliance  ecclésinsticiue;  le  tiône  qui  se  décore  pompeuse- 
ment du  titre  'i^ Œcuménique,  ne  peut  plus  se  soutenir,  s'il 
ne  cherche  un  appui  ati  centre  du  chriàtianisme  dans  l'Eglise 
romaine. 

C'est  presque  le  même  raisonnement  que  nous  devons  faire 
pour  l'élément  arrnéuien,  l'un  des  liois  éléments  chrétiens  les 
plus  importants  de  l'Orient.  L'Eirlise  arménienne,  non  unie,  dite 
giégorienne,  subit  utie  lente  désagrégation.  Le  slavisme  russe 
l'a  déjà  fortement  eniamée  en  Russie  ;  en  Turquie,  elle  n'est 
pas   sans  courir-  un  danger  sérieux. 

Sans  ap[)ui,  l'Eglise  arménienne  ne  pourra  pas  résister  au 
choc  du  slavisme  moscovite.  Ainsi  avec  son  Église,  sera  com- 
promise également  sa  nationalité  !  Le  patriarcat  arménien- 
catholique,  bien  que,  pour  le  moment,  numériquement  inférieur 
aux  trois  autres,  présente  par  soa  union  avec  le  Vatican  des 
conditions  plus  solides  d'existence. 


246  ANNALES   CATHOLIQUES 

On  a  dit  et  on  répète  souvent  que,  dans  sa  grande  majorité, 
l'Eglise  arnnénienne  non  unie  se  ralliera  à  Rome,  tandis  qu'une 
petite  minorité  se  donnera  au  protestantisme.  Les  événements 
commencent  à  justifier  cette  parole.  Les  conversions  au  catho- 
licisme ont  redoublé  dans  ce  dernier  mois  dans  la  province  du 
Pont.  Amasie,  Marsivan,  et  plusieurs  villages  du  même  district 
ont  vu  plus  de  cent  familles  arméniennes  ou  grégoriennes  ren- 
trer dans  le  véritable  bercail.  Pour  les  protestants,  s'ils  font 
quelques  brèches  dans  le  sein  de  la  nation  arménienne,  c'est 
grâce  à  leurs  ressources  matérielles,  au  luxe  de  leurs  missions 
et  à  leurs  promesses  attrayantes.  Mais  ces  succès  ne  reposent 
sur  aucune  base  morale. 

Combien  salutaire  serait  l'union  en  masse  de  l'Arménie  avec 
la  sainte  Église  catholique,  soit  au  point  de  vue  ecclésiastique, 
soit  au  point  de  vue  national  !  Par  ses  qualités  et  ses  aptitudes 
spéciales,  elle  occuperait  alors  la  première  place  en  Orient. 
Mais,  hélas!  comme  l'Eglise  et  la  nation  grecques,  l'Eglise  et 
la  nation  arméniennes,  minées  par  les  mêmes  causes  intrin- 
sèques et  extrinsèques,  semblent  coradamnées  à  une  lente  et 
progressive  dissolution.  C'est  sur  des  ruines  que  le  catholicisme 
viendra  relever  peu  à  peu  les  anciennes  Églises  et  les  évêchés 
de  rOrient  :  aussi,  ne  serait-il  pas  dans  l'intérêt  de  la  famille 
chrétienne  de  conclure  dés  à  présent  cette  union  avec  le  centre 
du  catholicisme,  qui,  seul,  peut  sauver  l'avenir  de  ces  Églises 
en  pleine  décadence  V 


LE  CANADA  ET  LA  FRANCE 

La  Semaine  Religieuse  de  Montréal  nous  a  apporté,  il  j  a 
quehiue  temps,  un  très  intéressant  article  du  CathoUc  Worldy 
qui  fait  penser  à  ce  que  serait  aujourd'hui  la  France,  si  la 
Révolution  ne  l'avait  point  fait  sortir  de  ses  voix  traditionnelles 
et  ce  que  pourraient  devenir  les  colonies  qu'elle  cherche  à  so 
créer  encore  maintenant. 

Lor?que  Louisbourg;  tomba  aux  mains  des  Anglais  en  1758,  les 
Français  étaient  seulement  60,000;  ils  sont  maintenant  un  million 
et  demi  dans  le  seul  Canada.  Ce  grand  accroissement  naturel  de  la 
population  dans  une  si  courte  période  cesse  d'étonner  quand  on  réflé- 
chit que  les  familles  des  Canadiens-Français  sont  en  moyenne  com- 


LE  CANADA  ET  LA  FRANCE  247 

posées  de  npuf  enfanta  et  que  celles  où  il  y  en  a  douze  ou  dix-huit 
ne  sont  f>a3  rares. 

Il  n'y  a  pas  eu  d'éraigratioa  française  qui  vaille  la  peine  d'en 
parlei-,  dans  le  Bas-Canada,  depuis  la  conquête  de  l'Angleterre,  mais 
il  y  a  eu  un  courant  constant  d  étnigratinn  de  Canadiens-Françaia 
aux  Etals-Unis.  Dos  av  icats  «listingués  du  i-epatriement,  tels  que 
J.-A.  Chapleuu,  si-natc^ur  Trudeî,  Charles  Thibault,  îiffirment  qu'il  y 
a  dans  les  Etats  de  l'E>t  seul-,  sis  cent  mille  Fr;inçais-Canadiens.  La 
rareté  des  noms  français  pourrait  faire  douter  de  cette  affirmation, 
mais,  quand  on  se  rappf^lle  combien  de  noms  sont  anglicisés,  parmi 
nous,  chaque  jour,  on  y  ajoute  plus  de  confiance.  Dans  certains  Etats 
on  trouve  des  établissements  dont  les  habitants  ont  les  traits  et  les 
caiacléristiqups  des  Français  quoiqu'ils  n'en  jjarlent  plus  la  langue. 
On  peut  donc  aifirniei-  que  les  GO, 000  Français  de  1758  sont  aujour- 
d'hui 2.000,000,  dont  1,500,000  habitent  le  Canada.  En  outre,  si  rien 
d'extraordinaire  n'arrive  et  s'ils  transmettent  à  leui-s  enfants  las 
grandes  qualités  morales  et  physiques  qu'ils  ont  reçues  de  leurs 
ancêtres,  l'an  d(-ux  mille  de  Notre-Seigneur,  les  Fiançais-Canadiens 
seront  25,000,000. 

L'i  Dominion  Canadien  est  en  train  de  subir,  silencieusement  mais 
sûrement,  une  opération  de  francisation  qui  commence  à  attirer 
l'attention.  Les  munici|)alité3  changent  d'anglais  en  français  les 
noms  des  localités  et  des  rues,  et  prennent  généralement  des  mesures 
qui  notifient  aux  Anglais  qu'il  faut  qu'ils  s'en  aillent.  Le  cri  d'alarme 
à  la  vue  de  cette  expansion  du  pouvoir  et  de  l'influence  des  Fiançais 
est  poussé  par  certains  journaux  comme  le  Globe  de  Torento  et  le 
Tintes  d'Hamilton,  mais  que  faire  pour  y  porter  remède?  Une  loi  ne 
peut  être  passée  pour  défendre  aux  Français  d'avoir  de  si  nombreuses 
familles  et  pour  augmenter  celles  des  .\nglais.  En  matière  de  légis- 
lation, les  Français  peuvent  soutenir  leurs  droits.  Ils  ont  deux  repré- 
sentants de  leur  race  dans  le  caljinet  d'Ottawa  et  deux  autres  sont 
sous  leur  conîiôle  immédiat,  et  dans  le  Parlement  ils  tiennent  la 
balance  du  pouvoir.  Pendant  que  les  jouinaux  ultra-anglais  et  ultra- 
protestants usent  leurs  dents  sur  le  traité  qui  a  accoi-dé  aux  Fran- 
çais «  leur  langue,  leur  religion  et  leurs  lois  »,  ceux-ci  marchent 
avec  t-érénité,  espérant  que,  dans  un  avenir  prochain,  ils  formeront 
une  nation  indépendante,  aussi  libre  du  contrôle  des  paiens  de  Paris 
que  des  impérialistes  de  Londres. 

Excepté  les  changements  produits  par  leur  entourage  et  par  suite 
d'une  meilleure  éducation,  les  Français-Canadiens  sont  les  même- 
qu'étaient  leurs  ancêtres  Normands  et  Bretons,  il  y  a  trois  cents  ans 
—  aussi  braves,  aussi  religieux,  aussi  simples,  aussi  industrieux  et 
aussi  croyants  en  Dieu.  Dans  les  villes  comme  Montréal  et  Québec, 
ils  ont  les  vices  inhérents  aux  villes,  mais  dans  les  districts  ruraux, 
sur  les  bords  du  Saint-Laurent,  les  vices  sont  inconnus.  Quant  au 


248  ANXALES    CATHOLIQUES 

travail,  aucun  mortel  ne  travaille  plus  longtemps  ni  avec  plus  d'ardeur 
que  le  Crinadien-Français  :  peu  de  leurs  frnies  sont  hypothéquées; 
leur  nourriture  est  frugale  mais  Rj:ine  ;  ils  ont  de  belles  églises  dans 
tout  le  pays,  qu'ils  ont  élevées  eux-mêmes  à  la  gloire  de  Dieu. 

J'étais  en  pension  il  y  a  quelques  années,  près  de  Saint- iMarc,  sur 
la  rivière  Richelieu,  chez  un  riche  fermer  fjui  est  un  vrai  type  de 
cette  race.  Il  avait  neuf  enfants  qui  tous  travaillaient,  d'un  côlé  ou 
de  l'autre,  dans  la  maison  ou  sur  la  ferme  de  deux  cents  acres.  Ils 
étaient  les  plus  heureuses  créatures  vivantes  et  les  plus  pieuses.  Les 
vieux  chants  bretons  étaient  chantés  dans  cette  maison,  et  le  Rosaire 
était  dit  à  une  heure  réglée,  par  la  f;imille  assemblée,  les  serviteurs 
inclus  Les  filles  parlaient  le  plus  pur  français  qu'elles  avaient  appris 
à  la  vieille  Ville-marie,  et  jouaient  des  airs  normîinds  sur  le  piano. 
Ils  allaient  tous  à  la  messe  dans  la  vaste  voiture  de  famille  le 
dimanche  et  les  jours  de  fête,  et  tous  étaient  de  la  Congrégation  de 
la  Vierge. 

Des  observateurs,  comme  Joakim  Miller,  qui  se  sont  donné  quel- 
que peine  pour  étudier  les  Français-Canadiens,  ont  été  enchantés 
d'eux  et  de  leur  pays.  Les  qualités  morales  d  un  peuple,  disent  les 
savants,  se  reflètent  sur  leurs  traits.  S'il  en  est  ainsi,  en  voyant 
Québec,  qui  est  la  ville  la  plus  purement  française  du  continent, 
leurs  qualités  morales  ne  peuvent  êti-e  que  bonnes.  Les  visiteurs  de 
France  admettent  que  leur  beau  langage  n'a  rien  perdu  sur  les  bords 
du  Saint-Laurent,  qu'il  a  même  acquis  une  vigueur  littéraire,  ainsi 
que  Garneau,  Bourinot,  Fréchette,  Benjamin  Suite,  et  bien  d'autres 
le  prouvent  par  leurs  écrits  —  écrits  donnés  au  monde  par  les  Cana- 
diens Français,  tandis  que  les  Anglais  Américains  n'ont  pas  encore 
produit  un  seul  auteur  éminent.  Le  français  de  la  il/ï«ert;e,  du  Cana- 
dien et  de  la  Patrie  est  tout  aussi  pur  que  le  français  de  la  Répu- 
blique Française,  pendant  que  les  habitants  des  superbes  mais  u? 
de  la  rue  Saint-Denis,  à  Montréal,  parlent  le  langage  de  Corndlle 
et  de  Racine  aussi  correctement  et  aussi  harmonieusement  que  les 
habitants  du  faubourg  Sâint-Germain.  Le  plus  illustre  poète  du 
Canada  est  le  Français-Canadien  Fréchette,  le  plus  grand  oiateur  le 
Français-Canadien  J.  A.  Chapleau.  Les  Français-Canadiens  ont  une 
université  à  eux,  et  de  nombreux  collèges  et  écoles  où  sont  enseignées 
les  plus  hautes  branches  de  l'enseignement,  et.  quoique  sous  certains 
rapports,  ils  soient  en  arrière  de  leurs  compatriotes  d'origine  anglaise, 
sous  d'autres,  ils  leur  sont  supérieurs.  Indubitablement  ils  les  sur- 
passent dans  la  littérature  et  dans  les  arts,  mais  ils  leur  sont  infé- 
rieurs dans  l'éducation  technique.  Les  prêtres  fi-ançais  de  la  province 
de  Québec,  spécialement  dons  les  districts,  sont  ce  qu'étaient  les 
prêtres  fi-ançais  de  Bretagne,  il  y  a  deux  cents  ans,  et  sont  aujour- 
d'hui les  pères  de  leur  peuple.  Plusieurs  d'entre  eux  appartiennent 
aux  vieilles  familles  de  la  province.  Il  y  en  a  peu  parmi  eux  qui  ne 
puissent  bien  parler  trois  langues  ou  même  plus. 


LE    CANADA.    ET    LA    FRANCE  2  49 

Oa  rloit  avouer  qu'ils  no  sont  pas  un  clergé  «  fa.«hionable  »,  car 
leurs  vêtements  ont  une  coupe  provinciale  et  peut-être  même  rus- 
tif|Uo;  mais  ils  paraissent  satiî^faire  leur  pcu[)Ie,  qui  les  aime  et  les 
honore.  Il  est  vrai  aussi  que  quelques-uns  «l'entre  eux  se  mêlent  de 
temps  en  temps  de  la  politique.  Quand  cela  anive,  c'est  Voltaire  et 
Rousseau  qu'ils  comb.-ttent  sous  la  forme  de  quelques  rejetons  des 
politiciens  de  iMontréal  qui,  après  avoir  visité  la  France,  rappoi  tent 
avec  eux  le  scepticisme  de  Pans.  Il  est  assez  naturel  que  les  prêties 
n'aiment  pas  cela.  Ce  serait  ét'ange  s'ils  ne  le  faisaient  pas,  et  plus 
étrange  encore  si,  CDmr-ne  prêtres  catholiques,  ils  né<>'ligeaient  de 
s'opposer  aux  hommes  <|ui  combattent  la  religion  par  la  politique. 
La  vie  des  prêtres  français-canadiens  n'est  pas  une  vie  facile.  Les 
paroisses  ont  souvent  cent  milles  carrés  (!'éten<lue,  et  ils  ont  à  célé- 
brer la  messe,  dans  un  jour,  dans  des  localités  séparées  de  trenie 
milles.  Ils  ont  à  travailler  comme  le  peuple  dont,  selon  le  jargon  des 
philosophes,  ils  sont  issus. 

La  société  franco-canadienne  est,  en  somme,  dans  une  condition 
saine.  Les  chefs  ont  l'esprit  et  la  culture  de  leurs  ancêtres  avant  que 
lîi  corruption  d'une  cour  débauchée  et  les  enseignements  des  encyclo- 
pédistes ne  les  eussent  pervertis  et  conduits  à  cette  révolution  dans 
laquelle  la  France  se  débat  encore.  Tous  les  signes  du  temps  indi- 
quent, dans  un  avenir  prochain,  la  création  d'un  état  fiançais  indé- 
pendant, ayant  le  noble  fleuve  Saint-Laurent  pour  principale  arlèie 
commerciale  et  la  ville  de  Montréal  pour  capitale. 

J.-C.  Flemin. 

Ainsi,  tandis  que  la  mère-patrie  voit  sa  population  cesser  (\& 
croître  et  s'étioler  d'une  manière  effrayante;  tandis  qu'elle  est 
obligée  de  baisser  pavillon  devant  ses  puissants  voisins  et  qu'elle 
ne  peut  même  iilus  mener  à  bonne  fia  une  guerre  contre  des 
barbares  que,  dans  leur  fatuité,  ses  gouvernants  avaient  appelés 
«  une  quantité  négligeable  »,  la  colonie  ft)ndée  par  elle  il  y  a 
deux  siècles  contimie  de  montrer  les  qualités  et  les  vertus  que 
le  catholicisme  avait  données  à  la  race  française,  et  la  prépon- 
dérance que  ces  qualités  nous  assuraient  dans  le  monde. 

Quand  la  France  comprendra-t-elle  que,  si  elle  ne  veut  mou- 
rir, et  surtout  si  elle  veut  recouvrer  son  ancienne  puissance  et 
son  ancienne  gloire,  elle  doit  enfin  rejeter  le  poison  révolution- 
naire qui  s'est  lépandu  dans  toutes  les  institutions  et  a  gagné 
presque  toutes  les  familles,  pour  reveuir  à  ses  traditions  et  à 
ses  vertus  chrétiennes? 


250  ANNALES   CATHOLIQUES 


LES  ŒUFS  DE  PAQUES 

C'était  ]e  Samedi-Saint  de  l'année  1882,  vers  trois  heures  de 
raprés-midi. 

M.  Renaud,  ancien  capitaine  au  20*  régiment  de  ligne,  était 
accoudé  sur  l'appui  de  sa  fenêtre  et  fumait  sa  pipe  eu  regardant 
les  passants. 

Le  vieux  î^oldat  était  venu  prendre  sa  retraite  dans  son 
village  natal,  au  milieu  de  paysans  qu'il  ne  connaissait  plus  et 
qui  le  connaissaient  tous  pour  l'avoir  vu  tout  jeune  sur  les 
genoux  de  sa  mère,  vers  1825.  Il  occupait  le  logis  paternel, 
mais  il  j  vivait  seul,  avec  une  femme  de  ménage,  car  ses 
parents  étaient  morts  depuis  longtemps.  Sa  solitude  n'était 
égajée,  de  temps  à  autre,  que  par  la  visite,  presque  toujours 
intéressée,  de  quelques  mauvais  sujets,  qui  venaient  lui  deman- 
der à  dîner  et  payaient  leur  dette  en  lui  racontant  de  vieilles  et 
sottes  histoires  dans  les(iuels  les  curés  jouaient  toujours  un 
rôle  ridicule  et  odieux. 

Car  le  capitaine  était  impie,  foncièrement  impie.  Ce  n'était 
pas  le  scepticisme  fleuri  de  certains  salons,  ni  l'indifférence  de 
yiveur  hébété,  ni  le  dé^iain  superbe  du  politicien  de  village  ; 
c'était  la  haine  ouverte,  avouée  et  persévérante  de  l'Eglise,  de 
la  religion,  des  prêtres  et  de  toute  cérémonie  religieuse.  Il 
fallait  le  voir  dauber  les  curés,  les  moines  et  surtout  ces 
pauvres  Frères  des  écoles  chrétiennes  !  On  était  sur  de  lui 
plaire  et  d'obtenir  de  lui  toutes  sortes  de  services  en  flattant 
sa  passion  de  sectaire  et  en  applaudissant  à  ses  propos  de 
garnison. 

La  paroisse,  très  chrétienne,  dans  laquelle  tous  les  hommes 
presque  sans  exception,  avaient  jusque-là  fait  leurs  Pâques, 
était  scandalisée  par  la  présence  de  cet  homme  qui  avait  sans 
cesse  le  blasphème  à  la  bouche,  ne  mettait  jamais  les  pieds  à 
l'église,  gardait  son  chapeau  ou  son  képi  quand  les  processions 
passaient  devant  luiet  ne  pariait  de  rien  moins  que  d'étrangler 
le  curé. 

—  Etrangler  M.  le  curé,  disaient  les  bonnes  dames  du  hourg! 
Cet  homme  est  possédé  !  Conçoit-on  que  Rosalie  ait  consenti  à 
tenir  son  ménage  ! 


LES    ŒUFS   DE    PAQUEà  2  51 

Mais  Rosalie  répondit  en  souriant  : 

—  C'est  justement  M.  le  curé  qui  m'a  dit  d'accepter.  Il  a  son 
idée,  sans  doute. 

L'idée  du  vieux  prêtre  était  fort  simple.  Il  voulait  convertir 
M.  Renaud,  qu'il  avait  connu,  jeune  encore,  et  dont  la  mère 
était  morte  saintement.  Mais  toutes  ses  tentatives  avaient 
échoué  !  En  vain  avait-il  gardé  pendant  de  longues  années,  les 
deux  places  occupées  jadis  à  l'église  par  M.  et  M""  Renaud:  les 
places  étaient  restées  vides.  En  vain  s'était-il  pressente  le  premier 
chez  le  capitaine;  le  capitaine  ne  l'avait  pas  reçu.  En  vain 
avait-il  multiplié  les  politesses,  les  sourires  et  les  petits 
mots  affectueux  qu'on  jette  en  passant  pour  entamer  une  con- 
versation :  ce  diable  d'homme  avait  repoussé  toutes  les  avances, 
et  plus  le  vieillard,  aimé  de  tous  ses  paroissiens,  vénéré  comme 
un  père,  redoublait  d'efforts,  plus  le  farouche  soldat  redoublait 
d'impiété. 

—  Pour  le  coup.  Monsieur  le  curé,  disait  le  sacristain,  vous 
êtes  pris  !  Celui-là  vous  échappera.  Ce  sera  le  premier. 

—  Attendons,  mon  brave  Buron,  attendons  l'heure  de  Dieu, 
répondit  le  saint  homme. 

Or,  ce  jour-là,  quatre  avril,  le  soleil,  dans  toute  sa  splen- 
deur, réchauffait  la  terre  et  faisait  éclore  toutes  les  fleurs  du 
printemps. 

Le  ciel  était  bleu,  de  ce  beau  bleu  d'azur  qu'on  ne  se  lasse 
pas  d'admirer.  Il  n'y  avait  pas  un  nuage.  Les  insectes  bourdon- 
naient comme  au  mois  de  juillet.  Aucun  bruit  ne  s'élevait  de  la 
campagne.  On  ne  travaille  pas,  le  samedi  saint,  dans  les  paroisses 
chrétiennes;  on  va  à  confesse,  à  l'office,  et  on  se  prépare  à  la 
grande  fête  du  lendemain.  C'est  ce  qui  donne  tant  de  charme  et 
poésie  à  ces  belles  journées  pascales. 

Le  capitaine  se  sentait  ému,  d'une  émotion  singulière,  en  face 
de  la  nature  rajeunie,  reverdie,  comme  ressuscilée.  A  son  insu, 
il  prenait  part  à  la  fête  universelle,  et  crojait  entendre  le  loin- 
tain écho  d'un  Alléluia  oublié.  Il  se  rappelle  tout  à  coup  que 
sa  mère  était  morte  à  pareil  jour  et  presque  à  pareille  heure, 
et  il  sentit  la  honte  monter  à  sou  front  en  pensant  qu'il  n'avait 
jamais  vu  sa  tombe. 

Au  même  instant,  il  entendit  les  deux  cloches  de  l'église, 
muettes  depuis  deux  jours,  sonner  joyeusement  à  toutes  volées. 
Bientôt  les  cloches  des  bourgs  voisins  repondirent  aux  pre- 
mières, et  ce  concert  majestueux  et  doux  fit  vibrer  en  son  âme 
certaines  cordes  qu'il  croj-ait  brisées  depuis  longtemps. 


252  ANNALES    CATHOLIQUES 

—  Mille  millions  de  tonnerres,  murmnra-t-il,  on  a  beau 
Tieillir,  on  se  laisse  toujours  pi-endre  à  ces  choses-là  ! 

Une  demi-heure  plus  tard,  la  roule  se  remplit  d'une  foule 
joyeuse  et  agitée.  C'était  le  peuple  chrétien  qui  venait  de 
chanter  0  fiJii  et  filiœ,  et  qui  rentrait  en  ses  foyers. 

Les  rayons  du  soleil  couchant  donnaient  à  cette  scène  une 
teinte  chaude,  dorée  et  lumineuse  qui  ravissait  les  yeux. 

Tout  à  coup,  de  petites  voix  d'enfants  s'élevèi'ent  au  loin, 
aigMiës  et  peiçantes  comme  les  clairons  du  20°  de  ligne  ;  elles 
chantaient  un  refi-ain  local.  Le  capitaine  tressaillit.  Il  connais- 
sait cet  air,  ce  gai  refrain,  mais  il  avait  oublié  les  paroles. 

Rien  de  plus  frais,  de  plus  gr-acieux,  de  plus  pénétrant  que 
ces  voix  lointaines,  à  l'unisson,  dominant  les  bruits  légers  de  la 
campagne  et  le  murmure  de  la  brise  du  soir. 

Les  voix  se  rapi)rochérent.  Le  capitaine  aperçut  bientôt  les 
enfants.  Ils  étaient  quatre,  et  chacun  d'eux  avait  un  panier 
recouvert  de  fleurs  et  orné  de  rubans  roses.  Sur  leur  tête  nue 
était  posée  une  petite  couronne  de  lilas  en  boutons.  On  eût  dit 
quatre  chérubins  descendus  du  ciel,  mais  quatre  chérubins  très 
gais  et  très  polis,  car  ils  remerciaient  en  riant  de  foi't  bonne 
glace  tous  les  fermiers  et  métayers  qui  emplissaient  leurs 
paniers  d'œufs  de  canes  ou  d'œnfs  de  poules. 

Les  quatre  enfants  passèrent  devant  la  mai'^on  de  M.  Renaud 
et  semblèrent  délibérer  un  instant;  mais  la  ré[)utation  du  capi- 
taine les  effraya;  ils  n'osèrent  chanter  leur  cluéiienne  et  naïve 
chanson  devant  l'ennemi  du  prêtre  et  de  Dieu,  et,  hâtant  le 
pas,  ils  gagnèrent  une  ferme  éloignée. 

Le  capitaine  sentit  le  coup  et  frappa  du  pied. 

—  Tonnerre  de  Brest!  s'écria-t-il,  je  ne  suis  pourtant  pas 
le  diable.  C'est  le  curé,  sans  doute,  qui  excite  ces  enfants 
contre  moi. 

Quelques  minutes  après,  M.  Renaud  allait  fermer  sa  fenêtre 
et  descendre  à  la  salle  à  manger,  lorsqu'une  petite  voix,  plus 
fraîche  encore  que  les  précédentes,  se  fit  entendre  juste  au- 
dessous  de  lui. 

M.  Renaud  baissa  les  yeux  et  aperçut  un  enfant  de  l'école 
des  Frères,  le  petit  Guillaume,  à  peine  âgé  de  dix  ans,  qu'il 
avait  naguère  protégé  contre  une  attaque  furieuse  de  cinq  ou 
six  polissons  du  voisinage.  Depuis  cette  époque,  l'enfant  se 
montrait  reconnaissant  et  n'oubliait  jamais  de  saluer  en  passant 
^e  vieux  militaire.  On  avait  dit  au  capitaine  que  la  mère  du 


LSS    ŒUFS   DE    PAQUE=;  253 

petit  Guillaurae,  morte  depuis  deux  ans,  était  une  cousine  éloi- 
gnée de  la  sienne,  et  ce  rapproaheraent  avait  augmenté  sa 
sympathie  pour  l'enfant. 

Celui-ci,  couronné  de  lilas  comme  ses  amis,  un  panier  fleuri 
passé  dans  son  bras  droit,  souriant  et  regardant  le  capitaine, 
chantait  ainsi  : 

Donnez,  donnez  aux  enfants  de  chœur, 
Qui  demandent  au  nom  du  Sauveur. 
Et  vos  poules,  toute  l'année, 
Pondront  à  foisonnée  ! 

Le  capitaine  fit  monter  l'enfant.  La  vieille  chanson  tradition- 
nelle était  revenue  en  sa  mémoire.  Il  se  rappelait  avoir  été  lui- 
même  aux  œufs  de  Pâques,  en  sa  jeunesse,  quand  sa  mère  était 
près  de  lui. 

—  Je  te  remercie  d'être  venu,  dit-il  au  petit  Guillaume.  Tu 
n'as  pas  fait  comme  tes  camarades.  Tu  n'as  pas  eu  peur  de  moi. 
Mais  je  ne  suis  pas  un  méchant  homme.  Mets  ceci  dans  ion 
panier.  Ta  mère  achètera  des  œufs  pour  toi...  Mais  j'y  pense, 
mon  pauvre  enfant,  tu  es  comme  moi,  tu  n'as  plus  ni  père  ni 
mère.  Tu  es  orphelin.  Qui  s'occupe  de  toi?  qui  te  nourrit?  qui 
t'habille? 

—  Monsieur  le  curé,  répondit  l'enfant. 

Le  capitaine  resta  un  instant  pensif;  puis,  tout  à  coup  : 

—  Dis-moi,  petit,  tu  sais  où  est  le  cimetière  ? 

—  Oui,  capitaine. 

—  Veux-tu  m'y  conduire  ? 

—  Volontiers,  répondit  Guillaume  sans  hésitation. 

Le  capitaine  et  l'enfant  prirent  à  travers  champs.  En  quelques 
minutes,  ils  arrivèrent  au  mur  de  clôture,  surmonté  d'une 
grande  croix  de  bois. 

—  Il  faut  aller  à  la  porte,  dit  Guillaume. 

—  Non,  fit  le  capitaine.  Je  ne  me  soucie  pas  qu'on  ma  voie. 
Je  vais  franchir  la  muraille,  et  je  te  ferai  passer  si  tu  veux  me 
suivre. 

Le  capitaine  se  haussa  sur  la  pointe  du  pied  et  jeta  les  yeux 
sur  le  cimetière.  Le  vieux  curé  était  pieusement  agenouillé  sur 
une  tombe  et  priait  avec  ferveur.  M.  Renaud  attendit  qu'il  fiât 
parti  ;  puis,  avec  une  agilité  extraordinaire,  il  escalada  le  mur 
d'enceinte  en  enlevant  dans  ses  bras  robustes  le  petit  Guillaume, 
toujours  orné  de  ses  lilas  et  chargé  de  son  panier  fleuri. 


254  ANNALES    CATHOLIQUES 

—  Saig-tu,  demanda  en  tremblant  le  capitaine,  oii  se  troure 
la  tombe  de  ma  mère  ? 

—  Oui,  mon  capitaine  :  c'est  la  grande  croix,  là-bas,  sous 
le  saule. 

—  Conduis-moi,  mon  ami. 

L'enfant  prit  sans  façon  la  main  du  capitaine  et  le  condaisit 
droit  à  la  tombe  ou,  quelques  minutes  auparavant,  priait  le  curé 
de  la  paroisse.  Le  capitaine  remarqua  cette  coïncidence,  aperçut 
une  branche  de  rameau  fraîchement  déposée  sur  la  pierre,  et, 
fort  ému,  troublé  jusqu'au  fond  de  Tàme,  mordit  sa  moustache 
grise.  Un  reste  de  respect  humain  l'empêchait  encore  de  prier. 
Mais  l'enfant  avait  plus  de  courage  ou,  du  moins,  plus  de  foi. 
Il  sii  mit  tranquillement  à  genoux  et  récita  son  Pater. 

En  entendant  cette  petite  voix,  le  capitaine  se  senti  vaincu. 
Il  tomba,  sanglotant,  sur  la  mousse  du  tombeau  : 

—  Oh  !  ma  pauvre  mère,  s'écria-t-il,  vous  êtes  donc  là  ! 
Mais  l'enfant,  le  regardant  avec  surprise  : 

—  Vous  savez  bien  que  non,  mon  capitaine;  elle  est  au  ciel 
avec  le  bon  Dieu  ! 

Le  lendemain,  saint  jour  de  Pâques,  à  dix  heures,  la  paroisse, 
réunie  tout  entière  à  l'église  pour  célébrer  la  glorieuse  résur- 
rection du  Sauveur  du  monde,  fut  bien  surprise  en  voyant  entrer 
le  capitaine  Renaud,  en  grande  tenue  d'ofticier  français,  trois 
croix  sur  la  poitrine,  la  tète  haute  et  droite,  comme  il  con- 
vient au  soldat,  mais  sans  orgueil  et  sans  fierté.  De  son  pas 
militaire,  il  traversa  la  nef  et  alla  s'asseoir,  en  dissimulant  de 
son  mieux  uno  émotion  profonde,  au  premier  rang,  à  la  place 
de  sa  mère.  Près  de  lui  s*assit  le  petit  Guillaume,  qu'il  semblait 
avoir  adopté. 

Un  frisson  joyeux  parcourut  la  foule.  Le  sacristain  Buron  se 
troubla  dans  sa  sonnerie.  C'est  uno  si  grande  joie,  même  ici- 
bas,  dans  les  paroisses  chrétiennes,  quand  un  [)écheur  se  récon- 
cilie franchement  avec  Dieu  !  Après  l'évangile,  le  curé,  dont 
l'émotion  était  visible,  fit  un  petit  discours  sur  la  résurrection 
et  annonf;a  qu'une  messe  serait  chantée,  après  les  fêtes,  pour 
le  repos  de  l'àme  de  Mme  Renaud. 

Après  le  saint  office,  le  capitaine,  toujours  suivi  de  son  pro- 
tégé, se  rendit  sur  la  [dace  publique  et  serra  joyeusement  la 
main  d'une  foule  de  braves  gens  qui,  jusque-là,  le  craignaient 
et  s'écartaient  de  lui.  Le  vieux  curé  vint  à  son  tour.  M.  Renaud 
alla  à  sa  rencontre  les  deux  mains  tendues,  des  larmes  de  joie 
dans  les  yeux. 


LA   BANQUEROUTE    DU    PROTESTANTISME  255 

—  Ah!  monsieur  le  curé,  s'écria-t-il,  quand  Dieu  veut  da 
bien  à  des  orgueilleux  comme  moi,  voyez  comme  il  emploie  do 
petits  moyens  :  cet  enfant,  un  vieux  retriiin  et  une  prière  sur 
un  tombeau... 

—  C'est  son  grand  secret,  mon  capitaine,  répondit  le  vieux 
prêtre.  Remercions-le,  bénissons-le,  et  allons  fêter  les  œufs  de 

Pâques. 

Charles  Saint-Martin. 


LA  BANQUEROUTE  DU  PR0T:^:STANTISME 

Une  grande  partie  des  calvinistes  néerlandais  ont  perdu  tout 
droit  de  réclamer  le  titre  de  chrétiens,  et  n'en  ont  d'ailleurs 
plus  l'envie. 

Le  R.  P.  W.  Wilde  a  écrit  à  ce  sujet  un  travail  remarquable, 
digne  d'être  lu  par  les  catholiques  et  les  protestants  croyants, 
dont  nous  extrayons  quelques  idées. 

C'est  le  cœur  navré,  que  les  protestants  sincères  voient  gran- 
dir l'incrédulité  dans  leur  église.  Des  hommes  dont  les  inten- 
tions ne  sont  peut-être  pas  si  mauvaises,  aident  à  démolir  ce 
qni  est  resté  du  christianisme.  Lorsque  les  protestants  quittèrent 
le  roc  de  l'Eglise  catholique,  ils  croyaient  conserver  un  appui 
dans  la  Bible.  Mais  tout  leur  échappe,  jusqu'à  ce  qu'ils  péris- 
sent sans  espoir. 

Cette  déchéance  est  due  au  principe  protestant  du  libre  exa- 
men, sur  lequel  ils  édifiaient  toute  leur  croyance. 

Us  invoquaient  cette  liberté  comme  leur  force,  mais  elle  3St 
devenue  une  force  qui  les  anéantira.  Us  cherchaient  un  [)rin- 
cipe  vital,  et  ils  ont  trouvé  un  principe  de  dissolution.  Car  c'est 
en  vertu  de  ce  principe  du  lilire  examen,  que  les  apôtre:^  de 
l'incrédulité  ont  commencé  et  continuent  leur  œuvre  de 
destruction. 

Us  examinent  et  que  trouvent-ils?  leur  propre  fausse  gran- 
deur, et  en  fin  de  compte  tout  aboutit  à  une  glorification  per- 
sonnelle. Le  protestanlisme  du  XVP  siècle  repoussa  l'Eglise 
catholique  et  le  prêtre,  mais  retint  la  Bible  et  le  Méiliateur 
céleste.  Mais  aujourd'lnii  les  modernes  ne  veulent  plus,  ni  de 
l'église,  ni  du  prêtre,  ni  du  Sauveur.  Us  veulent  n'avoir  affaire 


256  ANNALES    CATHOLIQUES 

qu'à  Dieu,  directement,  sans  intermédiaire.  Qu'en  auraient-ils 
besoin  ?  —  Ils  portent  en  eux  ces  trésors  de  foi,  d'espérance  et 
de  charité!  et  ne  faut-il  [las  s'étonner  par  conséquent,  que  la 
Bilile  n'a  pas  pour  eux  plus  de  valeur  que  le  Védas  des  Hindous, 
le  Zund-Avesta  des  Perses,  l'Alcoran  des  Musulmans^  car  rien 
ne  trouve  grâce  à  leurs  yeux.  La  personne  sacrée  de  Jésus- 
Christ  n'est  puur  eux  qu'une  caiicature,  un  homme,  brillant 
par  ses  talents  et  ses  vertus,  mais  en  même  temps  un  homme 
horriblement  trompé  ou  un  tiompeur  infâme. 

En  débitant  ces  blasplièmes,  ils  osent  soutenir  que  le  Christ 
commence  seulement  à  cLi'e  compris  par  nous,  —  que  l'eireur 
provient  du  titre  de  Messie  et  de  la  superstition  païenne  croyant 
à  des  lils  de  Dieu,  en  cliair  et  en  os,  —  que  le  récit  des  miracles 
des  Evangiles  est  né  du  langage  symbolique  de  i'Oiient,  et  que 
l'express^iun  de  la  réconciliation  par  le  sang  de  Jésus,  employée 
par  saint  Paul,  n'est  guère  réussie.  Un  prédicant  de  Pamaribo, 
M.  Sieijnis,  a  publié  récemment  un  petit  livre  intitulé  :  Démo- 
lir et  édifier,  qui  se  résume  en  ces  mots  :  «  Nous  démolissons 
toute  l'Eglise  chrétienne  et  la  foi  vive  dans  la  révélation  de 
Dieu  ;  —  nous  édifions  ia  doctrine  de  la  déification  personnelle, 
la  tour  de  l'orgueil  humain.  » 

Cette  incrédulité  s'allie  à  la  haine  la  plus  violente  pour  le 
Christ  et  le  Christianisme.  Comme  preuve  nous  citerons  un 
extiait  d'un  livre  du  D'  Hartogh  Heijs  de  Zouteveen,  qui  a  paru 
en  1883.  Il  dit  :  «  Si  le  Christ  a  réellement  vécu,  ce  que  nous  ne 
savons  pas  même,  en  ce  cas  il  était  un  meneur  du  peuple  très 
ordinaiie  de  la  classe  ouvrière,  qui,  s'il  n'a  pas  été  fou,  possé- 
dait indubitablement  une  grande  dose  d'ambition,  injuriait  tout 
ce  qui  dans  la  société  se  trouvait  au-dessus  de  lui,  et  qui 
em[)runtait  ses  doctrines  morales,  pour  autant  quelles  sont 
bonnes,  aux  écrits  des  docteurs  et  des  pharisiens  qu'il  com- 
battait si  souvent.  » 

Tout  l'écrit  de  Hartogh  est  rempli  d'expressions  aussi  horri- 
bles. Le  bouddhisme  est  pour  lui  «  la  forme  de  religion  la  plus 
sublime  qui  existe  sur  la  terre.  » 

Nous  finirons  en  apprenant  à  nos  lecteurs  que  ces  horreurs 
sont  enseignées  publi(iuement  aux  universités,  et  ce  qui  doit 
surtout  peiner  les  protestants  croyants,  c'est  que  non  seulement 
les  membres  ordinaires  de  leur  communauté,  mais  des  diacres 
et  des  conseils  d'église  adhérent  aux  idées  modeines,  —  que  de 
nombreux   prédicants  les  enseignent  et  se  font  les  défenseurs 


LETTRE    DU   CARDINAL   GUIBERT  257 

de  rincrédulité,  —  que  ce  sont  ainsi  les  pasteurs  qui  conduisent 
leurs  brebis  dans  le  chemin  de  l'incrédulité,  —  qu'ils  le  font  en 
vertu  du  grand  principe  protestant. 

C'est  de  là  que  sont  nés  dans  l'église  protestante  les  conflits 
actuels,  et  la  situation  intenable.  On  prétend  que  Rome  est  le 
plus  grand  ennemi  du  protestantisme,  mais  si  on  avait  le  cou- 
rage de  l'avouer,  on  chercherait  l'ennemi  ailleurs.  Un  aveu 
impartial  et  désintéressé  reconnaîtrait  que  l'ennemi,  ce  senties 
modernes. 


LA  LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET    l'ÉPISCOPAT 
(Suite.  —  V.  le  numéro  précédent.) 

Ajaccio.  —  Monseigneur  l'évêque  d'Ajaccio  écrit  : 

C'est  à  Rome,  où  je  me  trouve  en  ce  moment,  que  je  viens  de  lire 
la  remarquable  lettre  adressée  par  Votre  Éminence  au  chef  de  l'Etat. 
Elle  exprime  admirablement  les  pensées  et  les  sentiments  de  l'épis- 
copat  français  en  présence  des  douloureux  événements  dont  nous 
sommes  les  témoins  attristés.  Nul  doute  que  toutes  les  âmes  droites 
n'approuvent  vos  trop  justes  doléances  et  n'applaudissent  à  vos 
légitimes  revendications. 

Pour  ma  part,  je  ne  saurais  trop  vous  féliciter,  Éminentissime 
Seigneur,  du  nouveau  service  que  vous  venez  de  rendre  à  l'Eglise  et 
à  notre  cher  pays,  en  vengeant  si  énergiquement  le  clergé  français 
des  injustes  accusations  portées  contre  lui.  Désormais,  l'opinion  pu- 
blique détrompée,  tout  homme  sincère  reconnaîtra  l'attitude  loyale 
et  vraiment  patiente  des  nobles  victimes  que  vous  défendez  avec  un 
langage  si  ferme  et  si  digne.  L'histoire  impartiale  enregistrera 
cette  page  éloquente. 

Vos  salutaires  avertissements  seront-ils  perdus  pour  la  Fille  aînée 
de  l'Église?  Espérons  contre  toute  espérance  que  votre  voix,  fidèle 
écho  de  celle  qui,  du  haut  du  Vatican,  parle  avec  une  autorité  infail- 
lible à  tous  les  peuples  de  la  terre,  nous  ramènera  la  paix  et  la  con- 
corde, en  restituant  à  l'Église  la  légitime  part  qui  lui  revient  dans 
le  gouvernement  des  choses  de  ce  monde. 

Albi.  —  Monseigneur  l'archevêque  d'Albi  : 

J'ai  l'honneur  d'adhérer  à  la  lettre  si  pleine  de  vérité  et  de  sagesse 

19 


258  ANNALES    CATHOLIQUES 

que  VOUS  venez  d'adresser  à  M.  le  président  de  la  République.  En 
accomplissant  ce  devoir,  j'interprète  sûrement  les  sentiments  et  les 
aspirations  des  populations  de  l'Albigeois,  si  dévouées  à  leurs  pas- 
teurs, à  leurs  instituteurs  chrétiens  et  aux  nombreuses  communautés 
religieuses  de  mon  diocèse.  Puisse  votre  voix  autorisée  être  en- 
tendue, et  la  paix  sera  rétablie  au  sein  de  notre  chère  France  ! 

Bayonne.  —  Mgr  l'évêque  de  Bajonne  : 

Essayer  de  reprendre  l'un  ou  l'autre  des  points  que  vous  avez 
touchés  d'une  main  si  autorisée  et  si  sûre,  ce  serait  m'exposer  à 
amoindrir  la  force  de  nos  trop  légitimes  doléances. 

Je  ne  sais  donc,  Monseigneur,  que  voua  remercier  de  toute  mon 
âme  de  votre  courageuse  et  opportune  initiative.  Nul  ne  pouvait 
dire  aussi  bien  que  Votre  Erainence  nos  angoisses  chaque  jour  plus 
vives  et  nos  appréhensions  pour  l'avenir  des  intérêts  sacrés  dont 
nous  avons  la  garde. 

Daigne  Notre-Seigueur  Jésus-Christ,  qui  malgré  tout  aime  la 
France,  faire  que  votre  solennelle  démarche  ne  soit  pas  stérile  ! 
Puissions-nous  retrouver,  avec  le  respect  de  nos  croyances  et  de  nos 
droits  indispensables,  la  liberté  du  dévouement  et  du  bien,  la  seule 
que  nous  ambitionnions,  parce  qu'elle  ne  pourrait  être  longtemps 
entravée  sans  dommage  pour  la  patrie  comme  pour  l'Eglise,  toujours 
inséparables  dans  nos  préoccupations  et  notre  amour. 

Belley.  —  Mgr  l'évêque  de  Bellej'  : 

J'ai  l'honneur  de  vous  exprimer  mon  adhésion  pleine  et  entière 
aux  sages  observations  présentées  par  Votre  Éminence  à  M.  le  pré- 
sident de  la  République,  au  sujet  des  aggravations  apportées  chaque 
jour  à  la  situation  de  l'Église  catholique  en  France. 

Je  forme,  Eminence,  les  vœux  les  plus  profonds  pour  que  les 
graves  accents  arrachée  â  votre  conscience  d'évêque  par  votre  foi  et 
votre  patriotisme  soient  écoutés  de  ceux  qui  noue  gouyernent  et  qui 
assument  de  si  lourdes  responsabilités. 

Digne.  —  Mgr  l'évêque  de  Digne  : 

Entré  le  dernier  dans  la  phalange  illustre  des  évoques  français, 
mais  les  yeux  fixés  avec  attention  sur  ses  aînés  pour  y  trouver  sa 
ligne  de  conduite  en  tout  ce  qui  touche  à  l'amour  de  la  sainte  Église 
et  de  notre  bien-aimée  patrie,  l'évêque  de  Digne  adhère  pleinement 
aux  sentiments  d'amertume,  de  préoccupation,  de  chagrin  profond 
si  bien  exprimés  dans  votre  lettre  du  30  mars  dernier  à  M.  le  prési- 
dent de  la  République;  elles  sont  cruelles  en  effet,  ces  accusations 
portées  contre  le  clergé  de  France,  si  noble  pourtant,  si  courageux, 
si  pieux,  si  dévoué,  si  désintéressé  toujours  ! 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  259 

Avec  Votre  Éminence,  nous  nous  étonnons  des  sévérités  inatten- 
dues dont  nous  sommes  victimes,  et  comme  elle  nous  souhaitons 
ardemment  le  retour  de  l'union  dans  les  esprits  et  dans  les  cœurs  : 
ce  qui  serait  assurer,  à  bref  délai,  la  paix  publique  en  notre  chère 
patrie. 

Tarées.  —  Mgr  Tévêque  de  Tarbes  : 

Ce  n'est  pas  sans  un  profond  dessein  de  bonté  miséricordieuse 
pour  l'Église  et  la  France,  dont  les  destinées  sont  toujours  unies 
comme  celles  d'une  mère  et  de  sa  fille,  que  la  divine  Providence 
exauce  nos  prières  en  prolongeant  la  chaîne  de  vos  jours  si  précieux, 
et  si  aimés.  Elle  vous  conserve,  et  nous  lui  en  rendons  d'incessantes 
actions  de  grâces,  comme  une  sentinelle  non  moins  vigilante  qu'in- 
corruptible, pour  jeter  le  cri  d'alarme  toutes  les  fois  que  notre  sainte 
religion  est  menacée  ou  frappée  dans  ses  droits  et  ses  intérêts.  Et 
votre  voix,  à  laquelle  tous  les  échos  s'empressent  de  répondre,  à 
mesure  qu'elle  se  rapproche  du  ciel  qui  vous  appelle,  prend  pour  la 
terre  je  ne  sais  quoi  de  plus  en  plus  divin  qui  nous  fait  ressouvenir 
'de  ce  que  nos  poètes  classiques  nous  racontent  de  certains  cygnes  de 
l'antiquité. 

C'est  ainsi  surtout  que  votre  dernière  lettre,  adressée  au  chef  de 
l'Etat,  se  présente  à  l'admiration  et  à  la  reconnaissance  de  tous  les 
cœurs  catholiques  et  français.  Après  la  mémorable  encyclique  Im- 
mortale  Dei,  dont  elle  est  un  brillant  reflet,  une  vive  application  à 
notre  pays  et  à  notre  temps,  nous  déclarons  n'avoir  rien  vu  où 
éclatent  avec  une  si  merveilleuse  harmonie  la  sagesse  et  le  courage, 
le  respect  et  la  franchise,  la  modération  et  l'énergie,  la  simplicité 
et  l'éloquence  antique.  Non,  l'épiscopat  français  ne  pouvait  avoir  un 
plus  fidèle,  un  plus  sublime  interprète  des  sentiments  qui  l'animent. 

Aussi  l'évêque,  le  clergé  et  les  fidèles  du  diocèse  de  Tarbes,  mus 
d'un  même  élan  d'enthousiasme  et  de  gratitude,  éprouvent  le  besoin 
de  s'associer  à  vos  respectueuses  protestations  et  à  vos  légitimes 
doléances.  Ils  vous  remercient  de  cœur  et  d'âme  d'avoir  allégé  par 
elles  leur  conscience  du  lourd  poids  qui  l'oppressait.  Nous  pouvons 
d'autant  mieux  nous  exprimer  de  la  sorte  qu'à  peine  nous  terminons 
une  tournée  générale,  où  il  nous  a  été  donné  de  voir  de  près  et 
pasteurs  et  troupeaux,  d'entendre  leurs  paroles  et  de  sentir  comme 
le  souffle  même  de  leur  âme. 

Eh  bien!  oui,  nos  populations  sont  profondément  chrétiennes, 
profondément  catholiques  ;  et  tout  ce  qui  blesse  leurs  croyances, 
entrave  l'exercice  de  leur  liberté  religieuse,  les  froisse  et  les  irrite. 
Au  contraire,  tout  ce  qui  leur  rappelle  les  beautés  de  leur  foi,  les 
magnificences  de  leur  culte,  les  remplit  de  joie  et  de  bonheur. 

...  De  nos  prêtres  aussi,  que  nous  connaissions  déjà,  mais  qu'au- 
jourd'hui nous  connaissons  mieux  encore,  que   dirons-nous?  Nous 


260  ANNALES   CATHOLIQUES 

les  avons  trouvés,  et  nous  en  avons  mille  fois  béni  Dieu,  admirables 
de  sagesse  et  de  piété,  de  patience  et  de  douceur,  de  calme  et  de 
sérénité  évangélique.  Si  les  mesures  hostiles  énumérées  par  Votre 
Eminence  contristent  leur  foi  et  leur  patriotisme,  ils  savent  puiser 
eu  Dieu  ce  qu'il  leur|faut  de  courage  et  de  force  pour  supporter 
l'épreuve.  Ils  ne  repoussent  aucune  forme  de  gouvernement,  aucune 
institution  honnête  et  féconde,  aucun  progrès  véritable,  â  quelque 
ordre  qu'il  se  rattache.  Dans  leurs  actes  de  citoyens,  en  respectant 
la  liberté  chez  les  autres,  ils  prennent  pour  eux  celle  de  n'écouter 
que  les  inspirations  de  leur  conscience.  Voilà  leur  politique,  la  seule 
qu'ils  connaissent,  et  surtout  la  seule  qu'ils  pratiquent. 

...  A  révêque  et  au  diocèse  de  Notre-Dame  de  Lourdes,  Eminence, 
vous  voudrez  bien  permettre  de  vous  offrir  des  remercîments  parti- 
culiers et  presque  personnels.  Vous  avez  eu  l'attention  courageuse, 
en  effet,  parmi  les  outrages  infligés  â  la  religion,  de  signaler  ceux 
qu'on  n'a  pas  craint  de  jeter  à  la  face  de  la  Vierge  Immaculée.  Ah  !  ils 
ont  douloureusement  retenti,  sans  aucun  doute,  dans  l'âme  de  tous 
les  vrais  catholiques;  mais  ils  sont  tombés  comme  _^des  charbons 
ardents  dans  le  cœur  de  celui  dont  telle  est  la  devise  épiscopale  l 
Posuit  me  custode  m. 

Tulle.  —  Mgr  l'évêque  de  Tulle  : 

Comme  doyen  des  archevêques  et  des  cardinaux  français,  il  vous 
appartenait  de  prendre  la  parole,  dans  de  si  graves  circonstances, 
avec  toute  l'autorité  de  l'âge  et  de  la  dignité,  de  l'expérience  et  de  la 
sagesse,  des  services  rendus  et  du  dévouement  â  l'Église  et  à  la 
France. 

Mais  si  cette  lettre  a  déjà  tant  d'importance  par  tous  les  titres  de 
son  auteur,  elle  n'en  a  pas  moins  en  elle-même  par  ses  qualités 
éminemment  épiscopales.  Que  Votre  Eminence  me  permette  de  le 
dire  sans  détour  :  cet  acte  tristement  opportun  et  nécessaire  sera 
pour  elle  une  gloire  de  plus  dans  les  annales  de  l'Eglise,  après  avoir 
produit  dans  le  clergé  et  les  catholiques  une  impression  aussi  salutaire 
que  profonde.  Avec  tout  le  respect  et  tous  les  égards  qui  sont  dus  à 
l'autorité,  vous  avez  fait  entendre  ou  entrevoir  la  vérité  tout  entière 
sur  la  déplorable  situation  qui  nous  est  faite  et  sur  les  conséquences 
plus  funestes  encore  qu'elle  pourrait  bientôt  entraîner.  Dans  vos 
quelques  pages,  rien  ne  manque,  ni  Vapologie,  ni  la  protestation,  ni 
V  avertissement. 

Oui,  il  fallait  d'abord  l'apologie  de  nos  intentions  et  de  notre  con- 
duite. Avec  une  indulgente  condescendance,  vous  avez  montré  à 
bien  des  hommes  prévenus  ou  abusés  que,  sans  aucun  parti  pria 
d'hostilité,  nous  nous  bornions  à  réclamer  la  paix  des  consciences 
avec  la  liberté  de  notre  ministère,  en  poussant  la  modération  et  la 
patience  jusqu'à  leurs  dernières  limites,  selon  la  direction  que  le 


LA   VÉRITÉ    SUR   l'aFFAIRE    DE    CHATEAUVILLAIN  261 

Saint-Pere  a  tenu  â  nous  donner.  Depuis  un  demi-siècle,  presque 
tous  les  partis  ont  tour  à  tour  accusé  le  clergé  français  d'accepter 
avec  trop  de  facilité  les  différentes  formes  de  gouvernement  qui  se 
sont  succédé,  comme  s'il  avait  pour  principe  et  pour  règle  une 
indifférence  complète  en  matière  politique.  Dans  ces  derniers  temps, 
j'ai  pu  constater,  à  Rome,  que  les  catholiques  et  les  évêques  des 
autres  nations,  après  nous  avoir  rendu  pleine  justice,  commençaient 
à  s'étonner  de  notre  résignation  et  de  notre  silence. 

Nous  avions  ensuite  besoin  d'une  protestation  d'autant  plus  ferme 
qu'elle  serait  plus  calme  et  plus  respectueuse.  Aussi,  dans  vos  trop 
justes  doléances,  après  avoir  montré  au  pouvoir  qu'il  n'avait  aucun 
motif  légitime  de  nous  frapper,  vous  avez  résumé  la  longue  série 
des  coups  qui  nous  ont  été  successivement  portés  ou  qui  nous 
menacent  encore,  les  lois  et  les  mesures  qui  atteignent  peu  à  peu 
p;;rmi  nous  toutes  les  sources  de  la  vie  catholique,  dans  la  liberté 
du  culte  et  du  ministère  sacrés,  dans  les  modiques  ressources  du 
clorgé,  dans  l'avenir  des  séminaires  et  dans  l'éducation  chrétienne 
des  enfants.  Ce  sont  là  des  faits  indiscutables,  que  tout  le  monde 
connaît,  qui  suivent  une  progression  constante,  selon  le  plan  con- 
certé pour  détruire  la  foi,  et  Votre  Éminence  achève  ce  lugubre 
tableau  en  rappelant  les  attaques  publiques  contre  les  dog'mes  essen- 
tiels de  la  religion  chrétienne. 

Enfin,  pour  décharger  complètement  votre  responsabilité  et  la 
nôtre,  vous  avez  fait  entendre  un  double  avertissement  qui  est  tout 
à  la  fois  un  cri  d'alarme  et  un  cri  d'espérance  ;  d'après  les  leçons  du 
passé  et  à  la  lueur  parfois  sinistre  des  événements  contemporains, 
vous  avez  signalé,  avec  la  caducité  des  institutions  humaines,  les 
redoutables  périls  que  la  continuation  et  l'aggravation  de  cette  lutte 
feraient  courir  â  la  France;  mais  pourtant  votre  patriotisme  éclairé 
n'a  pas  désespéré  de  son  avenir  catholique;  nous  exprimons  volon- 
tiers avec  vous  l'espoir  que  la  France  ne  se  laissera  pas  dépouiller 
des  saintes  croyances  qui  ont  fait  sa  force  et  sa  gloire  et  qui  lui  ont 
assuré  le  premier  rang  parmi  les  nations. 


LA  VERITE 

SUR   l'affaire    de    CHATEAUVILLAIN 

Rectifications  par  Mg7'  Vévêque  de  Grenoble. 

Sous  ce  titre,  nous  lisons  dans  la  Semaine  y^eligieuse  de 
Grenoble  : 
M.  le  ministre  des  cultes  a  prononcé  plusieurs  fois,  dans  son 


262  ANNALES    CATHOLIQUES 

discours  à  la  Chambre  des  députés,  le  nom  de  M.  le  curé  de 
Châteauvillain  et  le  nôtre,  ainsi  qu'au  Sénat,  en  donnant  comme 
vraies  des  choses  qui  ne  le  sont  pas.  La  presse  a  porté  en  tous 
lieux  ces  erreurs  :  la  presse  portera  aussi  nos  rectifications. 
C'est  justice. 

1.  Nous  affirmons  que  depuis  plusieurs  années,  M.  l'abbé 
Guillaud  est  poursuivi  odieusement  par  uu  groupe  d'hommes 
qui  se  servent  du  maire  de  Châteauvillain  pour  arinver  à  leur 
fin  :  le  déplacement  du  curé. 

Le  public  nomme  les  principaux  meneurs,  et  il  dit  qu'ils  sont 
francs-maçons .  C'est  aussi  ce  que  m'affirmait,  il  j  a  quelques 
jours,  un  habitant  du  pays,  homme  instruit,  sérieux  et  parfai- 
tement renseigné.  Il  serait  facile,  à  son  avis,  de  retrouver  la 
main  de  ces  chefs  dans  les  pièces  qui  émanent  de  la  mairie  de 
Châteauvillain,  le  maire  étant  plus  habile  à  manier  sa  charrue 
qu'une  plume. 

2.  Le  curé  de  Châteauvillain  et  son  vicaire  sont  accusés 
d'avoir  ridiculisé  le  conseil  municipal  de  cette  commune  devant 
les  chantres  de  la  paroisse.  Peut-on  prouver  ce  fait,  tel  qu'il 
est  présenté'^  Non. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  dire  que  cet  acte  relevait,  ou  des 
tribunaux  ordinaires,  on  de  celui  de  l'évêque.  Dans  le  premier 
cas,  pourquoi  les  municipaux  n'ont-ils  pas  demandé  justice, 
s'ils  voulaient  se  plaindre,  au  juge  compétent?  Dans  le  second 
cas,  l'évêque  examine  la  plainte,  la  juge,  et  s'il  y  a  lieu,  inflige 
un  blâme  au  délinquant.  C'est  son  alfaire  et  celle  des  coupables, 
et  le  public  n'a  pas  le  droit  de  demander  qu'on  l'instruise  de  la 
mesure  qui  a  été  prise. 

3.  M.  le  curé  a  été  accusé  par  M.  le  ministre  des  cultes,  du 
haut  de  la  tribune,  d'avoir  désobéi  à  son  évêque,  à  propos  de 
catéchismes  qu'il  aurait  refusé  de  faire  à  l'église  paroissiale. 

Voici  la  vérité,  en  deux  mots,  et  je  prends  toute  la  paroisse 
à  témoin  de  ce  que  je  vais  dire. 

M.  le  curé,  vu  le  froid  rigoureux  de  l'hiver,  faisait  le  caté- 
chisme à  l'école  libre  des  Soeurs  dans  une  salle  chauffée.  Les 
enfants  des  écoles  communales  s'y  rendaient  volontiers.  La 
coterie  s'émut,  et  la  préfecture,  informée,  envoya  l'ordre  de 
cesser  cette  manière  de  faire.  Pour  apaiser  cette  guerre, 
j'invitai  M.  le  curé  à  donner  satisfaction  aux  plaignants.  Alors 
il  annonça,  le  dimanche,  à  ses  paroissiens,  que  M.  le  vicaire 
catéchiserait  les  enfants  des  écoles  laïques  à  l'église. 


LA   VÉRITÉ    SUR   l'aFFAIRE    DE    CHATEAUVILLAIN  263 

Ceux-ci  n'y  vinrent  pas,  mais  coururent  d'eux-mêmes 
à  l'école  congréganiste,  dans  la  chambre  bien  chauffée.  M.  le 
curé  les  pria  de  sortir.  Ils  n'en  firent  rien.  Pouvait-il  les 
empoigner  par  les  épaules  et  les  jeter  à  la  porte?  Non,  évi- 
demment. 

La  scène  se  renouvela,  et  le  curé  fut  aussi  impuissant  que  la 
première  fois. 

Voilà  comment  il  m'a  désobéi.  Si  M.  le  ministre  m'avait  fait 
l'honneur  de  se  renseigner  auprès  de  moi,  il  n'aurait  pas  com- 
mis l'erreur  que  je  signale. 

Nous  ne  pouvons  nous  empêcher  d'exprimer  ici  le  regret  de 
voir  attiser  de  la  sorte  le  feu  de  la  division  et  abaisser  ainsi 
les  caractères.  Avec  tin  pareil  système,  notre  peuple  va  devenir 
un  peuple  d'esclaves,  ne  sachant  plus  que  trembler,  par  crainte 
d'en  haut,  par  crainte  d'en  bas. 

4.  M.  le  ministre  s'est  plaint  de  n'avoir  pu  obtenir  de  nous  le 
changement  du  curé,  plusieurs  fois  sollicité. 

Son  Excellence  doit  savoir  que  l'évêque  est  obligé  d'être 
juste  dans  son  administration. 

Or,  le  déplacement  d'un  curé  serait  un  acte  injuste,  s'il 
n'était  pas  motivé  par  des  faits  répréhensibles  et  sérieux.  Des 
actes  de  cette  nature  n'existant  pas,  loin  de  là,  je  ne. pouvais 
donner  suite  aux  plaintes  des  ennemis  d'un  excellent  prêtre  ; 
d'autant  plus  que  le  mot  d'ordre  avait  été  lancé,  semble-t-il,  à 
une  foule  de  maires,  et  chacun  d'eux  devait  apporter  aux  anti- 
cléricaux un  prêtre,  un  frère  ou  une  religieuse  immolés  de  sa 
main.  A  l'heure  présente,  j'ai  une  quinzaine  de  curés  sacrifiés 
sans  motifs,  sans  examen  contradictoire,  sans  jugement,  et  en 
dehors  de  toute  légalité. 

5.  Je  dirai  aussi  que  j'ai  écrit  à  M.  Goblet,  au  sujet  de  la 
triste  affaire  de  Châteauvillain.  J'ai  rappelé  à  M.  le  ministre 
que  ni  son  ministère  ni  la  préfecture  de  l'Isère  ne  m'ont  jamais 
écrit  un  mot  au  sujet  de  la  fermeture  de  la  chapelle,  oubliant 
ainsi  que  si,  aux  termes  des  lois  organiques  et  autres,  le  gou- 
vernement autorise  l'ouverture  des  chapelles,  il  appartient  à 
l'évêque  du  diocèse  d'en  faire  la  demande,  d'y  ordonner  le 
culte  religieux,  d'y  placer  un  prêtre,  de  l'y  maintenir  ou  de  le 
déplacer. 

De  sorte  qu'un  aumônier,  dans  ces  conditions,  n'a  pas  d'ordres 
à  recevoir  du  maire,  ni  d'un  fonctionnaire  public  quelconque, 
mais  seulement  de  son  évêque.  Il  n'appartient  pas  à  un  préfet 


264  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'envoyer  relever  un  soldat  en  faction  :  pour(|uoi  aurait-il  la 
mission  de  retirer  un  prêtre  de  son  poste  ? 

Il  fallait  simplement  que  M.  le  ministre  m'écrivît  de  faire 
cesser  le  service  religieux  à  la  chapelle  de  la  Combe.  Avant  ou 
après,  je  lui  aurais  présenté  mes  observations  respectueuses, 
mais  j'aurais  obéi.  Ai-je  jamais  fait  résistance  à  un  ordre  du 
gouveruement,  alors  même  que  mes  droits  étaient  méconnus? 
Que  le  ministre,  s'il  pense  autrement,  prouve  qu'il  a  raison. 

Eu  agissant  comme  je  viens  de  dire,  les  massacres  de  La 
Combe  eussent  été  évités,  car  alors  MM.  Giraud  n'auraient  pas 
eu  à  défendre  ou  à  faire  défendre  leur  domicile.  C'est  de  là  que 
tout  part.  Il  n'y  a  pas  eu  de  résistance  à  la  chapelle. 

D'ailleurs  ayant  appris,  le  7  avril,  en  arrivant  à  Meyzieu, 
qu'il  s'agissait  de  fermer  la  chapelle  de  la  Combe,  j'avais  dit 
d'ôter  le  Saint-Sacrement  du  tabernacle,  de  le  mettre  en  lieu 
sûr  et  de  cesser  tout  office  dans  la  maison.  Le  clergé  de  Châ- 
teau villain  n'a  donc  pas  eu  à  faire  résistance,  et,  s'il  y  a  eu 
protestation,  c'est  pour  la  violation  du  domicile. 

6.  M.  le  ministre  a  dit  au  Sénat  que  ma  lettre  à  lui  adressée, 
le  14  de  ce  mois,  était  arrivée  trop  tard  :  n'est-ce  pas  M.  le 
ministre  qui  est  parti  trop  tôt  ?  MM.  Giraud  avaient,  non  six 
mois,  mais  dix  mois  pour  se  mettre  eu  règle  avec  l'adminis- 
tration, comme  le  prouve  ci-après  une  consultation  juridique. 
Or,  l'ordre  de  fermer  leur  chapelle  est  daté  du  19  juin  1885.  Le 
délai  légal  finissait  donc  le  19  avril,  et  c'est  le  8  avril  que  le 
domicile  de  MM.  Giraud  a  été  violé  :  on:(e  Jours  avant  l'expi- 
rafion  du  délai  légal.  Quelles  terribles  conséquences  s'en- 
suivent pour  plusieurs  personnes  ! 

En  résumé,  j'ai  eu  l'honneur  de  l'écrire  à  M.  le  ministre  : 
nous  voulons,  nous  catholiques,  la  paix  et  la  liberté,  par  le 
respect  de  l'ordre.  Nous  combattons  l'erreur  :  c'est  notre  droit 
et  notre  devoir.  L'erreur,  elle,  nous  attaque  sans  droit  ;  car  il 
n'y  a  pas  de  droit  contre  le  droit.  Qu'elle  désarme  donc,  en 
nous  laissant  libres  et  tranquilles.  Au  lieu  de  poursuivre  son 
rêve  de  destruction  à  l'endroit  du  catholicisme,  qu'elle  en 
prenne  son  parti.  Il  vivra  malgré  elle,  car  Dieu  le  veut  ;  et 
nous  catholiques,  nous  voulons  lui  rester  fidèles,  à  la  vie  et  à 
la  mort  ! 

-{-  Amand  Joseph, 
Evêque  de  Grenoble. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  265 

A  la  suite  de  ces  observations,  la  Semaine  religieuse 
publie  une  savante  consultation  juridique  de  M.  Desplagnes 
ancien  magistrat,  à  laquelle  Mgr  Fava  fait  allusion.  M.  Des- 
plagnes, prenant  la  thèse  même  de  M.  Goblet,  établit  : 
1°  qu'il  y  a  dans  tous  les  actes  officiels,  en  vertu  même  des 
lois  invoquées  par  le  ministre  des  cultes,  une  illégalité  com- 
plète ;  2"  que  même  en  admettant  son  interprétation  fausse 
des  lois  sur  lesquelles  il  s'est  appuyé,  ses  agents  sont  non 
«  des  fonctionnaires  accomplissant  un  acte  administratif 
légal,  bien  qu'odieux  et  inutile,  mais  des  fonctionnaires 
violant  la  loi,  se  rendant  responsables  des  meurtres  et 
d'actes  absolument  arbitraires  et  illégaux  ». 

Et  M.  Desplagnes  conclut  ainsi  : 

«  La  situation  est  grave  ;  rarement  des  illégalités  ont  amené 
des  suites  aussi  fâcheuses.  Il  est  de  l'intérêt  de  tous  que  les 
vrais  coupables  soient  atteints.  •» 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 


Ironie  et  l'Italie. 


Fidèle  à  ses  «  principes  »  impies,  la  Franc-maçonnerie  ne 
peut  pardonner  au  Pape  d'avoir  démasqué  ses  intentions  et  son 
but  par  l'Encyclique  Humanum  genus.  Elle  veut  maintenant 
établir  trône  contre  trône,  et  fixer  à  Rome  même  le  centre  de 
sa  direction  générale,  en  un  mot  instituer  une  espèce  de  pape 
maçonnique.  Plusieurs  Loges  d'Italie  ont  déjà  formulé  ce  vœu 
et  une  des  Loges  belges  d'Anvers  s'y  est  associée. 

Ce  Grand-Orient  général  de  la  Franc-Maçonnerie,  aurait  sa 
curie,  ses  rentes,  un  denier  de  la  Franc-Maçonnerie  établi  sur 
le  modèle  du  Denier  de  Saint-Pierre. 

De  cette  façon  on  pourrait  convoquer  à  Rome  des  congrès 
franc-maçonniques  internationaux  et  agir  en  maîtres  dans  la 
capitale  du  monde  chrétien. 

Ces  aspirations  de  la  secte  nous  montrent  son  esprit.  Il  est 
fort  à  craindre  que  ce  gouvernement  que  la  révolution  a  porté 
à  Rome  avec  le  concours  de  la  secte,  non  seulement  ne  puisse 


266  ANNALES   CATHOLIQUES 

pas  empêcher  ces  insultes  à  l'univers  catholique,  mais  soit 
obligé  de  les  favoriser.  Les  outrages  continuels  dont  on  abreuve 
le  chef  vénéré  de  l'Eglise  catholique,  la  liberté  avec  laquelle 
toute  société  antichrétienne  peut  faire  ses  démonstrations 
publiques  tandis  que  les  cérémonies  extérieures  du  culte  catho- 
lique sont  défendues,  sont  une  preuve  évidente  que  la  révolu- 
tion italienne  n'en  veut  pas  seulement  au  pouvoir  temporel, 
mais  qu'elle  s'ingère  dans  la  liberté  spirituelle,  et  rend  tous  les 
jours  la  situation  plus  pénible  et  plus  intolérable  au  Souverain 
Pontife. 

Il  se  produit  en  ce  moment  un  grand  mouvement  de  pèleri- 
nages à  Rome.  Les  catholiques  de  toutes  nations  veulent  venir 
à  Rome  pour  y  rendre  leurs  hommages  au  Pape  et  gagner  les 
indulgences  du  jubilé.  On  annonce  pour  le  mois  de  mai  un 
pèlerinage  hollandais.  C'est  la  première  fois  qu'un  pèlerinage 
exclusivement  composé  de  Hollandais  se  dirige  vers  la  Ville- 
Eternelle.  Le  Saint-Père,  informé  du  pieux  projet,  a  daigné 
bénir  les  organisateurs  de  ce  pèlerinage  à  la  tête  duquel  se 
trouve  le  R.  P.  Rensa,  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Les  jeunes 
gens  des  associations  catholiques  italiennes  recevront  les  pèlerins 
dans  les  différentes  villes  d'Italie  et  se  mettront  à  leur  disposi- 
tion pendant  leur  séjour.  On  annonce  aussi  un  pèlerinage  espa- 
gnol et  un  autre  composé  de  Hongrois. 

Mercredi,  28  avril,  dans  la  salle  du  Trône,  au  palais  du 
Vatican,  le  Souverain-Pontife  a  accompli  la  cérémonie  solen- 
nelle de  l'imposition  des  insignes  de  la  Toison-d'Or  au  cardinal- 
secrétaire  d'État,  à  qui  elles  ont  été  apportées  par  le  nouvel 
ambassadeur  d'Espagne,  S.  Exe.  M.  Groizard  y  Gomez  de  la 
Serna^  en  témoignage  de  reconnaissance  pour  l'heureuse  issue 
de  la  médiation  pontificale  dans  le  conflit  des  îles  Carolines. 
Les  pouvoirs  royaux  que  la  couronne  d'Espagne  a  l'usage  de 
conférer  en  pareille  occasion,  d'après  les  statuts  de  l'ordre  su- 
prême de  la  Toison-d'Or,  ont  été  délégués  en  effet  par  la  reine 
régente  à  S.  S.  Léon  XIII  dans  une  lettre  autographe  qui  a  été 
apportée  et  remise  au  Saint-Père  par  le  nouvel  ambassadeur. 
On  fait  à  ce  sujet  la  remarque  que  le  Pape  est  reconnu,  à  bref 
intervalle,  comme  souverain  par  les  deux  puissances  qui  avaient 
recouru  à  sa  médiation. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  267 

On  mande  de  Rome,  le  14  avril  : 

Les  négociations  entre  le  Saint-Siège  et  la  Chine  se  sont  terminées 
dimanche,  et  le  Vatican  a  décidé  d'envoyer  un  représentant  officiel 
auprès  de  la  cour  de  Pékin.  L'envoyé  du  Saint-Siège  portera  proba- 
blement le  titre  de  délégué  apostolique  ;  mais  à  cause  de  l'importance 
de  la  charge,  il  aura  le  rang  et  les  privilèges  d'un  nonce  de  première 
classe,  et  la  délégation  de  Pékin  sera  considérée  comme  un  poste 
cardinalice,  à  l'égal  des  nonciatures  de  Paris,  de  Vienne,  de  Madrid 
et  de  Lisbonne. 

ï^rance. 

On  lit  dans  la  correspondance  hebdomadaire  du  Comité  de 
défense  religieuse  : 

L'initiative  du  comité  de  défense  religieuse  est  accueillie  partout 
avec  la  plus  vive  sympathie,  et  l'on  répond  à  son  appel  avec 
un  empressement  plein  d'espérances.  Les  félicitations  que  reçoit 
le  Comité  montrent  bien  qu'il  a  été  l'interprète  des  sentiments  de 
tous  les  catholiques  et  qu'il  a  répondu  au  cri  de  leurs  consciences 
en  les  invitant  à  protester  contre  le  projet  de  loi  sur  l'ensei- 
gnement primaire. 

Sa  circulaire  vient  à  peine  d'être  distribuée,  et  nous  pouvons 
déjà  annoncer  que  le  pétitionnement  s'organise  dans  le  Nord,  qui, 
comme  toujours,  a  été  le  premier  à  demander  un  envoi  considé- 
rable de  feuilles  de  pétitions;  dans  le  Rhône,  où  les  comités  se 
chargent  de  faire  remplir  10.000  exemplaires  ;  dans  l'Ardèche,  le 
Cher,  la  Meurthe-et-Moselle,  le  Doubs,  la  Charente,  les  Basses- 
Pyrénées,  l'Indre-et-Loire,  la  Loire-Inférieure,  TEure,  le  Loiret, 
la  Seine-Inférieure,  Seine-et-Oise  et  à  Paris. 

Le  mouvement  va  s'accentuer  davantage,  car  ces  premières 
réponses  ne  font  qu'indiquer  le  besoin  de  protestation  que 
ressentent  toutes  les  âmes  honnêtes  et  chrétiennes. 

On  sait  que  la  Chambre  s'est  hâtée  de  nommer  ia  commission 
qui  aura  à  étudier  le  projet  de  loi  que  lui  a  renvoyé  le  Sénat,  et 
que  le  gouvernement  ainsi  que  la  majorité  républicaine  désii^e- 
raient  terminer  promptement  celte  œuvre  de  passion  et  de  haine. 
On  annonce  déjà  que  la  commission  va  travailler  sans  relâche 
pendant  les  vacances  de  Pâques,  dans  l'intention  de  déposer  son 
rapport  à  la  reprise  de  la  session.  Elle  est  l'image  trop  fidèle  de  la 
Chambre  qui  l'a  nommée  pour  que  nous  attendions  d'elle  un 
examen  loyal  et  impartial  des  redoutables  questions  que  soulève 
le  projet.  Néanmoins  nous  avons  lieu  de  croire  qu'elle  ne  pourra 
aller,  dans  sa  honteuse  besogne,  aussi  vite  que  le  voudraient  ses 
amis,  car,  bien  que  la  minorité  conservatrice  n'ait  qu'un  seul  repré- 
sentant au  sein  de  cette  commission,  M.  Keller  est  un  de  ces 


268  ANNALES  CATHOLIQUES 

lutteurs  vàîllants  et  énergiques  avec  lesquels  il  faut  compter  et 
clans  lequel  les  catholiques  savent  qu'ils  possèdent  un  défenseur 
obstiné  et  intrépide. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'y  a  pas  un  moment  à  perdre  pour  orga- 
niser le  pétitionnement  ;  il  faut  qu'il  produise,  dans  le  plus  bref 
délai  possible,  les  résultats  qu'en  attend  le  Comité  de  défense 
religieuse  ;  et,  quelle  que  soit  la  précipitation  que  veuillent  appor- 
ter la  commission  et  la  Chambre  elle-même,  il  faut  que  la  pro- 
testation des  catholiques  arrive  à  temps,  comme  un  suprême 
avertissement  et  un  dernier  appel  à  la  justice  nationale. 

Le  secrétariat  du  comité  de  défense  religieuse,  rue  de  Gre- 
nelle, 35,  à  Paris,  expédiera  sans  délai  toutes  les  formules  de 
pétitions  qui  lui  seront  demandées;  on  peut  également  s'adres- 
ser à  lui  pour  tous  renseignements  relatifs  au  pétitionnement. 

Clermont.  —  Mgr  l'évêque  de  Clermont  a  adressé  à  MM.  les 
curés  de  son  diocèse  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  et  cher  curé. 

Dans  une  lettre  que  je  dus  vous  adresser,  le  15  janvier  dernier, 
pour  vous  notifier  les  arrêtés  ministériels  qui  privaient  de  leurs 
vicaires  un  certain  nombre  de  nos  paroisses,  je  vous  parlais  en  même 
temps  de  la  situation  douloureuse  faite  à  plusieurs  de  vos  confrères 
par  la  suppression  de  l'indemnité  attachée  à  leur  titre  de  desservant, 
et  j'exprimais  l'espérance  que  ces  suppressions  ne  seraient  pas 
maintenues. 

Je  fondais  cet  espoir  sur  l'excellence  de  la  cause  que  j'avais 
entrepris  de  défendre. 

En  effet,  dès  les  premiers  jours  du  mois  de  décembre,  j'avais  pu 
être  en  mesure  d'exposer  â  M.  le  ministre  les  raisons  qui,  en  droit 
comme  en  fait,  me  paraissaient  pouvoir  suffire  â  faire  rapporter  la 
décision  en  vertu  de  laquelle  vos  chers  confrères  avaient  été  privés 
de  leur  traitement. 

En  droit  : 

—  Si  tous  les  traitements  sont  la  propriété  des  titulaires,  parce 
qu'ils  sont  la  rémunération  légitime  du  travail  et,  comme  tels,  invio- 
lables, les  traitements  ecclésiastiques  sont  insaisissables,  pour  le 
même  motif  et  pour  cette  autre  raison  encore  qu'ils  sont  attribués 
au  clergé  comme  une  indemnité  stipulée  à  la  suite  d'une  spoliation. 
A  ce  titre,  ces  indemnités  sont  placées  sous  la  sauvegarde  non  seu- 
lement de  la  loi,  mais  d'une  loi  spéciale  :  la  loi  concordataire  ; 

—  Toute  peine  doit  être  édictée  par  la  loi  ; 

—  Le  droit  sacré  de  la  défense  demande  que  l'accusé  soit  entendu 
avant  d'être  condamné. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  269 

Tels  étaient,  en  droit,  les  motifs  de  mon  espérance. 

En  fait  : 

J'avais  eu  la  consolation  de  transmettre  à  M.  le  ministre  des 
témoignages  qui  me  semblaient  devoir  réduire  à  néant  les  faits 
incriminés. 

Tous  vos  confrères  avaient  été  frappés  à  cause  de  leur  attitude 
durant  la  période  électorale,  —  leur  attitude  non  comme  citoyens, 
mais  comme  prêtres.  —  Et  en  réalité,  on  reprochait  au  plus  grand 
nombre  d'avoir  mêlé  la  politique  à  l'exercice  de  leurs  saintes  fonc- 
tions, notamment  d'avoir  tenu  en  chaire  un  langage  qui  n'aurait 
point  dû  s'y  produire. 

C'était  mon  droit  et  c'était  mon  devoir  de  vérifier  l'exactitude  de 
l'accusation.  Je  commençais  aussitôt  une  enquête.  Et  comme  il  s'agissait 
de  propos  tenus  publiquement  à  l'église,  je  ne  tardais  pas  à  recevoir 
des  différentes  paroisses  les  dépositions  des  paroissiens  assidus  aux 
saints  offices,  attestant  n'avoir  jamais  entendu  tomber  de  la  chaire 
des  paroles  du  genre  de  celles  qu'on  attribuait  à  leur  pasteur.  D'autre 
part,  les  populations,  des  conseils  municipaux  eux-mêmes  m'écri- 
vaient pour  m' affirmer  qu'à  l'église  comme  au  dehors,  le  curé  de 
leur  paroisse  n'avait  rien  dit  ni  rien  fait  qui  put  provoquer  une 
semblable  condamnation. 

Je  réunissais  tous  ces  témoignages,  et,  en  les  transmettant  à  M.  le 
ministre,  j'exprimais  mon  absolue  confiance  qu'après  un  nouvel 
examen  des  faits,  la  décision  ne  serait  pas  maintenue. 

Un  peu  plus  tard,  le  12  janvier,  je  faisais  auprès  du  ministère  de 
nouvelles  instances  en  faveur  des  prêtres  pour  lesquels  j'avais 
demandé  justice  au  nom  de  la  vérité. 

Enfin,  il  y  a  trois  jours,  par  une  dépêche  datée  du  18  mars,  M.  le 
ministre  m'a  informé  qu'après  avoir  examiné  avec  la  plus  sérieuse 
attention  les  pièces  que  j'avais  eu  l'honneur  de  lui  transmettre  dans 
le  but  de  faire  rapporter  la  décision  du  13  novembre  dernier,  portant 
suppression  du  traitement  de  treize  titulaires  ecclésiastiques  de  mon 
diocèse,  en  raison  de  leur  attitude  pendant  la  période  électorale..., 
il  se  voyait  obligé  de  maintenir  la  décision  précitée. 

Il  est  vrai  que  M.  le  ministre  me  laisse  entendre  que,  dans  l'avenir 
et  selon  les  circonstances,  il  ne  refusera  pas  de  se  départir  de  cette 
rigueur. 

Mais,  en  attendant  l'avenir,  la  situation  présente  de  nos  prêtres 
est  déplorable;  plusieurs  d'entre  eux,  absolument  dénués  de  res- 
sources personnelles,  sont,  depuis  quatre  mois,  réduits  à  la  misère. 
J'ai  pu  partager  avec  quelques-uns  de  ces  chers  confrères  le  peu  que 
laissent  à  l'évêque  les  charges  énormes  qui  pèsent  sur  lui.  Mais  ce 
peu  ne  suffit  pas. 

Il  y  a  donc  une  résolution  à  prendre. 

Dans  la  lettre  que  je  vous  écrivais  le  15  janvier  et  à  laquelle  je 


270  ANNALES    CATHOLIQUES 

faisais  allusion  tout  â  l'heure,  je  vous  disais  :  «  Si,  ce  qu'à  Dieu  ne 
«  plaise  !  on  refuse  aux  pasteurs  de  ces  paroisses  le  moyen  de  vivre, 
«  nous  demanderons  â  la  charité  publique  de  leur  donner  au  moins 
«  le  pain  quotidien.  Nous  solliciterons  auprès  du  clergé  et  des  fidèles 
«  le  denier  du  culte  pour  le  diocèse  de  Clermont.  » 

En  conséquence,  je  vous  informe,  Monsieur  le  curé,  qu'une  sous- 
cription pour  le  denier  du  culte  est  dès  maintenant  ouverte  dans  la 
Semaine  religieuse  du  diocèse. 

J'ai  confiance  que  l'inépuisable  charité  nous  permettra  de  rendre 
ainsi  à  vos  chers  confrères  ce  qui  est  nécessaire  à  la  dignité  de  leur 
vie.  Car  le  prêtre  le  plus  pauvre  demeure,  dans  sa  paroisse,  le  pèi'-e 
des  pauvres  ;  et  en  donnant  à  ces  pasteurs  ce  qui  est  indispensable  à 
leur  existence,  nous  leur  rendrons  par  là  même  la  consolation  de 
pouvoir  faire  encore  la  part  des  pauvres. 

Je  sais  bien  et  je  pi'évois,  comme  vous,  très  cher  monsieur,  ce  que 
sont  et  seront  les  obstacles  à  surmonter  pour  maintenir  debout  et 
nos  autels  et  nos  foyers  chrétiens  !  —  Une  législation  nouvelle  se 
prépare,  qui  va  ravir  aux  familles  chrétiennes,  daus  les  campagnes 
et  les  villages  surtout,  le  dernier  reste  de  liberté  qui  leur  était  laissée, 
ponr  donner  â  leurs  enfants  l'éducation  qui  fait  à  la  fois  le  chrétien 
fidèle  et  le  bon  citoyen.  Afin  d'assurer  aux  enfants,  qui  sont  l'avenir 
de  l'Eglise  et  de  la  patrie,  le  bien  s-uprême  d'une  telle  éducation, 
nous  aurons  à  vaincre  des  difficultés  plus  nombreuses  et  à  accepter 
de  plus  grands  sacrifices  ;  mais  nous  avons  foi  en  la  puissance  de 
Celui  dont  nous  sommes  les  serviteurs  et  les  xninistres. 

Ne  désespérons  jamais,  cher  monsieur!  c'est  la  parole  que  je  ne 
cesserai  de  vous  redire  jusqu'à  la  fia.  —  Nous  sommes  les  ouvriers 
de  Dieu,  et,  si  Deus  pro  nobis,  guis  contra  nos  ? 

Recevp.z,  très  cher  monsieur  le  curé,  la  nouvelle  expression  de 
mon  dévouement  affectueux  en  N.-S. 

•\-  J. -Pierre,  évêque  de  Clermont. 

Toulouse.  —  Le  vénérable  curé-doj^en  de  l'Isle-en-Dodon 
(Haute-Garonne),  M.  l'abbé  Bordatges,  ayant  été  privé  de  son 
traitement  sur  de  misérables  dénonciations,  a  lu  en  chaire, 
dimanche  dernier,  la  déclaration  suivante  : 

Mes  Frères, 

Depuis  le  1"  janvier  1886  et  par  décision  de  S.  Exe.  M.  le  ministre 
des  Cultes,  mon  traitement  de  curé-doyen  de  l'Isle-en-Dodon  demeure 
supprimé. 

De  cette  mesure  gouvernementale  qui  me  frappe,  je  ne  veux  rien 
dire;  mais,  en  vertu  d'une  liberté  que  je  ne  reconnais  â  personne  le 
droit  ni  le  pouvoir  de  m'enlever,  j'en  pense  ce  qu'il  me  plaît. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  271 

S'il  m'appartieat  de  vous  donner  un  conseil,  et  si  cela  peut  vous 
convenir,  je  vous  engage  à  faire  comme  moi. 

Personnellement,  je  n'ai  pas  l'honneur  d'être  connu  de  M.  le 
ministre  des  cultes  ;  d'autre  part,  que  je  sache,  je  n'ai  pas  de  délit  à 
me  reprocher,  puisqu'on  n'a  pas  songé  â  déférer  aux  tribunaux  ma 
personne  ou  mes  actes. 

Je  suid  donc  autorisé  â  conclure  que  quelques-uns  de  mes  parois- 
siens m'ont  désigné  aux  sévérités  de  l'administration  civile. 

Permettez-moi,  mes  Frères,  de  vous  en  témoigner  hautement  et 
ma  surprise  et  ma  douleur. 

Il  y  a  trois  ans,  je  fus  chargé  de  cette  paroisse,  et  depuis  cette 
époque,  j'ose  affirmer  que  je  n'ai  fait  de  mal  à  personne.  Dans  le 
passé,  les  populations  d'Alan,  d'Aurignac,  de  Saint-Gaudens,  de 
Villeneuve-de-Rivière  et  de  Boulogne  m'accordèrent  successivement 
et  me  conservèrent  jusqu'à  la  fin  une  estime  et  une  affection  qui 
furent  l'honneur,  la  consolation  et  la  précieuse  récompense  de  mon 
ministère. 

Aujourd'hui,  puisque  l'heure  de  l'épreuve  a  sonné  pour  moi, 
je  viens  remplir  un  devoir.  Je  tious  à  vous  donner  en  même  temps 
un  exemple  et  une  leçon. 

Je  veux  prouver  à  ceux  qui  me  poursuivent  gratuitement  de  leur 
haine,  que  nous  n'avons  pas,  eux  et  moi,  la  même  manière  d'entendre 
et  de  pratiquer  la  belle  maxime  du  jour  :  la  fraternité. 

Eu  face  du  Christ,  qui  sera  un  jour  leur  juge  et  le  mien,  en 
présence  de  cet  auditoire,  la  main  sur  la  conscience,  je  déclare  que 
je  leur  pardonne  purement  et  simplement  le  mal  qu'ils  ont  voulu 
me  faire  et  le  préjudice  qu'ils  m'ont  causé. 

Je  demande  du  fond  du  cœur  et  je  demanderai  tous  les  jours  au 
Dieu  vengeur  de  l'inuocence  d'éloigner  de  leur  lit  de  mort  l'inévi- 
table amertume  que  provoque  dans  une  âme  honnête,  â  ses  derniers 
moments,  le  triste  souvenir  d'une  maiivaise  action. 

Je  n'apprendrai  rien  à  ceux  qiii  me  connaissent  en  leur  disant  que 
je  n'eus  jamais  de  préoccupation  de  me  créer  des  rentes  sur  mon 
modeste  traitement.  Je  vécus  au  Jour  le  jour,  faisant  de  mon  mieux 
la  part  des  pauvres  de  Jésus-Christ.  Maintenant  que  la  question  de 
vivre  s'impose  à  moi  dans  toute  sa  rigueur,  j'ai  hâte  de  vous  dire 
que  je  dispense  mes  paroissiens  de  trouver  la  solution. 

J'entends  n'être  à  charge  à  personne,  et  je  demanderai  â  mon 
travail  le  pain  de  chaque  jour. 

Une  souscription  faite  spontanément  par  les  paroissiens  a 
rendu  immédiatement  au  pauvre  prêtre  le  maigre  traitement 
que  lui  a  volé  le  gouvernement  républicain. 


272  ANNALES    CATHOLIQUES 

CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Les  duels.  —  Toujours  le  général  Boulanger.  —  M.  des  Houx. 
La  paix  en  Orient.  —  Allemagne. 

29  avril  1886. 

A  défaut  de  débats  des  Chambres,  fort  heureusement  en 
vacances,  la  chronique  parisienne  est  pour  le  moment  fort 
occupée  de  plusieurs  duels  qui  viennent  d'avoir  lieu  sans  causer 
d'ailleurs  la  mort  de  personne. 

Le  premier  était  surtout  comique  à  cause  de  son  principal 
acteur,  le  citoyen  Edmond  Magnier,  rédacteur  en  chef  de 
l'Événement.  On  a  souvent  parlé  des  mésaventures  de  ce  per- 
sonnage qui  n'a  jamais  réussi  —  malgré  son  journal  et  ses 
efforts  —  à  se  faire  prendre  au  sérieux  par  les  électeurs  et  par 
son  propre  parti.  Son  journal  avait  cependant  un  très  fort 
tirage;  il  était  assez  répandu  dans  les  établissements  publics  et 
il  était  d'ailleurs  rédigé  par  des  écrivains  qui  avaient  une  cer- 
taine renommée  dans  le  parti  républicain.  Mais  lesdits  écrivains 
étaient  les  premiers  à  détester  leur  rédacteur  en  chef  et  à  le 
dire  partout  très  haut.  Il  paraît  d'ailleurs  que  M.  Edmond 
Magnier,  tout  en  se  pavant  le  luxe  d'habiter  des  hôtels  d'un 
lojer  de  50,000  francs,  se  montre  envers  ses  collaborateurs 
d'une  négligence  incroyable.  On  cite  tel  et  tel  de  ceux-ci  à  qui 
leur  rédacteur  eu  chef  doit  des  mois  et  des  mois  de  traitement. 
N'importe!  à  cause  sans  doute  de  la  dureté  des  temps,  M.  Ma- 
gnier voyait  la  plupart  de  ses  journalistes  lui  rester  fidèles.  Il 
a  fallu  les  ridicules  incidents  d'un  récent  duel  avec  un  certain 
M.  de  Dion  pour  faire  un  vide  sérieux  dans  l'état-major  de 
V Evénement.  Dans  ce  fameux  duel,  M.  Magnier,  déconcerté 
par  une  brusque  attaque  de  son  adversaire,  lui  tourna  vivement 
le  dos  pour  détaler.  A  la  vérité,  il  finit  par  s'arrêter,  et  son 
adversaire  consentit  à  recommencer  le  combat.  Mais  le  spectacle 
avait  été  si  drôle  que  les  témoins  de  M.  de  Dion  ne  purent  se 
tenir  d'abord  de  raconter  la  chose,  puis  de  la  publier  dans  la 
presse.  M.  Magnier  se  fâcha.  Mais  ses  propres  témoins  appelés 
en  témoignage  par  ceux  de  M.  de  Dion  ne  purent  que  confirmer 
le  récit  de  ces  derniers.  En  même  temps  ils  donnèrent  leur 
démission  de  rédacteurs  de  ÏEve'nement  et  M.  Magnier,  que 
M.  de  Dion  avait  atteint  d'un  coup  d'épée  sans  gravité,  décla- 
rait qu'il  allait  provoquer  les  témoins  de  M.  de  Dion.  Comme 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  273 

M.  Magnier  se  sent  coulé  de  plus  en  plus  dans  l'opinion,  il  a 
tenu  sa  promesse.  Il  arrêta,  pour  l'époque  où  il  serait  tout  à 
fait  rétabli,  sa  rencontre  avec  le  premier  témoin  de  M.  de  Dion. 
C'est  la  rencontre  qui  a  eu  lieu  il  y  a  quelques  jours.  M.  Ma- 
gnier  en  est  sorti  encore  une  fois  sans  grand  dommage,  avec 
une  égratignure  à  l'avant-bras.  Nous  ne  savons  s'il  donnera 
suite  à  ses  premiers  projets  et  s'il  provoquera  le  second  témoin 
de  M.  de  Dion.  Alors  nous  entendrons  encore  parler  de  lui  et 
nous  saurons  que,  pour  la  troisième  fois  dans  l'année,  il  est 
obligé  de  s'aliter  à  la  suite  d'un  troisième  coup.  Mais  M.  Ma- 
gnier  se  trompe  s'il  pense  que  cette  série  comique  de  duels  le 
délivrera  du  renom  de  ridicule  qu'il  s'est  acquis  et  qu'il  se 
réhabilitera  dans  l'opinion.  Il  ferait  mieux  en  tout  cas  de  rendre 
son  journal  plus  honnête  et  de  payer  ses  collaborateurs. 

Les  autres  duels  dont  il  faut  bien  parler  puisque  tout  Paris 
en  parle,  ont  un  tout  autre  caractère  que  le  duel  héroï-comique 
du  citoyen  Edmond  Magnier.  Ils  ont  pour  principal  acteur 
M.  Edouard  Drumont,  jadis  rédacteur  à  la  Liberté,  en  dernier 
lieu  rédacteur  du  Monde  dont  il  a  du  se  séparer.  M.  Drumont  est 
un  écrivain  de  valeur  dont  le  public  catholique  appi'éciait  le  cou- 
rage etletalent.  Commenta-t-il  été  entraîné  jusqu'au  duel, jusqu'à 
une  violation  publique  de  la  loi  de  Dieu?  Voici  ce  qui  est  arrivé: 

M.  Drumont  vient  de  faire  paraître  chez  Marpon  et  Flamma- 
rion un  volume  intitulé  :  La  France  juive.  M.  Drumont  y 
établit  que  la  France,  comme  d'ailleurs  la  plus  grande  partie 
de  l'Europe  chrétienne,  est  livrée  aux  juifs,  et  que  si  nous 
voulons  nous  sauver,  il  faut  secouer  à  tout  prix  le  joug  des 
enfants  d'Israël.  La  thèse  n'est  point  mauvaise  et  pour  qui 
connaît  ce  rôle  prépondérant  des  juifs  à  notre  époque,  elle  est 
facile  à  soutenir.  En  outre  M.  Drumont,  journaliste  instruit  et 
alerte,  devait  au  développement  d'un  pareil  sujet  trouver 
l'emploi  de  sa  faculté  d'observation  et  de  ses  dons  satiriques. 
Il  s'en  est  tellement  bien  servi,  qu'un  véritable  t(jUe  s'élève 
contre  lui.  Figaro  qui,  rien  que  dans  sa  rédaction,  compte 
deux  ou  trois  juifs,  est  parti  le  premier  en  guerre;  et  il  mêla 
aussi  vilainement  que  sottement  l'archevêché  de  Paris  et  le 
journal  le  Monde  à  la  publication  d'un  livre  personnel  de 
M.  Drumont.  Le  Gaulois,  organe  royaliste,  suivit  la  piste  du 
Figaro  parce  qu'il  a  l'honneur  d'être  dirigé  par  un  Israélite 
pur  sang,  et  son  directeur,  M.  Arthur  Meyer,  provoqua  aussitôt 
l'auteur  de  la  France  Juive. 

19 


274  ANNALES    CATHOLIQUES 

Celui-ci,  qui  déjà  avait  dû  répondre  à  un  autre  juif,  M.  Lau- 
rent du  Paris,  accepta  également  et  fut  assez  grièvement 
blessé,  quoique  non  dangereusement. 

C'est  avec  douleur  qu'on  voit  un  homme  comme  M.  Drumont 
donner  l'exemple  d'une  désobéissance  religieuse.  Mais  son  livre 
a  véritablement  du  bon  et  la  fureur  de  ses  adversaires  est  bien 
faite  pour  le  rendre  intéressant. 

Les  vacances  de  Pâques  n'ont  aucun  effet  sur  l'activité  du 
général  Boulanger.  Nous  ne  voulons  pas  paraître  systématique- 
ment opposé  aux  idées  du  ministre  de  la  guerre,  et  nous  le 
louerons  cette  fois  sans  réserves.  Il  ne  saurait  être  étonnant 
que  dans  le  nombre  considérable  des  réformes  qu'il  accomplit, 
il  s'en  trouve  une  qui  soit  réellement  dictée  par  un  besoin,  et 
qui  mette  fin  à  un  état  de  choses  dangereux  pour  notre  prestige 
militaire.  Celle  dont  nous  parlons  est  de  ce  nombre.  Le  général 
Boulanger  a  remarqué  que  les  collégiens  portent  des  képis  qui 
ressemblent  à  ceux  des  officiers.  Cette  similitude  expose  les 
soldats  à  honorer  du  salut  militaire  des  jeunes  gens  qui  n'y  ont 
aucun  droit. 

M.  Boulanger  a  signalé  le  fait  à  son  collègue,  ^L  Goblet,  et 
les  deux  ministres  examinent  ensemble  la  question.  Ils  sont 
faits  pour  s'entendre.  Signalons  au  zèle  du  général  une  anoma- 
lie semblable.  On  voit,  dans  les  rues,  les  jours  de  carnaval,  des 
enfants  de  trois  ou  quatre  ans  costumés  en  capitaines,  ce  qui 
expose  des  lieutenants  même  à  les  gratifier  indûment  d'un 
salut.  L'Europe,  haletante,  attend  une  circulaire  à  ce  sujet. 

Pour  qu'il  puisse  soutenir  la  candidature  à  lui  offerte  par  les 
socialistes  de  Paris,  M.  Roche,  le  condamné  de  Villefranche, 
vient  d'être  mis  en  liberté  provisoire. 

Si  Troppmann  vivait  de  nos  jours,  il  est  probable  qu'on  lui 
offrirait  une  candidature  pour  lui  éviter  les  ennuis  de  la  prison 
ou  de  la  guillotine. 

M.  Henry  des  Houx,  dont  on  n'a  pas  oublié  les  récents  scan- 
dales, informe  ses  lecteurs  du  Matin,  dans  un  article  paru 
dimanche,  qu'il  a  envoyé  «  un  acte  d'acquiescement  complet  à 
«  l'autorité  de  N.  S.  P.  le  Pape  Léon  XIII  et  du  Saint-Office  ». 
On  sait  qu'il  avait  été,  à  raison  de  son  livre  récent,  déféré  à  la 


CHRONIQUE    DE    LA   SEMAINE  275 

congrégation  dite  du  Saint-Office;  une  condamnation  avait  été 
prononcée  contre  lui.  M.  des  Houx  ajoute  en  parlant  de  son 
acte  d'acquiescement  :  «  J'espère  qu'il  sera  agréé  et  qu'il  me 
«  sera  possible  de  le  publier  sous  peu  peu  de  jours.  » 


Enfin  la  paix  paraît  provisoirement  assurée  en  Orient.  Sur  les 
instances  amicales  de  la  France,  la  Grèce  consent  à  désarmer. 
Voici  le  texte  de  la  déclaration  française  : 

DÉCLARATION    DE    LA    FRANCE 

La  France  a  donné  à  la  Grèce  des  marques  non  équivoques  de 
son  amitié.  Dans  ces  derniers  temps,  elle  lui  a  adressé,  à  diverses 
reprises,  des  conseils  dictés  par  la  plus  sincère  sympathie.  Au- 
jourd'hui, sous  l'influence  du  même  sentiment,  elle  croit  devoir  lui 
faire  entendre  un  solennel  avertissement. 

L'attitude  actuelle  de  la  nation  grecque  l'expose  aux  plus  graves 
pénis.  En  y  persistant,  elle  court  au-devant  d'une  catastrophe  et 
d'une  humiliation.  Sans  vouloir  préjuger  les  résolutions  de  l'Eu- 
rope, nous  sommes  certains  qu'elle  opposera  une  barrière  aux 
entreprises  que  la  Grèce  pourrait  former  contre  la  Turquie. 

Bientôt  sans  doute  les  puissances  notifieront  cette  volonté  au 
cabinet  hellénique  et  le  mettront  en  demeure  de  renoncer  à  ses 
ai'mements.  A  ce  moment,  quelle  sera  sa  situation?  Ne  sera-t-il 
pas  obligé,  un  peu  plus  tôt  ou  un  peu  plus  tard,  d'obtempérer  à 
cette  injonction?  Nous  voudrions  éviter  cette  pénible  extrémité  à 
la  Grèce. 

C'est  pourquoi  nous  venons  dire  à  son  gouvernement  :  œ  Ren- 
«  dez-vous  à  l'évidence.  Ecoutez  la  voix  d'une  puissance  amie. 
œ  Suivez  des  conseils  qui  n'ont  x'ien  de  blessant  pour  votre  amour- 
ce  propre.  Prenez,  pendant  qu'il  en  est  temps  encore,  une  initiative 
<c  dont  vous  êtes  les  maîtres  et  dont  vous  aurez  tout  le  mérite.  » 

Nous  ajouterons  que,  si  des  jours  plus  favorables  doivent  luire 
pour  la  Grèce,  son  gouvernement  les  préparera  par  cette  attitude 
prévoyante  dont  l'Europe  entière  lui  saura  gré. 

Nous-mêmes,  nous  n'oublierons  pas  qu'en  déférant  à  nos  vœux, 
la  Grèce  nous  aura  épargné  le  chagrin  de  nous  associer  à  des 
démarches  d'un  tout  autre  caractère,  auxquelles  notre  constant 
souci  de  la  paix  générale  nous  interdit  de  l'efuser  notre  concours. 


En  Allemagne,  on  peut  dés  maintenant  présager  la  complète 
et  prochaine  pacification  religieuse. 


276  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  loi  polico-ecclésiastique  qui  vient  d'être  votée  par  la 
chambre  des  seigneurs,  avec  les  amendements  de  Mgr  Kopp, 
restitue  à  l'Église  : 

1°  La  liberté  des  grands  séminaires,  sans  le  droit  de  veto 
pour  la  nomination  des  supérieurs  et  des  professeurs  ; 

2°  La  liberté  des  séminaires  pratiques  d'un  an,  c'est-à-dire 
des  séminaires  où  les  élèves  en  théologie  des  universités 
viennent  terminer  leurs  études,  après  la  fréquentation  pendant 
trois  ans  d'une  faculté  de  théologie  catholique  ; 

3°  La  liberté  des  convicts,  c'est-à-dire  de  ces  internats  qui, 
établis  près  des  universités  et  des  gymnases,  placent  les  élèves 
de  ces  établissements  sous  la  direction  et  la  surveillance  de 
l'autorité  ecclésiastique; 

4°  La  suppression  de  l'examen  d'État. 

Voilà  pour  la  première  partie  de  la  loi,  relative  à  l'éducation 
du  clergé. 

La  seconde,  qui  a  trait  à  la  discipline  et  à  la  juridiction, 
renferme  les  dispositions  principales  suivantes  : 

1°  Rétablissement  du  pouvoir  disciplinaire  du  Saint-Siège 
en  Prusse  ; 

2°  Suppression  de  l'appel  comme  d'abus  ; 

3°  Suppression  de  la  déposition  des  évêques  et  des  prêtres 
par  la  cour  ecclésiastique. 

Quant  à  la  nomination  des  curés,  l'on  sait  que  le  Saint-Siège 
et  la  Prusse  paraissent  s'être  mis  d'accord  pour  substituer  à 
VAnzeigepflicht  des  lois  de  mai  la  notification  des  nominations 
des  curés  d'après  le  système  en  vigueur  dans  le  royaume  de 
Wurtemberg.  Voici  en  quoi  consiste  ce  système  : 

L'évêque,  en  nommant  un  curé,  doit  faire  connaître  au  gou- 
vernement le  titulaire  de  la  paroisse,  pour  que  son  nom  soit 
publié  dans  le  Moniteur  officiel.  Si,  dans  l'intervalle  de  trois 
semaines,  le  gouvernement  soulève  une  difficulté  contre  la 
nomination  de  ce  prêtre,  au  point  de  vue  civil  et  politique, 
l'évêque  ne  peut  pas  lui  donner  l'investiture  avant  que  le  gou- 
vernement ait  déclaré  que  cette  difficulté  n'existe  plus. 

Si  l'évêque  ne  tient  pas  compte  du  veto  ministériel,  le  prêtre 
n'a  aucun  droit  au  traitement  de  curé,  mais  le  gouvernement 
ne  peut  pas  l'éloigner  de  son  poste  ni  l'entraver  dans  l'exercice 
de  son  ministère. 

L9  Saint-Siège  accorde  au  gouvernement  prussien  le  droit 
de  veto  pour  la  nomination,  dans  les  mêmes  limites  déjà  con- 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  277 

cédées  au  gouvernement  wurtembergeois,  mais  à  condition 
que  la  Prusse  élargisse  la  loi  politico-ecclésiastique  dans  le 
sens  d'une  révision  totale  des  lois  de  mai. 

La  loi  doit  maintenant  passer  par  la  Chambre  allemande. 
Elle  n'y  sera  discutée  qu'au  commencement  du  mois  de  mai. 
Dans  l'intervalle,  les  commentaires  vont  leur  train.  La  presse 
catholique  se  tient  dans  l'expectative,  elle  attend  des  résultats 
pratiques  avant  de  se  prononcer  sur  l'issue  des  négociations 
pendantes.  Catholiques  et  protestants,  libéraux  et  conserva- 
teurs, tous  en  Allemagne  sont  d'accord  pour  reconnaître  que 
jamais,  depuis  1870,  un  objet  d'une  importance  plus  capitale  n'a 
occupé  l'attention  publique  :  la  paix  avec  Rome  ! 

Qui  eût  osé  prononcer  ce  mot,  il  y  a  quelques  années?  Toute 
l'Allemagne  de  Luther  pleine  de  jalousie  et  de  ressentiments 
contre  la  Rome  des  Papes  n'était-elle  pas  derrière  le  redoutable 
chancelier  pour  le  seconder  dans  l'assaut  formidable  qu'il  diri- 
geait contre  l'Église  du  Christ  ? 

Pour  les  protestants  orthodoxes,  la  guerre  de  Rome  était  la 
guerre  sainte,  le  triomphe  de  la  cause  prussienne,  celui  de  la 
cause  luthérienne.  Joignez  aux  motifs  de  haine  religieuse  les 
doctrines  dissolvantes  du  libéralisme  antichrétien,  panthéiste 
ou  matérialiste,  qui,  elles  aussi,  souhaitent  la  ruine  de  Rome 
comme  celle  de  leur  plus  grande  ennemie,  et  vous  constaterez 
qu'humainement  la  partie  n'était  pas  égale.  La  lutte  s'engageait 
entre  l'État  tout-puissant  et  l'Église  sans  défense.  L'État  frappa 
à  coups  redoublés,  l'Église  souffrit  beaucoup,  mais  chaque  coup 
porté  sur  elle,  loin  de  l'écraser,  augmenta  sa  force  de  résistance. 
Ses  ennemis  se  sont  enfin  lassés  de  frapper  et  n'ont  pu  retenir 
leur  admiration  en  constatant  la  vigueur  dont  jouissait  encore 
leur  victime.  Les  protestants  orthodoxes  se  sont  convaincus 
qu'en  essayant  de  détruire  l'Église  romaine,  ils  avaient  porté 
une  atteinte  considérable  au  sentiment  religieux  en  général,  et 
qu'en  résumé  c'était  pour  le  libéralisme  qu'ils  avaient  travaillé. 
Le  libéralisme  n'est  pas  plus  protestant  que  catholique  ;  il  est 
partout  le  même  :  antireligieux  dans  son  origine,  athée  dans 
ses  résultats.  Les  protestants  l'ont  compris,  et  c'est  pour  cela 
qu'ils  désirent  la  fin  du  Kulturkampf. 

M.  de  Bismarck,  lui  aussi,  veut  le  rétablissement  de  la  paix 
religieuse.  Pourquoi  ?  Nous  n'essayerons  pas  de  répondre  à 
-cette  question.  L'histoirela  résoudra  peut-être   un  jour.  Mais 


278  ANNALES    CATHOLIQUES 

pour  le  moment  il  serait  bien  difficile  de  préciser  le  motif  de 
cette  étonnante  évolution  du  chancelier  allemand.  Est-ce  la 
terrible  complication  de  la  question  sociale  ou  bien  quelque 
danger  pour  la  patrie  allemande  que  l'œil  de  lynx  du  grand 
Prussien  entrevoit  à  l'horizon,  qui  ont  opéré  en  lui  ce  revire- 
ment? Peut-être  l'un  et  l'autre... 

L'Allemagne  a  de  grands  ennemis  qui  la  menacent  continuel- 
lement à  l'intérieur  comme  à  l'extérieur.  M.  de  Bismarck  le 
sait  mieux  que  personne  et  ses  efforts  tendent  à  réunir  toutes 
les  forces  vitales  de  son  pays  pour  la  défense  de  l'Empire  qu'il 
a  créé.  Dans  les  vues  du  chancelier,  le  Kulturkampf  n'a  jamais 
été  qu'une  manœuvre  politique  dout  le  but  était  de  séparer 
l'Eglise  catholique  allemande  de  celle  de  Rome ,  pour  do- 
miner plus  facilement  la  première.  Aujourd'hui  que  ce  but 
n'a  pu  être  atteint,  M.  de  Bismarck  cesse  la  lutte  parce  qu'il  le 
croit  utile  à  ses  intérêts. 

A  sa  louange  nous  devons  dire  qu'il  n'a  jamais  hésité  à  revenir 
sur  ses  pas  quand  il  reconnaît  avoir  fait  fausse  route;  ce  n'est 
pas  un  de  ces  hommes  qui  s'entêtent  dans  une  idée  et  n'en 
veulent  jamais  démordre.  Combien  de  fois  n'a-t-il  pas  répondu 
au  Parlement  à  ceux  qui  lui  reprochaient  d'avoir  défendu  dans 
le  passé  d'autres  théories  :  Mais  c'est  vrai;  autrefois,  j'étais  de 
cet  avis,  aujourd'hui  je  suis  d'un  avis  contraire.  On  apprend 
tous  les  jours;  je  serais  bien  à  plaindre  si  depuis  mon  entrée  au 
pouvoir  je  n'avais  jamais  été  amené  à  changer  d'idée. 

Quels  que  soient  d'ailleurs  les  motifs  de  l'évolution  du  chan- 
celier, elle  n'en  constitue  pas  moins  un  fait  historique  de  la 
plus  haute  importance,  tant  en  lui-même  que  dans  ses  con- 
séquences. Que  l'Italie  garibaldienne  ne  soit  pas  satisfaite 
de  la  tournure  des  événements,  c'est  chose  assez  naturelle, 
mais  elle  se  gardera  bien  de  se  plaindre  trop  vivement. 
Il  est  facile  de  prendre  Rome  et  de  faire  le  Pape  prisonnier, 
mais  c'est  un  peu  plus  difficile  d'aller  assiéger  Berlin  et  de 
mettre  la  main  sur  M.  de  Bismarck.  Aussi  l'Italie  contient-elle 
prudemment  son  courroux. 

N'est-ce  pas  une  chose  étonnante  et  providentielle  de  voir 
ainsi  le  grand  Empire  protestant  se  rapprocher  de  la  Rome 
catholique?  N'est-il  pas  extraordinaire  d'entendre  une  bouche 
luthérienne  faire  l'éloge  d'un  Pape?  N'est-il  pas  surprenant  de 
voir  un  fils  de  Luther  rendre  à  la  papauté  son  antique  éclat  en 
en  faisant  la  médiatrice  entre  deux  srrandes  nations  ?  Tout  cela 


REVUE  ÉCONOMIQIjE  ET  FINANCIÈRE  279 

est  incroyable,  mais  tout  cela  est  cependant,  et  qui  sait  encore 
ce  que  l'avenir  nous  réserve  ? 

Un  coup  d'œil  sur  la  triste  situation  de  l'Italie  nous  donnera 
une  idée  de  ce  que  devient  un  gouvernement  où  la  révolution  a 
tous  les  droits.  La  situation  parlementaire  est  une  vraie  Babel. 
Les  partis  se  disputent,  il  ne  s'agit  plus  de  savoir  si  le  pays 
sera  bien  administré,  mais  si  le  parti  de  M.  Depretis  ou  celui 
des  révolutionnaires  extrêmes  aura  le  pouvoir.  Les  journaux 
gouvernementaux  sont  obligés  d'avouer  qu'ils  ne  comprennent 
plus  rien  eux-mêmes  dans  cette  débâcle  générale.  On  parle  de 
dissolution  de  la  Chambre,  de  démission  du  ministère  et  l'on  ne 
peut  se  résoudre  à  rien.  Pendant  ce  temps  des  agitations  agraires 
se  produisent,  les  paysans  se  soulèvent  contrôles  propriétaires, 
ils  coupent  les  vignes,  arrachent  les  plantations  dans  différentes 
provinces  et  partout  on  soulève  les  ouvriers,  on  affiche  des 
manifestes  subversifs.  Des  grèves  se  produisent  en  Lombardie, 
et  la  police  est  obligée  les  réprimer.  Si,  avec  tout  cela,  le  peuple 
doit  procéder  aux  élections  générales,  la  confusion  sera  grande. 
Et  pour  comble  d'infortune,  le  choléra  fait  son  apparition  à 
Brindes,  où  il  y  a  déjà  eu  plus  de  80  morts.  Dans  une  journée 
on  compte  dix  cas.  L'épidémie  se  répand,  à  en  croire  certains 
journaux,  et  doit  exister  aussi  à  Padoue.  Cela  fera  peut-être 
ajourner  la  dissolution  de  la  Chambre,  mais  la  situation  n'en 
sera  pas  meilleure. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

La  crise  économique,  qui  sévit  en  ce  moment  dans  toute  l'Europe, 
se  fait  vivement  sentir  sur  les  Chemins  de  fer.  Les  actionnaires  des 
grandes  Compagnies  françaises  s'en  préoccupent  peu,  attendu  que 
leurs  administrateurs  ont  eu  le  talent  d'obtenir  du  gouvernement 
un  revenu  minima  réservé.  Aussi,  cette  année,  ce  sont  les  contri- 
buables qui,  de  leur  poche,  paieront  une  grande  partie  de  ce  revenu 
aux  actionnaires  ;  trouvez-vous  cela  logique?  Pas  trop,  n'est-ce  pas? 

Les  actionnaires  des  Compagnies  étrangères  sont  moins  favorisés; 
ils  n'ont  aucune  garantie,  et  suivent  la  bonne  ou  la  mauvaise  for- 
tune de  leur  chemin.  En  ce  moment,  c'est  la  mauvaise  fortune  qui 
l'emporte  ;  les  recettes  diminuent,  les  dividendes  s'amoindrissent, 
ou  disparaissent.  Le  cours  des  actions  doit  nécessairement  s'en 
ressentir  vivement. 

Aujourd'hui  on  a  pris  l'habitude,  après  la  constitution  d'un 
capital  actions,  de  demander  tous  les  crédits  nouveaux  à  des  créa- 


280  AKNALES    CATHOLIQUES 

tioiis  d'obligations,  qui  reçoivent  leur  intérêt  avant  que  l'action 
vienne  toucher  un  centime.  On  comprend  que  plus  le  nombre 
d'obiii^atioiis  est  grand,  plus  il  faudra  d'argent  pour  en  payer  les 
intérêts.  Prenons  un  exemple: 

Une  Comp'ignie  qui  gagne  50  millions,  tous  frais  d'exploitation 
payés,  et  qni  aurait  son  capital  représenté,  moitié  par  des  actions 
moitié  par  des  obligations,  pourrait  distribuer  un  dividende  de 
2o  millions,  si  la  charge  de  ses  intérêts  était  d'autant.  Ses  recettes 
venant  à  fléchir  de  10  millions,  elle  aurait  encore  40  millions  à 
répartir,  dont  2o  millions  aux  obligataires  qui  restent  toujours  en 
dehors  des  iluciuations  de  recettes  et  lo  millions  à  ses  actionnaires. 

Mais  que  le  capital  soit  représenté  pour  les  huit  dixièmes  par  les 
obligataires  qui  exigeraient  justement,  dans  le  cas  présent,  une 
somme  de  40  millions,  il  n'y  aurait  plus  rien  pour  les  actionnaires. 

Presque  toutes  les  Compagnies  accroissent  leur  capital-obligations 
et  laissent  stationnaire  le  capital-actions,  de  sorte  que  le  dividende 
afféicni  à  ce  dernier  sera  à  merci  des  plus  petites  perturbations 
économiques  et  disparaîtra  soudain. 

Aussi  vous  voyez,  depuis  un  an,  le  Saragosse  baisser  de  125  fr.  ; 
le  Nord  d'Espagne  de  185  fr.  ;  les  Lombards  de  55  fr.  ;  les  Autri- 
chiens de  140  fr. 

I^rotlions  de  la  circonstance  pourvous  faire  observerqu'en  France 
et  dans  d'autres  pajs,  les  obligations  ont  toutes  le  même  rang,  les 
premières  comme  les  dernières  créées,  à  moins  de  conventions  spé- 
ciales et  formelles.  En  Espagne,  les  obligations  ont  un  caractère 
hypothécaire  en  ce  sens  que  la  première  émission  a  privilège  sur  la 
deuxii  me,  celle-ci  sur  la  troisième  et  ainsi  de  suite.  Si  vous  achetez 
des  obligations  de  Chemins  de  fer  espagnols,  ayez  bien  soin  de 
distinguer  et  de  regarder  si  l'on  vous  livre  bien  la  série  que  vous 
avez  voulu  acheter. 

La  baisse  actuelle  des  Chemins  de  fer  étrangers  n'a  rien  qui  doive 
vous  étonnei".  En  vous  parlant,  il  y  a  quelques  mois,  des  Chemins 
de  fer  français,  nous  vous  avions  déjà  mis  en  garde  sur  ce  point. 

Les  actions  des  Chemins  de  fer  français  auraient  aujourd'hui  le 
même  sort,  sans  les  trop  fameuses  conventions  de  1883.  C'est  une 
lourde  charge  pour  le  budget. 

L'Emprunt  est  voté,  on  dit  que  l'émission  aura  lieu  le  10  mai. 
A  orendre  note  pour  ceux  qui  en  voudraient.  On  le  travaille  déjà 
et  l'on  fait  monter  nos  Rentes. 

Les  obligations  non  libérées  1880  et  1885  du  Crédit  foncier 
méritent  toujours  l'allention  de  ceux  qui  veulent  faire  un  bon  et 
solide  placement  ;  bon  parce  qu'ils  achètent  20  à  25  fr.  meilleur 
marché  que  les  obligations  similaires  et  que  le  niveau  est  forcé  ; 
solide  parce  que  ces  obligations  sont  de  tout  repos. 

A.  H. 


Le  ge'rant  :  P.  Chantrel. 

Paris.  —  loip.  de  rCEuvre  de  S«int-Paul    G.  Pie<rnoin,  51,  rue  de  Lièle. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


DEUX  POLITIQUES 

De  graves  événements  viennent  de  se  produire  en  Allemagne 
•et  en  France. 

En  Allemagne,  le  chancelier  de  fer  a  reconnu  la  nécessité  de 
se  réconcilier  avec  l'E^-lise  et  de  donner  la  paix  religieuse  pour 
base  à  l'oeuvre  urgente  de  la  pacification  sociale. 

En  France,  la  République  tourne  de  plus  en  plus  au  jacobi- 
nisme, elle  va  de  89  à  93,  de  la  persécution  légale  à  la  persécu- 
tion sanglante,  des  décrets  du  29  mars  aux  brutalités  officielles 
contre  la  liberté  du  culte  catholique  et  contre  le  domicile  des 
citoyens  «  suspects  »  de  cléricalisme. 

Il  est  tout  naturel  de  se  demander  laquelle  de  ces  deux  poli- 
tiques contradictoires  est  la  plus  clairvoyante,  la  plus  prudente 
et  la  plus  habile. 

Nous  ne  pensons  pas  qu'on  puisse  sérieusement  nous  taxer 
de  partialité  si  nous  (qualifions  M.  le  prince  de  Bismark,  l'auteur 
principal  de  l'unité  allemande,  d'homme  d'Etat  de  premier 
ordiô.  Il  n'est  personue  qui  ne  le  trouve  supérieur  de  plusieurs 
coudées  à  M.  de  Cavour,  le  machiavélique  artisan  de  l'unité 
italienne.  A  plus  forte  raison,  n'y  a-t-il  pas  de  comparaison 
possible  entre  ce  colosse  germanique  et  les  tristes  gringalets 
qui  mènent  et  qui  exploitent  la  République  française. 

Ce  témoignage  est  d'autant  moins  suspect  sous  notre  plume 
que  le  chancelier  de  l'Empire  d'Allemagne  s'est  montré  naguère 
plus  hostile  à  l'Eglise  catholique.  Arrivé  au  faîte  de  la  puissance 
et  de  la  fortune,  il  s'est,  pour  ainsi  dire,  grisé  de  son  omnipo- 
tence et  il  a  été  atteint  de  ce  vertige  ambitieux  qui  fait  tourner 
les  têtes  les  plus  fermes.  Comme  Napoléon,  il  a  voulu  régner 
tout  à  la  fois  sur  les  corps  et  les  âmes,  et,  rencontrant  l'Eglise 
sur  sa  route,  il  a  voulu  faire  sauter  le  catholicisme  comme  l'in- 
génieur fait  sauter  le  quartier  de  rocher  qui  barre  le  tracé  de 
son  chemin  de  fer. 

On  sait  ce  qu'il  en  est  advenu  et  comment  les  catholiques 

Lvi.  —  8  MAI  1886.  21 


280  ANNALES    CATHOLIQUES 

allemands  ont  traversé  cette  rude  épreuve,  forts  par  leur  union, 
glorieux  par  leur  constance,  inébranlables  dans  leur  étroite 
fidélité  à  l'épiscopat  et  à  la  Chaire  apostolique.  Ils  ont  souffert, 
ils  ont  lutté,  ils  ont  connu  les  amertumes  de  la  persécution,  ils 
ont  vu  la  désolation  du  sanctuaire  et  la  proscription  des  pasteurs; 
mais  ils  ont  vu  aussi  que  le  roc  qu'on  voulait  faire  voler  en 
éclats  n'a  pas  même  été  entamé. 

Aujourd'hui,  M.  le  prince  de  Bismarck  lui-même  reconnaît 
qu'il  a  fait  fausse  route,  il  engage  l'empereur  d'Allemagne  à  se 
réconcilier  avec  ses  sujets  catholiques  et,  s'il  n'a  pas  fait  le 
pèlerinage  de  Canossa,  c'est  qu'il  voyage  en  grand  seigneur, 
sans  s'arrêter  aux  petites  stations  et  en  prenant  le  train  direct 
pour  Rome. 

Cette  conversion  politique  —  car  rien  hélas  '  ne  nous  autorise 
à  croire  à  une  conversion  religieuse  —  fait  honneur  au  génie 
da  chancelier  germanique.  Devant  le  caractère  aigu  de  la  crise 
sociale  et  en  prévision  de  complications  extérieures  toujours 
possibles,  il  a  jugé  que  le  meilleur  moyen  de  consolider  l'empire 
allemand  et  de  stimuler  le  patriotisme  était  de  mettre  un  terme 
aux  luttes  intestines  et  d'assurer  désormais  aux  catholiques  le 
bienfait  de  la  paix  confessionnelle.  C'est  le  calcul,  nous  le 
voulons  bien,  qui  a  déterminé  ce  revirement.  Mais  qu'importe? 
Nous  qui,  par  la  grâce  de  notre  baptême  et  de  notre  foi,  pou- 
vons nous  placer  à  un  point  de  vue  plus  élevé  que  celui  de  la 
politique  utilitaire,  nous  avons  d'autant  plus  de  motifs  de 
constater,  par  ce  nouvel  exemple,  que  le  meilleur  moyen  d'être 
habile  c'est,  après  tout,  d'être  juste. 

Tournons  maintenant  nos  regards  du  côté  de  la  France. 

Un  tout  autre  spectacle  y  attire  notre  attention  :  Nous  y 
voyons  de  toutes  parts  les  fruits  de  cette  funeste  politique  dont 
Gambetta  a  légué  le  programme  à  ses  successeurs:  «  Le  cléri- 
calisme, voilà  l'ennemi  !  »  Le  désarroi  financier,  gouvernemental 
et  social,  la  dissolution  intérieure  et  l'abaissement  extérieur  de 
la  France  vont  de  pair  avec  une  persécution  légale,  dont  le 
cardinal  Guibert  vient  tout  récemment  encore  d'esquisser  le 
navrant  tableau. 

Il  n'y  avait,  il  y  a  quelques  jours,  rien  à  ajouter  aux  remon- 
trances!, si  graves  dans  leur  modération  et  dans  leur  autorité, 
adressées  par  le  vénérable  archevêque  de  Paris  au  président 
Grévy.  Depuis  lors  les  événements  ont  marché  et  nous  sommes 
entrés  dans  la  phase  qui  mène  de  la  persécution  légale  à  la 


LA    RUINE   DE    LA    ROME    ANTIQUE  281 

persécution  sanglante.  La  Révolution  a  évidemment  soif  de 
sang  chrétien  et  sacerdotal.  De  plus  en  plus,  la  République 
ci-devant  conservatrice,  ci-devant  athénienne,  ci-devant  aima- 
ble, tourne  au  Jacobinisme  et  à  la  Commune.  On  cherchera 
comme  toujours  et  l'on  cherche  déjà,  mais  en  vain,  à  apaiser  le 
le  monstre  révolutionnaire  en  lui  donnant  du  prêtre  à  manger. 
Le  gouvernement  exécute  le  prologue  d'une  tragédie  dont  il  ne 
tardera  pas  à  devenir  lui-même  la  victime.  D'un  jour  à  l'autre, 
la  France  peut  se  réveiller  en  pleine  Jacquerie  ou  en  pleine 
Terreur.  Tels  sont  les  résultats  de  «  la  politique  anticléricale!  » 
Eh  bien  !  nous  demanderons  maintenant  à  nos  adversaires, 
habituellement  si  prompts  à  chercher  à  l'étranger  des  exemples 
bons  à  imiter,  si  ce  double  spectacle  de  la  pacification  religieuse 
en  Allemagne  et  de  la  persécution  religieuse  en  France  n'est 
pas  fait  pour  leur  inspirer  de  salutaires  réflexions...  De  quel 
côté  croient-ils  que  se  trouvent  la  sagesse,  la  prévoyance,  la 
raison  politique  :  du  côté  de  M.  le  prince  de  Bismarck  ou  du 
côté  de  M,  Goblet?  La  décadence  trop  visible,  hélas  !  de  la 
nation  française,  l'écho  des  discours  qui  retentissent  à  la 
Chambre  des  députés,  n'en  disent-ils  pas  bien  long  sur  la  valeur 
d'un  système  de  gouvernement  qui  pratique  avant  tout  «  l'art 
d'affamer  les  curés  »  en  attendant  qu'il  déchaîue  de  nouveau 
les  fureurs  de  l'impiété  populaire? 


LA  RUINE  DE  LA  ROME  ANTIQUE 

I 

Le  gouvernement  usurpateur  de  Rome  a  voulu  marquer  son 
passage  par  quelques  travaux  d'une  certaine  importance.  Il  fait 
procéder  à  l'établissement  de  grands  quais  sur  les  deux  rives 
du  Tibre,  à  travers  toute  la  ville;  une  bonne  partie  des  murs 
est  déjà  construite.  Il  a  décidé  d'ouvrir  une  grande  artère, 
appelée  Via  nazionale,  allant  de  la  gare  jusqu'à  la  place 
Saint-Pierre;  déjà  elle  est  achevée  sur  un  long  parcours  et  les 
travaux  de  démolition  atteignent  bientôt  le  bord  du  Tibre.  Ce 
n'est  point  une  voie  droite,  mais  tortueuse  :  on  l'appelle  le  grand 
serpent.  Des  plantations  d'arbres,  à  l'instar  des  boulevards  de 


282  ANNALES   CATHOLIQUES 

Paris,  devaient  la  border  de  chaque  côté:  mais  le  soleil  d'Italie 
brûle  le>;  jeunes  plants  et  les  premiers  essais  sont  restés  infruc- 
tueux, en  sorte  que  cette  large  voie  sans  ombre  devient  coreime 
un  désert  inabordable  pendant  les  mois  de  grande  chaleur. 

L'œuvre  capitale  à  laquelle  les  usurpateurs  veulent  attacher 
leur  nom  est  le  monument  de  Victor-Emmanuel,  qui  doit  être 
élevé  près  du  Canitole,  sur  les  ruines  du  couvent  des  Francis- 
cains de  VAra-Cœli.  On  y  travaille  avec  ardeur  en  ce  moment, 
et  il  n'y  a  pas  trois  semaines  que  la  pioche  des  démolisseurs 
faisait  tomber  la  tour  de  Paul  III,  l'un  des  monuments  caracté- 
risti(iues  de  la  ville  de  Rome.  Le  gouvernement  n'a  rien  res- 
pecté; tous  les  souvenirs  les  plus  vénérables  sont  sacrifiés  au 
plan  régulateur,  selon  lequel  on  voudrait  faire  de  la  ville  de 
Rome  un  échiquier  semblable  à  la  ville  de  Turin.  Et  pendant 
que  ces  travaux  publics  se  poursuivent,  la  spéculation  crée  des 
rues  et  des  quartiers  nouveaux  dans  toutes  les  directions.  Ces 
constructions  se  font  à  la  hâte  et  à  l'économie;  elles  ne  tiennent 
pas.  Déjà  tout  un  côté  de  la  grande  place  Victor-Emmanael 
s'est  écroulé;  les  locataires  s'empressent  de  déserter  ces- 
chàùeaux  branlants,  et  l'on  prévoit  un  krach  financier  qui 
devra  nécessairement  faire  suite  à  l'effondrement  des  murailles. 

Les  spéculateurs  des  consti'uctions  sont  en  grande  pai-tie  des 
Allemands  et  des  juifs.  Ils  sont  aussi  peu  soucieux  de  la  vie 
des  ouvriers  qu'ils  emploient  que  de  celle  des  locataires  qu'ils 
exposent  à  périr  sous  des  ruines.  Dernièrement,  dans  le  quartier 
des  Prati,  sur  la  droite  du  Tibre,  non  loin  du  Vatican,  un 
échafaudage  légèrement  monté  s'est  rompu  et  a  coûté  la  vie  à 
deux  maçons.  Dix  mille  ouvriers  ont  accompagné  au  cimetière 
le  cercueil  de  ces  infortunés  et  ont  tenu  un  meeting  de  protes- 
tation. Quelques  jours  plus  tard,  deux  autres  ouvriers  ont  été 
ensevelis  dans  une  sablière.  L'opinion  publique  est  si  émue  de 
ces  fréquents  accidents  que  le  gouvernement  et  la  municipalité 
ont  dû  prendre  quelques  mesures  de  rigueur  contre  les  entre- 
preneurs, en  vue  do   prévenir  le  retour  de  pareils  désastres. 

Mais  les  protestations  ne  viennent  pas  seulement  du  milieu 
des  ouvriers,  elles  arrivent  aujourd'hui  de  toutes  les  parties  de 
l'Europe  contre  l'ensemble  même  des  travaux  entrepris  ou 
favorisés  par  le  gouvernement  italien  à  Rome,  travaux  qui  ont 
pour  résultat  et  ont  eu  probablement  pour  premier  but  de 
détruire  le  cachet  de  l'ancienne  ville  des  Papes.  Deux  savants' 
protestants  de  l'Allemagne  ont  publié  à  ce  sujet  des  protesta 


LA    RUINE    DE   LA.   ROME    ANTIQUE  283 

tions  qui  ont  produit  la  plus  vive  impression  sur  le  monde  du 
Quiiinal.  C'est  d'abord  M.  Hermann  Grimm,  qui  a  inséré  un 
grand  article  dans  la  Deutsche  Rundschau,  de  Berlin.  L'article 
a  été  ensuite  traduit  en  italien  et  publié  en  une  brochure  très 
répandue  à  Rome.  Le  titre  était  :  La  Destruction  de  Rome; 
voici  quelques  extraits  : 

Lorsqu'après  une  séparation  de  dix  ans,  il  m'a  de  nouveau  été  per- 
mis de  rentrer  à  Rome,  les  impressions  que  j'ai  reçues  furent  impré- 
vues et  terribles.  J'ai  vu  qu'on  s'apprêtait  à  détruire  moralement  et 
intellectuellement  Rome,  en  voulant  en  faire  la  capitale  du  royaume 
italien  ;  j'ai  vu  que  les  conversations  se  concentraient  sur  ce  point; 
que  chacun  comprenait  qu'il  y  a  quelque  chose  à  faire  :  mais  per- 
sonne ne  savait  quoi.  J'ai  lu  dans  la  Galette  nationale  l'article  de 
Gregoiovius  intitulé  :  Pour  la  défense  de  Rome  contre  sa  destruction 
d'aujourd'hui.  De  cette  étude  sortait  comme  l'impression  que 
quelque  chose  périssait  qu'on  ne  pouvait  sauver.  Moi,  qui  dppuia 
trente  ans  ai  écrit  pour  la  gloire  de  Florence  et  de  toute  la  Pénin- 
sule, j'aurais  bien  eu  le  droit  d'élever  ma  voix.  Mais  j'ai  remarqué 
bientôt  qu'une  lettre  aux  Romains  ne  servirait  de  rien.  11  n'y  a  ici 
qu'une  minorité  qui  sente  la  honte  et  la  tristesse  de  l'état  de  choses 
actuel,  ce  sont  des  vieillards,  ceux  qui  sentent  le  prix  de  ce  qu'on 
va  détruire.  Mais  ils  ont  été  forrés  de  céder  et  de  renoncer  â  la  lutte. 

Cependant,  il  y  a  une  Rome  qui  a  des  citoyens  dans  tous  les  pays  : 
c'est  cette  Rome  qu'on  va  détruire.  Ce  que  je  puis  faire,  c'est  de 
leur  faire  .savoir  ce  qui  se  passe  ici.  Tous  ceux-là  non  seulement  ont 
le  droit,  mais  le  devoir  de  protester.  Peut-être  se  produira-t-il  une 
pression  de  l'opinion  publique  qui  arrêtera  là  dévastation  de  la  ville. 
S'adresser  aux  Romains  serait  vain. 

On  est  persuadé  de  la  nécessité  des  mesures  prises.  On  croit  qu'on 
fait  plutôt  trop  peu.  La  ville  n'a-t-elle  pas  besoin  de  lumière,  d'air 
et  de  voies  de  communications?  Ne  faut-il  pas  préparer  des  loge- 
ments au  nombre  de  plus  en  plus  considérable  des  habitants?  11  faut 
en  finir  vite  et  radicalement.  Depuis  mille  ans,  la  Rome  des  Papes 
se  lient  debout  sur  les  ruines  de  la  capitale  de  l'ancien  empire 
romain  :  les  temps  sont  venus  où  il  est  nécessaire  de  donner  une 
capitale  à  l'Italie  une  et  florissante.  C'est  une  transformation  que  les 
soupirs  des  historiens  sentimentaux  ne  pourront  pas  arrêter... 

Les  Romains  n'ont  pas  seuls  le  droit  de  revendiquer  ce  qui  leur 
est  àû;  les  Italiens,  quand  ils  modernisent  Rome,  ne  doivent  pas 
seulement  écouter  les  catholiques  de  tous  les  pays,  mais  aussi  les 
protestants  et  tous  ceux  qui  savent  apprécier  le  développement  de 
l'humanité  et  voir  dans  ces  monuments  des  symboles  dont  chacun 
a  le  droit  de  demander  la  conservation.  On  pourrait  se  demander  ce 
que  ces  mas?es  de  pierres,  quelle  que  soit  leur  beauté,  ont  à  faire. 


284  ANNALES    CATHOLIQUES 

dans  leur  immobilité,  avec  le  bien  de  l'humanité.  Beaucoup.  Des 
lieux  où  ont  vécu  de  grands  hommes,  d'où  sont  parties  de  grandes 
pensées,  ont  quelque  chose  de  sacré.  Si  un  tremblemeut  de  terre 
abattait  aujourd'hui  le  Vatican  et  la  basilique  de  Saint-Pierre,  ce 
serait  une  perte  pour  l'humanité  :  on  lui  prendrait  quelque  chose 
qui,  mort  ou  infécond  en  apparence,  serait  cependant  «  irrem- 
plaçable ». 

Ce  palais  et  cette  basilique  s'élevaient  jusqu'ici  dans  la  solitude, 
en  dehors  de  la  ville.  Or,  que  fait-on  aujourd'hui?  Sur  les  prairies 
qui  entourent  Rome  au  noid,  des  rues  nouvelles  sont  tracées  jus- 
qu'au bord  des  jardins  du  Vatican.  On  voit  s'élever  des  séries  de 
maisons  colossales  sans  aucune  architecture,  destinées  à  loger  sim- 
plement du  monde,  et,  au  milieu  d'elles,  surgissent  les  casernes 
formidables  de  carabinieri. 

Les  habitants  du  Vatican  actuel  ne  me  regardent  pas.  Je  n'en 
connais  aucun,  et  il  m'est  indifférent  qui  y  est  libre  ou  prisonnier. 
Mais  ce  palais  des  papes,  que  Bramante  a  exécuté  si  merveilleu- 
sement, est  un  monument  qui  appartient  au  monde  entier,  aussi 
bien  que  le  temple  de  Michel-Ange.  C'est  une  offense  de  rapprocher 
cette  masse  de  maisons  sans  art  de  cette  demeure.  Il  n'y  a  là  que 
des  maisons  qui  ne  répondent  pas  même  aux  conditions  d'hygiène, 
car  on  spécule  plus  sur  l'exploitation  du  terrain  qu'on  ne  songe  au 
bien  des  habitants.  L'aspect  de  ceux  qui  y  demeurent  déjà  témoigne 
combien  il  est  malsain  de  demeurer  dans  ces  agglomérations  de 
maisons  colossales.  C'est  comme  une  enceinte  qui  enserre  le  Vatican. 
La  fumée  s'étend  en  nuages  immondes  sur  les  jardins  du  Pape... 

Ce  spectacle  sera  un  reproche  éternel;  il  dira  qu'en  transformant 
la  Rome  des  Papes  en  "une  capitale  du  royaume  italien,  on  n'a  pas 
procédé  avec  les  égards  dus  au  passé  que  représente  la  papauté, 
égards  dus  aussi  au  temple  de  Michel- Ange  et  au  palais  de  Bramante. 

Pourquoi  construire  ces  trois  casernes  colossales,  ces  monstruo- 
sités de  l'architecture  qui  écrasent  tout  à  l'entour?  Qu'on  ne  croie 
pas  que  je  veuille  protester  contre  le  soin  que  mettent  les  Italiens  à 
élever  leur  armée...  Mais  pourquoi,  en  rapetissant  deux  des  chefs" 
d'œuvre  les  plas  imposants  de  Rome,  veut-on  inspirer  aux  jeunes 
générations  comme  le  dédain  de  ce  qui  a  un  prix  si  grand  pour 
l'histoire  du  pays? 

On  pourrait  objecter  qu'on  doit  parler  ici  tout  au  plus  de  manque 
d'habileté  et  de  tact  historique.  Mais  Grégorovius  a  employé  le  mot 
de    Vandales  dans  son  étude.  Demandons-nous  ce  que  cela  signifie. 

Le  vandalisme,  c'est  une  destruction  inutile  et  sans  but.  On  est 
sur  le  point  de  détruire  le  cloître  de  VAra-Cœli  et  la  tour  de 
Paul  111  sur  l'emplacement  qui  doit  recevoir  le  monument  futur  de 
Victor-Emmanuel.  Ces  deux  édifices  appartiennent  au  patrimoine 
historique  de  Rome;  mais  on  pourrait,  à  la  rigueur,  s'en  passer.  Ce 


LA    RUINE    DE    LA    ROME    ANTIQUE  285 

irerait  autre  chose  si  l'on  voulait  abattre  le  palaszetto  di  Venezia, 
sous  prétexte  dVlaP!<ir  la  rue  qui  monte  au  Capitule.  Ce  serait  du 
vanilalisme  de  sacrifier  l'église  de  Y Ara-Cœli,  une  des  plus  antiques 
et  des  plus  vénérables  de  Rome;  on  assure,  cependant,  qu'on  va 
rabatti*e.  Ce  serait  du  van'ialisme  si  on  allait,  comme  on  le  dit, 
demiilii-  d'autres  palais  encore 

Beaucoup  sentent  le  besoin  de  marquer  d'un  sceau  personnel  et 
suprême  leurs  études  historiques  et  esthétiques.  A  ce  point  de  vue, 
Rome  était  devenue,  depuis  le  commencement  de  ce  siècle,  le  lieu 
central  des  pèlerinages  dont  le  miracle  consistait  à  bien  classer  dans 
l'esprit  les  souvenirs  et  les  goûts  historiques.  Il  ne  m'est  pas  permis 
d'insister  :  on  a  tout  dit  sur  ce  point.  Les  littératures  de  tous  les 
peuples  renferment  les  aveux  et  les  mémoires  de  ceux  qui  ont  fait 
ce  voyage  et  ressenti  cet  effet  mervpilleux. 

Les  génies  les  plus  nobles  de  l'Allemagne,  de  l'Angleterre,  de 
l'Amérique,  de  la  France  et  de  l'Italie  datent  de  cette  heure  bénie 
où  ils  ont  rpçu,  au  contact  de  Rome,  comme  un  nouveau  baptême 
intérieur,  comme  une  sorte  de  rénovation  intellectuelle.  Le  spec- 
tacle de  la  ville,  le  séjour  au  sein  des  grandeurs  sereines  et  calmes 
sont  le  meilleur  moyen  de  comprendre  la  valeur  des  choses 
historiques. 

Rome  est  la  doyenne  d'âge  des  villes.  Elle  forme  une  chaîne 
ininterrompue  de  destinées  qui  ont  agi  sur  le  cours  et  l'histoire  des 
puples.  Toutes  les  époques  ont  marqué  Ipur  empreinte  sur  ce 
centre  du  monde,  et  les  étudier,  c'est  se  mettre  en  contact  immédiat 
avec  tous  les  temps  passés.  Rome,  c'est  le  compendium  de  tous  les 
monuments  de  chaque  période;  les  détruire,  les  changer  équivau- 
drait à  une  destruction  de  ce  que  le  monde  a  de  plus  beau  dans 
Rome. 

Rome  s'offre  à  nous  comme  un  sanctuaire  historique,  comme  une 
merveille.  La  vue  de  ses  ruines  élève,  rafraîchit,  fortifie  l'âme. 
Fuuler  ce  sol  béni  a  je  ne  sais  quoi  de  ravissant  :  c'est  comme  une 
patrie,  après  une  longue  séparation.  Cette  terre  ne  peut  et  ne  doit 
pas  être  livrée  aux  spéculateurs  et  à  leurs  dévastations.  Je  ne  sais 
comment  mettre  un  terme  à  la  continuation  lamentable  de  cette 
activité.  Mon  devoir  n'est  plus,  d'ailleurs,  de  me  soucier  d'en 
rechercher  les  moyens.  Mais  il  faut  dire,  et  le  dire  bien  haut,  quelle 
perte  feraient  les  nations,  si  l'on  abandonnait  Rome  à  l'exploitation 
de  cette  chasse  aux  richesses. 

Je  me  souviens  des  temps  où  l'on  demandait  au  monde  si  Rome 
devait  rester  le  patrimoine  des  Papes.  L'Italie  aspirait  à  la  posséder, 
comme  si,  sans  Rome,  le  pays  ne  devait  jamais  se  calmer.  C'était 
comme  si  l'on  allait  mettre  un  terme  à  la  misère  du  peuple,  après 
avoir  planté  le  drapeau  italien  sur  le  Capitole  !  Quelle  Rome  ne 
verrait-on  pas,  ai  elle  était  une  fois  soustraite  à  la  «  tyrannie  »  du 


286  ANNALES    CATHOLIQUES 

gouvernement  pontifical?  Qui  ne  s'élevait  pas  contre  ce  régime?  Je 
me  rappelle  avec  quelle  chaleur  je  demandais  moi-même  Rome 
capitale. 

D'abord,  on  avait  choisi  Florence.  On  avait  commencé  à  gouverner 
comme  si  cette  ville  devait  être  la  capitale  définitive.  Le  roi  et  le 
gouvernement  s'y  étaient  établis.  La  ville  a  fait  des  dettes  pour 
opérer  cet  établissement  d'une  capitale.  Ces  dettes  ont  amené  la 
ruine  de  Florence.  Rome  est  conquise.  Et  Florence,  au  lieu  de 
s'épouvanter,  sonna  toutes  les  cloches  lorsque  la  nouvelle  arriva.  La 
joie  tiiompha  da  toutes  les  craintes  et  de  toutes  les  jalousies  ! 

Et  maintenant!  Ce  sol  sacré  de  Rome,  le  voilà  livré  aux  spécula- 
teurs !  A  ceux  qui  se  plaignent,  on  répond  par  des  haussements 
d'épaules.  On  prétend  qu'il  est  impossible  d'arrêter  le  développement 
de  ce  qui  doit  arriver. 

J"ai  toujours  aimé  les  Italiens  d'un  sentiment  de  sympathie  mêlé 
de  reconnaissance.  Leur  manière  de  penser  répond  à  la  nôtre, 
malgré  de  fortes  divergences.  Leurs  efi'orts  vers  la  grandeur  nous 
inspirent  le  respect,  leurs  malheurs  des  sympathies.  Dante,  Michel- 
Ange  et  Raphaël  unissent  pour  toujours  l'empire  allemand  au 
royaume  italien.  Mais  des  jours  difficiles  peuvent  se  lever  sur  cette 
nation,  comme  sur  d'autres.  Si,  alors,  la  question  de  Rome,  de  la 
sainte  Ville  éternelle,  devait  se  poser  de  nouveau,  eh  bien  !  on 
répondra  froidement  que,  dans  les  années  quatre-vingts,  cette  Rome 
a  été  détruite  par  les  Italiens  eux-mêmes. 

Hermann  Grimm. 
(A  suivre.) 


LE  PROGRAMME  FRANC-MAÇON 

La  franc-maçonnerie  s'occupe-t-elle  de  politique,  et  parti- 
culièrement de  politique  antireligieuse  ? 

A-t-elle  mis  la   main  sur  le  gouvernement  de  la  France? 

Est-ce  bien  elle  qui  h  imaginé  et  fait  voter  les  lois  sur 
l'instruction  primaire  comme  les  armes  les  plus  sûres  pour 
combattre  et  pour  étouffer   l'Eglise  ? 

Aux  naïfs  qui  ne  savent  encore  que  répondre  (et  à  supposer 
qu'il  en  existe),  nous  recommandons  le  discours  que  le  F.-.  Fer- 
nand  Faure,  orateur  du  Couvent,  a  prononcé  à  la  dernière 
assemblée  générale   du  Grand-Orient  de  France. 

Les  membres  du  Conseil  de  l'Ordre  et  les  délégués  de  pres- 
que toutes  les  loges  de  France  assistaient  aux  séances,  au 
nombre  de  241. 


LE    PROGRAMME    FRANC-MAÇON  287 

En  outre  du  F.*.  Séraphin  Maynard,  bien  connu  à  Lyon  où 
il  a  été  adjoint,  nous  pouvons  citer  les  F.'.  Coquet,  Michaud. 
Guy,  Bénassy,  Bouvet,  Picoury,  Warnier  et  Girard,  de  Lyon; 
Jugy,  de  Villefranche  ;  Gordes,  de  Belleville;  Dubief,  de  Ma- 
çon ;  Lagarde,  de  Tournus  ;  Isembart,  de  Beaune  ;  Moiton,  de 
Dijon;  Renaud,  de  Dole;  Gaulion,  de  Lons-le-Saunier  ;  Giiaud, 
de  Bourg;  Perdu,  de  Belley  ;  Gauthier,  de  Saint-Claude;  Bru- 
nier,  de  Saint-Sorlin  ;  Bérier,  de  Voiron  ;  Chaulon,  de  Grenoble; 
Blanc,  de  Gap;  Guibert,  d'Annonay;  Paquier,  d'Avignon;  Ma- 
rius  Gas,  de  Nîmes;  Pichon,  de  Valence;  Savigné  et  Claudius 
Tardif,  de  Vienne;  Pétrel  et  Richard,  de  Saint-Étienne  ;  Du- 
pont, de  Roanne  ;  Millet-Lacombe,  de  Vichy,  etc.,  etc. 

Voici  les  passages  les  plus  frappants  du  discours  du  F.-.  Faure, 
discours  officiel,  chaudement  applaudi  : 

Nous  voulons,  nous  maçons  français,  après  avoir  donné  à  notre 
pMys  le  régime  républicain  et  démocratique  qui  est  le  sien,  nous 
voulons  le  rendre  à  jamais  inébranlable  et  indestructible,  nous 
voulons  le  développer,  le  perfectionner  sans  cesse,  nous  voulons 
en  faire  un  instrument  supérieur,  qui  puisse,  de  la  façon  la  plus 
féconde,  nous  permettre  de  réaliser  le  progrès  que  nous  pour- 
suivons. 

Mais  quel  progrès  ?  L'orateur,  comme  on  va  voir,  parle  de 
ce  qu'il  faut  détruire  et  des  moyens  de  destruction  :  il  ne  va 
pas  au-delà. 

De  vagues  phrases  sur  l'idéal  et  sur  l'insuffisance  politique 
des  hommes  d'État  ne  sortent  pas  de  la  sphère  de  la  plus  creuse 
rhétorique.  On  ne  parle  de  progrès  et  de  lumières  que  pour 
masquer  les  ruines  qu'on  veut  entasser. 

Cet  idéal  que  je  voudrais  voir  au  cœur  de  tous  nos  concitoyens, 
ne  doit  rien  avoir  de  commun  avec  ce  que  l'on  appelle  une  utopie; 
il  ne  doit  être  non  plus  ni  une  conception  religieuse,  ni  une  con- 
ception métaphysique  quelconque. 

Je  dis  que  nous  devons  fournir  de  la  façon  la  plus  énergique, 
la  plus  constante  dans  notre  société  française,  Vélimination  de 
l'idée  religieuse. 

Je  m'explique  là-dessus. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  nécessaire  d'insister  devant  vous  pour 
vous  dire  que  nous  devons  chercher  à  exclure  cette  influeuce  reli- 
gieuse, qu'on  appelle  l'influence  cléricale. 

Je  passe  là-dessus,  et  je  vais  plus  loin.  Je  dis  que  nous  devons 
éliminer  Vinfluence  religieuse,  sous  quelque  forme  qu'elle  se  pré- 
sente,  même  en  dehors  et  au-dessus  du  cléricalisme. 


288  ANNALES    CATHOLIQUES 

Je  vais  plus  loin  encore.  Nous  devons  éliminer  toutes  les  idées 
métaphysiques. 

Ces  croyances  s'adressent  à  l'esprit,  c'est  sur  l'esprit  qu'il  f;iut 
exercer  une  influence,  et  c'est  exclusivement  à  l'esprit  que  nous 
pouvons  nous  adresser. 

Aussi  ai-je  toujours  pensé  qui  si  nous  pouvons  essayei*  de 
diminuer,  de  détruire  l'influence  des  idées  religieuses  et  niéla- 
phy-îiques,  c'est  par  l'instruiMion  vie-à-vis  des  mineurs,  c'est  par 
la  propagande  vis-à-vis  de  nos  concitoyens  majeurs. 

Pour  les  mineurs,  c'est-à-dire  pour  les  enfants,  la  loi  sur  la 
ne  itralité  prétenlue  de  l'enseigûerûeût  formera  les  francs- 
maçons  de  l'avenir. 

Nous  avons  à  l'école  primaire  les  rudiments  grossiers  de  cette 
instruction  civique  et  politique  indispensable;  nous  les  avons  depuis 
deux  ou  trois  ans.  Mais  les  avons-nous  dans  l'enseignement  supéi  leur? 

Avec  les  hommes  faits,  on  emploiera,  on  multipliera  les 
Sociétés  de  libres-[)enseurs. 

Il  conviendrait  que  la  franc-maçonnerie  fût  l'association  des  libres- 
penseurs,  que  nous  fussions  en  quelque  sorte  leur  association  pro- 
fessionnelle, et  je  pense  que  par  ce  seul  fait  ils  pourraient  acquérir 
une  grande  puissance. 

Ils  rendraient  sérieuses  et  fondées  les  craintes  de  l'Eglise,  en  se 
corrigeant  de  quelques-unes  de  leurs  fa  blesses  qu'elle  exploite  très 
habilement  contre  eux.  Ils  se  donneraient  en  particulier  la  force, 
non  seulement  d'affirmer  et  de  porter  autour  d'eux  leurs  idées  libé- 
rales, mais  encore  celle  de  conformer  vigoureusement  leur  conduite 
à  leurs  doctrines.  Ils  cesseraient  d'offrir  le  triste  spectacle,  si  fré- 
quent encore,  de  libres-penseurs  venant  s'incliner  à  de  certains 
moments  devant  l'autorité  de  l'Eglise. 

Cela  signifie  qu'on  ne  fait  pas  assez  bien  la  garde  autour  du 
lit  des  mourants  et  que  la  franc-maçonnerie  demande  à  s'ea 
charger,  pour  être  plus  sûi'e  que  le  prêtre  et  le  pardon  ne  pour- 
ront jamais  s'en  approcher. 

Et  l'orateur,  après  ce  programme,  s'écrie  : 

Voilà  des  réformes  qui  s'imposent  entre  toutes.  Que  sont  à  côté 
d'elles  les  réformes  purement  économiques  ou  politiques? 

C'est  ce  dernier  mot  qui  est  le  secret  de  toutes  les  fautes  de 
la  République. 

Que  lui  importent  les  richesses  de  la  France  ou  le  bien-être 
des  ouvriers,  pourvu  qu'on  ferme  une  chapelle,  qu'on  expulse 


MGR   DE    LANGALER  E  289 

une  Sœur  de  charité,  qu'on  vexe  ou  qu'on  mette  à  la  misère  un 
curé?  Ou  bien,  comme  disent  les  francs-maçons,  que  sont  les 
réformes  économiques  à  côté  de  la  propagande  de  l'athéisme? 
C'est  aussi  clair  et  aussi  menaçant  que  les  paroles  que  le 
F.*.  Blatin,  professeur  à  l'École  de  médecine  de  Ciermont- 
Ferrand,  avait  prononcées  à  la  clôture  du  couvent  de  1883. 

Ce  jour-lâ,  notre  œuvre  aura  véritablement  accompli  ses  destinées. 
Dans  les  édifices  élevés  de  toutes  parts,  depuis  des  siècles,  aux 
superstitions  religieuses  et  aux  suprématies  sacerdotales,  nous  serons 
appelés  à  notre  tour  à  prêcher  nos  doctrines,  et  au  lieu  des  psalmo- 
dies cléricales  qui  y  résoanent  encore,  ce  seront  les  maillets,  les 
batteries  et  les  acclamations  de  notre  Ordre  qui  en  feront  retentir 
les  larges  voûtes  et  les  vastes  piliers. 

Vaines  illusions  d'une  haine  impuissante  ! 

Nous  fêtions,  il  y  a  quelques  jours,  la  résurrection  de  notre 
Christ,  et  ce  n'est  pas  en  ce  temps  que  nous  pourrions  craindre 
la  mort  de  son  Eglise  ! 


MONSEIGNEUR  DE  LANGALERIE 

Le  service  de  quarantaine .  pour  Mgr  de  Langalerie  a  eu  lieu  à  la 
cathédrale  d'Auch,  jeudi  8  avril.  L'oraison  funèbre  a  été  prononcée 
par  M.  le  chanoine  Laprie,  de  Bordeaux,  qui  avait  déjà  donné  un  beau 
discours  sur  le  même  sujet  le  jour  des  obsèques. 

Ce  second  éloge  a  pour  texte  ces  paroles  des  psaumes  :  Paulo  minus 
ab  angelis.  Vous  Favez  placé,  mon  Dieu,  inen  qu'un  peu  au-dessous 
des  anges. 

Montrer  que  le  prélat  défunt  a  parcouru  comme  un  ange  les  diverses 
phases  de  sa  vie,  tel  est  le  sujet  que  l'orateur  a  développé  durant 
deux  heures,  devant  im  auditoire  magnifique  et  charmé. 

On  pourra  juger  de  cette  œuvre  brillante  par  les  extraits  sui- 
vants : 

Comme  sainte  Nonna,  M"^  de  Langalerie  demanda  à  Dieu 
de  prendre  son  Henri  pour  le  service  des  autels,  et,  dés  la  pre- 
mière heure,  elle  l'éleva  en  vue  de  ce  service.  Elle  lui  parlait 
souvent  du  sacerdoce.  Le  petit  Henri  y  prenait  plaisir.  A  qui 
l'interrogeait  sur  ce  qu'il  serait  un  jour,  il  répondait,  sans 
jamais  se  déjuger,  qu'il  voulait  être  prêtre. 

Déjà,  du  reste,  il  se  faisait  remarquer,  aux  heures  de  la 
prière,  par  les  naïfs  élans  d'une  piété  précoce.   On  admirait 


290  ANNALES    CATHOLIQUES 

aussi  la  naissante  charité  de  cet  enfant  à  l'égard  des  pauvres. 
Sur  les  petites  sommes  dont  ses  parents  lui  faisaient  largesse, 
il  voulait  faire  toujours  la  part  des  indigents  ;  et  lorsque  ceux- 
ci  venaient  frapper  à  la  porte  de  la  maison,  courant  à  eux,  le 
visage  épanoui,  il  leur  remettait  joyeusement  entre  les  mains 
la  généreuse  dîme  prélevée  sur  ses  plaisirs. 

Mais  ce  qui  distinguait  Henri  plus  que  tout  le  reste,  c'était 
l'extraordinaire  tendresse  qu'il  témoignait  à  sa  ruére.  Cette 
tendresse  avait  toutes  les  apparences  d'une  sorte  de  culte  ;  culte 
charmant  qui  s'accentuera  toujours  davantage,  à  mesure  que 
les  années  viendront  blanchir,  cheveu  par  cheveu,  cette  tête  si 
chère,  à  mesure  que  la  main  du  temps  burinera,  sur  ce  front 
vénéré,  les  signes  de  la  vieillesse.  La  mort  même  ne  fera  qu'en 
consacrer  le  touchant  caractère,  en  transperçant  d'une  inguéris- 
sable blessure  le  cœur  du  plus  aimant  des  fils... 

C'était  dans  les  premières  années  de  la  Restauration.  Une 
Altesse  Royale,  la  fille  du  Roi  martyr,  celle  qui,  dans  les 
cachots  de  la  Tour  du  Temple,  avait  trempé  ses  lèvres  au  calice 
d'un  malheur  presque  divin,  la  duchesse  d'Angoulême,  de  pas- 
sage à  Bordeaux,  voulut  faire  un  pèlerinage  au  sanctuaire  de 
Notre-Dame  de  Verdelais.  Ce  sanctuaire  orne  et  protège  un 
étroit  vallon,  non  loin  du  cours  de  la  Garonne.  Pour  faire  hon- 
neur à  l'auguste  visiteuse,  à  celle  que  la  France  appelait  offi- 
ciellement Madame,  le  séminaire  de  Bazas  se  transporta  à 
Venlelais.  Or,  Madame  venait  d'arriver  sous  les  vieux  ormeaux 
qui  ombrageaient  alors  les  abords  de  la  chapelle.  Groupé  devant 
le  porche,  un  groupe  de  séminaristes  était  en  train  d'exécuter, 
en  l'honneur  de  Son  Altesse,  un  chant  de  bienvenue.  Henri  de 
Langalerie,  qui  était  doué  d'un  timbre  de  voix  suave  comme 
son  âme,  faisait  partie  de  ce  groupe.  Il  était  un  des  deux  ou 
trois  principaux  chanteurs  sur  lesquels  reposait  le  succès  de  la 
cantate. 

Donc,  au  milieu  d'un  silence  ravi,  il  chantait;  mais  voilà  tout 
à  coup  que  sa  voix  tremble  et  fléchit.  Le  coryphée  le  regarde  ; 
il  le  voit  rougir,  il  voit  poindre  les  larmes  dans  ses  yeux  : 
«  Chantez  donc  »,  lui  dit-il.  La  voix  fléchit  encore,  les  larmes 
coulent.  «  Mais  qu'avez-vous  ?  » —  «  J'ai  aperçu  maman,  »  répond 
enfin,  à  bout  de  voix,  le  candide  virtuose. 

M""  de  Langalerie  s'était,  en  efi'et,  mêlée  à  la  société  borde- 
laise, qui  avait  tenu  à  honneur  d'escorter  la  duchesse  d'Angou- 
lême, et  le  regard  de  son  fils  venait  de  la  découvrir  dans  les 


MGR  DE    LANGALERIE  291 

rangs  du  cortège.  Oubliant  aussitôt  et  l'importance  de  son  rôle, 
€t  la  première  dame  de  France,  et  la  brillante  cour  qui  entou- 
rait la  Royale  Altesse,  il  n'avait  plus  vu  que  sa  mère  !... 

Lejour  oii  Mgr  de  Langalerie  dut  courber  sa  tête  sous  le  fardeau 
de  l'épiscopat,  il  remercia  le  bon  Dieu,  puisqu'il  avait  voulu  le 
faire  évêque,  de  l'avoir  fait  évêque  de  Belley,  et  cela  pour  deux 
■raisons  :  parce  qu'il  serait  ainsi  évêque  d'un  diocèse  dont  une 
portion  considérable  avait  été  gouvernée  autrefois  par  saint 
François  de  Sales,  et  parce  que,  en  vertu  de  ce  titre,  il  devenait 
révêque  du  curé  d'Ars. 

Le  curé  d'Ars!  quelle  étonnante  merveille,  Messieurs,  et, 
•  dans  cette  merveille,  quelle  piquante  revanche  de  la  divine 
Providence  ! 

Ne  savez-vouspas  que  le  siècle  qui  a  précédé  le  nôtre,  le  dix- 
huitième  siècle,  fit  le  pèlerinage  de  Ferney  en  l'honneur  (ce 
•c'est  plus  moi  qui  vais  parler,  c'est  le  plus  prodigieux  de  nos 
poètes),  en  l'honneur... 

....  D'un  sinofe  de  génie 
Chez  l'homme  en  mission  par  Toufer  envoyé  (1). 

Or,  la  Providence,  qui  se  joue  dans  le  monde,  ladens  in  orbe 
terrarum,  la  Providence  a  voulu  que,  dans  le  même  coin  de 
notre  territoire,  le  dix-neuvième  siècle  fît  le  pèlerinage  d'Ars, 
-en  l'honneur  d'un  pauvre  curé  de  campagne  qui,  pendant  trente 
ans,  passa  chaque  jour  seize  heures  entre  les  planches  d'un 
confessionnal,  et  dont  tout  le  génie  consistait  à  dire  :  «  Mes 
enfants,  aimez  bien  le  bon  Dieu...  Il  est  si  bon,  aimez-le  bien  !  », 
mais  pratiquant  pour  son  compte,  à  la  fanon  des  séraphins,  ce 
•qu'il  prêchait  aux  autres  d'une  façon  si  naïve. 

A  peine  installé  dans  son  siège  de  Belley,  Mgr  de  Langalerie 
s'empressa,  sous  un  prétexte  quelconque,  de  se  rendre  dans  la 
paroisse  d'Ars,  pour  y  voir  de  ses  yeux  le  prêtre  qu'il  appréciait 
comme  le  plus  riche  diamant  de  sa  couronne. 

Quelle  rencontre  que  celle  de  cet  Evêque  et  de  ce  prêtre,  de 
•ces  deux  âmes  si  dignes  l'une  de  l'autre! 

Le  poète  fameux,  auquel  je  faisais  allusion  tout  à  l'heure, 
a  décrit,  quelque  part,  ce  moment  solennel  oii  le  soleil  cou- 
chant va  toucher  la  surface  d'une  mer  tranquille,  qui  réfléchit 
«on  disque  d'or,  le  moment  où  le  soleil  et  son  image  vont 
fraternellement  s'embrasser  : 

Comme  deux  rois  amis,  l'on  voyait  deux  soleils 
Venir  l'un  au-devant  do  l'autre. 
(1)  Victor  Hugo. 


292  ANNALES    CATHOLIQUES 

En  songeant  à  la  première  rencontre  de  Mgr  de  Langalerie  et 
du  curé  d'Ars,  en  songeant  au  premier  embrassement  de  ces 
deux  belles  âmes,  ne  vous  imaginez-vous  pas,  messieurs,  un 
spectacle  analogue  à  celui  que  chantait  le  grand  poète  sur  sa 
lyre,  alors  chrétienne  ? 

Dès  ce  moment,  comme  jadis  saint  Athanase  après  avoir  vu 
saint  Antoine  au  désert,  Mgr  de  Langalerie  ne  se  lassa  plus  de 
parler  de  la  merveille  qu'il  avait  contemplée. 

Un  jour  vint,  oii  il  fut  informé  quy  le  curé  d'Ars,  selon  la 
propre  expression  de  celui-ci,  approchait  de  sa  pauvre  fin. 
Aussitôt  le  prélat  accourt.  Haletant,  ému,  priant  à  haute  voix, 
et  fendant  les  flots  de  la  foule  agenouillée  autour  de  l'humble 
presbytère  de  M.  Vianney,  il  arrive  auprès  du  vénérable  mou- 
rant. C'est  sur  sa  croix  pectorale  que  tombèrent  les  larmes  de 
joie,  par  lesquelles  l'héroïque  serviteur  de  Dieu  saluait  les 
rivages  de  l'éternité,  les  horizons  de  la  patrie.  C'est  lui  qui,  le 
jour  des  funérailles,  en  présence  du  cercueil,  sur  la  place  de 
l'église,  devant  un  immense  auditoire,  oii  toute  la  France  était 
représentée,  prononça  l'oraison  funèbre  de  l'heureux  défunt, 
plus  vivant  que  jamais.  C'est  lui  qui,  jusqu'à  sa  dernière 
heure,  s'est  intéressé  plus  ardemment  que  personne  à  la  cano- 
nisation du  curé  d'Ars,  son  ancien  diocésain... 

J'aperçois  d'ici  sa  chambre  et  son  oratoire  :  dans  cette  sorte 
de  sanctuaire,  tout,  jusqu'à  la  moindre  des  images  qui  le 
décorent,  tout  respire  la  piété  d'un  auguste  ami  de  Dieu.  Qui 
nous  dira  la  ferveur  des  prières  exhalées  chaque  jour,  en  ce 
lieu-là,  de  l'âme  de  notre  Archevêque!  Des  prières,  il  s'en  était 
imposé,  pour  son  usage  quotidien,  une  série  presque  intermi- 
nable. «  C'est  long,  disait-il,  mais  cela  me  fait  du  bien  à 
l'âme  »,  Il  en  avait  même  rédigé  pour  ses  heures  d'insomnie. 

J'aperçois  son  cabinet  de  travail.  Sur  cette  table  destinée 
à  ses  écritures,  sa  plume  ne  s'exerçait,  en  dehors  de  la  corres- 
pondance épistolaire,  que  sur  des  matières  sacrées,  et  préféra- 
blement  sur  des  sujets  mystiques.  Pendant  les  deux  dernières 
années  de  son  existence,  il  s'occupa  de  composer,  non  pour  le 
public,  mais  pour  lui-même,  un  Traité  de  la  vie  de  notre  âme 
avec  Jésus-Christ  en  Dieu. 

J'aperçois  la  chapelle  domestique  où  il  avait  coutume  de 
célébrer  la  sainte  messe.  C'est  là  qu'il  venait,  plusieurs  fois  le 
jour,  épancher,  aux  pieds  de  Jésus-Eucharistie,  le  trop  plein  de 
son  cœur;  c'est  là  qu'on  pouvait  entendre  s'échapper  de  sa 


LES  CHANOINES  DE  CARTHAGE  293 

poitrine  les  plus  brûlantes  aspirations.  C'est  là  que  tous  les 
jours,  avant  le  dernier  repas  de  la  communauté  épiscopale,  il 
venait  passer  une  heure  entière,  qu'il  appelait  son  heure  de  la 
messe  du  soi?-.  11  la  consacrait  à  faire  le  chemin  de  la  croix,  et 
à  contempler  l'adorable  Sacrement. 

Chanoine  Laprie. 


LES  CHANOINES   DE    CARTHAGE 

La  Bulle  qui  porte  institution  du  diocèse  de  Carthage  impo- 
sait au  nouvel  archevêque  l'obligation  d'établir  un  Chapitre 
métropolitain,  dès  que  les  circonstances  le  lui  permettraient. 
Pour  obéir  à  cette  disposition,  S.  Em.  le  cardinal  Lavigerie  a 
mis  la  main  à  l'œuvre,  et,  grâce  au  concours  qui  lui  a  été 
donné  par  des  ecclésiastiques  de  France,  il  a  déjà  pu  instituer 
une   partie   de  ces  canonicats. 

Ces  fondations  ont  eu  lieu  sur  le  modèle  de  ce  qui  s'est  fait,  à 
Rome,  pour  les  grandes  basiliques,  au  moyen  de  la  constitution 
des  fonds  nécessaires  pour  fournir  les  traitements  des  cha- 
noines. Le  Saint-Siège  a  accordé  en  outre  la  faculté  aux  fonda- 
teurs de  pouvoir  se  réserver  à  eux-mêmes,  s'ils  sont  dans  les 
conditions  exigées  par  les  saints  canons,  la  prébende  fondée 
par  eux,  avec  dis[)ense  perpétuelle  de  la  résidence  et  autorisa- 
tion de  se  faire  suppléer  par  un  coadjuteur  désigné  par  l'arche- 
vêque parmi  les  prêtres  attachés  au  chapitre. 

Afin  d'honorer  les  grands  souvenirs  qui  se  rattachent  à 
l'église  primatiale  de  Carthage,  N.  S.  P.  le  Pape  vient  encore 
d'accorder  à  ce  Chapitre  le  plus  insigne  privilège.  En  vertu 
d'un  Bref  qui  porte  la  date  du  23  mars  1886,  Sa  Sainteté  a 
daigné  accorder  les  honneurs  de  la  prélature  aux  chanoines 
titulaires,  présents  et  futurs,  de  Carthage,  et  leur  a  donné 
à  cet  effet,  rang  dans  le  corps  de  SdS  chapelains  d'honneur.  Ce 
privilège  donne  aux  chanoines  de  Carthage  le  droit  de  porter  le 
titre  de  Monseigneur,  de  prendre  des  armes  prélatrices  et  de 
revêtir  les  habits  violets.  Le  corps  des  chapelains  d'honneur  du 
Saint-Père  forme,  en  effet,  l'un  des  collèges  de  prélature  de  la 
Maison  pontificale.  Il  assiste  le  Pape  dans  les  cérémonies  de  sa 
chapelle,  comme  le  collège  des  camériers  secrets  l'assiste  dans 


294  ANNALES    CATHOLIQUES 

ses  appartements.  Il  jouit  des  mêmes  honneurs  et  il  porte  le. 
même  costume. 

Comme  nous  l'avons  dit  ci-dessus,  les  canonicats  du  Chapitre 
de  Carthage  ont  été  fondés  jusqu'ici  par  des  ecclésiastiques  de 
France.  Ils  sont  institués  par  des  ordonnances  archiépiscopales. 
C'est  l'Œuvre  des  Écoles  d'Orient,  dont  le  centre  est  à  Paris, 
rue  du  Regard,  12,  qui  a  servi  d'intermédiaire  aux  fondatiojis 
déjà  effectuées  dans  les  conditions  fixées  par  une  ordonnance 
canonique  de  S.  Em.  le  cardinal  archevêque  de  Carthage,  qui 
avait  reçu  à  cet  égard,  dès  l'origine,  les  pouvoirs  de  Sa  Sain- 
teté. Nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  les  détails  sur  les  fonda- 
tions qui  restent  encore  à  faire,  mais  ceux  qui  désireraient 
avoir  des  renseignements  complémentaires  sur  un  sujet  aussi 
intéressant  pourraient  s'adresser  au  directeur  de  l'Œuvre  des. 
Écoles  d'Orient. 

Voici  la  traduction  du  Bref  dont  il  est  question  ci-dessus  : 

LÉON  XI! i,  PAPE 

POUR    PERPÉTUELLE    MEMOIRE. 

Selon  l'usage  des  Pontifes  romains  No~  prédécesseurs,  Nous  avons 
coutume  de  rendre  plus  vénérables,  en  lour  accor  lant  des  honneurs 
particuliers,  les  ecclésiastiques  qui  accomp'issent  leur  mim  t'^ie  dans 
les  temples  les  plus  illustres,  pour  qu'ils  puissent  ainsi  s'attir^T  de 
plus  PQ  plus  le  respect  du  peuple  chrétien  et  mintrer,  par  leui-  cos- 
tume même,  combien  ils  sont  placés  au-dessus  des  autres  en  gian- 
deur  et  en  dignité. 

Or,  comme  il  Nous  a  été  exposé  par  Notre  véaéi-able  Fière 
Dominique,  archevêque  de  Tyr,  secrétaire  de  la  Sacrée-Congrégation 
de  la  Propagande,  que  Notre  cher  Fils  Charles,  cardinal  Lavigerie, 
par  dispense  apostolique,  archevêque  do  Carthage,  désire  que  Nous 
accordions  aux  chanoines  de  ce  Chapitre  métropolitain  le  titre  et  ]ri 
costume  de  Nos  chapelains  d'honneur.  Nous  avons  très  volontiers- 
acquiescé  à  ce  vœu.  C'est  pourquoi,  voulant  donner  un  témoignage- 
de  Notre  particulière  bienveillance  à  tous  ceux  que  concernent  No.s 
présentes  Lettres,  et  les  ayant  dans  ce  but,  absous  auparavant  de 
toute  censure  ou  sentence  d'excommunication,  d'interdit  ou  autre 
portées  contre  eux  pour  quelque  raison  que  ce  soit,  si  par  hasard  ils 
les  avaient  encourues,  et  les  considérant  comme  absous  de  Notre 
autorité  apostolique,  en  vertu  des  présentes  lettres,  Nous  accordons 
qu'à  perpétuité  les  chanoines  du  Chapitre  métropolitain  de  Carthage 
puissent  et  doivent  jouir  du  titre  et  des  insignes  de  Nos  chapelain.s 
d'honneur,    décernant  que  les    présentes   lettres    doivent   rester   à 


NOUVEAUX    MASSACRES    AU    TONG-KING  295 

jamais  fermes,  valides  et  efficaces,  et  servir  à  perpétuité  en  tout  et 
pour  tout,  de  la  manière  la  plus  pleine,  à  ceux  qu'elles  concernent, 
enlevant  à  cet  égard  tout  pouvoir  de  rien  décerner  de  contraire  à 
tous  JBges  ecclésiastiques,  ordinaires  ou  délégués,  même  aux  édi- 
teurs des  causes  du  Sacré-Palais  apostolique,  aux  Nonces  du  Saint- 
Siège  et  aux  cardinaux  de  la  sainte  Eglise  romaine,  même  légats 
a  latere,  ou  à  aucun  d'entre  eux  pris  en  particulier,  de  juger  ou 
d'interpréter  autrement  les  présents  privilèges,  déclarant  nul  et  de 
nul  effet  ce  qu'il  arriverait  à  quelqu'un  d'entre  eux,  soit  sciemment, 
soit  incnnsciemment,  d  attenter  contre  ces  droits  nonobstant  toute 
autre  disposition  contraire. 

Donné  à  Rome,  près  Saint-Pierre,  sous  l'anneau  du  Pêcheur,  le 
vingt-huitième  jour  de  mars  de  l'année  1886,  do  Notre  pontificat  la 
neuvième. 

Signé  :  M.    Cardinal  Ledochowski. 

(Lieu  du  sceau.) 


NOUVEAUX  MASSACRES  AU  TONG-KING 

Nous  lisons  dans  un  des  derniers  numéros  des  Missions 
catholiques  : 

Pas  une  semaine  ne  se  passe  sans  que  nous  recevions  et 
ayons  le  triste  devoir  de  communiquer  à  nos  lecteurs  la  nou- 
Te'le  de  quelque  affreux  désastre  dans  l'une  des  missions  de 
l'Annam. 

Aujourd'hui  c'est  du  Tong-King  méridional  que  nous  avons 
à  les  entretenir.  Le  P.  Frichot,  provicaire  apostolique,  qui 
dirige  cette  belle  mission  veuve  de  son  premier  pasteur,  adres- 
sait de  Xa-Doai,  aux  mois  de  janvier  et  de  février  derniers, 
une  série  de  correspondances,  dont  voici  des  extraits  : 

A  la  date  du  15  décembre  1885,  je  vous  écrivais  que  la 
mission  comptait  déjà  plus  de  deux  raille  néophytes  massacrés: 
à  présent,  il  faut  ajouter  à  ce  chiifre  celui  de  six  cents,  qui 
représente  environ  les  deux  tiers  des  chrétiens  des  deux 
paroisses  de  Du-Loc  et  de  Qui-Hoa.  Je  ne  sais  pas  encore  bien 
précisément  les  pertes  subies  par  le  district  de  Dong-Thanh. 

Il  y  a  quelques  jours,  le  P.  jKlingler,  soutenu  par  une  colonne 
de  soldats  français,  est  allé  visiter  quelques  villages  de  ce  dis- 
trict pour  en  ramener  sous  escorte  les  néophytes  réfugiés  sur 

22 


296  ANNALES    CATHOLIQUES 

les  montagnes,  supposé  toutefois  que  ces  malheureux  n'y  soient 
pas  morts  de  faim  et  qu'ils  aient  pu  éviter  la  fureur  des  païens 
qui  reclierchent  nos  chrétiens  dans  les  taillis  et  fourrés  des 
monta-rnes  en  lançant  des  chiens  à  leur  poursuite. 

Voici  ce  que  m'écrivait  le  P.  Kliiigler  à  la  date  du  14  janvier 
dernier  :  «...  A  Nhuân  Trach,  il  ne  reste  plus  de  chrétiens. 
A  Quang-Lang,  village  païen,  j'en  ai  rencontré  vingt-huit.  J'ai 
pu  en  découvrir  neuf  autres  qui  appartiennent  à  différents 
villages.  L'église  a  été  démontée  et  transportée  au  fort  des 
reh-lles.  Plus  de  traces  du  village  de  Dong-Trac.  Apprenant 
que  des  chrétiens  étaient  cachés  dans  la  montagne  voisine, 
j'envoie  leur  faire  savoir  qu'ils  peuvent  se  montrer  sans  crainte. 
Quelques  heures  après,  ces  malheureux  m'arrivent  au  nombre 
de  vingt-cinq,  tant  hommes  que  femmes  et  enfants.  Ils  étaient 
plus  décharnés  que  ceux  de  Nhuàn-Trach.  Tous  étaient  chargés 
déjeunes  pousses  de  bananes  sauvages,  d'herbes  et  de  racines. 
C'éiait.  leur  unique  nourriture  depuis  deux  ou  trois  mois.  On 
leur  a  procuré  de  suite  de  la  viande  d*e  bœuf.  Demain,  je  les 
ferai  conduire  sous  bonne  escorte  à  notre  résidence.  A  vous, 
cher  provicaire,  de  vous  ingénier  pour  les  nourrir  désormais...  » 

Mon  Dieu!  que  ces  tem[js  sont  tristes,  et  quelle  barbarie! 
Nous  conservons  ici,  comme  souvenir,  un  énorme  coutelas 
retrouvé  sur  le  théâtre  des  événements;  il  est  recouvert  d'une 
épaisse  couche  de  sang  coagulé  et  a  servi  à  égorger  nos 
pauvres  chrétiens.  Les  victimes  étaient  si  nombreuses  que 
parfois  les  bourreaux  faisaient  la  besogne  à  moitié.  Aujourd'hui 
même,  j'ai  reçu  la  visite  d'un  pauvre  homme  dont  la  famille  se 
coui posait  de  treize  personnes;  lui  seul  survit!  mais  dans  quel 
état!  Il  a  les  deux  doigts  de  la  main  gauche  conpés  et  trois 
larges  cicatrices  derrière  la  tête.  C'est  quelque  chose  d'affreux. 
On  se  demande  comment  il  a  pu  survivre  à  ses  blessures. 

La  mission  a  déjà  fait  un  lourd  emprunt  pour  nourrir  ses 
affamés;  je  suis  à  la  veille  d'en  contracter  un  second.  Mais 
quand  toutes  ces  ressources  seront  épuisées  qu'arrivera-t-il? 
Chose  désolante!  dans  beaucoup  d'endroits,  les  païens  refusent 
de  iious  vendre  du  riz. 

Mon  Dieu,  ayez  pitié  de  nous!  nos  malheurs  continuent. 
Pe[>nis  le  19  novembre  1885  jusqu'aux  premiers  jours  de 
janvier,  le  district  du  Binh  Chinh,  qui  compte  vingt-deux  mille 
chrétiens,  avait  déjà  été  bien  éprouvé.  Vingt  villages  avaient 
été  pillés  et  soixante  néophytes  tués  ou  massacrés.  Le  mal  ne 


NOUVEAUX   MASSACRES    AU    TONG-KING  297 

devait  pas  s'arrêter  là.  Je  reçois  une  lettre  d'un  prêtre  indigène 
récemment  échappé  du  Binh  Chinli  et  qui  vient  d'arriver  par 
mer  au  port  du  Cuâ-Lô.  Je  la  résume. 

Le  commandant  Grégoire,  fixé  au  fort  de  Dong-Hoi,  gardait 
le  Binh  Chinh,  théâtre  de  ces  tristes  événements.  Dans  les 
derniers  jours  de  décembre,  la  tête  d'une  partie  de  ses  troupes 
poursuivit  l'ennemi  au-delà  de  Bài  Diec,  Il  avait  loué  quatre- 
vingt-dix  barques  chrétiennes  et  cinquante  porteurs  également 
■chrétiens  pour  cette  expédition.  Barques  et  porteurs,  arrivés  à 
un  certain  endroit,  ont  dû  s'arrêter  quelque  temps.  Il  devait  se 
remettre  au  service  de  la  colonne  à  son  retour  de  Binh  Chinh. 
Or,  la  colonne  partie,  les  barques  ont  été  cernées  par  les 
rebelles,  et  les  rameurs  massacrés.  Ces  barques  étaient  comme 
enfermées  dans  une  anse  et  d'un  côté  dominées  par  des  rochers. 
D'en  haut  l'ennemi  faisait  rouler  sur  elles  d'énormes  blocs  de 
pierre  pour  les  briser  et  les  faire  sombrer.  Vingt  à  trente  bar- 
ques seulement  ont  pu  prendre  le  large.  Le  reste  avec  son  per- 
sonnel est  anéanti.  Quant  aux  quatre-vingt-dix  porteurs,  ils 
ont  été  arrêtés  par  les  rebelles  au  marché  de  Rôii  en  retournant 
chez  eux.  Tous  ont  été  jetés  à  l'eau  et  noyés;  la  plupart  avaient 
été  liés  deux  ensemble.  Deux  malheureux  seulement,  porteurs 
d'un  couteau,  ont  pu  couper  leurs  liens  et  réussir  à  s'échapper. 

Pendant  ce  temps,  des  deux  Pères  qui  étaient  chargés  d'ad- 
ministrer le  Binh  Chinh,  il  ne  restait  que  le  P.  Pineau.  En  effet, 
le  P.  Tortuyeaux  avait  accompagné  la  colonne  du  commandant 
Grégoire  pour  lui  servir  de  guide  et  d'interprète.  Le  7  ou  8  jan- 
vier, profitant  du  départ  d'une  partie  des  troupes  françaises, 
les  rebelles  ont  dévasté  deux  paroisses  limitrophes  :  Vinli  Phuoc 
de  1,800  âmes,  et  Hoâ  Ninh  de  1,870.  Deux  éléphants  des 
rebelles  ont  mis  le  désordre  et  jeté  l'épouvante  parmi  nos  chré- 
tiens qui  ont  abandonné  la  place.  J'ignore  le  nombre  des  victimes. 
Le  P.  Thiên,  prêtre  indigène,  curé  de  Hoà  Ninh,  voyant  la 
cause  perdue,  prit  la  fuite  ;  mais,  arrivé  à  la  paroisse  de  Côii 
Nàm,  il  mourut,  au  bout  d'une  heure,  de  fatigue  et  d'émotion. 
Que  s'est-il  passé  au  Binh  Chinh  après  le  départ  du  prêtre  indi- 
gène qui  m'a  fourni  ces  détails?  Nous  le  saurons  plus  tard  et  je 
vous  le  ferai  connaître. 

16  février  1886. 

Enfin,  j'ai  quelques  détails  sur  les  événements  du  Binh  Chinh. 
-Le  poste  principal  est  Huong  Phuong.  Vu  son  importance,  il 


298  ANNALKS    CATHOLIQUES 

était  pourvu  de  munitions  de  guerre  pour  être  en  mesure  de 
soutenir  un  siège  de  quelques  jours,  en  attendant  qu'on  pût 
venir  à  son  secours. 

Les  rebelles  se  gardèrent  bien  de  l'attaquer  tout  d'abord; 
ils  commencèrent  par  se  jeter  sur  les  autres  chrétientés  du  dis- 
trict qu'ils  mirent  à  feu  et  à  sang  pendant  la  première  quinzaine 
de  janvier.  Après  plusieurs  brillants  succès,  les  chrétiens, 
débordés  par  le  nombre  et  attaqués  sur  plusieurs  points  à  la  fois, 
ont  été  finalement  vaincus.  Bref,  sauf  deux  paroisses  relative- 
ment peu  endommagées,  et  deux  autres  dont  j'ignore  le  sort, 
vu  la  difficulté  des  communications,  le  reste  a  été  la  proie  des 
flammes.  Les  provisions  de  tout  genre  ont  été  anéanties.  Sans 
compter  trois  mille  chrétiens  que  nous  sommes  obligés  d'entre- 
tenir au  Nighé,  en  voilà  donc  douze  cents  autres  au  Binh  Chinh 
en  particulier  qu'il  faut  empêcher  de  mourir  de  faim.  Je  ne 
parle  pas  d'un  nombre  indéfini  de  néophytes  disséminés  dans  les 
montagnes  et  dans  les  bois,  qu'il  faudra  ramener  peu  à  peu, 
s'ils  sont  encore  vivants,  et  pourvoir  de  tout. 

Après  avoir  dévasté  ces  chrétientés,  les  rebelles  se  ruent  sur 
la  résidence  de  Huong-Phuong.  C'est  que,  maîtres  de  cette  posi- 
tion, il  leur  eût  été  facile  ensuite  d'achever  l'extermination  du 
reste  du  district.  Les  détails  de  ce  long  siège  malheureusement 
me  font  défaut.  Voici  ce  que  je  sais  : 

Un  de  nos  prêtres  indigènes,  vénérable  par  son  âge  et  ses 
vertus,  le  P.  Van,  s'est  mis  à  la  tête  de  la  défense  avec  une 
énergie  et  un  sang-froid  qu'on  ne  lui  soupçonnait  guère.  Aidé 
par  sept  ou  huit  catéchistes,  les  plus  déterminés  du  village,  il 
soutint  le  choc  de  l'ennemi  depuis  le  15  janvier  jusqu'au  17  fé- 
vrier. A  ce  moment,  Huong  Phuong  fut  débloqué  par  le  brave 
commandant  Cardot. 

Un  de  nos  prêtres,  le  P.  Kième,  chargé  depuis  plus  de  vingt- 
cinq  ans  de  la  paroisse  de  Côn  Nâm,  n'avait  pu  se  résoudre  à 
suivie  l'exemple  de  ses  confrères  et  à  prendre  la  fuite.  Il  voulut 
rester  à  son  poste.  Quand  il  vit  que  tout  était  humainement 
perdu,  il  se  rendit  à  l'église  et  se  mit  en  prière  en  attendant  la 
mort.  Il  ne  tarda  pas  à  être  saisi  par  les  rebelles  ainsi  que  ses 
deux  fidèles  catéchistes.  Ses  cheveux  blancs  et  sa  réputation 
de  lettré  ne  touchèrent  pas  les  bourreaux;  ils  le  décapitèrent 
avec  ses  catéchistes  en  face  même  de  Huong-Phong  qu'ils  cer- 
naient de  tous  côtés,  et  où  ils  l'avaient  amené  pour  que  les 
assiégés,  témoins  de  ce  lamentable  spectacle,  fussent  terrifiés. 


LETTRE   DU    CARDINAL    GUIBERT  299 

En  ce  moment,  Xâ  Doai,  d'où  je  vous  écris,  poste  principal 
de  la  mission,  est  sur  le  point  d'être  assailli  par  les  rebelles 
qu'on  évalue  à  plus  de  mille.  Mais  leur  nombre  va  se  jrrossir 
encore  des  villag-es  païens  environnants.  Trois  de  nos  confrères 
et  un  prêtre  indig-ène  sont  à  la  tête  de  nos  chrétiens  imyirovisés 
en  soldats  et  se  portent  à  la  rencontre  de  l'ennemi.  J'ifrnore 
quelle  va  être  l'issue  de  cette  lutte  qui  sera  certainement 
acharnée.  Mais  je  sais  que  missionnnaires  et  chrétiens  sont 
pleins  d'ardeur  et  qu'ils  semblent  avoir  pris  la  devise  des 
Machabées  :  Moriamur  in  virtaie. 


LA  LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET  l'ÉPISCOPAT 
(Suite.  —  V.  les  numéros  précédents.) 

Annecy.  —  S.  G.  Mgr  Tévêque  d'Annecy  vient  d'écrire  à 
M,  le  président  de  la  Républi(]ue  pour  lui  faire  connaître  qu'il 
«  adhère  de  la  manière  la  plus  expresse  »  à  la  lettre  de  Son 
Éminence  le  cardinal  archevêque  de  Paris. 

Ms:r  l'évèque  d'Annecj''  ajoute  : 

J'adhère  à  ses  respoctueuses  protestations  contre  «  les  violences 
qui  se  sont  accumulées,  depuis  cinq  années,  au  détfimr'iit  des 
catholiques  et  dans  le  but  de  dépouiliftr  l'Église  en  Franco,  de  décrier 
ses  ministres  et  de  détruire  la  religion  »;  contre  «cette  pénalité 
exorbitante  qu'aucune  loi  n'autorise,  qu'aucun  jugomont  ne  précède 
et  qui  a  été  appliquée  à  un  nombre  considéi-able  de  prêtrps  ». 

J'adhère  notamment  à  ses  protestations  contre  le  langHgp  tenu  à 
la  tribune  du  Sénat  par  M.  le  ministre  des  cultes,  qui,  «  exerçant 
au  nom  du  gouvernement,  l^s  prérogatives  concordataires,  prononce 
des  discours  officiels  contre  la  croyance  catholiqup,  »  et  «  viole  ainsi 
ouvertement  et  les  clauses  et  l'espiit  du  Ct)ncorHMt.  » 

Avec  Son  Eminence,  «j'en  app^^Ue,  M.  le  Président,  à  votre  raison, 
à  votre  impartialité,  à  votre  longue  expt'rience  de  la  vie  et  des 
affaires  publiques  ;  et  c'est  en  pensant  «  au  compte  que  je  dois 
rendre  à  Dieu  de  mon  administration  »  que  je  me  fais  un  devoir  de 
formuler  cette  adhésion  et  de  la  rendre  publique.  » 

Flour  (Saint-).  —  Mgr   l'évèque   de    Saint-Flour  écrit  au 
cardinal  Guibert  * 
J'ai  hâte  de  vous  en  remercier,  Eminence,  et  je  le  fais,  en  même 


300  ANNALES    CATHOLIQUES 

temps,  au  nom  de  mes  prêtres  et  des  nombreux  catholiques  du 
diocèse  de  Saiut-Flour,  qui  gémissent  tous,  aussi  bien  que  leur 
évêque,  de  la  guerre  par  trop  déloyale  depuis  si  longtemps,  hélas  ! 
dirigée  contre  la  religion. 

Votre  parole,  Eminence,  qui  rappelle  celle  des  Ambroise  et  des 
Athanase,  apportera  un  immense  soulagement  à  la  conscience  des 
catholiqu'^s  français.  Sous  le  prestige  de  la  haute  autorité  et  des 
grandes  vertus  d'un  Pi)iitife  en  qui  Paris  et  la  France  entière  aiment 
à  saluer  et  le  prince  de  TEglise  et  le  digne  successeur  de  saint  Denis, 
elle  recevra,  espérons-le,  l'accueil  bienveillant  qu'elle  mérite,  et, 
dans  tous  les  cas,  elle  éclairera  tout  esprit  judicieux  et  de  bonne  foi. 

11  y  a  trois  mois  environ,  pressé  par  ma  conscience  d'évêqiie, 

je  crus  devoir,  avec  toute  la  convenance  et  tout  le  respect  dus  au 
chef  de  l'Etat,  faire  parvenir  directement  à  M.  le  Président  de  la 
République  quelques  observations  qui  n'étaient  point  destinées  à  la 
publicité.  Dans  ma  pensée,  j'accomplissais  un  devoir. 

Depuis,  les  attaques  contre  le  clergé  et  la  religion  se  sont  encore 
accentuées.  Après  la  suppression  de  nombreux  vicariats,  si  nécessaires 
cependant  pour  le  service  parois-ial  dans  nos  pauvres  campagnes,  et 
après  bien  d  autres  atteintes  portées  à  la  loi  concordataire,  la  France 
a  entendu  naguère  avec  une  tristesse  profonde  un  membre  du  cabinet 
«  attaquer,  du  haut  de  la  tribune,  les  dogmes  essentiels  du  christia- 
nisme et  des  croyances  chères  à  toutes  les  âmes  catholiques...  »  La 
France  vient  aussi  d'assister,  non  sans  une  anxiété  bien  vive,  à  la 
discussion  et  au  vote  d'un  projet  de  loi  «  qui  achève  d'ôter  à  l'ensei- 
gnement public  tout  caractère  chrétien,  et  qui  rendra  en  même  temps 
l'enseignement  libre,  à  peu  près  impossible,  par  la  difficulté  qu'éprou- 
veront les  congrégations  d'hommes  â  se  recruter...  »  Cette  loi,  désas- 
treuse pour  tous  les  diocèses  au  point  de  vue  religieux,  le  sera  plus 
partif'uliérement  encore  pour  celui  de  Saint-Flour,  parce  qu'il  a 
l'avantjige  de  posséder  un  nombre  assez  considérable  d'écoles  congré- 
ganistes,  écoles  partout  a])pri'ciées  et  partout  florissantes...  Aussi  nos 
populations  se  préoccupent-elles  déjà  plus  qu'on  ne  pense  du  danger 
qui  menace  ces  écoles,  et  je  puis,  en  parcourant  les  paroisses  oi\  la 
visite  pastorale  m'appelle,  recueillir  les  doléances  non  seulement  du 
clergé,  mais  des  pères  et  des  mères  de  famille,  qui  répètent  avec  une 
inquiétude  pleine  d'angoisse  :  Où  allons-nous  donc  et  que  vont  devenir 
nos  enfants? 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'avenir,  Eminence,  notre  chère  patrie,  espé- 
rons-le, par  cela  même  qu'elle  porte  le  titre  glorieux  de  fille  aînés 
de  l'Eglise,  ne  cessera  pas  d'être  chrétienne. 

Vous  l'avez  si  bien  dit  vous-même  :  «  En  continuant  dans  la  voie 
où  elle  s'est  engagée,  la  République  peut  faire  beaucoup  de  mal  à  la 
religion;  elle  ne  parviendra  pas  à  la  tirer.  L'Église  a  connu  d'autres 
périls,   elle   a  traversé  d'autres  orages,  est  elle  vit  encore  dans  le 


LETTRE   DU   CARDINAL   GUIBERT  301 

cœur  de  la  Francp.  Elle  assist'Ta  nux  furicM-ailles  de  ceux  qui  se 
flattf^nt  H*»  l'atK-'antir.  »  Tel  est  notre  dernier  mot  et  telle  est  aussi 
notre  suprême  espérance. 

Lyon.  —  Dans  une  lettre  a^lressée  à  S.  Ém.  le  cardinal 
Guibert,  par  S.  Em.  la  cardinal  Caverot,  nous  lisons  : 

Je  viens  de  |»rendie  connaissanfe,  dans  les  journaux,  de  la  lettre 
que  vous  avez  jugé  à  propos  d'adresser  à  M.  le  président  de  la 
République. 

Je  crois  de  mon  devoir  devons  d('clarer  que  j'adhère  poniplèteraent 
aux  sentiments  qui  y  sont  ex^iriraés  et  aux  observations  qu'elle 
contient. 

Nancy.  —  S.  G.  Mgr  Tminaz,  évèque  do  Nancj,  vient 
d'écrire  à  S.  Km.  le  caidinal  aiclievêque  de  Paris  pour  lui  dire 
qu'il  adliérait  «  de  toute  son  ànie  »  à  sa  protestation  «  si  élevée 
et  si  opportune  ».  et  lui  expiinier  «  sa  vive  reconnaissance  »o 

Mgr  de  Nancy  dit  à  Mgr  Gnibert  : 

Votre  âge,  votre  expérif>ncp,  vos  vertus,  votre  long  et  glorieux 
épiscopat,  la  vénération  iiniverpplle  qui  vous  entoure,  votre  situation 
exceptionnelle  parmi  les  évêqnes  de  France  vous  donnaient  le  droit 
de  faire  entendre  an  chf^f  de  l'Ktat,  avec  une  autorité  sans  égale, 
des  vérités  non  seulement  utiles,  mais  nécessaires. 

D'une  part,  vous  avp/.  rappelé  la  série  de  lois,  de  décrets,  de 
mesures  hostiles  à  la  religion,  et,  d'autre  part,  vous  avez  pu  affiimer 
que  «  le  clertïé  avait  donné  la  preuve  d'une  modération  et  d'une 
patience  plus  qu'exoinplairos  »,  et  qu'il  a  toujours  été  disposé  à  se 
soumettie  aux  gouvernements  qui  respectent  les  croyances,  la  justice 
et  la  liberté. 

Il  faut  reconnaître  que  cette  modérati<in  et  cette  patience  n'ont 
arrêté  ni  les  attacjucs  dirigées  du  haut  de  la  tribune  par  M.  le  mi- 
nistre des  cultes  contre  les  dogmes  chrétiens,  ni  les  accusations  do 
nos  ennemis,  ni  les  lois  de  plus  en  plus  funestes  aux  causes  confiées 
à  notre  sollicitude  et  à  notie  dévnnpm"nt. 

Il  y  a,  dit  l'Esprit-Saint,  le  t>nnps  de  se  taire  et  le  temps  de 
parler.  Le  temps  de  parler  ne  serait-il  pas  venu?  Ne  faut-il  pas 
éclairer  les  populations  sur  les  périls  qui  se  multiplient  et  qui  gran- 
dissent chaque  jour  et  défendre  avec  énergie  ce  qui  subsiste  encore 
des  droits  ei  des  libertés  catholiques? 

On  aurait  pu,  il  y  a  quelques  années,  nous  reprocher  de  compro- 
mettre, par  les  entraînements  du  zèle,  les  intérêts  que  nous  voulions 
servir.  Mais,  depuis  quelque  temps  déj'i,  n'est-il  pas  évidenf,  pour 
qui  veut  voir  et  comprendre,  que  les  Chambres  et  le  gouvernement 


302  ANNALES    CATHOLIQUES 

sont  décidés  à  poursuivre  la  lutte  religieuse  jusqu'à  ses  dernières 
limites  et  qu'il  s'agit,  à  cette  heure,  de  l'existence  de  la  religion 
dans  notre  pays  ? 

Nantes.  —  Mgr  l'évêque  de  Nantes  écrit  : 

Avec  vous,  Eminence,  je  déplore,  au  point  de  vue  patriotique  et 
social,  comme  au  point  de  vue  religieux,  la  guerre  faite  au  clergé 
depuis  un  certain  nombre  d'années  ;  comme  vous,  je  désire  vive- 
ment, dan-^  l'intérêt  des  âmes  et  de  l'ordre  public  lui-même,  que 
la  religion  puisse  librement  et  pacifiquement  exercer  sur  tous  sa 
divine  influence. 

Vos  paroles,  Eminence,  inspirées  par  un  esprit  si  calme  et  si 
élevé,  seront- elles  écoutées?  Vos  conseils,  où  respire  une  si  hante 
sagesse,  seront-ils  suivis?  Quoi  qu'il  arrive,  Eminence,  l'Eglise 
de  France,  accoutumée  à  vous  considérer  depuis  longtemps  comme 
son  oracle  et  son  modèle,  n'oubliera  pas  le  nouveiu  service  que 
vous  venez  de  lui  rendre,  à  cette  heure  surtout  où  elle  traverse 
.^ne  crise  pleine  de  tristesses  et  de  périls. 

NîCE.  —  S.  Em.  le  cardinal  Guibert  a  reçu  l'adhésion  sui- 
vante de  Mgr  l'évêque  de  Nice  : 

Dans  une  lettre  que  j'avais  l'honneur  d'écrire  à  Sa  Sainteté,  il  y 
a  a  ijuelquos  mois, je  disais  :  «  Très  Saint  Père...,  je  suis  trop  heu- 
«  reux  et  trop  fier  d'èlre  l'élève,  le  fils  et  l'humble  frère  de  l'émi- 
«  nent  et  si  sage  cardinal  Guibert  pour  ne  pas  m'inspirer  de  son 
«  esprit  et  de  ses  vues.  En  faisant  ainsi,  je  suis  assuré  de  suivre 
«  toujours  la  ligne  de  conduite  que  vous  nous  tracez  et  que  vous 
a  aimez  vous-même...  » 

Je  reproduis  ces  lignes  ici  pour  mieux  dire  à  Votre  Eminence 
avec  quelle  plénitude  d'esprit  et  de  cœur  j'adhère,  comme  tous  mes 
vénérés  collègues,  à  la  lettre  si  admirable,  si  modérée  et  si  légi- 
time dans  ses  respectuenses  doléances  qu'elle  vient  d'adresser  à 
M.  le  pi'ésidont  de  la  République. 

Non,  les  évoques  et  les  prêtres  ne  sont  pas  systématiquement 
hostiles  au  gouvernement.  Non,  l'Eglise  catholique,  en  France, 
n'est  pas  plus  qu'ailleurs  l'ennemie  de  la  société  civile  ;  non,  elle 
ne  mérite  pas  les  rigueurs  croissantes  dont  on  la  poursuit.  Nous 
demandons  la  justice,  la  liberté  et  la  paix. 

Je  reconnais  volontiers  que,  jusqu'ici,  j'ai  eu  moins  de  motif» 
de  me  plaindre  que  la  plupart  de  mes  collègues;  mais  les  dernières 
lois  sur  les  instituteurs  vont  atteindre  mon  diocèse  comme  les 
autres,  et  l'avenir  nous  menace  comme  eux. 

Que  la  France  gagnerait,  au  dedans  et  au  dehors,  si  l'on  rendait 
à  la  religion  sa  liberté  et  ses  droits  ! 


LE    CA-THOLICiSME   AU    GRAND-DUCHÉ   DE    HESSE  303 

LE  CATHOLICISME 

JANS  LE  GRAND  DUCHÉ  DE  HESSE 

La  Prusse  a  donné,  en  Allemagne,  le  signal  de  la  guerre 
contre  l'Eglise  catholique.  Les  autres  États  suivirent  soq 
exemple,  les  uns  un  peu  plus  tôt,  les  autres  un  peu  plus  tard. 

En  1874  déjà,  M.  de  Bismarck  avait  ac(;[uis  la  certitude  (jua 
la  réussite  de  sa  politique  religieuse  devait  être  reléguée  parmi 
les  choses  irréalisables.  C'est  pourquoi  il  voulut  tenter  un  der- 
nier effort.  Il  déciéta  la  suppression  du  traitement  des  prêtres, 
l'expulsion  des  ordres  religieux^  et  promulgua  les  lois  en 
faveur  des  «  Vieux-catholiques  ».  En  les  frappant  d'une 
manière  plus  immédiate,  le  chancelier  crut  forcer  les  catho- 
liques à  se  soumettre  aux  lois  de  1873.  Efforts  stériles  ! 

Le  gouvernement  de  Hesse  choisit  justement  ce  moment  pour 
ouvrir  sa  campagne  contre  le  catholicisme.  Dans  la  législation 
qu'il  créa,  on  remarqua  plusieurs  lois  tirées  du  code  prussien. 
Partout  la  même  rigueur,  sauf  pour  quelques  points,  où  le 
miniijtére  du  Grand-duché  renchérissait  encore  en  sévérité  sur 
les  gouvernants  de  Berlin. 

Si  l'on  ne  considère  que  la  lettre  de  la  loi,  on  dirait  que 
celle-ci  s'étend  de  la  même  façon  aux  protestants  comme  aux. 
catholiques.  Mais  en  réalité,  il  n'en  est  pas  ainsi.  Comme 
M.  le  député  Schmitt,  le  représentant  du  culte  réformé  à  la 
Chambre  haute,  l'a  fait  remarquer,  le  gouvernement  avait 
tellement  bien  étudié  la  situation  du  protestantisme,  y  avait  si 
bien  adapté  le  nouveau  Code,  que  les  intérêts  de  la  religion 
luthérienne  étaient  parfaitement  bauvegardés  et  tout  conflit 
entre  elle  et  l'État  rendu  impossible.  C'était  dire  clairement 
que  le  gouvernement  visait  à  la  ruine  du  catholicisme  au  profit 
du   protestantisme. 

Jusque  aujourd'hui,  on  ne  s'est  nullement  relâché  de  la  pre- 
mière rigueur.  Aussi  la  position  des  catholiques  est-elle  deve- 
nue insoutenable.  Voici  quelques  faits  qui  permettront  d'en 
juger. 

Il  y  a  dix  ans,  Mgr  Ketteler  descendit  au  tombeau  ;  depuis 
lors,  le  siège  épiscopal  de  Mayence  est  resté  vacant  et  les 
catholiques  sont  privés  de  leur  défenseur  à  la  Chambie  haute. 
Si  le  siège  n'est  pas  occupé,  qu'on   se  garde  cependant  bien 


304  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'en  rejeter  la  faute  sur  la  curie  romaine,  ou  sur  le  chapitre  de 
la  cathôdrale,  ou  sur  le  clergé  :  de  ce  cèié,  tout  a  été  tenté 
pour  mettre  fin  à  cette  triste  s^ituation.  Mais  le  gouveiiiement 
a  posé  des  conditions  tellement  onéreuses  aux  dilFérents  can- 
didats proposés  par  le  cha])itre  pour  remplir  les  fonctions  épis- 
copales.  qu'aucun  de  ceux-ci  ne  put  en  conscience  acre[)ter  la 
dignité  qu'on  lui  présentait.  Il  y  a  70  ans  que  la  ville  de 
Mayence  est  enclavée  dans  le  grand-duché  de  Hesse,  et,  pen- 
dant ce  laps  de  temps,  grâce  aux  nombreuses  difticultés  que 
nous  suscitèrent  les  ministres  du  graud-duc,  nous  avons  été 
pendant  23  ans  sans  avoir  d'évê.|ue.  La  chose  est  significative. 

Par  suite  de  la  vacance  du  siège  épiscopal,  le  chtipitre  n'est 
plus  au  complet,  et  l'administration  du  diocèse  devient  chaque 
jour  plus  pénible. 

En  outre,  la  moitié  à  peu  près  des  paroisses  sont  dépourvues 
de  pasteurs.  Et  qu'on  remarque  bien  ici  la  politique  anticatho- 
lique du  gouvernement.  Un  curé  meurt,  il  ne  peut  être  rem- 
placé, à  moins  que  les  fidèles  ne  soient  dans  l'impossibilité 
absolue  de  pourvoir  autrement  à  leurs  besoins,  et,  dans  ce  cas, 
le  consentement  du  ministre  étunt  donné  à  la  nomination  d'un 
prêtre  dans  cette  paroisse,  il  faut  que  les  fidèles  s'entendent 
entre  eux  et  constituent  de  leurs  pro{)res  deniers  un  traitement 
à  ce  prêtre.  Et  notez  que  le  gouvernement  se  réserve  le  droit 
d'interdire  à  cet  ecclésiastique  toute  fonction  dans  le  ministère 
pastoral,  à  partir  du  moment  ou  il  le  jugera  convenable. 

De  plus,  le  grand  séminaire  de  Mayence,  dont  les  lois  nous 
garantissaient  cependant  le  maintien,  ainsi  que  les  autres 
établissements  qui  avaient  pour  but  la  formation  du  clergé, 
sont  supprimés.  On  refuse  même  de  reconnnî're  comme  aptes  à 
enseigner  la  religion  les  jeunes  prêtres  formés  au  grand  sémi- 
naire d'Eicbstadt.  Et  cependant  le  gouvernement  bavarois  a 
déclaré  que  l'enseignement  donné  au  grand  séminaire  d'Eicb- 
stadt n'était  nullement  inférieur  à  l'instruction  donnée  aux 
facultés  théologiques  de  l'État.  D'un  autre  côté,  ni  la  Prusse,  ni 
aucun  autre  gouvernement  n'ont  jamais  fait  de  ce  chef  des 
difficultés  pour  admetti-e  aux  fonctions  pastorales  un  prêtre 
formé  à  ceite  école.  Le  ministère  du  grand-duché  de  Hesse  seul 
juge  à  pro[)OS  d'en  faire. 

La  manière  d'agir  du  gouvernement  à  l'égard  des  religieuses 
est  encore  davantage  entachée  d'arbitraire.  Les  Sœurs  de  cha- 
rité et  autres  sont  soumises  à  la  surveillance  de  la  police;  dans 


LE    CATHOLICISME    AU    GRAND-DUCHÉ    DE    HESSE  305 

les  maisons  d'éducation  qu'elles  dirigent  leur  nombre  est  limité> 
et  soit  que  la  maladie,  soit  que  l'âge  rendent  l'une  ou  l'autre  des 
Sœurs  incapable  de  remplir  sa  rude  mission,  on  ne  peut  pas 
admettre  de  supplémentaire  :  le  nombre  une  fois  déterminé  ne 
peut  pas  être  dépassé,  quoi  qu'il  arrive.  Voilà  pour  la  religion 
catholique.  Et  d'autre  part,  les  autorités  ne  savent  accorder 
assez  de  faveurs  et  de  privilèges  aux  diaconesses  (religieuses 
protestantes). 

En  outre,  l'Eglise  n'a  pns  le  droit  d'administrer  ses  biens  par 
elle-même  :  il  faut  que  l'Etat  s'en  mêle. 

Enfin,  il  n'est  pas  de  moyens  qu'on  n'ait  employés  pour 
dépouiller  le  Pape  de  sa  juridiction  sur  le  clergé  du  Grand- 
Duché.  On  a  créé  le  fameux  tribunal  pour  le  «  recursus  ab 
ahusu  »,  où  tout  prùtrc  peut  se  pourvoir  contre  le  prétendu 
abus  que  le  Vicaire  de  Jésus-Christ  fait  de  son  autorité.  L'Etat 
s'est  arrogé  les  droits  de  l'Eglise  dans  l'éducation  du  clei'gé,  le 
pouvoir  de  nommer  aux  postes  et  de  révoquer  les  prêtres;  il  a 
créé  un  tribunal  pour  les  affaires  ecclésiastiques  et  ce  tribunal 
est  investi  des  pouvoirs  et  des  droits  de  révê(]ue,  etc. 

Mais  j'ai  hâte  d'en  arriver  aux  choses  qui  se  sont  passées 
dans  ces  derniers  temps.  Les  actes  posés  par  le  gouvernement 
blessent  profondément  les  populations  catholiques  et  sont  de 
nature  à  montrer  clairement  que  dans  ce  pays  on  espère  encore 
triompher  du  catholicisme  alors  que  dans  les  États  environ- 
nants, et  surtout  en  Prusse,  on  ait  déjà  abandonné  depuis  long- 
temps cette  espérance. 

Jusque  dans  ces  derniers  temps,  le  gouvernement  avait 
reconnu  à  l'Eglise  le  droit  de  faire  enseigner  la  religion  catho- 
lique dans  les  écoles  par  ses  prêtres.  De[»uis  quelques  jours,  le 
ministère,  sans  nier  ce  droit  d'une  manière  explicite,  ne  laisse 
cependant  pas  de  prendre  des  mesures  telles  que  l'exercice  de 
ce  droit  devient  impossible. 

Je  disais  plus  haut  que  la  mort  avait  frappé  un  grand  nombre 
de  curés  et  de  vicaires  de  la  Hesse,  depuis  l'origine  du  Kultur- 
kampf.  D'autre  part,  elles  ne  sont  pas  rares  les  paroisses  oii  le 
pasteur  est  affaibli  par  l'âge  ou  les  infirmités  au  point  de  ne  plus 
pouvoir  suffire  par  lui-même  aux  nombreux  devoirs  de  sa  charge. 
Dans  plusieurs  de  ces  localités,  les  gens  ont  demandé  un  prêtre 
auxiliaire;  le  traitement  a  été  fourni  par  les  postulants  eux- 
mêmes:  le  gouvernement  ne  l'accordait  pas.  Or,  l'une  des 
premières  charges  de  ces  prêtres  auxiliaires  était  l'enseigne- 


303  ANNALES    CATHOLIQUES 

inent  fie  la  religion  aux  enfants  catholiques  dans  les  nombreuses 
ècnles  fifS  pMioisses.  Dans  le  principe,  le  gouverneraent  ne  fit 
a»icuiie  flifficnlté,  et  laissa  passer  la  chose  qui  du  reste  était 
parf.iitenient  correcte. 

M.iis  lorsqu'il  vit  que  les  prêtres  auxiliaires  devenaient  nom- 
breux, il  cheicha  et  trouva  un  prétexte  pour  mettre  un  terme 
à  leur  activité.  «  L'enseignement  de  la  religion  catholique  ne 
peut  être  donné  dans  les  écoles,  dit-il,  que  par  les  seuls  prêtres 
qui  sont  en  lègle  pnr  rapport  à  la  loi  portée,  en  1875,  sur  l'édu- 
cation du  clergé.  Or,  les  prêtres  auxiliaires,  continue-t-il,  ne 
se  Sont  pas  conforuiés  à  cette  prescription.  » 

Partant  de  ce  principe,  on  défendit  d'abord  aux  nouveaux 
prêtres  auxiliaires  d'enseigner  à  l'avenir  la  religion  catholique 
dans  les  écoles. 

De  là,  on  alla  pins  loin  :  il  y  avait  des  pi'êtres  auxiliaires  qui 
depuis  longtemps  déjà  enseignaient  la  religion  dans  les  écoles  : 
la  faculté  dont  ils  jouissaient  leur  fut  retirée. 

Enfin,  le  gouvernement  crut  devoir  jeter  le  masque  et  montrer 
ouvertement  où  il  prétendait  en  venir.  Voici  comment  il 
pro-éda  : 

Un  |)rêtre  était  occupé  à  donner  son  cours  de  religion  pendant 
l'heuie  qui  lui  était  assignée  :  l'inspecteur  apparaît  tout  à  coup 
et  met  le  prêtre  à  la  por'e. 

Dans  une  autre  commune,  on  interdit  au  prêtre  de  se  servir 
du  local  des  écoles  pour  donner  l'instruction  religieuse  aux 
enfants,  même  en  dehors  des  heures  de  classe. 

Enfin,  voulant  parler  franchement,  un  autre  inspecteur 
défend  même  que  le  prêtre  réunisse  les  enfants  catholiques  à 
l'église  ou  à  la  sacristie,  pour  leur  enseigner  les  principes  de 
celte  religion  dans  laiiuelle  les  parents  désirent  les  voir  élevés. 

Les  tendances  du  gouvernement  ne  sauraient  être  un  mystère 
pour  pei'sonne.  Que  poursuit-il  donc?  En  enlevant  l'enseignement 
de  la  religion  catholique  à  l'Eglise  et  à  ses  ministres  pour  le 
reniettie  entre  les  mains  des  laï'>s,  il  travaille  uniquement  au 
triom[)he  complet  du  protestantisme  sur  le  catholicisme. 

Peu  lui  impoite  que  pour  arriver  à  cette  fin,  il  foule  aux 
pieds  les  droits  de  l'Eglise,  droits  dont  l'État  avait  cependant 
juré  le  respect. 

Peu  lui  importe  de  violer  de  la  manière  la  plus  tyrannique  la 
conscience  de  250,000  catholiques,  parents  ou  enfants  ;  peu  lui 
impoite  de  voir  le  prêtre    catholique   avili,    blessé    dans  son 


NÉCROLOGIE  307 

honneur  d'homme  de  bien  et  de  savant  :  les  aptitudes  que  le 
gouvernement  refuse  de  lui  reconnaître,  à  lui  qui  s'est  livré 
pendant  douze  ans  à  des  études  sérieuses  et  réelles,  il  les  re- 
connaît à  des  instituteurs  qui  pour  l'ordinaire  n'ont  mis  que 
trois  ans,  rarement  quatre,  pour  se  rendre  capables  d'enseigner 
avec  succès. 

Peu  lui  importe  de  s'attirer  la  honte  qui  rejaillit  de  la  contra- 
diction reconnue  et  soutenue  malgré  cela  :  car,  dans  sa  lettre  à 
l'administrateur  du  diocèse  de  Mayence,  le  ministre  reconnaît 
que  «  l'enseignement  de  la  religion  catholique  est  une  fonction 
ecclésiastique  »  et,  d'autre  part,  il  refuse  de  la  lui  laisser 
exercer!  Quelle  inconséquence  et  en  même  temps  quelle 
tyrannie  ! 

L'administrateur  du  diocèse  de  Mayence  s'est  adressé  au 
ministère  pour  faire  cesser  cet  état  de  choses.  Le  ministre  a  cru 
devoir  lui  répondre  par  un  refus  catégorique. 

Vivement  émus  de  la  position  faite  à  leurs  coreligionnaires, 
les  six  députés  catholiques  de  la  Chambre  basse  (car  depuis  la 
mort  de  Mgr  Ketteler,  nous  n'avons  plus  de  défenseur  à  la 
Chambre  haute,)  ont  déposé  un  projet  de  loi  tendant  à  l'abo- 
lition du  Kulturkampf  en  Hesse.  Je  ne  sais  ce  que  nous  obtien- 
drons. Mais  dussions-nous  même  échouer,  nos  intérêts  religieux 
ne  perdront  absolument  rien  d'avoir  été  sérieusement  discutés 
devant  les  mandataires  du  Grand-Duc. 

H.  J.  K. 


NECROLOGIE 


M.  l'abbé  Jules  Corblet,  chanoine  honoraire  d'Amiens,  di- 
recteur de  la  Revue  de  l'art  chrétien,  etc.,  vient  de  mourir  à 
Versailles,  après  quelques  semaines  seulement  de  maladie. 

M.  Corblet  avait  quitté  le  diocèse  d'Amiens  avec  l'agrément 
de  Mgr  Bataille,  alors  évêque  de  cette  ville,  pour  travaillera 
un  ouvrage  qu'il  méditait  depuis  longtemps  et  qui  nécessitait 
de  longues  et  incessantes  recherches  dans  les  bibliothèques  de 
la  capitale.  La  presse  religieuse  a  parlé  de  VHistoire  dogma- 
tique, liturgique  et  archéologique  des  Sacrements,  ouvrage 
d'une  haute  valeur,  à  en  juger  par  les  deux  volumes  parus  sur 
le  Baptême  et  les  éloges  que  l'auteur  en  a  reçus. 


308  ANNALES    CATHOLIQUES 

C'est  en  travaillant,  pour  ainsi  dire,  jour  et  nuit  à  ce  monu- 
i^ent,  que  l'abbé  Corblet  a  contracté  les  germes  de  la  œaladia 
qui  ncus  l'a  ravi.  Le  diocèse  d'Amiens  lui  doit  son  Hagiographie^ 
ouvra2:e  des  plus  remarquable  et  des  plus  complets  en  ce  genre. 
La  mort  de  ce  prêtre  aussi  modeste  et  vertueux  qu'instruit  est 
une  perte  pour  le  clergé  et  pour  les  Sociétés  savantes  auxquelles 
il  appartenait. 

M.  l'abbé  Corblet  était  chevalier  de  la  Légion  d'honneur, 
officier  d'académie,  directeur  de  la  Revue  de  l'art  chrétien, 
correspondant  du  ministère  de  l'instruction  publique,  etc. 

On  annonce  la  mort  subite  de  Mgr  Saturnin  Fernandez  de 
Castro,  archevêque  de  Burgos. 

Mgr  de  Castro  avait  été  préconisé  évêque  de  Léon  le  5  juillet 
1875  et  promu  à  l'archevêché  de  Burgos  le  15  mars   1883. 

L'art  français  vient  de  faire  une  perte  douloureuse  en  la  per- 
sonne à' Eugène-Louis-Gabriel  Isabey,  mort  le  26  avril,  à  l'âge 
de  quatre-vingt-deux  ans. 

Fils  et  élève  de  Jean-Baptiste  Isabej  —  le  célèbre  peintre 
miniaturiste  français  —  il  débuta  fort  jeune  et  dés  l'âge  de 
vingt  ans,  exposa  au  Salon. 

Travailleur  infatigable,  l'énumération  de  ses  œuvres  les  plus 
connues  serait  trop  longue  à  publier.  Le  musée  du  Luxembourg 
possède  une  de  ses  plus  belles  toiles,  V embarquement  de  Ruy ter. 

Il  remporta  toutes  les  médailles  du  Salon,  fut  nommé  chevalier 
de  la  Légion  d'honneur  en  1832  et  promu  officier  le  22  janvier 
1852. 

Eugène  Isabey  est  mort  dans  sa  propriété  de  Lagny,  où  il 
demeurait  avec  sa  femme.  Il  soufl"rait  de  la  goutte  depuis  long- 
temps, et  cette  maladie,  compliquée  d'une  fluxion  de  poitrine, 
emporta  le  malheureux  artiste. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 


Ftome  et  l'Italie. 


Nous  reproduisons,  d'après  le  Correo,  organe  officieux  de 
M.  Sagasta,  le  discours  suivant  adressé  par  le  Saint-Père  au 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  309 

nouvel   ambassadeur   d'Espagne,    le  jour   de  la   présentation 
solennelle  des  lettres  de  créance. 

Monsieur  l'ambassadeur,  Nous  recevons  de  vos  mains 
avec  la  plus  vive  satisfaction  la  lettre  par  laquelle  S.  l\î.  la 
reine-régente,  votre  auguste  souveraine,  vous  accrédite  en 
qualité  d'ambassadeur  extraordinaire  d'Espagne  auprès  du 
Saint-Siège.  Avec  non  moins  de  satisfaction.  Nous  ven^ms 
d'entendre  les  nobles  et  affectueuses  paroles  par  lesquelles 
vous  avez  accompagné  la  présentation  de  vos  lettres  de 
créance,  et  qui  manifestent  la  reconnaissance  de  la  î-eine- 
régente  et  de  son  gouvernement  pour  ce  que  Nous  avons  fait 
lors  des  deux  événements  récents  de  la  mort  prématurée  du 
roi  Alphonse  et  du  conflit  qui  avait  surgi  au  sujet  des  îles 
Carolines. 

Nous  Nous  empressons  de  vous  déclarer,  en  retour,  que 
Nous  ne  pouvions  agir  d'autre  manière,  car  Nous  aimons 
grandement  l'Espagne,  cette  nation  qui  Nous  est  si  chère 
par  la  fermeté  de  sa  foi  et  par  la  constante  affection  que  les 
rois  catholiques  ont  toujours  professée  envers  ce  Siège 
apostolique.  Aussi,  Nous  ne  pouvions  faire  moins  que  de 
prendre  la  plus  vive  part  à  l'affliction  unanime  que  toute 
la  nation  espagnole  a  ressentie  sous  le  coup  d'un  deuil  su- 
prême, et,  pareillement.  Nous  lui  avons  consacré  nos  bons 
offices  avec  le  plus  ardent  désir  d'éviter  le  péril  de  la  guerre 
et  de  rétablir  la  paix  entre  deux  puissantes  nations. 

Nous  aimons  à  ajouter  que  la  mission  d'arbitre  Nous  a  été 
aussi  très  agréable  en  cette  occasion  parce  qu'elle  Nous  a 
permis,  tout  en  sauvegardant  la  justice,  de  témoigner  une 
fois  de  plus  Notre  aS'ection  pour  l'Espagne  et  le  vif  intérêt 
que  Nous  portons  à  sa  prospérité  et  à  sa  gloire. 

Nous  avons  été  très  heureux  d'apprendre  que  l'Espagne, 
jalouse  de  son  titre  de  nation  catholique  et  sûre  désormais 
de  sa  domination  sur  les  îles  Carolines,  se  préoccupe  déjà 
de  la  vraie  civilisation  et  de  la  culture  religieuse  des  habi- 
tants de  ces  îles,  et  que,  par  son  ordre,  des  missionnaires 
franciscains  sont  déjà  partis  pour  ces  lointaines  contrées, 
afin  d'y  propager  la  lumière  de  l'Évangile.  En  agissant  de 


310  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  sorte,  il  en  résultera  immanquablement  que  les  relations 
amicales  et  cordiales  qui  ont  toujours  existé  entre  le  Siège 
apostolique  et  la  nation  espagnole  seront  étendues  et  con- 
solidées. 

Nous  ne  doutons  pas,  Monsieur  l'ambassadeur,  que  votre 
mission  ne  soit  couronnée  d'un  heureux  succès,  car  Nous 
connaissons  les  mérites,  les  qualités  qui  vous  distinguent  et 
que  Nous  avons  pu  déjà  apprécier  lorsque  une  autre  fois, 
à  Notre  pleine  satisfaction,  vous  avez  occupé  la  haute  charge 
d'ambassadeur  d'Espagne  auprès  de  ce  Saint-Siège. 


Le  28  avril,  a  eu  lieu,  au  palais  apostolique  du  Vatican, 
l'imposition  solennelle  de  la  Toison  d'or  à  S.  E.  le  cardinal 
Ludovic  Jacobini,  secrétaire-d'Etat  de  Sa  Sainteté.  Les  insignes 
de  cet  Ordre  suprême,  envojés  par  S.  M.  la  Reine-Régente,  en 
témoignage  de  reconnaissance  pour  l'heureux  résultat  de  la 
médiation  pontificale  dans  la  question  des  îles  Carolines,  avaient 
été  apportés  par  le  nouvel  ambassadeur  d'Espagne  près  le 
Saint-Siège,  S.  Ex.  M.  Groizard  y  Gomez  de  la  Serna,  en 
même  temps  que  la  lettre  de  Sa  Majesté  priant  le  Saint- 
Père  d'exercer  en  cette  occasion  les  pouvoirs  royaux  qui,  aux 
termes  des  statuts  de  l'Ordre  de  la  Toison  d'or,  reviendraient 
aux  souverains  d'Espagne. 

La  cérémonie  solennelle  a  eu  lieu  dans  la  salle  du  Consistoire 
où,  après  du  Trône  pontifical,  avaient  pris  place,  LL.  EEm. 
Ledocbowski  et  Pecci,  en  leur  qualité  de  cardinaux  palatins, 
ainsi  que  les  EEmes  d'Hohenlohe,  Blanchi  et  Mertel,  comme 
ajant  été  revêtus  de  distinctions  spéciales  de  la  Couronne 
d'Espagne.  Etaient  également  présents  LL.  EEx.  Mgr  Mocenni, 
substitut  de  la  Secrétairerie  d'Etat,  Mgr  Galimberti,  pro-secrè- 
taire  de  la  Congrégation  des  Afi'aires  ecclésiastiques  extraordi- 
naires, Mgr  Dominique  Jacobini,  secrétaire  de  la  Propagande; 
Mgr  Gretoni,  secrétaire  de  la  Propagande  pour  les  afi'aires  de 
Rite  oriental;  Mgr  Pallotti,  auditeur  de  la  Rév.  Chambre 
Apostolique;  Mgr  Delicati,  etc.  décorés  des  Ordres  chevale- 
resques d'Espagne.  Enfin,  on  remarquait  dans  l'assistance  l'am- 
bassadrice d'Espagne  Mme  Groizard  y  Gomez  de  la  Sarna,  avec 
ses  enfants,  ainsi  que  les  familles  de  M.  de  la  Barrera,  premier 
secrétaire   de    l'ambassade    d'Espagne,    et    de   l'Em.    cardinal 


NOUVEI.LES   RELIGIEUSES  311 

secrétaire  d'État.  L'élite  de  la  colonie  espagnole  était  égale- 
ment représentée  à  cette  cérémonie. 

Le  Souverain-Pontife,  après  avoir  endossé  la /"aZcZa  et  l'étole, 
est  entr-é,  à  11  heures,  dans  la  Salle  du  Consistoire,  où  il  a  été 
précédé  par  les  prélats  et  personnages  de  sa  noble  Cour  et 
accompagné  de  LL.  EEra.  le  cardinal  Ludovic  Jacobini,  et  le 
cardinal  Simeoni,  délégué  pour  remplir  auprès  de  Son  éminent 
collègue  les  fonctions  de  parrain,  ainsi  que  de  S.  Exe.  l'am- 
bassadeur d'Espagne. 

Ayant  pris  place  sur  le  trône,  le  Saint-Père  a  reçu  l'hommage 
du  premier  secrétaire  de  l'ambassade  d'Espagne,  qui  lui  a  pré- 
senté les  lettres  de  S.  M.  la  Reine-Régente,  dont  l'une  est 
adressée  à  S.  S.  Léon  XIII,  pour  le  prier  d'accomplir  la  céré- 
monie de  l'imposition  de  la  Toison  d'or,  et  l'autre,  au  Cardinal- 
Secrétaire  d'Etat,  pour  lui  offrir  les  insignes  de  cet  Oidre 
suprême.  Sa  Sainteté  a  passé  ces  lettres  au  préfet  des  cérémo- 
nies pontificales,  Mgr  Catakii,  lui  ordonnant  de  les  publier, 
selon  la  formule  :  Publicentur. 

Après  cette  publication,  un  maître  des  cérémonies  a  invité 
Son  Em.  le  cardinal  Simeoni,  en  sa  qualité  de  parrain,  à 
accompagner  le  cardinal  élu,  l'E"'  Jacobini  devant  le  trône 
pontifical,  où  le  premier  secrétaire  de  l'ambassade  d'E-pagne, 
sur  l'invitation  du  Saint-Père,  a  donné  lecture  du  diplôme 
roval  conférant  la  Toison  d'or  au  Cardinal-Secrétaire  d'État. 
En  même  temps,  S.  Exe.  M.  Groizard  j  Gomez  de  la  Serna,  à 
genoux  devant  le  trône,  présentait  à  Sa  Sainteté  les  insignes 
do  la  Toison  d'or.  Alors,  S.  Em.  le  cardinal  Jacobini  a  prononcé, 
d'après  la  formule  suivante,  le  serment  d'usago  : 

Beatissime  Pater,  Ego  Ludovicus  S.  R.  E.  presbyter  cardinalis 
Jacobini,  si  Sanctitati  Vestrse  placuerit,  instanter,  instantius,  instan- 
tissirae  peto  mihi  tradi  et  consignari  lasignia  nobilissimte  militiae 
Aurei  Velleris,  quse  mihi  ex  benignitate  Sorenissimse  Marite  Chiistinae 
Hispaaiarum  Catholicse  Reginse  Regeotis  concassa  fuere,  et  spoodeo 
régulas  ac  Statua  prsedictse  noblissintiEe  militiœ  juxta  Constitutiones 
Romaaorum  Pontificum  Decessorum  Vestrorum,  et  juxta  ea  quae  coa- 
grueatia  sunt  Gardinalitice  Digoitati  me  observaturum. 

Le  Souverain-Pontife  a  pris  alors  des  mains  de  l'ambassadeur 
d'Espagne  les  insignes  de  la  Toison  d'or  et  les  a  imposés,  avec 
l'assistance  du  cardinal-parrain,  au  cardinal  secrétaire  d'État. 
Ensuite  l'Eme  L.  Jacobini  a  baisé  la  main  de  Sa  Sainteté  et  en  a 

23 


312  ANNALES    CATHOLIQUES 

reçu  l'accolade  d'usage  ;  puis,  s'êtant  placé  devant  le  trône,  le 
cardinal  a  prononcé  le  discours  suivant  : 

La  cérémonie  solennelle  et  l'imposition  de  la  Toison  d'or,  que 
Votre  Sainteté  a  daigné  accomplir,  remplit  mon  âme  de  la  plus 
respectueuse  gratitude.  Je  suis  profondément  pénétré  de  l'insigne 
faveur  que  S.  M.  Catholique  la  reine  Marie-Christine  Régente 
d'Espagne  m'a  faite  en  m'agrégeant  parmi  les  Chevaliers  d'un  Ordre 
aussi  illustre  et  élevé.  Cet  honneur  m'est  d'autant  plus  précieux 
qu'il  se  rattache  à  l'heureux  événement  de  la  concorde  et  de  la  paix 
que  Vous,  Très-Saint  Père,  par  l'efficacité  de  vos  conseils,  avez 
affermie  heureusement  entre  deux  très  nobles  nations,  l'Espagne  et 
l'Allemagne.  L'auguste  reine,  aimant  à  faire  l'objet  d'une  bénignité 
spéciale  celui  qui  a  l'honneur  de  servir  de  plus  près  Votre  Sainteté, 
a  voulu  lui  témoigner  de  la  sorte  le  haut  prix  qu'elle  attache  à  la 
médiation  interposée  par  Votre  Sainteté  et  qui  est  vraiment  l'œuvre 
de  votre  esprit  et  de  votre  cœur,  œuvre  dans  laquelle  la  majesté  du 
pontificat  romain  a  resplendi  d'une  nouvelle  gloire. 

Que  Votre  Sainteté  daigne  donc  agréer  l'hommage  de  mes  plus 
vives  actions  de  grâce,  et  qu'EUe  me  permette  de  témoigner  ici  au 
digne  représentant  de  S.  M.  Catholique  les  sentiments  de  ma  gratitude 
et  les  vœux  que  je  forme  du  fond  de  mon  cœur  pour  la  prospérité  et 
la  gloire  de  l'auguste  souveraine. 

Daigne  Votre  Sainteté,  réconforter  par  sa  Bénédiction  apostolique 
la  Sérénissime  Marie-Christine  reine  régente,  sa  royale  famille  et  la 
généreuse  nation  espagnole  si  profondément  catholique,  dont  l'his- 
toire a  enregistré  dans  des  pages  glorieuses  les  témoignages  si 
nombreux  d'adhésion  et  d'attachement  au  Siège  Apostolique. 

Le  Saint-Père  a  daigné  répondre  par  le  discours  suivant  : 
La  cérémonie  qui  vient  d'être  accomplie  et  par  laquelle 
ous  venons  de  vous  imposer,  Monsieur  le  Cardinal,  les 
insignes  de  l'Ordre  très  noble  de  la  Toison  d'or,  a  été  pour 
Nous  l'objet  d'une  satisfaction  toute  spéciale. 

Nous  sommes  très  heureux.  Monsieur  le  cardinal,  que 
vous  ayez  reçu  de  la  reine  régente  d'Espagne  un  témoignage 
de  si  haute  considération,  tant  à  cause  du  grand  honneur 
qui  en  découle  pour  vous,  que  parce  que  cet  honneur  vous 
ayant  été  conféré  eu  votre  qualité  de  Notre  Secrétaire 
d'État,  Nous  offre  une  nouvelle  preuve  des  relations  cor- 
diales et  amicales  et  du  dévouement  profond  qui  unissent  la 
noble  nation  espagnole  à  ce  Siège  Apostolique. 

Nous  nous  réjouissons  aussi  à  la  pensée  que  la  distinction 


NOUTELLES  RELIGIEUSES  313 

honorifique  qui  vous  est  accordée,  est  pour  nous  un  précieux 
souvenir  de  la  médiation  exercée  dans  la  question  des  îles 
Carolines  :  par  cette  médiation,  secondant  la  tendance 
propre  au  pontificat  romain,  il  Nous  a  été  donné  d'éliminer 
tout  différend  entre  deux  puissantes  et  illustres  nations. 

Aussi  ne  pouvons-Nous  faire  moins  que  d'accueillir  et 
même  de  faire  Nôtres  les  vœux  que  vous,  Monsieur  le 
Cardinal,  vous  venez  d'exprimer  pour  la  prospérité  de  la 
Reine-Régente  et  pour  la  grandeur  et  la  gloire  du  royaume 
catholique  d'Espagne. 

C'est  pourquoi,  avec  toute  la  ferveur  de  Notre  âme.  Nous 
implorons  sur  ce  royaume  les  grâces  les  plus  insignes  du 
Ciel  et  Nous  venons  en  donner  le  gage  dans  la  bénédiction 
apostolique  que  Nous  accordons  avec  une  aff'ection  pater- 
nelle, particulièrement  à  l'auguste  Reine  qui  tient  en  main 
les  destinées  de  l'Espagne  et  à  la  Famille  royale,  et  que 
Nous  étendons  aussi  à  M.  l'ambassadeur  ici  présent,  son 
digne  représentant  auprès  de  Nous,  et  à  toute  la  nation 
espagnole. 

Après  que  le  Saint-Père  a  prononcé  la  formule  de  la  béné- 
diction pontificale,  Mgr  le  préfet  des  cérémonies  a  donné  lecture 
de  l'acte  authentique  de  l'imposition  de  la  Toison  d'or,  en  invi- 
tant comme  témoins  LL.  EExc.  Mgr  le  majordome  et  Mgr  le 
maître  de  Chambre.  Enfin,  avant  de  quitter  le  Consistoire,  le 
Saint-Père,  étant  descendu  du  trône,  a  daigné  donner  sa  main 
à  baiser  à  tous  les  assistants  et,  en  premier  lieu,  à  M™^  l'ambas- 
sadrice, ainsi  qu'aux  personnages  de  la  colonie  espagnole. 

Le  Vaierland,  de  Lucerne,  la  Kœlnische  Volkszeitung,  de 
Cologne,  la  ReichszeituriL/,  de  Bonn,  la  Post,  de  Stras- 
bourg, etc.,  publient  un  texte  identique  d'un  discours  prononcé 
par  le  Souverain  Pontife,  sur  la  situation  politico-ecclésiastique 
prussienne,  à  l'occasion  de  la  réception  d'une  députation  du 
diocèse  de  Munster,  venue  pour  faire  une  offrande  au  Denier  de 
Saint-Pierre.  Cette  députation  se  composait  de  deux  prêtres, 
de  quatre  députés  de  la  fraction  du  centre,  de  magistrats  et  de 
jeunes  avocats.  Les  journaux,  qui  publient  le  texte,  disent  que 
le  caractère  privé  de  la  réception  exclut  tout  compte-rendu 


314  ANNALES     CATHOLIQUES 

proprement  dit,  mais  que  le  Saint-Pére  a  prononcé  eu  langue 
française,  sinon  textuellement,  du  moins  en  substance,  le  dis- 
cours suivant  : 

Nous  Nous  réjouissons  de  vous  voir  autour  de  Nous. 
Plusieurs  d'entre  vous  auront  à  s'occuper  prochainement 
de  la  nouvelle  loi  politico-ecclésiastique.  C'est  un  pas  fait 
dans  la  voie  de  la  conciliation.  Ou  Nous  a  exprimé  à  ce 
sujet  les  sentiments  du  gouvernement  prussien,  que  Nous 
croyons  sincères,  et  Nous  espérons  obtenir  avec  le  temps 
une  paix  bonne  et  durable.  Nous  attachons  une  importance 
toute  particulière  à  la  réouverture  des  séminaires,  parce 
qu'ils  sont  les  vraies  pépinières  pour  l'éducation  du  clergé 
et  la  propagation  de  la  foi.  On  Nous  a  demandé  une  transac- 
tion avec  le  gouvernement  au  sujet  de  la  personne  même 
des  professeurs  des  séminaires  ;  mais  il  est  absolument 
nécessaire  que  les  évêques  aient  le  choix  entièrement 
libre  des  titulaires.  La  nomination  régulière  aux  vacances 
qui  se  sont  produites  ou  pourront  se  produire  dans  les  postes 
du  clergé  formera  dorénavant  une  digue  contre  les  progrès 
de  l'irréligion  et  du  mouvement  socialiste. 

Nous  croyons  que  vous  pouvez  envisager  avec  confiance 
l'avenir.  Comptez  aussi  sur  la  sollicitude  de  ce  Saint-Siège 
apostolique.  Sa  Majesté  votre  empereur  Nous  a  fait  expri- 
mer ses  sentiments  les  plus  bienveillants  pour  Notre  per- 
sonne et  Nous  a  fait  donner  l'assurance  de  sa  résolution 
d'aller  au-devant  des  désirs  de  ses  sujets  catholiques.  Dès 
les  premiers  jours  de  Notre  pontificat.  Nous  avons  cons- 
tamment pensé  à  l'Allemagne  et  prié  Dieu  de  lui  rendre  la 
paix  religieuse.  Il  Nous  parait  qu'il  y  a  maintenant  une 
amélioration  dans  votre  situation.  Nous  avons  suivi  avec  le 
plus  grand  soin  la  marche  des  aff'aires  dans  votre  patrie,  et 
Nous  avons  fait  pour  elle  tout  ce  qu'il  Nous  a  été  possible 
de  faire,  selon  Nos  moyens.  On  ne  peut  pas  tout  obtenir  à 
la  fois  ;  l'amélioration  lente,  mais  progressive,  est  dans  la 
nature  des  choses  humaines  ;  et  puis  dans  votre  patrie,  où 
l'unité  de  la  foi  n'existe  plus,  on  est  d'autant  plus  obligé  de 
chercher  un  accommodement,  que  l'on  se  trouve  en  face  du 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  315 

protestantisme,  qui,  par  sa  nature  même,  est  l'ennemi  du 
catholicisme. 

Il  est  aussi  essentiellement  de  l'intérêt  de  l'État  que  les 
vacances  des  curés  cessent  et  que  l'influence  du  catholi- 
cisme reprenne  son  cours;  car  les  catholiques  sont  pré- 
servés, par  la  fermeté  de  leurs  principes,  de  tout  contact 
avec  le  socialisme,  et  l'Etat  se  trouvera  également  bien  que 
les  catholiques  puissent  remplir  leurs  devoirs  religieux. 
Vous  savez  tous  que  vous  avez  des  devoirs  envers  l'Église, 
envers  l'État  et  envers  votre  souverain.  Nous  aimons  extrê- 
mement l'Allemagne,  et  Nous  prions  tous  les  jours  pour 
elle,  et  Nous  Nous  réjouissons  de  la  digne  attitude  du  peuple 
catholique  allemand,  qui  s'est  donné,  dans  sa  représentation 
nationale,  des  députés  si  excellents,  dont  le  rôle  a  été  si 
méritoire  au  point  de  vue  des  intérêts  catholiques,  qui  ont 
montré  tant  de  persévérance  et  d'abnégation  ;  c'est  grâce, 
en  partie,  à  leurs  efforts  que  l'Église  jouit  de  nouveau  d'une 
liberté  plus  étendue.  S'il  y  avait  à  supporter  de  nouvelles 
luttes,  vous  seriez,  certes,  tous  prêts  à  faire  preuve  du 
même  courage  et  de  la  même  persévérance  ;  mais  Nous  ne 
craignons  pas  cette  éventualité,  et  c'est  avec  reconnaissance 
envers  Dieu  que  tous  Nous  devons  accepter  les  amélio- 
rations qui  vont  se  produire. 

Vous  serez  bientôt  appelés  à  vous  prononcer  sur  ce  point. 
Certaines  réserves  seront  pourtant  de  circonstance,  mais 
Nous  ne  voulons  point  ici  Nous  ériger  en  juge;  vous  savez 
ce  dont  a  besoin  l'Église,  et  les  conseils  de  vos  sages  chefs 
ne  vous  feront  pas  défaut. 

Préparez  à  la  nouvelle  loi  un  accueil  bienveillant  et  con- 
ciliant, quoiqu'elle  n'accorde  pas  à  l'Église  tout  ce  qu'elle  a 
le  droit  d'attendre. 

Mgr  Groethals,  archevêque  de  Calcutta,  est  à  Rome  depuis 
quelques  jours,  arrivant  du  Bengale.  Son  séjour  dans  la  "Vil'e 
Éternelle  sera  d'une  couple  de  semaines.  Sa  Grandeur  a  déjà 
rendu  visite  à  plusieurs  cardinaux  attachés  à  la  Propagande. 
Il  ne  tardera  pas  à  être  reçu  en  audience  particulière  par  Sa 
Sainteté  Léon  XIII,  qui  s'intéresse  vivement  aux  progrés  du 


316  ANNALES    CATHOLIQUES 

catholicisme  dans  l'Inde  et  à  l'importante  mission  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  qui  a  son  siège  à  Calcutta. 


On  écrit  de  Rome  à  l' Univers  : 

Les  négociations  entre  le  Saint-Siège  et  la  Chine  se  sont  terminée 
dimanche,  et  le  Vatican  a  décidé  d'envoyer  un  représentant  officiel 
anprès  de  la  Cour  de  Pékin.  L'envoyé  du  Saint-Siège  portera  proba- 
tlement  le  titre  de  délégué  apostolique;  mais,  à  cause  de  l'impor- 
tance de  la  charge,  il  aura  le  rang  et  les  privilèges  d'un  nonce  de 
première  classe,  et  la  délégation  de  Pékin  sera  considérée  comme 
iiLL  poste  cardinalice,  à  l'égal  des  nonciatures  de  Paris,  de  Vienne, 
de  'Madrid  et  de  Lisbonne.  On  croit  que  Mgr  Agliardi,  le  délégué 
apostolique  des  Indes,  qui  vient  de  retourner  en  Italie  pour  y  réta- 
blir sa  santé,  sera  le  nouvel  envoyé  du  Pape  à  Pékin.  Encore  une 
prérogative  glorieuse  de  la  fille  aînée  de  l'Église,  le  protectorat  des 
catholiques  en  Orient,  qui  va  disparaître. 

F'rance. 

Le  Comité  de  défense  religieuse  n'avait  pas  trop  présumé  des 
dispositions  des  catholiques  en  les  invitant  à  protester  contre  le 
nouveau  projet  de  loi  sur  l'enseignement  primaire  et  à  user  de 
leurs  droits  de  citoyens  pour  en  demander  le  rejet  aux  Chambres. 
Le  sentiment  de  réprobation  qu'ont  soulevé  dans  tout  le  pays 
les  mesures  iniques  et  brutales  édictées  par  ce  projet  a  ménagé 
partout  le  plus  sympathique  accueil  à  l'appel  du  Comité;  les 
feuilles  de  pétition  qu'il  avait  adressées  à  ses  correspondants 
ont  été  rapidement  distribuées  et  leur  nombre  n'a  pas  tardé  à 
se  trouver  insuffisant;  aussi  chaque  jour  de  nouvelles  et  im- 
portantes demandes  lui  sont-elles  adressées. 

Aujourd'hui,  ces  feuilles  circulent  dans  tous  les  départements 
et  le  Comité  a  reçu  les  informations  les  plus  encourageantes  sur 
l'activité  et  le  dévouement  que  déploient  les  catholiques  de 
tout  rang  et  de  toute  condition  dans  64  de  ces  départements  et 
en  Algérie.  Parmi  ceux  que  ces  premiers  renseignements 
signalent  comme  ayant  déjà  organisé  le  pétitionnement  d'une 
façon  complète  et  pratique,  nous  devons  nommer:  l'Ardéche, 
l'Aube,  le  Calvados,  le  Cantal,  le  Doubs,  la  Drôme,  l'Eure,  la 
Haute-Garonne,  l'Indre,  le  Jura,  le  Loir-et-Cher,  la  Loire, 
la  Haute-Loire,  la  Loire-Inférieure,  le  Maine-et-Loire,  la 
Mayenne,  la  Meurthe-et-Moselle,  la   Meuse,  le  Morbihan,  le 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  317 

Nord,  les  Basses-Pyrénées,  la  Haute-Savoie,  la  Seine-et-Oise, 
la  Somme,  le  Tarn,  le  Tarn-et-Garonne,  les  Vosges  et  la  Seine. 

Paris.  —  On  lit  dans  la  Semaine  religieuse  : 

Le  Cardinal-Archevêque  de  Paris  a  été  chargé  par  le  Saint-Office 
de  notifier  à  M.  Henri  des  Houx  la  condamnation  dont  son  livre  inti- 
tulé :  Souvenirs  d'un  journaliste  français  à  Rome,  avait  été  frappé 
par  la  Sacrée-Congrégation  de  l'Index..  M.  Henri  des  Houx  s'est 
soumis  au  jugement  porté  contre  son  livre  et  il  a  fait  sa  rétractation 
dans  une  lettre  adressée  à  Son  Eminence  le  cardinal  Monaco,  se- 
crétaire de  la  Suprême  Congrégation  de  l'Inquisition.  Le  Saint-Pèi'e 
a  daigné  agréer  la  rétractation  et  envoyer  à  M.  Henri  des  Houx  la 
bénédiction  apostolique,  en  chargeant  Son  Eminence  le  Cardinal- 
Archevêque  de  Paris  de  faire  publier  cet  acte,  pour  réparer  le 
scandale  causé  par  la  publication  du  livre  condamné. 

Nous  donnons  ici  le  texte  même  de  la  lettre  écrite  par  M.  Heniû 
des  Houx  à  Son  Eminence  le  cardinal  Monaco  : 

A  S.  Ein.  Rme  le  cardinal  Monaco  de  la  Valetta,  évcque  suburbi- 
caire  d'Albano,  grand  pénitencier  de  S.  Em.  Rme,  secrétaire  de  la 
Sacrée-Congrégation  de  l'Inquisition  romaine  et  universelle. 

«  Eminence  Révérendissime, 

«  L'Éminentissime  Gardinal-Arehevêque  de  Paris,  suivant  les 
instructions  transmises  par  Votre  Eminence,  m'a  appelé  à  l'Arche- 
vêché, m'a  signifié  la  décision  de  la  Sacrée-Congrégation  de 
l'Index  relative  à  mon  livre  intitulé  :  Souvenirs  d'un  journaliste 
français  à  Rome,  et  m'a  fait  connaître  les  graves  obligations  que 
m'impose  la  Sacrée-Congrégation  du  Saint-Office,  sous  peine  de 
mesures  plus  sévères  encore. 

«  Je  vous  déclare  m'y  soumettre  absolument  et  sans  réserve 
d'aucune  sorte.  Fermement  résolu  à  demeurer  attaché  d'esprit  et 
de  cœur  aux  doctrines,  aux  enseignements  et  à  l'autorité  de 
l'Eglise  catholique,  apostolique  et  romaine,  dans  laquelle  je  suis 
né,  veux  vivre  et  mourir,  j'entends  rester  obéissant  et  soumis  à 
toutes  les  volontés  de  son  Chef  infaillible,  Notre  Très-Saint  Père  le 
Pape  Léon  XIII,  ainsi  qu'aux  décisions  des  Sacrées  Congrégations 
romaines  qui  administrent,  en  son  nom,  le  Saint-Siège  et  l'Église 
universelle. 

«  Persuadé  que  l'unité,  Tordre  et  la  discipline  dans  l'Eglise  consti- 
tuent la  première  des  nécessités  sociales,  j'incline  volontiers  mes  opi- 
nions et  mes  préférences  personnelles,  même  dans  les  matières  où 
par  erreur  je  les  avais  crues  libres  et  permises,  devant  la  décisiou 
des  Pasteurs  à  qui  le  Christ  a  remis  la  conduite  de  son  troupeau. 


318  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  C'est  pourquoi  les  condaranalloQs;  portées  contre  mou  ouvrage  par 
les  Congrégations  de  l'Index  et  du  Saint-Office  font  loi  absolue  pour 
ma  conscience,  et  j'adhère  pleinement  aux  défenses  qui  me  sont 
enjointes  pour  l'avenir. 

«  Donc,  conformément  aux  ordres  du  Saint-Office  : 

a  Je  déplore  le  scandale  que  mon  ouvrage  a  pu  apporter  aux  ânnes 
des  fidèles  et  les  dommages  qu'elles  en  ont  pu  recevoir;  je  ferai  tout 
ce  qui  sera  en  mon  pouvoir  pour  le  réparer. 

«  Je  prends  l'engagement  solennel,  devant  le  Saint-Siège,  de  ne 
pul)lier  à  l'avenir  aucun  écrit  qui  puisse  apporter  aucune  affliction 
au  Souverain-Pontife,  aucune  atteinte  au  respect  dii  à  la  hiérarchie 
sacrée,  et  causer  le  moindre  scandale  dans  la  communauté  de  mes 
frères  catholiques. 

«  En  outre,  je  demande  humblement  pardon  à  Dieu  des  fautes  que 
le^  Pères  de  la  Sacrée-Congrégation  du  Saint-Office  ont  souveraine- 
ment décidé  que  j'avais  commises,  et  au  Souverain-Pontife,  Notre 
Saint- Père  le  Pape  Léon  XIII,  des  déplaisirs  que  mes  écrits  ont  pu 
lui  appoiter. 

«  Je  veux  que  la  présente  déclaration  devienne  désormais  la  loi  de 
ma  vie. 

«  Je  supiilie  Votre  Kminence  de  présenter  cette  lettre  au  Saint- 
Père,  comme  un  faible  et  imparfait  témoignage  de  ma  bonne  volonté, 
comme  un  gage  suffisant  de  mes  résolutions  pour  l'avenir,  et  d'im- 
,  ploi-er  pour  moi,  de  sa  souveraine  mansuétude,  la  bénédiction  apos- 
tolique. 

«  Kn  ces  sentiments,  j'ai  l'honneur  de  me  dire,  de  Votre  Eminence 
Révérendissime,  le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

«  Henri  des  Houx-Morimbeau.  » 
Paris,  le  20  avril  1886. 

Moulins.  —  La  Gazette  de  France  a  reçu  cette  lettre,  signée 
du  comte  de  Bourbon-Busset,  qui  raconte  des  faits  analogues, 
moins  le  sang  versé,  au  drame  de  Chàteauvillain  : 

J'ai  une  vieille  usine  à  trois  kilomètres  de  Cusset,  nommé  les 
Grivats;  cette  usine  ne  fonctionne  plus. 

Je  l'ai  mise  à  la  disposition  de  M.  le  curé  de  Cusset,  qui  désirait 
faire  entendre  la  parole  de  Dieu,  pendant  le  Carême,  à  ses  parois- 
siens éloignés.  Il  n'était  venu  à  personne  l'idée  d'une  infraction  aux 
lois.  Le  gouvernement  ne  l'a  pas  jugé  ainsi. 

Procès-verbal  a  été  dressé  contre  M.  le  curé  de  Cusset  et  contra 
moi  -  par  le  commissaire  de  police.  Ce  procès-verbal  a  été  envoyé 
â  la  préfecture,  et  M.  le  curé  a  été  prévenu  officiellement  que 
l'a-torité  était  saisie  d'une  plainte  contre  lui. 

Ce  n'est  pas  tout.  Le  zélé  doyen  de  Cusset  qui  a  une  paroisse  très 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  319 

étendue,  a  voulu  aussi  instruire  chrétiennement  lo  petit  village  de 
Chassigny,  où  M.  Liouville  lui  avait  prêté  une  grange  pour  réunir 
ses  paroissiens. 

M.  Liouville  et  moi  sommes  couchés  sur  le^raême  procès-verbal, 
m'a-t-il  été  dit  par  M.  le  curé,  pour  avoir  prêté  nos  locaux  à  notre 
bon  doyen. 

Je  suis  très  heureux  d'avoir  été  utile  en  quelque  chose  à  l'Église, 
je  voudrais  faire  bien  'plus  pour  Dieu  et  pour  la  France. 

Vous  voyez,  mon  cher  monsieur,  quelle  position  est  faite  â  nos 
croyances,  aux  catholiques.  On  veut  nous  intimider.  Mais  pour  bien 
exprimer  ma  pensée,  j'emprunterai  la  fîère  devise  des  Rohan  :  leur 
concussus  resurgo  :  plus  on  me  frappe,  plus  je  me  relève. 

Et  nous  attendons  l'autorité  de  pied  ferme. 

Comte  de  Bourbon-Busset. 

A  Busset  (Allier). 

Étranger. 

Australie.  —  Les  évêques  d'Australie,  réunis  en  concile 
régional  à  Sydney,  avaient  adressé  une  Lettre  collective  aux 
Etats-Unis.  Mgr  Gibbons,  archevêque  de  Baltimore,  vient  d'y 
répondre,  au  nom  de  tout  l'épiscopat  de  la  grande  République 
américaine,  par  la  Lettre  suivante,  dont  nous  empruntons  la 
traduction  au  Moniteur  de  Rome  : 

Très  illustres  et  vénérés  Frères, 

Votre  message  de  salut  fraternel  a  été  reçu  par  l'épiscopat  des 
États-Unis  non  seulement  avec  le  profond  respect  dû  à  ses  véné- 
rables auteurs,  mais  encore  avec  les  sentiments  de  gratitude  et  d'admi- 
ration qu'un  si  précieux  document  devait  inspirer  à  vos  frères  en 
Jésus-Christ. 

Elle  nous  a  été  particulièrement  agréable,  l'assurance  que  vous 
nous  donnez  qu'au  milieu  de  vos  pénibles  et  incessants  labeurs,  voi 
compagnons  et  vos  collègues  des  États-Unis  ont  une  part  dans  vos 
pensées  et  vos  affections. 

Votre  noble  adresse  rappelle  les  lettres  d'amour  fraternel  échangées 
entre  les  chrétientés  des  premiers  temps,  et  elle  est  une  preuve 
vivante  de  l'unité  de  foi  qui  relie  les  enfants  de  l'Eglise  d'Australie 
à  leurs  frères  d'Amérique. 

Quoique  entre  nous  s'étende  un  vaste  océan,  nous  avons  une  foi 
commune  et  un  héritage  commun;  quoique  séparés  par  la  distance, 
nous  appartenons  au  même  corps  mystique  sous  le  même  Chef 
visible,  puisant  notre  vie  spirituelle  à  la  même  source,  qui  est  le 
Cœur  divin  de  Jésus-Christ. 

Grande  est  notre  joie,  vénérables  Frères,  d'apprendre  les  progrès 


S20  ANNALES    CATHOLIQUES 

considérables  que  notre  sainte  religion  a  faits  en  Australie  depuis 
1885,  alors  que  le  premier  vicaire  apostolique  mit  le  pied  sur  ces 
rivages. 

Le  spectacle  d'un  cardinal-archevêque,  d'un  archevêque,  de  seize 
évêques  qui  constituent  votre  hiérarchie  actuelle,  avec  la  perspec- 
tive de  voir  s'augmenter  le  nombre  des  sièges  suifragants  et  métro- 
politains, est  un  témoignage  évident  du  zèle  et  du  succès  qui  ont 
marqué  vos  labeurs  apostoliques,  en  même  temps  qu'un  gage  assuré 
de  l'avenir  glorieux  qui  vous  est  réservé.  Il  est  aussi  une  preuve 
éloquente  de  l'infatigable  dévouement  du  clergé  et  des  laïques,  sans 
la  coopération  desquels  ces  résultats  n'auraient  pu  être  obtenus. 

Nous  pouvons  rappeler,  avec  un  légitime  orgueil,  les  contrées 
immenses  conquises  par  le  catholicisme  de  langue  anglaise  pendant 
ces  trois  derniers  siècles.  Au  concile  de  Trente,  il  n'y  avait  que  quatre 
évêques  parlant  notre  langue;  au  concile  du  Vatican,  il  y  en  avait 
cent  vingt  qui  ont  pris  part  à  ses  délibérations.  En  ce  moment,  ils 
sont  au  nombre  de  cent  soixante,  et  nous  pouvons  prédire  sans  témé- 
rité qu'avant  la  fin  du  siècle  ils  seront  plus  de  deux  cents.  Ea  outre, 
les  ouvrages  de  doctrine  et  de  dévotion,  si  rares  en  Angleterre  il  y  a 
cinquante  ans,  se  trouvent  maintenant  dans  tous  les  foyers  catholi- 
ques. Notre  belle  langue,  qui  pendant  trois  siècles  a  servi  par  la 
parole  et  la  plume  à  répandre  au  dehors  tant  d'erreurs  religieuses, 
est  devenue  mainteuant,  grâce  à  Dieu,  le  véhicule  qui  porte  la  foi 
aux  autres  nations,  et  do  même  qu'elle  est  aujourd'hui  le  grand 
moyen  de  communication  pour  le  commerce,  ainsi  elle  deviendra  de 
plus  en  plus  le  canal  qui  transmettra  raix  hommes  les  lîénédictions 
et  les  consolations  de  l'Evangile. 

Puissent  l'Australie  et  l'Amérique  continuer,  dans  une  sainte  ému- 
lation, à  étendre  le  royaume  de  Dieu  !  Paissent  les  progrès  de  la  vraie 
foi  s'allier  partout  avec  ceux  de  la  civilisation  matérielle  !  Ce  sera 
alors  pour  nous  une  joie  et  une  consolation  de  penser  aux  luttes 
héroïques  et  triomphantes  de  ces  évêques-pionniers  des  deux  pays 
qui  ont  semé  dans  les  larmes  ce  que  nous  récoltons  dans  la  joie. 

Ces  progrès  du  catholicisme  en  Amérique  et  en  Australie,  nous  les 
devons  dans  une  large  mesure,  après  Dieu,  à  la  liberté  religieuse, 
qui  constitue  un  des  plus  nobles  caractères  de  nos  gouvernements 
respectifs.  Ces  gouvernements  étendent  sur  nous  l'égide  de  leur  pro- 
tection, sans  intrusion  dans  le  sanctuaire,  et  en  respectant  nos  pré- 
rogatives spirituelles,  ils  nous  mettent  à  même  de  remplir  notro 
sublime  mission  sans  entraver  notre  liberté  apostolique. 

Permettez-nous,  vénérables  Frères,  d'exprimer  l'espoir  que  votrf^. 
(.oncile  plénier,  terminé  récemment,  contribuera,  par  la  grâce  de 
Dieu,  à  resserrer  les  liens  de  fraternité,  à  favoriser  les  progrès  de  la 
aine  discipline,  à  raviver  la  foi  et  à  infuser  une  vie  nouvelle  dans 
.outes  les  branches  et  toutes  les  fibres  de  la  vigne  du  Seigneur  plantée 
^ana  votre  cher  pays. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  321 

Croyez-nous  vos  dévoués  et  affectionnés  Frères  en  Jésus-Christ,  au 
nom  de  tous  les  Pères  et  en  mon  nom  propre. 

-j-  James  Gibbons, 
archevêque  de  Baltimore. 

Baltimore,  fête  de  saint  Grégoire  le  Grand,  1886. 

Missions. 

Perse.  —  Le  Moniteur  de  Rome  annonce  que  S.  S.  Léon  XIII 
a  envoyé,  avec  une  lettre  de  remerciement,  le  cordon  de  Pie  IX 
à  deux  princes  de  la  maison  royale  de  Perse,  en  reconnaissance 
de  la  protection  qu'ils  accordent  aux  chrétiens. 

Les  catholiques,  dit  notre  confrère,  jouissent  en  Perse  d'une 
liberté  et  d'une  tolérance  qu'ils  n'ont  certes  pas  dans  bien  des 
pays  chrétiens.  Le  fils  aîné  du  Schah,  le  prince  Mahsoud,  est  si 
bien  disposé  à  leur  égard  et  les  protège  si  ouvertement  que  les 
musulmans  l'accusent  d'hérésie  et  de  favoritisme.  Le  prince 
recherche  la  société  des  missionnaires  catholiques,  et  il  était 
en  relation  d'étroite  amitié  avec  l'ancien  supérieur  des  Armé- 
niens catholiques,  le  Père  Arakélien.  Le  prince  Mahsoud,  doué 
d'éminentes  qualités,  est  appelé  un  jour  à  être  «  le  régénérateur 
de  l'Asie  centrale  ».  C'est  le  témoignage  d'un  missionnaire  qui 
l'a  beaucoup  connu. 

Bien  que  les  catholiques  latins  et  orientaux  aient  à  lutter 
contre  la  propagande  des  missions  protestantes,  anglaises  et 
américaines,  qui  disposent  de  moyens  pécuniaires  considérables, 
la  situation  de  l'Eglise  catholique  en  Perse  est  relativement 
prospère.  Elle  y  possède  un  délégué  apostolique  et  trois  stations. 
Les  missionnaires  catholiques  sont  généralement  aimés  et  res- 
pectés par  la  population  ;  ils  rencontrent  même  des  sympathies 
déclarées  jusque  dans  la  classe  des  nobles  et  des  lettrés.  A  côté 
du  prince  Mahsoud,  il  faut  citer  son  médecin  particulier,  le 
recteur  de  l'Université  d'Ispahan.  le  général  Baghi-Kan,  le 
directeur  du  journal  le  Forhang  (la  Sagesse),  qui  ne  cache  pas 
son  goiit  pour  le  catholicisme  et  qui  s'efforce  d'établir  un  cou- 
rant de  sympathie  entre  les  musulmans  et  les  Arméniens  catho- 
liques. 

La  démarche  que  vient  de  faire  Sa  Sainteté  Léon  XIII  ne 
pourra  certes  que  contribuer  à  entretenir  et  augmenter  cette 
sympathie  avouée  et  déjà  si  répandue  pour  l'Eglise. 


322  ANNALES    CATHOLIQUES 

CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Élection  législative  de  Paris.  —  Electioa  sénatoriale  de  Vendée.  —  A 
Saint-Jean  d'Angély.  —  L'incident  Lacascade.  —  Conseils  généraux.  — 
A  la  Sorbonne.  —  Angleterre.   —  Allemagne. 

6  mai  1886. 

Par  146,018  voix  contre  100,795  données  «  au  condamné  de 
Villefranche  »,  M.  Gaulier  a  été  élu  dimanche  député  de  Paris 
en  remplacement  de  M.  Rochefort. 

M.  Gaulier  Ta  emporté  sur  M.  Roche,  mais  les  abstentions 
l'ont  emporté  sur  M.  Gaulier;  on  en  compte  plus  de  300,000. 
Le  nouvel  élu  de  Paris  ne  représente  pas  la  moitié  des  élec- 
teurs, et  ï Intransigeant ,  qui  ne  manque  jamais  d'imagination, 
trouve  que  «  le  triomphe  de  la  coalition  opportuno-orZeawo- 
radicale  est  maigre  ».  M.  Rochefort  attribue  de  plus  le  succès 
de  M.  Gaulier  aux  conservateurs.  Il  faut  dire  que  les  journaux 
qui  soutenaient  la  candidature  de  ce  dernier  nous  apprennent 
de  leur  côté,  que  si  le  citoyen  Roche  a  réuni  cent  mille  voix, 
c'est  parce  que  beaucoup  de  «  réactionnaires  »  ont  voté  pour 
lui.  On  ne  saurait  nier  que  le  résultat  de  l'élection  laisse  les 
conservateurs  indifférents,  Gaulier  ou  Ernest  Roche,  Ernest 
Roche  ou  Gaulier,  c'est  bonnet  rouge  ou  rouge  bonnet.  M.  Gau- 
lier va  entrer  à  la  Chambre  et  M.  Ernest  Roche  rentrera  eu 
prison  o\\  il  pourra  donner  à  son  ami  Duc-Quercy  des  nouvelles 
du  «  plein-air  »  parisien. 

En  Vendée  le  même  jour  avait  lieu  une  élection  sénatoriale. 
En  voici  le  résultat  : 

Inscrits  :  855.  —  Votants  :  853. 

MM.  De  Béjarry,  conservateur 465  Eiu 

Daniel  Lacombe,  républicain 383 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  de  Cornulier,  sénateur  conser- 
vateur, décédé.  M.  de  Cornulier  avait  été  élu  le  30  janvier  1870 
le  second  sur  trois,  par  198  voix  sur  366  votants.  Le  premier 
candidat  de  la  liste  républicaine  avait  obtenu  146  voix.  Au 
renouvellement  de  janvier  1882,  M.  de  Cornulier  avait  été 
réélu  premier  de  la  liste  conservatrice,  par  200  voix  ;  le  pre- 
mier candidat  de  la  liste  républicaine  avait  obtenu  158  voix. 

Depuis,  est  intervenue  la  loi  du  9  décembre  1884,  qui  a  aug- 
menté, on  le  sait,  dans  une  assez  forte  proportion  le  nombre 
des  électeurs  sénatoriaux. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  323 

La  ville  de  Saint-Jean-d'Angély  a  inauguré  un  Hôtel  de 
ville.  Cette  cérémonie  a  été  signalée  par  un  discours  de  M.  l'a- 
miral Aube,  ministre  de  la  marine,  qui  était  venu  la  présider, 
et  par  l'ascension  scientifique  d'un  ballon.  Par  l'ascension  de 
deux  ballons,  devrions-nous  plutôt  dire,  car  le  discours  minis- 
tériel n'est,  en  réalité,  qu'un  ballon  d'essai  en  vue  d'une  candi- 
dature probable  dans  ces  régions. 

M.  l'amiral  Aube,  qui  appartient  au  ministère,  qui  a  approuvé 
le  massacre  de  Ohàteauvillain,  et  qui,  par  conséquent,  en  a 
accepté  sa  part  de  hideuse  responsabilité,  a  parlé,  nous  ne 
savons  trop  pourquoi,  des  martyrs  protestants  qui  tombèrent 
victimes  de  leur  amonr  pour  la  liberté  de  conscience  et  de  celle 
de  prier,  et  a  conclu  en  manifestant  l'espoir  qu'un  jour  tous  les 
citoyens  confondront  leur  amour  et  leurs  efforts  dans  un  même 
élan  de  reconnaissance  pour  la  République. 

Les  martyrs  protestants  nous  les  connaissons.  Si  l'histoire  ne 
nous  avait  pas  appris  comment  ils  entendaient  la  liberté  de 
conscience  et  celle  de  prier,  leurs  petits-enfants  que  nous  voyons 
aujourd'hui  alliés  et  serviteurs  de  la  tyrannie  républicaine 
libre-penseuse,  nous  révéleraient  les  traditions  qu'ils  leur  ont 
léguées  au  sujet  de  cette  liberté. 

Quant  à  l'appel  à  l'union  sous  l'étendard  républicain  que  fait 
l'amiral,  il  nous  porte  à  penser  que  nous  n'avons  devant  nous, 
avec  ce  soldat,  qu'un  inconscient  qui  ne  comprend  pas  le  gou- 
vernement qu'il  sert  et  ne  saurait  par  conséquent  en  assumer 
les  responsabilités. 


Nous  avons  une  assez  triste  aventure  en  Nouvelle-Calédonie. 

Là  comme  ailleurs,  les  ministres  protestants  font  une  rude 
guerre  à  l'influence  française.  Tant  qu'il  n'est  question  que 
d'influence,  ça  va  bien;  mais  quand  le  missionnaire  évangélique 
emploie  les  fonds  des  sociétés  bibliques  à  exciter  la  guerre, 
nos  gouverneurs  sont  vexés. 

Or,  dans  une  des  îles  Loyalty,  qui  dépendent  de  la  Nouvelle- 
Calédonie,  le  ministre  protestant  Jones  était  parvenu  à  ameu- 
ter les  Canaques  contre  nous  :  c'est  le  cas  où  nos  fonctionnaires 
cessent  ordinairement  de  tout  tolérer. 

On  voulait  renverser  le  chef  canaque  ami  de  la  France. 

Le  gouverneur,  M.  Le  Boucher,  résolut,  pour  rétablir  l'ordre, 
d'envoyer  un  détachement  de  100  hommes  ;  mais,  pour  donner 


324  ANNA.LRS    CATHOLIQUES 

plus  de  poids  à  l'expédition,  il  eut  la  raalencontreuse  idée  de 
mettre  à  la  tête  le  directeur  de  l'intérieur. 

M.  Lacascade  avait  reçu,  outre  les  pleius  pouvoirs  du  gouver- 
neur, —  dit  VlndèiJendant  de  Nouméa,  —  des  instructions  qui 
devaient  renfermer  son  action  dans  certaines  limites  et.  qui  peu- 
vent se  résumer  ainsi  :  1°  rétablir  l'autorité  de  Haîsseline  (le  chef 
canaque  dévoué  à  la  France)  ;  2"  consolider  celle  du  pasteur  Grug 
(pasteur  français)  ;  3°  agir  avec  fermeté  à  l'égard  du  R.  Jones  et 
fermer  le  temple  de  Rô  (qui  était  devenu  le  centre  de  résistance 
du  parti  hostile  à  la  France). 

M.  Lacascade,  ajoute  le  XIX"  Siècle,  a  si  singulièrement  rempli 
son  mandat,  qu'il  s'est  placé  sous  la  protection  dudit  Jones,  qu'il 
avait  mission  de  rappeler  au  respect  de  la  loi  française,  parcou- 
rant les  tribus  sous  l'égide  du  missionnaire  protestant  et  les 
haranguant  par  son  organe. 

Quant  au  temple  de  Rô,  il  avait  absolument  oublié  de  le  fermer, 
et  quand  il  reçut  du  gouverneur  l'ordre  apporté  par  un  officier  du 
Duchaffault,  envoyé  tout  exprès  à  Mare,  de  réparer  cet  oubli,  il 
aurait  répondu  en  propres  termes  à  cet  officier  ;  «  Je  refuse 
d'obéir.   » 

A  la  suite  de  ce  refus  d'obéissance,  le  gouverneur  de  la 
Nouvelle-Calédonie  a  pris  un  arrêté  pour  renvoyer  Lacascade 
en  France  expliquer  sa  conduite  et,  de  suite,  il  l'a  suspendu  de 
ses  fonctions. 

Lacascade  arrive  ;  mais  au  lieu  d'être  châtié,  l'étrange  fonc- 
tionnaire en  revenant  reçoit  sa  nomination  de  gouverneur  de 
Taïti. 

C'est  véritablement  incroyable  ! 


Les  conseils  généraux  ont  ouvert  leurs  séances.  Peu  d'inci- 
dents à  signaler.  Dans  l'Aisne,  M.  Sébline  a  été  élu  vice-prési- 
dent. Dans  le  Loir-et-Cher,  la  séance  n'a  pu  avoir  lieu,  le 
député  rouge  Tassin  et  ses  collègues  refusant  de  siéger  à  côté 
du  préfet,  M.  Duilos,  dont  ils  n'ont  pu  obtenir  le  changement. 
Ce  changement  avait  été  promis  aux  trois  députés  radicaux  de 
Loir-et-Cher,  en  échange  d'un  vote  qu'ils  n'ont  pas  eu  à  émettre 
et  qui  n'a  pas  reçu  cette  récompense. 

Ils  espèrent  l'obtenir  aujourd'hui  par  la  grève,  et  comme  il 
y  a  une  lâcheté  à  commettre,  il  est  fort  probable  que  le  gouver 
nement  leur  donnera  gain  de  cause. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  325 

La  séance  générale  des  Sociétés  savantes  a  eu  lieu  comme 
d'ordinaire,  le  samedi  de  Pâques,  sons  la  présidence  de  M.  Goblet. 

M.  Alexandre  Bertrand,  qui  avait  été  nommé  président  du 
congrès,  a  souhaité  la  bienvenue  an  ministre  et  donné  un  rapide 
aperçu  d'nn  projet  qui  a  été  longuement  développé  par  son 
auteur,  M.  Monin. 

Il  s'agit  de  dresser  le  bilan  de  la  France  politique  et  écono- 
mique avant  1879  et  depuis  i7S9.  On  fait  appel  au  zèle  et  aux 
lumières  de  tous  les  membres  des  sociétés  savantes. 

M.  G-oblet  approuve  pleinement  cette  idée.  «  N'est-ce  pas,  a- 
«  t-il  dit,  le  plus  solide  hommage  à  rendre  à  la  Révolution  que 
«  de  faire  chaque  jour  la  lumière  plus  grande  sur  son  œuvre? 
«  Dissiper  les  légendes,  rétablir  la  vérité  de  l'histoire  en  la 
«  puisant  aux  sources,  c'est-à-dire  dans  les  écrits  et  dans  les 
«  actes  de  la  Révolution  elle-même,  c'est  le  meilleur  moyen 
«  d'en  célébrer  dignement  le  centenaire.  Vous  nous  y  aiderez, 
«  Messieurs.  » 

Mais  ce  n'est  pas  sur  cette  partie  du  discours  que  nous  vou- 
lons insister  en  ce  moment;  nous  laissons  également  de  côté, 
aujourd'hui,  ce  qui  est  dit  des  réformes  projetées  dans  l'ensei- 
gnement secondaire  et  ses  programmes  ;  nous  avons  hâte  d'ar- 
river au  passage  le  plus  important,  celui  que  M.  Goblet  a  con- 
sacré à  l'apologie  de  la  loi  sur  l'enseignement  primaire  qu'il 
avait  trouvée  dans  la  succession  de  M.  Ferry,  qu'il  a  faite 
sienne  et  dont  il  vient  de  célébrer,  en  vrai  jacobin,  les  disposi- 
tions jacobines.  Il  faut  citer  textuellement  ses  paroles  : 

Le  caractère  essentiel  de  cette  loi,  c'est  qu'elle  fait  de  l'ensei- 
gnement public,  au  premier  degré  comme  aux  autres,  un  ensei- 
gnement d'Etat. 

Le  principe  est-il  juste?  Comment  en  douter,  quand  on  veut  bien 
prendre  la  peine  d'y  réfléchir!  Dans  notre  France  démocratique, 
égalitaire,  gouvernée  par  le  suffrage  universel,  plus  noua  devons 
nous  montrer  soucieux  d'étendre  autant  que  possible  les  libertés 
individuelles  et  les  franchises  locales,  plus  nous  devons  avoir  à  cœur 
de  fortifier  aussi  tout  ce  qui  fait  l'unité  de  la  nation.  Et  la  question 
revient  par  conséquent  à  savoir  quelle  est  à  cet  égard  la  fonction  de 
l'enseignement  public. 

Or,  si  l'indépendance  des  idées  et  la  diversité  des  méthodes  sont 
une  condition  de  vie  pour  l'enseignement  supérieur,  l'unité  nous 
apparaît,  au  contraire,  comme  la  règle  naturelle,  sinon  nécessaire, 
de  cette  première  instruction  qui  est  commune  â  tous  les  citoyens. 
L'enseignement  élémentaire  public  ouvert  à  tous,  imposé  â  ceux  qui 


326  ANNALES    CATHOLIQUKS 

ne  peuvent  se  faire  instruire  ailleurs,  ne  doit-il  pas  être  le  même 
pour  tous,  animé  du  même  esprit,  régi  pat-  les  mêmes  programmes, 
donné  par  les  mêmes  maîtres? 

L'Ktat  qui  est  seul  capable  d'assumer  la  charge  d'un  tel  service, 
le  premier  des  services  [)ubl]C.s,  peut-il,  dans  ses  propres  écoles, 
donner  un  autre  enseignement  que  celui  qu'il  juge  conforme  à  ses 
principes,  peut-il  le  confier  à  d'autres  maîtres  qu'à  ceux  qu'il  a 
formés  ft  agréés  ? 

La  loi  ne  fait  pas  autre  chose.  On  dit  qu'elle  porte  atteinte  à  la 
liberté;  et  cependant  non  seulement  elle  assure  à  tous  les  maîtres 
qui  remplissent  les  conditions  de  moralité  et  de  capacité  nécessaires 
le  droit  d'enseigner  librement,  mais  elle  n'oblige  à  fréquenter  les 
écoles  de  l'Etat  que  ceux  qui  n'en  ont  pas  d'autres  et  ne  peuvent 
recevoir  l'enseignement  dans  leur  famille. 

On  dit  qu'elle  menace,  qu'elle  opprime  les  consciences,  et  cepen- 
dant, jiour  garantir  les  croyances  contre  toute  atteinte,  non  seule- 
ment elle  protège  la  liberté  de  l'enseignement,  elle  respecte  la  liberté 
des  dogmes  et  des  cultes,  mais  elle  limite  le  rôle  de  l'État  à  l'ins- 
truction proprement  dite,  et  lui  impose  la  plus  stricte  neutralité 
dans  tout  ce  qui  défiasse  ce  domaine. 

Messieurs,  laissez-moi  le  dire  en  toute  sincérité,  comme  je  le 
pense,  ceux-là  seuls  peuvent  contester  la  légitimité  de  la  loi  qui 
se  refusent  à  accepter  l'indi'pendance  de  l'Etat  et  de  la  société  civile. 
Pour  tout  esprit  libre  et  sincère,  la  loi  est  juste  dans  son  principe. 
Sans  doute  dans  l'application  les  abus  sont  possibles;  il  en  est  ainsi 
de  toutes  les  œuvi'es  humaines.  C'est  au  contrôle  de  l'opinion  publi- 
que qu'il  appartient  de  les  prévenir,  d'en  avoir  raison  au  besoin  ;  et 
l'opinion  parle  assez  librement  et  assez  haut  dans  notre  temps  pour 
rassurer  toutes  les  consciences.  Quant  à  ceux  qui  ne  veulent  être  ni 
rassurés,  ni  convaincus,  ils  ne  sauraient  nous  détourner  de  notre  devoir. 

Voilà  donc  comment  le  libéralM.  Goblet  comprend  la  mission 
de  l'Etat  et  la  liberté  d'enseignement. 

La  pseudo-habileté  diplomatique  de  M.  de  Fre^^cinet  est  en 
train  de  subir,  en  Grèce,  un  échec  qui  restera  célèbre  non  tant 
à  cause  de  l'homme  depuis  longtemps  jugé,  mais  du  pays  quia 
le  malheur  d'être  représenté  par  lui. 

Avant  d'entrer  en  négociations  avec  les  Grecs,  il  eiît  été  sage 
de  consulter  les  intéressés,  c'est-à-dire  l'Europe  et  l'Angleterre 
en  particulier  ;  avant  de  se  faire  le  complice  bénévole  de  l'orgueil 
grec  qui  a  mieux  aimé  se  rendre  à  qui  ne  le  lui  demandait  pas 
qu'à  ceux  qui  le  lui  demandaient,  il  eut  été  prudent  de  sonder 
les  l'epiésentants  des  Puissances.  L'Europe  n'a  pas  voulu  se 
prêter  à  cette  niche  enfantine  et  a  fait  quand  même  remettre 
un  ultimatum  par  ses  représentants  à  Athènes  au  cabinet  grec. 


CHRONIQUE    DE    LA.    SEMAINE  827 

Voilà  qui  n'est  pas  fait  pour  noas  relever  aux  yeux  des  nations 
étrangères,  car  si  l'Europe  jjersiste  et  repousse  notre  médiation 
devenue  un  fait  accompli,  il  n'y  a  pas  à  dire,  c'est  l'iuimiliation 
et  une  humiliation  qu'il  nous  faudra  dévorer  en  silence  et  sans 
partage,  car  pour  la  Grèce,  il  y  a  peut-être  la  ruine  pour  elle 
dans  la  soumission,  mais  aucune  honte  à  coup  sur. 

Comment  pourrait-elle  résister? 


Les  libéraux  dissidents  anglais  poursuivent  avec  une  sorte 
d'acharnement  la  campagne  oratoire  qu'ils  ont  entreprise  contre 
les  projets  irlandais  de  M.  Gladstone. 

Après  avoir  tenu  des  meetings  de  protestation  dans  les 
grandes  villes  d'Ani;leterre,  ils  organisent  maintenant  des  réu- 
nions en  Ecosse,  et  ils  se  font  a|iplaudir  par  cdux-là  même  qui 
étaient  autrefois  les  plus  ardents  partisans  de  la  politique  du 
premier  ministre. 

Si  celui-ci  se  fut  trouvé  vendredi  à  Edimbourg,  il  aurait  pu 
constater  le  revirement  d'opinion  qui  s'est  produit  depuis 
quelques  mois  chez  ses  «fidèles»  Ecossais.  Parlant  en  cette 
ville  devant  une  assemblée  très  nomhr-euse  et  composée  uni- 
quement de  libéraux,  lord  Hartington  et  M.  Goschen  se  sont 
élevés  avec  force  contre  les  projets  du  home  raie  et  du  landbill 
irlandais.  Lord  Hartington,  entre  autres  choses,  a  déclaré 
qu'aucun  engagement  n'obligeait  le  parti  libéial  à  suivre  en 
Ldaiide  la  politique  dangereuse  préconisée  par  le  chef  du 
cabinet. 

Pendant  que  les  libéraux  modérés  critiquaient  les  projets  du 
gouvernement  à  Edimbourg,  M.  John  Morley  était  oc.cupé  à  les 
défendre  à  Glascow.  Le  secrétaire  pour  l'Irlande  approuve  en 
tous  points  les  projets  irlandais  et  il  défie  lord  Hartington  et 
M.  Goschen  de  proposer  des  réformes  meilleures  que  celles  que 
veut  faire  adopter  M.  Gladstone  pour  l'île  sœur. 

Le  clergé  catholique  d'Irlande  est,  lui  aussi,  satisfait  des 
projets  du  premier  ministre,  et  il  vient  à  ce  sujet  d'exprimer  sa 
reconnaissance  à  M.  Gladstone.  ]\Jgr  Croke^  archevêque  de 
Cashell,  a  envoyé  à  M.  Gladstone  une  adresse  qu'il  a  fait  signer 
par  la  plupart  des  prêtres  de  son  diocé<e.  «  Le  clergé  irlandais, 
dit  l'adresse,  est  profondément  touché  du  courage  héroïque  et 
du  désintéressement  dont  M.  Gladstone  a  fait,  preuve  dans  l'éla- 
boration des  mesures  qu'il  a  proposées  pour  donner  un  meilleur 

24 


328  ANNALES    CATHOLIQUES 

gouvernement  à  l'Irlande.  Nous  lui  souhaitons  du  fond  du 
cœur  les  meilleurs  dons  que  Dieu  puisse  accorder  à  l'homme  et 
nous  le  prions  d'accepter  l'expi-ession  de  notre  plus  profond 
respect  et  de  notre  éternelle  reconnaissance.  » 


L'allocution  adressée  par  le  Saint-Père  à  la  Députation  du 
diocèse  de  Munster,  a  eu,  en  Allemagne,  un  très  grand  reten- 
tissement. Elle  caractérise  on  ne  peut  mieux  la  situation  et 
permet  de  se  faire  une  idée  exacte  de  l'état  de  la  question 
religieuse. 

Pour  Léon  XIII  comme  pour  tous  les  catholiques  allemands,  le 
projet  de  loi  déjà  voté  parla  Chambre  des  Seigneurs,  et  qui  est 
en  ce  moment  soumis  à  la  discussion  de  la  Chambre  des  députés 
est  un  pas  fait  dans  la  voie  de  conciliation;  mais  ce  n'est  pas 
encore  la  fin  du  Culturkampf.  Comme  nous  le  disions  dernière- 
ment, c'est  l'aurore  de  la  paix  religieuse.  Cette  aurore  sera- 
t-elle  suivie  d'un  beau  jour?  Il  est  permis  de  l'espérer,  puisque 
l'auguste  chef  de  la  chrétienté  lui-même  espère  obtenir  avec  le 
temps  une  paix  bonne  et  durable  et  qu'il  croit  que  l'on  peut 
envisager  avec  confiance  l'avenir. 

Ces  paroles  du  Souverain  Pontife  viennent  bien  à  leur  heure 
pour  soutenir  jusqu'au  bout  le  courage  dee  fidèles  catholiques 
allemands.  La  presse  est  remplie  d'avis  si  contradictoires,  les 
uns  optimistes  les  autres  pessimistes,  qu'on  ne  sait  plus  à  la  fin 
à  quelle  opinion  s'arrêter.  Les  débats  de  la  Chambre  des 
députés  sur  le  projet  religieux  sont  attendus  avec  impatience; 
car  on  ne  sait  pas  encore  au  juste  quelle  attitude  vont  prendre 
les  anciens  amis  du  Culturkampf.  Le  rejet  éventuel  de  la  loi 
serait  une  terrible  désillusion!  Au  point  oh  les  choses  en  sont 
arrivées,  nous  ne  pouvons  croire  cependant  que  cela  soit 
possible.  Le  centre  et  le  gros  des  conservateurs  qui  A'otera 
probablement  pour  la  loi,  suffiraient  d'ailleurs  à  assurer  une 
majorité  suffisante.  Quand  la  loi  sera  sanctionnée  par  le  roi  et 
insérée  au  Journal  officiel,  il  y  aura  lieu,  comme  le  dit  la 
Germania,  de  rechercher  ce  qu'il  subsistera  encore  de  l'édifice 
du  Culturkampf.  En  tous  cas,  il  restera  aux  catholiques  une 
lourde  tâche  à  accomplir  et  ce  ne  sera  pas  l'œuvre  d'un  jour. 
«  On  ne  peut,  dit  Léon  XIII,  tout  obtenir  à  la  fois  :  l'ame'lio- 
ration  lente  mais  progressive,  est  dans  la  nature  des  choses 
humaines.  » 


PKTITE   CHRONIQUE  329 

L'admirable  parti  du  centre  comprendra  la  vérité  de  ces 
profondes  paroles;  il  puisera  aussi  de  nouvelles  forces  et  un© 
vigueur  nouvelle  dans  les  éloges  si  mérités  que  le  Vicaire  de 
Jésus-Christ  vient  de  lui  adresser. 

Persévérance  et  abnégation,  tel  a  toujours  été  la  devise  du 
Centre  et  tel  est  aussi  le  secret  de  sa  puissance  et  de  ses  succès. 

P.  S.  — La  discussion  du  nouveau  projet  de  loi  ecclésiastique 
a  commencé  mardi  au  Landtag  prussien.  M.  de  Bismarck  a 
supplié  les  députés  de  déchirer  les  lois  du  Culturkampf,  dont  il 
est  un  des  principaux  auteurs. 

La  loi  sera  sans  doute  votée  en  première  lecture. 


PETITE  CHRONIQUE 

A  Decazeville,  les  ouvriers  commencent  enfin  à  trouver  que  les 
délégués  sont  des  farceurs,  et  on  parle  de  paix. 

Roche,  le  candidat  de  Paris,  fier  d'avoir  amené  cent  mille  vrais 
socialistes  à  se  compter  sur  son  nom,  se  rend  à  Villefranche  som- 
mer la  justice  de  lui  rendre  sa  cellule  ou,  si  elle  refuse,  d'élargir 
Duc-Quercy. 

—  Le  célèbre  aliéniste  Legrand  du  Saulle,  médecin  en  chef  de  la 
-Salpêtrière  et  de  l'infirmerie  du  Dépôt,  est  mort  subitement  ce  matin. 

On  sait  quelle  réputation  méritée  M.  Legrand  du  Saulle  avait 
acquise  dans  sa  carrière  toute  d'étude  et  de  labeur. 

Il  laisse  un  grand  nombre  d'ouvrages  appréciés  et  d'observations 
mmutieuses,  qui  n'ont  pas  moins  contribué  que  son  immense  pra- 
tique à  établir  sa  renommée  exceptionnelle  d'aliéniste. 

—  On  annonce  la  mort  de  M.  Blondel,  ancien  sénateur  de  l'Empire. 

Il  avait  été  successivement  inspecteur  géaéral  des  finances,  direc- 
teur général  de  l'administration  des  forêts  et  conseiller  d'Etat  ;  il 
était  entré  au  Sénat  de  l'Empire  en  1866,  Il  était  commandeur  de  la 
Légion  d'honneur. 

—  En  Amérique,  à  Chicago,  une  terrible  émeute  socialiste  jette 
des  bombes  de  dynamite  sur  la  police  qui  veut  disperser  un  meeting; 
trente-deux  constables  sont  tués  ou  blessés.  Il  y  a  combat  sanglant. 
"Voilà  l'idéal. 

—  En  Birmanie,  les  Dacoïts  brûlent  à  nouveau  4,000  maisons  de 
Mandalay.  La  garnison  anglaise  est  impuissante.  On  envoie  des 
renforts. 


330  ANNALES    CATHOLIQUES 

—  Le  Conseil  de  l'Université  de  Londres  vient  d'appeler  à  faire 
partie  de  son  comité  annuel  un  simple  Frère  des  Ecoles  chrétiennes, 
le  Frère  O'Reilly.  Il  est  vrai  que  cet  humble  religieux  est  docteur 
es-sciences  et  que  son  nom  fait  autorité  dans  le  monde  savant.  Voilà 
qui  n'est  pas  mal  pour  un  «  ignorantin  ». 

—  Voicî  quelques-unes  des  bizarreries  qui  causent  de  si  grands 
embarras  aux  étrangers  qui  veulent  se  familiariser  avec  la  langu-e 
française. 

Nous  portions,  les  portions. 

Les  portions,  les  portions-nous  ? 

Les  poules  du  couvent  couvent. 

Mes  fils  ont  cassé  mes  fils. 

Il  est  de  l'Est. 

Je  vis  ces  vis. 

Cet  homme  est  fier;  peut-on  s'y  fier  ? 

Nous  éditions  de  belles  éditions. 

Nous  relations  ces  relations  intéressantes. 

Nous  acceptions  ces  diverses  acceptions  de  mots. 

Nous  inspections  les  inspections  elle-mêmes. 

Nous  exceptions  ces  exceptions. 

Je  suis  content  qu'ils  content  cette  histoire. 

Il  convient  qu'ils  convient  leurs  amis. 

Ils  ont  un  caractère  très  violent  :  ils  violent  leurs  promesses. 

Ils  expédient  leurs  lettres  :  c'est  un  bon  expédient. 

Nos  intentions  sont  que  nous  intentions  ce  procès. 

Ils  négligent  leurs  devoirs;  je  suis  moins  négligent. 

Nous  objections  beaucoup  de  choses  contre  vos  objections. 

Ils  résident  à  Paris  chez  le  résident  d'une  cour  étrangère. 

Les  poissons  affluent  à  un  affluent. 


VARIETE 
Les  libéraux  et  le  Concordat. 

M.  Jules  Simon  a  publié  dans  \e  Matin  un  article  sur  le  Con- 
cordat où  il  y  aurait  bien  des  réserves  à  faire,  tant  sur  les  faits 
que  sur  les  appréciations.  Mais  ce  n'est  pas  le  moment,  et  nous 
y  pourrons  revenir.  Bornons-nous  pour  aujourd'hui  h  citer 
cette  conclusion  : 

En  admettant,  ce  que  je  n'admets  pas,  qu'un  peuple  puisse  être 
heureux  et  policé  sans  un  culte,  peut-on  envisager  comme  possible 
et  réalisable  en  notre  pays  l'élimination  du  culte  catholique? 


REVUE    ÉCONOMIQUE    ET    FINANCIERE  331 

Six  années  de  persécution,  la  guillotine,  les  noyades,  les  massacres, 
la  déportation,  la  fermeture  des  églises,  la  proscription  des  emblème» 
religieux  et  la  suppression  de  tout  subsi  le  n'ont  pas  suffi. 

Faut-il  établir  dès  à  présent  l'Église  libre  dans  l'État  libre? 

Bonaparte,  à  son  apogée,  ne  s'est  pas  jugé  assez  fort  pour  en 
tenter  l'expérience.  Ajoutons  que  l'Etat  libre  qui  recevrait  dans  son 
sein  l'Eglise  libre  est  encore  à  constituer.  Nous  n'en  avons  ni  les 
lois  ni  les  mœurs.  Si  nous  avions  l'Etat  libre  en  force,  il  faudrait 
rendre  l'Église  libre  à  l'instant.  Mais  à  c'4a  personne  ne  pense.  Non, 
personne!  Ceux  qui  veulent  l'Église  séparée  la  veulent  asservie. 

Faut-il  les  suivre?  Faut-îl  transformer  le  Concordat  en  simple  loi 
de  l'Etat,  mais  en  loi  oppressive  qui  mettrait  le  clergé  et  la  religion 
à  la  discrétion  du  pouvoir  politique? 

Ce  serait  marcher  à  reculons.  Ce  serait  le  commencement  d'une 
longue  guerre,  et  d'une  guerre  contre  le  principe  même  de  la  répu- 
blique. Les  armes  dont  l'État  dispose  aujourd'hui  ont  été  forgées  de 
la  main  de  Bonaparte,  qui  s'y  connaissait  en  autorité.  Osera-t-on 
dire  que  ce  qui  suffisait,  en  1801,  au  premier  consul  Bonaparte,  ne 
peut  plus  suffire,  en  1886,  à  M.  le  président  de  la  République? 

Jules  Simon, 

Il  paraît  bien  qu'en  effet  cela  ne  peut  plus  suffire  aux  libé- 
raux du  jour,  puisqu'en  attendant  de  faire  disparaître  le  Con- 
cordat, ils  le  suppriment  vii  tuellçraent  en  le  dénaturant,  le 
torturant  et  le  violant  tous  les  jours  de  mille  manières. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 


li'eniiirunt. 

La  loi  autorisant  une  éinission  de  900  millions  de  rentes  3  °/o  a 
été  promulguée  au  Journal  officiel,  sous  la  date  du  1"  mai  1886. 

Eu  même  temps,  le  Journal  officiel  a  publié  :  1°  un  décret  fixant 
le  taux  de  l'emprunt;  '2°  un  arrêté  déteruiinant  les  conditions  dans 
lesquelles  s'effectuera  l'émission  de  rentes  3  %  ;  3°  un  décret  relatif 
à  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations. 

Voici  d'abord  le  décret  fixant  le  taux  de  l'emprunt  : 

Article  premier.  —  Le  ministre  des  finances  est  autorisé  à 
procéder,  par  voie  de  souscription  publique,   à  l'aliénation  de  la 


332  ANNALES    CATHOLIQUES 

somme  de  rentes  3  %  nécessaire  pour  produire  un  capital  effectif 
de  500  millions  de  francs,  augmenté  de  la  somme  de  4  millions  de 
francs  à  laquelle  a  été  fixé  le  maximum  des  dépenses  matérielles 
et  de  tous  les  frais  quelconques  de  l'émission  de  rentes  3  %  auto- 
risée par  la  loi  du  1"'  mai  1886. 

Art.  2.  —  Lesdites  rentes  3  <>/o  seront  émises  au  taux  de  soixante- 
dix-neuf  francs  quatre-vingts  centimes  (79  fr.  80)  par  trois  francs 
(3  fr.)  de  rente. 

Voici  maintenant  l'arrêté  fixant  les  conditions  de  l'émission  : 

Article  premier.  —  Une  souscription  publique  sera  ouverte 
le  lundi  10  mai  1886  au  matin,  et  close  le  soir  même,  pour  la  réa- 
lisation  d'une  somme   de   504   millions  de  francs  en  rentes  3  %• 

Il  ne  sera  admis  aucune  liste  de  souscriptions. 

Art.  2.  —  Les  souscriptions  seront  reçues  : 

1°  A  Paris  et  dans  le  département  de  la  Seine  : 

A  la  Caisse  centrale  du  Trésor,  rue  de  Rivoli  ; 

A  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations,  quai  d'Orsay,  n"  3  ; 

A  la  recette  centrale  de  la  Seine,  place  Vendôme,  n°  16  ; 

A  la  caisse  de  tous  les  receveurs-percepteurs  de  Paris  ; 

A  la  caisse  des  percepteurs  des  arrondissements  de  Saint-Denis 
et  de  Sceaux  qui  auront  été  désignes  par  le  ministre  des  finances  ; 

A  la  recette  municipale  de  la  Ville  de  Paris  (à  l'Hôtel-de-Ville)  ; 

Aux  mairies  des  vingt  arrondissements  de  Paris  ; 

2°  Dans  les  autres  départements,  à  l'exception  de  la  Corse  et 
de  l'Algérie  ; 

A  la  caisse  des  trésoriers-payeurs  généraux  et  des  receveurs 
particuliers  des  finances  ; 

A  la  caisse  des  percepteurs  qui  auront  été  désignés  par  le  ministre 
des  finances  ; 

3°  En  Corse  et  en  Algérie  : 

A  la  caisse  du  trésorier-payeur  général  et  des  trésoriers-payeurs; 

A  la  caisse  des  receveurs  des  finances  et  des  payeurs  particuliers 
qui  auront  été  désignés  par  le  ministre  des  finances. 

Les  bureaux  destinés  à  recevoir  les  souscriptions  seront  ouverts 
de  neuf  heures  du  matin  à  quatre  heures  du  soir,  sans  interruption. 

Art.  3.  —  Les  rentes  sei'ont  émises  au  prix  de  79  fr.  80  par  3  fr. 
de  rente. 

Jusqu'à  la  réalisation  de  ce  prix,  les  versements  porteront  intérêt 
dans  les  conditions  déterminées  par  l'article  8  ci-après. 

Art.  4.  —  Il  ne  sera  pas  admis  de  souscription  inférieure  à  3  fr. 
de  rente. 

Au-dessus  de  cette  somme,  les  souscriptions  seront  reçues 
pour  10  fr.  de  rente  et  les  multiples  de  10   francs. 

Toutefois,  les  souscriptions  supérieures  à  3,000  francs  de  rente 
ne  seront  reçues  que  pour  des  multiples  de  100  fr.  de  rente. 

Les  souscriptions  devront  être  faites  sans  conditions,  et  le 
ministre  des  finances  restera  seul  juge  de  leur  validité. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIERE  333 

Art.  5.  —  Les  souscripteurs  seront  tenus  de  garantir  leur  sous- 
cription par  le  versement  immédiat  d'une  somme  de  15  fr.  par  3  fr. 
de  rente. 

Art.  6.  —  Les  souscriptions  seront  constatées  au  moyen  de  la 
délivrance  d'un  récipicé  à  talon,  au  porteur,  visé  au  contrôle, 
conformément  à  la  loi  du  24  avril  1833. 

Seront  seuls  admis  les  versements  en  numéraire  ou  en  billets  de 
la  Banque  de  France,  et  en  Algérie,  en  billets  de  la  Banque  de 
l'Algérie. 

Art.  1.  —  Le  versement  du  prix  des  rentes  attribuées  sera 
effectué  comme  il  suit  : 

Le  jour  de  la  souscription  15  »  par  5  fr.  de  rente. 

Le  le»- juillet     1886  21  60  — 

Le  1"  octobre  1886  21  60  — 

Le  1"  janvier    1887  2160  — 

Total.  79  80  par  3  fr.  de  rente- 

Art.  8.  —  Les  intérêts  courus  sur  les  versements  effectués 
avant  la  libération  complète  des  titres  seront  déduits  des  verse- 
ments successivement  exigibles. 

Le  montant  desdits  intérêts  est  fixé  ainsi  qu'il  suit  : 

Au  l»""  juillet  1886,  0  fr.  15  par  3  fr.  de  rente. 

Au  l^'  octobre  1886,  0  fr.  30  par  3  fr.  de  rente. 

Au  l*^""  janvier  1887,  0  fr.  60  par  3  fr.  de  rente. 

Art.  9.  —  Le  versement  des  termes  exigibles  les  l^""  juillet  et 
1er  octobre  1886  et  1"  janvier  1887  pourra  être  effectué  dans  un 
délai  de  quinze  jours,  soit  au  plus  tard  les  15  juillet  et  15  oc- 
tobre 1886  et  15  janvier  1887. 

En  cas  de  relard,  le  débiteur  sera  passible  de  plein  droit  d'inté- 
rêt envers  le  Trésor,  à  raison  de  5  0/0  l'an,  à  courir  de  l'échéance 
effective  de  chacun  des  termes,  c'est-à-dire  du  1"' juillet  au  l^''  oc- 
tobre 1886  et  l^""  janvier  1887  inclusivement. 

En  outre,  le  ministre  pourra  déclarer  le  porteur  déchu  de  ses 
droits  et  faire  etïectuer,  sans  mise  en  demeure  préalable,  la  vente 
des  rentes  représentées  par  le  certificat  pour  couvrir  le  Trésor  des 
sommes  qui  lui  seraient  dues. 

Art.  10.  —  Si  le  montant  des  souscriptions  dépasse  la  somme 
de  rente  à  aliéner,  toutes  les  souscriptions,  quel  qu'en  soit  le 
chiffre,  seront  soumises  à  une  réduction  proportionnelle. 

Toutefois,  le  ministre  des  finances  se  réserve  de  statuer  en  ce 
concerne  les  souscriptions  qui  se  trouveraient  réduites  à  3  fr.  ou 
au-dessous  de  3  fr.  de  rente. 

Au-dessus  de  cette  somme  il  ne  sera  atllribué  en  rente  que  5  fr. 
ou  des  multiples  de  5  fr.;  il  ne  sera  plus  tenu  compte  des  fractions 
qui  donneraient  droit  à  moins  de  2  fr.  50  de  rente  ;  les  fractions  de 
2  fr.  50  et  au-dessus  seront  comptées  pour  5  fr.  de  rente. 

Un  avis  inséré  au  Journal  officiel  fera  connaître  le  résultat  de  la 
souscription  et  la  réduction  s'il  y  a  lieu. 


334  ANNALES    CATHOLIQUES 

Art.  H.  —  A  parlir  du  jour  qui  sera  indiqué  par  un  avi«5  inséré 
au  Journal  officiel,  les  réi-ipissés  ])r()visoires  de  sousci-iption 
seront  échangés  contre  des  eerlificaîs  d'emprunt  au  porteur  munis 
de  talons  de  versement  et  les  excédents  de  versement  seront 
rembouisés  aux  souscripteurs. 

Toutefois,  pour  les  soùscriplions  de  1,500  fr.  de  renie  et  au- 
dessus,  un  remt)oursement  partiel  pouri'a  èlre  autorisé  avant  la 
délivrance  du  certificat  d'emprunt. 

Art.  12.  —  Les  souscripteurs  auront,  à  dater  du  l»""  oc- 
tobre 188G,  la  faculté  de  libérer  par  aniicipation  les  certificats 
d'emprunt.  Un  arrêté  ullérieui-  déterminera  les  conditions  de  cette 
libéralion. 

Le  ministre  des  finances  se  réserve  d'ailleurs  le  droit  d'autoriser 
avant  celte  date,  s'il  y  avait  lieu,  la  libération  anticipée  des  termes 
de  payement  non  échus. 

Art.  13.  —  Aussitôt  après  leur  libération  intégrale,  les  certificats 
d'eni[)runl  seront  échanges,  au  choix  des  parties,  contre  des  ius- 
criplions  de  rentes  nominatives,  mixtes  ou  au  porteur. 

Ces  insci'iptions  porteront  jouissance  courante. 

Art.  14.  —  Les  bons  du  Trésor,  délivrés  à  l'échéance  d'une 
année  au  plus,  seront  i-emboursés  le  10  mai  1886,  sous  déduction 
d'un  escompte  de  2  0/0  l'an,  aux  porleui-s  qui  en  feront  la  demande 
pour  affecter  à  la  souscription  les  fonds  à  provenir  de  ce  rem- 
boursement. 

Voici  le  décret  relatif  à  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations  : 

Art.  premier.  —  Est  autorisée  l'inscription  an  grand  livre  de 
la  dette  publique,  avec  jouissance  du  l"""  avril  1883,  d'une  somme 
de  15,031,593  francs  de  rente,  représentant,  à  raison  de  79  fr.  80  c. 
par  '3  francs  de  rente,  le  ca[)ital  de  400  millions  dont  la  réalisation 
est  prévue  par  l'article  premier  de  la  loi  du  1<^'  mai  1886. 

Ces  rentes  seront  immatriculées  savoir: 

Jusqu'à  concurrence  de  13, loi, 894  francs,  au  compte:  Caisse 
des  dépôts  et  consignations,  fi)nd s  provenant  des  caisses  d'épargie  ; 

Jusqu'à  concurrence  de  1.879,699  francs  au  compte:  Caisse  des 
dépôts  et  consignations,  retraites  pour  la  vieillesse. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 


Paris.  —  Itnp.  de  l'Œuvre  de  Saint-['au4    G.  Picquoin,  51,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


-^T-^Z^OC^-e^- 


APPELS  COMME  D'ABUS 

Le  monde  a  reçu  d'un  jurisconsulte  en  situation  de  bien 
connaître  et  d'apprécier  les  agissements  du  gouvernement 
et  de  son  Conseil  d'Etat,  en  matière  de  poursuites  pour 
abus,  l'important  article  qu'on  va  lire.  Nous  regrettons  que 
le  défaut  de  place  ne  nous  ait  pas  permis  de  l'insérer  plus 
tôt;  mais,  quoique  les  décisions  examinées  dans  ce  travail 
aient  été  rendues  depuis  un  certain  temps  déjà,  les  obser- 
vations qui  suivent  n'ont  rien  perdu  de  leur  intérêt,  ni, 
malheureusement,  de  leur  actualité  : 

Dans  un  espace  de  temps  très  court,  un  mois  environ,  quatre 
évêques  ont  été  déférés  devant  le  Conseil  d'État  et  par  lui 
déclarés  d'abus. 

Il  n'est  pas  d'exemple,  croyons-nous,  depuis  six  années, 
d'appel  comme  d'abus  proposé  par  le  gouvernement  qui  ait  été 
l'objet  d'une  décision  de  rejet.  Le  Conseil  d'État,  sur  ce  point, 
n'admet  pas  de  discussion  et  ne  connaît  point  de  refus.  Tout 
membre  du  clergé  cité  devant  lui  est  condamné  par  avance.  On 
ne  lui  demande  pas  s'il  y  a  abus,  mais  on  lui  demande  de  dire 
qu'il  y  a  abus. 

De  cette  complaisance  aveugle  résulte  l'application  de  la 
déclaration  d'abus  aux  cas  les  plus  bizarres  et  les  plus  étrangers 
aux  prévisions  du  légistateur. 

Ce  sont  NN.  SS.  les  évêques  de  Pamiers,  de  Grenoble,  de 
Séez  et  de  Saint-Dié  qui  ont  eu  l'honneur  d'être  dernièrement 
condamnés  par  les  juges  laïques  du  ministre  des  cultes. 

Trois  d'entre  eux  avaient  écrit  des  lettres  dans  lesquelles  il 
était  fait  allusion  aux  entraves  apportées  aujourd'hui  à  la  liberté 
religieuse. 

Quant  à  Mgr  l'évêque  de  Saint-Dié,  son  crime  était  d'avoir 
Lvi.  —  16  MAI  1886.  25 


336  ANNALES    CATHOLIQUES 

publié  sans  l'avis  du   gouvernement  une  encyclique  du   Sou- 
verain-Pontife qui  n'est  pas  faite  pour  plaire  à  nos  gouvernants- 
Laissant  de  côté   cette    dernière   déclaration    d'abus,    nous 
demandons  la  permission  de  revenir  sur  les  trois  autres. 

Mgr  l'évêque  de  Pamiers,  ayant  annoncé,  dans  une  admirable 
lettre  pastorale  au  clergé  et  aux  fidèles  de  son  diocèse,  que 
trente-cinq  de  ses  prêtres  venaient  d'être  privés  de  traitement 
par  le  gouvernement,  ajoutait  que  ces  prêtres  continueraient  à 
desservir  leurs  paroisses  tant  que  la  misère  ne  les  contraindrait 
pas  à  se  retirer;  mais  que,  ce  jour  venu,  les  fidèles  seraient 
privés  du  service  divin  et  des  cérémonies  religieuses.  L'évêque 
prêchait  en  même  temps  la  soumission  aux  lois  qui  ne  sont  pas 
contraires  aux  règles  de  l'Église,  la  résignation,  la  concorde,  et 
se  bornait  à  signaler  l'état  précaire  dans  lequel  la  suppression 
des  traitements  ecclésiastiques  allait  placer  l'Église  de  Pamiers. 
Que  fait  le  Conseil  d'État?  Il  décide  que,  conformément  à  la 
thèse  soutenue  par  Mgr  l'évêque  de  Pamiers,  on  ne  peut  con- 
traindre les  desservants  à  continuer  le  service  du  culte,  s'ils  ne 
consentent  à  le  faire  par  charité  ou  si  les  fidèles  ou  les  fabriques 
ne  subvienaorit  ~as  à  leur  entretien  à  défaut  de  l'État.  Mais, 
tout  en  approuvant  la  doctrine  de  l'évêque,  il  déclare  contre  lui 
l'abus. 

Le  Journal  des  Débats,  donnant  le  résumé  de  cette  afi'aire, 
s'exprimait  en  ces  termes  : 

«  Pour  le  ministre,  on  avait  soutenu  au  sein  du  Conseil  que 
«  les  curés  pouvaient  être  contraints  à  continuer  le  service  du 
«  culte,  mais  cette  solution  n'a  pas  prévalu. 

«K  Finalement,  la  déclaration  d'abus  a  été  prononcée  contre 
«  l'Evêque  de  Pamiers.  » 

Le  commentaire  n'est-il  pas  tout  entier  dans  la  contradiction 
qui  existe  entre  la  décision  et  les  motifs  qui  la  précèdent? 

Ce  système  d'avis  contradictoires  dans  leurs  termes  pai^ait  du 
reste  être  passé  à  l'état  de  jurisprudence  au  Conseil  d'État,  en 
matière  ecclésiastique. 

Pour  ne  pas  faire  croire  à  une  honteuse  ignorance  ou  à  une 
trop  flagrante  violation  des  textes,  ce  Conseil  émet  des  avis  en 
désaccord  formel  avec  les  considérants  qui  les  précédent  ou 
avec  les  textes  qu'il  vise. 

Qu'on  se  reporte  aux  avis  relatifs  à  la  suppression  des  trai- 
tements  ecclésiastiques  et  à  V alie'nation  des  menses  épisco- 


APPELS   COMME   d'aeUS  337 

•pales,  on  verra  qu'il  est  impossible  de  mieux  dira  au  ministre  : 
en  droit  vous  avez  tort,  mais  en  fait  je  vous  donne  raison. 

L'appel  comme  d'abus  contre  Mgr  l'évêque  de  Grenoble  con- 
stitue, lui  aussi,  une  application  bizarre  de  la  loi  de  germinal 
an  X.  Ce  prélat,  consulté  par  ses  prêtres  sur  l'attitude  à  tenir 
en  présence  des  menaces  contre  le  clergé  contenues  dans  la 
déclaration  ministérielle  du  16  janvier  1886,  leur  répond  par 
une  circulaire  renfermant  des  avis  et  des  conseils  tels  qu'il  con- 
vient à  un  supérieur  d'en  donner  à  ses  subordonnés. 

M.  Goblet,  mis  en  susceptibilité  par  cette  lettre,  qu'il  n'avait 
pas  à  connaître,  défère  TEvêque  contre  le  Conseil  d'Etat.  Seu- 
lement, comme  une  circulaire  d'un  évêque  à  son  clergé  ne  sau- 
rait rentrer  dans  les  cas  d'abus  prévus  par  l'article  6  de  la  loi 
de  germinal  an  X,  il  applique  dans  son  rapport  le  procédé  qui 
lui  réussit  d'ordinaire  à  la  tribune  du  Sénat  :  il  affirme  que  la 
lettre  a  été  lue  en  chaire  dans  toutes  les  églises  du  diocèse  de 
Grenoble.  L'article  6  devient  applicable  par  cette  supercherie. 

En  vain  Mgr  de  Grenoble  proteste-t-il  contre  ce  mensonge  : 
on  prend  acte  de  sa  déclaration,  on  en  constate  l'exactitude, 
mais  on  déclare  l'abus. 

L'évêque  de  Séez  avait  écrit  une  lettre  sur  l'enseignement  : 
il  est  déclaré  d'abus.  Ici  c'est  le  fait  lui-même  qui  devrait  être 
hors  de  l'atteinte  d'une  déclaration  d'abus,  car  s'il  est  un  sujet 
éminemment  religieux,  c'est  la  question  de  l'enseignement  de 
l'enfance. 

On  ne  saurait  trop  protester  contre  les  déclarations  d'abus 
dont  le  gouvernement  se  sert  pour  tracasser  le  clergé,  et  surtout 
pour  éloigner  les  populations  du  respect  qu'inspirent  la  parole 
ou  les  écrits  du  premier  pasteur  d'un  diocèse. 

Cette  arme  lâche  de  l'abus,  qui  combat  par  le  blâme  et  con- 
damne sans  discussion,  sans  défense  et  sans  publicité,  est  deve 
nue  l'arme  de  la  dénonciation  et  de  la  calomnie. 

Il  semble  à  M.  Goblet  que  les  termes  comminatoires  des 
décrets  qui  renferment  déclaration  d'abus,  en  témoignant  de  la 
haine  et  du  mépris  que  professent  pour  les  membres  du  clergé 
ceux  qui  nous  gouvernent,  peuvent  discréditer  jusqu'à  un  cer- 
tain point  les  évêques  aux  yeux  de  leurs  diocésains  et  les  curés 
aux  yeux  de  leurs  paroissiens. 

En  effet,  dans  les  pays  de  foi  droite  et  naïve,  n'est-ce  pas 
quelque  chose  de  faire  lire  au  paysan  que  son  évêque,  dont  la 
personne  lui  est  sacrée,  est  déclaré  d'abus  pour  avoir  troublé 


338  ANNALES   CATHOLIQUES 

arbitrairement  les  consciences,  compromis  Vhonneur  des 
citoyens,  commis  des  actes  qui  ont  dégénéré  en  injure  et  en 
scandale  public  ? 

Ce  sont  là  les  termes  des  déclarations  d'abus  prononcées 
contre  tant  d'évêques  français,  parce  que  ce  sont  les  termes  de 
l'article  6  des  fameux  articles  organiques. 

On  serait  en  droit  de  s'étonner  des  termes  si  vagues  et  si 
imposants  dont  s'est  servi  le  législateur  de  l'an  X  pour  déter- 
miner les  cas  d'abus;  mais,  d'une  part,  il  faut  se  souvenir 
qu'on  cherchait  à  conserver  les  sanctions  d'une  législation 
désormais  sans  objet  pour  les  appliquer  à  un  ordre  nouveau  et 
tout  différent  de  l'ancien.  De  plus,  le  législateur  de  l'an  X  ne 
visait,  par  l'article  6,  que  le  cas  spécial  d'un  abus  commis  par 
un  ministre  du  culte  dans  V exercice  même  du  culte,  et  il  n'en- 
tendait nullement  soumettre  à  la  critique  et  à  la  censure  du 
gouvernement  tous  les  écrits,  tous  les  actes,  toutes  les  entre- 
prises des  évoques  et  des  prêtres. 

Ce  recours  pour  abus,  créé  de  toutes  pièces  par  le  législateur 
de  l'an  X  et  qui  n'a  d'ancien  que  le  nom  ;  cette  arme,  imaginée 
traîtreusement,  sans  le  concours  de  la  cour  de  Rome,  sans 
l'assentiment  du  Souverain  Pontife,  même  sagement  appliquée, 
a  toujours  été  considérée  comme  une  grave  usurpation  du  gou- 
vernement français. 

Ne  nous  étonnons  donc  pas  si  l'appel  comme  d'abus  a  dégénéré 
en  tracasseries  arbitraires,  si  les  cas  oh.  il  est  appliqué  sont 
devenus  sans  limites,  puisque  son  origine  même  est  irrégulière 
et  contraire  à  la  convention  du  Concordat. 

Malheureusement  pour  les  haines  ministérielles,  si  l'abus 
peut  être  indéfiniment  étendu,  il  n'en  est  pas  de  même  des  con- 
séquences qu'il  entraîne. 

L'article  8  de  la  loi  du  18  germinal  est  très  net  sur  ce  point. 
Il  est  dit  que  V affaire  est  définitivement  terminée  en  la  forme 
administrative ,  ou  renvoyée,  selon  l'exigence  des  cas,  aux 
autorités  compétentes. 

La  déclaration  d'abus  constitue  donc,  aux  yeux  du  législateur, 
une  sorte  de  décision  disciplinaire,  qui  à  tort  ou  à  raison  blâme 
les  ministres  du  culte  à  l'occasion  de  faits  accomplis  dans 
Vexercice  du  culte,  mais  par  suite  les  met  à  l'abri  de  toutes 
autres  poursuites. 

Voilà  pourquoi,  si  le  fait  incriminé  présente  les  caractères 
d'un  délit  ou  d'un  crime,  l'abus  ne  doit  pas  être  prononcé,  mais 


LA    NOUVELLE    LOI    SCOLAIRE  339 

l'aifaire  doit  être  renvoyée  par  le  Conseil  d'Etat  devant  les 
tribunaux  de  droit  commun,  à  moins  toutefois  qu'on  ne  trouve 
dans  les  circonstances  de  l'affaire  une  excuse  suffisante  résultant 
de  l'exercice  même  du  culte,  auquel  cas  la  déclaration  d'abus 
peut  encore  arrêter  les  poursuites  judiciaires.  L'article  8  est 
formel  et  ne  distingue  pas. 

Telles  sont  les  règles  qui  se  dégagent  de  l'examen  des  arti- 
cles 6  et  8  de  la  loi  du  18  germinal  an  X. 

Nous  sommes  loin  aujourd'hui  de  leur  application  sincère  et 
juridique;  d'autant  plus  loin  que  le  Conseil  d'Etat  ne  peut  se 
décider  même  à  appliquer  l'article  8  tel  que  nous  venons  de 
l'expliquer. 

Cet  article  disant  que  la  déclaration  d'abus  met  fin  aux  pour- 
suites et  que  le  renvoi  devant  les  tribunaux  exclut  la  déclara- 
tion d'abus,  il  s'ensuit  :  d'une  part,  que  si  on  ne  déclare  pas 
l'abus  et  que  les  tribunaux  acquittent  le  ministre  du  culte  qui 
fait  l'objet  des  poursuites,  il  y  a  échec  pour  le  gouvernement, 
triomphe  pour  le  clergé;  mais,  d'autre  part,  déclarer  l'abus, 
c'est  fermer  les  tribunaux  aux  plaignants  et  faire  échapper 
quelque  desservant  à  la  possibilité  d'une  condamnation  pénale. 

En  présence  de  cette  alternative,  la  plupart  du  temps  on 
déclare  l'abus  avec  l'espérance  que  la  Cour  de  cassation  finira 
par  se  rendre  aux  vœux  du  gouvernement  et  par  faire  litière 
des  prescriptions  de  l'article  8  de  la  loi  de  l'an  X,  en  autorisant 
des  poursuites  même  après  une  déclaration  d'abus. 

Jusqu'ici  la  Cour  de  cassation  a  persisté  ;  mais  on  compte 
qu'elle  finira  par  céder.  Si  cela  arrivait,  la  déclaration  d'abus 
aurait  pour  effet  non  plus  de  soustraire,  mais  de  désigner  les 
ministres  du  culte  aux  poursuites  judiciaires;  c'est  ce  qu'on 
désire. 


LA  NOUVELLE  LOI  SCOLAIRE 

Dans  une  récente  Chronique,  la  Revue  des  Deux-Mondes  apprécie 
comme  il  suit  la  loi  dont  M.  Goblet  poursuit  avec  tant  d'acharne- 
ment l'application  : 

Qu'est-ce  que  cette  loi  dont  la  discussion  se  ravive  sans  cesse 
à  chaque  délibération  nouvelle  et  semble  n'être  jamais  épuisée? 
C'est  certainement  la  plus  audacieusement  mainmise  de  l'Etat 


340  ANNALES  CATHOLIQUES 

sur  la  jeunesse  du  pays  par  un  enseignement  officiel,  né  d'une 
inspiration  de  parti  ou  de  secte.  Elle  n'a  rien  de  nouveau,  si 
l'on  veut,  elle  n'est  que  la  suite  ou  le  complément  d'une  loi  qui 
a  été  votée  il  y  a  quelques  années,  et  qui  prétendait  organiser 
ce  qu'on  appelle  l'instruction  laïque  avec  des  instituteurs  laïques, 
c'est-à-dire  à  l'exclusion  de  tout  ce  qui  est  congréganiste. 
L'ancienne  loi,  cependant,  laissait  encore  une  certaine  latitude  ; 
elle  mettait  des  degrés  et  des  tempéraments  dans  l'application 
du  principe.  La  loi  nouvelle  a  précisément  pour  objet  de  ne  plus 
admettre  aucun  tempérament,  d'organiser  l'enseignement  obli- 
gatoire et  laïque  au  nom  de  l'Etat,  sans  restriction^  sans  con- 
cession, sans  tenir  compte  ni  des  sentiments  des  familles,  ni 
même  de  l'intervention  des  communes. 

L'enseignement  primaire,  avec  son  esprit  nouveau,  avec  ses 
méthodes  et  son  armée  d'instituteurs  laïques,  c'est  le  plus 
grand  instrument  de  règne  pour  l'Etat  républicain.  M.  le  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  ci-oit  avoir  tout  dit  et  p?llié  le 
despotisme  qu'il  organise  avec  ce  simple  mot  de  neutralité  des 
écoles,  qu'il  répète  sans  cesse,  qui  joue  un  grand  rôle  dans  la 
discussion.  Mais  cette  neutralité,  comment  l'entend-il  lui- 
même  ?  Il  n'explique  rien  et  ne  pallie  rien.  Ce  n'est  pas  sérieu- 
sement, sans  doute,  qu'il  accuse  de  pauvres  maîtres  d'école 
portant  l'habit  religieux  d'enseigner  à  leurs  élèves  que  la  vie 
est  une  expiation  et  que  le  travail  est  une  peine  !  La  vérité  est 
que  l'on  est  pressé  de  chasser  les  congréganistes,  parce  qu'ils 
sont  congréganistes,  qu'on  tient  à  bannir  toute  influence  reli- 
gieuse des  écoles,  qu'on  veut  opposer  le  palais  scolaire  à  l'église, 
l'instituteur  au  curé,  les  manuels  civiques  et  la  morale  indépen- 
dante au  simple  catéchisme.  Et  c'est  là  ce  qu'on  appelle  la  neu- 
tralité !  C'est  la  garantie  offerte  aux  pères  de  famille  à  qui  on 
inflige  l'obligation  d'envoyer  leurs  enfants  à  l'école  primaire. 

De  quoi  se  plaint-on  ?  La  loi  ne  laisse-t-elle  pas  toute  liberté 
à  l'enseignement  privé  si  on  ne  veut  pas  de  l'enseignement  de 
l'État?  Oh  !  sans  doute,  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique 
est  un  grand  libéral  ;  il  a  sa  manière  d'entendre  la  liberté  aussi 
bien  que  la  neutralité.  Que  des  républicains  sérieux  et  éclairés 
comme  M.  Bardoux,  M.  Barbey,  M.  Emile  Labiche,  présentent 
des  amendements  qui  n'ont,  après  tout,  d'autre  objet  que  d'adou- 
cir une  loi  rigoureuse,  de  laisser  tout  au  moins  au  gouverne- 
ment la  faculté  de  s'inspirer  des  sentiments  locaux,  de  consulter 
les  municipalités,  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  s'em- 


LA.   NOUVELLE   LOI    SCOLAIRE  341 

porte  :  il  comljat  avec  une  sorte  d'âpreté  toutes  ces  propositions 
comme  autant  d'attentats  contre  l'enseignement  laïque,  contre 
l'État.  Il  refuse  aux  municipalités  le  droit  d'avoir  désormais 
une  opinion  sur  leurs  écoles,  sur  ce  qui  conviendrait  aux  popu- 
lations ;  il  leur  reconnaît  par  exemple  le  droit  de  s'imposer  et 
de  payer,  si  on  les  j  oblige  :  tout  le  reste  est  de  Tanarchie,  il  a 
dit  le  mot. 

Et  c'est  ainsi  qu'en  vrai  libéral  de  la  nouvelle  école  républi- 
caine, il  comprend  la  liberté  des  communes  !  S'agit-il  de  l'ensei- 
gnement privé,  le  système  est  complet.  Non,  sans  doute,  M.  le 
ministre  de  l'instruction  publique  ne  le  tue  pas  l'enseignement 
privé,  comme  le  lui  a  dit  avec  une  spirituelle  ironie  M.  Jules 
Simon  dans  un  éloquent  discours,  il  ne  tue  pas  :  il  le  réduit 
seulement  à  un  état  maladif  où  il  aura  de  la  chance  s'il  peut 
vivre.  D'abord  l'instituteur  privé  aura  d'assez  grandes  difficultés 
pour  s'établir;  puis  à  peine  établi,  il  sera  pris  par  le  service 
militaire  :  il  n'a  plus  l'exemption  qu'on  réserve  aux  instituteurs 
publics. 

S'il  parvient  à  rester  dans  son  école,  il  relèvera  d'un  conseil 
départemental  composé  de  fonctionnaires,  où  il  sera  représenté 
par  grâce,  et  pour  plus  de  garantie,  sans  doute  aussi  par  respect 
pour  l'égalité,  ses  délégués  seront  désignés  par  le  ministre, 
tandis  que  les  instituteurs  publics  choisiront  eux-mêmes  leurs 
représentants.  Il  restera  naturellement  aussi  sous  l'œil  vigilant 
de  tous  les  inspecteurs  possibles.  Bref,  moyennant  qu'il  se  tire 
de  tout  cela,  qu'il  échappe  au  service  militaire,  aux  surveillances, 
aux  inspections,  aux  délations,  aux  juges  administratifs,  le 
représentant  de  l'enseignement  privé  pourra  vivre;  il  aura  tout 
juste  les  libertés  dont  parle  Figaro.  M.  le  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  ne  s'est  pas  douté  qu'il  réalisait  dans  la  loi  ce 
plaisant  idéal. 

Voilà  donc  où  l'on  peut  arriver  quand  on  subit  cette  impla- 
cable obsession  de  l'esprit  de  secte  !  On  dirait  que  ce  ministre  et 
cette  majorité,  également  impatients  de  précipiter  les  autres 
dans  la  servitude,  ont  oublié  toutes  les  traditions  des  libertés 
françaises.  Et  si  on  fait  observer  à  M.  le  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  qu'il  peut  rencontrer  des  résistances,  qu'il  est 
pourtant  étrange  de  s'exposer,  en  pleine  république,  à  voir  des 
instituteurs  établis  par  la  force  malgré  les  populations,  il  aune 
dernière  réponse  :  C'est  la  loi,  tout  le  monde  doit  respecter  la 
loi  !    Comme  si   l'oppression   cessait   d'être   l'oppression  parce 


342  ANNALES   CATHOLIQUES 

qu'elle  prend  un  masque  de  légalité,  ainsi  que  le  lui  a  dit 
M.  Labiche  dans  un  discours  aussi  vif  que  sensé.  M.  le  ministre 
de  l'instruction  publique  a  réussi  sans  doute  ou  paraît  avoir 
réussi.  Il  aura  sa  majorité,  il  a  dans  tous  les  cas  le  bruyant 
cortège  des  radicaux,  dont  il  a  satisfait  les  passions.  Et  après 
cela  le  gouvernement  en  a-t-il  plus  d'autorité  et  de  force  ? 

La  Revue  des  Deux-Mondes  conclut  ainsi  : 

Singulier  gouvernement  qui  passe  sa  vie  à  froisser  dans  tous 
leurs  sentiments  ceux  dont  l'appui  lui  serait  le  plus  utile,  et  à 
s'abaisser  devant  ceux  qui  ne  sont  occupés  qu'à  l'embarrasser 
de  leur  alliance,  à  lui  imposer  leur  fanatisme,  à  le  désarmer 
devant  les  agitations  intérieures  comme  dans  son  rôle  extérieur. 
Et  cependant,  encore  une  fois,  ce  ne  serait  pas  pour  la  France 
le  moment  de  mettre  toute  sa  politique  dans  ces  misérables  jeux 
de  partis. 

Mais  il  s'agit  bien  de  la  France  pour  nos  sectaires,  qui  veulent 
avant  tout  ruiner  la  foi  chrétienne. 


LA  QUESTION  OUVRIERE  EN  ALLEMAGNE 

La  reconstruction  des  corporations  ouvrières  est  à  l'ordre  du 
jour  en  Allemagne.  On  sait  qu'elle  est  aussi  réclamée  par  les 
cercles  ouvriers  catholiques  de  France,  dont  M.  de  Mun  est 
l'infatigable  promoteur  et  l'éloquent  interprète.  Un  point 
reste  sujet  à  controverse  :  faut-il  que  l'entrée  dans  la  corpora- 
tion soit  libre  ou  qu'elle  soit  rendue  obligatoire?  En  Prusse, 
pays  de  réglementation,  où  l'initiative  est  partie  de  l'Etat, 
on  penche  vers  l'obligation  légale.  Sans  vouloir  trancher  la 
question  et  tout  en  maintenant  nos  préférences  pour  un  régime 
qui  sauvegarderait  le  principe  de  la  liberté  du  travail,  nous 
reproduisons  ici  le  principal  passage  d'un  discours  prononcé  à 
ce  sujet  devant  une  assemblée  de  gens  de  métiers,  à  Munster, 
le  26  avril,  par  M.  Schorlemer-Alst,  un  des  principaux 
membres  du  parti  catholique  au  Reichstag  : 

La  décadence  des  métiers  date  de  l'époque  où  l'on  supprima  les 
anciennes  corporations,  sans  rien  mettre  à  leur  place,  au  lieu  de 
les  reconstituer    d'après    les    idées    du    temps.   La    décision    de 


LÀ    QUESTION    OUVRIERE    EN    ALLEMAGNE  343 

l'Assemblée  nationale  française  de  l'an  1791  par  laquelle  elle 
supprimait  d'un  trait  les  corporations,  en  prohibait  à  jamais  le 
rétablissement  et  favorisait  ainsi,  en  détruisant  l'esprit  de  corps' 
l'isolement  de  l'individu  dans  la  société,  contient  le  principe  d'après 
lequel,  sous  le  titre  hypocrite  de  liberté  économique,  de  soi-disant 
libre  concurrence,  a  été  confectionnée  la  législation  moderne 
industrielle.  La  libre  concurrence  dont  l'école  de  Manchester  a 
fait  un  idéal,  n'est  qu'un  mensonge,  puisqu'en  fait  elle  conduit  à 
une  lutte  entre  des  forces  tout  à  fait  différentes,  lutte  dans  laquelle 
la  défaite  de  la  partie  la  plus  faible  est  décidée  d'avance. 

Ainsi  la  concurrence  entre  le  capital  et  le  travail  devait  nécessai- 
rement faire  descendre  ce  dernier  au  rang  de  serviteur  du  premier. 
Le  capital  privé  de  vie  est  devenu  un  facteur  vivant  et  productif, 
tandis  que  l'homme  et  sa  vivante  activité  ont  été  mis  au  rang 
d'instruments  sans  vie.  Je  ne  suis  pas  l'ennemi  du  capital  qui  peut 
certainement  revendiquer  une  place  légitime  dans  le  monde  écono- 
mique, mais  je  suis  l'ennemi  de  sa  puissance  exagérée  au  moyen 
de  laquelle  il  a  réduit  en  une  honteuse  servitude  les  autres 
facteurs  de  production,  l'agriculture  et  les  métiers,  et  au  moyen 
de  laquelle  il  s'est  soumis  politiquement  des  nations  tout  entières. 
Mais  les  métiers  ont  réagi  fortement  contre  cette  oppression  et 
ont  obtenu  déjà  des  résultats  qui  pour  ne  pas  être  encore  suffisants, 
sont  cependant  d'une  certaine  valeur. 

A  l'heure  actuelle,  ceux  qui  travaillent  avec  zèle  â  une  réforme 
ne  passent  plus  comme  autrefois  pour  de  sombres  réactionnaires. 
Le  mot  Corporation  a  lui-même  reconquis  une  bonne  réputation. 
La  présence  de  hauts  fonctionnaires  du  gouvernement  dans 
cette  assemblée  prouve  que  vous  avez  déjà  fait  beaucoup  de  chemin 
dans  la  voie  de  l'établissement  d'une  meilleure  situation.  Mais 
vous  devez  ne  jamais  perdre  de  vue  votre  but  qui  est  la  corpora- 
tion obligatoire...  Sous  ce  rapport,  j'attire  votre  attention  sur  deux 
points  :  d'abord,  la  corporation  obligatoire  ne  pourra  jamais  se 
passer  de  la  protection  et  de  la  bienveillance  du  gouvernement  ; 
mais,  en  second  lieu,  elle  doit  se  développer  par  ses  propres 
forces  et  sans  aucune  intervention  bureaucratique  pour  pouvoir 
être  viable  et  durable... 

L'Etat  qui  pour  d'autres  buts  a  toujours  des  millions  à  sa  dispo- 
sition, est  tenu  à  mon  avis  de  ne  pas  reculer  devant  les  sacriflces 
fmanciers  pour  aider  à  la  solution  de  la  question  ouvrière.  Une 
réforme  satisfaisante  de  la  situation  des  travailleurs  enlèvera  au 
socialisme  un  vaste  champ  d'agitation.  Avant  tout,  il  faut  que  le 
mouvement  ouvrier  conserve  toujours  une  base  chrétienne  et  ne 
poursuive  pas  seulement  des  buts  matériels,  mais  qu'il  ait  aussi 
un  but  moral.  Ce  n'est  qu'avec  les  principes  chrétiens  que  peut 
devenir  une  vérité  la  maxime  qui  dit  :  a  Tous  pour  chacun  et  chacun 
pour  tous  !  » 


344  ANNALES   CATHOLIQUES 


LA  FRANCE  JUIVE  (1). 

Qu'il  se  trame  à  cette  heure  dans  le  monde  une  vaste  et  for- 
midable conspiration,  qui,  à  l'insu  de  la  presque  totalité  des 
conjurés,  ne  tend  à  rien  moins  qu'à  asseoir  la  domination  du 
Juif  sur  nos  sociétés  appauvries  et  déchristianisées  par  lui, 
c'est  ce  dont  l'observation  la  plus  superficielle  ne  permet  pas 
de  douter.  Mais  ce  qu'il  serait  également  difficile  de  nier,  c'est 
que  tous  les  juifs.  Dieu  merci,  ne  trempent  point  dans  cette 
entreprise  d'expropriation  et  d'asservissement  des  peuples 
chrétiens  par  une  race  sans  patrie,  qui  longtemps  proscrite  et 
tenue,  non  sans  raison,  à  l'écart  de  l'Europe  chrétienne,  s'est, 
depuis  un  siècle,  activement  mêlée  à  sa  vie,  sans  en  adopter  les 
idées,  les  habitudes  et  les  mœurs,  sans  rien  perdre,  en  un  mot, 
de  sa  physionomie  particulière,  de  ses  préventions  contre  le 
chrétien  et  de  ses  haines  séculaires. 

Nous  connaissons  des  juifs  religieux,  charitables,  tolérants, 
dignes  d'estime  à  tous  égards,  qui  ne  songent  pas  plus  à  persé- 
cuter les  chrétiens  qu'à  les  exploiter.  Il  ne  serait  donc  pas 
équitable  de  les  confondre  avec  cette  société  juive  incroyante 
et  avide  d'or  et  de  plaisirs,  dont  le  caractère  essentiel  est  la 
haine  du  christianisme  et  du  chrétien,  et  qui,  à  cette  heure, 
semblerait  presque  avoir  achevé  la  conquête  du  monde,  grâce  à 
la  triple  et  toute-puissante  coalition  de  la  finance,  des  sociétés 
secrètes  et  de  la  presse. 

Les  esprits  modérés  eussent  été  tentés,  peut-être,  de  nous 
blâmer  de  ne  pas  faire  cette  réserve;  mais  après  l'avoir  faite, 
avec  la  plus  absolue  sincérité,  nous  ne  pouvons  hésiter  à 
déclarer  qu'il  n'y  a  rien  à  reprendre  aux  conclusions  du  livre 
terrible  dans  lequel  M.  Drumont,  avec  autant  de  verve  que 
d'esprit  et  d'énergie,  vient  de  raconter  et  de  stigmatiser  cette 
conquête  juive  destinée,  si  on  n'y  prend  garde,  à  être  aussi 
fatale  à  la  patrie  française  qu'aux  croyances  qui  la  firent,  dans 
le  passé,  si  forte,  si  prospère  et  si  glorieuse. 

Il  y  a  quelques  années  un  vaillant  prêtre  de  Bordeaux,  un 
ancien  aumônier  militaire,  M.  l'abbé  Chavauty,  se  hasarda  à 
jeter  le  premier  un  cri  d'alarme  dans  un  livre  intitulé  :  Les 

(1)  La  France  Juive,  par  Edouard  Drumont,  2  vol.  ia-18,  Marpon 
et  Flammarion,  éditeurs.  En  vente  à  la  Librairie  Marseillaise. 


LA    FRANCE    JUIVE  345 

Juifs  nos  maîtres.  C'est  en  quelque  sorte  la  justification  de  ce 
titre,  c'est  la  démonstration,  par  les  faits,  de  cette  vérité  qu'il 
faut  crier  sur  les  toits,  que  les  juifs,  à  la  lettre,  tiennent  la 
France  et  la  piétinent,  qu'ils  y  régnent  et  gouvernent,  la 
rançonnant  et  la  corrompant  à  plaisir,  que  M.  Drumont  a  eu  le 
courage  d'entreprendre,  et  jamais  le  danger  que  court  le  pays 
ne  fut  plus  vigoureusement  dénoncé. 

On  a  parlé,  à  ce  propos,  d'intolérance  et  de  fanatisme.  C'était 
inévitable.  Il  y  a  longtemps,  en  effet,  qu'on  devrait  savoir  que 
la  liberté  de  conscience  consiste,  pour  le  juif  ou  le  franc-maçon, 
à  opprimer  impunément  le  chrétien;  mais  que  le  chrétien  qui 
ose  se  permettre  de  résister  à  l'oppression  fait  acte  de  fanatisme. 

Mais,  en  vérité,  à  qui  la  faute  s'il  y  a,  en  ce  moment,  en 
Europe,  une  question  juive;  si  en  Allemagne,  en  Autriche,  en 
Russie,  et  plus  près  de  nous,  en  Algérie,  on  a  vu  se  former  des 
ligues  antisémitiques  à  la  grande  joie  de  quiconque  n'était  pas 
juif,  quelles  que  fussent,  d'ailleurs,  en  politique  ou  en  religion, 
ses  opinions  personnelles? 

Il  y  a  évidemment  des  raisons  à  ce  soulèvement  des  peuples 
européens  contre  les  juifs.  M.  Drumont  les  déduit  et  les  expose 
avec  beaucoup  de  sagacité  et  d'érudition.  Il  fait  voir  que  les 
juifs,  aujourd'hui  comme  au  moyen-âge,  sont  victimes  de  leur 
propres  fautes,  de  leur  prodigieux  entêtement,  de  leurs  préjugés 
indéracinables,  de  l'impossibilité  radicale  où  ils  sont  de  s'assi- 
miler avec  les  peuples  au  milieu  desquels  ils  vivent  et  dont  ils 
sucent  la  moelle.  Il  prouve  que  les  juifs  restent  juifs  en  dépit 
de  tout;  qu'ils  forment,  quand  même  et  volontairement,  une 
race  à  part,  en  lutte  ouverte  avec  le  genre  humain,  haïssant 
tous  les  peuples  et  se  faisant  haïr  de  tous. 

Pendant  que  la  haute  banque  accapare,  par  l'agiotage,  la 
fortune  publique  et  force  les  pouvoirs  à  capituler  devant  ses 
guichets,  par  la  presse,  dont  ils  commanditent  les  principaux 
organes,  les  juifs  régentent  l'opinion,  au  besoin,  la  fabriquent 
de  toutes  pièces,  asservissant  ainsi  les  esprits  et  corrompant 
les  cœurs.  Les  principaux  meneurs  de  la  campagne  anticléri- 
cale sont  des  juifs;  juifs  aussi  les  éditeurs  de  ces  innombrables 
publications  pornographiques  dont  nos  villes  et  nos  campagnes 
sont  inondées  et  qui  contribuent  si  puissamment  à  la  déprava- 
tion des  masses.  La  franc-maçonnerie  avec  ses  rites,  son  sym- 
bolisme, ses  traditions,  est  toute  juive.  La  loge,  pour  le  juif, 
est  essentiellement  un  moyen  d'arriver,  de  dicter  aux  pouvoirs 


346  ANNALES    CATHOLIQUES 

publics,  d'imposer  au  pays  des  lois  qui  servent  le  juif  et  qui 
concourent  à  modeler  sur  lui  la  société  tout  entière. 

En  lisant  le  livre  de  M.  Drumont,  on  est  véritablement  effrayé 
du  nombre  de  juifs  qui  figurent  dans  le  gouvernement,  dans  les 
corps  publics,  dans  les  Chambres,  dans  l'administration,  dans 
la  presse  et,  par  lesquels  d'imbéciles  Français  ont  la  naïveté  de 
se  croire  représentés,  lorsque  en  réalité  ils  ne  sont  qu'exploités 
et  trahis. 

Et,  spectacle  bien  propre  à  affliger  le  croyant  et  le  patriote, 
et  que  M.  Drumont  flétrit  avec  une  indignation  qui  soulagera 
la  conscience  publique,  pendant  que  la  franc-maoonnerie  et 
la  presse  juive  s'acharnent  ainsi  à  détruire,  au  profit  de  la 
synagogue,  cette  France  faite  par  l'Église,  une  trop  notable 
portion  de  l'aristocratie  française,  aflamée  de  plaisirs  et  de 
publicité,  ne  rougit  pas  de  frayer  avec  ce  prétendu  grand  monde 
de  financiers  juifs,  d'enrichis  d'hier,  dont  la  fortune,  M.  Dru- 
mont le  prouve,  n'a  que  trop  souvent  les  origines  les  plus  sus- 
pectes. 

Dans  cette  promiscuité  avilissante,  la  société  française,  qui 
devrait  donner  l'exemple  des  fortes  vertus,  sans  lesquelles 
aucun  peuple  ne  saurait  vivre,  en  est  arrivée  à  n'avoir  même 
plus  le  sens  moral.  La  vraie  notion  de  la  vie  s'est  totalement 
effacée  de  l'esprit  de  ces  riches  égoïstes  et  jouisseurs,  et  des 
idées  absolument  juives,  que  demain  le  socialisme  affamé 
retournera  victorieusement  contre  eux,  se  sont  substituées  aux 
idées  chrétiennes,  qui  faisaient  la  raison  d'être  de  la  vieille 
aristocratie. 

Il  semble,  en  vérité,  que  le  problème  social  tel  que  la  Révolu- 
tion le  pose  à  la  fin  de  ce  siècle  de  bouleversements  et  d'avor- 
tements,  doive  se  résumer  ainsi  :  La  société  sera-t-elle  catho- 
lique ou  juive? 

Les  termes  de  ce  dilemme  ne  paraîtront  bizarres  qu'aux 
esprits  légers  qui,  du  fait  visible,  ne  se  sont  jamais,  par  la 
réflexion,  élevés  à  l'idée  qui  le  produit. 

Le  fondement  des  sociétés  telles  que  le  christianisme  était 
venu  les  établir,  a  été  jusqu'ici  le  renoncement,  l'esprit  de 
sacrifice.  A  cette  doctrine  sublime  qui  enseigne  à  l'homme  qu'il 
n'est  sur  la  terre  qu'un  passant  et  lui  promet  des  compensa- 
tions, après  les  épreuves  d'un  voyage  de  quelques  jours,  le 
socialisme,  qui  nie  en  bloc  tout  ce  que  l'Eglise  affirme,  est 
venu  opposer  la  doctrine  de  la  jouissance  avant  tout,  de  la 


LA.    FRANCE    JUIVE  347 

satisfaction  des  sens,  du  paradis  sur  cette  terre.  Le  plaisir  est 
selon  lui,  l'unique  but  de  la  vie  humaine,  et  quiconque 
l'attrape,  comme  disait  Voltaire,  a  fait  son  salut. 

Eh  bien  !  comment  ne  pas  voir  que  le  socialisme  est  essentiel- 
lement une  doctrine  juive?  Le  matérialisme  saducéen  dont,  à 
cette  heure,  presque  tous  les  juifs  sont  imbus  et  qui,  niant 
l'immortalité  de  l'âme,  ne  reconnaît  pas  de  sainteté  effective  en 
dehors  de  la  possession  de  la  richesse,  n'est  pas  autre  chose 
que  la  coupable  utopie  dont  on  leurre  présentement  les  misé- 
rables. Ignore-t-on,  d'ailleurs,  que  la  plupart  des  docteurs  du 
socialisme,  que  ses  principaux  journalistes,  ses  meneurs  les 
plus  audacieux  et  les  plus  actifs  sont  juifs^?  Tout  cela  vraiment 
ne  veut-il  rien  dire  ? 

En  venant  jeter  le  désarroi  au  milieu  de  la  bande  juive  qui, 
tranquillement  occupée  comme  jadis  à  nous  spolier  et  à  nous 
asservir  corps  et  âmes,  n'imaginait  pas,  sans  doute,  qu'on  pût 
en  ce  siècle  d'indifférence  et  de  lâcheté,  la  venir  troubler  dans 
sa  besogne,  M.  Drumont  aura,  en  outre,  puissamment  contribué 
nous  voulons  l'espérer,  à  ouvrir  les  yeux  à  ces  chrétiens  qui 
assistaient  inertes  et  indifférents,  sinon  complices,  à  la  ruine  de 
la  patrie,  à  l'oppression  de  la  foi  des  aïeux. 

Il  était  temps  que  ces  dupes  de  la  juiverie  cosmopolite  com- 
prissent enfin  que  tout  est  perdu  s'ils  ne  secouent  leur  torpeur. 
Il  n'y  a  pas  à  espérer,  en  effet,  qu'aucun  sentiment  de  repen- 
tir puisse  jamais  s'éveiller  dans  le  cœur  des  mécréants  qui 
déchirent  la  France  chrétienne,  parce  qu'ils  ne  lui  sont 
attachés  par  aucun  lien,  qu'ils  ne  sont  pas  soi^tis  de  son  sein, 
que  ce  sont,  en  un  mot,  des  intrus  et  des  ennemis,  réfractaires 
à  tout  ce  qui  est  chrétien  et  français,  et  n'aspirant  qu'à  venger 
sur  la  nation  aimée  du  Christ  une  haine  dix-neuf  fois  sécu- 
laire (1). 

> 

Etienne  Jouve. 
(1)  Extrait  de  l'excellent  Citoyen  de  Marseille. 


348  ANNALES   CATHOLIQUES 

LA  RUINE  DE  LA  ROME  ANTIQUE 

(Suite.  —  Voir  le  numéro  précédent.) 

II 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  par  un  article  de  journal  auquel 
fait  allusion  M.  Hermann  Grimm,  qu'a  protesté  le  savant  Gré- 
gorovius.  Il  l'a  fait  encore  et  plus  énergiquement  dans  une 
lettre  qu'on  va  lire. 

Lettre  ouverte  au  pre'sident  de  V Académie 
des  beaux-arts  de  San  Luca,  à  Rome. 

Très  honoré  loonsieur, 

En  lisant  les  feuilles  de  la  presse  étrangère,  vous  avez  dii  vous 
apercevoir  que  l'on  suit,  au  delà  des  Alpes,  avec  un  intérêt  de  plus 
en  plus  marqué,  les  progrès  de  la  transformation  actuelle  de  la  ville 
de  Rome.  Ne  vous  en  étonnez  pas,  car  Rome  est  encore  aujourd'hui, 
comme  dans  les  temps  lointains,  en  sa  qualité  de  monument  le  plus 
sublime  de  l'histoire,  l'objet  de  la  vénération  de  tout  homme  civilisé. 

Aucun?  nation  pivilisée  ne  saurait  être  indifférente  à  la  façon 
dont  on  veut  transmettre  aux  races  futures  ce  grand  sanctuaire  du 
genre  humain.  Ne  vous  étonnez  donc  pas  que  les  Allemands  s'y 
intéressent  tant,  car  nous  aimons  Rome  d'une  passion  aussi  ancienne 
que  légitime.  Les  relations  séculaires  de  notre  histoire  et  de  notre 
civilisation  l'expliquent  suffisamment.  Je  crois  aussi  que  les  Romains 
et  les  Italiens  feront  quelque  cas  du  jugement  que  des  nations  amies 
peuvent  porter  sur  la  transformation  moderne  de  Rome.  Car  de 
toutes  les  métamorphoses  subies  depuis  Auguste,  celle  que  l'on 
projette  maintenant  sera  probablement  la  plus  grande  et  imposera 
son  caractère  pour  des  temps  très  longs. 

La  Papauté  avait  pris,  pendant  treize  siècles,  Rome  sous  sa  pro- 
tection; elle  s'est  acquittée  de  sa  tâche  avec  un  zèle  digne  des  plus 
grands  Romains.  Lorsque  le  pouvoir  temporel  s'éteignit,  toute 
l'Europe  a  cru  que  la  protection  de  l'Italie  unifiée  était  tout  naturel- 
lement acquise  à  la  Ville  éternelle;  d'autre  part,  il  a  été  déjà  dit 
que  pas  un  peuple  de  la  terre  ne  pouvait  se  vanter  d'avoir  une 
capitale  aussi  sublime,  mais  qu'en  même  temps  ce  peuple  encourait 
vis-à-vis  du  monde  civilisé  la  plus  grande  et  la  plus  grave  des 
responsabilités  ! 

Voilà  quinze  ans  que  les  Italiens  ont  jugé  nécessaire  la  rénovation 


LA  RUINE  DE  LA  ROME  ANTIQUE  349 

de  Rome  capitale.  Dans  ce  laps  de  temps  beaucoup  de  choses  ont  été 
changées,  beaucoup  d'autre»  ont  été  créées  et  des  dispositions  pra- 
tiques ont  été  pi'ises. 

En  réalité,  les  nouvelles  constructions  ont  été  généralement  fort 
peu  goûtées.  Quand  je  m'avise  de  dire  aux  personnes  qui  blâment 
ce  qui  a  été  fait,  que  quinze  années  ne  suffisent  pas  pour  créer 
quelque  chose  de  digne  de  Rome,  et  qu'il  faut  attendre  que  se 
lèvent  des  artistes  capables  d'engendrer  des  œuvres  comme  Bramante, 
Michel- Ange,  le  Bernin,  on  m'objecte  que  les  Athéniens  ont  mis  à 
peine  cinq  ans  pour  construire  les  Propylées,  et  encore  moins  pour 
le  Parthénon. 

Sixte  IV  et  Sixte-Quint  ont,  en  peu  d'années,  doté  Rome  des  plu» 
nobles  édifices,  et  aujourd'hui  nous  voyons  à  Berlin  et  à  Vienne,  en 
fort  peu  de  temps,  élever  les  constructions  les  plus  magnifiques. 
Passons,  car  hélas  !  il  y  a  des  reproches  bien  autrement  graves  à 
faire  contre  la  rénovation  de  Rome.  C'est  un  fait  acquis  ;  on  démolit 
bien  trop  pour  ne  pas  fiévreusement  reconstruire,  et  tous  ceux  qui 
aiment  Rome  se  révoltent  à  l'idée  de  voir  disparaître  le  caractère 
historique  de  la  ville,  sa  beauté  enchanteresse,  la  solitude  majes- 
tueuse dont  tant  de  ses  monuments  ont  été  entourés.  Le  Colisée,  le 
Mont-Coelius,  l'Aventin,  les  prés  de  Néron,  le  Vatican  sont  mainte- 
nant entourés  d'une  fourmilière  de  rues  monotones,  garnies  de 
maisons  de  rapport  les  plus  prosaïques. 

La  sincérité  m'impose  de  ne  pas  contredire  de  pareils  réquisitoires. 
On  m'objecte  encore  que  les  besoins  de  la  population  nouvelle 
exigent  de  remplir  les  vides  qui  se  trouvent  encore  en  dedans  de 
l'enceinte  aurélienne.  Cette  objection  tombe  d'elle-même  quand  on 
pense  que  la  prévoyance  édilitaire  des  gouvernements  précédents  a 
laissé  assez  d'espace  dans  la  ville  proprement  dite.  La  Rome  des 
Césars  avait  une  population  que  la  capitale  de  l'Italie  moderne 
n'atteindra  pas  au  bout  de  plusieurs  siècles. 

Et  pourtant  cette  Rome  césarienne  était  ornée  de  monuments 
superbes,  de  temples,  de  colonnades,  de  thermes,  de  théâtres  qui  ne 
gênaient  en  rien  la  grâce  du  paysage,  celle  des  villas,  des  jardins, 
comme  nous  le  prouvent  encore  aujourd'hui  le  champ  de  Mars,  le 
Pincio,  les  Carènes,  l'Esquilin,  le  Viminal,  le  Vatican,  le  Trans- 
tévère. 

Personne  au  delà  des  Alpes  ne  comprendra  la  nécessité  de  changer 
les  plus  splendides  villas  en  terrains  à  bâtir  où  se  mouvra  ensuite 
une  population  courant  après  ses  besoins  matériels.  La  villa  Ludo- 
visi  tombe  sous  la  hache  du  démolisseur;  c'était  un  parc  de  rois  et 
de  sages,  qui  avait  un  caractère  enchanteur,  sublime.  Horace, 
Virgile,  Marc-Aurèle,  Dante  auraient  été  ravis  de  pouvoir  se  pro- 
mener à  travers  ses  bosquets  de  lauriers,  ses  allées  de  cyprès. 
C'était  un  parc  d'une  beauté  idéale  et  classique,  digne  de  renfermer 
pendant  deux  siècles  la  fameuse  statue  de  Junon. 


350  ANNALES   CATHOLIQUES 

Chaque  arbre,  frappé  par  la  hache  du  démolisseur,  a  dû  pousser 
un  cri  plus  déchirant  que  celui  de  Pierre  des  Vignes,  dont  Dante  a 
entendu  le  cri  plaintif  : 

Perche  mi  scerpi  ? 
Non  hai  tu  spirto  di  pietate  alcunof 
Pourquoi  me  déchirer? 
0  cruel!  et  ton  cœur  est-il  donc  de  rocher? 

Rien  n'a  autant  froissé  les  sentiments  publics  en  Allemagne  que 
ces  dévastations.  Ceux  qui  les  ont  ordonnées  auraient  dû,  avant  de 
le  faire,  relire  les  paroles  généreuses,  adressées  jadis  par  Bélisaire, 
le  grand  défenseur  de  Rome,  à  Totila,  roi  des  Goths,  pour  l'exhorter 
à  ne  pas  détruire  la  Ville  éternelle.  Il  lui  écrit  de  Portus  : 

«  Fonder  des  villes,  c'est  servir  la  société,  c'est  s'immortaliser 
soi-même;  les  détruire,  c'est  se  déclarer  l'ennemi  des  hommes  et  se 
déshonorer  à  jamais.  Tout  l'univers  s'accorde  à  reconnaître  la  ville 
de  Rome  pour  la  plus  grande  et  la  plus  magnifique  qui  soit  au 
monde.  Aussi  n'est-elle  pas  l'ouvrage  d''un  seul  homme  ni  d'une 
seule  année  ;  une  longue  suite  de  rois,  de  consuls,  d'empereurs 
travaillent  depuis  plus  de  treize  cents  ans  à  l'embellir,  et  ces  superbes 
édifices  qu'elle  présente  à  vos  yeux  sont  autant  de  monuments  qui 
consacrent  leur  mémoire.  On  ne  peut  y  porter  atteinte  sans  faire 
tort  aux  siècles  passés  en  effaçant  les  traces  de  leur  gloire,  et  aux 
siècles  à  venir  en  les  privant  de  ce  beau  spectacle  !  » 

Je  ne  veux  pas  vous  fatiguer  des  doléances  auxquelles  donne  lieu 
le  triste  sort  des  ruines  de  Rome  ancienne,  la  perte  de  tant  de 
monuments  du  moyen  âge;  j'en  ai  déjà  parlé  dans  une  lettre  anté- 
rieure, et  l'affaire  a  été  jugée  et  par  des  étrangers  et  par  des  Romains 
eux-mêmes. 

Vous  et  tous  les  membres  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  ses 
amis  et  tous  nos  confrères  vous  ne  sauriez,  sans  la  douleur  la  plus 
profonde,  dire  adieu  au  tableau  enchanteur  de  Rome  d'autrefois,  qui 
a  été  l'admiration  de  tant  de  générations  humaines. 

Tout  homme  civilisé  est  navré  de  voir  disparaître  pour  toujours  de 
leur  cadre  historique  et  de  leur  entourage  merveilleux  les  monuments 
et  ruines  de  Rome,  et  chacun  pleure  sur  l'aspect  actuel  du  Forum  et 
de  son  voisin,  le  mont  Palatin.  Tout  le  monde  se  lamente  de  la  dispa- 
rition des  monuments  du  moyen  âge,  tels  que  la  tour  Orsini  de 
YAnguillara,  des  sacrifices  exigés  par  la  correction  du  Tibre  ! 

Quel  aspect  lamentable  que  l'île  du  Tibre,  où  le  superbe  couvent 
de  Saint-Barihélemy  a  été  si  tristement  déparé  par  la  construction 
d'une  morgue  !  Le  monde  entier  aies  plus  vives  appréhensions  au  sujet 
du  sort  du  Capitole,  le  plus  sublime  monument  de  l'univers,  en  com- 
pagnie de  l'Acropolis  d'Athènes.  Malgré  l'avis  du  conseil  municipal, 
malgré  la  protestation  de  l'académie  des  Beaux-Arts,  on  a  adopté  le 


LA    RUINE    DE    LA    ROME    ANTIQUK  551 

projet  qui  donne  à  la  forme  tant  de  fois  séculaire  du  Capitole  uno 
transformation  aussi  moderne  que  possible.  On  a  commencé  la 
démolition  du  couvent  d'Ara-Cœli  et  de  la  tour  de  Paul  III.  C'est 
ainsi  qu'on  fera  disparaître  cette  puissante  construction  qui,  comme 
une  arx  des  anciens,  dominait  la  ville  et  le  Capitole,  construction  à 
laquelle  s'attachaient  les  traditions  des  merveilles  romaines  du 
palais  d'Octave,  et  c'est  ainsi  que  se  tranchera  tôt  ou  tard  le  sort 
de  la  basilique  maintenant  isolée  d'Ara-Cœli,  au  moyen  âge  l'église 
du  Sénat  romain. 

N'a-t-on  pas  le  droit  de  se  demander  si  l'on  obéissait  en  réalité  à 
une  nécessité  inéluctable,  en  procédant  à  des  destructions  aussi 
violentes?  Tout  le  monde  stupéfait  se  pose  cette  question  au  delà  des 
Alpes. 

Le  but  de  ma  lettre  est  rempli.  Je  tenais  essentiellement  à  vous 
faire  savoir  combien  dans  ma  patrie  l'opinion  publique  est  en  proie 
aux  doutes  et  aux  appréhensions  de  voir  que  cette  réformation 
actuelle  de  la  Ville  éternelle  peut  devenir  tout  autre  chose  qu'une 
nouvelle  renaissance,  qui  aurait  été  saluée  par  tous  les  peuples 
civilisés.  Je  me  suis  adressé  à  vous  parce  que  vous  êtes  le  digne 
président  d'une  célèbre  corporation  qui  garde  dans  Rome  les  tradi- 
tions des  grands  maîtres  et  le  palladium  de  la  beauté  artistique. 

Vous  rectifierez  mes  assertions,  s'il  y  en  a  d'erronées,  mais  vous 
excuserez  aussi  ma  manifestation,  car  elle  m'est  dictée  par  ma 
vénération  et  mon  amour  pour  Rome,  que  je  ressens  d'autant  plus 
que  je  suis,  quoique  le  plus  humble  de  tous,  un  fils  adoptif  de  VAlma 
mater  Rama. 

Je  suis,  avec  la  plus  profonde,  considération,  votre  très  dévoué 
collègue  de  l'Académie  de  Saint-Luc. 

Fernand  Gregorovius. 
Munich,  17  mars  1886. 

La  lettre  de  Gregorovius  fait  le  tour  de  toute  la  presse 
universelle.  Mais  elle  ne  fait  aucune  inapression  sur  les  bar- 
bares qui  tiennent  leurs  assises  au  Quirinal  et  au  Capitole. 
Totila  répondit  à  Bélisaire  qu'il  le  remerciait  de  ses  avis  et 
qu'il  y  aurait  égard,  A  Gregorovius,  on  répondra  en  hâtant  les 
démolitions  entreprises  de  tous  les  côtés.  Les  temps  des  bar- 
bares sont  revenus.  Complétons  maintenant  les  documents  de 
ce  gi'ave  débat. 

(.4  suivre.) 


352  ANNALES    CATHOLIQUES 

LE  CHANT  DU  PEUPLE 

DANS   LES    ÉGLISES  (1) 

«  Nous  irons,  mesdemoiselles,  à  Notre-Dame  de  Rancoudray. 
Je  vous  adresserai  une  exhortation  à  lE'vangile,  et  vous,  vous 
chanterez  quelques  cantiques.  — Impossible,  monsieur  l'abbé.  — 
Comment?  vous  êtes  une  pléiade  de  musiciennes  distinguées  et 
vous  savez  certainement  plusieurs  cantiques  à  la  Vierge.  — 
Impossible,  trois  fois  impossible  ;  nous  n'avons  pas  le  temps  de 
nous  préparer,  et  d'ailleurs  il  n'y  a  pas  d'orgue  dans  cette 
chapelle  ;  on  ne  chante  pas  sans  accompagnement  devant  un 
public.  »  (Ce  public  se  composait  des  mères,  qui  se  proposaient 
d'accompagner  leurs  filles.)  Et  voilà  comment  un  groupe  de 
très  pieuses  musiciennes  fit  un  pèlerinage  muet  et  s'en  revint 
sans  avoir  chanté  seulement  un  Monstra  te  esse  matrem  ! 

On  s'étonne  que  les  offices  divins  ne  soient  plus  fréquentés. 
Le  clergé  s'en  afflige  non  sans  raison.  Le  dimanche  trop  souvent 
ne  se  distingue  plus  des  autres  jours  que  par  une  basse  messe 
entendue  à  la  hâte  et  trop  souvent  avec  beaucoup  de  tiédeur. 
Un  dimanche  qui,  dans  la  distribution  de  ses  heures,  fait  à  Dieu 
la  part  du  pauvre^  ne  peut  réparer  efficacement  les  infidélités 
de  la  semaine  qui  s'achève  et  donner  le  cœur  qu'il  faut  pour 
bien  remplir  les  devoirs  de  la  semaine  qui  commence.  Ce 
dimanche  laïcisé,  ou  peu  s'en  faut,  aura-t-il  une  place  pour  la 
fréquentation  des  sacrements,  faute  de  laquelle  la  vie  chrétienne 
s'éteint  ? 

Les  exigences  de  l'existence  contemporaine,  je  les  connais  et 
j'y  compatis.  Quand  la  semaine  a  été  extrêmement  occupée, 
quand  un  long,  dur  et  fastidieux  labeur  l'a  remplie,  chaque 
dimanche,  la  détente,  le  délassement,  la  promenade  sont  néces- 
saires et  doivent  être  autorisés.  Qui  ne  se  réjouirait  de  voir,  le 
dimanche,  l'ouvrier  et  sa  famille  parcourir  les  sentiers  fleuris 
en  habits  de  fête  !  Pauvres  gens  !  n'est-il  pas  juste  qu'ils  aient 
une  fois  par  semaine  le  loisir  de  respirer  ?  Le  jour  du  Père  qui 
est  dans  les  cieux  doit  être  un  jour  de  consolation  et  de  conten- 
tement pour  ses  enfants  sur  la  terre. 

Aussi  les  interminables   offices  ne  sont  plus  de  saison.   En 

(1)  Extrait  de  V  Univers. 


LE    CHANT    DU    PEUPLE  353 

quelques  pays,  de  vieilles  traditions  les  maintiennent  encore  ; 
mais  qu'arrive-t-il  ?  Sauf  en  certaines  solennités,  la  population 
les  déserte,  et  quand  c'est  aux  champs,  dans  des  paroisses  où 
cette  grand'messe  de  deux  longues  heures  est  la  seule  messe,  la 
désertion  se  fait  dans  la  maison  de  Dieu  et  l'abrutissement  d'une 
population  commence. 

Mais  entre  une  simple  messe  basse  une  fois  tous  les  sept  jours 
et  d'interminables  offices,  il  est  un  sage  milieu. 

L'assistance  aux  offices,  à  des  offices  de  longueur  raisonnable, 
peut  et  doit  d'ailleurs  être  elle-même,  au  moins  pour  la  plupart 
des  assistants,  non  seulement  un  moyen  de  sanctification,  mais 
l'un  des  éléments  de  délassement  et  de  contentement  du  jour 
béni. 

Les  offices  doivent  donc  être  attrayants. 

Pour  qu'ils  le  soient,  le  clergé  n'épargne  p^s  ses  peines.  Que 
n'a-t-il  pas  fait  depuis  le  commencement  de  ce  siècle,  pour  la 
restauration,  la  construction,  l'ornementation  des  églises?  Il 
faut  que  ces  beaux  édifices  aient  une  voix.  Ils  l'ont.  La  plus  mo- 
deste église  de  campagne  est  pourvue  d'un  harmonium  ;  les 
églises  des  villes  out  de  puissantes  orgues.  Mais  l'instrument 
inanimé  ne  suffit  pas;  dans  les  églises,  quand  les  foules  y  sont 
réunies,  il  faut  la  voix  humaine.  On  y  abuse  parfois  de  l'ins- 
trument qui,  surtout  entre  les  mains  d'un  maestro  inexpérimenté 
ou  mondain,  dissipe  ou  ennuie.  La  voix  humaine  demeure, 
malgré  ses  imperfections,  le  plus  expressif  de  tous  les  instru- 
ments, le  seul  dont  les  masses  ne  se  fatiguent  pas. 

Mais  voici  le  malheur  de  l'heure  présente.  Dans  un  très  grand 
nombre  de  nos  églises,  la  voix  humaine  pèche  par  défaut,  ou 
par  excès.  Par  défaut  au  village.  Les  hommes  de  bon  vouloir  et 
de  foi,  ayant  le  goût  du  plain-chant  et  fiers  de  l'exécuter  aussi 
bien  que  possible,  deviennent  de  plus  en  plus  rares  dans  nos 
campagnes  ;  un  pauvre  curé  en  est  réduit  à  se  contenter  de  ce 
qu'il  trouve,  comme  nombre  et  comme  valeur  :  nombre  insuffi- 
sant, un  seul  chantre  parfois;  valeur  plus  insuffisante  encore. 
Dans  les  paroisses  des  grandes  villes  auxquelles  leur  budget 
permet  ce  luxe,  un  chœur  nombreux  exécute  de  la  musique 
savante,  parfois  religieuse,  parfois  émaillée  de  réminiscences 
des  plus  profanes;  on  y  entend  des  éclats  de  voix  et  l'on 
y  assiste  aux  victoires  remportées  sur  la  «  difficulté  »,  comme 
au  théâtre. 

En  certaines  occasions  solennelles,  de  majestueuses  affiches 


354  ANNALES    CATHOLIQUES 

apprennent  aux  fidèles  qu'ils  pourront  à  la  messe  ou  au  salut 
entendre  la  diva,  le  ténor  ou  le  baryton  en  vogue  chanter  un 
motet  ou  même  un  morceau  de  leur  répertoire,  adapté  à  la 
conjoncture.  Mais  la  foule  reste  silencieuse.  Cela  est  extrême- 
ment fâcheux,  et  il  est  bien  facile  de  s'en  convaincre. 

A  un  office  mal  chanté,  les  fidèles  s'endorment.  Ils  font  de 
leur  mieux,  sans  j  bien  réussir,  pour  s'isoler  de  cette  caco- 
phonie ;  les  plus  courageux  tâchent  de  lire  dans  leurs  livres  de 
prières  comme  dans  un  wagon  on  lit  le  journal  en  s'eflforçant  de 
ne  pas  entendre  la  conversation  bruyante  et  insipide  de  fâcheux 
compagnons  de  voyage.  Les  autres,  sans  livre,  dans  une  posture 
médiocrement  respectueuse,  le  regard  errant,  attendent,  en 
songeant  à  tout  excepté  à  l'office,  la  fin  de  la  cérémonie  comme 
on  attend  dans  une  gare  le  signal  du  départ.  Ils  sont  venus  par 
ordre  ou  ils  ont  voulu  remplir  consciencieusement  un  acte  de 
pénitence  pour  obéir  à  l'Eglise  et  pour  donner  un  exemple  qui 
ne  sera  guère  suivi. 

Aux  offices  chantés  en  très  grande  pompe,  selon  les  règles 
les  plus  compliquées  de  l'art  musical,  beaucoup  de  gens,  peu 
musiciens,  s'ennuieront  tout  autant  ou  à  peu  près,  qu'à  l'audi- 
tion du  plain-chant  martyrisé  bruyamment  par  des  chantres  de 
village.  Les  autres  se  lasseront  d'entendre  de  la  très  savante 
musique  à  l'église,  comme  on  se  lasse  de  faire  chaque  jour  le 
tour  des  lacs  au  bois  de  Boulogne,  comme  on  se  lasse  d'en- 
tendre de  l'excellente  musique  au  théâtre. 

Soit  au  point  de  vue  de  l'attrait,  soit  au  point  de  vue  des  résul- 
tats, il  manque  quelque  chose  d'essentiel  aux  offices  du  dimanche 
et  à  tout  office  de  l'Eglise,  quand  le  chant  y  est  constamment 
réservé  à  quelques-uns  au  lieu  d'être  sur  les  lèvres  de  tous. 

Les  offices  ne  sont  pas  la  religion,  mais  ils  en  sont  la  mani- 
festation et  la  sauvegarde.  La  fréquentation  des  offices,  c'est 
la  prière  en  commun,  la  prière  catholique  et  patriotique,  la 
meilleure  des  prières.  La  fréquentation  des  offices,  c'est  le 
succès  de  l'enseignement  chrétien  assuré.  Les  fidèles  qui 
suivent  les  offices  écoutent  la  prédication  avec  des  dispositions 
qui  en  assurent  le  succès;  les  éclectiques  qui  se  bornent  à  venir 
écouter  un  «s  orateur  de  la  chaire  »  n'apportent  trop  souvent 
qu'une  disposition  de  curiosité  qui  pousse  «  l'orateur  de  la 
chaire  »  à  de  regrettables  innovations,  voire  à  des  dissertations 
qu'on  n'ose  plus  commencer  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  La  fréquentation  des  offices,  c'est  la  fréquentation 


LE    CHANT    DU    PEUPLE  355 

de  l'Eucharistie,  à  laquelle  ne  songent  même  pas  les  catho- 
liques accoutumés  à  la  messe  basse  pour  tout  office. 

Pour  que  les  offices  soient  fréquentés,  il  faut  que,  dans  la 
plus  large  mesure,  tous  les  assistants,  en  y.  prenant  part,  s'y 
intéressent.  De  là,  la  très  grande  utilité  pour  les  fidèles  de  la 
connaissance  de  la  liturgie.  Les  beaux  travaux  de  dom  Gué- 
ranger  sur  cette  matière  viennent  d'être  repris  par  sa  famille 
religieuse;  que  Dieu  en  soit  béni!  Mais  je  m'arrête  à  un  .«eul 
point.  Pendant  les  offices,  les  assistants  doivent  chanter.  Les 
chantres  ne  sont  que  solistes  et  les  chefs  d'attaque  du  chœur  : 
le  chœur,  c'est  le  peuple  chrétien  tout  entier. 

Deux  sortes  de  chants  sont  pratiquement  en  usage  dans  nos 
églises  :  le  chant  liturgique,  dans  l'immuable  langue  de  l'Église  ; 
le  chant  des  cantiques,  en  langue  vulgaire.  Le  chant  liturgique 
est  seul  usité  dans  les  offices,  les  cantiques  peuvent  le  précéder 
ou  le  suivre;  ils  sont  d'un  usage  fréquent  dans  les  pieuses 
réunions  qui  n'ont  pas  le  caractère  d'offices  proprement  dits, 
catéchismes,  mois  de  Marie,  réunions  de  confréries  et  autres. 

Il  importe  de  faire  à  chacune  de  ces  formes  du  chant  chrétien 
la  place  qui  lui  convient  :  le  premier  est  essentiel,  le  second 
est  accessoire;  tous  deux  sont  d'une  grande  utilité. 

Faut-il  répondre  au  reproche  plus  d'une  fois  adressé  aux 
chants  liturgiques?  Comment  le  peuple  prendra-t-il  goût  à 
chanter  des  paroles  dont  il  ignore  le  sens?  —  Le  peuple 
chrétien  n'ignore  pas  le  sens  des  chants  liturgiques.  Il  le 
connaît  d'une  manière  très  suffisante  pour  que  sa  foi  soit  mise 
en  éveil  et  sa  piété  ranimée.  N'a-t-il  pas  sous  les  yeux  la 
traduction  de  toutes  ses  prières?  Ne  sait-il  pas  qu'il  demande 
miséricorde  quand  il  chante  le  Kyrie;  qu'il  glorifie  le  Vjrbe 
fait  chair  quand  il  chante  le  Gloria;  qu'il  affirme  sa  foi  quand 
il  chante  le  Credo;  qu'il  adore  Jésus-Christ  présent  dans 
l'Eucharistie  quand  il  chante  le  Tanturn  ergo;  qu'il  s'unit  à 
Marie  pour  remercier  le  Seigneur  quand  il  chante  le  Magni- 
ficat; qu'il  se  met  sous  la  garde  de  la  Vierge-Mère  quand  il 
chante  Ave  maris  Stella;  qu'il  intercède  pour  les  pauvres 
trépassés  quand  il  chante  le  De  profundis?  Précisément  parce 
que  la  prière  est  une  aspiration  vers  l'infini,  la  prière  répugne 
généralement  aux  formules  positives  qui  conviennent  à  l'ensei- 
gnement; elle  se  plaît  au  demi-jour,  et  le  sentiment  général 
des  paroles  dans  lesquelles,  pour  devenir  une  prière  commune, 
elle  a  du  se  condenser,  lui  suffit. 


356  ANNALES   CATHOLIQUES 

C'était  pendant  cette  triste  guerre  de  1870.  J'avais  réuni 
dans  la  maison  de  Dieu  de  jeunes  soldats  qui  devaient  aller  le 
lendemain  à  la  bataille.  J'entonnai  le  Magnificat.  On  le  chanta 
avec  un  enthousiasme  qui  prouvait  bien  que  cette  prière  latine 
n'était  pas  pour  ces  enfants  du  village  ou  de  l'atelier  une 
langue  indéchiffrable.  Quand  ce  fut  fait,  l'un  d'eux  me  dit  : 
Encore  une  fois  le  Magnificat  ! 

Encore  une  fois  le  cri  de  confiance  du  chrétien  à  sa  mère, 
avant  d'aller  présenter  sa  poitrine  aux  balles  ennemies  !  Nous 
avions  pourtant  des  cantiques,  beaux,  patriotiques,  très  goûtés 
des  soldats.  A  la  veille  de  la  bataille,  ils  voulaient  bisser  le 
Magnificat  ! 

Et  quand,  à  Notre-Dame,  le  jour  de  Pâques,  les  milliers 
d'hommes  qui  ont  pris  part  au  divin  banquet  et  portent  le 
Ressuscité  dans  leur  poitrine  entonnent  ensemble  le  C7'edo, 
ceux-là  mêmes  qui  n'ont  pas  étudié  la  langue  latine  savent 
ce  qu'ils  font;  leur  regard  brillant  de  foi  et  d'espérance  en 
témoigne  assez. 

La  liturgie  se  compose  de  deux  patries  distinctes,  l'une  est 
variable  et  ne  peut  dés  lors  être  chantée  que  par  les  personnes 
exercées  au  plain-chant,  puisqu'elle  s'exécute  généralement 
sans  préparation  préalable,  grâce  à  sa  simplicité  auguste.  Sauf 
exception,  les  introïts,  graduels  et  antiennes  seront  exécutés 
par  les  chantres  seuls. 

L'autre  part  se  compose  des  prières  qui  reviennent  dans 
tous  les  offices,  que  chacun  arrive  à  savoir  ou  à  peu  près,, et 
qui  notées  sur  des  airs  faciles,  peu  nombreux  sinon  toujours 
les  mêmes,  doivent  être  chantées  par  le  peuple  tout  entier.  On 
se  lasse  des  plus  belles  messes  en  musique,  peu  de  gens  se 
soucient  de  les  entendre  jusqu'à  trois  fois  ;  elles  perdent  les 
neuf  dixièmes  de  leurs  charmes  en  perdant  l'attrait  de  la  nou- 
veauté, bien  plus  encore  de  leur  action  sur  l'âme  chrétienne,  si 
cette  action  s'est  fait  sentir.  De  la  messe  de  Dumont,  on  ne  se 
lasse  jamais.  Elle  sera  toujours  goûtée  et  toujours  solennelle. 
Ainsi  en  est-il  du  Tantum  ergo  sur  l'air  liturgique  ordinaire 
du  Pange,  lingua. 

Non  seulement  on  aime  toujours  ces  ineffables  mélodies, 
mais  on  aimerait  à  unir  sa  voix  aux  voix  qui  les  chantent. 
L'homme  naît  chanteur,  comme  il  naît  parleur.  Mais  il  ne  naît 
pas  virtuose;  c'est  pourquoi,  pour  qu'un  chant  devienne  popu- 
laire, il  est  indispensable  qu'il  soit  d'une  exécution  facile.  C'est 


LE    CHANT    DU    PEUPLE  357 

précisément  la  condition  des  morceaux  de  plain-chant  les  plus 
usuels.  Et  quand  ils  sont  cliantés  à  l'unisson  par  des  masses  de 
voix,  les  fausses  notes  se  perdent  dans  l'ensemble.  La  mesure 
laisserait  davantage  à  désirer,  mais  il  arrive  très  heureusement 
que  la  mesure  n'a  pas  dans  le  plain-cliant  l'importance  qu'elle 
a  dans  la  musique  profane. 

Donc,  les  chrétiens  qui  assistent  aux  offices  sont  prédisposés 
à  sortir  d'un  mutisme  contre  nature  :  néanmoins  ils  ne  le  font 
guère,  sinon  dans  quelque  chapelle  isolée  et  pas  trop  éclairée, 
ou  dans  quelque  réunion  intime,  et  encore  à  demi-voix,  comme 
s'ils  craignaient  d'être  entendus  de  Dieu  qui  les  écoute;  d'oii 
cela  vient-il  ? 

Cela  vient,  disait  à  Lille,  au  congrès  catholique  de  1880, 
M.  l'abbé  Lebeau,  d'un  manque  de  foi  sans  doute.  On  peut  dire, 
hélas!  que  cette  cause  n'est  déjà  que  trop  fréquente,  mais  ce 
n'est  pas  la  seule. 

Il  y  a  surtout  cette  lourde  chaîne  qui  pèse  sur  les  âmes 
faibles,  connaissant  leur  devoir,  mais  n'osant  l'accomplir,  sa- 
chant et  leur  état  et  le  besoin  de  prier  l'Auteur  de  tout  bien, 
mais  craignant  le  regard  ou  le  sourire  d'un  voisin  sans  foi  ou 
plus  hardi  pour  le  mal,  c'est-à-dire  plus  lâche  au  bien  :  j'ai 
nommé  le  respect  humain. 

Au  dépérissement  de  la  foi  dans  les  âmes  il  faut  opposer  le 
cri  fortement  senti  d'une  foi  vive. 

A  la  crainte  de  se  montrer  suppliant  devant  le  Créateur,  il 
faut  opposer  hardiment  ces  larges  harmonies  de  la  grande  voix 
du  peuple  s'élevant  à  Dieu  dans  un  élan  unanime. 

Un  seul  Dieu,  un  seul  cœur,  une  seule  voix  !  Les  fidèles, 
dans  la  maison  de  la  prière,  ne  sont  pas  des  spectateurs.  Le 
prêtre  chante,  et  si  le  clergé  n'était  pas  trop  nombreux  et 
trop  accablé  de  travail,  les  chantres  laïques  ne  devraient 
pas  pénétrer  dans  le  sanctuaire.  Le  sacrifice  du  prêtre  est 
aussi  le  sacrifice  des  fidèles  :  «  Priez,  mes  frères,  afin  que  ce 
sacrifice,  qui  est  mien  et  qui  est  vôtre,  soit  agréable  au  Dieu 
tout-puissant.  » 

Le  chant  entonné  par  le  prêtre  doit  être  poursuivi  par  toute 
l'assemblée  sainte. 

Ecoutons  un  illustre  maître,  Félix  Clément.  C'est  un  laïque 
qui  parle  à  des  laïques  : 

«  Dieu  a  donné  à  l'homme  un  goût  tout  particulier  pour  le 
chant   collectif,    et   il   y   a   attaché    une    influence   bien   plus 


358  ANNALES    CATHOLIQUES 

salutaire  et  bien  plus  propre  à  agir  sur  l'âme  que  ce  plaisir  un 
peu  égoïste  et  isolé  que  ressent  un  musicien  à  l'audition  d'un 
beau  morceau  de  musique.  Ce  chant  collectif  constitue  de  plus 
une  communauté  de  prières  et  de  louanges,  et  comme  nous 
sommes  tous  membres  d'un  même  corps  en  qualité  de  chré- 
tiens, nous  j  trouvons  un  avant-goùt  du  chant^  encore  plus 
parfait,  que  nous  devons  entendre  (et  exécuter)  dans  le 
royaume  des  cieux.  » 

Si  nous  envisageons  le  chant  collectif  comme  une  commu- 
nauté de  prières  et  de  louanges,  ses  avantages  sont  manifestes 
et  sa  puissance  est  grande  aux  yeux  de  Dieu. 

Ce  chant  inspire  à  chacun  de  nous  un  sentiment  plus  vif  de 
fraternité  chrétienne,  car  il  exprime  l'union  de  tous  les  membres 
d'un  même  corps  et  de  toutes  les  voix  en  une  seule.  S'agit-il 
ici  d'une  de  ces  entreprises  dont  les  immenses  difficultés 
peuvent  déconcerter  les  plus  fermes  courages  ? 

Qu'un  chrétien,  qu'une  chrétienne  de  bonne  volonté  s'en- 
tendent avec  quelques  autres  fidèles  pour  donner  le  signal  et 
l'exemple;  qu'assuré  d'être  soutenu  le  pasteur  encourage  ses 
paroissiens  à  revenir  aux  bonnes  coutumes  des  aïeux,  qu'on 
n'ait  pas  peur  d'une  plaisanterie  et  qu'on  persévère  :  la  paroisse 
entière  suivra. 

On  prêchait  une  mission  dans  la  banlieue  de  Paris,  région 
des  moins  mystiques.  La  châtelaine,  qui  en  suivait  assidûment 
les  exercices  et  aimait  à  chanter,  s'avisa  d'aller  s'asseoir  au 
milieu  des  petites  filles  de  l'école  et  de  chanter  avec  elles.  Elle 
y  conquit  aussitôt  une  popularité  que  la  construction  d'une 
école  et  d'autres  bienfaits  importants  n'avaient  pas  obtenue. 
«  La  comt3sse  n'est  pas  fière,  disaient  les  laboureurs,  elle 
chante  avec  nos  enfants.  »  La  cause  du  château  chrétien  fut 
gagnée  ce  jour-là,  et  la  cause  de  Dieu  le  fut  en  même  temps. 

Francs  catholiques,  chantons  à  l'église;  la  cause  des  offices 
sera  gagnée  et  celle  des  âmes  avec  elle. 

Arrivons  aux  cantiques.  Ils  firent  la  joie  de  nos  aïeux, 
témoin  ces  vieux  noëls  qui  donnaient  tant  de  charme  à  la 
célébration  annuelle  de  la  naissance  du  Dieu  sauveur.  Avant 
même  cette  bienheureuse  naissance  de  l'Emmanuel,  le  peuple 
de  Dieu  se  plaisait  aux  cantiques.  Les  psaumes  de  David 
étaient  des  cantiques  en  langue  nationale,  et  les  musiciens 
officiels  du  temple  n'étaient  pas  seuls  à  les  chanter. 

Mais  quels  cantiques  faut-il  préférer?  Car  chaque  jour  en 


LE   CHANT    DU    PEUPLE  359 

voit  éclore.  Il  existe  trois  espèces  de  cantiques  :  les  anciens, 
qui  ont  reçu  la  consécration  du  temps,  qu'on  sait  partout, 
qu'anime  un  souffle  de  foi  profond,  et  dont  la  forme  naïve 
couvre  les  enseignements  les  plus  substantiels  du  christia- 
nisme : 
Esprit-Saint,  descendez  en  nous!  —  Venez  divin  Messie! 

—  Travaillez  à    voire   salut!    —    Quand    l'eau    sainte    du 
baptême!  —  Le  monde  en  vain  par  ses  biens  et  ses  charmes! 

—  Reviens,  pe'cheur,  à  ion  Dieu  qui  t'appelle,  etc. 

Ces  cantiques-là,  il  faut  les  garder,  comme  on  garde  dans 
une  maison  les  vieux  fauteuils  dans  lesquels  se  sont  assis  les 
grands-parents;  il  faut  les  garder  comme  on  garde  les  monu- 
ments bâtis  par  les  ancêtres,  sans  retouches  et  sans  ornementa- 
tion de  fantaisie.  Ils  sont  le  patrimoine  commun  des  fidèles 
des  divers  diocèses,  comme  un  cri  de  ralliement  entre  tous  les 
catholiques  d'un  même  pays.  Ils  rappellent  les  souvenirs  des 
jeunes  années,  de  la  première  communion;  ils  rattachent  le 
passé  à  l'avenir.  Leur  simplicité  les  met  à  la  portée  de  tous,  et 
merveilleusement  ils  unissent  les  voix  et  les  coeurs. 

Le  culte  des  vieux  cantiques  doit-il  aller  jusqu'à  bannir  en 
bloc  les  cantiques  modernes?  Un  triage  doit  être  opéré.  Nous 
en  savons  qui  sont  devenus  justement  populaires  :  De  Marie 
qu'on  publie  et  la  gloire  et  les  grandeurs,  —  Aimons  la  voix 
du  Seigneur,  —  Je  suis  chrétien,  voilà  ma  gloire,  —  Sauvez 
Rome  et  la  France,  et  bien  d'autres.  Nous  en  savons  d'exquis  : 
le  dialogue  de  l'ange  et  du  chrétien  sur  l'Eucharistie,  ce 
chef-d'œuvre  de  Mgr  de  la  Bouillerie,  Ils  ne  sont  plus  ces  jours 
de  larmes,  du  P.  Hermann,  etc.,  etc. 

Mais  nous  demandons  aux  cantiques  modernes  deux  choses  : 
la  première,  qu'ils  soient  des  compositions  véritablement  reli- 
gieuses, et  non  pas  un  vain  cliquetis  de  mots  sonores  :  verdure 
et  nature,  cœurs  et  fleurs,  amours  et  toujours. 

Le  cantique  est  le  jeune  frère  de  l'hymme  liturgique.  Il  est 
destiné  à  être  chanté,  sinon  dans  les  offices  sacrés,  du  moins 
dans  le  saint  lieu.  S'il  se  confond  avec  la  romance  de  Clapisson, 
si  l'on  n'y  trouve  qu'une  vague  religiosité,  il  est  mauvais.  La 
poésie  de  bon  aloi  n'y  gâte  rien;  nous  voudrions  même  l'y 
trouver  toujours.  Mais  un  chant  religieux,  un  chant  qui  est 
une  prière,  doit  avant  tout  être  fortement  chrétien. 

J'aime  mieux  la  prose  rimée  de  tel  de  nos  cantiques  popu- 
laires^ que  les  rimes  riches  et  les  délicates  images  d'un  cantique 


360  ANNALES     CATHOLIQUES 

qui  ne  dit  rien  à  l'âme  chrétienne,  et  ressemble  en  son  genre 
à  ces  mères  portant  un  poupon  qu'on  vend  chez  les  marchands 
de  tableaux  sous  la  rubrique  de  Vierge-mère.  Il  est  à  remarquer 
d'ailleurs,  et  ceux  qui  composent  pour  le  théâtre  le  savent  fort 
bien,  que  les  conditions  de  la  poésie  destinée  à  être  chantée  diffè- 
rent notablement  de  celles  d'une  pièce  qui  doit  être  lue.  Le  sen- 
timent j  joue  un  rôle  beaucoup  plus  important  que  l'image.  Le 
but  qu'on  se  propose,  c'est  d'émouvoir;  une  composition  trop 
savante  j  ferait  parfois  obstacle.  Sans  doute  le  sentiment  doit 
avoir  lui-même  pour  point  d'appui  une  pensée,  et  dans  le 
cantique,  cette  pensée  doit  être  puisée  aux  sources  les  plus 
pures  de  l'enseignement  chrétien;  mais  l'ornementation  de  cette 
pensée  joue  un  rôle  secondaire  dans  le  cantique. 

Donc,  les  cantiques  qui  doivent  être  préférés  sont  ceux  qui 
parlent  au  cœur  un  langage  chrétien  et  ont  pour  objet  le  déve- 
loppement d'un  sentiment  chrétien.  A  ce  dernier  point  de  vue, 
les  cantiques  à  refrain  sont  de  beaucoup  préférables  aux  autres. 
La  foule  arrive  aisément  n  savoir  par  cœur  le  refrain,  et  alors 
elle  chante  ! 

Elle  chante  !  C'est  là,  hélas  !  ce  qui  agace  les  nerfs  des  vir- 
tuoses. On  disait  un  jour  à  un  groupe  de  jeunes  filles  qui,  à  la 
tribune  de  l'orgue,  exécutaient  magistralement  les  cantiques  du 
P.  Hermann  :  «  Pourquoi  ne  chantez-vous  plus  ce  cantique  qui 
est  si  beau  et  que  tout  le  monde  entend  avec  tant  de  bonheur  ? 
—  C'est  impossible  maintenant.  —  Et  pourquoi  ?  —  Tout  le 
inonde  chante  le  refrain.  »  —  Vojez-vous  d'ici  ces  bonnes  créa- 
tures, fort  courroucées  de  ce  qu'elles  auraient  dû,  avec  un 
gramme  d'humilité  sous  le  crâne,  considérer  comme  le  plus 
désirable  succès  ? 

Qu'un  chœur  de  chanteuses,  qui  s'est  soigneusement  pré- 
paré à  chanter  dans  une  occasion  solennelle  des  morceaux  aussi 
difficiles  que  charmants,  soit  agacé  quand  du  milieu  de  l'assem- 
blée une  voix  d'une  justesse  douteuse  leur  apporte  un  concours 
qu'elles  ne  demandaient  pas,  nous  ne  refuserons  pas  de  compatir 
à  cette  épreuve  ;  mais  un  système  de  chant  organisé  non  pour 
amener  la  foule  des  fidèles  à  chanter  les  cantiques,  mais  au  con- 
traire pour  les  en  empêcher,  est  un  système  barbare,  et  nous  le 
disons  sans  périphrase,  scandaleux.  L'église  n'est  pas  une  salle 
de  concert  ;  c'est  une  miiison  de  prière.  Qu'on  donne  des  con- 
certs ailleurs;  ira  les  entendre  qui  voudra. 

Un  dernier  mot  sur  le  côté  musical  de  la  question.  L'air  d'un 


LE   CINQUIÈME    CONGRES   DES    ŒUVRES   EUCHARISTIQUES      361 

cantique  eu  est  le  vêtement.  Le  vêtement  doit  être  en  rapport 
avec  le  personnage  et  la  fonction  que  celui-ci  remplit.  Or,  ici, 
le  personnage  est  un  serviteur  de  Dieu  et  sa  fonction  est  de 
rendre  plus  intime  l'union  des  enfants  du  Seigneur  avec  leur 
père.  La  musique  des  cantiques  doit  donc,  l3ien  qu'avec  d'autres 
procédés,  avoir  comme  le  plain-cliant  un  caractère  nettement 
religieux,  bannir  sévèrement  toute  tendance  molle,  sensuelle, 
user  très  sobrement  des  effets  compliqués  et  bannir  absolument 
le  tour  de  force  dont  la  place  n'est  pas  à  l'église.  Une  mélodie 
simple  sans  vulgarité,  d'une  exécution  facile,  produisant  d'au- 
tant plus  d'effet  qu'elle  est  chantée,  même  à  l'unisson,  par  des 
voix  plus  nombreuses,  mais  venue  d'un  jet  et  ne  faisant  pas 
d'emprunts  aux  airs  profanes  du  jour,  voilà  ce  qui  convient  le 
mieux  pour  le  cantique. 

Nous  ne  prolongerons  pas  davantage  ces  réflexions.  Elles  suf- 
firont à  nos  lecteurs,  cro3'Ons-nous,  pour  leur  faire  apprécier  l'ex- 
trême importance  da  chant  des  fidèles  dans  les  églises,  et  les 
convaincre  qu'en  chantant  sans  respect  humain  et  dans  un  vif 
sentiment  de  foi,  non  seulement  ils  s'associeront  aux  anges  et 
aux  élus,  mais  encore  ils  exerceront,  soit  durant  les  saints  offices 
soit  aux  diverses  réunions  de  piété,  un  véritable  apostolat. 

A.  Delaporte,  p.  m. 


LE  V*  CONGRES  DES  ŒUVRES  EUCHARISTIQUES 

Nous  avons  déjà  annoncé  que  le  nouveau  congrès  des  Œuvres 
eucharistiques  aurait  lieu  à  Toulouse,  du  20  au  25  juin  pro- 
chain, sous  la  présidence  de  S.  Em.  le  cardinal  Desprez,  arche- 
vêque de  Toulouse,  et  la  direction  de  S,  G.  Mgr  Mermillod, 
évêque  de  Lausanne  et  de  Genève. 

Mais  on  nous  permettra,  en  raison  de  l'importance  de  cette 
grande  réunion,  d'y  revenir  et  d'appeler  sur  elle  avec  instance 
l'attention  des  catholiques. 

Lorsque  S.  Em.  le  cardinal  Desprez  annonçait  en  1884  au 
clergé  et  aux  fidèles  de  son  diocèse  la  tenue  de  ce  congrès,  — 
on  sait  que  c'est  le  choléra  qui  a  empêché  le  congrès  d'avoir 
lieu  à  cette  époque  —  il  disait  que  c'était  «  une  grâce  que 
«  la  Providence  réservait  à  son  diocèse,  et  que  la  cause  de 


363  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  ces  congrès  est  non  restreinte  et  bornée,  mais  étendue  et 
«  catholique,  peut-on  dire,  comme  l'Église  elle-même.  » 

Rien  n'est  plus  exact,  et  pour  comprendre  quel  intérêt  ce 
congrès  présente  pour  les  catholiques,  il  suffira  de  lire  avec 
soin  le  programme  des  questions  proposées  au  Congrès.  Lo 
voici  : 

1"  Section. 

Foi  et  pieté.  —  Adoration  et  réparation.  —  Sainte  messe 

et  communion. 

1.  Foi  et  piété.  —  Efforts  à  faire  pour  accroître  la  connaissance 
théorique  et  pratique  de  la  divine  Eucharistie.  —  Démon-tration  de 
son  influence  sociale.  —  La  dévotion  eucharistique  centre,  aliment 
et  but  final  de  toutes  les  autres,  spécialement  de  la  dévotion  au  Sacré- 
Cœur.  —  Catéchismes;  écoles  de  catéchisme  pour  les  enfants  qui  fré- 
quentent les  écoles  laïques;  enseignement  tout  particulier  du  dogme 
eucharistique  dans  les  catéchismes.  —  Prédications  eucharistiques. 
—  Moyens  de  défendre  notre  foi  eucharistique  contre  l'erreur  et  l'in- 
crédulité. —  Formation  des  diverses  catégories  de  fidèles  à  la  piété 
eucharistique,  particulièrement  des  enfants,  des  membres  des  œuvres 
de  jeunesse  et  des  œuvres  ouvrières,  des  étudiants  des  Facultés. 

2.  Adoration  et  réparation.  —  Adoration  diurne  et  nocturne  dans 
les  villes  et  dans  les  campagnes:  moyens  de  la  rendre  vraiment  per- 
pétuelle. —  Quarante-Heures.  —  Heure  sainte.  —  Visite  au  Très- 
Saint-Sacrement.  —  Réparation  des  profanations  et  des  blasphèmes 
contre  la  sainte  Eucharistie.  —  Moyens  matériels  de  prévenir  et 
d'empêcher  les  entreprises  sacrilèges  et  les  outrages  contre  le  Très- 
Saint-Sacrement.  —  Respect  dans  les  églises;  tenue  et  mise  modeste 
des  femmes;  usage  traditionnel  du  voile  de  communion  pour  elles. 

3.  Sainte  messe  et  communion.  —  La  sainte  messe.  —  Assistance 
quotidienne  au  saint  sacrifice.  —  Messe  paroissiale.  —  Messe  des 
écoles.  —  Moyens  de  faciliter  aux  pauvres  l'assistance  à  la  messe  du 
dimanche.  —  Messes  expiatoires.  —  Messes  de  Requiem.  —  Fonda- 
tions de  messes.  —  Œuvres  de  préparation  à  la  première  communion 
et  de  persévérance.  —  Communion  fréquente.  —  Communion  répara- 
trice. —  Communion  des  infirmes  et  des  malades.  —  Moyens  d'assu- 
rer aux  mourants  les  derniers  sacrements.  —  Saint  Viatique.  —  Béné- 
dictions du  Très-Saint-Sacrement.  —  Moyens  d'associer  les  absents 
eux-mêmes  à  la  célébration  de  la  messe  et  aux  bénédictions. 

2*  Section. 

Hommages  publics.  —  Associations.  —  Histoire. 
Art  et  propagande. 

1.  Hommages  publics.  —  Célébration  solennelle  de  la  Fête-Dieu 
et  des  offices  votifs  du   Très-Saint-Sacrement.  —  Processions.  — 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  363 

Pèlerinages  eucharistiques.  —  Congrès  des  œuvres  eucharistiques  ; 
manière  do  les  promouvoir,  de  les  rendre  pratiquement  féconds, 
d'en  assurer  les  résultats  et  d'en  continuer  l'influence  ;  comités 
eucharistiques  établis  dans  ce  but. 

2.  Associations.  —  Confréries  du  Très-Saint-Sacrement  et  Asso- 
ciations eucharistiques  dans  les  villes  et  dans  les  campagnes.  — 
Relations  à  établir  entre  elles  et  avec  les  autres  associations  et 
œuvres  catholiques.  —  Leur  influence  sociale  et  religieuse.  —  Asso- 
ciations diverses  pour  les  nécessités  du  culte  dans  les  églises  pauvres 
et  dans  les  missions.  —  Congrégations  religieuses  vouées  au  culte 
eucharistique.  —  Oblats  du  Très-Saint-Sacrement. 

3.  Histoire.  —  Histoire  et  statistique.  —  Faits  mémorables.  ~ 
Miracles  eucharistiques.  —  Renseignements  et  documents  sur  la 
dévotion  eucharistique  et  ses  progrés  dans  les  divers  pays  chrétiens. 
Personnages  célèbres,  en  ce  siècle  surtout,  par  leur  dévotion  au 
Très-Saint-Sacrement  ;  influence  de  leur  vie  et  hommages  rendus  à 
leur  mémoire. 

4.  Art.  —  L'art  et  ses  diverses  manifestations  au  service  de  la 
sainte  Eucharistie  ;  architecture,  sculpture,  peinture,  musique  ;  rè- 
gles et  traditions.  —  Musées  et  bibliothèques  eucharistiques.  — 
Monuments  en  l'honneur  de  la  divine  Eucharistie. 

5.  Propagande.  —  Propagande  des  œuvres  eucharistiques  dans  le 
monde  entier.  —  Publications  eucharistiques  ;  livres,  revues,  bro- 
chures, tracts,  images  populaires.  —  Réédition  des  meilleurs  ouvrages 
d'autrefois  ;  composition  d'ouvrages  nouveaux  en  rapport  avec  les 
nécessités  d'aujourd'hui  ;  traduction  d'ouvrages  écrits  en  langues 
étrangères  ;  bibliographie  et  catalogues  de  propagande. 


LA  LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET  l'ÉPISCOPAT 

(Suite.  —  V.  les  numéros  précédents.) 

Bordeaux.  —  Mgr  l'archevêque  de  Bordeaux  écrit  au  car 
dinal  Guibert  : 

Il  n'est  certes  pas  un  évêque  français  qui  ne  déplore  amèrement 
avec  vous  la  triste  guerre,  aussi  gratuite  que  funeste,  qui  se  poursuit 
chez  nous,  depuis  plusieurs  années,  contre  la  religion  et  le  clergé. 

N'est-il  pas,  en  effet,  souverainement  injuste  et  puéril  d'accuser 
l'Eglise  d'être  l'ennemie   de  la  démocratie  moderne  et  du  progrès. 


364  ANNALES   CATHOLIQUES 

lorsqu'elle  a  vécu  et  doit  vivre  sous  tous  les  régimes,  qu'elle  les 
bénit  tous  et  ne  leur  demande  que  d'être  équitables. 

«  Non,  comme  le  dit  si  bien  Votre  Éminence,  le  clergé  n'a  jamais 
eu  et  n'a  pas  même  aujourd'hui  un  parti  pris  d'hostilité  contre  les 
institutions  actuelles.  S'il  montre  de  la  froideur  et  des  inquiétudes, 
ces  dispositions  dont  on  se  plaint  ne  datent  que  du  jour  où  les 
représentants  de  ce  régime  ont  fait  cause  commune  avec  les  ennemis 
de  la  religion. 

«  Si  la  Republique  acceptait  l'obligation,  imposée  â  tous  les  gou- 
vernements, de  respecter  les  croyances  et  le  culte  de  l'immense 
majorité  de  notre  pays,  il  n'y  a  rien  dans  la  doctrine  de  l'Eglise,  ni 
dans  ses  traditions  qui  pût  motiver  chez  le  prêtre  un  sentiment  de 
méfiance  ou  d'opposition.  » 

Nous  avons  longtemps  espéré  que  ceux  qui  nous  gouvernent  sau- 
raient s'en  rendre  compte  et  s'arrêteraient  dans  une  voie  périlleuse. 
Nous  voulons  encore  l'espérer,  car  tant  de  préjugés  et  de  préven- 
tions, qui  n'ont  pas  de  raison  d'être,  ne  peuvent  se  perpétuer 
indéfiniment. 

D'ailleurs,  nos  populations  chrétiennes,  témoins  chaque  jour  du 
dévouement  de  leur  clergé,  finissent  par  faire  justice  des  calomnies 
insensées  dont  il  est  l'objet,  et  notre  nation,  toujours  foncièrement 
catholique,  à  l'exception  d'une  infime  minorité  de  sectaires  impies, 
commence  à  se  lasser  d'hostilités  religieuses  qui  sont  certainement 
pour  elle  le  plus  grand  des  périls. 

Oui,  nous  espérons  que  nos  sénateurs  et  nos  députés  le  compren- 
dront aussi  bien  que  leurs  lecteurs  et  s'efforceront  de  nous  assurer 
la  concorde  et  la  paix,  qui  ne  sont  pas  moins  nécessaires  à  l'Etat 
qu'à  l'Eglise. 

Puisse,  Monseigneur,  votre  grave  et  si  sage  avertissement  contri- 
buer puissamment  â  cet  heureux  résultat,  avec  la  protection  de  Dieu 
qui  veille  toujours  sur  notre  France. 

La  Rochelle.  —  Mgr  l'évêque  de  La  Rochelle  : 

J'étais  à  peine  revenu  de  mon  voyage  à  Rome,  lorsque  j'ai  reçu  la 
communication  que  vous  avez  bien  voulu  me  faire  de  votre  lettre  à 
M.  le  président  de  la  République. 

Je  l'ai  lue  avec  l'intérêt  que  j'attache  à  tous  les  actes  qu'inspirent 
â  Votre  Éminence  son  profond  dévouement  à  l'Église  et  son  zèle 
ardent  pour  défendre,  avec  autant  d'éloquence  que  de  modération, 
la  grande  cause  de  notre  sainte  religion.  Les  hautes  et  sages  consi- 
dérations qu'elle  contient  sont  bien  capables  d'ouvrir  les  yeux  à  ceux 
qui  cherchent  à  calomnier  l'Église  et  ses  ministres. 

A  l'exemple  de  Léon  XIII,  nous  n'avons  pas  la  pensée  de  discuter 
la  forme   du   gouvernement  que  la  France    s'est   donné.  Nous  ne 


LETTRE    DU    GARDINAL    GUIBERT  365 

demandons  qu'à  travailler  avec  lui  à  la  gloire  et  à  la  prospérité  de 
notre  chère  patrie. 

Mais  les  destinées  de  la  France  ont  toujours  été  intimement  liées 
à  celles  de  l'Église.  C'est  pourquoi  nous  ne  pouvons  les  séparer  ni 
dans  nos  affections,  ni  dans  nos  sollicitudes. 

Le  clergé  de  mon  diocèse,  fidèle  à  l'accomplissement  de  ses  im- 
portants devoirs,  reste  étranger  aux  luttes  politiques.  Il  se  contente 
d'user  paisiblement  des  droits  que  lui  accordent  nos  lois  et  se  montre 
courageux  dans  les  épreuves. 

Nous  conjurons  la  divine  Providence  de  faire  bientôt  cesser  ces 
épreuves,  parfois  bien  lourdes  à  porter  !  Avec  Votre  Eminence,  nous 
désirons  tous  voir  régner  la  paix  et  la  concorde  au  sein  de  notre 
bien-aimé  pays. 

Meaux.  —  Mgr  l'évêque  de  Meaux  : 

Votre  Eminence  oublie  les  fatigues  de  l'âge  et  de  la  maladie 
toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  défendre  les  intérêts  de  l'Église  et  de 
la  France.  C'est  un  besoin  et  un  soulagement  pour  notre  foi  d'adhérer 
à  votre  lettre  à  M.  le  président  de  la  République,  dans  laquelle  vous 
exprimez  avec  tant  de  noblesse  et  de  dignité  les  sentiments  de  la 
France  chrétienne. 

Poitiers.  —  Mgr  l'évêque  de  Poitiers  : 

L'épiscopat  ne  pouvait  rester  insensible  aux  maux  dont  l'Église 
souflfre  chaque  jour  davantage  :  encore  moins  devait-il  garder  le 
silence  après  les  derniers  incidents  qui  ont  révélé  la  gravité  de  la 
situation  faite  aux  catholiques  et  le  parti-pris  de  flétrir  nos  pra- 
tiques les  plus  pieuses  et  jusqu'aux  dogmes  de  notre  foi. 

Il  était  cependant  sage  d'attendre  qu'une  voix  autorisée  entre 
toutes  fût  l'interprète  de  la  douleur  commune  ;  et  personne  n'ayant 
plus  que  vous  qualité  pour  faire  entendre  une  respectueuse,  mais 
solennelle  protestation,  c'est  vous,  Eminence,  qui  aviez  l'impérieuse 
obligation  de  traduire  nos  appréhensions  et  nos  doléances  dans  un 
langage  aussi  digne  que  ferme. 

Ce  langage  si  modéré  et  d'un  accent  si  patriotique,  si  français, 
aurait  dû  être  mieux  compris.  Il  a  été  regardé  comme  une  menace. 

Amené  par  la  logique  et  l'examen  des  faits  à  vous  demander  où 
nous  en  sommes,  et  si  le  Concordat  est  abrogé  ou  s'il  est  encore 
en  vigueur,  vous  avez  fait  ressortir  ce  qu'il  y  a  d'étrange,  sous 
l'empire  du  Concordat,  à  traiter  l'Église  comme  si  le  Concordat 
n'existait  plus.  Signaler  l'injustice  de  ces  procédés  et  les  périls  que 
crée  à  notre  pays  cette  fatale  politique,  est-ce  donc  faire  acte  d'im- 
prudent et  de  mauvais  citoyen,  et  encourir,  le  cas  échéant,  la  respon- 
sabilité  d'une   dénonciation   du   Concordat,    lorsque,    au    contraire. 


366  ANNALES   CATHOLIQUES 

votre  lettre  au  président  de  la  République  n'a  d'autre  but  que 
d'avertir  les  hommes  du  pouvoir  des  écueils  auxquels  ils  nous 
exposent,  et  de  les  rappeler  à  l'esprit  du  Concordat,  qui  fait  loi  pour 
nous  ? 

Vous  êtes,  Éminence,  au-dessus  de  ces  appréciations  erronées  ; 
des  commentaires  aussi  éloignés  de  la  vérité  no  sont  pas  de  nature  à 
donner  le  change  sur  vos  paroles.  Ceux-là  seulement  auront  pu  s'y 
méprendre  qui  l'auront  voulu.  En  écrivant  cette  lettre  d'une  calme 
et  haute  raison,  vous  avez  accompli  un  devoir  sacré;  et  vos  frères 
dans  l'épiscopat  ne  font  également  que  céder  au  cri  de  leur  con- 
science lorsqu'ils  vous  adressent  leurs  remerciements  et  leur  pleine 
adhésion. 

C'est  ce  que  je  vous  demande,  Eminence,  la  permission  de  faire 
aussi  bien  que  le  moindre  des  évêques.  Le  grand  Hilaire  sur  le  siège 
duquel  je  suis  assis  n'eût  jamais  consenti  à  taire  la  vérité  au  moment 
opportun  :  je  ne  dois  pas  la  taire  non  plus. 

Tarentaise,  —  Monseigneur  l'évêque  de  Tarentaise  : 

Votre  lettre  est  un  acte  de  courage,  de  haute  sagesse  et  de  par- 
faite opportunité,  qui  s'ajoute  aux  gloires  de  votre  épiscopat  et  que 
l'Eglise  de  France  sera  fière  de  consigner  dans  ses  annales. 

C'est  avec  une  douleur  profonde  que  nous  voyons  s'accuser  de  plus 
en  plus  cette  persécution  légale  qui  nous  enlève,  une  à  une,  toutes 
nos  libertés.  Le  doute  aujourd'hui  n'est  plus  possible  :  la  religion  est 
menacée  dans  son  existence  même;  on  prépare  le  triomphe  de  la 
libre-pensée. 

11  y  a  longtemps  que  l'épiscopat,  gardien  vigilant  de  la  foi  catho- 
lique, signale  la  conjuration  ourdie  dans  l'ombre  par  les  ennemis  de 
l'Eglise  et  dénonce  le  péril  avec  cette  indépendance  qui  est  un  de- 
voir, mais  aussi  avec  cette  modération  qui  a  mérité  vos  éloges. 

...  Que  Votre  Eminence  soit  bénie  d'avoir  élevé  la  voix  avec  cette 
autorité  devant  laquelle  s'inclinent  tous  le  catholiques  de  France  !  11 
vous  appartenait  de  faire  entendre  cesjustes  doléances,  qui  devraient 
être  écoutées  comme  une  haute  leçon  ;  nul  mieux  que  vous  n'avait 
le  droit  de  rappeler  les  violences  des  cinq  dernières  années,  de  ven- 
ger nos  saintes  croyances  attaquées  publiquement  du  haut  de  la  tri- 
bune ;  de  protester  contre  l'ostracisme  dont  on  frappe  les  maîtres 
parce  qu'ils  sont  catholiques  ;  de  signaler  cette  violation  du  pacte 
concordataire,  dont  on  fait  une  machine  de  guerre,  alors  qu'il  ne 
devrait  être  et  n'avait  été  jusqu'ci  qu'un  instrument  de  paix. 

Les  conseils  de  votre  patriotique  sagesse  seront-ils  écoutés  ?  S'ar- 
rêtera-t-on  sur  cette  pente  fatale  qui  mène  aux  abîmes  ?  N'aurez-vous 
pas  la  douleur  de  voir,  une  huitième  fois,  le  régime  politique  de 
notre  pays  s'effondrer  sous  le  poids  de  ses  fautes  ? 


LETTRE    JjU    CARDINAL    GUIBERT  367 

Sous  la  menace  des  derniers  malheurs,  Votre  Eminence  a  voulu 
dégager  sa  responsabilité  ;  l'épiscopat  français  dégage  la  sienne  avec 
vous  et  comme  vous.  Pour  ma  part,  c'est  de  cœur  et  d'âme  que  je 
donne  à  votre  admirable  protestation  mon  adhésion  la  plus  entière 
et  ia  plus  formelle. 

Un  jour,  Emineuce,  quand  l'opinion  publique  et  le  bons  sens  chré- 
tien auront  fait  justice  de  la  persécution  dont  nous  sommes  victimes, 
l'histoire  ne  racontera  pas  sans  confusion  les  défaillances  d'un  pays 
qui  fut  autrefois  la  nation  très  chrétienne;  mais,  au  milieu  de  ces 
défaillances,  elle  montrera  avec  une  vive  admiration  votre  figure 
vénérable,  si  belle  de  sainte  indépendance  et  de  douce  sérénité;  elle 
dira  qu'après  avoir  combattu  soixante  ans  pour  l'Église,  arrivé  aux 
dfiruières  années  d'une  glorieuse  vieillesse,  vous  avez  trouvé  dans 
votre  cœur  d'évêque  et  de  Français  d'incomparables  accents  pour 
défendre  jusqu'à  la  fin  la  justice,  la  liberté,  la  vérité. 

Valence.  —  Mgr  l'évêque  de  Valence  : 

Mes  sentiments  sont  assez  connus  de  Votre  Eminence  et  de  mes 
vénérables  collègues  pour  que  je  ne  puisse  être  suspecté  de  tiédeur, 
alors  même  que  je  garderais  le  silence.  J'ai  fnrmul^  depuis  longtemps 
mes  appréciations  sur  les  dispositions  du  pouvoir  civil  à  l'égard  de 
l'Église,  et  à  voir  le  mouvement  qui  se  produit,  j'aime  à  supposer 
que  ceux  qui  auraient  pu  m'accuser  d'exagération  ne  sont  pas  éloi- 
gnés de  partager,  aujourd'hui,  ma  manière  de  voir. 

Néanmoins,  je  tiens  à  vous  offrir,  non  seulement  en  mon  nom 
personnel,  mais  au  nom  de  mon  clergé  tout  entier  et  de  mes  diocé- 
sains fidèles,  l'hommage  de  la  respectueuse  admiration  et  de  la  vive 
reconnaissance  qui  nous  ont  été  inspirées  par  la  lecture  de  votre 
lettre  à  M.  le  président  de  la  République. 

L'exposé  que  vous  faites  des  violences  accumulées  contre  la 
religion,  pendant  les  cinq  années  qui  viennent  de  s'écouler,  n'est 
hélas  !  que  trop  exact. 

Ce  que  l'impiélé  poui'suit,  ce  n'est  pas  seulement  la  ruine  des 
institutions  chrétiennes,  si  nécessaires  à  la  société  ;  c'est  encore 
l'abolition  des  lois  ecclésiastiques  et  l'anéantissement  de  l'autorité 
léguée  par  Jésus-Christ  aux  cvêques  pour  régir  l'Église  de  Dieu; 
c'est,  en  un  mot,  la  mise  hors  la  loi  dos  catholiques  et  du  clergé. 

Avec  une  perfidie  calculée,  on  confond  les  principes  d'un  gouver- 
nement qui  pourrait  être  honnête  avec  l'application  malhonnête 
qu'on  nous  en  fait  ;  et  l'on  nous  accuse  d'être  les  ennemis  des 
institutions  actuelles,  quand  nous  ne  sommes  que  les  ennemis  de 
l'irréligion,  de  l'arbitraire  et  de  l'iniquité.  Sous  ce  vain  prétexte, 
rp]tat  s'arroge  le  droit  de  supprimer  les  traitements  et  les  titres, 
d'eiiger  le  déplacement  des  prêtres  chargés  d'administrer  les  pa- 
roisses, et  cela  sans  avis  préalable,  sans  enquête  et  contrairement  à 

27 


368  ANNALES    CATHOLIQUES 

toutes  les  règles  de  la  justice.  Il  fait  plus  encore  et  s'immisce  dans 
des  questions  de  conscience,  décidant  que  tel  ou  tel  fivre  peut  être 
mis  entre  les  mains  des  écoliers  catholiques,  alors  même  qu'il  est 
condamné  par  l'Eglise,  et  privant  des  curés  de  l'indemnité  qui  leur 
est  due  parce  qu'ils  ont  refusé  les  sacrements  à  des  chrétiens  sans 
courage  et  sans  foi. 

A  voir  le  cas  et  l'usage  que  nos  hommes  d'Etat  font  des  sacrements, 
on  se  demande  d'où  leur  vient  cette  étrange  sollicitude  et  comment 
ils  concilient  leur  athéisme  gouvernemental  avec  de  telles  prétentions. 
Mais  à  quoi  bon  la  logique,  le  Concordat  et  le  droit  commun,  lors- 
qu'il s'agit  d'entraver  l'action  de  l'Église  et  de  porter  atteinte  à 
sa  liberté  ? 

Les  tristes  événements  qui  viennent  de  se  passer  dans  notre  régioa 
nous  fournissent  une  nouvelle  preuve  des  dispositions  dont  les 
pouvoirs  publics  sont  animés  à  cet  égard.  Le  contraste  choquant 
d'une  patience  scandaleuse  devant  l'émeute  et  l'assassinat,  et  d'une 
fureur  sauvage  exercée,  au  mépris  de  toute  légalité,  contre  des 
citoyens  qui  défendent  leur  propriété  et  contre  des  femmes  qui 
prient,  nous  révèlent  assez  le  fond  des  cœurs  et  le  dernier  mot  des 
projets  formés  contre  nous. 

Pleins  de  confiance  en  Celui  qui  veille  sur  son  Eglise  et  qui  sait 
tirer  le  bien  du  mal,  nous  attendons  sans  crainte  le  résultat  final  de 
cette  lutte,  où  le  plus  fort  triomphera;  et  le  plus  fort,  c'est  Dieu. 

En  attendant,  Eminentissime  et  très  vénéré  Seigneur,  nous  nous 
associons  de  tout  cœur  à  vos  respectueuses  protestations  et  à  vos 
justes  doléances,  qui  répondent,  sans  aucun  doute,  au  sentiment 
général  de  l'épiscopat,  du  clergé  et  des  catholiques  ;  et  nous  faisons 
des  vœux  sincères  sans  grand  espoir  de  les  voir  exaucés,  pour  que 
la  voix  de  la  sagesse  et  de  la  justice  dont  vous  êtes  l'organe  soit 
enfin  entendue. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 


Rome  et  l'Italie. 


Le  consistoire  aui'a  lieu  dans  la  première  quinzaine  de  juin. 
Le  Souverain-Pontife  j  créera  six  cardinaux  :  son  majordome, 
Mgr  Teodoli,  et  NN.  SS.  les  archevêques  de  Reims,  de  Rennes, 
de  Sens,  de  Baltimore  aux  États-Unis  et  de  Québec  au  Canada. 

Mgr  Teodoli  sera  remplacé  dans  ses  fonctions  de  majordome 
par  Mgr  Ruffo-Scilla,  archevêque  de  Chieti.  Aucun  mouvement 
diplomatique  ou  administratif  ne  sera  donc  nécessaire  à  cette 
occasion. 


NOUVELLES    RELIGlliUSES  369 

On  assure  que  le  mouvement  clans  les  nonciatures,  par  suite 
de  ia  promotion  au  cardinalat  de  plusieurs  nonces,  aura  lieu 
l'automne  prochain. 

Dans  Je  consistoire  de  juin,  le  Saint-Pére  prononcera  une 
allocution  relative  au  rétablissement  de  la  paix  religieuse  en 
Allemagne.  On  annonce  que,  la  pacification  une  fois  accomplie, 
la  Prusse  élèvera  au  rang  d'ambassade  sa  légation  prés  le 
Vatican. 

La  question  des  relations  entre  la  Chine  et  le  Vatican  a 
donné  lieu  à  un  échange  de  trois  notes  entre  le  Saint-Siège  et 
le  gouvernement  français. 

Dans  une  première  note  expédiée  il  y  a  quinze  jours,  et  dont 
le  texte,  très  court,  se  tenait  sur  la  réserve,  le  Vatican  commu- 
niquait au  gouvernement  les  propositions  faites  par  la  Chine  et 
acceptées  par  le  Pape.  La  note  demandait  là-dessus  l'avis  de 
la  France. 

M.  de  Freycinet  répondait  à  cette  note  vendredi  dernier  par 
une  dépêche  très  brève  aussi,  assez  modérée  dans  la  forme 
mais  assez  vive  pour  le  fond.  Il  laissait  entrevoir  que  la  déci- 
sion du  Saint-Siège  pourrait  avoir  des  conséquences  fort 
graves,  dont  la  France  déclinait  la  responsabilité. 

Dimanche  (îernier,  le  Vatican  répondit  par  une  nouvelle  note 
plus  longue  et  très  détaillée  contenant  une  large  exposition  des 
principes  généraux  qui  ont  guidé  le  Saint-Siège  dans  ses  négo- 
ciations avec  la  Chine.  Il  proclamait  en  terminant  sa  ferme 
décision  d'établir,  quoi  qu'il  doive  advenir,  des  relations  directes 
officielles  avec  le  gouvernement  chinois. 

La  question  peut  donc  être  considérée  comme  résolue  en 
principe.  Le  Saint-Siège  par  suite,  nommera  très  prochai- 
nement un  prélat  italien  comme  nonce  à  Pékin. 


Dans  le  courant  de  cette  semaine,  S.  Exe.  M.  de  Schlœzer, 
ministre  de  Prusse  près  le  Saint-Sicpe,  a  remis  à  Sa  Sainteté 
une  lettre  autographe  particulière  de  l'empereur  d'Allemagne 
accompagnée  d'une  magnifique  croix  pectorale.  Cette  croix  en 
or  massif  est  ornée  de  rubis  et  de  diamants;  c'est  un  travail 
artistique  d'une  très  grande  valeur.  Elle  est  accompagnée  d'une 
superbe  chaîne  en  or.  Dans  sa  lettre,  l'empereur  d'Allemagne 
exprime  au  Pape  sa  haute  satisfaction  pour  l'issue  de  la  média- 


370  ANNALES    CATHOLIQUES 

tion  et  annonce  qu'il  lui  envoie  ce  présent  en  souvenir  de  cet 
heureux  événement.  La  lettre  est  conçue  en  termes  d'une 
haute  déférence  pour  la  personne  du  Souverain-Pontife.  Ces 
actes  d'hommage  envers  le  Saint-Pére  doivent  réjouir  tous  les 
catholiques,  qui  voient  ainsi  leur  chef  suprême  honoré  et  res- 
pecté par  toutes  les  puissances.  C'est  une  consolation  et  une 
gloire  pour  l'Eglise  entière  qui,  par  son  Pontife  Léon  XIII, 
triomphe  et  obtient  la  paix  et  l'hommage  de  ses  anciens 
ennemis. 

Les  libéraux  italiens  voient  avec  dépit  les  négociations  de  la 
paix  religieuse  en  Prusse. 

Tous  voient  dans  ce  rapprochement  entre  l'Allemagne  et  le 
Saint-Siège  le  prélude  d'une  complication  politique  pour 
l'Italie.  C'est  un  symptôme  très  curieux  que  les  catholiques 
constatent.  La  presse  libérale  entre  en  fureur  à  la  vue  des 
heureux  résultats  des  négociations.  Elle  est  unanime  à  se 
déclarer  contre  les  concessions  au  Vatican. 

France.  • 

Les  anciens  élèves  des  écoles  des  Frères  ont  lormé  un  comité 
de  pétitionnement  contre  la  nouvelle  loi  scolaire  faisant  suite  à 
la  loi  scélérate. 

Ce  comité,  présidé  par  M.  Camille  Rémont,  a  adopté  le  texte 
de  la  pétition  ci-après  : 

Messieurs  les  sénateurs, 
Messieurs  les  députés, 

Les  soussignés,  anciens  élèves  des  écoles  des  Frères,  ont  l'hon- 
neur de  vous  prier  de  vouloir  bien  rejeter  la  loi  sur  l'organisation 
de  l'enseignement  primaire  dont  vous  êtes  actuellement  saisis. 

Ce  projet  exclut  de  l'enseignement  public  les  instituteurs  con- 
gréganistes,  et  s'il  leur  laisse  encore  ouverte  la  cai'rière  de  l'en- 
seignement libre,  c'est  en  les  rendant  justiciables  de  conseils 
composés  en  majeure  partie  de  fonctionnaires  dont  la  dépendance 
met  l'impartialité  en  péril,  et  en  compromettant  leur  recrutement 
par  la  suppression  de  la  dispense  du  service  militaire. 

Les  soussignés  protestent  énergiquement  contre  ce  projet  de 
loi,  qui  ne  tient  aucun  compte  des  éclatants  services  rendus  par 
les  instituteurs  congréganistes  à  l'instruction  populaire,  qui  viole 
à  leur  détriment  toutes  les  règles  du  droit  public  et  tous  les  prin- 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  371 

cipes  de  nos  lois  constitutionnelles,  qui  prive  arbitrairement  les 
communes  des  avantages  d'un  enseignement  économe  de  leurs 
ressources,  et  qui  supprimerait  pour  la  plupart  des  familles 
pauvres  la  faculté  de  choisir  l'école  répondant  le  mieux  à  lenrs 
convictions  et  à  leurs  croyances. 

Citoyens  dévoués  au  pays,  ils  déclarent  que  c'est  par  les  leçons 
el  les  exemples  de  leurs  maîtres  qu'ils  ont  appris  à  aimer  la  patrie 
et  à  remplir  leurs  devoirs  de  Français. 

Pères  de  famille,  ils  entendent  procurer  à  leurs  enfants,  en  toute 
liberté  et  sécurité,  l'éducation  qu'ils  ont  reçue  eux-mêmes,  et  ils 
réclament  à  cet  effet  la  protection  que  la  loi  doit  à  tous  les 
honnêtes  gens. 

Le  projet  qui  vous  est  soumis  les  blesse  dans  leurs  convictions 
et  dans  leurs  sentiments  de  légitime  reconnaissance  en  même 
temps  qu'il  inquiète  leurs  consciences  et  porte  atteinte  à  leurs 
droits. 

Vous  ferez  justice  en  le  repoussant. 

Communication  de  ce  texte  a  été  faite  à  tous  les  anciens 
élèves  par  une  circulaire  dont  les  signataires  sont  tous  anciens 
élèves  des  Parères. 

BoNE.  —  On  écrit,  de  Bône,  au  Monde,  en  date  du  4  mai  : 

On  commence  ici  les  préparatifs  du  centenaire  de  la  conversion  de 
saint  Aupfustiu.  Cette  solennité,  à  laquelle  doivent  assister  tous  les 
évêques  d'Afrique,  se  célébrera  le  dimanche  16  mai.  Elle  aura  lieu 
tout  entière  sur  les  ruines  mêmes  d'Hippone  et  au  sommet  de  la 
principale  des  trois  collines  de  cette  ville,  celle  où,  dès  les  premiers 
temps  de  notre  conquête,  un  monument  a  été  élevé  par  les  soins  de 
Mgr  Dupuch  à  la  mémoire  de  saint  Augustin. 

Le  sommet  et  la  plus  grande  partie  de  cette  colline  appartiennent 
maintenant  au  diocèse  de  Constantine,  pour  lequel  ils  ont  été 
achetés,  il  y  a  six  ans,  par  les  soins  de  Son  Eminence  le  cardinal 
archevêque  d'Alger,  alors  administrateur  de  ce  diocèse.  Les  Petites- 
Sœurs  des  Pauvres  y  ont  établi  un  asile  pour  les  vieillards;  et  à  côté 
de  leur  maison,  s'élève  peu  à  peu  une  basilique  dédiée  à  saint 
Augustin,  et  dont  M.  l'abbé  Pouillet  est  l'architecte. 

C'est  là,  je  le  répète,  que  se  célébreront  les  solennités  du  pèle- 
rinage. Un  autel  monumental  se  dresse  en  plein  air,  recouvert  de 
tentures  et  de  feuillages.  Les  pèlerins  qui  doivent  y  venir  de  France 
y  assisteront  à  la  grand'messe  et  aux  vêpres  pontificales,  ainsi  qu'à 
la  procession  où  sera  portée  la  relique  insigne  du  bras  de  saint 
Augustin,  solennellement  transférée  d'Italie  en  Afrique  en  1842,  par 
sept  évêques  de  France,  tous  morts  aujourd'hui.  Les  pèlerins  v 
seront  tout  à  fait  chez  eux,  puisque,  ainsi  qu'on  l'a  dit  plus  haut, 


372  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  colline  est  la  propriété  privée  du  diocèse.  C'est  do  ublement  heu 
reux,  car,  pai- ce  temps  de  municipalités  radicales  en  Algérie  comme 
en  France,  on  peut  compter  que,  si  la  fête  avait  dû  se  célébrer 
à  Bône,  le  maire  de  cette  ville  aurait  eu  la  pensée  de  mettre  tous 
les  obstacles  possibles  à  ces  mani'"estations  de  la  piété. 

Cependant,  la  population  de  Bône  est  en  très  grande  partie  ^'•.atho- 
lique  ;  et  elle  ne  compte  pas  moins  de  9,000  Maltais  et  de  6,000  Ita- 
liens, tous  très  attachés  à  leur  foi.  Mais  ces  catholiques  n'ont 
aucune  espèce  de  droit  légal  ou  électoral,  puisqu'ils  sont  étrangers; 
et  c'est  une  poigAée  de  radicaux  qui  fait  la  loi  avec  ses  journaux, 
tous  soudoyés  par  les  Juifs,  comme  dans  le  reste  de  l'Algérie, 

Ceux-ci  n'ont  pas  manqué,  au  premier  moment,  de  témoigner 
leur  mauvaise  humeur  contre  une  manifestation  de  piété  catholique. 
Cependant,  il  y  a  là  des  souvenirs  si  glorieux,  même  au  simple  point 
de  vue  humain;  les  souvenirs  et  le  nom  de  saint  Augustin  jettent 
un  tel  éclat  sur  le  nom  d'Hippone;  le  mouvement  qui  se  manifeste 
de  la  part  des  chrétiens  du  France  est  si  avantageux  au  pays  lui- 
même,  que  les  contradicteurs  n'ont  pas  été  nombreux  et  ont  même 
disparu  après  la  publication  de  la  lettre  da  Mgr  Combes,  évêque  de 
CoDstantine,  au  curé  de  la  cathédrale  de  Bône,  lettre  dans  laquelle 
ce  vénérable  prélat  fait  valoir  avec  sagesse  toutes  ces  considérations. 

En  voici  le  texte,  que  nos  lecteurs  liront  avec  intérêt  : 

Constantine,  le  19  avril  1886. 
Monsieur  le  Curé, 

Vous  aurez  peut-êlre  appris  que  notre  pèlerinage  d'Hippone  va 
recevoir  une  marque  d'honneur  et  de  sympathie  de  la  part  d'un 
grand  nombre  de  Français,  qui  se  rendront  tout  exprès  dans  votre 
ville. 

Chaque  année,  il  se  forme  en  France  un  pèlerinage  patriotique  qui 
a  pour  but  d'aller  prier  au  pied  du  Calvaire,  pour  demander  la  pro- 
tection de  Dieu  sur  notre  patrie.  Le  but  atteint  par  ces  manifestations 
annuelles  n'est  pas  seulement  un  but  spirituel,  il  a  encore  un  intérêt 
national  :  celui  de  montrer  aux  religieuses  populations  d'Orient 
l'amour  que  la  France,  qui  est  leur  protectrice  séculaire  et  officielle, 
ne  cesse  de  leur  porter.  Voilà  poui-quoi  les  agents  du  gouvernement 
français  en  Syrie  favorisent  constamment  ces  manifestations  et  leur 
donnent  leur  aide. 

Cette  année,  les  organisatf^urs  de  ce  pèlerinage  se  sont  souvenus 
que  l'Église  célèbre  le  iudIs  prochain  le  (juinzième  anniversaire  sécu- 
laire de  la  conversion  de  saint  Augustin,  et  ils  ont  tenu  à  célébrer  ce 
centenaire  par  une  visite  aux  niin-îs  d'Hippone  et  au  monument  qui 
y  est  élevé  à  la  mémoire  do  saint  Augustin. 

C'est  le  dimanche  IG  mai,  jour  où  nous  célébrerons  cette  année 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  373 

«xtraordinairement  ici  la  conversion  de  saint  Augustio,  que  les  mem" 
bres  de  ce  pèlerinage,  se  rendant  en  Terre-Sainte,  arriveront  à  Bône 
sur  un  navire  spécialement  frété  à  cet  effet.  Ils  se  rendront  directe- 
ment sur  les  ruines  d'Hippone,  où  la  solennité  religieuse  se  passera 
tout  entière,  comme  cela  a  lieu  chaque  année  au  mois  d'août,  le  jour 
de  la  fête  de  saint  Augustin.  J'y  serai  présent  moi-même,  et  mon 
vénérable  prédécesseur  sur  le  siège  de  saint  Augustin,  Mgr  Rubert, 
évêque  de  Marseille,  a  promis  d'honorer  aussi  cette  fête  de  sa  présence. 

J'ajoute  que  j'invite  à  la  présider  S.  Era.  le  cardinal  Lavigerie, 
archevêque  d'Alger  et  notre  métropolitain,  et  que  j'espère  le  voir 
accompagné  par  Mgr  Dusserre,  qui  a  été  aussi  votre  évêque. 

11  ne  vous  échappera  pas,  monsieur  le  curé,  combien  une  telle  ma- 
nifestation religieuse  est  de  nature  à  honorer,  aux  j'eux  du  monde 
chrétien  tout  entier,  votre  ville  de  Bône,  en  rappelant  par  ce  pèleri- 
nage les  souvenirs  incomparables  de  son  histoire  passée. 

Il  ne  vous  échappera  pas  non  plus  que  la  venue  de  tant  de  person- 
nages considérables  ne  peut  que  servir  la  cause  de  l'Algérie  en  la 
faisant  mieux  connaître.  Ce  qui  lui  nuit,  en  effet,  partout  et  même 
en  France,  c'est  de  ne  pas  être  suffisamment  connue.  Tous  ceux  qui 
la  visitent  sont  séduits  par  les  beautés  que  la  nature  y  prodigue, 
émerveillés  par  les  progrès  matériels  accomplis  en  si  peu  de  temps. 
Recevoir  des  hôtes  en  si  grand  nombre,  les  rendre  témoins  de  notre 
activité  industrielle  et  commerciale,  de  la  prospérité  de  nos  popula- 
tions, est  donc  une  chose  heureuse. 

C'est  ce  qu'exprimait,  dans  la  lettre  récemment  adressée  par  lui, 
en  mon  nom,  au  directeur  du  pèlerinage  pour  le  féliciter  de  sa  pensée, 
S,  Era.  le  cardinal  Lavigerie  : 

oc  Je  ne  doute  pas  que  vos  pèlerins  ne  soient  tous  heureux  d'accom- 
«  plir  un  tel  acte  de  patriotisme  chrétien. 

«  Je  ne  doute  pas  qu'ils  ne  soient  heureux  de  voir  de  leurs  yeux, 
«  dans  cette  ville  de  Bône,  une  des  plus  florissantes  de  notre  Afrique, 
«  ce  que  notre  France  nouvelle  a  déjà  réalisé  de  progrès  dans  tous 
«  les  ordres  de  l'activité  et  de  l'industrie  humaine.»,  sur  une  terre  que 
«  protège  encore  l'ombre  d'Augustin  et  où  les  indigènes  musulmans 
«  gardent  encore  son  souvenir.  » 

Je  vous  prie  donc,  monsieur  le  curé,  de  vouloir  bien  faire  connaître 
tout  ce  qui  précède  à  vos  paroissiens,  de  leur  dire  combien  je  suis 
heureux  de  pouvoir  favoriser  l'exécution  d'une  pensée  qui  me  paraît 
si  avantageuse  pour  eux  à  tous  les  points  de  vue,  et  combien  je 
compte  qu'ils  auront  à  cœur  de  donner  à  leurs  hôtes  d'un  jour  les 
marques  de  sympathie  fraternelle  auxquelles  ils  ont  droit  en  leur 
double  qualité  de  Français  et  d'amis  de  notre  Algérie. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  curé,  l'assurance  de  mon  plus  affec- 
tueux dévouement  en  Notre-Seigneur. 

-j-  Clément, 
évêque  de  Constantine  et  d'Hippone. 


374  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ohalons.  — La  ville  de  Châlons  a  célébré  jeudi  G  mai  uue 
fête  patriotique  à  la  mémoire  des  soldats  de  la  Marne  tombés 
sur  le  champ  de  bataille  en  1870.  Grâce  à  l'union  des  autorités 
religieuse,  militaire  et  civile,  et  au  concours  de  toute  la  popu- 
lation, cette  fête  a  pris  un  caractère  de  véritable  grandeur.  Le 
général  commandant  le  6'  corps  d'armée,  sept  ou  huit  officiers 
généraux,  tous  les  colonels,  tout  l'état-major,  le  préfet,  la  ma- 
gistrature, le  conseil  général  de  la  Marne,  le  conseil  municipal, 
les  délégués  de  toutes  les  communes,  tous  les  fonctionnaires 
remplissaient  la  vaste  cathédrale.  Après  le  service  funèbre  et 
avant  l'absoute,  Mgr  Tévêque  de  Châlons  a  prononcé  les  paroles 
suivantes  : 

Nous  venons  de  recommander  à  la  miséricorde  de  Dieu  l'âme  des 
braves  soldats  de  la  Marne  qui  combattirent  et  moururent  pour  l'in- 
dépendance de  la  patrie  dans  nos  jours  de  malheurs.  Nous  avons 
imprimé  le  caractère  religieux  à  cette  cérémonie,  selon  le  vœu  de 
leurs  familles,  qui  sont  chrétiennes,  et  de  l'immense  majorité  non 
moins  chrétienne  des  enfants  de  la  Champagne.  La  commission  du 
monument  s'est  honorée  aux  yeux  de  tous  en  partageant  ce  vœu. 

Nous  avons  prié  avec  confiance,  car  si  Dieu  récompense  un  simple 
verre  d'eau  froide  donné  en  son  nom,  quelle  récompense  ne  destine- 
t-il  pas  au  sang  versé  pour  le  pays?  Dans  le  christianisme,  tous  les 
grands  militaires  pensent  que  mourir  pour  la  patrie  est  une  branch'i 
du  martyre,  que  tomber  sur  les  champs  de  bataille,  c'est  se  relever 
au  ciel.  C'était  bien  la  pensée  de  Turenne,  priant  au  bivouac,  la 
pensée  de  Condé  s'agenouillant  après  le  dernier  coup  de  canon  de 
Rocroi,  la  pensée  de  Gustave- Adolphe  priant  sur  le  front  des  troupes 
la  pensée  de  Bayard  baisant  la  garde  de  son  épée  en  guise  de  croix 
Quoi  qu'il  m'en  coûte,  j'ajouterai  :  notre  vainqueur,  le  roi  Guillaume 
se  mit  à  genoux  après  la  bataille  de  Sedan  ! 

En  venant  prier  ici  pour  les  victimes  de  la  guerre,  nous  imitons 
les  grands  militaires  de  l'histoire,  nous  prions  en  illustre  et  nom 
breuse  compagnie. 

Le  sentiment  qui  domine  cette  assemblée  n'est  pas  le  deuil  :  nou^j 
estimons,  avec  les  Macchabées,  qu'il  est  plus  dur  de  survivre  à  la 
gloire  de  la  patrie  que  de  mourir  les  armes  à  la  main  :  Melius 
mort  in  bello  quam  videre  mala  gentis  nostrce.  Le  sentiment  qui 
domine  l'assemblée  n'est  donc  pas  lo  deuil  :  c'est  le  besoin  de  méditer 
les  graves  souvenirs.  Si  les  soldats  de  la  Marne  qui  succombèrent 
dans  la  guerre  de  70  pouvaient  choisir  l'inscription  de  leur  mausolée, 
ils  y  graveraient  ces  mots  :  «  N'oubliez  pas  !  » 

N'oubliez  pas  !  cela  veut  dire  que  les  revers  noblement  portés  équii 
valent  à  des  triomphes.   Saint  Louis,   le  vaincu,   le   prisonnier  de 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  375 

Sarrasins,  était  leur  maître  ;  ils  étaient  à  ses  pieds,  parce  que  ce 
vaincu  était  plus  grand  que  ses  vainqueurs.  Avant  lui,  avant  tous, 
Jésus-Christ  a  dominé  le  monde,  non  pas  en  portant  une  couronne 
de  lauriers,  mais  en  portant  une  couronne  d'épines  :  Portans  coro- 
nam  spineam  mundiim  vincebat.  (S.  Bern.) 

Faisons  de  même.  Portons  noblement  nos  revers,  nous  serons  plus 
grands  que  nos  vainqueurs. 

N'oubliez  pas!  cela  veut  dire  que,  au  lieu  de  précipiter  le  pays 
dans  les  mollesses  et  les  gaîtés  de  la  luxure,  il  faut  l'élever  aux 
bonnes  mœurs.  11  faut  préparer  des  jeunes  gens  vertueux,  généreux, 
convaincus,  capables  de  lever  la  tête  vers  le  ciel,  pour  bien  traiter  les 
intérêts  de  la  terre.  Et  s'il  faut  quelques  plaisirs,  quelque  repos,  un 
lit  entre  deux  journées  de  travail,  ce  n'est  pas  le  lit  de  Sardana- 
pale. ..  Dans  le  temps  présent,  et  tant  que  dureront  les  suites  de 
l'épreuve,  le  repos  des  Français  doit  consister  â  se  coucher  dans  les 
plis  du  drapeau  national  avec  la  croix  pour  oreiller.  Il  faut  cela,  tout 
cela,  pour  la  sûreté  du  pays.  La  France  est  comme  la  statue  â  pro- 
pos de  laquelle  le  prince  de  Babylone  consultait  le  prophète  Daniel  : 
quand  la  France  aurait  une  tête  d'or,  c'est-à-dire  la  science  naturelle; 
une  poitrine  d'argent,  c'est-à-dire  un  trésor  public  surabondant;  des 
reins  et  des  bras  d'airain,  c'est-à-dire  une  armée  superbe  ;  si  elle  a 
les  pieds  de  limon,  c'est-à-dire  des  mœurs  corrompues,  une  pierre, 
un  accident  politique,  un  rien  suffirait  pour  la  renverser. 

N'oubliez  pas  !  cela  veut  dire  que  la  France  retrouvera  sa  prospé- 
rité quand  elle  voudra  ;  car  Dieu  l'a  éprouvée  non  pour  sa  ruine, 
mais  pour  sa  régénération  :  Non  ad  interitmn,  sed  ad  correctionem. 
Il  suffit  de  bien  comprendre  cette  vérité.  Elle  se  relèvera  si  elle  a 
soin  de  rassembler  toutes  ses  forces  vives,  si,  au  lieu  de  dire  à  telle 
de  ses  forces  :  «je  me  sers  de  vous,  »  â  telle  autre  :  «  je  vous  rejette  », 
si,  au  lieu  de  cela,  elle  se  sert  de  toutes,  et  surtout  de  la  plus 
ancienne,  de  la  plus  profonde,  de  la  plus  vivace,  de  la  plus  ration- 
nelle de  ses  forces,  je  veux  dire  la  foi  nationale  ;  si,  comme  dans 
tout  le  cours  de  son  histoire,  elle  a  Dieu  pour  base,  Dieu  pour  cou- 
ronnement. Dieu  pour  soutien,  alors,  oui,  elle  vivra,  elle  se  relèvera. 
Sinon,  écoutez  le  prophète  :  Nisi  Dominus  custodierit  civitatem, 
frustra  vigilat  qui  custodit  eam.  Et  si  quelqu'un  ici  n'aimait  pas  la 
langue  des  prophètes,  je  lui  dirais  :  écoutez  un  des  deux  ou  trois 
plus  grands  esprits  de  l'Allemagne  :  *  La  France  peut  être  tuée  non 
par  la  main  de  l'étranger,  mais  par  sa  propre  main...  » 

N'oublies  pas!  voilà  le  sens  du  mausolée  que  vous  avez  élevé  à 
vos  enfants. 

Notre  armée  n'oublie  pas,  elle  donne  l'exemple.  Elle  se  recueille, 
elle  travaille,  elle  se  prépare,  elle  obéit,  elle  respecte,  elle  espère. 
Les  catholiques  chantent  fièrement  ces  mots  dans  leur  Symbole  : 
«  J'attends  la  vie  immortelle  :  Exspecto  resurrectionem  mortuorum.  » 


376  ANNALES    CATHOLIQUES 

Quand  je  passe  sur  le  front  des  casernes  de  Châlons,  il  me  semble 
lire  sur  la  porte  un  article  du  Symbole  propre  à  notre  armée  :  Je 
prépare  la  résurrection  de  la  gloire  nationale,  je  l'attends,  j'y  crois  : 
Exspecto,  credo  gloriœ  resurrectionem. 

Quelques-uns  de  vous  lisent  la  Bibie,  et  ils  font  bien.  Se  rappellent- 
ils  le  songe  de  Judas  Macchabée  voyant  apparaître  un  grand  homme, 
un  grand  patriote,  le  pontife  Onias,  qui  lui  remit  un  glaive  d'or?  Eh 
bien,  aujourd'hui,  regardez  au-dessus  du  mausolée  de  nos  soldats  ; 
sachez  y  découvrir  notre  Pontife  suprême,  Notre-Seigneur  .Jésus- 
Christ.  Il  vient  offrir  à  tous,  non  seulement  aux  soldats,  mais  aussi 
aux  hommes  politiques,  aux  magistrats,  aux  prêtres,  aux  ouvriers, 
aux  chefs  de  famille,  il  vient  oflfiir  à  tous  un  glaive  d'or.  Ce  glaive 
d'or,  c'est  le  caractère  trempé  de  sagesse  et  de  virilité.  Voilà  le 
premier  des  glaives  ;  portons-le  bien,  ayons  tous  un  caractère  sage 
et  viril,  mais  sage  autant  que  viril.  A  cette  condition,  ce  jour  sei'a 
une  date  pour  nous  tous. 

Lyon.  —  Les  juges  de  paix  de  Lyon  ont  reçu,  le  30  avril, 
dans  la  soirée,  la  lettre  suivante  : 

Lyoa,  le  4  avril  1886. 
Monsieur  le  juge  de  paix, 

J'ai  l'honneur  de  vous  faire  connaître  que,  conformément  au  désir 
formellement  exprimé  par  le  conseil  municipal  de  Lyon,  dans  la 
séance  qu'il  a  tenue  le  23  février  dernier,  mon  administration  a  l'in- 
tention de  faire  disparaître  les  emblèmes  religieux  qui  peuvent  se 
trouver  dans  les  locaux  mis  par  la  ville  à  votre  disposition. 

Je  donne  des  instructions  à  M.  l'architecte  en  chef  de  la  ville  afin 
de  se  concerter  avec  vous  pour  l'exécution  de  cette  décision. 

Agréez,  Monsieur  le  juge  de  paix,  l'assurance  de  ma  considération 

la  plus  distinguée. 

Pour  le  maire  de  Lyon  : 

L'adjoint  délégué, 
Robin. 

Le  Nouvelliste   de  Lyon   proteste   hautement  contre   cet 
attentat  : 

Les  crucifix,  dit  le  Nouvelliste,  ont  été  enlevés  hier  des  prétoires 
de  nos  justices  de  paix  de  Lyon. 

Quand  l'image  du  Christ  est  bannie,  lui  qui  donna  la  liberté  et  qui 
mourut  pour  la  justice,  on  sent  que  la  liberté  n'est  plus  qu'un  mot 
et  que  la  justice  est  bien  près  de  ne  plus  être  qu'un  mensonge. 

On  parlera  de  la  neutralité  religieuse  et  du  respect  qui  est  dû  à 
toutes  les  opinions. 

Ceux  qui  ont  commis  le  sacrilège  n'ont  pas  même  l'excuse  d'une 


NOUVELLES   RELIOIEUSES  377 

loi  impie,  car,  lorsque   la  Chambre   avait   voté   la  suppression    des 
emblèmes  religieux,  le  Sénat  avait  encore  eu  le  mérite  de  s'y  opposer. 

Les  consciences  au  moins  se  sont  révoltées.  M.  Pézerat,  sup- 
pléant du  juge  de  paix  du  premier  canton,  vient  d'adresser  la 
lettre  suivante  à  M.  le  procureur  do  la  République  : 

Lyon,  2  mai  1886. 
Monsieur  le  Procureur  de  la  République, 

En  présence  de  l'acte  auquel  M.  le  maire  de  Lyon  a  fait  procéder 
hier  dans  les  prétoires  des  justices  de  paix,  j'ai  la  profonde  douleur 
de  vous  adresser  ma  démission  de  suppléant  de  M.  le  juge  de  paix 
du  premier  canton. 

Veuillez  agréer.  Monsieur  le  procureur  de  la  République,  l'expres- 
sion de  mes  sentiments  très  distingués. 

PÉZERAT,  avocat. 

Voilà  comment  on  procède  à  la  déchristianisation  de  la  France. 
L'athéisme  est  officiel. 

Étranger. 

Allemagne.  —  C'était  une  pensée  heureuse  que  celle  de 
mettre  sous  la  protection  du  grand  apôtre  de  l'Allemagne 
l'association  dont  le  but  était  précisément  de  travailler  à 
l'œuvre  qui  fut  la  sienne,  il  y  a  plus  de  onze  siècles,  et  que  la 
soi-disant  Réforme  a  depuis  failli  ruiner  pour  jamais.  L'Associa- 
tion de  Saint-Boniface,  fondée  en  1849,  honorée  du  haut  patro- 
nage de  tout  l'épiscopat  allemand  et  autrichien,  s'est  imposé  la 
tâche  de  recueillir  les  fonds  nécessaires  à  la  propagation  du 
catholicisme  dans  les  parties  exclusivement  protestantes  ou 
mixtes  de  l'Allemagne,  et  dans  tous  les  pays  qui  s'y  rattachent 
par  des  liens  quelconques,  y  compris  la  Suisse  et  le  Danemark. 
Par  une  protection  visible  d'en  haut,  elle  a  obtenu  de  magni- 
fiques résultats,  ainsi  qu'en  font  foi  un  rescrit  de  S.  S.  Léon  XIII 
du  25  juillet  1881  et  les  attestations  nombreuses  des  évêques 
d'Allemagne  et  d'Autriche.  Depuis  le  jour  de  sa  fondation 
jusqu'à  la  fin  de  l'année  1884^  l'œuvre  a  réuni  environ  quinze 
millions  de  francs,  qui  ont  servi  à  établir  le  culte  catholique 
dans  364  villes  et  bourgs  d'oii  il  avait  disparu  complète- 
ment depuis  le  XVP  siècle  ;  à  assurer,  en  outre,  le  maintien 
de  200  paroisses -missions  condamnées  à  tomber,  faute  de 
ressources. 


378  ANNALES    CATHOLIQUES 

Elle  a  construit  environ  300  églises  et  locaux  destinés  à  la 
célébration  publique  du  culte,  plus  275  écoles  catholiques  dans 
des  localités  nouvelles.  En  1883,  on  comptait  745  établissements 
entretenus  ou  notablement  aidés  dans  488  postes  de  mission, 
dont  219  paroisses  et  228  écoles.  La  somme  recueillie  en  cette 
année  1883  était  de  plus  de  900,000  francs;  en  1884,  elle 
montait  à  950.000  francs. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Ministres  en  campagne.  —  Un  bon  exemple.  —  Le  blocus  des  côtes  grec- 
ques. —  Le  projet  de  loi  politico-religieux'^ allemand.  —  Noces  d'argent 
de  la  Revue  du  Monde  Catholique. 

13  mai  1886. 

Tandis  que  les  Chambres  sont  en  vacances,  les  ministres 
profitent  du  répit  qui  leur  est  donné  pour  travailler  de  leur 
mieux.  C'est  très  naturel  et  en  soi  fort  louable.  Chacun  s'occupe 
suivant  son  tempérament  et'ttrouve?! moyen  de  faire  parler  do 
lui.  Précieux  hommes  d'Etat  qui  ne  veulent  pas  connaître  le 
repos  et  tiennent  à  montrer  au  pays  tout  ce  qu'on  pourrait 
attendre  d'eux  s'ils  n'étaient  pas  un  peu  gênés  par  la  pré- 
sence des  censeurs,  peu  sévères  icependant,  qu'on  appelle  les 
sénateurs  et  les  députés. 

Voici  d'abord 'M.  de  Freycinet.  Il  est  ministre  des  affaires 
étrangères;  c'est  donc  dans  la  conduite  des  affaires  extérieures 
qu'il  a  tenu  à  se  distinguer.  Il  y  avait  justement  à  l'ordre  du 
jour  une  question  aussi  intéressante  que  délicate.  M.  de  Frey- 
cinet a  saisi  cette  occasion  de  démontrer  l'ingénieuse  fertilité 
de  son  esprit.  Les  puissances  européennes,  tout  en  «'entendant, 
avaient  quelque  peine  à  obtenir  de  la  Grèce  qu'elle  renonçât  à 
ses  projets  belliqueux.  Quelle  gloire  pour  la  France  et  spécia- 
lement pour  son  premier  ministre,  a  pensé  M.  de  Freycinet,  si 
j'obtenais  seul  ceque  tous  les  autres  poursuivent  en  vain!  Une 
fois  cette  idée  dans  son  cerveau,  il  en  poursuit  sans  retard  l'exé- 
cution. Il  va  de  l'avant,  ne  se  préoccupant  pas  s'il  est  suivi, 
ni  même  s'il  est  approuvé.  Il  part,  il  est  parti!  0  fortune!  La 
Grèce  s'incline  devant  ses  désirs.  Quel  diplomate  je  suis! 
pensait  M.  de  Freycinet.  Maii  voilà  que  l'Europe  ne  se  montre 


CHRONIQUE    DK    LA    SEMAINE  379 

pastouctiêe;  elle  ne  désapprouve  pas  la  démarche  de  la  France, 
elle  fait  pis  :  elle  l'ignore,  sauf  pour  eu  concevoir  queliiue  irri- 
tation. Résultat  le  plus  clair  de  l'initiative  de  M.  de  Freycinet  : 
il  n'a  rien  obtenu,  mais  il  a  mécontenté  les  puissances  et 
attiré  une  humiliation  à  la  France.  C'est  quelque  chose  certai- 
nement. Peut-être  cependant  eût-il  mieux  valu  que  M.  de  Frey- 
cinet allât  se  reposer  à  la  campagne. 

M..Sarrien  ne  fait  pas  grand'chose,  mais  il  enregistre  des 
faits  intéressants.  Il  y  a  par  exemple  dans  le  département  de 
Loir-et-Cher  un  préfet  qui  déplaît  à  M.  Tassin,  député  oppor- 
tuniste. Ce  dernier  réclame  le  renvoi  du  préfet;  M.  Sarrien,  le 
promet,  mais  le  temps  pn-sse.  La  session  des  conseils  généraux 
s'est  ouverte;  le  préfet  est  toujours  là.  M.  Tassin,  et  les  deux 
vice-présidents  du  conseil  général,  refusent  de  siéger.  Leurs 
amis  les  imitent.  C'est  un  conllit.  Alors  M.  Sarrien  déclare  qu'il 
maintiendra  le  préfet.  Résultat  :  le  conllit  est  plus  aigu  et  les 
aft'aires  du  département  restent  en  souffrance. 

Le  ministre  des  travaux  publics  prend  modèle  sur  son  collègue 
des  affaires  étrangères.  Celui-ci  s'est  mêlé  des  affaires  de  Grèce 
sans  en  être  prié;  celui-là  s'interpose  entre  la  Compagnie  et  les 
mineurs  de  Decazeville.  Il  obtient  un  double  succès.  La  Com- 
pagnie réconduit  poliment  et  les  mineurs  avec  grossièreté. 
Cela  ne  fait  pas  avancer  d'un  pas  la  solution  du  coniiit,  mais  le 
gouvernement  est  bafoué. 

L'amiral  Aube  se  livre  à  des  exercices  plus  coûteux  pour  la 
France.  Il  supprime  de  sa  propre  autorité  des  navires  ayant 
coûté  cent  millions  et  se  livre  à  des  expériences  pour  savoir  si 
les  torpilleurs  pourront  les  détruire.  Le  spectacle  est  rare  et 
beau.  Il  coûte  un  peu  cher  aux  contribuables,  mais  ou  n'a  rien 
pour  rien. 

M.  Goblet  pérore  à  Montdidier.  C'est  à  l'occasion  des  fêtes  de 
Parmentier  que  le  Dioclétieu  picard  a  fait  des  déclarations  qui 
lui  ont  valu  quelques  huées.  «  Je  suis  venu  ici,  a-t-il  dit,  comme 
un  ministre,  et  c'est  en  ministre  d'un  gouvernement  qui  tient 
toutes  ses  promesses  que  je  parlerai.  »  Presque  au  même 
moment,  M.  Baïhaut  disait,  à  Marseille,  qu'il  était  nécessaire 
de  «  rendre  des  capitaux  »  à  l'industrie.  On  avouera  q'u'il  a 
fallu  «  l'immense  aplomb  »  mentionné  par  l'auteiir  de  'Jérôme 
Pâturât,  pour  affirmer  que  le  ministère  tient  ses  promesses,  et 
pour  parler  de  rendre  des  capitaux  la  veille  du  jour  où  s'ouvrait 
la  souscription  à  un  emprunt  que  M.  de  Freycinet  avait  promis 


380  ANNALKS    CATHOLIQUES 

de  ne  pas  faire,  la  veille  du  jour  où  l'on  enlevait  do  la  circula- 
tion un  appoint  de  cinq  cenis  millions  pour  combler  le  c^ouffre 
creusé  par  les  prodig'alités  et  les  folies  de  nos  gouvernants  ! 

Le  plus  inofFensif  est  encore  M.  Lockroy.  Il  est  ministre 
du  Commerce,  mais  se  considère  surtout  comme  ministre  du 
travail;  il  a  le  désir  d'étudier  les  institutions  économiques  de 
l'Angleterre.  Il  se  figure  qu'il  les  trouvera  dans  les  rues 
de  Londres.  Le  voilà  parti  pour  la  capitale  de  l'Angleterre, 
et  comme  c'est  un  homme  d'intérieur,  il  emmène  avec  lui 
sa  famille.  Victor  Hugo  a  écrit  ÏArt  d'être  grand\-père; 
M.  Lockroy  emmenant  avec  lui  le  petit-fils  et  la  petite-fille  du 
poète  montre  qu'il  pratique  l'art  d'être  beau-père.  Les  autres 
ministres...,  mon  Dieu,  les  autres  ministres  n'ont  l'air  de  rien 
faire;  ce  sont  les  plus  sages.  Il  est  vrai  que  les  vacances  parle- 
mentaires ne  sont  pas  terminées.  Attendons. 

Les  chambres  sont  en  vacances  ;  les  ministres  s'occupent;  ils 
s'amusent  peut-être.  S'ils  ne  faisaient  qu'ennuyer  le  pays,  il  y 
aurait  demi-mal.  Le  malheur,  c'est  qu'ils  l'inquiètent. 


Nous  sommes  heureux  de  constater  que  les  conservateurs 
ont,  durant  la  session  des  conseils  généraux  qui  s'achève  sans 
grands  incidents,  protesté  avec  énergie  contre  les  violences 
arbitraires  ou  les  hypocrisies  —  qui  sont  encore  illégales  —  de 
M.  Goblet.  La  cause  des  paroisses  privées  de  leurs  vicaires,  la 
cause  de  l'enseignement  chrétien  ont  été  vigoureusement 
défendues.  Mais  il  est  un  département  où  l'initiative  des 
conseillers  généraux  méi'itc  d'être  particulièrement  remarquée, 
car  elle  crée  un  précédent  utile  à  signaler. 

Le  Gers  a  subi  la  tyrannie  laïcisatrice,  et  dans  plus  d'uue 
commune  la  volonté  des  po[)ulations  a  été  méconnue.  Dans 
notre  pays,  on  n'est  pas  dupe  de  la  [liperie  des  mots.  On  sait 
très  bien  que  pour  êtie  laïiiue,  un  instituteur  n'est  pas  athée, 
et  l'on  n'entend  nullement  méconnaître  les  services  des  bons 
instituteurs,  plus  fiJéles  à  leur  devoir  de  chrétien  qu'aux 
tristes  préceptes  d'une  sacrilège  neutralité.  On  juge  le  maître 
à  son  enseignement.  Il  n'y  a  pas  lutte  entre  la  robe  du  Frère  et 
le  paletot  de  l'instituteur.  Mais  l'autorité  républicaine,  qui 
espère  régner  en  divisant,  a  jeté  dans  certaines  communes  des 
brandons  di  discorde  et  allumé  la  guerre  dans  des  villes  et 
dans  des  villages   où   l'on  ne  demandait  qu'à  vivre  en  paix. 


CHRONIQUE    r>E    LA    SEMAINE  381 

C'est  ainsi  que  le  préfet  a  expulsé  ;es  Frères  de  Plaisance,  de 
Miradoux  et  de  Lectoure,  au  mépris  des  désirs  très  nettement 
exprimés  parles  pères  de  famille  et  de  promesses  formelles. 

Qu'est-il  advenu?  Les  congréganistes  déf.ouillés  ont  dû, 
devant  le  vœu  des  populations,  ouvrir  des  écoles  libres;  leurs 
élèves  les  ont  suivis  et  la. charité  catholique  s'est  imposé  de 
généreux  sacrifices  afin  de  pourvoir  au  budget,  si  modeste 
d'aillrfurs,  de  ces  maîtres  que  la  France  entoure  de  ses  hom- 
mages et  que  la  république  honore  de  ses  persécutions. 

Le  conseil  général  a  répondu  aux  brutalités  iniques  du 
pouvoir  républicain  par  un  acte  plus  efficace  que  les  plus 
éloquentes  protestations. 

Il  a  voté  des  allocations  en  faveur  des  écoles  chrétiennes 
libres. 

"Voilà  un  excellent  exemple. 

Le  préfet  a  gardé  le  silence  devant  cette  éclatante  condam- 
nation de  sa  vilaine  besogne,  et  les  conseillers  généraux  répu- 
blicains, n'osant  pas  —  rendons-leur  justice  —  approuver  le 
scandale  des  écoles  sans  Dieu,  sont  tout  d'un  coup  devenus 
muets,  tant  ils  ont  senti  que  la  droite  de  l'assemblée  départe- 
mentale était  l'interprète  fidèle  des  populations,  qui  n'accor- 
dent leurs  sympathies  et  leur  estime  qu'aux  écoles  dans 
lesquelles  le  crucifix  garde  sa  place  d'honneur  et  où  les  jeunes 
générations  grandissent  saines  et  fortes  pour  Dieu  et  pour  la 
patrie. 

Les  puissances  n'ayant  pas  obtenu  satisfaction  par  leur  ulti- 
matum ont  déclaré  le  blocus  des  côtes  grecques.  Les  représen- 
tants de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne,  do  l'Autriche  et  de 
l'Italie,  mettant  leurs  menaces  antérieures  à  exécution,  ont 
quitté  Athènes  et  se  sont  embarqués  sur  les  navires  stationnés 
au  Pyrée,  Avant  leur  départ,  ils  ont  adressé  chacun  séparé- 
ment une  note  annonçant  qu'ils  laissaient  leurs  secrétaires 
comme   chargés    d'afî'aires    de    leur   légation   respective. 

Le  représentant  de  la  Porte,  qui  a  laissé  aussi  le  premier 
secrétaire  de  la  légation,  a  annoncé  qu'il  partait  parce  que  ses 
collègues  quittaient  Athènes  sur  une  question  inhérente  à  la 
sûreté  de  la  Turquie.  De  son  côté,  le  ministre  de  la  Grèce  à 
Constantinople  s'est  embarqué  pour  Athènes. 

Seul  le  ministre  de  France,  M.  le  comte  de  Moûy,  est  resté 
à  son  poste. 


382  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  Russie  a  pris  une  situation  a  part,  depuis  le  début  des 
négociations,  sans  cependant  se  séparer  du  concert  des  puis- 
sances. On  était  donc  curieux  de  savoir  quelle  serait  son  atti- 
tude. Elle  a  été  fort  simple.  L'ambassadeur,  M.  de  Butzow, 
appelé  il  v  a  quelque  temps  à  Livadia  par  l'empereur 
Alexandre,  se  trouve  ainsi  absent.  Le  chargé  d'affaires  est,  de 
son  côté,  revenu  à  Athènes  juste  pour  voir  partir  les  ambassa- 
deurs; mais  le  fait  ne  peut  tirer  à  conséquence,  puisque  les 
autres  puissances  j  maintiennent  aussi  leurs  chargés  d'affaires. 

Est-ce  la  guerre?  La  situation  a  incontestablement  empiré; 
mais  ce  serait  une  erreur  de  croire  à  une  ouverture  imminente 
des  hostilités.  Les  dépêches  d'Athènes  sont  pessimistes.  Elles 
annoncent  des  mouvements  de  l'armée  turque  et  des  concentra- 
tions vers  la  frontière  ;  de  Constantinople  on  envoie  des 
démentis;  or,  c'est  incontestablement  du  côté  de  la  Turquie 
qu'est  la  vérité.  Ce  n'est  certainement  pas  elle  qui  ouvrira  les 
hostilités. 

Sera-ce  la  Grèce  ?  L'affectation  qu'elle  met  à  craindre, 
contre  toute  évidence,  une  attaque  de  la  Turquie,  la  rend  sus- 
pecte. Néanmoins,  elle  proteste  de  ses  intentions  pacifiques; 
elle  s'estime  liée  par  l'adhésion  qu'elle  a  donnée  aux  conseils 
de  la  France,  et  il  est  certain  qu'une  guerre  survenant  dans 
cette  situation,  achèverait  l'isolement  de  la  France,  qui  doit 
user  de  toute  son  influence  à  Athènes  pour  prévenir  les  graves 
conséquences  qui  résulteraient  pour  elle  d'une  guerre  dont  elle 
serait  complice  responsable. 

Telles  sont  les  apparences.  Reste  à  savoir  s'il  n'y  a  pas 
d'autres  intérêts  qui,  à  un  moment  donné,  mettront  les  armées 
aux  prises. 

En  attendant,  le  blocus  vient  d'avoir  un  premier  résultat  : 
M.  Deljannis  a  donné  sa  démission,  et  le  roi  Georges  semble 
disposé  à  l'accepter.  Ce  changement  de  ministère  pourrait  avoir 
des  conséquences  heureuses  pour  le  maintien  de  la  paix,  si 
l'opinion  publique  était  moins  surexcitée.  Chaque  jour  se  repro- 
duisent de  nouvelles  manifestations  du  patriotisme  grec.  Une 
foule  énorme,  partie  du  Pirée,  s'est  portée  sur  l'une  des  places 
d'Athènes  avec  des  cris  belliqueux.  En  présence  de  cet  état  des 
esprits,  il  est  à  redouter  que  le  cabinet  Tricoupis,  qu'on  cherche 
à  former,  ne  puisse  faire  œuvre  utile. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  383 

Le  blocus  pacifique  que  les  chargés  d'affaires  des  puissances 
ont  notifié  au  cabinet  d'Athènes  n'est  pas  reconnu  par  tous  les 
écrivains  qui  font  autorité  en  matière  de  droit  international. 
Parmi  ces  derniers  est  M.  de  Martens,  l'éminent  professeur  de 
Saint-Pétersbourg,  qui  soutient  qu'il  ne  saurait  y  avoir  de  blocus 
sans  guerre  déclarée,  le  blocus  étant  par  lui-même  un  acte  de 
guerre.  De  plus,  il  y  a  lieu  de  remarquer  que  presque  jamais 
les  blocus  pacifiques  ne  se  sont  terminés  sans  qu'il  ait  été  tiré 
quelques  coups  de  canon. 

Les  blocus  pacifiques  les  plus  célèbres  sont  ceux  de  1827 
contre  les  côtes  turques  de  la  Grèce  (Angleterre,  France,  Russie), 
de  1831  contre  le  Portugal  (France),  de  1836  contre  laNouvelle- 
(xrenade  (Angleterre),  de  1838  contre  le  Mexique  (France),  de 
1838  à  1846  contre  les  ports  argentins  (Angleterre  et  France), 
et  enfin  le  blocus  des  côtes  grecques  en  1850  (afi[aire  Pacifico) 
par  l'escadre  anglaise  de  l'amiral  Parker,  qui  captura  près  de 
200  navires  de  commerce  grecs. 

Le  vote  du  projet  da  loi  politico-religieux  soumis  aux  discus- 
sions du  Landtag  de  Berlin  ne  paraît  plus  être  qu'une  question 
de  fort  peu  de  temps.  Et  comme  le  Reichstag,  l'assemblée  de 
l'empire  allemand,  n'a  pas  à  connaître  de  cette  question,  l'objet 
des  débats  étant  la  modification  des  lois  de  mai  pour  les  pro- 
vinces du  royaume  de  Prusse,  la  solution  qui  ne  tardera  pas  à 
intervenir  sera  définitive.  Il  n'y  a  pas  à  douter  que  les  autres 
parties  de  l'empire,  dont  les  législations  ont  plus  ou  moins  été 
modelées  sur  celles  de  la  Prusse,  ne  s'empressent  d'entrer  à 
leur  tour  dans  la  voie  de  la  pacification  ;  pour  mieux  dire  ce 
mouvement  a  déjà  commencé. 

Le  spectacle  du  grand  exemple  que  donne  le  prince  de  Bis- 
marck en  brisant  lui-même  d'une  main  ferme  les  chaînes  qu'il 
avait  forgées  pour  l'Église,  confond  et  horripile  les  adversaires 
de  celle-ci  en  tous  pays.  Voici  à  ce  sujet  une  étonnante  réflexion 
du  Temps,  journal  protestant: 

L'explication  de  ce  contraste  n'est  pas  bien  difficile  à  trouver. 
C'est,  d'une  part,  que,  dans  sa  lutte  avec  le  pouvoir  spirituel,  le 
représentant  le  mieux  armé  et  le  plus  puissant  du  pouvoir  civil  et 
de  tout  ce  que  l'autorité  de  l'État  a  de  puissance  matérielle  et  de 
force  en  quelque  sorte  brutale,  s'est  trouvé  singulièrement  faible  et 
incapable  de  venir  à  bout  d'une  résistunce  qui  avait  son  fondement 
et  ses  ressources  dans  la  conscience  et  dans  la  conscience  seule. 

28 


384  ANNALES    CATHOLIQUES 

beau  joueur,  le  prince  de  Bismarck,  quand  il  abandonne  la  partie  et 
jette  les  cartes,  ne  marchande  pas  ses  concessions. 

Et  le  journal  qui  a  fait  cet  aveu  bien  digne  d'être  relevé, 
c'est  celui-là  même  qui,  avec  les  airs  les  plus  doucereux, 
applaudit  à  toutes  les  mesures  de  persécution  prises  par  le 
gouvernement  républicain  contre  la  majorité  des  citoyens 
français  ! 

Aujourd'hui  du  moins,  il  fait  indirectement  à  ses  patrons  une 
sévère  leçon. 

En  voici  une  autre,  de  la  même  source,  à  l'adresse  des 
nationaux-libéraux  allemands  : 

Seuls  les  nationaux-libéraux,  qui  semblent  mettre  tout  ce  qui  leur 
reste  —  et  c  est  peu  —  de  leur  libéralisme  d'antan  dans  leur  haine 
persistante  contre  l'Eglise,  faisaient  miae  d'offrir  quelque  résistance 
â  la  capitulation  du  prince  de  Bismarck.  Personne,  d'ailleurs,  n'igno- 
rait que  ce  parti  ne  se  permettait  une  telle  opposition  que  parce 
qu'il  en  savait  d'avance  la  parfaite  inutilité  et  le  caractère  purement 
démonstratif. 

Dans  sa  séance  de  mercredi,  après  le  vote  contre  le  renvoi 
du  projet  de  loi  à  une  Commission,  M.  de  Gossler,  ministre  des 
cultes,  a  fait  ressortir  que  le  gouvernement  cherchait  à  s'en- 
tendre directement  avec  le  Saint-Siège,  parce  qu'on  lui  avait 
toujours  dit  que  le  Centre  désirait  se  trouver  en  présence  d'une 
expression  positive  de  la  volonté  du  Pape,  à  laquelle  il  ne 
pourrait  pas  s'opposer. 

Le  ministre  a  ajouté  que  le  gouvernement  ne  procédait  à 
une  révision  de  la  législation  que  parce  qu'il  espérait  amener 
ainsi  la  paix,  dont  la  preuve  la  plus  tangible  pour  le  public 
serait  la  notification  des  nominations  ecclésiastiques. 

Le  ministre  a  déclaré  en  terminant  que  le  gouvernement  ne 
voulait  pas  de  concordat. 

Les  deux  premières  lectures  sont  terminées  ;  la  troisième  el 
dernière  aura  lieu  lundi. 

Un  pas  immense  va  donc  être  fait  dans  la  voie  de  la  pacifica- 
tion religieuse,  et  cette  fois  tout  porte  à  croire  qu'une  paix 
solide  et  durable  sera  bientôt  accordée  à  l'Eglise  catholique 
allemande.  Pour  toui  dire,  en  un  mot,  le  gouvernement  de 
Berlin  donne  déjà  l'assurance  officielle  qu'il  est  disposé  à  com- 
pléter la  révision  des  lois  de  mai,  c'est-à-dire  à  déposer,  peu 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  385 

après  la  discussion  qui  s'achève,  une  nouvelle  loi  destinée  à 
régler  les  nombreux  points  dont  la  loi  actuellement  en  discus- 
sion ne  fait  aucune  mention. 

Puisque  M.  de  Bismarck  veut  sincèrement  la  paix,  espérons 
qu'il  la  voudra  jusqu'au  bout,  et  qu'une  entente  amiable  inter- 
viendra pour  écarter  à  tout  jamais  les  derniers  débris  du  Cul- 
turkampf.  En  reconnaissance  des  bonnes  dispositions  de  la 
Prusse,  Léon  XIII  lui  a  accordé  le  droit  de  veto  aux  nomina- 
tions à  faire  dans  les  cures  actuellement  vacantes. 

Voici  à  ce  sujet  deux  documents  officiels  :  le  premier  émane 
■du  ministre  des  cultes,  et  est  adressé  au  président  de  la  Chambre 
des  députés  ;  l'autre  est  une  lettre  du  cardinal  Jacobini. 

I 

Berlin,  l'^  mai  1886. 

Par  lettre  du  8  avril  dernier,  j'ai  communiqué  à  M.  le  président 
de  la  Chambre  des  Seigneurs,  une  note  du  cardinal  secrétaire  d'iîtat 
Jacobini  en  date  du  4  avril,  qui  promet  la  concession  du  veto  per- 
manent dès  après  le  vote  et  la  publication  du  projet  de  loi  religieux 
actuellement  en  discussion  pour  Id  cas  où  le  Saint-Siège  recevrait 
Tassuranco  officielle  que  l'on  entreprendrait  dans  un  prochain  avenir, 
une  révision  dos  dispositions  des  lois  politico-religieuses,  dont  il 
n'est  pas  fait  mention  dans  le  projet  actuel. 

Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  no  pouvant  voir  là  qu'une  réponse 
amicale  aux  avances  faites  ]iar  lui  dans  le  projet  soumis  au  Landtag, 
n'a  pas  hésité  de  donner  au  Saint-Siège,  par  note  du  23  avril,  l'assu- 
rance qu'il  était  disposé  à  une  r.^vision  j)lus  complète  des  lois  politico- 
religieuses.  A  sa  grande  sutisfacticn,  le  gouvernement  du  roi  est 
aujourd'hui  en  état  de  communiquer  à  la  représentation  nationale 
une  nouvelle  note  du  cardinal-secrctaiie  d'Ktat  Jacobini  en  date  du 
25  avril,  d'après  laqurdle  Sa  Saint'vté  le  Pape,  pour  donner  un  gage 
réel  de  ses  dispositions  pacifiques,  s'est  déciiié  de  sa  propre  initiative 
et  sans  attendre  que  les  con'Iitions  stipulées  fussent  toutes  accom- 
plies, à  remplir  dès  à  présent,  une  partie  des  promesses  faites  par 
Elle,  en  accordant  le  droit  de  veto  pour  les  cures  présentement 
vacantes. 

En  vous  transmettant  cette  note  traduite  on  allemand,  je  vous 
prie  en  même  temps  de  vouloir  la  communiquer  aux  membres  de  la 
Chambre  des  députés. 

II 

Vatican,  25  avril  1886. 
Après  avoir  porté  à  la  connaissance   de   Sa  Sainteté   la  note   du 
gouvernement  prussien  du  23  avril,  en  réponse  à  la  dernière  note  du 


386  ANNALES    CATHOLIQUES 

Saint-Siège,  le  soussigné  Cardinal  Secrétaire  d'Etat,  s'empresse  de 
communiquer  ce  qui  suit  à  Votre  Excellence  : 

Le  Saint-Père  a  appris  avant  tout,  avec  une  véritable  satisfaction, 
que  la  proposition  du  Saint-Siège  d'entreprendre  une  révision  ulté- 
rieure des  dispositions  légales  non  visées  dans  le  projet  actuel,  a  été 
accueillie  par  le  gouvernement  prussien,  comme  un,  acte  de  réconci- 
liation qui  servirait  à  rétablir  complètement  la  paix  religieuse. 

L'assurance  donnée  au  Saint-Siège  de  s'occuper  de  cette  révision 
et  de  soumettre  aux  Chambres  un  nouveau  projet,  dans  ces  sens,  ne 
pouvait  qu'être  agréable  à  Sa  Sainteté.  Le  succès  obtenu  à  la 
Chambre  des  Seigneurs  par  le  projet  de  loi  actuel  et  ses  amende- 
ments a  été  aussi  un  sujet  de  satisfaction  pour  Sa  Sainteté. 

C'est  à  cause  de  cela  et  pour  témoigner  du  grand  cas  qu'il  en 
fait,  ainsi  que  pour  donner  au  gouvernement  prussien  une  preuve 
nouvelle  el  spéciale  de  sa  confiance  et  de  sa  condescendance,  que 
le  Saint-Père  a  autorisé  le  soussigné  Cardinal  Secrétaire  d'État 
à  faire  savoir  au  gouvernement  qu'il  entrait  dans  ses  inten- 
tions que  les  présentations  (des  noms  des  curés  au  gouverne- 
ment) pour  les  cures  actuellement  vacantes  se  fissent  dès  à  pré- 
sent et  sans  retard.  En  faisant  la  présente  communication  à  son 
gouvernement,  Votre  Excellence  ne  manquera  pas  d'en  faire  res- 
sortir l'importance  particulière  relativement  surtout  au  rétablis- 
sement de  la  paix  religieuse  définitive. 

Le  soussigné  saisit  celte  occasion,  etc. 

Signé  :  Cardinal  JAcoemi. 


Depuis  quelque  temps,  aux  États-Unis,  une  plante  parasite 
d'origine  exotique  avait  pris  un  développement  extraordinaire. 

Dans  ces  régions  bénies  du  ciel,  où,  d'après  tant  d'écono- 
mistes des  premières  générations  de  ce  siècle,  la  question 
sociale  devait  toujours  être  pratiquement  inconnue,  eu  égard  à 
l'immense  abondance  des  terres  et  au  monopole  de  fait  constitué 
au  profit  des  travailleurs  par  la  limitation  de  leur  nombre  — 
dans  ce  pars  d'élection  des  classes  laborieuses,  l'anarchisme  tel 
que  le  prêche  la  Ireiheit,  l'organe  de  M.  Most,  avait  conquis 
de  nombreux  adhérents.  A  New-Yo'"k,  à  Boston,  à  Philadel- 
phie, à  Cincinnati,  à  Milwaukee,  à  Chicago,  partout  où  l'in- 
dustrie a  accumulé  ses  capitaux  et  ses  entreprises  et  aggloméré 
ses  ouvriers,  les  doctrines  chères  au  communisme  révolution- 
naire ont  trouvé  un  auditoire  favorable  et  des  convertis  tout 
préparés. 

Ces  dernières  semaines,  la  crise  avait  pris  un  caractère  de 


CHRONIQUE    DK    LA.    SEMAINE  387 

gravité  et  d'urgence  tout  particulier.  A  Milwaukee,  capitale 
du  Michigan,  dans  le  grand  centre  de  la  brasserie  du  Lager- 
béer,  c'est-à-dire  dans  un  milieu  tout  allemand,  des  conllits 
sanglants  ont  eu  lieu  au  sujet  de  la  journée  de  huit  heures. 
C'est  à  Chicago,  toutefois,  que  les  troubles  ont  été  les  plus 
graves.  Plusieurs  dizaines  de  milliers  d'ouvriers  étaient  en 
grève  depuis  quelques  semaines. 

Les  anarchistes  qui  se  vantent  de  posséder  dans  la  métropole 
commerciale  et  industrielle  de  l'Ohio  une  puissante  organisa- 
tion, s'étaient  appliqués  à  envenimer  le  conflit  et  à  exaspérer 
les  esprits.  Un  grand  meeting  ouvrier  était  annoncé  pour  le 
5  mai,  sur  l'une  des  places  publiques  de  la  ville,  à  l'efiet  d'ar 
rêter  les  mesures  nécessaires  pour  le  triomphe  immédiat  de  la 
cause  socialiste.  Le  maire  de  Chicago,  responsable  de  l'ordre 
dans  les  rues  de  la  ville,  avait  lancé  une  proclamation  interdi- 
sant les  attroupements  sur  les  places  publiques. 

Comme  les  masses  rassemblées  n'obéissaient  point  aux  injonc- 
tions réitérées  de  la  police,  le  commissaire  en  chef  crut  devoir 
procéder  aux  sommations  légales,  pendant  que  les  orateurs 
anarchistes  poursuivaient  imperturbablement  leurs  harangues 
inflammatoires.  A_  peine  la  formule  légale  était  prononcée 
qu'une  voix  demeurée  jusqu'à  présent  inconnue  s'écriait  :  Aux 
armes  !  et  trois  bombes  explosibles  venaient  tomber  dans  les 
rangs  de  la  police  et  y  faire  de  nombreuses  victimes. 

En  présence  de  cette  agression,  les  agents  se  sont  crus  en 
droit  de  riposter.  Une  vive  fusillade  a  éclaté,  des  charges  ont 
été  faites,  d'un  côté  et  de  l'autre,  plusieurs  morts  et  un  nombre 
considérable  de  blessés  ont  été  laissés  sur  le  terrain.  Il  était 
permis  de  croire  qu'une  telle  catastrophe  répandrait  quelque 
terreur  parmi  les  plus  malintentionnés  et  que  l'ordre,  chère- 
ment acheté  au  prix  d'une  telle  journée,  régnerait  de  nouveau 
à  Chicago.  Il  n'en  est  encore  rien.  De  nouvelles  grèves  sont 
signalées.  Des  foules  composées  de  milliers  de  personnes  se 
portent  sur  les  magasins  dans  des  intentions  de  pillage  et  ne 
sont  dispersées  que  par  la  force  des  armes.  Bref,  la  situation  à 
Chicago  comme  à  Milwaukee,  où  des  incidents  analogues  ont 
eu  lieu,  demeure  éminemment  grave,  et  l'on  se  demande  si  l'Etat 
d'Ohio,  en  première  ligne,  et  le  pouvoir  fédéral,  en  second 
lieu,  ne  devront  pas  intervenir  pour  rétablir  l'ordre  à  Chicago. 

Le  socialisme  violent  a  fait  son  entrée  bruyante  sur  la  scène 
en  Amérique. 


388  ANNAÎ.RS    CATHOLIQUES 

Jeudi  dernier,  au  café  Corazza,  se  sont  réunis  en  un  fraternel 
banquet,  une  quarantaine  d'écrivains  catholiques  conviés  par 
M.  V.  Palmé,  l'éditeur  des  BoUandistes,  pour  célébrer  les  noces 
d'argent  de  ]a.  Revue  du  Monde  catholique. 

En  même  temps  qu'au  grand  éditeur  catholique,  c'est  à 
M.  J.  Chantrel,  on  le  sait,  qu'est  due  la  fondation  de  cette  utile 
revue.  C'est  aussi  M.  J.  Chantrel  qui  en  fut  le  premier  directeur, 
contrairement  à  ce  que  dit  un  journal  religieux,  bien  placé 
cependant  pour  savoir  avec  quel  désintéressement,  quelle  géné- 
rosité le  regretté  écrivain  abandonna  la  direction  de  la  Revue, 
en  faveur  de  M.  Eugène  Veuillot,  dont  le  journal  venait  d'être 
supprimé  par  l'Empire.  Ce  trait,  qui  honore  si  grandement 
M.  J.  Chantrel,  devait  être  rappelé  ici. 


PETITE  CHRONIQUE 

Voici  quelques  détails  sui-  le  départ  de  Monsieur  le  Comte  et  de 
Madame  la  Comtesse  de  Paris  pour  le  Portugal  : 

Monsieur  le  Comte  et  Madame  la  Comtesse  de  Paris  quitteront 
Paris  lundi  prochain  17  mai,  à  quatre  heures  du  soir,  par  un  train 
spécial  composé  en  grande  partie  de  sleeping  cars. 

En  arrivant  à  Irun,  à  six  heures  du  matin,  on  devra  changer  de 
voitures,  la  voie  espagnole  ayant  plus  de  largeur  que  la  française. 

On  passera  par  Miranda,  Médina,  Salamanca,  en  Espagne,  et 
Guarda,  Pamphilosa,  Coimbra  et  Santarem,  en  Portugal,  parcou- 
rant la  ligne  construite  sous  le  l'ègne  de  feu  le  roi  Alphonse,  qui 
n'a  pas  encore  été  livrée  au  public.  Cette  nouvelle  ligne,  comblant 
la  lacune  qui  existait  entre  le  chemin  de  Paris  à  Madrid  et  la  ligne 
portugaise  de  Beira-Alla,  complète  la  communication  directe  des 
Pyrénées  à  Eisbonne  et  à  Porto. 

A  chaque  arrêt  du  train  royal,  les  délégations  des  compagnies 
espagnoles  iront  à  la  renconti-e  des  augustes  voyageurs. 

On  arrivera  en  Portugal  b  19,  vers  deux  heures  du  matin.  En 
raison  de  cette  heure  matinale,  le  chef  de  la  Maison  de  France  a 
prié  S.  A.  R.  le  duc  de  Bragance  de  ne  pas  venir  à  sa  rencontre  â 
la  frontière. 

Son  Altesse  royale  ne  se  trouvera  donc  qu'à  Pamphilosa,  gare 
de  bifurcation  de  la  Beira-Alta  avec  la  lig-ne  de  Lisbonne. 


REVUE    ÉCONOMIQUE    ET    FINANCIERE  389 

C'est  là  qu'à  neuf  heures  du  malin  aura  lieu  la  réception 
officielle. 

Deux  heures  plus  tard,  après  avoir  déjeûné  à  l'Entrocamento,  le 
train  se  remettra  en  marche  pour  Lisbonne  à  cinq  heures  du  soir. 

On  prépare  là  une  réception  digne  des  augustes  voyageurs  et  de 
leurs  hôtes  royaux. 

—  La  reine  d'Angleterre  vient  de  faire  offrir  à  la  Bibliothèque, 
Vaticane  la  collection  du  catalogue  raisonné  des  œuvres  de  Raphaë^ 
dont  elle  conserve  des  copies  au  palais  de  Windsor.  Ce  catalogue  a 
été  tiré  à  cent  exemplaires,  dont  deux  seulement  ont  été  offerts  à  des 
personnes  en  Italie  :  ce  sont  le  Pape  et  Mgr  Farabulini.  Il  est  bon  de 
noter  que  le  gouvernement  italien  n'a  obtenu  aucun  exemplaire. 

—  La  statistique  officielle  du  suicide  pour  l'an  1884  dit  que  le 
nombre  des  morts  volontaires  s'est  élevé  à  7,572,  c'est-à-dire  qu'il  est 
doublé  depuis  trente  ans,  et  qu'il  progresse  encore  chaque  année. 

Parmi  ces  désespérés  de  la  vie,  il  se  trouve  plus  de  1.600  femmes, 
près  de  100  enfants  et  331  jeunes  gens  de  seize  à  vingt  et  un  ans.  Le 
département  de  la  Seine,  à  lui  seul,  a  fourni  1,420  victimes. 

C'est  là  ceitainemeat  un  des  fruits  de  ce  prosélytisme  irréligieux 
qui  s'exerce  si  largement  et  sans  répression  aucune  à  l'heure  actuelle. 
Il  n'y  a  pas  de  Dieu,  pas  de  vie  future,  pas  de  ciel,  pas  d'enfer.  Alors, 
pourquoi  la  vie,  pourquoi  son  intolérable  fardeau?...  hâtons-noua 
d'en  finir! 

—  M.  Auguste  Honnoré,  sénateur  de  la  Meuse,  a  succombé  dans 
la  nuit,  hier,  aux  suites  d'un  accès  de  goutte. 

Magistrat  sous  l'Empire,  il  avait  été,  peu  après  la  révolution  du 
4  septembre,  nommé  substitut  du  procureur,  puis  procureur  de  la 
République,  à  Nancy. 

Révoqué  au  16  mai  1877,  réintégré  l'année  suivante  par  M.  Dufaure, 
il  fut  porté  comme  candidat  républicain  de  la  Meuse,  aux  élections 
sénatoriales  et  élu  le  5  janvier  1879. 

Il  était  inscrit  au  groupe  de  la  Gauche  républicaine. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FL\ANCIÈRE 

Les  gens  de  la  Bourse,  qui  ont  plusieurs  côtés  communs  avec 
les  moutons  de  Panurge,  célèbrent  à  l'envi  le  succès  de  l'Emprunt 
qui  aurait  été  couvert  vingt  et  une  fois  et  demie. 

Notre  heureux  ministre  des  finances  est  embarrassé  devant  un 


390  ANNALES    CATHOLIQUES 

pareil  luxe  de  demandes.  Que  va-t-il  faire  ?  Comment  contenter 
les  247,000  souscripteurs?  «  H  n'y  aura  aucune  souscription  irré- 
ductible, disait-on.  »  Alors  il  faudrait  donner  à  chaque  souscripteur 
le  1/21,  soit  12  à  15  centimes  de  rentes,  par  3  fr.  de  demandes,  et 
payables  en  quatre  termes  égaux.  Cette  solution,  outre  qu'elle  serait 
ridicule,  serait  aussi  inapplicable.  M.  Carnot  usera  donc  du  pouvoir 
qu'il  s'est  réserve  de  traiter  à  son  gré  les  souscriptions  de  3  fr.  de 
rente,  et  de  les  soustraire  à  l'irréductibilité  proportionnelle.  Il  restera 
à  savoir  combien  il  y  a  de  souscii|.tions  de  3  fr.  de  rente,  et  ce  que 
pourra  faire  en  leur  faveur  le  ministre  des  finances.  Du  moment 
que,  pour  résoudre  cette  question,  il  faut  entrer  dans  le  régime  du 
bon  plaisir,  nous  nous  abstenons  d'aller  plus  loin.  Quant  aux  gros 
souscripteurs,  ils  seraient  alors  d'autant  plus  réduits  que  les  petits 
l'auront  moins  été. 

Les  iVnglais  ont  fait  tout  ce  qu'ils  ont  pu,  aidés  des  Allemands, 
pour  contre-carrer  le  succès  de  notre  Emprunt.  Us  ont  augmenté 
de  1  "/o  le  taux  de  leur  escompte,  et  ont,  eu  Grèce,  brouillé  les 
cartes  que  la  France,  par  extraordinaire,  avait  réussi  à  ranger.  La 
Bourse  a  pu  être  effrayée  quelques  heures,  mais  tout  le  monde  s'est 
vite  rassuré. 

L'Emprunt  est-il  bien  placé,  ou  a-t-il  été  souscrit  par  spéculation? 
C'est  ce  que  la  Bourse  ne  va  pas  tarder  h  nous  apprendre.  Si  nous 
voyons  venir  beaucoup  de  récépissés  provisoires,  ciîla  prouvera  que 
les  vendeurs  n'ont  jamais  entendu  faire  un  placement  ;  mais  jouer 
la  différence  des  cours  ;  et  c'est  ce  qui  arrivera.  Seulement,  les 
titres,  grâce  aux  fonds  déplacés,  seront  facilement  absorbés. 

On  voit  généralement  ce  mois  en  hausse,  parce  qu'il  faudra 
remplacer  l'argent  décaissé.  Déjà  les  bonnes  valeurs  s'en  ressentent. 
En  tête,  le  Crédit  foncier,  dont  les  actions  montent  de  30  fr.  et 
dont  les  obligations  vont  suivre  le  même  chemin;  surtout  celles  non 
libérées  1880  et  1885,  dont  les  prix  sont  si  alléchants,  20  à  22  fr. 
moins  chères  que  les  obligations  absolument  similaires  du  même 
établissement. 

Nos  Kentes  se  soutiennent  vaillamment  et  les  obligations  de  nos 
grandes  lignes  de  Chemins  de  fer  retrouvent  leurs  cours  les  plus 
élevés;  l'obligation  du  Nord  touche  400  fr.  Décidément  létaux  de 
l'intérêt  de  l'argent  baisse  chaque  jour  et  les  placements  deviennent 
de  plus  en  plus  difficiles  à  indiquer.  A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 


«ris.  —  laip.  de  TŒuvre  de  Saint-Pau4    G.  Piequoin,  51,  me  de  Liaie. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LE  CHEMIN  DE  LA  CROIX 

S'il  est  une  dévotion  qui  doit  être  chère  aux  chrétiens  en 
raison  de  son  divin  objet,  c'est  assurément  l'exercice  du 
chemin  de  la  croix.  C'est  à  cette  dévotion  que  Mgr  Freppel 
a  consacré  cette  année  sa  lettre  pastorale  de  carême. 
Après  avoir  exposé  doctrinalement  ce  qu'est  la  rédemption, 
«  dogme  fondamental  de  la  religion  chrétienne,  grand  acte 
dans  lequel  tout  se  résume  et  par  lequel  s'expliquent  égale- 
ment le  passé  et  l'avenir  du  genre  humain  »,  Mgr  l'évéque 
d'Angers  y  rappelle  l'admirable  mouvement  des  croisades 
et  l'élan  de  piété  qui,  pendant  des  siècles,  a  poussé  vers  les 
Lieux-Saints  les  pèlerins  du  monde  entier.  C'est  quand  la 
chute  de  Constantinople  vint  forcément  arrêter  cet  élan, 
que  prit  naissance  la  dévotion  du  chemin  de  la  croix.  Aussi, 
dit  Mgr  Freppel,  «  il  serait  difficile  d'indiquer  une  dévotion 
que  les  Papes  se  soient  plu  à  favoriser  davantage  et  à  pro- 
pager avec  plus  de  zèle  dans  l'univers  chrétien  ». 

Mais  dans  quel  esprit  convient-il  de  suivre  les  stations 
du  chemin  de  la  croix  ? 

Les  quatorze  stations  du  chemin  de  la  croix,  répond  l'éminent 
évêque,  sont  autant  de  pages  d'un  livre  déployé  aux  yeux  du 
monde  pour  l'instruction  et  la  consolation  de  âmes  :  livre  à  la 
fois  sublime  et  populaire,  aussi  propre  à  exercer  les  méditations 
du  génie  qu'il  est  accessible  aux  intelligences  les  plus  simples 
et  les  plus  communes;  livre  écrit  dans  toutes  les  langues  de  la 
terre,  ou,  pour  mieux  dire,  dans  une  seule,  mais  qui  est  univer- 
sellement comprise,  la  langue  du  cœur;  livre  où  les  actes 
tiennent  lieu  des  paroles,  mille  fois  plus  expressifs  que  ne  sau. 
raient  l'être  les  plus  merveilleux  discours  ;  livre  imprimé  sur  la 
chair  d'un  Homme-Dieii,  d'oii  chacun  de  ses  caractères  se 
détache  avec  un  relief  incomparable  ;  livre  que  le  Fils  de  Dieu 
Lvi.  —  MAI  22  1886.  29 


392  ANNALES   CATHOLIQUES 

a  écrit  de  son  sang-,  pour  en  mieux  graver  les  leçons  dans  la 
mémoire  des  hommes;  livre  qui  est  en  même  temps  le  poème  de 
l'amour  divin  et  la  révélation  la  plus  effrayante  de  la  malice 
humaine;  livre  unique  par  le  don,  qu'il  ne  partage  au  même 
degré  avec  aucun  autre,  d'adoucir  toutes  les  souffrances,  d'ins- 
pirer tous  les  sacrifices,  d'apaiser  toutes  les  haines,  et  de  ne 
s'ouvrir  devant  aucune  âme  sans  la  rendre  meilleure,  moins 
faible  contre  l'adversité,  plus  constante  et  plus  ferme  dans  les 
combats  du  devoir  et  de  la  vertu. 

Toile  et  lege,  prenez  et  lisez  :  ce  mot  de  la  grâce,  qui  décida 
de  la  conversion  de  saint  Augustin,  s'applique  tout  particuliè- 
rement à  un  livre  où  se  trouvent  résumés,  avec  les  obligations 
de  la  vie  chrétienne,  tous  les  motifs  que  nous  avons  de  croire, 
d'espérer  et  d'aimer,  Oui,  prenez  en  mains  ce  livre  où  tout  est 
lumière,  force  et  vie  ;  suivez  avec  attention  et  ferveur  le  che- 
min de  la  croix,  et,  à  chaque  pas  que  vous  ferez  dans  cette  voie 
royale  de  la  souffrance,  vous  sentirez  croître  et  s'augmenter  en 
vous  la  foi  et  la  divine  charité. 

Jésus-Christ,  injustement  condamné  à  mort  par  Pilate,  vous 
fera  comprendre  tout  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  cruel  et  d'inique 
dans  les  jugements  des  hommes,  du  moment  qu'ils  cessent 
d'avoir  la  loi  de  Dieu  pour  principe  et  pour  règle.  Quelle  force 
dans  ce  sublime  exemple  et  quelle  source  de  consolations  pour 
tous  ceux  que  la  médisance  et  la  calomnie  poursuivent  et 
accablent  de  leurs  traits  !  Qui  pourrait  se  plaindre  d'être  en 
butte  à  la  haine  et  à  la  vengeance,  en  voyant  que  la  sainteté 
idéale  n'a  pu  préserver  le  Juste  par  excellence  de  la  fureur  des 
méchants  ?  Sans  parler  des  martyrs  de  la  primitive  Église,  ne 
comprenez-vous  pas  ce  que  la  scène  du  prétoire  a  dû  inspirer 
de  courage  et  de  résignation  à  toutes  ces  nobles  victimes  dont 
l'histoire  ne  prononce  les  noms  qu'avec  attendrissement,  depuis 
Jeanne  d'Arc  expirant  au  milieu  des  flammes,  le  nom  de  Jésus 
sur  les  lèvres,  jusqu'à  Charles  I"  d'Angleterre  et  à  Louis  XVI 
tombant  sous  les  coups  d'une  multitude  en  délire? 

Et  s'il  est  rare  de  voir  les  hommes  soumis  à  d'aussi  grandes 
épreuves,  s'il  ne  s'agit  pour  la  plupart  d'entre  eux  ni  de  persé- 
cutions à  souffrir  ni  de  supplices  à  endurer,  la  vie  humaine  est 
ainsi  faite  que  les  afflictions  et  les  contrariétés  ne  manquent 
jamais  d'y  trouver  place.  Quelque  paisible  et  sereine  que  puisse 
être  notre  existence  ici-bas,  le  monde  aura  toujours  assez  d'in- 
justices  pour  exercer  notre   patience,  ses  critiques   assez   de 


LE   CHEMIN   DE    CROIX  393 

malignité,  ses  procédés  assez  de  violence  ou  d'indélicatesse. 
Grande  leçon  que  le  chemin  de  la  croix  nous  donne  dès  le 
premier  pas,  pour  nous  apprendre  à  préférer  aux  vaines  opi- 
nions des  hommes  le  témoignage  de  notre  conscience,  en  atten- 
dant le  jugement  suprême  de  Dieu  ! 

Jésus-Christ  chargé  du  fardeau  de  la  croix  vous  enseignera 
que  nous  avons  tous  notre  croix  à  porter,  que  cette  croix  est 
toujours  prête  et  qu'elle  nous  attend  partout  :  Crux  semper 
parafa  est,  et  uhique  te  expectat  (1).  Car  la  loi  de  la  souffrance 
est  écrite  sur  le  berceau  du  monde.  Dieu  la  promulgua  le  jour 
oii  le  premier  homme  entraîna  dans  sa  chute  toute  sa  descen- 
dance. Depuis  ce  moment-là,  un  joug  dur  pèse  sur  les  enfants 
d'Adam  :  Jugum  grave  super  filios  Adam  (2).  Tous,  nous  par- 
ticipons à  l'expiation  comme  à  la  faute;  et  quelque  effort  que 
nous  fassions  pour  échapper  à  la  souffrance,  nous  ne  parvenons 
jamais  à  l'éviter  entièrement  :  Non  potes  effugere,  uhicumque 
cucurreris  (3).  Quand  elle  s'éloigne  de  notre  corps,  elle  se 
réfugie  dans  l'âme  pour  remplacer  la  douleur  physique  par  les 
peines  morales;  et,  à  défaut  de  causes  intérieures  qui  l'entre- 
tiennent, nous  trouvons  au  dehors  des  occasions  qui  la  font 
naître,  dans  les  accidents  H-»  !a  vie  et  dans  les  vicissitudes  de 
ce  monde  :  Aut  enivn  in  corpore  dolorem  senties,  aut  in  anima 
spiritus  tribulationem  sustivebis  (4).  Telle  est  la  destinée  de 
l'homme  sur  la  terre  :  il  n'est  pas  de  vie  humaine  où  la  souf- 
france n'ait  eu  son  jour  ou  son  heure.  Ce  qui  importe,  c'est  de 
l'accepter  des  mains  de  Dieu  avec  une  soumission  filiale,  pour 
avoir  part  à  la  gloire  comme  à  la  peine  :  Et  si  socius  fueris 
pœnœ,  socius  eris  et  gloriœ  (5). 

Jésus-Christ  tombant  à  trois  reprises  sous  le  poids  de  l'ins- 
trument du  supplice,  vous  avertira  de  l'infirmité  de  notre 
nature,  si  sujette  à  défaillir  sur  lo  chemin  de  la  vie,  oii  les 
blessures  de  l'âme  viennent  s'ajouter  aux  souffrances  du  corps 
pour  entraîner  tout  l'homme  dans  des  chutes  multipliées.  Car 
vous  n'oublierez  pas,  en  suivant  le  chemin  de  la  croix,  qu'ici 
chaque  détail  renferme  une  leçon  morale,  et  que  l'histoire  du 
genre  humain  se  résume  tout  entière  dans  ce  drame  unique, 

(1)  De  Imiiitatione  Cfiristi,  Kb.  H,  capv  XH. 

(2)  Ecdi.,  XL,  1. 

(3)  De  Irait .  Christi,  ibidem. 

(4)  Ibid. 

(5)  Ibid. 


394  ANNALES    CATHOLIQUES 

dont  le  sens  intime  dépasse  infiniment  la  simple  apparence  du 
fait  extérieur  et  sensible.  Le  Fils  de  Dieu  succombe  sous  le  far- 
deau de  nos  péchés  qu'il  a  pris  sur  lui  pour  les  racheter,  bien 
plus  que  sous  la  croix  qui  pèse  sur  ses  divines  épaules;  et  les 
trois  chutes  qui  se  succèdent  sur  la  voie  douloureuse  répondent 
aux  défaillances  de  l'humanité  tombée  sous  le  joug  de  la  triple 
concupiscence  dont  parle  l'apôtre  saint  Jean  :  l'orgueil,  la  con- 
voitise et  la  sensualité.  Mystérieuse  expiation,  aussi  propre  à 
nous  pénétrer  du  sentiment  de  notre  faiblesse  qu'à  ranimer 
notre  confiance!  Car  si  le  Sauveur  nous  apprend  à  ne  jamais 
présumer  de  nos  forces,  il  nous  enseigne  en  même  temps  qu'avec 
le  secours  de  Dieu  nous  pouvons  toujours  nous  relever  de  nos 
chutes,  rafî'ermir  nos  pas  chancelants,  et  reprendre  avec  courage 
le  chemin  qui  doit  nous  conduire  au  terme  de  nos  épreuves  et 
de  nos  tribulations. 

Jésus-Christ  rencontrant  sa  très  sainte  Mère  sur  la  voie  des 
souffrances,  vous  rappellera  que  Marie  a  été  établie  de  Dieu  le 
salut  des  infirmes  et  la  consolatrice  des  affligés,  qu'il  sera  doux 
pour  nous  de  recueillir  le  bienfait  de  cette  assistance  mater- 
nelle au  milieu  de  nos  peines,  et  surtout  à  l'heure  de  notre 
mort.  Nul  doute,  on  effet,  que  dans  cet  abandon  universel,  écla- 
tant mais  triste  témoignage  de  la  lâcheté  et  de  l'ingratitude 
des  hommes,  la  vue  et  la  compassion  de  la  sainte  Vierge  n'aient 
été  pour  l'adorable  victime  un  adoucissement  suprême  au  plus 
amer  des  tourments.  Là  du  moins,  dans  la  foule  des  accusateurs 
et  des  bourreaux,  et  faisant  contraste  avec  l'indifférence  et  la 
haine,  il  y  avait  un  regard  plein  de  tendresse,  des  yeux  baignés 
de  larmes,  un  cœur  percé  du  glaive  de  la  douleur...  Ainsi  Dieu 
a-t-il  voulu  que  la  plus  pure  et  la  plus  sainte  des  affections 
humaines  ne  fût  pas  absente  de  cette  grande  scène,  afin  d'in- 
diquer tout  ce  qu'il  y  a  pour  l'homme  de  force  et  de  consolation 
dans  ces  sentiments  de  famille,  qui,  prenant  racine  au  plus  pro- 
fond de  son  être,  le  suivent  du  berceau  à  la  tombe,  le  soutenant 
dans  la  mauvaise  comme  dans  la  bonne  fortune,  pour  ajouter  à 
ses  joies  ou  pour  diminuer  ses  peines,  et  ne  le  laissant  jamais 
sans  un  rayon  d'espérance,  alors  même  qu'il  serait  délaissé  du 
monde  entier.  A  toutes  ses  leçons,  le  chemin  de  la  croix  ajoute 
celle-ci,  d'une  si  grande  élévation  morale  :  en  nous  montrant 
la  passion  du  Fils  devenue  la  compassion  de  la  Mère,  il  s'associe 
dans  l'ordre  de  la  grâce  et  de  la  rédemption  ce  qu'il  y  a  de  plus 
étroitement  uni  dans  la  nature  et  dans  la  société  humaine. 


LE    CHEMIN   DE    CROIX  395 

Jésus-Christ,  aidé  par  Simon  de  Cyrène  à  porter  sa  croix, 
vous  enseignera  que  nous  devons  tous  nous  entr'aider  sur  le 
chemin  de  la  vie,  nous  soutenir  mutuellement,  nous  fortifier 
les  uns  les  autres  par  la  parole  et  par  l'exemple,  et  par  un 
échange  fraternel  de  services  et  de  bienfaits.  C'est  la  loi  fon- 
damentale du  christianisme  :  Alter  alterius  onera  portate,  et 
sic  adimplehitis  legem  Christi  (1). 

Loin  de  nous  cet  égoïsme  inhumain  qui  consiste  à  ne  s'occuper 
que  de  soi,  sans  s'occuper  d'autrui;  car  il  est  écrit  :  Unicuique 
mandavit  Deus  de  proximo  suo  :  «  Dieu  ordonne  à  chacun  de 
s'intéresser  à  son  prochain  (2).  »  Membres  d'une  même  famille, 
d'une  même  cité,  d'un  même  État,  d'une  même  Église,  la  loi 
de  l'assistance  réciproque  s'impose  à  nous ,  et  cette  loi  n'a 
d'autres  limites  que  celles  de  l'humanité.  Ainsi  se  forment  et 
se  resserrent  les  liens  qui  doivent  nous  unir  comme  autant  de 
frères,  et  il  n'est  pas  de  sacrifice  auquel  nous  ayons  le  droit 
de  nous  dérober,  du  moment  qu'il  est  en  notre  pouvoir  d'alléger 
pour  nos  semblables  le  poids  de  la  soufifrance  et  du  malheur. 
Car  nous  ne  formons  tous  qu'un  seul  corps  dans  le  Christ,  qui 
en  est  la  tête  (3)  ;  et  c'est  la  croix  même  du  Sauveur  que  nous 
soulevons  de  nos  mains  en  aidant  nos  frères  à  porter  la  leur. 

Jésus-Christ  imprimant  sa  sainte  face  sur  le  suaire  que  lui 
tend  la  pieuse  Véronique,  vous  rappellera  que  nous  devons  tous 
reproduire  en  nous-mêmes  la  sainteté  de  Dieu  à  l'image  de  qui 
nous  avons  été  créés.  Heureuse  femme  qui,  en  retour  de  cet 
acte  de  foi  et  de  charité,  reçoit  l'empreinte  des  traits  du  Sau- 
veur sur  le  voile  qu'elle  lui  présente  pour  essuyer  son  visage 
couvert  de  poussière,  de  sueur  et  de  sang!  Elle  aura  pour 
récompense  de  sa  courageuse  piété  l'insigne  faveur  de  déployer 
ce  voile  aux  yeux  du  monde  entier,  d'off"rir  à  l'adoration  des 
hommes  cette  face  auguste  qui  fait  le  ravissement  des  anges  et 
des  esprits  bienheureux  ;  cette  face  où  la  majesté  divine  res- 
plendit à  travers  les  opprobres  de  la  Passion ,  et  que  nous 
sommes  tous  appelés  à  essuyer  à  notre  tour  en  réparant  les 
outrages  de  l'impiété  par  la  prière,  par  la  louange  et  par  l'ado- 
ration. Œuvre  de  réparation  méritoire  entre  toutes,  touchante 
dévotion  qui  s'est  ranimée  de  nos  jours,  à  quelques  pas  du  tom- 
beau de  saint  Martin,  sous  les  auspices  d'un  fidèle  serviteur  de 

(1)  Galat.,  VI,  2. 

(2)  Eccl.,  xvii,  12. 

(3)  Epbes.,  IV,  15;  Rom.,  xii,  15. 


396  ANNALES    CATHOLIQUES 

Dieu,  et  qui  est  bien  fait  pour  graver  dans  notre  cœur  l'image 
d'un  Dieu  souffrant,  comme  d'ailleurs  elle  nous  prépare  mer- 
veilleusement à  contempler  un  jour  l'incomparable  beauté  de 
cette  sainte  face  devenue  toute  rayonnante  de  lumière  et  de 
gloire. 

Monseigneur  l'évêque  d'Angers  tire  avec  cette  grande 
doctrine  un  enseignement  de  chacune  des  stations  et  con- 
clut ainsi  : 

Que  vous  semble?  N'a\ons-nous  pas  eu  raison  de  dire  que 
les  quatorze  stations  du  chemin  de  la  croix  sont  un  résumé 
incomparable  des  obligations  de  la  vie  chrétienne?  Oii  trouver 
ailleurs  et  sous  une  forme  plus  saisissante  que  dans  ce  pieux 
exercice  tout  l'ensemble  de  la  doctrine  évangélique?  Comment 
.ne  pas  se  sentir  plus  de  force  et  de  courage  dans  l'accomplis- 
sement du  devoir,  eu  parcourant  cette  voie  du  sacrifice  oii  le 
Sauveur  a  laissé  à  chaque  pas  la  marque  ineffaçable  d'une 
constance  et  d'une  résignation  surhumaines?  Quelles  épreuves 
pourraient  nous  paraître  dures  et  pénibles  à  la  vue  d'un  tel 
enchaînement  do  s  upplices  et  d'opprobres?  Est-il  une  lutte 
devant  laquelle  reculerait  notre  faiblesse,  une  passion  que  nous 
trouverions  trop  difficile  à  vaincre,  après  avoir  repassé  en 
esprit  tout  ce  que  Jésus-Christ  a  dii  souffrir  pour  expier  nos 
fautes?  Placez  donc  cette  grande  dévotion  au  premier  rang  de 
celles  qui  vous  sont  les  plus  chères.  Aimez  à  faire  le  chemin  de 
la  croix,  soit  en  votre  particulier,  soit  en  prenant  part  à  l'office 
public  de  vos  paroisses. 

A  chaque  station,  entrez  dans  les  sentiments  de  foi,  de  piété, 
de  componction  salutaire  qu'inspirent  si  vivement,  les  uns  après 
les  autres,  tous  les  actes  du  drame  divin  de  la  Passion.  Tout 
païen  qu'il  était,  le  Centurion,  témoin  de  cette  grande  scène,  ne 
s'écriait-il  pas  avec  l'accent  d'une  âme  sincère  et  qui  ne  résiste 
pas  à  la  vérité  :  «  Vraiment  celui-là  était  le  Fils  de  Dieu  (1)  ». 
Et  le  peuple  de  Jérusalem,  resté  jusque-là  si  indifférent  et  si 
lâche,  ne  descendait-il  pas  du  Calvaire  en  se  frappant  la 
poitrine  :  Percutientes  pectora  sua  revertebantur  (2)?  Ainsi 
sentirez-vous  s'accroître  et  se  fortifier  en  vous  l'amour  de  Dieu, 
la  charité  envers  vos  frères,  le  renoncement  à  vous-mêmes. 


(1)  S.  Matth.  xxviT,  54. 

(2)  S.  Luc,  XXIII,  48. 


LES    ORIGINES   DE   LA    CIVILISATION    MODERNE  397 

l'esprit  d'abnégation  et  de  sacrifice,  l'horreur  du  péché,  la 
contrition  de  tos  fautes  et  l'espérance  d'une  vie  future,  terme 
et  couronnenaent  de  la  vie  présente;  car  c'est  par  la  souffrance 
que  le  Christ  est  entré  dans  la  gloire,  et  le  chenain  de  la  croix 
est  aussi  le  chemin  du  bonheur  et  de  l'immortalité. 


LES    ORIGINES    DE    LA   CIVILISATION    MODERNE 

PAR  M.    GODEFROID    KURTH, 
PROFESSEUR  A   l'uNIVERSITÉ   DE   LIEGE  (1) 

Depuis  longtemps  nous  nous  promettons  de  donner  à  nos 
lecteurs  un  compte-rendu  détaillé  de  ce  beau  livre,  qui  a 
paru  au  commencement  de  l'année.  La  nécessité  de  suivre 
au  jour  le  jour  les  incidents  multiples  de  la  politique  cou- 
rante nous  a  empêché  jusqu'ici  de  réaliser  notre  projet. 
Nos  lecteurs  n'y  auront  rien  perdu,  puisque  nous  sommes 
à  même  de  leur  offrir  un  travail  des  plus  complets  dû  à  une 
plume  autorisée.  C'est  M.  l'abbé  Onclair  qui  s'est  chargé 
d'analyser  et  d'apprécier  l'œuvre  magistrale  du  professeur 
de  Liège.  Nous  reproduisons  en  grande  partie  son  article, 
auquel  la  Revue  catholique  des  Institutions  et  du  Droit 
a  fait  les  honneurs  de  sa  livraison  d'avril. 

Après  un  court  préambule  où  il  indique  les  affinités  qui 
existent  entre  l'histoire  de  la  civilisation  et  l'œuvre  de  res- 
tauration sociale  que  poursuivent  les  jurisconsultes  et  les 
hommes  d'État  associés  pour  publier  la  savante  Revue  de 
Grenoble,  l'écrivain  aborde  ainsi  sa  tâche  : 

Dés  la  préface  de  ce  livre,  on  sent  l'homme  maître  de  son 
sujet,  que  dis-je,  amoureux  de  son  sujet  avec  lequel  il  a  vécu 
de  longues  années,  qui  lui  a  coûté  des  recherches  patientes,  des 
lectures  à  faire  frémir  la  légèreté  contemporaine,  mais  aussi 
des  satisfactions  sereines  et  pleines  de  grandeur.  Comme  les 
penseurs  d'autefois,  dont  il  est  l'héritier,  il  a  sacrifié  son  repos, 

(1)  Deux  magnifiques  volumes  gr.  in-S"  de  xlvi,  387  —  -xlvit,  313  pp. 
—  Prix:  12  fr.  —  Louvain,  Ch.  Peeters;  Paris,  Vict.  Lecoffre   1886. 


398  ANNALES    CATHOLIQUES 

sa  santé,  à  ses  chères  études  ;  il  confie  au  lecteur  ses  amertumes 
du  présent,  en  même  temps  qu'il  regarde  l'avenir  avec  l'iné- 
branlable confiance  du  chrétien.  Puisse  Dieu  lui  commander 
encore  d'autres  œuvres  pareilles  !  Quand  Dieu  commande,  il 
donne  la  force  d'accomplir. 

L'Introduction  nous  présente  une  étude  sur  le  principe 
civilisateur  lui-même.  La  question  y  est  posée  et  résolue  avec 
une  franchise  et  une  netteté  toute  philosophique  et  toute 
chrétienne.  Comme  le  dit  avec  raison  l'éminent  écrivain,  cette 
question  est  de  celles  que  le  penseur  doit  résoudre  de  toute 
nécessité,  au  risque  de  flotter  sans  cesse  dans  le  vague,  dans 
l'incertain  ;  au  risque  de  se  heurter  constamment  à  des  impos- 
sibilités. Nous  voudrions  voir  nos  hommes  d'expédients,  nos 
soi-disant  libres-penseurs  répondre  aux  déductions  irrésistibles 
de  M.  Kurth. 

A  moins  que  de  se  faire  le  champion  du  principe  matérialiste, 
ou,  comme  on  dit  aujourd'hui,  positiviste,  on  ne  saurait  admet- 
tre que  la  civilisation  soit  uniquement  matérielle,  qu'elle  ne 
connaisse  que  la  matière;  que  l'intelligence  et  la  morale  n'y 
soient  pour  rien.  C'est  mentir  à  la  nature  même  de  l'homme, 
aux  aspirations  de  celui-ci  vers  l'immortalité.  La  destinée  de 
l'homme  est  donc  un  des  facteurs  essentiels  de  la  civilisation, 
la  destinée  de  la  société  en  est  un  autre  ;  mais  celle-ci  dépend 
nécessairement  de  celle-là.  Or,  la  société  antérieure  au  chris- 
tianisme, que  savait-elle  en  matière  de  civilisation  ?  Bien  peu 
de  chose,  en  vérité,  si  ce  n'est  qu'elle  avait  conservé  des  aspi- 
rations vers  un  idéal  qui,  pour  elle,  était  un  rêve,  une  inconnue. 

Les  pages  que  consacre  M.  Kurth  à  cette  grave  question  sont 
assez  nombreuses,  mais  elles  ne  sont  pas  longues  tant  elles  sont 
étincelantes  de  vérité,  de  simplicité,  de  conviction.  Aucun  lec- 
teur sérieux  ne  les  passera  ;  tous  les  liront  comme  une  véri- 
table jouissance,  et  se  diront  :  C'est  beau,  c'est  vrai,  et  c'est 
grand  ! 

Le  terrain  ainsi  déblayé,  l'auteur  entre  de  plain-pied  dans 
son  sujet,  il  y  est  à  l'aise.  L'histoire  se  déroule  sous  sa  main 
avec  sa  majesté,  ses  enseignements  lumineux,  dans  son  harmonie 
providentielle. 

L'écrivain  nous  présente  d'abord  la  société  qui  s'écroule  sous 
le  poids  de  ses  vices,  de  sa  corruption,  tout  autant  que  sous  les 
coups  des  barbares  (ch.  I").  En  face  d'elle,  se  di^esse  le  monde 
germanique,   dont  l'organisation  est  étudiée  avec  une  patience 


LES    ORIGINES    DE    LA    CIVILISATION   MODERNE  399 

bénédictine,   une    grande    élévation  de  vues,   une    non    moins 
grande  fermeté  de  jugement. 

Au-dessus  de  la  société  qui  s'effondre,  et  de  celle  qui  grandit 
et  va  se  transformer,  plane  YÉglise,  avec  ses  origines  et  ses 
destinées  divines,  avec  sa  puissante  unité,  ses  doctrines  sur- 
naturelles, son  désintéressement  et  son  amour.  Le  iii^  chapitre 
est  radieux,  magnifique,  grandiose,  plein  de  théologie  rigou- 
reusement scientifique,  et  par  suite  orthodoxe.  Nous  voudrions 
pouvoir  le  copier  en  entier,  et  le  livrer  à  l'admiration  des  uns, 
à  la  critique  impuissante  des  autres. 

Les  trois  combattants  du  champ  clos  où  vont  se  décider  les 
destinées  de  la  civilisation  moderne,  sont  désormais  connus. 
Nous  allons  assister  à  présent  à  la  lutte  la  plus  gigantesque 
dont  l'histoire  fasse  mention,  et,  faut-il  le  dire,  cette  lutte  ne 
cessera  qu'avec  la  fin  des  temps,  lorsque  le  genre  humain  sorti 
des  mains  de  Dieu  et  retourné  vers  lui,  aura  définitivement 
accompli  son  rôle  providentiel. 

L'Empire  romain  d'Occident  se  dissout  le  premier  (ch.  iv); 
celui  de  Bjzance  survit,  pour  montrer  au  monde  l'impuissance 
d'un  pouvoir  sorti  des  voies  de  la  Providence.  Ces  empereurs, 
à  part  deux  ou  trois  qui  paraissent  se  souvenir  qu'ils  sont  les 
ministres  de  Dieu  pour  le  bien,  ces  empereurs  sont  misérables 
et  ridicules  à  la  fois  ;  ils  entraînent  après  eux  la  société  dégé- 
nérée, aux  destinées  de  laquelle  ils  président  (ch.  vi).  Le  monde 
germanique,  au  contraire,  après  avoir  entassé  les  ruines,  après 
avoir  abattu  ce  qui  était  condamné  à  périr,  se  jette  dans  les 
bras  de  l'Église,  dont  la  majesté,  la  douceur  et  une  auréole 
divine  qu'elle  a  au  front,  captivent  ces  natures  pleines  de  sève 
et  d'aspirations  élevées,  en  dépit  de  leurs  mœurs  et  de  leurs 
institutions.  L'Église  les  assouplit,  les  purifie  et  les  transforme; 
et  les  origines  de  la  civilisation  moderne  allaient  apparaître 
si  l'hérésie  arienne,  s'attaquant  à  l'essence  même  du  christia- 
nisme, n'était  venue  en  arrêter  l'essor  (ch.  vu). 

C'est  une  histoire  délicate,  pleine  de  périls  pour  l'écrivain 
laïque,  que  celle  de  l'arianisme.  Mais  c'est  aussi  une  histoire 
riche  en  enseignements  féconds,  même  au  point  de  vue  de 
l'histoire  moderne.  Si  l'arianisme  a  entravé  la  marche  de  la 
civilisation  aux  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne,  le  protes- 
tantisme, ou  la  grande  apostasie  du  XVP  siècle,  qui  est,  nous 
osons  le  dire,  la  synthèse  de  toutes  les  hérésies,  a  empêché  son 
épanouissement  et  son  triomphe. 


400  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  protestantisme,  en  effet,  a  travesti  l'idée  de  libe  rté  et 
celle  d'autorité,  qui  sont  deux  facteurs  essentiels  de  la  civilisa- 
tion. Il  a  brisé  l'alliance  de  l'autorité  religieuse  et  de  l'autorité 
civile,  et  proclamé  la  suprématie  de  celle-ci  sur  celle-là.  Or, 
si  le  parallélisme  des  deux  pouvoirs  est,  dans  les  questions  qui 
sont  du  ressort  de  tous  deux,  une  erreur  manifeste  et  colossale, 
la  suprématie  du  pouvoir  civil  sur  le  pouvoir  religieux,  est  une 
absurdité,  même  au  point  de  vue  de  la  simple  raison. 

Mais,  il  importe  do  le  remarquer,  si  l'Église  est  une  puissance 
civilisatrice,  elle  ne  l'est  qu'accidentellement,  son  but  premier 
et  essentiel  étant  de  conduire  l'homme  à  son  salut  éternel,  par 
les  moyens  surnaturels  que  son  divin  Fondateur  a  mis  à  sa 
disposition.  Cette  digression  sur  le  protestantisme  n'appartient 
pas  à  M.  Kurth.  Nous  en  demandons  pardon  à  nos  lecteurs.  Le 
savant  professeur  est  resté  rigoureusement  dans  son  rôle  d^his- 
torien.  Mais,  ne  sommes-nous  pas  en  droit  d'en  sortir  un  instant, 
s'il  est  vrai  que  l'histoire  est  l'enseignement  donné  par  le  passé 
au  présent  et  à  l'avenir.^  Ici  se  termine  le  premier  volume  de 
ce  monument  historique  que  nous  essayons  d'analyser  (1). 

Le  second  volume,  quoi  qu'en  dise  modestement  l'auteur  dans 
la  préface  de  son  ouvrage,  ne  le  cède  en  rien  au  premier.  Même 
érudition,  même  logique,  même  enchaînement  rigoureux, 
même  éclat  de  style.  Nous  oserions  affirmer,  au  contraire,  que 
l'édifice  gagne  en  majesté,  à  mesure  qu'il  se  rapproche  da 
sommet. 

Ce  second  volume  contient  six  chapitres  ;  le  lecteur  en  com- 
prendra immédiatement  toute  l'importance  à  la  seule  nomen- 
clature des  titres  :  Ch.  VIII,  Naissance  des  sociétés  catho- 
liques ;  —  Ch.  IX,  la  Société'  barbare  au  VI"  siècle;  — 
Ch.  X  et  XI,  Action  de  V Eglise  ;  —  Ch.  XII,  les  Carlovin- 
giens  ;  —  Ch.  XIII,  Charlemagne.  L'ouvrage  se  termine  par 
un  ensemble  de  pièces  justificatives.  Parmi  elles,  il  y  a  une 
leçon  de  critique  historique  donnée  avec  autant  de  bon  sens 
que  de  modération  à  M.  Havet,  à  propos  de  la  lettre  du  Pape 
Anastase  à  Clovis,  que  M.  Kurth  regarde,  ajuste  titre,  comme 
authentique,  jusqu'à  preuve  du  contraire  ;  puis  cinquante 
pages  environ  de  notes  bibliographiques,  rédigées  et  mises  en 

(1)  Voici  les  titres  des  chapitres  que  comprend  ce  volume  :  UEm- 
pire  romain.  —  Le  monde  germanique.  —  L'É^glise.  —  La  chute  de 
VEfnpire  romain  en  Occident.  —  Progrès  de  l'Église.  —  Byzance.  — 
Les  royaumes  ariens. 


LES    ORIGINES   DE    LA    CIVILISATION   MODERNE  401 

ordre  avec  une  rare  patience  et  une  grande  fermeté  de  juge- 
ment. Après  cet  exposé,  qu'il  nous  soit  permis  de  reprendre 
notre  analyse  au  point  oii  nous  l'avons  laissée. 

Nous  voudrions  transcrire  ici  le  début  du  chapitre  viii,  qui 
ouvre  ce  second  volume.  Il  y  a  là  des  pages  éloquentes  que  l'on 
dirait  tracées  avec  le  burin  de  Tacite,  mais  d'un  Tacite  chré- 
tien, sur  la  situation  de  l'Occident,  de  l'Orient,  et  de  l'Église 
catholique,  «  au  moment  oii  se  fermait  le  V*  siècle  ».  Or,  dit 
M.  Kurth,  «  c'est  en  ce  moment  solennel  que  retentit  à  travers 
«  l'Europe  une  nouvelle  extraordinaire  :  Clovis,  le  roi  des 
«  Francs  Saliens,  venait  de  se  convertir  au  catholicisme,  et 
«  une  grande  partie  de  son  peuple  était  descendue  avec  lui 
«  dans  les  eaux  baptismales  de  Reims.  Arrivant  à  cette  heure 
«  critique  entre  toutes,  un  pareil  événement,  si  modeste  que 
«  fussent  ses  proportions,  avait  tous  les  caractères  d'une  révo- 
«  lution  historique.  La  main  de  la  Providence  semblait  sortir 
«  des  nuages,  et,  suspendant  brusquement  la  marche  de  l'his- 
«  toire,  la  détournait  de  sa  direction  pour  la  lancer  dans  une 
«  voie  nouvelle.  »  Voilà  un  coup  d'œil  de  penseur  chrétien,  une 
vue  d'ensemble  que  l'histoire  vérifie  admirablement.  La  récom- 
pense temporelle  de  la  conversion  des  Francs,  et  son  influence 
sur  la  civilisation,  sont  décrites  avec  sagacité  et  concision, 
ainsi  que  la  transformation  de  toute  l'Europe  occidentale  et  le 
triomphe  de  l'Église,  dans  cette  partie  de  l'ancien  monde 
romain. 

L'auteur,  comme  c'était  son  devoir,  s'est  arrêté  à  raconter 
les  origines  du  pouvoir  temporel  des  Papes.  Ces  origines  sont 
décrites  avec  sagesse,  avec  une  grande  sagacité  de  critique 
historique.  Peut-être  pourrait-on  désirer  un  peu  plus  de 
netteté  didactique.  Mais  ce  n'est  là  qu'un  peut-être  sur  lequel 
nous  n'insistons  pas.  L'histoire  prouve  du  reste  suffisamment 
que  le  pouvoir  temporel  des  Papes  est  une  institution  providen- 
tielle, destinée  à  servir  de  modèle,  d'institutrice  et  d'arbitre 
aux  pouvoirs  chrétiens,  de  sauvegarde  à  la  Papauté  spirituelle. 

C'est  à  tous  ces  titres  qu'elle  a  soulevé  contre  elle  la  calomnie 
et  les  haines  du  rationalisme  impie.  •*  A  la  fin  du  IV*  siècle, 
«  (c'est  par  ces  mots  que  M.  Kurth  conclut  ce  viii*  chapitre)  : 
«  l'Eglise,  pareille  à  la  stérile  de  l'Écriture,  se  voyait  subite- 
«  ment  entourée  d'une  multitude  d'enfants,  et  armée  de  l'éten- 
«  dard  de  la  civilisation,  elle  s'avançait  vers  l'avenir  suivie 
«  d'un  long  cortège  de  peuples  qu'elle  avait  enfantés.  > 


402  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Les  barbares,  dit  M.  Kurth  au  début  du  ix*  chapitre,  les 
«  barbares  étaient  baptisés,  ils  n'étaient  pas  encore  chrétiens.  » 
Ce  mot  signale  le  travail  qui  incombait  à  l'Église  catholique, 
cette  mère  féconde  des  nations  modernes.  Travail  gigantesque 
qui  eût  effrayé,  sans  contredit,  tout  autre  agent  qui  n'aurait 
pas  eu  des  garanties  d'immortalité.  Faire  des  chrétiens  !  mais 
c'est  renouveler  la  face  de  la  terre,  c'est  faire  régner  la  justice 
et  la  charité  qui,  comme  l'a  dit  un  autre  penseur  profond, 
M.  Charles  Périn,  sont  les  deux  pivots  sur  lesquels  roule  l'édi- 
fice chrétien,  c'est  faire  germer  les  plus  sublimes  vertus  sur  le 
fumier  infecte  de  la  barbarie.  Nos  contemporains,  ingrats 
à  l'égard  de  l'Église  et  ignorants  des  services  qu'elle  leur 
a  rendus,  ne  savent  pas  ce  qu'il  en  a  coûté  de  labeurs,  de 
dévouements,  d'abaissements  grandioses,  de  sang  même  aux 
missionnaires,  aux  moines,  aux  évêques,  aux  Papes  do  cette 
époque,  pour  réaliser  cette  merveille  de  la  transformation  du 
monde  et  de  l'inauguration  de  la  civilisation  moderne.  M.  Kurth 
décrit  avec  une  cruelle  concision  la  situation  du  monde  barbare, 
il  a  des  accents  de  véritable  poésie  dantesque  pour  célébrer 
l'action  de  l'Église.  Nous  n'hésitons  pas  à  dire  que  ces  deux 
chapitres,  le  x'  et  le  xi%  sont  un  hymne  d'amour  et  de  recon- 
naissance. Rien  de  lyrique  pourtant  dans  l'expression,  mais  la 
froide  raison  du  savant  et  de  l'historien  qui  s'échaufte  et  se 
dilate  à  ia  radieuse  réalité  des  faits.  Il  passe  en  revue,  avec  sa 
logique  habituelle  et  son  inflexible  impartialité,  les  obstacles 
que  rencontrait  l'action  civilisatrice  de  l'Église  et  de  la  part  des 
populations  à  transformer,  et  de  la  part  des  pouvoirs  publics, 
et,  ce  qui  est  plus  grave,  ceux  qui  se  présentaient  dans  son 
propre  sein.  D'autre  part,  il  pèse  les  moyens  puissants  dont 
l'Église  disposait,  il  les  discute  avec  calme  et  sincérité,  puis  il 
raconte  simplement  les  faits  et  laisse  au  lecteur  le  soin  de 
conclure. 

Ce  travail  des  premiers  civilisateurs  de  la  société  moderne 
mérite  d'être  étudié  avec  soin  par  les  chrétiens  d'aujourd'hui, 
et  par  les  ministres  de  l'Église  eux-mêmes,  qui  ont  à  défendre 
le  dépôt  de  la  foi  et  de  la  morale  contre  l'invasion  d'une 
barbarie  nouvelle,  plus  détestable  que  la  barbarie  ancienne 
parce  qu'elle  est  le  fruit  de  l'apostasie.  Nous  croyons  que  ces 
deux  chapitres  dont  nous  présentons  en  ce  moment  l'analyse 
ont  dû  coûter  à  l'écrivain  bien  des  recherches,  un  travail  dur 
et  opiniâtre.   Qu'on  les  compare   aux  Moines  d'Occident,  du 


LES    ORIGINES    DE   LA    CIVILISATION    MODERNE  403 

noble  et  vaillant  comte  Ch.  de  Montalembert.  C'est  un  parallèle 
que  nous  nous  permettons  de  conseiller,  sans  présenter  au 
lecteur  nos  conclusions  personnelles.  Nous  nous  sommes  arrêté 
longtemps  à  rendre  compte  de  ces  pages,  parce  que,  d'après 
nous,  elles  forment  le  nœud  de  ce  grand  drame  historique  dont 
l'Europe  occidentale  est  le  théâtre.  Pendant  que  nous  les 
étudiions  nous-mêmes  avec  des  jouissances  que  nous  voudrions 
communiquer  à  nos  lecteurs,  nous  avions  sous  les  yeux  une 
foule  de  livres  qui  ont  traité  le  même  sujet,  tantôt  pour  un 
point  du  globe,  et  tantôt  pour  un  autre.  S'il  en  est  parmi  eux 
qui  brillent  par  le  charme  des  détails,  des  anecdotes  curieuses, 
émouvantes  même,  ainsi  que  par  la  magie  d'un  style  coloré  et 
éloquent,  nous  devons  à  la  vérité  de  dire  que  la  palme  de 
l'historien  sévère,  clairvoyant  et  consciencieux  revient 
à  M.  Kurth.  Ce  n'est  pas  cependant  que  son  style  soit  sec, 
aride,  didactique,  oh!  non,  il  est  au  contraire  imagé  et  nerveux. 
«  Il  ne  suffisait  pas,  dit-il  par  exemple  à  la  page  117  de  ce 
«  2*  volume,  de  porter  la  lumière  dans  les  esprits,  il  fallait 
«  aussi  rétablir  l'ordre  dans  les  coeurs,  et  extirper  les  passions 
«  en  même  temps  que  les  préjugés.  Cette  partie  de  l'œuvre 
«  civilisatrice  présentait  plus  de  difficultés  encore.  Les  volontés 
«  se  défendent  d'une  autre  manière  que  les  intelligences; 
«  celles-ci  n'opposent  qu'une  résistance  passive;  celles-là,  au 
«  contraire,  traduisent  leur  volonté  par  des  actes  et  mettent 
«  toutes  les  ressources  de  la  force  brutale  au  service  du  parti 
«  pris.  Le  barbare  converti  admettait  que  la  religion  renversât 
«  ses  arbres  sacrés,  il  ne  tolérait  pas  qu'elle  touchât  à  l'objet 
«  de  ses  passions,  et  il  défendait  ses  vices  avec  plus  d'énergie 
«  que  ses  dieux.  Rien  de  terrible  comme  les  éclats  de  sa  colère 
«  et  de  son  indignation,  aux  heures  où  il  se  voyait  aux  prises 
«  avec  les  ennemis  de  ses  plaisirs.  C'était  la  bête  qui  se  débat- 
«  tait  contre  le  joug,  et  dont  la  résistance  était  d'autant  plus 
«  furieuse  que  la  main  du  dompteur  était  plus  ferme.  »  Qui 
d'entre  nous  ne  sait  que  sous  ce  rapport  les  temps  n'ont  guère 
changé? Que  la  bête  humaine,  pour  nous  servir  d'une  expression 
de  Lacordaire,  hurle  toujours  après  la  liberté  brutale?  Qui  ne 
sait  que  les  modernes  barbares  de  la  libre  pensée  ne  différent  pas 
sensiblement  des  barbares  du  VP  siècle,  si  ce  n'est  par  l'hypo- 
crisie des  prétextes  qu'ils  ont  en  plus?  Les  sectes  hostiles  à  la 
civilisation  chrétienne  le  savent  bien.  Aussi  ont-elles  fait  du 
sensualisme  leur  arme  de  prédilection. 


404  ANNALES   CATHOLIQUES 

L'auteur  examine  encore  dans  ces  deux  chapitres  l'action  de 
l'Eglise  sur  la  vie  publique  et  sociale,  il  y  discute  avec  une  rare 
sagesse  les  conditions  de  la  liberté  évangélique,  et  trace  au 
ix'  chapitre  un  tableau  saisissant,  plein  de  clartés  et  de  science, 
de  la  vie  monastique.  «  Ce  sont,  dit-il  en  parlant  des  moines, 
«  les  humbles  et  opiniâtres  ouvriers  qui,  fuyant  le  plaisir  et  la 
«  renommée,  et  se  vouant  tout  entiers  à  leur  oeuvre  sublime, 
«  cachent  leur  vie  et  leur  nom  dans  les  fondements  de  l'édifice 
«  majestueux  qu'ils  élèvent  vers  le  ciel.  La  pensée  constante 
«  qui  leur  fait  poursuivre  dans  la  solitude  de  leurs  cellules 
«  leurs  longues  et  patientes  études,  c'est  la  gloire  de  Dieu,  le 
«  triomphe  de  l'Évangile,  le  salut  des  âmes.  » 

Le  chapitre  suivant  traite  de  la  race  carlovingienne.  Il  est 
un  acheminement  ou,  si  on  le  préfère,  un  portique  au  règne 
incomparable   de    Charles  le  Grand   ou  de   Charlemagne.   La 
famille  carlovingienne,  dit  avec  raison  M.  Kurth,  représente 
dans  l'histoire  le  triomphe  du  principe  chrétien  sur  la  barbarie. 
A  ce  titre  elle  mérite  d'être  étudiée  à  fond.  Elle  le  mérite 
encore  à  raisoo  des  grands  hommes,  des  héros  qu'elle  a  produits, 
de  la  popularité  dont  elle  jouissait  et  de  la  supériorité  intellec- 
tuelle et  morale  de  ses  membres.  Voilà  des  titres  de  légitimité 
incontestables.  Cette  histoire  des  Carlovingiens  est  étudiée  par 
M.  Kurth  avec  un  soin   spécial.  Il  a  des  vues  profondes  sur 
l'action  de  la  Providence  dans  la  formation  des  nationalités. 
Parlant  de  Pépin  le  Bref,  il  le  qualifie  d'un  mot  qui  montre 
bien  à  quelles  grandes  pensées  s'inspire  l'historien  :  «  Vraie 
«  nature  de  roi,  dit-il,  parce  qu'il  comprenait  tous  les  besoins 
«  de  son  temps  et  qu'il  savait  se  dominer  lui-même  et  les  autres, 
«  il  était  fait  pour  couronner  la  fortune  de  sa  maisim.  »  Le 
peuple  franc  est  brave  et  généreux,  il  veut  des  princes  qui  lui 
ressemblent,  et  quand  la  Providence  les  lui  a  donnés,  il  les 
entoure    d'un    véritable    culte.     Charles-Martel    conquit    un 
immense  empire  sur  les  populations  franques,  par  sa  terrible 
et  sanglante  victoire  de  Poitiers  sur  les  musulmans;  il  avait  en 
ce  jour  mémorable  sauvé  l'Occident  chrétien.  L'historien  décrit 
avec  habileté  la  sagesse  de  la  famille  carlovingienne  à  l'égard 
des  grands,  son  respect  pour  les  droits  acquis,   sa  diplomatie 
aussi  prudente  que  ferme  et  persévérante,  puis  il  conclut  : 
«  C'est  donc  sans  exception  une  série  de  grands  civilisateurs 
«  que  nous  présente  la  famille  d'Arniilf,  depuis  Pépin  d'Héristal 
«  jusqu'à  Charlemagne.  Ils  méritèrent  tous  ce  nom  glorieux. 


LES    ORIGINES  DE    LA   CIVILISATION    MODERNE  405 

«  parce  que  tous,  par  des  moyens  divers  et  à  divers  degrés, 
«  se  firent  les  protecteurs  et  auxiliaires  de  l'Église,  en  qui 
«  vivait  le  principe  de  la  civilisation.  »  Il  signale  l'alliance  des 
rois  francs  et  de  la  Papauté,  l'influence  des  conciles  nationaux 
sur  la  vie  religieuse  et  sociale  des  populations  germaniques. 
Puis  il  termine  ce  chapitre  par  le  récit  exact  et  concis  de  la  des- 
cente des  Francs  en  Italie,  pour  venir  en  aide  à  la  Papauté 
menacée,  lui  assurer  son  indépendance  nécessaire  et  sa  supré- 
matie bienfaisante  sur  tous  les  pouvoirs  chrétiens. 

Le  dernier  chapitre  du  livre  de  M.  Kurth  porte  à  son  fron- 
tispice, comme  le  dit  l'écrivain  lui-même,  «  un  nom  uràque 
dans  l'histoire,  Charlemagne!  » 

Le  savant  critique  reproduit  ici  deux  pages  entières  du 
livre  de  M.  Kurth  consacrées  à  retracer  la  physionomie  du 
grand  empereur  d'Occident.  M.  l'abbé  Onclair  apprécie 
commue  il  suit  cet  admirable  portrait,  que  nous  avons  pu, 
grâce  à  une  communication  de  l'éditeur,  publier  dans  notre 
numéro  du  20  janvier  dernier  : 

Mieux  qu'aucun  commentaire,  ces  pages  font  connaître 
l'homme  exceptionnel  dont  l'historien  trace  l'histoire  en  rac- 
courci, et  donnent  en  même  temps  une  idée  de  la  manière  de 
l'écrivain.  Nous  ne  croyons  pas  qu'aucun  écrivain  ait  jamais 
tracé  un  portrait  plus  grandiose  et  plus  rigoureusement  ressem- 
blant du  héros  chrétien. 

...  Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  ce  tableau,  d'une  vérité 
historique  saisissante,  est  péremptoirement  justifié  par  M.  Kurth 
dans  le  dernier  chapitre  de  son  livre. 

Tel  est  ce  magnifique  ouvrage  que  nous  avons  lu  et  analysé, 
nous  l'avouons,  avec  une  vive  admiration  et  une  profonde 
reconnaissance  pour  cet  éminent  service  rendu  à  la  science 
historique,  à  l'enseignement  et  à  l'Église. 

Heureux  les  jeunes  gens  qui  sont  admis  à  écouter  de  pareilles 
leçons  !  Ce  livre  fait  honneur  à  l'homme  désormais  illustre,  au 
maître  savant  et  sympathique  qui  l'a  écrit,  à  l'Université  de 
lùège,  à  l'Église  catholique. 

L'auteur  l'a  dédié  à  sa  femme,  qui  est  la  compagne  aimable  et 
intelligente  de  sa  vie  et  de  ses  études. 

Puissions-nous  avoir  excité,  parmi  les  hommes  studieux,  le 
désir  de  le  lire,  de  le  méditer  ;  puissions-nous  avoir  inspiré  à 
d'autres  l'idée  de  marcher  sur  les  traces  de  ce  maître  ! 


406  ANNALES  CATHOLIQUES 

Mais  il  y  aurait,  de  notre  part,  un  oubli  sans  excuse,  si 
nous  ne  félicitions  pas  l'éditeur,  M.  Ch.  Peeters,  de  Louvain, 
de  son  travail  magnifique  à  tous  égards. 

Qu'il  nous  soit  permis,  avant  de  finir,  de  présenter  une 
requête  à  notre  savant  ami,  M.  Kurth.  Qu'il  veuille  bien  ne 
pas  s'arrêter  dans  la  voie  où  il  est  entré.  Qu'après  un  repos 
laborieusement  gagné,  il  rentre  dans  l'arène.  Personne  mieux 
que  lui  n'est  à  même  de  nous  donner  V Histoire  de  la  Société 
chrétienne,  depuis  Charlemagne  jusqu'au  jour  oii  la  civilisation 
chrétienne  atteignit  son  sommet  sous  le  règne  de  l'immortel 
pontife  saint  Grégoire  VII.  C'est  une  histoire  de  luttes,  de 
grandes  batailles,  de  splendides  triomphes  que  le  monde  n'ou- 
bliera jamais. 

Aug.  Onclair,  prêtre. 


LA  GRECE  ET  LE  VATICAN 

Deux  journaux  grecs,  V Acropole  et  VAnatolie,  ont  signalé 
récemment  une  très  intéressante  démarche  faite  près  du  Saint- 
Siège  par  M.  Zénopoulos,  membre  du  Parlement  hellénique. 
M.  Zénopoulos  a  rendu  visite  au  cardinal  Jacobini,  qui  l'a  reçu 
avec  une  extrême  bienveillance,  et  l'entretien  a  porté  sur  les 
affaires  de  la  Grèce.  Le  cardinal  montra  un  tel  désir  de  con- 
naître les  affaires  de  ce  pays,  que  lorsque,  à  trois  ou  quatre 
reprises,  M.  Zénopoulos  se  leva  pour  prendre  congé  du  mi- 
nistre d'Etat  de  Sa  Sainteté,  celui-ci  l'invita  à  prolonger  la 
conversation. 

M.  Zénopoulos,  écrit-on  de  Rome  à  Y  Acropole,  en  profita  pour 
exposer  au  cardinal  Jocobini  l'intérêt  qu'aurait  le  Saint-Siè^e  à 
exercer  en  faveur  de  la  Grèce  son  influence  en  Autriche  d'abord, 
mais  surtout  auprès  du  prince  de  Bismarck,  qui  montre  d'ailleurs 
des  sentiments  si  bienveillants,  et  d'engager  ces  puissances  à 
sauvegarder  les  intérêts  helléniques,  lesquels  sont  unis  aux  inté- 
rêts d'un  si  grand  nombre  de  grecs  latins  (lisez  :  catholiques- 
unis),  répandus  dans  la  partie  de  la  Grèce  qui  n'est  pas  encore 
affranchie.  Le  cardinal  Jacobini  répondit  qu'il  parlerait  de  tout 
cela  au  Saint-Père;  il  ajouta  que  le  Souverain-Pontife  demanderait 
sans  doute  à  voir  personnellement  M.  Zénopoulos. 


LA    GRÈCE    ET    LE    VATICAN  407 

Nous  ne  sachions  pas  que  cette  audience  ait  encore  été  accor- 
dée. Il  n'en  est  pas  moins  vrai,  comme  le  remarque  VAcropole, 
que  «  la  mission  remplie  par  M.  Zénopoulos  a  une  grande 
signification.  Quand  nous  considérons,  ajoute  ce  journal,  les 
rapports  sympathiques  que  la  Grèce  a  toujours  entretenus  avec 
le  Saint-Siège,  nous  ne  pouvons  nier  que,  sans  avoir  jamais 
établi,  depuis  la  constitution  du  royaume,  des  relations  avec 
la  Cour  de  Rome,  le  gouvernement  ne  s'est  cependant  jamais 
montré  malveillant  envers  elle,  et  qu'il  a  reconnu  à  son  tour 
avoir  trouvé  dans  le  Saint-Siège  une  protection  aussi  efficace 
qu'auprès  des  plus  grandes  puissances.  » 

L'histoire  nous  apprend  que,  malgré  ses  dissidences  reli- 
gieuses avec  le  Saint-Siège,  la  nation  hellénique  a  recouru  à 
lui  dans  les  cas  de  grave  nécessité,  le  reconnaissant  ainsi,  non 
seulement  comme  la  plus  grande  puissance  morale  de  l'univers, 
mais  encore  comme  la  puissance  la  mieux  placée,  par  l'in- 
fluence qu'elle  exerce  sur  les  gouvernements,  pour  faire  au 
peuple  grec  autant  de  bien  que  les  plus  grandes  puissances 
matérielles  qui  se  proclament  ses  amies. 

Un  journal  catholique-uni,  VAnatolie,  qui  se  publie  dans 
l'île  de  Syra,  a  reproduit  les  informations  de  VAcropole,  et  les 
a  accompagnées  de  réflexions  que  nous  reproduisons  en  partie, 
parce  qu'elles  achèveront  d'indiquer  les  dispositions  du  monde 
officiel  et  de  l'opinion  hellénique  vis-à-vis  du  centre  de  la 
catholicité. 

h'Anatolie  se  réjouit  des  sentiments  de  sympathie  que  le 
député  grec  a  trouvés  chez  le  ministre  d'État  de  Léon  XlII. 

Ces  sentiments,  le  Saint-Siège  ne  cessa  jamais  de  les  manifes- 
ter. Ils  les  a  prouvés  en  plusieurs  circonstances.  Mais  gardons- 
nous  de  prêter  l'oreille  aux  calomnies  et  aux  injures  que  certaines 
gens  dirigent  à  dessein  contre  le  Saint-Siège,  afin  d'engager  un 
peuple  simple  et  facile  à  tromper  à  les  maintenir  sur  leurs  propres 
sièges.  Imitons  ceux  qui  ont  gouverné  notre  nation  depuis  notre 
affranchissement,  et  qui,  sans  se  laisser  émouvoir  par  les  injures 
et  les  calomnies  de  certains  démagogues,  ont  fait  appel  à  la  Cour 
de  Rome.  S'ils  n'ont  pas  obtenu  complètement  le  but  qu'ils  pour- 
suivaient, il  faut  l'attribuer  à  ces  soi-disant  démocrates  et  aux 
ambitieux  de  tous  les  temps,  lesquels  ont  empêché,  à  dessein  et 
par  mille  agissements,  la  réalisation  des  intentions  généreuses 
des  hommes  qui  recouraient  au  Saint-Siège. 

Et  un  peu  plus  loin,  VAnatolie  ajoute  : 

Confiant  en  ces  témoignages  de  sympathie,  M.  Zénopoulos   ne 


408  ANNALES    CATHOLIQUES 

laissa  point  échapper  celte  heureuse  occasion  d'invoquer  la  pro- 
tection du  Saint-Siège  sur  la  nation  hellénique.  Toutefois,  ce  n'est 
point  par  intérêt,  comme  le  dit  le  correspondant  de  VAcropoley 
mais  par  devoir,  que  le  cardinal  Jacobini  demanda  à  M.  Zénopoulos 
des  renseignements  sur  la  Grèce,  car  —  ceci  est  réalisé  tous  les 
jours  —  l'Eglise  romaine  a  le  devoir  d'étendre  sa  protection  et  ses 
bienfaits,  non  seulement  sur  les  gréco-latins,  mais  sur  tous  les 
chrétiens,  étant  la  mère  de  tous  les  chrétiens  et  possédant  un 
dro>it  sur  tous  les  hommes  qui  ont  reçu  le  baptême. 

Ce  serait  un  grand  bienfait  pour  notre  pays,  si  notre  gouverne- 
ment, prenant  en  considération  d'une  part,  la  situation  critique  de 
la  Grèce,  et,  de  l'autre,  les  sentiments  manifestés  par  le  Saint- 
Siège  en  faveur  de  la  nation  hellénique,  si  notre  gouvernement, 
disons-nous,  qui  devine  si  bien  les  services  que  le  Saint-Siège 
peut  rendre  à  notre  pays,  établissait  avec  lui  des  rapports  diplo- 
matiques, et  envoyait  un  représentant  auprès  du  Pape,  qui  voit 
déjà  auprès  de  lui  non  seulement  les  ambassadeurs  des  puissances 
catholiques,  mais  ceux  des  nations  hétérodoxes,  comme  l'Alle- 
magne, le  Portugal,  la  Prusse,  la  Russie,  le  Brésil,  la  Bolivie,  le 
Pérou,  la  République  de  Saint-Domingue,  et  aujourd'hui  la  Chine 
elle-même. 

Le  gouvernement  hellénique  ne  doit  point  laisser  passer  une 
occasion  si  favorable  d'établir,  avec  le  Vatican,  des  relations 
diplomatiques  qui  élèveront  l'importance  de  notre  nation. 

Nous  ne  savons  si  les  espérances  qu'exprime  ici  le  journal 
grec  catholique  se  réaliseront.  Mais  nous  avons  cru  utile  de 
signaler  la  démarche  de  M.  Zénopoulos,  et  les  commentaires 
auxquels  elle  a  donné  lieu.  C'est  une  preuve  ajoutée  à  tant 
d'autres  du  prestige  de  la  Papauté  et  de  la  renommée  de 
Léon  XIII. 


LA  RUINE  DE  LA  ROME  ANTIQUE 
(Suite.  —  Voir  le  numéro  précédent.) 

D'abord  il  faut  bien  se  persuader  que  les  travaux  exécutés 
à  Rome  n'ont  pas  été  décrétés  en  vue  d'une  nécessité  plus  ou 
moins  discutable  ;  le  plan  régulateur  est  inspiré  par  la  pensée 
de  détruire  le  cachet  de  la  Rome  des  Papes.  On  ne  peut  pas 
dire  davantage  que  les  constructions  des  nouveaux  'quartiers 
sont  le  simple  fait  des  spéculateurs,  et  que  le  gouvernement 
n'y  est  pour  rien.  D'abord,  le  gouvernement  a  eu  soin  lui-même 


LA    RUINE    DE    LA    ROME    ANTIQUE  409 

de  planter  pour  ainsi  dire  le  noyau  de  ces  quartiers  par 
quelque  édifice  officiel.  Par  exemple,  la  construction  principale 
des  Praii  di  Castello,  dans  le  voisinage  du  palais  du  Vatican, 
est  une  immense  caserne.  Or,  la  Capitale  a  révélé  naguère 
l'intention  qui  préside  à  la  construction  de  ce  quartier  : 

«  Dans  quelques  mois,  disait  la  feuille  révolutionnaire,  le 
«  Vatican,  cerné  dès  maintenant,  sera  assiégé  comme  une  for- 
«  teresse.  » 

Ce  sont  donc  des  travaux  de  siège  que  l'on  poursuit  autour 
du  Vatican. 

Voici  maintenant  un  autre  point  sur  lequel  on  a  décidé  la 
ruine  de  la  Ville  Éternelle.  On  sait  que  Rome,  outre  les  grands 
édifices  chrétiens,  possède  d'innombrables  richesses  d'art  dans 
les  villas  et  les  galeries  des  familles  princières.  Après  avoir 
visité  les  sanctuaires,  les  musées  du  Vatican,  de  Saint-Jean  de 
Latran  et  du  Capitole ,  il  reste  encore  pour  l'amateur  une  infi- 
nité de  chefs-d'oeuvre  à  étudier  aux  galeries  du  palais  et  de  la 
villa  Borghèse,  à  celles  du  palais  Doria.  du  palais  Colonna,  du 
palais  Rospigliosi,  pour  ne  parler  que  des  principaux.  Or,  la 
destruction  de  la  Rome  antique  a  été  décidée  jusque  dans  ces 
propriétés  privées.  Voici  comment  ;  c'est  encore  à  la  protesta- 
tion du  docteur  Grimm  que  nous  empruntons  le  cri  d'alarme  : 

La  loi  qui  abolit  les  majorais,  dit-il,  vient  d'entrer  en  vigueur, 
et  la  conséquence  sera  de  provoquer  le  partage  des  grandes 
familles.  C'est  la  fin  des  galeries  Borghèse,  Doria  et  Colonna, 
pour  ne  nommer  que  les  plus  célèbres...  L'éparpiUement  de  leurs 
richesses  serait  une  perte  irréparable.  Elles  représentent  ce  dont 
peu  se  préoccupent  aujourd'hui  :  la  flnur  de  l'activité  artistique  aux 
dix-septième  et  dix-huitième  siècles.  De  môme  les  chefs-d'œuvre 
d'architecture  de  ces  deux  siècles  sont  mis  en  question,  ces 
merveilles  dont  le  goût  exquis  nous  remplit  d'admiration.  Toutes 
ces  grandeurs,  dont  la  destruction  est  visée  par  le  plan  régulateur, 
doivent-elles  disparaître?  Ces  galeries  doivent-elles  s'éparpiller? 
Quel  scandale,  sile  Pape  voulait  vendre  ou  soustraire  au  public  les 
tableaux  du  Vatican!  Et  l'on  reste  indifférent  à  l'éventualité  de 
perdi'e  la  galerie  Borghèse,  etc.!... 

Le  docteur  Grimm  regrette  surtout  la  vente  et  l'exploitation 
de  la  villa  Ludovisi,  les  anciens  jardins  de  Salluste,  qu'il 
appelle  «  la  plus  belle  du  monde  ». 

Si  l'on  nous  avait  dit,  écrit-il,  qu'un  jour  cette  merveille  serait 
livrée   à   la  ruine,    on  aurait  crié  à  la  folie,  on   aurait  considéré 


410  ANNALES    CATHOLIQUES 

comme  l'ennemi  le  plus  déclaré  de  la  nouvelle  Italie  celui  qui 
aurait  fait  une  telle  prophétie  !  Ei  comment  démolit-on  ces  jardins? 
On  parlera  plus  tard  de  ce  conwtent.  On  transforme  ces  villas  en 
terrains  de  construction...  Et  cependant  il  ne  saurait  être  question 
d'une  nécessité.  On  le  fait  parce  que  la  villa  Ludovisi  se  trouve  sur 
un  emplacement  précieux  comme  spéculation... 

Le  duc  de  Piombino,  à  qui  appartenait  cette  villa,  s'est 
décidé  à  en  sacrifier  une  partie,  précisément  parce  que  l'aboli- 
tion de  la  loi  sur  les  majorats  ne  lui  laisse  plus  la  liberté  de 
conserver  intègre  ce  joyau  de  la  vieille  Rome. 

D'autres  villas  ont  déjà  disparu.  Le  journal  français  de 
Rome,  V Italie,  en  publiait  naguère  la  liste  ;  elle  est  loAgue  ; 
nous  croyons  utile,  néanmoins,  delà  reproduire  ici  : 

On  dit  que  la  belle  villa  Campana,  célèbre  par  le  musée  de  ce  nom, 
située  entre  le  Colisée  et  la  place  Saint- Jean-de-Latran,  a  été  achetée 
au  prix  de  430,000  francs  par  les  religieux  de  la  Grande-Chartreuse 
de  Grenoble,  qui  y  construiront  un  établissement  pour  les  Chartreux 
qui  étaient  aux  Thermes  de  Dioclétien. 

La  disparition  de  cette  villa  nous  amène  à  donner  la  nomenclature 
de  toutes  les  villas  qui  ont  été  détruites,  en  totalité  ou  en  partie, 
dans  ces  dernières  années.  On  verra  combien  la  liste  en  est  longue. 
Procédons  par  ordre  chronologique  : 

1»  La  première  villa  que  l'on  commença  à  détruire  fut  l'ancienne 
villa  de  Sixte-Quint,  connue  sous  le  nom  de  villa  Montalto,  et  qui 
s'étendait  depuis  la  porte  Saint-Laurent,  où  l'on  voit  encore  un  grand 
arc  qui,  soit  dit  entre  parenthèses,  gêne  considérablement  la  circula- 
tion, jusqu'à  Sainte-Marie-Majeure  et  la  rue  Viminale.  Ce  fut  pour 
construire  la  gare  que  l'on  commença  à  détruire  cette  villa,  dont  on 
fait  disparaître  aujourd'hui  le  dernier  vestige  en  démolissant  le  casino 
de  Sixte-Quint,  rue  Cavour. 

2°  La  villa  Altieri,  près  de  Saint-Jean-de-Latran,  commença  à  être 
détruite  en  1868  par  Mgr  de  Mérode.  C'était  un  chef-d'œuvre  du  genre. 
Il  reste  encore  une  partie  de  cette  villa  qui  sert  de  maison  de  peine 
pour  femmes.  C'est  là  que  se  trouve  depuis  trois  ans  M"»*  Fadda,  con- 
damnée aux  travaux  forcés  à  perpétuité  pour  avoir  poussé  son  amant 
à  assassiner  le  capitaine  Fadda,  son  mari. 

3»  La  villa  Grazioli  fut  détruite  en  1872,  quand  on  commença  à 
construire  les  maisons  du  Macao. 

4»  La  villa  Torlonia,  hors  la  porte  Pia  ;  la  moitié  de  cette  villa  fut 
achetée  par  l'Angleterre,  qui  y  établit  la  résidence  de  son  ambassade. 

5°  Le  jardin  botanique  à  la  Lungara,  près  du  palais  Salviati,  au- 
jourd'hui collège  militaire. 

Le  ministère  de  l'instruction  publique,  jugeant  ce  jardin  trop  petit 
pour  continuer  à  servir  de  jardin  botanique  comme  sous  le  gouverne- 


LA    RUINE   DE    LA    ROME    ANTIQUE  411 

ment  pontifical,  l'abandonna  d'abord  et  le  détruisit  ensuite;  mais  il 
ne  l'a  pas  encore  remplacé. 

6»  La  villa  Aldobrandini  fut  détruite  en  partie  pour  le  prolonge- 
ment de  la  rue  Nazionale. 

7»  La  villa  de  la  Farnesio  à  la  Lungara  a  été  détruite  en  partie  par 
suite  des  travaux  du  Tibre.  L'expropriation  a  coûté  à  l'État  près  d'un 
million  et  a  donné  lieu  à  un  procès  des  plus  compliqués,  le  proprié- 
taire de  la  villa,  le  duc  de  Ripalta,  prétendant  que  cette  démolition 
avait  occasionné  des  lésions  au  casino  et  avait  ainsi  porté  dommage 
aux  fresques  de  Raphaël. 

8»  En  1880,  on  a  détruit  la  moitié  de  la  villa  Mellini,  à  Monte- 
Mario,  pour  y  construire  un  fort. 

9"  En  1882,  le  prince  Barberini  vend  une  grande  partie  de  sa  villa 
et  le  Sferisterio,  rue  Venti  Settembre. 

10°  En  1883,  la  surintendance  des  fouilles  détruit  les  Orti  Farne- 
siani  pour  poursuivre  les  fouilles  du  Palatin.  Le  splendide  portail  de 
Vignola,  sur  la  demande  des  archéologues,  a  été  conservé  :  il  fut 
enlevé  morceau  par  morceau,  de  manière  qu'il  sera  facile  de  le 
reconstituer. 

Il»  Dans  la  même  année,  on  a  détruit  la  villa  Corsini,  à  la  Lun- 
gara. Ce  n'a  pas  été  une  grande  perte,  parce  que  cette  villa  ne  ren- 
fermait rien  de  bien  remarquable  ;  mais  ce  que  tout  le  monde  déplore, 
c'est  que  l'on  ait  détruit  le  bois  annexé  à  la  villa,  bois  de  toute 
beauté  et  dont  la  disparition  n'était  justifiée  par  aucun  motif.  On  a 
détruit  pour  détruire. 

12"  En  1884,  destruction  de  la  villa  Casali,  au  mont  Cœlius,  pour  la 
construction  de  l'hôpital  militaire. 

13»  Dans  la  même  année,  destruction  de  la  villa  Giustiniani,  â  Saint- 
Jean  de  Latran. 

14°  Disparition  d'une  partie  de  la  villa  Bonaparte,  rue  Salaria, 
vendue  à  une  société  de  constructeurs. 

15*  En  1885,  destruction  de  la  villa  Ludovisi,  qui  sans  contredit 
était  la  plus  belle  de  Rome. 

Il  faut  citer  encore  la  villa  Patrizi  et  la  villa  Mattei,  hors  la  porte 
Fia;  la  villa  Massimo,  la  villa  Lucernari  et  la  villa  Sciarra,  au  Janicule. 

YHtalie  n'est  pas  le  seul  journal  qui  ait  fait  écho  à  l'inquié- 
tude des  savants  étrangers.  D'autres  journaux  de  Rome,  ont 
essayé,  quoique  d'une  voix  timide,  d'exprimer  un  blâme  et  un 
avertissement.  Voici  quelques  citations  : 

Le  FanfuUa  fait  des  considérations  sur  la  question  du  renou- 
vellement de  Rome,  et  dit  qu'elle  est  bien  ardue.  «  Il  n'est  que 
trop  vrai  que  l'art  italien  subit  en  ce  moment  une  crise.  On  n'a 
pas  d'architectes  de  valeur,  et  le  monument  de  Victor-Emma- 
nuel ne  sera  pas   ce  qu'il  y  aura  de  mieux   dans  l'histoire  de 


412  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'art.  On  s'est  empressé  de  bâtir  pour  loger  ceux  qui  ont  aug- 
menté du  double  la  population  de  Rome;  on  s'est  hâté,  et  on 
n'a  pas  eu  le  temps  de  produire  quelque  chose  de  bon.  » 

La  Rassegna  publie  une  lettre  du  professeur  Villari,  de 
Florence,  qui  recherche  les  causes  de  la  décadence  de  l'art  à 
Rome.  «  L'architec+e,  dit-il,  est  un  artiste  et  ne  peut  se  former 
que  parmi  les  artistes.  On  le  fait,  au  contraire,  étudier  à  l'école 
d'application,  qui  est  une  école  scientifique  où  l'on  ne  peut 
former  que  des  ingénieurs.  Sans  le  diplôme  de  cette  école,  per- 
sonne ne  peut  être  appelé  à  entreprendre  des  travaux  pour 
l'État  ou  pour  les  communes.  De  là  vient  le  manque  d'art  dans 
nos  monuments.  Le  remède  à  ce  mal  consistée  mettre  les  élèves 
architectes  en  contact  avec  les  artistes  de  l'Académie  des  Beaux- 
Arts  et  de  créer  à  Rome  une  véritable  école  d'architecture.  La 
question  est  importante.  L'Italie  possède  beaucoup  de  monu- 
ments d'art,  elle  a  eu  le  génie  de  l'art  et  a  produit  les  plus 
grands  architectes.  Il  faut  qu'elle  ne  perde  point  cette  pré- 
rogative. » 

"Sous   le  titre   La  Novara   a   Rorna,   la  Riforma  fait  les 
réflexions  suivantes  : 

Nous  avons  dû  rappeler  la  convention  de  septembre  à  ceux  qui  se 
nomment  les  successeurs  de  Cavour.  Ils  savent  que  cette  date  n'est 
pas  la  seule  compromettante  pour  eux  dans  l'histoire  de  l'Italie.  Ils 
ont  encore  la  guerre  de  1863  et  la  campagne  diplomatique  de  1870, 
ainsi  que  la  loi  des  garanties  et  les  pires  arrangements  qui  l'ont 
précédée.  Ils  ont  même  sur  la  conscience  d'être  venus  à  Rome  malgré 
eux.  Tout  cela  démontre  que  jamais  ils  n'ont  su  comprendre  la 
révolution.  De  même  aussi,  ils  n'ont  pu  comprendre  Rome.  Quand 
on  ne  sait  pas  respecter  les  traditions  patriotiques,  on  n'a  point  de 
triomphes  politiques. 

De  même  aussi  on  ne  respecte  point  la  tradition  artistique,  et 
l'on  donne  une  maigre  idée  de  soi,  car  à  Rome,  l'Italie  ne  sait  pas 
même  s'élever  une  demeure  convenable  pour  elle  ou  pour  ses  rois. 
Le  gouvernement  actuel  manque  autant  d'esthétique  que  de  justice. 
Il  est  ignorant.  Rome  sera  toujours  une  ruine  vénérable,  elle  ne 
sera  jamais  une  vraie  capitale  moderne,  de  même  que  l'Italie  ne  sera 
jamais  un  grand  pays,  une  grande  puissance.  Nous  sommes  â  Rome, 
c'est  vrai;  mais  sommes-nous  aussi  éloignés  des  hontes  de  Novare? 

Les  journaux  ministériels  italiens  sont  si  offusqués  des  pro- 
testations du  monde  étranger,  qu'ils  en  viennent  à  demander 
de  fermer  désormais  l'accès  de  Rome  et  de  l'Italie  à  MM.  Grimm 
et  Grégorovius.  Le  Diritto  ose  exposer  ce  système  de  repré- 


LA   RUINE   DE    LA   ROME   ANTIQUE  413 

sailles  comme  possible!  Grégorovius,  qui  est  en  ce  moment  à 
Palerme,  en  prend  occasion  d'écrire  une  nouvelle  lettre  au 
président  de  l'Académie  de  Saint-Luc,  à  Rome  ;  il  dit  : 

Taot  que  durera  l'idée  d'universalité  qui  s'attache  à  Rome,  les 
étrangers  continueront  de  la  considérer  comme  un  monument  sacré 
pour  tous  les  horames  cultivés  et,  par  conséquent,  à  prendre  leur 
vive  part  d'intérêt  aux  transformations  auxquelles  sera  exposée  la 
Ville  Eternelle. 

Il  y  a  quelques  jours,  l'éminent  archéologue  romain,  M.  Horace 
Marucchi,  faisait  à  l'Académie  tibérine  une  conférence  ayant  pour 
sujet  :  Le  Capitale  dans  Vhistoire  romaine.  11  a  montré  qu'à  travers 
toutes  les  vicissitudes  le  Capitole  est  toujours  demeuré  le  centre 
moral  et  le  symbole  de  la  puissance  de  Rome,  ainsi  que  le  royal 
asile  des  arts  et  des  antiquités.  Aujourd'hui  cette  glorieuse  auréole  est 
brisée  pour  faire  place  au  vulgaire  monument  de  Victor-Emmanuel. 
Et  si  l'on  a  refusé  d'autres  emplacements  plus  convenables  proposés 
pour  ce  monument,  le  motif  en  est  dans  le  dessein  bien  arrêté  du 
gouvernement  de  détruire  par  tous  les  moyens  le  cachet  vénérable 
de  la  Rome  antique. 

Terminons  par  la  lettre  que  S.  Ém.  le  cardinal  Dominique 
Bartolini,  préfet  de  la  Sacrée-Congrégation  des  Rites,  a  adressée 
à  M.  le  professeur  Busiri,  président  de  l'Académie  romaine  de 
Saint-Luc: 

Monsieur  le  président, 

J'ai  reçu  par  la  poste  un  exemplaire  de  la  lettre  que  vous  avez 
faite  en  réponse  aux  justes  et  sages  critiques  d'illustres  personnages 
étrangers  sur  la  destruction  les  monuments  antiques  que  voit  s'ac- 
complir la  Ville  Éternelle.  D'après  les  paroles  écrites  en  tête  de 
l'opuscule,  je  vois  que  vous  m'adressez  cette  lettre  en  ma  qualité  de 
membre  d'honneur  de  l'Académie  dont  vous  êtes  le  président. 

En  agissant  ainsi,  Monsieur  le  président,  vous  n'avez  sans  doute 
pas  réfléchi  à  la  manière  dont  vous  vous  conduisiez  envers  moi, 
Romain  et  dignitaire  de  l'Eglise,  qui  m'estimais  honoré  de  faire 
partie  d'une  institution  romaine  éminemment  pontificale,  puisqu'elle 
a  été  instituée  par  les  Papes  et  enrichie  par  eux  de  privilèges  et 
d'honneurs,  mais  qui  ne  saurait  participer  à  un  acte  inqualifiable  tel 
que  votre  lettre,  où  vous  prenez  la  défense  des  destructions  accom- 
plies et  de  celles  qu'on  prépare  encore  pour  l'avenir.  En  me  plai- 
gnant. Monsieur  le  président,  du  procédé  peu  délicat  dont  vous 
avez  usé  à  mon  égard,  je  vous  déclare  que  je  m'unis  aux  sentiments 
exprimés  dans  la  lettre  de  M.  le  comte  Soderini. 


414  ANNALES   CATHOLIQUES 

Ce  sont  les  sentiments  des  vrais  Romains  qui  aiment  de  tout  cœur 
leur  patrie  et  déplorent  les  misères  qui  nous  ont  été  apportées  par 
des  étrangers.  J'ai  l'honneur  de  vous  prévenir,  Monsieur  le  président, 
qu'en  vue  de  ma  position,  je  donnerai  publicité  à  cette  lettre. 

Veuilles  agréer,  etc. 

Dominique  card.  Bartolini. 
Rome,  19  avril  1886. 


LA  LETTRE   DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET  l'ÉPISCOPAT 
(Suite.  —  V.  les  numéros  précédents.) 

Avignon.  —  Mgr  l'archevêque  écrit: 

Je  tiens  à  vous  dire  sans  retard  que  je  m'associe  pleinement  aux 
observations  respectueuses  et  aux  doléances  trop  justifiées  que  vous 
adressez  au  Chef  de  l'État. 

Je  le  fais,  Monseigneur,  non  point  seulement  en  mon  nom  per- 
sonnel, mais  je  crois  avoir  le  droit  de  le  dire,  au  nom  de  tous  les 
vénérés  prélats  de  ma  province,  de  tout  mon  clergé  et  de  tous  les 
fidèles  de  mou  diocèse. 

Tous,  Éminentissime  Seigneur,  nous  admirons  le  zèle  infatigable 
de  Votre  Éminence  pour  les  intérêts  sacrés  de  l'Église  de  France  et 
ceux  de  la  patrie,  intérêts  qui  se  confondent  plus  qu'on  ne  semblo 
vouloir  le  croire  dans  la  région  du  pouvoir,  et  nous  vous  remercions 
du  fond  du  cœur  d'avoir  été,  en  cette  circonstance  comme  en  tant 
d'autres,  le  courageux  et  éloquent  interprète  de  nos  pensées  et  de 
nos  sentiments. 

La  situation  faite  à  l'Eglise  dans  notre  cher  et  malheureux  pays 
est  de  celles  qui  ne  peuvent  durer  sans  entraîner  de  grands  et  peut- 
être  irréparables  désordres. 

Si  les  détenteurs  actuels  de  la  puissance  publique  sont  sages  et 
prudents,  ils  comprendront,  à  la  lumière  que  vos  paroles  font  briller 
à  leurs  yeux,  qu'ils  font  fausse  route,  et  que  leurs  injustes  préjugés 
contre  l'Église  et  les  mesures  que  ces  préjugés  leur  inspirent  ne 
sont  pas  moins  funestes  à  la  paix  et  à  l'ordre  matériel,  aux  intérêts 
temporels  de  la  France  qu'au  bien  des  âmes  et  aux  intérêts 
spirituels. 

Agen.  —  Mgr  l'évêque  d'Agen  : 

La  lettre  si  grave  et  si  mesurée  que  vous  venez  d'adresser  à  M.  le 
président  de    la    République,    au    sujet    des    continuelles    attaques 


LETTRE   DU    CARDINAL   GUIBERT  415 

dirigées,  depuis  quelques  anuées,  contre  la  religion  et  le  clergé 
catholiques,  répond  trop  bien  à  mes  propres  sentiments  pour  que  je 
ne  tienne  pas  à  cœur  de  vous  en  remercier  personnellement. 

Nous  ne  sommes  les  ennemis  de  personne  ;  Votre  Eminence  le 
prouve  ;  mais  nous  ne  pouvons  laisser  attaquer  ce  que  nous  avons 
charge  de  défendre.  Votre  haute  situation  de  prince  de  l'Eglise, 
votre  longue  expérience,  votre  âge  vous  donnaient  le  droit  de  parler 
en  notre  nom.  Votre  Eminence  l'a  fait  ;  je  m'unis  â  tous  mes  collè- 
gues de  l'épiscopat  pour  vous  envoyer  mon  adhésion  pleine  et 
entière  et  l'expression  de  ma  reconnaissance. 

Le  Mans.  —  Mgr  l'évêque  du  Mans  : 

C'est  à  bon  droit  que  votre  voix  autorisée  vient  d'élever  une  pro- 
testation solennelle  contre  la  situation  faite  â  l'Église  de  France  par 
les  actes  dont  votre  lettre  à  M.  le  président  de  la  République  con- 
tient la  douloureuse  énumération. 

Permettez-moi,  Monseigneur,  de  joindre  mon  humble  suffrage  à 
vos  graves  avertissements.  Combien  serait-il  à  souhaiter  que  des 
observations  si  mesurées  et  si  sages,  présentées  avec  une  fermeté 
apostolique,  fussent  écoutées  de  ceux  à  qui  elles  s'adressent  ! 
L'intérêt  de  la  France  y  est  non  moins  engagé  que  celui  de  la 
religion. 

MoNTAUBAN.  —  Mgr  l'évêque  de  Montauban  : 

Le  langage  si  plein  de  sagesse,  de  modération  et  de  fermeté  que 
vous  venez  de  faire  entendre  au  chef  de  l'Etat  a  produit  dans  tous 
les  cœurs  catholiques  l'impression  la  plus  vive  et  la  plus  profonde. 
Vous  avez  montré  une  fois  de  plus  que  l'Église  garde  toujours  les 
courageuses  traditions  des  Ambroise,  des  Léon,  des  Chrysostome. 

Ce  n'est  pas  seulement  en  mon  nom  personnel,  c'est  au  nom  des 
chrétiennes  populations  de  mon  diocèse,  au  nom  du  clergé  pieux  et 
dévoué  qui  les  dirige,  que  je  viens  offrir  à  Votre  Eminence  l'hom- 
mage de  la  plus  respectueuse  admiration,  de  la  plus  sincère  recon- 
naissance et  de  l'adhésion  la  plus  complète. 

Aucun  homme  de  bonne  foi  ne  saurait  contester  un  seul  mot  dans 
cette  longue  et  douloureuse  énumération  que  vous  avez  faite  des 
attaques  violentes,  des  vexations  arbitraires,  des  injustices  criantes 
dont  l'Eglise  a  été  l'objet  depuis  quelques  années.  Et  cependant, 
comme  vous  l'affirmez  hautement,  le  clergé  n'a  pas  cessé  de  donner 
la  preuve  d'une  modération  et  d'une  patience  plus  qu'exemplaires. 
Il  s'est  montré  disposé  au  respect  et  à  l'obéissance  à  l'égard  des  insti- 
tutions et  des  lois,  dans  la  mesure  où  ce  respect  et  cette  obéissance 
pouvaient  se  concilier  avec  la  mission  qu'il  tient  de  Dieu  et  dont 
aucun  pouvoir  humain  ne  saurait  lui  interdire  l'accomplissement. 


416  ANNALES    CATHOLIQUE» 

Puissent  vos  respectueuses  doléances  et  vos  justes  protestations 
recevoir  l'accueil  qu'elles  méritent  à  tous  les  titres  !  Puisse  ce  noble 
et  patriotique  langage  inspirer  à  ceux  qui  le  pourraient  si  facilement, 
le  désir  et  la  volonté  de  rétablir  au  milieu  de  nous  la  paix  religieuse, 
con'^ition  nécessaire  de  la  paix  sainte  dont  le  besoin  se  fait  si  vive- 
ment sentir  ! 

Puissent  enfin  se  réaliser  bientôt  les  espérances  et  les  vœux  que 
forment,  avec  Votre  Eminence,  tous  ceux  qui  dans  leur  amour  et 
leur  dévouement  ne  séparent  jamais  les  intérêts  de  la  France  de 
ceux  de  la  religion. 

Montpellier.  —  Mgr  l'évêque  de  Montpellier  : 

Quelle  satisfaction  profonde  j'ai  éprouvée  en  lisant  ce  grave  et 
douloureux  résumé  de  toutes  nos  tristesses  et  de  toutes  nos  craintes, 
cette  protestation  contenue,  mais  d'autant  plus  éloquente,  contre  les 
procédés  immérités  par  lesquels,  en  même  temps  qu'on  outrage  nos 
croyances,  on  désole  notre  patriotisme-  Le  silence  prolongé  de 
l'Épiscopat  risquait  d'étonner,  presque  de  scandaliser  les  pieux 
catholiques,  accoutumés  à  chercher  dans  la  parole  de  leurs  premiers 
pasteurs  la  règle  de  leurs  pensées  et  l'inspiration  de  leurs  sentiments. 
...  Dociles  par  habitude,  par  conviction,  par  devoir,  les  catholiques 
sincères  veulent  recevoir  le  mot  d'ordre  :  ils  ont  la  passion  d'agir 
sous  l'impulsion  d'une  obéissance  éclairée  ;  et,  si  impatients  qu'ils 
soient  du  joug  qu'on  fait  peser  sur  eux,  ils  se  méfient  de  leur 
propre  initiative,  ils  se  demandent  s'ils  ne  sont  pas  exagérés  ou 
téméraires.  La  mansuétude  prolongée  de  leurs  évêques  leur  paraît 
indiquer  qu'il  ne  faut  ni  se  plaindre,  ni  murmurer  ;  et  comme  cepen- 
dant ils  voient  clairement  que  jamais  les  plaintes  ne  furent  plus 
légitimes,  ni  les  murmures  mieux  justifiés,  ils  en  viennent  à  ne 
comprendre  ni  l'attitude  réservée,  ni  la  modération,  ni  la  patience 
plus  qu'exemplaires  que  nous  croyons  devoir  garder. 

Parler  est  donc  nécessaire.  Il  faut,  comme  le  dit  si  justement 
Mgr  l'évêque  de  Nancy,  éclairer  nos  fidèles  sur  les  périls  qui  se 
multiplient  et  qui  grandissent  chaque  jour.  Il  faut  défendre  avec 
énergie  ce  qui  subsiste  encore  des  droits  et  des  libertés  catholiques, 
en  annonçant  la  résolution  de  ne  pas  abandonner  pour  toujours  la 
revendication  des  droits  et  des  libertés  qu'on  nous  a  i-avis. 

Si  nous  nous  taisions  plus  longtemps,  nous  semblerions  nous 
désintéresser  de  cette  protection  des  consciences  chrétiennes  qui  est 
le  plus  ancien  et  le  plus  précieux  privilège  de  notre  ministère, 
comme  le  plus  certain  de  nos  devoirs. 

Nous  paraîtrions  ne  pas  être  assez  unis  de  cœur  et  de  foi  à  ces 
vaillants  orateurs  du  Sénat  et  de  la  Chambre  qui  ont  l'honneur  de 
soutenir  avec  un  si  grand  éclat  la  cause  de  nos  libertés,  mais  dont 


LETTRE   DU    CARDINAJL   GUIBERT  417 

'uaii^  uerécompea^e  humaiae  est  de  se  sentir  soutenus    par  la  sym- 
pathie recon naissante  de  tout  le  peuple  chrétien. 

...  Soyez  donc  béni,  Eminentissime  Seigneur,  de  nous  avoir  ai 
opportunément  fourni  l'occasioa  d'uair  noa  protestations  aux  vôtres, 
et  d'avoir  ajouté  ainsi  un  nouvel  anneau  à  la  longue  chaîne  des 
services  que  vous  avez  rendus,  depuis  près  d'un  denai-siècle,  à 
l'Église  et  à  la  France  ! 

PÉRiGUEUX.  —  Mgrl'évêque  de  Périgueux: 

Au  point  où  en  sont  arrivées  les  entreprises  dirigées  contre  la  foi 
de  la  France  catholique,  il  fallait  qu'une  voix  se  fît  entendre  en  son 
nom,  une  voix  qui  portât  devant  les  pouvoirs  publics  ses  «  protes- 
tations et  ses  doléances  »  ;  et  nulle  autre,  Eminence,  n'y  pouvait 
être  plus  autorisée  que  la  vôtre. 

Avec  quelle  haute  raison,  avec  quel  accent  calme  ^et  ferme  de 
vérité  vous  avez  rempli  ce  grand  devoir,  il  n'y  a  plus  à  le  redire. 
Vous  avez  fait  parler  les  faits,  et  ni  les  lumières  ne  manquent  â  ceux 
qui  doutent,  ni  les  avertissements  â  ceux  qui  s'égarent. 

Et  qu'en  sera-t-il  cependant  ?  Hélas  !  l'heure  présente  est  aux 
aveuglements  de  la  passion,  aux  partis  pris  de  la  haine;  elle  est  à 
une  de  ces  situations  douteuses,  équivoques,  où  il  semble  que  l'on 
n'entrevoie  plus  aucune  espérance  de  salut  et  de  paix,  sinon  à 
travers  la  violence  des  dénouements.  Et  alors  on  se  prend  à  redire 
comme  irrésistiblement,  à  l'adresse  de  ceux  de  qui  viennent  ces 
cruelles  incertitudes,  la  parole  du  Sauveur  au  disciple  qui  va  le 
trahir,  demeuré  sourd  aux  avertissements  de  sa  tendresse  :  «  Ce  que 
tu  fais,  fais-le  vite  !  »  Quod  facis,  fac  citius. 

Quoi  qu'il  arrive.  Monseigneur,  je  veux  espérer  avec  vous  «  que 
«  la  France  ne  se  laissera  jamais  dépouiller  des  saintes  croyances 
«  qui  ont  fait  sa  force  et  sa  gloire  dans  le  passé  et  lui  ont  assuré  le 
«  premier  rang  parmi  les  nations.  » 

Saint-Dié.  —  Mgr  l'évêque  de  Saint-Dié: 

Je  ne  saurais  assez  remercier  Dieu  de  vous  avoir  inspiré  l'admi- 
rable lettre  dans  laquelle  vous  dépeignez  avec  tant  de  vérité  les 
périls  de  la  foi  et  les  embûches  de  l'impiété  dans  notre  malheureuse 
patrie.  Les  droits  de  Dieu  et  ceux  des  parents  chrétiens  sont  égale- 
ment foulés  aux  pieds  ;  mais  ce  qui  semble  à  peine  croyable,  c'est 
que  la  loi  même  du  nombre,  dont  on  veut  faire  aujourd'hui  la  base 
unique  du  droit,  le  principe  de  la  majorité,  est  entièrement  mé- 
connue et  violée.  Je  prends  pour  exemple  le  département  des  Vosges; 
la  population,  i^auf  une  minorité  presque  imperceptible,  désire  l'en- 
seignement religieux  dans  les  écoles,  et  il  serait  bien  facile  de  s'en 
assurer  en  provoquant  â  cet  égard  un  vote  des  parents,  comme  on  l'a 


418  ANNALES   CATHOLIQUES 

fait  déjà  pour  l'enseignement  secondaire,  avec  le  résultat  que  tout 
le  monde  sait.  Ce  serait  un  acte  de  vérité,  de  justice  et  de  liberté,  et 
ce  serait  aussi  la  condamnation  éclatante  de  l'athéisme  officiel.  La 
Franc-Maçonnerie  le  sait  bien  ;  aussi  la  voyons-nous  s'arroger  le 
droit  exclusif  de  disposer  de  l'âme  des  enfants,  sans  tenir  compte 
du  vœu  de  la  population.  Au  point  de  vue  même  de  ce  qu'on  appelle 
le  droit  moderne,  peut-on  concevoir  une  oppression  plus  inique  ? 

Séez.  —  Mgr  l'évêque  de  Séez  : 

Amis  et  ennemis  sont  obligés  de  rendre  justice  au  langage  si 
élevé,  si  épiscopal,  si  débordant  de  la  charité  chrétienne  que  ren- 
ferme votre  sublime  lettre  à  M.  le  président  de  la  République. 
Mais  ceux  auxquels  vous  vous  adressez  particulièrement  ne  la 
comprendront,  je  le  crains,  que  lorsque  le  torrent  qui  menace  la 
société  aura  rompu  sa  dernière  digue,  qui  semble  déjà  fortement 
ébranlée,  et  il  sera  trop  tard  ! 

Un  personnage  politique  a  dit,  je  le  tiens  d'un  témoin  auricu- 
laire :  a  11  faut  que  dans  trente  ans  il  ne  soit  plus  question  de  la 
religion  catholique  en  France.  » 

A  l'époque  marquée,  cet  ennemi  du  catholicisme,  ainsi  que  ses 
frères  et  amis,  auront  été  très  probablement  rejoindre  leur  chef 
qui,  le  premier,  a  poussé  dans  ces  derniers  temps  contre  l'Eglise 
du  Christ  ce  cri  de  guerre  qui  retentit  encore  si  douloureusement 
autour  de  nous  :  œ  Le  cléricalisme,  voilà  l'ennemi!  » 

Et  les  colonnes  de  l'Église,  restées  inébranlables,  proclameront 
une  fois  de  plus  l'infaillibilité  de  la  promesse  divine  :  «  Ils  ne 
prévaudront  jamais  !  » 

Mais  en  attendant,  que  de  ruines  en  perspective! 

Que  Dieu,  dans  sa  miséricorde,  ne  sépare  pas,  cette  fois  encore, 
la  France  de  l'Eglise,  et  les  sauve  ensemble. 

Versailles.  —  Mgr  l'évêque  de  Versailles  : 

Un  des  plus  grands  évêques  des  Gaules,  saint  Hilaire  de  Poi- 
tiers, écrivant  à  l'empereur  Constance  pour  défendre  la  foi  et  les 
libertés  de  l'Église,  expliquait  son  attitude  et  sa  détermination  par 
ces  paroles  de  la  sainte  Écriture  :  Il  y  a  un  temps  de  se  taire  et 
un  temps  de  parler  (Ecclb.,  m,  1).  L'intrépide  champion  de  l'ortho- 
doxie s'était  tu  quelque  temps;  mais  le  devoir  commandait,  il  allait, 
sans  faillir,  dire  la  vérité. 

La  conduite  de  l'Église  et  de  ses  plus  illustres  chefs  est  tou- 
jours la  même.  Devant  les  persécutions,  suivant  l'exemple  de  son 
divin  Fondateur,  elle  commence  par  se  taire,  afin  qu'on  ne  puisse 
pas  l'accuser  de  violence  ou  de  rébellion  contre  les  pouvoirs 
établis.  Mais  lorsque  le  silence  deviendrait  une  défaillance  et  une 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  419 

trahison,  quels  que  soient  les  risques,  elle  fait  entendre  une  voix 
qui  est  celle  de  la  modération  et  de  la  sagesse  parce  qu'elle 
s'inspire  uniquement  de  la  vérité. 

Quand  ce  moment  est  venu,  la  généralité  des  évêques  et  la  masse 
du  peuple  chrétien  sont  heureuses  de  trouver  pour  leur  servir 
d'organe,  la  parole  d'un  homme  dont  les  vertus,  la  doctrine  et  les 
longs  services  puissent  commander  à  tous  l'attention  et  le 
respect. 

Laissez-moi  vous  le  dire,  Eminence,  avec  la  franchise  d'un  cœur 
reconnaissant  et  dévoué,  vous  êtes  cet  homme  pour  l'Eglise  de 
France  attristée  et  menacée.  Gomme  vous  l'aviez  pressenti,  vos 
respectueuses  protestations  et  vos  justes  doléances  répondent  au 
sentiment  général  des  membres  de  l'épiscopat.  Evêques  et  fidèles, 
nous  nous  félicitons  d'avoir  trouvé  un  organe  aussi  accrédité  et 
aussi  silr. 

Avec  vous,  nous  déplorons  les  atteintes  portées  déjà  aux  droits 
séculaires  de  l'Église,  aux  institutions  qu'elle  a  fait  naître,  à  la 
liberté  de  l'enseignement;  nous  partageons  vos  tristesses  et  vos 
patriotiques  appréhensions;  nous  adressons  un  appel  pressant, 
sans  qu'il  cesse  d'être  respectueux,  au  pouvoir  qui  a  mission  de 
protéger  la  soeiété  et  par  conséquent  de  nous  défendre. 

...  Puissent  ceux  qui  président  aux  destinées  de  la  France 
méditer  ces  leçons  des  événements  et  accueillir  avec  faveur  les 
avertissements  salutaires  auxquels  votre  désintéressement  et  votre 
longue  expérience  donnent  un  si  grand  poids. 

Ayant  pour  mission  de  procurer  la  paix  en  soutenant  la  foi, 
désireux,  pour  le  troupeau  qui  nous  est  confié,  de  toute  sorte  de 
biens,  nous  nous  réjouirons  de  voir  la  sécurité  rendue  aux 
consciences,  la  liberté  du  bien  assurée,  et  la  société  française 
trouvant  dans  le  respect  de  la  loi  de  Dieu  une  garantie  certaine 
de  force  et  de  prospérité. 


CAUSERIE  SCIENTIFIQUE 

L'association  e<  la  division  du  travail  dans  la  série  animale.  —  Les 
transformations  de  la  terre. 

Le  but  de  la  science,  dit  Littré,  est  l'acquisition  des  idées 
générales  qui  mènent  à  la  découverte  des  lois  naturelles.  C'est 
ce  que  les  spécialistes,  confinés  dans  un  coin  du  domaine  des 
sciences  d'observation,  semblent  oublier  complètement  par  ces 
temps  de  positivisme,  où  les  petits  esprits  revendiquent  trop 


420  ANNALES    CATHOLIQUES 

souvent  le  monopole  du  savoir.  Incapables  de  généraliser  et 
d'abstraire,  ils  affichent  la  prétention  d'en  remontrer  aux  mé- 
taphysiciens et  de  monopoliser  en  quelque  sorte  la  science  et  la 
philosophie.  On  ne  saurait  assez  réagir  contre  cette  tendance 
fatale  de  l'esprit  moderne  qui  mène  droit  au  matérialisme  et 
égare  la  recherche  scientifique  sur  des  pistes  sans  issue,  ou- 
vertes par  les  infirmes  de  l'intelligence. 

Quelles  sont  les  lois,  quelles  sont  les  données  capitales  qui 
se  dégagent  aujourd'hui  des  innombrables  observations  des 
naturalistes  dans  le  domaine  de  la  vie? 

Telle  est  la  question  que  s'est  posée  dernièrement  M,  Proost, 
qui  s'adonne  depuis  longtemps  à  l'étude  des  problèmes  de  la 
biologie  et  professe  la  zoologie  à  l'Institut  agronomique  de 
Louvain. 

L'étude  des  animaux  inférieurs  comparée  à  l'étude  des  cel- 
lules qui  forment  la  trame  des  tissus  des  animaux  supérieurs,  a 
permis  de  constater,  dans  bien  des  cas,  l'identité  des  phéno- 
mènes de  la  vie,  depuis  le  bas  de  l'échelle  jusqu'au  sommet. 
L'œuf  de  tous  les  animaux,  depuis  l'infusoire  et  le  polj'pe  jus- 
qu'à l'éléphant,  est  formé  d'abord  d'une  seule  cellule  presque 
microscopique,  qui  engendre  par  division  ou  bourgeonnement 
interne  ou  externe,  des  cellules  pins  ou  moins  diff"érenciéeg, 
suivant  la  nature  de  l'être.  Si  ces  cellules  ainsi  engendrées  se 
séparent  du  germe  à  mesure  qu'elles  se  produisent,  t'animai 
reste  simple.  Tels  sont  les  protozoaires,  qui  sont  tous  formés 
d'une  seule  cellule  et  parmi  lesquels  on  compte  les  mon'eres, 
les  infusoires  et  les  foraminifères  qui  peuplent  les  océans  et 
forment  depuis  les  âges  les  plus  reculés  les  bancs  de  craie  par 
l'accumulation  de  leurs  carap  ices  calcaires. 

Si  les  cellules  provenant  du  bourgeonnement  de  la  cellule- 
mère  restent  adhérentes  à  leur  souche,  il  se  forme  une  colonie 
et,  dans  ce  cas,  V association  engendre  la  division  du  travail 
et  des  fonctions. 

Plus  l'association  et  la  subordination  des  cellules  est  étroite, 
plus  la  division  du  travail  s'accentue,  et  plus  l'animal  formé 
par  cette  agrégation  d'individus  simples,  est  élevé  en  orga- 
Bisation. 

Les  colonies  les  plus  simples  sont  représentées  par  les  épon- 
ges, qui  ne  sont  qu'une  association  àe protozoaires  appartenant 
généralement  à  deux  types  bien  distincts  :  les  infasoire«  ciliés 
et  les  amibes.  Ces  derniers  correspondent  exactement  aux  glo- 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  421 

bules  blancs  du  sang  qui  nagent  librement  dans  le  torrent  cir- 
culatoire des  animaux  supérieurs.  Les  amibes,  'considérés  par 
Claude  Bernard  comme  l'élément  plastique  et  régénérateur  du 
sang  et  des  organes,  se  différencient  dans  les  éponges  pour 
former  les  éléments  reproducteurs.  Ils  donnent  naissance  à  des 
germes  ciliés,  rappelant  exactement  la  forme  des  infusoires, 
qui  nagent  dans  l'eau  de  mer  au  moyen  des  cils  dont  ils  sont 
munis,  jusqu'à  ce  qu'ils  trouvent  un  endroit  convenable  pour 
se  fixer,  et  commencer  à  bourgeonner  à  leur  tour  pour  donner 
naissance  à  une  nouvelle  colonie.  Tous  les  polypes  et  la  plupart 
des  mollusques  et  des  vers  proviennent  du  bourgeonnement 
d'un  germe  analogue,  rappelant  les  infusoires  libres  et  ciliés. 
C'est  pourquoi  M.  J.-P.  Van  Beneden,  dit  un  éminent  profes- 
seur à  l'Université  deLouvain,  les  a  réunis  en  un  seul  embran- 
chement sous  le  nom  de  molluscos-radiés,  un  grand  nombre  de 
polypes  présentant  une  forme  étoilée  ou  radiée,  comme  les 
fleurs,  d'oii  le  nom  d'animaux  plantes  ou  de  '/leurs  de  mer. 

Les  polypes  nous  présentent  un  remarquable  exemple  de  la 
division  du  travail  et  de  la  subordination  de  l'individu  à  l'exis- 
tence de  la  communauté.  Il  existe  dans  la  Méditerranée  plusieurs 
genres  de  polypes  qui  ne  sont  en  réalité  qu'une  république 
d'individus,  sortis  d'un  même  germe  et  transformés  en  organe 
ponr  les  besoins  de  la  colonie. 

Certains  d'entre  eux  se  transforment  en  véritable  vessie  na- 
tatoire gonflée  d'air  pour  permettre  à  la  colonie  de  s'élever  à  la 
surface  de  l'eau.  D'autres  se  métamorphosent  en  rames,  en 
engins  de  pêche,  en  cellules  urticantes  destinées  à  paralyser  la 
ï>roie  qui  servira  à  alimenter  toute  la  république.  Car,  chose 
curieuse,  tous  ces  individus  hétérogènes  communiquent  entre 
eux  par  un  canal  digestif  rudimentaire. 

Chez  certaines  espèces,  on  voit  une  série  d'individus  mono- 
poliser la  digestion  au  profit  de  toute  la  colonie.  Ils  ne  sont  que 
houche  et  estomac  !  D'autres  se  chargent  exclu  si  ve'ment  de  la 
reproduction  de  la  colonie.  C'est  ainsi  que  nous  voyons  appa- 
raître aux  degrés  inférieurs  de  l'échelle  animale^  les  différents 
appareils  de  la  vie  organique,  et  qu'il  nous  est  donné  de  sur- 
prendre en  quelque  sorte  les  procédés  admirables  qui,  dans  le 
plan  de  la  création,  ont  servi  à  fabriquer  les  animaux. 

Si  l'on  voit  les  individus  se  transformer  en  organe,  on  peut 
aussi,  dans  certains  cas,  assister  à  la  ti^ansformation  des 
organes  en  individus.  Telles  sont  les  méduses  par  exemple,  ces 


422  ANNALES   CATHOLIQUES 

disques  gélatineux  et  transparents,  si  communs  en  été  sur  les 
bords  de  la  mer  du  Nord. 

Ces  méduses  qui  possèdent  souvent  une  bouche,  un  estomac, 
un  système  circulatoire  et  locomoteur,  quelquefois  même  un 
système  nerveux  rudimentaire,  ne  sont  que  les  bourgeons 
reproducteurs  d'un  polype  fixé  au  fond  de  la  mer. 

Certains  polypes,  comme  l'hydre  d'eau  douce,  présentent  au 
plus  haut  degré  le  phénomène  de  la  scissiparité  ;  c'est-à-dire 
qu'ils  tombent  spontanément  en  morceaux  et  représentent 
autant  d'individus  qu'ils  ont  engendré  de  fragments. 

L'étude  des  vers  nous  montre  qu'ils  sont  également  formés 
d'une  colonie  dont  les  bourgeons  restent  adhérents  suivant  une 
série  linéaire  ou  longitudinale  pour  se  différencier  ou  s'adapter  à 
des  fonctions  diverses.  Les  insectes  sortent  d'une  larve  vernii- 
forme  dont  les  anneaux  primitivement  homogènes  se  concentrent 
et  se  différencient  ensuite  pour  donner  naissance  aux  ailes,  aux 
divers  articles  de  la  bouche,  de  la  tête,  du  corselet  et  de 
l'abdomen. 

M.  Proost  s'est  attaché  en  terminant  sa  conférence  à  faire 
ressortir  le  caractère  providentiel  de  VinsUnct  dans  la  série 
animale. 

D'après  les  positivistes  modernes,  l'intelligence  humaine  ne 
serait  qu'un  produit  d'évolution  de  l'instinct  des  animaux. 
L'observation  démontre  qu'il  n'en  est  rien.  En  effet,  l'instinct 
chez  les  insectes,  qui  n'ont  qu'un  cerveau  rudimentaire,  pré- 
sente un  caractère  d'infaillibilité  et  une  sûreté  de  calcul  tra- 
hissant une  cause  intelligente  extrinsèque  à  l'animal,  évidem- 
ment inconscient  de  ses  actes,  car  il  ne  manifeste  aucune 
intelligence  quand  on  l'écarté  du  cycle  fatal  de  ses  actes 
instinctifs. 

La  division  du.travail  dans  les  colonies  d'abeilles  et  de  four- 
mis, n'est  pas  seulement  fonctionnelle,  elle  est  aussi  organique. 
La  nature  a  adapté  chaque  série  d'individus  à  la  fonction  spé- 
ciale qu'il  est  appelé  à  remplir  dans  la  colonie.  Mais  ici  les 
individus  sont  libres  au  lieu  d'être  agrégés,  comme  dans  les 
colonies  de  polypes.  C'est  pourquoi  les  ouvrières  sont  neutres, 
chez  les  abeilles  ;  c'est  pourquoi  les  soldats  sont  caractérisés 
chez  les  fourmis  par  un  développement  anormal  des  mâchoires 
transformées  en  véritables  tenailles,  et  des  pattes  mieux  adap- 
tées à  la  course,  tandis  que  ces  organes  sont  presque  rudimen- 
taires  chez  les  individus  occupés  aux  travaux  d'intérieur. 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  423 

Bref,  c'est  le  cas  de  dire  avec  Voltaire,  dont  le  bon  sens 
s'insurgea  contre  le  matérialisme  en  dépit  de  son  impiété, 
«  que.  la  montre  prouve  V existeyice  de  Vhorloger  •».  Les  maté- 
rialistes préfèrent  admettre  pour  les  besoins  d'une  mauvaise 
cause  que  la  montre  et  l'horloger  ne  font  qu'un,  ou  que  l'hor- 
loger est  logé  dans  la  montre  ! 

C'est  ainsi  qu'au  dire  de  Washington  Irwing,  le  grand  chef 
des  Hurons  après  avoir  observé  longuement  la  grande  horloge 
de  la  cathédrale  de  Québec,  conclut  qu'un  homme  se  tenait 
caché  derrière  le  cadran  pour  faire  suivre  aux  aiguilles  la 
marche  du  soleil. 


M.  Flammarion  a  publié  récemment  un  très  intéressant  article 
sur  les  transformations  de  la  terre,  à  propos  dos  îles  de  Ecrehou 
et  des  rivages  de  Normandie,  dont  le  sol  s'abaisse  chaque  année 
et  que  la  mer  envahit  tous  les  jours  d'une  façon  lente  mais 
certaine. 

Il  est,  dit-il,  un  point  du  littoral  de  la  France  bien  remar- 
quable à  cet  égard  :  c'est  le  Havre.  Nos  lecteurs  savent  tous 
que  cette  ville,  très  moderne,  n'a  pas  encore  quatre  siècles 
d'existence  et  qu'elle  n'a  été  fondée  qu'en  1516,  par  François  I". 
Toute  cette  plaine  sur  laquelle  cette  importante  cité  s'est  si 
rapidement  élevée  a  été  formée  par  les  alluvions  de  la  Seine  et 
les  dépôts  de  sable  rejetés  par  la  mer  aux  grandes  marées,  le 
tout  en  partie  resté  à  l'état  de  marais  jusqu'en  ce  siècle  même, 
La  Seine  charrie  des  sables  qui  tendent  à  exhausser  son  fond, 
et  lentement  elle  les  dépose  à  son  embouchure  jusqu'à  une 
grande  distance  dans  l'intérieur  de  la  mer.  Mais,  aux  jours  de 
grandes  marées  et  de  tempêtes,  la  mer  repousse  ces  dépôts  et 
modifie  incessamment  le  sous-sol.  Le  résultat  définitif  est  un 
avancement  des  rives  du  fleuve  et  une  diminution  dans  le 
domaine  de  la  mer. 

Autrefois,  les  navires  pouvaient  arriver  jusqu'à  Harfleur.  On 
a  montré  pendant  longtemps  les  anneaux  de  fer  qui  servaient 
à  les  amarrer,  et  nous  avons  vu  nous-même,  en  1865,  au 
milieu  d'un  jardin,  un  mur  au  pied  duquel  les  eaux  de  la  marée 
arrivaient  encore  au  seizième  siècle.  Malgré  les  digues,  le 
mascaret  des  grandes  marées  a  encore  une  action  très  efficace 
pour  modifier  les  rivages  du  fleuve,  depuis  Quillebœuf  jusqu'au 
delà  de  Caudebec,  et  c'est  cette  violente  poursuite  des  eaux 

33 


424  ANNALES    CATHOLIQUES 

douces  par  les  amères  qui  a  le  plus  agi  pour  contrebalancer 
l'action  du  fleuve.  La  rive  droite  de  la  Seine  s'allonge  très 
lentement  au  delà  du  Havre;  la  rive  gauche  s'allonge  assez 
rapidement,  en  ce  sens  que  la  plage  sablonneuse  de  Tiouville 
s'élargit  de  plus  en  plus  dans  la  mer.  Des  hauteurs  d'Ingouville 
on  distingue  nettement  le  lit  jaune  de  la  Seine  dans  la  mer 
verte,  jusqu'au  delà  de  Trouville. 

Harfleur  était,  au  quinzième  siècle,  un  grand  port.  Le  Havre 
l'a  remplacé,  puis  tué.  Là  oii  passe  actuellement  le  chemin  de 
fer,  des  navires  ont  navigué.  Lorsqu'on  creusa  le  canal  de 
Harfleur,  on  déterra,  vers  l'église  de  Graville,  la  quille  entière 
d'un  navire  qui  avait  80  pieds  de  long.  En  1868,  en  construisant 
les  nouvelles  formes  sèches  dans  l'ancienne  citadelle  du  Havre, 
on  trouva  de  gros  arbres  au-dessous  du  niveau  des  vives  eaux 
actuelles;  des  forêts  ont  abrité  des  nids  sur  ces  terres  aujour- 
d'hui submergées  par  la  mer.  Quatre  ports  existaient  en  cette 
région  lorsque  François  P'  fonda  le  Havre  :  Harfleur;  un  peu 
plus  bas,  les  Neiges;  plus  loin  encore,  Leure  ;  et  au  delà  du 
Havre  actuel,  au  pied  du  cap  de  la  Hève,  Saint-Depis-Chef-de- 
Caux,  sur  lequel  la  mer  roule  aujourd'hui,  en  face  de  Sainte- 
Adresse. 

Depuis  la  fin  du  onzième  siècle,  il  y  a  là  1,400  mètres  de 
dévorés  par  l'avancement  de  la  mer;  c'est  près  de  deux  mètres 
par  an. 

L'examen  de  Tembouchure  du  Rhône  apporte  les  plus  inté- 
ressants documents  sur  cette  même  question  géologique  et  his- 
torique de  la  variation  des  rivages.  L'histoire  d'Aigues-Mortes, 
entre  autres,  est  particulièrement  remarquable,  non  point, 
comme  on  le  croit  généralement,  que  la  mer  se  soit  retirée 
depuis  l'époque  oii  saint  Louis  s'y  est  embarqué  pour  les  croi- 
sades, mais  parce  que  l'embouchure  du  Rhône  a  subi  là  des 
transformations  significatives.  La  mer  s'est  retirée,  en  effet, 
mais  non  comme  on  l'enseigne  généralement  :  pas  du  tout  au 
point  du  littoral  le  plus  voisin  d'Aigues-Mortes,  de  4  kilomètres 
à  l'embouchure  du  petit  Rhône,  et  de  10  kilomètres  à  l'embou- 
chure du  grand  Rhône. 

Le  Rhône  apporte  annuellement  à  son  embouchure  dix-huit  à 
vingt  millions  de  mètres  cubes  de  sable  et  de  vase,  et  s'avance 
graduellement.  Les  vagues  de  la  mer,  surtout  aux  jours  de  tem- 
pête, chassent  à  leur  tour  ce  sable  et  dessinent  la  configuration 
du  rivage  sous   la   direction  du  vent  dominant  (Est-Sud-Est 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  425 

vers  Ouest-Nord-Ouest).  On  a  construit  des  tours  à  son  embou- 
chure ;  on  en  compte  aujourd'hui  quatre  ou  cinq  de  chaque 
côté  ;  la  dernière,  élevée  en  1737  sur  le  rivage  même,  en  est 
aujourd'hui  à  plus  de  sept  kilomètres.  C'est  là  un  témoignage 
que  le  lit  du  Rhône  s'est  prolongé  peu  à  peu  dans  la  mer  par  des 
atterrissements  successifs.  C'est  le  contraire  de  ce  qui  se  passe 
au  cap  de  la  Hêve  pour  les  phares.  L'avancement  de  la  grande 
bouche  du  Rhône  est  à  peu  près  de  soixante  mètres  par  an. 

Tout  le  golfô  du  Lion,  depuis  les  Pjrénées  jusqu'à  Marseille, 
offre  des  témoignages  de  la  variété  d'action  des  éléments  dans 
la  modification  permanente  du  globe.  Il  y  a  deux  mille  ans, 
avant  la  domination  romaine  et  pendant  cette  domination,  un 
nombre  considérable  de  villes  florissantes  étaient  échelonnées  le 
long  de  ce  golfe  :  lUibéris,  à  l'eraboiichure  du  Tech  ;  Ruscino, 
sur  la  Tét  ;  Narbonne,  sur  l'Attax  ;  Agde,  sur  l'PIérault; 
Aigues-Mortes,  Saint-Gilles,  Héraclée,  Rhodanusia  et  Arles, 
sur  les  différents  bras  du  Rhône.  Quatre  de  ces  florissantes 
cités  ont  entièrement  disparu,  et  il  n'en  reste  que  des  ruines. 
Les  autres  sont  mortes,  et  leur  état  actuel  n'est  que  l'ombre  de 
leur  splendeur  passée.  Autrefois,  les  cours  d'eau  étaient  pro- 
fonds et  navigables,  au  moins  à  leur  embouchure,  et  le  long  du 
rivage  des  lagunes  analogues  à  celles  dé  Venise  étaient  ouvertes 
à  la  navigation.  Alimentées  autrefois  par  leurs  fleuves  respectifs, 
nées  pour  ainsi  dire  des  lagunes,  ces  villes  ont  décliné  et  sont 
mortes  avec  elles.  Les  forêts  ont  été  maladroitement  détruites 
par  l'homme.  Les  lagunes  se  sont  changées  en  étangs,  les 
étangs  en  marais  fiévreux.  Depuis  plusieurs  siècles,  on  essaie  de 
dessécher  la  plus  grande  surface  de  ces  marais,  mais  la  végéta- 
tion n'y  trouve  pas  encore  une  terre  assez  ferme.  Insensiblement, 
l'ancien  domaine  maritime  fera  place  au  domaine  agricole. 

On  conçoit  facilement  que  la  tendance  des  fleuves  à  leur 
embouchure  soit  d'allonger  le  continent  aux  dépens  de  la  mer 
et  de  déposer  progressivement  les  débris  arrachés  aux  mon- 
tagnes par  les  torrents  et  pulvérisés.  Ce  mouvement  sufflt  pour 
transformer  lentement  la  configuration  géographique  des 
diverses  contrées.  L'exemple  de  rcmlx)uchure  du  Pô,  en  Italie, 
est  des  plus  caractéristiques  et  des  mieux  étudiés.  La  ville 
d'Adria,  qui  a  donné  son  nom  à  l'Adriatique,  était  à  son  origine, 
du  temps  des  Étrusques,  il  y  a  environ  trois  mille  ans,  sur  le 
rivage  même  de  la  mer.  Elle  est  aujourd'hui  éloignée  à 
26  kilomètres  du  point  le  plus  proche  ;   l'Adige  et  les  divers 


426  ANNALES    CATHOLIQUES 

bras  du  Pô  chassent  insensiblement  le  rivage  ;  l'embouchure 
principale  du  fleuve  est  actuellement  à  35  kilomètres  du  méri- 
dien d'Adria.  L'avancement  de  la  terre  dans  la  mer  est  sur  ce 
point  de  70  mètres  par  an. 

On  reçoit  la  même  impression  si  l'on  examine  l'embouchure 
du  Tibre,  à  Ostie,  près  de  Rome.  Ostie,  comme  tout  le  monde 
le  sait,  veut  dire  bouche.  Ce  port  a  été  établi  dés  l'origine  de 
Rome  par  Ancus  Martius,  à  l'embouchure  même  du  fleuve. 
Actuellement,  les  ruines  de  l'antique  Ostia  se  trouvent  à 
4,000  mètres  de  l'embouchure  du  fleuve. 

Les  anciens  n'ignoraient  pas  ces  changements,  dont  les 
atterrissements  du  Nil  en  Egypte  leur  offraient  un  exemple  si 
remarquable. 

Il  y  a  deux  mille  quatre  cents  ans,  Hérodote  écriv^ait  que  les 
prêtres  de  l'Egypte  regardaient  déjà  leur  pays  «  comme  un 
présent  du  Nil.  »  Jadis  les  branches  du  fleuve  qui  se  jettent 
dans  la  mer  à  Canope  et  à  Peluse,  étaient  les  principales,  et  la 
côte  s'étendait  presque  en  ligne  droite  de  l'une  à  l'autre, 
comme  on  le  voit  sur  les  cartes  de  Ptolémée.  Maintenant 
Canope  et  Peluse  sont  en  ruine  dans  l'oubli  du  passé,  les 
bouches  principales  du  fleuve  se  sont  rapprochées  l'une  de 
l'autre  et  portent  depuis  deux  mille  ans  les  eaux  dans  la  direc- 
tion de  Rosette  et  de  Damiette,  cités  bâties  au  bord  de  la  mer 
il  y  a  moins  de  mille  ans  et  qui  en  sont  déjà  reculées  à  8  kilo- 
mètres. 

Le  Mississipi  et  le  Gange  sont  plus  remarquables  encore.  Le 
premier  a  poussé  ses  alluvions  jusqu'à  40  kilomètres  dans  la 
mer;  le  Gange  et  le  Brahmapoutre  versent  dans  la  baie  du 
Bengale  1,132,000,000  de  mètres  cubes  de  terre  par  an. 

Nous  pourrions  facilement  multiplier  ces  exemples.  Nous 
avons  choisi  les  principaux  types  caractéristiques  ;  nos  lecteurs 
peuvent  eux-mêmes  leur  en  adjoindre  d'autres  :  il  suffit  d'exa- 
miner une  carte  de  département  riverain  pour  remarquer  les 
échancrures  formées  dans  la  mer  par  les  alluvions  des  embou- 
chures de  fleuves  et  de  rivières.  A  Dive,  la  mer  s'est  retirée  de 
deux  kilomètres  depuis  l'époque  (1066)  oii  Guillaume,  duc  de 
Normandie,  s'y  embarqua  avec  400  navires  et  67,000  hommes 
d'armes  pour  aller  conquérir  l'Angleterre  ;  de  vastes  prairies 
occupent  aujourd'hui  l'emplacement  de  l'ancien  port. 

La  Belgique  et  la  Hollande  descendent  lentement  ;  le  sol  des 
villes  bâties  non  loin  du  rivage  est  au-dessous  du  niveau  de  la 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  427 

mer,  même  aux  plus  basses  marées  ;  en  plusieurs  points,  le 
niveau  des  hautes  mers  surpasse  les  toits  des  maisons.  Si  ces 
réii'ious  sont  encore  continentales  et  habitées,  elles  le  doivent 
non  à  la  nature,  mais  aux  digues  construites  par  les  hommes, 
et  cela  depuis  les  origines  mêmes  de  l'histoire  des  «  Pays-Bas,  » 
qu'une  admirable  persévérance  maintient  contre  la  menace  de 
l'élément  marin. 

Il  n'est  pas  rare  de  retrouver  les  ruines  englouties.  En  1869, 
nous  avons  vu,  à  l'embouchure  de  l'Escaut,  du  pont  du  bateau 
qui  faisait  le  service  d'Anvers,  des  ruines  très  distinctes  sub- 
mergées à  une  grande  profondeur. 

Le  sol  s'abaisse  également  sur  le  littoral  des  départements 
du  Nord  et  du  Pas-de-Calais.  A  Calais,  les  rues  ne  se  trouvent 
plus  qu'un  mètre  au-dessus  des  hautes  marées,  et  le  sol  cultivé 
descend  jusqu'à  la  limite  du  flot  ;  à  Dunkerque,  la  hauteur  des 
rues  n'est  plus  que  de  60  centimètres,  et  les  champs  sont  labou- 
rés jusqu'à  un  mètre  en  contre-bas  de  la  mer;  à  Furnes,  à 
Ostende,  les  rues  sont  encore  plus  basses,  et  le  niveau  des 
polders  ne  cesse  de  s'abaisser  ;  prés  des  bouches  de  l'Escaut,  ce 
niveau  est  de  3  mètres  50  au-dessous  des  hautes  marées  ;  pen- 
dant les  fortes  tempêtes  de  l'ouest,  la  vague  de  houle  est,  sur 
la  plage  de  Hollande,  à  5  m.  50  au-dessus  du  pavé  d'Amsterdam. 

On  observe  des  faits  analogues  sur  les  rivages  de  l'Océan,  à 
l'embouchure  de  la  Gironde.  Il  suffit  de  comparer  les  cartes 
hydrographiques  dressées  en  1752  avec  celles  de  1842  pour  cons- 
tater que,  dans  cet  intervalle  si  court  (90  ans),  la  mer  a  pris 
1,200  mètres  à  la  pointe  de  Grave.  En  1774,  la  ligne  de  haute 
mer  à  Soulac,  était  à  950  mètres  de  l'église  ;  en  1848,  elle  était 
à  650  mètres,  et,  en  1865,  à  560  mètres  seulement. 

Le  rocher  de  Cordouan,  sur  lequel  s'élève  la  célèbre  tour, 
faisait  autrefois  partie  du  continent;  en  1500,  il  n'en  ctait 
encore  séparé,  à  marée  basse,  que  par  un  passage  étroit  et 
guéable.  Aujourd'hui,  sa  distance  du  rivage  est  de  sept  kilo- 
mètres et  l'on  n'aborde  plus  à  la  tour  qu'aux  basses  marées.  De 
siècle  en  siècle,  cette  terre  s'est  rétrécie  pour  n'être  qu'un 
rocher  découvrant  à  mer  basse.  On  a  même  pu  mesurer  d'une 
manière  exacte,  mathématique,  quel  a  été  le  taux  de  l'abaisse- 
ment annuel.  En  eftet,  la  portée  des  feux  du  phare  de  Coidouan 
ayant  constamment  diminué  à  cause  de  l'abaissement  graduel 
du  fanal  lui-même,  il  a  fallu  exhausser  de  nouveau  la  tour  pour 
donner  à  la  lumière  la  même  portée  qu'il  y  a  un  siècle.  L'abais- 


428  ANNALES    CATHOLIQUES 

sèment  du  sol  est  de  trois  centimètres  par  an,  trois  mètres  par 
siècle. 

Ces  témoignages,  choisis  parmi  un  nombre  considérable,  suf- 
fisent amplement  pour  prouver  que  la  terre  oii  nous  sommes 
se  transforme  rapidement.  Il  y  aurait  tout  un  livre  à  écrire  sur 
cette  métamorphose  incessante.  Ce  n'en  est  pas  le  lieu.  Nous 
pourrions  ajouter  que  l'Angleterre  était  autrefois  réunie  à  la 
France,  que  la  Manche  s'élargit  de  siècle  en  siècle,  comme  le 
détroit  de  Gibraltar,  etc.,  etc. 


LA  PERSECUTION  EN  CHINE 

Un  excellent  ami  veut  bien  nous  communiquer  deux  inté- 
ressantes lettres  de  son  fils,  missionnaire  en  Chine.  Nous 
sommes  heureux  de  pouvoir  les  faire  passer  sous  les  jeuj. 
de  nos  lecteurs.  Ils  y  liront,  avec  un  poignant  intérêt,  les 
navrants  détails  de  ces  épisodes,  liélas!  si  fréquents,  de  la 
persécution  à  laquelle  sont  sans  cesse  en  butte  les  chré- 
tientés du  Céleste-Empire. 

La  première  de  ces  lettres  est  adressée  par  le  R.  P.  Platel 
à  son  frère,  la  seconde  à  son  vénérable  père. 

Près  Song-Kang,  le  22  mars  1886. 

Mon  cher  Léopold, 

Les  journaux  t'ont  peut-être  appris  déjà  ce  qui  s'est  passé 
le  10  et  le  11  dans  notre  ville  de  Song-Kang.  Les  étudiants  let- 
trés y  étaient  réunis,  pour  l'examen  du  baccalauréat  des  sept 
sous-préfectures  de  Song-Kang,  au  nombre  de  plus  de  mille. 
Ils  venaient  continuellement  par  bandes,  comme  les  autres  an- 
nées, visiter  notre  église  et  nos  établissements,  et  le  bachelier 
chrétien  qui  garde  la  maison  n'eut  jamais  de  sérieuses  difficultés 
avec  eux.  Bien  plus,  le  dimanche  précédent,  7  mars,  premier 
dimanche  de  la  lune  chinoise,  nous  avons  eu  en  ville  une  grande 
réunion  de  chrétiens  que  j'ai  présidée;  un  grand  nombre  de  let- 
trés y  assistaient  :  pendant  toute  la  cérémonie  et  particulière- 
ment durant  tout  mon  sermon,  il  y  a  eu  silence  parfait. 


LA    PERSÉCUTION    EN    CHINE  429 

Le  10,  ni  le  P.  Deffond,  missionnaire  de  l'endroit,  ni  moi- 
même,  nous  n'étions  en  ville.  Avec  préméditation,  et  sans  aucune 
cause  ou  aucun  prétexte,  même  apparent,  ils  sont  venus  d'abord 
voler  insolemment  les  fleurs  des  autels;  puis  ensuite,  en  une 
foule  toujours  croissante,  vers  trois  heures  de  l'aprés-roidi,  ila 
ont  commencé  à  dévaster  notre  église,  notre  maison,  tous  nos 
bâtiments,  et  ils  ont  tout,  absolument  tout  brisé,  brûlé  ou  em- 
porté. C'est  ainsi  que  la  statue  de  saint  Joseph  n'existe  plus,  et 
aussi  le  groupe  de  Notre-Dame  de  la  Salette  qu'Antoine  m'avait 
envoyé  et  pour  lequel  je  venais  de  faire  faire  une  très  belle  niche; 
écris-le-lui,  je  t'en  prie.  Tout  ce  que  je  venais  de  recevoir  de 
matante  Alix  a  eu  le  même  sort;  j'ai  cependant  sauvé  l'image 
souvenir  de  mon  oncle,  le  chapelet  en  bois  de  senteur  et  des 
images  de  saint  Joseph. 

La  nuit  les  a  surpris  dans  leur  œuvre  de  dévastation  :  il  ne 
restait  plus  rien  que  les  toits  et  quelques  murs.  Ils  passèrent 
alors  de  l'autre  côté  de  la  rue,  où  se  trouve  l'orphelinat  avec 
école-pensionnat  des  filles,  dirigé  par  les  Vierges  Présentan- 
dines.  Il  y  avait  dans  l'intérieur  plus  de  quarante  personnes 
présentes,  dont  une  vingtaine  de  petites  enfants;  impossible  de 
s'enfuir  plus  tôt,  parce  que  la  rue  était  complètement  remplie 
par  les  lettrés  et  tous  les  vauriens  qui  s'étaient  joints  à  eux,  et 
que  l'établissement  n'a  pas  de  porte  de  derrière.  Les  Présen- 
tandines  gardèrent  toute  leur  présence  d'esprit,  et  elles  firent 
échapper  tout  leur  petit  monde  par-dessus  le  mur  du  jardin,  à 
l'aide  de  deux  échelles;  cette  fuite  nocturne  et  périlleuse  était 
en  train  de  s'exécuter  quand  les  lettrés  enfoncèrent  la  porte,  et 
là  encore  ils  brisèrent  absolument  tout  ce  qu'ils  n'emportèrent 
pas:  deux  petites  filles,  l'une  de  six  jours,  l'autre  de  deux  ans 
accomplis,  furent  écrasées  sous  leurs  pieds.  Ce  fut  un  sac  en 
règle  qui  dura  toute  la  nuit. 

Dès  le  commencement  de  l'émeute,  tous  les  mandarins  de  la 
ville,  les  mandarins  des  lettrés,  les  mandarins  civils  et  les  man- 
darins militaires,  étaient  venus  avec  la  troupe  pour  prêter  leur 
secours,  et  ils  se  sont  conduits  admirablement  pour  nous,  empê- 
chant au  moins  de  détruire  l'église.  Le  grand  général  y  est 
venu  lui-même  le  lendemain,  comme  je  vais  le  dire  tout  à 
l'heure.  Durant  la  nuit,  la  troupe  demeura  sur  pied;  mais  le 
lendemain,  un  lettré  ayant  été  blessé  par  un  soldat,  les  étu- 
diants se  portèrent  en  foule  à  la  préfecture;  le  préfet  leur 
reprocha  leur  conduite,  disant  que  dans  notre  église  on  n'avait 


430  ANNALES     CATHOLIQUES 

aucun  tort  envers  eux.  Ils  partirent  furieux,  annonçant  qu'ils 
allaient  brûler  l'église.  Le  préfet  effrayé,  appela  les  deux  pré- 
fets, et  avec  eux  se  rendit  chez  le  grand  général  pour  délibérer  ; 
ils  délibéraient  quand  ils  aperçurent  le  feu  de  l'incendie  qui 
commençait,  c'était  l'orphelinat  qui  brûlait.  Alors  les  mandarins 
se  rendent  de  nouveau  à  l'église,  le  grand  général  donne  l'ordre 
que  toutes  les  troupes  de  la  ville  soient  sur  pied  et  lui-même  y 
court.  J'arrivais  à  ce  moment-là  dans  une  chrétienté  du  fau- 
bourg de  la  porte  du  Sud,  parce  que  pendant  la  nuit,  j'avais  été 
averti;  je  vis  la  fumée  de  l'incendie,  et  j'entendis  les  trois  coups 
de  canon  qui  annonçaient  la  sortie  du  général.  —  Il  y  eut  des 
scènes  indescriptibles  :  tu  sais  que  les  lettrés  pendant  leurs 
examens,  sont  comme  des  êtres  sacrés,  personne  n'oserait  porter 
sur  eux  la  main,  et  si  par  hasard  ils  refusent  en  masse  de  con- 
tinuer leurs  examens,  tous  les  mandarins  de  la  ville  sont  siirs 
de  perdre  leur  position  :  c'est  ridicule,  mais  c'est  ainsi.  Le 
grand  général  qui  est  un  vénérable  vieillard  et  qui  de  plus  est 
mandarin  de  premier  ordre,  se  mit  à  les  supplier,  leur  disant 
qu'agir  ainsi  c'est  insulter  à  l'Empereur  qui  approuve  que  la 
religion  soit  prêchée  dans  l'empire;  que  d'ailleurs  il  y  a  partout 
des  églises  et  des  chrétiens,  etc..  Un  lettré  lui  jeta  une  pierre 
à  la  tête  ;  le  grand  général  put  l'éviter,  mais  il  la  reçut  à 
l'épaule.  Le  premier  colonel  de  la  ville  fat  frappé  d'une  pierre 
au  front,  et  en  reçut  une  autre  sur  son  chapeau  de  cérémonie. 
Voyant  la  tournure  que  prenaient  les  affaires,  le  colonel  com- 
mandant de  la  place  ordonna  à  ses  soldats  de  charger,  et  déjà 
la  trompette  donnait  le  signal,  le  carnage  allait  commencer, 
lorsque  le  préfet,  un  vieillard  de  72  ans,  intervint,  et  lui 
ordonna  de  ne  pas  verser  le  sang  du  peuple. 

Enfin  les  soldats  parvinrent  à  dissiper  les  malfaiteurs,  et  les 
mandarins  réussirent  à  sauver  de  l'incendie  notre  belle  église. 
Cependant  les  lettrés  cherchaient  le  Père  Deffond  et  moi,  disant 
qu'ils  voulaient  nous  tuer;  ils  cherchaient  partout  aussi  les  Pré- 
sentandines  vierges,  au  moins  pour  les  insulter.  Si  nous  avions 
été  massacrés,  sans  aucun  doute  nous  aurions  eu  le  bonheur 
d'être  martyrs,  c'est  évident,  car  il  n'y  avait  pas  l'ombre  d'un 
prétexte  à  tout  ceci,  l'unique  raison  a  été  la  haine  de  notre 
sainte  religion  et  de  Notre-Seigneur.  Aussi  ont-ils  pris  plaisir 
à  profaner  tout  ce  qui  pour  nous  est  sacré;  et  la  belle  statue  du 
Sacré-Cœur,  venue  de  Munich,  qui  dominait  le  maître-autel,  a 
été  par  eux  longtemps  traînée  à  terre  et  frappée  avec  rage, 


LA    PERSÉCUTION    EN    CHINE  431 

puis  emportée  ainsi  dans  la  rue  ;  et  là  ils  la  décapitèrent  ;  la 
tête,  tête  sacrée  de  Notre-Seigneur,  ils  la  jetèrent  dans  une 
fosse  de  lieux  d'aisance;  le  tronc  décapité,  ils  le  brisèrent  en 
mille  pièces,  et  s'en  disputèrent  les  débris  qu'ils  emportèrent 
comme  un  souvenir  du  triomphe  de  la  journée. 

Ils  menaçaient  de  brûler  le  soir  même  les  chrétientés  situées 
hors  la  porte  du  Nord,  qui  sont  au  nombre  de  quatre,  et  de  se 
porter  de  là  sur  Yosai.  Toutes  les  troupes  reçurent  l'ordre  de 
se  tenir  toute  la  nuit  prêtes  à  marcher;  et  d'un  autre  côté  les 
mandarins  oljtinrent  que  les  lettrés  consentissent  à  continuer 
leurs  examens. 

Dès  ce  soir-là,  je  voulus  compter  moi-même  toutes  les 
pauvres  enfants  de  l'école  et  de  l'orphelinat;  les  deux  petites 
écrasées  manquaient,  et  quelques  autres  aussi,  qui,  elles  du 
moins,  ont  été  retrouvées  depuis;  je  les  fis  s'embarquer  après 
souper,  et  pendant  la  nuit  elles  gagnèrent  une  chrétienté 
éloignée  oii  elles  étaient  en  sûreté.  Dès  le  soir  même  aussi,  je 
commençai  à  traiter  l'affaire;  les  mandarins  montrent  de  bonnes 
dispositions,  le  sous-préfet  est  venu  me  trouver,  le  iaodai 
a  envoyé  un  mandarin  pour  faire  l'enquête,  lequel  est  venu  me 
voir  aussi;  de  la  capitale  de  la  province  un  autre  mandarin 
vient  d'arriver  aujourd'hui  pour  traiter  l'affaire.  En  attendant 
je  n'ai  pas  voulu  reprendre  nos  établissements  en  ruines  avant 
que  l'affaire  ne  soit  bien  traitée,  et  actuellement  il  y  a  140  sol- 
dats qui  gardent  nos  bâtiments. 

Si  tu  juges  à  propos  de  faire  imprimer  cette  lettre  dans  un 
journal  de  Paris,  je  ne  m'y  oppose  pas,  car  il  y  a  utilité  à  ce 
que  l'on  connaisse  les  faits,  et  tout  ce  que  raconte  cette  lettre 
est  authentique. 

Toi-même,  cher  Léopold,  et  notre  bien-aimé  père,  je  vous 
embrasse  de  tout  cœur.  Priez  saint  Joseph. 

Ton  frère, 
Lud.  Pla-tel,  s.  J. 


Chine,  en  barque,  29  mars  1886. 
Mon  bien-aimé  père, 

Votre  lettre  du  11  février  vient  de  m'arriver,  je  me  hâte  de 
vous  en  remercier  et  de  vous  donner  de  nos  nouvelles.  La 
lettre  que  j'ai  écrite  à  Léopold  il  y  a  huit  jours,  et  dans 
laquelle  je  lui  raconte  nos  malheurs  du  Song-Kang,  vous  font 


432  ANNALES   CATHOLIQUES 

bien  sûr  désirer  de  nouveaux  détails.  Aujourd'hui  je  n'ai  que 
le  temps  de  vous  jeter  un  mot  pour  vous  rassurer;  j'ai  été  voir 
nos  ruines,  c'est  navrant.  L'affaire  se  traite,  mais  en  Chine 
tout  va  doucement. 

Je  n'oublierai  pas  le  4  mai.  Je  vous  embrasse  de  tout  cœur 
ainsi  qu'Albert  et  Léopold.  Priez  pour  nous. 

Votre  fils  affectionné, 

Lud.  Platel,  s.  J. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Rome  et  l'Italie* 

La  date  du  prochain  consistoire  est  défiaitinement  fixée  au 
7  juin.  L'accord  entre  le  Vatican  et  le  gouvernement  français 
pour  la  création  de  trois  cardinaux  français  a  été  officiellement 
conclu.  Ces  trois  futurs  cardinaux  sont  NN.  SS.  les  archevêques 
de  Sens  et  de  Rennes,  dont  la  désignation  a  été  faite  par  notre 
gouvernement,  et  Mgr  l'archevêque  de  Reims  ;  l'initiative  de 
ce  dernier  choix  est  venue  du  Vatican. 


Le  Saint-Père  a  résolu  de  ne  publier,  au  prochain  consistoire 
du  î  juin,  qu'un  seul  cardinal  italien,  Mgr  Theodoli;  mais  on 
annonce  qu'un  autre  cardinal  sera  créé  en  même  temps  et 
réservé  in  petto  ;  on  suppose  qu'il  s'agit  du  [maître  de  chambre 
de  Sa  Sainteté,  Mgr  Macchi,  qui  occupait  déjà  ce  poste  sous  le 
pontificat  de  Pie  IX  et  qui  va  y  rester  quelque  temps  encore, 
au  lieu  de  passer  à  celui  de  majordome,  où  Mgr  Theodoli  aura 
pour  successeur  l'archevêque  de  Chieti,  Mgr  Ruffoscila,  de  la 
famille  princiére  de  ce  nom. 

Quatre  cardinaux  créés  dans  les  consistoires  précédents  vien- 
dront recevoir  le  chapeau,  avec  Mgr  Theodoli,  dans  le  consistoire 
public  du  10 juin  prochain.  Ce  sont  :  le  patriarche  de  Lisbonne, 
l'archevêque  de  Vienne,  et  les  archevêques  de  Valence  et  de 
Séville. 

On  mande  de  Rome  kV Agence Havas  que  la  congrégation  de 
la  Propagande  a  reçu  do  très  mauvaises  nouvelles  sur  la  situation 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  433 

des  missions  catholiques  dans  l'Afr/gue  centrale.  Mgr  Lasserre, 
évêque  titulaire  de  Marocco,  coadjuteurde  Mgr  Taurin,  évêque 
titulaire  d'Adramitto,  vicaire  apostolique  iDOurle  territoire  des 
Gallads,  a  dû,  sur  l'ordre  du  roi  de  Choa,  Menelik,  quitter  ce 
pays,  et  il  s'est  enfui  à  Obock  pour  se  placer  sous  le  protectorat 
des  Français.  Le  roi  Menelik  aurait  été  poussé  à  expulser  les 
missionnaires  par  le  négus  d'Abjssinie.  Le  nombre  des  catho- 
liques habitant  le  territoire  des  Gallas  est  évalué  à  10,000  âmes. 
On  sait  que  cette  mission,  desservie  par  les  Pères  capucins 
italiens,  était  précédemment  dirigée  par  S.  Em.  le  cardinal 
Massaïa. 

A  la  suite  de  l'heureuse  issue  des  négociations  entre  le  gou- 
vernement de  Lisbonne  et  le  Saint-Siège  concernant  le  patronat 
de  la  couronne  de  Portugal  aux  Indes-Orientales,  le  Souverain 
Pontife  promulguera  prochainement  une  Constitution  apostolique 
réglant  la  i;ouvelle  organisation  des  évêehés  relevant  de  Goa  et 
de  ceux  qui  continueront  de  dépendre  directement  de  la  Propa- 
gande. 

F'fance. 

Paris.  —  L'entreprise  de  l'église  votive  du  Sacré-Cœur,  à 
Montmartre,  vient  d'entrer  dans  une  nouvelle  phase.  L'archi- 
tecte en  chef,  M.  Daumet,  s'est  définitivement  retiré,  laissant  à 
un  nouvel  architecte,  non  encore  désigné,  le  soin  de  terminer 
l'œuvre  commencée  par  M.  Abadie. 

On  n'a  pas  oublié  qu'au  mois  de  février  dernier,  M.  Daumet 
ayant  voulu  apporter  au  plan  de  M.  Abadie  certaines  modifica- 
tions, il  s'en  suivit  un  différend  assez  sérieux  entre  l'architecte 
et  le  comité  de  l'œuvre,  ce  qui  entraîna  la  suspension  des 
travaux. 

Choisis  pour  arbitres  pour  trancher  le  différend,  trois  hommes 
compétents  entre  tous,  MM.  Bailly,  Charles  Garnier  et  Vaudre- 
mer  décidèrent,  à  l'unanimité,  que  l'œuvre  conçue  par 
M.  Abadie  devait  être  respectée  jusque  dans  ses  moindres 
détails. 

A  la  suite  de  cette  décision,  les  travaux  furent  repris. 

Cependant,  il  était  à  craindre  que  M.  Daumet  ne  fût  plus 
désormais  l'architecte  qu'il  fallait  pour  faire  exécuter  des  tra- 
vaux dont  il  désapprouvait  certaines  parties  essentielles.  De 
là,  entre  les  membres  du  comité  et  l'architecte,  une  situation 


334  ANNALES    CATHOLIQUES 

tendue,  puis  quelques  froissements  qui,  finalement,  ont  entraîné 
la  retraite  de  M.  Daumet. 

Inutile  d'ajouter  que  nombre  de  nos  architectes  en  renom 
sont  déjà  sur  les  rangs  pour  recueillir  la  succession  de 
M.  Daumet. 

Ce  nouvel  incident  n'a  eu  nullement  pour  effet  de  faire  sus- 
pendre les  travaux,  qui  suivent  leur  marche  régulière. 

—  Voici  une  note  que  publie  la  Semaine  Religieuse  du 
diocèse  de  Paris  en  réponse  à  un  article  infâme  du  Figaro  : 

Un  journal  du  matin  publiait,  il  y  a  deux  jours,  au  sujet  du 
voyage  de  Mgr  le  coadjuteur  à  Rome,  de  prétendues  iaformations 
qu'il  donnait  sous  toutes  réserves,  mais  avec  l'intention  manifeste  de 
les  faire  accepter  du  public. 

D'après  cet  article,  on  aurait  découvert  au  ministère  des  cultes 
que,  «  lors  de  la  nomination,  déjà  ancienne,  de  Mgr  Richard  en 
«  qualité  de  coadjuteur,  des  omissions  et  des  irrégularités  auraient 
«  été  commises  qui,  sans  porter  atteinte  à  sa  position  d'évêque 
«  auxiliaire  auprès  de  Mgr  Guibert,  n'entraînerait  pas  de  plein  droit 
«  sa  succession  comme  archevêque  de  Paris  ;  c'est  ainsi  qu'aucune 
«  délibération  du  conseil  des  ministres  n'aurait  eu  lieu,  qu'aucun 
«  décret  spécial  n'aurait  été  rendu,  que  rien  n'aurait  été  inséré  au 
«  Journal  officiel,  ni  au  Bulletin  des  Lois.  » 

Le  journal  bien  informé  annonce,  en  conséquence,  que  «  le  gou- 
«  vernement  ne  se  considérerait  pas  comme  lié  par  la  mesure  exclu- 
«  sivement  religieuse  qui  a  appelé  l'ancien  évêque  de  Belley  près 
«  l'archevêque  de  Paris  »,  et  comme,  en  outre,  «  il  trouverait  que 
«  Mgr  Richard,  aux  vertus  duquel  tout  le  monde  d'ailleurs  rend 
«  hommage,  n'aurait  peut-être  pas  été  préparé  par  l'administration 
«  du  modeste  diocèse  de  Belley  au  poste  épineux  et  difficile  d'arche- 
«  vêque  de  Paris  »,  il  songerait  à  lui  ménager  une  compensation 
honorable  en  obtenant  du  Pape  qu'il  fût  nommé  cardinal,  résidant  à 
Rome.  Le  voyage  du  coadjuteur  aurait  pour  motif  réel  la  négociation 
de  ce  projet. 

Pour  apprécier  ce  tissu  d'inventions,  il  suffit  de  rappeler  les  faits. 

Quand  Mgr  Guibert  fut  appelé,  en  1871,  à  l'archevêché  de  Paris, 
il  avait  déjà  soixante-neuf  ans.  Il  hésita  beaucoup  à  prendre,  à  cet 
âge,  la  charge  d'un  si  grand  diocèse  récemment  désolé  par  de  terribles 
calamités.  Il  finit  par  céder  aux  instances  du  gouvernement  de 
M.  Thiers  et  de  M.  Jules  Simon,  et  au  désir  du  Saint-Père.  Mais  il 
fut  convenu  qu'on  ne  lui  refuserait  pas  l'aide  qu'il  estimerait  néces- 
saire à  l'accomplissement  de  sa  tâche. 

Quatre  ans  après,  en  1875,  Mgr  Guibert  jugea  le  moment  venu  de 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  435 

demander  un  coadjutenr  avec  future  succession.  Il  s'adressa  au  pré- 
sident du  conseil,  M.  Buffet,  qui  saisit  de  l'affaire  le  président  de  la 
République  et  le  conseil  des  ministres.  A  l'unanimité,  le  conseil  fut 
d'avis  d'accéder  à  la  demande  de  l'archevêque.  Le  choix  de  celui-ci 
se  porta  sur  l'évêque  de  Belley,  qu'il  avait  connu  pendant  quinze  ans 
lorsque,  étant  archevêque  de  Tours,  il  le  voyait  assister  de  son 
dévouement  éclairé  le  vénérable  évêque  de  Nantes,  Mgr  Jacquemet. 
Ce  choix,  fait  d'accord  avec  le  gouvernement,  fut  approuvé  par  le 
Saint-Père.  Les  choses  se  passèrent,  en  cette  circonstance,  confor- 
mément aux  précédents  et  comme  elles  se  sont  passées  dans  toutes 
les  nominations  de  coadjuteurs.  Les  bulles  furent  reçues  par  le  gou- 
vernement, enregistrées  par  lui  avant  d'être  remises  au  titulaire, 
qui  prit  possession  immédiatement  auprès  du  Chapitre.  Un  an  après, 
en  1870,  Mgr  Dupanloup  obtenait,  dans  des  conditions  identiques, 
le  coadjuteur  qui  lui  a  succédé  de  plein  droit  et  par  le  fait  même  de 
sa  mort,  en  1878. 

Si  la  feuille  mondaine,  qui  veut  raisonner  des  affaires  ecclésias- 
tiques, avait  pris  la  peine  de  s'informer  exactement,  elle  aurait 
constaté  ce  que  nous  venons  de  dire.  Si  elle  était  moins  étrangère 
aux.  choses  qui  intéressent  le  clergé,  elle  saurait  que  Mgr  Richard 
avait  été  préparé  aux  hautes  fonctions  qu'il  exerce  par  vingt  années 
d'une  participation  active  et  distinguée  au  gouvernement  de  l'Eglise 
de  Nantes,  où  il  jouissait,  comme  vicaire  général,  de  la  confiance 
absolue  de  son  évêque  et  de  tout  le  diocèse;  par  quatre  années  d'un 
épiscopat  fructueux,  dont  les  prêtres  et  les  fidèles  de  Belley  n'ont 
pas  perdu  le  souvenir.  Le  même  journal,  avec  un  peu  de  réflexion, 
aurait  reconnu  que  les  pouvoirs  de  coadjuteur,  exercés  pendant 
onze  ans  à  Paris,  constituent  au  profit  du  futur  archevêque  une 
préparation  spéciale  qu'il  est  bien  rare  de  trouver  aussi  complète, 
car  il  n'est  pas  aujourd'hui,  dans  ce  grand  diocèse,  un  seul  prêtre 
qui  n'ait  eu  des  relations  particulières  avec  le  prélat,  pas  une 
paroisse  de  la  ville  et  de  la  banlieue  qu'il  n'ait  visitée  plus  d'une 
fois,  pas  uue  oeuvre  qui  ne  lui  soit  familière,  pas  un  chrétien  sérieux 
qui  n'ait  eu  l'occasioa  de  constater  par  lui-même  les  qualités  émi- 
nentes  de  l'esprit  et  du  cœur  qui  l'avaient  désigné  au  choix  du  véné- 
rable Cardinal. 

Est-il  besoin,  dès  lors,  d'ajouter  que  le  voyage  de  l'archevêque  de 
Larisse  ne  saurait  avoir  pour  objet  la  négociation  inventée  par  le 
journal?  Tous  les  quatre  ans,  les  évêques  vont  à  Rome  pour  faire 
ce  qu'on  appelle  le  voyage  ad  limina  et  remettre  au  Pape  le  compte- 
rendu  de  leur  diocèse.  L'état  de  santé  du  cardinal  l'a  empêché  de 
faire  ce  voyage  en  1885,  et  c'est  pour  remplir,  au  nom  de  Son  Emi- 
neuce,  ce  devoir  ordinaire  dos  évêques,  que  Mgi-  Richard  est  parti 
pour  Rome,  il  y  a  dix  jours.  Il  est  en  route  en  ce  moment  pour 
regagner  Paris,  n'ayant  eu  aucune  affaire  particulière  à  traiter  dans 
la  Ville-Éternelle. 


436  ANNALES   CATHOLIQUES 

Nous  voulons  croire  que  le  journal  dont  il  s'agit  tiendra  â  honneur 
de  rectifier  des  assertions  directement  contraires  à  la  vérité,  et  que 
des  réserves  vagues  et  fuyantes  protègent  mal  contre  le  reproche  de 
légèreté. 

Au  reste,  nous  sommes  heureux  de  déclarer  que  si  notre  vénérable 
Cardinal  n'a  pas  recouvré  toutes  les  forces  nécessaires  pour  reomplir 
les  fonctions  extérieures  de  son  ministère,  il  est  dans  un  état  de 
santé  qui  lui  permet  de  s'occuper  très  sérieusement  des  affaires  de 
l'administration,  et  nous  formons  les  vœux  les  plus  ardeats  pour  que 
Dieu  le  cons-erve  longtemps  encore  au  respect  et  à  l'affection  de  ses 
diocésains. 

CoiNSTANTiNE.  —  DimancliG  a  eu  lieu,  près  de  Bone,  une 
imposante  cérémonie.  Le  pèlerinage  parti  de  Marseille  pour 
Jérusalem,  a  fait  escale  à  Bone  et  s'est  rendu  procesâionnelle- 
nieut,  avec  l'évêque  et  le  clergé  de  Constantine,  sur  la  colline 
d'Hippone,  oh  a  eu  lieu,  il  y  a  quinze  siècles,  à  cette  même  date, 
la  conversion  de  saint  Angustin. 

Le  cardinal  Lavigerie  a  officié  pontificalement  à  l'un  des 
seize  autels  élevés  en  plein  air.  Le  soir,  les  vêpres  ont  été  chan- 
tées par  les  pèlerins,  qui  sont  revenus  ensuite  à  Bone,  accom- 
pagnés par  une  partie  du  clergé. 

Une  basilique  s'élèvera  bientôt  sur  ce  même  emplacement, 
grâce  à  l'initiative  du  cardinal,  dont  les  œuvres  ne  se  comptent 
plus.  Saint  Augustin  sera  enfin  vénéré  eu  Afrique,  et  Hippone 
se  relèvera  un  peu  de  ses  ruines  sous  la  protection  du  grand 
saint  qui  Ta  illustré. 

Le  Puy.  —  MM.  Urbe  et  de  Pélacot,  vicaires  généraux  de 
Mgr  Le  Breton,  évêque  du  Puy,  ont  fait  insérer  dans  la 
Semaine  religieuse  du  diocèse,  du  14  mai,  une  communication 
officielle  qui  doit  être  lue  en  chaire  et  dans  laquelle  il  est  dit  : 

L'état  de  santé  de  Mgr  l'évêque  du  Puy  s'est  notablement 
aggravé  dans  ces  derniers  temps  et  inspire  de  sérieuses  inquié- 
tudes. En  conséquence,  messieurs  les  vicaires  généraux  croient 
devoir  recommander  le  vénérable  malade  aux  prières  du  clergé  ei 
des  fidèles... 

Tous  se  rappelleront,  dans  celte  douloureuse  circonstance,  ce 
qu'ils  doivent  au  Père  de  leurs  âmes,  au  digne  et  saint  évêque 
qui,  pendant  vingt-deux  ans,  s'est  dévoué  au  bien  de  ce  diocèse. 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE  437 

CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Election  de  l'Aisne.  —  Réception  princière  du  15  mai.  —  Projets  d'expul- 
sion. —  La  nouvelle  loi  militaire.  —  L'affaire  de  Chateauvillain.  —  Le 
château  de  Chambord.  —  Belgique.  —  Grèce.  —  Espagne.  —  Italie. 

20  mai  1886. 

Comme  il  fallait  s'y  attendre,  M.  Sébline  a  été  réélu  dimanche 
sénateur  pour  le  département  de  l'Aisne,  et  les  journaux  répu- 
blicains annoncent  que  ce  préfet  réfractaire  a,  d'un  scrutin  à 
l'autre,  gagné  sur  son  concurrent  opportuniste  une  cinquantaine 
de  voix.  Aussi  il  faut  lire  dans  la  presse  républicaine  de  Paris 
les  commentaires  qu'inspire  cette  réélection.  Les  électeurs 
sénatoriaux  de  l'Aisne  sont  traités  en  ennemis  de  la  République, 
en  gens  arriérés  et  pervers  qui  méprisent  les  lois.  On  leur 
annonce  sur  tous  les  tons  que  leur  élu  sera  de  nouveau  invalidé. 
Nous  supposons  que  ce  genre  de  menaces  laisse  les  délégués, 
sénatoriaux  de  l'Aisne  fort  indiiférents.  Ils  ont  réélu  une 
seconde  fois  M.  Sébline;  ils  le  rééliront  une  troisième  fois  : 
voilà  tout.  Ils  sont  bien  libres,  en  somme,  ces  électeurs  séna- 
toriaux de  l'Aisne,  de  préférer  M.  Sébline  aux  candidats  qu'on 
veut  leur  imposer.  Mais,  dit-on,  cette  mauvaise  plaisanterie  des 
réélections  et  des  invalidations  de  l'Aisne  va  coûter  au  Trésor 
la  bagatelle  de  90,000  francs.  Sans  doute;  cependant  il  convient 
de  remarquer  que  M.  Sébline  avait  lui-même  sollicité  l'ajourne- 
ment de  l'élection,  et  un  gouvernement  qui  a  pu  ouvrir  les 
portes  de  la  prison  de  Villefranche  à  Jules  Roche  afin  de  lui 
permettre  de  venir  soutenir  sa  candidature  à  Paris,  pouvait 
bien  ajourner  de  quelques  semaines  l'élection  de  l'Aisne.  Si 
on  a  agi  au  contraire  avec  un  empressement  sans  exemple, 
c'était  pour  mettre  les  électeurs  dans  l'impossibilité  de  choisir 
M.  Sébline.  Et  comme  les  électeurs  ont  fait  «  l'impossible  »  en 
nommant  M.  Sébline  avec  enthousiasme,  on  est  justement  em- 
barrassé d'être  pris  à  son  propre  piège  et  d'avoir  à  payer, 
bientôt  peut-être,  le  dernier  appoint  des  90,000  francs  sans 
avoir  pu  encore  empêcher  les  électeurs  de  l'Aisne  de  tenir 
mordicus  à  leur  candidat.  Mais  on  peut  dire  que  la  perspective 
du  succès  définitif  de  M.  Sébline  est  bien  plus  désagréable  au 
ministère  que  cette  grosse  dépense  de  90,000  fr.,  laquelle,  après 
tout,  sort  de  la  poche  des  contribuables  et  non  de  celle  des 
ministres. 


438  ANNALES    CATHOLIQUES 

Avant  de  quitter  Paris  pour  se  rendre  à  Lisbonne  où  va  s'ac- 
complir le  mariage  de  la  princesse  Amélie,  sa  iiile,  avec  le  duc 
de  Bragance,  héritier  du  trône  de  Portugal,  le  comte  de  Paris 
a  tenu  à  recevoir  dans  son  hôtel  de  la  rue  de  Varenne  les 
nombreux  amis  de  la  Maison  de  France. 

De  neuf  heures  du  soir  à  une  heure  du  matin,  plus  de  quatre 
mille  personnes,  représentant  toutes  les  illustrations  de  la  nais- 
sance, de  la  pensée,  de  la  politique,  de  l'art,  de  la  fortune,  de 
l'industrie,  du  commerce,  ont  défilé  en  flots  pressés  dans  les 
salons  du  magnifique  hôtel. 

Ce  bel  hôtel  est  un  des  plus  grandioses  édifices  du  faubourg 
Saint-Germain.  Après  avoir  appartenu  à  Mme  la  princesse 
Adélaïde  et  plus  tarda  M,  le  duc  de  Montpensier,  il  est  aujour- 
d'hui la  propriété  de  Mme  la  duchesse  de  Galliera  qui,  vivant 
très  retirée  depuis  la  mort  de  sou  mari,  dont  elle  continue  les 
généreuses  traditions,  et  passant  sa  vie  dans  la  pratique  des 
bonnes  oeuvres,  a  cédé  tout  le  rez-de-chaussée  à  Monsieur  le 
comte  de  Paris.  Mais  quelque  vastes  que  soient  les  apparte- 
ments, ils  eussent  été,  certes,  insuffisants  pour  l'affluence  con- 
sidérable qui  s'y  pressait,  si  l'on  n'eût  élevé,  pour  la  circons- 
tance, du  côté  des  jardins,  une  immense  galerie  décorée  avec 
un  goût  rare,  qui  la  mettait  presque  de  pair  avec  les  splendides 
salons  qui  font  de  cette  demeure  un  logis  vraiment  princier. 
Grâce  à  cette  heureuse  idée,  l'encombrement  n'a  point  dégénéré 
en  cohue,  et  la  foule  des  invités  a  pu  circuler  sans  s'écraser. 

C'était  M.  le  marquis  de  Beauvoir  qui  était  chargé  de  pré- 
senter les  invités  à  Madame  la  comtesse  de  Paris,  qui  se  tenait 
à  droite,  à  l'entrée  du  grand  salon,  avec  Madame  la  princesse 
Amélie  à  ses  côtés  :  celle-ci  vêtue  d'une  simple  robe  de  tulle 
blanche,  ravissante  de  grâce  et  de  beauté.  On  sait  avec  quelle 
exquise  affabilité  Madame  la  comtesse  de  Paris  sait  accueillir; 
et  de  tous  ceux  qui  avaient  l'honneur  de  l'approcher  pour  la 
première  fois  hier,  il  n'est  personne  qui  n'en  ait  été  frappé  et 
touché. 

Un  peu  plus  loin,  seul  au  milieu  du  salon,  Monsieur  le  comte 
de  Paris  tendait  la  main  aux  arrivants,  trouvant  pour  chacun 
un  mot  aimable,  un  souvenir  bienveillant,  un  délicat  remercie- 
ment. 

Après  avoir  défilé  devant  Monsieur  le  comte  et  Madame  la 
comtesse  de  Paiis,  et  devant  M™'  la  princesse  Amélie,  on  péné- 
trait dans  les  autres  salons,  oix  les  princes  et  les  princesses  de  la 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  439 

famille  royale  étaient  épars  un  peu  partout  :  M.  le  duc  d'Aumale, 
M.  le  prince  et  Madame  la  princesse  de  Joinville,  M.  le  duc  de 
Nemours,  M.  le  prince  Csartoryski  et  M""'  la  princesse  Czar- 
torjska,  la  princesse  Blanche,  M'"'  la  princesse  Hélène,  le  grand 
duc  et  la  grande-duchesse  Vladimir  de  Russie. 

Dans  un  salon  à  droite,  se  tenaient  la  princesse  Clémentine 
de  Saxe-Cobourg-Gotha,  le  prince  Henri  d'Orléans,  M"®  la 
princesse  Marguerite  et  M.  le  duc  d'Orléans;  ce  dernier,  fils 
aîné  de  M.  le  comte  de  Paris,  grand  jeune  homme  à  la  figuer 
intelligente  et  ouverte,  à  l'air  décidé,  dont  la  fière  mine  a 
produit  une  grande  impression. 

Presque  tous  les  membres  du  corps  diplomatique  étaient 
présents.  S.  Exe.  le  nonce  apostolique,  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne, M.  de  Albarda,  le  comte  de  Munster,  le  comte  de  Moltke, 
le  baron  et  la  baronne  de  Beyeus,  le  vicomte  d'Azevedo,  le 
comte  de  Villeneuve,  représentant  le  Brésil,  le  général  Nazare- 
Aga,  ministre  de  Perse,  le  vicomte  de  Faria,  consul  général  de 
Portugal  à  Paris,  la  vicomtesse  et  M"^  de  Faria,  M.  Brula- 
tour,  etc.  Toutes  les  personnes  de  la  maison  des  princes  : 
MM.  le  comte  0.  d'Huussonville,  le  marquis  d'Harcourt,  le 
vicomte  de  Bondy,  le  baron  de  Chabaud  La  Tour,  le  marquis 
Pasquier,  le  comte  Chevilly,  le  duc  de  Glucksberh,  Aubry- 
Vitet,  Emmanuel  Bocher,  Saint-Marc-Girardin,  Eugène  Du- 
feuille,  Auguste  Boucher,  Camille  Dupuy,  comte  Adrien  de 
Riancej',  etc.,  etc. 

A  une  heure  du  matin,  la  réception  était  terminée.  Monsieur 
le  comte  et  Madame  la  comtesse  de  Paris,  Madame  la  prin- 
cesse Amélie  et  tous  les  membres  de  la  famille  royale  ont 
traversé  la  grande  galerie  et  les  salons  pour  rentrer  dans  leurs 
appartements. 

Les  princes  ont  quitté  Paris  le  17  mai  par  train  spécial  et  ont 
dû  arriver  hier  à  Lisbonne. 

Le  programme  des  quatre  jours  de  fête  (jui  doivent  avoir 
lieu  à  l'occasion  du  mariage  de  LL.  AA.  RR.  le  duc  de  Bra- 
gance  et  Mme  la  princesse  Amélie  de  France  est  fixé  comme  il 
suit  : 

Le  22,  grande  solennité  religieuse  dans  l'église  Saint-Domi- 
nique, célébrée  par  le  patriarche  de  Lisbonne,  qui  donnera  la 
bénédiction  nuptiale. 

Le   23,  réception   au   palais   de    Belem,   oii    Leurs    Altesses 

S2 


440  ANNALES    CATHOLIQUES 

Royales  admettront  en  leur  présence  tous  ceux  qui  désireront 
leur  apporter  leurs  vœux  de  félicitation. 

Le  24,  réception  officielle  par  LL.  MM.  le  roi  et  la  reine  de 
Portugal,  au  palais  royal  d'Ajuda. 

Le  25,  grande  revue  des  troupes  de  la  garnison  dans  l'avenue 
de  la  Liberté.  Il  y  aura  en  tout  sept  mille  hommes  :  l'artillerie 
avec  quatre-vingt-dix  canons  ;  l'infanterie,  avec  trois  régi- 
ments, et  un  régiment  de  cavalerie. 


Les  nombreuses  marques  de  respect  et  de  sympathie  dont  les 
princes  ont  été  entourés  pendant  ces  derniers  jours,  ne  laissent 
pas  d'irriter  les  républicains  et  déjà  l'on  a  parlé  d'expulsion 
partielle  ou  même  totale.  Ce  serait  un  dérivatif  aux  préoccu- 
pations pénibles  qui  assiègent  chaque  jour  nos  gouvernants. 

Donc,  sans  doute,  nous  allons  avoir  une  interpellation  sur 
l'attitude  des  princes,  et  la  seule  question  à  trancher  au 
moment  où  nous  sommes,  ce  n'est  pas  de  savoir  si  la  mesure 
est  juste,  opportune,  libérale,  mais  bien  quel  sera  le  groupe 
d'oii  viendra  l'initiative  de  la  demande  d'expulsion.  Sera-ce 
l'extrême  gauche,  sera-ce  l'union  des  gauches  ?  Enfin  ne  con- 
viendrait-il pas  au  ministère  lui-même  de  prendre  les  devants 
et  de  prononcer,  par  décret,  l'expulsion  immédiate  du  comte  de 
Paris  tout  au  moins  ? 

Mais  on  peut  supprimer  un  homme,  on  ne  supprime  pas  un 
fait.  Or,  le  fait  qui  choque  nos  gouvernants  est  celui-ci  :  que, 
samedi,  à  l'hôtel  Galliera,  autour  d'une  famille,  dont  les 
ancêtres  ont  régné  sur  la  France,  se  trouvaient  réuni  le  per- 
sonnel complet  d'un  grand  gouvernement,  ses  diplomates,  ses 
pairs,  ses  députés,  ses  conseillers  d'Etat,  ses  fonctionnaires,  en 
un  mot,  tout  le  pays  conservateur  croyant  et  monarchique 
et  comme  la  représentation  en  résumé  de  toutes  les  forces 
sociales.  Yoilà  un  fait,  en  même  temps  un  principe,  puis- 
qu'il y  avait  chez  le  comte  de  Paris  des  hommes  de  toutes 
les  opinions  politiques,  des  républicains  modérés  tels  que 
M.  Jules  Simon,  des  impérialistes  qui  marchent  la  main  dans  la 
main  avec  les  autres  monarchistes,  dans  l'intérêt  du  parti  con- 
servateur;,  des  savants  célèbres  comme  M.  Pasteur,  des  illustra- 
tions dans  tous  les  genres.  En  quoi  ce  principe  sera-t-il  détruit, 
en  quoi  le  fait  sera-t-il  amoindri  par  l'expulsion  ? 


CHRONIQUE    D£    LA   SEMAINE  441 

Le  général  Boulanger  vient  enfin  de  présenter  au  conseil  des 
ministres,  la  nouvelle  loi  militaire  qu'il  a  si  longuement 
élaborée. 

Son  projet  est  volumineux  ;  il  n'a  pas  moins  de  deux  à  trois 
cents  articles.  Il  comprend  une  loi  sur  le  recrutement,  un 
projet  d'organisation  d'armée  coloniale,  et  il  introduit  des 
modifications  considérables  dans  la  composition  des  différents 
corps  de  troupes. 

Conîme  le  général  Campenon,  le  général  Boulanger  préconise 
le  système  de  trois  ans  obligatoire  pour  tous.  Le  service  auxi- 
liaire, la  disponibilité  et  tontes  les  dispenses  de  droit  sont  sup- 
primés. En  outre  on  accorde  des  sursis  d'appel,  renouvelables 
pendant  quatre  ans  pour  cause  d'achèvement  d'études.  Ils  seront 
dans  la  proportion  de  dix  pour  cent. 

A  l'exemple  du  général  Campenon,  le  ministre  envoie  les 
séminaristes  à  la  caserne  ;  il  se  contente  cependant  d'exiger  un 
an  de  présence  sous  les  drapeaux  au  lieu  des  trois  ans  réclamés 
par  son  prédécesseur.  Mais  comme  le  général  Boulanger  a 
promis  de  soumettre  son  projet  à  M.  Goblet,  il  est  probable 
que  le  ministre  des  cultes  s'empressera  de  rétablir  le  service 
de  trois  ans  pour  les  séminaristes. 

Les  jeunes  gens  pourvus  d'un  brevet  d'instruction  militaire 
préparatoire  seront,  après  deux  ans  de  service,  renvoyés  dans 
leurs  foyers. 

En  outre,  les  dispensés  seront  soumis  à  des  exercices  mili- 
taires qui  auront  lieu  une  fois  par  mois,  au  chef-lieu  de  canton. 
Ils  seront  soumis  à  une  taxe  dont  le  minimum  sera  de  21  fr.  60. 

Le  contingent  annuel  étant  fixé  à  192,000  h.,  l'armée  com- 
prendra donc,  déduction  faite  des  pertes,  540,000  h.,  soit  un 
excédent  de  70,000  h.  sur  les  prévisions  budgétaires.  Pour 
parer  à  cette  difficulté  financière,  on  renverra  la  classe  libérable 
aussitôt  après  les  manoeuvres  d'automne. 

Chaque  corps  d'armée  se  recrutera  sur  son  territoire,  mais 
les  conscrits  seront  dirigés  en  dehors  de  la  subdivision  à 
laquelle  ils  appartiennent. 

L'armée  se  recrutera  au  moyen  d'engagements  volontaires  et 
de  rengagements.  En  outre  tous  les  jeunes  gens  des  colonies 
seront  forcés  de  servir  un   an   dans  ses  rangs. 

Quarante  régiments  de  chasseurs  à  pied  seront  créés  à  la 
place  des  trente  bataillons  qui  existent  actuellement;  on  aug- 
mentera en  outre  le  nombre  des  régiments  de  cavalerie  et  l'on 
créera  un  corps  d'ingénieurs  militaires. 


442  ANNALES    CATHOLIQUES 

Par  contre  beaucoup  de  fonctions  seront  supprimées  dans 
l'état-major  général  de  l'armée  et  l'on  fera  fusionner  le  génie 
et  l'artillerie  de  forteresse. 

Telle  est,  en  résumé,  la  base  du  projet  que  présente  le 
ministre  de  la  guerre.  Nous  l'étudierons  plus  complètement 
quand  le  ministre  aura  terminé  sa  rédaction  définitive  et  qu'il 
le  présentera  à  la  tribune  de  la  Chambre. 

MM.  Giraud  et  Fischer  et  les  héritiers  d'PIenriette  Bonnevie, 
tuée  à  l'assaut  donné  par  le  sous-préfet  Balland  et  les  gen- 
darmes de  Châteauvillain  à  l'usine  Giraud,  ont  adressé  à  M.  le 
président  de  la  cour  de  Grenoble  une  plainte  à  fin  de  constitu- 
tion civile  devant  le  juge  d'instruction  contre  les  auteurs  de 
l'attentat  que  toute  la  France  connaît.  Le  gouvernement  a  l'au- 
dace de  prendre  les  devants.  Et  il  fait  annoncer  par  ses  jour- 
naux que  le  parquet  va  traîner  devant  la  police  correctionnelle, 
non  seulement  MM.  Giraud  et  Fischer,  mais  aussi  le  curé  et  le 
vicaire  de  Châteauvillain.  Les  autorités  républicaines,  n'ayant 
pas  osé  tuer  tout  le  moude,  veulent  au  moins  intimider  tout  le 
monde  et  prouver  aux  Français  qu'il  ne  faut  pas  plaisanter  avec 
les  caprices  administratifs  de  M.  Goblet.  Cette  manœuvre  ne 
trompera  personne.  On  sait  bien  que  le  gouvernement  n'aurait 
jamais  osé  poursuivre  devant  la  justice  les  victimes  du  mauvais 
coup  de  M.  Goblet.  Il  a  fallu  les  démarches  des  victimes  pour 
que  le  gouvernement  se  décidât  à  annoncer  des  poursuites. 
C'est  honteux,  et  nous  verrons  bien  s'il  j  a  encore  des  juges  en 
France  malgré  l'épuration. 

La  crise  subsiste  toujours  à  Decazeville,  mais  dans  des  con- 
ditions qui  annoncent  la  fatigue  des  ouvriers  et  par  conséquent 
la  fin  prochaine  de  la  grève.  On  assure  que  les  embauchages 
d'ouvriers  ont  repris  d'une  façon  satisfaisante  pour  la  Compa- 
gnie et  que  d'ici  quinze  jours  la  moitié  de  l'ancien  personnel 
sera  de  nouveau  employée  dans  les  raines  et  les  ateliers.  Les 
tristes  fauteurs  de  cette  grève  n'auiont  donc  réussi,  après 
toutes  leurs  provocations  et  leurs  menaces,  qu'à  causer  la 
mort  d'un  homme  de  cœur,  victime  de  son  devoir,  et  qu'à 
plonger  toute  la  population  ouvrière  de  la  localité  dans  une 
noire  misère.  Car  c'est  la  misère  qui  aujourd'hui  ramène  à 
l'atelier  et  à  la  mine    tous   ces  pauvres  égarés.  S'ils    étaient 


CHRONIQUE    DE   LA.    SEMAINE  443 

logiques,  ils   auraient  une  singulière  reconnaissance   pour  les 
industriels  qui  les  ont  conduits  à  ces  extrémités. 

Dans  quelques  jours  la  Chambre  reprendra  ses  séances.  Elle 
les  interrompra  vers  le  10  juillet.  Elle  pourra  donc  siéger  une 
trentaine  de  fois  au  plus,  c'est-à-dire  une  centaine  d'heures. 
Or,  trois  interpellations  sont  déjà  inscrites  :  l'une  sur  la  grève 
de  Decaze ville,  l'autre  sur  «  le  fonctionnement  de  la  justice  », 
la  troisième  sur  la  politique  extérieure.  Et  comme  le  zèle  des 
interpellateurs  ne  s'arrêtera  pas  là,  on  peut  compter  qu'une 
dizaine  de  séances  au  moins,  seront  ainsi  remplies  par  des 
débats  inutiles.  Si  nous  comptons  dix  séances  pour  la  politique 
pure,  il  ne  reste  plus  que  trente  heures  pour  les  choses  sérieuses. 
Dés  aujourd'hui  on  a  fait  le  sacrifice  delà  discussion  du  budget; 
elle  aura  lieu  pendant  la  saison  d'hiver...  à  moins  qu'on  n'en 
revienne  aux  douzièmes  provisoires.  Au  prix  qu'ils  lui  coûtent, 
le  pays  serait  en  droit  d'attendre  davantage  de  ses  députés. 

Un  débat  s'est  élevé  récemment  et  se  continue  encore  au 
sujet  du  château  de  Chambord,  que  Victor  Hugo  a  appelé 
«  l'Alhambra  de  la  France,  beau  comme  un  palais  de  fées, 
grand  comme  un  palais  de  rois.  »  On  connaît  l'origine  de  la 
discussion.  En  1820,  le  château  de  Chambord  allait  tomber 
sous  les  coups  de  la  bande  noire,  tant  vantée  par  Paul-Louis 
Courier.  Une  souscription  nationale,  qui  produisit  plus  d'un 
million  et  demi,  permit  de  racheter  le  domaine  qui  fut  offert 
au  duc  de  Bordeaux.  Depuis,  le  vieux  château  royal  est  resté 
la  propriété  du  comte  de  Chambord,  qui  l'a  légué  avec  ses 
autres  biens  à  ses  deux  neveux,  le  duc  de  Parme  et  le  comte 
de  Bardi.  A  la  mort  de  la  comtesse  de  Chambord  qui  eu  avait 
l'usufruit,  le  domaine  est  donc  passé  aux  mains  de  deux 
princes  étrangers. 

On  voudrait  maintenant  enlever  le  château  à  ces  princes, 
sous  prétexte  qu'ils  ne  sont  pas  français,  et  le  conseil  général 
de  Loir-et-Cher  a  émis  un  vœu  pour  revendiquer  Chambord 
comme  propriété  nationale.  Propriété  nationale  est  bientôt  dit. 
Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  la  question  se  pose  et  elle  a  déjà 
été  tranchée.  Un  arrêt  du  3  février  1841,  rendu  par  le  tribunal 
de  Blois,  précise,  en  effet,  que  la  donation  de  1820  «  est  une 
donation  pure  et  simple,  qui  a  investi  le  donataire  de  la  pleine 
propriété  de  la  chose  donnée,  sans  réversibilité  au  domaine  de 


444  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'État.  »  Le  domaine,  appartenant  absolument  au  comte  de 
Chambord,  pouvait  être  légué  par  lui  à  qui  boa  lui  semblait. 
Que  l'on  regrette  que  ce  legs  ait  été  fait  à  des  princes  étrangers, 
on  le  peut;  qu'on  rachète  à  ces  princes  une  propriété  qui  tient 
par  des  liens  si  nombreux  à  l'histoire  de  la  France,  on  le  peut 
encore;  mais  qu'on  veuille  le  leur  prendre,  on  ne  le  peut  pas  : 
la  loi  s'j  oppose. 

Mais  qu'est  la  loi  en  République? 

Mardi,  18  mai,  a  en  lieu  à  Bruxelles  un  scrutin  de  ballottage 
pour  l'élection  d'un  député.  Le  résultat  a  été  ce  que  l'on  pouvait 
prévoir,  à  la  suite  de  l'alliance  des  libéraux  doctrinaires  et  des 
radicaux.  Leur  candidat,  M.  Buis,  bourgmestre  de  Bruxelles, 
a  été  élu  par  9,920  voix.  Le  candidat  indépendant,  le  général 
Jacqraart,  a  obtenu  7,951  voix,  c'est-à-dire  1,024  voix  de  plus 
qu'au  premier  tour  de  scrutin  qui  avait  eu  lieu  huit  jours 
auparavant. 

Le  Courrier  de  Bruxelles  dit,  au  sujet  de  l'élection  de 
M.  Buis  : 

M.  Buis  a  obtenu  le  18  mai  9,920  voix. 
Il  en  avait  obteau  le  11  mai  6,399    » 
Différence  en  plus  :  3,521     » 

M.  Janson  avait  obtenu  le  11  mai  3,799  voix.  Il  y  a  donc  eu 
3,521  électeurs  jansoniens  qui  ont  donné  leurs  voix  à  celui 
«  qui  n'a  pas  leur  confiance  ».  279  seulement  ont  eu  assez  de 
dignité  pour  s'abstenir. 

M.  Buis  est  donc  l'élu  des  radicaux.  Mais  il  n'est  pas  leur 
chef.  Il  est  donc  leur  prisonnier.  C'est  à  eux,  et  à  eux  seuls 
qu'il  doit  son  siège. 

Les  affaires  grecques  marchent  tout  doucement  vers  un 
dénouement,  dont  tous  les  homme  olitiques  sentent  à  Athènes 
la  nécessité,  mais  dont  chacun  répugne  d'endosser  la  responsa- 
bilité, devant  l'attitude  du  peuple  que  l'on  a  excité,  enconragé 
par  de  folles  espérances,  et  qui  peiit-(;tre  fera  un  mauvais  parti 
à  ceux  qui  oseront  faire  aux  puissance -•  la  concession  inévitable 
du  désarmement. 

M.  Tricoupis  n'a  pas  accepté  du  roi  la  mission  de  former  un 
cabinet;  M.  Papamichalopoulos  s'en  était  chargé,  mais  n'a  pu 
en  venir  à  bout,  «  la  plupart  des  hommes  politiques  auxquels  il 
s'était  adressé  lui  ayant  refusé  leur  concours  »,  dit  naïvement 


REVUE    ÉCONOMIQUE    ET    FINANCIERE  445 

une  dépêche  d'Athènes.  Alors,  le  roi  est  sorti  des  cadres  parle" 
mentaires  et  a  mis  les  portefeuilles  sous  le  bras  d'un  brave 
magistrat  du  nom  de  Valuis,et  celui-ci  a  enfin  constitué,  vaille 
que  vaille,  un  ministère  pris  en  dehors  de  tous  les  cadres  poli- 
tiques. Seulement,  il  est  bien  entendu  que  ce  ministère  ne  veut 
pas  faire  de  lui-même  le  désarmement  :  il  commencera  par 
soumettre  la  question  au  Parlement,  qui  va  être  incessamment 
convoqué. 

Espérons  que  les  députés  sauront  élever  leur  âme  à  la 
hauteur  des  devoirs  pénibles  et  redoutables  que  le  patriotisme 
impose.  Le  courage  civique  qui  affronte  l'impopularité  et  accepte 
les  responsabilités  nécessaires  est  plus  rare  et  de  meilleure 
trempe  que  le  courage  militaire  qui  affronte  la  mort. 


Le  17  mai,  la  reine  Christine,  veuve  du  roi  Alphonse  XII 
d'Espagne,  a  donné  le  jour  à  un  fils  qui  est  dès  à  présent  roi 
de  toutes  les  Espagnes  sous  le  nom  d'Alphonse  XIII. 

L'Espagne  a  donc  un  roi,  et  la  Majesté  de  cinq  ans  que  la 
mort  d'Alphonse  XII  avait  provisoirement  fait  monter  sur  le 
trône  d'Isabelle  et  de  Charles-Quint,  en  est  descendue  au  pre- 
mier vagifsement  de  l'enfant  que  la  reine-mère  vient  de  mettre 
au  monde.  Ainsi  la  régence,  on  pourrait  presque  dire  l'inter- 
règne, se  trouve  prolongée  de  cinq  années,  longum  œvi  spa-' 
iiuni,  en  présence  des  menées  républicaines.  Ajoutons  que  cette 
naissance  coupe  court  au  projet  de  fusion  des  deux  dynasties, 
qui  consistait  à  unir  don  Jaime,  le  fils  de  don  Carlos,  à  l'héri- 
tière de  la  couronne  d'Alphonse  XII.  Il  y  a  bien  des  nuages  sur 
ce  berceau  oii  vient  d'arriver  un  roi  au  milieu  des  tempêtes  et 
des  bouleversements  de  la  nature,  moins  graves  peut-être  que 
les  orages  et  les  périls  de  toute  sorte  qui  attendent  sa  fragile 
existence. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

M.Garnot  est  bien  embarrassé  ;  comment  va-t-il  Irailer  les  petites 
coupures  de  rEmprunl?  S'il  ne  fait  pas  subir  à  celles-ci  la  réduc- 
tiou  proportionnelle  de  21,5,  la  réduction  sera  bien  plus  forte  pour 
les  autres  coupures  qui  perdront  en  chiffres  ce  que  les  autresauront 
gagné. 


446  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ce  succès  d'un  emprunt  couvert  vingt  et  une  fois  et  demie  ne 
signifie  absolument  rien,  du  moment  qu'on  en  a  faussé  toutes  les 
bases,  il  ne  se  justifie  plus  et  ne  démontre  plus  rien.  Disons  plus  : 
ce  succès  est  absolument  négatif;  l'Emprunt,  malgré  ses  soi-disant 
247,000  souscripteurs,  n'est  ni  souscrit  ni  classé,  et  la  preuve, 
c'est  qu'il  revient,  tout  entier,  à  la  Bourse  pour  y  être  reconstitué 
en  coupures  au  gré  des  demandes. 

Les  petits  n'ont  rien  eu,  ou  peu  de  chose,  les  gros  détiennent  le 
reste.  Or,  ce  n'est  pas  pour  garder,  mais  pour  vendre,  avec  béné- 
fices, qu'ils  ont  souscrit  l'Emprunt  ;  aussi  ont-ils  mis  le  feu  aux 
poudres  et  ont-ils  surexcité  les  fibres  liaussières  de  la  Bourse. 

Voilà  pourquoi  tout  monte  et  tout  se  soutient,  afin  d'écouler  cet 
emprunt.  Le  seul  point  saillant  de  celte  opération,  c'est  le  déplace- 
ment énorme  de  fonds  qu'elle  a  nécessité:  ces  fonds  ont  cherché 
remploi.  A  cet  égard,  prévoyant  ce  résultat,  nous  vous  avons  invités, 
il  y  a  un  mois  environ,  à  acheter  des  obligations  3  °/o  du  Crédit 
foncier,  en  choisissant  les  obligations  non  libéiées  des  emprunts  4880 
et  1885.  Nous  vous  disions  que  ces  obligations  étaient  de22à2ofr. 
au-dessous  des  cours  des  obligations  absolument  similairesdumême 
établissement.  En  vous  signalant  cette  anomalie,  nous  terminions 
en  déclarant,  qu'à  la  suite  de  l'Emprunt,  ces  obligations  monteraient 
de  5  fr.  Notre  appréciation  a  été  trop  modeste  ;  car  de  434  tV.  ces 
obligations  sont  arrivées  à  444  fr.,  soit  10  fr.  de  hausseen  15  jours. 
Voilà  l'attention  du  public  attirée  sur  cette  valeur  et,  d'ici  la  fin  de 
l'année,  elle  aura  repris  le  niveau  des  autres;  prenez-en  bonne 
note. 

Nos  lecteurs  nous  sauront  gré,  nous  l'espérons  du  moins,  de 
leur  mettre  sous  les  yeux  la  liste  des  emprunts  français,  depuis 
que  le  gouvernement  a  adopté  le  système  dit  souscription  publique; 
celui  qui  vient  d'être  souscrit  est  le  douzième. 


Mois. 

Année. 

Intérêt. 

Capital  émis. 

Taux. 

Mars 

1854 

3 

0/0 

155 

millions 

65.25 

Janvier 

1855 

» 

345 

» 

65.25 

Juillet 

1855 

» 

689 

» 

65.25 

Mai 

1859 

» 

508 

» 

60.50 

Janvier 

1864 

» 

345 

» 

66.30 

Août 

1868 

» 

450 

» 

69.25 

Août 

1810 

» 

805 

» 

60.60 

Juin 

1871 

5 

0/0 

2,293 

» 

82.50 

Juillet 

1878 

» 

3,498 

» 

84.50 



1878 

amori 

tissable 

550 

» 

divers 

Mars 

1881 

» 

1,006 

» 

83.25 

Mai 

1886 

3 

0/0 

905 

» 

79.80 

En  attendant  la  suite,  ce  qui  ne  peut  manquer  d'arriver  sous  le 
régime  actuel,  on  va  recommencer,  d'ici  à  la  fin  de  l'année,  une 
émission  d'obligations  à  court  terme  et  une  émission  de  nouveaux 
bons  du  Trésor  :  c'était  prévu  !  A.  H. 

Le  gérant:  P.  Chantrei.. 

ark.  —  Irop.  (ie  TŒuvre  de  Saint-Pairi    G.  Piequoin,  61,  rue  de  Li*le. 


Lundi  prochain,  31  mai,  second  anniversaire  de 
la  mort  de  M.  Joseph  Chantrel,  fondateur  des 
Annales  Catholiques,  une  messe  sera  célébrée  en 
l'église  Saint-Lambert  de  Yaugirard  pour  le  repos 
de  l'âme  du  vaillant  écrivain. 

Nous  demandons  à  tous  nos  amis  de  joindre 
leurs  suffrages  aux  nôtres,  en  ce  jour  de  souvenirs 
particulièrement  douloureux. 

Celui  dont  chaque  jour  nous  fait  sentir  davan- 
tage l'absence,  n'a  plus  besoin  de  nos  prières,  nous 
en  avons  la  consolante  certitude. 

Mais  nous  qui  sommes  dans  l'arène,  qui  luttons, 
faibles  que  nous  sommes,  dans  des  temps  excep 
tionnellement  difficiles,  nous  ne  les  demandons 
qu'avec  plus  d'instances,  pour  qu'heureusement 
inutiles  au  juste  qui  n'est  plus,,  elles  retombent  en 
bénédictions  fécondes  sur  son  œuvre  et  sur  ses 
enfants. 

P.  Chantrel. 


Lvi.  —  29  MAI  1886. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


-@^-sCD@CI>-=^- 


LA  FRANGE,  LA  CHINE  ET  LE  SAINT-SIEGE 

Les  négociations  actuellement  en  cours  entre  Rome  et  Pékin 
viennent  de  provoquer,  dans  la  presse  européenne,  une  polé- 
mique qu'il  eût  été  certes  mieux  d'éviter.  Il  est  à  regretter 
qu'une  affaire  aussi  délicate  soit  tombée,  des  régions  sereines 
des  arrangements  diplomatiques,  dans  le  domaine  de  la  discus- 
sion publique  et  même  boulevardiére.  Exciter  les  passions,  se- 
mer les  défiances,  tendre  à  préjuger  par  ces  procédés  sommaires 
les  décisions  définitives,  est  plus  qu'un  manque  du  tact  et  de 
discrétion ,  c'est  une  faute  dont  les  conséquences  retombent 
toujours  sur  ses  auteurs. 

Posée  ainsi  devant  le  forum  de  l'opinion  publique ,  cette 
grave  question  demande  une  explication  plus  complète.  Elle 
constitue,  eu  effet,  dans  l'histoire  des  missions  catholiques,  un 
épisode  important  et  qui  exercera  une  influence  considérable 
sur  l'avenir  de  la  religion  et  de  la  civilisation  dans  l'Extrême- 
Orient.  Le  temps  de  parler  est  donc  venu.  Il  faut  rectifier  et 
expliquer. 

Toute  la  thèse  des  adversaires  d'une  entente  directe  entre  le 
Saint-Siège  et  la  Chine,  se  réduit,  au  fond,  à  une  seule  accu- 
sation, à  savoir  que  cet  arrangement  serait  une  atteinte  portée 
aux  intérêts  de  la  France,  un  acte  de  malveillance  contre  cette 
nation  si  chrétienne,  si  chevaleresque  dans  ses  entreprises,  si 
superbe  de  foi,  de  générosité  et  de  dévouement,  quand  il  s'agit 
de  porter  sur  tous  les  points  du  globe  les  promesses  éternelles 
du  Ciel  et  le  règne  du  Père  qui  est  aux  cieux.  On  est  allé  jus- 
qu'à exploiter  la  coïncidence  purement  fortuite  de  la  pacifi- 
cation en  Prusse  avec  l'ouverture  des  négociations  avec  la 
Chine,  comme  s'il  pouvait  y  avoir  une  connexion  quelconque 
entre  ces  deux  faits,  comme  si  ces  affaires  éminemment  reli- 
gieuses et  purement  pacifiques  pouvaient  cacher  une  vengeance 
politique  ou  provoquer  des  représailles  coupables  ! 

Est-il  bien  nécessaire  de  repousser  ces  accusations  que  peut 


LA    FRA.NCE,    LA.    CHINE    ET   LE    SAINT-SIEGE  449 

seul  inspirer  l'esprit  de  parti  ?  Tout  le  gouvernement,  tout 
l'esprit,  tous  les  actes  de  Léon  XIII  ne  sont-ils  pas  là  pour  pro- 
tester contre  ces  insinuations  aussi  futiles  que  tapageuses  ?  Qui, 
en  effet,  plus  que  le  Pape  actuel,  a  versé  sur  la  France  des 
trésors  d'affectueuse  longanimité  et  de  miséricorde  paternelle? 
Que  l'on  examine  l'histoire  des  rapports  entre  Paris  et  Rome, 
pendant  ce  pontificat.  Où  a-t-on  vu  s'unir  le  tact  le  plus  mer- 
veilleux à  la  patience  la  plus  douce,  quand,  cependant,  la 
guerre  sévissait ,  les  institutions  religieuses  menaçaient  de 
tomber  en  ruine,  quand  les  passions  de  parti  les  plus  ineptes 
étaient  menées  à  l'assaut  contre  l'Église? 

C'est  Léon  XIII  qui  a  écrit  cette  Encyclique  Nohilissimo 
Gallorum  gens  dont  le  titre  seul,  superbe  et  harmonieux,  res- 
tera à  jamais  comme  un  hommage  glorieux  rendu  à  cette 
nation  privilégiée;  c'est  Léon  XIII  quia  adressé  à  M.  Grévy 
une  lettre  de  paix  et  d'esprit  de  conciliation,  pour  arrêter  la 
République  sur  la  voie  des  conilits  ;  c'est  Lui  qui,  malgré  les 
réductions  continuelles  faites  au  budget  des  cultes,  vient  d'ho- 
norer ce  pays  par  la  création  de  trois  cardinaux,  de  sorte  que 
la  France  marchera  de  nouveau,  après  Rome,  à  la  tête  du 
Sacré-Collège;  c'est  Lui  qui  a  épuisé  toutes  les  ressources  de 
raccommodement  ;  qui  n'a  voulu  ni  rompre  avec  le  gouverne- 
ment, ni  laisser  se  déchirer  le  Concordat,  cette  charte  de  la 
paix  religieuse  en  France  ;  c'est,  en  un  mot,  Lui  et  peut-(5tro 
Lui  seul  qui,  par  la  majesté  de  sa  patience  et  de  son  attitude,  a 
maintenu  les  derniers  restes  de  longs  siècles  d'harmonie  et  de 
féconde  cohabitation. 

A  la  douceur  de  Pie  VII,  Léon  XIII  a  uni  l'aftection  effective, 
sans  cesse  agissante,  cet  esprit  pondéré,  cet  équilibre  harmo- 
nieux des  actes  et  des  enseignements  pour  forcer  en  quelque 
sorte  le  parti  au  pouvoir  à  reculer  devant  trop  de  responsa- 
bilités et  trop  de  fautes.  Au-dessus  de  l'effervescence  passionnée 
des  coteries  parlementaires,  Léon  XIII  a  vu  et  aimé  la  France, 
Il  n'a  pas  voulu  en  faire  la  victime  expiatoire  des  actes  persé- 
cuteurs du  radicalisme  allié  à  la  franc-maçonnerie. 

Ce  simple  ressouvenir  n'est-il  pas  le  meilleur  démenti  infligé 
par  les  faits  à  des  récriminations  aussi  peu  fondées?  Oui,  et 
l'histoire  le  dira  un  jour,  Léon  XIII  a  tout  fait  pour  sauver  la 
France  des  crises,  pour  lui  conserver  les  bienfaits  inappré- 
ciables de  la  paix  civile. 

Mais,  institution  cosmopolite  au  premier  chef,  placée  sur  les 


4o0  ANNALES   CATHOLIQUES 

hauteurs  du  Vatican  pour  embrasser  de  sa  sollicitude  tous  les 
royaumes  et  toutes  les  âmes,  la  Papauté  constitue  d'office  la 
Providence  visible  de  toutes  les  chrétientés,  et  lorsqu'une 
occasion  d'étendre  et  de  propager  le  règne  de  Dieu  s'offre  à  son 
regard,  son  devoir  est  engagé,  sa  mission  tracée  d'avance. 

La  Chine  vient  de  fournir  cette  occasion  providentielle.  En 
proposant  d'entrer  en  relations  officielles  et  directes  avec  Rome, 
elle  place  les  missions  catholiques  sous  la  tutelle  immédiate, 
tangible  du  Saint-Siège  et  de  la  Propagande.  Jusqu'ici  cette 
protection  était  réglée  diplomatiquement  par  un  traité  avec  la 
France.  C'était  celle-ci  qui,  intermédiaire  politique,  devait 
sauvegarder  les  intérêts  de  ces  chrétientés;  c'était  la  Chine  et 
la  France  qui  avaient  combiné,  concerté,  pratiqué  d'un  commun 
accord  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  le  protectorat  français. 

Eh  bien,  le  Saint-Siège  ne  lèse  aucun  droit,  il  ne  rompt  avec 
rien  et  avec  personne.  A  côté  d'un  traité  politique,  il  peut 
accepter  une  institution  religieuse,  à  côté  d'une  forme  transi- 
toire, étroite,  nationale,  établir  une  forme  régulière,  perma- 
nente, générale;  à  côté  du  drapeau  d'un  peuple,  planter  la 
bannière  du  Christ,  l'étendard  de  la  Papauté.  Que  sera-ce  si, 
non  seulement  le  Vatican  n'use  d'aucun  manque  d'égard,  mais 
s'il  se  borne  simplement  à  correspondre  à  une  offre  gracieuse 
pour  lui,  profitable  pour  les  âmes,  avantageuse  à  l'épanouis- 
sement radieux  et  fécond  de  son  action  civilisatrice? 

Aurait-il  dû  repousser  ces  avances  d'un  Souverain,  au 
moment  où  la  Chine  s'ouvre  au  mouvement  moderne,  oii  les 
persécutions  en  Orient  jaillissent  souvent  des  rivalités  poli- 
tiques çt  nationales,  oii  les  missions  ont  plus  que  jamais  un  rôle 
de  premier  ordre  à  jouer  dans  ses  pays  lointains;  où,  enfin,  de 
cette  compénétration  de  deux  civilisations  occidentale  et  orien- 
tale, sortira  probablement  une  ère  nouvelle,  soit  pour  l'Eglise, 
soit  pour  l'Europe.  L'avenir  s'avance  de  l'Orient  :  l'Eglise 
doit-elle  se  fermer  les  routes  qui  y  aboutissent?  Quand  la 
Chine  aura  une  représentation  prés  le  Saint-Siège,  peut-on 
craindre  encore,  au  même  degré,  les  revanches  de  l'esprit  per- 
sécuteur? Dans  quelques  années,  lorsque  la  civilisation  aura 
porté  sa  lumière  à  l'intérieur  de  ce  monde  fermé  jusqu'ici, 
lorsque,  selon  les  prédictions  des  voyageurs  les  plus  perspicaces 
et  les  mieux  informés,  la  Chine  débordera  sur  l'Europe  et  les 
autres  parties  du  monde,  est-il  croyable  que  les'rapports  de  cet 
empire  avec  les  puissances  seraient  les  mêmes  qu'aujourd'hui? 


LA    FRANCE,    LA    CHINE   ET   LE    SAINT-SIEGE  451 

Rien,  dans  tout  cela,  ne  saurait  porter  ombrage  à  la  France. 
Sans  cloute,  le  gouvernement  français  a  rendu  d'éminents 
services  aux  missions.  Mais  son  protectorat  n'a-t-il  pas  été,  en 
retour,  pour  lui,  une  source  de  prestige,  un  principe  de 
rayonnement  et  d'influence  politique?  Si,  par  l'action  des  évé- 
nements et  la  force  des  choses,  cette  situation  doit  se  trans- 
former, revêtir  un  autre  type,  faut-il  en  rendre  le  Saint-Siège 
responsable?  Est-il  permis  de  voir  dans  cette  marche  naturelle 
des  affaires  une  atteinte  au  droit  du  gouvernement,  un  manqua 
d'égards  pour  la  nation?  Le  prétendre,  ce  serait  absurde;  ce 
serait  vouloir  accréditer  le  préjugé  que  la  Papauté  subordonne 
les  intérêts  des  âmes  et  des  missions  à  des  combinaisons  poli- 
tiques. 

Serait-ce  trop  bien  penser  de  la  France  en  la  jugeant  inca- 
pable d'exiger  uu  Saint-Siège  un  rôle  semblable?  Comment 
croire,  d'iàlleurs,  qu'il  puisse  y  avoir  là  un  froissement  de 
l'amour  propre  national? 

Aussi,  loin  de  nous  l'idée  que  la  France  puisse  se  désaffec- 
tionner  momentanément  du  Saint-Siège  pour  un  sim[ile  incident 
où  rien  ne  justifierait  un  ressentiment  quelconque.  En  le  faisant 
elle  tomberait  dans  le  piège  que  lui  tendent  ses  ennemis. 
Ombrageuse,  rendue  susceptible  par  tout  l'ensemble  du  la  poli- 
tique générale  en  Europe,  elle  doit  savoir  résister,  en  face 
de?  efforts  que  font  ses  adversaires  pour  la  brouiller  défini- 
tivement avec  le  Saint-Siège  et  lui  ravir  ainsi  toutes  les 
causes  de  son  relèvement,  de  sa  régénération,  de  son  retour 
aux  glorieuses  traditions  du  passé.  La  vue  juste  et  impar- 
tiale des  choses  lui  fera  seule  conjurer  ce  danger.  Pas  de 
passion,  mais  une  appréciation  calme  et  sereine  de  l'ensemble 
des  faits- 

Cerles,  ce  n'est  pas  la  France  catholique  qui  peut  assister, 
jalouse  et  irritée,  au  développement  plus  large  du  catholicisme 
dans  l'Extrême-Oriônt,  car,  en  entrant  en  relations  directes 
avec  la  Chin.e,  Léon  XIII  fait  acte  d'apôtre  à  la  fois  et  d'homme 
nolitique  :  il  prépare  un  avenir  plus  fécond  aux  missions  et  à  la 
civilisation  chrétienne. 

[Monitew^  de  Rome.) 


452  ANNALES    CATHOLIQUES 

LE  CARDINAL  PIE 

ET    LA    SÉCULARISATION 

Plusieurs  lettres  épiscopales  adressées  à  Mgr  Baunard 
ont  indiqué,  en  termes  pleins  d'enthousiasme,  la  haute 
valeur  du  livre  où  il  a  raconté  la  vie  du  grand  évêque  de 
Poitiers  (1).  h' Univers  vient  de  consacrer  à  ce  même  livre 
une  série  d'articles  dus  à  la  plume  du  R.  P.  Delaporte. 
Nous  croyons  devoir  reproduire  le  dernier  de  ces  articles, 
qui  présente  un  vif  intérêt.  Les  pages  dans  lesquelles 
Mgr  Baunard  montre  comment  l'évêque  de  Poitiers  com- 
prenait le  relèvement  et  le  progrès  de  la  société  temporelle 
elle-même  sont,  croyons-nous,  les  plus  instructives  d'un 
livre  si  fécond  en  enseignements, 

Mgr  Pie  était  convaincu  que  la  sécularisation,  c'est-à-dire 
l'exclosion  de  l'influence  de  la  religion,  ne  peut  aboutir  qu'aux 
plus  effroyables  ruines.  Il  le  disait  et  le  démontrait  en  toute 
occurrence  :  «  D'un  bout  à  l'autre  de  sa  carrière  d'évêque,  il 
n'eut  qu'une  pensée  :  faire  rentrer  l'Eglise  dans  la  société.  » 
—  Notre  siècle,  disait-il  aux  membres  de  la  Société  de  Saint- 
Vincent  de  Paul  de  Poitiers,  est  celui  des  transactions;  on 
tend  à  amalgamer  le  bien  et  le  mal,  le  vice  et  la  vertu,  la  foi 
et  l'incrédulité.  C'est  pourquoi  je  vous  dirai  avec  l'Apôtre  : 
«  Ne  vous  assimilez  point  au  monde;  assimilez  le  monde  à 
vous.  Voilà  votre  mission  ;  mais  commencez  par  vous  assimiler 
à  vous-mêmes  la  vérité  pleine.  » 

Observateur  sagace,  il  s'était  rendu  compte  de  l'action  pré- 
pondérante de  la  bourgeoisie  en  notre  siècle;  il  la  gourman- 
dait  sans  détour,  et  avec  quelque  vivacité,  mais  en  père,  et  ses 
enseignements  produisirent  souvent  parmi  ses  auditeurs  les  plus 
heureux  fruits.  Il  fallait  refaire  en  France  une  opinion  chré- 
tienne. L'évêque  de  Poitiers  en  voyait  à  la  fois  la  nécessité  et 
les  difficultés. 

L'État-Dieu,  disait-il  à  la  veille  du  coup  d'État  de  1851,  est  plus 
que  jamais  en  plein  triomphe  dans  la  Chambre.  Dieu  donnera  son 
vole,  à  sa  façon,   par  quelque  coup   de  tonnerre.  Le  conserva- 

(i)  Deux  vol.  in-S".  Paris,  Oudin. 


LE    CARDINAL    PIE  453 

torisme  est  inconverlissable;  il  ne  veut  pas  être  sauve,  il  ne  le 
sera  pas. 

Et  il  ajoutait  tristement  : 

La  prudence  est  partout,  et  bientôt  le  courage  ne  sera  plus 
nulle  part.  Nous  périrons  de  sagesse,  vous  verrez.  Nos  devanciers 
n'étaient  pas  si  tranquillistes. 

Le  grand  évêque  n'a-t-il  pas  vu  trop  juste?  Aujourd'hui  que 
les  attentats  les  plus  liideux  se  sont  succédé  sans  relâche,  en 
un  temps  où  la  persécution  religieui^e  s'étale  en  plein  soleil, 
devant  la  papauté  captive,  les  crucifix  brisés,  les  prêtres  ré- 
duits à  la  misère,  l'enfance  jetée  aux  seutines  d'athéisme,  les 
masses  ouvrières  embrigadées  par  l'anarchie,  ne  vovons-nous 
pas  des  milliers  et  des  milliers  de  conservateurs  supporter  tout 
ce  qui  ne  les  atteint  pas  en  plein  visage,  ou  du  moins  en  pleine 
caisse,  avec  une  tranquillité  dont  rien  ne  les  peut  faire  sortir? 
Il  faut  être  de  son  temps  ;  ce  temps-ci  ne  veut  plus  de  la  reli- 
gion; alors  sachons  nous  résoudre  à  vivre  sans  elle!,.. 

Revenons  à  l'évêque  de  Poitiers.  Mgr  Sibour,  dans  les  plus 
louables  intentions,  avait  donné  un  mandement  sur  «  Vinier- 
vention  du  clergé  dans  la  politique  •».  L'archevêque  plaçait  le 
devoir,  pour  le  clergé,  dans  l'abstention  de  toute  participation 
aux  choses  politiques,  avec  lesquelles  la  religion  n'avait  rien 
de  commun  :  telle  était  sa  thèse  et  sa  conclusion.  Mgr  Pie  crut 
nécessaire  de  rectifier  dans  son  mandement  de  carême  (1851) 
ce  qu'il  y  avait  d'excessif  dans  ce  langage.  Il  le  fit  discrète- 
ment et  prudemment,  en  opposant  à  la  variabilité  du  fait  en 
politique  l'inflexibilité  du  droit. 

L'Eglise,  y  disait-il,  n'est  pas  une  de  ces  puissances  capri- 
cieuses qui  apportent  ou  qui  retirent  à  leur  gré  à  une  cause  quel- 
conque un  appoint  plus  ou  moins  décisif.  Il  ne  lui  est  pas  loisible 
de  se  gouverner  d'après  ses  affections  ou  ses  répugnances,  ni 
même  d'après  les  règles  de  la  prudence  humaine  et  la  prévision 
des  chances  de  l'avenir.  Elle  est  invariablement  tenue  de  pourvoir 
partout  et  toujours  à  l'observation  de  la  loi  divine,  et  la  loi  divine 
entend  protéger  tous  nos  droits.  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'il  faut 
se  placer  pour  apprécier  nos  actes  ;  et  le  dogme  commode  de  la 
neutralité  politique  ne  saurait  avoir  ici  son  application. 

Mgr  l'évêque  de  Poitiers  allait  se  voir  amené  à  traiter  plus 
directement  la  question.  Le  vieil  évêque  de  Chartres  avait  fait 
du  mandement  de  Paris  une  réfutation  publique  qui,  dans  la 


454  ANNALES    CATHOLIQUES 

forme,  pouvait  laisser  à  désirer.  Mgr  Sibour,  par  une  ordon- 
nance que  publièrent  les  journaux,  avait  à  son  tour  assigné 
Mgr  Clauzel  à  répondre  de  sa  lettre  pastorale  devant  le  concile 
provincial,  qui  devait  se  tenir  à  Paris. 

Mgr  Pie  avait  compris  immédiatement  que  la  cause  était 
grave,  et  que  c'était  au  Saint  Siège  qu'il  appartenait  de  fixer  les 
principes.  Il  ne  s'agissait  de  rien  moins,  comme  le  faisait 
observer  judicieusement  Donoso  Cortès,  que  de  décider  la  con- 
duite à  observer  par  le  clergé  catholique  au  milieu  des  boule- 
versements du  monde. 

Le  mémoire  de  l'évêque  de  Poitiers  sur  cet  important  sujet 
est  un  chef-d'œuvre  de  logique  sur  le  point  de  fond  et  de  ten- 
dresse filiale  sur  la  question  de  la  forme  assez  âpre  du  mande- 
ment de  Chartres.  A  défaut  de  la  prudence,  qui  avait  laissé  à 
désirer,  Mgr  Pie  relève  la  franchise  du  vieillard;  il  le  montre 
allant  droit  et  visière  levée  à  son  adversaire  :  «  Le  vieil  Eléazar, 
dit-il,  eût  rougi  de  déshonorer  ses  cheveux  blancs  par  une 
feinte.  »  Enfin,  dit  Mgr  Baunard,  il  fait  de  lui  ce  portrait,  tracé 
de  main  de  fils  :  «  Je  suis  l'enfant  et  le  disciple  afî'ectionné  du 
vénérable  évéque  de  Chartres...  Je  puis  le  dire  avec  un  orgueil 
filial  :  c'est  l'âme  la  plus  haute,  c'est  la  foi  la  plus  vive,  c'est  le 
courage  le  plus  apostolique  que  le  Ciel  ait  suscité  parmi  nous  en 
ce  siècle.  11  a  commencé  la  lutte  contre  le  pouvoir  lorsque  le 
pouvoir  était  représenté  par  un  prince  qui  avait  toutes  ses 
afi'ections.  » 

Pie  IX  rétablit  la  paix  sans  se  prononcer  solennellement  sur 
la  question,  ce  qui,  à  cette  heure,  eût  présenté  de  très  graves 
inconvénients.  On  devait  trouver  plus  tard  une  règle  conforme 
à  la  pensée  de  l'évêque  de  Poitiers  dans  divers  enseignements 
pontificaux,  notamment  dans  la  lettro  de  Léon  XIII  au  cardinal 
Guibert  (20  octobre  1885),  que  l'historien  reproduit  à  cette  page 
de  son  ouvrage  (I,  p.  250). 

Le  coup  d'Etat  du  2  décembre  fut  accueilli  par  l'évêque  de 
Poitiers  avec  une  juste  défiance.  Un  coup  d'État  de  Dieu  pour 
établir  le  règne  de  son  Fils  dans  les  âmes,  voilà  ce  qu'il  deman- 
dait dans  son  cœur.  «  Je  m'abstiendrai,  écrivait-il;  mais  la 
masse  du  clergé  dira  ouï,  par  haine  des  trois  ou  quatre  brigands 
qui,  dans  chaque  paroisse,  portaient  la  terreur  depuis  quinze 
mois.  » 

L'attitule  de  l'évêque  de  Poitiers  en  face  de  Napoléon  III  est 
bien  connus.  Il  lui  fit  entendre  aux  jours  de  la  prospérité,  de 


LE    CARDINAL    l'IE  455 

sévères  avertissements;  il  refusa  de  se  joindre  à  ceux  qui  l'ou- 
tragrèrent  après  sa  défaite.  Mgr  Baunard  raconte  ces  choses 
avec  un  eachaîiieinent  et  une  clarté  qui  les  font  paraître 
neuves;  mais  le  point  tout  particulièrement  intéressant  de  son 
récit  est  celui  où  il  montre  l'évèque  de  Poitiers,  qui  avait  ren- 
contré à  Rome  M.  de  Vanssay,  au  printemps  de  1873,  esquissant 
d'une  main  ferme  le  programme  de  la  royauté  chrétienne. 

In  virtuti  tua,  Deus,  lœtabitur  rex,  et  in  salutari  tuo  exultabit 
vehementer.  Le  roi  trouvant  sa  force  dans  le  libre  déploiement  de  la 
force  divine,  dans  le  libre  exercice  des  droits  supérieurs  de  Dieu;  le 
roi  tressaillant  avec  ardeur  quand  l'œuvre  du  salut  s'accomplit  par 
le  Christ  dans  ses  Etats  :  c'est  là  le  type  de  la  vraie  royauté,  de  la 
royauté  chrétienne.  Pour  être  délaissé,  honni,  rejeté,  ce  programme 
n'en  reste  pas  moins  le  programme  de  tout  pouvoir  régulier  au  sein 
des  nations  catholiques...  Ce  n'est  point  au  point  do  vue  de  l'intérêt 
que  le  prince  chrétien  doit  se  placer  :  l'intérêt  est  plein  d'obscurité, 
en  des  temps  comme  ceux-ci  surtout.  Mais  qu'il  agisse  en  vue  d'un 
devoir,  qu'il  agisse  avec  constance,  avec  force.  S'il  y  a  péril  pour  lui 
de  succomber  à  la  tâche  et  de  périr  à  l'œuvre,  tomber  pour  tomber, 
ne  vaut-il  pas  mieux  tomber  martyr  du  devoir?  C'est  tomber  alors 
comme  l'arbre  qui  a  donné  son  fruit,  qui  laisse  sa  graine,  c'est-à-dire 
la  semence  de  sa  multiplication. 

Virile  et  opportune  leçon,  que  d'autres  que  les  rois  doivent 
entendre  et  recueillir!  L'évèque  écrivait  en  un  autre  endroit 
ces  paroles  d'énergique  et  confiant  espoir  : 

Non,  je  n'accepterai  jamais  pour  la  France  la  nécessite  absolue  et 
définitive  de  ce  qu'on  appelle  Yhypothèse,  en  haine  de  la  thèse  chré- 
tienne. J'estime  trop  mon  pays,  j'ai  trop  haute  idée  de  sa  prédestina- 
tion divine,  je  connais  trop  sa  facilité  à  revenir  au  bien  après  qu'il 
est  irrémédiablement  assis  dans  le  mensonge.  Non,  la  France  n'est 
point  apostate  à  toujours. 

M.  de  Vanssay  avait  demandé  au  prélat  un  exposé  sommaire 
des  principes  fondamentaux  d'un  gouvernement  chrétien.  Nous 
n'avons,  dit  Mgr  Baunard,  que  le  premier  jet  et  les  linéaments 
principaux  de  ce  travail,  mais  ils  suffisent  à  montrer  en  quelle 
sage  mesure  l'idéal  et  le  possible,  les  principes  et  la  pratique  se 
combinent  harmonieusement  dans  la  pensée  de  l'homme  de 
l'Eglise  appelé,  durant  une  heure,  au  rôle  de  conseiller  du 
trône  et  d'homme  d'Etat.  (II,  491.) 

Même  après  les  lumineux  enseignements  de  Léon  XHI  sur  la 
constiliUion  chrétienne  des  sociétés,  ces  fragments  sont  du  plus 
haut  intérêt,  soit  parce  qu'ils  visent  plus  particulièrement  la 


456  ANNALES   CATHOLIQUES 

France,  soit  parce  qu'ils  montrent  que  le  Vicaire  de  Jésus-Christ 
n'a  rien  innové  et  n'a  fait  que  reproduire,  comme  l'évêque  de 
Poitiers,  mais  avec  une  autorité  plus  haute,  la  tradition  catho- 
lique sur  les  devoirs  de  ceux  qui,  dans  l'ordre  politique,  sont  les 
délégués  de  Dieu  et  les  dépositaires  de  son  autorité  souveraine. 
Mgr  Pie  repousse  d'abord,  au  nom  de  l'Eglise  et  de  l'histoire, 
toute  idée  d'absolutisme  :  la  royauté  chrétienne,  particulière- 
ment la  royauté  française,  n'a  jamais  été  une  royauté  arbitraire 
ni  même  absolue.  Elle  avait  un  tempérament  primitif  dans 
l'existence  des  divers  ordres  du  royaume,  dans  les  assemblées 
provinciales,  les  Etats  généraux,  les  parlements,  les  libertés  et 
coutumes  locales,  dans  l'Église  constituée,  dans  les  lois,  les  ins- 
titutions, et  plus  encore  dans  les  mœurs  chrétiennes Après 

que  la  Révolution,  qui  voulait  détruire  le  despotisme,  eut  brisé, 
au  contraire,  presque  toutes  les  digues  du  despotisme,  la  maison 
de  Bourbon,  rendue  à  la  France,  a  apporté  avec  elle  une  forme 
nouvelle  de  tempérament  à  l'exercice  de  l'autorité  royale.  Dans 
la  monarchie  ainsi  reconstituée,  le  souverain  exerce  l'autorité 
avec  le  concours  de  deux  Chambres,  dont  l'une  est  nommée  par 
lui  dans  des  catégories  déterminées,  et  dont  l'autre  est  nommée 
par  la  nation,  selon  le  mode  de  suil'rage  réglé  par  la  loi. 

L'évêque  accepte  le  fait  de  la  monarchie  constitutionnelle, 
en  écartant  habilement  des  contestations  de  mots  oiseuses  et 
irritantes. 

«  L'ordre,    dit-il   un   peu    plus  loin,    c'est   que  la  force   soit  au 

service  du  droit Ce  qu'il  faut  au  monde,  c'est  le  poi  te-glaive,  le 

grand  justicier,  comme  on  disait  de  saint  Louis.  Cet  homme  si  doux 
avait  pour  recommandation  :  Bonne  et  raide  justice.  La  parole,  si 
peu  justifiée  ensuite,  de  Napoléon  III,  a  fait  toute  sa  fortune  :  «  Il 
est  temps  que  les  bons  se  rassurent  et  que  les  méchants  tremblent.  » 

Il  conciliait  ainsi  le  droit  du  catholicisme  avec  la  tolérance 
qui  ne  peut  être  refusée,  dans  les  sociétés  actuelles,  aux  cultes 
dissidents  : 

La  religion  catholique,  qui  est  pour  les  Français  la  religion  de 
quatorze  siècles  dans  le  passé  et  de  trente-cinq  millions  de  citoyens 
sur  trente-six  dans  le  présent,  est  la  religion  du  pays  et  de  ses 
institutions. 

Les  citoyens  qui  professent  les  autres  cultes  jouissent  de  toutes 
les  garanties  assurées  par  la  loi. 

C'était  la  note  juste. 

Le  comte  de  Chambord  goiita  les  pensées  de  Mgr  Pie  et  1^ 


CONFIDENCES   DE    LAMENNAIS  457 

remercia  chaleureusement  des  conseils  qu'il  avait  donnés.  On 
sait  comment  la  monarchie  chrétienne  ne  se  fit  pas. 

Il  n'a  pas  vu,  hélas!  la  victoire  des  vérités  qu'il  a,  dans  ses 
discours  et  ses  écrits,  si  merveilleusement  exposées  et  vengées. 
Mais  l'on  peut  dire  qu'il  a,  entre  tous,  assuré  leur  futur 
triomphe,  en  leur  donnant  un  tel  éclat  qu'elles  ont  conquis  les 
esprits  supérieurs  qui  ont  médité  ses  enseignements,  et  formé 
un  groupe  de  catholiques  tels  qu'il  les  avait  passionnément 
souhaités,  assez  soumis  de  cœur  au  magistère  romain  et  assez 
appliqués  à  l'étude  approfondie  des  enseignements  de  l'Eglise 
pour  mettre  désormais  la  vérité  intégrale  au-dessus  de  tout 
courant  d'erreur  dans  notre  pays. 


CONFIDENCES  DE  LAMENNAIS  (1). 

Il  existe  un  Lamennais,  pour  ainsi  dire,  officiel  —  le  La- 
mennais de  tout  le  monde,  —  et  celui-là,  il  faut  bien  l'avouer, 
est  le  contraire  d'un  homme  aimable.  Sombre,  sinistre,  fielleux, 
atrabilaire,  mécontent  d'autrui  parce  qu'il  est  surtout  mécon- 
tent de  lui-même,  on  se  demande  à  quelle  phase  de  sa  vie  on 
devrait  le  prendre  pour  entrevoir  un  sourire  d'approbation  sur 
ses  lèvres  contractées  par  une  douloureuse  ironie.  Sous  la  Res- 
tauration, qui  devait  être  son  gouvernement  de  prédilection, 
il  est  déjà  aussi  agité,  aussi  grincheux,  aussi  irascible,  que  si 
Messeigneurs  de  Frayssinous  et  de  Quélen  le  blessaient  dans  ses 
convictions  les  plus  chères. 

La  colère  est  son  état  chronique.  Il  se  plaint  —  et  ses  plaintes 
sont  des  invectives,  qu'on  n'en  finisse  pas  avec  le  gallicanisme, 
qu'on  prenne  au  sérieux  le  Concordat,  qu'on  épargne  de  vieux 
évêques,  échappés  à  la  Révolution  et  à  l'Empire.  C'est  un  indé- 
pendant avant  d'être  un  révolté  ;  un  irrégulier  avant  d'être  un 
déserteur.  La  discipline  lui  pèse,  alors  même  qu'elle  favorise 
les  croyances  dont  il  s'est  fait  le  champion.  Il  inquiète  ceux  qui 
l'admirent;  il  épouvante  ceux  qu'il  sert.  Son  orgueil  est  si 
gigantesque,  qu'il  étoufl'e  son  ambition.  Toutes  les  dignités  de 

(1)  Lettres  inédites  de  1821  à  1848,  publiées  avec  une  latroductioa 
et  des  notes,  par  Arthur  du  Bois  de  la  Villerabel.  —  (Nantes, 
Emile  Grimaud.  —  Paris.  Perrin  et  C'<=). 


458  ANNALES   CATHOLIQUES 

l'Église,  toutes  les  richesses  da  ce  monde  sont  au-deçsous  de 
son  rêve.  Volontiers,  il  dirait  :  «  Pape  ne  puis,  évèque  ne  daigne, 
Lamennais  je  suis.  »  Volontiers,  il  s'enfermerait  dans  une  man- 
sarde,, il  vivrait  de  pain  sec  et  d'eau  claire,  s'il  pouvait,  du 
fond  de  sa  retraite,  lancer  des  ukases  h  la  société  chrétienne, 
régenter  las  consciences,  dominer  i'épiscopat  et  le  clergé,  ré- 
gner parallèlement  au  Souverain-Pontifa,  dicter  des  lois  à 
l'Église  au  lieu  d'accomplir  les  siennes,  créer  au  besoin  un  nou- 
veau christianisme,  où  se  combineraient  t:int  bien  que  mal  la 
pauvreté  évangélique,  la  simplicité  apostolique,  la  foi  des  pre- 
miers siècles,  le  pouvoir  d'un  seul,  et  l'autorité  suprême,  l'om- 
nipotence démocratique  du  suffrage  universel,  appliqué  aux 
vérités  religieuses.. 

Regardez  le  portrait  de  Lamennais,  peint  par  Paulin  Guérin, 
au  plus  beau  moment  de  cette  orageuse  carrière,  lorsque 
l'illustre  auteur  de  V Essai  sur  Vindiffifrence  est  encore  l'oracle 
des  catholiques  et  des  royalistes,  le  collaborateur  de  Mld.  de 
Chcâteaubriand  et  de  Bonald  au  Conservateur,  le  rédacteur  du 
Drapeau  blanc,  l'honneur  tt  l'espoir  de  la  littérature  chré- 
tienne. Il  supplée  à  la  sécurité  par  le  prestige;  son  génie  tran- 
quillise ceux  que  son  caractère  effraye.  Ils  sont  trop  fiers  de 
lui  pour  ne  pas  lui  passer  ses  âpretés,  ses  inégalités  et  ses 
boutades.  Pourtant,  regardez  bien.  Est-ce  le  feu  du  Ciel  ou  le 
feu  de  l'Enfer  qui  brûle  ou  qui  couve  sous  cette  arcade  sourci- 
lière,  si  profondément  enfoncée?  Ce  teint  jaune,  presque  livide, 
doit-on  l'expliquer  par  les  mortifications,  les  jeûnes  et  les 
veilles,  ou  par  la  fermentation  incessante  d'une  pensée  solli- 
citée par  l'erreur,  par  le  mensonge,  par  Yau-delà,  du  vrai  et 
du  divin?  Hélas!  la  Bible  nous  apprend  que  les  deux  feux 
peuvent  se  confondre,  et  la  suite  des  événements  nous  rappelle 
que  déjà  le  sectaire  perçait  sous  le  masque  du  prêtre.  Cette 
religion  qui  vit  d'obéissance,  il  voulait  que  dans  ses  mains  elle 
devint  à  la  fois  un  élément  d'indépendince  et  un  instrument  de 
domination.  Il  commençait  comme  TertuUien  a  fini. 

Que  serait-ce,  si  je  parlais  du  Lamennais  après  la  chute, 
—  le  seul  qu'il  m'ait  été  donné  de  voir  de  près  et  de  connaître? 
le  Lamennais  surtout  des  dernières  années?...  Ah!  il  ne 
donnait  pas  envie  de  le  suivre  à  travers  les  sentiers  du  schisme 
et  de  l'hérésie  !  Il  n'avait  ni  la  sérénité  doucereuse  de  M.  Ernest 
Renan,  ni  l'aplomb  hâbleur  du  Père  Hyacinthe.  Jamais  prêtre 
apostat  ne  garda  plus  profondément  l'empreinte  de  cette  estam- 


CONFIDENCES   DE   LAMENNAIS  459 

pille  terrible,  indélébile,  qui  fait  les  réprouvés  quand  elle  ne 
fait  pas  les  élus.  Jamais  hostalî^ie  sacerdotale  ne  fut  plus 
étroitement  unie  à  la  négation  radicale  de  tout  ce  qui  constitue, 
consacre,  divinise  le  sacerdoce. 

Ce  caractère  ineffaçable  dont  il  avait  essayé  de  s'affranchir, 
il  le  portait  incrusté  sur  son  pâle  visage.  Cette  soutane  dont  il 
s'était  dépouillé,  on  eût  dit  qu'elle  s'était  collée  à  sa  peau 
comme  la  robe  de  Nessus.  Oreste  avait  tué  sa  mère  ;  lui 
n'avait  pu  qu'affliger  la  sienne,  qui  ne  peut  pas  mourir  ;  et 
cependant,  il  semblait,  comme  Oreste,  poursuivi  par  des  furies 
invisibles.  Quels  que  fussent  les  éminents  services  qu'il 
aurait  pu  rendre  à  la  religion,  s'il  était  resté  fidèle,  quelle  que 
fût  l'éloquence,  la  beauté  des  pages  qu'il  aurait  écrites,  je  ne 
sais  vraiment  si  sa  physionomie,  son  attitude,  le  rapide  déclin 
de  son  génie  à  dater  de  sa  rupture  avec  Rome,  ne  furent  pas 
des  preuves  encore  plus  frappantes  de  la  vérité  de  ces  dogmes, 
de  ces  mystères  qu'il  démontrait  en  les  récusant.  Ses  silences 
parlaient;  ses  ténèbres  disaient  où  il  avait  laissé  la  lumière. 
Son  abattement  enseignait  à  quelles  conditions  un  ministre  du 
Seigneur  peut  marcher  tète  haute,  et  regarder  en  face  les 
ennemis  de  son  Dieu.  Cette  image  de  l'amputé  qui  souffre  en- 
core dans  le  membre  qu'il  n'a  plus  recevait  ici  son  application 
exacte.  Lamennais  avait  mal  à  la  religion  qu'il  n'avait  plus. 

Eh  !  bien,  ce  désespéré,  ce  damné  dantesque,  dont  je  n'ai 
aperçu  que  le  spectre,  et  à  qui  on  ne  peut  songer  sans  frisson, 
deux  sortes  d'avocats  plaident  pour  lui  des  circonstances  atté- 
nuantes ;  l'immensité  de  son  malheur,  et  la  persistance  de 
sympathies  que  lui  ont  gardées  quelques  catholiques  restés 
fidèles  tout  ensemble  aux  préceptes  de  l'Église  et  aux  souvenirs 
de  la  Chênaie. 

L'intéressante  publication  de  M.  Arthur  du  Bois  de  la  Ville- 
rabel,  a  cela  d'excellent  qu'elle  remet  en  lurûiére  les  deux 
Lamennais,  le  Lamennais  aussi  malheureux  qu'un  coupable 
peut  l'être  en  ce  monde,  et  le  Lamennais  des  années  heureuses, 
où  il  s'appelait  l'abbé  Fëli,  et  où  des  intelligences  élevées, 
pures,  pieuses,  sincères,  originales,  exquises,  l'acceptaient  à  la 
fois  comme  un  maître  et  un  apôtre,  comme  un  supérieur  et  un 
charmeur. 

Il  avait  donc  du  charme,  ce  petit  vieillard  ridé  et  ratatiné, 
que  je  voyais,  en  montant  ma  garde  aux  portes  du  Palais-Bour- 
bon, sortant  de  la  Chambre  comme  un  condamné  à  mort  sorti- 


460  ANNALES   CATHOLIQUES 

rait  de  la  Cour  d'assises  !  Il  avait  eu  de  l'éloquence,  ce  convive 
taciturne  qui,  au  sortir  de  table  où  il  n'avait  rien  dit,  se  hâtait 
de  demander  l'échiquier  ou  le  trictrac,  pour  se  dispenser  de  rien 
dire!  Il  avait  eu  le  secret  des  cœurs,  des  consciences  et  des 
âmes,  ce  misanthrope,  ce  Schopenhauer  antidaté,  qui  semblait 
toujours  nous  dire  :  «  Ne  me  demandez  pas  ce  dont  je  me  sou- 
viens, ce  que  je  pense,  ce  que  je  crois,  ce  que  j'aime;  mes 
pensées  sont  des  supplices,  mes  tendresses  sont  des  martyres, 
mes  doutes  sont  des  bourreaux,  mes  souvenirs  sont  des  fan- 
tômes !  »  Il  faut  bien  se  rendre  à  l'évidence. 

L'homme  qui  groupait  autour  de  lui,  par  une  irrésistible 
magie,  les  esprits  les  plus  éminents  et  les  plus  variés,  Monta- 
lembert  et  Lacordaire,  Gerbet  et  de  Ceux,  Maurice  de  Guérin 
et  Emmanuel  d'Alzon,  La  Gournerie  et  Carné,  Salinis  et 
Cazalés,  Champagnv  et  d'Ortigue,  Liszt  et  Cabat,  Turquettj 
et  Jehan  Duseigneur,  l'homme  dont  la  clientèle  alla  un  moment 
de  Lamartine  à  Victor  Hugo,  et  dont  les  disciples  ne  connurent 
pas  de  plus  grande  douleur  que  d'avoir  un  jour  à  choisir  entre 
leur  Credo  et  son  amitié,  cet  homme  avait  évidemment  reçu 
du  Ciel,  non  seulement  le  génie  de  l'écrivain,  qu'exacerba, 
envenima  et  finalement  atrophia  son  apostasie,  mais  ce  don, 
ce  don  mystérieux,  indéfinissable,  magnétique,  réservé  à  un 
bien  petit  nombre,  la  faculté  d'attirer  à  soi  un  groupe  d'élite, 
comme  l'aimant  attire  le  fer,  comme  le  tribun  attire  les  mul- 
titudes. 

Ces  Confidences  inédites  sont  les  lettres  adressées  à  un 
voisin,  à  un  ami,  M.  Marion,  une  de  ces  belles  âmes  qui  ne  se 
reprennent  plus  après  s'être  données,  M.  de  la  Villerabel  nous 
apprend  à  aimer  cet  homme  de  bien,  de  la  forte  race  malouine, 
qui  aurait  pu,  sous  la  Restauration,  grâce  à  MM.  de  Chateau- 
briand et  de  Lamennais,  venir  à  Paris,  occuper  un  poste  impor- 
tant, avoir  sa  part  de  crédit  et  de  célébrité,  mais  aima  mieux 
être  plus  utile  que  puissant,  ne  consentit  jamais  à  quitter  sa 
terre  de  Mordreuc,  voisine  de  la  Chênaie,  et  préféra  les 
humbles  fonctions  de  marguillier  de  sa  paroisse  à  celles  de 
conseiller  d'État.  Il  y  a  quelque  chose  de  touchant  dans  cette 
fraternité  de  deux  intelligences  inégales,  mais  dignes  de  s'ap- 
précier et  de  se  comprendre,  dont  l'une,  la  moins  douée,  reste 
droite  et  pure,  tandis  que  l'autre  s'aveugle  et  s'égare. 

C'est  la  fable  des  Deux  pigeons,  avec  cette  différence  que  l'un 
des  deux  pigeons  est  un  aigle.  Nous  n'avons  pas  les  lettres  de 


CONFIDENCES    DE    LAMENNAIS  461 

M.  Marion  à  son  illustre  et  malheureux  ami.  Mais  on  peut  sup- 
poser que,  après  la  rupture,  à  dater  de  1834,  il  ne  toucha  qu'avec 
une  extrême  délicatesse  et  une  discrétion  infinie  à  la  plaie  sai- 
gnante, d'autant  plus  réfractaire  à  tout  contact  qu'elle  était 
plus  douloureuse  et  plus  vive.  Il  avait  assez  étudié  le  caractère 
de  Lamennais,  susceptible  et  irritable,  doublé  d'entêtement  et 
d'orgueil,  pour  être  sûr,  premièrement,  que  l'intime  blessure 
parlait  plus  haut  que  toutes  les  remontrances  ;  secondement, 
que  les  plus  beaux  sermons  n'aboutiraient  qu'à  enfoncer  plus 
avant  le  coupable  dans  sa  faute,  le  rebelle  dans  sa  révolte,  le 
sectaire  dans  son  schisme. 

Aussi  me  permettrai-je  de  chicaner  M,  de  la  Villerabel  sur 
ce  mot  :  «  Confidences.  »  —  Un  grand  poète  a  appelé  la  con- 
fession une  confidence  divinisée.  C'est  que  le  pénitent  ou  la 
pénitente  ne  cache  rien  ou  ne  doit  rien  cacher  à  son  confident 
sacré.  Humainement,  la  confidence,  c'est  la  confiance  absolue, 
qui  parle  ou  qui  écrit.-  Le  mot  a  un  sens  d'expansion,  qui 
n'admet  ni  dissimulation,  ni  prétention,  ni  réticence. 

Une  âme  qui  s'épanche  tout  entière  dans  une  autre  âme,  dans 
une  âme-sœur,  —  soeur  de  charité,  —  voilà  la  confidence.  Ici 
je  vois  bien  la  sœur  de  charité  ;  il  n'en  est  pas  de  plus  attentive, 
de  plus  douce,  de  plus  dévouée.  Mais  le  malade  ne  l'emploie  que 
pour  causer  avec  elle  de  sujets  étrangers  à  son  mal.  Les  allu- 
sions sont  si  vagues,  si  lointaines,  qu'il  faut  deviner  ce  que  n'écri- 
vent ni  M.  Marion,  ni  M.  de  Lamennais.  Une  amicale  prière  du 
catholique,  resté  en  Bretagne,  conjurant  Lamennais  de  ne  pas 
renoncer  à  revenir  à  la  Chênaie,  signifie  que  ce  retour  tant 
désiré  au  milieu  de  ses  fidèles  Bretons  impliquerait  nécessaire- 
ment une  réconciliation  du  rebelle  avec  l'Église  et  avec  lui- 
même.  Lamennais,  demandant  grâce  pour  ses  vieux  arbres, 
exprimant  ses  regrets  de  ne  pouvoir  rentrer  au  bercail,  évo- 
quant, en  quelques  lignes  d'une  mélancolie  et  d'une  poésie 
incomparables,  les  images  de  ce  coin  de  terre,  inséparable  de 
la  foi  perdue ,  c'est  l'exilé  volontaire,  qui  ne  dit  pas,  mais  qui 
laisse  entendre  qu'il  n'a  pas  eu,  depuis  cet  exil,  une  heure  de 
repos,  un  jour  de  bonheur;  que  sa  rupture  avec  l'Eglise  n'a  pas 
été  pour  lui  une  délivrance,  mais  un  déchirement. 

A.  DE  PONTMARTIN  (1). 
(1)  Gazette  de  France. 


462  ANNALES    CATHOLIQUES 


LES  ETUDES  A  ROME 

Le  touriste  qui  visite  l'Italie,  écrivait-on  récemment  au 
Courrier  de  Genève,  cherche  et  voit  le  passé  beaucoup  plus 
que  le  présent.  Les  souvenirs  de  l'antiquité  chrétienne  et  de 
l'empire  romain  l'attirent  tout  d'abord.  S'il  aime  à  se  livrer  aux 
douces  impressions  religieuses  dans  ces  augustes  sanctuaires 
qui  racontent  comme  d'une  voix  vivante  les  origines  aposto- 
liques et  la  sainteté  de  l'Église,  il  n'est  pas  moins  vivement 
frappé  du  spectacle  de  ces  grandioses  ruines  de  la  civilisation 
païenne,  partout  mêlées  aux  monuments  chrétiens. 

La  science  moderne  professe  une  espèce  de  culte  pour  tout 
ce  qui  porte  l'empreinte  de  la  main  des  anciens  Romains  :  on 
recueille  les  œuvres  d'art  dans  les  musées,  sans  en  négliger 
les  moindres  fragments  ;  on  recherche  et  l'on  conserve  avec  soin 
les  vestiges  des  temples,  des  amphithéâtres,  des  thermes,  de 
toute  construction  qui  peut  attester  un  des  caractères  de  ia  vie 
publique  ou  de  la  vie  privée  de  cette  société  disparue  :  un  pan 
de  muraille,  un  carré  de  pavé,  tout  fixe  l'attention  et  mérite 
le  respect,  dès  qu'on  peut  y  attacher  le  nom  de  ruine  romaine. 
Le  voyageur  est  acheminé  à  travers  tous  ces  débris  pour  ainsi 
dire  par  des  chemins  battus.  Les  Guides  ont  tracé  d'avance  la 
route,  une  route  do  convention  qui  est  comme  le  train  express 
des  régions  de  l'art,  et  souvent  ne  laisse  pas  plus  admirer  le 
véritable  aspect  des  choses  d'art  que  le  train  des  chemins  de 
fer  ne  laisse  voir  la  beauté  des  paysages  qu'il  traverse.  Néan- 
moins il  est  peu  de  touristes  qui  s'écartent  de  la  route  de  leur 
Guide.  C'est  pourquoi  ils  ne  voient  que  la  Rome  des  galeries 
et  des  musées,  la  Rome  du  Colisée  et  du  Forum,  une  Rome 
morte.  La  Rome  actuelle,  vivante,  ce  que  l'on  pourrait  appeler 
l'àme  de  la  Rome  catholique,  leur  reste  complètement  inconnue. 
Autrefois,  ils  avaient  au  moins  les  cérémonies  pontificales  de 
la  semaine  sainte,  qui  réunissaient  de  si  grandes  foules  à  Saint- 
Pierre;  aujourd'hui  que  le  Pape  est  prisonnier,  que  le  Temple 
saint  est  désolé,  les  étrangers  et  les  Romains  eux-mêmes  ne 
peuvent  plus  voir  le  Pape,  ni  recevoir  cette  solennelle  béné- 
diction qui  prosternait  cent  mille  personnes  sur  la  place  de 
Saint-Pierre,  et  laissait  des  souvenirs  à  jamais  inefi'aoables. 
Rome  est  une  cité  découronnée.  Et  si  l'on  ajoute  que  le  gouver- 


LES    ÉTUDES    A   ROME  463 

nement  envahisseur  s'applique  à  bouleverser  la  physionomie 
même  topographique  de  la  ville,  par  dos  démolitions  et  des 
ali'^nements  de  rues,  sans  respecter  ni  souvenirs  chrétiens  ni 
souvenirs  païens,  on  peut  prévoir  un  avenir  prochain  où  Rome 
n'aura  plus  que  le  cachet  d'une  simple  capitale  moderne,  moins 
bien  partagée  que  beaucoup  d'autres. 

Mais  sortons  de  ces  tristes  prévisions.  Il  existe  à  Rome  uno 
vie  cachée,  une  force  qui  les  empêchera  de  se  réaliser  :  c'est  la 
vie  intellectuelle  catholique.  Pendant  que  les  empereurs 
romains  triomphaient  encore  dans  leurs  palais  dorés,  et  que  la 
foule  leur  demandait  du  pain  et  des  spectacles  au  cirque,  une 
société  nouvelle  grandissait  dans  les  catacombes  et  se  préparait 
silencieusement  aux  destinées  que  Jésus-Christ  lui  avait 
promises.  Aujourd'hui,  pendant  que  la  Révolution  un  instant 
triomphante  bâtit  avec  une  précipitation  fiévreuse  des  casernes, 
des  palais  de  ministres  et  un  monumeiit  à  Victor-Emmanuel, 
cette  antique  société  des  catacombes  continue  son  œuvre  et  sa 
vie  modeste.  A  ne  voir  que  le  dehors  des  choses,  il  semble  quo 
le  monde  du  Qairinal,  comme  on  nomme  les  usurpateurs,  aura 
bientôt  tout  conquis  et  tout  façonné  à  Teffigie  révolutionnaire  : 
c'est  au  point  que  les  hérétiques  mêmes  s'émeuvent  de  cette 
audace  de  destruction  et  de  transformation,  et  protestent  contre 
le  vandalisme  moderne  avec  une  indignation  dont  Grimm  et 
Ciregorovius  viennent  de  se  faire  les  éloquents  interprètes.  Mais 
encore  un  peu  de  temps,  et  le  roi  d'Italie  sera  forcé  de  rendre 
Rome  aux  Papes.  Il  a  contre  lui  une  force  qui  a  fait  reculer 
tous  les  conquérants  :  le  légitime  possesseur  de  la  Rome 
ancienne  a  dû  transporter  son  trône  à  Constantinople  dés  que 
l'Église  elle-même  a  eu  besoin  d'un  trône  visible;  cette  dispo- 
sition providentielle  est  devenue  comme  une  loi  de  l'histoire  : 
l'indépendance  temporelle  du  Pape  est  une  nécessité;  donc.  Je 
domaine  temporel  sera  reconstitué.  Telle  est  la  conviction  du 
monde  catholique;  et  c'est  surtout  à  Rome  même  que  cette 
conviction  s'impose;  et  le  monde  du  Quirinal  en  est  aussi 
pénétré  que  le  monde  du  Vatican  :  il  n'y  a  pas  un  ministre  du 
roi  Humbert,  pas  un  homme  d'État  qui  n'avoue,  dans  l'intimité, 
qu'il  faudra  trouver  un  moyen  de  rendre  Rome  au  Pape.  Aucune 
solution  de  la  question  romaine  n'est  possible  sans  cette  restitu- 
tion. Chaque  fois  que,  dans  ses  allocutions,  le  Pape  proteste  et 
revendique  son  indépendance  violée,  le  monde  du  Quirinal  se 
tait,  se  sent  frappé,  se  reconnaît  coupable.  On  voit  les  hommes 

33 


464  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'État  de  la  France,  de  l'Allemagne,  de  la  Suisse,  montrer  de 
l'irritation,  se  déclarer  blessés  dans  leur  prétendu  honneur 
national,  lorsque  le  Pape  démontre  leurs  attentats  aux  droits  de 
l'Eglise.  Ici,  à  Rome,  rien  de  pareil  ne  se  produit.  Les  protesta- 
tions de  Léon  XIII  sont  d'une  vigueur  et  d'une  persévérance 
sans  égales.  Eh  bien!  jamais  le  roi  Humbert  ni  ses  ministres 
les  plus  mauvais  n'ont  répondu  un  mot!  C'est  pour  ainsi  dire  le 
silence  du  criminel  devant  la  sentence  qui  le  condamne.  Et  la 
raison  de  ce  silence  est  le  profond  sentiment  que  tous  les 
Italiens  ont  des  droits  imprescriptibles  et  de  la  force  de  l'Église. 
Ceci  soit  dit  à  leur  honneur. 

L'esprit  du  peuple  italien  est  essentiellement  catholique,  on 
pourrait  même  dire  théologique.  Ici,  en  eflet,  on  n'a  pas  un 
catholicisme  de  sentiment,  mais  un  catholicisme  de  raison  :  on 
n'est  pas  catholique  seulement  parce  que  l'Eglise  a  de  belles 
cérémonies  qui  charment  les  jeux,  des  dogmes  consolants  qui 
s'harmonisent  avec  les  besoins  du  cœur  et  donnent  de  la  poésie 
à  la  vie  humaine,  on  est  catholique  par  le  principe  d'autorité 
divine  qui  est  le  fondement  de  l'Eglise,  c'est-à-dire  que  l'on 
possède  la  foi  par  son  côté  le  plus  viril  et  le  plus  surnaturel. 
Et  cela  n'est  pas  le  privilège  des  hautes  classes,  c'est  le  domaine 
commun  de  toute  la  nation  ;  l'enfant  du  pauvre  est  élevé  dans 
cette  force  des  convictions  comme  l'enfant  du  prince;  le  simple 
laïque  a  le  sens  des  dogmes  catholiques  comme  le  clergé  :  la 
théologie  demeure  mêlée  à  toute  l'instruction  classique  et  il  n'y 
a  pas  un  savant,  pas  un  lettré  qui  ne  porte  au  fond  de  son  esprit 
des  notions  religieuses  exactes  qui  le  préserveront  toujours  de 
ces  accès  d'erreurs  si  communs  dans  les  pays  protestants.  Voiià 
ce  qui  rend  la  révolution  italienne  si  peu  sûre  d'elle-même  et 
la  cause  de  l'indépendance  du  Saint-Siège  si  forte,  malgré  l'op- 
pression du  moment.  Il  est  vrai  que  l'on  a  tenté  aussi  de  chan- 
ger cet  esprit  national  par  l'enseignement  de  l'Etat;  mais 
l'enseignement  libre  à  tous  les  degrés  réagit  victorieusement  : 
à  Rome,  les  écoles  primaires  du  Saint-Siège  comptent  un  nombre 
d'enfants  bien  supérieur  à  celui  des  écoles  de  l'Etat.  D'ailleurs, 
les  chefs  mêmes  de  la  révolution  veulent  que  leurs  enfants 
reçoivent  une  éducation  parfaitement  catholique  ;  c'est  ainsi 
que  Nicotera,  ministre  et  homme  politique  le  plus  important  de 
la  gauche,  fait  élever  actuellement  son  fils  chez  les  moines  du 
Mont-Cassin,  qui  ont  un  florissant  collège. 

Cet  esprit  théologique  est  ce  qui  domine  tout  à  Rome.  Il  y 


LES    ÉTUDES    A    ROME  465 

est  entretenu  à  des  sources  si  pures  et  si  abondantes  qu'il  n'y 
a  pas  crainte  de  les  voir  se  tarir.  De  même  que  l'on  rencontre 
en  diverses  places  de  la  ville  ces  fontaines  jaillissantes  qui 
donnent  de  la  fraîcheur  à  tout  un  quartier,  de  même  les 
Romains  connaissent  ces  sanctuaires  de  la  science,  où  la  pure 
doctrine  coule  comme  leurs  grandes  eaux.  Le  monde  entier 
vient  y  puiser.  Toutes  les  nations  ont  un  séminaire  à  Rome, 
quelquefois  deux  :  la  France,  l'Allemagne,  l'Irlande,  l'Angle- 
terre, les  Amériques,  les  nations  du  rite  oriental  rivalisent 
d'ardeur  pour  la  prospérité  de  ces  établissements,  oii  elles 
envoient  leurs  élèves  se  former  à  l'esprit  romain,  qui  est  un 
espritecclésiastiqueplus  siir  et  plus  parfait  que  partout  ailleurs. 
Le  séminaire  français,  par  exemple,  compte  près  de  cent  élèves 
choisis  dans  les  divers  diocèses  de  la  France.  Chaque  séminaire 
n'a  pas  ses  professeurs  particuliers;  tous  envoient  leurs  élèves 
à  l'une  des  trois  grandes  écoles  qui  se  partagent  l'enseignement 
théologique  à  Rome  :  la  Minerve,  le  Collège  germanique  et 
l'Apollinaire.  L'Apollinaire  est  le  séminaire  du  Pape  pour  le 
clergé  de  Rome.  La  Minerve  est  le  séminaire  des  Dominicains, 
et  le  Collège  germanique  le  séminaire  des  Jésuites.  Les  pro- 
fesseurs les  plus  éminents  sont  appelés  dans  ces  établissements, 
ainsi  qu'au  collège  de  la  Propagande,  qui  garde  son  enseigne- 
ment à  part.  Les  élèves  de  chaque  maison  se  distinguent  par  la 
couleur  ou  la  forme  de  leurs  soutanes,  et  ce  n'est  pas  une  des 
moindres  curiosités  que  de  les  voir  circuler  par  groupes  dans 
les  rues,  oii  ils  sont,  d'ailleurs,  parfaitement  respectés,  comme 
tout  prêtre  l'est  à  Rome, 

Outre  ces  collèges,  Léon  XIII  a  fondé  une  haute  académie 
ecclésiastique  où  des  cours  sont  donnés  chaque  jour  soit  par 
des  prêtres,  soit  par  des  laïques  :  elle  a  pour  directeur  un 
évêque,  Mgr  Sepiaci,  qui  donne  lui-même  deux  conférences 
par  semaine  sur  les  rapports  de  l'Eglise  et  de  l'État.  Mgr  Ta- 
lamo,  l'un  des  plus  éminents  philosophes  de  notre  époque,  y 
enseigne  la  philosophie  du  droit  ;  M.  le  commandeur  de  Rossi 
y  donne  des  conférences  archéologiques  ;  M.  Visconti  fait  le 
cours  d'épigraphie  latine  ;  M.  Camille  Re  celui  de  législation 
comparée,  etc. 

Léon  XIII  a  fondé  aussi  à  l'Apollinaire  deux  nouvelles 
chaires  de  haute  littérature,  l'une  de  littérature  italienne, 
l'autre  de  littérature  latine.  Il  a  confié  la  première  à  un  jeune 
prêtre  de  la  Haute-Italie,  M.  l'abbé  Poletto,  connu  par  ses 
travaux  sur  le  Dante. 


466  ANNALES   CATHOLIQUES 

Rien  n'est  si  intéressant  pour  un  éfranger  qui  dispose  de 
quelques  heures  libres  à  Rome,  que  d'assister  à  l'un  ou  l'autre 
de  ces  cours  académiques. 

Ce  haut  enseignement,  répandu  à  Rome  avec  tant  de  profu- 
sion, ne  demeure  pas  seulement  le  secret  de  quelques  initiés. 
Les  échos  en  sont  répercutés  dans  tous  les  rangs  de  la  so- 
ciété. Le  Dante  avait  pris  Virgile  pour  guide,  parce  que,  au 
XIIP  siècle,  Virgile  était  un  auteur  familier  à  tous  les  Italien.". 
De  même  aujourd'hui,  on  peut  dire  que  le  Dante  est  familier  à 
tout  esprit  tant  soit  peu  cultivé  :  il  jouit  d'un  culte  intellectuel 
en  Italie  :  en  s'en  approprie  non  pas  seulement  la  forme  poé- 
tique, mais  surtout  la  doctrine,  qui  est  si  profondément  philo- 
sophique et  théologique.  Et  quelle  différence  entre  un  peuple 
nourri  de  l'esprit  du  Dante  et  un  peuple  nourri  de  l'esprit  de 
Voltaire  ou  de  Rousseau  ! 

Il  est  frappant  de  voir  avec  quelle  calme  sécurité  toutes  les 
études  se  continuent,  malgré  l'invasion  de  Rome.  De  même 
qu'au  moyen-âge  les  moines  conservaient  le  flambeau  de  la 
science  dans  leurs  cloîtres  pendant  le  passage  des  hordes  bar- 
bares, de  même  aujourd'hui  la  vie  intellectuelle  et  morale  n'est 
point  troublée  des  ruines  momentanées.  Les  usurpateurs 
sentent  tellement  eux-mêmes  la  supériorité  de  la  science  catho- 
lique qu'ils  cherchent  à  marcher  sur  ses  traces.  Les  profes- 
seurs de  l'Etat  donnent,  tous  les  jeudis  et  dimanches,  des  con- 
férences populaires  sur  les  matières  explorées  avec  tant  de 
succès  par  M.  de  Rossi  et  son  illustre  école  archéologique; 
mais  le  drapeau  est  porté  trop  haut  pour  qu'il  puisse  jamais 
tomber  en  leurs  mains.  Les  savants  catholiques  continuent 
leurs  investigations  avec  une  noble  ardeur;  ils  laissent  loin 
derrière  eux  ceux  qui  voudraient  tenter  de  donner  une  autre 
direction  aux  études. 


UN  MIRACLE  A  LOURDES 

Dans  une  des  chapelles  latérales  de  Saint-Pierre  d'Arène,  à 
Kice,  s'élève  au  milieu  d'un  bosquet  de  verdure,  sur  une  roche 
artificielle  habilement  imitée,  la  statue  de  la  Vierge  pleine  de 
grâces.  La  robe  blanc  de  neige,  la  ceinture  d'azur,  les  grains 
d'argent  du  rosaire  suspendu  à  ses  mains,  la  rose  mystique  qui 


TN   MIRACLE    A    LOURDES  467 

s'épanouit  sur  ses  pieds,  tout  indique  Tinaa^e  de  Notre-Dame  de 
Lourdes.  La  grotte,  les  fleurs,  les  cierges  qui  brûlent  devant  le 
rocliei-,  les  fidèles  réunis  maliu  et  soir  pour  prier,  complètent  le 
tableau  et  transportent  l'àrae  vers  ces  lieux  bénis  visités  par  la 
Reine  du  ciel. 

Ce  sanctuaire  a  été  érigé  au  mois  de  mai  dernier,  en  recon- 
naissance de  la  giiérison  miraculeuse  d'une  jeune  dame  polo- 
naise de  la  famille  princiére  des  Czetwcrtynski,  M'""  la  baronne 
Gauthier,  Nous  ne  résistons  pas  à  l'envie  de  raconter  cette 
pathétique  histoire. 

La  maladie  de  M"''  la  baronne  Gauthier  remonte  à  l'âge  de 
douze  ans,  époque  de  sa  première  communion.  Fortune,  grand 
nom,  grâces  naturelles,  tout  semblait  sourire  à  cette  noble  jeune 
fille  au  printemps  de  la  vie;  mais  Je  divin  Maître,  qui  venait  d3 
lui  apporter  le  mystère  de  l'amour,  avait  choisi  cette  heure 
pour  lui  présenter  le  calice  de.  la  souffrance  et  la  faire  participer 
au  mj'stère  de  la  croix. 

Cette  maladie  cruelle  a  reçu  de  la  science  thérapeutique  un 
nom  que  nous  devons  reproduire  pour  l'intelligence  du  récit  :  la 
coxalgie.  M"'  IMicheline  Czetwertynska  était  alors  à  Paris,  oii 
elle  passait  l'iiiver  pour  son  éducation.  Le  mal  dura  deux  ans; 
la  jambe  droite  se  rétrécit  de  plusieurs  centimètres,  et  il  devint 
impossible  à  la  malade  de  marcher.  Los  plus  grandes  célébrités 
médicales  furent  appelées;  les  docteurs  Nélaton,  Bouvier,  Guer- 
san  et  Michaud  se  donnèrent  rendez-vous  trois  fois  la  semaine 
en  consultation  :  tous  avaient  déclaré  que  si  la  jeune  malade 
guérissait,  elle  ne  pourrait  marcher  qu'à  l'aide  de  béquilles. 
Grâce  à  ces  soins  intelligents  qu'accompagnaient  beaucoup  de 
prières,  la  coxalgie  disparut,  mais  la  faiblesse  resta.  Les  méde- 
cins avaient  prévenu  qu'une  rechute  serait  très  dangereuse  et 
réclamaient  les  plus  grandes  attentions.  N'était-ce  pas  trop 
attendre  de  la  jeunesse? 

A  seize  ans,  la  jeune  fille  vint  en  Italie,  à  Bologne,  chez  sa 
sœur  et  son  beau-frère,  le  comte  de  Poninski,  commandant  à 
l'armée  de  Piémont.  Dans  une  promenade  à  cheval,  la  bête, 
jeune  et  fringante,  prit  peur  en  présence  d'un  précipice.  L'im- 
prudente araazon,e  fit  Un  bond  pour  descendre  du  côté  droit.  La 
monture  fut  arrêtée,  mais  dans  la  précipitation  de  la  descente, 
un  sursaut  de  dislocation  et  de  douleur  se  fit  sentir  à  la  hanche. 
Bravant  la  souffrance.  M'"  Micheline  continua  la  promenade, 
quoique  le  mal  ne  la  quittât  pas.  Au  retour,  il  fallut  se  mettre 


468  ANNAI.ES    CATHOLIQUES 

au  lit,  d'où  elle  ne  devait  se  relever  qu'après  dix  grands  mois. 
La  rechute  tant  redoutée  était  un  fait  accompli.  Surexcitation 
générale,  fatigue  habituelle,  mal  de  tête,  appétit  perdu,  toux  de 
mauvaise  nature.  C'étaient  les  symptômes  de  la  coxalgie,  sans 
en  être  précisément  les  mêmes  douleurs. 

Le  docteur  Rizzoli,  qui  soignait  la  malade,  l'envoya  à  Venise 
pour  y  prendre  les  bains  de  mer  sous  la  direction  d'une  célébrité 
médicale  de  cette  ville,  le  docteur  Nanuyas.  La  saison  des  bains 
ne  fut  pas  sans  amener  un  peu  de  bien;  la  marche  fut  même  à 
peu  près  possible.  Afin  de  hâter  la  guérison,  on  envoya  la 
patiente  à  Abanon,  près  de  Padoue,  aux  bains  de  boue  sulfu- 
reuse. Mais  là,  elle  s'occupa  peu  de  sa  santé,  car  le  lendemain 
de  son  arrivée,  sa  sœur,  qui  l'accompagnait,  eut  une  attaque  de 
choléra.  Devant  le  terrible  fléau,  elle  ne  voulut  pas  la  quitter 
un  instant,  et  M""  Poninska  n'avait  d'autres  soins  que  ceux 
d'une  sœur  de  charité  et  ceux  de  sa  propre  sœur,  quand  son 
mari,  prévenu,  arriva  enfin.  La  malade  de  la  veille  trouva  une 
force  extraordinaire  dans  la  crise  dont  elle  avait  été  le  témoin. 
Sa  sœur  guérit;  elle  revint  avec  elle  à  Bologne,  oii  le  grand 
air,  le  repos,  la  réciprocité  des  soins  fraternels  qu'elle  reçut 
alors,  semblaient  la  convier  à  jouir  de  la  vie.  Avec  le  temps, 
les  forces  reparurent,  et,  quoique  faible  encore,  on  la  crut  com- 
plètement remise.  Les  années  suivantes  se  passèrent  en  voyages. 

A  vingt-deux  ans,  M"^  Micheline  Czetwertj^nska  revint  en 
Italie,  chez  sa  sœur,  alors  à  Bari,  et  épousa  le  baron  Gauthier 
de  Confiengo,  jeune  et  brillant  officier  de  l'armée  italienne,  des- 
cendant d'une  ancienne  race.  Dieu  bénit  cette  union,  et  les  trois 
enfants,  deux  fils  et  une  fille,  qui  en  naquirent,  furent  élevés 
dès  le  berceau  dans  les  sentiments  d'une  tendre  piété.  La  santé 
de  M™*  la  baronne  se  soutint  assez  bien  pendant  un  temps,  mais 
elle  tomba  définitivement  en  janvier  1880,  à  Lodi,  où  son  mari 
était  en  garnison. 

Son  père,  le  prince  Czetwertynski,  qui  demeurait  à  cette 
époque  à  Paris,  vint  voir  le  jeune  ménage  affligé.  La  fille  ne 
voulut  pas  absolument  laisser  son  père  retourner  seul  :  elle  l'ac- 
compagna jusqu'à  Paris.  Le  voyage  se  fit  à  la  bâte  et  non  sans 
grandes  fatigues.  On  était  au  cœur  de  l'hiver,  les  Alpes  avaient 
revêtu  leur  manteau  de  neige;  quand  il  fallut  les  franchir,  un 
froid  glacial  s'empara  de  la  malade.  Néanmoins  elle  ne  voulut 
rester  que  quelques  jours  à  la  capitale,  et  elle  repartit  aussitôt 
pour  Lodi,  où  son  mari  résidait.  Le  trajet  s'exécuta  sans  arrêt; 


UN    MIRACLE    A    LOURDES  469 

OU  voyageait  jour  et  nuit.  Tremblante  sous  le  froid  et  déjà  saisie 
par  la  fièvre,  elle  dut  aflVonter  à  nouveau  la  glacière  des  Alpes. 
En  passant  à  Turin,  où  demeurait  sa  belle-mère,  la  baronne 
douairière  Gauthier,  celle-ci,  effrayée  à  son  aspect  de  souffrance 
et  de  fatigue,  voulut  la  retenir.  A  peine  consentit-elle  à  passer 
la  nuit,  et  le  lendemain  elle  courait  la  poste  sur  la  route  de 
Lodi. 

C'est  eu  y  arrivant  que  la  maladie  qui  couvait  dans  son  sein 
depuis  quelques  jours  devait  l'abattre.  La  crise  se  manifesta  par 
des  douleurs  atroces  dans  tous  les  membres,  surtout  à  la  tête  et 
à  l'épine  dorsale.  Le  soir  ramenait  des  convulsions  si  violentes 
que  la  malade  s'emparait  de  tout  ce  qui  pouvait  lui  tomber  sous 
la  main  et  le  tordait  dans  une  espèce  de  rage.  Ou  a  appelé  cette 
dernière  rechute  une  inflammation  de  la  moelle  épinière. 

Après  trois  semaines  passées  sur  le  lit,  le  docteur  pensant 
qu'un  peu  de  locomotion  pourrait  faire  du  bien,  la  baronne 
essaya  de  mettre  les  pieds  à  terre;  mais,  ô  terreur!  ses  jambes, 
elle  ne  les  sentait  plus,  elles  ne  la  portaient  plus  :  elle  était 
paralysée. 

Cet  état  se  prolongea  pendant  un  an  et  demi,  tandis  qu'une 
souffrance  aiguë  se  maintenait  dans  l'épine  dorsale.  Les  bras 
d'un  poids  accablant,  les  jambes  sans  vie,  la  tête  défaillante, 
les  yeux  trop  faibles  pour  supporter  la  lumière,  les  oreilles 
agacées  par  le  moindre  bruit,  était  tout  ce  qu'on  pouvait 
attendre  d'un  énervement  général.  L'appétit  avait  complète- 
ment disparu;  la  gorge,  en  quelque  sorte  rétractée,  ne  pouvait 
rien  avaler  sans  peine.  Aucune  nourriture  solide  ne  pouvait 
plus  passer.  Un  peu  de  vin,  du  café  noir,  du  cognac,  quelques 
cuillerées  de  bouillon,  à  petites  doses,  maintenaient  une  faible 
flamme  dans  cette  lampe  qui  s'éteignait. 

On  profita  d'un  intervalle  de  mieux  pour  transporter  la 
malade  dans  un  établissement  d'hydrothérapie  à  Regoledo.  Le 
docteur  Visconti  de  Milan  venait  régulièrement  la  visiter. 
Grâce  à  son  traitement,  les  douleurs  diminuèrent,  la  vue  sup- 
porta un  peu  plus  de  jour  et  l'estomac  un  peu  plus  d'alimen- 
tation :  œufs,  gelées,  mais  ni  pain  ni  viande.  Sur  l'avis  des 
médecins  qui  voulaient  pour  elle  le  grand  air,  et  afin  qu'elle 
fût  plus  à  leur  portée,  on  transporta  la  malade  à  la  campagne. 
Le  docteur  Castelli  vint  chaque  semaine  la  visiter  de  Turin. 
Un  mieux  sensible  se  manifesta,  les  souflrances  étaient  moins 
aiguës,  les  crises  moins  fréquentes,  les  yeux  pouvaient  s'ouvrir 
à  la  lumière  et  parfois  se  fermer  dans  un  doux  sommeil. 


470  ANNALES    CATHOLIQUES 

Au  commencement  de  l'hiver  de  1S81,  la  baronne,  toujours 
aux  ordres  de  la  facuUé,  fut  transportée  à  Bordighera;  elle 
y  trouva  un  climat  et  un  soleil  tempérés.  A  la  fin  de  l'hiver, 
comme  il  nj  avait  pas  encore  d'amélioration  radicale  dans  sou 
état,  elle  se  rendit  à  Paris  pour  j  provoquer  une  consultation 
des  maîtres  de  la  science.  Les  docteurs  Charcot,  Geoffroy  et 
Keller  la  soumirent  pendant  trois  semaines  à  un  traitement 
hydrothérapeutique.  Ce  traitement  consciencieusement  achevé, 
elle  fut  envoyée  à  Champel-sur-Arve ,  prés  Genève,  pour 
essaj^er  des  bains  de  cette  localité,  iille  y  passa  l'été  de  1882. 
Toutes  les  eaux  thermales  devaient  avoir  prouvé  leur  ineffi- 
cacité avant  qu'on  recouiût  à  celle  de  Lourdes. 

A  Champel,  une  amélioration  générale  réveilla  l'espérance. 
La  malade  commença  à  remuer  un  peu  les  jambes.  Elle  en  fut 
si  heureuse  qu'elle  persuada  à  son  mari  de  passer  l'hiver  en  ce 
lieu.  Dans  ce  but,  elle  loua  une  viila  en  attendant  le  retour 
de  la  belle  saison.  Mais  les  frimas  arrivèrent  et  la  malade 
retomba  au-dessous  de  ce  qu'eile  était  à  son  arrivée.  L'hiver 
se  passa  sur  le  lit.  Au  mois  de  juin,  le  mieux  reparut  avec  les 
chaleurs.  Madame  1»  baronne  reprit  des  bains,  mais  elle  n'en 
éprouva  pas  le  même  bienfait  qu'après  le  premier  essai.  Les 
jambes  restèrent  insensibles. 

Au  mois  d'octobre  1883,  nouvelle  transplantation.  On  essaya 
du  climat  de  Nies,  sous  la  gouverne  des  docteurs  Gouaran  et 
Figuiera.  Après  d'autres  tentatives,  on  en  vint  aux  boutons 
de  feu,  puis  aux  pointes  de  feu,  qui  la  soulagèrent  momentané- 
ment, en  sorte  qu'on  disait,  qu'il  n'y  avait  que  le  feu  et  l'eau 
qui  pouvaient  lui  faire  du  bien.  En  somme,  malgré  la  douce 
et  bienfaisante  température  de  Nice,  la  santé  ne  revint  pas. 
Toujours  paralysée  et  à  la  recherche  du  grand  air,  M"''  la  ba- 
ronne Gauthier  se  faisait  conduire  dans  sa  petite  voiture  au 
bord  de  la  mer,  à  la  belle  promenade  des  Anglais.  C'est  sur- 
cette plage  ensoleillée  que  nous  l'avons  rencontrée  pour  la 
première  fois  en  1884.  Il  nous  semble  encore  voir  cette  figure 
pâle,  aux  joues  creuses  sillonnées  souvent  par  les  larmes. 
Autour  d'elle  ses  jeunes  enfants  gais  et  heureux,  mais  en 
deuil!  Triste  ironie  du  sort,  semblaient  dire  les  passants  : 
Pourquoi  sous  ce  beau  ciel  oii  tout  appelle  les  rayons  de  la  vie, 
voir  descendre  les  ombres  de  la  mort? 

Hélas  !  cette  année  n'avait  pas  manqué  de  raisons  pour 
mériter  le  surnom  de  néfaste.   Le  pér©  de  M""  la  baronne^ 


UN   MIRACLE    A   LOURDES  471 

alors  à  Paris ,  y  tomba  gravement  malade.  L'impossibilité 
d'aller  le  voir,  l'appréliension  d'un  dénouement  fatal,  il  n'en 
fallait  pas  plus  pour  surexciter  la  nature  nerveuse  de  sa  fille. 
Mais  après  un  moment  d'énergie  factice,  ne  devait-elle  pas  se 
retrouver  plus  laiiguissante?  Néanmoins,  comme  les  nouvelles 
di  Paris  n'annonçaient  plus  d'espoir,  on  lui  permit  d'aller 
embrasser  son  pauvre  père  mourant.  Elle  arriva  trop  tard,  le 
jour  seulement  de  la  cérémonie  funèbre.  Quelle  rude  secousse 
elle  en  ressentit! 

Les  médecins  cédant,  peut-être  sans  se  l'avouer,  à  la  ten- 
tation de  se  débarrasser  d'une  malade  qui  leur  faisait  peu 
d'honneur,  lui  prescrivirent  de  nouveau  un  voyage  en  Italie. 
Elle  alia  revoir,  d'après  l'avis  du  docteur  Visconti,  les  bains 
de  Regoledo,  dont  l'issue  fut  nulle.  On  vint  s'établir  à  Nice  en 
septembre  1884.  Le  baron  Gauthier  avait  dû  quitter  sa  carrière 
militaire  afin  de  consacrer  tous  ses  soins  à  une  épouse  si 
profondément  affligée.  Au  mois  de  novembre,  la  maladie  de  sa 
fille,  atteinte  do  la  dyphtérie,  força  M'"'  la  baronne  à  une 
terrible  séparation  dans  l'intérêt  de  ses  plus  jeunes  enfants. 
Elle  en  éprouva  de  vives  angoisses,  qui  provoquèrent  de  nou- 
veau une  névrose  générale. 

L'hiver  n'avait  donc  amené  aucune  amélioration,  et  sous  le 
coup  d'émotions  qui  auraient  ébi*anlê  une  forte  santé,  il  avait 
achevé  de  briser  une  nature  épuisée.  Humainement  le  progrés 
du  mal  devait  bientôt  achever  son  œuvre.  Un  seul  espoir  restait 
au  cœur  de  la  malade,  aller  à  Lourdes  implorer  le  Salut  des 
infirmes,  la  Vierge  miraculeuse.  Depuis  longtemps  elle  pensait 
à  ce  pèlerinage,  elle  le  désirait  avec  ardeur  comme  une  dernière 
planche  de  salut.  Mais  comment  l'entreprendre  dans  son  état 
de  santé? 

Au  mois  de  mars,  étant  allé  frapper  â  la  porte  charitable 
de  Mme  la  baronne  Gauthier,  nous  la  trouvâmes  plus  pâle 
et  plus  abattue  que  jamais.  En  présence  de  cette  pauvre  mère 
qui  se  mourait  et  de  jeunes  enfants  qui  l'entouraient,  nous  ne 
pûmes  retenir  un  sentiment  de  pitié  et  de  tristesse  profondes. 
C'est  alors  qu'elle  nous  fit  part  du  projet  qu'elle  avait  formé 
d'un  pèlerinage  à  Lourdes,  et  nous  fûmes  heureux  de  la  con- 
firmer dans  son  dessein  en  lui  l'acontant  les  faits  miraculeux 
dont  nous  avions  été  nous-même  témoin  sur  ce  terrain  de  la 
puissance  de  Marie.  Mais  il  n'en  était  pas  besoin,  elle  n'atten- 
dait que  le  moment  opportun.  L'occasion  se  présenta  dans  le 


472  ANNALES    CATHOLIQUES 

mois  de  mai.  Sa  belle-raére  étant  venue  la  voir  de  Turin,  se 
proposa  pour  l'accompagner.  L'offre  fut  acceptée  aussitôt,  et 
le  19  du  mois  on  se  mit  en  route.  Le  voyage  se  lit  prudemment 
par  étapes.  La  première  nuit  on  s'arrêta  à  Marseille,  la 
deuxième  à  Narbonne,  et  le  troisième  jour,  21  mai,  la  malade 
arrivait  à  Lourdes  à  quatre  heures  du  soir,  très  fatiguée,  mais 
éprouvant  un  grand  calme.  On  la  transporta  immédiatement  à 
l'hôtel,  où  elle  se  mit  au  lit.  Elle  put  prendre  un  peu  de 
bouillon,  mais  toujours  avec  douleur. 

Le  vendredi  matin,  à  neuf  heures,  elle  se  fit  porter  à  la 
crypte  pour  y  commencer  la  neuvaine  en  l'honneur  de 
rimmaculée-Conception.  Elle  assista  à  la  messe  et  communia 
avec  sa  belle-mère  et  sa  femme  de  chambre.  Malgré  les  maux  de 
tête  qui  ne  la  quittaient  pas,  elle  voulut  assister  à  une  seconde 
messe.  Comme  on  était  prés  de  la  maison  des  Pères,  on  en 
profita  pour  aller  voir  le  baron  de  Maclou,  médecin  du  pèleri- 
nage. De  là  on  revint  à  la  grotte,  où  la  malade  ne  resta  que 
quelques  instants.  Elle  était  encore  à  jeun  et  très  faible.  Puis 
on  la  reconduisit  dans  une  petite  voiture  à  l'hôtel. 

Le  même  jour,  à  trois  heures,  elle  se  fit  porter  à  la  basilique 
pour  l'instruction,  la  récitation  du  rosaire  et  le  salut.  N'étant 
pas  trop  fatiguée  par  l'office,  le  mal  de  tête  n'étant  pas  plus 
violent,  elle  se  fit  conduire  à  la  grotte,  et  but  de  l'eau  de  cette 
source  mystérieuse,  et  se  faisant  avancer  par  ses  porteurs 
jusque  dans  l'intérieur,  elle  voulut  réciter  son  chapelet.  Mais 
devant  ce  rocher,  en  présence  de  la  Vierge  immaculée,  son 
âme  tout  entière  se  sentit  envahie  par  une  émotion  surnatu- 
relle. Pendant  que  les  yeux  du  corps  étaient  attachés  sur 
l'image  de  Marie,  son  àrae,  dépassant  l'enveloppe  matérielle, 
adressait  à  la  Reine  du  ciel  une  prière  ineffable. 

Dans  cette  grotte,  elle  se  sentait  sous  une  protection  puis- 
sante et  remplie  de  confiance  en  la  toute  divine  bonté  de  la 
Mère  de  Dieu.  «  Elle  me  voit,  pensait-elle,  elle  connaît  mes 
peines.  »  Repartir  guérie  était  tout  son  vœu,  et  cependant  elle 
craignait  de  trop  le  demander.  Mais  quoi  qu'il  arrivât,  elle 
voulait  être  résignée  à  la  volonté  d'en  haut.  Ne  pouvant  parler 
qu'avec  peine,  elle  ne  récita  point  de  prières  vocales.  Dans  ses 
visites  à  ia  grotte,  elle  prenait  bien  son  chapelet  avec  l'inten- 
tion de  le  dire,  elle  en  balbutiait  quelques  grains,  et  puis  elle 
restait  là  tranquille,  écoutant  l'inspiration  céleste,  la  voix 
intérieure  de  Marie. 


UN   MIRACLE    A   LOURDES  473 

Tout  parle  à  Lourdes,  la  couronne  de  montagnes  aux  cimes 
brillantes  de  neige,  les  eaux  limpides  et  fugitives  du  Gave,  les 
roches  de  Massabielle,  la  basilique,  la  grotte,  la  foule  immense 
des  pèlerins,  le  carillon  des  cloches,  les  chants,  les  lumières. 
Le  parfum  de  la  Rose  mystique  semble  imprégner  l'atmosphère. 
Tout  élevait  l'âme  de  la  délaissée  de  la  science  vers  le  trône  de 
Marie,  tout  autour  d'elle  lui  renvoyait  l'écho  de  ces  paroles  : 
Je  suis  V Immaculée  Conception  ! 

Le  samedi  matin,  à  huit  heures  et  demie,  deuxième  jour  de 
la  neuvaine,  la  malade  communia  de  nouveau  à  la  crypte.  Le 
soir,  à  trois  heures,  elle  voulut  malgré  ses  maux  de  tête  et  de 
nerfs,  être  présente  aux  vêpres,  à  l'instruction  et  au  salut.  De 
là,  elle  se  fit  porter  comme  la  veille  à  la  grotte,  but  de  l'eau 
miraculeuse,  se  sentit  après  sa  prière  plus  calme  et  plus 
confiante,  et  fut  reconduite  dans  sa  petite  voiture  à  l'hôtel. 

Le  lendemain,  à  l'aurore,  les  joyeuses  volées  des  clochea 
de  la  basilique  annonçaient  avec  Y  Angélus  la  grande  solennité 
du  jour  ;  c'était  le  dimanche  de  la  Pentecôte.  La  malade,  plus 
exténuée  que  la  veille,  se  rendit  plus  tard  à  la  crypte. 

Dix  heures  allaient  sonner,  les  messes  basses  y  étaient 
achevées.  Il  fallut  monter  à  la  basilique,  où  la  grand'messe 
allait  commencer.  On  installa  Mme  la  baronne  dans  un  fauteuil, 
à  la  porte  de  la  sacristie,  à  la  droite  du  grand  autel.  Là  elle  fut 
oubliée,  et  ne  put  communier  qu'après  l'office.  Midi  était 
sonné  qu'elle  n'avait  encore  rien  pris.  Peut-être  se  glissa-t-il 
dans  sa  prière  une  petite  plainte  de  découragement  à  Marie. 
C'était  le  troisième  jour  de  la  neuvaine,  et  pas  de  mieux;  elle 
allait  donc  repartir  sans  mieux. 

La  longueur  du  jeûne,  la  grande  faiblesse,  lui  firent  manquer 
vêpres.  La  belle-mère  voulait  qu'elle  se  reposât  le  reste  du 
jour.  Mais  la  belle-fille,  qui  était  dans  un  état  de  surexcitation 
depuis  son  arrivée,  voulut  se  rendre  à  la  basilique  quand 
même.  Ces  dames  arrivèrent  à  temps  pour  assister  à  la  dernière 
partie  du  sermon  et  au  salut.  Il  y  avait  une  affluence  extraor-. 
dinaire  dans  la  basilique,  toutes  les  places  étaient  prises,  on 
craignait  que  la  trop  grande  chaleur  ne  fatiguât  la  malade.  Elle 
insista,  une  touche  intérieure,  sans  doute,  la  poussait,  car 
c'était  le  grand  jour  !  Placée  dans  une  des  chapelles  latérales, 
celle  de  saint  Joseph,  derrière  la  chaire,  dans  un  fauteuil  qu'on 
lui  avait  préparé  devant  un  confessionnal,  elle  n'avait  sous  les 
pieds  qu'un  tapis,  car  à  quoi  lui  eiit  servi  un  prie-Dieu  ?  Mais 


474  ANNALES    CATHOLIQUES 

elle  pouvait  entendre  le  prédicateur  et  voir  l'autel.  Près  d'elle, 
un  peu  en  avant,  se  tenait  sa  belle-naère,  et  derrière,  à  gauche, 
une  de  ses  servantes. 

Pendant  le  salut,  alors  qu9  les  éctiog  de  la  basilique  retenu 
tissaient  des  chants  sublimes  de  la  fête  et  que  les  nuages  d'en- 
cens s'élevaient  au  milieu  des  lumières  et  des  fleurs,  dans  ce 
modeste  réduit,  s'élevait  le  parfum  d'une  autre  prière,  ardente, 
pleine  de  foi  et  d'amour.  Les  dernières  notes  du  Tanium  ergo 
expiraient,  suivies  du  silence  solennel  qui  précède  la  bénédic- 
tion, et  le  Dieu-Hostie  planait  et  répandait  son  esprit  de  feu  et 
d'amour  sur  la  foule  prosternée.  Tout  à  coup  la  malade, 
recueillie  et  la  tête  un  peu  inclinée,  se  sent  glisser  malgré  elle 
de  son  fauteuil.  Comme  poussée  par  une  force  mystérieuse, 
elle  tombe  à  genoux,  le  corps  droit,  sans  appui.  Un  froid 
d'épouvante  s'empare  des  personnes  voisines;  quelques  pèlerins 
qui  ont  aperçu  ce  mouvement  croient  à  un  évanouissement.  Ils 
font  signe  à  la  belle-mére  courbée  en  adoration.  Celle-ci  suppose 
la  chute  de  son  châle,  elle  y  regarde,  voit  qu'elle  se  trompe,  et 
se  retourne  épouvantée  vers  sa  belle-fille,  croyant  à  son  tour  à 
un  évanouissement.  A  peine  la  bénédiction  achevée,  elle  sort 
pour  appeler  les  porteurs.  En  même  temps  plusieurs  fidèles 
s'étaient  empressés  autour  de  la  malade,  surpris,  efi'rayés, 
hésitant  à  porter  la  main  sur  elle.  Quant  à  la  baronne,  occupée 
à  prier,  elle  ne  se  rendait  pas  compte  de  ce  qui  était  arrivé. 
«  Quand  on  voulait  me  prendre,  dit-elle,  je  faisais  signe  de  ne 
pas  me  toucher.  » 

Qelques  instants  après,  sa  belle-mère  était  revenue  avec  les 
porteurs.  Elle  restait  à  genoux.  Sa  belle-mère  et  plusieurs 
personnes  voulurent  l'aider  à  se  relever  :  «  Je  leur  ijs  signe, 
dit-elle,  de  me  laisser  tranquille,  que  je  me  lèverais  seule.  Jo 
pris  en  efi'et  le  bras  que  ma  mère  me  tendait,  mais  snns  m'y 
appuyer,  car  elle  n'était  pas  assez  forte  pour  me  soutenir.  -*  La 
baronne  descendit  ainsi  les  deux  marches  de  la  chapelle,  se 
dirigeant  vers  la  grande  porte  de  sortie.  En  ce  moment  les 
fidèles  débouchaient,  chantant  à  l'unisson  le  psaume  Laudate 
Dominian.  La  baronne  marcha  ainsi  tout  le  long  de  la  nef,  la 
foule  se  levant  et  se  pressant  autour  d'elle,  tout  en  lui  faisant 
passage.  Elle  descendit  les  marches  de  la  grande  porte  jusqu'à 
la  balustrade  du  perron,  juste  en  face  de  la  statue  de  la  saints 
Vierge.  Laissons-lui  la  parole  et  qu'elle  soit  elle-même  le 
héraut  de  son  miracle.  «  C'est  en  sortant  de  l'église  que  je  me 


UN   MIRACLE    A   LOURDES  475 

rendis  un  peu  mieux  compte  du  changement  qui  s'était  opéré 
en  moi  :  toute  douleur  avait  disparu  comme  par  enchantement. 
J'étais  enivrée,  je  tremblais  d'émotion.  » 

Le  bruit  de  cette  guérison  instantanée  s'était  répandu  comme 
réclair  dans  la  foule.  On  criait,  on  entourait  la  malade.  Le  flot 
populaire  grossissait,  il  était  temps  de  s'j  soustraire.  La 
baronne  aurait  pu  descendre  les  marches  du  perron,  elle  s'en 
sentait  la  force,  mais  son  entourage  s'y  refusa.  Elle  vint  à  la 
grotte  dans  sa  petite  voiture.  Arrivée  devant  l'esplanade,  elle 
la  quitta,  s'avança  jusqu'au  rocher  et  se  mit  à  genoux  toute 
seule.  Essayer  de  redire  les  émotions,  les  élans  de  reconnais- 
sance filiale  qui  l'agiièrent  pendant  qu'elle  restait  aux  pieds 
de  la  Vierge  Immaculée,  serait  une  témérité.  De  là,  elle  se 
rendit,  au  bras  de  sa  belle-mère,  à  la  fontaine  afin  d'y  boire 
l'eau  miraculeuse.  La  foule  l'y  avait  suivie  et  ne  la  laissa  libre 
qu'à  la  porte  de  l'hôtel.  Encore  de  nombreux  visiteurs  vinrent- 
ils  dans  la  soirée  savoir  des  nouvelles  de  la  miraculée. 

Les  premières  émotions  calmées,  la  baronne  voulut  récapi- 
tuler les  bienfaits  qu'elle  devait  à  Notre-Dame  de  Lourdes.  Le 
mal  de  tête  était  complètement  dissipé.  La  sensibilité  et  la  vie 
circulaient  dans  les  jambes;  la  gorge  n'avait  plus  de  peine  à 
avaler;  plus  de  pesanteur  dans  les  bras,  plus  de  douleurs  dans 
l'épine  dorsale.  Enfin  l'appétit  et  le  sommeil  signalaient  leur 
retour.  La  nuit  se  passa  très  bonne,  elle  ne  se  souvenait  pas 
d'avoir  aussi  bien  dormi  depuis  longtemps.  Avant  cette  pré- 
cieuse nuit,  une  dépêche  triomphante  était  partie  pour  Nice. 

Le  lendemain,  lundi  de  la  Pentecôte,  la  baronne  alla  faire  la 
sainte  communion  à  la  basilique,  à  la  grand'messe.  Ce  jour-là 
elle  se  sentit  un  peu  plus  faible.  La  première  émotion,  qui 
l'avait  d'abord  soutenue,  avait  pris  fin.  Mais  la  maladie  était 
très  bien  guérie,  il  n'y  avait  plus  à  attendre  que  le  retour 
graduel  des  forces.  Comme  la  veille,  elle  prit  le  bras  de  sa 
mère  en  se  rendant  à  la  grotte.  Le  mardi  de  la  Pentecôte,  elle 
ne  voulut  plus  l'aide  de  personne^  mais  elle  s'aida  de  ses 
béquilles.  Elle  alla  avec  elles  do  la  porte  de  la  crypte  à  la  sainte 
table,  où  elle  les  laissa  et  s'agenouilla  seule.  Dans  l'après-midi 
elle  revint  pour  les  vêpres,  le  sermon  et  le  salut  à  la  basilique, 
conduite  encore  dans  sa  voiture,  et  elle  en  sortit  seule,  appuyée 
sur  ses  béquilles  pour  entrer  dans  le  sanctuaire.  Après  la  béné- 
diction elle  voulut  se  rendre  à  la  grotte,  mais  cette  fois,  pour  y 
laisser  ses  béquilles.  Le  mercredi  et  le  jeudi  elle  revint  encore 


476  ANNALES    CATHOLIQUES 

à  la  crypte  pour  assister  à  la  messe  et  faire  la  sainte  commu' 
nion.  Dans  l'après-midi  du  jeudi,  après  sa  visite  à  la  grotte, 
elle  marcha  seule  jusqu'à  la  piscine.  A  peine  y  était-elle  plongée 
que  la  réaction  se  fit  immédiatement,  cette  réaction  qu'elle 
n'avait  pu  obtenir  des  bains  si  vantés  et  si  variés  dont  elle 
avait  essayé.  Elle  sortit  de  la  piscine  plus  forte  et  plus  vigou- 
reuse, les  jambes  s'étaient  complètement  raffermies;  elle 
marcha  jusqu'à  la  grotte.  Toutefois,  pour  ne  pas  dépenser  ses 
forces,  elle  se  laissa  reconduire  à  son  hôtel  dans  la  chaise 
roulante. 

Le  vendredi  de  la  Pentecôte  était  le  jour  de  la  clôture  de  la 
neuvaine.  La  Vierge  Immaculée  n'en  avait  pas  attendu  la  fin 
pour  récompenser  la  foi  vive,  la  confiance  et  l'amour  filial  de 
la  malade.  Il  fallut  enfin  songer  à  dire  adieu  à  ces  lieux  bénis. 
Ce  ne  fut  pas  sans  tristesse  ;  et  des  larmes  mêlées  de  joie  cou- 
lèrent doucement  à  cette  suprême  visite.  Le  retour  en  Pro- 
vence s'eflectua  sans  peine.  On  quitta  Lourdes  le  vendredi  soir. 
Nos  pèlerins  s'arrêtèrent  le  dimanche  à  Marseille,  où  la  mira- 
culée alla  présenter  ses  hommages  à  Notre-Dame  de  la  Garde, 
et  le  mardi  à  midi,  saine  et  sauve,  elle  sautait  du  wagon  dans 
les  bras  de  son  mari  et  de  ses  enfants  émerveillés  et  ivres  de. 
joie.  La  table  de  famille  avait  été  dressée;  à  la  grande  allé- 
gresse de  tous,  elle  put  y  reprendre  sa  place,  qu'elle  avait  si 
longtemps  laissée  vide.  Inutile  de  chercher  à  dépeindre  l'éton- 
nement,  la  surprise  de  tous  ceux  qui  l'avaient  connue  para- 
lytique, et  qui  la  contemplaient  pleine  de  santé  et  de  vie. 

Une  année  s'est  écoulée  depuis  cette  cure  inexplicable  à  la 
science.  La  petite  voiture  a  eu  le  temps  de  se  rouiller,  car  elle 
n'a  plus  servi.  Nous  avions  pu  saluer  M™*  la  baronne  quelques 
jours  après  le  retour  de  Lourdes.  Nous  la  revoyons  encore 
assez  souvent.  Sa  santé  est  parfaite.  Sa  langueur  a  complè- 
tement disparu.  Elle  qui,  même  avant  la  dernière  maladie,  ne 
pouvait  faire  maigre,  s'astreint  facilement  à  l'abstinence  du 
vendredi.  Elle  peut  manger  de  n'importe  quoi,  elle  n'est  plus 
sujette  à  aucune  douleur.  Souvent  même,  après  les  courses  du 
jour,  elle  prolonge  la  veille  jusqu'à  une  heure  assez  avancée  de 
la  nuit,  si  sa  présence  peut  être  utile  ou  agréable  au  prochain. 

En  juin  dernier,  quelques  semaines  après  son  pèlerinage, 
M™'  la  baronne  Gauthier,  avec  sa  famille,  s'est  rendue  à  Turin. 
De  là,  elle  est  passée  en  Pologne,  pour  faire  voir  aux  siens  le 
changement   opéré  en  sa  personne.   Elle  a  supporté  ce   long 


LETTRE   DU    CARDINAL   GUIBERT  477 

voyage  sans  malaises.  Dans  sa  foi  ardente  et  sa  tendro  recon- 
naissance envers  Notre-Dame  de  Lourdes,  elle  aurait  voulu 
montrer  et  allumer  partout  le  feu  de  l'amour  qui  la  consumait. 
La  baronne,  avec  sa  famille,  est  revenue  do  Pologne  à  Nice  à 
la  fin  d'octobre,  aussi  énergique  et  aussi  solide  qu'à  son  départ. 

Les  pieux  habitants  de  Saint-Pierre  d'Arène  peuvent  souvent 
la  voir  au  pied  de  la  grotte  do  Lourdes  à  laquelle  se  rattachent 
ses  plus  doux  souvenirs.  Puisse  ce  nouveau  sanctuaire  de  Marie 
devenir  une  source  de  grâces  et  de  bénédictions  pour  tous  les 
membres  de  cette  paroisse,  selon  le  désir  ardent  de  son  zélé  et 
vénéré  pasteur  ! 

Puissent  ceux  qui  liront  ces  lignes  apprendre  ou  se  souvenir 
que  Marie  n'est  pas  en  vain  nommée  le  Salut  des  infirmes,  que 
son  cœur  de  Mère  voit  les  larmes  et  écoute  les  gémissements 
de  ceux  qui  souffrent,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  peine  qu'elle  ne  sou- 
lage, quand  ces  faveurs  insignes  doivent  contribuer  à  la  plus 
grande  gloire  de  Dieu  et  au  bonheur  de  ses  enfants. 

Ce  sera  accomplir  en  même  temps  le  vœu  le  plus  cher  de 
notre  heureuse  miraculée,  le  seul  but  qu'elle  se  soit  proposé, 
en  permettant  de  livrer  à  la  publicité  le  récit  intime  des  tribu- 
lations de  son  cœur,  et  des  consolations  par  lesquelles  Notre- 
Dame  de  Lourdes  a  voulu  les  surpasser,  suivant  cette  parole  du 
Psalmiste  :  «  Secundum  multitudinem  dolorum  meorum  in 
corde  meo,  consolationes  iuœ  lœliflcaverunt  animam  meam. 
(Ps.  xcii,  19.)  » 

Nice,  21  mai  1886. 

A.  Lebouvier, 

Prêtre  des  Missions  Africaines. 


LA  LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET  l'ÉPISCOPAT 
(Suite.  —  V.  les  numéros  précédents.) 

Aire.  —  Mgr  l'évêque  d'Aire  : 

Je  croirais  manquer  à  un  grand  devoir  si  je  ne  vous  remerciais, 
pour  mon  humble  part,  du  nouveau  service  que  vous  venez  do 
rendre  à  l'Eolise  de  France. 


478  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  cri  d'alarme  que  vous  avez  fait  entendre  en  son  nom  sera,  me 
serable-t-il,  un  véritable  soulagement  pour  la  conscience  publique. 

Je  ne  crains  pas  d'affirmer,  du  moins,  que  les  sentiments  que  vous 
avez  exprimés,  dans  un  langage  si  élevé  et  avec  une  évidence  de 
raison  qui  défie  toute  contradiction,  répondent  à  ceux  qui  depuis 
longtemps  préoccupent  et  affligent,  aussi  bien  que  leur  évêque, 
tous  les  prêtres  et  tous  les  vrais  catholiques  de  mon  diocèse. 

Comment  auraient-ils  pu  voir,  sans  en  conclure  à  un  parti-pris 
de  ruiner  la  religion  parmi  nous,  les  mesures  d'oppression  succes- 
sives et  de  jour  en  jour  plus  accentuées  qui  ont  été  prises  contre 
elle  depuis  cinq  ans? 

Un  prélat  étranger,  homme  d'une  haute  sagesse  et  d'une  rare 
distinction,  qui  aime  la  France  comme  sa  propre  patrie,  m'écrivait  : 
«  Nous  nous  étonnons  ici  que  le  clergé  français  se  laisse  imposer  en 
silence,  peu  à  peu,  une  sorte  de  Constitution  civile;  et  nous  nous 
demandons  comment  les  pères  de  famille  de  votre  pays,  au  fond 
toujours  si  catholique,  ne  se  lèvent  pas  en  masse  pour  protester 
contre  l'athéisme  officiel  de  vos  écoles.  » 

Il  y  a  plus  de  deux  ans  que  ces  pénibles  réflexions  m'étaient 
exprimées;  et  depuis  lors,  que  de  rigueurs  et  d'entraves  nouvelles 
n'avons-nous  pas  subies!  Qu'ont  dû  dire  ceux  qui  nous  observent  au 
dehors,  en  voyant,  dans  ces  derniers  temps,  nos  prêtres  privés,  à 
rencontre  do  droits  imprescriptibles,  de  leur  modeste  traitement, 
sur  de  simples  dénonciations  le  p'us  souvent  inspirées,  comme  vous 
le  dites,  Émincnce,  et  comme  nous  ne  l'avons  que  trop  constaté 
parmi  nous,  par  la  haine  ou  par  l'intérêt?  Quel  douloureux  étonne- 
ment  n'a  pas  dû  causer  au  loin  cette  loi  sur  l'instruction  primaire 
récoiiuaônt  vîiscutée,  qui,  si  elle  nous  était  imposée,  inaugurerait  un 
système  d'irréligion  scolaire  tel  que  n'en  connut  jamais  aucune 
nation  de  l'Europe,  même  parmi  celles  qui  ont  sacrifié  au  faux  prin- 
cipe de  neutralité! 

Si  les  pères  de  famille  qui  veulent  léguer  à  leurs  enfants  la  foi 
qu'ils  professent  ne  protestent  pas  hautement,  nous  savons  qu'ils 
gémissent  de  cette  atteinte  portée  à  la  plus  sacrée  de  leurs  libertés. 
S'il  répugne  à  nos  prêtres  de  revendiquer  devant  les  tribunaux  des 
droits  qui  leur  sont  pourtant  garantis  par  le  Concordat,  ils  ne 
se  sentent  pas  moins  humiliés  d'être  traités  avec  si  peu  d'égards, 
soit  qu'on  les  frappe  sans  même  les  avoir  entendus,  soit  qu'on  les 
gracie  comme  des  criminels  auxquels  on  applique  une  mesure  de 
clémence. 

C'est  bien  à  vous  qu'il  appartenait,  Éminence,  en  votre  qualité  de 
prince  de  l'Église,  de  vous  faire  l'interprète  de  plaintes  si  considé- 
rables et  si  légitimes.  11  ne  convenait  pas  moins  à  l'aulorité  que  vous 
donnent  votre  longue  expérience  et  votre  haute  sagesse  de  signaler 
es  dangers  de   la  guei're  que  l'on  fait  actuellement  à  l'Eglise.  Puisse 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIiiERT  479 

votre  voix,  à  laquelle  je  suis  fier  et  heureux  de  faire  écho,  être  favo- 
rablement entendue  de  ceux  qui  tiennent  eu  main  lo  pouvoir!  En 
mettant  tin  à  cette  guerre  aussi  inexplicable  qu'impie,  ils  épaigne- 
raient  sans  doute  à  la  religion  bien  des  maux,  mais  ils  on  épargne- 
raient de  plus  grands  encore  à  notre  pays  si  diversement  et  si 
cruellement  éprouvé. 

Blois.  —  Mgr  révèque  de  Blois  : 

Dieu  vous  a  inspiré  la  pensée  de  prendre  en  mains  une  fois  encore 
les  intérêts  sacrés  de  la  religion  et  de  l'Eglise.  La  lettre  que  Votre 
Érainence  vient  d'adresser  à  M.  le  président  de  la  République  est 
le  plaidoyer  le  plus  éloquent  qui  pût  être  présenté  en  faveur  de  nos 
droits  méconnus  et  foulés  aux  pieds.  Pas  un  homme  de  bonne  foi 
ne  lira  ces  pages,  si  pleines  de  sagesse  et  de  vérité,  sans  éprouver 
une  respectueuse  admiration  et  une  profonde  gratitude  envers  votre 
vénérée  personne. 

Permettez-moi,  Monseigneur,  de  vous  remercier  avec  effusion  de 
ce  nouveau  service  rendu  à  la  cause  catholique. 

Bourges.  —  Mgr  l'archevêque  de  Bourges  : 

Les  respectueuses  protestations  et  les  justes  doléances  que  vous 
venez  d'adresser  à  M.  le  président  de  la  République  ont  répondu, 
nul  n'en  saurait  douter,  au  sentiment  de  l'épiscopat  de  la  France 
catholique.  En  dégageant  votre  responsabilité  par  ces  graves  aver- 
tissements, qui  ont  rendu  les  partis  eux-mêmes  attentifs,  vous  avez 
aussi  dégagé  la  nôtre;  une  fois  de  plus,  c'est  un  devoir  et  un  hon- 
neur pour  nous  et  pour  tous  ceux  qui  aiment  l'Église  et  se  dévouent 
à  son  service,  de  vous  remercier  d'un  acte  vraiment  digne  de  votre 
sagesse  et  de  votre  prudence,  en  même  temps  que  de  votre  courage 
et  de  votre  tranquille  fermeté.  Votre  parole  a  consolé  et  fortifié  les 
chrétiens,  et  elle  fera  réfléchir  ceux  qui  croient  encore  à  l'action  de 
Dieu  en  ce  monde  et  aux  leçons  de  l'histoire.  Il  est  donc  permis 
d'espérer  avec  vous,  Monseigneur,  que  jamais  la  France  ne  se  lais- 
sera déposséder  des  saintes  croyances  qui  ont  fait  sa  force  et  sa 
gloire  dans  le  passé  et  lui  ont  assuré  le  premier  rang  parmi  les 
nations. 

C'est  pourquoi  je  prie  Votre  Eminence  de  recevoir  mon  adhésion 
pleine  et  entière  à  votre  lettre  du  30  mars  à  M.  le  président  de  la 
République. 


35 


480  ANNALES    CATHOLIQUES 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

ïtome  et  l'Italie. 

Le  22  mai,  dans  la  salle  Ducale  du  palais  apostolique  du 
Vatican,  le  Souverain  Pontife  a  reçu  en  audience  solennelle 
un  pèlerinage  hollandais.  MgrLeijten,  évêqne  de  Bréda,  a  d'a- 
bord exprimé  en  langue  latine  les  sentiments  de  foi  et  de  piété 
filiale  des  fidèles  de  son  diocèse  qui  ont  pris  part  au  pèlerinage. 
Ensuite  une  Adresse  a  été  lue,  en  français,  au  nom  de  tous  les 
pèlerins,  par  M^r  Boermans,  évêque  titulaire  de  Thermopolis 
et  coadjuteur  de  Ruremonde. 

Assistaient  à  cette  audience  solennelle  LL.  EEm.  les  car- 
dinaux Sacconi,  Ledochowski,  Simeoni,  Franzelin,  Jacobini, 
Bianchi,  Masotti,  Melchers,  Schiaffino,  Verga  et  Ricci-Farac- 
ciani.  Une  députation  du  Cercle  de  Saiut-Pierre  qui  avait 
accueilli  les  pèlerins  à  leur  arrivée  au  Vatican,  avait  été  .inssi 
admise  à  l'audience. 

Sa  Sainteté  a  adressé  aux  pèlerins  le  discours  suivant: 

Très  chers  Fils, 

C'est  toujours  avec  une  grande  satisfaction  que  Nous 
voyons  accourir  à  Rome  de  nouveaux  pèlerins  catholiques, 
mais  plus  grande  encore  est  Notre  joie  quand,  comme  vous, 
Nos  chers  Fils  de  la  Hollande,  ces  pèlerins  Nous  arrivent 
de  pays  séparés  de  la  communion  de  l'Église.  N'est-ce  pas, 
en  effet,  un  spectacle  partiiîiilièrement  beau  et  consolant, 
que  de  voir  ces  poignées  de  braves  et  fervents  chrétiens, 
qui  conservent  intacte  et  immaculée,  au  milieu  de  popula- 
tions hérétiques,  l'antique  foi  de  leurs  pères,  venir  se 
grouper  autour  du  Vicaire  de  Jésus-Christ  et  déposer  à  ses 
pieds  l'hommage  de  leur  respect,  de  leur  obéissance  et  de 
leur  filial  attachement!  Ces  sentiments,  que  vous  avez 
voulu  professer  hautement  devant  Nous  par  la  bouche  des 
chefs  de  votre  pieux  pèlerinage,  étaient  ceux  de  vos  glorieux 
ancêtres,  de  ces  héros  de  la  liberté  et  de  l'indépendance  de 
la  sainte  Église,  de  ces  martyrs  de  la  foi,  dont  la  mémoire 
vous  est  chère  et  dont  vous  perpétuez  les  pieuses  traditions. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  481 

Nous  VOUS  félicitons,  très  chers  Fils,  de  vos  généreuses 
dispositions,  et  Nous  remercions  le  Seigneur  de  la  charité 
toute  chrétienne  qu'il  a  déversée  dans  vos  âmes  et  qui  vous 
réunit  en  ce  moment,  dans  une  même  pensée  et  sous  là 
conduite  de  vos  dignes  pasteurs,  autour  de  la  personne  de 
son  Vicaire. 

Cette  union  et  cette  concorde  est  un  bienfait  immense 
non  seulement  pour  vous,  mais  encore  pour  toutes  vos 
provinces  des  Pays-Bas;  bienfait  d'autant  plus  précieux 
que  les  dangers  pour  la  tranquillité  publique  et  la  paix  des 
peuples  sont  aujourd'hui  plus  menaçants.  Vous  n'ignorez 
pas,  en  effet,  cliers  Fils,  à  quels  maux  très  graves  s'ex- 
po.^ent  le<^  individus,  les  familles  et  les  nations  qui  se 
laissent  séduire  par  des  doctrines  perverses  et  par  des 
maîtres  fallacieux.  Récemment,  dans  des  régions  peu  éloi- 
gnées des  vôtres,  vous  en  avez  vu  de  bien  tristes  exemples. 
La  grande  leçon  qui  se  dégage  de  ces  convulsions  sociales, 
c'est  la  nécessité  pour  les  peuples  de  raviver  leur  foi,  de 
tenir  la  religion  plus  eu  honneur  et  de  régler  leur  vie 
d'après  les  enseignements  de  l'Église  catholique,  unique 
fondement  de  leur  sécurité  et  de  leur  bien-être. 

C'est  à  cette  même  fin,  très  chers  Fils,  et  afin  de  retremper 
de  plus  en  plus  vos  propres  âmes  dans  cet  esprit  de  soumis- 
sion et  d'obéissance  aux  enseignements  de  ce  Siège  Apos- 
tolique, que,  profitant  du  jubilé  extraordinaire  accordé  par 
Nous  à  tous  les  fidèles,  vous  êtes  venus  prier  au  tombeau 
des  saints  Apôlres  et  dans  les  basiliques  de  la  Ville 
Éternelle. 

Que  le  Dieu  de  toute  bonté  et  de  toute  miséricorde  daigne 
exaucer  toutes  vos  prières,  et  notamment  les  vœux  que 
vous  faites  monter  au  Ciel  pour  le  retour  à  la  vraie  foi  de 
vos  compatriotes.  De  Notre  côté,  Nous  implorons  sur  vous 
et  sur  eux  l'abondance  de  ses  grâces  ;  et,  com.me  gage  de 
ces  faveurs  célestes,  Nous  vous  accordons  de  tout  cœur,  à 
vous,  à  vos  familles,  à  tous  ceux  qui  vous  sont  chers  et  à 
tous  les  catholiques  de  la  Hollande,  la  bénédiction  apos- 
tolique. 


482  ANNALES     CATHOLIQUES 

La  Propagande  a  été  invitée  à  prendre  part  à  l'exposition 
coloniale  que  la  reine  Victoria  a  inaugurée  à  Londres,  il  y  a 
trois  jours.  Elle  y  a  donc  envoyé  les  objets  suivants  :  1°  La 
carte  géographique  du  monde  de  Diego  Ribero,  de  1529  (ori- 
ginale en  parchemin  et  d'une  grande  rareté).  2°  Un  Album 
des  établissements  catholiques  en  Australie.  3"  Une  copie  gra- 
vée de  mappemonde  du  XV*  siècle,  dont  l'original  en  cuivre 
est  conservé  au  musée.  4°  Un  atlas  des  missions  catholiques 
avec  vingt  cartes  géographiques.  Sur  la  carte  de  Riberto,  on 
voit  la  linea  divisionis  sive  demarcationis,  indiquée  par 
Alexandre  VI  pour  éviter  le  conflit  entre  l'Espagne  et  le 
Portugal  au  sujet  de  la  domination  sur  mer. 

Dans  le  prochain  consistoire,  outre  les  cardinaux  dont  les 
noms  ont  été  publiés,  le  Pape  créera  un  septième  cardinal,  le 
P.  Mazzella,  jésuite,  grand  thomiste,  professeur  de  théologie 
dogmatique  au  Collège  romain. 

Le  P.  Mazzella  était  professeur  de  théologie  depuis  onze  ans 
au  collège  de  Woodstock,  en  Amérique,  quand,  en  1879,  le  Pape 
le  fit  appeler  pour  professer  au  Collège  Romain,  après  la  publi- 
cation de  l'encyclique  ^Eterni  Patris  sur  saint  Thomas. 

En  recevant  le  billet  de  la  secrétairerie  d'État,  qui  l'infor- 
mait de  sa  nomination,  le  P.  Mazzella  s'est  écrié  qu'il  en  était 
indigne,  et  il  a  supplié  son  supérieur  de  tâcher  de  faire  revenir 
le  Pape  sur  sa  décision.  Reçu  hier  soir  par  le  Saint-Père  en 
audience  privée,  l'humble  religieux  supplia  lui-même  le  Souve- 
rain Pontife  de  ne  pas  le  créer  cardinal.  Mais  Léon  XIII, 
vantant  son  savoir  et  ses  vertus,  lui  a  imposé  obéissance. 

Il  sera  donc  créé. 

S.  S.  Léon  XIII  vient  de  désigner  pour  porter  la  barrette 
cardinalice  aux  cardinaux  créés  au  prochain  consistoire  les 
gardes  nobles  suivants  : 

A  S.  G.  Mgr  l'archevêque  de  Sens,  M.  le  comte  Ferdinand 
Folicaldi;  à  S.  G.  Mgr  l'archevêque  de  Reiras,  M.  le  comte  Pie 
Salimei;  à  S.  G.  Mgr  l'archevêque  de  Baltimore,  M.  le  comte 
Stanislas  Muccioli  ;  à  S.  G.  Mgr  l'archevêque  de  Québec,  M.  le 
comte  Charles  Gazzoli. 

Les  gardes  nobles  partiront  de  Rome  pour  ce  message,  le 
jour  même  du  consistoire. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  483 

Par  billets  de  la  Secrétairerie  d'État  en  date  du  24  mai,  ]e 
Saint-Père  a  daigné  nommer  les  ablégats  destinés  à  porter  la 
barrette  cardinalice  aux  nouveaux  cardinaux  étrangers.  Ce 
sont  :  Mgr  Misciatelli,  de  la  Noble  Académie  ecclésiastique, 
pour  Mgr  l'archevêque  de  Sens  ;  Mgr  Vico,  secrétaire  de  la 
Nonciature  apostolique,  pour  Mgr  l'archevêque  de  Reims  ; 
Mgr  Grassi-Landi,  pour  Mgr  l'archevêque  de  Rennes  ; 
Mgr  Straniero,  attaché  à  la  nonciature  de  Vienne,  pour  Mgr  l'ar- 
chevêque de  Baltimore,  et  Mgr  O'Brjen,  pour  Mgr  l'arche- 
vêque de  Québec. 

SS.  Léon  XIII,  recevant  dimanche  dernier  l'ambassadeur  de 
France,  M.  Lefebvre  de  Béhaine,  lui  a  déclaré  que  la  question 
de  la  représentation  pontificale  en  Chine  ne  sera  pas  tranchée 
sur-le-champ,  mais  qu'il  sera  sursis  encore  à  la  solution.  La 
question  sera  résolue  au  moment  opportun,  et  elle  le  sera  de 
façon  à  satisfaire  tous  les  intérêts  en  jeu. 

Les  formalités  relatives  à  la  cause  de  la  béatification  du 
vénérable  Grignon  de  Montfort  ont  été  terminées,  dans  une 
séance  de  la  Sacrée -Congrégation  des  Rites  tenue  devant  le 
Souverain-Pontife.  Les  cardinaux  et  prélats  qui  font  partie 
de  la  Congrégation  ont  voté  la  formule  :  Tuto  procedi  posse. 

S.  Em.  le  cardinal  Massaia,  de  l'ordre  des  Mineurs  capucins, 
vient  de  publier  à  Rome  le  second  volume  de  relations  sur  ses 
missions  en  Afrique.  Le  premier  volume  de  cet  ouvrage,  inti- 
tulé ;  «  Mes  trente-cinq  années  de  mission  dans  la  haute 
Ethiopie  >  a  été  très  recherché,  le  second  ne  le  sera  pas  moins, 
ainsi  que  ceux  qui  suivront.  L'éminent  écrivain  écrit  simple- 
ment, comme  un  missionnaire;  mais  son  récit  n'est  pas  instruc- 
tif seulement  au  point  de  vue  des  mœurs  des  pays  et  des  diffé- 
rentes coutumes,  il  l'est  encore  pour  les  questions  politiques. 
Il  est  également  intéressant  pour  les  belles  pensées,  les  récits 
d'aventures  de  toute  cette  vie  si  accidentée  du  missionnaire 
catholique.  Le  second  volume  qui  vient  d'être  publié  sera  sur- 
tout apprécié  par  les  explorateurs  de  l'Afrique  centrale.  Le 
récit  du  voyage  fait  par  Mgr  Massaia  pour  arriver  au  pays  des 
Gallas,  offrira  un  intérêt  particulier  aux  Italiens,  qui  feraient 
bien  d'étudier  les  mœurs,  les  forces  et  les  ressources  des  peuples 
de  l'Abyssinie,    dont  ils    se   rapprochent   par  leur  colonie  de 


484  ANNALES    CATHOLIQUES 

Massouah.  Le  livre  montre  enfla  quelle  est  l'importance  des 
missions  et  l'influence  des  missionnaires  ;  les  gens  qui  nous 
gouvernent  peuvent  y  voir  combien  se  trompent  les  gouverne- 
ments hostiles  à  l'Eglise,  lorsqu'ils  mettent  empêchement  aux 
vocations  apostoliques  dans  leur  pajs,  car  on  voit  là,  une  fois 
de  plus,  que  le  missionnaire  peut  faire  prés  des  sauvages  le 
plus  grand  bien  pour  sa  propre  patrie. 

F'rance. 

Angoulême.  —  Un  fait  inouï,  qui  vient  de  se  passer  à  Dignac, 
à  15  kilomètres  d'Angouleme,  prouve  que  M.  Goblet  entend 
continuer  la  série  des  attentats  naguère  inaugurée  par  le  crime 
de  Châteauvillain. 

Voici  ce  que  raconte  à  ce  sujet  les  journaux  de  la  Charente  : 

Il  y  a  deux  ans,  M.  Goumard,  propriétaire  à  Dignac,  avait 
mis  un  immeuble  à  la  disposition  de  l'école  communale  dirigée 
par  les  Sœurs.  Aucun  bail  n'avait  été  signé,  et  la  commune 
n'avait  jamais  songé  à  payer  le  moindre  loyer. 

Ne  pouvant  parvenir  à  se  faire  payer,  Mme  Gou'.uard  résolut 
de  congédier  la  commune,  sa  locataire,  et  elle  loua  la  maison  à 
un  habitant  au  pays,  M.  de  Juglart.  Le  bail  était  enregistré  le 
8  mai,  dans  toutes  les  formes  requises  par  la  loi. 

Quelques  jours  après,  l'école  était  laïcisée,  et  les  Sœurs,  à 
qui  l'on  avait  signifié  un  arrêté  d'expulsion,  quittaient  l'im- 
meuble dont  le  locataire,  M.  de  Juglart,  prenait  possession, 

M.  de  Juglart  était  à  peine  installé  dans  son  nouvel  apparte- 
ment, que  l'inspecteur  primaire  faisait  irruption  dans  le  village. 

Ne  trouvant  pas  d'immeuble  à  sa  convenance,  cet  étrange 
-fonctionnaire  ne  trouva  rien  de  mieux  que  de  mettre  la  main 
sur  la  maison  dont  M.  de  Juglart  avait  payé  la  location. 

Mettant  son  plan  à  exécution,  il  se  rend  donc  à  l'appartement 
de  M.  de  Juglart,  suivi  du  maire  et  de  deux  gendarmes. 

Laissons  la  parole  au  Matin  Charentais,  qui  raconte  la  fin  de 
l'entrevue  ; 

—  Je  suis  ici  pour  visiter  l'école,  répondit  l'inspecteur,  et  je  veux 
y  entrer. 

—  L'école  n'est  plus  ici,  réponJit  M.  de  Juglart,  et  je  vous  interdis 
l'entrée  de  mon  domicile  ;  voici  le  bail  enregistré  qui  prouve  que  je 
suis  chez  moi. 

—  J'en  ai  un  moi  aussi,  répondit  le  maire,  qui  a  bien  soin  de 
ne  pas  faire  voir  le  titre  dont  il  a  la  prétention  de  se  prévaloir,  et 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  485 

qne,  pour  la  circonstance,  il  a  fait  enregistrer  depuis  deux  ou  troia 
jours  seulement. 

—  Nous  ne  sommes  pas  ici  pour  discuter,  reprend  l'inspecteur,  et, 
r.'.oc  UD  geste  superbe  :  «  Monsieur  le  maire,  faites  votre  devoir». 

Immédiatement,  le  maire  envoie  chi^rcher  un  maréchal-ferrant 
pour  crocheter  les  portes. 

M.  do  Juglart  lit  alors  à  l'inspecteur  l'article  184  du  code  pénal, 
sous  l'application  duquel  ce  fonctionnaire  va  tomber  en  agissant 
sans  les  formalités  prescrites  par  la  loi.  Puis,  se  retournant  vers  le 
maréchal,  il  lui  lit  la  seconde  partie  de  l'article. 

Le  malheureux  hésite  et,  décidément,  refuse  d'obéir. 

—  Je  n'ai  pas  envie  de  me  faire  assommer,  dit-il. 

—  Je  réponds  de  tout,  riposte  l'inspecteur. 

M.  de  Juglart  élève  la  voix  de  façon  à  être  entendu  par  la  foule. 

—  Je  ne  veux  pas  répandre  le  sang,  dit-il  ;  je  ne  veux  pas  de  vio- 
lence, je  la  laisse  aux  représentants  de  la  République;  mais  M.  l'ins- 
pecteur qui  répond  de  tout,  fera-t-il  la  prison  de  cet  homme  s'il  y 
est  condamné  pour  avoir  violé  ma  propriété  ?  ressusciterait-il  ce 
malheureux  si,  moios  calme  que  je  ne  le  suis,  je  lui  cassais  la  tête 
quand  il  va  enfoncer  ma  porte  !  Je  cède  à  la  force. 

La  foule  ciie  ;  «  Vive  M.  du  Juglart  !  » 

11  iallait  en  finir  :  ou  brise  la  petite  porte  ;  puis,  comme  il  faut 
faire  passer  les  meubles  de  la  nouvelle  institutrice,  on  commence  à 
fracturer  la  grande  grille,  lorsque,  pour  éviter  des  dégâts,  quelqu'un 
passe  la  clef. 

Voici  les  crocheteurs  dans  la  cour. 

Il  fallait  pénétrer  dans  la  maison,  dans  laquelle  M.  de  Juglart 
venait  de  s'enfermer. 

Cette  fois,  on  procède  par  effraction  et  escalade,  on  brise  un  volet, 
on  casse  une  vitre,  on  ouvre  la  fenêtre,  et  on  entre  par  cette  brèche, 

—  Vous  allez  nous  céder  la  place  !  s'écrie  nerveusement  l'inspecteur. 

—  Pas  du  tout  ;  je  suis  chez  moi,  j'y  reste,  et  n'en  sortirai  que 
manu  militari. 

—  Très  bien  ! 

L'inspecteur  ordonne,  et  deux  gendarmes,  qui  semblent  honteux 
de  la  triste  corvée  qu'on  leur  impose,  empoignent  M.  de  Juglart  par- 
dessous  le  bras  et  le  transportent  dans  la  rue. 

Puis,  c'est  le  tour  des  invités  qui,  chacun  à  leur  tour,  sont  déposés 
sur  le  pavé,  au  milieu  de  la  foule  qui  acclame  ces  honnêtes  gens 
traités  comme  des  malfaiteurs. 

En  s'introcluisantpar  la  force  dans  la  maison  d'autrui,  l'agent 
de  M.  Goblet  a  commis  tout  à  la  fois  un  vol  avec  effraction  et 
une  violation  de  domicile.  Nous  n'osons  espérer  que  les  magis- 
trats d'Angoulêrae  fassent  arrêter  les  coupables,  comme  c'est 


486  ANNALES    CATHOLIQUES 

leur  devoir;  mais  nous  avons  la  confiance  que  ces  attentats 
répétés  réveilleront  les  consciences  endormies,  et  que  les 
catholiques  sauront  enfin  se  grouper  pour  revendiquer  leurs 
droits,  que  l'on  viole  avec  un  cjnisme  si  révoltant. 

Langues.  —  Voici  un  nouvel  exploit  des  administrateurs  du 
gouvernement  de  la  République.  Il  nous  est  signalé  ]}SivV Avenir 
de  la  Haute-Marne,  dont  nous  résumons  les  informations. 

Donc,  en  ce  département  de  la  Haute-Marne,  il  existe  à 
Auberive  une  ancienne  prison  transformée  en  maison  de  cor- 
rection pour  jeunes  filles,  et  c'est  la  coutume  que  les  pension- 
naires de  cet  établissement  spécial  sont,  en  raison  même  de 
leur  provenance,  enterrées,  quand  elles  viennent  à  mourir, 
dans  un  cimetière  spécial  que  possède  l'établissement.  Pour 
quel  motif  la  directrice  actuelle  de  la  maison  de  correction, 
Mme  Henri  Hubert,  voulut-elle,  l'autre  jour,  faire  enterrer 
dans  le  cimetière  communal  une  de  ses  pensionnaires?  Nous  ne 
le  rechercherons  pas,  nous  bornant  à  constater  que  le  maire 
présenta  des  objections  et  déclara  ne  pouvoir  faire  droit  à  sa 
demande  sans  l'avis  du  conseil  municipal.  Mais  la  directrice 
tint  bon.  «Je  suis,  disait-elle,  l'amie  de  M.  Herbette  »,  et  cela 
devait  suffire. 

Saisi  du  conflit,  le  préfet  donna  raison  à  la  directrice  et, 
pour  être  plus  sûr  de  voir  exécuter  sa  volonté,  il  chargea  le 
juge  de  paix,  M.  Testevuide,  de  se  transporter  au  chef-lieu  et 
d'y  prendre  les  pouvoirs  du  maire.  Celui-ci,  sans  s'opposer  à  la 
mission  du  délégué,  proposa  par  esprit  de  conciliation,  de 
choisir  dans  le  cimetière  un  endroit  isolé,  afin  de  ménager  les 
susceptibilités  des  habitants.  Mais,  à  l'annonce  de  l'arrivée  du 
délégué,  les  habitants  s'étaient  émus,  et  quand  l'émissaire  du 
préfet  vint  au  cimetière,  il  en  trouva  la  porte  solidement 
barricadée  à  l'aide  d'une  forte  chaîne  fermée  par  un  cadenas. 

La  situation  devenait  grave.  Le  délégué  le  comprit  et  fit 
appel  au  maire  pour  faire  ouvrir  la  porte  ;  mais  le  maire  avait 
déjà  envoyé  sa  démission  pour  répondre  à  la  mesure  du  préfet. 
L'adjoint,  requis  de  remplacer  le  maire  pour  cet  office,  refusa 
non  moins  nettement.  Il  fallait  avoir  recours  à  un  serrurier.  On 
n'en  trouva  point  qui  voulût  se  charger  de  la  besogne. 

Finalement  le  délégué  préfectoral  dut  télégraphier  au  préfet 
d'envoyer  un  serrurier  et  la  force  armée.  Nous  prenons  ici  le 
récit  de  V Avenir  de  la  Haute-Marne  : 

Samedi,  dans  la  nuit,  tout  dormait  dans  la  petite  ville  d'Auberive. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  487 

Soudain  le  pas  retentissant  des  chevaux  et  le  cliquetis  des  sabres 
battant  les  étriers  réveillent  les  dormeurs  paisibles.  Des  têtes  effarée» 
se  montrent  aux  fenêtres,  et  les  yeux  encore  mi-clos  des  citoyens 
voient  s'enfoncer  dans  l'ombre  les  sombres  escadrons.  Les  gendarmes 
de  Langres  et  de  Prauthoy  arrivaient.  Le  jour  de  gloire  était  arrivé 
un  peu  avant  eux  :  deux  heures  sonnaient  au  beffroi  d'Auberive. 

—  Œ  Halte!  »  commanda  le  chef  à  voix  basse.  On  était  devant 
l'hôtel  Rouget.  —  «  Au  nom  du  préfet,  ouvrez  !»  —  «  Eh  !  qu'y 
a-t-il  !  »  demanda  le  maître  d'hôtel.  «  Au  nom  du  préfet,  ouvrez  !  » 
—  «  Mais,  messieurs,  il  n'y  a  pas  besoin  du  nom  du  préfet.  Ici  on 
reçoit  les  voyageurs  à  toute  heure.  » 

Les  gendarmes  expliquèrent  alors  au  patron  le  but  et  le  plan  de 
leur  expédition,  et  l'un  d'eux  lui  dit  :  Il  faut  qice  vous  nous  aidiez  à 
calmer  la  population.  Nous  serions  fâchés  d'être  obligés  de  tirer  sur 
elle.  On  nous  affirme  que  ces  paroles  ont  été  dites,  et  chacun  en 
comprendra  la  gravité.  La  gendarmerie  avait  donc  ordre  de  tirer  sur 
le  peuple,  le  cas  échéant,  et  la  moindre  imprudence  de  la  part  d'un 
habitant  pouvait  amener  une  nouvelle  édition  du  massacre  de  Châ- 
teauvillain.  Heureusement,  en  face  des  provocations  inouïes  de 
l'autorité,  la  population  d'Auberive  a  su  rester  calme  et  montrer 
une  dignité  qui  fait  contraste  avec  les  procédés  violents  et  injurieux 
des  agents  de  la  République... 

Dès  la  pointe  du  jour,  les  trois  brigades  de  gendarmerie  sillonnaient 
les  rues  d'Auberive.  Pendant  ce  temps,  le  serrurier  opérait  sans 
bruit  le  crochetage  de  la  porte  du  cimetière. 

A  huit  heures  du  matin,  les  troupes  se  concentrent  à  leur  quartier 
général,  à  l'hôtel  Rouget.  Les  gendarmes  se  rendent  dans  le  jardin 
de  l'hôtel  et  chargent  leurs  revolvers.  Ils  prennent  ensuite  leurs 
dispositions  de  combat,  pendant  que  le  funèbre  cortège  s'avance  vers 
le  cimetière,  précédé  par  cinq  gendarmes,  en  pointe  d'avant-garde, 
la  baïonnette  au  bout  du  canon  de  leur  carabine.  Une  partie  de  la 
gendarmerie,  le  sabre  au  clair,  est  massée  près  de  la  porte.  Mais  ce 
déploiement  de  force  est  heureusement  inutile.  Les  habitants  ter- 
rifiés, et  sachant  avec  quelle  facilité  les  gendarmes  de  la  République 
font  feu  sur  les  femmes  sans  défense,  restent  prudemment  chez  eux, 
se  contentant  de  regarder  ce  qui  se  passe  à  travers  leurs  fenêtres 
entrebaillées.  L'inhumation  a  eu  lieu  sans  incident  et  les  fossoyeurs 
de  la  prison  achèvent  la  triste  opération  sous  la  protection  des 
gendarmes. 

Redoutant  les  conséquences  de  cet  acte,  qui  n'est  qu'un  abus  de 
pouvoir,  car  la  police  du  cimetière  appartient  au  maire,  et  mieux 
conseillé  aujourd'hui  ou  cédant  aux  menaces  de  la  population,  le 
préfet  a  envoyé  sur  los  lieux  un  conseiller  de  préfecture  qui  sous 
prétexte  de  faire  une  enquête,  a  présenté  au  maire  les  excuses  de 
l'administration.  Il  l'a  engagé  à  retirer  sa  démission  et  à  calmer  le 
conseil  municipal. 


488  ANNALES    CATHOLIQUES 

Les  conseillers  municipaux,  appelés  à  délibérer  sur  la  situation, 
ont  résolu,  à  Vunanimité,  de  maintenir  leur  démission.  L'indigna- 
tion de  la  population  ne  s'est  pas  calmée. 

Tel  est  le  nouvel  exploit  des  républicains.  Il  est  inutile  de  le 
commenter  longuement,  et  il  n'y  a  poui'  conclure  qu'à  demander 
avec  V Avenir  de  la  Haute-Marne,  si  nos  gouvernants,  tout 
en  croyant  sauver  la  République,  n'ont  pas  juré  de  la  perdre 
par  cette  série  de  mesures  si  bien  faites  pour  révolter  les  popu- 
lations. C'est  une  conséquence  qu'on  peut  prévoir  et  qui  n'est 

pas  pour  nous  déplaire. 

(Univers.) 

Le  Puy.  —  Un  nouveau  deuil  vient  affliger  l'Église  de 
France.  Mgr  Pierre-Marc  Le  Breton,  évêque  du  Puy,  est  mort 
vendredi  dernier,  21  mai,  en  sa  ville  épiscopale,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-un  ans,  après  une  longue  maladie  qui  faisait 
malheureusement  prévoir  ce  douloureux  événemement. 

Mgr  Le  Breton  était  né  à  Pleven  (Cote?  du  Nord),  le 
25  avril  1805.  De  bonne  heure  il  avait  fait  remarquer  les 
qualités  qui  devaient  l'élever  au  rang  des  princes  de  l'Église, 
et  il  était  chanoine  titulaire  et  vicaire  général  de  Saint-Brieuc 
quand  il  fut  choisi,  eu  1863,  pour  occuper  le  siège  du  Puy. 

Troyes.  —  Un  fait  scandaleux  s'est  produit  le  20  mai  pendant 
les  exercices  du  mois  de  Marie,  dans  l'église  Saint-Martin  de 
Troyes . 

Le  prédicateur  était  monté  en  chaire,  dit  V Autorité',  lorsque 
quelques  auditeurs,  qui  jamais,  d'ordinaire,  ne  franchissent  le 
seuil  de  l'église,  y  pénètrent.  Ils  faisaient  un  tel  bruit,  que  les 
jeunes  gens  des  Cercles  catholiques,  qui  voulaient  écouter, 
durent  leur  imposer  silence.  Les  nouveaux  venus  les  bous- 
culent. Un  sous-ofiicier  de  chasseurs,  indigné  de  cette  atteinte 
portée  à  la  liberté,  prend  fait  et  cause  pour  ceux  qui  prient. 
«  Enlevez-le,  »  s'écrient  les  tapageurs. 

Des  soldats  de  cavalerie  accourent  au  secours  de  leur  camarade 
bousculé. 

Quelques  arrestations  de  perturbateurs  sont  faites,  mais  elles 
ne  sont  pas  maintenues. 

Un  ancien  gardien  de  la  paix,  M.  J...,  très  digne  et  honnête 
homme,  a  reçu  un  coup  sur  la  face  et  un  pavé  dans  la  poitrine. 
Et  comme  il  tombait  baigné  dans  son  sang,  les  «  hommes  à 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  489 

casquettes  >  se  sont  écriés  :  «  Achevons-le!  »  Il  n'a  pu  qu'à 
grand'peine  rentrer  chez  lui. 

On  a  voulu  faire  un  mauvais  parti  à  trois  militaires  qui  pas- 
saient et  qui  regagnaient  leur  quartier.  Mais,  sans  dégainer, 
tenant  seulement  leur  latte  à  la  main,  ils  ont  tenu  en  respect 
les  forcenés  qui  criaient  :  «  Au  pavé!  au  caillou  !  » 

M.  le  curé  de  Savières  a  reçu  plusieurs  blessures  et  M.  R... 
a  été  assez  grièvement  atteint. 

Missions. 

Iles  Sandwich.  —  Mgr  Hermann  Kœckmann,  de  la  Congré- 
gation des  Sacrés  Coeurs,  vicaire  apostolique  des  îles  Sandwich, 
adresse  de  Honoluiu  à  MM.  les  directeurs  de  l'œuvre  de  la 
Propagation  de  la  Foi,  une  lettre  que  publient  les  Missions 
catholiques^  et  que  nous  reproduisons  à  peu  près  intégra- 
lement : 

L'état  social  de  nos  îles  est  continuellement  en  voie  de  transfor- 
mation. Dans  ces  dernières  années  surtout,  les  changements  ont  été 
plus  sensibles  que  par  le  passé.  Les  baleiniers  ayant  cessé  de  venir 
ici,  on  a  vigoureusement  poussé  les  plantations  de  cannes  à  sucre, 
ce  qui  a  eu  pour  suite  l'immigration  rapide  de  toute  espèce  de 
monde.  Les  Chinois  sont  près  de  vingt  mille,  presque  tous  hommes; 
il  n'y  a  pas  mille  femmes  parmi  eux.  Ils  sont  païens,  à  l'exception 
de  trois  à  quatre  cents  protestants  et  environ  cinquante  catho- 
liques. —  Nous  ne  pouvons  pas  agir  directement  sur  eux,  parce  que 
nous  ne  savons  pas  encore  leur  langue;  du  reste,  en  général,  ils 
montrent  très  peu  de  bonnes  dispositions. 

Les  Japonais  sont  environ  au  nombre  de  douze  cents,  dont  trente 
à  quarante  catholiques  et  quatre  cents  protestants;  les  autres  sont 
païens.  Les  Portugais,  hommes,  femmes  et  enfants,  sont  au  delà  de 
dix  mille.  A  l'exception  de  quelques  mauvais  sujets,  ils  sont  tous 
catholiques  croyants,  simples  et  plus  ou  moins  fervents  en  pratique; 
mais,  en  général,  ils  sont  assez  ignorants.  Comme  ils  sont  employés 
par  centaines  dans  différentes  plantations,  quelquefois  assez  loin  de 
nos  chapelles,  il  faut  agrandir  les  anciennes  et  en  bâtir  de  nouvelles 
pour  eux.  Depuis  le  mois  de  juillet  1881,  nous  avons  construit  qua- 
torze nouvelles  chapelles,  une  quinzième  s'achève  et  d'autres  sont  en 
projet.  Et  comme  les  Portugais  sont  pauvres  et  leurs  maîtres  presque 
tous  protestants,  ces  frais  tombent  principalement  sur  la  mission. 
Par  contre,  nous  venons  d'abandonner  deux  chapelles  dans  l'île 
d'Oahu,  parce  que  les  villages  ont  été  envahis  par  les  Chinois  païens 
qui  ont  remplacé  les  indigènes  chrétiens. 

Depuis  quelques  années,  nous  sommes  en  bons  rapports  avec  le 
gouvernement,  qui  nous  est  assez  favorable.  Nous  jouissons   d'une 


490  ANNALES    CATHOLIQUKS 

liberté  parfaite,  quoique  les  lois  qui  concernent  l'éducation  et  le 
mariage  (grande  facilité  de  divorcer)  nous  entravent  et  nous  gênent 
beaucoup  dans  l'exercice  du  saint  ministère.  Le  roi  Kalakaus  et  son 
gouvernement  nous  montrent  même  quelquefois  de  la  bienveillance. 
C'est  le  roi  et  son  gouvernement  qui  ont  fait  venir  des  Sœurs  fran- 
ciscaines pour  le  service  des  hôpitaux,  principalement  pour  les 
lépreux. 


LES  CHAMBRES 

Sénat. 

Ma?di  23  mai.  —  Fixation  de  l'ordre  du  jour. 

Cîhambre  des  députés. 

Mardi  25  mai.  —  Discussion  sur  la  prise  en  considération  d'un 
projet  attribuant  une  indemnité  aux  conseillers  généraux.  La  prise 
enconsidération  est  repoussée. 

M.  le  baron  bes  Rotours  combat  la  prise  en  considération  d'une 
proposition  de  MM.  Paul  Bert,  Cantagrel  et  Révillon,  ayant  pour  but 
d'assurer,  à  titre  de  récompense  nationale,  des  pensions  viagères  aux 
survivants  des  blessés  de  février  1848  et  à  leurs  ascendants,  veuves 
et  orphelins. 

L'orateur  fait  remarquer  que  chaque  parti  qui  arrive  au  pouvoir 
veut  enrichir  sa  clientèle.  C'est  une  voie  détestable,  dans  laquelle  le 
gouvernement  ne  voudra  pas  s'engager. 

M.  Legkand  de  Lécelles  dit  que  la  question  a  un  caractère  budgé- 
taire et  que  ce  serait  un  mauvais  exemple  de  donner  uue  prime  à 
l'insurrection. 

M.  Madier  de  Montjau  répond  que  le  devoir  de  la  justice  prime  le 
devoir  de  l'économie.  On  ne  peut  refuser  une  obole  à  ceux  qui  ont 
combattu  derrière  les  barricades  pour  défendre  le  droit. 

M.  Paul  DE  Cassagnac  demande  s'il  est  politique,  alors  que  le  pays 
est  dans  un  état  de  souffrance  si  aigu,  de  réclamer  encore  de  l'argent 
à  ce  pays.  Chaque  mois,  chaque  semaine  le  parti  républicain  tend  la 
main  à  la  France  et  lui  demande  de  l'argent  qu'elle  n'a  plus.  Accor- 
der une  récompense  nationale  à  la  révolte,  c'est  flétrir  l'armée  qui 
l'a  combattue.  A  la  suite  de  nos  guerres  en  Tunisie  et  au  Tonkin, 
xxn  grand  nombre  d'officiers  ont  succombé.  Combien  ont  laissé  une 
pension  insuffisante  à  leur  veuve!  C'est  en  pi-ésence  de  ces  besoins 
qu'on  accorderait  des  pensions  à  de  mauvais  citoyens  qui  ont  pris  lea 
armes  contre  le  gouvernement  régulier  du  pays. 

M.  ToNY-RÉviLLON  soutient  que  les  blessés  de  février  ont  des  droits 
écrits  dans  une  loi  de  mars  1848.  Ces  blessés  ont  attendu,  parce  qxie 
l'Empire  est  venu  trop  tôt  après  la  révolatioa  da  février.  Lu  majorité 
voudra  payera  ces  hommes  la  dette  de  la  patrie  et  de  la  République. 


M.  DE  La  Rochefoucauld  dit  que  les  victimes  de  la  révolution  de 
1848  sont  des  insurgés.  S'ila  sont  restés  victorieux,  c'est  parce  qu'on 
n';i  pas  voulu  tirer  sur  eux, 

I^es  conclusions  de  la  commission  sont  adoptées  par  386  voix 
contre  184. 

La  Chambre  prend  ensuite  en  considération  la  proposition  de 
M.  Lacroix  relative  à  l'organisation  municipale  de  la  ville  de 
Paris,  et  la  proposition  de  M.  Renioiville,  relative  à  la  réforme  du 
code  de  procédure. 

La  loi  sur  les  livrets  ouvriers  revient  du  Sénat  en  première 
lecture. 

M.  Lyonnais,  député  de  la  Seine-Inférieure,  réclame  la  suppres- 
sion du  livret  obligatoire,  dont  les  patrons,  dit-il,  se  plaignent 
autant  que  les  ouvriers. 

La  suite  du  discours  de  M.  Lyonnais  est  renvoyée  à  la  prochaine 
séance. 

Vient  ensuite  la  demande  d'interpellation  de  MM.  Michelin  et 
Planteau  sur  la  continuation  de  la  grève  de  Decazeville.  M.  Miche- 
lin réclame  la  fixation  à  samedi  ou  à  lundi.  M.  Lockroy,  au  nom 
du  gouvernement,  demande  qu'on  attende,  pour  cette  fixation,  la 
présence  de  son  collègue  des  travaux  publics.  La  Chambre, 
consultée,  remet  la  fixation  à  jeudi. 

DERNiiîRE  Heure.  —  Chambre  des  députés  :  séance  du  jeudi 
27  mai.  —  Le  gouvernement  dépose  un  projet  de  loi  l'autorisant  à 
expulser,  quand  bon  lui  semble,  tout  membre  d'une  famille  ayant 
réi^né  sur  la  France.  —  L'ursrence  est  déclarée. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Le  mariage  de  la  princesse  Amélie.  —  Pai'oles  de  M.  Billot.  —  Baptême 
d'Alphonse  XIIL  ~  Election  d'îlle-et- Vilaine.  —  L'anniversaire  de 
Victor  Hugo.  —  Au  Père  Lachaise.  —  Etranger. 

27  mai  188G. 

Les  fêtes  du  mariage  du  duc  de  Bragance  avec  la  princesse 
Amélie,  qui  ont  eu  lieu  samedi  dernier,  22  mai,  se  sont  passées 
avec  la  plus  grande  solennité  au  milieu  de  l'enthousiasme 
populaire. 

Le  roi  et  la  reine  de  Portugal,  le  prince  royal,  duc  de 
Bragance,  l'infant  don  Auguste  et  les  représentants  des  gou- 
vernements étrangers   se   sont  rendus   directement   du   palai? 


492  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'Ajuda,  à  l'église  de  Santa-Justa  et  Rufina,  où  ils  sont  arrivés 
quelques  minutes  avant  les  princes  d'Orléans. 

Le  comte  et  la  comtesse  de  Paris,  la  princesse  Amélie,  les 
princes  et  les  princesses  de  la  maison  d'Orléans  sont  allés 
directement  à  l'église  en  sortant  du  palais  oii  ils  habitent 
depuis  leur  arrivée  à  Lisbonne. 

Le  cortège  a  un  aspect  imposant  :  il  se  compose  de  quatre 
carrosses  et  de  plusieurs  autres  voitures  traînées  par  des 
mulets.  Le  carrosse  dans  lequel  se  trouve  la  princesse  Amélie 
a  été  construit  à  Rome  par  l'ordre  du  pape  Clément  II  et  offert 
au  roi  Jean  V. 

Sur  tout  le  parcours  jusqu'à  l'église,  la  princesse  Amélie 
a  été  l'objet  de  chaleureuses  ovations. 

L'église  est  richement  décorée.  Cinq  cents  lustres  ont  été 
allumés. 

Douze  tribunes  ont  été  préparées  pour  recevoir  les  corps 
diplomatiques,  les  députés  et  les  personnages  de  distinction. 
Prés  de  l'autel  se  trouve  un  trône  grandiose  sur  lequel  vont  se 
placer  le  roi  et  la  reine. 

A  l'entrée  de  la  princesse  Amélie,  que  vient  prendre  le  duc 
de  Bragance  pour  la  conduire  à  l'autel,  l'orchestre  de  la  cha- 
pelle royale  se  fait  entendre. 

Le  duc  et  la  princesse  vont  ensuite  prendre  place  sur  des 
fauteuils  au  milieu  du  chœur;  au-dessus  de  leurs  têtes  se  trouve 
la  couronne  royale,  en  or,  avec  des  banderoUes  aux  couleurs 
portugaises  et  ornée  de  palmiers,  d'azalées,  de  rhododendrons 
et  de  camélias. 

Le  carJinal  patriarche  S.  S.  Neto  dit  la  messe.  Après  les 
premières  prières,  il  se  lève,  et,  s'approchant  des  fiancés,  il 
leur  adresse  à  haute  voix  les  demandes  d'usage  : 

«  Son  Altesse  le  prince  royal  veut-il  prendre  pour  épouse  la 
princesse  Marie-Amélie  d'Orléans?  » 

Avant  de  répondre  le  oui  sacramentel,  le  duc  de  Bragance 
s'est  levé  et  s'est  dirigé  vers  le  roi  et  la  reine  et  leur  a  baisé 
les  mains,  pour  bien  prouver  ainsi,  en  présence  de  la  cour,  de 
toute  la  noblesse  du  royaume,  que  c'était  avec  l'autorisation 
de  Leurs  Majestés  qu'il  épousait  la  princesse  Amélie.  La  même 
question,  adressée  ensuite  à  la  princesse  Amélie,  fut  suivie  de 
la  même  manifestation  de  respect.  La  princesse  embrassa,  très 
émue,  Mgr  le  comte  et  M"'  la  comtesse  de  Paris. 

Puis,    le   cardinal-archevêque    ayant  béni   les    anneaux   de 


à 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE  493 

mariage,  les  remit  à  Leurs  Altesses  qui  les  échangèrent  entre 
eux. 

A  ce  moment,  les  cloches  de  l'église  sonnèrent  à  toute  volée, 
les  canons  commencèrent  leurs  salves  prolongées  et  des  fusées 
furent  lancées  dans  les  airs.  C'était  un  signal,  et  dans  le  port, 
sur  tous  les  navires  de  l'Etat,  les  marins  s'agenouillèrent  pour 
joindre  leurs  prières  à  celles  des  assistants. 

Le  cardinal  entonne  le  Te  Deum,  repris  par  la  maîtrise  de  la 
chapelle  et  l'orchestre.  Ce  morceau  a  été  composé  pour  la  cir- 
constance, 

La  cérémonie  terminée,  le  patriarche  conduit  les  mariés 
jusqu'aux  portes  de  l'église,  puis,  au  milieu  des  acclamations 
de  la.  foule,  le  cortège  se  rend  à  Belem,  le  palais  des  nouveaux 
époux. 

Les  hauts  dignitaires  désignés  par  le  roi  qui  tiennent  le  dais 
à  la  porte  de  l'église,  sont  douze  marquis  de  la  plus  ancienne 
noblesse  de  Portugal. 

Le  duc  de  Bragance  porte  l'uniforme  de  capitaine  d'artillerie; 
la  princesse  Amélie  porte  une  robe  de  soie  blanche  montante, 
avec  le  fameux  voile  exécuté  sous  les  ordres  de  M"'°  la  comtesse 
de  Paris,  par  les  dentelières  de  Normandie;  la  comtesse  de 
Paris  une  robe  en  velours  de  Gênes  frappé  à  traîne,  et  un  cor- 
sage ruisselant  de  jais  blanc;  la  reine  Maria-Pia  une  robe  en 
velours  bleu  brodée  et  garnie  d'une  guirlande  de  faille  se 
détachant  sur  un  fond  bleu,  avec  des  fleurs  de  grenade. 

Les  dames  portaient  toutes  des  robes  vertes,  aux  couleurs  de 
la  maison  de  Bragance. 

Le  «  Club  naval  •»  de  Lisbonne,  dont  le  duc  de  Bragance  est 
président,  a  organisé  une  grande  manifestation. 

Tous  les  yachts,  chaloupes,  bateaux  à  voiles  et  à  rames, 
montés  par  les  clubmen,  se  sont  rendus  vers  quatre  heures  sur 
le  Tage,  dans  la  direction  du  palais  de  Belem,  devant  lequel 
ils  sont  restés  à  l'ancre  pendant  quatre  jours.  Ils  ont  illuminé 
chaque  nuit. 

Toute  la  ville  était  pavoisée. 

Dans  toutes  les  rues  ont  été  dressés  des  tréteaux  sur  lesquels, 
pendant  les  quatre  soirées  de  gala,  ont  joué  les  musiques  mili- 
taires et  les  fanfares  populaires. 

En  somme,  partout  grand  enthousiasme  pour  la  famille 
royale,  vive  et  touchante  sympathie  pour  les  princes  d'Orléans 
qui,  à  chacune  de  leurs  sorties  dans  la  ville,  étaient  accueillis 


494  ANNALES    CATHOLIQUES 

par  les  cris  répétés  de  :  «   Vive  la  France!  Vive  le  comte  de 
Paris!  » 


M.  Billot,  ministre  plénipotentiaire  de  France  à  Lisbonne, 
était  chargé  de  représenter  le  gouvernement  français  au 
mariage  du  duc  de  Bragance  avec  la  princesse  Amélie;  il  a  été 
reçu  avec  le  cérémonial  accoutumé. 

L'introducteur  des  ambassadeurs  est  allé  le  prendre  au  palais 
de  la  légation  de  France,  dans  un  carrosse  de  la  cour,  avec  une 
escorte  de  cavalerie.  Un  régiment  rendait  les  honneurs  à  la 
porte  du  palais  d'Ajuda,  résidence  du  roi. 

Introduit  dans  la  salle  du  Trône,  oii  le  roi  se  trouvait  entouré 
de  sa  cour,  M.  Billot  lui  a  adressé  le  discours  suivant  : 

Sire, 
M,  le  président  de  la  République  française  m'a  donné  l'honorable 
mission  d'exprimer  à  Votre  Majesté  le  vif  intérêt  qu'il  porte  à  tout 
ce  qui  touche  la  famille  royale  de  Portugal,  pays  ami  de  la  France, 
ainsi  que  la  sympathie  avec  laquelle  son  gouvernement  envisage  une 
union  qui  doit  établir  un  lien  de  plus  entre  les  deux  pays. 

Ce  discours  est  la  répétition  à  peu  prés  textuelle  de  la  lettre 
par  laquelle  M,  Grévy  a  remercié  le  roi  de  Portugal  de  lui 
avoir  fait  part  du  mariage  du  prince-héritier  avec  la  fille  aînée 
du  comte  de  Paris. 

Le  roi  a  répondu  : 

Monsieur  le  ministre, 
Je   remercie  le  gouvernement  français  de  vous  avoir  choisi  pour 
m'exprimer  les  afFectueux  sentiments  dont  vous  venez  de  vous  faire 
l'interprète.  Le  mariage  d'une  princesse  française  avec  mon  fils  ne 
peut  qu'être  utile  à  la  France  et  au  Portugal. 

M.  Billot  a  ensuite  été  présenté  à  la  reine,  et  reconduit  avec 
le  même  cérémonial  à  la  légation  française. 


Ces  quelques  paroles  de  M.  Billot  rendront  la  tâche  du 
cabinet  bien  difficile,  s'il  est  décidé,  comme  on  feint  de  le 
croire,  à  expulser  les  princes.  Comment,  en  eôet,  pourra-t-on 
infiio-or  un  pareil  aifront  à  la  famille  régnante  de  Portugal  ? 
Comment  osera-t-on  prendre  une  semblable  mesure  après  avoir 


CHRONIQUE   DE    LA.   SEMAINE  495 

dit  que  cette  union  <  doit  établir  un  lien  de  plus  entre  les  deux 
pays  »'!  Le  gouvernement  français  ne  peut  avoir  deux  opinions  : 
celle  qu'exprime  son  représentant  et  celle  que  lui  dicte  un 
certain  parti  politique.  Après  ce  qui  a  été  dit  à  Lisbonne,  si  on 
expulsait  le  comte  de  Paris,  il  faudrait  en  même  temps  rappeler 
M.  Billot. 


La  question  de  l'expulsion  des  princes  commence  d'ailleurs 
à  occuper  la  presse  étrangère.  Les  journaux  de  Vienne  notam- 
ment consacrent  de  longs  articles  à  cet  incident,  qu'ils  consi- 
dèrent généralement  comme  peu  favorable  à  la  politique  étran- 
gère de  la  France.  Dans  un  article  qu'il  intitule  :  Un  Français 
de  moi'ûs,  le  Taghlatt  paraphrase  le  mot  célèbre  de  Louis  XVIII 
rentrant  à  Paris  en  1814  :  «  Il  n'y  a  rien  de  changé  en  France; 
il  n'y  a  qu'un  Français  de  plus.  »  Cette  fois,  dit  le  Taghlatt,  on 
se  tromperait  iort  en  disant  qu'il  n'y  aura  rien  de  changé,  qu'il 
y  aura  seulement  un  Français  de  moins.  L'expulsion  des  princes 
d'Orléans  aura,  au  contraire,  d'après  la  feuille  démocratique, 
une  signification  internationale  ;  elle  accentuera  plus  que  jamais 
l'isoleme^nt  de  la  France  républicaine  au  milieu  de  l'Europe 
monarchique. 

Le  même  jour  avait  lieu  à  Madrid,  à  une  heure  de  l'après- 
midi,  dans  la  chapelle  du  Palais-Royal,  le  baptême  d'Al- 
phonse XIII. 

Dans  les  tribunes  se  trouvaient  les  membres  du  corps  diplo- 
matique, les  généraux,  les  commissions  des  deux  Chambres,  les 
chevaliers  de  la  Toison  d'Or,  ainsi  que  plusieurs  notabilités. 
La  tribune  principale  était  occupée  par  le  prince  Antoine,  fils 
du  duc  de  Montpensier,  l'infante  Eulalie,  la  princesse  des  Astu- 
ries,  l'infante  Marie-Thérèse  et  la  suite. 

Le  cortège  sortit  des  appartements  royaux  à  une  heure  un 
quart,  pour  se  diriger  vers  la  chapelle.  Des  hallebardiers,  en 
grand  uniforme,  formaient  la  haie. 

Après  les  hauts  dignitaires  de  la  cour  et  les  ministres  mar- 
chait la  nourrice,  portant  le  jeune  roi,  tout  recouvert  de  fines 
broderies  de  soie  blanche.  A  ses  côtés  étaient  l'infante  Isabelle, 
habillée  en  satin  blanc,  avec  un  superbe  manteau  brodé. 

De  l'autre  côté  marchait  le  nonce  apostolique,  dans  son  cos- 
tume ordinaire. 

36 


496  ANNALE?    CATHOLIQUES 

Après  l'entrée  dans  la  chapelle,  le  i^rand  or.^ue  a  fait  entendre 
la  marche  royale  devant  l'assistance  et  le  clergé  debout. 

Le  cardinal  de  Tolède  et  les  prêtres  assistants  étaient  vêtus 
de  magnifiques  ornements  du  XVIP  siècle,  avec  des  broderies 
merveilleuses,  représentant  différents  passages  de  l'Evangile. 

Le  cardinal  baptisa  le  roi,  que  le  nonce  tenait  dans  ses  bras. 

Ensuite,  un  Te  Deum  a  été  chanté,  après  quoi  le  cortège  est 
rentré  dans  les  appartements  du  palais. 

La  cérémonie  a  été  terminée  à  deux  heures  et  demie. 

Le  roi  a  été  baptisé  avec  de  l'eau  du  Jourdain  et  a  reçu  les 
noms  de  Alphonse,  Léon,  Ferdinand,  Marie,  Isidore,  Pascual. 


TJne  élection  avait  lieu  dimanche  dans  l'Iile-et-Vilaine  pour 
pourvoir  au  remplacement  de  M.  Lelièvre,  radical,  décédé.  Le 
résultat  répond  pleinement  à  nos  espérances. 

L'honorable  M.  Carron,  candidat  conservateur,  est  élu  avec 
une  écrasante  majorité  de  7,694  voix. 

Aux  élections  du  18  octobre  1885,  le  candidat  républicain 
que  l'on  remplaçait  dimanche  avait  été  élu  par  53,455  voix. 

Au  mois  de  février  dernier,  une  élection  législative  avait 
lieu  dans  le  même  département,  en  remplacement  de  M.  de 
Lariboisiére,  démissionnaire.  Les  conservateurs  s'abstinrent; 
le  républicain,  M.  Le  Hérissé,  fut  élu  par  57,200  voix. 

Aux  élections  de  dimanche,  le  républicain  n'obtient  plus  que 
47,761  voix. 

Ainsi,  depuis  le  mois  de  février,  les  républicains  ont  perdu 
dans  rille-jt- Vilaine  7,500  voix,  et  depuis  le  mois  d'octobre 
13,500  voix. 

Voilà  la  réponse  du  corps  électoral  aux  violences  radicales, 
aux  entreprises  de  la  majorité  républicaine  contre  les  croyances 
du  pays. 

L'honneur  de  ce  résultat  revient  en  grande  partie  à 
M.  Goblet  ;  ce  sont  ses  déclarations  antireligieuses,  sa  politique 
de  sectaire,  ses  lois  de  déchristianisation  de  l'eriseignemeni, 
que  l'honorable  M.  Carron  avaient  surtout  visées  dans  sa  cir- 
culaire, ce  sont  elles  que  le  corps  électoral  a  condamnées. 

Les  conservateurs  ont  le  droit  d'être  fiers  de  cette  élection, 
elle  est  la  juste  récompense  de  leurs  efiorts  et  de  leur  union. 

C'est  la  première  fois  depuis  les  élections  de  1871  que  les 


CHRONIQUE   DK    LA.    SEMAINE  497 

conservateurs  remintrtont  au  siMutin  de  liste  dans  ce  départe- 
ment qui  paraissait  iotéodê  à  ia  politique  des  Waldeck- 
Rousseau  et  des  Martin-Feuiiièe. 

Pendant  que  la  République  était  ainsi  battue  en  Bretagne, 
les  communard^:,  sous  les  plis  du  drapeau  rouge,  se  rendaient  eu 
pèlerinage  au  Pére-Lacliaise.  La  scène  se  passait  sur  la  fosse 
commune  du  cimetière,  à  l'occasion  du  24  mai. 

Par  ordre,  ou  [)ar  peur,  dit  le  Cri  du  Peuple,  l'appareil 
militaire  déployé  pour  la  circonstauce  s'est  borné  à  encadrer 
le  flot  montant  des  socialistes  «  qui  n'oublient  pas  ». 

Car  ii.s  éraitfut  là  les  drapeaux!  s'écrie  le  journal  radical 
socialiste  ; 

«  lis  surgissaient,  comme  l'àme  mêaie  de  la  Commune,  du 
sol  labouré  par  les  mitrailleuses  de  l'ordre  et  ensemencé  du 
sang  fédéré.  » 

Ils  étaient  là,  malgré  «  l'interdiction  formelle  »  dont  les 
avait  frappés  un  pouvoir  imbécile,  aboyant  d'autant  plus  qu'il 
se  sait  incapable  de  mordre. 

«  Et  c'est  à  leur  ombre,  sous  le  grand  soleil  résurrecteur, 
qu'après  s'être  retrempé  dans  le  souvenir  de  ses  morts  bé- 
roïquCv',  le  Prolétariat  parisien  a  juré  de  les  venger  en  conti- 
nuant leur  oeuvre,  et  en  la  faisant  aboutir  ». 

Au  pied  du  mur  des  fédérés  les  manifestants  ont  donc  pu 
déployer  le  drapeau  rouge.  A  l'extérieur  du  cimetière,  la  pré- 
sence d'une  force  armée  imposante  a  suffi  pour  calmer  les 
«  vainqueurs  de  demain  ».  Ils  ont  poussé  à  leur  aise  le  cri  mille 
fois  répété  de  ;  Vive  ia  commune!  Ils  ont  même  eu  la  fantaisie 
de  se  servir  de  l'intermédiaire  d'un  gamin  revêtu  du  costume 
des  bataillons  scolaires,  avec  le  grade  de  caporal,  pour  faire 
passer  les  drapeaux  rouges  interdits  à  l'extérieur,  tolérés  à 
l'intérieur,  par  dessus  le  mur  du  cimetière. 

Franchement,  les  communards  passés  et  futurs  seraient  bien 
difficiles  s'ils  n'étaient  point  satisfaits  de  la  tolérance  du  gou- 
vernement. Nous  comprenons  qu'ils  se  fassent  illusion  sur 
leur  prochain  triomphe,  qu'ils  conseillent  aux  ouvriers  de 
<  s'attendre  à  tout  événement,  l'heure  étant  grave  ». 

Oui,  l'heure  est  grave  quand  on  songe  à  la  faiblesse  du  gou- 
vernement qui  tolèi-e  d'aussi  malsaines  excitations  et  permet 
aux  anarchistes  de  faire  flotter  le  drapeau  rouge  dans  un  lieu 
-«  public  »  et  d'évoquer  l'heure  prochaine  de  la  revanche  ! 


498  ANNALES   CATHOLIQUES 

Il  y  a  un  an,  Victor  Hugo  mourait.  Sur  le  passage  du  cortège, 
tout  Paris  se  pressait,  attiré  plutôt  par  la  curiosité  et  la  magni- 
ficence des  obsèques  que  par  respect  et  déférence  pour  le  pauvre 
poète.  Cependant,  la  vie  de  la  capitale  tout  entière  avait  été 
suspendue  pendant  vingt-quatre  heures,  et  cent  mille  hommes 
avaient  veillé  pendant  une  nuit  le  cadavre  de  l'auteur  de  ÏOde 
à  la  colonne,  placé  sous  l'Arc-de-Triomphe.  Le  Panthéon  fut 
«  désaffecté  »  pour  lui  :  on  profana  un  temple  pour  ce  demi- 
dieu.  Un  an  s'est  passé  :  l'enthousiasme  est  tombé.  Les  fleurs 
posées  sur  son  cercueil  se  sont  fanées  et  n'ont  pas  été  renou- 
velées. Les  quelques  fidèles  qui  ont  été  porter  des  couronnes 
à  Victor  Hugo  sont  passés  inaperçus  dans  Paris  qu'une  fête 
avait  attiré  au  Champ-de-Mars,  Deux  livres  ont  paru  depuis 
un  an,  portant  la  signature  de  celui  qui  fut  l'enfant  sublime,  et 
la  curiosité  publique  s'y  est  moins  intéressée  qu'à  une  première 
de  Sardou.  H  semble  que  le  Victor  Hugo,  si  populaire,  soit  celui 
qu'il  faut  le  moins  admirer.  Le  peuple  de  Paris,  tel  que  l'ont 
fait  les  clubs,  les  feuilles  radicales,  les  excitations  permanentes 
à  l'envie  et  à  la  révolte,  ne  connaît  de  lui  que  les  Châtiments  et 
les  Misérables,  et  les  cris  de  haine  ne  trouvent  qu'un  écho 
momentané.  Les  tombes  des  fédérés  ont  reçu  les  visites  de 
plusieurs  milliers  de  clients  de  V Intransigeant  et  du  Cri  du 
Peuple.  Cent  personnes  à  peine  ont  été  au  Panthéon. 

Les  élections  générales  pour  le  renouvellement  de  la  Chambre 
italienne  ont  donné  des  résultats  favorables  à  M.  Depretis  sans 
cependant  répondre  complètement  à  ses  espérances.  M.  Depretis 
s'en  contentera  cependant  pour  le  vote  du  budget  et  atteindra 
ainsi  les  vacances  ;  durant  ces  dernières,  le  président  du  con- 
seil renforcera  la  majorité  en  modifiant  les  éléments  minis- 
tériels. Parmi  les  nouveaux  députés,  on  remarque  M.  Cipriani, 
qui  a  joué  un  rôle  actif  pendant  la  Commune  de  Paris  et  qui  a 
été  expulsé  de  France  il  j  a  quelques  années.  M.  Cipriani  a  été 
élu  dans  deux  collèges.  M.  Rochefort  lui  consacre,  dans  Vln- 
transigeant,  un  long  article  intitulé  «  le  Forçat  député.  » 
L'ex-représentant  de  Paris  regarde  cette  élection  avec  un  œil 
d'envie  et  en  profite  pour  reprocher  à  la  Chambre  française 
d'avoir  invalidé  Blanqui.  Si  les  Italiens  n'ouvrent  pas  toutes 
grandes  les  portes  du  Parlement  à  M.  Cipriani,  il  y  aura  du 
bruit...  dan?  le  Landerneau  de  M.  Rochefort. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  499 

La  Belgique  vient  également  de  passer  par  Ja  période  électo- 
rale. On  sait  qu'il  s'agissait  du  renouvellement  par  moitié  des 
assemblées  provinciales  ;  les  résultats  ne  changent  en  rien  la 
situation  générale,  car,  comme  précédemment,  sur  neuf  assem- 
blées provinciales,  cinq  compteront  une  majorité  catholique. 

La  situation  s'est  subitement  détendue  en  Grèce.  Le  gouver- 
nement hellénique,  effrayé  probablement  par  l'efferves- 
cence belliqueuse  qui  se  manifestait  dans  l'armée,  a  pris  des 
mesures  énergiques  pour  assurer  la  paix.  Les  réservistes  exempts 
ou  ajournés  en  temps  ordinaire,  les  volontaires,  les  réservistes 
des  classes  de  1857  à  1863  sont  renvoj-^és  dans  leurs  fojers.  La 
réserve  navale  va  être  également  licenciée.  On  s'attend,  par 
conséquent,  à  ce  que  les  puissances  lèvent  le  blocus  prochai- 
nement. 

On  prévoit  que  la  discussion  du  bill  irlandais  durera  jusqu'à 
la  fin  de  la  semaine  à  la  Chambre  des  Communes.  Le  débat,  en 
se  poursuivant,  rend  des  chances  à  M.  Gladstone,  qui  pourrait 
bien  finir  par  triompher.  L'opinion  publique  parait  décidément 
favorable  au  vieil  homme  d'Etat,  et  c'est  un  élément  avec 
lequel  le  monde  de  la  cour  et  le  monde  parlementaire  seront 
obligés  de  compter. 

Aussi,  tout  l'effort  des  adversaires  du  home  rule  se  con- 
centre-t-il  sur  un  point  :  empêcher  la  dissolution,  au  cas  oii  le 
bill  serait  rejeté.  Mais  il  est  douteux  qu'ils  y  réussissent,  mal- 
gré l'appui  de  la  cour.  Ce  n'est  pas  en  réunissant  dans  un 
même  cabinet  lord  Salisbury  et  M.  Chamberlain,  avec  lord 
Hartington  comme  trait  d'union,  que  l'on  pourra  former  un 
ministère  capable  de  résister  aux  assauts  de  M.  Gladstone  uni 
à  M.  Parnell. 

Quoiqu'il  ne  puisse  entrer  dans  notre  intention  de  résumer 
ici  une  discussion  dont  les  détails  oftViraient  peu  d'intérêt  pour 
nos  lecteurs,  nous  mentionnerons  cependant  un  argument  de 
M.  James  Bryce  qui  paraît  avoir  produit  une  grande  sensation. 
L'honorable  député  a  rappelé  que  le  Danemark  avait  mis  un 
terme  aux  tiraillements  qui  existaient  avec  l'Islande  en  accor- 
dant à  cette  île  un  Parlement  distinct.  Depuis  lors,  les  Danois 
peuvent  compter  absolument  sur  la  fidélité  des  Islandais,  tandis 
qu'ils  ont  perdu  le  Schleswig  pour  lui  avoir  refusé  quelques 
concessions. 


500  ANNALES    CATHOLIQUES 

A  l'occasion  de  la  naissance  du  jeune  roi  d'Espagne,  Don 
Carlos  adresse  de  Lucarne  une  manifeste  aux  Espagnols. 

Nous  en  citons  les  principaux  passages  : 

Mes  ancêtres  ont  protesté  contre  la  primitive  violation  de  nos 
droits  et  contre  toutes  les  manifestations  successives,  ainsi  que  je  le 
fis  moi-même  coatra  l'acte  prétorien  de  Sagunto,  étant  secondé  dans 
cette  protestation  par  vos  bras  virils  et  par  vos  cœurs  courageux... 

Cette  protestation,  je  la  reoouvelle  aujourd'hui  non  pas  les  armes 
à  la  main,  mais  avec  une  énergie  qui  n'est  pas  moindre,  affirmant 
ma  résolution  de  maintenir  mes  droits  dans  toute  leur  intégrité,  et 
de  ne  jamais  me  prêter  à  aucune  renonciation  ni  transaction  d'aucun 
genre. 

Mes  droits,  qui  se  confondent  avec  ceux  de  l'Elspagne,  ne  sont  pas 
moins  foulés  aux  pieds  par  la  présence  sur  le  trône  d'un  prince  ou 
d'une  princesse,  instrum^-nts  inconscients  de  la  révolution,  que  par 
la  proclamation  de  la  République  ;  et  pour  les  faire  valoir  de  la 
manière  la  plus  efficace,  je  suivrai  toujours  sans  hésiter  le  chemin, 
et  je  choisirai  les  procédés  que  le  devoir  me  tracera. 

Don  Carlos  remercie  les  Espagnols  de  leur  sublime  constance 
et  leur  donne  ensuite  l'assarance  que  jusqu'au  dernier  souffle 
la  vie  de  leur  roi  légitime  leur  appartiendra  en  entier. 


.VARIETES 

La  Franc-^ïilaçoanerîe  et  les  XempSIers. 

Le  dernier  livre  de  M.  Léo  Taxil  qui  vient  de  paraître  sou.s 
ce  titre  «  le  Culte  du  Grand  Architecte  »  publie  d'étranges  ré- 
vélations ;  on  y  voit  notamment  le  rôle  que  les  Templiers  jouent 
dans  la  Franc-Maçonnerie.  Ce  n'est  pas  seulement  dans  les 
opéras  qu'on  les  érige  en  martyrs  de  la  Papauté  à  grand  ren- 
fort de  musique  et  de  feux  de  Bengale;  les  francs-maçons  dans 
leurs  banquets  secrets  n'oublient  jamais  de  porter  aux  Tem- 
pliers des  toasts  significatifs.  Ainsi  font-ils  dans  des  Agapes 
des  Kadosch,  banquet  obligatoire  qui  a  eu  lieu  le  30  novembre. 
Nous  citons  : 

Si  l'on  veut  bien  se  rappeler  que  la  légenrle  de  la  réception  au 
grade  de  Kadosch  roule  sur  les  Templiers,  dont  il  est  question  de 
venger  la  mort  en  transperçant  uu  crâne  surmonté  d'une  couronne 
et  un  crâne  surmonté  d'une  tiare,  et  si  l'on  n'a  pas  oublié  que  cette 


I 


KEVUE    ÉCONOMIQUE    ET    FINANCIÈRE  501 

réception  est  aussi  marquée  par  ua  sacrifice  à  Satan  personnifié,  on 
comprendra  le  vrai  sens  des  toasts  de  l'agape...  Le  premier  toast  se 
porte  à  Salomon,  c'est  le  Saloœon  impie  de  la  fin  de  son  règne...  Le 
second  toast  se  porte  à  Zorobabel...  Le  troisième  toast  se  porte  au 
soleil  dont  la  maçonnerie  occulte  fait  le  symbole  de  Lucifer...  Le 
quatrième  toast  se  porte  ainsi  : 

—  A  saint  Jacques  et  aux  apôtros  martyrs  !  Il  s'agit  ici  de  Jacques 
Molay,  grand  maître  de  l'ordre  du  Temple  et  des  autres  Templiers 
brûlés  à  Paris  en  1314... 

Toutes  les  santés  qui  précèdent  se  boivent  avec  le  cérémonial  du 
banquet  des  Elus...  Avant  de  boire  on  plonge  le  poignard  (bijou  des 
Kadosch)  dans  le  verre  de  vin  rouge  et  tandis  que  coulent  les  gouttes 
figurant  symboliquement  du  sang,  on  s'écrie,  tous  à  la  fois  :  Deus 
Sanctus  Nokem  ! 

Les  deux  premiers  mots,  en  latin,  signifient  ;  «  Dieu  saint  ».  C'est 
Satan.  Le  dernier  mot,  qui  est  hébreu,  veut  dire  :  «  Vengeur!  » 

Après  avoir  bu,  on  donne  un  coup  de  poignard  dans  la  direction 
du  Ciel  en  s'écriant  d'un  ton  sauvage  (il  est  de  rigueur!) 

—  Nekain  Adonai  ! 

C'est-à-dire  :  Vengeance  contre  toi,  ô  Seigneur,  Adonaï  est  un 
<ies  noms  donnés  à  Dieu.  Quand  la  maçonnerie  occulte  prononce  le 
nom  de  Dieu,  c'est  de  Lucifer  qu'elle  entend  parler,  et  quand  elle 
dit  Adonaï,  c'est  de  Dieu.  » 

Voilà  l'impiété  odieuse  et  satanique  prise  sur  le  fait. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

M.  Sadi  Cariiot,  après  bien  des  hésitations ,  ou  après  bien  des 
tâlonnements,  s'est  décidé,  le  2o  mai,  de  faire  paraître,  à  ï Officiel, 
son  rapport  sur  le  dernier  emprunt. 

La  souscription  aurait  donné  les  résultats  suivants: 

Nombre  de  souscripteurs.    Rentes  souscrites.      Sommes  versées 

Paris  33.467  339,052,974        4,793,264,870 

Départements      212.940  42,766,339  243,832,693 

Totaux  248.4U7  401,819,543        2,009,097,365 

L'Emprunt  a  donc  été  souscrit  par  248,407  personnes  et  couvert 
21  fois  et  demie  environ.  On  fait  de  suite  la  remarque,  que  la 
province  a  fourni  le  plus  grand  nombre  de  souscripteurs  et  le  plus 
petit  nombre  en  espèces,  tandis  qu'à  Paris,  la  spéculation  a  pris  des 


502  ANNALES  CATHOLIQUES 

allures  tout  à  fait  envahissantes.  C'est  bien  là  un  symptôme  des 
temps. 

Le  classement  des  souscriptions  par  coupures  de  renies,  donne 
les  résultats  suivants  : 


Souscriptions  de          3  fr.  de  rente 

153,451 

—           de        10  à        100 

74,019 

—  ■                  110  à    1,000 

16,877 

—                1,000  à  10,000 

3,3-24 

et  au-dessus 

736 

Total  : 

248,407 

M.  Carnot  accorde  3  fr.  de  rente  à  tous  les  souscripteurs  de 
3  à  60  ;  ils  sont  au  nombre  de  217,837,  et  prennent  sur  les 
18,947,368  fr.  de  rentes  à  émettre,  la  somme  de  653,511  fr.  ;  il 
ne  reste  donc  plus  que  18,293,857  fr.  de  rentes  à  repartir  entre  les 
autres  souscripteurs.  Ceux-ci  recevront  donc  4  fr.  5^25  de  renies 
par  100  fr.  de  rentes  souscrites,  avec  cette  mention  que  tout  solde 
inférieur  à  2  fr.  sera  négligé,  et  supéi'ieur  à  ce  chilïre  comptera 
pour  le  chiffre  l'épartiteur  supérieur. 

L'échange  des  titres  provisoires  contre  des  récipissés  de  souscrip- 
teurs et  la  liquidation  des  versements,  aura  lieu  à  Paris,  le  27  mai, 
et  dans  les  déparlemenls  le  31  mai. 

Comme  résumé,  le  souscripteur  de  100  fr.  en  demande  aura  dû 
verser  500  fr.  ;  on  lui  donne  4  fr.  57  qui  coûteraient  à  raison 
de  79  fr.  80,  la  somme  de  121  fr.  56.  Pour  obtenir  ce  résulUit,  il 
a  dû  décaisser  500  fr.  ;  aller  rechercher  son  solde  espèce  et  son 
titre  provisoire,  puis  son  titre  définitif.  Que  veut-il  faire  de  cet 
atgcnl  non  employé  ?  Il  fera  un  placement  nouveau  et  prendra  ce 
qu'il  y  a  de  meilleur  et  de  plus  sûr,  selon  lui,  à  la  Bourse.  Tout  le 
monde  courant  après  cet  oiseau  rare,  on  a  vu  arriver  ce  que  nous 
avions  pressenti:  les  obligations  du  Crédit  foncier,  surtout  les  non 
libérées,  si  en  relard,  et  sans  cause,  sur  leurs  similaires,  passer 
de  434  à  443.  Ce  n'est  qu'une  étape  et  ces  obligations  doivent  se 
niveler  avec  celles  à  qui  elles  ressemblent  en  tous  points  et  qui 
valent  460  et  464.  Ce  niveau  se  fera-t-il  par  la  descente  des  obliga- 
tions libérées,  ou  par  la  hausse  des  obligations  non  libérées?  La 
réponse  est  unanime cbeztout  le  monde;  les  obligations  moins  chères 
rejoindront  les  plus  cbèrei:;.  C'est  pourquoi  nous  avons  recommandé 
ce  placement,  et  nous  ne  cesserons  de  le  faire. 

Ces  jours  derniers,  on  a  fait  une  conversion  de  rente  de  la  dette 
de  l'île  de  Cuba  ;  nous  ne  vous  parlons  jamais  de  ces  placements 
lointains,  impossibles  à  surveiller,  et  dont  il  faut  docilement  et 
fatalement  accepter  toutes  les  conséquences. 

La  Bourse  est  ferme,  mais  l'emprunt  y  vient  en  grand  nombre, 
aussi  la  prime  baisse  déjà.  A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrbc, 

aria.  —  fmp    de  l'Œuvre     *  »aint-Pawl    G.  Picquoin,  51,  rue  <ie  IJlle. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LA  POMPE  DANS  LES  EGLISES 

De  récents  scandales  ont  inspiré  à  Mgr  Isoard,  évêque 
d'Annecy,  les  réflexions  suivantes  sur  la  Pompe  dans  les 
églises  : 

On  prononce  assez  souvent  ce  mot  :  les  pompes  du  culte,  les 
pompes  de  l'Église. 

Qu'est-ce  qui  constitue,  selon  les  appréciations  communes, 
la  pompe  qui  est  déployée  tel  ou  tel  jour  dans  une  de  nos  églises? 
C'est  le  nombre  des  ministres  qui  servent  à  l'autel  et  la  richesse 
des  ornements  dont  ils  sont  revêtus;  c'est  la  décoration  de  l'au- 
tel, du  sanctuaire,  et  parfois  de  toute  l'église;  c'est  enfin  le 
caractère  particulier  des  chants  sacrés,  la  musique,  le  talent 
des  chanteurs,  la  valeur  de  l'accompagnement. 

Est-il  légitime  et  conforme  à  l'esprit  et  aux  désirs  de  la  sainte 
Église  de  recourir  à  l'emploi  de  ces  pompes  extraordinaires  dans 
la  célébration  de  certaines  de  nos  solennités? 

Oui,  sans  aucun  doute. 

Mais,  d'autre  part,  n'ont-elles  pas  été  l'objet  d'avis  et  même 
d'interdictions  émanés  du  Saint-Siège? 

Oui,  très  certainement... 

Les  pompes  religieuses  aujourd'hui  acceptées  ou  tolérées  en 
France  sont-elles  conformes  à  l'esprit  de  l'Église?  Répondent- 
elles  aux  intentions  souvent  manifestées  par  le  Saint-Siège?  Ou 
tout  au  contraire,  n'ont-elles  pas  perdu  quelque  chose  du  carac- 
tère qui  leur  est  propre?  Et,  ce  qui  serait  beaucoup  plus  grave, 
ne  tombent-elles  point  quelquefois  sous  des  condamnations  for- 
melles et  indiscutables? 

C'est  ce  que  nous  voulons  examiner  à  cette  heure. 

En  France,  on  rapproche  et  l'on  compare  l'un  à  l'autre  ces 

trois  lieux  de  réunion  :  l'église,  la  salle  de  concert  et  la  salle  de 

théâtre,  et  l'on  dit  :  Une  église  ne  peut  jamais  devenir  une  salle 

de  concert  ou  une  salle  de  théâtre;  elle  doit  rester  une  église. 

Lvi.  —  5  JUIN  1886.  37 


504  ANNALES    CATHOLIQUES 

Donc,  aux  approches  d'une  grande  et  exceptionnelle  solennité, 
appelez  à  votre  aide  les  tapissiers,  les  fleuristes,  les  chanteurs, 
les  instrumentistes;  mais  ne  les  abandonnez  pas  à  eux-mêmes; 
mais  surveillez  de  près  leurs  programmes,  leurs  devis.  Si,  dans 
ce  grand  jour,  et  malgré  cet  appareil  inusité,  votre  église  est 
restée  une  église,  vous  avez  fait  beaucoup  de  bien;  mais  si  elle 
a  pris  les  apparences  d'une  salle  de  concert,  si  on  a  pu  y  retrou- 
ver quelque  chose  de  ce  qu'on  trouve  au  théâtre,  vous  avez  fait 
beaucoup  de  mal... 

Pendant  de  longues  années,  les  tapissiers  n'envahissaient  les 
églises,  en  France  du  moins,  qu'à  l'occasion  des  funérailles.  Ils 
couvraient  les  murs  du  sanctuaire  et  même  de  toute  l'église  de 
tentures  sur  lesquelles  ils  fixaient  les  armes,  le  chiffre  du  défunt. 
Mais,  depuis  quelque  temps,  on  fait  également  subir  à  la  maison 
de  Dieu  une  transformation  lorsque  doit  y  être  célébré  le  ma- 
riage de  personnes  riches  et  qui  aiment  à  faire  montre  de  leurs 
richesses.  On  a  commencé  par  étendre  dans  le  chœur  des  tapis 
qui,  peu  à  peu,  ont  été  s'allongeant  du  maître-autel  jusqu''au 
marchepied  de  la  voiture  qui  amène  les  jeunes  époux;  puis  ont 
apparu  les  draperies  et  les  fleurs.  Tout  récemment,  on  célébrait 
à  Paris  le  mariage  de  la  fille  d'un  célèbre  compositeur  de 
musique  : 

Le  maître-autel,  nous  dit-on,  était  orné  d'une  profusion  de 
plantes  rares.  Des  arbustes  moins  précieux  encombraient  le 
chœur  et  bordaient  l'avenue  conduisant  de  la  porte  à  l'autel. 
On  était  cependant  en  Carême,  en  un  temps  oti  un  mariage  ne 
doit  pas  être  célébré;  la  liturgie  ne  permettait  pas  que  la  béné- 
diction nuptiale  fût  donnée  à  la  mariée.  N'importe!  il  fallait 
honorer  la  famille,  et,  par  le  fait  seul  de  ces  décorations,  l'église 
cessait  déjà  d'être  une  église. 

Les  chants  commencent,  et  achèvent  de  donner  aux  assistants 
une  impression  toute  différente  de  celle  qui  devait  leur  être 
ménagée.  Les  journaux  nous  en  ont  conservé  le  programme  : 

V^ni  Creator,  quatuor  exécuté  par  la  maîtrise. 

Rédemption  (Ah!  qu'ils  sont  beaux  !),  M'°<=  Fuchs  et  chœur  de  la 
maîtrise. 

Benedictus,  de  la  messe  du  Sacré-Cœur,  quatuor  et  chœur. 

Ave  Maria,  solo,  soprano  et  violon,  piano,  orgue  et  chœur, 
exécuté  par  M"<=  Fuchs,  M"*  Madeleine  Godard,  Saint-Saëns,  Jacob, 
et  chœur  de  la  maîtrise. 

(Sortie.)  Laudate,  chœur  de  la  maîtrise. 


LA  POMPE  DANS  LES  ÉGLISES  505 

«  La  façon  dont  M™*  Fuchs,  secondée  de  M'"*^  Bonrdeau,  Ganidel, 
Cornes,  Levasseur,  Landais,  Levaux  ;  MM.  Gillandi,  Cammas,  Dreis, 
Cadelaglii,  Bonissavin,  a  chanté  les  différentes  parties  du  programme, 
a  adouci  les  regrets  qu'on  pouvait  éprouver  du  départ  de  M,  T...  » 

Ce  M.  T...  est  un  acteur  qui  avait  fait  une  scène  à  haute 
voix^  d'abord  à  la  tribune,  puis  dans  le  chœur,  parce  qu'on  ne 
lui  avait  pas  confié  le  chant  de  VAve  Maria. 

Maintenant,  prononcez.  Ces  appareils  et  ces  exécutants 
disaient-ils  aux  assistants,  aux  parents,  aux  invités,  aux 
étrangers:  Vous  êtes  dans  une  église;  vous  pouvez  y  prier- 
pour  ces  jeunes  époux  ;  le  Très-Saint-Sacrifice  de  la  Messe,  le 
plus  grand  acte  qui  puisse  s'accomplir  en  ce  monde,  s'ofi're  en 
ce  moment  dans  ce  temple,  sur  l'autel?  Était-ce  le  langage  de 
tout  cet  appareil  de  tapisseries,  de  fleurs,  de  chanteurs  et 
d'instruments?  Non,  mille  fois  non!  L'Église  n'était  plus  une 
église  ;  et  ce  très  grand  mal  ne  pouvait  être  atténué  ou  com- 
pensé par  l'espérance  du  bien  que  vous  espériez  atteindre  ;  la 
fin  ne  justifie  pas  les  moyens. 

Mgr  Isoard  répond  en  ces  termes  aux  personnes  qui 
pensent  justifier  par  la  fin  qu'ils  se  proposent  d'obtenir, 
les  assemblées  de  cliarité  et  les  auditions  de  messes  en 
musique  dont  il  a  montré  l'abus  et  les  excès  : 

Les  inconvénients  qui  peuvent  être  relevés  dans  ces  assem- 
blées ne  sont-ils  pas  compensés,  et  au-delà,  par  le  bien  que  le 
produit  de  la  quête  nous  permettra  de  faire  ?  - 

Non  !  chers  Messieurs,  non,  le  mal,  le  scandale  ne  sera  pas 
compensé,  corrigé,  eâ"acé  par  les  actes  charitables  que  les 
sommes  recueillies  vous  permettront  d'accomplir.  A  l'afi'ermis- 
sement,  à  la  dilatation  d'une  bonne  oeuvre,  l'argent  et  les 
secours  matériels  ne  suffisent  pas  :  il  faut  d'abord  que  ses  pro- 
moteurs lui  ménagent,  attirent  sur  elle  la  bénédiction  de  Dieu. 
Et  comment  l'attendre,  cette  bénédiction  qui  donne  la  vie, 
d'une  réunion  oii  la  sainteté  de  Dieu  est  si  étrangement  mécon- 
nue? Rapetisser  la  religion,  achever  d'effacer  dans  lésâmes 
les  dernières  notions  ou  impressions  des  idées  de  sainteté  et  de 
respect,  —  et,  en  retour,  se  procurer  quelques  centaines  de 
francs,  quelle  opération  fructueuse  ! 

Ce  n'est  pas  avec  des  fêtes  ofiertes  aux  mondains,  ce  n'est 
pas  en  adoptant  leurs  modes  et  en  s'ajustant  à  leurs  goûts  que 
saint  Dominique  et  saint  François  d'Assise  ont  bâti,  ont  édifié 
d  ns  l'Eglise  de  Dieu.  Ce  n'est  pas  avec  des  chanteurs  et  des 


506  ANNALES    CATHOLIQUES 

chanteuses  que  saint  Vincent  de  Paul  créait  toutes  ces  Œuvres 
de  charité  dont  le  Souverain  Pontife  vient  de  le  déclarer  le 
patron.  Bien  au  contraire,  tous  les  Saints  disaient  avec  saint 
Paul  :  «  Le  monde  est  pour  moi  un  crucifié,  et  moi,  de  mon 
côté,  je  suis  aussi  pour  le  monde,  un  crucifié.  »  Et  ailleurs  : 
«  Si  je  plaisais  aux  hommes,  je  ne  serais  plus  un  disciple  de 
«  Jésus-Christ.  » 

C'est  grand  cas,  dans  la  vie,  que  de  savoir  oii  il  convient  de 
placer  son  point  d'appui  :  le  nôtre,  c'est  l'esprit  de  l'Evangile  : 
«  Qui  essaye  de  bâtir  sur  un  autre  terrain  n'édifiera  point.  » 

Mgr  Isoard  parle  ensuite  de  la  Charité  par  le  Plaisir  : 

Les  assemblées  de  charité  et  les  auditions  extraordinaires  de 
messes  en  musique  nous  amènent  à  considérer  avec  quelque 
attention  les  réunions  qui^  par  leur  caractère  et  leur  but,  dif- 
fèrent peu  de  celles  que  nous  venons  d'étudier.  Ce  sont  les 
Fêtes  de  bienfaisance,  les  concerts,  les  bals,  les  représentations 
théâtrales,  qui,  nous  disent  les  programmes,  sont  donnés  au 
profit  de  telles  catégories  de  pauvres  gens,  dételles  Œuvres  de 
charité. 

Le  raisonnement  des  organisateurs  de  ces  fêtes  est  simple  et 
il  est  juste.  Ils  disent  :  Notre  Œuvre  a  besoin  d'argent.  Si  nous 
sollicitons  des  secours  par  les  moyens  ordinairement  employés, 
les  quêtes  et  les  souscriptions,  nous  serons  évincés  par  quelques- 
uns  de  ceux  à  qui  nous  nous  adresserons;  de  la  part  des  per- 
sonnes les  plus  favorablement  disposées  à  notre  endroit,  nous 
ne  recevrons  que  des  sommes  insignifiantes  et  n'aj'ant  aucune 
proportion  avec  nos  besoins.  Encore  nous  faudra-t-il,  avant  de 
coucher  sur  nos  listes  cette  très  modeste  offrande,  recueillir 
des  plaintes,  entendre  des  gémissements  sur  l'exagération  tou- 
jours croissante  du  budget  de  la  charité,  sur  l'impossibilité  de 
satisfaire  à  des  exigences  incessamment  renouvelées. 

Voilà  ce  qui  nous  attend  :  des  murmures  et  une  maigre 
récolte.  Si  nous  organisons  une  fête,  non  seulement  ces  braves 
gens  n'élèveront  point  de  réclamations,  mais  ils  ne  compteront 
même  pas  ce  que  nous  leur  ferons  donner.  On  leur  dira  :  C'est 
pour  votre  plaisir  que  nous  travaillons,  et  vous  serez  en  même 
temps  utiles  à  des  infortunés,  sans  vous  apercevoir  que  vous 
faites  un  sacrifice  ;  l'anesthèsie  par  le  plaisir  !  —  On  leur  dira 
cela,  et  ils  partiront  gaiement.  Puis,  nous-mêmes,  nous  profite- 
rons de  cette  soirée  agréable,  ce  qui  est  assurément  très  légi- 
time, et  tout  le  monde  sera  content. 


A    LA   DÉRIVE  507 

Ce  procédé  présentait  de  tels  avantages  qu'il  est  devenu  en 
peu  d'années  d'un  usage  habituel.  Les  fêtes  de  bienfaisance  se 
sont  multipliées,  et  surtout  elles  ont  bientôt  reçu  ces  proportions 
démesurées,  colossales,  que  la  facilité  des  transports  donne  à 
tout  ce  qui  s'entreprend  de  nos  jours.  Les  Catholiques  ne  .«e 
sont  point  départis,  dans  ces  occasions,  du  rôle  assez  chétif 
auquel  ils  se  condamnent  assez  liabituellement  ;  ils  ont  dit  :  On 
danse,  on  chante  pour  faire  la  charité  sans  s'en  douter  :  c'est 
la  mode,  suivons  la  mode  ! 

Nous  n'avons  plus,  grâce  à  Dieu,  à  faire  le  procès  à  une 
manière  d'agir  qui  était  une  véritable  apostasie  de  l'esprit  chré- 
tien. Le  Cardinal  archevêque  de  Paris  a  stigmatisé  ces  faiblesses, 
il  y  a  trois  années,  et  Notre  Saint-Père  le  Pape  leur  a  infligé 
quelques  semaines  après,  un  blâme  sévère  qui  équivaut  à  une 
condamnation. 

Mgr  ISOARD. 


A  LA  DERIVE 


A  la  dérive!  C'est  le  titre  d'un  tableau  exposé  au  Salon  de 
cette  année,  et  qui  produit  une  certaine  sensation.  Sur  une  mer 
qui  n'est  plus  même  en  fureur,  mais  qui  roule  encore  des 
vagues  écumantes,  sous  un  ciel  livide  et  bas,  une  épave  de 
navire;  un  tronçon  de  mât  avec  sa  vergue  qui  flotte  au  hasard. 
Et  sur  cette  vergue,  le  cadavre  d'un  matelot  qui  vient  de 
mourir  et  s'y  cramponne  encore.  Où  cela  va-t-il?  On  ne  sait. 
Mais  ce  débris  sera  sûrement  ce  soir  ou  demain  la  proie  de 
l'abime. 

Je  ne  sais  quelle  est  l'intention  du  peintre.  Mais  ce  tableau 
n'est-il  pas  l'image  frappante  et  navrante  de  la  France,  telle 
que  nous  la  fait  la  République?  Que  reste-t-il  de  tout  ce  qui  a 
fait  vivre  et  constitué  pendant  des  siècles  ce  noble  et  beau  pays 
qui  s'appelait  la  France,  et  qui  résumait  en  lui  toutes  les  gran- 
deurs et  tous  les  sentiments  généreux  et  élevés?  Socialement 
parlant,  répond  très  justement  1'  Univers,  rien  du  tout  :  tout  va 
à  la  dérive. 

A  la  dérive  la  famille!  Quand  les  lois,  ou  ce  qui  en  porte  le 
nom,  s'attachent  à  briser  l'indissolubilité  du  lien  conjugal  et  à 
préparer  ce  qu'on  appelle  les  unions  libres,  c'est-à-dire  la  bes- 


508  ANNALES    CATHOLIQUES 

tialité,  le  mariage,  base  de  la  famille,  est  à  la  dérive.  Quand 
l'État  arrache  l'enfant  à  la  famille  pour  le  façonner  et  le  dresser 
à  sa  manière  comme  un  animal  et  en  dehors  de  toute  action  du 
père  et  de  la  mère,  qui  ont  vis-à-vis  de  leur  enfant  des  droits 
et  des  devoirs  qu'ils  tiennent  de  Dieu,  un  élément  essentiel  est 
enlevé  à  la  famille  :  elle  ne  vit  plus,  elle  va  à  la  dérive.  Et 
avec  elle  c'est  la  société  qui  est  à  la  dérive. 

A  la  dérive  la  propriété,  cette  autre  base  de  la  société!  Que 
peut  devenir  ce  droit  sacré,  qui  est  en  tête  de  la  plus  ancienne 
législation,  quand  les  législateurs  et  le  pouvoir  exécutif  foulent 
aux  pieds  tous  les  contrats,  tous  les  engagements,  violent  le 
droit  de  propriété  dans  ce  qu'il  a  de  plus  intime,  le  domicile 
privé;  se  servent  des  outils  à  l'usage  des  voleurs  pour  pénétrer 
dans  des  maisons  privées  et  en  expulser  les  propriétaires,  font 
au  besoin  appel  à  la  force  armée  pour  consommer  ces  attentats, 
et  applaudissent  à  toutes  les  théories  qui  détruisent  la  pro- 
priété, que  devient  en  effet  ce  droit  primordial?  Il  va  à  la 
dérive. 

A  la  dérive  la  sûreté  individuelle;  à  la  dérive  le  plus  vulgaire 
sentiment  de  l'honneur  et  du  respect  des  faibles  !  Quand  un 
homme  est  massacré  à  cinquante  pas  de  la  force  publique  et  que 
celle-ci  ne  bouge  pas,  on  n'est  plus  en  pays  civilisé.  Mais  quand 
la  force  publique  frappe  un  homme  désarmé,  qui  proteste  en 
faveur  du  droit,  quand  elle  fusille  des  femmes  et  des  jeunes 
filles,  et  que  les  gouvernants  couvrent  de  leur  protection  et  de 
leurs  applaudissements  les  assassins,  dans  ce  paj'S-là,  on  est 
au-dessous  du  sauvage.  Or,  ces  choses  se  passent  non  pas  en 
France,  mais  en  république.  Demandez  à  Decaze ville,  demandez 
à  Châteauvillain,  et  allez  écouter  Goblet  et  les  bravos  de  sa 
majorité.  En  tous  cas,  plus  de  sûreté,  plus  d'honneur,  plus  de 
respect  du  faible.  Tout  cela  à  la  dérive. 

Et  qui  invoquer  pour  revendiquer  cet  honneur  foulé  aux 
pieds  et  garantir  la  sûreté  individuelle?  Il  y  avait  en  France  une 
magistrature  judiciaire  respectée  et  respectable.  Un  jour,  cette 
magistrature  s'est  indignée  des  iniquités  qui  se  commettaient  au 
nom  de  l'Etat,  elle  a  voulu  défendre  les  victimes.  C'était  trop 
d'audace  :  elle  a  été  brisée,  on  a  cherché  non  plus  des  hommes 
du  devoir,  mais  des  hommes  de  service,  des  valets,  et  on  en  a 
trouvé.  A  la  dérive  le  droit  à  la  justice! 

Les  fonctionnaires  de  l'ordre  administratif  ont  toujours  été 
plus  ou  moins  les  hommes-lif^^es  du  pouvoir.  Mais  pourtant  on 


A   LA   DÉRIVE  509 

leur  demandait  une  certaine  dose  d'honnêteté  et  de  capacité 
administrative.  La  République  n'a  pas  besoin  de  ces  vieilles 
choses;  elle  ne  pose  qu'une  question  au  candidat  aux  fonctions 
les  plus  humbles  comme  aux  plus  élevées  :  Es-tu  républicain? 
Aussi,  du  haut  en  bas  de  l'échelle,  il  y  a  des  actes  arbitraires 
couverts  du  nom  d'administration;  dans  toutes  les  cases  admi- 
nistratives, et  le  nombre  en  est  grand,  il  y  a  des  mannequins 
figuratifs  coûteux,  mais  l'administration,  elle  est  à  la  dérive. 

La  France  avait  une  armée  qui  avait  promené  son  drapeau 
victorieux  sur  tous  les  grands  chemins  de  l'Europe.  Dans  une 
guerre  d'amour-propre,  imprudente  et  mal  préparée,  elle  a 
subi  de  sanglantes  défaites.  Cette  armée  vaincue  était  en  train 
de  se  refaire.  Mais  on  comptait  sans  les  politiciens  de  la  répu- 
blique. En  vue  de  plaire  à  la  démagogie,  qui  a  ses  raisons  pour 
ne  pas  aimer  l'armée,  ils  s'attachent,  par  de  prétendues 
réformes,  sinon  à  la  détruire,  du  moins  à  rendre  impossible 
toute  armée  sérieuse.  C'est  une  manière  de  préparer  la  revanche 
qui  ne  déplaît  pas  à  M.  de  Bismarck.  L'armée  cessera  bientôt 
d'être  un  corps  discipliné  pour  devenir  une  cohue  de  passage. 
Elle  aussi,  elle  va  à  la  dérive. 

Les  hôpitaux  avaient  à  leur  service  une  légion  d'anges 
descendue  sur  la  terre  sous  la  forme  des  sœurs  de  charité. 
Avec  la  pœur,  le  pauvre  malade  voyait  s'asseoir  à  son  chevet  le 
dévouement  en  personne,  les  attentions  délicates,  la  tendresse 
et  puis  la  vigilance  infatigable  pour  son  corps  et  son  âme. 
Le  Christ  dans  la  salle  rappelait  au  mourant  le  principe  du 
dévouement  de  la  sœur  et  à  lui  ses  hautes  espérances.  On  a 
décroché  le  crucijîx,  puis  chassé  les  sœurs  ;  et  on  les  a  rem- 
"placées  par  des  mercenaires,  qui  s'occupent  peu  du  corps,  et 
ont  horreur  de  rappeler  au  malade  qu'il  a  une  âme.  Trop 
souvent  les  ordonnances  du  médecin  passent  par  le  gosier  ou 
dans  la  poche  des  infirmiers  et  infirmières.  Et  le  malheureux 
délaissé  n'a  pas  même  le  droit  de  se  plaindre.  La  charité,  elle 
est  une  inconnue  dans  ce  monde-là.  Et  la  bienfaisance,  cette 
'pauvre  et  chère  bienfaisance,  disait  hier  un  journal  peu  suspect, 
elle  devient  de  plus  en  plus  cabotine.  La  charité  est  inconnue 
et  la  bienfaisance  va  à  la  dérive. 

La  guerre  a  déchiré  la  France  et  de  plus  lui  a  enlevé  cinq 
milliards.  A  une  nation  aussi  éprouvée  l'économie,  l'économie 
rigoureuse  serait  nécessaire.  Eh  bien  non  !  Depuis  que  la  France, 
sous  l'étiquette  de  république,  est  tombée  entre  les  mains  de 


510  ANNALES    CATHOLIQUES 

maltôtiers  gueux  qui  ont  besoin  de  s'enrichir  et  de  doter  leurs 
smalas,  un  gouffre  s'est  ouvert  qui  ne  se  ferme  plus.  La  répu- 
blique emprunte,  emprunte,  emprunte  toujours  et  sous  toutes 
les  formes.  Plusieurs  milliards  de  dettes  ont  été  faits  en  pleine 
paix,  sans  qu'un  prétexte  sérieux  puisse  expliquer  ces  folles 
dépenses.  On  crie  de  toutes  parts  :  Casse-cou  !  La  république 
glisse  sur  la  planche  savonnée  qui  conduit  à  la  banqueroute. 
A  ces  alarmes  de  Cassandre  on  répond  par  un  nouvel  emprunt 
vingt  fois  couvert.  C'est  l'aveuglement  dans  la  folie.  La 
situation  fitiauciére  de  la  France  à  la  dérive. 

Faut-il  passer  en  revue  l'agriculture,  l'industrie,  le  cora 
merce  :  où  en  sommes-nous?  L'agriculture  est  aux  abois;  le 
travail  ne  nourrit  plus  le  fermier,  et  le  paysan,  que  l'on  s'efforce 
de  dégager  des  principes  du  Décalogue,  commence  à  regarder 
de  ti'avers  son  propriétaire.  L'industrie  :  elle  succombe  scus 
les  coups  répétés  de  la  surproduction,  du  chômage  et  de  la 
grève,  et  de  plus,  le  patron  est  obligé  de  se  défendre  contre  les 
tentatives  du  vol,  qui  sont  soutenues  d'un  bout  de  la  France  à 
l'autre,  comme  le  prouve  la  grève  sans  fin  de  Decazeville.  Et  le 
commerce!  Le  commerce  fait  faillite  et  se  meurt.  Donc  encore 
le  commerce  à  la  dérive,  l'agriculture  à  la  dérive.  Tout  ce  qui 
fait  la  prospérité  matérielle  d'un  pays,  à  la  dérive. 

Il  n'y  a  donc  plus  rien  sur  cette  épave  flottante,  rien  pour 
arrêter  sa  marche  vers  l'abirae?  Rien.  Mais  je  me  trompe,  il  y 
aies  conservateurs.  Les  conservateurs  sont  les  restes  épars  de 
la  France.  Mais  ils  ne  savent  pas  bien  ce  qu'ils  sont,  et  si  on 
excepte  un  petit  bataillon  qui,  sachant  ce  qu'il  veut,  combat 
haut  et  ferme  et  sur  toute  la  ligne,  les  autres,  c'est-à-dire 
l'immense  majorité,  se  disputent  sur  les  moyens  à  emplo^'er 
pour  sauver  le  navire,  quand  ils  daignent  s'en  inquiéter.  Le 
plus  souvent  ils  regardent  et  blâment  les  combattants,  et  quand 
ils  veulent  bien,  de  temps  à  autre,  faire  un  effort,  ils  vont 
jusqu'à  déposer  dans  une  urne  un  nom  qui  ne  cause  pas  trop 
d'effroi  à  la  république,  et  rentrent  en  repos.  Malheureuse  épave, 
ce  ne  sont  pas  les  conservateurs  qui  t'arracheront  au  gouffre, 
tu  peux  aller  à  la  dérive.  Oui!  à  l'intérieur,  tout  à  la  dérive. 

Et  à  l'extérieur,  qu'en  est-il?  Je  ne  veux  en  donner  qu'un 
exemple  : 

Il  y  a  quelques  mois,  un  grave  différend  surgit  entre  une 
grande  nation  protestante  et  l'Espagne  catholique,  relativement 
faible.  Les  deux  gouvernements    s'entendent  pour  confier  au 


CONFIDENCES    DE   LAMENNAIS  511 

Pape  la  solution  du  différend.  Léon  XIII  prononce,  les  deux 
puissances  acceptent  sa  sentence  arbitrale  :  causa  finita  est. 

La  Grèce  et  la  Turquie  se  regardent  de  travers.  Pour  une 
cause  ou  pour  une  autre,  la  diplomatie  européenne  ne  veut  pas 
que  la  guerre  éclate,  et  elle  impose  à  la  Grèce,  qui  est  plus 
faible,  un  désarmement  humiliant.  Ce  petit  pays  jette  un  regard 
sur  la  France,  elle  croit  que  la  voix  de  la  France  compte  encore 
en  Europe,  elle  lui  demande  de  sauver  la  dignité  de  la  Grèce 
par'  sa  bienveillante  intervention.  M.  de  Freycinêt  fait  des 
frais,  la  Grèce  accepte  son  arbitrage.  Mais  les  puissances 
européennes  se  moquent  de  l'intervention  de  la  république, 
établissent  le  blocus  des  ports  de  la  Grèce,  et  imposent  à  cette 
nation  minuscule  la  soumission  pure  et  simple,  dût  cette  humi- 
liation intempestive  provoquer  une  révolution.  Evidemment  ce 
n'est  pas  seulement  la  Grèce  qu'on  voulait  humilier,  mais  bien 
la  république  française.  Donc  sa  diplomatie  et  son  influence  au 
dehors,  comme  tout  le  reste,  à  la  dérive  ! 

Il  y  a  encore  d'honnêtes  gens  qui  prétendent  qu'entre  la  répu- 
blique et  la  France  catholique,  —  car  tout  ce  qui  se  fait  est 
avant  tout  et  surtout  dirigé  contre  la  France  catholique,  —  il 
n'y  a  qu'un  malentendu.  Et  on  espère  que  ce  malentendu,  dispa- 
raîtra... Ah  oui  !  sans  doute...  avec  l'épave. 


CONFIDENCES    DE    LAMENNAIS 

(Suite  et  fin.  —  V.  le  numéro  précédent.) 

Ces  lettres  sont  donc  des  confidences  à  côté,  des  confidences 
par  induction;  les  en  dessus  de  confidences  dont  les  en  dessous 
sont  livrés  à  notre  pénétration.  Si  j'osais,  je  proposerais  le  titre 
suivant  :  «  Correspondance  do  Lamennais  avec  un  ami  resté 
catholique  ». 

La  première  lettre  est  du  4  mars  1821.  Nous  sommes  encore 
bien  loin  des  jours  d'orage.  Et  pourtant  le  très  vif  intérêt  de 
cette  correspondance  ne  commence  guère  qu'après  la  révolution 
de  1830.  Lamennais,  qui  fut,  dès  le  début,  un  indépendant,  est 
dés  lors  un  factieux;  mais  ce  n'est,  —  en  attendant  pire,  — 
que  contre  le  gouvernement  de  Louis-Philippe,  dont  il  brave 
et  subit  les   rigueurs.    Ce   tempérament  révolutionnaire,    ces 


512  ANNALES   CATHOLIQUES 

instincts  de  malcontent  quand  même  s'étaient  déjà  révélés 
en  1828,  lorsque  parurent  les  ordonnances,  signées  Feutrier, 
répressives  ou  restrictives  de  la  liberté  d'enseignement.  J'étais 
en  rhétorique.  Lamennais  ne  nous  apparaissait,  à  mes  cama- 
rades et  à  moi,  que  sous  les  traits  d'un  fougueux  ultramontain, 
d'un  royaliste  passionné,  auteur  de  V Essai  sur  Vindifférence^ 
écrivain  du  Conservateur  et  du  Drapeau  blanc.  Le  titre  de 
son  nouvel  ouvrage  :  Des  progrès  de  la  Révolution  et  de  la 
guerre  contre  VEglise,  répondait  parfaitement  à  cette  idée  d'un 
ultra  en  religion  et  en  politique.  Quelle  ne  fut  pas  notre  sur- 
prise, quand  nous  vîmes,  parmi  les  saints  et  les  sages,  dans  les 
rangs  du  clergé  de  Paris  et  des  prêtres  de  Saint-Sulpice  plus 
d'anxiété  que  d'enthousiasme  et  qua,nd  nous  entendîmes  les 
libéraux  à  outrance  se  déclarer  enchantés  de  ce  pamphlet! 
Dans  les  deux  camps,  on  avait  deviné  juste;  ici,  le  futur  sec- 
taire; là,  le  futur  allié.  Mgr  de  Quélen  ne  s'y  méprit  pas.  Il 
censura  le  livre,  et  c'est  alors  que  le  terrible  jouteur,  au  lieu 
de  se  taire  et  se  soumettre,  écrivit  les  deux  lettres  célèbres, 
beaucoup  plus  voisines  de  Jean-Jacques  Roussea^^  que  de 
Fénelon.  La  première  commençait  à  peu  prés  ainsi  (je  n'ai  pas 
le  texte  sous  les  yeux)  : 

«  Monseigneur,  depuis  que  vous  occupez  un  des  premiers 
sièges  du  monde  chrétien,  bien  des  livres  ont  paru,  qui 
outragent  la  religion,  la  royauté  et  la  morale.  Votre  Grandeur 
n'a  pas  cru  devoir  mettre  les  fidèles  en  garde  contre  ces  mau- 
vaises lectures.  Un  pauvre  prêtre,  frappé  des  dangers  qui 
menacent  l'Eglise,  a  essayé  d'avertir  les  catholiques;  c'est  lui 
que  vous  avez  choisi  pour  le  dénoncer  aux  méfiances  des  amis 
de  la  Religion  et  de  la  Monarchie,  etc..  »  —  On  le  voit,  la 
mèche  était  sous  la  mine.  Que  fallait-il  pour  déterminer  l'explo- 
sion? Deux  catastrophes  qui  se  complétèrent  l'une  par  l'autre; 
la  révolution  de  juillet,  qui  survint  tout  à  point  pour  accélérer 
les  déviations  de  ce  génie,  ivre  d'indépendance  et  de  liberté, 
trop  prévenu  pour  comprendre  qu'un  aflaiblissement  de  l'auto- 
rité et  de  l'esprit  de  respect  ne  pouvait  pas  être  favorable  aux 
intérêts  de  l'Eglise;  —  et  un  conflit  avec  la  cour  de  Rome;  un 
de  ces  conflits  où,  pour  un  homme  tel  que  Lamennais,  un  sem- 
blant d'obéissance  n'est  que  le  prélude  d'une  rébellion. 

Ce  qui  acheva  de  tout  perdre,  ce  fut  la  coïncidence  fatale  do 
cette  fausse  soumission,  de  ces  hésitations,  de  cette  rupture, 
avec  un  moment  de  vertige,  de  fièvre  chaude  et  de  délire,  oii 


CONFIDENCES    DE    LAMENNAIS  513 

se  mêlÔJ^ent  les  ardeurs  du  romantisme,  les  libertés  de  l'Eglise 
saint-simonienne,  la  croisade  contre  le  mariage,  les  velléités 
républicaines,  l'espoir  et  la  volonté  d'en  finir  avec  tous  les 
jougs,  toutes  les  gênes,  tous  les  pouvoirs,  tous  les  dogmes  et 
toutes  les  disciplines.  Il  suffit  de  relire  les  Lettres  d'un  voya- 
geur, les  articles  de  Sainte-Beuve  et  du  malheureux  Ler- 
minier,  le  roman  de  Spiridion,  pour  se  faire  une  idée  de  ce 
moment  unir[ue  dans  notre  siècle.  La  passion  dominait  tout, 
justifiait  tout,  remplaçait  tout.  Sous  prétexte  d'idéal,  on  dédai- 
gnait la  vérité.  On  avait  trop  de  droits  pour  s'astreindre  à  des 
devoirs,  trop  de  philosophie  pour  être  sage,  trop  d'héroïsme 
pour  être  honnête  homme,  trop  de  vertu  pour  être  honnête 
femnîe.  A  ce  Cénacle  il  fallait  un  saint;  à  cet  Evangile  il 
fallait  un  apôtre  ;  à  cette  chapelle  il  fallait  un  aumônier.  Juste- 
ment, l'abbé  de  Lamennais  tombait  du  ciel  (hélas  !  dans  le  plus 
douloureux  de  tous  les  sens).  On  s'empara  de  lui,  on  l'accapara, 
on  le  grisa  d'encens,  on  le  couvrit  de  fleurs. 

Ces  néo-chrétiens,  mi-partie  de  Judée  et  de  Bohême,  disciples 
de  la  fantaisie,  de  l'amour  libre  et  du  hasard,  ne  lui  laissèrent 
pas  le  temps  de  respirer,  de  réfléchir,  de  se  reconnaître.  Ils  le 
félicitèrent  d'avoir  le  goût  du  schisme,  avant  qu'il  en  eût  le 
courage  ;  d'avoir  brûlé  ses  vaisseaux  lorsqu'il  n'avait  encore 
avarié  que  sa  chaloupe.  Ce  fut  comme  une  ronde  du  Sabbat, 
tournoyant  autour  de  ce  prêtre,  l'étourdissant  de  ses  bruyantes 
spirales.  Il  chancelait;  l'étourdissement  le  fit  choir;  à  peu  prés 
comme  ces  danseurs  novices  qui  perdent  pied  au  milieu  du 
tourbillonnement  des  valseurs.  Le  désenchantement  ne  se  fit 
pas  attendre.  Bien  peu  de  temps  après,  le  vide  commença  à  se 
faire  autour  de  lui.  Le  maître  de  la  Chênaie  eut  à  se  demander 
s'il  avait  gagné  ou  perdu  en  échangeant  l'abbé  Lacordaire 
contre  M.  Pierre  Leroux,  Montalembert  contre  Charles  Didier, 
et  Sœur  Rosalie  contre  M'°'  Sand. 

Ces  souvenirs  me  mèneraient  trop  loin.  Revenons  bien  vite  à 
ces  précieuses  lettres,  publiées  par  M.  de  la  Villerabel,  avec 
une    introduction    et   des    commentaires    qui   en   augmentent 
encore  le  prix.  Deux  notes  attirent  l'attention  du  lecteur 
Tune  délicieuse,  l'autre  insensée. 

Le  grand   écrivain  reparaît  avec  un  charme  inexprimable 
chaque  fois  que  son  imagination,  assombrie  par  l'impossibilité 
de  se  fixer  le  ramène  au  pays  natal,  à  la  Chênaie,  à  Mordreuc 
vers  cet  horizon  dont  jadis  les  lueurs,  au  couchant,  se  confon 


514  ANNALES    CATHOLIQUES 

daient  pour  lui  avec  d'autres  clartés.  Singulier  contraste  ! 
Cette  sensibilité,  qu'avaient  laissée  intacte  ses  violences,  ses 
révoltes  et  ses  colères,  il  l'aurait  dissimulée,  comme  une  fai- 
blesse et  une  honte,  à  ses  nouveaux  amis,  dont  les  opinions 
semblait-il,  s'accordaient  avec  les  siennes;  et  il  ne  craignait 
pas  de  la  faire  voir  à  M.  Marion,  dont  il  se  savait  désormais 
séparé  par  un  abîme!  J'ai  dit  un  mot  des  vieux  arbres  que  l'on 
songeait  à  abattre,  parce  qu'ils  dépérissaient.  Voici  la  sup- 
plique de  l'absent  : 

«  Quoique  je  ne  doive  jamais,  selon  toute  apparence,  revoir 
la  Chênaie,  j'y  tiens  toujours  par  mes  souvenirs,  et  je  n'ai  pu 
me  représenter  ce  joli  coteau,  si  soigné  par  moi,  dépouillé  de 
sa  parure,  nu  en  partie,  sans  en  éprouver  une  vive  peine. 
Qu'est-ce  qu'un  peu  d'argent  prés  de  cela?  C'est  ce  que  je  me 
suis  dit.  J'erre  encore,  en  imagination,  sous  ces  arbres  dans  la 
sève  desquels  coule  ma  vieille  vie.  Eux  partis,  il  me  semble 
que  je  resterais  seul  en  ce  monde.  D'autres  les  abattront,  je  le 
sais  bien,  mais  alors  je  ne  sei-ai  plus.  Je  demande  donc  giàce 
pour  ces  pauvres  arbres  :  leur  caducité  ne  ressemble  que  trop 
à  la  mienne,  et  ceux  qui  m'ont  vu  naître,  je  ne  veux  pas  les 
voir  mourir.  »  (31  décembre  1844.) 

Quel  stjle  !  Quelle  sobriété  !  Comme  tous  les  mots  portent  ! 
Comme  c'est  plus  pénétrant  que  la  mélancolie,  toujours  un  peu 
théâtrale,  de  M.  de  Chateaubriand  !  Et  remarquez  un  détail  qui 
a  son  importance.  Cette  lettre  est  du  31  décembre  1844. 
Lamennais  a  soixante-deux  ans.  11  y  en  a  dix  qu'il  n'est  plus 
chrétien  :  or,  tout  ce  qu'il  a  écrit  pour  le  public  pendant  cette 
phase  lamentable,  tout  ce  qui  témoigne  de  son  ardeur  à  brûler 
ce  qu'il  avait  adoré  est  pitoyable,  même  au  point  de  vue 
purement  littéraire.  Le  déclin,  —  disons  le  mot,  —  le  rabâ- 
chage s'y  accuse  et  s'y  aggrave  d'année  en  année. 

Son  livre  intitulé  Amschaspands  et  Darvands,  publié  en 
1843,  est  un  tissu  d'extravagances  sans  poésie,  sans  esprit, 
sans  agrément  d'aucune  sorte.  C'est  à  propos  des  Affaires  de 
Rome,  que  Sainte-Beuve  éciivait  à  ses  amis  de  Lausanne  : 
«L'injure  y  est  crasseuse  ».  Le  Livre  du  peuple,  V  Esclavage 
moderne,  VÉvangile  du,  peuple,  sont  illisibles  ;  Lamennais 
journaliste  révolutionnaire,  démagogue,  socialiste,  collabo- 
rateur de  George  Sand,  de  Louis  Blanc  et  de  RibeyroUes,  a 
éparpillé  dans  le  Monde  (ne  pas  confondi-e),  dans  le  Peuple 
constituant,  dans  la  Réforme,  des  articles  dont  pas  une  page 


CONFIDENCES    DE    LAMENNAIS  515 

n'a  mérité  de  survivre.  Les  Paroles  d'un  croyant  elles-mêmes, 
dont  le  succès  produisit  l'effet  de  l'explosion  d'une  chaudière, 
semblent  aujourd'hui  plus  vieillies  que  la  prose  poétique  des 
Martyrs. 

Dans  tous  ces  écrits,  le  défaut  absolu  de  proportion  et  de 
mesure,  qui  déparait  déjà  les  ouvrages  de  la  première  manière, 
prend  des  dimensions  extraordinaires.  L'idée  fixe  se  change  en 
hallucination  ;  le  penchant  devient  une  manie,  la  manie  devient 
un  tic.  Pour  cette  imagination  maladive,  poussée  au  noir, 
consumée  par  un  perpétuel  accès  de  fièvre,  tout  grossit  et 
s'exagère  dans  le  sens  le  plus  pessimiste.  L'objection  est  une 
insulte,  la  contradiction  est  un  outrage,  la  modération  est  un 
crime,  la  richesse  est  un  vol,  l'autorité  est  une  oppression, 
l'adversaire  est  un  scélérat.  Le  monde  est  peuplé  d'ennemis,  de 
conspirateurs  masqués,  de  sicaires  invisibles,  acharnés  à  la 
perte  du  prêtre,  qui  s'est  défroqué  par  amour  de  l'humanité. 
L'iniquité  couvre  la  face  de  la  terre,  des  histoires  de  bandits 
couronnés,  d'assassins  revêtus  de  pourpre,  de  prévaricateurs 
armoiries,  s'écrivent  en  marge  de  l'Apocalypse. 

Pathmos  charge  MM.  Armand  Marrast  et  Jules  Favre  de 
moraliser  Babjlone,  Ce  ne  sont  partout  que  ferments  de  haine, 
sujets  de  méfiance,  motifs  de  représailles,  revendications  viru- 
lentes, pièges,  trahisons,  embûches,  guet-apens,'  coupe-gorge, 
écrasement  des  faibles  par  les  forts,  des  pauvres  par  les 
riches,  des  petits  par  les  grands,  vaste  conspiration  enlaçant 
comme  un  réseau  les  travailleurs  au  profit  des  jouisseurs.  Cet 
homme  de  génie,  qui  a  plané  sur  les  cimes  avec  Dante  et 
Bossuet,  adopte  et  répète  ce  que  dirait  un  tribun  d'estaminet, 
ce  qu'écrirait  un  journaliste  de  cabaret. 

Eh  bien!  il  lui  suffit  de  correspondre  avec  M.  Marion,  ce 
breton,  ce  chrétien  de  la  vieille  roche,  pour  retrouver  les 
accents  attendris,  afi'ectueux,  doux,  mélancoliques,  d'un  temps 
plus  heureux.  Il  redevient  presque  le  Lamennais  d'autrefois, 
non  pas,  hélas!  de  fait,  non  pas  même  d'intention,  mais  par 
la  magie  des  regrets,  par  le  mirage  des  souvenirs.  Si  enraciné 
qu'il  soit  dans  son  incrédulité  et  son  irapénitence,  il  ne  peut 
pas  faire  que  ces  arbres  qui  l'ont  vu  naître,  et  pour  lesquels 
il  demande  grâce,  ne  l'aient  pas  vu  aussi,  en  soutane,  s'age- 
nouiller,  prier  et  bénir. 

Il  ne  peut  pas  faire  que  chaque  paysage,  chaque  buisson, 
chaque   rocher,   chaque   ruisseau    de   son   pays,   ne   soit   pas 


5X6  ANNALES   CA.TH0L1QUES 

associé,  dans  sa  mémoire,  à  une  scène  de  sa  vie  cléricale, 
à  un  épisode  du  temps  ou  de  pieux  et  admirables  jeunes  gens 
entouraient  avec  amour  l'abbé  Féli,  recueillaient  ses  leçons, 
écoutaient  avidement  sa  parole,  s'inspiraient  de  sa  foi  et  de 
son  génie,  et  peut-être,  à  son  insu,  lui  préparaient  des  média- 
teurs auprès  de  la  miséricorde  divine.  C'est  pour  cela  que  ces 
images  le  hantaient,  c'est  pour  cela  qu'il  ne  voulait  pas  revenir 
à  la  Chênaie.  Etait-ce  seulement  de  peur  d'être,  pour  ces  popu- 
lations catholiques,  un  sujet  de  scandale?  N'était-ce  pas  aussi 
une  vague  appréhension,  la  crainte  que  le  passé  ne  le  ressaisît, 
ou  du  moins  ne  reprît  sur  lui  trop  d'empire?  Le  doute  seul  CiSt 
un  hommage  au  Dieu  qu'il  avait  renié.  Aussi  ne  saurait-on 
assez  remercier  M.  de  la  Villerabel  d'avoir  publié  ces  lettres. 
La  note  insensée,  —  vous  l'avez  déjà  deviné,  —  c'est  l'achar- 
nement furieux  de  Lamennais  contre  le  Roi,  les  Chambres,  les 
ministres,  la  bourgeoisie,  la  société,  de  1835  à  1848.  Un  puri- 
tain, pessimiste  et  misanthrope,  qui  viendrait  aujourd'hui  à 
Paris  pour  la  première  fois,  qui  s'arrêterait  suffoqué  devant 
d'immondes  étalages,  qui  assisterait  au  triomphe  de  tous  les 
genres  de  prostitution,  de  pornographie  et  d'obscénité,  que  l'on 
mettrait  au  courant  de  toutes  les  ignominies  républicaines, 
des  complaisances  du  pouvoir  pour  le  vice  et  pour  le  crime, 
des  faits  et  gestes  de  nos  députés  et  de  notre  Conseil  municipal, 
de  l'abaissement  du  pays  vis-à-vis  les  puissances  étrangères, 
des  rapports  du  ministre  de  la  guerre  avec  l'armée,  de  ce 
cloaque  infecte  qu'on  appelle,  par  habitude,  le  gouvernement, 
ne  parlerait  pas  de  la  France  de  1886,  de  MM.  Goblet,  Lockroy, 
Boulanger,  Camélinat,  Baslj  et  Brialou,  comme  Lamennais 
parle  de  la  France,  de  MM.  Mole,  Guizot  et  Duchâtel.  Jugez-en 
par  quelques  échantillons  :  «  Jamais  on  ne  vit  tant  de  cor- 
ruption et  d'impudence  dans  la  corruption,  »  —  «  Les  plus 
infâmes  époques  de  la  France  étaient  glorieuses  auprès  de 
celle-ci.  »  —  «  L'armée  est  désorganisée  au-delà  de  tout  ce 
que  l'on  peut  dire,  l'artillerie  détruite,  la  cavalerie  à  pied. 
Nous  ne  serions  pas  en  état  de  soutenir  une  guerre  contre 
la  Prusse;  la  trahison  est  effrayante...  »  —  «  On  ne  se  figure 
pas  en  quel  mépris  la  Chambre  est  tombée.  C'est,  en  vérité, 
une  complète  dissolution  sociale.  La  France  pourrit  sur  un 
fumier.  Nul  ne  peut  dire  combien  de  temps  durera  la  dégoû- 
tante agonie  de  ce  demi-cadavre  étendu  dans  la  boue  dont 
il  se  gorge  et  qui  l'étouffé.  »  —  «  Je  ne  sais  ce  qu'il  y  a  dans 


LA   JEUNK   ITALIK,    LA  «VIEILLE    PAPAUTÉ  517 

l'air;  mais  on  n'entend  parler  que  de  malheurs,  de  crimes 
atroces  et  de  suicides  (1838).  —  La  loi  s'est  faite  la  protectrice 
de  l'infamie...  » —  «  L'effrénée  corruption  qui  gangrène  rapi- 
dement le  pays,  et  dont  le  pouvoir  s'est  fait  le  principal  moyen 
de  gouvernement...  »  —  «  L'avilissement  de  la  France  au 
dehors,  sa  position  prosternée  aux  pieds  des  puissances  du 
Nord,  et  ses  intérêts  sacrifiés  aux  intérêts  d'une  dynastie 
aussi  lâche  à  l'extérieur  qu'oppressive  au-dedans.  »  —  «  Le 
ministère  (Mole)  se  traîne  à  quatre  pattes  dans  la  boue.  Jamais 
on  ne  porta  plus  loin  le  courage  de  la  bassesse.  »  —  «  Il  a  suffi 
de  l'haleine  empestée  d'un  seul  homme  (Louis-Philippe),  pour 
empoisonner  trente  millions  de  Français...  etc.,  etc.,  etc.  » 
—  Toute  cette  partie  de  la  correspondance  est  du  même  ton. 
Voyez  pourtant  la  différence  entre  la  vérité  divine,  et  la 
vérité  humaine  !  La  religion  de  Lamennais  ne  serait  pas  plus 
vraie  aujourd'hui  qu'elle  ne  l'était  il  y  a  cinquante  ans;  et, 
pour  que  sa  politique  fût  d'une  vérité  absolue,  il  suffirait 
de  dater  de  1886  ce  qu'il  date  de  1838. 

Armand  de  Pontmartin. 


LA  JEUNE  ITALIE,  LA  VIEILLE  PAPAUTÉ 

La  Civillà  Cattolica  trace  un  parallèle  saisissant  entre 
la  jeune  Italie  et  la  vieille  Papauté  : 

Pendant  que  la  nouvelle  Italie  entraînée  par  ses  méthodes 
absurdes  s'obstinait  à  faire  entrer  dans  la  tête  de  ses  habi- 
tants les  doctrines  allemandes,  Léon  XIII  proposait  à  tous  les 
catholiques,  par  son  encyclique  ^ternis  Patris,  comme  maître 
de  la  philosophie  italienne  et  catholique,  le  grand  docteur  de 
l'Eglise  saint  Thomas  d'Aquin  et,  fait  sans  précédent?,  il  ouvrait 
à  l'étude  les  archives  du  Vatican,  donnant  ainsi  une  nouvelle 
impulsion  aux  recherches  historiques,  il  encourageait  les  études 
des  sciences  naturelles  et,  malgré  sa  pauvreté,  honorait  et 
secourait  les  savants  et  fondait  des  écoles.  Les  applaudisse- 
ments par  lesquels  l'Europe  a  reçu  ces  premiers  actes  en  Italie 
et  à  Rome  ont  fait  comprendre  comment  la  Papauté  conserve, 
sans  cesse,  le  patronat  de  la  science  auquel  les  sociétés  chré- 


518  ANNALES    CATHOLIQUES 

tiennes  doivent  leur  supériorité  intellectuelle  sur  les  autres 
nations.  ' 

En  attendant,  la  Franc-Maçonnerie  s'emparait  partout  des 
choses  publiques  et  continuait  dans  tous  les  Etats  civilisés,  sa 
guerre  à  mort  contre  le  christianisme.  Elle  continuait  ses 
usurpations  particulièrement  à  Rome,  et  le  Pontife  invincible 
fulminait  la  secte  pur  son  encyclique  Hutnanurn  genus,  et  du 
fond  de  sa  prison  protestait  hautement  en  repoussant  toute 
concession  trompeuse,  et  redemandait  les  droits  du  Saint- 
Siège. 

Que  ne  donnerait  pas  l'Italie  libérale,  non  reconnue  par  les 
puissances,  si  ce  n'est  qu'en  tant  qu'un  fait  sans  droit,  pour  que 
cette  voix  qui  fait  toujours  renaître  la  question  romaine  fût 
rendue  silencieuse!  Elle  sent  que  la  Papauté  vit;  elle  ne  vit 
pas  seulement,  mais  pendant  que  l'Italie  est  en  décadence,  elle, 
lorsqu'on  s'y  attend  le  moins,  revient  aux  fastes  les  plus 
glorieux  de  son  existence. 

Qui  se  serait  attendu  dans  notre  siècle  à  un  arbitrage  du 
Pape  entre  deux  puissances?  Qui  aurait  songé  à  le  voir  proposé 
par  une  puissance  protestante  ?  Et  qui,  enfin,  espérait  voir  con- 
sidérer cet  arbitrage  comme  une  chose  très  rationnelle,  par  les 
protestants,  vu  la  dignité  de  Pontife  et  de  Souverain  du  Pape 
et  vu  ses  qualités  personnelles?  Combien  l'Italie  n'était-elle  pas 
fière  lorsqu'on  a  soumis  à  un  de  ses  jurisconsultes  un  arbitrage 
sur  VAlabarna.  Maintenant  que  la  voici  bien  établie  à  Rome, 
combien  n'a  pas  an  être  douloureux  pour  elle  ce  fait  de  voir 
demander  un  médiateur  non  pas  à  Montecitorio,  mais  au 
Vatican?  Mais  que  faire?  Supposons  que  l'on  ait  voulu  suffoquer 
ces  éclairs  de  la  majesté  du  Pontife  qui  illuminent  les  hontes 
de  son  adversaire  humilié.  Mais  les  triomphes  venaient  l'un 
après  l'autre. 

Pendant  que  la  diplomatie  italienne  subissait  toutes  les 
humiliations,  le  Pape  Léon  XIII  recevait  l'Angleterre  désireuse 
de  renouer  avec  le  Saint-Siège  des  relations  rompues  depuis 
trois  siècles,  il  aplaniss.nit  les  difficultés  surgies  depuis  plu- 
sieurs lustres  en  Suisse,  il  rétablissait  la  Nonciature  en  Bel- 
gique, commencjait  des  relations  officielles  avec  la  Chine,  et, 
enfin,  ouvrait  les  négociations  qui  devaient  conduire,  non  à 
Canossa,  mais  à  Rome,  le  Chancelier  de  fer,  le  plus  grand  des 
politiques  de  nos  jours  et  l'amener  à  rendre  aux  catholiques 
d'Allemagne  une  paix  que  l'on  n'osait  espérer. 


COMME    QUOI    ON    DESCEND    l'eSCALIER    ROUGE  519 

Nous  n  avons  pas  pour  but  de  représenter  dans  toute  sa 
grandeur  la  figure  majestueuse  de  Léon  XÎII,  ni  d'exposer  la 
vigueur  niagniâque  déployée  sous  son  règne  par  la  Papauté. 
L'esquisse  que  nous  venons  d'en  tracer  est  plus  que  suffisante 
pour  servir  à  notre  démonstration.  Nous  nous  étions  proposé 
tout  simplement  de  réunir  en  un  seul  tableau  deux  faits,  l'un 
avoué  par  ses  propres  auteurs,  l'autre  évident  à  tous  ceux  qui 
voient.  Le  premier,  c'est  la  désorganisation  de  la  nouvelle 
Italie  antipapale;  l'autre,  la  glorieuse  vitalité  de  cette  ins- 
titution de  la  Papauté. 

Ce  double  spectacle  servira,  peut-être,  à  désillusionner  ceux 
qui  peuvent  être  dans  la  bonne  foi,  et  certainement  il  donnera 
un  courage  nouveau  aux  catholiques  fidèles  sans  restriction 
aucune,  au  Vicaire  de  Jésus-Christ.  Si  la  faction  dominante  se 
nourrissait  d'un  véritable  amour  de  la  patrie,  si  elle  n'était  pas 
animée  d'une  aversion  satanique  contre  le  Christ  et  son  Église, 
ce  double  fait,  qu'elle  ne  connaît  que  trop,  l'aurait  déjà  con- 
duite à  sortir  de  la  voie  mauvaise  pour  travailler  à  la  restaura- 
tion d'une  Italie  unie,  mais  sur  les  principes  de  la  morale  évan- 
gélique.  La  Franc-Maçonnerie,  maîtresse  du  sort  de  l'Italie,  la 
jettera  plutôt  dans  les  bras  du  nihilisme  que  de  la  donner  au 
Christ.  Continuera-t-on  ainsi?  Nous  espérons  que  non.  En  tous 
les  cas,  une  chose  est  hors  de  doute,  la  Papauté  n'a  pas  besoin, 
et  elle  n'a  pas  peur  de  la  nouvelle  Italie,  et  la  vraie  Italie  n'a 
d'autre  espoir  de  salut  que  dans  la  Papauté. 


COMME  QUOI  ON  DESCEND  L'ESCALIER  ROUGE 

En  vérité,  je  vous  le  dis,  nous  descendons  l'escalier  rouge. 

Voyez,  la  même  persécution  contre  la  religion,  la  même  haine 
contre  toute  supériorité. 

En  même  temps  que  dans  les  clubs,  et  en  plein  Conseil  mu- 
nicipal de  Paris,  on  parle  de  piller  la  Banque,  de  confisquer  les 
propriétés,  ceux  qui,  encore  pour  quelque  temps  moins  «  avan- 
cés »,  plus  timides,  sont  censés  gouverner  nos  finances,  ne  nous 
mènfent-ils  pas  à  la  ruine,  aux  assignats,  à  la  banqueroute? 

Dans  un  ordre  du  iour,  à  propos  de  la  grève  de  Decazeville, 
n'a-t-on  pas  vu  le...  Gouvernement  promettre  «  de  veiller  aux 

38 


520  ANNALES   CATHOLIQUES 

intérêts  de  l'Etat  et  à  ceux  des  travailleurs,  »  n'oser  même  pas 
proposer  à  la  Chambre,  qui,  d'ailleurs,  l'aurait  repoussé,  d'ajou- 
ter à  cette  promesse  celle  de  faire  respecter  les  intérêts  de  la 
propriété  ? 

N'oublions  pas  que  ce  mot  de  travailleurs  a  été  employé  pour 
la  première  fois  à  propos  des  assassins  soldés  en  1792,  lors  du 
massacre  des  prisonniers.  Peut-être  doit-on  s'étonner  de  ne  pas 
voir  encore  les  assassins  des  otages  et  les  incendiaires  de  Paris, 
aujourd'hui  glorifiés,  réclamer  leur  salaire,  mais  ça  viendra. 

Et  dans  cet  assaut  de  lâcheté,  n'a-t-on  pas  vu  un  général, 
ministre  do  la  guerre,  remporter  la  palme  de  la  couardise  ? 

Ce  malheureux  M.  Boulanger,  enivré  des  plus  folles  espé- 
rances, ne  comprenant  pas  quelle  piètre  position  il  aura  dans 
l'armée,  et  parmi  les  autres  généraux,  ses  anciens,  lorsque 
demain  ou  après  demain  il  sera  tombé  du  ministère,  ce  malheu- 
reux M.  Boulanger  a-t-il  fait  autre  chose,  en  s'élevant  contre 
la  «  noblesse  »  dans  l'armée,  qu'imiter  servilement  les  hommes 
de  1792  ? 


Et  ce  Conseil  municipal  votant  un  encouragement  de  dix 
mille  francs  pour  les  grévistes  de  Decazeville,  ne  rappelle-t-il 
pas  l'enthousiasme  pour  les  Suisses  insurgés  de  Chateauvieux, 
et  est-il  impossible  que  nous  voyions  prochainement  une  fête 
où  on  promène  en  triomphe  les  assassins  de  l'ingénieur  Watrin? 
—  après  avoir  alloué,  comme  en  septembre  1792,  vingt-quatre 
livres  à  chacun  des  «  travailleurs  »  auxquels  Billaud  Varennes, 
pendant  le  «  travail  »  criait  :  «  Peuple,  tu  immoles  tes  ennemis, 
tu  fais  ton  devoir  !  v  après  quoi,  sur  la  demande  de  leur  chef. 
Maillard,  il  fait  donner  vingt-quatre  pintes  de  vin  à  ces 
«  braves  travailleurs.  » 

En  cotte  Chambre  ne  chassant  pas  avec  des  huées  un  député 
qui  ose  approuver  cet  assassinat  et  l'appeler  une  exécidlon,  ne 
réveille-t-elle  pas  le  souvenir  de  l'approbation  que  rencontre 
ce  député  qui,  en  1792,  appela,  en  pleine  Assemblée,  les  mas- 
sacres des  prisons  «  des  moyens  rigoureux,  »  et  tandis  que  le 
«  citoyen  Tanche  »  appelait  ces  malheurs  «  les  accidents  sur- 
venus aux  Carmes  »  et  l'élégant  Barrére,  à  propos  des  atrocités 
commises  par  Joseph  Lebon,  le  blâmait  «  d'avoir  eu  des  formes 
un  peu  acerbes?  » 

Et  ce  cabaretier  Basly,  prenant  le  rôle  du  cabaretier  San- 


COMME    QUOI    ON    DESCEND    l'eSCALIER    ROUGE  521 

teri'e,  comme  sur  les  théâtres  de  province  des  histrions  subal- 
ternes jouent  les  Elleviou  et  le^  Martin;  allant  au  milieu  des 
malheureux  ouvriers  de  Decazeville,  les  poussant  à  une  résis- 
tance qui  ne  peut  avoir  de  résultat  pour  eux  et  leur  famille  que 
la  misère  et  la  faim  ! 

Et  son  compère  Came'linat  qui  vient  ânonner  à  la  Chambre 
des  députés  un  papier  écrit  qu'on  lui  a  rédigé  !  ces  «  amis  du 
peuple  »  n'essajent-ils  pas  déjouer  les  Marat? 

Et  quand  j'entends  le  cabaretier  Baslj,  le  je  ne  sais  quoi 
Camélinat  et  leurs  acoljtes  les  journalistes,  prétendre  qu'ils 
n'ont  fait  que  prêcher  la  modération,  je  me  rappelle  le  modèle 
Marat  disant  en  pleine  Assemblée  :  «  Je  ne  viens  point  ici  jeter 
une  pomme  de  discorde;  ou  sait  quo  si  j'ai  parcouru  les 
sociétés  populaires,  c'est  pour  leur  prêcher  la  modération  et 
l'obéissance  aux  lois.  » 


Les  Génois  ont  un  proverbe  à  propos  de  leur  belle  église  de 
marbre  noir  et  de  marbre  blanc  et  d'une  petite  rue  étroite  qui 
y  conduit;  «  La  via  del  Filo,  disent-ils,  va  toujours  à  San 
Lorenzo.  » 

La  même  folie,  la  même  lâcheté  mènent  toujours  aux  mêmes 
désastres. 

Comme  le  Petit  Poucet,  ramenant  ses  frères  à  la  maison  en 
retrouvant  les  petits  cailloux  blancs  qu'il  a  semés  sur  la  route, 
je  m'efforce  de  retrouver  et  de  signaler  les  cailloux...  rouges 
qui  marquent  les  traces  de  la  Révolution  de  1792  et  de  la 
Terreur. 

Les  plus  violents  l'emporteront  toujours  sur  les  autres, 
toujours  la  Montagne  guillotinera  les  Girondins. 

Je  vous  le  dis  en  vérité,  nous  descendons  l'escalier  rouge,  et 
nous  eu  avons  déjcà  descendu  plusieurs  degrés  ;  il  est  bien  temps, 
il  n'est  que  temps  de  se  mettre  en  défense.  N'attendons  pas 
d'être  désarmés,  enchaînés  et  «  ligotés  »  pour  essayer  de 
résister  : 

A  moins  que,  de  même  que  le  mode  des  hauts  chignons,  des 
souliers  pointus  et  des  vertugadins,  vous  ne  soyez  résignés  à 
voir  revenir  la  mode  qui,  en  1792-1793  consistait  à  attendre  la 
mort  et  à  la  subir  avec  bonne  grâce,  élégance  et  même  une 
certaine  gaieté  de  bon  goût. 


522  ANNALES   CATHOLIQUES 

Si  VOUS  êtes  décidés  à  attendre  et  à  accepter  cette  mode,  je 
n'ai  plus  rien  à  dire. 

J'ajouterai  seulement  que,  depuis  que  je  parle,  nous  avons 
encore  descendu  quelques  marches  de  l'escalier  rouge. 

Alphonse  Karr. 


LE  SOCIALlSxME  ITALIEN 

SES    ORIGINES    ET     SES   AFFINITÉS     POLITIQUES 

En  présence  du  progrés  toujours  croissant  que  le  socialisme 
fait  en  Europe,  l'attention  publique  se  réveille  ;  bien  des  esprits, 
jusqu'aujourd'hui  indifférents  ou  aveugles,  cherchent  avec 
effroi  les  causes  de  ce  mal  intime  qui  ronge  notre  société 
moderne  et  dont  de  récentes  et  criminelles  manifestations 
semblent  nous  promettre  un  si  funeste  avenir.  On  en  parle  à 
toute  occasion  ;  les  journaux  en  discourent  dans  leurs  colonnes  ; 
c'est  la  question  à  l'ordre  du  jour.  Mais  la  conclusion  dépend 
naturellement  du  point  de  vue  où  l'on  se  place.  Pour  nous, 
catholiques,  qui  savons  que  nous  pouvons  sûrement  et  juste- 
ment juger  des  choses  en  nous  mettant  au  point  de  vue  supérieur 
de  la  foi,  c'est-à-dire  de  la  vérité  souveraine  dont  dépend  toute 
autre  vérité,  la  solution  au  problème  social  qui  se  pose  devant 
nous  n'est  pas  difficile  à  trouver.  Voici  à  ce  propos,  le  résumé 
très  succinct  d'un  article  de  la  Civiltà  caitolica,  oii  la  savante 
revue,  ètudisint  le  socialisme  en  Italie,  nous  offre  des  réllexions 
d'autant  plus  dignes  de  notre  attention  qu'elles  s'appliquent 
avec  autant  de  justesse  à  l'Europe  entière  qu'à  la  péninsule 
italienne. 

Après  avoir  rappelé  les  différentes  grèves  qui  ont  éclaté 
naguère  en  Angleterre,  en  France,  en  Belgique,  en  Italie,  la 
Civiltà  continue  : 

Ce  qui  nous  étonne,  ce  n'est  pas  tant  l'explosion  de  ces  grèves, 
mais  c'est  Tétonnement  même  de  cette  partie  des  classes  dites  diri- 
geantes, qui  se  compose  de  gros  bourgeois,  de  propriétaires,  de 
commerçants,  de  banquiers,  de  patrons  d'ateliers,  lesquels  ne  savent 
comprendre  que,  chez  vous  en  particulier,  le  prétendu  nationalisme 
libéral,  ait  si  rapidement  engendré  le  socialisme,  et  un  socialisme  si 
bien  organisé  et  discipliné,  surtout  dans  les  campagnes. 


LE    SOCIALISME    ITALIEN  523 

Il  faut  être  volontairement  aveugle  pour  ne  pas  voir  le  lien 
qui  unit  le  nationalisme  révolutionnaire  que  le  libéralisme  a 
caressé  par  intérêt  avec  le  socialisme  qu'il  déteste  également 
par  intérêt. 

On  vous  a  prouvé  mille  fois,  ô  Italiens,  que  tous  deux  ont  la 
même  origine  de  principes  et  de  faits,  qu'ils  se  servent  des  mêmes 
moyens  pour  arriver  à  leurs  fins  et  tnème  que  l'un  doit  èlre  néces- 
sairement le  moyen  de  l'aiilrc.  Toutes  ces  négations  du  droit  qui 
vous  ont  conduils  à  la  révolulion  politico-religieuse  contre  l'aulo- 
rité  légitime,  doivent  nécessairement  conduire  le  peuple  à  la 
révolulion  politico-sociale  contre  la  légitime  propriété,  ('es  deux 
choses  reposent  en  effet  sur  une  même  base  et  il  est  impossible 
de  renverser  le   principe  de  l'autorité  sans   renverser  celui   de  la 

propriété Vous  avez  copié  en   Italie  la    Révolution   française, 

cl  vous    vous    étonnez   d'en  voir   se   retourner    contre    vous   les 
conséquences  logiques. 

C'est,  d'ailleurs,  ce  que  disait  naguère  en  propres  termes, 
Y  liJ  g  alite,  journal  socialiste  des  plus  modelés  :  «  Nous  suivrons, 
«  dirait-il,  l'exemple  que  vous  donna,  au  siècle  dernier,  le 
«  Tiers-Etat,  c'est-à-dire  la  bourgeoisie.  Nous  nous  empare- 
«  rons  d'abord  du  pouvoir,  puis  de  la  propriété.  » 

Mais  tout  en  admettant  que  le  socialisme  naisse  du  libéra- 
lisme comme  de  son  principe,  comment  se  fait-il,  dira-t-on, 
qu'il  ait  pris  si  vite  en  Italie  de  si  formidables  [jropoitions'/ On 
comprend  son  extension  en  France  qui  jouit,  depuis  bientôt  un 
siècle  d'une  liberté  nouvelle  ;  mais  en  Italie,  à  peine  compte-t-on 
cinq  lustres  de  rédemption  politique  !... 

Si  la  Révolulion  a  mis  un  siècle  à  asservir  la  France,  il  faut  se 
ra[)peler  qu'elle  a  eu  bien  des  entraves  à  renverser  ;  elle  a  été 
soumise  à  la  dictature  napoléonienne  et  elle  îi  subi  de  longues 
guerres  qui  ont  arrêté  son  essor  dans  l'intérieur  du  pays.  Mais  en 
Itnlie,  l'œuvre  corruptrice  du  nationalisme  libéral  n'a  rencontré 
aucun  obstacle;  elle  a  même  été  favorisée  de  toute  façon  par  le 
gouvernement  qui  l'a  dirigée  lui-même. 

Témoin  l'accord  persévérant  que  cette  Révolution  affublée 
du  manteau  lojal  ne  cessa  d'entretenir  dan^s  les  sectes  maçon- 
niques et  l'appui  qu'elle  ne  dédaigna  pas  recevoir  des  déma- 
gogues les  plus  dévergondés,  comme  l'ont  montré  les  exploits 
de  Garibaldi  et  de  ses  brigands. 

A,i()ut)ns  à  cela  la  nouvelle  Morale  et  le  nouveau  Droit  cano- 
nisés  par  un  gouvernement  qui,  pour  y  conformer  sa   politique, 


524  ANNALES    CATHOLIQUES 

dut  se  déclarer  athée  et  antichvétien.  Puis  la  licence  d'une  presstr 
qui  ne  se  nourrissait  que  de  mensonges,  de  blasiDhcmes,  de  scan- 
dales et  du  mépris  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  au  ciel  et  sur  la 
terre.  Après  cela,  l'exemple  solennel  de  socialismo  que  donne  au 
peuple  le  gouvernement  en  décrétant  que  les  biens  de  l'Église 
étaient  biens  d'État,  et  violant  ainsi  un  droit  de  propriété  qui,  par 
son  caractère  de  sainteté  même,  était  considéré  universellement 

par  le  peuple  comme  plus  inviolable Enfin,  pour  ne  rien  dire 

d'autre,  remarquons  qu'à  mesure  que  le  gouvernement,  au  moyen 
de  la  corruption  légale^  enlevait  Dieu  au  peuple,  et  lui  ai^rachait 
aussi  d'autre  part,  par  des  impôts  exorbitants,  le  morceau  de 
pain  auquel  il  avait  droit. 

Que  les  classes  dirigeantes  viennent  s'étonner  après  cela  de 
la  diifusion  et  de  l'explosion  formidable  des  idées  socialistes! 

Si  l'on  veut  maintenant  pénétrer  plus  avant  et  voir  de  plus 
près  quelles  sont  les  trois  causes  qui  donnent  le  plus  de 
vigueur  et  d'audace  au  socialisme,  nous  les  trouvons  dans  la 
misère,  Vartifice  des  sectes  et  Yirréligiosité  des  e'coles. 

La  misère,  mais  partout  le  regard  en  rencontre  l'horrible  tableau 
dans  les  villes  et  dans  les  campagnes,  et  partout  on  en  accuse  le 
gouvernement.  Les  dépenses  excessives  de  l'Etat,  dit  le  comte 
d'Arcû  (1),  se  répercutant  dans  l'excès  des  impôts,  mettent  les 
propriétaires  dans  l'impossibilité  de  satisfaire  aux  plaintes  en 
partie  justes  des  ouvriers  et  préparent  la  révolte  dans  plusieurs 
provinces  du  royaume. 

Cet  excès  d'impôts  que  le  sénateur  Jacini  appelle  spoliaieu7^s, 
que  le  député  Luzzati  qualifie  de  sauvages,  que  le  député 
Sandino-Sjdnej,  nomme  la  négation  du  Pater  noster,  entre- 
rait, d'après  la  Civiltà,  pour  3/5  dans  les  causes  du  socialisme 
actuel  en  Italie. 

Et  de  fait,  sans  parler  des  quatorze  millions  que  le  gouvernement 
prélève  rien  que  sur  le  pain  du  pauvre  peuple,  en  les  volant  aux 
œuvres  pies,  n'est-ce  pas  un  spectacle  unique  que  ces  80,000  petits 
propriétaires  expropriés  de  leurs  biens-fonds  parce  qu'ils  ne  savent 
pas  payer  les  quelques  lire  d'impôt  qu'on  leur  réclame?  Vraiment, 
l'Italie,  grâce  aux  spoliations  fiscales,  devient,  pour  la  majeure  partie 
de  ses  habitants,  une  nation  de  mendiants,  de  misérables,  d'affamés; 
et  on  a  le  frisson  en  pensant  à  ce  que  nous  réserve  l'avenir  quand 
on  aura  éteint  les  restes  de  religion  qui  durent  encore  dans  le  cœur 
d'un   grand   nombre;    quand   aura    grandi    cette    génération    qu'on 

(1)  Actes  officiels,  p.  12,749. 


I 


LE    SOCIALISME    ITALIEN  525 

essaye  d'élever  sans  foi  et  sans  Dieu,  c'est-à-dire  sans  le  frein  salu- 
taire qui  arrête  les  passions  et  les  fureurs  les  plus  bestiales. 

La  Clviltà  cite  à  l'appui  de  ces  réflexions,  une  lettre  du 
comte  Ignace  Lana,  qui  nous  dépeint  sous  de  tristes  couleurs  la 
situation  économique  du  Lombardo-Vénitien.  Dans  cette  région 
tout  est  imposé  par  l'État,  la  province  et  la  commune  ;  les 
biens-fonds,  le  sucre,  les  spiritueux,  le  sel,  le  tabac,  le  vin,  la 
viande,  le  pain  et  jusqu'à  la  quinine,  comme  pour  empêcher  les 
pauvres  ouvriers  qui  travaillent  dans  les  rizières  de  combattre 
les  fièvres  malignes  qu'ils  y  contractent.  Vraiment,  il  ne  manque 
plus  qu'un  impôt  sur  l'air  qu'on  respire;  mais  personne  ne  nous 
assure  qu'il  n'arrivera  pas  bientôt.  Et  notons  qu'on  peut  en 
dire  autant  ou  à  peu  prés  des  diverses  provinces  du  roj'aume. 

Voilà  la  belle  unité  qui  est  sortie  du  nationalisme,  auquel  on 
a  sacrifié  tant  de  droits  divins  et  humains.  Ce  n'est  ni  l'unité 
des  esprits,  ni  l'unité  des  cœurs,  ni  l'unité  des  langues  (car 
jamais  ou  a  été  en  présence  d'une  pareille  Babel),  mais  c'est 
l'unité  de  la  misère,  qui  nous  conduit  à  celle  de  l'anarchie. 

Au  désespoir  de  la  faim,  si  ou  ajoute  tous  les  nouveaux  besoins 
artificiels  :  le  tabac,  les  spiritueux,  les  jeux,  les  plaisirs  qu'on  a  fait 
contracter  au  peuple,  on  comprend  qu'avec  cela  et  les  idées  de 
liberté  effrénée  qui  ont  envahi  toutes  les  têtes,  les  agitateurs  et  les 
sectaires  aient  trouvé  assez  do  matières  inflammables,  pour  exciter 
les  incendies  dès  longtemps  prémédités. 

Le  pauvre  peuple  est  toujours,  dans  les  révolutions,  l'instrument 
aveugle,  mais  très  utile,  des  ambitieux  et  des  brouillons.  Le  nationa- 
lisme libéral  s'est  servi  du  peuple,  et  même  c'est  au  nom  du  peuple 
et  de  ses  droits  qu'il  a  prétendu  s'emparer  de  toute  l'Italie.  Arrivé  à 
son  but,  il  a  procuré  au  peuple  le  bonheur  dont  celui-ci  jouit,  en  lui 
rongeant  les  os  pour  rendre  millionnaires  des  vampires,  ses  favoris, 
eelon  l'expression  d'un  député  à  la  Chambre  de  Montecitorio.  Main- 
tenant le  peuple  est  attiré,  séduit  et  poussé  contre  le  nationalisme 
par  les  coryphées  des  sectes  radicales,  qui  aspirent  à  supplanter  les 
repus  pour  se  substituer  à  eux  avec  leur  socialisme  et  s'engraisser  â 
leur  tour.  Et  le  peuple,  toujours  semblable  â  lui-même,  les  suit 
d'autant  plus  volontiers  qu'il  lui  paraît  impossible  que  le  socialisme 
des  radicaux  le  trompe  et  l'exploite  plus  que  ne  l'a  fait  le  nationa- 
lisme des  libéraux. 

Et  comment  s'est  faite  et  se  fait  encore  cette  propagande?  Avec  les 
moyens  ordinaires  aux  sectaires  ;  les  écrits  et  les  journaux  qui  atti- 
sent les  plus  mauvaises  passions,  les  proclamations  et  les  adresses, 
les  enrôlements  habiles  et  incessants  qui  réunissent  en  groupe  d'aveu- 


526  ANNALES    CATHOLIQUES 

gles  adeptes,  lesquels  sont  ensuite  laissés  sous  la  main  d'un  chef 
occulte  qui  dirige  la  trame.  Or,  dans  les  proclamations  qui  se  sont 
trouvées  amoncelées  dernièrement  au  banc  des  assises  de  Venise,  on 
lisait  des  phrases  comme  celle-ci  :  «  Ouvriers,  réjouissez-vous,  nos 
ennemis  sont  remplis  de  crainte.  Le  règne  de  riniustice  est  désor- 
mais fini;  c'est  maintenant  que  va  commencer  l'égalité  complète,  la 
liberté.  Le  gouvernement  de  la  monarchie  chancelle  et  s'en  va;  il  va 
faire  place  au  gouvernement  du  peuple.  » 

Voilà  quel  a  été  le  langage  de  tous  les  fauteurs  d'agitations 
socialistes  qui  se  sont  répandus  dans  les  campagnes  de  Mantoue, 
de  Milan,  de  la  Lombardie,  de  Naples  et  de  Rome.  A  la  suite  de 
ces  provocation?,  on  a  vu  se  soulever  dans  ces  régions  des 
masses  de  pa^-sans,  travaillés  depuis  longtemps  par  les  agents 
de  chefs  suprêmes  et  secrets,  dont  les  ordres  sont  absolus  et  qui 
les  expédient  on  ne  sait  d'oii. 

Et  nos  libéraux  des  classes  dirigeantes,  craignant  maintenant  pour 
leur  bourse,  se  battent  les  flancs  et  se  demandent  avec  étonnement 
comment  a  jailli  un  mouvement  pareil  de  socialisme  dans  la  terre  si 
douce  et  si  policée  de  l'Italie.  Qu'ils  aillent  en  chercher  la  raison 
dans  la  liberté,  si  applaudie  par  eux,  de  la  presse  et  des  associations. 
Pour  eux,  il  y  avait  danger  et  même  grand  dommage  à  permettre  les 
associations  de  religieux  et  de  religieuses;  voilà  pourquoi  ils  les  ont 
dissoutes,  après  en  avoir  dévoré  les  biens.  Aux  communautés  reli- 
gieuses se  sont  substituées,  sous  l'égide  du  nationalisme,  les  sectes 
protéiforraes  des  socialistes,  et  c'est  seulement  maintenant  qu'on 
s'aperçoit  qu'on  a  nourri  un  serpent  dans  son  sein. 

La  troisième  cause  des  progrès  de  la  Révolution  est  bien 
plus  grave  encore  que  les  deux  précédentes.  On  doit  la  voir 
dans  le  zèle  infernal  que  les  socialistes,  soutenus  par  le  gou- 
vernement avec  ses  lois  et  sa  politique,  ont  déployé  pour 
arracher  au  peuple  la  religion. 

Pour  ne  point  parler  d'autre  chose,  considérons  les  écoles  pri- 
maires, celles  qui  ne  reçoivent  que  les  enfants  du  peuple  et  qui  sont 
maintenant  obligatoires  de  par  la  loi.  Déjà  tout  enseignement  reli- 
gieux est  banni  du  plus  grand  nombre  d'entre  elles.  La  morale 
y  est  enseignée  selon  des  règles  et  par  des  maîtres  qui  sont  loin 
de  rassurer  les  gens  honnêtes  et  chrétiens.  L'éducation  préten- 
dument nationale,  si  exaltée  par  le  libéralisme,  tend  à  devenir 
partout  une  perversion  brutale.  Le  député  Rosano  l'a  bien  prouvé, 
il  y  a  trois  ans,  à  la  Chambre,  lorsque,  exhibant  les  statistiques 
criminelles  du  royaume,  il  prouva  clairement  que  plus  se  multiplient 
les  écoles,  plus  aussi  croissent  les  délits  des  mineurs  de  quatorze 


LA   JUSTICE    CRIMINELLE    EN    1884  527 

à  vingt  et  un  an,  élevés  dans  ces  écoles.  La  dernière  statistique  qu'il 
put  citer,  celle  de  1880,  présentait  l'horrible  chiffre  de  22,527  mineurs 
jugés  par  les  tribunaux.  C'est  une  augmentation  do  plu^  d'un  tiers 
sur  le  chiffre  de  1875-1870.  Et  il  ajoutait  que  pour  1881  et  1SS2 
ce  total  s'était  démesurément  accru. 

Passant  des  élèves  aux  maîtres,  le  susdit  député  les  jugeait, 
en  général,  ou  incapables,  ou  ennemis  de  l'Etat.  Ruggero 
Bonghi  renchérissant  encore,  ajoutait  :  «  Il  nous  faut  une 
«  enquête  pour  trouver  le  remède  au  mal  qui  nous  envahit, 
«  car  si  nous  avançons  encore  quelques  années  ainsi,  à  l'aveugle, 
«  nous  trouverons  notre  pays,  non  pas  plus  instruit,  mais  plus 
«  corrompu,  parce  que  les  maîtres  deviennent  chaque  jour 
«  moins  capables  d'exercer  une  bonne  influence  sur  les  popu- 
«  lations.  » 

Or,  l'athéisme  enseigné  dans  les  écoles,  qui  l'ignore?  c'est  la  reli- 
gion du  socialisme.  Le  système  religieux  qui  paît  de  ce  principe 
négatif,  Dieu  n'est  pas,  aboutit  à  ce  principe  positif  du  système 
moral  qui  lui  correspond  :  La  propriété  est  un  vol.  De  là  tout  le  reste 
s'en  suit.  Comme  le  dit  très  bien  le  député  OJescalchi,  à  la  Chambre, 
le  11  mars  de  l'an  passé  :  le  socialisme  révolutionnaire  dans  sa  der- 
nière et  plus  répandue  formule  en  Italie  et  en  Espagne,  est  positive- 
ment athée...  il  affirme  l'anarchie  ;  ses  adeptes  travaillent  à  la 
destruction  générale  par  le  pétrole  et  par  la  dynamite,  rêvant  à  la 
suite  une  reconstruction  encore  inconnue. 

Voilà,  bien  démontré,  comment  l'école  liiïcisée  par  le  natio- 
nalisme libéral,  prépare,  mémo  dans  les  campagnes,  le  peuple 
auquel  elle  enlève  Dieu,  à  chercher  un  soulagement  à  ses 
misères  dans  les  bras  des  sectes  socialistes. 

Nous  verrons  dans  un  prochain  article,  s'il  reste  quelque 
remède  à  un  si  déplorable  fléau.  J.  M. 


LA  JUSTICE  CRIMINELLE  EN  1884 

Nous  avons  sous  les  3'eux  le  compte-rendu  de  l'administration 
de  la  justice  criminelle  pour  l'année  1884,  récemment  adressé 
par  le  garde  des  sceaux  à  M.  Grévy.  Tout  étant  pour  le  mieux 
dans  la  meilleure  des  républiques,  le  rapport  officiel  devait 
nécessairement  conclure  que  le  niveau  de  la  moralité  va  plutôt 
s'élevant  que  s'abaissant,   que  la  magistrature   épurée  et  les 


528  ANNALES   CATHOLIQUBS 

jurys  criminels  ont  fait  tous  leurs  efforts  pour  réaliser  de  jour 
en  jour  les  'progrès  désirables.  Les  chiffres  ont,  malheureuse- 
ment, leur  éloquence,  trop  significative.  Nous  les  soumettons 
au  lecteur  ;  les  interprétera-t-il  à  la  façon  du  ministre  de  la 
justice  ? 

Le  rapport  constate  que  le  nombre  des  affaires  criminelles 
portées  devant  les  cours  d'assises  est  moindre  en  1884  qu'en  1883, 
moindre  de  23.  Il  était,  en  1883,  de  3,299;  il  est,  en  1884 
de  3,276. 

Il  convient  d'ajouter  que  la  diminution  avait  été  bien  autre- 
ment sensible  de  1882  à  1883  ;  elle  était  alors  de  près  de  400. 

Mais  il  est  manifeste  que  ce  n'est  pas  le  nombre  des  affaires 
soumises  aux  jurj's  qui  peut  donner  la  mesure  exacte  et  juste 
de  la  criminalité.  On  sait  que  la  direction  donnée  aux  informa- 
tions, les  appréciations  plus  ou  moins  sévères,  plus  ou  moins 
indulgentes  des  magistrats  instructeurs,  des  parquets  et  des 
Chambres  des  mises  en  accusation,  sont  autant  d'éléments  trop 
souvent  variables,  qui  grossissent  ou  diminuent  le  chiffre  des 
-renvois  en  cour  d'assises. 

On  n'ignore  pas  non  plus  que,  chaque  jour,  s'accentue  davan- 
tage la  tendance  du  ministère  public  à  saisir  les  tribunaux 
correctionnels  de  faits  qui,  juridiquement,  constituent  des 
crimes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  doit  surtout  nous  préoccuper,  c'est 
la  nature  des  accusations  qui,  à  côté  de  celles  dont  le  chiffre  a 
pu  diminuer  dans  de  bien  faibles  proportions,  sont  devenues 
plus  nombreuses. 

Ce  qui  nous  frappe  tout  d'abord,  ce  sont  les  attentats  à  la 
pudeur  sur  les  enfants,  qui  s'élèvent  d'une  année  à  l'autre 
de  675  à  705,  et  sur  ce  dernier  chiffre  43  sont  imputables  à  des 
mineurs  de  16  ans.  Ce  sont  les  assassinats  et  les  meurtres  qui, 
de  386  en  1883,  sont  aujourd'hui  au  nombre  de  425. 

Cette  chose  sainte  et  sacrée  entre  toutes,  la  pudeur  de  l'en- 
fance, comment  veulent-ils  qu'on  n'y  porte  pas  atteinte,  que 
les  passions  les  plus  grossières  et  les  plus  sauvages  ne  se 
déchaînent  pas,  eux  qui  ne  reconnaissent  et  ne  proclament 
d'autre  loi  que  celle  enseignée  par  les  P.  Bert  et  les  Compayré  ? 

Et  la  vie  de  l'homme,  à  laquelle  Dieu  seul  a  le  droit  de 
toucher,  pourquoi  la  respecterait-on,  puisque  Dieu  n'est  plus 
le  témoin  et  juge  du  crime,  puisqu'il  n'y  a  plus  de  Dieu? 

Il  est  vrai  que  cet  accroissement  des  attentats  sur  les  per- 


LA    JUSTICE   CRIMINELLE  529 

sonnes  n'est  pas  fait  pour  toucher  le  garde  des  sceaux.  Il  en 
trouve  cette  explication,  trop  facile,  que  la  répression  est 
aujourd'hui  mieux  assure'e. 

Nous  voudrions  que  cela  fut  ;  mais  alors  qu'on  nous  apprenne 
quels  sont  les  auteurs  de  ces  grands  crimes  qui  se  renouvellent 
presque  chaque  jour,  qui  répandent  la  terreur  dans  la  popula- 
tion honnête  et  qui,  sous  le  nom  de  mystères,  demeurent 
impunis  ?  Qu'on  nous  montre,  entre  autres,  l'assassin  du  préfet 
de  l'Eure,  qu'on  le  livre  à  la  justice  ! 

Et  pourquoi  les  crimes  de  faux  ont- ils,  eux  aussi,  progressé? 
Pourquoi,  de  267  en  1883,  ont-ils,  en  1884,  atteint  le  chiffre 
de  301  ?  La  vérité  est  que,  pour  ceux  qu'on  a  détournés  de  Dieu 
et  qui  ne  croient  plus  à  Dieu,  l'avancement  dans  le  mal  est 
devenu  fatal. 

Et  d'ailleurs,  l'exemple  du  faux  ne  vient-il  pas  aujourd'hui 
de  ce  qu'on  appelle  le  haut  de  nos  législateurs  eux-mêmes  ? 
Quel  est  le  faussaiz'e  qui,  à  l'heure  présente,  ne  sera  comme  en 
droit  de  demander  à  ses  juges  pourquoi  on  le  traîne  sur  les 
bancs  de  la  cour  d'assises,  tandis  qu'on  ne  touche  pas  à  l'arche 
sainte,  le  Sénat  et  la  Chambre?  Le  ministre  de  la  justice  ferait 
bien  de  méditer,  si  toutefois  il  le  peut  comprendre,  le  beau 
langage  que  tenait  Cicéron  dans  son  Traité  des  lois  : 

«  Eo,  peruiciosius  de  republica  mereatur  vitiosi  principes 
«  quod  non  solum  vitia  concipiunt  ipsi,  sed  ea  infundunt  in 
«  civitatem  ;  plusque  exemple  quam  peccato  nocent.  » 

S'il  est  vrai  que  les  chiffres  que  nous  venons  de  reproduire 
rassurent  le  garde  des  sceaux,  il  n'est  pas  difficile.  S'il  y  trouve 
un  gage  de  la  moralité  croissante,  il  voit  les  choses  autrement 
que  nous.  Nous,  ces  mêmes  chiffres  nous  attristent,  nous 
affligent  et  nous  effraient. 

Quant  au  satisfecit  que  si  libéralement  le  rapport  octroie  à 
nos  jurés,  est-il  vraiment  mérité? 

Tout  en  faisant  la  part  de  la  faiblesse  permise  à  des  juges 
éphémères,  ce  n'est  pas  sans  une  certaine  amertume  que  nous 
les  voyons  sévères  quelquefois  à  l'excès  à  l'égard  des  crimes 
■contre  la  propriété,  et  le  plus  souvent  désarmant  en  face  des 
crimes  contre  les  personnes  :  les  acquittements  en  matière 
d'attentats  à  la  pudeur  et  d'homicides  sont,  en  18S4,  de  29  sur 
100  accusations.  Qu'une  sorte  d'instinct  leur  dise  qu'ils  doivent 
condamner  le  vol  parce  qu'ils  ne  sont  pas  eux-mêmes  à  l'abri 
du  vol,  et  quïl.s  le  condamnent,  c'est  bien,  mais  ce  n'est  pas 


530  ANNALES    CATHOLIQUES 

assez.  N'est-ce  pas  pins  haut  qu'ils  devraient  élever  leurs 
esprits  et  leurs  cœurs?  N'est-ce  pas  vers  la  pure  et  sereine 
justice,  planant  au-dessus  de  tous  les  intérêts  seulement 
humains  ? 

Pendant  que  le  nombre  des  affaires  criminelles  a  tant  soit 
peu  diminué,  celui  des  affaires  correctionnelles  est  en  notable 
progression.  Elle  était  déjà  sensible  en  1883  :  de  172,930  en 
1882,  le  chiffre  était  en  1883  de  179,279.  En  1884,  il  s'élève  à 
184,949  ;  c'est,  en  deux  années,  une  augmentation  de  prés  de 
7  pour  100.  Là  encore,  comme  devant  les  cours  d'assises,  nous 
retrouvons  l'augmentation  portant  sur  les  délits  contre  les 
mœurs,  ainsi  que  sur  les  coups  volontaires  et  les  violences. 

C'est  surtout  en  matière  de  vagabondage  et  de  mendicité  que 
l'on  constate,  dit  le  rapport,  Yaccroisseinent  le  plus  doulou- 
reux :  8,542  affaires  de  plus  en  1883  qu'en  1882,  et  1,350  de 
plus  en  1884  qu'en  1883  «  Douloureux,  dit-il,  parce  qu'il  est 
la  consc'qucnce  c'videnle  de  la  crise  agricole  et  industrielle  qui 
se'vil  depuis  plusieurs  aoine'es.  » 

Mais,  puisque  ces  mendiants  qui  nous  assiègent  dans  les 
rues,  ces  vagabonds  (jui  se  font  ramasser  par  centaines  sur  les 
quais  et  sur  les  bancs  de  nos  boulevards,  sont  les  malheureuses 
victimes  de  la  crise,  cette  crise,  à  qui  donc  est-elle  imputable? 
qui  donc  en  est  responsable?  A  qiji  la  faute  si  la  confiance 
n'est  nulle  part,  si  la  gène  est  partout,  si  la  ruine  menace  de 
tout  envahir?  A  qui  la  faute  si  les  usines  se  ferment,  si  les 
ateliers  chôment,  si  les  grèves  s'étendent  et  se  propagent,  avec 
leurs  sinistres  escortes? 

A  qui?  Nous  ne  pouvons  demander  à  un  ministre  de  la  Répu- 
blique, alors  même  qu'il  entre  dans  la  voie  des  demi-aveux, 
d'aller  jusqu'au  bout  et  jusqu'à  la  vérité  tout  entière.  Qu'il 
nous  suffise  de  dire  que  ce  qui  est  vraiment  douloureux,  c'est 
moins  encore  cette  ciise  même  et  la  profonde  misère  qu'elle 
engendre,  que  le  fol  et  satanique  aveuglement  de  ceux  qui, 
pour  le  malheur  de  notre  pauvre  France,  nous  gouvernent 
aujourd'hui.  Ils  ont  cru  qu'ils  pouvaient  impunément  flatter, 
exciter  les  plus  mauvaises  passions  populaires  et  s'en  servir  à 
leur  profit,  qu'ils  pouvaient  jouer  avec  le  feu.  Le  feu  couve 
encore;  mais  il  peut  éclater  demain;  demain  l'incendie  peut 
tout  dévorer;  et  ceux  qui  l'auront  allumé  seront  les  plus 
impuissants  à  l'éteindre.  C'est  à  nous  que  la  tâche  incombera. 

Le  rapport  ne  s'arrête  pas  aux  crimes  et  aux  délits  qu'atteint 


LETTRE   DU    CARDINAL    GUIBERT  531 

la  loi  pénale  :  il  relève  encore  les  morts  accidentelles  et  les 
suicides.  Il  dresse  le  tableau  des  suicides  :  il  constate  qu'en 
1881,  le  nombre  total  était  de  6,741;  en  1882,  de  7,213;  en 
1883,  de  7,207;  qu'en  1884,  il  est  de  7,572.  On  voit  que  la 
progression  s'accentue  chaque  année,  qu'elle  devient  presque 
désespérante.  Et  quand  on  interroge  l'âge  des  suicidés,  on 
s'arrête,  non  sans  effroi,  devant  les  chiffres  :  67  (un  pour  cent) 
de  mineurs  de  seize  ans,  331  (cinq  pour  cent)  de  mineurs  de 
vingt  et  un  ans.  Si  l'on  se  reporte  aux  motifs  déterminants, 
l'œuvre  de  la  misère  est  de  treize  pour  cent,  celle  de  l'abus  des 
liqueurs  alcooliques  de  onze  pour  cent. 

Voilà  oii  nous  en  sommes  venus  !  O  prospérité  !  ô  moralité 
républicaines!  —  (Monde.) 


LA  LETTRE  DU  CARDINAL  GUIBERT 

ET  l'ÉPISCOPAT 
(Suite.  —  V.  les  numéros  précédents.) 

Chalons.  —  Mgr  l'évêque  de  Châlons  : 

C'est  un  soulagement  bien  grand  pour  moi  de  voir  les  droits  de  la 
conscience  chrétienne,  qui  sont  chaque  jour  et  de  plus  en  plus 
foulés  aux  pieds,  défendus  par  vous  avec  tant  de  justesse,  tant  de 
force,  tant  de  dignité  et  tant  de  modération. 

Ah!  c'est  avec  des  larmes  de  sang  qu'il  faudrait  pleurer  la  sépara- 
tion que  les  guides  présents  de  notre  pays  s'efforcent  d'opérer  entre 
la  Fi'ance  et  l'Eglise.  Cette  séparation,  avant  même  d'être  complète, 
cause  la  perle  éternelle  de  beaucoup  d'âmes  faibles,  dont  plusieurs 
lois  nouvelles  ébranlent  la  fidélité.  Elle  cause  aussi  la  chute  poli- 
tique de  notre  chère  Francp,  qui  tirait  de  son  rang  élevé  parmi  les 
nations  chrétiennes  tant  d'honneur  et  des  alliances  si  précieuses. 
Encore  quelques  pas  dans  cette  voie,  et  les  peuples  étrangers,  la 
voyant  descendue  tant  au-dessous  d'elle-même,  si  opposée  aux  prin- 
cipes universellement  reçus,  s'écarteront  d'elle,  soit  par  dégoût,  soit 
par  nécessité  de  se  préserver  contre  la  contagion  de  ses  exemples. 

Vos  conseils,  Monseigneur,  sont  la  leçon  de  tous  les  siècles  passés, 
de  la  pratique  de  tous  les  pays  qui  jouissent  encore  sous  nos  yeux 
d'une  prospérité  solide  et  glorieuse.  L'histoire  rendra  un  jour  justice 
aux  évêques  français,  à  vous  surtout,  qu'ils  aiment  à  regarder  comme 
leur  organe,  d'avoir  fait  de  suprêmes  efforts  pour  retenir  leu»  patrie 


532  ANNALES   CATHOLIQUES 

dans  ces  conditions  sages,  prévoyantes,  dont  le  triomphe  suffirait 
encore  aujourd'liui  pour  réparer  tant  de  maux.  Si  les  évêques  ne 
sont  pas  écoutés,  ceux  que  Dieu  rappellera  bientôt  à  lui  ne  regrette- 
ront pas  de  mourir,  puisqu'ils  n'auront  pas  la  tristesse  de  survivre  à 
la  grandeur  de  la  France. 

CouTANCES.  —  Mgr  l'évêque  de  Coutances  : 

Aucune  âme  loyale  ne  refusera  son  adhésion  aux  respectueuses 
protestations,  aux  justes  doléances  que  Votre  Eminence  vient 
d'adresser  à  M.  le  président  de  la  République. 

C'est  le  gémissement  de  la  France  non  moins  que  de  l'Eglise. 

Le  pays  pourra  voir  une  fois  de  plus  comment  un  évêque  les  sait 
aimer. 

Je  les  aime  comme  vous,  Eminence,  et  je  veux,  sans  tarder  un 
instant,  vous  remercier  d'avoir  plaidé  leur  cause  avec  des  accents  si 
généreux. 

Grenoble.  —  Mgr  l'évêque  de  Grenoble  : 

L'évêque  de  Grenoble  et  son  clergé  font  écho  aux  paroles  que 
votre  Eminence  vient  d'adresser  au  chef  de  l'État  pour  dire  que 
nous  sommes  non  les  agresseurs  du  gouvernement,  mais  des  vic- 
times plus  qu'exem,plaires . 

Nous  souhaitons  que  la  haute  raison  du  président  de  la  Répu- 
blique reconnaisse  que  le  Concordat  do  1801  donne  Ugalement  droit 
de  cité,  en  France,  à  rÉgliso  catholique,  pour  imprimer  à  nos  lois, 
à  notre  conscience  publique  et  â  nos  mœurs  le  cachet  chrétien. 

Puisque  Votre  Eminence  défend  publiquement  les  droits  de 
l'Kglise,  il  est  certain  que  sa  lettre  trouvera  des  contradicteurs  de  la 
part  des  tenants  du  naturalisme.  Elle  aura  du  moins  soulagé  et 
encouragé  les  consciences  catholiques. 

Langres.  —  Mgr  l'évêque  de  Langres  : 

A  l'exemple  de  mon  vénérable  métropolitain,  S.  Em.  le  cardinal 
Caverot,  archevêque  de  Lyon,  je  tiens  à  vous  dire  que  je  partage 
tous  vos  sentiments.  Je  suis  profondément  désolé  en  voyant  les 
atteintes  portées,  depuis  quelques  années,  à  nos  institutions  reli- 
gieuses, et  en  songeant  aux  malheurs  qui  nous  menacent.  Puissent 
ceux  qui  nous  gouvernent,  et  dont  nous  respectons  l'autorité,  pro- 
fiter des  salutaires  avertissements  qui  leur  sont  donnés  par  le  doyen 
de  l'épiscopat,  par  celui  que  nous  vénérons  tous  comme  notre  chef 
et  notre  modèle!  Puissent-ils  mettre  en  pratique  les  enseignements 
contenus  dans  la  dernière  Encyclique  de  N.  S.  P.  le  Pape  Léon  XIII, 
le  plus  doux  et  le  plus  conciliant  des  Pontifes!  Puissent-ils  com- 
prendre que  faire  la  guerre  à  la  religion  est  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 


LETTRE    DU    CARDINAL   GUIBERT  533 

dangereux,  et  que  travailler  à  détruire  la  foi  dans  les  âmes,  c'est 
travailler  par  là  même  à  la  ruine  de  notre  bien-aimée  patrie  ! 

Limoges.  —  Mgr  l'évêque  de  Limoges  : 

Eu  face  des  attaques  aussi  odieuses  qu'incessantes  dont  la  religion 
est  l'objet,  l'Épiscopat  inquiet  sentait  que,  s'il  y  a  un  temps  pour 
se  taire,  il  y  a  aussi  un  temps  pour  parler,  sous  peine  d'encourir 
le  juste  reproche  adressé  autrefois  aux  prophètes  prévaricateurs. 
Mais  il  attendait  qu'une  voix  autorisée  exprimât  ses  doléances 
de  façon  à  empêcher  les  plus  habiles  eux-mêmes  à  dénaturer  ses 
intentions. 

Votre  Éminence  n'a  pas  hésité  à  se  charger  de  cette  mission,  qui 
lui  appartenait  à  tous  les  titres,  et  elle  a  rendu  ainsi  un  nouveau 
service  à  la  cause  de  Dieu. 

Ne  considérant  que  le  péril  extrême  de  l'Eglise  indignement 
calomniée,  et  vous  appuyant  sur  une  longue  expérience,  vous  avez 
su,  Monseigneur,  vous  présenter  courageusement  devant  les  puis- 
sances de  la  terre  avec  ce  tact,  cette  modération  de  langage  dont 
vous  avez  le  secret,  et  leur  rappeler  noblement  le  non  licet  de 
Jean-Baptiste. 

Vous  ne  succomberez  pas,  j'en  ai  la  confiance,  à  une  entreprise 
si  héroïque;  la  France  chrétienne  vous  soutiendra,  et  elle  ne  per- 
mettra pas  qu'on  lui  ravisse  sa  foi,  avec  l'âme  de  ses  enfants. 

Mende.  —  Mgr  l'évêque  de  Mende  : 

Vous  avez  pu  dire  en  toute  vérité  que  vous  étiez  l'interprète  des 
sentiments  de  l'Épiscopat  français. 

Avec  vous,  Éminence,  nous  déclarons  qu'on  nous  calomnie  en 
nous  représentant  comme  hostiles  à  la  forme  du  gouvernement  que 
la  France  s'est  donnée.  Interpréter  dans  ce  sens  la  conduite  du 
clergé  en  temps  d'élections  serait  une  injustice.  Le  clergé  ne  fait 
que  remplir  un  devoir  de  conscience  en  donnant  ses  préférences  aux 
candidats  qu'il  sait  favorablement  disposés  à  l'égard  des  intérêts 
religieux  dont  la  garde  lui  a  été  confiée. 

Mais,  si  le  clergé  n'est  pas  hostile,  il  ne  peut  néanmoins  se 
défendre  de  certaines  inquiétudes  bien  légitimes.  Comment  ne  pas 
comprendre  ces  inquiétudes,  en  face  des  actes,  projetés  ou  accomplis, 
qui  prouvent  qu'on  persiste  à  voir  dans  le  catholicisme  un  ennemi 
dont  il  faut  se  débarrasser?  Comment  ne  pas  comprendre  ces 
inquiétudes,  à  la  veille  du  vote  définitif  sur  la  loi  de  l'enseignement 
primaire,  dont  le  but  est  d'exclure  les  Frères  et  les  Soeurs  do  toutes 
les  écoles  communales,  pour  livrer  l'enfance  à  des  instituteurs  qui 
n'auront  qu'à  s'inspirer  des  déclarations  de  M.  le  ministre  des  cultes 
à  la  tribune  du  Sénat  pour  s'affranchir  d'une  neutralité  invoquée 
jusqu'à  ce  jour  en  vue  de  calmer  les  alarmes  des  catholiques? 


534  ANNALES    CATHOLIQUES 

Sans  doute  nous  aimons  la  paix,  et  Dieu  sait  â  quel  prix  noua 
voudrions  la  maintenir  dans  notre  société  travaillée  par  des  divisions 
profondes.  Mais  l'amour  de  la  paix  ne  peut  aller  jusqu'à  nous  faire 
oublier  les  devoirs  de  notre  ministère.  Nous  parlerons  donc,  dût 
notre  langage  paraître  importun,  parce  qu'il  est  des  circonstances 
où  il  n'est  pas  permis  de  se  taire. 

C'est  là  l'exemple  que  nous  donne  Votre  Éminence. 

Avec  l'aide  de  Dieu,  nous  tâcherons  de  l'imiter,  mettant  de  côté 
toute  considération  humaine,  à  la  pensée  du  jour  peu  éloigné  où 
nous  devrons  rendre  compte  à  Diau  de  notre  administration. 

Saint-Claude.  —  Mgr  l'évêque  de  Saint-Claude  : 

Dans  votre  lettre  à  M.  le  Président  de  la  République,  lettre  que 
je  ne  louerai  point,  parce  que  je  la  juge  au-dessus  de  tout  éloge, 
vous  voulez  bien  vous  dire  l'interprète  des  pensées  et  des 
sentiments  de  l'épiscopat  tout  entier. 

Permellez,  Eminence,  à  l'évêque  de  Saint-Claude  de  s'associer 
pour  sa  paît  de  cœur  et  d'âme  à  la  grande  doctrine  que  vous 
enseignez  et  aux  nobles  protestations  que  vous  exprimez. 

Verdun.  —  Mgr  l'évêque  de  Verdun  : 

Votre  Éminence  a  qualité  pour  élever  la  voix,  comme  elle  l'a  fait, 
au  nom  de  l'épiscopat  français,  qui  vénère  en  elle  le  plus  auguste 
de  ses  reprcsenlanls. 

Pour  ma  part,  en  m'associant  à  vos  respectueuses  protestations 
et  â  vos  sages  avertissements,  mon  âme  se  sent  comme  soulagée. 

Lorsque  vous  écrivez,  Eminence,  ces  mots  si  pleins  de  vérité  : 
«  En  continuant  dans  la  voie  où  elle  s'est  engagée,  U  République 
peut  faire  beaucoup  de  mal  à  la  religion,  elle  ne  parviendra  pas  à 
la  tuer  »,  vous  évoquez  en  moi  un  souvenir  encore  récent,  et  vous 
éveillez  aussi  l'espérance  que  voire  appel  au  premier  magistrat  de 
notre  pays  ne  sera  pas  sans  efficacité.  Voici  le  souvenir  : 

Il  y  avait  un  an,  le  5  novembre  dernier,  j'avais  l'honneur,  au 
prélude  de  mon  épiscopat,  d'être  reçu  en  audience  particulière  par 
le  chef  de  l'Élat.  Au  cours  de  noire  entretien,  je  crus  devoir 
affirmer  à  M.  le  Président  de  la  République  que  je  m'efforcerais 
toujours  de  concilier  mes  devoirs  d'évèque  avec  ceux  de  bon 
citoyen.  Voici  la  réponse  que  me  fil  M.  Grévy  : 

«  Vous  avez  bien  raison  de  parler  de  conciliation  et  d'accord 
entre  l'Église  et  l'Élat.  Je  regarde,  en  effet,  cette  entente  mu- 
tuelle non  seulement  comme  très  utile,  mais  comme  absolument 
nécessaire.  Si  elle  n'existait  pas,  vous  pourries  nous  faire  beaucoup 
de  mal,  nous  vous  en  ferions  beaucoup  aussi,  et  c'est  la  France 
tout  entière  qui  en  soutTrirait.  » 


LETTRE    DU    CARDINAL    GUIBERT  535 

Uq  an  et  demi  s'est  écoulé  depuis  celte  déclaration,  et  Votre 
Eminence  a  pu  faire,  dans  sa  lettre,  une  douloureuse  énuméralion 
des  mesures  vexatoires  prises  contre  l'Eglise.  Celle-ci  les  endure 
avec  dignité  sans  doute,  mdis  cruellement,  L'Etat,  de  son  côté, 
s'en  porte-t-il  mieux?  Ce  qu'il  y  a  de  trop  certain,  c'est  que  la 
France  entière  en  gémit. 

Puisse  votre  grave  et  noble  parole  être  prise  en  considération 
par  ceux  qui  nous  gouvernent  !  Puisse-t-elle  contribuer  à  établir 
celte  pacification  religieuse  que  tous  les  cœurs  catholiques  et 
français  appellent  de  leurs  vœux  les  plus  ardents  ! 

Viviers.  —  Mg:r  l'évêque  de  Viviers  : 

Dans  un  langage  ferme  et  d'autant  plus  fort  qu'il  est  plus  modéré, 
vous  rappelez  les  épreuves  cruelles  infligées  de  nos  jours  à  l'Église 
de  France  ;  vous  éaumérez  les  blessures  faites,  depuis  quelques 
années,  aux  consciences  catholiques,  ainsi  que  les  graves  atteintes 
portées  à  leurs  droits  les  plus  inviolables  et  jusqu'à  cette  heure  les 
plus  respectés. 

Après  cette  énuméralion,  qu'il  eût  été  facile  d'étendre  encore,  vous 
vous  plaignez  avec  raison  des  attaques  dirigées  du  haut  de  la  tribune 
nationale,  par  un  membre  du  gouvernement,  contre  les  dogmes  essen- 
tiels du  christianisme  et  certaines  dévotions  particulièrement  chères 
à  la  piété  des  fidèles.  Cet  étrange  langage,  depuis  longtemps  inusité 
dans  nos  assemblées  françaises,  a  été  pour  les  âmea  catholiques  une 
surprise  et  le  sujet  des  plus  douloureuses  appréhensions.  N'y  a-t-il 
pas  lieu  de  craindre,  en  effet,  que  les  paroles  tombées  des  lèvres  du 
chef  officiel  de  notre  enseignement  public  n'aient  un  triste  écho  sur 
les  plus  hautes  chaires  de  l'État  et  n'aillent  retentir  jusque  dans  nos 
écoles  les  plus  modestes,  où  elles  sont  de  nature  à  provoquer  des 
imprudences  de  langage  et  des  négations  impies  toujours  dangereuses 
et  si  souvent  mortelles  pour  la  foi  du  jeune  enfant. 

Et  vraiment,  est-ce  bien  l'heure,  alors  qu'un  souffle  matérialiste 
passe  sur  notre  pays  et  réveille  au  sein  des  masses  des  passions  ar- 
dentes, est-ce  bien  l'heure  de  déconsidérer  et  de  proscrire  dans  l'édu- 
cation nationale  ce  haut  spiritualisme  chrétien  qui  avait  fait  l'Europe 
civilisée  et  demeure,  en  face  d'un  redoutable  avenir,  notre  dernière 
ressource  et  notre  suprême  espoir,  puisqu'il  peut  seul  donner  leur 
vraie  solution  aux  problèmes  sociaux  qui  tourmentent  les  esprits  et 
où  s'épuise  vainement  la  raison  des  sages? 

Dans  la  guerre  impie  que  vous  dénoncez  au  chef  de  l'État,  on  s'est 
toujours  efforcé  de  déplacer  les  responsabilités;  vous  protestez,  Emi- 
nence, et  vous  protestez  noblement  contre  ce  rôle  de  provocateur  que 
l'on  s'attache,  avec  une  obstination  calculée,  à  attribuer  au  clergé, 
tandis  qu'il   n'est  en  réalité  qu'une  victime  patiente  et  désarmée. 

39 


536  ANNALES    CATHOLIQUES 

Nous  avons  constamment  apporté,  dans  l'exercice  de  nos  droits  les 
plus  légitimes,  une  modération  que  voua  appelez  exemplaire  et  qui  a 
paru  à  quelques-uns  de  la  faiblesse,  tant  la  défense  de  notre  part  a 
usé  de  réserve  et  a  eu  peur  des  conflits. 

Avec  une  clairvoyance  que  les  événements  ont  tant  de  fois  justifiée, 
vous  signalez  les  grandes  ruines  qui  sont  les  conséquences  et  le  châ- 
timent de  la  persécution  religieuse.  Témoin  de  nos  vicissitudes  poli- 
tiques depuis  près  d'un  siècle,  vous  pouvez  pailer  de  la  mobilité  de 
nos  gouvernements  humains  :  ils  passent  et  l'Église  demeure.  Heu- 
reux les  peuples  qui,  en  s'unissant  à  elle,  lui  empruntent  quelque 
chose  de  son  immortalité! 

Je  vous  remercie,  Eminence,  du  nouveau  service  que  vous  avez 
rendu  à  l'Eglise  et  à  notre  pays. 

Vous  avez  été,  une  fois  de  plus,  l'interprète  éloquent  de  nos  tris- 
tesses, de  nos  protestations  et  de  nos  trop  justes  alarmes;  une  fois 
de  plus  vous  avez  été  l'écho  de  ce  clergé  de  France  qui,  quoi  qu'on, 
puisse  dire,  ne  sépare  point  dans  ses  affections  l'Eglise  de  la  patrie; 
vous  avez  réjoui  le  cœur  et  vous  avez  relevé  le  courage  de  tous  ces 
catholiques  français  qui,  au  prix  de  si  généreux  sacrifices,  luttent  si 
vaillamment  pour  leur  foi  et  leur  liberté. 

Dieu  veuille  que  ces  graves  avertissements,  inspirés  par  un  patrio- 
tisme si  pur  et  si  élevé,  soient  entendus  de  ceux  auxquels  ils  s'adres- 
sent et  amènent  le  résultat  qu'appellent  nos  vœux  et  nos  prières  :  la 
paix  de  l'Eglise  par  la  justice  et  la  liberté,  le  bonheur  de  notre  chère 
France  par  la  conservation  de  sa  foi  et  de  ses  chrétiennes  traditions. 


Le  défaut  de  place  nous  oblige  à  renvoyer  au  prochain 
numéro  le  compte-rendu  de  l'Assemblée  générale  des  catho- 
liques qui  vient  de  se  tenir  à  Paris. 


NECROLOGIE 


La  Commune  mettait  nos  soldats  au  mur.  L'opportunisme 
procède  d'une  façon  moins  expéditive,  mais  tout  aussi  sûre. 

Ses  mensonges  et  ses  diffamations  ont  tué  le  pauvre  colonel 
Herbinger  aussi  sûrement  que  les  cartouches  glissées  par  les 
Roebefort  dans  les  fusils  communards  tuaient  les  gendarmes. 


NECROLOGIE 


537 


Le  pauvre  colonel  est  mort  le  27  mai  à  trois  heures,  chez  sa 
mère,  répétant  dans  son  dernier  délire  :  «Et  penser  qu'ils  me 
prennent  pour  un  ivrogne.  » 

Ces  drôles  n'ont  pu  avoir  l'honneur  du  pauvre  soldat.  Mais 
ils  ont  eu  sa  vie.  Ils  doivent  être  contents. 

Le  colonel  Herbinger  était  né  à  Strasbourg  en  1838,  d'une 
vieille  famille  de  soldats.  En  1859,  il  entre  à  Saint-Cyr  ;  il  en 
sort  le  premier  de  sa  promotion  en  1861  et  passe  sous-lieutenant 
au  1"  zouaves  au  Mexique.  Après  un  an  de  campagne,  il  est 
nommé  lieutenant  pour  faits  de  guerre,  puis  décoré  à  21  ans  à 
la  suite  d'une  grave  blessure. 

En  1870,  il  était  capitaine  et  il  fut  englobé  dans  la  capi- 
tulation de  Metz  après  avoir  été  proposé  pour  chef  de  bataillon, 
deux  fois  de  suite.  A  son  retour  de  captivité,  M.  Herbinger  est 
nommé  capitaine  adjudant  major  au  lOP  de  ligne  avec  lequel  il 
fait  le  second  siège  de  Paris.  C'est  alors  qu'il  reçut  une  nou- 
velle et  grave  blessure  au  moment  oii,  le  drapeau  à  la  main,  il 
entraînait  se  s  hommes  à  l'assaut  d'une  barricade  formidable 
construite  au  coin  de  la  rue  Cadet  et  de  la  rue  Lafayette,  il 
reçut  à  bout  portant  un  coup  de  fusil  dans  la  figure.  Il  tomba 
sur  la  barricade  pendant  que  ses  soldats  continuaient  à  aller  à 
l'assaut  et  on  ne  le  releva  que  dans  la  soirée  presque  mort. 

Chef  de  bataillon  en  1876,  M.  Herbinger  fut  choisi  Tannée 
suivante  pour  professer  le  cours  de  tactique  d'infanterie  à 
l'École  supérieure  de  guerre  que  le  général  Lewal  venait 
d'organiser.  Ses  deux  années  de  cours  sont  restées  en  renom 
parmi  les  jeunes  officiers.  Nommé  lieutenant-colonel,  M.  Her- 
binger fut  désigné  le  1"  octobre  1884,  pour  se  rendre  au 
Tonkin.  Sa  nomination  fut  faite  par  le  général  Campenon  sur 
ce  mot  :  «  Il  faut  que  l'expédition  du  Tonkin  serve  au  moins 
à  nous  donner  des  généraux  en  chef  de  l'avenir.  »  On  sait  la 
suite. 

Plus  de  six  mille  personnes  ont  assisté  aux  obsèques.  Dans 
cette  foule,  sept  ou  huit  cents  officiers  de  toutes  armes  en 
tenue.  Des  députations  du  26*  bataillon  de  chasseurs  à  pied  et 
du  25*  de  ligne  portaient  des  croix  de  fleurs  et  dlmmenses  cou- 
ronnes avec  des  inscriptions.  Les  honneurs  étaient  rendus  par 
un  régiment  de  ligne. 

Le  deuil  était  conduit  par  M.  le  colonel  de  Morincourt, 
cousin  de  la  mère  de  notre  pauvre  ami. 

Derrière  lui,   le  général  de  Courcy  en   tenue,   et  M.  Bou- 


538  ANNALES   CATHOLIQUES 

langer,  ministre,  en  bourgeois.  L'absoute  a  été  donnée  par 
M.  le  curé  de  Saint-Pierre  du  Gros-Caillou.  C'est  à  peine  si  le 
tiers  des  assistants  a  pu  trouver  place  dans  l'église.  Mais  la 
foule  a  suivi  le  char  funèbre  jusqu'au  cimetière  Montparnasse. 
Sur  tout  le  parcours,  le  cortège  a  été  l'objet  des  manifestations 
les  plus  respectueuses  de  la  foule.  Au  cimetière,  trois  discours 
ont  été  prononcés.  Ces  discours  ne  contenaient  aucune  allusion 
politique.  De  nombreux  cris  de  :  A  bas  Ferry!  ont  été  poussés, 
quelqu'efforts  qui  aient  été  faits  pour  maintenir  le  calme  dans 
la  foule.  Nous  n'approuvons  pas  ces  manifestations  bruyantes 
sur  une  tombe.  L'affluence  qui  se  pressait  derrière  le  cercueil  du 
lieutenant-colonel  était  une  protestation  suffisante  contre  les 
infâmes  calomnies  qui  ont  tué  la  victime  des  rancunes  répu- 
blicaines. 

Nous  avons  la  douleur  d'apprendre  la  mort  de  Mgr  Jamot, 
décédé  dans  sa  ville  épiscopale  de  Pétersborough,  le  4  mai  1886, 
dans  la  cinquante-sixième  année  de  son  âge  et  la  douzième  de 
son  épiscopat. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Rome    et  l*Italie. 

La  Congrégation  des  rites  vient  de  décider  qu'on  pourrait 
procéder  à  l'examen  des  causes  des  vénérables  Grignon  de 
Montfort,  Clément-Marie  Hofbauer,  frère  Êgidius-Marie  de 
Saint-Joseph  et  sœur  Sainte-Agnès  connue  sous  le  nom  d'Inès 
de  Benigamin.  L'authenticité  de  leurs  miracles  avait  été  pro- 
clamée le  21  février. 

On  va  commencer  le  procès  du  vénérable  Félix  de  Nicosie, 

capucin. 

Par  décret  de  la  Propagande  du  15  mai  1886,  Sa  S.  le  Pape 
Léon  XIII  a  daigné  créer  dans  les  limites  du  vicariat  aposto- 
lique de  la  Microuésie,  en  Océanie,  une  mission  spéciale  aux 
îles  Carolines.  Cette  mission  sera  divisée  en  deux  parties  : 
la  première  embrassera  les  îles  Carolines  proprement  dites, 
soit  les  Carolines  orientales;  la  deuxième,  les  îles  Palaos  ou 
Carolines  occidentales.  'Toutes  deux  ont  été  confiées  aux 
RR.  PP.  Capucins  de  la  province  d'Espagne. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  539 

UAgence  Havas  communique  aux  journaux  la  dépêche 
suivante  : 

Mgr  Renier,  prélat  de  la  maison  du  Pape,  a  renoncé  à  la  religion 
catholique  romaine  pour  entrer  dans  l'ICglise  catholique  italienne, 
eu  se  plaçant  sous  le  protectorat  de  l'épiscopat  anglican. 

Mgr  Renier  est  un  écrivain  et  un  prédicateur  distingué;  il  est  âgé 
de  soixante  ans  et  descend  de  l'avant-dernier  doge  de  Venise. 

La  famille  de  l'avant-dernier  doge  de  Venise  aurait  pu 
mieux  finir. 

Quant  à  l'Eglise  «  catholique  italienne  »  dans  laquelle  entre 
le  malheureux  apostat,  elle  est  juste  le  pendant  en  importance 
de  l'Eglise  «  catholique  française  »  de  M.  Loyson.  Nous  n'avons 
pas  besoin  de  faire  remarquer  qu'en  accouplant  le  mot  de 
catholique,  c'est-à-dire  universelle,  au  mot  d'italienne  ou 
de  française,  ces  pauvres  gens  se  condamnent  eux-mêmes. 

Voici,  d'ailleurs  au  sujet  de  cette  misérable  secte  et  de  celui 
qui  vient  d'y  entrer,  quelques  détails  qui  pourront  intéresser 
nos  lecteurs. 

Depuis  l'occupation  italienne  de  Rome,  la  nouvelle  capitale 
de  l'Italie  a  subi  une  véritable  invasion  de  ministres  protestants 
appartenant  à  toutes  les  confessions  et  dont  les  poches  sont 
largement  munies  d'or  anglais.  Déjà  plus  de  70  chapelles  pro- 
testantes, plus  somptueuses  les  unes  que  les  autres,  s'élèvent 
dans  les  rues  de  Rome  et  de  préférence  aux  endroits  oii  elles 
doivent  le  plus  frapper  le  regard  des  catholiques  :  c'est  ainsi 
que  l'église  évangélique  italienne  est  située  juste  en  face  du 
pont  Saint-Ange,  à  l'entrée  de  ce  qu'on  appelle  la  cité  léonine; 
une  très  vaste  église  méthodiste  fait  face,  dans  la  via  délia 
Scrofa,  au  palais  du  Vicariat,  et  le  cardinal-vicaire,  de  ses 
fenêtres,  entend  les  chants  de  l'Église  réformée. 

Malgré  de  nombreuses  distributions  d'argent,  le  peuple  de 
Rome  reste  rebelle  à  la  prédication  anglicane;  beaucoup  empo- 
chent l'argent,  prennent  les  vêtements  ou  les  bibles  précieuses 
qu'on  leur  distribue  dans  les  chapelles  protestantes  et  de  là 
retournent  à  leur  paroisse. 

On  imagina  alors  de  favoriser  à  Rome,  comme  transition,  un 
schisme  analogue  à  celui  de  M.  Hyacinthe  Loyson  en  France  et 
on  constitua  sous  le  nom  d'église  catholique  italienne  une  secte 
protégée  par  l'épiscopat  anglican,  subventionnée  par  cette 
caisse  très  opulente  oii  puisent  les  missionnaires  anglicans  dans 
les  cinq  parties  du  monde. 


540  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  nouvelle  Eglise  possède  un  local  infiniment  plus  beau  que 
celui  de  la  rue  d'Arras,  à  Paris,  où  prêche  M.  Lovson,  et  les 
ministres  du  nouveau  culte  disposent  de  toutes  les  ressources 
qui  manquent  à  «  TÉglise  anglicane  »  fondée  par  l'ancien  pré- 
dicateur de  Notre-Dame. 

La  chapelle  des  «  catholiques  italiens  »,  richement  décorée, 
est  située  dans  la  plus  belle  rue  de  la  nouvelle  Rome,  via 
Nazionale,  en  face  du  théâtre  national  à  présent  en  construction. 

Le  pontife  de  la  nouvelle  religion  appartenait  aussi  jadis  à  la 
prélature;  certaines  hardiesses  doctrinales  et  autres  lui  cau- 
sèrent des  embarras  avec  le  Saint-Siège  et  Mgr  Savarese  se 
sépara  bruvarament  de  l'Église  romaine.  Un  décret  public  rendu 
par  le  cardinal-vicaire  et  affiché  à  la  porte  de  toutes  les  églises 
jeta  l'anathème  sur  Mgr  Savarese  et  ses  adeptes.  Ce  qui  n'em- 
pêche pas  Mgr  Savarese  de  se  promener  encore  dans  les  rues 
de  Rome  sous  le  brillant  costume  de  prélat  romain.  En  Italie, 
il  n'y  a  pas  de  loi  contre  le  port  illégal  du  costume  ecclésias- 
tique, ou,  s'il  y  en  a,  le  gouvernement  ne  les  applique  pas. 

Mgr  Renier,  qui  vient  de  se  ranger  sous  la  bannière  de 
Mgr  Savarese  et  de  demander  sa  part  des  subventions  anglaises, 
est  bien  connu  à  Rome.  Il  appartient,  comme  on  l'a  dit,  à  une 
famille  ducale  de  Venise,  d'origine  probablement  autrichienne. 
Sous  le  gouvernement  de  Pie  IX,  le  cardinal  Antonelli  le 
chargea,  dit-on,  de  missions  importantes  :  on  le  récompensa  par 
la  prélature  et  la  charge  lucrative  d'abbé  commanditaire  da 
magnifique  hôpital  de  Santo  Spirito. 

Lorsque  les  Italiens,  maîtres  de  Rome,  sécularisèrent  l'hô- 
pital et  la  banque  corrélative  du  Saint-Esprit,  Mgr  Renier, 
dont  les  relations  avec  la  cour  d'Italie  dataient  de  loin,  fut 
agréé  au  Quirinal  et  investi  par  le  roi  Humbert  de  la  charge  de 
gardien  ou  custode  de  la  tombe  de  Victor-Emmanuel  au  Pan- 
théon. Mgr  Renier  était  donc  devenu  bien  plutôt  un  prélat  delà 
maison  du  roi  d'Italie  qu'un  prélat  de  la  maison  du  Pape. 

Sa  physionomie  très  accentuée  devint  presque  populaire, 
parce  que  Mgr  Renier  garda  toujours  l'ancien  costume  des  pré- 
lats romains  :  redingote  ouverte,  culotte  courte,  bas  violets, 
grand  tricorne.  Aujourd'hui  très  peu  de  prélats  sont  demeurés 
fidèles  à  cette  vieille  mode. 

Puis,  tout  à  coup,  Mgr  Renier  disparut.  Malgré  tous  les  soins 
apportés  à  étoufî'er  les  motifs  de  cette  disparition,  une  partie  de 
la  presse  les  divulgua;  ils  n'ont  donc  rien  de  secret.  Mgr  Renier 


NOUVKLLES   RELIGIEUSES  541 

était  impliqué  comme  complice,  avec  un  prévenu  et  une  pré- 
venue, dans  une  grave  affaire  de  chantage  et  d'escroquerie. 
Tous  les  trois  furent  condamnés  par  le  tribunal  correctionnel 
de  Rome,  chacun  à  six  mois  de  prison. 


La  Société  d'archéoloî^ie  chrétienne  a  fait  faire,  pendant 
plusieurs  mois,  des  fouilles  aux  catacombes  de  Saint-Sébastien. 
Ces  travaux  ont  amené  des  découvertes  très  heureuses,  car  on 
a  rais  au  jour  près  de  quinze  tombeaux  intacts  qui  portent  tous 
les  signes  du  martyre,  la  fiole  et  la  palme.  Quelques-unes  de 
ces  tombes  sont  même  ornées  d'une  inscription  qui  nous  donne 
le  nom  du  bienheureux  confesseur  de  la  foi.  Le  savant  archéo- 
loguo,  M.  De  Rossi,  est  allé  visiter  plusieurs  fois  ces  tombes. 
S.  Em.  le  cardinal-vicaire  s'y  est  rendu,  à  son  tour,  pour 
constater  les  signes  qui  annoncent  la  présence  d'un  corps  de 
martyr.  On  ne  s'est,  cependant,  point  prononcé  encore.  Les 
corps  des  martyrs  que  l'on  découvre  maintenant  ne  sont  cepen- 
dant plus  extraits  des  catacombes;  on  les  y  laisse  reposer  sans 
même  ouvrir  leur  tombe.  On  peut  ainsi,  en  visitant  ces  lieux 
consacrés  par  nos  pèros  dans  la  foi,  vénérer  les  ossements  des 
glorieux  confesseurs  à  l'endroit  même  où  ils  ont  été  déposés. 
Ce  sera  un  charme  de  plus  qui  attirera  les  pieux  visiteurs  dans 
les  cimetières  chrétiens.  On  a  déjà  suivi  cette  règle  pour  les 
catacombes  de  sainte  Agnès,  oii  les  fidèles  rencontrent  encore 
plusieurs  corps  de  martyrs. 

L'Italie  comprend,  enfin,  quelle  est  l'importance  des  missions 
catholiques,  et  elle  fait  tous  ses  efforts  pour  s'assurer  la  bien- 
veillance des  missionnaires.  On  assure  même  que  M.  De  Luca, 
ministre  italien  en  Cliine,  qui  a  été  rappelé  par  M.  de  Robilant, 
ne  se  trouve  ici  que  pour  recevoir  directement  des  instructions, 
dans  le  cas  où  des  relations  diplomatiques  s'établiraient  enti'e  le 
Vatican  et  la  Chine.  On  ajoute  même  que  M.  de  Robilant 
cherche  à  protéger  autant  que  possible  les  missionnaires  dans 
l'extrême  Orient,  et  la  Consulte  a  donné  des  ordres  de  ce  genre 
à  tous  ses  agents  diplomatiques  et  consuls.  —  Le  gouvernement 
a  aussi  compris  la  nécessité  des  aumnôiers  militaires,  au  moins 
en  Afri([ue.  Deux  prêtres  qui  se  trouvent  forcément  sous  les 
armes,  à  la  suite  de  la  loi  militaire  qui  n'a  aucun  égard  pour 
leur  caractère,  doivent  faire  partie  des  troupes  de  garnison  en 


542  AlNNALKS    CAT  HnLUR'KS 

Afrique.  On  a  arrêté  que  ces  deux  militaires  seront  considérés 
comme  en  cougé  illimité  pour  ce  qui  concerne  le  service  mili- 
taire et,  en  même  temps,  entreront  au  service  comme  aumô- 
niers militaires  provisoires,  avec  le  rang  de  sous-lieutenant; 
l'un  sera  destiné  à  Massouah,  et  l'autre  à  Assab. 

France. 

Nancy.  —  S.  G.  Mg-r  l'évêque  de  Nancy  a  adressé  à  M.  Pas- 
teur la  lettre  suivante  : 

Nancy,  le  S  mai  1886. 
Monsieur, 

Permettez  à  un  évêque  de  vous  adresser  sous  ce  pli  sa  modeste 
offrande  en  faveur  de  ïinstitut  qui  doit,  sous  votre  direction,  com- 
battre une  maladie  terrible  et  préparer  sans  doute  de  nouvelles  décou- 
vertes de  la  science. 

Quoi  qu'en  disent  quelques-uns,  les  évêques  de  France  ne  sont  pas 
riches,  et  les  œuvres  catholiques  et  les  pauvres  les  sollicitent  sans 
cesse.  Mais  je  tiens  comme  à  un  honneur  et  à  un  devoir  de  vous 
donner  du  moins  un  faible  témoignage  de  mon  admiration  et  de  ma 
reconnaissance. 

Je  vous  dois  un  témoignage  de  mon  admiration,  car  l'Eglise,  ainsi 
que  le  disait  naguère  le  grand  Pape  Léon  XIII,  l'Eglise  a  toujours 
applaudi  aux  conquêtes  de  la  science,  et  en  particulier  à  celles  «  qui 
ont  pour  but  d'embellir  la  vie  et  de  la  rendre  plus  heureuse  *. 

Je  vous  dois  un  témoignage  de  reconnaissance,  car  vous  consacrez 
ces  conquêtes  de  la  science  au  soulagement  des  malades,  des  infortu- 
nés, pour  lesquels  l'Eglise  a  eu  toujours  une  tendresse  de  mère. 

Que  Dieu  vous  soutienne  et  vous  guide  dans  vos  travaux,  et  qu'il 
vous  accorde,  dans  de  nouveaux  et  éclatants  succès,  la  récompense 
qu'ambitionne  votre  noble  cœur! 

Agréez,  Monsieur,  l'assurance  de  ma  haute  considération. 

7  Charles-Fra.nçois, 
évêque  de  Nancy  et  de  Toul. 

\f .  Pasteur  a  répondu  le  9  mai  à  Monseigneur  de  Nancy  pour 
le  remercier  et  lui  dire  combien  il  était  touché  de  son  offrande. 

PÉRiGUEUx.  —  Le  diocèse  de  Périgueux  et  do  Sarlat  va  célé- 
brer dans  quelques  semaines  le  cinquantième  anniversaire  de 
l'ordination  sacerdotale  de  Mgr  Dabert,  qui  occupe  le  siège 
épiscopal  de  Périgueux  depuis  bientôt  vingt-trois  ans. 

Étranger. 

Allemagne.  —  Après  avoir  conclu  son  traité  de  paix  avec  la 
Prusse,  Léon  XIII  a  tout  espoir  d'arriver  à  une  entente  égale- 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  54S 

meut  heureuse  avec  les  deux  autres  États  de  l'Allemagne  où 
sévit  le  Kulturkampf,  les  grands-duchés  de  Hesse  et  de  Bade. 

Dans  le  premier  des  deux  pays,  le  siège  épiscopal  de  Mayence, 
vacant  depuis  la  mort  de  Mgr  von  Ketteler,  c'est-à-dire  depuis 
plus  de  dix  ans,  sera  bientôt  de  nouveau  occupé  à  la  suite  d'une 
convention  conclue  directement  entre  le  Pape  et  le  gT-and-duc; 
c'est  M.  le  chanoine  von  Haffner  de  Mayence  qui  est  le  succes- 
seur désigné  de  Mgr  Ketteler. 

Quant  au  grand-duché  de  Bade,  oii  le  siège  archiépiscopal 
de  Fribourg  est  vacant  depuis  quelques  semaines  à  la  suite 
du  décès  de  Mgr  Orbiui,  le  nonce  apostolique  de  La  Haye, 
Mgr  Spolverini  est  arrivé  à  Karlsrulie  en  mission  spéciale  du 
Saint-Père  et  a  eu  plusieurs  audiences  prés  du  grand-duc  pour 
s'entendre  avec  lui  sur  la  personne  du  futur  archevêque. 

Avant-hier  le  grand-duc  a  donné  un  dîner  gala  en  l'honneur 
du  nonce,  et  tout  fait  espérer  que  non  seulement  la  question  de 
la  succession  au  siège  de  Fribourg,  mais  aussi  toute  la  législa- 
tion ecclésiastico-politique  de  Bade  sera  promptement  revisée 
dans  un  sens  favorable  aux  vœux  des  catholiques. 

Espagne.  —  Le  Moniteur  de  Rome  du  28  mai  publie  le  texte 
suivant  de  la  Lettre  par  laquelle  le  Souverain  Pontife  a  fait  con- 
naître à  Sa  Majesté  la  reine-régente  d'Espagne  qu'il  acceptait 
d'être  le  parrain  de  l'enfant  qui  est  aujourd'hui  Alphonse  XIII  : 
Majesté, 

Le  désir  que  Votre  Majesté  expose  dans  sa  lettre  remise  au  Nonce 
apostolique  auprès  de  sa  royale  cour  est  un  nouveau  témoignage  de 
la  filiale  affection  qu'ElIe  professe  envers  Notre  personne  et  envers 
le  Saint-Siège.  Aussi  accueillons-Nous  ce  désir  avec  une  déférence 
paternelle  et  Nous  empressons-Nous  de  Vous  manifester  que,  dan» 
Notre  bienveillance  paternelle  pour  la  catholique  Espagne,  pour 
Votre  Majesté  et  pour  la  Famille  royale,  il  Nous  sera  très  agréable 
de  contracter  à  leur  égard  un  nouveau  lien  spirituel,  en  tenant  sur 
les  fonts  baptismaux,  avec  Notre  chère  fille  en  Jésus-Christ,  l'Infante 
Isabelle,  l'enfant  que  Votre  Majesté  va  mettre  au  jour.  En  cette 
occasion,  le  Nonce  apostolique  sera  Notre  représentant  à  la  céré- 
monie sacrée. 

En  attendant,  Nous  prions  vivement  le  Seigneur  qu'il  daigne 
accorder  à  Votre  Majesté  d'heureuses  couches,  afin  que  vos  vœux 
maternels  reçoivent  leur  réalisation. 

A  cette  même  fin,  Nous  Vous  accordons  du  fond  du  cœur  la  béné- 
diction apostolique. 

Donné  au  Vatican,  le  12  mai  1886. 

LEON  XIII,  PAFE. 


1 


544  ANNALES    CATHOLIQUES 

Madagascar.  —  Voici  une  lettre  du  R.  P.  Camboué,  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  missionnaire  apostolique,  relative  à  l'arri- 
vée de  Mgr  Cazet  à  Madagascar. 

Tamatave,  10  avril  1886. 

Dans  la  matinée  du  5  avril,  mouillait  en  rarle  de  Tamatave  le 
vaisseau-transport  de  l'État  la  Nive,  ayant  à  son  bord  Mgr  Jean- 
Baptiste  Cazet,  évêque  de  Sosuza,  vicaire  apostolique  de  Madagascar, 
accompagné  de  huit  nouveaux  missionnaires,  dont  six  Frères  de  la 
Doctrine  chrétienne  et  un  Frère  scolastique  indigène  envoyé  en 
Europe  pour  ses  études. 

A  peine  le  navire  avait-il  laissé  tomber  ses  ancres,  que  Sa  Gran- 
deur allait  rendre  ses  hommages  à  M.  le  contre-amiral  Miot  à  bord 
de  la  fi'égate  la  Naïade. 

L'entrée  solennelle  du  prélat  fut  fixée  pour  quatre  heures  de 
l'après-midi.  Au  moment  où  Mgr  le  vicaire  apostolique  quittait  le 
bord  pour  se  rendre  à  terre  dans  la  baleinière  de  l'amiral,  pavoisée 
aux  couleurs  nationales,  une  salve  des  canons  de  la  frégate  annonçait 
à  la  grande  île  africaine  que  son  premier  pasteur  venait  en  prendre 
possession  au  nom  du  divin  roi  le  Christ  Jésus. 

Au  débarcadère,  les  Pères  de  la  mission  en  surplis,  M.  l'aumônier 
de  la  division  navale,  les  Frères  de  la  Doctrine  chrétienne,  les  Soeurs 
de  Saint-Joseph  de  Cluny,  les  écoles  de  garçons  et  de  filles,  de 
nombreux  officiers  et  soldats  du  corps  expéditionnaire  et  un  grand 
concours  d'habitants  européens  et  .indigènes  attendaient  la  première 
bénédiction  de  Févêque. 

Sa  Grandeur,  après  avoir  revêtu  ses  ornements  pontificaux,  prît 
place  sous  le  dais,  dont  un  officier  hova,  dixième  honneur,  ancien 
élève  de  la  mission,  avait  tenu  à  porter  l'un  des  coins. 

La  procession  se  mit  alors  en  marche  dans  la  grande  avenue  de 
Tamatave,  pendant  que  les  chants  liturgiques,  la  fanfare  du  collège 
et  les  joyeuses  volées  des  cloches  mêlaient  leurs  accents  pour  jeter 
dans  les  airs  le  Benedictus  qui  venit  in  nomine  Domini  ! 

A  l'église,  après  les  diverses  cérémonies  prescrites  par  le  ponti- 
fical, Sa  Grandeur,  dans  quelques  mots  du  cœur,  renvoyant  à  Dieu 
tous  les  honneurs  qui  lui  étaient  rendus,  exhorta  son  peuple 
à  remercier  le  Tout-Puissant  pour  la  paix  enfin  rétablie  entre  la 
France  et  Madagascar,  et  à  prier  pour  la  prospérité  des  deux  nations. 

Chaque  jour,  depuis  son  arrivée,  Mgr  le  vicaire  apostolique  reçoit 
les  témoignages  les  plus  sympathiques  de  la  population  civile  et 
militaire.  M.  le  contre-amiral  commandant  en  chef  le  corps  expédi- 
tionnaire, les  officiers  supérieurs,  d'autres  officiers  en  grand  nombre, 
les  principaux  résidents  de  la  ville  ont  tenu  à  rendre  leurs  hom- 
mages au  nouvel  évêque.  Toutefois,  le  séjour  de  Mgr  Cazet  à  Tama- 


1.KS    CHAMBRES  545 

tave  ne  se  prolongera  point.  Sa  Grandeur  a  hâte  de  se  rendre 
auprès  de  la  partie  la  plus  nombreuse  et  la  plus  éprouvée  de  son 
troupeau. 

Dès  demain,  le  prélat  se  propose  de  partir  pour  Tananarive, 
malgré  les  grandes  pluies  et  le  mauvais  état  des  chemins.  Son  cœur 
de  pasteur  et  de  père  est  pressé  d'aller  porter  secours  aux  pauvres 
affamés  qui,  depuis  bientôt  trois  ans,  criaient  vers  le  Seigneur, 
demandant  le  pain  que  personne  ne  pouvait  leur  rompre. 

Déjà,  sous  les  auspices  de  saint  Joseph,  plusieurs  missionnaires, 
précédant  leur  évêque,  sont  partis  pour  les  provinces  d'Iinérina  et 
des  Betsiléos.  Nos  braves  néophytes,  dont  on  connaît  la  belle  con- 
duite dans  l'épreuve,  voient  enfin  leurs  vœux  exaucés  et  la  réali- 
sation de  la  parole  du  divin  Maître  :  j>!on  relinquam  vos  orphanos  : 
veniatn  ad  vos. 

D'ailleurs  les  deux  gouvernements  français  et  hova  semblent 
animés  des  meilleures  dispositions  envers  la  mission  catholique. 
Ces  jours-ci  encore  le  premier  ministre  de  S.  M.  la  reine  Ranava- 
lona  III  écrivait  à  M.  le  contre-amiral  Miot  que  les  missionnaires 
français  étaient  assurés  de  trouver  auprès  de  lui  aide  et  protection 
pour  leur  œuvre  civilisatrice  et  chrétienne. 

Mais  que  de  ruines  à  relever!  que  de  brèches  à  réparer!  que 
d'obstacles  à  vaincre  longuement  préparés  durant  ces  trois  années 
par  les  envoyés  des  Sociétés  bibliques  de  Londres,  seuls  maîtres 
de  la  position.  Pour  relever  ces  ruines,  réparer  ces  brèches,  vaincre 
ces  obstacles,  la  mission  de  Madagascar  compte  surtout  sur  la 
divine  Providence  et  sur  les  prières  et  les  aumônes  des  associés 
de  la  Propagation  de  la  Foi  et  de  toutes  les  âmes  généreuses  qui 
voudront  s'associer  à  une  œuvre  tout  à  la  fois  catholique,  civilisa- 
trice et  française. 


LES  CHAMBRES 
Sénat. 


Jeudi  27  mai.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  de 
l'interpellation  de  M.  de  Gavardie  sur  un  déni  de  justice  commis  à 
l'égard  d'un  ancien  commissaire  de  police.  Il  s'agit  d'un  sieur  La- 
treille,  ancien  commissaire  de  police  de  Bazas,  qui  compte  trente- 
un  ans  de  bons  et  loyaux  services,  et  qui  n'a  pu  jusqu'ici  obtenir 
ni  une  pension  ni  même  un  secours. 

M.  Sarrien  répond  que  M.  Latreille  n'a  pas  droit  à  une  pension  : 
d'abord,  parce  qu'il  a  été  révoqué^  et,  en  second  lieu,  parce  que 
les  commissaires  de  police  n'ont  pas  droit  à  une  reti^aite. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  de  l'interpellation  de  M.  db 
Gavardie  sur  la  police  en  France  et  en  Algérie. 


546  ANNALES   CATHOLIQUES 

L'orateur  dépose  l'ordre  du  jour  suivant  : 

«  Le  Sénat,  invitant  le  gouvernement  à  prendre  les  mesures 
nécessaires  pour  le  maintien  de  la  sécurité  publique,  passe  à 
l'ordre  du  jour. 

M.  Sarrien  proteste  contre  les  allégations  de  M.  de  Gavardie.  11 
assure  que  la  police  remplit  son  devoir  et  qu'elle  a  droit  à  l'appui 
du  ministère.  Cet  appui  ne  lui  fera  pas  défaut. 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  est  adopté. 

L'élection  de  M.  Bejarry,  sénateur  de  la  Vendée,  est  validée. 

M.  DE  Gavardie  questionne  le  ministre  de  la  justice  au  sujet  de 
la  révocation  de  M.  Saint-Martin,  juge  de  paix  à  Tarbes. 

M,  Demole  dit  que  M.  Brisson  crut  devoir  révoquer  ce  magistrat 
pour  s'être  livré  en  dehors  de  ses  fonctions  à  des  agissements 
inadmissibles. 

L'incident  est  clos. 

M.  de  Gavardie  interpelle  le  ministre  des  finances  au  sujet  de  la 
veuve  Rigaud  pour  laquelle  il  demande  un  emploi  dans  l'atelier  du 
Timbre. 

M.  Sadi  Carnot  répond  que  le  règlement  s'y  oppose.  Il  ne  peut 
le  violer. 

Mardi  1'^'' juin.  —  Vote  d'un  projet  de  loi  relatif  aux  monuments 
et  objets  d'art  ayant  un  caractère  historique. 

Le  Sénat  commence  ensuite  la  discussion  d'un  projet  relatif  à  la 
chasse. 

Chambre  des  députés. 

Jeudi  27  mai.  —  A  trois  heures  moins  un  quart,  M.  Demole, 
garde  des  sceaux,  ministre  de  la  justice  —  on  se  demande  ce  que  la 
justice  vient  faire  ici  —  monte  à  la  tribune  et  lit  le  projet  de  loi 
qui  trouble  depuis  huit  jours  tant  de  cervelles  républicaines. 
L'exposé  des  motifs  en  est  vague  et  ressemble  assez,  sur  ce  point,  â 
ces  réquisitoires  vides  et  entortillés  dont  certains  accusateurs  pu- 
blics, à  court  de  griefs  sérieux  et  précis,  ont  usé,  dans  un  autre 
temps,  devant  les  tribunaux  révolutionnaires.  Voici  le  morceau  : 

M.  LE  GARDE  DES  SCEAUX,  lisant  :  «  Messieurs,  à  la  différence  des 
gouvernements  monarchiques,  la  République  a  cru  devoir  abroger 
les  lois  d'exil  édictées  contre  les  dynasties  déchues. 

«  En  permettant  aux  membres  des  familles  qui  ont  régné  en 
France  de  résider  et  de  s'établir  sur  son  territoire,  en  leur  recon- 
naissant les  mêmes  droits  qu'aux  autres  citoyens,  la  République 
devait  compter  qu'ils  répondraient  à  cette  politique  de  modération 
et  de  confiance  par  le  respect  du  régime  établi. 

*  Cette  attente  a  été  trompée.  (Applaudissements  à  droite.  — 
Bruit  à  gauche.)  Les  héritiers  des  anciennes  dynasties  n'ont  rien 
abdiqué  de  leurs  prétentions.  Bien  loin  de  le»  dissimuler,  ils  re- 


LES    CHAMBRES  547 

cherchent  ouvertement  toutes  les  occasions  d'ébranler  les  institu- 
tions que  le  pays  s'est  librement  données.  (Applaudissements  à 
gauche.  —  Interruptions  à  droite.) 

M.  LE  DUC  DE  La  RocHEFOUCAULD-BisAcclA.  —  Elles  s'ébranlent 
bien  toutes  seules. 

M.  Calès.  —  Essayez  ! 

Ce  M.  Calès,  comme  l'étymologie  de  son  nom  l'indique,  doit  être 
un  homme  chaud.  Quelques-uns  de  ses  voisins  lui  font  remarquer 
que  son  essayez!  répond  mal  à  la  juste  remarque  du  duc  de  La  Ro- 
chefoucauld. Il  se  calme,  et  M.  Demôle  continue  : 

M.  LE  MINISTRE.  —  «  Il  y  a  quelques  mois  à  peine,  le  gouverne- 
ment se  refusait  à  prendre  contre  eux  dos  mesures  que  réclamait 
une  grande  partie  de  l'opinion.  Cette  attitude  semble  n'avoir  eu 
d'autre  effet  que  de  les  encourager  à  de  nouvelles  provocations. 
(Très  bien  !  très  bien  !  à  gauche.) 

L'épreuve  est  donc  complète  et  nous  estimons  que  le  moment  est 
venu  de  mettre  un  terme  à  un  état  de  choses  qui  ne  pourrait  se 
continuer  sans  porter  gravement  atteinte  à  l'autorité  de  la  Consti- 
tution et   aux  intérêts  du  pays.  (Nouvelles  marques  d'approbation.) 

Nous  avons  l'honneur,  en  conséquence,  de  vous  proposer  d'adopter 
le  projet  de  loi  suivant  : 

Article  premier.  —  Le  gouvernement  est  autorisé  à  interdire  le 
territoire  de  la  République  aux  membres  des  familles  ayant  régné 
en  France. 

«  L'interdiction  est  prononcée  par  un  arrêté  du  ministre  de 
l'intérieur  pris  en  conseil  des  ministres.  » 

M.  Paul  de  Cassagnac.  —  Comme  pour  M"*  de  Sombreuil  (Applau- 
dissements et  rires  à  droite.) 

M,  LE  PRÉSIDENT.  —  Prenez  garde  à  vos  assimilations.  (Applau- 
dissements à  gauche.) 

M.  LE  MINISTRE.  —  Art.  2.  —  Celui  qui,  en  violation  de  l'arrêté 
d'interdiction,  sera  trouvé  en  France,  en  Algérie  ou  dans  les  colo- 
nies, sera  puni  d'un  emprisonnement  de  deux  à  cinq  ans. 

«   A  l'expiration  de  sa  peine,  il  sera  reconduit  à  la  frontière.  » 

Je  demande  l'urgence  et  le  renvoi  du  projet  aux  bureaux. 

A  peine  M.  Demôle  esl-il  retourné  à  sa  place  qu'un  certain 
nombre  d'impatients  de  l'extrême-gauche  réclament  la  discussion 
immédiate.  On  leur  rit  au  nez  et  la  Chambre,  tout  en  votant  l'ur- 
gence, renvoie  le  projet  à  une  commission  qui  sera  nommée 
samedi  dans  les  bureaux.  —  «  Voilà  l'imbécillité  prédite  par 
M.  Thiers  !  »  s'écrie  le  comte  de  Maillé,  M.  Floquet  rappelle  à 
l'ordre  ce  judicieux  interrupteur,  et  on  se  figure  que,  pour  le 
moment,  tout  est  fini,  lorsque  M.  Basly,  député  de  Paris,  élu  sur 
la  liste  unique,  paraît  à  la  tribune,  armé  d'une  seconde  proposition. 
Celle-ci  a  encore  plus  de  valeur  que  l'autre,  et  nous  nous  ferions 


5i8  ANNALES   CATHOLIQUES 

un  scrupule  de  priver  nos  lecteurs  d'un  seul  mot  de  son  précieux 
texte.  Tout  y  est  caractéristique  et  net  : 

M.  Basly.  —  J'ai  l'honneur  de  déposer  sur  le  bureau  de  la 
Chambre  une  proposition  de  loi  sur  la  restitution  à  la  nation  des 
biens  des  familles  ayant  régné  en  France.  (Bruit  à  droite.) 

M.  DK  Paudry  d'Asson.  —  Lisez!  lisez! 

M.  LE  Président.  —  M.  Basly  ayant  l'intention  de  demander 
l'urgence,  la  lecture  est  de  droit. 

M.  Basly.  —  Voici  l'exposé  des  motifs  et  le  texte  de  la 
proposition  : 

a  Nous  estimons  que  la  présence  des  prétendus  princes  sur  le 
territoire  français  ne  constitue  aucun  danger  pour  la  République 
qui  est  au-dessus  des  menées  des  partis. 

œ  En  conséquence  nous  repoussons  toute  loi  d'exception.  Si  les 
prétendus  princes  conspirent  contre  la  République,  nous  deman- 
dons qu'ils  soient  jugés  comme  de  simples  citoyens. 

«  D'an  autre  côté,  les  prétendus  princes  détiennent  des  biens 
indûment  acquis  qui  doivent  faire  retour  à  la  nation. 

a  En  conséquence,  nous  vous  présentons,  messieurs,  la  propo- 
sition suivante  : 

Article  premier.  —  Les  biens  meubles  et  immeubles  des  familles 
ci-devant  royale  et  impériale  des  Bourbons  et  des  Bonapartes  de 
toutes  branches  sont  mis  à  la  disposition  de  la  nation. 

Art.  2.  —  Ces  biens  meubles  et  immeubles  constitueront  une 
première  dotation  de  la  caisse  nationale  de  retraite  pour  la 
vieillesse. 

«  Signé  :  Basly,  Camélinat,  A.  Boyer,  Prudon,  Planteau, 
Michelin.  » 

M,  CuNÉo  d'Ornano.  —  IjCS  membres  des  anciennes  familles 
régnantes  pourront-ils  prendre  part  eux-mêmes  à  ces  retraites? 
(Rires  à  droite.) 

N'est-il  pas  vrai  que  cette  seconde  proposition  complète  la  pre- 
mière, et  qu'il  semble  tout  naturel  de  s'occuper  des  biens  après 
s'être  occupé  des  personnes?  La  confiscation,  corollaire  de  l'exil, 
c'est  de  tradition  !  Les  ministres  le  comprennent  si  bien  qu'aucune 
protestation  ne  part  de  leurs  bancs,  et  que,  malgré  quelques  mur- 
mures qui  se  font  entendre  derrière  son  dos,  M.  de  Freycinet  ne 
songe  pas  un  seul  instant  à  séparer  sa  cause  de  celle  de  M.  Basly. 
La  droite,  de  son  côté,  ne  voit  aucun  inconvénient  à  réunir  ces 
deux  ennemis  des  princes. 

Les  deux  propositions  Freycinet  et  Basly  seront  donc  renvoyées  à 
la  même  commission. 

On  reprend  ensuite  la  discussion  sur  le  projet  relatif  aux  livrets 
ouvriers. 

Samedi  29  mai.  —  Nomination  dans  les  bureaux  de  la  commission 


LES    CHAMBRES  549 

d'expulsioa.  Sur  onze  membres,  elle  en  compte  six  partisans  de  l'ex- 
pulsion obligatoire  et  générale,  telle  qu'elle  est  formulée  soit  dans  la 
proposition  Floquet,  soit  dans  la  proposition  Duché,  et  cinq  qui  sont 
opposés  à  toute  expulsion.  Sur  ces  cinq  derniers,  il  y  a  deux  mem- 
bres de  la  droite  :  MM.  de  Mun  et  Jolibois,  Le  ministère  a  «  donné  » 
de  toute  la  force  dont  il  est  capable.  Les  ministres-députés  se  sont 
rendus  dans  les  bureaux  pour  prendre  part  au  vote,  et  M.  Goblet  a 
même  prononcé  un  discours  dont  on  lira  plus  loin  un  résumé. 

En  séance,  on  discute  une  nouvelle  interpellation  sur  la  grève  de 
Decazeville.  L'ordre  du  jour  pur  et  simple  pst  adopté. 

Lundi  31  mai.  —  La  Chambre  vote  à  l'unanimité  un  crédit  de 
2JO,000  francs  pour  secours  aux  viclimes  des  tremblements  de  terre 
et  des  inouilations  en  Algérie. 

Un  second  crédit  de  même  somme  pour  l'Iastitut-Pasteur  est  adopté 
par  468  voix  contre  7. 

On  reprend  la  discussion  sur  les  livrets  d'ouvriers. 
La  Chambre  décide  qu'elle  passera  a  une  seconde  lecture. 
L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  de  la  proposition  de  loi  de 
M.  Ballue  ayant  pour  objet  l'assimilation  de  l'armée  de  terre  à  l'ar- 
mée de  mer,  en  ce  qui  concerne  le  commandement. 
Adopté. 

Mardi  1^^  juin.  —  M.  de  Lamàrzelle  prend  la  parole  dans  la  dis- 
cussion de  la  proposition  de  MM.  Planteau  et  Michelin,  portant  abro- 
gation de  la  loi  du  18  germinal  an  X. 

11  rappelle  que  M.  Brisson  a  récemment  reconnu  que  l'opinion  de 
la  majorité  du  pays  n'est  pas  favorable  à  la  séparation  de  l'Eglise  et 
de  l'État.  Les  électeurs  qui  ont  voté  pour  les  députés  siégeant  au 
centre  ne  veulent  pas  cette  séparation.  Ceux,  au  nombre  de  3  millions 
et  demi,  qui  ont  voté  pour  les  députés  de  la  droite,  pensent  de  même. 
Dans  ces  conditions,  et  par  respect  pour  le  suffrage  universel,  la 
question  devrait  être  écartée  pour  celte  législature. 

Dans  la  dernière  législature,  la  question  a  été  soulevée.  Elle  a  été 
l'objet  d'un  rapport.  Elle  n'est  jamais  venue  en  discussion,  bien  que 
le  gouvernement  y  ait  été  convié  à  plusieurs  reprises. 

C'est  à  cette  occasion  que  M.  Goblet  se  prononça  avec  éclat  contre 
la  suppression  du  traitement  du  clergé  et  demanda  qu'on  mît  un 
terme  à  cet  état  de  choses  par  la  séparation. 

Pourquoi  n'a-t-on  pas  encore  discuté  la  séparation  de  l'Eglise  et  de 
l'État?  C'est  parce  qu'elle  amènerait  dans  chaque  commune  la  guerre 
entre  les  citoyens,  et  que  de  cette  guerre  résulterait  la  chute  de  la 
République.  C'est  M.  Paul  Bert  qui  l'a  écrit. 

Le  parti  républicain  n'ose  pas  faire  cotte  séparation,  et  il  ne  peut 
pas  la  rejeter  sans  se  mettre  en  contradiction  avec  lui-même.  Le  suf- 
frage universel  s'est  nettement  prononcé  contre  la  séparation  de 
l'Église  et  de  l'État.  La  Chambre  est  fatalement  condamnée  à  uno 


550  ANNALES    CATHOLIQUES 

politique  de  tracasseries  mesquines  qui  n'est  pas  digne  d'un  gouver- 
nement républicain  et  qu'on  verra  pratiquer  par  celui-là  même  qui 
l'a  le  plus  énergiqueraent  flétrie. 

M.  GoBLET  appuie  la  prise  en  considération  :  c'est  la  seule  manière, 
dit-il,  de  savoir  ce  que  pense  réellement  le  suffrage  universel  d'une 
question  sur  laquelle  le  Gouvernement  désire  qu'il  y  ait  un  grand 
débat. 

Mgr  Fbeppel  déclare  qu'il  a  des  doutes  sur  l'opportunité  du  débat 
•que  veut  provoquer  M.  Goblet,  d'accord  avec  M.  Michelin,  en  repre- 
nant en  France  le  kulturkampf.  Il  n'y  a  ni  dans  le  Parlement,  ni 
dans  le  pays,  une  majorité  pour  séparer  l'Eglise  de  l'Etat,  pour 
dénoncer  le  concordat  et  supprimer  le  budget  des  cultes. 

Pourquoi  donc  aborder  une  discussion  qui  ne  peut  aboutir  à  un 
vote  ? 

Le  grand  débat  que  l'on  cherche  demeurera  stérile.  On  aura  agité 
le  pays  en  pure  perte. 

La  prise  en  considération  est  adoptée  par  296  voix  contre  250. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

L'expulsion  des  princes.  —  Le  budget  des    cultes.   —  Projet  Quyot.  — 
Atï'aire  de  ChâteauviUain.  —  Etranger. 

Comme  on  l'a  vu  dans  notre  précédent  numéro  et  plus  haut 
le  gouvernement  s'est  décidé  à  demander  aux  Chambres  le  vote 
d'un  projet  de  loi  l'autorisant  à  expulser  les  princes,  mais  il 
faut  avouer  qu'en  voulant  aller  au-devant  des  vœux  du  parti 
républicain,  le  ministère  a  mal  réussi.  Sur  les  onze  commis- 
saires nommés  par  les  bureaux  il  n'y  a  pas  un  seul  partisan  du 
projet  du  gouvernement.  Cinq  sont  absolument  opposés  à  toute 
expulsion.  Ce  sont  :  MM.  Jolibois  et  de  Mun  de  la  droite  et 
MM.  Henri  Maret,  Anatole  de  la  Forge  et  Michon  de  l'extrême 
gauche.  Les  six  autres  commissaires  représentent  la  moyenne 
de  l'opinion  du  parti  républicain,  lequel  est  d'avis  qu'il  faut 
purement  et  simplement  interdire  aux  prétendants  le  territoire 
de  la  République. 

Dans  la  discussion  des  bureaux,  le  ministère  —  en  la  per- 
sonne de  MM.  Goblet  et  Sarrien,  ministres  de  l'instruction 
publique  et  de  l'intérieur  —  n'a  pas  été  brillant.  Messieurs  les 
ministres  ont  en  effet  déclaré  que  la  conduite  des  princes  avait 
cessé  d'être  correcte  et  qu'alors  le  gouvernement  se  voyait  dans 


CHHONIQUE    DE    LA    SEiMAlNE  551 

la  nécessité  de  demander  contre  eux  à  la  Chambre  une  loi 
d'exception.  Mais  mis  au  pied  du  mur  et  sommés  à  droite 
comme  à  gauche  de  donner  des  preuves,  de  citer  des  faits  et 
par  conséquent  d'édifier  le  pays,  les  honorables  ministres  sont 
restés  cois.  M.  Sarrien  a  de  plus  ajouté  que,  de  l'aveu  de 
M.  Jules  Ferry  lui-même  on  n'était  pas  suffisamment  armé 
contre  les  princes  par  des  lois  de  haute  police.  Il  s'est  attiré 
une  vive  riposte  de  M.  Jules  Fei  ry  qui  tient  à  rester  un  homme 
de  gouvernement  et  qui  n'admet  évidemment  pas  qu'un  ministre 
républicain  puisse  être  gêné  par  la  question  des  princes. 

En  somme,  mauvaise  afi'aire  pour  le  gouvernement.  Il  n'est 
pas  bien  sur  d'obtenir  son  projet  de  loi,  à  moins  de  le  modifier 
selon  les  vues  d'une  majorité  qui  ne  s'entend  guère.  Et  s'il 
obtient  son  projet  amendé  ou  non,  il  n'en  restera  pas  moins 
profondément  ébranlé.  Car  il  est  évident  qu'il  n'a  aucune  action 
sur  la  Chambre,  qu'il  ne  tient  plus  debout  et  qu'il  ne  tombe 
pas  uniquement  parce  que  ses  héritiers  présomptifs  veulent  lui 
laisser  l'agrément  de  déblayer  le  terrain  de  cette  périlleuse 
question  des  prétendants.  Sans  être  grand  prophète  on  peut 
prédire  que  M.  de  Freycinet  s'en  ira  probablement  avant  la 
chute  des  feuilles. 

Pendant  que  le  ministère,  les  Chambres  et  la  presse  sont 
uniquement,  pour  ainsi  dire,  absorbés  par  la  question  des 
princes,  les  princes,  on  doit  l'avouer,  prennent  assez  philoso- 
phiquement leur  condition  de  futurs  proscrits.  Nous  parlons, 
bien  entendu,  des  princes  de  la  Maison  de  France,  car  pour  le 
moment  le  prince  Jérôme  et  son  héritier  ne  comptent  pas  encore. 

Mgr  le  duc  d'Aumale  était  rentré  à  Chantilly  le  surlendemain 
des  noces  de  Lisbonne  et,  depuis  sa  rentrée,  il  ne  manque  ni  une 
séance  de  l'Académie,  ni  une  soirée  théâtrale.  Avant-hier 
encore  il  était  à  l'Opéra. 

Quant  à  M.  le  comte  de  Paris,  le  voici  de  retour  à  Eu  avec 
sa  famille,  et  c'est  là  qu'il  aurait  décidé  d'attendre  l'ordre 
d'expulsion,  s'il  doit  venir.  C'est  là,  qu'entouré  des  princes  de 
sa  maison,  et  sans  doute  aussi  d'amis  dévoués,  il  recevrait  la 
notification  officielle  de  la  mesure. 

Le  comte  de  Chambord  disait,  en  écartant  l'idée  de  certaines 
témérités,  «  que  le  roi  de  France  ne  peut  risquer  dd  sô  faire 
mettre  au  poste.  »  M.  le  comte  de  Paris  ne  compromettra  pas 
davantage  la  dignité  royale;  mais  il  y  a  cependant  des  vio- 

40 


552  ANNALES    CATHOLIQUES 

lences  qu'il  faut  faire  constater,  et  sans  doute  il  tiendra,  dans 
la  forme  qui  convient  à  son  caractère  et  à  sa  situation,  à  bien 
établir  qu'il  ne  cède  qu'à  la  force  brutale. 

Le  Prince  pourrait  choisir  entre  la  rue  de  Varennes,  à  Paris, 
et  le  château  d'Eu  pour  recevoir  l'injonction  officielle.  A  Paris, 
la  scène  eût  pu  avoir  plus  d'éclat,  avec  des  proportions  plus 
imposantes,  mais  aussi  avec  des  inconvénients  dont  la  malveil- 
lance aurait  pu  tirer  parti.  Rue  de  Yarennes,  le  Prince  aurait 
eu  l'air  de  chercher  une  démonstration,  de  faire  appel  aux 
passions  politiques.  Il  ne  l'a  pas  voulu,  et,  dès  le  premier 
moment,  il  aurait  écarté  toute  idée  de  ce  genre  pour  aller  à 
Eu,  loin  de  toute  excitation  et  de  tout  tapage,  attendre  chez  lui 
les  exécuteurs. 

La  Chambre  paraît-il,  n'avait  pas  assez  de  discussions  inu- 
tiles et  dangereuses  en  expectative.  La  commission  du  budget 
vient  d'en  soulever  une  nouvelle.  Elle  s'est  prononcée  pour  la 
suppression  du  budget  des  cultes  et  nous  avons  donné  les  noms 
des  treize  de  ses  membres  contre  neuf  qui  ont  voté  dans  ce 
sens. 

Il  est  vrai  qu'elle  n'a  pas  tardé  à  revenir  sur  cette  pre- 
mière résolution  et  ce  qui  se  passe  depuis  est  vraiment  iné- 
narrable. La  décision  dont  nous  venons  de  parler  avait  été 
prise  le  mercredi  26  mai;  dés  le  surlendemain,  la  commission 
décidait,  au  contraire,  de  le  discuter,  c'est-cà-dire  d'accep- 
ter son  maintien  en  principe.  Mais  si  elle  s'était  bornée  à 
cette  première  résolution,  c'eût  été  trop  simple.  Cinq  minutes 
après,  elle  se  déjugeait  en  votant  que  le  budget  des  cultes, 
néanmoins,  ne  serait  examiné  que  lorsque  la  Chambre  se 
serait  prononcée  sur  le  principe  de  la  séparation  de  l'Eglise  et 
de  l'Etat.  Quelques  instants  plus  tard,  nouveau  changement  à 
vue  :  si  la  Chambre  ne  se  dépêche  pas  de  statuer  sur  le  prin- 
cipe de  la  séparation,  on  procédera  sans  plus  attendre  à 
l'examen  de  ce  malheureux  budget. 

Le  lecteur  demandera  sans  doute  quelle  idée  se  dégage  de 
ces  votes  successifs?  Il  ne  se  dégage  qu'une  absence  complète 
d'idée. 

On  connaît  ces  pantins  dont  les  membres  sont  mis  en  mouve- 
ment, par  un  système  de  fils,  avec  ordre  et  méthode;  qu'un  fil 
casse,  et  les  mouvements  deviennent  désordonnés,  de  réglés 
qu'ils  étaient;  le  pantin  déséquilibré  gigotte  lamentablement.. 


CHRONK'UK    DE    LA    SEMAINE  553 

Nos  polichinelles  — ■  comme  les  appelait  si  bien  Courbet 
—  ont  un  fil  cassé,  sinon  plusieurs  ;  ils  s'agitent  dans  le  vide, 
désespérément,  sans  pouvoir  s'arrêter,  et  ce  serait  très  drôle, 
à  force  d'être  bête,  si  la  circonstance  permettait  le  rire. 

Au  cours  de  ces  tergiversations  de  la  commission  du  budget, 
M.  Gerville-Réache  ayant  demandé  à  M.  Yves  Guyot  s'il 
n'avait  pas  préparé  un  projet  de  loi  relatif  à  la  séparation  des 
Eglises  et  de  l'Etat,  celui-ci  a  répondu  qu'en  effet  il  avait  un 
projet  de  loi  remettant  aux  communes  la  libre  disposition  des 
46  millions  du  budget  des  cultes  et  leur  donnant  ainsi  la 
faculté  de  supprimer  les  allocations  aux  ministres  des  diffé- 
rentes religions.  Il  a  ajouté  que  son  projet  était  prêt  et  qu'il  le 
déposerait  dès  le  lendemain. 

En  voici  le  texte  : 

Proposition  de  loi  sur  la  séparation  facultative 
des  Églises  et  de  l'État. 

Article  i^".  —  La  direction  des  cultes  au  ministère  de  Tinstruc- 
lion  publique  est  supprimée.  En  conséquence,  il  ne  sei'a  plus  ins- 
crit au  budget  de  crédit  pour  le  personnel,  le  matériel  et  les 
impressions  des  bureaux  de  cultes. 

Art.  2.  —  Les  crédits  affectés  aux  traitements  des  curés,  aux 
allocations  aux  desservants  et  vicaires,  au  personnel  des  cultes 
protestant,  israélite  et  musulman,  aux  dépenses  des  séminaires 
protestants  et  Israélites,  aux  frais  d'administration  de  l'Eglise  de 
la  confession  d'Augsbourg,  sont  répartis  entre  les  communes  au 
prorata  de  la  pai't  attribuée  à  chacune  d'elles  pour  l'exercice  1886. 

lies  crédits  affectés  aux  traitements  des  archevêques  et  évêques, 
aux  allocations,  aux  vicaires  généraux  et  aux  chanoines,  aux  mo- 
biliers des  archevêchés  et  évêchés,  aux  loyers  pour  évèchés,  sémi- 
naires, seront  répartis  entre  les  communes  de  chaque  circons- 
cription diocésaine. 

Art.  3.  —  Ces  crédits  constitueront  une  dotation  perpétuelle 
pour  les  communes. 

Art.  4.  —  Les  crédits  affectés  aux  églises  classées  comme  mo- 
numents historiques  seront  reportés  au  service  des  beaux-arts. 

Les  crédits  affectés  aux  édifices  religieux  non  classés  comme 
monuments  historiques  (secours  pour  les  églises  et  presbytères, 
secours  pour  les  édifices  des  cultes  protestant,  israélite,  dépenses 
du  matériel  du  culte  musulman),  seront  remis  aux  communes  sur 
le  territoire  desquelles  ces  édifices  sont  situés. 

Art.  5.  —  La  somme  représentant  le  total  des  crédits  rerais  aux 
commune  en  vertu  de  l'article  2,  sera  prélevée  sur  le  produit  des 


554  ANNALES   CATHOLIQUES 

contributions  directes.  La  répartition  entre  les  contribuables  devra 
être  faite  au  prorata  des  contributions  directes  payées  par  chacun 
d'eux.  Sur  l'avertissement  pour  l'acquit  des  contributions  directes, 
aux  indications  actuelles,  ainsi  conçues  :  «  Dans  le  montant  des 
cotes  ci-contre,  il  revient,  savoir  à  l'Etat,  au  département,  à  la 
commune   »,  il  sera  ajouté  :  «  aux  cultes  ». 

Art.  6.  —  Dans  les  trois  mois  de  la  publication  des  rôles,  chaque 
contribuable  pourra  déclarer  qu'il  entend  être  dégrevé  de  la  part 
des  centimes  communaux  équivalent  à  sa  part  contributive  pour  le 
service  des  cultes. 

Cette  déclaration,  faite  par  écrit,  sera  remise  au  maire,  qui  la 
transmettra  au  sous-préfet.  Le  préfet  communiquera  les  déclara- 
tions au  directeur  des  contributions  directes.  La  déclaration  sera 
exempte  du  droit  de  timbre. 

Art.  7.  —  Le  conseil  municipal  pourra  réduire  ou  supprimer  en 
totalité  les  subventions  accordées  aux  cultes  et  les  traitements 
alloués  aux  ministres  ou  représentants  des  cultes. 

Il  pourra  employer  la  subvention  de  l'État  correspondante  à  tel 
usage  qu'il  lui  conviendra. 

Art.  8.  —  Lorsque  la  moitié  plus  un  des  contribuables  de  la 
commune  aura  refusé  de  contribuer  aux  frais  des  cultes,  la  totalité 
de  la  subvention  de  l'État  servira  de  plein  droit  au  dégrèvement 
des  centimes  additionnels  communaux. 

Art.  9.  —  La  réduction  ou  la  suppression  des  subventions  et  des 
traitements  même  au  cours  de  l'année  ne  pourra  donner  lieu  à 
aucune  réclamation  de  la  part  des  ministres  ou  représentants  des 
cultes,  nonobstant  toute  clause  contraire  insérée  dans  les  traités 
ou  conventions  passées  par  eux  avec  les  communes. 

Art.  10.  —  Les  associatioas  religieuses  sont  assimilées  aux  syn- 
dicats professionnels,  et  soumises  aux  dispositions  de  la  loi  du 
21  mars  1884. 

Art.  11.  —  Les  ministres  qui  renonceront  à  l'exercice  du  culte 
dans  un  délai  de  trois  ans  à  partir  de  la  promulgation  de  la  pré- 
sente loi,  recevront  de  l'Etat  un  secours  temporaire  s'ils  sont  âgés 
de  moins  de  soixante  ans,  viager  s'ils  ont  dépassé  cet  âge. 

Art.  12.  —  Les  conseils  municipaux  peuvent  changer  l'affectation 
des  édifices  consacrés  au  culte  qui  appartiennent  aux  communes. 

Art.  13.  —  La  convention  du  26  messidor  an  IX,  dite  le  Concor- 
dat de  1801,  est  dénoncée.  Toutes  les  lois  antérieures  contraires 
aux  dispositions  de  la  présente  loi,  et  spécialement  la  loi  du 
18  germinal  an  X,  dite  articles  organiques,  sont  abrogées. 


C'est  à  n'y  pas  croire,  mais  enfin  cela  est!  Les  victimes.de 


(3HR0NIQUE    DE    LA    SEMAINE  555 

Châteauvillain    sont   poursuivies.  Voici    en    effet  le    texte    de 
l'assignation  qui  vient  de  leur  être  remise  : 

Tribunal  correctionnel  de  Bourgoin. 

ASSIGNATION   A  PREVENUS. 

L'an  1886  et  le  22  du  mois  de  mai,  je,  Louis  Bert,  huissier  près 
le  tribunal  de  l""*  instance  de  l'arrondissement  judiciaire  de  Bour- 
goin (Isère),  résidant  à  Bourgoin,  soussigné,  à  la  requête  de 
M.  le  procureur  de  la  République  près  ledit  tribunal,  qui  fait 
élection  de  domicile  en  son  parquet  sis  au  Palais-de-Justice  de 
ladite  ville,  j'ai  donné  assignation  à  : 

1°  Fischer  (Jules),  38  ans,  directeur  de  l'usine  de  la  Combe, 
demeurant  à  Châteauvillain. 

2°  Etc.,  etc.,  (les  autres  nommés  ci-après). 
en  son  domicile,  où  je  me  suis  exprès  transporté,  parlant  à  la 
personne  de  son  épouse,  ainsi  déclarée,  pour  comparaître  devant 
ledit  tribunal,  jugeant  en  police  correctionnelle,  à  l'audience  qu'il 
donnera  le  jeudi  1"'^  juillet  iSSQ,  à  l'auditoire  du  Palais-de-Justice, 
à  huit  heures  du  matin,  pour  répondre  et  défendre  sur  la  préven- 
tion d'avoir  : 

1»  En  ce  qui  concerne  Fischer,  Julie  Chapot,  Pauline  Cutivet, 
Marie  CoUomb,  Eugénie  Bally,  Marie  Boilon,  Pbilomène  Ferrand  ; 
d'avoir,  le  8  avril  1886,  à  la  Combe,  sur  le  teritoire  de  la  commune 
de  Châteauvillain,  en  réunion  non  armée  de  trois  à  vingt  per- 
sonnes, commis  une  résistance  avec  violence  et  voies  de  fait 
envers  des  agents  de  la  force  publique,  délit  prévu  et  réprimé  par 
les  art.  209  et  211,  §  2  du  Code  pénal  ; 

2°  En  ce  qui  concerne  Fischer,  Marie  Boiton  et  Philomène 
Ferrand,  d'avoir,  le  8  avril  1886,  et  au  même  lieu,  volontairement 
exercé  des  violences  et  voies  de  fait  soit  envers  des  magistrats  de 
l'ordre  administratif  ou  judiciaire,  soit  envers  des  agents  de  la 
force  publique  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  délits  prévus  et 
réprimés  par  les  art.  228  et  230  du  Code  pénal  ; 

3°  En  ce  qui  concerne  Marie  Bonnevie,  Joséphine  Bernard,  Marie 
Delorme,  Marie  Chapeland,  Marie  Ginon  et  Philomène  Perraud, 
d'avoir,  le  8  avril  1886,  et  au  même  lieu,  outragé  par  paroles, 
gestes  ou  menaces,  soit  des  magistrats  de  l'ordre  administratif  ou 
judiciaire,  soit  des  commandants  de  la  force  publique  dans  l'exer- 
cice de  leurs  fonctions,  délits  prévus  et  réprimés  par  les  art.  222, 
223,  22'i  et  225  du  Code  pénal  ; 

4°  En  ce  qui  concerne  Constant  Guillaud  (curé  de  Châteauvillain), 
Lucien  Revol  (vicaire),  Emilie  Sibuet,  Marie  Jullien,  Félicie  Ma- 
zerat,  Joséphine  Augier  (quatre  religieuses),  de  s'être,  à  la  même 
époque  et  au  même  lieu,  rendus  complices  des  délits  ci-dessus  qua- 
lifiés :  1°  en  aidant  et  assistant  avec   connaissance   les  auteurs 


556  ANNALES   CATHOLIQUES 

dans  les  faits  qui  ont  préparé,  facilité  ou  consommé  lesdils  délits  ;. 
2°  en  provoquant  à  ces  délits  par  abus  d'autorité  ou  de  pouvoir  et 
en  donnant  des  instructions  pour  les  commettre,  délits  prévus  et 
réprimés  par  les  art.  209,  211,  §  2,  228,  230,  222,  223,  224,  225, 
59  et  60  du  Code  pénal; 

Et  s'entendre   condamner,   en  cas   de  conviction,    aux  peines 
portées  par  les  articles  énoncés. 

Etc.. 

Signé  :  h.  Bert,  huissier. 

II  faut  être  en  République  pour  assister  à  de  pareilles 
énormitès  ! 

L'interdiction  d'une  manifestation  ouvrière  qui  devait  avoir 
lieu  à  Bruxelles,  le  13  juin,  en  faveur  du  suffrage  universel, 
provoque  une  vive  agitation  en  Belgique.  M.  Buis,  le  bourg- 
mestre, a  fait  une  enquête  préalable  sur  cette  démonstration 
monstre  ;  il  est  arrivé  à  la  conviction  qu'elle  attirerait  à  Bruxelles 
une  foule  de  100,000  ouvriers  environ.  Pour  contenir  cette  masse, 
l'autorité  communale  dispose  de  1,500  agents  de  police,  de  quel- 
ques bataillons  de  la  garde  civique  et,  en  dernier  recours,  de  la 
troupe,  que  le  bourgmestre  no  veut  requérir  à  aucun  prix.  En 
présence  de  cet  état  de  choses,  M.  Buis  n'a  plus  hésité  et  a  fait 
savoir  au  secrétaire  du  conseil  général  du  parti  ouviuer  qu'il 
interdisait  la  manifestation.  Celle-ci  aura  lieu  cependant,  dit  le 
Temps,  non  pas  en  bloc  à  Bruxelles  seulement,  mais  en  détail, 
dans  les  divers  chefs-lieux  de  province. 

La  situation  s'éclaircit,  et  si  les  Anglais,  qui  engagent  si 
volontiers  des  paris,  veulent  risquer  quelques  guinées  sur  une 
question  politique,  la  plupart  des  parieurs,  croyons-nous,  tien- 
dront pour  le  succès  de  M.  Gladstone. 

Ce  que  le  chef  du  cabinet  anglais  paraît  avoir  obtenu,  grâc» 
aux  concessions  qu'il  a  faites  aux  dissidents  dans  la  réunion 
libérale  du  jeudi,  ce  n'est  pas  leur  adhésion  au  bill  de  home 
rule  actuellement  en  discussion,  mais  simplement  au  principe 
du  home  rule.  En  d'autres  termes,  le  projet  de  loi  dont  la 
Chambre  des  communes  est  saisie  à  cette  heure  disparaîtra 
aussitôt  que  voté  en  seconde  lecture.  M.  Gladstone  ne  consi- 
dérera son  adoption  que  comme  un  engagement  pris  par  la 
Chambre  de  doter  l'Irlande  d'un  Parlement  national.  Ce  n'est 
point  pour  discuter  les  articles  du  projet  de  loi  que  la  Chambre 


REVUE    ÉCONOMIQUE    ET   FINANCIERE  557 

sera  convoquée  en  session  extraordinaire  au  mois  d'octobre;  le 
projet  en  question  sera  considéré  comme  enterré,  et  les  deux 
délibérations  dont  il  fait  l'objet  comme  nulles  et  non  avenues. 
La  Chambre  se  réunira  en  octobre  pour  examiner  un  projet  de 
home  rule  tout  nouveau,  qui  devra  traverser  toutes  les  phases 
de  la  discussion  publique  :  la  première  lecture,  la  seconde,  etc. 
En  d'autres  termes,  le  pacte  intervenu  entre  M.  Gladstone  et 
la  majorité  est  celui-ci  :  le  vote  du  home  rule  bill  actuel,  en 
seconde  délibération,  sera  interprété  uniquement  comme  une 
promesse  formelle  d'accorder  à  l'Irlande  une  législation  dis- 
tincte et  d'arrêter  définitivement,  l'automne  prochain,  les  con- 
ditions dans  lesquelles  cette  législature  fonctionnera  concur- 
remment avec  le  Parlement  impérial.  Telles  sont,  d'après  les 
nouvelles  explications  fournies  par  M.  Gladstone,  les  termes  de 
l'entente  intervenue  jeudi. 

Ainsi  présenté,  le  triomphe,  que  M.  Gladstone  est  sur  le 
point  de  remporter,  paraît  moins  grand  et  moins  décisif  qu'il 
ne  semblait  à  première  vue.  En  réalité,  il  est  sans  précédent. 
Il  y  a  un  an,  quiconque  eut  parlé  de  doter  l'Irlande  d'un  Par- 
lement national  eût  été  taxé  de  folie;  quand  M.  Gladstone  en 
a  parlé  pour  la  première  fois,  il  a  été  traité  de  criminel.  Et 
voilà  que  la  Chambre  des  communes  va  prendre  l'engagement 
de  créer  un  Parlement  irlandais,  pas  plus  tard  que  dans  cinq 
mois,  ce  qui,  dans  la  vie  d'un  peuple,  est  un  bien  court  espace 
de  temps.  L'Irlande  a  de  bonnes  raisons  de  se  tenir  pour  satis- 
faite, en  comptant  sur  un  très  prochain  avenir. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

La  reprise  des  débats  parlementaires  a  généralement  pour  efifet 
d'arrêtei'  temporairement  l'expansion  du  marché  financier.  Le  public, 
qui  paie  tant  d'impôts,  n'aime  pas  ces  interpellations,  ces  dis- 
cours à  sensation,  ces  propositions  bruyantes  autant  que  mal  venues. 
Ce  qu'on  appelle,  à  la  Bourse  et  sans  doute  aussi  ailleurs,  la  ques- 
tion des  princes,  a  singulièrement  refroidi  l'élan  de  hausse  qui 
avait  suivi  la  clôture  de  l'emprunt;  on  ne  voudrait  pas  voir  cette 
question  même  se  soulever;  l'argent  est  craintif;  il  aime  la  tran- 
quillité. 

Nous   n'avons   point,  à  cette  place  à  traiter  cette  question  des 


558  ANNALES     CATHOLIQUES 

princes,  cependant  dans  notre  faible  mesure  de  concours  dans  ce 
journal,  nous  déclarons  que  nous  en  partigeons  toutes  les  idées. 

Le  classement  de  l'emprunt  se  fait  difficilement,  les  titres  ou 
plutôt  ce  qu'on  appelle  les  promesses  arrivent  de  la  province;  on 
croirait  vraiment  que  celle-ci  en  souscrivant  n'ait  voulu  faire  qu'une 
spéculation,  à  l'instar  des  grands  financiers  de  la  capitale. 

Ces  gros  financiers  qui  ont  presque  tout  l'emprunt,  poussaient, 
poussaient  les  cours,  mais  cette  hausse  subite  a  produit  l'effet 
contraire  à  celui  qu'ils  attendaient  :  la  hausse  a  produit  l'arrivée 
des  titres  sur  le  marché  et  non  l'achat  de  l'emprunt  avec  l'argent 
rendu  ;  il  fallait  ou  faire  une  réaction  pour  empêcher  les  livraisons 
qui  ne  sortaient  pas  de  leur  caisse  ou  absorber  ce  qui  venait  sur  le 
marché.  Ils  ont  préféré  la  réaction. 

Voilà  la  liquidation  de  fin  mai  qui  se  met  de  la  partie;  elle  ne  se 
fera  pas  en  hausse,  c'est  probable. 

La  Commission  sénatoriale  s'est  montrée  hostile  à  l'emprunt  de 
250  millions  de  la  ville  de  Paris  ;  grande  colère  au  sein  du  conseil 
municipal. 

La  faveur  est  toujours  sur  les  obligations  ;  soit  celles  de  la  ville 
de  Paris  ou  celles  des  grandes  lignes  de  nos  chemins  de  fer  ;  soit 
enfin  sur  les  obligations  du  Crédit  foncier.  Depuis  le  \"  juin  les 
obligations  foncières  3  °/„  1883  sont  libérées  de  140  fr.,  par  suite  d'un 
versement  de  oO  fr.  par  titre  qu'on  devait  etfectuer  le  31  mai,  dernier 
délai.  Malgré  ce  versement  ces  titres  ne  manifestent  aucune  fai- 
blesse. Du  reste  l'échelonnement  des  paiements  de  six  mois  en  six 
mois  se  prête  aux  exigences  de  la  plus  petite  épargne.  L'obligation 
communale  1880  est  également  bien  tenue;  elle  est  en  tirage 
le  o  de  ce  mois.  Ces  deux  types  d'obligations  ont  chacune  six 
tirages  par  an,  soit  tous  les  deux  mois  et  comme  les  tirages  alter- 
nent entre  les  obligations  1880  et  1883,  celui  qui  posséderait  une 
obligalion  de  chaque  type,  aurait  tous  les  mois  un  tirage  à  vérifier. 

On  a  fait  grand  bruit,  ces  temps  derniers,  autour  du  canal  de 
Panama.  Le  ministre  s'est  même  plaint  d'une  indiscrétion  qui  s'était 
commise  dans  ses  bureaux  et  a  déclaré  qu'il  ferait  une  enquête.  On 
sait,  sous  la  République,  ce  que  ce  mot  veut  dire.  Le  public  s'est 
ému  de  ce  ton  énigmatique  ;  on  a  parlé  du  rapport  de  M.  Rousseau, 
ingénieur  en  chef  des  Ponts  et  chaussées,  envoyé  à  Panama  par  le 
gouvernement  pour  de  visu,  se  rendre  compte  de  cette  affaire  et  on 
a  conclu  à  un  rapport  défavorable.  Tout  est  possible  ;  mais  il  fau- 
drait avoir  un  peu  de  patience  et  attendre  la  publication  de  ce 
rapport.  Les  titres  du  Panama,  d'abord  très  affectés,  ont  repris 
leur  ancien  niveau.  Que  demande  le  public  qui  a  donné  son  argent  ? 
—  De  la  lumière!  Donnez-en  donc!  L'administration  de  Panama 
saura  se  défendre  en  supposant  que  le  rapport  de  M.  Rousseau 
l'attaque  véritablement. 

A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrbl, 

Paris.  —  fmç.  G,  PicQnoiN,51,  rne  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


-€fc-0©C^>^:^- 


ACTES  DU  CONSISTOIRE  SECRET 
DU  7  JUIN  1886. 

N.  T.  S.  P.  le  Pape  Léon  XIII  a  tenu  le  7  juin  au  matin, 
dans  le  palais  apostolique  du  Vatican,  un  consistoire  secret. 
Après  y  avoir  prononcé  une  allocution,  Sa  Sainteté  a  daigné 
créer  et  publier  cardinaux  de  la  sainte  Eglise  romaine  : 

Dans  l'ordre  des  2orêtres  : 

Mgr  Victor-Félix  Bernadou,  archevêque  de  Sens,  né  à 
Castres,  dans  l'archidiocése  d'Albi,  le  25  juin  1816; 

Mgr  Alexandre  Taschereau,  archevêque  de  Québec,  né  à 
Sainte-Marie-de-la-Beauce,  le  17  février  1820; 

Mgr  Benoît-Marie  Langénieux,  archevêque  de  Reims,  né  à 
Villefranche  (Rhône),  dans  l'archidiocése  de  Lyon,  le  15  oc- 
tobre 1824; 

Idgi'  Jacques  Gibbons,  archevêque  de  Baltimore,  né  à  Balti- 
more, le  13  juillet  1834; 

Mgr  Charles-Philippe  Place,  archevêque  de  Rennes,  né  à 
Paris,  le  14  février  1814; 

Dans  V ordre  des  diacres  : 

Mgr  Auguste  Theodoli,  préfet  des  saints  palais  apostoliques 
et  maj  ordome  de  Sa  Sainteté,  né  à  Rome,  le  18  septembre  1815  ; 

Le  Rme  P.  Camille  Mazzella,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  né 
à  Vitulano,  dans  l'archidiocése  de  Bénévent,  le  10  février  1833. 

Ensuite  Sa  Sainteté  a  daigné  désigner  et  pourvoir  les 
églises  suivantes  : 

L'Eglise  métropolitaine  de  Tolède,  pour  l'Eme  et  Rme  car- 
dinal Michel  Paya  y  Rico,  transféré  du  siège  de  Compostelle  ; 

L'Église  me'Lropolitaine  de  Sorrente,  pour  le  R.  D.  Joseph 
GiusTiNiANi,  de  Naples,  oii  il  fait  partie  de  l'académie  de  Saint- 
Thomas  d'Aquin,  juge  des  causes  matrimoniales  auprès  de  la 
Curie  archiépiscopale  de  Naples,  recteur  du  séminaire  de  cette 
ville,  où  il  est  aussi  chanoine  de  l'église  métropolitaine,  enfin 
docteur  en  théologie; 

Lvi.  —  12  JUIN  1886.  41 


560  ANNALES    CATHOLIQUES 

L'Eglise  cathêdralelde  Groswaradein,  de  rite  latin,  pour 
Mgr  Arnold  Ipoly  Stumer,  transféré  du  siège  de  Néosolio  ; 

UEgliae  cathédrale  de  Novare,  pour  Mgr  David  Riccardi, 
transféré  du  siège  d'Ivrée,  qu'il  retient  en  administration  pro- 
risoire  ; 

L'Église  cathédrale  de  Reggio  d'Emilie,  pour  Mgr  Vincent 
Manicardi,  transféré  du  siège  de  Borgo  San  Donnino,  qu'il 
retient  en  administration  provisoire  ; 

L'Eglise  titulaire  épiscopale  de  Leuca,  pour  Mgr  Gaétan 
Bacile  de  Castiglione,  grand  prieur  de  San  Nicolas-de-Bari 
qu'il  retient  en  administration  provisoire  et  évêque  démission- 
naire de  Castellaneta; 

L'Église  cathédrale  de  Casale,  pour  Mgr  Philippe  Chiesa, 
transféré  du  siège  de  Pignerol,  qu'il  retient  en  administration 
provisoire  ; 

L'Eglise  cathédrale  d' A  versa,  pour  Mgr  Charles  Caputo, 
transféré  du  siège  de  Monopoli,  qu'il  retient  en  administration 
provisoire  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Monopoli,  pour  le  R.  D.  François 
d'Albore,  de  l'archidiocése  de  Capoue,  où  il  est  examinateur 
pro-synodal  et  chanoine  honoraire  de  l'église  métropolitaine  ; 

L'église  cathédrale  de  Castellaneta  pour  le  R.  P.  Giocondi, 
de  San  Giovanni  Rotondo,  dans  l'archidiocése  de  Manfredonia, 
de  l'ordre  des  Mineurs  Observants  réformés  de  Saint-François, 
professeur  de  théologie  et  ministre  provincial  de  là  province  de 
San-Angelo  di  Puglia; 

L'église  cathédrale  de  Livourne,  pour  le  R.  D.  Léopold 
Franchi,  de  Prato,  professeur  de  théologie  morale  au  sémi- 
naire de  sa  ville  natale,  oii  il  est  aussi  chanoine  de  la  cathé- 
drale et  vicaire-général; 

L'église  cathédrale  de  Borgo  San  Donnino,  pour  Mgr  Jean- 
Baptiste  Tescari,  du  diocèse  de  Vicence,  agrégé  au  clergé 
de  Parme,  camérier  secret  surnuméraire  de  Sa  Sainteté,  exami- 
nateur synodal  dans  les  deux  diocèses  de  Vicence  et  de  Parme, 
chanoine  de  la  cathédrale  de  ce  dernier  diocèse  et  diacre 
prébende  do  Saint-Second  ; 

L'église  cathédrale  de  Pignerol^  pour  le  R.  D.  Jean-Marie 
Sardi,  du  diocèse  d'Asti,  oii  il  est  examinateur  pro-synodal, 
avec  rang  de  second  archidiacre  de  la  cathédrale  et  vicaire- 
général; 

L'église  cathédrale  d'Ivrée,  pour  le  R.   D.  Augustin  Ri- 


ACTES  DU  CONSISTOIRE  SECRET  501 

CHELMT,  de  Turin,  professeur  de  théologie  au  séminaire  de 
cette  ville,  supérieur  du  monastère  du  Saint-Rosaire,  exami- 
nateur synodal,  chanoine  honoraire  de  l'église  métropolitaine 
et  docteur  en  théologie  ; 

L'église  cathédrale  de  Trente,  pour  le  R.  D.  Eugène-Charles 
Valussi,  de  l'archidiocése  d'Udine,  agrégé  au  clergé  de  Goritz, 
oii  il  est  directeur  spirituel  et  professeur  de  théologie  morale 
au  séminaire  central,  examinateur  pro-synodal,  assesseur  du 
tribunal  ecclésiastique,  chanoine  prévôt  du  chapitre  métro- 
politain et  docteur  en  théologie; 

L'église  cathédrale  de  Cébu,  ou  Nom  de  Jésus,  aux  îles 
Philippines,  pour  le  R.  P.  Martin  Garcia  Alcocer,  de  l'ar- 
chidiocése de  Tolède,  prêtre  profés  des  Mineurs  Observants 
déchaussés  de  Saint-François,  recteur  du  collège  do  son  ordre 
à  Pastrana,  pour  les  îles  Philippines; 

L'église  titulaire  épiscopale  de  Lita,  pour  le  R.  D.  Philippe 
Degni,  de  la  famille  des  barons  de  Salento,  de  Naples,  où  il 
est  supérieur  de  plusieurs  congrégations,  consulteur  pour  les 
affaires  de  cette  mense  archiépiscopale  et  docteur  dans  l'un 
et  l'autre  droit  ; 

Véglise  titulaire  épiscopale  de  Derbe,  pour  le  R.  D.  Vin- 
cent Alda  y  Sancho,  du  diocèse  de  Tarazona,  archidiacre  de 
l'église  métropolitaine  de  Saragosse,  oii  il  est  vicaire  général, 
licencié  en  théologie,  député  auxiliaire  de  l'Em.  cardinal 
archevêque  de  Saragosse. 


LES  RUINES 


Où  ne  retrouve-t-on  pas  aujourd'hui  l'influence  de  la  Révo- 
lution? Elle  est  partout,  dans  l'état  économique,  dans  l'indus- 
trie, dans  les  arts  aussi  bien  que  dans  les  principes.  Quand  on 
a  énuméré  toutes  les  catastrophes  politiques,  toutes  les  ruines 
sociales  de  ce  siècle,  on  n'a  pas  encore  fait  connaître  tous  les 
dommages  que  la  Révolution  a  causés  à  la  société.  Rien  n'a 
échappé  à  son  action  destructive. 

Les  erreurs  ont  eu  leur  retentissement  dans  les  faits.  Tout 
s'est  ressenti  de  ce  grand  bouleversement  des  idées  et  des 
choses.  La  condition  générale  de  la  vie  en  est  si  profondément 
changée  qu'il  faut  remonter   dans  le  passé  pour  retrouver 


562  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'image  d'un  état  paisible  et  heureux.  Il  n'y  a  plus  de  bonheur 
qu'en  souvenir.  Seule  la  vision  des  choses  d'autrefois  éclaire  et 
réjouit  nos  sombres  jours.  Le  peuple  parle  toujours  avec  regret 
du  bon  vieux  temps.  Que  de  choses  ont  changé!  que  de  choses 
ont  péri  depuis  un  siècle  !  Le  bonheur  domestique,  la  vie  do 
famille,  la  sécurité  du  lendemain,  la  paix  publique,  l'esprit 
d'union  et  de  concorde  entre  citoyens,  tout  cela  a  disparu  avec 
la  Révolution.  Et  ce  n'est  pas  tout  ce  qui  périra. 

D'autres  destructions  menacent  de  nous  atteindre  dans  notre 
vanité,  et  elles  iront  jusqu'à  supprimer  du  nombre  des  siècles 
ce  siècle  si  fier  de  son  génie  et  de  ses  progrès.  Les  grands 
admirateurs  de  la  civilisation  moderne  commencent  à  se 
demander  ce  qui  restera  de  nous  dans  cent  ou  deux  cents  ans. 
Hélas  !  on  n'a  plus  guère  le  souci  de  léguer  sa  maison  à  ses 
enfants,  de  se  survivre  dans  les  lieux  qu'on  a  habités;  car  qui 
a  une  maison  aujourd'hui,  ou  qui  est  sûr  de  pouvoir  la  con- 
server avec  la  loi  révolutionnaire  de  l'expropriation  ?  Mais 
toutes  ces  grandes  bâtisses  à  compartiments  et  tout  en  façade, 
toutes  ces  maisons  de  décor  édifiées  pour  l'ornement  des  rues 
et  le  profit  des  entrepreneurs  de  location,  toutes  ces  construc- 
tions de  villes  modernes,  elles  sont  vouées,  paraît-il,  à  une 
destruction  assez  prochaine. 

Le  bois,  trop  humide,  que  la  fièvre  de  spéculation  n'a  pas 
laissé  sécher,  pourrira:  le  fer,  employé  pour  aller  plus  vite  et 
occuper  moins  de  place,  s'oxydera  intérieurement;  les  murs  en 
plâtras  ne  supporteront  pas  le  poids  du  temps  et  tout  croulera. 
Avant  deux  siècles,  le  Paris  «  haussmannisé  »  ne  sera  plus 
qu'une  ruine  comme  Troie  ou  Carthage.  Tout  notre  mobilier 
de  pacotille  aura  péri  bientôt.  C'est  en  vain  que  les  petits- 
enfants  chercheront  le  fauteuil  de  l'aïeul.  Les  plus  élégants 
articles  de  l'industrie  parisienne  n'auront  qu'un  jour.  Meubles, 
étofî'es,  dorures,  tout  est  fragile.  Nos  livres  de  cinquante  ans 
tombent  déjà  en  poussière  sous  la  main  qui  les  feuillette.  Le 
papier  est  mauvais  et  la  reliure  ne  tient  pas.  De  toute  cette 
multitude  de  journaux,  de  publications,  de  volumes  de  toute 
sorte,  qui  représentent  pour  nous  l'œuvre  de  la  pensée  du 
XIX*  siècle,  que  survivra-t-il  ^  l'efi'et  du  temps? 

Tout  est  si  mesquin,  si  caduc,  si  vulgaire  aujourd'hui,  que 
notre  époque  ne  fournira  pas  même  à  la  postérité  la  matière 
d'un  chant  ou  d'un  spectacle.  Le  moyen  âge,  avec  sa  poésie  et 
son  pittoresque,  a  revécu  pour  nous  dans  des  poèmes,  dans  des 


LES    RUINES  563 

représentations  de  toute  sorte.  De  quelle  tragédie,  de  quelle 
épopée  le  plus  grand  homme  du  jour,  Garabetta,  inventeur  de 
l'opportunisme,  sera-t-il  le  héros?  Sur  quel  théâtre,  dans 
quelle  ville  verra-t-on  reproduire  en  tableaux,  en  cavalcades, 
des  personnages  ou  des  scènes  empruntés  à  l'histoire  de  ce 
temps?  Se  figure-t-on,  autrement  qu'en  caricature,  un  drame 
oii  paraîtrait  M.  Grévy,  président  de  la  République  française, 
un  cortège  dont  le  conseil  municipal  de  Paris  serait  le  sujet? 
Toutes  ces  figures,  toutes  ces  choses  du  jour,  aussi  laides 
qu'éphémères,  disparaîtront  à  jamais  des  yeux,  des  souvenirs 
de  la  postérité. 

Il  ne  restera  même  rien  de  nos  ossements,  avec  cette  loi 
barbare  sur  la  crémation  que  la  sottise  et  la  tyrannie  des 
dominateurs  d'à  présent  voudront  rendre  obligatoire  comme  la 
loi  sur  l'instruction.  Ruines  de  monuments,  ruines  de  sou- 
venirs, ruines  d'hommes  :  notre  siècle  ne  laissera  après  lui  que 
des  ruines. 

Prenons  un  exemple.  Un  expert  en  art,  admirateur  autant 
que  personne  de  la  civilisation  moderne,  vient  de  pousser  un 
cri  d'alarme  sur  nos  tableaux.  Le  cas  est  grave.  Le  savait-on? 
Notre  peinture  moderne,  une  des  grandes  vanités  de  ce  temps, 
est  menacée  de  périr.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  couleurs 
qui-brunissent  comme  dans  les  toiles  des  maîtres  de  la  fin  du 
XVP  siècle;  mais  dans  les  tableaux  vieux  à  peine  de  trente  ou 
quarante  ans,  la  «  peinture  se  craquelle,  s'écaille,  se  disloque. 
Les  glacis  disparaissent,  dévorés  par  la  lumière  du  jour.  Les 
bitumes  du  dessous  ressortent  et  font  des  taches.  »  Il  en  est 
beaucoup  de  ces  oeuvres,  et  des  plus  admirées,  «  dont  on  peut, 
dès  aujourd'hui,  prédire  à  courte  échéance  la  complète  destruc- 
tion ».  Do  toutes  ces  toiles  que  l'engouement  des  acheteurs 
couvre  d'or,  c'est  le  petit  nombre  qui  échappera,  et  aucune  ne 
demeurera  intacte. 

Mais  on  demandera  peut-être  où  est  ici  la  Révolution?  Nous 
répondrons  avec  le  Siècle,  journal  révolutionnaire  :  Comparez 
les  anciens  tableaux  à  ceux  d'aujourd'hui. 

«  Prenez  au  Louvre  le  Portrait  d'homme,  d'Antonello,  et  la 
Vierge  au  donateur,  de  Jean  Van  Eyck  :  ces  deux  tableaux 
ont  la  même  fraîcheur,  la  même  finesse  de  coloris,  la  même 
puissance,  la  même  netteté  que  le  premier  jour.  Ils  sont  préci- 
sément dans  l'état  où  ils  se  trouvaient  au  sortir  de  l'atelier  du 
peintre.  » 


564  ANNALES   CATHOLIQUES 

Et  pourquoi  cette  différence?  Pourquoi  ici  ces  belles  et 
fraîches  couleurs,  cette  solidité  de  peinture,  cette  parfaite  tenue 
de  l'œuvre;  là  ces  masses  épaissies  ou  déteintes,  cette  décolo- 
ration, ce  changement  de  tons  et  de  nuances,  cette  métamor- 
phose, cet  évanouissement  du  tableau?  Pourquoi?  Ecoutons 
encore  le  Siècle. 

<  Si  les  artistes  qu'on  est  convenu  d'appeler  des  primitifs 
ont  fait  de  la  peinture  merveilleusement  durable,  c'est  qu'ils 
savaient  merveilleusement  leur  métier,  c'est  qu'ils  étaient  des 
maîtres  accomplis  en  fait  de  technique,  alors  que  nous  ne 
sommes  plus  guère,  sur  ce  terrain,  que  des  prétentieux  et  des 
ignorants.  » 

Entendez-vous,  peintres  à  la  mode,  qui  vous  croyez  plus  forts 
que  van  Eyck  et  Memling,  plus  grands  que  Giovanni  da  Fiesole 
et  Francia,  parce  que  vos  toiles  se  payent  cent  fois  plus  cher, 
sur  le  marché  de  Paris  ou  de  New-York,  qu'on  ne  payait  les 
œuvres  de  ces  primitifs  :  ceux-là  savaient  leur  métier  et  vous 
ne  le  savez  plus,  et  ils  le  savaient  parce  qu'ils  l'apprenaient  de 
la  bonne  manière. 

«  Aux  temps  anciens,  en  effet,  on  ne  s'improvisait  pas  peintre, 
comme  cela  arrive  de  nos  jours.  Pour  être  en  droit  de  peindre 
il  fallait  avoir  conquis  une  sorte  de  brevet,  il  fallait  être 
arrivé  à  la  maîtrise,  et  pour  cela  avoir  fait  un  apprentissage 
long  et  difficile  et  appris  le  métier  par  ses  commencements... 
Avant  de  peindre,  on  apprenait  à  composer  et  à  fabriquer  les 
matières  dont  on  allait  se  servir.  Plus  tard,  quand  l'appren- 
tissage était  fini,  quand  on  était  en  état  de  faire  son  chef- 
d'œuvre  et  d'être  reçu  maître  dans  la  communauté,  on  n'était 
plus  embarrassé,  et  l'on  pouvait  répondre  de  la  qualité  intrin- 
sèque de  son  tableau,  sachant  de  quelle  matière  la  peinture  en 
était  faite.  » 

Mais  la  Révolution  a  changé  tout  cela.  Plus  d'apprentissage, 
plus  de  corporation,  plus  de  garanties  de  la  bonne  exécution  de 
l'œuvre.  Aujourd'hui,  il  s'agit  uniquement  de  réussir  et  au  plus 
vite.  A-t-on  le  temps  d'apprendre?  A  l'âge  oii  l'élève  d'autre- 
fois se  formait  encore  aux  pratiques  du  métier  dans  l'atelier  du 
maître,  on  veut  déjà  exposer,  avoir  des  réclames  dans  les 
journaux,  faire  des  affaires  avec  les  marchands.  Arriére 
l'humble  molette  à  broyer  les  couleurs!  Nos  jeunes  peintres 
veulent  tenir  d'emblée  la  palette.  Peut-être  arriveront-ils  à  la 


LES   RUINES  565 

gloire  sans  savoir  même  leur  métier.  Et  ils  auront  alors  de 
somptueux  ateliers,  ornés  des  meubles  les  plus  rares,  des  bibe- 
lots les  plus  curieux.  Ces  magnifiques  salons  ne  sont  pas  faits 
pour  recevoir  des  apprentis,  encore  moins  conviennent-ils  à  la 
préparation  des  couleurs!  Le  maître  dédaigne  ces  vulgaires  et 
salissantes  besognes;  il  n'a  pas  non  plus  le  temps  de  former  des 
élèves,  tout  occupé  qu'il  est  de  satisfaire  aux  commandes. 

Nos  artistes  sont  plus  marchands  de  tableaux  que  peintres. 
Ils  produisent  pour  le  commerce.  Qu'importe  l'avenir,  pourvu 
que  l'œuvre  plaise  sur  le  moment  et  se  vende  bien  !  Mais  l'Etat 
et  les  particuliers  qui  ont  acquis  leurs  toiles  à  prix  d'or,  que  se 
trouveront-ils  posséder  dans  cinquante,  dans  cent  ans  ?  Que 
leur  restera-t-il  de  cette  peinture  payée  si  cher  ? 

Les  statuts  et  règlements  de  la  communauté  de  peintres  de 
Rouen,  édictés  en  1508,  contenaient  les  prescriptions  suivantes  : 

«  Lesdits  maîtres  pourront  œuvrer  et  besongner  de  toutes  matières 
de  bois,  de  pierre,  de  corne,  d'yvoire  et  de  toutes  autres  matières  et 
peintures  bonnes  et  loyales...  Mais  seront  tenus  de  peindre  à  l'huile 
et  de  bonnes  matières  et  loyales  sous  peine  d'amende  arbitraire  à  la 
discrétion  de  justice.  » 

Et  plus  loin  : 

«  Il  est  prohibé  et  deffendu  à  tous  de  peindre  aucuns  images, 
tables,  tableaux  ou  autres  ouvrages,  soit  à  églises  ou  autres  lieux 
qui  ne  soient  bien  et  duement  plâtrez  ou  imprimez  à  huile,  et 
devant  que  d'être  assouvis,  seront  ébauchez  de  fausses  couleurs  tant 
d'étotTe  que  de  portraiture,  sous  peine  d'amende,  comme  dessus.  » 

Et  enfin  : 

Si  la  marchandise  est  trouvée  bonne  et  loyale,  elle  pourra  être 
exposée  et  vendue,  et  au  contraire,  s'il  est  trouvé  aucune  déception 
ou  faute,  elle  sera  corrigée  et  amendée,  si  faire  se  peut,  ou  autre- 
ment elle  sera  rompue  et  cassée,  comme  fausse  et  déloyale.  » 

Ces  statuts  étaient  communs  à  toutes  les  confréries  ou  com- 
munautés de  peintres.  La  corporation  veillait  à  leur  exécution. 
Outre  la  garantie  de  bonne  fabrication  offerte  à  l'acheteur  par 
la  longue  durée  de  l'apprentissage,  il  y  avait  le  contrôle  per- 
pétuel des  jurés  qui  assurait  la  bonne  qualité  des  matières 
employées,  la  loyauté  de  la  marchandise,  la  bonne  exécution 
de  l'œuvre.  Avec  ces  sages  règlements  on  avait  des  tableaux 
durables.  La  peinture  des  XV'  et  XVP  siècles  est  intacte.  Les 
musées  d'Italie,  d'Allemagne  et  de  France  en  témoignent. 


566  ANNALES   CATHOLIQUES 

Aujourd'hui  est  peintre  qui  veut  et  comme  il  veut.  C'est  la 
liberté.  Aucune  autre  condition  n'est  imposée  à  l'art  que  de 
plaire.  Le  peintre  fait  son  tableau,  et  c'est  tout  :  on  l'achète  ou 
on  ne  l'achète  pas.  Aucune  garantie  n'est  offerte  au  public  sur 
l'artiste;  aucun  recours  n'existe  contre  lui.  Si  un  tableau  est 
comme  l'on  disait  autrefois,  bon  et  loyal,  il  l'ignore  tout  le 
premier.  La  toile,  les  couleurs,  il  a  tout  reçu  des  mains  du 
marchand  et,  aussi  étranger  que  l'acheteur  à  la  fabrication  des 
matières  qu'il  emploie,  il  ne  sait  pas  plus  qi;e  lui  comment  elles 
ont  été  préparées  ni  si  elles  sont  bonnes.  Il  peint  au  hasard. 
Tant  mieux  si  l'œuvre  subsiste,  tant  pis  si  elle  périt!  L'ache- 
teur a  payé,  et  c'en  est  fini  entre  lui  et  l'artiste. 

S'il  n'y  avait  que  l'intérêt  particulier  en  jeu,  peut-être  pour- 
rait-on dire  encore  que  le  régime  de  la  liberté  est  préférable 
à  l'état  ancien  de  réglementation.  Mais  il  y  va  aussi  de  l'intérêt 
de  l'art.  A  supposer  que  les  oeuvres  de  la  peinture  moderne 
soient  aussi  précieuses  qu'elles  sont  admirées,  n'est-il  pas 
regrettable  que  la  disparition  des  anciens  règlements  protec- 
teurs les  ait  exposées  à  une  ruine  si  prochaine.  «  Attendons- 
nous,  s'écrie  tristement  le  critique  d'art  du  Siècle,  à  voir 
disparaître  une  à  une  les  œuvres  dont  nous  avons  salué  la 
glorieuse  apparition.  » 

Ce  n'est  que  trop  vrai.  Sous  nos  yeux,  le  fameux  Naufrage 
de  la  Méduse  ne  fond-il  pas  de  toutes  parts?  Et  ces  rutilantes 
peintures  de  Delacroix  ne  sont-elles  pas  en  train  de  se  déco- 
lorer? Et  ces  paysages  de  Rousseau,  si  éclatants  il  y  a  trente 
ans,  ne  sont-ils  pas  déjà  tout  effacés?  Les  rouges  s'en  vont, 
et  quand  les  verts  seront  partis  à  leur  tour,  que  restera-t-il 
de  ce  brillant  coloris?  Devant  ces  désastres,  se  trouverait-il  un 
partisan  assez  décidé  des  principes  de  la  Révolution  pour  ne 
point  regretter  que  ces  brillants  artistes  n'aient  pas  été  obligés, 
comme  autrefois,  de  faire  un  apprentissage  sérieux  du  métier 
et  d'être  à  même  de  connaître  les  couleurs  avant  de  s'en  servir? 

C'est  bien  la  Révolution  qui,  en  détruisant  toutes  les  insti- 
tutions du  passé,  a  fondé  ce  nouvel  état  de  choses  où,  sous  le 
nom  de  liberté,  fleurissent  l'ignorance,  la  cupidité  et  la  fraude. 
L'honnêteté  publique  n'est  plus  qu'un  mot.  Tout  est  faux  et 
déloyal.  Nous  sommes  dans  un  temps  de  tromperie  générale. 
La  falsification  est  devenue  la  règle  du  commerce  et  de  l'indus- 
trie. Chacun  veut  arriver,  chacun  est  pressé  de  faire  fortune 
et  de  s'élever  par  tous  les  moyens.  Avant  tout  on  veut  jouir, 


DÉCADENCE  567 


et  au  plus  vite.  C'est  une  des  causes  de  la  grande  perturbation 
sociale  de  ce  temps,  un  des  efl'ets  de  la  Révolution,  qui  en 
arrivera  à  tout  détruire,  l'art  lui-même,  comme  elle  a  boule- 
versé l'ordre  public  (1).  Arthur  Loth. 


DECADENCE 


C'est,  hélas  !  le  mot  qui  convient  pour  qualifier  l'état  singu- 
lier d'une  partie  de  la  haute  société  parisienne  à  l'heure 
actuelle. 

Nous  disons  parisienne,  car  en  province  le  mal  n'est  pas  aussi 
grand  ;  nombreuses  sont  les  familles  chrétiennes  qui  s'inspirent 
encore  des  traditions  d'honneur,  de  charité  et  de  foi. 

A  Paris  même,  il  est  des  centres  oii  domine  le  respect  de  soi 
et  de  la  vertu,  ils  sont  ignorés  des  hommes,  mais  bénis  de 
Dieu. 

Une  fièvre  de  cabotinage  semble  s'être  emparée  de  l'aristo- 
cratie. Dans  son  ouvrage  si  discuté,  La  France  /wefe,  M.Drura- 
mont  s'indignait  contre  cette  envie  de  paraître  qui  arrache  à 
leur  famille  les  mères  et  les  épouses,  les  jette  sur  les  planches 
en  pâture  à  la  curiosité  de  tous. 

Les  journaux  mondains  peuvent  être  rendus  responsables  de 
cet  état  de  choses  dans  une  certaine  mesure;  jadis  les  joies 
des  familles  comme  leurs  peines  étaient  sacrées  et  intimes  ;  les 
reporters  étalent  à  plaisir  les  unes  et  les  autres. 

Mme  de  X...  donne-t-elle  un  bal,  par  exemple,  dix  journaux 
racontent  aussitôt  la  chose  au  monde  étonné.  Et  quel  luxe  de 
détails  !  La  robe  de  la  maîtresse  de  maison  était  rose  avec  des 
pampilles;  la  toute  gracieuse  comtesse  était  coiffée  en  Diane 
avec  un  croissant  de  perles  ;  suit  la  description  du  buffet,  l'énu- 
raération  des  plats,  etc.,  etc. 

Pour  peu  que  ces  réunions  se  multiplient,  les  feuilles  dont 
nous  parlons  sont  remplies  de  ces  fadaises. 

Le  contact  maintenant  continuel  des  premières  classes  de  la 
société  avec  le  juif  enrichi,  n'a  pas  peu  contribué  à  mettre  en 
honneur  cette  folie  du  pavanage^  si  complètement  opposée  à 

(1)  Univers. 


568  ANNALES   CATHOLIQUES 

l'ancienne  distinction  et  à  la  réserve  hautaine  de  la  vieille 
noblesse. 

Certes,  il  n'est  pas  étonnant  que  les  Israélites  richissimes 
cherchent  à  faire  parler  de  leurs  bijoux  et  de  leur  faste. 

Ce  n'est  point  le  goiàt  des  belles  choses  qui  les  pousse,  mais 
Tenvie  d'épater  le  badaud.  Vanderbilt  fils  ne  vient-il  pas  de 
tapisser  de  banknotes  le  plafond  de  son  fumoir  ?  Un  véritable 
grand  seigneur  eût  acheté  pour  des  sommes  folles  l'œuvre  maî- 
tresse d'un  peintre  illustre. 

Le  Figaro,  qui  est  l'organe  quasi-officiel  de  tous  ces  désor- 
dres, publie  dans  le  même  numéro  deux  articles,  l'un  de  ré- 
clame, et  l'autre  de  critique,  sur  les  représentations  de  cirque 
organisées  par  le  high-life. 

Nous  citons  pour  l'édification  de  nos  lecteurs. 

Le  cirque  de  M.  Molier,  dont  les  deux  représentations  de  chaque 
année  sont  toujours  comptées  parmi  les  attractions  les  plus  recher- 
chées, a  donné  hier  sa  première  soirée. 

On  a  souvent  décrit  ce  charmant  petit  cirque  construit  par  un 
homme  du  monde  pour  des  hommes  du  'inonde  :  hier,  les  loggia  et 
les  moindres  petits  réduits  étaient  envahis  dès  huit  heures  par  une 
foule  de  jolies  femmes  et  la  représentation  n'a  été  qu'une  longue 
ovation  pour  tous  les  artistes. 

Les  deux  premiers  numéros  surtout  ont  été  particulièrement 
applaudis  :  un  cheval  monté  en  haute  école  et  dressé  avec  une 
science  parfaite  par  M.  Molier;  un  travail  en  double  et  haute  école, 
par  M"^'  V...  et  L...,  deux  charmantes  élèves  du  directeur  :  M"<=  L... 
est  une  jeune  écuyère  qu'on  verra  bientôt  au  cirque  X... 

Grand  succès  pour  Miss  P...,  M"^  B...,  MM.  Saint-Michel  Rivey^ 
d'Aimery,  Lanqueten,  Hubert  de  La  Rochefoucauld,  etc.,  etc. 

D'ailleurs,  il  faudrait  tout  citer,  si  l'on  voulait  rappeler  ici  tout 
ce  qui  a  été  applaudi. 

Parmi  les  plus  jolies  toilettes,  M™^'  (suivent  les  noms  plus  ou 
moins  propres). 

Cette  soirée  consacrée  aux  demi-mondaines  (!!),  sera  suivie  d'une 
soirée  consacrée  aux  femmes  du  monde. 

La  fête  s'est  terminée  fort  avant  dans  la  nuit  par  un  souper  et  un 
bal  très  réussis. 

Ces  soirées  consacrées  aux  «  demi-mondaines  »  et  suivies  de 
soirées  consacrées  aux  «  femmes  du  monde  »  constituent,  il  faut    ■ 
l'avouer,  un  triste  signe  du  temps.  Le  même  journal  qui  lance 
cette  réclame  paraît  en  avoir  compris  le  cynisme,  car  voici 


DÉCADENCE  5C9 

comment  il  apprécie  cet  étrange  cabotinage  qui  déshonore  la 
noblesse  : 

Le  cirque  Molier  ouvre  ses  portes  ce  soir,  pour  une  série  de  repré- 
sentations, avec  des  numéros  nouveaux.  La  fantaisie  d'un  jour  est 
devenue  une  mode;  et  la  mode  est  en  passe  de  devenir  une  insti- 
tution. Il  faut  bien  s'en  occuper.  N'est-ce  pas  notre  devoir  de  con- 
naître tout  ce  qui  jette  un  jour  sur  nos  mœurs!  Que  si  les  gentils- 
hommes et  gentlemen  qui  descendent  dans  l'arène  nous  disaient 
qu'ils  sont  chez  eux  et  que  ce  qui  s'y  fait  ne  nous  regarde  pas,  nous 
leur  répondrions  qu'ils  ont  justifié  notre  curiosité  par  le  peu  de  soin 
qu'ils  ont  mis  à  fermer  leur  porte.  Visiblement,  ils  ont  cherché 
l'applaudissement  du  public;  ils  ne  sauraient  s'étonner  de  trouver, 
à  côté  de  cet  applaudissement,  la  critique.  Car  ils  ont  pris  grand 
soin  qu'on  n'ignorât  pas  leurs  récréations.  Ils  les  ont  fait  annoncer 
dans  les  journaux  ;  ils  ont  sollicité  les  reporters  ou  les  critiques  de 
sport  d'y  assister,  pour  en  rendre  compte.  Et  rien  n'est  plus  aisé 
que  d'avoir  sous  les  yeux  le  programme  illustré  de  la  séance,  où 
M.  le  duc  figure  en  clown  et  M.  le  vicomte  en  hercule,  dans  la 
réalité  d'une  photographie  qui  fait  valoir  leurs  personnes,  avec  le 
costume  qui  sied  le  mieux  à  leur  genre  de  beauté. 

En  toute  sincérité,  je  le  dis  aux  gens  du  monde  qui  changent 
l'habit  noir  contre  le  maillot  et  qui  exhibent  leurs  musculatures,  le 
moment  est  mal  choisi  pour  ces  exercices.  Si  les  classes  dirigeantes 
et  la  noblesse,  si  les  gens  qui  se  donnent  eux-mêmes  pour  une  élite 
sociale  veulent  sans  se  laisser  prendre  aux  chimères,  user  simple- 
ment du  droit  de  légitime  défense  qui  leur  appartient,  ils  ne  retrou- 
veront quelque  autorité  parmi  nous  qu'à  force  de  bon  sens  et  surtout 
de  dignité.  Le  dernier  hommage  que  la  démocratie  rend  encore  à  la 
noblesse  de  race,  c'est  de  se  montrer  sévère  pour  elle  ! 

Signalons,  pendant  que  nous  y  sommes,  un  autre  travers  non 
moins  dangereux;  c'est  la  multiplication  effrayante  des  fêtes 
dites  de  bienfaisance. 

On  méconnaît  les  austères  devoirs  de  la  vraie  charité  ;  si  l'on 
se  dépouille  de  quelques  louis  pour  les  pauvres,  c'est  sans  y 
songer.  Ventes,  tombolas,  bals,  concerts  excentriques  se  suivent 
sans  relâche.  Les  salons  du  Grand-Hôtel  se  transforment  en 
grottes  féeriques,  en  palais  d'Aladin. 

Pour  40  francs  le  boutiquier  opulent  pourra  contempler  toutes 
ces  merveilles,  et  qui  plus  est,  frôler  de  grandes  mondaines,  la 
princesse  de  L.  ou  de  A.,  dont  la  présence  est  annoncée  comme 
certaine  dans  les  réclames. 

Oii  est  la  charité? 


570  ANNALES    CATHOLIQUES 

C'est  en  dansant  que  l'on  procure  aux  écoles  libres  le  denier 
qui  les  fait  vivre  pour  sauver  les  âmes  des  petits  enfants. 


BUDGET  DU  PRETi^vE.  -  BUDGET  DU  MINISTRE. 

Monsieur  le  rédacteur,  écrit  à  VUnivers  un  de  ses  lecteurs, 
je  me  permets  de  vous  livrer  quelques  réflexions  dont  vous 
ferez  rasage  que  bon  vous  seinblo'a. 

Je  crois  qu'il  serait  utile  de  faire  connaître  les  ressources  du 
clergé,  et  voilà  pourquoi  je  soumets  à  votre  haute  appréciation 
les  lignes  suivantes  : 

LES  TROIS  BUDGETS. 

La  guerre  acharnée  faite  au  clergé,  le  vol  scandaleux  appelé 
suJ)piession  de  traitement,  demandent  une  explication  claire 
et  sincère.  Il  faut,  en  un  mot,  exposer  la  situation  terrible  pour 
le  vicaire,  navrante  pour  le  curé,  odieuse  pour  le  spoliateur. 

Et  cette  triple  situation,  je  vais  la  mettre  sous  les  yeux  dans 
toute  sa  vérité  eu  faisant  ressortir  ce  qui  peut  empêcher  un 
prêtre  de  mourir  de  faim  et  un  ministre  de  rougir  de  honte. 

§  1.  —  Le  budget  du  vicaire. 

En  quittant  le  séminaire,  le  jeune  prêtre  emporte  une  malle 
contenant  ses  vêtements  et  ses  livres,  plus  le  souvenir  d'une 
dette  de  1,000  à  1,200  francs  pour  frais  de  nourriture  et  d'en- 
tretien pendant  un  séjour  de  4  ou  5  ans. 

Lorsqu'il  prend  possession  du  modeste  vicariat  que  lui  confie 
son  évêque,  le  prêtre  reçoit  de  l'Etat  une  pension  de  450  francs, 
la  fabrique  ou  la  commune  donne  un  supplément  de  300  francs; 
les  messes  (quand  on  peut  en  procurer)  procurent  une  moyenne 
de  500  francs  ;  plus  le  fameux  casuel,  tant  prôné  par  les  répu- 
blicains, et  dont  le  chiffre  moyen  est  de  50  francs,  ce  qui  cons- 
titue un  budget  de  1,300  francs. 

Mais  sur  ce  chiffre  de  1,300  francs,  il  faut  déduire  la  pension 
que  le  vicaire  paye  à  son  curé  pour  la  nourriture,  500  fi^ancs  ; 
l'éclairage,  40  francs  ;  le  chauffage,  60  francs  ;  et  qui  ramène  le 
total  à  700  francs,  soit  1  fr.  90  par  jour. 


BUDGET  DU  PRETRE  —  BUDGET  DU  MINISTRE       571 

Or,  c'est  avec  le  chiffre  do  700  francs  que  le  vicaire  sera 
tenu  de  se  vêtir,  faire  ses  aumônes,  payer  sa  dette  du  séminaire, 
et  souvent  hélas?  subvenir  aux  besoins  de  parents  âgés  et  peu 
riches. 

C'est  avec  700  francs  que  le  vicaire,  pendant  les  quatre  ou 
cinq  ans  qu'il  restera  avec  son  curé,  devra  monter  son  ménage, 
acheter  lit,  table,  chaises,  linge  et  vaisselle  ! 

C'est  avec  700  francs  qu'il  devra  pourvoir  au  soulagement 

des  malades  indigents  et  des  bonnes  œuvres  dans  la  paroisse! 

C'est  avec  un  si  maigre  budget  que  le  vicaire  sera  tenu  de 

payer  les  dettes  du  passé,  faire  honneur  à  celles  du  présent, 

éviter  celles  de  l'avenir! 

N'est-ce  pas  là  un  état  voisin  de  la  misère? 
Si  les  messes  font  défaut!.,,  si  une  maladie  longue  et  coûteuse 
vient  le  clouer  sur  son  lit!...  si  les  parents  ont  besoin  de  l'assis- 
tance de  leur  fils!...  quelle  terrible  situation! 

Il  est  impossible  au  malheureux  prêtre  de  faire  face  aux 
nécessités  du  moment,  et  alors,  c'est  la  soutane  râpée,  couverte 
de  pièces  ;  le  feu  de  la  cheminée  remplacé  par  la  couverture 
grossière  du  lit  et  enveloppant  les  jambes  pour  y  donner  un 
peu  de  chaleur  (je  pourrais  citer  des  faits),  les  sabots  à  gros 
clous,  afin  d'épargner  l'achat  d'une  seconde  paire  de  souliers! 
Et  cependant  cela  ne  suffit  pas,  car  le  traitement  est  trop 
maigre  et  la  vie  trop  coûteuse  pour  arriver  à  mettre  bout  à 
bout. 

Le  vicariat  va  finir;  il  faut  emprunter  pour  monter  son 
ménage;  c'est,  au  bas  mot  2,000  francs  d'emprunt  qui,  ajoutés 
à  la  dette  du  séminaire,  non  entièrement  soldée,  grève  pour  la 
vie  le  peu  fortuné  prêtre. 

Ah  !  messieurs  les  républicains  qui  croyez  aux  richesses  du 
clergé  !  Heureuses  victimes  du  2  décembre  qui  palpez  sans  peine 
et  sans  travail  les  1,000  francs  que  vous  vaut  un  titre  plus  ou 
moins  honorable,  osez  donc  comparer  votre  situation  à  celle  du 
vicaire  de  campagne,  et  dites-moi  si  le  plus  inintelligent  des 
apprentis  manoeuvres  voudrait  se  contenter  d'un  si  pitoyable 
budget! 

§  II.  —  Le  budget  du  cure'. 

Les  dettes  se  sont  accumulées  et  les  quelques  milliers  de 
francs,  indispensables  pour  l'acquisition  d'un  ménage,  ont  fait 


572  ANNALES   CATHOLIQUES 

du  vicaire,  nommé  curé,  un  prêtre  désormais  sans  fortune  et 
sans  économies. 

Si  les  charges  du  vicariat  sont  difficiles  à  supporter,  celles 
de  la  cure  sont  navrantes. 

L'Etat  qui  augmente  sans  cesse  ceux  qu'il  paye,  donne 
aujourd'hui  au  clergé  ce  qu'il  accordait  il  y  a  50  ans,  quoique 
tout  ait  triplé  de  prix. 

Le  curé  touche  900  francs  du  gouvernement;  s'il  peut  se  pro- 
curer des  messes,  l'augmentation  peut  aller  jusqu'à  500  francs; 
ajoutez  à  cela  100  francs  de  casuel,  ce  qui  fait  un  budget  annuel 
de  1,500  francs.  Je  donne  là  des  chifi'res  maximum,  car  il  est 
rare  que  les  messes  donnent  500  francs  et  le  casuel  100. 

Mais  il  faut  une  domestique;  en  la  payant  un  prix  ordinaire, 
c'est  200  francs,  plus  la  nourriture  400  francs,  ce  qui  fait 
600  francs  à  retrancher  de  1,500  francs;  reste  900  francs. 

Avec  ces  900  francs  le  vicaire  endetté,  devenu  desservant, 
devra  pourvoir  à  tous  les  besoins  du  ménage. 

Il  faudra  renouveler  de  temps  en  temps  le  linge  de  l'armoire, 
la  garde  robe  bien  usée;  le  bûcher  de  la  cuisine  et  entretenir 
le  jardin  potager. 

Avec  ces  900  francs,  le  curé  devra  s'attendre  à  voir  son  pres- 
bytère assiégé  par  une  foule  innombrable  d'ouvriers  sans 
ouvrage,  dont  le  passage  dans  le  cours  de  l'année  diminue 
certainement  le  budget  d'une  somme  de  50  à  80  francs. 

Avec  ces  900  francs,  il  y  a  surtout  des  pauvres  de  la  paroisse, 
dont  les  besoins  sont  aussi  multiples  que  journaliers;  car 
tantôt  c'est  une  famille  dont  le  père  est  malade,  vite  du  bouillon 
et  de  la  viande.  Tantôt  c'est  une  pauvre  veuve  avec  trois  petits 
enfants,  vite  une  paire  de  sabots,  quelques  mètres  de  toile. 
Tantôt  encore,  c'est  une  vocation  à  soutenir,  des  malheureux 
qui  n'ont  plus  de  bois  pour  l'hiver,  des  indigents  dont  il  faut 
payer  le  loyer. 

Est-ce  que  toutes  les  misères,  les  infortunes  et  les  souffrances 
ne  se  donnent  pas  reqdez-vous  à  la  porte  de  presbytère? 

Alors  le  bon  curé  se  souvient  qu'il  est  le  père  des  pauvres  ; 
il  s'ingénie  à  porter  des  soutanes  râpées,  un  chapeau  rapiécé, 
des  bas  raccommodés  par  des  mains  charitables,  des  souliers 
faits  de  mauvais  cuir. 

Ce  prêtre  peut  être  âgé,  et  dans  sa  vieillesse  son  estomac 
débile  a  besoin  d'aliments  plus  solides;  mais  il  n'y  a  que 
900  francs,  des  pauvres  et  des  dettes  !  Heureusement,  le  jardin 


BUDGET  DU  PRÊTRE BUDGET  DU  MINISTRE        573 

lui  fournit  le  repas  du  soir,  et  le  lendemain  la  domestique 
devra  se  montrer  assez  habile  pour  allonger  la  sauce  avec 
quelques  pommes  de  terre. 

J'en  connais  de  ces  bons  et  charitables  vieillards  qui,  dans  le 
Limousin,  ne  vivent  que  de  châtaignes  et  de  légumes  ! 

La  vie  est  chère  et  le  traitement  fourni  par  l'État  n'est  que 
l'aumône  qui  empêche  de  mourir  de  faim. 

C'est  la  misère,  il  est  vrai,  et  le  dénuement  est  complet; 
mais,  si  vous  ajoutez  à  cet  état,  voisin  de  la  mendicité,  un  père 
paralytique,  une  mère  infirme,  un  frère,  une  sœur  sans  asile, 
que  sera-ce  donc  que  la  vie  du  curé  de  campagne? 

Dieu  seul  connaît  alors  les  privations  héroïques,  les  souffrances 
physiques  et  morales  du  presbytère,  devenu  l'asile  de  la  souf- 
france et  de  la  pauvreté. 

Et  ces  hommes  respectables,  ces  vieillards  à  cheveux  blancs, 
ces  martyrs  du  devoir  et  de  la  résignation,  on  les  insulte  impu- 
nément en  leur  jetant  à  la  face  le  titre  de  salarié  !  On  leur 
enlève,  au  mépris  de  tout  droit  et  de  toute  justice,  ce  morceau 
de  pain  que  l'on  décore  du  nom  pompeux  dC allocation  ! 

Et  l'homme  qui  fait  cela  puise  à  pleines  mains  dans  le  trésor 
de  l'État!  C'est  un  ministre  payé  5,000  francs  par  mois,  qui 
fait  du  clergé  français  un  clergé  mendiant  !  C'est  un  mi- 
nistre honnête  homme  dont  les  doigts  palpent  chaque  année 
60,000  francs,  et  qui  trouve  que  les  900  francs  du  prêtre  con- 
stituent un  traitement  scandaleux. 

Comparons  donc  maintenant  la  situation  d'un  Goblet  quel- 
conque avec  celle  du  desservant. 

§  IIL  —  Budget  du  ministre. 

Un  ministre  républicain,  qu'il  soit  proposé  ou  non  à  la  garde 
des  sceaux,  de  la  justice  et  des  cultes,  perçoit,  sans  crainte  de 
les  voir  supprimer,  60,000  francs. 

Vous  pouvez  ajouter  à  ce  modeste  chiffre  le  riche  mobilier  de 
l'hôtel,  le  linge  fin  de  la  table  somptueusement  servie^  la  vais- 
selle émaillée,  l'éclairage  de  tous  les  appartements,  le  chauffage 
des  nombreuses  cheminées,  les  gens  de  service  payés  par  l'Etat, 
les  fonds  secrets  dont  on  ne  parle  point,  et  alors,  sans  crainte, 
doublez  la  somme,  soit  120,000  francs.  (Ces  chiffres  sont  réels.) 

De  plus,  vous  n'ignorez  pas  que  les  voyages  en  1"  classe  sont 
aussi  gratuits  que  fréquents,  puisque  la  circulation  se  fait  tou- 
jours aux  frais  des  contribuables. 


574  ANNALES   CATHOLIQUES 

Cependant,  soyons  justes,  car  le  desservant,  lui  aussi,  pos- 
sède certains  privilèges. 

Ainsi,  le  prêtre  de  Dieu  et  le  ministre  de  la  république  sont 
logés  gratuitement;  mais  quelle  différence  de  luxe  et  de  confor- 
table !  S'il  faut  remplacer  quelques  tuiles  au  toit  du  presbytère, 
souvent  humide  et  malsain,  la  fabrique  sans  ressources  risque 
fort  de  faire  des  dettes  pour  empêcher  le  curé  d'attraper  des 
rhumatismes. 

L'hôtel  garni  de  M.  le  ministre  est,  au  contraire,  l'objet  des 
réparations  les  plus  délicates.  Meublé  aux  frais  du  peuple  sou- 
verain, rien  n'y  manque  :  fauteuils  de  velours,  tapis  précieux, 
étoffes  de  soie,  candélabres  luxueux,  etc.,  etc.;  tout  cela  em- 
bellit les  superbes  appartements  de  celui  qui  se  dévoue  pour  la 
chose  publique. 

Le  prêtre  et  le  ministre  jouissent  encore  du  privilège  de  voir 
leurs  portes  assaillies  par  une  foule  de  solliciteurs  ;  et,  tandis 
que  l'un  fouille  dans  son  porte-monnaie  pour  y  chercher  quelques 
adoucissements  à  une  misère  noire,  l'autre  se  sert  des  traite- 
ments ecclésiastiques  pour  contenter  la  honteuse  cohue  de  men- 
diants galonnés. 

Tandis  que  vicaire  et  curé  s'efforcent,  toujours  inutilement, 
d'équilibrer  un  budget  de  900  francs,  le  ministre  se  fait  voter 
par  les  chambres  des  fonds  secrets  pour  faire  honneur  à  sa 
haute  et  peu  enviable  situation. 

Le  ministre!  voilà  l'homme  des  banquets  et  des  fêtes,  et  qui 
trouve  que  V allocation  du  clergé  français  est  plus  que  suffisante 
pour  vivre  ! 

Le  ministre!  voilà  l'homme  de  la  justice  (dit-on)  et  des 
cultes  qui,  chaque  année,  rogne  l'humble  morceau  de  pain  du 
prêtre  catholique  ! 

Le  ministre  !  voilà  Vaustère  républicain  voyageant  aux  quatre 
coins  de  la  France,  buvant  Champagne^  bordeaux  et  madère 
dans  des  coupes  de  cristal;  dînant  dans  de  la  vaisselle  ciselée, 
se  faisant  héberger  aux  frais  des  municipalités  de  province  et 
trouvant  que  le  petit  cidre  et  le  vin  clairet  du  prêtre  sont 
choses  de  luxe  à  une  table  de  presbytère  ! 

Le  ministre!  voilà  l'homme  que  nous  payons  60,000  fr.,  sans 
compter  le  reste,  pour  se  mettre  au-dessus  des  lois,  afin  de 
frapper  sans  honte  et  sans  faiblesse  des  malheureux  auxquels 
on  n'offre  même  pas  la  ressource  d'un  tribunal  pour  écouter 
leurs  plaintes  légitimes  et  faire  droit  à  leurs  justes  demandes  ! 


BUDGET  DU  PRÊTRE  BUDGET  DU  MINISTRE        575 

Le  franc-maçon  qui,  chaque  jour,  met  à  la  mendicité  des 
vieillards  infirmes,  des  curés  sans  fortune  et  des  vicaires  sans 
position,  ose  s'intituler  ministre  de  la  justice  ! 

Et  cet  homme  dont  la  main  confisque  impunément  le  traite- 
ment du  prêtre,  fait  condamner  par  ses  tribunaux  l'indigent 
coupable  d'avoir  pris  quelques  sous  pour  apaiser  sa  faim! 

N.'ai-je  pas  raison  de  dire  que  ce  contraste  scandaleux  entre 
le  traitement  du  ministre  et  celui  de  l'ecclésiastique  est  de 
toutes  les  injustices  la  plus  criante  et  la  moins  rationnelle? 

Que  sera-ce  donc,  si  le  plus  fort,  abusant  de  la  situation 
qu'il  s'est  créée,  fait  disparaître  la  maigre  ration  de  450  ou 
900  fr.? 

Que  sera-ce  donc,  si  le  plus  fort  défend  aux  juges  de  soutenir 
les  droits  de  l'innocence  et  à  la  victime  de  se  plaindre? 

Que  sera-ce  donc,  enfin,  si  le  curé  spolié,  voulant  réclamer 
sa  créance,  se  voit  dénoncé  comme  d'abus  à  un  tribunal  soi- 
gneusement épuré? 

Cependant  contre  la  force  il  y  a  la  protestation  de  la  con- 
science outragée;  en  face  des  voleurs,  sûrs  de  l'impunité,  se 
dresse  la  victime  indignement  volée. 

Le  temps  passe  ;  la  république  devient  odieuse  par  ses  rapines 
et  ses  délations,  mais  elle  passe, 

Goblet  le  spoliateur  peut  palper  son  gros  traitement  et 
dépouiller  le  clergé;  qu'il  jouisse,  s'amuse  et  empoche;  lui 
aussi  passera,  le  visage  cinglé  par  le  fouet  vengeur  de  tous 
ceux  qui  ont  encore  de  l'honneur  et  la  conscience  !  il  passera, 
le  ^3e^î7  homme  rageur,  et  l'histoire  ne  l'oubliera  pas  au  pilori 
des  malfaiteurs  politiques;  il  passera,  le  fabricant  de  circu- 
laires insolentes,  mais  cela  pour  rendre  compte  à  Dieu  d'une 
vie  employée  à  torturer  la  religion  et  spolier  le  clergé. 


42 


576  ANNALES    CATHOLIQUES 

L'ASSOCIATION    CHRÉTIENNE   DES  HONNÊTES    GENS 

SUR   LE    TERRAIN   DES   AFFAIRES    (1) 
I 

Une  des  physionomies  les  plus  sympathiques  du  mouvement 
catholique  contemporain  est  celle  du  P.  Ludovic  de  Besse,  qui, 
pour  remédier  aux  souffrances  et  aux  misères  morales  des 
travailleurs,  s'est  fait  le  propagateur  en  France  des  banques 
populaires,  des  sociétés  de  consommation  ou  économats  domes- 
tiques, des  bureaux  de  placement  gratuits.  Il  en  a  fondé  dans 
la  plupart  des  villes  où  son  ministère  l'a  conduit.  L'idée  s'en 
est  ensuite  répandue  de  proche  en  proche,  et  partout  où  les 
hommes  de  zèle  veulent  faire  quelque  chose  de  pratique  pour  le 
bien  du  peuple,  ils  établissent  des  institutions  analogues  à  celles 
dont  le  P.  Ludovic  a  créé  les 'types.  En  cela,  le  vénérable 
Capucin  est  fidèle  aux  traditions  franciscaines.  Ceux  qui 
s'étonnent  de  voir  un  religieux  descendre  des  hauteurs  de  la 
chaire  pour  mettre  la  main  à  des  applications  économiques 
essentiellement  contingentes  oublient  le  grand  rôle  que  les 
fils  de  Saint-François  ont  rempli  au  moyen-âge  en  se  mêlant 
profondément  aux  intérêts  populaires.  Les  Franciscains  ont 
une  page  tout  à  fait  originale  dans  l'histoire  de  l'influence  de 
l'Église  sur  les  rapports  sociaux.  Précisément  parce  qu'ils  ont 
poussé  les  conseils  de  la  pauvreté  évangélique  jusqu'à  ses 
extrêmes  limites,  ils  semblent  s'être  trouvés  particulièrement 
aptes  à  traiter  les  problèmes  moraux  que  le  développement  de 
la  richesse  soulève  incessamment.  Au  XIV  siècle,  à  Florence, 
l'un  d'eux  faisait  reconnaître  contre  des  prédicateurs  rigoristes 
la  légitimité  d'un  emprunt  en  rentes  émis  par  la  Seigneurie. 
Matteo  Villani  raconte  avec  des  traits  fort  piquants  la  contro- 
verse économique  qui  eut  alors  pour  théâtre  les  principales 
chaires  de  la  cité.  Plus  tard,  les  Franciscains  ont  propagé  dans 
l'Italie,  et  de  là  dans  tout  le  monde  catholique,  les  monts-de- 

(1)  L'association  chrétienne  des  honnêtes  gens  sur  le  terrain  des 
affaires,  par  le  P,  Ludovic  de  Besse.  1  vol.  in-12.  —  Paris,  1884, 
chez  le  directeur  du  Crédit  mutuel  et  populaire,  23,  rue  des 
Lombards. 


l'association  chrétienne  des  honnêtes  gens  577 

piété,  institution  fort  bienfaisante  alors  et  qu'il  ne  faut  pas 
juger  d'après  la  forme  administrative  qu'elle  a  prise 
aujourd'hui. 

Le  P.  Ludovic  développe  ses  idées  avec  la  simplicité  de 
langage  recommandée  par  saint  François  à  S3S  enfants,  et  il  y 
met  un  zélé  qui  s'appuie  au  besoiu  sur  une  science  théologique 
consommée.  En  propageant  les  institutions  qu'il  juge  les  plus 
propres  à  soulager  les  souffrances  actuelles,  il  ne  déprécie 
aucune  œuvre  catholique,  ni  aucun  autre  procédé  inspiré  par 
l'amour  du  bien.  Quand  on  l'attaque,  il  se  défend,  mais  il  le 
fait  avec  une  charité  qui  désarme  ses  adversaires  et  un  humour 
qui  met  le  public  de  son  côté  (1). 

L'importance  prise  par  ses  œuvres  et  l'attention,  que  leur 
ont  donnée  depuis  dix  ans  tous  les  congrès  catholiques,  ont 
amené  le  P.  Ludovic  à  coordonner  ses  divers  écrits  de  propa- 
gande dans  le  volume  dont  nous  avons  placé  le  titre  en  tête  de 
cet  article,  car  il  indique  fort  heureusement  la  pensée-mère  de 
toutes  ses  œuvres.  Depuis  qu'il  a  paru,  il  a  recueilli  les  appro- 
bations de  nombreux  évêques,  d'économistes  et  même  de  finan- 
ciers expérimentés,  tels  que  M.  Maurice  Aubry.  Tout  un 
mouvement  de  discussions  et  de  faits  nouveaux  en  a  éprouvé 
les  idées  fondamentales. 

Ce  sont  ces  idées  que  nous  voudrions  signaler  ici  aujourd'hui. 
Quant  à  leur  réalisation,  elle  s'opère  dans  des  combinaisons 
très  variées  selon  les  circonstances  locales  et  aussi,  selon  les 
dispositions  d'esprit  des  populations.  On  les  trouve  recueillies 
et  décrites  depuis  six  ans  dans  un  journal  spécial,  Y  Union 
économique,  dirigé  avec  beaucoup  de  talent  par  M.  E.  Faligan, 
et  dont  la  collection  constitue  un  recueil  unique  en  France  de 
documents  sur  les  institutions  économiques  populaires. 

II 

Il  n'est  guère  d'acte  humain  qui,  au  moins  par  son  intention 
et  par  ses  conséquences,  soit  absolument  indifférent.  Peut-il 
donc  l'être  de  porter  sa  clientèle  à  des  commerçants  ennemis 
do  la  religion,  alors  qu'on  peut  s'adresser  à  des  fournisseurs 
chrétiens  ?  L'est-il    de  choisir  ses  ouvriers  parmi  les  ennemis 

(1).  Une  accusation  d'illusion  et  de  libéralisme,  réponse  du  Père 
Ludovic  de  Besse  à  Y  Association  catholique.  Brochure  ia-12.  — 
Paris,  1885,  chez  le  directeur  du  Crédit  mutuel  et  populaire,  23,  rue 
des  Lombards. 


578  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  l'ordre  social,  alors  qu'on  a  autour  de  soi  des  travailleurs 
honnêtes  ? 

Il  devrait  suffire  de  poser  la  question  pour  la  résoudre,  et 
cependant  il  est  peu  de  devoirs  plus  méconnus  aujourd'hui. 
Des  catholiques  sincères,  quelquefois  même  pieux,  perdent 
complètement  de  vue  l'obligation  oii  chacun  est  de  faire 
observer  la  justice  autour  de  soi  dans  la  limite  de  ses  forces. 
Tout  en  faisant  les  distinctions  exigées  par  les  situations  parti- 
culières, le  Père  Ludovic  établit  de  manière  à  ne  laisser  place 
à  aucune  échappatoire  la  thèse  que  chaque  chrétien  est  obligé 
en  principe  de  refuser  son  patronage  aux  mauvais  et  de  le 
porter  de  préférence  aux  bous.  Les  Livres  saints  n'ont-ils  pas 
dit  :  «  Si  vous  faites  du  bien,  sachez  à  qui  vous  le  faites,  afin 
«  que  ce  bien  emprunte  à  votre  connaissance  une  perfection 
«  qui  le  rende  plein  de  grâces  !  »  Et  encore  :  «  Accordez  vos 
«  faveurs  à  l'homme  pieux  et  compatissant  et  refusez-les    à 

«  l'impie Faites    du  bien  à  celui   qui   est  humble   et  ne 

«  donnez  point  au  méchant de  peur  qu'il  ne  devienne  plus 

«  puissant  que  vous.  »  [Ecclésiastique,  cap.  XII.) 

Mgr  Isoard,  l'éminent  évêque  d'Annecy,  en  envoyant  son 
approbation  au  Père  Ludovic,  voit  dans  la  méconnaissance  de 
ces  devoirs  une  manifestation  dangereuse  de  l'idée,  absolument 
fausse,  «  qui  prétend  reléguer  la  religion  exclusivement  dans 
«  le  domaine  de  l'imagination,  du  cœur,  de  la  vie  intime  et 
«  toute  personnelle  du  fidèle.  Or,  par  l'institution  divine,  c'est 
«  toute  l'activité  de  l'homme,  et  aussi  loin  que  peut  s'étendre 
«  son  rayon,  c'est  la  société  dans  toutes  les  ramifications  de 
«  son  organisme  qui  doivent  être  gouvernées  par  la  religion.  » 

Disons-le  toutefois  :  —  à  titre  de  circonstances  atténuantes 
bien  des  chrétiens  ne  se  rendent  pas  compte  de  l'importance 
pour  un  commerçant  du  renouvellement  de  son  capital  par  les 
ventes  journalières.  De  là  cependant  dépend  le  succès  pour  lui  ; 
l'arrêt  dans  le  mouvement  des  affaires,  c'est  la  faillite  à  bref 
délai. 

Ceux-là  seuls  qui  ont  vécu  avec  les  travailleurs  honnêtes 
savent  quelle  blessure  fait  à  leurs  sentiments  de  justice  l'aban- 
don oii  les  laissent  trop  souvent  les  personnes  haut  placées, 
alors  que  des  convictions  communes  devraient  les  rapprocher 
dans  les  relations  d'affaires  de  chaque  jour. 

S'il  s'agit  de  chefs  d'atelier  ou  d'usine,  à  ces  considérations 
s'ajoute  celle  du  bien  ou  du  mal  qu'ils  font,  pai  les  influences 


l'association  chrétienne  des  honnêtes  gens  579 

bonnes  ou  mauvaises  dont  ils  entourent  leurs  ouvriers.  N'est-ce 
pas  coopérer  au  mal,  que  d'augmenter  la  puissance  de  tel  ou 
tel  pervertisseur  avéré  en  faisant  son  succès  industriel? 

Il  y  a  trente  ans  déjà,  alors  que  la  situation  était  moins  mau- 
vaise, un  homme  d'une  haute  portée  d'esprit,  M,  Adolphe 
Baudon,  depuis  président  général  des  conférences  de  Saint- 
Vincent  de  Paul,  traitait  de  Vattitude  que  les  catholiques 
doivent  prendre  envers  l'industrie.  Après  avoir  montré  que  les 
jeunes  gens  des  familles  riches  ne  devaient  pas  se  désintéresser 
du  travail  industriel  et  commercial,  sous  peine  de  subir  une 
déchéance  économique  inévitable,  il  ajoutait  : 

Parmi  les  catholiques,  d'autres  ne  sont  pas  dans  les  affaires, 
mais  placent  leurs  capitaux  dans  les  compagnies  industrielles, 
si  nombreuses  aujourd'hui.  Le  plus  souvent  dans  ces  place- 
ments une  seule  considération  les  touche,  celle  de  l'intérêt 
pécuniaire.  Sans  négliger  cet  intérêt,  qu'en  pères  de  famille  ils 
doivent  nécessairement  sauvegarder,  nous  les  supplions  de 
songer  ici  encore  qu'ils  sont  catholiques  et  de  joindre  à  leurs 
déterminations  un  autre  élément,  la  considération  des  per- 
sonnes. A  mérite  égal,  à  sûreté  pareille,  pourquoi  ne  pas  pré- 
férer l'entreprise  qui  est  dirigée  par  des  hommes  de  leurs  con- 
victions, qui  a  peut-être  un  but  moi^al  en  vue,  ou  qui  du  moins 
s'applique  à  marcher  dans  les  voies  les  plus  chrétiennes?  Y 
pense-t-on  assez  généralement?  S'en  préoccupe-t-on  entre 
catholiques,  comme  il  est  de  notoriété  que  les  protestants  le 
font  entre  eux,  comme  les  Israélites  le  font  pour  leurs  coreli- 
gionnaires? Non  certainement,  et  c'est  là  évidemment  une  des 
causes  d'infériorité  des  commerçants  catholiques.  On  s'adresse 
à  eux  quoique  catholiques.  Tantôt  par  crainte  de  favoriser 
l'hypocrisie,  tantôt  sous  prétexte  de  revers  essuyés  par  des 
maisons  honorables,  tantôt  par  une  déûance  instinctive,  à  cause 
de  leurs  convictions,  on  se  tient  à  distance  d'eux  et  on  va  porter 
les  affaires,  le  mouvement,  le  crédit  à  des  maisons  animées  de 
principes  tout  autres.  Il  n'en  faut  pas  plus  pour  expliquer  la 
faiblesse  relative  de  ces  maisons  (1). 

Aujourd'hui,  nous  n'avons  plus  à  invoquer,  pour  nous  tracer 
la  marche  à  suivre,  seulement  l'exemple  des  Israélites,  qui 
tiennent  l'empire  de  la  Bourse  par  leur  solidarité  cosmopolite, 
ou  celui  de  communautés  protestantes,  qui  ont  dû  de  légitimes 

(1)  Correspondant  de  septembre  1854. 


580  ANNALES   CATHOLIQUES 

succès  dans  les  affaires  à  l'appui  fraternel  et  aussi  au  sévère 
contrôle  moral  que  leurs  membres  exerçaient  les  uns  sur  les 
autres. 

La  Franc-Maçonnerie  doit,  en  grande  partie,  sa  puissance  à 
l'appui  mutuel  que  ses  affiliés  se  donnent  aussi  bien  dans  les 
affaires  commerciales  que  quand  il  s'agit  de  s'emparer  du 
pouvoir  politique.  Les  journaux  maçonniques  insistent  fré- 
quemment sur  le  devoir  des  frères  de  s'assister  de  cette  ma- 
nière, et  ils  publient  un  certain  nombre  d'annonces  commer- 
ciales sous  ce  titre  que  nous  n'hésitons  pas  à  trouver  fort  bon  : 
déférence  fraternelle. 

III 

Le  devoir  social,  dont  le  P.  Ludovic  démontre  de  nouveau  et 
avec  tant  d'à-propos  l'importance,  peut  s'accomplir  sans  doute 
individuellement.  Dans  bien  des  cas,  il  devra  toujours  en  être 
ainsi.  Mais  son  accomplissement  est  beaucoup  plus  fécond  quand 
il  s'appuie  sur  l'association. 

Des  groupements  de  toute  sorte  doivent  aider  à  le  réaliser, 
depuis  les  syndicats  agricoles  à  la  campagne  jusqu'aux  banques 
populaires  dans  le  petit  commerce.  Les  applications  d'une  idée 
aussi  juste  sont  innombrables,  avons-nous  dit.  En  ce  moment 
même,  à  Paris,  des  groupes  paroissiaux  de  commerçants  chré- 
tiens se  forment  sous  le  titre  à' Union  du  commerce  et  de 
Vindustrie  et  font  appel  à  l'appui  d'un  comité  pris  parmi  les 
consommateurs  pour  appeler  la  préférence  des  catholiques  sur 
leurs  industries  et  leur  signaler  les  garanties  qu'offre  le  con- 
trôle mutuel  exercé  par  eux-mêmes  dans  leur  recrutement. 

Nos  lecteurs  n'ont  certainement  pas  oublié  la  recommandation 
chaleureuse  qui  a  été  donnée  ici  même  à  cette  excellente  ini- 
tiative (1).  Nous  dirons  seulement  qu'une  institution  fondée 
absolument  sur  les  mêmes  principes  fonctionne  depuis  plusieurs 
années  à  Gand  et  que  c'est  par  des  groupements  de  ce  genre 
que  les  Canadiens  français,  pauvres  et  dispersés  au  début,  ont 
réussi  à  conserver  leur  nationalité  aux  Etats-Unis  et  à  devenir 
dans  plusieurs  Etats  un  facteur  politique  important.  C'est  par 
une  grande  union  agricole  que  les  conservateurs  chrétiens  de 
Westphalie  ont  repris  la  direction  des  affaires  dans  leur  pays, 

(1)  Voir  le  Monde  du  18  mars  dernier. 


l'association  chrétienne  des  honnêtes  gens         581 

au  plus  fort  de  la  persécution  politique  et  religieuse  dirigée 
contre  eux  par  M.  de  Bismarck. 

Ces  oeuvres  répondent  particulièrement  au  régime  écono- 
mique moderne.  La  liberté  di(,  travail,  qui  en  est  la  base,  n'est 
pas  autre  chose  que  le  droit  pour  chaque  citoyen  de  choisir  libre- 
ment sa  profession,  d'en  établir  le  siège  dans  le  lieu  qui  lui  con- 
vient et  d'employer  les  procédés  qu'il  juge  les  plus  avantageux. 
C'est  par  un  abus  de  langage  que  des  personnes  peu  au  courant 
des  questions  juridiques  et  économiques  ont  prétendu  stigma- 
tiser sous  ce  nom  la  théorie  erronée  et  immorale  selon  laquelle 
les  relations  du  travail  et  les  affaires  échapperaient  à  la  subor- 
dination à  la  loi  divine. 

Le  P.  Ludovic  prouve  que  ce  régime  légal  et  la  libre  concur- 
rence industrielle  qui  en  découle  n'ont  rien  de  contraire  aux 
principes  de  la  morale.  Par  conséquent,  c'est  user  stérilement 
ses  forces  que  de  tenir  les  yeux  exclusivement  fixés  sur  les 
anciens  régimes  sociaux  ;  or,  une  foule  de  corps  privilégiés 
avaient,  comme  compensation  de  leur  monopole,  l'obligation  de 
faire  respecter  la  loi  morale  et  y  réussissaient  plus  ou  moins 
bien  selon  les  temps,  que  de  regretter  des  institutions  incompa- 
tibles avec  l'essor  incessant  des  inventions,  avec  la  communi- 
cation de  tous  les  marchés  et  avec  les  nécessités  de  la  grande 
industrie.  Au  lieu  de  cela,  les  catholiques  doivent  soigneuse- 
ment recueillir  dans  l'histoire  de  ces  antiques  formes  sociales 
l'esprit  chrétien  qui  en  faisait  la  vie  aux  bonnes  époques,  et  le 
transporter  dans  les  nouvelles  institutions,  qui  doivent  à  leur 
tour  faire  respecter  la  justice  par  des  procédés  appropriés  aux 
circonstances  économiques  actuelles.  La  pratique  les  fait  surgir 
presque  spontanément,  tant  la  situation  les  impose  et  indique 
ainsi  la  voie  où  l'effort  des  hommes  de  zèle  doit  s'exercer. 

Le  savant  évêque  de  Bayeux,  Mgr  Hugonin,  dans  une  lettre 
au  comité  catholique  des  œuvres  ouvrières  de  Caen,  qui  a  été 
très  remarquée,  se  demande  :  «  Quel  fut  le  rôle  de  l'Eglise  au 
«  milieu  de  ces  transformations  économiques  ?  »  et  il  répond 
avec  l'histoire  tout  entière  :  «  Ce  n'est  pas  elle  qui  les  provoque, 
«  ni  qui  les  accomplit.  Elle  n'est  pas  vaincue  avec  le  régime 
«  ancien  ;  elle  ne  triomphe  pas  avec  le  régime  nouveau.  Seule- 
<  ment,  elle  continue  son  apostolat  à  l'égard  de  tous,  en  l'accom- 
«  modant  avec  les  besoins  créés  par  les  relations  nouvelles  (1).  > 
{A  suivre.)  Claudio  Jeannet. 

(1)  Monde. 


582  ANNALES    CATHOLIQUES 

LA  BIBLE 

ET  LA  CRITIQUE  RATIONALISTE. 

Il  est  peu  d'ecclésiastiques  qui  n'aient  placé  sur  un  rayon 
choisi  de  leur  bibliothèque  la.  Bible  et  les  découvertes  modernes, 
les  Mélanges  bibliques,  le  Manuel  biblique,  à  côté  desquels  ils 
vont  maintenant  ajouter  les  Livres  saints  et  la  critique  ratio- 
naliste,  par  M.  l'abbé  Vigoureux  (1).  Mais  ce  ne  sont  pas  seule- 
ment les  membres  du  clergé  qui  peuvent  profiter  des  travaux 
du  docte  sulpicien.  Beaucoup  de  laïques  instruits  se  sont  déjà 
fait  un  devoir  et  un  plaisir  de  les  posséder  et  de  les  lire,  et  nous 
espérons  qu'un  nombre  chaque  jour  plus  grand  de  catholiques 
s'acquitteront  de  ce  devoir  et  se  donneront  ce  plaisir.  Ils  y  trou- 
veront un  double  intérêt,  un  double  profit.  Les  croj-ances  qui 
sont  la  plus  chère  partie  de  leur  vie  morale  et  intellectuelle  sont 
défendues  dans  ces  livres  contre  les  assauts  de  l'incrédulité. 
C'est  là  pour  des  chrétiens  un  intérêt  et  un  profit  capital.  Mais, 
de  plus,  dans  les  écrits  de  M,  l'abbé  Vigoureux,  on  trouve  expo- 
sés une  multitude  de  faits  scientifiques  très  importants  et  très 
instructifs  par  eux-mêmes,  auxquels  il  est  bon  que  les  catho- 
liques un  peu  lettrés  soient  initiés,  et  dont  il  est  excellent  qu'ils 
puissent  prendre  l'initiation  dans  des  exposés  dirigés  par  une 
pensée  générale  vraiment  et  sûrement  catholique. 

Il  y  a,  en  efi'et,  un  danger  réel  dans  la  nécessité  où  se  trouvent 
quelquefois  les  étudiants  chrétiens,  ceux  surtout  dont  l'esprit 
curieux  et  investigateur  se  sent  porté  vers  les  hautes  études, 
de  puiser  certains  ordres  de  connaissances,  faute  de  travaux 
catholiques  en  ces  matières,  dans  des  écrits  composés  par  des 
savants  libres-penseurs  ou  même  par  des  esprits  souvent  ortho- 
doxes d'intention,  mais  trop  peu  versés  dans  les  saines  doctrines 
théologiques  et  imbus  de  ce  semi-rationalisme  oii  la  tendance 
générale  de  notre  époque  nous  conduit  facilement  à  nous  laisser 
aller.  Aussi  n'y  a-t-il  rien  de  plus  utile,  même  quand  il  s'agit 

(1)  Les  Livres  saints  et  la  critique  rationaliste,  histoire  et  réfutation 
des  objections  des  incrédules  contre  les  Saintes  Ecritures,  par 
F.  Vigoureux,  prêtre  de  Saint-Sulpice,  avec  des  illustrations  d'après 
les  monuments,  par  M.  l'abbé  Douillard,  architecte.  Tome  l*"".  — 
Paris,  A.  Roger  et  F.  Chernoviz,  1888.  In-8»  de  XVII-536  pages. 
I^Une  édition  in-12  va  être  mise  en  vente.) 


LA.    BIBLE   ET   LA.    CRITIQUE   RATIONALISTE  583 

de  faits  qui,  par  eux-mêmes,  n'intéressent  pas  directement  la 
foi  religieuse,  que  des  exposés  faits  par  un  savant  d'une  doctrine 
absolument  sûre. 

Le  nouvel  ouvrage  de  M.  l'abbé  Vigoureux  comprendra  deux 
grandes  parties  :  l'histoire  de  la  Bible  et  des  attaques  dirigées 
contre  elle,  et  la  défense  de  la  Bible  contre  les  objections  que 
lui  ont  adressées  ou  que  lui  adressent  les  adversaires  de  la  vraie 
religion.  C'est  à  l'histoire  de  la  Bible  qu'est  consacré  le  premier 
volume,  que  nous  avons  sous  les  3'eux,  et  il  conduit  cette  his- 
toire depuis  l'origine  jusqu'à  Spinoza,  point  où  la  reprendra 
prochainement  le  second  volume. 

Le  dernier  paragraphe  de  l'introduction,  consacré  à  la 
question  du  surnaturel  et  du  miracle  dans  leurs  rapports  avec 
la  science  historique,  a  une  remarquable  valeur  polémique  et 
méthodique.  L'auteur  y  a  exposé  avec  une  excellente  clarté  les 
preuves  philosophiques  qui  attestent  la.  possibilité  da  surnaturel 
et  du  miracle,  niée  par  la  philosophie  et  par  la  science  incré- 
dule. Il  a  très  bien  fait  ressortir  l'argument  d'analogie  qui 
découle  de  la  comparaison  de  la  nature  humaine  avec  les  natures 
inférieures  à  l'homme.  «  Nous  sommes  capables  de  faire  des 
choses  qui  dépassent  les  forces  des  animaux  les  plus  intelli- 
gents; s'ils  pouvaient  raisonner  et  se  rendre  compte  de  nos 
actes,  ils  devraient  appeler  surnaturel,  à  leur  point  de  vue,  ce 
qui  est  au-dessus  de  leur  nature.  Que  penserions-nous  du  rai- 
sonnement du  castor  s'il  disait  :  «  Je  ne  puis  que  construire  des 
digues  sur  les  fleuves;  l'homme  ne  peut,  par  conséquent,  con- 
struire des  vaisseaux  à  l'aide  desquels  il  traverse  l'Océan.  Un 
vaisseau  serait,  pour  nous  castors,  une  chose  surnaturelle  ;  il 
n'existe  donc  pas.  »  Mais  refuser  à  Dieu  la  puissance  d'exécuter 
ce  que  nous  ne  pouvons  exécuter  nous-mêmes,  n'est-ce  point 
raisonner  à  la  façon  de  ces  castors? 

Au  point  de  vue  méthodique,  nous  avons  été  très  frappés  des 
pages  consacrées  par  I\L  l'abbé  Vigouroux  à  l'analyse  du  récit 
de  la  guérison  de  l'aveugle-né,  tel  que  saint  Jean  nous  l'a 
transmis  au  chapitre  neuvième  de  son  Evangile.  Il  nous  semble 
qu'il  y  a  dans  ces  pages  un  remarquable  exemple  de  cette  cri- 
tique intrinsèque  dont  la  science  incrédule  a  singulièrement 
abusé,  mais  dont  la  science  orthodoxe  pourrait  parfois  faire, 
croyons-nous,  un  heureux  usage.  Nos  lecteurs  ne  nous  sauront 
pas  mauvais  gré  de  placer  ces  pages  intégralement  sous  leurs 
yeux. 


584  ANNALES    CATHOLIQUES 

Oq  .peut  assurer,  dit  M.  l'abbé  Vigoureux,  que  le  récit  de  la 
guérison  de  l'aveugle-né,  fait  par  un  témoin  oculaire  du  miracle, 
porte  en  quelque  sorte  avec  lui  la  preuve  de  son  origine.  Celui  qui 
l'a  écrit  savait  mieux  manier  un  filet  qu'une  plume.  En  lisant 
l'original,  on  s'aperçoit  sur  le  champ  qu'il  ne  connaissait  pas  le  grec, 
ou  du  moins  qu'il  n'en  connaissait  que  ce  qu'un  pécheur  de  la 
Galilée  pouvait  en  apprendre  tant  bien  que  mal  en  vivant  au  milieu 
des  Grecs  de  la  classe  populaire,  en  Asie-Mineure.  Il  en  ignore  les 
délicatesses  et  les  richesses  infinies.  Cette  langue  admirable,  élevée 
à  une  si  haute  perfection  par  tant  de  génies,  qui  pouvait  rendre 
jusqu'aux  plus  fines  nuances  de  la  pensée,  est  dans  son  Évangile 
d'une  pauvreté  égale  à  celle  des  idiomes  sémitiques.  Les  mots  sont 
des  Hellènes,  mais  la  phrase  est  des  Hébreux.  Où  est  l'art  mer- 
veilleux de  Platon  dans  ses  dialogues  immortels  ?  Ici,  point  de  liai- 
sons, point  de  style.  «  Il  dit  ;  il  répondit  »,  voilà  le  nœud  du  discours, 
toujours  le  même.  Tout  est  dans  la  pensée  et  dans  le  mouvement  des 
personnages,  rien  dans  l'élocution.  Et  pourtant,  malgré  son  inha- 
bileté, malgré  son  ignorance,  l'auteur  de  ce  récit  a  composé  un 
chef-d'œuvre.  Son  art  consiste  à  n'en  point  avoi"  •  i'  o'o/ïW!.o  çf>ntn>lÀ- 
tement,  il  se  contente  de  reproduire  les  paroles  des  interlocuteurs, 
comme  un  écho  fidèle.  C'est  du  réalisme,  et  c'est  le  beau.  Dans  la 
mémoire  de  cette  âme  droite  et  aimante,  tout  ce  qu'avait  fait  son 
maître  avait  laissé  une  empreinte  ineffaçable.  Après  de  longues 
années  écoulées,  il  voit  la  scène  comme  au  jour  où  elle  s'est  passée, 
et  il  nous  la  fait  voir.  Qu'on  cherche  dans  toutes  les  littératures 
anciennes  et  modernes,  on  ne  trouvera  dans  aucune  une  narration, 
comparable  à  celle-ci  pour  la  simplicité  et  le  naturel. 

Eh  bien  !  de  tels  faits,  de  tfiUes  réponses,  un  tel  langage  ne 
s'inventent  pas.  Quel  accent  de  sincérité!  quel  ton  de  vérité  !  Pas  un 
seul  trait  qui  ne  soit  pri.s  sur  le  vif.  C'est  comme  un  procès-verbal 
des  événements,  et  cependant  quelle  vie!  quel  relief!  L'occasion  du 
miracle  est  d'abord  exposée.  Jésus  rencontre  un  aveugle-né  ;  il 
profite  de  cette  circonstance  pour  apprendre  à  ses  apôtres  cette 
vérité  importante  que  les  maux  dont  souffrent  les  hommes  ne  sont 
pas  toujours  la  punition  de  leurs  péchés.  Puis  il  guérit  l'aveugle.  Si 
jamais  événement  a  été  contrôlé  et  discuté,  c'est  celui-là.  C'est 
d'abord  la  foule  indifférente,  mais  bavarde  et  cancanière,  —  les 
voisins,  —  dont  la  curiosité  est  piquée  et  qui  fait  une  première 
enquête  à  sa  manière.  Le  miracle  est  ainsi  une  première  fois 
constaté. 

Alors,  comme  il  arrive  au  peuple  quand  il  est  vivement  frappé  et 
impressionné,  la  foule  veut  annoncer  le  prodige  aux  grands  et  aux 
savants,  pour  jouir  de  leur  étonnement  et  savoir  ce  qu'ils  en  pensent. 
On  conduit  l'aveugle  guéri  aux  pharisiens.  Les  incrédules  ne  sont 
pas  nés  de  nos  jours.    Il  y  en  avait  du  temps  du  Jésus-Christ.  Les 


LA    BIBLE    ET   LA    CRITIQUE    RATIONALISTE  585 

hautes  classes  de  la  société  ont  toujours  eu  un  certain  penchant  au 
scepticisme.  A  Jérusalem,  les  scribes  et  les  pharisiens  n'étaient  nul- 
lement disposés  â  croire  les  yeux  fermés  aux  miracles  du  Sauveur, 
qui  avait  souvent  démasqué  leurs  vices  et  censuré  leur  conduite.  La 
haine  est  perspicace.  On  peut  être  sûr  â  l'avance  qu'ils  ne  néglige- 
ront rien  pour  établir  la  fausseté  du  miracle,  si  les  faits  prêtent  la 
moindre  prise  â  la  critique. 

Ils  interrogent  d'abord  l'aveugle  guéri.  Il  répond  simplement  et 
nettement;  les  faits  gênent  les  pharisiens.  Gomme  les  rationalistes 
d'aujourd'hui,  ils  veulent  les  rejeter  a  priori  :  Jésus  ne  peut  avoir 
fait  un  miracle,  parce  qu'il  viole  le  sabbat.  Ils  essayent  de  faire  de 
l'aveugle  un  complice  de  leur  incrédulité  et  lui  demandent  ce  qu'il 
pense  de  celui  qui  lui  a  donné  la  vue;  il  les  déconcerte  en  leur  ré- 
pondant :  «  C'est  un  prophète.  » 

Cette  première  enquête  ne  tourne  pas  au  gré  de  leurs  désirs  ;  ils 
font  une  contre-enquête  et  mandent  les  parents  de  Faveugle-né.  Si 
saint  Jean  ne  racontait  point  les  faits  tels  qu'ils  se  sont  passés,  il 
aurait  dit  assurément  que  le  père  et  la  mère  du  mendiant  guéri 
avaient  confirmé  tout  ce  qu'avait  dit  leur  fils  ;  mais  il  est  historien 
fidèle  et,  en  nous  transmettant  exactement  leur  réponse,  il  nous  dé- 
peint parfaitement,  sans  y  songer,  les  gens  du  peuple,  très  facile- 
ment accessibles  â  la  peur  et  cherchant  à  se  tirer  d'embarras  par  des 
faux-fuyauts  et  par  la  ruse.  On  croirait  entendre  un  madré  normand 
s'évertuant  â  se  tirer  d'un  mauvais  pas.  Ils  ne  nient  pas  ce  qu'ils 
savent  être  la  vérité,  mais  ils  se  gardent  bien  de  l'avouer.  Ils  esqui- 
vent la  difficulté  en  répondant  :  JEtatem  hahet,  parole  qui  est  deve- 
nue proverbiale.  Mais  en  attendant,  tout  en  ayant  bien  soin  de  ne 
pas  se  compromettre,  ils  nous  certifient  les  points  sur  lesquels  il 
nous  importe  le  plus,  à  nous,  d'être  fixés,  savoir  que  leur  fils  est 
réellement  né  aveugle  et  qu'il  jouit  maintenant  de  la  vue. 

Ainsi,  malgré  ces  réticences,  la  déposition  des  parents  du  miraculé 
ne  fait  que  confirmer  le  prodige,  et  la  contre-enquête  en  est  une 
preuve  nouvelle.  Les  pharisiens  le  sentent  et,  en  hommes  qui  veulent 
â  tout  prix  arriver  à  leurs  fins  et  prévenir  l'effet  fâcheux  qu'un  tel 
événement  produirait  sur  le  peuple  en  faveur  de  leur  ennemi,  ils 
rappellent  une  seconde  fois  l'aveugle,  espérant  le  couper  dans  ses 
paroles  et  l'embarrasser  par  leurs  questions  subtiles.  On  doit  conve- 
nir qu'ils  s'acquittent  bien  de  leur  rôle  de  juge  d'instruction.  Ils  font 
appel  à  sa  piété  et  ils  parlent  avec  l'assurance  qu'affecte  un  supé- 
rieur devant  un  inférieur  qu'il  peut  intimider  et  à  qui  il  compte  im- 
poser son  opinion  :  ils  savent,  eux,  que  Jésus  est  un  pécheur. 
L'aveugle  avait  la  naïveté  de  l'homme  du  peuple  et  s'imaginait  que 
les  docteurs  de  la  loi  ne  devaient  rien  ignorer,  mais,  en  même  temps 
il  était  intelligent  et  plein  de  bon  sens.  Il  avait  répondu  la  première 
fois    avec    simplicité   et    de    grand   cœur,    comme    un  homme    sans 


586  ANNALES    CATHOLIQUES 

défiance;  il  perce  maintenant  à  jour  leurs  mauvais  desseins,  et  dès 
q'u'i!  s'aperçoit  que  ce  qu'on  veut  de  lui  c'est  la  négation  du  miracle, 
non  un  exposé  sincère  de  la  vérité,  il  affirme  une  seconde  fois,  ron- 
dement les  faits,  brisant  leurs  sophisraes  comme  ferait  un  fauve 
puissant  des  faibles  mailles  d'un  filet  dans  lequel  on  aurait  tenté  de 
l'enserrer. 

Lorsque  les  pharisiens  lui  demandent  de  répéter  ce  qu'il  leur 
a  déjà  dit  sur  Jésus  une  première  fois,  il  leur  répond  de  ce  ton 
goguenard  que  prend  volontiers  le  mendiant  qu'on  essaye  de  tromper 
et  qui  est  trop  finaud  pour  se  laisser  prendre  :  Est-ce  que  vous 
voudriez  devenir  aussi  ses  disciples?  Mot  cruel  et  terrible  qui 
démasque  tout  à  la  fois  leur  malice,  leur  hypocrisie  et  leurs  inten- 
tions perfides.  Le  trait  avait  frappé  juste.  11  devait  provoquer  la 
colère  des  ennemis  du  Sauveur.  Ils  n'avaient  plus  rien  à  attendre  de 
cet  homme,  qui  savait  leur  tenir  tête,  pénétrait  leurs  secrètes  pensées 
et  allait  les  couvrir  de  ridicule  devant  tout  le  peuple.  Ils  n'avaient 
plus  qu'à  le  chasser  :  c'est  ce  qu'ils  firent.  Les  pharisiens  étaient 
battus;  le  miracle  était  maintenant  à  jamais  établi  par  la  déposition 
des  témoins  et  par  ces  débats  contradictoires. 

Une  dernière  scène  achève  ce  drame.  Après  la  discussion  violente 
qui  s'était  terminée  par  l'expulsion  de  l'aveugle,  le  thaumaturge  et 
le  miraculé  se  rencontrent  de  nouveau  face  à  face.  Quel  changement 
dans  l'attitude  et  dans  le  langage  du  mendiant  guéri!  Fier,  moqueur, 
contredisant  devant  les  pharisiens,  il  est  humble,  docile,  soumis 
devant  Jésus.  11  a  argumenté  contre  les  docteurs  de  son  peuple  et 
refusé  de  croire  à  leurs  paroles  ;  le  Sauveur  ne  dit  qu'un  mot,  et  il 
se  prosterne  et  l'adore.  Voilà  une  dernière  preuve  de  la  réalité  du 
miracle,  qui  n'est  pas  moins  convaincante  que  toutes  les  autres  et 
que  la  fiction  n'aurait  jamais  su  inventer. 

Cette  belle  analyse  critique  est  un  heureux  exemple  de  la 
force  de  la  science  catholique,  aux  progrés  de  laquelle  ont,  du 
reste,  généralement  si  bien  contribué  les  travaux  de  M.  l'abbé 
Vigoureux.  La  science  incrédule,  malgré  son  injustice  et  son 
infatuation,  devra  sérieusement  compter  avec  une  telle  science 
orthodoxe. 

Marius  Sepet. 


UN  MISSIONNAIRE  BELGE  A  l'iLE  VAN  COUVER  587 

UN  MISSIONNAIRE  BELGE 
A  l'île  van  couver 

Nous  trouvons  dans  lo  Courrier  de  Bruxelles  la  lettre  suivante, 
adressée  à  Monseigneur  le  recteur  du  Collège  américain  de  Louvain 
par  M.  Aug.  Brabant,  de  Courtrai,  miss-ionnaire  à  l'île  Van  Couver. 
Elle  sera  lue  avec  intérêt  par  nos  lecteurs  qu'elle  initiera  aux  suf- 
frages, aux  labeurs,  aux  périls,  aux  épreuves  et  aux  consolations  des 
ouvriers  de  l'Evangile  : 

Hesquiat,  18  novembre  1885. 
Très  Révérend  et  cher  Monseigneur, 

J'ai  l'honneur  de  vous  faire  part  du  mariage  de  miss  Clotilde 
Pattpaja-outla,  fille  du  chef  des  Hesquiats  avec  M.  Auguste 
Mamakweg,  jeune  homme  appartenant  à  l'aristocratie  de  cette 
tribu  !  —  C'est  par  cette  laconique  lettre  de  faire  part  que  je 
commence  ma  trop  longue  missive. 

Que  je  vous  dise  tout  d'ahord  que  Clotilde  Pattpaya-outla  est 
la  sœur  de  Mattahaw,  ce  jeune  chef  des  Hesquiats  qui,  il  y  a 
neuf  ans,  tenta  de  me  tuer,  et  me  blessa  à  la  main  droite,  puis 
dans  la  poitrine,  puis  dans  le  dos.  Certes,  je  dois  pour  la  ma- 
nière miraculeuse  dont  j'échappai  alors,  de  vives  actions  de 
grâces  au  bon  Dieu,  ainsi  qu'aux  excellents  amis  de  Belgique, 
ma  patrie,  qui  prient  pour  nous  tous.  —  Je  me  rappelle  que 
dans  ces  circonstances,  je  reçus,  parmi  plusieurs  autres,  une 
lettre  de  félicitations  de  la  part  d'un  évêque,  oblat  de  Marie 
Immaculée  ;  le  saint  prélat  y  disait  que  cette  épreuve  tournerait 
à  l'avantage  de  notre  mission  et  que  j'aurais  la  consolation 
d'assister  moi-même  à  la  conversion  des  Indiens  confiés  à  mes 
soins.  Quand  Sa  Grandeur,  Mgr  D'herbomez,  évêque  de  la 
Colombie  britannique,  m'écrivait  ces  consolantes  paroles,  il 
était  prophète  :  je  veux  n'en  donner  qu'une  preuve;  la  voici  : 
Clotilde,  dont  je  vous  ai  parlé  plus  haut,  est  venue,  il  y  a  peu 
do  temps,  à  ma  cabane  et  m'a  demandé  à  être  baptisée  :  peu  de 
jours  plus  tard,  elle  était  fiancée  à  un  Indien  chrétien  de  cette 
tribu,  et  c'est  ainsi  qu'elle  vient  de  recevoir  la  bénédiction 
nuptiale  de  cette  même  main  que  son  frère  a  estropiée  et  mutilée 
pour  jamais. 

Il  y  a  neuf  ans,  les  Indiens  de  cette  tribu  étaient  païens  et 


588  ANNALES   CATHOLIQUES 

c'est  dans  cette  mission  même  que  Mattahaw  commit  son  at- 
tentat. Sa  sœur  (Clotilde  aujourd'hui)  habitait  à  8  ou  9  milles 
d'ici.  Les  Indiens,  irrités  de  l'acte  du  coupable,  se  saisirent  de 
la  jeune  fille  et  l'emmenèrent  sur  la  plage,  devant  ma  cabane  ; 
Clotilde  ignorait  absolument  ce  qu'on  lui  préparait  et  elle  était 
bien  loin  de  soupçonner  que,  pendant  qu'on  la  laissait  là  toute 
seule  et  en  pleurs,  les  Indiens  complotaient  sa  mort  pour  venger 
le  mal  que  son  frère  m'avait  fait.  —  Telle  était  la  situation. 

Lorsque  le  plan  fut  bien  arrêté,  un  vieux  sauvage  vint  se 
précipiter  comme  un  ouragan  dans  la  cabane  oii  je  gisais,  atten- 
dant d'heure  en  heure  la  mort  (car  mes  blessures  étaient  extrê- 
mement graves  en  ce  moment)  ;  il  désirait  avoir  mon  opinion 
et  mon  approbation  pour  le  plan  des  Indiens  :  il  s'agissait  tout 
simplement  de  tuer  la  jeune  fille!  Et  tandis  que  le  vieillard 
parlait,  ses  cheveux  étaient  hérissés  sur  la  tête,  l'écume  lui 
venait  aux  lèvres  et  tous  ses  membres  tremblaient  horriblement. 

Je  donnai  immédiatement  des  ordres  pour  qu'on  mît  la  jeune 
fille  en  lieu  sûr  et  qu'on  en  eût  bien  soin,  puis  j'engageai  ces 
pauvres  sauvages,  encore  tout  enflammés  du  désir  de  la  ven- 
geance, à  s'occuper  de  leurs  propres  affaires.  —  Et  voilà  l'his- 
toire de  miss  Clotilde,  à  laquelle  vous  souhaiterez,  avec  moi,  je 
n'en  doute  pas,  vie  longue  et  prospère  avec  «  Monsieur  »  Au- 
guste Mamakweg  ! 

Puisque  j'ai  commencé  le  chapitre  mariage,  je  veux  vous 
donner  quelques  détails  sur  les  us  et  coutumes  matrimoniaux 
en  ces  parages.  La  période  pendant  laquelle  les  jeunes  gens  se 
font  la  cour  est  extrêmement  courte  :  j'ai  même  connu  plus 
d'un  cas  où  des  Indiens  étaient  déjà  mariés  depuis  deux  ou  trois 
jours  et  cependant  n'avaient  encore  jamais  adressé  la  parole  à 
leur  femme  !  Voici  ce  qui  vous  expliquera  ce  mystère  :  L'Indien 
qui  a  un  fils  en  âge  de  se  marier  fait  lui-même  toutes  les  dé- 
marches nécessaires;  il  propose  d'abord  le  mariage  à  son  fils, 
mais  cela  une  fois  fait,  c'est  le  père  qui  règle  toute  l'affaire  avec 
les  père  et  mère  ou  les  plus  proches  parents  de  la  future. 

Tout  d'abord,  il  tâche  d'avoir  un  entretien  secret  dans  lequel 
il  sonde  le  terrain  :  s'il  voit  les  chances  du  mariage  sérieuses, 
il  s'en  vient  avec  bon  nombre  de  ses  amis  et  parle  plus  à  décou- 
vert; enfin,  quelque  temps  après,  il  revient  une  troisième  fois 
à  la  charge,  accompagné  cette  fois  d'une  nombreuse  troupe  de 
sauvages  couronnés  de  plumes  et  tatoués;  le  cortège  s'avance 
en  chantant  et  au  son   de   cymbales,  mais   nullement  «  bene 


UN  MISSIONNAIRE   BELGE  A  l'iLE  VAN  COUVER  589 

sonantibus.  »  Il  offre  à  la  famille  de  la  fiancée  un  certain  nom- 
bre de  couvertures  (c'est  la  monnaie  de  ces  pays),  et,  quand  les 
chants,  les  cris  d'allégresse  et  le  bruit  des  cymbales  paraissent 
avoir  satisfait  tout  le  monde  intéressé,  on  proclame  que  la  jeune 
fille  est  donnée  en  mariage,  et  cette  annonce  est  toujours  suivie 
de  fêtes  et  de  réjouissances  générales. 

Telle  était  la  façon  dont  on  procédait  :  maintenant,  Dieu 
merci,  nous  sommes  dans  la  communauté  chrétienne  de  Hes- 
quiat;  aussi  ai-je  fait  mettre  au  rancart  cette  sorte  de  trafic  ou 
de  marché  de  la  femme  :  aujourd'hui  nos  sauvages  pourraient 
sous  bien  des  rapports  en  remontrer  aux  blancs  pour  la  manière 
dont  se  passe  le  temps  de  la  cour.  Et  qu'on  ne  croie  pas  cependant, 
que  le  missionnaire  ait  à  intervenir  pour  mettre  le  bon  ordre  ; 
non,  voici  toute  mon  intervention  :  lorsque  les  jeunes  gens  qui  se 
sont  vus  un  certain  temps  désirent  se  marier,  j'interroge  en 
particulier  le  jeune  homme  et  la  jeune  fille  sur  leurs  dispositions 
réciproques  et  leur  consentement;  après  quoi,  ils  se  préparent 
eux-mêmes  comme  de  bons  chrétiens  à  la  digne  réception  du 
saint  Sacrement  ;  ils  se  marient  à  la  messe  et  reçoivent  la  béné- 
diction nuptiale.  —  L'introduction  du  mariage  chrétien  n'a  pas 
été  la  dernière  des  difficultés  que  j'ai  eues  à  surmonter,  mais 
aujourd'hui,  on  l'estime  davantage,  même  chez  les  infidèles,  et 
les  observances  païennes  de  jadis  sont  considérées  avec  un  réel 
mépris. 

L'âge  du  mariage  pour  les  jeunes  filles  varie  de  12  à  14  ans 
et  quelquefois  15  ans;  les  jeunes  gens  se  marient  quelques-uns 
dès  16  ans,  et  bien  peu  d'entre  eux,  si  même  il  y  en  a,  peuvent 
se  dire  célibataires  à  20  ans.  C'est  ainsi  que,  environ  une  demi- 
douzaine  de  mes  écoliers  se  sont  mariés  aux  dernières 
vacances. 

En  fait  de  particularités  relatives  au  mariage,  vous  serez 
peut-être  surpris  d'apprendre  que  les  Indiens  donnent  à  leurs 
enfants  un  nom  longtemps  avant  leur  naissance  :  c'est  un  trait 
de  mœurs  assez  étrange,  mais  il  est  parfaitement  exact.  Le 
nom  en  général  s'applique  surtout  aux  enfants  du  sexe  féminin; 
mais  aussitôt  qu'on  sait  que  le  nouveau-né  est  du  sexe  mas- 
culin, on  lui  change  bien  vite  son  nom  :  et  depuis  cette  époque 
jusqu'à  la  vieillesse,  d'après  les  circonstances,  les  sauvages  se 
donnent  de  nouveaux  noms,  de  sorte  que  quelques-uns  d'entre 
eux  ont  jusqu'à  20  noms  difi'érents,  qu'on  peut  appeler  noms 
de  famille;   car,   bien   que  fils  et  filles  ne  portent  jamais  le 


590  ANNALES    CATHOLIQUES 

nom  de  leurs  parents,  ils  prennent  cependant  un  de  ces  innom- 
brables noms  qui  ont  appartenu  au  grand-père  ou  à  la  grand'- 
mère,  aa  grand-oncle  ou  à  la  grand'tante. 

Dès  que  quelqu'un  meurt,  son  nom  meurt  avec  lui,  c'est-à- 
dire  que  plus  personne  n'ose  prononcer  ce  nom,  surtout  en 
présence  des  parents  du  défunt;  et  si  quelqu'un  de  la  tribu  a  un 
nom  qui  se  rapproche  de  celui  du  défunt,  il  le  change  immédia- 
tement; il  y  a  plus  :  on  abandonne  les  dénominations  d'objets 
inanimés,  qui  par  leur  consonnance  rappellent  le  nom  du  mort 
et  l'on  recourt  aux  synonymes  pour  se  tirer  d'embarras,  et  cela 
dure  quelquefois  pendant  plusieurs  années.  —  Aussi  voici  un 
résultat  assez  comique  de  cet  usage  :  aujourd'hui  on  connaît 
tous  et  chacun  de  ses  paroissiens  par  son  nom;  six  mois  après, 
on  peut  s'estimer  heureux  de  pouvoir  nommer  encore  la  moitié 
d'entre  eux  !  Les  noms  chrétiens  apportent  sous  ce  rapport  une 
incontestable  amélioration  :  toutefois  celui  qui  les  choisit  doit 
être  bien  prudent  dans  son  choix  :  car  les  Indiens  n3  peuvent 
prononcer  toutes  nos  lettres.  Un  jeune  homme  appelé  Damien, 
interrogé  l'autre  jour  par  un  prêtre  sur  son  nom,  répondit  sans 
la  moindre  hésitation  «  Dam  you  »  croyant  dire  «  Damien!  » 

En  voilà  assez,  je  pense,  sur  le  chapitre  des  noms.  Que  je 
vous  donne  maintenant  quelques  détails  sur  l'enfance  de  nos 
sauvages.  On  peut,  sans  contredit,  appeler  cet  âge  le  meilleur 
temps  de  leur  existence.  Quelques-uns  de  ces  tout  jeunes  enfants 
réclament  leur  nourriture  jusqu'à  cent  fois  le  jour  :  les  jeunes 
mères  chez  les  sauvages  ne  font  littéralement  rien  d'autre  que 
cela  et  se  négligent  à  tel  point  que  nous  sommes  souvent  obligés 
de  les  réprimander  et  de  les  blâmer.  A  l'âge  de  2  ou  3  ans, 
les  enfants  sont  pleins  de  vie  et  bien  plus  éveillés  que  ceux  des 
blancs  :  ils  pleurent  rarement  ;  le  froid,  la  pluie,  les  rigueurs 
de  l'hiver  semblent  ne  les  toucher  que  médiocrement,  et  pourvu 
que  leurs  jeunes  estomacs  aient  en  abondance  le  poisson  sec,  la 
laitance  ou  toute  autre  nourriture  moins  délicate  encore,  leur 
félicité  dure  autant  que  le  jour  lui-même.  —  Les  vieux  Indiens 
ne  peuvent  se  lasser  d'admirer  ces  bambins  et  les  commentaires 
vont  leur  train  sur  ce  que  cette  jeunesse  deviendra  ou  ne 
deviendra  pas!  Aussitôt  que  l'enfant  est  en  état  de  se  tenir  sur 
les  jambes,  ses  heureux  parents  lui  fabriquent  canots,  pagaies, 
arcs,  flèches,  harpons,  etc.,  le  tout  de  dimension  proportionnée 
à  l'enfant  et  dés  lors  le  principal  passe-temps  est  de  commencer 
à  pratiquer  ce  qui  sera  un  jour  pour  lui  son  moyen  d'existence. 


UN    MISSIONNAIKE    iJKU;.-:    A    l/lLE    VAN    COUVER  591 

—  Dès  qu'un  gamin  indien  a  tué  son  prenaier  oiseau  on  péché 
son  premier  poisson,  c'est  l'occiision  pour  les'  parents  cl'orjj^a- 
iiiserdes  fêtes,  auxquelles  est  invitée  toute  la  tribu,  alla  de  lui 
faire  part  de  radres?e  du  jeune  cliasseur  ou  pécheur. 

Je  ne  sache  pas  que  jamais  un  Indien  ait  battu  son  enfant  :  il 
le  réprimande,  mais  encore  rarement;  et  si  le  fils  a  brisé, 
détruit  on  perdu  quelque  objet,  son  père  n'y  trouve  absolument 
rien  à  redire  et  il  considère  que  sa  progéniture  avait  parfaite- 
ment le  droit  de  faire  ce  qu'elle  a  fait. 

En  règle  généi-ale,  les  Indiens  ont  un  grand  respect  pour 
leurs  parents  :  ils  recherchent  leurs  caresses,  ont  une  profonde 
admiration  pour  leurs  actes,  suivent  leurs  conseils,  et  s'il 
arrive  que  les  parents  soient  superstitieux  ou  immoraux,  nul 
doute  que  les  enfants  ne  fassent  de  même.  Ce  n'est  qu'après  être 
arrivés  à  l'âge  viril  qu'ils  commencent  à  penser  et  à  agir  par 
eux-mêmes,  et  encore,  en  plus  d'un  cas,  a-t-on  à  redouter 
l'influence  des  parents  :  c'est  ce  qui  vous  explique  pourquoi  nous 
mettons  plus  d'espoir  dans  la  seconde  génération  d'Indiens  con- 
vertis que  dans  la  première;  car  elle  sera  soutenue  et  encou- 
ragée par  les  parents,  catholiques  eux-mêmes. 

Mais  il  me  semble  que  je  vous  entends  qui  me  dites  :  Bon, 
ho'A,  laissons-là  toutes  les  histoires,  et  dites-moi,  ami  Auguste, 
comment  va  votre  petit  troupeau?  Voici  ma  réponse  :  Bien, 
parfaitement  bien.  Le  jour  du  nouvel  an,  j'ai  fait  faire  la  pre- 
mière communion  à  14  Indiens  adultes,  et  en  ce  moment  j'ai 
24  adultes  également  qui  se  préparent  à  ce  grand  acte.  Peut- 
être  l'arrivée  de  Mgr  l'Evoque,  que  nous  attendons  sous  peu, 
viendra-t-elle  nous  fournir  l'occasion  favorable.  Première  com- 
munion et  confirmation  !  N'est-ce  pas  que  cela  résonne  bien  aux 
oreilles?  Dans  cette  solitude,  dans  ce  coin  abandonné  de  l'uni- 
vers, où,  il  y  a  peu  d'années,  Satan  régnait  en  maître  absolu, 
où  les  vices,  le  crimo  et  l'homicide  étaient  du  pain  quotidien, 
oui,  parler  de  première  communion  et  de  confirmation,  admi- 
nistrées par  le  premier  évêque  élevé  au  Collège  américain  et 
assisté  par  les  élèves  de  ce  même  Collège,  se  répéter  qu'il  v  a 
là  devant  moi  toute  une  région  amenée  à  la  connaissance  du 
vrai  Dieu  et  des  milliers  d'àraes  qui  étaient  condamnées  à  être 
perdues,  mises  maintenant  sur  la  voie  du  salut  par  l'entremise 
instrumentale  de  vos  anciens  élèves,  voilà,  en  vérité,  qui 
résonne  bien  aux  oreilles  et  qui,  je  le  pense,    Très  Révérend 

43 


592  ANNALES    CATHOLIQUES 

Monseigneur,  sera  pour  vous  un  puissant  encouragement  dans 
les  fatigues  de  vos  multiples  et  difficiles  fonctions. 

En  me  recommandant  à  vos  prières,  je  me  dis  votre  recon- 
naissant élève, 

AuG.  Brabant. 


ASSEMBLEE   GENERALE  DES  CATHOLIQUES 

Séance  du  inardi  25  mai. 

Mgr  Richard,  coadjuteur  de  Paris,  présidait,  ayant  à  ses 
côtés  MM.  le  duc  de  Brissac,  le  comte  de  Mérode,  de  Ravignan, 
marquis  de  Dampierre,  marquis  des  Cars,  les  curés  de  Saint- 
Roch  et  de  Saint-Jean-Saint-François,  Depeyre,  Theillier  de 
Poncheville,  d'Herbelot,  de  Caulaincourt,  de  Bovent,  d'Alvinar, 
de  Lamarzelle,  etc.,  etc. 

M.  Chesnelong,  s'adressant  à  Mgr  Richard,  a  témoigné  à  Sa 
Grandeur  la  joie  que  sa  présence  causait  à  l'assemblée,  puis  il 
a  donné  lecture  de  la  dépêche  suivante,  adressée  au  Saint- 
Père  : 

Très  Saint-Père, 
Les  membres  de  l'assemblée  des  catholiques  sont  heureux  d'inau- 
gurer leur  quinzième  réunion  annuelle  en  déposant  aux  pieds  de 
Votre  Sainteté  rhomraage  de  leur  profond  respect,  do  leur  soumis- 
sion absolue  à  vos  enseignements  et  de  leur  inaltérable  dévouement, 
et  ils  sollicitent  humblement  votre  bénédiction  apostolique. 

Le  président, 
Charles  Chesnelong,  sénateur. 

Après  cette  lecture,  couverte  d'applaudissements,  M.  Ches- 
nelong prend  la  parole. 

Il  n'est  pas  besoin  d'insister  sur  l'éloquence  bien  connue  de 
l'honorable  sénateur.  Rappelons  en  quelques  mots  les  grandes 
lignes  du  discours  d'ouverture,  qu'il  a  dû  prononcer  en  l'absence 
de  M.  Keller,  retenu  par  une  indisposition. 

L'orateur  a  exhorté  les  catholiques  à  lutter  plus  énergique- 
ment  que  jamais  contre  le  divorce  impie  qui  se  consomme  entre 
la  France  et  l'Eglise,  Montrant  aux  catholiques  leur  force, 
puisée  dans  l'union  commune  avec  les  SS.  CC.  de  Jésus  et  de 
Marie  en  face  de  l'anarchie  iateiiectuelle  et  morale,  d'un  jaco- 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQUES  593 

binisrate  sectaire,  d'un  pouvoir  libre-penseur,  il  se  demande 
comment  il  peut  encore  se  trouver  des  catholiques  timides  ou 
tiédes,  tandis  qu'il  s'agit  de  l'àme  des  enfants  et  de  l'existence 
de  la  société  clirétienne.  Rien  ne  pourrait  résister  à  une  explo- 
sion générale  de  la  foi  catholique,  encore  vivace  dans  les  popu- 
lations qui,  par  leurs  votes  des  4  et  18  octobre,  ont  réprouvé  la 
persécution  religieuse. 

Le  plus  grand  malheur  serait  en  ce  moment  l'indifférence  pu- 
blique, c'est-à-dire  la  ruine  de  la  France,  ce  qui  ne  peut  se 
voir. 

L'orateur  retrace  ensuite  rapidement  la  mission  et  les  bien- 
faits de  l'Eglise,  qui  est  la  mère  de  ses  ennemis  eux-mêmes,  et 
l'indignation  éclate  lorsqu'il  rappelle  l'affichage  des  discours  où 
un  ministre  des  cultes  affirmait  à  la  tribune  des  doctrines  en 
contradiction  absolue  et  flagrante  avec  la  doctrine  chrétienne  et 
déclarait  l'incompatibilité  des  conceptions  chrétiennes  avec  l'en- 
seignement qui  devait  être  celui  des  jeunes  Français.  Dans  une 
situation  pareille^  il  est  donc  du  devoir  de  tous  les  bons  catho- 
liques de  s'unir  et  de  prendre  pour  régies  de  conduite  les  ins- 
tructions si  nettes  et  si  éclairées  formulées  par  le  Saint-Père 
dans  gabelle  encyclique.  «Avec  la  foi,  l'espérance  et  la  charité, 
continue  Torateur  catholique,  on  a  conquis  le  monde  ;  avec  cela 
on  peut  sauver  la  France.  » 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  Cazeaux,  avocat  à  la  cour 
d'appel,  qui  lit  un  intéressant  et  spirituel  rapport  sur  les  œuvres 
eucharistiques  de  Paris.  Il  y  a  dans  la  capitale,  oia  tant  de  per- 
sonnes passent  leurs  nuits  dans  la  débauche,  des  hommes  de  foi 
qui  sacrifient  leur  repos  à  l'adoration  nocturne  du  Saint-Sacre- 
ment, exposé  perpétuellement  dans  quelque  église  de  Paris. 
Dans  le  jour,  ils  sont  remplacés  par  des  dames  chrétiennes. 
Cinq  cents  églises  et  chapelles  du  diocèse  font  partie  de  l'œuvro 
de  l'Adoration  perpétuelle,  et  depuis  les  plus  humbles  quartiers 
jusqu'aux  plus  riches,  le  nombre  des  adorateurs  laïques  s'ac- 
croît chaque  année,  sans  compter  les  communautés  religieuses 
qui  ont  le  privilège  de  passer  le  jour  et  la  nuit  devant  le  Saint- 
Sacrement. 

A  la  chapelle  du  Sacré-Cœur  de  Montmartre,  oii  le  Saint- 
Sacrement  est  constamment  exposé,  Paris  et  la  province  se 
disputent  chrétiennement  le  tour  d'adoration.  Lorsque  saint 
François,  éparpillant  ses  frères  et  ses  disciples  par  tout  le 
monde,  se  réservait  Paris,  il  disait  que  c'était  l'endroit  où  le 


594  ANNALES    CATHOLIQUES 

Saint-Sacrement  était  le  plun  aimé.  M.  Cazeaux,  en  nous  rap- 
pelant ce  souvenir,  montre  qu'il  n'y  a  rien  de  changé  aujour- 
d'hui, sinon  un  développement  dans  l'amour  des  Parisiens  pour 
le  Saint-Sacrement,  et  il  termine  en  citant  le  mot  de  Mgr  l'iir- 
chevèque  de  Paris  :  «  Mes  bons  messieurs,  une  ville  qui 
possède  Notre-Dame  des  Victoires  et  l'église  du  Sacré-Cœur  ne 
peut  manquer  d'attirer  sur  elle  les  bénédictions  de  la  Provi- 
dence, et  j'espère  bien  qu'on  l'appellera  un  jour  Jérusalem  la 
Nouvelle.  » 

Son  rapport  est  vivement  applaudi. 

Le  P.  Lallemand,  de  l'Oratoire,  agrégé  ès-lettres,  insiste 
sur  la  nécessité  de  conserver  l'enseignement  du  grec  et  du 
latin,  la  France  ayant  le  devoir  de  transmettre  à  ses  enfants 
les  littératures  d'oix  a  découlé  la  sienne.  Il  repasse  en  termes 
chaleureux  l'histoire  de  la  littérature  française,  et  reproduit  à 
l'appui  de  son  insertion  l'opinion  de  du  Bellay,  s'élevant  contre 
ceux  qui  écrivent  en  latin  alors  qu'ils  possèdent  une  si  belle 
langue  française,  mais  plus  encore  contre  ceux  qui  écrivent  en 
français  sans  avoir  étudié  le  latin.  L'éloquent  oratorien  réclame 
les  Grecs  et  les  Latins  enseignés  chrétiennement. 

Mgr  Richard,  en  dernier  lieu,  apporte  la  bénédiction  de 
Rome  aux  travaux  du  Congrès,  puis  fait  une  touchante  des- 
cription de  ce  voyage  prescrit  à  chaque  évêque  pour  y  rendre 
compte  du  gouvernement  de  son  diocèse  et  prier  sur  le  tombeau 
des  Apôtres. 

On  comprend,  a  dit  l'éminent  prélat,  que  le  Saint-Père  est  le 
vicaire  de  l'autorité  de  Jésus-Christ  ;  mais  il  faut  être  aux  pieds 
de  Sa  Sainteté  pour  apprécier  le  Vicaire  de  la  charité  de  Notre- 
Seigneur,  tant  le  Pape  témoigne  de  sollicitude  pour  les  besoins 
de  tous  et  la  participation  des  plus  petits  aux  sacrements?  Le 
Saint-Père  a  parlé  de  la  douleur  que  lui  avait  causée  le  renvoi 
des  aumôniers  du  chevet  des  malades  à  Paris  ;  néanmoins, 
Mgr  Richard  se  félicite  d'avoir  pu  lui  procurer  des  consolations 
en  lui  parlant  de  cette  même  ville  de  Paris  et  du  zèle  ardent 
qu'y  déploie  les  catholiques.  Heureuse  d'assister  à  l'une  de  ces 
œuvres  de  zèle,  Sa  Grandeur  parle  de  la  confiance  que  S.  Em. 
le  cardinal  Guibert  a  mise  dans  les  œuvres  des  Congrès  catho- 
liques et  adresse  ses  meilleurs  remerciements  aux  catholiques 
présents  et  à  leur  président,  M.  Chesnelong. 

La  France,  oii  se  manifeste  tant  de  foi  chrétienne,  est  fort 
aimée   du  Saint-Père  à  t^ui  le   vèaûrable  prélat  a  pu  dire   : 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQUES  595 

«  Ayez  confiance;  sous  l'influence  de  vos  enseignements, 
l'union  se  fait  de  plus  en  plus  entre  les  catholiques,  et  tous 
marciieront  à  votre  voix  pour  servir  la  cause  de  l'Eglise.  »  Le 
Pape  considère  toujours  la  France  comme  la  fille  aînée  de 
l'Eglise. 

Nous  devons  donc  avoir  une  confiance  inébranlable  dans 
l'avenir  :  Rome  et  la  France,  dont  toutes  les  institutions  tien- 
nent le  premier  rang  dans  la  Ville  éternelle,  sont  plus  unies 
que  jamais. 

Séance  du  26  mai. 

Après  la  prière  d'usage,  M.  le  général  de  Montarby  a  lu  un 
rapport  de  M.  le  vice-amiral  Gicquel  des  Touches  sur  les  oeu- 
vres militaires.  Avant  d'aborder  la  question,  où  nos  soldats  et 
marins  du  Tonkin  avaient  fourni  un  si  vaste  et  souvent  si  ti  iste 
sujet  d'expérience,  l'amiral  Gicquel  des  Touches  rappelle  qu'il 
est  du  devoir  de  tout  chrétien  d'adresser  au  glorieux  amiral 
Courbet,  comme  à  ceux  qui  sont  morts  avec  lui  au  service  de  la 
France,  l'hommage  de  son  souvenir  et  de  ses  prières. 

Le  salut  des  jeunes  gens  que  le  gouvernement  appelle  sous 
les  drapeaux  sans  aucun  souci  de  leur  faciliter  l'accomplissement 
de  leurs  devoirs  religieux  est  le  premier  objet  de  l'Œuvre  des 
militaires  et  des  marins.  A  cet  eflet,  l'Œuvre  s'efî'orce  do  déve- 
lopper la  prière  pour  les  armées  de  terre  et  de  mer,  dans  les 
familles,  les  paroisses,  les  séminaires,  les  communautés  reli- 
gieuses, sous  l'égide  de  Notre-Dame  des  Armées. 

Outre  la  prière,  il  y  a  l'organisation  matérielle.  Le  service  de 
l'aumônerie  dans  les  hôpitaux  miliiaires  par  les  vicaires,  si  fai- 
blement rétribués  et  occupés  d'ailleurs  à  leur  ministère,  est 
insuffisant,  en  France  comme  en  Algérie  et  en  Tunisie.  Au  Ton- 
kin, nos  aumôniers  militaires  envoyés  par  le  gouveinement 
étaient  en  trop  petit  nombre,  ainsi  que  les  missionnaires,  pour 
assurer  les  secours  aux  soldats,  dont  plusieurs  sont  morts  da 
choléra  sans  avoir  vu  le  piètre. 

Le  comité  a  essayé  de  procurer  à  ces  braves  soldats  des  prê- 
tres et  des  sœurs  de  charité;  il  a  même  dépassé  pour  cela  ses 
ressources,  avec  la  confiance  que  L>ieu  n'abandonnerait  pas  une 
cause  aussi  chrétienne.  Immédiatement,  des  aumôniers  volon- 
taires sont  allés  retrouver  notre  corps  expéditionnaire,  et  à  ce 
propos  le  rapporteur  rend  hommage  à  l'abbé  de  Bonde,  mort  en 
martyr  de  la  charité. 


596  ANNALES    CATHOLIQUES 

En  1870,  l'aiimônerie  gouvernementale  était  furt  médiocre- 
ment orc-anisée;  au  Tonkin,  elle  l'était  plus  mal  encore.  Que 
serait-elle  aujourd'hui,  si  la  guerre  éclatait?  Il  nous  appartient 
donc  de  nous  opposer  à  ce  que  les  soldats,  les  pères  de  famille 
de  l'avenir,  ^e  corrompent  au  régiment  l'àme  et  le  corps,  et 
pour  cela  les  vœux  suivants  sont  proposés  : 

1°  Qu'on  rétablisse  la  loi  de  1814  sur  les  aumôneries  militaires  ; 

2°  Qu'une  messe  de  départ  soit  célébrée  pour  tous  les  conscrits 
dans  tontes  les  paroisses; 

3°  Qu'on  donne  des  lettres  de  recommandation  aux  conscrits 
pour  les  prêtres  qu'ils  vont  trouver  dans  leurs  garnisons; 

4°  Que  le  soldat  ait  la  liberté  uu  dimaDcbe; 

5°  Qu'on  répande  la  prière  à  Notre-Dame  des  Armées; 

6°  Qu'on  fasse  connaître  l'œuvre  pour  parer  à  toute  éven- 
tualité. 

L'assemblée,  à  l'invitation  de  M.  Chesnelong,  a  témoigné  par 
ses  applaudissements  qu'elle  voulait  s'affranchir  du  pire  des 
esclavages,  celui  qui  l'obligeait  à  envoyer  mourir  au  loin  ses 
enfants  privés  des  secours  de  la  religion. 

M.  DE  Caux  a  lu  un  spirituel  et  intéressant  travail  sur  l'érec- 
tion de  la  statue  de  sainte  Geneviève.  La  souscription  populaire 
dont  le  comité  a  pris  Tinitiative  s'est  montée  à  25,000  fumes. 
Les  quartiers  pauvres  de  Paris  :  Saint-Laurent,  Notre-Dame 
de  Clignancourt,  Sainte-Marguerite  et  d'autres  se  sont  particu- 
lièrement distingués  par  leur  générosité,  ainsi  que  les  écoles 
dirigées  par  les  Frères  des  diocèses  de  Limoges,  de  Versailles 
et  la  ville  de  Constantinople. 

M,  Champeaux,  secrétaire  général  des  comités  catholiques 
de  Lille,  inspire  une  légitime  fierté  aux  personnes  de  foi  en 
montrant,  dans  un  rapport  très  nourri  et  très  éloquent,  les 
merveilles  que  leurs  frères  du  Nord  ont  accomplies  par  d'im- 
menses sacrifices  dans  l'œuvre  de  l'Université  catholique  de 
Lille.  On  connaît  assez  la  réputation  de  cette  magnifique  cité 
universitaire,  oii  sont  établies  cinq  facultés  avec  leurs  splen- 
dides  dépendances.  Un  grand  nombre  d'étudiants  de  partout  y 
suivent,  sous  la  direction  de  professeurs  distingués,  des  cours 
qui  leur  assurent  chaque  année  de  brillants  résultats  aux 
examens.  A  ces  différentes  facultés  est  adjointe  une  école  de 
hautes  études  industrielles  et  agricoles  destinée  à  former  des 
patrons  chrétiens  qui  contribueront  à  l'honneur  et  à  la  prospérité 
du  pays. 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQUES  597 

Mgr  d'Hulst,  avec  beaucoup  de  finesse  et  de  charme,  a 
exposé  la  situation  de  l'enseignement  supérieur  libre  et  des 
facultés  catholiques.  S'élevant  contre  le  monopole  d'Etat  sous 
toutes  ses  formes,  particulièrement  sous  la  forme  enseignante, 
l'éloquent  prélat  engage  les  catholiques  à  ne  laisser  à  personne, 
sous  aucun  régime  politique,  le  soin  de  traiter  leurs  affaires  de 
conscience,  et  à  défendre  la  liberté  de  l'enseignement  supérieur 
en  même  temps  qu'on  émancipe  l'enseignement  primaire.  A 
Lille,  les  parents  catholiques  rougiraient  d'envoyer  leurs 
enfants  aux  facultés  de  l'État;  pourquoi,  ailleurs,  des  familles 
chrétiennes,  après  avoir  fait  élever  leurs  enfants  dans  les 
maisons  religieuses,  ne  les  confient-elles  pas,  lorsqu'il  s'agit 
des  études  supérieures,  aux  facultés  catholiques?  N'y  trouve- 
t-on  pas  un  enseignement  aussi  robuste  que  celui  de  l'État, 
avec  un  complément  d'esprit  chrétien? 

Vient  ensuite  un  exposé  détaillé  des  chaires  de  haut  ensei- 
gnement chrétien  en  France  et  une  statistique  consolante  des 
succès  des  différentes  facultés  catholiques.  L'orateur  termine 
par  un  appel  énergique  et  applaudi  en  faveur  de  ces  établisse- 
ments auxquels  il  adjure  les  pères  de  famille  chrétiens  de 
donner  leur  or  et  leurs  enfants. 

M.  Pierre  de  Kergorlay  rend  compte  du  fonctionnement  de 
l'hôpital  libre  et  chrétien  de  Saint-Joseph,  en  ce  moment  pro- 
priétaire de  46,000  mètres  carrés  de  terrain  à  Montrouge.  Déjà 
les  constructions  y  sont  commencées,  et  déjà,  en  les  attendant, 
des  bâtiments  hygiéniques  ont  été  loués  oii  l'œuvre  de  Notre- 
Dame  de  Consolation  a  manifesté  son  zèle  pour  l'assistance 
spirituelle  et  corporelle  des  malades. 

M.  de  Kergorlay  donne  ensuite  les  résultats,  fort  satisfai- 
sants, de  la  situation  financière.  Toutes  les  actions  sont  libérées, 
les  dépenses  soldées,  il  reste  en  caisse  un  reliquat  assez  impor- 
tant, et  une  nouvelle  émission  d'actions  en  faveur  des  construc- 
tions nouvelles  aura  lieu  prochainement. 

L'orateur  recommande  en  terminant,  l'œuvre  de  Notre-Dame 
de  consolation,  qui  vit  au  jour  le  jour,  en  étudiant  les  moyens 
pratiques  de  fonder  de  nouveaux  lits  dans  le  but  d'assurer  aux 
malades  les  soins  du  corps  et  de  l'àme. 

Mgr  d'Hulst  remercie  le  rapporteur  et  rappelle  la  solidarité 
qui  existe  entre  cette  œuvre  et  le  projet  d'une  école  chrétienne 
de  médecine. 

M.  Antonin  Rondelet  recommande  les   cours  de  la  salle 


598  ANNALKS    CATHOLIQUES 

Albert-le-Grand,  établis  sous  le  patçonage  de  Mgr  d'Hulst  poui' 
donner  aux  jeunes  filles  du  monde,  en  même  temps  que  les 
préparations  aux  diplômes,  la  haute  éducation  littéraire  et  chré- 
tienne qui  doit  suivre  l'âge  où  l'on  sort  de  pension.  Ces  cours, 
groupés  dans  l'après-midi  du  mercredi  et  du  samedi,  ont  pour 
but  de  donner  les  connaissances  que  ne  comporterait  pas  la 
première  éducation  absorbée  par  l'étude  des  dates  ou  des 
nomenclatures. 

Les  cours  de  géographie  pittoresque,  d'histoire  de  France, 
d'histoire  des  arts,  de  la  littérature  française  et  étrangère  ont 
pour  effet  de  mûrir  et  d'assouplir  en  même  temps  l'intelligence 
de  la  jeune  fille.  Quant  au  cours  de  littérature  contemporaine, 
en  formant  le  jugement  sur  les  livres  de  notre  époque,  il  mettra 
la  jeune  fille  en  garde  contre  les  préjugés  et  les  erreurs  qui 
courent  aujourd'hui  le  monde.  Plus  d'une  jeune  femme,  ajoute 
le  rapporteur,  a  voulu  reprendre  le  chemin  de  la  salle  Albert- 
le-Grand  qu'elle  a  suivi  avant  son  mariage  et  s'en  est  félicitée. 
L'orateur  espère  que  l'assemblée  recommandera  aux  familles 
les  cours  de  la  salle  Albert-le-Grand. 

(A  suivre.) 


NECROLOGIE 


Un  coup  bien  cruel  et  soudain  vient  de  frapper  M.  Eugène 
"Veuillot,  réminent  rédacteur  en  chef  de  1'  Univers. 

Le  second  de  ses  trois  fils,  Bernard,  qui  terminait  ses  études 
chez  les  PP.  Jésuites,  au  collège  anglais  de  Canterburj,  est 
mort  après  quelques  heures  de  souôrance,  sans  que  rien  fit 
prévoir  un  pareil  malheur.  II  a  pu,  avant  de  mourir,  recevoir 
les  derniers  sacrements. 

La  veille  de  sa  mort,  Bernard  Veuillot,  plein  de  vie,  écrivait 
encore  à  son  père  une  de  ces  lettres  charmantes  qu'il  avait 
accoutumé  d'envoyer  aux  siens  et  oii  son  cœur  de  fils  se  mon- 
trait tout  entier,  avec  les  rares  qualités  qui  en  faisaient  l'or- 
nement. 

A  dix-huit  ans,  en  eâ"et,  bien  que  possédant  déjà  une  matu- 
rité fort  au-dessus  de  son  âge,  il  gardait  cet  inappréciable  don 
de  la  spontanéité  naïve  qui  est  proprement  le  charme  de  l'en- 
fance. Personne  ne  l'approchait  qui  ne  fût  en  un  instant  séduit 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  590 

et  comme  captivé  par  ce  franc,  loj'al  et  doux  regard,  reflet 
d'une  âme  virginale  et  forte,  naturellement  enthousiaste  pour 
toutes  les  grandes  causes  et  les  grandes  pensées. 

Le  corps  de  Bernard  Veuillot  a  été  rapporté  à  Paris  et  lundi, 
à  dix  heures,  un  service  solennel  a  été  célébré  en  l'église 
Sainte-Clotilde. 

Nos  lecteurs  joindront  leurs  prières  aux  nôtres,  à  celles  de 
tous  les  amis  de  M.  Eugène  Yeuillot,  et  pour  le  repos  de  l'âme 
de  Bernard  Veuillot,  et  pour  le  père  frappé  si  douloureusement 
mais  si  chrétiennement  résigné. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
I\oîxie   et  l'Italie. 

Voici  le  texte  du  discours  prononcé  par  le  Souverain  Pontife 
dans  le  Consistoire  dont  on  a  lu  plus  haut  les  actes  : 

Vénérables  Frères, 

Nous  avons  décidé  de  vous  réunir  aujourd'hui  en  ce 
Consistoire  sacré  non  seulement  pour  doter  de  nouveaux 
évêques  les  églises  qui  étaient  veuves  de  leurs  pasteurs, 
mais  aussi  pour  procéder  à  la  création  de  cardinaux  que 
l'éclat  et  la  dignité  de  votre  Collège  ainsi  que  la  situation 
actuelle  paraissaient  réclamer  de  Nous.  Car  vous  regrettez 
avec  Nous  la  mort,  survenue  en  ces  dernières  années,  de 
beaucoup  de  vos  Frères,  au  remplacement  desquels  Nous 
avons  résolu  de  pourvoir. 

Et  comme  Notre  sollicitude  apostolique  s'étend  à  tous  les 
catholiques  des  diverses  nations  que  Nous  embrassons  du 
fond  du  cœur  d'une  affection  paternelle  ;  comme,  d'autre 
part,  Nous  Nous  réjouissons  vivement  chaque  fois  qu'une 
occasion  favorable  s'offre  à  Nous  de  leur  témoigner  Notre 
bienveillance.  Nous  avons  jugé  opportun,  en  cette  circons- 
tance, de  choisir  pour  leur  donner  place  dans  les  rangs  de 
votre  Ordre,  des  évêques  illustres  appartenant  aux  diverses 
contrées  de  l'ancien  et  du  nouveau  monde. 

Tout  d'abord  Nous  avons  tourné   nos  regards  vers  la 


600  ANNALES   CATHOLIQUES 

France,  où  des  évêques  d'élite,  et  attachés  au  Siège  apos- 
tolique par  un  zèle  d'une  admirable  ardeur  et  un  dévoue- 
ment constant,  donnent  un  grand  et  très  recommandable 
exemple  d'unité  avec  le  Chef  de  l'iilglise  ;  et  où  les  fidèles 
confiés  à  leurs  soins  ne  cessent,  à  travers  de  nombreuses 
et  graves  difficultés,  de  témoigner  par  des  œuvres  presque 
innombrables  de  charité  et  de  piété  leur  amour  pour  l'Église, 
leur  fidélité  inébranlable  envers  le  vicaire  de  Jésus-Christ 
et  dépensent  généreusement  leurs  forces  et  leurs  ressources 
pour  la  défense  de  la  cause  catholique.  C'est  pourquoi,  par 
la  proclamation  que  Nous  faisons  aujourd'hui  de  nouveaux 
cardinaux.  Nous  avons  décidé  de  donner  publiquement  un 
gage  particulier  de  Notre  aff'ection  tant  à  l'épiscopat  fran- 
çais qu'à  tout  le  peuple  de  France  ;  et  Nous  avons  voulu 
ainsi  resserrer  plus  étroitement  encore  les  liens  de  respect 
et  d'amour  qui  unissent  cette  généreuse  nation  à  l'Eglise 
romaine  et  au  Pontificat  romain. 

Ensuite,  les  Etats-Unis  d'Amérique  et  le  Canada  solli- 
citent notre  attention.  L'état  florissant,  aux  États-Unis,  de 
la  religion  catholique,  qui  chaque  jour  y  fait  de  nouveaux 
progrés  et  acquiert  de  nouvelles  forces  ;  la  constitution 
même  et  la  forme  dans  laquelle,  conformément  aux  règles 
des  saints  Canons,  ces  églises  s'organisent  de  plus  en  plus. 
Nous  invitent  et  même  Nous  poussent  à  donner  dans  le 
Sacré-Collège  un  nouveau  siège  à  un  membre  choisi  parmi 
les  plus  éminents  évêques  de  ce  pays. 

Pour  ce  qui  concerne  les  Canadiens,  il  est  connu  de  tous 
combien  ferme  est  leur  attachement  à  la  foi  catholique, 
combien  sincère  et  ardent  leur  amour  pour  l'Eglise  et 
quels  beaux  témoignages  de  piété  et  de  fidélité  envers  le 
Pontife  romain  ils  ont  donnés,  en  des  circonstances  cri- 
tiques. C'est  pourquoi  Nous  ne  doutons  pas  que  l'élévation 
de  l'un  des  archevêques  du  Canada  à  une  si  haute  dignité 
ne  contribue  à  l'honneur  de  la  religion  catholique,  ne  soit 
un  bon  et  heureux  événement  pour  le  peuple  canadien  et 
n'apporte  un  accroissement  et  une  force  nouvelle  à  son 
dévouement  à  l'Église  romaine. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES  601 

Voici  donc  ceux  que  Nous  avons  jugé  devoir  adjoindre, 
de  diverses  contrées  du  monde,  à  votre  Collège.  Ce  sont  : 

Victor- Félix  Bernadou,  archevêque  de  Sens  et 
d'Auxerre  ; 

Alexandre  Taschereau,  archevêque  de  Québec; 

Benoîl-Marie  Langénieux,  archevêque  de  Reims  ; 

Jacques  Gibbons,  archevêque  de  Baltimore  ; 

Charles-Philippe  Place,  archevêque  de  Rennes. 

Que  recommandent  tous  hautement  un  zèle  ardent  pour 
les  progrès  de  la  religion  catholique  et  le  salut  des  âmes, 
une  particulière  soumission  à  ce  Siège  Apostolique  et  la 
sagesse  dans  l'administration. 

Mais  Nous  n'avons  pas  oublié  l'Italie  et  Nous  y  avons 
choisi  pour  les  honorer  de  la  même  dignité,  Auguste 
Theodoli,  prélat  très  distingué  appartenant  au  clergé 
romain,  qui,  après  s'être  acquitté  avec  un  grand  succès  de 
diverses  autres  charges  et  fonctions,  a  géré,  dans  ces 
derniers  temps,  avec  beaucoup  de  fidélité  et  de  zèle,  la 
Préfecture  de  Notre  Palais  Apostolique  ;  et  Camille 
Mazzella,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  que  signale  son 
éminente  renommée  de  science  et  de  vertu. 

Que  vous  en  semble? 

C'est  pourquoi,  par  l'autorité  de  Dieu  tout-puissant,  des 
saints  apôtres  Pierre  et  Paul  et  la  Nôtre,  Nous  créons  et 
publions  cardinaux  prêtres  de  la  S.  E.  R.  : 

Victor-Félix  Bernadou, 

Alexandre  Taschereau, 

Benoit-Marie  Langénieux, 

Jacques  Gibbons, 

Charles-Philippe  Place, 

Et  cardinaux  diacres  : 

Auguste  Theodoli, 

Caraille  Mazzella. 

kNQQ,  les  dispenses,  dérogations  et  clauses  nécessaires 
et  opportunes.  Au  nom  du  Père  f  et  du  Fils  f  et  du 
Saint  f  Esprit.  Ainsi  soit-il. 


602  ANNALES    CATHOLIQUES 

Dans  le  Consistoire  du  7  juin,  avant  l'allocution  du  Souve- 
rain-Pontife, S.  Èm.  le  cardinal  Jacobini,  agissant  en  qualité 
de  procureur  de  S.  Ém.  le  cardinal  Agostini,  patriarche  de 
Venise,  s'est  démis  du  titre  de  Saint-Eusèbe  et  a  opté  pour  le 
titre  vacant  de  Sainte-Marie-de-la-Paix. 

Après  le  consistoire,  les  nouveaux  cardinaux  Mgr  Theodoli  et 
Mo-r  Mazzella  ont  reçu  —  le  premier,  dans  les  appartements  du 
Majordome,  au  Vatican  ;  le  second,  au  collège  germanique  de 
l'université  Grégorienne  —  les  visites  dites  di  calore,  c'est-à- 
dire  les  félicitations  de  la  prélature,  du  corps  diplomatique  et 
du  patriciat. 

Des  visites  analogues  ont  été  rendues  aux  trois  cardinaux 
étrangers  créés  l'année  dernière  et  venus  à  Rome  pour  recevoir 
le  chapeau  dans  le  consistoire  public  du  10  courant.  Ces  trois 
cardinaux  sont  LL.  EEm.  le  cardinal  Sébastien  Neto,  pa- 
triarche de  Lisbonne  ;  le  cardinal  Monescilio  y  Viso,  archevêque 
de  Valence,  et  le  cardinal  Ganglbauer,  archevêque  de  Vienne. 

C'est  dans  le  consistoire  public  du  10  courant  que  le  Saint- 
Père  assignera  leurs  titres  presbytéraux  aux  cinq  archevêques 
étrangers  créés  cardinaux  dans  le  consistoire  d'hier,  et  les 
diaconies  aux  deux  nouveaux  cardinaux  italiens.  Puis  il  préco- 
nisera d'autres  évêques,  parmi  lesquels  un  nouveau  vicaire 
apostolique  pour  le  Congo  français. 

Outre  l'allocution  prononcée  dans  le  consistoire,  on  annonce 
la  publication  prochaine  d'une  Constitution  apostolique  sur 
l'organisation  de  la  hiérarchie  dans  les  Indes  Orientales  par 
rapport  au  protectorat  portugais,  ainsi  que  d'autres  documents 
pontificaux,  notamment  une  Lettre  aux  évêques  de  Hongrie 
ayant  pour  but  l'affermissement  parmi  les  fidèles  de  l'esprit 
d'union  et  de  soumission  ;  enfin  une  nouvelle  Lettre  encyclique 
sur  la  question  sociale. 

A  l'occasion  de  leur  mariage,  le  duc  de  Bragance  et  son 
épouse  ont  fait  demander  au  Saint-Pére  la  bénédiction  aposto- 
lique par  l'entremise  de  l'ambassadeur  du  Portugal.  Sa  Sainteté 
a  fait  répondre  qu'Elle  bénissait  de  tout  cœur  les  jeunes  époux. 
Au  Quirinal,  ce  mariage  a  causé  des  embarras.  Le  prince  héri- 
tier de  Portugal  est  par  sa  mère  le  neveu  du  roi  Humbert.  On 
aurait  voulu  recevoir  à  Rome  le  neveu  et  sa  jeune  épouse  pour 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  603 

les  fêter  et  les  loger  au  Qnirinal.  Seulement  réternelle  question 
romaine  s'est  présentée.  J. es  jeunes  princes  en  arrivant  à  Rome 
voulaient  faire  une  visite  au  Pape.  Mais  le  Saint-Père  a  posé 
depuis  quelques  années  la  règle  formelle  qu'il  ne  recevrait 
aucun  prince  catholique  qui  irait  habiter  le  Qnirinal  ou  qui  ne 
lui  ferait  pas  la  première  visite.  Malgré  cela,  le  duc  d'Aoste  a 
fait  son  possible  à  Lisbonne  pour  obtenir  une  visite,  espérant 
peut-être  que  les  jeunes  princes  viendraient  à  Rome  sans  voir 
lo  Pape,  Mais  il  a  échoué  dans  sa  diplomatie.  Si  les  princes  vont 
à  Rome,  ils  iront  donc  d'abord  offrir  leurs  hommages  au  prison- 
nier du  Vatican.  Ce  serait  une  insulte  pour  le  Quirinal;  aussi 
l'on  dit  (^ue  le  Roi  et  la  Cour  iront  bientôt  à  Monz.i  ou  dans 
quelque  autre  ville  de  la  haute  Italie.  Ils  pourront  recevoir  là 
les  princes,  étant  légitimement  seigneurs  dans  ce  pays.  Les 
piinces  viendraient  ensuite  à  Rome  oii  ils  ne  seraient  considérés 
que  comme  des  visiteurs  du  Pape  auquel  ils  iraient  offrir  leurs 
hommages.  Il  sera  inutile  de  remarquer  ici  à  quelle  compli- 
cation donne  lieu  la  cohabitation  du  Souverain-Pontife  et  du 
Roi  dans  la  même  ville.  Ainsi,  pour  permettre  au  Pape  de  rece- 
voir librement  des  princes,  il  faut  que  la  cour  d'Italie  se  retire 
de  Rome.  N'est-ce  pas  reconnaître  soi-même  que  l'on  est  de 
troj),  que  la  situation  ne  peut  pas  durer! 


LES   CHAMBRES 


Sénat. 

Samedi  5  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  d'une 
interpellation  de  M.  le  marquis  de  l'Angle-Beaumanoir,  sur  la  direc- 
tion donnée  au  service  de  la  gendarmerie. 

H.  DE  l'Angle-Beaumanoir,  après  avoir  développé  son  interpel- 
lation, dépose  l'ordre  du  jour  suivant  : 

«  Le  Sénat,  considérant  que  le  décret  impérial  du  1""^  mars  1854, 
défiait  de  la  manière  la  plus  complète  et  la  plus  honorable  les 
devoirs  de  la  gendarmerie,  passe  à  l'ordre  du  jour. 

]M.  LE  GÉNÉiiAL  BoLLANGER  défend  l'csprit  de  SOS  instructions. 

L'ordie  du  jour  pur  et  simple,  accepte  par  le  ministère  est  adopté. 

M.  i\DOUAUD  MiLLAUD,  au  nom  de  la  conimission  des  finances, 
dépose  le  rapport  sur  le  projet  de  loi  tondant  à  ouvrir  un  crédit 
de  200,000  francs  pour  l'Institut  Pasteur. 


604  ANNALES    CATHOLIQLKS 

Mardi  S  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  première 
délibération  sur  la  proposition  de  loi  do  ]\I.  Labitte  sur  la  chasse. 

Le  Sénat  décide  qu'il  passera  à  une  seconde  délibération.  11 
s'ajourne  ensuite  à  vendredi. 


t3B»ambi*e  des  dépistéfs. 

Lundi  1  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  de  la  pro- 
position de  M.  Beaucaire-Leroux  tendant  à  proroger  la  taxe  de 
7  francs  sur  les  sucres  étrangers  européens  ot  à  l'étendre  aux  sucres 
étrangers  coloniaux. 

M.  Sans-Leroy,  rapporteur,  demande  l'urgence  qui  est  déclarée 
par  334  voix  contre  194. 

Mardi  8  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  discussion 
sur  les  propositions  tendant  à  la  prorogation  de  la  surtaxe  sur  les 
sucres  et  à  son  extension  à  tous  les  sucres  étrangers. 

M.  Pelletan  dépose  son  rapport  sur  l'expulsion  des  princes.  La 
discussion  de  ce  rapport  aura  lieu  jeudi. 

M.  Farcy  dépose  une  proposition  tendant  à  l'institution  d'une 
médaille  pour  les  marins  et  soldats  qui  ont  pris  part  à  rexpédition 
de  Madagascar,  et  demande  la  déclaration  d'urgence. 


Mardi  dernier,  8  juin,  a  été  célébré,  dans  l'Église  Saint- 
Lambert  de  Vaugirard,  le  mariage  de  M.  Henri  Chantrel, 
administrateur  àe^ Annales  catholiques,  avec  M"^  Marthe 
Prat. 

La  messe  a  été  dite  par  M.  l'abbé  Chantrel,  frère  du  marié. 

M.  l'abbé  Pelgé,  vicaire-général  de  Paris,  archidiacre 
de  Saint-Denis,  oncle  de  M.  Henri  Chantrel,  a  donné  aux 
jeunes  époux  la  bénédiction  nuptiale,  et  leur  a  prorais,  dans 
une  touchante  allocution,  tout  le  bonheur  dont  leurs 
qualités  sérieuses,  leurs  solides  principes  religieux  sont  le 
gage  assuré.  En  terminant,  il  leur  a  annoncé  que  le 
Souverain  Pontife  daignait  leur  envoyer,  dans  une  dépèche 
reçue  quelques  instants  avant  la  cérémonie,  sa  spéciale  et 
paternelle  bénédiction. 

Nous  demandons  aux  religieux  abonnés  des  Annales 
catholiques  de  joindre  leurs  prières  aux  nôtres  pour  le 
bonheur  des  nouveaux  mariés. 


CHRONIQUE    DE   LA    SEMAINE  605 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

La  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat.  —  L'expulsion  des  princes.  —  La 
démence  eu  commun.  —  Elections  belges.  —  Angleterre.  —  Madagascar. 

10  juin  1886. 

La  République,  emportant  dans  sa  course  ceux  qui  se  flat- 
taient de  la  contenir  et  de  la  diriger,  étend  ses  ravages  et 
recule,  par  de  nouveaux  attentats,  la  limite  que  les  habiles, 
jour  lesquels  la  politique  n'est  qu'un  métier  lucratif,  se  fai- 
saient fort  de  no  point  franchir. 

La  séparation  de  l'Église  et  de  l'État  est  un  acte  révolution- 
aaire  qui  s'impose  à  notre  majorité  de  mécréants,  et,  s'il  y 
ivait  lieu,  en  l'espèce,  à  quelque  étonnement  de  la  part  des 
^lonnêtes  gens,  ce  serait,  à  coup  sur,  de  constater  qu'il  n'est 
3ncore  qu'un  projet.  La  logique  révolutionnaire  ne  pouvait  pas 
permettre,,  en  effet,  aux  républicains  d'éluder  cette  grave 
question. 

Si,  jusqu'ici,  par  des  considérations  politiques  ou  à  l'aide  de 
Snesses  de  tacticiens,  ils  ont  pu  momentanément  l'écarter,  il 
îtait  manifeste  qu'il  faudrait  tôt  ou  tard  qu'elle  fût  officielle- 
nent  portée  devant  le  Parlement  et  que  l'attentat  contre  l'âme 
ie  la  France  fût  accompli. 

La  Chambre,  en  prenant  en  considération  par  296  voix  contre 
250,  le  projet  d'abrogation  du  Concordat  déposé  par  MM.  Plan- 
:eau  et  Michelin,  vient  donc  d'ouvrir  ce  grand  débat  qui  mar- 
quera dans  l'histoire  de  nos  convulsions  religieuses  et  poli- 
:iques. 

Ce  vote,  dit  très  bien  le  Citoyen  de  Marseille,  est  un  pas 
louveau  vers  la  déchéance  sociale  de  la  France,  c'est  un  défi 
nsolentjetéà  cette  majorité  de  croyants  auxquels  les  impos- 
tures d'un  suffrage  universel  malhonnêtement  pratiqué  im- 
pos3nt  la  domination  d'une  minorité  de  francs-macons.  Mais 
î'est  aussi  le  produit  naturel  et  forcé  de  la  Révolution,  c'est 
.'inévitable  conséquence  de  ce  régime,  qui,  concevant  une 
lumanité  à  rebours,  entend  lui  imposer  d'autres  assises  et 
i'autres  lois  que  celles  qui  lui  furent  données  par  Dieu. 

Comprenons  bien  qu'il  ne  se  pouvait  pas  que  la  République 
l'en  arrivât  point  à  cette  séparation  violente  et  officielle  de 
^'Église  et  de  l'État,  de  la  religion  et  de  la  société.  Par  quelle 


608  ANNALES    CATHOLIQUES 

anomalie  llagraute  un  régime  qui  a  cliassé  Dieu  de  l'école  et 
proscrit  la  religion  de  l'enseignement,  pourrait-il  se  résigner 
à  se  considérer  comme  lié  plus  longtemps  à  cette  religion  de 
l'action  et  de  l'influence  de  laquelle  il  a  la  prétention  d'éman- 
ciper l'esprit  humain  ? 

D'ailleurs,  en  voyant  à  quelles  violations  quotidiennes  de  oe 
Concordat  qu'ils  prétendent  pourtant  respecter,  ces  tristes 
hommes  d'Etat  ne  craignent  pas  d'avoir  recours,  pour  donner 
des  gages  à  la  meute  jacobine  qui  les  harcèle,  on  serait  presque 
tenté  de  se  demander  s'il  n'y  a  pas  un  intérêt  majeur  à  ce  que 
la  (juestion  soit  une  bonne  fois  tranchée,  que  les  masques  dont 
se  couvrent  des  ennemis  perfides  soient  arrachés  et  que  les 
républicains  achèvent  de  se  montrer  tels  qu'ils  sont  en  réalité? 

Peut-être  même  ce  dernier  attentat  est-il  nécessaire  pour 
ouvrir  les  yeux  d'un  ti^op  grand  nombre  d'honnêtes  gens  qui 
s'arrêtent  aux  discours  et  ne  savent  pas  toujours  discerner  les 
démentis  que  les  actes  leur  infligent,  de  catholiques  confiants 
et  volontiers  endormis  dans  l'expectative. 

Il  importe  surtout  qu'ils  soient  bien  convaincus  que  cette 
prétendue  séparation  de  l'Église  et  de  l'Etat  que  veulent  opérer 
nos  modernes  Jacobins,  ne  saurait  avoir  aucun  point  de  res- 
semblance avec  cette  séparation  dont  quelques  catholiques 
abusés  faisaient  jadis  un  des  articles  de  leur  programme  de 
régénération.  Dans  la  naïveté  de  leur  libéralisme,  ceux-ci 
disaient  :  «  L'Eglise  libi-e  dans  l'Etat  libi'e  :  l'Eglise  doit 
régner  sur  les  âmes,  mais  l'État  doit  être  laïque.  »  Eh  bien! 
non,  ce  n'est  point  de  cette  façon,  d'ailleurs  condamnée  par 
l'Église,  que  l'entend  la  Révolution.  Elle  voit  dans  l'Église, 
dont  elle  est  la  négation  formelle,  une  trop  redoutable  ennemie 
pour  se  résigner  à  la  laisser  jouir  d'une  liberté  qui  serait,  à  ses 
yeux,  pour  la  société  dite  moderne,  c'est-à-dire  antichrétienne, 
une  ofi"ense  et  une  menace. 

L'abrogation  du  Concordat  ne  sera  pour  la  secte  au  pouvoir 
qu'une  étape  vers  cette  vaste  domination  des  consciences  qui 
est  son  objectif.  A  la  formule  libérale  :  l'É»'lise  libre  dans  l'État 
libre,  ne  tardera  pas  à  succéder  la  seule  formule  que  le  jacobi- 
nisme puisse  admettre  :  l'Église  asservie  dans  l'État  athée. 

La  séparation  de  l'Église  et  de  l'État  n'est  donc  point  la 
solution  d'un  problème,  c'est  le  début  d'un  nouvel  ordre  de 
choses,  c'est  le  premier  pas  d'un  pouvoir  sectaire  vers  de  plus 


CHRONIQUB  DE   LA   SEMAINE  607 

hardies  et  de  plus  générales  tentatives  d'oppression  des  cons- 
ciences et  de  persécution  religieuse. 

Voilà  ce  dont  les  catholiques  ont  le  devoir  de  se  convaincre. 
L'heure  approche  où  ils  devront  se  ceindre  les  reins  et  se  pré- 
parer à  ces  luttes  décisives  auxquelles,  dans  la  dernière  séance 
du  Congrès  des  catholiques  de  France,  M.  Keller,  le  vaillant 
député  de  l'Alsace,  les  conviait,  en  un  luâle  et  magnifique 
langage  que  nous  nous  réservons  le  plaisir  de  mettre  prochai- 
nement sous  les  yeux  de  nos  lecteurs. 


Comme  on  l'a  vu  plus  haut,  la  commission  d'expulsion  des 
princes  a  enfin  déposé  son  rapport  et  on  le  discute  en  ce  moment 
à  la  Chambre. 

Dés  le  début,  le  rapport,  de  M.  Pelletan  constate  la  distinc- 
tion établie  par  la  commission  entre  les  questions  do  présence 
des  princes  sur  le  sol  français,  et  les  questions  relatives  à  leurs 
biens. 

L'expérience  a  démontré,  dit  le  rapport,  que  la  présence  des 
prétendants,  qui  affectent  le  rôle  de  souverains  en  expectative, 
est  une  cause  de  trouble  et  d'inquiétude,  sans  constituer  un 
danger  imminent  pour  aujourd'hui. 

La  présence  des  princes  est  une  menace  suffisante  pour  que 
la  tranquillité  publique  ne  reste  point  entière. 

L'expulsion  du  sol  national  est  en  quelque  sorte  le  droit  com- 
mun à  l'égard  des  prétendants  qui  n'ont  point  abdiqué  leurs 
prétentions. 

Elle  est  le  seul  moyen  que  le  gouvernement  établi  possède 
pour  préserver  le  pays  de  surprises  possibles. 

Toutefois,  nous  vivons  à  une  époque  où  les  solutions  nettes 
qui  suffisaient  au  bon  vieux  temps  ne  s'exercent  plus  avec 
succès. 

La  commission,  désil-euse  d'une  part  d'aboutir  à  une  solution 
précise  et  résolue,  animée  d'autre  part  d'un  désir  d'entente  avec 
le  gouvernement,  a  consenti  à  entrer  dans  la  voie  transaction- 
nelle. 

Elle  n'a  pas  réussi  à  transiger;  la  commission  voulait  que  le 
gouvernement  engageât  sa  responsabilité  chaque  fois  qu'il  au- 
toriserait l'un  des  princes  à  résider  sur  le  sol  français;  le  gou- 
vernement n'entendait  engager  sa  responsabilité  que  dans  les 
cas  où  il  expulserait  du  sol  français  l'un  des  princes. 

44 


608  ANNALES    CATHOLIQUES 

Un  prince  peut,  sans  être  prétendant  soi-même,  préparer- 
puissamment  les  voies  à  une  restauration. 

M.  Pelletan  rappelle,  à  ce  propos,  le  rôle  dont  il  fat  question 
pour  le  duc  d'Aumale,  alors  qu'une  fraction  de  l'Assemblée  de 
1871  rêvait  le  retour  de  la  royauté. 

Une  sorte  de  stathoudérat  lui  aurait  été  dévolu  comme  pour 
créer  une  période  transitoire  entre  la  République  et  la  monar- 
chie; des  menées  du  même  ordre  ne  pourraient-elles  se  renou- 
veler ? 

La  commission,  dans  le  doute,  s'est  décidée  en  faveur  d'une 
solution  qui  ferait  tous  les  princes  égaux  devant  la  loi  d'exil. 

En  conséquence,  elle  propose  le  projet  de  loi  suivant  : 

Article  1".  —  Le  territoire  de  la  République  française  est  et 
demeure  interdit  à  tous  les  membres  des  familles  ayant  régné 
sur  la  France. 

Art.  2.  —  Celui  qui  en  violation  de  la  loi  sera  trouvé  en 
France,  en  Algérie  ou  dans  les  colonies,  sera  puni  d'un  empri- 
sonnement de  deux  à  cinq  ans. 

A  l'expiration  de  sa  peine  il  sera  reconduit  à  la  frontière. 

Pendant  que  nos  fous  de  la  Chambre  se  livrent  à  ces  irri- 
tantes discussions,  les  déments  du  Conseil  municipal  de  Paris 
s'appliquent  à  ne  pas  rester  en  arriére.  Décidément,  la  libre- 
pensée  est  une  folie,  et,  de  toutes  celles  qui  peuvent  dégrader 
l'homme,  la  plus  abjecte  et  la  plus  dangereuse. 

Prenez  dans  un  asile  d'aliénés  le  fou  le  plus  furieux  et  le  plus 
enragé,  il  sera  moins  nuisible  à  la  société  que  tel  fanatique 
d'athéisme  qui,  dans  la  presse,  à  la  tribune,  dans  la  plupart  de 
nos  corps  élus,  se  livre  impunément  à  sa  manie  homicide.  Et 
ce  qui  caractérise  bien  l'abominable  époque  où  nous  vivons^ 
c'est  que,  loin  de  songer  à  lui  enlever  les  moyens  de  nuire,  les 
pouvoirs  publics  approuvent  cette  folie,  la  partagent  et  l'encou- 
ragent. Elle  est  officiellement  protégée  par  eux  au  nom  de  la 
liberté  de  conscience  ;  c'est  avec  la  garantie  du  gouvernement 
qu'elle  sévit  et  cause  d'irréparables  ravages. 

Un  récent  débat,  soulevé  dans  cette  assemblée,  à  propos 
d'un  livre  de  lecture  et  d'instruction  à  l'usage  de  l'enfance, 
fort  répandu  dans  les  écoles  officielles,  va  permettre  à  nos 
lecteurs  d'en  juger. 

Ce  livre,  signé  G.  Bruno,  a  été  tout  d'abord  attribué  à 
M.   Fouillée,    professeur   à   l'école   normale    et   libre-penseur 


CHRONIQUK    r>E    LA    SEMAINE  COO 

■notoire.  Mais  c'est,  paraît- il,  Aline  Fouillée  qui  en  est  l'auteur, 
et  cet  universitaire  qui  ne  professe  pas  les  mêmes  doctrines  que 
sa  femme,  admire  les  livres  qu'elle  écrit,  et  en  écrit  lui-même 
d'un  esprit  tout  opposé. 

Or,  dans  le  volume  en  question,  on  lit  des  phrases  comme 
celles-ci  ; 

Page  71.  —  L'École  :  «  Je  ne  sais  rien,  mais  je  voudrais  m'iustruire, 
devenir  bon,  aimer  Dieu  de  tout  mon  cœur.  En  travaillant,  j'ap- 
prendrai vite  à  lire.  En  priant  Dieu,  je  deviendrai  meilleur. 

«  J'aime  l'école,  où  l'on  sait  tant  de  choses  : 

«  Sur  les  grands  murs  sont  inscrits  : 

ce  Dieu  nous  voiti  .  .  » 

C'est  avec  les  accents  de  la  plus  profonde  indignation  qu'un 
conseiller  municipal,  M.  Hovelacque,  a  dénoncé  ces  phrases  qui 
parlent  de  Dieu  sans  blasphémer  et  demandé  comment  un  livre 
pareil  avait  pu  s'introduire  dans  les  écoles  de  Paris. 

C'est  bien  simple,  a  répondu  le  directeur  de  l'enseignement 
primaire,  l'ouvrage  est  conforme  au  programme  ministériel. 

M.  JoFFRiN.  —  Il  est  joli,  alors,  le  programme,  c'est  du  propre! 

M.  Maurice  Binder.  —  Nous  sommes  de  votre  avis,  pas  pour  cela, 
par  exemple. 

M.  JoFFRiN.  —  On  fera  bientôt  croire  à  nos  enfants  que  c'est  le 
bon  Dieu  qui  a  inventé  le  téléphone  (Rires). 

M.  LE  Directeur  de  l'enseignement  primaire.  —  Les  doctrines 
spiritualistes  ayant  leur  place  dans  les  programmes  officiels,  les  ins- 
tituteurs, en  choisissant  G.  Bruno,  n'ont  rien  fait  qui  soit  ea 
désaccord  avec  la  lettre  ni  avec  l'esprit  de  ces  programmes. 

La  loi  prescrit  tout  ce  qui  présente  un  caractère  dogmatique,  tout 
ce  qui  est  propagande  ou  polémique  pour  ou  contre  un  culte 
quelconque. 

Mais  elle  laisse  aux  instituteurs  la  faculté  de  choisir  un  livre  qui 
fait  leur  part  aux  doctrines  spiritualistes.  Quant  à  la  commission  de 
révision,  elle  ne  saurait,  sans  abus  de  pouvoir,  rayer  cet  ouvrage  de 
la  liste  des  instituteurs.  Il  en  eût  été  autrement  s'il  se  fût  agi  d'une 
œuvre  de  propagande  ou  de  polémique  religieuse  (c'est-à-dire  d'un 
livre  catholique). 

M.  Navarre. —  Si  ce  livre  ne  fait  pas  de  polémique,  il  fait  de  la 
propagande. 

M.  Longuet.  —  C'est  la  foi  du  charbonnier. 

M.  JoFFRiN.  —  Vous  voulez  atrophier  la  cervelle  de  nos  enfants. 

M.  LE  Directeur  de  l'enseignement  primaire.  —  La  commission 
de  révision  des  listes  des  livres  scolaires  se  réunira  prochainement. 


610  ANNALES    CATHOLIQUES 

Elle  examinera  dans  quelle  mesure  elle  aura  à  tenir  compte  de  votre 
vœu.  Mais  je  ne  saurais  trop  insister  sur  ce  point,  à  savoir  qu'i7 
appartient  aux  instituteurs  seuls  de  désigner  les  livres  classiques,  et 
à  la  commission  de  révision  de  contrôler  leurs  choix. 

Rien  de  plus  faux,  pour  le  dire  en  passant.  Les  bons  ouvrages, 
c'est-à-dire  les  ouvrages  catholiques,  sont  formellement  inter- 
dits dans  les  écoles,  et  c'est  seulement  parmi  les  mauvais  que 
les  instituteurs  ont  la  liberté  de  choisir.  Le  livrede  Mme  Fouillée 
n'est  pas  jugé  suffisamment  mauvais,  voilà  tout. 

Mais  n'est-il  pas  réjouissant  de  voir,  malgré  les  gages  nom- 
breux qu'ils  ne  cessent  de  prodiguer  à  la  libre-pensée,  le  préfet 
de  la  Seine  et  les  membres  de  son  administration  accusés  de 
cléricalisme  par  les  maniaques  malfaisants  du  conseil  municipal 
de  Paris? 

—  Si  les  instituteurs,  dit  le  conseiller  Chautemps,  se  savaient  sous 
les  ordres  d'un  préfet  et  d'un  directeur  qui  ne  fussent  pas  cléricaux, 
ils  n'auraient  jamais  osé  choisir  un  pareil  ouvrage. 

—  Il  est  évident,  dit  M.  Longuet,  que  lorsqu'un  ministre,  — M.  Ferry, 
«'il  vous  plaît  —  déclare  que  l'enseignement  officiel  sera  spiritualiste 
et  déiste,  cela  veut  dire  qu'il  sera  un  enseignement  chrétien  et  clérical. 

—  11  est  vraiment  étrange,  insiste  M.  Vaillant,  d'avoir  encore  un 
enseignement  sectaire  et  spiritualiste. 

Donc,  quiconque  croit  en  Dieu  est  clérical.  Par  conséquent, 
plus  de  Dieu  à  l'école,  plus  de  spiritualisme,  plus  de  morale. 
Citons  encore  : 

^L  JoBBÉ-DfVAL.  —  Ne  faites  donc  pas  d'enseignement  moral  à 
l'école  primaire. 

M.  Vaillant.  —  Ce  n'est  pas  cela  non  plus  que  je  demande.  Ce 
que  je  veux,  c'est  qu'on  élimine  le  surnaturel,  le  miracle,  les  idées 
surannées,  de  l'enseignement,  c'est  qu'on  cesse  enfin  d'inculquer  aux 
enfants  des  idées  fausses  sur  les  sciences. 

M.  Longuet.  —  Surtout  sur  l'anatomie,  à  cause  des  ailes  des  anges. 
(Rires.) 

M.  Vaillant.  —  Sans  fermer  les  yeux  au  péril  clérical,  toujours 
rebaissant  autant  que  jamais,  on  peut  affirmer  que  pour  Paris,  pour 
les  écoles  communales  du  moins,  c'est  le  péril  spiritualiste  qui  est  le 
plus  à  redouter. 

Les  enfants  des  écoles  parisiennes  sont  hors  de  l'atteinte  de  la  pro- 
pagande cléricale,  mais  on  leur  donne  encore  ces  conceptions  fausses 
résultant  de  la  conception  spiritualiste  du  monde,  origine  de  toutes 
les  superstition?. 


CHRONIQUE    DE    LA.    SEMAINE  611 

Du  spiritualisme,  en  effet,  découlent  les  erreurs  les  plus  grosses  de 
'histoire  et  de  renseignement,  comme  de  la  politique. 

Eliminons  le  spiritualisme  de  l'école,  et  nous  nous  appuierons  alors 
lUi-  des  bases  certaines,  réelles,  pour  faire  entrer  dans  l'esprit  des 
infants  des  idées  salues  et  exactes. 

Restent  l'athéisme  brutal  et  l'abject  matérialisme.  Ils  n'ex- 
îluent  pas  la  bêtise,  comme  le  prouve  la  suite  de  la  discussion  : 

M.  lE  PaÉsiPENT.  —  La  parole  est  â  INI.  Monteil. 

M.  Maurice  Binder.  —  C'est  inutile,  nous  connaissons  le  cliché. 

M.  Monteil.  —  Eh  bien  !  peut-être  qu'à  force  de  vous  le  mettre 
lous  les  yeux,  je  finirai  par  changer  vos  idées,  qui,  à  mon  sentiment, 
m  ont  grand  besoin. 

Un  instituteur  à  qui  je  demandais  dernièrement  pourquoi,  lui  que 
e  savais  libre-penseur,  il  faisait  faire  la  première  communion  à  son 
înfant,  m'a  répondu  par  cette  parole,  qui  peut  caractériser  ce  débtit  : 

—  Si  je  ne  la  lui  faisais  pas  faire,  il  n'y  a  pas  de  persécution  à 
aquelle  je  ne  fusse  en  butte  de  la  part  de  l'administration  de  l'ensei- 
gnement. 

Le  directeur  de  l'enseignement  primaire  est  tout  suffoqué  : 

—  C'est  une  calomnie!  s'écrie-t-il;  je  mets  M.  Monteil  au 
iéfi  de  justifier  ce  qu'il  avance  contre  moi. 

Naturellement,  M.  Monteil  ne  justifie  rien.  Quelle  accusation 
'ut  jamais  plus  invraisemblable?  A.  Paris  !  dans  les  écoles  pri- 
maires !  les  libres-penseurs  persécutés  parles  catholiques  !  C'est 
?e  moquer  du  monde. 

La  proposition  Hovelacqne  a  été  adoptée  haut  la  main, 
Mme  Fouillée  ne  vendra  pas  son  livre  et  le  Temps  n'est  pas  sa- 
tisfait. Tant  qu'on  n'a  exclu  que  les  livres  catholiques,  il  ap- 
plaudissait :  mais  on  met  à  l'index  radical  les  ouvrages  des 
iibres-penseuis,  il  commence  à  s'apercevoir  que  la  liberté  est 
violée. 

Les  conservateurs  belges  viennent  de  remporter  une  nouvelle 
et  éclatante  victoire.  Le  vote  du  8  juin  1886  complète  le  verdict 
qui,  il  y  a  deux  ans,  a  délivré  nos  voisins  du  joug  de  la  Franc- 
Maçonnerie. 

Quatre  provinces  étaient  appelées  à  prendre  part  à  la  grande 
lutte  qui  s'est  décidée  mardi  :  la  Flandre  orientale,  le  Lim- 
bourg,  le  Hainaut  et  la  province  de  Liège. 

Tous  les  arrondissements  de  la  Flandre  et  du  Limbourg 
étaient  déjà  acquis  aux  catholiques.  Gund  seul  était  au  pouvoir 


612  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  leurs  adversaires,  et  c'est  sur  ce  grand  arrondissement  que 
se  portait  le  principal  effort  de  la  lutte.  Or,  cette  position  maî- 
tresse, nos  amis  l'ont  aujourd'hui  reconquise.  Toute  la  députa- 
tion  libérale  gantoise,  M.  Rolin  compris,  est  renversée,  et  du 
coup  un  déplacement  de  16  voix  s'opère  dans  la  Chambre  au 
profit  de  la  droite. 

En  résumé,  les  catholiques  gagnent  onze  sièges  et  auront  dé- 
sormais à  la  Chambre  une  majorité  sans  précédents  dans  les 
annales  de  la  Belgique  :  90  voix  contre  38.  Ils  ont  atteint  et  dé- 
passent, pour  défendre  les  institutions  nationales,  cette  majorité 
de  deux  tiers  qui  eût  été  nécessaire  au  libéralisme  radicalisé 
pour  les  réviser  et  les  détruire. 

Le  projet  irlandais  de  M.  Gladstone  a  été  repoussé  à  la 
Chambre  des  communes  par  341  voix  contre  311.  Quoique  les 
débats  de  ces  derniers  jours  pussent  faire  prévoir  ce  résultat, 
on  ne  s'attendait  pas  à  une  majorité  aussi  forte  contre  le  projet 

Vu  l'importance  de  la  question,  presque  tous  les  députés  ont 
pris  part  au  vote  et  il  y  a  eu  652  votants  sur  670  membres, 
dont  se  composent  les  Communes.  Le  résultat  du  vote  a  été 
proclamé  au  milieu  d'une  indescriptible  émotion.  M.  Gladstone 
a  lutté  jusqu'au  dernier  moment.  Il  a  parlé  pendant  près  de 
deux  heures.  Après  le  vote,  le  premier  ministre  a  proposé 
l'ajournement  de  la  Chambre  à  aujourd'hui,  motion  qui  n'a  pas 
été  adoptée  sans  tumulte,  et  l'assemblée  s'est  séparée  aux  cris 
de  :  Gladstone  for  ever!  poussés  par  les  députés  irlandais. 

Deux  mois  de  longs  et  irritants  débats  ont  donc  abouti  au 
rejet  pur  et  simple  d'une  question  qui  a  provoqué  dans  le  pays 
une  agitation  qu'il  sera  malaisé  de  calmer. 

Quant  aux  conséquences  de  ce  vote,  il  est  encore  impossiMe 
d'en  prévoir  toute  l'importance.  En  effet,  M.  Gladstone  peut, 
ou  bien  donner  sa  démission  à  la  Reine,  ou  lui  proposer  la 
dissolution  de  la  Chambre  des  communes.  On  dit  beaucoup  que 
c'est  à  cette  dernière  combinaison  qu'il  était  résolu  de  s'arrêter  : 
toutefois  il  n'y  a  là  qu'une  conjecture,  fondée  sur  ce  qu'on  sait 
du  caractère  de  M.  Gladstone.  Dans  vingt-quatre  heures,  plus 
ou  moins,  nous  serons  fixés  à  cet  égard;  mais,  quoi  qu'il  arrive, 
on  est  en  droit  de  dire  qu'une  période  d'agitation  aiguë  s'ouvre 
en  ce  moment  pour  l'Angleterre. 

De  graves  nouvelles  arrivent  de  Madagascar,  depuis  deux  ou 


REVUE    ÉCONOMIQUE    ET    FINANCIERE  G13 

trois  jours.  Se  préparerait-il  là,  pour  le  ministère  Frejcinet, 
un  nouveau  Lang-Son,  au  cas  où  sa  platitude  dans  la  question 
des  princes  viendrait  à  sauver  son  portefeuille?  L'avenir  nous 
le  dira.  En  attendant,  le  traité  du  17  décembre  que  les 
Chambres  ont  ratifié  ne  paraît  devoir  être  pour  la  France  qu'un 
traité  de  dupe.  C'est  du  reste  le  sort  réservé  à  toutes  les 
conventions  diplomatiques  qui  portent  l'estampille  ministérielle 
de  M.  de  Freycinet.  En  ce  qui  concerne  Madagascar,  tout  est 
remis  à  peu  prés  en  question  et  la  situation  présente  même,  en 
ce  moment,  un  caractère  bien  plus  grave  qu'au  début  de  notre 
expédition. 

L'évacuation  de  Vohémar  par  nos  troupes  a  été  le  signal 
d'affreuses  scènes  de  carnage.  Les  Hovas  se  sont  précipités  sur 
les  Sakalaves,  nos  anciens  alliés,  ont  exterminé  les  hommes  et 
ont  emmené  en  esclavage  les  femmes  et  les  enfants.  C'est  le 
commencement  d'une  guerre  d'extermination  que  les  Hovas 
vont  faire  aux  Sakalaves,  qui  ont  eu  le  malheur  de  compter  sur 
les  promesses  du  gouvernement  de  la  République  française. 

Cette  éventualité  n'est  pas  faite  pour  relever  le  prestige  de 
la  France  en  Afrique  et  ailleurs. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  ET  FINANCIÈRE 

Ce  qui  frappe  plus  parliculièrenienl  à  la  Bourse,  en  ce  moment, 
ce  n'est  point  la  hausse  ou  la  fermeté  de  nos  Rentes  françaises; 
mais  la  campagne  qui  se  fait  aulour  de  certains  Fonds  d'Etals 
étrangers.  L'Italien,  qui  au  fond  ne  rapporte  que  4  fr.  3i  est  au- 
dessus  de  100  fi'ancs  ;  le  4  l/*^  0/0  russe  a  des  cours  voisins  du 
pair;  le  Hongrois  4  0/0,  dont  il  n'y  a  pas  bien  longtemps  on  ne 
voulait  pas  à  80  francs,  fait  aujourd'hui  86  ;  le  4  0/0  Autrichien, 
émis  il  y  a  peu  d'années  à  oS  francs,  est  coté  94;  l'Espagnol  est 
aussi  très  enlevé  ;  jusqu'au  Turc  qu'on  tente  de  relever.  Qui  fait 
don(*  cette  campagne  de  hausse?  Evidemment  ce  n'est  point  le 
comptant,  mais  bien  la  spéculation  et  encore  on  doit  dire  la  spécula- 
tion du  dessus  du  panier. 

Cette  campagne  de  hausse  qui  dure  depuis  plus  de  deux  ans  et 
qui  a  été  si  brillamment  conduite  a  procuré  de  gros  bénéfices  à  ces 
gros  bonnets  ;  mais  elle  peut  aussi  avoir  son  revers  et  être  la  cause 
de  plus  d'un  désastre.  La  hausse  sur  certains  de  ces  Fonds  d'Etats 
a  eu  pour  objectif  plus  ou  moins  éloigné  d'opérer  une  conversion  ; 
sur  d'autres  Fonds,  on  n'a  cherché  qu'à  gagner  de  l'argent.  La 
question  peut  donc  être  envisagée  sous  cette  double  face. 

Examinons  la  seconde  hypothèse  :  Il  arrive  aujourd'hui  que  les 
cours  inespérés  qu'obtiennent  plusieurs  de  ces  Fonds,  ont  fait  naître 
aux  gouvernements  qui  les  ont  émis,  de  nouvelles  ambitions  qu'il 


614  ANNALES    CATHOLIQUES 

'audra  bientôt  satisfaire.  Tous  vont  se  dire  que,  du  moment  où  leur 
crédit  est  si  haut  prisé,  ils  auraient  bien  toit  de  n'en  pas  pi-ofiler 
pour  se  livrer  à  de  grosses  dépenses  h  couvrir  par  de  gros  empruiils. 
A  l'argent  qu'ils  ont  déjà  immobilisé  dans  les  Fonds  antérieurement 
émis  pour  les  amener  aux  cours  où  nous  les  voyons,  les  banquiers 
devront  donc  ajouter  un  nouvel  argent.  Ils  ne  se  tireront  pas  facile- 
ment de  l'engrenage  dans  lequel  ils  se  sont  laissés  prendre.  Leur 
ruse  ne  peut  aller  qu'en  grossissant. 

Quant  à  la  question  de  conversion,  on  en  parle  pour  la  Prusse, 
l'Italie  et  la  Uussie.  Laissons  de  côté  les  Fonds  prussiens  dent  on  ne 
s'occupe  pas  sur  notre  place  et  passons  aux  deux  autres. 

Ce  n'est  nn  secret  pour  personne  s'occupant  un  peu  spécialement 
de  finances  que  la  conversion  de  o  0/0  italien  est  un  but  qu'on 
tente  d'atteindre  depuis  plusieurs  années  et  que,  suivant  nous,  on 
n'est  pas  près  d'atteindre.  Les  gros  détenteurs  de  titres,  les  instiga- 
teurs de  riMnprunt  italien  ont  toujours  soutenu  ses  cours  et  de 
90  francs  à  100  francs,  n'ont  pas  cessé  d'acheter,  on  de  faire  achelor 
leur  clientèle.  Aujourd'hui,  le  marché  se  trouve  en  présence  de 
trois  classes  d'acheteurs  ou  de  détenteurs  d'Italien  bien  distinctes  : 
1°  les  gros,  les  instigateurs,  2°  les  banquiers  et  les  syndicats;  3°  le 
petit  public.  Or,  que  va-t-il  arriver?  Pour  qu'une  conversion  soit 
possible,  il  faut  que  le  Fonds  d'État  à  convertir  tiépasse  notable- 
ment le  pair;  car  des  offres  inopinées  ou  malveillanies  pourraient 
faire  manquer  la  conversion,  en  ramenant  la  valeur  au  pair  ou  au 
dessous.  Qu'est-ce  que  c'est  qu'une  conversion?  c'est  une  diminu- 
tion du  taux  «le  l'intérêt  sur  la  valeur  à  cotivertir.  Dans  l'espèce, 
l'Italien  converti  ne  donnerait  plus  que  4  0/0.  Donc,  en  allenilant, 
on  peut  dire  que  le  porteur  d  Italien  ne  touche  plus  que  4  francs 
avec  un  coupon  supplémentaire  de  34  cent,  jusqu'au  moment  de  la 
conversion.  L'Italien  a  101  francs  et  même  lO'â  francs,  à  cette 
époque,  est  au-ilessous  du  pair,  atler.du  que  le  1'''  juillet,  il  détache 
un  coupon  de  2  fr.  50  brut  et  «!(!  2  fr.  17  net;  pour  être  au  pair,  il 
faudrait  voir  les  cours  de  102  fr.  50  et  nous  n'en  sommes  p.is  là; 
les  élections  en  Italie  ne  sont  pas  des  plus  favorables  au  ministère. 
C'est  un  point  très  délicat  que  de  convertir;  en  France,  on  a  voulu 
que  notre  o  0/0  eût  atteint  bien  au  delà  du  pair,  puisqu'un  moment 
il  a  fait  plus  de  120  francs.  Tous  ceux  qui  ont  acheté  de  l'Italien  en 
vue  d'une  conversion  vendront  dès  que  l'Italien  fera  lOf  ou 
103  francs;  il  en  sera  de  môme  des  gros,  s'ils  sont  habiles. 
Qu'est-ce  qui  restera  sur  la  brèche?  Les  banquiers,  les  Etablisse- 
ments de  crédit  et  les  syndicats  à  qui  l'on  fera  croire  à  nn  appui 
puissant  et  à  un  bénéfice  qui  ne  deviendra  réel  que  si  les  circons- 
tances s'y  prêtent,  c'est-à-dire  si  les  promoteurs  de  la  conversion 
■V'  ont  un  intérêt  puissant. 

A.  H. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 


8009.  —  Paris.  Imp.  G.  Picquoin,  5i,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


CONSISTOIRE  DU    10  JUIN  1886. 

N.  T.  S.  P.  le  Pape  Léon  XIII  a  tenu,  le  10  juin  au  matin,  un 
Consistoire  public  dans  le  Palais  apostolique  du  Vatican,  pour 
donner  le  chapeau  cardinalice  aux  EEmes  et  RRnaes  cardinaux 
Joseph  Sébastien  Neto,  créé  et  publié  dans  le  Consistoire  secret 
du  24  mars  1884;  Antonin  Monesciilo  f  Viso  et  Célestin  Gangl- 
bauer,  créés  et  publiés  daas  le  Consistoire  secret  du  10  novem- 
bre 1884  ;  Auguste  Theodoli  et  Camille  Mazzella,  créés  et 
publiés  dans  le  Consistoire  secret  de  lundi  dernier. 

A  cet  effet,  les  nouveaux  cardinaux  se  sont  rendus,  à  neuf 
heures  et  demie  du  matin,  à  la  chapelle  Sixtine,  et  là,  pendant 
que  les  chapelains-chantres-pontificaux  exécutaient  des  motets 
de  circonstance,  ils  ont  prêté  serment,  d'après  les  Constitutions 
apostoliques,  en  présence  des  EEmes  et  RRmes  cardinaux  chefs- 
d'ordre,  du  Camerlingue  et  "du  vice-chancelier  de  la  sainte 
Eglise  romaine;  ainsi  que  du  Camerlingue  du  Sacré-Collége. 

Pendant  ce  temps.  Sa  Sainteté  est  descendue  avec  sa  noble 
cour  dans  la  salle  des  Paramenti,  oii  l'attendaient  les  EEmes 
et  RRmes  cardinaux,  les  lUmes  et  Rmes  prélats  vice-camerlin- 
gue de  la  sainte  Eglise  et  auditeur  de  la  R.  C.  A.,  les  archevê- 
ques et  évêques,  les  divers  collèges  de  la  prélature  romaine,  les 
officiers  et  les  cubiculares,  ainsi  que  le  secrétaire  de  la  S.  Con- 
grégation des  Rites,  le  Promoteur  de  la  Foi,  les  avocats  con- 
sistoriaux  et  les  autres  personnages  admis  à  prendre  part  aux 
cérémonies  pontificales  solennelles. 

Là,  le  Souverain-Pontife  a  revêtu  les  ornements  sacrés  ;  puis, 
s'avançant  dans  la  salle  Ducale,  il  a  pris  place  sur  la  Sedia 
gestatoria  au  milieu  des  flahelli,  et,  escorté  des  personnages 
susdits,  il  a  fait  son  entrée  dans  la  salle  Royale  oii,  étant  monté 
sur  le  trône,  il  a  commencé  la  cérémonie  solennelle  du  Consis- 
toire. 

Les  EEmes  et  RRmes  cardinaux  ont  prêté  d'abord  au  Saint- 
Père  l'acte  d'obédience,  pendant  que  les  chapelains-chantres- 
Lvi.  —  19  JUIN  1886.  45 


616  ANNALES    CATHOLIQUES 

pontificaux  exécutaient  des  motets  de  circonstance.  Alors,  les 
nouveaux  princes  de  l'Eglise,  introduits  dans  la  salle  Royale 
par  les  cardinaux  de  l'ordre  des  Diacres,  se  sont  avancés  jus- 
qu'au trône  du  Souverain-Pontife  auquel  ils  ont  baisé  le  pied  et 
la  Kiain  et  dont  ils  ont  reçu  le  baiser  de  paix.  Ils  ont  reçu  de 
même  l'accolade  de  leurs  EEmes  collègues  et,  ensuite,  ils  ont 
occupé  au  milieu  d'eux  la  place  respective  qui  leur  est  assignée. 
Cela  fait,  les  cinq  nouveaux  cardinaux  sont  revenus  devant  le 
trône,  oii  ils  ont  reçu  le  chapeau  cardinalice  des  mains  du  Saint- 
Père  avec  le  cérémonial  d'usage. 

Pendant  les  intervalles  de  cette  cérémonie,  l'avocat  consisto- 
rial,  M.  le  chevalier  Philippe  Gioazzini,  a  plaidé  pour  la  troi- 
sième fois  en  faveur  de  la  cause  de  béatification  de  la  vénérable 
servante  de  Dieu,  Sœur  Marie-Gertrude  Salandri,  romaine. 

Sa  Sainteté,  s'étant  alors  levée  devant  le  trône,  a  béni  tous 
les  assistants,  et  ayant  de  nouveau  pris  place  sur  la  Sedia 
gestaioria,  elle  est  retournée,  avec  le  même  cérémonial  qu'au- 
paravant et  escortée  du  Sacré-Collège  et  de  toute  la  cour  à  la 
salle  Ducale  et  à  celle  des  Parmnenti,  où  elle  a  déposé  les  or- 
nements sacrés,  pour  rentrer  avec  sa  noble  cour  dans  ses  appar- 
tements particuliers. 

Ensuite  les  EEmes  et  RRmes  cardinaux  se  sont  rendus  pro- 
cessionnellement  à  la  chapelle  Sixtine,  précédés  des  chapelains- 
chantres-pontificaux  qui  chantaient  le  Te  Deum.  L'hymne 
d'actions  de  grâces  étant  achevée,  S.  Em.  le  cardinal-doyen  a 
récité  l'oraison  Super  creatos  cardinales,  et,  au  sortir  de  la 
chapelle  Sixtine,  les  nouveaux  princes  de  l'Eglise  ont  reçu, 
pour  la  seconde  fois,  le  baiser  de  paix  de  leurs  EEmes  collè- 
gues. 

Le  Consistoire  public  étant  ainsi  terminé,  le  Consistoire  se- 
cret a  eu  lieu  dans  la  salle  habituelle.  Le  Saint-Père,  après 
avoir,  selon  l'usage,  fermé  la  bouche  aux  EEmes  et  RRmes 
cardinaux  Neto,  Monescillo  y  Viso,  Ganglbauer,  Theodoli  et 
Mazzella,  a  proposé  et  pourvu  les  églises  suivantes  : 

L'Eglise  métropolitaine  de  Port-au-Prince,  pour  Mgr  Cons- 
tant- Maihurin  Hilion,  promu  du  siège  de  Cap  Haïtien  ; 

L'Eglise  me'tropolitaine  de  Compostelle,  pour  Mgr  VictO" 
rien  Guisaola  y  Fernandez,  promu  du  siège  d'Orthuela  ou 
Alicante  ; 

L'Eglise  métropolitaine  de  Burgos,  pour  Mgr  Emmanuel 
GoMEz  Y  Salazar,  promu  du  siège  de  Malaga  ; 


CONSISTOIRE   DU    10   JUIN    1886  617 

L'Eglise  métropolitaine  d'Aix,  pour  le  R.  D.  François- 
Xavier  GouTHE-SouLARD,  de  l'archidiocèse  de  Lyon,  curé  de 
Saint-Pierre-de-Vaise,  dans  le  même  archidiocèse  et  docteur  en 
théologie  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Madrid,  pour  Mgr  Cyriac  Sancha- 
Hervaz,  transféré  du  siège  d'Avila  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Malaga,  t^out  Mgr  Marcel  Spinola  y 
Maestre,  transféré  du  siège  de  Coria  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Majorque^  pour  Mgr  Hyacinthe- 
Marie  Cervera  y  Cervera,  démissionnaire  du  siège  de  Téné- 
riffe  ou  Saint-Christophore-de-Laguna  ; 

V Eglise  cathédrale  de  Perpignan,  t^ouv  Mgr  Noël- Mathieu- 
Victor-Marie  Gaussail,  transféré  du  siège  d'Oran  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Fréjus,  pour  Mgr  Frédéric- Henry 
OuRT,  transféré  du  siège  de  la  Guadeloupe  ou  Basse-Terre; 

L'Eglise  cathédrale  de  Dijon,  pour  le  R.  D.  Victor-Luc ien- 
Sulpice  Lecot,  du  diocèse  de  Soissons,  curé  de  Saint-Antoine 
à  Compiégne,  dans  le  diocèse  de  Beauvais  ; 

L'Eglise  cathédrale  rf'Or«ji,pour  le  R.  D.  Gérald  Soubrier, 
du  diocèse  de  Saint-Flour,  chanoine-curé  de  la  métropole 
d'Alger. 

L'Eglise  cathédrale  de  Mayence,  pour  le  R.  D.  Paul  Hafp- 
NER,  chanoine  de  la  cathédrale  de  ce  même  diocèse  et  docteur 
en  théologie  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Pampelune,  pour  le  R.  D.  Antoine 
Riuz  Cabal,  recteur  du  séminaire  de  Séville  et  chanoine  doc- 
toral de  cette  métropole  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Coria,  pour  le  R.  D.  Philippe 
Ortiz,  de  l'archidiocèse  de  Séville,  doyen  de  la  métropole  de 
ValladoJid  et  docteur  en  théologie  ; 

L'Eglise  cathédrale  d'Astorga,  pour  le  R.  D.  Jean-Baptiste 
Grau,  chanoine  et  vicaire-général  de  Tarragone; 

L'Eglise  cathédrale  de  Mondonedo,  pour  le  R.  D.  Joseph- 
Marie  Ces,  chanoine  de  la  cathédrale  d'Oviedo  et  docteur  en 
théologie  ; 

L'Eglise  cathédrale  d'Orihuela  ou  Alicante,  pour  le  R.  D. 
Jean  Maura  y  Gelabert,  professeur  de  théologie  au  séminaire 
de  Majorque,  où  il  est  vicaire  capitulaire,  docteur  en  théologie 
et  licencié  en  droit  canonique  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Léon,  pour  le  R.  D,  François  Gomez 


618  ANNALES   CATHOLIQUES 

Salazar,    professeui'    de    droit   canonique    à    l'Université    de 
Madrid,  docteur  en  théologie; 

L'Eglise  cathédrale  de  Linarès,  au  Mexique,  pour  le  R.  D. 
Hyacinthe  Lopez,  de  l'archidiocèse  de  Guadalaxara,  secrétaire 
de  chambre  et  d'administration  de  cet  archidiocèse,  chanoine- 
magistral  de  cette  même  Eglise  métropolitaine  et  bachelier  en 
théologie  ; 

VEglise  cathédrale  de  Tahasco,  au  Mexique,  pour  le  R,  D. 
Joseph  Perfetto  Amesquità,  de  l'archidiocèse  de  Guadalaxara, 
membre  de  la  congrégation  de  la  mission  de  Saint-Vincent  de 
Paul,  supérieur  de  la  maison  de  cette  congrégation  dans  la  ville 
de  Mexico  ; 

D  Eglise  titulaire  épiscopale  de  Dora  et  prieuré  des  Ordres 
militaires  d'Espagne  avec  siège  à  Ciudad  Real,  pour  le  R.  D. 
Joseph-Marie  Rangés  y  Villanueva,  chanoine  de  la  cathédrale 
de  Cadix. 

Sa  Sainteté  a  désigné  ensuite  les  Eglises  suivantes  précé- 
demment pourvues  par  bref  : 

Les  Eglises  métropolitaines  unies  de  Gnesen  et  Posen,  pour 
le  R.  D.  Jules-Joseph  Dinder,  du  diocèse  de  Warnia,  chanoine 
honoraire  de  ce  même  diocèse,  prévôt  de  l'église  de  Kœnigs- 
berg; 

L'Eglise  cathédrale  de  Savannah,  aux  Etats-Unis  d'Amé- 
rique, pour  Mgr  Thom as- Andr é  Becker,  transféré  du  siège  de 
Wilmington; 

LEglise  cathédrale  de  Warnia,  pour  le  R.  D.  André 
Thiel,  du  diocèse  de  Warnia,  où  il  est  examinateur  pro- 
synodal, chanoine  de  la  cathédrale  et  docteur  en  théologie  ; 

Les  Eglises  cathédrales  unies  de  Doivn  et  Conyior,  en  Ir- 
lande, pour  le  R.  D.  Patrice-Marie  Alister; 

LEglise  cathédrale  de  Kilmore,  en  Irlande,  pour  le  R.  D. 
Bernard  Finegan  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Limerick^  en  Irlande,  pour  le  R.  D. 
Edouard  O'Deuser  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Green  Bay,  pour  le  R.  D.  Frédéric 
Katzer  ; 

LEglise  cathédrale  de  Panama,  pour  le  R.  D.  Joseph- 
Alexandre  Peralta,  curé  de  Saint-André,  dans  le  diocèse  de 
la  Nouvelle-Pampelune  ; 

L'Eglise  titulaire  épiscopale  de  Nilopolis,  pour  le  R.  D. 
François  de  Souza  Prado  de  Lacerda,  du  patriarcat  de  Lis- 


CONSISTOIRE   DU    10  JUIN    1886  619 

bonne,  vicaire  forain  et  curé  de  Saint-Biaise  à  Chamusca,  dans 
ce  même  patriarcat,  député  coadjuteur  avec  future  succession  de 
Mgr  l'évêque  d'Angra  ; 

L'Eglise  titulaire  e'piscopale  de  Gerral,  pour  le  R.  D.  Henry- 
Charles-Camille  Lambrecht,  du  diocèse  de  Gand,  où  il  est  cha- 
noine honoraire  et  trésorier  de  la  fabrique  de  la  cathédrale,  et 
docteur  en  théologie,  délégué  coadjuteur  avec  future  succession 
de  Mgr  l'évêque  de  Gand  ; 

L'Eglise  titulaire  e'piscopale  de  Tranopolis,  pour  le  R.  D. 
Pierre  Power,  député  coadjuteur  avec  future  succession  de 
Mgr  l'évêque  de  Waterford  ; 

I/Eglise  titulaire  e'piscopale  de  Mirina,  pour  le  R.  D. 
Joseph-André  Boyer,  de  la  Société  des  Missions  étrangères  de 
Paris,  député  coadjuteur  avec  future  succession  du  vicaire 
apostolique  de  la  Mandchourie  ; 

V Eglise  titulaire  épiscopale  de  Sergiopolis,  pour  le  R.  D. 
Jean  Rooney,  député  coadjuteur  avec  future  succession  du 
vicaire  apostolique  du  cap  de  Bonne-Espérance  ; 

L'Eglise  titulaire  e'piscopale  de  Sarepta,  pour  le  R.  D. 
Paul  Palesthy,  du  diocèse  de  Kashau,  professeur  de  morale  à 
l'Université  de  Buda-Pesth,  chanoine  de  l'Eglise  métropolitaine 
de  Strigonie  et  docteur  en  théologie,  député  auxiliaire  de  l'Eme 
et  Rme  cardinal-archevêque  do  Strigonie  ; 

U  Eglise  titulaire  ëpiscopale  de  Memphis,  pour  le  R.  D.Jean 
Kniaz  de  Kolzielsko  Puzyna,  de  l'archidiocése  de  Lemberg, 
examinateur  pro-synodal  dans  le  diocèse  de  Premislia,  oii  il  est 
assesseur  et  référendaire  de  la  Curie  épiscopale  de  rite  latin, 
chanoine  de  la  cathédrale  et  docteur  en  droit,  député  auxiliaire 
de  Mgr  l'archevêque  de  Lemberg,  de  rite  latin  ; 

L'Eglise  titulaire  épiscopale  de  Calama,  pour  le  R.  D. 
Ludovic  PiNEAR,  de  la  Société  des  missions  étrangères  de  Paris, 
député  vicaire  apostolique  du  Tonkin  méridional  ; 

L'Eglise  titulaire  épiscopale  de  Dorile'e,  pour  le  R.  D.  An- 
toine Carrie,  de  la  Congrégation  du  Saint-Esprit,  député 
vicaire  apostolique  du  Congo  français,  nouvellement  érigé  par 
Sa  Sainteté  ; 

L'Eglise  titiUaire  épiscopale  de  Priene,  pour  le  R.  D.  An- 
toine Gangran,  des  Oblats  de  Marie,  député  vicaire  apostolique 
de  l'Etat  libre  d'Orange,  vicariat  nouvellement  érigé  par  Sa 
Sainteté. 

Le   Saint-Père  a  ensuite    ouvert   la  bouche,    selon   le   rite 


620  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'usage,  aux  EEmes  et  RRmes  cardinaux  Neto,  Monescillo  y 
Viso,  Ganglbauer,  Theodoli  et  Mazzella. 

Puis,  l'instance  du  Sacré  Pallium  a  été  faite  à  Sa  Sainteté 
pour  les  églises  métropolitaines  de  Tolède,  de  Port-au-Prince, 
Compostelle,  Burgos,  Sorrente,  A.ix,  Gnesen  et  Posen,  et  pour 
les  deux  Eglises  récemment  érigées  en  métropolitaines,  celle  de 
Montréal,  en  faveur  de  Mgr  Edouard  Fabre,  et  celle  d'Ottawa, 
pour  Mgr  Thomas  Duhamel  ;  ainsi  que  pour  la  cathédrale  de 
Warnia,  dotée  de  ce  privilège  par  le  pape  Benoît  XIV. 

Enfin,  Sa  Sainteté  a  remis  l'anneau  cardinalice  aux  nouveaux 
princes  de  l'Eglise,  en  assignant  à  l'Eme  Neto  le  titre  presby- 
téral  des  SS.  Douze-Apôtres  ;  celui  de  Saint-Augustin  à 
l'Eme  Monescillo  y  Viso  ;  à  l'Eme  Ganglbauer,  celui  de  Saint- 
Eusèbe  ;  la  diaconie  de  Sainte-Marie  de  la  Scala,  à  S.  Em.  le 
cardinal  Theodoli  ;  et  à  S.Em.  le  cardinal  Mazzella,  l'autre  titre 
également  diaconal  de  Saint-Adrien-au-Forum-Romain. 

Après  être  rentré  dans  ses  appartements  privés,  le  Saint-Père 
a  reçu  en  audience  particulière  les  nouveaux  cardinaux. 


LES  NOUVEAUX  CARDINAUX. 

Six  prélats  éminents  et  un  savant  religieux,  membre  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  viennent  d'être  élevés,  par  la  souveraine 
bienveillance  du  Saint-Père  Léon  XIII,  heureusement  régnant, 
à  la  dignité  cardinalice. 

Parmi  les  nouveaux  cardinaux,  il  en  est  trois  de  nationalité 
française,  deux  Américains  et  deux  de  nationalité  italienne. 
Cinq  appartiennent  à  l'épiscopat,  un  à  la  prélature  romaine  et 
un  à  la  Compagnie  de  Jésus. 

Voici  sur  chacun  d'eux,  d'après  l' Univers  et  le  Monde, 
quelques  détails  biographiques. 

Mgr  BERNADOU. 

Mgr  Victor-Philippe  Bernadou,  archevêque  de  Sens  et 
Auxerre,  est  né  le  25  juin  1816,  à  Castres  (Tarn);  il  fut,  à  la 
suite  de  sérieuses  études  ecclésiastiques,  d'abord  curé,  puis 
archiprêtre  de  la  cathédrale  d'Alger.  Pie  IX,  de  sainte  mémoire, 
le  préconisa  évêque  de  Gap,  dans  le  consistoire  du  7  avril  1862, 


LES    NOUVEAUX    CARDINAUX  621 

et  réleva  le  12  juillet  1867,  au  siège  métropolitain  de  Sens  et 
Auxerre.  Les  travaux  d'un  long  épiscopat  s'exerçant  dans  un 
vaste  diocèse,  ont  marqué  au  Sacré-Collège  la  place  de 
Mgr  Bernadou. 

Mgr  LANGÉNIEUX. 

Mgr  Benoît-Marie  Langénieux,  archevêque  de  Reims,  est  né 
le  15  octobre  1824  à  Villefranche-sur-Rhône;  il  fit  ses  études 
au  séminaire  de  Saint-Nicolas  à  Paris,  et  débuta  dans  le  minis- 
tère sacerdotal  comme  vicaire  à  Saint-Roch  ;  en  1859  le  cardi- 
nal-archevêque de  Paris,  Mgr  Morlot,  l'appelait  à  la  chan- 
cellerie archi-épiscopale.  En  1863  il  devint  curé  de  Saint- 
Ambroise,  et  en  1867  curé  de  Saint-Augustin,  récemment 
érigée  en  paroisse.  Après  les  désastres  de  1870-71,  Mgr  Gui- 
bert,  archevêque  de  Paris,  nomma  M.  le  curé  Langénieux  archi- 
diacre de  Notre-Dame  et  vicaiT'e-généraL 

Le  25  juillet  1873,  Pie  IX,  de  sainte  mémoire,  le  préconisa 
évêque  de  Tarbes  ;  mais  il  n'y  resta  que  le  temps  de  faire 
apprécier  et  regretter  son  court  passage;  le  21  décembre  1874 
il  était  appelé  au  siège  métropolitain  de  Reims.  On  sait  de 
quel  éclat  et  de  quelle  fécondité  a  été  son  administration  sur 
le  siège  de  Saint-Remi.  Les  mémorables  fêtes  d'Urbain  II, 
les  congrès  des  jurisconsultes  catholiques,  la  défense  de  l'ensei- 
gnement chrétien  ont  mis  en  lumière  les  qualités,  les  vertus 
apostoliques  de  Mgr  Langénieux,  qui  n'a  pas  dédaigné  de 
rédiger  lui-même,  pour  mieux  travailler  à  la  conservation  de 
son  peuple,  un  petit  traité  d'histoire  chrétienne  dont  le  succès 
dans  toute  la  France  a  été  vraiment  merveilleux. 

Parmi  les  lettres  épiscopales  d'adhésion  récemment  adressées 
à  S.  E.  le  cardinal  Guibert,  on  avait  particulièrement  remarqué 
celle  de  Mgr  Langénieux  protestant  avec  une  éloquente  indi- 
gnation contre  le  ministre  impie  qui,  à  la  tribune,  n'avait  pas 
craint  d'attaquer  les  dogmes  essentiels  de  notre  foi  et  de  «  tenir 
sur  la  piété  filiale  des  fidèles  à  l'égard  de  la  très  sainte  Vierge, 
un  langage  que  ne  permettrait  pas  la  plus  vulgaire  bien- 
séance. » 

Mgr  PLACE. 

Mgr  Charles-Philippe  Place,  archevêque  de  Rennes,  est  né  à 
Paris  le  14  février  1814  ;  il  fit  ses  études  à  Paris  et  se  destina 
d'abord   au  barreau,   où   il   se  fit  remarquer  par  son  talent 


622  ANNALES    CATHOLIQUES 

oratoire.  En  1849  il  était  secrétaire  du  comte  de  Corcelles, 
chargé  d'affaires  de  France  auprès  de  Pie  IX,  réfugié  à  Gaëte. 

Rentré  en  France,  le  secrétaire  d'ambassade  fit  des  étude» 
théologiques  pour  entrer  dans  les  ordres  ;  il  fut  plus  tard  placé 
comme  supérieur  à  la  tête  du  séminaire  d'Orléans  par  Mgr  Du- 
panloup  qui  le  nomma  ensuite  son  vicaire  général. 

En  1863  il  remplaça  au  tribunal  de  la  Rote  Mgr  de  Lavi- 
gerie,  et  le  22  juin  1866,  le  Saint-Père  Pie  IX  le  préconisa 
évêque  de  Marseille  et  daigna  le  sacrer  lui-même.  Sa  Sainteté 
Léon  XIII  l'appela,  à  la  mort  du  cardinal  Brossais  Saint-Marc, 
au  siège  métropolitain  de  Rennes. 

Mgr  GIBBONS. 

Mgr  Jacques  Gibbons,  archevêque  de  Baltimore,  dans  l'État 
de  Maryland,  aux  Etats-Unis,  est  né  dans  sa  ville  épiscopale  le 
13  juillet  1845;  il  se  distingua  de  bonne  heure  dans  diverses 
charges  ecclésiastiques.  Dès  avant  son  épiscopat,  son  goût  des 
sciences  et  des  lettres  lui  avait  fait  un  nom  et  lui  avait  acquis 
en  Amérique  de  nombreuses  et  vives  sympathies. 

Pie  IX  le  nomma,  par  bref  apostolique  en  date  du  3  mars  1868, 
évêque  titulaire  d'Adramittio  et  vicaire  apostolique  pour  la 
Caroline  du  Nord.  Le  30  juillet  1872,  il  l'appela  au  siège  de 
Richemond  et  cinq  ans  après.  Sa  Sainteté  le  nomma  coadj,u 
teur  avec  future  succession  de  l'archevêque  de  Baltimore;  il 
reçut  à  cette  occasion  le  titre  épiscopal  de  Lonopole,  en 
Paphlagonie. 

Dès  le  5  octobre  1877,  il  succédait  à  Mgr  Roosvoelt  Bailey.. 
En  1884,  il  assistait  à  la  conférence  tenue  par  les  évoques 
d'Amérique  à  Rome  ;  il  présida  ensuite  le  mémorable  concile 
plénier  de  Baltimore,  où  furent  prises  d'importantes  solutions, 
dont  V  Univers  a  rendu  compte  en  publiant  le  texte  même  de  la 
lettre  collective  adressée  aux  fidèles  américains  par  les  Pères 
du  concile. 

Mgr  TASCHEREAU. 

Mgr  Alexandre  Taschereau,  archevêque  de  Québec,  métro- 
politain du  Canada,  appartient  à  l'une  des  grandes  familles 
françaises  qui  ont  laissé  dans  cette  partie  de  l'Amérique  les 
traces  les  plus  glorieuses  de  leur  activité. 

Il  est  né  à  Sainte-Marie-de-la-Beauce,  le  17  février  1820. 
Après  avoir  fait  ses  premières  études  classiques  au  séminaire 


LES  NOUVEAUX  CARDINAUX  623 

de  Québec,  il  vint  à  Rome  à  l'âge  de  seize  ans,  pour  y  suivre 
les  grands  cours  de  philosophie  et  de  théologie  à  l'université 
Orégorienne. 

De  retour  au  Canada,  il  devint  professeur  au  séminaire  de 
Québec,  poste  qu'il  occupa  jusqu'en  1847,  alors  qu'il  fut  nommé 
missionnaire  de  la  Grosse-Isle,  ravagée  à  cette  époque  par  la 
fièvre  typhoïde.  Il  s'y  dévoua  à  l'administration  des  malades, 
en  compagnie  de  sept  autres  prêtres.  Mais  au  bout  de  huit  jours 
le  zélé  missionnaire  faillit  être  victime  de  son  zèle  et  de  son 
dévouement  :  il  fut  frappé  par  cette  terrible  épidémie,  qui  le 
conduisit  aux  portes  'du  tombeau.  L'art  médical  triompha 
cependant  de  l'implacable  maladie,  et  au  mois  de  septembre 
de  la  même  année,  M.  l'abbé  Taschereau  était  assez  bien  pour 
reprendre  ses  travaux.  Le  séminaire  de  Québec  le  comptait  de 
nouveau  parmi  ses  professeurs  les  plus  distingués. 

Il  parcourut  ensuite  presque  toute  l'échelle  du  professorat  à 
cette  institution;  il  enseigna  tour  à  tour  la  rhétorique,  l'astro- 
nomie, l'histoire  universelle,  la  littérature,  la  théologie  morale 
et  dogmatique  et  l'Écriture  Sainte. 

Voulant  compléter  ses  études  de  droit  canonique,  M.  l'abbé 
Taschereau  revint  à  Rome  en  1852.  Il  entra  alors  au  séminaire 
français,  qui  avait  été  fondé  depuis  peu  et  dont  il  fut  l'un  des 
premiers  et  des  plus  brillants  élèves.  Aussi  y  a-t-on  conservé 
le  meilleur  souvenir  de  son  amour  du  travail,  de  son  obéissance 
au  règlement  et  de  sa  pratique  des  plus  solides  vertus.  On  l'y 
citait  comme  un  modèle  de  régularité,  et  son  exemple  est  resté 
consigné  dans  les  annales  de  cet  établissement  en  des  termes 
que  l'on  ne  peut  relire  sans  émotion.  Après  avoir  suivi  pendant 
deux  ans  le  cours  de  droit  à  l'Apollinaire,  sous  la  direction  de 
l'éminent  canoniste  De  Angelis,  il  subit  un  examen  des  plus 
brillants  et  reçut  le  grade  de  docteur.  A  l'occasion  de  ce 
deuxième  voyage  à  Rome,  il  fut  chargé  de  présenter  à 
S.  S.  Pie  IX  les  décrets  du  second  concile  provincial. 

A  son  retour  de  la  Ville  Sainte,  en  1856,  M.  l'abbé  Tasche- 
reau fut  nommé  directeur  du  petit  séminaire  de  Québec,  puis 
recteur  du  grand  séminaire,  et  en  1860  recteur  de  l'Université 
de  Laval.  Deux  ans  après,  Mgr  Baillargeon,  alors  métropolitain 
de  Québec,  le  nomma  vicaire-général. 

En  1869,  M.  l'abbé  Taschereau  revint  à  Rome,  en  qualité  de 
théologien  de  S.  G.  Mgr  Baillargeon,  au  concile  du  Vatican 
Un  témoin  oculaire  écrit  à  ce  propos  :  «  Nous  nous  rappelle- 


624  ANNALES   CATHOLIQUES 

rons  toujours  avec  plaisir  son  arrivée  dans  la  ville  des  Papes, 
et  les  zouaves  pontificaux  de  Québec  n'oublieront  jamais  la 
sollicitude  toute  particulière  qu'il  leur  porta  dans  toutes  les 
circonstance^  où  il  put  exercer  son  influence  en  faveur  de  ses 
chers  compatriotes.  » 

Peu  après  son  retour  de  Rome,  Mgr  Baillargeon  descendait 
dans  la  tombe,  au  milieu  des  regrets  et  des  pleurs  de  la  popu- 
lation catholique  du  Canada. 

Les  regards  de  l'épiscopat  canadien  tombèrent  aussitôt  sur 
M.  le  graad  vicaire  Taschereau,  qui  fut  élu  archevêque  de 
Québec  le  24  décembre  1870.  Les  bulles  «pontificales  arrivèrent 
en  cette  ville  le  23  février  1871.  Mgr  Taschereau  fut  sacré 
archevêque  le  19  mars  1871. 

Voilà  donc  quinze  ans  qu'il  est  chargé  de  la  direction  reli- 
gieuse de  cette  importante  province  ecclésiastique  et  qu'il  con- 
tinue de  faire  briller  sur  le  plus  ancien  siège  de  l'Amérique  du 
Nord  toutes  les  vertus  du  bon  pasteur,  au  milieu  même  des 
plus  graves  difficultés.  La  pourpre  romaine  devient  aujour- 
d'hui l'ornement  de  ces  vertus  et  le  témoignage  de  la  sollicitude 
toute  spéciale  de  Léon  XIII  pour  cette  partie  de  l'Eglise  où  la 
foi  et  l'esprit  de  dévouement  chrétien  ont  jeté  de  si  profondes 
racines. 

Mgr  THEODOLI. 

Mgr  Auguste  Theodoli  est  né  à  Rome,  le  18  septembre  1819» 
de  l'illustre  famille  des  marquis  de  ce  nom.  En  1842,  Gré- 
goire XVI  le  nomma  chanoine  de  Sainte-Marie-Majeure,  d'où, 
en  1847,  Pie  IX  le  promut  au  canonicat  de  Saint-Pierre.  En 
1850,  il  fut  envoyé  à  Vienne  en  qualité  d'ablégat  pontifical, 
pour  porter  la  barrette  cardinalice  à  l'Eme  archevêque  d'Ol- 
miitz.  Appelé  en  1856,  par  la  confiance  de  Pie  IX,  aux  fonc- 
tions de  iionente  de  la  Sacra  Consulta  ou  conseil  d'Etat  du 
gouvernement  pontifical,  et,  en  1866  au  poste  d'auditeur  du 
tribunal  de  la  signature  papale  de  justice,  il  y  déploya  ce  tact 
supérieur,  cette  sûreté  de  vues  et  ce  zèle  éclairé  qui  en  ont  fait 
l'un  des  plus  fidèles  et  des  plus  dévoués  serviteurs  du  Saint- 
Siège. 

Ces  qualités  maîtresses  continuèrent  de  se  manifester  pen- 
dant les  quatorze  années  qu'il  occupa,  depuis  le  9  juin  1868, 
l'importante  charge  d'économe  de  la  fabrique  de  Saint-Pierre. 
Les  travaux  considérables  de  restauration  et  d'embellissement 


LES   NOUVEAUX    CARDINAUX  625 

exécutés  avec  un  soin  si  parfait  pendant  toute  cette  période 
attestent  encore  et  témoigneront  à  jamais,  dans  les  annales  de 
l'économat  de  la  grande  basilique,  l'activité  si  intelligente  et 
le  dévouement  si  infatigable  de  Mgr  Theodoli  pour  accroître  la 
splendeur  du  plus  beau  temple  de  la  chrétienté. 

Parmi  les  oeuvres  principales  exécutées  sous  son  administra- 
tion, nous  pouvons  signaler  la  restauration  de  toute  la  partie 
extérieure  de  la  coupole  de  Saint-Pierre,  qu'il  fit  recouvrir 
d'immenses  lames  de  plomb.  Il  fit  restaurer  de  même,  à  l'inté- 
rieur, avec  une  richesse  éblouissante  de  dorures  et  de  couleurs, 
toutes  les  travées  de  la  voûte  de  la  grande  nef,  tout  le  pavé  en 
marbre  de  cette  même  nef,  ainsi  que  les  chapelles  du  choeur  et 
les  fonts  baptismaux. 

La  place  de  Saint-Pierre  lui  doit  aussi  la  restauration  de  la 
grande  colonnade  du  Bernin,  du  côté  de  la  porte  Angelica; 
et  la  place  de  Sainte-Marthe,  attenante  à  la  sacristie,  lui  est 
redevable  de  son  nivellement  et  l'on  peut  dire  aussi  de  son 
assainissement,  grâce  au  grand  canal  collecteur  qui  a  régularisé 
l'écoulement  des  eaux.  La  sacristie  elle-même  a  été  entièrement 
remise  à  neuf  et  sa  coupole  recouverte  de  lames  de  plomb, 
comme  celle  de  la  basilique. 

Il  faudrait  citer  aussi,  parmi  les  œuvres  d'embellissement,  le 
nouveau  tableau  en  mosaïque  de  la  chapelle  souterraine  des 
Apôtres;  la  grande  inscription,  également  en  mosaïque,  qui  se 
déroule  le  long  de  la  frise  ;  bref  tout  un  ensemble  de  travaux 
magnifiques  à  l'impulsion  desquels  les  quatorze  années  de 
l'économat  de  Mgr  Theodoli  ont  puissamment  contribué. 

Aussi  ne  peut-on  qu'admirer  le  sage  discernement  de 
Léon  XIII,  lorsque,  en  1882,  il  appela  ce  bon  et  fidèle  adminis- 
trateur à  occuper  auprès  de  lui  le  premier  poste  de  la  cour, 
celui  de  majordome  pontifical  et  de  préfet  des  palais  aposto- 
liques. Dans  l'exercice  de  cette  charge,  l'une  de  celles  qui 
sont  désignées  sous  le  nom  de  cardinalices,  parce  qu'elles 
conduisent  aux  honneurs  de  la  pourpre,  on  peut  dire  à  la  lettre 
que  Mgr  Theodoli  a  fait  sa  meilleure  préparation  à  l'éminente 
dignité  de  prince  de  l'Église,  tellement  il  a  su  justifier  la 
confiance  du  Saint-Père  et  confirmer  la  haute  réputation 
acquise  par  ses  vertus  et  ses  longs  services. 

Le  nouveau  cardinal  est  le  quatrième  des  princes  de  l'Église 
issus  de  cette  illustre  famille  des  marquis  Theodoli,  qui  est 
apparentée  avec  les  premières  maisons  du  patriciat  romain.  Le 


626  ANNALES    CATUOLIQUES 

premier  cardinal  de  ce  nom,  Albert  Theodoli,  créé  en  1127  sous 
le  pontificat  d'Honorius  II  est  aussi  le  plus  ancien  des  cardinaux 
parmi  ceux  qui  sont  issus  des  familles  patriciennes  de  Rome. 

LE  R.  P.  MAZZELLA. 

Le  R.  P.  Mazzella,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  est  appelé  à 
faire  briller  dans  le  Sacré-Collége,  avec  ses  vertus  éminentes, 
l'éclat  de  la  science  théologique,  dans  laquelle  il  a  déjà  acquis 
une  si  haute  réputation. 

Né  à  Vitulano,  dans  l'archidiocése  de  Bénévent,  le  10  fé- 
vrier 1833,  le  R.  P.  Mazzella  a  fait  ses  études  au  collège  des 
PP.  Jésuites  à  Bénévent.  Au  mois  de  septembre  1855,  bien 
qu'il  n'eût  encore  que  22  ans,  il  fut  ordonné  prêtre  avec  dis- 
pense pontificale.  Deux  ans  après,  le  4  septembre  1857,  il 
entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  oii  pendant  deux  ans  il  fut 
chargé  de  l'enseignement  de  la  philosophie. 

En  1860,  ses  supérieurs  l'envoyèrent  en  France.  Il  ne  tarda 
pas  à  s'y  distinguer  par  une  thèse  publique  De  universa  iheo' 
logia^  qu'il  soutint  à  Lyon  avec  le  plus  brillant  succès.  Dans 
cette  même  ville  de  Lyon,  il  continua  d'enseigner  la  théologie 
pendant  cinq  ans,  et  dés  lors  il  fit  présager  dans  cet  enseigne- 
ment les  qualités  les  plus  éminentes. 

Rappelé  à  Rome  en  1866,  il  y  accomplit,  dans  la  maison  de 
retraite  de  Saint-Eusèbe,  la  iTo\s,\èviïQ  prohation  prescrite  par 
les  Constitutions  de  saint  Ignace.  Le  31  juillet  de  l'année  sui- 
vante, le  général  de  la  Compagnie  de  Jésus  l'envoya  aux  Etats- 
Unis  d'Amérique,  où  venait  d'être  fondé  un  grand  collège  de 
philosophie  et  de  théologie  pour  les  étudiants  de  la  Compagnie 
dans  les  provinces  des  États-Unis  et  du  Canada.  Il  y  enseigna 
lui-même  la  théologie  avec  la  supériorité  dont  il  avait  déjà  favt 
preuve  à  Lyon,  et  il  y  occupa  aussi  la  charge  de  préfet  général 
des  études  jusqu'au  mois  d'octobre  1878. 

Ses  mérites  ayant  dès  lors  attiré  l'attention  du  monde  savant, 
S.  S.  Léon  XIII  daigna  manifester  le  désir  de  le  voir  se 
dévouer,  à  Rome,  à  l'enseignement  de  la  théologie.  Il  fut 
appelé,  en  effet,  à  donner  cet  enseignement  dans  l'université 
Grégorienne.  En  1870,  le  R.  P.  Kleutgen  ayant  dû  laisser, 
pour  raison  de  santé,  la  charge  de  préfet  général  des  études 
à  l'université  Grégorienne,  cette  importante  charge  fut  confiée 
au  R.  P.  Mazzella,  qui  l'a  occupée  jusqu'à  ces  derniers  temps 
avec  un  talent  supérieur,  en  se  consacrant  surtout  à  l'impulsioa 


l'homme  en  regard  de  la  création  627 

des   hautes    études    thomistes,    d'après    les   enseignements    de 
Léon  XIII. 

Le  R.  P.  Mazzella  fait  partie  de  l'académie  romaine  de  Saint- 
Thomas-d'Aquin,  fondée  par  sa  Sa  Sainteté  Léon  XIII,  et  du 
Collège  théologique  de  Rome.  Il  appartient  en  qualité  de  con- 
sulteur  aux  SS.  Congrégations  du  Saint-Office  et  des  Études. 
Ses  publications  théologiques,  qui  ont  contribué  surtout  à  faire 
apprécier  les  brillantes  qualités  que  se  modestie  se  plaisait  à 
cacher,  ont  eu  l'honneur  de  plusieurs  éditions.  Il  a  collaboré 
aussi  à  plusieurs  revues  scientifiques  de  France,  d'Amérique  et 
de  Rome,  toujours  prêt  à  propager  les  saines  doctrines  dont  il 
a  été  l'apôtre  infatigable  et  qu'il  saura  faire  briller  d'un  nouvel 
éclat  dans  cet  auguste  Sénat  de  l'Eglise  où  l'appelle  le  haut 
discernemert  de  Léon  XIII. 


L'HOMME  EN  REGARD  DE  LA  CREATION 

C'est  la  petitesse  et  la  grandeur. 

'La  petitesse.  —  Elle  est  vraiment  petite  la  place  qu'il 
occupe  individuellement  dans  l'espace  et  dans  le  temps  :  ce 
n'est  qu'un  point,  ce  n'est  qu'un  instant.  Si  la  plus  haute  des 
montagnes,  par  rapport  au  globe  terrestre,  offre  proportionnel- 
lement moins  de  saillie  c^ne  les  rugosités  d'une  écorce  d'orange; 
si  un  siècle,  comparativement  à  la  durée,  est  moins  qu'une 
miaule  relativement  à  nos  heures  :  que  dire  de  l'homme  ! 
Qu'est  l'étendue  qu'il  occupe  par  son  corps,  relativement  à 
l'Hymalaya,  par  exemple  ;  à  plus  forte  raison  relativement  à 
la  masse  terrestre;  à  plus  forte  raison  encore,  relativement  à 
l'univers!  Qu'est  le  temps  de  son  existence,  relativement  à  la 
durée  du  monde  ?  Mon  Dieu  !  que  nous  sommes  petits! 

Et  pourtant  ce  point  doué  d'intelligence  embrasse  par  cette 
faculté  la  nature  entière  et  plus.  La  faculté  qu'il  a  de  connaître 
égale  la  nature  qui  fait  l'objet  de  ses  connaissances  et  si  l'équa- 
tion pèche  par  un  côté,  c'est  du  côté  de  la  nature,  que  l'intelli- 
gence dépasse,  capable  qu'elle  est  —  je  ne  dirai  pas  de 
s'élever.,  —  mais  à^être  eïeuee  jusqu'à  la  connaissance  surnatu- 
relle de  Dieu. 

Que  de  grandeur  dans  la  petitesse  !  petit,  que  tu  es  grand! 

La  faculté  que  l'homme  a  de  connaître,  ai-je  dit  —  il  est  ici 


628  ANNALES   CATHOLIQUES 

question  de  l'ordre  purement  naturel  —  égale  au  moins  son 
objet,  lequel  est  la  nature  entière  que  Dieu  a  livrée  à  ses 
études  ;  la  nature  entière,  rien  que  cela  :  non  pas  que  l'équa- 
tion soit  posée  en  fait;  elle  ne  l'est  encore  qu'en  puissance. 
Un  exemple  me  fera  aisément  comprendre.  Qui  n'a  vu  de  ces 
décamètres  en  étoffe,  enroulés  dans  un  cercle  de  cuivre  ?  En 
cet  état,  il  est  bien  évident  qu'il  n  égale  pas  même  un  mètre 
en  longueur.  Déroulez  :  ça  s'étend,  ça  s'étend,  ça  dépasse 
bientôt  les  dimensions  linéaires  de  l'objet  mesuré.  C'est  une 
image  de  l'intelligence.  Enroulée  dans  sa  puissance,  elle  se 
développe,  se  développe  sans  cesse,  et  elle  se  développera  — 
sinon  celle  de  l'individu  au  moins  celle  de  l'humanité  —  tant 
que  la  nature  aura  des  secrets  qui  la  solliciteront,  qui  la  tire- 
ront de  sa  puissance...  à  condition  que  le  temps  lui  soit  donné. 

D'intuition  je  soupçonne  que  Varhre  de  vie^  planté  dans  le 
Paradis  terrestre,  n'est  qu'un  symbole,  qu'un  signe  sensible  de 
la  connaissance  adéquate  de  la  nature  ;  d'intuition,  je  soup- 
çonne que  la  nature  offre  les  remèdes  nécessaires  aux  maladies 
qui  proviennent  elles-mêmes  de  contacts  irréguliers  entre  la 
nature,  c'est-à-dire  entre  les  êtres  environnants  et  l'homme. 

Depuis  le  péché,  l'arbre  de  vie  a  disparu,  et  n'eût-il  pas 
disparu  qu'il  serait  impuissant  à  nous  rendre  immortels;  car  la 
mort  ne  s'explique  plus  seulement  par  l'action  de  causes  exclu- 
sivement physiques,  naturelles  ;  mais  encore  par  l'action  dis- 
solvante de  causes  'inorales  par  l'action  dissolvante  du  péché, 
par  la  rupture  entre  l'âme  et  Dieu  et,  eonséquemment  par  la 
rupture  entre  nos  puissances  supérieures  et  nos  puissances  infé- 
rieures. Dieu  est  le  centre  de  l'ordre  universel,  le  centre  de 
l'harmonie  du  monde  :  le  centre  perdu  l'ordre  disparaît  et 
le  désordre  descend  d'échelon  en  échelon  jusqu'au  dernier 
degré  de  l'échelle  des  êtres.  Dieu  est  \q  premier  moteur,  le 
premier  régulateur,  il  imprime  un  mouvement  régulier  à  l'être 
le  plus  rapproché  de  lui  ;  celui-ci  communique  à  son  tour  le 
mouvement  reçu  à  l'être  le  plus  rapproché  :  ainsi  de  suite.  Si 
le  premier  mobile,  après  Dieu  —  et  le  premier  mobile,  c'est 
l'homme  —  imprime  un  mouvement  déréglé,  le  désordre  est 
partout.  Hélas!  ce  n'est  pas  une  hypothèse,  c'est  un  fait!... 
Mais  voici  Notre-Seigneur  Jésus-Christ! 


LE    RECENSEMENT  629 


LE  RECENSEMENT 


Nous  recevons  dos  nouvelles  au  sujet  du  dernier  recen- 
sement. 

En  ce  qui  touche  Paris,  elles  sont  plus  que  déplorables. 

550.000  bulletins  de  ménage  ont  été  retournés,  paraît-il,  sans 
avoir  été  garnis. 

Des  milliers  de  bulletins  individuels  portent  les  indications 
les  plus  fantaisistes  et  rappellent  ces  albums  jadis  à  la  mode, 
dans  lesquels  on  vous  priait  de  dire,  sous  forme  de  confession, 
si  vous  aimiez  les  blondes  ou  les  brunes,  et  quels  étaient  vos 
défauts  et  vos  vertus. 

On  affirme  même  qu'un  très  grand  nombre  ont  servi  de  déve- 
loppement à  des  considérations  obscènes. 

En  résumé,  le  recensement  de  Paris  serait  totalement  raté. 
Il  paraîtrait  impossible  d'en  tirer  le  moindre  résultat  pratique. 

Le  Journal  des  débats  tout  particulièrement,  se  montre  navré 
de  l'aventure. 

Pour  l'expliquer,  il  entasse  hypothèse  sur  hypothèse. 

Il  lui  répugne  tout  d'abord  de  supposer  la  population  de  Paris 
trop  bête  pour  procéder  à  la  confection  d'un  bulletin  de  ménage. 

Le  fait  est  que  ce  serait  roide  de  la  part  de  la  ville,  que  les 
républicains  appellent  la  ville  lumière,  probablement  parce 
qu'elle  possède  un  plus  grand  nombre  de  becs  de  gaz  que  les 
autres  villes. 

La  vraie  raison  de  la  déconfiture  du  recensement  doit  être 
ailleurs.  C'est  du  moins,  ce  qu'espère  le  Journal  des  Débats. 

Il  la  trouve  ingénieusement  dans  la  paresse,  dans  l'indiffé- 
rence, dans  l'esprit  d'opposition  de  la  population  parisienne. 

Malheureusement,  il  va  plus  loin,  poussant  l'audace  jusqu'à 
insinuer  que  Paris  ne  serait  plus  qu'un  abominable  repaire  de 
gens  sans  aveux,  qu'une  caverne  ayant  l'horreur  raisonnée  de 
toute  investigation,  de  toute  clarté. 

Et  si  vous  croyez  que  nous  exagérons  sa  pensée,  vous  n'avez 
qu'à  lire  les  quelques  lignes  suivantes  : 

Le  chiffre  absolument  exceptionnel  des  abstentions  semblerait 
prouver  ce  dont  on  se  cloutait  vaguement,  c'est  que  Paris  devient  de 
plus  en  plus  le  refuge  des  gens  de  situation  équivoque,  de  ménages 
interlopes  et  des  déclassés  de  la  province  et  de  l'étranger  qui,  pour 
des  causes  dont  ils  n'ont  pas  à  s'enorgueillir,  viennent  se  cacher 


630  ANNALES    CATHOLIQUES 

dans  la  grande  ville,  changent  de  nom,  pas  toujours  de  profession, 
et  ne  demandent  qu'à  rester  dans  une  obscurité  discrète. 

Nous   nous   en    étions    un  peu   douté,  mais   nous    n'aurions 
jamais  osé  le  dire. 

Ainsi  donc,  voilà  ce  que  la  république  aurait  fait  de  la  capi- 
tale de  la  France  ! 

Elle  n'aurait  dépeuplé  les  départements,  n'aurait  enlevé  les 
bras  qui  manquent  à  l'agriculture  que  pour  entasser  à  Paris 
tous  les  coquins,  tous  les  filous,  tous  les  escarpes  de  la  nation. 
Cela  expliquerait  la  multiplicité  des  attaques  nocturnes,  la 
quantité  d'assassinats  dont  on  ne  découvre  jamais  les  auteurs 
et  nous  doutons  qu'un  pareil  tableau,  fait  par  un  journal 
républicain,  soit  de  nature  à  fortement  exciter  les  provinciaux 
ou  les  étrangers  à  venir  vivre  dans  un  milieu  pareil. 

Le  Journal  des  Débais  est  pourtant  de  ceux  qui  poussèrent 
et  poussent  encore  le  gouvernement  à  tout  faire  pour  Paris  au 
détriment  de  la  province,  tellement  que  les  honnêtes  gens  qui 
ont  le  malheur  d'habiter  encore  la  capitale,  sont  effroyablement 
pressurés  d'impôts  et  autres  emprunts,  à  la  seule  fin  de  faire 
vivre  l'innombrable  et  sinistre  collection  dont  le  Journal  des 
Débats  nous  fait  la  peu  rassurante  énumération. 

D'ailleurs,  une  ville  qui  nomme  Camélinat  et  Baslj  et  qui 
s'enorgueillit  de  Germain  Casse  et  de  Brialou,  ne  peut  être  en 
effet  que  la  succursale  des  Calabres  ou  des  Abbruzzes. 

Néanmoins  nous  n'irons  pas  jusqu'à  croire,  avec  le  Journal 
des  Débats,  que  Paris  compte  six  cent  mille  individus,  ou  qui 
sortent  du  bagne,  ou  qui  se  disposent  à  j  entrer. 
Non. 

Ces  SIX  CENT  MILLE  Parisiens  qui  ont  refusé  de  prendre  part 
aux  opérations  du  recensement  ou  qui  les  ont  éludées,  sont  tout 
simplement,  à  notre  avis,  et  en  grande  partie  des  gens  avisés. 
Ils  se  sont  dit  qu'en  temps  de  République,  il  n'est  pas  sage 
de  donner  son  nom  et  son  adresse,  car  la  liste  de  recensement 
d'aujourd'hui  peut  devenir  la  liste  des  proscriptions  de  demain. 
Avec  un  gouvernement  pareil,  on  ne  sait  jamais  ce  qui  peut 
vous  arriver  au  point  de  vue  de  la  fortune  ou  de  la  liberté. 

Et  voilà  pourquoi  les  habitants  de  Paris  se  sont  terrés  comme 
des  lapins  dans  leurs  clapiers,  lorsque  les  roquets  de  l'adminis- 
tration sont  venus  aboyer  dans  les  rues. 

La  prudence  est  la  mère  de  la  sûreté,  particulièrement  au 
temps  où  nous  vivons.  [Autorité).  Paul  de  Cassagnac. 


l'association  chrétienne  des  honnêtes  gens  631 

L'ASSOCIATION  CHRÉTIENNE  DES  HONNETES  GENS. 

(Suite  et  fin.  —  V.  le  numéro  précédent.) 

IV 

Une  des  parties  les  plus  intéressantes  du  livre  du  Père  Ludovic 
est  celle  où  il  montre  que  V Association  chrétienne  des  honnêtes 
gens  sur  le  terrain  des  affaires  est  le  meilleur  moyen  de  réaliser 
le  vœu  exprimé  par  le  Saint-Pére  dans  l'Encyclique  Huma- 
num  genus  en  faveur  d'une  restauration  des  corporations  dans 
des  conditions  appropriées  aux  besoins  du  temps  présent.  Il 
réagit  ainsi  judicieusement  contre  des  opinions,  venues  d'Alle- 
magne, qui  prétendent  s'autoriser  de  ce  grave  document  pour 
préconiser  le  rétablissement  des  monopoles  et  des  privilèges 
des  anciennes  corporations  de  métier. 

«  Il  ne  faut  pas,  disait-on  récemment  dans  ce  journal  avec 
«  autorité,  abuser  de  certaines  analogies  de  termes  pour  mettre 
«  l'autorité  du  Saint-Siège  au  service  d'idées  particulières. 
«  L'encyclique  Humanum  genus  a  loué  dans  le  passé  les  insti- 
<  tutions,  corporations  qu'on  ne  peut  plus  ressusciter  en  leur 
«  forme  ancienne.  Elle  a  recommandé  dans  le  présent  toutes 
«  les  formes  d'associations  chrétiennes  destinées  à  protéger  les 
«  intérêts  spirituels  et  temporels  des  ouvriers.  Qui  osera 
«  sérieusement  soutenir  que  le  Pape  ait  voulu  sanctionner  de 
«  son  autorité  souveraine  des  systèmes  économiques  à  peine 
«  encore  formulés,  contestés  par  d'excellents  esprits.  » 

Ce  qui  a  fait  la  haute  valeur  des  corporations  d'autrefois  pour 
le  bien  moral  et  la  paix  sociale,  ce  n'est  pas  le  monopole  indus- 
triel et  les  privilèges  dont  elles  jouissaient,  conformément  à  la 
constitution  politique  générale  de  ces  temps;  mais  bien  la  con- 
frérie que  l'Eglise  avait  créée  à  côté  d'elles  et  souvent  dans 
leur  sein.  La  corporation  sans  la  confrérie  deviendrait  un 
instrument  redoutable  d'oppression  aux  mains  d'un  Etat  démo- 
cratique, ainsi  qu'elle  l'a  été  effectivement  après  le  protestan- 
tisme, au  profit  de  l'absolutisme  et  de  l'aristocratie,  dans  l'Alle- 
magne du  Nord  et  en  Angleterre. 

La  corporation  industrielle,  ressuscitée  par  la  législation, 
serait  aujourd'hui  un  corps  sans  âme,  qui  étoufferait  en  leur 
germe  toutes  les  manifestations  de  l'esprit  chrétien,  tous  les 
groupements  spontanés  des  forces  catholiques. 

46 


632  ANNALES   CATHOLIQUES 

Il  est  des  principes  nécessaires  à  toute  société;  ils  forment 
ce  qu'un  maître  illustre  a  appelé  la  constitution  essentielle  de 
l'Humanité.  De  ce  nombre  sont  le  patronage  et  l'association. 
Mais  l'un  et  l'autre  principe  doivent  revêtir  des  formes  fort 
différentes,  selon  les  temps. 

Mgr  Hugonin,  dans  la  lettre  pastorale  que  nous  citions  plus 
haut,  dit  fort  judicieusement  à  propos  des  anciennes  et  des 
nouvelles  formes  du  patronage  : 

«  On  a  cru  voir  dans  la  grande  industrie  l'établissement 
«  d'une  nouvelle  féodalité.  L'usine  serait  le  château;  le  direc- 
«  teur  de  l'usine,  le  seigneur  féodal  ;  les  ouvriers  environnant 
«  l'usine,  les  serfs  qui  vivaient  au  pied  du  château.  Ce  sont  là 
«  des  ressemblances  plus  apparentes  que  réelles.  L'ouvrier 
«  n'est  pas  le  serf  du  chef  d'usine,  quoiqu'il  dépende  de  lui, 
«  parce  que  c'est  par  le  travail  de  l'usine  qu'il  vit.  Les  liens 
«  qui  l'attachent  à  son  chef  ne  sont  pas  des  liens  seigneuriaux... 
«  Maîtres  et  ouvriers  forment  une  vraie  société...  Les  membres 
«  de  cette  société  sont  inégaux  par  leurs  mises  sociales:  les 
«  uns  sont  puissants,  les  autres  faibles.  Le  patronage  est  néces- 
«  saire;  mais  le  patronage  seigneurial  reposait  sur  un  droit 
«  juridique;  celui  qu'exigent  nos  sociétés  modernes  doit  être 
«  désintéressé  :  il  a  pour  fondement  et  pour  règle  la  charité.  » 

Ainsi  en  est-il  du  principe  de  l'association.  Les  anciennes 
corporations  de  métier  s'étaient  fondées  à  une  époque  dont  le 
régime  se  caractérisait  d'abord  par  le  groupement  des  hommes 
ayant  des  intérêts  identiques,  par  suite  de  l'exercice  de  la 
même  profession  ou  de  l'habitation  sur  le  même  territoire;  puis, 
par  l'indépendance  et  la  compétition  de  chacun  de  ces  groupes, 
dans  le  vaste  sein  de  la  république  chrétienne. 

Le  premier  besoin  était  alors  la  conservation  de  l'art,  objet 
du  métier.  Pour  atteindre  ce  but,  chaque  commune  forçait  les 
artisans  de  même  profession  à  former  un  corps  auquel  elle 
constituait  un  monopole  :  car,  pour  conserver  et  défendre  un 
métier,  on  ne  voyait  rien  de  mieux  que  d'empêcher  d'autres 
personnes  de  l'exercer  autour  de  soi.  Aujourd'hui,  dans  l'inévi- 
table mouvement  de  la  concurrence  internationale,  il  faut  lutter 
et  s'efforcer  de  jour  en  jour  de  produire  à  meilleur  compte.  Le 
grand  objectif  des  groupements  professionnels  modernes  doit 
donc  être  non  pas  d'exclure  autrui,  comme  autrefois,  du  champ 
du  travail,  mais  d'arriver  par  l'association  libre  et  volontaire 
de  producteurs  ayant  confiance  les  uns  dans  les  autres  à  dimi- 


l'association  chrétienne  des  honnêtes  gens  G33 

nuer  les  frais  de  production,  à  éliminer  les  intermédiaires 
onéreux,  en  un  mot  à  augmenter  la  production  de  l'industrie 
humaine  et  à  moraliser  les  travailleurs,  deux  choses  étroitement 
liées.  Ces  groupements  pourront  alors  à  bon  droit  se  décorer 
comme  d'un  titre  de  noblesse  du  vieux  et  beau  nom  de  corpo- 
ration chrétienne,  sans  qu'aucun  malentendu  se  produise. 

V 

C'est  là  ce  qu'a  admirablement  saisi  le  Père  Ludovic  et  ce 
qui  constitue  le  caractère  éminemment  pratique  des  œuvres 
qu'il  a  fondées  ou  qui  s'inspirent  de  sa  pensée.  Personne  moins 
que  nous  ne  méconnaît  le  grand  rôle  qu'a  à  remplir,  surtout 
dans  un  pays  tel  que  le  nôtre,  la  souveraineté  fondée  sur  le 
droit  national  et  ayant  la  conscience  de  ses  devoirs  envers  Dieu. 
Mais  encore  le  prince  légitime,  le  prince  chrétien  ne  peut  pas 
en  un  jour  rendre  la  société  chrétienne. 

Il  faut  qu'il  soit  soutenu  dans  cette  tâche  de  longue  haleine 
par  des  forces  sociales  ayant  une  vitalité  propre.  Or,  ce  sont 
les  oeuvres  dans  lesquelles  les  gens  de  bien  s'organiseront  et  se 
solidariseront  sur  le  terrain  des  affaires  qui  fourniront  au 
pouvoir  chrétien  le  point  d'appui  sans  lequel  il  serait  impuissant. 
D'ailleurs,  en  attendant  ce  jour,  ce  sont  des  groupements  de  ce 
genre  qui  préparent  le  plus  efficacement  un  milieu  social 
meilleur. 

Nul  ne  peut  prévoir  les  desseins  de  Dieu  sur  notre  malheu- 
reux pays.  Que  notre  société  se  rassoie  sur  ses  assises  tradi- 
tionnelles ou  qu'elle  doive  être  ballottée  longtemps  encore  par 
.  la  tourmente  révolutionnaire,  le  devoir  élémentaire  des  chré- 
tiens, quelles  que  soient  leurs  opinions  économiques  et  leurs 
visées  de  reconstruction  sociale,  est  de  se  serrer  les  uns  contre 
les  autres,  de  soutenir  mutuellement  leur  courage,  d'empêcher 
leurs  frères  dans  la  foi  de  succomber  aux  difficultés  de  l'heure 
présente,  en  les  aidant  à  sauver  leur  foyer  domestique  et  leur 
atelier  de  travail.  C'est  ce  à  quoi  nous  convie  le  Père  Ludovic, 
trente  ans  après  M.  Baudon,  et  c'est  là  aussi,  nous  nous  l'ima- 
ginons, ce  que  devaient  faire  les  chrétiens  de  la  primitive 
Eglise  pendant  ces  persécutions  dont  l'œil  humain  ne  pouvait 
pas  apercevoir  le  terme.  Sachons  en  faire  autant  au  milieu  de 
la  persécution  sociale  que  la  Maçonnerie  déchaîne  sur  nous  et 
de  l'oppression  financière  qu'elle  exerce  dans  le  commerce  et 
l'industrie  sur  ceux  qui  ne  veulent  pas  porter  sa  marque  et  ses 
chaînes.  Claudio  Jannet. 


634  ANNALES    CATHOLIQUES 


LES   CHAMBRES 

Sénat. 

Vendredi  11  juin.  —  Après  l'expédition  d'ua  certain  nombre  de 
projets  de  loi  d'intérêt  local,  M.  Guichard,  au  nom  du  sixième 
bureau,  dépose  le  rapport  sur  l'élection  sénatoriale  du  département 
de  l'Aisne.  Le  rapport  conclut  à  l'invalidation  de  l'élection  de 
M.  Sébline,  qui,  au  moment  du  vote,  ne  réunissait  pas  les  conditions 
d'âge  exigées  par  la  loi. 

MM.  Lenoel  et  Malézieux  combattent  les  conclusions  du  rapport 
et  demandent  la  validation  de  l'élection  de  M.  Sébline,  qui  a  qua- 
rante ans  aujourd'hui,  jour  de  la  validation. 

11  est  procédé  au  scrutin  sur  les  conclusions  du  bureau  :  l'élection 
de  M.  Sébline  est  annulée  par  158  voix  contre  92,  sur  250  votants. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  deuxième  délibération  sur  le  projet  de 
loi  relatif  aux  sociétés  de  secours  mutuels. 

Samedi  12  juin.  —  M.  le  Président  annonce  la  mort  de  M.  Léon 
Cabannes,  sénateur  du  Cantal  :  de  M.  de  Lavrignais,  sénateur  de  la 
Loire-Int'érieure  ;  de  M.  Laurent-Pichat,  sénateur  inamovible.  Il 
retrace  la  vie  des  défunts  et  exprime  les  regrets  que  leur  mort  cause 
au  Sénat. 

Le  Sénat  adopte  au  scrutin,  à  l'unanimité  de  253  votants,  le  projet 
de  loi  tendant  à  ouvrir  un  crédit  de  200,000  fr.  destiné  à  contribuer 
à  la  souscription  ayant  pour  objet  la  fondation  d'un  établissement 
pour  le  traitemeut  de  la  rage  (Institut-Pasteur). 

M.  Lenoel  dépose  un  rapport  sur  le  projet  de  loi  tendant  à  ouvrir 
un  crédit  de  325,500  fr.  pour  organisation  des  résidences  à  Mada- 
gascar. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  seconde  délibération  sur  le 
projet  de  loi  sur  les  sociétés  de  secours  mutuels. 

Les  articles  4  à  9  sont  adoptés. 

M.  Demole,  au  nom  de  M.  le  ministre  de  l'intérieur  et  au  sien, 
dépose  un  projet  de  loi  relatif  aux  membres  des  familles  ayant  régné 
sur  la  France. 

L'urgence  est  déclarée. 

M.  LE  Président  :  Le  projet  sera  renvoyé  à  l'examen  des  bureaux. 

Voix  à  gauche  :  Tout  de  suite  !  tout  de  suite  !  (Réclamations  à 
droite.) 

M.  LE  Président  :  Les  convenances  exigent  que  l'on  ne  statue  pas 
dans  les  bureaux  avant  mardi. 

M.  Tesseren  Bdec  ort  dépose  son  rapport  sur  le  projet  de  loi 
relatif  â  TExposition  de  1889. 

Mardi  15  juin.  —  Suite  de  la  seconde  délibération  relative  aux 
Sociétés  de  secours  mutuels. 


LES    CHAMBRES  635 

Chambre   des  députés. 

Jeudi  10  juin.  —  La  validation  de  M.  Carron,  député  d'Ille-et- 
Vilaine,  ouvre  la  séance.  Après  un  défilé  de  rapports  et  de  propo- 
sitions que  la  Chambre  écoute  distraitement,  l'ordre  du  jour  appelle 
la  discussion  du  projet  relatif  à  l'expulsion  des  princes. 

M.  LE  COMTE  DE  MuN  a  la  parole.  11  ne  vient  pas  faire,  entre  les 
divei'ses  propositions,  des  distinctions  dont  la  subtilité  lui  échappe; 
il  y  a  une  question  simple  posée  devant  la  Chambre  et  dans  le  pays, 
et  le  vote  final  de  la  commission  l'établit  du  moins  nettement.  11  ne 
s'embarrassera  pas  dans  les  artifices  de  langage  dont  on  cherche 
à  envelopper  la  proposition  d'exil.  Il  s'agit  d'une  question  plus 
haute;  il  s'agit  du  droit  et  de  la  justice. 

L'exil  pur  et  simple,  sans  phrases,  est  une  chose  qui  se  comprend. 
(Applaudissements  ironiques  à  gauche.)  C'est  la  pure  tradition  jaco- 
bine. (Cris  à  gauche  :  Dites  la  tradition  monarchiste  !) 

M.  DE  MuN.  —  Cette  mesure  est  la  violence  franchement  avouée. 
Le  système  que  l'on  propose,  c'est  l'hypocrisie  dans  la  violence. 
(Applaudissements  â  droite.)  Quelque  détour  qu'on  prenne,  il  n'y  a 
au  fond  de  toutes  les  propositions  qu'une  même  chose  :  la  pros- 
cription. Ce  n'est  pas  une  loi  que  l'on  va  faire,  c'est  un  arrêt  que 
l'on  va  rendre,  et  l'histoire  en  gardera  le  souvenir. 

On  ne  comprendra  pas  qu'il  pût  s'y  mêler  les  étroites  considé- 
rations de  l'intérêt  ministériel. 

Quand,  par  une  sorte  de  dérision,  le  ministre  qui  représente  la 
justice  dans  le  cabinet  est  venu  déposer  le  projet,  on  se  demandait 
comment  il  pourrait  le  motiver. 

L'orateur  rappelle  les  précédentes  déclarations  de  M.  de  Freycinet. 

Quel  événement  s'était  donc  produit  pour  amener  un  revirement? 
Un  marifige  princier  avait  eu  lieu.  Le  ministère,  rompant  avec  nos 
traditions  chevaleresques,  avait-il  donc  voulu  jeter  â  une  jeune 
princesse  la  prosciiption  de  tous  les  siens  en  réponse  aux  applau- 
dissements qui  saluaient  à  l'étranger  non  seulement  sa  personne 
et  son  rang,  mais  son  titre  de  Française?  (Applaudissements  â 
droite.) 

Ou  bien  a-t-on  voulu,  une  fois  de  plus,  donner  un  gage  à  la 
politique  de  l'isolement  systématique? 

L'orateur  rappelle  l'envoi  et  l'attitude  de  M.  Billot,  à  Lisbonne. 
Il  était  difficile  de  concilier  cette  attitude  avec  le  projet;  on  a  donc 
préféré  ne  donner  aucune  explication,  et  c'est  dans  ces  conditions 
que  la  commission  s"est  réunie. 

M.  le  président  du  conseil  a  parlé  d'une  réception  à  laquelle  il 
était  venu  beaucoup  de  monde. 

M.  Paul  de  Cass.\gnac.  — Même  M.  Jules  Simon.  (Rires  à  gauche.) 

M,  Tony  Révillon.  —  Gardez-le! 


636  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  de  Mun  continue;  il  rappelle  qu'on  a  aussi  parlé  de  syndicats 
agricoles  et  de  sociétés  qui  existaient  il  y  a  trois  mois,  lors  de  la 
précédente  déclaration  du  gouvernement. 

Et  c'est  tout;  on  n'a  rien  trouvé  d'autre  à  alléguer.  Quelle  a  donc 
été  la  vraie  origine  de  la  mesure  proposée?  On  a  voulu  se  laver  de 
l'accusation  portée  par  M.  Clemenceau  dans  la  dernière  discussion. 
Entre  la  majorité  républicaine  et  les  princes,  il  y  a  le  gouvernement. 

Le  gouvernement  couvre  les  princes,  voilà  le  reproche  que  l'on 
a  craint  de  mériter  de  nouveau. 

Le  président  du  conseil  a  cédé,  peut-être  à  regret;  c'est  ce  qu' Ar- 
mand Carrel  appelait  la  polilique  de  l'abandon. 

Alors  a  commencé  le  marchandage  de  la  proscription;  on  a  livré 
d'abord  les  descendants  directs,  les  chefs  de  famille,  les  princes 
d'Orléans,  puis,  suivant  un  mot  inoubliable  de  M.  de  Freycinet  — 
par  un  sentiment  d'équilibre  —  les  princes  Bonaparte.  (Rires  à 
droite.) 

M.  JoLiBois.  —  C'est  textuel. 

Les  vrais  promoteurs  du  projet  ont  accepté  la  transaction,  parce 
qu'ils  ne  voulaient  qu'ébranler  le  portefeuille  ministériel  et  non  le 
faire  tomber  immédiatement,  dans  la  crainte  peut-être  d'avoir  trop 
tôt  à  le  ramasser. 

On  a  transigé  pour  sauver  un  portefeuille,  et  c'est  cette  misérable 
question  à  laquelle  on  a  livré  le  droit  et  la  justice. 

On  a  osé  dire  qu'il  n'y  avait  pas  besoin  de  faits  pour  condamner 
les  princes,  pour  violer  les  lois  qui  règlent  l'état  des  citoyens.  (Bruit 
à  gauche.) 

Voilà  votre  théorie,  s'écrie  M.  de  Mun,  et  vous  ne  vous  êtes  pas 
dit  que  la  famille  de  ces  condamnés  sans  jugement  avait  fait  la 
France,  et  que,  sans  les  huit  siècles  de  leur  politique  persévérante, 
il  n'y  aurait  peut-être  pas  de  patrie  française!  (Applaudissements 
à  droite.) 

Vous  ne  vous  êtes  pas  dit  que,  s'il  suffisait  d'un  vote  et  d'un  trait 
de  plume  pour  les  arracher  de  leur  pays,  les  souvenirs  de  notre 
grandeur  les  accompagneraient  dans  l'exil. 

Il  vous  paraît  tout  simple  de  faire  de  cette  famille  si  profondément 
mêlée  à  la  vie  nationale,  une  famille  de  parias  sans  terre  et  sans 
patrie. 

A  ceux  que  vous  laisserez  encore  quelque  temps  sur  notre  sol  vous 
ne  réservez,  sous  l'œil  de  la  police,  qu'une  patrie  provisoire.  Et  voilà 
ce  que  vous  appelez  d'un  mot  prodigieux  le  droit  commun  des  princes! 

On  invoquera  que  les  monarchies  en  ont  fait  autant.  Non,  il  ne 
s'est  rien  fait  de  semblable  sous  les  monarchies.  Il  y  a  eu,  au  lende- 
main des  révolutions,  des  lois  de  bannissement,  mais  on  n"a  jamais 
vu  un  gouvernement,  après  quinze  ans  d'existence,  assez  imprudent 
pour  se  donner  à  lui-même  un  pareil  témoignage  de  faiblesse,  et  la 


^LES    CHAMBRES  637 

loi  s'appliquait  à  des  princes  qui  n'étaient  pas  sur  le  territoire.  Mais 
les  expulser,  c'est  un  genre  de  proscription  qui  appartient  exclusi- 
vement au  gouvernement  actuel. 

D'ailleurs,  s'il  y  a  eu  des  lois  d'exil  sous  les  monarchies,  ce  n'est 
pas  une  justification  pour  le  parti  républicain,  dont  la  tradition  est 
de  regarder  toujours  la  proscription  comme  un  crime  et  une  faute. 
(Applaudissements  à  droite.) 

La  France  est  fatiguée  des  révolutions,  elle  aspire  au  repos  et  à  la 
p.aix  ;  c'était  pour  des  hommes  politiques  une  noble  ambition  de 
laisser  là  les  rancunes  et  les  haines  et  de  constituer  un  Etat  nou- 
veau avec  ce  qu'il  y  a  de  grand  dans  le  passé  et  de  fécond  dans  l'avenir. 
La  défaite  des  opinions  aurait  trouvé  sa  consolation  dans  la  grandeur 
de  la  patrie.  (Vifs  applaudissements  à  droite.) 

On  a  préféré  se  traîner  dans  les  chemins  battus  des  petites  persé- 
cutions. Maîtres  du  pouvoir  depuis  dix  ans,  les  républicains  ont 
peuplé  l'administration,  réformé  l'instruction,  ils  ont  pu  faire  une 
génération  à  leur  image  et  ils  en  sont  cependant  à  abriter  la  pros- 
cription et  la  violence  derrière  la  raison  d'Etat. 

On  trouve  que  les  princes  sont  gênants;  on  ne  demande  pas  encore 
leur  mort,  mais  on  demande  leur  expulsion;  c'est  un  genre  de 
mort.  En  fructidor  déjà  on  avait  inauguré  le  droit  commun  de  la 
proscription  ;  aujourd'hui  on  croit  n'avoir  besoin  ni  de  faits,  ni  de 
formes  pour  condamner  les  princes,  c'est  une  première  catégorie  de 
suspects.   (Très-bien!  à  droite.) 

Après  les  princes,  tout  le  monde  sera  menacé,  parce  qu'une  fois 
la  brèche  ouverte,  tout  y  passe  ;  on  pourra  frapper  au  même  titre 
leurs  amis,  leurs  partisans,  tous  ceux  même  qui  ne  seront  pas  leurs 
ennemis. 

Le  parti  dominant  pourra  toujours  chasser  ses  adversaires  comme 
dangereux  et  déjà  M.  Basly  est  venu,  après  M.  le  garde  des  sceaux, 
comme  son  châtiment,  pour  déposer  une  proposition  qui  aura  certai- 
nement une  suite.  Le  conseil  municipal  de  Paris  s'est  déjà  prononcé 
pour  la  spoliation  en  même  temps  que  pour  la  proscription.  Le  gou- 
vernement cédera  aussi  bien  sur  cette  question-là  que  sur  les  autres  ; 
à  force  de  suivre  ceux  à  qui  on  n'ose  pas  résister,  on  finit  par  les 
conduire. 

Deux  portes  sont  ouvertes  devant  la  Chambre  :  celle  de  la  justice 
et  celle  de  la  proscription  ;  elle  peut  choisir  ;  mais  quahd  une 
assemblée  a  passé  la  porte  de  la  proscription,  elle  ne  retourne 
jamais  en  arrière.  (Applaudissements  répétés  à  droite.) 

M.  SusiNi,  «  qui  se  place  sur  le  terrain  supérieur  des  grandes 
questions  sociales  »,  défend  le  projet  d'expulsion  ;  la  république, 
comme  tous  les  gouvernements,  a  le  droit  de  se  défendre.  11  faut 
proscrire  les  princes  et  épurer  les   services  publics.   Pour  que   le 


638  ANNALES    CATHOLIQUES 

peuple  français  devienne  libre  et  égal,  il  faut  travailler  sans  relâche 
à  améliorer  le  sort  des  classes  sociales  et  démocratiques. 

M.  DuGuÉ  DE  LA  Fauconnerie  dit  que  les  paysans  demandent 
seulement  la  tranquillité  ;  aussi  ils  ne  peuvent  pas  désirer  l'expulsion 
des  princes,  parce  que,  lorsque  les  passions  sont  surexcitées,  les 
affaires  ne  marchent  pas,  et  parce  que,  lorsqu'un  gouvernement  a 
peur,  il  ne  peut  pas  protéger  les  intérêts.  (Applaudissements  à  droite.) 

Le  gouvernement  sait  bien  que  les  princes  ne  conspirent  pas  et 
qu'ils  ne  menacent  pas  l'ordre  public  ;  mais  il  cède  aux  injonctions 
de  ses  adversaires  qui  veulent  le  renverser  pour  se  mettre  à  sa  place. 
(Applaudissements  à  droite)  La  politique  du  pays  n'est  pas  celle  des 
politiciens.  (Applaudissements  à  droite.)  Le  pays  veut  qu'on  le  laisse 
tranquille. 

L'orateur  affirme  que  l'immense  majorité  de  ses  électeurs  est 
hostile  à  l'expulsion  des  princes.  Quel  est  le  député  qui  pourrait 
dire  que  la  majorité  de  ses  électeurs  la  demande  ?  (.applaudisse- 
ments à  droite). 

M.  Madier  de  Montjau  dit  qu'il  faut  en  finir.  La  question  des 
princes  revient  sans  cesse,  il  faut  la  vider  complètement.  Les  princes 
ne  sont  pas  des  citoyens. 

L'orateur  parle  de  l'exécution  du  duc  d'Enghien,  de  l'expulsion 
des  princes  de  la  branche  aînée  par  la  branche  cadette,  et  s'étonne 
que  les  partisans  de  la  monarchie  osent  protester  aujourd'hui  contre 
l'exil  des  princes. 

L'orateur  rappelle  que  M.  Thiers  justifiait  les  lois  d'expulsion,  il 
les  nommait  des  lois  de  précaution  destinées  à  garantir  la  souve- 
raineté nationale.  11  considérait  comme  dangereux  pour  la  république 
de  tolérer  dans  son  sein  un  prince  qui  reste  toujours  prince. 

M.  Madier  de  Montjau  combat  le  projet  du  gouvernement  et  le 
projet  Brousse,  qui  laissent  la  porte  ouverte  à  l'arbitraire.  Les 
princes  doivent  être  expulsés  «  parce  qu'ils  sont  des  princes  » 
(Applaudissements  à  gauche.) 

«  Aucun  des  princes  d'Orléans  ne  mérite,  déclare  l'orateur,  la 
tolérance  dont  on  veut  faire  bénéficier  quelques-uns;  il  ne  faut  pas 
avoir  confiance  dans  des  paroles  royales.  On  met  en  avant  l'âge  du 
duc  d'Aumale;  il  a  soixante-trois  ans,  c'est  vrai,  mais  l'âge  qui 
éteint  les  autres  passions,  ne  détruit  pas  l'ambition.  »  (Rires  et 
applaudissements  à  gauche.) 

Faisant  allusion  aux  grèves  de  Decazeville,  l'orateur  dit  que  les 
causes  n'en  sont  pas  seulement  industrielles.  «  Puisqu'on  dit  que 
rien  ne  va  sous  la  république,  il  est  temps  de  nous  débarrasser  de  ce 
qui  nous  gêne.  »  (Exclamations  à  droite.  Applaudissements  à  gauche.) 

M.  Anatole  de  la  Forge.  —  J'obéis  à  ma  conscience  en  repous- 
sant toute  loi  d'exception,  et  je  ne  veux  pas  inaugurer  un  régime 
de  proscription.  (Applaudissements  sur  quelques  bancs  au  centre.) 


LES    CHAMBRES  639 

L'expulsion  des  princes  ferait  croire  que  la  république  a  peur,  alors 
qu'il  n'eu  est  rien.  Pour  moi,  ainsi  que  je  l'ai  déclaré  au  sein  des 
réunions  publiques,  je  voterai  avec  la  droite,  toutes  les  fois  que  la 
droite  aura  raison. 

La  Chambre  doit  choisir  entre  la  politique  jacobine  (murmures  à 
gauche)  et  la  politique  libérale.  J'ajoute  que  la  question  des  princes 
ne  sera  pas  résolue  par  l'expulsion  et  qu'ils  seront  plus  diminués  par 
l'indifférence  que  par  l'exil. 

Rappelant  à  M.  Madier  do  Montjau  un  mot  que  ce  dernier  a  pro- 
noncé sur  le  tombeau  de  Victor  Hugo,  l'orateur  l'adjure  de  rester 
«  le  soldat  du  droit  et  de  la  liberté.  » 

Après  ce  discours,  très  applaudi  à  droite  et  au  centre,  M.  Saint- 
Romme  et  Mgr  Freppel  renoncent  à  leur  tour  de  parole. 

M.  Piou  s'élève,  comme  M.  Anatole  de  la  Forge,  contre  les  lois 
d'exception.  Il  montre  Victor  Hugo  et  Louis  Blanc  adversaires  de  la 
proscription  et  rappelle  les  regrets  de  Jules  Favre  d'avoir  voté  l'exil 
des  princes  en  1848. 

Les  princes,  citoyens  comme  les  autres,  soumis  aux  lois  du  pays, 
ne  sont  ni  un  embarras,  ni  un  péril  ;  si  la  démocratie  doit  être  un 
jour  pour  eux,  elle  saura  bien  aller  les  chercher  jusque  dans  l'exil. 
(Applaudissements  à  droite.  Cris  :  la  clôture!) 

M.  JoLiBois  dit  qu'on  ne  saurait  clore  une  discussion  de  cette 
nature  et  de  cette  gravité  sans  entendre  le  gouvernement. 

M.  DE  Freycinet,  président  du  conseil,  se  déclare  prêt  à  fournir 
toutes  les  explications  désirables,  mais  l'heure  est  avancée...  (Inter- 
ruptions prolongées.) 
La  clôture,  mise  aux  voix,  n'est  pas  prononcée. 
Vendredi  11  jui7i.  —  La  Chambre  adopte  sans  discussion  le 
projet  de  loi  relatif  à  un  emprunt  de  la  ville  d'Évreux,  puis  l'ordre 
du  jour  appelle  la  suite  de  la  discussion  du  Projet  d'expulsion  des 
princes. 

M.  Henri  Maret  a  la  parole.  Si  la  république  était  en  péril,  dit 
l'orateur,  il  faudrait  prendre  les  factieux  au  collet;  mais  invoquer  la 
raison  d'Etat  pour  une  simple  gêne,  cela  peut  mener  loin;  cela  peut 
amener  à  supprimer  la  liberté  de  la  presse  et  la  liberté  de  réunion, 
qui,  elles  aussi,  peuvent  gêner. 

C'est  là  un  système  monarchique;  ce  ne  sera  jamais  un  système 
républicain.  (Approbation.) 

Quant  au  prétendu  droit  commun  des  princes,  c'est  lâ  une  pure 
chinoiserie.  Voulez-vous  écarter  tout  danger?  Faites  une  constitution 
républicaine  qui  ne  donne  pas,  comme  la  nôtre,  envie  à  un  roi  d'y 
entrer. 

Si  Louis-Philippe  est  devenu  roi,  si  Louis  Bonaparte  est  devenu 
empereur,  ce  n'est  pas  parce  qu'ils  étaient  en  France,  c'est  parce  que 


^40  ANNALES   CATHOLIQUES 

la  France  n'était  pas  républicaine,  c'est  parce  que  Louis  Bonaparte 
était  président  de  la  république. 

Maintenant,  la  France  est  républicaine  et  le  danger  n'existe  pas; 
s'il  existait,  il  se  manifesterait  par  des  actes  tombant  sous  le  coup 
de  la  loi.  Et  si  jamais  la  majorité  des  Chambres  devenait  monar- 
ctiste,  n'aurait-elle  pas  bientôt  fait  de  rapporter  les  lois  d'exil? 

La  république  a  traversé  de  bien  d'autres  périls,  et  l'histoire 
s'étonnera  que  ce  soit  après  avoir  triomphé  de  tous  les  obstacles 
qu'elle  songe  à  prendre  des  mesures  de  salut;  ce  n'est  pas  ainsi 
qu'un  parti  pourra  reconquérir  aux  yeux  du  pays  sa  popularité 
ébranlée.  (Applaudissements  sur  divers  bancs.) 

M.  Frédéric  Passy  monte  à  la  tribune.  (Exclamations.)  En 
réponse  à  ces  exclamations  de  gauche,  un  grand  nombre  de  députés 
à  gauche,  au  centre  et  à  droite  applaudissent  M.  Frédéric  Passy. 

L'orateur  commence  par  s'étonner  qu'un  ancien  proscrit  ait  pu 
parler  de  proscription. 

M.  DE  JouvENCEL.  —  Parce  qu'il  ne  veut  pas  retourner  en  exil. 

M.  Frédéric  Passy  rappelle  que  M.  Eugène  Pelletan  a  voté,  par 
deux  fois,  contre  les  lois  de  proscription. 

M.  Madier  de  ]\Iontjau  a  dit  :  Il  faut  en  finir.  Oui,  il  faut  en  finir 
avec  cette  question;  mais  il  faut  en  finir  pour  l'éteindre  et  non  pour 
la  rallumer.  11  a  dit  encore  :  Il  faut  nous  débarrasser  de  ce  qui  nous 
gêne.  Oui,  il  faut  nous  débarrasser,  non  des  personnes,  mais  des 
agitations  stériles  et  des  troubles  périodiques. 

Prenez  garde,  M.  Madier  de  Montjau,  continue  M.  Passy,  je  vous 
le  dis  avec  le  respect  dû  à  votre  grand  talent  et  à  vos  longues 
souffrances  pour  la  liberté;  prenez  garde!  vous  avez  prononcé  là  une 
parole  bien  imprudente.  Il  faut  nous  débarrasser  de  ce  qui  nous 
gêue,  mais  vous  gêniez  l'empire,  M.  Madier  de  Montjau.  (Mouve- 
ments divers.) 

Votre  doctrine  d'aujourd'hui,  c'est  la  justification  de  tous  les 
arbitraires,  c'est  la  glorification  de  la  force  et  la  négation  du  droit 
sur  lequel  repose  toute  société  régulière. 

L'orateur  cite  les  paroles  de  M.  Laboulaye,  en  1875,  lors  du  vote 
qui  a  fondé  la  république. 

M.  Raoul  Duval.  —  Dans  les  discours  d'outre-tombe  il  y  a  quel- 
quefois du  bon. 

M.  Frédéric  Passy  continue.  M.  Laboulaye  disait  alors  que,  de 
toutes  les  leçons  de  l'histoire,  il  en  était  une  qui  dominait  toutes 
les  autres,  c'était  une  leçon  de  modération.  L'orateur  rappelle  une 
lettre  qu'il  adressait,  en  1873,  à  M.  d'Audiffret-Pasquier,  pour  le 
détourner  de  travailler  à  une  restauration  monarchique. 

M.  MiLLERAND.  —  L'avez-vous  convaincu?  (On  rit.) 

M.  Frédéric  Passy.  —  Si  je  ne  l'ai  pas  convaincu,  il  n'y  a  pas  eu 
du  moins  de  restauration  monarchique. 


LES   CHAMBRES  641 

Ce  que  je  disais  alors  à  M.  d'Audiffret-Pasquier,  je  le  dis  aux 
républicains  aujourd'hui  :  en  ouvrant  l'ère  des  proscriptions,  ils 
s'exposent  à  voir  le  pays  revenir  en  arrière. 

11  y  a  toujours  dans  une  société  quelqu'un  ou  quelque  chose  qui 
gêne  quelque  chose  ou  quelqu'un.  Danton  gênait  Robespierre. 

Attachons-nous,  je  le  demande,  aux  vrais  amis  de  la  république; 
attachons-nous  â  la  vraie  ancre  qui  nous  reste;  la  justice  et  la 
liberté.  (Applaudissements.) 

M.  MiCHO'J  a  la  parole.  (Exclamations). 

C'est  au  point  de  vue  pratique  que  veut  se  placer  l'orateur.  Assez 
de  transcendance  ;  nous  sommes  sur  la  terre,  il  faut  rester  sur  la 
terre.  (On  rit) 

Si  l'on  veut  déblayer  tout  à  fait  le  terrain,  il  ne  suffit  pas  d'expul- 
ser les  princes  ;  il  faut  les  tuer,  ou  plutôt  il  faut  les  laisser  tran- 
quilles et  ne  pas  ressusciter  pour  eux  le  dogme  du  péché  originel. 

Est-il  admissible  que  ce  soient  les  partisans  de  l'amnistie  qui 
réclament  la  proscription  et  que  les  amis  de  la  république  veulent 
rayer  de  sa  devise  les  mots  de  liberté  et  d'égalité  ? 

Les  princes  ne  sont  pas  plus  dangereux  au  dedans  qu'au  dehors. 
Louis-Philippe  n'a  jamais  conspiré  sous  la  Restauration  ;  ce  sont 
les  bonapartistes  et  les  républicains  qui  ont  fait  la  Révolution  de 
1830.  En  1848,  le  prince  Louis-Napoléon  avait  été  élu  par  un  seul 
département,  si  on  l'avait  laissé  dans  l'Assemblée,  il  se  serait  perdu 
dans  la  foule.  On  a  voulu  l'expulser,  il  est  revenu  comme  président 
de  la  république,  puis  comme  empereur.  (Bruit.) 

M.  DE  Freycinet  monte  à  la  tribune  (mouvement  d'attention). 
L'orateur  dit  que  le  gouvernement  revendique  l'initiative  des 
mesures  proposées  contre  les  prétendants.  11  est  un  point  auquel  on 
est  inévitablement  ramené,  c'est  le  droit  pour  le  gouvernement  de 
prendre  des  mesures  spéciales  contre  les  représentants  des  autres 
gouvernements  ;  si  la  Chambre  se  prononce  pour  la  négative,  elle 
repoussera  tous  les  projets  qui  seront  soumis.  Mais  ce  droit  existe. 
Tous  les  gouvernements  se  sont  crus  autorisés  â  prendre  de  ces 
mesures,  souvent  avec  une  exagération  qu'on  ne  saurait  trop  con- 
damner. Bien  plus  les  hommes  les  plus  modérés  des  régimes  passés 
ont  tous  proclamé  la  légitimité  de  ce  principe. 

L'orateur  cite  l'exemple  de  MM.Thiers  et  Dufaure  et  il  continue  : 
En  effet,  qu'ils  le  veuillent  ou  non,  les  princes  représentent  une  forme 
de  gouvernement  autre  que  celle  qui  est  établie  ;  ils  peuvent  ne  pas 
conspirer  dans  le  sens  étroit  du  mot,  mais  ils  sont  la  promesse 
vivante  d'un  gouvernement  nouveau  et  tendant  à  discréditer  le  gou- 
vernement établi.  On  objecte  que  la  république  ne  doit  pas  tomber 
dans  les  errements  des  monarchies  et  qu'elle  doit  substituer  la  force 
du  droit  au  droit  de  la  force. 

Mais  il  y  a  des  nécessités  supérieures  qui  s'imposent  et  auxquelles 


b4!i  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  république  pas  plus  que  les  autres  gouvernements  ne  peut  te 
soustraire.  Pourquoi  la  république  qui  a  abrogé  les  lois  d'exil,  qui 
a  vécu  quinze  ans  sans  ces  lois,  en  a-t-elie  besoin  aujourd'hui? 

Une  voix  à  droite,  —  Parce  qu'elle  est  à  l'agonie.  (Bruit.) 

M.  DE  Freycinet  dit  que  la  république  n'est  pas  à  l'agonie,  qu'elle 
n'est  pas  dans  cet  état  d'aberration  qui  fait  que  l'on  se  jette  dans 
des  mesures  iniques  et  violentes. 

La  cause  de  la  loi  proposée  est  précisément  dans  l'abrogation  de 
la  loi  de  1871  et  dans  les  conséquences  qu'elle  a  entraînées.  Les 
conséquences  n'échappaient  pas  à  la  majorité  qui  se  réservait  de 
rétablir  la  monarchie.  Elle  a  fait  tous  ses  efforts  pour  réussir  et  si 
elle  n'y  a  pas  réussi,  c'est  sa  faute. 

Le  danger  ne  s'est  pas  rencontré  tout  de  suite,  parce  que,  comme 
le  disait  M.  Thiers,  il  y  avait  trois  têtes  pour  une  couronne,  il  y 
avait  une  sorte  de  neutralisation  des  aspirations  de  chacun.  La 
fusion  est  venue,  le  prince  impérial  est  mort,  le  comte  de  Cham- 
bord  est  mort  à  son  tour  et  il  n'est  plus  resté  qu'un  seul  prétendant 
sérieux  avec  lequel  on  doit  compter  :  le  chef  de  la  maison  d'Orléans. 
(Mouvements  divers.) 

Jusqu'en  1883,  les  véritables  prétendants  étaient  hors  de  France  et 
à  ce  point  de  vue  encore  le  danger  était  écarté.  Mais  depuis  cette 
époque  le  parti  républicain  a  senti  le  besoin  de  mesures  pour  garan- 
tir la  république.  Une  première  loi  fut  votée  par  la  Chambre  et 
repoussée  par  le  Sénat.  Plus  tard,  la  Constitution  revisée  éloigna  les 
princes  de  la  présidence  de  la  république.  D'autres  dispositions  leur 
interdirent  l'entrée  du  Sénat. 

Personne  ne  fut  surpris  alors  de  ces  dérogations  au  droit  commun. 
Les  princes,  alors  que  leurs  familles  régnaient,  ont-ils  été  soumis  à 
ce  droit  commun?  Non.  Ils  ont  bénéficié  d'une  foule  de  dérogations 
au  droit  commun,  notamment  aux  lois  militaires. 

Il  y  a  trois  mois,  l'orateur  s'est  opposé  aux  mesures  qu'on  présen- 
tait, parce  que  c'était  au  pouvoir  exécutif  qu'il  appartenait  d'en 
prendre  l'initiative  le  jour  où  ce  serait  nécessaire. 

On  pouvait  espérer  alors  qu'après  les  élections  d'octobre,  la 
réélection  du  président  de  la  république  et  la  formation  d'un  nou- 
veau cabinet  imbu  d'esprit  de  conciliation,  que  l'avertissement 
donné  par  le  parti  républicain  suffisait  et  que  les  princes  compren- 
draient la  réserve  à  laquelle  les  oblige  leur  séjour  sur  le  territoire 
français.  S'ils  veulent  conspirer  contre  la  république,  qu'ils  aillent  à 
l'étranger  comme  le  plus  noble  d'entre  eux,  le  comte  de  Chambord. 

Avant  d'en  venir  à  des  mesures  qui  ne  sont  une  satisfaction  pour 
personne,  qui  sont  un  devoir  douloureux  à  remplir,  le  gouverne- 
ment a  épuisé  toute  sa  longanimité;  mais  après  avoir  une  première 
fois  couvert  les  princes  il  a  constaté  que  leur  attitude  restait  la 
même,  qu'on  préparait  de  longue  date  la  manifestation  par  laquelle 


LES    CHAMBRES  643 

à  Toccasion  d'une  fête  de  famille,  oa  a  prétendu  afficher  les  rela- 
tions du  parti. 

On  a  passé  une  revue  du  personnel  politique,  on  a  répandu  des 
cartes  comparatives  de  la  France  sous  la  monarchie  et  sous  la 
république,  comme  si  la  république  était  responsable  des  provinces 
perdues.  (Interruptions  à  droite.)  On  a  affecté  de  recueillir  les 
cadeaux  envoyés  par  les  dames  de  telle  ou  telle  province. 

Est-ce  que  ce  n'était  pas  là  faire  acte  de  prétendant?  On  a  même 
convié  à  la  fête  les  représentants  des  pays  étrangers. 

Les  choses  ne  pouvaient  aller  plus  loin  et,  sans  attendre  l'initia- 
tive de  personne,  il  a  formulé  une  proposition  qui  n'atteint  pas  tous 
les  membres  des  familles  ayant  régné  sur  la  France,  parce  qu'il  y  eu 
a  d'inoffensifs  qui  ne  prennent  pas  part  à  ces  manifestations  et  dont 
la  présence  n'est  pas  un  danger.  Si  elle  le  devenait,  on  leur  appli- 
querait la  mesure. 

On  n'a  voulu,  pour  le  moment,  que  faire  sortir  de  France  les 
prétendants  qui  organisent  uu  gouvernement  en  face  de  celui  de  la 
République,  une  sorte  de  gouvernement  en  expectative. 

Il  faut  que  ni  en  France  ni  au  dehors,  on  puisse  croire  qu'il  y  a 
deux  gouvernements  dans  le  pays.  Tel  est  l'esprit  de  la  proposition, 
elle  est  à  la  fois  juste,  modérée  et  nécessaire.  Le  mal  auquel  il  faut 
mettre  un  terme  est  le  discrédit  qui  résulterait  pour  la  république 
d'une  plus  longue  tolérance.  Le  rejet  de  la  proposition  créerait  une 
telle  situation  que  la  Chambre  n'hésitera  pas  certainement  à  la 
voter. 

M.  JouBOTS  dit  qu'il  proteste  contre  les  paroles  de  M.  de  Freycinet 
à  l'égard  du  parti  dont  il  s'honore  d'être  le  chef.  Il  oppose  au  prési- 
dent du  conseil  son  langage  d'il  y  a  trois  mois. 

Pourquoi  reprocher  aux  princes  d'avoir  invité  les  ambassadeurs  à 
la  soirée  de  l'hôtel  Galliera,  alors  qu'on  a  envoyé  un  ambassadeur 
extraordinaire  à  Lisbonne  pour  féliciter  le  roi  de  Portugal  de  son 
alliance  avec  la  famille  d'Orléans  ? 

L'expulsion  est  injuste  et  dangereuse,  dit  l'orateur,  qui  développe 
la  doctrine  de  l'appol  au  peuple.  Il  parle  ensuite  de  la  guerre  de 
1870. 

M.  Floquet  rappelle  à  la  question  l'orateur,  qui  descend  bientôt 
de  la  tribune. 

La  discussion  générale  est  close. 

M.  Barodet  lit  une  déclaration  expliquant  pourquoi  lui  et  un 
certain  nombre  de  ses  amis  repoussent  le  proj  et  d'expulsion. 

M.  Î^IiCHELiN  déclare  qu'il  avait  voté  il  y  a  trois  mois  contre  l'ex- 
pulsion; mais  aujourd'hui,  après  les  discours  de  MM.  de  Mun  et 
J  olibois,  posant  nettement  la  question  monarchique,  il  votera  pour 
l'expulsion  . 

M.  Gaussorgues  déclare  qu'il  votera  contre  l'expulsion. 


644  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  Chambre  décide,  par  310  voix  contre  223,  de  passer  â  la  dis- 
cussion des  articles. 

Sur  l'article  !■='■  du  projet  de  la  commission,  M.  Cunéo  d'Ornano 
développe  un  amendement  tendant  â  faire  précéder  cet  article  par 
ces  mots  :  «  Le  peuple  sera  consulté  par  oui  ou  par  non  sur  la  dis- 
position suivante.  » 

M.  Pelletan  parle  contre  l'amendement  ;  il  fait  le  procès  du  sys- 
tème plébiscitaire.    L'orateur  déclare   ensuite  chimérique  l'idée   do 
chercher  un  prince  ami  de  la   République  :  ceux  cachant  leur  jeti 
sont  les  plus  dangereux   (applaudissements  à  gauche).   Il  faut  donc 
les  expulser  tous. 

L'amendement  de  M.  Cunéo  d'Ornano  est  rejeté. 

L'article  l^r  du  projet  de  la  commission  est  repoussé  au  scrutin 
public,  â  la  tribune,  par  314  voix  contre  220. 

L'article  l^""  du  contre-projet  Brousse,  accepté  par  le  gouverne- 
ment, est  adopté  par  315  voix  contre  232. 

L'article  2  est  adopté  par  324  voix  contre  235. 

Les  articles  3  et  4  sont  adoptés  sans  scrutin. 

M.  Cunéo  propose  de  nouveau  un  amendement  tendant  à  soumettre 
l'ensemble  du  projet  à  l'appel  au  peuple. 

M.  Floquet  déclare  que  cet  amendement  est  anticonstitutionnel. 
(Cris  :  la  question  préalable.) 

M.  Cunéo  proteste  et  dit  que  c'est  le  vote  de  la  loi  qui  est  anti- 
constitutionnel. (Interruptions.) 

M.  Floquet  rappelle  plusieurs  fois  l'orateur  à  la  question  et 
déclare  qu'il  va  consulter  la  Chambre  sur  le  point  de  savoir  s'il  doit 
maintenir  la  parole  à  l'orateur.  (Exclamations  à  droite.) 

M.  Cunéo  d'Ornano  proteste  contre  la  violence  qui  lui  est  faite  et 
descend  de  la  tribune  au  milieu  d'un  épouvantable  tumulte. 

M.  Beauquier  retire  son  amendement  tendant  à  abroger  les  titres 
nobiliaires. 

L'ensemble  du  projet  Brousse,  accepté  par  le  gouvernement  et 
tendant  â  l'expulsion  restreinte  est  adopté  sans  scrutin. 

La  séance  est  levée  à  neuf  heures  un  quart. 

La  Chambre  s'ajourne  à  mardi. 

Mardi  15  juin.  —  Suite  de  la  discussion  relative  aux  propositions 
sur  le  régime  des  sucres. 


UNE    IsOUVELLE    INFAMIE  645 


UNE  NOUVELLE  INFAMIE 

M.  Goblet  vient  d'adresser  à  NN.  SS.  les  évêques  une  circu- 
laire confidentielle  ainsi  conçue  : 

Paris,  le  10  juin  1886. 
Monsieur  l'évêque, 

Aux  termes  de  l'article  4  de  la  loi  du  18  germinal  an  X,  aucun 
concile  national  ou  métropolitain,  aucun  synode  diocésain,  aucune 
assemblée  délibérante  n'aura  lieu  sans  la  permission  expresse  du 
gouvernement.  Les  réunions  qui,  sous  le  nom  de  congrès  eucharis- 
tiques ou  congrès  catholiques,  ont  eu  lieu  précédemment,  soit  à 
Lille,  soit  dans  d'autres  villes,  n'ont  pas  paru  au  gouvernement 
tomber  sous  l'application  de  la  loi  précitée.  Mais  il  résulte  de  mes 
informations  que,  par  son  caractère  particulier,  la  réunion  projetée 
à  Toulouse  par  Mgr  l'archevêque  de  ce  diocèse  rentrerait,  s'il  y  était 
donné  suite,  dans  la  catégorie  de  celles  que  la  loi  du  18  germinal 
an  X  soumet  à  l'autorisation  expresse  et  préalable  du  gouvernement. 
Cette  autorisation  n'ayant  pas  été  accordée,  le  concile  de  Toulouse 
ne  saurait  avoir  lieu  régulièrement. 

Informé  qu'un  certain  nombre  de  prélats  français  et  étrangers  ont 
été  convoqués  et  y  ont  annoncé  leur  présence,  je  crois  de  mon 
devoir,  monsieur  l'évêque,  de  vous  faire  connaître  que  la  participa- 
tion des  membres  du  clergé  à  une  assemblée  de  cette  nature  serait 
considérée  par  le  gouvernement  comme  une  infraction  aux  lois  con- 
cordataires et  engagerait  de  la  manière  la  plus  grave  la  responsabilité 
des  prélats  qui  s'y  rendraient  ou  permettraient  aux  prêtres  de  leur 
diocèse  de  s'y  rendre. 

Agréez,  monsieur  l'évêque,  l'assurance  de  ma  haute  considération. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique^ 
des  beaux-arts  et  des  cul  tes, 
René  Goblet. 

Comme  on  le  voit,  le  prétexte  de  cette  interdiction  est  puisé 
dans  la  législation  césarienne,  annexée  au  Concordat  par  le 
despotisme  impérial,  et  qui  interdit  la  réunion  de  conciles  sans 
l'autorisation  du  pouvoir  civil. 

Il  est  superflu  de  faire  remarquer  que  cette  législation, 
odieuse  et  surannée,  n'a  jamais  été  applicable  à  des  réunions 
séculières  et  sans  aucun  caractère  canonique,  comme  les 
congrès  eucharistiques. 

Le  gouvernement  républicain  a  pu  lui-même  s'en  convaincre 


646  ANNALES    CATHOLIQUES 

par  les  assemblées  analogues  tenues  antérieurement  à  Lille,  à 
Liège,  à  Avignon,  à  Fribourg,  etc.  Son  interdiction  n'est  donc 
en  réalité  qu'un  acte  de  persécution  dirigé  contre  l'expression 
légitime  de  la  liberté  religieuse.  Le  catholicisme  est  l'ennemi 
pour  la  République  et  elle  saisit  toutes  les  occasions  de  blesser 
les  catholiques  dans  leurs  consciences  et  dans  leur  foi.  Si  c'est 
au  moyen  d'une  telle  politique  qu'on  espère  acclimater  les  ins- 
titutions républicaines,  on  se  trompe  et  de  beaucoup  ! 


Nous  recevons  en  outre  communication  des  importants  docu- 
ments qui  suivent. 

D'abord  la  lettre  par  laquelle  M.  Goblet  a  notifié  à  S.  Em.  le 
cardinal  Desprez,  archevêque  de  Toulouse,  ses  résolutions  au 
sujet  du  Congrès  eucharistique  projeté;  en  voici  la  teneur  : 

Paris,  le  9  juin  1886. 
Monsieur  l'archevêque, 

Il  résulte  d'informations  que  j'ai  le  regret  de  ne  pas  avoir  reçues 
directement  de  vous  qu'il  se  prépare  à  Toulouse,  sous  votre  autorité 
et  par  votre  initiative,  une  réunion  d'ecclésiastiques  qualifiée  de 
concile  dans  les  documents  mêmes  émanés  de  votre  archevêché-  A  la 
différence  des  réunions  analogues  tolérées  précédemment  dans  d'autres 
villes,  celle-ci  devrait,  dans  la  pensée  de  ses  promoteurs,  revêtir, 
tant  par  sa  composition  que  par  l'exclusion  des  laïques  et  par  la 
nature  du  programme,  le  caractère  d'une  assemblée  délibérante 
rentrant  dans  les  définitions  de  l'article  4  de  la  loi  du  18  germinal 
an  X,  aux  termes  duquel  «  aucun  concile  national  ou  métropolitain, 
*  aucun  synode  diocésain,  aucune  assemblée  délibérante  n'aura  lieu 
«  sans  la  permission  expresse  du  gouvernement.  » 

Je  ne  saurais  m'empêcher  de  regretter,  M.  l'archevêque,  qu'en 
présence  de  ces  dispositions  législatives,  vous  ayez  cru  pouvoir 
convoquer  plusieurs  prélats  français  et  étrangers  et  adresser  un 
appel  au  clergé  de  votre  diocèse  en  vue  de  la  réunion  projetée  avant 
de  vous  être  assuré  de  l'autorisation  expresse  que  le  gouvernement 
ne  saurait  maintenant  vous  accorder,  le  concile  projeté  ne  peut  avoir 
lieu  sans  constituer  une  violation  formelle  des  lois  concordataires, 
dont  j'aime  à  penser  que  vous  ne  voudrez  pas  assumer  la  respon- 
sabilité. 

Agréez,  M.  l'archevêque,  l'assurance  de  ma  haute  considération, 

Le  ministre  de  l'instruction  publique, 
des  beaux-arts  et  des  cultes, 
René  Goblet. 


UNE    NOUVELLE    INFAMIE  647 

A  cette  lettre,  S.  Em.  le  cardinal  Desprez  a  fait  la  réponse 

que  voici  : 

Toulouse,  le  12  juin  1886. 
Monsieur  le  ministre. 

Votre  lettre  du  9  juin  courant,  relative  au  Congrès  eucharistique 
qui  doit  se  réunir  prochainement  à  Toulouse,  m'a  causé  une  vive 
surprise,  et  j'ai  hâte  de  vous  faire  ol)server  que  les  réunions  dont 
vous  vous  préoccupez,  dans  l'intérêt  de  la  )oi  do  germinal,  n'ont 
rien  de  commun  avec  les  assemblées  conciliaires,  synodales  ou  sim- 
plement délibérantes  pour  lesquelles  l'article  4  de  nos  lois  orga- 
niques exige  l'autorisation  expresse  du  gouvernement. 

Si  le  Congrès  eucharistique  avait  été  qualifié  de  concile,  comme  le 
suppose  votre  dépêche,  ce  serait  une  erreur;  mais  je  n'ai  pu  jusqu'ici 
en  découvrir  la  trace  dans  aucun  des  documents  que  j'ai  publiés  ou 
fait  publier  sur  cette  question.  Du  reste,  il  ne  m'en  coûterait  pas 
de  la  reconnaître,  puisque  je  veux  moi-même  la  réfuter. 

Notre  Congrès  eucharistique  n'est  pas  un  concile  national.  Pour 
réunir  en  concile  tous  les  évêques  de  France,  j'aurais  eu  besoin 
d'une  autorisation  papale,  que  je  n'ai  ni  sollicitée,  ni  obtenue. 

Notre  Congrès  eucharistique  n'est  pas  un  concile  métropolitain. 
On  n'invite  à  ce  dernier  que  les  évêques  de  la  province,  et  j'ai  prié 
bien  d'autres  prélats  que  mes  sufFragants  d'apporter  l'éclat  de  leur 
présence  et  de  leur  parole  à  nos  fêtes  eucharistiques,  qui  sont, 
comme  l'indique  ce  qualificatif,  des  fêtes  exclusivement  religieuses. 
Du  reste,  Portails  semble  avoir  prévu  l'objection  quand  il  dit  :  «  Les 
«  évêques  sont  partout  juges  de  la  foi,  mais  il  ne  faudrait  pas  con- 
«  cluie  de  là  qu'il  y  a  un  concile  partout  oii  il  y  a  une  assemblée 
«  d'évêques.  » 

Le  Congrès  qui  va  s'ouvrir  à  Toulouse  n'est  pas  davantage  un 
synode  diocésain.  Le  synode  a  un  tout  autre  but,  et  l'on  n'y  convoque 
que  le  clergé  du  diocèse.  Or,  dans  la  circulaire  par  laquelle  j'annon- 
çai, en  1884,  l'ouveiture  du  Congrès,  et  dont  une  lettre  ci-incluse 
de  mon  vicaire  général  n'a  fait  que  rappeler  les  conseils,  ce  n'est 
pas  seulement  aux  prêtres,  mais  aux  fidèles  que  je  me  suis  adressé, 
en  vue  de  stimuler  le  zèle  dos  uns  et  la  piété  des  autres. 

Cette  observation  me  paraît  suffire  pour  montrer  que  le  Congrès 
n'est  pas  une  réunion  synodale  et  que  dans  la  pensée  de  ses  initia- 
teurs, dont  la  plupart  sont  des  laïques,  les  simples  fidèles  peuvent  et 
doivent  y  prendre  part 

Je  reconnais  qu'un  des  programmes  ci-inclus  vise  quelques  réu- 
nions exclusivement  sacerdotales  ;  mais  ces  réunions  elles-mêmes 
échappent  aux  prévisions  de  l'article  de  loi  dont  vous  voulez  bien  me 
rappeler  le  dispositif.  Des  prêtres  qui  n'ont  reçu  aucune  convocation 
officielle,  aucun  mandat  législatif,  et  qui,  pendant  4  ou  5  jours,  se 
réunissent  pour  étudier  en  commun,  ne  forment  pas  une  assemblée 

47 


648  ANNALES    CATHOLIQUES 

délibérante,  et  il  n'est  que  trop  juste  de  leur  appliquer  cet  autre 
mot  de  Portalis  commentant  la  loi  de  germinal  :  «  Des  évêques  par- 
ticuliers qui  se  donnent  un  rendez-vous  commun  pour  conférer  ou 
écrire  sur  une  matière  ne  font  point  un  corps  d'ovèques.  » 

Eu  terminant,  monsieur  le  ministre,  je  crois  devoir  ajouter,  con- 
trairement aux  affirmations  de  votre  dépêche,  que  le  Congrès  eucha- 
ristique ne  diffère  pas  de  ceux  qui  se  sont  déjà  réunis  à  Avignon  et 
à  Lille.  C'est  le  même  esprit  qui  l'anime.  C'est  le  même  comité, 
dont  le  siège  est  à  Lille,  qui  l'organise.  C'est  le  même  bien  à  la  fois 
religieux  et  patriotique  qu'il  poursuit,  en  travaillant  à  faire  recon- 
naître les  droits  souverains  et  imprescriptibles  du  Dieu  fait  Homme 
qui  réside  sur  nos  autels  et  qui  tient  en  main  la  solution  des  pro- 
blèmes sociaux  et  économiques  dont  les  peuples  et  leurs  chefs  ont 
aujourd'hui  à  se  préoccuper. 

Veuille?,  agréer,  monsieur  le  ministre,  l'assurance  de  ma  haute 
considération. 

Cette  réponse  est  décisive.  Des  prétextes  de  légalité  rois  en 
avant  par  M.  Goblet,  que  reste-t-il  ?  Rien.  Il  ne  reste  de  tout 
ceci  qu'une  preuve  nouvelle  et  éclatante  de  la  sottise  du  sec- 
taire rageur  qui  frajipe  à  tort  et  à  travers  sans  savoir  pourquoi. 
Pardon,  il  sait  qu'un  acte  de  ce  genre  lui  vaudra  les  applaudis^ 
sements  des  radicaux.  C'est  tout  ce  qu'il  désire  :  aussi  bien 
est-ce  là  tout  ce  qu'il  mérite. 


ASSEMBLEE   GENERALE  DES  CATHOLIQUES 
(Suite.  —  V.  le  numéro  précédent.) 

Séance  du  27  mai. 

Cette  troisiènae  séance  était  présidée  par  le  vénérable  curé 
de  Saint-Roch,  M.  l'abbé  Millaud.  Au  début,  la  parole  est 
donnée  au  R.  P.  Delaporte,  qui  entretient  l'Assemblée  des 
Congrès  eucharistiques.  Cette  année,  Toulouse  est  la  ville 
choisie  pour  la  tenue  du  Congrès  eucharistique  ;  un  pèlerinage 
à  Lourdes  en  sera  le  couronnement.  Lourdes!  ce  nom  inspire 
au  P.  Delaporte  des  accents  chaleureux  et  enflammés.  A  sa 
suite,  M.  Chesnelong  rappelle  et  flétrit  de  nouveau,  en  quelques 
phrases  d'une  éloquence  vibrante,  comme  il  l'avait  déjà  fait  à 
la  tribune  du  Sénat,  les  odieux  et  ineptes  sarcasmes  du  blas- 
phémateur Goblet  essayant  de  jeter  le  ridicule  sur  les  manifes- 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQUES  649 

talions  consolantes  et  chaque  jour  répétées  dont  la  grotte  do 
Massabielle  est  le  théâtre  consacré. 

M.  LE  COMTE  PE  FoNTAiNE  DE  Resbecq  so  lève  et  avec  la 
compétence  spéciale  qui  lui  appartient,  examine  et  critique  les 
dispositions  du  projet  !>ur  l'enseignement  primaire  que  le  Sénat 
a  récemment  voté.  Résumant  à  grands  traits,  mais  avec  une 
précision  parfaite,  les  monstrueuses  innovations  de  cette 
seconde  «  loi  de  malheur,  »  complémentaire  de  la  loi  du 
28  mars  1882,  l'orateur  montre  ses  conséquences  funestes  au 
point  de  vue  des  finances,  de  l'ordre  social  lui-même,  de 
l'égalité  vraie,  de  la  liberté.  Sur  notre  terre  de  France,  on  est 
en  train  de  faire  du  droit  pour  les  parents  de  choisir  les  maîtres 
de  leurs  enfants,  un  objet  de  luxe,  à  la  porté»?  des  riches  seuls! 
Et  les  palinodies  des  républicains  sur  la  question  du  mode  de 
nomination  des  instituteurs!  M.  do  Resbecq  le.'!  flagelle  en 
homme  qui  connaît  à  fond  son  sujet  et  les  gens  à  qui  il  a 
affaire;  Its  hautes  fonctions  qu'il  occupait  naguère,  d'une  façon 
si  distinguée,  au  ministère  de  l'instruction  publique,  lui  ont 
permis  d'étudier  les  choses  et  déjuger  les  hommes;  le  témoi- 
gnage qu'il  rend  éloquemment  au  méj-ite  pédagogique,  aux 
vertus  et  au  patriotisme  de  nos  maîtres  congréganistes  n'eu  a 
qu'une  valeur  plus  décisive. 

lu.  l'abbé  Schlosser  parle  de  «  l'Œuvre  des  catéchismes 
pour  les  élèves  des  écoles  publiques  de  8  à  10  ans  ;  »  il  la 
montre  fonctionnant  dans  la  paroisse  à  laquelle  il  appartient 
(Saint-Laurentj  et  dans  beaucoup  d'autres  paroisses  de  Paris. 

M.  Chesnelo>.Tt  dit  que  l'œuvre  des  catéchismes  lui  paraît 
à  ce  point  capitale,  indispensable,  urgente,  qu'il  ne  saurait  1^ 
laisser  passer  saus  adresser  à  son  tour  au  clergé  et  à  tous  les 
catholiques  le  plus  pressant  appel  en  sa  faveur.  Elle  peut  seule 
remédier,  dans  la  mesure  du  possible,  aux  lamentables  et  né- 
fastes résultats  du  régime  légal  qui  tend  à  établir  l'ignorance 
obligatoire  des  choses  de  la  religion.  Encouragée  par  les  papes 
depuis  le  XVP  siècle,  elle  était  tout  récemment  recommandée 
avec  la  dernière  insistance  par  le  vénéré  cardinal  Guibert.  Si 
le  clergé,  déjà  assailli  par  tant  de  devoirs,  est  en  mesure  de 
suffire  seul  à  la  tâche,  tant  mieux!  Mais  dans  le  cas  contraire, 
qui  est  à  Paris  le  cas  le  plus  fréiiuent,  des  laïques,  soigneu- 
sement choisis,  peuvent  et  doivent  être  appelés  à  donner  un 
concours  qui  sera  autrement  sîir  que  ne  l'était  autrefois  celui 


650  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'instituteurs  et  d'iastitutrices  exécutant  une  consigne  contre 
laquelle  ils  protestaient  trop  souvent  dans  leur  for  intérieur. 

Vient  ensuite  un  discours  de  M.  de  Lapparent,  «  la  science  », 
tel  est  le  sujet  choisi  par  le  professeur  de  l'Institut  catholique. 
Il  ne  vient  certes  pas  dénigrer  la  science,  ce  serait  de  sa  part 
une  inconséquence  et  une  mauvaise  action;  mais  il  vient,  au 
nom  de  la  vraie  science,  protester  contre  les  prétentions  des 
téméraires  et  outrecuidants  novateurs  —  faux  savants  pour  la 
plupart  —  qui  parient  d'édifier  de  toutes  pièces  une  société 
sur  des  bases  «  exclusivement  scientifiques  ». 

L'heure  avancée  n'ayant  pas  permis  d'entendre  les  autres 
rapports  inscrits  à  l'ordre  du  jour,  M.  l'abbé  Millaud,  curé  de 
Saint-Roch,  a  terminé  la  séance  par  une  éloquente  allocution, 
pleine  d'encouragements  et  de  conseils  virils.  Gardons  la  foi  que 
nous  avons  le  bonheur  de  posséder;  mais  pratiquons  aussi  l'es- 
pérance et  exerçons  l'action.  Une  dizaine  do  chapelets  et  une 
ofi'rande  avancent  plus  les  choses  que  des  heures  de  lamenta- 
tions sur  le  malheur  des  temps.  Pas  de  gémissements  lâches 
et  stériles!  «  Les  saules  pleureurs  n'ont  jamais  ombragé  que 
des  tombes.  »  Luttons,  et  nous  triompherons;  Dieu,  que  nous 
servons,  sera  pour  nous.  [A  suiv7'e.) 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Rome   et  l'Italie. 

Par  billets  de  la  Secrétairerie  d'État,  le  Souverain-Pontife  a 
assigné  les  S.  Congrégrations  suivantes  aux  EE™"  cardinaux 
qui  ont  reçu  le  chapeau  dans  le  Consistoire  de  ce  matin  : 

A.  S.  Em.  le  cardinal  Neto,  patriarche  de  Lisbonne  :  la  Pro- 
pagande, les  Rites,  les  Indulgences,  et  Stes-Reliques,  la 
Laurétane; 

à  S.  Em.  le  cardinal  Alonescillo  y  Viso,  archevêque  de 
Valence  :  le  Concile,  l'Index,  la  Discipline  régulière,  les 
Études  ; 

à  S.  Em.  le  cardinal  Ganglbauer,  archevêque  de  Vienne  : 
les  Évêques  et  Réguliers,  les  Rites,  les  Études,  le  Cérémo- 
nial ; 

à  S.  Em,  le  cardinal  Theodoli  :  le  Concile,  les  Rites,  le 
Cérémonial,  la  Fabrique  de  Saint-Pierre  ; 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  651 

à  S.  Em.  le  cardinal  Mazzella  :  la  Propagande,  l'Index,  les 
Etudes,  les  Indulgences  et  Stes  Reliques. 

France. 

Aire.  —  Par  arrêté  du  préfet  des  Landes,  l'école  chrétienne 
communale  de  la  ville  de  Dax  vient  d'être  laïcisée. 

Le  14  juin,  les  P>éres  de  la  Doctrine  chrétienne  ont  quitté 
l'établissement  qu'ils  dirigeaient  depuis  près  de  soixante  ans; 
et  telle  est  la  hâte  qu'on  a  de  les  voir  partir,  qu'on  n'attend 
même  pas  pour  les  expulser  la  fin  de  l'année  scolaire. 

On  leur  a  donné  à  peine  huit  jours,  comme  à  un  domestique 
renvoyé  pour  mauvaise  conduite. 

Nous  n'aurons  pas  la  naïveté  de  nous  en  montrer  surpris; 
l'esprit  de  M.  Goblet  a  soufflé  sur  les  provinces,  et  ceci  n'est 
qu'un  commencement.  Qu'un  préfet  soit  violent,  impudent  et 
grossier,  la  chose  est  naturelle,  et  nous  n'imaginons  pas  qu'on 
l'eût  nommé  s'il  n'était  pas  tout  cela. 

CouTANCES.  —  Le  31  mai  1885,  un  décret  de  M.  Goblet 
enlevait  au  culte  catholique  le  temple  dédié  à  sainte  Geneviève. 
Le  31  aoîit  prochain,  une  autre  église  non  moins  fameuse  sera 
fermée  :  c'est  la  basilique  du  Mont-Saint-Michel.  Ainsi  l'a 
décidé  le  même  M.  Goblet. 

Comme  nos  lecteurs  le  voient,  la  guerre  déclarée  par  le 
ministre  des  cultes  au  Christianisme  ne  relâche  rien  de  ses 
rigueurs.  Pour  punir  la  Basse-Normandie  de  ses  votes,  les 
autorités  républicaines  mettent  en  interdit  le  plus  illustre  et  le 
plus  visité  de  ses  sanctuaires.  Voilà  déjà  longtemps  que  cer- 
taines influences  bien  connues  sollicitaient  cette  mesure;  le 
respect  que  nous  devons  à  nos  lecteurs  et  que  nous  nous  devons 
à  nous-mêmes  ne  nous  permet  pas,  malheureusement,  d'insister 
sur  les  inavouables  intrigues  qui,  depuis  plusieurs  années, 
s'acharnaient  contre  les  missionnaires.  Des  hommes  d'Etat 
auraient  refusé  de  se  faire  les  instruments  de  ces  viles  ran- 
cunes. Mais,  chez  les  sectaires  qui  nous  gouvernent,  la  haine 
du  catholicisme  étouffe  tous  les  scrupules. 

Le  4  octobre  dernier,  les  électeurs  de  la  Manche  rempla- 
cèrent les  députés  républicains  par  des  députés  royalistes  :  les 
ennemis  des  Pères  recommandèrent  immédiatement  au  ministre 
compétent  la  sécularisation  de  la  basilique  inontoise  comme  une 
revanche  du  scrutin.  Le  fanatisme  de  M.  Goblet  s'accommoda 


652  ANNALES    CATHOLIQUES 

facîleraent  dô  cette  lâche  vengeance  ;  le  marclié  fut  accepté  et 
la  fennetui'e  de  réglise  fixée  au  31  août  1886. 

Meaux.  —  Dans  son  numéro  du  1"  mai  dernier,  Y  Union 
r(^2-)ublicaine  de  Fontainebleau  avait  inséré  le  récit  d'une 
scène  scandaleuse  qu'il  avait  la  perfidie  d'imputer  à  «  certain 
abbé  fripon  dont  la  résidence  est  établie  dans  une  petite 
commune  dont  nous  tairons  le  nom,  et  qui  est  située  sur  les 
bords  du  Loing.  » 

L'honnête  journal  se  croyait  ainsi  à  l'abri  d'un  démenti.  La 
calomnie,  à  demi-voilée,  pouvait  courir  à  son  aise. 

Les  curés  dos  paroisses  situées  sur  les  bords  du  Loing  ont 
pris  une  résolution  que  l'on  ne  saurait  assez  approuver.  Ils  se 
sont  réunis  pour  conf)ndre  le  calomniateur,  à  qui  ils  ont 
adressé,  par  huissier,  une  lettre  collective  ainsi  conçue  : 

Monsieur  le  Gérant, 

Vous  avez  publié,  dans  votre  numéro  du  le""  mai,  un  récit  contenant 
l'accusation  la  plus  grave  contre  le  curé  d'une  des  communes  situées 
sur  les  bords  du  Loing.  Vous  avez  eu  la  prudence  de  taire  le  nom  de 
cette  commune,  mais  votre  accusation  est  formulée  de  manière  à 
rejaillir  sur  tous  les  curés  des  paroisses  dont  le  territoire  est  tra- 
versé par  cette  rivière,  en  laissant  planer  le  soupçon  sur  chacun 
d'eux. 

La  loi  nous  donne  donc  le  droit  de  protester.  L'insertion  de  notre 
protestation  dans  votre  journal  est  pour  vous  une  obligation  légalo 
autant  qu'un  devoir  de  loyauté.. 

Nous  affirmons  qu'il  n'y  a  pas  un  mot  de  vrai  dans  votre  récit.  Si 
vous  y  persistez,  nous  vous  sommons  de  nommer  le  curé  que  vous 
avez  voulu  désignei",  afin  qu'il  vous  oblige  à  faire  en  justice  la 
preuve  de  votre  accusation. 

Recevez,  monsieur,  nos  civilités. 

Signé  :  Pougeois.  Hébert,  Go- 
defroy,  Baudard,  Millot,  La- 
j)roste.  Boulet,  Crescitz,  Mo- 
rin,  Baudin,  Vedel,  Petit- 
frère,  Aluliier,  Lenoir,  Laine, 
Sevestre,  Besonnfit,  Toury, 
Moroau,  Presles,  Chambnlle, 
Boisquillon,  Marlange,  For- 
tin, Couturier,  Picarn,  Au- 
vray,  Lamy  et  Genin,  curés. 
Le  26  mai  1886. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  653 

U  Union  républicaine  a  enregistré  ce  démenti.  Elle  n'a 
désigné  personne,  prétendant  que  la  preuve  offerte  serait 
refusée  par  la  justice. 

Le  prétexte  ne  vaut  pas  mieux  que  l'odieuse  invention  mise 
à  néant  par  l'énergique  protestation  des  ecclésiastiques 
calomniés. 

UUnion  républicaine  de  Fontainebleau  ne  peut  ignorer  que 
ses  amis  de  la  Chambre  et  du  Sénat,  pour  encourager  le  scandale 
contre  les  prêtres,  ont  voté  en  1881  une  loi  autorisant  la  preuve 
des  faits  diffamatoires  imputés  à  des  ecclésiastiques.  Cette 
preuve  se  fait  devant  le  jury. 

Même  devant  le  jury  de  Seine-et-Marne,  dont  l'indulgence 
lui  serait  certainement  acquise  si  elle  pouvait  apporter  l'onribre 
d'un  indice  à  l'appui  de  sa  calomnie,  V Union  républicaine 
recule  devant  ce  procès. 

Peut-il  y  avoir  une  démonstration  plus  évidente  de  l'infâme 
invention  que  ce  journal  a  imaginée?  —  [Univers.) 

Reims.  —  On  nous  écrit  de  Reims  : 

Jeudi,  10  juin,  à  trois  heures  et  denfiie  a  eu  lieu  au  palais  archié- 
piscopal, la  remise  du  «  billet  »  et  de  la  calotte  à  S.  Em.  Mgr  Lan- 
génieux. 

Ainsi  qu'il  a  été  dit  déjà,  cette  cérémonie  était  tout  intime.  En 
dehors  du  clergé  de  la  ville  et  des  supérieurs  des  maisons  religieuses 
—  auxquels  étaient  venus  se  joindre  M.  l'archipiêtre  de  Relhel  et 
deux  piètres  distingués  du  diocèse  de  Paris  :  MM.  Taillandier  et  de 
Saint-Pern,  chanoines  honoraires  de  Reims  —  avaient  été  invités  .: 

MM.  les  comtes  romains. 

MM.  les  chevaliers  de  Saint-Grégoire  le  Grand. 

MM.  les  membres  du  bureau  de  l'Académie. 

MM.  les  présidents  d'œuvres  religieuses. 

Plus  trois  ou  quatre  autres  personnes. 

MM.  les  chanoines  seuls  étaient  en  habit  de  chœur. 

Son  Em.  Mgr  le  cardinal  se  tenait  dans  un  des  salons,  où  chacun 
fut  admis  à  lui  présenter  ses  hommages. 

A  l'heure  indiquée,  M.  le  comte  Jean  Nazelli  est  introduit. 

C'est  un  grand,  jeune  et  beau  cavalier,  revêtu  d'un  brillant  uni- 
forme militaire,  casque  en  tète.  Il  s'avance  vers  le  cardinal  et,  pré. 
sentant  à  Son  Eminence  un  pli  cacheté  et  un  écHa  qui  contient  la 
calotte,  exprime  sa  satisfaction  d'avoir  été  choisi  pour  remplir  cette 
mission. 

Son  Eminence  prend  la  calotte  et  la  pose  sur  sa  tête.  Puis 
Mgr  Langénieux  prononce  le  discours  suivant  : 


654  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Monsieur  le  comte, 

«  Permettez  qu'avant  même  de  vous  remercier,  ma  pensée  et  mon 
cœur,  par  un  élan  plus  rapide  encore  que  la  vapeur  qui  vous  a  amené 
si  tôt  près  de  moi,  aillent,  directement  et  d'un  seul  bond,  jusqu'au 
trône  de  Celui  dont  vous  êtes  l'envoyé;  et  que  là,  prosterné  en 
esprit  aux  pieds  de  Léon  XIII,  je  redise  â  ce  grand  Pontife  ma  vive, 
profonde  et  respectueuse  gratitude. 

«  Depuis  qu'il  a  plu  à  Sa  Sainteté  de  me  faire  connaître  ses  bien- 
veillantes intentions  à  mon  égard,  je  me  prépare  sous  l'œil  de  Dieu 
à  l'imposante  cérémonie  de  ce  jour.  —  Mais,  je  le  sens,  une  fois 
l'heure  venue,  au  moment  d'être  officiellement  investi  d'une  si  haute 
et  si  auguste  dignité,  mon  âme  s'émeut  comme  au  premier  jour,  et 
je  ne  sais  plus  que  redire  la  parole  du  psalmiste  :  Nimis  honorati 
sunt  amici  lui,  Domine. 

«  Car,  vous  ne  l'ignorez  pas,  monsieur  le  comte,  et  je  puis  lo 
répéter  devant  l'élite  de  mon  Clergé  et  des  fidèles  de  la  cité,  qui 
comprendront  mes  sentiments  et  y  feront  écho,  c'est  un  honneur 
suprême  ajouté  â  la  faveur  insigne  dont  je  suis  l'objet,  d'être  élevé 
â  la  pourpre  romaine  par  le  choix  personnel  et  persévérant  de  Notre 
Très  Saint-Père.  —  Voilà,  certes,  de  quoi  confondre  de  plus  méri- 
tants que  moi  ;  et  pour  expliquer  cette  distinction  incomparable,  je 
suis  bien  obligé  de  remonter  le  cours  des  âges  pour  trouver,  dans 
l'histoire  de  cette  glorieuse  Eglise  de  Reims  des  titres  qui  puissent 
justifier  une  semblable  exception. 

«  Je  me  suis  donc  rappelé  :  l'origine  apostolique  de  ce  siège  mé- 
tropolitain; les  services  signalés  rendus  par  mes  illustres  prédéces- 
seurs, pendant  près  de  dix-huit  siècles,  à  l'Kglise  et  à  la  patrie;  les 
privilèges  innombrables  dont  les  Papes  n'ont  cessé  de  les  combler  â 
toutes  les  époques.  J'ai  ajipris  de  nos  annales  que,  parmi  les  cent 
archevêques  de  Reims,  treize  sont  révérés  comme  saints  et  que  dix- 
huit  ont  été  élevés  aux  honneurs  de  la  pourpre  sacrée  ;  enfin,  que 
Rome  elle-même  s'est  gloiifiéo  d'avoir  pour  Pontifes  suprêmes 
quatre  grands  hommes  sortis  de  ce  diocèse.  J'ai  évoqué  le  souvenir 
plus  récent  de  l'éminent  et  bon  cardinal  Gousset,  les  travaux  trop 
tôt  interrompus  de  Mgr  Landriot  et  me  voyant  l'héritier  de  tant  de 
gloire  et  de  tant  de  saintes  œuvres,  il  n'est  plus  qu'une  seule  chose 
qui  puisse  m'étonner  :  c'est  que  ma  personne  n'ait  pas  été  un 
obstacle  aux  faveurs  dont  Léon  XIÎl,  dans  sa  souveraine  bonté, 
voulait  combler  le  siège  de  Reims.  La  parole  de  Notre-Seigneur 
reçoit  donc  ici  sa  complète  application  :  «  Alius  est  qui  seminat, 
alius  est  qui  metit.  » 

«  Mais  moi,  qui  recueille  de  si  précieux  fruits,  je  suis,  plus  que 
tout  autre,  obligé  à  la  reconnaissance,  et  voilà  pourquoi,  après  avoir 
remercié  le  Vicaire  de  Jésus-Christ,  j'ai  voulu  dire  ce  que  je  dois  â 
mon  Éo-lise. 


NOUVELLES  RELIGTEUSES  655 

«  Vous  porterez,  monsieur  le  comte,  l'expression  de  notre  grati- 
tude aux  pieda  de  notre  bien-aimé  et  vénéré  Pontife  ;  vous  lui  direz 
que  le  nouveau  cardinal-archevêque  de  Reims,  à  défaut  d'autre 
mérite,  est  et  sera,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  l'humble  mais 
infatigable  serviteur  du  Saint-Siège,  et  qu'il  n'aura  rien  de  plus  à 
cœur  que  de  maintenir  ici,  dans  toute  l'étendue  de  son  pouvoir,  les 
belles  traditions  de  dévouement  au  Pape,  qui  ont  toujours  fait 
l'honneur,  la  force  et  la  consolation  du  diocèse.  —  Vous  lui  direz 
que  vous  avez  vu  réunis  autour  de  son  élu,  et  animés  des  mêmes  sen- 
timents de  respect  et  d'amour,  l'élite  des  prêtres  et  des  laïques,  je 
veux  dire,  parmi  ces  derniers,  ceux  dont  le  dévouement  à  l'Église  a 
déjà  reçu,  de  la  munificence  du  Saint-Siège,  de  nobles  récompenses 
—  et  ceux  dont  Sa  Sainteté  parlait  en  termes  si  vrais,  dans  le  Con- 
sistoire de  lundi  dernier,  lorsqu'elle  disait  «  Fidèles...  innumeris 
«  pœne  caritatis  et  pietatis  operibus  sumn  in  Ecclesiam  amoreni  et 
«  immotam  erga  Jesu  Chrisli  Vicarium  fidem,  plures  inter  graves- 
a  que  difficultates,  splendide  profiteri  non  cessant  ;  ac  rei  catholicœ 
«  tuendce  vires  suas  et  facilitâtes  libenter  imp'endunt.  »  —  Je  veux 
devant  vous,  monsieur  le  garde-noble,  en  cette  circonstance  solen- 
nelle, leur  rendre  le  témoignage  que  méritent  leurs  œuvres. 

«  Et  maintenant,  monsieur  le  comte,  soyez  remercié.  La  confiance 
si  marquée  dont  Notre  Très  Saint  Père  vous  honore  suffirait  pour 
vous  gagner  les  respects  de  toute  cette  assemblée.  Il  m'est  doux, 
cependant,  d'ajouter  que  ce  m'est  une  grande  satisfaction  de  rece- 
voir, de  vos  mains,  la  notification  officielle  de  ma  nouvelle  dignité, 
et  une  joie  de  rendre  mes  devoirs,  en  votre  personne,  à  votre 
illustre  famille,  et  à  toute  cette  noblesse  romaine  si  dévouée,  en 
toutes  circonstances,  au  Pape  et  à  l'Église. 

Après  cette  remarquable  et  noble  allocution  —  dans  laquelle 
dominent  la  reconnaissance  et  la  modestie  —  M.  l'abbé  Péchenard, 
vicaire  général,  lit  la  lettre  d'investiture. 

La  maîtrise,  placée  dans  un  salon  voisin,  chante  alors  une  invoca- 
tion pour  voix  d'enfants.  Jamais,  certainement,  ce  chœur  modèle 
n'a  été  meilleur.  Il  convient  notamment  de  complimenter  le  jeune 
soliste,  qui  s'est  comporté  en  artiste.  Le  maître  de  tels  élèves  ne 
-  saurait  être  non  plus  oublié. 

De  nouveau,  les  assistants  ont  présenté  leurs  respectueuses  salu- 
tations au  cardinal,  qui  a  eu  un  mot  aimable  pour  chacun.  Puis 
l'assemblée  s'est  séparée,  emportant  une  douce  et  salutaire  émotion 
de  cette  séance  tout  à  la  fois  empreinte  de  grandeur  et  de  simplicité. 

Tarées.  —  Mgr  l'évêque  de  Tarbes  vient  de  publier  un  man- 
dement sur  les  guérisons  miraculeuses  obtenues  à  Lourdes; 
nous  en  donnons  les  extraits  suivants  : 

Depuis   dix-huit    ans  qu'on   les  compte,   mille  sept   cent   quatre 


ANNALKS   CATHOLIQUES 

vingt  quatre  processions,  ou  grands  pèlerioageff  organisé?,  ont 
amené  sur  l'cS'  bords  du  Gare'  Un  million  et  demi  de  pèlerin-s  d6 
France  et  trente  mille  d'E?pagtie,  de  Portugal,  de  Belgique,  dé 
Hollande,  d'Ano-lelerre,  de  Suisse,  d'Allfeniagne,  d'Italie,  de  Hon- 
grie, des  États-Unis  et  du  Canada. 

Aui  milieu  de  ces  flots  populaires^,  on  a  vu  les  princes  et  lesi  rois', 
même  des  pays  proteslants,  attirés  par  la  renommée  de  Notre^-Domô' 
de  Lourdes.  Des  pèlerins  sont  venus  à  pied  non  seulement  des  pro- 
vinces éloignées  de  France,  mais  encore  de  l'Alsace,  de  l'Italie  et 
même  de  la  Hongrie.  C'étaient  quelquefois  de  pauvres  femmes  et 
d'humbles  religieuses,  qui  vivaient  d'aumônes  durant  ce  long  et 
pénible  voyage. 

On  a  surtout  contemplé  avec  admiration  les  processions  d'hommes- 
seuls,  formant,  dans  leur  ensemble,  une  armée  d'e'soixante-dir  milli» 
soldats  du  Christ.  Ils  portaient  fièrera'ent  l'es-"  bannières;  l^eur  poi- 
trine était  couverte  de  Croix  et  de  méd'aill'es  ;'  ils  égrenaient  Itenr 
chapelet  ou  chantaient  le  Credo.  Eu'  ^^yant  passer  ces-  nouveaux 
croisés,  le  monde  a  dit  :  Le  siècle  de  Voltaire  est  fini;  Notre-Dame- 
de  Lourdes  a  tué  le  respect  humain! 

Notre  époque  a  connu  ce  qu'ignorèrent  les' âges  passés  :  des  pro- 
cessions de  malades.  Pauvres  pour  la  plupart  et  amenés  par  la 
charité,  souvent  incurables,  quelquefois  presque  mourants,  ils  ont 
été  portés  par  centaines  à  la  fois  db  tontes  les  provinces  de  France 
et  de  Belgique.  Les  voitures  d'es  chemins  de  fer  devenaient  des 
ambulances,  et  la  grotte  une  immense  infirmerie.  C'était  là  un 
spectacle  digne  des  anges,  qui  faisait  couler  les  larmes.  Tandis  que 
les  Hospitaliers  se  prodiguaient  pour  soulager  toutes  ces*  infirmités, 
toutes  ces  misères,  des  luilliers  de  pèlerin's  priaienf,  lies  bras  en 
croix,  et  baisaient  la  terre  durant'  des  journées  entières  et  une 
partie  des  nuits.  Les  gémissements  de  la  prière  étaient  souvent 
interrompus  par  le  Magnificat,  annonçant  d'es  guérisons. 

Le  mandement  se  termine  ainsi  : 

La  volonté  du  Saint-Père,  dont  il  nous  a  renouvelé  do  vive  voix. 
l'expression,  cette  volonté  souveraine  a  été  accomplie,  autant  quo 
les  circonstances  et  les  obstacles  divers  l'ont  permis.  Par  les  soins 
de  notre  vénérable  prédécesseur' et  par  les  nôtres,  des  enquêtes  ont  été 
faites,  des  témoins  entendus,  tous  les  détails  des  apparitions  reli- 
gieusement recueillis;  Ites  guérisons  déjà  étudiées,  vont  l'être  plus 
rigoureusement  encore  par  de  savants  médecins.  Nous  avons  institué 
une  commission,  présidée  par  nous,  et  composée  des  prêtres  les 
mieux  placés  pour  bien  connaître  et  apprécier  les  faits.  Des  méde- 
cins et  autres  hommes  compétents  lui  viendront  en  aide  pour  con- 
firmer et,  au  besoin,  compléter  les  enquêtes,  ainsi  que  pour  exami- 
ner les  écrits  relatifs  à  Notre-Dame  dé  Lourdes.  De  tout  notre  cœttr. 


NOUVELLES    RELIGIEUS,ES  657 

,au  nom  du  Saint-Père,. au  nom  de  la  Vierge  Immaculée,  nous  fai- 
,60asappelà  toutes  personnes  pouvant  fournir  un  document  nou- 
veau, pouvant  coopérer  de  q.uelque  manière  à  la  glorification  de 
.Marie.  .ûu.'ilsvieninejit,. les  historiens  et  les  poèteg,  les  savants  et  les 
iorateurs  ;  qu'ils  racontent  et  qu'ils  chantent,  qw'ils  étudient  ou 
.analysent,  qu'ils  exaltent  les  merveilles  et  les  bienfaits  de  Notre- 
,Dame  de  Laurdes. 

Alsace-Lorraine  —  Les  nouvelles  de  la  santé  du  vénéré 
..Évêq.ue  de  Metz, , Mgr  Dupont  des  Loges,  mauvaises  depuis 
quelque  terijps,  sont  très  favorables  aujourd'hui.  P!aprés  le 
huUetin  .de  ce  matin,  8  heures,  «  l'état  général  continue  à  être 
aussi  satisfaisant  que  possible;  la  journée  d'hier  et  la  nuit  ont 
été  excellentes;  absence  complète  de  fièvre  ;  faiblesse  moins 
grande.  » 

Autriche.  —  On  écrit  de  Carlsruhe  au  Monde  : 

VousiatïBQnciez,iîl  y. a  quelques  jours,  à  vos  lecteurs  queM-gr  Spol- 
rve fini,  internonce  apostolique  dans  les  Pays-Bas,  venait  de  se  rendre 
m  Cai'lsruhe  pour  coopérer  à  la  nomination  d'un  nouvel  archevêque 
■  de  Fribaurg. 

Pendant  son  séjour  dans  eette  ville  le  prélat  a  reçu  les  témoi- 
gnagas  les   plus  flatteurs    d'estime   et  de  sympathie,    témoignages 
, hautement  justifiés   d'ailleurs  par  le  tact  intelligent  et  pieux  avec 
lequel  il  a  accompli  sa  mission. 

Avant  le  départ  de  l'internonce,  le  grand-duc  donna  en  son 
honneur  un  déjeuner,  où  furent  conviés  pour  la  seconde  fois  tous 
les  hauts  dignitaires  de  l'Ktat. 

Le  lendemain,  6  juin  Son  Altesse,  envoyait  â  Mgr  Spolverini,  par 
l'intermédiaire  de  son  chambellan,  le  grand-collier  de  l'ordre  de 
Zahring  pour  le  remercier  de  son  concours  efficace  dans  une  affaire 
si  promptement  et  si  heureusement  terminée. 

Peu  de  temps  auparavant,  S.  M.  l'empereur  d'Autriche  avait  con- 
.féré  au  même  .prélat  la  grand'croix  de  l'ordre  de  François-Joseph. 

Portugal.  — Voici  le  texte  de  la  dépêche  de  remerciement 
et  de  filiale  affection  que  le  roi  de  Portugal  a  envoyée  à  Sa 
Sainteté,  Léon  XIII  : 

Pour  SaliSainteté  LéoniXIII  au  Vatican —  Rome.  —  Profondément 
ému  de  ce  que  Votre  Sainteté,  après  avoir  béni,  à  ma  prière,  l'union 
de- mon  fils,  ait  bien  voulu,  encore  que  le  jour  du  mariage  du  prince 
restât   marqué  par  l'accord  final  sur  un  Concordat,  dans  des  con- 


658  ANNALES    CATHOLIQUES 

ditlons  que  mon  ambassadeur  assur'e  être  honorables  pour  la  nation 
portugaise,  je  m'empresse  d'en  témoigner  à  Votre  Sainteté  ma  très 
respectueuse  gratitude.  Dans  l'espoir  que  le  nouveau  Concordat 
reçoive  l'approbation  de  mon  gouvernement  et  des  Chambres  légis- 
latives, je  fais  des  vœux  pour  qu'il  en  résulte  le  progrès  de  la  reli- 
gion catholique  dans  l'Inde,  et  le  maintien  dans  ces  vastes  régions 
du  prestige  de  la  nation  portugaise,  qui  a  été  la  première  à  y  allu- 
mer le  flambeau  de  la  foi. 

Que  Dieu  prolonge,  très  Saint-Père,  pour  le  bien  de  l'Église 
universelle,  le  règne  si  glorieux  de  Votre  Sainteté,  tels  sont  les 
vœux  et  la  prière  adressés  au  Ciel  par  toute  ma  royale  famille  et 
votre  fils  en  Jésus-Christ,  qui  vous  demande  humblement  votre 
bénédiction  apostolique  pour  tous  les  siens  et  pour  lui-même. 

Signé  :  Louis  I^'. 

Le  Saint-Père  s'est  empressé  de  faire  répondre  dans  les 
termes  suivants  : 

A  Sa  Majesté  Très  Fidèle,  le  roi  Louis,  de  Portugal, 
à  Lisbonne, 
Le  Saint-Père,  heureux  de  la  coïncidence  du  mariage  du  prince 
royal  avec  la  conclusion  des  négociations  pour  le  nouveau  Concordat, 
me  confie  l'honorable  mandat  de  faire  agréer  à  Votre  Majesté  ses 
vives  félicitations.  Sa  Sainteté  accorde  de  tout  cœur  sa  bénédiction 
apostolique  à  Votre  Majesté,  à  la  famille  royale  et  à  tous  ses  sujets. 

Signé  :  L.  Cardinal  Jacobini. 

Russie.  —  Nous  lisons  dans  le  Kuryer  Poznanski  (Courrier 
de  Posen)  du  8  juin  : 

L'abbé  Srpajlo,  prêtre  digne  des  plus  grands  éloges,  ci-devant 
curé  de  la  cathédrale  de  Minsk  (Lithuanie),  sentant  la  mort  venir, 
appela  son  vicaire,  l'abbé  Malecki,  et  lui  recommanda  de  prendre  en 
mains,  après  son  décès,  l'administration  de  la  paroisse,  jusqu'à  la 
nomination  d'un  nouveau  curé  par  l'archevêque  métropolitain  de 
Mohilow. 

Dès  que  Sa  Grandeur  reçut  avis  de  la  mort  de  l'abbé  Srpajlo,  elle 
télégraphia  à  l'abbé  Malecki  l'ordre  d'administrer  la  paroisse.  Mais 
tout  cela  ne  plut  pas  au  gouvernement  russe,  qui  prétend  que  la 
direction  des  choses  spirituelles  lui  appartient.  La  police  ordonna 
donc  au  vicaire  de  remettre  sur-le-champ  l'administration  à  l'abbé 
Wojewodzki.  L'abbé  Malecki  «'y  refusa  avec  décision,  en  ajoutant 
qu'il  ne  la  céderait  qu'au  titulaire  nommé  par  le  métropolitain. 

La  suite  de  cette  affaire  était  facile  à  prévoir  :  la  suite  habituelle 
de  ces  sortes  de  conflits  dans  la  Pologne  russe.  En  effet,  le  27  mai 
dernier  à  2  heures  du  matin,  l'abbé  Malecki  était  envoyé  en  exil  — 
Où  ?  On  n'en  sait  rien.  —  Prêtre  depuis  deux  ans  seulement,  il  mar- 


NÉCROLOGIE  659 

chait  sur  Ifis  traces  de  son  pi-édécessour.  Quoique  encore  bien  jeune, 
il  s'est  distingué  par  sa  modestie  et  par  sa  piété.  . 

11  y  a  une  semaine  quo  ]\1insk  possède  un  nouveau  gouverneur,  le 
prince  Troubeckoï  et  la  déportation  de  l'abbé  Malecki  a  été  le  pre- 
mier acte  de  son  gouvernement. 


NECROLOGIE 


Nous  avons  la  douleur  d'apprendre  la  mort  de  M.  Paul 
Decaux,  décédé  à  la  suite  d'uue  congestion,  k  l'âge  de  67  ans. 

Les  oeuvres  catholiques  de  toute  nature  perdent  en  ce  vaillant 
chrétien  un  de  leurs  ouvriers  les  plus  actifs,  les  plus  intelligents 
et  les  plus  dévoués. 

Depuis  plus  de  quarante  ans,  la  Société  de  Saint-Vincent-de- 
Paul  connaît  son  zèle  si  persévérant  et  si  ingénieux  ? 

Rédacteur  du  Bulletin  de  Saint- Vin  cent- de- Paul,  président 
de  l'Œuvre  des  Patronages  et  de  l'Œuvre  des  Fourneaux, 
M.  Decaux  a  montré  plus  que  personne,  par  son  propre 
exemple,  que  l'adnDirable  société  fondée  par  Ozanam  est  la  mère 
de  toutes  les  œuvres  catholiques. 

Membre  du  bureau  central  de  VUnion  des  associations  ou- 
vrières  catholiques,  il  prenait  une  part  importante  dans  la  pré- 
paration et  dans  les  travaux  des  congrès  organisés  en  province 
par  cette  œuvre. 

Le  Comité  catholique  de  Paris  était  aussi  devenu  une  de  ses 
œuvres  de  prédilection. 

Enfin  l'œuvre  des  écoles  chrétiennes  avait  aussi  sa  part  dans 
les  sollicitudes  et  dans  le  dévouement  de  M.  Decaux.  Il  était 
membre  du  comité  des  écoles  libres  du  XIV*  arrondissement,  et 
un  membre  actif  et  zélé. 

On  annonce  la -mort  de  M.  de  Lavrignais,  sénateur  de  la 
Loire-Inférieure.  Inspecteur  général  du  génie  maritime,  après 
une  vie  consacrée  tout  entière  au  travail,  M.  de  Lavrignais,  en 
prenant  sa  retraite,  s'était  retiré  à  son  château  de  Bois-Cheva- 
lier, près  Legé.  Elu  bientôt  conseiller  général  de  son  canton,  il 
se  faisait,  par  son  intelligence  et  la  variété  de  ses  connaissances, 
une  place  considérable  dans  l'assemblée  départementale.  En 
1876  et  en  1879,  les  voix  des  électeurs  sénatoriaux  se  portèrent 
naturellement  sur  lui  pour  envoyer  représenter  à  la  Chambre 
Haute  les  intérêts  de  la  Loire-Inférieure. 


ANNADBS    CATHOLIQUES 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

L'expulsion  des  princes.  —  I;a  nouvelle  magistrature.  —  Mort  du  roi  de 
Bavière.  —  Etranger. 

17  juin  1886. 

Le  projet  Brousse  est  voté. -Le  Comte  de  Paris,  le  prince 
Napoléon  et  leurs  fils  aînés  seront  expulsés.  S'ils  violent  cette 
prescription,  ils  seront  punis  d'.un  emprisonnement  de  deux  à 
cinq  ans.  Le  gouvernement  est  autorisé  à  expulser  par  décret 
les  autres  princes,  qui  sont  exclus  do  toutes  les  fonctions 
publiques.  C'est  donc  une  victoire  pour  le  président  du. conseil. 
315  députés  contre  232  ont  cédé  à  ses  prières.  Il  lui  reste  main- 
tenant à  obtenir  le  vote  du  Sénat. 

Certes,  si  nous  avions  pu  douter  que  la  cause  de, la  justice  et 
de  la  liberté  eût  pu  triompher,  que  la  voix.de  la  raison  eût  pu 
faire  taire  celle  de  la  passion,  dous  aurions  pu  espérer  .encore 
que  la  politique  de, pro.scription  ne  prévaudrait  point.  Après  le 
magnifique  discours  de  M.  de  Mu n,  les  spiiituelles  paroles  de 
M.  Dug.ué,  l'éloquente, proiestaticn  .de. M..  Anatole  de  la. Forge 
et  la  remarquable  harangue  de  M.  .Piou,  si, la  Chambre  n'eut 
pas  été  aveuglée  par  l'esprit  de  parti  et  diminuée  par  .des  con- 
sidérations étrangères  au  débat,  elle  aurait  dû  .comprendre  à 
quelle  faute  politique  et  .à  quelle. ini,quité  on  la  poussait.  Mais 
chaque  député  avait  son  siège  fait  et  tout, ce  q.u'on  a  pu  dire 
.n'a  pu  changer  les.dispositions^de.  la  majorité. 

Nous  sommes  ibeureux  et  fiers  d'avoir  .entendu  retentir  la 
tribune  fraqr-aise  de- nobles  et;généreuses  iprotestations,  et, nous 
fr'.'licitons  sincèrement  les  orateurs  monarchiques. et  les  orateurs 
républicains,  qui,  bien  que -sachant  l'impuissance  de  leurs 
eôorts,  ont  coiirageuseiûent  défendu  les  droits  de  la  vérité.  Les 
sages  et  les  justes  sont  désormais  à  la  merci  des  violents.  La 
révolution,  .comme  autrefois,  demande, des  victimes.  Les  modé- 
rés  leux-r^m'èraes,  croient  pouvoir  se  sauver  en  lui  en  livrant, 
erreur  profonde!  Ils  ne  feront  .qu'exciter  les  insatiables  appé- 
tits du  monstre  révolutionnaire,  et  ils  seront  dévorés  à  leur 
■tour. 

Ceux  qui  engagent  la  République  dans  cette  voie  détestable 
lui  crient  que  c'est  le  pays  qui  le  veut.  C'est  faux.  Le  pays  no 
réclame  pas  et  n'a  jamais  réclamé  l'expulsion  des  princes  ni  les 


CHRON-I.QUE    DE   LA   SEMAINE  661 

mesures  de  proscription  qui  répugnent  in^tinclivement  à  la- 
générosité  traditionnelle  de  la  France.  Il  n'}'  a  pas,  sur  tout  le' 
ei'ritoire,  en  dehors  de  quelques  comités  révolutionnaires,  le 
tmoindre  mouvement  d'opinion  à  cet  égard. 

Le  pays  a  bien  d'autres  soucis.  Il  a  souci  de  sa  religion 
bafouée  et  persécutée,  de  ses  finances  qui  sont  en  diésordire,  de 
son  commerce  qui  est  dans  le  marasme,  de  son  industrie  qui  est> 
en.  détresse,  de  ses  populations  agricoles  et  ouvrières  qui  sont 
dans  la  misère,  de  tous-  ses  intérêts  qui  sont  en  souffi'ance,. 
c'est  de  cela  qu'il  voudrait  voir  ses  représentants  s'occuper. 

Le  pays  parlera  bientôt  :  il  sera  sévère  envers  ceux  qui 
trahissent  tous  leurs  devoirs  envers  la  patrie  pour  faire  le  jeu- 
de  quelques  intrigues  d<i  coteries-  et  de  quelques  compétitions^ 
de  pouvoir  ! 

On  annonce,  en  effet,  que  les  élections  pour  le  renouvelle- 
ment de  la  moitié  des  membres  des  conseils  généraux  auront 
lieu  le  1"  août.  La  session  devant  s'ouvrir  le  16,  il  était  imi- 
possible  de  reculer  davantage  la  d'ate  da  scrutin.  Les  ballot- 
tages seront  vidés  le  8  août. 

L'état  d'effervescence  dans  lequel  se  trouvent  les  partis, 
l'importance  des  questions  écononaiiques  qui  seront  diiscutée^ 
dans  la  session  législative  d'octobre,  l'accentuation  de  la  persé- 
cution religieuse  et  la  hardi'Ossecroissante  des- révolutionnaires! 
donneront  une  sérieuse  signification  à^ces^  élections.  Les  intérêts^ 
locaux  s'efî'aceroîit  devant  la  manifestation  politique,  qui  sera, 
nous  voulons  l'espérer,  l'éclatante  revanche  du  bon  sens,  de  la- 
sagesse  et  de  la  justice. 

Les  journaux  sont  remplis  dfe  détails  sur  rexpivlsiion.  Nous 
les  résumons  pour  nos  lecteurs. 

Après  le  vote  de  vendredi,  du  matin  au  soir,  le  public  n'ai 
cessé  d'affluer  à  l'hètel  Galliera,  résidence  du  comte  de  Paris, 
devant  lequel  il  y  avait  deux  rangées  de  voitures. 

L'iiôtel  était  cependant  désert.  On  avait  annoncé  à-  tort  le» 
retour  du  comte  de  Paris,  qui  ne  pense^pas^  encore  à  revenir, 
mais  un  registre  était  ouvert  chez  le'  suisse  de  l'hôtel.  On  n'a 
pas  idée  du  nombre  de  noms,  grands  et  modestes,  qui  y  ont 
été  inscrits. 

Le  duc  de  Chartres  et  ses  deux  fils  sont  partis  pour  Eu,  oÙ! 
ils  ont  trouvé,  à  côté  du  comte  de  Paris,  le  baron  de  Chabaud- 
Latour  et  le  marquis  de  Beauvoir.  On  sait  que  ce  dernier  est 


662  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'un  des  trois  secrétaires  particuliers  du  chef  de  la  Maison  de 
France. 

A  l'étranger,  le  comte  de  Paris  gardera  sa  maison,  dont  les 
services  lui  seront  plus  que  jamais  nécessaires.  La  correspon- 
dance sera  naturellement  plus  chargée. 

Le  lieu  de  sa  première  retraite  n'est  pas  encore  fixé.  Le 
comte  attendra,  pour  prendre  une  décision,  le  vote  du  Sénat, 

Il  a  cependant  déclaré  dans  une  entrevue  avec  M.  de  Blo- 
witz,  correspondant  du  Times,  qu'il  se  retirerait  en  Angleterre. 

La  loi  de  proscription  est  maintenant  devant  le  Sénat,  qui  a 
procédé  hier  à  la  nomination  d'une  commission  chargée  de 
l'examiner.  Sur  neuf  membres,  six  sont  hostiles  au  projet.  Ce 
sont  MM.  Bérenger,  de  Pressensé,  Dide,  Barthélemy-Saint- 
Hilaire,  Robert  de  Massy  et  Scherer.  Trois  membres  seule- 
ment :  MM.  Journault,  Henri  Didier  et  Caduc  soutiendront  le 
projet  du  gouvernement.  Il  ne  faudrait  pas  conclure  de  cette 
situation  que  le  Sénat  se  refusera  à  voter  l'expulsion,  mais  il 
paraît  certain  que  la  majorité  qui  s'y  ralliera  —  s'il  y  en  a  une 
—  sera  insignifiante. 

A  l'heure  actuelle,  le  Sénat  est  réduit  à  292  membres  :  sept 
sénateurs  sont  morts;  le  huitième,  M.  Sébline,  vient  d'être  de 
nouveau  invalidé.  Si  l'on  défalque  en  plus  la  voix  du  président, 
qui  s'abstient,  suivant  l'usage,  on  voit  que  le  nombre  des 
votants  est  réduit  à  291.  Sur  ce  nombre,  120  sont  absolument 
opposés  à  toute  expulsion,  20  sont  douteux,  5  autres  enfin  sont 
ou  absents  par  congé  ou  décidés  à  s'abstenir.  Restent  donc 
146  membres  siirement  favorables  à  l'expulsion ,  soit  la 
moitié  seulement.  Il  serait  bizarre  que  les  princes  fussent 
expulsés  par  une  voix.  Ce  ne  serait  pas  la  première  fois  depuis 
treize  ans  que  des  majorités  semblables  auraient  décidé  d'évé- 
nements importants. 

M.  Goblet  fait  école.  Dans  l'afi'aire  de  Châteauvillain,  il  y  a 
eu  des  agresseurs  et  des  victimes.  Ce  sont  les  victimes  qui 
seront  poursuivies.  Le  tribunal  de  Blaye  vient  de  se  recom- 
mander à  la  bienveillance  ministérielle  par  un  jugement  qui 
présente  certaines  analogies  avec  cette  bizarre  façon  de  pro- 
céder :  Un  ecclésiastique  était  poursuivi  pour  avoir  blessé 
légèrement,  en  se  défendant  contre  lui,  un  ivrogne  qui  le  har- 
celait dans  la  rue.  L'ivrogne  —  c'était  un  repris  de  justice  — 
fut  condamné  à  5  francs  d'amende;  l'ecclésiastique  à  50  francs 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINB  663 

et  à  200  francs  de  dommages-intérêts.  C'est  déjà  caractéris- 
tique, mais  il  y  a  mieux.  Le  président,  dans  ses  attendus, 
établit  que  les  prêtres  ne  sont  pas  des  fonctionnaires. 

(Jette  distinction  concorde  bien  avec  l'esprit  de  persécution 
qui  règne  en  ce  moment  contre  le  clergé.  Pour  condamner  les 
prêtres  et  priver  de  leurs  traitements  ceux  qui  ont  eu  le  malheur 
de  déplaire  à  quelque  préfet,  on  soutient  qu'ils  sont  fonction- 
naires; ils  ne  le  sont  plus  s'il  s'i^git  de  réparer  un  dommage 
qui  leur  a  été  causé. 

Ce  n'est  pas  tout.  Le  jugement  prétend  que  cela  est  surtout 
vrai  à  l'heure  oii  «  la  séparation  des  pouvoirs  temporel  et 
spirituel  s'accentue  journellement.  «  On  n'attend  pas,  à  Blaye, 
que  la  loi  réglant  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'État  soit 
votée  pour  l'invoquer.  Le  jugement  a  été  réformé,  c'est  vrai, 
mais  n'est-ce  pas  un  signe  des  temps  qu'il  se  soit  trouvé  un 
magistrat  pour  le  prononcer? 

Le  régne  de  Louis  II  de  Bavière,  qui  s'était  ouvert,  il  y  a 
vingt-deux  ans,  sous  de  si  heureux  auspices  et  au  milieu  des 
espérances  d'un  peuple  dévoué  à  la  dynastie,  n'a  guère  répondu 
à  l'attente  de  la  nation  bavaroise.  Le  souverain  a  complètement 
oublié  sa  mission  et  ses  devoirs  pour  dépenser  son  temps  et  son 
argent  dans  de  capricieuses  faveurs  à  Richard  Wagner  et  à  des 
constructions  fastueuses  dans  le  genre  de  celles  de  Louis  XIV 
le  roi  soleil.  Peu  à  peu,  les  fantaisies  du  roi  de  Bavière  ont 
tourné  à  la  monomanie,  et  sa  manière  de  faire  était  si  étrange 
que  depuis  longtemps  déjà  l'on  se  demandait  s'il  était  dans  la 
possession  de  ses  facultés  mentales.  Mais  à  Berlin  et  à  Munich, 
le  parti  au  pouvoir  avait  intérêt  à  prolonger  cette  douloureuse 
situation  qui  profitait  au  parti  libéral  et  au  Kulturkampf.  D'un 
autre  côté,  les  conservateurs  répugnaient  à  provoquer  une 
déchéance  qui  devait  porter  une  grave  atteinte,  aux  yeux  des 
foules,  au  prestige  de  l'autorité  souveraine. 

Mais  depuis  quelques  semaines,  la  démence  de  Louis  II  était 
devenue  un  obstacle  au  gouvernement  du  royaume.  Le  sou- 
verain refusait  sa  signature  à  toutes  les  mesures  qui  lui  étaient 
présentées,  et  passait  ses  journées  à  rédiger  des  décrets  de 
haute  fantaisie,  ordonnant  un  jour  qu'on  crève  un  œil  à  chacun 
de  ses  ministres,  une  autre  fois  les  condamnant  tous  à  mort 
par  la  décollation. 

Il  fallait  en  finir.  Deux  médecin.^  aliéuistes  se  sont  dévoués. 

48 


664  ANNALES    CATHOLIQUES 

Sous  un  déguisement,  ils  ont  réussi  à  se  faire  admettre  dans  le 
château  de  Hoiiensçhangau  et  ont  recueilli  les  faits  et  les  motifs 
à  l'appui  d'une  consultation  médicale  qui,  en  constatant  officiel- 
lement la  démence,  devait  permettre  l'établissement  d'une 
régence. 

Le  roi  Louis  II  n'aura  pas  survécu  longtemps  à  la  perte  de 
son  autorité  souveraine.  Ramené  samedi  au  château  de  Berg 
où  il  était  plus  facile  de  lui  faire  suivre  le  traitement  que 
réclamait  sa  triste  situation,  il  a  réussi,  dés  le  lendemain,  à 
attirer  dans  le  parc,  pour  une  prétendue  promenade  le  long  du 
lac  de  Starnberg,  le  médecin  aliénisteà  qui  il  était  spécialement 
confié.  Les  deux  ont  trouvé  la  mort  dans  les  iiots,  soit  que, 
comme  le  dit  la  version  officielle,  Louis  II  se  soit  jeté  à  l'eau  et 
qtiele  D""  Gudden  ait  péri  lui  aussi  en  s'efforcant  de  sauver  le  roi, 
soit  que,  comme  d'autres  le  croient,  le  pauvre  aliéné  se  soit 
jeté  sur  le  docteur  et  ait  réussi  à  le  pousser  dans  le  lac,  ce  qui 
les  aura  entraînés  tous  deux  dans  une  même  mort. 

La  couronne  ne  tombe  du  front  de  Louis  II  que  pour  être 
placée  sur  la  tète  d'un  autre  prince  atteint  d'aliénation  mentale 
et  qui  régnera  sans  gouverner  sous  le  titre  d'Othon  I". 

Louis  II  de  Bavière  était  né  à  Nymphenburg  (la  tour  des 
Njmphes),  le  25  août  1845.  Il  n'avait  donc  pas  tout  à  fait 
41  ans. 

Grand  de  sa  personne,  les  épaules  larges,  la  physionomie 
intelligente  et  éveillée,  il  semblait  taillé  pour  fournir  sur  le 
trône  une  longue  carrière.  Et  voilà  que  la  folie  l'abat  et  le  tue, 
comme  elle  avait  abattu  son  aïeul  Louis  I"  et  son  frère  Othon, 
qui  vient  d'être  proclamé  roi. 

«  Il  semble,  dit  une  notice  consacrée  au  roi  défunt,  que  le 
destin  s'acharne  depuis  le  début  du  siècle  sur  la  maison  de 
Wittelsbach.  »  Nous  ne  partageons  pas,  quant  à  nous,  l'étonné- 
ment  de  qui  a  tracé  cas  lignes  :  ce  qui  lui  apparaît  comme  une 
fatalité  mystérieuse  trouve  son  explication  dans  les  égarements 
du  roi  Louis  I".  Ce  souverain,  dont  les  ancêtres  avaient  pris 
une  part  glorieuse  à  la  guerre  de  Trente  ans  et  s'étaient  illus- 
trés en  combattant  la  Réforme,  est  le  premier  auteur  de» 
malheurs  de  sa  race  :  épris  d'une  danseuse  Lola  Montés,  il 
déshonora  sa  vieillesse  et  troubla  son  royaume  en  jetant  des 
millions  aux  pieds  de  cette  femme  de  théâtre. 

Louis  II,  son  petit-fils,  tomba  dans  des  égarements  d'un 
autre  genre,  mais  oii  l'on  retrouve  les  goûts  passionnés  de  son 


CHRONIQUE   DE    LA    8EMAINK  6S5 

aïeul  pour  le  théâtre.  Ou  connaît  ses  relations  avec  le  cornposi- 
tewr  Wagrier,  dont  il  «,vait  fait  son  eonam'ensal  et  son  ami.  Au 
mépris  des  devoirs  de  la  souveraineté,  -le  rtaonarque  ouMiait 
dans  ïa  sodété  de  cet  artiste  les  graves  responsabilités -du  gou- 
vernement; uniquement  préoccupé  de  se-s  plaisirs  d'artiste,  il 
avait  donné  'cartô  blanche  à  un  ministre  frnnc-maçon  pouï* 
gouverner  libéralement,  c'est-à-dire  dans  le  sens  antichrétien. 
Ce  pays  '«['ii\>,  aw  XVI*  siècle,  avait  été  un  des  boulevards  du 
catholicisme  en  Europe  .et  qui,  jusque  d^fts  ces  derniers  temps, 
n'a  cessé  de  protester  contre  les  tendances  de  son  gouver- 
nemient  sectaiire  en  eûvoyant  dans  la  Chambre  élue  dos  majo- 
riîtés  GGtiioliqués. 

Au  début  de  S'oin  règne,  —  il  avait  été  proclamé  le  10  mars  1864 
à  la  mort  de  son  père  Maximilien,  —  Louis  II  prit  à  peine  part 
à  la  direction  des  affaires  de  son  pays  que  compliquait  alors  la 
rivalité  de  la  Prusse  contre  l'Autriche.  Cette  question  d'hégé- 
monie ne  l'intéiessait  guère,  et  peut-être  déjà  alors  ses  sjnopa- 
thies  étaient-e'lles  acquises  à  l'uniâcation  allemande,  qui  devait 
faire  des  dynasties  emglobôes  autant  de  satellites  du  futur 
Eïïipire. 

Indifférent  aiix  traditions  historiques  de  sa  ïnaison,  l'héritier 
des  Wittelsbach  comblait  de  ses  libéralités  le  tnaëstro  Wagner 
et  érigeait  sous  sa  direction  le  théâtre  des  fêtes  de  Bajreuth. 

C'était  un  souverain  qui  jouait  au  Mécène  et  qui,  comme  ua 
autï-ê  iuâïen,  semblait  prendre  à  tâche  de  réhabiliter  le  paga- 
nisme dans  les  sphères  de  l'art^  D'autres  eussent  bâti  des 
églises  ;  lui  construisait  des  palais  et  des  glyptothèques  calqués 
sur  les  ruines  delà  Grèce  antique*  Mais  il  bâtissait  surtout  des 
théâtres,  et  *  Vùt  dramatique  reçut  sous  son  règne  une  impul- 
sion dout  les  scènes  de  l'Europe  entière.,  écrit  un  panégyriste, 
subissent  actuellement  le  contre-coup.  » 

Libéralisme  et  cabotinisme,  ce  sont  -ces  deux  fléaux  qui,  de 
ehute  en  chuté,  ont  amené  le -malheureux  prince  jusqu'à  l'abîme 
oii  il  vient  de  tomber. 

On  ne  peut  oublier  l'appui  qu'il  prêta  ouvertement  aux  vieux 
catholiques  et  la  protection  dont  il  couvrit  le  chanoine  Doel- 
linger,  persécuté  en  raison  de  ses  grands  travaux  théologiques 
contre  le  dogme  nouveau. 

Hélas!  le  protecteur  couronné  du  vieux  catholicisme  et  de  la 
musique  de  l'avenir  est  allé  bien  tristement  rejoindre  dans 
l'éteï'oitè  tous  eeox  qui,  ayant  mangé  du  Pape,  en  sont  morts! 


666  ANNALES   CATHOLIQUES 

Voici  les  rè::ultats  des  élections  pour  le  renouvellement 
annuel  et  partiel  du  conseil  municipal  de  Rome  : 

Le  nombre  des  conseillers  sortants  à  remplacer  était  de  18. 
Inscrits  :  26,000.  Votants  :  19,625.  Sont  élus  :  six  libéraux 
figurant  sur  toutes  ou  sur  la  plupart  des  listes,  j  compris  les 
listes  cléricales. 

Quatre  cléricaux  modérés,  soutenus  par  la  presse  libérale,  et 
huit  cléricaux  figurant  sur  la  liste  cléricale  seule. 

Voilà  un  résultat  qui  ne  semble  pas  fait  pour  combler  de  joie 
les  «  libéraux  »  italiens.  Les  plaintes  élevées  par  l'Europe 
Savante  contre  la  destruction  systématique  de  la  Rome  papale 
doivent  être  pour  quelque  chose  dans  l'événement. 

La  dissolution  de  la  Chambre  des  communes  était  inévitable, 
elle  est  prononcée, et  une  nouvelle  période  électorale  ne  tardera 
guère  à  s'ouvrir  en  Angleterre. 

Les  libéraux  et  les  radicaux  dont  la  défection  a  entraîné 
l'échec  du  ministère  se  remuent  activement  pour  commencer 
leur  organisation  électorale  en  vue  des  prochaines  élections 
générales.  Ils  font  même  dire  partout  que  leurs  afi'aires  marchent 
très  bien  et  qu'ils  n'ont  aucune  inquiétude  sur  le  résultat  de  la 
lutte.  Cette  assurance  est  bien  prématurée  pour  être  sincère. 

M.  Gladstone  a  déjà  adressé  un  manifeste  aux  électeurs  du 
Midlothian.  11  dit  que  la  Reine  a  sanctionné  la  dissolution  afin 
d'obtenir  la  décision  du  pays  sur  une  des  questions  les  plus 
graves  qu'on  ait  soumises  au  pays  depuis  des  siècles.  Il  n'y 
a  que  deux  politiques  possibles  :  ou  gouverner  par  la  coer- 
cition, ou  laisser  l'Irlande  régler  ses  propres  afi'aires.  M.  Glad- 
stone conteste  à  ses  adversaires  le  droit  de  prendre  le  titre 
d'unionistes. 

Il  dit  que  l'union  qu'il  cherche  à  modifier,  c'est  une  union 
obtenue  par  la  fraude  et  la  force  et  jamais  sanctionnée  par  le 
peuple  irlandais. 

L'Irlande  ne  demande  pas  l'abrogation  de  l'union,  mais  la 
restitution  de  son  Parlement,  sans  les  prérogatives  qui  pour- 
raient aff'aiblir  les  intérêts  de  l'empire.  M.  Gladstone  ajoute 
que  les  bienfaits  de  sa  politique  sont  :  1°  la  consolidation  de 
l'unité  de  l'empire  et  une  augmentation  de  sa  force;  2°  l'aboli- 
tion des  querelles  en  Irlande  et  le  développement  de  ses  res- 
sources ;  3"  la  rédemption  de  l'honneur  de  la  Grande-Bretagne, 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE  667 

de  11  Uétrissure  qui  lui  a  été  attachée  par  le  jugement  du 
monde  civilisé  entier;  enfin  le  rétablissement  de  la  dignité  du 
Parlement  impérial  et  le  progrés  pour  les  affaires  du  pays. 

Au  scrutin  de  ballottage  du  15  juin,  en  Belgique,  les  libéraux 
ont  été  réélus  à  Verviers  et  à  Mons. 

A  Charleroi  ils  perdent  un  siège. 

La  nouvelle  Chambre  comptera  donc  98  conservateurs  et 
40  libéraux. 

L'issue  de  ces  élections  contient  plusieurs  indications  géné- 
rales d'un  haut  intérêt.  Tout  d'abord,  l'assiette  du  gouver- 
nement et  du  parti  conservateur,  élargie  et  consolidée,  ne 
pourra  plus  se  déplacer.  Quels  que  soient  les  résultats  des  élec- 
tions de  1888,  la  position  du  ministère  ne  s'ébranlera  plus.  Ce 
danger  du  renouvellement  est  écarté.  En  1888,  les  élections 
porteront  sur  des  arrondissements  qui,  sauf  Arlon  et  Virton, 
sont  représentés  à  la  Chambre  par  des  catholiques  ou  des 
indépendants. 

Les  catholiques  n'auront  qu'à  gagner  un  ou  deux  sièges  de 
plus,  alors  que  les  libéraux  lutteront  pour  reconquérir  des 
positions  qui  leur  ont  longtemps  appartenu. 

Eh  bien,  la  majorité  conservatrice  est  devenue,  mardi,  si 
forte  qu'un  revirement  dans  le  sens  libéral  en  1888  ne  jetterait 
pas  à  bas  le  gouvernement  réparateur. 

D'ailleurs,  ^le  mouvement  conservateur  grandira.  Fort  et 
porté  par  le  courant  populaire,  le  parti  conservateur  entre  dans 
une  nouvelle  période,  nous  dirions  presque  une  évolution  nou- 
velle. Jusqu'à  ce  jour,  il  a  lutté  pour  l'existence,  il  a  dû  assurer 
le  lendemain;  mais,  maintenant  que  l'avenir  ne  se  couvre  plus 
de  nuages,  et  ne  trouble  pas  la  sérénité  des  hommes  d'Etat 
catholiques,  les  œuvres  positives,  les  initiatives  en  faveur  des 
restaurations  sociales  et  religieuses  s'épanouiront  dans  un  bel 
essor  et  assureront  pour  longtemps  l'attachement  des  popula- 
tions au  régime  conservateur.  Sur  le  terrain  économique,  il  y 
aura  beaucoup  à  faire,  beaucoup  de  fautes  à  éviter.  Depuis 
l'écrasement  du  parti  doctrinaire,  le  radicalisme  ouvrier  est 
devenu  une  menace  d'autant  plus  sérieuse  que  ïidr'e  sociale 
rayonne  partout  avec  le  prestige  de  l'opportunité  et  de  la  force 
d'une  fatalité  historique.  C'est  à  arracher  ce  «  quatrième  Etat  » 
aux  étreintes  du  socialisme  de  toutes  les  nuances  ;  c'est  à  le 
gagner  à  l'idée  religieuse  par  des  réformes  adoptées  aux  besoins 


668  ANNALES    CATHOLIQUES 

actuels,  q«e  le  parti  oaiiservateur  doit  ele  préférence  consacrer 
ses  nobles  efforts,  en  faisant  ainsi  à  la  fois  œuvre  d'habileté  et 
de  justice  sociale.  Question  religieuse  et  question  sociale,  o^ 
sont  là  les  deux  pôles  de  la  vie  d'aujourd'hui  et  de  demain. 

Celte  victoire  est,  enfin,  une  sanction  lunaineuse  de  l'attitude 
si  forte  à  la  fois  et  si  sage  du  gouvernement  réparateur. 

Le  ministère  Beernaert  a  été  à  la  hauteur  des  difficultés.  Le 
chef  du  cabinet  a  été  un  réformateur  habile,  sage,  fort  et  avançant 
opportunément.  Il  a  préparé  la  victoire  d'hier,  qui  sera  le  pré- 
lude du  triomphe  complet  de  demain.  M.  de  Bismarck  s'écriait, 
ces  jours-ci,  à  la  Chambre  des  députés  prussiens  :  «  La  poli- 
tique n'est  pas  une  science,  o'^at  un  art;  et  celui  qui  ne  Va  pa3 
naturellement,  doit  ne  pas  y  toucher.  » 

C'est  un  peu  absolu  mais  plein  de  justesse.  M.  Beernaert  n 
cet  art,  cet  art  si  difficile  et  si  rare,  composé  de  tact  et  d'au- 
dace, de  force  et  de  ménagements,  de  souplesse  pliante  et  de 
ténacité  d'acier,  sachant  temporiser,  attendre  ici,  brusquer  là, 
provoijuant,  guettant  et  choisissant  les  meilleures  occasions  de 
réaliser,  dans  une  institution  ou  une  loi,  les  principes  de  la 
cause  qu'il  a  l'honneur  de  défendre  et  de  soutenir. 

Telle  a  été  la  conduite  du  ministère.  Gouvernement  répara- 
teur hier,  il  sera  demain  le  gouvernement  préservateur  des 
dangers  du  radicalisme  socialiste  qui  constitue  la  seule  menace 
possible  pour  le  ministère,  les  conservateurs  et  la  société.  C'est 
une  tâche  haute  et  noble  que  les  gouvernements  doivent  s'im- 
poser de  nos  jours  :  réaliser  l'équilibre  social,  en  appliquant 
économii]uement  et  politiquement  les  doctrines  divinement 
généreuses  et  justes  de  l'Évangile  et  de  l'Église.  Aux  ères  et 
aux  évolutions  politiques,  succède  rare  s&ciale.  Là  est  l'avenir, 
plantons-y  notre  drapeau. 


BULLI;TIN  BIBLIOaRAPHIQUB  (1.) 

1.   —   Bue   culte    «lu    gp-^ncl  fort  vol.  a?â  paj^es.  —  Ps.ri3,. 

arciiiiecto,  nouv^Hfs  lévé-  1886,  chez  tietquz,ey.  —  Prix  : 

latiinis    sur    hi    Fianc-Maçoa-  3  fp.  50. 

nerie    par    Léo    TaxiK   —    Ua  Dans  Les  Frères-  Trais-Points, 

(1)  Il  est  rendu  compte  ^e  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires  ont 
été  déposés  dans  les  k>HKPaux  des  Annales  ctttholiq'jes.  MM.  les 
auteurs  e-t  MM.  les  auditeurs  sont  pries  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qn'ils  envoient.  —  l^'aiiministration  des  Annales  se  charge  de  fournir, 
au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  cumpte  dans  ce 
bulletin. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  069 

M.    Léo    Tasil    avait  dévoilé    le  compléto  des    T.ogos    et   Aniôpo- 

mécanit-rne  de  rorganisatiou  ma-  Loj^es  de   France,  avec  l'indica- 

çonnique  et  nous  avait  f;jit  assis-  tioa  des  locaux  danschaciue  ville, 

ter  aux  initiations  successives  de  les  jours  de  séance,  les  datos  de 

la  secte,  depuis  celle  du  ni^^-aud,  fondation,    aini»i    que    les    noms, 

recruté,  apprenti,  jus(|u'à  celles  adresses,    professions    civiles    et 

des    meneurs    astucieux,    élevés  grades    maçonniques   des    chefs; 

aux     plus    hauts    grades,    chefs  soit  une  lii^te  d'environ  800  per- 

occultes  et  directeurs  suprêmes.  sonnagps,  tous  maçons  militants 

Il  avait  aussi   déchiré    les   voiles  en    diable,   et   la   plupart   mêlés, 

qui  cachent  aux  *  Profanes  »  les  à  Paris  et  eu   province,  à  bi  vie 

mystérieuses  intrigues  politiques  politique  la  plus  active.  —  Enfin, 

et  sociales  de  la  Maçonnerie.  nous   signaleions    le   vocabulaire 

Dans  le  culte   du   grand  a.rchi-  d'argot  maçonnique  qui  complète 

tecle,  M.   L^o  Taxil  nous  révèle  le  volume  et   qui.  certainen.ent, 

la  liturgie  de  la  ténébreuse  asso-  en    forme     l'un    des    principaux 

dation  ;     car  les    Loges    et     les  attraits. 
Arrière-Loges    .ont    leurs    céré- 
monies particulières.  Rien   n'est 

plus  curieux  que  les  rituels  des  Manuel  polyglotte,  pour  la 
mariages  maçonniques,  des  bap-  confession  des  Espagnols,  des 
têmes  de  louveteaux,  des  banquets  Italiens,  des  Anglais,  des  Aile- 
mystiques,  de  la  cène  (sacrilège  mands.  Pans,  chez  Roger  et 
parodie  de  l'institution  de  rp:u-  Chernoviz.  —  Prix  franco  : 
charistie),  des  agapes,  particuliè-  1  ^^-  ^^• 

rement  odieuses,  des  consécra-  Voilà  un  petit  travail  qui  nous 
tioBs  de  temples,  des  pompes  paraît  destiné  à  rendre  ie.s  pla* 
funèbres  maçonniques,  riilicule3  grands  services,  au  clergé  ea 
singeries  où  l'on  arrose  d'eau,  de  général,  mais  surtout  aux  ecclé» 
lait  et  de  vin  un  grand  rouleau  siastiques  qui  exercent  leur  saint 
de  papier  à  chandelle  figurant  ministère  dans  nos  hôpitaux,  dans 
l'âme  du  F.\  défunt.  Dans  toutes  les  grandes  villes,  sur  nos  fron- 
ces cérémonies,  les  sectaires  ren-  tières,  dans  les  villes  d'eaux,  etc. 
dent  un  véritable  culte  au  «  Grand  Complet,  court,  commode,  ac- 
Architecte  »,  c'est-à-dire  à  Satan  compagne  de  la  prononciation 
déifié,  l'invoqui^nt  et  lui  chantent  francisée,  ce  livre  leur  pei-met- 
même  des  «  cantiques.  »  tra,    non    seulement    dentendr© 

On  lira  aussi  avec   intérêt  les  la  confession  des  étrangers  sans 

chapitres  consacrés  à  la   Maçon-  connaître   leur  langue,  mais  eq.- 

nerie     Forestière     ou     Carbona-  core  de  les  instruire,  au  bes(nu, 

risme,    branche    essentieilpment  de  les  assister  dans  leurs   maja- 

politique  de  la  secte,  et  au  régime  dies  et  au   moment  de   la  mort, 

des     Juges     Philosophes,     scjrte  Nous  apprenons  sans  étonnement 

d'école  d'espionnage  comportant  que  cette  œuvre  de  zèle  est  ac- 

Utt  «  noviciat  de  trois  ans  ».  cueillie    avec  satisfaeiion    et   re» 

Le    culte  du  grand  architecte  connaissance    par   tous   les  amis 

donne    encoi'e    la    nomenclature  des  âmes. 


REVUE  ÉCONOMIQUE  FINANCIÈRE 

Nous  vous  avons  (léjà  rais  en  garde  contre  des  commis-voyageurs 
en  valeurs,  parcourant  les  villes  et  les  camp.-ignes  pour  le  compte 
d'agences  qui  veiideat  à  tempérament  des  obligations  de  la  ville  de 
Pans  ou  dti  Crédit  foncier  de  Fi'juice. 

Ces  agences  s'ingénient  à  donner  à  leurs  certificats  de  versements 


670  annal.p:s  CATUuMvfts 

une  certaine  ressemblance  extérieure  avec  le  titre  qu'ils  s'engagent 
à  livrer.  Ils  adoptent  le  même  format,  la  même  couleur,  la  disposi- 
tion des  signatures  est  la  même.  Les  encadrements  et  vignettes 
sont  une  imitation  des  encadrements  et  vignettes  que  l'on  trouve 
sur  le  véritable  titre.  Il  y  a  même  jusciu'à  un  certain  arrangement 
de  coupons  qui  donne  illusion.  La  clientèle  est  recrutée  naturel- 
lement parmi  les  gens  qui  n'ont  point  la  moindre  notion  des  choses 
de  la  finance;  ils  savent  que  les  obligations  de  la  ville  de  Paris  et 
celles  du  Crédit  foncier  sont  excellentes  et  ils  croient,  avec  ce  chiffon 
de  papier  qu'on  leur  délivre,  avoir  des  droits  réels  sur  la  ville  de 
Pai'is  ou  le  Crédit  foncier. 

Nous  espérons  que  pas  un  de  nos  lecteurs  né  se  sera  laissé 
prenflie  à  ce  piège  grossier.  La  8'  chami)re  du  tribunal  de  première 
instance,  jugeant  cori'ectionnellement,  vient  de  condamner,  à 
100  francs  d'amende,  le  directeur  d'une  de  ces  agences  en  question 
pour  avoir  émis  des  formules  d'engagement  dont  les  dispositions 
exléi'ieures  avaient  quelque  ressemblance  avec  celles  des  titres 
mentionnés  aux  dits  engagements.  Si  le  prévenu  n'a  été  condamné 
qu'à  iOO  francs  d'amende,  c'e>t  qu'il  avait  dès  le  début,  renoncé  à 
CCS  pratiques.  Ce  sera,  pour  les  autres,  un  avertissement. 

Celte  industrie  de  vente  à  tempérament  va  sans  doute  disparaître, 
au  moins  pour  un  temps.  Le  parquet  est  disposé  à  se  montrer  très 
sévère  quand  il  recevra  des  plaintes;  il  recherche  même  si  on  ne 
peut  pas  lui  appliquer  une  contravention  à  la  loi  sur  la  loierie.  Dans 
tous  les  cas,  il  nous  semble  qu'on  peut  appliquer  h  ces  gens-là  la 
loi  sur  le  prêt  usuraire  et  sur  l'empièiement  du  monopole  des 
Agents  de  change. 

L'opinion  publique  est  de  plus  en  plus  surexcitée  contre  ces 
agences  de  vente  à  Crédit,  qui  lont  autant  de  victimes  qu'ils  ont 
trouvé  de  clients.  Notre  opinion  n'a  jamais  changé  et  nous  vous 
disons  aujourd'hui,  comme  autrefois  :  «  Faites  vos  affaires  vous- 
mêmes,  autant  que  possible  et  adressez-vous  toujours  à  un  agent  de 
change  qui  vous  garantira  vos  titres  dans  le  cas  où  ils  seraient  faux, 
ou  sortis  aux  tirages.  S'adresser  à  un  agent  de  change  coûte  moins 
cher  que  chez  n'importe  qui. 

Les  obligations  foncières  par  leur  extrême  solidité  et  par  leurs 
six  tirages  par  an,  sont  des  valeur.->,  naturellement  toujours  recher- 
chées et  les  agences  dont  nous  parlons  plus  haut,  avaient  eu  la 
main  heureuse  en  les  choisissant.  Mais  pourquoi  payer  une  prime 
de  40  à  oO  francs  quanu  on  peut  avoir  au  prix  du  cours  du  jour?  Il 
est  certain  que  vous  allez  voir  une  nouvelle  hausse  se  produire,  en 
juillet,  sur  les  obligations  1880  et  1883.  Nous  les  recommandons 
parce  que  ce  sont  celles  qui  coûtent  le  moins  cher,  tout  en  valant 
auant  que  celles  cotées  *:20  à  '23  au-dessus,  l/obligalion  1879  est 
cotée  470  et  celle  188o  441  francs;  celui  qui  voudrait  prouver  que 
la  première  vaut  mieux  que  la  seconde  serait  bien  embarrassé. 

La  Bourse  est  calme;  le  comptant  agit  peu  et  la  spéculation  se 
remue.  A.  H. 


Le  ge'ran  t  :   P .   •')  k  -^  x  r  r,  EL . 


Paris.  Itnp.  G.  Picquoin,  3i,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


-^r'-^DOC^^o:^- 


LEON  XIII  ET  LA  FRANCE 


Dans  le  dernier  Consistoire  d'hier,  Sa  Sainteté  n'a  abordé 
aucun  des  graves  problèmes  qui  passionnent  les  esprits.  Ça  été 
une  allocution  tout  intime,  oii  Léon  XIII  a  épanché  son  cœur 
de  Pasteur  et  de  Père. 

La  plus  privilégiée,  la  France,  a  eu  le  premier  rang.  C'est 
avec  une  effusion  harmonieusement  grave  que  le  Pontife  a  fait 
l'éloge  de  cette  «  généreuse  nation»  qui,  malgré  les  excès  du 
radicalisme  officiel,  reste  superbe  de  foi  et  de  dévouement 
sans  bornes  à  l'Église  et  à  la  Papauté. 

Ces  paroles  prendront  place,  dans  l'histoire  des  rapports  du 
Saint-Siège  avec  la  vieille  Gaule,  à  côté  de  l'admirable  Ency- 
clique Nobilissitna  Gallorum  gens. 

Ce  serait  une  œuvre  très  intéressante  que  de  tracer  le 
tableau  de  toute  cette  compénétration  historique  de  la  France 
et  de  la  Papauté,  à  travers  le  labyrinthe  des  siècles,  depuis  le 
jour  oii  Charlemagne  est  venu  s'incliner  devant  la  majesté  de 
la  tiare  pontificale  jusqu'au  Consistoire  d'hier,  où  Léon  XIII  a 
fait  à  cette  nation  le  don  de  trois  cardinaux. 

Jusqu'à  l'heure  où  la  civilisation  a  rapproché  également 
toutes  les  nations  et  celle-ci  de  Rome,  la  France  a  été  comme 
la  gardienne  d'avant-poste  et  la  sentinelle  séculaire  du  Saint- 
Siège.  Cette  nation  brillante  a  marché  à  la  tête  de  toutes  les 
œuvres  de  foi  et  de  chevalerie  catholique.  C'est  elle  qui  a  créé, 
la  première,  ce  budget  de  la  charité  du  monde  pour  le  Pape  ; 
c'est  elle  qui  a  suscité  les  ressources  des  missions  ;  elle  qui  a 
fondé  les  écoles  d'Orient  ;  elle  qui  a  doté  la  Propagande  des 
plus  riches  dons  ;  elle,  en  un  mot,  qui,  dans  la  hiérarchie 
incomparable  des  générosités  catholiques,  a  tenu  le  premier 
rang,  pendant  quelque  temps,  le  seul.  Elle  a  été,  dans  tous  ces 
domaines,  la  grande  et  féconde  initiatrice.  C'est  sa  couronne 
ro3^ale,  son  privilège  providentiel,  la  marque  de  Dieu  sur  elle. 

Si,  maintenant,  depuis  que  son  exemple  irrésistible  a  entraîné 
Lvi.  —  26  JUIN  1886.  49 


672  ANNALES   CATHOLIQUES 

jusqu'aux  peuples  les  plus  lointains  dans  ce  siliag-e  des  œuvres 
dafoi  et  d'aitachement  à  Rome,  si  maintenant  elle  voi^  d'aiïtres 
nations  plus  jeunes  rivaliser  avec  elle  de  générosité  et  de 
dévouement,  elle  n'en  maintient  pas  moins  ses  traditions  che- 
valeresques. Elle  reste  à  son  poste  comme  par  le  passé. 

Oui,  Léon  XIII  a  raison.  La  France  donne  toujours  au  monde 
le  spectacle  du  bien,  A  côté  de  ce  monde  officiel,  qui  repré- 
sente le  radicalisme,  s'agite  le  monde  des  croyants.  Derrière 
cette  représentation  extérieure  de  l'irréligion,  il  y  a  la  province 
des  œuvres  de  tous  genres.  La  France  est  aujourd'hui,  peut- 
être,  le  pays  le  plus  en  vue  qui,  à  la  surface,  présente  les 
dehors  de  la  décadence,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que,  sous 
cette  écorce,  s'épanouissent  les  grandes  idées  et  les  sentiments 
généreux.  C'est  ce  dualisme  regrettable  qui  explique  les  juge- 
ments si  contradictoires  que  les  étrangers,  comme  les  Français 
eux-mêmes,  portent  sur  ce  pays.  Œuvre  de  la  Révolution  qui 
a-  trop  séparé  le  monde  social  et  religieux,  cette  division  de 
l'âme  nationale  est  le  plus  grand  malheur. 

Si  jamais  la  France  doit  reprendre  son  prestige  et  sa  robus- 
tesse d'autrefois,  cet  antagonisme,  ou  plutôt  cette  séparation, 
tranchée  des  divers  ordres  de  la  vie  publique,  doit  cesser.  Mais 
quelles  que  soient  les  décadences  politiques  et  gouvernemen- 
tales, la  France  conserve  des  réservoirs  de  générosité,  d'esprit, 
de  force  et  de  foi,  qui  alimenteront  à  jamais  son  tempérament 
âexible  à  tous  les  grands  courants  de  l'histoire.  Paris  incarna 
admirablement  cette  double  France.  Paris  qui  s'amuse  et  oii^ 
l'on  vient  s'amuser.  Paris  avec  le  scandale  de  ses  vices  et  de 
ses  défaillances;  Paris  qui,  aussi,  crée  chaque  jour  des  œuvres 
admirables,  qui  travaille,  prie  et  se  sacrifie  ;  ce  Paris  des 
grandes  choses  et  des  initiatives  sans  égales  et  sans  nombre. 

Eh  bien,  c'est  cette  France  du  bien,  à  laquelle  Léon  XIII 
prodigue  l'effusion  de  son  amour  da  Pontife.  Il  veut  «  serrer 
plus  étroitement  les  liens  qui  unissent  cette  nation  généreuse 
avec  l'église  de  Rome  et  le  Pontificat  romain.  »  Ces  liens  sont 
indissolubles.  Ici,  encore,  la  France  a  pris  les  devants  dans  lô 
large  et  merveilleux  mouvement  de  concentration  autour  de 
Rome.  Notre  siècle  a  été  rempli  des  chevaleries  des  catholiques 
français  pour  le  Saint-Siège. 

Qui  ne  se  rappelle  les  luttes  retentissantes  de  ses  meilleurs 
fils  pour  l'indépendance  et  les  gloires  rayonnantes  de  la 
dynastie  des  Papes?  Ce  sont  les  Guéranger,  les  Dupanloup,  les 


HOME   RULE  673 

Pie,  les  Falloux,  les  Montalerabert,  etc.  ;  ce  sont  tous  ces  noms 
brillants  et  leurs  disciples  qui  ont  monté  la  garde  de  l'élo- 
quence, de  la  foi  et  de  la  fidélité  autour  des  hauteurs  du  Vatican. 
C'est  la  France  catholique  qui  a  entraîné  le  monde  entier  aux 
pieds  du  Successeur  de  Saint-Pierre,  dans  cette  vaste  concen- 
tration religieuse  vers  le  centre  de  l'unité,  concentration  qui  a 
été  comme  la  marche  de  l'univers  chrétien  sur  Rome.  Quand  on 
fait  ces  grandes  choses,  on  ne  déchoit  pas,  on  ne  fléchit  pas. 
On  garde  ses  suprématies  et  ses  gloires,  et  ce  n'est  pas  en  vain 
que  Léon  XIII  est  venu,  hier,  les  faire  briller  d'un  éclat 
nouveau,  opportun,  providentiel.  Il  y  a  des  discours  qui  sont 
des  actes.  (Moniteur  de  Rome.) 


HOME  RULE 


Le  rejet  du  projet  de  loi  pour  l'amélioration  de  la  condition 
de  l'Irlande,  présenté  par  M.  Gladstone,  quoique  des  plus  regret- 
tables, ne  met  pas  fin  à  cette  question  brûlante  qui  passionne  de- 
puis si  longtemps  toute  la  population  de  la  Grande-Bretagne.  Cet 
acte  du  Parlement  anglais,  plus  ou  moins  prévu,  n'apaisera  pas 
les  esprits  en  Irlande,  et  ne  contentera  pas  davantage  les  An- 
glais, qui  reconnaissent  la  nécessité  absolue,  de  la  part  de  leur 
nation,  de  mettre  fin  à  l'horrible  oppression  qui  désole  l'île 
sœur.  La  question  ne  deviendra  que  plus  formidable,  car  c'est, 
au  fond,  plutôt  une  question  religieuse  que  politique. 

Les  souffrances  de  l'Irlande  sont  connues  du  monde  entier, 
mais  d'une  manière  vague.  On  sait  que  sous  les  rois  et  les  par- 
lements protestants  d'Angleterre,  les  Irlandais  ont  été  atroce- 
ment persécutés  pour  leur  fidélité  à  la  foi  catholique;  mais  on 
ne  s'imagine  pas  que  cette  persécution,  en  réalité,  n'a  jamais 
cessé. 

La  religion  catholique,  il  est  vrai,  est  ouvertement  pratiquée 
et  jouit  de  beaucoup  de  liberté,  mais  les  populations  catholiques 
de  l'île  souffrent  une  persécution,  sous  une  autre  forme,  aussi 
cruelle,  impitoyable  et  diabolique  que  celle  d'Elisabeth  et  de 
Cromwell.  Et  la  source  de  cette  persécution  se  trouve  dans  la 
haine,  aussi  vivace  que  jamais,  de  la  plupart  des  protestants 
contre  l'Eglise.  Les  catholiques  anglais  eux-mêmes,  subissent 


674  ANNALES    CATHOLIQUES 

SOUS  ce  rapport  l'influence  malsaine  de  la  presse  protestante, 
surtout  celle  des  grands  journaux  quotidiens  de  Londres.  Il  y 
en  a,  en  grand  nombre,  qui  demandent  que  l'état  de  choses 
actuel  en  Irlande  cesse  ;  mais  il  y  en  a  aussi  qui,  dans  leurs 
propos,  décèlent  une  ignorance  surprenante  de  la  situation,  La 
conduite  des  Orangistes  et  les  discours  des  lords  R.  Churchill, 
Hartington,  Montagu  et  autres  chefs  des  partis  politiques, 
démontrent  assez  nettement  de  quel  côté  se  met  le  protestan- 
tisme anglais.  Sans  doute,  il  y  a  des  exceptions  individuelles, 
mais  la  masse  ne  cherche  qu'à  continuer  l'horrible  système  qui 
écrase  la  pauvre  Irlande. 

Un  personnage  catholique  anglais,  éminent  par  son  rang,  sa 
fortune  et  sa  position,  s'est  permis  de  dire  l'autre  jour  que 
«  depuis  cinquante  ans  le  peuple  anglais  s'évertue  à  mettre 
fin  aux  injustices  dont  se  plaignent  les  Irlandais.  » 

Or,  voyons  ce  qui  se  passe  en  Irlande  depuis  cinquante  ans. 
Commençons  par  le  témoignage  d'un  évêque  dans  le  comté  de 
Meath,  qui  a  vu  expulser  de  leurs  demeures,  en  un  jour, 
700  personnes.  A  l'exception  d'une  seule,  dit  ce  prélat,  ces  per- 
sonnes ne  devaient  pas  un  centime  à  leur  propriétaire.  Deux 
des  familles  expulsées  avaient  le  typhus  chez  elles,  mais  malgré 
cela  on  a  enlevé  la  toiture,  laissant  pénétrer  ainsi  la  pluie 
froide  d'octobre  qui  tombait  à  torrents.  Le  lendemain  on  a 
retiré  quatre  cadavres  ! 

Le  curé  de  ce  village,  témoin  oculaire,  a  écrit  : 

Je  n'oublierai  jamais  les  scènes  d'horreur  dont  j'étais  témoin.  Les 
lamentations  des  femmes,  les  cris,  la  terreur,  la  consternation  des 
enfants,  l'angoisse  muette  de  ces  hommes,  honnêtes  et  laborieux,, 
arrachaient  des  larmes  à  tous  ceux  qui  se  trouvaient  là.  J'ai  vu  les 
officiers  et  les  agents  de  police  en  grand  nombre  (obligés  par  leurs 
devoirs  officiels  de  se  tenir  là),  pleurer  comme  des  enfants  à  la  vue 
des  souffrances  cruelles  de  ce  peuple,  qu'ils  auraient  été  cependant 
forcés  de  massacrer  à  la  moindre  velléité  de  résistance. 

Les  pluies  froides  qui  généralement  accompagnent  l'équinoxe 
d'automne  tombaient  à  torrents  pendant  la  nuit  et  révélaient  à  ces 
pauvres  êtres  sans  abri  la  terrible  réalité  de  leur  condition.  -le  les 
ai  visités  le  lendemain,  pour  leur  ofi"rir  toutes  les  consolations  en. 
mon  pouvoir.  L'aspect  de  ces  malheureux,  hommes,  femmes  et 
enfants,  comme  ils  sortaient  des  ruines  de  ce  qui  avait  été  leur  foyer 
domestique,  trempés  de  pluie,  noircis  de  suie,  grelottant  de  froid  et 
de  misère,  offraient  positivement  le  spectacle  le  plus  navrant  qu'on 
puisse  imaginer. 


HOME    RULK  675 

Et  si  l'on  demande  pourquoi  ou  n'a  pas  offert  au  moins  l'hos- 
pitalité d'un  simple  abri  à  ces  pauvres  expulsés,  surtout  dans 
un  pays  renommé  pour  son  hospitalité,  c'est  que  les  propriétaires 
du  sol,  «  les  étrangers,  »  comme  on  les  a  toujours  appelés 
veillaient.  Ecoutons  ce  même  curé  : 

Les  propriétaires  tout  autour,  sur  une  étendue  de  plusieurs  milles 
(lisons  lieues)  dans  toutes  les  directions,  avaient  averti  leurs  tenan- 
ciers, avec  des  menaces  d'une  vengeance  terrible,  de  faire  taire  leur 
humanité,  de  ne  point  accorder  l'hospitalité  de  leur  toit,  ne  fût-ce 
que  pour  une  seule  nuit,  à  leurs  pauvres  voisins.  Beaucoup  d'entre 
ces  derniers  ne  pouvaient  émigrer  avec  leurs  familles,  alors  que  chez 
eux,  dans  leur  propre  pays,  ils  voyaient  la  main  de  tous  levée  ainsi 
contre  eux. 

Ils  furent  expulsés  du  sol  où  la  Providence  les  avait  placés,  et 
virent  dans  la  condition  de  la  société  au  milieu  de  laquelle  ils  se 
trouvèrent,  tous  les  chemins  de  la  vie  rigoureusement  fermés.  Quel 
en  fut  le  résultat?  Après  une  vaine  lutte  contre  la  maladie  et  la 
misère,  ils  descendirent  par  des  étapes  douloureuses  de  l'asile  des 
pauvres  (Workhouse)  à  la  tombe,  et  au  bout  de  trois  ans,  plus  ou 
moins,  un  quart  de  ces  victimes  gisait  au  cimetière. 

Ce  n'est  pas  là  un  cas  exceptionnel,  hélas  !  C'est  l'état  nor- 
mal de  ce  malheureux  pays.  On  a  raconté  comment,  en  1845, 
un  nommé  Walsfc,  propriétaire,  avait  détruit  tout  un  village,  à 
BelmuUet.  En  1848,  dans  deux  villages  voisins,  cinquante 
maisons  furent  rasées,  en  plein  hiver,  et  à  40  milles  du  plus 
prochain  Workhouse.  On  laissa  ainsi,  sans  abri,  140  familles! 
c'est-à-dire  800  personnes  ! 

Dans  la  seule  année  de  1849,  dit  M.  Ray,  plus  de  cinquante 
mille  familles  furent  impitoyablement  expulsées  de  leurs 
pauvres  demeures  (et  il  faut  les  voir  pour  comprendre  le  dénue- 
ment des  cabanes  irlandaises),  et  laissées  là  sans  ressources  et 
sans  abri.  Cinquante  mille  familles  représentent  facilement 
deux  cent  mille  personnes,  peut-être  davantage,  car  il  est 
notoire  que  les  familles  irlandaises  sont  nombreuses. 

Dans  les  dix  ans,  de  1841  à  1851,  le  nombre  de  maisons  qui 
avaient  été  rasées  était  de  282.545!!!  M.  John  Bright,  le 
célèbre  radical,  en  parla  en  plein  Parlement,  qui  passe  pour 
être  le  siège  par  excellence  de  la  justice,  et  là  surtout  on 
ricana!  Telle  est  la  justice  de  l'Angleterre. 

En  1858,  le  procès  intenté  par  M.  le  curé  O'Fay,  docteur  en 
théologie,  contre  le  major  Burke,  de  l'armée  anglaise,  attira 
beaucoup  l'attention.  On  prouva  que  sur  l'invitation  du  père  de 


676  ANNALES    CATHOLIQUES 

ce  dernier,  le  curé  avait  loué,  avec  bail  à  vie,  un  petit  lopin  de 
terre  inculte,  abandonnée.  Il  dépensa  à  peu  près  2.000  francs 
par  an,  pendant  cinq  à  six  ans,  et  obtint  de  son  travail  des 
résultats  étonnants.  Ces  résultats  finirent  par  exciter  la  convoi- 
tise du  major,  héritier  de  son  père  décédé,  et  il  donna  simple- 
ment avis  au  curé  de  son  intention  de  reprendre  possession  de 
la  terre.  Le  curé  avait  son  bail;  il  avait  dépensé  beaucoup 
d'argent;  il  avait  bâti  des  naaisons,  il  avain  complètement 
défriché  la  terre  qu'il  avait  faite  productive,  au  delà  de  toute 
espérance.  Tout  cela  plaidait  en  sa  faveur,  mais  plus  il  dé- 
montra  les  améliorations  dont  il  était  l'auteur,  plus  le  proprié- 
taire se  décidait  à  l'expulser,  s'il  ne  voulait  pas  abandonner 
son  bail  et  payer  un  loyer  très  élevé.  Le  curé  fut  expulsé.  Il 
avait  C2  ans. 

Remarquez  qu'il  ne  devait  pas  un  centime  de  loyer  au  pro- 
priétaire. La  loi  faite  par  les  Anglais  pour  les  Irlandais  catho- 
liques permet  cela.  Le  juge  du  tribunal  devant  lequel  la  cause 
fut  apportée,  se  trouvait  impuissant,  en  présence  de  cette  loi, 
et  fut  forcé  de  prononcer  un  jugement  contre  le  curé.  Il  s'ex- 
primait ainsi  : 

Il  n'y  a  rien  qui  répugne  davantage  aux  principes  de  la  justice 
naturelle  que  de  permettre  à  un  propriétaire  de  rester  d'anùée  en 
année  spectateur  d'améliorations  faites  à  grands  frais  par  son  loca- 
taire, sans  qu'il  le  prévienne  de  son  intention  de  l'expulser.  Il  n'est 
point  de  ma  compétence  d'administrer  l'équité,  dans  le  sens  naturel 
du  mot;  autrement,  je  n'aurais  aucune  difficulté  à  faire  un  décret 
contre  le  major  Burke  (le  propriétaire).  Je  suis  tenu  à  administrer 
un  système  artificiel,  et  étant  ainsi  tenu,  je  suis  forcé,  à  mon  grand 
regret,  de  commettre  une  injustice  en  ce  cas. 

Voici  maintenant  le  jugement  de  Mgr  Bagshawe,  évêque  de 
Nottingham  (Angleterre)  : 

L'administration  intérieure  d'Irlande  par  l'Angleterre,  et  par  le  Par- 
lement anglais,  surtout  depuis  l'Union  (c'est-à-dire  depuis  lasuiqires- 
slon  du  Pai  lement  protestant  Irlandais,  au  commencement  de  ce  siècle) 
ne  s'est  distinguée  ni  par  la  justice,  ni  par  la  bienfaisance,  ni  par  le 
Buccès  ;  au  contraire,  elle  n'a  été  inspirée  que  par  une  convoitise 
égo'iste,  et  elle  a  infligé  à  ce  malheureux  pays,  des  horreurs  sans 
nombre,  la  ruine  et  la  désolation.  Il  est  temps  que  l'on  permette  à 
l'Irlande  l'administration  de  ses  propres  affaires. 

Il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  s'agit  toujours  au  fond  d'une 
question    religieuse,  du   désir   chez  les    protestants  irlandais», 


HOME    RULE  677 

tous  dû  races  étrangères,  de  rester  les  maîtres,  de  posséder  le 
sol,  de  terir  les  catholiques  sous  leur  talon.  Ils  ont  toujours  été 
encouragés  par  le  gouvernement  anglais.  Les  Orangistes  seuls 
peuvent  faire  leurs  processions  politico-religieuses,  armés  jus- 
qu'aux dents  et  jamais  leurs  fôtes  ne  se  célèbrent  sans  qu'ils 
provoquent  les  catholiques,  et  sans  qu'ils  en  assassinent 
quelques-uns.  Cela  est  pour  le  moins  toléré  par  le  gouverne- 
ment anglais. 

Comment  voulez-vous,  s'écrie  un  savnnt  prêtre  irlandais,  que  les 
Anglais  fassent  justice  à  mon  pays!  Ils  sont  d'une  autre  race,  ils 
professent  une  autre  religion,  ils  ne  connaissent  nullement  l'Irlande, 
et  ils  ne  veulent  pas  la  connaître.  La  représentation  irlandaise  au 
Parlement  impérial  est  une  infime  minorité.  Les  électeurs  irlandais 
ne  représentent  que  l'un  ou  l'autre  des  partis  politiques  anglais. 
Ceux  qui  gouvernent,  ou  plutôt  ceux  qui  tiennent  lo  pouvoir  en 
Irlande,  ne  sympathisent  point  avec  elle,  ils  ignorent  et  négligent 
ses  intérêts  les  plus  chers,  même  les  plus  nécessaires  à  son  existence. 

Tout  cela  demande  un  remède;  niais  on  est  loin,  même 
parmi  les  catholiques  irlandais,  d'être  d'accord  sur  le  remède 
proposé.  On  se  méfie  de  la  source.  Feu  le  cardinal  Cullen, 
archevêque  de  Dublin,  a  rappelé  que  l'auteur  du  Home  Rule 
est  non  seulement  protestant,  mais  qu'il  est,  de  plus,  l'ami  des 
chefs  du  mouvement  antireligieux  en  France.  M.  Parnell  a  été, 
en  effet,  l'ami  de  Gambetta,  Victor  Hugo,  Henri  Martin  et  tutti 
quanti,  et  le  Cardinal,  qui  aurait  préféré  une  persécution  san- 
glante à  l'apostasie  do  ?a  nation,  tremblait  devant  la  possibilité 
d'un  piège  caché  sous  des  apparences  de  liberté  politique  et 
religieuse.  Les  craintes  du  Cardinal  sont  partagées  par  plu- 
sieurs sinon  par  tous  les  membres  de  Tépiscopat  irlandais. 

Il  serait  trop  long  d'entreprendre  ici  l'analyse  du  bill  pré- 
senté par  M.  Gladstone  au  Parlement  impérial.  Il  se  pouvait 
que  cette  mesure  fût  défectueuse  ;  mais  il  est  certain,  qu'au 
fond,  le  Home  Rule,  le  règlement  par  les  Irlandais  de  leurs 
affaires  purement  intérieures,  est  le  seul  remède  aux  maux 
dont  ils  souffrent.  Le  cardinal  Manning  de  Westminster,  s'est 
exprimé  en  ce  sens,  et  avec  lui  tout  l'épiscopat  anglais.  Il  n'y 
a,  que  nous  sachions,  que  quelques  laïques  catholiques  in- 
fluents, comme  le  duc  de  Norfolk,  qui  se  sont  faits  remarquer 
par  une  hostilité  au  Home  Rule,  qui  n'est  pas  à  leur  honneur. 

Devant  des  faits  tels  que  ceux  que  nous  avons  reproduits,  et 
dont  le  récit  fait  frémir,  il  semble  impossible  que,  de  nos  jours» 


678  ANNALES    CATHOLIQUES 

il  se  trouve  des  chrétiens,  quelle  que  soit  leur  opinion  en 
matière  religieuse,  capables  de  refuser  à  leurs  semblables 
même  la  pitié  qu'inspire  le  malheur.  Il  n'y  a  pas  un  autre  pays 
au  monde  où  le  paysan  est  traité  avec  tant  de  cruauté  barbare 
qu'en  Irlande. 

Au  moment  même  oii  nous  traçons  ces  lignes,  au  moment  où 
le  Parlement  d'une  nation  puissante  et  riche  rejetait  une 
mesure  qui  promettait  du  moins  un  peu  de  justice  à  ces  pauvres 
paysans  irlandais,  les  évictions  se  font  sur  une  large  échelle 
dans  la  partie  ouest  de  l'île.  La  désolation,  la  ruine  et  la 
famine  régnent  sur  tout  le  Connemara,  district  d'une  grande 
étendue,  où  l'on  n'entend  aujourd'hui  que  le  son  de  la  pioche  des 
démolisseurs,  où  l'on  ne  voit  que  des  affamés  errant  par  cen- 
taines dans  les  champs  et  cherchant  comme  des  bêtes  de  quoi 
satisfaire  leur  faim.  Beaucoup  sont  morts  de  faim  et  de  froid, 
exposés  comme  ils  sont,  sans  abri,  sans  secours  d'aucune  sorte. 
Leurs  propriétaires,  avec  la  permission  de  la  loi  anglaise,  faite 
expressément  contre  les  catholiques  irlandais,  leur  refusent 
l'abri  qu'on  aurait  honte  de  ne  pas  accorder  à  son  chien  ou  à 
son  cheval. 

Nous  n'inventons  rien.  C'est  dans  les  journaux  anglais  que 
nous  avons  puisé  ces  détails. 

La  justice  des  hommes  fait  défaut  à  ces  pauvres  gens.  A 
quand  la  justice  de  Dieu?  {Citoyen). 

E.  M. 


UNE  COMPARAISON  ! 

FRANCE  ET  BELGIQUE. 

Sous  ce  titre  on  lit  dans  le  Lorrain  : 

Les  catholiques  belges  viennent  de  l'emporter  aux  élections 
législatives  qui  ont  eu  lieu  mardi  :  ce  succès  nous  fournit  l'occa- 
sion d'une  comparaison  pleine  d'espérance  entre  la  France  et  la 
Belgique. 

Les  libéraux  do  Bruxelles,  de  Gand,  de  Liège  avaient  crié  bien 
haut  que  la  victoire  des  catholiques,  au  scrutin  de  1884,  était 
une  surprise  et  que  bientôt  une  réaction  se  produirait  inévita- 


UNK   COMPARAISON  679 

blement,  et  ferait  regagner  au  libéralisme  tout  le  terrain  qu'il 
avait  perdu.  Pendant  quelque  temps,  on  a  cru  qu'il  en  serait 
ainsi  :  les  libéraux  n'en  doutèrent  pas  quand  ils  virent  le  Roi 
intervenir  lui-même  pour  arrêter  le  zèle  de  ses  ministres  catho- 
liques. Depuis  lors  ils  n'ont  pas  cessé  d'espérer,  malgré  les  divi- 
sions qui  les  affaiblissaient  entre  eux;  comptant  sur  les  fautes 
et  sur  les  exagérations  de  leurs  adversaires,  comme  si  cela 
devait  suffire  pour  vaincre,  ils  ont  oublié  la  devise  belge  : 
L'union  fait  la  force.  Radicaux  et  modérés  ont  continué  à 
donner  le  spectable  d'un  antagonisme  fort  peu  libéral;  ils  ont 
ainsi  fatigué  le  pays  et  perdu  la  confiance  des  plus  honnêtes 
de  leurs  électeurs. 

Cependant  les  véritables  patriotes,  réveillés  au  scrutin  de 
1884,  ne  s'étaient  pas  rendormis  sur  leurs  premiers  lauriers  : 
soutenus  par  l'action  catholique,  ils  avaient  silencieusement 
poursuivi  la  lutte  contre  la  franc-maçonnerie  et  ils  viennent  de 
remporter  une  victoire  éclatante  et  définitive.  Depuis  plus  de 
cinquante  ans  les  catholiques  belges  n'ont  pas  eu  un  pareil  succès, 
et  le  ministère  actuel  est  assuré  de  demeurer  longtemps  au 
pouvoir  :  c'est  le  salut  de  la  Belgique. 

Or,  en  France  pareil  résultat  pourrait  se  produire  si  on  le 
voulait,  et  d'aucuns  prétendent  qu'on  doit  l'espérer. 

Le  succès  des  conservateurs  français,  au  scrutin  d'octobre 
dernier,  n'a  pas  été  non  plus  une  surprise,  et  si  les  élections 
avaient  été  préparées  de  plus  longue  main,  les  républicains 
eussent  été  bien  près  de  perdre  la  partie.  Depuis,  à  l'instar  des 
libéraux  belges,  ils  se  divisent,  se  déchirent  et  ne  trouvent  de 
terrain  commun  que  dans  leur  haine  contre  l'Eglise  et  le  clergé. 
Leur  conduite  fatigue  et  écœure  la  France  ;  aussi  les  conserva- 
teurs encouragés  par  ce  premier  succès,  mieux  conduits,  atten- 
dent, avec  plus  de  confiance  les  luttes  électorales  de  l'avenir  : 
ils  ne  font  pas  de  bruit  en  ce  moment  parce  qu'ils  ne  sont  pas 
encore  prêts;  mais  quand  un  ministère  Clemenceau  ou  Floquet 
aura  quelque  peu  augmenté  les  craintes  des  honnêtes  gens  qui 
restent  fidèles  à  la  République  parce  qu'ils  n'aiment  pas  à  être 
dérangés,  il  se  peut  que  le  vent  tourne  et  que  les  Français  sui- 
vent l'exemple  des  Belges. 

Le  Temps  ne  le  croit  pas  encore,  mais  on  dirait  qu'il  le  craint  : 
il  écrit,  en  effet,  à  propos  de  l'écrasement  des  libéraux  en  Bel- 
gique :  «  Mieux  vaut  nous  livrer  au  sentiment  de  tristesse  que 
ne  peut  manquer  d'inspirer  à  tous  les  amis  de  la  liberté  un 


680  ANNALES   CATHOMQIEF 

événement  aussi  déplorable  par  ses  conséquences,  et  qui  sur- 
vient si  rafil  à  propos  dans  une  Europe  où  tant  de  forces  réac- 
tionnaires menacent  déjà  la  démocratie  et  le  progrès. 

Si  le  Temps  a  pensé  à  la  France  en  écrivant  ces  condoléances, 
il  fant  s'en  réjouir  et  espérer  le  salut  contre  toute  espérance. 


LES  SOCIETES  DE  SECOURS  MUTUELS 

Les  sociétés  de  secours  mutuels  viennent  de  tenir  un  congrès 
à  Marseille.  Les  questions  qui  ont  occupé  un  congrès  étant  à 
l'or  ira  du  jour  un  peu  partout,  nous  ci'oyons  devoir  eu  donner 
ici  un  couit  compte-rendu  : 

La  première  question  qui  soit  venue  en  discussion  a  été  celle- 
ci  :  le  projet  d'e  loi  su'r  la  caisse  nationale  des  retraites,  voté 
par  la  Chambre'  des  députés,  amendé  par  le  Sénat,  où  il  va 
subir  proch'ainement  une  seconde  lecture,  donne-t-il  satisfac- 
tion aux  desiderata  des  sociétés  de  secours  mutuels:'  La  com- 
mission qui  a  étudié  ce  sujet  a  répondu  négativement  et  le  con- 
grès a  fiiit  de  même.  Ce  que  l'on  reproche  à  ce  projet  de  loi, 
tel  que  l'a  modifié  le'  Sénat,  c'e>t  d'avoir  non-seulement  réduit, 
mais  rendu  variable  la  rémunération  que  payera  la  caisse  des 
retraites  aux  capitaux  qni  lui  seront  confiés;  c'est,  ensuite, 
d'avoir  supprimé  la  subvention,  égale  à  l'intérêt  de  dix  millions 
de  francs,  que  la  Chambre  des  députés  avait  maintenue. 

Les  arguments  que  l'on  a  fait  valoir  pour  la  fixité  des  taux 
de  l'intérêt  et  dé  la  capitalisation  n'infirment  en  rien  ceux  qu'a 
donnés  M,  Léon  Say  au  Sénat  pour  la  faire  supprimer;  ils  n'en 
sont  pas  tnoinâ  très  forts  au  point  de  vue  des  sociétés  de  secours 
mutuels.  Avec  la  variabilité,  a  dit  M.  Vermond,  de  Rouen,  les 
sociétés  seront  dans  l'impossibilité  de  faire  leurs  calculs  pour 
fixer  la  pension  qu'elles  promettent  à  leurs  membres.  On  pour- 
rait ne  rien  déterminer  comme  chiff"re,  mais  ce  serait  une  cause 
de  grande  faiblesse;  étant  donné  le  milieu  dans  lequel  se  recru- 
tent les  sociétés  de  secours  mutuels,  l'indication  du  montant  de 
la  pension  est  indispensable. 

Donc,  a  affirmé  le  congrès,  les  taux  de  l'intérêt  et  de  la  capi- 
talisation doivent  être  fixés;  mais  quels  doivent  être  ces  taux? 
Le  plus  élevés  possible  :  4  1/2  0/0  pour  l'intérêt  et  5  0/0  pour 


LKS    SOCIÉTÉS    DE    SECOURS    MUTUELS  681 

la  capitalisation  des  pensions  alimentaires,  c'est-à-dire  de 
360  francs  au  maximum;  au-delà  de  4  1/2  0/0  dans  les  deux 
cas.  La  diflerence  entre  les  taux  probables,  lors  de  la  mise  en 
vigueur  de  la  loi,  et  les  taux  légaux  actuels  fera  que,  pour 
100  francs  de  rente,  il  faudra  avoir  versé  2,222  francs  au  lieu 
de  1,096  francs,  soit  226  francs  de  plus.  Tous  les  mémoires 
envoyés  par  les  sociétés  condamnent  énergiquement  le  projet 
de  loi  et  affirment  qu'il  ne  tient  pas  compte  ainsi  qu'il  le  devrait 
des  efforts  accomplis  par  les  sociétés  pour  développer  la  pré- 
voyance par  la  mutualité  ! 

C'est  le  même  reproche  que  l'on  formule  à  propos  de  la  sup- 
pression de  la  subvention  aux  caisses  de  retraites  des  sociétés. 
Il  fiut,  a  dit  M.  Vermond,  encourager  les  gens  à  faire  eux- 
mêmes  leur  situation,  et  il  a  cité  un  mot  de  M.  Tirard,  alors 
ministre  :  «  Il  faut  aider  ceux  qui  s'aident  eux-mêmes.  » 

On  a  bien  dit  que  les  raisons  qui  avaient  décidé  le  Sénat 
étaient  d'ordre  budgétaire,  que  c'était  la  nécessité,  qui  s'impose 
à  l'heure  actuelle,  de  faire  des  économies;  mais  cet  argument 
n'a  pas  paru  arrêter  un  seul  instant  un  seul  des  membres  du 
congrès.  L'un  deux  a  même  affirmé  que  la  subvention  était  un 
droit  ba?é  sur  les  économies  que  les  sociétés  de  secours  mutuels 
font  réaliser  à  l'Assistance  publique.  Un  autre  a  mis  en  balance 
la  pension  alimentaire  de  360  francs,  à  réaliser  par  le  concours 
de  l'État,  avec  la  dépense  d'un  vieillard  dans  un  hospice, 
laquelle  est  d'environ  600  francs  par  an. 

Les  avantages  de  la  subvention  sont  si  évidents  que  des 
orateurs  ont  été  amenés  à  réclamer  qu'elle  fût  élevée  au  revenu 
annuel  de  20  millions  ;  mais  le  congrès,  par  93  voix  contre  84, 
a  refusé  de  s'engager  sur  cette  pente  ei  s'est  borné  à  réclamer 
le  maintien  des  10  millions  de  capital. 

Le  congrès  s'est  séparé,  après  avoir  sabr^la  fin  de  son  ordre 
du  jour.  La  grosse  question  du  choix  à  faire  entre  la  caisse  de 
l'Etat  et  l'industrie  privée  a  d'ailleurs  été  escamotée,  par  suite 
du  désir  de  l'assemblée  de  mettre  un  terme  à  des  conflits  per- 
sonnels. C'est  dommage,  car  c'est  l'une  des  questions  théoriques 
et  pratiques  les  plus  importantes  du  problème  de  la  mutualité. 
Oa  n'a  pu,  cependant,  se  dispenser  d'y  toucher  à  diverses 
reprises,  à  propos  notamment  de  la  question  de  savoir  si  l'on 
pourrait  améliorer  et  étendre  les  services  des  sociétés  de 
secours  mutuels  en  augmentant  les  cotisations.  La  réponse  ne 
pouvait  pas  être  douteuse,  car  ce  n'est  pas  du  luxe,  tant  en 


682  ANiN'ALES    CATHOLIQUES 

secours  qu'en  soins  médicaux  et  pharmaceutiques,  que  l'on 
assure  aux  mutualistes  français,  moyennant  leur  contribution 
de  1  fr.  50  ou  de  2  francs  par  mois.  Au  nombre  des  services 
nouveaux  indiqués  a  figuré  l'assurance  eu  cas  de  décès. 

Un  des  devoirs  du  chef  de  tamiile,  quelle  que  soit  sa  condi- 
tion, est  de  se  préoccuper  de  la  situation  des  siens,  au  cas  oii  il 
viendrait  à  disparaîire,  et  de  prendi"^  ses  précautions  pour  ne 
pas  laisser  le  dénuement  après  lui.  Il  a  été  constaté  que  80  pour 
cent  des  familles  indigentes  de  Paris  ont  été  plongées  dans  cette 
situation  par  le  décès  du  père.  Le  mémoire  des  Amis  de  la  mu- 
tualité, dont  j'ai  parlé  dans  ma  première  lettre,  démontre  que 
les  rentes  purement  viagères  sont  une  immoralité,  qu'elles 
entravent  la  constitution  des  petits  patrimoines  et  amènent  la 
destruction  de  ceux  qui  existent,  par  le  placement  à  fonds 
perdus;  l'assurance  mixte  pour  la  vieillesse  et  en  cas  de  décès 
provoque,  au  contraire,  la  constitution  des  petits  patri- 
moines. L'expérience,  d'ailleurs,  prouve  que  c'est  le  système 
préféré.  Le  père  de  famille  qui  s'assure  se  préoccupe  autant  du 
sort  de  sa  femme  et  de  ses  enfants  que  du  sien  propre.  Il  ne 
peut,  d'autre  part,  accepter  que  l'argent  versé  par  lui  soit  perdu 
en  cas  de  mort  anticipée.  Seulement^  la  caisse  des  retraites 
refuse  cette  combinaison  aux  sociétés  de  secours  mutuels;  et 
cela  a  amené  le  congrès,  bien  qu'il  fût  ëialiste  acharné,  à 
recommander  le  recours  aux  compagnies  privées  pour  l'assu- 
rance en  cas  de  décès. 

A  propos  de  cette  question  et  à  propos  de  la  demande  d'ins- 
titution —  par  l'Etat,  toujours  —  d'une  caisse  spéciale  des 
retraites  à  l'usage  des  sociétés  de  secours  mutuels,  —  caisse, 
bien  entendu,  pourvue  d'un  taux  plus  avantageux  que  la 
caisse  de  tout  le  monde,  quelques  protestations  libertaires  se 
sont  fait  entendre.  Le  docteur  Millioud  a  déclaré  que  l'on 
devait  s'affranchir  de  la  tutelle  de  l'État;  M.  Berna  a  demandé 
pourquoi  les  compagnies  françaises  ne  pourraient  pas  réussir  les 
opérations  d'assurance  qu'opère  avec  tant  de  succès  la  Compa- 
gnie la  Prudential,  d'Angleterre.  Un  autre  orateur  est  allé 
jusqu'à  accuser  l'État  de  dilapider  les  fonds  qu'il  oblige  la  pré- 
voyance mutuelle  de  lui  confier,  et  il  a  cité  la  caisse  des  inva- 
lides de  la  marine,  que  l'État  veut  bien  rendre  aux  intéressés, 
mais  vide  des  millions  qu'elle  doit  contenir.  Un  autre  encore  a 
ajouté  que  l'État  ne  se  souciait  que  fort  peu  de  voir  augmenter 
le  taux  des  versements,  parce  que  cela  pourrait  amener  les  in- 


LES    SOCIÉTÉS   DE    SECOURS   MUTUELS  683 

téressês  à  réclamer  un  droit  de  contrôle  qu'il  ne  voudrait  pas 
admettre,  parce  qu'il  est  l'Etat. 

A  serrer  la  question  de  prés,  on  s'aperçoit  que  ces  discussions 
fort  intéressantes  en  théorie,  n'ont  pas  un  autre  caractère.  En 
effet,  la  moyenne  des  pensions  auxquelles  sont  arrivées  les 
sociétés  de  secours  mutuels  est  de  70  francs  annuels,  soit  environ 
18  centimes,  par  jour  et  par  pensionnaire.  Et  c'est  la  moyenne, 
ce  qui  signifie  qu'il  y  a  des  pensions  inférieures,  s'il  y  en  a 
de  supérieures.  Des  compagnies  d'assurance  privées  remonte- 
raient-elles beaucoup  létaux  de  ces  pensions?  Ce  n'est  pas  pro- 
bable. Il  est  vrai  qu'avec  les  taux  nouveaux,  la  moyenne  quoti- 
dienne des  retraites  va  descendre  à  dix  centimes.  La  perspective 
d'avoir  deux  sous  par  jour  pour  se  nourrir,  se  loger,  s'habiller 
et  acheter  le  tabac  si  cher  aux  vieillards  n'est  pas,  il  faut  en 
convenir,  bien  faite  pour  encourager  la  prévoyance  par  l'inter- 
médiaire des  sociétés  de  secours  mutuels. 

Le  congrès  s'est  prononcé  en  faveur  du  maintien  des  deux 
catégories  de  sociétés  déjà  reconnues  par  la  loi  :  les  autorisées 
et  les  approuvées,  mais  en  demandant  que  les  droits  des  pre- 
mières fussent  considérablement  étendus,  qu'elles  puissent, 
notamment,  comme  les  autres,  recevoir  des  dons  et  legs  et 
placer  leurs  fonds  de  retraite  à  la  caisse  de  l'Etat.  La  distinction 
ne  porterait  plus  que  sur  le  droit  de  participer  aux  subventions. 
Cet  argument  j;>'o  domo  m'a  paru  étrange  dans  une  assemblée 
oii  tout  le  monde  avait  à  la  bouche  le  mot  de  fraternité.  Et 
pourquoi?  Pour  quatre  ou  cinq  cent  mille  francs  à  répartir 
entre  sept  mille  sociétés  et  deux  millions  de  membres!  Ajou- 
tons que  ces  subventions  sont  précaires  et  qu'en  cas  de  dissolu- 
tion de  la  société,  l'Etat  exerce  une  répétition  sur  tout  ce  qu'il 
a  versé,  sans  se  demander  si  une  partie  n'a  point  été  employée, 
c'est-à-dire  dépensée. 

En  terminant,  je  relèverai  les  principaux  vœux  formulés.  On 
a  demandé  que  les  sociétés  ne  soient  plus  confinées  sur  le  terri- 
toire d'une  commune,  et  qu'elles  puissent  s'étendre  sur  toute  la 
France;  ou,  encoi^e,  qu'elles  puissent  s'unir,  se  fédérer  entre 
elles,  comme  le  font  les  friendly  societies  d'Angleterre. 


684  ÂimALES  CATHOLIQUES 


LE  BUT  SUPREME  DE  LA  FRANG-MAÇONNERIE 

Le  prêtre  chassé  du  logis  des  pauvres  qu'on  lui  interdit 
d'assister  au  nom  de  la  philantropie,  le  confesseur  éloigné  du 
chevet  des  malades  et  des  moribonds  sous  prétexte  de  liberté, 
le  curé  enfermé  dans  son  église  jusqu'au  jour  oii  on  viendra 
brutalement  lui  en  disputer  la  possession,  le  peuple  éloigné  de 
ces  mêmes  églises  à  force  d'amusements,  d'intrigues  et  de 
calomnies,  la  tâche  de  la  Franc-Maçonnerie  n'est  pas  achevée. 
Elle  veut  extirper  du  sein  des  masses  chrétiennes  jusqu'à  la 
racine  même  de  la  religion,  et,  pour  en  venir  à  bout,  elle  ne 
craint  pas  de  révolutionner  et  de  bouleverser  tout  l'ordre  social. 

En  octobre  1885,  les  francs-maçons  les  plus  avancés  (32°  et 
33*  degrés)  ont  été  convoqués  à  Paris  pour  recevoir  la  commu- 
nication suivante  du  pouvoir  dirigeant  delà  Franc-Maçonnerie, 
rite  écossais. 

«  L'ordre  réclame  la  mise  en  pratique  immédiate  du  Dr. 
M.'.  I.'.  quand  même.  » 

Tous  les  assistants  ont  prêté  serment  d'obéissance. 

Les  lettres  D  M  I  sont  les  initiales  des  mots  :  Destruction, 
Matérialisation,  Imposition, 

Les  trois  points  .'.  qui  accompagnent  chacune  d'elles  ont  la 
signification  précise  suivante  : 

DESTRUCTION  :  du  sumaturalisme ;  —  de  l'autoritarisme;  — 
de  l'anti-maçonnisme; 

MATÉRIALISATION  :  dc  la  conscicHce ;  —  de  l'enseignement; 
—  de  Vétat; 

IMPOSITION  :  à  la  famille;  —  à  la  nation;  —  à  l'humanité. 

En  conséquence,  l'ordre  de  mise  en  pratique  du  D.'.  M.'.  /.•. 
quand  même,  veut  dire  : 

«  Par  tous  les  moyens,  quels  qu'ils  soient,  il  faut  imposer 
pratiquement  à  la  Famille  d'abord,  et  à  la  Nation  ensuite, 
pour  parvenir  à  l'imposer  à  V Humanité  :  la  Destruction  du 
Su7-nat'uralis7ne,  c'est-à-dire  de  toute  religion,  de  VAutorita- 
risme,  c'est-à-dire  de  toute  autorité,  et  de  V Anti-maçonnisme, 
c'est-à-dire  de  tout  ce  qui  s'oppose  au  triomphe  complet  de  la 
Franc-Maçonnerie,  afin  de  faire  régner  le  Matérialisme  dans 
les  consciences,  dans  l'enseignement  à  tous  les  degrés  et  dans 
l'État. 


LE    BUT    SUPRÊME   DE   LA   FRANC-MAÇONNERIE  685 

N'assistons-nous  point,  depuis  longtemps  déjà,  à  la  réalisa- 
tion de  ce  plan  infernal? 

La  vie  civile  des  peuples  européens  était  jadis  tout  entière 
imprégnée  de  l'idée  cbrétienne,  ,et  ce  n'était  que  justice,  car 
c'était  le  christianisme  qui,  par  l'influence  de  ses  doctrines,  le 
zèle  de  ses  apôtres,  l'héroïsme  de  ses  vierges  et  de  ses  martyrs, 
avait  transformé  le  vieux  monde  païen.  C'était  lui  qui  avait 
civilisé  le  barbare  et  régénéré  le  citoyen  romain  des  siècles  de 
décadence.  C'était  lui  qui  avait  éveillé  en  leur  cœur  «  toutes 
ces  voix  supérieures  de  la  pudeur,  de  l'humanité,  de  l'honneur, 
de  la  conscience,  toutes  ces  pratiques  qui  composent  la  civilisa- 
tion des  âmes,  toutes  ces  forces  secrètes  qui,  d'un  troupeau  de 
brutes,  avaient  fini  par  faire  une  société  d'hommes.  » 

Aussi,  le  Christ  était-il  vénéré  par  tout  le  monde  comme  le 
Maître  et  le  Seigneur. 

Avant  de  monter  sur  leur  trône,  les  rois  et  les  empereurs 
venaient  humblement  courber  le  front  devant  ses  pontifes;  les 
juges  rendaient  la  justice  en  son  nom,  et  c'est  en  l'invoquant 
que  les  guerriers  marchaient  à  la  mort  ou  à  la  victoire.  Dans 
les  campagnes,  l'église  paroissiale  était  le  vrai  centre  de  la  vie 
sociale,  et  dans  les  villes,  oii  cette  vie  est  plus  intense,  l'in- 
fluence des  idées  chrétiennes  était  aussi  plus  apparente.  C'était 
autour  d'une  chapelle  que  se  réunissaient  les  anciennes  corpo- 
rations, c'était  sous  la  bannière  du  Saint  protecteur  que  se 
rassemblaient  leurs  membres.  C'était  enfin  sous  les  auspices 
d'un  Saint  que  les  habitants  de  chaque  quartier  groupaient 
leurs  maisons  et  alignaient  leurs  rues.  Sur  les  places,  dans  les 
carrefours,  les  croix  monumentales  étendaient  alors  leur  ombre 
■protectrice  sur  les  petits  enfants  qui  aimaient  à  venir  se  reposer 
à  leur  pied. 

C'est  à  la  destruction  de  cet  élément  social  chrétien,  bien 
plus  qu'à  la  réforme  des  abus  de  l'ancien  régime,  que  la  Franc- 
Maçonnerie  a  travaillé  avec  tant  de  succès  en  93.  Depuis,  les 
abus  ont  presque  tous  reparu  sous  d'autres  noms,  mais  le  chris- 
tianisme n'a  pas  recouvréVians  la  vie  sociale  la  place  qui  lui 
était  due.  Il  ne  reste,  pour  ainsi  dire,  parmi  nous  que  des  ves- 
tiges de  son  ancienne  puissance.  Ce  sont  ces  vestiges  que  la 
secte  s'applique  aujourd'hui  à  faire  disparaître  de  nos  mœurs. 

On  change  le  vocable  des  rues;  au  nom  des  saints  on  substitue 
celui  de  personnages  incroyants  ou  sceptiques,  parfois  d'une 
immoralité  notoire.  Au  souvenir^des  saints,  c'est-à-dire  à  celui 


686  ANNALES    CATHOLIQUES 

des  véritables  héros  populaires,  de  ces  hommes  dont  chaque 
acte  était,  pour  les  pauvres,  un  exemple  d'abnégation,  un 
modèle  de  vertu,  un  encouragement  au  bien,  on  substitue  la 
mémoire  de  guerriers,  d'écrivains,  d'artistes,  de  gens  dont  le 
moindre  tort  est  de  n'avoir  aucun  rapport  avec  les  conditions 
ordinaires  de  la  vie  du  peuple,  et  de  ne  pouvoir  lui  offrir  aucun 
modèle  ni  aucun  enseignement. 

On  s'acharne  contre  les  croix;  on  les  mutile,  on  les  renverse, 
on  outrage  leurs  débris.  On  les  chasse  des  places  publiques  et 
même  des  cimetières.  Tant  pis  pour  les  infortunés  qui  venaient 
puiser,  dans  la  contemplation  de  ce  vénéré  symbole  d'espérance 
et  de  vie  future,  la  force  de  vivre  et  d'espérer  encore,  malgré 
la  misère  noire,  la  solitude  et  l'abandon!  Qu'mportent  à  la 
Franc-Maçonnerie  leurs  larmes  et  leur  désespoir! 

C'est  principalement  dans  les  écoles  qu'il  faut  suivre  l'œuvre 
de  destruction  de  l'idée  chrétienne  tentée  par  la  secte.  D'abord, 
là  comme  ailleurs,  au  nom  de  la  liberté,  on  a  commencé  par 
chasser  le  prêtre,  le  religieux,  la  religieuse,  puis  on  a  proscrit 
l'enseignement  religieux  lui-même,  ainsi  que  toute  formule  de 
prières.  Dans  les  campagnes,  où  les  écoles  de  hameau  sont 
souvent  très  loin  des  églises,  oii  les  parents  peu  instruits  ne 
peuvent  suppléer  aux  leçons  absentes,  c'est  fatalement  con- 
damner les  enfants  à  l'ignorance  et  à  l'irréligion.  Dans  les 
villes,  ces  mesures  négatives,  si  désastreuses  qu'elles  soient 
pour  l'âme  des  enfants,  ont  paru  insuffisantes.  On  y  a  joint 
toutes  sortes  de  tracasseries  et  de  mesures  prohibitoires.  Ici^ 
par  exemple,  aux  exercices  scolaires  réguliers  on  en  a  ajouté 
d'autres,  à  l'heure  même  où  les  enfants  devraient  remplir  leurs 
devoirs  religieux.  On  a  fixé  au  dimanche  matin  les  exercices 
militaires,  les  revues,  les  promenades,  et  on  les  termine  assez 
tard  pour  que  ces  malheureux  ne  puissent  assister  à  la  messe. 

Cependant,  dans  les  classes,  le  buste  de  la  République  trône 
à  la  place  de  la  croix;  le  chant  de  la  iVIarseillaise  a  remplacé 
sur  les  lèvres  des  petits  garçons,  même  sur  celles  des  petites 
filles,  les  pieux  cantiques  d'autrefois.  Des  images  ineptes  ou 
d'un  goût  douteux  ont  été  substituées  à  celles  de  la  Vierge  et 
des  Saints.  Non  seulement  tout  livre  de  piété  a  été  banni  des 
bibliothèques  scolaires,  mais  on  a  été  jusqu'à  proscrire  tous 
ceux  qui  renfermaient  une  allusion  aux  choses  religieuses.  Les 
grammairiens  et  les  pédagogues  ont  dû  refaire  leurs  manuels 
dans  le  sens   ces  idées  maçonniques,   et,  dernier  outrage  au 


LE    BUT    SUPRÊME    DE    LA    FRANC-MAÇONNERIE  687 

génie  des  écrivains  qui  ont,  aux  siècles  passés,  illustré  notre 
langue,  on  n'a  pas  craint  de  mutiler  leurs  immortels  chefs- 
d'œuvre,  pour  en  effacer  le  nom  auguste  de  Dieu. 

Jusqu'à  présent,  certains  manuels  civiques  se  contentent  de 
prêcher  une  morale  athée  et  dépourvue  de  sanction  dans  la  vie 
future,  mais  un  jour  viendra  certainement  oii  l'on  enseignera 
ouvertement  dans  nos  écoles  l'irréligion  et  l'athéisme  :  M.  Go- 
blet  l'a  bien  fait  entendre  dans  la  dernière  discussion  relative  à 
la  loi  sur  l'enseignement  priaiaire.  Là  où  la  Franc-Maçonnerie 
se  trouve  maîtresse  d'agir  à  sa  guise,  elle  l'a  déjà  entrepris. 
C'est  ainsi  qu'à  Genève,  par  exemple,  elle  a  introduit  dans  le 
programme  du  cours  supérieur  des  écoles  de  filles  un  Cours 
d'histoire  des  Religions  dans  lequel  toutes  les  religions  sont 
présentées  comme  le  fruit  du  développement  du  «  sentiment 
religieux  et  de  ses  manifestations  dans  l'humanité.  »  Tous  les 
cultes,  depuis  le  Brahmanisme  et  le  Bouddhisme  jusqu'au 
«  Christianisme  et  ses  principales  branches,  »  y  sont  mis  sur 
le  même  pied.  Le  vide  qui  se  fait  chez  nous  autour  des  écoles 
sans  Dieu  fait  encore  hésiter  la  secte,  mais,  nous  pouvons  en 
être  certains,  si  rien  ne  met  obstacle  à  l'exécution  des  projets 
arrêtés  au  fond  des  Loges,  le  cours  d'histoire  des  religions, 
confiné  jusqu'ici  dans  les  régions  de  l'enseignement  supérieur, 
figurera  avant  peu  dans  le  programme  de  nos  Lycées  de  filles. 

Que  seront,  se  demande,  en  terminant  ces  observations, 
l'excellente  Semaine  de  Cambrai,  que  seront  ces  générations 
sans  religion  et  sans  croyance  au  surnaturel,  dans  lesquelles  on 
aura  tué  tout  espoir  ou  toute  crainte  d'une  vie  future? 

Avec  quelle  âpre  ardeur,  avec  quelle  fureur  aveugle  ces  âmes 
dans  lesquelles  on  aura  fait  le  vide,  se  précipiteront-elles  à  la 
conquête  de  la  fortune  et  à  la  recherche  du  plaisir,  désormais 
leur  seule  loi,  le  seul  but  de  leur  existence! 

Quels  effroyables  malheurs  ne  déchaînera  pas  sur  nos  sociétés 
modernes  l'invasion  de  pareils  monstres,  sans  conscience,  sans 
respect  de  la  propriété,  ni  des  personnes,  ni  de  l'honneur? 

Nombre  de  Francs-Maçons,  de  ceux-là  même  qui  ont  le  plus 
contribué  à  cette  œuvre  de  perversion,  commencent  à  s'en 
effrayer 

«  Tous  ceux  des  écrivains  qui  ont  embrassé  de  haut  les  péri- 
péties du  duel  entre  l'esprit  moderne  et  l'orthodoxie  romaine, 
MM.  Renan,  Renouvier,  de  Laveley,  Castelar,  Mariano,  avoue 
M.  Goblet  d'Alviella,  ont  fait  ressortir  les  inconvénients,  voire 

50 


688  ANNALES    CATHOLIQUES 

les  périls  qui  accoinpagnent  en  matière  de  religion,  toute  tenta- 
tive de  détruire  sans  remplacer.  » 

«  De  toute  part,  écrit  de  son  côté  Findel,  les  nuoges  s'accu- 
mulent, do  tous  côtés  se  manifestent  les  signes  précurseurs  de 
l'orage.  La  plus  dure  épreuve  pour  une  société  est  l'écroule- 
ment des  idées  religieuses,  et,  d'après  l'histoire  de  Rome  et  de 
la  Grèce,  nous  pouvons  mesurer  la  grandeur  du  danger.  » 

Ce  n'est  donc  pas  en  aveugle  que  la  Franc-Maconnerie  con- 
duit vers  les  abîmes  les  nations  et  les  peuples.  Mais  il  3'  a  dans 
ceux  qui  la  dirigent  tout  l'emportement,  toule  la  folie  furieuse 
et  impitoyable  des  sectaires.  Que  leur  importe  que  les  âmes  se 
perdent,  que  les  nations  se  dissolvent,  que  les  sociétés  avilies 
croulent  dans  la  boue  et  dans  le  sang,  pourvu  que  la  secte 
triomphe.  Là-dessus,  Belges,  Espagnols,  Allemands,  Français, 
tous  sont  d'accord;  tous  déclarent  que,  dût  notre  vieux  monde 
se  couvrir  de  ruines,  rien  ne  saurait  les  empêcher  de  travailler 
à  l'application  de  leurs  doctrines  athées  et  à  la  réalisation  de 
leur  idéal  satanique. 

Pour  nous,  souvenons-nous  de  la  terreur  que  les  progrés  de 
la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus  ont  toujours  inspirée  à  la 
secte  niaçonnique  ;  et,  pendant  la  fin  de  ce  mois  de  juin,  redou- 
blons nos  hommages  et  nos  supplications  à  co  Cœur  adorable, 
refuge  et  salut  de  la  société  chrétienne  contre  la  Révolution. 


MGR  DE  SEGUR  ET  L'EUCHARISTIE  (1). 

Le  13  juin  1853,  un  suppliant^était  agenouillé  aux  pieds  d.u 
saint  pape  Pie  IX.  Il  était  sous  le  coup,  je  n'ose  pas  dire  d'une 
profonde  tristesse,  mais  certainement  d'une  grau.de  épreuve, 
et  il  demandait  une  consolation  au  cœur  si  bon  du  Souveiain- 
Pontife,  dont  il  connaissait  déjà  d'ailleurs  la  paternelle  ten- 
dresse à  son  égard.  Le  Pape  hésita  un  instant;  il  allait  répondre 
par  un  refus,  quand,  vaincu  par  l'expression  douloureuse  em- 
preinte sur  le  visage  du  solliciteur,  il  lui  dit,  en  lui  prenant  la 

(1)  Extraits  d'un  travail  présenté  au  congrès  eucharistique  de 
Fribourg,  en  1885,  par  le  R.  P.  Henri,  dominicain,  disciple  de 
Mgr  de  Ségur.  On  sait  que  Mgr  de  Ségur  est  le  fondateur  des  Con- 
grès eucharistiques. 


MQPv   DE    SÉOUIl   ET    l'eUCHARISTIE  689 

tête  entre  ses  deux  mains  :  «  A  un  autre,  je  dirais  :  non;  raais 
à  vous,  jo  dis  ;  oui,  parce  que  je  vous  aime!  »  Ce  solliciteur, 
quel  était-il  donc?  Quelle  était  son  épreuve?  et  que  demaudait- 
il  au  vicaire  de  Jésus-Christ? 

C'était  un  jeune  prélat  français,  de  noble  race,  ami  des 
pauvres  et  des  petits.  Déjà  {gravement  atteint  dans  sa  vue,  il 
était  menacé  de  cécité  complète  à  courte  échéance;  il  implorait 
la  faveur  de  conserver,  dans  sa  chapelle  piivée,  le  'Jrés  Saint- 
Sacrement.  Son  nom,  il  est  à  peine  nécessaire  de  le  d.'re,  c'était 
Louis-Gaston  de  Ségur. 

Il  mérite  une  place  d'honneur  parmi  ces  «  hommes  qui,  dans 
notre  siècle  surtout,  se  sont  rendus  célèbres  par  leur  dévotion 
envers  la  sainte  Eucharistie,  »  et  dont  le  programme  de  vos 
travaux  nous  invitait  à  dire  les  œuvres  et  l'influence. 

Quand  il  disait,  en  parlant  de  sa  maison  :  «  Le  vrai  Maître 
ici,  c'est  le  Très  Saint-Sacrement,  »  il  livrait  le  secret  de  sa 
vie.  Mais,  que  dis-je,  le  secret?  Ce  n'était  un  secret  pour  per- 
sonne; quiconque  l'approchait  un  instant,  ne  pouvait  pas  ne 
pas  respirer  le  parfum  du  tabernacle.  L'un  de  ses  collaborateurs 
des  premiers  jours  disait  de  lui  :  «  On  eut  dit  que  ses  lèvres 
distillaient  sans  cesse  «  le  sang  eucharistique  du  matin.  » 

Entrons  dans  cette  chapelle,  véritable  salle  du  Irône  ou  le 
Roi  Jésus  donnait  ses  audiences,  oii  son  Cœur  a  distribué  des 
grâces  si  nombreuses;  jetons  un  regard  sur  ce  U^ône  que  l'amour 
du  saint  prêtre  avait  élevé  à  son  Dieu. 

L'heure  est  matinale,  et  déjà  nous  trouvons  le  courtisan 
fidèle  à  la  porte  de  son  Maître,  de  son  ami,  de  son  Dieu.  Et 
encore,  n'est-ce  pas  sa  première  visite!  Pendant  les  heures  de 
la  nuit,  au  souvenir  d'un  horrible  sacrilège  dont  il  reçut  la 
triste  confidence  et  dont  il  se  fit,  pendant  plus  de  quinze  années, 
le  réparateur,  il  a  quitté  sa  dure  couchette,  et  vous  l'eussiez  vu, 
revêtu  de  la  coule  blanche  du  Trappiste,  traverser,  guidé  par 
son  cœur  et  attiré  par  son  amour,  la  distance  qui  séparait  sa 
chambre  à  coucher  de  la  chapelle,  et  venir  dire  à  son  Dieu  : 
Paie)',  dimitie  illis  :  non  enim  sciunl  quid  faciunt  (Luc,  xxiu)  ! 
Cette  adoration  réparatrice  se  prolongeait  ordinairement  pen- 
dant deux  heures,  le  plus  souvent  de  trois  heures  à  cinq  heures 
du  matin.  Pour  ne  livrer  à  personne  le  secret  de  ses  veilles, 
à  cinq  heures  moins  cinq  minutes,  il  revenait,  transi  de  froid, 
à  son  pauvre  lit,  ne  se  doutant  pas  d'ailleurs  qu'on  l'avait  pieu- 
sement épié,  et  que  le  simple  déplacement  de  sa  chaussure  le 


690  ANNALES    CATHOLIQUES 

trahissait  aux  regards  vigilants  de  son  fidèle  domestique.  Seuls, 
les  anges  du  tabernacle  savent  le  nombre  précis  des  heures 
qu'il  passa  ainsi  en  leur  compagnie,  les  provoquant  à  aimer 
plus  que  lui  le  Dieu  qu'ils  contemplent  dans  le  ciel. 

Mais,  le  matin  est  venu  et,  de  nouveau,  il  est  là.  Trois 
lampes,  de  grande  valeur,  éclairent  la  chapelle,  symbole  de 
sa  foi,  de  sa  prière,  de  son  amour;  mais  la  vraie  lampe,  qui 
éclaire  et  qui  réchaufie  :  lucerna  ardens  et  lucens  (Joan.,  v,  35), 
c'est  lui.  Voyez-le,  revêtu  de  son  surplis,  autant  par  respect 
pour  Notre-Seigneur,  qu'afin  d'être  sans  retard  à  la  disposition 
de  ceux  qui  vont  venir  lui  demander  la  grâce  de  l'absolution, 
à  genoux,  les  mains  jointes,  les  yeux  ouverts,  fixés  sur  le 
tabernacle,  comme  pour  en  contempler  le  divin  Prisonnier, 
il  se  prépare,  immobile^  à  la  célébration  de  la  sainte  messe. 
Oh!  la  messe  de  Mgr  de  Ségur!  Quel  édifiant  spectacle,  quels 
moments  délicieux!  Quelle  prédication!  Quelle  prière!  Sans 
doute,  son  infirmité  lui  imposait  une  mesure  de  mouvements 
qui  lui  faisait  dépasser  la  limite  ordinaire  du  temps  du  saint 
Sacrifice  ;  mais  nul  ne  songeait  à  s'en  plaindre  :  la  gravité  de  sa 
parole,  le  ton  pénétré  de  sa  voix,  la  majesté  de  sa  personne,  tout, 
en  lui,  montrait  son  union  intime  avec  Notre-Seigneur,  dans  ce 
moment  où  il  agissait,  plus  que  jamais,  en  son  nom.  C'était 
d'ailleurs,  une  des  industries  de  sa  piété,  dans  la  préparation 
à  la  messe,  de  s'unir  à  Notre-Seigneur,  à  ses  intentions,  à  ses 
désirs,  à  son  amour  pour  son  Père;  et  je  me  rappelle  —  per- 
mettez-moi ce  souvenir  —  que,  quand  je  vins  pour  la  première 
fois  célébrer  la  sainte  messe  dans  sa  chapelle,  il  me  dit  en  me 
bénissant  et  en  m'embrassant  :  «  Tu  vas  dire  la  sainte  messe, 
mon  enfant:  dis-la  bien  avec  Notre-Seigneur,  c'est  le  moyen 
de  la  bien  dire.  » 

Les  convenances  extérieures  du  saint  Sacrifice  le  préoccu- 
paient également  :  la  cire  la  plus  pure,  des  meubles  d'un  goût 
parfait,  des  ornements  d'or,  de  soie  ou  de  velours,  préparés, 
ainsi  que  les  pains  du  sacrifice,  par  les  mains  des  épouses  de 
Notre-Seigneur,  des  vases  sacrés  de  grand  prix,  des  calices 
qu'il  avait  obtenu  de  faire  consacrer  par  Pie  IX  lui-même... 
C'était  sa  joie  de  mettre  toutes  ses  richesses  au  service  de  Celui 
qui  daignait  résider  dans  le  tabernacle. 

Le  tabernacle!  Sur  la  porte  dorée,  on  lisait  ces  mots,  en 
émail  d'azur  :  Hic  adest!  Il  est  là!  Au-dessous,  sur  le  seuil  : 
Vita!  cœlum!  amor !  La  vie,  le  ciel,  l'amour!  Et  puis,  au- 


MGR    DE    SKGUR    ET    l'eUCHARISTIE  691 

dessus  de  la  porte  elle-même,  la  parole  du  Pape  lui  accordant 
la  permission  de  conserver  chez  lui  la  sainte  Eucliaristie  :  ad 
consolalionem  î  «  pour  votre  consolation.  » 

Avec  quel  accent  de  reconnaissance  joyeuse  et  respectueuse 
à  la  fois,  il  expliquait  à  ceux  auxquels  il  faisait,  malgré  sa 
cécité,  les  honneurs  de  sa  chapelle,  ce  mot  ad  consolaiionem! 
Avec  quelle  confiance  surtout,  il  allait  chercher  auprès  de  son 
Dieu,  non  seulement  un  dédommagement  à  la  perte  de  ses 
jeux,  «  que  la  bonne  sainte  Vierge  avait  envoyés  l'un  après 
l'autre  en  purgatoire  »,  comme  il  le  disait,  mais  la  vraie  conso- 
lation de  son  âme  dans  les  peines  nombreuses  et  amères  qu'il 
plut  au  Seigneur  de  lui  envoyer. 

Un  jour,  au  mois  de  décembre  18G4,  par  une  permission  de 
Dieu  et  à  la  suite  de  circonstances  suffisamment  connues,  que 
nous  n'avons  pas  à  rappeler  ici,  le  ministère  sacerdotal  de 
Mgr  de  Ségur  se  trouva  brusquement  interrompu;  nulle  épreuve 
ne  pouvait  être  plus  sensible  au  cœur  du  zélé  prélat  :  ses  péni- 
tents! ses  chers  enfants!  Or,  le  soir  de  ce  jour,  Monseigneur  fit 
semblant  de  se  coucher  :  mais  un  moment  après,  quand  il  put 
supposer  que  les  serviteurs  étaient  eux-mêmes  allés  prendre 
leur  repos,  il  revint  devant  le  Très  Saint-Sacrement  et  y  passa 
toute  la  nuit  en  prières.  Le  matin  venu,  il  se  laissa  conduire 
dans  sa  chambre,  et,  en  traversant  le  salon,  il  disait  :  «  Comme 
Notre-Seigneur  sait  bien  nous  consoler!  Voyez-vous_,  mon  cher 
Méthol,  ces  petits  chagrins  et  ces  petites  inquiétudes  nous  font 
entrer  dans  le  cœur  même  de  Notre-Seigneur.  N'en  sortons 
jamais!  »  J'avais  envie  de  pleurer,  ajoute  le  fidèle  serviteur, 
et  Monseigneur  remerciait  Dieu  de  la  grâce  qu'il  lui  avait 
faite,  pour  l'attacher  plus  intimement  à  lui. 

Du  reste,  on  l'avait  remarqué,  quand  Mgr  de  Ségur  sortait 
de  la  chapelle,  il  y  avait  toujours  sur  ses  lèvres  un  sourire  et 
sur  tout  son  visage  comme  un  rayonnement  de  bonheur. 

Je  ne  parle  pas  des  statues  et  des  reliques  des  saints,  des 
tableaux,  des  ex-voto,  qui  ornaient  la  chapelle  :  «  Faisons 
pour  le  mieux,  disait  un  jour  Monseigneur  à  son  domestique, 
en  lui  recommandant  le  soin  de  la  chapelle;  si  nous  logeons  bien 
Notre-Seigneur  chez  nous,  il  y  a  des  chances  pour  qu'à  son 
tour  il  nous  loge  bien  chez  lui,  là  haut,  dans  son  paradis.  » 

Oui,  Notre-Seigneur  était  bien  logé  dans  cette  chapelle  ; 
mais  il  était  encore  mieux  dans  le  cœur  du  saint  prêtre,  dans 
ce  cœur  si  jaloux  de  Thonneur  de  son  Dieu,  que,    pendant  do 


692  ANNALES    CATHOLIQUES 

longues  années,  il  ne  monta  jamais  à  l'autel  sans  avoir  reçu  la 
grâce  préparatoire  fie  l'absolution  ;  dans  ce  cœur  si  désireux  de 
s'unir  à  lui  que,  privé  parfois  du  bonheur  do  célébrer,  une 
iaipossibilité  pouvait  seule  le  faire  renoncer  à  recevoir  au  moins 
la  sainte  communion  ;  dans  ce  cœur  enfin  si  heureux  de  posséder 
son  trésor,  que  s'il  trouvait  près  de  lui,  en  ce  moment,  une 
âme  qui  fît  écho  à  la  sienne,  il  ne  savait  s'empêcher  de  dire 
avec  une  profonde  émotion,  en  mettant  la  main  sur  sa  poitrine  : 
«  Que  Noire-Seigneur  est  bon  !  11  est  là!  » 

Une  fois,  une  seule  fois,  paraît-il,  pendant  les  longues 
années  de  sa  cécité,  Mgr  de  Ségur  exprima  un  petit  regret  de- 
là perte  de  sa  vue  ;  voici  en  quelles  circonstances  : 

«  Un  matin,  nous  a  raconté  sou  fidèle  valet  de  chambre,  je 
revenais  de  l'Adoration  nocturne,  et  j'exprimais  à  Monseigneur 
combien  j'avais  été  édifié  par  quelques  ouvriers  alsaciens,  qui, 
ne  sachant  pas  lire  le  laiin  et  ne  pouvant  prendre  part  à  la 
récitation  de  l'office,  étaient  demeurés  à  genoux,  la  nuit  entière» 
devant  le  Très  Saint-Sacrement,  le  chapelet  à  la  main.  «  Si  je 
«  voyais,  me  dit  Monseigneur,  je  vous  accompagnerais  bien 
«  volontiers.  »  Et  aussitôt,  et  comme  regrettant  cette  parole  : 
«  A  quoi  bon  V  ajonta-t-il  ;  est-ce  que  je  ne  puis  pas  y  aller 
«  toute  la  nuit,  si  je  veux,  dans  ma  chapelle?  » 

Or,  nous  savons  s'il  se  privait  de  ce  bonkeur!... 

Voici  la  nomenclature  des  opuscules  de  Mgr  de  Ségur  ayant 
trait  directement  à  la  sainte  Eucharistie,  avec  le  nombre  des 
éditions  qu'ils  ont  eues  et  celui  des  exemplaires  imprimés.  Ces 
chiffres  s'arrêtent  au  1"  mai  1885, 

1858.  Le  Prie-Dieu,  14  éditions  à  1,050,  23,100.  —  1860. 
La  très  sainte  Communion,  120  éditions  à  3,300,  306,000.  — 
1861.  Les  Pâques,  151  éditions  à  3,300,  498,300.  —  1865.  La 
Pre'scnce  réelle,  18  éditions,  à  3,300,  59,400.  —  1866.  Aux  en- 
fants, conseils  pratiques  sur  la  communion,  45  éditions  à 
3,300,  14<,500.  —  1869.  Les  saints  Mystères,  7  éditions  à 
1,650,  11,550.  —  1809.  La  sainte  Messe,  14  éditions  à  3,300, 
46,200.  —  1873.  ia  France  au  pied  du  Sacr(f-Cceur,  34  édi- 
tions à  3,300,  112,200.  —  1874.  La  Lrance  au  j)ied  du  Très 
Saint-Sacrement,  13  éditions  à  3,300,  42,900.  —  1877.  Tous 
les  huit  Jours,  27  éditions  à  3,300,  89,100.  —  1877.  Veniez  tous 
à  moi,  33  éditions  à  3,300,  75,900. 

Total  :  1,503,150. 


I.E    CONGRE-^    DE    TOULOUSE  693 

Il  faillirait  ajouter  à  ce  chiU're  les  traductions  de  la  plupart 
de  ces  ti  ailés  en  presque  toutes  les  langues. 

Monseigneur  de  Sêgur  a  été  et  restera  l'apôtre  de  la  sainte 
Eucharistie  au  dix-neuvième  siècle. 

Quelques  lignes  de  son  testament  diront  l'objet  de  ses  der- 
nières préoccupations  et  les  aspirations  suprêmes  de  son  cœur  : 

«  Je  meurs  comme  j'ai  vécu...  dans  l'amour  du  Très  Saint- 
«  Sacrement  do  l'autel...  Je  désire  être  enseveli...  en  aube  et 
«  en  chasuble  blanche,  en  signe  de  mon  amour  ardent  envers 
«  la  sainte  Eucharistie  et  la  bienheureuse  Vierge. 

«  Mon  cœur  sera  embaumé,  puis  porté  et  déposé  devant  le 
«  Très  Saint-Sacrement,  au  monastère  de  la  Visitation,  où  ma 
«  sœur  Sabine  a  eu  le  bonheur  de  vivre  et  de  mourir,  et  où 
«  repose  déjà  le  cœur  de  ma  mère.  Je  demande  à  nos  bennes  et 
«  chères  Sœurs  de  la  Visitation  que  mou  pauvre  cœur  soit 
«  déposé  au  milieu  d'elles,  pour  y  faire  l'adoration  perpétuelle 
«  devant  le  Très  Saint-Sacrement,  et  participer  à  toutes  les 
«  prières  et  communions  de  la  communauté.  Sur  la  boîte  de 
«  plomb  qui  renfermera  mon  cœur,  on  gravera  ces  mots  : 
«  Jésus,  mon  Dieu,  je  vous  aime  et  je  vous  adore  de  tout  mon 
«  cœur  au  Très   Saint-Sacrement  de  l'autel.  » 


LE  CONGRES  DE  TOULOUSE 

M.  Goblet  a  longtemps  persisté  à  vouloir  interdire  le  Congrès 
eucharistique  de  Toulouse.  S.  Em.  le  cardinal  Desprez  lui  avait 
péremptoirement  prouvé,  dans  la  lettre  publiée  par  nous  le 
IG  juin,  que  sa  prétention  d'assimiler  le  Congrès  projeté  à  ua 
concile  ou  à  un  sj'node  ne  supportait  pas  l'examen.  Mais  la  presse 
radicale  le  sommait  de  ne  pas  céder.  Si  la  démonstration  de 
Mgr  l'archevêque  de  Toulouse  était  topique,  les  injonctions  des 
radicaux  étaient  formelles.  En  de  telles  conditions,  nous  eus- 
sions été  surpris  que  M.  Goblet  hésitât  à  maintenir  une  prohibi- 
tion dont  l'absurdité  et  l'injustice  avaient  été  si  clairement 
établies. 

M.  Goblet  n'a  pas  trompé  notre  attente,  ni  démenti  l'opinion 
que  nous  avions  de  son  caractère,  bien  inutilement  d'ailleurs. 
Voici  la  lettre  nouvelle  qu'il  vient  d'adresser  à  S.  Em.  le  car- 
dinal archevêque  de  Toulouse  : 

Paris,  17  juiu  1886. 
Monsieur  l'archevêque, 

Les  explications  contenues  dans  votre  lettre  du  12  iuin  courant  ne 


694  ANNALES    CATHOLIQUES 

sont  pas  parvenues  à  me  faire  revenir  sur  l'opinion  que  j'avais  eu 
l'honneur  de  vous  faire  connaître  par  ma  lettre  du  9  de  ce  mois, 
touchant  l'illégalité  du  concile  de  Toulouse.  Il  est  vrai  que  le 
congrès  dit  eucharistique,  auquel  s'appliquent  divers  documents  qui 
ont  été  livrés  à  la  publicité,  peut  ressembler  sous  quelques  rapports 
aux  congrès  précédemment  tenus  à  Avignon  et  à  Lille.  Je  ne  puis 
me  dispenser  de  regretter,  pour  ma  part,  que  des  évoques  en  aussi 
grand  nombre  croient  pouvoir  quitter  leur  diocèse  et  se  réunir,  en  vue 
de  manifestations  de  ce  genre,  sans  remplir  les  formalités  prévues  par 
l'article  20  de  la  loi  du  18  germinal  an  X.  Je  reconnais  cependant 
qu'à  cet  égard,  il  s'est  établi,  dans  ces  dernières  années,  une  certaine 
tolérance,  et  si  le  congrès  que  vous  avez  convoqué  à  Toulouse 
n'avait  pas  dû  avoir  un  autre  caractère  que  les  précédents,  je  ne 
serais  pas  intervenu  pour  y  faire  obstacle. 

Mais  il  résulte  de  documents  non  publiés,  et  que  j'ai  sous  les 
yeux,  qu'à  côté  et  au  moyen  de  ce  congrès  dit  eucharistique,  voua 
avez  organisé  une  assemblée  purement  ecclésiastique,  où  les  laïques 
ne  doivent  pas  être  admis  et  à  laquelle  vous-même  avez  donné, 
à  maintes  reprises,  exclusivement  le  nom  de  concile.  Je  lis  en  effet 
dans  l'une  de  ces  pièces  : 

ARCHEVÊCHÉ 
DE        TOULOUSE 

«  Monsieur  le  curé, 

«  Horaire  du  concile  de  Toulouse. 

«  Dimanche  20  juin,  à  huit  heures  du  soir.  —  Chant  du  Yent 
«  Creator;  allocution  par  un  des  évoques  présents  au  concile... 

«  Lundi  21  juin,  à  onze  heures.  —  Réunion  sacerdotale.  Le  pro- 
«  gramme  de  ces  réunions  sera  envoyé  à  tous  les  ecclésiastiques  qui 
«  feront  connaître  leur  intention  d'assister  au  concile... 

«  A  trois  heures  et  demie.  —  Réunion  du  bureau  général  du 
Concile...  » 

Un  autre  document  débute  ainsi  : 

ARCHEVÊCHÉ 
DE        TOULOUSE 

«  Monsieur  le  curé, 

«  Son  Eminence  me  prie  de  vous  faire  connaître  le  canevas  des 
«  divers  sujets  traités  entre  les  cvcqiies  et  le  clergé  lors  du  concile 
«  qui  doit  se  tenir  à  Toulouse  du  20  au  25  juin  de  la  présente  année, 
«  et  vous  prie  avec  instances  de  préparer  les  diverses  objections  qui 
«  vous  sembleront  discutables  à  l'effet  de  montrer  aux  prélats  qui 


LE    CONGRÈS    DE    TOULORSE  C95 

«  le  présideront  que  les  prêtres  de  la  Haute-Garonne  sont  intelli- 
«  gents  et  solides.  Nul  civil  ne  sera  introduit  dans  ces  réunions 
«  privées...  \°  2°  3°  4°  Catéchismes.  Écoles  de  catéchisme  pour  les 
«  enfants  qui  fréquentent  l'école  laïque. 

«  18°  Relations  à  établir  entre  les  associations  de  France  et  œuvres 
«  catholiques...  » 

Il  résulte  de  ces  pièces  adressées  par  vous  au  clergé  que  ces 
assemblées  sacerdotales,  ainsi  que  vous  les  appelez  vous-mêmes, 
doivent  être  secrètes  et  que  le  programme  n'en  sera  communiqué 
qu'aux  seuls  ecclésiastiques  qui  auront  adhéré. 

Vous  ne  pouvez  contester,  monsieur  l'archevêque,  que  de  sem- 
blables réunions  tombent  expressément  sous  le  coup  de  la  dispo- 
sition de  l'article  4  de  la  loi  du  18  germinal  an  X,  qui  interdit  toute 
assemblée  délibérante  ecclésiastique  sans  l'autorisation  préalable  du 
gouvernement. 

Je  ne  puis  donc  que  persister  à  cet  égard  dans  les  observations 
que  je  vous  ai  faites  et  vous  répéter  que,  s'il  était  passé  outre,  ce 
serait  sous  votre  responsabilité. 

La  lettre  que  je  vous  avais  adressée  le  9  juin  et  la  circulaire  con- 
fidentielle aux  évêques  ayant  été  livrées  à  la  publicité,  je  publie 
également  cette  réponse. 

Agréez,  monsieur  l'archevêque,  l'assurance  de  ma  haute  considé- 
ration. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique,  des 
beaux-arts  et  des  cultes, 
René  Goblet. 

La  lecture  de  cette  lettre  nous  a  plongé  dans  un  étonnement 
que  l'on  s'expliquera  lorsque  nous  aurons  dit  que  nous  avons 
nous-même  sous  les  yeux  VHoraire  du  Congrès  de  Toulouse 
et  que  nous  n'y  voyons  pas  ce  mot  de  «  concile  »  dont  M.  le 
ministre  se  prévaut.  Nous  y  lisons  : 

Horaire  du  congres  de  Toulouse. 

Dimanche  20  juin,  à  huit  heures  du  soir.  —  Chant  du  Yeni  Creator; 
allocution  par  un  des  évêques  présents  au  congrès... 

Lundi  21  juin,  à  onze  heures.  —  Réunion  sacerdotale.  Le  pro- 
gramme de  ces  réunions  sera  envoyé  â  tous  les  ecclésiastiques  qui 
feront  connaître  leur  intention  d'assister  au  congrès... 

A  trois  heures  et  demie.  —  Réunion  de  bureau  général  du  congrès. 

Serait-ce  donc  que,  dans  quelques-unes  des  pièces  expédiées 
de  l'archevêché  de  Toulouse,  un  copiste  inattentif  aurait  écrit 
ou  fait  imprimer  le  mot  «  concile  »  au  lieu  du  mot  «  congrès  »? 
Ou  bien  M.   Goblet  serait-il  victime  d'une  mystification?  OU 


6S6  ANNAL!iS    CATHOLIQUES 

bien  serait-ce...?  L'affnire  devient  si...  extraordinaire  que  ton.'? 
les  soupçons  sont  permis. 

Voici,  en  effet,  la  réponse  que  S.  Em.  le  cardinal  Desprez  a 
adressée  à  M.  le  ministre  des  cultes  : 

Toulouse,  le  18  juin  188G. 
Monsieur  le  Ministre, 
L'exemplaire  du  fac-similé  que  vous  avez  bien  voulu  me  commu- 
niquer est  êoidemment  l'œuvre  d'un  faussaire,  qui  a  cherché  à  vous 
rendre  victime  d'une  mystif  cation.  Le  seul  horaire  vrai  est  celui  que 
j'ai  en  l'honneur  de  vous  adresser  avec  ma  lettre  du  10  juin.  Vous 
ne  serez  donc  pas  surpris  si  nous  nous  y  conformons,  sous  mon 
entière  responsabilité. 

Veuillez   agréer,  monsieur   le   ministre,  l'assurance  de  ma  haute 
considération. 

•j-  Florian,  cardinal  Desprez, 

Archevêque  de  Toulouse. 

En  conséquence,  le  Congrès  s'est  ouvert  comme  il  avait  été 
indiqué  et  nous  en  rendrons  compte. 


ASSEMBLEE   GENERALE  DES  CATHOLIQUES 

(Suite  et  fin.  —  V.  les  numéi-os  précédents.) 

Séance  du  28  ynai. 

L'art,  la  science,  l'économie  sociale^  les  intérêts  religieux 
entêté  l'objet,  dans  cette  séance,  des  rapports  et  des  discours 
qui  ont  successivement  fixé  l'attention  et  provoqué  les  applau- 
dissements des  auditeurs. 

L'art,  l'art  chrétien,  a  trouvé  dans  le  R.  P.  Clair  un  défen- 
seur, ou,  pour  mieux  dire,  un  apôtre  éloquent.  Il  réclame  qu'un 
combat  soit  livré  ;  il  montre  une  victoire  à  remporter  et  pour 
empêcher  un  graaJ  mal  :  la  perversion  des  âmes  par  l'art 
corrompu  et  corrupteur,  et  pour  procurer  un  grand  bien  :  la 
glorification  de  la  vérité  et  de  la  vertu  par  l'âge  régénéré  et 
redeveau  ce  qu'il  était  aux  âges  de  foi,  profondément  chrétien. 
La  Sociëië  de  Saint-Jean,  présidée  avec  tant  de  distinction 
par  M.  le  baron  d'Avril,  livre  ce  combat  et  poursuit  cette 
victoire. 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQUES  697 

M.  DE  VoRGES  a  entretenu  l'Assemblée,  avec  la  compé(ence 
qu'on  lui  connaît,  du  futur  congrès  des  savants  catholiques. 
L'idée  de  ce  congrès  est  née  dans  la  réunion  des  catholiques  de 
Normandie,  au  mois  de  décembre  dernier.  Une  commission, 
composée  primitivement  de  25  membres  et  qui  en  compte 
maintenant  52,  tant  de  France  que  de  l'étranger,  en  prépare  la 
réalisation.  De  cette  asseri:blée  où  des  savants  catholiques  de 
tous  les  pajs  se  réuniront  pour  présenter  leurs  travaux,  pour 
causer  entre  eux  de  l'objet  de  leurs  études,  pour  se  communi- 
quer leurs  idées  et  leurs  découvertes,  la  science  aura  certaine- 
ment à  se  féliciter  et  la  foi  à  se  réjouir. 

Sur  la  redoutable  et  difficile  question  ouvrière,  on  a  entendu 
M.  Thellier  DE  PoNCHEViLLE.  Le  Vaillant  député  du  Nord  est  un 
catholique,  un  ami  de  l'ouvrier  et  un  orateur.  Il  l'a  bien  prouvé. 
Dans  son  magnifique  discours,  il  a  fait  sommairement  justice 
de  toutes  les  théories  socialistes,  depuis  celles  qui  ont  une 
apparence  plausible  jusqu'aux  plus  insensées.  Il  a  dit  ensuite, 
d'une  façon  générale,  le  devoir  et  la  volonté  des  catholiques  à 
l'égard  de  l'ouvrier,  et  d'une  façon  particulière,  ce  que  des 
catholiques  éminents  cherchent  à  obtenir,  sur  le  terrain  de  la 
législation,  pour  remédier  aux  accidents  du  travail. 

Après  avoir  félicité  M.  Thellier  de  Poneheville,  M.  Chesne- 
LONG  a  ajouté  :  Si,  eu  cette  grande  (j[uestion  ouvrière,  il  existe 
des  points  de  détail  sur  lesquels  les  catholiques  peuvent  discu- 
ter, il  y  a  des  points  capitaux  sur  lesquels  nous  sommes  tous 
d'accord.  Nous  voulons  tous  la  liberté  véritable  d'association, 
et  non  la  prétendue  liberté  d'association,  menteuse  et  hostile, 
<iue  préparent  nos  législateurs  du  jour.  Nous  voulons  tous 
l'amélioration  du  sort  de  l'ouvrier  par  l'exercice  de  la  vertu  de 
charité,  accompli  comme  un  devoir  de  conscience  et  non  pas 
imposé  et  réglé  à  titre  de  justice,  de  la  façon  que  l'entend  le 
socialisme.  Tous  enfin  nous  refusons,  en  tout  et  pour  tout,  de 
subir  la  tyrannie  du  dieu-Etat. 

Parmi  les  récents  attentats  de  ce  triste  dieu,  la  nouvelle  loi 
scolaire  doit  être,  certes,  placée  en  bon  rang.  On  sait  qu'un 
pétitionnement  contre  cette  loi  néfaste  est  organisé  dans  la 
France  entière.  M.  le  baron  de  Ravignan  a  dit  à  l'Assemblée 
les  résultats  déjà  obtenus  et  ceux  qu'il  faut  poursuivre  encore. 
Si  la  parole  de  l'éloquent  sénateur  et  l'appel  enflammé  que 
M.  Chesnelong  a  fait  entendre  ensuite  avaient  pu  retentir  sur 
tous  les  poiuts  de  la  France,  le  succès  du  pétitionnement  suffi- 


698  ANNALES    CATHOLIQUES 

rait,  sans  nul  doute,  non  pas  pour  convertir  les  oppresseurs, 
mais  pour  les  instruire  de  leur  défaite  certaine  et  prochaine. 

L'Œuvre  des  écoles  d'Orient  a  trouvé,  dans  le  R.  P.  Char- 
METANT,  un  avocat  des  plus  autorisés  et  qui  a  été  des  plus 
applaudis.  Eu  Orient,  pour  la  conversion  des  chrétiens  schis- 
matiques  ou  hérétiques,  c'est  moins  l'œuvre  du  missionnaire 
que  celle  de  l'instituteur  catholique  qu'il  faut.  Les  dons  pour 
les  écoles  d'Orient  servent  au  rachat  des  âmes  avec  une  effi- 
cacité analogue  à  celle  des  dons  pour  la  propagation  de  la  foi 
dans  les  pays  sauvages. 

Séance  du  29  mai. 

Le  R.  P.  Regnault  vient  prêcher  la  résistance  à  la  Franc- 
Maçonnerie  et  insiste  sur  le  caractère  impie  et  sur  l'influence 
désastreuse  de  la  secte.  Sur  ces  deux  points,  la  lumière  a  été 
faite  avec  un  éclat  souverain  par  le  suprême  Docteur.  Il  se 
propose  en  outre  de  recommander  l'union  des  catholiques 
contre  l'union  de  leurs  ennemis,  et  de  prêcher  une  incessante 
action  contre  leurs  attaques  incessantes.  Il  l'a  fait  dans  un  bref 
et  vigoureux  rapport,  résumant  ou  indiquant  les  dispositions 
très  pratiques  marquées  dans  le  Manuel  de  la  ligue  antima- 
çonnique, petit  livre  dont  le  R.  P.  Regnault  souhaite  vivement 
la  propagation. 

Avec  le  rapport  de  M.  David  de  Pénanrun,  il  était  encore 
question  de  maçons,  mais  de  ceux  pour  lesquels  il  faut  placer 
l'épithéte  de  «  franc  »  après  et  non  pas  avant.  M.  de  Pénanrun 
est  du  nombre  de  ces  quelques  architectes  parisiens  qui  ont  pris 
l'initiative  d'une  «  Association  pour  le  repos  du  dimanche  dans 
l'industrie  du  bâtiment.  «  De  cette  Société  sont  appelés  à  faire 
partie,  avec  les  architectes,  les  propriétaires,  ainsi  que  les 
entrepreneurs  et  les  maîtres  ouvriers  en  toutes  les  industries 
qui  se  rattachent  à  la  bâtisse.  La  Société  est  fondée;  ses  cadres 
sont  formés;  elle  a  tenu  déjà  plusieurs  réunions.  Ainsi  que  l'a 
dit  M.  Chesnelong,  c'est  un  grand  fait  que  l'apparition  de  cette 
œuvre  dans  une  ville  comme  Paris.  Le  jour  où  le  respect  reli- 
gieux du  dimanche  serait  pratiqué  par  la  majorité  des  ouvriers, 
la  question  ouvrière  serait  plus  qu'à  moitié  dégagée  de  ses 
difficultés  et  de  ses  périls. 

Hélas!  ceux  qui  dirigeront  en  ce  sens  la  solution  des  ques- 
tions sociales  n'habitent  pas  présentement  les  palais  gouverne- 
mentaux. On  aurait  pu  l'apprendre,  si  on  ne  le  savait  déjà  de 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQUES  699 

tant  de  façons,  en  écoutant  l'énergique  et  éloquent  rapport  de 
M.  Paul  Lauras  sur  «  quelques  faits  récents  de  persécution 
religieuse  ».  M.  Lauras  a  montré,  sous  la  forme  la  plus  saisis- 
sante, l'illégalité,  l'iniquité  et  l'atrocité  des  faits  dont  l'autorité 
républicaine  s'est  rendue  coupable  à  Châteauvillain,  et  autour 
de  ce  tableau  il  a  mis  en  relief  nombre  d'autres  attentats  commis 
par  la  même  autorité  en  haine  de  la  religion.  L'Assemblée  a 
témoigné  à  M.  Lauras  par  des  applaudissements  répétés  combien 
elle  s'associait  à  ses  justes  indignations. 

Un  des  attentats  de  la  République,  qui  demandait,  pour  être 
bien  caractérisé  et  bien  expliqué,  un  jurisconsulte  éminent,  dont 
la  parole  eût  le  don  d'éclairer  les  questions  techniques  les  plus 
compliquées,  c'est  le  nouvel  impôt  qui  frappe  les  congrégations 
religieuses.  M.  Delamarre  est  venu  traiter  ce  sujet.  Le  savant 
et  lucide  rapporteur  n'a  parlé  que  quelques  minutes;  mais  ce 
temps  lui  a  suffi  et  les  auditeurs  ont  pu  comme  toucher  du 
doigt  le  mécanisme  de  cet  ingénieux  appareil  fiscal,  au  moyen 
duquel  on  fait  payer  un  droit  aux  congrégations  pour  l'exis- 
tence de  revenus  qui  n'existent  pas  et  pour  l'accroissement  de 
capitaux  qui  ne  s'accroissent  pas. 

Mais  le  vrai  procès,  le  procès  décisif,  parce  qu'il  était  com- 
plet, a  été  fait  aux  hommes  et  aux  choses  qui  perdent  la  France 
par  M.  Keller.  Les  applaudissements  de  l'Assemblée  ont  salué 
l'illustre  orateur  dés  qu'il  s'est  levé  pour  prendre  la  parole. 
Les  applaudissements  ont  souligné  encore  chaque  passage  de  ce 
discours,  chef-d'œuvre  de  haute  et  pénétrante  éloquence,  que 
nous  ne  résumons  pas  parce  qu'on  le  lira  prochainement  dans 
son  entier. 

M.  Chesnelong,  dans  son  allocution  de  clôture,  a  relevé  le 
drapeau  de  l'espérance  : 

La  Pologne  disait,  aux  jours  de  désastres  :  «  La  France  est 
bien  loin,  et  Dieu  est  bien  haut.  »  La  France  n'est  pas  loin  de 
nous,  catholiques,  car  nous  sommes  la  France.  Mais  si  l'on 
veut  parler  de  cette  France  qui  donne  à  nos  oppresseurs  leur 
pouvoir  d'un  jour,  elle  n'est  pas  loin  de  nous,  non  plus.  Les 
conducteurs  qu'elle  s'est  infligés  la  mènent  aux  malheurs  et 
aux  catastrophes.  Or,  aux  jours  de  malheur,  vers  qui  se 
tourne-t-elle,  à  qui  s'adresse-t-elle,  sinon  aux  vrais  conserva- 
teurs, aux  catholiques,  chez  qui  elle  sait  bien  qu'elle  trouvera, 
avec   les   principes    sauveurs,    la   droiture    de   volonté    et    le 


700  ANNALES    CATHOLIQUES 

dévouement?  Les  élections  de  1849,  celles  de  1870  sont  là  pour 
l'attester,  et  nous  pouvons  y  joindre  celles  d'octobre  1885. 

Dieu  est  bien  haut,  sans  doute,  mais  les  hauteurs  sublimes 
qu'il  habite  sont  d'un  accès  facile  pour  la  prière.  D'ailleurs,  s'il 
habite  très  haut,  il  réside  aussi  tout  près  de  nous.  Demain, 
à  neuf  heures,  nous  serons  réunis  dans  le  sanctuaire  du  Sacré- 
Cœur,  à  Montmartre;  à  deux  heures,  nous  nous  réunirons 
encore  dans  l'église  de  Notre-Dame  des  Victoires.  Ici  et  là. 
Dieu  sera,  de  sa  présence  réelle,  au  milieu  de  nous.  Avec  Dieu 
et  pour  la  France  !  Que  ce  soit  non  seulement  le  cri  de  rallie- 
ment, mais  le  cri  de  la  confiance  et  de  l'espoir. 

Mgr  Bélouino  a  terminé  la  séance  en  adressant,  en  termes 
heureux,  des  félicitations  aux  membres  du  congrès.  Le  vénéré 
prélat  y  a  joint  quelques  utiles  enseignements  tout  empreints 
de  l'autorité  et  de  l'onction  évangéliques. 


Voici  le  texte  de  l'Adresse  envoyée  au  Souverain  Pontife  par 
l'assemblée  des  catholiques  : 

Très  Saint-Père, 

Les  membres  de  la  quinzième  Assemblée  des  catholiques  de  France, 
prosternés  aux  pieds  de  Votre  Sainteté,  lui  offrent  l'hommage  de 
leur  vénération  la  2')lus  profonde  et  d'un  amour  qui  ne  sortira  jamais 
de  leurs  cœurs. 

Vous  tenez  auprès  de  nous.  Très  Saint-Père,  la  place  de  Jésus- 
Christ,  notre  Dieu  et  notre  Roi  ;  nous  resterons  toujours  attachés 
du  fond  de  l'âme  à  votre  personne  sacrée,  et  vos  enseignements 
infailUbles  nous  trouverunt  toujours  soumis. 

Nous  nous  inspirerons,  dans  notre  conduite,  des  oracles  que  vous 
avez  fait  successivemeut  entendre  au  monde  catholique.  Nous  nous 
appliquerons,  en  particulier,  à  développer  en  nous  et  à  répandre 
l'esprit  d'obéissance  envers  le  Saint-Siège  et  l'iipiseopat,  l'esprit 
d'union  fraternelle,  l'esprit  de  prière  et  de  pénitence,  la  dévotion  à 
la  sainte  Vierge,  au  Saint-Sacrement,  et  au  Sacré-Cœur.  Nous  nous 
efforcerons  de  préserver  par  tous  les  moyens  possibles,  et  spéciale- 
ment par  ceux  que  Votre  Sainteté  a  indiqués,  la  foi  des  jeunes 
générations,  mise  en  péril  dans  les  écoles  sans  Dieu  ;  à  sauvegarder 
celle  des  adultes,  aussi  mise  en  danger  par  un  grand  nombre  de 
causes  et  principalement  par  une  presse  impie  et  Hcencieuse.  Nous 
ne  négligerons  pas  de  combattre  la  Franc-Maçonnerie  et  les  autres 
associations  antichrétiennes  réprouvées  par  Votre  Sainteté. 

Nous     faisons    particulièrement     profession,     Très     Saint -Père, 


T.ES    CHAMBRES  îOl 

d'adhérer  de  tout  notre  cœur,  sans  restriction  aucune,  d  Votre 
Encyclique  sur  la  con,titution  chrétienne  des  Etats. 

Nous  faisons  nôtres  toutes  les  doctrines  qu'Elle  proclame. 

Nous  nous  conformerons  aux  désirs  et  aux  conseils  qu'Elle 
formule. 

Nous  déclarons  que  nous  voulons  être  hautement  catholiques,  en 
tout,  partout  et  toujours. 

Qunnd  nous  pensons  qu'an  milieu  de  sollicitudes  de  toutes  sortes, 
malgré  tant  de  fatigues  inséparables  du  suprême  Pontificat,  Votre 
Sainteté  ne  cesse  de  multiplier  ses  lumineux  enseignements  pour 
éclairer  nos  pas,  une  si  paternelle  bonté  nous  laisse  péuétrés  de 
reconnaissance. 

Dans  ces  sentiments,  nous  sollicitons  humblement,  Très  Saint 
Père,  votre  bénédiction  apostolique. 


LES  CHAMBRES 


@énut. 

Jeudi  VI  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  discussion 
du  projet  sur  les  sociétés  de  secours  mutuels. 

Samedi  19  juin.  —  M.  Béhenger  dépose  son  rapport  sur  le 
projet  d'expulsion  des  princes. 

Sur  la  demande  du  Sénat,  il  en  donne  lecture. 

Jusqu'ici  les  propositions  réclamant  l'expulsion  des  princes  avaient 
été  repoussées,  la  dernière  il  n'y  a  pas  trois  mois,  sur  la  demande 
même  du  gouvernement.  Faut-il  la  voter  aujourd'hui  après  la 
Chambre  ? 

Votre  commission  a  examiné  la  question.  Elle  a  entendu  le  gou- 
vernement qui  lui  a  dit  qu'il  fallait  adopter  le  projet  de  la  Chambre 
«  pour  faire  l'union  du  parti  républicain  ».  La  majorité  de  votre 
coai mission  n'a  pas  cru  qu'elle  pouvait  sacrifier  les  principes  qui 
intéressent  le  droit  public,  la  liberté  et  la  civilisation.  Nous  avons 
pensé  que  nous  ne  pouvions  pas  appliquer  une  peine  —  car  le  ban- 
nissement est  une  peine  —  que  peut  seul  prononcer  le  pouvoir  judi- 
ciaire, lequel  ne  statue  qu'après  que  les  accusés  ont  été  entendus  et 
que  la  liberté  de  la  défense  a  été  complète. 

On  a  invoqué  le  caractère  particulier  de  la  personne  des  princes  ; 
la  commission  ne  comprend  pas,  que  cent  ans  après  la  révolution, 
il  y  ait  des  citoyens  en  dehors  du  droit  commun,  sui'tout  sous  un 
gouvernement  comme  la  république,  qui  inscrit  dans  sa  formule  ce 
mot  :  égalité. 


702  ANNALES    CATHOLIQUES 

On  a  invoqué  aussi  en  faveur  de  l'expulsion  les  précédents  histo- 
riques ;  mais,  ainsi  comprise,  l'histoire  pourrait  justifier  tous  les 
excès,  tous  les  crimes.  Il  ne  faut  pas  examiner  si  les  gouvernements 
précédents  ont  fait  ce  qu'on  vous  propose  de  faire,  mais  s'ils  avaient 
le  droit  de  le  faire  et  s'il  est  juste  de  suivre  leur  exemple. 

Dans  le  cas  présent,  le  gouvernement  n'a  pas  allégué  de  dangers  : 
il  a  invoqué  l'organisation  du  parti  orléaniste  se  ramifiant  on  pro- 
vince par  des  comités,  par  une  propagande  active,  des  distributions 
de  brochures,  de  portraits,  etc.  La  réception  de  l'hôtel  Galliera  et 
surtout  les  invitations  adressées  au  corps  diplomatique  lui  ont  paru, 
a-t-il  dit,  combler  la  mesure. 

Or,  la  commission  a  dû  constater  que  les  citoyens  ont  toujours  le 
droit  de  faire  triompher  par  les  moyens  légaux  leur  opinion  ;  les 
actes  reprochés  aux  princes  ne  sont  pas  illicites  :  pourquoi,  dès  lors, 
vouloir  les  frapper  ?  La  commission  a  d'ailleurs  pensé  qu'on  avait 
exagéré  la  gravité  de  ces  actes  ;  le  gouvernement  ne  s'en  est  pas 
ému,  du  reste,  tout  d'abord,  puisqu'il  chargeait  notre  ambassadeur  â 
Lisbonne  de  féliciter  le  roi  de  Portugal  de  ce  mariage  dont  les  inci- 
dents sont  aujourd'hui  le  prétexte  de  ce  projet  d'expulsion. 

Le  gouvernement  craint  qu'on  n'élève  gouvernement  contre  gou- 
vernement, mais  n'est-ce  pas  là  ce  qu'il  tolère  à  l'autre  extrémité  de 
l'opinion,  et  la  faiblesse,  les  complaisances  qu'il  a  pour  certains 
partis  extrêmes  ne  sont-elles  pas  plus  dangereuses  que  la  présence 
des  princes  sur  le  territoire  français? 

Le  gouvernement  condamne  lui-même  son  projet  d'expulsion  des 
princes  en  disant  qu'il  n'y  a  pas  de  danger  immédiat.  Ajoutons  qu'il 
n'est  pas  certain  que  le  bannissement  produise  les  effets  qu'on  en 
attend,  car  un  illustre  exilé  datait  ses  manifestes  du  dehors. 

La  commission  du  Sénat  repousse  donc  le  projet  d'expulsion  des 
princes  voté  par  la  Chambre  parce  qu'elle  considère  qu'il  aurait 
des  conséquences  graves  au  point  de  vue  de  la  tranquillité  intérieure 
et  de  nos  relations  extérieures,  parce  que  ce  projet  constitue  pour 
ceux  qu'il  frappe  une  condamnation  sans  les  garanties  judiciaires, 
sans  les  droits  de  la  défense,  c'est-à-dire  une  condamnation  pro- 
noncée arbitrairement  par  le  pouvoir  législatif. 

Lundi  21  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  du  projet 
de  loi  relatif  aux  membres  des  familles  ayant  régné  sur  la  France. 

M.  JouRNAULT  a  le  premier  la  parole  ;  il  va  parler  sans  colère  et 
sans  défaillance,  suivant  le  mot  du  président  du  conseil. 

Le  gouvernement  nous  demande,  dit  l'orateur,  de  prendre  des 
mesures  contre  les  membres  des  familles  qui  ont  régné  sur  la  France; 
le  gouvernement,  en  agissant  ainsi,  est  dans  son  droit. 

Ce  droit  n'a  été  contesté  par  personne.  La  question  est  de  savoir  si 
le  gouvernement  a  raison  d'user  de  son  droit;  c'est  ce  qu'il  faut 
examiner. 


LES    CHAMBRES  703 

Je  voudrais,  auparavant,  examiner  l'argument  do  droit  commun. 
La  majorité  de  la  commission  pense  qu'on  ferait  bien  de  se  |ilacer 
sur  le  terrain  du  droit  commun  et  d'appliquer  ce  droit  commua  à 
tous  les  citoyens,  même  aux  princes. 

Cet  argument  s'est  déjà  produit,  en  1848,  lorsqu'il  s'agissait  d'un 
prétendant  qui  ne  paraissait  pas  pouvoir  être  un  danger.  On  sait  à 
quoi  aboutissent  de  pareilles  générosités. 

La  venté,  c'est  que  le  droit  commun  est  pour  les  princes  «  le  pri- 
vilège ;  »  ils  tiennent  des  grands  cordons  de  la  Légion-d'Honneur 
dans  leur  berceau.  Cette  situation  privilégiée  leur  impose  des  dev(nrs, 
et  surtout  une  grande  réserve  en  face  d'une  démocratie.  Voyops 
comment  ils  ont  observé  cette  réserve.  L'orateur  dit  que  les  princes 
n'ont  pas  observé  cette  réserve;  cependant,  le  gouvernement  avait 
un  parti-pris  de  mansuétude  et  ne  voulait  exclure  personne. 

Viennent  les  électious  de  1885;  on  sait  le  lôle  que  le  comte  de 
Paris  y  a  joué;  deux  cents  monarchistes  sont  entrés  à  la  Chambre, 
en  grantle  partie  par  l'intervention  du  parti  réactionnaire  dirigé  par 
le  comte  de  Paris.  Malgré  cela  le  gouvernement  n'a  pas  cru  qu'il  fût 
nécessaire  d'agir.  On  a  dit  aux  princes  :  «  Tcicliez  de  vous  faire 
oublier!  »  Ils  nous  ont  forcés  de  nous  souvenir. 

Voilà  pourquoi,  dit  l'orateur,  en  nous  propose  ces  mesures.  On  dit 
que  c'est  de  la  proscription;  JM.  Thiers  disait  :  «  Ce  n'est  pas  de  la 
proscription,  c'est  de  la  précaution.  » 

En  quoi  ces  mesures  sont-elles  violentes?  Sous  la  monarchie,  c'est 
la  confiscation,  la  peine  de  mort;  ici  il  n'y  a  rien  de  pareil  ;  il  n'y  a 
que  la  prudence.  Sur  ce  mot  de  prudence,  on  dit  :  «  Vous  avez  peur! 
la  république  agonise  !  » 

On  nous  dit  que  le  danger  ne  disparaîtra  pas;  mais  nous  voulons 
arrêter  ceux  qui  allaient  vers  ceux  qu'ils  croyaient  être  le  soleil 
levanl.  On  dit  que  l'exil  est  un  piédestal  pour  les  princes,  l'éloigne- 
ment  affaiblira  leur  influence. 

On  a  dit,  dans  le  rapport,  que  le  vote  de  la  loi  pourrait  nuire  à 
nos  relations  extérieures.  Pour  qui  nous  prend-on? 

M.  Tkstelin  :  On  ne  nous  accuse  pas  d'avoir  offert  de  l'argent  au 
roi  de  Bavière  ! 

M.  JouRN.vuLT  :  Il  y  a  en  Europe  un  courant  démocratique  dont 
tous  les  gouvernements  ne  peuvent  s'empêcher  de  tenir  compte. 
L'Europe  monarchique  demande  à  la  France  d'avoir  un  gouverne- 
ment ferme,  stable  et  sérieux. 

Le  gouvernement,  qui  a  pour  mission  de  veiller  au  maintien  de  la 
paix  publique,  vous  demande  des  mesures  qu'il  considère  comme 
nécessaires.  La  Chambre  a  pensé,  comme  lui,  que  ces  mesures 
étaient  nécessaires. 

Si  vous  les  repoussiez,  vous  assumeriez  une  lourde  responsabilité; 
je  vous  conjure  de  ne  pas  prendre  celle  responsabilité;  je  vous  le 

51 


704  ANNALES    CATHOLIQUES 

demande  au  nom  du  Sénat  et  au  nom  de  la  république.  (Très-bien! 
très-bien!  et  applaudissements  à  gauche.) 

M.  Jules  Simox  a  la  parole. 

Messieurs,  dit-il,  M.  Journault  faisait  tout  à  l'heure  allusion  à  la 
politique  suivie  en  1811  par  M.  Thiers,  et  semblait  dire  que  si 
M.  Thiers  était  encore  parmi  nous,  il  s'étonnerait  de  voir  parmi  les 
adversaires  du  projet  actuel  quelques-uns  de  ses  amis  et  de  ses 
disciples.  Je  le  connaissais  bien  et  jo  sais  ce  qu'il  penserait  aujour- 
d'hui. 

En  1871,  il  ne  voyait  pas  sans  appréhension  rentrer  les  princes 
d'Orléans  en  France,  et  j'étais  dans  le  même  sentiment  que  lui. 
Sommes-nous  aujourd'hui  dans  une  même  situation? 

La  République  était  alors  le  gouvernement  de  fait,  non  de  droit, 
attaqué  d'un  côlé  par  la  Commune  et  ayant  devant  lui  une  Assemblée 
monarchique. 

Si  la  République  se  maintint,  c'est  que  cette  majorité  voulait  plu- 
sieurs monarchies.  M.  Thiers  disait  :  «  11  n'y  a  qu'un  trône  et  voua 
êtes  trois  !  »  La  fusion  s'est  faite,  mais  elle  a  rencontré  deux  obs- 
tacles; le  premier  a  été  le  refus  du  comte  de  Charabord  de  faire  une 
concession  qu'on  lui  demandait. 

Le  principe  de  la  légitimité,  tel  qu'il  l'entendait,  l'en  empêcha; 
on  doit  lui  rendre  cet  hommage  que  ses  convictions  étaient  d'un 
grand  cœur,  et  bien  qu'il  n'ait  pas  régné,  il  est  resté  un  des  grands 
noms  de  notre  histoire.  (Tiès  bien  !  à  droite;  mouvement  à  gauche.) 

tJn  autre  obstacle  se  serait  produit;  c'est  que  la  fusion  était  faite 
dans  le  Parlement,  mais  non  dans  le  pays,  il  est  probable  qu'une 
guerre  civile  s'en  serait  suivie. 

Voilà  la  raison  de  la  conduite  de  M.  Thiers.  Aujourd'hui,  est-ce 
la  même  République?  Sont-ce  les  mêmes  princes?  Aujourd'hui  la 
République  ne  peut  être  ébranlée  que  par  ses  fautes,  elle  a  la  con- 
sécration de  la  loi  et  celle  de  la  durée. 

Ce  ne  sont  plus  les  mêmes  princes;  c'étaient  alors  des  exilés  qui 
demandaient  à  rentrer.  AujourdhHi  ce  sont  des  citoyens  qui  deman- 
dent à  rester.  (Interruptions  à  gauche.) 

Ils  ont  été  faits  citoyens  par  cette  même  Assemblée  qui  a  fait  le 
Sénat  et  la  République.  Non  seulement  l'Assemblée  les  a  appelés  à 
jouir  des  droits  de  citoyens,  mais  le  suffrage  universel  a  ratifié  cette 
décision.  N'ont-ils  pas  été  élus  députés?  Ils  ont  fait  les  lois  avec 
nous.  Il  n'y  a  donc  pas  parité  entre  les  princes  de  1871  et  ceux 
de  1886. 

La  peine  du  bannissement  est  connue  dans  nos  lois,  mais  vous  y 
ajoutez  une  peine  qui  n'est  pas  dans  nos  lois  :  c'est  la  réversibilité. 

Je  ne  discute  pas  la  question  de  droit  ;  je  vous  soumets  des  consi- 
dérations politiques.  Vous  prononcez  le  bannis-sement  avec  réversi- 
bilité; je  vous  demande  quels  motifs  vous  avez  de  le  faire  et  q-uels 


LES    CHAMBRES  705 

fruits  voua  en  attendez.  Quels  sont  los  motifs  qui  vou3  ont  déter- 
miaûs  ? 

M.  B  renger,  dans  son  rapport,  dit  :  «  Nous  ne  trouvons  pas  de 
fails  dominants  ;  il  n'y  a  que  des  faits  d'importance  médiocre.  *  Je 
vais  plus  loin  :  les  faits  qn'on  a  rapportés  n'ont  aucune  importance, 
aucune  gravité. 

Oo  s'est  étonné  que  des  faits  aussi  insignifiants  aient  mis  en  mou- 
vement tous  les  rouages  gouvernementaux.  On  a  parlé  d'une  soirée, 
d'un  mariage.  Un  père  de  famille  a  une  fille;  il  la  marie,  et  quand 
il  la  marie,  il  reçoit  ses  amis. 

Si  parmi  eux  il  y  a  des  ambassadeurs,  il  les  invite.  Faut-il  qu'un 
prince,  parce  qu'il  est  prince,  agisse  à  la  dérobée? 

Je  rougis  de  ce  que  je  dis,  puisque  ces  motifs  ont  été  allégués 
pour  faire  sortir  des  citoyens  français  du  territoire.  Il  y  a  bien  une 
allégation  plus  grave,  mais  moins  justifiée. 

On  dit  :  «  Il  y  a  un  gouvernement  occulte,  tout  prêt  à  rempHcer 
le  gouvernement  actuel.»  Mais  ce  n'est  qu'une  allégation.  Si  elle 
était  prouvée,  je  dirais  au  gouveinement  de  s'adresser  aux  tribunaux. 

Il  eu  aurait  le  devoir.  Mais  je  ne  connais  pas  ce  gouvernement 
occulte.  Celui  que  je  puis  voir,  c'est  celui  qui  siège  à  l'Hôtel-de- 
Yille.  Il  s'y  trouve  une  minorité  importante  par  le  talent  et  la  téna» 
cité  de  quelques-uns  de  ses  membres  qui  revendiquent  les  droits  de 
la  Commune  de  Paris. 

Au  mois  d'avril,  on  a  présenté  au  conseil  municipal  de  Paris  une 
délibération  dans  laquelle  on  visait  un  décret  de  la  Commune  insur- 
vectionnelle. 

Une  autre  fois,  un  conseiller  a  dit  :  «  C'est  nous  le  gouverne- 
ment. »  On  y  a  revendiqué  le  drapeau  rouge  comme  le  vrai  drapeau 
de  la  France. 

Vous  usez  cependant  de  magnanimité  vis-à-vis  de  ce  gouverne- 
ment-là. 

J'arrive  aux  deux  raisons  que  l'on  peut  discuter  sérieusement  : 
les  élections  d'octobre  et  la  qualité  de  successeur  éventuel  de  la 
République.  Ce  n'est  ni  le  comte  de  Paris  ni  le  prince  Napoléon  qui 
ont  faic  ces  élections,  c'est  le  Tonkin. 

D'ailleurs,  si  les  préteûdaats  agissent  sur  les  électeurs,  ils  pour- 
ront agir  également  de  l'extérieur.  Le  comte  de  Chambord  pensait 
que  son  action  serait  plus  efficace  s'il  restait  au  dehors.  M.  de  Frey- 
cinet  a  dit  que  la  mort  de  deux  des  prétendants  avait  changé  la 
situation.  La  mort  du  prince  impérial  a  diminué  la  force  du  parti 
bonapartiste,  et  il  est  certain  que  la  mort  du  comte  de  Chambord  a 
fortifié  la  situation  du  comte  de  Paris  ;  mais  est-ce  que  cela  dépend 
de  l'endroit  où  il  réside? 

Invoquez  cette  raison  pour  avoir  peur,  si  vous  voulez,  mais  non 
pour  le  proscrire.  Pour  résumer  le  débat,  je  dirai  que  je  n'admets 


700  ANNALES    CATHOLIQUES 

pas  plus  une  loi  d'exception  que  la  violation  de  la  loi.  D'ailleurs 
votrij  loi  d'exception  ne  vous  sert  pas,  elle  vous  nuit,  elle  ne  nuit 
pas  aux  princes,  elle  les  sert.  (Mouvements  divers.) 

Ello  augrneate  leurs  chances,  ils  y  gagnent  une  plus  grande 
liberté  d'action  et  pour  eux  et  pour  leurs  amis;  ils  y  gagnent,  parce 
qu'en  France  on  profite  toujours  d'être  peisécuté.  Vuus  appliquez  au 
Conit<;  (le  Paris  l'ostracisme  qui  grandit  ceux  qu'il  frappe,  et  votre 
loi  lu  dé-igne  d'une  façon  plus  manifeste  à  tous.  Vous  reconnaissez 
les  principes  de  la  succession  monarchique;  vous  reconnaissez  la  loi 
saliquo.  (Rires  à  droite.) 

Il  y  a  trois  mois,  vous  répondiez  par  un  refus  à  ceux  qui  vous 
deman  laiont  une  telle  mesure,  c'était  une  conduite  digne  du  chef 
d'un  grand  Etat.  Aujourd'hui  vous  avez  changé  d'avis;  pourquoi? 
c'est  qu'alors  vous  n'aviez  pas  peur  et  aujourd'hui  vous  avez  peur. 

Quant  au  reproche  fait  par  M.  Journ^ult  au  rapport  de  s'occuper 
de  l'influence  que  le  vote  de  la  loi  pouvait  avoir  sur  nos  relations 
extérieures,  je  ne  le  comprends  pas.  Faut-il  dire  que  le  Parlement 
français  ne  doit  pas  s'occuiior  de  ce  qui  se  passe  à  la  frontière?  Il 
faut  éviilemment  tenir  compte  de  ce  que  pensent  les  gouvernements 
étrangers,  sinon  vous  êtes  des  fous. 

Celle  mesure  vous  nuit  par  sa  nature  même;  c'est  une  loi  d'excep- 
tion, donc  elle  vous  nuit.  Le  plus  grand  malheur  qu'on  pourrait 
souhaiter  à  un  gouvernement  qu'oQ  voudrait  renveiscr  serait  de 
faire  des  lois  d'exception  ;  elles  prouvent  qu'un  gouvernement  n'est 
plus  avec  le  pays  et  qu'il  devient  une  secte. 

Vous  avez  commencé  les  lois  d'exception  par  l'article  7.  Nous 
avons  combattu  cet  article;  vous  nous  avez  dit  :  «  Si  vous  ne  leur 
refusez  pas  le  droit  d'enseigner,  nous  leur  refuserons  le  droit  d'exis- 
ter. »  J  ai  dit  à  ce  moment-là  que  c'était  un  système  de  gouverne- 
ment. Vous  nous  avez  dit  :  il  s'agit  des  Jésuites.  Vous  avez  englobé 
avec  eux  les  congréganistes  non  autorisés,  vous  avez  ensuite  touché 
au  clergé  séculier. 

Vous  êtes  venus  demander  au  Parlement  de  vous  obliger  à  les 
chasser.  De  même  pour  les  princes;  vous  pouviez  les  expulser  par 
décrets;  vous  avez  voulu  qu'on  vous  y  forçât  par  une  loi.  Après  la 
guerre  au  cléricalisme,  vous  avez  fait  la  guerre  de  l'épuration.  Vous 
avez  ébranlé  la  magistrature,  vous  avez  fait  en  outre  des  épurations 
parmi  les  fonctionnaires  amovibles;  oa  vous  demande  d'en  faire  de 
nouvelles. 

Api  os  la  guerre  aux  idées  religieuses,  la  guerre  aux  fonction- 
naires. Vous  êtes  vis-à-vis  du  Sénat  dans  cette  situation  qu'il  paraît 
opposé  à  la  mesure  que  vous  proposez.  Alors  on  parle  au  Sénat  de 
révision  ;  on  lui  dit  :  «  Accepte  ou  meurs...  »  (Mouvements  divers.) 

Si  Ton  enlevait  au  Sénat  le  droit  d'exprimer  son  opinion,  il  vau- 
drait mieux  pour  lui  mourir.  Le  danger  pour  un  corps  est  de  devenir 


LES    CHAMBRES  707 

inutile;  ce  jour-là,  il  ne  vit  plus.  Voulez-vous  défendre  le  Si'nat? 
Dites  votre  opinion,  dites-la  bien  haut  et  vous  serez  puissant  dans  le 
pays. 

On  avait  présenté  devant  la  Chambre  un  projet  plus  violent,  il  a 
été  atténué  grâce  à  l'action  de  M.  le  président  du  conseil;  mais  en 
réalité,  je  ne  fais  aucune  différence  entre  les  deux  projets. 

Un  orateur  de  la  Chambre  des  Déjtutés  a  résumé  la  polilirme  du 
gouvernement  ainsi  qu'il  suit  :  Chassons  qui  nous  gêne.  (Ri'!cl,\ma- 
tions  à  gauche.  —  Applaudissements  à  droite.)  C'est  ce  système  que 
je  combats  depuis  six  ans  et  qui  excite  ma  colère;  c'est  la  doctiine 
qui  a  fait  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  (Rires  à  gauche.)  Riez  si 
vous  voulez;  mais  c'est  la  vérité,  c'est  elle  (lui  a  prévalu  en  HOS  et 
en  1793.  1789  avait  été  le  triomphe  du  droit  et  de  la  justice  contre 
l'oppression.  1792  et  1793  ont  été  une  époque  de  boue  et  de  sang 
(ap])laudisscments  à  droite)  où  l'on  essayait  de  déshonorer  tout  ce 
que  la  France  avait  de  grand  et  de  beau. 

Je  sais  que  vous  avez  horreur  de  93. 

M.  Peytiiai,.  —  Pas  du  tout!  (Exclamations  à  droite.) 

M.  Jules  Simon.  —  Je  change  ma  jihrase  et  je  dis  que  la  majorité 
d'entre  vous  en  a  peur,  mais  une  peur  obéissante.  Commencrz  prr 
les  princes.  Les  exilés  que  vous  ferez  sortiront  du  tombeau;  ils 
attesteront  à  l'Europe,  à  l'histoire,  que  la  France  n'est  pas  maîfiesso 
d'elle-même,  et  que  la  lutte  entre  89  qui  est  la  révolution  du  dioit, 
et  93  qui  est  la  révolution  de  la  haine,  n'est  pas  terminée.  (Vive 
approbation  et  applaudissements  à  droite  et  au  centie.) 

L'orateur,  en  revenant  à  son  banc,  est  félicité  par  un  grand 
nombre  de  ses  collègues. 

La  séance  est  suspendue  à  trois  heures  quarante-cinq  minutes  et 
est  reprise  à  quatre  heures. 

M.  Clam.\ger.an,  qui  demande  l'expulsion  des  princes,  invoque  les 
lois  de  1816,  1832  et  1848. 

L'orateur  croit  que  les  articles  87  et  89  du  code  pénal  ne  peuvent 
être  appliqués  au  cas  des  piinces  qui  trament  des  complots  perma- 
nents, mai-!  impossibles  à  constater. 

M.  liKON  Rknault  se  demande  si  la  mesure  proposée  est  de  nfiture 
à  consolider  les  institutions  réiiuhlicainos.  et  il  combat  le  ]  roji  t  au 
nom  du  droit  commun.  La  loi  de  1871  a  fait,  dit-il,  les  princes 
citoyens  comme  vous  (Vives  interruptions  à  gauche  :  non!  non!); 
la  présence  des  princes  sur  le  territoire  français  n'a  pas  empêché  la 
fondation  de  la  république  en  1875,  ni  le  fonctionnement  de  ses 
institutions  depuis  cette  date. 

On  fait  un  crime  au  comte  de  Paris  d'avoir  reçu  les  ambassadeurs 
étrangers,  mais  ils  représentaient  les  familles  alliées  à  la  sienne  : 
Que  voulez-vous?  on  a  les  parents  qu'on  peut!  (Rires.) 

L'heure  est  très   grave.  Le  Sénat  doit  choisir  entre  une  politique 


708  ANNALES    CATHOLIQUES 

saine  de  droit,  de  justice  et  une  politique  d'arbitraire,  de  passion  et 
de  haine.  Si  c'est  la  dernière  qu'il  adopte,  il  portera  au  pays  un  coup 
bien  redoutable  qui  l'atteindra  lui-même. 

La  question  est  posée  aujourd'hui  non  entre  la  république  et  les 
princes,  mais  entre  la  république  et  la  politique  jacobine  :  je  suis 
pour  la  première  contre  la  seconde.  (Applaudissements  à  droite  et 
au  centre.) 

La  discussion  continuera  demain. 

Mardi  22  juin.  —  On  commence  par  un  discours  de  M.  Marcou, 
un  mammouth  du  jacobinisme  qui  parle  d'une  vois  chevrotante, 
singe  M.  Madier  de  Monijau  et  semble  échappé  d'un  comité  de 
1793.  Au  moins  est-il  cocasse,  avec  ses  grands  gestes,  ses  phrases 
tonitruantes,  son  type  de  Prud'homme  radical  compliqué  de  Poli- 
chinelle. Il  regrette  qu'on  n'exile  pas  tous  les  princes,  grands  et 
petits,  car  quand  on  fait  une  exécution,  il  faut  la  faire  complète. 

Le  mot  exécution  est  beau,  souligne  M.  Paris. 

Il  y  a  un  pacte  tacite  entre  tuus  les  princes  pour  usurper  la  cou- 
ronne, tout  prince  est  un  conspirateur-né,  il  conspire  sans  cesse,  il 
conspire  de  nuit  et  de  jour. 

Un  éclat  de  rire  à  peu  près  général  interrompt  l'orateur,  qui  ne 
comprend  pas,  car  il  est  sourd,  et  continue  en  appliquant  aux 
princes  la  théorie  des  pTésomptions,  clierche  son  éloquence  dans  se» 
papiers  et  glapit  ses  lieux  communs  néo-terroristes.  A  l'ent'^ndre, 
(on  ne  l'entend  guère  et  on  l'écoute  moins  encore,)  à  l'entendre,  on 
injurie  les  princes  en  les  appelant  des  citoyens.  Si  ce  sont  des 
citoyens,  objecte-t-il  d'un  toa  triomphant,  remettez  celui-ci  à  la 
tête  de  son  régiment,  celui-là  à  la  tète  de  son  corps  d'armée. 

M.  Marcou  trouve  que  la  tolérance  du  gouvernement  rappelle 
l'anecdote  de  l'enfant  du  fouet  qu'on  plaçait  auprès  du  Dauphin  pour 
recevoir  la  correction,  quand  celui-'ci  faisait  des  sottises.  Les  princes 
sont  coupables,  hurle-t-il,  et  on  menace  le  conseil  municipal  de 
Paris,  on  menace  la  liberté  de  la  presse,  des  réunions. 

Ces  images  d'un  goût  délicieux  fatiguent. 

M.  Bardoux  s'emnare  du  discours  du  vieux  jacobin  et  le  met  en 
pièces  avec  une  puissance  de  logique  digne  de  l'écrivain  auquel  on 
doit  de  très  beaux  ouvrages  sur  les  légistes. 

Il  a  débuté  par  une  excellente  réplique  à  M.  Testelin,  qui  lui 
disait  :  Alors  toutes  les  monarchies  ont  violé  le  droit.  —  Je  ne 
demande  pas  aux  monarchies  des  exemples,  mais  des  leçons,  a-t-il 
dit. 

Non,  s'écrie-t-il  fort  éloquemment  en  retraçant  les  amertumes  de 
l'exil  pour  les  cœurs  patriotiques;  non,  on  n'emporte  pas  la  patrie  à 
la  semelle  de  ses  souliers.  Et  comme  la  gauche  tempête,  il  répond  : 
«  J'ai  toujours  défendu  la  liberté,  je  vous  ai  défendus,  j'ai  plaidé 
pour  vous  sous  l'Empire,  j'ai  le  droit  de  parler  aujourd'hui.  » 


LES    CHAMBRES  709 

—  Il  n'y  a  pas  d'assimilation!  Nous  n'étions  pas  princes  !  hurlent 
MM.  Testelin  et  C". 

Le  pays  ne  s'inquièto  pas  d'une  soirée,  continue  M.  Bardoux,  il 
vous  demande  de  porter  remède  â  une  terrible  crise  économique,  il 
vous  demande  de  réfléchir.  Eh  bien,  si  le  pays  est  calme,  pourquoi 
l'agitez-vous  ainsi  tous  les  trois  mois? 

Croyez-vous  eu  finir  avec  cette  question?  Dans  un  gouvernement 
d'opinion,  les  majorités  n'en  finissent  pas  avec  les  minorités.  Oa 
n'en  finit  avec  elles  qu'en  gouvernant  bien,  en  restaurant  les  tradi- 
tions de  gouvernement;  autrement  les  pro-criptions  sont  un  com- 
mencement pour  les  espérances,  et  aussi,  hélas!  un  commencement 
pour  les  violations  successives  du  droit. 

Croyez-vous  qu'avec  cette  loi  vous  allez  rattacher  cette  masse 
flottante  d'indécis  qui  ne  demandent  qu'à  vivre?  On  ne  peut  pas 
gouverner  sans  eux  et  malgré  eux;  au  contraire,  vous  faites  l'union 
avec  les  violents,  vous  ne  marchez  pas  en  avant,  vous  descendez  la 
pente. 

Voici  venir,  enfin,  M.  de  Freycinet.  La  petite  Souris  rouge 
a  vainement  essayé  de  grignoter  le  très  remarquable  discours  do 
M.  Bardoux.  Gomme  d'ordinaire,  M.  de  Freycinet  a  escamoté  la 
muscade  et  plaidé  les  circonstances  atténuantes. 

L'histoire  à  la  main,  le  premier  ministre  affirme  que  la  loi  est 
excellente;  tous  les  gouvernements  ont  usé  de  certains  droits  pour 
se  défendre,  et  spécialement  du  droit  d'éloigner  ceux  dont  les  prin- 
cipes sont  opposés  aux  leurs.  Il  a  cité  la  loi  de  1816,  celles  de  1832, 
de  1848,  les  errements  du  second  empire. 

M.  de  Freycinet  fait  un  perfide  éloge  des  hommes  d'Etat  du  gou- 
vernement de  Juillet. 

—  Il  faut  les  imiter  par  leurs  bons  côtés,  interrompt  M.  db 
Gavardie. 

M.  de  Freycinet  continue  en  rappelant  les  paroles  de  M.  Thiera. 
Tous  les  gouvernements  sont  soumis  aux  mêmes  lois,  aucun  ne 
peut  supporter  à  côté  de  soi  le  symbole,  la  personnification,  l'espé- 
rance d'un  autre  gouvernement.  (Une  partie  de  la  gauche  applaudit.) 
M.  de  Malleville  essaie  de  placer  quelques  mots  et  se  fait  rappeler 
à  l'ordre. 

L'objection  tirée  de  ce  que  l'Assemblée  de  1871  a  rouvert  aux 
princes  les  portes  de  la  patrie  ne  trouble  pas  le  leader  du  ministère. 
Klle  caraissait  l'espoir  de  ramener  la  monarchie;  aujourd'hui  les  cir- 
constances sont  contraires,  nécessitent  une  conduite  contraire. 

Nous  avons  supporté  longtemps  ce  danger,  c'est  vrai,  mais  depuis 
1871  jusqu'en  1883  les  véritables  prétendants  n'étaient  pas  sur  le 
sol  de  la  France.  Le  comte  de  Chambord  n'y  était  pas,  parce  qu'il 
comprenait  que   quand    on    veut   proclamer   son  droit  de  faire  la 


710  ANNALES    CATHOLIQUES 

monarchie  contre  la  république,  on  ne  doit  pas  lui  demander  l'hos- 
pitalité. 

Si  vous  le  voulez,  vous  aurez,  vous,  princes,  à  faire  oublier  vos 
origines,  et  les  prétentions  qu'on  vous  prête;  vous  avez  des  devoirs 
à  remplir,  plus  de  réserve  que  les  autres  à  observer;  vous  êtes  un 
centre,  un  point  de  ralliement.  Comment  la  république  pourrait-elle 
permettre  une  conspiration  permanente?  cola  ne  s'est  jamais  vu  dans 
l'histoire;  cela  ne  se  verra  jamais. 

M.  le  président  du  conseil  ne  se  flatte  pas  que  les  conservateurs 
abdiquent  leurs  prétentions,  renoncent  à  leur  action  ;  mais  il 
recommande  le  remède  :  c'est  l'union  du  parti  républicain,  qui  s'est 
désagrégé  un  peu  vite  qui  ne  peut  se  diviser  encore  en  deux  fractions 
en  face  d'une  minorité  puissante  qui  guette  toutes  les  occasions. 

M.  LE  DUC  d'Audiffret-Pasquier.  —  En  vous  entendant  tout 
à  l'heure,  ma  pensée  se  reportait  en  arrière.  Vous  parliez  en  faveur 
de  l'amnistie  et  vous  disiez  pourquoi  vous  aviez  changé  d'avis.  Vous 
parliez  d'apeurement  et  votre  voix  fut  entendue.  Aujourd'hui,  de  la 
môme  voix  douce  et  pénétrante,  vous  nous  demandez  une  loi 
d'expulsion.  Aujourd'hui,  il  ne  s'agit  plus  d'oubli,  d'apaisement. 
Vous  faites  appel  aux  passions  mauvaises  qu'il  vaudrait  mieux 
apaii-er. 

Quand  les  princes  dont  le  nom  rappelle  les  souvenirs  les  plus 
glorieux  de  notre  paya  franchissaient  la  fr-ontière,  ils  laissaient 
derrière  eux  les  horreurs  de  la  Commune. 

Pour  accepter  une  situation  si  grave,  vous  avez  de  graves  motifs. 

Tout  gouvernement  doit  se  défendre,  mais,  qui  vous  fait  croire  à 
un  péril?  surtout  venant  d'hommes  qui  habitent  la  France  depuis 
quinze  ans. 

11  y  a  différentes  manières  de  voir  parmi  les  partisans  de  la 
royauté  :  les  uns  pensent,  avec  Berryer,  que  celui  qui  porte  les 
traditions  de  la  Franco  ne  doit  pas  rester  dans  le  pays;  les  autres  ne 
peuvent  pas  résister  au  désir  de  respirer  l'air  du  pays,  de  combattre 
pour  lui,  d'aller  porter  des  secours  aux  cholériques  de  Marseille. 
Cette  conduite  a  aussi  sa  grandeur. 

Les  meilleurs  arguments,  pour  répondre  à  M.  le  président  du 
conseil  sont  les  arguments  qu'il  a  donnés  lui-même  le  4  mars. 
Pourquoi  a-t-il  changé  d'avis?  Quelles  sont  ses  raisons.  Vous  faites 
un  appel  à  vos  amis  et  vous  dites  que  la  République  est  compromise 
si  votre  projet  n'est  pas  voté. 

Dans  tout  gouvernement,  il  y  a  deux  garanties  :  le  pouvoir  exécutif 
et  le  Sénat;  mais  la  première  disparaît  quand  le  chef  du  pouvoir 
exécutif  cède  par  la  défaillance  et  soutient  des  idées  contraires  aux 
siennes. 

Quant  à  la  seconde,  on  la  supprime  aussi,  en  demandant  au  Sénat 
de  céder  contrairement  à  ses  convictions  :  Vous  m'accuseriez  d'exa- 


LES    CHAMBRES  711 

gération  si  je  vous  rappelais  les  excès  de  la  première  Révolution. 
Mais  il  me  suffit  de  vous  rappeler  pour  vous  montrer  les  entraîne- 
ments d'une  assemblée,  le  jour  qui  précéda  votre  entrée  au  pouvoir 
et  où  l'on  voulait  mettre  en  accusation  votre  prédécesseur. 

Au-dessus  de  mes  afïectious,  je  place  l'intérêt  de  mon  pays  ;  aussi 
suis-je  heureux  de  voir  se  poser  la  question  entre  la  République 
modérée  et  la  République  violente  et  sanglante. 

J'en  appelle  à  la  France  libérale  de  nos  faiblesses  et  de  nos 
violences. 

On  ne  peut  s'arrêter,  monsieur  le  ministre,  dans  la  voie  où  voua 
êtes  entré.  Vous  continuerez  la  persécution  religieuse,  l'épuration, 
le  désordre  dans  le  budget,  les  mesures  d'expulsion;  nous  avons 
combattu  contre  tout  ce  système.  Nous  le  combattrons  encore.  Si 
contre  notre  désir,  vous  votez  le  projet  actuel,  nous  resterons 
l'avocat  de  toutes  les  grandes  choses  que  vous  attaquez  :  nous  vous 
plaindrons,  mais  nous  ne  nous  plaindrons  pas. 

La  discussion  générale  est  close. 

On  passe  à  la  discussion  des  articles. 

Il  est  procédé  au  scrutin  sur  l'article  l*""  du  projet  de  loi. 

Il  est  adopté  par  137  voix  contre  122. 

Il  y  a  vingt-huit  abstentions. 

Les  articles  2,  3  et  4  sont  adoptés  à  mains  levées. 

Il  est  procédé  sur  l'ensemble  à  un  scrutin  secret  avec  appel 
nominal. 

Le  résultat  est  proclamé  â  sept  heures  quarante-cinq. 

Il  y  a  141  voix  pour  le  projet  et  107  contre. 

Voici  le  texte  complet  de  la  loi  : 

«  Article  premier.  —  Le  territoire  de  la  république  est  et  demeure 
interdit  aux  chefs  des  familles  ayant  régné  en  France  et  à  leurs 
héritiers  directs,  dans  l'ordre  de  primogéniture. 

«  Art.  2.  —  Le  gouvernement  est  autorisé  à  interdire  le  territoire 
de  la  république  aux  autres  membres  de  ces  familles.  L'interdiction 
est  prononcée  par  un  décret  du  président  de  la  république  rendu  en 
conseil  des  ministres. 

«  Art.  3.  —  Celui,  qui  en  violation  de  l'interdiction,  sera  trouvé 
en  France,  en  Algérie  ou  dans  les  colonies,  sera  puni  d'un  empri- 
sonnement de  deux  à  cinq  ans.  A  l'expiration  de  sa  peine,  il  sera 
reconduit  à  la  frontière. 

«  Art.  4.  —  Les  membres  des  familles  ayant  régné  en  France  ne 
pourront  entrer  dans  les  armées  de  terre  et  de  mer,  ni  exercer 
aucune  fonction  publique,  ni  aucun  mandat  électif.  » 

Chambre   des  cléputéa. 

Jeudi  17,  samedi  19,  lundi  21  et  mardi  22  juin.  —  Discussion  de 
la  loi  sur  le  régime  des  sucres. 


7153  ANNALïrS    CATHOLIQUES 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Ltf '♦^jfe  été  ïai  Ibi  d'expulsion.  —  Le  départ  des  princes.  —  Le  jugemen 
d»  Rodez.  —  Constaus  ambassadeur.  — >  Etranger. 

Le  Tréport,  24  juin  1886. 

La  voilà  donc  votée  la  loi  inique,  définitivement  votée,  et 
amintenant  sans  recours  possible  ! 

Le  Sénat  trompant  une  fois  de  plus  les  espérances  des 
cîtoyens  dont  la  sagesse  est,  hélas  !  moins  clairvoyante  qu'opti- 
miste, a  accepté  la  mesure  de  proscription  qui  chasse  de  leur 
pays  des  citoyens  français,  et  jette  irrémédiablement  notre 
patrie  dans  la  route  de  la  Révolution. 

Sa  faiblesse  a  achevé  ce  que  la  violence  de  la  Chambre  avait 
commencé  ! 

Désormais,  nous  le  savons,,  la  devise  de  -nos  adversaires  est  : 
Débarrassons-nous  de  ce  qui  nous  gêneflls  en  ont  fait  l'aveu 
cynique.  Les  princes  les  gênaient,  et  ils  jettent  les  princes  hors 
de  la  frontière  !...  A  qui  le  tour,  maintenant? 

Et  pourquoi,  après  cet  abominable  et  révoltant  essai  d'ar- 
bitraire qui  vient  de  si  bien  réussir  au  gouvernement  républi- 
cain, n'emploierait-il  pas  les  mêmes  procédés,  à  l'occasion, 
pour  se  débarrasser  de  ce  qui  pourra,  dans  l'avenir,  le  gêner 
encore?  Ce  qu'on  a  fait  naguère  contre  les  religieux,  ce  qu'on 
fait  aujourd'hui  contre  des  princes,  on  peut  bien  le  faire 
contre  de  simples  citoyens,  et  on  le  fera  ! 

C'est  la  logique. 

Songeons  ïoaintenant  à  ceux  qui  partent  et  qui  dans  quelques 
heures  vont  prendre  passage  sur  le  vapeur  que  nous  venons  de 
visiter  et  qui  attend  à  son  bord  les  augustes  proscrits  pour  les 
conduire  à  Douvres.  Songeons  à  ces  princes  qu'on  chasse  indi- 
gnement de  leur  pays,  à  Monsieur  le  comte  de  Paris,  condamné 
à  l'exil  sans  que  jamais  sa  conduite  ait  été  autre  que  celle  d'un 
brave  et  loyal  Français.  Songeons  à  son  auguste  épouse,  à 
cette  mère  anxieusement  penchée,  en  ce  moment,  sur  le  berceau 
cil  sa  fille,  la  princesse  Louise,  se  débat  sous  l'étreinte  d'une 
dangereuse  maladie... 

Et  voyons  se  dresser  ce  saisissant  contraste  : 

D'une  part  la  république  acclamant,  plaçant  à  sa  tête,  se 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  713 

donnant  pour  chefs  et  comblant  d'honneurs  les  anciens  membres 
de  la  Commune,  ceux  qui  ont  sa«cagé  Paris,  brûlé  les  palais, 
fait  couler  à  flots  le  pétrole  et  le  sang  des  otages... 

D'autre  part,  cette  même  république  qui  met  hors  la  loi, 
chasse  du  territoire  comme  des  malfaiteurs  ces  princes  français 
qui  ont  poussé  l'amour  de  la  patrie  jusqu'à  prendre  le  voile  de 
l'anonyme  pour  pouvoir  combattre  dans  l'armée  pendant  ki 
guerre  de  1871;  qui  depuis  quinze  ans  ont  donné  l'exemple  de 
toutes  les  vertus  civiques  ;  qui  ont  secouru  toutes  les  mis.éi»as 
depuis  les  cholériques  de  Marseille  jusqu'aux  mystérieus.ôs 
détresses  ;  dont  la  présence,  enfin,  était  pour  notre  commerce 
et  notre  industrie,  une  sorte  de  compensation  à  la  pénurie  des 
commandes. 

Mais  il  n'est  pas  possible  que  l'injustice  et  le  mal  triomphent 
toujours. 

Au  moment  donc  où  ils  vont  prendre  le  chemin  amer  de  l'exil, 
nous  adress-ons  notre  hommage  respectueux,  un  salut  de  fidélité 
■et  d'espoir  à  ceux  que  la  république  chasse  de  ce  sol  oii  ils  sont 
nés  et  qu'ils  aiment  d'un  amour  si  profondément  filial! 

Puisque  Monsieur  le  comte  de  Paris  est  traité  en  roi  de 
France  par  la  république  qui,  pour  l'exiler,  lui  reconnaît  son 
titre,  qu'il  se  dise  que  son  pays  a  besoin  de  lui. 

Le  cœur  et  le  caractère  de  l'héritier  de  la  Maison  de  France,, 
sont  à  la  hauteur  de  l'épreuve  passagère  qu'il  subit  et  qui  le 
revêt  en  même  temps  de  tout  son  prestige. 

Il  peut  compter  sur  la  constance  inébranlable  de  ses  amis. 

Lui  et  nous,  nous  avons  une  foi  égale  dans  l'avenir  de  la 
France  qui  se  confond  avec  le  retour  de  la  monarchie  chrétienne. 

Là  seulement  est  le  salut. 

11  y  a  ici  une  influence  énorme  de  visiteurs,  venant,  à  côté 
des  populations  consternées  de  ce  pays  foncièrement  dévoué  au 
comte  de  Paris  et  à  sa  famille,  présenter  leurs  respectueux 
hommages  au  Chef  de  la  Maison  de  France  et  à  Madame  la 
comtesse  de  Paris.  On  est  frappé  du  calme  avec  lequel  M.  le 
comte  de  Paris,  qui  ne  cherche  pas  à  cacher  son  affliction, 
envisage  les  douleurs  de  l'exil,  et  l'on  sent  que  ce  calme  puise 
sa  source  dans  la  ferme  espérance  d'un  prochain  retour. 

Les  sénateurs  et  députés,  les  représentants  de  la  presse 
monarchique  sont  arrivés  à  Eu  hier  et  ce  matin.  Aucune  mani- 


714  ANNALES   CATHOLIQUES 

festation  bruyante  n'aura  lieu,  raais  en  accomplissant  un  devoir^ 
les  défenseurs  de  la  roj-auté  traditionnelle  affirmeront  les 
droits  de  la  justice  et  de  la  liberté. 

Les  élections  départementales  prochaines  préoccupent  vive- 
ment et  le  parti  républicain  et  le  gouvernement  en  France.  Les 
députés  et  les  sénateurs  do  la  majorité  qui,  à  l'occasion  des 
vacances  de  Pâques,  ont  passé  quelques  semaines  dans  leurs 
départemeats,  sont  rentrés  à  Paris  fort  inquiets  de  symptômes 
qu'ils  y  ont  vus;  les  renseignements  envoyés  par  les  fonction- 
naires au  gouvernement  ne  troublent  pas  moins  celui-ci.  Le 
pays  s'apprête  à  confirmer  ses  votes  du  4  octobre,  et  les  élec- 
tions départementales  ne  vont  être  que  la  prolongation  des 
élections  législatives. 

Cela  ne  fait  doute  pour  personne,  pas  plus  dans  le  parti  répu- 
blicain que  dans  le  parti  conservateur.  Le  Français  croit  que 
le  nombre  de  sièges  que  les  partisans  des  institutions  actuelles 
se  verront  enlever  par  leurs  adversaires  au  mois  d'août  prochain 
sera  très  considérable,  et  que,  dans  plus  d'un  département,  les 
conservateurs  reprendront  au  conseil  général  la  majorité  sur 
les  républicains. 

Huit  ans  de  travaux  forcés,  cinq,  six  et  sept  ans  de  réclusion 
pour  ceux  qui  ont  frappé  mortellement;  l'acquittement  pour 
ceux  qui  ont  piétiné  le  cadavre  et  martvrisé  la  victime.  Voilà 
tout  le  châtiment  que  le  tribunal  de  l'Aveyron  a  infligé  aux 
assassins  de  M.  Watrin  ! 

Eh  bien,  franchement,  ce  n'est  pas  payer  cher  un  abominable 
crime,  et  à  ce  prix-là,  les  mineurs  de  Decazeville  peuvent  se 
dire  qu'ils  auraient  eu  tort  de  ne  pas  s'ofîrir  leur  sanguinaire 
divertissement. 

Les  grévistes  de  l'avenir  ne  trouveront  pas  dans  ce  jugement 
un  exemple  bien  terrible  qui  les  arrête  dans  leurs  fureurs  san- 
glantes, et  l'on  voit  que,  par  le  temps  de  république  qui  court, 
un  assassinat  n'est  pas  considéré  comme  un  si  grand  forfait, 
puisque  ceux  qui  le  commettent  encourent  des  peines  assuré- 
ment peu  proportionnées  avec  la  grandeur  du  crime. 

Tout  scandaleux  qu'il  est  ce  jugement  a  été  précédé  d'un 
incident  non  moins  scandaleux  et  qui  permet  de  toucher  du 
doigt  les  progrés  de  l'esprit  démagogique. 

La  veille  du  jour  où  le  jugement  a  été  prononcé,  le  maire  de 


CHRONIQUE   DE    LA    SEMAINE  715 

Rodez  a  offert  un  punch,  à  riiôtel-rle-ville,  aux  défenseiiis  des 
accusés  et  à  la  presse  socialiste.  Il  les  a  rerus  comme  on  i  ece- 
vrait  des  soldats  qui  viennent  de  sauver  l'honneur  du  dfîipeau, 
aux  accents  de  la  Marseillaise ymcQ  pai-  la  musique  munici|iale. 
II  leur  a  souhaité  la  bienvenue.  Il  a  ap})laudi  à  un  discours  de 
M.  Laguerre  fait  au  nom  des  députés  intransigeants,  à  un 
discours  de  M.  Carrié  fait  au  nom  des  «  exécuteurs  »  de 
M.  Watrin,  à  un  discours  de  M.  Fourniéres,  du  Cri  du  Peuple, 
fait  au  nom  de  la  presse  insurrectionnelle.  Il  a  terminé  la 
soirée  par  une  allocuiion  émue  dans  laquelle  il  a  fraternisé 
avec  les  pires  démagogues.  Brvif  il  a  joué  à  Rodez,  devant  les 
magistiats,  devant  les  jurés,  le  rôle  ini|nalifiable  que  M.  Cay- 
rade  a  joué  à  Decazeville  devant  la  foule  furieuse.  «  Ça  se 
corse,  »  disait  M.  Cavrade  en  renvoyant  les  gendarmes  qui 
auraient  pu  sauver  la  vie  de  M.  Watrin. 

On  peut  ajouter  que  le  laisser-aller  administratif  «  se  corse  » 
étrangement.  Ainsi,  voilà  un  maire  qui,  pour  faire  sa  cour  aux 
révoluticnnaiies,  prostitue  son  pouvoir  aux  plus  viles  pa>^sions. 
Celui-là  sans  doute,  espère  aussi  se  faire  nommer  député, 
puisqu'aujourd'hui  le  scandale  mène  à  tout. 

On  se  rappelle  peut-être  le  citoyen  Constans,  l'ancien  inven- 
teur des  poDipas  mobiles  de  Barcelone,  le  député  de  Toulouse, 
l'ancien  ministre  qui  se  montra  si  acharné  et  si  brutal  dans  le 
crochetage  des  couvents  et  l'expulsion  des  religieux?  Bien  qu'on 
parlât  peu  de  lui,  M.  Constans  n'était  pas  mort.  Entré  pauvre 
aux  affaires,  il  était  devenu  riche  et  jouissait  de  sa  fortune.  Il 
ne  tenait  plus  à  remonter  au  pouv  ir;  les  temps  ne  sont  pas 
bons  pour  les  mini.<tres;  mais  il  mourait  d'envie  d'arriver  aux 
grandes  charges,  déjouer  un  rôle  quelcontiue  auprès  des  cours 
étrangères.  Il  levait  d'avoir  un  habit  brodé  et  d'être  ambassa- 
deur. Et  ce  rêve  est  aujourd'hui  réalisé,  si  nous  en  croyons  les 
informations  des  feuilles  officieuses.  M.  Constans,  M.  Constans 
lui-même,  est  ambassadeur.  Sa  nomination  va  paraître  à  VOffi- 
ciel.  Seulement,  ce  n'est  pas  en  Europe  que  M.  Constans  va 
briller  dans  ce  nouveau  rôle.  M.  de  Freycinet  l'envoie  à  I\"kin. 

A  la  place  du  Fils  du  Soleil,  nous  n'accueillerions  pas  sans 
objection  le  choix  d'un  pareil  ambassadeur.  11  est  de  notoriété 
européenne  que  INI.  Constans  ne  set.t  pas  bon.  Après  cela,  en 
Chine,  on  vit  beaucoup  au  grand  air,  et  puis  le  voyage  désin- 
fectera l'ambassadeur  de  M.  Grévy. 


716  A.WiSALES    CATHOLIQUES 

Admirons  M.  de  Freycinet.  En  Annam,  la  République  a  le 
•devoir  de  protéger  les  missions  chrétiennes  contre  la  fureur  des 
mandarins  et  des  lettrés  annamites.  Et  M.  de  Frejxinet  a  ima- 
giné de  transformer  l'aboTeur  à  la  soutane,  M.  Paul  Bert^  en 
protecteur  forcé  de  nos  missions.  Aujourd'hui  qu'il  faut  avoir 
à  Pékin  un  homme  au  courant  des  questions  religieuses,  autant 
que  des  affaires  compliquées  de  l'Extrême-Oiient,  c'est  M.  Cons- 
tans,  l'expulseur  des  religieux,  que  M.  de  Freycinet  envoie  au 
Fils  du  Ciel.  Au  fait,  M.  de  Freycinet  désire  peut-être  que 
MM.  Paul  Bert  et  Constans  enseignent  aux  Chinois  et  aux 
Annamites  l'art  de  se  débarrasser  «  du  phylloxéra  clérical  » 
sans  sabres  et  sans  fusils.  Mais  alors,  à  quoi  bon  parler  de  poli- 
tique coloniale? 

La  situation  a  repris  un  caractère  des  plus  graves,  en  Bel- 
gique, au  point  de  vue  des  grèves. 

Les  charbonnages  de  Flenu  et  de  Quaregnon  sont  en  grève 
complète.  Trois  mille  mineurs  ont  abandonné  le  travail,  et  ils 
exercent  une  pression  violente  sur  les  ouvriers  des  autres 
industries,  les  obligeant  à  quitter  les  ateliers.  Les  désordres 
ont  revêtu  un  caractère  si  violent  que  la  gendarmerie  a  été  obli- 
gée de  charger  sur  plusieurs  points. 

1-es  troupes  sont  insuffisantes  pour  maîtriser  les  ouvriers 
insurgés. 

Au  Borinage,  la  grève  est  complète  aussi. 

Des  groupes  de  femmes  très  surexcitées  parcourent  le  pays 
portant  des  drapeaux  noirs. 

Ou  n'évalue  pas  à  moins  de  sept  mille  les  ouvriers  actuelle- 
ment en  grève. 

Une  dépêche  de  Mons  signale  l'extension  de  la  grève.  Le 
nombre  des  grévistes  serait  actuellement  de  5000.  Dix-huit 
grévistes  ont  été  arrêtés.  Une  bande  de  6000  grévistes,  portant 
des  drapeaux  rouges,  est  partie  de  Quaregnon  et  se  dirigeant 
vers  Jemmapes  en  commettant  des  désordres,  s'est  enfuie 
devant  les  gendarmes. 

Pendant  que  le  Saint-Père  tenait  consistoire  au  Vatican,  le 
roi  Humbert  ouvrait  solennellement  la  nouvelle  Chambre  et 
prononçait  le  discours  le  plus  lameatable.  Les  grandes  questions 
politiques  ont  été  passées  sous  silence;  rien  sur  la  politique 
intérieure,  ni  sur  la  politique  extérieure.  Et  c'était  peut-être 


CHRONIQUE    DE    LA.   SEMAINE  717 

tFé»  prudent,  car  on  n'aurait  eu  qu'à  rappeler  des  faits  honteux 
et  déshonorants  pour  l'Italie.  Cet  enabarras  et  ce  silence  se 
comprennent,  car  le  scrutin  a  trompé  l'attente  du  gouvernement, 
on  comptait  sur  un  parti  ministériel  solide  et  compacte,  et  on 
est  en  présence  d'une  Chambre  qui  pourra  bien  se  disloquer  au 
premier  choc.  On  n'ose  dire  ce  que  l'on  veut  et  oii  l'on  va,  de 
peur  d'être  en  face  de  conflits  nouveaux.  En  somme,  la  con- 
fusion est  la  même  et  le  confusionisme  régnera  comme  aupara- 
vant. On  pourrait  faire  une  magnifique  étude  sur  la  force  morale 
et  la  dignité  des  deux  souverains  qui  résident  à  Rome.  Le  pri- 
sonnier du  Vatican  se  fait  entendre,  et  les  nations  se  réjouissent 
et  s'inclinent  en  admirant  la  sagesse  du  Pontife;  le  roi  d'Italie 
prononce  un  discours,  et  ses  sujets,  ses  plus  fidèles  partisans 
sont  obligés  de  constater  l'effet  lamentable  des  paroles  de  leur 
roi.  Le  Quirinal  usurpateur  fait  bien  mesquine  figure  à  côté  de 
l'auguste  prisonnier  du  Vatican. 

Nous  connaissons  maintenant  le  résultat  des  élections  qui  ont 
eu  lieu  mardi  eu  Hollande  pour  le  renouvellement  de  la  seconde 
Chambre.  Les  libéraux  ont  46  sièges,  et  les  anti-libéraux  34, 
et  il  y  a  4  ballottages.  Les  libéraux  auront  donc  la  majorité. 

La  Chambre  précédente,  dans  laquelle  la  gauche  et  la  droite 
catholique  et  protestante  comptaient  un  nombre  égal  do  voix, 
avait  entrepris  la  révision  de  la  Constitution,  Cette  tâche  était 
au-dessus  de  ses  forces.  Les  deux  partis  de  la  Chambre,  dont 
aucun  ne  pouvait  donner  la  majorité  au  ministère  de  M.  Heems- 
kerk,  se  scindèrent  en  fractions  diverses  quand  on  en  vint  à 
l'article  194  de  la  Constitution,  qui  stipule  la  laïcité  des  écoles. 
II  ne  put  se  faire  d'entente  entre  les  divers  groupes,  et  le  minis- 
tère, après  avoir  donné  sa  démission,  fut  rappelé  par  le  roi  et 
autorisé  à  dissoudre  la  Chambre. 

Quel  sera  le  résultat  dos  élections  qui  auront  lieu  bientôt 
pour  la  première  Chambre? 

La  nomination  du  Sénat  hollandais  est  confiée  aux  onze 
assemblées  provinciales.  Ces  assemblées  viennent  d'être  renou- 
velées. Deux  de  ces  conseils,  ceux  de  la  Groningue  et  de 
Drenthe,  sont  composés  exclusivement  de  libéraux;  cinq,  ceux 
de  la  Hollande  du  Sud  et  du  Nord  de  la  Zélande,  de  la  Frise, 
de  rOverjssel,  ont  des  majorités  libérales;  dans  quatre  seule- 
ment de  ces  assemblées,  celles  du  Brabant  du  Nord,  de  la 
G-ueldre,  de  la  province  d'Utrecht,  du  Limbourg,  les  anti-libé- 


718  ANNALES    CATHOLIQUES 

raux  remportent.  Les  libéraux  peuvent  donc  compter  sur  une 
majorité  assez  forte  dans  la  première  Chambre  du  royaume. 

De  tristes  nouvelles  nous  parviennent  d'Annam.  Une  dépêche 
de  Saigon  signale  de  nouveaux  massacres  de  chrétiens.  Quel 
est  le  chiffre  des  victimes?  On  l'ignore.  Il  est  à  craindre  qu'il 
soit  important,  car  les  Annamites  sout  arrivés  jusqu'aux  envi- 
rons de  Tourane;  deux  officiers  français  ont  été  tués  et  des 
villages  ont  été  biùlés  à  peu  de  distance  de  cette  ville.  11  faut 
espérer  que  le  corps  d'occui)ation  n'est  pas  menacé  par  ce  réveil 
des  Annamites,  et  qu'il  sufhra  à  venger  ses  officiers  et  les  mal- 
heureux chrétiens. 

L'optimisme  de  M.  Paul  Bert  se  trouvera-t-il  atteint  par  la 
connaissance  de  ces  faits?  Le  résident  apprendra  —  aux  dépens 
des  autres  —  que  son  titre  de  membre  de  l'Institut  n'est  pas 
suffisant  pour  pacifier  une  contrée.  Par  une  navrante  coïnci- 
dence, le  numéro  de  ï Avenir  du  Tonkin,  qui  nous  arrive  en 
même  temps  que  cette  dépêche,  constate  «  avec  plaisir  »  les 
sentiments  de  «  bonne  cordialité  »  qui  président  aux  relations 
entre  Français  et  Annamites.  Le  même  journal  raconte  avec 
satisfaction  que  M.  Paul  Bert  a  reçu  à  Hanoï,  l'ambassadeur 
envoyé  par  le  roi  d'Annam  —  fait  sans  précédent,  dit-il  —  au- 
devant  de  lui.  Fait  encore  sans  précédent,  le  roi  lui  a  rendu 
visite  à  Hué. 

Le  souverain  d'Annam  aurait-il  deviné  l'infatuation  do  notre 
résident  et  endormi  sa  vigilance  par  ses  flatteries?  M.  Jules 
Ferry  qui  disait,  il  y  a  peu  de  jours  à  la  Chambre,  que  si  «  ses 
actions  ne  faisaient  pas  encore  prime,  elles  étaient  du  moins  au 
pair,  »  trouvera  sans  doute  que  ces  nouvelles  ne  sont  pas  de 
nature  à  «  les  faire  monter  ». 


REVUE  ÉCONOMIQUE  Eï  FINANCIÈRE. 

On  a  détaché,  la  semaine  dernière,  le  coupon  semestriel  sur  le 
3  0/0  ancien,  qui  va  sans  doute,  s'il  continue,  regagner  rapidement 
son  coupon.  Les  autres  types  de  nos  rentes  IVançaiscs  ont  également 
des  cours  soutenus. 

La  fin  de  la  grève  de  Decazeville  n'est  peut  être  pas  étrangère  à  ce 
mouvement  de  hausse  des  tonds  publics  et  puis,  est-il  besoin  de  le 
dire,  en  liaut  lieu  on  tient  à  la  h:iusse  tant  que  la  question  des 
princes  ne  sera  pas  terminée;  vous  comprenez  comnu  cela  ferait 
mauvais  effet  une  baisse  de  oO  cent,  ou  de  1  franc  sur  nos  renies. 

Le  ministre  de  l'intérieur  veut  voir  tout  en  beau;  il  prétendait,  à 
nndes  derniers  conseils  des  ministres  qu'il  y  avait  un  commence- 


RKVUK  ÉCONOMIQUK  ET  FINANCIÈRE  719 

aient  de  reprise  industrielle  dans  nos  ét.iblissenieiits  du  Nord.  S'il 
pouvait  dire  vrai  !  l'ourlant  la  slalislique  de  notre  coniincrce  exté- 
rieur, pour  les  cinq  premiers  mois  de  l'année,  est  encore  loin  de 
montrer  la  situation  sous  un  jour  satisfaisant,  bien  qu'il  y  ait  un  peu 
de  progrès  à  l'exportation. 

Le  Journal  ufficicl  du  13  juin  a  publié  le  rendement  de  l'impôt 
de  3  0/0  sur  le  revenu  des  valeurs  mobilières  pour  les  cinq 
premiers  mois  de  1886. 

Les  évaluations  budgétaires  pour  cet  impôt  s'élevaient  à 
24.''26i.500  francs.  L'impôt  a  donné  5:^4.893.000  IVar.cs,  soituu  boni 
de  3^28. 3d0  francs.  Or,  si  l'on  fait  lecomptc  de  ce  que  l'eprésenlecct 
impôt.,  comme  revenu  encaissé  par  les  capitalistes  grands  et  petits, 
on  trouve  que,  pour  cinq  mois,  le  revenu  des  valeurs  soumises  à  la 
taxe,  s'est  élevé  à  829. 763. 63B  francs  et,  dins  ce  total,  ne  sont 
compris  ni  les  coupons  de  nos  renies,  ni  ceux  des  valeurs  étrangères. 

Ces  énormes  rentrées  n'espliqueut-elles  pas  suffisamuient  la 
hausse  incessante  des  rentes  et  des  bonnes  valeurs.  Car  c'est  aux 
renies,  aux  obligations  du  Crédit  foncier  et  à  celles  de  nos  chemins 
de  fer  que  va  naturellement  tout  ce  qui  est  économisé  sur  le  revenu, 
depuis  que  l'épargne  n'est  plus  sollicitée  par  des  affaires  nouvelles, 
cl  surtout  bonnes  ;  et  voilà  aussi  pourquoi  la  baisse  ne  peut  prévaloir, 
aidée  même  par  des  évéuernenfcs  qui,  autrefois,  avaient  mis  la 
bourse  et  la  cote  par  dessus  boi-d. 

Les  bilans  du  Ui  mai  publiés  par  les  grands  établissements  de 
crédit  nous  montrent  une  accumulation  de  capitaux  improductifs  qui 
prend  des  proportions  inusitées.  Les  comptes  de  chèques  ont  consi- 
dérablement grossi;  l'encaisse  des  Banques  atteint  des  chiffres 
énormes.  Qu'est-ce  qu'on  attend?  La  confiance  et  elle  est  loin! 

Pourtant,  avec  des  institutions  plus  stables,  une  faible  partie  de  ce 
qui  dort  ainsi  suftirait  pour  faire  cesser  la  crise  dontsoulîVe  le  pays. 
^ Les  journaux  de  tous  les  partis  s'égosillent  à  crier  :  «  Travaillons!  » 
comme  les  comparses  des  chœurs  de  théâtre  et  personne  ne  met  la 
main  à  l'ouvi'age.  Nous  avons  pourtant  l'emprunt  de  la  ville  de 
Paris,  le  Métropolitain,  les  canaux  de  Bordeaux  à  Narbonne,  celui  du 
Nord,  les  ii-rigations  du  Hhône  ;  les  obligations  du  Panama  ;  autant 
d'affaires  qui  ne  peuvent,  étant  bien  conduites,  que  donner  de 
bons  résultats  financiers,  tout  en  dotant  notre  pays  d'un  outillage 
de  premier  ordre. 

Comme  le  capitaliste  et  le  rentier  ne  savent  plus  où  placer  leurs 
économies  et  qu'ils  sont  las  de  laisser  dans  les  banques  leur  argent 
à  1  0/0  ;  ils  offrent  à  l'étranger  cet  argent  que  la  France  refuse 
d'employer;  ou  ils  achètent  les  quelques  bonnes  valeurs  de  la  cote, 
valeurs  qui  deviennent  d'un  prix  de  plus  en  plus  élevé. 

A  ceux  qui  ont  des  achats  à  faire,  nous  ne  pouvons  leur  recom- 
mander mieux  pour  le  moment  que  l'obligation  foncière  188o, 
libérée  de  140  francs,  dont  le  premier  tirage  aura  lieu  le  5  juillet 
prochain.  Elle  est  à  57  francs  au-dessous  de  son  taux  de  rembour- 
sement. C'est  un  point  à  examiner  que  le  taux  de  remboursement 
d'un  titre.  Ce  sera  l'objet  d'un  article  spécial  qui,  nous  l'espérons, 
vous  donnera  satisfaction.  A.  H. 


TABLE  DES  MATIERES 


(ij 


IVnméro  T^îe  (3  avril  1886.) 

—  Les  intentions  de  Léoa  XIII 
5.  —  L'article  58  de  la  nou- 
velle loi  sur  renseignement 
primaire  (suite  et  fin),  12.  — 
Le  Bienlieurcux  Grignon  de 
Montforl,  -18.  —  Tribunaux. 
La  suppression  du  traitement 
des  desservants,  20.  —  Confé- 
rences do  Notre-Dame,  par  le 
R.  P.  Monsabré,  2'.  —  La 
comtesse  de  Chambord,  34.  — 
Nouvelles  religieuses,  37.  — 
Les  Chambres,  44.  —  Chro- 
nique de  la  semaine,  Ll.  — 
Revue  économique  et  finan- 
cière, 55. 

IVnméro  T-^T  (10  avril  1886). 

—  Lettre  du  cardinal  Guibert 
à  M.  Grévy,  57.  —  La  suspen- 
sion des  traitements  ecclésias- 
tiques, par  M.  Fernand  Nicolay, 
70.  —  Tribunaux,  74.  —  Don 
Alessandro  Torlonia,  79.  — 
Conféi'ences  de  Notre-Dame, 
par  le  R.  P.  Monsabré,  86.  — 
Nécrologie,  03.  —  Nouvelles 
religieuses,  96.  —  Les  Cham- 
bres, 102.  —  Chronique  de  la 
semaine,  104.  —  Petite  chro- 
nique, 110.  —  Revue  écono- 
mique et  financière,  111. 

Numéro  r-SS  (17  avril  188G). 
Le  pétitionnement,  113.  — Les 
jésuites  allemands  (suite  et  fin), 
1 15.  —  Une  messe  au  Cénacle, 
123.  —  La  lettre  du  cardinal 
Guibert  et  l'Episcopat,  128.  — 
Le  discours  de  M.  Jules  Simon, 
135.  —  Conférences  de  Notre- 
Dame,  par  le  R.  P.  Monsabré, 
145.  —  Les  Chambres,  152.  — 
Chronique  de  la  semaine,  ]56. 

—  Nouvelles  religieuses,    166. 

—  Revue  économique  et  finan- 
cière, 167. 

IVuméro  r49  (24  avril  1886). 
La  mort  de  Jésus  par  l'abbé 
Fouard,  169.  —  La  semaine 
sainte  à  Jérusalem,  par  M.  S. 
de  V.,  169.  —  La  lettre  du 
cardinal  Guibert  et  l'Episcopat 
(suite),  188.  —  Le  Saint-Siège 


et  l'Allemagne,  193.  —  Confé- 
rences de  Notre-Dame,  par  le 
R.  P.  Monsabré,  195.  —  Nécro- 
logie, 204.  —  Les  Chambres 
207.  —  L'affaire  de  Château- 
villain,  209.  —  Chronique  de  la 
semaine,  213.  —  Variétés,  M.  de 
Bismark  photographe,  218.  — 
Bulletin   bibliographique,  222. 

—  Revue  économique  et  finan- 
cière, 223. 

IVuméro  r^O  (1"  mai  1886). 
A  Notre-Dame,  225.  —  Un 
ouvrage  du  cardinal  Pitia,  par 
l'a'Dbé  A.  Benoit,  228.  —  L'af- 
fairede  Châteauvillain  au  Sénat 
(suite  et  fin),  235.  —  La  situa- 
tion religieuse  en  Orient,  243. 

—  Le  Canada  et  la  France,  246. 

—  Les  œufs  de  Pâques  par 
Charles  Saint-Martin,  250.  — 
La  banqueroute  du  protestan- 
tisme, 255.  —  La  lettre  du 
cardinal  Guibert  et  l'Episcopat 
(Suite),  257.  —  La  vérité  sur 
l'aifaire  de  Châteauvillain,  261. 

—  Nouvelles  religieuses,  265. 

—  Chronique  de  la  semaine, 
272.  —  Revue  économique  et 
financière,  S!79. 

]%uméro    T^l    (8   mai    1886). 

Duel     politique,    279.     —    La 

ruine  de  la  Rome  antique,  par 

Hermann  Grimm,   281.  —  Lo 

programme  Franc-Maçon,  283. 

—  Monseigneur  de  Langaie- 
rie,  289.  —  Les  chanoines  de 
Carthage,  293.  —  Nouveaux 
massacres  au  Tong-King,  295. 

—  La  lettre  du  cardinal  Gui- 
bert et  l'Episcopat,  (suite), 
299.  —  Le  catholicisme  dans 
le  Grand-Duché  de  Hesse,  303, 

—  Nécrologie,  307.  —  Nou- 
velles religieuses,  308.  — Chro- 
nique de  la  semaine,  322.  — 
Petite  chroniciue,  329.  —  Va- 
riétés, 336.  —  Revue  écono- 
mique et  financière,  331. 

IVuméro  "^S^  (15  mai  1886). 
Appels  comme  d'abus,  335.  — 
La  nouvelle   loi  scolaire,   339. 

—  La  Francejuive,  par  Etienne 


(1)  Les  chiffres  qui  suivent  les  différents  articles  indiquent  les  pages. 


TABLE    DES   MATIERES 


721 


Jouve,  342.   -La  ruine  de  la 
Rome   antique   (puit^),  i)i».  — 
Le  chant  du  peuple,  par  A.  ^e- 
lapoite,  P.  M.  35-2.   -   Le   V<= 
Con<^rès  des  œuvres  eucharis- 
tiques,   30 1.    —  La    lettre   du 
cardinal  Guibert  et  TEpiscopat 
(suite),  363.  —  Nouvelles  reli- 
./leuses,   36S.  —  Chroni'jue  do 
U     semaine.     .^78.     —    Petite 
chronique,  3S8.  —  Revue  éco- 
nomique et  financière,  3b9. 
muméro   r:53  (-22  .mai    1885) 
L»  chemin  de  la  croix.  391.  — 
Lf«  ori'^inps  de  la  civilisation 
moderne,  397.  —  La  Grèce  et  le 
Vatican,  406.  —  La  rume  de 
la  Rome   antique  (suite),  40h. 
La  lettre  du   cardinal  Gui- 
bert et  l'Episcopat  (suite)  414. 

Causerie   scientiiic[ue,    41J. 

La  persécution    en    Chine, 

4-28.  Mouvelle^  religieuses, 

43-2.  —  Chronique  de  la  se- 
maine, 437.  —  aevue_  écono- 
mique et  financière,  445. 
IWwméro  Tli-^  (29  mai  1886) 
Deuxième  anniversaire  de  la 
mort  de  M.  J.   Chantrel,  44;. 

La  France,  la  Chine  et  le 

Saint-Siège,  448.  —  Le  cardi- 
nal Pie  et  la  sécularisation, 
4r,o_  —  Confidences  de,  Lamen- 


nais,    4.DI 


—    Les    études    à 


Rome,  4G2.  —  Un  miracle  a 
Lourdes,  466.  —  La  lettre  du 
cardinal  Guibert  et  TEpiscopat 
(suite),  477.  —  Nouvelles  reli- 
tv-ieu-ses,  480.  —  Les  Chambres 
4y(),  _  Chronique  de  la  se- 
maine, 491.  —  Variétés,  500. 
Revue  économique  et  finan- 
cière,   501. 


■WisïtîK-^'"**  ■ysâ 


|5   luin 


1S88). 


La  pompe  dails  les  églises,  o03. 
A  la  dérive,  507.  —  Con- 
fidences de  Lamennais  (suite 
et  fin),  511.—  La  jeune  Italie, 
la  vieille  Papauté,  517.  — 
Comme  quoi  en  descend  l'es- 
calier rouge,  519.  —  Le  so- 
cialisme italien,  522.  —  La 
justice  criminelle  en  1884,  527. 
La  lettre  du  cardinal  Gui- 
bert et  TEpiscopat  (suite),  531. 
—   Nécrologie,    536.   —   Nou- 


velles religieuses,  538.  —  Les 
Chambres,  5i5.  —  Chronique 
de  la  semaine,  550.  —  Revue 
économique  et  financière,  557. 

IVuméro  T?50  (12  juin  1886). 
Actes    du    Co-^sistoire    secret, 
559.   —   Les    Ruines,    5G1.    — 
D'-cadence.  567.  —  Budget  do 
prêtre,     budget    du    miuistre, 
570.  —  L'association  chrétienne 
des  honnêtes  gens,  576.  —  La 
Bible  et  la  critique  rationaliste, 
582.  —  Un  missionnaire  belge 
à  l'île    Van    Couver,    587.    — 
Assemblée  générale  des  Catho- 
liques, 592.  —  Nécrologie,  598. 
Nouvelles  religieuses,   599.  — 
Les  Cham lires,   603.  —   Chro- 
nique  de   la   semaine,   605.  — 
Revue    économique    et    finaa- 
cière,  613. 

Numéro  TSr  (19  juin  1886). 
Consistoire  du  10  juin  1885, 
615  —  Les  nouveaux  Cardi- 
naux, 620.  —  L'homme  en 
regard  de  la  création,  627.^  — 
Le  recensement,  6:9.  —  L  as- 
,sociatioa  chrétienne  des  hon- 
nêtes gens  (suite  et  tin),  631. 

Les  Chambres,  634.  —  Une 

nouvelle  infamie,  645.  —  As- 
semblée générale  des  Catho- 
liques, 648.  —  Nouvelles  reli- 
gieuses, 650.  —  Nocrologie, 
659.  —  Chronique  de  la  se- 
maine, 660.  —  Bulletin  biblio- 
graphique, 66i.  —  i^evue  éco- 
nomique et  financière,  66», 

IVîiméro  TSS®  (23  juin  1886). 
Léon  XUl   et  ia  France,  6il. 
Home-Rule,  673.  —  Une  com- 
paraison,  Franco   et  Belgique, 
G78   —  Les  sociétés  de  secours 
mutuels,   6S0.    —   Le   but   su- 
prême de  la  franc-maçonner^ie, 
^34.  _  Mgr  de  Ségur  et  I  eu- 
charistie, 638.  —  Le  Congres 
de   Toulouse,   693.   —   Assem- 
blée générale  des  Catholiques 
(suite     et    fin),    696.    —    Les 
Chambres,  701.  —  Chronique 
de  la  semaine,  712.  —  Revue 
économique  et  financière^  /l». 
—  Table  des  matières,  720.  — 
Table  alphabétique,  722. 


TABLE   ALPHABÉTIQUE 


(1) 


Abus.  —  Déclaration  d'abus  ron- 
tie  l'Evêque  de  Saint-Dié,  567. 

—  Appels  comme  d'abu?,  335, 
Académie.  —  Attribution  do  prix, 

110. 

A  In  dérive,  507. 

Allemagne.  — La  nouvelleloi  reli- 
gieuse, 54,  101,  216,  275,  328, 
383.  — L'Allemagne  et  le  Saint- 
Siège,  193.  —  Prorogation  de 
la  loi  contre  les  socialistes,  109. 
• —  La  question  ouvrière,  342. 

Amélie  (la  princesse)  d'Orléans. 

—  Son  mariage  avec  le  duc  de 
Bragance,  388,491.  —  Paroles 
de  l'ambassadeur  de  France, 
494. 

Angleterre.  —  Les  projets  relatifs 
à  rirlande,  53,  164,  327,  499, 
556,  612.  —  Dissolution  de  la 
Chambre  des  Communes,  666. 

Appels  comme  d'abus,  335. 

Assemblée  générale  des  catholi- 
ques, 37,  592,  618,  696. 

Association  (!')  chrétienne  des 
honnêtes  gens  sur  le  terrain 
des  affaires,  par  le  P.  L.  de 
Besse,  5:6,  631. 

Augustin  (Saint-).  —  Son  cen- 
tenaire à  Rome,  371,  436. 

Australie.  —  Réponse  de  Mgr  Gib- 
bons aux  évoques  d'Australie, 
319. 

Banqueroute  (la)  du  Protestan- 
tisme, 255. 

Bavière.  —  Folio  et  suicide  du 
roi  Louis  II,  663. 

Belgique.  —  Troubles  et  grèves, 
51.  —  Election  do  Bi-uxelles, 
444.  —  Election  du  8  juin,  611, 
667.  —  Interdiction  de  la  ma- 


nifestation du  13  juin  à  Bruxel- 
les, 556. 

Benoit  (abbé).  —  Un  ouvrage  du 
cardinal  Pilra,  228. 

Besse  (R.  P.  L.  de).  —  L'associa- 
tion des  houriètes  gens  sur  le 
terrain   des  affaires,   576,   631. 

Bible  (1h)  et  la  ciilique  latioua» 
lisle  par  M.  Mai-ius  Sepet,  582. 

Bismark  (M.  de)  photographe, 
218. 

Budget  des  cultes.  —  Décision 
de  la  commission  de  no  pas  le 
discuter,  552. 

Budget  du  prêtre.  Budget  du 
minislre,  570. 

Bullf-lin  bibliographique,  222, 
668. 

But  (le)  suprême  do  la  franc-ma- 
çonnerie, 684. 


Canada  (le)  et  la  France,  246. 

Cardinaux  (les  nouveaux).  — 
Wgr  Bernailou,  620.  —  Mgr  Lan- 
géiiioux,  621.  —  Mgr  Place, 
621.  —  Mgr  Gibbons,  622.  — 
Mgr  Taschereau,  622.  —  Mgr 
Theodoli,  624.  —  Le  R.  P. 
Mazzella.  626. 

Carolines  (les).  — Création  d'une 
mission  spéciale,  538. 

Cassagnac  (P.  de).  —  Le  Recen- 
sement, 629. 

Causerie  scientifique,  419. 

Chambord  (comtesse  dp).  —  Sa 
mort,  34.  —  Biogra|)hip,  35. 

Chambres  (les)  44,  102.  152,  207, 
490,  545,  603,  634,  701, 

Chant  (le)  du  peuple  dans  les 
Eglises  par  le  R.  P.  Delaporte, 
352. 

Chanlrel  (Henri).  —  Son  mariage 
avec    mademoiselle   Prat,    GO't. 

Chantrei.  (.loseph),  fondateur  des 
Annales  calholiques.  —  Second 
anniversaire   de  sa  mort,  447. 


(1)  Dans  cette  Table,  les  chiffres  qui  suivent  les  articles  indiquent 
les  pages;  les  noms  des  auteurs  dont  les  travaux  ont  été  publiés 
dans  co  volume  des  Annales  sont  en  petites  majuscules;  les  titres 
des  livres  sont  en  italiques. 


TABLE    ALPHABETIQUE 


723 


Châteauvillain  (affaire  de  ).  — 
Interpellation  de  M.  de  iMun, 
155.  —  Récit  des  f.iifs,  159.  — 
Interpollatioa  au  Sonat,  209, 
235.  —  La  vérité  sur  l'affaire 
de  Châtpauvillain ,  par  Mgr 
Fava,  261.  —  Les  victimes 
poursuivies,  442,  555. 

Chpmin  (le)  <ic  la  Croix,  par  Mgr 
Fre-pel,  39L 

Chine  (la)  et  le  Saint-Siège,  267, 
31G,  369.  —  Persécution.  4->8, 

—  Lettres  du  P.  Platel,  4\Î8. 
Chi'onique  (Petite),  110,  329,  388. 
Chronique  de  la  Semaine.  51,  104, 

15G,   1M3,  27-2,  H2-2.   378,   437, 

491,  550,  005,  060,  712. 
Comme  quoi  on  descend  l'escf.lier 

louge  par  Alph.  Karr,  519. 
Comparaison  (une).  —  France  et 

Belgique,  678. 
Conférences  île  Notre-Dame,  par 

le   R.    P.    MoNSABRÉ,    27,    86, 

145.  195,  225. 
Confidences    do    Lamennais    par 

.M.    DE    PONTMARTIN,     457,     511. 

Congiès  des  œuvres  Eucharisti- 
ques 693.  —  Progiamme.  36 L  — 
Interdiction   du  Congiès,   645. 

—  Lettres  de  M.  Goblot,  645, 
6i6.  —  Lettre  du  cardinal  Des- 
prez,  647,  693. 

Conseil  d'Etat.  —  V.  Abus. 
Conseil  niiinicijial  do  Pans,  608. 
Conseils  généiaux,  524. 
Consistoires  des  7  et  lU  juin,  432, 

559;  —  discours  du  Pape,  599. 
CoR.NET  (abbé  N.).  —  Les  Jésuites 

allemands  et  ia  science  depuis 

1848,  115. 
Cuile   (le)   du  grand   architecte, 

par  Léo  Taxil,  668. 


D 


Décadence,  5^7. 

Dei.ap«)Rte  (R.  P.).  —  Le  chant 
du  peuple  dans  les  Eglises,  352. 

Deux  politiques,  279. 

Drumont(Edouard).  — La  France 
juice,  344.  —  Ses  duels,  272. 

Dumax  (abbé).  —  Iléoi.sion  et  re- 
constitution de  la  chronologie 
Biblique  et  profane,  2.;2. 


e: 

EcJio  (un)  des  joies  du  ciel,  2?3. 

Enseignement  primaire.  —  V. 
Chaiiibros.  —  Discours  de  ^L  J. 
SiMox,  135.  — Lettre  de  iMgrTu- 
uiNAZ  à  M.  Goblet,  12.  —  Péti- 
tionnemont  contre  ia  nouvelle 
loi,  99,  ll:{,  267,  316,  370.  — 
La  nouvelle  loi  scolaire,   339. 

Espagne.  —  Les   élections,   165. 

—  Assassinat  de  1  évêque  de 
Madrid,  204.  —  Naissance  du 
Roi,  445.   —  Baptême  du  Roi, 

495.  —  Lettre  du  Pape  à  la 
Reine-Régente,  543. 

Etats-Unis.  —  Le  socialisme,  386. 
Etudes  (les)  à  Rome,  462. 

Fava  (Mgr),  évêque  de  Grenoble. 

—  Lettre  à  M.  Goblet,  38.  — 
La  vérité  sur  l'affaire  de  Châ- 
teauvillain,  261. 

Fouard  (l'abbé).  —  La  mort  de 
Jésus,  169. 

France.  —  V.  Chambres,  Nou- 
vi^lles  religieuses.  Chronique, 
Petite  Chronique,  etc.  —  Elec- 
tions sénatoriales,  53,  107,  216, 
322,  437.  —  Elections,  à  la 
Chambre,    108,    164,  216,   Sll, 

496.  —  La  grève  de  Decaze- 
ville,  105.  214,  442.  —  Procès 
de  Villefranche,  213.  —  Affaire 
Lacascade,  322.  —  Les  lois 
d'expulsion  des  princes,  V. 
Chambres,  Comte  de  Paris, 
Chronique,  etc.  —  L'anniver- 
saire du  24  mai,  497. 

Fram  e  (la),  la  Chine  et  le  Saint- 
Siège,  448. 

France  (la)  juive,  par  Et.  JouvK, 
344. 

Franc-Maçonnerie  et  les  Tem- 
pliers, 500. 

FREPPEL(.\lgr),  évêque  d'Angers. 
Le  Chemin  de  la  Croix,  391. 


G 

Grèce,  217.  —  Intervention  de  la 
France,  275.  —  Avortementde 
la  médiation  française,  326,  — 
Le  blocus,  381. 

Grèce  (la)  et  le  Vatican,  406. 


725 


TABJaE    ALPHABETIQUE 


Missions.  —  V.  Tonkiti,  Chine. 
MoNSABRÉ  (R.  P.).  —  Conférences 

de  Notre-Dame,  27, 86, 145, 159. 

—  A  Notre-Dame,  225, 
Mort  (la)  de  Jésus  par  M.  l'abbé 

FOUARD,   169. 
Mort    (la)    des   persécuteurs    de 

i'Eqlùe  et  de  la  papauté,  par 

l'abbé  Pluot,  222. 


Nécrologie.  —  La  comtesse  de 
Ghambord,  34,  98.  —  Mgr  Guil- 
lemiu,  95.  —  Mgr  Von  der  Mar- 
wit/,  95.  —  Mgr  Izquierdo, 
204.  —  Mgr  Orbin,  205.  — 
M.  de  Cornuïier-Lucinière ,  206. 

—  M.  G.  Charmes,  206.  —  M.  de 
la  Croix,  duc  de  Castries,  206. 

—  M.  de  Cabrières,  206.  — 
L'abbé  Corblet,  307.  —  Mgr  Fer- 
nandoz  de  Castro,  308.  —  Isa- 
bey,  308.  —  Le  D''  Lee,rand  du 
Saulle,  329.  —  M.  Blondel,  329. 

—  M.  Honnoré,  389.  —  Mgr  Le 
Breton,  436,  488.  —  Le  colonel 
Herbinger,  536.  —  M.  Jamot, 
538.  —"Bernard  Veuillot,  598. 

—  M.  de  Canx,  659.  —  M.  de 
Lavrignais,  659. 

NicoLAY  (Fernand).  —  La  sus- 
pension des  traitements  ecclé- 
siastiques, 70. 

Nouvelles  religieuses,  37,  96,  166, 
265,  308,  368,  432,  480,  538, 
599,  650. 


O 

Œufs  (les)  de  Pâques,  par  C.  Saint- 

Maiîtin,  250. 
Orient.   —    Situation   religieuse. 

Orient  (question  d'). —  V.  Grèce. 
Origines  (les)   de    la  civllisatioa 

ciireiicrnuè,   o97. 

Ouvrage  (un)  du  cardinal  Pitra, 
par  l'abbé  Benoit,  228. 


Paris  (Comte  de).  —  Mariage  de 
la  princesse    Amélie,   388.    — 


Réception  de   l'hôtel  Galliera, 

438.  —    Départ    des    prince.^, 

439.  —  L'expulsion,  440.  494. 
550,  607,  060,  712  —  L'expul- 
sion  à  laChambre.V. Chambres. 

Perse.  —  Léon  XIll  décore  deux. 
princes  persans,  321. 

Persécution  (la).  —  Attentat  de 
Dignac,  484.  —  Le  cimetière 
d'Àuberive,  48ë.  —  V.  Ghâ- 
teauvillain. 

Pie  (le  cardinal)  et  la  sécularisa- 
tion, 452. 

Pluot  (l'abbé).  —  La  mort  des 
persécuteurs  de  l'Eglise  e;  d« 
la  papauté,  222. 

Pompe  (la)  dans  les  églisea,  par 
Mgr  IsoARD,  503. 

Programme  (le)  franc-maçon,  286. 


Question  (la)  ouvrière  en  Allema- 
gne, 342. 


R 

Renier  (Monsignor).  —  Son  apos- 
tasie, 539. 

Recensement  (le)  par  P.  de  Ca8- 
SAGNA.C,  629. 

Révision  et  reconstitution  de  la 
chronologie  hlbiiqxie  et  pro- 
fane, par   l'abbé    Dumax,  222. 

Revue  économique  et  financière» 
55,  111,  167,  223,  279,  331,  389, 
445,  501,  557.  613,  669,  718. 

Richard  (Mgr)  coadjuteur  da 
Paris.  —  Article  du  Figaro 
relatif  aux  prétendues  inten- 
tions du  gouvernement  à  son 
égard,  434.  —  Note  de  la  Se- 
maine religieuse,  434. 

Rome.  —  Destruction  de  la  Rome 
antique,  97,  408  ;  —  la  ruine  de 
la  Rome  antique,  281  ;  —  let- 
tre d'Hermann  Grimm,  283;  — 
lettre  de  Gregorovius,  348. 

Ruine  (la)  de  la  Rome  antique. 
V.  Rome. 

Ruines  (les)  par  Arthur  Loth,  561. 

Russie.  —  Déportation  d'un  prê- 
tre, 658. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


724 


Grignon  de  Montfort  (le  Bienheu- 
reux). —  Décret  concernaat  sa 
béatification,  18,  483. 

GuiBERT  (Mgr)  carclinal-arche- 
vêque  de  Paris.  —  Lettre  à 
M.  Grévy,  58.  —  Adhésion  de 
l'épiscopat,  128,  188,  257,  299, 
363,  414,  4-7,  531.  —  Appré- 
ciatioa  de  la  presse,  57,  03. 

H 

Hesse  (grand  duché  de).  —  Le 
catholicisme,  303.  —  La  pacifi- 
cation  relicrieuse,   543, 

Home  Ru  le,  673. 

Homme  (F)  en  regard  de  la  créa- 
tion, 627. 

Houx  (H.  de).  —  Décret  proscri- 
vant ses  Souvenirs  d'un  jour- 
naliste, 96.  —  Sa  soumission, 
274,  317. 


Incinération  (1').  —  V.  Chambres. 

Infamie  (une  nouvelle).  —  Inter- 
diction du  Congrès  eucharis- 
tique, 645.  —  V.  Congrès. 

Intentions  (les)  de  Léon  XIII,  par 
Mgr  Mermillod,  5. 

IsoARD  (Mgr),  évoque  d'Annecy. 
—  La  pompe  dans  les  églises, 
503. 

Italie,  279,  498.  —  Elections 
municipales  de  Rome,  666. 

Italie  (la  jeune)  et  la  vieille  Pa- 
pauté, 517. 


r^ 


Laïcisation  (la).  —  V.  Nouvelles 
religieuses.  —  Les  crucifix  de« 
justices  de  paix  à  Lyon,  376. 

—  Laïcisation  des  écoles  de 
Dax,  051. 

Langfilerie  (Mgr  de),  par  M,  le 
Chanoine  Laprie,  289. 

Laprie  (Chanoine).  —  Mgr  de 
Langaleiie,  289. 

Lebouvier  (abbé  E.).  —  Un  mi- 
racle à  Lourdes,  466. 

LÉON  XIII.  —  V.  Nouvelles  reli- 
gieuses, Allemagne,  etc.  — 
Brefs  à  Mgr  l'archevêque  de 
Rouen,  42;  —  à  l'archevêque 
de  Tours,  43;  —  relatif  aux 
Chanoines  de   Carthage,    294; 

—  Consistoires  des  7  et  10  jaia, 
559,  615.  —  Allocution,  599.  — 
Lettre  à  la  Reine-Régente 
d'Espagne,  543;  —  au  roi  de 
Portugal,  657.  —  Discours  au 
nouvel  ambassadeur  d'Espagne, 
309;  —  au  cardinal  Jarobini  en 
lui  imposant  laToison  d'or,  312; 

—  à  une  députation  du  diocèse 
de  Munster,  313;  —  aux  pèle- 
rins hollandais,  480. 

Léon  XllI  et  la  France,  671. 

Libéraux  (les)  et  le  Concordat, 
330. 

Livres.  —  V.  Bulletin  bibliogra- 
phique. 

Loi  (la  nouvelle)  militaire,  441. 

Loi  (la  nouvelle)  scolaire,  339.  — 
V.  Enseignement. 

LoTH  (Arthur). —  Les  ruines,  561. 


Jacobini   (cardinal).  —  Le  saint 

Père  lui  impose  la  Toison  d'or, 

312. 
Jésuites     (les)    allemands    et   la 

science  depuis  1848,  par  l'abbé 

Cornet,   115. 
Jouve   (Etienne).  —  La  France 

juive  de  M.   Drumont,  344. 
Justice  (la)  criminelle  en  1884,  527. 


K 

Karr  (Alphonse).  —  Comme  quoi 
on  descend  l'escalier  rouge,  519. 


M 

Madagascar,  612.  —  Arrivée  de 
Mgr  Cazet,  544. 

Manuel  Vohjglotte,  669. 

Mermillod  (Mgr)  évêque  de  Lau- 
sanne. —  Les  intentions  de 
Léon  XIII,  5. 

Messe  (une)  au  Cénacle,  123. 

Michel  (Mont  Saint-).  —  Ferme- 
ture de  la  basilique,  651. 

Miracle  (un)  à  Lourdes,  par 
E.  Lebouvier,  466. 

Missionnaire  (un)  à  l'île  Van 
Couver,  587. 


726 


ANNALES    CATHOLIQUE» 


Ségur  (Mgr  de)  et  l'Eucharistie, 

688. 
Saint-Martin  (C).  —  Les  œufs  de 

Pâques,  250. 
Saint-Siège   (le)   et  l'Allemagne, 

193,  —  et  la  Chine,  267,  316, 

369. 
Semaine  (la)  sainte  à  Jérusalem, 

SénégMl,  1C5,  216. 

Sépai-ation  de  1  Eglise  et  de  l'Etat, 
605.  —  Projet  de  Yves  Guyot, 
553. 

Sepet  (Maiius).  —  La  Bible  et  la 
critique  rationaliste,  582. 

Simon  (JuIpis)  sénateur.  —  Dis- 
cours contre  Taiticle  17  de  la 
loi  primaire,  135. 

Situation  religieuse  en  Orient, 
243. 

Socialisme  (le)  italien,  ses  ori- 
gines et  ses  affinités  politiques, 
522. 

Sociétés  (les)  de  secours  mutuels, 
680. 

Sociétés  savantes.  —  Réunion  à 
la  Sorbonne,  325.  —  Discours 
de  M.  Goblet,  325. 

Suppression  du  traitement  des 
desservants.  —  Procès  de  l'abbé 
Mourot,  20.  —  Lettre  de  Mgr 


révoque  de  Clermont.,  268.  — 
Lettre  de  M.  le  doyen  Bordat- 
ges,  270. 
Suspension  (la)  des  traitements 
ecclésiastiques,  parF.NicoLAY, 
70. 


Taxil  (Léo).  —  Le  culte  du  grand 
archiiecle,  668. 

Tonkin.  —  Nouveaux  massacres, 
295. 

Torlonia  (don  Alessandro),  79. 

Tribunaux.  —  Procès  de  l'abbé 
Mou  rot,  20.  —  ]\Igr  l'évêque  de 
Moulins  contre  ^l.  Ferry  à  pro- 
pos du  séminaire  d'Izeure,  74. 

TuRiNAZ  (Mgr)  évêque  de  Nancy. 
—  Lettres  à  M.  Goblet  sur 
l'enseignement    primaire,    13; 

—  à  M.  Pasteur,  5'i2. 


Variétés.  —  M.  de  Bismark  pho- 
togiaphe,  218.  —  Les  libéi-aux 
et  le  C/oncordat,  330.  —  La 
franc-maçonnerie  et  les  Tem- 
pliers, 500. 

Vœu  national  au  Sacré-Cœur,  433. 


Le  gc'rant  :  P.  Chantrel. 


Paris.  —  Imp.  G.  Picqnoin,  51,  rue  de  Lille. 


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Mr>4^  ^ï^^ir^'i.  ;^j^:.^^'^  ,>^w^w'  r  .'^s.^y%^ifA