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Full text of "Annales catholiques : revue religieuse hebdomadaire de la France et de l'église"

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lÉ^NSFERRED 


ANNALES 

CATHOLIQUES 


NOUVELLE  SERIE 
II 

A.vfîiî^-jïji:v 

1890 


lARIS.    —    IMP.    G.    PICQUOIN,    53,    RUE   DE    LILLE,    f'3 


ANNALES 

CATHOLIQUES 

REVUE  HEBDOMADAIRE 

PUBLIÉE   AVEC   L'aPPROBATION   ET   l'eNCOUHAGEMENT 

DE   LEURS  ÉMINENCES  Me'  LE   CARDINAL-ARCHEVÊQUE  DE    ROUEN 

ET  LE  CARDINAL-ARCHEVÊQUE   DE   CAMBRAI, 

DE  LL.  EXC.   M?""  l'archevêque  DE  REIMS,  ET  LES  ARCHEVÊQUES  DE  TOULOUSE 

DE  BOURGES,  d'aIX   ET  DE   BESANÇON,   ET  DE  NN.  SS.    LES  ÉvÊQUES  d'aRRAS, 

DE  BEAUVAIS,    d'aNGERS,  DE  BLOIS,  DE  CAHÛRS,  d'ÉVREUX,  DU  MANS, 

DU   PUY,    DE   LIMOGES,    DE    CHALONS,    DE   MEAUX,    DE    MENDE,    DE    NANCY, 

DE   MARSEILLE,    DE   NANTES,    DE    NEVERS,    DE    NIMES,   d'ORLÉANS,   DE    PAMIERS, 

DE   SAINT-CLAUDE,    DE  SAINT-DiÉ,  DE   TARENTAISE,  DE   TROYES,  d'aUTUN, 

DE    VANNES,     DE    SÉEZ,    DE     FRÉJUS,     d'aNNEGY,    DE    CONSTANTINE,     d'hÉBRON, 

DE   CARACAS,    DE   CARTHAGÈNE,  d'oLINDA,  DE  LEON   DU    MEXIQUE,  ETC. 

RÉDACTEUR   EN   CHEF 

P.  CHAIVTREL 

CHEVALIER   DE   l'oRDRE  DE   l'iMMACULÉE-CONCEPTION 


TOME   II 
A  V  i\iiL,.ji;i:v 


(tome    LXXII     de    la    COLLECTION) 


PARIS 

114,  RUE  BLOxMET,  114. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


21957 


littp://www.arcliive.org/details/annalescatlioliqu72pari 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LA  SOUVERAINETE  TEMPORELLE  DES  PAPES 

Une  des  questions  qui  auront  le  plus  passionnément  agité  les 
esprits  dans  la  seconde  moitié  du  xix«  siècle,  est  celle  de  la 
souveraineté  temporelle  de  la  Papauté.  Elle  a  été  traitée  dans 
les  livres  et  les  brochures  ;  elle  a  été  portée  à  la  tribune  du 
Sénat  et  du  Corps  législatif;  la  presse  de  France,  d'Angleterre, 
d'Italie,  d'Espagne,  d'Allemagne,  d'Autriche,  bref,  la  presse  de 
l'Europe  et  de  l'Amérique  s'en  est  vivement  occupée.  Les 
évêques  en  ont  parlé  dans  leurs  mandements,  et  les  souverains 
Pontifes  en  ont  fait  l'objet  de  leurs  allocutions  consistoriales  et 
de  leurs  notes  diplomatiques.  C'est  que  sous  cette  question  se 
trouve  cachée  une  autre  question  plus  importante  encore,  celle 
de  la  dignité  et  de  l'indépendance  du  Saint-Siège.  Nous  allons, 
en  quelques  mots,  considérer  cette  souveraineté  temporelle  dans 
sa  préparation  providentielle  et  dans  son  établissement  définitif. 

Sa  préparation  providentielle. 

Le  pouvoir  temporel  de  la  Papauté  n'est  pas  l'œuvre  d'un 
jour,  ni  même  d'un  siècle.  Ce  pouvoir  s'est  développé  successi- 
vement sans  qu'on  puisse  lui  assigner  un  jour  fixe.  On  peut  dire 
qu'il  remonte  à  saint  Pierre  lui-même,  quoiqu'on  n'en  aperçoive 
les  premiers  développements  que  dans  les  lois  et  les  actes  de 
Constantin.  La  manière  dont  elle  s'exerçait,  dès  le  temps  des 
Apôtres,  ne  diffère  pas  de  celle  qu'on  a  vue  dans  les  siècles  sui- 
vants, qui  n'ont  fait  que  lui  donner  plus  d'indépendance  et  un 
territoire  sur  lequel  son  action  s'exerce  avec  plus  d'empire.  Les 
Actes  des  apôtres  et  les  épîtres  de  saint  Paul  en  fournissent  la 
preuve.  Dès  les  premiers  temps,  les  fidèles  apportaient  le  prix 
de  leurs  biens  aux  pieds  des  apôtres  ;  Ananie  et  Saphire,  qui 
avaient  secrètement  retenu  une  partie  de  l'argent  qu'ils  devaient 
apporter  à  la  masse  commune^  furent  vivement  repréhendés  par 
saint  Pierre  et  frappés  de  mort. 

C'est  à  l'époque  de  Constantin  que  l'on  vit,  pour  ainsi  dire, 

sortir  de  terre  la  royauté  pontificale,  qui  se  trouvait  en  germe 

dans  l'Eglise  depuis  le  temps  de  saint  Pierre.  Le  droit  de  l'Eglise 

sur  ses  biens  fut   solennellement  reconnu.  Constantin  arrive, 

Lxxil  —  5  Avril  1890  i 


6  ANNALEt    CATHOLIQUES 

il  j^nd  la  pail  à  rEj^lise/Il^se-ôoiiTertit.,  Avec  un  tact  remai^ 
quâblê  pour  un  païen  à  peine  converti,  il  sent  que  la  puissance 
impériale  serait  mal  à  l'aisë'à  côté  de  la  puissance  pontificale  ; 
il  se  rend  compte  que  sa  place  n'est  pas  à  Rome.  Il  voit  qu'il  y 
a  là  un, autre  prince  dont  le  pouvoir  va  bientôt  «'çtendre  si^r  le 
monde  entier.  Il  se  transporte  donc  dans  l'antique  Bvzance,  j 
cï^Q  une  nouvelle  'ville  qui  portera  son  nom.  C'est  Constanti- 
no^le.  Il  avait  fait  auparavant  au  Saint-Siège  de  nombreuses 
largesses.  Quelques  historiens  ont  voulu  les  contester.  «  Mais, 
dit  Mgr  Maupied,  l'authenticité  de  la  donation  constantinienne 
est  appuyée  sur  des  monr.ments  trop  graves,  trop  nombreux, 
trop  certains,  pour  qu'il  soit  permis  de  la  répudier.  » 

A  partir  de  ce  moment,  la  Rome  païenne,  devenue  chrétienne, 
tourne  de  plus  en  plus  ses  regards  vers  le  pontife,  chef  de 
l'Eglise,  et  ne  pense  guère  à  ses  anciens  Césars.  Les  "barbares 
descendent  dans  les  plaines  de  l'Italie;  les  pauvres  empereurs 
romains  et  grecs  ne  sont  plus  capables  de  défendre  les  popula- 
tions contre  les  horde?  sauvages,  mais  la  papauté  les  protège, 
et  Léon  Je'  arrête  la  fureur  d'Attila.  L'Italie  n'attend  plus  aucun 
secours  des  empereurs  de  Constantinople;  elle  s'accoutume  à 
voir  dans  le  pape  son  chef  spirituel  et  temporel.  Des  villes,  des 
provinces  se  mettent  sous  sa  protection.  Sous  saint  Grégoire-le- 
Gi*aud,  la  Papauté  possédait  déjà  vingt-trois  domaines,  dont 
l'on  comprenait  les  Alpes  cottieniics,  c'est-à-dire  la  ville  de 
Gênes  et  la  côte  maritime  jusq'u'à  la  frontière  des  Gaules.  De 
plus,  elle  avait  en  propriété  plusieurs  villes  du  nord  et  du  sud 
de  l'Italie,  telles  que  Gallipoli,  Naples,  etc.  Mais,  c'est  surtout 
à  partir  du  viii*  siècle  que  la  souveraineté  temporelle  de  la 
Papauté  va  prendre  de  rapides  accroissements. 

Son  établissement  définitif. 

Aribert  roi  des  Lombards,  après  avoir  fait  la  guerre  à 
l'Eglise  pendant  quelque  temps,  se  soumit  au  Pape  Jean  VII, 
lui  rendit  les  Alpes  Oottiennes  et  plusieurs  villes,  entre  autres 
Bobbio.  Un  des  successeurs  d'Aribert,  Luitprand,  s'étant  emparé 
de  la  Toscane,  la  donna  au  Snint-Père  ;  c'est  là,  à  proprement 
parler,  le  patrimoine  de  saint  Pierre.  Luitprand  avait  parfaite- 
ment le  droit  de  faire  cette  donation,  car  il  avait  conquis  la  pro- 
vince, et  les  empereurs  grecs  ne  pouvaient  ni  ne  savaient  la 
défendre,  bien  moins  encore  la  reprendre.  Dès  cette  époque, 
Rome  était  considérée  par  tous  comme  appartenant  aux  Papes, 


LA  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DES  PAPES  7 

par  la  donation  du  temps  même,  le  premier  ministre  de  la  Pro- 
vidence, poiu'  les  affaires  de  ce  monde.  La  Campagne  et  la 
Maritime  avaient  été  depuis  longtemps  abandonnées  par  les 
empereurs  de  Constantinople  ;  ces  deux  provinces  s'étaient 
données  au  chef  de  l'Eglise  qui  seul  pouvait  les  protéger.  Les 
choses  en  étaient  là  quand  apparurent  deux  héros  suscités  par 
Dieu  et  envoyés  par  la  France  pour  établir  définitivement  la 
souveraineté  temporelle  du  Souverain  Pontife.  Ce  sont  Pépin  le 
Bref  et  Charleraagne. 

Intervention  des  rois  de  France  dans  V établissement 
de  la  souveraineté  temporelle. 

Quand  Pépin  le  Bref  descendit  en  Italie  à  la  tête  de  ses  vail- 
lants Francs,  le  pouvoir  temporel  du  Pape  existait  à  la  vérité  ; 
mais  trop  souvent  à  cause  des  incursions  des  barbares,  de  la 
félonie  des  Goths  et  des  Lombards,  la  propriété  n'en  était  pas 
assurée.  Il  fallait  rendre  impuissants  ces  peuples  ou  les  tenir 
en  respect  par  un  grand  déploiement  de  forces.  C'est  ce  qu'exécuta 
Pépin.  Une  première  fois,il  se  rend  en  Italie  pour  abattre  la  morgue 
des  Lombards.  Il  bat  leur  roi  Luitprand,  le  force  à  lui  rendre 
l'Emilie,  la  Flaminie  et  la  Pentapole.  A  peine  a-t-il  reçu  ces 
provinces  qu'il  s'empresse  d'en  faire  une  donation  solennelle  au 
Saint-Siège.  Il  y  ajouta  quelques  autres  villes  et  ainsi  il  donna 
au  Pape,  qui  était  alors  Etienne  III,  vingt-deux  villes  à  perpé- 
tuité pour  compléter  l'indépendance  temporelle  du  Saint-Siège. 
Cette  donation  eut  lieu,  non  à  Rome,  mais  en  France,  dans  la 
célèbre  assemblée  de  Qniercy,  où  parut  le  Pape  qui,  pour  se 
soustraire  aux  vexations  des  Lombards,  était  venu  en  France. 
L'illustre  chef  des  Francs  déclare  qu'il  n'est  pas  venu  pour  faire 
des  conquêtes,  mais  qu'il  est  accouru  pour  défendre  l'Eglise. 
Chose  remarquable  !  le  prince  franc,  en  faisant  cette  donation, 
ne  parle  que  de  restitution.  Cela  nous  prouve  que  l'on  regardait 
le  Pape  comme  étant  depuis  longtemps  le  propriétaire  légitime 
de  ces  domaines,  que  les  Lombards,  en  les  lui  prenant,  s'étaient 
rendus  coupables  d'injustice,  et  qu'en  les  lui  rendant,  ils  ne  fai- 
saient qu'une  restitution. 

Oharlemagne,  successeur  de  Pépin,  dès  774,  confirme  la  dona- 
tion de  QuiercA^^  il  y  ajoute  l'île  de  Corse,  Parme  et  Mantoue, 
tout  l'exarchat  de  Ravenne,  les  provinces  de  Venise  et 
d'Istrie,  avec  les  duchés  de  Spoléte  et  de  Bénévent.  En  l'an  800, 
il  alla  à  Rome  se  faire  couronner  par  le  Pape,  reconnaissant 


8  ANNALBS   CATHOLIQUES 

ainsi  au  yeux  de  tout  l'univers  la  puissance  temporelle  du  Pape. 

Le  successeur  de  Charleraagne,  Louis  le  Pieux,  par  un  acte 
célèbre  de  817,  confirma  aux  papes  les  donations  faites  à 
l'Eglise  romaine.  Cette  donation  parle  spécialement  du  duché 
de  Rome,  de  l'exarchat  de  Ravenne  et  de  leurs  dépendances. 

Voilà  l'origine  et  le  développement  delà  souveraineté  tempo- 
relle du  Saint-Siège.  D'ailleurs,  au  Moyen-Age,  on  n'eût  pas 
compris  un  pape  sans  pouvoir  temporel,  le  chef  de  l'Eglise 
devait  être  nécessairement  aussi  un  prince  temporel. 

{A  suivre.)  Abbé  Pluot. 


LES  SEMINARISTES  A  LA  CASERNE 
(Suite   et  fin.  —  Voir  le  numéro   précédent.) 

Mais  ici  se  dresse  le  plus  spécieux  et  le  plus  populaire  des 
arguments  en  faveur  de  l'universalité  du  service  militaire  sans 
exception  aucune  et  contre  le  privilège  d'exemption  dont  la 
législation  civile,  respectueuse  des  droits  de  l'Eglise,  accordait 
jusqu'alors  le  bénéfice  au  clergé. 

Je  n'ai  aucune  intention  de  l'éluder.  Je  veux  au  contraire 
l'exposer  de  la  façon  la  plus  loyale. 

Voici,  nous  dit-on,  deux  jeunes  gens  sortis  du  même  village. 
L'un,  devenu  soldat,  s'en  ira  mourir  au  Tonkin,  loin  de  sa 
mère,  en  proie  à  d'indicibles  souffrances  ;  l'autre  entré  au 
séminaire  deviendra  prêtre  et  peut  compter  sur  une  existence 
paisible,  commode,  honorée.  Une  telle  différence  de  destinée 
n'est-elle  point  scandaleuse?  La  justice  et  l'égalité  n'exigent- 
elles  pas  que  le  plus  onéreux  de  tous  les  impôts,  qui  est  l'impôt 
du  sang,  soit  équitablement  réparti,  entre  tous  les  citoyens  et 
que,  le  moment  venu,  tous  sans  distinction,  puissent  être  exposés 
à  périr  sous  les  balles  ennemies  ou  à  mourir  de  la  fièvre  palu- 
déenne dans  une  salle  d'hôpital,  à  cinq  mille  lieues  de  leur 
famille  et  de  leur  clocher  natal? 

Présenté  sous  cette  forme  concrète  et  saisissante,  cet  argu- 
ment semble  d'une  évidence  tellement  irrésistible  qu'on  se 
demande,  s'il  est  possible,  s'il  est  prudent,  de  lutter  contre  les 
émotions  qu'il  provoque  infailliblement. 

Je  ne  me  dissimule  pas  qu'en  pareille  matière  il  n'est  pas 
facile  d'arriver  à  vaincre  et  à  convaincre.  Il  faut  cependant 
essayer. 


LES    SÉMINARISTES    A    LA    CASERNE  9 

Sans  doute,  l'égalité  est  une  grande  chose,  et,  si  Ton  veut, 
une  des  conquêtes  les  plus  importantes  de  l'esprit  moderne  sur 
l'ancien  régime.  Mais  de  ce  que  tous  les  citoyens  jouissent  des 
mêmes  droits  devant  la  loi,  sans  distinction  de  naissance  ou  de 
caste,  et  de  ce  que  tous  ont  des  devoirs  à  remplir  envers  la  pa- 
trie, s'ensuit-il  nécessairement  que  ces  devoirs  doivent  revêtir 
la  même  forme  et  être  absolument  identiques?  La  science  rûo- 
derne  incline  chaque  jour  davantage  à  penser  que  la  plupart 
des  phénomènes  naturels,  tels  que  le  mouvement,  la  lumière,  la 
chaleur,  l'électricité,  le  magnétisme,  etc.,  ne  sont  que  des 
manifestations  diverses  d'une  même  force,  laquelle,  une  dans 
son  principe,  se  traduit  de  différentes  manières  et  multiplie 
ainsi  les  services  dont  l'humanité  lui  est  redevable.  11  y  a  donc 
entre  ces  manifestations  diverses  une  réelle  équivalence,  puis- 
qu'elles ne  sont  toutes  que  les  applications  d'une  même  énergie. 
La  lumière  n'est  pas  l'électricité  et  l'électricité  n'est  pas  la 
lumière  :  toutes  deux  rendent  des  services  non  pas  identiques, 
mais  équivalents;  qui  voudrait  sacrifier  l'une  à  l'autre,  sous 
prétexte  que  la  stricte  égalité  l'exige,  mutilerait  d'une  façon 
absurde  l'oeuvre  si  harmonique  du  Créateur  qui  excelle  à  con- 
cilier la  variété  avec  l'unité.  En  s'aidant  de  cette  comparaison, 
ne  peut-on  pas  dire  aussi  que  le  dévouement  à  la  patrie  est  une 
force  unique  dans  son  principe,  mais  qui  comporte  des  diversités 
d'application  entre  lesquelles  il  y  a  une  véritable  identité  par 
équivalence,  comme  il  3'  en  a  une  entre  les  forces  naturelles^ 
bien  que  chacune  de  celles-ci  ait  son  rôle  spécial  et  garde  soa 
autononie? 

D'ailleurs,  et  c'est  ici  que  je  veux  prendre  l'adversaire 
corps  à  corps,  est-il  bien  démontré  que,  de  ces  deux  jeunes  gens 
désignés,  l'un  pour  la  caserne  et  la  carrière  militaire,  l'autre 
pour  le  séminaire  et  la  carrière  ecclésiastique,  le  second  doive 
à  sa  profession  des  privilèges  que  tout  le  monde  lui  envie? 

Rien  n'est  plus  en  faveur  de  nos  jours  que  la  méthode  expé- 
rimentale. Voici  de  quelle  façon,  si  cela  dépendait  de  moi,  je 
voudrais  pouvoir  appliquer  cette  méthode  au  problème  dont  il 
s'agit  de  trouver  la  solution.  Il  va  de  soi,  du  reste,  que  l'en- 
quête hypothétique  dont  je  parle  devrait  être  contradictoire  et 
que,  si  j'avais  mission  de  la  faire,  je  tiendrais  absolument  à  être 
accompagné  de  quelques-uns  des  partisans  les  plus  décidés  de 
l'obligation  du  service  militaire  imposée,  à  titre  de  justice  et 
d'égalité,  aux  futurs  ministres  du  sanctuaire. 


10  '  '  ''  'ANNALES    CATHOLIQUES 

Je  voudrais  les  inviter  à  me  suivre  dans  cette  caserne  oii  se 
trouvent  réunis,  depuis  la  veille,  les  conscrits  du  dernier  con- 
tingent. En  dépit  des  libations  copieuses,  des  promenades  avec 
le  tambour  et  le  drapeau,  des  chants  patriotiques  criés  à  tue- 
tête  jusque  bien  avant  dans  la  nuit,  les  pauvres  enfants  ont  le 
cœur  bien  gros.  Il  ne  faudrait  pas  grand'chose  pour  provoquer 
leurs  larmes.  Il  n'j  aurait  qu'à  leur  rappeler  en  quelques  mots 
les  adieux  échangés  l'avant-veille  avec  les  parents  et  les  amis 
du  village;  les  sanglots  de  la  mère  et  peut-être  delà  fiancée;  la 
conduite  faite  par  le  père  et  les  frères  jusqu'à  la  gare  de  départ; 
les  embrassements  hâtivement  donnés  et  retins  au  moment  oii 
le  train  s'ébranle  et  va  se  mettre  en  marche. 

Or,  je  suppose  qu'il  fût  en  mon  pouvoir  d'oft'rirà  ces  nouveaux 
soldats  d'échanger  leur  sort  contre  celui  de  nos  séminaristes;  à 
la  condition  cependant  de  contracter  les  engagements  par  les- 
quels ceux-ci  se  lient  non  pour  trois  ou  cinq  ans,  mais  pour  tout 
le  reste  de  leur  vie,  diît-elle  les  conduirejusqu'à  la  vieillesse  la 
plus  avancée. 

•Voyez,  diraiô-je  à  nos  ooascrits  :  on  ne  se  lasse  pas  de  répéter 
que  c'est  vous  qui  payez  l'impôt  le  plus  onéreux  à  la  patrie  par 
votre  assujettissement  au  service  militaire,  avec  toutes  ses  con- 
séquences possibles,  probables,  redoutables.  Or,  il  ne  dépend 
qti«»  de  vous  de  vous  y  soustraire.  Echangez  la  capote  contre  la 
soutane;  entrez  au  «éminaire  où,  malgré  le  sérieux  des  études, 
v<:rti8' tifonverez  nn  règlement  moins  sévère  et  un  régime  de  vie 
xfltotns  pénible  qu'à  la  caserne.  Toutefois,  ne  vous  j  méprenez 
pas.  Votre  exemption  du  service  militaire,  de  ses  corvées,  de  sa 
terrible  discipline,  des  éventualités  périlleuses  auxquelles  il 
vous  expose,  ne  vous  sera  accoi^dée  que  si  vous  devenez  prêtres. 
Par  un  vœu  formel  et  sacré  entre  tous,  vous  devrez  renoncer  à 
la  •possibilité  de  vous  marier  et  de  devenir  chefs  de  famille.  La 
plus  grande  partie,  sinon  la  totalité  de  votre  existence,  se  pas- 
sera'dans  l'austère  solitude  d'un  presbytère  de  campagne. 
Hommes  de  tofts,  vous  n'aurez  pins  le  droit  de  vous  appartenir 
à  vous-mêmes.  Les  enfants,  les  pauvres,  les  malades,  les  mori- 
bonds réclameront  votre  ministère  :  en  aucun  cas,  vous  ne  serez 
autorisés  à  le  leur  refuser,  malgré  les  fatigues,  le  poids  de  V^^^ 
ou  les  infirmités.  Les  années  passeront  :  mais  il  ne  viendra 
jamais  une  heure  oii  il  vous  sera  permis  de  dire  :  Mon  service 
est  fini:  je  "Vais  être  libéré;  demain,  je  rentrerai  dans  la  vie 
■  ordinaire  de  mes  concitoyens;  je  serai  maître    de   disposer  de 


LES    SÉMINARISTES    A    LA   CASERNE  11 

moi  et  d'org-aniser  mon  existence  comme  bon  me  semblera. 
Non  :  vous  ne  pourrez  jamais  parler  ainsi.  Quand  vous  aurez 
été  enrôlés  dans  la  milice  sacrée,  ce  sera  pour  toujours.  A  cet 
égard,  l'Eglise  ne  trompe  personne;  elle  est  d'une  loyauté 
absolue.  Il  y  a  dans  le  cérémonial  de  ses  ordinations  un  moment 
solennel  entre  tous,  c'est  lorsque,  de  sa  part,  l'évêque  consé- 
crateur  rappelle  une  dernière  fois  aux  jeunes  gens  qui  sont 
debout  devant  lui  la  nature  et  l'irrévocabilité  des  engagements 
qu'ils  se  disposent  à  contracter.  «  Réfléchissez  encoi^e,  leur 
dit-il  ;  personne  ne  vous  contraint  à  prendre  sur  vos  épaules  le 
fardeau  de  ces  obligations.  Mais  si  vous  aliénez  vous-mêmes  cette 
liberté  de  l'homme  naturel,  sachez  qu'elle  ne  vous  sera  jamais 
rendue,;  c'est  jusqu'à  la  mort  qu'il  vous  faudra  être  captifs  de 
vos  vœux,  » 

Eh  bien!  mes  amis,  ajouterais-je  après  cette  petite  leçon  de 
théologie  et  de  droit  ecclésiastique,  acceptez-vous  de  permuter 
avec  nos  séminaristes? 

Je  ne  crois  pas  exagérer  en  affirmant  que  sur  cent  jeunes 
soldats  auxquels  je  tiendrais  ce  langage,  quatre-vingt-dix-neuf 
me  répondraient  sans  hésitation  :  Merci,  Monseigneur,  de  vos 
offres  obligeantes,  mais  nous  savons  à  quoi  nous  en  tenir;  et, 
sacrifice  pour  sacrifice,  nous  préférons  de  beaucoup  rester  à  la 
caserne  et,  s'il  le  faut,  payer  un  jour  l'impôt  du  sang  que  d'en- 
trer au  séminaire  pour  y  prendre  des  engagements  et  nous 
vouer  à  des  sacrifices  pour  lesquels  nous  ne  nous  sentons  ni 
goût,  ni  aptitude. 

Si  cela  est  vrai,  qui  osera  dire  que  l'immolation  radicale  et 
perpétuelle  du  moi  humain,  imposée  par  les  vœux  du  sacerdoce 
consciencieusement  observés,  ne  dépasse  pas  tout  ce  qu'il  peut  y 
avoir  de  plus  pénible  ou  déplus  hasardeux  dans  la  vie  militaire? 

Je  n'insisterai  pas  davantage  pour  rechercher  s'il  y  a  ou  s'il 
n'y  a  pas  inégalité  entre  le  sacrifice  du  soldat  et  le  sacrifice  du 
prêtre.  Dieu  me  garde  d'exalter  l'un  aux  dépens  de  l'autre.  A 
des  titres  divers,  tous  les  deux  ont  droit  au  respect  et  à  l'admi- 
ration d-e  quiconque  est  capable  de  sentiments  élevés.  Mais  au 
moins,  et  pour  revenir  à  la  comparaison  scientifique  dont  je  me 
suis  servi  plus  haut,  qu'il  me  soit  permis  de  dire  qu'entre  ces 
deux  formes  de  service  public  et  social,  comme  entre  les  forces 
du  monde  naturel,  il  y  a  identité  par  équivalence. 

Ce  qui  serait  contraire  à  l'égalité,  telle  que  la  réclame  la 
justice,  ce  serait,  par  exemple,  que  tous  les  fils  de  sénateurs  om 


12  ANNALES     CATHOLIQUES 

de  députés  fussent  exempts  du  serrice  militaire  à  cause  de  la 
situation  politique  de  leurs  pères.  Voilà  ce  qui  constituerait  un 
réel  et  scandaleux  privilège  contre  lequel  auraient  droit  de  pro- 
tester tous  les  autres  Français.  Pourquoi?  Parce  qu'une  telle 
exemption,  uniquement  fondée  sur  le  hasard  de  la  naissance, 
n'aurait  rien  de  commun  avec  le  principe  si  sage  de  l'équiva- 
lence des  services  qui  est  l'unique  manière  d'appliquer,  d'une 
façon  intelligente  et  vraiment  juste,  la  loi  de  l'égalité. 

Tout  au  contraire,  la  vocation  ecclésiastique  qui  a,  si  on  le 
veut,  ses  avantages  et  même,  pour  parler  officiellement  le  lan- 
gage de  l'Eglise,  ses  immunités  et  ses  privilèges  fondés  sur  la 
nature  exceptionnelle  de  son  mandat  et  de  ses  devoirs,  mais 
qui  entraîne  après  elle  des  renoncements  très  effectifs  et  perpé- 
tuels, est  ouverte  à  quiconque  se  croit  légitimement  appelé  à 
en  porter  l'honneur  et  le  fardeau.  L'Eglise  n'a  jamais  dit,  et 
elle  ne  dira  jamais  :  Devenez  les  ministres  de  mes  autels  pour 
échapper  à  la  glorieuse  et  périlleuse  obligation  de  défondre  le 
drapeau  de  la  patrie.  Mais  elle  dit  à  celle-ci  :  En  compensation 
des  services  temporaires  qui  vous  sont  rendus  par  ceux  de  vos 
fils  auxquels  tous  donnez  l'uniforme  du  soldat,  recevez  les 
sacrifices  auxquels  se  vouent  pour  toute  leur  existence  quel- 
ques-uns de  vos  enfants  que  Jésus-Christ  choisit  pour  être  ses 
apôtres  et  au  courage  desquels,  à  l'entrée  d'une  carrière  toute 
d'abnégation  et  de  renoncement,  il  propose  ce  que  saint  Paul 
appelait  dans  son  énergique  langage  «  la  mort  de  tous  les 
jours  ». 

En  fait,  d'ailleurs,  l'égalité  stricte  et  rigoureusement  absolue 
est  une  pure  chimère.  A  moins  de  couler  dans  un  nouveau 
moule  une  humanité  de  tout  point  conforme  aux  rêveries 
des  utopies  égalitaires,  et  tant  que  nousdemeureronscequenous 
sommes,  c'est-à-dire  les  fils  d'Adam,  nous  ne  serons  pas  et  nous 
ne  pourrons  pas  être  égaux.  Les  uns  feront  des  lois  et  les  autres 
feront  des  souliers;  ceux-ci  seront  ministres  et  ambassa- 
deurs, ceux-là  seront  commis  et  garçons  de  bureau  ;  il  y  aura 
des  oisifs  qui  dépenseront,  sans  se  donner  jamais  une  heure  de 
peine,  cent  mille  livres  de  rente,  il  y  aura  des  ouvriers  qui,  en 
travaillant  dix  heures  par  jour,  auront  la  plus  grande  peine  à 
gagner  trois  francs  pour  faire  vivre  cinq  ou  six  personnes.  Sans 
doute,  à  l'aide  d'une  législation  sage  et  de  plus  pénétrée  de 
l'esprit  de  l'Evangile,  il  deviendra  possible  d'apporter  quelques 
palliatifs  aux  abus  d'une  inégalité  qui  est  inhérente  à  la  force 


LES  SÉMINARISTES  A  LA  CASERNE  13 

des  choses.  Mais,  en  vain  ferait-on  contre  elle  dix  révolutions 
violentes,  on  déplacera  les  inégalités,  on  ne  les  supprimera  pas. 
Pourquoi  donc  ne  pas  se  décider  à  respecter,  au  sein  d'une 
nation,  des  différences  d'aptitudes,  de  vocations,  de  services 
publics,  dont  chacune  a  sa  raison  d'être  et  qui,  toutes  réunies, 
constituent  l'harmonie  et  la  force  de  l'ensemble  ? 

Certes,  ce  n'est  nullement  parce  que  nous  n'étions  pas  tous 
soldats,  y  compris  les  membres  du  clergé,  que  nous  avons  subi 
nos  douloureux  revers  d'il  y  a  vingt  ans;  et,  du  temps  du  prince 
de  Condé  et  de  Napoléon,  nos  aïeux  qui  n'enrôlaient  pas  de 
force  dans  les  rangs  de  l'armée  les  futurs  ministres  du  sanc- 
tuaire, faisaient  assez  bonne  figure  à  Rocroi,  à  Austerlitz  et  à 
Wagram. 

Je  me  résume. 

La  loi  du  15  juillet  1889  n'améliorera  pas  notre  organisation 
militaire;  mais  elle  causera  un  préjudice  considérable  aux  inté- 
rêts supérieurs  dont  les  évêques  sont  les  gardiens  et  les  défen- 
seurs, et  ils  n'auront  pas  la  consolation  do  penser  que  ce  préju- 
dice sera  compensé  par  de  sérieux  avantages  pour  le  bien  du 
pays.  La  force  matérielle  de  la  France  n'en  sera  pas  accrue  et 
sa  force  morale  y  subira  un  sérieux  déchet.  Or,  mon  cher  Géné- 
ral, vous  le  savez;  ce  n'est  pas  seulement  avec  des  fusils  et  des 
canons  qu'on  gagne  les  batailles  et  qu'un  peuple  humilié  et 
vaincu  se  rend  digne  et  capable  des  revanches  nécessaires.  Il  y 
a  une  âme  des  nations  et  des  armées  avec  laquelle  ont  compté 
tous  les  grands  capitaines,  tant  les  anciens  que  les  modernes. 
César  le  savait  bien,  quand  après  une  marche  forcée  durant 
laquelle  ses  troupes  avaient  supporté,  sans  proférer  une  plainte, 
les  plus  cruelles  privations,  il  félicitait  ses  vieux  légionnaires 
de  €  n'avoir  pas  dit  une  seule  parole  qui  fût  indigne  de  la 
majesté  du  peuple  romain  et  de  leurs  précédentes  victoires.  (1)> 

Nous  sommes,  mon  Général,  vous  et  moi,  de  ceux  qui  aimenT, 
l'âme  de  notre  chère  France.  Nous  souffrons  de  tout  ce  qui 
l'abaisse;  nous  sommes  fiers  de  tout  ce  qui  contribue  à  la  rendre 
plus  grande,  plus  digne  de  son  passé,  plus  apte  à  remplir  s» 
vocation  providentielle  laquelle  consiste  à  être  au  milieu  des 
nations  un  vivant  et  perpétuel  exemplaire  de  sagesse,  de  jus- 
tice et  d'honneur.  Puissent  nos  hommes  d'Etat  se   convaincre 


(1)  Nulla  tamen  vox  est  ab  iis  audita  populi  Romani  majestate  et 
superioribus  victoriis  indigna  (Cdsa.  De  bello  Gallico,  L  YII,  c.  xvii). 


14  ANNALES    CATHOLIQUES 

un  jour  que  la  guerre,  yiolente  ou  mesquine,  faite  à  la  religion, 
aux  intérêts  qu'elle  représente,  aux  libertés  supérieures  dont 
elle  est  la  sauvegarde,  ne  sera  jamais  pour  un  peuple  un  prin- 
cipe de  prospérité  politique  et  de  progrès  social! 

Les  «séminaristes  à  la  caserne»  s'y  montreront  dignes  de  leur 
baptême  et  de  leur  vocation.  Tous,  ils  auront  à  cœur  de  suivre 
les  conseils  donnés  avec  tant  d'autorité  par  le  cardinal  Lavigerie 
au  clergé  de  l'Eglise  d'Afrique.  Ils  accepteront  «  virilement  et 
en  esprit  de  foi  l'épreuve  qui  leur  est  imposée,  »  ils  feront  leur 
devoir  de  soldats  et  voudront  être  les  modèles  de  leurs  compa- 
gnons d'armes  par  l'observation  scrupuleuse  de  la  discipline, 
l'obéissance  aux  règlements,  le  respect  des  chefs,  l'application 
aux  exercices  de  la  vie  militaire. 

Ils  feront  encore  à  la  caserne  leur  devoir  de  chrétiens  et  de 
futurs  ministres  de  Jésus-Christ,  non  pas,  comme  le  dit  encore 
très  sagement  l'éminent  archevêque  d'Alger,  «  par  l'exercice 
d'un  apostolat  public  oii  ils  se  laisseraient  aller  aux  inspirations 
d'un  zèle  qui  franchirait  les  bornes  de  la  discrétion  et  de  la 
prudence;  mais  en  donnant  toujours  et  partout  l'exemple  de  la 
pureté,  de  l'honneur,  de  la  probité  de  la  vie.  » 

De  la  sorte,  et  jusqu'à  ce  qu'une  réaction  du  bon  sens  ait 
rendu  à  chacun  la  liberté  de  sa  vocation  spéciale  et  éliminé  de 
notre  législation  une  anomalie  principalement  inspirée  par  le 
désir  de  nuire  à  la  religion,  la  présence  des  séminaristes  à  la 
caserne  resserra  les  liens  de  fraternelle  et  mutuelle  sympathie 
qui  ont  toujours  existé  dans  notre  généreux  pays  de  France 
entre  ces  deux  hommes  si  bien  faits  pour  s'entendre  et  se  com- 
prendre, s'eatr'aider  et  s'entr'aimer  :  le  prêtre  et  le  soldat. 

J'en  atteste,  mon  cher  Général,  nos  si  cordiales  relations  d'il 
y  a  vingt  ans,  commencées  sur  les  bords  delà  Meuse,  le  soir  du 
30  août  1870. 

Le  combat  de  Beaumont,  prélude  de  la  n'^faste  journée  de 
Sedan,  venait  de  se  terminer.  Avec  ses  mitrailleuses  et  sa 
formidable  artillerie,  l'armée  du  prince  de  Saxe  avait  fait  de 
vrais  massacres  parmi  nos  cuirassiers,  nos  chasseurs,  nos  fan- 
tassins. Notre  ambulance  était  à  peine  installée  dans  la  ferme 
d'un  petit  hameau  du  village  d'Autreconrt.  Un  des  premiers 
Français  qui  nous  furent  amenés  était  un  officier  supérieur 
dont  l'aumônier  s'offrit  à  tenir  le  bras,  tandis  que  les  chirur- 
giens le  fouillaient  avec  leurs  pinces  pour  y  chercher  une  balle. 
Le  sang  du  blessé  coulait  abondamment  sur  la  soutane  du  prêtre. 


LE    MARIAGE    CHRÉTIEN  15 

J'ai  gardé  longtemps,  comme  une  sorte  de  relique,  ce  vête- 
ment glorieusement  souillé.  Le  prêtre,  c'était  moi  :  quant  au 
blessé,  qui  reprenait  du  service  quelques  semaines  après  dans 
notre  armée  de  la  Loire,  il  est  devenu  le  digne  général  auquel 
je  suis  heureux  de  renouveler  ici  l'assurance  de  mes  sentiments 
les  plus  respectueux  et  les  plus  affectueusement  dévoués. 

Mgr  Pkrraud. 


LE  MARIAGE  CHRETIEN 
(Suite.  —  Voir  le  numéro  précédent.) 

IV 

Le  premier  effet  du  sacrement  de  Mariage  est  d'augmenter  la 
grâce  sanctifiante  dans  les  époux  qui  le  reçoivent  avec  les  dis- 
positions requises.  Il  suppose  comme  disposition  première  la 
grâce  sanctifiante  déjà  possédée,  ou  l'exemption  de  tout  péché 
mortel. 

La  grâce  sanctifiante  que  le  sacrement  de  mariage  augmente 
et  développe  en  nous  est  un  bien,  un  trésor  infiniment  plus  pré- 
cieux que  tous  les  biens  de  la  oréation.  Cette  grâce  est  une  par- 
ticipation de  la  nature  divine  ;  «  elle  élève  l'essence  même  de 
l'âme,  dit  saint  Thomas  d'Aquin,  à  un  certain  être  divin  »  (1). 
C'est  l'enseignement  de  l'apôtre  saint  Pierre  :  «  Par  Jésus- 
Christ,  dit-il,  Dieu  nous  a  donné  les  très  grands  et  précieux 
bien)?  qu'il  nous  avait  promis,  afin  que  par  ses  biens  nous 
soyons  faits  participants  de  la  nature  divine  '2)  ». 

Cette  participation  de  la  nature  divine  efface  et  détruit  com- 
plètement dans  nos  âmes  tous  les  péchés  mortels,  quelque  nom- 
breux qu'ils  puissent  être;  elle  nous  rend  justes,  c'est-à-dire 
doués  d'une  rectitude  complète  à  l'égard  de  Dieu;  elle  nous 
rend  agréables  à  Dieu;  elle  fait  de  nous  non  plus  ses  serviteurs, 
mais  ses  amis,  et  «  cette  amitié  est  pour  nous  une  source  de 
gloire  et  de  bonheur  :  In  amicitia  illius  delectaiio  bona  »  (3j. 

Cette  participation  de  la  nature  divine  qui  est  la  déification 
de  l'homme,  donne  à  nos  âmes  une  beauté,  une  lumière,  une 
splendeur  qui  constituent  une  plus  parfaite  ressemblance  avec 

(1)  Jpsam  essentiam  animée  ad  qv.oddam  esse  divinum  élevât,  (ii. 
Sent.,  dist.  26.  q.  1,  a  3.) 

(2)  II  Petr.,  I,  4. 

(3)  Sap.,  vm,  18. 


]6  ANNALBS   CATHOLIQUES 

le  Fils,  splendeur  de  la  gloire  de  son  Père  et  forme  de  sa  subs- 
tance (1).  Par  elle,  élevés  comme  nous  l'avons  dit,  à  un  [être 
presque  divin,  nous  devenons  «  les  fils  adoptifs  de  Dieu  et  les 
cohéritiers  de  Jésus-Christ:  Si  filii et  hœredes,  hœredes  quidem 
Dei,  cohœredes  auiem  Christi  [2).  L'héritage  auquel  nous  avons 
droit,  est  la  vie  éternelle,  la  possession  éternelle  et  parfaite  de 
Dieu.  Avec  cette  grâce  nos  âmes  reçoivent  l'Esprit-Saint,  le 
l'ère  et  le  Fils,  la  Trinité  tout  entière,  qui  vient  habiter  en  nous 
dans  sa  bonté,  dans  sa  puissance  et  dans  sa  gloire.  Avec  elle, 
Dieu  nous  donne  les  vertus  surnaturelles  qui  sont  comme  les 
propriétés  et  les  facultés  de  cette  nature  divine,  qui  s'ajoute  à 
notre  propre  nature  et  produit  des  actes  surnaturels  dignes 
d'obtenir  la  récompense  qui  est  Dieu  lui-même. 

Or,  cette  grâce  dont  la  grandeur  et  la  puissance  ne  peuvent 
être  qu'imparfaitement  comprises  dans  les  ombres  de  cette 
terre,  cette  grâce,  principe  et  commencement  de  la  vie  de  la 
gloire,  est  augmentée  dans  les  époux  par  le  mariage,  selon  le 
degré  des  dispositions  qu'ils  apportent  à  la  réception  de  ce  grand 
."racroment,  et  les  vertus  surnaturelles  augmentent  et  se  dévelop- 
pent dans  les  mêmes  proportions  que  la  grâce  sanctifiante  (3). 

Comme  les  autres  sacrements,  le  mariage  communique  aux 
âmes  la  grâce  sacramentelle  qui  est  la  grâce  sanctifiante  elle- 
même  avec  un  droit  aux  grâces  actuelles  spéciales  destinées  à 
l'accomplissement  des  devoirs  qu'impose  le  mariage. 

De  plus,  tous  les  actes  méritoires  augmentent  la  grâce  sancti- 
fiante et  les  vertus  surnaturelles,  et  quand  la  grâce  sanctifiante 
et  les  vertus  existent  à  un  degré  supérieur,  les  mérites  eux- 
mêmes  sont  plus  grands;  enfin  les  actes  méritoires  attirent  des 
glaces  actuelles  plus  abondantes.  D'où  il  faut  conclure  que  la 
fidélité  parfaite  des  époux  à  profiter  de  tous  ces  secours  divins 
pour  accomplir  les  devoirs  du  mariage  estelle-même  une  source 
toujours  ouverte  et  admirablement  féconde  de  grâces  et  de 
bénédictions. 

Mais  quelle  est  cette  grâce  sacramentelle  du  mariage  ?  et  quels 
efi'ets  est-elle  destinée  à  produire?  Le  Concile  de  Trente  répond 
en  ces  termes:*  C'est  une  grâce  qui  perfectionne  l'amour  naturel, 

(1)  Qui cum sit splendor  (floriœ  et  forma substantiœe jus.  (Hebr.  i,3.) 

(2)  Rom.,  viii,  17. 

(3j  V.  Ripalda,  De  Ente  superaturalt,  disp.  128,  n.  98.  —  Suarez 
De  gratia^  lib.  9.  cap.  4,  n.  10  et  seq.  —  Mazella,  De  Virtutibus, 
disp.  I,  art.  8. 


LE    MARIAGE    CHRÉTIEN  17 

affermit  l'union  jusqu'à  l'indissolubilité  et  sanctifie  les  époux  *. 

La  grâce  du  mariage  perfectionne  l'amour  naturel.  Hélas  ! 
quelle  perfection  ne  réclame  pas  cet  amour  !  Il  a  l'enthou- 
siasme des  premiers  jours  et  bientôt  les  retours  attristés,  les  dé- 
senchantements inévitables  et  les  déceptions  cruelles.  Il  se  prend 
aux  attraits  qui  passent,  à  la  beauté  qui  se  flétrit  comme  une 
fleur,  aux  promesses  si  souvent  trahies.  Il  se  crée  des  idoles, 
puis  au  bout  de  quelques  années  ou  de  quelques  jours,  il  les 
renverse  ou  les  brise  et  ne  garde  même  pas  le  souvenir  de  ses 
folles  adorations. 

Il  est  mobile;  l'estime  et  le  respect  ne  suffisent  point  aie 
garder  contre  l'inconstance,  la  lassitude  et  le  dégoût.  Il  demande 
beaucoup,  et  presque  toujours  il  donne  bien  peu.  il  ne  connaît 
ni  la  patience  ni  la  miséricorde.  Il  ne  supporte  niles  imperfec- 
tions, ni  les  défauts,  ni  les  froissements  inévitables,  même  pour 
les  natures  les  meilleures  et  les  plus  dévouées,  dans  cette  vie  à 
deux  et  dans  les  épreuves  de  ce  contact  de  chaque  instant. 

Il  faut  donc  que  cet  amour  s'attache  à  la  beauté  des  âmes 
beauté  éternelle  parce  qu'elle  vient  de  Dieu  ;  il  faut  que  Dieu 
mette  dans  cet  amour  sa  lumière,  sa  grâce,  sa  force,  pour  le 
soutenir,  le  fortifier,  l'élever,  le  transfigurer;  il  faut  que  Dieu 
lui-même  entre  dans  cet  amour,  parce  que  lui  seul  peut  être  à 
la  mesure  de  ses  rêves,  de  ses  aspirations  et  de  ses  espérances. 

«  La  grâce  dit  encore  le  saint  Concile  de  Trente,  afî"ermit 
l'amour  jusqu'à  l'indissolubilité  ».  Sans  la  grâce  de  Dieu 
l'union  des  époux  devient  bientôt  une  lourde  chaîne,  et  cette 
chaîne  si  lourde  se  brise.  La  faiblesse,  l'inconstance,  la  passion 
trouveront  mille  raisons  pour  rompre  les  liens  que  Dieu  n'a  pas 
bénis.  Elles  invoqueront  contre  l'indissolubilité  la  liberté,  la 
justice,  la  pitié  pour  l'époux  qui  est  ou  qui  seprétend  innocent; 
les  lois  humaines  se  feront  les  complices  des  défaillances  de  cet 
amour.  Ici  encore  il  faut  le  lien  supérieur  de  la  grâce  de  Dieu 
qui  seule  aff'ermit  l'union  jusqu'à  l'indissolubilité  et  sauvegarde 
le  bonheur  et  l'honneur  des  familles.  <  L'amour  purement 
humain,  a  dit  un  grand  orateur,  est  une  eff"ervescence  passagère, 
produite  par  des  causes  qui  n'ont  elles-mêmes  que  peu  de 
durée  ;  il  naît  le  matin  et  se  flétrit  le  soir.  Ce  n'est  point  l'acte 
d'un  homme  maître  de  lui,  sur  de  sa  volonté,  et  portant  l'énergie 
du  devoir  jusque  dans  les  jouissances  intimes  du  cœur.  L'amour 
véritable  est  une  vertu,  il  suppose  une  âme  constante  et  forte, 
qui,   sans  être  insensible  aux  dons  fugitifs,  pénètre  jusqu'à  la 

2 


18  ANNALES   CATHOLIQUES 

région  immuable  du  beau,  et  découvre  dans  les  ruines  mêmes 
une  floraison  qui  la  touche  et  qui  la  retient.  Mais  l'âme  chré- 
tienne seule  a  ce  goût  créateur  ;  les  autres  s'arrêtent  et  voient 
la  mort  partout. Deux  jeunes  gens  s'avancent  vers  l'autel,  à  celte 
belle  cérémonie  des  noces  ;  il  portent  avec  eux  toute  la  joie  et 
toute  la  sincérité  de  leur  jeunesse,  ils  se  jurent  un  amour 
éternui.  Miiio  bientôt  la  joie  diminue,  la  fidélité  chancelle,  l'éter- 
nité de  leurs  serments  s'en  va  par  morceaux.  Que  s'est-il  passé? 
Rien;  l'heure  a  suivi  l'heure;  ils  sont  ce  qu'ils  étaient,  sauf  une 
heure  de  plus.  Mais  une  heure  c'est  beaucoup  hors  de  Dieu. 
Dieu  n'était  point  entré  dans  leurs  serments,  il  n'a  pas  été  le 
complice  de  leur  amour,  et  leur  amour  finit  parce  que  Dieu  seul 
ne  finit  pas  *  (1). 

La  grâce  du  mariage  sanctifie  les  époux.  Dieu  qui  les  a 
appelés  à  cette  vocation  leur  accorde  les  moyens  de  se  sanctifier 
en  accomplissant  tous  les  devoirs  qu'elle  leur  impose.  La  grâce 
sacramentelle  du  mariage  va  jusqu'à  la  source  première  des 
désordres  de  la  chair  qui  se  révolte  contre  l'esprit  et  contre  la 
loi  de  Dieu.  Elle  tempère  et  maîtrise  la  concupiscence  en  réta- 
blissant l'ordre  troublé  par  le  péché  de  nos  premiers  parente, 
de  telle  sorte  que  là  où  le  péché  a  abondé  la  grâce  surabonde. 
Bien  plus,  «ce  sacrement,  dit  saint  Augustin,  fait  servir  la 
concupiscence  à  la  justice  et  à  la  sainteté  »  (2).  En  efl'et,  la 
grâce  qui  vient  du  sacrement  fait  pratiquer  la  vertu,  elle  mul- 
tiplie les  actes  surnaturels  et  donne  à  l'accomplissement  de  tous 
les  devoirs,  aux  déceptions,  aux  épreuves,  aux  sacrifices,  un 
mérite  admirable.  Elle  donne  au  mariage  lui-même  et  aux 
époux,  la  gloire  et  les  récompenses  de  la  pureté  du  cœur  et  de 
la  vie. 

Cette  grâce  qui  sanctifie  les  époux,  leur  apporte  aussi  le 
bonheur.  p]n  efl'et,  le  bonheur  des  époux  n'est-il  pas  dans 
l'amour  profond  et  ardent,  patient  et  fidèle  ?  N'est-il  pas  dans 
l'union  parfaite  et  éternelle  des  cœurs.,  dans  l'accomplissement 
du  devoir,  dans  les  triomphes  de  la  vertu,  dans  la  sainteté  de 
la  vie  ?  Ce  bonheur,  sans  doute,  est  incomplet  et  troublé  comme 
tous  les  bonheurs  de  cette  terre;  mais  il  soutient,  il  console,  il 
apporte  à  toutes  les  blessures  le  baume  des  saintes  afi'ectiona 
et  à   toutes   les   séparations  déciûrantes,   les  .espérances  des 

(1)  Lacordaire,  34»  Conférence. 

(2)  S.  Augustin  ;  De  nuptiis  et  concup.iscentia,  i,  5. 


LE   MARIAGE    CHRÉTIEN  19 

amours  éternelles.  Il  n'a  au-dessus  de  lui  que  la  félicité  plus 
pure,  plus  parfaite,  des  cœurs  que  Jésus-Christ  appelle  à  la 
paix,  aux  visions,  aux  privilèges  et  à  la  gloire  de  la  virginité  et 
de  la  paternité  des  âmes. 

La  Sagesse  divine  elle-même  a  loué  le  bonheur  des  époux. 
«  Jouis  de  cette  vie  avec  l'épouse  que  tu  aimes,  dit-elle,  tous 
les  jours  de  cette  vie  passagère,  tous  les  jours  qui  te  sont  donnés 
sous  le  soleil.  C'est  là  ta  part  de  bonheur  en  cette  vie  et  pen- 
dant ce  dur  labeur  qui  t'incombe  sous  le  soleil  »  (1).  —  «  Celui 
quia  trouvé  une  femme  vertueuse  a  trouvé  le  bien  et  puisera 
sa  joie  dans  le  Seigneur»  (2).  —  «  Qui  trouvera  la  femme  forte? 
dit  encore  l'Esprit-Saint.  Elle  est  plus  précieuse  que  les  tré- 
sors apportés  des  pays  les  plus  lointains.  Le  cœur  de  son  mari 
met  en  elle  sa  confiance  et  les  biens  ne  lui  manqueront  pas. 
Elle  lui  rendra  le  bien  et  non  le  mal  tous  les  jours  de  sa  vie... 
Elle  a  ouvert  sa  bouche  à  la  sagesse  et  la  loi  de  clémence  est 
sur  sa  langue,  Ses  enfants  se  sont  levés  et  ont  publié  qu'elle 
était  très  heureuse  ;  son  mari  s'est  levé  et  l'a  louée.  La  grâce 
est  trompeuse  et  la  beauté  est  vaine,  la  femme  qui  craint  le  Sei- 
gneur est  celle  qui  sera  louée.  Donnez-lui  du  fruit  de  ses  mains 
et  que  ses  œuvres   la   louent  dans   l'assemblée  des  juges  »  (3). 

Le  mariage  chrétien  donne  aux  époux  le  bonheur  dans  les 
enfants  que  Dieu  leur  accorde.  Ces  enfants  ne  reçoivent  de 
leurs  parents  fidèles  à  toutes  les  grâces  de  Dieu  et  à  tous  leurs 
devoirs,  que  des  inspirations  élevées,  de  sages  conseils  et  des 
exemples  de  vertu.  La  paix,  l'union,  l'honneur  habitent  au 
foyer  de  la  famille  devenue  un  sanctuaire  où  Dieu  règne  sur 
toutes  les  âmes,  sur  tous  les  cœurs  et  sur  toutes  les  vies. 

Le  Psalmiste  a  chanté  ce  bonheur  des  familles  bénies  de  Dieu. 
«  Heureux,  dit-il,  tous  ceux  qui  craignent  le  Seigneur  et  qui 
marchent  dans  ses  voies  !  »  Et  s'adressant  au  chef  de  la  famille  : 
«  Votre  épouse,  dit-il,  sera  comme  une  vigne  fertile  qui  cou- 
vrira les  murs  de  votre  maison  ».  Autour  de  la  table  de  la 
famille,  auprès  du  père  et  de  la  mère,  les  enfants  nombreux, 
soumis  et  heureux  formeront  une  couronne  de  gloire  comme 
les  rejetons  de  l'olivier,  et  à  leur  tour  ils  donneront  des  fruits 
de  joie  et  de  bénédiction.  «   Vos  enfants,  dit  le  Roi-Prophète, 

(1)  Eccl.,  IX,  9. 

(2)  Prov.,  XVIII,  22. 

(3)  Prov.,  XXXI,  10  et  seq. 


20  ANNALES   CATHOLIQUES 

seront  autour  de  votre  table  comme  de  jeunes  oliviers.  Ainsi 
sera  béni  l'homme  <iui  craint  le  Seigneur.  Que  le  Seigneur  vous 
bénisse,  afin  que  vous  contempliez  les  biens  de  Jérusalem  pen- 
dant tous  les  jours  de  votre  vie  et  que  vous  voyiez  les  enfants 
de  vos  enfants  et  la  paix  en  Israël  *  (1). 

Le  mariage  chrétien  rend  ainsi  aux  époux  fidèles  une  part  de 
la  gloire  et  du  bonheur  de  la  première  union  réalisée  sous  les 
ombrages  fortunés  de  l'Eden,  aux  jours  de  l'innocence  et  de  la 
justice  primitives.  Et  qui  pourrait  dire  ce  que  fut  cette  union 
de  l'homme  et  de  la  femme  dans  la  pureté  parfaite,  dans  la 
domination  souveraine  de  la  raison  sur  les  sens,  dans  la  soumis- 
sion absolue  des  passions  à  la  loi  de  l'esprit,  sous  un  ciel  sans 
orages,  sur  une  terre  resplendissante,  à  cette  aurore  de  la 
création  ? 


Nous  avons  démontré  que  le  mariage  chrétien  est  un  sacre- 
ment; nous  l'avons  étudié  dans  son  essence,  dans  ses  ministres 
et  dans  ses  effets.  Nous  devons,  Nos  Très  Chers  Frères,  vous 
dire  sa  dignité  et  sa  grandeur.  Rien  n'est  plus  puissant  pour 
inspirer  le  respect  profond  du  mariage  ;  aucun  motif  n'est  plus 
capable  de  persuader  aux  époux  d'apporter  à  cette  union,  avec 
les  dispositions  nécessaires,  des  sentiments  généreux  et  de  res- 
ter toujours  dignes  de  ce  grand  et  auguste  sacrement. 

Mais  pour  bien  comprendre  la  grandeur  surnaturelle  du  ma- 
riage, il  importe  d'étudier  d'abord  cette  grandeur  au  point  de 
vue  de  la  nature  et  de  la  raison,  de  constater  qu'il  a  été  tou- 
jours et  partout  revêtu  d'un  caractère  religieux  et  sacré. 

La  grâce,  en  effet,  ne  détruit  pas  la  nature  ;  elle  l'élève,  la 
transforme  et  la  perfectionne.  La  religion  chrétienne,  ses 
dogmes  et  ses  préceptes,  ses  sacrements,  son  culte,  ses  institu- 
tions, répondent  admirablement  à  tout  ce  qu'il  y  a  do  vraiment 
grand  dans  la  nature  humaine.  Cette  alliance  parfaite  de  la  rai- 
son et  de  la  foi,  de  la  religion  révélée  et  de  toutes  les  nobles 
aspirations  de  l'homme,  est  une  des  preuves  les  plus  puissantes 
de  la  divinité  de  l'Evangile  et  de  l'Eglise  catholique.  La  mé- 
thode de  démonstration  qui  s'appuie  sur  cette  alliance,  excel- 
lente pour  tous  les  temps,  est  parfaitement  adaptée  à  l'état 
actuel  des  esprits  et  aux  tendances  de  notre  siècle. 

(1)  Pa.   cxwiii. 


LE    MARIAGE    CHRÉTIEN  21 

Le  mariage  est  grand  dans  son  institution  première  et  essen- 
tielle, parce  qu'il  est  l'union  intime  de  deux  êtres  vraiment 
grands  appelés  à  l'accomplissement  de  nobles  devoirs  et  de  ma- 
gnifiques destinées.  Il  est  l'union  de  deux  êtres  faibles  dans 
leur  corps,  mais  portant  dans  leur  âme  la  ressemblance  et  le 
reflet  de  la  gloire  du  Créateur,  dans  leur  cœur  une  étincelle  de 
son  amour,  les  rois  de  la  création  matérielle  auxquels  le  Tout- 
Puissant  a  délégué  une  part  de  sa  souveraineté. 

L'homme  est  le  chef  parce  qu'il  est  la  force,  la  raison  plus 
éclairée  et  plus  maîtresse  d'elle-même.  La  femme  lui  a  été 
donnée  comme  une  aide  et  une  compagne;  inférieure  au  point 
de  vue  de  la  force  physique  et  morale,  elle  a  la  supériorité  de 
la  bonté  et  du  dévouement.  L'alliance  qui  unit  ces  deux  êtres 
est  donc  une  œuvre  grande  dans  sa  nature  et  dans  les  desseins 
du  Créateur.  Dans  cette  union,  les  époux  doivent  se  donner  tout 
entiers,  donner  leur  àme,leur  cœur  et  leur  vie.  Deux  vies  sépa- 
rées, éloignées  et  indifl"érentes  l'une  à  l'autre,  se  rencontrent  et 
s'unissent  pour  accomplir  les  vues  de  la  Providence.  Ce  n'est 
pas  une  union  de  quelques  jours,  car  l'aflfection  vraie  ne  compte 
pas  et  se  donne  pour  jamais.  Ce  n'est  pas  l'union  de  quelques 
instants  dans  le  cours  rapide  des  années  ;  autant  que  le  permet 
la  diversité  des  travaux  et  des  devoirs,  c'est  l'intimité  complète, 
c'est  presque  l'identité  de  deux  vies  en  une  seule  vie.  Voilà  ce 
que  demande  la  nature  de  l'homme  dans  ses  plus  hautes  aspira- 
tions. Mais  nous  l'avons  déjà  dit  et  nous  le  redirons  encore,  le 
mariage  chrétien  seul  peut  accomplir  de  tels  devoirs  et  réaliser 
de  telles  espérances. 

Le  mariage  est  grand  encore  parce  qu'il  a  pour  but  cette 
grande  mission  de  transmettre  et  de  muliiplier  la  vie,  de  coopé- 
rer à  l'action  créatrice  de  Dieu. 

Mais  la  vie  du  corps  n'est  pas  évidemment  toute  la  vie  de 
l'homme.  La  famille  est  la  source  de  la  vie  intellectuelle  et 
morale.  Elle  doit  former  et  comme  achever  et  perfectionner 
l'âme  de  l'enfant,  et  cette  mission  est  une  des  plus  grandes,  des 
plus  difficiles  qui  puissent  être  confiées  à  la  faiblesse  humaine. 

Aussi  Dieu  a  voulu  que  le  mariage  fût  dès  le  principe  une 
œuvre  religieuse  et  sacrée.  Lorsque  le  Créateur  eut  édifié, 
selon  la  parole  de  nos  Livres  Saints,  ce  chef-d'œuvre  qui  est  la 
femme  tirée  de  la  substance  même  de  l'homme,  lorsque  Adam 
éveillé  de  son  sommeil  mystérieux  eut  contemplé  la  compagne 
qui  lui  était  donnée,  il  célébra  les  noces  de  l'innocence  et  l'union 


22  ANNALES    OATHOJLIQUBS 

parfaite  du  mariage.  «Voici,  dit-il,  l'os  de  mes  os  et  la  chair  de 
ma  chair;  c'est  pourquoi  l'homme  quittera  son  père  et  sa  mère 
et  s'attachera  à  son  épouse.  »  A  ces  accents,  Dieu  répond  par 
ses  bénédictions  :  «  Il  les  bénit  et  il  dit  :  Croissez  et  multipliez, 
remplissez  la  terre  et  soumettez-la.  »  Il  y  a  dans  cette  institu- 
tion solennelle  et  dans  cette  bénédiction  une  première  consécra- 
tion du  mariage.  Mais  l'ordre  que  Dieu  donne  à  nos  premiers 
parents  comme  le  premier  fruit  de  cette  bénédiction,  comme  la 
fin  première  de  cette  union,  l'ordre  de  transmettre  la  vie  et  de 
s'associer  ainsi  à  son  action  créatrice,  leur  impose  un  grand 
ministère.  Ce  ministère  est,  au  simple  point  de  vue  de  la  raison, 
religieux,  sacré  et  presque  divin.  Ce  ministère  ou  cette  mission 
a,  en  efl'et,  pour  but  essentiel  la  connaissance  et  le  culte  de 
Dieu,  fin  nécessaire  et  suprême  de  l'homme.  Dieu  multiplie  les 
hommes  pour  son  service  et  pour  sa  gloire;  les  époux  doivent 
lui  donner  des  fils  et  des  serviteurs  fidèles,  qui  lui  seront  unis 
par  les  crovances  et  par  la  pratique  des  devoirs  qui  constituent 
la  religion  elle-même. 

«  Seigneur,  disait  le  jeune  Tobie,  vous  savez  que  si  je  prends 
une  épouse,  ce  n'est  pas  pour  satisfaire  la  passion,  mais  par 
amour  des  enfants  qui  doivent  bénir  votre  nom  dans  les  siècles 
des  siècles  »  (1).  C'est  le  but  principal,  essentiel  du  mariage. 
Dieu  lui-même  ne  pouvait  lui  donner  une  autre  fin,  car  tout  ce 
qui  existe  doit  se  rapporter  à  son  service  et  à  sa  gloire.  Cette 
fin  du  mariage  est  donc  inséparable  de  la  notion  de  la  souve- 
raineté et  de  la  providence  de  Dieu,  de  la  notion  même  de  la 
divinité.  Elle  s'impose  à  la  raison,  elle  est  si  profondément 
gravée  dans  la  nature  humaine  que  les  égarements  et  la  corrup- 
tion du  paganisme  n'ont  pu  la  détruire.  Un  des  plus  illustres 
philosophes  de  l'antiquité,  Platon,  parle  ici  comme  les  Con- 
ciles :  1  II  faut,  dit-il  dans  son  Traité  des  Lois,  il  faut  que  les 
parents  engendrent  et  élèvent  des  enfants  qui  transmettent  à  la 
postérité  la  flamme  de  la  vie,  afin  qu'il  y  ait  toujours  des 
hommes  qui  servent  Dieu  selon  sa  loi.  »  fiiïtip/l  • 

Le  lien  qui  doit  unir  dans  le  mariage  les  cœurs  et  les  vies  est 
un  lien  spirituel  qui  se  résume  dans  un  amour  soumis  à  la  loi 
de  Dieu  et  qui  doit  avoir  pour  première  inspiration  l'amour 
même  de  Dieu,  fin  suprême  et  nécessaire  une  fois  encore,  des 
époux,  des  enfants,  de   la  famile  tout  entière.   Et    ainsi   tout, 

(1)  Tob.,  VIII,  9. 


UNE    PAGE   d'histoire    CONTEMPORAINE  23 

dans  le  mariage,  son  institution,  l'alliance  qu'il  forme,  le  lien 
qu'il  établit,  le  ministère  et  la  mission  qu''il  impose,  tout  est 
spirituel,  religieux  et  sacré. 

Tous  les  peuples  ont  attribué,  dans  tous  les  temps,  au  ma- 
riage ce  caractère  religieux  et  sacré.  Chez  le  peuple  juif  il  était 
un,  sacrement,  mais  un  sacrement  imparfait,  de  la  loi  mosaïque. 
La  loi  romaine  définissait  le  mariage  :  «  l'union  de  toute  la  vie 
et  une  participation  du  droit  humain  et  divin  :  Consortium 
iotius  vitœ,ju7'is  hwnani  et  divini  comniunicatio.  * 

Ecoutons  les  enseignements  de  Léon  XIII  :  «  Comme  le  ma- 
riage a  Dieu  pour  auteur,  dit-il,  et  a  été  dès  le  principe  comme 
une  ombre  de  l'incarnation  du  Verbe  de  Dieu,  il  y  a  par  cela 
même  en  lui  quelque  chose  de  sacré  et  de  religieux,  non  sura- 
jouté, mais  inné,  et  qui  n'est  pas  l'effetde  conventionshumaines, 
mais  l'œuvre  primitive  de  la  nature. 

«  C'est  pourquoi  Innocent  III  (1)  et  Honorius  III  (2)  nos  pré- 
décesseurs, poursuit  l'auguste  Pontife,  ont  pu  à  raison  et  sans 
témérité  affirmer  que  le  sacrement  de  mariage  existe  chez  les 
fidèles  et  les  infidèles.  Nous  en  attestons  les  monuments  eux- 
mêmes  de  l'antiquité,  les  mœurs  et  les  instructions  des  peuples 
qui  s'étaient  le  plus  rapprochés  de  la  perfection  humaine  et  se 
distinguaient  par  une  notion  plus  parfaite  du  droit  et  de  l'équité; 
il  est  constant  que  chez  tous  ces  peuples,  par  l'effet  d'une  dispo- 
sition habituelle  et  antérieure  des  esprits,  l'idée  du  mariage  se 
présentait  sous  la  forme  d'une  association  étroite  avec  la  reli- 
gion et  les  choses  saintes.  Aussi  était-il  d'usage  chez  eux  que 
les  noces  ne  se  célébrassent  point  sans  les  cérémonies  de  leur 
culte,  l'autorité  des  pontifes  et  le  ministère  des  prêtres;  tant 
avaient  de  force,  même  dans  les  âmes  privées  de  la  doctrine 
céleste,  la  nature  des  choses,  le  souvenir  des  origines  et  la 
conscience  du  genre  humain.  » 

[A  suivre)  Mgr   Turinaz. 


UNE  PAGE  D'HISTOIRE  CONTEMPORAINE 

Exilé  loin  de  sa  patrie  en  sa  qualité  de  défenseur  de  l'ancienne 
constitution  du  Brésil,  le  vicomte  d'Ouro-Preto,  chef  du  dernier 
ministère  impérial  brésilien,  vient  de  lancer  un  manifeste  dont  on 

(1)  De  divort.,  Cap.  8. 

(2)  De  transact.,  Gap.  11, 


24  ANNALES   CATHOLIQUES 

ne  peut  méconnaître  l'importance  historique.  Comme  il  Tinsinue 
dès  le  début,  «  but  principal  de  toutes  les  attaques,  centre  et  direc- 
tion, de  la  résistance  que  ces  événements  pouvaient  rencontrer,  la 
haute  charge  qu'il  occupait  dans  la  situation  politique  lui  a  fait  con- 
naître une  foule  de  circonstances  que  peu  d'autres  connaissent  et 
qui  sont  indispensables  pour  comprendre  comment,  en  quelques 
heures,  on  a  pu  modifier  si  profondément  la  forme  du  gouvernement 
de  son  pays.  »  Nous  donnons  ici  le  résumé  de  cet  important  docu- 
ment, que  nous  venons  de  recevoir  et  qu'aucun  journal  en  Europe 
n'a  publié  encore.  11  est  éminemment  propre  à  éclairer  les  esprits 
»ur  les  causes  et  les  événements  de  la  journée  du  5  novembre. 

Pendant  les  deux  derniers  mois  du  cabinet  présidé  par  moi, 
écrit  le  vicomte  d'Ouro-Preto,  tout  l'effort  de  l'opposition  con- 
sista à  convaincre  l'armée  de  l'hostilité  du  gouvernement  à  son 
égard.  Cette  campagne  fut  rudement  menée  par  deux  jour- 
naux, le  Diario  de  Noticias  et  le  Paiz,  dont  les  rédacteurs 
occupent  aujourd'hui  les  ministères  des  finances  et  des  afi'aires 
étrangères.  La  moindre  faute  administrative  servit  de  pré- 
texte à  ces  messieurs  pour  émettre  l'idée  que  le  ministère  du 
7  juin  1880  voulait  la  dissolution  de  l'armée,  —  et  cependant 
c'était  te  même  ministère  qui  avait  confié  les  deux  postes  de  la 
marine  et  de  la  guerre  à  deux  officiers  généraux,  et  chargé 
deux  colonels  du  gouvernement  des  provinces  de  Matto  Grosso 
et  de  Ceara.  En  supposant  qu'il  y  avait  des  abus  à  faire  dispa- 
raître de  l'armée  et  qu'il  y  avait  lieu  de  faire  droit  à  ses  justes 
revendications,  le  vicomte  de  Maracaju,  ministre  de  la  guerre, 
officier  distingué,  devait  le  savoir  et  pouvait  aisément  servir 
les  intérêts  de  l'armée.  Mais  jamais  ce  ministre  ne  transmit  au 
chef  du  cabinet  la  moindre  plainte  de  la  part  de  ses  subordonnés, 
ne  lui  soumit  de  mesures  en  faveur  des  militaires.  Dès  le  début 
du  ministère,  il  demanda  le  retour  de  Matto  Grosso  de  la  divi- 
sion commandée  par  le  maréchal  Deodoro  ;  le  rappel  fut  accordé, 
et  le  maréchal  reçu  avec  tous  les  honneurs  dus  à  son  rang 
élevé.  Les  promotions  dans  l'armée  furent  toujours  fêtées  sui- 
vant les  désirs  exprimés  par  le  ministre  de  la  guerre. 

Une  seule  fois,  il  y  eut  opposition,  lorsque  le  vicomte  de 
Maracaju  proposa  d'établir  un  certain  rapport  entre  les  charges 
militaires  et  la  hiérarchie  des  ordres  et  des  insignes,  de  façon 
que  tout  maréchal  de  camp  aurait  reçu,  par  exemple,  un  titre 
de  baron,  tout  brigadier  une  dignité  de  la  Rose  et  ainsi  de  suite. 
Multiplier  ces  dignités,  était  les  déconsidérer.  La  proposition 


UNE    PAGE    d'histoire    CONTEMPORAINE  25 

fut  donc  rejetée,  mais  on  ne  se  refusa  pas  à  accorder  à  l'occasioa 
des  distinctions  à  ceux  qui  les  auraient  méritées. 

En  somme,  le  ministre  de  la  guerre  était  satisfait  de  la  marche 
des  affaires.  «  Plus  d'une  fois  même,  dit  M.  de  Ouro-Preto,  en 
apprenant  qu'il  se  tramait  quelque  chose  dans  les  corps  de  la 
seconde  brigade,  j'appelai  l'attention  de  mon  collègue  sur  ces 
indices,  mais  toujours  il  me  tranquillisa  en  m'assurant  qu'il  ne 
se  passerait  rien  d'extraordinaire  et  qu'il  aurait  soin  d'empê- 
cher ou  de  réprimer  toute  irrégularité.  >  Ces  sentiments  du 
ministre  de  la  guerre  persévérèrent  jusque  dans  la  soirée  du  14. 
Pendant  une  courte  absence  du  vicomte  de  Maracaju,  le  porte- 
feuille fut  occupé  par  le  ministre  de  la  justice,  M.  Candido  de 
Oliveira,  mais  on  ne  prit  aucune  mesure  sans  demander  l'avis 
du  maréchal  Floriano  Peixolo,  lequel  partageait  les  idées  du 
ministre  de  la  guerre.  Ainsi  renseigné,  le  gouvernement  pou- 
vait-il soupçonner  l'attentat  qui  se  préparait? 

Il  s'était  déjà  présenté,  il  est  vrai,  quelques  cas  d'indiscipline 
de  la  part  de  soldats  et  d'officiers  ;  ce  n'était  pas  une  nouveauté, 
mais  des  moyens  ordinaires  en  avaient  eu  raison  et  l'on  n'avait 
pas  lieu  de  supposer  que  cette  fois  la  rébellion  pût  se  générali- 
ser dans  l'armée.  Une  brigade  avait  été  expédiée  de  Rio  dans  la 
province  des  Amazones  sans  aucune  protestation  de  la  part  du 
peuple;  le  commandant  lui-même,  général-baron  de  Rio  Apa, 
frère  du  ministre  de  la  guerre,  en  annonçant  ce  départ  au  chef 
du  ministère,  l'assurait  que  les  corps  de  sa  brigade  étaient  très 
disciplinés  et  accompliraient  toujours  les  ordres  du  gouverne- 
ment, sinon  il  quitterait  le  commandement  de  son  régiment,  et 
que  le  gouvernement  pouvait  toujours  compter  sur  les  troupes, 
pour  qui  la  discipline  est  une  religion  (11  novembre  1889).  Le 
19,  le  signataire  de  cette  lettre,  renonçant  à  son  titre  de  baron, 
invitait  la  garde  nationale  à  acclamer  la  république  !  Ce  n'était 
pas  la  dernière  trahison  que  le  vicomte  de  Ouro-Preto  devait 
constater. 

Moins  encore  que  l'armée,  la  marine  avait  sujet  de  se  plaindre. 
Le  ministre  actuel  de  la  marine,  M.  Wandenkolk,  alors  chef  de 
division,  n'avait  reçu  que  des  marques  de  faveur  du  gouverne- 
ment. Sa  réception  dans  la  noblesse  avait  été  annoncée  par  lui 
à  la  flotte  et  brillamment  fêtée  par  ses  subordonnés.  Il  tenait 
donc  alors  à  son  titre,  celui  qui,  le  15,  se  proclamait  républi- 
cain et  conspirait  contre  le  gouvernement.  Chose  curieuse,  aux 
élections  du  31  aoiit  1889,  alors  que  la  partie  était  si  vivement 


26  ANNALE3  CATHOLIQUES 

engagée  entre  les  conservateurs  et  les  libéraux,  M.  Wandenkolk 
et  ses  subordonnés,  électeurs  de  Rio,  ne  daignaient  pas  se  déran- 
ger pour  venir  à  quelques  lieues  de  leur  résidence  déposer  leurs 
votes  dans  la  capitale.  N'était-ce  pas  l'heure  de  se  montrer 
homme  de  convictions  sincères  et  arrêtées?  Et  quand  la  flotte 
voulut  fêter  l'équipage  du  cuirassé  chilien  Almirante  Coc- 
kranty  n'est-ce  pas  à  l'aide  des  subsides  accordés  par  le  gouver- 
nement que  M.  Wandenkolk  fit  à  ces  officiers  étrangers  un  si 
gracieux  accueil,  c  Cela  se  passait  peu  de  jours  avant  le  soulè- 
vement du  15  novembre.  Or,  pouvais-je  par  hasard,  se  demande 
M.  de  Ouro-Preto,  croire  que  des  gens  de  sentiments  élevés 
conspirassent  pour  la  déposition  du  cabinet,  au  moment  même 
oii  ils  en  sollicitaient  et  en  obtenaient  de  pareilles  faveurs?  » 

Mais  bientôt  le  doute  ne  fut  plus  possible.  Dans  une  fête 
donnée  en  l'honneur  des  Chiliens,  le  ministre  actuel  de  la  guerre, 
alors  chef  de  l'école  supérieure  de  guerre,  soutint  en  présence 
des  officiers  étrangers  et  du  vicomte  de  Maracaju,  son  supérieur, 
que  l'armée  jouissait  du  droit  incontestable  de  déposer  les  pou- 
voirs légitimement  constitués  par  la  nation,  lorsqu'elle  croyait 
ses  intérêts  engagés  ou  qu'elle  le  jugeait  sage  et  convenable 
pour  le  bien  de  la  patrie.  Le  lendemain,  ces  paroles  étaient 
acclamées  en  pleine  classe  par  un  groupe  d'officiers  subalternes. 
L'on  apprenait  en  même  temps  l'adhésion  d'un  grand  nombre 
d'officiers  au  club  militaire,  présidé  par  le  chef  de  l'Ecole  de 
guerre.  C'est  alors  que  parurent  les  articles  du  Paiz  dont  l'un, 
commentant  une  démonstration  faite  par  l'Association  commer- 
ciale de  Rio  de  Janeiro  au  chef  du  cabinet,  disait  que  cette 
démonstration  symbolisait  le  Capitole  d'oii  l'on  précipiterait 
bientôt  sur  la  roche  tarpéienne  le  gouvernemont  auquel  on  attri- 
buait des  plans  sinistres  et  ténébreux. 

Sur  ces  entrefaites,  le  cabinet  fut  convoqué  (mardi  12  no- 
vembre, de  une  à  trois  heures  du  soir),  et  le  président  appela 
l'attention  de  ses  collègues  de  la  guerre  et  de  la  justice  sur  les 
taits  signalés  plus  haut  et  les  engagea  à  prendre  des  mesures  en 
conséquence.  Le  ministre  de  la  guerre  le  rassura  en  lui  disant  : 
«  Soyez  tranquille,  nous  veillons,  le  général  Floriano  et  moi,  il 
n'y  aura  rien.  »  Empêché  le  13  de  se  rendre  auprès  de  l'Empe- 
reur à  Petropolis,  M.  de  Ouro-Preto  y  députa  le  ministre  de 
l'intérieur.  Le  14,  au  matin,  il  recevait  une  carte  écrite  la 
veille  par  le  ministre  de  la  justice  qui  l'informait,  de  la  part  de 
r adjudant-général,  qu'il  se  préparait  quelque  chose,  mais  rien 


UNE    PAGE   d'histoire   CONTEMPORAINE  27 

d'important  et  qn'ou  pouvait  compter  sur  la  loyauté  des  chefs. 

Immédiatement  M.  do  Ouro-Preto  convoqua  les  ministres  de 
la  guerre  et  de  la  justice  et  le  président  de  la  province  de  Rio. 
Le  ministre  de  la  guerre,  auquel  il  communiqua  la  lettre  du 
maréchal  Floriano,  l'assura  du  bon  état  de  l'arraée  et  lui  réitéra 
sa  promesse  que  l'ordre  ne  serait  pas  troublé,  qu'en  tout  cas,  le 
gouvernement  aurait  à  sa  disposition  des  éléments  de  répres- 
sion; il  en  répondait  absolument  pour  la  première  brigade. 
S'informant  alors  des  dispositions  du  maréchal  Deodoro,  dont  on 
lui  avait  manifesté  le  dessein  de  prendre  part  à  quelque  mani- 
festation, le  président  obtint  des  paroles  rassurantes  du  ministre 
de  la  guerre  ;  il  lui  donna  alors  Tordre  de  conférer  avec  Deodoro 
et  Floriano,  et  au  cas  oii  le  premier  ne  donnerait  pas  des  expli- 
cations satisfaisantes,  de  prendre  contre  lui  des  mesures  oppor- 
tunes. Le  ministre  de  la  guerre  accepta  et  partit. 

Sans  perdre  de  temps,  le  président  du  conseil  combina  avec  le 
ministre  de  la  justice  et  le  président  de  la  province  de  Rio  les 
mesures  de  répression  qui  lui  paraissaient  les  plus  propres,  et 
particulièrement  à  réunir  de  suite  toutes  les  forces  dont  on 
pouvait  disposer. 

Le  soir,  le  maréchal  Floriano  ne  reparut  point  au  ministère. 
Le  chef  du  cabinet  ayant  reçu  une  carte  qui  l'informait  des  prè^- 
paratifs  qui  se  faisaient  dans  le  quartier  du  premier  régiment 
de  cavalerie,  dépêcha  un  courrier  à  l'adjudant  général  et  le  pria 
de  prendre  des  informations  à  ce  sujet  et  d'arrêter  le  mouve- 
ment. Vers  dix  heures,  le  rédacteur  en  chef  du  Jornal  do  Com- 
mercia,  M.  le  conseiller  Souza  Ferriero,  se  présenta  chez 
M.  de  Ouro-Preto  et  lui  demanda  s'il  était  vrai  que  le  gouver- 
nement avait  ordonné  l'arrestation  du  maréchal  Deodoro  et  le 
départ  de  quelques  bataillons.  La  réponse  négative  du  président 
satisfit  le  rédacteur.  Celui-ci  fit  alors  part  au  chef  du  cabinet  ■ 
de  la  désapprobation  qu'encourraient  de  pareilles  mesures 
propres  à  entraîner  les  plus  graves  conséquences,  celles  de 
n'être  pas  exécutées.  Le  président  l'assura  de  nouveau  des  inten- 
tions pacifiques  du  gouvernement  et  ajouta  que,  si  la  nécessité 
l'exigeait,  il  saurait  défendre  le  pouvoir  avec  dignité  ou  donne- 
rait sa  démission.  D'où  venaient  ces  bruits  qui  alarmaient  le 
rédacteur  du  Jornal  do  Commercio?  Un  seul  homme  connais- 
sait le  projet  du  chef  du  cabinet,  au  cas  oii  le  maréchal  Deodoro 
se  montrerait  réfractaire,  c'était  le  ministi'e  de  la  guerre. 

A  11  h.  3/4,  prévenu  que  le  premier  régiment  était  en  armes 


28  ANNALKS    CATHOLIQUR8 

dans  ses  quartiers  et  que  les  chefs  de  l'armée  étaient  réunis  au 
qaartier-grénéral,  le  président  du  noinistère  se  hâta  de  se  rendre 
au  lieu  do  l'insurrection  et  essava  de  réunir  des  troupes  pour 
étouffer  l'énoeute.  A  la  secrétairerie  de  police,  il  nppiit  que  le 
motif  de  l'insurrection  du  premier  répiment  était  l'arrestation 
du  naaréchal  Deodoro.  Les  autres  ministres  viennent  d'être  pré- 
Tenus;  l'adjudant-général,  convoqué  sur  l'heure,  reçut  l'ordre 
de  faire  rentrer  les  troupes  factieuses  et  de  jiunir  les  auteurs 
d'un  fait  aussi  grave  que  celui  d'avoir  pris  les  armes  sans  ordre 
supérieur.  Le  ministre  de  la  guerre  est  également  chargé  d'en- 
voyer des  corps  de  troupes  dans  la  ville  et  de  venir  tr«>uver  le 
président  du  conseil  à  l'arsenal  de  la  marine. 

Aussitôt  l'Empereur  est  prévenu,  des  troupes  sont  convoquées 
l'ordre  est  donné  de  mettre  l'arsenal  en  état  de  défense  et  de 
repousser  toute  tentative  d'assaut.  Le  ministre  de  la  marine  se 
met  à  l'œuvre  et  active  les  travaux,  car  c'était  de  là  qu'on 
pouvait  résister  avec  succès.  De  son  côté,  la  ministre  de  la 
guerre  réclaiiiait  la  présence  du  président  du  conseil  nu  f|u:irtier 
général. 

Il  était  sept  heures  du  matin  :  les  troupes  mutinées  étaient  en 
marche  pour  la  ville  et  l'on  n'avait  pris  aucune  des  dispositions 
les  plus  élémentaires  pour  lui  barrer  le  passage,  les  diviser  ou 
les  repousser. 

<  Rien  de  plus  étrange,  écrit  le  vicomte  de  Oaro-Preto,  que 
l'expression  des  physionomies  des  officiers  en  ce  moment;  ce 
n'était  pas  le  calme  <lu  devoir  à  accomplir,  ni  la  résolution,  mais 
l'incertitude  et  l'angoisse.  Seul  le  maréchal  Floriano  conservait 
sa  sérénité  habituelle  et  donnait  ses  ordres  à  voix  basse.  Le 
ministre  de  la  guerre  laissait  faire.  » 

Bientôt  les  révoltés  parurent;  leur  avant-garde  passa  près  de 
l'arsenal;  le  président  donna  l'ordre  de  l'arrêter,  le  ministre  de 
la  guerre  répéta  l'ordre  du  jour  à  haute  voix,  personne  ne 
bougea. 

Un  officier,  sorti  des  rangs  de  la  troupe  révoltée,  se  présenta 
alors  et  demanda  de  la  part  du  maréchal  Deodero  une  confé- 
rence avec  le  maréchal  Floriano.  Ouro-Preto  refusa  pour  le 
motif  que  le  maréchal  Deodoro  n'ayant  reçu  aucun  commande- 
ment militaire,  n'avait  pas  le  droit  de  se  mettre  à  la  tête  d'une 
troupe  révoltée,  et  il  réitéra  l'ordre  d'emplo3'er  la  force  pour  le 
repousser.  Des  coups  de  fusil  se  firent  entendre  à  la  façade  de 
l'arsenal.  Un  instant,   le  président   espéra   qu'une    résistance 


UNE    PAGE    d'histoire    CONTEMPORAINE  29 

sérieuse  s'organisait.  Il  s'abusait  étrangement.  C'étaient  les 
coups  de  fusil  tirés  sur  le  baron  de  Ladarlo,  ministre  de  la 
marine.  Un  nouvel  ordre  de  résister  n'ayant  pas  été  exécuté,  le 
président  du  conseil,  apprenant  par  Floriano  que  le  maréchal 
Déodoro  réclamait  la  retraite  du  ministère,  demanda  l'avis  de 
ses  collègues  et  déclara  qu'il  se  soumettait  aux  circonstances 
et  allait  solliciter  sa  démission  auprès  de  l'Empereur.  Cette 
demande  fut  transmise  immédiatement  au  chef  de  l'Empire. 

Mais  déjà  Deodoro  avait  pénétré  dans  l'intérieur  du  quartier 
—  on  ne  sait  qui  lui  en  avait  ouvert  les  portes  —  et  recevait  les 
ovations  des  différents  corps  de  troupe.  Il  entra  dans  la  salle. 
Au  milieu  du  plus  profond  silence,  il  déclara  qu'il  s'était  mis  à 
la  tête  des  troupes  pour  venger  l'armée  des  graves  injustices 
qu'elle  avait  éprouvées  de  la  part  du  gouvernement.  Il  rappela 
les  services  qu'il  avait  rendus  à  la  patrie,  déclara  que  le  minis- 
tère était  déposé  et  qu'on  en  formerait  un  autre  d'accord  avec 
l'empereur.  Tous  les  ministres  pouvaient  se  retirer  chez  eux,  à 
l'exception  du  président  et  du  ministre  de  la  justice  qu'il  cons- 
tituait prisonniers  jusqu'à  leur  départ  pour  l'Europe,  c  Quanta 
l'Empereur,  ajouta-t-il,  il  a  mon  dévouement,  je  suis  son  ami, 
je  lui  dois  des  faveurs.  Ses  droits  seront  respectés  et  garantis.» 
M.  de  Ouro-Preto  lui  répondit  avec  dignité  qu'on  peut  servir  sa 
patrie  et  se  sacrifier  pour  elle  ailleurs  encore  que  sur  les  champs 
de  bataille  ;  qu'au  reste,  il  cédait  à  la  force.  Divers  person- 
nages parmi  lesquels  se  trouvait  Floriano,  protestèrent  contre 
la  déportation  dont  étaient  menacés  MM.  de  Ouro-Preto  et 
et  Candido  de  Oliveira. 

A  4  heures  de  l'après-midi,  l'ancien  président  du  conseil  se 
trouvait  chez  l'empereur  rentré  à  Rio  et  lui  réitérait  sa  demande 
de  la  démission  du  ministère.  L'empereur  refusa,  mais  dut  bien- 
tôt revenir  sur  sa  décision.  «  Le  seul  service  que  je  puisse 
rendre  en  ce  moment  à  Votre  Majesté,  lui  dit  Ouro-Preto,  c'est 
de  lui  conseiller  la  formation  d'un  nouveau  ministère  »,  et  il 
appela  son  attention  sur  le  sénateur  Silveira  Martins. 

Divers  journaux  ont  accusé  M.  de  Ouro-Prato  d'avoir  caché  à 
l'empereur  le  plan  du  maréchal  Deodoro  en  ne  lui  parlant  que 
d'un  changement  du  cabinet,  alors  qu'il  s'agissait  de  l'abolition 
totale  des  anciennes  institutions. 

L'ancien  président  du  conseil  ignorait  la  proclamation  de  la 
République  et  croyait  encore  à  la  sincérité  des  paroles  pronon- 
cées par  Deodoro. 


30  ANNALES    CATHOLIQUES 

A  6  heures  du  soir,  un  officier  chargé  d'un  mandat  d'arresta- 
tion contre  M.  de  Ouro-Preto,  venait  arrêter  ce  deruier  dana  la 
maison  d'un  de  ses  amis.  Son  séjour  à  la  prison  dura  86  heures, 
pendant  lesquelles  on  joua  la  comédie  d'un  prétendu  contlit 
entre  l'armée  et  la  marine  et  l'on  proféra  des  menaces  de  mort 
contre  l'ancien  président  du  conseil. 

Le  16,  au  matin,  le  ministre  des  affaires  extérieures  du  gou- 
rernement  provisoire,  M.  Quintino  li Dcayava,  vint  faire  visite 
au  prisonnier,  et,  tout  en  lui  exprimant  ses  sentiments  d'estime 
personnelle  et  ses  regrets  sur  les  nécessités  de  la  situation  qui 
exigeaient  sa  détention,  lui  annon<,-a  que,  do  crainte  d'une  im- 
prudence ou  d'une  résistance  de  sa  part,  le  gouvernement  pro- 
visoire  avait  décrété  son  départ  pour  l'Europe.  M.  de  Ouro- 
Preto  l'aspura  de  ges  intentiuns  paciliques,  et  accepta  l'oUVe  de 
partir  immédiatement.  Dès  lors  il  put  recevoir  des  membres  de 
sa  famille  et  de  ses  amis,  mais  toujours  en  présence  d'officiers. 
Le  lendemain,  le  vapeur  allemand  Montevideo  l'eiumonait  en 
Europe. 


TRIOMPHE  DANS  LA  MORT 

Le  juste  entre  en  mourant  dans  l'immortalité  —  immortalité 
en  Dieu,  souvent  aussi  parmi  les  hommes. 

Ceux-ci  légers,  ne  mesurent  habituellement  que  par  l'immen- 
sité du  vide  créé  par  la  mort  du  juste,  l'immensité  du  bienfait 
dont  Dieu  les  comblait  en  le  leur  donnant. 

La  mort  fait  ainsi  deux  fois  justice  ;  en  récompensant  le  justo 
de  ses  travaux  et  en  le  faisant  apprécier  des  hommes  quand  sa 
modestie  n'est  plus  là  pour  en  souffrir. 

C'est  la  réflexion  que  je  me  faisais,  jeudi,  en  assistant  aux 
funérailles  de  M.  Henri  IJajart,  funérailles  dont  nos  lecteurs 
trouveront  plus  loin  le  compte-rendu. 

Elles  furent  vraiment  un  triomphe.  Sur  le  parcours,  une 
foule  immense  et  recueillie  témoignait  par  son  attitude  d'un 
sentiment  d'estime  et  de  sympathie  mêlé  do  regret.  Il  y  avait 
de  la  tristesse  et  du  deuil  sur  tous  ces  visages  de  travailleurs. 

Dans  le  cortège  s'était  réalisé  le  rêve  d'Henri  Bayart  :  la 
fusion  des  classes  dans  la  communauté  des  sentiments.  Ou- 
vriers, employés,  négociants,  patrons,  mêlés  et  confondus  dans 
la  fraternité  de  la  douleur,  suivaient  en  rangs  compacts.  Pas  de 


TRIOMPHE    DANS    LA    MORT  31 

désordre,  pas  d'impatience  dans  cette  multitude.  Partout  un 
calme  et  une  discipline  qui  faisaient  dire  à  un  ancien  pèlerin  des 
dix  mille  :  «  Vraiment,  il  semblerait  que  M.  Baj'art  est  ici  pour 
tout  organiser.  > 

Oui,  il  était  là,  le  vaillant  apôtre.  Il  était  là  présent  à  la 
pensée  comme  à  la  prière  de  tous.  On  parlait  de  lui,  on  rappe- 
lait ses  paroles,  on  évoquait  ses  exemples.  Funérailles  uniques, 
oii  les  devoirs  de  la  bienséance  et  la  nécessité  des  relations  ou 
des  affaires  n'étaient  pour  rien  et  qui,  sous  l'impulsion  de  l'admi- 
ration et  du  souvenir,  s'étaient  transformées  en  une  véritable 
manifestation  en  l'honneur  de  l'homme  et  de  ses  œuvres. 

L'homme,  chacun  se  rappelait  ce  qu'il  était.  Bon,  dévoué, 
infatigable,  dévoré  par  le  zèle  et  éclairé  par  un  lumineux  esprit 
de  foi.  L'homme  à  la  parole  ardente,  communicative,  à  l'acti- 
vité entreprenante,  à  la  pensée  vaste  et  toujours  pratique; 
l'homme,  chacun  se  le  figurait  dans  ces  réunions  intimes  où  il 
exposait  avec  une  netteté,  une  précision  et  en  même  temps 
une  modestie  admirables,  ses  vues,  ses  plans,  ses  projets  de 
régénération  sociale;  chacun  se  le  figurait  dans  ces  réunions 
populaires,  jetant  en  quatre  paroles  l'enthousiasme  et  l'amour 
dans  les  foules,  saisissant  son  auditoire,  le  soulevant,  le  passion- 
nant par  sa  parole  simple  et  chaude,  par  ses  irrésistibles  cris  du 
cœur.  C'était  en  efi"et,  et  surtout,  un  homme  de  cœur,  un 
homme  qui  aimait  ! 

Ses  ouvriers  le  sentaient  et  le  disaient  et  c'est  là  le  secret  de 
la  profonde  influence  qu'il  exerçait  sur  eux.  Quoi  de  plus  élo- 
quent que  ce  cri  jeté  avec  des  larmes  par  un  pauvre  employé, 
lundi  matin,  à  la  nouvelle  de  sa  mort  :  <  M.  Henri,  il  faut  avoir 
travaillé  avec  lui  pour  savoir  combien  il  était  bon  !  > 

Et  ses  œuvres,  qui  ne  les  connaît  et  ne  les  admire? 

Elles  ont  été  sa  vie...  et  sa  mort.  Filles  de  son  apostolat,  les 
voilà  consacrées  par  son  martyre!  Car  ce  sont  elles,  bien  plus 
que  l'importante  exploitation  industrielle  qu'il  dirigeait,  qui 
ont  miné  et  dévoré  ce  corps  d'acier  habité  par  une  âme  de  feu. 

Entre  toutes  les  autres,  celle  qui  a  le  plus  occupé  ce  que 
'appellerai  «  sa  carrière  apostolique  >  c'est  l'œuvre  de  Notre- 
Dame  de  l'Usine.  Il  en  était  à  Roubaix-Tourcoing  le  créateur, 
l'âme,  le  soutien  et  l'espoir.  Mais  il  l'a  jetée  sur  de  telles  bases 
et  si  fortement  organisée,  qu'elle  lui  survivra.  Du  reste,  j'en 
suis  sur,  son  zèle  plus  puissant  que  jamais  là-haut  lui  restera. 
Il  l'a  trop  aimée  pour  s'en  désintéresser  maintenant. 


32  ANNALES   CATHOMQUXS 

A  ce  propos,  qu'on  me  permette  ici  un  souvenir  personnel  : 

Un  soir  qu'il  m'avait  longuement  entretenu  de  cette  œuvre, 
il  voulut  m'accompagner  jusqu'à  la  gare.  Aussi  longtemps  que 
le  train  n'arrivât,  il  necessa  de  me  parler  do  ses  chers  ouvriers. 
Dans  le  cours  de  la  conversation,  j'arrivai  à  lui  demander  ce 
qui  le  soutenait  dans  le  rude  labeur  de  son  apostolat  :  «  Ah  !  me 
répondit-il  avec  feu,  il  y  a  la  communion,  la  prière,  mais  de 
plus,  si  vous  saviez  comme  c'est  consolant  de  travailler  pour 
l'ouvrier!  Sa  reconnaissance  est  si  vive  et  si  bonne!  Il  y  a  du 
cœur  chez  l'ouvrier  et  on  le  sent  i|uand  on  lui  serre  la  main. 
Tenez,  ajouta-t-il,  voici  un  de  mes  encouragements  —  et  en 
même  temps  il  tirait  de  sa  poche  une  petite  statue  de  saint 
oseph,  en  cuivre,  toute  luisante  à  force  d'avoir  été  poi  tôe  et 
baisée  —  ce  souvenir  m'a  été  donné  par  un  ouvrier,  un  de  mes 
aides  de  la  première  heure.  .\u  moment  de  me  quitter  pour 
entrer  à  la  Trap[te  il  m'a  dit  :  «  Monsieur  Henri,  je  ne  suis 
pas  riche,  mais  je  veux  vous  laisser  >in  cadeau  :  ce  petit  saint 
Joseph,  c'est  le  patron  des  travailleurs,  le  vôtre  et  le  mien.  .Mais 
en  son  nom,  je  vous  en  supplie,  continuez  l'œuvre  de  Notre- 
Dame  de  l'Usine.  Si  vous  saviez  quel  bien  elle  fait!  Courage, 
continuez  !  >  —  Voilà  trois  ans  que  je  porte  avec  moi  cette  statue, 
ajouta  le  vaillant  Apôtre,  jamais  je  ne  m'en  séparerai.  » 

Quand  lundi  dernier,  à  la  nouvelle  foudroyante  de  sa  mort,  je 
courus  m'agenouiller  auprès  de  sa  dépouille  encore  tiède,  calme 
et  souriante  do  la  paix  du  juste,  je  priai  pour  son  àme,  sans 
doute:  l'amitié  et  la  foi  m'en  faisaient  un  devoir.  .Mais,  peu  à 
peu,  ma  supplication  changea  de  forme:  ce  n'était  plus  pour  lui, 
c'est  lui  que  je  ]>riais,  lui  demandant  de  continuer  au  cinl  son 
apostolat  do  la  terre,  d'entretenir  la  flamme  généreuse  do  son 
zèle  dans  le  cœur  de  ces  forts  qu'il  a  suscités  et  groupés  autour 
de  lui  et  qui  formaient  son  brillant  état-major. 

Oui,  il  faut  que  cet  intrépide  Machabée,  tombé  au  champ 
d'honneur,  voie  l'un  de  ses  frères  —  frères  par  le  sang  ou  par 
les  armes  —  ramasser  sa  vaillante  épée  et  continuer  les  bons 
combats  d'Israël  !  La  cause  est  noble  :  c'est  celle  de  l'ouvrier, 
de  la  patrie,  de  Dieu  !  On  meurt  pour  tout  cela!  Bayart  est 
mort,  eh  bien  !  qu'un  autre  se  lève  et  meure  aussi  s'il  le  faut 
pour  Dieu,  la  PVance  et  l'ouvrier  !  Comme  le  sien,  c  son  sépulcre 
sera  glorieux  !  > 

(Croix  du  Nord.)  Gyr. 


TRIOMPHE    DANS    LA    MORT 


83 


L'usine  du  Val-des-Bois  était  représentée  par  MM.  Léon 
Harmel,  Brunot-Harmel  et  son  fils,  aux  obsèques  de  M.  Bayart. 

Suivant  le  désir  exprimé  par  la  famille,  il  n'y  avait  pas  de 
couronnes,  et  aucun  de  nos  concitoyens  n'a  pris  la  parole  sur  la 
tombe  ;  mais  l'honorable  M.  Harmel,  du  Val-des-Bois,  a  rendu 
un  dernier  hommago  au  président  du  syndicat  de  l'industrie 
îoubaisienne.  11  s'est  exprimé  en  ces  termes  : 

La  nouvelle  foudroyante  de  la  mort  de  M.  H.  Bavart  a  excité,  dans 
tous  nos  cœurs,  une  immense  douleur.  En  même  temps  elle  a  sus- 
cité ces  inquiétudes  que  I'oq  éprouve  quand  le  soutien  —  sur  lequel 
on  s'appuyait  —  fait  défaut  tout  à  coup. 

D'autres  peuvent  louer  avec  plus  d'autorité  sa  vie  privée  et 
familiale,  sa  carrière  industrielle,  sa  conduite  à  l'égard  de  ses  ouvriers, 
qu'il  consiiiérait  comme  ses  enfants,  je  ne  veux  parler  ici  que  de  son 
action  générale,  non  seulement  dans  le  Nord,  mais  aussi  dans  toute 
la  France  industrielle,  où  sa  parole  et  son  exemple  ont  éveillé  tant 
d'échos. 

M.  H.  Bayart  était  de  ces  hommes,  trop  rares  dans  notre  siècle 
d'égo'isme  et  d'impiété,  dont  l'intelligence,  illuminée  parla  doctrine 
évangélique,  a  compris  que  le  nœud  gordien  de  la  question  sociale 
ne  pouvait  être  tranché  que  par  l'amour.  Non  pas  cet  amour  sans  les 
œuvres,  qui  n'atteint  que  l'intelligence  et  reste  confiné  dans  un  sen- 
timentalisme impuissant,  mais  l'amour  qui  agit,  l'amour  qui  réor- 
ganise sur  les  bases  de  l'observation,  de  la  nature  des  choses  et  des 
intérêts. 

Son  cœur  s'est  ému  de  voir  les  ouvriers  abandonnés  à  eux-mêmes, 
trop  souvent  poussés  à  la  violence,  où  ils  ne  rencontreront  qu'une 
aggravation  de  misères.  Car  ce  n'est  pas  en  creusant  plus  profondé- 
ment le  fossé  de  haine,  qui  sépare  les  travailleurs  des  patrons,  qu'on 
apportera  le  bonheur;  celui-ci  ne  peut  éclore  que  sous  le  soleil  divin 
de  l'araïur  et  de  la  concorde.  Combler  ce  fossé,  voilà  l'œuvre  émi- 
nemment patriotique  et  chrétienne,  heureusement  conduite  par 
M.  Bayart,  avec  l'aide  d'une  élite  d'hommes  généreux. 

Il  a  pris  soin  d'y  associer  l'ouvrier  lui-même,  de  stimuler  son  ini- 
tiative, d'ennoblir  sa  vie  par  l'apostolat  m.utuel  qui  confère  à 
l'homme  de  labeur  une  sorte  de  paternité  sociale  vis-à-vis  de  ses 
camarades. 

Ne  semble-t-il  pas  que  de  la  tombe  de  ce  patron  chrétien,  dont  la 
vie  s'est  usée  au  noble  travail  de  la  réconciliation  des  classes,  s'élève 
une  voix  qui  est  puissante,  parce  qu'elle  fait  écho  à  la  voix  de  Jésus- 
Christ  lui-même? 

«  Prenez  garde  !  nous  crie  cette  voix,  prenez  garde,  ô  industriels! 
Le  temps  n'est  plus  aux  stériles  résistances.   L'heure  est  solennelle. 

3 


34  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  foule  des  travailleurs  attend;  de  la  décision  que  vous  prendrez  à 
cette  heure,  dépendent  la  paix  ou  lu  guerre  sociales,  le  relèvement 
ou  l'effondrement  de  la  patrie.  Votre  devoir  d'ailleurs  est  facile. 
Croyez  en  mon  expérience,  il  porte  sa  récompense  en  lui-même.  » 

Et  maintcDant,  c'est  à  vous  que  je  m'adresse,  à  vous,  mon  cher  ami, 
qui  avez  été  reçu  en  triomphateur  par  les  anges  de  la  miséricorde, 
je  vous  en  supplie,  continuez-nous  votre  admirable  concours.  Excitez 
chez  les  maîtres  J'usine,  que  vous  avez  entraînés  à  votre  suite,  les 
nobles  ardeurs  suscitées  par  votre,  parole  et  votre  exemple,  afin  que 
les  patrons  reprenant  partout  leur  mission  sociale,  soient  vraiment 
les  pères  de  leurs  ouvriers  et  se  montrent  ainsi  les  vrais  serviteurs 
du  Christ. 


CONFERENCES  DE  NOTRE-DAME  (1) 
(Suite  el  (in.  — Voirie  numéro  du  22  février.) 

SIXIÈME  CONFÉRENCE.  —  AmcH  (le  l'histoive  humaine. 

Il  ne  me  reste  plus  <|u'à  mettre  notre  divine  doctrine  en  rap- 
port avec  toute  l'histnire  linniaine  au  centre  de  laquelle  elle 
s'cléve  comme  un  pliare  dont  les  puissantes  projections  éclairent 
les  desseins  de  Dieu  et  la  conduite  de  sa  providence  sur  l'huma- 
nité. 

Nous  étudions  l'histoire  humaine,  mais  à  Taide  de  documents 
que  nous  recueillons  çà  et  là,  nous  n'en  pouvons  guère  cons- 
truire que  des  chapitres  détachés  .«ans  en  bien  connaître  la 
réelle  unité.  La  loi  supérieure,  la  grande  loi  qui  domine  tous  les 
événements  et  ordonne  la  vie  des  peuples  à  un  même  but  divin, 
ne  nous  est  connue  qu'on  celui  dont  l'enseignement  catholique 
nous  révèle  l'existence  et  l'universelle  souveraineté,  le  Verbe 

(1)  Analyse  spéciale  dos  Annales  Catholiques.  —  h' Année  Domi- 
nicaine continuera,  pendant  ce  Carême,  l'œuvre  de  propagande  reli- 
gieuse qu'elle  a  entreprise  depuis  quelques  années,  en  publiant  par 
livraisons  et  dans  dos  conditions  exceptionnelles  de  bon  marché,  les 
Conférences  du  T.  R.  P.  AIonsabrê,  A  Notre-Dame  de  Paris. 

L'ensemble  de  ces  Conférences,  avec  la  Retraite  qui  y  fait  suite, 
forme  neuf  livraisons,  dont  chacune  est  expédiée  aux  souscripteurs 
le  lendemain  même  du  jour  où  le  discours  qu'elle  renferme  a  été 
prononcé  à  Notre-Dame.  —  Les  neuf  livraisons  rendues  franco  par 
la  poste  :  1  fr.  ôO.  S'adresser,  en  envoyant  le  montant  do  l'abonne- 
ment par  mandat-poste,  au  R.  P.  Directeur  de  l'/lnnée  Dominicaine  y 
94,  rue  du  Hac,  Paris. 


CONFÉRh.i>v«r,    T,p    NOTRE    .MME  35 

incarné  qui  a  dit  de  lui-même  au  voyant  de  rtvtv.^^^  .  ^  jg  g^jg 
l'alplia  et  l'oméga,  le  commencement  et  la  fin.  » 

Dans  cette  lumière  vivante,  que  projette  notre  divine  doctrine 
sur  les  temps  anciens  et  sur  les  temps  nouveaux,  parcourons 
rapidement  l'histoire  de  l'humanité,  et  demandons-lui  son  Amen. 

I 

Dans  les  extrêmes  lointains  oii  l'histoire  commence,  l'esprit 
humain  s'agite  au  milieu  des  ombres,  et,  malgré  les  explications 
qu'il  demande  à  la  nature  et  aux  plus  vieilles  traditions,  il  ne 
parvient  pas  à  se  fixer  sur  des  notions  certaines. 

Mais,  si  l'esprit  humain  veut  bien  suivre  du  regard  les  pro- 
jections lumineuses  du  dogme  catholique,  il  peut  voir,  avant 
tous  les  temps,  l'histoire  du  monde  et  de  l'humanité  dans  le 
plan  de  celui  qui  doit  la  commencer  et  la  conduire  à  sa  fin. 

Elle  est  tout  entière  dans  l'ineff'able  mystère  que  Dieu  a 
conçu  et  voulu  de  toute  éternité.  Du  moment  qu'il  a  décrété  de 
donner  au  monde  son  Verbe  incarné,  c'est  par  lui  qu'il  fait  le 
monde. 

Voilà  l'alpha  !  Il  est  lui-même  la  parole  vivante  et  féconde 
qui  fait  sortir  le  monde,  non  pas  de  la  matière  éternelle,  ni  des 
entrailles  delà  divinité,  mais  de  la  nuit  du  néant.  D  en  produit 
d'un  seul  coup  tous  les  éléments  ;  il  l'ordonne  en  six  jours  dont 
la  foi  ne  détermine  pas  la  durée,  mais  qu'elle  ne  nous  permet 
pas  d'exagérer  à  plaisir;  enfin  il  y  prépare  une  demeure  digne 
de  l'humanité  dont  il  doit  se  revêtir  un  jour.  —  Cette  humanité,, 
c'est  lui-même  qui  la  crée,  non  pas  rudimentaire  et  sauvage, 
mais  belle,  innocente,  pure,  heureuse,  à  l'image  et  ressemblance 
de  son  auteur,  faisant  admirer  dans  la  virginale  beauté  de  son 
corps  le  double  épanouissement  de  la  via  divine  et  d'une  nature 
parfaite,  investie  d'un  souverain  empire  sur  les  créatures  qui 
subissent  le  charme  de  sa  présence,  de  son  regard,  de  sa  voix, 
dédoublée,  en  quelque  sorte,  dans  un  couple  ravissant  dont  le 
plus  pur  et  le  plus  parfait  des  amours  fait  l'union,  et  d'où  doi- 
vent sortir  d'innombrables  générations. 

C'est  dans  ce  couple  que  commence  l'histoire  humaine. 

Malgré  les  objections  tirées  des  diversités  des  langues,  des 
diversités  des  couleurs,  l'enseignement  catholique  maintient  la 
lumineuse  projection  du  dogme  de  notre  origine  sur  le  couple 
adamique,  et  se  contente  de  dire  à  l'esprit  humain  embarrassé 
de  ses  recherches  et  de  ses  consitatations  :  —  Cherchez  mieux. 


3Ô  ANNALES    CAT'v""'>wOES 

£^    Qjj  f,}^o^.2.tt.ai  mieas^  on  découvre  que,  dans  la  diversité 

jos  xjpes,  la  nature  humaine  est  partout  semblable  à  elle-même 
quant  à  sa  conformation  générale,  ses  aptitudes  et  ses  tendances  : 
que  les  ressemblances  fondamentales  qui  indiquent  si  clairement 
une  seule  et  même  nature  dans  Thumanité,  doivent  peser  d'un 
plus  grand  poids  sur  nos  jugements  que  des  différences  superfi- 
cielles, infiniment  plus  nombreuses  et  plus  accusées  chez  d'autres 
espèces  animales;  que  la  physionomie  et  la  coloration  sont  des 
phénomènes  locaux  purement  accidentels,  et  à  peu  près  insigni- 
fiants pour  la  détermination  de  l'espèce. — En  cherchant  mieux, 
on  découvre  la  faculté  que  possède  l'homme  de  s'assimiler  toutes 
les  langues,  ce  qui  prouve  bien  que  la  multiplicité  des  Idiomes 
n'est  point  un  fait  originel,  mais  un  accident.  —  En  cherchant 
mieux,  on  découvre  que  l'union  de  l'homme  et  de  la  femme, 
quelle  que  soit  la  variété  des  types,  est  partout  féconde,  que 
cette  fécondité  est  continue,  que,  par  conséquent,  l'humanité 
est  une  seule  espèce. 

Mais,  objectera-t-on,  d'après  la  doctrine  catholique,  ie  couple 
qui  commence  l'histoire  iiumaiue  est  un  couple  heureux  et  par- 
fait. D'oii  vient  que  notre  misérable  race  est  sujette  à  tant  de 
maux,  à  tant  d'erreurs,  à  tant  de  vices?  Affreux  mystère,  dont 
il  faut  conclure  que  l'aurore  fortunée  de  l'espèce  humaine  n'est 
qu'un  rêve. 

Non,  ce  n'est  pas  un  rêve.  L'homme  est  né  heureux  et  parfait. 
Ce  devait  être  sa  gloire  de  voir  se  multiplier  en  sa  postérité  son 
bonheur  et  sa  perfection,  mais  cette  transmission  eut  été  sans 
honneur,  si  elle  n'eût  dépendu  que  des  lois  fatales  auxquelles 
sont  soumis  les  êtres  sans  raison.  L'homme  devait  y  mettre 
toutes  ses  facultés,  entre  autres  celle  qui  ie  rend  maître  de  ses 
actions,  le  libre  arbitre.  Aussi,  Dieu  a-t-il  soumis  noire  premier 
père,  ei  en  sa  personne  le  genre  humain  tout  entier,  à  l'épreuve 
d'un  commandement  dont  l'observation  devait  fixer  le  cours  de 
ses  destinées. 

L'homme  a  transgressé  le  commandement  divin  ;  du  même 
coup  il  a  perdu  son  immortalité,  son  souverain  empire  sur  la 
nature,  la  lumière  divine  qui  éclairait  sa  raison,  la  grâce  de 
droiture  et  de  fermeté  qui  le  rendait  maitre  de  ses  appétits, 
tous  les  privilèges  de  l'état  de  justice.  li  ne  pouvait  plus  trans- 
mettre à  ses  descendants  ce  qu'il  avait  perdu  ;  voilà  pourquoi 
nous  les  voyons  en  butte  aux  tra'nisons  de  la  nature  et  de  la 
mort,  en  proie  à  l'ignorance  et  à  la  corruption. 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAME  37 

Puisque  l'humanité  est  déchue,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  j 
ait  en  son  histoire  des  pages  sombres  et  qu'elle  nous  apparaisse 
malheureuse  et  criminelle.  Mais,  pourtant,  sa  déchéance  n'est 
pas  irrémédiable.  Dans  le  rayon  révélateur  où  le  dogme  catho- 
lique nous  montre  la  chute  de  l'homme,  il  nous  montre  aussi  le 
Rédempteur.  C'est  à  ce  titre  que  le  Verbe  de  Dieu  entre  dans 
notre  histoire. 

Si  l'on  s'étonne  que  le  Rédempteur  n'entre  d'abord  dans  l'his- 
toire humaine  que  par  une  promesse  dont  l'accomplissement 
doit  être  longtemps  retardé,  l'enseignement  catholique  nous 
apprend  que  Dieu  devait  ce  retard  à  notre  orgueil,  qu'il  fallait 
briser  par  une  longue  expérience  de  notre  impuissance  et  de  nos 
misères,  et  auquel  il  fallait  faire  sentir  le  besoin  d'un  sauveur. 

L'humanité  déchue  a  donc  fait  l'expérience  des  faiblesses  de 
sa  raison  dans  une  multitude  d'erreurs  qui  obscurcirent  bientôt 
la  notion  du  vrai  Dieu. 

L'humanité  déchue  a  fait  l'expérience  de  la  corruption  de  son 
cœur  et  de  l'exécrable  empire  qu'ont  pris  sur  lui  les  sens  et  les 
passions  dans  une  multitude  de  crimes. 

Mais  laissons  le  tlot  des  peuples  que  Dieu  a  livrés  à  leur  sens 
réprouvé  envahir  la  terre.  Concentrons  les  lumineuses  projec- 
tions du  dogme  catholique  sur  ce  petit  peuple  dont  la  vie  sin- 
gulière se  détache  si  vivement  sur  le  fond  de  l'histoire  humaine, 
que  la  science  s'en  émeut  plus  que  de  l'antiquité  tout  entière. 

Israël  est  dans  l'histoire  le  peuple  de  Dieu,  et  sa  vie,  le  mys- 
térieux courant  dans  lequel  les  desseins  de  la  Providence  s'ache- 
minent vers  leur  accomplissement. 

Le  Seigneur  l'a  séparé  de  toutes  les  nations  dans  la  personne 
de  son  fidèle  Abraham,  le  père  des  croyants,  et  depuis  l'heure 
bénie  où  il  a  entendu  cette  parole  venue  d'en  haut  :  «Quitte  ton 
pays,  ta  parenté,  et  la  maison  de  ton  père,  et  viens  dans  la  terre 
que  je  te  montrerai  ». 

Etvoyez  comme  les  oracles  divins  se  succèdent  pour  soutenir 
et  grandir  cette  espérance.  Tout  le  genre  humain  peut  savoir 
par  la  promesse  faite  à  Adam  que  le  Rédempteur  sera  fils  de 
l'humaTiité  ;  Abraham,  Isaac  et  Jacob,  en  qui  toutes  les  nations 
doivent  être  bénies,  apprennent  qu'il  sera  fils  d'Israël  ;  Juda, 
qu'il  sera  fils  de  sa  tribu  ;  Darid,  qu'il  naîtra  de  sa  famille. 
Quand  viendra-t-il?  —  Quand  le  sceptre  sortira  de  Juda.  —  Où 
viendra-t-il?  —  A  Bethléem.  —  Comment  viendra-t-il  ?  —  Mer- 
veille inouïe  !  sans  s'unir  à  l'homm'e,  la  femme  portera  l'homme 


38  ANNALES    CATHOLIQUES 

en  son  sein.  La  Vierge  par  excellence  concevra  et  enfantera  un 
fils  qu'on  appellera  Emmanuel,  Dieu  avec  nous.  Et  avec  cela,  il 
doit  être  homme  comme  nous  :  enfant,  ouvrier,  apôtre,  docteur, 
prophète,  thaumaturge,  chargé  des  péchés  du  monde,  doux  et 
patient,  victime  de  la  malice  des  liommes,  condamné  à  mort  par 
des  scélérats,  expirant  sur  un  gibet.  —  Mais  Dieu  lui  donnera 
le  prix  de  ses  douleurs  :  la  justification  de  ceux  dont  il  a  porté 
les  iniquités,  une  nombreuse  postérité  parce  qu'il  s'est  livré  à 
la  mort. 

Ne  dirait-on  pas  une  histoire?  Eh  bien,  non,  c'est  une  longue 
suite  d'oracles  qui  s'accumulent  et  se  soudent  l'un  à  l'autre  en 
traversant  les  siècles,  et  dont  le  plus  jeune  précède  de  quatre 
cents  ans  le  libérateur  annoncé.  Près  des  oracles  marchent  les 
figures  :  un  Melchisédech,  un  Abraham,  un  Isaac,  un  Jacob, 
un  Joseph,  un  Moïse,  uu  Aaron,  un  Samson,  un  David,  des 
prophètes  martyrisés  pour  leur  témoignage.  Tout  cela  prophé- 
tise le  désiré  dont  l'éternelle  génération  se  cache  dans  le  sein 
de  Dieu.  Bref,  tout  dans  la  vie  d'Isi-aol  parle  de  l'avenir,  figure 
l'avenir,  et  dessine  l'admirable  plan  de  Dieu  résumant  l'histoire 
humaine  de  son  Verbe  incarné. 

Israël  est  comme  le  centre  de  l'histoire  humaine  dans  les 
temps  anciens.  Aussi,  avec  quel  soin  Dieu  le  conserve,  et 
niultiplie  les  prodiges  pour  le  rendre  inexterminable!  Chose 
])rodigieuse  !  les  fiéaux  et  les  gigantesques  collisions  qui  font 
disparaître  autour  de  lui  les  petites  et  les  grandes  nations  ne 
peuvent  rien  contre  son  inaltérable  vie.  11  use  sur  son  corps 
mutilé  les  peuples  de  Clianaan,  l'Egypte,  Ninive,  Babylone, 
l'empire  des  Perses  et  l'empire  des  Grecs;  les  colosses  s'écrou- 
lent et  lui  reste  debout,  l'âme  toujours  tondue  vers  le  cher 
promis  de  Dieu. 

Il  y  a  dans  les  malheurs  d'Israël  une  intention  bienfaisante 
de  la  Providence  à  l'égard  des  autres  nations.  Agité  comme  un 
vase  par  les  révolutions  et  les  catastrophes,  Israël  a  répandu 
partout,  sans  être  brisé,  le  parfum  de  ses  croyances.  C'est  ainsi 
que  la  justice  et  la  miséricorde  divines  ont  amené  l'histoire 
humaine  à  celte  solennelle  époque  que  saint  Paul  appelle  la 
plénitude  des  temps. 

Voua  venez  de  le  voir,  les  temps  anciens  de  l'histoire  humaine 
sont  éclairés  par  cette  vérité  du  dogme  catholique  :  Dieu  créa- 
teur a  tout  fait  par  son  Verbe  et  pour  son  Verbe  incarné,  Jésus- 
Christ,  vrai  fils  de  Dieu  et  vrai  fils  de  l'homme,  né  d'une  Vierge 


CONFÉRENCES    DE    NOTRE-DAME  39 

et  mort  pour  le  salut  de  l'humanité.  Suivons  la  projection  de 
cette  lumière  divine  sur  les  temps  nouveaux. 

II 

A  l'époque  où  s'achevaient  les  préparations  de  la  Providence, 
la  dernière  des  bêtes  mystérieuses  que  Daniel  avait  décrites  en 
sa  vision,  Rome,  venait  d'étouffer  l'un  après  l'autre,  entre  ses 
bras  de  fer,  les  royaumes  agonisants. 

En  étendant  sur  les  nations  son  fier  despotisme,  elle  s'était 
approprié  les  erreurs  et  les  vices  du  monde  entier. 

L'avènement  providentiellement  retardé  du  Verbe  en  qui  tout 
se  tient  est  un  fait  accompli  :  Verbum  caro  factum  est.  Son 
apparition  n'occupe  qu'un  quart  de  siècle  dans  l'histoire 
humaine,  mais  elle  inonde  de  sa  lumière  les  temps  anciens  dont 
elle  explique  la  longue  et  laborieuse  gravitation,  les  temps 
nouveaux  dont  elle  explique  la  prodigieuse  transformation. 

En  effet,  c'est  à  partir  du  jour  oii  douze  hommes  sans  lettres, 
témoins  de  la  vie,  des  souffrances,  de  la  mort  et  de  la  résurrec- 
tion de  celui  qui  se  disait  le  Fils  du  Père  céleste,  ont  proclamé 
ce  dogme  :  «  Je  crois  en  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  Dieu 
comme  son  Père  et  homme  comme  nous  »,  c'est  à  partir  de  ce 
jour,  que  le  monde  a  commencé  à  revivre  et  à  changer  d'aspect. 
Vous  n'attendez  pas  que  je  vous  raconte  l'envahissement  de 
l'empire  par  le  nouveau  peuple  de  Dieu.  C'est  assez  que  nous 
fixions  notre  attention  sur  le  fait  comtemporain. 

Or,  le  fait  contemporain  le  voici  :  —  Il  y  a  aujourd'hui  un 
monde  chrétien,  un  monde  où  les  idoles  sont  remplacées  par  un 
Dieu  unique,  vivant  et  infiniment  parfait,  où  le  culte  est  pur 
et  saint.  Il  y  a  un  monde  chrétien  où  la  femme,  respectée,  est 
devenue  l'égale  de  l'homme  et  comme  la  moitié  de  sa  vie,  où 
l'enfant  est  protégé  par  des  droits  sacrés,  où  la  famille  est  assu- 
jettie aux  lois  d'un  indissoluble  amour.  Il  y  a  un  monde  chré- 
tien où  l'esclavage  est  aboli,  où  l'on  ne  voit  plus  que  des 
hommes  libres,  où  l'oisiveté  est  un  opprobre  et  le  travail  un 
honneur,  où  la  grandeur  et  la  richesse  sont  devenues  les  bien- 
faisants ministres  de  la  Providence.  Il  y  a  un  monde  chrétien 
où  les  ombres,  sans  doute,  sont  mêlées  à  la  lumière;  où  la 
nature  déchue  ne  peut  déguiser  ses  défaillances  ;  où  le  mal 
apparaît  en  face  du  bien,  mais  toujours  réprouvé  par  une 
immuable  loi  de  droiture  et  de  perfection.  Enfin,  il  y  a  un 
monde  chrétien  où  le  progrés  moral  s'élève  à  cette  perfection 


40  ANNALES   CATHOLIQUES 

transcendante  que  nous  avons  appelée  la  sainteté,  fleur  réservée 
des  terres  fécondes  où  germent  et  se  développent  les  nobles  et 
pieuses  habitudes  de  l'âme  humaine,  poussées  par  une  culture 
intensive  jusqu'à  l'héroïsme. 

Voilà  le  fait  contempoi^ain  !  Quelle  prodigieuse  transformation  ! 
Ce  ne  sont  point  les  enseignements  de  la  sagesse  humaine  qui 
ont  produit,  dans  notre  histoire,  le  revirement  de  croyances  et 
de  mœurs  dont  nous  sommes  aujourd'hui  les  témoins.  Le  dogme 
catholique  seul,  en  projetant  sur  les  temps  nouveaux  la  lumi- 
neuse vérité  d'un  Dieu  incarné,  mort  pour  le  salut  du  monde, 
nous  explique  leur  transformation. 

Mais  le  règne  actuel  du  Christ  dans  l'histoire  humaine  n'est 
pas  et  ne  peut  pas  être  le  dernier  mot  de  sa  puissance  ni  des 
transformations  qu'il  doit  faire  subir  aux  temps  nouveaux. 
Nous  attendons  encore  l'accomplissement  des  prophéties  qui 
promettent  au  Christ  un  règne  universel,  pacifique  et  incontesté. 

Or,  aucune  de  ces  magnifiques  promesses  ne  s'est  réalisée, 
jusqu'ici,  de  manière  à  satisfaire  pleinement  les  espérances 
qu'elles  nous  donnent.  Il  y  a  encore  loin  de  nous  des  îles  et  des 
continents  qui  attendent  un  libérateur,  et  les  voyageurs  cons- 
ciencieux qui  les  ont  visités,  sans  aucune  préoccupation  reli- 
gieuse, n'hésitent  pas  à  dire  que  toutes  les  tentatives  de  la 
civilisation  échoueront  tant  que  la  vérité  chrétienne  n'y  aura 
pas  éclairé  et  transformé  les  esprits  et  les  coeurs.  —  Irons-nous 
la  porter,  cette  vérité,  aux  peuples  qui  l'attendent?  Viendront- 
ils  la  chercher  chez  nous,  après  avoir,  comme  les  barbares, 
dévasté  notre  patrie  et  nos  foyers,  pour  nous  châtier  de  nos 
prévarications?  —  Je  n'en  sais  rien;  c'est  le  secret  de  la  Provi- 
dence. Mais  les  oracles  doivent  avoir  raison.  —  Il  faut  que  le 
Christ  règne  :  Oportet  illum  regnare. 

«  Il  fant  qu'il  règne,  et  que  tous  ses  ennemis  soient  à  ses 
pieds;  par  <  conséquent,  que  la  science,  qui  lui  fait  la  guerre, 
abaisse  devant  lui  son  orgueil  et  se  pénètre  de  la  vérité  de  sea 
révélations;  que  les  législations  et  les  pouvoirs,  qui  ont  contra^ 
rié  son  action,  reconnaissent  la  supériorité  de  sa  loi  et  de  sa 
puissance  ;  que  les  âmes  fermées  par  les  passions  s'ouvrent  à  sa 
grâce. 

Et  maintenant,  écoutez  le  dernier  mystère  de  l'histoire 
humaine.  L'apostasie  d'une  partie  d'Israël,  que  Dieu  a  permise, 
ne  sera  pas  sans  retour.  Et  alors  tout  Israël  sera  sauvé,  selon  ce 
qui  est  écrit. 


CONFÉRENCES  DE  NOTRE-DAME  41 

Ce  sera  le  signe  de  la  fin  des  temps.  L'hunaanité  et,  après  elle, 
le  monde  entreront  dans  une  crise  suprême,  et  le  Verbe  incarné, 
pour  qui  tout  a  été  fait,  prendra  définitivement  possession  de 
son  universel  héritage.  Telle  sera  la  fin  sans  fin  de  l'histoire 
humaine. 

On  peut  la  résumer  tout  entière  dans  cette  parole  de  l'Apôtre  : 
«  Christus  heri  et  hodie  et  ipse  in  sœcula.  Le  Christ  aujour- 
d'hui et  hier  et  dans  tous  les  siècles.  »  J'aime  à  voir  de  cette 
hauteur  les  générations  et  les  événements  qui  ont  rempli  et 
rempliront  les  siècles  jusqu'à  la  consommation  des  temps.  Pour 
moi,  l'histoire  humaine  me  paraît  plus  digne  de  Dieu  très  haut, 
et  plus  glorieuse  à  sa  chétive  créature,  lorsque  je  l'étudié  à  la 
lumière  du  dogme  qui  nous  révèle  le  plan  divin  dans  lequel 
tout  se  rattache  au  Verbe  rédempteur,  principe  et  fin  de  toutes 
choses.  En  réponse  à  cette  révélation,  je  suis  heureux  d'en- 
tendre sortir  de  tous  les  lieux,  de  tous  les  temps,  de  toutes  les 
générations,  de  tous  les  peuples,  de  tous  les  événements  de 
l'histoire  humaine  ce  cri  de  solennel  acquiescement  :  cela  doit 
être,  qu'il  en  soit  ainsi!  C'est  bien  !  Amen! 

Voilà  mon  dernier  mot,  Messieurs.  Il  ne  sort  de  ma  bouche 
qu'après  avoir  déchiré  mon  cœur,  car,  depuis  vingt  ans  que  nos 
âmes  sont  unies  dans  la  vérité  divine,  j'ai  appris  à  vous  aimer, 
et  me  suis  attaché  à  vous  par  des  liens  qui  ne  peuvent  se 
rompre  sans  douleur.  Me  suis-je  toujours  montré  digne  de  vous 
instruire?  —  Je  l'espère,  car  je  n'ai  jamais  eu  qu'une  règle  dans 
mon  enseignement  :  penser  avec  l'Eglise  et  comme  l'Eglise, 
ma  très  chère  et  très  sainte  Mère  :  Sentire  cum  Ecclesia.  La 
grâce  de  Dieu,  que  j'ai  toujours  demandée  d'un  cœur  filial,  m'a 
soutenu  dans  ma  longue  carrière;  mais  aussi,  quels  encourage- 
ment j'ai  reçus  de  votre  religieuse  avidité,  de  votre  bienveillante 
attention  etde  tous  ces  regards  amis  qui  se  fixaient  sur  moi  et 
semblaient  me  dire  :  Parlez-nous  de  Dieu  et  de  sa  sainte  vérité. 
Je  voudrais  vous  parler  encore,  mais  la  vieillesse  que  je  sens 
venir  et  le  déclin  de  mes  forces  m'avertissent  que  je  ne  puis 
commencer  une  nouvelle  carrière  et  qu'il  est  temps  de  me  taire. 
Cependant,  nous  nous  réunirons  encore  pendant  les  jours  de  la 
retraite  pour  méditer  ensemble  les  adieux  du  Sauveur  à  ses 
disciples.  Après  cela,  nous  nous  séparerons.  Mais  nous  reste- 
rons unis,  n'est-ce  pas?  Moi,  dans  la  solitude,  où  je  me  prépa- 
rerai au  voyagedel'éternité,  j'aurai  toujours  devant  les  veux  mon 
grand  et  cher  auditoire  de  Notre-Dame,  et  ne  pouvant  plus  tou- 


42  ANNAI.BS  CATHOLIQUES 

cher  son  cœur  en  lui  lançant  les  flèches  de  ma  parole,  je  lui 
enverrai  de  loin  les  flèches  de  ma  prière.  Et  vous.  Messieurs, 
quand  vous  entendrez  une  autre  voix,  vous  vous  souviendrez  du 
pauvre  petit  moine  qui  vous  a  évangélisés,et  vous  direz  à  Dieu: 
—  Seigneur,  bénissez  et  sauvez  celui  qui  fut  l'ami  de  nos  âmes. 
Et  cela  jusqu'au  jour  oii  nous  irons  contempler  ensemble,  dans 
la  pleine  lumière  du  ciel,  les  vérités  que  nous  n'avons  pu  qu'en- 
trevoir en  ce  monde,  et  chanter  d'une  commune  voix  un  éternel 
Amen. 


LIVRES  A  L'INDEX 

Un  décret  de  la  Sacrée  Congrégation  de  l'Index,  en  date  du 
22  mars  1890,  condamne  et  proscrit  les  ouvrages  suivants  : 

Mélanges  sur  quelques  questions  agitées  de  mon  temps 
et  dans  mon  coin  de  pays,  par  J.-M.  Boillot,  curé  de  la 
Madeleine  de  Besançon.  —  Besançon,  imprimerie  et  litho- 
graphie Dodivers  et  C",  Grande-Rue,  87,  et  rue  Moncey, 
8  bis^  18S8.  —  AucLov  laudahiliter  se  subjecit  et  opus 
reprobavit. 

Judas  de  Keriot  —  Poemadramatich  de  Frederich  Soler, 
de  la  Academia  de  la  llengua  catalana,  Mestre  en  gay  saber. 
—  Barcelona,  libreria  de  I.  Lopez,  éditor  —  Rambla  del 
Mitj,  nura.  20  —  1889. 

Il  Nuovo  Rosmini  —  Periodico  Scientifico  Letterario.  — 
Milano,  tipographia  Fratelli  Rechiedei.  —  Decr.  S.  Off, 
Fer.  IV  die  26  Febriiarii  1890. 


NECROLOGIE 


Mgr  le  chanoine  de  Haerne,  doyen-d'âge  de  la  Chambre  des 
représentants  de  Belgique,  ancien  membre  et  secrétaire  du  con- 
grès national,  est  décédé  en  sa  maison  de  Saint-Josse-ten- 
Noode,  après  une  longue  maladie. 

Mgr  D.-P.  DE  Haerne,  dit  le  Courrier  de  Bruxelles,  était  un 
citoyen  d'élite.  Depuis  le  moment  où  il  s'assit,  tout  jeune,  à  côté  de 
M.  de  Gerlache  au  congrès  national  de  1831  jusqu'à  l'instant  où  la 
maladie  le  contraignit  à  quitter  sa  place  à  la  Chambre,  sa  vie  n'a  été 


NÉCROLOGIE  43 

qu'une  longue  suite  de  dévouement  au  pays,  une  lutte  constante  pour 
le  triomphe  de  la  religion. 

Lorsque  le  congrès  eut  accompli  son  œuvre,  l'abbé  de  Haerne  fut 
élu  par  l'arrondissement  de  Roulers.  Plus  tard  Courtrai  lui  confia  le 
mandat  de  représentant.  A  Roulers  comme  à  Courtrai,  il  laisse  les 
meilleurs  souvenirs. 

A  Courtrai,  il  fut  longtemps  professeur.  Il  a  formé  de  brillants 
élèves.  Journaliste  catholique,  il  a  dirigé  le  Spectateur  belge  et  a 
été  collaborateur  de  la  Belgique.  Ecrivain,  il  a  doté  nos  bibliothèques 
de  nombreux  ouvrages,  traitant  principalement  de  l'éducation,  sur- 
tout de  l'éducation  des  sourds  et  muets  et  de  la  charité. 

En  1838,  il  fit  partie  de  l'Association  pour  combattre  la  misère  qui 
sévissait  dans  les  Flandres,  Emule  de  l'abbé  de  l'Epée,  il  s'attacha  à 
continuer  l'œuvre  du  grand  bienfaiteur  des  sourds  et  muets. 

Directeur  de  l'Institut  de  Bruxelles,  il  fonda  l'Institut  catholique  des 
sourds  et  muets  d'Angleterre,  où  son  nom  est  universellement  connu. 
Il  avait  été  rectour  du  séminaire  anglais  de  Bruges. 

Décoré  de  l'ordre  de  Léopold  et  de  nombreux  ordres  étrangers^ 
Mgr  de  Haerne  portait  fièrement  la  Croix  de  Fer  qui  récompensa, 
après  1830,  ses  services  rendus  à  la  cause  de  l'émancipation  natio- 
nale. Il  était  aumônier  de  la  Société   des  décorés  de  la  Croix  de  Fer. 

Le  Pape,  voulant  récompenser  sa  longue  carrière  ecclésiastique 
réleva  à  la  dignité  de  camérier  secret. 

On  peut  dire  de  Mgr  de  Haerne  qu'il  a  passé  en  faisant  le  bien  et 
que  sa  mémoire  sera  en  bénédiction. 

Sa  mort  est  ua  deuil  national. 

M.  le  comte  Armand  de  Pontmartin,  vient  de  mourir  à  l'âge 
de  soixante-dix-neuf  ans. 

Né  à  Avignon,  il  vint  de  bonne  heure  à  Paris^  oii  il  fit  ses 
études  au  lycée  Saint-Louis. 

M.  de  Pontmartin  avait  débuté  en  1883  à  la  Gazette  du  Midi, 
de  Marseille,  et  collabora  successivement  à  la  Quotidienne,  à  la 
Mode,  à  la  Revue  des  Deux-Mondes,  à  V Opinion  publique,  à 
la  Revue  contemporaine  et  à  V Assemblée  nationale.  Il  était 
devenu  ensuite  rédacteur  du  Correspondant.  Ses  divers  articles 
ont  paru  en  volumes  et  ont  retrouvé,  sous  cette  nouvelle  forme, 
le  succès  qui  avait  salué  leur  apparition  dans  les  revues. 

La  Gazette  de  France.,  o\\  il  écrivait  depuis  vingt-trois  ans 
des  feuilletons  hebdomadaires,  publiait,  en  même  temps  que 
l'annonce  de  sa  mort,  son  dernier  feuilleton  du  samedi. 

Avec  lui  disparaît  l'un  des  plus  éminents  critiques  delà  géné- 
ration de  1830. 


44  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ses  obsèqnes  ont  été  célébrées  aux  Angles,près  d'Avignon,  où 
il  est  mort. 

Le  même  jour,  la  Gazette  de  France  a  fait  dire  une  messe  à 
Notre-Dame-des-Victoires. 

On  annonce  la  mort  du  général  Ambert,  un  écrivain  distingué, 
qui  est  mort  lundi  à  Paris,  dans  sa  quatre-vingt-septième 
année. 

Fils  d'un  général  de  la  première  république,  le  jeune  Ambert 
était  entré  à  l'Ecole  Militaire  à  seize  ans  :  il  en  sortit  à  vingt  ans 
comme  officier  d'artillerie  et  devint  successivement  lieutenant 
en  1830,  capitaine  en  1837,  chef  d'escadron  en  1843,  lieutenant- 
colonel  en  1847  et  colonel  en  1850,  remarqué  partout  par  ses 
hautes  qualités  militaires. 

Entre  temps,  il  avait  été  envoyé  par  ses  compatriotes^  les 
électeurs  du  Lot,  à  l'Assemblée  Constituante  de  1848  et  à  la 
Législative  de  1849. 

En  1858,  l'empereur  Napoléon  III  le  nomma  général  de  bri- 
gade, puis  à  la  suite  d'une  mission  en  Algérie,  commandeur  de 
la  Légion  d'honneur  et  conseiller  d'Etat  en  186G. 

En  1870,  le  général  Ambert,   depuis  trois  ans  dans  le    cadre 
de  réserve,  reprit  du   service  et  obtint  le   commandement  du 
5'  secteur  des  fortifications  de  Paris.  Mais  au  lendemain  de   1 
révolution  de  septembre,  son  dévouement  à  l'empereur  le  rendit 
suspect  et  son  commandement  lui  fut  retiré. 

Le  général  Ambert  s'est  fait  comme  écrivain  militaire  une 
réputation  considérable  par  une  série  d'ouvrages  dont  voici  les 
titres  :  Esquisses  historiques  et  pittoresques  des  différents 
corps  d'armée  ;  Moncey  ;  la  Colonne  de  Napoléon  et  le  camp 
de  Boulogve  ;  Gens  de  guerre  ;Le  haron  Larrey  ;  Conséquences 
des  progrès  de  r Artillerie  ;  Histoire  de  la  Guerre  1870  1871  ; 
V Héroïsme  en  soutane  ;  Après  Sedan  ;  Récits  militaires,  etc.  ; 
plusieurs  de  ces  ouvrages,  entre  autres  ses  merveilleux  Récits 
militaires,  ont  été  couronnés  par  l'Académie. 

Le  général  baron  Ambert  était  le  beau-père  de  M.  Edgar  Dé- 
mange, le  grand  avocat  du  barreau  de  Paris,  et  l'oncle  du  baron 
Dufour,  l'ancien  député  du  Lot. 

Nous  devons  annoncer  aussi  la  mort  du  docteur  Trélat.  Fils 
du  docteur  Trélat,  qui  fut  ministre  des  travaux  publics  en  1848, 
Ulysse  Trélat,  né  à  Paris  le  13  août  1828,  suivit  comme  son 


LES    CHAMBRES  45 

père,  la  carrière  médicale^,  et  fut  reçu  docteur  en  1854.  Agrégé 
en  1857,  avec  une  thèse  remarquée  sur  la  Nécrose  par  le  phos- 
phore, il  fut  attaché  successivement  à  la  Maternité  et  à  Thôpital 
Saint-Antoine  en  1864,  à  la  Pitié  en  1868  et,  enfin,  à  l'hôpital 
delà  Charité  en  1872.  Nommé  professeur  de  pathologie  chirur- 
gicale à  la  Faculté  de  Paris  le  24  juin  1872,  il  fut  élu  membre 
de  l'Académie  de  médecine  le  20  janvier  1874,  Pendant  3a 
guerre,  il  dirigea  uneambulance  qui,  après  le  désastre  de  Sedan, 
fut  retenue  quelque  temps  par  les  Prussiens  sur  la  frontière 
belge. 

Le  professeur  Trélat  laisse  un  grand  nombre  d'ouvrages 
estimés.  Outre  de  nombreux  mémoires  sur  toutes  les  questions 
chirurgicales  à  l'ordre  du  jour  on  cite  do  lui  des  travaux  impor- 
tants sur  V Hypertrophie  unilatérale  partielle  ou  totale  du 
corps  /'1867)  et  ses  leçons  de  Cliniques  chirurgicales  prof essëes 
à  la  Charité'.  C'était,  en  même  temps  qu'un  savant  éminent,  un 
vulgarisateur  de  premier  ordre. 


LES  CHAMBRES 


Jeudi  27  mars.  —  Longue  discussion  sur  l'article  2  du  projet  de 
loi  concernant  les  responsabilités  dont  les  ouvriers  sont  victimes  dans 
leur  travail. 

Vendredi  28  mars.  —  On  sait  que,  lorsque  M.  Fallières  lut  an 
Sénat  la  déclaration  gouvernementale,  AI.  de  l'Angle-Beaamanoir 
demanda  à  interpeller  le  cabinet  sur  sa  politique  générale.  L'inter- 
pellation fut  renvoj'ée  à  dix  jours.  Elle  était  donc  à  l'ordre  du  jour. 

M.  DE  l'Angle-Beaumanoir  a  longuement  critiqué  la  déclaration 
que  l'on  sait.  Elle  reste  muette  sur  la  question  financière,  sur  la 
question  coloniale,  sur  la  question  extérieure.  Et  l'orateur  a  demandé 
des  explications. 

Quant  à  la  politique  intérieure,  la  dirigera-t-on  suivant  les  prin- 
cipes de  M.  Ribot,  ou  suivant  ceux  de  M.  Jules  Roche  ?  Les  radicaux 
donneront-ils  des  ordres  aux  modérés?  Est-ce  le  contraire  qui  aura 
lieu  ? 

Le  PRÉSIDENT  DU  CONSEIL  répoul  en  demandant  au  Sénat  de 
repousser  un  ordre  du  jour  déposé  par  l'interpellateur,  ordre  du  jour 
réclamant  du  gouvernement  «  des  gages  de  son  esprit  de  tolérance  et 
de  fermeté  ». 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  a  été  voté  à  mains  levées. 

La  fin  de  la  séance  a  été  consacrée  à  la  discussion  d'un  projet  por- 


46  ANNALES    CATHOLIQUES 

tant  création  d'écoles  du  service  de  santé  de  la  marine,  projet  adopté 
par  la  Chambre,  et  qui  a  été  adopté  par  le  Sénat. 

Samedi  29  mars.  —  On  adopte  le  projet  réformant  la  législation 
des  faillites  ot  le  projet  accordant  2,700,000  francs  d'indemnités  à  la 
marine  marchande. 

On  adopte  le  projet  ouvrant  un  crédit  de  80,000  francs  pour  les 
dépenses  du  congrès  télégraphique  international. 

On  adopte,  sans  discussion,  en  première  délibération,  le  projet  de 
loi  portant  modification  de  la  loi  sur  les  marques  de  fabrique  et  de 
commerce. 

Et  le  président  annonce  que  le  Sénat  suspend  ses  séances  jusqu'au 
6  mai. 

Chaml>i*o  «les  Députée. 

Jeudi  27  mars.  —  La  journée  se  passe  en  questions  et  en  inter- 
pellations. 

Voici  maintenant  que  M.  Déroulèoe  veut  interpeller  le  ministre 
de  l'intérieur  sur  l'indemnité  que  touchent  irrégulièrement  les  con- 
seillers municipaux  de  Paris.  La  Chambre  renvoie  l'interpellation  à 
un  mois,  M.  Conotans  paraissant  peu  disposé  à  répondre. 

M.  Bizouart-Bert  interroge  le  gouvernement  sur  la  situation  des 
mégissiers.  Certes,  la  question  est  intéressante,  mais  il  est  malheu- 
reux qu'elle  soit  posée  par  un  tel  orateur.  M.  Floqukt  a  beau 
réclamer  le  silence,  la  Chambre  ne  peut  écouter  sans  rire  ce  repré- 
sentant du  peuple,  dont  les  gestes  et  les  coups  de  voix  sont  d'un 
comique  irrésistible.  Le  tapage  ne  ceBse  que  lorsque  M.  Develle 
paraît  à  la  tribune.  Le  ministre  de  l'agriculture  annonce  que,  malgré 
toute  sa  sollicitude  pour  les  intérêts  des  mégissiers  et  des  bouchers 
de  la  Villette,  il  ne  saurait  rapporter  l'arrêté  interdisant  l'entrée  en 
France  du  bétail  sur  pied. 

Après  le  rejet  d'une  demande  de  poursuites  contre  M.  Hély- 
d'Oissel,  un  débat  très  intéressant  s'engage  au  sujet  d'une  proposition 
de  crédits  supplémentaires  de  2  millions  environ  pour  la  marine 
marchande. 

M.  DE  DouviLLE-MviLLEFEU  réclame  l'ajournoment  du  vote  du 
projet.  M.  d'Alliéres,  au  nom  de  la  Droite,  propose  une  autre  con- 
clusion :  le  vote  d'un  projet  de  résolution  tendant  à  inscrire  en  tête 
du  budget  de  1891  le  bilan  de  la  situation  financière  du  pays  et  à 
fixer  au  15  juin  invariablement  le  dépôt  des  rapports  budgétaires. 

L'ajournement  est  repoussé  et  le  crédit  adopté.  La  Chambre  rejette 
ensuite,  sur  la  proposition  de  M.  Casimir  Périer,  le  projet  de  réso- 
lution de  M,  d'Aillières  énoncé  plus  haut,  N'aura-t-on  pas  le  droit 
de  dire  maintenant  que  le  gouvernement  et  la  majorité  de  la  commis- 
sion du  budget  redoutent  qu'on  fasse  la  pleine  lumière  ? 

La  fin  de  la  séance  est  consacrée  à  la  discussion  du  projet  relati 


LES    CHAMBRES  47 

au  service  d'état-major.  Ce  projet  augmente  les  cadre»  des  officiers 
d'ôtat-major  et  le  mode  de  recrutement  de  ces  officiers. 

Le  projet  est  adopté,  après  discours  de  MM.  Cavaignac  et  de 
Freycinet. 

Vendredi  28  mars.  —  A  l'unanimité,  la  Chambre  prononce  l'inva- 
lidation de  M.  Ménard-Dorian  et  le  renvoi  du  dossier  au  garde  des 
sceaux.  Voilà  une  justice  tardivement  rendue! 

C'est  encore  d'une  autre  élection  que  s'occupe  ensuite  la  Chambre. 
Le  premier  député  conservateur  qui  ait  été  invalidé  dans  la  session, 
c'est  M.  Arnault,  député  de  la  2®  circonscription  de  Montauban. 
Pourquoi  avait-on  annulé  cette  élection?  Personne  n'a  pu  le  dire. 

Cette  première  invalidation  a  donné  un  résultat  favorable  au  rival 
de  M.  Arnault,  M.  Cambe.  Ce  dernier  a  triomphé  avec  une  majorité 
très  faible.  Mais  comment  cette  élection  s'est-elie  faite?  Dans 
quelles  conditions?  C'est  ce  qu'un  honorable  député  du  Tarn-et- 
Garonne,  M.  Prax-Paris,  raconte  à  la  Chambre  avec  des  détails  édi- 
fiants. Il  est  difficile  d  imaginer  une  élection  où  la  candidature 
officielle  se  soit  plus  cyniquement  affirmée.  Ce  n'est  que  par  suite 
d'une  pression  effrontée  que  M.  Cambe  remplace  à  la  Chambre  un 
homme  qui  représentait  depuis  des  années  le  département  de  Tarn- 
et-Garonne.  11  y  a  eu  surprise.  Mais  on  sait  que  quand  il  s'agit  des 
républicains,  la  majorité  a  des  indulgences  singulières.  L'élection  de 
M.  Cambe  est  donc  validée. 

A  la  fin  de  la  séance,  la  Chambre  repousse  l'urgence  sur  un  crédit 
de  100,000  francs  demandé  par  les  boulangistes  pour  les  ouvriers 
mégissiers  et  bouchera. 

Samedi  29  mars.  —  On  valide  sans  discussion  les  élections  de 
M.  Mulier,  à  Loches,  et  de  M.  Guillemet,  à  Fontenay-le-Comte. 

Puis  on  aborde  la  discussion  d'une  série  de  prises  en  considération 
de  petits  projets. 

1»  Projet  relatif  à  la  création  d'un  conseil  supérieur  du  travail. 
Adopté. 

2°  Projet  d'amnistie  des  infractions  à  la  loi  électorale,  pendant  les 
dernières  élections.  Adopté. 

3°  Adoption  en  première  délibération  de  divers  projets  concernant 
l'administration  intérieure  des  colonies. 

40  Adoption  d'un  projet  portant  autorisation  au  gouvernement  de 
traiter  avec  les  villes  pour  l'établissement  de  communications  télé- 
phoniques inter-urbaines. 

5°  Prise  en  considération  d'un  projet  assurant  la  liberté  de  la 
défense  judiciaire  et  supprimant  le  monopole  de  l'ordre  des  avocats. 

On  s'ajourne  au  6  mai. 


48  ANNALES   CATHOLIQUES 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Les  Indépendants.  —  Leur  programme.  —  Vacances  parlementaires.  — 
Le  Pap«  et  l'Empereur.  — Conférence  de  Berlin.  —  Voyages  présidentiels. 
—  Etranger.  —  Dahomey. 

3  avril  1890. 

Le  nouveau  groupe  parlementaire  qui  s'est  formé  sous  le  nom 
de  groupe  des  Indépendants  et  dont  le  chef  est  M.  Piou  vient  de 
publier  au  Figaro  son  programme.  Il  paraît  que  ce  programme 
a  été  fait  il  y  a  deux  mois  environ.  Pour  dea  motifs  que  nous 
ignorons,  les  Indépendants  n'ont  pas  jugé  à  propos  de  le  faire 
connaître  pendant  la  session  parlementaire.  Ils  ont  attendu  pour 
le  livrer  à  la  publicité  que  les  Chambres  se  soient  misés  en 
vacances.  Voici  ce  programme  que  nous  croyons  devoir  repro- 
duire à  titre  de  document  : 

Les  députés  «  iadépendants  »,  désireux  de  rôuoir  leurs  efforts  pour 
la  défense  des  intérêts  conservateurs,  ont  établi  ainsi  les  conditions 
de  leur  entente: 

Le  respect  de  la  volonté  nationale  et  la  reconnaissance  des  droits 
du  suffrage  universel  sont  les  bases  fondamentales  de  leur  programme 
politique  ; 

N'ayant  pas  soulevé  aux  élections  la  question  de  forme  gouverne- 
mentale, ils  ne  la  soulèveront  pas  davantage  devant  le  Parlement. 

Quelles  que  soient  leurs  préférences,  ils  conformeront  leur  conduite 
de  député  à  leur  langage  de  candidat.  Les  institutions  existantes  sont 
légalement  établies;  ils  ne  les  mettront  pas  en  question. 

A  la  nation  seule,  toujours  maîtresse  de  ses  destinées,  appartient 
le  droit  de  les  reviser. 

Lear  but  est  d'aider  à  la  formation  dans  l'avenir  d'une  nouvelle 
majorité  de  gouvernement,  en  écartant  les  perspectives  d'une  révo- 
lution, qui,  bien  que  chimériques,  ont  toujours  été  exploitées  dans 
un  intérêt  de  parti. 

C'est  donc  au  pays  seul  qu'ils  songent  en  unissant  aujourd'hui 
leurs  efforts. 

Pas  d'opposition  systématique  ;  volonté  arrêtée  de  ne  rien  sacrifier 
des  intérêts  qu'ils  se  sont  engagés  à  défendre,  mais  en  même  temps 
volonté  arrêtée  de  seconder  les  tentatives  de  ceux  qui  essaieraient  de 
donner  satisfaction  aux  griefs  de  l'opinion;  s'efforcer  d'empêcher  le 
mal,  toujours  coopérer  au  bien. 

Telle  sera  leur  règle  de  conduite  dans  le  Parlement. 

Quant  aux  réformes  dont  ils  ne  cesseront  de  poursuivre  la  réalisa- 
tion, elles  sont  celles  que  réclament  les  électeurs  de  qui  ils  tiennent 
leurs  mandats  : 


CHRONIQUE    DE   LA    SSMAIMK  4Qi 

Rétablissement  de  l'équilibre  financier  par  une  administration  ri- 
goureusement économe,  ne  a'inspirant  que  de  l'intérêt  national  ;  ni 
emprunts  ni  impôts  nouveaux  ;  diminution  des  charges  publiques  par 
la  simplification  des  rouages  administratifs  et  l'exécution  moins  coû- 
teuse des  travaux  publics  ; 

Abrogation  des  lois  d'exil  ; 

Indépendance  communale  pour  la  création  d'écoles  primaires 
libres;  admissibilité  de  tous  les  citoyens  munis  de  leurs  brevets  aux 
emplois  d'instituteurs  publics  ;  liberté  de  conscience  par  la  faculté 
laissée  aux  ministres  du  culte,  de  donner  dans  l'école  l'instruction 
religieuse  aux  enfants  qui  veulent  la  recevoir. 

En  matière  militaire,  dispositions  légales  assurant  la  culture  des 
hautes  études  et  le  recrutement  du  clergé; 

Politique  économique  protégeant  efficacement  l'agriculture  et  le 
travail  national  ; 

Etude  constante  des  questions  ouvrières,  de  façon  à  assurer  à  la  loi 
toute  son  action  pour  la  protection  des  travailleurs  et  des  faibles. 

Dans  la  poursuite  de  ces  réformes,  comme  dans  toutes  les  circons- 
tances que  les  événements  feront  surgir,  les  députés  «  indépendants  » 
resteront  toujours  fidèles  au  grand  mouvement  démocratique  de  ce 
siècle;  un  tel  mouvement  est  aujourd'hui  un  fait  définitif,  et  loin  d'en 
être  effrayés,  ils  y  voient  un  gage  d'union  et  de  progrès. 

Nous  verrona  l'accueil  que  les  républicains  feront  au  pro- 
gramme du  nouveau  groupe.  Quant  à  nous,  nous  ne  pouvons 
qu'y  acquiescer  par  l'excellente  raison  que  la  politique  qui  y  est 
exposée  est  celle  que  nous  n'avons  jamais  cessé  de  soutenir; 
celle  que  les  monarchistes  ont  toujours  soutenue  dans  le  pays 
comme  dans  le  Parlement;  celle  que  les  républicains,  nos  adver- 
saires, ont  toujours  refusé  de  suivre  depuis  qu'ils  sont  au 
pouvoir. 

Prenons  chacun  des  articles  de  ce  programme  des  Indépen- 
dants: Il  n'y  en  a  n'a  pas  un  seul  qui  soit  contraire  à  la  ligne 
de  conduite  des  monarchistes.  Il  n'y  en  a  pas  un  seul  qui  soit 
conforme  à  la  ligne  de  conduite  des  républicains. 

Il  nous  est  donc  impossible  de  voir  dans  la  formation  du 
groupe  des  Indépendants  une  évolution  d'une  fraction  du  parti 
conservateur  vers  la  République.  Il  n'y  a  rien  de  changé  dans 
la  situation  politique.  Il  n'y  a  qu'un  groupe  parlementaire  de 
plus. 

Et  nous  ne  voyons  pas  quel  est  le  but  de  la  constitution  de  ce 
groupe.  Puisque  la  politique  des  Indépendants  est  exactement 
la  même  que  celle  du  reste  de  la  Droite,  tous  les  députés  non 

4 


50  ANNALES    CATHOLIQUES 

républicains  pourraient  se  faire  inscrire  au  groupe  des  Indé- 
pendants. Et  si  tous  les  députés  non-républicains  peuvent  se 
faire  inscrire  au  groupe  des  Indépendants,  ce  nouveau  groupe 
n'a  pas  de  raison  d'être.  D'habitude  quand  on  constitue  un 
groupe  nouveau  c'est  pour  adopter  un  nouveau  système  de  po- 
litique. Quand  on  se  sépare  des  gens  ce  n'est  pas  pour  faire  la 
même  chose  qu'eux. 

Maintenant  que  nos  députés  sont  en  vacances,  on  peut  se  de- 
mander quelle  est  la  somme  de  travail  eft'ectuée  par  eux  pen- 
dant la  session  qui  vient  de  finir.  Il  est  certain  qu'il  ne  peut 
s'agir,  dans  les  reproches  qu'on  adresse  à  la  Chambre,  que  de 
la  majorité  républicaine,  puisqu'elle  impose  despotiquement 
sa  manière  de  voir  aux  conservateurs,  qui,  malgré  leurs  efforts 
constants,  ne  peuvent  faire  accepter  les  réformes  qu'ils  jugent 
nécessaires  et  que  le  pays  réclame.  On  remarquera,  d'ailleurs, 
que  la  seule  proposition  qui  dénotât  chez  son  auteur  un  souci 
des  intérêts  des  masses  a  été  déposée  par  un  député  de  la  droite, 
M.  deMontfort;  nous  voulons  parler  de  l'amélioration  du  cou- 
chage des  troupes. 

A  part  cela,  pendant  les  cinq  mois  de  la  session  qui  vient  de 
se  terminer,  qu'est-ce  que  la  Chambre  a  fait  d'utile?  Elle  a 
invalidé  beaucoup,  elle  a  assisté  à  des  dislocations  et  à  des  re- 
maniements ministériels,  elle  a  selon  son  habitude  parlé  dans  le 
vide,  et  puis  c'est  tout.  Encore  faut-il  constater  qu'elle  n'en  a 
pas  fini  avec  la  vérification  des  pouvoirs  depuis  cinq  mois  ! 
L'élection  du  commandant  Picot  n'est  pas  encore  validée. 

Notre  malheureux  pays  n'a  pas  de  chance;  il  avait  eu  une 
Chambre  do  sous-vétérinaires,  ainsi  nommée  par  Gambetta  qui 
s'y  connaissait;  il  a  eu  ensuite  une  Assemblée  Wilsonnienne, 
et  maintenant  c'est  une  collection  de  rois  fainéants,  plus  inca- 
pables encore  et  peut-être  plus  égoïstes  que  toutes  les  collec- 
tions passées,  qui  éprouve  le  besoin  d'aller  se  reposer  de  n'avoir 
rien  fait. 

Depuis  que  l'empereur  d'Allemagne  a  mis  si  fort  en  honneur 
les  voyages  des  chefs  d'Etat,  on  a  pensé  qu'il  convient  aussi  au 
président  de  la  République  de  faire  grand. 

Le  tracé  des  voyages  qu'il  doit  accomplir  cette  année  vient 
d'être  définitivement  arrêté,  A  part  quelques  détails  complémen- 
taires. M.  Carnot  a  renoncé  à  l'idée  de  visiter  dan.s  un  même 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  51 

voyage  Montpellier,  le  littoral  méditerranéen  et  l'Algérie.  Le 
voyage  en  Algérie,  dont  le  principe  est  dès  maintenant  admis, 
sera  accompli  au  cours  de  l'année  prochaine.  On  a  du  calculer, 
en  effet,  que  le  voyage  dans  la  colonie  algérienne  entraînerait 
une  absence  d'un  mois,  à  laquelle  le  chef  de  l'Etat  ne  veut  pas 
s'astreindre  en  ce  moment. 

Dans  un  voyage  ultérieur,  le  président  se  rendra,  les  23  et 
24  mai,  à  Montpellier,  oii  il  présidera  aux  fêtes  données  dans 
cette  ville  pour  la  célébration  du  sixième  centenaire  de  TUni- 
versité.  Le  26  du  même  mois,  M.  Carnot  se  rendra  à  Besançon, 
oîi  il  assistera  à  la  fête  fédérale  de  gymnastique  et  de  tir. 

Pour  le  moment,  le  voyage  que  va  accomplir  le  président  de 
la  République,  et  qui  aura  lieu  vers  le  milieu  du  mois  d'avril,  à 
une  date  qui  n'est  pas  encore  précisément  fixée,  sera  borné  au 
littoral  de  la  Méditerranée  et  à  la  Corse.  Le  président  visitera 
notamment  Avignon,  Marseille  et  Toulon,  et  probablement  Nice. 
Il  s'arrêtera  également  dans  les  villes  'd'Arles,  la  Ciotat,  la 
Seyne,  et  se  rendra  aux  îles  d'Hyères.  M.  Carnot  s'embarquera 
ensuite  pour  la  Corse,  et  il  sera,  durant  la  traversée,  escorté 
par  l'escadre  de  la  Méditerranée.  Il  visitera  dans  l'île  Ajaccio 
et  Bastia. 

L'événement  de  la  semaine  est  la  publication  de  la  corres- 
pondance qui  a  eu  lieu  entre  l'empereur  d'Allemagne  et  S.  S. 
Léon  XIII. 

Il  nous  suffit  de  publier  le  texte  de  ces  deux  documents  pour 
en  montrer  l'importance  : 

Lettre  de  Guillaume  II 

Berlin,  le  8  mars  1890. 
A  Sa  Sainteté  le  Pape  Léon  XIII,  à  Rome. 
Très  auguste  Pontife, 
Les  nobles  manifestations  par  lesquelles  Votre  Sainteté  a  toujours 
fait     valoir   son   influence    en     faveur    des     pauvres   et    délaissés 
de  la  société  humaine,  me  donnent  l'espoir  que  la  Conférence  inter- 
nationale qui,   sur  mon  invitation,  se  réunira  à  Berlin  le  15   de  c© 
mois,   attirera    l'intérêt    de    Votre    Sainteté    et   qu'elle  suivra  avec 
sympathie  la  marche  des  délibérations  ayant  pour  but  d'améliorer  le 
sort  des  ouvriers. 

A  ce  point  de  vue,  je  crois  de  mon  devoir  de  faire  parvenir  â 
Votre  Sainteté  le  programme  qui  doit  servir  de  base  aux  travaux  de 


52  ANNALES   CATHOLKîUKS 

la  Conférence,  dont  le  succès  serait  singulièrement  facilité  si  Votre 
Sainteté  voulait  prêter  à  l'œuvre  humanitaire  que  je  poursuis  son 
bi&nfaisant  appui.  J'ai  donc  invité  le  prince-évêque  de  Breslau,  que 
je  sais  pénétré  dos  intentions  de  Votre  Sainteté,  à  prendre,  en  qualité 
de  mon  délégué,  part  à  la  Conférence. 

Je  saisis  volontiers  cette  occasion  pour  renouveler  à  Votre  Sainteté 
l'assurr'nce  de  mon  estime  et  de  mon  dévouement  personnel. 

Signé  :  Guillaume. 

Réponse  du  Pape. 

Majesté, 

Nous  rendons  grâce  à  Votre  Majesté  de  la  lettre  qu'elle  a  bien 
voulu  Nous  écrire  pour  nous  intéresser  à  la  Conférence  internatio- 
nale qui  va  se  réunir  à  Berlin  dans  le  but  de  chercher  les  moyens 
d'améliorer  les  conditions  des  classes  ouvrières. 

Il  Nous  est  agréable,  avant  tout,  de  féliciter  Votre  Majesté  d'avoir 
pris  tant  à  cœur  une  cause  ausf?!  noble,  aussi  digne  d'une  sérieuse 
attention  et  qui  intéresse  l'univers  entier.  Cette  cause,  du  reste,  n'a 
cessé  de  Nous  préoccuper  Nous-môme,  et  l'œuvre  entreprise  par 
Votre  Majesté  répond  à  un  de  Nos  vœux  les  plus  chers. 

Déjà  par  le  passé,  comme  elle  le  rappelle,  Nous  avons  manifesté 
nos  pensées  sur  ce  sujet  et,  avec  Notre  parole,  Nous  avons  fait  valoir 
en  sa  faveur  renseignement  de  l'Eglise  catholique,  dont  Nous 
sommes  le  chef. 

Dans  une  circonstance  plus  récente,  nous  avons  rappelé  de  nou- 
veau cet  enseignement,  et  pour  que  ce  difficile  et  important  pro- 
blème soit  résolu  selon  toutes  les  règles  de  la  justice,  et  que  les  légi- 
times intérêts  de  la  classe  laborieuse  soient  dûment  sauvegardés, 
nous  avons  exposé  à  tous  et  à  un  chacun,  y  compris  les  gouverne- 
ments, les  devoirs  et  les  obligations  spéciales  qui  leur  incombent. 

Sans  nul  doute,  l'action  combinée  des  gouvernements  contribuera 
puissamment  â  l'obtentioa  ée  la  fin  tant  désirée.  La  conformité  des 
vues  et  des  législations,  pour  autant  du  moins  que  la  permettent  les 
conditions  différentes  des  lieux  et  des  pays,  sera  de  nature  à  avancer 
grandement  la  question  vers  une  solution  équitable.  Aussi  ne  pour- 
rons-nous qu'appuyer  hautement  toutes  les  délibérations  de  la  confé- 
rence qui  tendront  à  relever  la  condition  des  ouvriers,  comime  par 
exemple,  une  distribution  du  travail  mieux  proportionnée  aux  forces, 
à  l'âge  et  au  sexe  de  chacun,  le  repos  du  jour  du  Seigneur  et,  en 
général,  tout  ce  qui  empêchera  que  l'on  exploite  le  travailleur 
comme  un  vil  instrument,  saas  égard  pour  sa  dignité  d'homme,  pour 
son  foyer  domestique. 

Cependant,  il  n'a  pas  échappé  à  Votre  Majesté  que  l'heureuse  solu- 
tioft  d'une  question  aussi  graviQ  requérait,  outre  la  sage  imtervention 
d«e  l'autorité  eivil«,  le  puissant  concours  de  la  religion  et  la  bienfai- 
sante action  de  l'Eglise. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  53 

Le  seatiment  religieux,  en  effet,  est  seul  capable  d'assurer  aux 
lois  toute  leur  efficacité,  et  l'Èvaagile  est  le  seul  code  où  se  trouvent 
consigués  les  principes  de  la  vraie  justice,  les  maximes  de  la  charité 
mutuelle  qui  doit  unir  tous  les  hommes  comme  enfants  du  même 
Père  et  membres  de  la  même  famille. 

La  religion  apprendra  donc  au  patron  â  respecter  dans  l'ouvrier 
la  dignité  humaine,  et  à  le  traiter  avec  justice  et  équité  :  elle  incul- 
quera dans  la  conscience  du  travailleur  le  sentiment  du  devoir  et  de 
la  fidélité,  et  le  rendra  moral,  sobre  et  honnête. 

C'est  pour  avoir  perdu  de  vue,  négligé  et  méconnu  les  principes 
religieux,  que  la  société  se  voit  ébranlée  jusque  dans  ses  fondements  : 
les  rappeler  et  les  remettre  en  vigueur  est  l'unique  moyen  de  réta- 
blir la  société  sur  ses  bases  et  de  lui  garantir  la  paix,  l'ordre  et  la 
prospérité.  Or,  c'est  la  mission  de  l'Eglise  de  prêcher  et  de  répandre 
dans  le  monde  entier  ces  principes  et  ces  doctriues;  à  Elle,  par  con- 
séquent, il  appartient  d'exercer  une  large  et  féconde  influence  dans 
la  solution  du  problème  social. 

Cette  influence,  Nous  l'avons  exercée  et  Nous  l'exercerons  encore 
spécialement  au  profit  des  classes  ouvrières.  De  leur  côté,  les  évoques 
et  les  pasteurs,  aidés  de  leur  clergé,  en  agiront  de  même  dans  leurs 
diocèses  respectifs,  et  Nous  espérons  que  cette  salutaire  action  de 
l'Église,  loin  de  se  voir  contrariée  par  les  poxivoirs  civils,  trouvera 
dorénavant  chez  eux  aide  et  protection  ;  Nous  en  avons  pour  garant 
l'intérêt,  d'une  part,  que  les  gouvernements  attachent  à  cette  grave 
question-,  et,  de  l'autre,  l'appel  bienveillant  que  Votre  Majesté  vient 
de  Nous  adresser. 

En  attendant,  Nous  faisons  les  vceux  les  plus  ardents  pour  que  les 
travaux  de  la  Conférence  soient  féconds  en  bienfaisants  résultats,  et 
répondent  pleinement  à  la  commune  attente  ;  et  avant  de  terminer  la 
présente,  Nous  voulons  exprimer  ici  la  satisfaction  que  Nous  avons 
éi)rouvée  en  apprenant  que  Votre  Majesté  avait  invité  à  prendre  part 
â  la  Conférence,  en  qualité  de  son  délégué,  Mgr  Kopp,  prince-évôque 
de  Breslau.  Il  s'estimera  certainement  très  honoré  de  cette  marque 
de  haute  confiance  que  Votre  Majesté  lui  donne  en  cette  occasion. 

C'est  enfin  avec  la  plus  vive  satisfaction  que  Nous  exprimons  à 
Votre  Majesté  les  vœux  les  plus  sincères  que  Nous  faisons  pour  sa 
prospérité  et  pour  celle  de  son  impériale  famille. 

Du  Vatican,  le  14  mars  1890. 

Signé  :  Leo,  P.  P.  XIII. 

La  conférence  a  terminé  ses  travaux  et  l'on  so  demande  main- 
tenant quel  en  sera  le  résultat. 

Comme  on  le  sait,  elle  n'a  pas  abordé  la  question  de  la  dnrée 
normale  du  travail.  C'est  pour  obtenir  la  fixation  de  cette  dui'ée 
à  huit  heures  que  les  socialistes  org-anisent  la  manifestation  du 


54  ANNALES    CATHOLIQUES 

l**"  mai.  M.  Liebknecht  annonce,  d'autre  part,  qu'il  fera  une 
proposition  dans  ce  sens  au  Reichstag  dès  les  premiers  jours  de 
la  rentrée. 

On  peut  voir  déjà  par  là  que  la  conférence  de  Berlin  aura 
peu  de  succès  pour  désarmer  l'hostilité  des  socialistes  contre 
l'ordre  de  choses  actuel.  Ce  qu'ils  veulent,  c'est  une  réorgani- 
sation sociale  complète,  une  révolution  nouvelle  qui  achève 
celle  de  89  et  donne  aux  ouvriers  des  jouissances  matérielles 
en  grande  abondance,  puisque,  selon  le  principe  de  89,  il  n'y  a 
pas  d'autre  bonheur  que  celui  de  la  terre. 

89  a  fait  triompher  le  Tiers-État,  c'est  maintenant  le  tour  du 
Quatrième  État. 

Il  ne  reste  à  la  société  moderne  qu'un  moyen  de  salut,  la 
religion. 

Il  faut  que  les  gouvernements  reviennent  eux-mêmes  au  res- 
pect de  la  religion. 

C'est  l'enseignement  qui  ressort  des  lettres  échangées  entre 
l'empereur  d'Allemagne  et  le  Pape. 

On  annonce  une  prochaine  rencontre  de  M.  de  Caprivi,  le 
nouveau  chancelier  allemand,  avec  les  ministres  dirigeants 
d'Autriche-Hongrie  et  d'Italie,  c'est-à-diie  avec  le  comte  Kal- 
noky  et  M.  Crispi.  Il  s'agirait,  non  pas  coname  l'imaginent  cer- 
tains pessimistes,  d'une  refonte  sur  de  nouvelles  bases  de  la 
triple  alliance,  mais  purement  et  simplement  de  confirmer  l'état 
de  choses  actuel  existant  entre  les  trois  puissances.  Il  se  peut 
que  l'Autriche-Hongrie,  toujours  hantée  par  le  spectre  de  l'in- 
tervention russe  dans  la  principauté  des  Balkans,  se  cramponne 
plus  que  jamais  à  l'Allemagne,  et  que  ni  le  Parlement  de 
Vienne  ni  celui  de  Pesth  n'y  contredisent  pas;  mais,  pour 
l'Italie,  c'est  autre  chose. 

L'opinion  publique,  dans  la  péninsule,  est  convaincue  que 
c'est  la  politique  de  M.  Crispi,  basée  sur  la  triple  alliance,  qui  a 
mis  les  finances  du  royaume  dans  l'état  néfaste  où  elles  sont 
aujourd'hui,  que  la  situation  économique  du  pays  est  devenue 
intolérable  et  qu'il  faut  changer  de  S3^?tème.  Dans  ces  condi- 
tions, il  paraît  que  le  premier  ministre  ne  peut  même  plus  gou- 
verner avec  la  Chambre  actuelle,  parce  qu'il  a  perdu  la  majorité 
et  qi.jl  lui  faut  procéder  à  une  dissolution,  et,  par  suite,  à  de 
nouvelles  élections.  Or,  il  n'3-  a  pas  à  s'y  tromper,  la  nouvelle 
Chambre  renversera  M.  Crispi  et^  après  lui,  la  triple  alliance 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  55 

aura  vécu  et  nous  assisterons  à  la  première  brèche  faite  dans 
l'édifice  élevé  par  M.  de  Bismarck,  brèche  qui  sera  suivie,  à 
courte  échéance,  de  plusieurs  autres  non  moins  importantes. 

On  continue  à  se  battre  au  Dahomey.  D'après  les  renseigne- 
ments que  nous  donnent  les  journaux  qui  reçoivent  les  commu- 
nications du  ministère  de  la  marine,  le  cercle  des  opérations 
paraît  s'étendre,  et  il  est  évident  que  nous  nous  engageons  de 
plus  en  plus.  On  a  laissé  les  Dahoméens  établir  un  camp,  au 
commencement  de  mars,  sur  la  rive  gauche  de  l'Ouémé,  rivière 
qui  forme  la  frontière  entre  le  Dahomey  et  le  Porto-Novo,  pays 
placé  sous  notre  protectorat.  Comme  ce  camp  était  une  menace 
pour  les  populations  du  Porto-Novo,  nos  protégées,  il  a  fallu 
faire  une  opération  de  ce  côté.  Le  colonel  Terrillon  a  pris  la 
direction  de  l'opération.  Avec  la  colonne  qu'il  commandait,  il  a 
traversé,  au  moyen  de  pirogues,  le  lac  Denham,  et  remonté 
rOuémé  jusqu'à  proximité  des  localités  occupées  par  l'armée 
■dahoméenne.  Ces  localités  sont,  paraît-il,  à  une  quarantaine  de 
kilomètres  du  confluent  de  la  rivière  et  de  la  lagune  de  Porto- 
Novo.  Après  avoir  débarqué,  les  troupes  du  colonel  Terrillon 
ont  attaqué  les  Dahoméens  et  enlevé  les  villages  où  ils  étaient 
établis.  Mais  l'action  a  été  chaude.  Elle  a  coûté  la  vie  au  capi- 
taine d'infanterie  de  marine  Oudard.  Et  un  autre  officier,  le 
sons-lieutenant  Mousset  est  mort  d'une  insolation. 

Après  avoir  chassé  les  Dahoméens  des  villages  de  Gléoui  et 
<îe  Tacauli,  le  colonel  Terrillon  a  bombardé  le  village  d'Agobbo, 
situé  sur  la  rive  gauche  de  l'Ouémé,  au  nord  de  la  lagune  des 
Caïmans.  Puis  il  est  rentré  à  Kotonou. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES 

France. 

Paris.  —  Lundi,  24  mars,  à  trois  heures,  a  eu  lieu  à  la  mai- 
son de  Lamaze,  boulevard  de  Vaugirard,  l'assemblée  annuelle 
de  l'Œuvre  de  l'Hospitalité  de  nuit,  sous  la  présidence  d'hon- 
neur du  cardinal  Richard,  archevêque  de  Paris. 

Devant  une  assemblée  nombreuse,  M.  A  Viallet,  trésorier  cfe 
la  société,  a  donné  lecture  de  son  rapport  sur  les  comptes  de 
l'exercice  1889. 

Les   recettes  effectuées  en  188V)  par  lu  Société  et  provenant 


56  ANNALES   CATHOLIQUES 

de  donations,  souscriptions,  intérêts  des  fonds  placés^  quêtes, 
ventes  de  charité,  tronc  de  l'Exposition,  etc.,  s'élèvent  à 
93,264  fr.  40.  Les  dépenses  atteignent  le  chiftre  de  146,809  fr.  85. 
Le  déficit,  25,415  fr.  75,  est  couvert  par  les  sommes  touchées 
en  1889  à  titre  de  legs  provenant  en  grande  partie  des  exercices 
antérieurs.  Mais,  comme  le  constate  M.  Viallet,  la  Société  n'ar- 
rive pas  à  «joindre  les  deux  bouts  >.  Aussi,  il  fait  un  appel 
pressant  aux  dames  patronnesses  et  aux  souscripteurs  pour 
qu'ils  redoublent  de  zèle  et  arrivent  à  trouver  25,000  à  30,000  fr. 
de  plus  chaque  année. 

Dans  son  rapport,  le  trésorier  dit  que  les  demi-livres  de  pain 
distribuées  chaque  soir  aux  pensionnaires  de  l'Hospitalité  de 
nuit  coûtent  environ  21,000  fr.,  pour  l'année.  11  a  été  distribué 
252,  417  rations. 

M.  le  baron  de  Livois,  le  très  zélé  et  très  dévoué  président 
de  la  Société,  a  lu  ensuite  son  rapport  sur  les  travaux  de 
l'Œuvre  pendant  l'année  1889. 

Deux  nouveaux  asiles  ont  été  ouverts  en  France  :  le  premier 
a  été  inauguré  à  Boulogne-sur-Mer  le  23  juin  ;  la  seconde  mai- 
son a  été  ouverte  à  Amiens  par  M.  l'abbé  Clavaud,  rue  Saint- 
Honoré,  dans  un  local  que  son  père  a  fourni  franc  de  tout  loyer. 

L'Œuvre  de  l'Hospitalité  de  nuit  a  recueilli,  cette  année, 
88,412  hommes  et  2,059  femmes  et  enfants,  soit  en  tout  90,471 
pensionnaires  qui  ont  couché  pendant  235,561  nuits.  Ce  qui 
donne  un  total  de  264,623  hospitalisés,  ayant  passé  1  million 
534,555  nuits  dans  les  établissements  de  l'Œuvre,  depuis  sa 
fondation. 

Dijon.  —  Le  jour  de  la  fête  de  Saint-Joseph  a  eu  lieu  le 
sacre  de  Mgr  Sonnois. 

Le  prélat  consécrateur  était  Mgr  Lecot,  évêquc  de  Dijon, 
assisté  de  Mgr  Marpot,  évêque  de  Saint-Claude  et  de  Mgr  Larue, 
évêque  de  Langres. 

Les  généraux  de  Cointet,  Delorme,  Laveuve,  Sonnois,  une 
députation  dos  conseils  généraux  et  départementaux  des  Vosges 
et  une  foule  nombreuse  assistaient  au  sacre. 

Après  la  cérémonie  liturgique,  Mgr  Sonnois  a  donné  sa  pre- 
mière bénédiction  épiseopale  à  son  frère  aîné,  le  général  Son- 
nois. Il  a  ensuite  béni  l'assistance  très  émotionnée.  ^ 

Le  gérant:  P.  Chanïrel. 


Paris.  Imp.  0.  Picquoin,  53,  rue  de  LiUe. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LA  SOUVERAINETE  TEMPORELLE  DES  PAPES 

(Suite    et   fin.  —  Voir  le   numéro   précédent.) 

Raisons  de  cette  souveraio^eié. 

A  la  puissance  spirituelle  du  Pontife  romain,  la  Providence 
a  voulu  joindre  un  pouvoir  temporel.  Roi  des  âmes,  le  pape  fut 
fait  de  par  la  Providence  roi  d'un  Etat  terrestre. 

Nous  ne  voulons  pas  dire  que  cette  royauté  temporelle  soit 
de  l'essence  de  la  papauté  au  même  titre  et  au  même  degré 
qne  sa  puissance  et  ses  préro^tives  spirituelles  ;  mais  nous 
voulons  dire  que  cette  royauté  temporelle  a  été  donnée  à  la 
papauté  comme  sauvegarde  et  garantie  de  l'autre.  Comme  Dieu 
protège  le  fruit  dans  son  écorce,  comme  il  fait  vivre  l'àme  dans 
le  corps,  il  a  uni  l'âme  de  la  papauté,  c'est-à-dire  sa  domination 
spirituelle,  à  un  corps  qui  est  son  pouvoir  temporel.  Sans  doute, 
Dieu,  par  des  ressources  de  puissance  et  de  force  qui  sont  à 
lui,  peut  conserver  la  vie  à  la  papauté  quand  son  pouvoir  tem- 
porel lui  est  momentanément  ravi,  mais  c'est  là  une  existence 
anormale,  un  état  violent,  que  la  Providence  se  charge,  après 
un  temps  plus  ou  moins  long,  de  faire  cesser. 

Le  pouvoir  temporel  est  très  utile,  sinon  nécessaire,  dirent 
les  évêques  rassemblés  à  Rome  en  1854,  à  l'indépendance  de  la 
souveraineté  religieuse.  Le  dogme  est  intimement  lié  avec  cette 
institution  ;  si  elle  tombe,  l'Eglise  risque  de  voir  périr  son  indé- 
pendance et  son  caractère  de  société  parfaite.  Un  pape  qui  n'est 
plus  maître  chez  lui,  qui  n'est  plus  souverain  dans  sa  cité,  est 
amoindri,  il  perd  de  son  prestige,  de  son  autorité;  il  ne  peut 
plus  avec  la  même  énergie  administrer  l'Eglise  et  maintenir 
Intacte  la  discipline. 

Deux  historiens,  non  suspects  de  partialité,  reconnaissent  que 
l'établissement  de  cette  souveraineté  temporelle  fut  aussi  utile 
qu'il  était  légitime.  «  Tant  que  l'empire  romain  a  subsisté,  dit 
Fleury,  il  renfermait  dans  sa  vaste  étendue  toute  la  chrétienté. 
Mais  depuis  que  l'Europe  est  divisée  entre  plusieurs  princes 
indépendants  les  uns  des  autres,  si  le  Pape  eût  été  sujet  de 
l'un  deux,  il  eût  été  à  craindre  que  les  autres  n'eussent  eu  delà 
peine  à  le  reconnaître  pour  père  commun,  et,  que  les  schismes 

Lxxii  —  12  Avril  1890  5 


58  ANNALES   CATHOLIQUES 

n'eussent  été  fréquents.  On  peut  donc  croire  que  c'est  par  un 
effet  de  la  Providence  que  le  Pape  s'est  trouvé  indépendant  et 
maître  d'un  Etat  assez  puissant  pour  n'être  pas  aisément 
opprimé  par  les  autres  souverains,  afin  qu'il  fût  plus  libre  dans 
l'exercice  de  sa  puissance  spirituelle,  et  qu'il  pût  contenir  plus 
facilement  les  autres  évêques  dans  leurs  devoirs.  » 

«  Le  pape,  dit  à  son  tour  le  président  Hénault,  n'est  plus, 
comme  dans  les  commencements,  le  sujet  de  l'empereur.  Depuis 
que  l'Eglise  s'est  répandue  dans  l'univers,  il  a  à  répondre  à 
tous  ceux  qui  y  commandent,  et  par  conséquent,  aucun  ne  doit 
lui  commander.  La  religion  ne  suffit  pas  pour  imposer  à  tant  de 
souverains,  et  Dieu  a  justement  permis  que  le  Père  commun 
des  fidèles  entretînt,  par  son  indépendance  le  respect  qui  lui  est 
dû.  Ainsi  donc,  il  est  bon  que  le  Pape  ait  la  propriété  d'une 
puissance  temporelle,  en  même  temps  qu'il  a  l'exercice  de  la 
spirituelle.  » 

Voici  maintenant  l'opinion  du  bon  sens  gouvernemental  et 
militaire,  s'exprimant  par  la  bouche  du  vainqueur  de  Marengo, 
au  moment  où  il  préparait  la  restauration  du  culte  catholique 
en  France  :  «  Le  Pape  est  hors  de  Paris,  et  cela  est  bien;  il 
n'est  pas  à  Madrid  ni  à  Vienne,  et  c'est  pour  cela  que  nous  tolé- 
rons son  autorité  spirituelle.  A  Vienne,  à  Madrid,  on  pourrait 
en  dire  autant.  Crojez-vous  que  s'il  était  à  Paris,  les  Autri- 
chiens et  les  Espagnols  consentiraient  à  recevoir  ses  décisions. 
Nous  sommes  donc  trop  heureux  qu'il  réside  hors  de  chez  nous 
et  qu'en  résidant  hors  de  chez  nous,  il  ne  réside  pas  chez  nos 
rivaux;  qu'il  habite  cette  vieille  Rome,  loin  de  la  main  des 
empereurs  d'Allemagne,  loin  de  celle  de  la  France  et  des  rois 
d'Espagne,  tenant  la  balance  entre  les  souverains  catholiques, 
incliné  toujours  un  peu,  vers  le  plus  fort,  et  se  relevant  prorapte- 
ment  si  le  plus  fort  devient  oppresseur.  Ce  sont  les  siècles  qui 
ont  fait  cela,  etils  ont  bien  fait.  Pour  le  gouvernement  des  âmes, 
c'est  l'institution  la  meilleure  et  la  plus  bienfaisante  qu'on 
puisse  imaginer.  > 

La  proposition  LXXVI  du  Syllahus  est  ainsi  conçue  :  «  Abro- 
gatio  civilis  imperii  qua  Apostolica  Sedes  poliiur,  ad  Eccle- 
siœ  libertatetn  felicitatemque  vel  maxime  conduceret.  » 

Pour  réfuter  la  proposition^  condamnée  nous  n'avons  qu'à 
établir  la  contradictoire  :  L'abrogation  de  la  souveraineté  civile 
dont  le  Saint-Siège  est  en  possession,  ne  servirait  pas,  il  s'en 
faut  de  beaucoup,  à  la  liberté  et  à  la  félicité  de  l'Eglise. 


LA    SOUVERAINETÉ    TEMPORELLE    DES    PAPES  59 

Cette  suppression  nuirait  à  la  liberté  de  l'Église  en  entravant 
la  liberté  de  son  pasteur  suprême  dans  ses  délibérations,  et 
ensuite  dans  ses  rapports  avec  les  fidèles,  et  par  contre-coup, 
en  entravant  le  recours  des  évoques  et  des  fidèles  au  chef  de 
l'Eglise. 

Pour  paraître  toujours  libre  d'une  liberté  qui  exclue  la  tenta- 
tion du  schisme,  il  faut  que  cette  liberté  aille  jusqu'à  l'indépen- 
dance de  tout  souverain  temporel.  Donc  il  faut  au  pape  une 
principauté  à  lui,  et  comme  il  est  à  Rome,  il  lui  faut  Rome. 

Comme  l'a  très  bien  déclaré  Pie  IX,  le  principat  civil  est  né- 
cessaire au  pape  :  «  ut  ad  ipsam  Eccîesiainregendam,  ejusque 
unitatem  servandam,  plend  potiretur  libertate.  »  Nous  ne  sau- 
rions trop  insister  sur  ce  point  précis  que  la  liberté  du  Souve- 
rain Pontife  doit  être  non  seulement  une  liberté  de  gouverne- 
ment dans  la  délibération  et  l'exécution,  ad  Ecclesiamj'egendam, 
mais  surtout  une  liberté,  sauvegarde  de  l'unité  catholique,  ad 
unitatem  servandam,  liberté  qui,  dans  sa  plénitude  ainsi  bien 
comprise,  réclame  l'indépendance. 

Iniquité'  des  dernières  spoliations. 

Nous  sommes  arrivés  à  la  fin  du  xviii^  siècle,  époque  agitée, 
troublée,  se  précipitant  à  travers  d'aôreuses  convulsions  vers 
des  temps  nouveaux,  rompant  avec  un  passé  qui  ne  fut  ni  sans 
gloire  ni  sans  grandeur,  La  terrible  Révolution  française,  pré- 
parée par  une  presse  impie  et  sacrilège,  s'attaquant  à  tout,  niant 
tout  ce  qui  est  grand  et  respectable,  préparée  aussi  par  les  scan- 
dales de  la  cour,  des  grands,  et  hélas!  trop  souvent  du  clergé 
même,  la  Révolution  hésite  pendant  quelque  temps  ;  on  dirait 
qu'elle  a  peur  de  s'engager  dans  une  voie  qui  aboutirait  à  de 
terribles  catastrophes;  mais  enfin  elle  se  jette  résolument  dans 
le  camp  des  impies  et  des  démolisseurs,  et  s'attaque  avec  fureur 
à  l'Eglise  et  à  la  religion. 

Le  pape  est  notre  ennemi,  il  faut  qu'il  disparaisse;  son  pou- 
voir temporel  doit  être  anéanti!  La  Révolution  donne  à  ses  gé- 
néraux l'ordre  d'envahir  le  domaine  pontifical,  de  chasser  le 
pape  de  sa  capitale,  de  briser  son  trône.  Bonaparte  n'avance 
qu'avec  répugnance,  il  aime  mieux  traiter  avec  le  pape  que  de 
le  briser.  Il  lui  impose  de  lourdes  charges,  il  lui  enlève  certaines 
portions  de  territoire,  mais  enfin,  il  lui  laisse  le  pouvoir  tem- 
porel. Le  principe  reste  debout.  Devenu  premier  consul,  ses 
yastes  pensées  se  portent  autre  part  que  sur  le  petit  domaine  du 


60  ANNALES    CATHOLIQUES 

Saint-Père,  d'ailleurs  il  songe  déjà  à  fonder  une  dynastie,  et 
pour  cela  il  a  besoin  du  concours  du  pape.  Il  fait  la  paix  avec 
lui;  il  conclut  le  concordat^  l'acte  le  plus  heureux,  le  plus  glo- 
rieux et  le  plus  réparateur  de  tout  son  règne.  Il  fait  venir  le 
pape  à  Paris  pour  être  sacré  empereur,  et  plusieurs  crurent 
qu'un  nouveau  Charlemagne  s'était  levé. 

Napoléon  n'avait  pas  la  foi  ni  l'amour  de  l'Eglise  du  grand 
empereur  du  ix'  siècle;  il  flattait  le  pape;  mais  ses  égoïstes 
desseins,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  n'avaient  pour  but  que  de 
mieux  tromper  le  chef  de  la  chrétienté.  Pie  VII  reste  calme  et 
confiant  en  Dieu,  mais  l'empereur  se  voit  deviné.  Voyant  que  le 
pape  ne  le  seconderait  point  dans  certaines  de  ses  entreprises,  il 
forme  le  plan  de  se  passer  de  lui,  et  pour  faire  sentir  son  mécon. 
tentement,  il  cherche  avant  tout  à  le  contrecarrer  dans  ses  pos- 
sessions temporelles.  «  Je  suis  le  successeur  de  Charlemagne, 
s'écria-t-il  un  jour  dans  un  moment  de  dépit;  je  puis  défaire  ce 
qu'il  a  fait  et  reprendre  ce  qu'il  a  donné.  »  C'était  sans  doute 
peu  noble  de  la  part  d'un  successeur  de  défaire  l'œuvre  de  son 
prédécesseur,  oeuvre  grande,  utile,  respectée  par  tous  les  temps. 
Du  reste,  en  le  disant,  Napoléon  ignorait  ou  faisait  semblant 
d'ignorer  l'histoire  :  le  pouvoir  temporel  ne  venait  pas  seulement 
de  Charlemagne,  il  venait  de  Pépin,  il  venait  des  populations, 
il  venait  du  temps  lui-même. 

Quelques  jours  avant  la  bataille  d'Austerlitz,  Napoléon  fit 
subitement  occuper  Ancône,  ville  du  domaine  pontifical.  Le 
pape  en  fit  des  remontrances  avec  sa  douceur  et  son  calme  habi- 
tuels. Elles  ne  firent  qu'irriter  l'empereur  qui  dès  cette  époque 
ne  supportait  plus  aucune  contradiction,  il  prenait  de  plus  en 
plus  les  allures  d'un  despote. 

Les  relations  entre  Rome  et  Paris  devinrent  de  plus  en  plus 
tendues,  le  2  février  1808,  la  capitale  des  états  pontificaux  fat 
occupée  par  les  troupes  de  Napoléon,  et  en  vertu  d'un  décret  da 
17  mai  1809,  les  états  de  l'Eglise  furent  purement  et  simple- 
mont  déclarés  réunis  au  vaste  empire  français.  Le  jeune  héritier 
de  Napoléon  reçut  à  sa  naissance  le  titre  pompeux  de  roi  de 
Rome. 

C'en  était  fait  du  pouvoir  temporel,  l'œuvre  de  dix  siècles 
était  par  terre.  Les  incrédules,  les  ennemis  de  l'Eglise  triom- 
phaient, car  avec  le  pouvoir  temporel,  il  leur  semblait  que  la 
papauté,  que  l'Eglise  elle-même  tombait. 

Mais  la  Providence  veillait.  Pie  VII  recourut  aux  armes  qui 


LA    SOUVERAINETÉ    TEMPORELLE   DES   PAPES  6l 

lui  restaient  encore,  il  excommunia  l'empereur.  Napoléon  ett 
fut  outré,  et  il  se  vengea  sur  l'auguste  vieillard  en  le  faisant 
brutalement  arrêter,  puis  traîner  à  Savone,  pour  enfin  l'interner 
au  château  de  Fontainebleau. 

On  connaît  les  souffrances,  les  humiliations  et  les  désastres 
de  la  campagne  de  Russie.  Napoléon  revient  en  fugitif  en  France. 
Il  recommence  la  guerre,  mais  le  territoire  est  envahi,  Paris  est 
pris. 

A  la  hâte,  quelque  temps  auparavant,  on  avait  fait  partir 
Pie  VII  du  château  de  Fontainebleau,  il  fallait  faire  de  la  place 
à  l'empereur  pour  qu'il  put  venir  dans  ces  mêmes  murs  signer 
son  abdication  et  j  faire  les  adieux  attendrissants  à  son  armée. 
Le  pape  rentre  à  Rome  et  j  est  reçu  avec  des  transports  de 
joie,  pendant  que  l'empereur  prend  le  chemin  de  l'exil  vers  l'île 
d'Elbe.  Les  cent  jours  passent  comme  un  météore.  Le  congrès 
de  Vienne  cherche  à  réparer  le  tort  causé  par  la  Révolution  et 
l'empire  ;  dans  le  travail  de  restauration  que  les  diplomates  y 
entrepi'ennent,  on  ne  saurait  oublier  le  Saint-Père,  le  plus 
ancien  et  le  plus  légitime  souverain  de  l'Europe.  On  lui  remet 
son  domaine  et  l'Europe  trouve  un  peu  de  calme. 

Mais  les  sociétés  secrètes  n'ont  pas  désarmé,  elles  minent 
partout  le  terrain,  le  trône  et  l'autel  leur  sont  un  objet  d'hor- 
reur. On  le  voit  aux  journées  de  Juillet,  le  voleur  reprenait  sa 
terrible  activité.  En  Italie  surtout,  la  franc-maçonnerie  soulevait 
en  secret  la  population  contre  leur  légitime  souverain,  notam- 
ment contre  le  pape.  Grégoire  XVI  condamna  ces  insensés  à 
plusieurs  reprises,  et  avertit  l'Europe,  l'univers  entier,  dtt 
danger  que  peuples  et  rois  couraient.  On  n'y  eut  aucun  égard. 
Q-régoire  XVI  mourut  et  fut  remplacé  par  le  généreux  Pie  IX. 

Le  nouveau  pape  voulut  essayer  d'un  système  plus  libéral, 
dans  l'espérance  de  gagner  les  rebelles  qui,  disaient-ils,  faisaient 
la  guerre  à  la  papauté,  précisément  pour  conquérir  quelques 
libertés.  Ces  hommes  en  profitèrent  pour  poursuivre  avec  plus 
d'audace  leur  travail  souterrain  contre  la  religion  et  l'Eglisô. 
Bientôt  la  révolution  éclata  à  Paris,  à  Berlin,  Vienne  frémissait, 
Rome  se  déclara  aussi  en  insurrection.  Le  pape  se  vit  obligé  de 
prendre  le  chemin  de  l'exil.  Un  comité  révolutionnaire  sô 
constitua,  le  chef  en  fut  Mazzini,  et  Garibaldi  fut  le  général  des 
bandits  révolutionnaires. 

Un  des  premiers  actes  du  nouveau  gouvernement  fut  de  dé- 
<îlarer  la  papauté  déchue  et  le  pouvoir  temporel  aboli.  On  sait 


62  ANNALES   CATHOLIQUES 

que  c'est  grâce  à  l'intervention  de  la  France  que  Rome  fut 
reprise  sur  les  révolutionnaires  et  que  le  pape  put  rentrer  dans 
sa  capitale.  Le  pouvoir  temporel  était  encore  une  fois  en  vie. 
Mais  malgré  toute  l'énergie  et  l'habileté  de  Pie  IX  et  de  son 
grand  ministre  Antonelli;  le  calme  ne  revint  plus  dans  la  pauvre 
province  travaillée  par  les  émissaires  des  sociétés  secrètes. 
Le  Piémont  se  mit  en  avant,  il  arracha  lambeau  par  lambeau  le 
domaine  du  Saint-Père,  auquel  on  ne  laissa  plus  que  Rome  et 
ses  environs.  Pimodan  et  Lamoricière  organisèrent  une  armée 
de  défense,  mais  abandonnés  de  tous,  ils  durent  succomber  à 
Castelfidardo  :  Ce  qui  devait  apprendre  aux  moins  éclairés,  qu'il 
avait  été  résolu  dans  le  conseil  des  princes  de  dépouiller  la 
papauté  de  sa  principauté  temporelle. 

Là-dessus,  la  terrible  guerre  de  1870  éclata  ;  la  France  retira 
ses  troupes  de  Rome,  et  le  Piémont  en  profita  pour  trouer  à 
coups  de  canons  les  remparts  de  la  ville  des  papes.  Il  y  entra  par 
la  brèche  et  y  proclama  la  fin  du  pouvoir  temporel.  Toutes  les 
provinces  du  pape  furent  réunies  au  royaume  d'Italie,  dont  Rome 
devint  la  capitale.  Le  Souverain  Pontife  n'eut  plus  que  le 
Vatican  et  le  château  de  Castegnidalpho.  C'est  là  tout  ce  qui  lui 
est  resté  de  sa  principauté  temporelle.  Toutefois,  et  ce  qui  est 
plus  grave,  l'Europe  semble  avoir  sanctionné  cette  spoliation. 
Combien  de  temps  cette  situation  durera-t-elle?  On  ne  peut  le 
prévoir.  Espérons  qu'en  tout  cas  elle  ne  soit  pas  définitive. 

Le  pape  est  actuellement  prisonnier  dans  son  propre  palais,  il 
ne  peut  sortir  dans  les  rues  de  Rome,  sans  s'exposer  à  être 
insulté  ou  à  subir  des  avanies  plus  terribles  encore.  Ce  qui  s'est 
passé  lors  de  la  translation  des  restes  mortels  de  Pie  IX  le  dé- 
montre à  sa  piété.  Il  ne  peut  correspondre  avec  les  évêques  et 
les  fidèles  que  par  la  poste  et  le  télégraphe  de  l'Italie.  Or,  le 
secret  voulu,  nécessaire,  n'est  pas  gardé.  Le  pape  est  à  la  merci 
du  gouvernement  franc-maçon  italien.  Sa  dignité  ainsi  n'est  pas 
sauvegardée,  et  son  indépendance  n'est  plus  entière.  La  situa- 
tion qui  lui  est  faite  depuis  que  le  gouvernement  temporel  lui  a 
été  ravi,  prouve  combien  ce  pouvoir  est  indispensable  et  néces- 
saire. Tous  les  évêques  l'affirment,  tous  les  catholiques  croyants 
le  disent.  Cette  nécessité  s'impose  d'ailleurs  d'elle-même.  On  n'a 
qu'à  ouvrir  les  yeux  pour  voir  que  la  situation  qui  est  faite  au 
Saint-Père  n'est  pas  tenable;  elle  est  indigne  et  révolte  les 
fidèles. 


LE    MARIAGE   CHRÉTIEN  63 

Conclusion, 

Le  pouvoir  temporel  du  Pape  est  un  droit  sacré,  inviolable, 
légitimement  acquis,  puisqu'il  repose  sur  une  prescription  sécu- 
laire, sur  la  consécration  du  temps  et  sur  une  donation  authen- 
tique plusieurs  fois  renouvelée  par  Pépin  et  Charlemagne,  et 
leurs  successeurs,  par  l'assentiment  du  peuple  romain  et  par  le 
droit  public  de  l'Europe. 

La  mission  du  chef  de  l'Eglise  exige  une  royauté  temporelle, 
modeste  sans  doute,  mais  respectée  et  indépendante. 

La  France  a  exercé  une  action  spéciale  dans  la  constitution 
définitive  de  cette  souveraineté  temporelle  de  la  Papauté. 

En  finissant,  nous  formerons  un  vœu  bien  sincère,  celui  de 
voir  notre  patrie  reprendre  les  nobles  traditions  de  nos  pères,  et 
recommencer  les  gesta  Dei  per  Francos.  Ce  serait  pour  nous  le 
plus  sûr  garant  de  la  prospérité  et  du  bonheur. 

L'abbé  Pluot. 

LE  MARIAGE  CHRÉTIEN 

(Suite  et  fin. — Voir  le  numéro  précédent.) 


Mais  le  mariage  a  une  dignité  et  une  grandeur  surnaturelles, 
et  tout  d'abord  parce  qu'il  est  un  sacrement. 

Pour  saisir  sur  ce  point  la  doctrine  catholique,  il  faut  remar- 
quer que  les  sacrements  ne  sont  pas  seulement  les  conditions 
nécessaires  de  la  concession  de  la  grâce,  mais  qu'ils  en  sont  en 
réalité  les  instruments.  Cette  puissance  de  transmettre  la  grâce 
divine  sous  une  forme  sensible  n'est  pas  une  simple  dignité  qui 
obtient  de  Dieu  la  grâce,  mais  le  sacrement  est  l'expression  sen- 
sible de  l'action  divine  qui  communique  la  grâce,  comme  les 
paroles  du  divin  Maître  :  «  Lazare  sors  du  tombeau  !  »,  «  Jeune 
fille,  lève-toi!  »  étaient  la  manifestation,  l'expression  sensible 
de  la  puissance  divine  qui  ressuscitait  les  morts. 

Nous  pouvons  dire  que  les  sacrements  sont  administrés  par 
le  Rédempteur  lui-même,  par  le  Prêtre  éternel,  source  de  tout 
ministère  sacré  dans  son  Eglise;  car  moins  encore  que  le  mi- 
nistère de  l'enseignement,  le  ministère  de  l'administration 
des  sacrements  peut  être  accompli  en  dehors  de  l'institution, 
de  la  loi  et  de  l'autorité  du  divin  Fondateur.  «  Est-ce  que  Paul 
a  été  crucifié  pour  vous  ?  disait  saint  Paul  lui-même  aux  fidèles 


64  ANNALES   CATHOLIQUES 

de  Corinthe,  ou  est-ce  au  nom  de  Paul  que  vous  avez  été 
baptisés?»  (1).  —  »  C'est  Jésus-Christ  qui  baptise  dans  le 
Saint-Esprit  écrivait  saint  Augustin;  il  n'a  pas  comme  le  pré- 
tendent nos  adversaires,  cessé  de  baptiser  ;  mais  il  agit  encore, 
non  par  le  ministère  de  son  corps,  mais  par  l'action  invisible  de 
sa  majesté  »  (2).  Et  ailleurs  le  grand  Docteur  écrivait:  «Pierre 
baptise,  c'est  Jésus-Christ  qui  baptise;  Paulbaptise,  c'est  Jésus- 
Christ  qui  baptise  »  (3). 

Bien  plus,  cette  puissance  des  sacrements,  cette  grâce  qu'ils 
communiquent  ont  pour  cause  et  source  première  les  mérites 
et  la  passion  du  divin  Sauveur.  C'est  la  doctrine  qu'enseigne 
saint  Paul  et  il  en  fait  l'application  au  mariage  chrétien  et  aux 
devoirs  qu'il  impose.  «  Maris,  dit-il,  aimez  vos  épouses  comme 
Jésus-Christ  aime  son  Eglise,  car  il  s'est  livré  pour  elle  afin  de 
la  sanctifier,  la  purifiant  par  le  baptême  de  l'eau  dans  la  parole 
de  vie  »  (4).  Cette  puissance  des  sacrements  est  le  fruit  du  sang 
répandu  sur  la  croix,  de  la  mort,  du  sacrifice  du  Fils  de  Dieu. 
«  C'est  pourquoi,  dit  encore  saint  Paul,  tous  nous  sommes 
baptisés  en  Jésus-Christ,  nous  sommes  baptisés  dans  sa 
mort  »  (5)  ;  non  pas  seulement  en  ce  sens  que  la  mort  de  Jésus- 
Christ  est  le  modèle  de  la  mort  au  péché  que  nous  recevons 
dans  le  baptême,  mais  parce  que  le  baptême  comme  tous  les 
sacrements  contient  le  prix  de  la  mort  du  Fils  de  Dieu  et  que 
lorsque  nous  sommes  plongés  dans  les  eaux  du  baptême  nous 
sommes  plongés  dans  la  mort  de  Jésus-Christ  qui  est  notre 
vie  (6j. 

C'est  la  doctrine  qu'expriment  les  Pères  et  lesDocteurs^quand 
ils  affirment  que  les  sacrements  «  sont  sortis  du  côté  ouvert  du 
Rédempteur,  qu'ils  ont  coulé  comme  des  flots  dans  le  sacrifice 
consommé  sur  la  croix,  qu'ils  sont  empourprés  du  sang  di- 
vin »  (7). 
X<es  sacrements  sont  donc  comme  les  actions  du  divin  Rédemp- 

(1)  I.  Cor.  L,  13. 

(2)  Cont.  Petilian.  i.  m,  c.  49. 

(3)  In  Joann.,  tract,  vi,  n.  7. 

(4)  Ephes.,  v,  25,26. 

(5)  Rom.,  VI,  3. 

(6)  Consepulti   ei  in  baptîsmo,  in  quo  et  resurrexistîs  per  fidem 
operationis  Dei,  qui  suscitavit  illum  a  mortuis. 

(7)  S.   Ambroise,   S.    Jean-Chrysostome,  S.    Augustin,  S.    Cyrille 
d'Alexandrie.  (V.  Suarez,  in  3""  part.,  disp.  9,  sect.  3.) 


LE   MARIAGE    CHRTlTIEN  DO' 

teur  lui-même,  qui  pendant  sa  vie  mortelle,  par  ses  paroles,  par 
un  signe  de  sa  main  effaçait  les  péchés,  ressuscitait  les  morts, 
sanctifiait  les  âmes  et  qui,  depuis  dix-neuf  siècles,  perpétué  les 
mêmes  prodiges  de  puissance,  de  sanctification  et  de  vie  surna- 
turelle par  les  rites  sacrés  que  ses  ministres  accomplissent  en 
son  nom.  Ils  sont  donc  comme  une  image,  une  reproduction  de 
l'Incarnation  du  Fils  de  Dieu  ;  car  de  même  que  la  nature 
humaine  en  Jésus-Christ  contenait  la  personne  divine  et  que 
par  cette  nature  humaine  la  personne  divine  accomplissait 
l'œuvre  de  notre  salut,  ainsi  les  sacrements  sont  la  forme  visi- 
ble de  la  grâce  cachée,  invisible,  qui  nous  sanctifie  (1).  L'œuvre 
de  sanctification  que  le  divin  Sauveur  accomplissait  autrefois  en 
Palestine  au  sein  du  peuple  juif,  il  l'accomplit  depuis  dix-neuf 
siècles,  dans  tous  les  lieux,  pour  tous  les  peuples  et  pour  tous 
les  hommes.  Et  ce  n'est  pas  seulement  par  son  autorité  qui  ensei- 
gne et  qui  gouverne,  mais  plus  encore  par  les  sacrements,  que 
Jésus-Christ  vit  en  réalité  dans  son  Eglise  et  qu'il  continue  par 
elle  sa  mission  de  sanctification  et  de  salut. 

Toutes  ces  grandeurs  appartiennent  au  sacrement  de  ma- 
riage. Il  est  une  des  sources  sacrées  ouvertes  au  cœur  de  Jésus- 
Christ,  une  des  sources  oii  l'humanité  va  puiser  les  eaux  de  la 
grâce,  les  eaux  qui  jaillissent  jusqu'à  la  vie  éternelle  (2).  Quelle 
dignité  !  quelle  puissance  dans  ce  sacrement  !  Et  aussi  quelle 
responsabilité  pour  ceux  qui  le  reçoivent,  pour  les  époux  qui 
en  sont  les  ministres,  qui  ouvrent  eux-mêmes  ces  sources 
sacrées,  qui  reproduisent  les  actions  du  divin  Rédempteur,  qui 
consacrent  par  leurs  paroles  et  parleurs  serments  cette  union 
qui  doit  être  pure,  sainte,  éternelle  ! 

Mais  saint  Paul  affirme  que  le  mariage  est  un  grand  sacre- 
ment :  Sacramentum  hoc  magnum  est,  ego  dico  tn  Christo  et 
in  Ecclesia.  Ce  sacrement  a  donc  un  caractère  spécial  de 
grandeur  surnaturelle  que  nous  devons  reconnaître  et  res- 
pecter. 

Le  mariage  chrétien  est  un  grand  sacrement  par  le  modèle 
qu'il  reproduit,  par  l'idéal  dont  il  reflète  la  beauté,  la  perfec- 
tion et  la  gloire. 

Dans  la  création  de   l'homme.  Dieu  a  eu   devant  son  regard 

(1)  S.  Thomas,  3.  p.,  q.  60. 

(2)  Eaurietis  aquasin  gaudiode  fontibus  Salvatoris  (Isai»,  xii,  3). 
—■Fons  aquce  salientis  in  vitam  œternam  (Joann.,  iv,  14.) 


06  ANNALBS   CATHOLIQUES 

divin  un  modèle  qui  est  lui-même  :  c  Faisons  l'homme,  dit-il, 
à  notre  image  et  à  notre  ressemblance.  >  Il  a  voulu  aussi  repro- 
duire dans  la  famille,  par  l'union  des  époux  et  surtout  par  le 
mariage  chrétien  cet  idéal  suprême. 

La  Trinité  adorable  est,  en  effet,  la  société  parfaite  des  trois 
personnes  unies  dans  la  même  nature  et  distinctes  par  leurs 
relations.  Le  Père  est  la  première  personne,  il  est  la  source  de 
la  divinité,  il  engendre  éternellement  un  Fils  qui  est  son  Verbe 
substantiel,  semblable  au  Père.  Le  Fils,  image  consubstantielle  du 
Père,  «  la  splendeur  de  sa  gloire,  la  figure  de  sa  substance  >  (1) 
et  dans  lequel  le  Père  «  se  complaît  »,  est  uni  au  Père  par 
l'Amour.  Cet  Amour  substantiel  et  infiniment  parfait  est  le 
Saint-Esprit.  Le  Saint-Esprit,  produit  par  l'inspiration  du  Père 
et  du  Fils  est  le  lien  de  la  Trinité  adorable,  en  lui  se  termine  et 
s'achève  la  vie  divine. 

Tel  est  l'idéal  du  mariage  chrétien,  de  la  famille  élevée, 
transfigurée  et  sanctifiée  par  la  grâce. 

Le  père  est  le  principe  de  la  vie,  le  premier  dans  la  société^ 
conjugale  et  au  foyer  domestique.  La  femme  dans  laquelle 
Adam  reconnaît  «  une  aide  et  une  compagne  semblable  à  lui  : 
Adjutorium  simile  sibi  »,  et  dans  laquelle  le  premier  homme 
salue  son  image  consubstantielle  quand  il  s'écrie  :  «  C'est  là  l'os 
de  mes  os  et  la  chair  de  ma  chair  »,  la  femme,  de  laquelle  sor- 
tiront toutes  les  générations  futures,  représente  le  Verbe  par 
lequel  le  Père  a  fait  toutes  choses. 

Les  époux  unis  par  un  mutuel  et  parfait  amour  produisent  une 
troisième  personne  qui  est  de  leur  nature  et  comme  de  leur 
substance,  semblable  au  père  et  à  la  mère,  créant  entre  eux  le 
lien  le  plus  fort  et  le  plus  doux.  Cette  troisième  personne,  l'en- 
fant, achève  pour  ainsi  dire  l'homme  lui-même  dans  sa  perfec- 
tion et  dans  sa  vie,  il  représente  l'Esprit-Saint. 

Cette  image  de  la  Trinité  dans  la  famille  sanctifiée  par  \& 
mariage  chrétien  n'est  pas  une  image  sans  vie,  sans  liberté  et 
sans  puissance.  Elle  est  vivante,  active  et  libre.  Ce  n'est  pas 
en  effet,  par  une  impulsion  aveugle  de  la  nature,  ou  sous  l'in- 
fluence irrésistible  de  l'ordre  du  Créateur,  que  les  époux  s'unis- 
sent, mais  par  un  amour  éclairé  et  libre  dans  l'attrait  des 
affections  que  Dieu  récompense  et  bénit,  pour  se  donner  réci- 
proquement appui,  consolation  et  joie,  pour  donner  des  fils   à 

(1)  Hebr..  i,  3. 


LE    MARIAGE    CHRÉTIEN  67 

Dieu  et  à  l'Eglise  et  coopérer  ainsi  à  l'œuvre  du  Créateur.  L'en- 
fant possède  comme  le  père  et  la  mère  la  liberté  de  suivre  la 
destinée  qui  lui  est  proposée  ou  de  l'abandonner  dans  l'orgueil 
de  la  révolte.  Il  peut  faire  resplendir  en  lui  et  dans  la  famille 
ou  altérer  et  détruire  cette  glorieuse  image  de  la  Trinité 
divine. 

Ainsi  nous  admirons  la  réalisation  de  ces  paroles,  dans  les- 
quelles la  Sainte  Ecriture  résume  la  création  de  l'homme  : 
«  Dieu  créa  l'homme  à  son  image,  il  le  créa  à  l'image  de  Dieu, 
il  le  créa  homme  et  femme.  Dieu  les  bénit  et  leur  dit  :  Croissez 
et  multipliez-vous,  remplissez  la  terre  et  soumettez-la  à  votre 
puissance  »  (1). 

Nous  l'avons  redit  presque  à  chaque  page  de  cette  Lettre 
pastorale,  parce  que  là  est  la  base  première  de  la  doctrine 
catholique  sur  le  mariage  :  l'union  des  époux  a  pour  modèles 
l'union  future  du  Verbe  et  de  la  nature  humaine,  l'union  de 
-Jésus-Christ  avec  son  Eglise.  C'est  un  des  caractères  de  la 
grandeur  surnaturelle  et  spéciale  de  ce  sacrement. 

Le  sublime  enseignement  de  saint  Paul  nous  apprend  que 
Dieu  dès  le  principe,  au  jour  même  de  la  création,  en  instituant 
l'union  de  l'homme  et  de  la  femme  a  voulu  représenter  l'union 
future  du  Verbe  et  de  la  nature  humaine  de  Jésus-Christ  et  de 
son  Eglise.  Il  a  voulu  annoncer  cette  union  que  le  mariage  chré- 
tien devait  plus  tard  représenter  avec  plus  de  perfection,  qu'il 
devait  renouveler  et  perpétuer.  «  La  société  du  mariage,  dit  le 
pape  saint  Léon,  fut  ainsi  constituée  dès  le  commencement,  afin 
que,  outre  l'union  de  l'homme  et  de  la  femme,  elle  eût  en  elle- 
même  le  sacrement  et  le  signe  de  Jésus-Christ  et  de  son 
Eglise  (2)  >. 

Aussi  saint  Paul  nous  enseigne  que  la  représentation  de  cette 
union  a  été,  dans  la  pensée  éternelle  de  Dieu,  une  des  raisons 
du  mariage.  C'est  pour  cela,  dit-il,  —  c'est-à-dire  c'est  pour 
représenter  perpétuellement  cette  union,  pour  réaliser  perpé- 
tuellement ce  sacrement  qui  est  grand  en  Jésus-Christ  et  en 
son  Eglise,  —  «  c'est  pour  cela  que  l'homme  quittera  son  père 
et  sa  mère  et  s'attachera  à  son  épouse  ». 

Etudions  de  plus  près,  dans  la  réalisation  des  desseins  de 
Dieu,  la  grandeur  divine  du  mariage. 

{l)  Gen.  I,  27,  28. 

(2)  Epist.  II.  ad  Rusticum  Narbon. 


68  ANNALES   CATHOLIQUES 

Nous  l'avons  dit,  les  sacrements  sont  sortis  du  côté  ouvert  du 
Rédempteur^  des  mérites  de  sa  passion  et  de  sa  mort.  Or,  c'est 
par  Tefficacité  des  sacrements  que  l'Eglise  est  formée  et  sanc- 
tifiée, car  le  Christ  a  aimé  l'Eglise  et  s'est  livré  pour  elle  afin 
de  la  sanctifier  (I)  ».  Et  cette  Eglise  est  «  de  sa  chair  et  de  ses 
os  :  De  carne  ejus  et  de  ossibus  ejus  (2)  ».  L'Eglise  est  encore 
sortie  du  Christ  et  unie  à  lui  par  la  personne  du  Verbe  qui  a 
pris  la  nature  humaine  dans  l'Incarnation.  Ainsi  Eve  a  été  tirée, 
dans  un  sommeil  mystérieux, du  côté  de  l'homme  qui  l'a  appelée 
l'os  de  ses  os  et  la  chair  de  sa  chair. 

Le  Verbe  divin  pour  s'unir  à  la  nature  humaine  est  descendu 
des  splendeurs  célestes  et  du  sein  de  son  Père.  Le  Rédempteur 
pour  s'unir  à  son  Eglise  a  abandonné  la  Synagogue  qui  était  sa 
mère  selon  la  loi  et  la  vierge  Marie  elle-même  à  laquelle  il  a 
dit  :  «  Pourquoi  me  cherchez-vous?  Ne  savez-vous  pas  qu'il 
faut  que  je  sois  aux  affaires  de  mon  Père?  »  (3).  Ainsi  «  l'homme 
quittera  son  père  et  sa  mère  et  s'attachera  à  son  épouse  »  (4). 
L'union  de  la  nature  humaine  et  de  la  nature  divine  dans  la 
personne  du  Verbe,  union  intime  et  personnelle,  est  représentée 
par  l'union  des  époux,  union  de  deux  âmes,  de  deux  cœurs  et  de 
deux  vies  en  une  seule  vie.  De  plus,  dans  le  mariage  il  y  a  une 
personnalité  qui  domine,  une  autorité  qui  gouverne,  car  selon 
le  langage  de  saint  Paul,  «  l'homme  est  la  tête  de  la  femme.  » 
€  L'homme,  dit  encore  le  même  Apôtre,  est  l'image  de  la  gloire 
de  Dieu,  mais  la  femme  est  la  gloire  de  l'homme,  car  l'homme 
n'est  pas  de  la  femme,  mais  la  femme  de  l'homme.  En  effet, 
l'homme  n'a  pas  été  créé  pour  la  femme,  mais  la  femme  pour 
l'homme  (5).  » 

Le  Verbe  divin  s'est  incarné  pour  sauver  les  hommes,  las 
sanctifier,  en  faire  les  fils  de  Dieu  et  de  l'Eglise.  De  même  les 
époux  doivent  s'unir  pour  donner  des  fils  à  l'Eglise  et  à  Dieu, 
pour  sanctifier  leurs  enfants. 

Le  Verbe  divin  conserve  une  domination  souveraine  sur  son 
Eglise,  dans  laquelle  il  est  toujours  vivant,  par  laquelle  il 
enseigne,  il  agit  et  il  triomphe.  La  nature  humaine  en  Jésus- 
Christ  subsistant  en  la  personne  divine  accomplit  ainsi  des  actes 

(1)  Ephes.,  V,  26,  26. 

(2)  Ibid.,  30. 

(3)  Joann.,  i,  4, 

(4)  Ephes.,  V,  25,  25. 

(5)  I.  Cor.,  XI,  2,  7,  8,  9. 


LE    MARIAGE    CHRÉTIEN  69 

qui  tiennent  tout  à  la  fois  de  l'homme  et  de  Dieu,  et  dont  les 
mérites  ont  racheté  et  sauvé  le  monde,  créé  et  formé  des  hom- 
mes nouveaux.  Ainsi  l'époux  a  l'autorité  sur  son  épouse  et  les 
droits  qu'ils  possèdent  l'un  et  l'autre,  la  mission  qu'ils  accom- 
plissent dans  une  union  parfaite  ont  pour  but,  nous  l'avons  déjà 
dit,  de  donner  à  Dieu  des  serviteurs  et  des  fils  qui  le  glorifient. 
Les  époux  se  prêtent,  en  effet,  dans  cette  union,  un  mutuel  et 
perpétuel  secours  ;  ils  doivent  partager  les  mêmes  devoirs,  les 
mêmes  travaux,  les  mêmes  joies  et  les  mêmes  douleurs. 

Le  mariage  chrétien  est  tout  entier  pénétré  par  l'action  de  la 
grâce,  élevé  à  cette  dignité,  cette  grandeur  et  cette  gloire  sur- 
naturelle. 

Nous  l'avons  démontré,  une  identité  parfaite  existe  entre  le 
contrat  et  le  sacrement.  Le  consentement  est  l'essence  du  sacre- 
ment ;  la  matière,  la  forme  et  les  ministres  du  contrat  sont  la 
matière,  la  forme  et  les  ministres  du  sacrement  lui-même. 

Ce  contrat  a  pour  objet  les  époux  et  les  droits  qu'ils  se  donnent 
l'un  à  l'autre.  Mais  les  époux  sont  des  fils  de  Dieu  et  de  la  sainte 
Eglise,  enrichis  et  ornés  des  dons  divins,  nourris  de  la  chair 
vivante  de  Dieu,  abreuvés  de  son  sang  rédempteur,  destinés 
aux  visions  et  aux  félicités  du  ciel.  Ces  âmes  que  le  mariage 
doit  unir  sont  vivantes  de  la  vie  même  de  Dieu.  Ces  corps  eux- 
mêmes  pour  lesquels  les  époux  doivent  avoir  les  délicatesses  de 
la  pureté  et  un  religieux  respect  sont  les  temples  de  l'Esprit- 
Saint  et  de  la  Trinité  adorable,  les  membres  de  Jésus-Christ. 
«  Ne  savez-vous  pas,  dit  saint  Paul,  que  vos  corps  sont  l&s 
membres  de  Jésus-Christ? Ne  savez-vous  pas  que  vos  corps  sont 
les  temples  de  l'Esprit-Saint  qui  est  en  vous,  que  vous  avez 
reçu  de  Dieu  et  que  vous  ne  vous  appartenez  pas  ?  Olorifiez  et 
portez  Dieu  dans  votre  corps  »  (1). 

Les  droits  que  les  époux  s'accordent  par  le  mariage  sont  réglés 
par  les  lois  divines.  Ces  droits  ne  peuvent  être  maintenus  dans 
de  justes  limites  et  tendre  au  but  que  Dieu  lui-même  leur  a 
assigné,  sans  les  secours  de  la  grâce. 

Les  devoirs  imposés  aux  époux  sont  un  fardeau  que  leur  fai- 
blesse ne  peut  porter.  Union  intima  des  cœurs,  amour  pur,  fort, 
patient  et  fidèle,  dévouement  sans  limites,  quelles  obligations 
effrayantes  pour  l'inconstance  de  l'homme,  entraîné  par  les  pas- 
sions, dominé  par  l'égoisme  qui  est  au  fond  de  notre  nature, 

(1)  I.  Cor.,  VI,  15,  19. 


70  ANNALES    CATHOLIQUES 

SOUS  l'influence  des  froissements  que  les  meilleures  volontés  ne 
peuvent  éviter  toujours,  et  des  sollicitations  du  monde,  sous  le 
poids  des  déceptions  inévitables  et  des  cruelles  épreuves  !  Ici 
surtout,  il  faut  non  seulement  un  modèle  divin,  mais  une  force 
qui  ne  peut  venir  que  du  cœur  même  de  Dieu. 

C'est  dire  que  le  mariacre  est  surnaturel  encore  dans  ses  pro- 
priétés, l'unité  et  l'indissolubilité.  Nous  verrons  plus  tard  que 
Jésus-Christ  a  rappelé  sur  ces  deux  points  le  mariage  aux  lois 
de  son  institution  primitive  et  (jue  ces  propriétés  sont  conformes 
au  droit  naturel.  Et  pourtant  les  devoii's  qu'elles  imposent, 
comme  tous  les  devoirs  qu'impose  le  mariage  ne  peuvent  être 
accomplis  que  sous  l'autorité  de  Jésus-Christ  et  de  son  Eglise 
et  par  la  puissance  divine  de  la  grâce.  L'expérience  en  a  donné 
partout  et  toujours  et  en  donne  encore  aujourd'hui  sous  nos 
yeux  l'irrécusable  et  douloureuse  démonstration. 

Le  mariage  chrétien  est  grand  encore  par  la  mission  confiée 
aux  époux.  Cette  mission,  on  effet,  est  bien  supérieure  à  l'ordre 
humain  et  naturel.  Elle  est  surnaturelle  comme  le  sacrement 
lui-même,  elle  ne  peut  être  parfaitement  accomplie  que  par  des 
pères  et  des  mères  vraiment  chrétiens,  sous  l'action  incessante 
de  la  grâce  de  Dieu. 

L'éducation  chrétienne  des  enfants  est  un  apostolat  et  comme 
une  participation  du  sacerdoce  catholique.  Par  leur  mission,  les 
époux  développent  l'Eglise  elle-même.  «  L'Eglise,  dit  le  Concile 
de  Florence  est  augmentée  dans  son  coips  par  le  mariage  :  Per 
mairimonîum  corporaliier  augetur.  »  Nous  l'avons  déjà  fait 
remarquer,  le  mariage  est  le  complément  de  l'union  de  Jésus- 
Christ  et  de  son  Eglise.  Cette  union  a  pour  but  la  régénération 
et  la  sanctification  des  hommes,  mais  elle  serait  sans  objet  si, 
par  l'union  des  époux  chrétiens,  elle  n'était  perpétuée,  si  le 
mariage  ne  donnait  des  fils  à  Jésus-Christ  et  à  l'Eglise  et  des 
membres  au  corps  mystique  de  Jésus-Christ  (1). 

<  Le  mariage  chrétien,  dit  un  des  interprètes  les  plus  auto- 
risés des  Saintes  Ecritures,  accomplit  et  achève  l'union  divine 
de  Jésus-Christ  et  de  l'Eglise,  en  donnant  des  fils  à  Jésus-Christ 
et  en  donnant  à  Jésus-Christ  des  membres  mystiques  »  (2). 

Ainsi,  le  mariage  chrétien  est  élevé  dans  les  grandeurs  et  les 

(1)  Quia  membra  sumus  corporis  eJuSf  de  carne  ejus  et  de  ossibus 
ejus.  (Eph.,  V,  30.) 

(2)  Bernardin  de  Picquigny  :  Epist.  B.  Pauli  triplex  Expositio 
{In  cap.   V  ad  Ephes.) 


qu'est-ce  qu'un  évêque  71 

gloires  de  l'ordre  surnaturel  ;  il  est  tout  entier  pénétré  par  la 
lumière  de  Dieu  et  l'action  divine  de  la  grâce.  Il  est  le  complé- 
ment admirable,  le  couronnement  glorieux  des  plus  grandes 
œuvres,  de  l'amour  divin  et  de  la  puissance  divine,  le  complé- 
ment et  le  couronnement  de  l'Incarnation  et  de  l'union  du  Fils 
de  Dieu  avec  son  Eglise.  Il  a  donc,  ne  l'oubliez  jamais,  il  a  une 
part  réservée,  privilégiée,  nécessaire  dans  ce  que  Dieu  a  fait  de 
plus  beau,  de  plus  grand,  de  plus  divin,  dans  la  régénération 
de  l'humanité,  dans  le  salut  des  âmes  et  des  peuples,  dans  la 
rédemption  du  monde. 

Voilà  le  mariage  chrétien  tel  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
l'a  institué,  le  mariage  que  l'Eglise  a  défendu  par  son  enseigne- 
ment, par  ses  luttes  héroïques,  contre  les  défaillances  du  cœur, 
la  révolte  des  passions,  les  tentatives  de  la  force  brutale  et  les 
erreurs  des  législations  ennemies.  Le  voilà  placé  sur  des  hau- 
teurs d'oii  il  ne  peut  descendre  sans  entraîner  avec  lui  dans  le 
désordre,  dans  la  honte,  dans  les  désastres  et  la  ruine,  les 
peuples  et  les  sociétés  humaines. 

Aucune  philosophie,  aucune  constitution  de  la  sagesse  hu- 
maine, aucune  autre  religion  n'a  élevé  sur  ces  hauteurs  l'union 
des  époux,  la  source  de  la  vie,  la  famille,  la  cause  première  de 
l'éducation  des  enfants  et  de  la  grandeur  des  générations  nou- 
velles. Il  y  a  ici,  comme  dans  toutes  les  grandes  œuvres  catho- 
liques, une  preuve  irrécusable  de  l'inspiration  et  de  la  puissance 
supérieures  de  l'Eglise  catholique  et  par  conséquent  une  preuve 
irrécusable  de  sa  divinité. 

Que  les  époux  et  tous  ceux  que  Dieu  appelle  à  l'état  du 
mariage  méditent  ces  hautes  vérités.  Que  cette  sublime  doctrine 
éclaire,  dirige  leur  conscience;  qu'elle  règne  sur  leurs  cœurs, 
sur  leurs  foyers,  sur  leur  vie,  sur  l'éducation  de  leurs  enfants. 
Que  l'union  des'  époux  préparée  par  la  prudence  surnaturelle, 
consacrée  parla  grâce,  comblée  des  bénédictions  célestes,  garde 
inviolablement  la  gloire,  la  grandeur  et  la  puissance  divine  du 
mariage  chrétien  !  Mgr  Perraud. 

QU'EST-CE  QU'UN  ÉVÊQUE 

Dans  la  cérémonie  du  sacre  de  Mgr  Duval,  nouvel  évêque  de  Sois- 
sons,  qui  s'est  accomplieâ  la  cathédrale  de  Rouen,  Mgr  Billard,  évêque 
de  Carcassonne,  compatriote  et  ami  du  prélat  consacré,  a  prononcé 
un  discours  qui  a  produit  une  profonde  impression. 


72.  AHNAJL.ES    CAXH0LXQVK8 

Mgr  l'évêque  de  CarcasBonae  a  traité  d'abord  de  la  dignité  épisco- 
pale,  il  a  montré  Tévêque  comme  la  plus  haute  personnification  de 
Jésus-Christ,  chef  du  sanctuaire,  gardien  et  docteur  de  la  foi,  légis- 
lateur et  juge,  maître  à  l'égard  de  tous,  disciple  à  l'égard  d'un  seul. 
Oh!  qu'il  est  beau  le  triple  rayon  qui  brille  au  front  de  l'évêque  aprèar 
sa  consécration! 

Il  est  le  père  des  hommes,  Il  est  le  chef  qui  gouverne,  Il  est  apôtre^ 
gardien  et  défenseur  de  la  vérité. 

Quelle  grandeur  peut  être  comparée  à  celle  de  l'évêque?  Les 
autres  grandeurs  de  ce  monde  brillent  un  instant  et  s'effacent  comme 
le  météore  dans  la  nuit;  la  sienne  resplendit  d'un  éclat  immortel. 
Les  siècles  s' écoulent,  les  révolutions  passent,  sa  grandeur  s'élève  au- 
dessus  des  années  avec  la  triple  auréole  du  temps,  du  martyre,  du 
triomphe.  L'opinion  toujours  mobile  oublie  souvent  de  vieilles  gloires 
pour  courir  aux  gloires  nouvelles,  elle  est  à  jamais  fixée  aux  gloires 
cpiscopales,  le  respect,  la  soumission,  la  vénération  religieuse  sont 
acquises  A  jamais  à  l'évêque,  image  vivante  de  Jésus-Christ  :  Omnes' 
revereantur  Episcopuin  ut  Jesum  Christum. 

Après  avoir  parlé  en  ces  termes  éloquents  du  triple  rayon  de  gloire 
qui  environne  l'évêque,  Mgr  l'évoque  do  Cnrcaasonne  a  dénoncé  la. 
triple  blfiâMire  faite  présentement  à  son  cœur  par  la  loi  militaire,  la 
loi  scolaire  et  par  les  usurpations  du  pouvoir  civil  sur  sa  liberté  qui 
est  la  liberté  même  de  l'Eglise. 

11  a  rappelé  les  inllexiblcs  et  salutaires  résistances  aux  empiète- 
monts  sacrilèges,  dont  l'histoire  ecclésiastique  a  consacré  le  souvenir. 
Les  évêques  d'aujourd'ui  savent  être  les  successeurs  des  Ambroise, 
des  Augustin,  des  Hilaire  de  Poitiers,  comme  du  haut  de  la  chaire  de 
Baint  Pierre  descendent  au  moment  opportun  les  paroles  des  Gré- 
goire VII  et  des  Alexandre  111. 

Après  la  solennelle  protestation  qu'il  vient  do  faire  entendre, 
Mgr  Billard  peut  sans  doute  s'écrier  :  Liberavi  animam  meam  ;  mai» 
c'est  l'âme  de  tous  les  évêques  de  France,  ses  frères  et  do  tous  les. 
catholiques,  qui  a  parlé  par  sa  bouche,  et  qui  a  protesté  avec  lui. 

Voici  quelques  passages  de  cotte  œuvre  magistrale. 

Il  est  un  âge  dans  la  vie,  sur  lequel  les  évêques,  pères  des 
âmes,  aiment  à  concentrer,  comme  autrefois  le  Sauveur,  leur 
tendresse  et  leurs  sollicitudes  :  c'est  l'enfance,  ce  précieux 
noviciat  de  l'existence  où  les  germes  de  foi  et  de  vertu,  déposés 
en  l'âme,  comme  en  une  terre  vierge,  se  fécondent  pour  l'hon- 
neur des  familles  et  la  prospérité  des  peuples.  Or,  en  France,  je 
le  dis  en  pleurant,  flens  dtco,  s'est  acclimaté  un  système  nou- 
veau d'éducation  sans  principes  chrétiens,  sans  religion,  sans 
Dieu  ;  et  dans  des  écoles  oii  trop  souvent  la  neutralité  prescrite 


qu'est-ck  qu'un  évèque  T3 

endroit,  devient  en  fait  une  neutralité  menteuse,  l'enfance  perd 
cliaque  jour,  avec  le  souvenir  de  son  Dieu,  la  foi  de  son  bap- 
tême, l'honneur  de  la  vie  et  l'espérance  du  salut.  Quelles  meup- 
trssures  pour  l'évêque  de  France,  père  des  âmes. 

La  jeunesse  lévitique,  cette  précieuse  pépinière  du  clergé 
•paroissial,  ou  pour  parler  le  langage  de  saint  Augustin,  les 
'œunes  candidats  au  sacerdoce,  germes  naissants  de  sainteté, 
appelés  à  produire  des  fruits  en  leur  saison,  novella  germina 
sanctitatisy  les  voici  condamnés  à  échanger  temporairement  le 
service  des  autels  pour  le  service  des  armes,  et  soustraits  à  la 
tendre  vigilance  de  l'évêque  pour  être  internés  dans  une  caserne. 
Dieu  sait  quelle  admiration,  quel  culte  j'ai  dans  l'âme  pour 
notre  vaillante  armée  française  :  glorieux  est  le  service  des 
armes.,  mais  ce  service,  il  n'est  pas  fait  pour  l'élève  du  sanc- 
tuaire, pour  le  prêtre.  Quelle  violation  des  lois  de  l'Eglise. 
Quelle  atteinte  portée  aux  droits  de  l'évêque,  dont  on  affaiblit  on 
décime  les  pieuses  phalanges  !  Quelle  sanglante  épreuve  pour 
les  chefs  du  diocèse! 

Est-ce  tout?  il  y  a  des  hommes  qui  ont  formé  le  complot  de 
réduire  l'Eglise  à  un  servage  inglorieux  et  déshonorant.  De 
cette  immortelle  épouse  de  l'Homme-Dieu,  comme  l'écrivait,  il 
y  a  quarante  ans,  un  grand  évêque  justement  appelé  VAthanase 
français,  de  cette  auguste  mère  de  tous  les  chrétiens,  ils  veu- 
lent, suivant  le  mot  énergique  de  saint  Anselme,  faire  une  ser- 
vante, ancillam,  une  servante  dans  la  maison  de  l'Etat.  Obli- 
gation lui  est  faite,  en  la  personne  de  ses  prêtres,  de  ses  évêques, 
de  parler  ou  de  se  taire,  suivant  les  ordres  des  maîtres  de  la 
maison.  Qu'elle  consente  à  se  plier  à  leurs  caprices,  on  la  payera 
comme  une  servante;  malheur  à  elle  si  elle  prétend  garder  intact 
le  dépôt  de  la  parole  apostolique  qui  lui  a  été  confié;  on  ne  la 
payera  plus.  Quel  oubli,  quel  méconnaissance,  quel  mépris  des 
droits  imprescriptibles  de  la  vérité! 

Aussi  tous  les  évêques  de  France  peuvent-ils  s'écrier  chaque 
jour  avec  saint  Paul  :  ti^istitia  niihi  magna  est  et  continuus 
dolor  cordi  meo.  Nous  sommes  en  proie  à  une  grande  tristesse, 
notre  cœur  est  constamment  brisé  par  la  douleur.  Mais  la  rési- 
gnation et  le  silence  ne  suffisent  point  :  nous  avons  reçu  non 
d'ici-bas,  mais  d'en  haut,  non  de  l'homme  mais  de  Dieu,  une 
consigne,  et  cette  consigne  divine  vient  de  nous  être  rappelée 
par  notre  général  en  chef,  l'Evêque  des  évêques,  le  Pontife 
romain;  elle  consiste  à  résister  à  toute  législation  qui  empiéte- 

6 


74  ANNALES    CATHOLIQUES 

rait  et  porterait  préjudice  à  la  religion.  Vous  me  saurez  ^rré  de 
vous  en  redire  le  texte  :  resistere,  si  quando  officiât  religioni 
disciplina  rei  publicœ^  munus  est  Ecclesxœ  assignatum  a  Deo. 

A  cette  consigne  n'ont  cessé  d'obéir  depuis  l'origine  du  chris- 
tianisme les  évêques  selon  le  cœur  de  Dieu,  et  glorieuses  sont 
les  traditions  de  magnanimité  et  de  courage  que  nous  ont  léguées 
nos  saints  devanciers.  Qu'il  est  encourageant  d'entendre  Basile 
de  Césarée  dire  à  un  proconsul  du  César  de  son  temps  :  «  En 
toute  chose,  ô  préfet,  on  nous  trouve  modérés  et  pacifiques, 
mais  quand  la  cause  de  Dieu  est  en  jeu  et  son  drapeau  engagé, 
nous  nous  levons  alors,  et  comptant  tout  le  reste  pour  rien, 
nous  ne  voyons  plus  que  Dieu,  sa  cause,  son  drapeau.  » 

En  face  des  usurpations  sacrilèges  du  pouvoir,  Ambroise  ne 
craint  pas  de  dire  à  Théodose  avec  une  noble  fierté  :  *  Sachez- 
le,  ô  prince,  vous  êtes  au-dedans  de  l'Eglise,  mais  vous  n'êtes 
pas  au-dessus  d'elle.  > 

Un  jour  vient  oii  le  grand  évêque  d'Hippone,  Augustin,  trouve 
dans  la  protection  oppressive  de  la  puissance  séculière  un  danger 
pour  la  liberté  de  l'Eglise,  et  on  l'entend  s'écrier  :  «  A  Dieu  ne 
plaise  que  l'Eglise  soit  jamais  assez  abattue  pour  avoir  besoin 
de  vous  î\  un  tel  prix.  »  Saint  Hilaire  de  Poitiers  adressait  aux 
évêques  ses  contemporains  une  recommandation  merveilleuse- 
ment appropriée  à  notre  temps  :  €  Soyez  doux,  soyez  humbles,  à 
l'exemple  de  Jésus-Christ  votre  maître  :  mais  que  votre  humilité 
soit  toujours  accompagnée  d'une  fermeté  indomptable  :  que  les 
assauts  des  puissants  de  ce  monde  ne  vous  fassent  pas  peur  :  ne 
cédez  jamais  aux  caprices  de  la  malveillance.  » 

Un  moment,  en  plein  moyen-âge,  les  évêques  de  France  ont 
la  faiblesse  de  s'incliner  devant  les  tyranniques  exigences  des 
princes;  mais  saint  Grégoire  VII  est  là,  les  conjurant  dans  une 
lettre  mémorable  que  je  pourrais  vous  citer  tout  entière,  tant 
j'aime  à  la  méditer  :  je  me  contente  de  vous  en  offrir  quelques 
mots  :  «  Vénérables  Frères,  veillez  au  salut  de  votre  patrie, 
rien  de  plus  juste,  mais  en  mémo  temps  veillez  à  votre  honneur 
épiscopal,  et  prouvez  toujours,  par  votre  attitude,  que  vous  avez 
l'àme  aussi  libre  que  la  parole.  > 

Ces  conseils  portent  leurs  fruits  et  on  voit  bientôt  surgir  l'in- 
trépide Yves  de  Chartres,  ce  vaillant  champion  de  la  liberté 
religieuse.  C'est  lui  qui  aimait  à  bénir  Dieu  d'avoir  armé  ses 
évêques  d'une  force  que  la  pauvreté  retrempe,  que  l'exil  ne 
saurait  briser,  que  nulle  prison  ne  saurait  enchaîner  :  In  eges- 


qu'est-ce  qu'un  évêque  75 

tate  foriior,  in  exilio  non  frangitur,  carcere  non  alligatur. 
Il  avait  raison  :  l'exil  ne  brise  pas  la  force  de  l'évêque  :  témoin 
son  illustre  contemporain,  que  la  Normandie  peut  se  glorifier 
d'avoir  donné  au  grand  siège  de  Cantorbérv,  saint  Anselme,  le 
savant  abbé  du  Bec,  qui  écrivait  au  perfide  Guillaume  Le  Roux  : 
«  J'aime  mieux  mourir  et,  tant  que  je  vivrai,  languir  dans  l'exil 
plutôt  que  de  voir  violer  l'honûeur  de  l'Eglise  à  cause  de  moi, 
plutôt  que  de  laisser  entamer  ses  droits  par  une  lâche  capitula- 
tion de  conscience  ;  »  témoin  cet  autre  arc'nevêque  de  Cantorbéry, 
Thomas  Becket,  dont  je  ne  puis  prononcer  le  nom  sans  émotion, 
dans  cette  ville  de  Rouen  qu'il  visita  dans  son  exil,  et  où  il 
trouva  une  si  cordiale  hospitalité.  Entendons-le  dire  au  pape 
Alexandre  III  :  «  Loin  de  nous  la  pensée  de  faire  à  notre  conscience 
une  incurable  plaie  en  vendant,  par  un  criminel  trafic,  la  liberté 
de  l'Eglise...  Brave  qui  voudra  la  sentence  du  souverain  juge  : 
absolve  qui  voudra  le  pécheur  endurci,  jamais  je  n'absoudrai 
celui  qui  ne  se  repent  pas  d'avoir  dépouillé  l'Eglise  :  je  suis 
prêt  à  mourir  pour  elle.  »  Ce  pécheur  endurci,  c'était  le  roi 
d'Angleterre,  Henri  II,  et,  quelques  mois  après  cette  énergique 
affirmation,  l'héroïque  Pontife  tombait  sous  le  fer  de  quatre 
assassins  qui  croyaient  faire  plaisir  au  despote. 

0  glorieux  martyr,  je  vous  salue  ;  vous  succombez  et  l'Eglise 
vous  inscrit  au  nom  de  ses  Saints,  la  vieille  métropole  de  Rouen 
érige  un  autel  en  votre  honneur.  Pour  moi,  toujours  j'aurais  à 
bénir  Dieu  d'avoir  reçu,  sur  une  montagne  voisine,  que  vous 
appeliez  le  cher  mont  de  Rouen,  avec  ma  première  éducation 
cléricale,  une  admiration  profonde  pou'r  votre  vaillante  intrépi- 
dité, admiration  qui  ne  fait  que  grandir  avec  le  temps  et  que  je 
garderai  jusqu'à  mon  dernier  souffle.  Dans  votre  lutte,  comme 
au  berceau  des  âges  chrétiens,  c'est  le  persécuteur  qui  a  été 
vaincu,  et  c'est  la  victime  qui  a  triomphé;  en  sauvant  la  liberté 
de  l'Eglise,  vous  avez  sauvé  les  libertés  du  monde  entier.  C'est 
ce  qu'a  dit,  dans  une  heure  de  loyauté,  un  historien  peu  suspect, 
puisqu'il  appartient  à  l'école  de  la  libre-pensée. 

Au  lendemain  des  désastres  et  de  la  mutilation  de  la  patrie, 
le  patriotisme  le  plus  pur  inspira  la  pensée  de  couvrir  d'un  voile 
de  deuil  la  statue  de  Strasbourg  ;  ne  vous  semble-t-il  pas  qu'à 
l'heure  présente  la  liberté  de  l'Eglise,  semblable  à  une  grande 
image  digne  de  notre  vénération,  est  enveloppée  comme  d'un 
nuage  par  la  douleur  des  évêques  et  des  vrais  enfants  de 
l'Eglise.  Aussi,  comme  jadis  le  doux  et  ferme  Fénelon,  au  sacre 


76  ANNALES   CATHOLIQUES 

de  l'électeur  de  Cologne,  je  sens  le  besoin  de  m'écrier  :  0  Dien, 
conservez  à  votre  Eglise  des  Ambroise,  des  Augustin,  des  pas- 
teurs qui  honorent  leur  ministère  par  leur  courage  apostolique. 

Ces  Pontifes,  l'Eglise  de  France  a  l'honneur  de  les  posséder 
dans  son  glorieux  corps  épiscopal,  et  pourtant,  depuis  quelques 
années,  malgré  la  vaillance  des  évêques,  ce  danger  que  courent 
les  jeunes  âmes  s'accentue,  la  liberté  de  la  parole  évangélique 
est  comprimée  graduellement  et  le  deuil  de  la  religion  grandit. 
Serait-ce,  ô  mon  Dieu,  qu'il  entre  dans  les  desseins  de  votre 
Providence  que  la  liberté  de  votre  Eglise  ne  soit  sauvée  que 
par  le  sang? 

Ah  !  si  votre  miséricorde  se  contentait  du  sang  le  moins  digne, 
ce  sang,  je  suis  heureux  de  vous  l'offrir  en  cette  cathédrale  de 
Rouen  oix  vous  m'avez  élevé  à  l'honneur  de  votre  sacerdoce,  oii, 
pendant  les  meilleures  années  de  mon  existence  vous  m'avez 
ménagé,  dans  le  ministère  des  âmes,  les  meilleures  joies  surna- 
turelles que  puisse  goûter  un  prêtre  ici-bas,  oii  enfin,  sans  aucun 
mérite  de  ma  part,  vous  m'avez  fait  asseoir  au  glorieux  rang  de 
Yos  Pontifes.  Oui  mon  sang  est  à  vous,  Seigneur,  mais  peut-être 
ne  l'exigez-vous  pas,  peut-être  permettez-vous  à  nos  coeurs  de 
se  reposer  dans  l'espérance,  en  ce  jour  où  vous  venez  de  sacrer, 
par  l'onction  sainte,  un  nouveau  défenseur  de  votre  cause. 


LE  REPOS  DU  DIMANCHE 

c  Les  dimanches  tu  garderas  » 

Telle  est  l'obligation  que  nous  fait  le  troisième  des  comman- 
dements gravés  sur  les  tables  de  Moïse. 

Longtemps  observée  avec  respect,  elle  a  été,  depuis  un  siècle 
surtout,  chez  les  peuples  catholiques,  il  faut  le  dire  avec  dou- 
leur, de  plus  en  plus  méconnue.  Les  générations  imbues  du 
rationalisme  ont  rejeté  avec  dédain  les  prescriptions  de  la  loi 
divine  :  non  serviam  ! 

Et  pour  ne  point  servir  Dieu,  on  se  rua  au  service  de  la  ma- 
chine ;  pour  prouver  sa  liberté, on  se  fit  esclave  d'un  travail  brutal 
qui,  cessant  d'être  ennobli  par  la  conception  chrétienne,  prit 
l'aspect  dégradant  de  la  tâche  du  forçat. 

Malheureusement  la  sagesse  humaine  est  toujours  courte.  En 
décrétant  l'abolition  du  repos  du  dimanche,  on  avait  perdu  de 
vue  que  catte  obligation   inscrite  dans  la  loi  divine  était  non 


LE   REPOS    DU    DIMANCHE  77 

seulement  un  acte  de  religion  mais  encore  un  acte  d'humanité. 
La  loi  divine  sur  ce  point  n'était  que  la  loi  naturelle  mise  par 
écrit  et  sanctionnée  par  son  auteur. 

La  méconnaissance  de  ce  fait  ne  tarda  pas  à  amener  les  consé- 
quences les  plus  lamentables, 

Le  mal  est  aujourd'hui  universellement  reconnu  ;  la  réaction 
est  générale  :  de  toutes  parts  on  réclame  le  rétablissement  du 
repos  du  septième  jour. 

Ce  septième  jour,  pour  nous  chrétiens,  ne  peut  être   que  le 
dimanche. 
<  Les  dimanches  tu  garderas.  » 
Peut-il  être  autre  pour  les  incroyants  ? 
Non. 

En  vain  quelques  fanatiques  essaient  de  le  repousser,  exaltés 
de  rage  à  la  pensée  que  le  choix  de  ce  jour  respectera  la  liberté 
religieuse  du  plus  grand  nombre  :  c'est  le  dimanche  seulement 
qui  peut  être  adopté  et  imposé  comme  jour  de  repos. 

Dira-t-on  qu'on  laissera  chaque  industriel  maître  de  fixer  à 
son  gré  le  jour  de  la  semaine  consacré  au  repos? 

On  tomberait  dans  une  confusion  sans  égale  contre  laquelle 
les  ouvriers  seraient  les  premiers  à  se  révolter. 

La  question  a  été  tranchée  à  Berlin.  La  Conférence  a  décidé, 
dans  un  premier  vote,  qu'il  serait  à  souhaiter  de  voir  les  gou- 
vernements imposer  la  loi  du  repos  hebdomadaire,  un  second 
vote  a  fixé  le  jour  du  repos  au  dimanche. 

Le  Congrès  international  du  repos  hebdomadaire,  tenu  à  Paris 
pendant  l'Exposition  était  arrivé,  l'an  dernier,  aux  mêmes  con- 
clusions. 

Et  déjà  l'elfet  pratique  de  ces  résolutions  se  fait  sentir.  Les 
deux  grandes  Compagnies  des  chemins  de  fer  de  l'Ouest  et  de 
Paris-Lyon-Méditerranée  ont  tenu,  cette  semaine,  leur  assemblée 
d'actionnaires,  et  de  chaque  côté  on  a  réclamé  des  administra- 
teurs la  fermeture  des  gares  de  marchandises  le  dimanche. 

C'est  aux  pays  catholiques  maintenant  à  donner  l'exemple 
en  inscrivant  dans  leurs  lois  ce  principe  salutaire  dont  l'obser- 
vance a  toujours  mérité  aux  peuples  les  plus  abondantes  béné- 
dictions :  Les  dimanches  tu  garderas  ! 


78  ANNALES    CATHOLIQUES 

A  NOTRE-DAME 

ALLOCUTION    PRONONCÉE    APRES    LA    COMMUNION  PASCALE 

In  te,  Domine,  speravi,  non 
confundar  in  leternum. 
Messieurs 

Vous  savez  ce  qui  arrive  quand  des  aïnis  vont  se  séparer  pour 
une  longue  absence  :  ils  se  disent  adieu,  s'embrassent,  font  quel- 
ques pas  pour  s'en  aller,  reviennent,  s'embrassent  encore,  s'en 
vont,  reviennent  de  nouveau  :  ils  ont  peine  à  se  quitter.  —  Voilà 
ce  que  je  fais  depuis  buit  jours  :  j'ai  peine  à  clore  par  un  dernier 
adieu  les  vingt  années  de  mon  apostolat  près  de  vous.  Et  pour- 
tant il  faut  bien  se  séparer  ;  c'est  aujourd'hui  notre  dernière 
entrevue.  Disons-nous  adieu  sur  le  cœur  ami  de  Celui  qui  vient 
d'entrer  dans  vos  âmes  et  dont  la  sainte  vérité  a  été  le  lien  de 
notre  mutuelle  affection, 

c  Quinze  ans,  disait  Tacite,  c'est  un  grand  morceau  de  siècle  : 
Quindecim  annos,  grande  œvi  spatium.  »  Dieu  l'a  allongé 
pour  vous,  messieurs  ;  nous  avons  fait  ensemble  presque  un  jubilé 
Laissez-moi  vous  dire,  dans  mes  derniers  épanchements,  ce  qui 
m'a  soutenu  pendant  cette  longue  carrière.  Vous  venez  de 
chanter  vous-mêmes,  en  finissant  votre  cantique  d'action  de 
grâce,  le  doux,  profond  et  efficace  sentiment  dont  mon  âme  a 
été  remplie:  «  In  te,  Domine,  i^jeraue;  Seigneur,  j'ai  espéré  en 
vous.  » 

Sans  doute,  messieurs,  j'ai  compté  sur  votre  intelligence, 
votre  bonne  foi,  votre  bonne  volonté  et  j'ose  le  dire,  sur  votre 
fidèle  affection.  Mais  vous,  avec  vos  excellentes  dispositions,  moi, 
avec  mes  seules  ressources,  nous  n'aurions  pas  été  loin  sans 
l'intervention  bénie  de  Celui  qui  éclaire  les  esprits,  touche  les 
cœurs  et  complète  par  les  opérations  de  sa  grâce  l'action  de  la 
parole  humaine. 

«  In  te,  Domme,  speravi.  J'ai  espéré  en  vous,  Seigneur.  »  Je 
sentais  mon  insuffisance  et  ma  faiblesse  pour  la  grande  tâche 
qui  m'était  confiée,  et  j'ai  demandé  votre  lumière  et  votre  force. 
Vous  avez  ouvert  les  yeux  de  mon  intelligence  sur  votre  sainte 
doctrine  :  vous  m'avez  attaclié  par  un  respectueux,  fidèle  et 
tendre  amour  à  votre  Eglise,  mère  des  âmes  et  organe  infaillible 
de  vos  révélations  ,  au  docteur  admirable  que  les  siècles  ont 
.   vénéré  comme  le  maître  de  la  science  sacrée  ;  vous  m'avez  pré- 


A   NOTRE-DAME  79 

serve  du  désir  de  plaire  par  la  recherche  de  ce  qui  flatte  la 
vaine  curiosité  de  l'esprit  humain  ;  vous  avez  nourri  dans  mon  cœur 
le  pur  et  saint  amour  des  âmes  ;  vous  m'avez  rendu  insensible 
aux  contradictions  et  aux  critiques  qui  tendent  à  décourager  le 
zèle  de  l'apôtre  ;  vous  avez  entretenu  dans  mon  corps,  parfois 
défaillant,  la  sève  de  santé  dont  j'avais  besoin  pour  servir  jus- 
qu'au bout  d'instrument  à  vos  miséricordes.  Je  vous  remercie, 
mon  Dieu,  votre  œuvre  est  achevée;  prenez-moi  maintenant,  si 
c'est  votre  bon  plaisir. 

«  In  te,  Domine,  speravi ;  j'ai  espéré  en  vous,  Seigneur  », 
pour  les  chères  âmes  que  je  devais  évangéliser.  La  légèreté  du 
siècle,  la  mobilité  de  l'opinion,  le  goût  des  nouveautés  et  des 
choses  étranges  pouvaient  les  détourner  d'entendre  cette  longue 
suite  de  vérités,  souvent  ardues,  toujours  austères,  que  j'avais 
entrepris  de  leur  exposer;  mais  vous  les  avez  faites  grandes, 
nobles  et  fortes. 

En  obéissant  à  votre  grâce,  elles  sont  demeurées  fidèles  à  ma 
parole;  fidèles  jusqu'à  rendre  les  armes  de  l'erreur  et  du  péché 
après  de  longues  résistances,  fidèles  jusqu'à  me  donner  la  joie 
de  ces  conversions  attardées  qui  font  tressaillir  les  anges  de 
Dieu  dans  le  ciel. 

J'ai  espéré  et  j'espère  encore  en  vous  disant  adieu. 

J'espère  que  les  échos  de  ma  parole  iront  plus  loin  que  cette 
enceinte,  plus  loin  que  ce  jour  qui  termine  ma  carrière,  et  que 
l'autorité  divine  et  les  splendeurs  du  dogme  catholique  arra- 
cheront à  d'autres  âmes  que  les  vôtres  le  Credo  et  VAmen  qui 
ont  retenti  sous  les  voûtes  de  ce  temple. 

J'espère  qu'en  me  quittant,  vous  serez  plus  attachés  à  votre 
foi  et  plus  résolus  que  jamais  à  la  faire  triompher,  en  donnant 
au  monde  le  spectacle  d'une  vie  vraiment  chrétienne. 

J'espère  que  vous  n'oublierez  pas  votre  apôtre,  votre  ami,  et 
que,  loin  de  vous,  il  sentira  l'efficacité  des  prières  que  vous  fe- 
rez pour  la  paix  de  ses  vieux  jours  et  son  heureux  voyage  pour 
le  ciel. 

C'est  là,  mes  amis  (pour  la  plupart  d'entre  vous,  je  puis  bien 
dire  mes  enfants),  c'est  là  que  nous  nous  reverrons,  dans  un 
temple  plus  vaste  et  plus  glorieux  que  cette  belle  Notre-Dame, 
en  présence  d'un  Dieu  qui  ne  se  cachera  plus  à  nos  regards  ;  là, 
que  nous  contemplerons,  dans  leur  source  même,  les  vérités 
que  nous  aurons  méditées  ensemble  pendant  notre  vie  de  pas- 
sage; là,  que  nous  chanterons  l'amour  et  la  joie  dont  nos  cœurs 


80^  ANNALES    CATHOLIQUES 

déborderont;  là  que  nous  dirons  sans  fin  :  Frères,  amis,  aimons- 
nous,  aimons-nous,  nous  ne  serons  plus  jamais  séparés. 

Voilà  ce  que  j'espère,  ô  mon  Dieu  :  dites-moi  que  je  ne  serai 
pas  confondu  :  In  te  Domine,  speravi  ;  non  confundar  in  ceter- 
num. 

LES  ACTES  D.ES  MARTYRS 

A  PROPOS  DE  LA  RÉIMPRESSION  DE  l'ÉDITION  BÉNÉDICTINE  (1) 

Nosseigneurs  les  évêques  ledéclar.&nt  :  le  retour  à  la  salutaire 
habitude  de  lire  la  Vie  des  saints  serait  un  des  moyens  les  plus 
efficaces  de  combattre  ce  naturalisme  qui,  ayant  pénétré  nos 
idées  et  notre  conduite  pratique,  est  la  source  pour  ainsi  dire 
universelle  des  maux  dont  nous  souffrons  aujourd'hui. 

Mais  parmi  les  diverses  sortes  de  Vies  des  saints,  l'histoire 
des  martyrs  semble  avoir  pour  nous  en  ce  temps  une  utilité 
très  spéciale,  comme  spécialement  propre  à  ranimer  cette  vertu 
de  force  qui,  entre  les  diverses  vertus  chrétiennes,  est  l'une  de 
celles  qui  se  sont  les  plus  amoindries  chez  nous.  N'a-t-on  pas  à 
constater  tristement  chaque  jour  l'affaissement  des  caractères, 
tandis  que  les  attaques  dont  notre  foi  est  l'objet  rendraient  plus 
nécessaire  une  indomptable  énergie? 

En  promulguant  le  Décret  qui  reconnaît  le  martyre  et  les  mi- 
racles des  deux  serviteurs  de  Dieu,  Perboyre  et  Chanel,  Léon  XIII 
s'exprimait  ainsi,  le  25  novembre  1888  : 

«  Remercions  Dieu  qui  par  un  dessein  spécial  de  sa  Providence, 
a  permis  si  opportunément  qu'à  l'heure  présente  fussent  pro- 
posés aux  fidèles  et  auœ  ministres  du  sanctuaire,  des  modèles 
de  si  grandes  vertus. 

«Dans  les  difficiles  épreuves  auxquelles  est  aujourd'hui  exposée 
la  profession  catholique,  ces  exemples  seront  un  stimulant  à 
soutenir  pour  la  foi  toutes  sortes  de  pénibles  labeurs  et  de 
sacrifices  ;  ils  serviront  à  secouer  la  torpeur  des  pusillanimes, 
et  à  inculquer  dans  leurs  cœurs  cet  invincible  courage  que  nos 
martyrs  ont  montré.  » 

L'exemple  des  martyrs  que  notre  siècle  a  produits  est  de  na- 
ture à  nous  toucher  particulièrement,  en  ce  qu'ils  sont  plus  prèg 

(1)  Les  Actes  des  Martyrs,  traduits  et  publiés  par  les  PP.  Bénédic- 
tins de  Solesmes;  4  volumes  in-S»,  nouvelle  édition,  1890.  Librairie 
Leday,  10,  rue  de  Mézières,  Paris.  Prix,  24  francs.  (Les  volumes  peu- 
vent être  acquis  séparément.) 


LES  ACTES  DES   MARTYRS  81 

de  nous;  mais  l'exemple  de  ceux  qui,  ayant  versé  leur  sang 
dans  les  premiers  âges  de  l'Eglise,  sont  depuis  lors  l'objet  de  sa 
vénération,  n'est-il  pas  très   propre  à  nous  toucher  aussi? 

Le  fait  même  que,  depuis  tant  de  siècles,  s'est  amassée  sur  eux, 
pour  ainsi  dire,  la  vénération  des  chrétiens,  que  depuis  tant  de 
siècles  le  récit  de  leurs  combats  a  servi  à  fortifier  dans  la  foi 
nos  ancêtres,  ne  contribue-t-il  pas  à  nous  rendre  leur  souvenir 
plus  précieux?  Nous  leur  devons  même  une  véritable  recon- 
naissance; car  s'ils  n'avaient  maintenu  malgré  tous  les  périls 
cette  religion  que  Tenfer  avait  juré  d'anéantir,  aurait-elle  pu 
parvenir  jusqu'à  nous?  —  C'est  l'histoire  de  ces  vaillants  athlètes 
des  premiers  âges  que  nous  oflre  la  collection  des  Actes  des 
martyrs. 

Du  reste,  dans  le  plan  des  savants  religieux  qui  les  ont  pu- 
bliés, ces  Actes  devaient  renfermer  aussi  les  combats  de  tous 
ceux  qui  ont  continué  jusqu'à  nos  jours  ce  témoignage  du  sang, 
et  dont  les  BB.  Perboyre  et  Chanel  couronnent  la  série.  Si  les 
trois  premiers  siècles  sont  spécialement  l'ère  des  martyrs, 
néanmoins  l'extension  du  sacrifice  sanglant  de  Jésus-Christ 
dans  les  chrétiens,  ses  membres,  s'est  perpétuée  à  travers  tous 
les  temps;  et  l'intention  première  des  pieux  éditeurs  était  de 
poursuivre  jusqu'à  notre  âge,  dans  la  suite  des  siècles,  l'histoire 
de  cette  immolation.  Mais  par  le  fait,  l'ouvrage  dans  l'état  oii 
il  est  ne  va  pas  au  delà  du  iv*  siècle;  et  tandis  que  d'après  leur 
pensée  il  devait  compter  neuf  volumes,  en  réalité  il  se  borne  au 
nombre  de  quatre. 

Puisse  cette  sainte  lecture  rentrer  dans  nos  usages.  Dès 
l'époque  des  grandes  persécutions,  ces  Actes  des  martyrs  étaient 
entre  les  mains  de  tous  les  fidèles,  et  au  jour  anniversaire  de  leur 
passion,  on  en  faisait  la  lecture  publique  dans  les  églises. 

Une  circonstance  qui  leur  donne  plus  de  prix,  c'est  que  les 
interrogatoires  qui  y  sont  rapportés,  sont  des  dialogues  véri- 
tables et  vivants;  nous  les  entendons  tels  qu'ils  se  sont  passés, 
quoique  cependant  un  certain  nombre  aient  été  un  peu  modifiés 
dans  la  suite,  en  vue  de  donner  au  style  une  forme  plus  oratoire. 
Ces  Actes  ont  donc  en  général  cette  valeur  et  ce  charme  parti- 
culiers qui  appartiennent  aux  monuments  primitifs,  tracés  selon 
toute  la  vérité  des  faits,  et  pour  ainsi  dire  d'après  nature. 

Au  premier  siècle  déjà,  le  grand  Pape  saint  Clément,  qui  lui- 
même  devait  recevoir  la  palme,  instituait  à  Rome  sept  notaires 


82  ANNALES   CATHOLIQUES 

chargés  de  recueillir  par  écrit  les  circonstances  qui  accompa- 
gnaient les  combats  des  martyrs,  pour  les  faire  revivre  ainsi 
dans  la  mémoire  de  tous;  et  les  Pontifes,  ses  successeurs, 
montrèrent  à  cet  égard  la  même  sollicitude.  Après  que  Constan- 
tin eut  rendu  la  paix  à  l'Eglise,  la  lecture  des  Actes  des  martyrs 
continua  d'être  en  honneur,  comme  elle  l'avait  été  auparavant, 
et  ce  fut  précisément  à  cette  époque,  au  v*  et  au  vi'  siècles, 
qu'eurent  lieu  les  modifications  dont  nous  venons  de  parler  et 
qui  avaient  pour  but  d'en  rendre  la  forme  plus  parfaite. 

Cet  amour  du  peuple  chrétien  pour  les  Actes  des  martyrs  ne 
s'éteignit  pas  avec  cette  période;  il  subsista  plus  ou  moins  in- 
tense selon  les  vicissitudes  des  temps,  jusqu'à  ce  que  l'orage  du 
protestantisme  vînt  l'ébranler  par  la  base  avec  tant  d'autres 
saintes  choses.  Au  xvii'  siècle,  Dom  Ruinart  donna  une  collection 
latine  des  Acta  sincera  martyruvn  ;  mais  entreprise  à  une 
époque  où  régnait  l'influence  janséniste,  qui  sur  bien  des  points 
était  un  prolongement  de  l'influence  protestante,  et  oii  par  suite, 
la  critique  tendait  à  rejeter  ce  qui  est  merveilleux,  cette 
collection  est  loin  d'être  complète.  Beaucoup  d'Actes  qui  ont 
pourtant  une  authenticité  suffisante,  en  ont  été  écartés.  Telle 
qu'elle  était,  elle  fut  traduite  en  français  au  commencement  du 
siècle  suivant,  et  c'est  cette  traduction,  réimprimée,  qui  avait 
entretenu  une  connaissance  quelconque  des  Actes  des  martyrs 
dans  un  certain  nombre  de  familles  chrétiennes. 

Le  but  des  bénédictins  de  Solesmes  a  été  de  mettre  à  la  portée 
de  tous  une  collection  bien  plus  complète,  «  aussi  complète  qu'il 
est  possible  »,  disent-ils,  de  ces  antiques  récits  qui  ont  pendant 
si  longtemps  nourri  la  piété.  Ils  ont  puisé,  non  seulement  dans 
Dom  Ruinart,  qu'ils  ont  traduit  en  entier,  mais  dans  Assemani, 
Surius,  les  BoUandistes  et  d'autres  encore.  Ils  ont  cherché, 
comme  ils  le  déclarent,  à  se  tenir  à  égale  distance  d'une  sévérité 
entrée  et  d'une  indulgence  trop  grande,  au  sujet  de  l'authenti- 
cité des  monuments  ;  toutefois  ils  ont  incliné  plutôt  vers  l'indul- 
gence. Et  ils  ont  disposé  les  récits  par  ordre  chronologique,  ce 
qui  fait  de  l'ouvrage,  une  histoire  du  ^nartyre,  du  moins  pour 
la  période  qu'il  embrasse. 

C'est  en  1856  qu'ils  le  publièrent  pour  la  première  fois  ;  la 
préface  assez  étendue,  qui  est  due  à  la  plume  si  docte  et  si 
pieuse  de  dom  Guéranger,  porte  la  date  du  21  janvier  de  cette 
année-là.  L'écoulement  de  l'ouvrage  a  rendu  nécessaire  une 
nouvelle  édition  ;  souhaitons  qu'elle  se  répande  de  plus  en  plus 


MARIE    STUART  83 

pour  le  bien  du  peuple  fidèle (1). Le  B.Perboyre,  dont  nous  rap- 
pelions le  souvenir  en  commençant,  et  qui  pendant  de  longues 
années  sollicitait  chaque  jour,  en  célébrant  la  sainte  messe,  la 
grâce  de  répandre  son  sang  pour  la  foi,  se  prépara  précisément 
par  la  lecture  des  Actes  des  martyrs  à  soutenir  les  luttes  qui 
l'attendaient;  c'est  à  cette  lecture  qu'il  demandait  l'esprit  de 
force.  Cet  esprit,  dont  nous  avons  aussi  un  si  grand  besoin,  cher- 
chons-le dans  la  considération  de  ses  propres  exemples,  suivant 
le  désir  qu'exprimait  Léon  XIII;  mais  cherchons-le  pareillement 
dans  les  exemples  de  ces  héros  des  premiers  siècles,  auxquels  il 
allait  le  demander  lui-même.  S.  L. 


MARIE  STUART 

M.  le  baron  Kervyn  de  Lettenhove  vient  de  publier  l'histoire  des 
dernières  années  (1585-1587)  de  la  vie  de  Marie  Stuart.  L'éminent 
historien  a  condensé  dans  ces  deux  volumes  le  fruit  de  ses  laborieuses 
et  judicieuses  recherches  et,  grâce  à  de  nombreuses  pièces  inédites,  il 
arrive  â  montrer  dans  son  vrai  jour  la  belle  figure  de  l'infortunée 
reine  d'Ecosse,  cette  touchante  victime  du  fanatisme  sectaire. 

Le  baron  Kervyn  sait  unir  aux  recherches  patientes  et  à  la  critique 
sévère  de  l'école  moderne,  les  grandes  qualités  de  style  des  Augustin 
Thierry  et  des  Macaulay,  et  son  livre,  pour  être  une  étude  historique 
de  la  plus  haute  valeur,  n'en  est  pas  moins  une  lecture  attrayante  et 
pleine  de  charmes. 

Nos  lecteurs  pourront  se  faire  une  idée  des  qualités  du  livre  par  le 
chapitre  que  nous  reproduisons  d'après  le  Courrier  de  Bruxelles  :  ils 
ne  le  liront  pas  sans  attendrissement,  nous  dirons  même  sans  recueil- 
lement. 

LA    VEILLÉE    DE    LA    MORT 

Marie  Stuart  avait  conservé  toute  sa  sérénité  (2),  et  l'on  remar- 
qua que  sur  ses  lèvres  n'avait  cessé  d'errer  un  vague  sourire, 
comme  si,  dans  les  replis  de  son  âme,  elle  eût  salué  l'heure  si 
longtemps  attendue  de  sa  délivrance.  «Eh  bien,  dit-elle  à  l'une 
de  ses  filles  d'honneur,  Jane  Kennedy,  dés  que  les  deux  comtes 
se  furent  retirés,  ne  l'avoy-je  pas  dit?  Je  savoy  bien  qu'ils  ne 
me  laisseroient  jamais  vivre  :  je  leur  estoy  un  trop  grand  obstacle 
pour  leur  religion.  »  Et  se  retournant  vers  Bourgoing  :  «  Avez- 

(1)  Cette  édition  était  préparée  depuis  longtemps;  mais  elle  n'est 
mise  en  vente  que  depuis  quelques  semaines.  C'est  à  la  Préface  — 
dont  nous  venons  de  dire  un  mot  —  que  sont  empruntées  la  plupart 
des  indications  contenues  dans  notre  article. 

(2)  Les  comtes  de  Kent  et  de  Shrewsbury  venaient  de  lui  annoncer 
sa  mort  et  son  supplice  pour  le  lendemain  matin. 


82  ANNALES   CATHOLIQUES 

chargés  de  recueillir  par  écrit  les  circonstances  qui  accompa- 
gnaient les  combats  des  martyrs,  pour  les  faire  revivre  ainsi 
dans  la  mémoire  de  tous;  et  les  Pontifes,  ses  successeurs, 
montrérentà  cet  égard  la  même  sollicitude.  Après  que  Constan- 
tin eut  rendu  la  paix  à  l'Église,  la  lecture  des  Actes  des  martyrs 
continua  d'être  en  honneur,  comme  elle  l'avait  été  auparavant, 
et  ce  fut  précisément  à  cette  époque,  au  v*  et  au  vi'  siècles, 
qu'eurent  lieu  les  modifications  dont  nous  venons  de  parler  et 
qui  avaient  pour  but  d'en  rendre  la  forme  plus  parfaite. 

Cet  amour  du  peuple  chrétien  pour  les  Actes  des  martyrs  ne 
s'éteignit  pas  avec  cette  période;  il  subsista  plus  ou  moins  in- 
tense selon  les  vicissitudes  des  temps,  jusqu'à  ce  que  l'orage  du 
protestantisme  vînt  l'ébranler  par  la  base  avec  tant  d'autres 
saintes  choses.  Au  xvii*  siècle,  Dom  Ruinart  donna  une  collection 
latine  des  Acta  sincera  martyrurn,  ;  mais  entreprise  à  une 
époque  oii  régnait  l'influence  janséniste,  qui  sur  bien  des  points 
était  un  prolongement  de  l'influence  protestante,  et  où  par  suite, 
la  critique  tendait  à  rejeter  ce  qui  est  merveilleux,  cette 
collection  est  loin  d'être  complète.  Beaucoup  d'Actes  qui  ont 
pourtant  une  authenticité  suffisante,  en  ont  été  écartés.  Telle 
qu'elle  était,  elle  fut  traduite  en  français  au  commencement  du 
siècle  suivant,  et  c'est  cette  traduction,  réimprimée,  qui  avait 
entretenu  une  connaissance  quelconque  des  Actes  des  martyrs 
dans  un  certain  nombre  de  familles  chrétiennes. 

Le  but  des  bénédictins  de  Solesmes  a  été  de  mettre  à  la  portée 
de  tous  une  collection  bien  plus  complète,  «  aussi  complète  qu'il 
est  possible  »,  disent-ils,  de  ces  antiques  récits  qui  ont  pendant 
si  longtemps  nourri  la  piété.  Ils  ont  puisé,  non  seulement  dans 
Dom  Ruinart,  qu'ils  ont  traduit  en  entier,  mais  dans  Assemani, 
Surius,  les  Bollandistes  et  d'autres  encore.  Ils  ont  cherché, 
comme  ils  le  déclarent,  à  se  tenir  à  égale  distance  d'une  sévérité 
©utrée  et  d'une  indulgence  trop  grande,  au  sujet  de  l'authenti- 
cité des  monuments  ;  toutefois  ils  ont  incliné  plutôt  vers  l'indul- 
gence. Et  ils  ont  disposé  les  récits  par  ordre  chronologique,  ce 
qui  fait  de  l'ouvrage,  une  histoire  du  martyre,  du  moins  pour 
la  période  qu'il  embrasse. 

C'est  en  1856  qu'ils  le  publièrent  pour  la  première  fois  ;  la 
préface  assez  étendue,  qui  est  due  à  la  plume  si  docte  et  si 
pieuse  de  dom  Guéranger,  porte  la  date  du  21  janvier  de  cette 
année-là.  L'écoulement  de  l'ouvrage  a  rendu  nécessaire  une 
nouvelle  édition;  souhaitons  qu'elle  se  répande  de  plus  en  plus 


MARIE    STUART  83 

pour  le  bien  du  peuple  fidèle (1).  Le  B.Perboyre,  dont  nous  rap- 
pelions le  souvenir  en  commençant,  et  qui  pendant  de  longues 
années  sollicitait  chaque  jour,  en  célébrant  la  sainte  messe,  la 
grâce  de  répandre  son  sang  pour  la  foi,  se  prépara  précisément 
par  la  lecture  des  Actes  des  martyrs  à  soutenir  les  luttes  qui 
l'attendaient  ;  c'est  à  cette  lecture  qu'il  demandait  l'esprit  de 
force.  Cet  esprit,  dont  nous  avons  aussi  un  si  grand  besoin,  cher- 
chons-le dans  la  considération  de  ses  propres  exemples,  suivant 
le  désir  qu'exprimait  Léon  XIII;  mais  cherchons-le  pareillement 
dans  les  exemples  de  ces  héros  des  premiers  siècles,  auxquels  il 
allait  le  demander  lui-même.  S.  L. 


MARIE  STUART 

M.  le  baron  Kervyn  de  Lettenhove  vient  de  publier  l'histoire  des 
dernières  années  (1585-1587)  de  la  vie  de  Marie  Stuart.  L'éminent 
historien  a  condensé  dans  ces  deux  volumes  le  fruit  de  ses  laborieuses 
et  judicieuses  recherches  et,  grâce  à  de  nombreuses  pièces  inédites,  il 
arrive  à  montrer  dans  son  vrai  jour  la  belle  figure  de  l'infortunée 
reine  d'Ecosse,  cette  touchante  victime  du  fanatisme  sectaire. 

Le  baron  Kervyn  sait  unir  aux  recherches  patientes  et  à  la  critique 
sévère  de  l'école  moderne,  les  grandes  qualités  de  style  des  Augustin 
Thierry  et  des  Macaulay,  et  son  livre,  pour  être  une  étude  historique 
de  la  plus  haute  valeur,  n'en  est  pas  moins  une  lecture  attrayante  et 
pleine  de  charmes. 

Nos  lecteurs  pourront  se  faire  une  idée  des  qualités  du  livre  par  le 
chapitre  que  nous  reproduisons  d'après  le  Courrier  de  Bruxelles  :  ils 
ne  le  liront  pas  sans  attendrissement,  nous  dirons  même  sans  recueil- 
lement. 

LA    VEILLÉE    DE    LA    MORT 

Marie  Stuart  avait  conservé  toute  sa  sérénité  (2),  et  l'on  remar- 
qua que  sur  ses  lèvres  n'avait  cessé  d'errer  un  vague  sourire-, 
comme  si,  dans  les  replis  de  son  âme,  elle  eût  salué  l'heure  si 
longtemps  attendue  de  sa  délivrance.  «Eh  bien,  dit-elle  à  l'une 
de  ses  filles  d'honneur,  Jane  Kennedy,  dés  que  les  deux  comtes 
se  furent  retirés,  ne  l'avoy-je  pas  dit?  Je  savoy  bien  qu'ils  ne 
me  laisseroient  jamais  vivre  :  je  leur  estoy  un  trop  grand  obstacle 
pour  leur  religion.  »  Et  se  retournant  vers  Bourgoing  :  «  Avez- 

(1)  Cette  édition  était  préparée  depuis  longtemps;  mais  elle  n'est 
mise  en  vente  que  depuis  quelques  semaines.  C'est  à  la  Préface  — 
dont  nous  venons  de  dire  un  mot  —  que  sont  empruntées  la  plupart 
des  indications  contenues  dans  notre  article. 

(2)  Les  comtes  de  Kent  et  de  Shrewsbury  venaient  de  lui  annoncer 
Ba  mort  et  son  supplice  pour  le  lendemain  matin. 


84  ANNALES    CATHOLIQUES 

VOUS  remarqué,  ajouta-t-elle,  combien  est  grande  la  force  de  la 
vérité?  Ils  disent  que  je  dois  mourir  parce  que  j'ai  conspiré 
contre  la  vie  de  la  reine  d'Angleterre  :  et  néanmoins  le  comte 
de  Kent  m'a  déclaré  que  la  cause  de  ma  mort  était  la  crainte 
que  je  puisse  nuire  à  leur  religion  (1).  Telle  est  la  véritable 
cause  de  ma  mort.  » 

Il  n'était  là  personne  qui  ne  versât  des  larmes  abondantes  et 
qui  ne  se  lamentât  en  détestant  tant  de  cruauté,  «  Mes  enfants, 
reprit  Marie  Stuart,  restant  seule  calme  et  sans  aucune  appa- 
rence de  tristesse,  il  n'est  plus  temps  de  pleurer.  Cela  ne  sert 
de  rien.  Que  craignez-vous  maintenant?  Vous  vous  devez  plus- 
tost  resjouir  de  me  voir  en  bonne  voye  pour  sortir  de  tant  de 
maux  et  d'afflictions  oii  j'aj  si  longuement  esté.  Je  ne  sers  de 
rien  en  ce  monde.  Il  a  pieu  à  Dieu  me  faire  ceste  grâce  que  je 
meurs  pour  une  si  bonne  querelle.  Je  lui  rends  grâce  qu'il  m'a 
donné  si  bonne  occasion  de  souiTrir  la  mort  pour  son  saint  nom, 
sa  vraye  religion  et  son  Eglise  ;  il  ne  me  pouvoit  advenir  un 
plus  grand  bien  en  ce  monde.  N'êtes-vous  pas  tesmoings  pour- 
quoi ils  me  font  mourir?  » 

A  ces  mots,  Marie  Stuart  passa  seule  dans  son  cabinet  qui  lui 
servait  aussi  d'oratoire,  et  elle  adressa  aussitôt  ces  quelques 
lignes  à  son  aumônier  du  Préau,  retenu  prisonnier  dans  une 
autre  partie  du  château  :  «  Vous  entendrez  par  Bourgoing  que 
j'ay  fidèlement  fait  protestation  de  ma  foy  en  laquelle  je  veux 
mourir.  J'ay  requis  de  vous  avoir  pour  faire  ma  confession  et 
recevoir  mon  sacrement;  ce  qui  m'a  esté  cruellement  refusé.  A 
faute  de  cela,  je  confesse  la  grièveté  de  mes  péchés  en  général, 
vous  priant,  au  nom  de  Dieu,  de  prier  et  veiller  ceste  nuict  avec 
moi  et  m'envoyer  votre  absolution...  J'essaieray  de  vous  voir  en 
leur  présence,  et,  s'il  m'est  permis,  devant  tous,  à  genoux,  je 
demanderai  vostre  bénédiction.  Advisez-moi  des  plus  propres 
prières  pour  ceste  nuict  et  pour  demain  matin  (2).  » 

Cette  lettre  achevée,  la  pensée  de  Marie  Stuart  se  porta  sur 
ses  bons  serviteurs  qui  avaient  partagé  pendant  tant  d'années 
tant  de  souffrances,  sans  qu'elle  eût  pu  leur  assurer  quelque 
aisance  pour  le  moment  oii  elle  ne  serait  plus  ;  et,  dès  qu'elle 
rentra  dans  sa  chambre,  elle  se  fit  apporter  le  peu  d'argent  qui 

(1)  «  Votre  vie  serait  la  mort  de  notre  religion,  votre  mort  sera  sa 
vie.  »  (Camden,  p.  446.) 

(2)  Labanoff,  t.  VI,  p.  483. 


MARIE    STUART  85 

lui  restait,  le  mit  dans  de  petites  bourses  et  écrivit  elle-même 
le  nom  de  chacun  de  ses  serviteurs  à  qui  elle  les  destinait.  Jane 
Kennedj  devait  recevoir  trois  cent  trente-huit  couronnes  ; 
Eispeth  Curie  cinq  cents  ;  Bourgoing,  deux  cents.  On  devait  en 
remettre  autant  à  Melvil. 

Puis,  tirant  d'une  autre  bourse  quelques  nobles  à  la  rose,  elle 
ordonna  de  les  garder  pour  les  pauvres. 

Ces  dons  se  réduisant  à  peu  de  chose,  elle  voulait  distribuer 
à  ses  serviteurs  ses  propres  vêtements  et  annonça  l'intention  de 
descendre  dans  sa  garde-robe  pour  leur  en  faire  le  partage; 
mais  Bourgoing  lui  représenta  qu'elle  rencontrerait  les  gardes 
placés  au  pied  de  l'escalier,  et  elle  se  les  fit  apporter  dans  sa 
chambre.  Là_,  à  mesure  que  Ton  déployait  tous  les  vestiges  de 
sa  fortune  et  de  sa  grandeur,  elle  faisait  inscrire  dans  l'inven'- 
taire  qui  en  avait  été  dressé  le  nom  de  ceux  à  qui  elle  voulait 
les  laisser. 

Ensuite  elle  demanda  ses  bijoux  et  les  examina  avec  le  même 
soin  jusqu'à  la  plus  petite  bague.  Quelques  souvenirs  de  sa 
jeunesse,  quelques  souvenirs  de  cette  Cour  de  France  si  élégante 
et  si  brillante  oii  elle  avait  tenu  le  premier  rang,  revinrent-ils 
à  son  esprit?  Si  elle  ne  devait  plus  s'en  parer,  elle  voulut  du 
moins  que,  même  au  delà  des  mers^  quelque  token  fût  ofiert  au 
roi  d'Espagne,  au  roi  de  France,  à  Catherine  de  Médicis,  aux 
princes  de  la  maison  de  Guise  ;  mais  elle  n'oubliait  point  ceux 
qui  en  Angleterre  et  en  Ecosse  avaient  toujours  soutenu  sa  cause. 
Elle  envoya  un  chapelet  précieux  au  comte  et  à  la  comtesse 
d'Arundel,  un  magnifique  zaphir  à  lord  Claude  Hamilton. 

A  cette  heure  suprême,  il  y  eut,  pour  tous  ceux  qui  avaient 
entouré  la  reine  d'Ecosse  d'une  inébranlable  fidélité,  quelque 
témoignage  de  sa  reconnaissance  :  au  chirurgien  Bourgoing, 
deux  anneaux,  deux  cofi'rets  d'argent,  ses  deux  luths,  son  livre 
de  musique  relié  en  velours,  la  tenture  rouge  de  son  lit  ;  au 
médecin  Gervais,  les  portraits  du  roi  et  de  la  reine  de  France 
fixés  à  une  chaîne  d'or  ornée  de  pierreries,  une  paire  de  bracelets 
d'or  avec  des  agates  où  l'on  avait  ciselé  la  Passion  de  Notre- 
Seigneur,  une  montre,  un  coffret  et  deux  globes  géographiques; 
à  l'apothicaire  Gorion,  un  agnus  Dei  dans  un  cadre  d'ébène,  un 
anneau  d'or  avec  un  beau  diamant,  deux  coussins  brodés  et  un 
manteau  de  velours  ;  à  l'aumônier  du  Préau,  un  calice,  des 
burettes  et  de  pieuses  images,  parmi  lesquelles  celle  de  Notre- 
Dame  en  corail. 

Melvil  ne  fut  pas  oublié  ;  la  Reine  ordonna  qu'on  mît  de  côté 


86  ANNALES    CATHOLIQUES 

pour  lui  un  cadre  d'or  émaillé  qui  renfermait  le  portrait  du  roi 
d'Ecosse,  une  montre  et  une  paire  de  gants  parfumés. 

Dans  la  bibliothèque  se  trouvaient  beaucoup  de  livres  qui 
abrégeaient  parfois  de  longues  heures  de  la  captivité.  Ils  furent 
aussi  partagés  entre  ses  serviteurs  (1). 

Marie  Stuart  ne  pouvait  pas  oublier  ses  femmes,  dont  les  soins 
avaient  été  si  touchants,  et  qui  quelques  heures  plus  tard 
devaient  lui  montrer  une  affection  si  vive;  à  Jane  Kennedy,  un 
rocher  d'or  orné  de  diamants  et  de  rubis,  donné  autrefois  par 
Elisabeth,  un  miroir  d'or  avec  le  portrait  de  Henri  111,  un  cha- 
pelet d'or  et  d'agate,  deux  miroirs,  et  de  plus,  outre  des  robes 
et  des  corsages,  tous  ses  bas  et  tous  ses  gants;  à  Elspeth  Curie 
une  tablette  d'or  émaillée  oii  se  trouvaient  les  portraits  de  la 
reine  d'Ecosse,  de  son  mari  et  de  son  fils,  plusieurs  chaînes  de 
perles,  plusieurs  anneaux  d'or  ornés  de  diamants,  de  rubis  et 
de  saphirs,  et  deux  miroirs,  sans  compter  des  robes  et  des  cha- 
peaux, non  seulement  pour  elle,  mais  aussi  pour  la  femme  de 
Gilbert  Curie  et  pour  son  enfant,  dont  Marie  Stuart  avait  été  la 
marraine  ;  à  Gille  Mowbray,  une  selle  de  velours  et  sa  guitare. 
«  C'est,  leur  dit-elle,  tout  ce  que  je  puis  faire  pour  vous.  » 

Par  l'ordre  de  Marie  Stuart,  quelques  objets  avaient  été 
réservés  pour  qu'on  les  vendît,  afin  de  faire  face  aux  frais 
qu'auraient  à  supporter  ses  serviteurs  pour  rentrer  dans  leur 
pays.  Ici  figuraient  quelques  robes  brodées  de  perles,  une  pièce 
de  drap  d'or  et  une  tapisserie  de  haute  lice,  qui  représentait 
l'histoire  de  Méléagre  (2). 

Marie  Stuart  avait  ordonné,  aussitôt  que  les  comtes  de  Kent 
et  de  Shrewsbury  s'étaient  retirés,  d'avancer  l'heure  du  souper 
afin  d'avoir  plus  de  temps  pour  se  préparer  à  la  mort. 

Tout  était  prêt  pour  ces  dernières  agapes  qui  rappelaient  le 
banquet  libre  des  premiers  chrétiens  avant  d'être  conduits  à 
l'amphithéâtre,  A  défaut  du  maître  d'hôtel,  enfermé  dans  une 
autre  partie  du  château,  Bourgoing  vint  avertir  la  reine  d'Ecosse 
et  la  précéda  (dernier  hommage  rendu  à  la  royauté),  mais  en 
vain  cherchait-il  à  cacher  son  émotion  :  «O  quel  spectacle  à  un 
serviteur  fidèle  et  qui  ayme  bien!  Quel  propos  luy  eust-il  peut 

(1)  Dans  la  bibliothèque  de  lord  Ashburnham  se  trouve  un  recueil 
des  sept  psaumes  de  la  pénitence,  ayant  appartenu  à  Elisabeth  d'York, 
épouse  de  Henri  VI,  que  Marie  Stuart  donna,  dit-on,  à  l'une  de  ses 
femmes,  la  nuit  qui  précéda  sa  mort. 

(2)  LabanofT,  t.  VII,  p.  266. 


MARIE    STUART  87 

tenir?  Au  lieu  de  la  consoler,  il  estoit  en  toutes  les  peines 
d'essuier  ses  yeuj  et  de  se  contenir  de  plorer  (1).  » 
'  La  reine  d'Ecosse,  selon  sa  coutume,  mangea  peu;  mais  elle 
ne  cessait  de  ranimer  le  courage  de  ceux  qni  l'entouraient. 
Tantôt  elle  disait  qu'il  eût  fallu  un  autre  docteur  que  le  comte 
de  Kent  pour  ébranler  ses  convictions  les  plus  profondes;  tantôt 
elle  se  réjouissait  de  ce  que  les  conseillers  d'Elisabeth  avaient 
découvert  leurs  pensées  secrètes  et  la  véritable  cause  de  sa  fin; 
et,  quand  elle  parlait  de  sa  mort  prochaine  pour  la  défense  de 
sa  foi  :  «  Vous  l'eussiez  veue,  porte  une  relation  contemporaine, 
quelquefois  soubsrire  de  joje  et  parler  tout  ainsi  que  si  c'estoit 
une  bonne  nouvelle  qu'on  luy  eust  apportée  (2).  » 

Vers  la  fin  du  souper,  la  reine  donna  l'ordre  d'introduire  tous 
ses  serviteurs  et,  après  avoir  fait  remplir  une  coupe  de  vin, 
elle  but  à  eux  tous,  et  ceux-ci,  à  leur  tour,  se  jetant  à  genoux 
et  «  meslant  tant  de  larmes  avec  le  vin  que  c'estoit  chose 
pitoyable  »,  burent  à  leur  souveraine,  en  la  suppliant  de  leur 
pardonner  si  en  quelque  chose  ils  avaient  manqué  à  leur  devoir, 
■c  Et  moi  aussi,  répondit  Marie  Stuart,  je  vous  supplie  de  me 
pardonner  »,  et  elle  les  exhorta  à  persévérer  dans  la  foi  et  à 
vivre  les  uns  avec  les  autres  en  paix  et  eu  charité  (3). 

Les  serviteurs  de  Marie  Stuart  confondaient  leurs  sanglots 
«jusqu'à  entrer  presque  en  désespoir  »  (4).  Mais  elle  les  conso- 
lait doucement  et  leur  montrait  au-dessus  de  sa  cheminée  la 
tapisserie  où  elle  avait  brodé  de  sa  main  la  Passion  de  Notre- 
Seigneur  :  «Voilà,  disait-elle  à  ceux  qui  l'entouraient,  le  fonde- 
ment de  mon  salut!  »  Et  comme  les  pleurs  et  les  sanglots 
redoublaient  :  «  Or  sus,  reprit-elle,  que  chacun  prenne  patience 
et  nous  laisse  prier  Dieu!  »  Se  tournant  vers  ses  femmes,  elle 
ajouta:  «Vous,  veillez  avec  moi.»  Et,  les  voyant  toutes  réunies 
autour  d'elle,  elle  se  souvint  des  paroles  que  Jean,  l'apôtre  bien- 
aimé  du  Sauveur,  a  écrites  dans  son  Evangile: 

«  Jésus  savait  que  l'heure  était  venue  oii  il  passerait  de  ce 
monde  vers  son  Père  ;  et  de  même  qu'il  avait  beaucoup  aimé  les 
siens  qui  étaient  en  ce  monde,  il  les  aima  jusqu'à  la  dernière 
heure. 

(1)  La  mort  de  la  royne  d'Escosse,  Jebb,  t.  II,  p.  626.  Ces  lignes 
si  touchantes  appartiennent  probablement  à  Bourgoing  lui-même. 

(2)  La  mort  de  la  royne  d'Escosse,  Jebb,  t.  II,  p.  625. 

(3)  Nie.  Caussin,  Hist.  de  Marie  Stuart,  Jebb,  t.  II,  p.  95. 
(4}  Les  derniers  propos  de  la  royne  d'Escosse. 


Hî8  ANNALES    CATHOLIQUES 

<  Il  versa  donc  de  l'eau  dans  un  bassin  et  commença  à  laver 
les  pieds  de  ses  disciples. 

<  Pierre  lui  dit  :  «  Comment,  Seigneur,  vous  me  lavez  les 
.pieds?  »  et  Jésus  lui  répondit  :  c  Si  je  ne  vous  avais  point  puri- 
fiés, vous  n'auriez  point  de  part  avec  moi;  et  si  moi,  le  Seigneur 
et  le  Maître,  je  vous  ai  lavé  les  pieds,  vous  devez  aussi  vous 
laver  les  pieds  les  uns  des  autres.  Je  vous  ai  donné  cet  exemple 
afin  que  ce  que  j'ai  fait,  vous  le  fassiez  aussi.  » 

Marie  Stuart,  qui  avait  présente  à  l'esprit  l'agonie  du  Sau- 
veur à  tous  les  degrés  de  ses  soufi'rances,  qui  se  la  proposait 
comme  un  divin  exemple  de  résignation  ordonna  qu'on  lui 
apportât  un  bassin  rempli  d'eau,  et,  comme  elle  avait  coutume 
de  le  faire  chaque  année  aux  cérémonies  de  la  semaine  sainte, 
elle  s'agenouilla  devant  ses  femmes  pour  leur  laver  les  pieds. 

Minuit  vient  de  sonner.  Marie  est  entrée  dans  son  oratoire 
pour  y  rédiger  son  testament.  Elle  espère  que  cet  acte  de  der- 
nière volonté,  quelle  que  soit  sa  forme,  sera  respecté.  Elle 
l'a  écrit,  -c  estant  preste  de  mourir  >.  Elle  expire  dans  la  foi 
catholique,  ordonne  des  services  solennels  pour  le  repos  de  son 
âme  à  Saint-Denis  et  à  Saint-Pierre  do  Reims,  remet  à  ses  fer- 
miers la  moitié  de  ce  qu'ils  lui  doivent,  ordonne  que  l'on  paie 
les  gages  et  les  pensions  de  ses  serviteurs,  «  hormis  les  pensions 
de  Nau  et  de  Curie  jusques  à  ce  que  l'on  sache  ce  qui  en  doibt 
advenir  et  ce  qu'ils  auront  mérité  >,  renouvelle  les  legs  qu'elle 
a  faits,  et  de  plus  inscrit  d'autres  legs  à  la  Miséricorde  des 
enfants  de  Reims,  aux  pauvres  écoliers  et  aux  hôpitaux.  Quinze 
cents  francs  seront  payés  à  Bourgoing  s'il  exécute,  comme  il  en 
a  fait  le  vœu,  un  pèlerinage  à  Saint^Nicolas.  Elle  laisse  son 
coche  à  ses  femmes,  «  pour  les  mener  »  ;  elles  pourront  se  servir 
de  ses  chevaux  ou  les  faire  vendre.  Elle  recommande  sa  filleule 
Marie  Paget  à  la  duchesse  de  Guise,  et  elle  entend  que  la  réserve 
faite  quant  à  la  pension  de  Curie  cesse  si  sa  femme  se  trouve  en 
quelque  nécessité  (1).  » 

Puis  elle  adresse  au  roi  de  France  une  lettre  qui  porte  la  date 
du  18  février,  à  deux  heures  du  matin.  Elle  lui  annonce  sa  mort 
prochaine  et  le  supplie  de  faire  exécuter  ses  dernières  volontés. 
Là  aussi  elle  se  montre  toute  fière  des  injures  du  comte  de  Kent  : 

(1)  Labanoff,  t.  VI,  p.  485.  —  Ce  testament  fut  longtemps  conservé 
à  Paris  au  collège  écossais.  On  y  voyait  la  trace  des  larmes  que  Marie 
Stuart  avait  rùpandues  eu  l'écrivant.  Miss  Strickland,  t.  VII,  p.  481. 


MARIE    STUART  89 

«  La  religion  catholique  et  le  maintien  du  droit  que  Dieu  m'a 
donné  à  ceste  couronne  sont  les  deux  points  de  ma  condamna- 
tion, et  toutefois  ils  ne  me  veulent  permettre  de  dire  que  c'est 
pour  la  religion  catholique  que  je  meurs  (\).  » 

Une  seconde  lettre  fut  adressée  à  son  cousin  le  duc  de  Gruise. 
Il  en  est  une  autre  que  nous  n'avons  plus  :  c'est  celle  qu'elle 
envoya  au  roi  d'Ecosse.  Que  d'amères  tristesses  avaient  pu 
s'exhaler  dans  ces  adieux  à  un  fils  infidèle  à  tous  ses  exemples 
et  si  ingrat  vis-à-vis  de  sa  mère  ! 

Deux  heures  avaient  été  absorbées  par  ce  travail,  et  telle  était 
sa  fatigue  qu'elle  se  jeta  sur  son  lit,  sans  y  chercher  toutefois 
le  sommeil  ;  car,  bien  que  ses  paupières  se  fussent  abaissées,  on 
remarqua  le  constant  mouvement  de  ses  lèvres,  comme  si  elle 
ne  cessait  de  prier.  Ses  femmes  avaient  coutume  de  lui  lire 
chaque  soir  quelque  vie  de  saint  ou  de  martyr  dont  les  souf- 
frances pouvaient  consoler  les  siennes;  mais  en  ce  moment  la 
réponse  de  son  aumônier  avait  pu  lui  parvenir,  et  ce  fut  sans 
doute  selon  ses  indications  qu'elle  leur  ordonna  de  reprendre, 
d'après  TÉvangile,  tout  le  récit  de  la  Passion,  «  comme  si  elle 
eiit  voulu,  dit  un  de  ses  historiens,  s'animer  à  son  dernier  combat 
et  mêler  le  sang  et  les  larmes  du  Sauveur  avec  son  propre  sang 
et  ses  propres  larmes  (2)  »;  mais  quand  on  arriva  à  ce  passage 
oii  l'un  des  pécheurs  crucifiés  en  même  temps  que  le  Fils  de 
Dieu  le  supplie  de  se  souvenir  de  lui  dans  le  ciel  et  reçoit  cette 
réponse  :  «  En  vérité,  je  te  le  dis,  tu  seras  aujourd'hui  avec  moi 
dans  le  paradis,  »  elle  fit  signe  que  l'on  s'arrêtât,  car  elle  avait 
trouvé  là  la  promesse  inefi'able  de  la  grâce  divine. 

Une  demi-heure  s'était  à  peine  écoulée,  quand  Marie  se  leva  : 

(1)  Labancff,  t.  VI,  p.  492.  —  A  cette  lettre  se  trouvait  joiate  la 
pièce  suivante  :  a  Mémoire  des  dernières  requestes  que  je  fais  au  roy, 
de  me  faire  payer  tout  ce  que  me  doibt  de  mes  pensioas,  puur  le 
moins  taol  qu'ung  obit  soit  fondé  pour  mon  âme  et  que  les  aumosnes 
et  petites  fondations  par  moy  promises  soient  parfaictes.  Plus,  qu'il 
luy  plaise  me  laisser  la  jouissance  de  mon  douaire  ung  an  après  ma 
mort  pour  récompenser  mes  serviteurs,  »  Et,  après  quelques  mots  où 
elle  recommandait  de  nouveau  son  médecin  et  son  aumônier,  elle 
donna  à  ce  codicille  sa  date  :  «  Faict  le  matin  de  ma  mort  ce  raer- 
credy  huitiesme  février  1587.  »  LabanofF,  t.  VI,  p.  494.  —  De  Thon 
parle  d'un  testament  écrit  par  Marie  Stuart  quelques  heures  avant  sa 
mort  et  adressé  à  un  cardinal,  par  lequel  elle  déclarait  que  si  son  fila 
ne  se  convertissait  pas  à  la  religion  catholique,  elle  le  déshéritait  au 
profit  du  roi  d'Espagne.  Ce  récit  ne  mérite  aucune  confiance. 

(2)  Nicolas  Caussin,  p.  97. 

7 


92  ANNALES    CATHOLIQUES 


LA.  CONFERENCE  DE  BERLIN 

Le  Matin  publie  un  résumé  des  délibérations  de  la  Conférence  de 
Berlin  qu'il  nous  paraît  intéressant  de  reproduire,  parce  qu'il  permet 
d'apprécier  la  disposition  des  esprits  de  chaque  pays  dans  la  question 
si  délicate  de  la  réglementation  du  travail. 

Voici  le  résumé  du  Matin  : 

D'abord,  il  fallait  définir  certaines  expressions  et  notamment 
le  terme  :  c  établissements  industriels  ». 

La  délégation  des  Pays-Bas  proposa  la  définition  suivante: 

«  Un  établissement  industriel  est  tout  espace  clos  ou  non, 
destiné  à  exploiter,  à  l'aide  d'un  moteur  ou  de  dix  ouvriers  au 
moin.«,  une  industrie  ajant  pour  but  de  fabriquer,  de  façonner, 
d'avoir  ou  de  vendre,  et  propre,  en  quelque  manière,  à  l'usage 
ou  à  la  vente  des  objets,  excepté  les  denrées  ou  les  boissons 
prises  sur  place.  » 

La  délégation  italienne  proposait  de  considérer  comme  éta- 
blissement industriel  tout  lieu  où  l'on  exécute  des  travaux 
manuels  à  l'aide  de  moteurs  mécaniques,  quel  que  soit  le  nombre 
d'ouvriers  employés,  M.  Delaliaje,  délégué  français,  présente  en 
son  nom  personnel,  la  définition  suivante  : 

€  On  entend  par  établissement  industriel  une  maison,  un  sou- 
terrain, un  terrain  ouvert,  clos,  couvert  ou  sans  clôture,  où  l'on 
transforme  des  moyens  de  production  en  marchandises.  Il  faut 
en  outre  qu'il  y  ait  un  certain  nombre  d'ouvriers  (à  déterminer) 
travaillant  pendant  un  certain  nombre  de  jours  p;ir  an  (à  déter- 
miner), ou  que  l'on  fasse  usage  d'un  moteur  mécanique.  * 

Le  délégué  espagnol  repousse  le  terme  même  d'établissement 
industriel,  et  voudrait  y  substituer  celui  de  :  «  Travail  des 
industries  ou  métiers  qui  exigent  un  déploiement  de  forces  su- 
périeur à  celui  qui  est  compatible  avec  le  développement  phy- 
sique et  l'âge  des  enfants  ou  jeunes  ouvriers.  » 

Enfin  la  définition  adoptée  à  l'unanimité  est  celle  proposée 
par  la  délégation  anglaise: 

♦  On  entend  par  établissements  industriels  ceux  que  les  lois 
réglementant  le  travail  dans  les  divers  pays  considèrent  comme 
tels  soit  par  voie  de  définition,  soit  par  voie  d'énumération.  » 

Il  est  convenu  également  que  le  mot  :  nuit,  sera  pris  dans 
l'acceptation  textuelle  des  divers  pays,  et  que  le  terme  :  occu- 
pations insalubres  ou  dangereuses  serait  préféré  à  celui  d'indus- 


LA    CONFÉRENCE    DE    BERLIN  93 

tries  insalubres  ou  dangereuses,  afin  de  ne  pas  interdire  dans 
les  dernières  industries  certains  travaux  accessoires  dépourvus 
de  dangers.  Par  exemple  :  la  fabrication  des  boîtes  dans  une 
fabrique  d'allumettes  chimiques  peut-elle  être  interdite  aux 
enfants  ? 

LES    ENFANTS    DE    DOUZE    A    SEIZE    ANS 

Il  y  a  eu  unanimité  pour  interdire  le  travail  dans  les  établis- 
sements industriels  «  aux  enfants  des  deux  sexes  n'ayant  pas 
atteint  un  certain  âge  ». 

Mais  quel  sera  cet  âge  ? 

L'âge  de  quatorze  ans  a  été  proposé  par  le  délégué  suisse 
appuyé  par  M.  Delahaye,  en  son  nom  personnel,  et  par  les  dé- 
légations autrichienne  et  suisse.  Les  treize  autres  délégations 
ont  écarté  cetteproposition, y  compris  celle  de  la  France.  Comme 
on  le  voit,  sur  ce  point,  M.  Delahaye  s'était  séparé  de  ses  col- 
lègues. L'âge  de  douze  ans  a  été  écarté  par  une  majorité  de 
douze  voix  contre  deux  (Autriche  et  Suisse)  et  une  abstention 
(Danemark). 

M.  Jules  Simon  propose  de  fixer  à  douze  ans  révolus  le  mi- 
nimum d'âge  pour  être  admis  dans  les  établissements  industriels. 

Le  délégué  anglais,  M.  Scott,  donne  son  vote  approbatif  ac? 
référendum^  attendu  que  la  loi  anglaise  permet  le  travail  des 
enfants  de  dix  à  douze  ans,  sauf  certaines  restrictions.  Le  délégué 
italien  (M.  Boccardo)  n'admet  pas  l'uniformité  de  l'âge  pour  tous 
les  pays.  Il  faut  tenir  compte  de  la  précocité  des  races  méridio- 
nales et  de  la  situation  industrielle  des  États.  L'Italie  réclame 
pour  elle  un  traitement  spécial  et  demande  pour  ses  industries, 
outre  des  délais  indispensables  d'application,  un  minimum  d'âge 
d'admission  dans  les  fabriques,  inférieur  de  deux  ans  au  moins 
à  celui  des  autres  états. 

Le  délégué  espagnol  s'abstiendra  si  on  n'admet  pas  un  âge 
inférieur  pour  les  pays  méridionaux. 

Enfin,  on  admet  l'âge  de  douze  ans,  avec  abaissement  de  ce 
minimum  à  dix  ans  pour  les  pays  méridionaux. 

Sur  ce  dernier  paragraphe,  la  Suisse  et  la  Grande-Bretagne 
s'abstiennent. 

L'Allemagne  demande  que  les  enfants  admis  dans  les  établis- 
sements industriels  aient  préalablement  satisfait  aux  prescrip- 
tions concernant  l'instruction  primaire. 

La  Suède  et  l'Italie  adhèrent,  le  Danemark    aussi,  sauf  cette 


94  ANNALES    CATHOLIQUES 

réserve  que,  dans  ce  dernier  pays,  l'instruction  est  obligatoire 
jusqu'à  treize  ou  quatorze  ans. 

La  Belgique  et  les  Puys-iias  écartent  la  disposition  comme 
ne  figurant  pas  au  programme  de  la  Conférence,  et  aussi  parce 
que  les  lois  belges  et  hollandaises  ne  contiennent  pas  l'obliga- 
tion de  l'enseignement.  Le  délégué  anglais  trouve  que  la  pro- 
position serait  mieux  à  sa  place  dans  une  loi  scolaire. 

Enfin,  le  paragraphe  additionnel  de  l'Allemagne  est  voté  par 
11  voix  contre  2  (Danemark  et  r»rande-Brotagne;  et  2  absten- 
tions (Belgique  et  Tays-liasi. 

On  admet  à  l'unanimité  que,  sauf  l'exception  votée  pour  les 
pays  méridionaux,  le  minimum  d'âge  s'étendra  à  toute  industrie. 

LA  DURÉB  DU  TRAVAIL  DES  ENFANTS 

L'Allemagne  propose  que  les  enfants  au-dessous  de  quatorze 
ans  révolus  oe  travaillent  ni  la  nuit  ai  le  dimanche. 

Adopté,  sauf  réserves  dos  l'a^'s-lias,  de  la  Belgiijuo  et  du 
Luxembourg. 

L'Angleterre  veut  qu'on  dise  :  «  Une  moyenne  de  six  lieuMs 
de  travail  journalier,  » 

La  Hongrie  et  l'Italie  sont  favorables  à  la  duréo  de  kuit 
heures. 

La  Belgique  ne  peut  engager  sur  ce  point  la  liberté  du  pou- 
voir royal,  en  se  ralliant  à  un  maximum  inférieux  à  douze  heures. 
Loa  Pays-Bas  votent  contre  la  propo»ition  pour  les  mômes 
motifs. 

La  propositron  est  donc  votée  par  11  voix  contre  4  (Belgique, 
Hongrie,  Italie,  Pays-Bas);  encore  l'Italie  demande-t-elle  en  sa 
faveur  l'abaissement  à  l'àge  de  douze  ans. 

On  admet  à  l'unanimité  l'intorilictioû  des  occupations  insa- 
lubres et  dangereuses. 

Le  délégué  du  Portugal  fait  ses  réserves  sur  l'eirserable  des 
dispositions,  attendu  que  le  Portugal  n'a  pas  encore  de  loi  sur 
le  travail  des  enfants.  M.  Laporte,  délégué  adjoint  delà.  Franco, 
obtient  satisfaction  sur  ce  point  que  ces  dispositions  ne  seront 
pas  applicables  au  travail  des  enfanta  dans  certaines  industries 
spéciales,  telles  que  celles  des  parfums  ou  de  la  conservation 
des  sardines. 

DE  QUATORZÏ  A  DIX-HUIT  ANS 

Pour  les  jeunes  ouvriers  de  quatorze  à  seize  ans,  l'ATIemagne 
demande  qu'ils  ne  travaillent  ni  la  nuit,  ni  le  dimanche.  Adopté 


LA.    CONFÉRENCE    DE    BERLIN  95 

à  l'unanimité,  sauf  réserves  déjà  connues  du  Luxembourg,  de  la 
Belgique  et  de  l'Italie.  Sur  la  durée  du  travail  de  dix  heures 
par  jour,  avec  repos  de  deux  heures  au  moins,  l'Angleterre  re- 
nouvelle ses  réserves  sur  la  durée  moyenne.  L'Autriche  déclare 
s'abstenir,  parce  qu'elle  n'admet  pas  comme  possible  la  distinc- 
tion à  cet  égard  entre  le  jeune  ouvrier  et  l'adulte.  L'Espagne 
et  l'Italie  s'abstiennent  également. 

La  Belgique  et  la  Hollande  votent  contre. 

Par  sept  voix  (Autriche,  Hongrie,  Belgique,  France,  Grande- 
Bretagne,  Norvège,  Portugal)  contre  quatre  (Allemagne,  Dane- 
mark, Luxembourg,  Suède),  on  abaisse  de  deux  heures  à  une 
heure  la  durée  du  repos. 

L'ensemble  de  la  proposition  est  voté  par  10  voix  contre  2 
(Belgique  et  Pays-Bas)  et  3  abstentions  (Autriche,  Espagne  et 
Italie.) 

Quant  aux  exceptions  à  admettre  suivant  la  nature  des  indus- 
trios,  la'commisBion  s'en  rapporte  à  la  législation  intérieure  des 
pays.  La  Suisse  seule  n'admet  aucune  exception. 

On  admet  à  l'unanimité  l'interdiction  absolue  des  occupatioas 
insalubres  et  dangereuses. 

De  seize  à  dix-huit  ans,  les  délégués  italiens  et  espagnols  n'ad- 
mettent aucune  protection  particulière.  Cependant  le  principe 
d'une  protection  spéciale  est  adopté  par  Stoix  (Allemagne,  Da- 
nemark, France,  Grand-e-Bretagne,  Portugal,  Suède,  Norvège 
et  Suisse),  contre  t>  (Autriche,  Hongrie,  Belgique,  Luxembourg, 
Italie,  Pays-Bas)  et  une  abstention  (Espagne). 

Enfin,  on  adopte  pour  les  jeunes  ouvriers  de  seize  à  dix-huit 
ans  le  principe  d'une  journée  maxinia  de  travail  (9  voix  contre  6), 
L'Allemagne,  la  Belgique,  l'Italie,  le  Luxembourg,  les  Pays- 
Bas  et  le  Portugal  votent  contre  l'interdiction  du  travail  de  nuit 
(10  voix  contre  5  :  Autriche,  Hongrie,  Belgique,  Italie  Pays-Bas). 
Interdiction  d a  travail  le  dimanche,  11  voix  contre  4  (Belgique. 
Italie,  Luxembourg,  Pays-Bas). 

Interdiction  des  occupations  insalubres  (unanimité,  sauf  les 
Pays-Bas). 

LES    FEMMES 

L'Allemagne  et  la  Suisse  proposent  que  les  femmes  de  tout 
âge  ne  travaillent  ni  la  nuit  ni  le  dimanche,  que  leur  travail 
eflectif  ne  dépasse  pas  onze  heures  par  jour,  avec  pauses  d'une 
durée  totale  de  deux  heures,  que  les  femmes  accouchées  ne 
soient  admises  au  travail  que  quatre  semaines  après  l'accouche- 


93  ANNALES   CATHOLIQUES 

ment,  que  les  industries  insalubres  et  dangereuses  leur  soient 
interdites,  et  enfin  qu'une  réglementation  exceptionnelle  déter- 
mine les  industries  dans  lesquelles  le  travail  nocturne  des 
iemmes  est  indispensable. 

Le  délégué  de  l'Italie  représente  un  pays  oii  beaucoup 
d'hommes  émigrent  pendant  une  partie  de  l'année.  On  n'y  peut 
donc  être  trop  absolu  dans  les  restrictions  proposées  pour  l'em- 
ploi des  femmes  dans  l'industrie. 

La  Belgique  n'admet  aucune  restriction  pour  le  travail  des 
adultes,  même  des  femmes.  Elle  demande  donc  que  la  propo- 
sition ne  vise  qu'un  âge  inférieur  à  vingt  et  un  ans.  M.  Santa 
Maria,  délégué  d'Espagne,  fait  observer  qu'en  son  pays  la  majo- 
rité des  femmes  est  fixée  à  vingt  et  ans. 

Sur  le  premier  point  interdisant  aux  femmes  de  seize  à  vingt 
et  un  ans  le  travail  de  nuit  et  du  dimanche,  il  y  a  13  voix  pour 
et  1  abstention,  celle  de  l'Espagne.  La  Belgique  et  le  Luxem- 
bourg ont  voté  oui,  avec  cette  réserve  que  les  Constitutions  de 
ces  pays  ne  rendent  pas  obligatoire  le  repos  d'un  jour  quelconque. 

Sur  le  deuxième  point,  même  interdiction  étendue  aux 
femmes  de  tout  âge;  il  y  a  7  voix  pour,  6  contre  (Belgique, 
Espagne,  France,  Hongrie,  Italie  et  Portugal),  1  abstention 
(Norvège). 

Sur  la  durée  du  travail  efi"ectif  de  onze  heures,  M.  Delahaye, 
délégué  français,  en  son  nom  personnel,  déclare  adhérer  à  la 
proposition,  mais  c  ayant  reçu  un  mandat  déterminé  concernant 
le  travail  des  adultes,  il  fait  ses  réserves  ». 

A[»rès  un  long  échange  d'observations,  on  écarte,  par  huit  voix 
contre  quatre  (Hongrie,  France,  Grande-Bretagne,  Portugal), 
l'abaissement  de  la  durée  du  travail  à  dix  heures  pour  les 
femmes  de  seize  à  vingt  et  un  ans.  La  Belgique,  l'Espagne,  la 
Suisse  s'abstiennent. 

On  adopte  le  maximum  de  onze  heures  de  travail. 

On  fixe  la  durée  des  pauses  de  une  heure  et  demie  au  lieu  de 
deux  heures. 

Sept  Etats  contre  cinq  (Belgique,  Espagne,  France,  Italie, 
Portugal)  et  trois  abstentions  (Danemark,  Suède,  Norvège) 
étendent  la  protection  aux  femmes  de  tout  âge. 

On  adopte  sans  débat  les  autres  propositions. 

Sur  les  exceptions  à  admettre,  la  Suisse  seule  les   repousse. 

En  deuxième  lecture,  les  résultats  des  votes  ont  été  analo- 
gues et  les  propositions  de  l'Allemagne  et  de  la  Suisse  ont  été 
adoptées. 


LE  CLERGÉ  ET  LA  QUESTION  OUVRIERE  97 


LE  CLERGE  ET  LA  QUESTION  OUVRIERE 

Mgr  Kopp,  le  prince-évêque  de  Breslau,  vient  d'envoyer  à 
son  clergé  une  circulaire  sur  le  rôle  du  clergé  dans  la  question 
ouvrière.  Écrite  pour  le  clergé  du  diocèse  de  Breslau,  elle  n'en 
présente  pas  moins  un  intérêt  général  et  contient  de  précieuses 
indications  pratiques  pour  le  clergé. 

On  sait  que  Mgr  Kopp  a  été  appelé  à  la  présidence  de  la 
seconde  commission  de  la  Conférence  internationale  du  travail. 
Le  prince-évèque  avait  publié  une  lettre  pastorale  sur  la  ques- 
tion ouvrière  et  la  mission  du  clergé  ;  la  circulaire  se  rattache 
à  cette  lettre  pastorale. 

J'ai  éprouvé  une  grande  joie  en  entendant  qu'en  plusieurs  endroits 
le  révérend  clergé  avait,  à  la  suite  de  ma  lettre  pastorale  du  3  février, 
déjà  entrepris  des  démarches  préparatoires  en  vue  de  la  fondation 
d'associations  ouvrières.  Je  souhaite  de  tout  cœur  que  ces  efforts 
soient  couronnés  d'un  succès  durable,  et  je  renouvelle  mon  exhorta- 
tion de  favoriser,  autant  que  faire  se  peut,  la  fondation  et  le  dévelop- 
pement de  ces  associations.  La  tâche  d'envisager,  de  favoriser  les 
intérêts  de  la  classe  ouvrière  avec  une  sollicitude  spéciale,  s'impose 
d'autant  plus  au  clergé,  que  d'un  autre  côté  on  ne  recule  devant 
aucune  tentative  afin  d'éloigner  l'ouvrier  de  l'Église.  Cette  tâche  fait 
partie  des  devoirs  incombant  au  clergé  pour  le  salut  des  âmes.  Les 
moyens  et  voies  d'exercer  fructueusement  une  action  salutaire  pour 
le  bien  du  peuple  se  sont  modifiés  avec  les  temps.  De  nos  jours,  il  est 
généralement  presque  impossible  de  rendre  la  classe  ouvrière  acces- 
sible à  l'action  bienfaisante  de  l'Eglise,  si  le  clergé  n'entretient  pas 
avec  elle  des  relations  suivies  en  dehors  de  l'Eglise,  dans  des  associa- 
tions qui  ont  pour  but  de  protéger  et  de  favoriser  les  intérêts  de  la 
classe  ouvrière. 

Je  ne  doute  pas  que  mon  révérend  clergé  ne  partage  entièrement 
mes  vues.  C'est  pourquoi  il  saluera  avec  joie  l'occasion  que  je  lui  offre 
de  délibérer  sur  la  solution  de  ces  tâches  sociales,  afin  qu'il  puisse 
ensuite  entreprendre  avec  courage  et  confiance  en  Dieu  ce  qu'un  exa- 
men consciencieux  de  la  situation  aura  fait  paraître  utile,  prudent  et 
nécessaire  à  une  appréciation  inspirée  par  le  zèle  des  âmes. 

Je  décrète,  en  conséquence,  qu'aux  réunions  archipresbytériales  de 
cette  année,  on  discute  la  grave  question  suivante  : 

Comment  le  clergé  peut  et  doit-il  s'acquitter  de  sa  mission  dans  la 
question  ouvrière? 

En  proposant  cette  matière  aux  réunions  du  clergé,  je  ne  désire 
pas  uniquement  que  le  révérend  clergé  s'édifie  en  théorie  sur  ses 


98  ANNALES    GATHOLIQUSS 

devoirs,  mais  je  nourris  le  ferme  espoir  que  l'on  piocèJe  dans  chaque 
archipresbytériat  à  la  discussion  et  à  la  réalisation  des  mesures ^ra- 
tiques,  qui  en  tenant  compte  des  conditions  locales,  semblent  les 
mieux  appropriées  pour  la  solution  de  ces  tâches.  C'est  ce  dernier 
point  qu'il  importe  d'envisager  en  premier  lieu.  Ou  examinera  les 
points  suivants  : 

1.  Quelles  sont  les  mesures  à  prendre  dans  l'ordre  des  offices  afin 
de  favoriser  la  fréquentation  des  services  religieux  par  les  ouvriers  ? 

2.  Quelles  sont  les  iûstitiitions  à  créer  pour  le  bien-être  matériel 
des  enfants  des  familles  ouvrières? 

3.  Eat-il  possible  de  fonder  des  associations  pour  la  classe  ouvrière? 
Notamment 

a)  Des  associations  d'ouvriers, 

b)  Des  associations  d'ouvrières, 

c)  Des  associations  de  jeun'^s  ouvriers? 

4.  Le  clergé  doit  étudier  la  législation  sociale  du  pays. 

Ad  1)  Le  premier  devoir  du  prêtre  est  la  culturo  de  la  vie  reli- 
gieuse. Il  ne  doit  reculer  devant  aucun  sacrifico  afin  de  maintenir 
ses  paroissiens  ouvriers  dans  la  voie  do  l'I'^glise  et  de  regagni^r  ceux 
qui  l'ont  abandonnée.  Il  faudra  examiner  si  les  heures  des  offices  ne 
devraient  pas  être  modifiées,  afin  de  faciliter  leur  fréquentation  par 
les  ouvriers.  L'année  dernière,  on  a  organisé  dans  une  paroisse  du 
diocèse  un  service  spécial  très  tard  dans  l'aprèa-midi  en  faveur  dea 
ouvriers  verriers  qui,  par  leur  travail,  se  trouvent  empôchéa  d'assis- 
ter aux  officee  du  matin.  Cet  easai  a  été  couronné  d'un  plein  succès. 
Evidemment,  un  pareil  service  ne  satisfait  pas  aux  proscriptions  du 
deuxiènne  commandement  do  l'Église,  maia  il  fournit  du  moins  aux 
ouvriers  une  occasion  pour  sanctifier  le  dimanche,  pour  élever  leurs 
âmes  et  pour  s'instruire. 

On  profitera  des  occasions  données  pour  prononcer  des  sermons 
sur  les  dovoirs  d'état  do  la  classe  ouvrière  :  dans  tous  les  cas  il 
faudra,  dans  les  paroisses  avec  une  population  ouvrière  plus  ou  moins 
notable,  tenir  compte,  d'une  manière  appropriée  dans  les  sermons, 
des  erreurs  et  du  mouvement  sociaux.  Là  où,  passagèrement  ou  à 
des  époques  déterminées  de  l'année,  des  ouvriers  étrangers  se  ras- 
semblent, on  prendra  dea  mesures  spéciales  pour  leur  instruction 
religieuse. 

Ad  2)  Les  écoles  gardiennes  ont  une  grande  importance.  Elles 
prêtent  aux  familles  ouvrières  un  secours  efficace  au  point  do  vue 
moral  comme  au  point  de  vue  matériel,  et  leur  action  bienfaisant© 
ne  saurait  être  assez  estimée. 

Ad  3)  a-c.  Dans  les  paroisses  ovi  le  nombre  des  ouvriers  industriels 
et  autres  est  très  faible,  on  examinera  si  on  ne  peut  pas  les  adjoindre 
aux  œuvres  de  compagnons  de  métier  {Gesellenvereine),  aux  œuvres 
d'apprentis  et  aux  œuvres  de  jeunes  filles  qui   existent  déjà.  Mais 


LE  CLERGÉ  ET  LA  QUESTION  OUVRIERE  99 

partout  où  la  chose  est  possible,   on  doit  créer  des  associations  spé- 
ciales, même  si  le  nombre  des  membres  est  restreint. 

L'organisation  de  ces  associations  doit  être  adaptée  aux  conditions 
et  besoins  Locaux  ;  toutefois,  la  direction  de  l'Association  doit  tou- 
jours être  confiée  à  un  prêtre.  Si  le  curé  se  trouve  empêché  de 
diriger  l'Association,  il  devra  quand  même  témoigner  effectivement 
â  l'œuvre  le  vif  intérêt  qu'il  prend  à  son  développement. 

L'organe  de  l'Association  des  Industriels  cailioliques  et  des  amis 
de  l'ouvrier,  le  «  Arbeiterwohl  »  (Cologne,  chez  l'éditeur  Bachem), 
donne  de  précieux  et  amples  renseignements  sur  l'organisation  de  ces 
Associations  d'ouvriers.  Voir  les  années  18S4,  numéro  III;  1885,  I; 
1886,  X,  XI,  XII;  1887,  VIL  Cet  organe,  qui  paraît  depuis  1881, 
donne,  comme  le  «  Christlich  sociale  Blaetter  »  (à  Neuss),  d'excel- 
lents conseils  pratiques  pour  les  associations,  ainsi  que  des  disserta- 
tions sur  les  besoins  sociaux  et  la  législation  sociale.  Pour  les  associa- 
tions d'ouvrières,  nous  recommandons  le  livre  du  D»"  P.  Norrenberg 
(Mayence  1881)  et  le  «  Wegweiser  jum  haeuslichen  Glueck  fuer 
Maedchen  (Gladbach  chez  Riffarth,  1888).  » 

Les  excellentes  publications  de  la  société  *  Arbeiterroohl  »  con- 
tiennent un  matériel  précieux  pour  les  Associations. 

Nous  citerons  :  Compass  fur  die  verheiratheten  Arbeiter.  Bas 
hœnsliche  Glilck.  Die  Krone  des  hœuslichen  Glûckes  (éducation  des 
enfants).  Compass  fiîr  den  jungen  Arbeiter  (1).  Une  correspondance 
pour  les  directeurs  des  associations  ouvrières  paraît  â  Cologne  chez  le 
directeur  de  l'Association  colonaise. 

Dans  toutes  les  paroisses  où  on  rencontre  des  industries  em- 
ployant des  ouvrières,  il  paraît  indiqué  de  créer,  en  outre  d'Asso- 
ciations ouvrières,  encore  des  écoles  ménagères,  des  écoles  de  travaux 
féminins  et  des  asiles  pour  Tes  jeunes  ouvrières. 

Une  sollicitude  spéciale  est  requise  pour  les  jeunes  ouvriers. 

Si  les  Associations  se  développent  bien,  il  y  aura  lieu  d'examiner 
s'il  ne  faut  pas  y  établir  des  caisses  de  secours  en  cas  de  maladies 
(à  côté  des  caisses  obligatoires)  et  en  cas  de  décès.  L'Association  de 
Breslau  accorde  de  pareils  secours. 

L'établissement  des  caisses  d'épargne  indépendantes  ne  sera  que 
rarement  faisable;  par  contre,  on  examinera,  si  les  Associations  ne 
doivent  pas  recueillir  les  épargnes,  même  minimes,  de  leurs  membres, 
afin  de  les  confier  aux  caisses  d'épargne  publiques.  Cela  se  pratique 
en  certains  endroits  avec  beaucoup  de  succès. 

Pour  le  travail  dans  les  associations  le  concours  de  laïques  et  aussi 
principalement  d'instituteurs,  est  fort  à  désirer. 

(1)  Une  traduction  flamande  de  certains  de  ces  excellents  livres  a 
été  entreprise  par  M.  l'abbi  Van  Speybrouck  (â  Bruge?),  sur  la 
demande  du  comité  social  de  la  Flandre  occidentale. 


100  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ad  4)  Même  si  nous  faisons  abstraction  de  l'intérêt  général  que  la 
législation  sociale  doit  exercer  sur  tout  homme  instruit,  il  est 
évident  que  le  clergé  doit  la  connaître  à  fond. 

La  loi  sur  les  caisses  de  malades  et  l'assurance  contre  les  acci- 
dents concerne  tous  les  ouvriers  industriels  et  agricoles;  la  loi  sur 
les  caisses  de  retraite  embrasse  onze  millions  d'ouvriers.  Il  est  iné- 
vitable que  les  ouvriers  ou  domestiques  ne  recourent  fréquemment 
au  clergé  pour  lui  demander  des  explications  ou  des  conseils.  Le 
prêtre  s'y  prêtera  avec  joie,  car  il  y  saluera  une  occasion  de  se  rap- 
procher de  ses  paroissiens,  d'exercer  son  influence  au  point  de  vue 
religieux  et  social. 

La  connaissance  de  la  législation  sociale  est  indispensable  à  ceux 
qui  sont  appelés  à  diriger  des  associations  d'ouvriers  ou  d'ouvrières. 

J'implore  de  toute  mon  âme  la  bénédiction  de  Dieu  sur  les  délibé- 
rations qui  se  tiendront  d'après  ce  programme. 

Je  nourris  la  ferme  confiance  que  les  rapports  me  démontreront 
que  mon  révérend  clergé  est  résolu  de  résoudre,  avec  un  zèle  ardent 
des  âmes  et  avec  confiance  en  Dieu,  les  grandes  tâches  qui  lui  incom- 
bent sur  le  domaine  social. 

Le  Prince-Evêque, 
f  Georges. 

Ce  document,  dont  la  haute  portée  n'a  pas  besoin  d'être  mise 
en  relief,  est  une  nouvelle  preuve  de  la  sollicitude  de  l'Eglise 
pour  les  ouvriers. 

NECROLOGIE 

Mgr  Grolleau,  évêque  d'Evreux,  est  mort  le  2  avril,  succom- 
bant à  la  longue  et  cruelle  maladie  qui  l'étreignait  depuis 
plusieurs  mois. 

C'est,  en  effet,  au  mois  d'octobre  dernier  que  la  santé  du 
prélat  commença  à  s'altérer  gravement;  depuis,  elle  s'affaiblit 
graduellement  sous  les  atteintes  répétées  du  mal  qui  devait 
l'emporter. 

Mgr  François  Grolleau  était  né  à  Chavagnes-les-Eaux, 
dans  le  diocèse  d'Angers,  le  1*^  novembre  1828.  Il  n'était  âgé 
par  conséquent  que  de  soixante-et-un  ans.  Il  était  depuis  peu 
d'années  curé  de  Saumur  quand  il  fut  appelé,  le  17  mai  1870,  à 
remplacer  Mgr  Devoucoux  sur  le  siège  épiscopal  d'Evreux. 
Préconisé  à  Rome  le  27  juin,  il  fut  sacré  dans  la  cathédrale  de 
Tours  le  8  septembre,  et,  le  14  du  même  mois,  il  fut  installé 
solennellement  dans  la  cathédrale  d'Evreux.  Le  nouvel  évêque 
prit  pour  armoiries  épiscopales  la  croix  d'or,  croisée  et  d'une 


NÉCROLOGIE  101 

clef  et  d'une  houlette,  avec  la  devise  appropriée:  Pro  Christo, 
Ecclesia  et  Grege. 

Fidèle  à  cette  noble  et  vaste  devise,  il  se  consacra  entière- 
ment et  exclusivement,  dès  le  premier  jour  de  son  pontificat  et 
jusqu'à  la  fin,  à  l'œuvre  multiple  que  nous  l'avons  vu  accomplir 
depuis  vingt  ans.  Le  temps  nous  manque  aujourd'hui  pour 
retracer  dans  ses  détails  cette  oeuvre  qui  aura  rendu  si  fécond 
l'épiscopat  de  Mgr  Grolleau.  Bornons-nous  à  rappeler  les  efforts 
et  le  dévouement  qu'il  consacra  au  recrutement  du  clergé  et  à 
l'éducation  de  la  jeunesse  :  la  fondation  de  l'école  libre  Saint- 
François-de-Sales,  la  restauration  du  collège  diocésain  d'Ecouis 
et  de  l'école  secondaire  ecclésiastique  de  Pont-Audemer  en 
resteront  les  vivants  témoignages.  La  création  de  l'asile  des 
Petites-Sœurs  des  pauvres,  la  restauration  de  la  cathédrale  et 
de  l'évêché,  etc.,  doivent  encore  prendre  place  au  premier  rang 
des  œuvres  qui  assurent  à  la  mémoire  du  regretté  prélat  une 
reconnaissante  vénération. 

Mgr  Grolleau  était  non  seulement  respecté  mais  aimé  de  tous, 
prêtres  et  laïques,  dans  ce  diocèse  oii  lui-même  avait  concentré 
toutes  ses  affections  et  ses  aspirations.  Sa  mort  est  pour  la 
population  tout  entière  un  deuil  profond,  et  c'est  accompagné 
de  regrets  universels  et  durables  qu'il  rentre  aujourd'hui  dans 
le  sein  de  Dieu. 

Vendredi  est  mort  à  Cracovie,  à  l'âge  de  quatre-vingt-douze 
ans,  le  dernier  président  de  la  République  de  Craco/ie, 
M.  ScHiNDLERDB  ScHiNDELHEiM,  né  dans  l'ancieune  capitale  de 
la  Pologne.  M.  Schindler  était  entré  d'abord  dans  les  ordres  ;  il 
devint  chanoine  de  la  cathédrale  et  professeur  de  théologie. 
C'est  grâce  à  la  protection  de  l'Autriche  qu'il  fut  placé  d'abord 
à  la  tête  du  Sénat,  puis  du  gouvernement  de  la  République  de 
Cracovie,  instituée  par  le  Congrès  de  Vienne.  M.  Schliudler 
remplit  ses  fonctions  de  1840  à  1846,  où  l'annexion  de  Cracovie 
à  l'Autriche  les  supprima  radicalement.  Le  cabinet  de  Vienne 
lui  ofi^it  de  brillantes  compensations  :  décorations,  titre  de  con- 
seiller privé  avec  la  particule.  M.  Schindler  vivait  depuis  long- 
temps dans  la  plus  profonde  retraite,  se  consacrant  surtout  à 
la  direction  de  l'abbaye  des  Bénédictins,  dont  il  était  abbé 
mitre,  et  à  des  recherches  sur  les  littératures  des  pays  d'Orient. 

On  annonce  la  mort  de  M.  l'abbé  Jules  Morel  dont  les  obsè- 
ques ont  eu  lieu  à  Angers  le  1"  avril. 


102  ANNALES  CATHOLIQUES 


NOUVELLES   RELIGIEUSES 


Home  et  Pltalie. 

A  la  suite  de  l'accord  qui  a  été  conclu  avec  le  gouvernement 
anglais,  par  l'intermédiaire  du  général  SLmmons,  le  Souverain 
Pontife  conférera  à  révèiiud  de  Malte,  Mgr  Pace,  dans  le  pro- 
chain consistoire,  qui  aura  lieu  en  mai,  le  titre  et  le  droit  de 
juridiction  de  métropolitain  sur  les  missions  catholiques  situées 
dans  les  possessions  anglaises  de  l'Afrique  septentrionale.  A 
cette  même  occasion,  la  hiérarchie  catholique  sera  r(''gulière- 
ment  instituée  dans  ces  missions,  dont  les  vicariats  apostoliques 
actuels  seront  élevés  au  rang  d'évêchés. 

On  annonce  la  prochaine  arrivée  à  Rome  de  Mgr  Kopp, 
archevêque  de  Breslau,  qui  a  été  chargé  par  l'empereur  d'Alle- 
magne de  prendre  part  aux  travaux  de  la  récente  conférence 
de  Berlia. 

On  ajoute  qu'après  le  rapport  do  ^Igr  Kopp  et  la  prise  de  con- 
naissance des  données  officielles  transmises  au  Saint-Siège  par 
la  communication  des  protocoles  mêmes  de  la  conférence,  le 
Souverain  Pontife  publiera  un  document  qui  ajoutera  aux 
résultats  de  la  conférence  la  sanction  raoralo  la  plus  efficace. 

Dans  les  cercles  du  (^uirinal,  on  dit  ouvertement  que  la  posi- 
tion de  M.  Crispi  commence  à  être  ébranlée,  depuis  qu'il  a  com- 
promis la  Couronne  dans  l'alTaire  du  monument  à  Mazzini  et 
que  les  radicaux  en  ont  pris  occasion  pour  redoubler  d'audace. 
Mais  on  ajoute  en  même  temps  que,  malgré  son  mécontente- 
ment et  ses  alarmes,  la  Maison  de  Savoie  doit  encore  traiter 
M.  Crispi  avec  ménagements,  parce  qu'elle  craint  le  ressenti- 
ment des  sectaires,  dont  M.  Crispi  est  l'idole  et  l'agent  le  plus 
efficace. 

Les  ruines  morales  et  matérielles  accumulées  en  Italie  par  le 
parti  qui  est  au  pouvoir  depuis  1876,  et  aggravées  si  considéra- 
blement sous  le  régime  Crispi  sont  dénoncées  par  une  feuille 
libérale,  le  FanfuUUy  qui  dresse  en  ces  termes  le  bilan  passif 
de  ce  parti  : 

Vous  avez  augmenté  de  300  millions  les  budgets  de  la  guerre  et 
de  la  marine;  voua  avez  doublé  les  budgets  des  autres  ministères; 
vous  avez  rendu   plus  vexatoires  beaucoup  de  lois  fiscales,   comme 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  103 

celles  de  la  richesse  mobilière,  des  constructioas,  de  l'octroi,  des 
tabacs,  etc.  ;  vous  avez  doublé  le  nombre  des  employés,  eu  créant 
ainsi  de  nouveaux  déclassés  pour  avoir  un  grand  nombre  de  prosé- 
lytes; vous  avez  laissé  tarir  les  sources  de  la  richesse  agricole  ;  vous 
avez  détruit  toute  spéculation  qui  se  fondait  sur  le  crédit  à  l'étranger  ; 
vous  avez  rouvert  l'abîme  du  déficit  avec  cent  millions  de  passif  sur 
le  budget;  vous  avez  jeté  dans  la  boue  l'éducation  du  peuple,  en  pro- 
clamant la  déesse  Raison,  au  lieu  des  immuables  principes  de  la 
vraie  morale  qui  élève,  instruit  et  discipline  les  populations;  vous 
avez  transformé  les  sanctuaires  de  la  science,  les  universités,  jadis 
gloire  de  l'Italie,  en  centres  de  vaines  agitations  juvéniles  ou  en 
chaires  qui  re.itent  muettes;  vous  avez  cédé   à  la  légère   au   désir  de 

chercher  en  Afrique  les  clefs   de  la  Méditerranée, et  vous  y  avez 

perdu  les  clefs  de  la  caisse. 

France. 

I>ARis.  —  Son  Enainence  le  Cardinal-Archevêque  a  tenu  à 
remercier  lui-même  (1)  publiquement  l'éloquent  conférencier 
de  Notre-Dame  de  tout  le  bien  qu'il  a  fait  aux  âmes  pendant 
les  dix-huit  années  durant  lesquelles  il  a  fait  entendre  la  parole 
du  haut  de  la  chaire  de  Notre-Dame.  Nous  sommes  heureux  de 
pouvoir  reproduire  ici  les  paroles  de  Son  Eminence,  qui  expri- 
maient hautement  ce  que  pensaient  tous  ceux  qui  depuis  de 
longues  années  ont  suivi  avec  tant  de  profit  l'enseignement  du 
pieux  et  savant  dominicain. 

Mon  Révérend  Père, 

Ce  n'est  pas  sans  émotion  que  je  me  lève  aujourd'hui  pour  béTîir 
votre  parole.  Vous  terminez  par  cette  conférence  le  grand  enseigne- 
ment du  dogme  catholique  que  vous  avez  donné  pendant  vingt  années, 
avec  une  bénédiction  si  visible  de  Notre-Seigneur,  du  haut  de  cette 
chaire. 

Je  me  reporte  par  la  pensée  au  jour  où  vous  y  montiez  pour  la 
première  fois.  C'était  pendant  l'Avent  de  1869.  On  était  à  la  veille 
des  grandes  douleurs  de  la  France  et  des  grandes  épreuves  de  l'Eglise. 
Le  concile  du  Vatican  s'assemblait  à  Rome;  et,  comme  pressentant 
l'avenir,  vous  faisiez  entendre  au  peuple  chrétien  Vappel  royal  et 
Vappel  maternel  de  l'Eglise.  Vous  la  montriez,  cette  Eglise,  reine  et 
mère  tout  ensemble,  prête  â  pourvoir  aux  nécessités  et  aux  périls  de 
la  crise  contemporaine. 

Les  événements  se  déroulèrent  sous  l'action  mystérieuse  de  la  Pro- 
vidence, qui  préparait  les  nations  par  les  leçons  de  l'expéTience  à 
écouter  la  voix  de  l'Eglise.  Si  la  chaire  de  Notre-Dame  ne  demeura 

(1)  Le  dimanche  des  Rameaux. 


104  ANNALES    CATHOLIQUES 

pas  complètement  silencieuse  pendant  les  années  de  1870  et  18*71, 
Dieu  parla  surtout  par  les  faits  qui  s'accomplirent  alors  sous  nos 
yeux. 

Quand  la  tempête  fut  calmée,  le  vénérable  cardinal  Guibert,  con- 
duit par  la  main  de  Dieu  dans  la  capitale  de  la  France,  vous  appela, 
mon  Cher  et  Révérend  Père,  pour  continuer  l'œuvre  des  Lacordaire 
et  des  Ravignan.  Vous  apparûtes  au  Carême  de  1872  dans  la  chaire 
de  Notre-Dame.  Vous  traduisiez  la  pensée  de  tous  quand  vous  disiez, 
au  début  de  votre  prédication  :  «  Il  faut  à  tout  prix  sortir  de  l'abîme 
d'humiliations  et  de  douleurs  patriotiques  où  nous  a  plongés  la  jus- 
tice divine  provoquée  par  l'extrême  perversité  des  opinions  et  des 
mœurs  publiques.  »  Le  salut  que  tous  appelaient,  vous  démontriez 
qu'il  ne  serait  obtenu  que  par  l'éneigique  affirmation  du  principe 
chrétien  dans  la  vie  privée,  dans  la  vie  de  famille,  dans  la  vie  publi- 
que. Plût  à  Dieu  que  nous  n'eussions  pas  trop  tôt  oublié  les  leçons 
de  la  Providence  et  du  malheur  ! 

Mais  à  ce  moment  les  âmes  en  conservaient  le  récent  souvenir,  et 
lorsqu'une  année  de  paix  eut  ramené  le  calme  dans  les  esprits  et 
dans  Ifs  cœurs,  vous  commençâtes,  mon  Cher  et  Révérend  Père,  ce 
lumineux  exposé  du  Credo  catholique  que  vous  achevez  aujourd'hui. 

Plus  tard,  quand  on  lira  l'histoire  de  notre  dix-neuvième  siècle, 
on  comprendra  la  place  qu'aura  occupée  dans  la  restauration  de  la 
société  chrétienne  l'enseignement  traditionnel  de  l'Eglise,  si  admira- 
blement condensé  par  l'Ange  de  l'Ecole,  votre  frère,  dans  sa  Somme 
théologique,  si  éloquemment  appropriée  par  vous  aux  besoins  des 
intelligences  de  notre  époque. 

Peut-être,  Messieurs,  en  m'entendant  parler  de  restauration  de  la 
société  chrétienne,  seriez-vous  tentés  de  iionser  que  je  me  fais  illu- 
sion. Ne  voyons-nous  pas  chaque  jour  l'Eglise,  ses  enseignements, 
ses  institutions,  en  butte  à  de  nouvelles  attaques  ?  Les  ruines  ne  se 
font-elles  pas  autour  de  nous?  Non.  nous  ne  devons  pas  nous  décou- 
rager. 11  y  a  des  ruines,  c'est  vrai  ;  mais,  au  milieu  de  ces  ruines. 
Dieu  pose  déjà  les  premières  fondations  de  l'avenir;  votre  présence 
ici  m'en  est  une  preuve  vivante.  Voilà  vingt  ans  que  des  chrétiens 
d'élite  se  forment  et  se  succèdent  autour  de  cette  chaire;  voilà  vingt 
ans  que  la  génération  contemporaine  reçoit,  accepte,  embrasse  avec 
une  conviction  croissante  la  parole  de  la  foi,  le  Credo  catholique. 
L'œuvre  du  salut  de  la  société  ne  s'accomplit  pas  en  un  jour.  La 
vérité  divine  a  cette  destinée  de  ne  pouvoir  conquérir  les  âmes  et  le 
inonde  qu'au  prix  de  la  lutte  et  du  sacrifice.  Mais  la  vérité,  selon  la 
belle  pensée  de  saint  Augustin,  n'est  jamais  humiliée  ni  vaincue, 
même  quand  ses  défenseurs  succombent  momentanément. 

Vous,  Messieurs,  qui  avez  recueilli  la  parole  du  fils  de  saint  Domi- 
nique, vous  serez,  je  l'espère  de  la  bonté  de  Dieu  et  de  la  générosité 
de  vos  cœurs  de  chrétiens  et  de  Français,  les  apôtres  de  la  vérité. 
Depuis  vingt  ans,  vous  dites,  par  votre  présence  au  pied  de  cette 


NOUVELLES    RELIGIEUbES  105 

chaire,  Y  Amen  au  Credo  catholique;  vous  le  dites  aujourd'hui,  vou^ 
le  direz  demain,  non  pas  seulement  sous  les  voûtes  de  Notre-Dame. 
mais  dans  la  France  entière. 

Durant  les  saints  jours  de  la  grande  semaine  qui  s'ouvre  aujour- 
d'hui, vous  viendrez  écouter  les  adieux  de  celui  qui,  pendant  vingt 
années,  fut  le  père  et  le  docteur  de  vos  âmes.  Vous  sentirez  revivre 
les  fortifiants  souvenirs  des  retraites  pascales  qui  ont  couronné  cha- 
que année  les  conférences  du  carême,  retraites  qui  vous  font  goûter 
les  douceurs  du  dogme  catholique  quand  il  pénètre  le  cœur  aussi  bien 
que  l'intelligence  et  qu'il  vivifie  notre  existence  tout  entière. 

Le  jour  de  Pâques  sera  vraiment  pour  vous  tous,  Messieurs,  le 
jour  de  la  résurrection;  et  quand  le  T,  R.  P.  Monsabré  vous  mon- 
trant le  Ciel,  qui  est  le  couronnement  de  la  vie  chrétienne,  vous 
aura  dit,  après  la  communion  pascale,  la  parole  d'adieu  :  In  te  Domine 
speravi,  non  confundar  tn  ceternitm  :  «  En  vous.  Seigneur,  j'ai  mis 
mon  espérance  et  je  ne  serai  pas  confondu  »,  vous  irez  à  travers  le 
monde,  avec  la  confiance  au  cœur  pour  vous,  pour  vos  familles,  pour 
notre  France,  cette  France  que  la  Très  Sainte  Vierge  garde  sous  sa 
protection  maternelle,  en  prenant  le  nom  de  Notre-Dame  de  Paris. 

Mon  cher  et  Révérend  Père,  quand  vous  parûtes  pour  la  première 
fois  en  1869,  dans  la  chaire  de  Notre-Dame,  vous  rappeliez  les  paroles 
touchantes  que  le  P.  Lacordaire  en  laissa  tomber  au  terme  de  sa  car- 
rière apostolique  :  «  Murs  de  Notre-Dame,  disait  votre  frère,  voûtes 
sacrées,  qui  avez  reporté  mes  paroles  à  tant  d'intelligences  privées 
de  Dieu,  autel  qui  m'avez  béni,  je  ne  me  sépare  point  de  vous.  » 

Vous  aussi,  mon  Cher  et  Révérend  Père,  vous  ne  vous  séparez  pas 
de  nous.  Permettez-moi  de  vous  appliquer  ce  que  vous  disiez  vous- 
même  alors  du  P.  Lacordaire  :  Vous  vivrez  en  ces  hommes  qui  sont 
votre  gloire  et  votre  couronne,  vous  vivrez  dans  la  reconnaissance  de 
Paris  et  de  la  France,  vous  vivrez  dans  la  fraternelle  afi'ection  du 
vénérable  Chapitre  métropolitain  et  du  clergé  de  Paris  :  qu'il  me  soit 
permis  d'ajouter,  vous  vivrez  surtout  dans  le  cœur  de  l'humble  arche- 
vêque, heureux  de  savoir  et  de  dire  que  notre  immortel  pontife 
Léon  XIII  a  été  consolé  par  les  triomphes  de  votre  parole  apostolique 
dans  la  chaire  de  Notre-Dame. 

Puis,  je  vous  adresserai  une  prière.  En  1872,  vous  avez  été  appelé 
par  réminent  Cardinal  Guibert,  de  noble  et  douce  mémoire,  à  pro- 
clamer, devant  la  France,  le  Vœu  national  au  Sacré-Cœur.  La  France 
a  été  fidèle  à  son  vœu.  La  basilique  a  grandi  sur  la  montagne  des 
Martyrs;  l'heure  approche  où  nous  pourrons  la  dédier  solennellement 
au  Cœur  miséricordieux  de  Jésus.  Mon  Père,  à  mon  tour,  je  vous 
convie  à  venir  en  ce  jour  chanter  dans  la  basilique  de  Montmartre 
l'hymme  de  notre  reconnaissance  et  les  miséricordes  de  Dieu  envers 
la  France  dévouée  et  pénitente  :  Christo  ejusque  sacratissimu  Cordi 
Gallia  pœnilens  et  devoia. 


106  ANNALES    CATHOLIQUES 

RÉPONSE    DU    T.    R.    P.    MONSABRÉ 

Eminentissime  Seigneur, 
Je  suis  touché  et  confus  en  même  temps  des  éloges  et  des  remer- 
ciements que  Votre  Eminence  vient  de  m'adresser.  Je  voudrais  les 
avoir  mérités,  mais  je  n'oserai  jamais  me  rendre  ce  témoignage. 
Ce  que  je  sens  profondément,  ce  que  je  puis  dire  librement,  c'est  que 
ai  ma  parole  a  eu  quelque  succès  et  a  fait  quelque  bien,  je  le  dois, 
après  la  grâce  de  Dieu,  à  votre  paternelle  bonté  et  aux  encourage- 
ments que  j'ai  reçus  de  vous  et  de  votre  vénérable  prédécesseur. 
J'emporte  de  mon  ministère  dans  cette  insigne  métropole  le  souvenir 
de  deux  saints  prélats  qui  furent  pour  moi  deux  pères,  souvenir  que 
la  piété  filiale  entretiendra  dans  mon  cœur  jusqu'à  ce  qu'il  ait  cessé 

de  battre. 

Étr-auger. 

Hollande.  —  Il  y  a  maintenant  trente-sept  ans  que  S.  S. 
Pie  IX,  de  vénérée  mémoire,  a  rétabli  en  Hollande  la  hiérar- 
chie catholique.  Le  tableau  suivant,  emprunté  à  la  Néerlande 
catholique  [offerte  au  Pape  à  l'occasion  de  son  jubilé  sacerdotal) 
est  la  preuve  des  précieux  résultats  qu'a  produits  cette  grande 
mesure.  Les  deux  années  qui  nous  séparent  de  cet  heureux 
événement  n'ont  fait  qu'ajouter  au  triomphe  de  l'Eglise  et  de  la 
Papauté. 

En  1853,  il  j  avait  en  Hollande  711  religieux  dans  88  mai- 
sons; en  1887,  leur  nombre  atteignait  2,572,  dans  144  couvents; 
les  religieuses,  de  1,943  dans  109  maisons,  arrivaient  à  8,350 
dans  453  monastères. 

*  Les   hospices  et  orphelinats  catholiques  sont  montés  de  93 
à  233. 

En  1853,  il  y  avait  en  Hollande,  1,144,415  catholic^ues.  En 
1877,  ils  atteignaient  1,403,400.  Depuis  cette  date,  onpQut  être 
sûr  que  le  chiffre  des  catholiques  hollandais  a  encore  augmenté 
de  plusieurs  centaines  de  milliers. 

On  a  construit  416  églises  et  l'on  en  a  restauré  136,  avec  une 
dépense  de  cent  millions  de  francs. 

La  Hollande  contribue  largement  au  denier  de  Saint-Pierre. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Le  voyage  de  M.  Carnot.  —  Les  tripotages  du  Conseil  municipal  de  Paris. 
—  Conseils  généraux.  —  Au  Dahomey.  —  Un  rescrit  de  Guillaume  IL 

10  avril  1890. 
Le  président  de  la  République  a  définitivement  arrêté  le  pro- 
gramme de  son  voyage  en  Corse,  après  avoir  reçu  la  visite  des 
députés  et  sénateurs  de  ce  département. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  107 

Le  départ  de  Toulon  de  l'escadre  sur  laquelle  s'embarquera 
M.  Carnot  s'eflectuera,  le  21  avril,  à  quatre  heures  et  demie  du 
soir,  et  l'arrivée  à  Ajaccio  aura  lieu  vers  huit  heures  de  la 
matinée.  Après  un  discours  du  préfet,  du  maire  et  du  président 
du  conseil  général,  M.  Em.  Arène,  le  cortège  présidentiel  rendra 
visite  aux  établissements  hospitaliers  de  la  ville. 

Le  Président  de  la  République  se  rendra  également  à  la  mai- 
son dans  laquelle  est  né  Napoléon  Bonaparte. 

Le  déjeuner  aura  lieu  à  la  préfecture.  Sur  les  instances  de 
M.  Arène,  le  Président  de  la  République  a  paru  disposé  à  modi- 
fier légèrement  son  itinéraire  pour  se  rendre  à  Propriano,  petit 
port  de  l'arrondissement  de  Sartène,  qui  a  pris  depuis  peu  un 
certain  développement  commercial,  et  oii  les  populations  de 
l'arrondissement  de  Sartène  viendront  saluer  le  Président  de  la 
République. 

Après  cette  excursion  à  Propriano,  aura  lieu  un  dîner  offert 
par  le  Président  de  la  République  aux  notabilités  d'Ajaccio  et 
de  la  Corse,  diner  suivi  d'une  réception  ouverte  à  la  préfecture. 
Enfin,  à  dix  heures,  feu  d'artifice  que  la  municipalité  fera  tirer 
sur  le  golfe. 

Le  lendemain  matin  22,  le  Président  partira  pour  Bastia  et 
Corte.  IL  s'arrêtera  dans  la  forêt  de  Vizzavone,  dans  laquelle 
aura  lieu  le  déjeuner.  M.  Carnot  se  rendra  ensuite  en  voiture  à 
Corte,  en  s'arrêtant  à  Vivaria,  Venaco,  Saint-Pierre-de-Venaco, 
pour  arriver  à  Corte  vers  trois  heures.  Réception  par  les  auto- 
rités et  départ  à  quatre  heures  quinze  pour  Bastia,  où  l'on  arri- 
vera à  sept  heures  cinquante. 

A  Bastia,  la  bienvenue  sera  souhaitée  au  Président  par  le 
maire,  M.  Casablanca,  sénateur.  Le  lendemain,  déjeuner  ofi'ert 
par  le  Président  de  la  République  et  régates  dans  la  journée. 
M.  Carnot  s'embarquera  le  23,  vers  cinq  heures  du  soir,  sur 
l'escadre  et  débarquera  le  jeudi  24,  au  matin,  en  rade  de  Yille- 
franche. 

La  journée  entière  du  24  se  passera  à  Nice.  Le  25,  départ  de 
cette  ville  dans  la  matinée  ;  le  Président  s'arrêtera  à  Antibes, 
où  primitivement  il  ne  devait  pas  s'arrêter,  puis  à  Cannes,  enfin 
une  heure  environ  à  Grasse,  plusieurs  heures  à  Draguignan,  oii 
aura  lieu  le  déjeuner. 

Le  Président  de  la  République  se  rendra  ensuite  par  les  che- 
mins de  fer  du  Sud  à  Digne,  oii  il  couchera.  Le  26,  il  partira 
dans  la  matinée  pour  se  rendre  à  Gap,  où  il  déjeunera;  il  rece- 


108  ANNALBS    CATHOLIQUES 

vraies  autorités  de  ces  deux  villes  ;  enfin,  il  partira  de  Gap 
dans  la  soirée  pour  Grenoble,  Lyon,  etc.,  et  arrivera  à  Paris  le 
lendemain  matin,  27. 

Non  contents  de  s'être  illégalement  attribué  des  émoluments 
auxquels  ils  n'avaient  pas  droit,  voici  que  les  conseillers  muni- 
cipaux de  Paris  se  taillent  des  revenus  dans  les  emprunts  de  la 
ville.  Un  certain  nombre  d'entre  eux  se  sont  attribué  des  obli- 
gations «  irréductibles  »,  dans  l'emprunt  de  la  Ville  qui  vient 
d'avoir  lieu,  et  comme  ces  titres  ont  été  favorisés  d'une  prima 
de  7    à  8   fr.,  on   accuse  les  édiles  parisiens  d'avoir  fait  tout 
simplement  une  spéculation   au  détriment  des  pauvres  contri- 
buables  qui  faisaient   inutilement  la  queue   aux    guichets   d* 
souscription.    Il  faut   d'ailleurs    ajouter    que    les   explications 
données   par  les  conseillers  interviewés    par  les  reporters  des 
feuilles  officieuses  sont  les   plus  maladroites.  Elles  constatent 
que,  cette  fois,   la  moyenne  de    quinze  obligations   qu'il    était 
d'usage  de  mettre  à  la  disposition    de  chaque  conseiller  muni- 
cipal s'est  élevée  à  vingt-quatre  et  même  que  quelques-uns  s'ea 
sont  attribué  une  centaine,  bénéficiant  ainsi  de  l'abstention  do 
certains    de    leurs    collègues.    En   somme,   que   conseillers    et 
employés    de    la   ville    ont  profité   d'un     millier    d'obligations 
environ. 

Bref,  les  conseillers  interrogés,  reconnaissent  eux-mêmes 
qu'il  s'est  produit  des  abus  profondément  regrettables,  don 
bon  nombre  de  conseillers  doivent  être  rendus  responsables.  On* 
a  demandé  la  publication  des  listes.  Mais  ce  n'est  là  qu'un 
remède  illusoire;  les  listes  n'apprendront  rien.  On  y  verra  une 
quantité  de  noms  totalement  inconnus  et  tout  à  fait  étrangers 
au  conseil  ou  à  l'administration.  Il  sera  donc  bien  difficile  de 
faire  la  part  de  toutes  les  responsabilités.  Aussi  le  sufi'rage 
universel,  qui  n'a  ni  les  moyens  ni  la  volonté  de  se  livrera  une 
enquête  approfondie,  s'en  prendra-t-il  au  conseil  municipal 
tout  entier,  dont  les  membres  n'auront  pas  à  se  montrer  surpris, 
s'ils  ne  sont  pas  réélus. 

Les  conseils  généraux  ouvriront  leur  session  de  Pâques  le 
lundi  14  avril  courant. 

Trois  ministres  seulement  sont  membres  de  ces  assemblées 
départementales  :  M.  Rouvier,  ministre  des  finances,  est  con- 
seiller des  Alpes-Maritimes;  M.  Barbey,  ministre  de  la  marine, 


CHRONIQUE    1>E   LA    SEMAINE  109 

€?t  conseiller  général   du  Tarn,  et  M.  Jules  Roche,  ministre  du 
commerce,  est  conseiller  général  de  l'Ardèche. 

M.  Barbey,  obligé  d'accompagner  le  président  de  la  Répu- 
blique dans  son  prochain  vovage  à  Toulon  et  en  Corse,  ne 
pourra  probablement  pas  se  rendre  à  la  session  de  son  conseil 
général. 

Le  conseil  des  ministres  a  décidé  le  blocus  de  la  côte  des 
esclaves.  Ce  blocus,  dont  le  but  est  d'empêcher  que  des  armes 
ne  soient  introduites  au  Dahomey,  aura  lieu  au  moyen  de  notre 
croisière  de  l'Atlantique  du  sad,  renforcée  de  deux  nouveaux 
navires.  Le  blocus  a  dû  être  notifié  aux  puissances  maritimes 
européennes.  On  parle  même  de  prendre  Whidah,  le  port  du 
Dahomey.  On  annonce,  d'autre  part,  des  envois  de  renforts  à 
Kotonou  et  et  à  Porto-Novo.  Il  est  donc  évident  que  nous 
sommes  en  guerre  avec  le  Dahomey  et  que  nous  étendons  de 
plus  en  plus  le  cercle  des  opérations  militaires. 

JN'ons  ne  voudrions  rien  exagérer.  La  guerre  du  Dahomey  ne 
peut  pas  prendre  la  même  importance  que  celle  du  Tonkin  et 
nous  entraîner  aussi  loin.  Cependant  les  gens  auxquels  nous 
avons  affaire  là-bas  ne  sont  pas  des  ennemis  à  mépriser.  Dans 
ua  des  combats  que  nos  soldats  ont  soutenu  contre  eux,  vingt- 
cinq  des  nôtres  ont  été  tués  ou  blessés.  De  leur  côté  ils  ont 
perdu  cinq  cents  hommes  parce  qu'ils  ont  été  obligés,  en  battant 
en  retraite,  de  traverser  un  terrain  découvert  sous  le  feu  de  nos 
"batteries.  L'armée  qui  nous  est  opposée  est  forte,  paraît-il,  de 
quinze  mille  hommes,  plus  deux  mille  amazones.  Les  Daho- 
méens sont  armés  les  uns  de  fusils  à  pierre,  les  autres  de  lances 
et  de  sabres.  Ils  ont  une  organisation  militaire  relativement 
perfectionnée  et  ils  se  battent  avec  une  grande  bravoure.  Il  est 
donc  impossible  d'admettre  qu'avec  quelques  centaines  d'hommes 
on  pourra  leur  infliger  la  leçon  que  AI.  Etienne  leur  a  promise 
du  haut  de  la  tribune  de  la  Chambre  dans  la  séance  du  8  mars. 
D'autre  part,  le  blocus  de  la  côte  pourra  les  gêner  un  peu. 
Mais,  néanmoins,  ils  trouveront  bien  le  moyen  de  s'approvi- 
sionner d'armes  et  de  poudre  et  de  continuer  à  se  battre.  On 
ne  pourra  leur  infliger  la  «  leçon  s>  promise  qu'en  organisant  une 
colonne  expéditionnaire  composée  de  trois  ou  quatre  mille 
hommes  de  troupes  bien  choisies,  moitié  Français  moitié 
tirailleurs  sénégalais,  qui  ira  incendier  Abomey,  leur  capitale. 
Voilà  la  perspective   qu'il  faut,  dès    à   présent  envisager.   Le 


110  ANNALES    CATHOLIQUES 

gouvernement  français  doit  le  savoir  :  Il  est  au  courant  de  la 
situation,  car  M.  Bajol  a  dû  lui  adresser  un  rapport,  à  ce  sujet, 
après  le  séjour  qu'il  a  fait  dans  la  capitale  du  Dahomey.  Dans 
oes  conditions,  il  est  permis  de  se  demander  pourquoi  l'on  n'a 
pa^  dit  franchement  aux  Chambres  ce  qu'il  en  était,  avant  les 
vacances.  Ce  n'est  pas  hier  qu'on  s'est  aperçu  qu'il  était  néces- 
saire d'établir  le  blocus  pour  couper  au  Dahomey  ses  commu- 
nications avec  la  mer.  Pourquoi  a-t-on  attendu  pour  prendre 
cette  mesure,  que  les  Chambres  se  soient  mises  en  vacances? 
Le  gouvernement  n'avait,  nous  semble-t-il,  aucun  intérêt  à 
dissimuler  la  vérité,  car  personne,  ni  à  droite  ni  à  gauche,  ne 
refuserait  les  crédits  nécessaires  pour  assurer  le  respect  du 
drapeau  français  en  Afrique.  Engager  cette  afiaire  du  Dahomey 
subrepticement  comme  on  le  fait,  c'est  une  conduite  qui  manque 
de  dignité  autant  que  d'habileté. 

Guillaume  II  a  juré  d'étonner  le  monde  non  seulement  par  la 
hardiesse,  mais  aussi  et  surtout  par  la  multiplicité  de  ses  con- 
ceptions :  il  a,  comme  feu  Emile  de  Girardin,  une  idée  par  jour 
ou  à  bien  peu  près. 

Il  vient  de  publier  un  nouv^eau  rescrit  sur  le  recrutement  des 
officiers  dans  l'armée  allemande.  La  petite  bourgeoisie  était 
jusqu'ici  rigoureusement  exclue  de  l'armée  active  et  elle  devait 
borner  son  ambition  â  remplir  une  partie  des  cadres  de  réserve. 

Le  nouveau  rescrit  ouvre  toutes  gi'andes  les  portes -d a  l'armée 
aux  €  fils  de  familles  bourgeoises  honorables  qui  chérissent  le 
roi  et  la  patrie,  aiment  le  métier  de  soldat  et  nourrissent  des 
sentiments  chrétiens.  »  Cette  restriction  finale  vise  les  juifs.  Les 
fils  d'Israël  continueront  d'être  bannis  du  corps  d'officiers. 

L'exclusion  ne  s'applique  d'ailleurs,  bien  entendu,  qu'aux 
cadres  de  l'active.  Les  cadres  de  la  réserve  sont  accessibles  aux 
sémites;  fort  peu  profilent  de  la  permission. 

Particularité  presque  ignorée  en  France,  nul  n'est  admis  en 
qualité  d'officier  dans  un  régiment  prussien  sans  l'agrément  des 
autres  officiers.  Là,  le  corps  d'officiers  de  chaque  régiment 
constitue  une  sorte  de  c  cercle  »  oii  il  y  a  des  <  ballottages  » 
tout  comme  au  JocTcey-Club.  Les  aspirants  officiers,  après  avoir 
subi  avec  succès  les  examens  de  sortie  des  écoles  militaires, 
entrent,  avec  la  qualification  de  fœhnrich  (enseigne-porte-épée), 
dans  un  régiment  et  attendent  qu'il  y  ait  de  la  place. 

Quand  iine  vacance  se  produit,  le  chef  de  corps  réunit  les  offi- 


CHRONIQUE   DE   LA   SEMAINE  Jll 

ciers,  et  tous  prennent  part  au  vote  sur  la  question  de  savoir  si 
le  plus  ancien  des  fœhnrich  est  digne  d'être  nommé  sous-lieute- 
nant. Si  le  candidat  a  contre  lui  la  majorité  des  suffrages,  il  est 
écarté  et  l'on  passe  à  celui  qui  le  suit  immédiatement  sur  la  liste 
d'ancienneté.  Autonomie  régimentaire. 

Or,  dans  la  condition  à  remplir  pour  le  fœhnrich  figure,  en 
bon  rang,  l'augmentation  de  traitement  la,  subvention  que  la 
famille  s'engage  a  lui  servir. 

La  coutume  s'est  établie  do  demander  à  un  sous-lieutenant 
d'infanterie  1,50()  fr.  par  an  comme  part  contriljutive  de  famille, 
tandis  que  l'Etat  ne  lui  en  alloue  que  1,125.  Situation  curieuse, 
on  l'avouera.  Qu'adviendra-t-il  des  efforts  tentés  par  l'empereur 
pour  y  porter  remède  ? 

Obtenir  des  officiers  qu'ils  renoncent  à  leurs  habitudes  semble 
difficile.  Augmenter  la  solde  de  façon  à  rendre  inutiles  les  «  sub- 
ventions de  famille  »,  il  n'y  faut  pas  songer. 

Les  officiers  d'un  même  régiment  forment,  pour  ainsi  dire, 
une  famille  dont  les  membres  sont  étroitement  liés  ;  ils  appar- 
tiennent au  même  monde,  an  même  cercle  de  relations,  à  la 
même  province,  et  il  n'est  pas  rare  que  leurs  pères  aient  servi 
autrefois  dans  le  même  régiment. 

On  dira  que  cette  survivance  des  traditions  et  des  préjugés 
aristocratiques  est  choquante  pour  nos  idées  modernes  et  nos 
instincts  égalitaires.  Mais  il  faut  reconnaître  aussi  qu'elle  a 
constitué  la  force  de  l'armée  prussienne  en  communiquant  aux  of- 
ficiers qui  la  dirigent  unesprit  de  corps  etdes  vertus  militaires  qui 
étaient  la  résultante  de  leur  système  de  recrutement.  Ces  vertus 
militaires  sont  un  fruit  de  l'atavisme,  et  cet  esprit  de  corps, 
une  conséquence  de  l'esprit  de  caste.  Individuellement,  l'officiep 
prussien  ne  vaut  ni  plus  ni  moins  qu'un  autre  ;  collectivement, 
il  n'a  pas  de  comparaison  à  craindre. 

Tel  est,  du  moins,  l'avis  de  tons  les  Français  compétents  qu 
ont  étudié  l'armée  prussianne,  en  déposant  au  préalable  les 
lunettes  du  chauvinisme. 

Cet  exclusivisme  ne  pouvait  cependant  pas  durer.  L'effectif 
de  l'armée  allemande  augmente  tous  les  ans  depuis  la  guerre  de 
1870.  Deux  nouveaux  corps  d'armée,  celui  de  Metz  et  celui  de 
Dantzig,  sont  en  voie  d'organisation.  Il  est,  en  outre,  question 
d'augmenter  de  74  batteries  l'effectif  de  l'artillerie.  Ces 
augmentations  s-ucces^ves  exigent  un  nombre  chaque  jour  crois- 
sant d'officiers.  Depuis  longtemps,  d'ailleurs,  il  y  avait  pénurie 


112  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'officiers  en  Allemagne.  Ainsi  que  le  constate  le  rescrit  d& 
Guillaume  II,  «  presque  tous  les  régiments  d'infanterie  et 
d'artillerie   sont  actuellement  loin  d'être  au  complet.  » 

Cette  situation,  jointe  aux  formations  nouvelles  en  perspective, 
imposait  d'urgence  une  modification  des  bases  fondamentales  et 
traditionnelles  du  système  de  recrutement  des  cadres.  «  La 
noblesse,  ajoute  le  même  rescrit,  ne  saurait  à  l'heure  présente 
prétendre  à  fournir  à  elle  seule  des  officiers  à  l'armée.» 

Par  ce  (jui  précède,  on  voit  que  l'on  ferait  erreur  en  attribuant 
cette  réforme  aux  tendances  novatrices  et  démocratiques  du  jeune 
empereur.  Guillaume  obéit  à  une  nécessité.  Pour  quiconque  sui^ 
avec  toute  l'attention  qu'un  semblable  sujet  mérite  le  développe- 
ment numérique  de  l'armée  allemande  dont  l'armée  prussienne 
constitue  le  noyau  et,  de  beaucoup,  le  plus  fort  contingent, 
l'abandon  des  anciens  errements  devait  finir  par  s'imposer  un  jour 
ou  l'autre.  Guillaume  P''  était  trop  vieux  pour  se  résig'^er  à  une 
réforme  dont  il  appréhendait  à  bon  droit  les  conséquences  ;  son 
petit-fils  l'accomplit  d'un  trait  de  plume. 

En  supposant  que  le  niveau  intellectuel  reste  le  même,  le 
niveau  moral  baissera  certainement.  Il  se  créera  dans  l'armée 
allemande  un  dualisme  dont  elle  était  exempte  jusqu'ici  et  dont 
l'absence  assurait  à  son  corps  d'officiers  une  précieuse  homogé- 
néité. Il  y  aura  les  officiers  nobles  et  les  officiers  bourgeois,  qui 
ne  frayeront  pas  ensemble  et  se  détesteront  cordialement  du 
fond  de  leur  cœur. 

La  publication  du  rescrit  impérial  élucide  deux  points  obscurs 
de  l'histoire  de  ces  dernières  semaines;  elle  nous  apprend  pour- 
quoi Guillaume  II  a  réuni  il  y  a  quinze  jours  à  Berlin  tous  leS 
officiers  de  corps  d'armée  et  pourquoi  le  général  Walders  <  ^ 
pris  un  long  congé,  qu'il  est  allé  passer  à  San-Remo.  On  a 
raconté  que  l'empereur  avait  eu  avec  le  chef  du  grand  état^ 
major,  au  cours  de  cette  réunion,  une  assez  vive  altercation. 
Nous  avons  maintenant  le  mot  de  l'énigme.  Le  général  de  Wai- 
dersee  n'approuvait  pas  le  rescrit.  Quoique  jeune,  relativement, 
le  général  est  imbu  des  vieilles  traditions  de  l'armée  prussienne. 
Il  est  en  outre  un  aristocrate  de  la  vieille  roche.  Par  ces  deux 
motifs,  la  réforme  lui  répugnait  ;  il  n'a  voulu  partager  ni  la  res- 
ponsabilité do  l'initiative  ni  celle  de  l'application. 

Le  gérant:  P.  Chantrel. 

Paris.  Imp.  0.  Picquoin,  53,   rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


L'EXECUTION  DE  LA  NOUVELLE  LOI  MILITAIRE  (1) 
Messieurs  et  Chers  Coopérateurs, 

Vous  avez  suivi  avec  le  plus  grand  intérêt  les  efforts  que  j'ai 
faits  pour  épargner  autant  que  possible  au  clergé  les  épreuves 
de  la  dernière  loi  cûilitaire.  Plusieurs  d'entre  vous  m'ont  même 
donné  des  renseignements  précieux  sur  les  sentiments  des  popu- 
lations au  milieu  desquelles  ils  vivent,  sur  les  impressions  si 
différentes  que  produiraient  parmi  ces  populations,  surtout  au 
moment  où  la  guerre  éclaterait,  d'une  part  la  réalisation  du 
projet  que  j'ai  exposé  dans  ma  Lettre  à  MM.  les  Sénateurs  et  à 
MM.  les  Députés,  sous  ce  titre  :  Le  Service  militaire  et  le 
Cierge^,  et  de  l'autre,   la  mise  en  pratique  de  l'opinion  opposée. 

Depuis  lors,pour  combler,  au  moins  dans  une  certaine  mesure, 
les  vides  que  la  nouvelle  loi  produira  dans  les  rangs  des  sémi- 
naristes et  des  prêtres,  j'ai  développé  et  réorganisé  sous  le  titre 
d'Association  de  Saint-Joseph,  l'œuvre  déjà  si  importante  des 
vocations  ecclésiastiques,  et  comme  toujours,  le  diocèse  de  Nancy 
a  donné  les  preuves  les  plus  touchantes  de  sa  générosité.  Vous 
savez  d'ailleurs  que  si  jusqu'à  ce  jour  ce  diocèse  a  eu  le  bonheur 
d'avoir  des  prêtres  en  nombre  très  suffisant,  pour  le  ministère 
paroissial  et  pour  nos  grands  établissements  d'instruction 
secondaire,  et  s'il  a  pu  fournir  un  certain  nombre  de  sujets  aux 
congrégations  et  aux  missions  étrangères,  nous  devons  ce 
bonheur  aux  secours  considérables  que  l'administration  diocé- 
saine a  donné  aux  élèves  du  grand  et  du  petit  Séminaires,  et 
aussi  au  zèle  avec  lequel  vous  avez  répondu  à  mes  exhortations 
en  choisissant  et  en  préparant  dans  nos  paroisses  des  élèves 
pour  le  petit  Séminaire. 

Je  voudrais  aujourd'hui  répondre  à  vos  appréhensions  au 
sujet  de  la  nouvelle  loi  militaire  |et  vous  dire  ce  que  j'ai  fait 
et  ce  que  je  compte  faire  pour  accomplir  sur  ce  point  d'une 
suprême  importance  les  devoirs  de  ma  charge  épiscopale. 

I 

Malgré  les  apparences  contraires,  il  ne   faut  pas  désespérer 
(1)  Lettre  de  Mgr  l'évêque  de  Nancy  au   clergé  de  son  diocèse. 
Lxxii  —  19  Avril  1890  9 


114  ANNALES    CATHOLIQUES 

d'obtenir  un  jour  que  la  loi  qui  impose  a«  clergé  le  service 
militaire  soit  modifiée.  Il  importe  donc  souverainement  de  pré- 
parer les  voies  à  ces  modifications  et  d'écarter  le  plus  possible 
les  difficultés  et  les  obstacles. 

Tandis  que  de  simples  fidèles  exposent  chaque  jour  leurs 
vues,  leurs  conseils  sur  la  situation  que  cette  loi  impose  au 
clergé,  personne  n'osera  contester  à  un  évêque  le  droit  et  le 
devoir  de  dire  sa  pensée  sur  cette  question  qui  relève  directe- 
ment et  essentiellement  de  l'autorité  épiscopale  et  qu'il  a  étudiée 
avec  toute  l'attention  qu'elle  mérite. 

Je  me  propose  simplement  de  signaler  quelques-unes  des 
preuves  qui  me  paraissent  de  la  plus  haute  portée  en  faveur  du 
projet  qui  a  été  l'objet  de  ma  brochure  :Le  Service  militaire  et 
le  Clergé. 

Ce  projet  a  reçu  par  écrit  l'approbation  spontanée  de  douze 
archevêques  et  évêques  de  Franco,  Par  un  sentiment  de  dclica- 
teese,  je  n'ai  publié  aucune  de  leurs  lettres.  Si  je  les  avais 
publiées,  il  est  certain  que  d'autres  adhésions  me  seraient 
venues.  Plusieurs  de  mes  vénérés  collègues  qui  ne  m'ont  point 
écrîi  ont  exprimé  de  vive  voix  la  même  opinion.  Enfin  un  des 
plus  vénérablosd'entreeux  m'écrivait  que  dans uneréunion nom- 
breuse des  évêques  de  France,  tous  ceux  avec  lesquels  il  avait 
causé  de  cette  grave  question  lui  avaient  exprimé  cette  pensée 
que  ma  proposition  était  pratique,  sage  et  utile. 

Parmi  le  très  grand  nombre  de  témoignages  autorisés  et  pré- 
cieux qui  m'ont  été  donnés  je  ne  citerai  que  le  passage  suivant 
d'une  lettre  que  m'adressait,  le  24  août  1889,  le  Supérieur 
général  d'une  des  plus  importantes  et  des  plus  admirables  con- 
grégations religieuses  : 

«  Vous  n'en  aurez  pas  moins,  Monseigneur,  l'honneur  devant 
les  hommes  et  le  mérite  devant  Dieu  d'avoir,  encore  cette  fois, 
essayé  de  sauvegarder  les  précieux  trésors  que  l'on  veut 
enlever  à  l'Eglise,  et  d'avoir  indiqué  pour  le  clergé  un  apostalat 
de  charité  bien  propre  à  lui  ramener  les  sympathies  populaires. 
«  Vous  avez  bien  voulu  rattacher  à  la  cause  du  clergé  en 
générai,  celle  des  humbles  congrégations  enseignantes  ;  si  votre 
projet  si  épiscopal  et  si  patriotique  était  accueilli,  vous  auriez 
préservé  ces  congrégations,  et  par  suite  l'enseignement  chré- 
tien, du  plus  désastreux  des  coups  qui  lui  ont  été  portés  dans 
ces  temps  malheureux.  » 

Le  gouvernement  allemand,    d'accord   avec   les  Chambres, 


l'exécution  DS    liA  NOUVBfcLE  LOI  MILITAIRE  115 

vient  d'apporter,  sur  l'initiative  des  députés  du  Centre,  une 
modification  importante  à  la  loi  militaire.  Le  nouveau  texte  de 
la  loi  a  été  voté  à  l'unanimité  par  les  députés  catholiques;  il  a 
été  loué  par  toute  la  presse  catholique  de  France  qui  sans 
exception  a  manifesté  plusieurs  fois  le  désir  de  voir  le  gouver- 
nement et  les  Chambres  françaises  faire  au  clergé  la  conces- 
sion qui  vient  de  lui  être  faite  en  Allemagne. 

Je  ne  prétends  pas  que  les  députés  catholiques  allemands  qui 
ont  voté  cette  loi  à  l'unanimité  l'auraient  votée  s'ils  avaient 
été  absolument  libres  de  choisir  à  leur  gré  ce  qui  pouvait  leur 
paraître  préférable  à  tous  égards.  Mais  nous  ne  sommes  pas  à 
l'heure  présente,  et  nous  n'étions  pas,  à  la  veille  du  vote  cer- 
tain de  la  loi  militaire,  dans  une  situation  meilleure  que  celle 
des  catholiques  d'Allemagne,  il  y  a  quelques  semaines.  Au 
contraire,  la  loi  avait  été  appliquée  en  Allemagne  avec  de» 
ménagements  auxquels  les  interprétations  données  jusqu'à  pré- 
sent en  France  sont  absolument  opposées. 

N'oublions  pas  qu'en  France  les  prêtres  seront  Soumis,  dans 
certaines  circonstances,  au  service  militaire  jusqu'à  l'âge  da 
quarante-cinq  ans,  c'est-à-dire  aux  manœuvres  de  la  territo- 
riale et  de  la  réserve,  à  moins  que  chargés  du  service  d'une 
paroisse  ou  aumôniers  de  lycées,  d'hôpitaux,  de  prisons,  ils  n© 
demandent  à  être  dispensés  de  ces  manœuvres.  N'oublions  pas 
que  tous  les  religieux  qui  n'auront  pas  obtenu  le  grade  de 
licencié  et  les  ecclésiastiques  qui  à  vingt-six  ans  au  plus  tard 
ne  présenteront  pas  un  certificat  épiscopal  attestant  qu'ils 
«  appartiennent  au  clergé  séculier  et  qu'ils  sont  rétribués  à  ce 
titre  soit  par  l'Etat.,,  soit  par  un  établissement  public  ou  d'uti- 
lité publique...  le'galement  reconnu,  auquel  ils  soient  régu- 
lièrement attachés  »  (1),  tous  ces  religieux  et  ces  ecclésiastiques, 
quoique  élevés  au  sacerdoce,  retourneront  pour  deux  ans  à  la 
caserne.  De  plus,  il  paraît  démontré  que  ces  ecclésiastiques  et 
ces  religieux,  même  ceux  qui  auront  le  titre  de  licencié,  seront^ 
en  cas  de  guerre,  non  pas  employés  dans  le  service  de  santéj 
mais  placés  parmi  les  combattants. 

C'est  en  présence  de  ces  tristes  réalités  que  doivent  être  exa- 
minées les  modifications  que  j'avais  proposées. 

Je  vais  comparer  mon  projet  au  nouveau  texte  de  la  loi  mili- 
taire allemande.  Il  est  inutile  que  je  déclare  tenir  mes  rensei- 
gnements! des  sources  les  plus  sùr^es. 

(1)  Décret  du  23  novembre  1889,  art.  34. 


116  ANNALKS  OATHOLIQUKS 

Voici  le  texte  de  cette  loi  d'après  la  traduction  littérale  qui 
en  a  été  faite  par  un  membre  distingué  du  Reichstag  : 

«  Paragraphe  unique.  —  Les  assujettis  au  service  militaire 
de  la  Confession  catholique  romaine  qui  se  vouent  à  l'étude  de 
la  théologie  sont  remis,  en  temps  de  paix,  pendant  la  durée  de 
cette  étude,  jusqu'au  1"  avril  de  leur  septième  année  militaire. 
Si  jusqu'à  cette  époque  ils  ont  reçu  l'ordre  du  sous-diaconat,  ils 
sont  inscrits  dans  la  réserve  et  restent  dispensés  ('proprement: 
affranchis)  des  exercices.  » 

Les  ecclésiastiques  et  les  religieux  en  Allemagne  seront-ils, 
dés  l'époque  du  tirage  au  sort,  enrôlés,  dans  le  sens  strict  de  ce 
mot,  c'est-à-dire  portés  sur  les  rôles  de  l'armée  ?  Cela  n'est  pas 
contestable.  Seront-ils  tous  soumis  en  temps  de  guerre  à  la 
discipline,  aux  règlements,  à  la  direction  du  ministre  de  la 
guerre  et  des  chefs  militaires  ?  Cela  n'est  encore  pas  contes- 
table. 

Mon  projet  admet  cet  enrôlement  et  cette  soumission;  mais 
s'il  portait  ainsi  atteinte  à  l'immunité  ecclésiastique,  comment 
se  fait-il  qu'il  y  ait  en  Allemagne  unanimité  des  catholiques  pour 
accepter  une  loi  qui,  à  ce  point  de  vue,  atteint  do  la  même  fa- 
çon cette  même  immunité  ?  Je  dis  :  à  ce  point  de  vue,  car  je 
vais  démontrei"  bientôt  qu'il  y  a  entre  cette  loi  et  mon  projet, 
sur  d'autres  points,  des  diflérences  très  importantes,  pour  ne 
pas  dire  essentielles  et  qui  sont  manifestement  en  faveur  de 
mon  projet. 

D'ailleurs,  j'ai  déjà  donné  une  démonstration  qui  n'admet  pas 
de  réplique.  Je  la  résume  ici  en  quelques  mots.  Les  aumôniers 
militaires,  en  France  et  partout,  sont-ils  enrôlés,  inscrits  aux 
registres  de  l'armée,  sur  la  présentation  des  évêquos  ?  Oui.  — 
Sont-ils  soumis,  surtout  en  temps  de  guerre,  aux  règlements 
militaires,  à  la  direction  du  ministre  de  la  guerre  et  des  chefs? 
Oui,  encore.  —  Mais  de  plus,  ces  aumôniers  sont  revêtus  du  ca- 
ractère du  sacerdoce,  ils  sont  appelés  à  exercer,  dans  ces  con- 
ditions, un  ministère  absolument  spirituel,  sacré,  surnaturel, 
tandis  que  mon  projet  concerne,  dans  l'ensemble,  les  sémina- 
ristes qui  ne  sont  pas  prêtres,  pour  leur  faire  accomplir  la  mis- 
sion, d'un  ordre  tout  à  fait  différent,  la  mission  de  soigner  les 
malades  et  les  blessés.  Donc,  si  mon  projet  porte  atteinte  à  l'im- 
munité ecclésiastique,  tous  ceux  qui  ont  contribué  et  qui  con- 
tribuent à  nommer  des  aumôniers  militaires,  tous  ceux  qui  ont 
approuvé  et  approuvent  la  loi  qui  a  établi  ces  aumôniers  et  qui 


l'exécution  de  la  nouvelle  loi  militaire  117 

demandent  que  leur  nombre  soit  augmenté,  portent,  à  plus 
forte  raison  et  à  un  degré  bien  supérieur,  atteinte  à  cette  même 
immunité.  Ou  bien  si,  comme  tout  le  monde  sans  exception  l'a 
compris  partout  et  toujours,  si  l'institution  des  aumôniers  mi- 
litaires ne  porte  aucune  atteinte  à  l'immunité,  l'objection  qui 
m'a  été  faite  ne  se  tient  pas  un  instant  debout  et  n'a  absolument 
aucune  valeur. 

Il  ne  faut  pas  oublier  un  argument  que  je  puis  résumer  en 
ces  termes  :  Si  mon  projet  porte  atteinte  à  l'immunité  ecclésias- 
tique, c'est  ou  bien  parce  qu'il  soumet  les  séminaristes  à  l'enrô- 
lement, et,  en  cas  de  guerre,  à  la  direction  des  chefs  militaires, 
ou  bien  en  raison  de  la  mission  qui  leur  serait  confiée  en  temps 
de  guerre.  Or,  je  viens  de  démontrer  que  le  premier  motif  est 
sans  valeur:  quant  à  la  mission  de  charité  et  de  dévouement 
qui  serait  confiée  aux  séminaristes,  elle  est  en  conformité  par- 
faite avec  leur  vocation. 

Les  ecclésiastiques  et  les  religieux  en  Allemagne  seront-ils 
appelés  en  temps  de  guerre  ?  Voici  ce  que  m'écrit  un  prêtre 
très  distingué,  qui  est  depuis  longtemps  membre  du  Reichstag  : 
«  En  cas  de  guerre,  le  séminariste  qui  n'est  pas  sous-diacre  est 
obligé  de  marcher  comme  les  autres  jeunes  gens  qui  sont  dans 
les  mêmes  conditions  que  lui.  Les  sous-diacres  et  les  prêtres, 
placés  dans  la  réserve  en  temps  de  paix,  servent  dans  les  am- 
bulances en  cas  de  guerre.  »  Je  ferai  remarquer  que  les  sémi- 
naristes qui  ne  sont  pas  sous-diacres,  mais  qui  ont  reçu  la  ton- 
sure sont  des  clercs,  qu'ils  appartiennent  au  clergé,  et  qu'en 
Allemagne  le  service  militaire,  dans  le  sens  le  plus  strict  du 
mot,  leur  sera  aussi  imposé  en  cas  de  guerre,  qu'ils  seront  obli- 
gés de  combattre  et  de  verser  le  sang. 

11  y  a  ici,  entre  la  nouvelle  loi  allemande  et  mon  projet,  des 
diô'érences  de  la  plus  haute  importance.  D'abord,  d'après  ce  pro- 
jet, les  séminaristes,  même  ceux  qui  ne  seront  pas  sous-diacres, 
ne  serviraient  en  cas  de  guerre  que  comme  infirmiers  et  bran- 
cardiers. En  second  lieu,  ils  ne  seraient  appelés  pour  ces  fonc- 
tions que  €  suivant  les  besoins,  à  commencer  par  les  classes  les 
plus  récentes  »,  et  il  est  à  croire  que  deux  ou  au  plus  trois 
classes  suffiraient.  Enfin,  en  Allemagne,  les  ecclésiastiques  ne 
seront  pas  préparés  à  ces  fonctions  délicates  et  difficiles  de  bran- 
cardiers et  d'infirmiers.  D'après  mon  projet,  les  séminaristes 
seraient  préparés  dans  les  séminaires  par  l'enseignement  d'un 
professeur  choisi  ou  approuvé  par  le  gouvernement.  Les  avan- 


118  ^JSNALSS    CA.THOLIQCIKS 

tages  de  cette  préparation  sont  évidents,  et  j'ai  cité  sur  ce  point, 
dans  la  brochure,  les  témoignages  les  plus  autorisés.  Ceux  qui 
auraient  encore  à  ce  sujet  quelque  doute,  n'ont  qu'à  interroger 
les  chefs  du  service  de  santé,  les  médecins  militaires  et  même 
le  premier  médecin  venu.  Je  n'ajouterai  qu'un  mot  :  on  peut 
faire  mourir  an  blessé  on  le  portant  sans  les  précautions  vou- 
lues à  cent  ou  à  cinquante  mètres  (1). 

Que  de  yies  pourraient  être  sauvées  par  des  brancardiers  et 
des  infirmiers  sérieusement  instruits  de  leur  difficile  et  noble 
métier,  et  quelle  influence  plus  grande  à  tous  égards  n'obtien- 
draient pas  ces  habiles  auxiliaires  de  l'armée  ? 

Faut-il  ajouter  que,  en  temps  de  guerre,  le*  aumôniers  seront 
absolument  insuffisants  et  que  les  séminaristes  et  les  religieux 
eraploj'és  comme  brancardiers  et  infirmiers  les  suppléeront  dans 
une  certaine  mesure  et  rendront  aux  âmes  les  services  les  plus 
précieux?  Ce  motif  ne  justifierait-il  pas  à  lui  seul  mon  projet 
aux  yeux  du  Clergé  et  des  Catholiques  ?  Cent  mille,  cent  vingt 
raille  blessés  et  mourants  seront  étendus  sur  un  do  ces  champs 
de  batailles  oii  se  rencontreront  des  millions  d'hommes  armés 
des  instruments  perfectionnés  de  la  destruction.  Jamais  le 
clergé  n'a  fait,  jamais  il  no  pourra  faire  rien  déplus  beau  et  de 
plus  grand,  de  plus  digne  de  sa  sublime  vocation  que  de  servir 
Dieu  et  la  patrie  en  secourant  ces  infortunés  et  en  accomplis- 
sant envers  eux  les  actes  las  plus  élevés  de  la  charité  chré- 
tienne. 

Mais  on  me  dira  :  c  Vous  avez  fait  cette  proposition  :  Les 
séminaristes  pourront  môme  être  assujettis,  pendant  les 
vacances  de  cette  première  année  (qui  suit  le  tirage  au  sort),  à 
un  service  actif  de  quelques  semaines  dans  l'un  des  hôpitaux  de 
la  région.  »  Oui,  j'ai  fait  cette  proposition  et  j'en  admets  la 
réalisation  si  les  hommes  spéciaux  sont  convaincus  (jue  cet 
exercice  pratique  est  nécessaire  pour  former  des  infirmiers  et 
des  brancardiers  vraiment  utiles  h.  l'armée  et  à  leur  pays.  Je 
crois  que  quandil  s'agit  de  secourir  des  milliers  de  malades  et  de 
blessés,  de  sauver  des  milliers  do  vies,  de  conserver  à  la  France 
des  milliers  de  vaillants  soldats,  quand  il  s'agit  de  pratiquer, 
sous  les  jeux  de  tout  un  peuple,    les  actes  de  la  plus  belle,  de 

(l)  Qui  pourra  contester  que  plus  tarJ  cet  enseignement  sera  sou- 
vent très  util»;  anx  ecclésiastiques  qui  habiteront  la  campaguo  et  qni 
pomrroftt  donner  :i  des  blessés  les  premiers  soias  et  qnelquetfois  les 
sauver. 


l'exécution  de  la  nouvelle  loi  militaire  119 

la  plus  grande,  de  la  plus  puissante  des  vertus,  d'une  vertu  qui 
doit  être  surtout  la  gloire  du  clergé  et  du  clergé  frnnçais,  il  ne 
faut  pas  reculer  devant  les  mesures  néce3saires.  Oui^,  j'ai  fait 
cette  proposition  parce  que  je  suis  convaincu  que  ces  quelques 
semaines  pendant  lesquelles  ces  jeunes  gens  seront  a2^pliqués 
constamment  à  tous  les  services  qui  peuvent  être  utiles  au 
développement  de  leur  instruction,  n'offriraient  pas  de  véri- 
table péril  pour  leur  vocation.  Les  vocations  qui  ne  pourraient 
supporter,  sous  le  poids  de  pareilles  occupations,  dans  l'accom- 
plissement constant  des  actes  de  la  charité,  la  moindre  épreuve, 
ne  sont  pas  des  vocations  sérieuses,  et  nous  n'avons  qu'à  nous 
réjouir  de  les  voir  disparaître  en  face  du  premier  péril.  Il  en 
serait  de  même  des  vocations  qui  ne  résisteraient  pas,  dans  la 
pratique  des  actes  de  dévouement,  au  milieu  de  périls  de  tous 
les  jours  et  de  tous  les  instants,  sous  le  feu  de  l'ennemi  et  sur- 
tout dans  les  effroyables  guerres  qui  se  préparent  (1). 

Quelques-uns  objecteront  encore  :  «  On  subit  de  pareilles 
obligations,  mais  on  ne  les  propose  pas.  »  J'oppose  k  cette 
objection  plusieurs  réponses  : 

lo  Non  seulement,  à  l'heure  présente,  le?  ecclésiastiques 
français  sont  soumis,  —  et  jusqu'à  quarante-cinq  ans,  qu'on  ne 
l'oublie  pas,  —  à  une  loi  en  comparaison  de  laquelle  mon  projet 
a  d'évidents,  et  je  pourrais  dire  d'immenses  avantages,  mais,  à 
l'époque  oii  j'ai  exposé  ce  projet,  il  était  absolument  certain  que 
si  la  modification  que  je  proposais  n'était  pas  obtenue,  la  loi 
allait  être  votée.  C'était  la  conviction  absolue  d'hommes  politi- 
ques les  plus  dévoués  à  l'Eglise  et  que  j'ai  consultés.  C'était 
l'opinion  universelle  et  les  faits  l'ont  justifiée.  Ceux-là  seuls 
ont  pu  essayer  de  contester  qui  se  laissent  aveugler  par  des  illu- 
sions dont  je  n'ai  pas  à  rechercher  les  causes  premières.  Hélas  ! 
pour  ne  pas  remonter  plus  haut,  qui  dira  quels  préjudices  les 
illusions  ont  portés  depuis  dix-huit  ans  à  la  cause  catholique  en 
France  ! 

2°  Il  n'est  personne  qui  ne  comprenne  qu'il  est  beaucoup  plus 

(1)  Il  y  a  trente  ou  quarante  ans,  on  prétendait  que  les  sémina- 
ristes qui  obtiendraient  le  grade  de  bachelier  et,  à  plus  forte  raison, 
de  licencié  perdraient  leur  vocation,  et  qu'il  en  serait  de  même  des 
religieuses  qui  obtiendraient  le  brevet  d'institutrice.  Les  faits  ont 
démontré  que  ces  craintes  étaient  sans  motif,  et  les  diocèses  et  les 
congrégations  qui  s'étaient  laissé  dominer  par  ces  craintes  ont  eu  et 
ont  encore  à  déplorer  leur  erreur  et  ses  conséquences. 


120  ANNALES    CATHOLIQUES 

facile  de  s'opposer  au  vote  d'un  projet  de  loi  ou  d'obtenir  que 
ce  projet  soit  modifié,  que  d'obtenir  qu'une  loi  soit  retirée  ou 
modifiée  quand  elle  a  été  définitivement  votée  par  les  deux 
Chambres.  Il  n'est  personne  qui  ignore  que  Monsieur  le  Prési- 
dent de  la  République  ne  peut  de  sa  propre  autorité  supprimer 
ou  modifier  une  loi  votée  par  les  Chambres  et  que  s'il  peut, 
pour  atteindre  ce  but,  user  de  son  influence  dans  les  limites 
fixées  par  la  Constitution  de  l'Etat,  il  le  peut  bien  plus  facile- 
ment et  bien  plus  efficacement  avant  que  la  loi  ne  soit  définiti- 
vement votée. 

3"  Il  est  certes  permis,  pour  ne  rien  dire  de  plus,  il  est  per- 
mis de  faire  d'un  obstacle  un  moyen,  de  transformer  une  atta- 
que en  ressource  précieuse,  d'accepter  lo^^alement,  ouvertement, 
généreusement,  pour  le  clergé,  une  part  dans  la  défense  de  la 
patrie,  à  l'heure  oii  la  nation  tout  entière  se  lèvera  pour  mar- 
cher à  l'ennemi,  et  de  demander  que  cette  part  soit  vraiment 
utile  à  l'armée  et  à  la  France,  sans  faire  sortir  le  clergé  de  sa 
grande  mission  de  paix  et  de  charité.  Or,  s'il  n'y  a  aucun  avan- 
tage à  unir  quelques  milliers  de  séminaristes  à  des  millions  de 
soldats,  il  est  évidemment  d'une  utilité  suprême  que  ces  raillions 
do  soldats,  datj  les  eflroyables  guerres  qui  s'annoncent,  reçoi- 
vent les  soins  auxquels  ils  ont  droit,  quand  ils  tomberont  sur  les 
champs  de  bataille.  Il  est  certes  permis,  pour  ne  rien  dire  de 
plus,  il  est  permis  de  dire  aux  représentants  de  la  France  : 
Nous  voulons  notre  part  des  périls  et  des  sacrifices,  nous  vou- 
lons marcher  au  premier  rang  pour  la  défense  de  notre  pays; 
mais  pour  que  notre  dévouement  soit  utile,  il  faut  que  nous 
restions  dans  notre  mission  de  charité.  Nous  en  appelons  à  l'in- 
térêt évident  de  l'armée,  à  l'intérêt  de  tous  les  combattants,  de 
toutes  les  familles;  nous  en  appelons  à  votre  justice  et  à  votre 
patriotisme. 

On  a  dit  encore  :  c  II  n'est  pas  besoin  de  loi  pour  que  les 
prêtres  se  dévouent  sur  les  champs  de  bataille  au  soin  des  bles- 
sés. Le  clergé  accomplira  partout  ce  devoir,  ce  sont  là  ses  tra- 
ditions. »  J'en  demande  bien  pardon  à  ceux  qui  parlent  ainsi, 
ils  sont  dans  une  erreur  complète.  Personne  ne  rend  plus  que 
moi  hommage  à  l'admirable  dévouement  du  clergé  français  ; 
mais  il  est  absolument  inexact  qu'en  1870,  pour  ne  parler  que 
de  la  dernière  guerre,  le  clergé  ait  été  libre,  malgré  tout  son 
dévouement,  de  donner  des  soins  aux  blessés  sur  les  champs  de 
bataille.  Les  ecclésiastiques  qui  ont  pu  suivre  à  ce  point  de  vue 


l'exécution  db  la  nouvelle  loi  militaire  121 

les  inspirations  de  leur  charité  sont  rares  et  dans  certaines 
régions  oii  se  sont  livrées  des  batailles  nombreuses  et  meur- 
trières, on  pourrait  facilement  les  compter  (1).  Quoi  qu'il  en  soit 
du  passé,  il  y  a  en  ce  moment,  et  il  y  aura  dans  la  guerre  future, 
je  l'ai  déjà  démontré  ailleurs,  des  difficultés  insurmontables.  Un 
décret  i^ortant  règlement  sur  le  service  de  santé'  des  arme'es  en 
campagne,  promulgué  le  25  août  1884,  a  réservé  absolument 
aux  chirurgiens,  brancardiers  et  infirmiers  appartenant  à  l'ar- 
mée le  service  de  Vavant,  c'est-à-dire  le  service  du  champ  de 
bataille,  des  postes  de  secours  et  des  ambulances  qui  sont  en 
contact  avec  les  combattants,  des  hôpitaux  de  campagne  et  des 
hôpitaux  d'évacuation.  Le  même  décret  a  écarté  la  Société  de 
la  Croix-Rouge  du  service  de  Vavant  et  a  appuyé  ces  décisions 
sur  la  nécessité  de  l'ordre  et  de  la  discipline  en  face  de  l'en- 
nemi, et  dans  des  armées  qui  compteront  des  millions  d'hommes. 
Il  est  donc  absolument  certain  qu'on  n'acceptera  pour  le  service 
de  Vavant  dans  lequel  (je  l'ai  établi  jusqu'à  l'évidence  dans  ma 
brochure,  les  brancardiers  et  les  infirmiers  seront  d'une  insuffi- 
sance lamentable,  on  n'acceptera  que  des  infirmiers  et  des  bran- 
cardiers enrôlés,  disciplinés,  soumis  à  l'autorité  et  aux  règle- 
ments militaires. 

J'ai  le  regret  de  le  dire  :  ici  encore,  dans  les  questions  les 
plus  graves  qui  puissent  préoccuper  les  catholiques,  dans  des 
questions  qui  touchent  aux  vocations  ecclésiastiques,  au  recru- 
tement du  clergé  et  à  l'existence  de  la  religion  en  France,  en 
présence  de  l'expérience,  en  présence  de  faits  indiscutables  et 
des  textes  les  plus  clairs,  on  répond  par  des  illusions  et  par  des 
rêves.  Et  pourtant,  ce  n'est  pas  par  des  illusions  et  par  des 
rêves,  quelque  généreux  qu'ils  puissent  être,  qu'on  développe 
l'influence  et  le  prestige  du  clergé,  qu'on  soigne  les  blessés, 
qu'on  guérit  les  corps,  qu'on  sauve  les  âmes  et  qu'on  sert  son 
pays. 

Enfin,  il  y  a  en  faveur  de  mon  projet  la  plus  haute  autorité  : 

(1)  J'excepte  les  Frères  des  Ecoles  chrétiennes  qui  ont  été  acceptés 
à  titre  de  brancardiers  pendant  le  siège  de  Paris  et  qui  d'ailleurs  n'ap- 
partiennent pas  au  clergé.  L'exemple  donné  alors  par  les  Frères  des 
Ecoles  chrétiennes  est  à  lui  seul  toute  une  démonstration.  Ces  vail- 
lants Religieux  ont  ainsi  évité  d'être  obligés  au  rôle  de  combattants, 
ils  ont  excité  la  reconnaissance  et  l'admiration  de  tous,  détruit  bien 
des  préjugés,  sauvé  des  corps  et  des  âmes,  démontré  l'union  intime 
de  la  religion  et  du  patriotisme  et  acquis  à  leur  institut  un  grand 
prestige.  De  pareils  résultats  valent  bien  quelques  sacrifices. 


122  AKNAXXI   CATHOLIQUES 

un  texte  du  droit  ecclésiastique,  une  décision  donnée  par  an 
grand  papo  qui  a  été  nu  des  organisateurs  de  la  discipline  ecclé- 
siastique. Un  autre  grand  pape,  un  des  souverains  pontifes  qui 
ont  combattu  avec  le  plus  d'énergie  et  de  vaillance  les  empié- 
tements des  empereurs  d'Allemagne,  a  inséré  cette  décision  ou 
ce  décret  dans  le  Corps  du  Droit- Canon,  comme  une  loi  cféné- 
rale  de  l'E^'lise,  pour  servir  de  régie  au  clergé  de  l'univers 
entier.  Or  ce  décret  et  les  commentaires  qu'en  ont  donnés  les 
grands  canonistes  ne  sont  pas  seulement  indiscutables,  ils  sont 
plas  que  décisifs. 

Cette  autorité,  j'aurais  pu  l'invoquer  dès  le  premier  jour;  elle 
m'a  été  d'ailleurs  signalée,  avec  la  reproduction  des  textes, 
dans  une  lettre  que  m'a  adressée  un  évêque  de  France  qui  a 
donné  des  preuves  exceptionnelles  de  sa  haute  science  tliéolo- 
gique  et  qui  en  donnei"a  d'autres  preuves  encore.  Je  n'ai  pas 
invoqué  ces  textes,  je  n'ai  pas  publié  cotte  lettre,  quoii^u'elle 
fût  destinée  à  la  publicité.  Je  me  borne  encore  en  ce  moment 
à  cette  simple  déclaration.  Ceux  qui  veulent  comprendre  com- 
prendront facilement  les  motifs  de  la  réserva  que  je  m'impose. 
A  suivre)  Mgr  Turinaz. 


L'INQUISITION 

SON  ORIGINE   SES    DIFFÉRENTES    FORMBS  DANS  LES  ÉTATS 

DK  l'bUROPE  —    SES  RÉSULTATS 

I 

<  L'Inquisition  est  un  tribunal  établi  autrefois  dans  quelques 
pajs  de  la  chrétienté  par  le  concours  de  l'autorité  ecclésiastique 
et  de  l'autorité  civile  pour  la  recherche  et  la  répression  des 
actes  qui  tendent  au  renversement  de  la  religion  »  (1). 

Le  P.  Monaabré  donne  une  définition  analogue «  En  trois 

mots,  ajoute-t-il,  c'est  un  tribunal  de  légitime  surveillance 
pour  démasquer  les  ruses  d'un  ennemi  qui  conspirait  contre  le 
bien  public,  un  tribunal  de  haute  protection  pour  la  société 
menacée  et  pour  les  innocents  faussement  accusés  ;  un  tribunal 
d'équité  et  d'indulgence  pour  les  coupables  »  (2j.  M.  Littré  ne 
parle  pas  autrement  que  le  P.  Lacordaire  et  le  P.  Monsabré  : 
€  C'est,  dit-il,  une  juridiction  ecclésiastique  érigée  parleSaint- 

(1)  P.  Lacordaire,  Vie  de  saint  Dominique^  p.  105. 

(2)  P.  Monsabré ,  conférence  sur  l'Inquisition,  Année  Domini- 
caine 1882. 


l'inquisitiox  123 

Sièo-e  pour  rechercher  et  extirper  les  hérétiques,  les  Juifs  et 
les  infidèles  »  (1). 

Cette  juridiction  l'Eglise  l'a  exercée  dès  sa  fondation. 

Dès  son  berceau,  elle  eut  des  tribunaux  en  matière  de  foi, 
qui  infligèrent  des  peines  aux  hérétiques.  L'hérétique  était 
banni  de  la  communauté  des  fidèles  et  frappé  d'excommunica- 
tion (2),  sans  qu'on  poussât  plus  loin  la  sévérité  canonique  à  son 

égard. 

Avec  l'avènement  de  Constantin  au  trône  des  Césars  an 
IV*  siècle,  s'ouvre  une  ère  nouvelle.  Une  alliance  s'opère  entre 
les  deux  pouvoirs,  et  l'Etat  reçoit  des  attributions  ecclésiasti- 
ques. L'empereur  en  sa  qualité  cCêvêque  du  dehors  (3)  se  croit 
obligé  d'édicter  des  lois  pénales  contre  les  hérétiques  ;  les  codes 
de  Thèodose  et  de  Justinien  en  contiennent  un  grand  nombre. 
Deux  raisons  justifiaient  à  ses  yeux  ces  rigueurs  contre  l'hérésie, 
comme  premier  fils  de  l'Eglise,  il  devait  la  protéger  contre  ses 
ennemis  déclarés;  comme  Chef  de  l'Etat,  il  devait  garantir 
l'ordre  et  la  tranquillité  pnblique  troublés  par  les  discordes 
religieuses  (4).  «  C'est,  dit  le  P.  Lacordaire,  une  maxime  uni- 
verselle de  ce  temps  que  la  religion  étant  le  premier  bien  des 
peuples,  les  peuples  ont  le  droit  de  la  placer  sous  la  même  pro- 
tection que  les  biens,  la  vie  et  l'honneur  des  citoyens  »  (5). 

C'est  de  ce  principe  que  naîtra  l'Inquisition. 

Jusqu'à  la  fin  du  douzième  siècle,  les  attentats  religieux 
furent  poursuivis  et  jugés  par  les  magistrats  ordinaires.  L'Eglise 
frappait  une  doctrine  d'anathéme  ;  ceux  qui  la  propagaient 
opiniâtrement  dans  des  assemblées  publiques  et  secrètes,  au 
moven  d'écrits  ou  de  prédications  étaient  recherchés  et  con- 
damnés par  les  tribunaux  de  droit  commun.  L'autorité  ecclê:?ias- 
tique  n'intervenait  quelquefois  dans  la  procédure  que  par  voie 
de  plainte  (6).  L'exil,  puis  bientôt  la  peine  de  mort  furent  infli- 
gés aux  hérétiques   (7).  Alors  se  développa,   à  côté  de   ce   fait 

(1)  Dictionnaire,  article  Inquisition. 

(2)  Saint  Paul,  épit.  à  Tite^  ch.  3. 

(3)  E-ÎT/.o::o?  -wv  i;a),  episcopus  ad  extra. 

(4)  Mgr  Héfele,  Ximènes  et  1'Églis.e  d'Espac/ne,  eh  xxal.  Paria  1856. 

(5)  P.  Lacordaire,  Vie  de  saint  Dominique,  p.  109. 

(6)  Voir  l'histoire  de  Paul  de  Samoaate,  où  l'emperenr  Aurêlien 
fait  exécuter  la  sentence  dn  Concile  d'Antioche  à  la  requête  des 
évêques  et  du  Pape  saint  Félix  II. 

(7)  Riffel,  Verhœltuiss  Von  Kircke  and  Haut,  Maing  1836.  Sehrakh 
K.  G.  Thl.  18.  S  10,  Thh.  I.  s,  656  ff. 


124  ANNALES   CATHOLIQUES 

social  de  la  répression  des  hérétiques,  un  élément  d'origine  toute 
chrétienne  :  l'élément  de  douceur  envers  les  criminels  d'idées. 
Saint  Martin  de  Tours  (383),  saint  Ambroise,  le  pape  Sirice,  se 
prononcent  ouvertement  contre  l'effusion  du  sang.  «  Le  propre 
d'une  religion  d'amour,  s'écriait  saint  Athanase,  est  de  persua- 
der, non  de  contraindre  »  (1).  Saint  Hilaire  de  Poitiers  (2),  saint 
Léon,  saint  Augustin  (408)  (3)  repoussent  énergiquement  la 
peine  de  mort,  mais  non  la  répression  disciplinaire .  Ce  fut 
cette  doctrine  que  l'on  accepta  peu  à  peu  et  qui  servit  de  base 
à  la  législation  contre  les  hérétiques.  Sous  Théodose  IletValen- 
tinien  III  le  crime  d'hérésie  est  considéré  comme  un  crime 
d'Etat,  attentatoire  à  l'ordre  et  à  la  morale  publique,  il  entraîne 
l'exclusion  des  emplois  honorifiques,  la  privation  du  droit  de 
succession  et  la  perte  d'autres  avantages  civils,  mais  il  n'est 
jamais  puni  de  mort  (4). 

En  385,  Maxime  fit  trancher  la  tête  à  Trêves  aux  principaux 
chefs  de  la  secte  des  Priscillianistes  qui  se  livraient  à  des  actes 
infâmes.  C'est  le  premier  cas  de  l'application  de  la  peine  capitale. 

Le  droit  accordé  aux  papes  à  partir  du  18  juillet  754,  date  de 
la  déposition  de  Childéric  III,  de  délier  les  sujets  du  serment  de 
fidélité,  et  l'opinion  que  l'excommunication  produisait  par  elle- 
même  tous  les  effets  sensibles  attachés  à  l'infamie,  et  d'autres 
maximes  analogues,  en  grande  faveur  à  cette  époque,  formèrent 
un  corps  de  doctrine  qui  préparait  peu  à  peu  les  esprits  à  rece- 
voir l'Inquisition. 

C'est  à  partir  de  ce  moment  que  l'union  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat  se  resserre  encore.  Une  idée  tend  à  dominer  :  c'est  celle 
dont  Grégoire  VII,  au  xi"  siècle,  se  fait  le  champion  ;  réunir 
tous  les  peuples  d'Occident  en  une  vaste  alliance  théocratique, 
dont  le  Pape,  au  nom  de  Dieu,  serait  le  protecteur,  et  qui 
n'aurait  d'autres  membres  que  les  seuls  enfants  de  l'Eglise. 

L'hérétique  devient  alors  un  criminel  de  lèse-majesté,  et  la 
législation  civile  le  menace  toujours  de  mort  (5).  L'enseigne- 
ment de  la  plupart  des  théologiens  de  cette  époque,  en  particu- 
lier  de   saint  Thomas,    s'accorde  avec   cette    législation    \Q). 

(1)  Saint  Athanase  lettre  aux  solitaires. 

(2)  Contre  Auxence. 

(3)  Contre  Tépitre  du  Fondement. 

(4)  Riffel,  Yerhœltuiss  Von  Kircke  and  IJaat,  Maing  1836.  Schrakh 
K.  G.  Thh.  18.  %  10,  Thl.  I.  s.  656  iî. 

(5)  Voir  le  Miroir  de  Souabe  (Schwaben  Spiegel). 

(6)  Secunda  IW  qufest.  II,  art.  3. 


l'inquisition  125 

D'autres  théologiens  cependant,  à  la  tête  desquels  se  trouve 
saint  Bernard,  s'élèvent  à  l'exemple  des  anciens  Pères  contre 
cette  peine  infligée  à  l'hérésie  (1).  La  phrase  de  saint  Augustin  : 
«  nous  désirons  qu'ils  soient  corrigés,  mais  non  mis  à  mort  ; 
qu'on  ne  néglige  pas  à  leur  égard  une  répression  disciplinaire, 
mais  aussi  qu'on  ne  les  livre  pas  aux  supplices  qu'ils  ont  mé- 
rités »  (2)  avait  eu  le  temps  de  mûrir.  Aussi  le  Saint-Siège, 
après  six  cents  ans  de  tâtonnements,  put-il  réaliser  ce  tribunal 
de  juste-milieu  qui  lui  permettait  de  n'abandonner  ses  justi- 
ciables au  bras  de  la  justice  humaine  qu'à  la  dernière  extrémité. 
ce  tribunal  c'est  l'Inquisition. 

II 

Le  19  mai  1163,  le  concile  de  Tours  présidé  par  le  pape 
Alexandre  III,  traitait  dans  le  canon  IV  la  question  des  héré- 
tiques Albigeois  qui  préoccupait  vivement  les  esprits  (3).  Il  re- 
connaît d'abord  la  nécessité  et  l'obligation  de  les  frapper  par  des 
peines  temporelles,  et  demanda  aux  princes,  non  seulement  de 
surveiller  leurs  conciliabules,  mais  encore  d'emprisonner  ceux 
des  hérétiques  notoires  qui  seraient  découverts,  et  même  de  les 
punir  par  la  confiscation  des  biens.  Seize  ans  après,  en  1179,  le 
concile  général  de  Latran  alla  plus  loin  ;  il  édicta  dans  le 
27«  canon  que  les  princes  étaient  en  droit  de  soumettre  les  héré- 
tiques à  la  servitude  ;  il  promit  même  des  avantages  spirituels 
à  tous  ceux  qui  les  combattraient  par  les  armes.  Le  4  no- 
vembre 1183,  Lucius  III,  d'accord  avec  Frédéric  Barberousse, 
promulguait  à  Vérone  le  décret  qui  demandait  non  seulement  la 
condamnation,  mais  la  recherche  [inquirere,  d'où  inqîiisHion) 
de  l'hérétique.  L'évêque  était  tenu  tous  les  ans  de  visiter  par 
lui-même  ou  par  son  grand  vicaire  les  paroisses  dans  lesquelles, 
d'après  le  bruit  public,  pouvait  se  trouver  quelque  hérétique  (4). 
Trois  personnes  de  l'endroit  ou  du  voisinage,  jouissant  d'une 
bonne  réputation,  étaient  invitées  à  prêter  serment  :  on  les  in- 
terrogeait sur  les  hérétiques,  on  prononçait  ensuite.  Les  offi- 
ciers de  l'autorité  civile,  sous  peine  de  perdre  leur   dignité, 

(1)  Hurler,  Vie  d'Innocent  III,  t.  II,  p.  245. 

(2)  CXXVIe  lettre. 

(3)  On  constate  la  même  préoccupation  dans  les  conciles  antérieurs, 
Toulouse  présidé  par  Calixte  II  (1119),  Latran  (1139),  Reims  âl48), 
Montpellier  (1162). 

(4)  M.  l'abbé  Douais.  Les  sources  de  l'histoire  de  l'Inquisition  dans 
le  midi  de  la  France  aux  xiiP  et  \i\«  siècles.  Paris,  Palmé,  1881. 


126  ANNALES    CATHOLIQUES 

s'engageaient  à  observer  le  décret  de  Vérone.  Ce  décret  en  at- 
tendant qu'il  passât  dans  le  droit  (1)  fut  promulgué  sans  retard 
dans  les  diocèses  de  Tarragone,  de  Barcelone,  de  Gironne,  de 
Vie  et  d'Elne^  arec  lesquels  la  Septimanie  entretenait  de  nom- 
breuses et  amicales  relations  (2j.  L'Inquisition  était  fondée  (3). 

Sous  Innocent  III,  en  1198,  Gui  et  Rainier  furent  envoyés 
oommelégats  dans  les  provinces  d'Aix,  de  Vienne,  d'Embrun,  de 
Lyon  et  de  Narbonne,  d'autres  légats  furent  eavoyés  à  Vérone, 
à  Milan,  à  Trévise,  dans  les  Dalmaties  et  la  Hongrie,  pour  aider 
les  évêques  à  chasser  les  hérétiques,  à  oooifisquer  leurs  biens,  à 
adresser  un  appel  au  bras  séculier.  En  1903,  Pierre  de  Cas- 
telnau,  Rodolphe  et  Arnaud,  moines  de  Cîteaux,  reçurent  une 
mission  spéciale  pour  le  pays  Toulousain,  dans  lequel  la  com- 
plicité des  barons  avec  les  hérétiques  était  évidente  et  la  faiblesse 
de  quelques  évêques  approchait  du  scandale  (4).  En  1209,  saint 
Dominique  leur  fut  adjoint. 

Malgré  le  zèle  des  légats  inquisiteurs  et  des  évêques,  l'Inquisi- 
tion n'obtenait  pas  de  résultats  appréciables.  Les  juges  séculiers 
étaient  plus  occupés  de  soustraire  les  prévenus  pour  lesquels  ils 
avaient  des  sympathies  de  parenté  et  d'opinion,  qu'à  tenir 
compte  des  décisions  pontificales  d'Innocent  III,  d'Honorius  III, 
des  décrets  des  conciles  d'Avignon  (6  sept.  1209j,  de  Montpellier 
(8  janvier  1215>,  du  concile  général  de  Latran  (mai-nov.  1215); 
ils  ignoraient  complètement  le  crime  d'hérésie.  Innocent  III  ne 
fut  jamais  soutenu  par  le  roi  de  France  Philippe  II,  auquel  il 
avait  écrit  pour  recommander  ses  légats  ni  par  son  fils  Louis, 
ni  par  les  comtes,  vicomtes  et  barons  du  royaume,  notamment 
les  comtes  de  Toulouse,  de  Foix,  de  Bézier»,  de  Comminges  et 
de  Carcassonne,  les  évêques  eux-mêmes  les  accueillaient  avec 
une  extrême  défiance.  E.n  outre  la  guerre  contre  les  Albigeois 
avait  transformé  la  répress^ion  des  hérétiques  en  une  guerre  de 
religion  et  fait  des  légats,  non  des  Inquisiteurs,  mais  des  chefs 
de  croisade.  Ce  ne  fat  qu'à  la  fin  de  cette  croisade,  après  l'inter- 
vention victofie.H;se  de  Jacques  d'Ai'agon  et  deLonis  VIII  en  1226^ 

(1)  Décret.  Grég.  L.  V,  titul.  Vil,  cap.  iv. 

(2)  Le  concile  de  Véço,%e  ne  ftxa  poiat  lechâtiaienfequi  serait  infligé 
aux  hérétiques.  Mais  l'empereur  édicta  contre  eux  la  peine  du  ban 
impérial,  qui  comprenait  l'exil,  la  coafiacatioo,  des  biejas,  la  démoli- 
tion des  biens  des  condamnés^  l'iiofamie»  Vincapacité  d'exercé»  des 
fonctions  publiques. 

(3)  Fleury,  Hist.  EccL  h.  73,  n.  5.4. 

(4)  Dom.  Vaissette,  Hist  du  Languedoc,  t.  III,  p.  12G. 


l'église  et  la  qusstion  sociale  127 

que  le  pape  Grégoire  IX,  qui  avait  succédé  le  18  mars  1227  à 
Honorius  III,  pensa  rétablir  la  paix  euiordonnant  à  son  légat,  le 
cardinal  Romain  de  Saint-A.nge,  de  convoquer  un  concile  à 
Toulouse  en  1229.  Ce  concile  édicta  45  canons  dont  15  tendant 
à  rendre  définitif  et  régulier  le  tribunal  de  l'Inquisition  qui  resta 
confié  aux  évêques. 

Ij' Inquisition  épiscopaîe  ne  tarda  pas  à  être  absorbée  en  1233 
par  y  Inquisition  Dominicaine  et  franciscaine.  Par  un  bref  en 
date  du  20  octobre  1248,  adressé  à  saint  Raymond  de  Pennafort, 
Innocent  IV  confia  l'Inquisition  aux  seuls  Dominicains  ;  c'est  à 
partir  de  cette  époque  que  l'inquisition  put  se  répandre  dans  la 
plupart  des  contrées  de  l'Europe.  L'esprit  public  était  préparé  à 
l'accueillir. 

[A  suivre.)  Abbé  M. . . 


L'EGLISE  ET  LA  QUESTION  SOCIALE 

Nous  reproduisions,  il  y  a  quelques  jours,  l'admirable  lettre 
de  Mgr  Kopp  à  son  clergé,  et  nous  l'invoquions  comme  une 
preuve  nouvelle  de  la  sollicitude  de  l'Eglise  pour  les  misères 
du  peuple. 

Aujourd'hui  c'est  la  voix  d'un  prélat  espagnol  que  nous  ferons 
entendre.  Le  Movimiento  catolico  nous  apporte  un  Discours 
de  Mgr  l'archevêque  de  Madrid,  prononcé  le  23  de  ce  mois,  à 
l'occasion  de  l'inauguration  des  conférences  d'un  Cercle  ouvrier. 

Ce  discours,  très  pratique  et  très  «  moderne  »,  pour  employer 
un  mot  dont  nos  adversaires  se  croient  le  privilège,  combat  tout 
particulièrement  les  empiétements  de  l'Etat  sur  les  libertés 
individuelles  et  les  initiatives  privées,  par  la  mise  en  action 
d'un  socialisme  plus  ou  moins  conscient. 

Il  est  profondément  déplorable,  —  dit  le  zélé  prélat  —  que  l'Etat 
moderne,  au  lieu  de  conserver  son  autorité  et  son  prestige  pour  les 
faire  servir  à  repousser  l'invasion  du  socialisme,  ail  fourni  1  celui- 
ci  de  nouveaux  moyens  de  faire  réussir  ses  plans  de  désordre 
et  d'anarchie.  «  Si  l'Etat,  dit  le  patriarche  du  socialisme  contem- 
porain, Karl  Marx  s'est  imaginé  qu'il  avait  le  droit  de  dépouiller 
l'Eglise  et  la  Commune  de  leurs  biens,  comment  s'y  prendra-t-on 
pour  repousser  la  théorie  de  notre  école  qui  consiste  à  proclamer 
l'Etat  unique  propriétaire  du  sol?  Serait-ce  parce  que  la  propriété 
collective  est  moins  sacrée  et  moins  légitime  que  la  propriété  privée  ? 
Quelle  raison  sérieuse  et  fondamentale  peut-on  invoquer  pour  pro- 


128  ANNALES    CATHOLIQUES 

clamer  inviolable  le  droit  de  propriété  de  l'individu,  alors  que  l'on 
dépouille  de  ce  caractère  de  haute  justice  le  droit  de  la  communauté  ? 

On  peut  juger,  par  cette  seule  citation,  que  la  question  est 
bien. posée,  et  que  l'orateur  va  au  fond  des  choses. 

Il  y  a  dans  ce  discours  plusieurs  autres  passages  très  vivants, 
tout  à  fait  actuels,  aussi  bons  à  entendre  à  Bruxelles  qu'à 
Madrid,  que  nous  voudrions  traduire  si  l'espace  ne  nous 
manquait. 

Qu'il  nous  soit  permis,  cependant  de  citer  la  conclusion  : 

Il  est  absolument  indispensable  que  Ton  baptise  l'industrie 
moderne  qui,  tombée  dans  la  barbarie  du  paganisme  antique,  a 
perdu  tout  sentiment  d'humanité,  et  pénétrée  des  influences  matéria- 
listes, compte  pour  rien  ou  à  peu  près  la  conservation  et  la  dignité 
de  l'ouvrier,  quand  il  s'agit  d'accumuler  en  peu  de  temps  des  capi- 
taux considérables,  incompatibles  avec  l'honnête  subsistance  des 
classes  laborieuses.  11  faut  protéger  celles-ci,  leur  rendre  la  liberté  et 
la  foi  chrétienne  que  leur  a  enlevées  la  Révolution  athée,  et  organiser 
à  nouveau  les  anciennes  associations,  afin  que  l'ouvrier  et  l'artisam 
voient  succéder  à  la  faiblesse  de  l'individualisme  la  force  morale,  le 
prestige,  les  ressources  matérielles  et  l'appui  qu'assurait  auparavant 
la  corporation  professionnelle  pénétrée  de  l'esprit  catholique.  Il  est 
bien  entendu  que  l'on  introduira  dans  les  règlements  de  celle-ci  les 
modifications  que  conseillent  le  progrès  des  arts  industriels  et  des 
sciences  expérimentales,  en  môme  temps  que  les  conditions  spéciales 
de  notre  temps. 

Et  comme  je  vois.  Messieurs,  que  l'organisme  de  ce  Patronage  do 
jeunes  artisans  est  basé  sur  des  principes  éminemment  chrétiens,  et 
aspire  à  réaliser  les  fins  très  élevées  que  l'Eglise  s'est  proposées  en 
créant  les  corporations  ouvrières,  je  ne  puis  qu'approuver  et  bénir 
votre  œuvre,  vous  exhorter  vivement  à  la  continuer  en  lui  donnant 
chaque  jour  une  vie  plus  active  et  une  grande  expansion,  vous  offrir 
mon  appui  et  ma  protection.  J'ai  la  douce  espérance  qu'au  moyen  de 
l'économie  sociale  chrétienne  bien  connue  de  vous  et  toujours  mieux 
appliquée,  on  arrivera  un  jour  à  opérer  la  restauration  morale  de  la 
société  en  améliorant  la  situation  actuelle  des  classes  ouvrières  dans 
l'intérêt  de  la  vie  normale  de  l'industrie,  du  progrès  légitime  des 
arts,  de  l'organisation  chrétienne  do  la  famille  et  de  la  société  civile 
elle-même. 

On  le  voit,  dans  l'Espagne  catholique,  et  notamment  dans  sa 
populeuse  capitale,  les  questions  d'économie  sociale  intéressant 
le  plus  directement  les  classes  laborieuses,  sont  à  l'ordre  du 
jour  des  préoccupations  les  plus  pressantes  des  catholiques  et  là 


LA    PLÉIADE    DES  GRANDS  HOMMES  DU    SIECLE  129 

comme  ailleurs  le  clergé  et  ses  chefs  sont  à  la  tête  du  mou- 
vement. 

Cette  activité,  opposée  à  l'indifférence  que  les  partis  libéraux 
affectent  partout  vis-à-vis  de  la  question  sociale,  finira  par 
ouvrir  les  yeux  aux  ouvriers.  Le  jour  n'est  pas  éloigné  où  ceux- 
ci,  trop  longtemps  abusés,  reconnaîtront  que  l'Eglise  seule  veut 
et  peut  améliorer  leur  sort. 


LA   PLEIADE  DES   GRANDS   HOMMES    DU    SIECLE 

L'histoire  du  xix*  siècle  porte  une  empreinte  que  nous  cher- 
cherions vainement  dans  celle  des  siècles  antérieurs.  Notre 
siècle,  introduit  par  la  Révolution  française,  nous  montre  le 
spectacle  de  quatre  hommes  d'Etat  marquants,  se  succédant 
sans  interruption  et  exerçant  une  influence  prépondérante  sur 
l'Europe  tout  entière,  et  usant  en  vain  leurs  forces  à  combattre 
et  à  tenter  de  réduire  à  l'impuissance  l'esprit  de  la  Révolution, 

En  tête  de  cette  série  se  trouve  Napoléon  I",  qui,  par  une 
incroyable  énergie,  dompta  la  force  sauvage  de  la  Révolution, 
et  qui,  ensuite,  avec  une  habileté  rare  et  un  instinct  remar- 
quable, sut  rendre  au  peuple  français,  par  le  Code  et  le  Concor- 
dat de  1802,  une  base  juridique  et  religieuse  appropriée  aux 
conditions  de  la  situation. 

Mais  si,  d'une  part,  il  a  donné  dans  son  Code  une  part  trop 
large  aux  idées  de  89,  il  a,  d'autre  part,  introduit  dans  notre 
siècle  les  pernicieux  principes  du  césarisme.  Ils  se  manifestent 
dans  sa  soif  d'une  domination  universelle,  dans  l'annihilation 
par  les  articles  organiques  des  concessions  faites  à  l'Eglise  dans 
le  Concordat  et  enfin  dans  la  suprême  audace  qui  lui  permit  de 
porter  la  main  sur  le  Saint-Père. 

C'étaient  des  fautes,  c'étaient  des  crimes. 

Il  attira  sur  sa  tête  la  colère  de  Dieu,  il  provoqua  la  grande 
coalition,  il  rendit  inéluctable  son  exil  à  Sainte-Hélène. 

Il  laissa  derrière  lui  une  France  épuisée,  mais  une  France 
agitée,  désireuse  de  profiter  de  chaque  prétexte  pour  se  donner 
un  nouveau  gouvernement  et  une  nouvelle  forme  de  gouver- 
nement. 

Avec  l'étoile  pâlissante  de  Napoléon  P»"  se  lève,  dans  la  per- 
sonne du  prince  Metternich,  le  nouvel  homme,  dans  les  mains 
duquel  reposèrent,  pendant  trente-cinq  ans,  les  destinées  de 
l'Europe. 

10 


130  AHKKLBS   CATHOI/IQ<VEfi 

Son  ijuitiative  énergique  avait  fait  naître  la  coalition  ;  son 
conseil  éclairé  la  fit  réussir  et  son  esprit  brillant  domina  le  Con- 
grès de  Vienne.  La  qlarté  de  ses  v^uee,  l'esprit  de  justice  si 
développé  en  lui  «t  la  ténacité  avec  laquelle  il  combattait  la 
révolution  partout  oii  elle  soulevait  sa  tête,  expliquent  suffis 
samment  pourquoi  -»-  abstraction  faite  de  quelques  cas  isolés  — 
son  influence  restait  décisive  sur  tous  les  hommes  d'Etat  qui  se 
succédaient  dans  les  autres  pays.  C'est  à  lui  que  l'Europe, 
épuisée  par  les  guerres  napoléoniennes,  est  redevable  d'avoir 
pu,  par  de  longues  années  de  paix,  regagner  de  nouvelles  forces 
et  aboutir  à  une  ère  de  prospérité  inconnue  à  tous  les  siècles 
antérieurs. 

Mais  jamais  Metternich  ne  eut  gagner  sur  les  affaires  inté- 
rieures de  sa  patrie  cette  influence  qu'il  possédait  sur  la  poli^ 
tique  étrangère. 

Use  heurta  contre  les  idéep  traditionnelles  de  son  empereur, 
contre  la  lotirdeur  et  l'inertie  de  la  bureaucratie  et  aussi  contre 
la  modestie  joséphiste  des  prélats  autrichiens,  ce  qui  explique 
l'insuccès  de  ses  projets  pour  la  réorganisation  des  affaires  reli- 
gieuses en  Allemagne,  projets  qui  dataient  déjà  du. Congrès  de 
Vienne,  et  l'abandon  de  la  Réforme  des  Universités,  tentée 
quelques  années  plus  tard. 

C'est  ainsi  que  la  vérité  resta  entourée  d'entraves,  tandis  que 
les  idées  révolutionnaires  purent  librement  se  propager  parmi 
la  jeunesse  des  écoles.  L'année  1848  trouva  à  Vienne  les  élé- 
ments tout, préparés  pour  arrachera  un  Empereur  aussi  faible 
que  Ferdinand  le  renvoi  d'un  homme  d'Etat  du  mérite  du 
prince  de  Metternich. 

Et  dans  cette  même  année  1848  on  voit  se  lever  à  l'horizon  de 
Paris  l'étoile  du  troisième  homme  du  siècle  :  Napoléon  Ilf. 
Ceux  qui  se  souviennent  encore  de  l'élan  de  joie  avec, lequel  on 
salua  le  mot  :  «  l'Empire,  c'est  la  paix  »;  ceux, qui  ont  gardé  le 
souvenir  du  tribut  d'hommages  que  l'Europe  entière  lui  rendit 
après  l'heureuse  issue  de  la  guerre  de  Crimée,  ceux-là  ne  con- 
testeront pas  que  l'influence  de  l'Empereur  s'étendait  loin  au 
delà  des  limites  de  la  France,  et  qu'on  peut  en  plein  droit  voir 
en  lui    le  successeur  de  son  oncle  et  du  prince  de  Metternich, 

Mais  il  échoua  devant  l'accomplissement  de  sa  plus  grande 
tâche,  tâche  dont  il  semblait  avoir  eu  pleine  conscience  dans  les 
commencements  de  son  règne.  Supprimer  ou  même  réprimer  la 
Révolution  fut  au-dessus  de  ses  forces.  Les  bombes  d'Orsini 


LA    SITUATION   DES    JÉSUITES  EN   ALLEMAGNE  131 

rappelèrent  à  sa  mémoire,  d'une  façon  assez  désagréable,  qu'il 
avait  lui-même  fait  parti  de  la  ligue  révolutionnaire.  Depuis  cet 
attentat  il  s'épuise  en  mesquines  mes»res  policières  de  sûreté 
et  en  mécliantes  chicanes  contre  le  gouvernement  pontifical. 
Une  seule  de  ses  tentatives  de  relever  son  prestige  par  des 
exploits  guerriers,  est  couronnée  de  succès. La  dernière  tentative 
de  ce  genre  le  conduit  à  Sedan,  Wiliielrnshoehe  et  Chislehurst. 

(A  suivre.) 


LA  SITUATION  DES  JESUITES  EN  ALLEMAGNE  (1) 

Une  ère  nouvelle  a  commencé  en  Allemagne.  Celui  qui  a  fait 
le  Kulturkampf  a  pris  sa  retraite,  et  las>  feuilles  publiques 
assurent  que  le  jeune  empereur  a  déclaré  être  hostile  à  toutes 
les  lois  d'exception. 

II  n'est  donc  pas  interdit  de  croire  que  l'heure  d'une  juste 
réparation  va  sonner,  en  ce  qui  concerne  spécialement  la  Com- 
pagDie  de  Jésus  et  plusieurs  autres  ordres  religieux,  que  la 
haine  sectaire  a  impliqués  dans  la  chute  des  pères  jésuites. 

Le  17  mai  1872,  le  Reichstag  allemand  adoptait  par  181  voix 
contre  93  une  loi  ainsi  conçue  : 

Art.  1.  —  L'ord'Fô  de  la  CojapagBiie  de  Jésus  et  toutes  les  congré- 
gations qui  ont  une  affinité  avec,  cet  ordre  sont  exclus  du  territoire 
de  Tempa-e  allexn?.ad. 

Tout  établissement  leur  est  interdit  et  les  établissements  existants 
devront  être  fermés  dans  un  délai  à  fixer  par  le  Conseil  fédéral,  et 
qui  ne  devrait  pas  dépasser  six  mois. 

Art.  2.  —  Les  membres  de  la  Compagnie  de  Jésus  et  des  autres 
ordres,  visés  par  la  préseoite  loi,  poxirpoût  être  expulsés  s'ils  sont 
étrangers;  ceux  qui  ont  l'iadigénat  allemand  peuvent  être  expulsés 
ou  internés  dans  des  lieux  dét&rmLnés.  » 

Cette  inique  loi  fut  promulguée  ie  4  juillet  1872.  Peu  de 
temps  aprè5,des  centaines  de  jésuites  appartenant  aux  familles 
les  plus  considérées  de  l'Allemagne,  même  à  des  familles  ayant 
le  rang  de  familles  souveraines,  étaient  expulsés  de  leur  patrie, 
sans  avoii?  été  entendus  ou  ju-gêsl  En  même  temps»  le^  fiorissaat 
et  réputé  collège  de  Saint-Clément  de  Metz,  ainsi  que  les  mai- 
sous  de  la  Compagnie  de  Jésus  à  Strasbourg  et  à,  Isenhedm, 
furent  fermés. 

(1)  FJxtrait  de  Y  Univers. 


132  ANNALK8    CATHOLIQUES 

Les  autres  ordres  impliqués  dans  la  persécution  eurent  le 
même  sort.  Nous  en  parlerons  ultérieurement;  aujourd'hui 
nous  nous  attachons  spécialement  à  parler  de  la  situation  faite 
à  la  Compagnie  de  Jésus. 

Tout  d'abord  il  convient  de  rappeler  de  quelle  façon  l'opinion 
publique  en  Allemagne  a  été  travaillée,  en  rue  de  la  préparera 
l'attentat  médité  contre  la  Compagnie. 

Le  premier  coup  partit  de  Munich.  Les  vieux-catholiques  — 
les  ouailles  à  la  tête  desquelles  on  devait  mettre  bientôt  un 
Reinkens,  un  Friedrich  —  s'étaient  réunis  en  congrès  général 
à  Munich.  Ils  y  votèrent  une  résolution  où  il  était  dit  : 

Nous  sommes  persuadés  que  la  paix  entre  l'Etat  et  l'Eglise  est 
impossible  tant  qu'où  ne  mettra  pas  fia  à  l'action  dissolvante  et  à  la 
morale  corruptrice  des  jésuites. 

Les  autres  batteries  furent  démasquées  peu  de  temps  après. 
Un  grand  meeting  protestant  fut  convoqué  à  Darmstadt  par  le 
fameux  Bluntschli,  Suisse  naturalisé  Prussien,  et  grand  chef 
de  toutes  les  loges  allemandes.  Il  serait  trop  long  de  faire  le 
portrait  de  ce  «  légiste  »  suisso-prussien,  il  suffit  de  dire  que 
l'homme  était  digne  de  l'œuvre.  Sur  sa  proposition,  le  meeting 
vota,  le  4  octobre  1871,  une  résolution  demandant  à  l'empire 
«  de  défendre  à  la  Compagnie  de  Jésus  et  aux  autres  ordres 
«  affiliés  »  toute  action  dans  l'Eglise  et  à  l'école.  » 

Entre  temps,  les  loges  tinrent  des  conciliabules,  et  le  8  octo- 
bre 1871  Bluntschli  envoya  une  circulaire  secrète,  invitant  les 
«  frères  et  amis  »  à  organiser  dans  toute  l'Allemagne  une  vio- 
lente agitation  contre  la  Compagnie  de  Jésus.  Le  triste  person- 
nage y  disait  : 

L'agitation  devra  être  mise  en  train  par  la  distribution  d'une  bro- 
chure intitulée  :  Contre  les  Jésuites  et  contenant  le  compte  rendu 
du  meeting  de  Darmstadt.  La  distribution  devra  se  faire  sur  la  plus 
vaste  échelle.  En  agissant  ainsi,  nous  visons  un  double  but  :  la  bro- 
chure devra  d'abord  servir  à  créer  un  courant  hostile  d'opinion  con- 
tre les  jésuites  et  puis  nous  fournir  des  moyens  pécuniaires.  En  ven- 
dant la  brochure  au  prix  de  cinq  gros  (60  centimes),  nous  nous  pro- 
curerons l'argent  nécessaire  pour  combattre  les  jésuites  de  l'Eglise 
catholique  et  aussi  ceux  qui  méritent  ce  nom  dans  l'Eglise  protes- 
tante. 

L'odieuse  campagne  eut  du  succès.  Bluntschli  donna  en  outre 
le  mot  d'ordre  d'organiser  un  vaste  pétitionnement  contre  la 
Compagnie  de  Jésus. 


LA    SITUATION    DES    JESUITES   EN    ALLEMAGNE  133 

Toutes  ces  pétitions,  signées  par  des  francs-maçons,  des  pro- 
testants notoirement  athées,  des  juifs  et  des  vieux-catholiques, 
disaient  que  les  peuples  allemands  voulaient  se  réunir,  dans  le 
nouvel  empire,  en  une  grande  et  libre  nation  de  frères,  mais 
cette  noble  tâche  était  rendue  impossible  par  un  ennemi  puis- 
sant —  la  Compagnie  de  Jésus  —  qui,  sous  la  protection  des 
lois,  poursuivait  un  but  diamétralement  opposé  et  qui  avait  jeté 
ses  filets  sur  toute  l'Allemagne  pour  en  faire  le  centre  de  son 
action  néfaste. 

Il  y  était  dit  encore  que  les  principes  et  les  tendances  de  la 
Compagnie  de  Jésus  étaient  particulièrement  dangereux  pour 
l'Allemagne,  et  que  l'Etat  et  la  civilisation  en  subissaient  les 
plus  graves  préjudices. 

Finalement,  on  y  disait  que  les  doctrines  des  jésuites  étaient 
ouvertement  prêchées  dans  toute  l'Allemagne  et  que  la  Compa- 
gnie disposait  de  puissants  moyens  pour  la  réalisation  de  ses 
desseins. 

De  nombreux  jésuites  —  disait  uno  do  ces  pétitions  —  parcourent 
l'Allemagne  et  notamment  la  Prusse,  où  ils  déploient  une  activité 
prodigieuse,  en  chaire,  au  confessional,  par  leurs  missions  populaires, 
leurs  exercices  spirituels  et  les  innombrables  congrégations  dans  les- 
quelles ils  ont  enrôlé  des  individus  de  tout  âge  et  de  toutes  les  clas- 
ses de  la  société.  Ils  ont  accaparé  une  grande  influence  religieuse, 
qu'ils  exercent  surtout  sur  les  femmes.  Ils  disposent  en  même  temps 
de  colossales  ressources  pécuniaires  qui  augmentent  encore  leur 
force.  Presque  dans  tous  les  diocèses  ils  sont  parvenus  à  exercer  une 
influence  dans  l'éducation  du  clergé,  de  sorte  que  toute  la  vie  reli- 
gieuse des  catholiques  allemands  est  infectée  de  l'esprit  des  jésuites. 

Si  la  législation  de  l'empire  permet  la  libre  formation  d'association, 
elle  ne  saurait  néanmoins  tolérer  une  Compagnie  dont  les  tendances 
sapent  la  base  et  les  conditions  vitales  du  nouvel  empire  allemand. 

Toutes  les  pétitions  avaient  le  même  ton  et  toutes  étaient  le 
digne  écho  des  récriminations  et  abominables  calomnies  du  sieur 
Bluntschli. 

Heureusement,  les  catholiques  allemands  ne  restaient  pas  les 
bras  croisés.  Ils  organisèrent,  à  leur  tour,  des  pétitionnements. 
Leur  presse  rappelait  que  la  Compagnie  de  Jésus  était  une  con- 
grégation fondée  par  un  sainte,  confirmée  par  les  Souverains  Pon- 
tifes et  approuvée  par  le  Concile  de  Trente;  congrégation  qui, 
conformément  à  la  règle  de  son  saint  fondateur,  avait  pour  but 
la  plus  grande  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes.  Elle  rappelait 


134  ANNALES    CATHOLIQUES 

encore  que  la  Compagnie  de  Jésus  était  chère  et  vénérable  à 
tous  les  vrais  catholiques,  à  cause  de  son  origine,  de  son  appro- 
bation, de  sa  mission  et  de  son  but. 

Les  pétitionnaires  catholiques  exposaient  que  toute  atteinte 
portée  à  la  Compagnie  de  Jésus  frappait  profondément  chaque 
catholique  dans  sa  liberté  civile  et  religieuse,  et  que  cette  atteinte 
éventuelle  introduisait  dans  la  législation  le  principe  de  l'into- 
lérance et  portait  un  coup  terrible  à  l'autonomie  de  rÉgliso  ca- 
tholique en  Allemagne. 

Les  pétitionnaires  déclaraient  ne  pouvoir  reconnaître  à  per- 
sonne, et  surtout  pas  à  leurs  ennemis  jurés,  le  droit  de  porter 
un  jugement  sur  ce  qni  était  profitable  ou  nuisible  aux  intérêts 
religieux  et  à  la  vie  ecclésiastique  catholique. 

Ils  qualifiaient  d'ignorance  et  de  calomnie  le  fait  de  vouloir 
désigner  la  Compagnie  de  Jésus  comme  dangereuse  à  la  paix 
publique  en  Allemagne,  et  ils  affirmaient  que  ces  calomnies 
émanaient  d'hommes  connus  pour  leurs  délations  politiques 
éhontées  contre  tous  les  fidèles  catholiques  allemands  et  contre 
l'Eglise  elle-même. 

Finalement  les  pétitionnaires  rappelaient  que  les  jésuites 
avaient  toujours  respecté  les  lois,  que  leur  ordre  était  approuvé 
par  l'Eglise,  qu'il  en  faisait  partie  et  que  son  existence,  liée  à 
l'autonomie  de  l'Eglise,  était  ainsi  garantie  par  l'article  15  de  la 
Constitution. 

Les  diverses  pétitions  7)ro  et  contra  furent  remises  à  une  com- 
mission, nommée  par  la  majorité  nationale-libérale  du  Reichstag 
et  composée  d'ennemis  jurés  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Cette 
commission  examina  les  pétitions  et  rédigea,  à  la  suite  de  cet 
examen,  un  rapport  longuement  motivé,  demandant  les  mesures 
les  plus  draconiennes  contre  tous  les  ordres  et  congrégations, 
sous  prétexte  de  maintenir  la  paix  religieuse  et  de  garantir  les 
droits  de  l'État  contre  les  empiétements  du  pouvoir  ecclésiastique. 

A  la  suite  de  ce  rapport,  le  projet  de  loi  fat  élaboré  et  pré- 
senté au  Reichstag  allemand.  Entre  temps,  le  prince  de  Bis- 
marck prétexta,  en  diplomate  consommé,  des  raisons  de  santé, 
pour  obtenir  un  congé,  de  sorte  que  durant  la  discussion  du 
projet  de  loi,  il  se  trouvait  absent,  ce  qui  permit  à  son  histo- 
riographe Louis  Hahn  d'affirmer,  dans  la  Vie  du  prio^ce  de 
Bistnarck,  que  les  débats  sur  les  pétitions  et  sur  la  loi  contre 
les  Jésuites  avaient  eu  lieu  sans  que  le  chancelier  allemand  y 
eût  pris  part  personnellement. 


LA   SITUATION  DES  JÉSUITES  EN   ALLEMAGNE  135 

Le  soin  de  M.  de  Bismarck  de  se  tenir  à  l'écart  prouve  qu'il 
sentait  tout  l'odieux  d'une  pareille  loi  d'exception. 

Le  14  mai  1872,  le  ministre  Friedberg,  un  juif  converti  au 
luthéranisme,  prit,  en  sa  qualité  de  représentant  du  conseil 
fédéral  allemand,  la  parole  au  Reichstag  allemand,  pour  recom- 
mander le  vote  du  projet  de  loi, 

Le  néo-protestant  fit  alors,  au  nom  du  gouvernement  allemand, 
la  déclaration  suivante  : 

Les  gouvernements  confédérés  vous  invitent  à  voter  le  pi'ojet  de 
loi.  Leur  conduite  est  dictée  par  les  raisons  suivantes: 

L'action  de  la  Compagnie  de  Jésus  constitue,  dans  chacun  de  ses 
membres  un  danger  pour  l'empire  et  une  menace  pour  la  paix  inté- 
rieure de  l'Allemagne.  Nous  avons  donc  été  forcés  de  chercher  les 
voies  et  les  moyens  pour  montrera  ces  brouillons  que  nous  comptons 
dorénavant,  basés  sur  notre  droit  de  domicile,  empêcher  toute 
atteinte  à  la  paix  de  leur  part.  Nous  avons  donc  jugé  que  l'on  ne 
saurait  faire  respecter  notre  bon  droit  qu'en  privant  les  membres  de 
la  Compagnie  de  Jésus  du  droit  de  s'établir  et  de  circuler  dans  l'empire 
allemand,  droit  appartenant  à  tous  les  citoyens  allemands. 

Par  conséquent,  le  projet  de  loi  vous  demande  l'autorisation  de 
pouvoir  expulser  tout  jésuite  de  partout  où  il  pourrait  porter  atteinte 
à  la  paix  intérieure  de  l'empire. 

«  Nous  ne  nions  pas  que  c^us  vous  demandons  ainsi  l'autorisation 
«  de  porter  une  grave  atteinte  à  la  liberté  des  droits  civils,  solennel- 
«  lement  garantis  à  tous  les  Allemands.  » 

Mais  du  moment  que  vous  reconnaissez  que  la  libre  action  de  la 
Compagnie  de  Jésus  et  de  ses  membres  constitue  un  danger  pour  la 
paix  de  l'empire,  nous  nous  trouverons  dans  le  cas  de  légitime  défense 
et  nous  pourrons  recourir  à  ce  moyen  extrême. 

«  Les  gouvernements  confédérés  reconnaissent  explicitement  que 
«  cette  loi  ne  sera  qu'une  loi  provisoire  de  défense  imposée  par  la 
«  nécessité  et  le  cas  de  légitime  défense  (ein  provisorisches  Nothgesetz 
«  im  Stande  der  Nothwehr.) 

A  la  seconde  lecture,  le  fameux  professeur  Gneist,  s'adres- 
sant  au  Centre,  l'apostrophait  en  ces  termes  : 

Nous  combattons  le  jésuitisme  comme  une  influencé  étrangère,  qui 
s'exerce  pernicieusement  contre  notre  développement  intellectuel  et 
national.  Vous  combattez  pour  la  Compagnie  de  Jésus,  parce  que 
vous  y  voyez  un  élément  de  l'Eglise  catholique  cher  à  vous  toup, 
parce  que  les  jésuites  ont  fait  faire  à  l'Eglise  en  vingt  ans  plus  de 
progrès  qu'elle  n'aurait  pu  faire  sans  eux  en  deux  cents  ans.  Mais  ne 
vous  avisez  pas  de  nous  parler  de  liberté  et  de  droit,  du  moment 
qu'il  s'agit  pour  vous  d'établir  ladoraination  des  jésuites  en  Allemagne. 


]36  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  harangue  du  vaniteux  professeur  engagea  la  majorité  à 
voter  la  loi  en  seconde  lecture  par  183  voix  contre  101.  A  la 
troisième  lecture,  la  loi  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  fut 
votée  par  181  voix. 

Tel  est  l'historique  de  la  campagne  organisée  contre  la  Com- 
pagnie de  Jésus  avec  l'exposé  des  armes  forgées  contre  elle. 
Nous  dirons  prochainement  ce  qui  s'en  est  suivi  et  quel  est  l'état 
actuel  de  la  question.  (A  suivre.) 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIE 

A  MONSIEUR  LE  PRÉSIDENT  DE  LA  CONFÉRENCE 
INTERNATIONALE  DE  BRUXELLES 

Nous  comirien(;ons  aujourd'hui  la  publicatioû  d'une  importante  et 
très  intéressante  lettre  de  S.  Em.  le  cardinal  Lavigerie  au  président 
de  la  cooférence  antiesclavagiste  de  Bruxelles.  Cette  lettre  est  rela- 
tive aux  événements  récents  de  l'Ouganda  et  aux  dangers  dont 
menacent  l'Afrique  les  sectes  musulmanes  et  principalement  celle 
des  Snoussya  : 

Biskra  (Sahara,)  le  19  mars  1800. 

Monsieur  le  Président, 

Il  ne  se  passe  pas  un  seul  jour  sans  que  ma  pensée  ne  se 
reporte  sur  la  Conférence  de  Bruxelles,  et  que  je  no  fasse  des 
vœux  pour  le  complet  succès  de  ses  travaux  en  faveur  de 
l'abolition  de  l'esclavage  africain. 

Retenu,  perdu,  pour  ainsi  dire,  aux  confins  de  la  barbarie,  je 
ne  cesse  de  méditer,  de  mon  côté,  sur  les  maux  qui  m'entourent 
et  que  je  touche,  ici,  prés  de  moi,  ne  serait-ce  que  par  les  récits 
qui  m'en  sont  faits,  chaque  jour,  et  par  la  vue  des  anciens 
esclaves  sahariens  qui  sont  venus  chercher  un  asile  à  l'ombre 
de  notre  drapeau. 

Une  partie  de  la  population  de  Biskra  appartient,  en  effet,  à  la 
race  soudanienne.  Au  milieu  des  représentants  de  vingt  races 
diverses,  successivement  établies  dans  cette  ancienne  capitale 
des  Zibans,  Berbères,  Touaregs,  Arabes,  Turcs,  Français,  Ita- 
liens, nous  recevons  les  échos  de  tous  les  points  de  l'intérieur 
de  l'Afrique,  bruits  utiles  à  recueillir,  pour  en  tirer  des  rensei- 
gnements pratiques  en  faveur  de  notre  pacifique  croisade. 

Le  premier   de  ces    enseignements,    c'est    que  notre  grand 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIR  137 

danger  actuel  est  le  développement  secret  des  associations 
musulmanes  fanatiques  qui  sont  spéciales  à  notre  Afrique. 

Elles  menacent,  en  effet,  si  nous  ne  nous  unissons  pas  pour 
leur  opposer  une  barrière  efficace,  de  tout  envahir,  de  tout 
détruire. 

Déjà  les  deux  tiers  de  notre  immense  continent  sont  atteints. 
Bientôt  elles  auront  tout. 

Je  crains  qu'on  ne  puisse  se  rendre  suffisamment  compte, 
même  à  la  conférence  de  Bruxelles,  qui  a  l'honneur  de  vous  avoir 
pour  Président,  d'une  situation  semblable,  qu'on  n'en  apprécie 
pas,  comme  il  le  faudrait,  les  éléments  :  et  cependant  tout  ce 
qu'elle  pourra  faire  sans  en  tenir  compte,  sera  un  travail  infruc- 
tueux et  un  effort  inutile. 

Plusieurs  fois  déjà,  j'ai  voulu  prendre  la  plume  pour  sou- 
mettre à  vos  honorables  collègues  les  renseignements  dont  je 
suis  certain  et  les  réflexions  qu'une  telle  situation  m'inspire. 
J'ai  hésité  longtemps;  car  dans  l'état  de  sauté  oii  je  suis  depuis 
plus  d'une  année,  il  m'a  été  bien  difficile,  jusqu'ici,  de  trouver 
la  liberté  nécessaire  pour  un  nouveau  travail.  Mais  aujourd'hui 
cet  état  qui  s'améliore,  chaque  jour,  et  les  graves  nouvelles 
que  je  viens  de  recevoir  de  mes  missionnaires  établis  dans  la 
région  des  Grands  Lacs  et  qui  concordent  avec  celles  de  toute 
l'Afrique  du  Nord,  me  déterminent  à  vous  dire  ce  que  je  sais. 

Puisse  le  témoignage  d'un  vieil  évêque  qui  a  voué  sa  vie 
à  la  régénération  de  ce  continent  barbare  et  qui  en  consacre  la 
fin  à  combattre,  avec  vous,  sous  les  ordres  de  Léon  XIII  et  sous 
la  bannière  S.  M.  le  Roi  Léopold  II,  le  fléau  de  l'esclavage, 
inspirer  aux  représentants  de  l'Europe  des  résolutions  efficaces 
et  salutaires  pour  les  intérêts  de  la  civilisation. 

Je  commencerai  cette  Lettre  par  ce  qui  me  tient  le  plus  à 
cœur,  en  ce  moment,  puisqu'il  s'agit  des  missions  dont  la 
création  m'a  été  confiée  par  le  Saint-Siège,  de  la  vie  de  mes 
missionnaires  et  de  leurs  néophytes,  dans  le  royaume  de 
l'Ouganda,  C'est,  en  effet,  sous  les  auspices  des  représentants 
de  l'Europe  que  je  veux  d'abord  placer  l'appel  que  j'adresse  ici 
au  peuple  civilisé  qui  voudrait  arborer  un  semblable  drapeau. 

J'en  viendrai  ensuite,  dans  une  seconde  partie,  à  des  événe- 
nements  analogues  à  ceux  des  Grands  Lacs,  qui  se  préparent 
dans  l'ombre,  sur  tant  d'autres  points  de  l'Afrique. 


138  AimALBS   CATHOLIQUES 


I 


Pour  apprécier  exactement  la  portée  des  événements  qui 
s'accomplissent  dans  l'Ouganda  et  celle  de  l'appel  que  j'adresse 
aux  nations  chrétiennes,  au  nom  de  la  religion  et  de  l'humanité, 
il  faut  se  rendre  compte  de  l'importance  de  l'Ouganda  lui- 
même,  et  des  faits  dont  il  est  le  théâtre,  depuis  le  commence- 
ment de  nos  Missions,  c'est-à-dire  depuis  douze  années.  C'est 
ce  que  je  vais  exposer  en  quelques  mots. 

L'Ouganda  est  donc  le  plus  grand  empire  nègre  de  la  région 
des  Grands  Lacs.  Il  compte  plusieurs  millions  d'habitants. 

11  nous  était  connu,  depuis  plus  d'un  demi-siècle,  par  les 
explorations  de  Speke,  deBurton,de  Baker,  et  d'autres  encore; 
mais  on  peut  dire  que  c'est  Stanley  qui  a  appelé  sur  lui,  d'une 
manière  efficace,  l'attention  du  monde,  et,  plus  particulièrement, 
du  monde  religieux,  par  le  récit  de  son  second  vorage  d'explo- 
ration, lorsqu'après  avoir  retrouvé  Livingstone,  ce  grand 
homme  a  réalisé  une  nouvelle,  intrépide  et  glorieuse  entre- 
prise, en  traversant  le  continent  africain.  Il  a  commencé,  en 
effet,  par  la  visite  du  Nyanza  et  de  l'Ouganda  qui  est  situé  sur 
ses  bords,  aux  sources  mêmes  du  Nil,  et  il  l'a  racontée  avec  le 
charme  d'imagination  et  de  style  qui  donne  tant  d'intérêt  à  ses 
ouvrages. 

Il  ne  s'est  pas  contenté  de  nous  faire  connaître  les  détails 
géographiques  de  son  exploration,  la  beauté  des  paysages,  la 
richesse  des  bannaneries  favorisées  par  l'abondance  des  pluies 
et  la  douceur  exceptionnelle  du  climat,  due  à  son  altitude  rela- 
tive, la  densité  des  populations,  l'étendue  du  royaume  de 
l'Ouganda  et  de  ses  tributaires,  la  puissance  de  son  empereur 
noir  et  son  étrange  cour  ;  il  a  surtout  appelé  l'attention  sur  le 
côté  moral  et  religieux  de  ses  découvertes,  sur  l'intelligence 
remarquable  et  le  caractère  des  nègres  de  ces  contrées,  bien 
supérieurs  aux  peuplades  qu'il  avait  rencontrées  jusque-là,  sur 
leur  ouverture  pour  les  idées  spirituelles. 

Il  nous  a  fait  assister,  en  particulier,  à  ses  discussions  théo- 
logiques avec  ce  roi  Mtéça  dont,  par  un  singulier  contraste  qui 
s'explique  par  les  contrastes  mêmes  du  caractère  de  ce  barbare, 
Speke  nous  avait  affirmé  qu'il  lui  voyait  égorger,  en  moyenne, 
cinq  de  ses  femmes,  chaque  jour,  dans  son  immense  sérail  (1). 

(1)  Mtéça  a  eu  jusqu'à  onze  cents  femmes  à  la  fois. 


LETTRE  DU  CARDINA.L  LAVIGERIE  139 

Sans  doute,  Stanley  avait  pris  trop  au  sérieux  le  penchant 
manifesté  par  ce  prince  pour  le  chrij^tianisme.  Devant  les  espé- 
rances qu'il  avait  conçues  de  l'arracher  au  mahométisrae  qui 
l'assiégeait  déjà  comme  une  proie,  il  paraît  presque  regretter  de 
ne  pouvoir  se  consacrer  lui-même  à  une  œuvre  de  si  longue 
haleine;  il  réclame  la  venue  des  missionnaires  qui,  seuls,  pour- 
raient s'y  consacrer  avec  succès; 

«  J'avais  déjà  eu,  dit  Stanley  (1),  dix  entretiens  avec  Mtéça, 
et,  chaque  fois,  j'avais  saisi  toutes  les  occasions  de  lui  parler  du 
christianisme.  Rien  n'arrivait  en  ma  présence  que  je  ne  le  fisse 
servir  à  mon  projet  :  la  conversion  du  Kabaka,  non  pas  à  un 
culte  particulier,  mais  à  la  doctrine  chrétienne.  Je  lui  disais 
comment  le  Fils  de  Dieu  s'était  humilié  jusqu'à  revêtir  la  forme 
humaine  pour  le  bien  de  tous  les  hommes,  des  noirs  aiusi  que 
des  blancs  ;  comment  il  avait  été  crucifié  par  son  méchant 
peuple,  qui  ne  l'avait  pas  reconnu,  et  comment  dans  son  amour, 
pour  ses  bourreaux  eux-mêmes,  il  avait  demandé  à  son  Père  da 
leur  pardonner,  alors  qu'il  soufirait  sur  la  croix.  Je  montrais 
la  différence  qu'il  y  a  entre  le  Christ  et  Mahomet,  celui-ci  ensei- 
gnant à  ses  disciples  que  tueries  païens  et  les  infidèles  est  méri- 
toire, Jésus  disant  qu'il  faut  aimer  tous  les  hommes,  sans  en 
excepter  aucun;  et  je  laissais  à  Mtéça  de  décider  quel  était  le 
plus  digne.  J'avais  commencé  à  lui  apprendre  les  dix  comman- 
dements, qui  furent  transcrits  en  kigannda  par  sou  secrétaire, 
sur  la  traduction  qu'un  de  mes  Zanzibarites,  élève  de  la  Mission 
des  Universités,  lui  en  donna  en  très  bon  kissouahili... 

«  C'est  un  pas  immense,  vu  le  peu  d'instants  que  j'ai  passés 
avec  lui;  et,  bien  que  je  ne  sois  pas  missionnaire,  après  ce  suc- 
cès, je  commence  à  croire  que  j'aurais  pu  le  devenir.  Ah  !  qu'un 
de  ces  hommes  pieux,  un  homme  intelligent  et  pratique,  vienne 
ici!  Quel  champ  à  cultiver,  quelle  récolte  mure  pour  la  civili- 
sation !  Mtéça  donnerait  à  un  missionnaire  tout  ce  qu'il  pour^ 
rait  désirer,  des  cases,  des  terres,  des  bestiaux,  de  l'ivoire.  Du 
premier  jour,  l'arrivant  pourrait  regarder  comme  sienne  une 
province  tout  entière... 

«  Pourquoi  dépenser  inutilement  en  Afrique  tant  de  sommes 
considérables,  en  faveur  des  païens  qui  n'ont  pas  l'exemple  de 
compatriotes  devenus  chrétiens  avant  eux?  Je  m'adresse  à  la 
Missions  des  Universités  de  Zanzibar,  aux  Méthodistes  libres  de 

(1)  A  travers  le  continent  raystérieux.  T.  I,  pages  188,  194,  195. 


140  ANNALES   CATHOLIQUES 

Mombaz,  aux  philanthropes  qui  dirigent  la  propagande  reli- 
gieuse, à  tous  les  hommes  pieux  de  l'Angleterre,  et  leur  dis  : 
«  Voici  l'occasion  que  vous  cherchez,  saisissez-la.  Un  peuple  des 
bords  du  Victoria  vous  appelle.  Obéissez  à  vos  généreux  ins- 
tincts, et  je  vous  certifie  qu'en  une  seule  année,  vous  aurez 
obtenu  plus  de  conversions  au  christianisme  que  toutes  les 
autres  Missions  réunies.  » 

Instruits,  les  premiers,  et  gagnés  par  ces  descriptions  et  ces 
invitations  chaleureuses,  les  ministres  protestants  de  l'Angle- 
terre manifestèrent  aussi,  les  premiers,  le  désir  de  se  rendre  à 
l'appel  de  leur  éminent  patriote,  et  s'y  rendirent  en  effet. 

Mais  le  livre  de  Stanley  était  bientôt  traduit  dans  toutes  les 
langues  de  l'Europe,  et  les  missionnaires  catholiques  ne  tar- 
dèrent pas  à  montrer  la  même  volonté  que  ceux  de  l'Angleterre. 

Léon  XIII  montait  alors  sur  le  trône  pontifical.  Reprenant  la 
pensée  de  Pie  IX  mourant,  il  voulut  trouver  des  ouvriers  évan- 
géliques  pour  une  telle  œuvre.  Elle  était,  à  la  vérité  périlleuse, 
difficile,  ruineuse,  en  apparence.  Mais  la  Société  naissante  des 
Missionnaires  d'Alger  ne  s'arrêta  pas  devant  ces  obstacles.  Dix 
de  ses  membres  demandèrent  à  partir  pour  les  Grands  Lacs,  et, 
au  mois  de  mai  1878,  ils  s'embarquèrent  à  Marseille.  Ceux  dont 
l'Ouganda  était  la  lointaine  destination  et  qui  avaient  à  leur 
tête  un  prêtre  jeune  encore,  mais  éminent  par  le  zèle,  par  l'intel- 
ligence, par  la  vertu,  par  le  courage,  Mgr  Livinhac,  aujour- 
d'hui Evêque  de  Pacando  et  Vicaire  apostolique  du  Nyanza  (1), 
ne  mirent  pas  moins  de  treize  mois  pour  parvenir  à  leurs 
futures  missions,  au  milieu  de  dangers  et  de  fatigues  de  tout 
genre,  ayant  fait  à  pied  le  chemin  qui  s'étend  de  Bagamoyo,  sur 
la  rive  du  littoral  africain  opposée  à  celle  de  Zanzibar,  jusqu'à 
Kadouma,  au  sud  du  lac  Victoria. 

Ils  s'étaient  munis,  à  l'avance,  de  cadeaux  pour  le  prince  noir. 
Outre  les  objets  qu'il  demandait  à  tous  les  étrangers,  comme  la 
poudre  et  les  armes  de  guerre,  les  Pères  en  emportaient  de  pur 
apparat.  C'étaient  des  costumes  de  cérémonie,  achetés  à  Paris 
sur  les  marchés  du  Temple;  des  habits  à  la  française,  cousus 

(1)  Le  Chapitre  de  la  Société  des  Missionnaires  d'Alger,  réuni  au 
mois  de  septembre  dernier,  a  élu  pour  son  Supérieur  Général,  sous 
l'autorité  de  Mgr  l'Archevêque  d'Alger,  Mgr  Livinhac  en  remplace- 
ment du  R.  P.  Deguerry,  à  qui  son  état  ne  permettait  plus  de  porter 
une  charge  qu'il  avait  toujours  trouvée  trop  lourde  pour  ses  forces, 
et  trop  en  vue  pour  sa  modestie;  mais  les  événements  de  l'Ouganda 
n'ont  pas  encore  permis  à    l'Evêque  de  Pacando  de  rentrer  à  Alger. 


LETTRE  DU  CARDINAL  L.WIGERIE  141 

d'or,  reste  de  la  splendeur  de  nos  ministres  déchus  et  témoignage 
de  nos  révolutions  successives,  que  les  favoris  de  Mtéça  por- 
tèrent avec  plus  d'orgueil  que  de  goût,  aux  grands  jours  de 
fête,  sur  leur  peau  noire  toute  nue. 

A  peine  informé  do  l'arrivée  de  ces  richesses  d'un  nouveau 
genre,  le  roi  ne  se  contenta  pas  d'ouvrir  aux  Missionnaires 
catholiques  la  porte  de  ses  Etats,  il  envoya  des  pirogues  les 
chercher  au  sud  du  Lac  et  les  prendre  avec  leurs  trésors. 

C'est  ainsi  que  commença  une  Mission  qui  devait  subir  tant 
d'émouvantes  péripéties. 

Mtéça  montra,  dès  l'abord,  aux  Missionnaires  les  mêmes  dis- 
positions qu'il  avait  montrées  à  Stanley.  Il  les  berça  de  l'espoir 
de  le  voir  embrasser  le  christianisme,  et  établit  des  discussions 
ou  controverses  publiques  entre  les  catholiques  et  les  protes- 
tants arrivés  les  premiers,  leur  faisant  entendre,  en  secret,  à 
tour  de  rôle,  que  c'était  leur  enseignement  qu'il  préférait,  et  se 
montrant  fier,  aux  yeux  de  son  peuple,  de  s'établir  ainsi  arbitre 
et  juge  entre  des  Européens. 

Mais,  au  fond,  nos  Pères  ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  qu'ils 
avaient  affaire  à  un  diplomate  qui  avait  dans  l'esprit  une  préoc- 
cupation différente. 

Mtéça  pressentait  déjà,  avec  la  perspicacité  particulière  à  sa 
race,  qu'il  était  menacé  d'un  nouveau  péril,  celui  qui  menaçait 
l'Afrique  entière. 

Les  Musulmans  esclavagistes  (car  l'esclavage  est  au  fond  de 
tous  les  maux  de  l'Afrique)  avaient  pénétré  dans  son  royaume 
avant  les  Missionnaires  et  les  explorateurs  européens,  et  il  n'a- 
vait pas  tardé  à  comprendre  leurs  desseins  pour  la  confisca- 
tion de  son  royaume.  D'autre  part,  il  suivait  avec  anxiété  le  tra- 
vail qui  se  faisait  déjà,  tout  près  de  lui,  parles  derviches,  sur  le 
Haut-Nil;  travail  encore  mystérieux,  qui  s'est  révélé,  avec 
les  mahdistes  fanatiques,  d'une  si  terrible  manière^  pour  le 
khédive  d'Egypte  et  pour  l'Angleterre.  De  l'autre,  il  n'était  pas 
rassuré  davantage  par  l'arrivée^  chaque  jour  plus  nombreuse, 
des  marchands  arabes  ou  des  métis  de  Zanzibar,  qui,  comme  or 
le  voit  aujourd'hui,  étaient  d'accord  avec  les  derviches  que,  de- 
puis, nous  nommons  mahdistes  (1).  Ce  qu'il  tenta  donc  d'abord 

(l)Le  nom  de  mahdistes  est  le  nom  générique  que  prenneat  les  dis- 
ciples d'un  homme  qui  se  donne  pour  prophète  ou  guide,  envoyé  de 
Dieu.  {Mahdivent  dire  guide.)  Les  fanatiques  isolés  ou  rangés  sous 
la  conduite  d'un  chef  ordinaire  se  nomment  derviche."?,  fakirs  ou 
khouans,  selon  les  pays. 


142  ANNALES    CATHOLIQUES 

c'est  de  tourner  contre  ces  périls  le  pouvoir  qu'il  supposait  aux 
Missionnaires  européens. 

Lorsqu'il  crut  avoir  suffisamment  gagné  leur  confiance  et  par- 
ticulièrement celle  de  leur  chef,  Mgr  Livinhac,  il  s'ouvrit  à  ce 
dernier  de  ses  appréhensions  et  de  ses  vues  secrètes,  et  lui  dé- 
clara qu'il  voulait  solliciter,  pour  se  soustraire  au  joug  musul- 
man qu'il  entrevoyait  dans  un  prochain  avenir,  le  protectorat 
officiel  de  la  France. 

J'ignore  si  une  semblable  tentative  a  été  faite  auprès  dos  Mis- 
sionnaires anglicans,  quoique  j'aie  lieu  de  supposer  que  Mtéça, 
sous  l'empire  des  craintes  qui  le  hantaient,  ne  négligea  pas  non 
plus  de  s'adresser  à  eux  ;  mais  j'ignore  les  termes  et  le  résultat 
de  cette  démarche,  et  je  ne  veux  parler  ici  que  de  ce  dont  je  suis 
personnellement  certain. 

Mgr  Livinhac  avait  d'une  part,  reçu  de  moi,  au  nom  du  Saint- 
Siège,  l'ordre  exprés  de  ne  se  mêler  en  rien  des  affaires  poli- 
tiques de  l'Intérieur  africain;  et,  de  l'autre,  il  comprenait  sans 
qu'il  fût  besoin  de  le  lui  expliquer  davantage,  que  la  France, 
déjà  engagée  au  dehors,  et  particulièrement  en  Afrique,  sur 
tant  de  points  divers,  ne  pouvait  accepter  une  charge  nouvelle, 
si  éloignée  de  sa  sphère  d'action. 

Pour  ne  pas  blesser,  cependant,  par  un  refus  ouvert,  le  puis- 
sant monarque  dont  il  avait  de  si  pressantes  raisons  de  conser- 
ver la  confiance,  dans  l'intérêt  même  de  sa  mission  religieuse,  il 
se  contenta  de  répondre  qu'il  n'était  pas  son  maître  dans  de  pa- 
reilles circonstances,  qu'il  avait  un  chef  direct  résidant  à  Alger, 
mais  qu'il  s'adresserait  volontiers  à  lui  pour  le  prier  de  deman- 
der au  gouvernement  de  la  France  la  faveur  que  Mtéça  solli- 
citait. Il  m'écrivit  donc  ;  et,  quelques  mois  après,  je  reçus  sa 
lettre  qui  m'arriva  par  la  voie  d'Egypte,  alors  encore  ouverte 
aux  communications  avec  l'Afrique  équatoriale.  Je  fis  connaître, 
à  mon  tour,  au  gouvernement  de  la  République  française  ce  que 
désirait  Mtéça.  J'ai  adopté,  moi-même,  il  est  vrai,  pour  mon  mi- 
nistère épiscopal,  le  principe  que  j'ai  inculqué  à  mes  mission- 
naires :  celui  de  s'abstenir  de  toute  ingérence  dans  la  politique, 
surtout  dans  les  relations  entre  les  Etats  divers. 

Mais  certain,  d'avance,  de  la  réponse  qui  me  serait  faite,  con- 
naissant la  résolution  arrêtée  de  nos  gouvernants,  —  et  la  trou- 
vant sage,  en  principe,  —  de  ne  plus  accepter  de  responsabilités 
et  de  territoires  nouveaux,  en  Afrique,  loin  des  régions  où  la 
France  se  trouvait  déjà  établie,  je  ne  crus  pas  devoir  décliner 


LETTRE   DG    CARDINAL   LAVIGERIE  143 

une  démarche  qui  n'était  qu'une  preuve  de  déférence  respec- 
tueuse à  l'égard  de  mon  pays. 

Le  refus,  du  reste,  fut  formulé  avecpromptitude  et  courtoisie, 
et,  à  la  réponse,  était  joint  comme  une  marque  de  bienveillance, 
l'envoi,  au  consulat  français  de  Zanzibar,  de  trois  cents  fusils, 
pour  permettre  au  roi  de  se  défendre  contre  les  ennemis  qu'il 
redoutait. 

Mais,  malgré  le  secret  conservé  d'abord'  sur  le  projet  Mtéça, 
ce  secret  avait  transpiré  parmi  les  Musulmans  établis  dans  son 
royaume,  peut-être  par  ce  fait  que  la  correspondance  de 
Mgr  Livinhac  avait,  comme  je  l'ai  dit,  été  expédiée  par  la  voie  de 
l'Egypte,  011  se  préparait  la  révolte  contre  le  khédive  et  surtout 
contre  l'influence  européenne. 

C'est  à  dater  de  ce  moment  qu'avaient  commencé  des  persé- 
cutions, ouvertes  ou  cachées,  et  des  menaces  qui  allaient  toujours 
en  s'accentnant,  de  la  part  des  esclavagistes,  à  mesure  que  le 
nombre  des  nègres  convertis  au  christianisme  augmentait  dans 
l'Ouganda.  C'est,  en  effet,  une  chose  remarquable  que  la  rapidité 
de  cet  apostolat  et  les  conditions  dans  lesquelles  la  religion 
chrétienne  a  fait  des  prosélytes  parmi  ces  noirs.  Les  Musulmans 
venus  de  l'Egypte  et  de  Zanzibar  avaient  tout  fait  dès  la  pre- 
mière heure,  pour  efirayer  Mtéça  sur  les  conséquences  de  la  pro- 
pagande des  chrétiens  parmi  ses  sujets.  Ils  se  servirent  encore, 
comme  d'un  épouvantail,  des  conversions  qui  se  multipliaient, 
sous  les  yeux  mêmes  du  monarque,  et  bientôt  après,  des  nou- 
velles d'Egypte,  relativement  à  la  Conférence  de  Berlin  ;  ils 
annonçaient  au  roi  que  ses  Etats  allaient  être  envahis  ou 
manges,  selon  leur  expression,  par  les  soldats  de  l'Europe  dont 
les  missionnaires  n'étaient,  d'après  eux,  que  les  précurseurs. 

Effrayé  par  ces  révélations  prétendues,  Mtéça  défendit  aux 
Pères  de  sortir,  désormais,  de  leur  demeure  pour  instruire  les 
néophytes  dans  ses  Etats.  Mais  la  semence  était  déjà  jetée  sur 
la  terre  fertile.  J'ai  parlé,  d'après  Stanley  lui-même,  de  la 
supériorité  des  Bagandas  (c'est  ainsi  qu'on  nomme,  danê  leur 
langue,  les  habitants  de  l'Ouganda)  sur  les  autres  peuples 
nègres.  Ils  en  ont  donné  la  preuve  dans  ces  circonstances. 

Les  premiers  catéchumènes  que  les  missionnaires  avaient  ins 
fruits  et  baptisés  dans  le  secret  de  leur  demeure,  les  voyant, 
par  suite  de  la  défense  du  roi,  dans  l'impuissance  de  continuer 
leur  apostolat  au  dehors,  s'étaient  faits  apôtres  eux-mêmes. 

{A  suivre.) 


144  ANNALES    CATHOLIQUES 

UN  COUP  D'ÉPERON 

Dans  le  mouvement  socialiste  contemporain  il  importe  de 
distinguer  le  but  à  atteindre  et  les  moyens  préconisés  pour  3' 
arriver. 

Le  but  est  double.  L'un  apparent,  affiché,  —  le  miel  qui  attire 
les  frelons,  —  l'amélioration  de  la  situation  des  classes  labo- 
rieuses. L'autre,  réel,  vrai,  qu'on  cache  soigneusement,  —  la 
mine  qui  fera  sauter  la  civilisation,  —  la  guerre  implacable  à 
la  propriété,  au  principe  d'autorité,  à  la  religion. 

Le  premier,  parfaitement  légitime,  utile  même  et  louable. 
Qu'il  y  ait  mille  ou  cent  mille  spéculateurs  véreux  qui  possè- 
dent tout  pendant  que  la  masse  ou  peuple  croupit  dans  la  misère  : 
c'est  condamnable  et  personne  ne  soutiendra  que  ce  soit  un  état 
normal  de  civilisation.  Il  faut  que  l'aisance  soit,  autant  que 
possible,  générale.  La  règle  qui  doit  guider  les  législateurs 
positifs,  c'est  le  bien  du  plus  grand  nombre.  Voilà  la  véritable 
formule  politique.  C'est  la  pensée  de  saint  Thomas  et  de  tous 
les  grands  sociologues. 

L'autre  but,  poursuivi  implacablement  par  les  socialistes  — 
et  c'est  ce  qui  les  distingue  profondément  des  catholiques  — 
c'est  le  renversement  du  principe  d'autorité,  réalisé  dans  la 
monarchie,  c'est  l'abolition  de  la  propriété,  c'est  la  guerre  atout 
principe  religieux.  «  Républicains  en  politique,  socialistes  en 
économie,  athées  en  religion  »  ;  voilà  le  programme  proclamé 
solennellement  en  plein  Reichstag  par  l'agitateur  Bebel. 

Tels  sont  les  deux  buts  poursuivis  par  les  socialistes  contem- 
porains. Autant  le  second  est  condamnable,  autant  le  premier 
est  louable.  Et  c'est  pourquoi  ils  s'en  servent  comme  d'un 
masque.  Grâce  à  lui,  ils  enrôlent  les  travailleurs  sous  la  ban- 
nière rouge.  Ils  les  disciplinent,  et  au  jour,  prochain  peut-être, 
d'un  mouvement  populaire  ils  lanceront  ces  masses  profondes  à 
l'assaut  des  coffres-forts,  des  trônes  et  des  autels. 

Et  alors,  on  connaîtra  les  horreurs  sans  nom  que  H.  Heine 
prophétisa  et  que  l'imagination  la  plus  dévergondée  ne  saurait 
concevoir. 

C'est  ce  que  nous  laissent  deviner,  de  temps  à  autre,  certaines 
déclarations  des  pontifes  du  parti  :  furtifs  éclairs  déchirant  de 
profondes  ténèbres  soigneusement  entretenues. 

Ecoutez  ce  cri  de  guerre  d'un  révolutionnaire  socialiste  qui 
eut  son  heure  de  célébrité  :  «  Oui,  tu  me  le  payeras,  société 


UN  COUP  d'Éperon  145 

bête,  s'écrie  Jules  Vallès,  tu  ne  perdras  rien  pour  attendre. 
J'aiguiserai  l'arme  qui  un  jour  t'ensanglantera...  »  Ce  n'est 
point  là  une  pure  déclamation  de  littérateur  en  quête  de  renom- 
mée malsaine.  La  flamme  des  incendies  de  la  Commune  éclaire 
des  phrases  semblables  de  la  plus  effrayante  lueur. 

Et  voulez-vous  savoir  l'intime  de  ses  sentiments;,  lisez  ces 
lignes  dans  lesquelles  il  flagelle  de  son  mépris  les  illustrations 
de  la  grande  Révolution. 

«  Vos  longs  cheveux,  Robespierre  et  Saint-Just,  tout  ça  c'est 
de  la  blague.  Vous  êtes  les  calotins  de  la  démocratie...  Il 
m'arrive  souvent,  le  soir,  quand  je  suis  seul,  de  me  demander 
si  je  n'ai  pas  quitté  une  cuisterie  pour  une  autre,  et  si,  après  les 
classiques  de  l'Université,  il  n'y  a  pas  les  classiques  de  la  Révo- 
lution—  avec  des  proviseurs  rouges  et  un  bachot  jacobin.  » 

Voilà  des  cris  qui  traduisent  des  fi-ingales  de  sang,  des  rêves 
de  destruction,  des  haines  implacables  pour  la  société  actuelle. 
C'est  le  dessous,  l'intime,  le  cœur  du  socialiste  révolutionnaire. 

N'allez  pas  croire  qu'il  soit  rare.  Nous  avons  cité  Vallès; 
nous  aurions  pu  en  citer  bien  d'autres.  Tenez,  voici,  à  titre 
d'exemple,  le  coryphée  du  collectivisme  français,  M.  Jules 
Guesde,  qui,  dans  un  article  servant  de  programme  à  une  revue 
socialiste  nouvellement  publiée,  malmène  fort  les  héros  de  la 
Commune  de  1871. 

Il  les  traite  en  réactionnaires  et  leur  reproche  leur  pusilla- 
nimité, leurs  scrupules  à  appliquer  dans  toute  sa  rigueur  le 
décret  sur  les  otages  et  l'excès  de  délicatesse  qui  les  a  empêchés 
de  s'emparer  des  ressources  de  la  Banque  de  France  dont  ils 
étaient  les  maîtres. 

Il  sait  bien,  lui,  que  les  hommes  de  sa  génération,  de  «  son 
bateau  »,  ceux  de  la  nouvelle  école,  ne  seront,  le  cas  échéant, 
ni  si  doucereux,  ni  si  scrupuleux. 

«  Entre  eux  et  nous,  écrivait-il,  il  y  a  toute  la  différence  des 
vagissements  du  nouveau-né  à  la  parole  humaine.  » 

Puis,  après  cette  déclaration  sauvage  qui  exprime  sans  voiles 
les  sentiments  d'un  chef  de  parti  —  qu'on  croyait  modéré  dans 
ses  mo^^ens]  d'action  —  il  esquisse  en  quelques  traits  le  pro- 
gramme collectiviste  : 

«  Expropriation   de  la  minorité  capitaliste,  restitution  à  la 

société  de  toutes  ses  forces;  l'industrie  et  le  commerce  social 

substitués  à^l'industrie  et  au  commerce  iprivés  ;  suppression  du 

patronat...  » 

11 


146  ANNALES    CATHOLIQUES 

Comme  conclusion,  en  guise  de  dessert  à  ce  banquet  démo- 
cratique, il  déclare  sans  ambages  «  qu'une  fois  le  pouvoir  entre 
ses  mains  et  celles  de  ses  amis,  ils  ne  reculeront  devant  aucune 
mesure,  si  violente  puisse-t-elle  être  ».  Et  délicatement,  il 
teraîine  par  une  allusion  à  la  permanence  de  la  guillotine. 

Voilà  les  paroles  d'un  des  meneurs  du  parti  socialiste,  dix- 
neuf  ans  après  la  Commune,  dix  ans  après  l'amnistie. 

Voilà  une  déclaration-programme  du  chef  reconnu  du  collec- 
tivisme français,  de  ce  parti  qui  adopte  les  idées  de  Karl  Marx, 
le  grand  oracle  des  socialistes  allemands,  dont  l'armée  s'accroît 
avec  une  rapidité  si  inquiétante. 

Ce  sont  des  menaces  qui  ne  seront  pas  vaines,  et  qui  annon- 
cent —  s'ils  triomphent  —  des  scènes  d'Apocalypse,  des  boule- 
versements sans  nom,  des  «  saignées  humanitaires  »  sans 
exemple.  «  Il  se  passera  alors  un  drame  auprès  duquel  la  Révo- 
lution française  n'aura  été  qu'une  innocente  idylle.  > 

S'il  est  encore  temps  d'arrêter  le  torrent  dévastateur,  c'est 
aux  catholiques  de  le  faire.  Comme  l'avouait,  l'autre  jour^  le 
Journal  des  Débats,  «  la  religion  catholique  seule  lutte  victo- 
rieusement contre  le  socialisme.  C'est  la  seule  barrière  qu'il  ait 
rencontrée.  » 

A  l'œuvre  donc,  conservateurs,  et  vite  pendant  qu'il  est 
peut-être  temps  encore.  Demain  il  serait  trop  tard. 

Il  est  permis  aux  libéraux  et  aux  jouisseurs,  à  ces  insolents 
convives  des  derniers  festins  de  Balthazar,  de  ne  pas  voir  la 
main  flamboyante  qui  déjà  trace  sur  les  parois  dorés  la  trilogie 
fatidique,  de  croire  que  la  plainte  sans  cesse  plus  ardente  des 
travailleurs  sera  toujours  étouffée  par  la  force  des  baïonnettes 
ou  le  tranchant  du  sabre.  Mais  c'est  à  nous  qui  croyons  que  la 
répression  périodique  n'est  pas  une  solution,  c'est  à  nous  de  nous 
lever,  de  travailler,  de  combattre,  pour  réconcilier  le  passé, 
adoucir  le  présent,  préparer  l'avenir. 

Nous  voulons  augmenter  le  bien-être  des  classes  laborieuses. 
Nous  voulons  des  réformes  sociales.  Mais  nous  voulons  les 
réaliser  par  le  respect  des  principes  éternels  qui  forment  la 
base  de  toute  société  et  de  toute  civilisation. 

{Courrier  de  Bruxelles.) 


LA   CONFÉRENCE    DE    BERLIN  147 


LA.  CONFERENCE   DE  BERLIN 

Voici  le  texte  du  protocole  final  de  la  Conférence  interna- 
tionale de  Berlin  : 

L  —  RÈGLEMENT  DU  TRAVAIL  DANS  LES  MINES 

Il  est  désirable  :  1°  Que  la  limite  inférieure  de  l'âge  auquel 
les  enfants  peuvent  être  admis  aux  travaux  souterrains  dans 
les  mines,  soit  progressivement  élevée,  à  mesure  que  l'expé- 
rience en  eaira  prouvé  la  possibilité,  à  quatorze  ans  révolus  ; 
pour  les  pays  méridionaux,  cette  limite  serait  fixée  à  douze  ans. 

Le  travail  sous  terre  est  défendu  aux  personnes  du  sexe 
féminin. 

2°  Dans  le  cas  oii  l'art  des  mines  ne  suffirait  pas  pour  éloi- 
gner tous  les  dangers  d'insalubrité  provenant  des  conditions 
naturelles  et  accidentelles  de  l'exploitation  de  certaines  mines 
ou  de  certains  chantiers  de  mines,  la  durée  du  travail  devrait 
être  restreinte.  On  laisse  à  chaque  pays  le  soin  d'assurer  ce 
résultat  par  voie  législative,  administrative,  ou  par  accord 
entre  les  exploitants  et  les  ouvriers,  ou  encore  d'après  les  prin- 
cipes et  la  pratique  de  chaque  nation. 

3°  a)  Que  la  sécurité  des  ouvriers  et  la  salubrité  des  travaux 
soient  assurées  par  tous  les  moyens  dont  dispose  la  science,  et 
placées  sous  la  surveillance  de  l'Etat; 

b)  Que  les  ingénieurs  chargés  de  diriger  l'exploitation  soient 
exclusivement  des  hommes  d'expérience  et  de  compétence 
technique  dûment  constatées  ; 

c)  Que  les  relations  entre  les  ouvriers  mineurs  et  les  ingé- 
nieurs de  l'exploitation  soient  le  plus  directes  possible  pour 
avoir  un  caractère  de  confiance  et  de  respect  mutuels  ; 

dj  Que  des  institutions  de  prévoyance  et  de  secours  soient 
organisées,  conformément  aux  mœurs  de  chaque  pays,  destinées 
à  garantir  l'ouvrier  mineur  et  sa  famille  contre  les  eôets  de  la 
maladie,  des  accidents,  de  la  vieillesse  et  de  la  mort;  que  les 
institutions  qui  sont  propres  à  améliorer  le  sort  du  mineur  et  à 
l'attacher  à  sa  profession,  soient  déplus  en   plus  développées; 

e)  Que  dans  le  but  d'assurer  la  continuité  de  la  production  du 
charbon,  on  s'efi'orce  de  prévenir  les  grèves.  L'expérience  tend 
à  prouver  que  le  meilleur  moyen  préventif  consiste  à  ce  que  les 
patrons  et  les  mineurs  s'engagent  volontairement,  dans  tous  les 


]48  ANNALES    CATHOLIQUES 

cas  où  des  diflférends  ne  pourraient  être  résolus  par  une  entente 
directe,  à  recourir  à  l'arbitrage. 

IL    —   RÈGLEMENT    DU    TRAVAIL    LE    DIMANCHE 

Il  est  désirable,  sauf  les  exceptions  et  les  délais  nécessaires 
dans  chaque  pays  qu'un  jour  de  repos  par  semaine  soit  assuré 
aux  personnes  protégées  ;  qu'un  jour  de  repos  soit  assuré  à  tous 
les  ouvriers  de  l'industrie;  que  ce  jour  de  repos  soit  fixé  au 
dimanche  pour  les  personnes  protégées. 

Des  exceptions  peuvent  être  admises  à  l'égard  des  exploita- 
tions qui  exigent  la  continuité  de  production  pour  des  raisons 
techniques,  ou  qui  fournissent  au  public  les  objets  de  première 
nécessité,  dont  la  fabrication  doit  être  quotidienne;  à  l'égard  des 
exploitations  qui,  par  nature,  ne  peuvent  fonctionner  que  dans 
des  saisons  déterminées,  ou  qui  dépendent  de  l'action  irrégu- 
lière des  forces  naturelles. 

Il  est  désirable  que,  même  dans  les  établissements  de  cette 
catégorie,  chaque  ouvrier  ait  un  dimanche  libre  sur  deux. 

Dans  le  but  de  déterminer  les  exceptions  à  des  points  de  vue 
similaires,  il  est  désirable  que  la  réglementation  soit  établie  par 
une  entente  entre  les  gouvernements. 

III.    RÈGLEMENT    DU    TRAVAIL    DES   ENFANTS 

Il  est  désirable  que  les  enfants  des  deux  sexes  n'ayant  pas 
atteint  un  certain  âge  soient  exclus  du  travail  dans  les  établis- 
sements industriels  ;  que  cette  limite  soit  fixée  à  douze  ans,  sauf 
pour  les  pays  méridionaux  oii  la  limite  serait  de  dix  ans;  que 
ces  limites  soient  les  mêmes  pour  tons  les  établissements  indus- 
triels, qu'il  ne  soit  admis  sous  ce  rapport  aucune  différence; 
que  les  enfants  aient  préalablement  satisfait  aux  prescriptions 
concernant  l'instruction  primaire  ;  que  les  enfants  au-dessous 
de  quatorze  ans  révolus  ne  travaillent  ni  la  nuit,  ni  le 
dimanche  ;  que  leur  travail  effectif  ne  dépasse  pas  six  heures 
par  jour  et  soit  interrompu  par  un  repos  d'une  demi-heure  au 
moins;  que  les  enfants  soient  exclus  des  occupations  insalubres 
et  dangereuses,  ou  n'y  soient  admis  qu'à  certaines  conditions 
protectrices. 

IV.  —  RÈGLEMENT    DU  TRAVAIL  DES  JEUNES    OUVRIERS 

Il  est  désirable  que  les  jeunes  ouvriers  des  deux  sexes  de 
quatorze  à  seize  ans  ne  travaillent  ni  la  nuit  ni  le  dimanche  ; 
que  leur  travail  effectif  ne  dépasse  pas  dix  heures  par  jour  et 


LA    CONFÉRENCE    DE    BERLIN  149 

soit  interrompu  par  un  repos  d'une  durée  totale  d'une  heure  et 
demie  au  moins;  que  des  exceptions  soient  admises  pour  cer- 
taines industries; 

Que  des  restrictions  soient  prévues  pour  les  occupations 
particulièrement  insalubres  ou  dangereuses  ; 

Que  la  protection  soit  assurée  aux  jeunes  garçons  de  seize  à 
dix-huit  ans  en  ce  qui  concerne  la  journée  maxima  de  travail, 
le  travail  de  nuit,  le  travail  du  dimanche,  leur  emploi  dans  les 
occupations  particulièrement  insalubres  ou  dangereuses. 

V.  —  RÈGLEMENT  DU  TRAVAIL  DES  FEMMES 

Il  est  désirable  que  les  filles  et  les  femmes  ne  travaillent  pas 
la  nuit; 

Que  leur  travail  eflectif  ne  dépasse  pas  onze  heures  par  jour 
et  soit  interrompu  par  un  repos  d'une  durée  totale  d'une  heure 
et  demie  au  moins; 

Que  des  exceptions  soient  admises  pour  certaines  industries 
et  que  des  restrictions  soient  prévues  pour  les  occupations  par- 
ticulièrement insalubres  ou  dangereuses; 

Que  les  femmes  accouchées  ne  soient  admises  au  travail  que 
quatre  semaines  après  leurs  couches. 

VI. — Mise  a  exécution  des  dispositions  adoptées 

PAR  LA   CONFÉRENCE 

Pour  le  cas  oîi  les  gouvernements  ne  donneraient  pas  suite 
aux  travaux  de  la  conférence,  on  recommande  les  dispositions 
suivantes  : 

Que  l'exécution  des  mesures  prises  dans  chaque  Etat  soit 
surveillée  par  un  nombre  suffisant  de  fonctionnaires  spéciale- 
ment qualifiés,  nommés  par  le  gouvernement,  indépendants  des 
patrons  et  aussi  des  ouvriers. 

Les  rapports  annuels  de  ces  fonctionnaires,  publiés  par  les 
gouvernements  des  divers  pays  seront  communiqués  aux  autres 
gouvernements.  Chacun  des  Etats  procédera  périodiquement, 
autant  que  possible  dans  une  forme  semblable,  à  des  relevés 
statistiques. 

Quant  aux  questions  visées  dans  les  délibérations  de  la  confé- 
rence, les  Etats  participants  échangeront  entre  eux  ces  relevés 
statistiques,  ainsi  que  le  texte  des  prescriptions  émises  par  voie 
législative  ou  administrative  et  se  rapportant  aux  questions 
visées  dans  les  délibérations  de  la  conférence. 


150  ANNALES    CATHOLIQUES 

Il  est  désirable  que  les  délibérations  des  Etats  participants 
se  renouvellent  ;  que  ceux-ci  se  communiquent  réciproquement 
leurs  observations  que  les  délibérations  de  la  présente  confé- 
rence auront  suggérées,  afin  de  pouvoir  examiner  l'opportunité 
de  les  modifier  ou  de  les  compléter. 

Les  soussignés  soumettront  ces  vœux  à  leurs  gouvernements 
respectifs,  sous  les  réserves  et  avec  les  observations  faites  dans 
les  séances  des  37  et  28  mars,  reproduites  dans  les  procès-ver- 
baux des  séances. 

Suivent  les  signatures  et  le  programme  de  la  conférence 
également  en  français. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Rome  et  l'Italie. 

Le  Souverain  Pontife  vient  de  donner  une  nouvelle  preuve  de 
sa  haute  sollicitude  pour  l'Université  de  Fribourg  en  adressant 
un  Bref  très  encourageant  et  très  élogieux  au  corps  ])rofessoral 
de  cet  Institut.  En  voici  la  traduction  : 

A  Notre  Cher  Fils,  le  Docteur  Jostes^  Recteur  de  l'Université 
de  Fribourg,  Suisse. 

LÉON  XIII,  PAPE. 

Cher  Fils,  Salut  et  Bénédiction  Apostolique. 

Depuis  que  Nous  avons  porté  Nos  soins  sur  le  noble  Institut  que 
vous  présidez,  Nous  avons  conçu  une  grande  espérance  qu'il  en  résul- 
tera des  avantages  nombreux  pour  le  bien  solide  de  la  Suisse,  pour 
l'honneur  et  l'agrandissement  considérable  de  la  religion.  Nous  avons 
embrassé  avec  plus  de  confiance  encore  un  tel  espoir,  en  lisant  la 
lettre  respectueuse  que  vous  Nous  avez  envoyée  le  XIIÏ  des  kalendes 
d'avril,  avec  la  Table  des  Leçons  qui  doivent  se  donner,  Nous  écri- 
vant soit  en  votre  nom,  soit  au  nom  des  doctes  hommes  qui  exercent 
les  fonctions  de  l'enseignement  dans  ce  nouveau  sanctuaire  des 
sciences.  Et,  en  effet,  ce  qui  sert  le  plus  habituellement  à  rendre 
fructueuse  et  salutaire  l'œuvre  de  ceux  qui  enseignent,  Nous  le 
voyons  briller  en  vous,  après  la  lettre  que  Nous  avons  reçue  :  Nous 
voulons  dire  un  amour  souverain  de  la  recherche  du  vrai,  par  la  voie 
très  sûre  qu'indiquent  les  documents  émanés  de  Nous;  un  zèle  assidu 
dans  l'emploi  des  moyens  les  plus  propres  à  communiquer  la  science; 
enfin,  des  esprits  ainsi  disposés  qu'ils  considèrent  avant  tout  la 
lumière  de  la  foi  (de  peur  que  la  raison  ne  s'égare  en  de  fausses  doc- 
trines), et  veuillent  exercer  l'étude -de  telle  sorte  qu'elle  ne  soit  point 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  151 

un  obstacle  â  l'exercice  de  la  piété.  Bien  que  Nous  n'ayons  pas  à 
craindre  que  votre  constance  ne  défaille,  après  de  si  heureux  com- 
mencements, Nous  ne  voulons  point  cependant  que  Notre  voix  vous 
manque,  pour  vous  confirmer  et  vous  exciter  à  les  poursuivre.  Tou- 
tefois, Nous  pensons  que  le  plus  vif  encouragement  se  trouve  dans  les 
louanges  dont  Nous  entourons  (proseq^limur}  vos  projets,  car  les 
louanges  qui  viennent  de  la  bouche  d'un  père  sont  la  plus  puissante 
exhortation  à  la  vertu.  Cependant,  priant  Dieu  de  vous  donner  avec 
munificence  et  surabondance  les  lumières  de  sa  sagesse  et  des  forces 
chaque  jour  plus  grandes,  afin  que  vous  puissiez  réaliser  avec  succès 
ce  que  votre  Patrie  avec  Nous  attend  de  votre  religion  et  de  votre 
zèle,  Nous  vous  accordons  avec  amour  la  Bénédiction  Apostolique,  à 
vous,  cher  Fils,  et  à  tous  les  professeurs  des  hautes  études  à  Fribourg. 
Donné  à  Rome,  près  Saint-Pierre,  le  III»  jour  d'avril  MDCCCXC, 
de  Notre  Pontificat  l'an  treizième. 

LÉON  XIII,  PP. 


On  attend  à  Rome,  le  19  avril,  le  grand  pèlerinage  de  la  Jeu- 
nesse catholique  d'Italie. 

L'archevêque  de  New- York,  Mgr  Corrigan,  qui  était  venu  à 
Rome  il  j  a  quelque  temps,  y  est  arrive  de  nouveau  ces  jours 
derniers,  de  retour  d'un  pèlerinage  qu'il  a  fait  en  Terre-Sainte, 
avec  quelques  ecclésiastiques  et  laïques  de  son  diocèse.  Sa  Gran- 
deur va  présenter  au  Souverain  Pontife  ces  pèlerins,  qui  doivent 
repartir  incessamment  pour  New-York,  tandis  que  !Mgr  Corri- 
gan restera  encore  quelque  temps  à  Rome  pour  traiter  les 
affaires  de  son  diocèse  avec  la  S.  Congrégation  de  la  Propa- 
gande. 

Le  général  Lintom-Simmons  vient  de  quitter  Rome,  après 
avoir  été  reçu,  avec  sa  famille,  en  audience  particulière  de 
congé  par  le  Souverain  Pontife.  Le  succès  de  sa  mission  auprès 
du  Saint-Siège  est  pleinement  confirmé.  Le  secrétaire  de  la  mis- 
sion, M.  le  capitaine  Ross  of  Blandensburg,  reste  à  Rome, 
comme  nous  l'avons  déjà  annoncé,  en  qualité  de  chargé  d'affai- 
res. En  même  temps,  on  assure  en  haut  lieu  que  le  général 
Lintorn-Simmons  pourrait  revenir  lui-même  prochainement  en 
qualité  de  représentant  régulier  de  la  Grande-Bretagne  près  le 
Saint-Siège. 

Il  faut  tenir  pour  absolument  imaginaire  la  nouvelle  d'après 
laquelle  Mgr  Ruffo-Scilla,  majordome  pontifical,  serait  nommé 
archevêque  de  Naples,  tandis  que  le  titulaire  de  ce  siège,  S.  Em. 
le  cardinal  Sanfelice,  serait  appelé  à  venir  à  Rome. 


152  ANNALES  CATHOLIQUES 

France. 

Paris.  —  Nous  apprenons  le  départ  de  S.  Em.  le  cardinal 
Richard  pour  Belley,  où  il  doit  prendre  part  au  iriduum  solen- 
nel qui  sera  célébré  en  cette  ville  les  18, 19  et  20  avril,  en  l'hon- 
neur du  bienheureux  Chanel. 

L'archevêque  de  Paris  est  parti  mardi  matin,  accompagné  du 
secrétaire  général  de  l'archevêché,  M.  l'abbé  Thomas.  Il  pro- 
noncera le  premier  panégyrique  du  saint  le  18  avril. 

A  ces  fêtes  prendront  part  de  nombreux  prélats,  notamment 
Mgr  Ducellier,  archevêque  de  Besançon  ;  Mgr  Isoard,  évêque 
d'Annecy,  et  Mgr  Luçon,  évêque  de  Belley. 

L'absence  de  Mgr  Richard  sera  d'une  huitaine  de  jours. 

C'est  Mgr  d'Hulst  qui  est  désigné  pour  succéder,  dans  la  chaire 
de  Notre-Dame,  au  R.  P.  Monsabré. 

La  charge  est  lourde,  mais  aucun  nom  ne  pouvait  être  mieux 
accueilli  que  celui  du  recteur  de  l'Institut  catholique  de  Paris. 

La  dix-neuvième  assemblée  annuelle  des  catholiques  de  France 
se  réunira  à  Paris,  sous  la  présidence  de  M.  Chesnelong,  séna- 
teur, les  6,  7,  8,  9  et  10  mai  prochain,  dans  les  locaux  de  la 
Société  de  Géographie,  boulevard  Saint-Germain,  184. 

Nos  lecteurs  connaissent  l'intérêt  et  l'utilité  de  ces  Congrès 
qu'avec  la  plus  louable  persévérance  le  Comité  catholique  de 
Paris  provoque  chaque  année,  depuis  1870.  Au  début,  ils  ont 
pris  l'initiative  des  œuvres  que  nous  avons  vu  grandir  et  dont 
on  peut  apprécier  aujourd'hui  les  résultats;  ils  ont  organisé  la 
résistance  lorsque  la  persécution  religieuse  s'est  déchaînée  sur 
la  France,  et  c'est  grâce  à  l'entente  qu'ils  ont  établie  entre  les 
catholiques  que  l'œuvre  de  la  réparation  a  suivi  pas  à  pas  et  non 
sans  succès  celle  de  la  destruction.  Ils  n'ont  rien  perdu  de  leur 
raison  d'être,  car  la  lutte  continue  toujours,  toutes  les  ruines  ne 
sont  pas  encore  relevées,  de  nouveaux  besoins  se  manifestent 
et  l'Église,  dont  rien  ne  réussit  à  arrêter  la  marche  en  avant, 
convie  ses  enfants  à  de  nouveaux  efforts  et  à  de  nouvelles  con- 
quêtes. 

PROGRAMME    DES    SÉANCES    GÉNÉRALES 

Première  journée.  —  Organisation  des  groupes  représenta- 
tifs des  intérêts  (cercles,  syndicats  professionnels).  —  Arts  et 
métiers  et  commerce.  —  Grande  industrie. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  153 

Deuxième  journée.  —  Même  question.  —  Agriculture. 

Troisième  journée.  —  Propagande  populaire.  —  Conférence 
sur  la  représentation  des  intérêts  ;  —  la  réglementation  du  tra- 
vail ;  la  protection  de  la  petite  propriété  (homestead).  —  Presse 
populaire.  —  Secrétariats  du  peuple  et  institutions  écono- 
miques populaires.  —  Cours  professionnels. 

Quatrième  journe'e.  —  Mouvement  provincial  ;suite  du  mou- 
vement du  Centenaire).  —  Groupes  provinciaux  permanents.  — 
Assemblées  provinciales. 

Cinquième  journe'e .  —  Etudes.  —  Travaux  des  commissions 
d'étude.  —  Travaux  parlementaires. 

Sixième  journe'e.  —  Relations  extérieures.  —  Œuvres, 
sociétés  d'études  sociales,  congrès.  —  Associations  de  ia  jeu- 
nesse. 

Orléans.  —  Les  fêtes  du  46P  anniversaire  de  la  délivrance 
d'Orléans  par  Jeanne  d'Arc  seront  célébrées,  les  7  et  8  mai  pro- 
chain, avec  une  grande  solennité. 

Le  panégyrique  de  l'héroïne  sera  prononcé  par  M.  l'abbé 
Mouchard,  professeur  de  rhétorique  au  petit  séminaire  de  la 
Chapelle. 

Outre  S.  Ein.  Mgr  Richard,  cardinal  archevêque  de  Paris, 
qui  présidera  cette  belle  cérémonie,  de  nombreux  prélats  se 
rendront  à  cette  époque  à  Orléans,  notamment  Mgr  Laborde, 
évêque  de  Blois  ;  Mgr  Goux,  cvêque  de  Versailles  ;  Mgr  de 
Briej,  évêque  de  Meaux  ;  Mgr  Lagrange,  évêque  de  Chartres, 
et  Mgr  Trégaro,  évêque  de  Séez. 

Alger.  —  Mgr  Lavigerie  adresse  aux  supérieurs  de  ses  sémi- 
naires la  lettre  suivante  : 

Archevoché  d'Alger,  le  25  mars  1890, 
en  la  fête  de  l'Annonciation  de  la  T.  S.  Vierge. 

Messieurs  et  chers  coopérateurs, 

Je  suis  heureux  de  pouvoir  vous  communiquer  le  Bref  que  je 
viens  de  recevoir  de  Rome,  et  par  lequel  le  Souverain  Pontife 
daigne  encourager  et  enrichir  de  ses  indulgences  les  pratiques 
de  piété  que  j'ai  ordonnées,  dans  chacune  de  vos  maisons,  à 
l'intention  des  séminaristes  contraints  par  la  loi  au  service 
militaire. 

J'ai  cru,  en  effet,  devoir  soumettre  à  Sa  Sainteté,  comme  je 
le  fais  dans  toutes  les  occasions  semblables,  la  circulaire  que  je 


1C4  ANNALES    CATHOLIQUES 

VOUS  ai  adressée,  en  date  du  1"  janvier  de  cette  année,  sur  les 
conseils  à  donner  et  les  mesures  à  prendre  pour  atténuer  autant 
que  .possible,  en  faveur  de  nos  jeunes  clercs  et  des  autres  mem- 
bres du  clergé  que  la  force  3-  soumet  désormais,  les  inconvé- 
nients de  la  vie  de  caserne. 

J'ai  eu  la  consolation  de  voir  approuver  et  louer  par  le  Saint- 
Pére  les  dispositions  prises  par  moi  dans  cette  circulaire  et 
l'esprit  qui  l'a  dictée. 

C'est  l'esprit  qui  a  toujours  dirigé,  du  reste,  la  conduite  du 
Saint-Siège  et  qui  inspirait  tout  récemment,  sur  les  mêmes 
matières,  la  lettre  si  épiscopale,  si  émouvante  et  si  patriotique 
de  l'éloquent  évêque  d'Autun. 

Le  Vicaire  de  Jésus-Christ  a  même  daigné  manifester  publi- 
quement son  approbation  paternelle  en  accordant,  comme 
vous  le  verrez  par  le  texte  du  Bref  que  je  vous  transmets,  des 
faveurs  spirituelles  spéciales  à  tous  ceux  qui  s'uniront  à  nous 
pour  implorer  la  protection  et  les  bénédictions  de  Dieu  sur  les 
membres  du  clergé  obligés  de  se  rendre  sous  les  drapeaux,  et 
pour  leur  obtenir  la  grâce  de  soutenir,  comme  je  le  leur  ai  con- 
seillé, «  virilement  et  en  esprit  de  foi  »  cette  nouvelle  épreuve, 
après  tant  d'autres  qui  contristent  en  ce  moment  l'Eglise. 

Cette  sollicitude  paternelle  du  Chef  de  l'Eglise  devra  vous 
engager  tous,  messieurs,  à  redoubler  de  zèle,  dans  les  temps 
actuels,  pour  l'accomplissement  de  votre  important  ministère. 

Je  déclare  donc  dès  aujourd'hui  canoniquement  promulgués, 
dans  mes  diocèses,  le  Bref  de  Sa  Sainteté  et  les  indulgences 
accordées  par  Elle  en  faveur  de  l'association  pieuse  établie  pour 
appeler  la  protection  et  les  bénédictions  de  Dieu  sur  nos  sémi- 
naristes, pendant  le  temps  qu'ils  devront  passer  au  service. 
J'ordonna,  en  outre,  qu'à  partir  du  l'ornai  de  la  présente  année, 
les  exercices  de  cette  association  deviendront  obligatoires  dans 
chacune  de  vos  maisons. 

Veuillez  agréer,  messieurs  et  chers  coopérateurs,  l'expression 
de  mes  sentiments  les  plus  dévoués  en  Notre-Seigneur. 

■^  Charles,  cardinal  Lavigerie, 
Archevêque  de  Garthage  et  d'Alger,  Primat  d'Afrique, 

(Suit  le  texte  du  Bref  pontifical.) 


CHRONIQUE    UE   LA   SEMAINE  155 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

L'Allemagne  et  la  France.  —  Expulsion  de  journalistes  français  en  Ita- 
lie. —  Elections  municipales.  —  Les  Soeurs  dans  les  hôpitaux.  — 
Etranger. 

Pendant  que  la  politique  chôme,  il  faut  bien  permettre  aux 
gens  à  imagination  vive  de  forger  des  nouvelles.  Le  terrain  sur 
lequel  on  s'exerce  en  ce  moment  avec  le  plus  de  succès  est 
celui  des  rapports  de  la  France  et  de  l'Allemagne.  L'empereur 
Guillaume  nourrit  certainement  de  nombreux  projets,  mais  non 
pas  sans  doute  tous  ceux  dont  on  parle.  Par  exemple,  il  est 
difficile  d'admettre,  comme  divers  journaux  l'assurent,  qu'il 
ait  de  vives  sympathies  pour  la  France  et  songe,,  daos  le  désir 
de  vivre  en  paix  et  en  bons  rapports  avec  elle,  soit  à  lui  ren- 
dre la  Lorraine,  soit  à  constituer  l'Alsace-Lorraine  en  état 
indépendant  et  neutre.  Mais  du  moment  où  ces  choses  se  disent 
il  faut  le  constater. 

La  Lega  Lomharda  de  Milan  écrit  que  la  nouvelle  d'un 
rapprochement  entre  l'Allemagne  et  la  France,  accréditée  par 
des  renseignements  diplomatiques,  produit  une  très  grande 
impression.  Le  principal  mérite  de  ce  rapprochement  revient 
aux  excellentes  dispositions  de  l'empereur  Guillaume,  secondé 
par  Mgr  Kopp,  prince-évêque  de  Breslau,  lequel,  paraît-il,  a 
trouvé  moyen,,  lors  de  la  récente  conférence,  de  soumettre  cette 
question  aux  délégués  français,  notamment  au  plus  illustre 
d'entre  eux,  à  M.  Jules  Simon,  lequel  a  pris  l'engagement 
formel  d'en  référer  à  son  gouvernement. 

On  ne  connaît  pas  les  bases  de  cet  accord,  on  ne  croit  pas  que 
des  propositions  concrètes  aient  été  encore  formulées;  on  pense 
que  tout  s'est  borné  à  l'engagement,  pris  par  l'empereur 
Guillaume,  d'empêcher  la  presse  bismarkienne  d'attaquer  la 
France,  en  attendant  que  le  gouvernement  français  réponde 
aux  avances  faites  sur  ce  terrain.  Dans  les  cercles  politiques 
italiens,  on  croit  que  l'accord  pourrait  se  faire  sur  la  base  de  la 
rétrocession  de  la  Lorraine  à  la  France,,  moyennant  des  :Com- 
pensations  politico-économiques,  qui  donneraient  à  la  rétroces- 
sion l'apparence  d'un  rachat.  L'évêque  de  Breslau  du 
consentement  de  l'empereur,  a  informé  du  tout  le    Saint-Siège. 

Yi'  Osservatore  cattoUco  de  Milan  publie  également  une  note 
intitulée  «  Rapprochement  "entre  l'Allemagne  et  la  France  ». 


156  ANNALKS    CATHOLIQUES 

L'organe  catholique  milanais  dit  que  le  bruit  de  ce  rapproche- 
ment prend  de  plus  en  plus  un  caractère  sérieux,  et  que 
M.  Crispi  a  reçu  l'ordre  de  changer  d'idées  et  d'attitude  à 
l'égard  de  la  France.  Il  n'y  paraît  pas. 


En  attendant  M.  Crispi  vient  d'agir.  Il  a  expulsé  d'Italie  trois 
journalistes,  deux  français,  correspondants  l'un  de  VAgence 
Havas,  l'autre  du  Figaro,  et  un  allemand,  correspondant  de  la 
Gazette  de  Francfort. 

Est-ce  là  le  commencement  des  rapports  amicaux  qui  doivent, 
parait-il,  régner  entre  la  France  et  l'Italie  ? 

Le  prétexte  mis  en  avant  est  que  les  rapports  de  ces  journa- 
listes, en  dénigrant  systématiquement  la  politique  du  gouver- 
nement du  roi  Humbert,  portait  atteinte  au  crédit  financier  de 
l'Italie.  Il  est  à  craindre  que  cette  mesure  vexatoire  ne  remette 
guère  celui-ci,  et  que  M.  Crispi  n'ait  été  lui-même  contre  le  but 
qu'il  semble  se  proposer,  c'est-à-dire  do  ramener  vers  lui  la 
faveur  de  l'opinion  publique  à  l'étranger. 

M.  Floquet  a  parlé,  dimanche  dernier,  à  Bordeaux,  dans  la 
salle  de  l'Alhambra.  «  J'ai  trouvé  ici  tout  un  peuple  de  citoyens 
qui  m'accueille  avec  la  plus  grande  cordialité,  a-t-il  dit,  et 
auquel  je  vais  être  forcé  de  répondre  par  une  déception,  car  je 
ne  me  propose  de  faire  aucun  programme,  mes  opinions  étant 
trop  connues,  et  je  sais  à  quelle  réserve  m'oblige  la  situation 
que  j'occupe  pour  faire  ce  qu'on  appelle  un  grand  discours  poli- 
tique >.  Après  cette  déclaration,  il  a  prononcé  un  long  discours 
dans  lequel,  il  fait  l'apologie  de  l'union  des  républicains.  Il 
attribue  à  cette  union  tout  le  bien  fait  par  l'Assemblée  nationale, 
«-  élue  au  jour  du  malheur  »  et  composée  de  réactionnaires 
absorbés  par  «  les  préoccupations  dynastiques  ». 

M.  Floquet  a  été  applaudi  par  «  tout  le  peuple  des  citoyens  » 
qui  l'écoutait.  Ce  peuple,  paraît-il,  est  de  ceux  qui  ne  se  fâchent 
pas  lorsqu'on  se  moque  d'eux.  Les  républicains  étaient  si  peu 
unis  en  ce  temps-là,  que  beaucoup  d'entre  eux  défendaient  la 
Commune  de  Paris  contre  l'armée  nationale,  à  peine  revenue 
de  captivité.  On  peut  s'étonner  que  M.  Floquet  l'ait  oublié. 
Eussent-ils  été  unis  d'ailleurs  qu'ils  ne  sauraient  revendiquer 
ce  que  les  monarchistes,  soi-disant  absorbés  par  les  préoccupa- 
tions dynastiques  et  en  immense  majorité  à  l'Assemblée  natio- 


CHRO^■IQUE    DE    LA    SEMAINE  i5T 

■nale,  ont  fait  pour  le  relèvement  de  la  France.  Ce  sont  les  majo- 
rités qui  gouvernent,  pas  les  minorités.  Il  est  aussi  ridicule  de 
faire  un  méi'ite  à  la  Gauche  du  bien  accompli  de  1871  à  1876, 
que  de  reprocher  à  la  Droite  le  mal  de  la  période  suivante  jus- 
qu'à nos  jours. 

Voici  le  résultat  des  élections  de  dimanche  13  avril  : 
ÊLECTIO^'S  SÊNAÏORIALES 

ARIÈGE 

Inscrits  :  629  1  Votants  :  628 

MxM.  Bordes  Pages,  rép 331  ELU 

Vergnies,  cons.  d'arr.,  rép 288 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Vigarosj,  sénateur  républicain, 
décédé. 

Ce  résultat  n'a  été  obtenu  qu'après  trois  tours  de  scrutin, 

EURE 

Inscrits  :  1,0G0  |  Votants  :  1,051 

MM.  Millard,  avocat,  anc.  dép 591  ELU 

Marquis  de  Chambraj,  cons.  gén.,  mon 460 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  le  marquis  de  Malleville,  séna- 
teur républicain,  décédé,  dont  le  siège  d'inamovible  a  été  trans- 
formé en  siège  départemental  et  attribué  par  le  sort  au  dépar- 
tement de  l'Eure. 

FINISTÈRE 

Inscrits  :  1,219  |  Votants  :  1,214 
MM.  Astor,  maire  de  Quimper,  cons.  gén.,  rép. . .       654  ELU 

Chevillotte,  ancien  député,  mon 560 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Grandperret,  sénateur  bonapar- 
tiste, décédé,  dont  le  siège  d'inamovible  a  été  transformé  en 
siège  départemental  et  attribué  par  !e  sort  au  département  de 
Finistère. 

ÉLECTIONS  LÉGISLATIVES 

GIRONDE  (Blajej 

Inscrits  :  18,352  ]  Votants  :  16,005 

]\IM.  Froin,  conservateur 7.978  ELU 

Goujon,  rép.  modéré 7.930 

M.  Froin  avait  été  invalidé. 


158  AKNALES    CATHOLIQUES 

BASSES-PYRÉNÉES  (Bajonne) 
Inscrits  :  12,435  |  Votants  :  6,799 
M.  Lafont,  candidat  républicain,  est  élu  sans  concurrent,  par 
6,423  voix. 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Haulon  élu  sénateur. 

Paris  est  en  pleine  période  électorale.  Les  murs  se  couvrent 
d'affiches,  car  le  conseil  a  fixé  au  27  avril  la  date  des  élections 
pour  le  renouvellement  du  Conseil  muuicij^al  de  Paris  et  pour 
celui  du  Conseil  général  de  la  Seine.  ,, 

Les  ballottages  auront  lieu  le  4  mai. 

Déjà  on  connaît  bon  nombre  de  professions  de  foi. 

Voici,  à  titre  de  document,  le  texte  de  la  déclaration,  signée 
par  les  candidats  boulangistes  aux  élections  municipales  du 
27  avril,  avant  de  recevoir  l'investiture  : 

«  Partisans  résolus  d'une  République  nationale,  ouverte  à  tous 
les  citoyens  défenseurs  dévoués  du  sufî'rage  universel,  recon- 
naissants envers  le  général  Boulanger  du  grand  mouvement  de 
patriotisme  et  d'émancipation  politique  et  sociale  dont  il  a  été 
l'énergique  serviteur,  les  candidats  dont  les  noms  suivent 
adhèrent  au  programme  minimum  ci-dessous  : 

«  Revision  de  la  Constitution  de  1875  par  une  Constituante 
issue  du  suffrage  universel  ; 

«  Référendum  populaire  pour  l'acceptation  de  la  constitution 
nouvelle  et  pour  les  grandes  lois  politiques; 

«  Organisation  de  la  République  nationale  sur  les  bases  les 
plus  démocratiques,  permettant  l'accomplissement  des  réformes 
sociales  qui  tiennent  aujourd'hui  la  première  place  dans  les 
préoccupations  de  l'Europe  ; 

«  Liberté  de  la  presse,  liberté  de  la  parole,  liberté  de  la  pensée, 
liberté  d'association,  liberté  de  conscience; 

«  Respect  absolu  du  suffrage  universel  et  de  la  souveraineté 
populaire  ; 

«  Annulation  de  l'inique  sentence  de  laliaute  Cour  sénatoriale  ; 

«  Economie  et  loyauté  dans  l'administration  de  la  Ville  de 
Paris.  » 

La  liste  des  candidats  publiée,  hier,  par  les  journaux  boulan- 
gistes, provoque  déjà  des  réclamations.  M.  Worms,  professeur 
de  droit  à  la  Faculté  de  Rennes,  proteste  de  l'usage  fait  de  son 


CHRONIQUK    DE    LA    SEMAINE  159 

nom.  Dans  la  liste,  il  était  porté  comme  candidat  dans  le  quar- 
tier Saint-Avoye  (3*  arrondissement.) 

D'autre  part,  on  annonce  le  désistement  de  M.  Blois-Glavy 
dans  le  7'  arrondissement  (quartier  Saint-Thomas-d'Aquin.) 

Tandis  que  les  candidats  boulangistes  se  placent  presque 
exclusivement  sur  le  terrain  politique,  les  candidats  conserva- 
teurs se  tiennent  au  contraire  aux  intérêts  de  la  Ville  et  du 
département.  En  tête  de  leurs  programmes  ils  demandent  sur- 
tout la  réintégration  des  sœurs  dans  les  hôpitaux. 

M.  Ferdinand  Duval,  président  du  comité  conservateur,  a 
exposé  les  principaux  points  du  programme  que  ce  comité 
impose  à  ses  candidats. 

«  Nous  demandons,  dit  M.  Ferdinand  Duval,  la  cessation  des 
laïcisations  dans  les  hôpitaux  et  la  réintégration  des  sœurs  au 
chevet  des  malades. 

«  Des  subventions  aux  écoles  libres.  Le  conseil  municipal  n'a 
pas  à  détruire  des  lois  votées.  Mais  il  peut,  et  il  doit  répartir 
équitablement  l'argent  des  contribuables.  C'est  la  vraie  liberté 
et  la  véritable  égalité. 

-€  Une  gestion  économe  des  finances  de  la  ville.  Le  budget  de 
Paris  est  fort  obéré,  et  un  conseil  municipal  soucieux  des  intérêts 
dont  il  a  la  sauvegarde,  doit  se  préoccuper  de  ne  pas  être  acculé 
à  la  nécessité  de  nouveaux  impôts  et  de  nouveaux  emprunts. 

«  L'étude  sincère  de  la  question  sociale  et  ouvrière  ;  mais 
sans  pactiser  avec  la  révolution  sociale,  qui  n'apporte  que  des 
haines  entre  les  classes,  mais  pus  de  solution. 

«  Nous  demandons,  enfin,  que  l'on  cesse  de  faire  de  la  poli- 
tique. C'est  la  manie  politique  de  la  majorité  qui  empêche  de 
faire  oeuvre  sérieuse.  La  bonne  gestion  des  intérêts  d'une  ville 
telle  que  Paris  oflre  un  champ  assez  vaste  à  l'intelligence  et  à 
l'activité  de  ses  élus. 

<j:  Notre  programme  est,  en  un  mot,  un  programme  nettement 
conservateur;,  écartant  la  politique  stérile,  affirmant  la  liberté 
des  consciences,  et  protestant  contrôla  tyrannie  des  sectaires.  » 

Tel  est,  dans  ses  grandes  lignes,  le  programme  conservateur. 
Il  reste  ce  qu'il  a  été  aux  précédents  scrutins.  Les  revendica- 
tions libérales  sont  restées  la  plate -forme. 

M.  Ferdinand  Duval  ajoute  que  dans  le  prochain  conseil,  la 
minorité  conservatrice  ne  s'alliera  certainement  pas  aux  bou- 
langistes. Mais  cette  situation  aura  ce  résultat  d'obliger  la  ma- 
jorité à  compter  davantage  avec  cette  minorité,  et  la  bonne 
gestion  des  affaires  y  gagnera. 


160  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  Journal  des  Débats  apprécie  de  la  manière  saivante  l'attitude 
des  conservateurs  : 

En  même  temps  que  les  journaux  boulangistes  nous  appor- 
taient le  manifeste  du  comité  boulangiste  et  la  liste  de  ses  can- 
didats, nous  lisions  ailleurs  le  compte  rendu  de  la  réunion  pro- 
voquée, à  la  salle  Lemardelay,  par  le  comité  présidé  par 
M.  Ferdinand  Duval.  Dans  cette  réunion  a  été  discuté  le  pro- 
gramme que  les  candidats  du  comité  conservateur  de  la  Seine 
devront  adopter  aux  élections  municipales.  Les  idées  qui  ont 
prévalu  sont  fort  différentes  dcj  celles  qui  sont  exprimées  dans 
la  déclaration  de  Jersey. 

Le  comité  conservateur  a  eu  le  bon  esprit  et  la  prudence 
d'écarter  la  politique  de  son  programme  et  de  se  placer  sur  le 
terrain  des  affaires  municipales  et  des  intérêts  de  la  ville  de 
Paris.  Une  des  questions  qui  lui  tiennent  particulièrement  au 
eœur,  c'est  celle  delà  laïcisation  des  hôpitaux.  Ce  sera  là,  si  nous 
ne  nous  trompons,  l'article  fondamental  du  programme  des  can- 
didats présentés  par  le  comité  conservateur.  Il  n'y  a  pas  lieu 
d'en  être  surpris,  et  nous  avouons  ne  pas  comprendre  le  repro- 
che que  l'on  a  déjà  fait  aux  candidats  qui  protestent  contre  la 
laïcisation  des  hôpitaux  d'introduire  les  questions  religieuses 
dans  les  élections  municipales.  Ils  ne  les  y  introduisent  pas; 
elles  y  sont. 

L'administration  du  Conseil  municipal  dont  le  mandat  touche 
à  sa  fin  a  été  marquée  par  l'intolérance  la  plus  grossière  et  par 
toutes  les  mesures  que  pouvait  inspirer  l'esprit  sectaire  le  plus 
violent  et  le  plus  borné.  La  caractéristique  de  ce  Conseil  a  été 
précisément  cet  esprit  d'intolérance  et  de  secte,  dont  la  laïci- 
sation systématique  des  hôpitaux,  au  mépris  des  avis  du  corps 
médical,  sans  souci  de  l'intérêt  des  malades,  et  au  détriment  de 
la  bourse  des  contribuables,  a  été  une  des  manifestations  les 
plus  éclatantes  et  les  plus  décriées. 

Il  est  naturel  que  les  adversaires  de  cette  politique  néfaste 
»s'en  expliquent  hautement  devant  leurs  électeurs  et  leur  deman- 
dent de  la  condamner  par  leurs  votes.  Et,  selon  nous,  ce  n'est 
pas  seulement  aux  candidats  du  comité  conservateur  qu'il  appar- 
tient de  protester  contre  les  brutalités  inexcusables  dont  l'ancien 
Conseil  municipal  s'est  rendu  coupable;  c'est  le  devoir  de  tous 
les  hommes  modérés  d'en  répudier  la  solidarité  et  de  s'associer 
à  ce  qui  sera  tenté  pour  y  mettre  un. 


CHRONIQUE    DE   LA    SEMAINE  161 


Les  conseillers  sortants  publient  la  pétition  suivante  : 

A  monsieur  le  minisire  de  l'intérieur. 
Monsieur  le  ministre, 

Aux  termes  de  la  loi  de  1849,  l'Assistance  publique,  à  Paris, 
est  placée  sous  l'autorité  du  ministre  de  l'intérieur.  C'est  donc 
à  vous  qu'il  appartient  de  réglementer  l'organisation  et  le  fonc- 
tionnement des  services  hospitaliers. 

Nous  vous  demandons  de  réintégrer  les  soeurs  dans  les  hôpi- 
taux de  Paris, 

On  en  a  chassé  ces  admirables  servantes  des  pauvres,  sans 
tenir  compte  ni  des  réclamations  des  malades  ni  des  protesta- 
tions des  médecins. 

On  a  ainsi  enlevé  à  la  population  laborieuse,  trop  peu  aisée 
pour  se  faire  soigner  à  domicile,  les  gardes-malades  que  les 
riches  —  sans  distinction  de  croyances  religieuses  —  font 
appeler  dès  qu'ils  sont  atteints  par  la  maladie. 

En  vous  demandant  de  rendre  aux  soeurs  la  direction  des 
services  qui  leur  ont  été  retirés,  nous  ne  faisons  pas  de  politique; 
nous  n'avons  en  vue  que  l'intérêt  des  malades.  Si  vous  accueillez 
favorablement  notre  pétition,  vous  donnerez  satisfaction  à  la 
grande  majorité  de  la  population  parisienne. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Ferdinand  Duval  —  F,  Riant  —  Denys  Cochin  — 
Gamard  —  Lerolle  —  Dufaure  —  Despatvs  —  Deville 
—  Georges  Berrj',  conseillers  mu/nicipaux  sortants. 


La  Chambre  des  Députés  de  Prusse  a  repris  ses  travaux. 

Après  l'ouverture  de  la  séance,  le  général  de  Caprivi  chan- 
celier de  l'Empire,  demande  la  parole.  Il  dit  qu'il  ne  prend  pas 
la  parole  avant  l'ordre  du  jour  pour  prononcer  un  discours- 
programme,  parce  qu'il  a  été  jusqu'à  présent  étranger  à  la  vie 
politique  et  qu'il  ne  peut  pas  encore  se  faire  une  idée  exacte  de 
sa  sphère  d'action.  Il  ajoute  qu'il  ne  veut  aujourd'hui  que  se 
mettre  personnellement  en  relation  avec  les  membres  de  la 
Chambre  des  Députés.  (Approbation), 

Le  chancelier  de  l'Empire  rappelle  ensuite  l'importance  du 
rôle  qui  a  été  rempli  par  le  prince  de   Bismarck  ;    il   exprime 

12 


162  ANNALES   CATHOUQUKS 

l'espoir  que  le  sort  de  la  Prusse  est  aussi  assuré  dans  l'avenir 
et  déclare  que  l'édifice  est  assez  solidement  construit  pour 
résister  à  l'orage. 

Le  chancelier  de  l'Empire  dit  ensuite  que  l'importance  de  la 
personnalité  du  jeune  et  auguste  souverain  s'est  ncanifestée 
d'une  façon  déjà  suffisamment  claire  au  point  de  vue  des 
affaires  intérieures  et  extérieures.  Tl  affirme  sa  foi  inébranlable 
dans  l'avenir  de  la  Prusse,  qui  sera  longtemps  encore  une 
nécessité  historique,  de  même  que  l'empire  allemand  qui  s'ap- 
puie sur  son  épaule. 

«  Le  royaume  et  l'empire,  ajoute  le  général  de  Caprivi,  ont 
encore  un  avenir  plein  d'espérance.  L'empereur  a  dit  que  les 
choses  devaient  continuer  comme  par  le  passé;  il  ne  faut  pas 
s'attendre  à  voir  s'ouvrir  une  nouvelle  ère,  mais  l'organisation 
ministérielle  sera  modifiée  de  telle  façon  que  chacun  des  mem- 
bres du  cabinet  pourra  mieux  faire  valoir  ses  avis. 

«  J'admettrai  dans  la  plus  large  mesure  un  examen  objectif 
des  questions  ;  je  prendrai  ce  qui  sera  bon  à  l'endroit  oii  je  le 
trouverai  et  je  travaillerai  avec  tous  ceux  qui  ont  à  cœur  les 
intérêts  de  la  Prusse  et  qui  sont  en  état  de  développer  les  insti- 
tutions prussiennes  dans  le  sens  monarchique  et  les  institutions 
de  l'Empire  dans  le  sens  national,  »  (Vifs  applaudissements). 

Au  cours  de  la  séance  de  la  Chambre  des  députés,  M.  Rickert, 
libéral-allemand,  dit  accueillir  avec  la  plus  grande  joie  les 
déclarations  du  général  de  Caprivi. 

Il  demande  une  réforme  des  impôts,  une  nouvelle  organisation 
des  communes  et  la  suppression  des  inconvénients  auxquels 
donne  lieu  la  presse  officieuse. 

L'orateur  ajoute  que  le  parti  libéral-allemand  appuiera  le 
régime  constitutionnel. 

M.  Jules  Simon  ne  veut  pas  accepter,  pour  son  compte,  'a 
responsabilité  de  la  réserve  hostile  qu'au  nom  de  la  République 
athée  MM.  Tolain  et  Delahaye  ont  gardée  à  Berlin  sur  la  ques- 
tion du  repos  du  dimanche.  Voici,  en  effet,  ce  que  M.  Jules  Simon 
écrit  au  Journal  de  Rennes. 

Vous  dites  que  je  n'ai  accepté  qu'avec  réserves  le  repos  dominical. 
Non  seulement  je  l'ai  accepté  sans  réserve,  mais  j'ai  prononcé  un 
discours  pour  demander  que  le  repos  hebdomadaire  fût  fixé  au 
dimanche. 

Je  suis  président  d'honneur  de  la  ligue  pour  le  repos  du  dimanche. 

Jules  Simon. 


CHRONIQUE    DB   LA    SEMAINE  163 

Les  Anglais  sont  fort  ennuyés.  Il  leur  arrive  une  aventure 
bien  désagréable.  Ils  avaient  envoyé  Stanley,  à  grands  frais^ 
en  Afrique,  délivrer  Emin-Pacha,  qui  ne  demandait  qu'à 
rester  où  il  était.  De  force,  pour  ainsi  dire,  Stanley  a  emmené 
Emin;  mais  c'était  dans  la  pensée  qu'Kmin  s'emploierait  de  tout 
son  crédit  en  faveur  des  projets  de  l'Angleterre.  Les  dépêches 
d'hier  ont  causé  aux  sujets  de  Sa  Majesté  Britannique  la  plus 
vive  émotion.  Emin-Pacha  retourne  dans  le  centre  de  l'Afrique 
mais  c'est  pour  le  compte  de  l'Allemagne.  L'affaire  est  conclue, 
la  caravane  est  prête,  elle  va  partir  avec  l'ordre  de  faire  vite. 

Son  intention  évidente  est  d'aller  reconquérir  pour  l'Alle- 
magne la  région  qu'il  a  gouvernée  pour  l'Egypte^  jusqu'à 
l'arrivée  de  Stanley.  Le  colonel  Ewan  Smith,  consul  général 
d'Angleterre  à  Zanzibar,  croit  qu'Emiii-Pacha  a  ordre  de  con- 
clure précipitamment,  au  nom  de  l'Allemagne,  des  traités  avec 
tous  les  chefs  indigènes  établis  entre  la  côte  et  la  région  équa- 
toriale,  pour  devancer  toute  action  de  l'Angleterre.  Le  Times 
est  stupéfait,  le  Standard  déconcerté  ;  les  autres  «  demeurent 
stupides  ».  Notez  qu'au  même  moment  le  major  Wissmann 
vient  de  faire  la  paix  avec  Bouanahéri  et  qu'il  interdit  tout 
passage  aux  chevaux  anglais.  Ah!  quelles  déceptions! 

Le  3  janvier  1874,  un  coup  d'Etat  militaire  accompli  par  le 
général  Pavia  mit  fin  à  la  République  espagnole.  La  dictature 
fut  confiée  au  maréchal  Serrano  qui  s'occupa  de  déblayer  le 
terrain  encombré  par  les  oeuvres  malsaines  de  MM.  Figueras, 
Pi  y  Margall,  Salmeron  et  Castelar. 

Cartagène,  dernier  rempart  des  cantonalistes,  qui  résistait 
depuis  plusieurs  mois,  tomba  au  pouvoir  du  gouvernement,  il 
ne  resta  plus,  en  présence,  les  armes  à  la  main,  que  le  gouver- 
nement établi  à  Madrid  et  le  gouvernement  de  don  Carlos  qui 
avait  pris  le  nom  de  Charles  YII.  Le  29  décembre  1874,  Marti- 
nez  Campos  et  un  homme  alors  fort  inconnu  qui  s'appelait  le 
brigadier  Daban,  tentèrent  un  nouveau  coup  d'Etat  militaire,  le 
lendemain  Madrid  était  dotée  d'un  souverain,  Alphonse  XII,  la 
royauté  constitutionnelle  était  restaurée. 

Un  des  personnages  présents  à  ces  événements  vient  de  re- 
nouveler son  désir  d'assister  une  fois  encore  à  un  pronuncia- 
mento  militaire.  Le  général  Daban  a  tout  simplement  publié  un 
manifeste  dans  lequel  il  réclame  l'intervention  de  l'armée  contre 


164  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'oppression  militaire  par  le  pouvoir  civil.  C'est  un  appel  sans 
détour  ni  ambage  à  la  Révolution.  Il  paraît  toutefois  que  le 
temps  des  équipées  de  ce  genre  est  fini,  car  le  général  Daban 
areçu  en  réponse  une  ordonnance  du  ministre  de  la  guerre  lui 
infligeant  deux  mois  d'arrêts.  Souhaitons  au  gouvernement  de 
la  régente  l'énergie  nécessaire  pour  continuer  dans  cette  voie. 
Les  pronunciamentos  ont  élevé  Alphonse  XII,  renversé  dom 
Pedro,  ils  menacent  Charles  de  Portugal  et  Alphonse  XIII. 


BISMARCK  ET  MAZZINI 

Nous  lisons  dans  la  Gazette  de  France  : 

Nous  avons  dit  que  le  député  italien  Cucchi  avait  publié,  il  y 
a  quelques  jours,  une  lettre  dans  laquelle  il  rappelle  les  négo- 
ciations qui  ont  eu  lieu  en  1870  entre  les  révolutionnaires  ita- 
liens et  le  gouvernement  prussien. 

L'ancien  conspirateur  italien  ne  raconte  pas  tout,  et  voilà 
pourquoi  ceux  des  journaux  allemands  qui  ne  connaissent  pas 
les  dessous  de  cette  affaire  se  sont  empressés  de  reproduire  la 
lettre  de  M.  Cucchi  et  de  la  présenter  comme  la  meilleure 
preuve  de  l'amitié  sincère  de  l'Allemagne  pour  l'Italie, 

Les  organes  officieux,  au  contraire,  se  montrent  plus  réservés. 

La  Gazette  de  Cologne  insiste  sur  le  fait  que  les  pourparlers 
avec  M.  Cucchi  ont  eu  lieu  au  quartier  général  à  Hombourg,  en 
pleine  nuit  et  en  rase  campagne. 

La  feuille  rhénane  donne  ainsi  à  entendre  qu'il  ne  pourrait 
produire  ni  témoins,  ni  documents.  La  Gazette  se  trompe.  Il  y 
a  des  documents  dont  nous  allons  reproduire  quelques-uns  et  des 
dépositions  de  témoins  peu  suspects. 

Dès  le  lendemain  de  la  victoire  de  Sadowa,  M.  de  Bismarck 
commença  à  préparer  la  guerre  contre  la  France;  mais,  crai- 
gnant que  Victor-Emmanuel  n'intervînt,  il  chercha  à  se  servir 
des  révolutionnaires  italiens  pour  paralyser  l'action  du  roi 
Victor-Emmanuel.  Au  besoin,  il  aurait  fomenté  la  guerre  civile. 

Le  chancelier  se  mit  en  relations  avec  Mazzini,  dès  l'année 
1867. 

Voici,  du  reste,  quelques  extraits  des  lettres  échangées  entre 
Mazzini  et  la  chancellerie  prussienne. 

Le  17  novembre  1867,  Mazzini  écrit  au  comte  Usedom,  am- 
bassadeur d'Allemagne  : 


BISMARCK    ET    MAZZINI  165 

Vous  connaissez  probablement  les  intentions  de  Napoléon  de  faire 
la  guerre  à  la  Prusse  et  les  propositions  d'alliance  qu'il  a  faites  à 
notre  gouvernement.  Ces  propositions  sont  consignées  dans  une  note 
envoyée,  le  19  mars  18G7,  à  Florence  (Mazzini  avait  ses  agents  qui 
lui  communiquaient  les  documents  les  plus  importants  que  lui,  à  son 
tour,  transmettait  au  gouvernement  prussien). 

La  France  demande  à  ritalie  l'aide  d'une  armée  de  63,000  hommes. 

Mazziui,  après  avoir  déclaré  par  acquis  de  conscience  qu'il 
ne  partage  pas  les  opinions  de  M.  de  Bismarck,  dit  qu'il  admire 
la  ténacité  du  chancelier  qui  veut  l'unité  allemande  et  qui 
désire  détruire  la  suprématie  française  en  Europe. 

Il  offre  ensuite  ce  qu'il  appelle  une  «  alliance  stratégique  » 
entre  le  gouvernement  prussien  et  le  parti  révolutionnaire  en 
Italie. 

Le  gouvernement  prussien,  dit-il,  devrait  nous  donner  un  million 
de  francs  et  2,000  fusils.  J'engage  mon  honneur  que  ces  subsides 
devraient  servir  uniquement  à  empêcher  l'alliance  entre  l'Italie  et 
l'empire  français,  et  à  renveiser  le  gouvernement  s'il  résiste  à  nos 
vues. 

Il  est  évident  que  l'appui  matériel  que  je  demande  doit  nous  par- 
venir avant  que  la  France  exécute  ses  projets  contre  l'Allemagne. 
Nous  devons  préparer  le  terrain  pour  une  action  qui  suffira  à  écarter 
les  périls  dont  la  Prusse  est  menacée.  Il  faudrait  donc  verser 
500,000  lires  immédiatement.  Quant  aux  armes,  j'indiquerai  les 
moyens  par  lesquels  on  pourrait  les  introduire  en  Italie. 

L'ambassadeur  de  Prusse,  M.  le  comte  Usedom,  répondit  par 
une  lettre  datée  do  Florence,  19  novembre  1867  : 

Votre  lettre,  dit-il  eu  substance,  a  été  envoyée  à  M.  de  Bismarck. 
Si  le  moment  actuel  était  opportun,  on  pourrait  stipuler  les  bases  du 
projet  proposé,  mais  je  crois  que  le  moment  n'est  pas  encore  venu. 
Ceci,  ajoute  M.  Usedom,  est  mon  opinion  personnelle.  Ce  que  nous 
avons  de  mieux  à  faire  pour  le  moment  c'est  d'attendre. 

M.  de  Bismarck  écrit  à  Mazzini  une  lettre  qui  ne  porte  pas  de 
date  et  dont  nous  détachons  les  passages  suivants  : 

Le  gouvernement  prussien  craint  réellement  qu'une  entente  ne 
soit  établie  entre  la  France  et  l'Italie,  mais  il  n'en  a  pas  de  preuve. 

L'auteur  de  la  proposition  devrait  nous  fournir  à  ce  sujet  des  in- 
formations, et  ce  n'est  qu'après  les  avoir  reçues  que  nous  pourrons 
traiter  directement  de  notre  coopération  éventuelle. 

Mazzini  raconte  dans  une  lettre  ultérieure  qu'il  a  eu  de  fré- 
quents entretiens  avec  un  haut  fonctionnaire  prussien. 


166  ANNALES    CATHOLIQUES 

Mais  il  ne  donne  aucun  renseignement  sur  la  suite  de  ces 
négociations. 

M.  Charles  Blind,  un  prétendu  révolutionnaire  allemand  qui 
depuis  1848  vit  à  Londres,  est  plus  explicite.  M.  Blind,  en  affi- 
chant des  idées  révolutionnaires,  a  eu  accès  dans  tous  les 
cercles  républicains  qui  s'étaient  constitués  vers  la  fin  de 
l'empire  à  l'étranger. 

Il  raconte,  dans  un  de  ces  écrits  publiés  récemment,  que  c'est 
lui  qui,  en  1870,  fut  chargé  par  M.  de  Bismarck  d'encourager 
les  révolutionnaires  italiens  et  de  leur  promettre  des  armes  et 
de  l'argent  au  nom  du  gouvernement  prussien. 

M.  Blind  avoue  nettement  que  si  Victor-Emmanuel  avait  pris 
le  parti  de  la  France,  il  aurait  été  renversé  par  les  révolution- 
naires. Tout  était  déjà  prêt  pour  la  guerre  civile  en  Italie.  Le 
gouvernement  prussien  réservait  ce  moyen  comme  dernier  atout. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  (1) 

1.    —    IVoti-e    Voyage   hux.  visible  de  l'auteur  a  été  de  favo- 

I*Bye     Ilibliquee,    par   M.  riser  l'élan  que  les  études  scrip- 

rab1)é  Le    Camus,   docteur   pu  turaires  tendent   à  prendre  chez 

théologie.   2   vol.    in-12,    avec  nous.  Aussi  se  plaît-il  à  discuter 

n  cartes  et  70  gravures  hors  et   à  décrire   les   sites    bibliques- 

texto.    —    Paris,    1890,    chez  qu'il   a  cherchés   et  visités.  Les 

Lftouzey  et  Ané.  Prix  franco  :  usages  actuels  de  l'Orient  rappel- 

10  fr.  50.  lent  ceux  de  l'antiquité  juive,  il 

les  signale  soigneusement.  En 
Dans  ces  deux  volumes,  Tau-  réalité,  il  nous  offre  le  cadre  vi- 
teur  de  la  Vie  de  A'. -S.  Jésus-  vaut  et  réel  dans  lequel  il  faut 
Christ  nous  raconte  le  voyage  placer  l'Ancien  et  le  Nouveau 
pieux  et  scientifique  qu'il  a  fait  Testament  pour  les  bien  com- 
en  Orient  avec  son  ami  M.  l'abbé  prendre.  A  ce  point  de  vue  son 
Vigoureux,  le  savant  professeur  livre  rendra  un  vrai  service  à  la 
de  Saint-Sulpice.  science  exégétique  et  aux  âmes 
Son  œuvre,  absolument  diffé-  saintement  curieuses  de  conoiiître 
rente  des  récits  d'un  simple  tou-  le  pays  où  Dieu  s'est  manifesté 
liste,  offrira  autant  d'intérêt  parmi  les  hommes.  Il  promène 
pour  les  savants  que  pour  les  le  lecteur  à  travers  la  Basse- 
âmes  chrétiennes.  Ce  n'est  ni  Egypte,  la  Palestine,  la  Syrie,^ 
rien  qu'un  journal,  ni  encore  l'Asie  Mineure  et  la  Grèce  jus- 
moins  rien  qu'une  série  d'arides  qu'à  Rome,  l'invitant  à  partager 
dissertations.    La    préoccupation  les  profondes  émotions  du  croyant 

(1)  Il  est  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Annales  catholiques.  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Annales  se  charge  de  four- 
nir, au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans 
ce  bulletin. 


BULLETIN    BIBLIOGR,APIIIQUE 


167 


en  présence  des  grands  souvenirs 
qu'il  a  rencontrés.  De  nombreuses 
cartes,  des  plans,  dont  quelques- 
uns  absolument  nouveaux  pour 
la  science,  et  des  gravures  d'après 
d'excellentes  photographies,  per- 
mettront à  tous  de  suivre  pas  à 
pas  les  deux  voyageurs.  Tout  en 
demeurant  le  vade  mecum  de 
quiconque  voudra  visiter  sérieu- 
sement les  Pays  Bibliques,  ce 
livre  fera  le  charme  des  soirées 
de  famille  au  foyer  domestique, 
car  c'est  à  travers  les  plus  inté- 
ressants récits  qu'il  aborde  les 
questions  importantes  et  difficiles 
dont  le  monde  savant  lui  saura 
gré  d'avoir  consciencieusement 
entrepris  l'examen  et  souvent 
apporté  la  solution. 

2.  —   Journaî   des   Saints, 

illustré  par  le  P.  Vasseur,  S.  J.; 
deux  éditions,  l'une  de  deux 
volumes,  renfermant  chacun  six 
mois;  l'autre  on  feuilles  déta- 
chées pour  chaque  jour.  Format 
in-18.  Librairie  Saint-Paul, 
1889.  Prix,  3  francs;  franco, 
3  fr.  60. 

Excellent  livre  encore,  qui  con- 
tient en  deux  pages  in-18  pour 
chaque  jour  les  grands  traits  de 
la  vie  du  saint,  résumés  par 
quinze  ou  vingt  lignes,  son  orai- 
son liturgique  et  une  courte  mé- 
ditation de  trois  points.  Nous 
avons  rQcommandé  à  plusieurs  re- 
prises les  bons-points  du  P.  Vas- 
seur, qu'on  trouve  dans  nos  bu- 
reaux. Le /oMrna^ciôssanUs  figure 
dignement  auprès  de  cette  collec- 
tion dans  la  présente  galerie  des 
publications  illustrées  dues  à 
l'éminent  Jésuite. 

3.  —  Ooiii  François  Régis, 

fondateur  et  premier  abbé  de 
la  Trappe  de  Notre-Dame  de 
Staouëli,  par  M.  l'abbé  Ber- 
sange. —  1  vol.  in-18  jésus,  avec 
2  photogravures  et  plusieurs 
vignettes.  —  Paris,  1890,  chez 
Delhomme  et  Briguet.  —  Prix 
franco,  5  fr. 

Au  moment  où  notre  religion 


est  persécutée,  moins  encore  par 
l'athéisme  officiel  du  gouverne- 
ment que  par  le  cynisme  du  blas- 
phème, du  sacrilège  et  du  vice, 
c'est  une  consolation  de  voir  se 
grouper  autour  du  fondateur  de 
la  Trappe  de  Staouëli  des  person- 
nages qui  ont  fait  en  ce  monde 
une  assez  brillante  figure  :  Bu- 
geaud,  Pélissier,  duc  de  MalakofT, 
Randon,  Bosquet,  Mac-Mahon, 
M.  de  Corcelle,  le  maréchal  Vail- 
lant,le  maréchal  Soult, duc  de  Dal- 
matie,  le  marquis  de  Bellissen,  le 
duc  d'Aumale,  le  comte  de  Paris, 
le  comte  de  Meaus,  M.  duTerrage, 
Horace  Vernet,  M.  Riant,  etc. 

Rien  de  farouche  dans  la  phy- 
sionomie de  Dom  F.  Régis. Le  fon- 
dateur de  Notre-Dame  do  Staouëli 
est  vif,  actif,  plein  de  mouvement, 
d'entrain,  parfois  mémo  de  gaieté. 
Si  j'osais  me  servir  d'une  expres- 
sion de  marin,  je  dirais  que  c'est 
un  débrouillard.  11  a  le  don  de 
rallier  à  lui  toutes  les  sympathies, 
de  dissiper  toutes  les  préventions 
hostiles,  de  surmonter  les  obsta- 
cles, d'aplanir  les  difficultés,  de 
taire  bon  visage  à  la  mauvaise  for- 
tune. Oui,  un  charmeur  !  Charme 
étrange,  indéfiaissable,  que  les 
esprits  vulgaires  ont  peine  à  con- 
cilier avec  la  robe  de  trappiste. 
Ceux  qui  le  subissent  et  sont  fiers 
de  le  subir,  ce  ne  sont  pas  des 
sacristains,  des  marguilliers,  des 
bedeaux,  des  dévotes,  des  servan- 
tes de  curés,  c'est  l'élite  de  nos 
généraux,  de  nos  hommes  d'état, 
de  nos  orateurs,  de  nos  politiques. 
Ce  sont  d'illustres  protestants, 
c'est  le  peintre  le  plus  spirituel, 
le  plus  français  de  l'école  fran- 
çaise... 

J'espère  ne  pas  déplaire  à  M. 
l'abbé  Bersange  en  déclarant  que 
son  livre  n'est  pas  seulement  édi- 
fiant et  éloquent,  mais  poétique... 
Comment  ne  serait-il  pas  poétique  . 
ce  livre  qui  montre  d'une  part, 
suivant  l'expression  de  Montalem- 
bert,  le  plus  sublime  eftort  de 
l'homme  vers  quelque  chose  de 
plus  grand  que  lui  ;  de  l'autre,  les 
plus  belles  scènes  de  la  nature, 


168 


ANNALES    CATHOLIQUES 


dominées  par  une  croix  !  Cette 
terrequi  allait  opérer  des  prodiges 
de  fécondité  sous  la  charrue,  la 
bêche  et  la  herse  de  Dom  Fran- 
çois Régis  et  de  ses  frères  d'armes, 
elle  était  tout  ensemble  antique 
et  neuve  :  antique,  puisque  l'his- 
toire sacrée  et  profane  y  recon- 
naissait le  diocèse  de  saint  Augus- 
tin et  la  rivale  de  Rome;  neuve, 
puisque  le  temps,  la  barbarie,  la 
solitude,  le  fatalisme  indolent  des 
races  musulmanes  lui  avaient  re- 
fait une  virginité,  puisque  l'acti- 
vité des  travailleurs  n'y  était  pas 
paralysée,  comme  daos  notre 
vieille  France,  par  le  chagrin  de 
s'acharner  sur  un  sol  désormais 
usé  pour  avoir  trop  servi,  épuieé 
pour  avoir  trop  donné. 

Et  quels  décors  !  quels  contras- 
tes !  quels  horizons!  les  lobes  de 
bure  et  les  sandales  mêlées  aux 
brillants  uniformes!  les  chevaux 
africaine  servant  tour  à  tnur  de 
montnreaux  généraux  et  aux  trap- 
pistes. Ici  tous  les  miracles  de 
l'humilité  chrétienne;  là  tous  les 
rayonnements  do  la  gloire  et  des 
grandeurs  d'ici>bas  !  Ces  sables 
immenses  où  passe  le  simoun,  ovi 
rugit  le  lion,  où  bondit  la  pan- 
thère, où  glapit  le  chacal,  abreu- 
vés tout  ensemble  du  .'•ang  de  nos 
soldats  et  de  la  sueur  de  nos  moi- 
nes :  le  sang  qui  assure  la  con- 
quéle,  la  sueur   qui   la   fertilise. 


Découvrez-vous  quelque  chose  de 
plus  beau  que  cette  messe  en  Ka- 
bylie  célébrée  par  Dom  F.  Régis, 
peinte  con  amore  par  Horace  Ver- 
net  !...  Et  quelle  douceur  de  son- 
ger que  le  cœur  du  moine  qui  di- 
sait cette  mesfe  et  le  cœur  do 
l'artiste  qui  l'a  peinte,  battaient 
à  l'unisson  dans  un  môme  senti- 
ment de  foi... 

Nous  savions  quo  les  dernières 
années  d'Horace  Vcrnet  avaient 
été  parfaitement  chrétiennes  : 
mais  M.  l'abbé  Bersange  nous 
donne  là-dessus  les  détails  les 
plus  précis,  les  plus  consolants, 
et  il  nous  les  donne  avec  cette 
douceur  pénétrante  qui  caracté- 
rise son  ouvrage.  Vernet  fut  lo 
pénitent  de  Dom  François  Régis  ; 
cette  clientèle  spirituelle  amen* 
entre  eux  une  vive  amitié  qui  ne 
se  démentit  pas  un  moment.  Vous 
ne  pouvez  lire  sans  attendrisse- 
ment le  récit  do  cette  confession 
si  spontanée,  si  vaillante,  de  cetto 
communion  pascale,  de  cette  se- 
maine lie  retraite  où  le  plus  bril- 
lant, le  plus  déluré,  le  plus  mar- 
tial, le  plus  troupier  de  nos  ar- 
tistes, lo  favori  du  high-life  se 
soumit  au  régime  des  trappistes, 
partagea  leurs  pieux  exercices  et 
mangea  comme  eux  Itî  pain  noir 
et  les  légumes  cuits  sans  sel  et 
pans  beurre. 

A.   DK   PoNTMABTIN. 


Le  gérant:  P.  Chantrki, 


P.trU.  Inip.  0.  Picynoin,  h'd,  rue  <\e  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUE 


L'INQUISITION 

(Suite  et  lin.  — Voir  le  numéro  précédent.) 

ni 

II  n'est  pas  aisé  d'a.ssigner  l'époque  fixe  de  l'Inquisition  dans 
chaque  état  de  l'Europe.  Il  semble  cependant  que  ce  fut  en  Italie 
qu'elle  s'établit  d'abord  ;  par  les  soins  de  Frédéric  II  qui  promul- 
gua àPadouo,  le  22  février  1224,  «  quelques  lois  contre  les  héré- 
tiques, leurs  complices  et  leurs  fauteurs  »  (li.  En  1231  le  séna- 
teur Annibal  et  les  autres  membres  du  gouvernement  de  Rome 
élaborèrent  à  la  prière  de  Grégoire  IX  des  lois  municipales  pour 
la  recherche  et  le  châtiment  des  hérétiques  [2).  Sur  Iws  instan- 
ces du  cardinal  Romain  qui  avait  décidé  Louis  VIII,  roi  de 
France,  à  se  mettre  à  la  tête  d'une  armée  de  croisés  pour  mar- 
cher contre  les  comtes  de  Toulouse,  de  Foix,  de  Bèziers,  de 
Béarn  et  de  Carcassonne,  Louis  VIII  introdnisit  l'Inquisition 
dans  ses  états,  mais  la  mort  l'empêcha  de  donner  une  forme 
stable  à  ce  nouveau  régime  judiciaire.  Ce  ne  fut  qu'en  1255 
sous  saint  Louis,  qui  pria  Alexandre  IV  d'établir  des  inquisi- 
teurs de  la  foi  dans  le  royaume  de  France  qu'elle  y  fonctionna 
régulièrement  (3).  C'est  à  peu  près  à  cette  époque  que  le  sénat 
de  Venise,  de  son  propre  mouvement  et  de  sa  propre  autorité, 
nomma  des  laïques  inquisiteurs  de  la  foi,  chargeant  le  patriar- 
che de  Grade  et  las  autres  évêques  vénitiens  déjuger  la  ques- 
tion de  doctrine,  et  se  réservant  de  prononcer  la  peine  capitale 
contre  ceux  qui  auraient  été  convaincus  d'hérésie  (4). 

11  j  a  trois  moments  solennels  dans  l'Inquisition  d'Espagne, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre,  l'un  dans  la  première  moitié  du 
xiu«  siècle,  le  second  à  la  fin  du  xv'  siècle  sous  Isabelle  et  Fer- 
dinand avant  que  les  Maures  fussent  chassés  de  Grenade;  le 

(1)  Lymborch,  Hist.  de  VInquisition,  Liv.  I,  ch.  xii.  La  Constitu- 
tioa  de  Frédéric  II  se  trouve  reproduite  dans  uiie  bulle  du  pape 
Innocent  IV. 

(2)  Rainal.li,  année  1231,  n»  14. 

(3)  Lymborch,  Hist.  de  l'Inç^Krisition,  Liv.  I,  ch.  xvi. 

(4)  Lymborch,  Hist.  de  l'Inq^uisition,  Liv.  I,  ch.  xvii. 

Lxxii  —  26  Avril  1890  13 


170  ANNALES    CATHOLIQUES 

troisième  au  milieu  du  xvi*  siècle  sous  Philippe  II,  lorsque  le 
protestantisme  commença  de  se  propager  eu  Espagne. 

Eq  1233,  l'Espagne  était  divisée  en  quatre  royaumes  chrétiens  : 
la  Castille,  la  Navarre,  l'Aragon  et  le  Portugal,  outre  les  états 
mahométans.  Ferdinand  régnait  en  Castille  à  laquelle  il  réunit 
les  royaumes  de  Séville,  Cordoue  et  Jaen,  Jacques  I^^  ajouta  à 
l'Aragon  qu'il  gouvernait  les  royaumes  de  Valence  et  de  Ma- 
jorque. Théobald  I",  comte  de  Champagne,  et  de  Brie  gouvernait 
la  Navarre.  Le  Portugal  obéissait  à  Sanche  II.  Aucun  monu- 
ment bien  authentique  ne  prouve  l'existence  de  l'Inquisition 
dans  ces  états  avant  l'année  1232  où  le  pape  Grégoire  IX  adressa 
à  l'archevêque  do  Tarragone  un  bref  en  date  du  26  mai  pour 
l'exhorter  à  rechercher  les  hérétiques.  Le  8  novembre  1235 
■^Trégoire  IX  ayant  rendu  commune  à  toute  la  chrétienté  la  cons- 
titution qu'il  avait  établie  en  1231  contre  les  hérétiques  de 
Rome,  confia  l'exécution  de  cette  bulle  aux  dominicains  de  la 
province  de  Lombardie.  Les  évêques  d'Espagne  se  mirent  en 
devoir  de  se  conformer  aux  instructions  du  Pape.  Les  rois 
d'Aragon  paraissent  être  ceux  qui  protégèrent  les  premiers  l'In- 
quisition. Elle  paraissait  le  23  avril  1238  dans  le  royaume  de 
Navarre.  En  1236  Ferdinand  l'introduisait  dans  la  Castille.  On 
ne  sait  rien  sur  ce  qui  se  passait  en  Portugal,  il  paraît  seule- 
ment que  pendant  le  xiii'  siècle  il  n'y  eut  d'Inquisition  perma- 
nente que  dans  les  diocèses  limitrophes  de  la  France  méridio- 
nale, ou  l'institution  était  dans  toute  sa  vigueur.  Le  Portugal 
n'eut  d'Inquisiteur  apostolique  que  sousBoniface  IX  qui  nomma 
à  ce  poste  le  confesseur  du  roi  Jean,  le  moine  franciscain  Rodri- 
gue de  Cintra. 

En  1474,  Isabelle,  femme  de  Ferdinand  d'Aragon  roi  de  Sicile, 
montait  sur  le  trône  de  Castille;  par  son  mariage  avec  Ferdi- 
nand, elle  régna  sur  l'Aragon,  puis  sur  Crrenade  et  la  Navarre, 
c'est-à-dire  sur  toute  l'Espagne  sauf  le  Portugal.  Isabelle  et 
Ferdinand  établirent  le  2  janvier  1481  un  tribunal  d'Inquisition 
spécial  pour  rechercher  et  punir  les  juifs  espagnols;  c'est  l'ori- 
gine de  la  nouvelle  Inquisition  ou  de  V Inquisition  politique 
d'Espagne,  dont  tous  les  fonctionnaires  reçurent,  non  du  Pape 
mais  du  roi,  leur  nomination  et  leurs  attributions.  Le  2  aoiit 
1483,  Thomas  Torquemada,  prieur  du  couvent  de  Sainte-Croix 
à  Ségovio  était  nommé  Grand  Inquisiteur.  Après  la  prise  de 
Grenade  en  1492,  le  tribunal  de  l'Inquisition  dut  s'occuper  des 
Maures.  Ainsi  l'Iuquisition   était  devenue  un  instrument  poli- 


L  INQUISITION  171 

tique  pour  défendre   la  nationalité   des    Espagnols    contre  .  .3 
efforts  du  Judaïsme  et  de  l'Islamisme. 

Charles  Quint  mourant  recommanda  l'inquisition  à  son  fils 
Philippe  II  par  une  clause  de  son  testament.  Philippe  II  appli- 
qua aux  protestants  l'Inquisition  qu'Isabelle  et  Ferdinand,  de 
concert  avec  tous  les  ordres  de  l'Espagne  avaient  créée  contre 
les  Juifs  et  les  Maures.  Il  la  rendit  plus  dure  encore,  il  inventa 
pour  effrayer  l'hérésie,  les  auto- cla-fe  ou  le  supplice  devenait 
une  sorte  de  fête.  Le  premier  eut  lieu  à  Séville  en  1559.  L'In- 
quisition politique  no  tarda  pas  à  être  établie  en  Portugal 
comme  en  Espagne. 

Le  22  février  1813,  un  décret  rendu  par  les  Cortès  espagnoles 
la  supprimait. 

IV 

L'histoire  qui  a  rejeté  de  son  domaine  tant  de  mensonges  offi- 
ciels, que  l'on  s'était  accoutumé  depuis  longtemps  à  croire  et  à 
répéter,  commence  à  dépouiller  l'Inquisition  des  fausses  cou- 
leurs sous  lesquelles  on  l'a  si  souvent  représentée. 

Les  jugements  injustes  portés  sur  l'Inquisition  viennent 
d'abord  de  ce  qu'au  lieu  de  mettre  cette  institution  en  regard 
des  maximes  des  xi%  xiii%  xvi'  et  xvii«  siècles,  on  la  transporte 
en  plein  xix*  siècle. 

Il  j  a  cent  ans  à  peine,  toute  erreur  en  matière  religieuse 
était  considérée  comme  un  crime  de  lèse-majesté;  pour  inspirer 
confiance,  pour  êt.re  un  bon  citoyen,  il  fallait  professer  la  reli- 
gion de  l'Etat.  La  maxime  :  cujus  est  regio  illius  est  religio, 
sur  laquelle  repose  l'Inquisition  était  autrefois  universellement 
admise  et  si  peu  contestée,  que  les  protestants  en  particulier 
l'ont  revendiquée  et  suivie  dans  la  pratique,  l'histoire  du  Pala- 
tinat  de  1563  à  1583  en  est  une  preuve  éclatante.  En  ce  temps, 
il  ne  valait  pas  mieux  avoir  affaire  à  l'Inquisition  espagnole  que 
tomber  entre  les  mains  d'un  àu.9,  zélé  luthérien. 

En  outre,  l'Inquisition  a  eu  le  sort  d'être  appréciée  par  des 
écrivains  qui,  au  lieu  d'une  science  véritable,  ont  donné  des 
phrases  vides  ;  de  simples  assertions  au  lieu  de  consciencieuses 
recherches  ;  remplacé  la  réalité  des  faits  par  des  peintures  de 
romans  ;  et  suppléé  à  l'absence  d'études  par  des  saillies  de 
libres-penseurs.  Bien  que  l'histoire  de  l'Inquisition  en  effet  et 
l'organisation  de  ses  tribunaux  soient  de  ces  sujets  auxquels 
beaucoup  de  mains  aient  touché,  le  plus  grand  nombre  de  ces 


172  ANNALES    CATHOLIQUES 

écrits  ne  nous  fournissent  que  des  déclamations  en  sens  con- 
traires, également  vaines  et  vagues  (1;.  Cela  tient  à  ce  que  peu 
d'archives  ont  été  exposées  à  plus  de  causes  de  destruction  que 
les  archives  inquisitoriales.  Au  moyen-âge,  la  haine  populaire 
soulevée  contre  les  inquisiteurs,  s'acharna  contre  leurs  registres 
de  justice.  Dans  les  grandes  séditions,  on  lacérait,  on  brûlait  en 
masse  ces  livres.  En  temps  ordinaires,  des  complots  s'organi- 
saient pour  les  dérober  et  enlever  à  la  procédure  tout  moyen  de 
poursuivre. 

Le  jour  oii  l'Inquisition  n'exista  plus  que  de  nom,  l'indifle- 
rence  des  inquisiteurs  eux-mêmes  laissa  les  feuillets  de  ces  do- 
cuments se  disperser  à  tous  les  vents.  En  1781,  l'abbé  Magi, 
membre  de  l'Académie  des  sciences  de  Toulouse,  trouvait  entre 
les  mains  d'un  libraire  qui  s'en  servait  pour  couvrir  des  alpha- 
bets, douze  feuillets  de  parchemin,  enlevés  à  un  volume  des 
sentences  de  l'Inquisition  Toulousaine,  et  renfermant  ses  arrêts 
prononcés  de  1246  à  1248  (2).  A  l'époque  de  la  révolution,  les 
archives  de  la  cité  de  Carcassonne  furent  brûlées  en  1793,  et 
avec  elles  celles  de  l'Inquisition  et  du  couvent  des  Dominicains 
de  cette  ville. 

L'indifférence  s'est  jointe  à  ces  exécutions  sommaires.  La 
plupart  de  ceux  qui  écrivent  sur  l'Inquisition,  même  à  l'heure 
actuelle,  ignorent  qu'il  reste  des  documents  et  ne  s'en  servent 
pas  plus  que  s'ils  avaient  été  anéantis.  La  science  et  la  critique 
laissent  donc  ainsi  le  champ  libre  aux  romanciers  et  aux  ennemis 
de  l'Eglise  catholique. 

N'oublions  pas  que  le  premier  historien  de  l'Inquisition  est  un 
professeur  de  théologie  du  parti  calviniste  des  Remontrans, 
Philippe  de  Lymborch,  qui  publia  ses  travaux  à  Amsterdam 
en  1692;  que  son  second  historien  est  un  autre  protestant,  Joseph 
Townsend.  recteur  de  Pewsen,  qui  publia  à  Londres  en  1792,  son 
voyage  en  Espagne  pendant  les  années  1786,  1787  ;  que  le  troi- 
sième est  un  de  ses  adversaires^es  plus  acharnés  et  des  moins 
dignes  de  foi,  le  chanoine  Llorente,  qui  publia  en  1815  et  1817, 
l'histoire  de  l'Inquisition  en  quatre  volumes.  C'est  sur  ces  trois 
ouvrages,  sur  quelques  remarques  ironiques  de  Montesquieu  (3) 

(1)  Ch.  iSIoliaier,  L'' Inquisition  dans  le  midi  de  la  France  aux 
xiii«  et  xiv»  siècles,  Paris  1880. 

(2)  Ces  feuillets  se  trouvent  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  Nationale 
sous  le  n°  <J992  du  fonds  latin. 

(3)  Esprit  des  lois,  lxxv,  ch.  xrii. 


l'inquisition  173 

et  sur  les  plaisanteries  innombrables  de  Voltaire,  que  l'Inquisi- 
sition  a  été  jugée  par  le  monde  savant.  Il  y  a  à  peine  dix  ans 
que  les  premiers  travaux  sérieux  sur  l'Inquisition  primitive  ont 
vu  le  jour  avec  M.  Hoô'man  en  1879,  et  M.  Moliuier  en  1880, 
encore,  M.  l'abbé  Douais  a-t-il  relevé  des  erreurs  importantes 
dans  ce  dernier  travail.  L'histoire  générale  de  l'Inquisition  est 
donc  encore  à  faire,  à  peine  avons-nous  une  ou  deux  monogra- 
phies sérieuses  faites  d'après  des  documents  originaux. 

Nous  n'en  devons  pas  moins  relever  les  erreurs  les  plus  gros- 
sières qui  circulent  sur  l'Inquisition  et  qui  en  font  une  mons- 
truosité morale  presque  unique. 

Au  fur  et  à  mesure  que  l'histoire  prendra  la  place  de  la  lé- 
gende, trois  faits  seront  mis  en  évidence  : 

1°  L'Eglise,  en  instituant  le  tribunal  de  l'Inquisition,  a  pro- 
tégé l'Europe  contre  l'invasion  néfaste  du  judaïsme  et  du  maho- 
métisme  qui  s'introduisaient  à  l'ombre  et  à  la  faveur  du  mani- 
chéisme. Elle  a  ainsi  favorisé  les  idées  spiritualistes  qui  sont  la 
base  de  toute  civilisation  durable, 

2°  11  faut  distinguer  entre  l'Inquisition  ecclésiastique  des  xiP, 
xiii«,  xiv^,  xv'  siècles  et  Tlnquisition  politique  des  xvi*,  xvii^ 
et  xviii^  siècles,  celle  surtout  établie  par  Philippe  II.  Si  l'Inqui- 
sition ecclésiastique  a  commis  des  abus  de  pouvoir,  dans  l'his- 
toire de  l'Inquisition  espagnole  et  portugaise,  le  Saint-Siège  a 
joué  le  rôle  le  plus  honorable,  celui  de  défenseur  des  opprimés; 
et  l'Inquisition  espagnole  est  si  peu  le  fruit  de  l'intolérance  ro- 
maine, que  Llorente  lui-même,  qui  ne  pèche  pas  par  excès 
-d'amour  envers  le  Saint-Siège,  fournit  une  multitude  de  faits  et 
d'exemples  qui  prouvent  que  les  Papes  ont  toujours  montré  peu 
de  faveur  pour  ce  tribunal.  Dès  le  commencement,  Sixte  IV 
publia  une  bulle,  le  1"  novembre  1478,  puis  un  bref  le  29  jan- 
vier 1482,  pour  blâmer  éuergiquement  les  inquisiteurs  de  Se  ville, 
En  1483,  il  nomma  l'archevêque  de  Séville  pour  juger  en  seconde 
instance  les  causes  de  ceux  que  le  Saint  Office  aurait  traités 
irop  sévèrement.  Il  fait  plus,  il  se  réserve  les  appeb.  Sous 
Jules  II  et  Léon  X,  Rome  cesse  de  recevoir  les  appels,  mais  ces 
deux  papes  nomment  des  juges  pour  soustraire  les  appelants 
des  mains  de  l'Inquisition,  par  un  édit  du  14  décembre.  Ea  1518, 
un  édit  de  LéonX  punit  de  mort  les  faux  témoins  des  tribunaux 
d'Inquisition.  En  1519,  au  grand  dépit  de  Charles-Quint,  Léon  X 
excommunia  les  inquisiteurs  de  Tolède.  En  1538,  un  prédicateur 
de    Charles-Quint,    suspect    de    luthérianisme,    est   incarcéré, 


174  ANNALES    CATHOLIQUES 

Paul  III  le  déclare  innocent  et  le  fait  évêque  des  îles  Canaries. 
Pie  V  s'oppose  à  l'introduction  de  l'Inquisition  politique  àMilan. 
Innpcent  XII  protège,  en  1698,  les  Bollandistes  accusés  fausse- 
ment d'erreur  et  condamnés  par  le  Saint-Office  de  Tolède,  Ce 
que  je  dis  de  l'Espagne,  le  docteur  Kimstmann  le  prouve  par 
rapport  au  Portugal. 

L'Inquisition  politique  a  été  un  tribunal  royal  que  ses  fonda- 
teurs cherchèrent  à  élever  sous  le  protectorat  du  Saint-Siège, 
mais  qui,  au  fond,  ne  dépendait  en  rien  de  lui.  Aussi  les  Papes 
s'opposérent-ils  toujours  à  ce  que  ce  tribunal  fût  introduit  en 
dehors  de  l'Espagne  et  du  Portugal;  et  c'est  pour  prévenir  ses 
abus  que  Paul  III  fonda,  en  1542,  la  Congrégation  romaine  du 
Saint-Office  dont  Bergier  a  pu  dire,  sans  crainte  d'être  démenti 
par  tout  le  xviii=  siècle  attentif,  qu'elle  n'avait  jamais  signé  une 
condamnation  capitale  (1). 

3°  L'Inquisition  ecclésiastique  s'est  conformée  pour  l'échelle 
et  l'application  des  peines  aux  maximes  et  aux  mœurs  de  chaque 
époque,  les  devançant  toujours  lorsqu'il  s'agissait  d'incliner  vers 
la  douceur. 

Lorsqu'on  juge  l'Inquisition,  en  effet,  on  oublie  que  les  dis- 
positions pénales  des  temps  oii  elle  a  pris  naissance,  étaient 
beaucoup  plus  dures  et  moins  avares  de  sang  humain  que  celles 
du  xix'  siècle.  Le  sang  coulait  pour  l'expiation  de  crimes  que 
frappe  aujourd'hui  un  simple  châtiment.  Le  code  pénal  de 
Charles-Quint  (1632),  la  Caroline^  ordonne,  pour  le  blasphème 
contre  Dieu  et  la  Sainte  Vierge,  la  mutilation  et  la  peine  de 
mort;  contre  la  pédérastie  et  la  sodomie,  la  peine  du  feu;  contre 
la  magie,  la  peine  de  mort;  contre  la  fabrication  de  fausses 
monnaies,  le  paiement  fait  sciemment  en  fausses  monnaies,  la 
peine  du  feu;  contre  la  falsification  des  poids  et  mesures,  le 
supplice  du  bâton,  et  si  la  matière  est  de  quelque  importance,  la 
peine  de  mort;  contre  le  vol  avec  escalade  ou  efiraction  grave 
ou  légère ,  supplice  de  la  corde,  yeux  crevés,  amputation  de  la 
main  ;  toute  récidive  en  fait  de  vol,  peine  de  mort.  En  France, 
!e  moindre  attentat  contre  la  sûreté  des  grands  chemins  était 
autrefois  puni  de  la  peine  capitale;  enfin,  on  sait  avec  quelle 
barbarie  les  braconniers  étaient  autrefois  traités  ;  et  la  Caro- 
line est  elle-même  un  adoucissement  à  la  pratique  antérieure. 
Dans  le  siècle  même  o\\  l'Inquisition  espagnole  vit  le  jour,  uu 

(1)  Bergier,  Dictionnaire. 


l'inquisition  175 

des  hommes  les  plus  éclairés  et  les  plus  libéraux  de  l'Europe, 
GersoD,  disait  que  si  le  Pape  lui-même  ou  un  cardinal  agissait 
au  détriment  de  l'Eglise,  il  ne  faudrait  pas  hésiter  à  leur  appli- 
quer la  mort  (1). 

En  ces  temps-là,  dans  toutes  les  confessions,  l'hérésie  était 
punie  de  mort.  La  procédure  et  la  pénalité  de  l'Inquisition  sui- 
virent la  justice  criminelle  du  temps  ;  et  Llorente  constate  avec 
éloge  qu'au  fur  et  à  mesure  que  les  moeurs  •^e  radoucirent,  et 
que  la  législation  se  perfectionna,  la  procétÎMe  et  la  pénalité 
de  l'Inquisition  suivirent  un  mouvement  parallèle. 

Il  est  hors  de  doute  que  l'Inquisition  n'a  pas  usé  envers  ses 
victimes  de  plus  de  cruauté  que  les  autres  tribunaux  du  temps; 
il  s'en  faudrait  donc  qu'elle  soit  comme  Voltaire  l'a  peint  en 
cent  endroits  de  ses  œuvres. 

Ce  sanglant  tribunal 

Ce  monument  affreux  de  pouvoir  monacal 
Que  l'Espagne  a  reçu,  mais  qu'elle-même  abhorre; 
Qui  venge  les  autels,  mais  qui  les  déshonore  ; 
Qui  tout  couvert  de  sang,  de  Hammes  entouré 
Egorge  les  mortels  avec  un  fer  sacré.  (2) 

Bien  loin  d'être  ce  monstre  à  l'œil  vigilant,  au  cœur  cupide, 
insatiable,  dont  les  cent  bras  saississaient  avidement  des  victi- 
mes au  moindre  indice  de  soupçon,  le  tribunal  de  l'Inquisition 
étudié  d'après  les  chroniques  du  temps  et  ses  registres  qu'on 
commence  à  exhumer  des  fonds  des  bibliothèques,  se  présente  à 
nos  yeux  comme  une  institution  judiciaire  multipliant  les  pré- 
cautions pour  s'assurer  de  la  vérité.  Aussi  j'estime  que  pour 
l'apprécier  comme  il  convient  il  est  sage  d'attendre  que  ces 
registres  aient  été  publiés  comme  l'on  fait  dernièrement  M.  l'abbé 
Douais  et  M.  Molinier  et  alors  beaucoup  modifieront  leurs  idées 
sur  l'Inquisition,  après  s'être  convaincus,  selon  le  mot  d'un 
grand  penseur  moderne,  que  trop  souvent  l'histoire  est  une 
conjuration  contre  la  vérité  fl). 

(1)  Isigr  Héfelé,  Ximèaes  et  l'Eglise  d'Espagne,  p.  240 

(2)  M.  de  Maistre  fait  observer  que  ce  fer  sacré  appartient  à  Mo- 
lière (Tartufe,  acte  I,  se.  vi)  «[u'entre  comédiens  tout  est  commun. 
Lettres  sur  l'Inquisition,  p.  v. 

(3)  Petite  Bibliographie  'pour  une  étude  sur  V Inquisition. 

Les  Grandes  Histoires  ecclésiastiques  de  Fleiiry,  Rorhbacher, 
Darras. 

L'Histoire  de  France  d'Henri  ]Martin. 


17(5  ANNAJ.ES    CATHOLIQUES 

L'EXÉCUTION  DE  LA  NOUVELLE  LOI  MILITAIRE 

(ouite    et   Un.  —  Voir  le   numéro   précédent.) 
II 

En  attendaut  fju«  nos  vœux  les  plus  ardents  soient  réalisés, 
nous  devons.  Messieurs  et  Chers  Coopérateurs,  songer  aux 
moyens  de  protéger  la  vocation  des  séminaristes  et  des  religieux 
contre  les  périls  qui  les  menacent. 

Je  ne  crois  pas  devoir  parler  ici  des  conseils  qui  leur  seront 
donnés  au  point  de  vue  de  leurs  exercices  de  piété,  de  leurs 
devoirs  à  tous  égards,  des  vertus  de  prudence  et  de  fermeté  qui 
leur  seront  si  nécessaires.  C'est  la  mission  qu'accompliront  les 
évêques,  les  supérieurs  et  directeurs  des  séminaires,  les  supé- 
rieurs des  noviciats. 

Je  voudrais,  pour  répondre,  du  moins  dans  une  certaine 
mesure,  à  vos  appréhensions  si  légitimes  et  pour  appeler  sur  ce 
terrain  essentiellement  pratique  l'attention  et  le  zèle  du  clergé 
et  des  fidèles,  je  voudrais  exposer  les  moyens  qui  peuvent  main- 
tenir ces  jeunes  gens  dans  l'accomplissement  des  conseils  qui 
leur  seront  donnés  et  des  résolutions  qu'ils  auront  prises. 

L'Histoire  de  l'Inquisition,  par  Philippe  de  Lymborch. 

Vova^e  en  Espagne  pendant  les  année.?  1786,  1787,  par  Joseph 
Towsend. 

Histoire  de  llnquisitioa  de  Llorentc. 

Rapport  sur  le  tribunal  de  l'Inquisition  présenté  aux  Cortez  Espa- 
gnoles en  1812. 

Lettres  à  un  gentilhomme  russe,  par  .1.  de  Maistre. 

Innocont  III,  par  Ilnrter. 

Le  Cardinal  Ximènes  et  la  situation  de  l'Espagne  à  la  fin  du 
XV*  siècle,  par  Mgr  lléfélé. 

Vie  de  Saint-Dominique,  par  le  P.  Lacordaire. 

Conférence  du  P.  Monsabrô,  année  1882,  à  l'occasion  de  laquelle 
M.  Lovson  prononça  un  disoours  au  cirqno  d'Hiver  le  23  avril  1882. 

Le  Journal  historique  et  littéraire  de  1731-1777,  publie  un  travail 
de  l'abbé  Vayrac  sur  l'Inquisition  en  Espagne  et  en  Italie. 

Llnquisition  dans  le  midi  de  la  France  aux  xiii^et  xiv«  siècles,  par 

Moliniei'. 

Les  sources  de  l'Inquisition  dans  le  raidi  de  la  France  aux  xm"  et 
xiv«  siècles,  par  M.  l'abbé  Douais. 

Les  Martyrs  <lo  l'Inquisition,  par  un  ancien  professeur  d'Histoire, 
chez  Merscli,  Dijon  1886,  petite  brochure  de  propagande, 

La  Revue  dos  Deux-Mondes  a  publié  une  série  d'articles  sur  Phi- 
lippe 11, 

L'Inquisition  dévoilée. 


l'exécutio.-î  de  la  nouvelle  loi  militaire  177 

Il  ne  suffirait  pas  à  mon  avis,  pour  atteindre  ce  but,  de  de- 
mander à  MM.  les  Curés  et  à  MM.  les  Vicaires  ou  à  d'autres 
prêtres,  dans  les  villes  oîi  ces  jeunes  gens  accompliront  leur 
service  militaire,  de  les  accueillir  avec  bonté,  de  leur  ouvrir 
leurs  presbytères  et  leurs  maisons.  En  considérant  les  choses 
dans  leur*  réalité,  il  me  paraît  que,  malgré  tout  leur  dévouement, 
ces  prêtres  pourront  rarement  être  à  la  disposition  de  nos 
séminaristes.  En  effet,  la  plupart  d'entre  eux,  surtout  dans  les 
villes  importantes  qui  ont  des  garnisons  considérables,  sont 
absorbés  par  leurs  fonctions,  par  l'administration  de  lonr 
paroisse,  par  les  œuvres  si  nombreuses  à  notre  époque.  Ces 
jeunes  gens  pourront  venir  deux  fois,  trois  fois,  dix  fois  frapper 
à  la  porte  du  presbytère  et  ne  pas  rencontrer  MM.  les  Curés 
et  MM.  les  Vicaires,  ou  les  trouver  occupés  par  les  travaux  de 
leur  ministère.  Il  faudrait  donc,  dans  les  villes  où  l'on  ne 
pourra  mieux  faire,  que  tel  ou  tel  prêtre  ait  des  jours  et  des 
heures  déterminées  pour  recevoir  ces  jeunes  gens  et  que  ces 
jours  et  ces  heures  soient  choisis  selon  la  convenance  du  ser- 
vice militaire. 

J'ai  dit  :  dans  les  villes  où  on  ne  pourra  mieux  faire,  car  le 
moyen  vraiment  utile,  vraiment  efficace  qui  devra  être  em- 
ployé partout  oh  il  est  possible,  c'est  l'établissement  et  l'in- 
rtuence  d'œuvres  militaires. 

J'appelle  Œuvre  militaire  une  association  de  catholiques 
dévoués,  comme  il  s'en  trouve  aujourd'hui  partout  en  France  et 
qui,  sous  la  direction  d'un  prêtre  choisi  avec  soin  pour  ce  minis- 
tère qui  exige  des  aptitudes  spéciales^,  offre  aux  militaires  un 
lieu  de  réunion,  où  ils  peuvent  faire  leur  correspondance,  se 
livrer  à  des  jeux  honnêtes  et  accomplir  facilement  leurs  devoirs 
religieux.  A  l'âge  de  l'inexpérience  et  des  eutraînements  irré- 
fléchis, à  l'âge  où  les  passions  sont  si  ardentes  et  si  aveugles, 
dans  les  villes  où  les  périls,  à  certains  jours  et  à  certaines 
heures  surtout,  sont  si  nombreux  et  si  redoutables,  ces  jeunes 
gens  ne  reçoivent  ainsi,  au  point  de  vue  de  la  foi  et  de  la  mo- 
ralité, de  la  discipline,  du  respect  de  leurs  chefs  et  du  patrio- 
tisme, que  de  salutaires  influences. 

Que  de  déplorables  fautes,  que  de  chutes  lamentables  peuvent 
être  ainsi  évitées!  Que  de  carrières  protégées,  que  de  santés, 
que  de  vies  peut-être  préservées  d'atteintes  irréparables!  Quels 
services  sont  ainsi  rendus  à  des  milliers  déjeunes  gens,  à  leurs 
familles,  aux  populations  au  milieu  desquelles  ils  retourneront 


178  ANNALES    CJATUOLIQUES 

bientôt,  à  l'armée  et  à  la  France  !  Et  aujourd'hui  c'est  toute  la 
jeunesse  française  qui  doit  passer  dans  les  rangs  de  l'armée. 

Quel  est  l'homme  sincère  et  loyal,  quelles  que  puissent  être  à 
l'égard  de  la  religion  son  opinion,  son  hostilité  même,  qui  n'ap- 
plaudirait à  de  pareils  résultats? 

Ces  œuvres  militaires  existent  dans  un  petit  nombre  de  villes  ; 
il  faudrait  les  multiplier.  Une  de  ces  oeuvres  a  été  fondée,  il  y  a 
quatre  ans,  à  Nanc}',  principalement  par  la  générosité  d'anciens 
officiers  qui  sont  restés  profondément  attachés  àTarmée  et  qui 
connaissent  mieux  que  personne  les  dangers  auxquels  sont 
exposés  les  jeunes  soldats.  Elle  a  été  confiée  à  un  prêtre  dont 
le  zèle  actif  et  prudent  a  donné  à  cette  oeuvre  un  essor  qui  a 
dépassé  toutes  les  espérances  (1).  Trois  fois  déjà  il  a  fallu  déve- 
lopper les  premières  constructions  et  les  salles  multipliées  et 
agrandies  sont  plus  que  reniplies  aux  jours  fixés  pour  les  réu- 
nions. Ces  bâtiments  ont  rer^u  le  nom  de  Pavillon  Drouot,  en 
souvenir  de  l'un  des  plus  illustres  enfants  de  Nancy,  d'une  des 
gloires  les  plus  pures  de  l'armée  française. 

Quoique  les  portes  du  Pavillon  Drouot  soient  ouvertes  à 
tous  les  militaires  qui  se  présentent,  jamais  on  n'a  eu  à  regret- 
ter aucun  désordre.  La  tenue  de  tous  ces  braves  gens  est 
parfaite. 

Un  prêtre  qui  a  consacré  à  l'armée  trente  ans  de  sa  vie  et  qui 
a  publié  sur  la  nouvelle  loi  militaire  et  sur  les  questions  que  je 
traite  en  ce  moment,  des  pages  inspirées  par  la  plus  haute 
sagesse,  M.  le  chanoine  de  Beuvron,  ancien  aumônier  en  chef 
des  armées,  écrivait  dans  sa  cinquième  Etude  militaire  :  «  Je 
dis,  et  j'insiste  beaucoup  sur  ce  point,  qu'une  œuvre  militaire, 
pour  avoir  la  confiance  des  soldats  et  des  chefs  de  tout  grade, 
doit  être  une  œuvre  largement  ouverte  sur  laquelle  l'ombre 
d'un  mystère  ne  doit  pas  planer.  Ce  n'est  ni  une  congrégation, 
ni  un  patronage.  C'est  une  œuvre  à  la  fois  de  conservation  et  de 
conquête,  une  réunion  libre  de  jeunes  hommes  vaillants  et  chré- 
tiens qui  emploient  au  service  de  Dieu  l'ardeur,  la  loyauté  et  la 
bonne  humeur  qu'ils  mettraient  à  marcher  au  feu  un  jour  de 
bataille. 

«  A  cette  masse  d'hommes  rassemblés  de  tous  les  points  du 
sol,  il  ne  faut  demander  que  l'essentiel  de  la  religion,  le  vieux 
Credo  du  foyer  domestique,  le  Si  vis  ad  vitam  ingredi  serva 

Cl)  M.  l'abb'j  Girard,  aumônier  de  Tliôpital  militaire  de  Nancy. 


l'exécution  de  la  nouvelle  loi  militaire  179 

mandata  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  et  réserver  pour  la 
direction  particulière  le  Si  vis  perfectus  esse  des  conseils  évan- 
géliques,  qui  ne  doit  être  adressé  qu'aux  âmes  assez  fortes  pour 
le  comprendre  et  l'accepter... 

«  ...  Avant  de  placer  le  couronnement  de  l'édifice,  il  faut  en 
jeter  les  fondements  ;  avant  d'enseigner  le  conseil,  il  faut  ensei- 
gner les  préceptes  ;  avant  de  former  des  chrétiens  parfaits,  il 
faut  former  des  chrétiens  solides,  des  hommes  de  devoir,  qui 
donneront  plus  tard  à  la  société  des  travailleurs  honnêtes  et 
consciencieux^,  des  citojens  dévoués  à  leur  pays.  » 

Les  rapports  de  M.  le  Directeur  sur  l'organisation  et  la 
marche  de  l'œuvre  militaire  de  Nancy  et  sur  les  résultats 
obtenus  ont  été  demandés  en  grand  nombre  de  diverses  parties 
de  la  France,  Des  prêtres  sont  venus  de  plusieurs  grandes 
villes  pour  étudier  par  eux-mêmes  la  méthode  et  le  fonctionne- 
ment de  cette  œuvre.  iVI.  l'abbé  Clôt,  le  directeur  si  intelligent 
et  si  zélé  de  l'œuvre  militaire  de  Lyon,  écrivait  à  M.  le  Directeur, 
le  15  novembre  1887  :  «  Je  vous  remercie  de  m'avoir  adressé 
votre  beau  rapport  sur  l'œuvre  militaire  de  Nancy  ;  je  l'ai  lu 
avec  un  très  vif  intérêt  et  me  suis  réjoui  en  apprenant  les  succès 
que  vous  avez  obtenus,  malgré  les  obstacles  de  la  première 
heure,  que  votre  persévérance  a  réussi  à  surmonter.  Je  vous  en 
félicite  bien  sincèrement  et  suis  heureux  de  voir  la  grande  et 
religieuse  ville  de  Nancy  compléter  sas  œuvres  par  la  plus 
nécessaire  de  toutes  :  l'œuvre  miliiaire.  Je  publierai  votre  rap- 
port si  bien  rédigé  dans  VAmi  du  Soldat.  » 

M.  l'abbé  de  Beuvron  écrivait  aussi  :  «  Nous  avons  l'intention 
de  meubler  de  jeux  intéressants  un  cercle  militaire  à  Paris  ; 
nous  ne  pouvons  rien  faire  de  mieux  que  de  prendre  modèle  sur 
vous;  seriez-vous  assez  bon  pour  me  donner  les  indications 
nécessaires?  » 

J'ai  donné  pour  auxiliaire  à  M.  le  Directeur  un  jeune  prêtre 
qui  a  accompli  le  service  de  cinq  ans  dans  l'un  des  régiments 
de  Nancy,  où  il  a  laissé  le  meilleur  souvenir. 

Je  ne  puis  entrer  dans  le  détail;  je  dirai  seulement  qu'une 
pareille  œuvre  n'exige  pas  des  dépenses  aussi  considérables 
qu'on  pourrait  le  supposer.  Les  dépenses  principales  sont  exi- 
gées par  la  première  installation. 

Il  y  a  quelques  semaines,  j'ai  demandé  aux  catholiques  si 
dévoués  de  Lunèville  de  fonder  dans  cette  ville,  oii  la  garnison 
est  si  nombreuse,  une  œuvre  militaire  et  je  ne  doute  pas  que 
mes  vœux  ne  soient  promptement  réalisés. 


Î80  ANNALES   CATHOMQUES 

Toul  possède  une  petite  œuvre  militaire  qui  se  développera, 
j'en  ai  la  confiance. 

Dans  les  autres  villes  de  ce  diocèse  oii  la  parnison  est  moins 
considérable,  le  zèle  du  clergé  des  paroisses  réalisera  tout  ce 
qui  sera  possible. 

Mais  c'est  aux  séminaristes  et  aux  religieux  obligés  de  passer 
par  la  caserne,  et  aux  prêtres  qui  y  seront  ramenés  plus  tard 
pendant  deux  ans,  que  ces  œuvres  seront  non  seulement  utiles, 
mais  nécessaires.  Je  le  répète,  c'est  le  moyen  vraiment  efficace 
de  protéger  les  vocations  ecclésiastiques. 

Les  salles  de  ces  œuvres  seront  ouvertes  tous  les  jours  aux 
séminaristes  et  aux  religieux  ;  ils  trouveront  là  des  prêtres 
toujours  disposés  à  les  accueillir,  à  leur  donner  des  conseils 
éclairés,  à  les  soutenir  dans  les  épreuves  inévitables.  Si  les 
villes  dans  lesquelles  cesjeunes  gens  accompliront  leur  service 
militaire  possèdent  un  grand  ou  un  petit  séminaire,  les  supé- 
rieurs et  les  directeurs  de  ces  établissements  viendront  visiter 
cesjeunes  gens,  leur  faire  des  conférences,  leur  continuel*  une 
précieuse  direction. 

Nos  séminaristes  pourront,  dans  une  chapelle  ou  dans  une 
église  qui  leur  sera  assignée,  entendre  la  sainte  Messe  et  avoir 
à  leur  disposition,  avant  la  sainte  Messe,  un  prêtre  pour  en- 
tendre, au  besoin,  leurs  confessions.  Ils  seront  ainsi  réuius, 
groupés  chaque  jour,  encouragés  par  les  bons  exemples  qu'ils 
sg  donneront  mutuellement,  ils  seront  sontenus,  dirigés  par  des 
prêtres  zélés,  ils  seront  plus  confiants,  plus  forts  contre  tous  les 
périls. 

«  Quand  nous  fondions  nos  œuvres  militaires,  a  dit  M.  l'abbé 
Clôt  dans  l'excellente  Revue  VAmi  du  soldat,  nous  avions 
conscience  que  nous  travaillions  à  un  but  essentiellement  utiley 
nécessaire,  d'une  actualité  indiscutable.  Il  s'agissait  de  con- 
server la  foi  et  les  mœurs  de  notre  jeunesse  franr-aise  appelée 
sous  les  drapeaux.  Mais  aujourd'hui  que  nos  séminaristes,  que 
nos  jeunes  prêtres,  nos  religieux,  se  voient  contraints  à  laisser 
la  soutane  pour  l'uniforme  militaire,  leurs  études  et  leurs 
exercices  religieux  pour  la  manœuvre  des  armes,  la  vie  recueillie^ 
si  favorable  au  perfectionnement  intellectuel  et  moral,  pour  la 
vie  bruyante  et  agitée  de  la  caserne  et  des  chambrées,  quelles 
expressions  emploierons-nous  pour  en  faire  ressortir  l'impor- 
tance et  l'indispensable  nécessité?  La  situation  parle  d'elle-même 
et  plus  éloquemment  que  nous  ne  saurions  le  faire.  » 


LA    CHARITÉ    ENVERS   N.  S.  DANE  l'eUCHARISTIE  181 

Nous  avons  le  droit  d'espérer  que  ce  que  nous  ferons  ici  pour 
les  séminaristes,  les  religieux,  les  prêtres  et  les  soldats  qui  nous 
viendront  des  autres  diocèses,  on  le  fera  ailleurs  pour  ceux  qui 
nous  sont  spécialement  chers  et  que  sur  ceux-là  encore  nous 
attirerons  la  protection  et  les  bénédictions  de  Dieu. 

Mais  l'activité  du  zèle  et  les  généreux  sacrifices  ne  sauraient 
suffire.  Il  faut  ici  le  concours  de  tous  dans  la  mesure  de  leur 
influence.  Je  vous  demande  donc.  Messieurs,  d'exhorter  dans 
l'occasion  les  jeunes  gens  de  vos  paroisses  qui  sont  appelés  au 
service  à  profiter  avec  empressement  de  ces  œuvres.  Je  vous 
demande  de  nouveau  de  célébrer  pour  ces  jeunes  gens  la  messe 
du  de'part  et  de  nous  faire  connaître  les  garnisons  dans  les- 
quelles ils  sont  envoyés,  afin  que  nous  puissions  les  recommander 
aux  directeurs  des  œuvres  militaires.  Je  vous  demande  encoi'e 
de  porter  chaque  jour  au  saint  autel  les  pensées  et  les  préoccu- 
pations qui  sont  l'objet  de  cette  Lettre  circulaire.  Il  faut  par  des 
prières  ferventes  obtenir  de  Dieu  qu'il  unisse  tous  les  cœurs, 
toutes  les  ressources  et  tous  les  efibrts  pour  la  défense  de  ces 
intérêts  suprêmes. 

Je  m'arrête.  Mon  c<Bur  d'évêque  et  de  français  s'émeut  en 
traitant  de  pareils  sujets.  J'ai  la  conviction  profonde  d'avoir  dit, 
cette  fois  encore,  ce  qui  est  utile  au  clergé  et  aux  vrais  intérêts 
catholiques,  à  l'armée  et  à  la  France;  je  n'ai  d'autre  pensée  que 
celle  d'accomplir  mon  devoir.  Au  milieu  des  épreuves  qui  se 
préparent  et  que  des  illusions  obstinées  n'écarteront  pas,  comme 
au  milieu  d'autres  épreuves  que  nous  subissons  et  que  j'avais 
aussi  essayé  de  conjurer,  il  me  restera  du  moins  la  consolation 
d'avoir  fait  tout  ce  qui  m'était  possible.  Une  fois  de  plus,  fai 
délivré  mon  âme. 

Recevez,  Messieurs  et  Chers  Coopérateurs,  l'assurance  de  mon 
alfectueux  dévouement  en  Notre-Seigneur. 

f  CHARLES-FRANÇOIS, 
Evêquc  de  Nancy  et  de  Toul. 


LA  CHARITE  ENVERS  NOTRE  SEIGNEUR 

DANS  L'ffiUClIARISTIE  (1). 

Nous   voudrions,  par  reconnaissance,  remonter  jusqu'à 

l'Auteur  de  la  Charité  et  vous  exhorter  à  remplir  envers  Celui 

(1)  Extrait  do  la  lettre  pastorale  de  S.  G.  Monseigneur  l'Evêque 
de  Constantine  et  Hippone,  pour  le  Carême  1890. 


182  ANNALES    CATHOLIQUES 

qui  réside  parmi  nous,  les  devoirs  qu'il  nous  a  recomnoandés 
avec  tant  d'instance  envers  les  pauvres. 

«  Celui  par  qui  tout  a  été  créé  (1),  le  seul  paissant,  le  souve- 
rain Maître  (2);  Celui  qui  est  notre  Dieu  et  qui  n'a  nul  besoin 
de  nos  biens  (3);  Celui  qui  est  riche  de  sa  nature  (4}  a  voulu, 
pour  nous,  devenir  pauvre  :  c  Propter  vos  egenus  factus 
est!...  » 

Suivez-le  dans  le  cours  de  son  existence  humaine  :  à  la  grotte 
de  Bethléem;  à  l'atelier  de  Nazareth;  dans  sa  vie  publique; 
partout,  vous  le  rencontrerez  avec  sa  compagne  inséparable,  la 
pauvreté, 

-  Il  veut  vivre  du  travail  de  ses  mains  ou  de  dons  volontaires  : 
il  déclare  n'avoir  pas  une  pierre  pour  reposer  sa  tcte  ;  il 
demande  l'hospitalité  à  Zachée;  il  accepte  les  soins  d'une 
famille  de  Béthanie.  A  sa  mort,  il  sera  déposé  «  dans  un  sépul- 
cre emprunté,  et  les  draps  dans  lesquels  son  saint  corps  sera 
enseveli,  les  parfums  desquels  il  sera  embaumé,  seront  les  der- 
nières aumônes  de  ses  amis  (5).  » 

Pauvre  durant  les  trente-trois  années  passées  dans  la  Judée, 
et  acceptant  ou  sollicitant  l'assistance  de  ses  créatures,  Jésus 
veut  continuer  d'être  pauvre  dans  sa  vie  eucharistique. 

Approchez  de  l'autel  et  voyez  :  les  espèces  sacramentelles 
rappellent  les  langes  de  la  crèche; 

Le  tabernacle  renferme  autant  de  silence  et  de  solitude  que 
le  toit  de  Nazareth; 

Au  saint  sacrifice,  l'adorable  victime  manifeste  la  même 
patience  qu'au  prétoire,  la  même  obéissance  qu'à  la  croix,  le 
même  oubli  de  la  gloire  divine  et  le  même  anéantissement  ([u'au 
tombeau. 

Cet  état  nous  impose  des  devoirs, devoirs  que  le  divin  ÎMaitre  a 
pris  soin  de  tracer  lui-même  : 

«  J'étais  âans  abri  et  vou.s  m'avez  recueilli, 

(1)  Omnia  per  ipsuin  fartit  sunt.  (Joan.,  i,  0.) 

(2)  Solus  potens,  Rex  reguni,  et  dominas  dominciutium.  (1  Tira., 
VI,  lo.) 

(3)  Deus  meus  es  tu,  quouiam  bonorum  meorum  non  cgcs.  (Ps. 

XV,   l.j 

(4)  Scitis  enira  gratiam  Doraini  nosti'i  Jesu  Christi,  quoniara  prop- 
ter VOS  egenus  factus  est,  cum  essetdives,  ut  illius  iuopia  vos  Llivites 
essetis.  (H  Cor.,  viii,  9.) 

(5)  Bossuet.  Sermon  jjoi'.r  la  fhé  de  la  Purification. 


LA    CHARITÉ    ENVERS    N.-S.    DANS    l'EUCHARIST:E  ]  83 

J'étais  sans  vêtement  et  vous  m'avez  revêtu, 

J'étais  emprisonné  et  vous  m'avez  visité, 

J'avais  soif  et  vous  m'avez  donné  à  boire  (1).  » 

Que  d'oeuvres  de  miséricorde!  Pour  en  comprendre  l'impor- 
tance, la  nécessité,  il  suffit  de  se  rappeler,  comme  l'enseigne 
l'Eglise,  «  que,  dans  l'Eucharistie,  Jésus-Christ  a  droit  aux 
mêmes  honneurs  qu'autrefois  à  Bethléem  et  dans  ses  courses 
évangéliques  à  travers  la  Judée,  lorsque  l'adoraient  les  anges, 
les  bergers,  les  mages  et  ses  disciples  (2).  » 

Assurément,  N.  T.  G.  F.,  vous  vous  seriez  estimés  honorés  et 
heureux,  aux  jours  de  sa  vie  mortelle,  de  pouvoir  le  vêtir,  le 
nourrir  ; 

Vous  auriez  envié  le  sort  des  familles  hospitalières  qui  lui 
prodiguaient  leurs  soins  ; 

Vous  auriez  voulu  compter  au  nombre  des  personnes  géné- 
reuses qui  l'assistaient  de  leurs  biens  :  «  Quce  ministrabant  ei 
facultatihus  suis  (3).  » 

Réjouissez-vous  :  dès  maintenant  vous  pouvez  vous  procurer 
cette  joie  et  cet  honneur. 

Pensée  consolante,  obligation  délicieuse  que  nous  allons 
exposer  en  quelques  considérations  simples  et  pratiques. 

I 

«  J'étais  sans  abri  et  vous  m'avez  recueilli.  »  Hospes  eram  et 
colle gistis  me. 

A  cet  auguste  voyageur,  à  ce  céleste  pèlerin,  les  premiers 
chrétiens  offraient  "un  asile  en  transformant  une  partie  de  leur 
demeure  en  oratoire. 

C'était,  au  souvenir  de  la  Cène,  un  nouveau  cénacle  pour 
recevoir  l'hôte  divin. 

Cet  usage  de  l'Église  primitive,  il  nous  semble  le  retrouver 
encore  dans  nos  tournées  pastorales,  à  travers  les  nombreux 
villages  peuplés  par  les  dernières  immigrations. 

(1)  Matth.,  XXV,  35  et  seq. 

(2)  Concil.  Trid.,  sess.  xiii,  cap.  v. 

«  Neque  enim  ideo  minus  est  adorandum,  quod  fuerit  a  Christo 
Domino,  ut  sumatur,  institutum  :  nam  illum  eumdem  Deum  prtesen- 
tem  in  eo  adesse  credimus,  quem  Pater  teternus  introducens  in 
orbem  terrarum,  dicit  :  Et  adorent  eura  omaes  aageli  Dei,  quem 
Magi  procidentes  adoraverunt  :  quem  denique  in  Galikea  ab  apostolis 
adoratum  fuisse  Scriptura  testatur.  » 

(3)  Luc,  VIII,  3. 


184  ANNALES   CATHOLIQUES 

Que  s'y  passe-t-il  en  effet? 

Un  missionnaire  ait  envoyé  en  précurseur  :  il  doit  préparer 
les  âmes  aux  sacrements  d'Eucharistie  et  de  Confirmation  et  se 
mettre  en  qnête  d'un  local  pour  recevoir  Jésus-Christ. 

II  a  découvert  une  habitation  hospitalière  :  c'est  la  maison 
d'un  colon,  d'une  famille  chrétienne, 

A  cette  famille  bénie,  le  Sauveur  redit  par  la  voix  de  son 
prêtre  :  «  Hodie  in  domo  tua  oportet  me  nianere  (1)  :  Aujour- 
d'hui j'irai  loger  chez  vous.  » 

II  s'agit  maintenant  de  donner  à  cet  asile  un  air  do  chapelle. 

Los  uns  apportent  de  la  verdure  et  des  fleurs,  les  autres 
quelques  ornements  de  leur  foyer  :  des  images,  des  tableaux 
encadrant  des  sujets  religieux;  ceux-ci  fournissent  le  luminaire, 
ceux-là  donnent  leur  bras  et  leur  temps  pour  tresser  des  guir- 
landes et  dissimuler  sous  le  feuillage  la  nudité  des  murs. 

Enfin,  le  jour  attendu  s'est  levé  radieux.  L'office  commence 
dés  l'arrivée  du  premier  Pasteur;  et  des  chants  où  se  mêlent 
toutes  les  voix,  rappellent  les  anciens  et  touchiints  cantiques  de 
la  Mère  Patrie. 

Déjà  la  communion  est  distribuée,  la  messe  touche  à  sa  fin  et 
Jésus  va  quitter  ce  refuge,  comme  le  voyageur  quitte  l'hôtellerie 
oii  il  s'est  arrêté  quelques  heures.  Heureuse  bourgade  qui  a  eu 
l'insigne  privilège  de  posséder  le  Sauveur  à  son  passage  et  de 
pratiquer  la  charité  recommandée  :  «  J'étais  sans  abri  et  vous 
m'avez  recueilli  !   » 

Et  le  diocèse  pourrait  fournir  une  longue  liste  de  colonies,  oii 
faute  de  cliapelle,  nos  chrétiens  sont  invités  à  exercer,  dans  ces 
conditions,  l'hospitalité  envers  leur  Dieu. 

En  ce  moment,  ma  pensée  parcourt  le  territoire  de  cette  vaste 
province  :  de  la  vallée  de  l'Oued-Sahel  au  plateau  de  la  Med- 
jana,  des  gorges  du  Chàbet  à  la  ville  de  Sétif,  de  Djemiia  à 
Constantine,  du  mamelon  d'Hippone  aux  premières  montagnes 
de  la  Tunisie,  que  de  noms  chers  à  mon  cœur! 

Dans  la  plupart  de  ces  villages,  c'est  pareille  situation  au  point 
de  vue  religieux.  Le  prêtre  appelé  à  les  desservir,  comme 
l'apôtre  envoyé  pour  les  évangéliser,  arrive  sans  savoir  oh  il 
pourra  découvrir  un  gîte,  ni  sous  quel  toit  il  lui  sera  loisible  de 
dresser  un  autel. 

Lorsque  les  colons  sont  venus  planter  leurs  tentes  dans  cette 

(1)  Luc,  XIV,  5. 


LA.    CHARlTi:    ENVERS    X,-S.    DANS    i/eUCHARI5TIE  IS  . 

-notirelle  France,  apportant  leurs  petites  économies,  leurs  forces, 
leurs  connaissances  agricoles',  leurs  sueurs,  leur  patriotisme,  ild 
espéraient  retrouver  sur  le  sol  qu'ils  allaient  défricher  les  con- 
solations de  la  religion  et  la  facilité  d'élever  leur  famille  dan.s 
la  foi  de  leurs  pères. 

Ne  seraient-ils  pas  en  droit  de  réclamer  un  local^  au  moins 
décent,  pour  s'y  réunir  et  prier  le  dimanche? 

Qu'ils  joignent  leurs  instances  aux  nôtres  et  l'on  saura  so 
procurer  des  ressources  pour  donner  satisfaction  à  un  vœu  si 
légitime  et  si  honorable. 

Dans  notre  Algérie,  les  ruines  chrétiennes  qui  nous  restent, 
témoignent  de  la  pieuse  munificence  des  premiers  siècles. 

Plusieurs  églises  étaient  de.-;  demeures  royales,  des  basiliques, 
oii  les  rois  de  la  terre  avaient  rendu  la  justice  et  où.  le  Roi  des 
rois  éibait  descendu  pour  rendre  la  miséricorde. 

Je  ne  demande  pas  de  ces  palais  royaux.  Toutefois,  Je  mau^ 
querais  à  un  devoir  .?acré  de  ma  charge  pastorale,  si  j'étai."*  sans 
préoccupation  pour  la  demeure  de  mon  Maître. 

Mais,  soyons  justes  et  reconnaissants  ;  si,  dans  les  centres  de 
formation  relativement  récente,  Jésus  n'a  pas  un  abri,  ou  si  la 
demeure  qui  lui  est  réservée  est  telle  qu'on  la  reconnaît  à  sa 
misère  :  «  Et  hoc  vohis  signum  :  invenietis  infantem...  'positurn 
in  prœsepio  (1),  »  disons  que  nombre  de  localités  possèdent  des 
édifices  qui  sont  un  honneur  pour  notre  patrie,  la  fille  aînée  dé 
l'Eglise. 

Ah  !  ce  n'est  pas  petite  satisfaction,  sur  notre  terre  africaine, 
d'apercevoir  au  sommet  d'un  clocher  ou  d'une  tour  la  croix, 
s'élevant  vers  les  cieux  pour  proclamer  bien  haut  que  cette 
région  a  été  conquise  à  son  premier  Seigneur! 

Ce  n'est  pas  petite  satisfaction  de  la  voir  étendant  ses  bras 
comme  pour  ramener  à  elle  ce  peuple,  qui  lui  a  été  violemment 
arraché,  et  qui  jadis  marchait  et  prospérait  sous  son  égide! 

Et,  même  dans  ces  heureuses  paroisses,  que  d'occasions,  au 
zèle,  de  se  dévouer  utilement  et  saintement  pour  entretenir  «  la 
beauté  de  la  maison  de  Dieu  12,  !  > 

Cette  maison,  ne  serait-elle  pas  aussi  la  vôtre? 

N'est-ce  pas  là  que  vos  enfants  ont  été  régénérés  dans  les 
eaux    du  Baptême?  là  qu'ils  ont  été  instruits  de  la  doctrine 

(1)  Luc,  II,  12. 

(2)  ...decorena  domus  tu*.  (Ps.  xxv,  8.) 

14 


186  ANNALES    CATHOLIQUES 

céleste,  cette  doctrine  qui  a  éclairé,  relevé  le  monde  et  qui  seule 
peut  guider  et  sauver  les  individus  et  les  familles  ? 

N-'est-ce  pas  laque,  purs  comme  des  anges,  ils  ont  reçu  leur 
Créateur  pour  la  première  fois  ? 

N'est-ce  pas  là  que  vous  venez  vous-mêmes  recevoir  le  Pain 
des  forts,  pour  être  victorieux  dans  les  luttes  de  la  vie? 

N'est-ce  pas  de  là  que  partira  votre  Sauveur  pour  aller  vous 
visiter  à  votre  agonie  et  vous  -assister  au  terrible  et  décisif 
passage  du  temps  à  l'éternité? 

N'est-ce  pas  là  que  votre  dépouille  mortelle  sera  transportée 
pour  les  dernières  prières  et  les  dernières  bénédictions? 

N'est-ce  pas  là  qu'après  votre  départ  de  ce  monde,  le  sang  de 
la  victime  sera  répandu  pour  vous  et  votre  mémoire  rappelée 
au  mémento  de  la  messe? 

Ouij  la  maison  de  Dieu  est  aussi  votre  maison,  et  le  zèle  que 
je  vous  prêche  n'est  pas,  vous  le  voyez,  complètement  désin- 
téressé. 

Cette  considération  nous  amène  à  vous  entretenir  d'une  cha- 
rité à  laquelle  le  Divin  Maître  nous  convie  par  ces  paroles  : 
«  J'étais  sans  vêtement  et  vous  m'avez  revêtu  :  Nudus  eram  et 
cooperuistis  me.  » 

II 

L'Eucharistie,  selon  la  pensée  des  saints  Pères,  est  une  exten- 
sion de  l'Incarnation.  Aussi,  Jésus,  sur  l'autel,  prend-il  comme 
une  seconde  naissance. 

«  0  respectable  et  redoutable  dignité  des  prêtres,  s'écrie 
saint  Augustin,  puisque  c'est  par  leur  ministère  et  dans  leurs 
mains  que  le  Fils  de  Dieu  vient  s'incarner:  «  In  quorum  mani- 
bus  incarnatur  Filius  Dei,  » 

Là,  comme  à  Bethléem,  il  est  bien  le  Dieu  caché  :  «  Vere  tu  es 
Deus  absconditus.. .  Salvator  (1).  »  A  Bethléem,  ce  Dieu  sau- 
veur cachait  sa  divinité  sous  les  voiles  de  son  humanité  ; 

Dans  ses  temples,  il  cache  et  sa  divinité  et  son  humanité  sous 
les  voiles  eucharistiques. 

Lorsque  le  saint  sacrifice  est  oirert,-un  des  anges  qui  envi- 
ronnent l'autel  pourrait,  comme  aux  bergers,  nous  dire:  «Je 
vous  annonce  une  grande  nouvelle  :  aujourd'hui  vous  est  né  le 
Sauveur  :  Natus  est  hodie  Salvator  (2).  » 

A  sa  naissance,   Marie  l'enveloppa  de  langes:  <k  Et pannis 

(1)  Isaïe,  XLV,  14. 

(2)  Luc.  !i.  11. 


LA    CHARITÉ    ENVERS    N.-S.    DANS    l'eCCHARISTIE  187 

eum  involvit  (l)  ;  »  à  sa  naissance  eucharistique,  il  faut  aussi 
des  langes  pour  recevoir  son  corps  adorable. 

Dans  l'Eucharistie  se  révèle  plus  d'amour  que  dans  l'Incarna- 
tion ;  sur  l'autel  son  corps  est  plus  frêle  que  dans  la  crèche. 

Ne  devrions-nous  pas  entourer  ici  son  berceau  et  de  plus  de 
soins  et  de  plus  de  tendresse! 

«  J'étais  sans  vêtement  et  vous  m'avez  revêtu.  » 

Vous  savez,  pourquoi  Jésus  vient,  à  la  voix  du  prêtre, 
s'incarner  de  nouveau  sur  l'autel. 

Le  moment  solennel  est  arrivé  :  «  Ceci  est  mon  corps,  ceci 
est  mon  sang.  »  La  parole  est  le  glaive  qui  sépare  mystiquement 
le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  et  cette  séparation  «  enferme 
une  vive  et  efficace  représentation  de  la  mort  violente  soufferte 
sur  la  croix  (2).  » 

Sous  cette  figure  de  mort,  en  cet  état  d'hostie,  nous  l'ofî'rons 
à  la  majesté  divine  :  et,  par  ce  sacrifice  qui  remet  devant  Dieu 
le  Père,  le  supplice  que  son  Fils  a  souffert  pour  nous,  nous 
obtenons  toute  grâce  et  rendons  toute  gloire. 

Pour  la  victime  de  l'autel,  ayons  l'empressement  des  pre- 
miers fidèles  pour  la  victime  du  Calvaire  ! 

Joseph  d'Arimathie  avait  acheté  un  linceul  blanc  et  les  saintes 
femmes  se  hâtaient  portant  des  aromates  et  des  parfums. 

Le  corps  du  Sauveur,  nous  venons  de  le  rappeler,  a  droit  au 
même  respect,  aux  mêmes  marques  d'honneur. 

Le  linge  qui,  à  l'autel,  sert  à  le  recevoir  et  à  l'envelopper,  le 
coiporal  est  son  suaire:  «  Corporis  et  sanguinis  Redemptoris 
nostri  novum  sudarium.  (3).  » 

Autour  de  son  nouveau  calvaire,  la  cire  se  consume  épandant 
ses  douces  clartés,  et  l'encens  l'enveloppe  de  nuages  de  parfums. 

Il  se  trouvera  toujours  parmi  vous,  espérons-le,  de  généreux 
imitateurs  des  premiers  disciples,  dont  la  piété  assurera  le 
nécessaire  au  sacrifice  de  Jésus-Christ  institué  «  pour  repré- 
senter celui  qu'il  a  une  fois  accompli  sur  la  croix;  pour  en  faire 
durer  la  mémoire  jusqu'à  la  fin  des  siècles  et  nous  en  appliquer 
la  vertu  salutaire  (4).  » 

«  J'étais  sans  vêtement  et  vous  m'avez  revêtu.  » 


\l)  Luc,  II,  7, 

(2)  Bossuet.  Exposition  de  la  Doctrine  catholique. 

(3)  Rituel,  bénédiction  des  corpomux. 

(4)  Coac.  Trid.,  sess.  xxii,  cap.  1. 


]88  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ail  saiat  sacrifice  Notre-Seigneur  est  le  ministre  principal» 
Comme  il  s'est  lui-même  offert  sur  la  croix  et  à  la  Cène,  il  veut, 
â'ôftrir,  par  le  ministère  de  sou  représentant,  à  l'autel. 

Là,  selon  l'expression  de  saint  Augustin,  il  est  médiateur, 
prêtre  et  sacrifice.  > 

Prêtre  :  par  conséquent  revêtir  le  célébrant,  c'est  revêtir 
Jésus-Christ. 

Cette  vérité  a  donné,  dans  tous  les  siècles,  à  de  nobles  et 
pieuses  clirétiennes  la  pensée  de  s'appliquer  elles-mêmes  à  la 
confection  des  ornements  sacerdotaux  et  de  vêtir,  dans  la  per- 
sonne de  ses  ministres,  le  Dieu  qui  daigne  s'immoler  sur 
nos  autels.  '-fjeô  îa  , 

Glorieuse  charité  qui  était  justement  considérée  comme  la 
première  de  toutes,  parce  qu'elle  s'adressait  au  Fils  de  Dieu. 

Je  ne  crois  pas  trop  présumer  de  la  piété  de  mes  chers  diocé- 
sains, en  gardant  la  confiance  que  ces  dévouements  refleuriront 
sur  la  terre  d'Hippone. 

Plus  que  jamai.s  je  les  estime  nécessaires,  à  cause  de  la 
pénurie  des  ressources  de  nos  Fabriques  paroissiales. 

Mais  les  pauvres,  il  y  en  a  tant  qui  auraient  besoin  d'être 
nonrris,  vêtus,  abrités  ! 

C'est  ce  qu'on  alléguait,  au  temps  du  Sauveur,  lorsqu'une 
illustre  pénitente  vint  répandre  à  ses  pieds  un  vase  de  parfum 
précieux. 

«  A  quoi  bon,  se  disaient  entre  eux  les  disciples,  la  perte  de 
ce  parfum!  On  pouvait  le  vendre  plus  de  trois  cents  deniers  et 
les  donner  aux  indigents  (1).  »  Et  le  divin  Maître,  prenant  la 
défense  de  cette  pieuse  profusion,  approuve  l'action  de  cette 
femme  et  déclare  qu'on  la  louera  partout  où  l'Evangile  sera 
prêché. 

Les  pauvres!  soyez  rassurés  sur  leur  sort:  ce  ne  sont  pas  les 
aumônes  faites  au  divin  Pauvre  qui  pourront  leur  nuire.  Plus 
vive  sera  la  dévotion  à  Jésus  au  Saint-Sacrement,  plus  géné- 
l'cuse  sera  la  charité  pour  les  malheureux. 

N'est-ce  pas  Jésus  qui  «  retient  pour  faite  à  lui  la  bienfai- 
sance exercée  à  leur  égard  et  comme  étant  obligé  lui-même 
pour  le  bienfait  reçu  /  » 

IS'est-ce  pas  Jésus  qui  a  créé  les  dévouements  qtii  subviennent 
à  toutes  les  misères,  non  seulement  avec  une  maternelle  piété, 

(1)  Marc,  XIV,  4  et  o. 


LA   SITUATION   DES   JÉSUITES  EN   ALLEMAGNE  189 

mais  aussi  avec  une  prudence  et  une  vigilance  extrême  (1).  » 
Il  y  a  des  pauvres  parmi  nous  et  il  y  en  aura  toujours  ;  mais 
c'est  leur  cause  que  je  plaide,  et  la  charité,  qui  est  née  du  cœur 
de  Jésus,  ne  peut  s'entretenir  et  se  développer  que  par  la  foi  et 
l'amour  à  Jésus  dans  l'Eucharistie. 

Cette  pensée,  je  suis  heureux  ds  la  relire  dans  une  instruction 
pastorale  d'un  de  mes  vénérables  prédécesseurs  : 

«  Contribuer  à  la  décoration  de  nos  saints  autels  et  soulager 
la  misère  de  nos  frères  indigents  sont  deux  œuvres  intimement 
liées,  qui  se  prêtent  un  mutuel  concours.  Elles  ont  le  même 
objet  qui  est  Jésus-Christ  :  l'une  dans  son  corps  réel,  l'autre 
dans  son  corps  mystique.  Aus.si,  plus  vous  aurez  de  zélé  à 
l'honorer  dans  la  sainte  Eucharistie,  plus  vous  vous  dévouerez 
à  son  service  dans  la  personne  des  pauvres  (2).  » 

Mgr  Combes. 


LA  SITUATION  DES  JESUITES  EN  ALLEMAGNE 
(Suite  et  lin. — Voir  lô  numéro  précédent.) 

II 

Dix-huit  années  ne  se  sont  pas  encore  écoulées  depuis  l'atten- 
tat commis  contre  les  droits  civils  et  religieux  des  jésuites  alle- 
mands, et  voilà  que  les  élections  du  20  février  dernier  brisent 
les  instruments  avec  lesquels  ont  été  forgées  les  armes  contre 
la  Compagnie  de  Jésus. 

Le  ministre  Friedberg  avait  qualifié  la  loi  dirigée  contre  eux 
de  loi  provisoire,  de  mesure  imposée  par  la  ne'cessiié  et  le  cas 
de  légitime  défense. 

Le  provisoire  a  duré  près  de  dix-huit  ans,  pendant  lesquels 
les  attaques  se  sont  multipliées  contre  la  Compagnie  de  Jésus 
et  contre  les  ordres  frappés  par  des  lois  d'empire.  L'iniquité 
dont  la  Compagnie  de  Jésus  a  été  la  principale  victime,  les  atta- 
ques incessantes  dont  elle  a  été  l'u-bjet,  n'ont  servi  qu'à  exalter 
davantage  l'amour,  l'afiection  ot  l'estime  que  lui  portent  tous 
les  vrais  catholiques  allemands  et  dont  la  presse  catholique  de 
ce  pays,  sans  exception  aucune,  se  fait  le  puissant  écho. 

(1)  Allocution  de  S  S.  lo  Pape  Léon  XIII,  au  Consistoire  du  3,0  dé  - 
cembre  1889. 

(2)  Mgr  RoDEUT.  Instr.  pi?sforalo  ù  l'occasion  de  rétablissement  de 
l'Adoration  perpétuelle. 


90  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ces  catholiques  admirent  plus  que  jamais  les  principes  et  les 
doctrines  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Ils  se  souviennent  avec  une  gratitude  toute  filiale  que  rôcem- 
m-ent  encore  Notre  Très  Saint-Père  le  Pape  Léon  XIII,  heureu- 
sement régnant,  élevait  au  rang  des  saints  trois  jésuites,  qui 
sont  allés  grossir  le  nombre  déjà  si  considérable  des  saints  de 
la  Compagnie. 

Ils  se  souviennent  que  d'autres  Papes  encore,  que  des  arclie- 
vêques  et  des  évoques  d'Allemagne  et  du  monde  entier,  tous 
personnages  illustres  par  leur  piété  et  leur  science,  ont  proclamé 
hautement  que  la  Compagnie  de  Jésus  était  une  institution  ad- 
mirable entre  les  institutions  catlioliques. 

Ils  se  souviennent  que  leurs  historiens  les  plus  en  vogue,  tant 
catholiques,  comme  Jannssen,  Holzwarth,  etc.,  que  des  protes- 
tants, comme  Leibnitz,  Menzel,  etc.,  ont  rendu  les  plus  grands 
hommages  à  la  Compagnie  de  Jésus  et  à  sou  action  en  Allemagne. 

Et,  en  regard,  que  leur  oppose-t-on?  Les  témoignages  déla- 
teurs d'un  légiste  vaniteux  et  d'un  astucieux  révolutionnaire 
comme  iJluntschli;  d'un  athée  bouffi  d'orgueil  et  d'illogisnae 
comme  le  professeur  Gueist  ;  d'un  brasseur  d'affaires  comme 
Braun,  ancien  député  de  Wiesbade  ;  d'une  girouette  politique 
comme  Benuigsen;  d'un  demi-juif  comme  le  ministre  Friedberg, 
et  d'autres  juifs  authentiques  comme  Lasker,  Bamberger,  etc. 

Ou  sont-ils  ces  combattants  d'autrefois?  Les  uns  sont  morts 
et  les  autres  ont  été  battus  honteusement  aux  dernières  élec- 
tions. Ceux  qui  sont  encore  debout  ne  doivent  guère  avoir  envie 
de  recommencer  la  partie.  La  place  est  balayée  pour  ainsi  dire. 

Le  voyageur  et  le  touriste  qiii  passent  sur  le  pont  de  la  cha- 
pelle Saint-Pierre,  à  Lucerne,  peuvent  y  voir  un  cycle  de  ta- 
bleaux se  rapportant  à  l'histoire  cantonale  et  municipale  de  la 
ville. 

Parmi  ces  tableaux,  les  premiers,  quand  on  vient  du  côté  de 
la  ville,  se  rapportent  à  l'histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus  dans 
la  ville  et  le  canton. 

On  y  voit  le  conseil  échevinal  prenant  la  décision  d'appeler  la 
Compagnie  de  Jésus  à  Lucerne;  l'arrivée  des  Pères;  l'ouverture 
du  collège  ;  une  salle  d'étude,  etc.  Chaque  tableau  est  accompa- 
gné d'un  quatrain  exaltant  les  mérites  de  la  Compagnie  de  Jésus 
sur  le  terrain  de  la  vie  sociale  et  religieuse,  louant  leurs  mé- 
rites pour  l'éducation  de  la  jeunesse  et  vantant  les  progrès  faits 
à  Lucerne  par  les  sciences  et  la  vertu,  sous  l'égide  des  Pères. 


LA    SITUATION   DES    JÉSUITES    EN    ALLEMAGNE  191 

Ces  tableaux  dans  leur  touchante  simplicité,  ces  quatrains 
avec  leur  accent  de  vérité,  pourraient  être  reproduits  dans  tous 
les  pays  où  les  jésuites  ont  passé  ;  mais  ils  seraient  surtout  de 
mise  en  Allemagne. 

Le  nom  de  la  Compagnie  de  Jésus  est  intimement  lié  à  l'his- 
toire des  célèbres  Universités  d'Ingolstadt  (aujourd'hui  Munich), 
de  Wuszbourg,  de  Dillingen,  de  Munster,  de  Gratz,  etc. 

Dillingen,  une  des  plus  célèbres  Universités,  a  été  supprimée; 
mais  si  Munich,  Wurzbourg,  Gratz  et  l'académie  de  Munster 
jouissent  encore,  de  nos  jours,  d'une  grande  renommée,  il  ne 
faut  pas  oublier  que  les  bases  en  ont  été  jetées  par  les  jésuites. 

C'est  donc  à  bon  droit  que  les  catholiques  allemands  ont  tou- 
jours ressenti  comme  une  très  grave  injure  le  fait  que  les  fils 
des  familles  les  plus  catholiques  et  les  plus  considérées  de  leur 
pays  fussent  traités  comme  des  criminels,  ou  des  vagabonds 
sans  feu  ni  lieu,  uniquement  parce  qu'ils  font  partie  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  dont  l'Allemagne  catholique  n'a  tiré  que  bien- 
faits et  gloire. 

Mais  il  est  un  autre  côté  au  point  de  vue  duquel  non  seule- 
ment les  catholiques  allemands  envisagent,  mais  encore  les  con- 
servateurs allemands  et  tous  les  Allemands  qui  ont  encore  no- 
tion de  la  justice,  devraient  envisager  la  situation  faite  aux 
jésuites  :  c'est  le  côté  des  droits  civils  et  politiques. 

La  Constitution  de  l'empire  allemand  garantit  le  droit  d'élec- 
teur à  tout  Allemand,  âgé  de  vingt-cinq  ans  et  n'a^'ant  pas  été 
privé  de  ses  droits  politiques  et  civils  p«r  wh  arrêté  motivé 
de  justice.  ^ 

Les  Constitutions  particulières  des  Etats  confédérés  garan- 
tissent en  outre  les  droits  civils  et  politiques  à  chacun  de  leurs 
ressortissants. 

Il  est  vrai  que  les  articles  de  la  Constitution  prussienne  qui 
garantissent  la  liberté  et  l'autonomie  de  l'Eglise  catholique  ont 
été  suspendus  par  une  loi;  mais  les  jésuites  allemands,  en  tant 
qu'Allemands,  ne  pouvaient  être  privés  de  leurs  droits  civils 
sans  un  arrêt  de  justice.  Cet  arrêt  a  toujours  fait  défaut  in  specie, 
et  pour  cause.  A  la  séance  du  14  juin  1872,  l'ancien  chef  de  la 
fraction  du  Centre,  feu  le  baron  de  Mallinkrodt,  disait  au 
Reiehstag  allemand  : 

«  Je  vous  fais  remarquer  que  depuis  le  retour  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  dans  les  pays  de  langue  allemande  on  n'a  pas 
pu  constater  un  seul  délit,  une  seule  contravention  à  la  charge- 
d'un  Jésuite. 


192  ANNAI,Eg    CATHOLIQUES 

«  Aussi,  même  le  député  berlinois  qui  a  attaqué  la  Compagnie 
de  Jèius  avec  la  dernière  véhémence  et  qui  s'est  même  servi  de 
la  phrase  :  Ecrasez  V Infâme,  s'est  vu  contraint  de  constater 
que"  les  Jésuites,  pris  comme  particuliers,  sont  tous  des  gens 
honorables  et  estimables.  De  plus,  vous  avez  sur  le  bureau  du 
Reichstag  des  attestations  provenant  de  centaines  de  milliers 
d'Allemands,  de  gens  de  ville  et  de  gens  de  campagne,  de  riches 
et  de  pauvres,  de  nobles  et  d'ouvriers,  de  classes  bourgeoises 
et  rurales,  notamment  des  contrées  oîi  l'action  de  la  Compagnie 
de  Jésus  s'est  fait  sentir;  toutes  ces  attestations  sont  en  faveur 
des  jésuites  et  leur  décernent  les  plus  grands  éloges.  Mais  vous 
avez  encore  une  autre  attestation,  datée  d'il  j  a  plusieurs 
lustres  et  émanant  du  gouvernement  prussien,  oii  il  est  dit  que, 
le  ministère  n'avait  pas  la  moindre  raison  du  monde  d'être  mé- 
content de  l'action  des  jésuites.  Tout  cola  ne  saurait  donc  à  vos 
yeux  entrer  en  ligne  en  faveur  de  la  Compagnie  de  Jésus  !  » 

L'empereur  d'Allemagne  ne  veut  pas  entendre  parler  de  lois 
d'exception  contre  les  socialistes  ;  pourrait-il  donc  laisser  subsis- 
ter celle  contre  les  Jésuites? 

Quelle  exemple  l'Etat  nedonne-t-ilpasaux  socialistes,  en  lais- 
sant frapper  quelqu'un  par  une  loi,  sans  que  ce  quelqu'un  ait  pu 
sejustifier  ou  seulement  se  faire  entendre? Ne pense-t-on  pas  que 
la  détention  illicite  des  biens  de  la  Compagnie  de  Jésus  puisse 
justifier,  aux  yeux  des  socialistes,  l'expropriation  violente  du 
capital?  Ne  prévoit-on  pas  les  conséquences  que  le  socialisme, 
devenu  victorieux,  pourrait  un  jour  tirer  du  fait  que  des  gens 
honorables  et  estimables,  ont  été  traqués  coiTmie  des  malfai- 
teurs etexpulsés  de  leur  maison  natale,  oii  ilss'étaientréfugiés, 
et  pour  être  jetés  en  exil? 

M.  de  Bismarck  a  jadis  déclaré  regarder  l'établissement  d'une 
nonciature  à  Berlin  comme  une  chose  utile  et  profitable,  ajou- 
tant qu'il  laissait  au  cours  de  l'histoire  le  soin  de  le  faire  et  que 
le  gouvernement  allemand  avait  la  ferme  intention  de  donner 
aux  catholiques  toute  liberté  de  mouvement.  A  la  même  séance 
il  a  encore  déclaré  que  tout  dogme,  cru  par  des  millions  d'indi- 
vidus allemands,  devait  à  ce  titre  être  sacro-saint  pour  le  gou- 
vernement et  même  pour  ceux  qui  n'y  cro^'aient  pas. 

Le  cours  de  l'histoire,  dont  a  parlé  l'ancien  chancelier  à  la 
séance  du  30  janvier  1872,  a  suivi  son  chemin;  l'Allemagne  est 
entrée  finalement  dans  la  voie  de  la  pacification  religieuse,  mais 
elle  a  encore  de  grands  torts  à  réparer.  Le  tort  fait  à  la  Com- 


LA    PLÉIADE    DES  GRANDS  HOMMES  DU    SIECLE  193 

pagnie  do  Jésus  se  trouve  au  premier  rang.  Cette  réparation 
s'impose  au  nom  du  droit,  au  nom  de  l'Eglise.  En  1872,  on  a 
compté  avec  la  majorité  libérale  du  Reichstag,  avec  l'opinion 
publique,  trompée  par  les  menées  de  la  Loge  et  des  ennemis  de 
toute  foi  positive,  et  peut-être  a-t-on  aussi  obéi  à  des  calculs 
politiques  qui  ne  sont  plus  de  mise. 

Aujourd'hui  l'opinion  publique  est  détrompée,  les  élections 
de  février  dernier  ont  donné  la  prépondérance  aux  partis  de  la 
conservation  sociale  et  chrétienne  et  démontré  en  même  temps 
l'imminence  du  danger  social. 

L'empire  allemand  se  trouve  donc  dans  une  situation  qui 
l'oblige  de  rendre  à  l'Eglise  sa  pleine  liberté.  Il  en  profiterait 
le  prenûier,  car  l'Eglise  seule  peut  contenir  les  passions  et  elle 
seule  peut  supprimer  les  causes  fatales  du  socialisme  moderne. 

Retirer  à  un  Etat  sa  base  religieuse,  c'est  le  transformer  en 
agrégation  hasardée  de  droits,  espèce  de  boulevard  contre  la 
guerre  de  tous  contre  tous,  tel  que  le  voulait  la  philosophie 
ancienne.  Mais  un  tel  Etat  deviendrait  bien  vite  la  proie  du 
socialisme.  Si  l'empereur  d'Allemagne  veut  vraiment  désarmer 
le  socialisme,  il  faut  que  son  empire  repose  sur  une  solide  base 
religieuse.  Cette  nécessité  devrait  l'engager  à  rendre  justice  à 
l'Eglise  et  par  suite  à  la  Compagnie  de  Jésus. 

Le  15  novembre  1849,  M.  de  Bismarck,  assis  alors  dans  les 
rangs  ultra-conservateurs  du  Landtag  prussien,  disait  : 

«  J'espère  vivre  encore  assez  longtemps  pour  voir  la  «  nef 
aventureuse  »  de  la  Révolution  se  briser  contre  le  rocher  de 
l'Eglise,  car  la  foi  à  la  parole  manifestée  de  Dieu  a  encore  plus 
de  racine  chez  le  peuple  que  la  foi  dans  la  force  bienfaisante 
d'un  article  quelconque  de  la  Constitution.  » 

Restons  sur  ce  mot  de  M.  de  Bismarck.  Au  soir  de  sa  vie,  il 
lui  sera  peut-être  donné  de  voir  que  la  foi  dans  les  droits  de 
l'Eglise  est  plus  forte  que  la  foi  dans  les  lois  d'exception,  telles 
que  la  loi  promulguée  contre  les  Jésuites  le  4  juillet  1872. 

{Univers.) 


LA   PLÉIADE   DES    GRANDS   HOMMES    DU    SIÈCLE 
(Suite  et  lia.   —  Voir  le   numéro  précédent.) 

Avec  la  régularité  d'une  garde  montante,  le  chancelier  de  fer, 

le  prince  de  Bismarck,  vient  occuper  la  place  devenue  vacante. 

Ce  gentilhomme  prussien,  imbu  des  principes  ultra-conser- 


194  ANNALES    CATHOLIQUES 

vateurs,  qui  avait  une  première  fois  fait  connaître  son  nom  par 
sa  lutte  chevaleresque  contre  les  libéraux  en  1848,  qui  dans  son 
enthousiaste  royalisme  s'était  donné  corps  et  âme  à  son  Roi,  qui 
était  pourvu  d'une  énergie  frisant  la  brutalité,  non  moins  que 
d'un"  don  exceptionnel  pour  utiliser  les  voies  les  plus  tortueuses 
de  la  politique,  cet  homme  paraissait  bien  être  l'instrument 
voulu  pour  parachever  l'œuvre  entreprise  par  ses  prédécesseurs, 
pour  clore  définitivement  l'ère  des  révolutions  politiques. 

Et  dans  quelle  situation  voyons-nous  ce  même  homme  laisser 
le  monde,  après  avoir,  pendant  vingt-huit  ans,  dirigé  les  des- 
tinées de  la  Prusse,  et  pendant  vingt  ans  celles  de  l'Allemagne, 
même  celles  de  l'Europe  avec  une  puissance  presque  souveraine? 

Les  nations  soupirent  sous  le  fardeau  des  armements  et  des 
dettes,  et  chaque  nouvelle  année  voit  s'alourdir  ce  poids  écra- 
sant, indispensable  pour  le  maintien  artificiel  de  la  paix. 

A  cette  même  fin  du  maintien  de  la  paix,  il  a  octroyé  à  son 
unique  allié  naturel,  à  l'Autriche,  l'alliance  contre  nature  avec 
l'Italie,  dont  la  faiblesse  égale  la  versalité. 

Ainsi  se  présente  la  situation  politique  ;  mais  la  situation  so- 
ciale est  encore  bien  moins  satisfaisante. 

Le  mécontentement  régne  dans  les  masses  de  la  population  de 
tous  les  pays.  Dans  la  classe  ouvrière —  et,  malheureusement, 
sous  bien  des  rapports  non  sans  raison  —  les  colères  grondent, 
les  choses  en  sont  arrivées  au  point  de  laisser  prévoir  comme 
presque  probable  l'explosion  d'une  révolution,  qui,  par  sa  vio- 
lence, dépassera  toutes  ses  devancières. 

Rien  d'étonnant,  étant  donné  cette  situation,  à  voir  le  jeune 
et  énergique  empereur  Guillaume  II  intervenir  personnellement, 
afin  d'essayer  de  réconcilier  les  ouvriers  par  la  mise  en  pratique 
de  mesures  qu'on  avait  depuis  longtemps  prônées  de  différents 
côtés,  mais  que  le  chancelier  avait  toujours  énergiquement  re- 
poussées. 

Rien  d'étonnant  si  l'Empereur,  en  présence  de  la  tentative  du 
chancelier  de  placer,  de  plein  droit,  sous  sa  responsabilité  les 
autres  ministres,  qui  jusqu'ici  avaient  subi  de  plein  gré  son  as- 
cendant, tentative  visant  évidemment  à  contrecarrer  avec  une 
chance  de  succès  plus  assurée  les  projets  de  réforme  de  son 
maître,  rien  d'étonnant,  disons-nous,  si  en  présence  de  cette 
tentative,  l'Empereur  accorde  en  termes  les  plus  gracieux  la 
démission  demandée. 

Mais  comment  expliquer  cet  insuccès  final  d'un  homme  aussi 


LA   PLÉÏADK   DES    GRANDS    HOMMES    DU    SIECLE  195 

remarquablement  doué  que  le  prince  de  Bismarck  l'est  incontes- 
tablement ? 

La  cause  en  est  bien  claire. 

Protestant,  Bismarck  se  trouvait  placé  sur  le  terrain  de  la  ré- 
volution religieuse;  protestant,  il  se  croj^ait  le  droit,  voire  même 
le  devoir,  d'établir  la  domination  du  protestantisme  en  Alle- 
magne. 

La  première  étape  dans  cette  voie  fut  la  guerre  avec  l'Au- 
triche. La  seconde,  qui  avait  pour  but  le  Culturkampf,  ne  fut 
pas  atteinte;  il  fallut  même  rétrograder  derrière  la  première, 
car,  après  tout,  l'alliance  intime  avec  l'Autriche  n'est  pas  autre 
chose  que  le  rétablissement,  sous  une  forme  plus  relâchée,  do 
l'ancienne  Confédération  germanique  que  Bismarck  avait  brisée. 

Tl  devait  fatalement  échouer  dans  sa  lutte  contre  la  Révolu- 
tion, parce  que,  émancipé  de  l'autorité  religieuse,  il  disposait 
uniquement  des  ressources  de  l'intelligence  purement  humaine 
et  du  pouvoir  temporel.  Or,  celui-ci  ne  sait  pas  plus  gagner  les 
cœurs,  que  l'autre  ne  peut  convaincre  les  esprits.  L'Eglise  seule 
possède  ces  facultés. 

Avant  de  terminer,  jetons  un  coup  d'œil  rapide  sur  l'Eglise  et 
nous  constaterons  que,  dans  le  courant  du  xix*  siècle,  peu  de 
Papes  ont  porté  la  tiare;  peu  de  Papes,  mais  de  grands  Papes. 

L'Eglise  a  reçu  une  impulsion  puissante  sous  le  gouverne- 
ment de  ces  Pontifes,  et  si  un  seul  des  grands  hommes  qui  ont 
gouverné  le  monde  et  ont  tenté  de  le  délivrer  des  étreintes  de 
la  Révolution,  avait  pu  ou  voulu  s'appuyer  sur  l'Eglise,  de  quel 
succès  son  oeuvre  n'eùt-elle  pas  été  couronnée,  quel  héritage 
n'ent-il  pas  transmis  à  son  successeur? 

Puisse  Dieu  faire  bientôt  surgir  l'homme  d'Etat  qui,  compre- 
nant l'Eglise  dans  toute  sa  valeur,  se  joigne  à  Léon  XIII  pour 
continuer  la  lutte  contre  la  Révolution  !  Malgré  toutes  les  diffi- 
cultés de  la  situation,  nous  serions  certains  de  la  victoire. 

En  attendant,  rendons  grâces  à  Dieu  de  nous  avoir  démontré 
au  moyen  de  ces  quatre  grands  hommes  politiques  du  siècle, 
combien  l'empire  romain,  tel  que  les  Papes  des  siècles  anté- 
rieurs l'avaient  rétabli,  est  une  nécessité  internationale. 

J\n  1802,  le  dernier  Empereur  romain,  de  nation  allemande, 
déposa  volontairement  sa  couronne,  mais  Dieu  lui-même  main- 
tint, contre  la  volonté  des  nations,  l'in-îtitution  de  ses  vicaires, 
en  donnant  au  monde  une  série  ininterrompue  d'hommes  qui 
exercèrent  une  influence  dont  peu  d'empereurs  couronnés  purent 
se  vanter. 


19Ô  ANNALES    CATHOLIQUES 

L'Eglise  n'a  rien  modifié  dans  sa  liturgie  du  Samedi  Saint,  et 
certainement  le  jour  viendra,  il  est  peut-être  proche,  où  la  chré- 
tienté tout  entière  entonnera  au  tombeau  du  Divin  Sauveur  le 
chant  : 

Oremus  et  pro  Christianissimo. 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIE 

A  MONSIEUR  LE  PRÉSIDENT  DE  LA  CONFERENCE 

INTERNATIONALE  DE  BRUXELLES 

(Suite.   —   Voir    le    numéro    précédent.) 

Voici  quelques  traits  de  cet  apostolat  improvisé  par  les  noirs, 
tels  que  je  les  lis,  dans  les  correspondances  de  nos  missionnaires. 
Ils  sont  assez  instructifs,  en  ce  qui  concerne  le  degré  d'intelli- 
gence et  de  zélé  des  noirs,  pour  pouvoir  être  cités  : 

«  Beaucoup  de  catéchumènes,  disait  le  P.  Lourdel  dans  une 
lettre  du  9  août  .1882,  rentrés  chez  eux,  instruisent  ceux  de  leurs 
amis  qui  témoignent  le  désir  de  connaître  notre  sainte  religion. 
La  bonne  nouvelle  se  répand  donc,  de  proche  en  proche,  et 
pourra,  au  moment  marqué  par  la  divine  Providence,  procurer 
une  ample  et  abondante  moisson  d'âmes.  Plusieurs  jeunes  gens 
nous  arrivent,  de  temps  à  autre,  connaissant  déjà  une  bonne 
partie  du  catéchisme,  ce  qui  épargne  beaucoup  de  temps  et  de 
fatigue  au  missionnaire  (1).  » 

Le  même  Missionnaire  écrit,  trois  ans  plus  tard,  après  un  exil 
temporaire  : 

«  ...  Le  Bon  Dieu  a  permis  que.  les  anciens  catéchumènes  per- 
ovérent  dans  la  foi,  malgré  les  efforts  des  musulmans  pour  les 
gagner,  et  qu'ils  fissent  eux-mêmes  de  nombreux  prosélytes 
pendant  notre  absence,  pour  nous  faire  mieux  comprendre  que 
c'est  son  œuvre  à  Lui,  et  nous  mettre. dans  l'impossibilité  de 
nous  glorifier  de  ces  succès.  Boa  nombre  de  feuintes  mémo  ont 
été  instruites  pat"  leurs  époux  ou  leurs  fréi'es,  et  il  y  a  mainte- 
nant des  villages  dont  le  chef  est  chrétien,  et  qui  comptent 
jusqu'à  cent  adorateurs  du  vrai  Dieu,  de  sorte  que  nous  ne  pou- 
vons encore  connaître  exactement  le  nombre  des  fidèles  de  la 
petite  Eglise  de  l'Ouganda. 

«  Il  n'est  pas  race  de  voir  arriver  un  ancien    catéchumène, 

(1)  Lettre  du  R.  P.  Lourdel.  Ouganda.,  9  a^ùt  1882,  Missions  d'A- 
frique, BuUetia  n°  4G.  — Avril  1883,  p.    Ô5i. 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIK  197 

suivi  d'un  certain  nombre  de  prosélytes  qu'il  a  gagnés  h  Jésus- 
Christ  et  qui  n'avaient  jamais  vu  le  Missionnaire.  «  Voici  ceux 
que  j'ai  instruits,  me  dit-il,  en  mêles  présentant.  J'en  amènerai 
d'autres  à  ma  prochaine  visite.  »  Et  pour  me  montrer  leurs 
progrés  dans  l'étude  de  notre  sainte  religion,  il  leur  fait  réciter, 
séance  tenante,  les  prières  et  le  catéchisme  (1).  » 

Au  mois  de  décembre  1886,  le  R.  P.  Denoit  écrivait  de  Sainte- 
Marie  de  Roubaga  (Ouganda)  : 

«...  L'influence  des  Missionnaires  devrait,  ce  semble,  s'étendre 
à  une  sphère  restreinte.  Nullement,  car  la  divine  Providence  y 
a.  pourvu  autrement.  Tout  d'abord,  on  n'a  ir.struit  que  les  pages 
de  la  cour  ou  les  esclaves  des  grands.  Mais  bientôt  ces  pages 
sont  devenus  de  petits  chefs  au  loin,  les  esclaves  ont  suivi  leurs 
maîtres  dans  leurs  provinces  où  ils  vont  résider  quelques  mois, 
tous  les  deux  ou  trois  ans;  et  avec  l'esprit  de  prosélytisme  qui 
les  anime,  avec  le  goût  prononcé  qu'ont  tous  les  Bagandas  pour 
l'instruction,  ils  n'ont  pas  tardé  à  répandre  autour  d'eux  leur 
petit  trésor  de  science  dont  ils  font  tant  de  cas. 

«  Et  notre  religion  a  gagné  ainsi  de  nombreux  catéchumènes, 
souvent  même  à  l'insu  des  Missionnaires. 

«  De  plus,  les  Bagandas  des  provinces  doivent  apparaître  pé- 
riodiquement à  la  capitale,  pour  les  travaux  que  leur  imposent, 
soit  leurs  chefs,  soit  le  roi;  ils  y  séjournent  souvent  plusieurs 
mois,  et  alors  on  peut  terminer  leur  instruction  commencée 
chez  eux.  Les  Bagandas,  d'ailleurs,  sont  d'intrépides  marclieurs. 
Ils  font,  sans  aucune  peine,  un,  deux,  trois  jours  de  marche, 
pour  assistera  la  sainte  messe  et  recevoir  les  sacrements  (2).  » 

Enfin,  voici  ce  qu'ajoutait  le  même  Père,  dans  une  lettre  qu'il 
m'adressait,  le  8  mars  : 

«  Tous  les  jours,  il  nous  arrive  de  nouveaux  catéchumènes; 
depuis  un  an,  j'en  ai  inscrit  huit  cents,  comme  a3'ant  assisté  au 
catéchisme  que  nous  leur  faisons  tous-les  matins,  et  ce  nombre 
est  de  beaucoup  dépassé  par  celui  dos  catéchumènes  qui  n'y  ont 
pas  assisté,  mais  que  nos  néophytes  instruisent  chez  eux  dans 
les  districts  éloignés.  L'un  d'eux  me  disait  dernièrement  : 
«  Etant  passé  autrefois  dans  un  district  de  l'Ou  idou,  j'y  avais 
inscrit    deux  catéchumènes;  lorsque  j'y  suis  retourné,  j'en   ai 

(1)  Missions  d'Afrique,  Bulletin  n"  54,  Janvier  18S6,  p.  399.. 

i'2)  Missions  d'Afrique,  Bulletin  u° 68.  Novembre-DécGuibre  p.  188, 
189. 


198  ANNALES    CATHOLIQUES 

retrouvé  sept.  »  Un  autre  me  disait  qu'il  avait  été  surpris  de 
retrouver  bon  nombre  de  ses  gens  convertis.  Nos  néophytes  se 
font  catéchistes  de  leurs  amis  et  voisins,  et  c'est  ainsi  que  la 
bonne  semence  se  répand  de  proche  en  proche  (1),  » 

Ce  travail  secret  et  des  résultats  aussi  inattendus  achevèrent 
d'effrayer  ISItéça.  Il  hésita  d'abord  à  prendre  une  résolution 
violente.  Affligé  d'une  maladie  crrave,  et  ayant  pour  médecin 
l'un  de  nos  Missionnaires,  le  R.  P.  Lourdel,  il  craignait  de  les 
voir  partir.  Mais  enfin,  circonvenu,  affolé  par  les  esclavagistes, 
contraint  par  eux  d'accepter  extérieurement  la  construction 
d'une  mosquée,  le  Coran,  la  prière,  il  n'hésita  plus,  fit  d'abord 
accabler  de  menaces  et  bannit  enfin  violemment  les  Mission- 
sionnaires  catholiques  qui  durent  se  réfugier  au  sud  du  lac. 

Mtéça,  néanmoins,  ne  tarda  pas  à  mourir. 

Or,  parmi  ses  fils,  il  y  en  avait  un,  Mouanga,  qui  avait  suivi 
secrètement,  plutôt,  par  curiosité  et  par  désœuvrement  que  par 
désir  sérieux  d'embrasser  la  religion  chrétienne,  le  catéchisme 
des  Pères.  Il  s'était  même  lié,  en  apparence,  avec  eux.  Ce 
n'était  pas  le  fils  aîné  de  Mtéça.  La  loi  de  l'Ouganda,  par  une 
singularité  digne  d'attention,  exclut  de  la  succession  au  trône 
le  fils  aîné  du  roi,  afin  d'éviter,  sans  doute,  les  complots  et  les 
révolutions  de  Palais,  et  déclare  que  le  royaume  peut  être  con- 
fié à  un  autre  quelconque  des  fils  du  roi,  s'il  est  élu  et  proclamé 
par  les  grands.  Ce  fut  Mouanga,  qui,  malgré  les  intrigues  et 
les  oppositions  des  Arabes,  et  môme  en  haine  do  ceux-ci,  qui 
étaient  exécrés,  par  la  masse  des  populations,  à  cause  de  leurs 
cruautés  et  de  leur  circoncision,  condamnée,  comme  toutes  les 
mutilations,  par  les  traditions  du  pays,  fut  donné  pour  succes- 
seur à  Mtéça. 

Son  premier  acte  fut  d'envoyer  des  pirogues  aux  Mission- 
naires pour  leur  demander  de  revenir.  C'est  ce  qu'ils  firent,  et 
l'œuvre  d'évangélisation,  officiellement  interrompue,  reprit 
alors  au  grand  jour. 

Mais  les  Musulmans  n'étaient  pas  hommes  à  abandonner  le 
terrain  déjà  conquis.  Leurs  provocations,  leurs  calomnies  re- 
commencèrent. Les  lettres  de  nos  pères  sont  pleines  du  récit  de 
leurs  intrigues  et  de  leurs  menaces. 

*  Si  les  puissances  européennes,  dit  Mgr  Livinhac,  ne  pren- 
nent pas  dos  mesures  énergiques  contre  les  commerçants  arabes, 

(1)  Missions  d'Afrique,  Bulletin  n''71,  Septembre  1888,  p.  359. 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIE  199 

n'opposent  pas  la  force  à  la  force,  ils  feront,  dans  tout  l'inté- 
rieur, ce  qu'ils  viennent  de  faire  ici,  et  tous  les  blancs  devront 
reprendre  le  chemin  de  Zanzibar.  La  grande  plaie  de  l'Afrique 
Equatoriale,  ce  n'est  pas  l'esclavage,  ni  la  superstition,  ni  la 
barbarie^  ce  senties  Arabes.  Puisse-t-on  le  comprendre  dans  les 
cours  de  l'Europe,  oii  l'on  s'occupe  de  la  civilisation  de  ce 
pauvre  continent  (1)  !  » 

Le  R.  P.  Lourdel  nous  écrivit,  de  son  coté  le  8  juin  1889: 

«  Si  les  Arabes  sont  vainqueurs  dans  le  Bouganda  et  qu'ils 
continuent  à  pouvoir  s'approvisionner  impunément,  à  la  côte,  de 
fusils  et  de  poudre,  avant  un  an,  toutes  les  missions  de  ce  pays 
seront  détruites,  et  tous  les  Européens,  tant  Anglais  que  Fran- 
çais et  Allemands,  seront  probablement  massacrés.  Il  est  bien 
triste  de  penser  qu'il  se  trouve  encore  des  Européens  assez  cu- 
pides et  cruels  pour  fournir  des  armes  à  des  assassins  qui  ont 
déjà  tué  plusieurs  de  leurs  frères  et  se  préparentà  en  finir  avec 
ceux  qui  restent  à  l'intérieur.  Que  le  Bon  Dieu  leur  pardonne  ! 

«  Ces  jours  derniers,  viennent  encore  d'arriver  à  Magou  deux 
grandes  caravanes,  avec  de  la  poudre  en  quantité.  Une  autre, 
où  se  trouvent  aussi  plusieurs  Arabes,  attend  à  Masari  la  per- 
mission de  Rwoma  pour  venir  s'établir  chez  lui.  Si  les  Arabes 
se  rendent  maîtres  du  Bouganda,  ils  s'établiront  par  force  tout 
autour  du  lac  et  y  feront  en  grand  leur  détestable  commerce 
d'esclaves  (9).  » 

Mouanga  de  son  côté,  éperdu  de  terreur,  à  son  tour,  mais  ne 
pouvant  se  résoudre  à  laisser  son  sérail  noir  pour  se  faire 
catholique,  prit,  un  jour,  la  résolution  non  pas  de  massacrer 
les  missionnaires,  parce  qu'il  redoutait  la  vengeance  de  l'Europe, 
mais  de  s'opposer,  par  la  force,  à  toute  prédication,  de  con- 
traindre ceux  de  ses  sujets  qui  s'étaient  faits  chrétiens  à  renoncer 
à  leur  foi,  et  de  mettre  à  mort  tous  ceux  qui  résisteraient  à  ses 
ordres. 

Alors  commença  une  persécution  sanglante  qui,  mieux  que 
le  reste,  a  mis  dans  tout  son  jour  la  haute  valeur  de  ces  noirs  de 
l'Ouganda,  et  montré  les  droits  qu'ils  ont  à  l'estime  et  au  respect 
de  l'Europe  civilisée. 

Les  récits  des  persécutions  des  premiers  siècles  n'offrent  rien 
de  plus  admirable. 

(1)  Missions  d'Afrique,  Bulletin  n°  74,  mars-avril  1889,  p.  509. 

(2)  Missions  d'Afrique,  Bulletin  n"  78.  Novembre-décembre  1889, 
p.  631. 


200  ANNALES    CATHOLIQUES 

On  ri  recueilli  les  Actes  de  ces  nombreux  maitTres,  d'après 
les  témoins  oculaires.  J'en  ai  reçu,  de  l'Évêque  lui-même,  les 
Actes  authentiques  pour  être  communiqués  au  Saint-Siège. 

Je  veux  en  citer,  du  moins,  ici,  des  extraits  pour  que  les 
représentants  de  l'Einope  saciient  quels  hommes  se  placent,  en 
ce  moment,  sous  leur  patronage,  par  la  voix  de  leur  Pasteur. 

Voici  comment  le  P.  Lourde),  qui  en  a  été  témoin  oculaire, 
décrit  lui-même  à  son  Kvêque  les  premiers  détails  de  la  persé- 
cution, à  la  cour  même  de  Mouanga  : 

«  Je  vois  chaque  chef  cte  groupe  d'employés  réunir  ceux 

de  ses  gens  qui  ?ont  chrétiens,  ];>rés  de  la  porte  de  la  cour  dans 
laquelle  se  trouve  la  case  royale.  Plusieurs  de  nos  néophytes 
sont  pleins  de  joie;  quelques-uns  ont  l'air  un  peu  intimidés, 
tandis  que  d'autres  répondent  fièrement  à  leurs  amis  païens, 
nui  leur  disent  :  «  Vous  auriez  dû  vous  sauver  !»  —  «  Me  sau- 
«  ver  !  et  pourquoi  ?  » 

«  Charles  Louangi,  chef  du  groupe  des  pages,  dans  lequel 
nous  comptions  le  plus  de  néophytes,  est  appelé  le  premier  avec 
aa  bande.  Ils  sont  accueillis  par  des  huées,  que  domine  la  voix 
tonnante  du  roi.  Il  leur  fait  les  reproches  les  plus  amers  sur 
leur  religion,  puis  il  leur  dit  :  «  Que  ceux  qui  prient  se  rangent 
«  do  ce  côté  !  » 

«  Aussitôt  Charles  Louanga  et  Kizito,  jeune  catéchumène 
d'une  fermeté  de  caractère  tout  à  fait  rare  à  son  âge,  se  dirigent 
vers  l'endroit  désigné.  Tous  ceux  de  la  troupe  suivent  leur 
exipraple. 

«  A  un  signe  cîu  roi,  k-'S  bourreaux  se  jettent  sur  tous  ces  cou- 
rageux confesgenrs  «d'e  la  foi,  les  enlacent  dans  leurs  grosses 
cordes,  et  les  traînent  brutalement  hors  de  la  cour.  En  niême 
temps,  j'entends  les  yanzé  (remerciments)  de  leurs  compagnons 
encore  païens.  L'héroïque  petite  troupe  s'arrête  à  quelques  pas 
de  moi.  On  a  lié  ensemble  les  jeunes  gens  de  dix-huit  à  vingt- 
cimi  ans.  Les  enfants  forment  un  autre  faisceau.  Ils  sont  telle- 
ment serrés  qu'ils  ne  i)euvent  marcher  qu'à  grand'peine,  à  petits 
pas,  et  en  se  heurtant  les  uns  contre  les  autres.  » 

Voici  maintenant  les  actes  de  quelques  martyrs  isolés.  Leur 
intrépidité  et  leur  foi  suffiront  à  faire  juger  celle  des  autres, 
dont  le  nombre  a  dépassé  le  chifl're  cinquante  : 

«  André  Kagoua,  seigneur  du  pays  de  bagoa,  avait  montré 
pour  Mouanga  un  dévouement  à  toute  épreuve.  Il  était  un  des 
trois  qui  lui  découvrirent  la  conspiration  tramée  contre  lui  par 


LETTRE    DU    CARDINAL    LAVIGERIE  201 

le  ministre  et  autres  grands  du  royaume.  Intelligent, intrépide, 
affable,  prêt  à  rendre  service  à  tout  le  monde,  il  avait  su  i  o 
concilier  l'estime  et  l'aifection  de  tous  les  gens  de  bien.  Le  roi 
lui-même  l'appelait  son  mouganzi  (ami)  et  voulait  en  faire  le 
général  en  chef  de  son  armée.  Actuellement  il  commandait  à 
plusieurs  centaines  de  soldats.  Mouanga  ne  le  laissait  guère 
s'éloigner  de  la  capitale,  sachant  bien  qu'il  se  ferait  tuer  pour 
le  défendre,  en  cas  d'insurrection.  Dans  ses  chasses,  dans  ses 
promenades  sur  le  Nyanza,  André  était  toujours  à  ses  côtés.  Le 
martyre  de  Joseph  un  de  ses  amis  intimes,  mis  à  mort  sur 
Tordre  de  Mouanga,  tout  en  l'attristant  profondément,  ne  lui 
avait  arraché  aucune  plainte.  II  s'était  contenté  de  pleurer  en 
silence,  servant,  pour  obéir  à  Dieu,  son  maître  avec  la  même 
fidélité,  quoique  persuadé  que  bientôt  il  partagerait  le  sort  de 
son  ami,  car,  comme  Joseph,  il  était  chrétien.  Son  zèle  était 
connu  de  tout  le  monde. 

«  On  savait  qu'il  avait  converti  sa  femme  et  groupé  autour 
de  lui  plus  de  cent  cinquante  néophytes  ou  catéchumènes,  qui 
l'aimaient  comme  leur  père.  On  lui  reprochait  même  d'avoir 
converti  deux  enfants  du  ministi'e;  crime  énorme  qui,  en  ache- 
vant d'irriter  Katikiro  (1)  contre  le  coupable,  lui  avait  fait 
prendre  la  résolution  de  ne  rien  négliger  pour  le  perdre.  Aussi, 
dés  qu'il  vit  le  roi  résolu  à  massacrer  les  chrétiens,  s'empressa- 
t-il  de  lui  dénoncer  André,  comme  le  plus  dangereux  de  tous. 
Mouanga  hésita  d'abord  à  sacrifier  celui  qu'il  regardait  comme 
le  plus  fidèle  de  ses  amis;  mais  le  ministre  le  lui  dépeignit  sous 
des  couleurs  si  noires,  qu'il  finit,  de  guerre  lasse,  par  lui  per- 
mettre, un  jour,  d'en  faire  ce  qu'il  voudrait.  Katikiro,  craignant 
que  Kabaka  (2)  ne  revînt  sur  la  sentence  qu'il  venait  de  lui 
arracher,  fit  appeler  en  toute  hâte  Mkadjanga,  le  plus  terrible 
et  le  plus  expéditif  des  bourreaux. 

«  André  est  donc  garrotté  et  conduit  au  tribunal  du  ministre. 
Celui-ci,  aff'ectant  de  ne  pas  le  reconnaître,  lui  dit  :  «  C'est  toi 
qui  est  le  seigneur  des  Bagoa?  » 

«  André  lui  répond  avec  calme  :  «  Tu  ne  me  reconnais  donc 
pas!  Tu  m'as  vu  cependant  bien  des  fois,  et,  en  particulier,  quand 
je  suis  venu  avec  mes  gens,  te  remercier,  lors  de  ma  promotion 
au  grade  de  mgoa.  » 

«  Le  ministre  reprend  ;  «  Tu  as  instruit  mes  enfants  de  la  re- 

(1)  C'est  le  nom  qu'on  donne  au  premier  ministre  dans  l'Ouganda. 

(2)  C'est  le  nom  qu'on  donne  au  roi  dans  la  langue  du  pays. 

15 


202  ANNA.LES    CATHOLIQURS 

ligioD?  »  —  «  Oui,  répond  André,  je  les  ai  instruit^?.  »  Le  mi- 
nistre ajoute  :  «  Mkasa  (Joseph,  victime  do  la  première  persé- 
cution) t'a  donné,  avant  de  mourir,  un  fusil  pour  tuer  le  roi.  » 
—  «  Si  j'avais  eu  de  mauvais  desseins,  répond  André,  ce  fusil 
m'était-il  nécessaire  pour  les  accomplir?  Les  nombreux  fusils 
que  je  tiens  de  Mouanga  lui-même  ne  sont-ils  pas  aussi  bons 
que  celui  que  j'ai  reçu  de  Mkasa  ?  Toi-même,  tu  as  reçu  beau- 
coup de  fusils  de  Mtéça;  te  les  a-t-il  donnés  pour  tuer  son  suc- 
cesseur?... » —  «Qu'on  t'emmène  et  qu'on  te  tue  »,  conclut 
Katikiro.  Et  s'adressant  à  Mkadjanga:  «  Tue-le  à  l'instant,  lui 
dit-il  ;  je  ne  mangerai  pas  que  tu  m'aies  apporté  sa  main  coupée, 
comme  preuve  de  sa  mort.  » 

«  André,  de  son  côté,  craignant  que  Mkadjanga,  qui  lui  témoi- 
gnait quelque  compassion,  ne  retardât  l'heureux  moment  de  son 
triomphe,  lui  dit  :  «  Hâte-toi  d'accomplir  les  ordres  que  tu  viens 
de  recevoir.  Quand  le  maître  te  dit  qu'il  a  faim,  et  t'ordonne  do 
tuer  une  chèvre  grasse,  tu  te  presses,  afin  de  pouvoir  lui  servir 
à  manger  au  plus  tôt.  Tue-moi  donc  vite,  pour  t'épargner  les 
reproches  du  ministre.  Tu  lui  porteras  ma  main,  puisqu'il  ne 
peut  manger  avant  de  l'avoir  vue.  » 

€  Les  bourreaux  conduisent  André  dans  une  cour  à  quelques 
pas  de  la  hutte  de  Katikiro,  et  lui  tranchèrent  la  tête,  puis  lui 
coupèrent  la  main  qu'ils  allèrent,  en  toute  hâte,  présenter  au 
ministre...  » 

Voici  les  Actes  du  martyre  d'un  des  chefs  des  pages  du  roi  : 

«  Louanga,  chef  des  pages  chrétiens,  fut  séparé  de  ses  com- 
pagnons. Peut-être  espérait-on  les  faire  ainsi  plus  facilement 
renoncer  à  la  foi.  Le  bourreau  Senkolé,  pour  faire  preuve  de 
zèle,  pria  le  roi  de  lui  livrer  Louanga,  promettant  de  le  torturer 
comme  il  le  méritait.  Il  le  brûla  donc  lentement  en  commençant 
par  les  pieds. 

«  En  attisant  le  feu,  il  lui  disait  :  «  Allons,  que  Dieu  vienne 
et  te  retire  du  brasier  !  » 

«  Le  martyr  lui  répondait  avec  calme  :  «  Pauvre  insensé  !  tu 
ne  sais  pas  ce  que  tu  dis.  En  ce  moment,  c'est  comme  de  l'eau 
que  tu  verses  sur  mon  corps  ;  mais,  pour  toi,  le  Dieu  que  tu 
insultes  te  plongera,  un  jour,  dans  le  véritable  feu.  »  Après 
quoi,  se  recueillant  en  lui-même,  il  supporta  son  long  supplice 
sans  proférer  aucune  plainte.  » 

Le  récit  de  la  mort  de  Mathias  Mouroumba  n'est  pas  moins 
admirable  : 


LETTRE    DU    CARDINAL    LAVIGERIE  203 

«  Un  autre  de  nos  chrétiens,  digne,  lui  aussi,  de  cimenter  de 
son  sang  les  fondements  de  l'Église  naissante  du  Bouganda, 
était,  depuis  longtemps,  signalé  à  la  rage  des  ennemis  de  Dieu. 
C'est  Mathias  Monroumba,  baptisé  le  8  mai  1882.  Il  s'était  tou- 
jours montré  austère  observateur  de  la  religion,  ne  comprenant 
pas  que,  le  bon  chemin  une  fois  connu,  on  put  s'en  écarter. 
Depuis  son  baptême,  il  vivait  paisiblement  avec  sa  femme 
chrétienne  et  ses  enfants,  auxquels  il  enseignait  lui-même  le 
catéchisme  et  les  prières.  Exerçant  les  fonctions  déjuge  de 
paix  dans  un  des  principaux  districts  du  pa^'S,  il  fût  arrêté  dès 
les  premiers  jours  de  la  persécution.  On  le  conduisit  devant  le 
ministre  qui,  jetant  sur  lui  un  regard  de  mépris,  demanda  : 
«  C'est  là  Mouroumba?  C'est  lui  qui,  à  son  âge,  a  embrassé  la 
religion?  » 

—  Oui,  c'est  moi,  répond  Mathias. 

—  Pourquoi  pries-tu?  répond  le  ministre. 

—  Parce  que  je  veux  prier,  répond  Mathias. 

—  Tu  as  chassé  toutes  tes  femmes;  c'est  donc  toi-même, 
demande  Katikiro  d'un  ton  moqueur,  qui  prépares  ta  nourriture? 

—  Est-ce  à  cause  de  ma  maigreur,  demande  à  son  tour 
Mathias,  ou  à  cause  de  ma  religion  qu'on  m'a  conduit  à  ton  tri- 
bunal? 

S'adressant  aux  bourreaux,  le  ministre  dit  : 

—  Emmenez-le  et  tuez-le  ! 

—  C'est  ce  que  je  désire,  répond  Mathias. 

—  Bourreaux,  dit  Katikiro  qui  se  sentait  humilié  par  tant  de 
fermeté,  vous  lui  couperez  les  pieds  et  les  mains,  et  lui  enlèverez 
des  lanières  de  chair  sur  le  dos  ;  vous  les  ferez  griller  sous  ses 
yeux.  Et  souriant  méchamment,  il  ajouta:  «  Dieu  le  délivrera.  » 

«  Mathias,  blessé  au  vif  par  l'outrage  qu'on  fait  à  Dieu,  en 
lui  portant  un  défi,  réplique  avec  une  noble  fierté  :  «  Oui,  Dieu 
me  délivrera;  mais  vous  ne  verrez  pas  comment  il  le  fera;  car 
il  prendra  avec  lui  mon  être  raisonnable,  et  ne  vous  laissera 
entre  les  mains  que  l'enveloppe  mortelle.  » 

«  Mkadjanaga  se  mit  en  devoir  d'exécuter  consciencieusement 
l'ordre  barbare  de  Katikiro. 

«  Pour  ne  pas  être  troublé  par  les  spectateurs,  il  conduisit 
l'intrépide  chrétien  sur  la  colline  sauvage  de  Savaridja. 

«  Mathias,  les  mains  liés  et  la  corde  au  cou,  suivait  les  bour- 
reaux, d'un  pas  alerte,  et  le  visage  rayonnant  de  joie.  Son  ami, 
Luc  Banabakintou,  baptisé  le  même  jour  que  lui,  fervent  chré- 
tien comme  lui,  était  conduit  avec  lui  au  supplice. 


204  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  En  route  les  bourreaux  rencontrèrent  un  homme  qu'ils 
soupçonnèrent,  je  ne  sais  pourquoi,  d'être  chrétien,  et  sans  autre 
forme  de  procès,  le  garrottèrent  pour  le  tuer,  en  même  temps  que 
Mat'hias  et  Luc.  Mathias  intercéda  pour  lui  :  «  Je  connais  ceux 
«  qui  prient,  dit-il.  Celui-là  ne  prie  pas  ;  laissez-le  s'en  aller.  » 
Les  bourreaux  le  relâchèrent. 

«  Arrivé  au  lieu  du  supplice,  Mkadjanga,  aidé  de  ses  hommes 
coupa  avec  sa  hache  les  pieds  et  les  mains  de  Mathias,  qu'il  fit 
griller  à  ses  yeux.  L'ayant  ensuite  couché  la  face  contre  terre 
ils  lui  enlevèrent  des  lambeaux  de  chair  qu'ils  grillèrent  de 
xiiêrao.  —  Ces  horribles  tourments  n'arrachèrent  aucune  plainte 
à  l'héroïque  chrétien. 

«  -Les  bourreaux  usèrent  de  tout  leur  art  pour  empêcher 
l'écoulement  du  sang  et  ménager  ainsi  au  martyr  une  cruelle 
agonie.  Il  n'y  réussirent  que  trop  ;  car,  trois  jours  après,  des 
esclaves  qui  allaient  couper  des  roseaux,  étant  passés  par  là, 
entendirent  une  voix  qui  les  appelait.  Ils  s'approchèrent.  Le 
mourant  les  pria  de  lui  donner  un  peu  d'eau;  mais,  épouvantés 
à  la  vue  de  ce  malheureux,  si  horriblement  mutilé,  ils  prirent 
la  fuite  et  le  laissèrent  consommer  son  sacrifice,  privé,  comme 
le  divin  Maître,  du  moindre  soulagement  au  milieu  des  plus 
atroces  soufi'rances.  » 

Mais  les  excès  mêmes  de  ces  cruautés  devaient  les  empêcher 
de  se  prolonger  plus  longtemps.  (A  suivre.) 


L'EGLISE   AU   BRESIL 

I 

Il  y  a  quelques  jours,  on  lisait  dans  les  journaux  que  les 
évêques  du  Brésil  avaient  envoyé  une  lettre  au  Saint-Père  pour 
lui  exprimer  leur  profonde  satisfaction  au  sujet  du  décret 
proclamant  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat. 

Pareille  nouvelle  devait  surprendre  sous  un  double  rapport. 

La  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  est  loin  d'être  un  état  de 
choses  désirable,  l'enseignement  du  Saint-Siège  est  très  expli- 
cite à  ce  sujet;  ensuite  on  pouvait,  ajuste  titre,  ressentir  une 
vive  surprise  de  voir^le  gouvernement  révolutionnaire  du  Brésil 
prendre  des  mesures  de  nature  à  remplir  de  joie  le  cœur  des 
évêques. 

Jusqu'ici  ce  charmant  gouvernement  avait  utilisé  les  loisirs 


l'église   au    BRÉSIL  205 

que  lui  laissait  l'élaboration  de  ses  décrets  politiques,  à  donner 
des  preuves  réitérées  de  son  esprit  antireligieux. 

Un  court  aperçu  de  la  situation  de  l'Eglise  au  Brésil  fera 
comprendre  et  la  façon  d'agir  du  gouvernement  et  la  situation 
des  évêques. 

Deux  partis  alternaient  au  pouvoir  :  les  libéraux  et  les  conser- 
vateurs. On  peut  caractériser  leur  politique  envers  l'Eglise  delà 
façon  suivante. 

Les  libéraux  demandaient  la  laïcisation  des  cimetières,  le 
mariage  civil,  voir  même  la  séparation  de  l'Etat  et  de  l'Eglise. 

Les  conservateurs  par  contre,  insistaient  sur  le  maintien  des 
rapports  existants,  le  catholicisme  devait  rester  la  religion  d'Etat. 

Les  républicains,  le  troisième  groupe,  qui  subitement  s'empara 
du  pouvoir  par  un  coup  révolutionnaire,  acceptent  le  pro- 
gramme libéral,  tout  en  le  jugeant  insuffisant.  Indifférents  ou 
athées,  ces  hommes  ne  veulent  pas  d'autre  religion  que  les 
hauteurs  sereines  de  la  philosophie. 

Tout  laïciser  est  la  base  de  leur  programme.  Ils  espèrent 
porter  un  coup  mortel  à  l'Eglise  en  lui  retirant  l'appui  de  l'Etat: 
de  fait  ils  lui  rendent  le  plus  précieux  service  !  Dieu  sait  faire 
sortir  le  bien  des  menées  des  méchants,  il  en  atoujours  été  ainsi, 
et  il  en  sera  de  même  jusqu'à  la  fin  des  temps.  Nous  trouvons 
dans  cette  pensée  une  profonde  consolation  par  le  temps  de 
persécution  qui  court,  et  chaque  jour  nous  apporte  de  nouveaux 
témoignages  en  faveur  de  cette  vérité  réconfortante. 

Les  ennemis  les  plus  dangereux  de  l'Eglise  au  Brésil  étaient 
non  pas  les  libéraux  qui  ne  dissimulaient  pas  leur  désir  de 
détruire  l'Eglise,  mais  bien  les  conservateurs  qui  l'étouifaient 
sous  prétexte  de  la  protéger. 

Il  faudrait  remonter  jusqu'à  Pombal  et  à  la  persécution  odieuse 
des  jésuites  pour  montrer  les  origines  de  la  triste  situation  de 
l'Eglise  au  Brésil.  Le  jansénisme  fut  implanté  de  vive  force  et 
produisit  là  comme  partout  ses  ravages  profonds  dans  le  clergé. 
Le  cadre  trop  restreint  d'un  journal  ne  nous  permettant  pas  de 
nous  arrêter  à  cette  période  de  l'histoire  religieuse  du  Brésil, 
nous  passons  de  suite  à  la  proclamation  de  la  Constitution  brési- 
lienne de  1824. 

Cette  Constitution  concède  à  l'Empire  le  droit  absolu  de  nom- 
mer les  évêques  et  de  conférer  tous  les  bénéfices.  En  outre,  elle 
établit  le  droit  de  Placet  impérial  ;  aucun  décret  d'un  Concile, 
aucune  Bulle  Pontificale  ne  sera  valable  si  l'Empire  ne  l'ap- 
prouve pas  explicitement. 


203  ANNA.LES    CATHOLIQUES 

Et  si  Ton  veut  constater  quels  ravag&s  le  régime  de  Pombal 
et  le  Jansénisme  avaient  exercés  dans  le  clergé,  il  suffira  de 
constater  que  le  président  du  Corps  Législatif  qui  vota  une 
Constitution  violant  aussi  outrageusement  les  droits  de  l'Eglise 
et  du  Saint-Siège,  ne  futpersonne  d'autre  que  S.  G.  rarchevéque 
de  Rio-de-Janeiro  !  Ni  lui  ni  aucun  des  dix-liuit  autres  prêtres 
qui  siégeaient  à  la  Chambre  ne  trouvèrent  une  objection  à 
formuler. 

II 

Ce  serait  pourtant  une  illusion  que  do  croire  l'Etat  satisfait  de 
ses  conquêtes.  Une  loi  du  4  décembre  1827  facilite  l'exercice  du 
droit  impérial  concernant  la  collation  des  bénéfices  :  afin  d'em- 
pêcher que  l'Ordinaire  puisse  mettre  obstacle  en  refusant  d'ins- 
taller un  prêtre  trop  manifostemont  indigne,  la  loi  décrète  que 
l'installation  pourra  se  faire  par  n'importe  quel  évoque.  Une 
autre  violation  des  droits  épiscopaux  est  le  but  de  la  loi  du 
27  février  1844,  qui  confère  aux  Chambres  provinciales  le  droit 
de  créer  des  paroisses,  sans  avoir  à  s'inquiéter  du  consente- 
ment de  l'évêque.  Mentionnons  encore  dans  cette  anthologie  de 
lois  brésiliennes  celle  du  21J  janvier  186G,  qui  défend  aux  évê- 
ques  de  franchir  les  limites  de  leur  diocèse,  sans  avoir  obtenu 
l'autorisation  préalable  du  Gouvernement. 

Il  va  sans  dire  que  le  Gouvernement  s'est  muni  de  tout  un  ar- 
senal de  lois  pour  réprimer  et  punir  les  abus  de  pouvoir  des 
évêques.  Parler  du  «  pouvoir  »  des  évêques  brésiliens,  c'est 
pousser  un  peu  loin  l'ironie  ! 

Déjà  en  1827,  le  Saint-Siège,  ému  de  la  triste  situation  de 
l'Eglise  au  Brésil,  essaya  d'enra^'er  les  progrès  du  mal  en  fai- 
sant une  concession  immense  au  pouvoir  civil. 

Léon  XllI  espérait  empêcher  de  nouveaux  empiétements,  en 
allant,  dans  sa  mansuétude  et  dans  sa  sagesse,  jusqu'aux  der- 
nières limites  possibles.  Il  accorda  à  l'Empereur  des  droits  de 
patronnât  sur  toutes  les  églises  et  bénéfices  de  l'Empire. 

Sait-on  quel  accueil  la  Bulle  pontificale  reçut  ? 

La  commission  des  affaires  ecclésiastiques  de  la  Chambre  des 
représentants,  commission  presque  exclusivement  composée  de 
prêtres,  déclara  la  Bulle  inutile,  l'Empereur  possédant  cousti- 
tutionnellement  tous  les  droits  que  le  Pape  veut  lui  conférer. 
Sur  quoi  Sa  Majesté  refusa  sonPlacot  à  la  Bulle  ! 

On  se  souvient  encore  du  conflit  du  gouvernement  avec  les 


l'église    au    BRÉSIL  207 

évêques  de  Para  et  de  Pernambouc.  Ces  dignes  prélats  ayant 
refusé  de  laisser  servir  les  églises  à  la  glorification  de  la  franc- 
maçonnerie,  furent  condamnés  à  quatre  ans  de  travaux  forcés 
et  jetés  en  prison.  Le  tribunal  constata  un  «  abus  de  pouvoir  », 
les  Evêques  n'avaient  pas  le  droit  de  se  montrer  hostiles  à  la 
Franc-Maçonnerie,  la  Bulle  condamnant  la  Franc-Maçonnerie 
devant  être  considérée  par  les  Evêques  comme  non  avenue, 
parce  qu'elle  n'est  pas  munie  du  Placet  impérial  ! 

Le  tableau  serait  incomplet  si  nous  omettions  de  mentionner 
que  cette  inique  campagne  contre  les  évêques  de  Para  et  de 
Pernambouc  fut  entreprise  par  un  ministère  conservateur, 
ayant  à  sa  tête  le  vicomte  de  Rio  Branco,  grand-rnaitre  de  la 
franc-maçonnerie  brésilienne. 

Il  va  de  soi  que  les  ordres  religieux  n'avaient  rien  à  envier  au 
clergé  séculier.  Les  propriétés  de  beaucoup  d'ordres  sont  déjà 
confisquées,  le  vol  d'autres  est  décidé  en  principe.  Personne 
n'ose  entrer  en  religion  ou  faire  ses  vœux  sans  autorisation  du 
gouvernement  (décrets  du  30  janvier  1834  et  du  20  mai  1855). 

On  croira  peut-être  qu'en  compensation  de  son  ingérence 
dans  le  domaine  spirituel,  le  gouvernement  procurait  au  clergé 
une  situation  matérielle  tolérable. 

Ce  serait  une  erreur  profonde  ;  le  gouvernement  a  soin  de 
tenir  le  clergé  dans  un  état  de  dénùment  complet.  Les  choses  en 
sont  arrivées  au  point  que  le  bas  clergé  est  forcé  de  se  créer 
des  ressources  en  pratiquant  un  métier  ou  en  faisant  un  petit 
commerce.  L'influence  du  clergé  sur  le  peuple  est  nulle,  et 
pour  empêcher  qu'il  n'agisse  sur  la  jeunesse,  l'accès  de  l'école 
lui  est  interdit. 

Dans  un  droit  civil  et  ecclésiastique,  le  sénateur  Candido 
Mendês  de  Almeida  peut  dire  avec  beaucoup  de  vérité  : 

«  L'Eglise  telle  que  nous  l'avons  au  Brésil,  n'est  qu'une 
«  esclave,  et  comme  telle  elle  n'est  qu'un  sujet  de  dérision 
«  pour  le  siècle,  un  instrument  inefficace  pour  le  bien,  un  poids 
«  de  plomb  pour  la  société.  » 

Voilà,  en  effet  ce  que  les  conservateurs  ont  fait  de  l'Eglise. 
Les  libéraux  et  les  révolutionnaires  ont  cru  le  moment  de  lui 
donner  le  coup  de  grâce.  Ils  jugent  le  moment  opportun  de 
rejeter  hors  de  l'État  l'Eglise.  Ils  pensent  —  et  humainement 
ils  ont  raison  —  que  cette  Eglise,  affaiblie  outre  mesure, 
dépourvue  de  toute  influence,  démoralisée  par  la  corruption 
d'un  esclavage  plus  que  séculaire,  périra  dès  qu'elle  sera 
dépouillée  de  sa  situation  légale. 


208  ANNALES     CATHOLIQUES 

Nous,    par   contre,    nous    comprenons  qu'un   ra^'on  d'espoir 

vienne   illuminer   les    cœurs    de  ces   pasteurs,    si  cruellement 

éprouvés. 

Les.  révolutionnaires  sauveront  l'Eglise  en  croyant  la  tuer. 
Voici  le  texte  du  décret  du  gouvernement  provisoire  du  Brésil 

sur  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat;  ce  décret  est  daté  du 

7  février  : 

Art. —  i'=^  Il  est  défendu  àTautorité  fédérale  ainsi  qu'à  celle  des  États 
fédérés,  d'établir  des  lois,  règlementsou  actes  administratifs,  établis- 
sant quelque  religion  ou  l'empêchant,  et  de  créer  des  différences 
entre  les  habitants  du  pays  ou  dans  les  services  rétribués  aux  frais 
du  budget,  pour  motif  de  croyances  ou  d'opinions  philosophiques  o* 
religieuses. 

Art.  2.  —  Toutes  les  confessions  religieuses  ont  également  la 
faculté  d'exercer  leur  culte,  de  se  gouverner  suivant  leur  foi,  et  elles 
ne  seront  pas  contrariées  dans  les  actes  particuliers  ou  publics  qui 
intéressent  l'exercice  de  ce  droit. 

Art.  3.  —  La  liberté  ci-dessus  instituée  ne  concerne  pas  seulement 
les  individus  dans  les  actes  individuels,  mais  aussi  les  églises,  asso- 
ciations et  instituts  dans  lesquels  ils  se  trouvent  réunis  ;  tous  ont  le 
plein  droit  de  se  constituer  et  de  vivre  en  communauté,  selon  leur 
credo  et  leur  discipline,  sans  intervention  du  pouvoir  public. 

Art.  4.  —  Le  patronat  est  supprimé  avec  ses  institutions,  recours 
et  prérogatives. 

Art.  5.  —  Toutes  les  églises  et  confessions  religieuses  jouissent  de 
la  personnalité  juridique,  pour  acquérir  des  biens  et  les  administrer, 
dans  les  limites  posées  par  les  lois  concernant  la  propriété  de  main- 
morte, chacune  conservant  le  domaine  de  ses  biens  actuels  ainsi  que 
des  édifices  de  son  culte. 

Art.  G.  —  Le  gouvernement  fédéral  continue  à  payer  le  traitement 
ordinaire  des  ministres  actuels  de  culte  catholique  et  subventionnera 
pour  un  an  les  chaires  des  séminaires  ;  chaque  Etat  est  libre  de  main- 
tenir les  futurs  ministres  do  ce  culte  ou  de  tout  autre,  sans  contre- 
venir aux  articles  précédents. 


LA  JEUNESSE  CATHOLIQUE  D'ITALIE  AU  VATICAN 

Le  deuxième  dimanche  après  Pâques,  qui  porte  le  titre  tou- 
chant du  Bon  Pasteur,  le  Souverain  Pontife  a  accueilli  en  vrai 
Père  et  Pasteur  suprême  le  grand  pèlerinage  de  la  Société  de 
la  Jeunesse  catholique  d'Italie. 

Avant  de  venir  à  cette  solennelle  audience,  tous  les  pèlerins, 
au  nombre  d'environ  cinq  mille,  accourus  de  tous  les  diocèses 


LA   JEUNESSE    CATHOLIQUE    d'iTALIE  AU    VATICAN  209 

^'Italie  et  unis  ensemble  dans  un  même  sentiment  de  foi  et  de 
-dévouement,  s'étaient  rendus,  le  matin,  à  la  basilique  Vaticane, 
pour  y  assister  à  la  messe  que  S,  Em.  1©  cardinal  Oreglia  di 
.Santo  Stefano,  protecteur  de  la  Société  de  la  Jeunesse  catho- 
lique, a  célébrée  à  l'autel  de  la  Chaire.  Là,  Son  Eminence  a 
donné  à  tous  les  pèlerins  la  sainte  Communion,  pendant  que 
sous  les  voûtes  de  la  basilique  retentissaient  les  accents  du 
Pange  lingua.  Ensuite,  Mgr  Graselli,  archevêque  des  Colosses, 
leur  a  adressé  une  éloquente  et  chaleureuse  exhortation  pour 
les  confirmer  dans  leurs  saintes  résolutions.  C'est  là  aussi  que 
Jeur  ont  été  distribuées,  comme  insignes  du  pèlerinage,  les 
croix  bénites  en  étoffe  rouge  lisérée  de  blanc  portant  cette 
^lîevise  :  Domino  Christo  servire. 

C'est  décorés  de  ces  insignes  qu'ils  ont  paru  plus  tard  dans  le 
palais  du  Vatican,  pour  y  être  admis  à  l'audience  du  Saint-Père. 
Eu  égard  au  grand  nombre  de  pèlerins,  on  a  choisi  pour  l'au- 
dience la  vaste  salle  de  la  Loggia,  au-dessus  du  vestibule  de 
Saint-Pierre.  A  11  heures,  toute  la  salle  était  déjà  remplie,  et 
les  derniers  arrivés  ont  été  forcés  de  rester  dans  la  salle  Royale, 
qui  est  voisine,  ou  sous  les  arceaux  qui  précédent  la  salle  de  la 
Loggia.  Au  reste,  toute  la  foule  des  pèlerins,  auxquels  s'étaient 
jointes  les  députations  des  sociétés  catholiques  de  Rome,  a  pu 
se  ranger  avec  le  meilleur  ordre,  sous  la  direction  des  jeunes 
gens  du  cercle  de  Saint-Pierre,  soit  sur  le  passage  du  Pape, 
soit  dans  la  salle  même  de  l'audience,  où  flottaient  au  milieu 
des  rangs  compactes  des  assistants,  les  riches  bannières  des 
divers  groupes  du  pèlerinage. 

A  la  tête  des  pèlerins  se  trouvait  le  comité  de  direction  de  la 
Société  de  la  Jeunesse  catholique  d'Italie,  avec  son  président 
général,  M.  le  commandeur  AUiata.  Près  du  trône,  se  tenaient 
les  évêques  d'Italie  qui  avaient  accompagné  les  pèlerins  de 
leurs  diocèses,  à  savoir  LL.  EEm.  le  cardinal  Sanfelice,  arche- 
vêque de  Naples  ;  le  cardinal  Siciliano  di  Rende,  archevêque 
de  Bénévent  ;  le  cardinal  Celesia,  archevêque  de  Palerme  ; 
NN.  SS.  les  archevêques  de  Pérouse,  de  Sienne,  de  Tarente,  de 
Chieti,  de  Salerne,  et  les  évêques  d'Aversa,  d'Ancône,  d'Acqua- 
pende,  de  Narni,  de  Lorette,  de  Fano,  de  Poggio  Mirteto,  de 
Montefiascone,  d'Osimo,  de  Pontremoli,  de  Corneto  et  Civita- 
vecchia,  de  Rimini.  Il  y  avait  aussi  NN.  SS.  les  évêques  de 
Gand  et  du  Puy,  arrivés  à  Rome  ces  jours-ci;  de  même  que 
parmi  les  cardinaux  qui  ont  précédé  vers  midi  la  venue   du 


210  ANNALES    CATHOLIQUES 

Saint-Père,  on  remarquait,  outre  les  trois  cardinaux  italiens 
accompagnant  le  pèlerinage  et  indiqués  plus  haut,  l'Enae  car- 
dinal Place,  archevêque  de  Rennes,  auprès  de  LL.  EEra.  Mo- 
naco La  Valetta,  Vanutelli,  Rampolla,  Aloisi,  Verga,  Apolloni, 
Macchi,  Mazzella,  soit  en  tout  douze  princes  de  l'Eglise  et  vingt 
archevêques  et  évèques. 

Tout  près  du  trône,  avaient  également  pris  place  une  députa- 
tion  spéciale  venue  avec  le  pèlerinage  pour  demander  au  Sou- 
verain Pontife  l'introduction  de  la  cause  de  béatification  du 
vénérable  serviteur  de  Dieu  Alexandre  Luxago,  illustre  patri- 
cien de  Brescia,  contemporain  de  saint  Charles  Borromée  et  do 
saint  Philippe  de  Néri  et  dont  les  vertus  laissées  en  exemple 
aux  fidèles  laïques  allaient  être  rappelées  dans  l'adresse  du 
pèlerinage  et  à  la  fin  dn  discours  de  Sa  Sainteté. 

La  lecture  de  l'adresse,  exprimant  les  plus  fermes  et  invio- 
lables résolutions  d'attachement  au  Vicaire  de  Josus-Christ,  a 
été  faite  au  pied  du  trône  par  M.  le  commandant  AUiata,  en  sa 
(|ualité  de  président  de  la  Société  de  la  Jeunesse  catholique 
d'Italie. 

Le  Souverain  Pontife  v  a  répondu,  d'une  voix  claire  et  vi- 
brante, par  un  de  ces  discours  inoubliables  qui  tracent  tout  un 
programme  et  résument  toute  une  situation. 

Votre  présence  et  vos  paroles,  très  chers  Fils,  sont  pour 
Nous  le  sujet  d'une  vraie  et  fortifiante  consolation.  Les 
manifestations  catholiques  des  Italiens  ont  à  Nos  yeux  une 
valeur  spéciale,  à  cause  des  liens  tout  particuliers  qui  les 
unissent  au  Pontife  romain,  et  plus  encore  des  conditions 
difficiles  que  leur  créent  le  conflit  existant  entre  l'Italie 
officielle  et  la  Papauté  et  l'attitude  hostile  prise  par  celle-là 
contre  celle-ci. 

Parmi  les  graves  sollicitudes  du  ministère  apostolique 
que  Nous  exerçons,  l'une  des  plus  amères  et  des  plus  poi- 
gnantes est  celle  qui  concerne  les  conditions  de  l'Eglise  en 
Italie,  la  religion  et  la  foi  du  peuple  italien.  Que  si  toujours 
Nous  avons  dû  signaler  les  périls  qui  la  menacent,  aujour- 
d'hui Nous  avons  un  motif  d'autant  plus  juste  de  le  faire 
que  depuis  quelque  temps,  ces  périls  sont  devenus  plus 
graves. 

Les  faits  d'ailleurs  parlent  d'eux-mêmes.  La  guerre  que^ 


LA    JEUNESSE    CATHOLIQUE   d'iTALIE    AU    VATICAN  211 

par  esprit  de  haine  satanique,  les  sectes  dirigent  contre  la 
religion  catholique  est  ouvertement  soutenue  ici  par  les 
pouvoirs  publics,  lesquels  se  sont  publiquement  déclarés  en 
faveur  de  ces  mêmes  sectes.  Les  lois,  les  actes  qui,  de  prés 
ou  de  loin,  concernent  l'Eglise  et  la  religion  se  font  ici 
sous  l'inspiration  directe  des  sectes,  auxquelles  tout  obéit. 

Il  est,  en  effet,  d'une  évidence  tangible  que  les  actes  du 
pouvoir  public  dans  la  politique  concernant  l'Eglise  répon- 
dent pleinement  à  leurs  aspirations  et  à  leurs  coupables 
desseins,  qui  désormais  ne  sont  plus  un  mystère  pour  per- 
sonne. Il  suffit  de  rappeler  les  articles  du  nouveau  Code 
contre  le  clergé,  les  scandales  du  mois  de  juin  dernier,  le 
discours  de  Païenne,  la  loi  proposée  sur  les  Œuvres  pies  et 
les  autres  qui  sont  en  préparation.  C'est  la  continuation  de 
la  guerre  qui  fut  commencée  par  la  destruction  de  la  sou- 
veraineté civile  des  Souverains  Pontifes  et  qui,  au  cours  de 
l'exécuiiou,  s'est  manifestée  de  plus  en  plus  telle  qu'elle 
était  dés  le  commencement  dans  les  intentions  des  agita- 
teurs, une  guerre  à  outrance  et  sans  trêve  contre  la  reli- 
gion et  contre  l'Eglise  de  Jésus-Christ. 

En  présence  de  cet  état  de  choses,  le  devoir  s'impose 
aux  catholiques  italiens  de  se  montrer  tels  qu'ils  sont,  à 
visage  découvert,  et  de  tout  affronter  et  endurer  pour  con- 
server l'inestimable  trésor  de  la  foi.  Il  ne  peut  y  avoir 
aujourd'hui  que  deux  camps  nettement  tranchés  :  le  camp 
des  catholiques  résolus  à  rester  toujours  unis  et  à  tout  prix 
avec  les  évêques  et  avec  le  Pape,  et  le  camp  ennemi  qui  les 
combat.  Ceux  qui,  par  lâcheté,  craignent  de  se  montrer  et 
qui  aiment  rester  entre  les  deux  camps  vont  grossir  par  là 
même,  d'après  la  parole  divine,  les  rangs  des  ennemis. 

Aussi  ne  pouvons-Nous  faire  moins,  très  chers  Fils,  que 
de  vous  féliciter  sincèrement  et  d'apprécier  comme  il  con- 
vient votre  hommage,  la  profession  ouverte  de  votre  foi,  les 
protestations  de  votre  parfaite  union  avec  Nous. 

Par  là,  non  seulement  vous  remplissez  un  devoir  sacré 
de  religion,  mais  vous  donnez  aussi  la  preuve  que  vous  êtes 
les  amis  les  plus  sincères  de  votre  pays.  Nous  savons  qu'il 
existe  des  gens  qui  vous  accusent  de  ce  chef  d'en  être  les 


212  ANNALES    CATHOLIQUES 

ennemis  ;  mais,  si  l'on  doit  juger  d'après  les  faits  entre  vous 
et  vos  accusateurs,  considérez  quels  services  rendent  à 
l'Italie  ceux  qui  prétendent  être  seuls  à  l'aimer.  Ils  mettent 
tout  en  œuvre  pour  déraciner  du  cœur  des  Italiens,  la 
religion,  premier  bien  ou  plutôt  trésor  d'immenses  biens 
pour  les  Etats,  de  même  que  pour  les  individus,  et  sans 
laquelle  croulent  les  fondements  de  la  société  humaine.  Les 
bonnes  et  saines  mœurs,  de  la  pureté  desquelles  dépendent, 
en  grande  partie  la  prospérité  des  familles  et  la  force  des 
nations,  se  corrompent  profondément  de  jour  en  jour,  par 
l'affaiblissement  du  sentiment  religieux  qui  en  est  l'àme  et 
le  soutien  ;  et  si  l'on  ajoute  à  cela  les  causes  si  fortes  et  si 
nombreuses  de  perversion  par  la  licence  en  tout  ordre  de 
choses,  il  y  a  vraiment  de  quoi  rester  épouvanté  au  sujet 
ces  générations  à  venir. 

Nous  ne  parlons  pas  du  bien-être,  ni  de  la  prospérité 
matérielle,  car  tout  le  monde  voit  à  quelle  misérable  con- 
dition elle  est  réduite. 

Or,  Nous  le  demandons,  qui  est-ce  qui  aime  le  plus  et  le 
mieux  l'Italie  ?  De  ceux  qui  la  veulent  religieuse,  de  bonnes 
mœurs,  florissante  et  bénie  de  Dieu,  ou  de  ceux  qui  s'effor- 
cent de  lui  ravir  toutes  ces  ressources  de  bénédictions  et  de 
prospérité  ?  De  ceux  qui  la  veulent  en  paix  avec  le  Pape  et 
avec  l'Eglise,  et  par  là  m.ême  aimée  et  respectée  au  dehors, 
ou  de  ceux  qui  se  plaisent  à  attiser  dans  son  sein  le  plus 
funeste  des  conflits,  qui  en  affaiblit  les  forces  et  l'expose  con- 
tinuellement de  la  part  des  ennemis  aux  plus  graves  périls? 
De  ceux  qui  la  veulent  fidèle  à  Dieu  et  à  la  religion  des 
ancêtres,  ou  de  ceux  qui  la  livrent  en  proie  aux  sectes,  dont 
la  malfaisante  influence  finit  par  déchaîner  les  passions  des 
multitudes  et  par  laisser  la  société  sans  défense  contre  tant 
d'éléments  subversifs  qui  prévalent  ?  A  qui  a  du  bon  sens 
de  faire  la  réponse. 

C'est  pourquoi,  très  chers  Fils,  tenez-vous  de  plus  en  plus 
unis  à  l'Eglise  et  au  Pape,  en  vous  laissant  guider  par  les 
deux  plus  nobles  amours,  celui  de  la  religion  et  celui  de  la 
patrie. 

Les  devoirs  que  Nous  avons  naguère  rappelés  et  inculqués 


LA.  JEUNESSE  CATHOLIQUE  d'iTALIE  AU  VATICAN  213 

à  tous  les  catholiques,  c'est-à-dire  l'amour  de  l'Eglise, 
l'attachement  à  la  foi,  le  courage  de  professer  la  foi  et  de  la 
défendre,  l'union  avec  Nous  et  avec  l'Episcopat,  la  con- 
corde de  sentiments  et  d'action,  l'éducation  chrétienne 
des  enfants,  ces  devoirs  en  cette  solennelle  circonstance, 
nous  les  rappelons  et  inculquons  de  nouveau  à  vous,  qui  êtes 
les  plus  prés  de  tous  de  ce  Siège  Apostolique  et  qui  avez  à  son 
égard  des  devoirs  plus  particuliers.  Remplissez-les  avec  une 
constante  fidélité,  en  témoignage  de  respect  au  Pontife 
romain  et  d'obéissance  à  l'Eglise.  Inspirez-vous  à  l'appui 
des  nobles  exemples  laissés  par  le  vénérable  Luxago,  dont 
vous  avez  rappelé  tout  à  l'heure  le  souvenir,  et  par  tant 
d'autres  héros  dont  l'Italie,  grâces  à  Dieu,  a  toujours  été 
la  mère  féconde. 

Enfin  ayez  grandement  à  cœur  Notre  liberté  et  l'indépen- 
dance vraie  que  Nous  réclamons  et  réclamerons  toujours 
pour  Notre  ministère  apostolique,  et  dont  la  sauvegarde 
consiste  dans  une  vraie  et  réelle  souveraineté. 

Ces  paroles,  chers  Fils,  gravez-les  profondément  dans 
vos  cœurs,  emportez-les  et  répandez-les  dans  vos  pays. 
Emportez-y  aussi  la  bénédiction  apostolique  que  Nous 
accordons  avec  une  vraie  effusion  d'amour  paternel  à  vous 
tous  ici  présents,  à  vos  cercles,  à  vos  familles  et  à  tous  les 
catholiques  italiens. 

Aux  passages  saillants  de  ce  discours,  l'enthousiasme  de  l'as- 
sistance n'a  pu  s'empêcher  de  se  manifester  par  des  vivats  et 
des  acclamations  d'un  élan  irrésistible  qui,  à  la  lin,  ont  revêtu 
le  caractère  d'une  magnifique  ovation  en  l'honneur  de  l'auguste 
Pontife. 

Après  cet  admirable  discours  et  pendant  que  durait  encore 
dans  l'immense  foule  l'impression  qui  s'est  traduite  par  des 
acclamations  enthousiastes,  le  Souverain  Pontife  a  daigné 
admettre  au  baisement  du  pied  tous  les  membres  du  comité  de 
direction  de  la  Société  de  la  jeunesse  catholique  d'Italie,  ainsi 
que  la  députation  spéciale  venue  pour  demander  la  prompte 
introduction  de  la  cause  de  béatification  du  vénérable  Luxago 
et  présentée  au  Saint-Père  par  le  prince  D.  Thomas  Antici- 
Mattei. 


214  ANNALES    CATHOLIQUES 

Cette  députation  comprenait  :  le  postulateur  de  la  cause,  le 
R.  P.  Antoine  Cottinelli,  deBrescia,  de  la  congrégation  de  l'Ora- 
toire, qui  a  offert  à  Sa  Sainteté  un  tableau  représentant  le  véné- 
rable serviteur  de  Dieu  ;  "M.  l'abbé  Charles  Locatelli,  assistant 
ecclésiastique  du  cercle  de  la  Jeunesse  catholique  de  Milan; 
M.  le  chanoine  D.  Antoine  Averoldi,  descendant  de  la  famille  du 
vénérable  Luxago  ;  M.  le  comte  Louis  Martinengo  et  RI,  Montini, 
directeur  du  Ciltadino,  de  Brescia,  qui  tous  ont  présenté  au 
Saint-Père  de  précieux  volumes  contenant  les  suppliques,  avec 
d'innombrables  signatures  à  l'appui  de  l'introduction  delà  cause 
de  béatification. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Le  voyn.ce  de  M.  Carnot.  —  Pluie  et  discourvS.  —  Au  Conseil  municipal  de 
Pai'is.  —  Autres  discours.  —  La  manifestation  du  1""  mai.  —  Bismarck 
et  CJuillaum'^  II.  — Le  nouveau  chancelier  au  Landtag. 

24  avril  1890. 

Et  depuis  que  M.  Carnot  est  parti  en  voyage  dans  le  midi, 
la  pluie  tombait,  tombait,  tombait  toujours  !  A  Arles,  à  Aix,  à 
Marseille,  en  Corse,  il  pleut,  et  l'impassible  président  ne  sour- 
cille pas  plus  sous  cette  pluie  du  ciel  que  sous  celle  des  innom- 
brables discours  dont  on  l'abreuve. 

C'est  un  homme  qui  supporte  bien  l'eau  ! 

Mais  quel  métier  !  Vous  qui  repassez  dans  votre  souvenir  tous 
les  charmes  d'un  voyage  d'agrément,  au  gré  de  votre  fantaisie, 
pouvez-vous  assez  vous  représenter  l'infortune  de  celui  qui,  pen- 
dant une  dizaine  de  jours,  ne  peut  ni  dire  un  mot  ni  faire  un 
geste  qui  ne  soient  épiés  et  commentés  par  les  argus  d'une 
presse  à  l'affiit  du  moindre  indice  de  nature  à  satisfaire  la  cu- 
riosité publique  ?  Mais  aussi  quelle  précieuse  faculté  pour  un 
chef  de  l'Etat  que  d'être  à  la  fois  laconique  et  sobre  de  mouve- 
ments. Peut-être  nos  Méridionaux  voudraient-ils  quelque  chose 
de  plus,  quelques  belles  images  à  la  Gambetta,  lancées  à  j)leine 
voix  et  appuyées  par  une  mimique  éloquente.  Mais  il  faut  sa- 
voir varier  ses  plaisirs,  et  puis  il  y  aura  toujours  des  discours, 
des  promesses,  des  revues  militaires,  et  «  autrement»,  comme 
on  dit  entre  Avignon  et  Marseille,  ce  scia  toujours  cela  de  ga- 
gné sur  la  monotonie  de  la  vie  de  province. 

Quant  aux  déductions  que  les  politiciens  habiles  ont  pour  ha- 
bitude de  tirer  des  voyages   présidentiels,  en  ce  qui  concerne 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  215 

leur  influence  sur  les  résultats  électoraux,  il  en  faut  beaucoup 
rabattre.  Certes,  M,  Carnot  a  reçu  en  1888,  lors  de  sa  visite 
dans  la  Seine-Inférieure  un  accueil  sympathique.  Cela  n'a  pas 
empêché  qu'en  1890  l'opposition  ait  gagné  dans  ce  département 
deux  sièges  de  députés,  et  il  s'en  est  fallu  de  bien  peu  qu'elle  ne 
réussît  dans  quatre  circonscriptions,  tout  en  disputant  vive- 
ment le  terrain  sur  d'autres  points.  Il  faut  donc  laisser  modes- 
tement aux  voyages  de  M.  Carnot  leur  véritable  caractère.  Ils 
ne  sauraient  effacer  l'impression  causée  par  les  ministres  s'ils 
font  de  mauvaise  politique,  et  toutes  les  félicitations  obligatoires 
qu'il  peut  recueillir  n'empêcheraient  pas  un  mécontentement 
légitime  à  son  heure.  A  part  cela,  nous  souhaitons  sincèrement 
que  sa  visite  à  la  Corse  contribue  à  apaiser  les  passions  dans 
l'île  chère  à  Mérimée,  et  à  raffermir  les  liens  qui  l'attachent  à 
la  mère-patrie. 

On  ne  saurait  passer  sous  silence  l'attitude  à  la  fois  correcte 
et  déférente  de  M.  Carnot  et  du  clergé  dans  l'échange  de  leurs 
compliments,  et  l'affectation  de  courtoisie  qui  a  caractérisé  les 
rapports  entre  le  président  de  la  république  et  l'amiral  repré- 
sentant le  roi  d'Italie.  Il  ne  faut  pas  en  conclure  à  priori^  sur- 
tout après  l'expulsion  des  journalistes  français,  que  M.  Crispi 
devient  moins  gallophobe.  Mais  on  peut  supposer  que,  subissant 
le  mot  d'ordre  qui  lui  vient  de  Berlin,  il  juge  opportun  d'apporter 
quelques  atténuations  à  une  politique  dont  les  résultats  sont 
durement  appréciés  en  Italie  et  ailleurs. 

En  présentant  le  clergé,  l'archevêque  d'Aix,  Mgr  Gouthe- 
Soulard,  s'est  exprimé  en  ces  termes  : 

Monsieur  le  président  de  la  République, 

Après  un  voyage  dans  le  Midi,  Louis  XIII  parla  en  ces  termes  de 
notre  Provence  ;  «  A  Arles,  dit-il,  j'ai  été  reçu  comme  un  gentil- 
homme; à  Marseille,  comme  un  Roi,  à  Aix,  comme  \\n  Dieu.  »  Vous 
serez  plus  simple,  mais  non  moins  vrai,  monsieur  le  président  de  la 
République,  en  disant  que  nous  vous  avons  reçu  comme  le  représen- 
tant de  Dieu  qui  a  créé  les  deux  sociétés  religieuse  et  civile,  et  les 
a  unies  dans  un  ensemble  harmonieux  et  puissant. 

Nous,  catholiques  de  conviction  et  de  pratiques,  nous  surtout, 
clergé  qui  tiendrons  la  dernière  école  de  respect,  si  le  respect  venait 
à  disparaître  de  ce  monde,  nous  croyons  et  nous  enseignons  que 
toute  autorité,  la  plus  humble  tout  aussi  bien  que  la  plus  élevée,  est 
une  délégation  divine. 


:216  ANNALES     CATHOLIWUKS 

Nous  embrassons  dans  un  même  amour  et  un  même  dévouement  la 
patrie  céleste  et  la  patrie  française,  rsotre  conduite  n'aura  jamais 
■d'autre  inspiration.  Chaque  jour,  nous  demandons  à  Dieu  de  vous 
accorder  les  grâces  et  la  force  nécessaires  pour  porter  vaillamment  et 
chrétiennement  le  noble  fardeau  qui  vous  a  été  imposé  en  son  nom  et 
par  la  volonté  nationale. 

Je  suis  heureux,  monsieur  le  président,  de  vous  exprimer  les  sen- 
timents religieux  et  patriotiques  qui  remplissent  les  cœurs  de  mes 
prêtres  et  de  mes  diocésains,  en  vous  remerciant  des  quelques  heures 
■que  vous  nous  consacrez  dans  votre  rapide  passage.  Nous  en  conser- 
verons le  souvenir  dans  notre  vieille  cité,  qui  met  sous  votre  protec- 
tion la  conservation  de  tous  ses  privilèges  séculaires. 

La  visite  d'un  chef  de  l'Etat  est  un  acte  de  bon  gouvernement, 
parce  que  c'est  un  acte  paternel.  Le  premier  Français  par  la  dignité 
est  le  premier  serviteur  de  la  France.  C'est  ainsi  que  vous  l'entendez, 
monsieur  le  président,  et  nous  tous  à  votre  suite.  Ce  sera  votre  plus 
grand  honneur  qui  vous  associera  à  sa  propre  immortalité. 

M.  Carnot  a  répondu  ainsi  à  l'archevêque  : 

C'est  en  citoyen,  et,  si  ce  n'est  comme  le  premier,  c'est  au  moins 
comme  le  plus  dévoué  que  je  vous  remercie  et  vous  suis  reconnais- 
sant de  voir  allier  à  vos  sentiments  religieux  les  sentiments  de  patrio- 
tisme qui  doivent  inspirer  votre  clergé. 

Mgr  Robert,  évêque  de  Marseille,  a  prononcé  rallocution 
suivante  en  présentant  ses  grands-vicaires  ainsi  que  les  membres 
du  chapitre  et  du  clergé  de  la  ville  : 

Monsieur  le  Président, 

J'ai  l'honneur  de  vous  offrir,  au  nom  de  mon  clergé  et  en  mon 
propre  nom,  l'hommage  de  notre  respect  et  de  voua  affirmer  notre 
amour  patriotique  de  la  France.  Les  prêtres  de  mon  diocèse  et  moi, 
nous  avons  au  cœur  un  double  amour  :  l'amour  de  l'Eglise  et  l'amour 
de  la  Patrie.  Ces  deux  amours  sont  frères  ;  ils  ont  en  Dieu  leur  com- 
mune origine.  Aussi  sorames-nous  assurés'  de  préparer  de  bons  ci- 
toyens en  formant,  par  une  éducation  solidement  religieuse,  de  bons 
chrétiens. 

Nous  prierons,  Monsieur  le  Président,  pour  le  succès  de  votre 
voyage  dans  notre  chère  Provence,  demandant  à  Dieu  qu'il  soit  heu- 
reux pour  votre  personne,  pour  notre  grande  cité  et  pour  les  popu- 
lations qui  ont  l'honneur  de  vous  recevoir. 

M.  Carnot  a  répondu  à  Mgr  Robert  : 

Je  vous  remercie  de  vos  vœux  et  je  remercie  votre  clergé  pour 
ceux  qu'il  forme  et  que  vous  voulez  bien  me  présenter  en  son  nom. 


CHRONIQUE    UE   LA    SEMAINE  217 

Pendant  ce  temps,  notre  attention  est  appelée  sur  la  vérita- 
ble cohue  à  laquelle  donne  lieu  la  campagne  des  élections  muni- 
cipales à  Paris.  A  la  rentrée  des  Chambres,  M.  le  docteur  Des- 
prés doit  adresser  une  interpellation  à  M.  Constans,  ministre  de 
l'intérieur,  à  l'occasion  des  incidents  qui  se  sont  produits  lors 
àe  la  souscription  à  l'emprunt  municipal.  «  Vous  tirez  trop  sur 
le  pis  de  la  vache  »,  s'était  déjà  écrié  M.  Desprès,  dans  le  lan- 
gage pittoresque  de  l'Hôtel-de- Ville.  Il  sera  intéressant  de  voir 
se  produire  à  la  tribune  les  attaques  des  accusateurs  et  la  dé- 
fense des  conseillers  soupçonnés.  Le  «  bureau  réservé  »  du  con- 
seil municipal  a  fait  distribuer  des  «  parties  prenantes  »  dont 
on  ignorera  toujours  les  noms.  On  n'a  pu  trouver  aucune  pièce 
comptable;  mais  le  nombre  des  obligations  ainsi  souscrites  est 
de  quarante  mille,  ce  qui  représente  quatre  cent  mille  francs  de 
bénéfices.  Nul  ne  sait  —  sauf  les  intéressés  —  qui  en  a  profité. 
Pendant  ce  temps-là,  des  amis  enthousiastes  s'écrient,  en  racon- 
tant les  ovations  dont  M.  Carnot  est  l'objet  à  Tarascon  :  C'est 
la  fête  de  V Honnêteté' !  Si  on  la  célébrait  un  peu  à  Paris  cette 
fête-là? 

En  dehors  des  allocutions  prononcées  par  M.  Carnot,  qui  ont 
le  double  mérite  d'être  laconiques  et  mesurées,  deux  discours 
sont  venus  remplir  le  vide  que  font  dans  la  politique  intérieure 
les  vacances  parlementaires.  Un  ministre  en  fonctions,  M.  Jules 
Roche  et  un  ancien  ministre,  M.  Goblet,  ont  bien  voulu  évangé- 
liser  les  peuples,  l'un  en  parlant  à  Privas,  l'autre  en  écrivant 
dans  la  Revue  générale.  M.  Jules  Roche,    sans  doute  pour  se 
mettre   à  la    hauteur  de  ses    nouvelles  fonctions,   s'est  élevé 
jusqu'aux    considérations   les   plus    nuageuses.    Il    a   parlé    de 
l'eflroyable  tempête  de  l'année  terrible,  des  frères  de  la  démo- 
cratie, des  amitiés  qui  résistent  à  tout,  parce  qu'elles  résident 
au  fond  de  l'âme.  Puis  abordant  un  sujet  plus  actuel,  le  ministre 
du  commerce  a  constaté  que  plus  la  logique   est  pure,  plus  elle 
est  dangereuse.  Ainsi  les  républicains    avaient  attaqué  la   loi 
«  réactionnaire  »  de  1871  sur  les  conseils  généraux  et  demandé 
énergiquement  la  suppression  du  Sénat.  Eh  bien!  cette  loi  de 
1871  a  beaucoup  servi  à  asseoir  cette  république  que  le  Sénat  a 
sauvée  :    «  Il  arrive  souvent  que  l'on  est  obligé  de  faire  des 
choses  qui  nous  déplaisent,  et  nous  sommes  peut-être  dans  une 
de  ces  situations  particulières,  oii  il  faudra  chercher  le  moindre 
mal,  et  c'est  la  sagesse  et  la  prudence  qui  doivent  nous  guider.  » 

10 


218  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ainsi,  voilà  un  ministre  qui  déclare  hautement,  non    qu'il  faut 
chercher  à  bien  faire,  mais  à  faire  le  moindre  mal. 

De  son  côté  M.  Goblet  déclare  tout  net  «  qu'il  n'y  a  pas  à  se 
le  dissimuler,  la  république  est  mal  engagée.  »  Il  constate  que 
«  depuis  quelques  années  le  sentiment  public  semble  s'éloigner 
des  institutions  républicaines,  que  les  élections  de  1885  ont  été 
à  <;et  égard  un  avertissement  bien  significatif  et  qu'on  a  eu 
grand  tort  de  ne  pas  tenir  compte  de  cette  leçon.  »  Là-dessus, 
nous  sommes  d'accord.  Il  semble  que  puisque  la  république  a 
gagné  du  terrain  de  1875  aux  années  qui  ont  suivi  1880,  et 
puisqu'elle  en  a  perdu  depuis  lors,  c'est  parce  qu'elle  a  pratiqué 
de  1875  à  1880  une  politique  sage,  et  une  mauvaise  politique 
de  1880  à  1885.  Ce  n'est  pas  l'opinion  de  M.  Goblet.  D'après  lui, 
la  république  a  reculé  parce  qu'elle  a  été  infidèle  à  son  prin- 
cipe, parce  qu'elle  n'a  pas  accompli  les  réformes  radicales 
•j:  que  le  pavs  attendait  d'elle,  etc.  »  M.  Goblet  devrait  pour- 
tant se  rappeler  que  la  période  ou  la  république  a  couru  le  plus 
grand  péril  a  été  celle  où  elle  a  été  gouvernée  par  M.  Floquet 
et  par  lui.  Mais  allez  donc  demander  delà  logique  à  un  sectaire! 
Ainsi,  de  deux  consultations  oratoires  données  par  le  ministre 
d'hier  et  celui  d'aujourd'hui,  l'une  se  résume  par  le  regret  de 
ne  pas  voir  la  république  assez  radicale,  l'autre  aboutit  comme 
programme  «  à  chercher  le  moindre  mal.  »  C'est  consolant. 

Les  groupes  socialistes,  ouvriers,  guesdistes,  etc.,  qui  doivent 
prendre  part  à  la  manifestation  du  1"  mai,  ont  adopté  le  texte 
d'une  affiche  qui  sera  tirée  à  dix  mille  exemplaires  et  placardée 
par  les  soins  et  sous  la  surveillance  de  Comités  de  quartier  dits 
«  Comités  d'affichage  ».  Ces  affiches  commenceront  à  être  appo- 
sées dans  la  nuit  de  mardi  à  mercredi. 

On  s'est  occupé  aussi  des  insignes.  L'insigne  choisi  est  un 
morceau  de  maroquin  rouge,  ayant  la  forme  d'un  triangle  et 
portant  cas  mots  gravés  en  lettres  d'or  : 

1"    MAI,    HUIT    HEURKS    DE    TRAVAIL. 

Les  manifestants  pourront,  au  moyen  d'une  épingle,  adapter 
cet  insigne  soit  à  leur  boutonnière,  soit  à  leur  chapeau. 

Enfin,  il  a  été  décidé  que,  le  soir  du  l'""  mai,  des  réunions 
auraient  lieu  non  seulement  dans  les  grandes  salles,  mais  dans 
toutes  les  petites  salles  disponibles,  dans  toutes  les  arrière- 
boutiques  de  marchands  de  vin,  partout  enfin  oti  les  militants 


CHRONIQUE   DE   LA    SEMAINE  219 

socialistes  peuvent  recueillir  des  signatures  pour  le  pétionne- 
ment  en  faveur  de  la  journée  de  huit  heures. 

Le  Gaulois  est  allé  interwiever  les  personnages  marquants 
des  groupes  anarchistes.  Voici  la  réponse  de  Louise  Michel  : 

—  Que  pensez-vous,  lui  deiuatidais-je,  de  la  manifestation  du 
!"■  mai? 

—  C'est  magnifique,  parce  que  les  travailleurs  de  toute  la  terre 
seront  debout.  C'est  stupide,  parce  qu'ils  vont  mendier  ce  qu'ils  ont 
le  droit  de  prendre.  Maintenant,  ce  sera  le  lendemain  absolument 
comme  la  veille,  à  moins  que  les  âneries  du  gouvernement  ne  sou- 
lèvent la  tempête  révolutionnaire  à  laquelle  on  ne  peut  pas  assigner 
un  rendez-vous,  puisque  le  hasard  seul  peut  la  faire  surgir. 

Le  1«'"  mai  est  absolument  l'inconnu,  et  pour  ma  part,  je  pense  que 
mieux  vaudrait  seul,  ou  quelques-uns,  surtout  seul,  faire  des  actes 
tels  qu'en  font  les  nihilistes.  II  vaut  mieux  que  la  dictature  s'affirme, 
parce  qu'il  sera  plus  facile  d'agir  de  même  avec  elle.  Ce  n'est  pas  une 
révolution  politique  qui  pourrait  rien  changer  ;  —  c'est  la  destruc- 
tion complète  de  la  société  capitaliste  qui  commencera  le  monde  nou- 
veau ;  jusque-là,  pas  de  trêve  dans  la  lutte  de  plus  en  plus  active. 

—  Vous  êtes  bien  outrancière  —  il  ne  peut  donc  pas  y  avoir  d'amen- 
dement. Tout  le  monde  s'occupe  de  la  question  sociale,  du  bien-être 
des  ouvriers —  l'empereur  d'Allemagne  veut,  dit-on,  tenter  des  ré- 
formes sérieuses. 

Chez  le  compagnon  Tortelier  maintenant  ? 

—r  11  n'y  a  pas  de  danger,  a  déclaré  celui-ci,  que  nous  avons  ren- 
contré dans  un  café  de  l'avenue  de  Ciichy,  entouré  des  principaux, 
anarchistes,  que  nous  laissions  passer  cette  occasion  de  nous  montrer. 

Vous  savez  qu'en  principe,  nous  autres  anarchistes,  nous  désap- 
prouvons la  manifestation  telle  qii'elle  a  été  décidée  par  le  congrès 
socialiste. 

Manifester  pour  réclamer  la  réduction  de  la  journée  de  travail  à 
huit  heures.  Belle  affaire!  Ce  n'est  pas  cela  qui  fera  avancer  d'un  seul 
pas  la  question  sociale. 

Est-ce  à  pas  de  tortue  que  la  révolution  doit  se  faire?  Nous  ne 
sommes  pas  de  ceux  qui  préconisent  l'évolution  lente  et  progressive. 

Nous  sommes  des  hommes  d'action,  et  persuadés  qu'il  est  indigne 
de  demander  quelque  chose  au  gouvernement  qui,  en  somme,  est 
notre  ennemi,  nous  ne  voulons  qu'une  chose  :  agir  énergiquement. 

—  Eh  1  que  voulez-vous  faire? 

—  Ah  !  voilà  !  notre  plan,  nous  n'aurons  garde  de  le  dévoiler. 
Tout  ce  que  je  puis  vous  dire,  c'est  que,   moi  et  me,s  amis,  nous 

manifesterons. 


220  ANNALES   CATHOLIQUKS 

Il  est  assez  difficile  de  prévoir  comment  se  passera,  à  l'étran- 
ger, la  journée  du  1^'' mai;  nulle  part  il  n'3'  a  d'unités  de  vues 
ni  de  programme.  L'idée  de  manifester  d'une  façon  quelconque 
est  générale.  Voilà  le  point  acquis. 

Mais,  tandis  que  certains  industriels,  prenant  les  devants, 
autorisent  leurs  ouvriers  à  chômer  le  l*""  mai,  d'autres  décla- 
rent qu'ils  congédieront  immédiatement,  pour  rupture  de  con- 
trat tous  les  ouvriers  qui  chômeront  le  1"  mai. 

A  Berlin,  toute  personne  employée  par  l'Etat  qui  ne  fera  pas 
sa  journée  de  travail  le  P""  mai,  sera  renvoyée. 

A  Vienne,  les  directeurs  des  administrations  de  l'Etat  ont 
fait  parvenir  un  avis  à  peu  près  identique  à  leurs  ouvriers. 

En  Belgique,  la  manifestation  du  l"mai,  en  faveur  de  la  jour- 
née de  huit  heures,  a  été  votée  à  l'unanimité  par  toutes  les  as- 
sociations ouvrières. 

En  Allemagne,  dans  toutes  les  villes,  on  fait  circuler  des  listes 
d'adhésion  à  la  manifestation  :  les  meneurs  se  flattent  de  re- 
cueillir plus  de  deux  millions  de  signatures.  Les  commandants 
de  corps  d'armée  ont  reçu  de  l'Empereur  les  instructions  les 
plus  sévères,  relatives  à  l'interdiction  des  manifestations  ;  la 
répression  sera  très  violente.  Dans  certaines  villes  comme  Liep- 
zig,  Hambourg,  Francfort-sur-Mein,  EJberfeld,  larésistance  sera 
obstinée  de  la  part  des  ouvriers  socialistes  qui  veulent  quand 
même  tenir  les  réunions  annoncées.  On  dit  aussi  que  les  autori- 
tés militaires  auraient  reçu  l'ordre  de  tirer  «impitoyablement  » 
sur  les  manifestants  en  cas  de  désordre. 

Le  Danemark,  la  Hollande,  qui  étaient  représentés  au  con- 
grès international  socialiste  de  Paris,  seront  aussi  le  théâtre  de 
manifestations  plus  ou  moins  bruyantes.  Il  va  sans  dire  que  les 
ouvriers  de  ces  deux  pays  ont  décidé  unanimement  de  s'asso- 
cier au  mouvement  socialiste. 

En  Russie,  tout  se  passera  dans  le  plus  grand  calme,  et  pour 
la  bonne  raison  qu'aucune  manifestation  n'aura  lieu  le  l^""  mai. 
L'organisation  ouvrière  n'existe  pas,  en  effet,  dans  ce  pays. 


La  politique  coloniale  ne  réussit  pas  plus  à  M.  Crispi  que  la 
politique  économique  et  financière.  Le  continent  noir  continue  à 
lui  valoir  des  surprises,  qui  constituent  autant  d'épreuves 
amères.  Il  v  a  là-bas  en  Abvssinie   un   certain  roi  des  rois,. 


CHRONIQUE    DK    LA    SEMAINE  221 

Menelick^  qui  jongle  agréablement  avec  le  protectorat  italien. 
M.  Crispi  avait  annoncé  avec  emphase,  il  y  a  un  an,  que  Mene- 
lick,  à  la  tète  d'une  puissante  armée,  allait  se  porter  sur  le  Tigré 
pour  débarrasser  cette  province  des  bandes  rebelles,  qui  refu- 
saient de  reconnaître  l'autorité  du  nouveau  Négus.  Les  mois 
succédaient  cependant  aux  mois,  sans  que  l'on  ne  vît  rien  venir. 
Le  Négus  manquait  d'argent,  disait-il,  et  immédiatement  le 
comte  Antonelli  de  lui  apporter  quatre  millions,  en  le  priant  de 
quitter  le  Choa  et  d'aller  mettre  à  la  raison  le  ras  Magascia. 
Menelick  empoche  l'argent  et  ne  bouge  pas.  Mécontentement  de 
M.  Crispi  qui,  se  ravisant,  songe  qu'il  faut  flatter  avant  tout  la 
vanité  du  monarque  éthiopien.  Les  plus  habiles  ouvriers  de 
Milan  se  mettent  à  l'ouvrage.  Une  couronne  part  à  l'adresse  du 
Négus  qui,  en  la  recevant,  pleure  de  joie  et  promet  d'aller  la 
ceindre  à  Adoua,  la  ville  sainte.  Quant  aux  rebelles,  Mangascia 
et  autres,  il  n'en  fera  qu'une  bouchée. 

Le  temps  passe.  M.  Crispi,  furieux,  envoie  une  dépêche  au 
général  Orero  qui  presse  Menelick  d'occuper  de  nouveau  la  ville 
sainte.  Celui-ci  allègue  qu'il  manque  de  vivres,  et  aussitôt  trois 
mille  porteurs  d'approvisionnements  sont  envoyés  des  bords  de 
la  mer  Rouge  à  la  rencontre  de  Menelick. 

Cette  fois  le  roi  des  rois  se  met  en  marche,  mais  au  moment 
de  livrer  bataille  au  roi  Mangascia,  il  fait  la  paix  avec  lui.  La 
campagne  est  terminée  :  elle  a  coûté  à  l'Italie  quatre  millions 
donnés  au  Négus,  une  couronne,  sans  compter  les  cent  millions 
gaspillés  depuis  le  commencement  de  l'expédition.  Et  rien  qui 
puisse  flatter  l'araour-propre  national,  rien  qui  puisse  eftacer  le 
souvenir  du  massacre  de  Dogah!  M.  Crispi  est  décidément  un 
grand  homme  d'Etat. 

Il  y  a  déclaration  de  guerre  entre  M.  de  Bismarck  et  Guil- 
laume II.  Le  vieux  chancelier  ne  peut  se  résoudre  à  l'inaction. 
Il  se  présentera  bientôt  à  la  Chambre  des  Seigneurs  et  plus 
tard  au  Reichstag.  «  En  outre,  ajoute  son  journal,  la  Gazette 
Xtrogressiste,  il  conservera  des  relations  avec  la  presse.  On  ne 
saurait  attendre  d'un  homme  d'Etat  qui,  pendant  trente  ans, 
a  tenu  la  place  la  plus  considérable  dans  la  vie  publique 
et  qui  la  domine  encore  plus  que  personne,  qu'en  se  démettant 
de  ses  charges,  il  renonce  également  à  être  un  facteur  politique  ; 
qu'il  renonce  à  témoigner  son  amour  à  la  patrie  et  qu'il 
renonce  à  rester  en  contact  avec  l'opinion  publique  et  à  l'influen- 
cer selon  ses  convictions. 


222  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Celui  qui  croit  que  le  prince  de  Bismarck,  vieux  et  cassé, 
restera  à  l'avenir  spectateur  passif  des  événements,  se  trompe 
rudement.  En  agissant  autrement,  il  manquerait  à  son  devoir 
vis-à-vis  du  peuple  allemand,  qui  a  le  droit  d'être  informé  à 
chaque  instant  de  ce  que  pense  le  prince  de  Bismarck  sur  les 
importantes  questions  politiques,  et  si  la  Chambre  des  Sei- 
gneurs et  le  Reichstag  n'y  suffisaient  pas,  la  presse  constituerait 
le  complément  naturel.  D'ailleurs,  ce  sont  seulement  ceux  qui 
croient  que  le  prince  de  Bismarck  doit  à  l'avenir  continuer  de  se 
laisser  attaquer  sans  se  défendre  qui  peuvent  lui  reprocher 
d'avoir  recours  à  cette  arme.  »  Depuis  de  longues  années  le 
prince  de  Bismarck  défendait  le  gouvernement,  on  sait  avec 
quelle  ténacité  et  quelle  vigueur.  Nous  allons  le  voir  maintenant 
faire  de  l'opposition.  Il  y  a  lieu  de  croire  qu'on  va  s'amuser  un 
peu. 

Le  nouveau  chancelier  prusso-allemand  a  fait  avant-hier  ses 
débuts  au  Landtag  prussien.  M.  de  Caprivi  s'est  attaché  à 
démontrer  qu'il  n'y  avait  pas  d'ère  nouvelle  dans  la  politique 
allemande  ;  que  si  M,  de  Bismarck  n'était  pas  là,  l'esprit  du 
grand  homme  d'Etat  planait  sur  la  chancellerie  et  que,  pour 
lui,  il  tâcherait  d'imiter  en  tout  son  illustre  prédécesseur.  Ce  à 
quoi  M.  Richter  a  répondu,  au  nom  des  progressistes  libéraux, 
que  puisqu'il  n'y  avait  rien  de  changé  à  la  politique  qu'il  avait 
constamment  combattue,  il  continuerait  à  la  combattre.  C'est 
la  logique  même.  Mais  la  majorité  du  Landtag  a  montré  une 
attitude  plus  conciliante.  La  grande  préoccupation  du  moment 
en  Allemagne,  est  la  manifestation  du  l'""  mai.  Les  députés 
socialistes  au  Reichstag,  qui  sont  au  nombre  de  trente-cinq  et 
qui  se  constituent  en  directoire  du  parti,  viennent  de  publier  à 
ce  sujet  un  manifeste  dans  lequel  ils  exposent  le  pour  et  le 
contre  de  cette  démonstration,  de  sorte  que  le  simple  socialiste 
doit  se  trouver  dans  la  position  de  l'âne  de  Buridan  entre  le  seau 
d'eau  et  le  picotin  d'avoine.  Pour  la  première  fois  que  les 
députés  socialistes  allemands  ont^l'occasion  défaire  une  démar- 
che collective,  ils  n'ont  pu  réussir  à  se  mettre  d'accord.  C'est 
d'un  mauvais  augure  pour  la  suite. 


BULLETIN    BIBLIOGRAPHIQUE 


223 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   ^l) 


4.  —    I-re    mal    social,    ses 

causes,  ses  remèdes,  mélanges 
et  controverses  sur  les  princi- 
pales questions  religieuses  et 
sociales  du  temps  présent,  tra- 
duit de  l'espagnol  par  M.  l'abbé 
Thiveaud,  ancien  professeur  de 
sémiaaire.  —  2  vol.  ia-12.  Pa- 
ris, 1890,  chez  Lethielleux. 
Prix  franco  :  5  francs. 

M,  l'abbé  Thiveaud  a  eu  l'heu- 
reuse idée  de  traduire  et  de  grou- 
p3r  en  corps  d'ouvrage  les  meil- 
leurs articles  sur  le  Mal  social  de 
Don  Sarda  y  Salvaxv,  l'auteur 
du  livre  intitulé  Le  Libéralisme 
est  un  péché,  le  directeur  de  la 
Revue  populaire  de  Barcelone,  le 
vaillant  polémiste  qui  s'est  fait  en 
Espagne  une  grande  et  légitime 
réputation.  Pour  montrer  l'im- 
portance de  ce  travail,  il  suffit 
d'indiquer  les  divers  sujets  qui 
forment  la  matière  des  deux  vo- 
lumes, les  voici  : 

l'f  partie.  —  1.  Le  Mal  Social. 

—  II.  Caractères  de  la  lutte  ac- 
tuelle. —  III.  Le  libéralisme.  — 
IV.  Maçonnisme  et  catholicisme. 

—  V.  Le  mariage  civil.  —  VI.  Les 
mauvais  journaux.  —  VII.  Les 
écoles  laïques,  —  VIII.  Le  secret 
de  l'enseignement  laïque.  —  IX. 
Les  trois  mensonges  de  l'ensei- 
gnement laïque. 

2''  partie.  —  I.  Le  laïcisme  ca- 
tholique. —  II.  L'esprit  parois- 
sial. —  III.  Le  sacerdoce  domes- 
tique. —  IV.  L'apostolat  séculier. 

—  V.  Epilogue. 

5.  —  Le    ctiàtiment,   par  le 

R.  P.  Félix,  S.  J.  —  4«  retraite 


de  Notre-Dame.  Un  vol.  in-12 
de  vin-386.  —  Paris,  1890, 
chez  M.  Téqui,  éditeurdel'Œu- 
vre  Saint-Michel,  Prix  :  3  fr. 

Nous  nous  faisons  un  devoir  de 
signaler  aux  prédicateurs  et  à  ceux 
qui  sont  chargés  de  diriger  l'œu- 
vre si  importante  des  retraites,  la 
publication,  en  un  format  com- 
mode et  à  bon  marché,  des  prin- 
cipales retraites prêchées  à  Notre- 
Dame  de  Paris  par  l'illustre  confé- 
rencier qui  a  occupé  si  longtemps 
et  avec  tant  d'éclat  la  première 
chaire  de  notre  temps.  On  con- 
naît la  méthode  oratoire  du  Père 
Félix,  son  exposition  forte  et  vi- 
goureuse qui  rappelle  Bourdaloue, 
mais  un  Bourdaloue  approprié  au 
goût  et  aux  besoins  des  auditoires 
du  xix"  siècle.  Celte  vigueur  du 
raisonnement,  portant  dans  l'in- 
telligence la  lumière  et  la  con- 
viction, qui  est  la  qualité  maî- 
tresse du  Père  Félix,  n'exclut  pas 
le  cri  du  cœur  qui  émeut,  touche 
et  ébranle  la  volonté.  Les  retrai- 
tes de  Notre-Dame  produisirent 
les  plus  heureux  effets  sur  ceux 
qui  eurent  le  bonheur  de  les  en- 
tendre des  lèvres  do  l'orateur  : 
après  un  quart  de  siècle  elles  ne 
perdent  rien  à  la  lecture,  de  leur 
efficacité  et  de  leur  actualité.  Nous 
ne  connaissons  guère  d'ouvrage 
qui  soit  plus  utile  à  un  prédica- 
teur pour  lui  fournir  de  salutaires 
inspirations.  Autant  et  plus  peut- 
être  dans  ses  retraites  que  dans 
ses  conférences,  le  Père  Félix  est 
apôtre,  il  expose  dans  toute  leur 
intégrité  les  grandes  vérités  du 
dogme  et  les  grands  principes  de 
la  morale  de  V Evangile. 


(1)  II  est  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Annales  catholiques.  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Annales  se  charge  de  four- 
nir, au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans 
ce  bulletin. 


224 


ANNALES   CATHOLIQUES 


6.    —  Histoire  d'un  liéroe, 

ou  Vie  do  Mgr  Galibert,  évêque 
d'Eno,  vicaire  apostolique  de 
la  Cochinchine  orientale,  par 
M.  l'abbé  Tesseyre.  —  1  vol. 
in-12  de  400  pages.  —  Paris, 
1890,  chez  Téqui.  —  Prix, 
franco  :  3  francs. 

Nous  ne  connaissons  pas  do 
récit  plus  vraiment  attachant 
que  l'histoire  de  ces  Ames  d'apô- 
tre qui  sont  de  nos  jours  l'hon- 
neur de  l'Eglise  et  do  la  France. 

Quel  beau  caractère  que  celui 
de  ce  Marie-Louis  en  qui  la  viva- 
cité du  tempérament  méridional 
se  combine  si  bien  avec  toutes 
les  énergies  et  toute  l'onction 
de  la  grâce  !  Ecolier,  lévite,  mis- 
sionnaire, il  ne  se  laisse  distan- 
cer par  personne  dans  la  voie 
de  l'abnégation  et  du  sacrifice. 
Evêque  à  trente-quatre  ans,  son 
zèle,  plus  encore  que  le  climat 
meurtrier  de  la  Cochinchine  le 
dévore  en  quelques  années.  11 
vient  enfin  mourir  à  trente-huit 
ans  sous  les  yeux  de  son  admi- 
rable mère,  n'ayant  qu'une  pen- 
sée, mourir  pour  son  troupeau, 
un  regret,  celui  de  ne  pas  exha- 
ler son  dernier  soupir  au  milieu 
de  ses  chers  Annamites 

La  Vie  de  Monseigneur  Gali- 
bert joint  pour  nous  l'intérêt 
tout  particulier  qui  s'attache  à 
l'éternelle  question  de  l'Annam, 
dont  on  parle  tous  les  jours,  trop 
souvent  sans  la  connaître  suffi- 
samment. Or,  rien  de  plus  inté- 
ressant que  les  renseignements 
que  l'on  rencontre  dans  cet  ou- 
vrage de  l'origine  de  la  question 
annamite;  rien  de  plus  navrant 
aussi  que  le  récit  de  l'affreuse 
persécution  qui  ensanglanta  la 
Cochinchine  pendant  ces  der- 
nières années.  Particulièrement 
profitable  aux  jeunes  élèves  du 
sanctuaire  chez  lesquels  il  pourra 
allumer  la  flamme  de  l'apostolat, 
ce   livre  sera  lu   avec   avantage 


dans  les  familles  chrétiennes  et 
par  tous  ceux  qui,  aux  émotions 
fades  ou  malsaines  que  procure 
la  lecture  d'un  roman,  savent 
préférer  les  salutaires  enseigne- 
ment que  l'on  puise  à  contem- 
pler un  grand  cœur  et  un  beau 
caractère  au  service  de  la  plus 
noble  des  causes. 


7.  —  Heures  de  la  jeu- 
nesse ehrétienne,  1  vol. 
in-32  de  260  pages,  Paris,  chez 
Téqui.  Prix  franco  broché,  1  fr,, 
relié  toile  noire,  tranche  rou- 
ge :  1  fr.  50. 

La  première  partie  de  ce  char- 
mant petit  livre  contient  des 
prières  tirées  de  différents  au- 
teurs, La  deuxième  partie,  les 
lettres  à  mes  enfants  de  Mme  des 
Chesnes,  née  Desprez,  1864.  La 
troisième  partie  est  composée  de 
lectures  diverses. 

Nous  appelons  l'attention  de 
nos  lecteurs  sur  ce  livre;  la  jeu- 
nesse y  trouvera  des  prières  pour 
toutes  les  circonstances  de  la  vie, 
de  sages  conseils  et  d'édifiantes 
lectures. 

Les  livres  de  piété  ne  manquent 
pas,  il  est  vrai;  mais  celui-là  est 
digne  de  figurer  au  premier  rang, 
et  mérite  bon  accueil  des  parents 
chrétiens;  il  éclairera  l'esprit,  di- 
rigera la  conduite,  raffermira  le 
courage  de  ceux  qui  le  liront. 

Réjouissons-nous  donc  de  voir 
dans  cette  brochure  le  contre- 
poison de  tant  de  mauvais  ouvia- 
ges,  n'oubliant  pas  la  parole  de 
Pie  IX  :  «  De  nos  jours,  la  bonne 
presse  est  une  œuvre  pie.  » 

Quand  une  intention  est  bonne, 
Dieu  la  bénit  ;  s'appuyant  sur 
cette  espérance,  la  mère  qui  offre 
ce  recueil  à  toutes  les  mères  chré- 
tiennes demande  à  Dieu  de  faire 
servir  ces  pages  à  sa  gloire  en  ai- 
dant la  jeunesse  à  vivre  selon  ses 
lois. 


Le  gérant:  P.  Ghantrel. 


Paris.  Irnp.  G.  Picqnoin,  53,  rue  /le  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LA  CHARITE  ENVERS  NOTRE  SEIGNEUR 

DANS    l'eucharistie 
(Suite  et  fia.  — Voirie  numéro  précédent.; 

III 

Près  de  Jérusalem,  et  seulement  séparé  de  la  Cité  Sainte  par 
le  mont  des  Oliviers,  est  situé  le  village  de  Béthanie. 

Dans  cette  bourgade,  vivait  une  famille  que  Jésus  aimait, 
Lazare  avec  ses  deux  sœurs,  Marthe  et  Marie. 

C'était  là  que,  de  préférence,  le  Sauveur  venait  se  reposer 
des  fatigues  de  sa  prédication  et  des  douloureuses  perspectives 
de  l'avenir. 

Marthe  s'empressait  surtout  aux  soins  du  service,  veillant  à 
ce  que  rien  ne  manquât. 

Marie,  plus  calme,  était  assise  aux  pieds  de  Jésus,  écoutant 
sa  parole  et  buvant  aux  sources  de  la  vie. 

Celle-là  représente  les  œuvres  corporelles   de  miséricorde, 

Celle-ci  les  œuvres  spirituelles. 

Nous  venons  d'entrevoir  la  part  de  Marthe;  considérons, 
durant  quelques  instants,  la  part  de  Marie. 

Assurément,  c'est  «  la  meilleure,  optimam  partem  (1).  » 

«  0  Seigneur,  qu'aimables  sont  vos  tabernacles  !  Heureux 
ceux  qui  habitent  votre  demeure  !  Un  jour  passé  près  de  vous 
vaut  mieux  que  des  années  dans  les  fêtes  et  les  divertissements 
du  monde  !   »  (2). 

A  ce  bonheur  Jésus  nous  invite  ;  il  nous  attend,  retenu  dans 
son  tabernacle  par  des  liens  indissolubles  qu'a  tressés  son 
amour  infini  :  «  In  carcere  eram  et  venistis  ad  me  .-j'étais  pri- 
sonnier et  vous  êtes  venus  à  moi.  » 

Le  pauvre  garde  dans  son  infortune  un  bien  inaliénable  :  l'in- 
dépendance. 

Ce  bien,  pour  nous  Jésus  a  voulu  le  perdre. 

Celui  qui  a  soulevé  la  pierre  du  sépulcre;  Celui  qui  pénétrait 

(1)  Luc,  X,  42. 

(2)  Quam  dilecta  tabernacula  tua!...  Beati  qui  habitant  in  domo 
tua,  Domine  !...  Quia  melior  est  dies  uaa  in  atriis  tuis  super  milliai 
(Ps.  83.  1  et  seq.) 

Lxxii  —  3  Mai  1890  17 


226  ANNALES     CATHOLIQUES 

dans  le  cénacle  les  -portes  closes;  Celui  qui,  à  la  vue  de  ses 
disciples,  s'élevait  triomphant  dans  les  cieiix,  a  voulu  se  cons- 
tituer prisonnier  et  s'enchaîner  au  tabernacle,  comme  dans  une 
cellule  :  «  In  carcere  eram.  » 

•Pour  arriver  jusque  là,  quel  trajet  n'a-t-il  pas  parcouru  ! 

Parti  des  splendeurs  des  cieux,  il  est  descendu  dans  les  humi- 
liations de  Bethléem,  il  a  passé  par  les  tortures  du  Golgotha;  il 
est  parvenu  enfin  à  cette  dernière  station,  la  captivité  volon- 
taire et  amoureuse  du  tabernacle  :  «  In  carcere  eram.  » 

C'est  là  qu'il  veut  rester,  «  chaque  jour,  jusqu'à  la  consom- 
mation des  siècles  (1).  » 

Ah!  qui  donc  serait  admis  à  parler  de  ses  fatigues  pour  aller 
jusqu'à  Lui? 

Qui  donc  hésiterait  de  sortir  de  vsa  demeure  et  compterait  ses 
pas? 

Qui  donc  prétexterait  de  la  multiplicité  de  ses  affaires  pour 
refuser  une  minute  de  son  temps  au  divin  Captif  (2)? 

Allons  à  Lui;  il  nous  appelle  tous  :  les  enfants  dont  il  aimait 
à  s'entourer  et  qu'il  défendait  contre  le  zèle  intempestif  de  ses 
apôtres; 

Les  pauvres  qu'il  a  évangélisés  avec  un  empressement  et  une 
prédilection  marquée,  rappelant  qu'il  était  surtout  envoyé  pour 
eux  (3)  ; 

Ceux  qui  travaillent,  ceux  qui  gémissent  sous  le  poids  du 
labeur  et  de  la  souff'rance  (4). 

Et  c'est  à  toute  heure  que  nous  pouvons  aller  le  visiter.  Il  n'y 
a  pas  à  solliciter  une  audience  ni  à  se  faire  annoncer.  Il  nous 
attend,  et  il  lui  tarde  de  nous  accueillir  comme  on  accueille  un 
ami  (5). 

Lorsque  les  foules  de  la  Galilée  accouraient  au  Sauveur,  on 
lui  présentait  les  malades,  les  infirmes,  et  il  les  guérissait. 

Sa  puissance  et  sa  bonté  auraient-elles  diminué?  Oh  !  non. 

Dans  son  Sacrement,  il  est  tout  lui-même;  il  est  là  souverai- 
nement bon  et  souverainement  puissant;  il  est  là  l'auteur  de  la 

(1)  Matth.,  xxviii,  20. 

(2)  In  carcere  eram  et  venistis  ad  me?  (Matth,,  xxv,  36.) 

(3)  Evangelizare  pauperibus  misit  me.  (Luc,  iv,  18.) 

(4)  Venile  ad  me,  omnes  qui  laboratis  et  onerati  estis,  et  •ego  refi- 
ciam  vos.  (Mat.,  xi,  28.) 

(5)  Jam  non  dicam  vos  serves...  vos  autem  dixi  amicos.  (Joan., 
xxv,  15.) 


LA    CHARITÉ    ENVERS   N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE  227 

grâce,  disposé  à.  la  répandre  autour  de  lui  ;  disposé  à  rendre. la 
santé  de  l'âme  à  ceux  qui  l'auraient  perdue,  à  fortifier  les  faibles, 
à  encourager  les  forts  ;  car  «  il,  est  venu,  selon  sa  parole,  afin 
que  noujs  ayons  la  vie  et  une  vie  plus  abondante  (1).  » 

Si  la  puissance  et  les  miséricordes  de  notre- Dieu  n.'ont  pas 
diminué,  nos  infirmités,  .etpagi  heisqicLS  ;pe,so,ûtT-ila  pas-taujours 
les  mêmes?  .  /'S\  nf»M  •n-ftc-ft  cA^V.vavih  ■9«"*' VM.vttvsV^'Kfv. 

La  vie  est  bien  pour  tous,  une  lutte,  un  sacrifice,  une  douleur. 

Pour  lutter  et  pour  vaincre,  pour  souffrir  et  s'immoler,  ne 
faut  il  pas  courage,  patience,  abnégation,  force  supérieure  à 
notre  nature^  l 

Et  d'où  attendre  le  secours  ?  oii  puiser  une  énergie  surhu- 
maine? auprès  de  qui  recevoir  des  consoiations  ? 

Tournons  nos  regards  et  nos  cœurs  vers  le  tabernacle  ;  notre 
Dieu  s'y  tient  enchaîné  pour  nous  :  «  J'étais,  emprisonné,  et 
vous  êtes  venus  à  moi.  »    •■■i^h aa^  )'->>'ii  ©hiebi»  J: 

Mais,  en  allant  à  lui,  n'oublfdns;  pks'  de' le  toucher  sur  nos 
maux,  comme  cette  femme  de  Césarée  dont  parle  l'Evangile. 

Malade  depuis'  douze  ans,  elle  avait,  au  prix  de  ses  biens, 
épuisé,  sans  résultat,  tous  les  secrets  de  la  science,  et  ne  gar- 
dait plus  d'espoir  qu'en  Jé,sus.  Remplie  de  foi  et  éclairée  par 
une  lumière  surnaturelle,  elle  suivait  le  Sauveur,  perdue  dans 
la  foule  qui  l'entourait. 

N'osant  l'aborder  en  face  ni  lui  rien  demander,  elle  se  disait  : 
«  Que  je  puisse  seulement  toucher  la  frange  de  son  manteau,  je 
serai  guérie  !  » 

Elle  y  parvint  et  se  sentit  soudain  délivrée.  Soudain  aussi  le 
Seigneur  demanda  qui  avait  touché  son  vêtement? 

Et  comme  tous  s'en  défendaient,  Pierre  lui  dit  :  «  Maître,  la 
foule  vous  presse  et  a^ous  accable,  et  vous  de^mandez-  qui  vous 
a  touché?  »  Mais  Jésus,  continuant  de  regarder  dans  la  foule, 
reprit  :  «  Quelqu'un  m'a  touché,  car  une  vertu  est  sortie  de 
moi.  » 

«  Qui  m'a  touché?  c'est-à-dire  par  la  foi.  Ces  foules  qui  me 
pressent  ne  me  touchent  pas.  » 

La  femme,  effrayée,  se  prosterne,  avouant  ce  qu'elle  avait 
fait,  Jésus  lui  dit  :  «  Ma  fille,  prends  confiance,  ta  foi  t'a  gué- 
rie, va  en  paix.  » 

Elle  est  devenue  sa  fille,  lorsqu'elle  a  eu  la  foi;  c'est  sa  foi 
qui  l'a  guérie.  ^ 

.{.  i     ; 

(1)  Joan.,  X,  10. 


228  ANNALES    CATHOLIQUES 

Jésus  lui  a  demandé  cet  aveu  pour  nous  donner  cette  parole 
et  pour  que  notre  âme  l'entendît  (1). 

C'est  dans  ce  sentiment  que  nous  devons  aller  à  Jésus  et  le 
toucher  sur  nos  infirmités.  Approchons-nous  donc  de  lui  avec 
confiance  ;  et  soyons  assurés  que  de  son  tabernacle  sortira  la 
vertu  salutaire  et  la  grâce  dont  nous  avons  besoin  :  «  ut  gra- 
ttam  inveniamus  in  auxilio  opporiuno  (2).  * 

IV 

A  l'égard  de  Jésus  dans  l'Eucharistie,  il  nous  reste  encore  un 
devoir  à  remplir  :  «  J'ai  eu  soif  et  vous  m'avez  donné  à  boire  : 
Sitivi  et  dedistis  mihi  hibere.  » 

Sur  la  croix  il  était  consumé  de  cette  divine  ardeur,  quand  de 
sa  bouche  mourante  s'échappait  le  cri  qui  demandait  à  Dieu  nos 
âmes  :  «  J'ai  soif!  »  Sitio  ! 

Cette  soif  ardente  n'est  pas  éteinte  au  tabernacle  et  nous 
sommes  appelés  à  l'étancher.  Comment  refuser  nos  âmes  à  un 
Dieu  si  incroyablement  prodigue  de  lui-même  ! 

La  veille  de  sa  Passion,  Jésus,  avec  ses  apôtres,  était  à  Jéru- 
salem, dans  le  Cénacle,  qu'il  avait  fait  préparer  pour  la  Pâque 
c  qu'il  désirait  ardemment  de  manger,  avant  que  de  souffrir  (3.)  » 

Or,  sachant  que  son  heure  était  venue  de  passer  de  ce  monde 
à  son  Père,  comme  il  avait  aimé  les  siens  qui  étaient  dans 
le  monde,  il  les  aima  jusqu'à  la  fin,  jusqu'à  l'excès,  en  instituant 
l'Eucharistie,  qui  estle  don  de  sa  personne  et  de  sa  vie,  au-delà 
de  la  mort. 

Répondons  à  ce  prodige  d'amour  d'un  Dieu  se  donnant  à  chacun 
de  nous,  par  le  don  de  chacun  de  nous  à  notre  Dieu. 

Donnons-lui  notre  cœur  malgré  les  résistances  de  l'amour- 
propre  ;  donnons-lui  notre  volonté  en  la  pliant  à  ses  préceptes  ; 
donnons-lui  notre  intelligence  en  la  faisant  penser  de  sa  doctrine  ; 
donnons-lui  toutes  les  puissances  de  notre  être  en  les  soumettant 
à  son  service,  à  la  défense  de  ses  intérêts  et  de  sa  gloire  ;  donnons 
do  nos  biens  pour  le  secourir  dans  sa  divine  pauvreté  et  compre- 
nons dans  nos  largesses  ceux  qu'il  ne  sépare  jamais  de  Lui,  les 
pauvres  ;  donnons  de  nos  prières,  de  nos  larmes,  de  nos  pénitences 
pour  le  soulagement  de  la  misère  suprême,  la  misère  de  l'âme 

(1)  Confide,  filia,  fides  tua  te  salvam  fecit.  Vade  ia  pace.  Vie  de 
N.-S.  J.-C.  par  L.  Veuillol  (Luc,  xiii,  43  et  seq.) 

(2)  Hœbr.,  iv,  16. 

(3)  Luc,  XXII,  15. 


LA   CHARITÉ   ENVERS   N.-S.    DANS   l'eUCHARISTIE  229 

-privée  du  Souverain  Bien,  privée  de  son  Dieu,  la  misère  des 
pauvres  pécheurs. 

Ah  !  c'est  là  une  de  nos  plus  graves  obligations. 

J'ai  eu  soif  et  vous  m'avez  donné  à  boire  » 

Cette  soif,  Seigneur  !  quelle  est-elle  ?  demande  saint  Augustin. 
Sitis  tua,  salus  mea:  votre  soif  est  notre  salut. 

En  effet,  si  le  Sauveur  a  supporté  volontairement  tant  d'humi- 
liations, s'il  a  enduré  tant  de  tortures,  s'il  a  versé  son  sang  au 
prétoire  et  au  Calvaire,  c'est  pour  notre  salut. 

Si,  non  content  de  s'être  incarné,  d'avoir  revêtu  notre  chair, 
il  continue  son  incarnation  par  l'Eucharistie  ;  si,  par  ce  mystère, 
il  prend  chair  en  chacun  de  nous  ;  si,  non  content  de  s'être  im- 
molé sur  la  croix,  il  veut  renouveler  son  immolation  sur  l'autel  ; 
il  veut  nous  nourrir  de  lui-même  et,  par  la  Communion,  nous 
rendre  participants  à  tout  ce  qu'il  est  dans  son  humanité  comme 
dans  sa  divinité,  c'est  pour  achever  en  chacun  de  nous  l'œuvre 
de  notre  salut. 

Mais,  hélas  !  combien  dans  notre  société  qui  ne  paraissent  pas 
même  s'en  douter. 

Combien  qui  méconnaissent  la  dignité,  la  noblesse  de  leur  ori- 
gine, de  leur  Baptême  ! 

Combien  qui  n'ont  plus  souvenance  des  joies  et  des  promesses 
de  leur  première  communion  ! 

Combien  qui,  dans  une  vie  toute  païenne,  perdent  et  profanent 
le  sang  de  leur  Rédempteur  ! 

Combien  qui,  par  légèreté  dans  le  lieu  saint,  sont  un  objet  de 
ficandale  ! 

Combien  qui,  par  leurs  actes,  leurs  paroles  et  leurs  écrits, 
travaillent  à  la  perdition  des  âmes. 

De  l'autel  comme  de  la  croix,  Jésus  voit  cette  indifférence,  ces 
■égarements,  ces  scandales,  ces  apostasies,  et  entend  ces  blas- 
phèmes. 

Un  jour  que  la  Bienheureuse  Marguerite  Marie  de  la  Visitation 
s'entretenait  avec  son  céleste  Epoux  au  Saint-Sacrement,  Jésus 
lui  montra  son  cœur  couronné  d'épines  et  surmonté  d'une  croix, 
■ai  lui  parla  ainsi  :  «  Voilà  ce  cœur  qui  a  tant  aimé  les  hommes, 
il  n'a  rien  épargné  pour  eux,  il  en  est  venu  au  point  de  se  con- 
sumer pour  leur  montrer  son  amour.  Mais  au  lieu  de  reconnais- 
-sance,  je  ne  reçois  qu'ingratitude  de  la  plupart  !...  » 

Ces  ingratitudes,  nous  les  voyons  ;  ces  outrages  nous  les  enten- 
dons nous  aussi  :  comment  ne  pas  en  être  émus  ! 


230  ANN-ALEB    CATHOLIQUES 

Lorsqu'on  fait  visite  à  un  pauvre,  il  n'y  a  pas  que  des  secours 
matériels  à  laisser  dans  sa  demeure  :  il  y  a  aussi  des  témoignages; 
de  sympathie  ;  c'est  ce  que  lediTin  Pauvre  attend  de  nous  :  «  J'ai 
eii  soif  et  vous  m'avez  donné  à  boire.  »  \. 

Ôh  !  nous  ne  serons  pas  insensibles  à  sa  douleur  ni  sourds  à 
son  appel.  ■■>>. 

Jésus  n'en  sera  pas  réduit  à  dire  avec  le  Prophète  royal  :  «  J'ai 
attendu  que  quelqu'un  compatît  à  ma  peine,  mais  nul  ne  l'a  fait; 
j'ai  attendu  que  quelqu'un  vînt  me  consoler  et  personne  ne  s'est 
présenté  *   (1), 

Non,  Seigneur  Jésus,  tout  ce  que  vous  ressentez,  noiis  le 
ressentirons;  vos  douleurs  nous  seront  personnelles,  vos  oppro- 
bres retomberont  sur  nous  (2).      ■ 

Prés  de  votre  autel,  nous  voulotts  réparer  les  outrages  de 
l'impiété  qui  blasphème;  les  outrages  du  respect  humain  qui 
voiis  abandonne,  feignant  de  ne  plus  vous  connaître;  les 
outrages  de  l'indifférence  et  du  sensualisme  vivant  comme  s'il 
n'y  avait  pas  de  Rédemption,  et  comme  si  toute  notre  destinée 
se  bornait  à  l'horizon  de  cette  terre. 

La  tradition  nous  montre  sur  le  chemin  du  calvaire  une 
femme  courageuse  et  reconnaissante,  tenant  en  main  le  linge 
qui  a  essuyé  la  face  ensanglantée  du  Sauveur. 

A  l'exemple  de  la  Véronique,  nous  voulons  essuyer  tous  ces 
outrages,  réparer  toutes  ces  offenses.  Ce  devoir,  vous  ne  man- 
querez pas  de  le  remplir,  N.  T.  G.  F.,  surtout  à  la  fête  de 
l'Adoration  Perpétuelle.  -''  »'  ':"^''  àJi'"'>-'-iiî  Tcq  <:.'-'p  v. 

En  ce  jour,  une  paroisse  est  solennellement  députée  devant 
Notre-Seigneur  pour  accomplir,  au  nom  du  diocèse,  un  grand 
acte  de  réparation.  iôrur,  ;iob  cofjib'îo*}  i-:{  h  in-AïiaTs-'iJ 

Puissions-nous  toujours  apprendre  que  les  coeurs  qni  «  lui 
sont  demeurés  fidèles  (3)  »  ont  fait  tout  ce  qui  était  en  lear 
pouvoir  pour  le  louer  et  le  glorifier.  .tî&itt'idq 

Qu'ils  loi  chantent  tous  les  cantiques  que  lui  chante!  dans 
l'Apocalypse  le  peuple  racheté  :  «  L'agneau,  qui  a  été  immolé 
pour  nous,  est  digne  de  recevoir  la  puissance,  la  divinité,  la 
sagesse,  la  force,  l'honnenr,  la  gloire,  la  bénédiction  »  ;  et  puisa* 

,  (1)  Et  sustinui  qui  simul  constristaretur,  et  noa  fuit  :  et  qui.  con- 
solaretur,  et  noa  iaveni.  (Ps.  68,  25.) 

(2)  Opprobria  esprobrantium  tibi  ceciierunt  super  me.  (Ps.  58,  12.) 

(3)  Vos  autera  estis,  qui  permansistis  mecum  la  tentationibus  meia. 
(Luc,  xxu,  26.)    -  àjiq  iiii  Juammoa  :  i&auâ  euoa  gnob 


LE    FEU    A    LA    MAISON  231 

■se  réaliser  ce  que  l'apôtre  ajoute  :  «  J'entendis  toutes  les  créa- 
tures... qui  disaient:  «  A.  celui  qui  est  assis  sur  le  trône,  et  à 
l'Agneau,  bénédiction,  honneur,  gloire  et  puissance  dans  les 
siècles  des  siècles  (1)1  »  Mgr  Combes. 


LE  FEU  A  LA  MAISON 

I 

Il  y  a  peu  de  temps,  dans  une  vaillante  feuille  catholique,  nous 
rencontrions  ces  lignes  : 

«  Le  général  belge  Brialmont,  étudiant  ce  que  sera  la  pro- 
chaine guerre,  affirme  que  la  guerre  de  1870  n'aura  été  qu'un 
jeu  d'enfant  auprès  de  celle-là.  Et  son  opinion  est  celle  de  tous 
les  militaires  instruits. 

«  L'artillerie  actuelle  a  fait  de  tels  progrés  que  les  fortifications, 
accumulées  à  si  grands  frais  depuis  vingt  ans,  ne  résisteront  pas 
quarante-huit  heures,  et  que  nos  frontières  démantelées  ne 
pourront  pas  retarder  davantage  La  marche  de  l'ennemi  sur 
Paris.  » 

Et  l'auteur  de  l'article  ajoutait  la  réflexion  que  voici  : 

«  Ce  sont  donc,  lors  des  hostilités  futures,  des  poitrines  hu- 
maines qui  devront  faire  un  rempart  à  la  France.  » 

Mais  en  face  de  cette  réflexion,  une  autre  se  présente  néces- 
sairement à  l'esprit  :  Si  les  fortifications  de  granit  ne  peuvent 
matériellement  résister  devant  Tartillerie  nouvelle,  comment 
-les  poitrines  humaines  le  pourraient-elles,  quelque  vaillant  que 
soit  le  c(eur  qu'elles  abritent?  (juelle  indescriptible  hécatombe, 
quelle  etiVoyable  tuerie  sera  donc  cette  prochaine  guerre!  Ne 
réalisera-t-elle  pas  le  tableau  tracé  par  l'imagination  d'un  écri- 
vain célèbre?  Ne  sera-t-elle  pas,  par  ses  horreurs  et  ses  dé- 
sastres, sans  mesure,  la  fin  d'un  monde? 

Et  pourtant,  cette  guerre  si  épouvantable,  elle  peut  d'un  jour 
à  l'autre,  au  moindre  incident,  éclater  pour  nous.  Cette  parole  : 
«  En  avant,  à  toute  vapeur!  »  parole  qu'adressait  naguère  à 
l'un  de  ses  amis  et  confidents  le  souverain  d'une  nation  voisine, 
n'en  laisse-t-elle  pas  entrevoir  la  constante  possibilité? 

D'autre  part,  au  dedans  les  projets  des  anarchistes  et  des 
socialistes  n'offrent  guère  moins  de  menaces.  Les  excès  et  les 
malheurs  de  la  Commune  de  1871,  bien  loin  de  leur  servir  de 

(1)  Apocal,,  v,  "12,  13. 


232  ANNALES   CATHOLIQUES 

leçon,  ne  sont  pour  eux  qu'un  stimulant  à  la  dépasser  de  beau- 
coup. Le  chef  du  collectivisme  en  France  et  l'un  des  plus  actifs 
promoteurs  de  la  manifestation  ouvrière  du  1"  mai,  M.  Jules 
Guesde,  dans  l'article-programme  d'une  nouvelle  revue  socia- 
liste, traite  de  réactionnaires  les  héros  de  1871  ;  il  leur  reproche 
leur  pusillanimité  et  leurs  scrupules.  «  Entre  eux  et  nous, 
s'écrie-t-il,  il  y  a  toute  la  différence  des  vagissements  du  nou- 
veau-né à  la  parole  de  l'homme  fait.  »  Il  déclare  «  qu'une  fois 
le  pouvoir  entre  ses  mains  et  celles  de  ses  amis  ils  ne  reculeront 
devant  aucune  mesure,  si  violente  qu'elle  soit  »  ;  et  «  il  se  passera 
alors  un  drame  auprès  duquel  la  Révolution  française  n'aura  été 
qu'une  innocente  idylle  (1).  » 

En  même  temps,  des  fléaux  divers  frappent  nos  récoltes  ;  la 
mortalité  s'accroît  d'une  façon  lamentable,  sous  les  atteintes 
d'une  épidémie  jusqu'à  présent  inconnue  ;  et  si  cette  épidémie  a 
fait  de  nombreuses  victimes,  il  ne  serait  pas  impossible  qu'elle 
fût  suivie  d'une  autre  bien  plus  meurtrière,  d'une  autre  dont  le 
nom  seul  inspire  l'effroi  et  dont  on  a  signalé  l'existence  aux 
mêmes  lieux  de  l'Asie  d'où  nous  est  venue,  paraît-il,  l'épidémie 
récente. 

Et  en  regard  de  tous  ces  fléaux  ou  de  toutes  ces  menaces  qui 
pèsent  sur  nous  dans  l'ordre  matériel,  dans  l'ordre  moral,  ce 
sont  d'autres  maux  ou  d'autres  menaces  plus  graves  encore  : 
l'apostasie  des  pouvoirs  publics,  l'athéisme  officiel,  cette  haine 
'de  Dieu  qui,  d'après  l'enseignement  de  saint  Thomas,  enseigne- 
ment certain  et  que  nous  ne  devons  pas  oublier,  estleplus  grand  de 
tous  les  péchés  ;  cette  haine  de  Dieu,  monstruosité  qui  semble- 
rait impossible,  puisque  Dieu  est  la  bonté  même,  et  qui  pourtant 
ne  se  bornant  plus  à  être  une  exception  isolée,  est  devenue  une 
sorte  de  conspiration  internationale.  Puis,  à  la  suite,  le  débor- 
dement de  tous  les  vices,  une  immoralité  qui  fait  songer  aux 
temps  du  déluge,  de  Sodome  et  de  Gomorrhe,  l'improbité  qui 
trouble  toutes  les  relations  sociales,  désorganise  tous  les  ser- 
vices, fait  par  exemple,  —  on  en  citait  récemment  une  preuve 
authentique,  —  que  les  correspondances  confiées  à  la  poste  se 
perdent  en  nombre  considérable  ;  enfin  l'absence  de  foi,  qui  est 
la  source  de  tous  ces  désordres,  et  qui,  pour  ce  motif,  devrait 
être  combattue  par  tous  les  moyens,  propagée  au  contraire  avec- 
un  acharnement  satanique,  par  l'enseignement  soi-disant  neutre^ 

(1)  Voir  les  Annales  catholiques  du  19  avril,  pages  145-146. 


LE   TEU   A   LA.   MAISON  233 

Nous  le  lisions  ces  jours  derniers  (1)  :  il  y  a  en  France  quatre 
millions  d'enfants  qui  fréquentent  les  e'coles  sans  Dieu;  et  on 
a  dû  le  constater  lors  de  la  récente  Assemblée  générale  pour  les 
écoles  chrétiennes  de  Paris  (2)  :  dans  les  écoles  congréganistes 
de  cette  ville,  il  n'y  a  guère  que  61,000  enfants,  tandis  qu'il  y  en 
a  147,000  dans  les  écoles  publiques,  oii  sous  l'influence  du  con- 
seil municipal,  est  donné,  par  les  livres  adoptés  et  par  les  leçons 
orales,  un  enseignement  d'une  impiété  qui  va  bien  au-delà  de 
celle  qu'on  rencontre  d'ordinaire  en  province. 


II 

Tout  cela,  n'est-ce  pas  le  feu  qui  est  à  la  maison?  Ces  dé- 
sordres de  l'ordre  moral  spécialement  ne  sont-ils  pas  un  incendie 
qui,  dévorant  chaque  jour  de  plus  en  plus  ce  qui  reste  d'insti- 
tutions et  de  mœurs  chrétiennes  dans  notre  pauvre  France,  s'ap- 
prête finalement  à  tout  anéantir?  Et  nous,  chrétiens,  nous  les 
enfants  du  Père  de  famille,  pouvons-nous  voir  ce  feu  consumer 
sa  maison  qui  est  aussi  la  nôtre  et  qui  renferme  tous  nos  biens, 
sans  faire  tous  nos  efforts  pour  arrêter,  pour  détourner  le  fléau  ? 
Les  maux  et  les  menaces  de  l'ordre  temporel  ne  nous  font-ils 
pas  précisément  comprendre  l'urgente  nécessité  de  travaillera 
éteindre  cet  incendie  moral,  par  lequel  ils  sont  amenés,  comme 
un  juste  châtiment? 

Le  Bulletin  du  Vœu  National  a  fait  sur  ce  sujet  des  réflexions 
frappantes  : 

«  Quand  on  considère  la  marche  des  événements  depuis 
quelques  années,  on  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer  que  nous 
vivons  constamment  menacés  de  malheurs  affreux,  de  guerres, 
de  fléaux  de  toutes  sortes,  et  que  toutes  ces  menaces  aboutissent 
à  des  résultats,  déjà  bien  malheureux,  mais  toujours  moins 
graves  cependant  que  ceux  que  l'on  craignait,  comme  si  l'esprit 
du  mal  était  frappé  d'impuissance  devant  un  obstacle  invisible. 
—  Hélas  !  combien  peu  pensent  à  rechercher  la  vérité  sur  ce 
sujet  et  encore  moins  à  se  rendre  un  compte  exact  de  cette 
marche  des  événements  et  de  sa  cause  !  Les  nations  se  déchris- 

(1)  Dans  un  article  sur  VEcole,  publié  par  l'excellente  revue  Le 
Prêtre,  n"  du  17  avril,  page  16L 

(2)  Rapport  de  M.  Thellier  de  Poncheville.  Ce  rapport  se  trouve, 
avec  une  allocution  de  M.  Keller  qui  le  complète,  dans  le  Bulletin 
de  la  Société  générale  d'Education,  15  avril  1890. 


234  A.NNAXES   CATHOLIQUES 

tianisent;  notre  pauvre  France  en  particulier  semble  prendre  à 
tâche  de  s'aliéner  le  Dieu  tout-puissant. 

«  Que  fait  donc  le  Seigneur,  dit-on.  Ceux-ci  le  disent  en 
branlant  la  tête,  comme  les  passants  sur  le  Calvaire;  ceux-là, 
avec  humeur,  murmurant  de  ce  que  la  Seigneur  se  faitsi  long- 
temps attendre. 

«  Aux  premiers,  nous  n'avons  qu'un  mot  à  dire  ;  Jani  non 
venii  horajudicii,  l'heure  dujugement  n'est  pas  encore  venue, 

«  Aux  seconds  nous  dirons  :  Prenez  garde;  sijNotre-Seigneur 
nous  attend,  s'il  nous  menace  et  n'exécute  pas  la  menace,  c'est 
qu'il  y  a  encore  quelques  justes  parmi  nous;  mais  ouvrons  les 
yeux  aux  avertissements  ;  car  s'il  attend  pour  condamner  défi- 
nitivement, il  continue  à  nous  prévenir  que  nous  ne  le  satisfai- 
sons point.  Examinons  donc  ce  qu'il  nous  demande  et  n'hésitons 
pas  à  l'accomplir.  » 

Ce  que  Dieu  nous  demande,  M.  l'abbé  Garnier  s'est  efforcé  de 
nous  le  dire  dans  une  feuille  pleine  des  vérités  les  plus  capitales 
et  qui  a  pour, titre  :  Le  Rachat  de  la  France. 

«  Notre-Seigneur,  dit-il,  a  racheté  le  monde.,  et  le  monde  a 
c-Aô.  sauve.  Pour  que  lu  France  soit  sauvée,  il  faut  que  nous  la 
rr.chetions;  il  faut  que  fiotre  pénitence  s'ajoute  à,  la  pénitence 
générale  de  Jésus-Christ  pour  le  monde...  La  justice  divine  veut 
des  victimes,  c'est-â-dire  des  âmes  généreuses  qui  s'offrent  à 
Dieu  pour  payer  la  rançon  de  notre  patrie  coupable  !  Et  elle  en 
veut  beaucoup!...  La  victime  se  considère  comme  chargée  avec 
Jésus-Christ  des  péchés  de  la  France;  elle  s'eflorce  de  partager 
l'horreur  qu'ils  inspirent  au  divin  Sauveur  et  fait  ce  qu'elle  peut 
pour  les  expier.  » 

Et  si,  dans  sa  pratique,  cet  esprit  de  victime  a  des  degrés  supé- 
rieurs pour  les  âmes  plus  généreuses,  à  son  premier  degré,  qui 
est  l'esprit  de  pénitence,  il  est  accessible  à  tous;  à  ce  degré,  il 
est  «  l'intention  habituelle  d'offrir  pour  la  France  coupable  tout 
ce  qu'on  souffre  et  tout  ce  qu'on  fait  de  bien.  Les  ouvriers 
notamment  et  les  ouvrières  peuvent  beaucoup,  en  supportant 
pour  l'amour  de  Dieu  les  fatigues  de  leurs  travaux.  »  —  Pour 
entrer  dans  cet  esprit  : 

«  1°  Excitez  en  vous  des  sentiments  de  haine,  de  honte  et  de 
douleur  pour  les  péchés  qui  se  commettent  eu  France.  Ces  trois 
sentiments,  conçus  en  union  avec  Jésus-Christ,  constituent  l'ex-» 
piation  la  plus  efficace.  Soyez-en  pénétré  chaque  fois  que  vous 
apprenez  une  nouvelle  offense  de  Dieu  comme  si  vous  ne  faisiez 


LE   PEU    A    LA  MAISON  235 

qu'un  ayec  Jésus-Christ  et  que  ses  intérêts  fussent  les  vôtres. 
Au  lieu  de  vous  récrier  contre  les  coupables,  comme  on  le  fait 
si  sourent,  dites  :  «  Pardon,  mon  Dieu,  pardon  !  Je  déteste  ce 
«  péché,  je  voudrais  l'effacer;  j'en  ai  honte  et  douleur.  » 

«  2°  Offrez  très  souvent  à  Notre-Seigneur,  par  l'intermédiaire 
de  Marie  et  de  Joseph,  toutes  vos  souffrances  et  vos  expiations 
—  puis  celles  de  tous  les  chrétiens,  de  tous  les  saints,  de  saint 
Joseph  et  de  la  sainte  Vierge,  —  les  hommages  des  anges  du 
ciel,  les  prières  et  les  peines  des  âmes  du  Purgatoire  —  puis 
toutes  les  messes  qui  se  disent  dans  l'Eglise,  tou«  les  mérites  de 
la  vie  et  de  la  mort  du  Sauveur;  ensuite  demandez  à  Jé'sus-Christ 
de  présenter  cette  immense  offrande  à  son  Père  et  présentez-la 
vous-même  avec  Lui  pour  payer  toutes  uos  dettes  â  sa  justice, 
réparer  les  ouWages  qu'il  reçoit,  l'adorer  pour'  ceux  qui  le  mé- 
connaissent, le  louer  pour  ceux  qui  le  blasphèment,  le  remercier 
pour  les  ingrats,  l'aimer  pour  ceux  qui  le  haïssent,  le  supplier 
enfin  de  ne  plus  écouter  que  sa  miséricorde  infinie  et  de  répan- 
dre ses  bienfaits  sur  la  France. 

«  3°  Rappelez-vous  les  trois  premières  demandes  du  Pater  ; 
considérez  qu'aujourd'hui,  en  France,  on  s'efforce  de  réaliser  le 
contraire  de  ces  sublimes  aspirations  du  Cœur  de  Jésus,  puis 
détestez  énergiquement  ces  péchés  nationaux  qui  se  commettent 
au  nom  de  la  Fille  aînée  de  l'Eglise  et,  par  conséquent,  en  votre 
nom.  Le  cœur  tout  embrasé  du  désir  de  la  gloire  de  Dieu,  dites 
pieusement,  en  union  avec  Jésus-Christ  :  «  O  notre  Père,  qui 
êtes  aux  cieux,  que  votre  nom  soit  sanctifie'^  surtout  en  France! 
«  que  votre  règne  arrive,  surtout  en  France!  que  votre  volonté 
«  soit  faite,  surtout  en  France!  Délivrez-nous  du  mal,  surtout 
«  en  France  !  » 

«  Qui  donc  refusera  de  payer  sa  part  de  la  dette  de  la  France, 
pour  l'empêcher  d'être  traitée  comme  elle  le  mérite,  de  perdre 
la  foi,  et  peut-être  de  disparaître  du  rang  des  nations?  N'avons- 
nous  pas  tous  contribué  à  rendre  la  France  coupable?... 

«  Si  nous  refusons  d'êtres  victimes  volontaires,  nous  serons 
les  victimes  forcées  de  la  vengeance  divine.  Dieu  est  le  maître, 
et  quand  on  refuse  de  donner  la  réparation,  Il  la  prend...  Ah  ! 
nous  ne  comprenons  pas  toute  la  malice  du  péché,  tout  ce  qu'il 
exige  de  réparation. 

«  Si  l'ennemi  menaçait  la  frontière,  chacun  voudrait  faire  son 
devoir  pour  défendre  la  patrie.  Or,  voici  la  vraie  manière  de  la 


236  ANNALB8   CATHOLIQUES 

défendre;  la  pénitence  la  protégera  bien  plus  efficacement  que 
les  armes... 

«  Sachons  accepter  la  confusion  et  les  douleurs  des  expiations 
présentes  avec  la  résignation  affectueuse  et  la  patiente  soumis- 
sion qui  convient  à  des  victimes.  » 

III 

Combattons  avec  énergie,  par  l'action  extérieure  et  par  le» 
Œuvres,  les  mesures  de  persécution  religieuse;  mais,  tout  en 
agissant,  humilions-nous  devant  Dieu  sous  les  atteintes  de  cette 
persécution,  et  reconnaissons  qu'elle  a  été  amenée  par  nos  fautes. 

Oui,  l'esprit  de  pénitence  et  une  supplication  instante,  voilà 
ce  qui  peut  obtenir  le  salut  de  la  France  :  l'esprit  de  pénitence, 
c'est-à-dire  le  sentiment  de  douleur  pour  nos  propres  fautes  et 
pour  toutes  les  offenses  faites  à  Dieu,  puis  l'acceptation  des 
épreuves  de  la  vie  et  la  fuite  du  luxe,  de  la  vanité,  de  la  sen- 
sualité, qui  sont  l'opposé  de  cet  esprit  de  pénitence.  Est-il  pos- 
sible, si  peu  qu'on  ait  de  cœur,  qu'on  se  laisse  entraîner  à  ces 
tendances  au  milieu  du  deuil  de  l'Eglise  et  de  cette  lamentable 
perversion  des  âmes,  pour  laquelle  il  faudrait  à  tout  prix  obte- 
nir un  remède  de  la  Bonté  divine.  Souvenons-nous  de  l'exemple 
des  Ninivites  ;ils  n'ont  trouvé  le  salut  que  dans  la  pénitence. 
Rappelons-nous  aussi  que  l'Eglise,  l'Eglise  qui  ne  fait  rien  on 
vain,  nous  propose  dans  sa  liturgie  des  oraisons  tout  exprès  à 
l'intention  de  demander  des  larmes  pour  pleurer  et  expier  le 
péché  (1\ 

Et  en  même  temps,  une  supplication  instante,  qui  nous  fasse 
tenir  devant  Dieu  comme  ^in  mur,  en  faveur  de  la  terre,  — 
c'est  ce  qu'il  a  demandé  lui-même  (Ezech.  xxii),  —  qui  nous 
porte  à  entreprendre  avec  lui  une  sainte  lutte,  à  l'exemple  de 
Jacob  et  à  lui  dire  pareillement  :  m.  Je  ne  vous  laisserai  point 
aller  Jusqu'à  ce  que  vous  m'ayez  accordé  des  bénédictions  » 
(Gen.  xxxii)  ;  des  bénédictions  pour  tous  mes  frères,  des  béné- 
dictions pour  ma  patrie.  A  qui  pourrait-il  être  permis,  en  face 
d'une  telle  situation,  d'en  prendre  son  parti  et  de  ne  demander 
qu'avec  froideur  la  cessation  de  tant  de  maux?  —  Du  reste  la 
pensée  de  l'incendie  n'exprime-t-elle  pas  tout,  à  elle  seule? 

(1)  Missel  Romain,  Orationes  ad  diversa  :  21,  Pro  pelitionc  lacry- 
tnarutn. 


LE    FEU    A    LA    MAISON  237 

Lorsque  le  feu  est  à  la  maison,  l'afifaire  la  plus  urgeute  pour 
tous  n'est-elle  pas  de  s'appliquer  à  l'éteindre?  Tous  ne  doivent- 
ils  pas  faire  la  chaîne,  et  les  plus  faibles  passer  au  moins  les 
seaux  vides? 

Et  cette  supplication  instante,  cet  esprit  de  pénitence,  c'est 
en  union  spéciale  avec  le  Sacre'  Cœur  de  Jésus,  que  nous  les 
offrirons  à  Dieu;  car  c'est  ce  divin  Cœur  qui,  comme  il  l'a  dé- 
claré à  sa  confidente  de  Paray,  «  contient  les  grâces  nécessaires 
pour  nous  retirer  de  l'abîme  de  perdition  »;  il  est  le  refuge 
assuré  qui  nous  a  été  montré  par  avance,  afin  que  nous  sachions 
oii  se  trouve,  dans  l'effroyable  crise  que  nous  traversons,  la 
source  du  salut. 

Et  comme  pour  réparer,  il  faut  d'abord  s'efforcer  d'être  pur; 
comme  pour  expier  les  péchés  du  prochain,  il  faut  travailler  à 
être  exempt  soi-même  de  fautes,  nous  examinerons  attentivement 
sous  l'œil  de  Dieu  ce  qui  en  nous  peut  lui  déplaire;  quand  les 
saints  s'estimaient,  par  leurs  fautes  et  par  leurs  insuffisances, 
la  cause  des  malheurs  de  l'Eglise,  pouvons-nous  être  siàrs,nous, 
de  n'y  avoir  contribué  en  rien;  recherchons  donc  en  quoi  ce 
pourrait  être  et  prenons  la  résolution  énergique  de  nous  amen- 
der. Efforçons-nous  aussi  de  multiplier  de  toutes  manières  les 
actes  de  vertu,  de  témoigner  à  Dieu  de  toute  manière  un  dévoue- 
ment plus  complet.  «  Sanctifiez-vous  pour  V  Eglise,  à'xi'b.l^v  G  dij  \ 
c'est  le  concours  le  plus  certain,  le  jjIus  important  et  le  plus 
urgent  que  vous  puissiez  lui  app)orter.  * 

Nous  nous  donnerons  tout  entiers  à  ce  programme  qui  se 
résume  dans  ces  trois  mots  :  fidélité  plus  grande  à  Dieu,  sup- 
plication, esprit  de  pénitence.  Un  écrivain  religieux  a  dit  : 

«  C'est  une  grâce  immense  de  vivre  à  une  époque  où  se  mul- 
tiplient sous  nos  pas  les  occasions  de  prouver  à  Jésus-Christ 
qu'on  l'aime.  Jamais  l'impiété  n'a  affiché  aussi  brutalement  le 
mépris  de  Dieu;  l'indifférence  glace  les  âmes...  Eh  bien  !  plus 
le  siècle  est  froid,  plus  nous  devons  être  chauds;  plus  le  siècle 
oublie  Jésus-Christ,  plus  nous  devons  vivre  de  Lui  et  l'aimer  ; 
plus  on  le  nie,  plus  nous  devons  l'affirmer.  ^ 

Et  le  journal  qui  reproduisait  cette  citation  ajoutait  : 

«  Nous  étions  jusqu'ici,  nous  devons  l'avouer,  de  ceux  qui 
gémissaient  de  vivre  dans  le  temps  irréligieux  que  nous  traver- 
sons. Nous  ne  sentions  pas  assez  ce  qu'il  y  a  de  viril  dans  la 
lutte  et  dans  l'espoir  de  la  victoire,  ce  qu'il  y  a  de  beau  à  se 
dire  qu'on  combat  pour  l'affranchissement  des  âmes.  > 


238  ANNAIiES   CATHOLIQUES 

Si,  dans  le  sens  exposé  par  le  passage  qu'on  rient  de  lire, 
c'est  une  grâce  de  vivre  à  une  telle  époque,  et  si,  dans  ce  sens, 
on  peut  être  heureux  de  cette  grâce  comme  de  toute  grâce,  il 
est  certain,  nous  semble-t-il^  que  le  sentiment  de  douleur  pour 
les  offenses  prodiguées  â  Dieu  dans  une  époque  pareille,  est 
surtout  ce  qui  doit  dominer  dans  notre  âme  ;  mais  du  moins  cette 
grâce,  dans  la  mesure  où  elle  est  grâce,  mettons-la  pleinement 
à  profit,  entrons  de  plus  en  plus  dans  cet  esprit  de  réparation 
dont  tout  spécialement  elle  nous  fait  un  devoir.  S.  L. 

'  N.  B.  —  M.  l'abbé  Garnier  termine  aa  feuille  sur  le  Rachat 
(de  la  France  par  cette  mention  que  les  personnes  qui  vou- 
draient entrer  plus  intimement  dans  les  pensées  qu'il  expose, 
pourraient  se  ifaire  admettre  dans  VAssociation  de  prière  et  de 
pénitence  en  union  au  Sacré-Cœur,  association  qui  est  le  troi- 
sième degré  du  Vœu  National.  Nous  ne  pouvons  qu'appuyer  de 
tout  notre  pouvoir  cette  invitation,  et  d'autant  plus  que,  d'après 
les  expressions  mêmes  du  nouveau  règlement  de  l'association 
approuvé  par  Mgr  de  Dijon,  en  188S,  «  de  graves  motifs  per- 
mettent de  croire  quelle  a  été  demandée  par  Notre-Seigneur 
lui-même.  » —  S'adresser  à  M.  le  Supérieur  des  Chapelains  de 
Montmartre  ou  bien  à  M.  le  curé  de  Saint-Michel,  Dijon. 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIE 

A    MONSIELR    LE     PRÉSIDENT     DE    LA    CONFÉRENCE 

IKTERNATIONALE    DE    BRUXELLES 

(Suite  et  An,  —  Voir  le  numéro  précédent.) 

Plein  d'horreur  pour  lui-même  d'avoir  fait  mettre  à  mort  ses 
amis,  ses  serviteurs  les  plus  anciens  et  les  plus  fidèles,  pris  de 
terreur  en  pensant  que  les  chrétiens  d'Europe  viendraient  un 
jouren  tirer  vengeance,  Mouanga  suspendit  la  persécution,  rendit 
ses  bonnes  grâces  aux  Pères,  vint  lui-même  les  voir  et,  durant 
près  de  deux  ans,  parut  ne  plus  se  souvenir  de  rien. 

Ce  fut  alors  le  tour  des  musulmans  de  se  dire  abandonnés  et 
de  reprendre  l'offensive.  Comme  il  ne  les  suivit  plus  à  leur  gré, 
ils  l'entourèrent  de  leurs  créatures,  le  réduisirent  à  l'impuis- 
sance et,  un  jour,  le  renversèrent,  par  une  émeute  violente,  le 
réduisirent  à  la  plus  dure  captivité. 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIR  239 

Un  de  ses  frères,  Kiwewa,  choisi  par  eux,  à  la  place  de 
Mouanga,  n'a  pas  un  meilleur  sort,  il  refuse  de  se  laisser  cir- 
concire, et,  pour  secouer  le  joug,  il  tue  de  sa  main  deux  de  ses 
ministres,  nègres  musulraanisés.  Un  troisième  essaie  de  le  tuer, 
lui-même,  en  tirant  sur  lui  à  bout  portant.  Il  s'enfuit  alors,  et 
un  autre  de  ses  frères  nommé  Karéma,  qui  lui  est  substitué, 
accepte  la  circoncision,  sous  le  coup  des  menaces,  et  ordonne, 
avec  l'exil  des  Missionnaires,  le  massacre  de  tous  les  chré- 
tiens. 

C'est  alors  que  se  passa  un  fait  touchant,  digne  des  beaux 
temps  de  l'Eglise,  et  qui  doit  engager  tous  les  peuples  chrétiens 
à  s'unir  pour  sauver  cette  chrétienté  naissante.  Les  rapports 
entre  les  missionnaires  protestants  et  les  missionnaires  catho^ 
liques  n'avaient  jamais  été  bien  intimes.  Mais,  en  présence  de 
la  persécution  commune,  les  sentiments  de  charité  l'emportèrent 
sur  tout  le  reste.  Les  Missionnaires  anglais  se  trouvèrent,  après 
le  pillage  de  leur  demeure,  dépourvus  de  tout  dans  leur  prison. 
Ce  fut  l'Evêque  catholique  qui  pourvut  à  leurs  vêtements  et. 4 
leur  nourriture.  C'est  aussi  ensemble  que  les  Missionnaires 
anglais  et  les  Missionnaires  français  quittèrent  l'Ouganda,  sur  la 
même  barque  qui  servait  à  la  Mission  anglaise,  et  ensemble 
qu'ils  partagèrent  les  derniers  périls. 

Le  R.  P.  Jamet,  missionnaire  d'Alger,  supérieur  de  la  Pro- 
cure de  Zanzibar  m'instruisit  en  ces  termes,  par  un  long  télé- 
gramme, de  ces  émouvantes  péripéties  : 

«  L'un  des  frères  aînés  de  Mouanga,  Kiwewa,  a  été  proclamé 
souverain.  Il  était  cependant  favorable  aux  Européens.  Il  se 
choisit  donc  un  premier  ministre  parmi  les  chrétiens^,  et.  des 
chefs  de  province  parmi  les  noirs  élevés  dans  les  établissements 
des  protestants  ou  des  catholiques.  Les  choses  allèrent  ainsi 
pendant  quelques  jours  :  mais  il  y  avait  longtemps  qu'un  complot 
autrement  redoutable  était  tramé  par  les  musulmans  pour 
s'emparer  de  l'Ouganda.  Profitant  de  ce  changement  complet 
d'administration,  ils  prirent  leurs  mesures  et,  à  un  jour  donné, 
se  jetèrent  sur  les  blancs.  Quatre  missionnaires,,  parmi  lesquels 
se  trouvaient  Mgr  Livinhae,  vicaire  apostolique  du  Nyanza,  et 
deux  missionnaires  anglais  furent  arrêtés,  emprisonnés,  et 
Kiwewa  fut  menacé  de  déposition  immédiate,  s'il  ne  destituait 
tous  les  chefs  favorables  aux  chrétiens,  pour  les  remplacer  par 
des  musulmans.  Ces  esclavagistes  sont  riches  et  bien  armés:  le 
roi  céda,  et  les  chefs  qu'il  avait  récemment  nommés  prirent  la 


240  ANNALES    CATHOLIQUES 

fuite,  pour  éviter  le  sort  qui  leur  était  réservé.  Les  missions 
anglaise  et  française  ont  été  saccagées  et  incendiées,  les  or- 
phelinats détruits,  les  missionnaires  avec  Mgr  Livinhac  à  leur 
tête,  enfermés  dans  une  prison,  et,  pendant  une  semaine  entière, 
exposés  aux  insultes  et  à  la  mort.  Ils  étaient  ensemble,  catho- 
liques et  protestants  anglais,  et  se  sont  donné,  dans  ces  tristes 
circonstances,  les  marques  d'une  charité  touchante.  Les  Anglais 
n'avaient  pu  sauver  ni  vivres  ni  vêtements.  Mgr  Livinhac  leur 
en  a  fourni.  Cependant,  après  les  avoir  dépouillés  de  tout,  le 
nouveau  ministre  musulman  leur  permit  de  se  retirer,  dans  une 
barque,  de  l'autre  côté  du  lac  où  ils  ont  aussi  plusieurs  missions 
dans  différents  royaumes,  et  particulièrement  dans  leBukumbi. 
La  barque  dans  laquelle  on  plaça  ces  confesseurs  de  la  foi  était 
dans  un  état  pitoyable^  et  pour  comble  de  malheur,  lorsqu'elle 
s'éloigna  du  rivage,  elle  fut  attaquée  et  renversée  par  un  hip- 
popotame qui  se  rua  tout  à  coup  sur  elle.  Les  missionnaires 
furent  sauvés  par  une  barque  qui  les  suivait;  mais  cinq  des  or- 
phelins qu'ils  emmenaient  avec  eux  furent  noyés.  Les  Pères 
sont,  aujourd'hui,  arrivés  sains  et  saufs  au  bord  du  lac,  mais  les 
musulmans  triomphent  et  ceux  qui  sont  actuellement,  sous   le 
nom  de  Kiwewa,  les  maîtres  de  l'Ouganda,  ont  écrit  à  M.  Ma<^kay, 
chef  de  la   mission   anglaise.   Ils  lui  annoncent  que,  pour  se 
venger  de  ce  que  l'Allemagne  et  l'Angleterre    avaient  voulu 
manger  l'Ouganda,   ils   tueraient   l'un    après    l'autre  tous    les 
blancs  établis  dans  l'intérieur  de  l'Afrique  équatoriale  (1).  » 

L'opinion  s'émut,  en  Angleterre,  de  ces  événements  et  de  la 
noble  conduite  des  missionnaires  français  de  l'Ouganda.  J'en  ai 
la  preuve  officielle  par  la  lettre  suivante  que  m'adressa  le  Mi- 
nistre des  Affaires  Etrangères  de  France,  à  la  datedu  8  avril  1889, 
pour  la  faire  parvenir  au  Père  Procureur  des  Missions  d'Afrique  : 


Paris,  le  8  avril  1889. 


Monsieur  le  Procureur, 


Monsieur  le  ministre  d'Angleterre  à  Paris  vient  de  me  faire 
savoir  officiellement  que  le  Gouvernement  de  la  Reine  avait 
hautement  apprécié  l'assistance  que  les  Pères  d'Alger  ont 
prêtée,  lors  du  récent  soulèvement  de  l'Ouganda,  à  deux  mis- 

(1)  Missions  d'Afrique,  n°  '73.  Janvier- février  1889,  p.  468-469. 


LETTRE    VU    CARDINAL    LAVIGERIE  241 

sionnaires  anglais  MM.  Walcker  et  Gordon,  gravement  mis  en 
péril  par  les  indigènes. 

Je  tiens  à  vous  informer  sans  retard  de  cette  démarche;  je 
viens,  d'ailleurs,  d'en  faire  part  à  notre  agent,  à  Zanzibar,  en 
l'invitant  à  transmettre  aux  Pères  de  la  Mission,  avec  mes  féli- 
citations, l'expression  des  remerciements  du  gouvernement  bri- 
tannique. 

Recevez,  Monsieur,  les  assurances  de  ma  considération  la  plus 
distinguée.  >Sî^ne' ;  E.  Spuller. 

Cependant,  Mgr  Livinhac  et  ses  missionnaires  se  trouvèrent 
bientôt,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir,  installés  au  sud  du  Lac, 
dans  le  petit  Etat  du  Bukumbi,  qui  échappait  aux  troubles  de 
l'Ouganda.  Là  se  passait,  quelques  mois  après,  un  événement 
bien  inattendu  après  le  récit  des  faits  qui  précèdent.  Mouanga, 
retenu  en  prison  par  les  Arabes,  après  sa  déposition,  avait  enfin 
réussi  à  s'enfuir  avec  quelques-uns  de  ses  pages.  Rendu  à  la 
liberté,  il  pensa  que  l'asile  le  plus  sûr  pour  lui  serait  la  rési- 
dence des  missionnaires  catholiques. 

Par  un  sentiment  de  confiance  et  de  respect,  qui  est  le  plus 
bel  homnaage  qu'il  pût  rendre  à  leur  vertu,  il  va  les  trouver.  Il 
y  arrive,  mourant  de  faim,  dépourvu  de  tout.  Il  est  reçu  avec 
les  mêmes  égards  qu'aux  temps  de  sa  prospérité.  Il  se  fait  ins- 
truire et  demande  le  baptême. 

Ce  n'est  pas  tout.  Les  chrétiens  de  l'Ouganda,  traqués  par 
Karéma,  qui  a  succédé  à  Kiwewa,  fugitif  à  son  tour,  et  par  les 
musulmans  esclavagistes,  s'êtaientenfuis,  au  nombre  de  plusieurs 
milliers  d'hommes,  et  réfugiés  dans  une  province  éloignée  qui 
les  accueillait  comme  des  délibérateurs. 

Bientôt  une  députation  est  envoyée  par  eux  à  Mouanga,  sur 
les  pirogues  du  lac;  les  ambassadeurs  lui  demandent  de  venir, 
à  leur  tête,  chasser  les  musulmans  et  reprendre  possession  de 
son  royaume.  Les  missionnaires,  consultés  par  lui, refusent  de  se 
prononcer,  selon  la  règle  de  leur  mission  qui,  comme  je  l'ai  dit, 
à  plusieurs  reprises,  leur  interdit  tout  acte  politique.  Il  se  décide 
seul:  il  part.  Il  s'établit  d'abord,  sans  difficulté  dans  les  îles  du 
lac  qui  dépendent  de  son  empire,  et  sur  les  rives  orientales  de 
l'Ouganda  qui  se  sont  soustraites  au  pouvoir  de  l'usurpateur. 
Là,  sa  première  pensée  est  de  rappeler  les  Pères  au  milieu  des 
chrétiens  :  cette  fois  il  s'agit  de  leur  ministère,  et  deux  Pères 
partent  à  leur  tour,  pour  partager  tous  les  périls. 


242  ANNALES    CATHOLIQUES 

Cependant  Karéma  résiste  avec  ses  Arabes  &t  les  nègres 
musulmanisés  par  coux-ci.  l.h  se  livrent  des  combats  qui  rap- 
pellent les  scènes  guerrières,  à  demi-sanvag-es,  dn  moyen-à?e  et 
les  anciennes  batailles  navales  d'e  la  Méditerranée.  Je-  éite,  sur 
la  dernière  dont  nons  avons  reça  les  détails,  la  lettre  qwe  nous 
écrit  Mgr  Livinhae  :  «  La  rencontre  eut  lieu,  dit-il,  au  port  de 
Bouaya,  à  un  jour  de  marche  de  l'Ile  oii  campe  IMouanga.  Les 
musulmans  venaient  de  jeter  l'ancre  et  de  dresser  leurs  tentes 
sur  les  bords  du  lac,  quand  la  petite  armée  de  terre,  fondant 
sur  eux  avec  la  rapidité  de  la  foudre,  les  obligea  à  se  sauver 
dans  leurs  embarcations,  avec  tant  de  précipitation  que,  s'em- 
barrassant  les  unes  dans  les  antres,  plusieurs  périrent  dans  les 
flots.  Les  commerçants  arabes,  au  nombre  de  cinq,  proposent  à 
leurs  compagnons  de  se  rendre  ;  mais  Téquipage,  composé  de 
Wangwanas,  et  les  autres  noirs  musulmans  refusent  de  cesser 
le  feu,  disant  aux  Arabes:  c  Mouanga  vous  épargnera  peut-être; 
mais  pour  nous  il  n'j  a  pas  de  grâce  à  espérer.  ^  En  ce  moment 
paraît  la  petite  flottille  de  Rlouanga,  commandée  par  Gabriel, 
un  deno«  néophytes.  Elle  se  range  en  ligne  de  bataill'e,  et  attaque 
vivement  le  grand  boutrè  de  l'arabe  l>en-Sif.  Mais  les  cent 
musulmans  accToupis  derrière  l'épais  bordage  de  cette  lourde 
embarcation  ontpeu  h  ci'aindre  des  balles  des  soldats  do  Mouanga, 
qu'ils  accueillent  par  une  fusillade  des  mieux  nourries.  Les 
rameurs,  habitants  des  îles  Sésé,  dont  la  lâcheté  est  proverbiale, 
épouvantés  par  les  détonations,  se  mettent  en  devoir  de  battre 
en  retraite.  Pour  les  retenir,  Gabriel  est  obligé  d'avoir  recours 
aux  plus  terribles  menaces.  Les  Arabes-,  de  leur  côté,  voudraient 
gagner  le  large;  mais  il  faudrait  se  dresser  sur  le  pont  pour 
lever  l'ancre,  et  ce  serait  s'exposer  à  une  mort  certaine.  Ils 
parviennent  enfin,  sans  se  montrer,  à  détacher  les  chaînes  qui 
relient  les  ancres  au  boutre,  et,  abandonnant  chaînes  et  ancres, 
ils  hissent  la  voile,  et  le  bateau  s'ébranle.  Les  Basésé  refusent 
de  le  poursuivre.  Encore  quelques  instants,  et  les  musulmans 
sont  sauvés.  Soudain  une  explosion  dont  on  ignore  la  cause,  se 
produit  dans  le  boutre  qu'elle  fait  bondir,  en  le  couvrant  d'un 
nuage  de  fumée.  Fous  de  frayeur,  ou  brûlés,  plusieurs  musul- 
mans se  jettent  à  l'eau  et  se  noient.  Cependant  le  capitaine  et 
les  hommes  de  l'équipage  se  défendent  en  désespérés,  et  tien- 
nent en  respect  les  assaillants  qui,  n'ayant  presque  plus  de  mu- 
nitions, voient  l'ennemi  sur  le  point  de  leur  échapper.  Une 
seconde  explosion  vient  encore  jeter  le  trouble  dans  le  bateau 

18 


LETTRE   DU.  CIAŒIDINAL    LA^1GERIE  34S 

et  faire  noyer  une  dizaine  des  .malheureux  qui  le  montent. 
L'armée  de  Mouanga  sent  son  courage  se  ranimer,  mais  ne  peut 
déterminer  les  pauvres  Basèsé  à  ramer  en  avant,  quand  une 
troisième  explosion  renouvelle  les  effets  désastreux  des  précé- 
dentes et,  de  plus,  met  le  feu  à  la  grande  voile  et  la  réduit  en 
cendres.  Les  assaillants,  voyant  que  Dieu  combat  ainsi  pour 
eux,  poussent  alors  un  formidable  cri  de  triomphe.  Les  Basésé 
•n'hésitent  plus.  Leurs  pirogues  légères  volent  sur  l'eau  comme 
des  rtèches  et  se  précipitent  sur  le  boutre.  Les  soldats  de 
Mouanga  s'élaneent  à  l'abordage,  font  un  horrible  carnage  de 
tous  ceux  qui  leur  résistent,  n'épargnant  que  les  jeunes  esclaves 
et  les  cinq  Arabes  qui  avaient  conseillé  à  l'équipage  de  mettre 
bas  les  armes,  pillent  le  bateau  et  le  livrent  aux  flammes. 

«  Le'  petit  boutre  de  Soungoura,  qui  avait  abandonné  son 
chargement  à  terre,  s'était  esquivé  pendant  le  combat.  Les  noirs 
chrétiens  l'aperçoivent  au  loin  et  vont  l'attaquer  résolument. 
Dieu  vient  encore  à  leur  aide  par  une  explosion  qui,  mettant  le 
trouble  parmi  l'équipage,  leur  assure  la  victoire,  et  le  boutre 
est  incendié. 

«  On  assure  que  prés  de  deux  cents  musulmans  ont  péri  dans 
ce  combat.  Chose  incroyable,  et  qui  tient  du  prodige,  les  assail- 
lants qui  ont  eu  à  essuyer  une  grcie  de  balles,  n'ont  .perdu  que 
deux  hommes,  dont  l'un  même  aurait  été  victime  de  la  mala- 
dresse de  son  compagnon. 

«  Les  cinq  malheureux  Arabes,  dont  nous  avons  parlé,  s'étaient 
blottis  au  fond  dii  bateau  pour  se  mettre  à  l'abri  des  balles  ; 
mais  ils  avaient  été  tellement  maltraités  par  les  explosions, 
qu'ils  moururent  tous  avant  d'avoir  pu  être  présentés  à  Mouanga. 
Ainsi,  de  tous  les  musulmans  venus  du  sud  du  lac  au  secours  de 
leurs  coreligionnaires,  il  ne  reste  que  les  trois  courriers  envoyés 
à  Karêma  pour  lui  annoncer  l'heureuse  arrivée  d'un  renfort  qui, 
selon  toutes  les  apparences,  eut  assuré  son  triomphe  et  ruiné  à 
jamais  la  cause  de  Mouanga,  tandis  que  l'issue  du  combat  vient  de 
changer  la  situation...  » 

Là  s'arrêtent  les  dernières  lettres  de  nos  missionnaires.  Mais 
une  dépêche,  reçue  du  procureur  de  la  Mission  d'Alger  à  Zan- 
zibar, et  qui  nous  tient  encore  en  ce  moment  dans  des  transes 
cruelles,  nous  apprend  que  Mouanga  et  les  chrétiens  ont  con- 
sommé leurs  succès,  qu'ils  ont  renversé  l'usurpateur  et  chassé 
les  musulmans  ;  mais  on  nous  fait  aussi  connaître  que  ceux-ci, 
avec  Karéma,  ont  cherché  un  refuge  sur  les  bords  du  Nil,  parmi 


244  ANNALES    CATHOLIQUES 

les  derviches  fl),  homme  du  Mahdi,  et  qu'ils  sollicitent  ces  der- 
niers de  se  porter  avec  eux  sur  l'Ouganda  pour  en  reprendre  pos- 
session au  nom  du  mahométisme. 

C'est  là  qu'en  sont  les  choses  ;  et  c'est  ce  qui  me  fait  prendre 
aujourd'hui  la  plume  pour  jeter,  en  ma  qualité  de  Pasteur  et  de 
Père  de  ces  Missionnaires,  de  ces  chrétiens  d'un  si  admirable 
courage,  un  de  ces  cris  que  ne  peuvent  obtenir  les  profondeurs 
de  l'âme  humaine,  pour  renouveler  l'appel  que  j'ai  déjà  fait  aux 
peuples  de  l'Europe. 

Je  ne  l'adresse  à  aucun  d'eux  en  particulier,  puisqu'aucune 
puissance  n'a  encore  placé  l'Ouganda  dans  la  sphère  de  son  in- 
fluence. 

La  France,  à  qui  son  protectorat  a  été  proposé,  n'a  pu  l'ac- 
cepter, comme  on  l'a  vu,  pour  les  raisons  que  j'ai  fait  connaître. 

Voilà  pourquoi,  bien  que  la  Mission  de  l'Ouganda  compte  des 
missionnaires  français,  je  ne  m'adresse  pas  spécialement  à  elle 
aujourd'hui.  L'Angleterre  a,  comme  on  l'a  vu,  des  missionnaires 
au  Nyanza.  L'Allemagne  en  compte  également,  et  je  ne  puis 
oublier  que  le  nouveau  vicaire  a|)ostolii|ue  désigné  par  le  Saint- 
Siège  pour  remplacer  Mgr  Livinhac,  élu  par  sa  Société  pour 
remplir  la  charge  de  Supérieur  général,  est  Mgr  Hirth,  un  hé- 
Toïiiue  et  pieux  enfant  de  l'Alsace. 

H 

Les  madhistes  du  Haut-Nil,  qui  menacent  en  ce  moment  les 
Grands  Lacs,  déshonoraient  donc,  depuis  longtemps  déjà,  sous 
le  nom  de  derviches,  le  Soudan  égyptien  et  toutes  les  régions  du 
Nord  et  de  l'Ouest  africain. 

Une  autre  secte  fanatique,  qui  reconnaît  pour  chef  un  autre 
raaluli,  plus  redoutable  encore  que  celui  de  la  Haute-Egypte,  se 
prépare  dans  l'onjbre,  sous  le  nom  de  Khouans,  à  un  assaut 
semblable. 

Mais,  pour  faire  comprendre  la  forme  et  la  grandeur  de  ces 
périls  nouveaux,  il  est  d'abord  nécessaire  de  rappeler  en  quel- 
ques mots,  la  situation  particulière  du  mahométisme  en  Afrique. 

L'Atrique  a  semblé,  dés  l'origine,  fatalement  destinée  à  de- 
venir la  proie  de  l'islam. 

La  nature  l'avait  préparée,  comme  par  avance,  à  cette  inva- 
sion sauvage. 

(1)  On  appelle  ainsi,  parmi  les  mystiques,  la  série  des  Docteurs 
illustres  dont  on  a  étu^lié  la  doctrine  et  embrassé  les  pratiques. 


LETTRE    DU    CARDINAL    LAVIGERIE  245 

Il  est  difficile,  en  effet,  de  ne  pas  remarquer  que  l'Arabie,  qui 
fut  le  berceau  de  Mahomet,  semble  se  détacher  du  reste  du 
monde  et  se  porter  sur  notre  continent  comme  pour  en  ouvrir 
l'accès. 

Elle  l'ouvrit  en  effet,  dés  les  premiers  temps,  pour  laisser 
passer  le  flot  envahisseur  sur  l'Egypte  et  sur  les  contrées  bar- 
baresques.  Ce  flot  poussait  ensuite  de  proche  en  proche,  plus 
loin  ses  ravages,  et  il  les  continue,  encore  aujourd'hui,  vers 
l'intérieur  équatorial,  alors  qu'il  semble  s'endormir  et  tomber 
aux  lieux  mêmes  de  sa  naissance... 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  la  situation  géographique  qui 
explique  ces  conquêtes  africaines,  ce  sont  encore  les  affinités 
qui  existent  entre  le  caractère  des  Africains  et  les  lois  de 
l'Islam.  Si  l'on  ne  peut  dire  que  les  lois  de  Mahomet  ont  été  les 
meilleures  qu'il  pût  donner  à  ses  sectateurs,  on  peut  trouver, 
en  effet,  comme  on  l'a  dit  pour  la  Grèce,  de  celles  de  Selon,  que 
c'étaient  celles  qui  paraissaient  le  mieux  répondre  aux  disposi- 
tions, à  la  nature  morale,  aux  vices  mêmes  des  Africains. 

A  ce  point  de  vue  même,  c'est  un  chef-d'œuvre. 

Mahomet  donne  en  eflet,  par  sa  religion,  satisfaction  aux 
instincts  religieux  de  nos  populations  ardentes  :  l'existence  d'un 
Etre  suprême,  son  unité,  sa  providence,  sa  justice.  Mais  d'autre 
part,  il  sacrifie  à  la  crédulité  d'un  peuple  ignorant  et  qui  accepte 
tout  avec  d'autant  plus  de  facilité  et  d'enthousiasme  que  ce 
qu'on  lui  enseigne  est  plus  incroyable. 

Nulle  part,  on  n'a  cru  davantage  aux  fausses  prophéties  et 
aux  faux  miracles;  et  c'est  Tertullien,  un  Africain  de  génie, 
mais  d'un  génie  qui  ne  gardait  point  de  mesure,  qui  a  osé  dire, 
tout  chrétien  qu'il  était,,  qu'il  admettait  ses  propres  doctrines 
pour  leur  absurdité  même  :  Credo  quia  ahsurdum.  Le  relâche- 
ment; on  pourrait  presque  dire  la  suppression  de  toutes  les 
règles  des  mœurs,  qui  légitime,  dans  le  Coran,  les  passions  bru- 
tales, ou  leur  enlève  tout  frein  dans  la  tradition  et  dans  la  prati- 
que, ne  devait  pas  moins  servir  la  conquête  de  l'Islam.  L'Afrique 
n'y  était  que  tpop  disposée.  Même  aux  siècles  les  plus  chrétiens, 
elle  faisait  rougir  le  reste  du  monde  par  ses  excès,  et  c'est 
encore  un  père  de  l'Eglise  qui  a  écrit  d'elle:  «  Il  est  aussi  inouï 
de  voir  un  Africain  qui  ne  soit  pas  impudique  que  de  voir  un 
Africain  qui  ne  soit  pas  Africain.  Tani  inauditum  est  Afrum 
non  esse  iTupudicum,  quant  Afrum  non  esse  Afrum  (1).  »  Enfin, 

(1)  Salvien,  De  guhernatione  Dei. 


246  ANNALES  CATHOLIQUES 

ce  à  quoi  Mahomet  fit  appel,. plus  qu'à  tontt  le  reste,  pour  aou 
mettre  Je  monde,  c'est  l'orgueil  aveugle  de  la  force,  et  l'insensi- 
bilité barbare  devant  la  mort,  la  ruine,  la  souflrance.  L'Afrique 
en  est  encore  là,  partout  oii  le  christianisme  no  l'a  point  pé- 
nétrée. Elle  n'obéit  qu'à  la  force,  et  aucune  souffrance  de  ce  qui 
est  faible  ne  l'émeut. 

Elle  était  donc,  je  le  dis  une  fois  encore,  préparée,  par  ses 
vices  mêmes,  à  l'invasion  musulmane.  Aussi,  sauf  dans  le  massif 
abyssinien  où  les  chrétiens  venus  d'Asie  et  s'inspii'ant  de  ses 
traditions  se  sont  maintenus  jusqu'à  ce  jour,  ^râce  à  leur  carac- 
tère différent  et  aux  crêtes  inaccessibles  de  leurs  montagnes 
contre  lesquelles  le  flot  bat  inutilement  depuis  tant  de  siècles, 
l'islam  a-t-il,  dès  son  origine,  je  le  répète,  subjugué  toute 
l'Afrique  du  Nord.  Nous  savons  bien,  par  des  traditions  obscures, 
que  les  chrétiens  continuèrent,  sur  des  points  isolés,  à  y  vivre 
en  masses  profondes  ;  mais  on  ne  peut  plus,  depuis  l'Islamisme, 
citer  une  date  illustre,  un  seul  grand  nom  dans  l'histoire  de  ces 
chrétiens,  disciples  avilis  des  Cyprien,  des  Augustin,  de  tant  de 
saints,  de  tant  de  martyrs.  La  conquête  ne  s'arrêta  pas  même 
aux  limites  du  monde  ancien.  Les  histoires  musulmanes  nous 
apprennent  que  les  disciples  de  Mahomet  pénétrèrent  dans  des 
profondeurs  inconnues  des  armées  romaines.  Le  Sahara  fut 
envahi  par  eux,  et,  au  sud  du  Maroc,  les  régions  qui  environnent 
la  Tornbouctou  actuelle,  durent  plier  sous  le  joug  jusqu'aux 
lacs  et  aux  rives  les  plus  lointaines  du  Niger. 

Voilà  le  résultat  d'une  première  tentative,  alors  que  l'enthou- 
siasme précipitait  la  victoire. 

Mais  si  le  Mahométisme  était  fait  pour  iii  conquête,  et  pour  la 
conquête  de  l'Afrique,  en  vertu  même  de  la  ressemblance  de 
son  génie,  il  n'était  pas  fait  pour  la  conservation  ou  la  création 
de  nations  civilisées  durables...  Non  seulement  sous  son  action, 
l'éclat  de  ces  commencements  s'est  terni,  mais  tout  ce  qui  exis- 
tait auparavant  a  disparu  et  s'est  comme  abîmé  dans  le  néant  : 
les  villes,  les  monuments,  les  méthodes  acquises,  et  jusqu'aux 
grands  chemins  qui  traversent  ces  contrées,  jusqu'aux  cultures, 
jusqu'à  la  végétation  des  forêts. 

C'est  ce  qu'ont  amené  le  fatalisme  et  la  crédulité  aveugle, 
d'une  part;  de  l'autre,  la  violence  et  la  rapacité,  avec  la  corrup- 
tion et  la  débauche  qui  enlèvent  à  l'homme  toute  énergie,  dès  le 
jour,  si  précoce  parmi  nos  musulmans,  oii  il  se  livre  à  elle  sans 
retenue. 


LETTRE    BIT   CARDmAL  LAVIGERIE  247 

Il  faut  avoir  vu,  comme  nous  l'avoas  vn  nous-mêmes,  l'état 
de  ces  contrées,  lorsque  la*  France  en  a  pris  possession,^  il  faut 
s'^e  rendu  compte  de  cette  destruction,  de  cette  impuissance  à 
relever  ces  débris,  de  cette  mort  anticipée,  pour  comprendre  ce 
que  je  dis.  Mais  quiconque  a  visité  les  provinces  musulmanes  de 
l'Afrique,  le  reconnaîtra  sans  peine,  et  sanra  quelle  vérité  si- 
nistre se  cache  sous  le  proverbe  oriental  lorsqu'il  dit  que 
Y&mbre  seule  d'un  musulman  stérilise  j^our  cent  années  le 
champ  sur  lequel  elle  pass^. 

Il  y  a  un  demi-siècle,  tel  était  l'aspect  de  l'ancienne  Afrique 
romaine  ;  tout  y  annonçait  la  mort. 

Mais  il  s'est  produit,  depuis  cinquante  ans,  un  singulier  phé- 
nomène :  sous  ce  linceul  immense,  un  esprit  de  résurrection  et 
de  vie  paraît  s'être  de  nouveiaa  fait  sentir. 

Le  mahométisme  africain  aspire  non  seulement  an  rétablis- 
sement de  son  ancien  pouvoir,  partout  oii  il  a  existé  dans  le 
passé,  mais  à  la  destruction  de  tout  établissement  européen,  et 
à  l'invasion  totale  d'uû  continent  dont,  au  temps  même  de  sa 
puissance,  il  ne  possé^lait  qu'une  partie. 

Je  n'ai  pas  à  apprécier  ici,  de  nouveau,  ce  qui  se  passe,  en  ce 
moment,  dans  l'Afrique  Equatoriale.  J'en  ai  parlé  longuement 
dans  les  chaires  des  églises  de  l'Europe,  dans  mes  Lettres, 
dans  mes  brochures-,  et,  tout  dernièrement  encore,  au  moment 
de  l'ouverture  de  la  Conférence  de  Bruxelles,  dans  ma  lettre  à 
S.  M.  le  roi  Léopold  II.  Je  n'ai  fait  que  résumer,  du  reste,  à  cet 
égard,  les  témoignages  des  explorateurs  et  cenx  des  mission- 
naires, les  témoignages  des  Livingstone,  des  Stanley,  des  Bur- 
ton,  des  Speke,  des  Grand,  de  l'intrépide  et  patriotique  Serpa 
Pinto.  Leurs  écrits  sont  dans  toutes  les  mains.,  ■ 

Ils  montrent  que  l'Afrique  orientale  est  déjà,  en  grande 
partie,  dépeuplée  par  les  musulmans  esclavagistes.  Ils  font  voir 
l'œuvre  accomplie  par  les  envahisseurs  arabes  du  Nyassa,  du 
Tanganika,  du  Congo.  Je  viens  de  signaler  dans  la  premièr.ô 
pftrtie  de  cette  Lettre,  l'Oeuvre  actuelle  qu'entreprennent  les 
derviches  sur  les  bords  dit  Nyanza.  Mais,  ce  que  je  n'ai  pas 
encore  assez  dit,  et  ce  qu'il  faut  que  je  fasse  mieux  connaître 
enfin,  pour  éclairer  pleinement  l'Opinion  de  ceux  qui  se  préoc- 
cupent 'd'un  si  grave  sujet,  c'est  le  complot  immense  qui  se 
trame  autour  de  nous,  qui  a  son  origine  et  son  centre  dans 
l'Afrique  du  Nord  et  qui  déjà  envahit  tout,  jusqu'aux  bords  du 
Niger,  jusque  dans  les  royaumes  nombreux  du  Soudan,  jus- 
u'aux  extrémités   du  Nil. 


248  ANNALBS   CATHOLIQUES 

Il  faut  donc  savoir  que  le  mahométisme,  en  reconnaissant 
Mahomet  pour  son  prophète  suprême,  proclame,  depuis  les 
premiers  jour,  le  renouvellement  constant  et  nécessaire  de  son 
esprit  par  le  ministère  d'envoyés  nouveaux.  Cet  esprit  est  que 
les  croyants  n'ont  à  se  préoccuper,  en  rien,  du  progrès  des 
choses  de  la  terre,  et  qu'ils  n'ont  pour  mission  que  d'y  établir 
la  foi  et  le  règne  de  Dieu,  d'y  maintenir  sa  loi  dans  sa  pureté  et 
dans  sa  rigueur.  Si  la  foi  s'éteint  ou  se  refroidit,  si  les  chefs  du 
mahométisme  pactisent  avec  les  idées  de  ce  monde,  s'ils  accep- 
tent l'alliance  et,  à  plus  forte  raison  le  joug  de  l'infidèle,  ils 
manquent  à  leur  devoir  le  plus  sacré. 

Dès  lors,  un  nouvel  interprète,  inspiré  par  Mahomet  lui- 
même,  s'élève  au  milieu  de  ses  frères.  Il  a  récusa  mission  dans 
quelque  vision  mystérieuse.  Cette  mission,  il  la  publie  :  il  est 
le  guide  (Mahdi,  c'est  le  nom  sacréj  et  le  réformateur  attendu; 
il  réuni  autour  de  lui  les  adeptes  qu'il  a  pu  convaincre  ;  il  forme 
une  société  secrète  ou,  comme  ils  disent,  un  nouvel  ordre  de 
«  Frères  >,  il  refuse  toute  obéissance  aux  pouvoirs  constitués  en 
dehors  de  lui,  et  il  exige  lui-même  de  ses  adhérents  la  docilité 
du  cadavre. 

C'est  le  spectacle  qu'offre  en  ce  moment,  le  monde  musulman 
africain  et  sur  lequel  j'appelle  avec  instance,  pour  accomplir 
un  grave  devoir  de  ma  charge,  l'attention  du  monde  civilisé. 

Déjà,  depuis  deux  siècles,  des  Ordres  ou  Sociétés  de  ce 
genre  avaient  paru  et  s'étaient  multipliées  en  Afrique  et  sur 
divers  points  des  contrées  musulmanes  :  mais  leur  œuvre  (sauf 
celle  de  quelques-uns,  plus  modérés  et  plus  sages  comme  celle 
d'El-Djilali,)  simple  inspiration  du  fanatisme  ou  d'intérêts  per- 
sonnels, n'avait  jamais  réuni  qu'un  nombre  restreint  d'adeptes, 
sur  lesquels  il  était  permis,  dans  le  monde  chrétien,  du  moins, 
de  fermer  les  yeux.  Aujourd'hui,  à  la  suite  des  conquêtes  de  la 
France,  sur  les  bords  de  la  Méditerranée,  de  l'Angleterre,  en 
Egypte  et  sur  les  bords  de  l'Océan,  il  s'est  formé,  sur  les  mêmes 
principes,  des  confréries  semblables,  plus  agissantes,  et  en  par- 
ticulier une  Association  tout  autrement  à  craindre,  parce  qu'elle 
réunit  peu  à  peu  en  un  seul  faisceau  toutes  ces  forces  divisées 
et  veut,  un  jour,  les  lancer  sur  le  monde. 

Il  importe  donc  de  bien  la  connaître,  parce  qu'elle  menace 
surtout  l'Afrique,  et  particulièrement  les  établissements  euro- 
péens. 

Les  bornes  d'une  Lettre  ne  me  permettent  pas  d'aborder  les 


LETTRE   DU   CARDINAL   LAVIGERIE  249 

détails  qui  seraient  peut-être  nécessaires,  sur  un  semblable 
sujet.  Mais,  puisque  je  suis  amené  à  l'indiquer,  du  moins  par  la 
question  même  à  l'occasion  de  laquelle  j'ai  voulu  faire  appel  à 
la  Conférence  de  Bruxelles,  que  ses  membres  éminents  me  per- 
mettent de  dire  ici,  qu'on  ne  saurait  juger,  en  ce  moment,  des 
choses  de  l'Afrique  et  de  celles  de  l'esclavage,  si  étroitement 
unies  dans  notre  continent,  sans  s'être  fait  une  exacte  idée  du 
fait  grave  que  je  signale  et  qui  domine  tout. 

Des  esprits  également  distingués  par  leur  impartialité  et  par 
leurs  lumières,  et  qui  ont  fait  de  ces  questions  une  étude  appro- 
fondie, les  ont  traitées  déjà.  On  ne  peut  rien  écrire  avec  une 
plus  complète  compétence  et,  par  conséquent,  avec  une  plus 
grande  autorité. 

Il  en  est  surtout  trois  que  je  veux  indiquer,  ici,  parce  que 
l'absence  de  toute  préoccupation  autre  que  celle  du  devoir  et 
de  la  vérité  ne  permet  de  les  considérer,  à  aucun  degré,  comme 
obéissant  à  des  idées  de  partialité  ou  d'intolérance,  et  qu'ils 
doivent  inspirer,  dès  lors,  une  entière  confiance  aux  hommes 
politiques  qui,  comme  ceux  qui  se  trouvent  réunis  à  Bruxelles, 
ne  se  préoccupent  que  des  intérêts  de  l'humanité  et  de  la  civi- 
lisation : 

Le  premier  est  le  commandant  Rinn,  membre  du  Conseil  de 
gouvernement  de  l'Algérie,  qui  a  passé  sa  vie,  déjà  longue,  à 
approfondir  les]  problèmes  religieux,  toujours  importants  et 
obscurs,  dans  l'administration  des  affaires  musulmanes  ;  esprit 
d'une  sagacité  rare  et  d'une  rare  sagesse,  dont  l'œuvre  intitulée 
Marabouts  et  Khouan  (1)  est  à  coup  sûr,  la  plus  curieuse  et  la 
plus  instructive  sur  ces  matières.  Le  second  est  M.  Henry 
Duveyrier,  membre  de  la  Société  de  géographie  de  Paris,  dans 
l'ouvrage  sur  Les  Touaregs  du  Nord  (2),  oii  l'intrépidité  et 
l'intelligence  se  sont  unies  jusque  dans  les  dernières  profon- 
deurs du  monde  musulman,  pour  étudier  ces  mystères.  Le  troi- 
sième enfin,  qui  résume  et  complète  le3  deux  autres,  et  chez 
qui  les  lumières  de  l'observateur  et  du  philosophe  se  doublent 
des  inspirations  de  l'administrateur  et  de  l'homme  d'Etat,  M.  le 
général  Philebert,dans  son  œuvre  remarquable  sur  La  Conquête 
pacifique  de  V intérieur  africain  (3). 

(1)  1  vol.  in-S».  Alger,  Adolphe  Jourdaa,  libraire-éditeur,  1884. 

(2)  1°  vol.  iu-8.  Paris.  Challamel  aîaé,  libraire-éditeur,  5,  rue 
Jacob,  1864. 

(3)  1  vol.  in  8».  Paris,  Ernest  Leroux,  23,  rue  Bonaparte,  1889. 


250  AWNALSS    CA^THOLMIUSS 

Que  les  membres  de  la  Gonfêreiace  de  Bruxelles  lisent  donc 
ces  œuvres  clignent  de  tout  leur  intérêt.  Elles  leur  feront  con- 
naître, je  le  répète,  les  détails  queja  ne  puis  exposer  moi-jcnéme, 
<lans  un  écrit  de  si  courte  étendue. 

J'en  veux  dire,  du  moins,  ce  qu'il  importe  à  tous  de  sa-Ytoif 
pour  apprécier  la  nature  et  la  grandeur  du  péril  sur  lequel 
j'appelle  leur  attention. 

C'est  en  Afrique  qu'est  né  le  fondateur  de  ce  Madhis^ne  nou- 
veau, tout  autrement  redoutable  que  celui  des  yuadhis  d'aven- 
-ture  du  Haut-iNil,  et  c'est  aussi  l'Afrique  qu'il  menace,  paa' 
suite  du  caractère  propre  de  cohésion, d'enthousiasme, de  crédui- 
dulité,  d'ignorance  que  j'ai  signalé  chez  nos  populatioii-s 
musulmanes.  Ce  fondateur  d'un  Ordre  nouveau,  qui  aspirait, à 
réunir  tous  les  autres  Ordres  africains  sous  sa  conduite,  esft  le 
chérif  algérien  Si  Mohammed-ben-Ali-ben-Ea&noussi-El-lihot- 
tabi-el-Hassai-El-IdrissL,  venu  au  monde  dans  un«  obscure  tiibu 
■de  la  province  d'Oran,  on  1790,  et  mort  dans  la  Tripolitaine 
depuis  plus  de  vingt  années.  Sa  vie,  relativement  courte,  a  suffi, 
par  suite  de  circonstances  exceptionnelles,  et  surtout  grâce  àisofi 
génie  rare,  pour  fonder  l'œuvre  immense  à  laquelle  il  s'est  cou- 
sacré  et  dont  il  a,  par  ses  fils  et  ses  successeurs,  assuré  la 
durée. 

■D'abord  simple  a«ccte  voué  à  la  pénitence,  à  la  prière,  à 
l'étude  ;  puis,  après  âos  pèlerinages  à  tous  les  sanctuaires  du 
monde  musulman,  ses  courses  pour  visiter  les  zaouïas  illustres 
et  constituer  «  sa  chaîne  d'or  >  chef  d'un  Ordre  auquelil  adonué 
son  nom,  favorisé,  comme  tout  envojé  musulman,  du  don  de5 
visioDS  surnaturelles,  objet  des  révélations  du  Prophète  qui 
lui  ordonne  de  relever  et  de  soutenir  l'Islam  ébranlé,  il  se  pré- 
sente avec  tous  les  caractères  (jui,  en  Afrique,  entraînent  les 
masses  ignorantes. 

Objet  d'enthousiasme  pour  les  multitudes,  mais  objet  de 
défiance  et  de  citiintc,  de  la  part  des  priuces  et  des  chefs  mêmes 
de  i'orthodoxifi  :  contredit  et  traité  d'hér<étique  jusque  dans  ia 
Mecque;  objets  de  tentatives  avortées  d'assassinat  parle  poison 
ou  de  meurtre  par  la  violence;  obligé  de  fuir,  mais  dissimulant 
sa  fuite  et  son  dessein  sous  de  . nouveaux  ordres  prétendos  du 
Prophète;  et,  enfin,  trouvant  un  asile  et  le  lieu  où  il  pourra 
mûrir  et  préparer  l'exécution  de  ses  vastes  desseins  dans  les 
déserts  de  la  Tripolitaine. 
La  mission  propre  qu'il  proclame,  c'est  la  nécessité  de  renou- 


LETTRE   DU    CARDINAL    LAVIGERIE  251 

vêler  rislarnisme  déchu,  et,  pour  cela  de  rétablir  la  doctrine  de 
l'iaiamat  suprême,  tel  que  le  Prophète  l'a  créé,  dans  sa  propre 
personne,. 

Il  enseigne  donc  que  c'est  Dieu  seul  qui  gouverne  le  monde, 
mais  qu'il  ne  le  gouverne  pas  au  moyen  des  princes- de  :La  terre, 
comme  l'admet  le  commun  des  peuples  :  il  le  gouverné  directe- 
ment par  son  Envoyé  et  par  ceux  qui  doivent  lui  succéder,  en 
qualité  d'imams  ou  chefs  religieux.  Ce  sont  eui  qui  sont  char- 
gés de  prêcher  et  d'interpréter  sa  loi  ;  et  sa  loi  seule  doit  déci- 
der de  toutes  les  actions,  non  seulement  de  celles  de  la  religion, 
mais  de  celles  de  la  vie  civile  et  politique.  C'est  uniquement 
ainsi  que  pe«t  être  maintenue  dans  sa  pureté  d'après  l'enseigne- 
ment de  Mahomet  la  doctrine  céleste  que  renferme  le  Coran. 
Mais,  peu  à  peu  ajoute-  Senoussi,  il  est  arrivé  comme  l'avaient 
déjà  constaté  l'autorité  que  lui  donnent  sa  piété,  sa  prétendue 
descendance  de  Mahomet,  sa  rare  éloquence,, -q-u'à  la  suite  des 
conquêtes,  des  richesses  accumulées,  des  entraînements  et  des 
séductions  du  pouvoir,  tout  a  dégénéré,  dans  l'Islam,  parmi  le 
peuple,  parmi  les  princes  usurpateurs  de  l'autorité  souveraine, 
et  jusque  parmi  les  hommes  ofâciellement  consacrés  à  l'étude 
de  la  loi  et  à  la  prière.  La  négligence,  la  corruption  se  sont 
mises  partout,  et  tout  est  tombé  dans  l'apostasie.  On  le  voit  par 
la  faiblesse  des  souverains  musulmans  et  du  Chef  des  croyants 
lui-même,  par  les  alliances  contractées  avec  l'infidèle,  par 
radoi>ti)<.iiïdes  idéeset  des  inventions  de  l'Enrope,  comme  il  répète 
avec  d'autres  docteurs  inspirés,  pour  la  facilité  avec  laquelle  ils 
placent  auprès  d'eux  et  jusqu'au  nombre  de  leurs  ministres  des 
hommes  choisis  parmi  les  impies.  «  Diea  s'irrite  d'un  tel  spec- 
tfuile,  et  Mahomet  s'en  indigne  :  du  haut  du  ciel,  il  fait  appel  à 
tous  ses  vrais  disciples  pour  rétablir  l'Islam  et  sauver  le  monde 
m:einacé  de  destruction  universelle.  »  '     \     .''  i;: 

Voilà  les  discours  incessants  de  Senoussi  ei  d«  ses  moqqa- 
dems.  A  la  Cour  de  Constantinople,  oii  Senoussi  compte  cepen- 
dant, dans'  rentôlrrage  même  du  -Sultnn,  des  intelligences 
secrètes  qui  peuvent,  sous  les  inspirations  du  fanatisme  et  des 
traditions  du  sérail,  ne  pas  être  toujours  les  moins  périlleuses, 
à  celle  d,u  Khédive  ou  à  celles  de  l'Asie  et  de  l'Afrique,  au 
foud,  de  telles  paroles  peuvent  faire  sourire.  La  généalogie  de 
Mahomet,,  le^  visions,  les  discours  du  Prophète  ne  causent 
d'autra  impression  que  celles  de  la  colère  secrète  contre  un 
imposteur  populaire,  ou  de  la  pitié  pour  ceux  qu'il  a  pu  séduire|,. 


252  ANNALBS    CATHOLIQUES 

Mais,  parmi  les  masses  crédules  qui  ne  voient  partout  que  le 
miracle  et  ne  désirent,  au  fond,  que  le  sac  des  sociétés,  de  sem- 
blables prédications  ne  trouvent  qu'une  croyance  aveugle  et  un 
enthousiasme  sans  frein  pour  l'exaltation  de  l'Iman  nouveau  qui 
seul  peut  assurer  le  salut. 

Mais  c'est  ici  que  Senoussi  a  montré  toute  la  supériorité  de 
son  génie.  Au  lieu  de  procéder  par  la  violence  et  de  se  faire 
jeter  ainsi  dans  les  cachots,  il  a  su  imposer  silence  aux  passions 
mêmes  qu'il  excitait,  et  leur  creuser  le  lit  profond  où  elles  se 
dissimulent  et  acquièrent  une  force  irrésistible. 

Une  organisation  savante,  celle  d'une  association,  comme  il 
en  existe  tant  d'autres  (on  en  compte  seize  en  Algérie),  de 
frères  (Khouans)  voués  comme  lui  à  la  prière  et  à  la  pénitence, 
lui  assure,  pour  l'avenir,  sans  l'exposer  à  aucun  péril  pour  le 
présent,  le  succès  de  ses  vues  ambitieuses.  Ce  fut  donc  pour  évi- 
ter encore  plus  sûrement  tout  danger  qu'il  choisit  les  déserts 
pour  centre  de  l'action  qu'il  inaugure. 

C'est  en  1835  qu'il  fonde  la  première  zaouïa  de  son  Ordre.  Les 
plus  ardents  d'entre  les  disciples  qu'il  avait  déjà  recrutés  en 
Arabie,  en  Egypte,  dans  les  provinces  barbaresques  et  bientôt 
jusque  dans  le  Soudan,  s'y  réunissent  autour  de  lui,  sur  les 
confins  de  la  Tripolitaine.  Quatre  cents  frères  ou  Kkouans  se 
trouvent  bientôt  groupés  À  Djebel  Lakhdar  (1)  et  commencent 
leur  œuvre.  Elle  est  prêchée  par  des  émissaires  habiles,  par  des 
cheiks  ou  moqqâdems,  prudents  et  déterminés  à  la  fois.  Rien  ne 
devait  paraître  au  dehors,  sinon  dans  les  régions  oii  il  était 
possible  de  fonder  des  zaouïas  nouvelles,  en  dehors  et  à  l'int-u 
des  gouvernements  réguliers. 

Ce  travail  souterrain   transpirait  cependant.  On  s'en  inquié- 

(1)  En  peu  d'années,  dit  M.  Rinn,  le  Djebel  fut  littéralement  cou- 
vert d'établissements.  Snoussi  entreprit  alors  de  nouvelles  cons- 
tructions dans  le  reste  de  la  Tripolitaine,  dans  le  Sud  de  la  Tunisie, 
dans  la  Marraarique,  en  ElgTpte,  en  Arabie,  à  Mourzauk,  à  R'ad,  à 
R'damès,  à  Insalah,  à  Taouat,  chez  les  Touaregs  et  jusque  dans  le 
Soudan.  Chaque  jour,  aon  influence  grandissait  et,  vers  la  fin  de  sa 
vie,  maître  de  22  zaouïas.  dont  16  dans  le  district  de  Ben-Ghasi,  il 
était  devenu  le  véritable  souverain  de  l'immense  pays  que  limite,  au 
Nord,  le  littoral  méditerranéen  d'Alexandrie  à  Gabès,  et  qui  s'étend 
dans  le  Sud,  jusqu'aux  royaumes  nègres,  au  milieu  desquels  ses 
moqqâdems  commençaient  déjà,  à  son  profit,  leurs  conquêtes  pacifi- 
ques (C.  Rinn,  p.  491.) 


LBTTRE    DU    CARDINAL    LAVIGERIE  253 

tait,  surtout  dans  les  cours  musulmanes  et  jusqu'auprès  du  Sul- 
tan, où  Es-Snoussi  excitait  des  appréhensions  sérieuses.  Selon 
ses  habitudes  de  prudence,  il  crut  utile  de  s'enfoncer  alors  dans 
le  désert, et  il  ne  s'arrêta  que  lorsqu'il  eut  mistrentejournéesde 
marche  entre  la  côte  et  Djer'boub,sa  résidence  nouvelle.  C'est  là 
qu'il  a  placé  le  centre  définitif  de  son  action.  Il  y  a  élevé  une 
zaouïa  magnifique, le  plus  beau  monument,  disent  les  musulmans 
qui  l'ont  vue,  de  l'Afrique  entière.  C'est  là  qu'il  a  réuni,  soit 
en  qualité  démembres  de  son  Ordreou  de  sa  secte, soit  en  qualité 
d'esclaves,  comme  je  vais  l'expliquer,  plusieurs  milliers  d'a- 
deptes. Pour  donner  une  idée  du  fanatisme  qui  les  anime,  il 
suffit  de  dire  qu'il  n'y  en  a,  parmi  eux,  que  quinze  seulement 
qui  soient  mariés  (1).  Tout  est  employé  pour  multiplier  le  nom- 
bre des  «  frères  »,  même  dans  les  contrées  les  plus  lointaines. 
On  raconte  que  Snoussi  commença  par  un  trait  de  génie  la 
conquête  du  Soudan  oii  son  influence  est  toujours  dominante  (2). 
Une  caravane  de  deux  cent  cinquante  esclaves  noirs,  venus  du 
Wadaï,  se  trouvait  en  vente,  en  Egypte.  Il  les  fit  acheter  tous, 
les  fit  venir  dans  sa  zaouïa,  leur  fit  embrasser  le  mahomé- 
tisme,  les  instruisit  à  fond  de  l'histoire  de  ses  origines  et  de  ses 
conquêtes,  et,  quand  il  eut  reçu  d'eux  des  preuves  de  constance 
suffisantes,  il  les  renvoya  tous  dans  le  Wadaï  avec  mission  de 
le  convertir  au  snoussisme.  Ils  y  réussirent;  et  du  Wadaï  le 
snoussisme  passa  en  triomphateur  dans  le  royaume  voisin  du 
Bargimi,  où  il  règne  par  la  conversion  du  Sultan  qui  a  embrassé 
cette  secte.  Dès  lors,  il  n'a  plus  trouvé  d'obstacles  à  la  difi'usion 
de  celle-ci  que  l'on  rencontre  dans  tous  les  royaumes  noirs  de 
l'Afrique  du  Nord  ;  dans  l'Egypte,  la  Nubie,  le  Soudan  Egyp- 
tien, le  Darfour,  le  Wadaï,  le  Bargimi,  le  Bornou,  le  Tigréi,  le 
Maroc,  le  Sahara,  le  Fouta,  la  Sénégambie,  le  Sénégal,  le  Ni- 
ger, etjusqu'àla  côte  de  Bénin  et  à  la  Côte  d'Or. 

Il  tire  des  esclaves  de  toutes  ces  contrées,  faisant  capturer 
les  uns  par  la  violence,  par  la  connivence  des  princes  ou  des 
chefs,  obtenant  que  les  autres  se  fassent,  par  fanatisme,  les  ser- 
viteurs volontaires  de  la  Djer'boub,  et  créant  autour  d'elle,  par 
la  culture  saharienne,  l'élevage  des  chameaux,  le  commerce, 
des  ressources  déjà  immenses. 

Ce  n'est  pas  tout.  Les  chefs  des  Snoussiaexercent,dans  laTri- 

(1)  C.  Rinn,  Marabouts  et  Khouan,  p.  505. 

(2)  Ibid.,  p.  492. 


254  ANNALES  .  CATHOLIQUES 

politaiae  et  dans  les;  rég^iona  situées  ausud  de  la  Tunisie,  une 
suprémati-e:  secrète,  mais  absolue,  par  le  moyen  même  des 
agents  nommés  et  entretenus  par  la  Turquie,  presque  tous 
enrôlés  secrètement  dans  leur  Ordre.  Ainsi  ont-ils  pu  réussir  à 
y  foTmer  une  armée-. qjui  ne  compte  pasmoiûa  ée  treote,  mille 
fantassins  et  de  quinze  cents  cayaliers  prêts  à  toutes  les  expédi- 
tio'as. 

:  La  zaouïa  est  devenue  une  forteresse  ©n  plutôt,  un  arsenal, 
contenant  des  fusils,  par  milliers,  de  la  poudre,  et  jusqu'à  des 
canons.  Ajoutons  qu'au  moyen  des  omissaires,  désormais  innom- 
Lrablea  qui  parcourent  toute  l'Afrique  du  Nord  et  jusqu'aux 
Grande!  Lacs,  sous  tous  l«s  déguisements  et  sous  tous  l0s  pré- 
textes, ils  entretiennent,  dapa  la  masse  musulman©,  des  idèe.s 
incessantes  da  révolutions  et  de. bouleversements  politiques.  Ils 
s<î  servent  de  prophéties  qui.  ont  cours  daas  le- monde  do  l'Islam 
et.  parmi  lesquelles  il  j  en  a  de  célôbrosi  qui  annoncent,  pour 
notre  époque,  le  triomphe  sur  les  chrétiens  et  leur  expulsionde 
l'Afrique  et  de. toutes  les  terres  du  Prophète.   •• 

En  Algérie,  où  l'autoiitémilitaire)  veille,  il»n!ont  point  encore 
de  zaouia  propre  ;  mais  ils  s'agrègent  peu  â  peu,  daûs  l'ombre, 
au  moyen  de  Ixjurs  émissaires,  les  Ivhouans  des  seize  Ordres 
différents  qui  existent  parmi  nousv  Ica  uns  plus  modérés,  comme 
lesi  Tidjinia,  les  autres  plus  ardemment  hostiles,  comme  les 
Rouhmalia-  o-U'  les  Oulaxi-Sidi-Cheikh,  mais  tous  portîint,  au 
fond  du  cœur,  la  haine  des  chrétiens  et  l'appel  àr  la  guerre 
saintô!. 

J'ose  prier  les.  lecteurs  de  cette  lettre  de  vouloir  bien  relire, 
à  cet  égard,  leS'  page»  instructive^diu.  comraan'dant.Rinn  ;  eilles 
ne  sont  que  trop  exactes  et  trop  claireiî  (1). 

n  eii  vriii,  que  là  oii  la  sollicitude  européenne  est  éveillée,  là 
oii  ils  ne  pensent  pas  pouvais  étabUiî  dies  ceatrôSu, pour  leurs 
vu:os  secrètes,  ce  n'est  pas  à.  la  pensée  d'une  révolte  qu'ils  font 
appel,  c'est  à.  l'émigration  dans  un  pays  où  il*  puissent  libre- 
ment exercer  leur  culte,  à  l'abri  du  contact  des  infidèles,,  c'est- 
à-dire  où.  des  centres  de  zaouïas  sont  déjà  établis. 

('es   centres    sont   déjà    au    nombre    de    plus   de    cent  dans 

l'Afrique  du  Nord,  tous  reliés  entre  eux  par  des  communicatioas 

incessantes,  tous  formant  peu  à  jpeu  les  cadres  derinsurrection 

prochaine  ;  et  ils  en  sont  venus  à  déclarer  ouvertement,  aujour- 

•'  m;  .u  .«ti>ioA.A  ifj  /■Avi'i'.'r.-tTx'J.   ."d^Vi  .')  <  l 

(1)  Rinn.  Marabouts  et  Khouan,  préface,  p.  5  e?t' sfliivantôa?. 


LETTRE    DU    CARDINAL    LAVIGERIE  ^DD 

d'hui,  qu'il  entraîneront  contre  nous  le  Soudan  tout  entier,  et 
qu'ils  jetteront  les  Européens  à  la  mer  (1). 

M,  Duvejrier,  M.  Rinn,  M.  le  général  Philebert  donnent  les 
noms  et  même  la  carte  géographique  d'un  grand  nombre  de  ces 
établissements;  il  faut  les  étudier  avec  soin  et  remarquer,  en 
particulier,  comment  ils  sont  disposés  pour  former  autour  de 
nous  comme  une  vaste  circouvallation  qui  enserre  et  qui 
menace,  non  seulement  la  domination,  mais  aussi  l'existence  de 
tout  ce  qui  tient  à  l'un  des  Etats,  soit  chrétiens,  soit  même 
musulmans  orthodoxes,  aujourd'hui  constitués  en  Afri- 
que. Ils  n'épargneront  pas  plus,  en  effet,  comme  ils  l'annonoent 
d'avance,  l'Egypte,  la  Tunisie,  le  Maroc,  les  Provinces  turques, 
que  les  établissements  de  l'Angleterre  sur  le  Niger,  de  l'Alle- 
magne sur  les  côtes  orientale  et  occidentale  où  ils  peuvent  les 
atteindre,  de  la  France  au  Sénégal  et  en  Algérie. 

Voici  les  noms  de  quelques-unes  de  ces  forteresses,  avec  la 
date  de  leur  établissement  :  «  Chef-lieu  actuel,  i.  Djer'boub  ; 
dans  le  Djebel  Lakdar:  2.  El-Beïda,  «chef-lieu  de  l'ordre,  de 
1843  à  1855.  —  3.  Ben.-Ghasi.  — 4,  Talimoun.  ^-  5.  Deriana,  — 
6.  Toukra.  —  7.   Toulimita.   —  8.  El-Merdj.  —  9.  El-Qsarin. 

—  10.  Boutouda.  —  11.  Quifanta.  —  12.  El-Fidia.  —  13.  El- 
Grana.  —  14.  El-IIamama.  —  15.  Soussa,  —  16.  Derna.  — 
17.  Aziot.  —  17.  El-Ksour.  —  19.  El-Haouiet.  —  20.  Merad- 
Messaoud.  —  21.  El-Haouia.  —  22.  El-Arboub,  —  23.  Tert.  — 
24.  Bechara.  —  25.  Mara.  — ■  26.  Mistouba.  — ■  27.  Djendjour- 
Defana.  —  28.  El-Hoga.  —  29.  Nedjila. 

Dans  la  Tripolitaine,  district  de  Houis-el-l)jebel  :  30.  Tabaga. 

—  Sl.Mouzda  (1855).  —  32.  Nezurat  (1855).  —  33.  Redjeban 
(1854).  —.34,  EI-Alam  (Oued  Quelli^).  —  35.  Bou-Mehedi.  — 
36.  Amamra,  prés  de  Mecellata  (1852).  —  37.  Orfella  (Beni- 
Ouled,  1852.)  —  38.  Haroba  (à  Bequequila,  1848). 

Sur  la  route  de  Ghadamès  :  39.  Siuaoun,  1859,  —  40.  Matr^ 
1859).  —  41,  Touneu  (1^59),  —  42,  Ghadamès  (1857), 

Dans  Iq  Pezzan  :  43.  Touoen  (prés  G'^at,  1848j,— -  44..Mour-r 
zouck  (1852).    —  45.  Zouïla  (1854).  —  46.  El-Gahoum.  -^  il. 

(1)  «  Les  Saoussya  nous  eutouii'eut,  dit  le  général  Philebert,  nous 
enserrent  et  diseat  bien  haut  que  bientôt,  avec  leurs  nègres,  ils  vien- 
dront du  Soudan  nous  jeter  à  la  mer.  11  y  a  loin-,  bien  loin,  de  l'acte 
à  la  parole;  mais  déjà  nos  voyageurs  sont  assassinés  et  notre  i-nfluence 
en  échec.  »  (Général  Philebert,  La  conquête  pacifique  de  L'intérieur 
africain.) 


256  ANNALES   CATHOLIQCKS 

Ouaouech   Cheouf  (1865).  —  48.    Sokna   (1867).  —  49.    ilon 

(1863). 

i^Dans  les  oasis    d'Audjela  :  50.  Aiidjela.  —  51.  Messous.    — 

52.  Lebba  (àDjalla). 

Dans  l'oasis    de    Djerboub  :   outre  la   zaouïa    du    chef-lieu, 

53.  Birbou-Aloua.  —  54.  p]]-Haouch. 

Sur  les  routes  d'Egypte:  55.  Siaoua.  —  56.  Oum-Rikhera.  — 
57.  Berbeta.  —  58-  Terbia.  —  59.  Keb.  —  60.  Matroura.  — 
61.  Chemmas. 

Sur  la  route  du  Ouadaï  :  62.  Bir-Kofra.  —  63.  Sidi-Abd-er- 
Rebou.  —  64.  Sidi-bou-Chenafa,  et  dans  toutes  les  localités  du 
Ouadaï. 

En  Arabie  :  12  iiaouaï  (La  Mecque,  Médine,  Djeddo,  Yem- 
bo,  etc.). 

En  Egypte  ;  3  zaouaï  (Alexandrie,  Le  Caire,  Suez), 

Au  Touat,  au  Maroc,  au  Tidikelt,  un  nombre  que  nous 
n'avons  pu  fixer.  —  A  Insalah,  un. 

M.  Duvejrier  et  M.  Rinn  ont  donné  la  position  géographique 
de  la  presque  totalité  de  ces  zaouïas  et  de  plusieurs  autres 
encore  :  elles  figurent  sur  l'excellente  carte  jointe  à  leur  travail. 
Nous  y  renvoyons  nos  lecteurs  (i). 

Bien  aveugle  qui  ne  verrait,  je  le  répète,  dans  un  tel  déploie- 
ment de  forces  et  surtout  dans  le  fanatisme  ardent  dont  les 
snoussia  ont  su  animer  leurs  adeptes,  en  prêchant  cette  œuvre 
infernale  comme  la  continuation  de  la  guerre  sainte  de  Maho- 
met, un  danger  imminent  pour  la  civilisation  en  Afrique  et, 
plus  tard  peut-être,  dans  le  monde.  Je  ne  parle  pas  ici  au  nom 
d'une  nation  particulière,  quel  que  soit  l'amour  que  chacun 
porte  à  sa  patrie,  que  je  porte  moi-même  à  la  France;  je  parle 
comme  l'apôtre  d'une  cause  plus  haute  et  plus  noble,  comme 
l'apôtre  de  l'humanité  et  d'une  religion  de  charité  et  de  lumière. 
Je  plaide  la  cause  de  tous.  Les  représentants  de  tous  les  peu- 
ples européens  établis  en  Afrique  ont,  du  reste,  signalé  les 
mêmes  périls.  J'ai  cité  Rinn,  Duveyrier,  le  général    Philebert. 

Lenz,  l'illustre  voyageur  allemand,  n'était  pas  moins  formel  : 

«  L'ordre  des  Senoussia  possède,  disait-il,  la  plus  grande 
influence  dans  tous  les  Etats  mahométans  du  nord  de  l'Afrique. 
Sa  .sévère  discipline,  sa  richesse  et  son  manque  de  scrupules, 
quant  aux  moyens  d'atteindre  son  but  fixé,  font  de  cet  ordre 
des  Senoussi,  l'une  des  plus   dangereuses  parmi  les  confréries, 

(1)  RinO;  Marabouts  et  Khouan,  p.  504,  505. 


LETTRE  DU  CARDINAL  LAVIGERIE  257 

dans  lesquelles   la  civilisation  européenne  voit   les  adversaires 
au  nord  de  l'Afrique. 

L'Angleterre  a  déjà  fait  la  même  expérience.  Elle  a  pu  retrou- 
ver la  main  des  Senoussi,  eu  Eg^'pte  et  jusqu'aux  bords  du 
Niger,  dans  les  terribles  événements  dont  ses  nationaux  les 
plus  illustres,  comme  Gordon,  ont  été  les  victimes;  comme  les 
Français  l'ont  retrouvée  eux-mêmes,  dans  les  assassinats  qui 
ont  ensanglanté  le  Sahara,  oii  ils  sont  les  maîtres  par  leurs 
affiliés,  depuis  ceux  de  nos  missionnaires  pacifiques  jusqu'au 
ma^sacre  de  la  colonne  Flatters. 

Il  est  vrai  que  d'autres  fanatiques  sectaires  se  sont  révélés 
ailleurs  :  les  marabouts  isolés  dont  nous  avons  eu  souvent  à 
réprimer,  en  Algérie,  les  excitations  par  la  force,  et  dont  nous 
sommes  toujours  venus  à  bout  sans  trop  de  peine.  Mais  il  ne 
faut  pas  croire  que  les  Senoussia  s'arrêteront  là.  Ils  ont  pour 
but  le  renversement  de  toute  autorité  régulière,  non  seulement 
de  celle  des  chrétiens,  mais  encore  de  celle  des  Musulmans  et 
des  Turcs.  Nous  en  avons  une  preuve  dans  la  devise  audacieuse 
adoptée  par  le  fils  de  Senoussi,  en  prenant  après  la  mort  do  son 
père,  le  titre  de  Mahdi.  La  voici,  elle  vaut  la  peine  d'être  médi- 
tée par  l'hono'-fible  représentant  du  Chef  des  croyants  à  la 
Conférence  de  Bruxelles  : 

«  Les  Turcs  et  les  chrétiens, 

«  Tous  DE  LA  MÊME  BANDE  {clctsse,  cspècc,  caiégoHè). 

«  JE  LES  DÉTRUIRAI  EN  MEME  TEMPS.  » 

Le  Senoussisme  est  donc  l'ennemi  commun,  inconciliable, 
intransigeant  de  toutes  les  nations  établies  en  Afi-ique.  Il  est 
surtout  l'implacable  adversaire  de  l'œuvre  entreprise  par  la 
Conférence  de  Bruxelles.  Il  pratique,  il  maintient,  il  étend  par- 
tout l'esclavage,  auquel  il  attache  aujourd'hui  une  sorte  de 
caractère  religieux,  par  suite  de  l'opposition  qu'il  trouve  parmi 
les  chrétiens;  il  s'enrichit  par  son  affreux  commerça;  il  le  prê- 
che pour  se  conformer,  dit-il,  aux  traditions  et  aux  préceptes 
du  Coran  qui  ordonne  d'écraser  partout  l'infidèle  et  le  réduire 
sous  le  joug  dont  il  charge  les  esclaves  de  ses  caravanes. 

Nous  avons  vu  récemment  —  et  je  ne  puis  qu'en  exprimer 
ici,  au  nom  de  nos  Africains,  ma  reconnaissance  pour  l'Empire 
Turc  —  le  Sultan,  se  rendant  aux  conseils  désintéressés  de 
rEur(^pe  et  aux  manifestations  réitérées  de  l'Œuvre  antiescla- 
vagiste, s'élever  ouvertement  par  ses  lois  récentes,  contre  les 
menées  ou  les  connivences  esclavagistes  qui  existaient  dans  ses 
provinces,   et,  pour   mieax  marquer  sa  pensée,  faire  coïncider 

19 


258  ANNALES    CATHOLIQUES 

une  telle  mesure  avec  les  délibérations  de  la  Conférence  de 
Bruxelles.  Mais  à  des  prescriptions  si  conformes  aux  principes 
de  l'humanité  et  à  des  convictions  désormais  sacrées  pour  toutes 
les  nations  civilisées,  les  croyants  fanatiques  du  raadhisrae  ont 
répondu  par  des  cris  de  rage,  et,  à  leur  tète,  dans  ces  clameurs, 
se  sont  trouvés  les  Senoussia  et  leurs  partisans.  Ils  ont  juré  de 
redoubler  d'efforts  pour  détruire  le  pouvoir  du  Sultan  qui,  do 
nouveau,  apostasie,  selon  eux,  sur  une  aussi  grave  matière,  et 
d'en  finir  avec  des  apostats  qui,  comme  les  chrétiens,  n'ont 
qu'un  but  :  la  destruction  des  institutions  du  Prophète. 

Rien  n'est  [dus  significatif,  à  cet  égard,  je  le  répète,  que  la 
devise  du  grand  raahdi  actuel  de  la  Tripolitaiue  : 

«  Les  Turcs  et  lks  Chrétiens,  tous  de  la  même  bande, 
je  les  détruirai  en  même  temps.  » 

Qu'y  a-t-il  à  faire?  Cela  vaut  la  peine  d'être  médité.  Ils  par- 
lent des  traditions  du  séi?il.  Elles  avaient  du  bon,  lorsqu'aux 
excitations,  à  l'assassinat  ou  à  la  révolte,  les  souverains  répon- 
daient par  les  moyens  qu'on  sait.  Evidemment,  'pour  une  telle 
entreprise,  c'est  à  la  Turquie  de  prendre  l'initiative  et  à  tors 
les  Etats  civilisés  à  la  soutenir. 

Mais  en  voilà  assez  sur  un  sujet  trop  important  et  trop  vaste 
pour  être  traité  en  quelques  pages  rapides  et  sur  lequel  je 
reviendrai,  s'il  le  faut. 

Je  termine  donc  en  rappelant  le  sujet  qui  a  inspiré  cette 
Lettre, 

Il  se  présente,  en  ce  moment,  une  occasion  de  résister  à  une 
troupe  fanatique  de  derviches  ou  mahdistes  égyptiens. 

L'Ouganda  n'appartient  encore,  en  propre,  à  aucune  nation 
civilisée,  et  n'est  placé  sous  l'influence  politique  d'aucune 
d'entre  elles. 

C'est  donc  l'œuvre  de  toutes  les  nations  chrétiennes  qui  sont 
représentées  à  la  Conférence  internationale  de  Bruxelles.  Voilà 
pourquoi  j'ai  voulu  placer  mon  appel  sous  son  patronage,  dans 
l'espérance  de  la  voirencourager  le  peuple  qui  pourrait  se  consa- 
crer à  une  telle  entreprise. 

En  exprimant  de  nouveau  tous  mes  vœux  pour  le  succès  de 
ses  travaux,  j'ai  l'honneur  de  me  dire  avec  une  confiance  res- 
pectueuse, M.  le  Président,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur 

f  Charles  cardinal  LAVIGERIE, 
Archevêque  de  Carihage  et  d'Alger^ 
Primat  d'Afrique. 


CONGRÈS    DES    PROPRIÉTAIRRS  259 

LE  CONGRÈS  DES  PROPRIÉTAIRES  CHRÉTIENS 
l'adresse  au  saint-père 

Voici  l'adresse  qui  a  été  lue  en  assemblée  de  clôture  du  con- 
grès des  propriétaires  chrétiens,  tenu  à  Paris  il  j  a  quinze 
jours,  adresse  signée  par  les  membres  de  l'assemblée  : 

Très  Saint-Père, 

Il  y  a  un  an,  Votre  Sainteté  recommandait  l'étude  des  principes 
chrétiens  qui  régissent  la  possession  et  l'usage  des  biens  terrestres 
et  du  capital,  et  Elle  ajoutait  que  rien  ne  serait  plus  avantageux  pour 
la  société  que  l'application  attentive  par  les  chrétiens  de  ces  pré- 
ceptes trop  méconnus. 

Afin  de  répondre  au  désir  exprimé  par  Sa  Sainteté,  nous  venons 
de  nous  réunir  en  congrès,  sous  le  patronage  des  autorités  ecclé- 
siastiques, et,  avec  le  concours  de  théologiens  et  de  jurisconsultes 
distingués,  nous  nous  sommes  efforcés  de  mieux  connaître,  pour 
les  mettre  en  pratique,  les  prescriptions  de  l'Evangile  en  ce  qui 
nous  touche  à  titre  de  propriétaires  et  de  capitalistes. 

Persuadés  que  les  lois  générales  de  la  morale  chrétienne  s'appli- 
quent à  tous  les  temps  et  à  tous  les  milieux,  nous  croyons  que  les 
foimes  actuelles  de  la  propriété,  malgré  les  subterfuges  en  usage, 
ne  sauraient  la  soustraire  aux  obligations  de  justice  et  de  charité 
dont  la  Providence  divine  veut  qu'elle  soit  chargée.  Donner  toute 
licence  aux  capitalistes  et  aux  employeurs  à  l'égard  des  travailleurs 
et  des  autres  citoyens,  telle  paraît  avoir  été  la  tendance  de  systèmes 
philosophiques  et  politiques  aussi  contraires  à  la  droite  raison  qu'à 
l'Evangile.  Ces  systèmes,  nés  du  rationalisme  et  du  naturalisme,  de- 
vaient fatalement  produire  l'antagonisme  et  la  haine  entre  les  di- 
verses classes  de  la  société. 

Mais,  pour  porter  remède  aux  souffrances  actuelles,  et  en  présence 
des  menaces  de  discordes  plus  graves  encore,  n'y  aurait-il  à  souhai- 
ter qu'une  réglementation  purement  légale  des  relations  très  com- 
plexes entre  le  riche  et  le  pauvre,  entre  le  patron  et  l'ouvrier?  Fau- 
dra-t-il  que  la  propriété,  après  avoir  constitué  devant  la  loi  humaine 
le  plus  enviable  des  privilèges,  devienne  par  contre  l'objet  d'un 
véritable  esclavage?  Serait-il  à  désirer  que  les  pouvoirs  publics, 
faute  d'avoir  protégé  rindépendance  nécessaire  de  l'Eglise,  faute 
d"avoir  ordonné  le  respect  des  lois  chrétiennes,  en  arrivassent  à 
légiférer  sur  les  obligations  de  la  chanté  et  de  l'aumône  elle-même  ? 

Nous  croyons  fermement,  Très  Saint-Père,  que,  pour  éviter  l'un 
et  l'autre  de  ces  excès,  une  seule  chose  est  nécessaire  :  c'est  de  se 
soumettre  à  la  loi  de  Jésus-Christ,  la  loi  de  charité  toujours  d'accord 
avec  la  justice,  loi  que  le  Saint-Siège  a  la  mission  de  définir,  de  pro- 
mulguer et  de  maintenir  intacte  à  travers  les  âo-es. 


260  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ea  conséquence,  nous  inspirant  de  ces  pensées  dans  nos  délibéra- 
tions et  pour  les  conclusions  qu'elles  ont  produites,  nous  n'avons 
qu'un  but  :  rechercher  quels  sont  les  enseignements  de  l'Eglise  catho- 
lique relativement  à  la  possession  et  à  l'usage  des  biens  terrestres, 
puis  nous  déclarer  dans  cette  étude,  comme  aussi  dans  la  pratique  de 
nos  devoirs,  les  fils  très  dévoués  du  Souverain  Pontife,  notre  Père 
commun,  de  celui  à  qui  peuples  et  gouvernements  n'ont  qu'à  deman- 
der aide  et  lumière,  pour  rentrer  dans  l'ordre  régulier  et  jouir  de  la 
paix  des  enf;'nts  de  Dieu. 

Daigne  Votre  Sainteté  bénir  notre  bonne  volonté  et  nos  travaux,  et 
nous  croire  ses  fils  très  obéissants  et  très  dévoués.  (Suivent  les  signa- 
tures.) 

LE    CONGRÈS    ET    LES    ACTIONNAIRES    DES    CHEMINS    DE    FER 

Après  les  afârtuations  multipliées  du  congrès  international  de 
l'Exposition  pour  le  repos  hebdomadaire  et  devant  celles  de  la 
conférence  de  Berlin  sur  le  même  sujet,  le  premier  congrès  des 
propriétaires  et  actionnaires  chrétiens,  qui  vient  de  se  tenir  à 
Paris,  ne  pouvait  manquer  d'étudier  cette  grave  question. 

Il  s'en  est  occupé  spécialement  en  ce  qui  concerne  les  chemins 
de  fer,  où  elle  a  déjà  reçu  un  commencement  d'exécution. 

Non  content  de  rappeler  l'obligation  de  conscience  où  sont  les 
actionnaires  de  procurer,  autant  que  possible,  les  bienfaits  du 
dimanche  à  tous  les  employés  de  leurs  compagnies,  le  congrès 
a  recherché  les  moyens  d'y  parvenir. 

Avant  tout,  il  faut  l'union  entre  tous  ceux  dont  le  cœur  sait 
concevoir  ces  nobles  préoccupations.  La  question  ayant  été  déjà 
ou  devant  être  prochainement  posée  dans  les  assemblées  géné- 
rales, le  congrès  prie  instamment  les  actionnaires  des  différentes 
compagnies  de  se  joindre  à  ce  grand  mouvement  et  de  hâter  le 
jour  où  il  sera  possible  d'en  voir  le  succès  complet. 

VŒUX    ÉMIS    PAR    LE    CONGRES 

Le  congrès  a  émis  les  vœux  suivants  : 

Principes  de  la  propriété,  devoirs  et  droits  qu'elle  confère. 
Dans  les  temps  troublés  où  nous  sommes,  il  est  d'une  souveraine 
importance  que  les  principes  sur  la  nature  des  rapports  sociaux  soient 
posés  et  reconnus.  Le  congrès  considère  donc  comme  très  nécessaire 
pour  les  chrétiens,  pères  de  famille,  propriétaires  et  capitalistes,  de 
connaître  sérieusement  leurs  devoirs  et  leurs  droits.  Il  leur  recom- 
mande l'étude  et  la  distinction  des  obligations  qui  leur  incombent, 
soit  à  titre  de  justice,  soit  à  titre  de  charité,  à  l'égard  de  leur  pro- 
chain, et  particulièrement  de  leurs  subordonnés. 


CONGRÈS  DES  PROPRIÉTAIRES  261 

D'ailleurs,  le  congrès  est  d'avis  que  le  gouvernement  de  l'Étal, 
avec  ses  différents  rouages,  n'existant  que  pour  le  bien  commun,  son 
rôle  principal  est  de  maintenir  la  paix  dans  l'ordre  public,  en  faisant 
respecter  les  droits  de  chacun,  en  facilitant  l'action  des  initiatives 
variées  pour  le  bien  ;  le  domaine  de  la  charité  n'étant  pas  de  son  res- 
sort, et  son  intervention  sur  ce  point  devant  se  limiter  à  des  encou- 
ragements que  l'expérience  et  la  raison  prouvent  être  seuls  efficaces. 

Propriété  foncière  rurale. 

I.  —  Le  congrès  recommande  aux  propriétaires  fonciers  de  la  cam- 
pagne de  résider  le  plus  possible  sur  leurs  terres,  pour  dépenser  et 
mettre  en  valeur,  sur  place,  les  capitaux  produits  par  la  culture,  de 
maintenir  aux  champs  par  leur  exemple  les  populations  agricoles,  tt 
exercer  à  leur  égard  autorité  et  influence  conformes  à  l'ordre  chré- 
tien. 

Reconnaissant  les  avantages  sociaux  incontestables  du  métayage, 
le  congrès  croit  cependant  qu'avec  le  fermage  à  prix  d'argent  le  pro- 
priétaire peut  encore  remplir  son  devoir  de  patronage  par  le  choix 
judicieux  des  fermiers,  l'introduction  dans  les  baux  et  les  contrats 
d'exploitation  de  la  clause  du  repos  dominical,  l'entretien  des  rela- 
tions suivies  entre  propriétaires  et  fermiers. 

Lorsqu'il  est  obligé  d'avoir  recours  à  des  intermé'Jiaires,  gérants  et 
autres,  le  propriétaire  doit  choisir  avec  grand  soin  le  représentant  de 
son  autorité  et  surveiller  de  très  près  ses  agissements. 

IL  —  Le  congrès  souhaite  que  l'^s  propriétaires  chrétiens  s'occu- 
pent de  leurs  domestiques  et  des  fils  de  leurs  fermiers  avant  et  pen- 
dant le  service  militaire,  notamment  en  les  recommandant  à  l'aumô- 
nier volontaire  de  la  garnison,  en  entretenant  des  relations  avec 
l'aumônier  et  avec  le  soldat  lui-même,  en  ne  lui  prêtant  pas  leur 
concours  pour  lui  faire  obtenir  une  place  en  ville,  en  favorisant  au 
contraire  leur  retour  au  pays  natal  par  leurs  conseils  et  leurs  encou- 
ragements. 

Propriétés  en  ville. 

Le  congrès  est  d'avis  que  de  sérieuses  réformes  doivent  être  intro- 
duites dans  l'administration  des  maisons  de  rapport,  dans  les  grandes 
villes.  Le  choix  dos  gérants  et  concierges,  le  choix  des  locataires,  le 
logement  des  domestiques  très  spécialement,  no  sont  pas  assez  l'objet 
de  la  soUicituile  des  chrétiens  propriétaires. 

11  importe  aussi  que  les  chrétiens  locataires  recherchent  des  appar- 
tements dont  les  logements  destinés  aux  serviteurs,  ou  tout  au  moins 
.  aux  servantes,  ne  les  exposent  pas  à  tous  les  dangers  d'une  promis- 
cuité très  immorale. 

A  l'égard  des  possesseurs  de  maisons  d'ouvriers,  le  congrès  recom- 
mande l'amélioration  des  logements  existants  dans  les  différents 
quartiers   des  villes.  L'expérience  prouve   que   l'assainissement  des 


262  ANNALES    CATHOLIQUES 

locaux  loués  aux  ouvriers  assure  aux  propriétaires  un  meilleur  choix 
de  locataires,  et  par  suite  un  revenu  suffisamment  rémunérateur  des 
frais  occasionnés  par  les  réparations  et  l'entretien  des  immeubles. 

Action  civile  des  propriétaires. 

Le  congrès  considère  qu'il  est  à  désirer,  dans  un  état  bien  réglé, 
que  la  propriété  foncière,  constituant  l'un  des  plus  grands  intérêts 
moraux  et  matériels  de  la  société  civile,  soit  représentée  dans  les 
conseils  du  pays  à  ses  différents  degrés. 

Propriété  mobilière. 

Eq  présence  de  la  multiplicité  des  opérations  financières  et  com- 
merciales qui  blessent  la  justice  et  jouissent  d'une  sorte  d'impunité 
devant  l'tjpinion  publique,  le  congrès  émet  le  vœu  que  la  conscience 
dos  chrétiens  soit  éveillée  sur  cet  objet  et  que  la  nature  de  ces  opé- 
rations .'-oit  étudiée  à  la  lumière  de  la  théologie  morale. 

En  conséquence,  que  les  chrétiens,  restant  fidèles  à  nos  traditions 
d'honneur  nationales,  se  mettent  en  garde  contre  les  dangers  du  jeu 
et  les  abus  de  la  spéculation,  et  demandent  de  préférence  au  travail 
et  à  l'économie  l'accroissement  de  leur  fortune  ;  qu'évitant  toute  opé- 
ration dont  le  but  direct  ou  indirect  serait  de  nuire  aux  intérêts  de 
la  religion,  de  la  patrie  ou  du  prochain,  ils  se  préoccupent,  dans  le 
placement  de  leurs  capitaux,  non  seulement  de  la  sécurité  et  de  la 
moralité  du  placement,  mais  encore  de  l'honnêteté  et  de  la  probité 
des  hommes  que  ce  placement  favorise. 

III.  —  Le  congrès  reconnaît  que,  malgré  les  déplorables  catas- 
trophes auxquelles  elle  donne  lieu  parfois,  la  société  anonyme,  dans 
ses  difî'érents  types,  est  licite  et  nullement  contraire  aux  lois  chré- 
tiennes. Cette  forme  de  propriété  paraît  même  nécessaire  à  notre 
époque,  mais  demande  à  être  employée  avec  les  plus  grandes  précau- 
tions. Les  chrétiens  ne  sauraient  donc  faire  partie  d'une  société  ano- 
nyme, soit  comme  actionnaires,  soit,  à  plus  forte  raison,  comme 
administrateurs,  sans  s'être  assurés  au  préalable  de  la  valeur  morale 
autant  que  financière  d'une  entreprise  de  ce  genre.  De  plus,  lorsqu'ils 
y  sont  engagés,  leur  conscience  les  obligea  veiller  de  près  à  ce  que 
les  lois  de  l'Evangile  soient  observées  à  l'égard  du  personnel  de  ces 
sociétés,  comme  à  l'égard  de  tous  ceux  avec  lesquels  ces  sociétés  ont 
à  traiter. 

Education. 

Le  congrès  émet  le  vœu  que,  dans  l'éducation  de  la  jeunesse  fran- 
çaise, on  fasse  une  plus  large  part  aux  obligations  de  la  vie  sociale  ; 
que  l'enseignement  de  la  religion,  dans  les  collèges  chrétiens,  les 
comprenne  formellement;  que  partout,  dans  l'enseignement  supé- 
rieur catholique,  une  place  soit  faite  à  ces  matières. 

Que  les  fils  de  famille,  â  moins  d'une  vocation  spéciale  et  de  parti- 


CONGRÈS  DES  PROPRIÉTAIRES  263 

culières  aptitudes,  n'échangent  pas  à  la  légère,  pour  une  carrière 
libérale  ou  une  carrière  de  fonctionnaire,  la  carrière  que  leurs  parents 
leur  laissent  en  héritage.  Qu'ils  s'attachent  néanmoins  à  acquérir  par 
une  éducation  soliile  la  supériorité  qui  est  nécessaire  à  l'influence 
légitime  qu'ils  doivent  exercer  autour  d'eux. 

Repos  du  dimanche. 

Le  congrès,  considérant  que  le  repos  et  la  sanctification  du  dimanche 
doivent  être  l'objet  de  la  constante  sollicitude  des  chrétiens  proprié- 
taires dans  leurs  maisons,  sur  leurs  terres,  dans  les  usines  et  grandes 
entreprises  où  ils  sont  intéressés,  déclare  qu'à  l'égard  des  domes- 
tiqiies,  des  ouvriers,  des  employés,  ils  ont  un  devoir  strict  à  remplir 
et  ne  sauraient  s'y  soustraire.  11  convient,  de  plus,  de  favoriser  de 
ses  achats  les  négociants  et  les  industriels  fermant  leurs  magasins  et 
ateliers  le  dimanche.  11  importe  aussi  de  réagir  contre  la  déplorable 
habitude  des  ventes  par  devant  notaire  le  dimanche. 

Presse, 

Le  congrès  souhaite  vivement  que  les  propriétaires  chrétiens  veillent 
avec  soin  à  ce  qu'aucune  publication  dangereuse  pour  la  foi  ou  pour 
les  mœurs  ne  trouve  place  dans  leur  bibliothèque  ou  ne  circule  dans 
leur  entourage;  qu'ils  s'efforcent,  au  contraire,  de  propager  autour 
d'eux  les  livres  et  les  journaux  propres  à  maintenir  les  vrais  prin- 
cipes et  à  affermir  la  moralité. 

Il  souhaite  également  que  les  actionnaires  des  grandes  compagnies 
tiennent  leur  attention  éveillée  sur  les  publications  dont  la  vente  est 
autorisée  sur  le  territoire  où  ces  compagnies  exercent  leur  autorité. 

Propriété  ecclésiastique. 

Le  droit  de  propriété  appartient  à  l'Eglise  comme  à  toute  associa- 
tion légitime.  Toute  atteinte  à  ce  droit  ébranle  du  même  coup  la 
propriété  privée.  La  reconstitution  de  la  propriété  ecclésiastique  est 
une  condition  indispensable  de  la  stabilité  sociale,  puisque  c'est  par 
la  propriété  ecclésiastique  surtout  que  s'alimentent  d'une  manière 
régulière  et  assurée  les  œuvres  de  la  charité,  de  l'enseignement  et 
de  l'apostolat. 

En  conséquence,  le  congrès  émet  le  vœu  que  les  catholiques  fassent 
converger  leurs  efforts  vers  la  reconstitution  de  la  propriété  ecclé- 
siastique et  y  cherchent  le  remède  aux  maux  dont  souffre  la  classe 
ouvrière,  plutôt  que  dans  les  contributions  qui  mettraient  aux  mains 
de  l'Etat  des  ressources  dont  l'emploi  pourrait  aller  à  l'encontre  des 
intérêts  religieux  et  patriotiques. 

Le  congrès  est  en  outre  d'avis  que  les  catholiques  doivent  déclarer 
comme  absolument  désirable,  dans  l'intérêt  des  peuples,  une  entente 
entre  le  Saint-Siège  et  le  gouvernement  de  l'État,  pour  constituer  et 


264  ANNALES    CATHOLIQUES 

garantir  le  patrimoine  de  l'Kglise.  Dans  l'état  actuel  des  choses  en 
France,  le  congrès  considère  que  les  pouvoirs  publics  auraient  tout 
avantage  à  appliquer  d'une  manière  loyale  les  règles  .concordataires 
relativement  à  la  propriété  ecclésiastique,  aux  congrégations  reli- 
gieuses et  fondations  charitables  qui  en  résultent.  Les  catholiques 
r'clarapnt  du  reste,  avec  raison,  la  liberté  et  le  droit  de  posséder 
y.onr  toutes  les  associations  honnêtes  et  utiles,  qui,  dans  la  pluj)art 
«les  pays  civilisés,  sont  reconnues  et  sanctionnées  par  les  pouvoirs 
publics. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Les  Elections  municipales  du  27  avril.  —  Défaite  des  houlaogistes.  — 
Manifestation  du  l*""  mai.  —  En  France.  —  En  Europe.  —  Elections 
législatives. 

!"■  mai  1890. 

Les  éiection.ç'niunicipales  du  27  avril  sont  aussi  satisfaisantes 
que  le.s  conservateurs  pouvaient  l'espérer. 

Sur  I<'iirs  quinze  candidats,  huit  sont  élus  à  une  belle  nûajo- 
ritô.  Cinq  sont  en  bonne  situation  et  seront  élus  au  second  tour 
de  scrutin. 

Parmi  ceux  qu'ils  présentaient  en  seconde  ligne  et  qui  avaient 
très  nettement  denaaudé  la  réintégration  des  Sœurs  dans  les 
hoiiitaux,  plusieurs  sont  élus.  Ceux  qui  ne  sont  pas  élus  ont 
obtenu  un  nonabre  de  voix  ti'ès  honorable. 

On  fera  le  décompte  des  voix  qu'ont  réunies  les  divers  candi- 
dats, con.>ervateurs  ou  républicains,  qui  se  sont  prononcés  pour 
les  Sœurs  dans  les  hôpitaux.  Le  chiiFre  en  est  considérable; 

Paiis  revient  aux  idées  de  modération,  de  tolérance  et  de 
libéralisme.  Il  tend  à  se  débarrasser  de  la  domination  des  laïci- 
sateurs,  des  sectaires  ot  des  cnergumènes  qui  faisaient  la  loi 
dans  l'ancien  Conseil. 

Le  mouvement  dans  ce  sens  est  très  accentué  et  fait  bien 
augurer  de  l'avenir. 

On  fi  certainement  gagné  beaucoup  de  terrain. 

Nous  n'aurons  pas  le  Conseil  que  nous  voudrions  avoir. 

Mais  nous  aurons  un  Conseil  un  peu  moins  mauvais  que 
l'ancien. 

M.  Riant  a  eu  un  magnifique  succès  électoral.  Le  candidat 
que  les  boulangisles  avaient  été  chercher  sur  les  côtes  nor- 
mandes pour  le  terrasser  a  été  piteusement  battu  :  M.  Cruchon 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  261 

a  subi  un  échec  complet  malgré  la  propagande  acharnée  qu'a 
faite  en  sa  faveur  l'un  des  principaux  chefs  du  parti  boulau- 
giste,  M.  Naquet,  qui  habite  le  quartier  et  qui  passait  pour  y 
avoir  quelque  influence. 

Avec  M.  Riant  arrivent  au  nouveau  Conseil  municipal  les 
anciens  conseillers  conservateurs  qui  ont  si  vaillamment  défendu 
contre  la  majorité  républicaine  la  cause  de  la  justice  et  de  la 
liberté  :  MM.  Ferdinand  Duval,  Cochin,  Gamard,  Lerolle,  Des- 
patjs.  M.  Froment-Meurice,  qui  a  été  nommé  dans  le  quartier 
de  la  Madeleine,  avait  été  présenté  par  le  Comité  conservateur 
de  la  Seine,  et  appuyé  par  l'ancien  conseiller  du  quartier, 
M.  Dufaure.  C'est  un  nouveau  qui  saura  tenir  dignement  sa 
place  au  milieu  de  ses  anciens. 

L'Union  libérale  a  obtenu  quelques  succès.  Elle  en  aurait  eu 
bien  plus  si  elle  avait  pris  plus  nettement  position  avec  la  droite 
et  contre  la  gauche.  Parmi  les  candidats  de  l'Union  libérale, 
ceux  qui  ont  réuni  le  plus  de  voix  sont  ceux  qui  s'étaient  nette- 
ment prononcés  pour  la  rentrée  des  Sœurs  dans  les  hôpitaux. 

Que  les  hommes  distingués  qui  dirigent  l'Union  libérale  ana- 
lysent les  résultats  du  scrutin  du  27  avril  :  ils  se  convaincront 
que  leur  intérêt  est  d'appuyer  à  droite  et  non  à  gauche,  de 
s'allier  aux  conservateurs  et  non  pas  de  ménager  les  radicaux. 

Les  boulangistes  n'ont  pas  brillé  dans  ces  élections  munici- 
pales, sur  lesquelles  ils  comptaient  pour  prendre  leur  revanche 
de  leurs  récentes  défaites.  Quelques-uns  de  leurs  candidats  ont 
plus  ou  moins  réussi  dans  des  quartiers  excentriques  où  ils  ont 
eu  les  safl>ages  des  blanquistes.  Mais  dans  les  quartiers  conser- 
vateurs le  nombre  de  leurs  voix  est  maigre. 

En  résumé,  il  ressort  de  ces  élections  du  27  avril  qu'à  Paris 
le  parti  conservateur,  désorganisé  à  un  certain  moment  par 
l'éclosion  du  boalangisme,  s'est  reconstitué  et  a  repris  toute  sa 
cohésion. 

Le  scrutin  de  ballottage  s'annonce  dans  de  bonnes  conditions. 
Les  conservateurs  pourront  exercer  une  grande  influence  sur 
les  résultats  du  second  tour  s'ils  se  maintiennent  sur  le  terrain 
sur  lequel  ils  se  sont  placés  pour  le  premier  tour.  Les  succès 
obtenus  doivent  leur  inspirer  confiance  et  les  engager  à  ne  pas 
déserter  la  lutte. 

En  résumé,  sur  80  sièges  à  pourvoir,  21  seulement  possèdent 
des  titulaires,  ainsi  répartis  : 


266  ANNALES   CATHOLIQUES 

12  républicains  élus. 

8  conservateurs  élus. 

1  boulangiste  élu. 
59  ballottages. 

19  conseillers  sortants  sont  réélus. 

A  noter  que  l'ancien  conseil  municipal  ne  comprenait  que 
9  conservateurs. 

Une  revue  de  la  presse  est  aujourd'hui  de  rigueur.  Commen- 
oona  par  les  journaux  conservateurs. 

Le  Figaro  : 

Les  conservateurs  n'ont  pas  faibli  ;  en  revanche,  le  boulangisme 
n'a  pas  du  tout  les  succès  foudroyants  auxquels  il  feignait  de 
s'attendre.  Dans  les  quartiers  où  ses  candidats  marchent  en  tête  do 
liste,  ils  succomberont  certainement  sous  la  coalition  des  républicains 
réunis.  C'est  un  di'r'sastre. 

L'Autoritf^  : 

Bien  que  la  partie  no  soit  pas  complètement  jouée  et  qu'elle  nous 
réserve  pas  mal  de  surprises,  il  ne  nous  coûte  pas  de  reconnaître  que 
les  boulangistes,  tout  en  ayant  un  nombrn  considérable  do  voix, 
n'ont  peut-être  pas  remporté,  dès  le  premier  engagement,  le  succès 
qu'ils  pouvaient  espérer. 

Cela  est  dû  en  grande  partie  an  manque  de  notoriété  d'un  trop 
grand  nombre  de  leurs  candidats. 

Le  Gaulois  : 

Quant  aux  boulangistes,  qui  avaient  choisi  la  journée  pour  y  livrer 
une  suprême  bataille  de  revanche,  ils  n'ont  pas  â  s'applaudir  de  ses 
résultats.  Un  seul  de  leurs  candidats  passe  au  premier  tour. 

Les  autres  n'ont  plus  à  se  partager  que  cent  mille  des  deux  cent 
quarante-sept  mille  voix  que  Paris  donna  au  général  le  27  jan- 
vier 1889. 

Dimanche  prochain,  ils  seront  presque  tous  victimes  de  la  concen- 
tration républicaine  et  il  n'en  entrera  pas  une  demi-douzaine  au 
Conseil. 

Donc,  en  quinze  mois  tout  juste,  la  belle  majoritéqui  avait  acclamé 
le  général  Boulanger  s'est  éparpillée,  fondue,  sans  que  le  malheureux 
homme  ait  la  ressource  de  maudire  la  versatilité  du  suffrage  universel, 
car  ce  n'est  pas  ce  suffrage  qui  lui  a  manqué,  c'est  lui  qui  a  manqué 
à  ce  suffrage. 

C'est  lui  qui  a  détruit  de  ses  mains  sa  fortune,  par  son  départ,  et 
surtout  par  son  alliance  avec  les  éléments  révolutionnaires. 

C'est  désormais  une  affaire  liquidée. 


CHRONIQUE    DE   LA    SEMAINE  267 

Passons  aux  Républicains  : 

République  française  : 

Le  condamné  de  Jersey  qui,  parlant  de  la  circonscription  que 
M.  JofFrin  représente  à  la  Chambre,  disait  avec  une  impudente  bouf- 
fonnerie :  «  ma  circonscription  »,  avait  proclamé  sa  prétention, 
puisque  la  France  lui  avait  échappé,  de  mettre  au  moins  la  main  sur 
l'Hôtel-de-Ville  de  Paris.  Eh  bien  !  l'Hôtel-de-Ville  de  Paris  reste  et 
restera  à  la  République. 

Justice  : 

Paris  n'a  pas  abdiqué  son  vieux  renom  démocratique,  Paris  a 
voulu  maintenir  son  rang  à  la  tête  des  villes  républicaines,  Paris  se 
relève  de  son  affaissement  aux  pieds  d'un  homme  et  a  repris  le  dra- 
peau de  la  République.  Vive  la  République  !  Vive  Paris  ! 

Radical: 

Drôle  de  peuple  que  le  peuple  de  Paris,  avec  lequel  il  ne  faut 
jamais  désespérer. 

Il  n'y  a  guère  plus  d'un  an,  il  acclamait,  sans  savoir  pourquoi,  un 
général  qui  se  posait  en  prétendant  et  en  pourfendeur  de  la  Répu- 
blique :  aujourd'hui,  le  même  peuple  vomit  avec  dégoiit  tous  les 
candidats  honorés  du  patronage  du  même  général,  tous  ceux  que 
l'investiture  du  fuyard  de  Jersey  avait  désignés  aux  suffrages  de  ses 
ex-fidèles. 

Rappel  : 

Le  caractère   des  élections  municipales  d'hier,  c'est  l'effondrement 
du  boulangisme. 
L'élection  du  £7  avril  s'appellera  la  veste  des  investis. 

Siècle  : 

C'est  un  gros  événement  qui  soulagera  la  conscience  nationale.  Les 
ballottages  sont  fort  nombreux,  comme  il  était  facile  de  le  prévoir 
par  suite  de  la  multiplicité  des  candidatures.  Mais  la  victoire  est 
assurée  au  second  tour  si  la  discipline  républicaine  est  observée  —  et 
elle  le  sera  certainement. 

X/X«  Siècle  : 

En  apprenant  ce  résultat,  la  France  républicaine  va  pousser  un 
long  soupir  de  soulagement. 

Le  boulangisme  est  vaincu  sous  toutes  ses  formes,  sous  la  forme 
révolutionnaire  dans  la  personne  de  MM.  Boulé,  Planteau,  Crié,  etc., 
aussi  bien  que  sous  la  forme  bonapartiste  dans  la  personne  de 
M.  Lenglé  et  de  M.  Poignant. 

La  variété  boulangiste  antisémite  représentée  par  M.  Drumont,  le 
marquis  de  Mores  et  M.  Xavier  Feuillant  n'a  pas  eu  plus  de  succès. 


268  ANNALES    CATHOLIQUES 

Voltaire  : 

Le  boulangisrae  était  certes  peu  de  chose,  après  les  élections  de 
1889;  après  les  élections  municipales  parisiennes  d'hier,  il  n'est  plus 
rien. 

Lanterne  : 

Paris  a  pris  sa  revanche. 

Nous  en  étions  bien  sûrs.  Nous  le  disions  hier,  il  n'était  pas  pos- 
sible que  la  capitale  de  l'intelligence  persévérât  longtemps  dans  une 
aussi  ridicule  et  piteuse  équipée.  Paris  est  capable  d'un  coup  de  tête, 
non  pas  d'une  bêtise  persistante.  Une  folie,  oui?  une  sottise  persis- 
tante, non. 

Evénement  : 

Lo  boulangisnie  vient  d'éprouver  une  fois  de  plus  combien  il  est 
imprudent  de  vendre,  et  surtout  d'acheter  la  peau  d'un  ours  en 
bonne  santé,  alors  surtout  que  l'on  confie  le  soin  de  le  jeter  à  terre 
à  d'aussi  médiocres  tireurs  que  ceux  qui  composent  la  liste  du 
«  Comité  national.  » 

L'échec  est  complet  et  concluant. 

Enfin  les  boulangistes. 

Intransigeant  : 

Cette  fois,  le  ministère  de  l'intérieur  u'a  pas  manqué  son  but  :  les 
électeurs  décidés  à  en  finir  avec  la  tourbe  qui  déshonorait  l'Hfttel-de- 
Ville,  avec  les  accapareurs  d'irréductibles  et  les  falsificateurs  de 
scrutin,  ont  commis  la  lourde  faute  d'éparpiller  leurs  efforts  sur  plu- 
sieurs candidats  de  l'opposition. 

Presse  : 

Que  nos  adversaires  triomphent  donc,  pendant  qu'il  en  est  temps 
encore.  Ils  ont  une  semaine  pour  se  réjouir.  Nous  la  leur  marchan- 
derons d'autant  moins  qu'ils  vont  avoir  à  décompter  bientôt. 

Pour  nous,  nous  demeurons  ce  que  nous  étions  hier,  fermes  et  con- 
vaincus du  triomphe  définitif  qui,  dans  ce  noble  pays  de  France,  ne 
fait  jamais  défaut  à  qui  représente  la  probité,  la  justice  et  la  liberté. 

La  note  de  la  Presse  est  fausse. 

Ce  n'est  pas  être  beau  joueur  ;  et  l'organe  du  général  Boulan- 
ger ferait  meilleure  figure  s'il  avouait  tout  simplement  qu'il  a 
perdu  la  partie  et  perdu  par  sa  faute. 

Le  boulangisme,  en  effet,  n'est  pas,  n'ajaniais  été  et  ne  pourra 
jamais  être  un  parti.  Il  a  eu  son  heure.  Il  a  joué  un  rôle  non 
dépourvu  de  crànerie,  tant  qu'il  n'a  pas  dévié,  c'est-à-dire  qu'il 
a  sj^nthétisé  la  colère  des  foules  et  le  mécontentement  de  l'opi- 
nion publique.  Mais  du  jour  où  il  a  fallu  faire  œuvre  personnelle 
et  voler  de  ses  propres  ailes,  il  s'est  cassé  le  nez. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  269 

Encore  une  fois,  c'était  fatal. 

Aux  dernières  élections  générales,  il  avait  commis  une  lourde 
faute  en  essayant  de  briser  l'union  conservatrice  dans  certains 
départements.  Cette  faute,  il  l'a  renouvelée  et  aggravée  en 
entrant  en  lutte  euverte  avec  elle.  Partout,  il  a  présenté  des 
candidats.  Il  a  même  suscité  des  concurrents  dans  les  quartiers 
notoirement  acquis  aux  membres  de  la  minorité  conservatrice 
du  conseil  municipal.  Ni  M.  Ferdinand  Duval,  ni  M.  Cochin,  ni 
M.  Lerolle  n'ont  trouvé  grâce  devant  lui. 

Il  paie  les  pots  cassés. 

C'est  bien  fait. 

Il  a  semé  la  discorde,  et  il  a  récolté  une  veste  conditionnée 
dans  les  règles. 

Tu  Tas  voulu,  Georges  Daudin  ! 


Cette  chronique  serait  incomplète^  si  nous  ne  disions  encore 
un  mot  de  la  manifestation  d'aujourd'hui.  M.  Constans  a  com- 
mencé par  faire  une  rafle  des  meneurs  les  plus  en  vue.  C'est  ce 
que  l'on  appelle  la  médecine  préventive.  Elle  a  chance  de  réus- 
sir, car  les  masses  n'agissent  guère  par  elles-mêmes;  générale- 
ment elles  obéissent  à  des  chefs  qui  se  tiennent  prudemment  à 
l'écart  au  moment  de  l'action,  mais  qui  n'en  exercent  pas  moins 
sur  elles  une  influence  directe.  On  disait  autrefois  :  Pas  d'ar- 
gent, pas  de  Suisses!  Ne  peut-on  pas  dire  aujourd'hui  :  Pas  de 
chefs,  pas  de  soldats? 

Mais  ce  qui  assurera  peut-être  l'ordre  et  la  sécurité  de  la  rue 
boauconp  plus  efficacement  que  les  mesures  policières  de 
M.  Constans,  ce  sont  les  divisions  profondes  du  parti  ouvrier. 
Nous  sommes  au  matin  du  !«''  mai,  et  aucun  des  groupes  n'a  pu 
réaliser  l'unité  de  vues  et  l'accord  qui  seraient  nécessaires  pour 
la  réussite  de  la  manifestation.  Le  compagnon  Soudej,  le  fa- 
meux agitateur  de  toutes  les  grèves  et  qui  a  joué  un  rôle  impor- 
tant lors  des  attentats  contre  les  bureaux  de  placement,  disait 
encore  hier  à  un  de  nos  confrères  de  Paris  :  «  ...  Mon  avis  est 
que  c'est  une  afl'reuse  blague,  un  coup  monté.  »  Un  autre  ou- 
vrier ébéniste  qualifie  la  manifestation  projetée  de  «  piège  dan- 
gereux ».  Enfin,  un  ouvrier  mécanicien  —  ce  n'est  pas  Delahaye, 
le  délégué  de  la  conférence  de  Berlin,  —  n'y  va  pas  par  quatre 
chemins  :  «C'est  la  fête  des  fainéants,  dit-il,  je  n'en  serai  pas.  » 
Et  cet  ouvrier  mécanicien   pourrait  bien  avoir  raison.  Sans  le 


270  ANNALES    CATHOLIQUES 

vouloir,  il  a  traduit  dans  son  rude  langage  cette  vieille  bou- 
tade d'Alphonse  Karr  :  ...  «  Ce  que  demandent  les  classes  labo- 
rieuses... c'est  de  ne  pas  travailler.  » 

Malgré  tout,  personne  ne  sait  comment  se  terminera  la  jour- 
née à  Paris  et  dans  les  villes  industrielles.  Les  organisateurs 
eux-mêmes  de  la  manifestation  ne  peuvent  prévoir  les  suites 
qu'elle  aura.  Aux  mesures  extraordinaires  de  précaution  prises 
par  le  gouvernement,  on  peut  juger  qu'il  n'est  pas  sans  inquié- 
tude. Quelle  que  soit  l'issue  de-cette  journée  au  point  de  vue  de 
l'ordre,  son  importance  est  dans  la  manifestation  elle-même 
qui,  le  même  jour  et  pour  le  même  objet,  mettra  en  mouvement, 
d'un  bout  à  l'autre  de  l'Europe,  toutes  les  masses  ouvrières. 

Cette  entente  et  cette  unanimité  constituent  un  fait  nouveau 
et  des  plus  graves.  C'est  pour  la  première  fois  que  la  solidarité 
universelle  des  travailleurs  manuels  s'affirme  dans  une  démons- 
tration de  ce  genre.  La  question  sociale  est  posée  à  la  face  de 
tous  les  gouvernements  dans  un  concert  qui  ne  s'était  jamais 
réalisé.  C'est  une  sommation  internationale  des  classes  d'en  bas 
aux  classes  supérieures  et  aux  pouvoirs  publics,  d'avoir  à  s'oc- 
cuper d'elles  et  à  faire  droit  à  leurs  besoins  et  à  leurs  réclama- 
tions. 


En  Belgique,  il  est  probable  que  la  manifestation  du  1«''  mai 
conservera  vraisemblablement  un  caractère  pacifique. 

Il  n'en  sera  peut-être  pas  de  même  en  Allemagne.  Outre 
la  décision  du  gouvernement  impérial  de  renvoyer  tous  les 
ouvriers  de  l'État  qui  chômeront  le  l^""  mai,  certains  présidents 
de  cercles  sont  d'avis  que  les  ouvriers  peuvent  être  punis  non 
seulement  s'ils  refusent  le  travail,  mais  encore  s'ils  invitent 
leurs  camarades  à  faire  comme  eux,  et  que  des  mesures  doi- 
vent être  prises  en  conséquence. 

Le  mouvement  s'accentue  à  Berlin. 

On  a  placardé  hier  matin  dans  la  capitale  les  affiches  pro- 
mulguant les  mesures  de  police  qui  ont  été  définitivement  arrê- 
tées pour  assurer  le  maintien  de  l'ordre.  Tout  rassemblement 
dans  la  rue  sera  immédiatement  dispersé  ;  tous  les  restaurants 
et  cabarets  devront  fermer  leurs  portes  à  six  heures  du  soir  ; 
les  trois  mille  gardiens  de  nuit  de  la  capitale  devront  se  mettre, 
pour  toute  la  journée  du  1"  mai,  à  la  disposition  du  chef  de  la 
police  et  agir  d'après  ses  instructions;  enfin,  une  surveillance 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  271 

de  police  spéciale  sera  organisée  dans  la  partie  Est,  centre  le 
plus  populeux  de  Berlin. 

Les  administrations  des  ateliers  principaux  de  Hambourg, 
d'Altona  et  de  Kœnigsberg  ont  conclu  une  entente  on  vertu  de 
laquelle  .ces  établissements  n'accepteront  aucun  ouvrier  qui 
aura  cessé  le  travail  dans  une  autre  fabrique. 

En  face  du  mouvement  socialiste  qui  se  manifeste  dans  toutes 
les  parties  de  son  empire,  le  jeune  souverain  d'Allemagne  vient 
de  donner  des  ordres  pour  que  toutes  les  troupes  casernées  à 
Berlin  et  à  Postdam  soient  prêtes  à  sortir  au  premier  signal 
d'une  manifestation  hostile  aux  institutions  dont  il  a  la  garde 
suprême. 

Des  mesures  identiques  sont  prises  dans  le  royaume  de  Saxe, 
particulièrement  à  Dresde,  oi;  l'élément  -socialiste  domine. 

Dans  la  Haute-Alsace,  le  mouvement  ouvrier  se  développe 
rapidement. L'agitation  est  fort  sérieuse  dans  les  centres  indus- 
triels :  Thann,  Marsevaux,  Saint-Amarin,  Wesserling,  Cernay, 
Sainte-Marie-aux-Mines.  A  Colmar  et  dans  les  vallées  de  Thann 
et  de  Guebwiller-Soultz,  les  protestations  revêtent  un  carac- 
tère menaçant. 

A  Vienne,  on  s'arme  de  toutes  pièces.  Il  est  vrai  que  la  situa- 
tion s'aggrave.  Aux  émeutes  ouvrières,  viennent  s'ajouter  les 
révoltes  des  paysans.  De  nouveaux  soulèvements,  télégraphie- 
t-on  au  Figaro,  ont  eu  lieu  dans  une  dizaine  de  localités  de 
Galicie,  habitées  par  les  Ruthènes.  Le  mouvement  est  surtout 
dirigé  contre  les  propriétaires  fonciers  juifs  ou  polonais.  Des 
bandes  de  paysans  et  de  journaliers  ont  dévasté  les  fermes  et 
les  propriétés,  et  maltraité  les  gens.  Un  homme  a  été  tué  à 
coups  de  gourdin.  Des  troupes  d'infanterie  et  de  cavalerie  sont 
envoyées  sur  les  lieux.  Un  avocat  qui,  dans  une  réunion  pu- 
blique, avait  excité  les  paysans  contre  la  noblesse  polonaise,  a 
été  arrêté  aujourd'hui. 

L'organe  officiel,  la  Jfon/a^5?'ef4^,  annonce  que  le  l^r  mai, 
en  dehors  de  l'occupation  militaire  des  faubourgs  de  Vienne 
pour  ]irotéger  les  édifices  publics,  les  institutions,  les  banques 
et  certaines  places  publiques  de  l'intérieur  de  la  ville,  seront 
gardées  militairement  par  les  troupes. 

Ce  qui  indique  plus  éloquemment  encore  que  les  mesures 
militaires  d'ores  et  déjà  arrêtées,  les  sérieuses  préoccupations 
du  gouvernement,  c'est  le  communiqué  paru  dans  l'organe 
officiel  pour  déclarer  faux  que,  lors   des  émeutes  à  Biala,   eu 


272  ANNALES    CATHOLIQUES 

Galicie,  les  troupes  aient  commencé  par  tirer  en  l'air  et  qu'elles 
n'aient  tiré  à  balle  qu'en  présence  de  la  résistance  persistante 
des  émeutiers  et  des  pillards. 

•Un  détail  peu  connu.  Le  règlement  militaire  en  Autriche 
interdit  sévèrement,  en  cas  d'émeute,  de  tirer  en  l'air.  Le  com- 
muniqué officiel  n'a',  dés  lors,  d'autre  but  que  de  prévenir  les 
manifestants  du  1"  mai  qu'en  cas  de  désordres  ils  n'ont  pas  de 
ménagements  à  espérer  et  que  les  troupes  séviront  avec  la  plus 
grande  rigueur. 

Les  autorités  de  toutes  les  villes  importantes  de  l'Empire 
austro-hongrois  ont  pris  des  mesures  de  précaution  très  impor- 
tante. On  est  décidé,  dit  le  Prager  Abendblail^  à  sévir  impi- 
toyablement, surtout  contre  les  étrangers  qui  essaieraient 
d'exciter  les  masses  ouvrières. 

Les  ouvriers  qui  prendront  part  à  la  manifestation  de  Madrid 
sont  les  typographes,  les  forgerons,  les  relieurs,  les  machinistes 
et  les  cairiers.  Les  anarchistes  et  les  socialistes  organisent  des 
meetings. 

Des  nouvelles  de  Saragosse  assurent  que  dans  la  crainte  de 
désordres,  beaucoup  de  familles  riches  ont  quitté  leur  résidence 
habituelle.  On  dit  qu'à  Bilbao,  la  manifestation  empêchera  la 
fétu  annuelle  du  2  mai,  jour  anniversaire  de  la  délivrance  de 
Bilbao  du  siège  carliste  en  1874.  On  craint  que  les  mécaniciens 
et  les  ouvi'iers  du  chemin  de  fer  ne  se  mettent  en  grève. 

A  Valence,  l'excitation  des  grévistes  augmente  tous  les  jours. 
Quelques  familles  riches  ont  quitté  momentanément  la  ville. 

Un  meeting  de  5,000  ouvriers  de  Grenade  a  décidé  de  faire 
une  grève  générale  le  i'^''  mai.  Le  préfet  prend  des  précautions 
pour  empêcher  le  pain  de  manijuer,  par  suite  de  la  grève  des 
boulan'ïers. 


Di'.RNiÈRE  HEURE.  —  6  hcures  du  soir.  —  Au  moment  oii 
nous  mettons  sous  presse,  on  ne  signale  aucun  désordre  sérieux. 
La  rue  de  Rivoli,  les  boulevards  sont  gardés  par  la  police  et  les 
municipaux  qui  forcent  à  circuler  constamment. 

A  signaler  quelques  bagarres  du  côté  de  la  Madeleine  et  de  la 
rue  Royale. 

De  nombreuses  arrestations  sont  faites  par  les  agents. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  273 

Voici  le  résultat  des  élections  législatives  qui  ont  eu  lieu 
dimanche  : 

ARDÈCHS   . 
Arrondissement  de  Tournon. 
Inscrits  :  22,950.  —  Votants  :   19.120 

MM.  Seignobos,  ancien  dép.  rép 9.593  Élu, 

Morin-Latour,  mon.  invalidé 9.520 

M.  Morin-Latour,  invalidé,  avait  été  éhi,  lo  22  septembre,  par 
9,990  voix,  contre  9.414  à  M.  Signobos. 

CHARENTE 
Arrondissement  de  Ruffec. 
Inscrits  :   16.000.  —  Votants  :  13.190 

MM.  Duportal,  maire  de  RuflTec,  rép 6.060  voix 

René  Gautier,  anc.  dép.,  bon 4.894 

Comte  de  Lameth,  mon 2.198 

Divers 94 

(Ballottage.) 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  de  Champvallier^  monarchiste, 
décédé.  M.  de  Champvallier  avait  été  élu,  le  22  septembre,  par 
8,590  voix,  sans  concurrent. 

CORRÈZE 
2^  Circonscription  de  Tulle. 
Inscrits  :  20.774.  —  Votants  :  10.195 
MM.  Delpeuoh,  ancien  chef  de  cabinet  du 

ministre  des  affaires  étran.,  rép.     8.118  Elu. 
Vacher,  boul.  invaii  lé 8.018 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Vacher,  dont  l'électiou  a  été  in- 
validée. M.  Vacher  avait  été  élu  au  2^  tour  de  scrutin  par 
8,549  voix  contre  7.090  à  M.  Delpeuch. 

HERAULT 
Arrondissement  de  Lodèce. 
Inscrits  :  17.619.  —  Votants  :  14.928 

MM.  Ménard-Dorian,  rép.  rad 7.632  Élu. 

Leroj'-Beaulieu,  cens 7.211 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Ménard-Dorian  dont  l'élection  a 
été  invalidée.  M.  Ménard-Dorian  avait  été  proclamé  élu  le 
22  septembre  par  7.197  voix,  contre  7.118  à  M.  Paul  Leroj- 
Beaulieu. 

20 


274  ANNALES    CATHOLIQUES 

YONNE 
Arrondissement  d'Avallon. 
Inscrits  :  13.409.  —  Votants  :  10.061 

MM.  Hervieu,  anc.  dép.,  rép.  rad 4.700  voix 

Najeotte,  rép.  lib 2.893 

Ancean,  cons.  gén.,  r.  mod 2.309 

Picot,  rép 41 

(Ballottage.) 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Garnier,  bonapartiste,  dont 
l'élection  a  été  invalidée.  M.  Garnier  avait  été  élu  le  22  sep- 
tembre par  5.229  voix,  contre  5.044  à  M.  Hervieu,  sur  10.382  vo- 
tants. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES 
liome  et  PItalie. 

On  lit  dans  la  Voce  délia  Verita  du  26  avril  : 

Nous  publions  la  lettre  suivante  de  S.Ena.  le  cardinal  Monaco,  secré- 
taire de  la  Suprême  Inquisition,  à  rillmect  RmeMgr  Bonomelli,  évoque 
de  Crémone,  afin  de  dissiper  un  malentendu  relatif  à  la  lettre  que  le 
P.  Monsabré,  de  l'ordre  des  Frères-Prêcheurs,  écrivit  à  ce  prélat  le 
13  mars  dernier,  au  sujet  de  Notes  ajoutées  par  ce  dernier  aux  Con- 
férences du  Père,  lettre  que  nous  avons  insérée  dans  notre  numéro 
du  3  courant. 

A  Monseigneur  Jc'r^mie  Bonomelli,  évêque  de  Crémone. 

Rome,  le  19  avril  1890. 
Illme  et  Rme  Seigneur, 

Ainsi  qu'il  appert  du  Messa^^pro  de  Crémone  du  19  courant, 
V.  S.  a  reçu  du  R.  P.  général  de  l'ordre  des  Frères-Prêcheurs,  à 
la  date  du  28  du  mois  dernier,  un  écrit  dans  lequel,  parlant  de  la 
lettre  qui  vous  a  été  envoyée  par  le  P.  Monsabré  au  sujet  des 
Noies  apposées  par  vous  aux  conférences  du  même  Père,  lettre 
qui  a  été  ensuite  publiée  par  les  journaux,  il  vous  porte  à  croire 
qu'il  a  induit  ce  religieux  à  écrire  la  susdite  lettre,  à,  l'instigation 
d'un  Monsignore  haut  placé  qui  s'était  attribué  des  pouvoirs 
qu'il  n'a  pas,  de  sorte  que  la  question  restait  telle  que  si  rien 
ne  s'était 2Jroduit. 

On  ne  comprend  pas  comment  le  Père  général  vous  a  écrit 
cette  lettre.  Il  a  commis  un  acte  arbitraire  et  il  est  tombé  dans 
l'erreur. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  275 

Le  fait  est  que  vos  Notes  ont  été  dénoncées  au  Saint-Siège  et 
que  cette  suprême  Congrégation  a  reçu  l'ordre  de  les  examiner. 
L'examen  qu'on  en  a  entrepris  a  déjà  démontré  que  nombre  de 
vos  annotations  expriment  au  moins  inexactement  et  d'une  façon 
ambiguë  la  doctrine  catholique,  principalement  en  matière  poli- 
tico-religieuse. Cet  examen  se  poursuit,  et  en  temps  et  lieu  le 
résultat  vous  en  sera  communiqué.  En  attendant,  il  a  été  reconnu 
expédient  de  donner  avis  de  ces  défectuosités  à  l'auteur  même 
des  conférences ,  et^  pour  le  bon  effet  à  obtenir,  il  lui  a  été 
suggéré  aussi  de  publier  la  lettre  adressée  par  lui  à  V.  S.  Et  le 
Père  Monsabré  a  été  informé  de  tout  cela  par  son  supérieur 
général,  comme  c'est  d'usage  en  pareil  cas. 

Le  Père  général  a  donc  écrit  au  P.  Monsabré  non  pas  à  l'insti- 
gation d'un  prélat  qui  se  serait  arrogé  des  pouvoirs  qu'il  n'a 
pas,  mais  sur  l'ordre  de  cette  S.  Congrégation,  approuvé  par  le 
Saint  Père. 

Et  puisque  la  lettre  du  Père  général  en  date  du  28  mars, 
dépourvue  de  tout  fondement  et  de  toute  autorité,  a  été  publiée, 
la  présente  sera  aussi  portée  à  la  connaissance  du  public,  afin  de 
rétablir  de  la  sorte  la  vérité.  Mais  la  volonté  du  Saint-Père, 
qui  a  bien  regretté  cet  incident,  est  que  vous  vous  absteniez 
de  toute  autre  publication  sur  le  sujet. 

En  vous  souhaitant  toutes    sortes  de   bien  de  la  part  de  Dieu, 

Je  suis  de  V.  S.  le  très  affectionné  dans  le  Seigneur. 

R.  card.  Monaco. 

France. 

AuTUN.  —  Nous  recevons  de  S.  G-.  Mgr  Perraud,  évêque 
d'Autun,  communication  de  l'ordonnance  suivante  : 

ORDONNANCE  PORTÉE  PAR  MGR  L'ÉVÊQUE  D'AUTUN 
relativement  à    la  publication 

d'un  «    NOUVEAU    MOIS    DE    MARIE    DE    NOTRE-DAME    DE    LOURDES    » 

Nous,  évêque  d'Autun,  Châlou  et  Mâcoa,  après  avoir  pris  nous-même 
connaissance  du  Nouveau  mois  de  Marie  de  Notre-Dame  de 
Lourdes  (récents  épisodes)  qui  vient  d'être  publié  par  M.  Henri 
Lasserre  (Paris,  Victor  Palmé,  éditeur,  1890.) 

Considérant, 
1»  Que  cet  ouvrage  est   présenté   au   clergé    et   aux  fidèles    pour 
servir  «  aux  exercices  religieux  »  pendant  le  mois  de  Marie  (avertis- 
sement, pp.  x  et  xxxv)  ; 
2"  Que  la  \QQ,\.\i.TQ  publique  d'un  livre,  dans  une  église  et   pendant 


276  ANNALES    CATHOLIQUES 

UQ  exercice  religieux,  constitue  une  sorte  de  prédicatioa  sur  laquelle 
les  évêques  ont  le  devoir  d'exercer  un  contrôle; 

30  Que  ce'' contrôle  est  particulièrement  nécessaire  lorsqu'il  s'agit 
d'un  livre  où  il  est  traité  de  faits  qui  touchent  au  surnaturel  et  au 
miraculeux,  faits  sur  lesquels  l'Eglise  ne  s'est  pas  encore  prononcée; 

40  Que  les  récits  épisodiques  dont  se  compose  ce  nouveau  Mois  de 
Marie  mettent  en  scène,  avec  un  luxe  de  circonstances  tout  à  fait 
étrangères  à  des  exercices  religieux,  bon  nombre  de  personnes  vi- 
vantes ; 

Et  que,  notamment,  deux  d'entre  elles,  appartenant  au  diocèse 
d'Autun,  fournissent  la  matière  de  21  lectures  sur  31  dont  l'ouvrage 
se  compose  ; 

5"  Que,  à  propos  de  la  guérisonde  l'une  de  ces  personnes,  l'auteur 
e?t  entré  dans  des  détails  dont  la  divulgation  par  une  lecture  pu- 
blique, faite  dans  rassemblée  des  fidèles,  est  pleine  d'inconvenance 
et  peut  entraîner  de  nombreux  inconvénients; 

6"  Que  ces  récits  n'ont  qu'un  rapport  très  indirect  avec  la  médita- 
tion des  gloires  et  des  vertus  de  la  Sainte  Vierge,  qui  est  l'objot 
propre  des  pieux  exercices  du  mois  de  Mario  ; 

Pour  toutes  ses  causes, 

Le  saint  nom  de  Dieu  invoqué  et  notre  conseil  entendu. 

Avons  ordonné   et  ordonnons  ce  qui  suit  : 

La  lecture  publique  du  Souvean  Mois  de  Marie  de  Notre-Dame  de 
Lourdes  {récents  épisodes),  par  M.  H'jnri  Lasserre,  est  interdite  dans 
toutes  les  églises  et  chapelles  de  notre  diocèse,  communautés  reli- 
gieuses et  écoles  placées  sous   notre  juridiction. 

Fait  à  Autun,  le  24  avril  1890. 

-j-  Adoli'iiic-Louis, 
Evéque  d'Autun,  Chdlon  et  Màcon. 

Par  ordonnance  de  Monseifrumir, 
Félix  LORTO.V, 
Chanoine  honoraire,  chancelier. 

Cambrai.  —  Une  usine  des  environs  de  Lille  était  en  liesse  le 
liiuili  de  Pâques. 

Le  patron,  en  chrétien  qu'il  est,  considérant  ses  ouvriers 
comme  ses  enfants  aimés,  avait  réuni  tout  son  personnel  dans 
une  fête  de  famille,  à  l'occasion  de  la  bénédiction  de  quelques 
bâtiments  nouveaux,  de  l'instullation  d'une  nouvelle  machine  et 
de  l'érection  d'une  monumentale  statue  du  Sacré  Cœur,  dont  il 
voulait  faire  le  gardien  et  le  [irotecteur  de  son  usine. 

A  dix  heures  et  demie,  l'église  de  la  paroisse  voyait  réunis 
au  pied  des  autels,  pour  entendre  la  messe,  la  nombreuse 
famille  du  patron,  les  employés  et  les  ouvriers  do  la  maison. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  277 

Vers  midi,  M.  le  curé  se  rendait  dans  la  vaste  cour  de  l'éta- 
blissement, où  il  adressait  une  allocut'on  de  circonstance  qui 
toucha  le  cœur  des  auditeurs,  et  surtout  celui  des  ouvriers. 

Ea  entrant  dans  vos  ateliers,  leur  dit-il,  vous  aurez  sous  les  yeux 
l'image  de  votre  protecteur  et  de  votre  modèle. 

Comme  Dieu,  en  effet,  Notre-Seigneur  est  tout-puissant;  mettez 
votre  confiance  en  lui. 

Comme  homme,  il  est  le  modèle  de  toutes  les  vertus  ;  imitez-le. 

Cette  image  du  Sacré-Cœur  vous  rappellera  que  Dieu  estime  l'ou- 
vrier chrétien  à  l'égal  du  patron  chrétien. 

Elle  vous  rappellera  que  Dieu  fut  le  premier  ouvrier  lorsqu'il  créii 
le  ciel  et  la  terre;  elle  vous  rappellera  qu'il  a  choisi  pour  père  et 
pour  mère,  non  un  roi  et  une  reine,  mais  un  saint  ouvrier  et  son 
humble  compagne  ;  elle  vous  rappellera  que  Notre-Seigneur  a  tra- 
vaillé de  ses  mains  pendant  les  trente  premières  années  de  sa  vie,  si 
bien  que  les  juifs,  étonnés  de  l'éloquence  qu'il  déployait  dans  ses 
prédications,  s'écriaient  :  «  Comment  sait-il  tout  cela?  » 

Après  la  bénédiction  solennelle  de  la  magnifique  statue  du 
Sacré-Cœur,  le  patron,  imité  spontanément  partons  ses  ouvriers, 
se  mit  à  genoux  et  prononça  à  haute  voix  un  acte  de  consécra- 
tion. 

Divin  Cœur  de  Jésus,  nous  vous  consacrons  solennellement  cette 
usine,  ainsi  que  nos  personnes  et  nos  familles. 

Que  ces  ateliers,  â  l'image  de  celui  de  Nazareth,  soient  le  séjour 
inviolable  de  l'honneur,  de  la  foi,  de  la  charité,  du  travail  chrétien, 
de  l'ordre  et  de  la  paix. 

Cœur  de  Jésus,  protégez  notre  travail,  défendez-nous  contre  tous 
les  dangers  matériels  et  spirituels  au  milieu  desquels  nous  vivons. 
Ainsi  soit-il. 

Tous  assistèrent  ensuite  à  la  bénédiction  des  bâtiments  et 
d'une  nouvelle  machine  située  dans  une  salle  immense  oii  se 
trouvait  servi  un  charmant  dîner  de  famille. 

Après  la  cérémonie,  tous  se  mirent  à  table  :  le  meilleur  esprit 
ne  cessa  de  régner. 

Au  dessert,  un  employé  se  leva  «  heureux  de  remercier  le 
patron,  au  nom  des  employés  et  des  ouvriers,  de  les  avoir  invi- 
tés à  cette  belle  fête  de  farnille.ie  dis  fête  de  famille,  poursuit- 
vit-il,  car  ce  sont  les  mêmes  liens  de  famille  qui  unissent  le 
patron  chrétien  à  ses  ouvriers.  La  plus  grande  fraternité  ne 
cesse  d'exister  entre  notre  patron  et  nous.  » 

C'est  aux  cris  de  :  Vivent  M.  X...  et  sa  famille!  que  les  ou- 
vriers ont  accueilli  le  toast  prononcé  en  leur  nom  par  le  délégué. 

Le  patron  se  leva  alors  et  dit  : 


278  ANNALES    OATHOLIQUBS 

Mes  chers  aiuis,  —  Je  suis  profondt^ment  touché  des  affectueux  sen- 
timants  dont  M...  vient  de  se  faire  votre  interprète.  Oui!  il  a  bien 
raison  en  disant  que  je  vous  aime  ;  j'ajouterai  que  je  ferai  tout  mon 
possible  pour  me  faire  aimer  de  vous.  Giàce  à  Dieu,  nous  n'avons 
pas  besoin,  nous  catholiques,  d'aller  à  Berlin  pour  y  chercher  le 
remède  social;  ce  remède,  nous  l'avons  sous  la  main  ;  il  nous  suffit 
d'ouvrir  l'Évangile,  et  nous  y  trouverons  ces  mots  :  «  Aimez-vous 
l''s  uns  les  autres.  •»  Si  cette  leçon  était  comprise  et  réalisée  par  tous, 
la  question  sociale  serait  résolue. 

Comme  l'écrivait  encore  dans  une  circonstance  récente  notre  grand 
Pape  Léon  XIII  :  «  L'Evangile  est  le  seul  Code  où  se  trouvent  consi- 
gnég  les  principes  de  la  vraie  justice,  les  maxiraf^s  de  la  charité  mu- 
tuelle qui  doit  unir  tous  les  hommes  comme  enfants  du  même  Porc 
et  membres  de  la  même  famille. 

La  religion  apprendra  donc  au  patron  à  respecter  dans  l'ouvrier 
la  dignité  humaine  et  à  le  traiter  avec  justice  et  équité;  d'autre  part, 
elle  inculquera  dans  la  conscience  du  travailleur  le  sentiment  du 
devoir  et  de  la  fidélité,  elle  lui  rappellera  que  toute  autorité  vient  do 
Dieu;  enfin,  elle  le  rendra  moral,  sobre  et  honnête. 

Uniesons-nous,  chers  amis,  sur  le  terrain  religieux,  et  tâchons,  les 
UDB  et  les  autres,  de  réaliser  peu  à  peu  cette  fraternité  chrétienne. 

Jo  remercie  bien  vivement  Messieurs  les  curés  de  X...  et  de  X... 
d'avoir  bion  voulu  présider  cette  cérémonie  et  assister  à  cette  fête  de 
fiimillo  ;  permettfz-moi  do  leur  dire  en  votre  nom  et  au  mien  que 
nous  serons  toujours  heureux  de  recevoir  leur  visite  dans  l'usine 
pour  encourager  et  bénir  nos  travaux. 

Puis  les  enfants  du  patron,  voulant  acconaplir  à  leur  raanièro 
leui'  devoir  social,  récréèrent  l'assistance  par  des  monologues, 
des  chants  et  des  morceaux  d'ensemble. 

Enfin  lo  vénérable  curé,  profondément  ému  et  touché  de  cette 
belle  fête,  qui  semble  être  le  prélude  d'un  mouvement  puissant 
en  faveur  de  l'union  et  de  la  paix,  bénit  le  grand  crucifix  qui 
protège  les  ateliers  et  récita  les  grâces. 

Afin  de  graver  dans  tous  les  cœurs  le  souvenir  de  cette  jour- 
néiî,le  patron  distribua  à  chacun  une  image  du  Sacré-Cœur  avec 
l'acte  de  consécration. 

Puissent  ses  efforts  être  bénis  et  son  personnel  former,  comme 
il  le  souhaite,  le  prolongement  de  sa  propre  famille  ! 

Espagne.  —  Mgr  Cassanas  y  Pages,  évêque  d'Urgel,  ayant 
fait  hommage  au  Souverain  Pontife  d'une  Instruction  pastorale 
relative  aux  enseignements  contenus  dans  V encycUqne Sapieniiœ 
chrislianœ,  Sa  Sainteté  a  daigné  lui  répondre  par  une  irapor- 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  279 

tante  Lettre  que  publie  en  espagnol  le  Siglo   Futuro.    Nous 
empruntons  à  1'  Univers  la  traduction  de  ce  grave  document  : 

A  Notre  vénérable  Frère  Salvador^  évêque  cCJJrgel. 
LÉON  XIII,  PAPE 
Vénérable  Frère,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

Eu  même  temps  qu'elle  Nous  a  été  fort  agréable,  Nous  estimons 
tout  à  fait  appropriée  aux  circonstances  présentes  la  lettre,  adressée 
à  votre  clergé  et  à  votre  peuple,  qui  Nous  a  été  transmise  par  les 
mains  de  Notre  cher  Fils  le  cardinal  secrétaire  d'Etat,  et  dans  laquelle, 
suivant  les  indications  que  Nous  avons  marquées  en  diverses  ency- 
cliques, notamment  en  l'encyclique  Sapieniice  christiance,  vous 
exhortiez  les  catholiques  espagnols  à  cesser  les  discordes  qui  les  par- 
tagent en  groupes  opposés,  afin  d'en  venir  à  une  concorde  parfaite  de 
pensée  et  d'action. 

En  effet,  il  est  vraiment  déplorable  que,  depuis  quelques  années, 
beaucoup  de  catholiques  espagnols,  trompés  et  égarés  par  les  passions 
de  parti  ou  de  drapeaux  politiques,  non  moins  que  par  les  intérêts  hu- 
mains, soient  descendus  dans  larène  pour  combattre  les  uns  cuntreles 
autres,  sous  la  direction  de  l'autorité  d'un  petit  nombre  d'individus 
qui,  abusant  du  caractère  très  religieux  de  ce  peuple,  s'en  prennent 
vivement  à  leurs  adversaires  politiques  pour  satisfaire  des  aspirations 
privées,  et  pour  faire  servir  à  leur  propre  profit  les  choses  qui  sont 
de  Dieu. 

Ce  qui  montre  l'esprit  auquel  obéissent  ces  chefs  en  leur  façon 
d'agir,  c'est  qu'ils  s'arrogent  dans  l'Eglise  le  ministère  de  l'ensei- 
gnement, prononçant  des  jugements  sur  la  foi  et  la  saine  doctrine  de 
leurs  frères;  c'est  que,  dans  les  entreprises  qui  intéressent  la  religion, 
ils  ne  veulent  pas  s'associer  à  ceux  qu'ils  tiennent  pour  opposés,  et 
pas  même  lorsqu'ils  sont  dans  les  mêmes  églises  ;  c'est  que,  chaque 
jour,  ils  s'accablent  réciproquement  d'outrages  publics  dans  la  presse 
périodique;  c'est  que,  dénaturant  et  torturant  le  sens  de  documents 
qui  n'ont  en  soi  rien  d'équivoque  et  dans  lesquels  leur  conduite  est 
réprouvée  par  l'autorité  ecclésiastique,  ils  les  tournent  à  leur  propre 
sentiment  et  opinion  ;  c'est  que,  après  avoir  été  sévèrement  admo- 
nestés, ils  ne  cessent  de  chercher  habilement  des  faux-fuyants  et  des 
échappatoires,  en  tournant  tout  à  leur  guise  ;  enfin  c'est  que,  défiants 
et  soupçonneux  à  l'égard  de  leurs  pasteurs,  ils  méprisent  en  fait  et 
réellement  leur  autorité  et  leur  direction,  bien  que,  en  paroles,  ils 
leur  témoignent  de  l'attachement  et  du  respect. 

La  conséquence  de  ce  que  Nous  venons  d'exposer  c'est  assurément 
que  ces  querelles  et  ces  inimitiés  sournoises,  entièrement  indignes  de 
la  condition  de  chrétiens,  ne  servent  pas  au  progrès  de  la  religion  et 
de  la  vérité  (comme  on  le  prétend),  mais  bien  à  d'autres  fins  calculées. 
Aussi,  qu'après  une  si  extraordinaire  sollicitude  employée  par  Nous 
et  par  les  évêques  pour  les  détourner  d'une  voie  hérissée   d'écueils, 


280  ANNALES   CATHOLIQUES 

ils  s'obstinent  en  leur  opinion  tenace,  c'est  la  preuve  bien  claire  qu'ilis 
abhorrent  la  lumière  et  qu'ils  préfèrent  être  aveugles  et  guider  d'autres 
aveugles. 

Tout  cela  Nous  est  fort  pénible  ;  mais  si  quelque  chose  Nous  est 
plus  pénible,  c'est  de  voir  qu'à  ces  querelles  absolument  lamentables 
et  insensées  ont  pris  part  un  certain  nombre  d'ecclésiastiques  oublieux 
de  leurs  devoirs,  et,  ce  qui  est  pire  encore,  un  certain  nombre  de 
religieux  dès  longtemps  illustrés  par  leur  fidélité  et  leur  amour  pour 
le  Siège  Apostolique,  lesquels,  en  secret  ou  publiquement,  travail- 
lent à  ce  que  ce  mal  grandisse -et  se  propage  de  plus  on  plus,  au 
grand  dommage  des  plus  hauts  intérêts  de  l'Eglise  et  de  la  patrie. 
Ainsi,  par  aventure  et  sans  en  avoir  conscience,  ils  se  sont  changés, 
par  Ipur  imprudence,  en  mini^^tres  de  la  vengeance  divine,  ceux-là 
mêmes  qui  ont  pour  charge  de  lour  ministère,  d'annoncer  la  paix  au 
nom  de  Dieu. 

En  rélléohissant  à  tout  cela,  Nous  avons  estimé  très  opportun  et 
approprié  aux  temps  actuels  ce  que  Nous  avons  lu  en  votre  lettre  oii, 
avec  sagesse  et  clarté,  vous  avez  exposé,  d'une  part,  les  causes,  la 
gravité  et  l'origine  de  cette  pernicieuse  contagion  qui  infe^ste  1  Espagne , 
d'autre  part  les  dangers  qui  sont  à  en  redouter,  comme  les  remèdes 
qu'il  faut  employer  pour  sa  destruction. 

Aussi  Nous  ne  pouvons  moins  faire  que  de  louer  comme  elle  le 
mérite  l'ardeur  avec  laquelle,  coopérant  à  Notre  constante  sollicitude, 
vous  vous  efforcez  d'amener  de  nouveau  les  Espagnols  à  la  charité 
parfaite  et  à  un  accord  absolu^  selon  que  l'exigent  les  nécessités  do 
l'Eglise  au  temps  présent  et  les  devoirs  étroits  des  chrétiens  établis 
en  société.  Nous  nourrissons  donc  le  doux  espoir  que  votre  excellent 
travail  produira  les  fruits  désirés,  grâce  aussi  aux  efforts  de  vos  autres 
frères  dans  l'épiscopat, et,  avant  tout,  moyennant  lesecoursde  Dieu  et 
la  protection  des  .«aints  patrons  dont  l'Espagne  segloritie  si  justement. 

Désormais  donc  il  faut  que  tous  les  catholiques,  écoutant  la  voix  de 
leurs  pasteurs  et  se  plaçant  au-dessus  de  tout  intéréthumain,  entrent 
en  lice,  comme  une  phalange  compacte,  avec  une  ardeur  digne  de  la 
foi  de  leurs  pères  et  avec  une  étroite  union  de  volontés  pour  la 
défense  de  l'Eglise,  leur  mère  commune,  qui  est  affligée  aujourd'hui 
par  de  si  graves  épreuves  et  combattue  par  des  ennemis  si  nombreux 
et  si  acharnés. 

Animé  de  cet  espoir,  et  en  témoignage  de  Notre  affection,  Nous 
vous  donnons  très  tendrement  dans  le  Seigneur  la  bénédiction  apos- 
tolique, à  vous,  vénérable  Frère,  ainsi  qu'au  clergé  et  aux  fidèles 
confiés  à  vos  soins. 

Donné  à  Rome,  près  Saint-Pierre,  le  20  mar.^  de  l'année  MDCCCXC, 
la  treizième  de  Notre  Pontificat.  LÉON  XIII,  PAPE. 

Le  gérant  :   P.   Ghantkii,l. 

Paris.  Imp.  O.  Picqnoin,  53,   rue  (ie  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


DES  PAROISSES  ET  DES  CURES 
Origine  des  paroisses. 

Le  mot  paroisse,  tel  que  nous  l'entendons  dans  le  sens  mo- 
derne, désigne  une  certaine  portion  de  territoire,  déterminée 
par  le  Pape  ou  par  l'Evêque,  pourvue  d'un  recteur  à  poste  fixe, 
investi  du  pouvoir  de  régir  et  de  juger  dans  certaines  limites 
le  peuple  qui  y  habite. 

Cette  division  de  territoire  n'existait  pas  dans  les  temps  pri- 
mitifs :  c'est  l'Evèque  seul  qui  administrait  tout  le  diocèse,  soit 
par  lui-même,  soit  par  des  prêtres  à  qui  il  confiait  une  mission 
plus  ou  moins  étendue  et  en  tout  cas  transitoire,  de  sorte  que 
la  paroisse  alors,  c'était  tout  le  diocèse. 

De  graves  auteurs  n'hésitent  point  à  attribuer  la  première 
origine  des  paroisses  au  pape  saint  Denjs,  le  vingt-quatrième 
successeur  de  saint  Pierre,  mort  en  268,  sur  le  témoignage 
d'une  lettre  dont  l'authenticité  d'ailleurs  semble  plus  que  sus- 
pecte. En  tout  cas,  on  admet  généralement  qu'elle  n'est  pas 
postérieure  au  iv®  siècle,  au  moins  pour  les  localités  rurales. 
Ce  n'est  pas  à  dire  toutefois  que  dès  lors  les  campagnes  elles- 
mêmes  fussent  distribuées  en  paroisses  distinctes  et  séparées, 
puisque  le  concile  oecuménique  de  Latran  crut  devoir  porter  un 
décret  conçu  en  ces  termes  :  «  In  parochialibus  ecclesiis  pres- 
byteri  per  Episcopos  constituantur  qui  ei  respondeant  de  ani- 
marum  cura  et  de  his  quœ  ad  episcopum  pertinent.  »  Elles  ne 
l'étaient  même  pas  toutes  à  l'époque  du  concile  de  Trente,  au 
moins  dans  toutes  leurs  conditions  d'existence  propre  et  indi- 
viduelle, car  il  dispose  ainsi  (sess.  24,  De  reform.,  c.  13)  : 
«  In  ils  civitatibus  ac  locis,  ubi  parochiales  ecclesiae  certes  non 
habent  fines,  nec  earum  "rectores  proprium  populum,  quem 
regant,  sed  promiscue  petentibus  sacramenta  administrant, 
mandat  S.  Synodus  Episcopis  pro  tutiori  animarum  eis  com- 
missarum  salute,  ut  distincte  populo  in  certas  propriasque  paro- 
chias  unicuique  suum  perpetuum  peculiaremque  populum  assi- 
gnent ;  »  d'où  il  appert  que  c'est  de  ce  dernier  concile  que  date 
l'organisation  définitive  des  paroisses,  tant  de  ville  que  de 
campagne,  telle  qu'elle  existe  encore  parmi  nous,  avec  toutes 
Lxxii  —  10  Mai  1890  21 


282  ANNALES   CATHOLIQUES 

leurs  conditions  de  territoire  nettement  défini   et  de  stabilité 
pour  les  prêtres  chargés  de  les  desservir. 

L'office  curial  est  d'institution  ecclésiastique. 

Le  jansénisme  prétendit  que  l'office  curial  était  de  droit 
divin  comnae  celui  des  Evéques,  et  pour  donner  à  cette  préten- 
tion une  apparence  de  solidité,  à  défaut  d'autre  moj'en  de  filia- 
tion, il  dut  en  faire  remonter  la  succession  aux  soixante-douze 
disciples.  C'est  Gerson  qui,  héritier  des  doctrines  déjà  vieilles 
de  deux  siècles  dans  la  Serbonne,  leur  attribua  le  premier  cette 
paternité  et  en  fit  découler  tous  les  droits  prétendus  qui,  sous 
l'apparence  d'une  subordination  purement  nominale,  n'iraient 
à  rien  moins,  s'ils  étaient  admis,  qu'à  leur  assurer  en  fait  une 
indépendance  presque  absolue  dans  l'Eglise.  Ravivée  ainsi  par 
le  souffle  du  maître,  cette  doctrine  ne  fit  que  s'enraciner  plus 
profondément,  malgré  les  censures  multipliées  du  Saint-Siège, 
dans  les  idées  et  l'enseignement  du  docte  corps;  et  plus  tard 
Saint-Cyran  et  ses  successeurs  :  Fébronius,  Richer,  Morin, 
Vigor,  Juvénin,  Van-Espen,  n'eurent  qu'à  la  reprendre,  telle 
à  peu  près  qu'ils  l'y  trouvaient,  pour  la  faire  passer  dans  leurs 
livres,  et  la  répandre  nu  dehors  dans  les  rangs  du  clergé  parois- 
sial, dont  elle  favorisait  les  idées  ambitieuses.  Mais  pourvu  que 
l'on  veuille  allor  au  fond  des  choses,  et  ne  pas  se  contenter 
d'apparences  qui  n'ont  pas  même  le  mérite  d'être  spécieuses,  le 
système  du  moderne  presbytérianisme  n'a  pas  de  base  :  celle 
qu'on  lui  donne  se  dérobe  au  moindre  examen,  et  l'édifice  d'er- 
reur qu'elle  supporte  s'écroule  au  moindre  souffle.  Car  d'abord, 
qu'est-ce  que  cette  prétention  de  faire  des  curés  les  successeurs 
des  soixante-douze  disciples  ?  Les  simples  prêtres  ne  le  sont 
même  pas,  et  cela  par  une  raison  péremptoire;  c'est  qu'il  n'y  a 
point  de  succession  possible  là  où  il  n'y  a  point  d'héritage  à 
recueillir  ;  or  les  soixante-douze  disciples,  du  moins  au  moment 
oii  on  les  prend,  n'étaient  pas  prêtres,  et  plusieurs  d'entre  eux 
ne  le  devinrent  jamais,  témoins  les  'sept  diacres.  Pour  que  les 
curés  fussent  leurs  successeurs,  il  faudrait  que  les  disciples 
eussent  eu  des  pouvoirs  précis  et  positifs  à  leur  transmettre  ; 
or  au  moment  oii  le  Sauveur  les  choisit  pour  les  envoyer  en 
avant-garde  dans  tous  les  lieux  oii  il  se  disposait  à  se  rendre 
lui-même,  il  ne  leur  donne  d'autre  mission  que  d'annoncer  sa 
prochaine  arrivée  et  de  préparer  les  voies  à  l'exercice  de  son 
auguste  ministère.  Ils  ne  sont  donc  revêtus  alors  d'aucun  rainis- 


DES  PAROISSES  ET  DES  CURES  283 

tère  positif  et  jaridictionuel  ;  il  ne  leur  est  assigné  ni  territoire 
fixe,  ni  peuple  déterminé,  ni  fonctions  définies  et  permanentes  ; 
et  dès  lors  ils  ne  peuvent  laisser  k  d'autres  ce  qu'ils  ne  possè- 
dent point  pour  eux-mêmes.  [Conf.  d'Arras.) 

Conditions  requises  chez  les  clercs  pour  être  chargés 
du  gouvernement  d'utie  paroisse. 

Pour  qu'un  clerc  soit  chargé  d'une  paroisse  et  mis  à  sa  tête, 
il  faut  qu'il  soit  prêtre  légitimement  ordonné  et  qu'il  soit  envoyé 
par  l'Ordinaire^,  c'est-à-dire  par  l'évêque  du  diocèse  qui  est  son 
supérieur  légitime  et  direct,  de  qui  il  tient  sa  mission  et  sa 
juridiction.  Ceci  est  pour  le  simple  desservant  d'une  succursale: 
mais  s'il  s'agit  d'un  curé  proprement  dit,  au  point  de  vue  civil, 
c'est-à-dire  d'un  curé  titulaire  ou  inamovible,  comme  les  curés 
de  canton,  il  faut  en  plus  que  sa  nomination  faite  par  l'évêque 
du  diocèse,  soit  ratifiée  ou  agréée  par  le  gouvernement.  L'Eglise 
donne  indistinctement  le  nom  de  curés  à  tous  les  prêtres 
chargés  du  soin  d'une  paroisse;  mais,  dans  l'administration 
civile,  on  distingue  les  curés  dont  la  nomination,  faite  par 
l'évêque,  est  agréée  par  le  gouvernement,  de  ceux  qui  sont 
nommés  et  révoqués  à  la  volonté  de  l'évêque  et  qu'on  appelle 
desservants. 

Le  curé  proprement  dit  est  nommé  et  institué  par  l'évêque, 
car,  de  droit  commun,  l'évêque  a  toujours  été  collateur  ordi- 
naire des  titres  ecclésiastiques  de  son  diocèse.  Cette  règle  est 
aussi  ancienne  que  l'Eglise.  Mais  la  nomination  du  curé  ne  peut 
être  manifestée,  et  l'institution  canonique  donnée,  qu'après  que  la 
nomination  a  été  agréée  par  le  gouvernement.  Cet  agrément  est 
donné  par  un  décret  du  chef  de  l'Etat,  dont  on  envoie  une 
ampliation  à  l'ecclésiastique  nommé. 

Le  curé  est  chargé  de  diriger  l'administration  spirituelle  de 
la  paroisse  ;  il  est  immédiatement  soumis  à  l'évêque  dans  l'exer- 
cice de  ses  fonctions  (loi  organique  art.  9  et  30).  Dans  l'ordre 
hiérarchique,  tous  les  curés  ont  du  reste  le  même  rang  et  les 
mêmes  fonctions.  C'est  au  curé  seul  qu'appartiennent  toutes  les 
fonctions  qui,  par  leur  nature,  sont  curiales,  telles  que  le  droit 
d'administrer  les  sacrements  à  toutes  les  personnes  domiciliées 
dans  retendue  de  sa  paroisse,  ou  de  leur  donner  en  cas  de  mort 
la  sépulture  ecclésiastique.  (Décision  ministérielle  du  22  avril 
1808.) 

Tous  les  curés   sont  égaux  en  droit,  puisqu'ils   ont  tous   le 


284  ANNALES    CATHOLIQUES 

même  caractère  et  les  mêmes  fonctions.  Personne  ne  peut  se 
dire  le  premier  entre  eux.  Il  y  a  sans  doute  des  curés  qui  peu- 
vent avoir  un  plus  grand  territoire,  et  qui  sont  établis  dans  une 
église  ])lus  ancienne  ou  plus  importante  ;  mais  ces  circonstances 
n'ont  aucune  influence  sur  le  titre  de  curé,  qui. est  commun  à 
tous  et  qui  renferme  les  mêmes  prérogatives.  Il  n'y  a  pas  plus 
de  premier  curé  dans  un  diocèse  qu'il  n'y  a  de  premier  évêque 
en  France  :  quand  on  est  évêque  on  l'est  autant  que  tout  autre, 
et,  dans  le  sacerdoce  ainsi  que  dans  Tépiscopat,  il  ne  peut  y 
avoir  de  distinctions  que  celles  qui  ont  été  établies  par  la 
hiérarchie  fondamentale  de  l'Eglise.  (Décision  ministérielle  des 
23  messidor  an  X  et  3  florial  an  XI). 

Les  curés  ont  la  surveillance  sur  leurs  vicaires  :  mais,  malgré 
les  termes  explicites  de  l'article  31  de  la  loi  organique,  ils  ne  peu- 
vent l'étendre  sur  les  desservants.  Un  règlement,  fait  pour  le 
diocèse  de  Paris,  porte  qu'ils  n'ont  sur  les  desservants  aucune 
autorité  réelle.  Ce  règlement,  approuvé  par  le  gouvernement 
le  25  thermidor  an  X,  est  devenu  commun  aux  autres  diocèses. 
Les  curés  n'ont  d'autre  droit  de  surveillance  que  celui  que 
l'évêque  leur  accorde  personnellement. 

Relativement  à  leur  traitement,  les  curés  sont  divisés  en 
deux  classes.  On  divise  les  cures,  en  cures  de  première  classe 
et  en  cures  de  deuxième  classe.  Elles  ne  diffèrent  entre  elles 
qu'à  raison  du  traitement  accordé  à  celui  qui  les  dessert.  Les 
traitements  des  curés  sont  donc  divisés  en  deux  classes,  la  pre- 
mière comprend  les  curés  des  communes  de  5,000  âmes  et  au- 
dessus,  un  nombre  égal  à  celui  des  justices  de  paix  établies  dans 
les  mêmes  communes,  ainsi  que  les  curés  des  chefs-lieux  de 
préfecture  (Arrêté  du  27  brumaire  an  XI,  et  ordonnance  du  roi 
du  6  avril  1832).  La  seconde  classe  comprend  les  curés  de  toutes 
les  autres  communes  érigées  eu  cures  par  des  décrets  ou  ordon- 
nances. 

Le  traitement  des  archiprêtres  de  cathédrales  et  celui  des 
curés  de  première  classe,  y  compris  ceux  qui  le  sont  par  privi- 
lège personnel,  est  de  1,500  francs  ;  s'ils  sont  septuagénaires  non 
pensionnés,  le  traitement  est  de  1,600  francs.  Le  traitement 
des  curés  de  seconde  classe  est  de  1,200  francs.  S'ils  sont  sep- 
tuagénaires non  pensionnés,  il  est  de  1,600  francs.  Une  ordon- 
nance royale  du  13  mars  1832,  insérée  sous  le  mot  traitement, 
■prescrit  à  tous  les  vicaires  généraux,  chanoines,  curés,  desses- 
vants,  vicaires,  etc.,  la  formalité  de  la  prise  de  possession  pour 


DES  PAROISSES  ET  DES  CURÉS  285 

avoir  droit  au  traitement  ecclésiastique  qui  ne  court  que  du 
Jour  de  cette  prise  de  possession,  et  non  du  jour  de  la  nomina- 
tion du  titulaire  par  l'évêque.  La  prise  de  possession  doit  être 
constatée  non  seulement  dans  les  cas  de  première  nomination, 
mais  aussi  dans  tous  les  cas  de  mutation.  Il  est  bien  important 
de  ne  pas  négliger  de  transmettre  à  la  préfecture  l'expédition 
de  cette  prise  de  possession,  qu'il  faut  nécessairement  produire 
pour  avoir  droit  à  la  délivrance  des  mandats.  Le  certificat  de 
prise  de  possession,  sur  papier  simple,  doit  être  signé  par  les 
trois  membres  du  bureau  des  marguilliers.  Le  maire,  ni  les 
membres  du  conseil  municipal  ne  doivent  intervenir  dans  cet 
acte  d'installation,  à  moins  qu'ils  ne  fassent  partie  du  bureau 
des  marguilliers.  Les  autres  fabriciens  ne  doivent  pas  davan- 
tage y  intervenir.  Les  marguilliers  ne  sont  pas  libres  de  se 
refuser  à  signer  ce  procès-verbal.  Il  va  de  soi  que  ce  procès- 
verbal  d'installation  serait  inutile  si  l'ecclésiastique  n'était  pas 
salarié  par  l'Etat.  Dans  la  suite,  après  l'installation,  il  faut 
aujourd'hui,  pour  être  payé,  c'est-à-dire  pour  avoir  droit  à  la 
délivrance  de  ses  mandats,  qu'un  certificat  de  résidence  délivré 
par  le  maire  soit  envoyé  à  la  préfecture,  qu'il  s'agisse  de  curé, 
de  desservant  ou  de  vicaire.  Il  ne  faut  pas  confondre  l'iustalla- 
tion  canonique  d'un  curé  avec  la  prise  de  possession  civile. 
L'installation  canonique  est  un  acte  de  juridiction  ecclésias- 
tique ;  cette  installation  est  faite  généralement,  pour  les  curés, 
par  l'archidiacre,  et  pour  les  desservants,  par  le  doyen  ou  curé 
du  canton.  La  prise  de  possession  civile  résulte  seulement  du 
procès-verbal  qui  est  dressé  par  le  bureau  des  marguilliers. 

Aujourd'hui  on  appelle  desservants  les  curés  des  paroisses 
qui  ne  sont  pas  élevés  au  rang  de  cures  proprement  dites,  c'est" 
à-dire  des  simples  succursales.  Les  desservants  du  reste  sont 
les  propres  curés  de  leurs  paroisses.  Ils  ne  sont  pas  sous  la 
direction  des  curés  proprement  dits  ;  mais  comme  eux,  ils  sont 
soumis  immédiatement  aux  évêques  dans  l'exercice  de  leurs 
fonctions.  Les  curés  n'ont  donc,  ainsi  qu'il  est  dit  plus  haut, 
sur  les  desservants  aucune  autorité  réelle.  Il  est  à  remarquer 
qu'à  Rome  on  considère  comme  curé,  sans  aucune  restriction, 
tous  les  prêtres  qu'en  France  on  appelle  du  nom  de  desser- 
vants. M.  le  comte  Portalis  reconnaît,  dans  une  note,  que  les 
curés  dits  de  canton  n'ont  sur  les  desservants  qu'un  simple 
droit  de  surveillance  dont  l'objet  est  de  prévenir  les  évêques 
des   irrégularités  et  des  abus   parvenus  à  leur   connaissance. 


286  ANNALES    CATH0UQUE3 

Mais  ce  droit  de  surveillance,  les  évêques  peuvent  le  donner, 
et  le  donnent  quelquefois  de  fait  à  des  curés  desservants  qui 
l'exercent  même  sur  les  curés  de  canton,  quand  ils  jugent 
ceux-ci  indignes  de  leur  confiance.  Le  desservant  est  nommé 
par  l'évêque  et  révocable  par  lui  :  l'évêque  doit  donner  avis  de 
la  nomination  au  préfet  et  au  ministre  des  cultes.  (Loi  du  18  ger- 
minal an  X,  article  31  et  G3).  Le  desservant  a,  dans  la  paroisse 
où  est  la  succursale,  les  mêmes  fonctions  que  le  curé  dans  la 
paroisse  où  est  la  cure.  Le  desservant  est  dans  sa  paroisse  ce 
que  ie  curé  est  dans  la  sienne  (Décision  ministérielle  du  0  bru- 
maire an  XIII.) 

Il  n'y  a,  dans  l'intention  du  gouvernement,  aucune  différence 
pour  les  fonctions  entre  l'un  et  l'autre  :  le  curé  n'a  qu'une 
simple  autorité  de  surveillance,  qui  consiste  à  avertir  l'évêque 
des  abus  et  des  irrégularités  qui  seraient  à  sa  connaissance 
(Décision  ministérielle  du  13  fructidor  an  X.) 

Un  traitement  est  alloué  au  desservant  sur  les  fonds  de  l'Etat;. 
il  est  fixé  différemment,  suivant  l'âge  du  titulaire.  Il  est  de 
1.300  francs  pour  ceux  qui  ont  soixante-quinze  ans  ;  pour  les 
septuagénaires  de  1.200  francs;  pour  les  sexagénaires  de  1.100  fr. 
de  1.000  pour  ceux  qui  ont  de  cinquante  ans  à  soixante  ans,  et  de 
900  francs  pour  les  autres.  Outre  le  procés-verbal  d'installation 
et  le  certificat  de  résidence  pour  toucher  ordinairement,  la  pro- 
duction de  l'acte  de  naissance  est  nécessaire,  quand  les  curés 
desservants  atteignent  l'âge  de  cinquante,  soixante  ou  soixante- 
dix  ans,  pour  justifier  leur  âge  et  l'augmentation  de  traite- 
ment à  laquelle  cet  âge  leur  donne  droit. 

Le  vicaire  est  un  ecclésiastique  chargé  d'aider  ou  de  suppléer 
le  curé  dans  le  service  paroissial.  Il  est  nommé  par  l'évêque  et 
révocable  par  lui  (loi  organique,  art.  31.)  Il  exerce  son  minis- 
tère sous  la  surveillance  et  la  direction  du  curé.  Là  où  il  est 
reconnu  et  payé  par  l'Etat,  il  touche  une  allocation  de  450  fr.; 
et  pour  cela  il  est  astreint  aux  mêmes  formalités  que  les  curés 
et  desservants.  Aujourd'hui  dans  les  paroisses  de  5,000  habi- 
tants et  au-dessus,  il  n'est  plus  payé  par  l'Etat.  Quand  un  vica- 
riat a  été  régulièrement  créé  dans  une  paroisse,  la  fabrique  est 
obligée  d'ajouter  au  traitement  de  l'Etat.  L'article  39  du  décret- 
du  30  décembre  1809  ayant  été  abrogé  par  l'article  168  de  la 
loi  du  5  avril  1884,  les  communes  ne  sont  plus  tenues  d'assurer 
sur  leurs  propres  ressources  le  traitement  des  vicaires  en  cas- 
d'insuffisance  des  revenus  de  la  fabrique. 


DES  PAROISSES  ET  DES  CURES  287 

On  appelle  aumônier  l'ecclésiastique  attaché  à  un  établisse- 
ment public,  pour  j  célébrer  le  culte,  y  faire  les  instructions 
religieuses  et  y  administrer  les  secours  spirituels.  Il  y  a  des 
aumôniers  dans  les  hospices  civils,  dans  les  hôpitaux  militaires, 
dans  les  garnisons,  dans  les  collèges  et  dans  les  prisons,  etc. 
Les  aumôniers  des  communautés  religieuses  ne  sont  pas  payés 
par  TEtat,  mais  par  la  communauté. 

Le  traitement  des  aumôniers  et  chapelains  des  hospices 
civils,  est  réglé  par  le  préfet,  comme  les  autres  frais  du  culte, 
sur  la  proposition  et  l'avis  du  sous-préfet.  Les  arrêtés  du  préfet, 
à  ce  sujet,  ne  peuvent  être  exécutés  qu'après  avoir  été  soumis 
à  l'approbatioa  du  ministre  de  l'intérieur  (arrêté  régi,  du  11  fruc- 
tidor an  XI).  Les  traitements  des  aumôniers  sont  une  dépense 
ordinaire  des  hospices.  Les  aumôniers  et  chapelains  des  hos- 
pices sont  nommés  par  les  évêques  diocésains,  sur  la  présenta- 
tiou  de  trois  candidats  faite  par  la  commission  administrative. 
(Ordonnance  du  31  octobre  1821i.  Le  droit  de  révoquer  l'aumô- 
nier n'appartient  qu'à  l'évèque.  Les  aumôniers  des  hospices 
militaires  ciioisis  par  les  évéques,  sont  désignés  par  le  ministre 
des  cultes  au  ininistre  de  la  guerre.  (Ordonnance  du  l'r  octo- 
bre 1814,  art.  2).  Leur  traitement  est  déterminé  par  ce  dernier 
ministre,  suivant  la  force  de  chaque  hôpital.  Il  est  payé  sur  les 
fonds  spéciaux  du  ministère  de  la  guerre.  Ils  doivent  être  logés 
dans  les  hôpitaux,  quand  les  localités  le  permettent  ;  dans  le 
cas  contraire,  ils  n'ont  droit  à  aucune  indemnité  de  logement. 
(Décision  ministérielle  du  14  novembre  1825. j 

Les  aumôniers  militaires  doivent  se  conformer  aux  règlements 
arrêtés  parle  ministre  de  la  guerre,  pour  tous  les  objets  qui  se 
rattachent  à  la  discipline  intérieure  des  corps  et  au  service. 
(Ordonnance  du  24  juillet  1816). 

Les  aumôniers  des  collèges  sont  nommés  par  le  ministre  de 
l'instruction  publique  et  choisis  par  l'évèque.  (Ordonnance  du 
8  avril  1724). 

Ils  sont  logés  au  collège  et  assimilés  aux  autres  professeurs 
logés  dans  l'établissement  ;  leur  traitement  est  égal  au  traite- 
ment fixe  des  professeurs  de  premier  ordre.  (Ordonnance  du 
16  juillet  1831].  Il  va  de  soi  que  la  nomination  réelle  et  effec- 
tive des  aumôniers  de  collège  ne  doit  être  faite  que  par  l'évèque, 
qui  seul  peut  donner  des  pouvoirs  spirituels  et  les  retirer.  Les 
aumôniers  de  collège  ne  peuvent  donc  exercer  leurs  fonctions 
qu'après  en  avoir  reçu  la  mission  de  leur  évéque. 


288  ANNALES    CATHOLIQUES 

Les  aumôniers  de  prisons  sont  nommés  ou  plutôt  agréés  par 
l'autorité  administrative.  Mais  ils  ne  peuvent  non  plus  entrer 
en  fonctions  que  lorsque  l'éveque  diocésain  leur  a  conféré  les 
pouvoirs  nécessaires.  Leur  traitement  est  payé  sur  les  fonds 
affectés  au  service  de  ces  établissements. 

Pour  ce  qui  regarde  les  paroisses,  aucune  partie  du  terri- 
toire français  ne  peut  être  érigée  en  cure  qu'avec  l'autorisation 
du  gouvernement.  (Loi  de  germinal  an  X.  art.  62).  Autrefois,  le 
droit  d'ériger  des  cures  appartenait  à  l'éveque  seul.  La  trans- 
lation du  chef-lieu  d'une  cure  ne  doit  également  se  faire  qu'en 
vertu  de  l'autorisation  du  gouvernement  et  après  la  même  ins- 
truction que  l'érection.  (Décision  ministérielle  du  5  avril  1809). 
La  proposition  d'ériger  une  cure  appartient  donc  nécessaire- 
ment à  l'éveque  ;  mais  le  préfet  est  appelé  à  donner  son  avis. 
La  cure  est  ensuite  établie,  s'il  y  a  lieu,  par  une  ordonnance 
rendue  sur  le  rapport  du  ministre  des  cultes  et  délibérée  dans  le 
comité  de  législation  du  conseil  d'Etat. 

La  cure  établie  dans  la  paroisse  où  est  placée  la  métropole 
ou  la  cathédrale  peut  être  réunie  au  chapitre.  Cette  réunion  est 
instruite  et  autorisée  dans  la  même  forme  que  l'érection  d'une 
cure.  Une  cure  peut  être  supprimée  par  son  union  à  une  autre 
cure,  dans  les  formes  prescrites  par  les  lois,  lorsque  l'utilité 
des  fidèles  et  les  nécessités  du  service  religieux  le  commandent. 

L'érection  d'une  nouvelle  succursale  ou  pour  mieux  dire 
d'une  nouvelle  paroisse,  se  fait  également  comme  pour  les  cures, 
sur  la  proposition  de  l'éveque  et  l'approbation  du  gouvernement. 

Autrefois  les  desservants  étaient  des  prêtres  chargés  de  faire 
les  fonctions  ecclésiastiques  dans  les  paroisses  dont  les  cures 
étaient  vacantes  ou  les  curés  interdites.  C'est  ainsi  que  l'a  cons- 
tamment entendu  le  droit  canonique  et  l'ancien  droit  civil 
ecclésiastique.  C'est  donc  à  tort  que  les  articles  organiques 
désignent  sous  le  nom  de  desservants  les  curés  des  paroisses 
appelées,  elles  aussi,  improprement  succursales. 

Les  succursales  étaient  des  églises  dans  lesquelles  on  faisait 
un  service  paroissial  provisoire^  de  simples  annexes,  des  églises 
de  secours  comme  leur  nom  l'indique,  soit  parce  que  les  habi- 
tants étaient  trop  éloignés  de  la  paroisse,  ou  que  cette  paroisse 
était  trop  populeuse.  On  l'établissait  lorsqu'on  ne  pouvait  ériger 
une  nouvelle  paroisse.  Maintenant  ce  sont  des  chapelles  vica- 
riales  ou  communales,  et  l'on  a  donné  depuis  le  concordat  de 
1801  le  nom  de  succursales  aux  paroisses   rurales  qui   ne  sont 


COMMENT  FAIRE  UNE  ÉDUCATION  MORALE  289 

pas  des  cures  titulaires  de  première  ou  de  seconde  classe.  On 
les  appelle  aussi  dessertes  et  le  nom  de  desservants  est  réservé 
à  leurs  curés,  qui  ne  sont  pas  inamovibles.  Mais  aux  yeux  de 
l'Eglise  ce  sont  des  cures  ou  des  paroisses  comme  les  autres, 
et  leurs  curés  sont  curés  au  même  titre  et  jouissent  des  mêmes 
droits  canoniques.  (A  suivre). 


COMMENT  FAIRE   UNE  EDUCATION  MORALE  ? 

La  liberté  est  une  condition  indispensable  à  la  vie  morale. 
Mais  la  liberté  elle-même  n'est  qu'un  vain  mot  sans  la  raison. 
Aussi  peut-on  dire  que  l'intelligence  est  nécessaire  à  un  être 
moral,  ou  plutôt  qu'un  être  ne  peut  être  moral  s'il  n'est  déjà 
raisonnable.  Partant  de  ce  principe,  on  voit  aisément  que  la 
première  occupation  de  celui  qui  veut  faire  l'éducation  morale 
d'un  enfant  est  de  développer  son  intelligence. 

Insistons  sur  ce  point.  Oii  il  n'y  a  point  de  réflexion,  de  juge- 
ment, il  n'y  a  point  de  moralité.  Peut-on  accuser  de  méchanceté 
l'ours  maladroit  de  Lafontaine?  Si  l'on  veut  développer  la  mora- 
lité d'un  être  libre,  il  faut  donc  tout  d'abord  lui  apprendre  à 
discerner  le  bien  du  mal,  à  mesure  qu'il  en  devient  capable.  On 
ne  peut  sans  doute  lui  faire  comprendre  qu'une  chose  est  bonne 
ou  mauvaise,  s'il  n'a  point  déjà  ressenti  la  différence  entre  ces 
deux  attributs  par  les  effets  agréables  ou  douloureux  qu'elles 
produisent  dans  sa  conscience.  Mais,  qu'il  sache  déjà  vague- 
ment ce  qu'est  une  chose  bonne  et  ce  qu'est  une  chose  mauvaise, 
il  sera  facile  de  lui  donner  sur  ce  point  des  idées  plus  claires 
et  plus  distinctes.  Enfin  on  pourra  lui  faire  comprendre  ce 
qu'est  le  bien  et  le  mal,  indépendamment  des  phénomènes 
affectifs,  qu'ils  produisent  dans  sa  conscience,  ou  dans  celle 
d'autrui.  Donnons  un  exemple.  Un  enfant  a  battu  son  camarade; 
le  meilleur  argument  pour  lui  faire  comprendre  qu'il  a  mal  fait, 
sera  de  lui  demander  ce  qu'il  penserait  s'il  lui  en  avait  été  fait 
de  même.  C'est  agir  sur  son  imagination,  et  lui  montrer  qu'il  a 
mal  fait  en  lui  représentant  les  sensations  douloureuses  que  son 
action  a  fait  éprouver  à  son  camarade,  et  que  ce  dernier  aurait 
pu  lui  faire  éprouver,  s'il  eût  été  aussi  méchant.  Ce  n'est  lui 
montrer  le  mal  que  dans  un  cas  particulier.  Toutefois  c'est 
déjà  une  généralisation  que  l'on  a  fait  produire  à  cet  enfant.  En 
effet  il  voit  qu'un  autre  aurait  mal  fait  de  le  frapper  lui-même; 


290  ANNALES    CATHOLIQUES 

et  il  conclut  en  s'élevant  de  ce  cas  particulier  au  cas  général, 
que  tout  individu  qui  en  frappe  un  autre  fait  une  mauvaise 
action.  On  peut  lui  donner  d'autres  exemples  du  mal  ;  l'enfant 
ne  manque  point  de  les  rapprocher  dans  son  imagination;  il 
voit  que  toutes  ces  actions  ont  une  même  propriété  de  dégrader 
celui  qui  les  fait;  d'oii  il  abstrait  l'idée  du  mal  qu'il  distingue 
de  l'idée  du  bien,  abstraction  faite  dans  son  esprit  par  une 
méthode  analogue. 

En  développant  ainsi  ses  notions  sur  le  bien  et  le  mal,  on 
pourra  l'habituer  à  rendro  compte  de  ses  actes  et  de  ses  juge- 
ments moraux.  Ainsi  sa  vie  morale  deviendra  réfléchie,  et  elle 
sera  d'autant  plus  noble  qu'elle  sera  plus  raisonnée.  De  plus 
l'effort  pour  faire  le  bien  sera  moins  grand.  En  effet,  la  loi  mo- 
rale se  présentera  à  lui  avec  une  autorité  d'autant  plus  impé- 
rieuse qu'il  la  connaîtra  davantage,  et  il  reculera  devant  le 
dessein  de  la  violer  comme  devant  une  impossibilité. 

On  ne  saurait  trop  vanter  sur  ce  point  la  méthode  deSocrate. 
Par  des  interrogations,  ce  philosophe  amenait  son  disciple  à 
expliquer  pourquoi  il  agissait  do  telle  manière  et  non  de  telle 
autre;  pourquoi,  dans  telle  circonstance,  il  fallait  agir  de  telle 
façon.  Le  disciple  était  forcé  de  se  rendre  compte  ainsi  de  sa 
conduite,  et  il  arrivait  à  se  mieux  connaître  et,  par  là  même,  à 
se  mieux  gouverner.  Une  objection  peut  être  posée.  Développer 
ainsi  le  jugement  moial  chez  l'enfant,  n'est-ce  point  négliger 
l'éducation  de  sa  sensibilité?  Bien  au  contraire,  c'est  dévelop- 
per indirectement  cette  faculté.  En  effet,  mieux  un  enfant  con- 
naîtra son  devoir,  et  plus  il  aura  de  remords  s'il  ne  l'accomplit 
point;  plus  il  aura  été  capable  de  l'accomplir,  plus  il  se  sentira 
responsable  de  ne  point  l'avoir  fait.  On  aura  beau  dire  que  ce 
moyen  de  développer  la  sensibilité  morale  est  tout  à  fait  indi- 
rect. On  peut  répondre  que  la  sensibilité  est  fatale.  Le  remords 
et  tous  les  sentiments  moraux,  comme  le  plaisir  et  la  douleur, 
ne  sont  que  des  phénomènes  passifs.  Ils  ne  peuvent  exister  sans 
la  représentation  du  devoir  accompli  ou  négligé.  Aussi  la  ma- 
nière la  plus  sûre  d'agir  sur  ces  mêmes  sentiments,  est-elle 
d'agir  sur  la  représentation  même  du  devoir,  dont  ils  suivent 
les  variations  parce  qu'ils  en  sont  les  effets. 

Ceci  nous  explique  d'autre  part  pourquoi  il  ne  faut  point 
autant  que  possible  faire  accomplir  le  devoir  h  l'enfant  en  lui 
promettant  des  plaisirs.  Outre  que  ces  plaisirs  ne  sauraient  com- 
penser ceux  de  la  satisfaction  morale,  on  l'habituerait  ainsi  à 


COMMENT    FAIRE    UNE    ÉDUCATION    MORALE  291 

faire  le  bien  pour  le  plaisir.  Pourtant  ce  ne  serait  plus  le  bien 
qu'il  rechercherait,  mais  la  récompense  qui  le  suit;  ou  plutôt 
s'il  recherchait  le  bien  ce  serait  pour  s'en  servir-  comme  d'un 
moyen  propre  à  assurer  le  plaisir.  Plus  tard,  quand  le  plaisir 
serait  supprimé  après  l'accomplissement  du  bien,  l'enfant  le 
chercherait  ailleurs,  et  il  s'écarterait  ainsi  de  la  voie  du  devoir. 
Même  chose  est  à  dire,  mais  avec  réserves,  de  ceux  qui  déve- 
loppent particulièrement  la  sympathie  chez  l'enfant  aux  dépens 
de  son  intelligence.  Ils  peuvent  arriver  à  lui  faire  accomplir  le 
devoir  pour  satisfaire  les  personnes  qui  lui  sont  chères.  Mais 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  le  motif  qui  les  guide  dans  leur 
conduite  venant  à  manquer,  ils  ne  rechercheront  plus  le  bien. 

J'ai  dit  que  des  réserves  étaient  à  faire.  En  effet,  avoir  de  la 
sympathie,  c'est  faire  le  bien.  La  développer,  c'est  développer 
par  conséquent  le  jugement  moral.  Mais  elle  doit  aller  de  front 
avec  la  raison  et  l'intelligence,  et  non  les  devancer,  elle  doit  les 
aider  à  marcher,  et  non  les  étouffer.  Ainsi  entendue,  notre  thèse 
est  indiscutable. 

Nous  n'avons  parlé  jusqu'ici  que  des  facultés  passives  de  l'en- 
fant, et  de  la  manière  dont  on  peut  en  faire  l'éducation  morale. 
Or  c'est  la  volonté  qui  directement  fait  l'homme  moral.Ilseaible 
donc  que  ce  soit  dans  le  développement  de  la  volonté  que  con- 
siste spécialement  l'éducation.  Cette  faculté  active,  en  effet,  est 
la  seule  véritablement  libre  ;  et  la  part  de  liberté  qui  est  dans 
les  autres  facultés  n'est  qu'un  effet  qu'elle  produit  en  elles.  Mais 
par  cela  même  qu'elle  est  libre,  elle  n'est  pas  soumise  à  l'ac- 
tion des  autres  hommes.  Chacun  doit  par  lui-même,  sans  le 
secours  d'autrui,  travailler  à  développer  sa  liberté.  Tout  ce  que 
peut  faire  un  étranger,  un  pédagogue  pour  un  enfant,  c'est  lui 
fournir  une  occasion  pour  exercer  sa  volonté.  C'est  par  l'exer- 
cice, en  effet,  que  cette  faculté,  comme  toutes  les  autres, 
acquiert  de  la  puissance.  Aussi  le  pédagogue  ne  doit-il  pas 
craindre,  pour  éviter  les  inconvénients  de  la  routine,  et  pour 
développer  l'initiative  de  l'enfant,  de  le  laisser  souvent  entière- 
ment libre  et  abandonné  à  ses  propres  ressources.  Alors  il  pourra 
faire  acte  d'homme  ;  il  n'agira  que  par  suite  de  considérations 
morales,  indépendamment  de  la  crainte  d'un  châtiment;  en  un 
mot  il  tendra  vers  le  seul  but  digne  de  ses  efforts,  savoir  l'aug- 
mentation de  sa  personnalité. 

Tel  est  en  général  le  plan  que  l'on  doit  suivre  dans  toute  édu- 
cation morale.  C'est  la  nature  même  de  l'âme  qui  nous  l'impose. 


292  ANNALES    CATHOLIQUES 

Il  est  évident  toutefois  qu'il  n'est  pas  absolument  rigoureux. 
De  ce  que  l'on  ne  doit  pas  faire  accomplir  le  bien  aux  enfants 
par  l'attrait  du  plaisir  ou  par  le  sentiment,  il  ne  s'ensuit  pas 
qu'on  ne  puisse  jamais  le  faire.  De  même  il  est  indispensable 
parfois,  d'infliger  à  l'enfant  des  châtiments  corporels  pour  le 
corriger,  quand  il  ne  veut  pas  se  laisser  guider  par  la  raison. 
Mais  il  reste  vrai  que,  parvenu  à  lui  faireéviter  le  mal  par  crainte 
d'un  châtiment  ou  en  vue  du  plaisir,  l'éducateur  n'aurait  pas 
fait  toute  sa  tâche,  s'il  n'allait  jusqu'à  redresser  le  jugement 
moral  chez  l'enfant.  En  ce  sens,  on  peut  dire  que  le  dernier 
moyen,  pour  faire  une  éducation  morale,  c'est  le  développement 
de  la  raison.  Tous  les  autres  ne  sont  bons  qu'autant  qu'ils  sont 
suivis  de  ce  dernier,  dont  ils  ne  doivent  être  que  les  préludes 
ou  avant-coureurs  et  les  accessoires.  Anonyme. 

PROBLÈME      PROPOSÉ 

On  lit  dans  certains  traités  de  physique  au  sujet  de  la  chute 
des  corps  : 

1)  Les  espaces  parcourus  sont  proportionnels   au  carré  des 
temps  employés  à  les  parcourir. 

2)  Le  mouvement  que  la  chute  imprime  aux  corps  est  un  mou- 
vement uniformément  accéléré. 

Ces  deux  propositions  énoncent-elles  deux  lois  différentes  ? 
Du  rapport  qui  existe  entre  elles.  Anonyme, 


LA  FASCINATION  DU  PROGRES  MATERIEL 

Une  des  paroles  qui  se  rencontrent  le  plus  fréquemment  dans 
les  saintes  Écritures  est  celle-ci  :  «  Les  hommes  ne  savent  point, 
les  hommes  ne  connaissent  point.  Ils  ont  oublié,  de  sorte  que 
leurs  yeux  ne  voient  plus  rien,  et  que  leurs  coeurs  n'ont  plus 
de  sentiments  (1).  »  Ainsi  s'exprime  le  prophète  Isaïe  lorsqu'il 
considère  la  folie  de  ceux  qui  adorent  les  idoles,  la  folie  et  le 
crime  du  peuple  de  Dieu  lorsqu'il  mêlait  le  culte  de  quelques 
idoles  au  culte  du  vrai  Dieu.  Le  prophète  fait  entendre  ce  cri 
d'étonnement  en  bien  d'autres  circonstances.  C'est  aussi  le  lan- 
gage des  psaumes.  Quand  leur  auteur  a  parcouru  d'un  regard 
l'histoire  de  son  peuple,  quand  son  âme  est  blessée  par  tant 

(1)  Isaïe,  eh.  xliv,  f.  18. 


LA   FASCINATION   DU    PROGRES   MATÉRIEL  293 

d'iniquités,  et  navrée  par  cette  foule  de  maux  que  cause  le 
péché,  il  s'arrête  comme  accablé  par  la  douleur  et  une  sorte  de 
dégoût,  et  il  ne  trouve  plus  que  cette  parole  :  «  Les  hommes  ne 
savent  donc  rien,  ne  comprennent  donc  rien  [l]  !  »  Enfin  Notre- 
Seigneur  lui-même  nous  découvre  plusieurs  fois  que  ce  même 
sentiment  d'étonnement  et  d'affliction  oppresse  sa  sainte  âme. 
Il  dit  à  ses  apôtres  :  «  Et  vous  aussi,  demeurerez-vous  sans 
comprendre  ce  que  je  dis  et  ce  que  je  fais  ?  N'avez- vous  pas 
encore  compris?  Ne  vous  souvenez-vous  donc  point  (2)?  » 

Le  Saint-Esprit  a  voulu  que  toutes  ces  paroles  fussent  con- 
servées par  la  sainte  Écriture  pour  l'instruction  des  chrétiens 
de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays.  Il  nous  apprend  en  eiFet 
par  là  que  nous  sommes  tous  exposés  à  oublier,  par  notre  faute, 
les  choses  de  Dieu,  les  choses  éternelles,  que  nous  sommes  tous 
exposés  à  arriver,  par  notre  faute,  à  cet  état  d'esprit  oii  l'on  ne 
voit  plus,  oii  l'on  ne  comprend  plus  ce  qui  est  divin,  et  qui  con- 
duit les  âmes  au  salut  éternel. 

Et  c'est  ce  qui  ne  se  vérifie  que  trop  de  notre  temps... 

I 

Il  nous  importe  de  nous  mettre  bien  en  face  de  la  première 
cause  de  ce  changement  déplorable  qui  s'opère  dans  un  grand 
nombre  d'âmes. 

Cette  cause  est  uniquement  dans  le  défaut  d'attention. 

La  faculté  de  l'esprit  que  l'on  appelle  V attentioti  est  une  des 
plus  précieuses  dont  Dieu  nous  ait  enrichis.  En  efi'et,  qu'est-ce 
qu'un  savant  ?  C'est  un  homme  qui  a  fixé  son  attention  sur 
quel'iuepartiedecesconnaissancesquel'humanité  peutatteindre. 
Qu'est-ce  qu'un  inventeur  ?  C'est  un  homme  qui  a  fixé  son  at- 
tention sur  un  seul  problème  et  qui  en  a  cherché  constamment 
la  solution.  Et  quel  est  l'enfant  qui  surpasse  ses  camarades  dans 
la  classe  ?  C'est  celui  dont  l'esprit  se  fixe  à  la  parole  du  maître, 
au  tableau  sur  lequel  on  écrit,  à  la  page  qu'on  lui  a  mise  sous 
les  yeux.  De  même  le  saint  est  le  chrétien  qui  fixe  son  esprit  et 
son  cœur,  ses  peusées  et  ses  sentiments  sur  la  parole  de  Dieu ,  sur 
la  vie  éternelle,  sur  la  parole  adorable  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  Si  nous  renouvelions  avec  persévérance  notre 
attention  aux  choses  de  Dieu,  nous  deviendrions  tous  de  solides 
chrétien?,  et  notre  salut  serait  assuré. 

(1)  Ev.  selon  saint  Matthieu,  ch.  \v,  y.  17. 

(2)  Id.,  ch.  XVI,  y.  9. 


294  ANNALES   CATHOLIQUES 

Vous  savez  assez  que  chacun  des  organes  de  notre  corps  a  ses 
ennemis:  l'œil,  l'oreille,  la  voix  ont  leurs  ennemis  ;  ils  éprou- 
vent de  la  souli'rance,  ils  ne  nous  rendent  plus  les  mêmes  ser- 
vices, ils  sont  quelquefois  entièrement  perdus.  Les  facultés  de 
l'esprit  ont  aussi  leurs  ennemis.  Parmi  ceux  de  l'attention,  je 
veux  vous  en  siçrnaler  doux  principaux.  L'un  allecte  ou  menace 
d'affecter  tous  les  esprits,  et  à  toutes  les  époques,  aujourd'hui 
comme  il  j  a  trois  mille  ans,  et  demain  commo  aujourd'hui. 
L'autre  est  propre  au  temps  oii  nous  vivons.  Il  combat  et  dis- 
trait l'attention  depuis  une  soixantaine  d'années  et  le  fera  pen- 
dant lonetamps  encore,  selon  toutes  les  probabilités. 

Le  preraierdes  obstacles  qui  empêche  notre  esprit  d'être  bien 
attentif,  est  appelé  par  l'Ecriture  :  lu  fascination  des  frivolités. 
Il  est  écrit  au  Livre  de  la  Sagesse  (1)  :  «  La  fascination  des  fri- 
volités obscurcit  le  bien  dans  les  Ames,  et  le  verti^^re  de  la  pas- 
sion bouleverse  même  l'esprit  qui  est  sans  malice.  »  Si  nous 
nous  laissons  aller  à  regarder  souvent  ce  qui  ne  vaut  pas  la 
peine  d'être  regardé,  nous  finissons  par  être  attirés  avec  force 
vers  tous  ces  objets  ;  nous  finissons  par  les  regarder  toujours- 
Dés  lors,  ils  nous  ont  fascinés;  il  nous  retiennent,  et  nous  n'avons 
plus  la  liberté  do  regarder  ce  qui  vaut  la  peine  d'être  regardé. 
Et  qu'est-ce  donc  que  nous  ne  devons  regarder  qu'un  instant, 
sans  nous  arrêter  ?  Mais,  c'est  ce  qui  passe,  change,  fuit  et  dis- 
paraît à  tout  moment.  Et  qu'est-ce  donc  f|ue  nous  devons  regar- 
der avec  tout  le  soin,  tout  le  sérieux  dont  nous  sommes 
capables  ?  Mais  c'est  ce  qui  reste,  no  change  pas  et  se  trouve 
toujours  le  même,  toujours  grand,  toujours  noble,  toujours 
propre  à  nous  rendre  bMireux. 

Voyez  comme  cette  vérité  est  exprimée  en  quelques  mots  et 
admirablement  dans  la  Sainte-Ecriture:  <  Seigneur,  vous  avez 
fondé  la  terre  dès  le  commencoment,  et  los  cieux  sont  l'ouvrage 
de  vos  mains.  Ils  périront,  mais  vous,  vous  demeurerez  ;  ils 
vieilliront  tous  comme  vieillit  un  vêtement:  vous  les  changerez 
comme  on  change  un  manteau,  et  ils  changeront  de  forme.  — 
Mais,  Vous,  vous  êtes  toujours  le  même,  ot  vos  années  n'auront 
pas  de  fin.  Les  enfants  de  vos  serviteurs  habiteront  la  terre,  et 
leur  postérité  sera  éternellement  heureuse  (2j.  » 

Ces  versets  du  psaume  nous  disent  bien  clairement  quel  est 

(1)  Ch.  IV,  y.  13. 

(2)  Psaume  ci,  y.  26  et  suiv. 


LA    FASCINATION    DU    PROGRES    MATÉRIEL  295 

]e  remède  à  employer  contre  la  fascination  des  frivolités  :  il 
consiste  à  comparer  entre  elles  les  choses  de  ce  monde  et  les 
choses  du  monde  invisible  que  nous  connaissons  par  la  foi. 
Tout  ce  qui  est  de  ce  monde  passe,  et  en  un  moment  :  ce  qui  est 
de  Dieu  demeure  éternellement. 

Ces  quelques  mots  suffiront  pour  nous  prémunir  contre  cette 
légéieté  d'esprit  qui  est  le  premier  ennemi  de  la  faculté  d'at- 
tention et  qui  s'est  rencontrée  à  toutes  les  époques.  Mais  je  dé- 
sire vous  parler  un  peu  plus  longuement  du  second  ennemi,  de 
celai  qui  est  particulier  au  temps  oh  nous  vivons.  C'est  une 
fascination,  la  fascination  des  progrès  dans  l'ordre  matériel.  Ces 
progrés  sont  extraordinaires  par  leur  nombre,  par  leurs  effets, 
par  la  rapidité  avec  laquelle  ils  s'accomplissent.  Les  hommes 
de  la  génération  qui  a  précédé  la  nôtre  n'avaient  pas  même 
l'idée  de  ce  que  nous  voyons  aujourd'hui,  les  chemins  de  fer, 
les  télégraphes,  les  téléphones  et  tous  les  résultats  si  puissants 
obtenus  par  la  vapeur  et  par  l'électricité,  dans  les  usines  et 
dans  tous  les  ateliers  de  fabrication.  Les  changements  ne  sont 
pas  moins  merveilleux  dans  la  science  de  guérir,  la  médecine 
et  la  chirurgie.  Une  partie  des  souiFrances  auxquelles  le  corps 
est  exposé  sont  beaucoup  plus  facilement  évitées,  d'autres  plus 
souvent  allégées,  d'autres,  enfin,  entièrement  supprimées.  Yoilà 
des  éléments  de  bien-être  qui  sont  déjà  certainement  acquis. 
L'humanité  est  en  pleine  possession  de  ces  moyens  de  conqué- 
rir la  matière  et  de  la  faire  servir  à  satisfaire  tous  ses  besoins. 
Les  derniers  progrès  ne  sont  cependant  point  atteints.  Il  est 
très  probable  que  la  prochaine  génération  verra  des  efi'ets  plus 
bienfaisants  encore  du  travail  et  de  la  science.  Je  ne  dis  pas  que 
cela  est  certain.  C'est  que  l'histoire  nous  apprend  que  la  civili- 
sation s'est  souvent  arrêtée  dans  ses  progrès.  En  plusieurs  con- 
trées, en  Egypte,  en  Ahyssinie,  dans  la  Grèce,  enfin  dans  l'Em- 
pire romain,  la  barbarie  a  succédé  à  une  civilisation  très  haute, 
très  avancée.  Nous  voyons  aussi  qu'en  Chine  et  dans  l'Inde,  il 
y  a  eu  un  temps  d'arrêt  très  marqué.  Mais  quel  que  soit  l'ave- 
nir, et  à  ne  regarder  que  le  présent,  les  hommes  qui  assistent 
aux  dernières  années  de  ce  xrx*  siècle  ont  bien  le  droit  de  se 
dire  :  Que  de  changements,  et  de  changements  heureux,  entre 
la  vie  de  nos  grands-parents  et  la  nôtre,  entre  leur  vie  exté- 
rieure, matérielle,  et  notre  vie  extérieure  et  matérielle  à  nous  ! 

Il  y  a  donc  là  un  sujet  de  joie  et  d'une  certaine  fierté  qui  est 
bien  fondé.  Seulement,  la  terre  est  encore  la  terre,  et  sur  cette 


290  ANXALES    CATHOLIQUES 

terre  il  n'est  aucun  bien  qui  soit  sans  mélange  de  mal.  Tous 
les  progrès  réalisés  depuis  quatre-vingts  ans  offrent  des  avan- 
tages très  précieux  :  mais  ils  présentent  aussi  des  inconvénients 
et  quelques-uns  de  ces  inconvénients  sont  fort  graves.  Ils  peu- 
vent en  effet  fasciner  nos  esprits,  les  attirer  sans  cesse,  les 
occuper  tout  entiers,  les  éblouir  de  manière  à  les  empêcher  de 
pouvoir  distinguer  autre  chose  dans  le  monde  et  de  concevoir 
des  pensées  d'un  autre  ordre. 

Il 

Cette  fascination  si  dangereuse  s'exerce  sur  nous  de  bien  des 
manières. 

Remarquez  tout  d'abord  comme  le  temps  nous  est  enlevé. 
Nos  pères  n'avaient  d'entretiens  et  de  relations  qu'avec  leurs 
plus  proches  voisins.  Aller  visiter  des  parents  habitant  une  autre 
paroisse,  ou  recevoir  leur  visite,  était  un  événement  qui  ne  se 
produisaitque  rarement.  Ils  avaient  donc  le  loisir  de  penser  aux 
choses  de  la  religion  et  de  réfléchir.  Mais,  à  présent,  on  se 
visite  à  cent  kilomètres  de  distance  avec  la  même  facilité  que 
l'on  faisait,  il  y  a  quarante  ans,  de  sa  paroisse  natale  à  la 
paroisse  voisine.  On  n'a  même  plus  besoin  de  sortir  du  lieu  de 
sa  résidence  pour  s'entretenir  avec  des  personnes  dont  la 
demeure  est  éloignée.  Si  l'on  habite  une  commune  un  peu  con- 
sidérable, on  peut  engager  et  soutenir  une  conversation  avec 
des  habitants  de  Paris  ou  de  toute  autre  ville  de  l'Europe.  On 
peut  connaître  quelques  minutes  après  qu'il  sera  survenu,  un 
événement  accompli  dans  l'une  des  contrées  les  plus  éloignées, 
et  le  lendemain  on  apprend  par  les  journaux  tous  les  détails  de 
cet  événement.  On  converse  donc,  en  une  même  journée,  avec 
beaucoup  plus  de  personnes  qu'on  ne  le  faisait  autrefois,  et  l'on 
apprend  dix  fois  ou  vingt  fois  plus  de  nouvelles.  Le  résultat  de 
tout  ce  mouvement  de  choses,  d'idées,  qui  se  poussent  et  se 
culbutent  les  unes  les  autres,  vous  l'apercevez  tout  de  suite  : 
l'esprit  est  occupé  sans  relâche  et  par  des  objets  qui  différent  ex- 
trêmement entre  eux;  il  est  fatigué ;il  ne  pense  qu'à  grand'peine 
à  ce  qui  est  du  monde  surnaturel,  du  monde  où  rien  ne  passe, 
oii  tout  est  spirituel  et  divin. 

Ce  genre  de  fascination  est  encore  le  moins  redoutable.  C'est 
celui  que  subissent  des  âmes  qui  restent  cependant  fidèles  aux 
devoirs  de  la  religion  :  elles  sont  seulement  distraites,  écartées 
pour  quelque  temps  du  souvenir  de  la  présence  de  Dieu. 


LA    FASCINATION    DU    PROGRES    MATÉRIEL  297 

D'autres  hommes  ne  sont  pas  seulement  distraits,  ils  sont 
véritablement  subjugués.  Le  mouvement  incessant,  rapide,  de 
ce  qui  les  entoure  va  les  entraîner,  les  emporter.  Occupés  uni- 
quement à  considérer  ces  actes  de  la  vie  matérielle,  ils  ne  soup- 
çonnent même  plus  qu'il  y  ait  une  autre  vie.  Nous  pouvons  faci- 
lement nous  rendre  compte  de  ce  qui  se  passe  dans  les  esprits 
qui  subissent  cette  fascination,  si  nous  réveillons  le  souvenir 
do  ce  que  nous  avons  éprouvé  en  certaines  circonstances.  Rap- 
pelons-nous quelles  ont  été  nos  impressions  lorsque  nous  nous 
sommes  trouvés  dans  de  grandes  gares  de  chemins  de  fer,  à 
Culoz,  à  Ambérieu,  par  exemple,  aux  heures  où  se  font  des  croi- 
sements de  trains  venant  de  toutes  les  directions.  Le  mouvement 
de  toutes  ces  masses,  le  bruit  de  la  vapeur,  des  signaux,  le  roule- 
ment des  trains  assiégeaient,  fatiguaient  tellement  nos  yeux  et 
nos  oreilles  qu'il  nous  aurait  été  alors  impossible  de  rélléchir,  de 
suivre  une  pensée  quelconque.  Eh  bien  !  cet  état  d'esprit  que 
nous  avons  subi  pendant  quelques  minutes  en  des  cas  particu- 
liers, c'est  l'état  oii  se  trouvent,  tous  les  jours  de  leur  vie,  les 
hommes  dont  je  parle.  A  force  de  voir  passer  les  résultats  de 
tous  les  travaux  de  l'industrie,  à  force  de  regarder  toutes  les 
opérations  des  sciences  sur  la  matière,  sur  les  corps,  les  gaz, 
sur  toutes  les  forces  physiques  en  un  mot,  ils  en  viennent  à  ne 
plus  comprendre  ce  qui  n'est  pas  un  corps  ou  l'une  de  ces 
forces.  Si  on  vient  leur  dire  qu'on  est  envoyé  par  Dieu  pour 
leur  procurer  un  moyen  d'arriver  au  bonheur,  ils  sont  tout 
prêts  à  demander  si  on  va  leur  donner  des  instruments  de  tra- 
vail plus  perfectionnés,  si  on  va  leur  assurer  des  récoltes  plus 
abondantes.  Que  si  on  leur  répond  qu'il  y  a  d'autres  biens  que 
ceux  obtenus  par  la  culture  ou  par  le  travail  d'une  usine,  qu'il 
y  a  des  biens  très  supérieurs  à  ceux-là,  puisqu'ils  ne  peuvent 
ni  s'user,  ni  changer,  ni  se  perdre^  ni  être  pris  de  force  ;  que  si 
on  leur  parle  de  Dieu,  de  la  grâce,  de  la  vie  éternelle,  ils  ne 
comprennent  point  :  leur  esprit  est  vraiment  subjugué,  c'est-à- 
dire  retenu  sous  un  joug  comme  le  sont  les  bœufs  attelés  à  la 
charrue.  Il  perd,  comme  eux,  toute  liberté,  et  sa  force  ne 
s'exerce  plus  que  sur  un  seul  point  et  dans  un  seul  sens. 

Ils  sont,  au  temps  oii  nous  vivons,  fort  nombreux  les  hommes 
qui  connaissent  à  peine  les  choses  de  Dieu,  les  hommes  qui  ne 
comprennent  point  ce  qu'il  }•  a  de  joie,  de  force  et  de  grandeur 
dans  une  âme  qui  appartient  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et 
en  qui  habite  Notre-Seigaeur  Jésus-Christ.  Ils  sont  nombreux, 

22 


298  ANNALES    CATHOLIQUKS 

et  ils  font  beaucoup  de  mal  à  la  société  chrétienne,  parce  qu'ils 
parlent  de  ce  qu'ils  ne  connaissent  pas  et  qu'ils  veulent  réeriret 
gouverner  les  choses  sur  lesquelles  ils  n'ont  aucune  idée  juste. 
Voici  donc  que  nous  avons  déjà  reconnu  deux  effets  de  la  fas- 
cination que  causent  sur  l'esprit  ces  rapides  progrès  des  sciences 
et  de  toutes  les  industries.  Certains  hommes  sont  exposés  à  une 
distraction,  à  une  fatigue  intellectuelle  de  tous  les  jours,  et 
d'autres  deviennent  presque  incapables  de  se  rappeler,  et  même 
de  comprendre  les  choses  qui  intéressent  le  salut. 

Un  troisième  genre  de  fascination  est  plus  redoutable  encore 
que  ceux-là  :  il  produit  dans  lâ'me  une  sorte  d'ivresse.  Les 
hommes  qui  en  sont  les  victimes,  en  voyant  ce  que  leur  travail 
produit  sur  la  matière,  en  viennent  peu  à  peu  à  penser  qu'il  n'y 
a  rien  dans  le  monde  de  plus  grand  et  de  plus  fort  que  l'homme, 
et  que  Dieu  n'existe  pas. 

Ils  ne  sont  pas,  certes,  les  premiers  à  tenir  ce  langage  insensé 
et  criminel.  Car,  il  y  a  trois  mille  ans,  David  commençait  un 
Psaume  par  ces  mots  :  «  L'insensé  a  dit  dans  son  cœur  :  il  n'y 
a  point  de  Dieu  (1).  »  Le  Livre  de  la  Sagesse  nous  apprend 
anssi  comment  parlaient  des  hommes  qu'il  appelle  impies  et 
insensés. 

Ils  disaient  :  «  Nous  sommes  sortis  du  rien,  et  après  notre 
mort,  nous  serons  comme  si  noua  n'avions  jamais  été.  La  vie  est 
une  étincelle.  Quand  elle  a  disparu,  le  corps  n'est  plus  que  cen- 
dre et  notre  souffle  se  perd  dans  l'air  qui  nous  entoure  (2).  » 

L'Apôtre  saint  Paul  nous  parle  à  son  tonr  d'hommes,  de  phi- 
losophes, de  savants  qui  étaient,  nous  dit-il,  «  sans  Dieu  en  ce 
monde  (3);  »  et  il  ajoute  qu'ils  sont  «  inexcusables  parce  qu'ils 
n'ont  pas  su  reconnaître  Dieu  dans  ses  œuvres  (4).  »  Ces  textes 
de  la  Sainte  Ecriture  nous  montrent  assez  qu'il  y  a  toujours  eu 
sons  le  soleil  des  hommes  assez  malheureux  pour  ne  point  croire 
en  Dieu.  Mais  il  était  bon  de  remarquer  qu'il  ya  de  notre  temps, 
dans  le  développement  du  progrés  matériel,  un  nouveau  danger 
pour  les  âmes  qui  sont  le  plus  disposées  à  l'enivrement  de  l'or- 
gueil. •••''■'   *' 

Vous  voyez  donc  bien  que  c'est  avec  toute  raison  que  je  par- 
lais des  inconvénients  qui  se  mêlent  aux  avantages  dans  ces 
innombrables  conquêtes  faites  sur  la  nature. 

(1)  Psaume  xju,  ^.  i. 

(2)  Sagesse,  ch.  ii,  tt-  2  et  3. 

(3)  Epître  aux  Ephésiens,  ch.  ii,  f.  12. 

(4)  Epître  aux  Romains,  ch.  i,  y.  20. 


LA    FASCINATION    DU    PROGRES    MATÉRIEL  299 

Il  nous  faut  donc  apprendre  à  jouir  de  ces  conquêtes  sans 
nous  exposer  à  offenser  Dieu.  Il  nous  faut  apprendre  comment 
l'on  peut  profiter  de  ce  que  Dieu  donne  de  biens  en  cette  vie 
sans  courir  le  risque  de  perdre  son  âme.  C'est  ce  qu'il  me 
reste  à  vous  enseigner. 

III 

Une  seule  observation  suffît  pour  faire  tomber  ces  fascinations 
des  biens  temporels  et  pour  remettre  de  Tordre  dans  nos  pen- 
sées. Cette  observation,  la  voici:  l'homme  est  toujours  !e  même. 
En  voyant  de  grands  changements  s'effectuer  dans  le  monde,  on 
est  tenté  de  dire  :  Mais  l'homme  aussi  est  changé  !  C'est  une 
erreur,  et  une  erreur  du  tout  au  tout,  l'homme  est  toujours  le 
même.  Il  est  ce  qu'il  a  toujours  été  en  sa  vie  intime,  person- 
nelle; il  est  le  même  dans  la  famille;  il  est  le  riîême  dans  la 
société. 

De  longs  discours  ne  sont  pas  nécessaires  pour  montrer  que 
le  cœur  de  l'homme  d'aujourd'hui  est  tout  semblable  au  cœur 
de  l'homme  d'il  y  a  cinq  mille  ans.  Il  recherche  les  jouissances 
avec  la  même  passion  ardente,  intraitable.  Il  est  toujours  aussi 
égoïste,  tout  prêt  à  sacrifier  à  ses  intérêts  propres  les  intérêts 
de  tous  ceux  qui  l'entourent.  Il  désire  posséder  ce  que  les  autres 
possèdent,  et  se  débarrasser  d'une  façon  ou  d'une  autre  de  ceux 
qui  l'empêchent  de  jouir  pleinement  de  la  vie.  Nous  retrouvons 
autour  de  nous,  nous  retrouvons  en  nous-mêmes  l'homme  que 
nous  montrent  et  l'histoire  du  peuple  hébreu  et  l'histoire  de  tous 
les  peuples.  Les  mêmes  passions  nous  assiègent;  si  on  les  satis- 
fait, elles  conduisent  aux  mêmes  vices,  et  les  mêmes  vices  por- 
teni  à  commettre  les  mêmes  crimes. 

Les  crimes!  vous  savez  s'ils  sont  nombreux  de  nos  jours.  La 
violation  de  la  sainteté  du  mariage,  le  vol  commis  de  toutes  les 
manières  imaginables  et  aussi  bien  par  les  plus  riches  que  par 
les  plus  pauvres,  le  suicide  et  la  mort  donnée  à  autrui,  souvent 
pour  le  motif  le  plus  futile.  Il  y  a  quarante  ans,  la  colère  por- 
tait à  frapper  un  adversaire  :  aujourd'hui  elle  fait  qu'on  ie  tue. 
Les  moralistes,  c'est-à-dire  les  hommes  instruits  qui  étudient 
les  mœurs  et  les  habitudes  de  leurs  contemporains,  les  mora- 
listes ont  fait  et  publient  très  souvent  dans  leurs  écrits  deux 
observations  bien  frappantes.  La  première,  c'est  que  l'usage  de 
liqueurs  fortes,  enivrantes,  que  l'on  fabrique  aujourd'hui  à  des 
prix  très  bas,  et  que  l'on  ne  connaissait  pas  autrefois,  donne  à 


300  A.NNALBS    CATHOLIQUES 

un  grand  nombre  d'hommes  une  disposition  fatale  à  la  violence 
et  une  sorte  de  férocité.  La  seconde,  c'est  que  les  crimes  com- 
mis par  des  jeunes  gens,  et  même  par  des  enfants  sont  huit  fois 
plus  nombreux  qu'ils  ne  l'étaient  il  y  a  quelques  années. 

Reconnaissons  donc  que  l'homme  n'a  pas  été  changé  en  notre 
siècle,  qu'il  est  exactement  aussi  enclin  au  mal  qu'à  toutes  les 
époques  de  l'histoire,  et  qu'il  s'acharne  à  faire  son  propre  mal- 
heur, de  nos  jours  comme  dans  les  temps  anciens. 

Et  la  famille  est-elle  changée?  Oui,  la  vie  de  famille  est  chan- 
gée, mais  de  quelle  manière?  Elle  n'a  presquej)lus  de  douceurs  et 
elle  est,  dans  bien  des  cas,  pleine  d'amertumes.  Beaucoup  d'en- 
fants, dès  l'âge  de  douze  ans,  de  dix  ans,  donnent  des  inquiétu- 
des, et,  parfois,  de  grands  chagrins  à  leurs  parents.  Non  seule- 
ment les  grands-parents  n*ont  plus  d'autorité,  mais  encore  ils 
n'ont  plus  aucune  influence.  Le  bonheur  de  la  famille  dont  on  a 
tant  parlé,  et  avec  tant  de  raison,  consistait  surtout  dans  l'union 
que  les  chefs  de  la  maison,  le  père  et  la  mère,  maintenaient 
entre  tous  les  membres.  Il  y  avait  un  intérêt  commun,  l'intérêt 
de  la  famille.  Il  y  avait  un  honneur  commun,  Thonneur  de  la 
famille.  A  l'heure  présente,  il  n'y  a  plus  qu'une  idée,  qu'une 
formule  :  Chacun  pour  soi. 

Rappelez-vous  ce  que  vous  avez  vu  ;  regardez  ce  qui  se  passe 
dans  votre  voisinage  ;  comparez  la  manière  de  se  comporter  de 
vos  enfants  avec  celle  que  vous  aviez  vous-mêmes  lorsque  vous 
étiez  à  cet  âge  :  et  vous  direz  avec  moi  :  il  n'est  que  trop  vrai, 
si  un  changement  s'est  opéré  et  continue  à  s'opérer  dans  les  fa- 
milles, c'est  un  changement  de  bien  en  mal. 

Les  sociétés  sont-elles  autres  qu'elles  n'étaient?  Les  citoyens 
d'une  même  patrie  sont-ils,  les  uns  vis-à-vis  des  autres,  dans 
des  conditions  nouvelles  et  meilleures  que  ne  l'étaient  leurs 
anciens?  Les  peuples  vivent-ils  entre  eux  dans  des  rapports 
plus  faciles  et  plus  favorables  au  bien  dé  tous? 

A  mesure  que  vous  m'entendiez  vous  adresser  ces  questions, 
vous  vous  disiez  au-dedans  de  vous-mêmes  :  Non,  ce  n'est 
point  une  nouvelle  société  que  celle  oii  nous  vivons.  Non,  ni  les 
citoyens  dans  leur  patrie,  ni  les  peuples  dans  leurs  relations  les 
uns  avec  les  autres,  n'ont  un  autre  esprit,  d'autres  sentiments 
que  ce  que  nous  racontent  toutes  les  histoires  du  passé. 

Vous  dites  cela  tout  de  suite,  et  vous  avez  mille  fois  raison. 

Dans  chacune  des  nations  que  nous  connaissons,  il  y  a  des 
divisions  profondes  et  tenaces.  Il  y  a,  chez  tous  les  peuples  de 
l'Europe  en  particulier,  ce  qu'on  appelle  des  partis;  les  hommes 


LA   FASCINATION    DU    PROGRÈS    MATÉRIEL  301 

qui  composent  ces  partis  s'injurient,  se  chargent  de  mépris, 
.d'accusations,  d'outrages  à  uu  tel  point  qu'il  ne  semble  pas  que 
l'on  puisse  témoigner  plus  de  haine  et  plus  de  méchanceté.  Ce 
qui  remplit  les  airs,  ce  sont  des  paroles  de  menaces.  Le  monde 
n'est  pas  changé. 

Des  relations  de  peuple  à  peuple,  on  ose  à  peine  en  parler. 
La  guerre!  la  crainte  de  la  guerre  pour  cette  année,  pour  ce 
printemps,  voilà,  depuis  plusieurs  années,  le  sentiment  qui  serre 
le  cœur  de  tous.  Nous  sommes  comme  des  condamnés  à  mort 
qui  se  disent  chaque  matin  :  Est-ce  pour  aujourd'hui?  —  Et 
quelle  différence  dans  la  manière  de  combattre  !  Autrefois,  on 
se  voyait;  on  ne  se  combattait  que  lorsqu'on  était  en  présence. 
Actuellement^  on  est  attaqué,  on  peut  être  détruit  par  un 
ennemi,  avant  de  l'avoir  vu,  et  même  sans  que  l'on  puisse 
savoir  oii  il  est.  Actuellement,  on  pourrait,  d'Alby  ou  de 
Groisy,  foudroyer  et  anéantir  Annecy.  Il  y  a  vingt  ans  encore, 
sur  mer,  deux  vaisseaux  se  canonnaient,  puis  se  rapprochaient, 
et  les  matelots  de  l'un  cherchaient  à  s'élancer  sur  le  pont  de 
l'autre  ;  à  présent,  un  ennemi  placé  on  ne  sait  où  fait  sauter  en 
un  moment  le  bâtiment  le  plus  solide  et  qui  a  coûté  le  plus  de 
millions. 

Autrefois,  c'est-à-dire  il  y  a  seulement  vingt  ans,  c'étaient 
des  armées  qui  se  battaient  l'une  contre  l'autre  :  maintenant, 
ce  sont  des  peuples  entiers  qui  se  regardent,  tout  prêts  à  se 
jeter  peuple  contre  peuple,  millions  d'hommes  contre  millions 
d'hommes. 

Oh!  non,  le  monde  n'a  pas  changé,  le  monde  n'est  pas  meil- 
leur. L'homme  d'aujourd'hui  est  l'homme  de  tous  les  temps, 
égoïste,  sujet  à  toutes  sortes  de  passions.  Il  a  dans  les  mains,  à 
son  service,  plus  d'instruments  d'action  sur  le  inonde,  et  il  se 
sert  très  souvent  de  ces  instruments  nouveaux  et  plus  puissants 
pour  faire  beaucoup  de  mal.  Il  abuse  de  tous  les  dons  que  Dieu 
lui  a  faits,  de  sou  intelligence,  de  sa  mémoire,  de  ses  sens,  de 
sa  force.  Il  abuse  de  même  de  tous  les  progrès  obtenus  par  son 
travail. 

Et  c'est  ainsi  que  l'observation  de  ce  qui  s'est  passé  et  se 
passe  encore  dans  le  monde  nous  fait  reconnaître  la  très  grande 
vérité  contenue  dans  cette  parole  de  la  Sainte-Ecriture  :  «  Dès 
l'enfance  de  l'hommej  ses  pensées  et  les  mouvements  de  son 
cœur  tendent  vers  le  mal  (11.  » 

(1)  Genèse,  ch.  viii,  y.  12. 


302  ANNALES    CATHOLIQUES 

^lême  état  qu'on  tous  les  autres  siècles  :  nous  venons  de  le 
voir.  Même  impuissance  de  tous  les  remèdes  qui  ont  été  tour  à 
tour  proposés  depuis  cent  ans  et  plus.  Voilà  ce  que  quelques 
moments  d'attention  nous  ont  découvert  dans  ce  monde  oii  nous 
vivons  et  en  nous-mêmes. 

IV 

Après  cette  triste  revue  de  nos  misères  et  de  nos  dangers, 
qu'il  fait  donc  bon  d'entendre  la  parole  de  notre  Dieu  et  Sau- 
veur Jésus  ! 

En  ouvrant  le  Saint  Evangile,  j'observe  tout  d'abord  que 
Notre-Seigneur  a  tout  prédit,  tout  annoncé  clairement.  Il  n'y  a 
rien  en  ce  monde  qui  puisse  nous  surprendre  et  nous  intimider. 
Ainsi,  on  pourrait  être  étonné  de  voir  tant  d'homrues,  et  de 
toutes  les  conditions,  qui  répètent  sur  tous  les  tons  que  la  Re- 
ligion chrétienne  ne  peut  plus  rien  pour  le  bonheur  de  l'homme, 
et  qu'il  faut  chercher  ailleurs.  Eh  bien!  le  Seigneur  a  fait  con- 
naître, il  y  a  dix-neuf  cents  ans,  ce  qui  se  passe  actuellement 
sous  nos  yeux.  Voici  sa  parole  :  «  On  viendra  vous  dire  :  C'est 
par  ici  qu'il  faut  venir,  ou,  c'est  par  là.  Mais  n'allez  pas  où  ils 
vous  disent,  mais  no  vous  mettez  pas  à  leur  suite  (1).  »  Oh!  oui, 
restons  auprès  de  notre  Maître  et  Sauveur  !  Disons  avec  saint 
Pierre:  *  Si  nous  vous  quittions,  à  qui  donc  pourrions-nous 
aller?  Car  vous  avez,  —  et  seul»  —  les  paroles  qui  donnent  la 
vie  éternelle  (2).  > 

La  vie  est  une  route  à  parcourir.  Pour  franchir  nos  étapes 
sans  encombre,  il  nous  faut  de  la  lumière.  Nous  en  demandons. 
Nous  questionnons  :  Oii  est  mon  devoir?  Où  sera  ma  consola- 
tion? Où  est  ma  force?  Quels  dangers  m'attendent?  — Bien  des 
gens  se  présentent  à  l'entrée  de  cette  route  ;  ils  portent  des 
fallots  fumeux,  à  la  lumière  rougeàtre,  vacillante.  Mais  Notre- 
Seigneur  est,  lui,  le  soleil  des  âmes,  selon  ce  qu'il  dit  lui-même, 
«  Je  suis  la  lumière  du  monde;  celui  qui  me  suit  ne  marche 
point  dans  les  ténèbres,  mais  il  aura  avec  lui  la  lumière  de 
vie  ^3).  > 

Sur  ce  chemin  de  la  vie,  il  ne  suffit  pas  d'être  éclairé,  de 
savoir  où  il  convient  de  poser  le  pied.  La  vigueur  est  encore 
nécessaire;  il  faut  de  la  force  pour  marcher  toujours  et  marcher 

(1)  Evangile  selon  saint  Luc,  ch.  xvn,  f.  23. 

(2)  Evangile  selon  saint  Jean,  ch.  vi,  f.  69. 

(3)  Evangile  selon  saint  Jean,  ch.  viii,  y.  12. 


LA  FASCINATION    DU    PROGRES    MATÉRIEL  303 

(l'un  bon  pas.  La  force  de  l'âme,  l'énergie  pour  se  déprendre  du 
mal  et  s'attacher  au  bien,  voyez-vous  autour  de  vous  quelqu'un 
qui  vous  la  puisse  donner?  Il  y  a  eu,  cependant,  des  naillions  de 
forts  en  ce  monde,  il  yen  a  encore:  oii  ont-ils  pris  cette  vigueur 
de  tempérament,  cette  fermeté  de  volonté  ?  Oii  ?  En  Celui  qui 
dit  à  tous  :  «Venez  à  moi,  vous  tous  qui  traînez  un  fardeau  bien 
lourd,  vous  tous  qui  avez  tant  d'efforts  à  faire,  et  je  vous  ren- 
drai de  la  vigueur  (1).  »  Dans  une  autre  circonstance,  il  disait  : 
«  Sans  moi,  vous  ne  pouvez  rien  faire  (2);  »  et  un  autre  jour  : 
«  Celui  qui  croit  en  moi  fera  ce  que  je  fais,  et  de  plus  grandes 
choses  encore  (3).  »  Saint  Paul  avait  éprouvé  combien  cette 
proiresse  était  vraie,  lorsqu'il  s'écriait  :  «  Je  puis  tout  en  celui 
qui  me  fortifie  (4),  >  je  puis  tout  avec  la  force  que  me  prête  le 
Seigneur  Jésus. 

Pour  achever  heureusement  ce  voyage  de  la  vie.  il  est  néces- 
saire de  rester  soi-même;  ce  qui  veut  dire  qu'il  faut  savoir  gar- 
der jusqu'au  terme  final  de   sa  volonté  de   prendre   tous   les 
moyens  pour  sauver  son  âme.  Rester  fidèle  à  ses  premières  con- 
victions,   observer   fidèlement    ses   résolutions,   cela   s'appelle 
avoir  du  caractère.  C'est  une  belle  chose  apparemment,  puisque 
tous  les  jours  on  dit  et  l'on  écrit  :  le  malheur  de  notre  temps, 
c'est  qu'il  n'y  a  plus  de  caractère.  C'est  une  belle  chose,  puis- 
que les  siècles  professent  une  si  grande  admiration  pour  ces 
Martyrs,  de  tous  les  pays,  de  tout  âge,  depuis  les  Apôtres  jus- 
qu'à cette  jeune  fille  indienne,  qui,  il  y  a  quelques  mois,  se  fai- 
sait enterrer  vivante  plutôt  que  de  dire  un  mot  contre   notre 
sainte  Foi.  Ils  ont  eu  du  caractère,  ils  sont  restés  eux-mêmes 
ces  témoins  de  la  Foi  de  Jésus-Christ.  «  Qui  nous  séparera  de 
la  charité  de  Jésus-Christ  ?  Sera-ce  la  tribulation  ?  la  misère  '? 
la  faim?  le  dépouillement  de  tout?  le  danger?  la  persécution? 

le  glaive? Mais  en  toutes  ces  soufi"rances,  nous  sommes pli^.^ 

forts  et  nous  l'emportons  en  Celui  qui  nous  a  aimés  (5).  » 

Saint  Paul  poussait  ce  cri  de  défi  et  de  triomphe  et  il  sera 
répété  jusqu'au  dernier  jour  du  monde  par  l'immense  armée  des 
chrétiens  fidèles,  des  vainqueurs  par  leur  Foi. 


Mgr  Isoard. 


(1)  Evangile  selon  saint  Matthieu,  ch.  xi,  y.  2S. 

(2)  Evangile  selon  saint  Jean,  ch.  xv,  y.  5. 

(3)  Evangile  selon  saint  Jean,  ch.  xiv,  y.  12. 

(4)  Epître  aux  Philippiens,  ch.  iv,  f.  13. 

(5)  Epître  aux  Romains,  ch.  viii,  yy.  35  et  37. 


304  ANNALK8    CATHOLIQUES 


LES  SŒURS  ET  LA  REVOLUTION 

Lo  Soleil  a  reçu  de  M.  Wallon,  de  l'Institut,  ancien  ministre,  la 
lettre  suivante,  au  sujet  do  l'attitude  des  révolutionnaires  de  1793, 
à  l'égard  des  Sœurs  hospitalières  : 

Paris,  21  avril  1890. 
Monsieur  le  Rédacteur  en  chef, 

A  l'appui  des  revendications  si  légitimes  qui  se  font  en  ce 
moment  pour  le  bien  des  malades  admis  dans  les  hôpitaux,  il 
n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  produire  un  témoignage  iné- 
dit, d'une  origine  bien  peu  suspecte.  C'est  un  rapport  d'un  agent 
du  ministre  de  l'intérieur,  en  mission  à  Nancy,  à  la  date  du 
29juin  1793  (après  la  Révolution  du  31  mai). 

Il  mentionne  d'abord  les  Frères  de  Saint-Jean  de  Dieu,  dont 
il  dit: 

«  On  peut  considérer  cette  maison  comme  une  réunion  de  mé- 
decins et  de  chirurgiens  qui  exercent  gratuitement  leur  art  dans 
tout  le  département,  portant  aux  malheureux  les  secours  dont 
ils  ont  besoin  dans  leurs  maladies.  C'est  assez  vous  dire,  citoyen 
ministre,  combien  un  pareil  établissement  est  précieux  pour 
l'humanité  et  combien  il  importe  qu'il  puisse  être   maintenu.  » 

Puis  il  signale  l'hôpital  Saint-Charles  et  trois  autres  tenus 
par  les  Sœurs,  et  il  ajoute  : 

<  Il  me  seroit  difficile,  citoyen  ministre,  de  vous  faire  con- 
noître  combien  sont  respectables  le  zèle  et  l'activité  de  ces 
femmes  et  avec  quel  ordre  vraiment  admirable  ces  maisons  sont 
entretenues,  et  les  malades,  les  enfants  ou  les  vieillards  confiés 
à  leur  surveillance  sont  soignés.  C'est  là  qu'on  apprend  tout  ce 
que  peut  le  véritable  amour  de  l'humanité  et  quels  miracles 
produit  une  économie  qu'il  dirige.  La  plupart  de  ces  maisons 
ont  perdu  la  moitié  ou  les  trois  quarts  de  leurs  revenus,  et  je 
n'ai  pas  vu  qu'un  seul  de  leurs  malades  put  s'en  apercevoir.  Je 
ne  balance  pas  à  le  dire  :  il  n'y  a  que  des  femmes  élevées  dans 
cet  état  et  décidées  à  y  consacrer  leur  vie  entière  qui  puissent 
se  livrer  aussi  efficacement  à  tant  de  soins  minutieux  et  impor- 
tants. » 

C'est  l'agent  d'un  ministre  de  l'intérieur  do  1793  qui  parle 
ainsi. 

Cette  pièce,  dont  je  ne  vous  donne  qu'un  fragment  en  épreuve, 
se  trouvera  dans  le  cinquième  volume  de  mes  Représentants  en 


LA    LAICISYTION   ET    M.    RENAN  305 

mission;  mais  en  attendant  on  peut  en  voir  l'original  aux  Ar- 
chives nationales,  carton  Fi"*  551,  dossier  Thierry. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  Rédacteur  en  chef,  l'assurance 
de  ma  considération  la  plus  distinguée. 

PI.  "Wallon. 

Comme  on  le  voit,  la  Révolution  n'a  pas  seulement  respecté  à  Paris 
les  Sœurs  hospitalières.  Partout  où  elle  les  a  rencontrées,  elle  a 
rendu  pleinement  hommage  à  leur  dévouement  et  à  leur  zèle. 

On  ne  peut,  cependant,  accuser  de  «  cléricalisme  »  les  hommes  qui 
détenaient,  â  cette  époque,  le  pouvoir.  Leur  attitude  à  l'égard  des 
Sœurs  hospitalières  est  un  enseignement  et  un  exemple  que  leurs 
infiniment  petits  successeurs  d'aujourd'hui  sont  incapables,  non  seu- 
lement d'imiter,  mais  même  de  comprendre. 


LA  laïcisation  ET  M.  RENAN 

Un  rèdâctenv  du  Matin  a  eu  la  singulière  idée  d'aller  prendre 
une  consultation  auprès  de  M.  Renan  sur  la  laïcisation  des 
hôpitaux;  il  en  a  rapporté  un  produit  qui  est  du  Renan  sénile, 
quelque  chose,  par  conséquent,  qui  n'est  ni  juste  ni  beau. 

INIais  ce  quelque  chose  nous  a  rendu  indirectement  un  service  : 
il  nous  a  amené  à  relire  le  recueil  des  lettres  écrites  et  des  dis- 
cours prononcés  depuis  dix  ans  par  le  docteur  Armand  Desprès, 
chirurgien  à  l'hôpital  de  la  Charité,  en  faveur  du  maintien  des 
Soeurs  dans  les  services  hospitaliers.  Quelle  bonne  lecture, 
comme  toute  page  où  rayonne  la  vérité,  oii  parlent  la  franchise 
et  la  raison  !  L'intérêt  des  malades  et  des  pauvres  inspire  seul 
le  libre-penseur  Armand  Desprès,  qui  combat  à  outrance  la 
laïcisation  des  hôpitaux,  mais  qui  est  partisan  de  la  laïcisation 
des  écoles.  Son  livre  est  un  arsenal,  et  les  armes  y  abondent 
pour  percer  d'outre  en  outre  M.  Renan,  qui  offre  de  la  surface. 

M.  Renan  a  commencé  par  déclarer  à  son  interlocuteur  qu'il 
manquait  «  des  documents  nécessaires  pour  émettre,  en  une 
aussi  délicate  matière,  un  jugement  sérieusement  fondé  ».  «  Il 
n'a  jamais  été  lui-même  à  l'hôpital  »,  ce  que  nous  croyons,  et 
«  il  ne  connaît  personne,  dans  son  entourage,  qui  y  ait  séjourné 
et  qui  lui  ait  fait  part  de  ses  impressions  ».  Tiens  !  ce  gros  rat 
serait-il  enseveli  à  ce  point  dans  son  fromage  du  Collège  de 
France  qu'il  n'ait  recueilli  aucun  écho  des  controverses  soûle- 


306  ANNA.:.ES   CATHOLIQUES 

vées  par  l'expulsion  des  Sœurs  d'auprès  des  malades?  Pardon! 
Il  connaît  l'avis  de  médecins  «  qui,  dans  l'exercice  de  leur  pro- 
fession, ont  été  à  même  d'apprécier  les  soins  des  Sœurs  de 
charité  et  ceux  des  gardes-malades  laïques  ».  Mais  voyez  le 
malheur  :  il  ignore  le  docteur  Desprès;  il  n'a  jamais  rencontré 
aucun  des  cent  dix  médecins  et  chirurgiens  des  hôpitaux  de 
Paris  qui,  sur  cent  cinquante,  adressèrent,  le  17  novembre 
18S5,  à  M.  Allain-Targé,  ministre  de  l'intérieur,  une  protesta- 
tion contre  le  renvoi  des  Sœurs  des  hôpitaux.  En  revanche, 
il  a  beaucoup  fréquenté  les  quarante  praticiens  de  la  minorité, 
car  «  nombre  de  médecins  lui  ont  déclaré  que  les  Sœurs 
laissaient  beaucoup  à  désirer,  non  seulement  au  point  de  vue 
de  la  tolérance  religieuse,  mais  encore  au  point  de  vue  du  ser- 
vice en  général  ». 

Parlons  d'abord  de  la  question  de  <  tolérance  religieuse  »,ou 
plutôt  laissons  parler  le  docteur  Després. 

Dans  une  lettre,  en  date  du  7  avril  1884,  adressée  à  M.  le 
président  du  conseil  munici[!al,  il  écrivait  : 

Tout  a  été  dit  sur  le  prosélytisme.  C'est  le  côté  faible  du  religieux 
do  toute  nature.  Mais  j'ai  jadis  moatré  qu'on  le  réprimait  facilemont, 
et  mes  convictions  de  libre-penseui- et  do  lépubliraia  ne  m'ont  pas 
aveuglé  au  point  de  mécoiinaîtro  que,  si  le  prosélytisme  au  chevet  du 
malade  n'était  pas  à  surveiller,  la  religieuse  hospitalière  serait  seule 
dans  le  monde  l'idéal  de  la  perfection.  Ces  vérités,  reconnues  dans  le 
monde  entier,  n'ont  été  jusqu'ici  méprisées  que  par  le  conseil  muni- 
cipal et  le  directeur  de  l'Assistance  puldique. 

Deux  ans  aprés,le  30  janvier  1880,  dans  une  réunion  publique 
tenue  salle  Favié,  à  Belleville,  le  docteur  Desprès  disait  : 

Déblayons  tout  d'abord  le  terrain.  Oui,  les  religieuses  parlent  de 
religion  aux  malades;  c'est  le  propre  dos  religieux  de  toute  nature 
de  tenter  de  convertir  les  autres  à  leurs  pratiques.  Il  y  a  des  malades 
qui  l'acceptent;  pour  ceux-là,  il  n'y  a  rien  à  dire.  Mais,  pour  ceux 
qui  refusent, il  est  juste  qu'ils  ne  soient  point  obsédés,  on  doit  les 
garantir  contre  le  prosélytisme.  Nous  n'y  avons  jamais  manqué,  nous 
les  médecins,  et  c'est  parce  que  nous  sommes  en  mesure  de  réprimer 
les  excès  de  zèle  que  nous  ne  nous  en  préoccupons  pas  davantage.  11 
y  a,  d'autre  part,  tant  d'intérêt  à  conserver  les  Sœurs,  que  nous  ne 
nous  arrêtons  pas  aux  inconvénients,  auxquels  nous  pouvons  parer. 
Au  surplus,  ces  excès  de  zèle  sont  rares.  .Te  n'ai  eu,  dans  une  carrière 
déjà  longue,  trente  années  passées  dans  les  hôpitaux,  que  quatre  fois 
l'occasion  d'intervenir. 

Encore  n'était-ce  point  la  religieuse  soûle  qui  était  en  cause  ;  c'était 


LA    LAÏCISATION   ET    il.    RENAN  307 

l'aumÔQier,  qui  reproche  souvent  aux  Sœurs  de  n'avoir  pas  assez  de 
zèle.  Du  reste,  depuis  que  les  aumôniers  ne  sont  plus  logés  dans  les 
hôpitaux,  DÛ  ils  n'avaient  presque  rien  à  faire,  les  faits  de  prosé- 
lytisme sont  prodigieusement  rare;?. 

Ces  attaques,  que  ce  n'est  pas  le  lieu  de  discuter,  contre  les 
aumôniers  d'hôpitaux  donnent  plus  de  valeur  encore  au  témoi- 
gnage rendu  aux  Sœurs  hospitalières.  D'autre  part,  ce  que  l'on 
vient  de  lire  est  une  réponse  topique  à  une  niaiserie  de  M.  Renan 
qu'il  a  ainsi  formulée  :  «  Pourquoi  les  lihres-penseurs,  les 
Israélites  ou  les  protestants,  seraient-ils  soignés  exclusivement 
par  des  Sœurs  qui  ont,  avant  tout,  un  caractère  religieux?  Ce 
serait  une  atteinte  à  la  liberté  de  conscience.  » 

Venons  maintenant  à  la  question  du  service  des  Sœurs  dans 
ies  hôpitaux  et  à  la  manière  dont  ces  religieuses  s'en  acquittent. 

M.  Renan  «  s'est  laissé  dire  que  les  Sœurs  avaient  une  ten- 
dance marquée  à  se  considérer  comme  des  supérieures  ayant  au- 
torité sur  les  autres  gardes-malades  ».  Il  ne  s'est  pas  laissé  dire 
là  une  énormité.  Le  24  novembre  1SS5,  M.  Desprès,  parlant  au 
conseil  municipal,  s'exprimait  en  ces  termes  : 

Voici,  messieurs,  ce  que  font  les  religieuses  :  elles  se  lèvent  à 
quatre  heures  ;  à  cinq  heures,  elles  sont  auprès  des  malades  et  sur- 
veillent le  service,  les  infirmiers  qui  font  les  lits,  lavent  les  salles,  etc. 
Elles  surveillent  les  infirmières,  et  quand  le  chef  de  service  arrive 
pour  faire  sa  visite,  elles  prennent  note  des  prescriptions  et  distri- 
buent ensuite  elles-mêmes  les  médicaments. 

Ici,  messieurs,  j'ouvre  une  parenthèse  pour  répondre  aune  alléga- 
tion de  M.  Pichon. 

On  a  parlé  de  certains  accidents  survenus  dans  les  hôpitaux  où  le 
service  était  fait  par  des  congréganistes.  Je  déclare  que,  de  mémoire 
d'homme,  on  n'en  a  pas  le  souvenir.  Je  dis,  moi,  qu'il  n'y  a  que  dans 
les  hôpitaux  oii  il  n'y  a  pas  de  religieuses  que  ces  accidents-là 
arrivent. 

Indépendamment  de  l'office  de  servantes  directes  des  malades 
qu'elles  exercent  dans  des  cas  déterminés,  les  Sœurs  des  hôpi- 
taux remplissent  donc  la  charge  de  directrices  et  de  surveillantes. 

Il  faudrait  résumer  tout  le  volume  que  nous  avons  sous  les 
yeux  pour  bien  montrer  la  supériorité  des  Sœurs  hospitalières 
sur  les  gardes-malades  laïques. 

A  quelque  religion  qu'on  appartienne,  disait  le  docteur  Desprès  à 
son  auditoire  de  Belleville,  il  est  impossible  de  le  nier,  sous  la  cor- 
nette il  y  a  une  femme,  une  femme  qui  a  sacrifié  tout   ce  qui  fait  la 


308  ANNALKB    CATHOLIQUES 

joie  des  autres  femmes  et  se  dévoue  à  la  besogne  rebutante  d'être 
sans  cesse  près  des  malades,  des  morts  et  des  mourants,  et  cela  pour 
un  salaire  dérisoire  dont  aucune  autre  femme  ne  veut  en  échauffe  de 
pareils  services.  Il  y  a  une  femme  qui  accepte  de  vivre  do  la  vie  du 
prisonnier,  qui  est  soumise  à  une  discipline  de  fer,  plus  dure  cent 
fois  que  le  travail  manuel  le  plus  rude,  et  c'est  là  ce  qui  nous  fait 
attacher  un  si  grand  prix  à  ses  services. 

Par  la  foi  qui  l'anime,  la  religieuse  hospitalière  alimente  et 
soutient  le  dévouement  qui  est  une  nécessité  perpétuelle  de  ses 
fonctions. 

Par  le  célibat  dont  elle  a  fait  vœu,  elle  est  affranchie  de  toute 
affection  et  de  toute  préoccupation  extérieures  capables  de  la 
détourner  de  son  ministère  de  charité.  S'il  faut  affronter  une 
maladie  contafrieuse,  elle  n'a  pas  à  préserver  sa  vie  pour  un  mari 
et  pour  des  enfants. 

Par  la  discipline  qu'elle  a  acceptée,  elle  se  tient  étrangère 
aux  distractions  mondaines  ;  elle  n'a  pas  besoin  de  s'absenter  de 
l'hôpital  ;  elle  est  toujours  et  tout  entière  à  ses  chers  malades. 

Sans  intérêts  pécuniaires,  elle  ne  mesure  pas  ses  services 
à  l'argent;  elle  ne  privera  point  les  malades  des  rations  alimen- 
taires qui  leur  sont  dues;  elle  ne  dépouillera  point  le  mourant 
de  ses  vêtements  ou  de  sa  bourse. 

C'est  pourquoi  une  courte  expérience  a  suffi  pour  trancher  la 
question  que  pose  encore  M.  Renan  ;  quel  est  celui  des  deux 
services,  des  religieuses  ou  des  laïques,  qui  donne  les  meilleurs 
résultats? 

Mais  voici  un  comble.  <  On  me  dit  et  je  lis  souvent  que  l'ins- 
tallation des  gardes-malades  laïques  et  leur  entretien  occasion- 
nent un  surcroît  sensible  de  dépenses.  Pour  moi,  ceci  n'est 
nullement  prouvé.  »  Vraiment?  Eh  bien,  nous  n'en  faisons  com- 
pliment ni  à  votre  intelligence  ni  à  votre  science.  Le  bon  sens 
dit  que  les  appointements  dont  se  contentera  une  religieuse  no 
peuvent  suffire  à  une  femme  mariée,  et  que  les  frais  de  loge- 
ment seront  plus  considérables  pour  la  seconde  que  pour  la  pre- 
mière. Les  chiffres  parlent  de  même.  Le  docteur  Desprès  écri- 
vait au  président  du  conseil  municipal,  le  7  avril  1884  : 

Une  enquête  a  été  faite  pour  savoir  le  coût  d'un  hôpital  laïcisé 
comparé  au  coût  du  môme  hôpital  avant  la  laïcisation.  Le  travail  a 
montré  que  la  dépense  avait  doublé  depuis  le  renvoi  des  Sœurs. 

Dans  la  séance  du  Conseil  municipal  du  16  novembre  1885,  à 
propos  de  la  laïcisation  de  l'hôpital  Cochin,  le  même  docteur 
Desprès  disait  * 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  309 

Vous  allez  remplacer  les  quatorze  sœurs,  qui  ne  vous  coûtent  que 
deux  cents  francs  par  an,  par  des  infirmières  laïques  auxquelles  vous 
devrez  donner  :  d'abord  un  logement,  que  l'administration  évalue 
à  400  francs,  mais  qui  dépassera  cette  somme  ;  puis  un  traitement 
de  600à650  francs  et  un  costume  de  60  francs,  soit  environ 700  francs. 
Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  les  laïques  coûtent  66  p.  100  de  plus 
que  les  Sœurs. 

Pour  décider  entre  le  service  des  religieuses  et  celui  des  laï- 
ques, M.  Renan  trouverait  curieux  de  recourir  à  un  plébiscite 
de  tous  les  médecins  et  internes  des  hôpitaux  de  France.  Mais 
des  plébiscites  sur  la  question  ont  déjà  eu  lieu. 

Les  médecins  et  les  chirurgiens  des  hôpitaux  de  Paris,  qui  ne 
sont  pas  assurément  les  moins  éclairés,  les  moins  expérimentés, 
ni  les  plus  cléricaux,  se  sont  prononcés,  comme  on  l'a  vu,  aune 
majorité  de  plus  des  deux  tiers  en  faveur  des  Sœurs. 

Les  vieillards  de  l'hospice  d'Ivry,  en  janvier  1885,  et  les 
malades  de  l'hôpital  Cochin,  en  décembre  de  la  même  année, 
ont  adressé  au  conseil  municipal  des  pétitions  pour  que  les 
Sœurs  ne  leur  fussent  pas  enlevées. 

Le  docteur  Després  a  pu  plaider  la  cause  des  Sœurs  devant 
la  population  de  Bsileville  et  se  faire  applaudir,  et,  malgré  ses 
invitations  et  ses  défis  répétés,  aucun  des  laïcïsateurs,  ses 
adversaires,  n'a  osé  venir  le  combattre  dans  une  réunion 
publique.  {Monde.) 


CAUSERIE  SCIENTIFIQUE 

Le  bilan  de  l'électricité  eu  1889,  pronostics  pour  1890  :  expériences 
de  M.  Hertz  sur  les  ondes  électriques;  identification  de  l'électricité 
et  de  la  lumière  ;  fabrication  des  alliages  d'aluminium  par  le 
procédé  électrique  de  Cowles. 

Une  revue  de  Milan,  V Elettricita,  a  eu  l'heureuse,  quoique 
singulière  idée,  d'interviewer  ses  lecteurs,  en  leur  demandant 
de  vouloir  bien  communiquer  leur  opinion  sur  les  deux  ques- 
tions suivantes  : 

1°  Quelle  a  été  l'invention,  la  découverte  ou  l'étude  scienti- 
fique la  plus  importante  de  l'année  écoulée  1889,  dans  le 
domaine  de  l'électricité? 

2°  Quelle  sera  l'application  électrique,  déjà  connue,  qui,  sui- 
vant toute  probabilité,  progressera  et  se  développera  le  plus 
dans  le  courant  de  l'année  1890? 


310  ANNAXES    CATHOLIQUES 

Il  s'agit,  pour  concourir,  d'être  historien  et  prophète  :  les 
réponses  seront  publiées  par  VEleUricita  dans  le  courant  du 
mois  de  juin,  et  la  rédaction  de  la  Revue  se  réserve  de  discuter 
les  opinions  de  ses  correspondants.  Nous  applaudissons  à  l'ini- 
tiative intelligente  de  nos  confrères  italiens  qui  ne  peut  manquer 
d'intéresser  les  amateurs  d'électricité  :  en  attendant  la  publica- 
tion de  cette  curieuse  enquête,  nous  essaierons  d'en  indiquer 
les  résultats  probables  en  dressant  le  bilan  de  l'électricité,  à  la 
suite  de  l'Exposition  unirersellp  de  1889.  Nous  ferons  suivre 
cette  page  d'histoire  d'un  exposé  critique  des  pronostics  à 
formuler  pour  l'année  1890,  en  déclarant  toutefois  qu'il  est  plus 
facile  d'être  historien  nue  prophète, 

La  découverte  la  plus  importante  nous  paraît  être  celle  de 
M.  Hertz  :  ce  savant  distingué  a  observé  une  série  de  phéno- 
mènes nouveaux  qui  sont  pleins  de  promesses  pour  l'étude 
intime  de  l'électricité  ;  nous  allons  les  exposer  dans  leur 
emsemble.  avec  tous  les  détails  nécessaires  pour  être  compris  des 
profanes.  Les  travaux  de  M.  Hertz  ont  paru  dans  les  Annales 
de  Wiedeynann  et  dans  le  Bulletin  de  V Académie  de  Berlin^  à 
partir  du  mois  de  mars  1888;  mais  ils  n'ont  été  complétés 
qu'en  1889,  de  sorte  qu'ils  peuvent  être  assignés  en  totalité  à 
cette  année. 

Décrivons  d'abord  les  curieuses  expériences  par  lesquelles 
M.  Hertz  a  débuté.  Prenons  une  forte  bobine  de  Ruhmkorff 
de  50  centimètres  de  longueur  environ  sur  25  de  diamètre  et 
relions  ses  pôles  à  deux  conducteurs  parfaitement  identiques, 
formés  d'une  tige  rectiligne  de  60  centimètres  de  longueur, 
terminée  à  un  bout  par  une  grosse  sphère  de  cuivre  de  30  cen- 
timètres de  diamètre  et  à  l'autre  bout  par  une  petite  boule  de 
3  à  4  centimètres  :  ces  deux  tiges  seront  disposées  dans  le  pro- 
longement l'une  de  l'autre,  les  petites  boules  en  regard,  sépa- 
rées par  un  intervalle  de  7  millimètres  environ,  les  grosses 
sphères  en  dehors. 

La  bobine  étant  excitée  par  un  courant  inducteur,  on  fera 
jaillir  une  étincelle  entre  les  petites  boules  :  un  trait  de  feu 
remplira  le  pont  d'air  qui  sépare  les  deux  conducteurs.  Mais, 
qu'on  y  regarde  bien  et  l'on  verra  mieux  peut-être  par  les 
yeux  de  l'intelligence  que  [)ar  l'organe  de  la  vue  que  l'étincelle 
n'est  pas  continue,  et  qu'il  se  produit  entre  les  deux  conduc- 
teurs une  série  de  décharges  oscillatoires,  dont  la  période  est 
infiniment  courte,  attendu  que  leur  durée   ne  dépasse  pas  un 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  311 

cent-millionième  de  seconde  :  les  grosses  étincelles  peuvent 
bien  être  distinguées  les  unes  des  autres,  mais  non  les  petites 
oscillations  qui  les  suivent;  leur  existence  est  néanmoins  indé- 
niable. On  peut  les  comparer  à  celles  d'un  diapason  qu'on 
attaque  par  une  série  de  coups  d'archet,  dont  chacun  d'eux 
entretient  l'état  vibratoire  de  la  fourche  métallique. 

L'expérience  étant  ainsi  disposée  et  la  bobine  mise  en  marche, 
plaçons-nous  à  quelques  mètres  de  distance  en  tenant  en  main 
un  fil  de  cuivre  courbé  en  arc  de  cercle,  mais  légèrement 
entr'ouvert  :  la  solution  de  continuité  ne  doit  être  que  d'une 
fraction  de  millimètre.  Or,  nous  verrons  un  llux  continu  d'étin- 
celles traverser  cet  intervalle,  bien  plus,  on  peut  en  tout 
point  de  l'espace,  tirer  des  étincelles  entre  deux  objets  métal- 
liques quelconques,  deux  clefs,  par  exemple,  ou  deux  pièces 
de  monnaie.  L'expérience  tient  du  prodige  et  elle  impressionne 
vivement  ceux  qui  en  sont  témoins  pour  la  première  fois:  il  est 
bien  entendu,  en  effet,  que  ce  phénomène  se  produit  sans  com- 
munication d'aucune  sorte  avec  la  bobine  et  qu'on  l'observe  en 
n'importe  quel  point  de  l'espace. 

Toutefois,  voici  une  variante  de  l'expérience  plus  stupéfiante 
encore  :  garnissons  un  des  murs  de  la  salle  d'une  large  feuille 
de  zinc,  ou  bien  encore  disposons  sur  une  table  un  miroir  para- 
bolique en  métal.  Dès  lors,  si  nous  promenons  notre  incitateur 
devant  ce  mur  ou  dans  l'axe  du  miroir.^  nous  constatons  qu'en 
certain  point  de  l'espace,  géométriquement  distribués  et  égale- 
ment distants,  l'appareil  ne  donne  plus  aucune  manifestation 
électrique,  alors  qu'en  d'autres  points  nous  observons  une  acti- 
vité maximum. 

Tels  sont  les  phénomènes  découverts  par  M.  Hertz  ;  ils  ont 
grandement  excité  l'attention  du  monde  savant,  parce  qu'ils  ont 
démontré  que  les  actions  électriques  se  propagent  par  l'inter- 
médiaire du  milieu  ;  elles  ont  ouvert  une  ère  nouvelle  pour  les 
théories  de  l'électricité,  en  démontrant  des  analogies  inespérées 
et  inconnues  entre  la  propagation  de  l'électricité,  du  son  et  de  la 
lumière.  En  optique  et  en  acoustique,  on  étudie  en  effet  depuis 
longtemps  des  actions  identiques.  Je  vais  le  démontrer  pour 
l'acoustique,  parce  que  les  expériences  sont  plus  faciles  à  répé- 
ter et  à  décrire. 

Disposez  un  diapason  au  milieu  d'une  pièce  et  faites-le  vibrer 
fortement  à  l'aide  d'un  archet  :  prenez  en  main  un  autre  diapason 
et  promenez-vous  autour  de  l'instrument  sonore.  Si  le  second  dia- 


312  ANNALES    CATHOLIQUES 

pasonestà  l'unisson  du  premier,  vous  pourrez,  enleplaoant'contre 
votre  oreille,  ou  bien  en  prenant  sa  tige  entreles  dents,  vous  as- 
surer qu'il  se  meta  chanter  :  c'est  un  phénomène  de  résonnance, 
qu'on  explique  en  disant  que  le  diapason  résonne  par  influence, 
en  vibrant  sous  l'impulsion  de  l'onde  sonore  transmise  par  l'air. 
On  obtient  un  même  résultat  avec  une  corde,  une   membrane 
tendue  et  en  général  tous  les  corps  de  faible  masse,  susceptibles 
d'entrer  facilement  en   vibration  et  de  suivre  les    mouvements 
l'air  :  on  appelle  ces  instruments  des  résonnateurs.  Savart  avait 
inventé    un   petit  résonnateur   particulier,   nommé  le   pendule 
acoustique,  qui  est  doué  d'une  extrême  sensiblité,  et  qui  permet 
d'observer  très  bien  les  ondes  sonores.   Or,  tous  ces  appareils 
d'analyse  acoustique  permettent  de  constater  la   réflexion  du 
son  contre  un  mur  vertical,  voire  même  sa  réfraction  au  passage 
de  certains  milieux,  par  l'observation  des  noeuds  et  des  ventres 
fixes  produits  dans  l'espace  par  l'interférence  de  l'onde  réfléchie 
avec  l'onde  incidente  ;   en  certains  points  le  résonnateur  reste 
muet,  tandis  qu'il  parle  plus  fort  en  d'autres  points.  C'est  pré- 
cisément   ce  que  fait  le   résonnateur  électrique  de  M.  Hertz, 
alors  qu'il  donne  une  étincelle  ou  qu'il  n'en  donne  pas  quand  on 
explore  le  champ  électrique  créé  par  la  bobine  de  Rubmlcorfl"  et 
par  son  excitateur  :  comme  Savart,  Hertz  découvre  que  les  en- 
droits inactifs  se  succèdent  dans  un  ordre  régulier  et,  comme 
lui,  il  en  tire  les  plus  admirables  et  les  plus  larges  conséquences. 
Il  mesure  la  longueur  de  l'onde  électrique,  il  découvre  que  c'est 
une  onde  transversale,  il  en  déduit  la  vitesse  de  propagation  de 
l'électricité  (la  vitesse  de  l'électricité  est  voisine  de  celle  de  la 
lumière),   en  un  mot,  il  établit  entre  les   phénomènes  ondula- 
toires de  l'acoustique  et  de  l'optique  et   ceux  de    l'électricité 
un  lien,  que  dis-je,   une  véritable  identification  dont  la  portée 
est  immense  dans  le  domaine  théorique  de  la  science.  C'est  le 
triomphe  de  Faraday  et  de  Maxwel,   qui   ont  déclaré  les  pre- 
miers que  le  milieu  électro-magnélique  a  des  propriétés  iden- 
tiques à  celui  qui  propage  la  lumière:  M.  Hertz  a  la  gloire  d'a- 
voir donné  une  démonstration  expérimentale  de  ces  grandes  et 
belles  conceptions  du  génie. 

Faut-il  s'étonner  dés  lors  de  l'étonnant  succès  de  M.  Hertz. 
Le  voilà  d'emblée  placé  au  niveau  des  plus  grands  physiciens; 
les  Universités  de  Bonn  et  de  Berlin  se  le  disputent  et  l'Acadé- 
mie des  sciences  de  Paris  lui  décerne  avec  enthousiasme  le  prix 
Lacaze.  Tous  les  savants  s'efi'orcent  de  répéter  ses  expériences; 


CAUSERIE    SCIENTIFIQUE  313 

il  est  vrai  que  MM.  Sarrazin  et  de  la  Rive,  de  Genève,  décou- 
vrent un  point  faible  dans  la  théorie  déduite  par  le  savant  alle- 
mand do  ses  découvertes;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
l'Académie  a  couronné  «  le  meilleur  travail  sur  la  physique  » 
et  qu'on  ne  peut  formuler  de  réserves  que  sur  la  valeur  démons- 
trative de  certains  résultats. 

Nous  estimons  donc  que  la  Revue  milanaise  doit  reporter 
sur  M.  Hertz  l'honneur  de  la  plus  importante  découverte  de 
l'année. 

Passons  à  la  seconde  question  :  quelle  application  électrique 
se  développera  le  plus? 

Bien  qu'il  soit  toujours  imprudent  de  vouloir  montrer  son 
chemin  au  progrès,  nous  hasarderons  néanmoins  une  réponse. 

La  découverte  qui  devra,  sans  doute^  occuper  le  plus  vive- 
ment l'attention  des  électriciens  dans  le  cours  dé  la  présente 
année  est  l'électro-métallurgie  et  l'aluminium. 

La  fabrication  industrielle  de  ce  métal  présentait  jusqu'ici  de 
grandes  difficultés;  depuis  sa  découverte  faite  par  Wœhler,  en 
1827,  on  avait  étudié  la  question  sans  relâche.  Sainte-Claire 
iJeville  l'avait  fait  progresser  d'une  manière  remarquable,  mais 
le  métal  était  resté  fort  cher  encore,  parce  que  sa  fabrication 
reposait  sur  l'emploi  du  sodium,  qui  est  lui-même  à  des  prix 
très  élevés.  L'aluminium  coûtait  de  80  à  90  fr.  le  kilogramme 
et  c'était  un  métal  rare,  car  on  n'en  produisait  pas  2,000  kilo- 
grammes par  an.  Or,  un  Américain  de  Cleveland,  M.  Cowles,  a 
inventé,  il  y  a  deux  ans,  un  procédé  de  réduction  directe  des 
minerais  d'aluminium,  qui  est  appelé  à  un  grand  avenir. 

Les  minerais  employés  sont  le  corindon  ou  la  bauxite,  subs- 
tances très  répandues  dans  la  nature;  on  les  concasse  finement 
et  on  les  mélange  de  charbon  et  de  grenailles  de  cuivre.  Le  tout 
est  introduit  dans  un  four  en  briques  réfractaires,  que  l'on  gar- 
nit intérieurement  d'une  brasque  de  charbon  de  bois  imbibé 
d'un  lait  do  chaux.  Deux  électrodes  de  charbon  pénètrent  dans 
le  four  et  y  amènent  un  courant  de  3,000  ampères  et  de  50  volts, 
la  masse  s'échaufte,  il  s'en  dégage  de  la  vapeur  d'eau  d'abord, 
puis  de  l'oxyde  de  carbone,  et  la  température  s'élève  à  plus 
de  3,000  degrés.  L'aluminium  se  réduit  et  il  s'allie  avec  le 
cuivre  en  fusion,  pour  former  un  bronze  d'aluminium. 

Ces  deux  alliages  sont  une  conquête  brillante  de  l'électro- 

métailurgie;  le  premier  a  une  ténacité  extraordinaire,  supérieure 

à  celle  des  meilleurs  aciers,  le  second  a  la  curieuse  et  étonnante 

23 


314  A.NNAX.E8    CATHOLIQUES 

propriété  d'abaisser  énormément  le  point  de  fo«ion  du  fer  auquel 
on  le  mêle  et  d'augmenter  sa  fluidité.  Il  suffit  d'introduire  un 
fragment  de  ferro-aluminium  gros  comme  une  noisette  dans 
une  poche  d'acier  Bessemer  ou  de  fonte  pour  obtenir  ce  résultat. 
Le  rôle  industriel  de  ces  deux  alliages  deviendra  extrêmement 
considérable,  dès  que  leur  production  sera  suffisante  :  pour  le 
moment,  on  les  fabrique  à  Lockport,  en  Amérique,  et  à  Milton, 
en  Angleterre.  Une  djnamo  de  400  chevaux  donne  un  kilo- 
gramme d'alliage  par  dix  minutes  de  courant,  mais  le  procédé 
se  perfectionne  tous  les  jours. 

Le  brevet  Cowles  n'est  pas  le  seul  exploité  aujourd'hui; 
M.  Kleiner,  de  Zurich,  a  aussi  pris  une  patente  pour  la  produc- 
tion de  l'aluminium  pur  par  le  traitement  électrique  de  la 
cryolithe  fluorure  double  d'aluminium  et  de  sodium  qui  se 
trouve  en  abondance  au  Groenland  et  qui  ne  vaut  guère  que 
400  fr.  la  tonne.  11  s'est  créé  une  autre  Société  :  The  alliance 
aluminium  et  C°,  qui  s'engage  à  fournir  1,000  kilogrammes 
d'aluminium  par  jour,  au  prix  de  25  francs  le  kilog.  ;  enfin  le 
professeur  Neito  nous  fait  espérer  le  sodium  au  prix  de  3  francs 
le  kilogramme,  au  lieu  de  20  francs. 

Bref  l'électro-métallurgie  est  en  voie  de  progrès  et  elle  nous 
ménage  de  grandes  surprises  :  nous  ne  croyons  pas  nous  avancer 
trop  eu  prédisant  que  l'électricité  trouvera  dans  cette  branche 
nouvelle  de  l'induslrie  une  de  ses  plus  belles  et  plus  prochaines 
applications.  Aimé  Witz. 


PETITE  CHRO^sIQUE 

Le  général  de  division  Gresley,  ancien  miaislre  de  la  guerre, 
sénateur,  est  mort  le  1"='  mai,  â  lâge  de  soixante-douze  ans,  en  son 
domicile,  rue  Soufflot,  succombant  aux  suites  d'une  paralysie  géné- 
rale. 

Le  général  Gresley  était  grand  officier  de  la  Légion  d'honneur  et 
décoré  de  la  médaille  militaire. 

—  Dans  sa  dernière  réunion,  le  conseil  d'administration  delà  Com- 
pagnie d'Orléans  a  nommé  M-  Carlier  secrétaire  général  de  la  Com- 
pagnie, en  remplacement  du  regretté  M.  Courras,  décédé. 

Ancien  élève  de  l'Ecole  polytechnique  et  ancien  inspecteur  des 
finances,  M.  CarJier  occupait  en  dernier  lieu,  à  la  Compagnie  d'Or- 
léans, les  fonctions  de  chef  de  la  comptabilité  générale  et  des  finances, 
auxquelles  il  va  joindre  celles  de  secrétaire  général. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  315 

NOUVELLES   RELIGIEUSES 
Rome  et  l'Italie. 

La  discussion  du  projet  de  loi  sur  les  Œuvres  pies  au  Sénat 
italien  a  donné  lieu,  lundi,  à  un  incident  qui  pourrait  avoir  des 
conséquences  importantes. 

Le  rapporteur  a  détendu  un  amendement  proposé  par  la  com- 
mission à  l'article  87  du  projet  voté  par  la  Chambre  des  députés 
et  relatif  à  la  transformation  des  Œuvres  pies,  qui  ne  répondent 
plus  aux  nécessités  du  temps  présent.  Cet  amendement  atté- 
nuait sensiblement  le  caractère  arbitraire  d'une  disposition  que 
les  catholiques  considéraient  comme  une  spoliation.  M.  Crispi 
n'a  point  voulu  accepter  les  modifications  de  la  commission  ;  il  a 
déclaré  qu'il  avait  fait  déjà  un  grand  nombre  de  concessions,  et 
qu'il  ne  pouvait  consentir  à  abandonner  l'article  87,  qu'il  con- 
sidérait comme  capital,  et  a  ajouté  que,  dans  le  cas  oii  le  Sénat 
entrerait  sur  ce  point  en  conflit  avec  la  Chambre,  il  se  verrait 
obligé  de  prendre  les  électeurs  pour  juges.  Malgré  cette  mise  en 
demeure,  le  Sénat  a  rejeté,  par  93  voix  contre  76,  la  proposition 
tendant  à  rétablir  le  texte  primitif  de  l'article  87.  M.  Crispi  est 
alors  venu  prier  le  Sénat  de  suspendre  la  discussion,  de  manière 
à  lui  permettre  d'en  référer  au  roi. 


Le  groupe  des  pèlerins  allemands  venant  de  Munich  et  de 
Fribourg  en  Brisgau,  est  arrivé  à  Rome  samedi. 

Ces  pèlerins,  au  nombre  d'environ  200,  ont  assisté  le  lende- 
main dimanche  à  une  messe  solennelle  dans  l'église  de  Sainte- 
Marie  delV  Anima. 

Demain  mercredi^  ils  assisteront,  à  8  heures  du  matin,  à  la 
messe  pontificale  dans  la  salle  du  Consistoire. 

L'audience  générale  et  solennelle  aura  lieu  jeudi,  à  midi,  dans 
la  salle  Ducale. 

S.  Em.  le  cardinal  Rampolla  a   adressé    à  Mgr    Canistrari, 
évèque  titulaire  de  Therme,  administrateur  apostolique  du  dio- 
cèse de  Frascati,  la  lettre  suivante  : 
lUme  et  Rme  Seigneur, 

Le  Saint-Père  qui  se  plut  à  donner  tant  de  preuves  d'aflfectueuse 
bieaveillance  envers  le   regretté   cardinal  Massaia  pendant  sa  vie,  a 


316  ANNALES    CATHOLIQUES 

voulu  que  le  désir  exprimé  plusieurs  fois  et  de  diverses  manières  par 
le  défunt  cardinal,  à  savoir  d'être  enseveli  après  sa  mort  dans  le 
caveau  des  PP.  Capucins  de  Frascati,  fût  réalisé. 

Il  permet  en  conséquence  que  la  dépouille  mortelle  de  l'Eme  Mas- 
saia,  actuellement  déposée  dans  le  caveau  de  la  Propagande,  au  Campo 
Verano,  puisse  être  transportée  à  Frascati  pour  y  être  définitivement 
ensevelie  dans  le  caveau  des  Pères  Capucins. 

En  vous  communiquant,  etc. 

Signé  :  M.  card.  Rampolla. 


S.  Em,  le  cardinal  Rampolla,  secrétaire  d'État  de  Sa  Sain- 
teté, a  adressé  la  lettre  suivante  à  M.  le  commandeur  Paganuzzi, 
président  général  de  l'Œuvre  des  congrès  catholiques  d'Italie  : 

Le  Saint-Père  a  été  grandement  satisfait  d'apprendre,  par  votre 
lottre  du  11  avril,  que  le  comité  permanent  de  l'Œuvre  des  congrès 
taiholiques  tiendra,  les  26  et  27  de  ce  mois,  à  Bologne,  sa  première 
réunion  semestrielle,  à  laquelle  sont  invités  aussi  les  représentants 
des  comités  régionaux  et  diocésains  de  l'Œuvre. 

La  nature  même  des  questions  que  le  comité  proposera,  comme 
vous  l'annoncez,  a  contribué  particulièrement  à  accroître  l'intérêt  de 
Sa  Sainteté  à  l'égard  de  cette  réunion. 

En  effet,  le  Saint-Père  ne  saurait  être  insensible  au  zèle  déployé 
par  le  comité  pour  que  les  fidèles  se  disposent  à  célébrer  son  jubilé 
épiscopal,  s'il  plaît  à  Dieu  de  lui  prolonger  la  vie  jusque-là.  Sans 
doute,  le  Saint-Père  rapporte  au  Pasteur  éternel  de  l'Eglise  tout 
honneur  qui  est  rendu  au  Vicaire  de  Jésus-Christ  ;  mais  il  reconnaît 
aussi  combien  il  est  opportun,  surtout  dans  notre  temps,  de  travailler 
à  resserrer  de  plus  en  plus  les  liens  d'amour  et  de  respect  qui  unis- 
sent les  bous  fidèles  au  Père  commun. 

Il  n'est  pas  besoin  que  je  vous  dise  combien  il  apprécie  le  soin  que 
met  votre  comité  à  exhorter  les  Italiens  à  s'occuper  avec  un  zèle  tou- 
jours plus  grand,  des  institutions  catholiques  d'enseignement.  L'en- 
seignement étant  l'arme  principale  dont  se  servent  les  ennemis  de  la 
religion  pour  la  combattre,  il  est  non  seulement  opportun,  mais  né- 
cessaire que  les  catholiques  se  servent  de  ce  moyen  pour  la  conserver 
et  la  défendre.  Le  Souverain  Pontife  a  souvent  déclaré  de  vive  voix  et 
par  écrit  combien  cela  lui  est  à  cœur. 

Il  trouve  aussi  fort  à  propos  que  le  comité  et  tous  les  invités  à  la 
réunion  s'efforcent  de  favoriser  autant  quo  possible  les  progrès  des 
Sociétés  ouvrières  catholiques.  C'est  là  un  des  remèdes  les  plus  effi- 
caces contre  la  plaie  menaçante  du  socialisme  ;  et  plus  l'action  de 
votre  réunion  sera  efficace  dans  ce  but,  plus  aussi  elle  aura  rendu 
un  signalé  service  tant  à  la  cause  de  la  religion  qu'à  celle  de  l'ordre 
public. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  317 

En  ce  qui  concerne  la  diffusion  des  sections  spéciales  de  votre 
Œuvre  pour  la  jeunesse,  je  puis  vous  assurer  que  non  seulement  le 
Saint-Père  l'approuve  et  la  loue,  mais  aussi  qu'il  estime  indispensable 
que  le  comité  y  consacre  ses  soins  les  plus  assidus.  Vous  avez  bien 
raison  de  dire  que  ces  sections  sont  comme  les  réservoirs  de  l'Œuvre. 
Aussi  le  Saint-Père  espère-t-il  que  votre  réunion  s'en  occupera  avec 
la  sollicitude  qu'il  faut  déployer  lorsqu'il  s'agit  de  la  continuation 
même  de  l'existence.  Sa  Sainteté  est  en  outre  très  heureuse  d'appren- 
dre que  beaucoup  de  ces  sections  se  préparent  activement  à  célébrer 
le  centenaire  de  saint  Louis  de  Gonzague,  car  à  une  époque  aussi 
corrompue,  il  est  à  désirer  plus  que  jamais  de  voir  se  multiplier  les 
imitateurs  de  cet  insigne  modèle  de  la  jeunesse. 

Enfin,  vous  pouvez  être  certain  que  Sa  Sainteté  désire  vivement 
aussi  la  réunion  du  congrès  général,  afin  de  rendre  efficaces  les  tra- 
vaux de  la  réunion  des  comités,  et  pour  aviser  aux  moyens  les  plus 
propres  à  réaliser  de  la  façon  la  plus  parfaite  l'unité  d'action  des 
catholiques  italiens,  qui  est,  après  la  protection  divine,  l'élément  le 
plus  puissant  pour  réaliser  les  fins  louables  que  se  propose  l'Œuvre 
dirigée  par  vous  avec  tant  de  zèle.  Et  afin  que  la  protection  divine 
seconde  les  travaux  de  la  prochaine  réunion,  le  Saint-Père  accorde 
de  grand  cœur  à  vous  et  â  tous  ceux  qui  prendront  part  à  ces  travaux 
la  bénédiction  apostolique. 
Rome,  22  avril  1890. 

M.  cardinal  Rampolla. 

France. 

Nous  apprenons  que  le  pétitionnement  pour  le  rétablissement 
des  processions  de  la  Fête-Dieu  s'est  organisé  déjà  dans  un  cer- 
tain nombre  de  villes  oii  ces  grandes  et  pieuses  solennités  ont 
été  interdites.  Nous  pouvons  citer  notamment  Tours,  Niort, 
Montpellier,  Lyon. 

En  oe  qui  concerne  cette  dernière  ville,  un  détail  touchant 
nous  est  communiqué  :  c'est  que  l'initiative  du  généreux  mouve- 
ment a  été  prise  par  quelques  ouvriers  catholiques.  La  sympa- 
thie de  tous  les  cœurs  chrétiens  soutiendra  et  encouragera  ces 
braves  gens,  ces  dignes  travailleurs,  qui,  sans  se  laisser  trou- 
bler par  tant  d'excitations  malsaines,  par  tant  d'impossibles  et 
décevantes  théories,  cherchent  avant  tout  la  gloire  du  divin 
Rédempteur,  dans  lequel  ils  savent  que  réside  notre  espérance, 
en  attendant  que  nous  y  trouvions  notre  voie  de  çalut. 

La  Compagnie  des  chemins  de  fer  de  l'Est  vient  de  prendre 


318  ANNAJUES    CA.THOLIQUES 

une  décision  relative  au  travail  des  dimanches  et  fêtes,  dont  lui 
sauront  gré  ses  nombreux  employés  et  ouvriers. 

Les  ouvriers  de  la  voie,  exceptés  ceux  chargés  de  la  surveil- 
lance, auront  congé  les  dimanches  et  jours  fériés.  Ceux  qui  sont 
employés  à  titre  permanent  et  sont  rétribués  à  l'heure  touche- 
ront néanmoins  le  prix  de  sept  heures  de  travail,  comme  s'ils 
avaient  rempli  leur  tâche  habituelle.  Pour  ceux  qui  fournissent 
ordinairement  un  travail  supérieur  à  sept  heures,  on  tiendra 
compte  des  heures  supplémentaires. 

Néanmoins,  les  ouvriers  en  congé  ne  pourront  s'éloigner  de 
leur  lieu  de  résidence  sans  autorisation  spéciale,  afin  de  parer 
immédiatement  aux  besoins  extraordinaires  du  service. 

Cette  décision  honore  la  Compagnie  de  l'Est.  Elle  a,  d'ail- 
leurs, l'intention  de  continuer  cette  amélioration,  en  assurant 
à  tout  son  personnel  le  repos  dominical  dans  la  mesure  du  pos- 
sible. 

Paris.  —  Le  mercredi  16  avril  a  été,  cette  année,  pour  l'Ins- 
titut des  Dames  de  Sainte-Geneviève  et  pour  l'église  de  Saint- 
Etienne  du  Mont,  un  jour  de  fête  intime  et  de  particulière  béné- 
diction. Une  princesse  de  la  Maison  de  France,  Madame  la 
princesse  Blanche  d'Orléans,  dernière  fille  de  Monseigneur  le 
duc  de  Nemours,  accédant  à  la  prière  des  Dames  de  Sainte- 
Geneviève,  se  faisait  agréger  à  l'Institut  et  manifestait  ainsi  sa 
tendre  dévotion  envers  la  Patronne  de  Paris. 

Saint-Dié.  —  La  Semaine  religieuse  de  Saint-Dié  publie  la 
lettre  pastorale  de  Mgr  Sonnois  à  l'occasion  de  son  arrivée  dans 
son  diocèse. 

Après  avoir  adressé  un  éloquent  adieu  à  la  terre  de  Bour- 
gogae,  puis  salué  «  l'héroïque  terre  des  Vosges,  la  noble  Eglise 
de  Saint-Dié  »,  Mgr  Sonnois  termine  cette  belle  lettre  pastorale 
par  un  souvenir  à  Mgr  de  Briey  et  par  un  hommage  à  Jeanne 
d'Arc  : 

Il  est  un  autre  hommage  que  nous  nous  ferions  un  reproche  de 
passer  bous  silence.  La  mémoire  de  Mgr  de  Bney,  notre  prédécesseur 
suc  le  siège  épiscopal  de  Saint-Dié,  s'impose  à  la  vénération  de  ses 
anciens  diocésains  et  à  la  nôtre.  En  lui,  la  noblesse  des  sentiments 
égala  celle  de  la  naissance  ;  la  fermeté  du  caractère  s'unit  à  l'exquise 
bonté  du  cœur.  Une  piété  attrayante  ajouta  un  nouveau  charme  à  la 
belle  et  grande  physionomie  d'un  prélat  digne  de  tout  respect. 

Le  souvenir  de  Mgr  de  Briey  restera  gravé  dans  vos  âmes.  L'his- 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  319 

toire  elle-même  ne  l'oubliera  point.  Il  a  tracé  un  sillon  dans  les 
annales  diocésaines,  il  faudrait  dire  dans  celles  de  la  France.  Le  pre- 
mier, il  a  conçu  le  projet  d'élever  un  monument  national  en  l'hon- 
neur de  Jeanne  d'Arc;  le  premier,  il  a  entrepris  cette  grande  œuvre. 
S'il  ne  l'a  point  achevée,  s'il  s'est  arrêté  dans  sa  route,  le  vaillant  et 
patriotique  évêque,  hélas!  vous  savez  pourquoi,  N.  T.  C.  F.!  Une 
maladie  cruelle  a  brisé  ses  forces,  mais  non  son  cœur;  une  mort 
lentement  achetée  par  la  souffrance  a  seule  retardé  la  réalisation  de 
vos  plus  ardents  désirs.  11  nous  laisse  l'héritage  de  ses  pensées  géné- 
reuses et  de  ses  grands  desseins.  Puissions-nous  marcher  sur  ses 
traces,  comme  vous  l'attendez  de  nous! 

Evêque  de  Domremy,  nous  venons  travailler  â  une  œuvre  qui  est 
à  vous,  qui  devient  la  nôtre,  et  dont  nous  revendiquons  à  la  fois  le 
péril  et  l'honneur.  Nous  venons  avec  la  vérité  historique,  avec 
l'amour  des  traditions  sacrées,  répondre  â  vos  justes  et  légitimes 
espérances. 

D'où  est  sortie  Jeanne  d'Arc?  où  a-t-elle  vu  le  jour?  Nul  en  France 
ne  l'ignore.  Elle  est  née  sur  votre  terre,  â  Domremy,  dans  l'un  de 
vos  hameaux.  C'est  là  que,  sous  un  humble  toit,  au  milieu  de  ceux 
qui  furent  vos  pères,  elle  passa  les  premières  années  de  son  incom- 
parable histoire.  C'est  là  qu'elle  entendit  les  voix  célestes  qui  annon- 
çaient la  délivrance.  C'est  de  là  qu'elle  partit  â  vingt  ans,  pour  aller 
à  Vaucouleurs,  à  Chinon,  à  Orléans,  pour  commencer,  en  un  mot, 
la  plus  merveilleuse  épopée  qui  fût  jamais.  Vous  pouvez,  vous  devez 
réclamer  ce  qui  est  votre  bien  patrimonial,  ce  qui  fait  votre  gloire, 
une  gloire  unique  au  monde,  parce  que  nul  pays  ne  vit  jamais  une 
seconde  Jeanne  d'Arc. 

Les  premières  assises  de  la  basilique  du  Mont-Chesnu  ne  nous 
attendront  pas  en  vain;  et,  s'il  plaît  à  Dieu,  nous  ne  serons  pas 
longtemps  sans  leur  faire  une  première  visite.  Nous  irons  avec  les 
populations  vosgiennes  â  ce  patriotique  et  religieux  pèlerinage.  Nous 
ferons  appel  à  la  France  :  nous  l'inviterons  au  berceau  de  Jeanne 
d'Arc.  S'il  nous  était  donné  un  jour  d'y  faire  honorer  une  sainte,  si 
Dieu  nous  réservait  la  joie  de  voir  placer  sur  nos  autels  la  Libéra- 
trice de  la  France,  notre  épiscopat  serait  comblé  des  bénédictions  les 
plus  enviées  de  notre  cœur.  En  tout  cas,  ceux  qui  aiment  la  patrie, 
ceux  qui  ont  le  culte  des  grands  souvenirs  entendront  certainement 
notre  voix.  Ils  viendront  dès  maintenant  visiter  ces  lieux  témoins 
d'une  mission  dont  le  sacre  de  Reims  fut  le  tinomphe  et  que  lo 
biicher  de  Rouen  couronna  de  l'auréole  du  martyre. 

Tels  sont  nos  pensées  et  nos  vœux.  C'est  ainsi  que  nous  voulons 
répondre  avec  vous,  avec  la  France,  et  peut-être  un  jour  avec 
l'Eglise,  au  mouvement  généreux  et  légitime  que  la  cause  de  Dom- 
remy a  récemment  soulevé  parmi  vous.  Vos  justes  émotions  nous 
ont  été  éloquemment  transmises.  Elles  ont  vivement  touché  notre 


320  ANNA.LKS    CATHOLIQUES 

cœur.  Ce  que  nous  savons  déjà,  co  que  nous  avons  entendu  et  vu,  à 
rheure  où  noua  traçons  ces  lignes,  ne  pouvait  nous  laisser  froid.  Il 
n'est  pas  possible  qu'en  venant  fouler  notre  terre  bénie,  nous  puis- 
sions rester  indiflférent.  De  concert  avec  vous  tous,  nous  relèverons 
courageusement  la  devise  de  l'héroïque  guerrière  :  «  Vive  labeur!  » 
Nous  travaillerons  tous  ensemble,  et  nous  arriverons,  c'est  notre 
espoir,  à  réaliser  une  œuvre  digne  de  notre  Jeanne  d'Arc,  digne  do 
notre  vénération  pour  elle  et  de  vos  glorieux  souvenirs.  La  Franco 
entière  y  verra  le  signe  de  notre  profond  et  religieux  respect  pour 
les  lieux  historiques  où  sa  libératrice  reçut  d'en  haut  une  mission 
miraculeuse.  Elle  y  verra  la  preuve  de  notre  amour  pour  la  plus  puro 
de  ses  gloires,  la  douce  enfant  des  Vosges  qui  lui  valut  un  jour  une 
armée,  délivra  la  patrie  et  prouva  que  le  Dieu  <ie  Clotilde  n'avait  pas 
abandonné  les  Francs. 

Versailles.  —  Ou  lit  dans  la  Semaine  religieuse  de  Ver- 
sailles : 

Le  diocèse  de  Versailles  vient  de  subir  une  douloureuse  épreuve, 
qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  s'est  heureusement  terminée.  Deux  prêtres 
<!u  même  canton,  sur  la  dénonciation  de  lettres  anonymes  attaquant 
leur  moralité,  avaient  été  arrêtés.  L'un  d'eux,  après  s'être  constitué 
prisonnier,  a  dû  être  presque  aussitôt  relâché,  tant  était  manifeste 
l'inanité  des  preuves  alléguées.  L'autre  —  on  avait  plus  habilement 
combiné  les  accusations  —  a  comparu  devant  la  cour  d'assises  de 
Seine-et-Oise;  un  acquittement  absolu  a  été  prononcé  sans  hésitation 
par  le  jury. 

On  présence  de  tels  faits,  on  s'étonne  et  on  déplore  de  voir  la 
calomnie  si  facilement  acceptée  par  ceux  qui  sont  les  tuteurs  naturels 
de  l'innocence  ot  du  droit.  Le  jury,  jugeant  >eloa  sa  conscience,  a 
beau  rendre  un  verdict  négatif,  il  reste  toujours  dans  l'esprit  dos 
populations  quelque  chose  des  soupçons  qui  ont  été  autorisés  par  la 
justice  et  les  rigueurs  qu'elle  a  pu  déployer. 

Il  est  interdit  par  la  loi  de  rendre  compte  des  débats  et  de  relater 
les  circonstances  même  les  plus  favorables  à  l'accusé,  dont  l'inno- 
cence d'ailleurs  était  proclamée  par  tous  les  témoins  journaliers  de 
sa  vie. 

Mais,  après  avoir  attentivement  suivi  ces  débats,  tout  homme 
droit  et  impartial  se  disait,  et  plusieurs  ne  craignaient  pas  d'affirmer 
tout  haut  :  le  pauvre  prêtre  est  une  victime;  seules  les  passions 
sectaires  sont  enjeu  dans  cette  affaire. 

Presque  en  même  temps,  dans  les  mêmes  parages  et  sur  d'aussi 
légers  indices,  un  troisième  ecclésiastique  s'était  vu  intenter  une 
poursuite  odieuse,  et  l'honneur  du  clorgé  n'était  pas  le  seul  com- 
promis dans  cette  accusation,  bientôt  airotée  d'ailleurs  par  l'écla- 
tante évidence  des  faits. 


LES    CHAMBRES  32] 

Le  caractère  de  notre  feuille  et  la  réserve  dont  nous  nous  faisons 
une  obligation  nous  empêchent  d'en  dire  davantage. 

A  quand  une  bonne  loi  protectrice  de  la  sécurité  des  citoyens  et 
de  l'honneur  des  familles,  qui  permette  de  demander  des  dommages- 
intérêts  ou  une  réparation  publique  à  ceux  qui,  obéissant  aux  plus 
coupables  excitations,  occasionnent  de  si  profondes  douleurs? 

Étnaugei*. 

Egypte.  —  Jeudi,  24  avril,  le  Poitou,  portant  les  membres 
du  pèlerinage  de  pénitence  aux  Lieux-Saints,  est  entré  dans  le 
port  d'Alexandrie  après  une  heureuse  traversée.  Le  lendemain, 
vendredi,  les  pèlerins  français  sont  allés  en  procession  à  la 
cathédrale,  au  milieu  d'une  foule  très  sympathique.  Toutes  les 
communautés  religieuses  de  la  ville  les  attendaient.  Le  consul 
de  France  et  son  personnel  ont  assisté  officiellement  à  la  messe, 
pendant  laquelle  Mgr  l'évêque  a  prononcé  une  allocution. 

Les  pèlerins  ont  visité  ensuite  les  œuvres  dirigées  par  les 
Pères  Jésuites  et  Lazaristes  et  les  Frères  des  Ecoles  chrétiennes. 

Le  lendemain,  le  pèlerinage  s'est  rendu  en  chemin  de  fer,  au 
Caire,  où  le  meilleur  accueil  lui  a  été  fait. 

Près  de  cette  ville,  les  Pyramides  n'ont  pas  été  oubliées.  Au 
sommet  de  ces  antiques  monuments,  de  nombreux  pèlerins  ont 
chanté  le  Magnificat  et  le  De  Profanais.  Le  dimanche,  nos 
compatriotes  se  sont  rendus  à  Matarieh,oii  ils  ont  vu  l'arbre  de 
saint  Joseph  et  la  fontaine  de  la  sainte  Vierge.  Le  saint  sacri- 
fice de  la  messe  a  été  offert  au  pied  de  l'arbre. 

Lundi  28,  la  messe  a  été  célébrée  au  vieux  Caire,  dans  la 
crypte  de  la  chapelle  de  la  Sainte-Famille,  enlevée  aux  Fran- 
ciscains par  les  schismatiques,  et  interdite  jusqu'à  présent  aux 
catholiques.  Après  leur  retour  à  Alexandrie,  les  pèlerins  se  sont 
rembarques  pour  se  rendre  à  Caïtfa,  en  Palestine,  au  pied  du 
Mont-Carmel. 


LES    CHAMBRES 
Séoat. 


Mardi  6  mai.  — M.  le  Royer  prononce  l'éloge  funèbre  de  M.  ]ila- 
gniez,  sénateur  de  la  Somme;  de  M.  Parent,  sénateur  de  la  Savoie,  et 
du  général  Gresley,  sénateur  inamovible,  décédés  pendant  les  vacan- 
ces de  Pâques. 

Le  Sénat  règle  l'ordre  du  jour  de  sa  prochaine  séance. 

Il  décide  de  nommer  dans  les  bureaux  une  commission  c'nargée  de 
l'examen  du  projet  de  loi  sur  la  captation  de  sources  pour  l'usage 
de  la  ville  de  Paris. 


322  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  BozÉRiAX  demande  que  la  date  delà  discussion  de  son  interpel- 
lation sur  les  pôcheries  de  Terre-Neuve  soit  fixée  au  16  mai. 

Chambre  des  Députés. 

Mardi  6  moi.  —  M.  le  docteur  Desprès  demande  à  interpeller  le 
frouvorn'^ment  sur  l'attitude  qu'il  compte  prendre  vis-à-vis  du  Conseil 
municipal  et.  en  particulier,  il  demande  des  explications  sur  l'aflaire 
do  l'emprunt. 

La  discussion  immédiate  est  ordonnée.  M.  Desprès  rappelle  que  des 
obligations  irréductibles  ont  été  distribuées  aux  conseillers  munici- 
paux qui  ont  bien  voulu  profiter  de  cette  faveur.  Une  enquête  a  été 
faite,  pour  la  forme.  Mais  il  y  a  eu  cortrànonient  des  abus  do  pou- 
voir, que  cette  enquête  ne  signale  point. 

Le  gouvernement  a-t-il  l'intention  de  ne  plus,  à  l'avenir,  laisser 
autant  de  liberté  ati  Conseil  municipal  do  Parie  qat,  par  tradition, 
semble  toujours  vouloir  se  mettre  au-dessus  des  lois? 

Le  préfet  de  la  Seine  jusqu'à  pi-ésent,  n'a  pas  eu  assez  d'autorité 
sur  le  Conseil.  Cela  changera-t-il  à  l'avenir? 

M.  CiiAUTEMPS  vient  ennuyer  la  Chambre  pendant  une  demi-heure, 
en  essayant  de  défendre  le  Conseil  municipal  défunt  dont  il  fit  partie. 
Il  lit  de  nombreux  extraits  du  rapport  de  M.  Strauss  sur  l'affaire  de 
l'einprunt. 

Tout  cela  est  peu  intéressant,  mémo  lorsque  M.  Chautemps 
montre  les  avantages  de  l'autonomie  communale,  depuis  si  long, 
temps  réclamée  vainement  par  lui  et  ses  amis. 

M.  CoxsTANS.  —  M.  Desprès  dit  le  mini.stre,  vient  d'attaquer  le 
Conseil  municipal  comme  s'il  était  coupable  d'un  gros  méfait- 
Aï.  Chautemps  l'a  défendu  comme  les  avocats  défen<lent  un  gros  cri- 
minel. La  question  a  été  mal  posée.  Voici  dos  explications  sur 
l'affaire  de  l'emprunt.  :.,..,.>, 

Un  des  emprunts  précédents  de  la  Ville  fut  à  peine  couvert. 
Voyant  cela,  des  conseillers  municipaux  prirent  des  obligations 
irréductibles.  Il  firent  une  mauvaise  opération. 

Cette  année,  ils  prirent  les  devants.  L'opération,  a  réussi.  Pour- 
qui>i  n'a-t-on  pas,  l'an  dernier,  critiqué  les'  actes  similaires  des  con- 
seillers municipaux  ?  (Rires.) 

Pais,  le  ministre  entre  dans  des  explications  sur  la  façon  dont  a 
été  organisé  le  lancement  de  rémisi,ion. 

Le  ministre  soulève  quelques  protestations  1"r-'^!"il  dégage  la  r-^s- 
pons  ibilité  du  gouvernement. 

îilals  la  fin  de  son  discours,  que  nou?  reproduisons  aussi' fidèlement 
que  possible  est  intéressante. 

«  Quant  à  ce  qui  e'st  de  mon  attitude  vis-â-vis  du  Conseil,  voici  : 

«  Jai  appris,  le  1«'  mai,  que  le  bureau  du  Conseil  munici;  "1  ■'  v-  it 
se  réunir  à  l'Hôtel  de  Ville  en  pernAànéUce. 


CHRONIQUE   DE   LA   SEMAINE  323 

«  J'ai  pensé  —  car  c'est  la  loi  —  que  le  préfet  seul  a  le  droit  d'être 
eu  permanence  à  l'Hôtel  de  Ville.  J'estime  que  la  loi  doit  être  res- 
pectée. J'ai  donné  l'ordre  au  préfet  de  la  Seine  de  s'établir  dans  son 
cabinet  à  l'Hôtel  de  Ville,  de  s'y  établir  et  d'y  rester.  (Très  bien. 
—  Murmures.) 

«  J'ai  pris  cette  décision,  qui  a  été  ratifiée  par  mes  collègues  et  qui, 
je  l'espère,  sera  maintenue. 

«  Le  préfet  de  la  Seine  va  achever  l'installation,  à  l'Hôtel  de  Ville, 
de  son  personnel.  Et,  j'espère  que  les  rapports  continueront  à  être 
courtois  entre  la  préfecture  et  le  Conseil  (Rires  prolongés.) 

ce  J'ai  fait  une  chose  juste  et  nécessaire.  L'autorité  du  préfet  de  la 
Seine  sera  exercée  comme  le  demande  M.  Desprès,  dans  la  limite  des 
lois. 

«  Tous  les  fonctionnaires  de  l'Hôtel  de  Ville  relèveront  du  préfet. 

«  Quant  â,  la  résidence,  au  logement  du  préfet,  à  l'Hôtel  de  Ville, 
c'est  une  question  secondaire. 

«  Alais  j'ai  l'intention  de  vous  proposer  prochainement  un  projet  de 
loi  concernant  l'organisation  municipale  de  Paris,  projet  où  toutes 
les  améliorations  pouvant  satisfaire  à  la  fois  M.  Chautemps  et  M.  Dès- 
près  seront  proposées.  »  (Rires.)  \    \ 

Après  une  réplique  de  M.  Desprès  et  quelques  récr^'mi'riâtions 
autonomistes  de  M.  Chautemps,  la  discussion  est  close. 

Deux  ordres  du  jour  approuvant  la  déclaration  du  gouvernement 
sont  déposés.  L'ordre  du  jour  pur  et  simple  est  réclamé  par  les  radi- 
caux de  l'extrême  gauche. 

M.  CoxsTAXS  repousse  l'ordre  du  jour  pur  et  simple  et  réclame 
l'ordre  du  jour  motivé  avec  confiance. 

Celui-ci  est  voté  par  plus  de  400  vois  contre  contre  55. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Les  Elections  municipales  de  Paris.  —  Opinion  de  la  presse.  — 
La  journée  du  I*""  mai.  —  Grèves  en  province.  —  Etranger. 

8  mai  1890. 
Le  premier  tour  de  scrutin  pour  les  élections  municipales  de 
Paris  n'ayant  donné  que  vingt  et  un  résultats,  il  restait  à  élire, 
dimanche,  59  conseillers. 

Voici  comment  se  classent  les  élus  : 

Conservateurs i  Ave&Oi'.j. 5 

Union  libérale .1 6 

Républicains  :  opportunistes  et  radicaux 47 

Boulangiste 1 


324  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  1"  tour  ayant  donné  8  conservateurs,  12  républicains  et 
1  boulangiste,  le  nouveau  conseil  est  ainsi  composé  : 

Conservateurs 13 

Union  libérale 6 

Républicains  :  uppoiumisies  et  riiJicau\ 59 

Boulangistes 2 

Les  quatre  ballottages  qui  avaient  lieu  dans  les  cantons  su- 
Iturbains  pour  l'élection  des  conseillers  généraux  ont  donné  la 
majorité  à  quatre  républicains.  Tous  les  conseillers  généraux 
de  la  Seine,  non  conseillers  municipaux  de  Paris,  sont  donc 
républicains. 

Le  second  tour  de  scrution  a,  comme  on  le  voit,  la  même 
signification  que  le  premier  :  défaite  des  sectaires,  succès  des 
conservateurs  et  des  modérés. 

Paris,  les  27  avril  et  4  mai  1890,  comme  la  France  entière  les 
22  septembre  et  4  octobre  1889,  a  déclaré  qu'il  ne  voulait  plus 
de  la  politique  jacobine  ;  Paris  a  condamné  l'ancien  Conseil 
municipal,  comme  la  France  avait  condamné  l'ancienne  Cham- 
bre. Cependant,  telle  est  la  force  des  situations  acquises  sur 
l'esprit  de  conservation  de  ce  peuple,  représenté  à  tort  comme 
imbu  d'idées  révolutionnaires,  que,  tout  en  condamnant  la  poli- 
tique suivie  par  les  anciennes  assemblées  du  Palais-Bourbon  et 
de  l'Hôtel-de-Ville,  le  suffrage  universel  a  nommé  en  majorité 
les  mêmes  hommes. 

L'association  opportune-radicale  reste  maîtresse  de  Paris 
comme  elle  est  restée  maîtresse  de  la  France.  La  question  est 
de  savoir  si  la  majorité  jacobine  de  l'IIôtel-de-Ville,  amoindrie 
numériquement,  et  plus  encore,  moralement,  comprendra  mieux 
la  leçon  qu'a  voulu  lui  donner  le  suffrage  universel  que  ne  l'a 
comprise  la  majorité  jacobine  du  Palais-Bourbon. 

La  défaite  des  membres  républicains  de  l'ancien  Conseil  est 
incontestable.  Ils  sortaient  cinquante-sept  ;  ils  rentrent  trente- 
trois.  Douze  seulement  ont  passé  au  premier  tour  avec  des  écarts 
très  faibles  sur  leurs  concurrents.  Les  autres  ne  sont  élus  qu'à 
des  majorités  relatives,  parfois  insignifiantes,  qui  ne  sont  en 
réalité  que  des  minorités. 

Nous  verrons  le  nouveau  conseil  à  l'œuvre  ;  mais  dés  aujour- 
d'hui nous  avons  bon  espoir.  Il  contient  d'excellents  éléments. 
Outre  la  force  morale  que  les  conservateurs  puiseront  dans  la 
majorité  qv9  nous  indiquons  plus  haut,  Uul'  nombre  s'est  accru 


CHRONIQUK    DE    LA    SEMAINE  325 

de  trois,  représentant  les  quartiers  de  l'Odéon,  de  la  Muette  et 
de  Saint-Germain-l'Auxerrois. 

Les  républicains  modérés,  élus  avec  l'appui  de  l'Union  libérale 
et  avec  le  nôtre,  sauront,  nous  en  avons  la  confiance,  tenir  les 
engagements  pris  par  eux  devant  le  corps  électoral.  Ils  rom- 
pront nettement  avec  l'ancienne  politique  jacobine. 

La  défaite  que  viennent  d'éprouver  les  boulangistes  dans  ces 
élections,  le  voyage  que  leurs  chefs  viennent  de  faire  à  Jersey, 
les  résolutions  qu'ils  sont,  dit-on,  sur  le  point  de  prendre,  tout 
donne  un  intérêt  particulier  à  l'article  que,  sous  ce  titre  :  «  La 
Défaite  »,  M.  Naquet  publie  en  tête  de  la  Presse  : 

Nous  sommes  battus,  et  bien  battus. 

Au  22  septembre,  nous  avions  perdu  les  départements,  mais  nous 
avions  à  peu  près  conservé  nos  positions  à  Paris.  Nous  nous  disions 
que  la  pression  officielle  et  la  fraude  étaient  pour  beaucoup  dans  nos 
échecs  de  province;  que  d'ailleurs,  si  même  le  courant  de  la  triple 
élection  y  avait  été  enrayé,  grâce  à  des  calomnies  et  à  des  équivoques 
sans  nombre,  rien  n'était  irrévocablement  perdu  tant  qu'on  avait  pour 
soi  la  population  de  Paris. 

Depuis  lors,  les  invalidations  de  six  députés  et  leur  réélection 
triomphale  nous  avaient  fait  croire  à  la  persistance  dans  le  départe- 
ment de  la  Seine  d'un  état  d'esprit  qui,  il  faut  bien  le  reconnaître, 
n'y  existe  plus. 

Aujourd'hui,  en  effet,  Paris  vient  d'avoir  une  grande,  une  solen- 
nelle occasion  d'exprimer  son  sentiment  et  sa  volonté.  L'élection  mu- 
nicipale, placée  sur  un  terrain  nettement  politique,  lui  permettait  de 
se  prononcer  avec  la  même  netteté  qu'au  27  janvier  18S'J  entre  le 
parti  républicain  national  et  le  gouvernement  parlementaire.  11  s'est 
prononcé  contre  nous.  Il  a  fait  contre  nous  la  coalition  qu'il  faisait 
en  notre  faveur  il  y  a  quinze  mois.  11  a  voté  pour  tous  les  candidats 
qu'on  a  voulu,  à  la  condition  d'écarter  ceux  en  qui  le  comité  national 
avait  placé  sa  confiance. 

Cette  réponse  est  péremptoire,  et  nous  ne  nous  abaisserons  pas  à 
ergoter  sur  sa  signification... 

Mais  nous  n'avons  poursuivi  qu'un  but  depuis  trois  ans  :  la  gran- 
deur de  la  patrie  et  la  consolidation  de  la  République  par  une  révi- 
sion capable  de  la  mettre  en  possession  de  ce  que  nous  considérons 
comme  son  organisme  naturel. 

Nous  avons  échoué. 

Si  le  parlementarisme  donne  tort  à  nos  critiques;  si,  fortifié  par  la 
victoire  qu'il  vient  de  remporter  et  instruit  par  les  dangers  qu'il  a 
courus,  il  est  susceptible  de  se  réformer  lui-même  et  de  donner  à  la 
France  ce  que  tout  pays  est  en  droit  d'exiger  de  son  gouvernement  : 


326  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'ordre,  le  progrès  et  la  liberté,  nul  n'agplaudira  plus  énergiquemeut 
que  nous  à  ce  résultat.  .i.in  ;  jo/nA  ï  U'^ 

Aussi  bien,  même  dans  cette  hypothèse,  malheureusement  impro- 
bable, notre  action  n'aurait  pas  été  inutile.  Un  très  grand  péril  était, 
en  effet,  seul  capable  de  déterminer  la  concentration  que  poursuivent 
les  parlementaires,  et  qui  serait  l'unique  moyen,  s'il  pouvait  en,  exis- 
ter un,  de  faire  sortir  un  gouvernement  du  parlementarisme. 

Si,  par  contre,  ainsi  que  nous  en  sommes  persuadés,  le  parlemen- 
tarisme, débarrassé  de  la  pénr  du  boulangismo,  demeure  ce  qu'il  a 
toujours  été  chez  nous,  ce  qu'il  n'a  point  encore  cessé  d'être  :  le  ser- 
vilisrae  ou  l'ànarchié  ;  et  si  alors  le  pays,  instruit  par  cette  dernière 
ex!périence,  se  décide  enfin  à  faire  avec  nous  on  avec  d'autres  ce  que 
nous  lui  avions  proposé,  il  pourra  compter  toujours,  comme  par  le 
passé,  sur  notre  dévouement  et  sur  nos  eflorts, 

,A,  l'heure  présente,  nous,  ne  pouvons  plus  le  servir  utilement  qu'en 
consentant  à  désarmer,  au  mpii^s  pour  un  temps.  , 

Il  veut  faire  ujanpuvel  essai  Ipyal  du  régime  parlementaire.  Qu'il 
le  fasse  !  Cet  essai  portera  un  enseigpement  d'autant  plus  probant 
que  nous  no  le  troublerons  pas. 

Quoi  qu'il  advienne,  du  reste,  nous  avons  déterminé  dans  le  pays 
un  mouvement  d'idées  qui  ne  saurait  être  entièrement  perdu. 

Noua  avons  semé;  la  moisson  peut-être  ne  lèvera  que  plus  tard  et 
pour  d'autres  que  pour  nous.  Qu'importe  à  des  patriotes  qui  ont  fait 
leur  devoir  et  qui  ont  la  conacience,  même  dans  la  défaite,  d'avoir 
servi  la  patrie  ! 

Le  lioulîingisrae  désarme,  pour  un  temps,  dit  M.  Naquet.  On 
croit  en  général  ù  quelque  chose  de  plus  qu'à  un  désarmement 
temporaire. 

Le  Siècle  : 

Cette  fois,  il  n'y  a  plus  à  épiloguer.  La  pulvérisation  de  ce  qui  s'est 
appelé  trop  longtemps  le  «  boulangisme  »  est  complète. 

Il  faut  espérer  que  nous  en  avons  fini  pour  toujours  avec  ce  parti, 
désormais  innommable,  puisqu'il  n'a  plus  ni  chef  ni  soldats,  puisqu'il 
ne  représente  pltis  rien  qu'une  douzaine  d'individualités  médiocres 
réunies  par  des  appétits  communs,  et  que  l'écrasement  d'hier  réduit, 
même  à  la  Chambre,  à  l'état  de  quantité  ncfrliçeable. 

Le  Rappel  : 

Le  premier  tour  avait  été  l'aplatissement  du  boulangisme,  le  second 
tour  est  l'écrasement. 

Le  Radical  : 

Capable  d'aider  les  réactionnaires,  le,  boulangisme  s'est  montré  im- 
puissant à  triompher  pour  lui-même.  Les  arrondissements  qui  pas- 


CHRONIQUE    DE   LA    SEMAINE  327 

saiont  pour  des  forteresses  de  îa  faction,  Grenelle,  Montmartre,  se 
sont  vaillamment  réhabilités. 

La  Justice  est  lyrique  : 

Paris  vient  d'effacer  jusqu'au  souvenir  du  coup  de  folie  du  27  jan- 
vier. 

Paris  reste  ce  qu'il  a  toujours  été,  l'espoir  des  opprimés,  l'effroi 
des  dictateurs,  le  soldat  toujours  debout  pour  le  droit,  la  juslice,  les 
réformes,  la  liberté. 

La  Lanterne  : 

Les  quatre  premiers  jours  de  mai  1890  compteront  comme  des 
jours  particulièrement  heureux  dans  l'histoire  de  la  République. 

V Estafette  : 

Quel  soulagement  pour  la  conscience  publique  \.\-^  i.'',o'> 
Cette  élection  a  un  autre  caractère  qu'il   importe  dès  maintenant 
de  mettre  en  lumière  :  c'est  que  la  nouvelle  majorité,  bien  que  radi- 
cale, est  loin  d'être  aussi  nombreuse  et  aussi  accentuée  que  celle  de 
l'ancien  conseil. 

La  Re'puhlique  française  : 

Le  boulangisme  est  rentré  dans  le  néant  d'où  l'intransigeance 
l'avait  fait  sortir;  M.  de  Rochefort  peut  servir  à  ses  amis  le  fameux 
décret  :  «  Il  n'y  a  plus  rien.  » 

Le  XIX^  Siècle  fait  quelques  réserves  : 

Il  ne  faudrait  cependant  pas  nous  laisser  aller  à  trop  d'enthou- 
siasme et  nous  hâter  outre  mesure  de  cri,er  :  morte  la  bête,  mort  le 
venin!  La  bête,  à  vrai  dire,  râlait    depuis  longtemps. 

Les  élections  d'hier  n'ont  fait  que  nous  débarrasser  d'une  cTiose 
morte  qui  encombrait  encore  le  chemin. 

Mais  qui  oserait  soutenir  que  le  virus  dont  le  boulangisme  est  né 
et  qui  nous  a  été  légué  par  des  siècles  de  césarismé  n'empoisonne  pas 
encore  nos  veines  ? 

Passons  aux  journaux  du  centre  gauche. 

Le  Journal  des  Débats  : 

L'Union  libérale  n'a  pas  à  regretter  d  être  intervenue  dans  la  lutte. 
Six  des  candidats  que  ses  comités  avaient  adoptés  ont  été  élus. 

L'autoaomie  communale  n'a  pas  fait  grandeifigure  dans  cette  cam- 
pagne électorale.  Les  radicaux  les  plus  violents  n'ont  pas  été  sans 
faire  quelques  concessions  â  l'esprit  qui  régnait  autour  d'eux. 

Ce  ne  sont  là  que  des  symptômes  assez  faibles  saris  doute.  Il  ne 
faut  nullement  s'attendre  à  voir  la  majorité  du  nouveau  conseil  don- 
ner des  exemples  de  modération  et  de  sagesse. 


328  AlfNALBS    CATHOl.igUKS 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ces  dernières  élections  marquent  un 
état  de  l'opinion  plus  propre  à  retenir  les  nouveaux  élus  qu'à  les 
encourager  à  suivre  les  errements  du  dernier  conseil  municipal. 

Le  Parti  national  : 

Maintenant  que  le  boulangisme  est  mort  et  que  les  ennemis  de  la 
République  sont  réduits  à  l'impuissance,  qu'on  ne  vienne  plus  nous 
parler  de  concentration  ni  de  discipline  jacobine.  Il  n'y  a  plus  qu'une 
concentration  possible  :  c'est  celle  de  tous  les  hommes  d'ordre,  de 
tous  les  citoyens  paisibles,  de  tous  les  vrais  libéraux,  contre  les 
hommes  de  désordre,  contre  les  révolutionnaires,  contre  les  anar- 
chistes de  toute  nuance  et  de  toute  origine. 

C'est  à  cette  concentration-là  qu'il  faut  désormais  travailler. 

Les  journaux  de  droite  font  avec  beaucoup  de  raison  remar- 
quer le  succès  du  parti  conservateur  : 

Le  Soleil  : 

Le  second  tour  de  scrutin  des  élections  municipales  parisiennes  a 
la  même  signification,  plus  nette  et  plus  péremptoire  encore,  que  le 
jiremier  :  défaite  des  sectaires  et  des  violents,  succès  des  conserva- 
teurs et  des  modérés. 

Le  Gaulois  : 

Le  succès  do  nos  candidats  dans  presque  toutes  les  circonscriptions 
où  ils  se  sont  présentés  —  treize  sur  seize  —  doit  nous  faire  regret- 
ter notre  timidité  et  de  n'avoir  pas  organisé  un  plus  grand  nombre 
de  candidatures. 

Quant  aux  boulangistes,  leur  échec  de  dimanche  s'est  transformé 
en  déroute  totale.  Et  nous  pouvons  répéter  ce  que  nous  disions  il  y  a 
huit  jours  :  c'est  une  affaire  liquidée. 

Quelques  malins  avaient,  comme  manœuvre  suprême,  annoncé  le 
retour  du  général. 

Quelques  naïfs  y  avaient  cru. 

Le  général  reste  et,  si  le  mot  «  abdication  »  n'était  pas  un  peu 
grotesque  dans  la  matière,  on  pourrait  dire  qu'en  s'obstinant  dans 
l'exil,  malgré  son  comité,  il  a  abdiqué. 

Le  boulangisme  a  perdu  d'abord  ses  troupes,  puis  son  chef,  et  les 
membres  de  son  état-major  sont  virtuellement  déliés  de  leur  serment 
d'obéissance  et  rendus  à  leurs  affinités  diverses  et  naturelles. 

Le  météore  est  éteint  dans  l'Océan.  C'est  d'ailleurs  désormais  son 
seul  point  de  ressemblance  avec  le  soleil. 

Le  Figaro  : 

11  serait  cruel  d'insister  sur  la  défaite  irrémédiable,  sur  l'effon" 
dremeat  absolu  de  ce  qui  fut  le  boulangisme. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  329 

U Autorité,  qui  désirait  l'alliance  des  conservateurs  avec  les 
restes  du  boulangisme,  dit  : 

Les  résultats  du  second  tour  de  scrutin  pour  les  élections  munici- 
pales sont  tels  que  nous  les  avions  prévus. 

La  multiplicité  des  candidatures  a  favorisé  les  miaistériels. 

Quant  aux  boulangistes  qui  ont  persisté  â  maintenir  leur  candida- 
ture, ils  sont  battus  partout.  Pour  eux,  c'est  un  effondrement. 


Une  élection  législative  a  eu  lieu  dimanche  dans  la  Dordogne 
(2^  circonscription  de  Périgueux).  M.  Chavoix,  républicain,  a 
été  élu  en  remplacement  de  M.  Meilhodon,  conservateur  qui 
avait  été  invalidé. 

Comme  nous  le  faisions  pressentir  il  j  a  huit  jours,  lajournée 
du  1"  mai  n'a  amené  à  Paris,  sauf  une  échauffourée  au  faubourg 
Saint-Honoré,  pas  plus  qu'en  province  et  à  l'étranger,  aucun 
des  accidents  qu'on  pouvait  redouter.  Soit  que  les  préparatifs 
militaires  aient  produit  leur  effet  d'intimidation,  soit  que  les 
meneurs  de  la  manifestation  aient  eu  assez  d'autorité  pour 
l'empêcher  de  dégénérer  en  émeute,  le  danger  a  été  heureuse- 
ment conjuré  et  M.  Constans  peut  une  seconde  fois  monter  au 
Capitule  comme  sauveur  de  la  république.  Il  n'y  a  donc  eu  ni 
émeute,  ni  révolution  :  mais  parlons  de  Vevoluiion  qui  se  pro- 
duit actuellement  dans  les  masses. 

La  date  du  1"  mai  est  loin  d'avoir  été  improvisée,  c'est  une 
résultante,  c'est  la  conséquence  logique  et  forcée  du  régne, 
beaucoup  trop  répandu  dans  les  deux  mondes,  des  politiciens. 

En  France,  notamment,  il  aurait  fallu  que  le  peuple  fut  d'une 
impassibilité  en  dehors  de  la  nature  humaine  pour  ne  pas  consi- 
dérer la  révolution  sociale  comme  chose  qu'on  allait  atteindre, 
comme  chose  acquise.  La  révolution  cosmopolite  a  toujours  eu 
des  féaux  parmi  nos  gouvernants.  Ils  ont  pris  officiellement  le 
deuil  à  la  mort  de  Garibaldi,  ils  ont  eu  des  relations  suivies 
avec  tous  les  agitateurs  de  peuples,  ils  ont  élevé  des  statues  en 
grande  pompe  aux  scélérats  qui,  sous  prétextes  d'aristos  ou  de 
curés,  coupaient  jadis  des  têtes  et  confisquaient  des  biens.  Enfin, 
depuis  vingt  ans  surtout,  ils  ont  tapissé  et  retapissé  les  murs  de 
notre  chère  France  de  millions  de  placards  flamboyants  oii 
s'étalaient  des  contes  de  mille  et  une  nuits,  les  promesses  les 
plus  alléchantes,  les  protestations   de  dévoîiment  les  plus  tou- 

24 


;:Î30  ANNALES   CATHOLIQUES 

chantes,  et  les  flatteries,  et  les  génuflexions,  et  les  protestations, 
et  les  serments  adressés  aux  ouvriers.  M.  de  Freycinet  lui- 
même  n'a-t-il  pas  déclaré  à  la  Chambre  qu'il  était  prêt  à  appuyer 
toutes  les  revendications  ouvrières  ? 

Le  peuple  devait  entrer  enfin  dans  sa  terre  promise  !  Si  les 
alouettes  ne  tombaient  pas  toutes  rôties,  au  moins  elles  tombe- 
raient prêtes  à  être  cuites.  Le  peuple,  et  c'est  bien  naturel,  a 
cru  à  toutes  ces  merveilles,  et, comme  sœur  Anne,  ne  voyant  rien 
venir,  il  s'est  lui-même,  pendant  longtemps,  leurré  avec  de 
de  vains  prétextes.  Aujourd'hui  que  la  question  ouvrière  n'a  pas 
fait  un  pas,  sous  le  régime  dont  il  attendait  tant  de  bienfaits, 
faut-il  s'étonner  de  l'inquiétude  qui  travaille  les  masses  et  les 
embrigade  sous  un  mot  d'ordre  international? 

Aujoud'hui  il  n'y  a  rien  eu,  si  l'on  peut  appeler  rien  la  vie 
d'une  ville  comme  Paris,,  suspendue  pendant  douze  heures,  la 
province  en  émoi.  Combien  de  manifestations  «  pacifiques  »  de 
ce  genre  faudrait-il  pour  paralyser  le  travail  et  compromettre 
l'avenir  du  pays?  Le  peuple  dans  la  rue  et  l'armée  sur  le  qui- 
vive,  voilà  la  phase  actuelle  de  la  question  sociale. 

Les  gens  à  courte  vue  peuvent  chanter  victoire  parce  que 
des  démonstrations  militaires,  des  arrestations  faites  à  point  ont 
prévenu  des  essais  de  guerre  civile.  Mais  demain!  Le  danger 
n'était  pas  dans  la  date  du  l»""  mai.  Il  était  dans  l'indifférence 
avec  laquelle  les  opportunistes  traitent  la  classe  ouvrière  au 
lendemain  des  élections  oii  elle  lui  a  prodigue  leurs  votes.  Le 
danger  est  danr?  la  crise  industrielle  et  commerciale  qui  sévit 
un  peu  partout;  dans  les  excitations  parties  du  congrès  socia- 
liste tenu  l'an  dernier  à  Paris. 

Ce  danger-là,  M.  Constans,  tout  habile  qu'il  soit,  ne  suffira 
pas  à  le  conjurer. 


Un  des  effets  les  plus  inattendus  de  la  manifestation  du 
1"  mai  a  été  rinstallation  du  préfet  de  la  Seine  à  l'Hôtel  de 
Yille.  Gfette  priâte  de  possession  était  motivée  en  apparence  par 
une  circonstance  exceptionnelle,  pour  ainsi  dire  de  force 
majeure,  la  vacauce  du  pouvoir  municipal  en  un  jour  d'agitation 
populaire.  Mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  la  mesure  est  défi- 
nitive. Ainsi  se  trouve  trancliée  de  fait  une  des  grosses  diffi- 
cultés pendantes  entre  l'administration  centrale  et  le  conseil 
élu  de  la  Ville  de  Paris. 


CHROJKIQUE   liE    LA    SEMAINE  331 

Cette  solution  improvisée  coïacidaiit  avec  le  renoavellement 
du  Conseil,  prend  une  importance  tofute  particulière  et  pourrait 
bien  marquer  le  début  d'une  ère  nouvelle  dans  l'histoire  de  la 
municipalité  piirisienne. 


Si  la  journée  du  l*f  mai  n'a  été  marquée  par  aucun  désordre 
grave,  en  France,  elle  n'en  a  pas  moins  eu  en  province,  dans 
le  centre  et  dans  les  départements  du  Nord,  des  suites  asse^ 
graves  où  se  sont  produites  des  grèves  assez  îiiquiétantes. 

Les  grandes  agglomérations  ouvrières  de  Roubaix,  Lille  et 
Tourcoing  sont  en  pleine  eifervescence,  et  Ton  a  dû  faire  venir 
des  troupes  de  tous  les  environs,  et  même  de  Rouen.  Les  condi- 
tions du  travail  et  du  capital  subissent  une  évolution  fatale  dont 
nous  voyons  le  début,  les  masses  ouvrières  s'unissant,  indépen- 
damment de  l'idée  de  patrie,  pour  créer  dans  les  monarchies, 
■comme  dans  les  ré.nibliques,  un  quatrième  Etat,  l'Etat  ouvrier. 

Heureusement  des  symptômes  d'apaisement  se  produisent  et  il 
y  a  lieu  d'espérer  que  le  calme  va  renaître  dans  ces  régions. 


Le  spectacle  de  la  rue,  au  1^"  mai,  a  fait  tort  à  l'Académie,  et 
les  sept  tours  de  scrutin  infligés  aux  13  candidats,  dont  deux 
profondément  inconnus,  n'ont  excité  qu'un  intérêt  relatif.  On 
en  a  retenu  seulement  que  ADL  Lavisse  et  Thureau-Dangin 
tenaient  la  corde,  que  M,  Zola  n'avait  eu  que  quelques  voix, 
que  M.  Becque  n'en  avait  qu'une,  et  qu'en  présence  d'un 
résultat  négatif,  on  s'était  ajourné  à  six  mois,  pendant  lesquels 
les  40  ne  seront  que  39.  —  Pourquoi  six  mois?  Les  esprits 
subtils  et  chercheurs  croient  savoir  qu'on  «  espère  *  que  d'ici 
à  six  mois  il  mourra  au  moins  un  académicien,  —  il  vaudrait 
mieux  deux.  Alors,  deux  ou  trois  fauteuils  étant  à  distribuer, 
les  divers  groupes  pourront  «'entendre. 


Le  ministre  des  affaires  étrangères,  M.  Ribot,  a  envoyé  à 
M.  d'Aubigny,  ministre  de  France  au  Caire,  le  texte  des  propo- 
sitions françaises  concernant  la  conversion  de  la  Dette  égyp- 
tienne. L^  France  a  adhéré  à  la  conversion  immédiate  de  la 
Dette  égyptienne,  sous  réserve  expresse  que  l'emploi  des  fonds 
résultant  de  la  conversion  et  représentant  un  bénéfice  annuel  de 
sept  millions,  ne  pourra  être  fait  qu'en  vertu  d'un  arrangement 


332  ANNALES    CATHOLIQDKS 

ultérieur,  à  établir  avec  le  concours   et   le   consentement   de 
toutes  les  puissances  signataires  du  traité  de  1885. 

Cette  réserve  a  une  grosse  importance.  On  sait,  en  effet,  que 
l'Angleterre  comptait  appliquer  ces  fonds  à  l'organisation  de 
8on  occupation,  aux  frais  d'entretien  de  son  armée  et  au  pave- 
ment de  ses  très  nombreux  fonctionnaires  qui  inondent  l'Egypte. 
L'Angleterre,  qui  a  tant  poussé  à  la  conversion,  acceptera- 
t-elle  ces  conditions  qui  lui  enlèvent  toute  possibilité  d'en  tirer 
profit  et  eu  restreignent  les  avantages  à  l'Egjpte  seule? 


Le  Dictionnaire  des  Dictionnaires 

D'après  le  vœu  exprimé  dans  de  très  nombreuses  lettres, 
l'éminent  directeur  du  Dictionnaire  des  Dictionnaires,  avant 
de  clore  la  liste  des  souscriptions  privilégiées,  se  propose  d'en 
rendre  l'accès  facile  à  tous  les  budgets;  à  cet  effet,  il  accorde 
de  plus  longs  délais  de  paiement.  Ceux  de  nos  lecteurs  qui 
n'ont  pu  le  faire  profiteront  de  cette  excellente  occasion.  Nous 
n'avons  plus  à  faire  l'éloge  de  cette  œuvre  magistrale,  unique 
en  son  genre.  (Les  autres  inspirées  par  l'esprit  de  laïcisation 
contiennent  plus  ou  moins  des  infiltrations  anticatholiques.) 
C'est  pourquoi  cette  publication  est  accueillie  dans  le  monde 
entier  avec  un  véritable  enthousiasme.  Toutes  les  personnes 
qui  ne  séparent  pas  l'instruction  de  la  religion,  qui  ont  pour 
devise  :  Foi  et  Science,  Dieu,  Patrie,  veulent  posséder  ce 
recueil  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne,  qui  est  toute 
une  bibliothèque  [quatre-vingts  millions  de  lettres,  la  matière 
de  80  vol.  m-8°j.  Une  ingénieuse  combinaison  en  facilite  l'acqui- 
sition à  ceux  qui  souscriront  sans  retard.  On  trouvera  aux 
annonces  la  circulaire  explicative  et  le  bulletin  de  sous- 
cription. 


EMIN  PACHA  ET  STANLEY  (1) 

La  lumière  est  suffisamment  faite  maintenant  sur  les  trames 
diplomatiques  qui  doublaient  l'aventureuse  et  «  philanthropi- 
que »  expédition  de  Stanley.  Chacun  de  son  côté,  Stanley  et 
Emin,  a  dit  le  secret  qu'il  avait  gardé  si  longtemps.  Le  corres- 
pondant du   Neir-York  Herald,  c^m  a  été  interviewer  à  Brin- 

(1)  Extrait  du  Temps. 


EMIN  PACHA  ET  STANLEY  333 

disi  son  illustre  confrère,  s'est  fait  le  porte-parole  de  Stanley. 
Le  voyageur  africaniste  Paul  Reichard,  dans  une  conférence 
tenue  à  Berlin,  a  été  l'interprète  des  rancœurs  d'Emin  pacha. 
Les  révélations  de  l'un  et  de  l'autre  concordent  au  fond.  Elles 
ne  sont  pas  de  nature  à  calmer  les  appréhensions  que  l'entrée 
d'Emin  pacha  au  service  allemand  a  fait  naître  à  Londres. 

Stanley  a  dit  au  correspondant  du  Herald  :  «  Voici  les  faits  : 
J'ai  proposé  à  Emin  ou  de  rester  et  de  recevoir  1,500  livres  par 
an  avec  une  subvention  de  12,000  livres;  ou  d'être  conduit  dans 
une  autre  partie  de  l'Afrique  et  d'y  rester  comme  gouverneur; 
ou  de  me  suivre  à  la  côte.  »  Ce  sont  des  demi-aveux.  Emin  se 
charge  lui-même  de  les  préciser.  Dans  une  conversation  entre 
Emin  et  le  fils  du  représentant  de  la  Société  allemande  de  l'Est 
africain  à  Zanzibar,  le  plan  ou  pour  mieux  dire  les  plans  de  Stanley 
sont  dévoilés  avec  une  clarté  qui  ne  laisse  rien  à  désirer.  Ce 
sont  des  arrangements  à  double  et  triple  fin;  un  prodigieux 
déballage  de  combinaisons  à  la  fois  identiques  et  opposées,  qui 
achèvent  de  nous  montrer  en  Stanley  l'un  des  plus  grands  amu- 
seurs de  ce  temps. 

Une  analyse  cursive  gâterait  tout.  Voici  donc  littéralement 
l'essentiel  de  la  conversation  d'Emin  transmise  à  M.  Paul  Rei- 
chard : 

Emin  était,  au  commencement  de  mars,  à  Zanzibar.  Il  se  plai- 
gnait amèrement  que  Stanley  se  fût  exprimé  sur  son  compte 
avec  dédain,  et  surtout  qu'il  eût  dit  à  des  correspondants  que 
lui,  Emin,  ne  s'était  décidé  à  quitter  Wadelaï  que  sur  l'oflre 
d'un  subside  de  12,000  livres. 

Puisque  Stanley  parlait  ainsi,  Emin  ne  se  croyait  plus  obligé 
au  silence,  mais  allait  dire  nettement  ce  qu'on  lui  avait  offert. 
En  premier  lieu,  Stanley  lui  avait  offert,  de  la  part  du  roi  des 
Belges,  d'entrer  au  service  de  l'Etat  du  Congo  avec  le  grade  de 
général,  tout  en  restant  gouverneur  de  Wadelaï,  en  fixant  lui- 
même  le  chiffre  de  son  traitement  et  en  percevant  12,000  livres 
pour  frais  d'administration,  somme  qu'il  se  procurerait  par  le 
commerce  de  l'ivoire,  etc. 

Seconde  proposition  au  nom  de  la  Comxjagnie  anglaise  de 
l'Est  africain  :  Emin  devait  rassembler  les  troupes  dont  il  pou- 
vait disposer,  deux,  trois  ou  quatre  mille  hommes,  accompagner 
Stanley  au  Sud-Ouest,  sur  la  rive  du  Victoria  Nyanza,  et  s'ins- 
taller à  Kavirondo;  de  là  rayonner  et  fonder  des  stations  sur  les 
points  qu'il  jugerait  favorables. 


334  ANNALES   CATHOLIQUES 

Pendant  ce  temps,  Stanley  lui-même  irait  à  trayers  le  paTs 
des  Massai'  vers  Mombassa,  d'où  il  ramènerait  à  Emin  deux 
vapeurs  démontables.  Ces  deuï  vapeurs  auraient  servi  à  Emiii 
et  à  une  partie  de  sa  troupe  pour  des  expéditions  vers  l'Ouganda 
et  rOunioro.  La  conquête  faite,  Emin  avait  une  nouvelle  pro- 
vince lui  servant  de  base  pour  s'afancer  peu  à  peu  vers  son 
ancien  gouvernement  de  Wadelaï  et  aboutir  à  l'union  des  deux 
territoires  qu'il  continuerait  à  gouverner  au  nom  et  pour  le 
compte  de  la  Compaç^ie  angtaisie  de  l'Est  africain. 

Voilà  les  deux  propositions  sommairement  indiquées  par  Stan- 
ley tout  à  fait  expliquées;  elles  sont  tout  à  fait  divergentes. 
L'une  avantageait  l'Etat  du  Congo  aux  dépens  de  la  Compagnie 
anglaise  et,  qui  plus  est,  de  în  politique  anglaise  dans  le  Soudan 
égyptien.  L'autre,  tout  au  contraire,  faisait  les  affaires  de  la 
Compagnie  anglaise  en  frustrant  la  ci'éation  du  roi  des  Belges. 
Avec  une  parfaite  désinvolture,  Stanley,  après  avoir  déballé  ces 
deux  plans,  disait  à  Emin  :  «  Je  vous  conseille  plutôt  d'accepter 
la  seconde  combinaison,  celle  pour  le  compte  de  la  Compagnie 
anglaise.  » 

Emin  se  réservait;  on  sait  comme  il  a  hésité,  combien  de 
temps  il  a  laissé  attendre  sa  réponse.  Il  ne  se  prononçait  pas, 
mais  il  est  une  crainte  que  Stanley  avait  par-dessus  tout  :  celle 
de  le  voir  rester.  Il  appréhendait  déjà  que,  séparé  de  l'Egypte 
depuis  si  longtemps,  Emin  ne  finit  par  faire  sa  jonction  avec  les 
Allemands,  si  ceux-ci  devenaient  entreprenants.  Si  Emin  n'ac- 
ceptait pas  l'une  ou  l'autre  combinaison,  il  fallait  qu'il  suivît 
Stanley  et  quittât  l'Afrique. 

A  la  fin,  Stanley  mit  le  marché  à  la  main  du  sauvé  malgré 
lui  :  il  devait  se  décider  ou  partir  avec  Stanley,  sans  quoi  Stan- 
ley, s'emparerait  de  sa  provision  de  poudre  et  le  laisserait 
sans  défense  au  milieu  de  son  ancien  gouvernement  mutiné. 
Emin  partit;  on  devine  dans  quelles  dispositions  de  reconnais- 
sance. Le  charlatan,  en  somme,  avait  échoué,  mais  il  croyait 
tenir  la  vipère.  On  sait  comment  un  accident  opportun  débar- 
rassa Emin  de  son  terrible  sauveur.  pt'  ^O't 

Stanley  gardait  cependant  son  idée  fixe.  Puisqu'il  n'avait  pu 
confisquer  Emin,  restait  un  dernier  moyen  de  l'empêcher  de 
passer  au  service  allemand.  C'est  alors  qu'il  suggéra  au  khédive 
l'idée  de  rappeler  Emin  au  Caire  et  de  le  retenir  en  Egypte, 
même  par  des  chaînes  dorées.  La  résolution  d'Emin  fut  le  der- 
nier épisode  de  cette  amusante  lutte. 


LES    LOIS    DE    MAI  331- 

Des  dépêches  de  Berlin  annoncent  que  la  divulgation  de  cette 
diplomatie  a  fortement  indisposé  contre  Stanley  l'opinion  alle- 
mande, naguère  si  favorable  et  presque  lyrique. 


LES  L'OIS  DE  MAI 

L'œuvre  néfaste  des  Lois  de  mai  survivra-t-elle  à  son  auteur? 
Voici  le  mois  qui  les  a  vu  naître;  il  pourrait  bien  être  enfin  le 
mois  qui  les  verra  définitivement  disparaître. 

La  discussion  du  budget  des  cultes,  à  la  Chambre  prussienne, 
a  naturellement  ramené  la  question  à  l'ordre  du  jour.  M.  Windt- 
horst,  qui  avait  déclaré  à  M.  de  Caprivi  son  intention  d'exposer 
en  temps  opportun  les  revendications  des  catholiques,  a  tenu  sa 
promesse. 

M.  Windthorst  a  énuméré  tous  les  desiderata  du  centre  catho- 
lique. Il  a  demandé  d'abord  le  rétablissement  au  ministère  des 
cultes  et  de  l'instruction  publique  de  la  section  pour  les  aôaires 
catholiques  qui  existait  sous  le  roi  Frédérie-Crnillaume  IV  et 
que  l'empereur  Guillaume  I"  lui-même  avait  déclaré  une  insti- 
tution utile.  Si  le  ministre  des  cultes  doit  être  protestant,  il 
serait  bon,  en  observation  du  droit  constitutionnel  de  parité, 
qu'il  y  eût  au  ministère  un  sous-secrétaire  d'Etat  catholique, 
ou  du  moins  un  nombre  suffisant  de  conseillers  catholiques  pour 
instruire  et  rapporter  les  aôaires  religieuses  concernant  cette 
confession. 

L'orateur  du  centre  a  demandé  encore  que  l'on  réglât  définiti- 
vement les  questions  concernant  l'instruction  des  futurs  prêtres 
et  la  nomination  des  curés  et  des  desservants.  Actuellement  on 
ne  peut  envoyer  les  élèves  en  théologie  catholique  à  Rome  sans 
risquer,  quand  ils  se  présenteront  pour  être  nommés,  un  veto 
de  l'Etat.  luV^ 

M.  Windthorst  demande  encore  que  l'inspection  des  écoles 
ait  un  caractère  confessionnel,  que  l'on  abolisse  la  loi  permet- 
tant la  saisie  des  traitements  des  prêtres,  loi  qui  a  contribué  à 
frayer  la  voie  au  socialisme  en  paraissant  légitimer  la  prise  du 
bien  d'autrui. 

Il  faudrait  également  que  l'on  présentât  à  la  Chambre  un  pro- 
jet tendant  à  restituer  les  sommes  qui  ont  été  ainsi  confisquées. 

Un  autre  vœu  de  M.  Windthorst  et  des  catholiques  est  le  re- 
tour de  tous  les  ordres  religieux  sans  exception.  Actuellement 


336  ANNALES    CATHOLIQUES 

il  y  a  des  ordres  d'hommes  et  de  femmes  qui  sont  encore  exclus 
de  Prusse,  les  Capucins  par  exemple. 

«  L'empereur,  dit  M.  Windthorst,  a  déclaré  naguère  expres- 
sément que  l'Eglise  et  l'école  doivent  réunir  leurs  efforts  contre 
les  partis  révolutionnaires.  Si  vous  voulez  combattre  avec  suc- 
cès les  partis  révolutionnaires  dans  les  pays  catholiques,  rendez- 
nous  nos  religieux,  et  je  vous  garantis  que  tout  rentrera  dans 
l'ordre.  » 

Enfin  M.  Windthorst  s'oppose,  à  ce  que  les  églises  catholiques 
soient  mises  à  la  disposition  des  vieux-catholiques. 

M.  de  Gossler,  ministre  des  cultes,  répond  que  le  gouverne- 
ment n'est  pas  en  état  de  satisfaire  à  tous  ces  désirs;  il  dit 
qu'une  religion  déterminée  ne  peut  pas  demander  à  être  repré- 
sentée au  ministère,  mais  que  les  affaires  catholiques  sont  con- 
fiées aux  soins  de  fonctionnaires  catholiques,  et  que  l'on  prend 
conseil  des  catholiques  dans  les  questions  relatives  aux  écoles 
et  universités  catholiques. 

M.  de  Gossler  déclare,  en  outre,  qu'il  faut  que  les  évêques 
continuent  à  prendre  des  engagements  vis-à-vis  de  l'Iiltat.  Il 
ajoute  qu'un  projet  de  loi  concernant  la  suppression  des  traite- 
ments sera  présenté  dans  quelques  jours  à  la  Chambre.  Il  fait 
remarquer  que  le  ministère  n'a  reçu  aucune  plainte  concernant 
l'usage  que  les  vieux-catholiques  font  des  églises.  Le  ministre 
termine  en  affirmant  que,  relativement  à  l'admission  des  ordres 
religieux,  on  ne  peut  pas  lui  reprocher  d'agir  d'une  façon  arbi- 
traire. 

M.  Knœrcke,  au  nom  des  progressistes,  et  M.  de  Zedlitz,  au 
nom  des  conservateurs  libres,  ont  parlé  contre  le  projet  de 
M.  Windthorst  relatif  aux  écoles  et  contre  le  rétablissement  au 
ministère  des  cultes  de  la  section  des  affaires  catholiques. 

M.  Windthorst  leur  répond  en  se  plaignant  que  l'on  ne  main- 
tienne pas  l'égalité  des  confess*l)ns  dans  le  domaine  scolaire. 
€  Nous  ne  nous  laisserons  pas  décourager,  dit-il,  répondant  aux 
dernières  paroles  de  M.  ^e  Zedlitz.  Chaque  année,  nous  présen- 
terons de  nouveau  nos  propositions  à  la  Chambre,  jusqu'à  ce 
que  nous  ayons  réussi  à  vous  convaincre.  » 

La  conviction  ne  sera  pas  longue  à  venir  pour  peu  que  M.  do 
Caprivi  et  l'empereur  y  mettent  de  la  bonne  volonté. 

Le  mauvais  génie  de  M.  de  Bismarck  n'est  plus  là  pour 
revendre  en  détail  les  droits  des  catholif|ues.  Espérons  que  le 
nouveau  régime  procédera  plus  lo^'alement. 

Le  garant  :   P.   Ghantrel. 

Pans.  lini>.  li.   Picquoin,  53,    rue  de   Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


DISCOURS  DE  S.  S.  LE  PAPE  LEON  XIII 
Aux  pèlerins  Allemands,  dans  l'audience  du8  mai. 

»  Il  est  heureusement  arrivé,  comme  vous  venez  de  l'indi- 
quer, chers  Fils,  que  votre  pèlerinage  à  Rome  coïncide  avec 
l'année  où  des  honneurs  particuliers  sont  décernés  à  ce 
Pontife  très  saint  issu  de  la  race  des  Anicius  et  que  le  juge- 
ment unanime  des  siècles  a  surnommé  le  Grand. 

Qui  fut  plus  digne,  en  effet,  que  saint  Grégoire  du  souvenir 
reconnaissant  de  la  postérité?  C'est  lui  qui,  en  des  temps 
malheureux,  au  milieu  de  la  ruine  même  de  la  grandeur 
romaine,  fut  presque  seul  àjeter  de  l'éclat,  digne  d'être  égalé 
aux  plus  illustres  des  Romains.  Ce  qu'il  y  a,  dans  ses  mérites, 
d'insigne  et  de  mémorable  par  dessus  tout,  c'est  que,  grâce 
à  sa  vertu  et  à  son  esprit  éminent,  il  fit  sortir  du  trouble 
profond  de  l'Italie  et  des  redoutables  périls  de  la  situation 
la  civilisation  chrétienne  des  peuples  émergeant  comme  d'un 
suprême  naufrage,  et  l'achemina  à  de  nouveaux  progrès. 

La  succession  des  temps  amena  ensuite  d'autres  tempêtes 
et  d'autres  bouleversements  ;  néanmoins,  les  bienfaits  de 
cette  œuvre  si  grande  ne  restèrent  point  circonscrits  au 
siècle  de  saint  Grégoire,  ni  aune  seule  contrée,  mais  ils  se 
sont  amplement  étendus  aux  âges  suivants,  principalement 
par  le  ministère  de  ceux  k  qui  a  passé  en  héritage,  comme 
transmise  de  la  main  à  la  main,  la  dignité  pontificale.  Jamais, 
en  effet,  dans  le  cours  des  siècles,  la  sollicitude  et  la  vigi- 
lance des  Pontifes  romains  n'ont  fait  défaut  pour  sauve- 
garder et  développer  ce  que  saint  Grégoire,  au  prix  d'im- 
menses labeurs,  avait  préservé  et  par  quoi,  avec  l'intégrité 
de  la  religion,  la  vraie  civilisation  est  garantie.  L'Europe  a 
senti  l'opportunité  et  l'efficacité  du  secours  des  Papes  toutes 
les  fois  qu'elle  s'est  trouvée  en  proie  à  ces  épreuves  et  à  ces 
tourmentes  dont  les  monuments  de  l'histoire  gardent  le 
souvenir. 

Lxxii  —  17  Mai  1890  25 


338  ANNALES    CATHOLIQUES 

Certes,  si  les  hommes  considéraient  tout  cela  dans  un 
esprit  d'équité,  s'ils  appréciaient  avec  impartialité  la  vertu 
et  la  nature  de  l'Eglise,  en  imposant  silence  aux  suspicions 
et  aux  passions  diverses  qui  troublent  le  jugement,  il  n'est 
pas  douteux  que  la  haine  obstinée  qui  est  portée  à  l'Eglise 
et  la  guerre  qui  lui  est  faite  cesseraient  aussitôt  ;  car,  même 
au  seul  point  de  vue  de  l'utilité,  quelle  sagesse  peut-il  y 
avoir  à  rejeter  volontairement  la  source  de  bienfaits  la  plus 
abondante? 

Oui,  comme  Nous  l'avons  souvent  rappelé,  ils  se  trom- 
pent grandement  ceux  qui,  au  mépris  des  témoignages  des 
âges  passés,  nient  que  l'Eglise  assure  de  grands  avantages 
aux  nations  et  aux  Etats.  Il  est  certain  que  de  nombreux  et 
utiles  remèdes  seraient  apportés  aux  maux  présents,  si  la 
divine  vertu  de  l'Eglise  pouvait,  les  obstacles  étant  écartés, 
exercer  son  influence  sur  les  particuliers  et  sur  les  peuples. 
En  ce  qui  vous  concerne,  chers  Fils,  il  y  a  lieu  pour  Nous 
de  vous  féliciter,  car  l'Allemagne,  votre  patrie,  Nous  permet 
aujourd'hui  de  Nous  reposer  un  peu  de  Nos  longues  craintes 
et  de  Nos  préoccupations  passées.  L'on  semble  incliner,  en 
effet,  à  renoncer  à  ces  sentiments  et  à  ces  lois  funestes  qui 
avïiient  engendré  la  guerre,  pour  en  venir  à  de  plus  justes 
conseils.  Ces  conseils  pacifiques,  à  beaucoup  d'égards,  qui 
ont  prévalu  en  ces  dernières  années,  Nous  espérons  qu'ils 
s'accentueront  de  plus  en  plus  dans  le  même  sens,  de  façon 
que  l'Eglise  puisse  respirer  entièrement  affranchie  des  cala- 
mités passées. 

Nous  ne  cessons  pas  cependant,  chers  Fils,  de  Nous 
préoccuper  de  vous.  Au  milieu  des  difficultés  dont  Nous 
sommes  entouré  ici,  rien  ne  Nous  tient  plus  à  cœur  que  de 
voir  l'Eglise  jouir  dans  l'empire  d'Allemagne  d'une  pleine 
liberté,  solidement  garantie. 

Plusieurs  circonstances  nous  permettent  d'espérer  l'ac- 
complissement de  ce  que  Nous  désirons  :  l'élévation  et  la 
droiture  d'âme  de  l'empereur  ;  la  constance  des  hommes 
qui  défendent  depuis  si  longtemps,  avec  la  plus  grande 
énergie,  au  Parlement,  les  droits  de  l'Eglise  ;  enfin  la  con- 
corde admirable  de  tous  les  catholiques  allemands. 


LA  QUESTION  ROMAINE   INTERNATIONALE  33^ 

En  attendant,  votre  présence  et  les  sentiments  que  tous 
ayez  manifestés  Nous  ont  procuré  une  douce  consolation  qui 
Nous  a  été  d'autant  plus  agréable  que  Nous  souffrons  plus 
de  la  violation  si  prolongée  des  droits  du  Siège  Apostolique. 

C'est  donc  avec  gratitude  et  avec  une  affection  paternelle 
que  Nous  vous  donnons,  comme  gage  des  biens  célestes,  la 
bénédiction  apostolique  à  vous,  à  vos  familles  et  à  tous  les 
catholiques  allemands. 


LA  QUESTION  ROMAINE  INTERNATIONALE 

Le  deuxième  Congrès  catholique  de  l'Espagne  va  s'ouvrir  à 
Saragosse.  Parmi  les  thèses  sur  le  Pouvoir  temporel  qui  y  seront 
discutées  figure  la  suivante  ;  «  Dans  le  rétablissement  de  la 
souveraineté  temporelle  du  Pontife  romain  sont  intéressés  non 
seulement  sa  dignité  et  son  indépendance,  mais  encore  le  droit 
de  tous  les  catholiques  et  le  bien  des  Etats.  » 

Nous  sommes  heureux  de  constater,  par  la  proposition  de 
cette  thèse,  que  la  Question  romaine  a  fait  un  pas  immense  et 
qu'elle  commence  à  se  montrer  sous  son  véritable  aspect.  Jus- 
qu'ici, en  effet,  nous  avons  bien  entendu,  de  temps  à  autre,  une 
protestation  isolée,  mais  ni  les  gouvernements  ni  les  masses  ne 
considéraient  la  liberté  et  l'indépendance  du  Pape  comme  une 
question  internationale. 

Chose  étrange  et  qu'il  faut  pourtant  bien  constater,  à  la  honte 
de  notre  siècle  :  nous  assistons  au  spectacle  sublime  d'un  Pon- 
tife prisonnier  qui,  par  une  généreuse  initiative,  envoie  dans 
toute  l'Europe  un  nouveau  Pierre  l'Ermite  pour  revendiquer  la 
liberté  des  malheureux  nègres  de  l'Afrique;  les  peuples  chré- 
tiens s'émeuvent  et  s'ébranlent;  déjà  s'organisent  de  véritables 
croisades  qui  iront  combattre  les  Arabes  esclavagistes.  Et  cepen- 
dant les  gouvernements  restent  indifférents  à  la  condition  d'hu- 
miliante captivité  oii  est  réduit  le  Chef  suprême  de  l'Eglise;  ils 
paraissent  n'avoir  nul  souci  de  sa  liberté,  bien  plus  nécessaire 
et  plus  sacrée  que  celle  des  esclaves  Jioirs  !  Est-ce  que,  après 
vingt  ans  d'un  coupable  silence,  l'Europe  officielle  aurait  honte 
de  revenir  sur  la  complicité  lâche  et  complaisante  qui  a  permis 
à  la  Révolution  couronnée  l'usurpation  de  Rome  ?  Affamée  d'or 
et  de  bien-être,  distraite  et  affairée,  trouve-t-elle  peutrêtre  plus 


340  ANNALES    CATHOLIQUES 

commode  de  se  reposer  sur  cette  monstrueuse  théorie  des  faits 
accomplis,  admise  comme  une  espèce  d'axiome  par  la  diplo- 
matie contemporaine? 

Cependant  les  économistes  crient  au  péril  social;  les  gouver- 
nements affolés  cherchent  une  digue  au  flot  montant  du  socia- 
lisme brutal  et  impitoval^le  ;  la  vieille  Europe  tremble  sur  ses 
br^es;  et  le  Pape  est  toujours  captif!  Quand  donc,  hommes 
d'Etat;  quand  donc,  philosophe?,  ouvrirez-vous  les  yeux?  Vous 
vous  bornez  à  constater  mélancoliqnen^.ent  le  mal  qui  nousrong-o 
et  nous  précipite  rapidement  à  la  ruine;  vous  cherchez  des 
I»alliatifs  superficiels  et  éphémères  à  cette  invasion  nouvelle, 
plus  terrible  que  celle  des  barbares,  et  vous  ne  songez  pas  au  to- 
mède,lo  seul,  le  vrai,  qui  vous  est  indi'juo  et  offortpar  la  Papauté 
trahie,  laquelle,  plus  d'une  fois  déjà,  a  sauvé  la  société  euro- 
péenne de  cataclysmes  épouvnntî\bles!  Vous  r.e  voyez  pas  que, 
en  laissant  profaner  par  la  main  criminelle  du  satanisme  in- 
carné, je  veux  dire  par  la  Maçonnerie,  le  plus  certain,  le  plus 
nécessaire,  le  plus  noble  et  le  plus  saint  des  droits,  vous  ouvrez 
lu  porto  aux  passions  les  plus  dévergondées  et  les  plus  sau- 
vages? Mais  à  qni  donc  feroz-vous  encore  admettre  le  droit  do 
I  voprièté,  si  vous  laissez,  sans  mot  diro,  voler  sous  vos  yeux  et 
U'teuir  comme  une  con(]nôte  définitive  lo  domaine  le  plus  légi- 
timement possédé  qui  ait  jamais  existé  au  monde?  Car  tous  les 
oi\:.'uments  les  plus  concluants  démontrent  clair  comme  le  soleil 
la  nécessité  et  l'inviolabilité  du  Pouvoir  temporel  des  Papes. 

Il  y  a  plus  de  onzij  siècles  qu'ils  ont  reçu  des  mains  do  leurs 
nr.turels  propriétaires  les  Etats  pontificaux,  par  une  donation 
irrévocable,  lihrement  voulue  et  librement  nccoptéo.  L'histoire 
a  consacré  ce  don  royal,  devenu  nécessaire  au  libro  exercice  de 
la  mission  civilisatrice  et  spirituelle  delà  Papauté.  La  tradition 
et  lo  consentement  unanime  des  peuples  l'ont  ratifiée  et  res- 
pectée. Il  a  fallu  arriver  à  notre  siècle  de  lumière  }>our  rencon- 
trer des  politiciens  qui  ferment  les  yeux  à  l'évidence,  pour 
rencontrer  des  gouvernements  ingrats  dont  l'épée  s'émousso 
devant  un  brigandage  aussi  révoltant  que  l'occupation  des  Etats 
du  Saint-Siège.  On  punit  un  vol  commis,  la  nuit,  au  préjudice 
du  dernier  des  citoyens  et  on  laisse  perpétrer  au  grand  jour  la 
plus  inique  spoliation  qu'ait  enregistrée  l'histoire.  Et  l'on  vient 
nous  clianter  dans  les  oreilles  qu'il  faut  des  accommodements 
avec  les  idées  do  son  siècle,  avec  la  marche  du  progrès  moderne; 
et  il  y  a  dei?  catholiques,  des  conservateurs,  des  gens  sensés  qui 


DES  PAROISSES  ET  DES  CURKS  341 

se  laissent  berner  par  de  pareils  sophisnies  et  qui,  à  force  de  les 
entendre,  finissent  par  s'y  habituer  et  par  se  faire  à  la  situation  ! 
Ah  !  on  a  bonne  grâce  de  vanter  notre  progrès  à  reculons  qui 
nous  ramène  à  la  barbarie,  en  nous  enlevant  toute  notion  du 
juste  et  de  l'injuste  ;  on  a  bonne  grâce  de  célébrer  les  idées  mo- 
dernes qui  font  table  rase  des  fondements  séculaires  de  notre 
société!  Seulement,  reste  à  voir  si  la  fin  de  notre  siècle  ne 
réserve  pas  un  cruel  démenti  à  ces  dithyrambes  pompeux  et 
forcés.  N'assistons-nous  pas  aux  préludes  d'un  bouleversement 
dont  les  eftets  s'annoncent  effi-oyables?  On  a  beau  dire.  Posez 
les  prémisses  :  la  logique  des  faits  vous  pousse  inévitablement 
aux  conséquences. 

Mais  j'ai  iieut-ètre  tort  de  me  montrer  pessimiste.  Ce  que  les 
gouvernements  n'ont  pas  fait,  en  abandonnant  lâchement  la 
Papauté,  les  peuples  se  chargeront  sans  doute  de  le  faire. 

Par  une  disposition  qui  paraît  providentielle,  toutes  les  grandes 
choses  semblent  devoir  se  faire  désormais  par  le  peuple.  C'est 
l'initiative  privée  des  sociétés  qui  prendra  sur  elle  la  solution 
des  grandes  questions  pendantes  et  en  particulier  de  l'éternelle 
Qiiestion  romaine.  LeS'  trônes  ont  failli  à  leur  mandat,  il  faut 
bien  que  Lis  individus  le  reprennent  et  l'accomplissent  à  leur 
place.  (Courrier  de  Bruxelles.) 


DES  PAROISSES    ET   DES   CURES 
(Suite  et  fin. — Voir  le  numéro  précédent  ) 

Histoire  de  V amovibilité ,  en  France. 

La  France,  comme  toutes  les  autres  parties  de  l'Eglise,  a 
toujours  eu  des  curés  amovibles.  En  1802,  toutes  les  paroisses 
furent  supprimées  par  le  Concordat  et  rétablies  ensuite  par  les 
évéques  autorisons  par  le  Souverain  Pontife  et  agissant  de  con- 
cert avec  le  gouvernement.  C'est  ce  qui  résulte  des  articles  9, 
10  et  14  du  Concordat. 

Art.  9.  «  Les  évcques  formeront  une  nouvelle  circonscription 
des  paroisses  de  leurs  diocèses,  qui  n'aura  d'efiet  qu'après  le 
consentement  du  gouvernement.  » 

Art.  10.  «  Les  évoques  nommeront  aux  cures.  Leur  choix  ne 
pourra  tomber  que  sur  des  personnes  agréées  par  le  gouverne- 
ment. » 


342  ANNALES   CATHOLIQUES 

Art.  14.  «  Le  gouvernement  assurera  un  traitement  conve- 
nable aux  évèques  et  aux  curés  dont  les  diocèses  et  les 
paroisses  seront  compris  dans  la  circonscription  nouvelle.  » 

Art.  CO.  <  Il  sera  établi  autant  de  succursales  que  le  besoin 
pourra  l'exiger.  > 

Art.  30.  «  Les  vicaires  et  desservants  exerceront  leur  minis- 
tère sous  la  surveillance  et  la  direction  du  curé.  Ils  seront 
approuvés  par  l'évèque  et  révocables  par  lui.  > 

Les  évèques  persuadés  d'une  part  que  l'amovibilité  n'était 
pas  en  soi  contraire  au  droit  canon,  la  jugeant  d'autre  part, 
sinon  nécessaire,  du  moins  très  utile  au  gouvernement  de  leurs 
diocèses,  dans  les  graves  cironstances  où  l'on  se  trouvait,  profi- 
tèrent de  la  liberté  que  leur  laissait  la  loi  civile,  pour  faire  des- 
servir les  paroisses  par  des  recteurs  amovibles  ad  nutum. 

Ce  régime,  s'il  plaisait  moins  par  lui-même  à  l'Eglise,  celle- 
ci  du  moins  le  tolérait  et  même  le  préférait  en  certaines  circons- 
tances. 

L'épiscopat  profita  de  la  liberté  que  lui  reconnaissait  la  loi 
civile  et  adopta  l'amovibilité  ad  nutum  pour  les  succursales. 

Pendant  quarante  ans  cette  pratique  lie  fut  l'objet  d'aucune 
réclamation.  Mais  de  18-12  à  1845,  la  question  de  l'amovibilité 
fut  vivement  agitée.  Plusieurs  pétitions  furent  adressées  aux 
Chambres  françaises,  en  1843,  dans  le  but  d'obtenir  la  révoca- 
tion de  la  disposition  des  articles  organiques  d'après  laquelle 
les  vicaires  et  desservants  sont  approuvés  par  l'évèque  et  révo- 
cables par  lui.  L'archevêque  de  Bordeaux  et  Tévêque  de  La 
Rochelle  crurent  devoir  consulter  le  Saint-Siège,  qui  donna  la 
réponse  suivante  : 

«  Ex  audientiae  SSmi,  diei  1  maii  1845: 

€  Sanctissimus  Dominus  Noster,  universa  rei  do  qua  in  \)ve- 
cibus  ratione  mature  perpensa,  gravibusque  ex  causis  aninium 
suura  moventibus,  referente  infrascripto  Cardinali  S.  Congre- 
gationis  Concilii  Praefecto,  bénigne  annuit,  ut  in  regiraine  Eccle- 
siarum  succursalium  de  quibus  agitur,  nuUa  immutatio  fiât 
donec  aliter  a  S.  Apostolica  Sede  statutum  fuerit.  » 

Les  évèques  peuvent  donc  en  conscience  suivre  la  pratique 
usitée  en  France  et  changer  les  desservants.  Le  Saint-Siège  se 
réserve  de  revenir  sur  la  question  et  de  la  trancher  définitive- 
ment quand  il  le  jugera  nécessaire.  Par  conséquent,  il  est 
défendu  à  des  écrivains  de  critiquer  la  pratique  suivie  comme 
contraire  au  droit  canon. 


DES  PAROISSES  ET  DES  CURÉS  343 

Les  conciles  provinciaux  de  France,  tout  en  maintenant 
l'amovibilité  ad  nutum,  recommandent  aux  évêques  de  ne  pro^ 
céder  qu'avec  la  plus  grande  réserve  aux  mutations  ou  révoca- 
tions qu'ils  croiraient  devoir  faire  dans  leurs  diocèses.  L'amo- 
vibilité n'a  été  approuvée  pour  la  France  que  sous  ces  réserves. 

Grégoire  XVI  s'est  prononcé  spécialement  dans  ce  seas 
d'après  les  rapports  qui  lui  furent  présentés  par  l'archevêque  de 
Bordeaux  et  l'évêque  de  Liège.  Or  le  premier  disait  :  «  Ces 
droits  ne  sont  pas  assurément  l'arbitraire  et  le  bon  plaisir. 
Plus  au  contraire  le  pouvoir  des  évêques  est  étendu,  plus  ils 
doivent  en  user  avec  discrétion  et  prudence.  Ainsi  il  importe 
que  le  ministère  pastoral  soit  partout,  fautant  que  possible, 
accompagné  de  stabilité  et  que  le  déplacement  de  ceux  qui 
l'exercent,  même  dans  les  localités  les  moins  importantes,  n'ait 
lieu  que  pour  des  motifs  graves,  pris  dans  les  intérêts  de  la 
paroisse  ou  dans  ceux  du  desservant  lui-même.  Il  importe  sur- 
tout que  la  révocation  d'un  pasteur  et  son  exclusion  du  saint 
ministère  ne  soit  prononcée  que  lorsqu'on  a  perdu  tout  espoir 
de  le  ramener  à  de  meilleurs  sentiments.  » 

La  révocation  ou  la  translation  du  desservant  ou  d'un  vicaire 
amovible  étant  un  acte  administratif,  elle  peut  se  faire  sans 
aucune  procédure.  On  peut  et  l'on  doit  distinguer  dans  les 
évêques  un  double  pouvoir  :  un  pouvoir  administratif  et  un 
pouvoir  judiciaire.  L'usage  de  ce  dernier  a  été  réglé  par  des 
lois  de  procédure  minutieuses,  tandis  que  l'usage  du  premier 
est  laissé  à  la  prudence  personnelle  des  évêques.  I^a  révoca- 
tion des  curés  inamovibles  étant  un  acte  du  pouvoir  judiciaire, 
elle  ne  peut  être  prononcée  qu'après  un  procès  canonique.  Il 
n'en  est  pas  de  même  de  la  translation  et  de  la  révocation  des 
curés  et  des  vicaires  amovibles  :  la  procédure  est  supprimée. 

Il  suit  de  là  :  1°  Que  le  supérieur  n'est  pas  tenu  de  faire  con- 
naître au  desservant  révoqué  ou  transféré  les  motifs  qui  l'ont 
fait  agir.  2°  Qu'il  n'y  a  pas  en  règle  générale  appel  proprement 
dit  contre  la  sentence  épiscopale. 

Nous  disons,  en  «  règle  générale  »,  parce  que  tous  les 
auteurs  admettent  l'appel  au  moins  en  certains  cas,  par  exemple, 
si  la  révocation  avait  lieu  eoo  odio,  ou  si  elle  causait  un  grand 
préjudice  dans  son  honneur  ou  dans  ses  biens  à  celui  qui  en  est 
l'objet. 

Le  recours  à  Rome  n'est  pas  suspensif  et  il  ne  dispense  pas 
de  l'exécution  de  la  sentence  épiscopale.  Un  desservant  trans- 


344  ANNALES    CATHOLIQUES 

féré  contre  sa  volonté  pour  des  causes  qui  lui  paraissent  fausses 
ou  injustes,  doit  donc  tout  d'abord  exécuter  la  sentence,  lors 
même  que  son  intention  serait  d'en  appeler  au  tribunal  supé- 
rieur. Le  refus  d'obéissance  aux  ordres  de  l'évèque  serait  une 
cause  suffisante  de  suspense.  «  Pertinacia  parochi  adversus 
rectam  Episcopi  dispositionera  potest  suppeditare  causam  légi- 
timas suspensionis.  » 

Droits  et  charges  des  Curés  relativement  aux  lireshytcrcs. 

Nous  emprunterons  au  traité  de  Mgr  Affre,  revu  par 
Mjrr  Tilloy,  la  réponse  à  cette  question. 

Le  curé  a  le  droit  d'exiger  un  presbytère,  ou  à  défaut  de  pres- 
bytère un  logement,  ou  à  défaut  do  logement  une  indemnité. 

D'après  la  loi  du  8  avril  1802,  c'était  à  la  commune  f^u'in- 
combait  l'obligation  de  fournir  au  curé  un  presbytère  ou  une 
indemnité  ;  mais  la  nouvelle  loi  municipale  du  5  avril  1884  no 
mot  le  logement  du  curé  à  la  charge  des  communes  que  dans  le 
cas  de  l'insuffisance  des  ressources  disponibles  delà  fabrique. 

Art.  136.  —  Sont  obligatoires  pour  les  communes  les 
dépenses  suivantes  :  11°  L'indemnité  de  logement  aux  onrés  et 
desservants  et  ministres  des  autres  cultes  salariés  par  l'Etat, 
lorsqu'il  n'existe  pas  de  bîUimonts  affectés  à  leur  logement  et 
lorsque  les  fabriques  ou  autres  administrations  préposées  aux 
cultes  ne  pourront  pourvoir  elles-mêmes  au  paiement  de  cette 
indemnité.  VZ^  Les  gros.-es  réparations  aux  édifices  comnmnaux, 
sauf  lorsqu'ils  sont  consacrés  au  culte, l'application  préalable  dos 
revenus  et  ressources  disponibles  des  fabriques  à  ces  répara- 
tions, et  sauf  l'exécution  des  lois  spéciales  concernant  les  bâti- 
ments affectés  à  un  service  militaire. 

S'il  y  a  désaccord  entre  la  fabrique  et  la  commune,  quand  le 
concours  financier  de  cette  dernière  est  réclamé  par  la  fabri((ue, 
dans  les  cas  prévus  aux  paragraphes  11°  et  12°,  il  est  statué  par 
décret  sur  les  propositions  des  min'>'' ^--^  '1'»  r'nt-'rieur  et  des 
cultes. 

Quant  aux  devoirs  du  curé,  il  est  ceriaiii  que  pour  son  logo- 
raont,  il  est  tenu  des  réparations  locatives.  Telles  sont,  par 
exemide,  les  réparations  à  faire  :  1"  aux  âtres,  contre-cœurs, 
chambranles  et  tablettes  de  cheminées;  2°  aux  récrépissements 
du  bas  des  murailles  des  appartements  et  autres  lieux  d'hnbita- 
tion,  à  la  hauteur  d'un  mètre;  2°  aux  pavés  et  carreaux  des 
chambres,  quand  il  y  en  a  seulement  quelques-uns  de  cassés  ; 


DES  PAROISSES  ET  DES  CURÉS  345 

4°  aux  vitres,  à  moins  qu'elles  ne  soient  cassées  par  la  grêle,  ou 
autres  accidents  extraordinaires  et  de  force  majeure;  5°  aux 
portes,  croisées,  planches  de  cloisons,  gonds,  targettes  et  ser- 
rures. Ces  réparations  et  dégradations  ne  seraient  pas  ii  la 
charge^du'^curéjSi  elles  étaient  occasionnées  parla  vétusté  ou  par 
une  force  majeure;  elles  seraient  rangées,  dans  ce  cas,  dans  la 
catégorie  des  grosses  réparations. 

Le  curé  doit  payer  aussi  l'impôt  mobilier  qui  sera  propor- 
tionné à  la  valeur  locative  de  l'habitation.  Il  est  aussi  soumis  à 
l'impôt  des  portes  et  fenêtres. 

La  commune  n'a  pas  le  droit  de  distraire  une  partie  du  pres- 
bytère ou  de  ses  dépendances,  lors  même  que  cette  partie  serait 
jugée  être  inutile.  Toutefois  les  parties  superflues  des  presby- 
tères appartenant  aux  communes,  peuvent  être  distraites  de 
leur  affectation  pour  un  service  public.  (Ordonn.  du  3 mars  1824.) 
Les  préfets  statuent  sur  ces  distractions,  mais  lorsqu'elles  ont 
été  approuvées  par  l'évêque.  En  cas  d'opposition  de  la  part  de 
l'autorité  diocésaine,  il  y  a  lieu  de  recourir  à  un  décret 
rendu  sur  un  avis  du  conseil  d'Etat.  Il  suit  de  là  qu'un  conseil 
municipal  ne  peut,  de  son  propre  chef,  distraire  la  moindre 
partie  du  presbytère. 

Droits    des    Cures    relativement    au    traitement 
alloué  par  le  Gouvernement. 

Malgré  l'opinion  contraire  du  conseil  d'Etat,  nous  soutenons 
avec  la  Gazette  des  Tribunaux  que  le  traitement  alloué  au 
clergé  par  le  gouvernement  n'est  pas  un  salaire,  mais  une  indem- 
nité due  au  clergé  à  titre  de  compensation,  et  qu'en  conséquence, 
il  ne  peut  être  ni  suspendu,  ni  supprimé  à  aucun  titre. 

Il  y  a  cinqanSj  M.  Fernaud  Nicoiay, avocat  à  la  cour  d'appel, 
rédigeait  un  mémoire  considérable  sur  la  suspension  des  traite- 
ments ecclésiastiques. 

Voici  l'abrégé  de  sa  conclusion  : 

La  suspension  des  traitements  ecclésiastiques  est  contraire  à 
tous  les  droits  et  à  toutes  les  lois. 

Contraire  au  droit  constitutionnel,  qui  déclare  la  propriété 
inviolable  et  prohibe  la  confiscation  ;  contraire  à  la  constitution 
même  :1e  pouvoir  exécutif  n'ayant  pas  qualité  pour  corriger  les 
décisions  législatives,  mais  devant  seuler-ieat  les  exécuter^  — 
et  le  clergé,  d'autre  part,  ayant  droit  acquis  sur  les  traitements, 
puisqu'ils  sont  votés  par  la  loi  de  finances. 


346  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  Constitution  est  donc  foulée  aux  pieds. 

Contraire  au  droit  public,  notamment  à  la  séparation  des 
pouvoirs,  les  questions  de  propriété  (rentes  ou  immeubles,  peu 
importe)  ressortissant  exclusivement  aux  tribunaux  civils  — 
et  ces  rentes  étant,  non  pas  arbitrairement  réductibles,  mais 
bien  eniièTevaeni  insaisissables,  de  par' la  loi  (28  nivôse  an  XI.) 

Donc,  ici  encore  la  loi  est  violée  ouvertement. 

Contraire  au  code  d'instruction  criminelle,  en  supprimant 
les  garanties  de  l'instruction  :  en  procédant  par  voie  de  régle- 
mentation générale,  contre  une  catégorie  de  citoyens,  sans 
comparution,  sans  débats,  sans  appel,  et  même  àl'insu  des  pré- 
tendus coupables. 

Contraire  au  code  pénal,  en  infligeant  des  amendes  quel- 
conques, avant  la  décision  des  juges  compétents. 

Contraire  au  droit  civil,  en  méconnaissant  absolument  le 
contrat  bilatéral  de  1801,  le  Concordat,  par  lequel  le  gouver- 
nement a  promis  «  d'assurer  »  le  budget  des  cultes,  comme 
condition  de  l'abandon  des  biens  ecclésiastiques,  (Art.  14). 

Contraire  à  la  justice,  le  clergé  émargeant  au  budget  natio- 
nal, non  pas  comme  fonctionnaire,  mais  en  échange  de  ses 
biens,  dont  le  pays  s'est  enrichi,  —  et  n'étant  pas  plus  salarié 
de  l'Etat  que  ne  l'est  un  porteur  de  rentes  françaises  qui 
touche  ses  arrérages. 

Dans  les  deux  cas,  il  y  a  eu  capital  versé,  et  rente  promise 
en  retour. 

La  suspension  des  traitements  ecclésiastiques  est  un  acte  de 
pur  arbitraire,  si  manifestement  contredit  par  la  législation, 
que  le  gouvernement  en  a  été  réduit  à  dénaturer  complètement 
des  textes  de  loi  pour  donner  à  sa  thèse  l'apparence  de  la 
légalité. 

Droits  du  curé  relativement  au  casuel. 

On  appelle  Droits  casuels  les  honoraires  ou  rétributions 
accordés  aux  curés,  vicaires  ou  desservants  des  paroisses,  pour 
les  fonctions  de  leur  ministère,  pour  les  baptêmes,  mariages, 
sépultures,  etc.,  droits  établis  par  la  puissance  spirituelle  et 
légalement  reconnus  par  la  puissance  civile  pour  donner  à  ces 
droits  force  de  loi. 

On  conçoit  que,  si  le  clergé  avait  droit  au  casuel  quand 
l'Eglise  possédait  des  biens-fonds,  à  plus  forte  raison  y  a-t-il 
droit  aujourd'hui  que  la  loi  du  2  novembre  1789  a  spolié  tous 


DES    PAROISSES    ET    DES    CURES  347 

les  biens  ecclésiastiques  et  qu'il  ne  reçoit  du  trésor  public 
qu'une  indemnité  reconnue  généralement  comme  insuffisante. 
Dés  qu'un  prêtre  remplit  une  fonction  sainte  pour  une  personne, 
il  a  droit  à  une  solde,  à  un  honoraire.  Jésus-Christ  l'a  ainsi 
décidé  en  parlant  à  ses  apôtres  :  «  L'outrier  est  digne  de  sa 
nourriture.  »  Saint  Paul  a  parlé  de  même  :  «  Qui  porte  les 
armes  à  ses  dépens?...  Si  nous  vous  distribuons  les  choses  spi- 
rituelles, est-ce  une  grande  récompense  de  recevoir  de  vous 
quelque  rétribution  temporelle?  Ceux  qui  servent  à  l'autel  ont 
leur  part  de  l'autel;  ainsi  le  Seigneur  a  réglé  que  ceux  qui 
annoncent  l'Evangile  vivent  de  l'Evangile.  » 

Le  casuel  est  donc  légitimement  établi,  et  il  l'esté  disons- 
nous,  par  l'autorité  épiscopale,  comme  il  est  approuvé  par  le 
chef  de  l'Etat. 

L'article  69  des  articles  organiques  est  ainsi  conçu  :  «  Les 
évêques  rédigeront  les  projets  de  règlements  relatifs  aux  obla- 
tions  que  les  ministres  du  culte  sont  autorisés  à  recevoir  pour 
l'administration  des  sacrements.  Les  projets  de  règlements 
rédigés  par  les  évêques  ne  pourront  être  publiés  ni  autrement 
mis  à  exécution,  qu'après  avoir  été  approuvés  par  le  gouverne- 
ment. »  C'est  donc  à  l'Ordinaire  à  régler  ce  qui  convient  et  ses 
règlements  font  loi.  Les  curés  et  autres  prêtres  chargés  de 
quelque  fonction  sacrée,  peuvent  donc  recevoir,  et  en  rigueur, 
exiger  l'honoraire  qui  leur  est  dû,  conformément  aux  règle- 
ments de  leur  diocèse,  c'est-à-dire  au  tarif  approuvé  et  qui 
comporte  plusieurs  classes,  selon  la  fortune  des  fidèles. 

Régulièrement,  les  droits  casuels  appartiennent  au  curé  • 
d'où  il  suit  que  l'Evêque  n'a  pas  le  droit  absolu  de  les  partager 
à  son  gré.  Ainsi  l'ordonne  le  livre  III  des  décrétales  ou  décrets 
d'Innocent  III.  Cependant,  l'Evêque  peut  partager  le  casuel  et 
en  assigner  une  part  aux  vicaires  et  aux  prêtres  dont  la  pa- 
roisse a  besoin  pour  aider  aux  fonctions  du  ministère.  Cela 
résulte  manifestement  des  paroles  du  concile  de  Trente  qui 
attribue  aux  Evêques  le  pouvoir  de  forcer  les  curés  qui  ne  sont 
pas  à  même  de  suffire  par  eux  seuls  aux  besoins  du  ministère 
paroissial,  à  s'adjoindre  des  auxiliaires  pour  l'administration 
des  sacrements  et  la  célébration  du  culte  divin.  Il  est  clair  alors 
que  le  curé  doit  pourvoir  à  leur  subsistance  et  leur  assigner  des 
revenus.  Aussi  le  tarif  diocésain  réglemente-t-il  ce  qui  convient 
à  chacun  d'eux,  comme  ce  qui  doit  revenir  au  curé  et  à  la 
fabrique. 


348  ANNALES    CATHOLIQUES 

Quant  aux.  ablations  ou  offrandes  voloutairey  que  les  fidèles 
peuvent  faire  ou  omettre  à  volonté,  si  elles  ont  été  faites  dans 
un.  but  déterminé,  il  ne  dépend  pas  du  curé  ni  de  l'évèque  de 
les  détourner  de  ce  but  et  de  les  employer  à  d'autres  usages. 
Ce  droit  est  réservé  au  Saint-Siège. 

Los  oblalions  faites  à  l'autel,  d;Tiis  l'église  paroissiale,  à  l'oc- 
.casion  des  messes,  ou  pour  l'admiuistralion  des  sacrements, 
pour  la  bénédiction  des  mariages',  pour  les  relevaillcs,  les  ob- 
eéc^ues  et  les  enterrements,  en  un  mot  pour  toutes  les  fonctions 
pastorales,  appartiennent  au  curé,  lors  même  qu'il  ne  rempli- 
rait pas  par  lui-même  la  fonction  paroissiale  pour  laquelle 
elles  sont  données.  Telle  est  la  coutume  universelle.  Celui  qui 
voudrait  favoriser  personnellement  lo  célébrant  devrait  lui  re- 
mettre ailleurs  qu'à  l'ollerte  roirrande  ({u'il  lui  destine^  parce 
que  tout  ce  qui  est  donné  à  l'autel  revient  de  droit  au  curé. 

Droits  des  cures  relativement  à  racbucy^istralion 
des  sacrements. 

Obligé  de  tenir  toujours  son  ministère  à  la  disposition  de  to 
paroissiens,  le  curé  a  droit,  par  Ciiatre,  à  o  i.ue  ceux-ci  soient 
tenus  d'y  recourir  pour  l'admiaistratioa  du  Bn.ptêiiio,  de  I'Î'jU- 
charistie,  au  temps  pascal  ou  en  viatique,  aicsi  que  do  i'Extrciua- 
Onction,  pour  la  levée  des  corps  des  défunts,  pour  la  bénédic- 
tion des  mariages.  Aucun  prêtre,  dit  le  Rituel  romain,  ne  doit 
administrer  les  sacrements  aux  fidèles  d'une  paroisse  étrangère, 
si  ce  n'est  en  cas  de  nécessité  ou  bien  avec  la  permission  du 
curé  ou  de  l'Ordinaire. 

Mais  dans  la  pratique  la  curé  doit  se  guider  pour  i'usago  do 
ses  droits,  même  les  plus  exclusifs,  sur  le  plus  grand  bien  du 
peuple  Confié  à  ses  soins,  surtout  on  ce  qui  concerne  le  sacre- 
raient de  Pénitence.  S'il  y  a  parmi  les  devoirs  chrétiens  un  acte 
qui  exige  de  la  part  des  fidèles  une  entière  confiance  dans  lo 
prêtre  à  qui  il  s'adresse  ot  par  suite  une  grande  liberté  de 
choix,  c'est  sans  doute  celui  où  il  doit  découvrir  tous  les  secrets 
de  son  âme.  Aussi,  pour  parer  à  ce  besoin,  nos  ?]vêques,  en  leur 
qualité  de  curés  universels  do  tout  leur  diocèse,  ont-ils  coutume 
de  donner  à  tout  prêtre  approuvé  par  eux  le  pouvoir  d'entendre 
les  confessions  de  tous  ceux  qui  vivent  sur  leur  territoire. 

Quant  au  mariage  il  peut  être  célébré  validement  :  1°  par  le 
curé  de  la  paroisse  où  l'une  des  deux  parties  contractantes 
demeure  (quoique  depuis  pou  do  jours),  avec  rintci.tion  publi- 


LE    SOCIALISME    CONTEMPORAIN  3-19 

quement  manifestée  d'y  rester  indéfiniment;  2°  par  le  curé  de 
la  paroisse  oii  l'une  des  deux  parties  demeure  avec  l'intention 
publiquement  manifestée  d'y  rester  la  majeure  partie  de  l'an- 
née; 3°  par  le  curé  de  la  paroisse  oii  l'une  des  deux  parties 
réside  habituellement  environ  six  mois  chaque  année,  pendant 
le  temps  qu'elle  y  fait  ce  séjour. 

Quant  à  l'inhumation,  elle  doit  se  faire  dans  le  cimetière  de 
la  paroisse  du  défunt,  par  le  curé  de  cette  paroisse.  Les  statuts 
de  plusieurs  diocèses  défendent  formellement  à  tout  prêtre  de 
présider  aux  funérailles  d'un  défunt,  s'il  n'en  est  le  propre 
prêtre  ou  s'il  n'est  muni  de  la  permission  du  propre  prêtre. 

On  ne  peut  pas  non  plus  faire  une  inhumation  dans  un  cime- 
tière étranger  sans  y  être  autorisé  par  le  curé  de  la  paroisse  à 
l'usage  de  laquelle  ce  cimetière  est  consacré. 

Abbé  PLuot. 


LE  SOCIALISME  CONTEMPORAIN 

Sous  ce  titre,  le  R.  P.  Libaratore  vient  de  publier  (l.ans  la  CiviUa 
Cattolica  une  remarquable  étude  sur  le  socialisme. 

L'autorité  de  l'auteur  et  la  façoa  magistrale  avec  laquelle  il  a  traité 
ce  sujet,  nous  engagent  à  traduire  entièrement  cotte  étude, 

I 
Ce  quest  le  socialisme  contemporain. 

Le  socialisme,  à  l'heure  présente,  n'est  plus  une  utopie,  do 
l'ordre  purement  économique,  imaginée  en  faveur  de  la  classe 
laborieuse;  c'est  uu  système,  surtout  politique,  tendant  à  la 
réorganisation  fondamentale  de  la  société  pour  assurer  le  bion- 
ètre  de  l'ouvrier. 

L'Allemagne  fat  son  berceau.  De  là  il  se  rendit  dans  les  divers 
pays  de  l'Europe,  et  ce  sont  des  émigrants  allemands  qui  le 
portèrent  en  Amérique.  Ses  principaux  auteurs,  Karl  Marx  et 
Ferdinand  Lasalle,  sortis  tous  deux  de  la  Socic'të  des  Jeunes 
Hégéliens,  en  avaient  puisé  le  germe  dans  l'évolution  histoiiqua 
de  VIdëe  rêvée  par  Hegel.  «  Un  des  côtés  les  plus  remarquables 
du  mouvement  scientifique  contemporain,  observe  M.  Jannei(l), 
c'est  l'application  de  la  théorie  da  l'évolution  à  l'économie  sociale. 
La  fausse  philosophie  d'Hegel,  en   enseignant  que  les  notions 

(1)  Le  Socialisme  d'Etat,  ch.  II. 


350  ANNALES   CATHOLIQUES 

juridiques  et  économiques  ne  sont  que  de  simples  catégories 
historiques  des  produits  de  ^ed^e,  avait  préparé  beaucoup  d'es- 
prits à  transporter  dans  le  domaine  de  l'économie  sociale  les 
données  du  transformisme.  » 

Le  socialisme  moderne  se  propose  pour  but  la  régénération, 
sociale,  mais  dans  le  sens  démocratique  républicain,  c'est-à-dire; 
par  rétablissement  de  l'égalité  parfaite  entre  les  citoyens,  basée 
sur  la  suppression  de  tous  les  privilèges,  sources  d'oppression. 
Et  comme  une  régénération  de  cette  nature  est  impossible  sans 
l'intervention  du  pouvoir  public,  il  s'agit  avant  tout  de  s'empa- 
rer de  ce  pouvoir.  Le  moyen  d'y  arriver  sera  le  suflFrage  uni- 
versel, car  le  gouvernement  n'agira  démocratiquement  que  le 
jour  où  la  démocratie  sera  maîtresse  au  Parlement. 

Voici  comment  raisonne  ce  socialisme  démocratique  révolu- 
tionnaire. L'organisation  industrielle  doit  être  radicalement 
changée.  Ainsi  lèvent  la  justice,  car  l'ouvrier,  qui  est  le  vrai 
producteur  de  la  richesse,  n'en  obtient  qu'une  très  petite  part. 
Or,  c'est  à  l'Etat,  gardien  et  vengeur  du  droit,  qu'il  appartient 
de  faire  justice.  A  lui  donc  de  modifier  la  base  de  l'industrie  de 
telle  façon  que  le  fruit  du  travail  retourne  réellement  à  celui 
qui  l'a  produit.  Mais  aussi  longtemps  que  l'Etat  sera  aux  mains 
de  la  bourgeoisie,  qui  est  intéressée  au  maintien  de  l'état  de 
choses  actuel,  ce  changement  ne  se  fera  pas.  Il  faut  donc  que, 
par  une  révolution,  le  peuple,  c'est-à-dire  les  ouvriers,  prenne 
possession  de  l'Etat  et  constitue  une  démocratie  républicaine. 

«  Les  socialistes  d'aujourdhui,  écrit  M.  Rae,  ne  croient  la 
régénération  sociale  réalisable  que  par  le  moyen  du  pouvoir 
public;  aussi  tous  leurs  efforts  tendent-ils  à  la  conquête  du 
pouvoir...  Ce  qu'ils  demandent,  c'est  une  démocratie  du  travail, 
pour  employer  une  de  leurs  expressions,  c'est-à-dire  un  Etat 
dans  lequel  le  pouvoir  et  la  propriété  n'aient  d'autre  fondement 
que  le  travail;  où  les  droits  politiques  dé-pendent  non  de  la  nais- 
sance ni  du  cens,  mais  de  l'exercice  d'un  métier  ;  où  l'on  ne  ren- 
contre ni  citoyens  qui  jouissent  sans  travailler,  ni  citoyens  qui 
travaillent  sans  jouir;  où  tout  homme  capable  de  travailler 
trouve  de  l'ouvrage,  et  où  le  produit  du  travail  appartienne  au 
travailleur;  où  enfin,  pour  rendre  possible  la  mise  en  pratique 
de  ce  système,  le  territoire  et  tous  les  autres  instruments  de 
production  soient  déclarés  propriété  de  la  société,  tandis  que  la 
direction  de  toutes  les  opérations  industrielles  sera  attribuée  à 
l'administration  de  l'Etat.  »  —  Tout  cela  est  présenté  comme 


LE    SOCIALISME    CONTEMPORAIN  351 

une  pure  question  de  justice,  comme  la  revendication  du  droit 
des  classes  ouvrières,  sous  le  prétexte  que  la  richesse  de  la 
nation  appartient  à  ceux  qui  l'ont  produite.  C'est  là,  disent-ils 
encore,  le  strict  devoir  de  l'Etat,  qu'ils  définissent  l'organisation 
de  la  volonté  du  peuple,  lequel,  d'après  eux,  ne  se  composerait 
que  de  la  classe  ouvrière.  Enfin  ils  considèrent  ce  plan  comme 
immédiatement  réalisable,  par  les  voies  constitutionnelles  là  où 
c'est  possible  ;  et,  là  oii  cela  ne  l'est  pas,  par  la  révolution  (1). 

On  le  voit,  les  socialistes  d'aujourd'hui  n'ont,  pour  améliorer 
le  sort  des  ouvriers,  d'autre  moyen  que  le  renversement  de 
l'état  social  actuel,  et  la  destruction  des  bases  sur  lesquelles 
repose  présentement  tout  le  système  économique. 

Ils  se  divisent  en  centralistes  et  fédéralistes;  ceux-là  veu- 
lent à  la  tête  de  la  république  un  pouvoir  central  et  fort;  ceux- 
ci  rêvent  l'indépendance  de  chaque  communauté  locale,  avec  le 
droit  pour  toutes  de  se  confédérer.  Il  en  est  enfin  que  révolte 
jusqu'à  cette  idée  de  confédération,  qui  suppose  une  certaine 
autorité  pour  maintenir  le  lien  entre  les  confédérés  ;  ils  préfè- 
rent purement  et  simplement  Y  anarchie  ou  l'absence  de  tout 
gouvernement  supérieur,  quel  qu'il  soit. 

Outre  ce  socialisme,  que  nous  pourrions  appeler  sectaire,  il  y 
a  encore  le  socialisme  d'Etat,  le  socialisme  de  la  chaire  et  le 
socialisme  chrétien  d'Allemagne  ;  mais  c'est  improprement 
qu'on  les  appelle  ainsi,  car  ils  répugnent  aux  excès  du  vrai 
socialisme,  et  se  bornent  à  désirer  des  réformes  plus  ou  moins 
profondes  dues  à  l'action  de  l'Etat,  et  en  particulier  son  ingé- 
rence directe  et  large  dans  la  production  et  la  répartition  de  ia 
richesse.  Il  est  vrai  qu'en  cela  ils  dépassent  très  souvent  la 
mesure  et  proposent  des  combinaisons  qui  lèsent  ou  la  propriété 
ou  la  liberté,  mais  en  général  ils  rejettent  l'idée  fondamentale 
du  socialisme  révolutionnaire,  c'est-à-dire  la  démocratie  répu- 
blicaine et  la  nationalisation  de  la  terre  et  des  instruments  du 
travail. 

Enfin  certains  esprits  exagérés  taxent  de  socialisme  tout  sys- 
tème tendant  à  une  amélioration  quelconque  du  sort  des  ouvriers  ; 
calomnie  gratuite  née  de  l'abus  d'un  terme  dont  ils  ne  respec- 
tent pas  le  vrai  sens. 

(1)  Le  Socialisme  contemporain,  par  Jean  Rae,  Introduction. 


352  ANNALKS     CATHOLIQUES 

II 

Absurdité  de  Végalité  voulue  par  le  socialisme. 

Le  socialisme  aspire  à  la  parfaite  égalité  des  conditions  entre 
tous  les  hommes  ;  il  professe,  au  moins  implicitement,  que  la 
totalité  du  produit  du  travail  est  due  à  l'ouvrier;  il  nie  le  droit 
de  propriété  privée,  et  voudrait  lui  substituer  la  propriété  collec- 
tive et  nationale:  tels  senties  trois  points  auxquels  on  peutrame- 
ner  toute  la  théorie  socialiste,  el  tous  trois  sont  déraisonnables 
autant  qu'injustes. 

Commençons  parle  premier. 

Ce  qui  est  en  contradiction  avec  le  vœu  de  la  nature  est 
absurde  et  inique.  Or,  la  nature  montre  à  l'évidence  que,  pour 
ce  qui  concerne  les  conditions  des  hommes^  elle  ne  veut  pas 
l'égalité,  mais  l'inégalité;  cela  résulte  de  cette  triple  considé- 
ration que  la  nature  a  donné  aux  liommes  des  aptitudes  diverses 
qu'elle  les  a  doués  de  liberté,  et  enfin  qu'eiie  1er-  a  faits  pour 
la  vie  sociale. 

La  nature  donne  aux  hommes  des  aptitudes  différentes  tant 
physiques  que  morales.  Les  uns  naissent  sains  et  robustes, 
d'autres  faibles  et  maladifs;  chez  ceux-ci  domine  la  force  mus- 
culaire, chez  ceux-là  la  puissance  intellectuelle.  Tel  est  d'un 
caractère  mou  et  paresseux.  Toutes  ces  différences  conduisent 
nécessairement  à  des  différences  de  condition  et  de  bien-être, 
à  une  inégalité  économique.  De  causes  diverses  dérivent  des 
effets  divers.  Vouloir  ramener  à  l'égalité  ces  efi'ets  divers,  c'est 
aller  contre  les  intentions  de  la  nature  et,  au  mépris  de  toute 
justice,  refuser  de  rendre  à  chacun  ce  qui  lui  revient  :  tmi- 
cuique  suum. 

La  nature  a  doué  l'homme  de  liberté.  Deus  ab  iniiio  consti- 
tuit  hominem  et  reliquit  eum  in  manu  consilii  sui  (1). 

Or,  l'égalité  est  incompatible  avec  la  liberté;  car  la  liberté 
comporte  des  manières  d'agir  différentes  et  contraires,  d'oii 
résulteront  nécessairement  des  droits  et  des  conditions  diffé- 
rentes. C'est  ainsi  que  la  liberté  donne  lieu  à  des  mariages 
ou  prudents  ou  imprudents,  à  des  entreprises  ou  sures  ou 
aléatoires,  à  l'épargne  ou  à  la  prodigalité,  à  des  occupations  no- 
bles ou  à  de  vils  métiers,  à  une  vie  active  ou  oisive,  à  des  mœurs 
ou  honnêtes  ou  vicieuses,  etc.  Ces  divergences,  nées  des  actea 

(1)  Eccl.  xVj  14. 


LE    SOCIALISME    CONTEMPORAIN  853 

libres  de  l'homme,  rompent  inévitablement  l'égalité  et  mettent 
la  diversité  dans  les  conditions  sociales.  Introduisez  aujourd'hui 
résTalité;  demain  la  liberté  l'aura  détruite.  Pour  la  maintenir 
cette  égalité,  il  faudrait  que  le  socialisme  supprimât  la  liberté 
et  réduisît  l'homme  au  rang  de  la  brute.  L'égalité  régne  chez 
les  animaux  ,  oui,  mais  c'est  précisément  parce  qu'ils  obéissent 
à  l'instinct  au  lieu  de  se  déterminer  par  libre  choix. 

Eufin^  la  nature  a  fait  l'homme  pour  la  vie  sociale.  Or,  la  so- 
ciété n'existe,  elle  ne  prospère  que  grâce  à  l'inégalité.  Elle  res- 
semble, eu  effet,  à  un  corps  organisé,  qui  se  compose  de  parties 
différentes,  ayant  chacune  sa  fonction  propre.  Parmi  ses  mem- 
bres, il  en  faut  qui  cultivent  la  terre,  d'autres  qui  s'adonnent 
aux  arts  mécaniques,  d'autres  aux  sciences,  à  l'industrie,  au 
commerce;  elle  a  besoin  de  soldats,  de  prêtres,  de  professeurs, 
d'administrateurs.  Comment  établir  l'égalité  entre  tant  de  char- 
ges diverses? 

—  Comment?  me  répondra-t-on,  mais  en  attribuant  à  l'Etat 
le  soin  d'assigner  à  chacun  son  rôle, 

—  Pure  folie!  quand  bien  même  ce  serait  réalisable,  n'y 
aurait-il  pas  là  odieuse  tyrannie,  un  joug  intolérable,  le  pire 
esclavage  étouffant  dans  l'homme  toute  énergie  de  caractère 
toute  initiative  spontanée,  tout  domaine  sur  soi.  Mais  par  bon- 
heur il  n'y  a  pas  à  craindre  que  cela  devienne  jamais  possible, 
parce  que,  d'une  part,  jamais  l'Etat  n'aura  qualité  pour  recon- 
naître les  aptitudes  et  les  ressources  de  chacun,  et  que,  d'autre 
part,  jamais  les  individus  ne  pousseront  l'abnégation  jusqu'à 
suivre  en  tout  les  volontés  ou  les  caprices  de  l'Etat. 

La  seule  égalité  que  réclame  la  nature,  c'est  celle  qui  con- 
cerne la  personnalité  humaine  et  l'inviolabilité  du  droit.  Chaque 
homme  est  une  personne  et  doit  être  considéré  comme  jouissant 
de  la  personnalité,  c'est-à-dire  comme  fin  et  non  comme  moven* 
semblable  aux  autres  par  nature,  il  est  encore  leur  semblable 
pour  toutes  les  attributions,  pour  les  droits  qui  dérivent  de  la 
nature.  Il  est  le  maître  de  ses  actes  :  en  cela  tous  les  hommes 
sont  égaux  et  tous  méritent  un  égal  respect. 

De  même  l'inviolabilité,  qui  dérive  de  l'essence  du  droit,  doit 
être  égale  partout  oii  le  droit  se  trouve,  et  sous  quelque  forme, 
ou  innée  ou  acquise,  qu'existe  le  droit. 

De  ces  deux  points  découle  pour  les  membres  des  classes  su- 
périeures et  dirigeantes  l'obligation  de  garder  envers  les  mem- 
bres des  classes  inférieures  une  attitude  souverainement  déli- 

26 


354  ,  ANNALES   0ATHOL1QUK8 

cate.  Qu'ils  ne  se  permettent  jamais  de  leur  faire  le  plus  petit 
tort;  que  dans  leurs  rapports  avec  eux  ils  dépouillent  toute 
arrogance,  toute  fuite  pour  ne  laisser  place  qu'à  la  bienveil- 
lance et  à  la  cordialité,  se  souvenant  que  ce  qui  fait  leur  supé- 
riorité est  chose  purement  accidentelle;  que  l'égalité  substan- 
tielle n'en  existe  pas  moins  entre  tous  et  qu'à  titre  de  citoyens 
tous  sont  parfaitement  égaux. 

m 

Le  produit  du  travail  doit-il  appartenir  exclusivement 
à  l'ouvrier  ? 

Il  suffit  de  n'être  pas  borné  pour  comprendre  qu'un  effet 
dépend  de  toutes  les  causes  qui  ont  concouru  à  le  produire  et 
qu'on  ne  peut  légitimement  l'attribuer  à  une  seule  d'entre  elles. 
Pour  que  le  produit  appartînt  intégralement  à  l'ouvrier,  il  fau- 
drait donc  qu'il  fût  un  effet  de  son  seul  travail.  Aussi  beaucoup 
de  socialistes  posent-ils  en  principe  que  le  travail  est  l'unique 
producteur.  C'est  lui  qui  donne  à  un  objet  sa  valeur,  cette  va- 
leur n'étant  pas  autre  chose  que  la  sueur  et  la  fatigue  qu'il  a 
coûtées. 

«  Le  travail,  dit  Lassalle  dans  son  Programme  des  travail- 
leurs, est  la  source  de  toute  richesse  ;  parce  que  la  valeur  d'une 
chose  quelconque,  ce  qui  en  fait  une  richesse,  c'est  la  somme  de 
travail  employée  à  la  faire.  »  Si  tous  ne  le  disent  pas  si  expli- 
citement, du  moins  tous  le  sous-entendent,  car  il  leur  serait 
impossible  d'appuj-er  sur  un  autre  argument  leur  conception  de 
l'État,  organisé  uniquement  en  vue  de  la  classe  ouvrière. 

Mais,  en  fait,  les  choses  se  passent  tout  autrement.  Que  ferait 
le  travail  sans  la  matière  sur  laquelle  il  s'exerce,  sans  les  ins- 
truments au  moyen  desquels  il  s'ex-écute?  Le  travail  sans  le 
capital  est  stérile,  comme  le  capital  sans  le  travail. 

La  valeur  du  produit,  ou  son  aptitude  à  valoir  dans  le  com- 
merce, procède  sans  doute  de  la  forme  que  lui  donne  le  travail; 
mais  elle  dépend  aussi  des  forces  naturelles  inhérentes  aux  ma- 
tières dont  il  se  compose,  et  qui,  sous  la  forme  qu'elles  reçoivent 
du  travail,  le  rendent  utile  aux  autres  et  par  suite  apte  à  être 
échangé. 

C'est  cette  aptitude  qui  constitue  la  valeur  d'une  chose.  Mais 
ces  forces  incorporées  et  condensées  dans  une  matière  détermi- 
née sont  elles-mêmes  objet  de  propriété,  d'où  il  suit  que  le  capi- 
taliste qui  fournit  la  matière  première  contribue  par  là  à  la 


LE    SOCIALISME    CONTEMPORAIN  355 

•valeur  du  produit  et  a  droit  de  participer  au  gain.  En  outre, 
cette  forme  que  le  travail  donne  au  produit,  il  ne  la  lui  donne 
qu'à  l'aide  d'instruments  ;  le  maître  de  ces  instruments  concourt 
donc,  lui  aussi,  de  ce  chef,  à  créer  la  valeur  de  l'objet  et,  par 
conséquent,  mérite  une  compensation  prélevée  sur  le  prix  de 
vente. 

Elle  est  donc  absurde  cette  maxime  de  Lassalle  :  Que  doit 
gagner  l'ouvrier?  Il  a  droit  à  la  totalité  du  gain.  Sans  doute  il 
est  juste  que  ce  qui  est  le  fruit  de  son  travail  revienne  tout 
entier  à  l'ouvrier;  mais  le  produit  n'est  pas  le  fruit  du  seul  tra- 
vail, il  est  aussi  le  fruit  du  capital,  c'est-à-dire  des  matières 
premières  et  des  instruments. 

L'unique  chose  que  puisse  justement  réclamer  l'ouvrier,  c'est 
que,  dans  la  répartition  du  gain,  sa  quote-part  soit  proportion- 
née. Mais  quelle  sera  la  mesure  de  cette  proportion,  si  ce  n'est 
la  fin  même  du  travail?  Or,  cette  fin  est  l'entretien  de  l'ouvrier, 
et  de  l'ouvrier  tel  que  l'a  voulu  la  nature,  c'est-à-dire  non  seu- 
lement individu,  mais  époux  et  père  :  In  sudore  vultus  tui  ves- 
ceris  2'>cine  (1)  ;  ...  masculicm  et  feminam  creavit  eos  (2)  ; 
...  crescite  et  multiplicamini  (3).  Il  faut  donc,  pour  que  l'ou- 
vrier soit  rétribué  comme  le  veut  la  justice,  que  sa  part  du  pro- 
duit soit  suffisante  pour  son  entretien  et  celui  de  sa  famille. 
C'est  là  une  conséquence  nécessaire  de  l'ordre  établi  par  Dieu. 
D'autre  part,  le  produit  doit  également  procurer  un  bénéfice  au 
capitaliste,  et  de  cette  double  exigence  naît  la  règle  sur  laquelle 
s'établit  le  prix  naturel  de  l'objet.  Mais,  de  ces  deux  parts  du 
gain,  celle  qui  doit  passer  la  première,  c'est  celle  de  l'ouvrier, 
parce  qu'elle  répond  à  un  besoin  plus  urgent,  parce  qu'elle  cor- 
respond plus  étroitement  au  vœu  de  la  nature,  qui  place  la  vie 
de  l'homme  avant  l'accroissement  de  la  richesse. 

Il  suit  de  là  que,  tandis  qu'il  y  a  à  l'abaissement  du  salaire 
une  limite  déterminée  au-delà  de  laquelle  il  ne  doit  pas  des- 
cendre, et  qui  est  le  nécessaire  de  l'ouvrier,  de  sa  femme  et  de 
ses  enfants,  on  n'en  peut  pas  dire  autant  du.  pro/ît  des  capitaux. 
Ce  profit  peut  diminuer  indéfiniment;  et  il  est  juste  qu'il  dimi- 
nue pour  donner  lieu  à  l'augmentation  des  salaires,  et  permettre 
ainsi  à  l'ouvrier  de  se  procurer  quelque  bien-être  et  d'économi- 
ser pour  ses  vieux  jours,  he  profit  cependant  ne  doit  pas  dimi- 

(Ij  Gen.  m,  19. 

(2)  Geu.  v,  12. 

(3)  Gen.  i,  28. 


356  ANNALES    CATHOLIQUES 

nuer  à  ce  point  qu'il  soit  complètement  supprimé  ;  car,  outre 
qu'on  ne  trouverait  plus  de  capitaux,  cette  suppression  totale 
léserait  la  justice  :  il  est  juste,  en  effet,  que  le  capital  et  le  tra- 
vail, associés  pour  produire,  participent  ensemble  aux  fruits  de 
de  la  production. 

La  totalité  du  produit  appartiendrait  à  l'ouvrier,  si  l'ouvrier, 
non  content  d'apporter  son  travail,  fournissait  aussi  le  capital. 
Cela  se  pratique  déjà  en  divers  pays  par  le  moyen  des  sociétés 
coopératives  de  production,  dans  lesquelles  les  ouvriers,  mettant 
en  commun  leurs  épargnes,  forment  le  capital  nécessaire  à 
l'achat  des  matières  premières  et  des  instruments.  On  ne  sau- 
rait trop  encourager  et  provoquer,  là  où  c'est  possible,  la  for- 
mation do  telles  sociétés,  car  l'ouvrier  ne  peut  se  promettre 
une  amélioration  sérieuse  de  sa  condition  qu'en  devenant  en 
quelque  sorte  capitaliste.  Elles  ne  parviendront  jamais,  il  est 
vrai,  à  élever  à  ce  niveau  toute  la  classe  ouvrière;  car,  parmi 
les  travailleurs,  il  y  en  aura  toujours  dont  le  salaire  sera  tota- 
lement absorbe  par  les  besoins  de  la  famille,  pour  ne  pas  parler 
de  ceux  qui,  plus  souvent  au  cabaret  qu'à  l'atelier,  n'y  sub- 
viennent même  pas.  Mais  il  est  certain  que  ces  sociétés  ouvrent 
aux  ouvriers  rangés,  adroits,  et  parce  qu'ils  sont  adroits  mieux 
rétribués,  un  chemin  plus  rapide  et  plus  su:*  d'arriver  à  l'ai- 
sance. 


l'ettLise  et  la  question  sociale 

LETTRE  DE  S.  S.  LKON    Xltl 
A  MCr^  KREMENIZ,  AR:iIEVÊ;iUE  DE    COLOGNE 

La  question  sociale,  qui  tient  dans  l'agitation  une  grande  par- 
tie dû  l'Europe,  no  pouvait  manquer  d'être  l'objet  de  l'attention 
et  des  travaux  du  Souverain  Pontife  Léon  XIII,  lequel  a  mon- 
tré en  diverses  occasions,  par  la  parole  ou  par  la  plume,  le 
grand  désir  qu'il  a  d'écarter  les  dangers  dont  cette  question  me- 
nace la  société  et  les  maux  qu'elle  produit.  Il  vient  de  donner 
une  nouvelle  preuve  de  cetie  sollicitude  en  écrivant  sur  ce  .sujet, 
à  Mgr  l'archevêque  de  Cologne,  une  lettre  dont  nous  publions 
la  traduction.  Ce  document  fait  ressortir  ea  outre,  une  l'ois  de 
plus,  le  désir  constant  qu'a  le  Saint-Péro  de  voir  répandre 
parmi  les  barbares,  avec  la  lumière  de  l'Evangile,  la  civili.sa- 


l'église  et  la  question  sociale  357 

'tion  chrétienne  et  de  voir  abolir  la  traite  des  esclaves  qui  se  fait 
en  beaucoup  de  régions  de  l'Afrique. 

Vénérable  Frèro,  Salut  et  Bénédiction  apostolique. 

Vous  n'ignorez  pas  les  grands  dangers  et  les  difficultés 
que  présente  la  question  qualifiée  de  question  sociale,  dont 
la  gravité  inquiète  jusqu'à  ceux  qui  gouvernent  les  plus 
grands  Etats  de  l'Europe. 

Yous  savez  aussi  que  depuis  longtemps  Nous  nous  som- 
mes appliqué  à  mettre  en  évidence  les  raisons  intimes  de 
ce  mal,  et  les  meilleurs  remèdes  qui  peuvent  servir  à  le 
combattre.  Dans  la  lettre  que  Nous  avons  adressée  naguère 
à  S.  M.  l'empereur  d'Allemagne  et  roi  de  Prusse,  lequel  nous 
avaitpréalablement  écrit  avec  beaucoup  d'amabilité  au  sujet 
delà  Conférence  tenue  récemment  à  Berlin  pour  traiter  cette 
question,  Nous  avons  clairement  exprimé  le  vif  désir  que 
Nous  avons  de  secourir  les  malheureux  ouvriers,  et  de  leur 
rendre,  dans  la  mesure  de  Nos  forces,  les  services  les  plus 
empressés. 

Il  ne  peut  échapper  à  votre  clairvoyance  que,  si  grands 
que  soient  les  moyens  dont  dispose  la  puissance  civile  pour 
alléger  la  condition  des  ouvriers,  le  rôle  de  l'Eglise  dans 
cette  œuvre  salutaire  est  plus  important  encore.  Eu  effet,  ia 
force  divine,  inhérente  à  la  religion,  qui  pénétre  jusqu'au 
fond  des  esprits  et  des  cœurs  des  hommes,  les  domine  de 
telle  sorte  qu'ils  suivent  de  bon  gré  la  voie  du  juste  et  dà 
l'honnôte.  C'est  que  l'Eglise  est,  de  par  son  origine,  dépo- 
sitaire fidèle  de  la  vérité  révélée  par  Dieu,  et  représente  le 
Christ  notre  Seigneur,  qui  est  la  sagesse  du  Père.  Elle  est 
héritière  de  ia  charité  de  Celui  qui,  étant  riche,  s'est  fait 
pauvre  pour  nous,  afin  que  riches  et  pauvres  également  re- 
produisent en  eux  son  image,  élevés,  à  la  dignité  d'enfants 
de  Dieu  —  et  qui  a  tant  aimé  les  pauvres  qu'il  a  giirdé  pour 
eux  les  témoigaages  les  plus  expressifs  de  sa  bienveillance. 
C'est  par  lui  que  nous  fut  donnée  la  doctrine  très  sainte  de 
l'Evangile,  don  plus  précieux  que  tout  autre  pour  l'huma- 
nité. Cette  doctrine,  nous  enseignant  les  droits  et  les  de- 
voirs immuables  de  chacun,   peut  seule,  par  l'admirable 


358  AriNALKS    CATHOLIQUKS 

alliance  de  la  justice  avec  la  charité,  aplanir  les  aspérités 
résultant  de  l'inégalité  des  conditions,  laquelle  a  ses  racines 
dans  la  nature  même  des  hommes.  De  sorte  que  le  peuple 
qui  prendrait  la  vraie  doctrine  de  l'Evangile  pour  régie  de 
toutes  ses  aspirations  et  de  tous  ses  actes,  publics  et  privés, 
suivrait  la  voie  la  plus  sûre  et  arriverait  aux  résultats  les 
plus  heureux. 

Notre  sentiment  sur  ce  point  est  certainement  partagé 
par  les  évêques  de  l'Empire  allemand  qui  Nous  ont  donné 
la  preuve  de  leur  zèle  pastoral  en  menant  à.  bonne  fin  ou  en 
entreprenant  beaucoup  d'œnvres  remarquables  tendant  à 
procurer  aux  membres  de  la  classe  ou"\Tière  et  pauvre  le  réel 
soulagement  auxquels  ils  ont  droit. 

Mais  pour  que  l'action  de  l'Eglise  devienne  plus  complète 
et  plus  efficace,  ainsi  que  l'exigent  les  besoins  du  temps,  il 
faut  qu'on  mette  en  œuvre,  en  même  temps  que  les  forces 
réunies  et  tendant  à  un  seul  but,  tous  les  moyens  et  tous 
les  secours  qui  sont  à  sa  disposition  et  qui  peuvent  servir 
a  atténuer  la  gravité  du  mal.  Il  est  nécessaire  par  dessus 
tout  que,  par  une  action  patiente  et  soutenue,  on  fasse  en 
sorte  (lue  les  peuples,  après  s'être  amendés,  s'habituent  à 
conformer  les  actes  de  leur  vie  tant  publique  que  privée  aux 
doctrines  et  aux  exemples  de  Jésus-Christ.  Il  faut  s'inter- 
poser pour  empêcher  que  dans  les  questions  qui  s'agitent 
entre  les  diverses  classes,  les  préceptes  delà  justice  et  ceux 
de  la  charité  ne  soient  violés,  de  sorte  que  les  diflTérends  qui 
viendront  à  surgir  soient  arrangés  par  l'intervention  pater- 
nelle et  autorisée  des  Pasteurs  sacrés.  11  faut  chercher, 
enliu,  à  rendre  plus  supportable  aux  pauvres  les  incommo- 
dités de  la  vie  présente,  pendant  qu'on  amènera  ceux  qui 
possèdent  les  biens  de  ce  monde  à  acquérir  des  trésors  plus 
précieux  encore  dans  le  ciel  en  pratiquant  largement  la 
bienfaisance,  au  lieu  de  faire  de  ces  biens  un  usage  abusif 
ou  de  fomenter  la  cupidité. 

C'est  pourquoi  nous  regardons  comme  digne  de  beaucoup 
d'éloges  tout  ce  qu'opère  l'industrieux  dévouement  des  Alle- 
mands, en  fournissant  aux  Cercles  des  ouvriers  paisibles 
des  locaux  où  ils  puissent  se  réunir,  en  ouvrant  des  maisons 


l'église  et  la.  question  sociale  369 

de  travail  poar  les  femmes,  des  écoles  où  les  enfants  des 
deux  sexes  reçoivent  une  éducation  convenable,  en  fondant 
des  congrégations  pieuses,  et  en  créant  d'autres  œuvres  du 
même  genre.  Ces  œuvres  ont  pour  but  non  seulement  de 
rendre  moins  pénible  la  vie  des  ouvriers,  et  de  les  soulager 
dans  leurs  difficultés  économiques,  mais  encore  de  les  main- 
tenir dans  la  pratique  de  la  religion  et  de  fortifier  leurs 
bonnes  habitudes.  Il  Nous  serait  vraiment  très  agréable  de 
voir  les  évêques  de  l'Allemagne,  avec  cette  fermeté  de  ca- 
ractère qui  les  distingue,  avec  la  coopération  du  clergé  et 
des  fidèles  et  sous  les  heureux  auspices  de  la  religion  sous 
lesquels  a  été  entrepris  tout  ce  que  Nous  venons  d'énumé- 
rer,  étendre  toujours  davantage  ces  œuvres  et  ces  institu- 
tions si  opportunes,  et  leur  en  adjoindre  d'autres  du  même 
genre,  spécialement  dans  les  centres  les  plus  florissants  du 
travail  industriel,  où  le  nombre  des  ouvriers  est  le  plus  con- 
sidérable. Si  l'événement  répond  à  Nos  désirs,  il  y  aura 
bien  lieu  de  se  réjouir  avec  les  évêques  d'Allemagne  de  ce 
qu'ils  auront  pourvu,  autant  que  cela  leur  était  possible,  au 
maintien  de  la  tranquillité  publique,  et  pour  avoir  défendu 
la  cause  de  la  vraie  civilisation. 

Au  reste,  ce  n'est  pas  seulement  dans  cette  question  que 
l'Eglise  prend  la  défense  de  la  vraie  civilisation.  Il  en  est 
d'autres  qui  réclament  aussi  son  aide  bienfaisante.  Une  des 
plus  saintes  institutions  est  celle  qui  a  pour  objet  d'ins- 
truire dans  la  doctrine  de  la  foi  les  peuples  incultes  et  bar- 
bares et  de  les  civiliser  par  la  culture  des  arts,  pendant 
qu'on  les  habitue  à  des  mœurs  policées.  Beaucoup  ont  usé 
leur  vie  par  les  travaux  qu'ils  ont  consacrés  avec  zèle  à  ce 
très  noble  ministère  ;  beaucoup  y  ont  sacrifié  leur  propre 
sang.  Ce  qui  maintenant  réclame  les  soins  particuliers  des 
Pasteurs  de  l'Eglise,  c'est  la  misérable  condition  des  habi- 
tants de  l'Afrique  qui,  réduits  en  esclavage,  sont  livrés  au 
commerce  comme  de  viles  marchandises,  pour  assurer  aux 
marchands  d'indignes  bénéfices.  Nous  avons  déjà  ouverte- 
ment déclaré  dans  Nos  lettres  quelle  large  part  de  Notre 
sollicitude  Nous  consacrons  à  cet  objet.  Or,  le  gouverne- 
ment impérial  d'Allemagne  ayant  décidé  de  donner  libre 


360  ANNALES    CATHOLIQUES 

accès  aux  missionnaires  catholiques  dans  les  pays  soumis  à 
son  patronage,  Nous  ne  pouvons  moins  faire  que  de  tous 
exhorter  vivement,  Vous  et  les  autres  Vénéi  ables  Frères 
qui  régissent  les  diocèses  de  l'empire  d'Allemagne,  à  recher- 
cher avec  diligence  si  dans  le  clergé  allemand,  qui  a  fourni 
des  preuves  insignes  de  constance,  de  patience  et  de  zèle 
apostolique,  il  en  est  de  ceux  qui  témoignent  être  appelés 
de  Dieu  à  porter  la  lumière  de-  l'Evangile  à  l'Afrique.  Et 
afin  que  ceux-ci  puissent  répondre  plus  facilement  à  l'appel 
divin,  c'est  Notre  vif  désir  que,  par  votre  œuvre  principa- 
lement et  par  celle  des  autres  évèques  de  l'empire  d'Alle- 
magne, avec  le  concours  des  fidèles,  on  fonde  un  institut 
où  les  clercs  indigènes  soient  préparés  comme  il  convient 
au  ministère  des  missions  africaines,  à  l'instar  du  Collège 
érigé  dans  le  royaume  de  Belgique,  où  sont  accueillis  ceux 
qui  doivent  prêcher  l'Evangile  dans  la  région  du  Congo. 

De  la  sorte,  on  aura  bientôt  préparé  comme  une  noble 
plantation  d'où  pourront  être  pris  les  ceps  de  la  véritable 
vigne  qui  est  le  Christ,  et  qui,  transplantés  sur  le  sol  afri- 
cain y  répandront  la  bonne  odeur  du  Christ  parmi  ces  po- 
pulations incultes,  entachées  de  mœurs  barbares  et  de 
l'abjection  des  vices. 

Vous  Nous  ferez  chose  agréable  en  portant  ce  que  Nous 
venons  de  vous  exprimer  dans  cette  lettre,  à  la  connaissance 
des  autres  évêques  de  l'empire  d'Allemagne,  et  eu  consa- 
crant vos  communs  efforts,  après  avoir  pris  conseil  ensemble 
afin  d'accomplir  heureusement  ce  que  Nous  vous  avons  re- 
commandé de  faire  au  profit  de  vos  concitoj'ens,  ainsi  que 
des  malheureux  Africains.  Et  puisque  l'exécution  de  l'en- 
treprise réussira  d'autant  mieux  que  votre  accord  sera  plus 
grand.  Nous  supplions  Dieu  de  confirmer  cet  accord,  de  vous 
assister  de  sa  grâce  et  de  ses  lumières  ;  et  comme  gage  de  la 
faveur  divine.  Nous  accordons  très  affectueusement  la  béné- 
diction apostolique  à  vous  et  aux  autres  Vénérables  Frères 
ainsi  qu'au  clergé  et  aux  fidèles  confiés  à  vos  soins. 

Donné  à  Rome,  près  de  Saint-Pierre,  le  20  avril  1890,  en 
la  treizième  année  de  notre  Pontificat. 

LÉON  XIII,  PAPE. 


LA    CONSTITUTION    CHRÉTIENNE    DE    LA    SOCIÉTÉ  361 

LA  CONSTITUTION  CHRÉTIENNE   DE  LA  SOCIÉTÉ 

d'après  l'épiscopat  français 

Bossuetjdans  son  immortel  Discours  sur  l'histoire  universelle^ 
nous  montre  l'action  cachée  souvent,  mais  toujours  efficace  de 
la  divine  Providence  sur  la  société  :  «  Dieu  tient  du  haut  des 
cieux  les  rênes  de  tous  les  royaumes,  il  a  tous  les  cœurs  en 
main,-..  Ne  parlons  plus  de  hasard  ni  de  fortune,  ou  parlons-ea 
seulement  comme  d'un  nom  dont  nous  couvrons  notre  igno- 
rance. » 

Un  siècle  a  suffi  pour  oblitérer  dans  les  esprits  cette  grande 
et  fondamentale  vérité.  La  société,  travaillée  par  l'esprit  de 
révolte,  les  a  consommées  toutes  en  se  révoltant  contre  Dieu  et 
en  les  bannissant  de  son  sein;  mais  le  châtiment  a  suivi  de  près 
cette  orgueilleuse  prétention  à  une  indépendance  absolue.  Le 
lien  social  qui  rattache  entre  eux  les  hommes  s'est  relâché;  il 
menace  de  se  rompre,  et  déjà  semblent  s'annoncer  de  loin  les 
signes  précurseurs  d'un  bouleversement  terrible  oii  peut  som- 
brer la  société  tout  entière. 

Il  reste  un  moyen  cependant  de  conjurer  ce  danger  menaçant  : 
c'est  le  retour  aux  principes  chrétiens  qui  ont  inspiré  au  génie 
de  Bossuet  ces  hautes  leçons  de  politique  raisonnée  auxquelles 
nous  venons  de  faire  allusion.  L'épiscopat  français,  fidèle  à  la 
mission  que  la  charité  chrétienne  a  confiée  depuis  l'origine  aux 
évêques,  a  voulu  les  signaler,  prendre  la  défense  de  la  société 
et  la  ramener  par  ses  enseignements  du  bord  du  précipice  oii 
elle  s'était  laissé  entraîner. 

Les  grandes  vérités  sociales  de  ia  religion  ont  été  choisies 
par  plusieurs  de  NN.  SS.  les  évêques  de  France  comme  sujets 
de  leurs  lettres  pastorales;  elles  viennent  affirmer  avec  une 
opportunité  saisissante  les  immuables  principes  que  toute 
société  est  obligée  de  reconnaître  et  d'accepter  comme  fon- 
dement. 

Son  Eminence  le  cardinal-archevêque  de  Sens  fait  un  magni- 
fique exposé  de  la  doctrine  catholique  sur  ces  points  si  impor- 
tants :  il  faut  rendre  Dieu  à  la  société  : 

Dieu  est  la  source  du  droit  et  du  devoir,  Dieu,  a  dit  un  des  plus 
illustres  philosophes  des  temps  modernes,  Dieu  est  la  supi^êma  raison, 
de  toutes  choses  (Leibaitz).  Mais  on  peut  dire  eu  vérité  qu'il  est 
surtout  la  suprême   raison  du  droit  et  du  devoir.  Et,  en  effet,  cher- 


362  ANNA.JLKS  0ATUOLIQUB8 

chez  en  dehors  de  Dieu  la  raison  du  droit  et  du  devoir,  vous  ne  la 
trouverez  pas.  S'il  ne  vient  pas  de  Dieu,  d'où  vient  aux  pouvoirs 
publics  le  droit  de  commander,  d'imposer  la  loi?  Et  s'il  ne  vient  pas 
de  Dieu,  d'où  vient  pour  l'homme  1©  devoir  d'obéir  à  l'autorité,  de  se 
soumettre  à  la  loi?  Le  droit  et  le  devoir  sont-ils  d'institution 
humaine?  Qu'on  nomme  le  philosophe,  le  législateur  qui  inventa  le 
droit  et  le  devoir.  Le  droit  et  le  devoir,  mais  c'est  toute  la  morale,  et 
c'est  en  Dieu  et  en  Dieu  seulement  que  la  morale  a  sa  base,  sa  règle 
et  sa  Banction.  Celui-là  seul  qui  a  créé  l'homme  peut  créer  la  liberté 
humaine,  la  conscience  humaine,  créer  l'obligation,  le  devoir.  Aussi 
lorsque  sur  le  sommet  du  Sinaï  Dieu  donna  au  peuple  juif  cas  lois, 
fondement  de  toute  religion  et  de  toute  société,  c'est  au  nom  et  en 
vertu  de  son  éternelle  souveraineté.  «  Tu  n'auras  pas  de  dieux 
étrangers  devant  ma  face;  c'est  moi  qui  suis  le  Seigneur.  Tu  hono- 
reras ton  père  et  ta  mère  ;  c'est  moi  qui  suis  le  Seigneur  :  Ego 
Domintcs.    » 

Ecoutons  un  autre  cardinal,  l'illustre  successeur  de  saint 
Rémi,  nous  développer  cette  même  pensée,  avec  cette  suave  et 
douce  éloquence  que  la  France  entière  admire  : 

Dieu  est  principe  et  fin  de  toutes  choses.  Los  sociétés  ont  leur 
origine  en  Lui.  N'est-il  pas  de  toute  évidence,  alors,  que  si  les 
hommes,  isolément  pris,  sont  redevables  à  Dieu  d'un  culte  déterminé, 
slls  sont  tenus  par  nature  de  le  servir  dans  la  connaissance  et  dans 
l'amour  pour  atteindre  une  fin  surnaturelle,  l'association  qu'ils 
forment  par  une  disposition  de  la  Providence  ne  modifie  et  n'atténue 
en  rien  leurs  obligations  religieuses?  La  société,  par  la  logique  et  la 
forco  même  des  choses,  a  donc  son  fondement  nécessaire  dans  la  reli- 
gion, et  sa  mission  supérieure,  qui  n'est  que  la  résultante  des 
devoirs  de  chacun,  c'est  de  travailler  au  règne  de  Dieu  sur  la  terre, 
de  sauvegarder  les  intérêts  spirituels  de  ses  membres  et  de  les  mettre 
plus  à  même  d'atteindre  leurs  destinées  éternelles.  Tel  est,  dans  le 
plan  divin,  l'ordre  social  d'où  découlent  pour  un  peuple  la  paix 
d'abord,  que  saint  Augustin  appelait  la  tranquillité  de  l'ordre,  et 
cette  beauté  qu'il  définit  la  splendeur  de  l'ordre,  qui  n'est  autre 
pour  une  nation  qu'une  glorieuse  et  féconde  prospérité. 

Or,  le  principe  constitutif  sur  lequel  la  Révolution  a  tenté,  en 
1789,  au  mépris  de  l'iîvangile,  de  l'expérience  et  de  la  raison,  d'as- 
seoir notre  société  contemporaine,  est  la  déchristianisation  de  l'ordre 
social,  l'exclusion  même  de  toute  action  religieuse  dans  la  vie  natio- 
nale. Il  n'est  plus  question  des  droits  de  Dieu  dans  la  constitution  : 
l'homme  seul  a  des  droits.  L'autorité  aux  mains  du  pouvoir  n'émane 
plus  de  Dieu.  La  religion  n'est  plus  l'âme  du  corps  social  ;  la  société 
désavoue  sa  mission  morale  et  supérieure,  c'est-à-dire  qu'elle  répudie 
à  la  fois  son  principe  et  sa  fin  et  qu'elle  perd,  au  point  de  vue  le  plus 
élevé,  sa  raison  d'être. 


LA    CONSTITUTION    CHRÉTIENNE    DE    LA    SOCIÉTÉ  363 

Dans  ce  concept  anormal  d'une  société  que  devient  cet  ordre  social, 
Source  de  la  paix  et  de  la  véritable  grandeur?  Il  est  radicalemeat 
impossible. 

Si  parfois  il  semble  s'étaler  quand  même  à  la  surface  des  choses,  il 
est  factice,  sans  fixité  ni  profondeur.  Ce  n'est  plus  le  jeu  libre,  aisé, 
fécond,  d'un  organisme  sain  et  vigoureux,  c'est  le  fonctionnement 
administratif  et  inconscient  d'une  organisation  sans  âme,  au  sein  de 
laquelle  la  multitude  se  courbe  servilement  sous  l'empire  de  la  loi, 
jusqu'au  jour  où  elle  se  sent  capable  de  la  briser  et  d'imposer  à  son 
tour  aux  maîtres  de  la  veille  sa  volonté. 

Les  adeptes  de  l'athéisme  d'Etat  ont  voulu  cacher,  sous  des 
phrases  sonores,  l'inanité  de  leur  doctrine  et  les  dangers  qu'elle 
entraîne  pour  la  société;  ils  ont  eu  recours  à  la  morale,  la  mo- 
rale indépendante,  laïque;  c'est  cette  morale  qui  servirait  doré- 
navant de  base  à  la  vie  sociale  de  nos  générations  modernes.  Le 
système  s'est  condamné  lui-même;  sa  morale  si  prônée  s'est 
dérobée  comme  une  ombre  ;  elle  n'avait  ni  consistance  ni  effica- 
cité ;  faut-il  s^'étonner  alors  du  peu  d'influence  qu'elle  exerce 
sur  les  consciences  et  du  peu  de  stabilité  qu'elle  produit  dans 
nos  institutions  sociales?  Avec  une  vigoureuse  logique,  Mgr  l'é- 
vêque  de  Versailles  fait  ressortir  l'impuissance  du  naturalisme 
contemporain  vis-à-vis  des  mœurs;  il  constate  avec  une  doulou- 
reuse émotion  le  mal  déjà  accompli.  Tout  chrétien,  tout  Fran- 
çais méditera  ces  paroles  : 

Les  philosophes  naturalistes,  suivis  en  cela  par  les  modernes  légis- 
lateurs, sentant  bien  que  l'homme,  dans  la  formation  de  son  intelli- 
gence ou  la  réglementation  de  ses  mœurs,  ne  peut  se  passer  d'un 
enseignement  moral,  ont  tenté  de  le  formuler  en  mettant  de  côté 
tout  élément  surnaturel  et  en  se  fondant  uniquement  sur  les  instincts 
généraux  de  la  raison  humaine.  De  là  est  venue  ce  qu'on  appelle 
couramment  la  morale  civique,  la  morale  libre  ou  indépendante. 
Mais  cet  arbre  sans  racines  n'a  point  donné  de  fruits,  ou  n'a  porté 
que  des  fruits  amers.  La  morale  libre  n'a  trop  souvent  produit  que 
des  actes  aussi  indépendants  de  ses  principes  qu'elle  l'est  elle-même 
de  toute  autorité  ;  la  morale  civique,  la  seule  dont  les  manuels 
soient  autorisés  à  pénétrer  dans  les  écoles  officielles,  laisse  les  maîtres 
aussi  froids  que  les  élèves  y  sont  indifférents;  son  enseignement  est 
négligé  ou  sans  honneur,  et  tout  récemment  des  témoins  noa  suspects 
étaient  forcés  de  reconnaître  qu'il  était  réduit  à  rien  dans  les  écoles 
publiques. 

Après  une  courte  épreuve,  tous  ceux  que  ne  possède  pas  entière- 
ment l'esprit  sectaire  demandent  comme  une  nécessité  sociale  que 
l'enseignement  religieux  soit  rendu  à  l'enfance;  on  arrive  à  recon- 


364  ANNALES    CATHOLIQUES 

naître  que  l'absence  de  toute  idée  religieuse  dans  l'éducation  forme 
une  lacune  regrettable,  ef  naguère  un  grand  journal  officieux,  nulle- 
ment suspect  de  cléricalisme,  ouvrait  l'avis  que  renseignement  reli- 
gieux soit  rétabli  dans  les  écoles  publiques  et  qu'il  puisse  y  être 
donné  par  le?  ministres  du  culte,  indiqués  naturellement  pour  cet 
office  par  leur  préparation  et  leur  caractère. 

C'est  qii'il  n'y  a  pas  moyen  de  fermer  les  yeux  sur  ce  qui  se  passe 
tous  les  jours  parmi  nous.  Les  prévisions  que  nous  votis  exprimions 
nous-même  il  va  quelques  années,  au  sujet  de  la  neutralité  scolaire, 
se  sont  malheureusement  réalisées.  Des  écoles  sans  Dieu  sort  une 
génération  affranchio  de  tout  respect  bientôt  emportée  par  un  cou- 
rant qui  la  précipite  vers  tous  les  désordres,  trop  souvent  même  vers 
le  crime. 

Ce  naturalisme  que  Mgr  de  Versailles  vient  de  stigmatiser  si 
éncrgiqucment  est  bleu  la  grande  hérésie  de  nos  temps 
modernes;  aucune  des  hérésies  dupasse  n'avait  revêtu  ce  carac- 
tère si  grave  d'apathie  et  d'indifférence  pour  les  choses  de  la 
religion;  aussi  est-ce  une  douce  consolation  de  se  reporter,  avec 
le  pieux  et  savant  évoque  do  Niu:ics,  Mgr  Gillv,  à  ces  âges  de  foi 
cil  la  société  chi^êtienne  fit  tant  do  merveilles: 

Quand  le  christianisme  fit  son  apparition  dans  le  monde,  ses  pre- 
miers adeptes  s'éprirent  pour  les  mystères  et  la  nKjralc  de  notre 
religion  de  l'ardeur  la  plus  généreuse.  On  vit  alors  jusqu'à  des 
femmes  et  des  enfants  s'estimer  heureux  d'avoir  à  subir  quoique 
opprobre  [)0ur  l'honneur  du  nom  chrétien  qu'ils  portaient,  tant  les 
entraînaient  ces  nobles  exemples  de  ceux  à  qui  la  postérité  a  con- 
servé le  nom  do  témoins  par  exollence  ou  do  martyrs  de  la  foi. 

Cette  vaillante  ardeur  pour  le  nom  du  Christ  et  pour  ses  enseigne- 
monts  se  conserva  pertdant  de  longs  siècles  ,  le  géhie  défendit  la 
doctrine  chrétienne,  dans  les  conciles,  par  la  parole;  auprès  des 
maîtres  du  monde,  par  des  écrits  fermes  et  lumineux  ;  sur  les  champs 
de  bataille,  on  vit  se  précipiter  avec  un  courage  et  un  désintéresse- 
ment bien  faits  pour  étonner  l'humanité,  autant  que  pour  l'honorer, 
de?  hommes  valeureux  qui  quittaient,  quand  il  le  fallait,  leurs  pays 
et  leurs  famille?  afin  d'aller  délivrer  le  tombeau  de  Notre-Seigneur 
tombé  aux  mains  dos  fidèles.  La  France  garde,  en  un  livre  d'or,  le 
nom  des  plus  illustres  d'entre  ses  fils,  qui,  les  premiers  et  les  der- 
niers, entreprirent  et  continuèrent  ces  nobles  expéditions.  Admira- 
blement préparés  par  la  vivacité  de  leur  esprit  et  par  la  profondeur 
de  leur  cœur  â  concevoir,  dès  le  premier  instant,  de  grandes  pensées 
et  à  s'ouvrir  des  sentiments  généreux,  nos  pères  tenaient  alors  le 
premier  rang  dans  le  monde,  et  ils  le  gardèrent  tant  qu'ils  furent 
fidèles  à  soutenir  la  cause  de  Dieu  et  de  son  Christ.  Aussi  leur  action 
devint  proverbiale   et  l'on   disait  d'eux  :  Dieu,  qui  aime  les  Francs, 


LA    CONSTITUTION    CHRÉTIENNE    DE    LA.    SOCIÉTÉ  365 

les   a    pris  pour  les    soldats    et   pour   les   artisans    de    ses    œuvres. 

Voilà  ce  qu'était  et  ce  que  pouvait  la  société,  alors  que  le 
souffle  chrétien  l'animait  encore  ;  l'Eglise,  en  prenant  sous  sa 
protection  les  empires  naissants,  leur  a  laissé  à  chacun  son 
caractère  propre  ;  elle  a  scrupuleusement  respecté  sa  mission 
divine  et  elle  s'y  est  renfermée.  Que  lui  importaient  du  reste  les 
formes  politiques  du  pouvoir  civil,  pourvu  que  la  loi  de  Dieu 
fût  respectée.  Un  ancien  supérieur  de  l'école  des  Carmes, 
Mgr  Hugonin,  évêque  de  Baveux,  relève  magnifiquement  ce  fait 
et  trace  une  brillante  apologie  de   l'action   sociale  de  l'Eglise: 

L'Eglise  n'a  reçu  de  son  fondateur  divin  aucune  mission  politique. 
Elle  a  vécu  et  elle  vit  sous  tous  les  régimes.  Elle  ne  condamne 
aucun  gouvernement,  â  moins  qu'il  ne  soit  contraire  à  la  loi  morale 
ou  à  la  loi  religieuse.  Elle  sait  que  Dieu  a  doué  l'homme  de  liberté, 
qu'il  honore  cette  liberté  et  qu'il  lui  fait  sa  part  dans  le  gouverne- 
ment du  monde  ;  l'Eglise  ne  prétend  ni  la  supprimer  ni  la  restreindre. 
Elle  n'ignore  pas  les  désordres  que  peut  produire  l'abus  de  cette 
liberté;  elle  ne  s'en  effraie  pas,  parce  qu'elle  sait  que  si  l'homme  est 
libre,  il  n'est  pas  indépendant,  et  qu'au-dessus  des  gouvernements 
humains,  il  y  a  le  gouvernement  suprême  de  la  Providence,  capable 
de  rétablir  l'ordre  troublé  et  même  de  tirer  le  bien  du  mal.  Associée 
à  i"œuvre  rédemptrice  de  iSotre-Seigneur  Jésus -Christ,  elle  poursuit 
uniquement  la  régénération  de  l'humanité  déchue  et  la  perfection 
morale  de  l'homme.  Elle  perfectionne  les  sociétés  en  perfectionnant 
les  individus,  et  les  gouvernements,  en  faisant  régner  avec  eux  la 
justice  et  la  charité.  Elle  ne  s'emprisonne  dans  aucun  des  faits  poli- 
tiques qui  se  disputent  le  pouvoir;  elle  tient  à  demeurer  libre 
d'accomplir  sa  mission  et  de  se  donner  à,  tous  sans  exception.  L'a-t-on 
vue  quelquefois  dans  ses  conseils  élaborer  de  noiivelles  constitutions 
et  les  imposer  aux  peuples  ?  Non  ;  elle  affirmait  sa  foi,  elle  se  réformait 
elle-même  quand  lu  faiblesse  humaine,  quand  des  immixtions  témé- 
raires dans  le  corps  de  ses  pasteurs  avaient  introduit  des  abus  au 
soin  de  la  hiérarchie. 

L'Eglise  ne  distribue  pas  les  pouvoirs  dans  la  société  civile  ;  elle  ne 
règle  pas  dans  la  condition  qu'il  occupe,  dans  la  fonction  qu'il  rem- 
plit, roi  ou  empereur,  magistrat  ou  père  de  famille,  fonctionnaire  ou 
simple  citoyen,  l'obligation  de  régler  sa  conduite  conformément  aux 
préceptes  de  l'Evangile.  C'est  ce  que  nous  apprend  l'histoire  des 
siècles  passés. 

(Le  Monde.)  L'abbé  .1.  Wagner. 


3G6  ANWALBS  CATHOLIQUIS 

LES  «  VÉNÉRABLES  »  DE  LA  MAÇONNERIE 

Un  scandale  financier  d'un  nouvel  ordre  vient  d'être  révélé 
en  Italie.  Il  a  été  établi  que  le  grand-maître  de  la  Franc- 
Maçonnerie  a  pu,  avec  la  complicité  du  ministre  Doda,  combi- 
ner une  spéculation  frauduleuse  sur  les  tabacs  —  dont  l'Etat  a 
le  monopole,  —  et  s'attribuer,  au  dépens  du  Trésor,  une  somme 
de  deux  millions  cinq  cent  cinquante-cinq  mille  francs! 

Comment  s'étonner  encore  du  désarroi  des  finances  italiennes, 
quand  on  voit  le  trésor  ainsi  mis  an  pillage  avec  la  permission 
des  ministres  qui  en  ont  la  garde? 

Les  Francs-Maçons  ?ont  partout  les  mêmes  !  Malheur  aux 
pays  qui  tombent  entre  leurs  grifi*esl 

Le  Lemmi,  d'ailleurs,  est  fidèle  à  ses  antécédents.  Ce  Grajid- 
Maàtre  de  la  Franc-Maçonnerie  italienne,  cet  homme  auquel 
tous  les  Francs-Maçons  d'Italie  doivent  respect  et  obéissance 
aveugle,  est  un  repris  de  justice  condamné  jadis  pour  vol  à 
Marseille. 

Voici  le  texte  mémo  du  jugement  pronon-cé  contre  lui  : 

Extrait  des  registres  du  greffe  du  tribunal  do  première  instance 
séant  à  Marseille. 

En  la  cause  de  M.  le  procureur  du  roi  près  lo  tribunal  de  première 
instance  séant  à  MarKcille,  demandonr,  aux  fins  d'une  citation  du 
dix-huit  mars  mil  huit  cent  quarante-quatro, 

Contre  le  nommé  Adrien  Lemmi,  5gé  de  vingt-deux  ans,  se  dipant 
ex-négociairt',  né  à  Florence,  demeurant  à  Marseille,  rue  Vacon, 
prévenu  de  vol,  présentement  détenu. 

Vu  les  articles  52  et  401  du  Code  pénal. 

En  fait,  lo  deux  janvier  dernier,  Adrien  Lemmi  arriva  de  Livonme 
à  Marseille,  possesseur  pour  toute  fortune,  et  de  son  aveu,  d'une 
somme  de  300  francs  destinée,  dans  Topinion  du  prévenu,  aux  frais 
d'un  voyage  à  Paris,  que  celui-ci  devait  effectuer  incessamment. 

Cette  somme  fut  bientôt  épuisée  par  des  dépenses  fort  au-dessus 
des  moyens  de  Lemmi,  qui  resta  sans  ressources  quelconques. 

Le  prévenu  se  lia  d'amitié  avec  le  sreur  Graud  Bonbagne,  docteur 
en  médecine  à  Marseille,  on  ne  sait  trop  comment  et  par  quel  motif; 
Lemmi  se  disait  alors  propriétaire  d'un  patrimoine  considérable  qu'il 
tenait  de  la  succession  de  l'un  de  ses  oncles  et  dont  le  revenu  étaitf 
fort  au-dessus  de  la  somme  annuelle  de  vingt  mille  francs. 

Il  montrait  même  une  lettre  de  crédit  à  lui  annoncée,  remise  par 
a  maison  Falconnet  et  C'',  de  Naples,  sur  les  sieurs  Pastré  frères, 
de  Marseille,  lettre  de  crédit  qui  plus  tard  a  été  reconnue  fausse  et  a 


LES  VÉNÉRABLES  DE  LA  MAÇONNERIE  367 

donné  lieu  à  une  poursuite  au  grand  criminel,  à  raison  de  laquelle 
Lemmi  a  été  renvoyé  devant  la  cour  d'assises  des  Bouches-du-Rhnne 
par  la  même  ordonnance  du  12  mars  courant. 

C'est  à  l'aide  de  ces  moyens  fallacieux  que  Lemmi  parvint,  sans  la 
moindre  peine,  à  se  faire  prêter  diverses  sommes  par  le  sieur  Grand 
Bonbagne  et  à  être  admis  dans  la  msison  de  ce  dernier  comme  le 
serait  un  proche  parent. 

Le  prévenu  a  avoué,  et  cette  déposition  est  confirmée  par  la  dé- 
position des  sieur  et  dame  Grand  Bonbagne,  que,  dans  la  matinée 
du  trois  février  dernier,  se  trouvant  dans  la  chambre  à  coucher  de 
la  dame  Grand  Bonbagne,  celle-ci  ayant  ouvert  son  Bocrétaire  pour 
en  extraire  un  papier  sans  importance  qu'elle  voulait  montrer  au 
prévenu,  ce  dernier  feignit  de  se  trouver  incommodé  et  demanda 
une  tasse  de  tisane  de  tilleul. 

La  dame  Grand  Bonbagne  mit  tant  d'empressement  à  satisfaire  à 
cette  demande  qu'elle  sortit  aussitôt  de  son  appartement  pour  des- 
cendre dans  la  cuisine  sans  prendre  la  précaution  de  fermer  son 
secrétaire. 

Lemmi  s'étant  déjà  aperçu  que,  dans  nn  des  tiroirs  de  ce  bureau, 
était  une  bourse  en  perles  communes  de  couleur  verte  qui  paraissait 
dodue,  telles  sont  les  expressions  employées  par  le  prévenu,  et  pro- 
fitant de  l'absence  momentanée  de  la  dame  Grand  Bonbagne,  Lemmi 
s'empara  de  cette  bourse  et  sortit  presque  immédiatement  de  la 
maison. 

Etonnée  de  cette  fuite,  la  dame  Grand  Bonbagne  vérifia  le  tiroir 
de  son  bureau,  et  ayant  reconnu  le  vol  commis  à  son  préjudice,  dans 
l'opinion  que  Lemmi  en  était  seul  l'auteur,  cette  dame  et  son  époux 
se  mirent  à  la  recherche  du  voleur,  qui  fut  rencontré  dans  une  au- 
berge possesseur  de  la  majeure  partie  de  la  somme  volée. 

Attendu  que  la  soustraction  frauduleuse  ci-dessus  mentionnée  a 
été  commise  sans  effractions  quelconques,  en  plein  jour  et  par  une 
seule  personne  ; 

Qu'elle  constitue  le  vol  simple  prévu  et  puni  par  l'article  401  du 
Code  pénal  ; 

Attendu  que  Lemmi  est  étranger,  qu'il  est  impliqué  dans  une  pro- 
cédure en  faux  sur  écriture  de  commerce; 

Qu'il  ne  présente  aucune  espèce  de  garanties; 

Pour  tous  ces  motifs  : 

Le  tribunal  faisant  droit  à  la  plainte  de  M.  le  procureur  du  Roî, 
déclare  Adrien  Lemmi  atteint  et  convaincu  d'avoir,  dans  la  matinée 
du  3  février  dernier,  frauduleusement  soustrait,  dans  le  mode  pré- 
désigné, au  préjudice,  dans  la  maison  du  sieur  Alphonse  Grand 
Bonbagne,  docteur  en  médecine,  rue  Petit-Saint-Jean,  n°  33,  à 
Marseille  : 

Primo  :  la  quantité  de  quinze  pièces  en  or,  dites  napoléons,  de  la 
valeur  totale  de  trois  cents  francs. 


368  annai.es  catholiques 

Secundo  :  une  bourse  en  perles  communes  de  couleur  verte,  avec 
fermoir. 

Tertio  :  un  papier  contenant  une  recette  pour  la  confection  d'une 
confiture. 

Pour  réparation,  par  application  des  articles  52  et  401  du  Code 
pénal,  condamne  Lemmi  à  un  an,  un  jour  d'emprisonnement  et  aux 
dépens,  avec  contrainte  par  corps  ; 

Ordonne  qu'à  l'expiration  de  sa  peine  il  demeurera  placé  pendant 
cinq  ans  sons  la  surveillance  de  la  haute  police; 

Ordonne  la  restitution  au  sieur  Grand  Bonbagne  de  la  somme  de 
300  francs,  de  la  bourse  et  du  papier  sus-énoacés. 

Fait  en  jugement,  prononcé  en  audience  publique,  au  Palais  de 
justice,  à  Marseille,  le  21  mars  1844.  Signé  :  de  la  Boulco,  Bouis, 
Tassy  et  Gilly. 

Enregistré  à  Marseille,  le  11  avril  1842,  folio  75,  case  5,  droit  en 
débet  un  franc  10  centimes,  à  comprendre  dans  les  frais.  Signé  : 
Tourtier. 

Tel  est  riiomme  quo  les  frnncs-raaçons  d'italio  ont  jugé  lo 
plus  digne  parmi  eux. 

Tel  o^t  l'hoiiimo  qui  dicte  ses  volontés  aux  ministres  francs- 
maçons  et  qui  dirige  eftectiveraent  toute  la  politique  radicalo 
du  cabinet  Crispi. 

Un  voleur  qui  a  passé  par  la  prison  et  quo  la  haute  police  a 
retenu  pendant  cinq  ans  sous  sa  surveillance. 

Francs-macons  de  tous  les  pays,  inclinez-vous  devant  lo 
Vôn.".  Gr.*.  M.*,  des  Loq-es  italioiinc.ii! 


ASSEMBLEE  GENERALE 
DE  L'ŒUVRE  DES  CERCLES  CATHOLIQUES 

L'Œuvre  des  Cercles  catholiques  d'ouvriers  a  tenu  son  Assem- 
blée générale  à  Paris,  du  27  avril  au  4  mai.  Un  grand  nombre 
d'adhérents  de  la  cai'itale  et  de  la  province  étaient  présents. 
Avant  de  commencer  leurs  travaux,  les  membres  de  l'Assemblée 
ont  assisté,  le  dimanche  27  avril,  au  salut  solennel  célébré  à 
iNotre-Dame  pour  l'Union  des  Œuvres  ouvrières.  Chaque  matin 
iis  se  réunissaient  pour  assister  au  saint  sacrifice  de  la  messe,  à 
Saint-Germain-des-Prés. 

Les  séances  ont  présenté  le  plus  grand  intérêt,  elles  étaient 
présidées  par  M.  le  comte  Albert  de  Mun  assisté  de  MM.  Léon 
Harmel,  marquis  de  La  Tour-du-Pin,  de  la  Guillonniére,  do 
Marolles,  de  Malherbe,  de  Villcchaize,  Barthélémy,  de  Boavou- 


ASSEMBLÉE    GENERALE   DE    l'œUVRE   DES    CERCLES  369 

loir,  Pégat,  Gréau,  etc..  Un  grand  nombre  de  dames  ont  suivi 
les  séances.  Il  nous  est  impossible  de  citer  les  noms  de  tous  les 
orateurs. 

Dans  les  deux  premières  journées,  il  a  été  question  des  cor- 
porations et  syndicats  propres  au  travail  industriel  et  des  syn- 
dicats agricoles.  Ces  institutions  ont  pris  un  réel  développement. 
Les  beaux  exemples  de  M.  Harmel  et  de  ses  usines  du  Val-des- 
Bois,  sont  suivis  particulièrement  dans  les  grands  centres 
industriels  du  Nord.  Les  syndicats  agricoles  qui  se  rattachent  à 
l'Œuvre  des  Cercles  sont  au  nombre  d'environ  quatre-vingts. 
On  étudie  les  moyens  d'établir  de  la  cohésion  entre  ces  diffé- 
rentes institutions,  en  leur  permettant  de  se  rendre  des  services 
mutuels. 

La  troisième  journée  a  été  consacrée  à  l'étude  des  moyens 
de  propagande  populaire.  Elle  s'exerce  surtout  par  les  confé- 
rences populaires,  parla  presse,  et  par  l'organisation  de  Secré- 
tariats dîc peujjle,  qui  permettent  aux  ouvriers  de  l'Œuvre  de 
procurer  à  tous  leurs  camarades  des  consultations  gratuites 
pour  tous  leurs  besoins. 

Au  cours  de  Ja  quatrième  journée,  l'Assemblée  s'est  occupée 
des  moyens  de  continuer  le  mouvement  qui  a  eu  lieu  l'année 
dernière,  à  propos  du  centenaire  de  1789,  et  qui  s'est  manifesté 
par  dix-huit  assemblées  provinciales  et  par  l'Assemblée  géné- 
rale des  délégués  tenue  à  Paris,  au  mois  de  juin,  et  qui  a 
dressé  les  Cahiers  de  1889. 

Mentionnons,  parmi  les  travaux  de  l'Assemblée,  une  intéres- 
sante réunion  ouvrière  dans  laquelle  ont  été  discutées  les 
questions  sociales  les  plus  actuelles,  tels  que  le  chômage  et  les 
syndicats.  Ceux  qui  y  ont  assisté  ont  pu  se  convaincre  que 
l'ouvrier,  instruit  de  ses  vrais  intérêts,  réclame  une  juste  pro- 
tection, mais  se  garde  contre  les  excitations  révolutionnaires. 

Au  début  de  la  séance  du  vendredi,  lecture  a  été  donnée  d'une 
dépèche  du  cardinal  Rampolla,  annonçant  que  le  Saint-Père 
envoyait  sa  bénédiction  à  l'Assemblée. 

Dans  cette  séance,  on  a  rendu  compte  des  travaux  de  l'Œuvre 
sur  le  terrain  de  la  législation. 

Les  projets  de  lois  préparés  sont  relatifs  :  1°  à  la  réglemen- 
tation du  travail  industriel  ;  2°  aux  conseils  d'arbitrage  et  de 
conciliation  ;  3°  à  l'insaisissabilité  du  petit  domaine  de  famille 
(homestead).  Ils  seront  présentés  au  Parlement  par  ceux  des 
membres  qui  en  font  partie.  D'autres  projets  sont  en  prépa- 
ration. 27 


370  ANNALES  CATHOLIQUES 

Une  intéressante  discussion  s'est  alors  ouverte  sur  la  graA^e 
question  du  droit  d'intervention  des  pouvoirs  publics  en  matière 
de  travail. 

M.  le  président  ayant  interrogé  l'assemblée,  a  constaté  qu'elle 
était  unanime  pour  reconnaître  en  principe  le  droit  d'interven- 
tion du  pouvoir  dans  l'intérêt  moral  et  matériel  de  la  classe 
ouvrière,  même  en  ce  qui  concerne  le  travail  des  adultes. 

Samedi,  l'assemblée  a  entendu  M.  Harmel  rendre  compte  des 
nombreuses  Œuvres  de  femmes  et  de  jeunes  filles  auxquelles 
s'intéressent  les  dames  patronnesses,  dont  le  zèle  et  le  dévoue- 
ment ne  se  fatiguent  jamais.  Puis  un  rapporta  été  présenté  sur 
l'Association  catholique  de  la  jeunesse  française  qui  a  pour  but 
de  préparer  les  jeunes  gens  à  prendre  part  aux  œuvres  sociales. 
Elle  compte  actuellement  61  groupes  en  province. 

Le  soir,  M.  le  comte  de  Mun  a  prononcé  le  discours  de 
clôture.  L'illustre  orateur,  après  s'être  félicité  de  voir  reprendre 
lea  assemblées  générales  interrompues  depuis  trois  ans  pour 
diverses  causes,  a  constaté  le  chemin  parcouru  par  l'Œuvre 
pendant  ce  temps. 

Autrefois,  on  fondait  un  Comité  qui  établissait  un  Cercle,  et 
les  premiers  statuts  de  l'Œuvre  suffisaient  à  donner  des  règles 
de  direction.  Aujourd'hui  le  champ  s'est  élargi.  Comme  exemple 
il  cite  l'association  catliolique  de  la  jeunesse  française,  ratta- 
chée à  l'Œuvre  par  un  lien  fondamental,  mais  ayant  son  auto- 
nomie, le  mouvement  produit  par  M.  Ilarmel,  manifesté  par 
l'établissement  de  l'usine  chrétienne,  les  syndicats  agricoles 
établis  par  l'Œuvre  depuis  la  loi  de  1884,  la  méthode  de 
M.  l'abbé  Garnier,  qui  forme  de  vastes  associations  pour  y 
recueillir  l'élite  d'associations  nouvelles,  le  mouvement  des 
assemblées  provinciales  né  d'un  besoin  public  au  moment  du 
centenaire  de  1789,  et  qui  a  produit  sous  l'impulsion  de  l'Œuvre 
les  cahiers  de  1889,  enfin  l'ensemble  des  études  sociales  qui 
forme  un  corps  de  doctrine. 

La  conclusion  qu'il  a  tirée  en  constatant  ces  progrès,  c'est  que 
le  siècle  de  l'individualisme  est  fini  et  que  le  siècle  de  l'organi- 
sation commence.  Si  l'individualisme  a  encore  ses  partisans 
théoriqnes,  personne  ne  le  met  plus  en  pratique;  tout  le  monde 
s'associe,  se  groupe  ;  c'est  le  prélude  d'une  grande  transforma- 
tion sociale.  Ce  que  sera  cette  transformation,  une  telle  prévi- 
sion dépasse  ce  qu'il  est  permis  d'entreveir;  elle  touche  aux 
plus  hautes  questions  de  la  propriété,  du  crédit,  du  travail.  Mais 


NÉCROLOGIE  371 

on  peut  affirmer  hautement  que  si  cette  transformation  n'est 
pas  chrétienne,  elle  sera  socialiste  et  amènera  les  plus  épouvan- 
tables catastrophes. 

Dimanche,  4  mai,  une  belle  cérémonie  religieuse,  célébrée  à 
Montmartre,  a  marqué  la  fin  de  cette  importante  assemblée. 
Avant  de  se  séparer,  les  nombreux  assistants  ont  re^u  la  béné- 
diction papale,  donnée  au  nom  du  Souverain  Pontife  par 
Mgr  Duboin  évêque  de  Raphanée,  que  S,  E,  le  cardinal  Richard 
avait  chargé  de  le  représenter  pour  la  circonstance* 


NECROLOGIE 


Le. général  Cassola  vient  de  mourir  en  Espagne.  —  Il  était 
né  le  27  août  1838,  à  Hellin,  province  d'Albacete  ;  il  entra  au 
collège  militaire  de  Tolède  en  1852,  devint  lieutenant  en  1857, 
passa  en  1862  à  l'armée  de  Cuba,  où  il  se  distingua  beaucoup 
contre  les  insurgés.  En  1871,  il  revint  dans  la  péninsule,  oii  il 
prit  une  part  brillante  à  la  guerre  contre  les  carlistes.  Il  y 
gagna  le  grade  de  général  de  brigade.  En  cette  qualité,  il  re- 
tourna à  Cuba,  où  il  contribua  au  succès  de  la  dernière  campagne 
contre  les  créoles  et  fit  un  traité  provisoire  avant  les  négociations 
du  maréchal  Campos  avec  les  chefs  de  l'insnrreetion  cubaine. 

Revenu  en  Espagne,  le  général  Cassola  devint  successive- 
ment lieutenant-général,  gouverneur  de  Grenade,  directeur 
général  de  l'artillerie  et  ministre  de  la  guerre  avec  M.  Sagasta, 
qui  le  choisit  pour  combattre  l'influence  du  général  Lopez  Do- 
minguez  et  sur  la  recommandation  du  maréchal  Campos. 

Au  Parlement  et  dans  le  cabinet,  le  général  Cassola  fut  sin- 
gulièrement réservé  et  silencieux, jusqu'au  moment  où  il  aborda 
les  fameuses  réformes  militaires  auxquelles  son  nom  reste  atta- 
ché. Il  se  révéla  orateur  habile  et  hardi.  Plus  tard,  il  devint  un 
des  plus  redoutables  adversaires  deM.  Sagasta,  quand  ce  minis- 
tre le  sacrifia  et  écourta  les  réformes  militaires  pour  plaire  au 
maréchal  Campos  et  aux  généraux  qui  représentaient  les  résis- 
tances des  anciens  états-majors  et  des  armes  spéciales  aux  pro- 
jets Cassola. 

Dans  la  dernière  phase  de  sa  vie  politique,  le  général  Cassola 
fut  la  principale  figure  du  groupe  des  libéraux-dissidents  et 
l'interprète  le  plus  populaire  des  résistances  des  généraux  et 
des  militaires  de  tout  rang  contre  la  politique  de  M.  Sagasta. 


372  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  voyage  du  roi  Dinah-Salifou  à  l'Exposition  ne  lui  aura 
pas  porté  bonheur.  Il  vient  d'être  empoisonné  par  ses  sujets. 
Les  lettres  apportées  par  le  Taurus,  et  qui  nous  font  connaître 
cette  nouvelle,  nous  apprennent  que  le  petit  roi  nègre  a  été 
assassiné  parce  qu'il  avait  voulu  implanter  la  civilisation  euro- 
péenne dans  ses  Etats.  A  ce  titre,  Dinah-Salifou  est  certaine- 
ment une  victime  du  progrès;  etc'est  parce  qu'il  a  été  trop  pressé 
d'  «  éclairer  les  masses  »  que  celles-ci  ont  mélangé  de  vilaines 
herbes  à  son  dernier  repas.  Mais,  d'un  autre  côté,  peut-on  en 
vouloir  beaucoup  à  ses  sujets  d'avoir  regimbé?  Peut-être 
Dinah-Salifou  a-t-il  essayé  d'établir  là-bas  une  Chambre  et  un 
Sénat. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Paris.  —  L'Assemblée  des  catholiques  a  été  close  samedi 
soir  10  mai. 

Nous  reviendrons  sur  cette  très  intéressante  assemblée. 

En  attendant,  voici  l'adresse  envoyée  au  Souverain  Pontife 
par  l'Assemblée  des  catholiques. 
Très  Saint-Père, 

Au  moment  de  se  séparer,  les  membres  de  la  dix-neuvième  assem- 
blée des  catholiques  de  France  tournent  le  regard  vers  Votre  Sainteté 
pour  lui  offrir,  avec  l'expression  de  leur  filial  respect,  l'hommage  des 
sentiments  d'admiration  et  de  confiante  soumission  que  leur  inspi- 
rent les  vertus  et  les  admirables  enseignements  du  Vicaire  do  Jésus- 
Christ. 

Ainsi  que  nous  l'enseigne  la  dernière  et  mémorable  Encyclique  de 
Votre  Sainteté,  nous  nous  plaisons  à  reconnaître  que  «  l'amour  sur- 
naturel de  l'Eglise  et  l'amour  naturel  de  la  patrie  procèdent  du  même 
éternel  principe;  que  tous  deux  ont  Dieu  pour  auteur  et  pour  cause 
première;  d'où  il  suit  qu'il  ne  saurait  y  avoir  entre  les  devoirs  qu'ils 
imposent  ni  répugnance  ni  contradiction.  Aimer  les  deux  patries, 
celle  de  la  terre  et  celle  du  ciel,  mais  de  façon  que  l'amour  de  la 
patrie  céleste  l'emporte  sur  l'amour  de  la  première,  et  que  jamais  les 
lois  humaines  ne  passent  avant  la  loi  de  Dieu  »,  tel  est  le  bien  pour 
nous,  le  devoir  essentiel  d'où  sortent  comme  de  leur  source  tous  nos 
autres  devoirs. 

Un  peu  plus  loin,  Votre  Sainteté  nous  convie  à  coopérer  à  l'apostolat, 
sous  la  direction  du  Pontife  suprême  et  des  pasteurs  de  l'Eglise,  nous 
rappelant  les  paroles  des  Pères  du  concile  du  Vatican  :  «  Tous  les 
chrétiens  fidèles,  disent-ils,  surtout  ceux  qui  président  et  qui  ensei- 


gnent,  nous  les  supplions,  par  les  entrailles  de  Jésus-Christ,  et  nous 
leur  ordonnons,  en  vertu  de  l'autorité  de  ce  même  Dieu  sauveur,  d'unir 
leur  zèle  et  leurs  efforts.  » 

C'est  à  répondre  au  désir  de  Votre  Sainteté  que  cette  assemblée 
des  catholiques  vient  de  consacrer  ses  efforts.  Elle  ne  compte  dans  ses 
rangs  aucun  de  ceux  dont  Votre  Sainteté  a  dit  qu'ils  «  aiment  la  pru- 
dence de  la  chair  et  font  semblant  d'ignorer  que  tout  chrétien  doit 
être  un  vaillant  soldat  du  Christ.  » 

Tous,  au  contraire,  témoignent  d'un  ardent  désir  de  combattre  avec 
plus  d'ardeur  que  jamais  pour  la  cause  de  notre  sainte  religion  et 
Taff'ranchissement  du  glorieux  captif  du  Vatican. 

Encouragés  par  le  premier  pasteur  du  diocèse,  dont  nous  avons 
salué  avec  joie  l'élévation  à  la  dignité  cardinalice,  nous  avons  étudié 
avec  une  sollicitude  particulière  les  moyens  d'assurer  l'instructiou 
religieuse  des  enfants  que  les  lois  néfastes  condamnent  au  régime  de 
l'école  sans  Dieu  ;  d'assurer  la  diffusion  de  la  bonne  presse,  de  pré- 
server et  de  fortifier  la  foi  des  jeunes  gens  qu'une  législation  nou- 
velle, au  mépris  des  immunités  les  plus  respectables  et  les  plus  né- 
cessaires, appelle  sans  aucune  distinction  sous  les  drapeaux. 

De  longues  délibérations  ont  été  consacrées  aux  œuvres  fondées  en 
vue  d'assurer  l'observation  du  repos  dominical,  loi  que  beaucoup  de 
chrétiens  ont  malheureusement  cessé  de  respecter,  mais  dont  la  sa- 
gesse semble  devoir  être  bientôt  reconnue,  même  par  les  adversaires 
de  notre  sainte  religion. 

Enfin,  nous  avons  réuni  nos  efforts  pour  le  développement  des 
œuvres  de  piété  et  de  réparation,  spécialement  de  celles  qui  ont  pour 
but  d'accroître  la  dévotion  envers  le  Saint-Sacrement  et  le  Sacré-Cœur 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Nos  âmes  s'indignent  à  la  pensée  des  outrages  dont  la  haine  des 
méchants  abreuve  Votre  Sainteté,  et  nous  nous  désolons  de  voir  que 
toutes  les  protestations  par  lesquelles  les  fidèles  réclament  la  resti- 
tution de  votre  indépendance  et  de  votre  souveraineté  restent  jusqu'à 
présent  stériles.  Puissions-nous,  du  moins,  par  l'énergie  de  notre  dé- 
vouement et  par  l'ardeur  de  notre  prière,  hâter  le  moment  de  la  dé- 
livrance du  Vicaire  de  Jésus -Christ  ! 

C'est  dans  ce  sentiment.  Très  Saint  Père,  que,  prosternés  à  vos 
pieds,  les  membres  de  l'assemblée  des  catholiques  supplient  humble- 
ment Votre  Sainteté  de  daigner  agréer  l'hommage  de  leur  filiale  vé- 
nération et  de  leur  accorder  la  bénédiction  apostolique. 


—  La  Société  générale  d'éducation  et  d'enseignement  a  tenu, 
le  7  mai,  dans  la  salle  du  Cercle  catholique  du  Luxembourg,  sa 
séance  publique  annuelle,  sous  la  présidence  de  Mgr  d'Hulst, 


374  ANNALES   CATHOLIQUES 

qui  avait  à  sa  droite  M.  Chesnelong,  président  de  la  Société,  et 
à  sa  gauche  M.  Keller^  vice-président. 

Nous  avons  remarqué  sur  l'estrade  ou  dans  la  salle  :  Monsei- 
gneur Frevdier,  M.  l'abbé  Connelly ,  M.  l'abbé  Gaultier  de  Claubry, 
les  T.  C.  Frères  Dominatoris,  Justinus  et  Gébuin  ;  MM.  Le  Breton 
et  Delbreil,  sénateurs;  Taudière  et  Thellier  de  Poncheville, 
députés;  MM.  le  comte  A.  du  Clésieux,  Merveilleux  du  Vignaux, 
Larcher,  A.  Rondelet,  Delamarre,  le  baron  A.  de  Claye,  Pas- 
calis,  Jamet,  de  Crousaz-Crétet,  Cauchy,  Laurent,  La  Caille,  le 
marquis  de  Falaiseau,  Ch.  Huit,  Martin,  Mas-Latrie,  le  comte 
de  Resbecq,  etc. 

Au  début  de  la  séance,  M.  Chesnelong  a  donné  lecture  d'un 
télégramme  de  S.  Em.  le  cardinal  Rampolla  annonçant  que  le 
Souverain  Pontife  envoyait  de  tout  cœur  à  l'Assemblée  des 
catholiques  sa  paternelle  bénédiction. 

Dans  son  ensemble,  la  séance  a  présenté  un  grand  et  particu- 
lier intérêt.  Elle  n'a  pas  simplement  appelé  l'attention  sur  la 
question  vitale  de  l'enseignement,  ou  traité  quelque  point  de 
cette  question.  Elle  l'a  fait  apparaître  tout  entière,  et  à  mesure 
que  parlaient  les  orateurs,  l'importance  de  la  lutte  engagée  pour 
la  défense  de  l'instruction  chrétienne,  la  nature,  les  mobiles, 
l'organisation  et  les  manœuvres  des  armées  opposées,  les  phases 
et  les  résultats  de  la  bataille,  tout  défilait  successivement  devant 
les  yeux  de  l'esprit. 

Ces  orateurs  étaient  :  L'illustre  président  de  la  Société, 
M.  Chesnelong,  qui  a  dit,  avec  toute  la  sublimité  et  toute  la 
chaleur  de  l'éloquence,  dans  une  allocution  vibrante,  ce  que 
pour  nous,  chrétiens  et  Français,  est  cette  question  de  l'ensei- 
gnement, oii  sont  engagés  le  salut  d'unsi  grand  nombre  d'âmes 
et  l'avenir  de  la  patrie  ; 

Le  secrétaire  général  de  la  Société,  M.  Camille  Rémont, 
qui  a  parlé  des  travaux  qu'elle  a  accomplis  dans  l'année,  en  un 
rapport  très  spirituel  et  très  vivant,  où  il  n'a  oublié  de  signaler 
que  le  concours  si  précieux  apporté  à  ces  travaux  par  son  intel- 
ligence, son  zèle  et  son  dévouement; 

M.  Henri  Taudière,  docteur  en  droit,  qui  a  rendu  compte  des 
travaux  du  Comité  du  contentieux,  en  un  langage  très  juri- 
dique par  la  clarté  et  la  logique,  très  littéraire  par  sa  forme 
élégante  et  souple  ; 

M.  A.  d'Herbelot,  qui,  dans  un  discours  digne  de  tous  points, 
par  la  justesse  des   vues,  l'élévation  des   sentiments,  la  puis- 


sance  uu  raisuuiiemeuu  ei  la  précision  iierveuaB  uu  sijie,  ae 
l'ancien  avocat  général  près  la  Cour  de  Paris,  a  démontré,  à 
l'aide  de  chiffres  et  de  faits  empruntés  aux  rapports  des  inspec- 
teurs d'Académie,  que  la  résistance  organisée  par  les  catho- 
liques contre  la  tentative  de  l'école  sans  Dieu  a  été  vraiment 
victorieuse. 

Valence.  —  Le  vaillant  curé  de  Malissard,  M.  l'abbé  Rey, 
adresse  à  Y  Univers  la  lettre  suivante.  L'acte  qu'elle  met  en 
lumière  fait  trop  d'honneur  à  ses  paroissiens  pour  que  nous  ne 
nous  empressions  pas  de  la  publier.  Plût  à  Dieu  que  partout  se 
montrât  aussi  étroite  l'union  du  pasteur  et  du  troupeau  : 

Monsieur  le  directeur, 

Traduit  en  police  correctionnelle,  le  19  décembre,  sous  l'iuculpa- 
tion  d'avoir,  du  haut  de  la  chaire,  signalé  aux  électeurs  de  ma 
paroisse,  comme  indignes  de  leurs  suffrages,  les  partisans  des  lois 
scolaire  et  miUtaire,  et  condamné,  de  ce  chef,  à  25  francs  d'amende, 
il  ne  me  restait  d'autre  ressource  pour  protester  contre  l'iniquité  de 
cet  arrêt  que  de  refuser  de  m'y  soumettre. 

Je  n'ignorais  pas  à  quoi  m'exposait  ce  refus.  J'avais  la  saisie 
mobilière  ou  la  prison  en  perspective.  La  prison,  je  l'aA'Oue,  avait 
mes  préférences  :  elle  n'est  pas  venue.  Ils  n'ont  pas  osé  ;  l'incarcéra- 
tion eût  été  sans  profit  et  aurait  sans  doute  ému  l'opinion  publique. 
C'est  le  fisc  qui  s'est  chargé  du  châtiment.  Il  faut  le  féliciter,  il  a  été 
complet  ;  sa  griffe  s'est  posée  sur  tout  ce  qu'elle  pouvait  atteindre. 

Mais,  ô  déconvenue  !  au  jour  des  enchères,  les  abords  de  la  cure 
sont  absolument  déserts  ;  pas  un  acquéreur,  pas  même  un  curieux. 
Pour  attirer  à  l'odieux  exploit  du  gouvernement  cette  réprobation 
et  cette  flétrissure,  un  mot,  tombé  de  la  chaire,  a  suffi.  C'est  au 
marché  voisin  qu'il  faudra  porter  et  vendre  les  meubles.  Puissent-ils 
rendre  heureux  le  toit  où  s'achèvera  leur  caduque  vieillesse  ? 

Deux  lits,  la  petite  table  sur  laquelle  je  trace  ces  lignes,  et  trois 
chaises  ont  seuls  trouvé  grâce  aux  yeux  de  ce  vainqueur  qui  cueille 
à  Malissard  sa  sixième  couronne. 

Et  cependant  ce  vaincu  qu'on  achève,  ce  condamné  qu'on  exécute 
n'a  jamais  été  ni  plus  fier  ni  plus  heureux.  11  entre  assurément  dans 
son  logis,  dépouillé  et  nu,  plus  de  joyeux  soleil  que  dans  l'apparte- 
ment somptueux  d'un  juge  déshonoré. 

Je  sais  bien,  monsieur  le  directeur,  qu'on  se  rit  de  l'obscurité  du 
soldat  et  qu'on  prend  en  pitié  son  inutile  résistance.  Mais  pourquoi 
e'obstiner  à  ne  voir  que  la  main  qui  tient  l'épée,  et  non  pas  le  prin- 
cipe qu'elle  défend?  C'est  le  faible,  il  est  vrai,  mais  c'est  ausei  le 
droit  ;  sa  faiblesse  ne  peut  pas  être  un  arrêt  de  déchéance.  Pourquoi 


376  ANNALES   CATHOLIQDKS 

ne  lui  serait-il  pas  permis  de  lever  la  tête,  dût-il  être  écrasé  chaque 
fois?  Qui  ne  sait  que  ces  apparentes  défaites  ont  toujours  fini  par 
d'éclatantes  victoires?  Ce  sont  elles  qui,  le  jour  venu,  font  vibrer, 
sous  des  milliers  de  poitrines  généreuses,  ces  émotions  soudaines, 
prélude'  des  résolutions  viriles  et  signal  de  la  résurrection  des  âmes. 
Ah  !  plaise  au  Ciel  que  ces  combats  singuliers  s'étendent  en  une 
vaste  bataille,  et  que  les  vaillants,  si  nombreux  dans  notre  noble 
patrie,  comprennent  qu'ils  peuvent  encore  malgré  l'heure  tardive, 
repousser  l'ennemi  et  ressaisir  leurs  droits  foulés  aux  pieds!  Pour 
vaincre,  il  suffit  à  ces  braves  de  serrer  leurs  rangs  et  d'inscrire,  en 
pleine  lumière,  sur  le  même  drapeau,  les  noms  sacrés  de  Dieu  et  de 
l'Eglise.  L'abbé  Rev, 

Cwé  de  Mahssard  (Drame.) 


LES    CHAMBRES 
Sénat. 


Jeudi  8  mai.  —  Le  Sénat  valide  l'élection  de  M.  Astor  dans  le 
Finistère  et  celle  de  M.  Milliard  dans  l'Eure. 

L'ordre  du  jour  appelle  le  tirage  au  sort  pour  déterminer  le  dépar- 
tement qui  sera  appelé  à  élire  un  sénateur,  en  remplacement  de 
M.  le  général  Gresley,  sénateur  inamovible,  décédé. 

Le  sort  désigne  le  département  de  la  Charente. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  première  délibération  sur  la  proposition 
de  loi,  adoptée  par  le  Sénat,  modifiée  par  la  Chambre  des  Députés, 
ayant  pour  objet  d'abroger  les  dispositions  relatives  aux  livrets 
d'ouvriers. 

L'urgence  est  déclarée. 

Les  articles  et  l'ensemble  du  projet  de  loi  sont  adoptés. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  première  délibération  sur  la  proposition 
de  loi  adoptée  par  la  Chambre  des  Députés,  ayant  pour  but  de  modi- 
fier le  titre  II  du  code  rural. 

Les  articles  du  projet  de  loi  sont  adoptés. 

Le  Sénat  décide  qu'il  passera  â  une  seconde  délibération. 

Le  Sénat  prend  en  considération  la  proposition  de  loi  de  M.  Georges 
Martin  et  plusieurs  de  ses  collègues,  relative  aux  droits  civils  des 
femmes. 

Lundi  12  mai,  —  Le  Sénat  reprend  l'examen  de  la  loi  sur  les  acci- 
dents du  travail. 

M.  Blavier  a  développé,  sur  l'article  2,  un  amendement  portant 
qu'un  règlement  d'administration  publique  pourra  fixer  la  réduction 
que  l'accident  fait  subir  au  salaire  quotidien  moyen  de  la  victime, 
d'après  la  nature  de  l'infirmité  en  résultant.  L'amendement  a  été 
repoussé. 


LES    CHAMBRES  377 

Mais  le  Sénat  a  adopté  un  amendement  de  M.  Roger  portant  que 
■  l'ouvrier  pourra  faire  constituer  une  rente   à  capital  réservé,  repré- 
•sentantles  deux  tiers  de  l'indemnité  qui  lui  est  accordée. 
Mardi  13  mai.  —  Suite  de  la  même  discussion. 

Cliambre  des  Députés. 

Jeudi  8  mai.  —  M.  le  président  dit  qu'il  a  reçu  de  M.  Laur  une 
•demande  d'interpellation  sur  la  crise  du  Crédit  Foncier. 

La  Chambre  fixera  la  date  de  la  discussion  de  cette  interpellation 
lorsque  le  ministre  des  finances  sera  à  son  banc. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  du  projet  de  loi  relatif  à  la 
concession  à  Mme  Faidherbe,  veuve  du  général,  d'une  pension 
annuelle  et  viagère  de  6,000  francs. 

A  la  majorité  de  349  voix  contre  31  sur  380  votants,  l'ensemble  du 
projet  de  loi  est  adopté. 

La  Chambre  décide  que  la  discussion  de  l'interpellation  de  M.  Laur 
aura  lieu  immédiatement. 

M.  RouviER  dit  qu'il  n'a  pas  connaissance  de  la  formule  complète 
•de  l'interpellation  de  M.  Laur.  11  apprend  à  l'instant  que  M.  Laur 
désire  également  interpeller  le  gouvernement  sur  l'emploi  des  fonds 
de  caisses  d'épargne.  Ces  deux  questions  n'ayant  aucune  connexité, 
M.  le  ministre  demande  la  division,  d'autant  plus  que  le  gouverne- 
ment va  déposer  un  projet  de  loi  sur  cette  seconde  question. 

Divers  membres  demandent  l'ajournement  â  un  mois  de  la  question 
de  l'emploi  des  fonds  des  Caisses  d'épargne. 

L'ajournement  à  un  mois  n'est  pas  prononcé.  Cette  deuxième 
interpellation  est  fixée  à  samedi  en  huit. 

M.  Laur  a  la  parole  pour  développer  son  interpellation  sur  la  crise 
du  Crédit  Foncier. 

L'orateur  donne  lecture  de  la  lettre  par  laquelle  M.  Lévêque  a 
adressé  au  ministre  des  finances  sa  démission  de  sous-gouverneur  du 
Crédit  Foncier. 

Il  y  est  dit  que  les  dépenses  de  publicité  et  d'administration  faites 
chaque  mois  par  le  gouverneur  du  Crédit  Foncier  sont  exagérées, 
qu'elles  sont  dissimulées  dans  les  écritures  et  qu'il  n'en  est  même  pas 
rendu  compte  au  conseil  d'administration.  Le  sous-gouverneur  n'est 
pas  habituellement  convoqué  aux  réunions  de  commission,  et  cette 
omission  est  volontaire;  les  statuts  ne  sont  pas  observés  pour  les 
opérations  financières  qui  se  chiffrent  par  centaines  de  millions. 

L'orateur  dit  qu'il  n'a  rien  à  ajouter  à  cet  exposé  et  espère  que  des 
explications  complètes  vont  être  fournies  au  pays. 

M.  Levèque  dit  qu'il  ne  pouvait  donner  sa  démission  plus  tôt.  11 
explique  que  des  sommes  se  chiffrant  par  millions  ont  été  dépensées 
eans  vote  du  conseil  et  que,  depuis  plusieurs  années,  on  ne  fait  pas 
de  budget  au  Crédit  Foncier.    Il  ajoute  qu'il  reste  convaincu  qu'il  a 


;j78  annales  catholiques 

fait  un  acte  loyal  et  honnête  en  donnant  sa  démission.  (Applaudisse- 
ments sur  divers  bancs  à  gauche  et  à  droite.) 

M.  MiLLERAND  estime  que  le  ministie  des  finances  est  responsable 
et  il  dépose  un  ordre  du  jour  regrettant  que  le  ministre  ne  vérifiât 
pas  la  situation. 

M.  RouviER  dit  qu'il  ne  décline  pas  la  responsabilité.  Le  gouverne- 
ment fera  son  devoir  tout  entier  et  la  lumière  sera  faite,  mais  au 
moyen  de  ses  agents.  Le  gouvernement  repousse  l'enquête  parle- 
mentaire. 

M.  DE  Douville-Maillefeu  réclame  une  commission  d'enquête. 

De  nombreux  ordres  du  jour  sont  déposés,  les  uns  demandant 
l'enquête  parlementaire,  les  autres  l'enquête  administrative.  Uh 
autre  comptant  sur  la  vigilance  du  gouvernement. 

M.  DE  Freyclnet  dit  qu'il  est  inutile  d'inviter  le  gouvernement  â 
faire  l'enquête,  puisque  le  gouvernement  y  est  décidé.  Finalement  la 
Chambre  adopte  presque  à  l'unanimité,  par  mains  levées,  sans  scrutin, 
l'ordre  du  jour  de  M.  Aynard  accepté  par  le  gouvernement,  prenant 
acte  delà  déclaration  du  gouvernement  et  comptant  sur  sa  vigilance. 

Samedi  10  mai.  —  M.  BoissY  d'Anglas  interpelle  le  gouvernement 
sur  les  affaires  du  Dahomey. 

M.  Etienne  déclare  n'avoir  rien  de  plus  à  dire  à  la  Chambre  que 
ce  qu'il  déclara  lors  de  la  question  Deloncle. 

Il  rappelle  que  des  traités  réguliers  ont  donné  â  la  France,  en  1863, 
le  protectorat  de  divers  royaumes  voisins  de  celui  du  Dahomey,  et  la 
propriété  d'une  partie  de  la  côte.  L'an  dernier,  le  roi  du  Dahomey  a 
attaqué  les  territoires  placés  sous  notre  protectorat.  L'amiral  com- 
mandant les  navires  qui  croisaient  sur  la  côte  a  châtié  comme  il  con- 
venait le  roi  du  Dahomey  et  ses  bandes. 

Le  roi  du  Dahomey,  à  la  suite  de  ces  événements,  a  sommé,  par 
lettre,  le  gouvernement  français  de  renoncer  â  son  protectorat  sur 
Porto-Novo  et  à  retirer  les  troupes  françaises  du  territoire. 

Une  mission  conciliatrice  du  commandant  Bayol  près  du  roi  Gléglé 
n'eut  aucun  résultat. 

Des  villages  avaient  été  brûlés,  des  hommes  placés  sous  notre  pro- 
tectorat, tués  ou  vendus  comme  esclaves;  devions-nous  céder  devant 
la  force? 

Le  gouvernement  a  cru  devoir  sévir.  Il  pense  avoir  bien  fait. 
Depuis  le  premier  envoi  de  troupes,  le  roi  du  Dahomey  a  continué 
ses  attaques,  presque  quotidiennement. 

A  diverses  reprises,  surtout  en  mars,  ces  hordes  de  sauvages  ont 
été  victorieusement  battues  par  nos  vaillants  soldats.  (Applaudisse- 
ments.) A  Kotonou,  150  hommes  ont  repoussé  7,000  Dahoméens, 
grâce  à  l'énergie  du  commandant  français.  (Applaudissements.) 

Le  roi  du  Dahomey  a  abandonné  ses  positions  et  est  rentré  sur  ses 
terres. 


LES    CHAMBRES  379 

Quant  aux  prisonniers  qu'il  avait  faits,  il  les  a  rendus,  sur  la  me- 
nace du  commandant  Fournier  d'entrer  en  Dahomey. 

Après  ces  faits,  le  gouvernement  pense  que  nos  troupes  doivent 
rester  sur  le  territoire  français.  Aucune  expédition  n'aura  lieu  à  l'in- 
térieur du  Dahomey,  puisque  la  seule  cause  qui  aurait  pu  lui  donner 
lieu  a  disparu.  (Applaudissements.) 

Et  M.  Etienne  termine  son  discours  par  un  cours  de  géographie 
coloniale  africaine.  Il  montre  les  avantages  de  nos  colonies  :  l'Algé- 
rie, le  Sénégal,  le  Congo,  le  Grand-Bassam.  Et  il  dit  :  Si  nous  faiblis- 
sons sur  la  côte  des  Esclaves,  si  nous  laissons  l'incendie  s'allumer, 
tout  sera  perdu  en  Afrique!  (Applaudissements  prolongés.) 

M.  Flourexs,  ancien  ministre  des  affaires  étrangères,  vient  dire 
que  tout  cela  est  très  beau  et  très  juste,  mais  qu'il  est  un  point  à 
éclaircir. 

Il  X  a  deux  mois,  M.  Etienne  affirmait  que  si  de  nouveaux  envois 
d'hommes  étaient  faits  au  Dahomey,  il  réclamerait  à  la  Chambre  son 
autorisation  et  le  vote  de  crédits  supplémentaires. 

Des  envois  d'hommes  ont  eu  lieu.  On  s'est  battu  au  Dahomey.  Et 
pourtant  M.  Etienne  ne  demande  aucun  crédit  supplémentaire  à  la 
Chambre.  (Bruit.)  L'autorisation,  il  ne  pouvait  peut-être  pas  la 
demander,  la  Chambre  étant  en  vacances,  et  la  situation  étant  grave. 
Mais  les  crédits?  Comment  peut-il  s'en  passer? 

Enfin,  M.  Flourens  se  plaint  que  la  Constitution  ait  été  violée. 
L'adjonction  du  territoire  de  Kotonou,  qui  est  le  résultat  des  opéra- 
tions au  Dahomey,  n'a  pas  été  ratifiée  par  la  Chambre.  Cela  est 
inconstitutionnel.  (Rumeurs  prolongées.) 

L'orateur  attend  que  le  gouvernement  dépose  une  demande  de 
crédits. 

Le  Ministre  de  la  marixe  est  venu  alors  exposer  qu'à  la  date  où  il 
a  pris  les  affaires,  l'évacuation  du  Dahomey  était  impossible.  On  ne 
voulait  pas  faire  une  expédition  à  l'intérieur.  On  s'est  contenté  de 
faire  le  blocus  de  la  côte. 

Tout  le  monde  sait  ce  qui  s'est  passé  depuis.  En  ce  moment,  nous 
avons  à  Porto-Novo  560  hommes,  auxquels  s'ajoutent  58  miliciens  et 
250  auxiliaires.  On  arme  les  peuplades  amies.  A  Kotonou,  il  y  a 
281  soldats  ou  marins  et  188  tirailleurs  sénégalais.  L'état  sanitaire 
de  toutes  ces  troupes  est  excellent. 

Si  l'on  n'a  pas  demandé  de  crédits,  c'est  parce  qu'un  bâtiment  ne 
coûte  pas  plus  cher  sur  un  point  que  sur  un  autre.  Les  navires  en- 
voyés sur  la  côte  étaient  en  croisière  ailleurs.  Jusqu'à  ce  jour,  la 
dépense  a  été  trop  faible  pour  qu'on  demandât  des  crédits  supplé- 
mentaires. 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  est  voté. 

M.  A.xTiDE  BoYER  interpelle  alors  sur  les  agissements  de  Tsl.  Cons- 
tans,  le  1er  mai. 


380  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  CoxsTANS  répond  : 

Le  devoir  qui  s'impose  en  pareil  cas  à  tout  gouvernement  digne  de 
ce  nom  est  de  faire  respecter  la  loi  en  la  respectant  lui-même.  Les 
vrais  ouvriers,  non  pas  ceux  qui  courent  les  réunions  publiques,  mais 
ceux  qui  travaillent  (Très  bien  !  Bruit)  n'avaient  rien  à  craindre  des 
mesures  qui  ont  été  prises. 

Il  y  a  deux  façons  de  prévenir  une  journée  :  par  de  petites  mesures 
qui  aboutissent  à  une  répression  sanglante,  ou  par  un  déploiement 
de  forces  suffisant  pour  n'avoir  rien  à  réprimer.  L'armée  est  restée 
dans  ses  quartiers  prête  à  apporter  son  concours  ;  mais  la  police  a 
suffi.  Les  ouvriers  n'ont  pas  cherché  à  troubler  l'ordre  ;  quant  aux. 
perturbateurs,  :?s  doivent  être  maintenus  par  la  force. 

Puis,  M.  Constans  a  dit  qu'il  saisissait  l'occasion  qui  lui  était 
offerte  de  féliciter  les  agents,  qui  ont  bien  fait  leur  devoir.  (Bruit  et 
applaudissements.) 

Quelques  députés  ont  interrompu  le  ministre  en  disant  qu'à  la  rue 
du  Cirque,  il  y  eu  des  charges  de  cavalerie.  Le  ministre  réplique  que 
les  gardes  municipaux  n'ont  pas  chargé.  Ils  ont  dégainé  pour  effrayer 
les  tapageurs  et  refouler  le  public.  Puis,  il  fait  cette  déclaration  : 

Quant  aux  arrestations  antérieures,  elle  ont  été  faites  très  sage- 
ment sur  l'ordre  des  parquets,  et  les  instructions  suivent  leur  cours. 

En  ce  qui  concerne  les  grèves,  le  gouvernement  n'a  pas  à  y  inter- 
venir, mais  il  doit  sauvegarder  la  liberté  du  travail  et  protéger  les 
propriétés  privées.  Il  n'est  pas  sérieux  de  dire  que  c'est  la  troupe  qui 
provoque  le  désordre. 

Les  soldats  font  un  service  public  et  ils  ne  méritent  aucun  blâme. 
Les  revendications  même  les  plus  légitimes,  ne  doivent  pas  troubler 
Tordre  dans  la  rue,  car  il  en  résulterait  alors  un  danger  pour  la 
République. 

L'orateur  attend  avec  confiance  le  vote  de  la  Chambre  (Applau« 
dissements). 

Quelques  ordres  du  jour  étaient  déposés  les  uns  blâmant  le 
ministre,  les  autres  le  félicitant.  Parmi  ces  derniers,  l'un  était  de 
MM.  de  Kergariou  et  Le  Provost  de  Launay. 

M.  Engerand  a  réclamé  l'ordre  du  jour  pur  et  simple,  qui  a  été 
repoussé  par  38  voix  contre  102. 

Un  ordre  du  jour  de  confiance  de  M.  Jumel  a  été  adopté  par 
394  voix  contre  57. 

Les  boulangistes  et  le  parti  ouvrier  ont  seuls  voté  contre. 

Lundi  12  mai.  —  On  discute  une  proposition  de  MM.  Bovier-La- 
pierre  et  Lachize,  relative  aux  syndicats  professionnels,  ayant  pour 
objet  la  répression  des  atteintes  portées  à  l'exercice  des  droits  de  ces 
syndicats. 
Mardi  13  mai.  —  Suite  de  la  même  discussion. 


CHRONIQUE    DE   LA    SEMAINE  381 

CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Le  général  de  Miribel  nommé  chef  d'élat-major  général.  —  Décret  et  rap- 
port. —  Commission  du  budget.  —  Un  Livre  de  J.  Ferry.  —  Elections 
—  Les  grèves.  —  Etranger.  —  Un  discours  du  trône  en  Allemagne. 

14  mai  1890. 
Le  Journal  Officiel  du  8  mai  a  publié  un  rapport  adressé  par 
le  président  du  conseil,  ministre  de  la  guerre,  au  président  de 
la  République,  suivi  d'un  décret  relatif  à  l'organisation  de 
l'état-major  de  l'armée.  Nous  reproduisons  en  entier  ces  deux 
documents  en  raison  de  leur  importance  : 

Paris,  le  «3  mai  1890. 
Monsieur  le  président, 

L'état-major  général  créé  au  ministère  de  la  guerre  par  le  décret 
du  12  mars  1874  a  rendu  de  très  grands  services.  Successivement 
amélioré  depuis  son  origine,  il  peut  soutenir  la  comparaison  avec  les 
états-majors  des  autres  nations  européennes.  Je  le  crois,  cependant, 
susceptible  de  recevoir  de  nouveaux  perfectionnements,  pour  être 
mis  plus  complètement  en  harmonie  avec  l'organisation  du  haut 
commandement,  telle  qu'elle  résulte  des  décrets  du  12,  du  26  mai  1888 
et  du  10  avril  1890,  relatifs  au  conseil  supérieur  de  la  guerre  et  aux 
commandements  éventuels  d'armée. 

L'état-major  général  ne  doit  pas  être  seulement  l'organe  de  la  pré- 
paration à  la  guerre;  il  doit  pouvoir,  le  moment  venu,  fournir  au 
commandant  en  chef,  ainsi  qu'aux  diverses  armées,  les  éléments 
nécessaires  pour  assurer  la  direction  des  opérations  élaborées  pen- 
dant la  paix.  Aussi  mes  prédécesseurs  et  moi-même  nous  sommes- 
nous  appliqués  à  faire  entrer  de  plus  en  plus  dans  sa  composition  les 
officiers  destinés  à  former  la  partie  essentielle  de  l'état-major  général 
des  armées  en  campagne.  Je  vous  propose  de  rendre  cette  pratique 
obligatoire  et  de  la  soumettre  à  des  règles  fixes  qui  en  augmente- 
ront l'efficacité. 

Désormais,  le  personnel  de  l'état-major  sera,  par  voie  d'arrêté 
ministériel,  réparti  en  deux  groupes,  pouvant  se  séparer  sans  trouble 
pour  le  service.  Au  moment  de  la  mobilisation,  l'un  de  ces  groupes 
rejoindra  le  grand  quartier  général,  ainsi  que  les  quartiers  généraux 
d'armées,  pour  constituer  les  divers  états-majors,  au  moins  dans  leur 
partie  essentielle.  L'autre  groupe  demeurera  auprès  du  ministre  et 
assurera,  sous  ses  ordres  directs,  le  fonctionnement  du  service 
central. 

Comme  complément  de  cette  mesure,  il  serait  désirable  que  le  chef 
de  l'état-major,  en  temps  de  paix,  fût  le  major  général  de  nos  prin- 
cipales armées  en  temps  de  guerre.  Il  en  résulterait    une  unité  de 


382  ANNALES  CATHOLIQUES 

conceptiou  et  une  continuité  dans  les  efforts  sur  lesquelles  je  n'ai  pas 
besoin  d'insister.  J'ajoute  qu'en  temps  de  paix,  cet  officier  général 
établirait  entre  le  futur  commandant  en  chef  et  le  ministre  un  lien 
naturel  et  une  communauté  de  vues  dont  j'ai  pu  apprécier  l'utilité.- 

Je  vous  proposerai  d'appeler  à  ce  poste  1\I.  le  général  de  Miribel, 
déjà  désigné  pour  les  fonctions  de  major  général  en  cas  de  guerre,  et 
qui  vient  de  terminer  les  travaux  dont  je  l'avais  chargé  dans  la 
région  du  6®  corps  d'armée. 

Dans  ces  nouvelles  conditions,  l'appellation  d'état-major  général 
du  ministre,  usitée  jusqu'ici,  ne  me  paraît  plus  pouvoir  être  conser- 
vée. Colle  d'état-raajor  de  l'armée  est  beaucoup  plus  conforme  â  la 
nature  des  choses.  Je  verrai  à  ce  changement  de  dénomination  un 
autre  avantage,  c'est  de  déshabituer  peu  à  peu  l'esprit  de  considérer 
ce  grand  organisme  comme  une  sorte  de  secrétariat  général  ou  d'ex- 
tension du  cabinet  du  ministre.  En  réalité,  l'état-major  général, 
même  dans  son  fonctionnement  actuel,  est  un  service  délimité  et 
autonome  essentiellement  technique,  qui  doit  demeurer  â  l'abri  des 
fluctuations  ministérielles,  au  même  titre  que  les  comités  d'armes  et 
le  conseil  supérieur  de  la  guerre.  Je  ne  veux  pas  dire  qu'on  puisse 
assurer  à  son  chef  une  permanence  complète,  incompatible  avec  la 
responsabilité  ministérielle;  mais  on  peut,  du  moins,  écarter  l'idée 
qu'il  doive  disparaître  avec  le  ministre,  ainsi  que  cela  a  eu  lieu  pres- 
que constamment  de  1874  à  1888,  ce  qui  nous  a  valu  douze  chefs 
d'état-major  en  quatorze  ans. 

Quant  à  la  dépendance  du  chef  d'état-major  vis-à-vis  du  ministre, 
il  ne  saurait  être  question  de  la  modifier.  Comme  par  le  passé,  il 
travaillera,  en  temps  de  paix,  sous  l'autorité  directe  du  ministre, 
dont  la  signature  seule  donnera  la  \ie  à  ses  actes. 

Le  décret  que  j'ai  l'honneur  de  vous  soumettre  consacre  ces  amé- 
liorations. Je  me  propose,  en  outre,  de  concert  avec  le  nouveau  titu- 
laire, de  procéder  à  une  revision  rigoureuse  des  attributions  actuelles 
de  l'état-major  général,  de  façon  à  éliminer  peu  à  peu  toutes  celles 
qui  ont  le  caractère  administratif  et  peuvent  être  confiées  aux  diffé- 
rentes directions  du  ministère,  et  de  façon,  au  contraire,  à  fortifier 
l'élément  technique,  qui  tend  directement  au  but  essentiel  que  l'état- 
major  doit  sans  cesse  avoir  devant  lui,  à  savoir  la  préparation  des 
opérations  militaires  et  l'étude  pratique  de  tous  les  moyens  propres 
à  les  faire  réussir. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  président,  l'hommage  de  mon  respec- 
tueux dévouement. 

Le  président  du  conseil,  ministre  de  la  guerre^ 
C.  DE  Frevcinet. 

Voici  le  décret  : 

Art.  l^"".  —  L'état-major  général  du  ministre  de  la  guerre  prendra 
désormais  la  dénomination  d'ctat-major  de  l'armée. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  383 

Le  général  de  division  placé  à  la  tête  de  ce  service  portera  le  titre 
de  chef  d'état-major  général  de  l'armée.  relève  directement  du 
ministre  de  la  guerre  et  agit  en  vertu  de  ses  ordres. 

Art.  2.  —  En  temps  de  guerre,  une  partie  du  personnel  de  l'état- 
major  de  l'armée  sert  à  former  les  états-majors  des  armées  d'opéra- 
tion. Le  chef  d'état-major  général  de  l'armée  passe  sous  les  ordres 
du  commandant  en  chef  du  groupe  principal  d'armées,  en  qualité  de 
major  général. 

Le  surplus  du  personnel  de  l'état-major  de  l'armée,  avec  un  des 
.sous-chefs,  reste  auprès  du  ministre,  pour  assurer,  sous  ses  ordres 
directs,  la  marche  du  service  central. 

La  répartition  du  personnel  de  l'état-major  de  l'armée,  eu  confor- 
mité des  alinéas  qui  précèdent,  est  réglée  à  l'avance,  dans  tous  ses 
détails,  par  un  arrêté  ministériel. 

Art.  3.  —  L'état-major  da  l'armée  est  spécialement  chargé  de 
l'étude  des  questions  relatives  à  la  défense  générale  du  territoire  et 
do  la  préparation  des  opérations  de  guerre. 

Il  a  dans  ses  attributions  : 

La  mobilisation  de  l'armée  et  sa  concentration  en  cas  de  guerre  ; 

L'emploi  des  chemins  de  fer  et  des  canaux,  de  la  télégraphie  mili- 
taire, de  l'aérostation,  etc.  ; 

L'organisation  et  la  direction  des  services  de  l'arrière  ; 

L'organisation  et  l'instruction  générale  de  l'armée,  la  préparation 
des  grandes  manœuvres; 

L'étude  des  armées  étrangères  et  des  différents  théâtres  d'opération  ; 

La  réunion  des  documents  statistiques  et  historiques  ; 

Les  missions  militaires  à  l'étranger  ; 

La  préparation  et  la  coordination  des  travaux  du  conseil  supérieur 
de  la  guerre  et  des  membres  de  ce  conseil  chargés  de  missions  spé- 
ciales. 

Le  service  géographique  fait  partie  de  l'état-major  de  l'armée. 

Art.  4.  —  Le  chef  d'état-major  général  de  l'armée  est  chargé,  sous 
l'autorité  du  ministre,  de  la  direction  du  service  d'état-major,  ainsi 
que  du  choix  et  de  l'instructioa  des  officiers  de  ce  service. 

Il  les  prépare,  par  des  travaux  du  temps  de  paix  et  par  des  voyages 
d'état-major,  au  rôle  qu'ils  auront  â  remplir  en  cas  de  guerre. 

Art.  5.  —  Le  chef  d'état-raajor  général  de  l'armée  peut  être  chargé, 
auprès  des  commandants  de  corps  d'armée,  de  missions  se  rappor- 
tant à  son  service.  11  remplit  ces  missions  dans  les  conditions  prévues 
pour  les  commandants  éventuels  d'armée  et  jouit  des  mêmes  préro- 
gatives. 

Un  autre  décret  nomme  le  général  de  Miribel  chef  de  l'état- 
major  général  de  l'armée. 

M.  le  général  de^Miribel  est  remplacé  à  Châlons-sur-Marne 


384  ANNALES    CATHOLIQUES 

par  le  général  Jamont,  qui  a  pour  successeur  dans  le  comman- 
dement du  l^'  corps  d'armée  M.  le  général  Loizillon,  comman- 
dant de  la  2*  division  de  cavalerie. 

Le  nouveau  chef  d'état-major  général  est  à  peine  âgé  de 
cinquante-huit  ans. 

Né  en  1831  à  Montbonnot  (Isère),  le  général  de  Miribel  entra 
à  l'École  Polytechnique  en  1851  et  en  sortit  en  1853  lieutenant 
en  second  dans  l'artillerie. 

La  guerre  de  1870  le  trouva  chef  d'escadron.  A  la  fin  du  siège 
de  Paris,  il  était  colonel.  Il  est  vrai  qu'il  avait  vaillamment 
gagné  ses  épaulettes  à  Champignj  où,  à  la  tête  d'une  brigade  de 
mobiles,  il  tint  en  respect  et  obligea  à  se  retirer  des  masses 
d'ennemis  bien  supérieures  en  nombre. 

Aussi  la  commission  de  révision  des  grades  le  maintint-elle 
dans  le  grade  oii  il  s'était  si  noblement  comporté. 

Nommé  général  de  brigade  en  1875,  il  fut  promu  divisionnaire 
en  1880  et  fut  deux  fois  chef  d'état-major  au  ministère  de  la 
guerre,  notamment  sous  le  général  de  Cissey. 

Inspecteur  général  permanent  des  travaux  de  l'artillerie  pour 
l'armement  des  côtes,  il  présenta,  à  son  retour  d'une  inspection 
en  Algérie  et  en  Tunisie,  un  rapport  très  remarqué  sur  la  né- 
cessité de  créer  un  grand  port  fortifié  à  Bizerte. 

Le  général  de  Miribel,  membre  du  conseil  supérieur  de  la 
guerre  et  du  comité  d'artillerie,  était  depuis  deux  ans  environ 
commandant  en  chef  du  6^  corps  d'armée,  à  Châlons-sur-Marne, 
où  il  avait  remplacé  le  général  Février,  son  compatriote,  appelé 
depuis  à  la  dignité  de  grand-chancelier  de  laLégion-d'Honneur. 


La  commission  du  budget,  tout  en  restant  résolue  à  lier  le 
vote  de  l'emprunt  à  celui  de  la  loi  de  finances,  incline  à  autori- 
ser M.  Rouvier  à  opérer  la  conversion. facultative  de  4  1/2  0/0. 
Le  bénéfice  de  cette  opération  servirait  à  gager  l'emprunt,  qui 
serait  plus  ou  moins  considérable  selon  que  ce  bénéfice  serait 
plus  ou  moins  grand. 

Comme  il  est  difficile  de  continuer  la  campagne  de  hausse 
menée  avec  les  fonds  de  la  Caisse  des  dépôts,  il  est  à  peu  près 
certain  que  la  conversion  sera  très  prochainement  opérée  et 
qu'elle  aura  lieu  avant  la  fin  du  présent  mois. 

On  évalue  à  plus  de  deux  millions  de  rentes  les  titres  3  0/0 
levés  avec  l'argent  des  caisses  d'épargne  ;  la  continuation  de  ces 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  385 

achats  opérés  par  la  Caisse  des  dépôts,  se  traduisant  par  des 
demandes  de  livraison  en  liquidation  la  hausse  s'accentue  de 
mois  en  mois;  mais  cette  progression  ne  peut  être  illimitée.  Le 
mouvement  de  hausse  ayant  été  rapide,  bien  des  porteurs  de 
rente  en  profitent  et  vendent  pour  réaliser  un  bénéfice  ;  d'autre 
part,  la  Caisse  des  dépôts  ne  disposera  pas  éternellement  des 
mêmes  ressources.  Enfin,  il  faut  prévoir  les  demandes  de  rem- 
boursement. Ils  ont  excédé,  en  1883,  de  4  millions  les  verse- 
ments efifectués  aux  Caisses  d'épargne  ;  cette  proportion  peut  se 
retrouver  et  même  devenir  plus  grande  si  la  Chambre  modifie 
ou  laisse  prévoir  qu'elle  modifiera  le  taux  de  l'intérêt  servi  aux 
caisses  d'épargne  ou  si  elle  abaisse  le  chiffre  maximum  des 
dépôts.  Ces  diverses  considérations  portent  le  ministre  des 
finances  et  la  commission  du  budget  à  hâter  la  conversion  facul- 
tative du  4  1/2  0/0. 

Il  est  également  question  de  faire  concourir  à  un  emprunt  les 
disponibilités  des  caisses  d'épargne.  Cette  combinaison  aurait  le 
triple  avantage  d'être  profitable  pour  les  déposants,  de  sauve- 
garder la  garantie  morale  de  l'Etat  dans  la  gestion  de  la  dispo- 
nibilité des  dépôts,  d'assurer  une  amélioration  naturelle  et  plus 
solide  des  cours  par  le  classement  immédiat  d'une  partie  du 
prochain  emprunt. 

Cette  combinaison  serait  bonne,  elle  est  malheureusement 
devenue  inexécutable,  car  le  gouvernement  a  employé  les  dis- 
ponibilités des  caisses  d'épargne  à  l'élévation  systématique  du 
cours  de  la  rente.  Les  déposants  auraient  pu  profiter  de  l'écart 
entre  les  cours  cotés  et  ceux  auxquels  l'emprunt  sera  émis  ;  leur 
rôle  —  et  leur  bénéfice  —  se  bornera  simplement  à  avoir  per- 
mis l'emprunt  en  permettant  la  conversion.  On  peut  supposer 
qu'ils  auraient  préféré  un  bénéfice  plus  réel  ;  mais  on  ne  peut 
tout  avoir. 


Comme  s'il  y  était  poussé  par  un  remords,  M.  Jules  Ferry 
cherche  à  s'innocenter  des  fautes  qu'on  lui  a  reprochées  au 
sujet  de  la  conquête  du  Tonkin,  et  il  vient  de  publier  dans  ce 
but  un  volume  intitulé  :  Le  Tonkin  et  la  Mère-Fatrie.  Il 
semble  poursuivi  par  cette  idée  fixe,  d'expliquer  qu'il  a  gaspillé 
moins  de  millions  qu'on  ne  l'a  dit;  de  déclarer  que  le  nombre 
des  morts  qu'il  a  faits  est  moins  considérable  qu'on  ne  l'a  cru. 

On  n'a  pas  dépensé  un  demi-milliard  pour  la  conquête  du 

28 


386  ANNALES    CATHOLIQUES 

Tonkin.  M.  Ferry  l'affirme  avec  la  même  assurance  qu'on  lui  a 
vue  à  la  tribune  lorsqu'il  assurait  que  nous  n'étions  pas  en 
guerre  avec  la  Chine.  La  somme  est  seulement  de  334  millions 
802,379  francs. 

Si  M.  Ferry  n'a  pas  donné  les  centimes,  c'est  par  indulgence. 
335 millions,  c'est,  on  en  conviendra,  une  quantité  négligeable. 
Notre  budget  a  tant  d'élasticité!  Il  est  si  facile  d'y  opérer  une 
réduction  de  dépenses  !  Trois  cent  trente-cinq  millions,  c'est 
une  bagatelle,  et  M.  Ferry  le  déclare  avec  un  aplomb  tellement 
excessif  qu'il  finit  par  toucher  à  la  naïveté. 

En  ce  qui  concerne  les  soldats  tués  là-bas,  M.  Ferry  conteste 
le  chiff"re  de  36,000  qui  a  été  publié.  Il  fait  un  total  de  9,067 
hommes  de  1884  à  la  fin  de  1889.  Mais  M.  Ferry  ne  compte  pas 
les  hommes  morts  en  France  des  suites  de  leurs  blessures  ou 
des  maladies  contractées  là-bas,  et  ce  chiffre,  qui  pourra  le 
donner?  Et  même  s'il  avait  causé  la  mort  de  neuf  mille  hommes 
«  seulement,  »  est-ce  que  M.  Ferry  pourrait  porter  le  poids 
de  cette  responsabilité  avec  une  parfaite  insouciance? 

Mais  laissons  cela.  Il  est  un  point  que  M.  Ferry  se  garde 
bien  d'aborder  et  pour  cause,  c'est  celui  des  mensonges  qu'il  a 
faits  au  pays  pour  le  jeter  dans  cette  aventure.  Il  a  voulu  con- 
quérir le  Tonkin,  c'a  été  son  idée  fixe.  Il  a  voulu  Je  faire  sans 
demander  à  la  Chambre  les  subsides  nécessaires.  Il  a  voulu  agir 
en  cachette  des  électeurs.  Il  a  envoyé  des  soldats  mourir  là-bas 
incognito.  Et  comme  il  tenait  à  ce  qu'on  ne  s'aperçût  pas  de  ces 
expéditions  successives,  il  les  faisait  par  petits  paquets,  insuf- 
fisantes, et  nos  soldats  mouraient  là-bas  —  neuf  mille  seule- 
ment! —  parce  que  M.  Ferry  voulait  avoir  le  Tonkin  sans 
demander  au  Parlement  les  crédits  nécessaires  et  l'autorisation 
indispensable. 

Voilà  quel  a  été  le  crime  de  M.  Ferry,  crime  dont  il  ne  se 
lavera  pas.  Par  sa  duplicité,  il  a  augmenté,  dans  des  propor- 
tions considérables,  le  prix  que  le  Tonkin  devait  nous  coûter 
en  hommes  et  en  argent;  il  a  compromis  la  conquête  et  il  a 
failli  causer  l'échec  de  l'entreprise  ;  en  tous  cas,  il  nous  a  im- 
posé des  sacrifices  qui  eussent  pu  être  évités.  Le  jugement  de 
l'histoire  sera  celui  qu'a  porté,  en  termes  sévères  et  ineffaçables, 
la  grande  victime  des  agissements  ferrystes,  cet  illustre  amiral 
Courbet  qui,  certes,  n'était  pas  pour  l'abandon  des  droits  et  des 
intérêts  de  la  France,  ni  pour  l'humiliation  de  son  pavillon, 
mais  qui  a  stigmatisé,  avant  d'en  mourir,  les  incohérences,  les 
fautes,  les  équivoques  dont  M.  Ferry  demeure  responsable. 


CHRONIQUE   DE   LA   SEMAINE  387 


Peu  à  peu,  dans  le  Nord,  les  grévistes  reprennent  le  travail  et 
les  troupes  qu'on  avait  envoyées  à  Lille,  Roubaix  et  Tourcoing 
regagnent  leurs  garnisons.  Est-ce  à  dire  que  tout  danger  ait 
disparu?  Pour  le  moment,  peut-être,  mais  l'avenir  reste  inquié- 
tant. Les  ouvriers  ne  désarment  pas  ;  ils  suspendent  les  hosti- 
lités. Ils  ont  reconnu  qu'en  ce  moment  les  patrons  avaient  sur 
eux  de  grands  avantages,  et  la  bataille  finit  parce  que  les 
grévistes  ont  pressenti  la  défaite.  Les  fabriques  et  les  usines 
regorgent  de  marchandises  invendues;  «  l'avance»  est  considé- 
rable de  tous  côtés,  parce  que  nous  entrons  dans  la  morte  sai- 
son. Ainsi  les  ouvriers  se  sont  aperçus  que  le  chômage,  au  lieu 
de  gêner  les  patrons,  faisait  au  contraire,  leur  affaire,  et  qu'on 
leur  rirait  au  nez  quand  ils  présenteraient  leurs  revendications. 
Mais,  s'il  faut  en  croire  le  procureur  de  la  république  à  Lille, 
consulté  par  un  de  nos  confrères,  dans  trois  ou  quatre  mois,  à 
l'entrée  de  la  saison  des  livraisons,  la  situation  sera  plus  belle 
à  exploiter,  et  alors  le  mouvement  reprendra  avec  d'autant  plus 
d'ensemble  que  les  ouvriers  auront  eu  le  temps  de  s'y  préparer. 
Et  la  grève  deviendra  générale  dans  le  Nord  et  le  Pas-de-Calais. 
Du  reste,  cette  reprise  du  travail  est  trop  lente;  les  ouvriers 
retournent  à  l'atelier  avec  regret,  la  tête  basse,  l'air  piteux, 
mais  ayant  de  la  rancune  plein  le  cœur.  Une  des  causes  de  leur 
vive  animosité  est  dans  la  dureté  de  certains  patrons,  qui  sont 
des  ouvriers  parvenus,  et  dont  les  fortunes  sont  énormes.  Cela 
encore  surexcite  les  grévistes,  dont  quelques-uns  furent  jadis 
les  compagnons  d'atelier  de  ceux  qui  les  commandent  mainte- 
nant avec  une  telle  rigueur.  Malheureusement,  si  certains  pa- 
trons ont  des  torts,  de  leur  côté,  les  ouvriers  réclament  sans 
cesse,  et  l'exagération  même  de  leurs  revendications  empêche 
qu'on  cherche  à  les  satisfaire.  Espérons  —  sans  trop  d'illusions 
—  que  les  quatre  mois  qui  nous  séparent  de  la  reprise  probable 
de  la  grève  seront  utilisés  par  les  uns  et  les  autres  pour  arriver 
à  trouver  un  terrain  d'entente  raisonnable. 

Dimanche  ont  eu  lieu  trois  élections  législatives  par  suite  de 
ballottages.  Trois  républicains,  dont  deux  qualifiés  de  radicaux, 
ont  été  élus.  A  Rufiec,  le  candidat  républicain  l'a  emporté  de 
245  voix  sur  son  concurrent,  M.  René  Gautier,  bonapartiste  de 
marque.  Sur  16,660  électeurs  inscrits,  il  y  a  eu  2,732  absten- 


388  ANNALES    CATHOLIQUES 

tions.  A  Evreux,  deux  républicains  étaient  en  concurrence.  Le 
candidat  radical  a  eu  la  majorité  :  sur  17,404  électeurs  inscrits, 
il  y  a  eu  12,821  votants.  Enfin,  à  Avallon,  M.  Hervieu,  républi- 
cain radical,  a  obtenu  222  voix  de  plus  que  son  concurrent  plus 
Eûodérément  républicain.  Sur  13,409  électeurs  inscrits  il  y  a  eu 
10,789  votants. 


Un  seul  fait  intéressant  à  signaler  à  l'extérieur.  Ce  fait,  c'a 
été  l'ouverture  de  la  session  du  nouveau  Reichstag  allemand, 
avec  et  par  un  solennel  message  de  l'Empereur  Guillaume  II. 
D'habitude,  les  souverains  font  lire  leurs  messages  en  pareille 
circonstance  par  le  premier  ministre;  en  Allemagne,  un  tel 
honneur  est  dévolu  dans  la  plupart  des  cas  au  chancelier,  et 
M.  de  Bismarck,  quand  il  l'était,  remplaçait  invariablement  ce 
jour-là  son  Empereur.  Guillaume  II,  lui,  a  tenu  à  remplir  ici 
en  personne  le  rôle  qui  lui  est  dévolu  par  la  constitution,  et  on 
ajoute  qu'il  y  était  d'autant  plus  porté  que,  depuis  le  départ 
du  prince  de  Bismarck,  il  n'existe  plus  de  l'autre  côté  du  Rhin 
qu'une  seule  autorité,  l'autorité  de  l'Empereur, 
.  Voici  le  texte  complet  de  ce  discours  : 
Messieurs, 

Vous  avez  été  appelés,  lors  des  dernières  élections,  à  travailler  en 
commun  avec  les  gouvernements  confédérés.  Je  vous  souhaite  la  bien- 
venue à  l'ouverture  de  la  huitième  législature  du  Reichstag.  J'espère 
fermement  que  vous  arriverez  à  donner  une  solution  satisfaisante 
aux  importantes  questions  de  législation  qui  vous  seront  soumises. 
Une  partie  de  ces  questions  est  d'une  nature  si  pressante  qu'il  a 
semblé  impossible  d'ajourner  davantage  la  convocation  du  Reichstag. 

Je  compte  au  nombre  de  ces  questions  le  développement  de  la 
Législation  protectrice  des  ouvriers.  Les  mouvements  grévistes  qui 
se  sont  produits  l'année  dernière  dans  différentes  parties  de  l'Alle- 
magne m'ont  conduit  à  examiner  si  notre  législation  tient  suffisam- 
ment compte  de  ceux  des  désirs  de  la  population  ouvrière  qui  sont 
conformes  à  l'ordre  gouvernemental,  susceptibles  de  recevoir  satis- 
faction et  suffisamment  justifiés. 

Il  s'agissait  en  première  ligne  de  garantir  le  repos  du  dimanche 
aux  ouvriers  ainsi  que  délimiter,  en  se  basant  sur  des  considérations 
d'ordre  humanitaire  et  sur  les  lois  naturelles,  le  travail  des  femmes 
et  des  enfants.  Les  gouvernements  confédérés  se  sont  convaincus  de 
la  possibilité  d'introduire  dans  la  législation,  sans  porter  atteinte  à 
d'autres  intérêts,  les  parties  essentielles  des  propositions  faites  en  ce 
sens  par  l'ancien  Reichstag. 


h' 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  389 

Oa  a  reconnu,  en  outre,  la  nécessité  et  la  possibilité  d'introduire 
des  améliorations  dans  un  grand  nombre  d'autres  parties  de  la  légis- 
lation en  rapport  avec  les  précédentes  ;  il  s'agit  en  particulier  des 
prescriptions  légales  relatives  à  la  protection  de  leurs  mœurs  et  aux 
règlements  concernant  le  travail. 

La  législation  sur  les  livrets  d'ouvriers  demande  également  à  être 
complétée,  en  ee  sens  qu'il  est  nécessaire  d'augmenter  la  considéra- 
tion des  parents  vis-à-vis  de  l'immoralité  croissante  des  jeunes 
ouvriers. 

Ces  modifications  et  ces  développements  à  introduire  dans  la  loi 
sur  les  industries  trouveront  leur  expression  dans  un  projet  qui  tous 
sera  soumis  prochainement. 

Un  autre  projet  de  loi  a  pour  but  d'améliorer  les  réglementations 
relatives  aux  tribunaux  d'arbitres  industriels,  et  en  même  temps  de 
les  organiser  de  manière  qu'ils  puissent  être  appelés  à  amener  une 
conciliation  dans  les  cas  de  conflits  entre  les  patrons  et  les  ouvriers 
relativement  au  maintien  ou  à  la  modification  des  conditions  du 
travail. 

Je  compte  sur  votre  collaboration  dévouée  pour  obtenir  une  entente 
des  pouvoirs  légiférants  sur  les  réformes  qui  vous  sont  soumises  et 
pour  réaliser  ainsi  un  progrès  important  dans  le  développement  paci- 
fique des  conditions  de  la  vie  de  nos  ouvriers. 

La  population  ouvrière,  à  mesure  qu'elle  se  rendra  compte  des 
efforts  sérieux  de  l'Empire  pour  rendre  sa  situation  satisfaisante,  aura 
d'autant  plus  nettement  conscience  des  dangers  qui  résulteraient 
pour  elle  de  la  revendication  de  réformes  excessives  et  irréalisables. 

Une  juste  sollicitude  pour  les  ouvriers  constitue  la  plus  grande 
force  des  éléments  qui,  comme  moi  et  mes  augustes  confédérés,  sont 
appelés  à  s'opposer  à  toute  tentative  de  troubler  l'ordre  légal  par  la 
force  et  qui  sont  résolus  à  remplir  ce  devoir  avec  une  énergie  iné- 
branlable. 

Il  ne  peut  toutefois  être  question,  dans  cette  réforme,  que  de 
mesures  que  l'on  peut  exécuter  sans  nuire  à  l'industrie  nationale  et 
par  là  aux  intérêts  les  plus  importants  des  ouvriers  eux-mêmes.  Notre 
industrie  ne  constitue  qu'une  partie  du  travail  économique  des 
nations  qui  prennent  part  à  la  lutte  qui  a  lieu  sur  le  marché  du 
monde.  C'est  pourquoi  j'ai  cru  devoir  provoquer  un  échange  d'idées 
entre  les  États  de  l'Europe  qui  se  trouvent  dans  la  même  situation 
économique,  afin  de  savoir  jusqu'à  quel  point  on  peut  établir  et 
mettre  en  pratique  une  constatation  commune  des  devoirs  qui  iscom- 
bent  aux  législateurs  en  ce  qui  concerne  la  protection  des  ouvriers. 

Je  dois  déclarer  avec  reconnaissance  que  l'idée  a  été  bien  accueillie 
par  tous  les  Etats  intéressés,  et  notamment  par  ceux  qui  avaient  déjà 
conçu  le  même  projet  et  étaient  sur  le  point  de  le  réaliser. 

Le  cours  qu'a  suivi  la  conférence  internationale,   qui  s'est  réunie 


390  ANNALES    CATHOLIQUES 

ici,  me  remplit  d'une  satisfaction  toute  particulière.  Les  décisions  de 
cette  conférence  sont  l'expression  des  idées  de  tous  les  pays  concer- 
nant le  domaine  le  plus  important  de  l'œuvre  civilisatrice  de  notre 
époque. 

■  Les  principes  qu'elles  contiennent  produiront,  je  n'en  doute  pas, 
l'eflfet  d'une  semence  qui  éclora,  avec  l'aide  de  Dieu,  pour  le  bien  des 
ouvriers  de  tous  les  pays,  et  ne  seront  pas  sans  porter  aussi,  au  point 
de  vue  des  relations  réciproques  des  peuples,  des  fruits  favorables  à 
l'union  de  ces  derniers. 

Maintenir  la  paix  d'une  façon  durable,  tel  est  le  but  continuel  de 
mes  efforts.  Je  puis  exprimer  la  conviction  que  je  suis  parvenu  à  con- 
solider chez  tous  les  gouvernements  étrangers  la  confiance  que  leur 
inspire  la  loyauté  de  ma  politique  à  cet  égard.  Le  peuple  allemand 
reconnaît,  comme  moi  et  comme  les  augustes  princes  confédérés,  que 
le  devoir  de  l'empire  consiste  à  protéger  la  paix  en  s'efforçant  de 
maintenir  les  alliances  que  nous  avons  conclues  pour  nous  défendre 
et  les  relations  amicales  que  l'Allemagne  entretient  avec  tous  les  Etats 
étrangers,  afin  de  faire  progresser  le  bien-être  et  la  civilisation.  Mais 
pour  remplir  cette  tâche,  l'empire  a  besoin  d'une  puissance  militaire 
répondant  à  la  situation  qu'il  occupe  au  cœur  de  l'Europe. 

Toute  modification  de  la  puissance  relative  des  États  met  en 
danger  l'équilibre  politique  et  les  garanties  de  succès  de  tous  les 
efforts  faits  en  vue  du  maintien  do  la  paix.  Depuis  le  moment  où  l'on 
a  fixé  pour  un  laps  de  temps  déterminé  les  bases  de  la  constitution 
de  notre  armée,  les  institutions  militaires  des  Etats  voisins  se  sont 
développées  et  perfectionnées  dans  des  proportions  imprévue.^. 

On  n'a  rien  négligé  chez  nous,  il  est  vrai,  de  ce  qu'on  pouvait  faire 
pour  augmenter  nos  forces  militaires,  dans  les  limites  fixées  par  la 
loi  ;  mais  ce  qu'on  a  pu  faire  à  ce  point  de  vue  n'a  pas  été  suffisant 
pour  empêcher  la  modification  apportée  à  la  situation  générale  de 
nous  être  défavorable. 

On  ne  peut  pas  tarder  plus  longtemps  à  augmenter  l'effectif  de 
présence  en  temps  do  paix,  ainsi  que  1  effectif  des  corps  de  troupes, 
et  en  particulier  de  l'artillerie  de  campagne.  Vous  serez  saisis  d'un 
projet  de  loi  portant  que  l'augmentationi  nécessaire  de  l'armée  sera 
réalisée  le  1^'  octobre  de  cette  année. 

L'action  engagée  dans  l'Est  africain  pour  la  suppression  du  trafic 
des  esclaves  et  pour  la  protection  des  intérêts  allemands  a  fait  des 
progiès  durant  ces  derniers  mois,  grâce  à  l'activité  et  au  dévouement 
des  officiers  et  des  fonctionnaires  qui  ont  été  envoyés  dans  ce  pays. 
On  a  lieu  d'espérer,  d'ici  à  bref  délai,  le  rétablissement  complet  de 
la  paix  dans  ces  territoires.  Les  dépenses  à  provenir  de  ce  chef  de- 
vront être  couvertes  à  l'aide  d'un  crédit  supplémentaire. 

Le  budget  de  l'empire  pour  l'exercice  de  l'année  courante  a  déjà 
besoin  d'être  complété  à  raison  des  projets  de  loi  indiqués  plus  haut. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  391 

Mais,  d'autre  part,  l'amélioration  des  traitements,  depuis  longtemps 
déjà  prévue  et  devenue  de  plus  en  plus  urgente,  pour  une  partie 
des  fonctionnaires  de  l'empire,  ne  peut  être  dilFérée  plus  longtemps. 

Le  projet  de  crédit  supplémentaire  destiné  à  compléter  le  budget 
qui  vous  est  soumis  vous  fournira  l'occasion  de  manifester  l'intérêt 
que  vous  prenez  à  l'équitable  et  bienveillante  satisfaction  de  ce 
besoin. 

Si  vous  réussissez  à  mener  à  bonne  fin  cette  partie  de  votre  tâche, 
vous  aurez,  par  le  fait  même,  donné  de  nouvelles  et  solides  garanties 
au  point  de  vue  de  la  prospérité  intérieure  et  de  la  sécurité  extérieure 
de  la  patrie. 

Je  souhaite  qu'il  nous  soit  donné  d'atteindre  ce  but  par  notre  tra- 
vail commun. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  (1) 


8.  —  I*etît  Mois  de  Mairie, 

par  Don  Sarda  y  Salvany.  — 
Joli  petit  vol.  in-32  de  175 
pages.  —  Paris,  1890,  chez 
Lethielleux. 

Digne  pendant  d'un  petit  Mois 
de  saint  Joseph  également  publié 
cette  année  par  le  même  éditeur 
et  traduit  aussi  de  l'espagnol,  de 
même  format  et  du  même  genre, 
ce  petit  Mois  de  Marie  n'a  besoin 
d'autre  recommandation  que  le 
nom  de  son  auteur.  Don  Sarda  y 
Salvany  est  assez  connu  mainte- 
nant du  public  religieux  pour 
qu'un  extrait  de  ses  œuvres  ne 
soit  pas  assuré  d'avance  du  plus 
légitime  succès.  C'est  ce  que  nous 
promettons  à  ce  petit  Mois  de 
Marie  si  pieux  et  en  même  temps 
si  substantiel. 

9.  -•  Manuel  pratique  et 
bibliographique  du  cor- 
recteur, par  J.  Leforestier. 
—  Paris  1890. 

Un  livre  correct,  reproduisant 
avec     exactitude     la    pensée    de 


l'écrivain  telle  qu'elle  est  sortie 
de  sa  belle  intelligence,  offrant 
aux  yeux  des  lecteurs  tous  les 
charmes  matériels  de  la  typogra- 
phie d'après  les  principes  de  l'art 
le  plus  pur  et  le  plus  élevé,  serait, 
paraît-il,  la  première  merveille 
du  monde,  une  œuvre  supérieure 
aux  plus  fameux  monuments  des 
anciens. 

M.  Leforestier  le  déclare  et 
nous  partageons  entièrement  son 
avis.  —  Ce  livre  existe-t-il  ?  Non, 
dit  encore  M.  Leforestier,  et, 
peut-être,  dit-il  encore,  sera-ce 
l'œuvre  du  xx*'  siècle. 

Après  avoir  parcouru  l'intéres- 
sant travail  sur  lequel  nous  appe- 
lons ici  l'attention,  nous  n'en  dé- 
sespérons pas,  parce  qu'après  la 
publication  de  ce  Manuel  jo^'ati- 
que  du  correcteur,  les  autours 
auront  à  l'avenir,  en  quelques 
pages  claires,  nettes,  admirable- 
ment pratiques,  un  guide  sûr, 
facile  à  consulter,  et,  nous  osons 
le  dire,  un  guide  qui  ne  restera 
muet  sur  aucun  cas  douteux  ou 
difficile. 


(1)^  11  est  rendu  compte  de  tout  ouvrage  dont  deux  exemplaires 
ont  été  déposés  dans  les  bureaux  des  Annales  catholiques.  MM.  les 
auteurs  et  MM.  les  éditeurs  sont  priés  d'indiquer  le  prix  des  livres 
qu'ils  envoient.  —  L'administration  des  Annales  se  charge  de  four- 
nir, au  prix  de  librairie,  les  ouvrages  dont  il  est  rendu  compte  dans 
ce  bulletin. 


392 


ANNALES   CATHOLIQUES 


10.  —  Es-tu  libre  penseur? 

par  Jacques  Bonhomme,  iu-lS, 
chez  Téqui,  prix  franco:  Ofr.  15; 
le  cent  :  10  fr. 


11.   —   I^e    petit    sou    de   la 
XL.igue  de  l'enseig^nement 

par  le  même,  chez  Téqui  — 
prix  franco,  0  fr.  15;  le  cent  : 
10  fr. 


12.  —  Le  Prêtre  et  le  Franc- 
Maçon,  parJ.  Nicolas.  2®  édi- 
tion, 1  volume  in-12  de  384 
pages.  Paris,  chez  Téqui.  Prix: 
1  fr.  50. 

Dans  la  lutte  antique  et  fameuse 
de  l'Archange  saint  Michel  contre 
le  Dragon  infernal,  le  vainqueur 
foulant  aux  pieds  son  adversaire 
transpercé,  lui  jette  cette  parole 
pleine  d'une  noble  fierté  :  Quis 
ut  Deus ? 

Satan  avait  essayé  de  détrôner 
Dieu  pour  s'asseoir  à  sa  place. 
Armé  du  glaive  divin,  l'Archange 
précipite  du  haut  du  Ciel  l'impu- 
dent et  téméraire  usurpateur,  en 
lui  criant  avec  ironie  :  «  Apprends 
que  nul  au  monde,  fût-il  Lucifer, 
n'est  capable  de  se  mesurer  avec 
Dieu.  B 


Depuis  soixante  siècles  au  moin^ 
la  lutte  des  démons  s'est  retour- 
née contre  l'humanité;  elle  dure 
etdurera  jusqu'à  la  fin  des  siècles. 

Aujourd'hui  la  bataille  est  en- 
gagée vigoureusement  entre  la 
société  chrétienne  et  la  Franc- 
Maçonnerie  juive.  Les  armes  prin- 
cipales des  combattants  sont  la 
Presse  quotidienne  ot  les  livres. 
Là  se  distillent  avec  art  les  poi- 
sons les  plus  subtils  en  face  des 
vérités  les  mieux  établies. 

C'est  à  Ja  raison  éclairée,  c'est 
au  bon  sens  à  faire  le  choix. 

Les  livres  ne  manquent  pas 
certes;  mais,  comme  pour  les 
champignons,  malheur  à  qui  se 
trompe. 

Aujourd'hui  la  librairie  Téqui 
offre  au  public  la  seconde  édition 
d'un  petit  volume  plein  d'actualité, 
qui  a  pour  titre  :  Le  prêtre  et  le 
franc-maçon. 

L'auteur  s'est  proposé  de  mon- 
trer que  l'ennemi  delà  société  en 
tous  temps  et  en  tous  lieux,  n'est 
pas  leprétre  catholique,  mais  bien 
le  franc-maçon  doublé  du  tripo- 
teur  juif. 

Le  public  accueillera  favora- 
blement la  deuxième  édition  de 
cet  ouvrage  encouragé,  du  reste, 
par  Sa  Sainteté  le  Pape  Léon  XIII. 


Les  prix  d'abonnement  aux  Annales  Catholiques  sont  : 


EDITION    ORDINAIRE 

France.  —  Algérie.  —  Corse. 

Un  an 15  fr. 

Six  mois 8 

Trois  mois  ....       4 

Alsace- Lorraine .  —  Suisse. 
Belgique. 

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Six  mois 9 


Union  postale  universelle. 

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Six  mois 10  » 

*  Pays  en  dehors  de  l'Union 

*  pjostale. 
50      Un  an 24  fr.     » 

ÉDITION    SUR    BEAU   PAPIER 

Les  abonnements  sont  d'un  an 
»       et  respectivement  de  18,22,24  et 

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Un  numéro  :  0  fr.  35,  franco  :  0  40. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 


Paris.  Imp.  G.  Picqnoin,  53,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LE  SOCIALISME  CONTEMPORAIN 
(Suite  et  fin.  —  Voir  le  numéro  précédent.) 

IV 
La  nationalisation  de  la  }'>'>' opri été. 

L'idée  dominante  du  socialisme  est  ce  qu'on  a  appelé  la.  natio- 
nalisation de  la  terre  et  des  instruments  de  travail,  ou  l'aboli- 
tion de  la  propriété  privée  remplacée  par  la  propriété  collective 
de  la  communauté  ou  de  l'Etat. 

Voici  comment  les  socialistes  argumentent  à  ce  sujet  :  la  terre 
n'est  pas  un  produit  de  l'homme,  mais  un  don  de  Dieu;  Dieu  ne 
l'a  donnée  à  personne  en  particulier,  mais^il  l'a  mise  indistinc- 
tement à  l'usage  de  tous.  Donc,  se  l'approprier  et  en  exclure 
les  autres,  c'est  chose  injuste;  c'est  un  véritable  vol  qui  oblige 
à  restitution.  Cette  restitution  doit  être  faite  à  l'Etat,  qui  repré- 
sente la  communauté,  au  préjudice  de  laquelle  le  vol  a  été 
commis.  A  la  propriété  privée  doit  donc  être  substituée  la  pro- 
priété collective. 

Nous  avons  démontré  ailleurs  (1)  l'iniquité  de  cette  substitu- 
tion. La  propriété  privée  de  la  terre  procède  en  effet  de  la 
nature,  car  c'est  la  nature  qui  a  fait  l'homme  prévoyant  et 
sociable,  et  partant  capable  de  posséder  d'une  manière  stable 
les  choses  qui  produisent  ce  qui  est  nécessaire  à  son  alimenta- 
tion (2).  Bornons-nous,  ici,  à  relever  l'inanité  du  raisonnement 

(1)  Principes  d'économie  politique,  par  le  Père  Liberatore.  Rome, 
typog.  Befani,  1889. 

(2)  Si  un  homme  peut  aujourd'hui  occuper  une  terre  qui  n'a  point 
encore  d'occupant,  pour  en  retirer  ce  qui  est  nécessaire  à  la  satisfac- 
tion du  besoin  présent,  il  pourra  certainement  continuer  à  l'occuper 
demain,  en  vue  de  ce  même  besoin  qu'il  prévoit  devoir  renaître 
demain.  Ce  qu'il  peut  pour  le  lendemain,  il  le  pourra  pour  une 
semaine,  pour  un  mois,  pour  un  an,  pour  toute  sa  vie,  pour  la  vie 
des  enfants  qu'il  laissera  après  lui.  La  raison  de  prévoyance  est  tou- 
jours la  même.  Et,  on  cela,  il  ne  nuit  à  personne,  s'il  est  disposé  à 
donner  le  superflu  à  d'autres  qui  se  trouveraient  dans  le  besoin  et  no 
pourraient  y  subvenir  autrement.  En  outre,  sans  la  division  de  la 
terre,  il  ne  peut  y  avoir  ni  paix  mutuelle,  ni  agriculture,  ni  progrès 
social  ;  l'homme  qui  a  été  organisé  par  la  nature  pour  vivre  avec  ses 
semblables  dans  une  société  paisible  et  régulière  afin  de  tendre  au 
commun  perfectionnement,  tient  donc  de  la  nature  même  le  droit 
d'être  propriétaire. 

Lxxii  —  24  Mai  1890  29 


394  ANNALES     CATHOLIQUES 

des  socialistes.  S'il  était  valable,  il  se  ratournerait  contre  eux; 
car  enfin,  ils  doivent  bien  admettre  tout  au  moins  la  propriété 
mobilière  qu'ils  ne  pourraient  détruire  sans  réduire  l'homme  à 
la  condition  de  la  bête.  Or,  cette  idée  du  don  de  Dieu  se  peut 
appliquer  également  à  la  propriété  mobilière.  A  coup  sûr,  ils  ne 
vous  contesteront  pas  la  propriété  de  l'argent  que  vous  avez  pu 
acquérir,  de  l'habit  que  vous  avez  cousu  ou  que  vous  vous  êtes 
fait  confectionner,  des  meubles  dont  vous  avez  garni  votre  mai- 
son. Mais  ne  sont-ce  pas  encore  d&s  dons  de  Dieu,  ce  métal  qui 
devient  de  la  monnaie,  cette  laine  dont  est  fait  votre  habit,  ces 
matières  avec  lesquelles  ont  été  fabriqués  vos  meubles  ? 

Pourquoi  donc  s'approprierait-on  ces  choses,  si  le  don  de 
Dieu  est  fait  à  tous? —  En  vertu  du  travail,  diront-ils.  —  Mais 
le  travail  ne  s'applique-t-il  pas  aussi  à  la  terre,  et  n'est-ce  pas 
précisément  par  le  travail  qu'elle  devient  cultivable  et  fertile? 

Cette  rétorsion  de  l'argument  est  faite  très  à  propos  par 
M.  Rae,  en  réponse  à  Henri  Georges,  qui,  dans  son  livre  Progrès 
et  Pauvreté  [l],  avait  pris  parti  pour  la  nationalisation  des  terres- 

«  Ce  dont  Georges  ne  s'est  pas  aperçu,  dit-il,  c'est  que  la 
terre  cultivable  n'est  pas  davantage  un  don  de  Dieu  que  ne  l'est 
tout  produit  artificiel  du  travail  humain  et  qu'elle  doit  être 
mise  sur  le  même  pied  que  les  autres  biens  meubles,  auxquels 
il  reconnaît  que  s'applique  incontestablement  le  droit  de  pro- 
priété privée.  Il  y  a  telle  propriété  des  plus  riches  d'Angleterre, 
qui  se  trouve  en  plein  ])aTs  de  marécages;  le  sol  y  est  autant  le 
produit  de  l'habileté  d'un  ingénieur  servie  par  un  travail  pro- 
longé, que  peut  l'être  le  port  de  Portland  ou  le  pont  de  Menai. 
Avant  sir  Cornélius  Vermuyden,  cette  terre  était  couverte  par 
la  mer,  et  ses  habitants,  d'après  Camden,  vivaient  sur  de  mé- 
chantes barques  du  produit  de  la  chasse  au  gibier  d'eau.  Quel- 
ques-unes des  meilleures  terres  de  la  Belgique  n'étaient,  il  y  a 
cent  ans,  que  de  stériles  collines  de  sable;  elles  ne  sont  deve- 
nues  ce   que  nous  les   voyons  aujourd'hui  que  par  le  travail 


(1)  M.  Rae  réfute  avec  une  rare  vigueur  tout  ce  livre,  qui  n'est 
qu'un  tissu  de  faits  imaginaires  et  de  théories  erronées.  Cependant, 
dès  son  apparition,  cet  ouvrage  échauffa  tellement  les  têtes  par  ses 
promesses  pompeuses  de  félicité  générale  pour  la  classe  ouvrière, 
qu'en  Amérique  il  eut  cent  éditions,  et  en  Angleterre  une  édition  de 
soixante  mille.  Ce  qui,  conclut  à  bon  droit  M.  Rae,  prouve  manifes- 
tement combien  la  société  moderne  est  peu  satisfaite  du  résultat  de 
notre  civilisation  industrielle  tant  célébrée. 


LE    SOCIALISME    CONTEMPORAIN  395 

acharné  de  leurs  petits  propriétaires.  Dans  ces  cas  particuliers, 
l'œuvre  du  travail  et  ses  résultats  sont  évidents;  mais  il  n'y  a 
pas  de  terre  arable,  en  quelque  lieu  que  ce  soit,  qui  ne  soit  le 
produit  d'un  long  labeur.  La  richesse  mobilière  et  l'immobilière 
se  trouvent  donc  dans  des  conditions  identiques.  Toutes  deux 
sont  en  même  temps  et  des  dons  de  la  nature  et  des  produits 
du  travail.  Qu'y  a-t-il  donc  qui  soit  de  création  humaine? 
L'homme  trouve  ses  matériaux  déjà  créés,  et  se  borne  à  s'en 
rendre  maître  et  à  les  approprier  à  ses  besoins  par  le  travail 
et  c'est  précisément  ce  qu'il  fait  à  l'égard  de  la  terre,  qui  dans 
ses  mains  se  transforme  en  campagnes  fertiles  »  (1). 

Si  donc  le  travail  humain,  imprimé  sur  une  chose  qui  est  le 
don  de  Dieu,  la  rend  apte  à  devenir  une  propriété  privée,  cela 
sera  vrai  à  plus  forte  raison  pour  la  terre,  qui  a  reçu  et  qui 
reçoit  dans  son  sein  les  sueurs  d'un  plus  long  et  plus  fatiguant 
travail  incessamment  continué.  Dés  que  la  terre  est  devenue 
légitimement  un  objet  de  propriété,  elle  peut  tout  aussi  légiti- 
mement se  transmettre  à  autrui  par  contrat  ou  par  héritage, 
car  il  est  certainement  conforme  au  droit  naturel  de  céder  ou 
de  léguer  ce  qu'on  possède.  La  propriété  privée  d'aujourd'hui 
s'appuie  donc  sur  la  justice  ;  —  si  elle  est  juste,  il  sera  contraire 
à  la  justice  d'en  dépouiller  ses  possesseurs  actuels  pour  en  for- 
mer un  patrimoine  collectif. 

Or,  il  n'y  a  pas  de  législation  qui  puisse  établir  ce  qui  est 
contraire  à  la  justice. 

Ce  que  nous  disons  de  la  terre  est  également  vrai  des  instru- 
ments de  travail,  qui  constituent,  eux  aussi,  une  propriété,  née 
de  l'épargne,  c'est-à-dire  du  produit  de  la  terre  et  du  travail. 
Les  confisquer  au  profit  de  la  propriété  collective,  ce  serait  une 
violation  outrageante  du  droit  naturel  de  l'homme. 

Une  objection. 

Mais,  dira-t-on,  si  la  terre  ne  diffère  pas  du  reste  des  choses 
sur  lesquelles  s'exerce  le  travail,  en  ce  sens  que  celles-ci  sont 
comme  elle  des  dons  de  Dieu,  elle  en  diffère  en  ce  point  très 
important  qu'elle  produit  les  aliments  sans  lesquels  la  conser- 
vation de  la  vie  serait  impossible.  D'oii  il  suit  que  tous  les 
hommes  ayant  un  droit  égal  à  vivre,  tous  ont  également  droit 

(1)  Le  Socialisme  contemporain,  ch.  ix,  Progrès  et  Pauvreté. 


396  ANNALBS    CATHOLIQUES 

à  posséder  la  terre.  Donc  celui  qui  l'usurpe  pour  soi  viole  un 
droit  commun. 

Nous  répondons.  Il  est  très  vrai  que  le  caractère  spécifique 
de  la  terre  est  d'être  la  productrice  des  biens  indispensables  à 
la  subsistance  de  l'homme.  Mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  tout  le 
monde  ait  droit  à  la  possession  du  sol.  Ce  droit  existerait  pour 
tous  si,  en  dehors  de  cette  possession,  il  ne  leur  était  pas  pos- 
sible d'obtenir  les  biens  que  produit  la  terre.  Mais  on  les  obtient 
parfaitement,  et  quelquefois  même  plus  facilement  par  d'autres 
moyens. 

C'est  ainsi  que  le  propriétaire  d'une  fonderie  de  fer,  ou  d'une 
fabrique  de  draps  est  plus  assuré  d'avoir  en  abondance  ces  pro- 
duits de  la  terre  que  ne  peut  l'être  le  propriétaire  de  quelques 
hertares  de  terrain.  Grâce  à  l'échancre,  tout  produit  équivaut 
à  un  autre  produit,  et  celui  qui  a  un  ballot  de  toile  a  dix  sacs 
do  grain. 

J^a  possession  on  commun  de  la  terre  nuirait  d'ailleurs  à  sa 
culture  et  par  suite  réduirait  sa  production,  outre  qu'elle  serait 
une  source  de  confusion  et  de  conflits.  Le  vrai  et  universel 
mojen  de  se  procurer  les  biens  nécessaires  à  la  vie,  c'est  le 
travail,  travail  corporel  ou  intellectuel,  qui  s'échange  lui-même 
ou  échange  ses  produits  contre  les  fcuits  de  la  terre. 

Mais  objectera-t-on  encore,  le  travail  peut  manquer  soit  pour 
cause  de  maladie,  soit  par  défaut  de  commandes,  soit  par  insuf- 
fisance de  salaire. —  C'est  vrai;  aussi  pour  justifier  la  propriété 
privée  des  terres,  faut-il  lui  appliquer  la  distinction  entre  la 
possession  et  l'usage  que  saint  Thomas  établit  pour  la  propriété 
en  général.  Il  se  demande  si  l'homme  peut  posséder  des  biens 
extérieurs  comme  biens  propres  —  et  il  résout  ainsi  cette 
question  : 

Quant  aux  biens  extérieurs,  deux  choses  conviennent  à 
l'homme.  L'une  est  le  pouvoir  d'acquérir  et  de  disposer  —  et 
sous  ce  rapport  il  est  licite  que  l'homme  possède  comme  biens 
propres  des  biens  extérieurs,  cela  est  même  nécessaire  à  la  vie 
humaine. 

L'autre  chose  qui  convient  à  l'homme  au  regard  des  biens 
extérieurs,  c'est  l'usage  de  ces  biens,  et  sous  ce  rapport, 
l'homme  ne  doit  pas  les  avoir  en  propre  mais  les  considérer 
comme  biens  communs,  de  telle  façon  qu'il  soit  disposé  à  en 
faire  part  aux  autres  dans  leurs  besoins.  C'est  pourquoi  l'apôtre 
dit  (Tira.  I,   vi,  17)  :  Commandez   aux  riches  de  donner  avec 


LE    UEPOS    DU    DIMANCHE  397 

facilité.    Prescrivez-leur   de     faire   part    de    leurs   biens    aux 
pauvres. 

A  l'égard  de  la  terre,  la  possession  concerne  le  fonds,  l'usage 
concerne  les  fruits.  Le  premier  peut  être  bien  propre,  le  second 
doit  être  commun,  en  ce  sens  que  le  possesseur  s'en  serve  de 
plein  gré  pour  subvenir  aux  besoins  des  nécessiteux.  Ainsi  tout 
le  monde  jouira  des  produits  de  la  terre,  les  uns  par  droit  de 
propriété,  les  autres  en  vertu  du  devoir  de  bienfaisance,  s'il  ne 
leur  est  pas  possible  de  se  les  procurer  par  l'industrie  et  le 
travail.  En  d'autres  termes,  le  moyen  d'obtenir  les  fruits  de  la 
terre  est  toujours  le  travail;  le  travail  appliqué  à  la  culture  des 
champs  que  l'on  possède,  ou  le  travail  s'exerçant  aux  autres 
offices  dans  lesquels  se  déploie  l'activité  humaine.  Et  quand  le 
travail  fait  défaut,  c'est  à  la  libéralité  des  riches  d'y  suppléer. 
Tel  est  l'ordre  voulu  par  Dieu.  Quand  l'homme  s'y  conforme 
tout  œiarche  régulièrement;  si,  au  contraire,  il  s'en  écarte,  il 
n'est  pas  étonnant  que  tout  aille  de  travers. 


LE  REPOS  DU  DIMANCHE  (1) 

Emine.nce, 

En  vous  remerciant  de  vouloir  bien,  ce  soir,  avec  votre  bonté 
accoutumée,  nous  apporter  l'encouragement  de  votre  parole  et 
la  grâce  de  votre  bénédiction,  il  m'est  bien  doux  de  vous  saluer 
pour  la  première  fois,  en  public,  d'un  titre  qui  rappelle  la  haute 
et  grande  dignité  dont  vous  avez  été  investi.  Les  vœux  de  la 
France  catholique  vous  y  appelaient,  le  choix  spontané  du  Sou- 
verain Pontife  vous  l'a  conférée.  Vous  avez  été  le  désiré  du 
peuple  et  l'élu  du  représentant  de  Dieu  :  c'est  votre  double  cou- 
ronne. [Applaudissements .) 

Le  cardinal  Guibert,  de  pieuse  mémoire,  vous  avait  transmis, 
avec  sa  charge  épiscopale,  son  cœur,  son  âme,  ses  saintes 
vertus  ;  pour  que  la  ressemblance  fût  parfaite,  vous  avez  été 
recouvert  de  la  même  pourpre.  L'âme  de  celui  que,  comme  vous, 
nous  appelions  notre  bien-aimé  et  bien  vénéré  cardinal  a  dû 
tressaillir  dans  les  cieux  ;  et  nous  qui  étions  ses  fils  et  qui 
n'avons  pas  cessé  d'être  les  vôtres,  nous  avons  chanté  sur  la 
terre  un  Te  Deum  d'actions  de  grâces  envers  Dieu,  en  y  mêlant 

(1)  Discours  de  M.  Chesnelong,  à  la  séance  d'ouverture  de  l'assem- 
blée des  catholiques. 


398  ANNALES    CATHOLIQUES 

un  hommage    de    tendre   vénération    pour   vous.    [Très   bien  ! 
Applaudissements .) 

Mesdames,  Messieurs, 

Je  voudrais  vous  entretenir,  ce  soir,  de  la  question  du  repos 
du  dimanche,  qui  est  bien  vieille,  aussi  vieille  que  le  monde, 
mais  qui  est  toujours  nouvelle  et  qui,  plus  que  jamais,  est  à 
l'ordre  du  jour. 

Loi  de  principe  parce  qu'elle  touche  à  l'ordre  providentiel  des 
choses  et  aux  conditions  nécessaires  de  la  nature  humaine;  loi 
immuable  parce  qu'elle  est  née  d'un  commandement  de  Dieu  en 
qui  réside  la  vérité  inaltérable  et  substantielle  ;  loi  perpétuelle, 
parce  que  son  origine  se  confond  avec  l'origine  du  genre  humain; 
loi  universelle,  parce  qu'elle  est  pratiquée  dans  toutes  les 
nations  chrétiennes  et  qu'on  en  retrouve  la  trace  chez  les 
peuples  même  où  la  lumière  de  l'Evangile  s'est  obscurcie,  ou  n'a 
pas  pénétré,  la  loi  du  repos  du  dimanche  touche  à  la  souverai- 
neté de  Dieu  par  l'hommage  qu'elle  lui  rend,  à  la  stabilité  de  la 
société  par  la  force  qu'elle  lui  donne,  à  la  dignité  de  la  famille 
par  la  sauvegarde  qu'elle  lui  assure,  à  la  fécondité  du  travail 
par  les  garanties  qu'elle  lui  oifre,  enfin,  au  relèvement  des 
humbles  et  des  faibles  par  la  protection  qu'elle  leur  accorde. 

Je  voudrais  l'examiner  sous  ces  divers  aspects;  je  rechercherai 
ensuite  les  devoirs  qui  nous  sont  imposés  pour  la  mettre  en  hon- 
neur, autant  que  cela  dépendra  de  nous,  dans  notre  pays. 

Mais,  avant  d'entrer  dans  l'examen  de  ce  sujet,  je  ne  puis 
écarter  un  souvenir  qui  se  présente  à  mon  esprit,  ou  plutôt  à  mon 
cœur. 

En  1874,  à  l'Assemblée  nationale,  j'avais  l'honneur  comme 
rapporteur,  de  soutenir  la  prise  en  considération  d'une  proposi- 
tion de  loi  sur  le  repos  du  dimanche,  laquelle  si  elle  avait  été 
adoptée,  aurait  satisfait  à  toutes  les  revendications  que  nous 
poursuivons  encore.  Mon  regretté  ami,  M.  de  Belcastsl,  entra 
dans  le  débat,  et  je  l'entends  encore  s'écrier  avec  cette  foi  péné- 
trante qui  faisait  partie  de  sa  puissance  :  «  Plus  riche  que  la 
manne  antique  et  matérielle  tombant  six  jours  pour  nourrir  le 
septième,  la  manne  morale  qui  tombe  le  dimanche  nourrit  le 
cœur  de  l'homme  pendant  six  jours.  »  {Vifs  applaudissements.) 

Homme  d'une  foi  profonde,  d'un  désintéressement  absolu, 
d'une  austérité  de  mœurs  et  d'une  rigidité  de  vie  qui  comman- 
daient le  respect,  d'une  sincérité  courageuse  qui  obéissait  au 


LE    REPOS   DU    DIMANCHE  399 

devoir  et  ne  fléchissait  que  devant  lui,  M.  de  Belcastel  joignait 
à  un  esprit  brillant  et  à  une  imagination,  si  je  puis  ainsi  dire, 
très  littéraire,  une  grande  âme  et  un  noble  caractère.  Dans  sa 
parole  ardente  et  colorée,  l'éclat  se  mêlait  à  l'élévation  ;  la 
splendeur  de  l'image  rehaussait  la  force  de  la  pensée  ;  on  y  sen- 
tait passer  des  souffles  puisés  aux  sources  les  plus  hautes.  C'est 
surtout  dans  nos  assemblées  catholiques  que  cette  parole  éclatait 
avec  un  magnifique  rayonnement,  et  elle  était  toujours  accueillie, 
—  vous  vous  en  souvenez,  —  par  des  acclamations  enthousiastes. 
Elle  eut  aussi  ses  grands  jours  à  l'Assemblée  nationale  ;  et, 
pour  ne  parler  que  d'un  de  ces  jours,  lorsque,  dans  une  circons- 
tance qui  était  trop  politique  pour  que  je  puisse  me  permettre 
de  la  rappeler  ici,  M.  de  Belcastel  fit  entendre,  à  la  dernière 
heure,  de  solennels  et  prophétiques  avertissements,  il  rencontra 
des  accents  d'une  grandeur  saisissante  et  d'une  émotion  qui 
remua  le  fond  des  âmes.  (Applaudissements  prolonge's.) 

La  mort  a  frappé  ce  vaillant  et  éloquent  athlète,  ce  grand 
chrétien,  cet  ami  qui  était  un  modèle.  Nous  garderons  à  sa 
mémoire  le  respect  qui  s'attache  au  souvenir  de  nobles  vertus, 
d'un  beau  talent  et  de  grands  services.  {Applaudissements .) 

Après  avoir  acquitté  cette  dette  de  cœur  qui  nous  était  com- 
mune, j'entre  dans  le  sujet. 

La  loi  du  repos  du  dimanche  a  d'abord  et  avant  tout  la  ma- 
jesté et  la  grandeur  d'un  commandement  divin. 

Dieu  en  faisant  de  l'homme  un  être  double  dans  son  unité,  en 
le  rattachant  par  son  âme  à  ces  régions  supérieures  dont  l'im- 
mortalité est  le  partage,  par  son  corps  à  l'univers  terrestre  dont 
la  lutte,  souvent  douloureuse  et  tourmentée  est  la  condition, 
lui  imposa  un  double  travail  :  le  travail  de  l'âme,  marchant  à 
travers  les  tragiques  combats  du  devoir  contrôla  passion  vers  la 
vérité  et  vers  le  bien,  c'est-à-dire  vers  Dieu  dont  la  vérité  est 
la  pensée  et  dont  le  bien  est  la  volonté;  le  travail  du  corps  par 
lequel  l'homme,  armé  de  son  intelligence  et  de  ses  bras,  arrache 
à  la  terre  les  secrets  de  sa  fécondité,  aux  éléments  dont  il  est 
environné  le  secret  de  quelques-unes  de  leurs  forces,  et  pourvoit 
ainsi,  au  prix  de  pénibles  efî'orts,  aux  besoins  de  son  existence 
matérielle. 

Dieu  fit  plus.  Messieurs,  et  déterminant  entre  ces  deux  ordres 
de  travail  la  loi  de  leur  harmonie,  il  ordonna  que  sur  les  sept 
jours  de  la  semaine,  six  pourraient  être  employés  pour  les  tra- 
vaux du  corps,  mais  qu'il  y  en  aurait  un  qui  serait  réservé  pour 


400  ANNALES    CATHOLIQUES 

le  travail  vivifiant  et  régénérateur  de  l'âme  et  consacré  au  culte 
du  Seigneur. 

Messieurs,  c'est  le  troisième  commandement  de  Dieu.  «  Il  est, 
disait  Mgr  Richard  dans  le  mandement  qui  inaugura  à  Paris 
son  saint  et  bienfaisant  épiscopat,  comme  le  mémorial  de  tous 
les  autres  et  la  manifestation  perpétuelle  de  Dieu  vivant  et 
régnant  dans  le  monde  moral  comme  dans  le  monde  physique.  » 

C'est  ainsi,  Messieurs,  que  le  respect  de  la  loi  du  dimanche 
est  non  seulement  le  signe,  mais  aussi  la  manifestation  essen- 
tielle des  liens  sacrés  qui  unissent  la  terre  au  ciel,  l'homme  à 
son  Créateur,  liens  sacrés  qui  sont  Tessence  même  de  la 
religion.  La  violation  de  la  loi  du  dimanche  au  contraire 
quand  elle  est  systématique  et  suggérée  par  le  mépris  du  com- 
mandement divin,  est  comme  un  acte  implicite  d'athéisme.  Pro- 
faner de  parti  pris  et  par  un  mépris  voulu  de  la  loi  religieuse  le 
repos  du  Seigneur,  comme  l'appellent  les  saints  Livres,  n'est-ce 
pas,  en  effet,  traiter  Dieu  comme  s'il  était  une  hypothèse  vaine 
et  impuissante  autant  qu'inutile  puisqu'on  semble  déclarer,  par 
le  fait  même  de  cette  profanation,  qu'on  n'a  ni  un  hommage  à 
lui  rendre,  ni  un  jour  à  lui  réserver.  Et  dans  cet  outrage  à  sa 
majesté,  n'y  a-t-il  pas  comme  une  négation  de  son  existence? 
(Applaudisseinenis.) 

La  loi  du  dimanche  est  aussi  une  loi  sociale. 

Pas  de  société,  en  eftet,  sans  religion.  Je  sais  bien  qu'on  le 
conteste  aujourd'hui.  Le  droit  de  Dieu,  dit-on,  a  fait  son  temps 
et  le  moment  est  venu  de  remplacer  ce  droit  suranné  par  l'indé- 
pendance absolue  du  droit  humain. 

Quelle  que  soit  l'infatuation  de  nos  modernes  libres-penseurs, 
le  vieil  axiome  reste.  Où  Dieu  n'est  pas,  le  pouvoir  est  sans 
force,  la  justice  est  sans  régie,  la  loi  est  sans  base,  le  devoir  est 
sans  responsabilité,  le  droit  est  sans  pi'otection,  la  liberté  est 
sans  garantie,  la  société  vacille  sur  ses  fondements  ébranlés,  et 
est  elle-même  sans  stabilité  et  sans  avenir.  [Vive  adhésion.) 

On  peut  détruire  une  société  en  s'attaquant  aux  conditions  de 
sa  vie;  mais  on  ne  peut  pas  changer  ces  conditions  telles  que 
Dieu,  qui  est  le  créateur  des  sociétés  comme  il  est  le  créateur 
des  mondes  et  des  âmes,  les  a  faites.  Voilà  l'axiome.  [Vifs 
applaudissements.) 

Messieurs,  bien  des  questions  s'agitent  aujourd'hui,  mais  il 
en  est  une  qui  domine  toutes  les  autres,  à  laquelle  toutes  les 
autres  sont  surbordonnées  et  de  laquelle  dépend  le  salut  ou  la 


LE    REPOS    DU    DIMANCHE  401 

ruine  de  notre  société  française.  La  France  restera-t-elle  ou 
même,  à  quelques  égards,  redeviendra-t-elle  la  nation  très 
chrétienne  ou  bien  sera-t-elle  la  proie  de  je  ne  sais  quel  athéisme 
social  s'appuyant  sur  un  matérialisme  dont  l'aspect  scientifique 
ne  réussit  pas  à  voiler  la  triste  dégradation?  Messieurs,  c'est  la 
question  suprême,  et  elle  se  pose  entre  le  relèvement  et  l'abîme. 

Non,  la  politique  séparée  de  Dieu  ne  nous  relèvera  pas;  elle 
ne  pourra  que  préparer  des  désastres  humiliants.  Non,  la  science 
séparée  de  Dieu  ne  nous  relèvera  pas;  elle  ne  pourra  que  cou- 
vrir du  prestige  menteur  d'un  progrés  matériel,  auquel  ne 
correspondrait  aucun  progrés  moral,  l'énervement  des  caractères, 
l'affaissement  des  énergies  généreuses,  le  dessèchement  égoïste 
et  peut-être  la  perversité  des  cœurs.  Non  la  morale  séparée  de 
Dieu  ne  nous  relèvera  pas;  elle  tuera  dans  les  âmes,  avec  la  foi, 
le  devoir,  l'espérance,  le  respect,  qui  est  la  vie  des  sociétés,  et 
l'esprit  de  sacrifice  qui  fait  leur  grandeur.  Le  jour  oii  la  France 
cesserait  de  croire  en  Dieu,  elle  ne  croirait  plus  à  elle-même; 
déchue  de  son  ascendant,  parce  qu'elle  ne  serait  plus  soutenue 
par  ses  croyances,  elle  expierait,  dans  la  honte  de  son  abaisse- 
ment, le  crime  de  son  apostasie  !  [Salve  d'applaudissements.) 

Messieurs,  le  salut  de  la  société  ne  peut  se  trouver  que  dans 
la  restauration  chrétienne  de  la  France;  avec  elle  tout  peut 
être  sauvé,  sans  elle  rien  ne  peut  être  relevé.  Or,  la  loi  du  repos 
du  dimanche  est  la  première  pierre,  la  pierre  fondamentale  de 
cette  restauration  et  c'est  par  là  qu'elle  est  une  loi  essentielle- 
ment sociale. 

Elle  est  aussi,  Messieurs,  une  loi  familiale. 

Le  dimanche  est  la  fête  de  la  famille;  ce  jour-là  les  affec- 
tions se  retrouvent,  les  âmes  se  confondent,  les  cœurs  se  rap- 
prochent, le  faisceau  du  foyer  se  reconstitue;  l'aieul,  le  père,  la 
mère,  l'enfant,  dispersés  souvent  pendant  la  semaine  par  les 
nécessités  du  travail  de  chacun,  se  groupent  sous  le  regard  de 
Dieu,  dans  la  communauté  des  mêmes  devoirs,  des  mêmes  sen- 
timents et  des  mêmes  espérances. 

Ecoutez  ces  paroles  touchantes  d'un  homme  qui  osa  tout 
contre  la  vérité,  mais  qui  lorsqu'il  la  rencontrait  parfois,  savait 
la  marquer  d'une  originalité  vigoureuse  et  saisissante  : 

«  La  joie  du  dimanche  se  répand  partout;  les  douleurs  plus 
solennelles  sont  moins  poignantes;  les  regrets  moins  amers. 
Les  sentiments  s'épurent;  les  époux  retrouvent  une  tendresse 
vive  et  respectueuse,  l'amour   maternel  ses    enchantements  : 


402  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  piété  des  fils  s'incline  avec  plus  de  docilité  sous  la  tendre 
sollicitude  des  mères.   » 

Ce  que  Proud'hon  ne  disait  pas,  et  ce  qu'il  faut  ajouter,  c'est 
que  la  religion  élargit  et  vivifie  les  pures  tendresses  du  foyer 
sous  la  double  influence  d'une  paternité  plus  haute  et  d'une 
fraternité  plus  vaste. 

La  fête  du  dimanche,  commencée  dans  la  famille,  se  continue 
à  l'église.  Là,  sur  l'autel  resplendissant  de  lumières,  le  prêtre 
célèbre  le  saint  sacrifice;  il  distribue  au  peuple  la  parole  de  vie; 
la  prière  monte  vers  Dieu;  Dieu  lui-même  descend  dans  les 
cœurs  ;  le  ciel  semble  se  rapprocher  de  la  terre.  Il  y  a  là  comme 
une  communion  de  toutes  les  âmes  avec  Dieu  et  de  toutes  les 
âmes  entre  elles  au-dessus  de  laquelle  plane  une  sainte  égalité 
qui  rapproche  tous  les  âges  et  qui  confond  tous  les  rangs 
[App  laudissements .  ) 

Jeunes  et  vieux,  riches  et  pauvres,  profitant  du  même  loisir, 
soumis  à  la  même  loi,  s'agenouillent  aux  pieds  du  même  bon 
maître  auprès  de  qui  la  noblesse  de  l'âme  est  le  seul  titre  à 
invoquer  et  qui  l'accueille  avec  une  plus  tendre  prédilection 
lorsqu'elle  est  relevée  par  l'humilité  de  la  situation.  [Nouveaux 
applaudissements .) 

Et  grâce  à  l'union  de  tous  les  foyers  dans  un  même  temple, 
grâce  à  l'émulation  bienfaisante  qui  se  dégage  de  leur  contact 
réciproque,  grâce  au  dimanche  qui  les  rapproche  dans  les 
mêmes  enseignements,  dans  les  mêmes  encouragements  et  dans 
les  mêmes  grâces,  ce  n'est  pas  seulement  la  paroisse,  —  famille 
agrandie,  —  qui  se  constitue  dans  une  généreuse  solidarité  et 
dans  une  pacifique  concorde;  c'est  chaque  famille  elle-même 
qui  puise  dans  ce  mutuel  épanchement  de  vie  religieuse  et 
morale,  un  rajeunissement  de  foi,  de  courage,  de  confiance  en 
Dieu,  au  besoin,  de  force  pour  supporter  avec  résignation  les 
douleurs  et  les  épreuves  de  la  vie.  [Apj^laudissements .) 

Savez-vous,  Messieurs,  oii  la  famille  chrétienne  puise  cette 
union  qui  la  fait  si  forte,  ce  respect  d'elle-même  qui  la  fait  si 
grande,  cette  sérénité  paisible  qui  la  fait  si  douce  et  si  belle  ? 
N'en  doutez  pas,  c'est  dans  le  dimanche  chrétiennement  observé. 

Là,  au  contraire,  oii  le  dimanche  est  méprisé,  la  famille  est 
atteinte  dans  sa  racine  ;  elle  perd  à  la  fois  son  charme  et  sa 
cohésion;  la  désagrégation  ne  tarde  pas  à  se  faire  dans  ce  foyer 
vide  de  Dieu,  oii  les  tendresses  elles-mêmes  sont  affaiblies  et  ne 
suffisent  plus  à  maintenir  le  faisceau;  la  famille,  hélas!  n'est 


LE   REPOS   DU    DIMANCHE  403 

trop  souvent  qu'un  assemblage  mal  assorti  d'âmes  qui  ont  cessé 
de  se  comprendre,  de  cœurs  qui  ont  cessé  de  s'aimer,  parce 
qu'ils  se  sont  éloignés  du  centre  de  toutes  les  unions  et  de 
toutes  les  aflfections  durables.  C'est  une  évidence  douloureuse, 
mais  c'est  l'évidence  même  et  les  faits  sont  malheureusement 
trop  nombreux  qui  se  chargent  de  la  justifier.  [Nouveaux 
applaudissements.] 

La  loi  du  dimanche  qui,  nous  venouKS  de  le  voir,  est  une  loi 
religieuse,  sociale,  familiale,  est  aussi  une  loi  économique. 

N'en  soyez  pas  surpris.  Quand  Dieu  a  parlé,  sa  parole 
embrasse  tout  et  s'étend  à  tout;  elle  a  le  privilège  d'une  souve- 
raine efficacité  dans  une  souveraine  universalité.  (Vive 
adhe'sion.) 

Un  repos  périodique  est  nécessaire  à  l'homme  pour  que  sa 
puissance  de  travail  puisse  se  développer  dans  toute  la  pléni- 
tude de  son  action;  si  ce  repos  lui  manque,  il  ne  tarde  pas  à 
s'afiaisser,  épuisé  par  l'abus  de  ses  propres  forces,  victime  expia- 
toire, en  quelque  sorte,  du  défi  arrogant  qu'il  a  osé  jeter  à  la 
nature. 

Qu'on  ne  dise  pas  que  le  repos  périodique  prive  l'ouvrier 
d'une  journée  de  travail  qui  est  nécessaire  à  sa  vie. Quand  l'ou- 
vrier travaillerait  tous  les  jours  de  l'année,  il  ne  verrait  pas,  par 
suite  de  la  loi  économique  qui  préside  à  la  fixation  du  prix  du 
travail,  son  salaire  total  augmenté.  Et  d'ailleurs,  il  perdrait, 
par  TafiFaiblièsement  de  sa  santé,  beaucoup  plus  que  la  continuité 
ininterrompue  du  travail  ne  pourrait  lui  faire  gagner. 

Qu'on  ne  dise  pas  davantage  que  la  production  générale 
serait  diminuée  de  ce  que  le  jour  de  repos  aurait  apporté  en 
travail.  Je  ne  veux  à  cet  égard  que  vous  citer  les  magnifiques 
paroles  qui  ont  été  prononcées  il  j  a  quelques  années  à  la  tri- 
bune de  la  Chambre  des  communes  par  Lord  Macaulay  : 

«  L'homme,  l'homme,  s'écriait-il,  tel  est  le  grand  créateur 
de  la  richesse.  Voilà  pourquoi  nous  ne  nous  sommes  pas  appau- 
vris, mais  au  contraire  enrichis  par  le  repos  du  septième  jour. 
Ce  jour  n'est  pas  perdu.  Pendant  que  la  manufacture  s'arrête, 
pendant  que  la  charrue  dort  sur  le  sillon,  pendant  que  la  fumée 
cesse  de  s'échapper  de  la  cheminée  de  la  fabrique,  la  nation  ne 
s'enrichit  pas  moins  que  pendant  les  jours  laborieux  de  la 
semaine.  L'homme,  la  machine  des  machines,  se  répare  et  se 
remonte,  si  bien  qu'il  retourne  à  son  travail  du  lendemain  avec 
l'intelligence  plus  lucide,  plus  de  courage  à  l'œuvre  et  une 
vigueur  renouvelée.  » 


404  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  vérité  est  là,  Messieurs,  et  j'ai  d'autant  moins  à  insister 
que  la  ^^cessité  d'un  repos  périodique  est  universellement 
reconnue. 

On  admet  même  que  ce  repos  doit  être  hebdomadaire.  Le 
décadi,  cette  invention  révolutionnaire  que  la  force  seule  put 
un  instant  soutenir  et  qui  ne  tarda  par  à  périr  dans  l'impuis- 
sance et  dans  le  ridicule,  le  décadi  n'est  plus  défendu  par  per- 
sonne. Une  semaine  de  sept  jours,  un  jour  de  repos  par  semaine, 
ces  deux  lois,  en  apparence  arbitraires,  mais  que  Dieu  a  déter- 
minées dès  le  commencement  des  choses,  et  dont  il  a  trouvé  en 
quelque  sorte  l'exempluire  dans  l'essence  même  de  son  œuvre 
créatrice,  ces  deux  lois  s'imposent,  comme  deux  axiomes,  par 
leur  nécessité  à  la  fois  indémontrable  et  indiscutable.  [Jlve 
approbation.) 

Donc  le  repos  hebdomadaire  n'est  pas  contesté.  Mais  il  n'en 
est  pas  de  même  du  repos  dominical;  il  trouve  encore  des 
adversaires  qui  y  voient  «  un  anachronisme  humiliant,  le  signe 
honteux  d'une  domination  théocratique  toujours  menaçante  ». 
Ainsi  s'exprimait  en  1880,  —  mon  ami  Keller  peut  s'en  sou- 
venir, —  le  rapporteur  à  la  Chambre  des  députés  du  projet 
d'abrogation  de  la  loi  de  1814. 

Je  ne  m'attarderai  pas  aujourd'hui.  Messieurs,  à  réfuter 
devant  vous  de  si  creuses  déclamations.  Ce  que  je  veux  dire 
seulement,  c'est  que  le  repos  du  dimanche  est  seul  un  repos 
bienfaisant  et  réparateur,  parce  que  seul  il  fait  la  part  à  la  fois 
des  délassements  du  corps,  des  joies  du  cœur  et  des  besoins  de 
l'âme,  parce  quts  seul  il  laisse  à  l'ouvrier  la  liberté  de  se 
retremper  au  contact  de  la  religion  et  de  la  famille,  au  contact 
de  ses  devoirs  les  plus  élevés  et  de  ses  sentiments  les  meilleurs, 
parce  que  seul  il  lui  permet,  en  restaurant  ses  forces  physiques, 
de  renouveler,  si  je  puis  ainsi  dire,  ses  provisions  de  foi,  de 
courage  et  de  dévouement.  [Approbations.) 

Quant  au  faux  repos  hebdomadaire  qui  n'est  pas  le  repos 
dominical,  nous  le  connaissons  bien,  c'est  le  chômage  du  lundi  : 
il  s'est  révélé  par  ses  œuvres.  Ce  n'est  pas  la  part  faite  au  repos, 
c'est  la  part  faite  au  désordre  et  à  la  prodigalité;  c'est  l'épargne 
de  la  semaine  gaspillée  dans  des  plaisirs  grossiers,  et  le  travail 
des  jours  suivants  compromis  par  le  double  énervement  des 
forces  du  corps  et  des  énergies  de  l'âme;  c'est  l'ouvrier  atteint 
à  la  fois  dans  sa  moralité  et  dans  sa  faculté  de  production. 
Donc,  Messieurs,  je  crois  l'avoir  prouvé,  le  repos  du  dimanche 


LE    REPOS    DU    DIMANCHE  405 

est,  au  point  de  vue  économique,  une  des  garanties  nécessaires 
de  la  fécondité  du  travail  et  du  bien-être  de  l'ouvrier;  ce  n'est 
pas  une  institution  restrictive  et  oppressive,  c'est  une  institu- 
tion protectrice  et  libératrice.  [Applaudissements .) 

Elle  a.  Messieurs,  surtout  ce  caractère  lorsqu'on  l'envisage 
au  regard  de  la  dignité  morale  de  l'ouvrier  et  de  la  liberté  de 
son  âme. 

On  parle  beaucoup  aujourd'hui  de  réformes  sociales.  Je  ne 
compte  pas  sur  le  socialisme  d'Etat  pour  les  opérer;  j'éprouve 
contre  lui,  je  l'avoue,  une  répulsion  profonde;  je  le  vois  à 
l'œuvre  sur  le  terrain  de  l'enseignement  et  sur  le  terrain  de  la 
charité  et  je  ne  connais  pas  un  plus  grand  ennemi  de  la  liberté 
chrétienne.  [Vifs  applaudissements.) 

Mais  s'il  s'agit  de  faire  monter  par  des  lois  chrétiennement 
protectrices,  équitables  et  généreuses,  l'ouvrier,  le  paysan,  le 
pauvre,  à  un  degré  de  plus  en  plus  haut  de  lumière  et  de 
dignité  morale;  de  garantir  ses  libertés  légitimes,  —  je  ne 
m'arrête  pas  là,  car  le  dev^oir  chrétien  va  plus  loin,  —  de  le 
soutenir  dans  ses  faiblesses,  de  l'assister  dans  ses  malheurs,  de 
l'aider  dans  son  ascension  progressive  vers  une  situation  meil- 
leure, si  les  réformes  sociales  sont  cela,  quel  est  donc  l'homme 
de  cœur,  quel  est  le  chrétien  qui  ne  serait  pas  disposé  à  les  étu- 
dier avec  sympathie  et  avec  une  équité  charitable? 

Mais  en  fait  de  réformes  sociales,  la  première  à  accomplir, 
celle  qui  est  l'assise  nécessaire  de  toutes  les  autres,  celle  qui  ne 
menace  personne  et  qui  serait  un  bienfait  pour  tout  le  monde 
c'est  que  le  repos  du  dimanche  soit  garanti  à  l'ouvrier  et  que 
l'ouvrier  lui-même  se  fasse  une  loi  de  le  respecter. 

Voulez-vous,  au  contraire,  Messieurs,  que  je  vous  dénonce  le 
plus  grand  ennemi  de  l'intelligence,  du  cœur,  de  la  dignité,  de 
la  liberté,  de  la  santé  matérielle  et  morale  de  l'ouvrier;  c'est  le 
travail  du  dimanche. 

Voici,  en  effet,  un  ouvrier  industriel;,  —  car  c'est  dans  l'in- 
dustrie que  le  mal  est  le  plus  grand  et  que  la  réforme  est  la 
plus  urgente;  —  il  est  rivé,  pendant  six  jours  de  la  semaine  à 
un  travail  souvent  monotone  et  en  quelque  sorte  mécanique,  qui 
est  relevé  par  le  devoir,  mais  qui  laisse  sommeiller  les  facultés 
de  son  intelligence  et  les  élans  de  son  cœur.  S'il  n'a  pas  la 
liberté  du  dimanche,  s'il  ne  peut  pas,  ce  jour-là,  élever  ses 
pensées,  épancher  ses  sentiments,  porter  vers  Dieu  ses  regards 
et  son  cœur,  se  retremper  dans  les  affections  de  sa  famille  et  y 


406  ANNALES    CATHOLIQUES 

verser  ses  sollicitudes,  quelle  sera  sa  vie?  Quelle  sera  la  vie 
de  la  famille  ?  S'il  est  père,  si  sa  femme  est,  comme  lui,  attachée 
à  un  atelier  et  s'ils  sont  tous  deux  privés  du  repos  du  dimanche, 
que  deviendront  leurs  enfants  ?  Plus  malheureux,  je  le  disais 
un  jour  au  Sénat,  que  s'ils  étaient  orphelins,  ils  auraient,  sans 
doute,  une  famille,  mais  une  famille  que  la  servitude  d'un  tra- 
vail ininterrompu  condamnerait  à  laisser  l'enfant  dans  un 
périlleux  abandon.  {Vive  approbation.) 

Est-ce  que  vous  ne  voyez  pas  tout  ce  qu'il  y  a  d'amer  dans 
cette  situation? Est-ce  que  vous  ne  voyez  pas  à  quelle  dégrada- 
tion elle  pourra  conduire  les  générations  qui  sortiront  de  ces 
foyers  où  Dieu  sera  absent,  oii  l'enfant  sera  dénué  de  toute 
protection  efficace? 

Messieurs,  en  1880,  je  disais  ces  choses  au  Sénat,  comme  mon 
ami  Keller  les  avait  dites  avant  moi  à  la  Chambre  des  députés. 
Et  que  nous  répondait-on? 

Ah!  on  nous  opposait  un  sophisme  qui  déguise  la  servitude 
sous  le  masque  hypocrite  de  la  liberjté  ;  on  nous  opposait  ce 
sophisme  à  l'aide  duquel  on  a,  depuis  dix  ans,  mutilé,  saccagé, 
meurtri  toutes  nos  libertés  religieuses,  ce  sophisme  derrière 
lequel  on  s'est  abrité  tantôt  pour  bannir  la  religion  et  les  reli- 
gieux de  nos  écoles  ;  tantôt  pour  chasser  les  aumôniers  et  les 
sœurs  de  quelques  hôpitaux  ;  tantôt  pour  séparer  le  prêtre  du 
soldat;  tantôt  pour  laïciser  nos  cimetières  catholiques  en  y 
subordonnant  le  bon  plaisir  de  la  police  au  droit  sacré  de  la  reli- 
gion, tantôt,  dans  quelques  grandes  villes,  en  interdisant  à 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui-même  la  rue  de  nos  cités,  —  la 
rue  où,  cependant,  nous  voyons  s'étaler  parfois  avec  une  pompe 
tout  officielle  des  funérailles  dites  civiles  qui  sont  la  glorifica- 
tion de  l'apostasie  s'affirmant  jusque  dans  la  mort,  avec  un 
orgueil  outrageant  pour  la  foi  de  la  nation  —  [Applaudisse- 
ments), tantôt  enfin,  —  c'est  le  dernier  attentat,  —  en  envoyant 
nos  séminaristes  à  la  caserne  et  en  brisant  ainsi  une  immunité 
séculaire  que  la  Convention  elle-même  avait  respectée. 

Et  toutes  ces  choses  se  sont  faites  au  nom  de  la  liberté  des 
consciences!  Comme  si  la  liberté  ne  devait  plus  être, en  France, 
que  l'oppression  de  toutes  les  croyances  par  toutes  les  négations, 
l'oppression  des  divers  cultes  par  l'incrédulité  qui  les  répudie 
tous,  l'oppression  des  consciences  chrétiennes,  qui  sont  l'im- 
mense majorité  des  consciences  françaises  par  la  prétention 
arrogante  de  quelques  sectaires  qui  cesseront  d'être  une  force 


LE    REPOS    DU    DIMANCHE  407 

le  jour  où  la  nation  désabusée  se  demandera  seulement  :  com- 
bien sont-ils?  [Applaudissements  répétés.) 

Eh  bien,  Messieurs,  ce  sophisme  nous  le  rencontrâmes 
en  1880  sur  la  question  du  dimanche  ;  et  on  nous  disait  :  «  Nous 
ne  pouvons  pas  interdire  le  travail  du  dimanche  par  respect 
pour  la  liberté  de  conscience  des  ouvriers  qui  n'acceptent  pas 
la  prescripiion  religieuse  du  repos  dominical  ;  mais  nous  ne 
l'imposons  à  personne.  L'ouvrier  sera  son  maître  ;  il  pourra, 
selon  son  gré,  travailler  ou  se  reposer  le  dimanche:  ainsi  le 
veut  la  liberté.  » 

La  liberté  !  mais,  leur  répliquons-nous,  quelle  serait  donc  la 
liberté  qui  serait  atteinte  par  l'interdiction  du  travail  du 
dimanche  ? 

Ce  n'est  pas  la  liberté  de  conscience  apparemment  !  on 
n'impose  pas  aux  ouvriers  qui  ne  croient  pas  au  troisième  com- 
mandement de  Dieu,  l'obligation  de  faire  ce  que  leur  conscience 
repousse;  on  leur  demande  simplement  de  ne  pas  faire  ce  qui 
blesserait  la  crojance  générale  de  la  nation  :  ce  qui  est  bien 
différent. 

Ce  n'est  pas  la  liberté  des  cuites.  Elle  n'est  pas  en  cause 
pour  ceux  qui  n'ont  aucun  culte;  mais  pour  ceux  qui  en  ont 
un,  il  s'agit  d'une  prescription  qui  est  commune  à  tous  les 
cultes  et  dont  tous  sont  intéressés  à  réclamer  le  respect. 

La  seule  liberté  que  l'interdiction  du  travail  du  dimanche 
limiterait,  —  et  celle-là,  il  serait  honteux  que  l'Etat  la  consa- 
crât et  l'encourageât,  —  c'est,  disons-nous  encore,  la  liberté 
du  mépris. 

Lorsque,  au  contraire,  un  ouvrier  chrétien  est  contraint  par 
la  tyrannie  d'un  maître  de  qui  son  existence  dépend,  à  se  livrer, 
le  dimanche,  à  un  travail  que  sa  foi  lui  interdit,  sa  liberté  de 
conscience  est  réellement  et  outrageusement  méconnue  ;  et  nous 
réclamons  justement  pour  elle  parce  qu'elle  est  en  souffrance. 

L'ouvrier,  nous  dit-on,  est  son  maître  ;  il  peut  s'affranchir... 
Quelle  cruelle  ironie  ! 

Demandez  donc  à  un  ouvrier  chrétien  qui  est  attaché  à  une 
manufacture  ou  à  un  chantier  de  construction  oii  il  ne  peut 
rester  qu'à  condition  de  s'astreindre  au  travail  du  dimanche, 
et  qui,  s'il  perd  cette  situation,  ne  voit  devant  lui,  pour  lui- 
même  et  pour  sa  famille,  que  des  privations  et  la  souffrance, 
demandez-lui  donc  s'il  est  son  maître  !  Ah  !  oui,  il  est  le 
maître   pour  sauver   sa  foi,  d'accepter    le   sacrifice   peut-être 


408  ANNALES    CATHOLIQUES 

même  la  misère  ;  mais  s'il  n'est  pas  capable  de  cette  immolation 
héroïque,  il  doit  subir  la  double  servitude  d'une  domination  qui 
opprime  son  droit  et  de  sa  situation  qui  ne  lui  permet  pas  de 
le  défendre.  Est-ce  la  liberté?  {Applaudissements .) 

Est-ce  que  la  liberté  n'est  plus  qu'une  fausse  enseigne,  un 
mot  de  passe  pour  couvrir  les  abus  outrageants  de  la  force 
lorsque  cette  force  peut  se  déguiser  plus  ou  moins  sous  les 
apparences  du  droit? 

Messieurs,  je  parle  en  chrétien,  et  je  m'adresse  à  des  chré- 
tiens, j  eût-il  un  semblant  de  droit,  au-dessus  du  droit  égoïste- 
ment  compris,  il  y  a  le  devoir  généreusement  pratiqué.  Le 
Père  Lacordaire  disait  un  jour  :  «  Le  droit  est  l'épée  des  puis- 
sants ;  le  devoir  est  le  bouclier  des  faibles.  »  [Nouveaux  applau- 
dissements.) [A  suivre.) 

M.  TAINE  ET  LE  SUFFRAGE  UNIVERSEL 

M.  Taine  publie  en  ce  moment,  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes,  une  remarquable  étude  sur  la  Reconstruction  de  la 
France  en  1800.  On  y  retrouve  toutes  les  qualités  qui  ont  placé 
l'auteur  des  Origines  de  la  France  contemporaine  au  premier 
rang  des  maîtres  de  la  philosophie  de  l'histoire. 

Le  suffrage  universel,  tel  qu'on  l'entend,  c'est-à-dire  établis- 
sant l'égalité  absolue  du  droit  électoral  entre  tous  les  citoyens, 
est  une  idée  fausse  et  son  application  n'entraînera  jamais  que 
des  conséquences  mauvaises. 

La  France  en  a  fait  l'expérience,  et  M.  Taine  va  jusqu'à  dire 
que  «  le  suffrage  universel  direct  et  compté  par  têtes  est,  dans 
la  société  locale,  une  pièce  disparate,  un  engin  monstrueux,  et 
celle-ci  répugne  à  l'admettre.  Constituée  comme  elle  l'est,  non 
par  l'arbitraire  humain,  mais  par  des  conditions  physiques,  son 
juécanisme  est  déterminé  d'avance;  il  exclut  certains  rouages 
et  agencements;  c'est  au  législateur  à  le  transcrire  dans  la  loi 
tel  qu'il  est  écrit  dans  les  choses,  du  moins  à  le  traduire  à  peu 
près  et  sans  contre-sens  grossiers.  La  nature  elle-même  lui 
présente  des  statuts  tout  faits.  A  lui  de  les  bien  lire  :  il  a  lu 
déjà  la  répartition  des  charges;  il  peut  y  lire  maintenant  la 
répartition  des  droits.  » 

Toute  la  question  tient  dans  ces  deux  termes. 

M.  Taine  fait  la  démonstration  que  dans  la  répartition  des 
charges  les  petits  contribuables  sont  épargnés,  tantôt  par  l'allé- 


M.    TAINE    ET    LE    SUFFRAGE    UNIVERSEL  409 

gement   fiscal,  tantôt   par   faveur   administrative,   tantôt   par 
-abandon  forcé,  tantôt  par  remboursement  total  ou  partiel  et 
que  toujours  «  et  très  sagement,  le  législateur  proportionne  le 
fardeau  à  la  force  de  leurs  épaules.  » 

Par  contre,  la  part  des  contribuables,  gros  et  moyens,  s'aug- 
mente d'une  surcharge  gratuite,  à  savoir,  tout  le  poids  dont 
l'autre  est  allégé. 

Qu'à  cette  inégalité  des  charges  corresponde  l'inégalité  des 
droits,  n'est-ce  pas  justice?  «  Il  y  aura,  dit  M.  Taine,  compen- 
sation, restauration  de  l'équilibre,  application  de  la  justice  dis- 
tributive  si,  dans  le  gouvernement  de  l'entreprise,  les  parts  ne 
sont  pas  égales,  si  chaque  membre  voit  grandir  ou  diminuer  sa 
part  d'influence  avec  le  poids  de  ses  charges,  si  le  statut  éche- 
lonnant les  degrés  de  l'autorité  d'après  l'échelonnement  dos 
cotes,  attribue  peu  de  voix  à  ceux  qui  paient  moins  que  leur 
quote-part  dans  les  frais  et  reçoivent  une  aumône,  beaucoup  de 
voix  à  ceux  qui  donnent  une  aumône  et  paient  plus  que  leur 
quote-part  dans  les  frais. 

«  Telle  est  la  règle  en  toute  association  d'intérêt.  A  plus  forte 
raison  doit-on  inscrire  ce  principe  dans  le  statut  d'une  société 
qui,  comme  la  société  locale,  diminue  par  ses  dégrèvements  la 
charge  du  petit  contribuable  et  augmente  par  ses  surtaxes  la 
charge  du  contribuable  gros  et  moyen  ;  quand  la  nomination  des 
gérants  y  est  livrée  au  suffrage  universel  compté  par  têtes,  les 
gros  et  moyens  contribuables  y  sont  fraudés  de  leur  dû  et 
dépouillés  de  leur  droit.  » 

Voilà  pour  le  principe  même;  voulez-vous  connaître  d'autres 
conséquences  inévitables  du  suffrage  universel?  Nous  les  avons 
signalées  déjà,  mais  nous  sommes  heureux  d'appuyer  nos  argu- 
ments de  l'autorité  de  M.  Taine  ;  entendez-le  : 

«  Pour  le  régime  du  suffrage  universel,  c'est  par  accident  de 
rencontre  que,  dans  quelques  provinces  et  dans  certaines  com- 
munes, un  noble  ou  un  bourgeois  peut  devenir  conseiller  muni- 
cipal et  maire.  Partout  ailleurs,  la  majorité  numérique  étant 
souveraine  tend  à  prendre  ses  élus  dans  la  moyenne  ;  au  village, 
c'est  la  moyenne  de  l'intelligence  rurale  ;  et  le  plus  souvent,  au 
village,  un  conseil  municipal,  aussi  borné  que  ses  électeurs, 
nomme  un  maire  aussi  borné  que  lui. 

«  Abandonnés  à  leur  ignorance  native,  les  vingt-sept  mille 
petits  conseils  municipaux  de  la  campagne  sont  maintenant  plus 
passifs,  plus  inertes  et  plus  contraints  que  jamais.  » 

30 


410  ANNALES    OATHOLIQDE8 

Voilà  pour  les  campagnes  ;  les  villes  se  sont-elles  mieux  trou- 
vées d'être  livrées  au  suffrage  universel? 

«  Là  aussi,  répond  M.  Taine,  et  plus  encore  qu'au  village,  le 
suffrage  universel  a  eu  pour  effet  la  déchéance  des  vrais  no- 
tables et  déterminé  l'abdication  ou  l'exclusion  des  hommes  qui, 
par  leur  éducation,  leur  part  très  grande  dans  les  contributions, 
leur  influence  encore  plus  grande  sur  la  production,  le  travail 
et  les  affaires,  sont  des  autorités  sociales  et  devraient  être  des 
autorités  légales.  » 

Tels  ont  été  les  fruits  du  suffrage  universel  en  France. 


LA  FILLE  DE  GALILEE 

On  a  publié  en  Italie  les  lettres  inédites  qu'une  des  filles  de 
Galilée,  religieuse  au  couvent  de  Saint-Mathieu,  à  Florence, 
écrivait  à  son  père,  Polissema,  en  religion  Sœur  Marie-Céleste, 
nous  apprend  par  ces  lettres  que  le  couvent  de  Saint-Mathieu 
recevait  de  fréquentes  visites  du  grand  mathématicien  et  astro- 
nome. Il  lui  servit  même  de  résidence  et  de  refuge.  C'est  là  qu'il 
venait  demander  le  repos  et  l'encouragement.  Sa  fille  était  très 
instruite  et  si  Marie-Céleste  soignait  les  malades,  ourlait  des 
serviettes  et  raccommodait  le  linge  de  son  père  qui  était  veuf, 
elle  lisait  aussi  ses  livres  et  copiait  ses  manuscrits. 

On  voit  que  la  vie  du  couvent  n'était  pas  plus  au  xvii^  siècle 
qu'aujourd'hui  une  vie  «  d'obscurantisme  »  et  de  fainéantise, 
comme  on  voudrait  le  faire  croire  au  xix*  siècle. 

La  correspondance  de  Galilée  et  de  sa  fille,  commencée  en 
1623,  lorsque  Marie-Céleste  avait  vingt  et  un  ans,  dura  neuf 
ans.  Elle  mourut  épuisée  par  les  soins  qu'elle  prodiguait  aux 
malades. 

Voici  une  lettre  qui  montre  les  relations  affectueuses  de 
Galilée  avec  le  Pape  Urbain  VIII  : 

«  Je  ne  peux  vous  décrire  le  plaisir  avec  lequel. )'ai  pris  con- 
naissance des  lettres  que  vous  avez  reçues  de  l'illustre  cardinal 
(Maffio  Barberini)  qui  est  aujourd'hui  notre  Souverain  Pontife 
(Urbain  VIII),  sachant  combien  il  vous  aime  et  vous  estime. 

«  J'ai  lu  les  lettres  plusieurs  fois,  et  maintenant,  je  vous  les 
retourne  comme  vous  m'en  priez,  après  ne  les  avoir  montrées 
qu'à  Sœur  Arcangela.  Puisse  le  Seigneur  vous  donner  la  santé, 
afin  que  vous  réalisiez  votre  désir  d'aller  faire  une  visite  à  Sa 


LX   FILLE    DE    GALILÉE  411 

Sainteté  et  obteniez  ainsi  de  plus  grandes  marques  de  sa  faveur! 
«  J'imagine  que  vous  avez  déjà  écrit  une  très  belle  lettre  à  Sa 
Sainteté,  pour  la  féliciter  d'avoir  obtenu  la  tiare.  Comme 
j'éprouve  une  assez  vive  curiosité  à  ce  sujet,  je  serais  ravie,  si 
vous  n'y  voyiez  pas  d'objection,  d'en  lire  la  copie.  » 

Elle  écrit  à  son  père  pour  la  Noël  de  1625,  une  fleur  lui  ins- 
pire une  pieuse  pensée  qu'elle  exprime  aussitôt  : 

«  Je  vous  envoie  des  poires  cuites  pour  les  jours  de  Vigiles. 
Mais  ce  que  je  vous  envoie  de  plus  précieux,  c'est  une  rose  qui, 
ce  me  semble,  devra  vous  plaire  extrêmement,  vu  sa  rareté  en 
cette  saison.  Avec  la  rose,  il  faut  que  vous  acceptiez  les  épines, 
images  de  notre  espoir  que,  par  la  Passion  sacrée,  nous  pour- 
rons, après  avoir  traversé  les  ombres  du  court  hiver  de  la  vie, 
mériter  la  lumière  et  le  bonheur  d'un  printemps  éternel  dans  le 
Ciel.  » 

Galilée  était,  non  seulement  un  excellent  client  pourl'ouvroir 
de  la  Communauté,  mais  aussi  un  généreux  bienfaiteur. 

Lorsque  sœur  Marie-Céleste,  dont  on  semble  avoir  fort 
apprécié  la  bonne  tête  et  l'activité,  fut  nommée  infirmière  en 
1628,  la  cave  et  l'office  de  son  père  furent  mis  en  réquisition 
permanente,  pour  fournir  aux  pauvres  malades  les  mets  ou  vins 
fins  que  la  bourse  conventuelle  ne  pouvait  leur  acheter.  Les  im- 
portunités  de  la  fille  paraissent  n'avoir  eu  d'égale  que  l'obli- 
geante bonne  volonté  de  son  Devoto,  comme  elle  le  surnomme 
câlinement.  Un  jour,  on  le  voit  réparant  l'horloge  du  couvent; 
une  autre  fois,  on  le  charge  sans  façon  d'acheter  à  la  foire  de 
Pise  du  drap  pour  «  deux  pauvres  petites  nonnes  ». 

Il  s'acquitte  sans  doute  plus  volontiers  de  la  tâche  épistolaire 
qu'on  lui  impose  ensuite.  Il  s'agit  d'adresser  une  lettre  de  félici- 
tations au  nouvel  archevêque  de  Florence;  Madonna  l'abbesseet 
sœur  Marie-Céleste  se  défient  de  leur  habileté  (la  seconde  a 
vraiment  tort)  et  le  bon  Galilée,  qui  a  fait  le  modeste,  reçoit 
néanmoins  un  satisfecit  ainsi  conçu  : 

«  Quoique  vous  disiez  n'avoir  pas  bien  fait  la  lettre,  elle  est 
bien  supérieure  à  ce  que  j'aurais  pu  faire  et  je  vous  en  suis  in- 
finiment obligée.  D'autant  plus  obligée  que  la  lettre  a  été 
extrêmement  agréable  à  Monseigneur,  et  que  dans  une  réponse 
des  plus  courtoises,  il  a  offert  son  appui  et  sa  protection.  » 

Mais  cela  n'a  pas  suffi  à  l'infatigable  Marie-Céleste.  Elle  a 
adressé  deux  pétitions  à  la  sérénissime  Grande-Duchesse,  la  se- 


412  ANNALES    CATHOLIQUES 

maine  précédente,  et  il  en  est  résulté,  le  jour  de  la  Toussaint, 
l'envoi  de  trois  cents  pains  et  d'un  sac  de  blé,  «  de  sorte  que 
Madonna  n'aura  plus  le  chagrin  de  ne  pouvoir  ensemencer  les 
terres  du  couvent  ».  Marie-Céleste  continue  en  ces  termes  : 

'*  Que  Votre  Seigneurie  me  pardonne  si  mon  bavardage  devient 
fatigant.  Vous  m'y  encouragez  en  me  disant  que  vous  êtes  con- 
tent de  recevoir  mes  lettres.  Je  vous  considère  comme  mon  saint 
patron  (pour  parler  ainsi  qu'on  fait  ici),  à  qui  je  conte  toutes 
mes  joies  et  tous  mes  chagrins.  Et  voilà  comment,  vous  trou- 
vant toujours  prêt  à  écouter,  je  demande  ce  qui  me  paraît  le 
plus  nécessaire.  Voici  venir  le  temps  froid  et  je  serai  percluse, 
si  vous  ne  m'envoyez  une  couverture,  car  celle  dont  je  me  sers 
n'est  pas  à  moi  et  m'est  réclamée  par  la  propriétaire.  J'ai  prêté 
celle  que  vous  m'aviez  donnée  à  ma  sœur  Arcangela.  Elle  pré- 
fère dormir  seule  et  je  ne  demande  pas  mieux  que  de  la  laisser 
faire. 

«  En  conséquence  il  ne  me  reste  que  le  couvre-pied  de  serge  et 
si  j'attends  que  j'aie  assez  d'argent  pour  acheter  une  couver- 
ture, ce  ne  sera  même  pas  pour  l'hiver  de  l'année  prochaine;  je 
supplie  donc  mon  Devoio,  car  il  est  mon  seul  trésor.  Mais  cela 
m'est  un  grand  chagrin  de  ne  lui  pouvoir  rien  donner  en  retour. 
Je  tâcherai  du  moins  d'importuner  notre  Dieu  miséricordieux  et 
la  très  sainte  Madone,  pour  qu'il  soit  admis  en  Paradis.  Ce  sera 
la  meilleure  récompense  que  je  puisse  offrir  pour  toutes  les  bontés 
sans  cesse  reçues  par  moi.   » 

Tandis  que  l'humble  religieuse  continuait  sa  vie  tranquille, 
Galilée  était  aux  prises  avec  les  difficultés  auxquelles  avaient 
donné  lieu  ses  hardiesses  scientifiques  et  sa  prétention  d'im- 
poser son  système  planétaire  comme  le  seul  orthodoxe.  Il  fut 
mandé  à  Rome  par  le  Pape  qui  était  son  ami,  et  la  congrégation 
chargée  d'examiner  les  doctrines  et  les  systèmes  de  Galilée  au 
point  de  vue  de  l'orthodoxie  entendit  Galilée. 

On  sait  les  mensonges  et  les  calomnies  historiques  énormes 
auxquelles  a  donné  lieu  ce  procès  des  écrits  de  Galilée.  On  les 
a  réfutées  cent  fois,  mais  comme  dit  Voltaire,  «  mentez,  men- 
tez.... il  en  restera  toujours  quelque  chose  ». 

La  correspondance  de  Marie-Céleste  et  de  Galilée  apporte 
cependant  une  nouvelle  clarté  qui  doit  dissiper  ce  reste  de 
calomnies  historiques.  Il  s'agit  de  la  c  prison  de  Galilée  »  et  des 
«  horreurs  »  de  l'Inquisition  romaine. 


LA   FILLE    DK    GALILÉE  413 

Quand  Marie-Céleste  apprend  le  procès  de  son  père  elle  lui 
écrit,  en  fille  tendre  et  en  vraie  chrétienne  : 

«  Je  crie  sans  cesse  vers  le  Dieu  Tout-Puissant,  pour  vous 
recommander  à  Lui.  Je  vous  supplie  de  tourner  vos  pensées  vers 
Lui  et  de  lui  mettre  tout  votre  espoir  dans  Celui  qui  n'aban- 
donne jamais  ceux  qui  se  reposent  sur  Lui.  Mon  très  cher  Sei- 
gneur et  Père,  j'ai  écrit  aussitôt  que  j'ai  appris  ces  nouvelles, 
afin  de  vous  faire  savoir  combien  je  suis  de  cœur  avec  vous.  > 

Cependant  Galilée,  après  quelques  semaines,  est  remis  en 
liberté  sous  certaines  conditions.  Sa  fille  lui  écrit  : 

«  La  joie  que  votre  chère  lettre  m'a  apportée,  l'obligation  de 
la  lire  et  de  la  relire  aux  Sœurs  qui  en  ont  fait  l'occasion  d'un 
véritable  Jubilé,  tout  cela  m'a  mise  dans  un  tel  état  de  surexci- 
tation, qu'il  en  est  résulté  un  violent  accès  de  maux  de  tête.  Je 
ne  dis  pas  cela  en  manière  de  reproche,  mais  pour  vous  montrer 
que  je  ne  suis  pas  moins  touchée  de  ce  qui  arrive,  qu'une  fille 
ne  doit  l'être.  Comme  j'ai  été  obligée  de  donner  la  lettre  au 
signer  Geri,  afin  queVincenzio  (son  frère)  la  vit,  j'en  ai  fait  une 
copie  que  signer  Rondinelli  (le  confesseur),  après  l'avoir  lue, 
portera  à  Florence  et  montrera  à  certains  amis  très  désireux 
d'être  au  courant  des  détails.  » 

On  voit  que  le  couvent  do  Saint-Mathieu  tout  entier  s'intéres- 
sait à  l'affaire,  ce  qui  était  du  reste  bien  naturel. 

Cependant,  Sœur  Marie-Céleste  sentant  ses  forces  décliner  se 
prépare  à  la  mort  et  rappelle  son  père  afin  de  mourir  dans  ses 
bras. 

«  Je  ne  crois  pas  vivre  pour  voir  cette  heure  avant  ma  fin. 
Cependant,  puisse  Dieu  m'accorder  cette  faveur,  s'il  la  juge 
bonne  en  sa  sagesse  !  » 

Galilée  revint  et  ce  père  et  cette  digne  fille  si  tendrement 
unis  purent  échanger  une  suprême  étreinte. 

Ce  que  Galilée  souffrit  de  cette  séparation,  sa  correspondance 
en  fait  foi.  Quelque  temps  après,  il  écrit  à  son  ami  Elle  Dèodati  une 
lettre  qui  a  la  valeur  d'un  document  historique,  car  elle  montre 
bien  à  quoi  se  réduisirent  en  réalité  les  «  horreurs  »  de  l'Inqui- 
sition romaine.  La  voici  : 

«  Après  mon  procès,  je  demeurai  dans  le  palais  de  l'arche- 
vêque de  Vienne;  ensuite  ma  prison  fut  changée;  ce  fut  ma 
propre  maison,  la  petite  villa  Martinelli,  à  un  mille  de  Florence, 


414  ANNALES    CATHOLIQUES 

avec  l'ordre  impératif  de  ne  pas  fêter  mes  amis,  de  ne  permettre 
aucune  réunion.  Là  je  vécus  très  tranquillement,  faisant  de  fré- 
quentes visites  au  couvent  voisin,  où  j'avais  deux  filles  reli- 
gieuses, que  j'aimais  chèrement,  Vaînée  surtout,  femme  d'un 
esprit  exquis,  d'une  bonté  singulière  et  qui  m'était  tendrement 
attachée.  Sa  santé  avait  beaucoup  souflert  pendant  mon  absence, 
mais  elle  ne  faisait  jamais  grande  attention  à  ce  qui  ne  touchait 
qu'elle.  Enfin  le  mal  augmenta  et  elle  mourut  après  dix  jours  de 
maladie,  me  laissant  dans  une  profonde  affliction,  » 

Voilà  donc.co  que  fut  le  cachot  de  Galilée!  De  son  propre  aveu, 
il  fut  traité  avec  la  plus  grande  bienveillance  et  sa  prison  con- 
sistait dans  une  vie  tranquille  au  fojer  domestique. 


NOUVEAUX  MENSONGES  DU  SPIRITISME 

Un  des  caractères  les  plus  funestes  de  l'erreur,  à  notre  époque, 
c'est  de  se  présenter  sous  des  dehors  qui  paraissent  à  première 
vue  acceptables.  C'est  ainsi  que  le  libéralisme  et  le  socialisme 
ont  bien  soin  de  ne  pas  poser  en  adversaires  directs  de  la  reli- 
gion, mais  prétendent  simplement  revendiquer  les  seuls  droits 
d'une  liberté  légitime  ou  représenter  les  trop  justes  aspirations 
de  la  classe  souvent  malheureuse  des  prolétaires.  Au  fond 
cependant  le  but  réellement  poursuivi,  c'est  la  destruction  de 
de  l'ordre  religieux  et  social  tel  qu'il  existe  actuellement  sur  sa 
base  chrétienne  dix-neuf  fois  séculaire. 

Nous  pouvons  en  dire  autant  du  spiritism,e  qui  cherche  à 
s'implanter  chez  nous  sous  le  masque  trompeur  d'un  faux  mysti- 
cisme. Qu'arriverait-ii  si  on  s'y  laissait  prendre?  Il  arriverait 
ce  qui  est  arrivé  avec  le  libéralisme  et  le  socialisme.  On  croi- 
rait d'abord  ne  répondre  qu'à  un  noble  élan  de  l'esprit  humain 
vers  l'inconnu,  qu'à  une  généreuse  et  louable  tentative  d'éman- 
cipation, et  tout  à  coup  on  se  retrouverait  avec  les  pires  enne- 
mis de  l'Eglise,  on  constaterait  qu'on  n'est  plus  même  chrétien. 

Dernièrement,  paraissait  à  Turin  un  livre  intitulé  :  Philoso- 
phie spiritualiste;  le  Spiritisme  dans  le  sens  chre'tien.  L'au- 
teur, un  certain  Théophile  Coreni,  prétend,  comme  l'indique  le 
titre  de  son  ouvrage,  concilier  les  doctrines  spirites  avec  les 
doctrines  de  l'Eglise  et  il  y  emploie  une  ruse  qui  est  un  piège 
immense  pour  les  lecteurs  mal  afi"ermis  dans  la  foi  chrétienne. 
Nous  ne  citons  que  lui  parce  qu'il  résume  et  représente  toute 
une  école  qui  fait  autorité  dans  le  camp  spirite. 


NOUVEAUX    MENSONGES    DU    SPIRITISME  415 

La  Civiltà  eatholica,  qui  a  déjà  publié  une  longue  et  très 
remarquable  étude  du  R.  P.  Franco,  sur  le  spiritisme,  prend  à 
partie  cette  bizarre  élucubration  de  Coreni.  Celui-ci  prétend,  en 
empruntant  les  paroles  de  Mgr  Baugaud,  que  «  tout  se  prépare 
pour  une  démonstration  de  Dieu  et  de  la  religion  telle  qu'il  y 
en  a  pas  eu  depuis  le  commencement  du  christianisme.  »  Ce 
sera,  dit-il,  le  spiritisme  christianisé.  Sans  nous  arrêter  à 
rappeler  que  tous  les  hérétiques  ont  toujours  prétendu  renouve- 
ler le  christianisme,  le  réformer  et  le  purifier  au  moyen  de  leurs 
doctrines,  examinons  résolument,  avec  la  célèbre  Revue,  le 
programme  général  de  Coreni.  «  Quand  on  saura,  dit-il,  que 
l'Eglise  (catholique)  ne  repousse  plus,  ne  maudit  plus,  mais  ins- 
truit et  éclaire,  mais  accueille  et  bénit  les  spirites  volontaires,  en 
leurfournissantlanourriture  spirituelle  qui  leur  convient  (c'est-à- 
dire  spirite),  qu'elle  les  aide  à  atteindre  le  maximum  actuelle- 
ment possible  de  Vérité  vraie,  sainte,  sublime,  oh!  alors  arri- 
vera l'heureuse  union  de  la  science  vraie  du  ciel  avec  la  science 
vraie  de  la  terre  ;  l'une  aidera  l'autre,  la  terre  conversera  avec 
le  ciel  et  le  ciel  descendra  avec  ses  esprits  d'une  façon  sensible 
sur  la  terre. » 

Mais  pensez-vous  peut-être  qu'il  l'aille  pour  cela  que  le  spirite 
se  fasse  baptiser  et  devienne  chrétien?  Pas  le  moins  du  monde. 
Il  prétend  au  contraire  que  tout  chrétien  et  spécialement  le 
prêtre  renie  la  foi  chrétienne  et  embrasse  les  dogmes  héréti- 
ques du  spiritisme.  Voilà  comment  il  veut  christianiser  le 
spiritisme. 

Il  adopte  toutes  les  idées  d'Allan  Kardec  dans  son  livre  :  Le 
spiritisme  à  sa  plus  simple  expression,  d'oii  il  tire  un  symbole 
chrétien  refait  à  sa  façon.  On  pourrait  en  extraire  des  hérésies 
par  douzaines. 

«  La  création  révélée  par  la  Genèse  y  est  transformée  en  une 
création  générale  de  la  matière  qui  constitue  les  mondes.  Les 
mondes  sont  peuplés  d'esprits  perfectibles,  tous  égaux,  simples 
et  ignorants,  privés  de  la  science  du  bien  et  du  mal.  Malgré 
cela,  ils  sont  chargés  de  guider  les  mondes  matériels  suivant 
les  lois  immuables  de  la  création,  quand  ils  seront  sortis  de 
l'enfance,  car  dès  le  commencement  ils  sont  privés  de  connais- 
sance parfaite  et  ignorent  jusqu  à  leur  propre  existence.  La  na- 
ture intime  des  esprits  nous  est  inconnue,  mais  nous  savons 
que  ce  sont  des  êtres  individuels,  qu'ils  vivent  dans  une  espèce 
d'étui  ou  d'enveloppe  éthérée  impondérable,  a'pT^elée  pe'rispii'ite 


416  ANNALES   CATHOLIQUES 

qu'ils  possèdent  le  libre  arbitre   et  une  égale  aptitude  à  toute 
chose.  » 

Nous  pourrions  nous  étendre  longuement  sur  une  foule 
d'autres  fantaisies  du  même  acabit  concernant  les  esprits;  sur 
leurs  migrations  à  travers  les  mondes,  sur  leur  destinée  future 
oii  l'enfer  des  chrétiens  n'est  plus  qu'un  lieu  de  peines  tempo- 
raires et  relatives  pour  les  esprits  même  les  plus  pervers,  sur 
l'absence  de  péché  originel,  etc. 

N'allez  pas  demander  à  ce  chrétien  d'un  nouveau  genre  c© 
qu'il  pense  de  la  Sainte-Trinité,  de  l'Incarnation,  de  la  Passion, 
de  la  Mort,  de  la  résurrection  de  Jésus-Christ  qui  étaient  en  des 
temps  moins  éclairés  les  principaux  mystères  de  notre  foi;  de 
l'Eglise  catholique,  de  la  résurrection  de  la  chair  dont  on  fai- 
sait mention  dans  les  derniers  articles  de  l'ancien  Credo;  ni  du 
chef  de  l'Eglise,  le  vicaire  de  Jésus-Christ;  ni  du  clergé,  qui 
constitue  la  partie  enseignante  et  dirigeante  de  l'Eglise;  ni  de 
la  sainte  Ecriture  et  de  la  Tradition,  qui  sont  le  fondement  du 
magistère  doctrinal  ;  ni  des  sacrements  qui  sanctifient  et  sau- 
vent individuellement  le  peuple  chrétien;  ni  du  jugement  der- 
nier; ni  du  purgatoire  tel  que  le  définit  l'Eglise;  ni  de  tant 
d'autres  vieilleries  racontées  dans  le  catéchisme.  Tout  cela  est 
mis  en  pièces  à  coups  de  mousquet  spiritique  pour  faire  place  à 
des  dogmes  plus  faciles. 

Coreni  prêche  un  Dieu  de  bonne  composition,  qui  sait  fermer 
un  œil  sur  les  faiblesses  humaines:  qui  se  contente  de  fabriquer 
des  esprits  qui  tous  arrivent  tôt  ou  tard,  les  uns  en  volant,  les 
autres  en  boitant,  à  travers  plusieurs  migrations  sur  la  terre  ou 
dans  les  astres,  au  gaudeamus  du  paradis  commun.  Ils  ont  de 
plus  cet  avantage  particulier  de  n'incommoder  ni  Pape,  ni 
évêques,  ni  prêtres;  ils  peuvent  même  professer  le  fétichisme, 
le  boudhisme  ou  le  mahométisme  pratique.  Telle  est  la  révéla- 
tion spirite  et  Allan  Kardec  est  son  prophète.  Théophile  Coreni 
ne  revendique  que  le  mérite  d'avoir  arrangé  un  évangile  qui  la 
rende  accessible  aux  bonnes  gens. 

Il  est  vrai  qu'il  ne  bifl"e  pas  d'un  trait  les  mystères  chrétiens 
que  nous  avons  rappelés  tout  à  l'heure;  il  ne  refuse  pas  direc- 
tement de  reconnaître  l'Unité  et  la  Trinité  en  Dieu,  l'Incarna- 
nation  du  Verbe,  la  Messe,  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ 
dans  l'Eucharistie,  la  Confession,  la  suprématie  du  Pape,  le  sa- 
cerdoce, la  morale  catholique;  il  admet  même  l'existence  de 
Satan.  Mais  c'est  là  précisément  le  danger,  le  grand  danger  de 


LE    PEINTRE    A.    DKVAUX  417 

ses  doctrines.  Il  voudrait  mélanger  la  nouvelle  religion  spirite 
avec  la  chrétienne;  il  voudrait  que  le  clergé  admît  l'amas 
énorme  de  ses  erreurs  sur  la  foi  et  la  morale,  tout  en  conservant 
tellement  quellement  le  langage  ecclésiastique  et  les  pratiques 
extérieures  aujourd'hui  en  usage.  Voilà  le  truc  dont  il  se  sert 
de  préférence  pour  attraper  les  simples. 

Mais,  dit  très  bien  le  Courrier  de  Bruxelles  à  qui  nous  em- 
pruntons ces  lignes,  qui  ne  voit  qu'en  professant  le  symbole 
spirite  dont  nous  avons  donné  des  extraits  plus  haut,  on  détruit 
les  principaux  dogmes  catholiques  ?  Qui  ne  voit  que  les  rites 
sacramentels  et  les  autres  pratiques  du  catholicisme  devien- 
draient une  plaisanterie  sacrilège  pour  les  adeptes  de  ce  sym- 
bole? Comment  peut-on  admettre,  par  exemple,  qu'il  n'existe 
qu'une  seule  espèce  d'esprits  et  maintenir   la    croyance    aux 
anges,  aux  démons,  à  l'âme  humaine  enseignée  par  l'Eglise? 
Comment  croire  et  nier  à  la  fois  le  péché  originel?  A  quoi  ser- 
virait le  baptême  ?  Comment  ferait  le  prêtre  pour  prêcher  la 
durée  temporaire  des  peines  de  l'enfer,  tandis  que  le  Christ  et 
son  Eglise   enseignent   qu'elles  sont  éternelles?  De  plus,  il  est 
absolument  nécessaire  pour  se  sauver  d'être  uni  surnaturelle- 
ment  à  Jésus-Christ;  cette  union  s'obtient  par  l'infusion  de  sa 
grâce  et  de  son  amitié  au  baptême,  par  des  oeuvres  surnaturelles 
de  foi,  d'espérance  et  de  charité.  Le  spirite,  au  contraire,  d'après 
Kardec  et  Coreni,  prétend  arriver  à  la  condition  angélique  par 
rétude,  le  travail  et  les  oeuvres  de  vertu  naturelle.  Ce  qui  ren- 
verse totalement  le  système  révélé  dans  la    Bible  et  professé 
comme  un  dogme  par  l'Eglise.  Si  Coreni  permet  les  sacrements 
et  les  usages  catholiques  à  ses  adeptes,  c'est  comme  un  pis-aller, 
c'est  un  accommodement  pour  ne  pas   épouvanter  les  honnêtes 
gens.  En  un  mot,  c'est  un  truc.  Nous  y  reviendrons.        J.  M. 


LE  PEINTRE  A.  DEVAUX 

Un  ancien  élève  d'Ingres,  le  peintre  Devaux,  vient  de  mourir 
au  Havre,  où  il  était  justement  apprécié  et  aimé  pour  son  talent 
et  ses  qualités  personnelles. 

Né  vers  1820,  unique  et  dernier  rejeton  d'une  famille  noble 
de  la  Manche,  exilée  et  ruinée  pendant  la  tourmente  révolu- 
tionnaire, il  perdit  jeune  encore  ses  parents,  ne  gardant  d'eux 
aucune  fortune,  mais  le  précieux  héritage  d'une  éducation  pro- 


418  ANNALES    CATHOLIQUES 

fondement  chrétienne,  et  des  exemples  de  dévouement,  de 
loyauté  et  de  courtoisie  qu'il  n'a  cessé  de  suivre  lui-même  et 
qui  ont  fait  son  honneur. 

Pauvre,  et  ne  séparant  plus  la  particule  de  son  nom,  il  tra- 
vaille sous  la  conduite  de  son  habile  maître  avec  une  infatigable 
ardeur  et  ne  tarde  pas  à  devenir  capable  de  donner  lui-même 
des  leçons  de  dessin. 

Marié  à  une  jeune  épouse  qui  lui  est  enlevée  sans  lui  laisser 
de  postérité,  il  consacre  résolument  en  bonnes  œuvres  tous  les 
élans  dé  son  cœur,  un  des  plus  aimants  qui  se  puisse  trouver. 
Il  entre  des  premiers  dans  la  Société  de  Saint-Yincent  de  Paul; 
il  se  lie  d'une  affection  de  plus  en  plus  étroite  avec  des  con- 
frères qui  deviennent  pour  lui  de  véritables  frères  et  lui  font 
partag-er  leurs  joies  de  famille.  Leurs  noms,  tant  c'était  pour  lui 
un  culte  que  cette  triple  amitié,  doivent  trouver  ici  leur  place; 
c'étaient  le  célèbre  écrivain  J.  Chantrel,  l'habile  musicien  Sa- 
vard,  le  généreux  docteur  de  Golleville.  La  mort  les  lui  a  ravis 
tous  trois  ces  dix  dernières  années  ;  et  nul  n'a  pu  apprécier  la 
profondeur  des  plaies  trois  fois  faites  à  son  cœur.  Sa  consola- 
tion fut  de  voir  leurs  enfants  continuer  à  l'entourer  toujours  de 
leur  respect  et  d'une  filiale  affection. 

Cédant  en  1866  à  des  instances  réitérées,  il  quitta  Paris  pour 
s'établir  au  Havre  où  l'on  manquait  d'un  bon  professeur  de 
dessin.  C'est  là  que  s'est  achevée  sans  bruit,  dans  l'accomplis- 
sement constant  du  devoir,  sa  carrière  plein©  d'honneur  et  de 
mérite. 

La  douceur  de  son  caractère,  le  désir  de  rendre  service  à 
tous,  l'exquise  délicatesse  qu'il  mettait  dans  ses  relations  ami- 
cales, lui  firent  un  grand  nombre  d'amis. 

Il  possédait  à  fond  la  théorie  de  son  art  et  fit,  comme  profes- 
seur de  dessin,  de  fort  bons  élèves.  Comme  peintre,  sans  parler 
d'une  Virginie  fort  remarquée  à  l'Exposition  de  1868,  il  a  orné 
la  chapelle  allemande  d'un  très  remarquable  chemin  de  la 
croix,  et  l'église  Saint-François  de  plusieurs  beaux  tableaux  : 
lu  Apparition  de  Notre- Seigneur  à  la  Bienheureuse  Margue- 
rite Marie,  la  Mort  de  saint  Joseph^  Saint  François  d'Assise^ 
et  une  Cène  inspirée  de  l'œuvre  de  Léonard  de  Vinci, 

Quantité  d'autres  tableaux  sont  allés  embellir  des  églises  de 
campagne;  plusieurs,  entre  autres  une  magnifique  .AȔ^owc?'<3- 
tion,  ont  été  emportés  en  Amérique. 

M,  Devaux  était  membre  de  la  Société  havraise  d'études  di- 


LE    PEINTRE    A.    DEVAUX  419 

verses  et  conférencier  de  talent.  On  lui  doit  entre  autres  bro- 
chures, une  intéressante  Notice  sur  l'abbé  Herval  et  une  tou- 
chante conférence  sur  Louis  XVI.  Sa  Méthode  sur  l'enseigne- 
ment du  dessin,  adressée  en  1880  au  concours  de  la  Société  des 
Beaux-Arts,  fut  mentionnée  avec  le  plus  grand  éloge  par  le 
rapporteur,  M.  Roger-Ballu. 

Ajoutons  qu'on  lui  doit  les  premiers  essais  du  téléphone  pour 
la  transmission  de  la  parole  dans  la  ville  du  Havre,  Ils  furent 
faits  le  10  janvier  1878,  dans  son  atelier  de  peinture,  quai  d'Or- 
léans, 33,  oii  il  avait  réuni  MM.  les  abbés  Maze  et  Valette,  Vial 
des  Transatlantiques,  Baillard,  conservateur  de  la  bibliothèque, 
E.  Lemaître,  ancien  chef  d'institution,  Edouard  Alexandre, 
Brien.  On  les  renouvela  à  la  Société  d'études  diverses,  et  dés  le 
16  janvier,  on  les  pratiquait  avec  un  plein  succès  sur  quatre  fils 
entre  le  sémaphore  de  la  Jetée  et  celui  d'Octeville,  Ainsi  éta- 
blies par  son  initiative,  les  communications  téléphoniques 
reliaient,  au  Havre,  en  1881,  les  maisons  de  commerce  aux  bas- 
sins et  les  services  publics  à  l'Hôtel-de-Ville. 

Mais  c'est  l'Œuvre  des  Cercles  catholiques  surtout  qui  a 
excité  le  zèle  de  M.  Devaux  et  bénéficié  de  son  dévouement. 
Nous  n'insistons  pas  :  le  discours  cité  plus  loin  le  fait  assez 
connaître.  11  dépensa  pour  cette  œuvre  toutes  les  énergies  d'une 
santé  qui  paraissait  infatigable.  Cette  santé  toutefois  se  minait 
sourdement.  La  mort  en  frappant  les  Chantrel,  les  Savard  et 
les  de  Golleville,  lui  avaient  donné  de  terribles  secousses. 
L'éloignement  du  Havre  d'un  prêtre  dans  lequel  il  voyait  per- 
sonnifiées ses  plus  vieilles  afifections,  l'avait  fortement  ébranlé. 
Le  mariage  et  le  départ  pour  un  pays  lointain  d'une  filleule, 
dont  il  avait  fait  son  enfant  d'adoption,  avait  banni  la  joie  de 
son  foyer.  Et^quand  sonna  l'heure  de  faire  ses  adieux  à  Mgr  Du- 
val,  dont  la  précieuse  et  bienveillante  amitié  lui  étaient  un  tré- 
sor, il  fut  abattu  du  coup.  C'est  avec  des  larmes  qu'il  écrit  1« 
récit  de  cette  dernière  entrevue.  Nous  ne  sommes  qu'à  quelques 
semaines  de  là  :  et  il  est  mort  le  vaillant  chrétien. 

11  avait  encore,  le  dimanche  4  mai,  présidé  une  fête  de  son 
cercle,  et  le  lundi  soir  son  conseil  de  quartier.  Et  le  mardi  à 
midi  on  le  trouvait  mort  au  pied  d'une  Annonciation  dont  il  tra- 
çait l'ébauche.  Mais  cette  mort,  n'a  pu  le  surprendre  car  nous 
savons  qu'il  avait  fait  huit  jours  auparavant  la  sainte  Commu- 
nion. L'Ange  a  annoncé  au  ciel  l'entrée  d'un  élu. 

Le  jeudi,  jour  des  obsèques,   un  grand    nombre    d'anciens 


420  ANNALBS.  CATHOLIQUES 

élèves  et  d'amis  se  joignirent  aux  membres  du  Cercle  ouvrier 
pour  rendre  à  cet  homme  de  bien  un  suprême  hommage  do  vé- 
nération, de  sj'mpathie  et  de  regrets. 

M.  l'abbé  Deschamps,  son  intime  ami,  fit  la  levée  du  corps  et 
célébra  la  messe.  La  nef  centrale  de  l'église  Saint-François 
était  remplie.  M.  l'abbé  Veniard,  aumônier  du  Cercle  Saint- 
Joseph,  donna  l'absoute.  Sur  le  parcours  qui  conduit  au  cime- 
tière, les  cordons  du  poêle  furent  tenus  successivement  par 
MM.  de  Léseleuc,  Laignel,  Bavot,  Murât,  Gohier,  Pilet, 
Castez... 

Après  que  M.  l'abbé  Descharaps  eut  dit  sur  la  tombe  les  der- 
nières prières,  M.  de  Léseleuc  prononça  l'émouvant  adieu  que 
voici  : 

Messieurs, 

Je  croirais  tromper  votre  attente  et  manquer  à  mes  devoirs  de  pré- 
sident du  Comité  de  l'œuvre  des  Cercles  catholiques  d'ouvriers  au 
Havre,  si  je  ne  me  faisais  l'interprète  de  la  douleur  que  nous  éprou- 
vons tous  devant  cette  tombe,  où  va  reposer,  pour  un  temps,  le  corps 
de  notre  vénéré  confrère  et  ami  M.  Augustin  Devaux,  président 
du  Cercle  Saint-Joseph. 

Est-il  besoin  de  faire  l'éloge  de  M.  Devaux,  lorsque  la  profonde 
tristesse  de  nos  cœurs  et  les  larmes  de  nos  yeux  disent  si  éloquem- 
raent  le  respect  et  l'affection  que  nous  tous  nous  portons  à  celui 
qu'une  mort  si  soudaine  eet  venue  frapper! 

Engagé  des  premiers  dans  cette  croisade  pacifique  et  généreuse  de 
réconciliation  sociale  et  de  justice,  qu'au  lendemain  de  l'année  Ter- 
rible, la  parole  ardente,  patriotique  et  chrétienne  du  comte  Albert 
de  Mun  vint  susciter  au  Havre,  comme  dans  toute  la  France,  M.  De- 
vaux se  mit  au  travail. 

Jamais  il  ne  s'est  détourné  d'une  œuvre  où  le  dévouement  obscur 
et  personnel  n'est  pas  moins  nécessaire  que  l'adhésion  de  l'esprit  et 
du  cœur.  Or,  le  dévouement  de  M.  Devaux  était  sans  bornes  et  sans 
défaillance.  Aussi  fut-il  bientôt  désigné  par  l'opinion  de  ses  confrères 
pour  remplir  les  importantes  fonctions  d'abord  de  vice-président  des 
Cercles  de  Saint-François  et  de  Saint-Joseph  et  enfin  de  président 
du  Cercle  de  Saint-Joseph. 

Qui  de  nous  n'a  présent  à  l'esprit  le  zèle  infatigable  de  M.  Devaux 
pour  joindre  l'utile  à  l'agréable  dans  les  réunions  de  son  cercle?  Qui 
n'a  point  apprécié  son  sens  droit  et  de  bon  conseil  au  comité,  l'amé- 
nité si  pleine  de  courtoisie  qu'il  déployait  dans  ses  rapports  avec 
tous;  et  cette  gaîté  souriante  qui  donnait  à  sa  verte  vieillesse  l'ap- 
parence d'une  vie  qui  n'a  pas  de  déclin...  Hélas!...  inclinons-nous. 
Messieurs,  devant  les  décrets  impénétrables  de  Dieu,  et  que  les  espé- 
rances que  nous  devons  à  notre  foi  chrétienne  nous  fasse  accepter  sa 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQOES  421 

mort  comme  la  plus  douloureuse  des  épreuves,  mais  non  comme  une 
éternelle  séparation... 

Mon  cher  confrère  Devaux,  nous  vous  aimions  et  nous  conserverons 
un  souvenir  ému  de  vos  vertus  et  de  vos  exemples,  en  attendant  que 
nous  nous  retrouvions  pour  ne  plus  nous  séparer. 


ASSEMBLÉE  GENERALE  DES  CATHOLIQUES 

Mardi,  6  mai,  a  eu  Heu  à  Paris  la  première  réunion  de  l'as- 
semblée générale  des  catholiques. 

Depuis  dix-neuf  ans,  chaque  année,  une  légion  d'homme.*: 
d'intelligence,  de  science,  de  bonne  volonté  et  de  renom  acquis 
par  de  signalés  services,  se  réunit  pour  s'entretenir  des  Œuvres 
catholiques  à  développer  ou  à  créer. 

On  a  pu  constater  qu'ils  étaient  venus,  plus  nombreux  que 
jamais,  prendre  part  à  ces  nobles  assises  de  la  foi  et  des  ques- 
tions religieuses  et  sociales. 

L'assemblée  a  inauguré  ses  réunions  par  une  messe  célébrée 
à  Saint-Thomas-d'Aquin.  Le  R.  P.  Lallemand,  de  l'Oratoire, 
docteur  ès-lettres,  a  adressé  aux  membres  du  Congrès  une 
allocution  pleine  d'aperçus  élevés  sur  l'action  sociale  des  Œuvres 
catholiques. 

Dans  la  première  séance,  Mgr  d'Hulst  a  donné  les  renseigne- 
ments les  plus  intéressants  sur  la  Faculté  de  théologie  de  l'Ins- 
titut catholique,  sur  son  développement  incessant,  sur  les  ser- 
vices qu'elle  a  déjà  rendus,  et  qu'elle  est  appelée  à  rendre,  en 
faisant  revivre  en  France  le  haut  enseignement  des  sciences 
théologiques. 

Divers  rapports  ont  été  entendus  sur  l'art  chrétien,  sur  le 
congrès  scientifique  qui  aura  lieu  en  1891,  sur  l'obligation  qui 
s'impose  à  la  charité  chrétienne  de  multiplier  les  orphelinats  en 
faveur  de  l'enfance  abandonnée,  puis  la  Commission  d'économie 
sociale  a  commencé  l'examen  de  la  question  du  repos  du 
dimanche  dans  les  chemins  de  fer. 

Le  soir,  à  8  heures,  l'assemblée  a  tenu  sa  séance  publique, 
dans  la  salle  de  la  Société  de  géographie,  sous  la  présidence  de 
S.  Em.  le  cardinal  Richard,  archevêque  de  Paris. 

Après  la  formation  du  bureau  et  l'envoi  au  Souverain  Pontife 
d'un  télégramme  d'hommages  respectueux,  M.  Chesnelong,  pré- 
sident du  congrès,  a  ouvert  la  séance  par  un  magistral  discours 
sur  le  repos  du  dimanche,  cette  question  bien  vieille,  a  dii 


422  ANNALBS    CATHOLIQUES 

l'éminent  orateur,  aussi  vieille  que  le  monde,  mais  qui  est  tou- 
jours nouvelle  et  qui,  plus  que  jamais,  est  à  l'ordre  du  jour. 
Nous  en  commençons  aujourd'hui  la  publication. 

S.  E.  le  cardinal  Richard,  après  avoir  fait  gracieusement 
l'observation  que  la  jeunesse  de  M.  Chesnelong  se  renouvelait 
comme  celle  de  l'aigle,  a  félicité  chaleureusement  l'orateur,  et 
a  insisté  sur  ce  point  que  sang  jamais  se  décourager  devant 
l'immensité  de  la  tâche  à  remplir,  il  faut  se  mettre  résolument 
à  l'œuvre.  C'est  à  ce  prix  qu'es-t  la  victoire. 

Dans  la  journée  du  7  mai,  la  Commission  d'économie  sociale 
a  poursuivi  dans  les  détails  l'étude  de  l'importante  question  du 
repos  du  dimanche.  M.  Keller  a  fait  un  exposé  du  mouvement 
d'opinion  qui  se  dessine  en  faveur  du  repos  dominical  dans  les 
diverses  industries,  particulièrement  dans  les  chemins  de  fer.  Il 
a  parlé  des  démarches  tentées  par  plusieurs  actionnaires  des 
grandes  compagnies,  et  accueillies  avec  sympathie  par  les 
assemblées  d'actionnaires  et  les  Conseils  d'administration.  Des 
résultats  ont  déjà  été  obtenus. 

La  Commission  a  entendu  ensuite  une  communication  de  M.  A. 
Gibon,  ancien  directeur  des  forges  de  Commentry,  il  en  résulte 
que  les  industries,  hauts-fourneaux,  cristalleries,  etc.,  où  l'on 
soulève  en  France  le  plus  d'objections  contre  la  possibilité  de 
l'inten'uption  du  travail,  ont,  en  fait,  à  l'étranger,  trouvé  le 
moyen  d'assurer  à  leurs  ouvriers  le  repos  du  dimanche. 

La  séance  générale  du  soir,  présidée  par  Mgr  d'Hulst,  a  été 
consacrée  à  la  Société  d'éducation  et  d'enseignement. 

L'éducation  sans  Dieu  est  un  agent  de  décadence.  La  loi 
proscrit  l'enseignement  chrétien,  les  écoles  libres  en  sont  le 
dernier  asile.  Il  faut  réclamer  avec  persistance,  en  faveur  de 
l'enseignement  chrétien,  la  rentrée  du  droit  dans  la  loi;  il  faut, 
dans  l'ordre  des  faits,  réparer  sans  cesse,  malgré  toutes  les 
difticultés,  les  ruines  amoncelées.  Le  rôle  de  la  Société  d'Edu- 
cation est  de  centraliser  les  efforts. 

Dans  la  séance  du  8  au  9  mai,  ont  été  lus  divers  rapports 
concernant  la  propagation  de  la  bonne  presse,  les  nouvelles 
mesures  fiscales  prises  contre  les  congrégations  religieuses, 
l'enseignement  secondaire,  la  laïcisation  scolaire,  la  liberté 
d'association,  etc.,  etc. 

Celui  de  M.  l'amiral  Gicquel  des  Touches,  sur  les  œuvres  de 
militaires  et  de  marins  a  été  vivement  applaudi. 

L'application   de  la  nouvelle  loi  militaire  crée  de  nouveaux 


ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE    DES    CATHOLIQUES  423 

"besoins,  le  comité  s'efforcera  d'y  pourvoir.  Cette  année,  les 
Œuvres  sont  venues  on  aide  aux  soldats  dans  les  hôpitaux  des 
colonies  ;  il  y  a  beaucoup  à  faire  pour  assurer  aux  militaires  et 
aux  marins  les  secours  religieux.  L'institution  de  la'  messe  du 
départ,  dont  les  avantages  sont  multiples,  se  répand  de  plus  en 
plus.  Le  rapport  rend  compte  de  ce  qui  a  été  fait  depuis  un 
an  par  l'Œuvre  des  Tombes  sous  l'infatigable  impulsion  du 
R.  P.  Joseph. 

Mgr  d'Hulst  entretient  l'assemblée  du  prochain  congrès  des 
Œuvres  eucharistiques.  Les  congrès  précédents  ont  produit  des 
résultats  magnifiques,  surprenants.  Cette  année  le  congrès  se 
tiendra  à  Anvers,  pendant  l'octave  de  l'Assomption. 

M.  Godefroy,  avocat  à  la  cour  d'appel,  prend  la  parole  sur 
un  sujet  qui  lui  est  familier,  la  laïcisation  des  hôpitaux  de  Paris. 
Il  expose  les  résultats  matériels  des  laïcisations,  accroissement 
de  la  mortalité  jusqu'au  quintuple  dans  certains  hôpitaux,  etc.; 
les  résultats  financiers,  augmentation  d'un  tiers  de  la  subven- 
tion fournie  par  la  ville  de  Paris,  aliénation  par  l'Association 
publique  de  son  capital  immobilier,  c'est-à-dire  du  patrimoine 
des  pauvres.  Chaque  année,  un  pétitionnement  a  lieu  en  faveur 
de  la  rentrée  des  Sœurs  dans  les  hôpitaux;  il  faut  l'appuj-er  de 
tous  nos  efî'orts. 

M.  Chesnelong  soulève  des  applaudissements  irrésistibles  en 
racontant  l'hommage  solennel  rendu  après  le  sanglant  combat 
d'Likermann,  sur  le  champ  de  bataille  même,  par  les  deux 
armées  française  et  anglaise  aux  Sœurs  de  charité  françaises. 

Dans  sa  cinquième  journée,  le  congrès  a  épuisé  le  programme 
de  ses  travaux.  La  Commission  des  Œuvres  de  foi  et  de  prières 
a  appris  que  l'inauguration  de  l'église  du  Sacré-Cœur  pourrait 
avoir  lieu  au  mois  de  juin  1891.  Il  suffirait  d'une  impulsion 
vigoureuse  donnée  aux  souscriptions. 

M.  l'abbé  Lenfant  fait  connaître  l'Œuvre  éminemment  apos- 
tolique des  missions  dans  les  paroisses  pauvres  de  Paris  et  de 
la  banlieue.  Cette  Œuvre  récente,  due  au  zèle  de  jeunes  prêtres 
du  clergé  séculier,  a  déjà  produit  des  résultats  consolants;  les 
dix-huit  missions  qu'elle  a  données  depuis  quatre  ans  dans 
quatorze  paroisses  ont  ramené  des  milliers  d'âmes,  et  ont  été 
suivies  de  la  constitution  d'Œuvres  qui  en  perpétuent  et  en 
augmentent  les  fruits. 

Dans  un  discours  qui  produit  sur  l'assemblée  l'impression  la 


424  ANNALR8    CATHOLIQUES 

plus  profonde,  M.  Keller  parle  du  danger  du  socialisme,  qui 
menace  la  France,  l'Europe  et  le  monde  entier. 

La  cause  du  mal  est  surtout  morale.  L'industrie  attire  dans  les 
usines  l'homme  de  la  campagne.  Pour  des  causes  multiples,  trop 
souvent  il  y  perd,  en  même  temps  que  sa  foi  religieuse,  l'esprit  de 
la  famille  et  le  goût  de  l'épargne.  Or,  l'ouvrier  qui  ne  croit  â  rien  et 
n'a  rien  devient  forcément  socialiste.  Voilà  la  cause  du  mal,  quel  est 
le  remède  ? 

Deux  systèmes  sont  en  présence  :  le  système  protestant,  qui 
attend  tout  de  la  main  de  l'Etat,  et  le  système  catholique,  qui  compte 
Bur  la  liberté  des  âmes  et  leur  générosité. 

Le  premier  date  de  la  Réforme.  Aujourd'hui,  de  brutalement 
répressif,  il  s'est  fait  humanitaire,  mais  le  principe  est  le  même  : 
c'est  l'Etat  qui  doit  secourir  tous  les  maux.  Comme  en  Allemagne, 
ce  système  remplace  les  sentiments  humains  et  la  famille  par  un 
mécanisme  sans  entrailles.  L'idée  de  faire  secourir  toutes  les  misères 
par  l'Etat,  par  un  système  d'assurances  obligatoires,  a  séduit  en 
France  quelques  esprits  généreux.  Ces  chimères  séduisantes,  mais 
dangereuses,  donneraient  à  l'Etat  une  toute-puissance  dont  les  effets 
mauvais  sont  incalculables.  L'application  se  heurte  â  une  impossibi- 
lité financière,  et  les  ouvriers  n'y  gagneraient  rien.  De  plus,  pour 
les  pauvres,  ce  système  d'assistance  légale  est  impuissant.  L'ouvrier 
lui-même,  il  le  déclare  incapable  de  rien  épargner  et  le  met  en 
tutelle  perpétuelle. 

Le  système  catholique,  le  système  français,  est  tout  opposé.  Il 
restreint  la  part  de  l'Etat.  L'Etat  doit  réprimer  tous  les  excès  cou- 
pables. Pour  le  surplus,  ce  que  nous  lui  demandons,  c'est  la  liberté 
du  bien.  Nous  demandons  la  liberté  religieuse,  sanctionnée  par  la 
liberté  pour  l'ouvrier  du  repos  dominical;  la  liberté  de  la  famille, 
qui  exige  la  limitation  du  travail  de  la  femme,  et  l'abrogation  des 
lois  scolaires  ;  la  liberté  de  l'épargne  garantie  contre  les  spéculations 
coupables,  car  il  faut  que  l'ouvrier  trouve  la  sécurité  pour  le  place- 
ment de  ses  économies;  surtout  la  liberté  d'association,  quel  droit 
plus  simple  et  plus  légitime  que  celui  de  s'unir  pour  faire  le  bien  ? 

La  France  est  le  pays  des  dévouements  et  des  idées  généreuses. 
Laissons  à  l'Allemagne  ses  systèmes.  Faisons  appel  au  génie  français. 
Qu'on  nous  laisse  la  liberté  du  bien,  et  nous  nous  chargeons  de 
résoudre  la  question  sociale. 

Ces  belles  et  imposantes  réunions  ont  été  dignement  clôturées 
dimanche  par  le  double  pèlerinage  à  la  basilique  de  Montmartre 
et  à  Notre-Dame-des-Victoire.s. 

Ainsi  que  l'a  dit  le  R.  P.  Voirin,  supérieur  des  chapelains  du 
Sacré-Cœur  aux  membres  du  Congrès  réunis  dans  l'abside  de 
la  basilique,  Jésus-Christ  doit  être  le  principe  et  le  fondement 


FÊTES  DE  JEANNE  d'aRC,  A  ORLEANS  425 

de  toutes  les  œuvres  catholiques,  de  toutes  les  entreprises  ten- 
tées dans  le  but  de  régénérer  la  société  française,  de  lui  rendre 
son  antique  splendeur  et  sa  vieille  unité. 

La  dévotion  au  Sacré-Cœur,  a-t-il  ajouté,  est  en  réalité  l'ins- 
trument de  la  victoire  que  nous  voulons  remporter. 


LES  FETES  DE  JEANNE  D'ARC,  A  ORLEANS 

Le  7  mai  à  huit  heures  du  soir,  en  1429,  les  Anglais  ont  «  dé- 
semparé »  leurs  bastilles  et  se  sont  mis  en  retraite  sur  Meung. 
Jeanne,  blessée,  l'étendard  au  poing,  entre  dans  la  ville;  par- 
tout la  joie  éclate,  car  le  siège  est  levé,  l'Anglais  est  en  déroule 
et  la  France  est  sauvée. 

A  8  heures,  le  7  mai  1890,  l'artillerie  tonne  sur  l'emplace- 
ment du  vieux  fort;  les  cloches  des  églises  sonnent  un  éclatant 
carillon.  Parties  du  fort,  les  troupes,  précédées  de  joyeuses  fan- 
fares, viennent  se  ranger  en  carré  au  pied  des  tours  de  la  cathé- 
drale, et  la  nuit  oit  scintillent  tout  en  haut  les  étoiles  brillantes. 
est  éclairée  des  lueurs  des  torches,  qui  font  une  lumineuse  en- 
ceinte au  parvis  de  l'édifice  sacré.  Au  centre,  le  corps  municipal 
entoure  l'Etendard  de  Jeanne;  les  portes  du  temple  s'ouvrent 
et  l'Evêque  avec  son  clergé  descend  et  le  re(^^oit  de  ses  mains_ 
Sabres  au  clair!  Trompettes,  sonnez  aux  champs,  battez,  tam- 
bours! et  le  clergé  va  remettre  dans  l'église  la  bannière  qui  va 
refaire  aux  pieds  de  Dieu,  comcie  la  veillée  des  armes.  A  ce 
signal,  un  feu  rouge  jette  des  lueurs  d'incendie  dans  les  tours 
de  la  cathédrale  et  l'on  ne  peut  sans  émotion  voir  dans  ce  mo- 
ment les  aubes  blanches  des  prêtres  et  le  déploiement  des  ban- 
nières, aux  notes  graves  du  Te  Z)ewmchantéà  pleine  voix,  sedi- 
riger  verslesanctuaire,dont  on  voit  briller  les  lointaines  lueurs. 
Lentement  la  foule  se  disperse  et  dans  ce  cliquetis  d'armes,  à 
cet  éclat  des  lumières,  aux  sons  de  ces  fanfares  dans  la  nuit,  au 
souvenir  de  ces  grandes  choses,  il  semble  que  le  moyen-âge 
vous  soit  apparu  un  instant,  pour  vous  faire  goûter  la  délicate 
vision  d'un  Mystère  d'autrefois. 

La  nuit  passée,  la  ville,  au  matin,  se  réveille  en  fête  ;  au  som- 
met des  mâts  bariolés  se  balancent  d'innombrables  oriflammes, 
qui  des  grandes  rues  font  la  voie  triomphale.  Dés  l'aube,  au 
beffroi,  la  vieille  cloche  tinte  gravement  de  quart  d'heure  en 
quart  d'heure  et  son  bourdonnement  de  basse  est  accompagné 
par  le  cri  strident  des  trompettes. 

31 


426  ANNALES    CATHOLIQUES 

C'est  la  fête  de  Jeanne  d'Arc!  Les  cœur?  à  l'unisson  font  l'u- 
nisson des  crovances,  et  la  marche  triomphale  se  finit  à  l'autel 
au  chant  du  Te  Deum!  C'est  fête  à  Orléans,  et  c'est  ici  la 
fête  de  la  France  jusqu'au  jour  que  la  France  désire,  où  ce 
sera  fête  Nationale. 

Jeudi  8  mai,  à  10  heures,  une  foule  nombreuse  se  pressait  à  la 
cathédrale  pour  entendre  le  Panégyrique  prononcé  par  M.  l'abbé 
Mouchard,  professeur  de  rhétorique  au  Petit-Séminaire  de  la 
Chapelle.  Le  jeune  orateur  a  développé  cettj  pensée  du  psal- 
miste  :  Non  fecit  taliter  omnî  nationi,  «  Dieu  n'a  fait  pour 
aucune  nation  ce  qu'il  a  fait  pour  la  France  »,  sujet  admirable- 
ment choisi,  car  il  répond  à  la  pensée  de  tous;  et  vraiment  il 
était  beau  de  voir  dans  l'assistance  les  nombreux  officiers  de 
notre  belle  arméetressaillir  quand,  d'une  voix  vibrante  et  chaude, 
l'éloquent  panégyriste  disait  dans  un  mouvement  superbe  :  «  En 
quelques  semaines,  six  mille  hommes  sont  rassemblés  à  Blois 
et  Jeanne  est  à  leur  tête.  L'enthousiasme  les  transporte;  ils  sui- 
vraient jusqu'en  Terre-Sainte  cette  jeune  fille  extraordinaire  qui 
a  fait  passer  en  eux  son  âme.  Est-ce  le  courage  qu'elle  a  rendu 
à  ces  braves?  Non,  Messieurs  ;  les  soldats  français  en  ont  tou- 
jours assez  pour  se  battre  et  pour  mourir  quand  ils  ne  peuvent 
pas  vaincre.  »  Et  cette  fois-là,  ils  ont  vaincu,  triomphé,  pour- 
quoi ?  parce  que  leur  courage  était  appuyé  par  les  desseins  de 
la  divine  Providence,  et  le  panégyriste  continue  avec  un  intérêt 
croissant  à  développer,  en  faisant  l'histoire  de  Jeanne,  cette 
pensée  de  la  plus  saine,  de  la  plus  grande  élévation  :  «  Il  est, 
dit-il,  des  résurrections  nationales  qui  sont  incomparables;  et 
elles  le  sont,  Messieurs,  parce  que  Dieu  non  content  de  les  per- 
mettre, les  accomplit  lui-même.  On  le  voit  donc  à  certaines 
heures  descendre  dans  la  mêlée  dont  l'enjeu  est  la  fortune  des 
empires.  Un  peuple  qu'il  a  marqué  d'un  signe  particulier,  va 
périr;  il  étend  son  bras  et  il  délivre  son  élu  par  un  de  ces  coups 
extraordinaires  où  il  veut,  nous  dit  Bossuet,  que  sa  main  pa- 
raisse toute  seule.  » 

Et,  n'eût  été  la  majesté  du  lieu,  l'auditoire,  composé  du 
clergé,  de  la  noblesse,  du  corps  municipal,  de  la  justice  et  du 
peuple  en  très  grand  nombre,  eût  volontiers  applaudi  qyiand 
l'orateur  s'écriait  en  finissant.  —  «  Va,  fille  de  Dieu  ;  une  patrie 
sauvée  et  rachetée,  protégée  et  bénie  par  toi,  ô  Jeanne,  est  une 
Patrie  immortelle.  » 

Suivant  l'ordre    accoutumé,  le  cortège  ordinaire  s'était  dès 


NÉCROLOGIE  427 

longtemps  mis  en  marche,  lorsque  les  portes  de  la  cathédrale 
s'ouvrirent  pour  que  chacun  put  reprendre  sa  place  officielle.  On 
a  pu  admirer  l'attitude  martiale  des  troupes,  qui  font  une 
double  haie  sur  tout  le  parcours  de  la  procession;  écouter  les 
chants  religieux  et  revoir  les  splendeurs  des  ornements  des 
paroisses.  ,,   .,;,  -.,. 

La  cantate  de  M.  Doinel,  exécutée  par  quatre  cents  choristes, 
a  produit  un  grand  effet. 

Le  cortège  de  prélats  avait  à  sa  tête  Son  Éminence  le  cardinal 
Richard,  archevêque  de  Paris.  Dans  le  cortège,  NN.  SS.  les 
évêques  occupaient  l'ordre  suivant  :  Mgr  Lagrange,  évêque  de 
Chartres;  Mgr  Trégaro,  de  Séez;  Mgr  de  Briej,  do  Meaux; 
Mgr  Goux,  de  Versailles  ;  Mgr  Laborde,  de  Blois  ;  Mgr  Coullié 
et  le  cardinal  Richard,  prélat  officiant. 

Et  chacun  se  prenait  à  dire  :  Pourquoi  ce  concours  insolite? 
Pourquoi  cet  empressement  de  la  foule,  ces  chants  nouveaux, 
cet  appareil  plus  solennel;  pourquoi  cette  assistance,  si  belle  et 
si  religieuse? 

Pourquoi  !  Le  panégyriste  l'avait  dit  :  «  Que  veulent  donc  ces 
manifestations  et  cette  attente  de  tout  un  peuple  ?  Le  voici  :  dans 
sa  libératrice  et  sa  rédemptrice  d'hier,  la  France  a  deviné  sa 
patronne  et  sa  protectrice  de  demain.  » 

Et  d'ailleurs,  ce  n'est  que  justice,  si  Dieu  a  fait  pour  la 
France  en  lui  donnant  Jeanne,  ce  qu'il  n'a  fait  pour  nul  autre 
pays,  la  France  ne  lui  doit-il  pas  à  Lui  et  à  Jeanne  plus  que  tout 
autre?  {Annales  d'Orléans.) 


NECROLOGIE 


Un  deuil  cruel  vient  de  frapper  la  marine  française  :  le  vice- 
amiral  Bergasse  Dupetit-Thouars,  commandant  en  chef  de  l'es- 
cadre de  la  Méditerranée  et  du  Levant,  est  mort  pendant  la  nuit 
du  mardi  à  mercredi,  13-14  mai.  L'amiral  était  un  solide  et 
fervent  chrétien. 

C'est  par  une  campagne  dans  l'océan  Pacifique  que  l'aspirant 
Bergasse  a  commencé  sa  carrière,  sur  la  Thisbé.  Au  mois  d'a- 
vril 1854,  il  faisait  partie  de l'état-major  àxxChrisiophe  Colomb, 
fit  la  campagne  de  Crimée  où  il  gagna  la  croix  d'honneur.  C'est 
lors  du  bombardement  de  Sébastopol  qu'il  reçut  sa  première 
blessure.  Il  était  attaché  à  une  batterie  déterre  et  se  faisait  re- 
marquer par  son  sang-froid,  son  calme  au  feu  et  sa  grande  bra- 


428  ANNALES    CATHOLIQUES 

voure.  Comme  il  se  trouvait  dans  les  tranchées,  une  bombe,  en 
éclatant  derrière  lui,  le  blessa  profondément  au  dos,  d'un  de 
ses  éclats.  A  l'ambulance,  les  médecins  le  jugeaient  perdu.  Il 
guérit  assez  vite  cependant.  A  peine  avait-il  repris  son  service, 
c'est-à-dire  deux  mois  après  sa  première  blessure,  qu'un  bou- 
let, frappant  le  parapet  de  la  batterie  où  il  rectifiait  le  tir  des 
pièces,  lui  occasionnait  des  blessures  graves  au  visage,  qui  le 
privaient  de  l'usage  d'un  œil. 

Les  campagnes  du  brave  officier  sont  nombreuses.  Nommé 
capitaine  de  frégate  en  avril  1864,  il  fut  pourvu,  peu  après,  du 
commandement  du  Dupleix,  dans  les  mers  de  Chine.  Bergasse 
Dupetit-Thouars  eut  l'occasion  de  montrer  l'énergie  dont  il 
était  capable  en  faisant  respecter  le  pavillon  français  au  Japon 
pendant  la  guerre  civile  qui  avait  éclaté  en  1868  au  village  de 
Kiogo-Kobé.  A  la  suite  de  cet  incident,  il  reçut  les  épaulettes 
de  capitaine  de  vaisseau.  En  1870,  le  commandant  Dupetit- 
Thouars  fut  envoyé  en  Alsace  pour  diriger  les  batteries  flot* 
tantes  qui  devaient  opérer  sur  le  Rhin.  Obligé  de  se  renfermer 
dans  Strasbourg  assiégé,  il  eut  une  conduite  digne  d'éloges; 
blessé  à  la  tête  des  compagnies  de  fusiliers  marins  qu'il  com- 
mandait, à  la  sortie  du  2  décembre,  il  fut  cité  à  l'ordre  du  jour. 
Après  la  capitulation  de  Sedan,  il  fut  interné  à  Rastadt,  oia  il 
«e  fit  aimer  par  ses  compagnons  d'infortune,  et  respecter  par 
les  Allemands. 

Après  la  guerre,  il  commanda  le  vaisseau-école  decanonnage; 
puis,  à  l'avènement  de  l'amiral  Fourichon  au  ministère  de  la 
marine,  il  fut  son  chef  de  cabinet.  C'est  là  qu'il  fut  nommé 
contre-amiral.  Après  avoir  rempli  ces  fonctions  sous  les  minis- 
tres Gicquel  des  Touches  et  Roussin,  il  fut  envoyé  à  Brest  en 
qualité  de  major  général.  En  1878,  il  commanda  en  chef  la  divi- 
sion navale  du  Pacifique,  et  put  assister  à  une  partie  de  la 
guerre  entre  le  Pérou  et  le  Chili.  Ces  opérations  navales  ont  été, 
pour  le  commandant  de  notre  division,  une  véritable  expérience, 
et  dès  ce  moment,  il  se  prépara  au  commandement  de  l'escadre 
d'évolutions  qu'il  espérait  bien  avoir  un  jour.  Cette  longue  pré- 
paration n'était  pas  ignorée  au  ministère  de  la  marine;  aussi, 
quand  ce  fat  son  tour  de  commander  notre  belle  escadre,  le 
gouvernement  appliqua  pour  lui  un  décret  conférant  le  comman- 
dement en  chef  pour  une  période  de  deux  années.  Primitive- 
ment, le  commandement  n'était  que  d'un  an.  Nommé  à  la  tête 
de  l'escadre  de  la  Méditerranée  le  20  octobre  1888,   l'amiral 


NÉCROLOGIE  429 

Dupetit-Thouars  allait  terminer  sa  mission  au  mois  d'octobre 
prochain. 

Au  ministère,  on  songeait  à  constituer,  comme  à  la  guerre, 
un  grand  état-major  général.  C'était  à  l'amiral  Dupetit-Thouars 
que  les  hautes  fonctions  de  major-général  de  la  marine  étaient 
dévolues.  Pendant  son  passage  à  la  préfecture  maritime  de 
Toulon,  M.  Dupetit-Thouars  s'est  beaucoup  occupé  des  tor- 
pilles et  des  torpilleurs.  On  a  de  lui  de  remarquables  rapports 
sur  ces  questions,  écrits  en  1885,  avant  l'arrivée  aux  affaires  de 
l'amiral  Aube.  C'est  à  l'amiral  Dupetit-Thouars  qu'on  doit  le 
principe  des  tubes  lance-torpilles  mobiles  sur  le  pont  et  les 
hampes  porte-torpilles  placées  à  l'avant  de  nos  nouveaux  tor- 
pilleurs. On  le  voit,  l'amiral  Bergasse  Dupetit-Thouars  tenait 
une  grande  place  dans  notre  marine,  sa  perte  n'en  sera  que 
plus  cruellement  ressentie.  Il  était  dans  sa  cinquante-huitième 
année, 

M.  le  président  de  la  République  a  adressé  à  M.  le  ministre 
de  la  marine  la  lettre  suivante  : 

Paris,  le  14  mai  1890. 
«  Mon  cher  ministre, 

«  J'apprends  avec  une  profonde  douleur  la  mort  de  l'amiral 
Dupetit-Thouars,  dont  j'avais  pu  appréciar  les  éminentes  qualités  et 
que  je  voyais,  il  y  a  quelques  jours  encore,  si  plein  de  vie  et  d'espé- 
rances. 

«  La  marine  française  fait  en  la  personne  de  l'amiral  une  perte 
cruelle. 

a  Je  vous  prie  d'exprimer  à  sa  famille  ma  plus  sincère  sympathie. 

«  Recevez,  mon  cher  miuistre,  l'assurance  de  mes  affectueux  senti- 
ments. «  Signé  :  Carnot.  * 


M.  Eugène  de  Soys,  directeur  de  la  Semaine  religieuse  de 
Paris,  vient  de  mourir,  dans  sa  soixante-quinzième  année,  à  ia 
suite  d'une  longue  et  douloureuse  maladie. 

Fondateur  et  propriétaire  de  la  Semaine  religieuse,  M.  de 
Soje  en  avait  toujours  conservé  la  direction  depuis  trente-sep; 
ans.  Il  avait  su  se  concilier,  par  l'aménité  de  son  caractère,  par 
l'élévation  de  ses  sentiments,  de  très  nombreuses  sympathies,  et 
sa  mort  laisse  de  vifs  regrets  à  tous  ceux  qui  l'ont  connu. 

Nous  nous  associons  cordialement  à  la  douleur  et  aux  priéj  s 
de  son  excellente  famille. 


430  ANNALES    CATHOLIQUES 

L'un  des  plus  glorieux  soldats  de  l'armée  française,  le 
général  de  Beaufort  d'Hautpoul,  est  décédé  hier,  à  l'âge  de 
qnatre-vingt-cinq  ans. 

Sa  longue  et  brillante  carrière  militaire  s'est  faite  presque 
entièrement  en  Orient  et  en  Afrique. 

A  la  sortie  des  Ecoles  de  Saint-Cyr  et  d'état-major,  il  fit  la 
campagne  de  Morée  et  fut  rais  pour  une  action  d'éclat  à  l'ordre 
du  jour  de  l'armée.  En  1830,  il  fit  partie  de  l'expédition  d'Alger, 
de  1834  à  1837,  il  fut  chargé  par  Soult,  alors  ministre  de  la 
guerre,  de  missions  en  Egypte  et  en  Syrie  et  devint  alors  aide 
de  camp  de  Soliman-pacha. 

De  Beaufort  d'Hautpoul  retourna  ensuite  en  Algérie,  comme 
aide  de  camp  du  duc  d'Aumale,  et  jusqu'en  1848  il  resta  dans 
notre  nouvelle  colonie,  où  il  gagna  les  épaulettes  de  colonel. 
Rappelé  un  instant  à  Paris  par  Cavaignac,  il  revint  encore  en 
Algérie,  oii,  durant  cinq  ans,  il  fut  chef  d'état-major  du  général 
Pélissier.  Promu  en  1854  général  de  brigade,  il  dirigea  en  per- 
sonne plusieurs  expéditions  sur  les  frontières  du  Maroc. 

En  1860,  il  fut  mis  à  la  tête  du  corps  expéditionnaire  de 
Syrie. 

Le  général  de  Beaufort  d'Hautpoul  avait  été  fait  grand  offi- 
cier de  la  Légion  d'honneur  en  1865.  Depuis  1869,  il  était  au 
cadre  de  réserve,  mais  il  avait  repris  du  service  en  1870,  et  fut 
chargé  d'un  commandement  dans  la  défense  de  Paris. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Un  avis  de  décès.  —  Voyage  présidentiel.  —  Commission  du  budget.  — 
L'État-major.  —  Laïcisations.  —  Syndicats  et  patrons.  —  Sénégal.  — 
Dahomey. 

22  mai  1890. 
Bien  que  nous  n'ayons  pas  l'habitude  d'insérer  les  avis  mor- 
tuaires, nous  croyons  devoir  faire  une  exception  en  faveur  du 
suivant,  qui  nous  vient  de  Sainte-Brelade,  après  avoir  passé 
par  les  bureaux  de  la  Presse  et  de  la  Cocarde.  Le  général 
Boulanger  vient  d'adresser  à  M.  Laisant,  vice-président  du 
Comité  républicain  national,  la  lettre  suivante  : 

Jersey  (Sainte-Brelade-Villa),  14  mai. 
A  Monsieur  Laisant,  vice-président  du  Comité  républicain  national. 
Cher  Monsieur  Laisant, 
Je  vous  accuse  réception  de  l'ordre  du  jour  du  Comité  républicain 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  431 

national  que  vous  m'avez  adressé,  ea  y  joignant  les  réflexions  qu'il 
m'inspire  et  qui  me  sont  dictées  par  les  faits. 

Je  ne  considère  pas  l'échec  électoral  de  la  liste  de  candidats  élabo- 
rée par  le  Comité  comme  aussi  grave  que  l'a  dit  ce  dernier  pour 
l'idée  républicaine,  démocratique  et  réformatrice,  dont  les  partisans 
m'ont  fait  Thonneur  d'affirmer  sur  mon  nom  leurs  revendications  et 
leurs  espérances.  Toutefois,  je  crois  comme  vous  qu'il  serait  au 
moins  inutile  de  troubler  le  pays  par  des  agitations  stériles  ;  je  crois, 
comme  vous  encore,  qu'il  faut  rendre  confiance  à  cette  foule  de  citoyens 
qui  ont  conservé  leurs  sympathies  à  une  cause  dont  les  circonstances 
m'ont  fait  le  représentant. 

Pour  ceux-là,  touché  de  leur  attachement,  je  demeure  dévoué  à 
une  cause  qui  est  la  leur,  bien  certain  du  triomphe  définitif  de  leurs 
revendications  et  de  leurs  espérances.  Ce  triomphe,  il  faut  savoir 
l'attendre  du  temps  et  de  la  propagande  des  idées;  mais  je  désire 
qu'il  n'y  ait  plus  désormais  d'intermédiaire  entre  ces  citoyens  et 
moi  ;  car  personne  ne  peut  mieux  qu'eux-mêmes  manifester  leurs 
sentiments. 

La  tâche  du  Comité  dont  je  suis  le  président  me  semble  donc  ter- 
minée, et  je  vous  prie  de  faire  connaître  à  nos  collègues  que  ceux 
d'entre  eux  qui  le  désirent  peuvent  désormais  consacrer  un  concours 
qui,  jusqu'ici,  m'avait  été  précieux,  aux  opinions  qui  leur  sont  per- 
sonnellement chères. 

Pour  moi,  j'ai  à  me  recueillir,  à  méditer  sur  les  leçons  que  con- 
tiennent les  faits  accomplis  et  à  étudier  d'une  façon  sérieuse  les 
questions  qui  intéressent  le  peuple  laborieux,  pour  mieux  mériter 
les  sympathies  qu'il  m'a  témoignées  et  qu'il  me  témoigne  encore. 

Ce  faisant,  je  reste  le  soldat  de  la  France  et  celui  de  la  démocratie. 
toujours  prêt  à  les  servir  et  à  donner  pour  elles  ma  vie,  si  la  patrie 
avait  un  jour  besoin  du  fils  qui  a  versé  son  sang  pour  elle. 

Recevez,  cher  monsieur  Laisant,  l'assurance  de  mon  affectueux 
dévouement.  Général  Boulanger. 

C'est  beaucoup  de  paroles  pour  dire  une  chose  cependant  très 
simple  ;  et,  si  le  général  avait  consulté  Rochefort,  bien  sûr  que 
celui-ci  lui  aurait  déconseillé  cette  longue  épître. 

La  seule  formule  qui  convînt  en  la  circonstance  était  en  effet 
celle-ci  : 

Art.  ler.  —  Il  n'y  a  plus  rien. 

Art.  2.  —  Personne  n'est  chargé  de  l'exécution  du  présent 
décret. 

Car  cette  banqueroute  était  prévue  depuis  longtemps.  La 
fuite  en  Belgique  avait  porté  au  syndicat  un  coup  mortel,  et 
malgré  quelques  retours  de  fortune,  plus  superficiels  que  réels, 


432  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  déconfiture  était  allée  s'accentuant  chaque  jour  davantage, 
conformément  d'ailleurs  aux  lois  physiques  de  la  pesanteur.  Si 
bien  que  la  dernière  entrevue  de  M.  Boulanger  avec  les  mem- 
bres du  Comité  fut  moins  un  conseil  de  famille  qu'une  réunion 
de  créanciers. 

On  raconte  que  M.  Dêroulède,  au  comble  de  l'exaspération, 
s'écria  : 

—  Mon  général,  le  premier  qui  fut  roi  fut  un  soldat  heureux, 
et  moi,  le  dernier  que  je  vois  est  un  soldat  peureux  ! 

—  Monsieur,  répliqua  Boulanger,  blême  de  fureur,  puisque 
vous  êtes  venu  chez  moi  pour  m'insulter,  je  vous  prie  de  sortir  ! 

On  assure  aussi  qu'en  sortant,  Dêroulède  interpellant  Le 
Hérissé,  lui  dit  : 

—  Allons-nous-en  !  Laissons  ce  gâteux  ! 

—  Gâteux,  non,  répondit  Le  Hérissé,  mais  gâté,  oui. 
C'était  donc  bien  la  fin  ;  et  la  lettre  d'aujourd'hui  n'est  que 

la  notification  officielle  de  l'acte  de  décès  du  boulangisme. 

Qu'adviendra-t-ilde  ces  morceaux  épars?  11  importe  fort  peu. 
L-i  chef  ne  valait  pas  cher;  son  entourage  encore  moins.  Il  est 
probable  que  chacun  retournera  oii  l'attirent  ses  affinités  poli- 
tiques et  sociales  :  les  uns  au  radicalisme,  les  autres  au  blan- 
quisme  et  aux  autres  sectes  en  isme  du  parti  révolutionnaire. 
Nous  passons  sous  silence  les  conservateurs  qui  s'étaient 
fourvoyés  dans  ce  guêpier,  car  il  y  a  beau  temps  qu'ils  s'en  sont 
retirés. 

Quant  au  général  Boulanger,  il  va  «  se  recueillir  et  méditer 
ïîur  les  leçons  que  contiennent  les  faits  ». 

Qu'il  se  recueille  donc,  et  qu'il  les  médite,  ces  leçons. 

Elles  lui  diront  d'étranges  choses.  Elles  lui  rappelleront  son 
incroyable  fortune,  ses  triomphes  immérités,  ses  succès  faciles 
et...  les  causes  d'une  chute,  (^ue  rien  nei)0uvait  prévenir. 


M.  Carnût  a  quitté  Paris  hier  pour  un  nouveau  voyage. 
Aujourd'hui  il  est  à  Montélimar,  puis  à  Orange. 

Demain,  23  mai,  départ  à  la  gare  de  Pont-d'Avignon  ; 

Arrivée  à  Nîmes  à  9  h.  30,  départ  à  2  heures. 

Montpellier,  arrivée  à  3  heures,  séjour  jusqu'au  25  mai; 
départ  le  26,  à  7  h.  50  du  matin. 

Le  26  mai,  arrivée  à  Besançon  à  6  h.  30  du  soir. 

Le  27  mai,  départ  de  Besançon  à  9  heures,  arrêt  à  Baume- 


CHRONIQUE    UE    LA    SEMAINE  433 

les-Dames  à  9  h.  '40,  arrivée  à  Belfort  à  11  heures,  départ  à 
4  heures,  arrivée  à  Vesoul  à  5  heures. 

Le  28  mai,  départ  de  Vesoul  à  9  h.  20,  arrivée  à  Chaumont  à 
11  h.  38,  départ  à  2  h.  15. 

Arrivée  à  Trojes  à  3  h.  43,  départ  à  6  h.  40,  rentrée  à 
Paris  à  9  h.  40. 

De  Paris  à  Montélimar  au  départ,  et  de  Montpellier  à  Besan- 
çon, le  président  de  la  République  voyage  incognito.  Les  auto- 
rités ont  reçu  l'ordre  de  ne  préparer  aucune  réception. 

La  commission  du  budget  vient  de  prendre  une  résolution 
virile.  Sur  la  proposition  de  M.  Casimir  Périer,  elle  s'est  enga- 
gée à  terminer  ses  travaux  avant  la  fin  du  mois  prochain.  On 
remarquera  qu'après  avoir  siégé  longtemps  pour  ne  rien  faire 
ou  à  peu  près,  elle  limite  maintenant  la  durée  de  ses  travaux. 
Bon  gré,  mal  gré,  elle  aura  fini  avant  le  1"  juillet.  Comment  le 
travail  sera  fait?  peu  lui  importe.  On  a  passé  deux  ou  trois 
séances  sur  le  budget  de  l'imprimerie  Nationale  :  on  sera  peut- 
être  forcé  d'expédier  celui  de  la  guerre  en  deuxou  trois  heures. 
Il  est,  en  effet,  d'absolue  nécessité  que  le  budget  soit  approuvé 
par  la  Chambre  et  par  le  Sénat  avant  les  vacances.  On  sait  que 
les  quatre  contributions  directes  doivent  être  votées  avant  la 
réunion  des  conseils  généraux;  mais  d'ordinaire  ce  vote  a  lieu  à 
peu  prés  sans  débat,  et  il  n'est  guère  qu'un  enregistrement  des 
propositions  faites  parle  gouvernement  et  vérifiées  par  la  com- 
mission. Il  n'en  sera  pas  ainsi  cette  fois.  Le  projet  du  budget 
porte  une  réforme  de  l'impôt  foncier  ;  il  est  indubitable  que  le 
projet  du  gouvernement  en  fera  naître  un  assez  grand  nombre 
d'autres.  Il  y  a  de  plus,  dans  le  budget,  un  projet  qui  devra  en 
être  distrait  et  discuté  aussi  avant  les  vacances,  c'est  celui  qui 
se  rapporte  aux  sucres  :  la  campagne  sucrière  commençant  le 
1"  septembre,  il  importe  que  le  projet  soit  voté  avant  cette 
époque,  et,  d'ailleurs  le  gouvernement  compte  sur  lui  pour 
diminuer  de  quelques  millions  le  déficit  prévu  de  l'année  cou- 
rante. Mais  si  l'on  réfléchit  que  la  Chambre  a  l'habitude  de  se 
séparer  le  13  juillet;  si  l'on  ajoute  à  cela  que  la  commission  du 
budget  a  fort  à  faire  pour  tenir  sa  promesse,  on  s'aperçoit  que  si 
elle  y  parvient,  il  restera,  déduction  faite  des  dimanches,  une 
dizaine  de  jours  pour  l'examen  et  le  vote  du  budget  à  la 
Chambre  et  au  Sénat.  Ce  sera  joli. 


434  ANNALES    CATHOLIQUES 

Par  décret  en  date  du  17  mai,  M.  le  général  de  brigade  Le 
Mouton  de  Boisdeffre,  chef  d'état-major  du  6'  corps  d'armée^ 
est  nommé  sous-chef  d'état-major  général  de  l'armée,  en  rem- 
placement de  M.  le  général  Parison.  Le  général  de  Boisdeffre, 
qui  était  à  Cbâlons  le  chef  d'état-major  du  général  de  Miribel, 
avait  été  apprécié  dans  ce  poste  par  les  généraux  Chanzy  et 
Février. 

Alors  capitaine  d'état-major,  on  se  rappelle  que  M.  de  Bois- 
deffre, réclamé  par  Chanzy  à  l'armée  de  la  Loire,  partit  de 
Paris  en  ballon  en  même  temps  que  Gambetta.  La  nomination 
de  cet  excellent  officier,  comme  second  sous-chef  d'état-major 
général  de  l'armée,  mérite  d'être  très  bien  accueillie. 

Elle  est  d'ailleurs  le  signal  d'un  remaniement  complet  dans 
l'organisation  de  l'état-major  de  l'armée.  C'est  ainsi  que  le 
général  Derrecagaix,  qui  avait  succédé  au  général  Perrier,  à  la 
tête  des  services  de  géodésie,  de  topographie  et  de  cartographie 
se  trouve  placé  sous  les  ordres  directs  du  chef  d'état-major  de 
l'armée;  il  portera  désormais  le  titre  de  sous-chef  d'état-major 
irénéral,  conjointement  avec  les  généraux  de  Saint-Germain  et 
Le  Mouton  de  Boisdeffre. 

Les  bureaux  de  l'état-major  dans  lesquels  d'autres  mutations 
doivent  encore  se  produire,  sont  actuellement  constitués  comme 
suit  : 

i'-'f  Bureau,  organisation  et  mobilisation  de  l'armée  :  colonel 
do  Brye. 

2'  Bureau,  statistique  militaire  et  études  des  armées  étran- 
gères: colonel  Renouard. 

3*  Bureau,  opérations  militaires  et  instruction  générale  de 
l'armée  :  colonel  Rau. 

4'  Bureau,  étapes,  chemins  de  fer,  transport  des  troupes  par 
voies  de  fer  et  eau  :  colonel  Gonse. 

Le  service  géographique  :  sous-directeur,  colonel  de  La  Noë. 

Enfin,  une  section  gère  le  personnel  du  service  d'état-major 
et  une  autre  section  s'occupe  des  travaux  historiques  courants. 


Le  Journal  officiel  a  publié  hier  la  statistique  des  laïcisations 
d'écoles  primaires  effectuées  du  l*"^  novembre  1888  au  31  octo- 
bre 1889.  On  T  voit  que  le  nombre  de  ces  laïcisations  s'est  élevé 
à  203,  dont  104  «  obligatoires  »  en  vertu  de  la  loi  de  1S86,  et 
les  159  autres  «  facultatives  *.  Sur  ces  159  laïcisations  faculta- 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  435 

tives,  88  ont  eu  lieu  à  la  suite  d'une  demande  des  municipalités, 
et  71  «  d'office  ».  La  statistique  officielle  ne  donne  pas  de  dé- 
tails :  il  est  donc  impossible  de  savoir  quels  motifs  ont  amené 
l'administration  à  eflectuer  un  si  grand  nombre  de  laïcisations 
sans  j  être  contrainte  par  la  loi,  sans  y  être  invitée  par  les  con. 
seils  municipaux.  Comme  il  s'agit  de  l'année  qui  a  commencé  le 
l'r  novembre  1888,  on  peut  supposer  que  la  plus  grande  partie 
ou  la  totalité  de  ces  «  laïcisations  »  facultatives  est  due  au  zèle 
de  AI.  Floquet  et  de  ses  collègues,  et  que,  depuis  le  mois  de 
février  1889,  on  a  cessé  d'enchérir  sur  les  exigences,  déjà  si 
radicales,  de  la  loi  de  1886.  Mais  ce  n'est  qu'une  supposition. 
Une  certitude  vaudrait  mieux. 


La  loi  de  1884  sur  les  syndicats  professionnels  vient  d'être 
modifiée  par  la  Chambre.  Jusqu'alors,  s'il  était  permis  aux 
ouvriers  de  s'associer  et  de  se  fortifier  ainsi  par  l'union,  d'autre 
part  la  liberté  des  patrons  était  entière,  et  tel  patron  qui 
jugeait  dangereuse  la  présence  dans  ses  ateliers  des  ouvriers 
syndiqués,  parce  qu'à  un  moment  donné  ceux-ci  lui  feraient 
la  loi,  était  parfaitement  libre  de  ne  pas  les  embaucher  ou  de 
les  remercier  de  leurs  services.  La  loi  de  1890  modifie  cette 
situation.  Ce  qu'elle  appelle  donner  une  sanction  à  la  loi  de 
1884,  c'est  supprimer  la  liberté  des  patrons.  Ils  auront  mérité 
l'amende  et  la  prison  s'ils  ont  troublé  la  liberté  des  associations 
professionnelles  ou  empêché  l'exercice  des  droits  déterminés 
par  la  loi  de  1884,  par  menaces  de  pertes  d'emploi  ou  de  priva- 
tion de  travail,  refus  motivé  d'embauchage,  renvoi  d'ouvriers 
ou  d'employés  à  raison  de  leur  qualité  de  syndiqués,  violences 
ou  voies  de  fait,  dons,  offres  ou  promesses  de  travail. 

Cela  signifie  que  les  patrons  sont  livrés  pieds  et  poings  liés 
aux  ouvriers  et  si  cette  loi  est  promulguée,  il  n'est  pas  néces- 
saire •  de  discuter  la  question  du  minimum  des  salaires  et  du 
minimum  d'heures  de  travail.  Forcés  d'accepter  les  ouvriers 
syndiqués,  les  patrons  subiront  la  loi  des  syndicats  et  si  telle 
association  ouvrière  professionnelle  décide  le  travail  de  huit 
heures  avec  le  minimum  de  5  francs,  la  loi  viendra  lui  prêter 
main  forte  pour  contraindre  les  patrons  à  courber  la  tête. 
Nul  doute  que  les  syndicats  se  transforment  en  véritables  orga- 
nisations corporatives  et  en  fin  de  compte  les  patrons  ne  seront 
plus  que  les  humbles  serviteurs  des  ouvriers  qui  ne  courront 


436  ANNALES    CATHOLigOKS 

pas  les  risques,  mais  seront  toujours  là  pour  exiger  la  part  du 
lion  aux  heures  de  prospérité.  On  se  demande  si  dans  ces  con- 
ditions le  patron  n'aurait  pas  intérêt  à  être  l'employé  de  ses 
ouvriers. 


Le  Temps  reçoit  de  Saint-Louis  les  nouvelles  suivantes,  en 
date  du  6  mai  : 

Le  télégraphe  vous  a  annoncé  récemment  la  prise  de  Ségou.  Lo 
commandant  Archinard,  qui  vient  d'être  promu  lieutenant-colonel,  a 
tenu  à  terminer  la  campagne  par  un  nouveau  fait  d'armes. 

A  la  tête  d'uno  petite  colonne  composée  de  deux  compagnies  de 
tirailleurs  sénégalais  et  d'une  section  d'artillerie,  il  s'est  dirigé  sur 
Ouosébougou  pour  disperser  les  derniers  partisans  d'Ahmadou.  Ce 
tata,  qui  garde  la  route  de  Nioro,  est  une  véritable  forteresse  ayant 
trois  kilomètres  depourtour.il  était  défendu  par  un  millier  d'hommes 
environ.  L'attaque  a  commencé  le  24  avril,  à  neuf  heures  du  matin. 
Dans  la  journée,  nos  vaillantes  troupes  occupaient  déjà  une  partie 
de  la  ville,  mais  les  Toucouleurs  résistaient  pied  à  pied.  Le  combat  a 
duré  toute  la  nuit  avec  un  acharnement  extraordinaire  ;  on  se  fusil- 
lait à  bout  portant.  Ce  n'est  que  le  "l'ô,  à  cinq  heures  du  soir,  que 
nous  avons  enfin  pu  nous  rendre  maître  d'Oaosébougou. 

Quant  aux  défonsours  du  tata,  pas  uu  n'a  survécu;  ils  ont  tous  été 
tués  sur  place  ou  se  sont  fait  sauter,  en  même  temps  que  leur  chef. 
Bandiogou,  aprejs  avoir  mis  le  feu  ;1  la  poudrière.  De  notre  côté,  nos 
soldats  ont  tiré  600  coups  de  canon  et  bn'dé  25,000  cartouches. 

Nous  avons  eu  quinze  tués  et  soixante-douze  blesses.  Ce  sont  sur- 
tout les  auxiliaires  bambaras  (jui  ont  été  ''prouvés.  Deux  Européens 
seuls  ont  été  tués  f-t  sept  blessés,  parmi  oeux-ci  cinq  officiers;  mais, 
grâce  à  Dieu,  les  blessures  sont  peu  dangereuses.  On  nous  assure 
que  dix  blessés  seulement  sont  portés  sur  des  brancards  et  que  les 
autres  suivent  à  cheval. 

Ahmadou,  qu'on  signalait  comme  voulant  prendre  sa  revanche,  n'a 
pas  bougé  de  Diangliirté,  où  il  s'est  réfugié.  La  colonne  continue 
aujourd'hui  sa  route  vers  Kita. 

Nous  sommes  heureux  que  nos  braves  soldats  aient  remporté 
un  nouveau  succè^;.  Mais  ce  succès  est  chéi^ement  acheté.  Le 
combat  que  nous  annonce  la  dépêche  communiquée  par  le  gou- 
vernement, a  été  acharné.  Nous  craignons  que  la  France  ne  se 
trouve,  au  Soudan,  en  présence  d'une  explosion  du  fanatisme 
inusulman.  Il  ne  serait  peut-être  pas  inutile  de  demander  la- 
dessus  quelques  explications  à  M.  Etienne  ?  Nous  savons  que 
les  députés   de  la  droite  ne   veulent  pas   plus  que  ceux  de  la 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  437 

gauche,  créer  des  embarras  au  gouveraement.  Mais  les  minis- 
tres, chers  à  leurs  cœurs,  sont  surtout  M.  Constans  et  M.  Rou- 
vier,  qui  se  désintéressent  certainement  de  la  question  du  Sou- 
dan, étant  absorbés  par  des  aflaires  plus  importantes. 


M.  Bajol,  lieutenant-gouverneur  des  Rivières  du  Sud,  est 
arrivé,  lundi  matin,  à  Marseille,  à  bord  du  Béarn,  paquebot 
des  transports  maritimes,  sur  lequel  il  s'est  embarqué,  à 
Ténériffe. 

M.  Bayol  parlant  à  l'un  de  nos  confrères  de  la  situation  qui 
lui  avait  été  faite  chez  les  Dahoméens,  a  dit  que  ces  derniers 
ont  toujours  montré  envers  lui  la  plus  grande  méfiance  et  qu«, 
s'il  n'avait  pas  été  complètement  traité  en  ennemi,  il  s'en  était 
fallu  de  bien  peu. 

C'est  ainsi  que  jamais  ni  le  roi  ni  les  chefs  ne  lui  touchèrent 
la  main  ;  lors  de  sa  visite  à  Abomey,  on  le  gardait  à  vue  pour 
ainsi  dire. 

M.  Bayol  a  raconté  l'horreur  des  sacrifices  humains  qui 
eurent  lieu  pendant  son  séjour  chez  le  roi  Gléglé.  On  en  a  pour- 
tant, d'après  lui,  exagéré  l'importance  :  ce  n'est  pas  par  milliers 
qu'il  faut  compter  les  victimes,  trop  nombreuses  déjà,  puisque, 
dans  un  seul  sacrifice,  on  imraola  deux  séries,  l'une  de  84  mal- 
heureux et  l'autre  de  43. 

Les  tueries  ont  lieu  le  jour  en  plein  soleil,  ce  n'est  que  la 
nuit  venue  que  les  femmes  et  les  enfants  se  livrent  aux  scènes 
effrayantes  de  regorgement  avec  une  férocité  inouïe.  Les 
enfants  s'emparent  des  têtes  qu'ils  font  rouler  comme  des  boules 
et  les  enterrent  ensuite  sous  des  petits  tas  de  sable  oii  on  les 
laisse. 

Les  cadavres  sont  le  lendemain  jetés  pêle-mêle  dans  les  char- 
niers et  deviennent  la  proie  des  oiseaux  sacrés. 

M.  Bayol  a  été  invité  à  assister  à  cette  boucherie,  mais  il  a 
fait  comprendre  combien  ce  spectacle  lui  serait  insupportable, 
et  il  obtint  de  se  faire  représenter  officiellement  par  un  des 
fonctionnaires  de  sa  suite.  Il  ne  put  se  soustraire,  cependant,  à 
la  visite  des  cadavres,  faite  en  grande  cérémonie.  «Le  sang, 
dit  M.  Bayol,  était  répandu  an  si  grande  abondance,  que  j'en 
avais  jusqu'à  la  cheville.  ». 

Le  roi  Gléglé  avec  lequel  notre  représentant  ne  put  converser 
que  quelques  jours  avant  son  départ,  le  prit  de  très  haut.  C'est 


438  ANNALES    CATHOLIQUES 

avec  une  grande  arrogance  qu'il  déclara  être  le  seul  maître 
dans  son  royaume  et  ajouta  qu'il  était  bien  décidé  à  ne  rien 
céder  de  son  autorité  et  de  sa  puissance  à  qui  que  ce  tut. 

M.  Bayol  lui  parla  des  traités  qui  le  liaient  cependant.  Mais 
le  roi  répondit  qu'il  n'avait  pas  à  en  tenir  compte.  M,  Bayol  ne 
tarda  pas  à  s'apercevoir  combien  les  Dahoméens  étaient  mal  dis- 
posés envers  nous  et  il  courut  même  les  plus  grands  dangers 
dans  son  voyage  de  retour. 

Lorsqu'il  quitta  Abomey,  le  roi  avait  en  effet  à  dessein,  sans 
doute,  négligé  de  le  faire  devancer  par  quelques  naturels,  por- 
teurs du  bâton,  sorte  de  fétiche,  qui  devait  lui  assurer  la  liberté 
de  la  route.  Peu  s'en  fallut  d'ailleurs  que  notre  envoyé  ne  fût 
retenu  prisonnier  et  massacré. 

En  effet,  il  était  à  peine  à  deux  jours  de  la  capitale  quand 
r»léglé  mourut  et  on  no  manqua  pas  de  dire  qu'il  lui  avait  jeté 
un  sort.  Fort  heureusement  pour  M.  Bayol  élises  compagnons, 
les  hommes  lancés  à  leur  poursuite  ne  parent  les  rattraper, 
mais  il  n'était  que  temps  d'arriver  à  Porto-Novo. 

C'est  par  un  hasard  que  M.  Bayol  eut  connaissance  des  projets 
des  Dahoméens,  en  ce  qui  touche  la  capture  des  Fran<jai8  qu'ils 
devaient  emmener  comme  otages;  le  lieutenant-gouverneur 
s'empara  aussitôt  de  dix-sept  chefs  sur  lesquels  il  put  mettra  la 
main,  et  c'est  à,  cette  circonstance  seule  que  les  nôtres  ont  <dû 
de  ne  pas  être  massacrés. 

Gléglé,  craignant  pour  la  vie  de  ses  chefs  dont  le  courage  et 
l'inâuence  lui  étaient  nécessaires,  renonça  à  ses  projets 
homicides. 

M  Bayol  a  dit  que  le  pays  était  très  riche  à  l'intérieur  sur- 
tout et  que  ce  serait  folie  d'en  abandonner  la  possession. 
Quelques  milliers  d'hommes  suffiront  pour  cela  ;  mais,  a-t-il 
dit,  il  ne  faut  pas  penser  que  les  Dahoméens  soient  une  quan- 
tité négligeable;  ils  sont  très  braves,  et  à  Porto  Novo  ce  sont 
eux  qui  ont  commencé  l'attaque  à  l'arme  blanche. 

Enfin,  M.  Bayol  a  exprimé  l'avis  que,  la  saison  des  pluies 
rendant  les  marches  difficiles,  sinon  impossibles  à  l'intérieur, 
une  expédition  par  le  fleuve,  dont  les  eaux  sont  très  hautes  en 
cette  saison,  aurait  les  meilleurs  résultats. 


LES    CHAMBRES  439 

LES  CHAMBRES 
Sénat. 

Vendredi  16  mai.  —  Discussion  de  l'interpeliatioa  de  M.  BozÉ- 
HlAN  relativement  aux  pêcheries  de  Terre-Neuve. 

M.  RiBOT,  ministre  des  affaires  étrangères,  répond  que  le  gouver- 
nement n'a  rien  de  plus  à  déclarer  que  ce  qui  a  été  dit  l'an  dernier  : 
Nos  droits  sur  les  pêclaeries  de  Terre-Neuve  sont  absolus.  Ces  droits 
ont  été  réservés  dans  toute  leur  intégrité.  L'an  dernier,  les  difficul- 
tés étaient  tellement  aiguës  que  l'on  crut  devoir  accepter  un  moclus 
Vivendi,  en  attendant  la  fin  des  négociations  entamées  entre  les 
cabinets  de  Londres  et  de  Paris. 

Le  cabinet  de  Londres  a  dit  qu'il  ferait  respecter  à  Terre-Neuve, 
les  traités  dont  se  réclame  la  France.  Le  cabinet  français,  lui,  ne 
peut  qu'attendre,  et  voir  comment,  dans  la  prochaine  campagne, 
l'Angleterre  fera  respecter  les  droits  de  nos  nationaux. 

Le  pays  peut  être  sûr  que  le  gouvernement  fera  son  devoir. 

A  l'unanimité,  l'ordre  du  jour  suivant  est  adopté  : 

«  Le  Sénat  approuvant  les  déclarations  du  gouvernement  et  comp- 
tant sur  sa  persévérance  à  faire  respecter  les  droits  de  pêche  conférés 
à  la  France  sur  les  côtes  de  Terre-Neuve  par  les  traités  depuis  1713 
et  1814,  passe  à  l'ordre  du  jour.  » 

Lundi  19  mai.  —  Interpellation  de  M.  Allègre  sur  les  abus  de 
l'administration  de  la  Martinique. 

Le  secrétaire  d'Etat  a  promis  de  mettre  bon  ordre  à  ces  faits  et  le 
Sénat  a  voté  un  ordre  du  jour  pur  et  simple. 

En  fin  de  séance,  on  a  adopté  divers  petits  projets  concernant  les 
téléphones  et  un  projet  ouvrant  un  crédit  de  150,000  francs  à  l'an- 
cienne Société  du  Journal  officiel.  Et  l'on  a  vaguement  discuté 
quelques  articles  du  projet  sur  les  accidents  du  travail. 

Mardi  20  mai.  —  M.  Buffet  se  plaint  que  M.  Etienne  ait  répondu 
dans  la  séance  précédente,  à  l'interpellation  de  j\I.  Allègre.  C'est 
une  violation  de  la  Constitution,  les  ministres,  seuls,  ayant  le  droit 
de  prendre  la  parole  devant  les  Chambres. 

M.  Le  Rover  a  répondu  que  M.  Etienne  n'a  répondu  à  j\I.  Allègre 
qu'en  l'absence  du  ministre  M.  Roche,  empêché.  L'incident  a  été 
déclaré  clos.  M,  Buffet  avait  pleinement  raison  de  protester  contre 
cet  oubli  qui  se  répète  trop  souvent. 

On  a  repris  la  discussion,  de  la  loi  sur  les  accidents  de  travaiL 

L^'ensemble  de  la  loi  a  été  voté  par  167  voix  contre  7. 

Chambre  des  Députés. 

Samedi  17  mai.  —  M.  David  dépose  un  projet  de  loi  pour  lequel 
il  demande  l'urgence.  D'après  cette  loi,  les  fonctions  de  gouverneur 


440  ANNALES   CATHOLIQUES 

et  de  sous-gouverneur  de  la  Banque  de  France  et  du  Crédit  Foncier 
seraient  incompatibles  avec  le  mandat  de  député  ou  de  sénateur. 

L'orateur  demande  la  discussion  sur  la  prise  en  considération  im- 
médiate. Et,  sans  que  personne  réclame  la  parole,  la  prise  en  consi- 
dération est  votée  par  449  voix  contre  11. 

M.  Lauk  a  la  spécialité  des  interpellations  à  grand  orchestre,  déci- 
dément. 

M.  Laur  rappelle  qu'il  attaqua,  avec  raison,  il  y  a  deux  ans,  l'ac- 
caparement des  cuivres.  Il  vient  attaquer  l'accaparement  des  pétroles. 

A  l'aide  de  chiffres,  —  mais  que  ne  fait-on  dire  aux  chiffres?  — 
M.  Laur  démontre  que  les  raffineurs  de  pétrole,  établis  en  France, 
doivent  gagner  de  40  à  50  millions  par  an,  millions  dont  ils  frustrent 
le  Trésor,  en  employant  des  manœuvres  qui  tombent  sous  le  coup 
de  la  loi. 

Les  raffineurs,  qui  se  sont  syndiqués,  tiennent  les  prix  aussi  élevés 
qu'ils  le  veulent.  Il  y  a  accaparement  en  fait. 

L'orateur  demande  au  ministre  de  la  justice  d'ouvrir  une  enquête 
sur  ces  faits.  Il  y  a,  en  outre,  dit-il,  lieu  d'unifier  les  droits  de 
douane  sur  les  pétroles  bruts  et  raffinés. 

M.  Fallières  répond  que  ce  n'est  pas  à  la  tribune  qu'il  faut  porter 
les  accusations  contre  les  négociants.  C'est  à  la  justice  qu'on  devrait 
s'adresser. 

Le  ministre  de  la  justice  n'a  pas  à  intervenir  dans  une  question 
de  tarifs.  Selon  lui,  le  délit  prévu  par  le  Code  ne  vise  que  la  hausse 
ou  la  baisse  artificielle  d'un  produit.  Or,  quand  le  prix  du  pétrole  a 
augmenté  ou  diminué,  depuis  quelques  années,  ces  variations  coïn- 
cidaient avec  celles  des  marchés  d'Amérique. 

Il  n'y  a  pas  accaparement,  parce  que,  sur  les  28  millions  de  barils 
do  pétrole  que  produit  la  Pensylvanie,  1,200,000  seulement  sont  con- 
sommés en  France. 

Le  gouvernement  n'a  pas  à  poursuivre  d'honnêtes  gens  qui,  à  la 
nouvelle  de  cette  interpellation,  ont  demandé  eux-mêmes  qu'une 
enquête  fût  faite  sur  leurs  opérations. 

M.  Laur  propose  un  ordre  du  jour  invitant  le  ministre  à  pour- 
suivre les  raffineurs,  et  à  modifier  le  tarif  des  douanes. 

Mais  le  ministre  réclame  l'ordre  du  jour  pur  et  simple,  qui  est 
voté  par  420  voix  contre  50. 

Il  se  fait  tard,  on  croit  que  c'est  fini.  Pas  du  tout  ;  M.  Rouvier 
demande  que  l'on  discute  immédiatement  une  seconde  interpellation 
de  M.  Laur  sur  l'emploi  des  fonds  des  Caisses  d'Epargne. 

M.  Laur  réclame  le  renvoi  à  lundi.  On  le  lui  refuse.  Il  réclame  une 
suspension  de  séance  d'une  heure.  On  la  lui  accorde.  Il  a  besoin 
d'aller  chez  lui  chercher  des  documents. 

A  six  heures,  la  séance  est  reprise. 

M.  Laur  établit  d'abord  que  le  dépôt  des  fonds  à  la  Caisse  des 


LES    CHAMBRES  441 

Dépôts  et  Consignations  doit  se  faire  en  rentes  françaises  et  après 
publicité.  L'achat  doit  se  faire  au  comptant,  et  au  cours  moyen. 
L'orateur  pense  que  ces  prescriptions  ne  sont  pas  observées. 

M.  RouviER  se  plaint  que  des  journaux  aient  osé  dire  que  «  l'ins- 
titution des  Caisses  d'épargne  est  un  immense  vol  organisé.  » 

Et  cette  accusation  vient  de  ce  qu'on  n'a  pas  dans  les  caisses,  en 
espèces  sonnantes  les  deux  milliards  sept  cents  millions  de  dépôts. 

Le  ministre  expose  le  fonctionnement  des  Caisses  d'épargne.  Il  dit 
comment  les  dépôts  ont  été  régulièrement  constitués  à  la  Caisse  des 
dépôts  et  consignations. 

Quant  aux  achats  de  rentes,  d'obligations  et  de  bons  du  Trésor,  il 
faut  bien  quelquefois  qu'ils  se  fassent  à  la  Bourse. 

Mais  le  ministère  prend  la  responsabilité  de  ces  opérations,  qui 
toutes  ont  été  loyales  et  correctes,  et  faites  sous  la  surveillance  d'un 
conseil  d'administration  composé  d'hommes  les  plus  importants. 

Un  ordre  du  jour  de  confiance  est  voté  par  369  voix. 

Lundi  19  mai.  —  Pendant  une  heure,  une  discussion  peu  intéres- 
sante a  eu  lieu  au  sujet  d'un  projet  tendant  à  voter  un  crédit  de 
250,000  francs  pour  l'achat  d'œuvres  d'art  au  musée  du  Louvre. 

M.  Antonin  Proust,  rapporteur,  a  vainement  fait  observer  qu'il 
s'agit  d'enlever  â  l'étranger  plusieurs  objets  d'art  qui  seront  vendus 
demain  et  qui  faisaient  partie  de  la  collection  Piot. 

La  Chambre  a  refusé  les  crédits. 

Puis  on  a  repris  la  discussion  du  projet  sur  les  délégués   mineurs. 

Ce  projet  a  été  adopté  par  le  Sénat.  La  Chambre  a  d'abord  déclaré 
l'urgence. 

M.  Baihaut,  rapporteur,  a  exposé  que  la  proposition  n'a  rien  de 
politique.  Elle  a  réuni  l'unanimité  des  membres  de  la  commission. 

En  deux  mots,  il  s'agit  de  reconnaître  officiellement  les  pouvoirs 
d'ouvriers  mineurs,  choisis  parmi  les  plus  experts,  et  chargés  de 
visiter  périodiquement  les  mines,  de  consigner  leurs  observations  sur 
un  registre,  notamment  en  vue  de  l'hygiène  des  travailleurs  et  de 
leur  sécurité. 

Quelques  députés  de  régions  minières  sont  venus  déclarer  qu'ils 
voteraient  le  projet,  le  trouvant,  les  uns,  excellent,  les  autres, 
incomplet. 

Le  ministre  des  travaux  publics  a  annoncé  l'adhésion  du  gou- 
vernement. 

On  a  voté  le  passage  à  la  discussion  des  articles.  Puis  est  venu 
M.  Ferroul  qui  a  demandé  par  qui  seraient  payés  les  délégués  mi- 
neurs. Par  les  Compagnies  !  a  répondu  le  rapporteur.  M,  Ferroul  a 
vu  là  de  futures  corruptions  des  délégués.  Il  a  réclamé  leur  paiement 
par  l'Etat. 

M.  Baihaut  a  fait  remarquer  qu'il  ne  s'agit  pas  de  créer  une  nou- 
velle classe  de  fonctionnaires. 

32 


442  AN^'ALES    GATilOLlQUES 

Oa  a  repoussé  l'amendement  Ferroul.  Et  l'on  a  adopté  les  articles 
et  l'ensemble  du  projet  par  494  voix  contre  4,  après  discussion  de 
points  de  détail  sans  grand  intérêt. 

Mardi  20  mai.  —  M.  Deschanel  est  monté  à  la  tribune  dès  l'ou- 
verture de  la  séance.  Il  s'agit  de  la  proposition  Reinach  sur  la  liberté 
de  la  presse.  Faire  juger  par  des  juges,  et  non  par  le  jury,  les  articles 
de  journaux —  ou  plutôt,  les  auteurs  de  ces  articles,  —  où  l'on  peut 
découvrir  des  attaques  contre  les  membres  et  les  amis  des  membres 
du  gouvernement  «  toute  personne  chargée  d'un  service  ou  d'un 
mandat  public.  » 

Comme  l'opinion  de  tout  le  monde  sur  un  tel  sujet  est  établie 
depuis  longtemps,  comme  on  sait  quels  arguments  peuvent  être 
apportés  par  les  défenseurs  et  par  les  adversaires  du  projet,  un  tel 
débat  ne  pouvait  avoir  qu'un  intérêt  littéraire. 

C'est  un  succès  de  littérateur  qu'a  remporté  M.  Deschanel. 
Le  jeune  député  a  dit  quelles  modifications  se  sont  opérées  dans 
les  mœurs  de  la  presse,  quelles  habitudes  de  scandale,  de  poissarderie 
ont  dans  certains  journaux  remplacé  les  vieilles  traditions  de  cour- 
toisie et  de  loyauté.  Il  a  reconnu  le  danger  des  jugements  portés  par 
les  jurés  qui  peuvent  apporter  une  passion  politique  dans  l'examen 
des  faits  qui  leur  sont  soumis. 

Mais,  si  le  jury  est  faillible,  le  tribunal  correctionnel  ne  subit-il 
pas  la  pression  du  gouvernement  ?  Tout  juge  attend  l'avancement 
et  les  récompenses.  De  bonne  foi,  il  défend  les  opinions  du  ministre 
qui  peut  lui  donner  ses  faveurs. 

Là  se  sont  bornés  les  arguments  de  M.  Deschanel  contre  le  projet. 
Puis,  l'orateur  a  élargi  le  débat. 

Il  a  indiqué,  comme  la  seule  solution  rationnelle,  la  réforme  de 
l'organisation  judiciaire.  Qu'on  fasse  en  France,  une  magistrature  de 
pays  libre  ! 

«  Mais  faire  une  loi  de  réaction  comme  celle  qui  est  proposée,  ce 
serait  traîner  la  République  dans  les  vieilles  ornières  du  césarisme 
et  pratiquer  la  tyrannie  sous  un  régime  de  liberté,  alors  que  sous 
des  régimes  de  tyrannie,  la  liberté  fut  pratiquée.  » 

C'est  avec  de  telles  phrases  que  M.  Deschanel  a  trouvé  le  moyen 

de  se  faire  applaudir  tour  à  tour  par  tous  les  groupes  do  la  Chambre. 

Et  il   a  terminé   en  disant  que  la  France  réclame  une  politique 

vraiment  nationale,  la  politique  de  Thiers,  de  Gambetta  et  de  Raoul 

Duval. 

M.  Deschanel  a  été  écouté  avec  autant  d'attention  qu'a  été  inter- 
rompu, bafoué,  raillé,  M.  Joseph  Reinach  qui  l'a  remplacé  à  la  tri- 
bune. 

M.  Reinach  a  commencé  par  déclarer  que  la  liberté  de  la  presse 
n'est  pas  enjeu.  On  s'est  diverti  à  cette  fantaisie.  Et  la  joie  n'a  plus 
eu  de  bornes  lorsque  l'orateur  a  rappelé  que  des  journaux  ont  traité 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  443 

M.  Floquet  de  «  Papavoine  »  et  les  miaistres  d'assassins,  de  voleurs 
et  de  proxénètes. 

Nouveanx  rires  lorsque  M.  Reinach  a  parlé  des*  feuilles  de  choux 
■de  province  »  insolentes  envers  les  fonctionnaires. 

En  deux  mots,  M.  Reinach  a  pensé  que  jamais  on  ne  donnera 
assez  de  prison  et  d'amende  aux  journalistes  qui  se  permettront  de 
dire  qu'il  n'est  pas  de  la  force  de  Cicéron.  Et  il  réclame  des  juges 
sévères  pour  appliquer  «  les  justes  lois  ». 

Quand  M.  Reinach  est  rentré  à  son  banc,  M.  Floquet  a  annoncé 
que  dix-sept  orateurs  étaient  encore  inscrits.  On  a  renvoyé  la  suite 
de  la  discussion  à  jeudi,  après  avoir  refusé  d'entendre  M.  de  Lacre- 
telle  et  également  de  clore  la  discussion  générale. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Rome  et  l'Italie. 

Les  difficultés  financières  dans  lesquelles  se  débat  la  munici- 
palité de  Rome,  pour  avoir  concouru  aveuglement  aux  travaux 
de  la  tranformation  de  la  Ville-Eternelle  en  capitale  moderne, 
menacent  d'aboutir  à  une  crise  aiguë.  D'une  part,  en  eâ"et^  la 
junte  communale  ne  sait  plus  comment  marcher  de  l'avant  et 
menace  même  de  donner  sa  démission,  embarrassée  qu'elle  est 
ponr  assurer  le  fonctionnement  des  services  publies.  D'autre 
part,  M.  Crispi,  qui  avait  promis  monts  et  merveilles  pour  venir 
en  aide  à  la  commune,  ne  fait  que  tergiverser  et  ne  peut  guère 
faire  autrement,  attendu  que  les  finances  de  l'Etat  auraient 
besoin  elles-mêmes  de  grande  assistance. 

En  attendant,  pour  jeter  de  la  poudre  aux  yeux  et  pour 
amortir  la  rumeur  du  mécontentement  général,  on  a  organisé  à 
Rome  toute  une  série  de  divertissements,  désignés  sous  le  nom 
de  «  fêtes  de  mai  »,  à  l'occasion  d'un  concours  national  de  tir  à 
la  cible,  auquel  sont  venus  prendre  part  les  délégués  des  comi- 
tés de  tir  de  la  province,  et  même  quelques   tireurs  étrangers. 

Mais  on  s'est  livré  à  ce  sujet  à  des  exagérations  outrecui- 
dantes et  comiques,  car  la  presse  libérale  représente  ce  concours 
de  tir  comme  «  un  événement  de  premier  ordre  »,  ce  qui  semble 
un  aveu  que  l'Italie  officielle  n'a  pas  encore  grand'chose  de 
brillant  à  son  actif.  D'autres,  par  exemple  le  Popolo  romano, 
consacrent  des  dithyrambes  aux  cent  tireurs  venus  de  France, 
comme  si  cela  pouvait  suffire  à  faire  oublier  l'acharnement  gal- 
lophobe  de  M.  Crispi  et  de  sa  politique. 


444  ANNALES    CATHOLIQUES 

Au  reste,  au  point  de  vue  de  la  crise  économique  dont  la 
ville  de  Rome  se  ressent  particulièrement  et  pour  l'atténuation 
de  laquelle  on  comptait  sur  les  fêtes  de  mai,  la  vérité  est  que 
les  étrangers  qui  devaient,  disait-on,  affluer  ne  viennent  point, 
et  que  le  menu  peuple  se  persuade  de  plus  en  plus  qu'il  faut  les 
fêtes  et  les  cérémonies  du  Vatican  pour  attirer  à  Rome  les 
grandes  foules  du  monde  entier. 


Le  Saint-Père  a  donné  ordre  à  son  auditeur,  Mgr  Boccali,  et  au 
secrétariat  de  la  congrégation  Consistoriale  de  préparer  les 
propositions  canoniques  pour  les  préconisations  épiscopales  à 
faire  dans  le  prochain  consistoire,  qui  aurait  lieu  en  juin.  Jus- 
qu'ici il  n'y  a  rien  de  décidé  pour  la  création  dans  ce  consistoire 
de  nouveaux  cardinaux. 


C'est  très  probablement  au  prochain  consistoire  que  sera  mo- 
difiée l'organisation  de  la  hiérarchie  dans  les  parties  des  Indes 
occidentales  oii  les  catholiques  anglais  sont  plus  nombreux  que 
les  catholiques  portugais. 

Le  siège  patriarcal  de  Goa,  institué  par  Léon  XIII  en  1886, 
lors  du  Concordat  stipulé  à  ce  sujet  avec  le  Portugal,  continuera 
de  subsister  ;  mais  le  nombre  des  évèchés  .suffragants,  avec 
prélats  portugais,  en  sera  diminué,  pour  rattacher  plusieurs  de 
ces  évêchés,  avec  nomination  de  titulaires  anglais,  à  la  hiérar- 
chie des  Indes  anglaises  proprement  dites.  Le  Saint-Siège  a  été 
saisi  de  nombreuses  pétitions  dans  ce  sens,  surtout  de  la  part  de 
r  Union  catholique  de  Bombay,  qui  a  adressé  en  même  temps  à 
Londres  l'exposé  des  raisons  pour  lesquelles  les  membres  de 
cette  union  demandent,  comme  catholiques  et  comme  sujets 
anglais,  à  être  placés  sous  la  juridiction  spirituelle  d'évêques 
de  leur  nationalité. 

De  son  côté,  le  gouvernement  britannique,  tout  en  traitant  à 
ce  sujet  avec  le  Portugal,  devra  en  faire  l'objet  de  nouvelles 
négociations  spéciales  avec  le  Saint-Siège.  C'est  à  cela  que  se 
rapporterait  notamment  la  mission  auprès  du  Vatican  confiée 
parle  gouvernement  anglais  à  M.  Dingli,  premier  juge  du  tri- 
bunal civil  de  Malte. 

D'ailleurs  la  continuité  de  rapports  réguliers  entre  la  Grande- 
Bretagne  et  le  Saint-Siège  devient  nécessaire  sous  le  rapport 


NOUVELLES    RELIGIEUtES  445 

aussi  de  l'application  pratique  de  certains  points  des  négocia- 
tions déjà  conclues,  lors  de  la  mission  Simmons,  par  exemple  la 
destination  à  des  œuvres  similaires  des  biens  d'anciennes  con- 
grégations religieuses  à  Malte  et  le  pacte  stipulé  de  ne  procéder 
dorénavant  à  la  nomination  de  l'Ordinaire  de  Malte  que  sur  la 
base  d'un  accord  préalable  entre  la  Couronne  britannique  et  le 
Saint-Siège. 

M.  Carbone,  l'avocat  de  la  Couronne  à  Malte,  qui  accompagna 
le  général  Simmons  à  Rome,  vient  d'être  nommé  par  Sa  Sain- 
teté Léon  XIII  commandeur  de  l'ordre  de  Saint-Grégoire-le- 
Grand. 

France. 

Clermont-Ferraisd.  —  La  fête  si  populaire  à  Clermont  de 
Notre-Dame-du-Port  a  été  célébrée  dimanche  avec  une  grande 
solennité. 

S.  Em.  le  cardinal-archevêque  de  Lyon,  NN.  SS.  les  évêques 
de  Valence  et  de  Verdun,  et  Mgr  Dufal,  évêque  titulaire  de 
Delcon,  avaient  répondu  à  l'appel  de  Mgr  Boyer.  Seul  Mgr  Gri- 
mardias,  évêque  de  Cahors,  n'avait  pu  se  rendre  à  Clermont 
pour  raison  de  santé. 

La  basilique  de  Notre-Dame-du-Port  était  admirablement 
ornée  et  décorée. 

Au  dehors,  les  rues,  les  places  et  les  boulevards  présentaient 
le  plus  charmant  spectacle. 

La  place  Delille  surtout  était  remarquable  par  sa  décoration. 

La  messe  pontificale  a  été  célébrée  à  neuf  heures,  dans  la 
basilique  de  Notre-Dame-du-Port.  L'église  était  absolument 
comble. 

Mais  soudain,  dit  la  Dépêche  du  Puy-de-Dôme,  les  cloches  sonnent 
à  toutes  volées.  L'heure  de  la  procession  approche. 

Bien  avant  onze  heures,  toutes  les  personnes  qui  doivent  y  prendre 
part  sont  à  leur  poste,  puis  à  l'heure  dite  la  procession  commence  à 
se  dérouler  en  longues  files. 

La  foule  qui  s'est  massée  sur  son  parcours  lui  fait  une  triple  et 
quadruple  haie.  Son  attitude  respectueuse  ne  se  dément  pas  un 
instant.  Tous  les  fronts  s'inclinent  devant  la  statue  de  Notre-Dame- 
du-Port  et  sous  la  bénédiction  des  évêques. 

Des  chœurs  de  jeunes  filles  —  la  Providence  en  tête  —  et  ceux  des 
jeunes  gens  de  toutes  les  paroisses  font  entendre  des  cantiques, 
alternant  avec  les  musiques  de  la  conférence  Saint-Austremoine  et 
du  pensionnat  des  Frères. 


446  ANNALES    CATHOLIQUES 

A  UQ  moment  donné,  de  la  place  Michel-l'Hospital  à  la  place  de 
Jaude  et  à  la  rue  Saint-Hérem,  la  ville  semble  comme  entourée  d'une 
magnifique  ceinture  faite  de  toute»  ces  toilettes  aux  couleurs  tendres, 
où  dominent  le  bleu  et  le  blanc... 

C'est  à  1  heure  que  les  prélats  arrivent  sur  la  place  Delillo. 

Non  seulement  les  abords  de  l'estrade  sont  littéralement  envahis 
par  la  foule,  mais  les  rues  avoisinantes  regorgent  de  monde. 

Sur  cette  estrade,  au  milieu  des  fleurs  et  de  la  verdure,  prennent 
place  NN.  SS.  les  évêques  de  Valence,  Verdun,  Delcon  et  Clermont, 
entourant  comme  d'une  brillante  couronne  Son  Erainence  le  cardinal 
Foulon. 

A  toutes  les  fenêtres  et  à  tous  les  balcons  d'alentour,  décorés  avec 
un  goût  parfait,  sont  comme  suspendues  de  véritables  grappes  hu- 
maines. 

Mgr  Cotton,  évoque  de  Valence,  prend  la  parole. 

En  dépit  de  ce  mouvement  de  houlo  qui  se  produit  toujours  dans 
les  grandes  assemblées,  l'éloquent  évêque,  d'une  voix  forte  et  vibrante, 
pai'vient  à  dominer  le  bruit  de  la  foule. 

S'inspirant  du  cri  des  croisades  :  *  Dieu  le  veut!  Dieu  le  veut!  », 
poussé  en  1095  sur  cette  même  place,  Mgr  Cotton  passe  comme  en 
revue  tout  ce  que  l'Eglise  veut  pour  les  âmes  et  pour  la  France. 

Dans  un  élan  de  patriotique  éloquence,  Mgr  de  Valence  s'est  écrié  : 
«  Nous  la  voulons  tous  prospère,  cette  Franco  que  nous  aimons  tant  !  » 

Sous  le  souffle  de  cette  parole  entraînante,  la  foule  s'est  sentie 
véritablement  émue,  et  nous  avons  même  vu  quelques  personnes 
applaudir.  *" 

Après  cette  chaleureuse  allocution,  voici  venir  le  moment  de  la 
bénédiction  papale. 

L'instant  est  solennel.  Tous  les  fronts  se  découvrent  et  se  cour- 
bent. 

Son  Eminenco  et  NN.  SS.  les  évêques,  mitre  en  tête,  crosse  en 
main,  bénissent  la  foule... 

Aux  vêpres,  dites  le  soir  à  la  cathédrale,  ce  n'était  pas  une  aftluenee, 
mais  un  véritable  tassement. 

Mais  bientôt  un  silence  solennel,  et  d'autant  plus  admirable  que  la 
foule  est  immense,  plane  sur  l'auditoire. 

Le  vaillant  évêquo  do  Verdun  monte  on  chaire. 

Mgr  Pagis,  de  taille  moyenne,  à  la  figure  ouverte  et  sympathique, 
est  un  orateur  de  premier  ordre. 

Doué  d'un  puissant  organe,  ayant  la  voix  claire  et  bien  timbrée, 
il  est  de  la  race  de  ceux  qui  dominent  les  grandes  assemblées. 

Aussi  l'ardent  panégyriste  de  Jeanne  d'Arc  a-t-il  pu  parler  pen- 
dant plus  d'une  heure  sans  aucun  signe  de  fatigue  et  sans  que  l'ad- 
miration de  ses  auditeurs  pour  son  grand  talent  se  soit  jamais 
ralentie. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  447 

Après  avoir  adressé  à  Son  Eminenee  et  à  NN.  SS.  les  évêques  l'ex- 
pression de  sa  gratitude  et  de  sa  vive  reconnaissance,  Mgr  Pagis  a 
consacré  la  première  partie  de  son  magnifique  discours  â  la  grande 
manifestation  de  la  journée,  rappelant  combien  il  est  cher  aux  fils  de 
l'Auvergne  —  dont  il  fait  partie  —  le  culte  séculaire  de  Notre-Dame- 
du-Port. 

Puis,  dans  la  seconde  partie,  il  a  parlé  de  Jeanne  d'Arc  —  ce 
symbole  de  la  foi  et  du  patriotisme  —  du  prestige  sur  les  masses  de 
ce  nom  de  plus  en  plus  populaire;  de  cette  héroïne  inspirée  de  Dieu 
<iui,  après  avoir  accompli  sa  mission,  finit  par  le  martyre;  enfin  du 
monument  national  à  élever  à  sa  mémoire... 

La  péroraison  a  été  toute  vibrante  de  patriotisme,  et  on  peut  dire 
que  le  succès  du  vaillant  évoque  a  été  des  plus  vifs. 

Mgr  Boyer,  en  quelques  paroles  aô'ectueuses,  a  remercié  Son  Emi- 
nenee et  NN.  SS.  les  évêques,  puis  Sa  Grandeur  a  chaleureusement 
plaidé  la  cause  de  Jeanne  d'Arc,  prenant  l'engagement  de  fournir 
répée  de  la  future  statue. 

La  quête  a  été  faite  par  Mgr  Pagis  et  Mgr  Boyer. 

Puis  le  salut  a  commencé... 

Le  soir,  il  y  avait  foule  dans  les  rues  du  quartier  du  Port  pour 
admirer  les  illuminations. 

Favorisées  par  un  temps  superbe,  elles  ont  été  d'un  éclat  excep- 
tionnel. 

Ces  magnifiques  illuminations  ont  été  la  dernière  manifestation  de 
cette  journée,  qui  a  été,  du  commencement  à  la  fin,  un  consolant 
témoignage  de  l'attachement  inviolable  de  notre  pays  à  Notre  Dame- 
du-Port,  qui  a  enrichi  d'un  nouveau  fleuron  la  couronne  des  tradi- 
tions pieuses  de  notre  pays  et  qui  figurera  avec  honneur  dans  les 
fastes  de  notre  basilique. 

Saint-Dié.  —  Le  jour  de  l'Ascension,  Mgr  Sonnois  a  fait  sa 
première  visite  àDomremy.  D'une  lettre  adressée  à  V Espérance, 
de  Nancy,  et  qui  raconte  la  touchante  réception  du  nouvel 
évêque  de  Saint-Dié  dans  le  lieu  de  naissance  de  Jeanne  d'Arc, 
nous  détachons  le  passage  suivant: 

Après  la  messe,  Monseigneur,  dans  une  allocution  d'une  éloquence 
simple  et  pénétrante,  nous  montre  le  double  caractère  de  la  mission 
de  Jeanne  d'Arc,  à  la  fois  patriotique  et  religieux  :  «  Les  catholiques 
doivent  y  voir  pour  le  passé  comme  pour  l'avenir  l'application  de 
l'adage  :  Gesta  Dei  per  Francos.  Jeanne  a  sauvé  physiquement  la 
France,  elle  la  sauvera  encore,  et  le  réveil  providentiel  qui  s'opère 
sur  son  nom  dans  toute  l'étendue  de  la  France  en  est  le  sûr  garant. 
Aussi  est-ce  à  cause  de  cette  intention  manifeste  du  ciel  que  Monsei- 
gneur s'est  cru  dans  l'obligation  d'accepter  la  direction  de  l'église  de 


448  ANNALES    CATHOLIQDKS 

Saiiit-Dié  et  les  charges  d'évêque  de  Jeanne  d'Arc,  auxquelles  il  veut 
désormais  consacrer  sa  vie.  » 

Après  la  messe,  visite  à  la  maison  de  l'héroïne,  puis  à  onze  heures 
excursion  en  voiture  au  monument  commencé  sur  les  pentes  du  Bois 
Chesnu  par  Mgr  de  Briey.  M,  le  vicaire  général,  M.  le  curé  de  Neuf- 
château,  et  parmi  les  laïques  MM.  Bouloumié  et  Pierre  Buffet,  Paul 
Sédille,  architecte  de  la  basilique,  et  Michaux,  directeur  des  travaux, 
accompagnaient  Monseigneur,  qui  se  rendit  un  compte  minutieux  de 
l'état  actuel  de  la  construction,  parfaitement  conservée.  Sa  Grandeur 
revint  ravie  de  l'incomparable  panorama  qui  se  déroulait  à  ses  re- 
gards et  des  souvenirs  merveilleux  de  ce  pèlerinage  aux  lieux  que 
daignèrent  visiter  les  anges. 

Aux  vêpres,  Monseigneur  rendit  compte  de  ses  impressions  et 
.affirma  son  dévouement  à  la  continuation  da  cette  œuvre,  qui  inté- 
resse au  plus  haut  point,  à  cause  de  son  caractère  spécial,  tous  les 
catholiques  de  France  et  du  monde  entier. 

Au  sortir  de  l'église,  il  lui  fallut  traverser  une  foule  compacte, 
accourue  des  pays  voisins,  et  de  la  maison  de  cure  à  l'église  et  au 
pont  son  départ  fut  un  vrai  triomphe,  au  milieu  de  cette  multitude 
silencieuse,  recueillie  et  courbée  sous  la  bénédiction  épiscopale. 

En  somme,  belle  journée,  heureux  présage  et  doux  souvenirs  aux 
cœurs  de  tous. 

P. -S.  —  Nous  apprenons  au  dernier  moment  que  Mgr  Sonnois  a 
résolu  d'organiser  un  grand  pèlerinage  à  Domremy,  dont  la  date 
serait  fixée  au  22  juillet  prochain. 

Le  même  correspondant  rapporte  le  mot  suivant  de  Mgr  l'évê- 
que  de  Saint-Dié. 

Quelques  prêtres  du  diocèse  de  Verdun  étant  venus  le  saluer 
à  son  départ,  Mgr  Sonnois  leur  dit  avec  un  fin  sourire  :  «  Re- 
merciez Mgr  Pagis  de  nous  avoir  réveillés.  » 

Le  mot  est  charmant  et  on  ne  peut  plus  heureux.  La  croisade 
si  vaillamment  menée  par  Mgr  l'évêque  de  Verdun  pour  la  glo- 
rification de  Jeanne  d'Arc  par  un  monument  à  Vaucouleurs 
aura  un  bon  efi'et  pour  le  monument  que  veut  et  doit  avoir  Dom- 
remy en  l'honneur  de  son  illustre  fille.  Une  sainte  émulation  de 
zèle  d'une  part  et  de  charité  de  l'autre,  assurera  le  succès  des 
deux  œuvres  sœurs. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 


Paris.  Imp,  G.  Picquoin,  53,  rne  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


NOUVEAUX  MENSONGES  DU  SPIRITISME 
(Suite.  —  Voir  le  numéro  précédent. y 

Une  autre  ruse  très  dangereuse  dont  Coreni  se  sert  pour 
attraper  les  simples,  c'est  d'affirmer  que  «  l'Eglise  catholique  a 
toujours  conservé  des  relations  continues  avec  le  monde  des 
esprits,  tant  dans  ses  prières  rituelles  que  dans  l'administration 
des  sacrements.  >  Il  ajoute  que  les  saints  et  d'autres  personnages 
de  toute  condition,  même  des  païens,  ont  joui  de  fait  de  commu- 
nications d'outre-tombe.  Il  en  conclut  qu'il  est  donc  permis  à 
tout  fidèle  chrétien  d'évoquer  les  esprits  et  de  les  consulter. 
Conclusion  fausse,  s'il  en  est!  L'Eglise  invoque,  il  est  vrai,  les 
anges  et  les  saints,  et  prie  pour  les  défunts,  mais  elle  fulmine 
l'anathème  contre  le  commerce  avec  les  esprits  infernaux  qu'elle 
appelle  sorcellerie.  Elle  loue  les  extases,  les  visions,  les  révé- 
lations dont  sont  parfois  favorisés  les  saints  sur  la  terre  ;  elle 
admire  les  fidèles  qui  en  ont  de  vraies  (en  se  réservant  à  elle- 
même  d'en  juger  ;  mais  elle  conseille  à  tous  les  chrétiens  de  ne 
point  désirer  de  dons  extraordinaires  ;  elle  condamne  comme  un 
péché  la  prétention  d'établir  un  système  de  correspondance 
active  et  passive  avec  les  êtres  de  l'autre  vie,  avec  les  bienheu- 
reux, avec  la  Vierge,  avec  Jésus-Christ.  Cette  prétention  res- 
semblerait à  celle  d'opérer  des  miracles  sans  inspiration  divine. 
En  particulier,  l'Eglise,  se  fondant  sur  la  défense  formelle  qu'en 
fait  l'Esprit-Saint  dans  l'Ecriture  Sainte  (I),  défend  elle-même, 
comme  superstition  et  comme  erreur  hérétique,  l'évocation  des 
-âmes  des  défunts  et  l'action  d^en  recevoir  des  réponses  (2). 

Cela  est  tellement  clair  que  Coreni  en  convient  lui-même. 
<  L'Eglise  les  repoussait  (les  spirites)  en  condamnant  à  priori 
toute  gradation  de  spiritisme.  »  De  fait,  l'évocation  des  morts  et 
le  commerce  avec  eux,  condamnés  par  l'Eglise,  constituent  la 

(1)  Non  inveniatur  in  te  qui...  quœrat  a  mortuis  veritatem. 
Omnia  hœc  abominatur  Dominus,  etc.  Deut.  xviii,  10  sqq.  On  y 
voit  les  menaces  d'extermination  contre  les  peuples  adonnés  à  ces 
«uperstitions. 

(2)  Décret  de  la  S.  Inquisition  Universelle  de  Rome,  4  août  1856. 
Et,  qu'on  le  remarque  bien,  cette  Congrégation  s'assemble  au  Vati- 
can ;  elle  a  pour  préfet  non  un  cardinal,  mais  bien  le  Vicaire  de  Jésus- 
Christ  en  personne. 

Lxxii  —  31  Mai  1890  33 


450  ANNALES    CATHOLIQUES 

partie  essentielle  du  spiritisme  ;  c'est  en  cela  précisément  que- 
consiste  le  spiritisme  moderne.  Au  reste,  les  idées  et  les  prati- 
ques spirites  seraient,  pour  plus  d'une  raison,  impfes  et  illicites, 
quand  elles  ne  seraient  pas  expressément  défendues  par  l'Eglise. 
L'arianisme,  le  pélagianisme,  le  luthéranisme,  le  jansénisme  ne 
devinrent  pas  hérésies  parce  qu'ils  furent  condamnés,  mais  ils 
furent  condamnés  parce  qu'ils  étaient  hérésies. 

Comment  donc  un  chrétien  pourrait-il  devenir  spirite?  Coreni 
oppose  à  l'Eglise  l'autorité  de  Curci,  de  Passaglia,  du  cardinal 
Wiseman,  du  docteur  en  théologie  Ponsati,  de  Pierre-Antoine 
Corte,  professeur  de  théologie  à  l'Université  de  Turin,  lequel, 
en  pleine  séance  spirite,  évoqua  l'esprit  d'Antoine  Rosmini. 
Nous  répondons  avec  assurance  que,  en  supposant  que  ces 
personnages  aient  favorisé  le  spiritisme  moderne  et  ses  évoca- 
tions, comme  le  dit  Coreni,  ce  seraient  simplement  des  aveugles 
guidant  d'autres  aveugles,  des  rebelles  à  l'Eglise  conduisant 
d'autres  rebelles.  Mais  nous  sommes  à  cent  lieues  de  croire  ce 
que  Coreni  en  dit,  peut-être  dans  la  bonne  foi. 

Quant  au  prêtre  Curci,  en  particulier,  dont  la  presse  exploite 
les  paroles,  faisons  observer  qu'il  nie  un  peu  facilement  l'exis- 
tence d'une  prohibition  formelle  de  l'Eglise  contre  le  spiritisme. 
Nous  l'avons  citée  plus  haut  (voir  la  note  2)  et  Coreni  la  re- 
connaît. D'ailleurs,  Curci  n'approuve  pas  les  évocations  des 
morts  à  la  façon  spirite,  mais,  bien  qu'en  usant  d'une  expression 
malheureuse,  il  parle  d'un  spiritisme  dans  le  sens  large,  ou, 
comme  il  s'exprime  lui-même  du  spiritisme  de  bon  aloi.  Il  cite 
comme  exemples  les  apparitions  bibliques  des  anges  et  des  tré- 
passés, l'assistance  des  anges  gardiens,  etc.  Dans  le  spiritisme 
moderne,  dit-il,  il  n'y  a  rien  de  nouveau,  que  le  mode  d'opéra- 
tion, c'est  sur  ce  mode  que  doit  porter  le  jugement  de  l'Eglise. 

En  attendant,  les  fidèles  jugeront,  avec  le  sens  commun  et 
avec  l'Evangile,  des  effets  qu'ils  auront  ressentis  des  nouvelles 
pratiques.  (Or,  nous  disons,  nous,  que  les  fruits  du  spiritisme 
sont  l'apostasie  de  la  foi,  et  beaucoup  d'autres  maux  qu'il  serait 
trop  long  d'énumérer.)  Curci  ne  cherche  en  tout  cela  qu'à  répri- 
mer l'audace  des  matérialistes  qui  tiennent  pour  fausses  «  toutes 
les  apparitions  >  et  il  conclut  avec  une  évidente  raison  :  «  Avec 
e  spiritisme  de  n'imjjorte  quelle  nature,  on  peut  donc  pré- 
senter à  la  société  moderne  un  solennel  et  péremptoire  démenti 
à  l'abject  matérialisme.  >  Telles  sont  les  idées  de  Curci,  dans 
une  note  ajoutée  à  la  2*  édition  de  ses  Leçons  eocégétiques  sur 


NOUVEAUX    MENSONGES    DU    SPIRITISME  451 

ies  quatre  Evangiles,  vol.  2%  p.  55.  Coreni  les  cite  à  la  lettre^ 
mais  il  les  exagère  et  les  entend  à  sa  manière. 

Nous  n'avons  ni  le  loisir  ni  le  goût  de  suivre  Coreni  dans  son 
dédale  d'erreurs,  et  beaucoup  moins  encore  de  soumettre  à 
l'examen  les  étranges  sornettes  qu'il  rapporte  comme  dictées 
par  messieurs  les  Esprits,  dans  les  synagogues  spirites.  Il  fau- 
drait les  réfuter  toutes  l'une  après  l'autre.  Nous  ne  faisons  pas 
même  grâce  à  Antoine  Rosmini,  dont  l'esprit  prétendu  se  déli- 
cote  comme  un  impie  et  un  fou,  de  telle  façon  que  son  véritable 
esprit,  ou,  pour  parler  exactement,  son  âme  devrait  en  être 
joliment  honteuse,  tout  en  habitant  le  ciel.  Pensez  donc  !  On 
lui  fait  répondre  à  un  professeur  qui  demande  la  manière  de 
réfuter  le  matérialisme  de  Moleschott  :  «  Le  Verbe  éternel  s'est 
brisé  dans  sa  partie  corporelle  dans  le  choc  avec  la  négation 
du  Verbe  lui-même...  La  théorie  en  apparence  matérialiste,  ne 
l'est  pas  en  substance...  Surtout,  je  vous  recommande  de  ne 
pas  combattre  Moleschott,  Biichner,  Darwin,  etc.,  mais  dédire 
la  vérité.  » 

Quant  à  nous,  nous  recommandons  au  contraire  à  qui  con- 
serve encore  un  peu  de  bon  sens,  de  ne  pas  se  laisser  halluciner 
par  la  dévotion  dont  Coreni  fait  ostentation  dans  les  prières 
pour  les  séances  spiritiques,  ni  par  sa  manie  d'inculquer  sans 
cesse  la  bonne  foi,  la  piété,  les  saintes  pratiques,  la  charité. 
Qu'on  se  garde  encore  plus  de  boire  à  l'aveuglette  le  venin  des 
tendresses  spirituelles  que  Coreni  débite  comme  exhortations 
des  Esprits  parlants.  On  sait  que  dé  tous  temps  les  sorciers  ont 
l'habitude  de  mêler  le  profane  avec  le  sacré  et  d'affubler  l'im- 
piété d'un  faux  semblant  de  piété,  Allan  Kardec,  le  suprême 
hiérophante  de  la  spii-iterie  consacre  un  livre  entier  à  ces  fades 
douceurs  qu'il  prétend  être  révélées  des  Esprits;  mais  il  con- 
fesse du  reste  que  dans  les  séances  spirites  il  peut  très  bien  se 
présenter  «  un  esprit  adroit,  rusé  et  profondément  hypocrite, 
car  il  ne  peut  donner  le  change  et  se  faire  accepter  qu'à  l'aide 
du  masque  qu'il  sait  prendre  et  d'un  faux  semblant  de  vertu; 
les  grands  mots  de  charité,  d'humilité  et  d'amour  de  Dieu  sont 
pour  lui  comme  des  lettres  de  créance,  »  Il  peut  nous  arriver 
«  certains  esprits  hypocrites  qui  insinuent  avec  habileté  et  avec 
une  perfidie  calculée  des  faits  controuvés,  des  assertions  men- 
songères, afin  de  duper  la  bonne  foi  de  leurs  auditeurs.  » 

Il  est  bon  que  les  chrétiens,  simples  et  sans  précaution, 
sachent  aussi  que,  dans  les  séances  spirites,   surtout  dans  les 


452  ANNALES    CATHOLIQUES 

plus  secrètes,  aux  Esprits  prétendument  ascétiques  et  parfois 
hypocrites  (corame  l'avoue  Kardec)  se  mêle  une  race  d'Esprits 
qui  ne  sont  rien  moins  qu'hypocrites  et  qui  étalent  sans  réserve 
leur  impudence.  Coreni  ne  le  dit  pas,  mais  les  autres  spirites 
nous  l'enseignent  et  parmi  eux  Allan  Kardec.  Voici  son  témoi- 
gnage :  «  Il  y  a  certaines  communications  grossières.  Elles 
répugnent  à  toute  personne  qui  a  la  moindre  délicatesse  de  sen- 
timents; car  elles  sont,  selon  le  caractère  des  Esprits,  triviales,, 
orduriéres,  obscènes,  insolentes,  arrogantes,  malveillantes  et 
même  impies.  > 

{Courrier  de  Bruxelles.)  J.  M. 


LA  TROISIEME   BEATITUDE  EVANGELIQUE 

COMMENTÉE  ET  APPLIQUÉE  AU  PRÊTRE 

Beati  qui  lugent,  quoniam  ipsi  consolabuntur . 

On  ne  comprend  jamais  assez  bien  quel  abîme  profond  sépare 
le  chrétien  du  mondain  que  lorsqu'on  met  en  i^egard  les 
maximes  chrétiennes  des  maximes  mondaines. 

Bienheureux  ceux  qui  pleurent!  Quel  étrange  rapproche- 
ment d'expressions.  Eh  quoi  !  Seigneur,  vous  dites  :  «  Bien- 
heureux ceux  dont  la  vie  s'écoule  dans  les  larmes  !  »  Mais  le 
bonheur  ne  consistetil  pas  à  rire,  à  s'égayer,  à  ne  quitter  un 
plaisir  que  pour  en  goûter  un  autre?  Bienheureux  ceux  qui 
pleurent!  C'est  une  justice  à  rendre  à  Notre-Seigneur  qu'il  n'a 
jamais  altéré  la  pureté  de  sa  doctrine  pour  en  atténuer  la  sévé- 
rité. Lorsqu'un  de  nous  veut  grouper  autour  de  lui  ses  conci- 
toyens pour  une  entreprise,  il  a  recours  à  toutes  les  finesses  et 
à  toutes  les  habiletés  du  langage  pour  leur  en  dissimuler  les 
dangers;  comme  aussi  à  toutes  les  promesses  de  la  fortune  pour 
achever  de  les  séduire.  La  sincérité  de  Notre-Seigneur  est 
unique.  Pour  entrer  dans  mon  royaume,  nous  dit-il,  c  il  faut 
s'engager  dans  un  sentier  étroit,  montueui,  couvert  de  ronces 
et  d'épines;  il  faut  se  faire  violence,  se  couper  même  un 
membre,  si  ce  membre  est  une  occasion  de  p'^ché  ;  quitter  son 
père,  sa  mère,  ne  pas  même  les  ensevelir.  »  Laisse-là  ta  barque 
et  tes  filets,  dit-il  à  Pierre,  et  suis-moi  ;  abandonne  ton  or  et 
tes  comptoirs,  dit-il  à  Matthieu,  si  tu  veux  vivre  avec  moi;  je 
n'aurai  pas  même  une  pierre  à  vous  donner  pour  reposer  votre 
tête;  un  coin  pour  vous  abriter;  à  plus   forte  raison  ne  puis-je 


TROISIÈME    BiÉATITUDE   ÉVANGÉLIQUE  453 

VOUS  promettre  des  places  avantageuses;  ce  que  je  vous  offre, 
c'est  un  breuvage  amer  qu'il  faudra  boire  jusqu'à  la  lie.  L'es- 
prit de  pénitence  et  de  mortification,  de  sacrifice,  doit  faire  le 
fond  de  votre  vie.  Ceux-là  seuls  seront  consolés  dans  le  ciel, 
qui  auront  pleuré  ici-bas.  Etudions  la  nature  de  ces  pleurs  et 
le  genre  de  consolation  que  Notre-Seigneur  leur  réserve. 


Les  pleurs  auxquels  Notre-Seigneur  fait  allusion  ne  sont  pas 
ceux  que  nous  versons  chaque  fois  qu'un  malheur  nous  arrive. 
Ces  pleurs  sont  les  suites  du  péché  originel  et  Dieu  lui-même 
ne  peut  pas  en  arrêter  le  cours.  Il  a  lui-même  décidé  que  la 
femme  n'enfanterait  plus  que  dans  la  douleur  ;  que  l'homme 
serait  contraint  d'arracher  à  une  terre  aride  et  maudite  la  nour- 
riture de  chaque  jour;  que  le  paradis  terrestre  serait  changé 
en  une  vallée  de  larmes  ;  que  la  mer  serait  peuplée  d'écueils  et 
féconde  en  naufrages  ;  que  notre  vie  serait  un  combat  de  chaque 
jour,  une  mort  continuelle,  quotidie  moyior,  comme  dit  saint 
Paul.  Aussi  chaque  jour  s'avance-t-il  avec  un  cortège  nouveau 
de  déceptions  et  de  misères  ;  et  nous  pourrions  les  maudire  tous 
comme  Job  a  maudit  celui  de  sa  naissance.  Notre-Seigneur  lui- 
même  n'a  pas  échappé  à  ces  misères.  Dieu  accorde  à  nos  prières 
et  à  notre  soumission  la  force  et  la  résignation  qui  nous  aident 
à  supporter  nos  peines,  et  en  adoucissent  quelquefois  l'amer- 
tume ;  mais  il  ne  fera  jamais  que  cette  terre  ne  soit  pas  tou- 
jours une  vallée  de  larmes.  Lorsque  Job  eut  appris  sa  ruine, 
il  eut  la  force  de  s'écrier  :  «  Dieu  me  l'a  donné,  il  me  l'a  ôté  ; 
qu'il  soit  fait  selon  son  bon  plaisir,  que  son  saint  nom  soit 
béni!  »  mais  il  n'en  déchira  pas  moins  ses  vêtements,  coupa  ses 
cheveux  et  s'abattit  la  face  contre  terre,  comme  un  homme  pro- 
fondément affligé.  Ces  pleurs-là,  jamais  Dieu  ne  les  séchera 
sur  cette  terre.  Ceux  auxquels  il  promet  ses  consolations  ce 
sont  ceux  qui  pleurent  leurs  péchés.  Avez-vous  fait  cette  re- 
marque que  la  première  parole  que  Dieu  ait  fait  entendre  au 
moment  oii  Notre-Seigneur  allait  commencer  sa  prédication,  est 
celle-ci  : 

«  Faites  pénitence  !  »  Ce  fut  Jean,  fils  de  Zacharie,  son  pré- 
curseur qui  la  prononça.  «  Faites  pénitence  !  »  s'écriait-il,  dans 
toute  la  région  du  Jourdain,  prêchant  le  baptême  pour  la  rémis- 
sion des  péchés.  Faites  pénitence  !  Et  il  le  criait  d'une  voix 
puissante,  afin  de  se  faire  entendre  de  tous  les  enfants  d'Israël, 


454  ANNALES    CATHOLIQUES 

et  de  secouer  leur  torpeur  et  leur  insensibilité  aux  avertisse- 
ments des  prophètes.  Non  content  de  prêcher  la  pénitence  par 
sa  parole,  il  la  prêchait  dans  sa  vie.  Il  n'avait  d'autre  vêtement 
qu'une  étoffe  grossière,  retenue  par  une  ceinture  de  cuir;  sa 
nourriture  était  celle  des  pauvres  et  jamais  une  liqueur  eni- 
vrante n'avait  effleuré  ses  lèvres.  L'apparition  de  ce  prophète 
produisit  sur  les  Juifs  une  profonde  impression.  Son  extérieur 
étranc^e,  l'austérité  de  sa  vie,  son  éloquence  entraînante,  les 
espérances  qu'éveillaient  dans  les  cœurs  l'annonce  du  Messie, 
les  firent  sortir  de  leur  engourdissement.  Ils  vinrent  tous  de 
Jérusalem,  de  la  Judée  et  des  contrées  voisines  du  Jourdain 
pour  lui  confesser  leurs  péchés  et  recevoir  le  baptême.  Les  pre- 
miers qui  s'approchèrent  furent  des  Pharisiens  et  des  Saddu- 
céens.  Il  n'ignorait  pas  que  ces  hypocrites  ne  se  présentaient  au 
baptême  que  pour  se  rendre  recommandables  au  peuple.  Aussi, 
loin  de  les  flatter,  il  leur  arrache  sans  ménagement  le  masque 
d'hypocrisie  dont  ils  se  couvraient.  «  Race  de  vipères,  s'écrie- 
t-il,  race  pleine  de  méchanceté  et  de  malice,  habiles  à  dresser 
des  embûches  et  àrépandj-e  le  poison,  lorsque  vous  vous  croyez 
les  plus  forts,  n'espérez  pas  échapper  à  la  vengeance  divine;  ne 
dites  pas  que  vous  avez  Abraham  pour  père  et  que  par  consé- 
quent vous  n'avez  rien  à  craindre...  et  désignant  du  doigt  les 
pierres  qui  tapissaient  le  lit  du  Jourdain  «  de  ces  pierres,  si 
Dieu  le  voulait,  il  pourrait  susciter  des  enfants  d  Abraham;  ne 
vous  rassurez  donc  pas  à  cause  de  vos  ancêtres,  comme  si  votre 
descendance  seule  pouvait  vous  sauver  malgré  la  corruption  de 
votre  cœur.  Prenez  garde  qu'à  cause  de  votre  indignité,  Dieu 
n'appelle  à  votre  place  les  nations  idolâtres  pour  en  faire  par  la 
fois  de  véritables  enfants  d'Abraham  et  les  rendre  héritiers  des 
bénédictions  promises  à  ce  patriarche.  Malheur  à  vous!  si  vous 
ne  faites  pas  de  dignes  fruits  de  pénitence.  Déjà  la  cognée  est  à 
la  racine  de  l'arbre,  prête  à  frapper  le  dernier  coup.  Jusqu'ici 
Dieu  n'a  coupé  que  quelques  branches,  que  quelques  tribus 
isolées  du  peuple  d'Israël,  le  tronc  de  l'arbre  a  été  épargné; 
maintenant  la  cognée  est  à  la  racine.  La  synagogue  entière  est 
menacée  d'une  ruine  prochaine.  La  justice  de  Dieu  va  s'appe- 
santir sur  vous  inexorable  et  terrible,  si  vous  repoussez  le  salut. 
Hâtez-vous,  car  tout  arbre  qui  ne  portera  pas  de  bons  fruits  sera 
coupé  et  jeté  au  feu.  Notre-Seigneur  devait  se  servir  de  ces 
mêmes  expressions  le  jour  où  il  réprimande  sévèrement  les 
Pharisiens  lorsqu'ils  viennent  lui  raconter  le  massacre  des  Gali- 


TROISIÈME    BÉATITUDE   ÉVANGÉLIQUE  455 

.  léens  parPilate.  «Un  homme,  leur  dit-il,  avait  planté  un  figuier 
dans  sa  vigne.  »  Ce  figuier  c'est  l'image  du  prêtre  associé  au 
sacerdoce  de  Jésus-Christ  ;  c'est  pour  cela  qu'il  l'arrose  de 
grâces  plus  abondantes,  qu'il  le  prémunit  davantage  contre  les 
scandales  et  les  corruptions  du  monde,  qu'il  le  cultive  avec  plus 
de  soin.  Or,  cet  homme  étant  venu  chercher  des  fruits  sur  ce 
figuier  n'en  trouva  point.  Que  chacun  de  nous  s'interroge.  Où 
sont  les  fruits  des  vertus  que  Dieu  est  en  droit  d'attendre  de 
moi?  Où  sont  mes  bonnes  œuvres?  Vœ  etiam  laudahili  homi- 
num  vitce,  si  remota  misericordia  discutiat  eam  Dominus  ! 
s'écriait  saint  Augustin. 

Alors  il  dit  à  celui  qui  cultivait  la  vigne  :  «  Voilà  trois  ans 
que  je  viens  chercher  des  fruits  sur  ce  figuier  et  je  n'en  trouve 
point;  coupez-le  donc;  à  quoi  bon  occuper  ainsi  la  terre?  »  Ce 
sont,  en  efî"et,  des  fruits  que  Dieu  nous  demande,  et  non  des 
désirs  stériles,  de  vaines  promesses  qui  ne  se  réalisent  jamais. 
Or,  que  de  bien  chacun  de  nous  aurait  pu  faire  et  qu'il  n'a  pas 
fait;  que  de  mérites  il  aurait  pu  acquérir  et  qu'il  n'a  pas  acquis, 
dans  le  cours  d'une  année  !  Que  d'années  il  a  inutilement  em- 
ployées, qu'il  a  perdues,  qui  peut-être  n'ont  servi  qu'à  lui  amas- 
ser des  trésors  de  colère  pour  l'enfer  !  Hâtons-nous  de  nous 
convertir.  Déjà  la  main  vengeresse  de  Dieu  est  suspendue  sur 
nos  têtes  :  celui  qui  ne  sait  pas  employer  la  vie  que  Dieu  lui 
donne  mérite-t-il  de  vivre?  Ne  se  nuit-il  pas  à  lui-même?  Ne 
nuit-il  pas  aux  autres  par  les  mauvais  exemples  qu'il  leur 
donne?  Comme  le  figuier  stérile  qui  occupe  inutilement  la  terre, 
qui  prend  la  place  d'un  arbre  utile  et  qui  enlève  ainsi  aux  arbres 
voisins  la  nourriture  dont  ils  ont  besoin  :  «  Eia,  arbor  infruc- 

tuosa,  s'écrie  saint  Augustin veniet  ad  judicium  Dominus 

et  amputaheris  »  C'est  au  prêtre,  plus  encore  qu'au  simple 
fidèle,  que  s'appliquent  ces  paroles  de  saint  Jean-Baptiste  et  de 
Notre-Seigneur  :  «  Faites  pénitence  »,  parce  que  le  prêtre,  à 
l'exemple  des  Pharisiens,  est  plus  exposé  à  se  complaire  dans 
cette  justice  extérieure  qui  vient  des  exercices  de  dévotion  et  à 
négliger  la  pratique  de  la  pénitence  intérieure.  «  Si  ce  que  je 
vous  prêche,  s'écriait  saint  Jean-Baptiste,  vous  paraît  trop 
pénible,  si  la  pénitence  que  je  suis  chargé  de  vous  annoncer 
vous  semble  trop  longue  et  trop  difficile,  pensez  à  celui  qui  doit 
venir  après  moi  ;  car  s'il  vient  pour  sauver  et  sanctifier  les  âmes, 
il  vient  aussi  pour  les  juger.  Déjà  il  a  son  van  à  la  main  et  se 
dispose  à  nettoyer  son  aire  ;  puis  il  rassemblera  le  froment  dans 


456  ANNALES    CATHOLIQUES 

son  grenier  et  brûlera  la  paille  dans  le  feu  qui  ne  s'éteint  pas. 
Comparez  ce  supplice  à  la- pénitence  que  je  vous  prêche  et  dites 
si  elle  vous  paraît  encore  trop  dure  et  trop  longue.  > 

II 

Puis  il  leur  exprime  dans  une  série  d'images  allégoriques, 
quels  sont  les  effets  de  la  pénitence. 

«  Avant  tout,  leur  dit-il,  venez  à  Dieu  loyalement,  sincère- 
ment, avec  un  vif  désir  de  réformer  vos  mœurs  selon  sa  loi  ; 
supprimez  les  sentiers  tortueux  et  remplacez-les  par  des  che- 
mins droits,  par  oii  le  Seigneur  puisse  passer;  efforcez-vous  de 
pratiquer  surtout  la  charité,  l'humilité,  la  patience;  c'est  là  ce 
que  veulent  dire  ces  expressions  «  que  toute  vallée  soit  com- 
«  blée...  etc.  »  Je  viens  vous  dire,  non  de  quitter  le  monde, 
mais  de  remplir  vos  devoirs  d'état;  c'est  la  première  et  souvent 
la  meilleure  pénitence.  Vous  êtes  dans  les  affaires,  soyez  hon- 
nêtes; vous  êtes  soldat,  évitez  la  violence.  Votre  avarice,  votre 
orgueil,  votre  violence  sont  cause  que  vous  ne  voyez  pas  le  Sau- 
veur; aussi,  travaillez  à  détruire  ces  passions,  et  vous  aurez  la 
consolation  de  voir  le  Sauveur  envoyé  de  Dieu,  qui  lugent  con- 
solabunlur .  » 

S'il  vous  arrive  de  faiblir,  d'être  renversé,  donnez  à  Dieu  des 
marques  d'un  regret  profond,  d'une  contrition  sincère  et  efficace. 
«  Partout  ailleurs,  s'écrie  Bossuet,  la  douleur,  loin  d'être  un 
remède  au  mal,  est  un  autre  mal  qui  l'augmente,  le  péché  est  le 
seul  mal  qu'on  guérit  en  le  pleurant.  Pleurez  sans  fin,  que  vos 
yeux  soient  changés  en  sources  intarissables  dont  le  cours  per- 
pétuel creusera  vos  joues,  comme  parle  le  Psalmiste.  La  rémis- 
sion des  péchés  est  le  fruit  de  ces  pieuses  larmes.  Ah  !  mille  et 
mille  fois  heureux  ceux  qui  pleurent  leurs  péchés,  car  ils  seront 
consolés.  »  Voyez  David,  lorsque  le  prophète  Nathan,  lui  eut 
reproché  de  la  part  de  Dieu  son  double  crime  :  «  J'ai  péché, 
s'écriait-il,  et  il  se  jeta  la  face  contre  terre,  plongé  dans  la  dou- 
leur. >  Voyez  Madeleine,  tremblante  aux  pieds  du  Sauveur 
qu'elle  arrose  de  ses  larmes;  larmes  recueillies  par  les  anges, 
larmes  qui  d'une  grande  pécheresse  ont  fait  une  grande  sainte. 
Yoyez  saint  Pierre  :  quelle  différence  entre  son  regret  et  celui 
de  Judas.  Judas  a  reconnu  son  crime,  il  en  éprouve  une  douleur 
amère,  il  le  confesse  publiquement,  en  présence  du  sanhédrin, 
sans  chercher  à  l'excuser,  à  l'atténuer;  il  voudrait  réparer  le 
mal  qu'il  a  fait,  il  proclame  l'innocence  de  Jésus  et  songe  à  l'ar- 


TROISIÈME    BÉATITUDE   ÉVANGÉLIQUE  457 

racher  à  la  mort.  L'argent  pour  lequel  il  a  livré  son  maître, 
dont  l'amour  avait  été  sa  passion  dominante,  lui  fait  maintenant 
horreur  ;  il  n'en  peut  plus  soutenir  la  vue,  il  croit  en  voir 
dégoûter  du  sang;  aussi,  il  le  repousse  avec  horreur  et  le  reporte 
aux  prêtres.  Et  pourtant  sa  pénitence  n'est  pas  sincère.  Ce  que 
déteste  Judas,  ce  n'est  pas  son  péché,  ce  sont  ses  suites  funestes; 
il  espère  les  atténuer  par  son  désintéressement  apparent  ;  mais 
son  cœur  n'est  pas  changé;  son  témoignage  en  faveur  de  Jésus- 
Christ  lui  est  en  quelque  sorte  extorqué  par  les  angoisses  et  les 
terreurs  de  sa  conscience,  nullement  par  son  amour  pour  son 
maître;  ce  qu'il  cherche,  c'est  moins  le  pardon  du  Sauveur  que 
de  pouvoir  étouffer  cette  voix  secrète  qui  lui  crie  au  fond  de 
l'âme  :  «  Malheureux,  qu'as-tu  fait?  »  Aussi  meurt-il  en  déses- 
péré. Saint  Pierre,  au  contraire,  ne  parle  pas  :  il  pleure  ;  il  sort 
en  toute  hâte  de  la  maison  de  Caïphe,  devenue  si  funeste  à  son 
innocence  et,  se  rappelant  la  prédiction  du  Sauveur,  il  confesse 
humblement  sa  faute  et,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  il  voudra 
l'expier.  «  Chaque  nuit,  au  chant  du  coq,  nous  dit  saint  Clément, 
Pierre  se  relevait  de  terre,  seule  couche  oii  il  prenait  un  peu  de 
repos,  pour  pleurer  son  infidélité.  Il  continua  cette  mortifica- 
tion pendant  les  trente  dernières  années  de  sa  vie.  »  Ainsi  ses 
larmes  étaient  une  consolation  pour  lui. 

C'est  cette  douleur  profonde  dont  le  Sauveur  nous  donne 
l'exemple  le  jour  oii  à  la  vue  de  Jérusalem  s'étalant  devant  lui, 
dans  toute  sa  gloire,  avec  son  temple  majestueux,  ses  palais 
splendides,  sa  nombreuse  population,  il  pleura  sur  cette  ville, 
parce  qu'elle-même  ne  pleurait  pas  ses  péchés.  C'est  cette  dou- 
leur qu'il  ressentit  au  jardin  des  Oliviers,  lorsque  tous  les 
péchés  de  l'univers  qui  étaient  devenus  les  siens,  se  présen- 
tèrent à  son  esprit.  «  Il  éprouva,  dit  saint  Thomas,  réunis  tout 
à  la  fois  eu  lui-même,  ces  sentiments  de  douleur  amère,  et  de 
terrible  épouvante  qui  devraient  agiter  le  pécheur  s'il  voyait 
ses  fautes  avec  la  profondeur  de  l'œil  de  Dieu,  s'il  connaissait 
toute  la  malice  et  toute  la  laideur  du  péché  et  les  châtiments 
affreux  qui  lui  sont  réservés.  » 

La  douleur  du  Sauveur  est  le  modèle  de  la  douleur  du  prêtre 
en  face  du  péché.  Aussi  malheur  à  celui  qui  voit  commettre  le 
mai  ou  qui  le  commet  lui-même  sans  éprouver  de  remords  ins- 
piré par  les  pensées  de  la  foi.  11  n'a  pas  ce  regret  que  Jean- 
Baptiste  reprochait  aux  Pharisiens  de  ne  pas  avoir;  sa  justice 
n'est  pas  supérieure  à  celle  de  ces  hypocrites.  Peu  importe  qu'il 


458  ANNALES    CATHOLIQUES 

jeûne,  qu'il  se  mortifie,  qu'il  se  répande  en  œuvres  de  miséri- 
corde, sa  religion  est  vaine. 

III 

C'est  ainsi  que  les  Saints  ont  eu  l'esprit  de  pénitence  jusqu'à 
répandre  de  vraies  larmes  au  souvenir  de  leurs  fautes. 

Si  nous  n'avons  pas  comme  eux  le  don  des  larmes,  ayons  au 
moins  ce  qui  en  est  le  principe  et  la  source,  c'est-à-dire  le  repen- 
tir et  alors  notre  tristesse  sera  changée  en  joie. 

«  Jésus-Christ,  dit  un  auteur  ascétique  compte  les  larmes 
que  nous  répandons  et  les  met  à  part  comme  des  perles  pré- 
cieuses pour  l'ornement  de  son  trône.  Sa  promesse  d'ailleurs 
est  formelle  :  qui  s'est  affligé  se  réjouira,  bienheureux  ceux 
qui  pleurent,  car  ils  seront  consfolés.  »  L'abbé  M. 


LE  CATHOLICISME  EN  ANGLETERRE  ET  EN  ECOSSE, 

1800-1890. 

D'un  intérefisant  travail  que  publie  dans  les  Missions  catholiques 
M.  Louvet,  des  Missions  étrangères  de  Paris,  sous  le  titre  Les  Mis' 
sions  catholiques  au  XIK"  siècle,  nous  extrayons  les  pages  suivantes 
remplies  de  détails  consolants  sur  les  progrès  du  catholicisme  en 
Angleterre  et  en  Ecosse  : 

Depuis  le  début  du  mouvement  puséyste,  chaque  année  voit, 
surtout  dans  l'aristocratie,  de  nombreux  retours  réjouir  le  cœur 
de  la  vraie  Eglise.  Il  serait  trop  long  de  donner  ici  la  îiste  de 
ces  milliers  de  convertis.  Pour  faire  connaître  le  résultat  général 
il  suffira  de  dire  qu'il  y  a  aujourd'hui  bien  peu  de  familles  de 
la  Gentry  qui  n'aient  quelques-uns  au  moins  de  leurs  membres 
catholiques. 

En  1880,  l'aristocratie  anglaise  comptait  dans  ses  rangs  : 
trente-huit  pairs  catholiques,  vingt-quatre  lords,  six  membres 
du  conseil  privé,  le  vice-roi  des  Indes,  les  gouverneurs  de 
Hong-Kong,  de  Singapour  et  de  Maurice,  vingt-deux  baronnets, 
cinquante-cinq  membres  de  la  Chambre  des  Communes,  sans 
parler  d'un  grand  nombre  d'officiers  supérieurs,  de  magistrats, 
de  publicistes,  d'hommes  éminents  dans  toutes  les  positions. 

L'action  de  l'apostolat  catholique  ne  se  restreint  pas  à  l'aris- 
tocratie; mais  il  faut  reconnaître  que  jusqu'ici  elle  a  eu  moins 
d'influence  sur  le  reste  de  la  nation.  La  grande  majorité 
(12,500,000)  demeure  par  routine  attachée  à  l'Eglise  officielle  ; 


LE    CATHOLICISME   EN   ANGLETERRE    ET    EN    ECOSSE  459 

une  autre  fraction  importante  (près  de  16,000,000)  se  partage 
entre  les  sectes  dissidentes,  qui  d'après  le  Whitaker's  almanach 
de  1882,  s'élèvent  à  cent  soixante-quatorze  dans  la  Grande- 
Bretagne.  La  plus  importante  de  ces  sociétés  séparées  est  celle 
des  Presbytériens,  qui  sont  vingt-quatre  mille  en  Angleterre, 
et  un  million  six  cent  cinquante  mille  en  Ecosse,  où  ils  forment 
l'Eglise  établie. 

Pour  résumer  les  progrès  numériques  du  catholicisme  ea 
Angleterre,  voici,  de  vingt  ans  en  vingt  ans,  les  chiffres  de  la 
population  catholique.  Ils  sont  empruntés  aux  documents 
officiels. 

En  1800.  Angleterre,  90,000  catholiques. 

Ecosse,  30.000  » 


Total,  120,000 

En  1820.  Angleterre,  450,000 

Ecosse,  50,000 

Total,  500,000 

En  1840,  Angleterre,  800,000 

Ecosse,  100,000 

Total,  900,000 

En  1860.  Angleterre,  1,100,000 

Ecosse,  220,000 

Total,  1,320,000 

En  1880.  Angleterre,  1,300,000 

Ecosse,  320.000 

Total,  1,620,000 

En  1890.  Angleterre,  1,353,455 

Ecosse,  338,643 


Total,  1,692,098  » 

En  résumé,  le  catholicisme  vient  en  ce  moment  le  second  en 
importance  numérique,  immédiatement  après  l'Eglise  officielle. 
Grâce  à  sa  forte  hiérarchie  et  au  mouvement  continu  des  con- 
versions qui,  année  moyenne,  s'élèvent  à  plus  de  dix  mille,  on 
peut  espérer  qu'à  la  fin  du  xix*  siècle,  l'Eglise  catholique  comp- 
tera, en  Angleterre  et  en  Ecosse  environ  deux  millions  de 
fidèles. 

Le  progrès  des  œuvres  a  suivi  tout  naturellement  l'accroisse- 


460  ANNALKS    CATHOLlQOiSS 

ment  numérique.  On  se  rappelle  qu'au  conaraencement  du  siècle, 
l'Angleterre  et  l'Ecosse  réunies  comptaient  à  peine  soixante 
chapelles,  absolument  indignes  de  la  majesté  divine.  A  mesure 
que  les  fidèles  se  multipliaient  il  a  fallu  élever  de  nouveaux 
templos.  Avec  le  concours  dévoué  de  l'aristocratie  catholique, 
qui  s'est  montrée  d'une  générosité  sans  limites,  le  sol  de  la 
Grande-Bretagne  s'est  couvert  d'une  splendide  floraison  d'édi- 
fices religieux,  qui  ne  le  cèdent  en  rien  à  ceux  du  Moyen-âge, 
exemple,  la  pro-cathédrale  de  Westminster,  qui  a  coûté  à  elle 
seule  plusieurs  millions.  En  1880,  il  y  avait,  en  Angleterre, 
mille  deux  cent  cinquante  neuf  églises  ou  chapelles,  et  trois 
cent  cinq  en  Ecosse.  Ce  nombre  s'accroît  rapidement  chaque 
année. 

Et  ces  églises  sont  bien  à  nous  ;  elles  ont  été  élevées  avec  les 
sacrifices  volontaires  et  les  offrandes  des  fidèles.  L'Etat,  qui  n'a 
pas  dépensé  un  centime  pour  leur  construction,  serait  mal  venu 
à  en  réclamer  la  propriété  et  à  en  garder  la  clef,  comme  on  dit 
que  cela  se  fait  dans  certains  p^js  catholiques. 

A  côté  de  l'église,  l'école,  presque  aussi  nécessaire  pour  la 
formation  religieuse  des  nouvelles  générations.  En  1800,  il  n'y 
avait  rien,  on  se  le  rappelle,  hormis  deux  ou  trois  maisons 
d'éducation,  sur  le  continent,  que  la  Révolution  française 
supprima. 

En  1840,  l'Eglise  comptait  déjà  dans  la  Grande-Bretagne 
neuf  collèges  exclusivement  catholiques,  les  uns,  sous  la  direc- 
tion des  vicaires  apostoliques,  les  autres,  confiés  aux  Bénédic- 
tins, Dominicains,  Jésuites. 

En  1880,  il  y  avait  en  Angleterre  vingt-trois  collèges  catho- 
liques et  quatre  en  Ecosse;  total,  vingt-sept  établissements 
d'enseignement  secondaire,  sans  parler  de  six  cents  écoles  de 
paroisses  qui  donnent  l'enseignement  primaire  à  cent  dix-huit 
mille  enfants. 

Depuis,  grâce  à  l'expulsion  des  Jésuites  et  à  la  fermeture  de 
leurs  collèges,  ce  nombre  a  encore  augmenté;  c'est  de  l'Angle- 
terre protestante  que  la  Fiance  catholique  reçoit  aujourd'hui 
des  leçons  de  libéralisme. 

La  liberté  d'enseignement  est  complète  chez  nos  voisins.  On 
ne  connaît  pas  chez  eux  d'université  d'Etat,  ce  fléau  de  l'ensei- 
gnement. Les  écoles  sont  sous  la  surveillance  des  patrons  qui 
les  ont  fondées,  des  congrégations  paroissiales  qui  paient  le 
maître,  et  des  familles  qui  leur  confient  leurs  enfants. 


LE    CATHOLICISME    EN   ANGLETERRE    ET    EN    ECOSSE  461 

Le  libéralisme  anglais  ne  tolérerait  pas  l'ingérence  de  l'Etat, 
menant  se  substituer  au  père  de  famille,  avec  la  prétention,  au 
moins  étrange,  de  connaître  mieux  que  celui-ci  ce  qui  convient 
à  son  enfant.  Le  rôle  du  gouvernement  se  borne,  en  Angleterre, 
à  inspecter  les  écoles,  pour  s'assurer  que  tout  s'y  passe  dans 
l'ordre,  et  à  subventionner,  sans  distinction  de  maîtres  ou  de 
cultes,  les  écoles  qui  réussissent  le  mieux  :  c'est  de  la  liberté  • 
■et  de  l'égalité  vraies,  et  c'est  précisément  pour  cela  que  ce  sys- 
tème si  libéral  et  si  respectueux  des  droits  supérieurs  de  la 
famille,  n'a  aucune  chance  de  s'acclimater  chez  nous. 

En  1830,  Georges  Spencer,  second  fils  de  Lord  Spencer,  se 
-convertit  au  catholicisme.  Quelques  années  plus  tard,  il  entrait 
dans  l'ordre  des  Passionnistej,  fondé  au  siècle  dernier  par  le 
Bienheureux  Paul  de  la  Croix,  dont  l'attrait  particulier  fut,  on 
le  sait,  de  prier  pour  la  conversion  de  l'Angleterre,  conversion 
-qu'il  prédit,  avant  de  mourir,  comme  devant  arriver  un  jour.  Le 
■P.  Spencer  consacra  sa  vie  à  établir  une  vaste  association  de 
prières,  pour  obtenir  le  retour  de  l'Angleterre  à  la  foi  catho- 
lique. Cette  association,  qui  se  répandit  bientôt  en  France,  en 
Italie,  et  dans  toutes  les  contrées  catholiques,  a  plus  fait  peut- 
être  que  tous  les  efforts  extérieurs  du  zèle  pour  la  conversion 
de  l'ancienne  île  des  saints. 

Bientôt,  comme  sous  l'action  d'un  souffle  venu  d'en  haut,  on 
vit  s'épanouir,  sur  le  sol  de  la  Grande-Bretagne,  toutes  les 
<Buvres  de  la  charité  catholique  :  des  orphelinats  se  fondèrent, 
pour  arracher  les  enfants  abandonnés  à  la  propagande  des  Work 
house  protestants;  des  dispensaires,  des  hôpitaux  s'ouvrirent 
pour  recevoir  les  malades  ;  des  conférences  de  Saint-Vincent  de 
Paul  s'établirent,  dans  les  principales  villes,  pour  visiter  et 
secourir  à  domicile  les  pauvres,  que  la  charité  officielle  de  l'an- 
glicanisme laisse  mourir  de  faim,  à  côté  des  fortunes  scanda- 
leuses de  l'aristocratie;  les  Petites  Sœurs  des  Pauvres,  les 
Sœurs  de  charité  reparurent  sur  cette  terre,  où  le  costume  reli- 
gieux avait  été  si  longtemps  proscrit.  L'intolérance  protestante 
fut  forcée  de  s'incliner  avec  respect  devant  la  cornette  de  la 
fille  de  saint  Vincent  de  Paul,  et  la  reconnaissance  publique 
pi-otégea  ces  pieuses  héroïnes  du  dévouement  catholique,  dont 
l'hérésie  avait  perdu,  depuis  trois  siècles,  la  glorieuse  tra- 
dition. 

Eu  1880,  il  y  avait  en  Angleterre,  330  couvents  ou  monas- 
tères, et  39  en  Ecosse.  Toutes  les  grandes  familles  religieuses, 
les  Chartreux,  Ls  Trappistes,  les  Bénédictins,  les  Prêmontrés, 


462  ANNALES   CATHOLIQUES 

les  Dominicains,  les  Franciscains,  les  Jésuites,  les  Oratoriens, 
les  Liguoriens,  les  Passionnistes,  ont  reparu  sur  ce  sol,  d'oii  la 
main  brutale  de  l'hérésie  croyait  les  avoir  arrachés  pour  j  amais  ; 
mais,  selon  la  parole  du  P.  Lacordaire,  les  moines  sont  comme 
les  chênes,  ils  sont  immortels. 

Et  à  côté  des  grands  Ordres  religieux  du  passé,  on  voit  se 
multiplier  de  nouvelles  congrégations;  les  Frères  des  écoles 
chrétiennes,  les  Ursulines,  les  Dames  du  Sacré-Cœur,  les  Filles 
de  Charité,  toutes  les  congrégations  enseignantes  et  hospitalières, 
qui  étaient  inconnues  à  l'ancienne  Eglise  d'Angleterre,  s'épa- 
nouissent librement  sur  ce  sol  labouré  par  la  persécution,  elles 
témoignent  de  la  prodigieuse  fécondité  du  catholicisme,  en 
regard  de  la  stérilité  et  de  la  sécheresse  du  cœur  de  l'hérésie. 

Un  grand  acte  du  Vicaire  de  Jésus-Christ  est  venu  mettre  le 
sceau  à  la  résurrection  de  l'Église  d'Angleterre,  je  veux  parler 
du  rétablissement  de  la  hiérarchie.  Déjà  par  un  bref  en  date  du 
30  juillet  1840,  Grégoire  XVI  avait  porté  de  quatre  à  huit  le 
nombre  des  vicariats  apostoliques.  Ce  n'était  pas  assez,  l'Eglise 
catholique  avait  donné,  en  Angleterre,  assez  de  preuves  de  vita- 
lité, pour  mériter  de  sortir  de  l'état  de  mission.  Le  29  septem- 
bre 1850,  Pie  IX,  par  la  bulle  Universalis  Ecclesiœ  reconsti- 
tuait l'Eglise  d'Angleterre,  en  créant  l'archevêché  de  West- 
minster, avec  les  douze  évêchés  suffragants  de  Liverpool,  de 
Salford,  de  Shrewsburj,  de  Newport,  de  Nottingham,  de  Sou- 
thwark,  de  Birmingham,  de  Clifton,  de  Plymouth,  d'Hexham, 
de  Northampton  et  de  Beverley. 

Depuis,  l'évêché  de  Beverley  a  été  remplacé  par  les  deux 
évêchés  de  Leeds  et  de  Middlesbourg,  et  l'évêché  de  Ports- 
mouth  a  été  détaché  de  celui  de  Southwark,  ce  qui  porte  à 
quatorze  le  chiffre  des  évêchés  suffragants  de  Wesminster. 

Le  26  février  1878,  le  Pape  Léon  XIII  achevait  l'œuvre  de  son 
prédécesseur,  en  rétablissant  la  hiérarchie  en  Ecosse.  Aux  trois 
vicariats  apostoliques  alors  existants,  le  vicaire  de  Jésus-Christ 
substituait  deux  archevêchés  :  Edimbourg  et  Glascow,  avec 
quatre  évêchés  suffragants  d'Edimbourg  :  Dunkeld,  Aberdeen, 
Galloway  et  Argyll. 

Voici  le  tableau  du  développement  de  la  hiérarchie  depuis  le 
commencement  du  siècle. 

En  1800. 
Angleterre,  4    vicaires  apostol.     43  prêtres. 
Ecosse,         2    vicaires  apostol.     12       » 

Total:     6    vicaires  apostol.     55  prêtres. 


LA   JOURNÉE    DE    HUIT   HEURES  463 

En  1840. 
Angleterre,  8  vicaires  apostol.     608  prêtres. 
Ecosse,         3  vicaires  apostol.       60       » 

Total:  11  vicaires  apostol.     6t)8  prêtres. 
En  1880. 
Angleterre,  1  arch.  14  évèq.  2,198  prêtres. 
Ecosse,         2  arch.     4  évèq.      324       » 

Total  :     3  arch.   18  évêii.  2,b22  prêtres. 
En  1890. 
Angleterre,  1  arch.   14  évêq.  2,340  prêtres. 
Ecosse,         2  arch.     4  évêq.      329       » 

Total:  ~3"arch.  Ï8~èvêq.  2^69  prêtres. 
A  l'heure  où  j'écris  ces  lignes  (1889),  l'Angleterre  occupe  une 
place  d'honneur  dans  la  hiérarchie  catholique;  sur  son  immense 
territoire,  elle  compte,  dans  les  cinq  parties  du  monde  :  vingt- 
deux  archevêchés,  quatre-vingt-dix-neuf  évêchés,  dix-huit  vi- 
cariats et  six  préfectures  apostoliques;  elle  range  sous  ses  lois 
plus  de  treize  millions  cinq  cent  mille  catholiques.  Puissions- 
nous  voir  bientôt  l'antique  île  des  saints  revenir  en  masse  à  la 
foi  de  ses  pères,  dont  l'ont  séparée,  il  y  a  trois  siècles,  la  pas- 
sion adultère  d'Henri  VIII  et  la  politique  haineuse  d'Elisabeth  ! 
Avec  le  développement  de  son  immense  puissance  coloniale,  la 
conversion  de  1  Angleterre  amènerait  rapidement  l'évangélisa- 
tion  du  monde  entier. 


LA  JOURNEE  DE  HUIT  HEURES 

ET  LES  CONDITIONS  DU  TRAVAIL  EN  EUROPE 

n  n'est  partout  question  que -de  réduire  les  heures  de  travail 
et  l'on  ne  se  préoccape  même  pas  de  savoir  à  l'aide  de  quelle 
sanction  internationale  on  pourrait  [irescrire  une  réglementa- 
tion qui  ne  mit  pas  une  nation  en  état  d'infériorité  par  rapport 
à  l'autre.  Nous  laissons  de  côté  pour  le  moment  la  question 
d'atteinte  à  la  liberté  individuelle,  qui  cependant  mérite  de 
venir  en  première  ligne,  pour  ne  nous  occuper  aujourd'hui  que 
des  conditions  de  travail  qui,  dans  les  pays  industriels,  sont 
absolument  différentes,  comme  les  salaires  d'ailleurs. 

En  Angleterre,  un  grand  nombre  d'ouvriers  ne  travaillent 
que  dix  heures  par  jour  :  il  en  est  notamment  ainsi  dans  l'in- 
dustrie cotonnière,  l'une  dos  plus  importantes  de  la  Grande- 
Bretagne.  Une  accumulation  immense  de  capitaux,  l'emploi  des 
machines  sur  la  plus  vaste  échelle,  le  monopole,  peut-on  dire, 


464  ANNALES    CATHOLIQUES 

des  marchés  asiatiques  a  permis  l'adoption  de  cette  journée 
très  réduite.  En  France,  c'est  à  onze  heures  à  Paris,  à  douze 
heures  en  province  que  l'on  peut  évaluer  la  durée  du  travail 
quotidien.  En  Belgique,  la  moyenne  de  la  journée  peut  être 
fixée  à  douze  heures;  citons  les  industries  métallurgiques,  l'in- 
dustrie du  drap  et  de  la  filature  de  laine  à  Verviers,  le  travail 
des  mines  dans  leHainaut;  nous  disons  le  Hainaut  seulement^ 
car  dans  la  province  de  Liège  le  travail  des  ouvriers  à  veine  ne 
dépasse  pas  huit  à  neuf  heures. 

En  Allemagne  et  en  Autrich-e,  la  durée  de  la  journée  est 
plus  longue  que  chez  nous.  En  Italie,  nous  la  trouvons  plus 
considérable  encore,  surtout  dans  l'industrie  de  la  soie  et  dans 
les  mines  de  soufre  de  la  Sicile.  En  Hollande,  c'est  à  treize 
heures  que  s'élève  la  journée  de  labeur  de  l'ouvrier.  En  Rus- 
sie, à  cause  d'une  position  industrielle  très  difficile,  l'ouvrier 
se  voit  forcé  de  travailler  quatorze  heures  en  moyenne. 

A  quelle  cause  imputer  ces  variations  ? 

Serait-ce  dans  les  pays  les  plus  favorisés,  à  la  seule  énergie 
des  ouvriers  qu'il  faudrait  rapporter  les  progrès  accomplis  dans 
cet  ordre  de  choses?  Ou  bien  l'humanité  des  patrons,  leur» 
sentiments  de  bienveillance  envers  les  ouvriers  auraient-ils  fait 
baisser  la  durée  du  travail?  Cette  dernière  cause  n'est  certai- 
nement pas  celle  qui  est  intervenue,  car  nous  voyons  des  pays 
oii  des  institutions  de  patronage  sont  florissantes,  oii  la  paix 
sociale  est  entière,  conserver  des  journées  très  longues.  Il  en 
est  ainsi,  par  exemple,  pour  la  Hollande. 

Au  contraire,  c'est  en  Angleterre,  pays  où  les  patrons  s'occu- 
pent très  peu  de  l'ouvrier  et  sont  trop  souvent  prêts  à  les  aban- 
donner, comme  ils  disent,  à  l'action  des  lois  naturelles,  que 
nous  pouvons  relever  la  journée  moyenne  la  plus  courte. 

En  réalité,  c'est  à  des  circonstances  indépendantes  de  la 
volonté  des  hommes,  c'est  à  des  causes  ressortissant  du  climat, 
de  la  constitution  physique,  du  caractère  de  l'ouvrier  que  nous 
devons  rapporter  ces  variations. 

Les  différentes  nations,  on  l'a  répété  mille  et  mille  fois,  ne  se 
trouvent  pas  dans  d'égales  conditions  de  lutte.  Sur  ce  vaste 
champ  de  batailUe  qui  s'appelle  le  marché  national  ou  interna- 
tional, chacune  d'elles  se  présente  différemment  armée. 

Ces  différences  sont  si  multiples  qu'il  faut  renoncer  à  les 
énumérsr  toutes;  on  peut  cependant  citer  les  principales  : 

Le  climat  d'abord  exerce  une  influence  énorme;  les  popula- 


LA.    JOURNÉE    DE    HUIT   HEURES  465 

tions  ouvrières  du  Nord  sont  plus  tenaces,  plus  laborieuses  que 
celles  du  Midi,  peuvent  donner  plus  sans  plus  de  peine. 

La  constitution  physique  de  l'homme  n'est  pas  non  plus  la 
même:  l'Anglais  travaille  vite  et  longtemps;  le  Français  est 
doué  d'une  grande  habileté,  mais  est  moins  capable  d'un  effort 
prolongé;  le  Belge  travaille  plus  lentement  que  l'Anglais,  mais 
supporte  une  grande  fatigue;  le  Hollandais  est  d'une  lenteur 
proverbiale,  mais  a  la  facilité  de  se  maintenir  au  travail  plus 
longtemps  que  tout  autre. 

La  constitution  géographique  des  pars  varie  aussi  énormé- 
ment: un  pays  bien  pourvu  de  bonnes  routes,  de  cours  d'eau  navi- 
gables, etc.,  etc.,  a  un  immense  avantage  sur  un  concurrent  qui 
n'en  possède  pas  de  semblables.  Il  est  inutile  de  poursuivre  cette 
analyse  que  chacun  peut  faire  soi-même. 

Si  par  une  loi  internationale,  comme  on  veut  le  faire  à  pré- 
sent, nous  décidons  que  chacun,  quelles  que  puissent  être  ces 
conditions  de  travail,  ne  pourra  plus  s'occuper  que  huit  heures 
par  jour,  qu'arrivera-t-il? 

Il  faudrait  être  dépouvu  de  tout  esprit  logique  pour  ne  pas  le 
voir  tout  de  suite  :  les  pays  jouissant  des  meilleures  conditions 
géographiques  ou  industrielles  l'emporteront  à  jamais  sur  tous 
les  autres.  Prenons  un  exemple  :  un  ouvrier  anglais,  supposons- 
nous,  peut  faire  dix  mètres  de  cotonnade  en  un  temps  déterminé: 
admettons  que  ce  soit  huit  heures.  L'ouvrier  français,  moins 
habile,  n'en  fait  que  neuf  mètres  pendant  ce  temps  ;  l'ouvrier 
belge,  encore  moins  habile,  eu  fabrique  huit  mètres  ;  enfin 
l'ouvrier  allemand  ne  peut  fabriquer  que  sept  mètres.  Comment 
s'y  prennent  les  concurrents  de  l'ouvrier  anglais  pour  soutenir  la 
concurrence?  Ils  travaillent  en  se  contentant  de  salaires  plus 
réduits,  ou,  s'ils  veulent  obtenir  le  même  salaire  que  l'ouvrier 
anglais,  ils  doivent  prolonger  leur  journée  de  façon  à  produire 
autant  que  ce  dernier. 

Jusqu'à  présent  tout  va  bien  ;  mais  voilà  qu'on  décide  que 
tous.  Anglais,  Français,  Belges,  Allemands,  n'auront  plus  le 
droit  que  de  travailler  huit  heures.  Pour  l'Anglais,  rien  n'est 
changé  :  mais  tous  ses  voisins  sont  frappés  à  mort;  ils  n'ont 
que  ce  parti  à  prendre  :  admettre  une  réduction  proportionnelle 
de  salaire  ou  perdre  non  seulement  leur  marché  international, 
mais  encore  le  marché  national,  car  l'Anglais,  qui  fabrique 
beaucoup  plus  qu'eux  pour  le  même  prix,  viendra,  par  des  prix 
inférieurs,  leur  enlever  toute  leur  clientèle. 

.34 


466  ANNALES    CATHOLIQUES 

Tel  est  le  dilemme  qui  se  pose  avec  une  sûreté  irréfutable, 
Supprimons  les  excès  du  travail  :  ils  sont  aussi  peu  productifs 
qu'inhumains.  Mais  prétendre  reculer  sans  cesse  les  bornes  du 
travail  vouloir  y  introduire  un  principe  international  propre  à 
renverser  toute  notre  organisation  industrielle,  c'est  aller 
contre  le  bon  sens,  contre  les  lois  économiques,  c'est  faire  litière 
de  la  liberté  par  une  réglementation  oppressive,  par  la  fiction  de 
l'égalité  à  outrance.  X. 


LE  REPOS  DU  DIMANCHE 
(Suite  et  fin.  — Voir  le  numéro  précédent.) 

Messieurs,  je  vous  ai  montré,  autant  que  les  limites  d'un  dis- 
cours me  l'ont  permis,  les  divers  aspects  de  la  loi  du  repos  du 
dimanche.  Je  regrette  de  vous  retenir  encore  :  mais  il  me  paraît 
important,  il  me  semble  même  indispensable  de  dégager  les 
conclusions  pratiques  de  cet  examen. 

Quels  sont  les  devoirs  qui  nous  sont  imposés  pour  donner  à 
cette  loi,  en  tout  ce  qui  dépend  de  nous,  toute  son  efficacité 
dans  notre  pays? 

Je  me  place  d'abord  au  point  de  vue  des  revendications  que 
nous  avons  à  produire  dans  l'ordre  des  réformes  législatives  et 
en  regard  des  pouvoirs  publics. 

Mon  très  cher  et  très  éloquent  ami  Lucien  Brun  que  je  ne 
vois  pas  ici  aujourd'hui,  mais  qui  ne  tardera  pas  à  nous  revenir, 
—  une  heureuse  opération  a  rendu  la  vue  physique  à  ses  yeux; 
quanta  la  clairvoyance  lumineuse  et  supérieure  de  son  esprit, 
elle  est  absolument  inaccessible  à  la  cataracte  —  [Hilaritë  et 
applaudissements) ,  mon  ami  Lucien  Brun  disait  donc  un  jour, 
dans  un  de  nos  congrès:  «  Le  premier  article  de  toute  législa- 
tion chrétienne  du  travail  est  le  troisième  commandement  de 
Dieu,  et  rien  n'est  fait  tant  que  cet  article  reste  à  faire.  » 

Éh  bien,  M,  Lucien  Brun  avait  hautement  raison.  On  disait 
autrefois  et  volontiers,  je  redirais  aujourd'hui  :  La  liberté 
d'enseignement  comme  en  Belgique  ;  M.  Dordelot,  qui  est 
Belge,  m'entend  et  il  trouvera  que  la  formule  était  heureuse. 
Pour  le  dimanche  nous  devrions  prendre  pour  mot  d'ordre  :  La 
liberté  du  dimanche  comme  aux  Etats-Unis  et  en  Angleterre. 
D'autres  nations  semblent  du  reste  disposées  à  entrer  dans  cette 
voie.  Est-ce  que  la  France  resterait  seule  en  arrière  de  ce 
retour  à  la  vérité  sociale  ?  C'est  beaucoup  trop  pour  son  vieux 


LE    REPOS    DU    DIMANCHE  467 

renom  de  foi  et  de  générosité  qu'elle  soit  parmi  les  retardataires. 

Donc  nous  devons  demander  une  nouvelle  loi  de  1814, 
modifiée  si  l'on  veut  sur  certains  points,  mais  complétée  sur 
plusieurs  autres,  qui  interdise,  sauf  les  exceptions  légitimes, 
le  travail  du  dimanche. 

Voilà  notre  première  revendication.  (Applaudissements .) 

Si  cette  première  revendication  n'était  pas  écoutée,  nous 
devrions  demander  tout  au  moins  que  les  travaux  ordonnés, 
concédés  ou  autorisés  par  l'Etat,  les  départements  et  les  com- 
munes fussent  légalement  suspendus  le  jour  du  dimanche. 

Ici,  remarquez-le  bien,  il  ne  s'agit  pas  de  l'Etat  imposant  le 
respect  du  dimanche  à  des  particuliers;  il  s'agit  de  l'Etat 
s'imposant  ce  respect  à  lui-même.  Qui  oserait  soutenir  que 
l'Etat  peut  se  soustraire  à  ce  respect  sans  faillir  à  son  devoir  et 
sans  trahir  son  mandat?  Au  fond,  la  demande  n'est  pas  suscep- 
tible d'une  objection  sérieuse. 

Et  si  on  me  disait  que,  pour  cela,  un  arrêté  ministériel  peut 
suffire  et  que,  par  conséquent,  la  loi  n'est  pas  nécessaire,  voici 
ce  que  je  répondrais  : 

Messieurs,  nous  n'avons  plus  aujourd'hui  de  ministres  qui 
s'appellent  M.  l'amiral  de  Mackau  ou  M.  Lacrosse,  M.  le  baron 
de  Larcy  ou  M.  Caillaux;  ceux-là  avaient,  à  leur  honneur, 
prescrit,  par  circulaires  ou  arrêtés,  la  suspension  des  travaux 
publics  le  dimanche.  Nous  n'avons  rien  à  attendre  de  pareil  des 
hommes  d'Etat  du  jour  ;  et  voilà  pourquoi  nous  réclamons 
l'intervention  delà  loi.  C'est  notre  seconde  revendication.  [Nou- 
veaux applaudissements .] 

Nous  demandons,  en  troisième  lieu,  que  pour  faciliter  la  fer- 
meture des  gai'es  de  petite  vitesse  dans  les  compagnies  de  che- 
mins de  fer,  la  loi  autorise  de  ne  plus  compter  le  dimanche  dans 
les  délais  de  livraison  et  d'expédition  des  marchandises. 

Ici  encore,  un  simple  arrêté  ministériel  suffirait,  mais  pour 
le  motif  que  j'indiquais  tout  à  l'heure  et  sur  lequel  je  ne  reviens 
pas,  il  faut  un  bon  article  de  loi  qui  rende   l'arrêté  obligatoire. 

Et  qu'on  ne  nous  parle  pas  d'impossibilités  de  service.  Les 
Etats-Unis  et  l'Angleterre  sont,  commercialement  et  industriel- 
lement, des  pays  encore  plus  importants  que  le  nôtre.  Ce  qui  se 
fait  dans  ces  pays,  sans  soulever  la  moindre  réclamation  et  sans 
blesser  aucun  intérêt,  peut  également  se  faire  dans  le  nôtre.  Il 
n'y  faudrait  qu'un  peu  de  respect  pour  la  liberté  de  conscience 
des  cent  cinquante  mille  ouvriers  ou  employés  de  chemins  de 


468  A.NNALES    CATHOLIQUES 

fer  qui  sont,  à  l'heure  présente,  privés,  pour  la  plupart,  de  toute 
possibilité  de  remplir,  le  dimanche,  leurs  devoirs  religieux  et 
leurs  devoirs  de  famille.  Il  y  va  de  l'honneur  du  pays  que  l'on 
respecte  la  liberté  de  ces  âmes  d'ouvriers  qui  ne  sont  pas  appa- 
remment des  âmes  d'esclaves.  C'est  notre  troisième  revendica- 
tion. [Applaudissements.) 

Voici  maintenant  quarante  mille  employés  des  postes  et  télé- 
graphes dont  la  plupart  sont  empêchés  par  leurs  fonctions  de 
remplir,  le  dimanche,  leurs  devoirs  religieux.  C'est  un  fait. 
L'État  parce  qu'il  prend  des  employés  à  son  service  n'a  pas 
cependant  le  droit  de  réduire  leurs  âmes  en  servitude.  Cela 
n'est  pas  possible,  cela  ne  doit  pas  être.  Et  puisque  cela  existe 
dans  une  certaine  mesure  et  pour  un  certain  nombre,  il  faut  que 
la  loi  y  pourvoie.  C'est  notre  quatrième  revendication.  [Nou- 
velle approbation.) 

Il  y  a  enfin,  Messieurs,  une  plaie  plus  large  et  plus  doulou- 
reuse. L'armée,  c'est  la  jeunesse  tout  entière  du  pays  appelée 
sous  les  drapeaux.  Qu'est  le  dimanche  pour  le  soldat?  On  dit^ 
qu'on  lui  laisse  la  liberté  de  vaquer  à  ses  devoirs  religieux  ; 
cela  dépend  des  lieux  et  des  chefs.  En  tout  cas,  sans  une 
aumônerie  militaire  convenablement  organisée,  l'observance  du 
dimanche  est  presque  impossible  pour  le  soldat.  Cette  aumô- 
nerie existait;  l'Assemblée  nationale  l'avait  établie;  aujourd'hui, 
il  n'en  reste  plus  rien  ;  il  faut  en  réclamer  le  rétablissement. 
On  doit  ce  rétablissement  aux  soldats  ;  on  le  doit  à  leurs  familles. 
A  ces  jeunes  gens  qui  font,  sous  les  drapeaux,  le  noble  appren- 
tissage de  la  vie  militaire,  l'Etat  peut,  sans  doute,  au  nom  de 
la  patrie,  demander  leur  temps,  leur  obéissance,  leur  travail, 
leurs  sueurs,  le  sang  de  leurs  veines,  leur  vie  même,  s'il  le 
faut;  il  ne  peut  pas  leur  prendre  leur  foi.  Le  corps  du  soldat 
est  serf  de  cette  noble  servitude  qui  naît  du  sacrifice  au  service 
du  devoir;  son  âme  immortelle  est  libre  et  elle  a  le  droit  d'être 
respectée  dans  sa  foi.  C'est  notre  cinquième  revendication.  [Vifs 
applaudissements.) 

Vous  me  direz  peut-être  :  «  Tout  cela  est  excellent,  mais  tout 
cela  est  vain.  Nos  revendications  ne  seront  pas  écoutées  par  les 
pouvoirs  publics  actuels.  » 

Je  ne  me  fais.  Messieurs,  croyez-le  bien,  aucune  sorte  d'illu- 
.  sion  sur  les  dispositions  actuelles  des  pouvoirs  publics.  (Sou- 
rires.) Mais  je  sais  que  le  droit,  le  vrai  droit  a,  quoi  qu'on  fasse, 
une  puissance  propre  et  indestructible.  Sans  doute,  la  réclama- 


LE    REPOS    DU   DIMANCHE  469 

tion  du  droit  peut  rencontrer,  dans  les  idées  qui  dominent,  dans 
les  passions  qui  oppriment,  dans  les  faiblesses  qui  se  proster- 
nent, dans  les  défaillances  qui  abdiquent,  des  obstacles  que  le 
temps  seul  peut  soulever  ;  mais  l'avenir  réserve  toujours  de 
nobles  et  sûres  revanches  et  à  la  vérité  et  à  la  justice. 

Il  faut  seulement  aider  à  l'œuvre  du  temps  par  une  action 
patiente  et  ininterrompue.  Il  ne  faut  pas  se  borner  à  protester 
un  jour  ;  il  faut  protester  toujours,  réclamer,  pétitionner,  s'asso- 
cier, croire  au  succès  du  lendemain  jusque  dans  la  défaite  du 
jour.  Qu'est-ce,  Messieurs,  qu'une  crise  qui  passe  dans  la  vie 
d'une  nation  qui  ne  veut  pas  périr?  Et  comment  désespérer  de 
cette  nation  quand  elle  s'appelle  la  F r&n ce  1  (Vifs  applaudis- 
sements.) 

Donc,  réclamer  le  droit,  la  rentrée  du  droit  dans  la  loi,  tant 
que  nous  nous  trouverons  en  présence  de  pouvoirs  publics  qui 
s'obstineront  à  le  méconnaître,  c'est  notre  premier  devoir,  et 
nous  le  remplirons  !  {Nouveaux  applaudissements.) 

Nous  avons  un  second  devoir  :  c'est,  à  défaut  du  secours  de  la 
loi,  de  ne  pas  nous  abandonner  nous-mêmes.  Quand  la  loi,  se 
retournant  contre  son  but,  travaille  à  défaire  les  mœurs,  c'est 
alors  vraiment  que  les  hommes  de  cœur  doivent  s'attacher 
d'autant  plus  ardemment  à  donner  aux  mœurs  une  puissance 
qui  réagisse  sur  la  loi  elle-même,  et  qui  la  contraigne  à  ne  plus 
refuser  son  concours. 

Sur  ce  terrain,  les  résultats  à  obtenir  sont  très  considérables. 
Seulement,  il  y  faut  une  triple  propagande  :  la  propagande  des 
écrits  et  des  paroles,  la  propagande  des  actes  et  des  exemples, 
enfin  la  propagande  des  œuvres  collectives. 

Je  le  dis  avec  joie,  un  mouvement  très  important  s'est  fait, 
dans  ces  derniers  temps,  autour  de  la  question  du  repos  du  di- 
manche :  le  branle  est  donné,  les  voies  sont  ouvertes;  mais  il 
faut  y  marcher  résolument. 

En  ce  qui  concerne  la  propagande  des  écrits,  que  d'études 
excellentes  ont  été  publiées,  dans  ces  derniers  temps!  Et  pour 
ne  parler  que  de  celles  dont  les  auteurs  sont  membres  de  nos 
œuvres,  c'est  la  remarquable  brochure  de  M.  René  Laboulaye, 
publiée  d'abord  dans  Le  Correspondant^  oii  les  aperçus  les  plus 
lumineux,  corroborés  par  les  faits  les  plus  probants,  sont  pré- 
sentés avec  une  précision  si  vigoureuse,  une  netteté  si  saisis- 
sante et  une  distinction  si  parfaite!  [Vive  approbation.) 

C'est  aussi  la  brochure  du  secrétaire  adjoint  de  nos  œuvres, 


470  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  croisade  du  dimanche,  par  M.  Fénelon  Gibon,  brochure 
très  complète  et  très  vivante  dont  je  ne  veux  dire  qu'un  mot 
qui  suffît  à  sa  louange  :  c'est  qu'elle  a  été  honorée  par  Son 
Eminence  d'une  lettre  d'approbation.  [Applaudissements.] 

Eftfin,  plus  récemment  encore,  c'est  un  article  publié  dans  Le 
Correspondant,  par  mon  ancien  collègue  et  toujours  excellent 
arai,  M.  Léon  Lefébure,  qui  met  un  si  beau  talent  au  service  de 
toutes  nos  causes!  {Nouveaux  applaudissements.) 

Je  n'aurai  garde  d'oublier  les  services  que  rend  dans  cet 
ordre  de  propagande  par  les  écrits  qu'elle  répand  et  par  son 
comité  du  dimanche,  V Œuvre  de  la  Reforme  sociale  îouâée  par 
l'illustre  Le  Play,  et  continuée  avec  éclat  par  des  disciples  dignes 
d'un  tel  maître,  qui  sont  devenus  des  maîtres  à  leur  tour.  [Vifs 
applaudissements.) 

Messieurs,  que  cette  propagande  continue,  qu'elle  se  fasse 
par  les  journaux,  par  les  revues,  par  des  publications  popu- 
laires, par  des  conférences  ;  que  tous  ceux  qui  ont  une  voix  par- 
lent, que  tous  ceux  qui  ont  une  plume  écrivent!  La  France  a 
bon  cœur  et  bonne  âme;  on  y  rencontrera  toujours  de  l'écho 
quand  on  prononcera  devant  elle  ces  mots  qui  résument  toute 
la  question  du  dimanche  :  «  Dieu,  la  fanaille,  la  patrie  et  la 
liberté!  »  [Bravos  et  applaudissements  répétés.) 

Messieurs,  la  propagande  des  écrits  ne  suffit  pas:  il  faut 
aussi  la  propagande  des  actes  et  des  exemples.  Cette  propa- 
gande se  fait. 

Nous  voyons,  en  ce  moment,  des  actionnaires  porter  devant 
les  assemblées  générales  des  compagnies  de  Chemins  de  fer  la 
demande  de  fermeture  des  gares  de  petite  vitesse.  Ils  com- 
prennent que,  de  même  qu'ils  ont  le  droit  d'exercer  un  contrôle 
sur  la  gestion  matérielle  et  financière  de  compagnies  où  leurs 
capitaux  sont  engagés,  ils  ont  aussi  le  devoir  parce  qu'ils  en  ont 
la  responsabilité,  de  garantir  la  liberté  religieuse  des  ouvriers 
dont  le  travail  profite  à  l'entreprise.  Nous  voyons  les  assemblées 
générales  accueillir  cette  initiative  généreuse  avec  une  sym- 
pathie presque  unanime.  Nous  voyons  les  conseils  d'adminis- 
tration les  accueillir  sous  des  réserves  sans  doute,  mais  sous 
des  réserves  qui  ne  sont  pas  des  oppositions  absolues,  et  l'un 
d'eux  s'y  associer  par  une  adhésion  presque  complète  qui  en 
suscitera  d'autres. 

D'un  autre  côté,  nous  voyons  des  industriels  supprimer  le 
travail  du  dimanche  qui  existait  dans  leurs  usines,  et  déclarer, 


LE    REPOS    DU    DIMANCHE  4/1 

après  expérience  faite,  que  l'intensité  de  la  production  ne  gagne 
rien  à  ce  travail,  que  l'épargne  et  la  moralité  y  gagnent  moins 
encore  et  que  le  respect  de  la  loi  du  dimanche  est  tout  au  profit 
de  l'industrie  et  de  l'amélioration  morale  et  matérielle  des 
travailleurs  qu'elle  emploie.  Nous  voyons  des  négociants 
s'entendre  pour  fermer  leurs  magasins  le  dimanche,  des  pro- 
priétaires se  concerter  pour  respecter  et  faire  respecter  autour 
d'eux  le  repos  dominical. 

Messieurs,  que  ces  exemples  se  multiplient,  et  vous  verrez  se 
rouvrir,  dans  notre  pays,  bien  des  sources  nouvelles  de  dignité 
et  de  prospérité  pour  les  familles  comme  pour  la  société! 
(Applaudissements.) 

Mais  quoi  qu'on  fasse,  les  initiatives  individuelles  n'ont 
qu'une  action  lente  et  forcément  limitées.  Il  faut  la  compléter 
par  la  propagande  des  œuvres  collectives.  Ces  œuvres  existent 
et  elles  sont  nombreuses  ;  il  s'agit  de  les  affermir  et  de  les 
développer. 

Je  souhaite  d'abord  la  bienvenue  à  la  Ligue  populaire  pour 
le  repos  du  dimanche,  qui  a  été  fondée  à  la  suite  du  congrès 
international  tenu  pendant  l'Exposition.  Elle  est  dirigée,  vous 
le  savez,  par  un  comité  oii  se  trouvent  réunis  des  hommes 
divers  de  croyances  et  d'opinions,  et  oii  les  catholiques  sont 
très  dignement  représentés.  L'accord  existe  sur  le  but  à  pour- 
suivre. Ce  n'est  pas  un  repos  hebdomadaire  quelconque,  c'est  le 
repos  du  dimanche  que  la  Ligue  veut  généraliser.  Son  nom  Iw 
dit  et  ses  statuts  le  proclament.  Donc  bon  et  rapide  succès  a 
cette  Ligue  que  je  pourrais  appeler  une  «  ligue  de  bien  public.» 
(Approbation.) 

Je  salue  aussi  trois  œuvres  plus  proches  de  nous  par  l'inspi- 
ration religieuse  d'oii  elles  sont  sorties. 

C'est  d'abord  V Association  des  2}rop7'ie'taires  chrétiens,  fon- 
dée, il  y  a  peu  d'années,  sous  l'impulsion  si  intelligente  et  si 
généreusement  sympathique  de  M.  le  comte  Yvert,  qui  a  tenu, 
cette  année,  son  premier  congrès.  Elle  a,  sans  doute,  pour  but 
d'embrasser  toutes  les  obligations  qui  incombent  aux  proprié- 
taires; mais  elle  se  rattache  spécialement  aux  œuvres  du 
dimanche,  parce  qu'elle  a  mis  en  tête  de  son  programme  l'enga- 
gement pour  ses  membres  de  respecter  et  de  faire  respecter 
autour  d'eux  la  loi  du  repos  dominical. 

C'est  aussi  l' Union  des  syndicats  du  commerce  et  de  Vin- 
dustrie.    Sans    doute,    cette    Œuvre,     comme    la   précédente, 


472  ANNALES    CATHOLIQUES 

embrasse  tous  les  devoirs  et  tous  les  intérêts  multiples  des 
commerçants  et  des  industriels,  mais  elle  se  rattache,  elle  aussi, 
aux  Œuvres  du  dimanche,  parce  qu'elle  n'admet  que  des  mem- 
bres résolus  à  accepter  pour  eux-mêmes  la  loi  du  repos  domini- 
cal et  à  laisser  la  liberté  de  ia  respecter  aux  employés  et  ouvriers 
qui  sont  sous  leurs  ordres. 

C'est  encore  V Association  pour  le  repos  du  dimanche  dans 
Vindustrie  du  bâtiment,  qui  groupe  des  ingénieurs,  des  archi- 
tectes, des  entrepreneurs,  des  propriétaires,  pour  les  faire  con- 
courir tous  ensemble  à  remettre  en  honneur  le  repos  du  diman- 
che dans  cette  industrie  du  bâtiment,  où  à  Paris  du  moins,  cette 
loi  est  systématiquement  et  publiquement  violée. 

Ces  trois  Œuvres,  vous  les  connaissez,  elles  ont  été  l'objet, 
dans  LOS  congrès  précédents,  de  communications  très  intéres- 
santes dont  vous  n'avez  pas  perdu  le  souvenir;  leurs  premiers 
succès  sont  un  présage  de  leur  avenir. 

Je  salue  encore  avec  respect  une  œuvre  plus  ancienne, 
VŒuvre  du  dimanche  catholique,  fondée  par  un  véritable 
apôtre  laïque  dont  le  cœur  était  un  foyer  de  foi  et  de  dévoue- 
ment, le  regretté  M.  de  Cissey.  C'est  avant  tout  une  œnvre  de 
prière  et  de  pieuse  propagande  destinée,  non  seulement  à  favo- 
riser le  repos  du  dimanche,  mais  encore  à  encourager  la  sancti- 
fication de  ce  jour  qui  est  le  jour  du  Seigneur.  Elle  est  très 
répandue  et  elle  ne  saurait  trop  s'étendre. 

J'arrive  enfin  à  l'œuvre  qui  compte  les  plus  vieux  états  de 
services,  à  l'Association  pour  V observation  du  repos  du  di- 
manche, et  je  me  permets —  vous  allez  voir  dans  un  instant 
pourquoi  —  de  la  recommander  tout  spécialement  à  vos  cor- 
diales s^'rapathies. 

Elle  remonte  à  quarante  ans.  Elle  a  été  honorée  des  plus  pré- 
cieuses bénédictions  par  le  pape  Pie  IX,  de  sainte  et  illustre 
mémoire,  parmi  ses  fondateurs,  se  trouvaient  deux  hommes 
dont  nous  gardons  pieusement  le  souvenir  :  l'un  qui  était  déjà, 
à  cette  époque,  le  très  aimé  et  très  vénéré  président  général  de 
la  société  de  Saint- Vincent-de-Paul,  M.  Baudon;  l'autre  qui  fut 
plus  tard  le  président  bien  cher  et  bien  respecté  du  Comité 
catholique  de  Paris,  M.  Bailloud.  L'association  de  Saint-Fran- 
çois-de-Sales  prit  cette  œuvre  sous  son  patronage.  Mgr  de 
Ségur,  dont  la  sainteté,  toute  faite  de  piété  et  de  bonté,  se  joi- 
gnait à  une  grâce  à  laquelle  on  ne  résistait  pas,  en  prit  la 
direction,  et  lui  imprima  une  impulsion  qui   accrut  rapidement 


LE    REPOS    DU    DIMANCHE  473 

ses  progrès.  Elle  eut  ensuite  pour  président  un  très  ferme  chré- 
tien, un  homme  de  bien  et  de  cœur,  M,  Coppinger,  qui  lui  con- 
sacra les  derniers  labeurs  d'une  vie  qui  ne  devait  pas,  hélas!  se 
prolonger.  Nous  l'entendîmes  bien  souvent,  dans  notre  Comité 
catholique  et  dans  nos  congrès  nous  parler  avec  une  émotion 
éloquente  de  cette  œuvre  qui  lui  était  si  chère.  Elle  s'est  ratta- 
chée, il  y  a  quelques  mois,  par  des  liens  très  intimes, au  Comité 
catholique  de  Paris,  qui  a  mis  tous  ses  soins  à  la  réorganiser 
sur  de  larges  bases.  Désormais  donc,  elle  aura  son  siège  à  ce 
numéro  35  de  la  rue  de  Grenelle  oii  se  trouvent  déjà  groupées 
les  œuvres  sœurs  du  Comité  catholique,  du  Comité  de  défense 
religieuse  et  de  la  Société  d'éducation  et  d'enseignement.  C'est 
une  sœur  nouvelle  qui  nous  est  arrivée,  et  nous  l'avons  accueil- 
lie comme  étant  de  la  famille.  [Rires  et  applaudissements.) 

L'Association  n'implique  d'autre  engagement  que  celui  de 
respecter  le  repos  du  dimanche,  et  de  le  faire  respecter  autour 
de  soi  dans  les  limites  plus  ou  moins  étendues  de  l'action  qu'on 
peut  exercer. 

Pour  la  populariser  et,  —  c'est  notre  ambition,  —  l'universa- 
liser, nous  avons  créé,  sous  le  nom  de  Repos  du  dimanche^  un 
bulletin  mensuel  qui  se  donne  beaucoup  plus  qu'il  ne  se  paie, 
car  le  prix  d'abonnement  est,  si  je  ne  me  trompe,  d'un  franc  par 
an.   (Rires  approhatifs.) 

Ce  bulletin  a  fait,  il  y  a  deux  mois  seulement,  son  entrée 
dans  le  monde.  Mais  il  s'est  présenté  sous  un  très  haut  patro- 
nage. Son  Eminence  le  cardinal  archevêque  de  Paris  a  daigné 
l'honorer  d'une  lettre  d'approbation  qui  est  son  titre  de  no- 
blesse. {Vive  approbation.) 

Eh  bien,  Messieurs,  que  tous  les  catholiques  entrent  dans  cette 
association  et  s'abonnent  à  ce  bulletin!  Une  obole  pour  le  bon 
Dieu,  qui  donc  pourrait  la  refuser?  L'engagement  de  respecter 
et  de  faire  respecter  autour  de  soi  le  jour  sublime  de  Dieu,  des 
foyers  et  du  peuple,  qui  donc,  ayant  un  peu  de  foi  et  un  peu  de 
cœur,  pourrait  hésiter  à  le  prendre?  Cela  est  simple;  cela 
n'exige  ni  effort  ni  sacrifice  ;  et  cela  serait  grand,  décisif  et 
fécond.  Le  jour,  songez-y  bien,  oii  tous  les  catholiques  entre- 
raient dans  cette  association,  la  question  serait  résolue  ;  le  repos 
du  dimanche  serait  remis  en  honneur;  la  religion  retrouverait 
la  foi  et  le  respect  de  ses  enfants  ;  la  société,  ses  assises  déman- 
telées ;  la  famille,  ses  tendresses,  qui  sont  ses  forces  ;  l'ouvrier 
pauvre,  le  meilleur  gage  de  sa  liberté  et  de  son  relèvement.  Une 


474  annai.es  cathoj^iques 

grande  tache  serait  eflfacèe  du  front  de  la  France;  elle  aurait 
cherché  la  glorification  de  Dieu  et  de  son  jour,  et  le  reste  lui 
serait  donné  par  surcroît.  {Bra.vos  et  applaudissements.) 

Auprès  de  vous.  Messieurs,  la  cause  est  gagnée.  Vous  vous 
ferez  tous  inscrire,  avant  la  fin  du  congrès,  parmi  les  membres 
de  cette  association.  Je  l'affirme  pour  vous  !  {Riresapprobatifs.) 

Et  vous.  Mesdames,  dans  cette  croisade  pacifique  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  pour  l'affranchissement  des  faibles,  votre  place 
est  au  premier  rang.  Cette  place  vous  est  assignée  par  le  minis- 
tère de  grâce,  de  bonté,  de  persuasion  par  le  conseil  et  par 
l'exemple  qui  est  le  vôtre.  Je  suis  sur  que  vous  la  prendrez. 

Nous  attendons  de  vous  tous,  messieurs  et  mesdames,  quelque 
chose  de  plus;  nous  voudrions  que  vous  vous  fissiez  les  zélateurs 
et  les  zélatrices  de  cette  œuvre,  que  vous  aidassiez  à  sa  propa- 
gation. Et  alors,  qui  sait?  Lorsque  l'année  prochaine,  nous  nous 
trouverons  dans  ce  même  congrès,  il  arrivera  peut-être  que  la 
petite  semence  que  nous  aurons  jetée,  sera  devenue,  grâce  à 
Dieu  et  à  vous,  un  grand  arbre  aux  profondes  racines  et  aux 
innombrables  rameaux,  qui  détournera  les  tempêtes  et  qui  ne 
laissera  passer  sur  notre  France  bien-aimée  que  les  souffles 
bienfaisants  de  la  foi,  de  l'espérance,  de  la  paix  et  de  la  liberté 
chrétienne.  [Bravos  et  applaudissetnents .) 

Messieurs,  je  veux  terminer  par  un  mot  de  confiance  qui  ne 
sera  qu'un  écho  d'une  parole  très  chère  à  vos  cœurs  et  très  sain- 
tement autorisée. 

Naguère,  j'avais  l'honneur  d'entendre,  à  Notre-Danne,  Son 
Éminence  le  cardinal  archevêque  de  Paris,  adresser  au  R.  P.  Mon- 
sabré  des  remerciements  touchants  qui  étaient  la  récompense 
d'une  longue  et  grande  carrière.  Consacrée  par  un  tel  suffrage, 
l'œuvre  de  l'illustre  dominicain,  — je  saisis  avec  bonheur  l'occa- 
sion de  m'incliner  devant  elle,  —  sera  glorifiée  aussi,  par  les 
souvenirs  de  foi,  de  science,  d'édification,  qu'elle  ne  cessera  de 
rappeler,  aussi  bien  que  par  l'admiration  qu'a  laissée  après  elle, 
comme  une  traînée  de  gloire,  une  éloquence  qui,  chaque  année, 
semblait  arrivée  à  ses  sommets  mais  qui  grandissait  sans  cesse, 
jusqu'à  ce  qu'elle  a  éclaté,  avec  des  eff'usions  qui  n'avaient 
jamais  été  si  puissantes  et  si  émouvantes,  dans  ce  magnifique 
«  Amen  >,  qui  en  a  été  le  couronnement.  {Bravos  et  vifs 
applaudissements.) 

A  cette  occasion.  Son  Éminence  a  prononcé  une  parole  que 
j'ai  recueillie  avec  respect.  Dans  la  nuit  qui  nous  environne,  au 


]/ AFFAIRE    DE    DAMAS  475 

milieu  des  tristesses  dont  nous  souffrons,  son  regard  discerne, 
dans  les  régions  où  s'accomplissent  les  évolutions  des  âmes, 
certains  points  lumineux  et  comme  les  premiers  linéaments  de 
la  restauration  chrétienne  de  la  France.  Le  vénéré  prélat  nous 
le  dit  en  nous  exhortant  à  la  confiance  et  sa  parole  fortifia  nos 
cœurs. 

Je  m'inspire  de  ce  mot  auquel  les  intuitions  spéciales  qui  sont 
le  privilège  des  grandes  vertus  dans  les  grandes  charges  donnent 
une  incomparable  autorité,  et  je  vous  dis  en  finissant  : 

La  situation  actuelle  a  deux  faces.  Jaaiais  l'Eglise  ne  fut 
aussi  radicalement  attaquée;  mais  jamais  peut-être  elle  ne  fut 
aussi  intégralement  défendue.  Jamais  les  pouvoirs  publics  ne  lui 
témoignèrent  plus  de  défiance;  mais  jamais  le  cœur  des  fidèles 
ne  lui  prodigua  plus  d'amour.  Jamais  elle  ne  fut  plus  dénuée  de 
toute  assistance  officielle;  mais  jamais  elle  ne  produisit  plus 
d'œuvres  spontanées  de  foi,  de  dévouement  et  de  sacrifice.  On 
cherche  à  lui  tout  ravir  :  mais  elle  garde  son  pouvoir  sur  les 
âmes  et  sa  puissance  sur  les  cœurs.  Or  là  oii  sont  les  âmes,  là  oii 
sont  les  cœurs,  là  est  la  vie,  et  là  aussi  est  l'espérance. 

Et  voilà  pourquoi.  Messieurs,  à  vous  qui  êtes  les  vaincus  du 
jour,  mais  qui  êtes  aussi  les  fils  de  l'Eglise  catholique  et  de  la 
France  catholique,  je  jette  ce  cri:  Vous  êtes  l'avenir!  car 
l'Eglise  catholique  ne  périra  pas  et  la  France  catholique  n'abdi- 
quera pas  !  {Bravos  repétés.  —  Iriple  salve  d'applaudissements.) 


L'AFFAIRE  DE  DAMAS 

Une  assez  grande  efifervescence  règne  à  Damas  dans  la  population 
chrétienne  et  turque  de  cette  ville,  à  la  suite  de  la  disparition  d'uu 
enfant  chrétien,  tué,  dit-on,  par  les  Juifs. 

Le  Nouvelliste  de  Lyon  reçoit,  à  ce  sujet,  de  l'un  de  ses  amis,  une 
intéressante  coiTespondauce,  que  nous  reproduisons  à  titre  d'infor- 
mations et  sous  réserves  : 

Beyrouth  (Syrie),  28  avril. 

J'arrive  à  l'instant  de  Damas.  Cette  ville  est  sous  le  coup 
d'une  vive  émotion  par  suite  de  l'assassinat  d'un  jeune  enfant 
catholique  dans  les  circonstances  les  plus  mystérieuses. 

Les  autorités  civiles  voulant  absolument  étouâ"er  l'affaire,  par 
les  motifs  que  vous  comprendrez  tout  à  l'heure,  il  est  probable 
que  vous  ne  recevrez  aucune  communication  de  ce  pays.  Mais, 
comme  je  ne  suis  ni  fonctionnaire,  ni  même  Damasouin,  je  me 


476  ANNALES    CATHOLIQUES 

permets  cette  indiscrétion,  dans  le  but  de  soulager  la  conscience 
de  toute  une  population  justement  indignée. 

Les  renseignements  qui  suivent  ont  été  pris  auprès  de  per-. 
sonnés  judicieuses  et  absolument  sûres.  Je  les  ai  contrôlés  de 
divers  côtés  pendant  deux  jours,  et  il  y  a  eu  unanimité  dans 
l'appréciation  du  fait  comme  dans  les  détails. 

Voici  le  fait  : 

A  Damas,  dans  le  quartier  chrétien,  vit  une  famille  arabe, 
catholique  du  rite  arménien,  portant  le  nom  de  Abd-el-Nour. 
Elle  se  compose  de  la  mère  et  de  deux  enfants,  dont  le  plus 
jeune,  nommé  Henri,  était  âgé  de  six  ans. 

Cette  famille  vit  dans  l'aisance,  et  pour  ses  soirées  elle  invi- 
tait assez  souvent  une  chanteuse  juive  nommée  Regina,  dont  le 
domicile  n'est  pas  très  éloigné,  vu  que  le  quartier  juif  est  près 
du  quartier  chrétien.  De  là  sont  nées  certaines  relations  de  bon 
voisinage  entre  la  famille  Abd-el-Nour  et  celle  de  Regina  (pro- 
noncez Rodgina).  Regina  a  même  appris  la  couture  chez 
Mme  Abd-el-Nour. 

Les  enfants  Abd-el-Nour  allaient  assez  souvent  chez  Regina, 
Henri  surtout.  Le  lundi  de  Pâques,  pendant  que  sa  mère  était 
retenue  par  quelques  visites,  Henri  demanda  à  aller  chez  Regina. 
La  mère  refusa  et  permit  seulement  une  sortie  chez  un  voisin. 
L'enfant  sort;  mais,  le  voisin  étant  absent,  il  va  dans  une  autre 
famille.  Une  heure  après,  on  Taperçoit  près  d'une  caserne  sur  le 
chemin  du  domicile  de  Regina.  Depuis,  on  ne  l'a  plus  revu. 

Cependant  la  mère  d'Henri,  ne  le  voyant  pas  rentrer,  s'in- 
quiète et  court  à  sa  recherche.  On  va  chez  tous  les  voisins,  mais 
on  ne  le  trouve  nulle  part.  Pendant  la  veillée,  la  population, 
avertie  du  malheur  de  la  famille  Abd-el-Nour  et  se  rappelant 
d'autres  disparitions,  celle  du  P.  Thomas  entre  autres,  com- 
mence à  redouter  un  assassinat. 

Regina  devait  chanter  ce  soir-là  dans  une  famille;  elle  contre- 
mande  la  soirée  et  vient  apporter  ses  condoléances  à  la  mère  de 
la  victime,  disant  qu'elle  ne  peut  chanter  quand  son  amie  souffre. 

A  minuit  environ,  Regina  se  retire,  accompagnée,  comme  de 
coutume,  par  le  domestique  de  Mme  Abd  el-Nour.  Celui-ci 
comptai*;  entrer  chez  Regina  et  fumer  quelques  cigarettes,  selon 
son  habitude.  Mais  la  chose  ne  se  passa  pas  ainsi.  A  la  porte  de 
sa  maison,  Regina  prétendit  tout  à  coup  avoir  perdu  en  chemin 
une  pierre  précieuse  de  sa  manche  et  appela  son  père,  qui  vint 
avec  une  lumière  chercher  le  bijou  .en  rebroussant  chemin.  Le 
domestique  fut  donc  congédié  sans  pénétrer  dans  la  maison. 


l'affairb  de  damas  477 

Chose  singulière,  Regina  n'a  jamais  plus  réclamé  sa  pierre 
précieuse. 

Le  lendemain,  la  mère,  folle  de  douleur,  soupçonna  les  Juifs 
d'avoir  enlevé  son  enfant  et  Regina  d'avoir  été  la  pourvoyeuse 
en  attirant  Henri  chez  elle.  Sa  conduite  lui  parut  hypocrite 
comme  ses  condoléances.  Elle  s'adresse  au  ouali  (préfet  de 
Damas),  qui  la  reçoit  très  mal  et  l'accuse  de  vouloir  renouveler 
l'affaire  du  P.  Thomas  (1).  «  On  ne  peut  ainsi  accuser  un  peuple, 
lui  dit-ilj  d'un  crime  particulier.  Portez  une  plainte  en  règle 
contre  quelqu'un.  » 

La  mère  fit  donc  rédiger  une  plainte  contre  Regina  et  sa 
famille  et  demanda  une  enquête.  La  plainte  fut  enterrée  et 
l'enquête  ne  se  fit  pas.  Furieuse,  la  mère  retourne  au  sérail, 
réclame  à  grands  cris  son  enfant  et  insulte  le  ouali.  Celui-ci  la 
menace,  elle  et  sa  famille,  de  la  prison  et  de  l'exil,  si  elle  con- 
tinue à  soulever  les  chrétiens  contre  les  juifs  par  ses  lamenta- 
tions et  ses  calomnies. 

Cependant  les  Juifs  font  bientôt  courir  le  bruit  que  le  jeune 
Henri  a  été  découvert  dans  le  puits  d'un  chrétien.  La  découverte 
était  fausse;  mais  dés  ce  moment  la  police  commença  à  fouiller 
les  puits.  On  vint  d'abord  au  puits  de  la  maison  Abd-ei-Nour; 
on  n'y  trouva  rien.  On  fouilla  chez  quelques  voisins  :  rien  encore. 
Le  ouali  ordonna  alors  de  sonder  tous  les  puits  de  Damas. 
C'était  quinze  jours  après  la  disparition.  On  prépare  une  voi- 
ture, on  avertit  des  médecins,  et  la  police,  accompagnée  d'un 
puisatier  et  munie  d'un  sac  tout  prêt,  se  dirige  en  premier  lieu 
vers  la  remise  d'un  loueur  de  voitures  dans  le  quartier 
chrétien. 

Comment  et  pourquoi  avait-on  choisi  ce  p(jits?Nulne  le  sait; 
mais  le  cadavre  de  l'enfant  était  là.  On  le  retire  ;  la  mère  le 
reconnaît  et  accuse  de  nouveau  les  Juifs.  Le  ouali  se  fâche  ; 
mais  la  mère  outrée  de  douleur,  l'insulte  de  nouveau  et  lui 
reproche  avec  violence  d'avoir  été  payé  par  les  Juifs. 

On  emporta  aussitôt  l'enfant  à  l'hôpital  militaire,  et  le  lende- 
main, par  ordre  du  procureur  et  du  juge  d'instruction,  vingt 
médecins  sont  réunis  pour  procéder  à  l'autopsie.  La  famille  de 
la  victime  entoure  les  médecins;  la  mère  reconnaît  les  habits 
de  son  enfant,  mais  il  manque  sa  ceinture,  son  petit  col  et  ses 

(1)  Le  P.  Thomas,  religieux  dévcué,  fut  assassiné  el  saigné  en  al- 
lant vacciner  des  enfants  juifs,  il  y  a  un  certain  nombre  d'années. 
(Note  du  Nouvelliste.) 


478  ANNALES     CATHOLIQUES 

manchettes.  Il  a  donc  été  déshabillé  par  des  mains  étrangères. 
De  plus,  l'examen  du  cerveau,  du  poumon,  du  cœur  et  des 
intestins  prouva  que  l'entant  n'a  pas  été  noyé,  mais  tué  d'abord, 
puis  jeté  dans  le  puits.  On  remarque  aussi  au  bras  gauche  une 
incision  pratiquée  sur  la  veine  principale.  Les  médecins  déci- 
dent même  qu'il  y  a  lieu  d'amputer  ce  bras  et  de  l'autopsier  à 
part.  A  cet  effet,  on  le  place  dans  un  bocal  d'alcool  et  on  appose 
les  scellés  sur  le  bocal. 

Les  rapports  verbaux  des  médecins  et  les  dires  des  personnes 
qui  avaient  assisté  à  l'autopsie  produisirent  dans  la  ville  une 
émotion  facile  à  comprendre.  On  accusait  publiquement  les 
Juifs  d'avoir  une  fois  de  plus  pratiqué  le  Talmud  en  employant 
du  sang  chrétien  pour  leur  fête  pascale.  D'autre  part,  le  cocher 
du  loueur  de  voitures  chez  qui  on  avait  découvert  le  cadavre 
ne  se  gênait  pas  pour  raconter  que  trois  jours  auparavant, 
Regina  et  plusieurs  Juifs  étaient  venus  louer  deux  voitures 
pour  une  promenade,  et  que  pendant  qu'il  préparait  ses  che- 
vaux, un  des  gros  paquets  apportés  par  les  promeneurs  avait 
disparu.  Cette  promenade  lui  avait  paru  incompréhensible  à 
cause  de  son  peu  de  durée. 

C'est  le  ouali  qui  n'était  pas  content.  Il  fait  venir  les  médecins 
et  leur  lave  la  lête  d'importance,  les  menaçant  de  toutes  les 
rigueurs  de  sa  colère  et  de  son  autorité  s'ils  osent  parler  de  leur 
autopsie  dans  le  public.  Le  parent  d'un  de  ces  médecins  me 
disait  hier  :  «  Quand  je  lui  parle  d'Henri  Abd-el-Nour,  il  dé- 
tourne la  tête  sans  me  répondre.  » 

Le  lendemain,  vers  une  heure  du  matin,  on  enterrait  secrète- 
ment le  pauvre  petit  martyre.  Par  ordre  du  ouali  on  avait  brisé 
les  sceaux  du  bocal,  on  avait  violenté  et  menacé  la  famille  qui 
refusait  de  livrer  le  corps  à  la  terre  avant  la  publication  du 
procès-verbal  des  médecins,  on  avait  glissé  furtivement  le  bras 
amputé  dans  le  cercueil,  et  on  avait  forcé  le  curé  catholique  à 
procéder  à  l'inhumation. 

Le  samedi  26  avril,  jour  oii  je  suis  arrivé  à  Damas,  la  mère 
de  l'enfant  assassiné  est  venue  au  cimetière  suivie  de  plusieurs 
milliers  de  chrétiens.  On  a  pleuré,  on  a  poussé  des  cris  de  dou- 
leur. La  mère  s'est  précipité  sur  la  tombe  de  son  enfant,  s'effor- 
çant  de  le  déterrer  avec  ses  ongles  afin  de  faire  constater  le 
crime.  Mais  tout  à  coup  les  soldats  sont  arrivés,  ont  dispersé  le 
rassemblement  et  arraché  la  mère  à  la  tombe  qu'elle  avait  déjà 
presque  ouverte. 


LA    SAISIE   DES   BIENS    DES   FABRIQUES  479 

Depuis,  ce  jour,  le  petit  tertre  sous  lequel  repose  le  pauvre 
enfant,  est  gardé  jour  et  nuit  par  des  soldats.  Je  les  ai  vus  de 
mes  jeux;  je  leur  ai  demandé  le  lieu  précis  ;  ils  me  l'ont  mon- 
tré et  j'ai  prié  le  petit  ange  de  veiller  sur  sa  famille. 

Le  ouali  est  de  plus  en  plus  furieux  ;  et,  pour  étouffer  l'émo- 
tion grandissante,  il  fait  emprisonner  tout  chrétien  qui  parle 
publiquement  de  cette  afiaire.La  terreur  régne  dans  le  quartier, 
mais  la  colère  couve  au  fond  des  coeurs.  Toute  la  population 
chrétienne  et  tous  les  Turcs  sont  convaincus  de  la  culpabilité 
des  Juifs.  Les  menaces  du  ouali  pourront  imposer  silence,  mais 
ne  pourront  détruire  cette  conviction. 


LA  SAISIE  DES  BIENS  DES  FABRIQUES 

La  première  chambre  du  tribunal  civil  de  la  Seine,  présidée 
par  M.  Thureau  a  rendu,  il  y  a  déjà  quelque  temps,  son  juge- 
ment dans  l'affaire  de  la  saisie  pratiquée  à  Saint-Eustache.  On 
sait  qu'un  ouvrier,  blessé  en  passant  devant  cette  église  par 
une  pierre  détachée  de  l'édifice  avait  fait  condamner  la  fabrique 
à  une  certaine  somme  de  dommages-intérêts.  En  attendant  le 
résultat  de  l'appel  en  Conseil  d'Etat,  l'ouvrier  blessé  fit  saisir 
une  certaine  quantité  de  meubles  appartenant  à  la  fabrique. 
C'est  ce  fait  que  règle  le  jugement  suivant. 

Conformément  aux  conclusions  de  M.  Bulot  et  après  plai- 
doirie de  Me  Louchet,  le  tribunal  a  décidé  que  les  fabriques  sont 
assimilables  aux  communes,  mineures  comme  elles,  et  qu'un 
particulier  ne  peut,  sans  une  autorisation  de  l'administration, 
saîsir  leurs  biens  ou  leurs  revenus,  d'ailleurs  de  leur  nature 
insaisissables,  comme  affectés  au  culte. 

Voici  le  texte  de  ce  jugement  : 

Le  tribunal, 

Donne  acte  à  Vally  de  ce  qu'il  déclare  renoncer  à  son  exception 
d'incompétence,  et  statuant  en  conséquence  sur  les  conclusions  au 
fond. 

Attendu  que  la  fabrique  de  l'Eglise  Saint-Eustache,  autorisée  à 
ester  en  justice  sur  la  demande  introduite  contre  elle  par  Vally  et 
suffisamment  habilitée  à  plaider  au  sujet  des  difficultés  que  soulève 
le  code  d'exécution  de  la  sentence  intervenue  au  cours  de  la  susdite 
instance  ; 

Attendu  qu'un  arrêté  du  conseil  de  préfecture  de  la  Seine,  en  date 
du  28  janvier  1890,   a  condamné  la   fabrique  de   Saint-Eustache  à 


480  ANNALES    CATHOLIQUES 

payer  à  Vally  une  somme  de  15,000  francs,  à  titre  de  dommages- 
intérêts,  que  le  recours  formé  devant  le  Conseil  d'Etat  contre  cette 
décision  n'en  suspend  pas  l'exécution  ; 

Attendu  que,  par  procès-verbal  de  Rousseau,  huissier^  en  date  du 
8  février  1890,  Vally  a  fait  saisir  dans  l'église  Saint-Euslache  mille 
chaises,  un  orgue,  huit  tableaux,  quatre  lustres,  vingt-quatre  chan- 
deliers, et  dans  la  sacristie,  dix  chaises,  trois  bureaux,  des  casiers 
et  deux  tableaux; 

Attendu  qu'aux  termes  de  l'article  3  de  l'airêté  du  7  thermidor 
an  XI,  les  biens  des  fabriques  sont  administrés  dans  la  forme  particulière 
aux  biens  des  communes  ;  que  si  le  décret  du  30  décembre  1809,  qui 
régit  aujourd'hui  les  fabriques,  n'a  pas  produit  en  termes  exprès  cette 
assimilation,  il  a  maintenu  pour  ces  administrations  et  pour  les  biens 
dont  elles  ont  la  propriété  ou  la  jouissance  un  régime  qui  a  de  nom- 
breuses analogies  avec  celui  auquel  sont  soumises  les  communes  ; 

Attendu  que  les  biens  des  communes  sont  insaisisables,  aussi  bien 
par  voie  de  saisie-exécution  que  de  saisie-arrêt;  que  la  même  règle 
doit  être  appliquée  aux  biens  des  fabriques; 

Qu'en  effet,  les  fabriques  sont  chargées  d'un  service  public  et  sou- 
mises en  conséquence  aune  tutelle  véritable;  qu'elles  n'ont  point  la 
libre  disposition  ni  des  biens  du  domaine  public  qui  leur  sont  affectés, 
ni  de  ceux  qui  constituent  plus  spécialement  leur  patrimoine  ; 

Que  l'emploi  de  leurs  revenus  est  réglé  par  un  budget  annuel 
soumis  au  contrôle  et  à  l'approbation  des  autorités  publiques  ; 

Que  toute  voie  de  contrainte  exercée  sur  des  biens  et  revenus  qui 
ont  ainsi  reçu  une  affectation  spéciale  serait  de  nature  à  jeter  le 
trouble  dans  le  service  du  culte;  que,  notamment,  en  ce  qui  concerne 
les  chaises,  dont  la  location  représente,  aux  termes  de  l'article  36  du 
décret  précité,  un  des  revenus  réguliers  de  la  fabrique,  la  vente  à 
laquelle  il  serait  procédé  en  vertu  d'une  saisie-exécution  serait  de 
nature  à  mettre  la  fabrique  hors  d'état  de  pourvoir  aux  dépenses 
mises  à  sa  charge  par  le  décret  susdit  et  par  le  budget  revêtu  de 
l'approbation  de  l'autorité  supérieure; 

Que  cette  autorité  peut  seule  déterminer  ceux  des  biens  qui  ne  sont 
pas  nécessaires  à  l'exercice  du  culte  et  ceux  des  revenus  qui  peuvent 
être  distraits  de  leur  destination  ordinaire  pour  être  employés  à 
l'acquit  des  charges  autres  que  le  susdit  service; 

Qu'en  l'absence  d'une  semblable  désignalion,  la  saisie-exécution 
pratiquée  par  Vally  ne  saurait  produire  effet; 

Par  ces  motifs. 

Déclare  nulle  et  de  nul  effet  la  saisie-exécutioû  pratiquée  suivant 
procès-verbal  du  8  février  1890  par  Rousseau,  huissier,  à  la  requête 
de  Vally  ; 

Ordonne  en  conséquence  la  discontinuation  des  poursuites  ; 

Condamne  Vally  aux  dépens.  » 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  481 

En  ce  qui  concerne  le  référé  introduit  dans  le  procès-verbal  de 
récolement  du  20  février  1890  ; 

Attendu  qu'il  n'appartient  pas  au  tribunal,  statuant  en  référé, 
d'apprécier  la  validité  de  la  saisie- exécution  pratiquée  par  Vally  en 
l'église  Saint-Eustache,  suivant  procès-verbal  du  8  février  1890  ; 
qu'une  demande  en  discontinuation  de  poursuites  est  introduite  au 
principal  ;  mais  que  les  motifs  sur  lesquels  est  fondée  cette  demande 
apparaissent  dès  à  présent  comme  suffisamment  sérieux  pour  qu'il  y 
ait  lieu  par  provision  de  surseoir  à  la  continuation  des  poursuites  ; 
qu'il  ne  saurait  en  effet  être  passé  outre  à  la  vente  des  objets  saisis 
sans  porter  préjudice  au  principal; 

Par  ces  motifs, 

Renvoie  les  parties  à  faire  statuer  au  principal,  et  néanmoins  par 
provision,  vu  l'urgence  ; 

Dit  qu'il  sera  sursis  à  la  continuation  des  poursuites  de  saisie- 
exécution  jusqu'à  ce  qu'il  y  ait  été  statué  au  principal  sur  la  demande 
en  discontinuation  des  mêmes  poursuites; 

Ordonne  l'exécution  provisoire,  etc.,  etc. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Rome  et  l'Italie. 

La  S,  Congrégation  des  Rites  vient  de  se  prononcer  favora- 
blement, dans  de  récentes  séances,  sur  les  préliminaires  de  plu- 
sieurs causes  de  béatification,  notamment  la  validité  du  procès 
fait  par  l'Ordinaire  de  Bellej  sur  la  renommée  de  sainteté,  les 
vertus  et  les  miracles  en  général  du  vénérable  Jean-Baptiste 
Vianney,  curé  d'Ars,  et  la  revision  des  écrits  du  vénérable  Isi- 
dore Gagelin,  l'un  des  martyrs  de  la  Cochinchine. 

Le  Souverain  Pontife,  approuvant  la  décision  favorable  de  la 
S.  Congrégation  des  Rites  sur  l'héroïcité  des  vertus  de  la  véné- 
rable Rivier,  fondatrice  des  Sœurs  de  la  Présentation,  a  ordonné 
de  préparer  le  décret  qui  confirme  cette  décision  et  qui  sera 
promulgué  en  juin  prochain. 

Les  EEmes  Pères  et  consulteurs  de  la  S.  Congrégation  des 
Rites  ont  reçu  l'avis  qu'une  séance  plénière  ou  générale  sera 
tenue  devant  le  Saint-Père  le  17  juin  prochain,  dans  laquelle 
ils  auront  à  donner  leur  vote  définitif  sur  l'héroïcité  des  vertus 
de  la  vénérable  Jeanne  de  Lestonnac,  du  diocèse  de  Bordeaux, 
fondatrice  des  Filles  de  la  B.  V.  Marie. 


Eu  égard  à  la  situation  exceptionnellement  grave  du  Brésil, 

33 


482  ANNALES   CATHOLIQUES 

le  Saint-Siège  a  consenti  à  ce  que  l'épiscopat  brésilien  acceptât 
publiquement  le  système  de  la  liberté  de  l'Eg-lise  et  de  son 
indépendance  vis-à-vis  de  l'Etat,  à  la  condition  cepeuda-nt 
qu'il  s'agisse  d'une  liberté  vraie  et  complète  comme  aux  Etats- 
Unis.    • 


On  dit  au  Vatican  que  le  Saint-Père  a  fixé  d'aller  passer 
quelques  jours  au  casino  de  Pie  IV  dans  les  jardins  du  palais. 
On  se  souvient  que  ce  casino,  quelque  peu  délabré,  fut  restauré 
l'année  dernière  afin  que  Léon  XIII  pût  y  aller  demeurer  pen- 
dant le  printemps.  Mais  les  travaux  nécessaires  traînèrent  en 
longueur,  de  manière  que  lorsque  le  casino  fut  complètement 
aménagé,  les  beaux  jours  étaient  passés  et  l'hiver  s'approchait 
avec  la  malaria  et  les  fièvres.  Alors  le  docteur  Ceccareili, 
médecin  du  Pape,  mit  son  veto  et  le  Saint-Pére  dut  se  borner  à 
y  aller  passer  quelques  heures  du  matin  pour  rentrer  dans  ses 
appartements  lorsque  la  chaleur  devenait  trop  étoufi'ante. 

Il  paraît  que,  cette  année,  on  va  de  nouveau  essayer  l'épreuve. 
Mais,  malgré  les  séductions  que  ce  petit  repos  champêtre  peut 
exercer  sur  Léon  XIII,  même  s'il  réalise  sou  projet  d'y  aller,  il 
n'y  restera  pas  longtemps.  D'abord  le  casino  de  Pie  IV  n'est 
pas  bien  placé.  Il  est  au  fond  des  jardins  du  Vatican  dans  la 
partie  plus  basse  et  pas  proche  du  palais.  La  chaleur  y  est 
éloufî'antia  pendant  l'été,  et  à  Rome  l'été  commence  de  bonne 
heure.  Mais  il  y  a  encore  une  autre  raison.  Le  casino  est  très 
petit,  et  par  conséquent,  à  l'exception  du  Saint-Père,  d'un 
prélat  et  de  quelques  domostiques,  on  ne  peut  y  loger  d'autres 
personnes. 

Cela  fait  que  ceux  que  le  Saint-Pére  a  l'habitude  de  voir  à 
tout  moment,  doivent  rester  au  palais,  et  il  faut  les  faire  appe- 
ler chaque  fois  qu'il  leur  veut  donner  des  ordres.  C'est  vrai 
qu'il  y  a  le  téléphone  qui  met  le  casino  en  communication  avec 
le  reste  du  Vatican;  mais  le  palais  est  vaste,  et,  même  avec 
l'aide  du  téléphone,  il  faut  une  demi-heure  avant  que  la  pej>- 
sonne  appelée  puisse  se  rendre  près  du  Saint-Père. 

En  vue  de  cette  difficulté,  on  ne  doute  pas  qu'après  l'expé- 
rience de  quelques  jours,  le  Saint-Pére  jugera  plus  commode 
de  rentrer  dans  ses  appartements  habituels. 

Le  Consistoire,  dont  on  parle  depuis  longtemps,  aura  lieu,  on 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  483 

l'assure,  à  la  fin  du  mois  de  juin  entre  le  24  et  le  29.  On  nommera 
Cardinaux,  Nosseigneurs  Mermillod,  l'illustre  évoque  de  Lau- 
sanne et  Genève,  Vannntelli,  nonce  en  Portugal,  Dunajewski 
évêque  de  Cracovie.  Il  }•  en  a  même  un  quatrième  choisi  parmi 
les  prélats  demeurant  à  Rome;  mais  jusqu'ici  on  ne  sait  pas 
avec  certitude  le  nom  de  ce  prélat.  On  parle  de  Mgr  Jacobini, 
secrétaire  de  la  Propagande,  et  de  Mgr  SatoUi,  président  de 
l'Acadéxaie  des  Nobles  Ecclésiastiques. 

F"ranc«?. 

Chalons.  —  Le  mardi  3  juin,  aura  lieu  dans  le  diocèse  de 
Chàlons  le  couronnement  de  la  statue  de  Notre-Dame  de  l'Epine, 
par  S.  Em.  le  cardinal  Langénieux,  archevêque  de  Reiras,  dé- 
légué du  Souverain  Pontife. 

Quatorze  archevêques  ou  évêques  ont  annoncé  leur  présence. 

La  cérémonie  commencera  à  onze  heures  et  demie. 

Voiei  en  quoi  elle  consistera  : 

1°  Procession,  pendant  laquelle  la  statue  sera  placée  sur  le 
trône  qui  lui  aura  été  préparé  devant  le  portail  de  l'église  ; 

2"  Messe  pontificale  célébrée  par  S.  G.  Mgr  Meignan,  arche- 
vêque de  Tours,  ancien  évêque  de  Châlons  ; 
.    3°  Sermon  par  S.  G.  Mgr  Freppel,  évêque  d'Angers; 

4°  Couronnement  de  la  statue; 

5°  Consécration  du  diocèse  de  Chàlons  à  Notre-Dame  de 
l'Epine  par  Mgr  Sourrieu. 

Mgr  Sourrieu  a  adressé  il  y  a  quelque  temps  à  ses  diocésains 
une  Lettre  pastorale  relative  à  cette  grande  cérémonie. 

Chambêry.  —  On  lit  dans  la  Semaine  religieuse  de  la  Savoie, 
du  22  mai  : 

Mgr  l'archevêque  a  reçu,  au  cours  do  sa  seconde  tournée  de  visites 
pastorales,  un  Bref  qu'a  daigné  lui  adresser  le  Souverain  Pontife 
Léon  XIII,  en  réponse  à  la  lettre  par  laquelle  il  avait  rendu  compte 
â  Sa  Sainteté  de  l'audience  que  la  reine  d'Angleterre,  impératrice  des 
•Indes^  avait  bien  voulu,  Je  son  propre  mouvement,  lui  accorder,  le 
S  avril  dernier,  pendant  son  séjour  en  Savoie,  aux  eaux  d'Aix-les- 
Baias. 

Pour  l'honneur  du  clergé  et  des  fidèles  de  son  diocèse,  Monseigneur 
nous  a  permis  de  publier  textuellement  cette  magnifique  Lettre  et 
d'en  donner  la  traduction  en  français. 

¥oici  cette  traduction  : 


484  ANNALES    CATHOLIQUES 

LÉON  XIII,  PAPE 

Vénérable  Frère,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

Ce  que  vous  Nous  avez  écrit,  le  15  avril,  avec  tant  d'empressement 
et  de  soin,  au  sujet  de  votre  entrevue  avec  Sa  Majesté  Impériale  la 
reine  d'Angleterre,  et  de  l'entretien  que  vous  avez  eu  avec  elle,  Nous 
a  causé  un  agréable  sentiment  de  joie.  Nous  sommes  heureux  de 
savoir  qu'elle  vous  a  reçu  avec  affabilité,  et  Nous  vous  félicitons  de 
l'avoir  remerciée,  avec  autant  de  vérité  que  d'à-propos,  de  sa  bien- 
veillance envers  les  catholiques,  et  de  lui  avoir  rappelé  l'estime  que 
Nous  avons  conçue  pour  elle  dès  la.  première  fois  qu'il  nous  a  été 
donné  de  la  connaître  et  de  lui  parler,  lorsque  Nous  étions  chargé  de 
la  nonciature  en  Belgique.  Le  souvenir  de  ce  temps  demeure  gravé 
dans  Notre  cœur. 

Nous  avons  aimé  l'empressement  avec  lequel  vous  Nous  avez 
informé  d'un  fait  qui  Nous  touche  personnellement  et  qui  était  de 
nature  à  Nous  procurer  quelque  consolation  dans  l'amertume  des 
temps  présents. 

Ce  zèle  dévoué,  les  termes  magnifiques  dont  vous  vous  êtes  servi 
pour  parler  de  Nous  à  cette  auguste  souveraine,  l'insistance  pieuse 
avec  laquelle  vous  vous  efforcez,  par  vos  prières,  d'attirer  sur  Nous 
le  secours  divin,  c'est  là  un  témoignage  spontané  de  votre  attache- 
ment ;  Nous  l'attribuons  à  l'affection  spéciale  et  distinguée  que  vous 
avez  envers  nous. 

Il  Nous  serait  impossible  de  ne  pas  avoir  pour  agréables  de  telles 
dispositions  ;  aussi  éprouvons-Nous  pour  vous  une  affection  non 
moins  grande,  et,  pour  vous  en  donner  un  gage,  Nous  vous  accor- 
dons avec  tendresse,  dans  le  Seigneur,  à  vous,  au  clergé  et  aux 
fidèles  qui  vous  sont  soumis,  Notre  bénédiction  apostolique. 

Donné  à  Rome,  près  Saint-Pierre,  le  25  avril  1890  et  la  treizième 
année  de  notre  Pontificat.  LÉON  XIII,  PAPE. 

Carthage.  —  La  consécration  de  la  cathédrale  de  Carthage 
a  été  faite  le  jour  de  l'Ascension  par  S.  E.  le  cardinal  Lavi- 
gerie,  déiègatdu  Pape,  en  présence  de  NN.  SS.  Robert,  Larue, 
Lagrange,  Dusserre,  Combes,  Soubrié,  Brincat  et  de  plusieurs 
évêques  étrangers,  d'un  grand  nombre  de  prélats  et  de  chanoines. 

Dans  la  cathédrale,  décorée  d'oriflammes,  du  drapeau  papal, 
du  drapeau  français  et  d'emblèmes  beylicaux,  avaient  pris  place, 
en  tête  d'une  foule  immense,  M.  Massicault,  Mme  Massicault,  le 
personnel  de  la  résidence,  M.  le  général  Swiney,  accompagné 
de  nombreux  représentants  de  l'armée  et  de  la  marine.  Le  corps 
diplomatique  était  présent.  On  remarquait  encore  le  prince 
Taïeb,  frère  du  bey,  entouré  de  ses  aides  de  camp. 

La  cérémonie  a  commencé  à  huit  heures  par  une  magnifique 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  485 

procession  qui  a  transporté  à  la  cathédrale  les  reliques  de  saint 
Louis,  jusqu'à  présent  déposées  dans  une  chapelle. 

La  messe  a  été  célébrée  par  Mgr  Brincat.  S.  Eminence  le 
cardinal  Lavigerie  a  prononcé  une  magnifique  allocution. 

A  l'issue  de  la  messe,  la  bénédiction  papale  a  été  donnée  à 
la  foule  massée  devant  la  façade  de  l'église. 

Le  service  intérieur  était  fait  par  les  Pères  blancs  des  mis- 
sions africaines,  et  le  service  d'ordre  par  des  cavaliers  du 
4^  chasseurs  d'Afrique.  Deux  sections  de  l'artillerie  beylicale 
ont  tiré  des  salves  pendant  toute  la  durée  de  la  cérémonie. 

C'est  un  jour  qui  doit  compter  parmi  les  plus  grands  que  celui 
marqué  par  la  résurrection  de  cette  église  de  Carthage,  si 
célèbre  dans  les  fastes  ecclésiastiques  par  ses  martyrs,  ses  doc- 
teurs et  ses  conciles.  Après  avoir  survécu  aux  persécutions  des 
Vandales  et  desMusulmans,  elle  jetait  quelque  gloire  encore  au 
xi«  siècle.  Au  xiii«  siècle,  elle  avait  disparu  ;  mais  dès  lors, 
saint  Louis,  en  venant  mourir  sur  son  sol  en  1270,  et  en  jetant 
sur  elle  son  dernier  regard  et  sa  dernière  prière,  préparait  sa 
résurrection  par  les  mains  de  la  France.  Plus  tard  les  souf- 
frances de  saint  Vincent  de  Paul,  prisonnier  à  Tunis  et  les 
larmes  d'une  foule  de  chrétiens  captifs  appelaient  l'heure  du 
relèvement  auquel  nous  assistons  aujourd'hui,  grâce  à  l'intelli- 
gence, au  courage,  au  zèle  apostolique  du  cardinal  Lavigerie. 

Étrauger. 

Allemagne.  —  Le  congrès  des  catholiques  allemands,  qui 
devait  se  tenir  cette  année  à  Munich,  se  heurte  à  l'hostilité  du 
prince  régent. 

On  se  rappelle  que  le  congrès  catholique  de  l'Allemagne  en 
1889  a  eu  lieu  en  Westphalie,  et  on  sait  aussi  que  le  lieu  du 
rendez-vous  suivant  est  discuté  et  fixé  un  an  à  l'avance.  C'est 
ainsi  qu'à  Bochum  on  a  décidé  qu'en  1890  on  se  réunirait  à 
Munich.  La  tradition  veut  qu'après  avoir  siégé  dans  une  ville  du 
Nord,  on  transporte  le  congrès  l'année  suivante  dans  une  ville 
du  Sud. 

On  est  allé  de  Trêves  à  Fribourg,  de  Fribourg  à  Bochum,  de 
Bochum,  on  devait  aller  à  Munich.  Cette  idée  fut  accueillie 
avec  enthousiasme  dans  toute  la  Bavière.  On  se  réjouissait  à  la 
pensée  que  ces  grandes  assises  catholiques  se  tiendraient  sur  les 
bords  de  l'isar  et  contribueraient  à  la  rénovation  religieuse  du 
pays. 


486  AJSNALES    CATHOLIQUES 

Léon  XIII  avait  daigné  approuver  le  chois  de  Munich  par  une 
lettre  très  élogieuse.  Tout  le  monde  était  d'accord,  et  la  presse 
catholijque  préparait  le  terrain  en  engageant  le  peuple  à  se  mon- 
trer digne  de  ses  frères  du  Nord.  Puis,  tout  à  coup,  on  apprit 
que  des  difficultés  surgissaient  et  mettaient  en  question  le  con- 
grès de  Munich. 

-  <  La  réunion  de  ce  congrès,  écrit  le  prince  régent  à  l'arche- 
vêque de  Munich,  n'est  pas  faite  pour  conduire  à  la  paix  inté- 
rieure si  évidemment  souhaitée  par  toutes  les  personnes  réflé- 
chies, à  quelque  cercle  de  la  ville  qu'elles  ajjpartiennent.  » 

A  cette  affirmation  passablement  étrange  pour  qui  connaît  les 
fruits  bienfaisants  produits  à  Dortmund,  parle  congrès  tenu  l'an 
dernier  dans  cette  ville,  suit  une  conclusion  plus  étrange  encore  : 

«  Avant  que,  conformément  à  mes  droits  et  à  mes  devoirs, 
j'arrive  à  d'autres  mesures  pour  assurer  cette  paix,  je  désirerais 
vivement  que  vous  tinssiez  conseil  avec  les  notabilités  catho- 
liques, particulièrement  avec  le  Chapitre  de  la  cathédrale,  et  je 
vous  prierais  de  m'informer  le  plus  tôt  possible  du  résultat  de 
ces  délibérations.  » 

Ainsi  donc  le  prince  régent,  qui  ne  trouve  pas  attentatoires  à 
la  paix  et  à  la  concorde  les  manifestations  du  conseil  municipal 
franc-maçon  de  Alunich  et  laisse  tranquillement  la  canaille 
aller  casser  les  carreaux  des  vaillants  représentants  du  Centre 
au  Landtag  bavarois,  s'émeut  de  la  réunion  pacifique  d'un 
congrès  catholique  !  Qui  aurait  pu  croire,  au  lendemain  de  la 
mort  du  pauvre  roi  Louis,  alors  que  le  baron  de  Frankenstein 
saluait  l'avènement  au  pouvoir  du  régent  comme  l'aube  d'une 
époque  nouvelle,  que  de  tels  scandales  se  produiraient  aussi  ra- 
pidement? Ainsi  donc  voilà  un  catholique,  lui  aussi,  et  un  catho- 
ique  pratiquant,  qui  se  fait  l'initiateur  de  mesures  que  n'a  pas 
connues  le  Kulturkampf  prussien  lui-mêtne  ! 

Autriche-Hongrie.  —  L'éminent  évoque  de  Diacovar, 
Mgr  Strossmayor,  voulant  seconder  les  généreux  eâ"orts  de 
Léon  XIII  pour  ramener  tous  les  Slaves  à  l'unité  catholique, 
avait  conçu  le  projet  de  faire  ériger  dans  la  basilique  de  Lorette 
une  chapelle  spéciale  en  l'honneur  des  apôtres  des  Slaves, 
saints  Cyrille  et  Méthode,  à  l'instar  de  la  chapelle  qui  leur 
est  déjà  dédiée  à  Rome  dans  la  basilique  de  Saint-Clément.  Ce 
projet  particulièrement  encouragé  par  le  souverain  pontife, 
pourra  bientôt  être  réalisé  grâce  au  zèle  de  Mgr  Strossmayer, 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  487 

qui  a  souscrit  le  premier,  à  cet  effet,  une  somme  de  2000  florins, 
et  qui  a  vu  répondre  à  son  appel  ses  vénérés  collègues  de 
l'épiscopat  et  un  grand  nombre  de  fidèles.  Aussi  la  Katolicka 
Z)a^»«'aci7a  annonçe-t-elle  que  tous  les  Slaves  catholiques  sont 
heiureuî  de  voir  affirmer  leurs  pieuses  traditions  dans  cette 
auguate  Maison  de  Lorette,  qui,  lors  de  sa  première  translation, 
s'arrêta  sur  le  territoire  croate  de  Fiume.  Le  projet  des  statues 
des  saints  Cyrille  et  Méthode  qui  doivent  orner  la  nouvelle  cha- 
pelle est  déjà  approuvé  ;  la  dépense  est  évaluée  à  25,000  francs. 

Chili.  —  Nous  traduisons  de  Wnita  cattolica  : 

Le  Congrès  que  les  catholiques  de  la  République  du  Chili  ont  terni 
à  Valparaiso,  à  partir  du  25  décembre  passé,  mérite  d'être  mis  en 
iDraière  pour  lea  remarquables  déclarations  qu'on  y  a  faites  par 
rapport  à  la  liberté  et  à  la  souveraineté  du  Pape.  Quatre  arguments 
sont  iavoquéà  dans  l'exposé  des  motifs  des  résolutions  qui  ont  été 
prises  à  ce  sujet  ;  1°  le  fait  de  la  souveraineté  temporelle  existant  par 
une  disposition  de  la  Providence;  2°  Tintérêt  qu'ont  les  nations 
catholiques  à  la  liberté  du  Pape;  3®  les  réclamations  répétées  des 
Papes  Pie  IX  et  Léon  XIII  ;  et  4»  les  insultes  de  tout  genre  auxquelles 
le  Saint-Père  est  exposé  à  Rome. 

En  conséquence,  le  Congrès  chilien  a  décidé  :  «  1°  De  renouveler 
la  protestation  universelle  des  catholiques  contre  l'occupation  de 
Rome  et  des  États  pontificaux  par  le  gouvernement  subalpin;  2»  de 
protester  vivement  contre  les  actes  que  ledit  gouvernement  commet 
ou  laisse  commettre  contre  les  droits  et  la  majesté  du  Souverain 
Pontife  Léon  XIII,  actes  indignes  d'un  peuple  chrétien  et  civilisé; 
3"  de  faire  en  sorte  que  le  gouvernement  du  Chili  ne  reconnaisse 
jamais  comme  légitime  le  fait  de  l'usurpation  des  États  pontificaux  et 
appuie,  au  contraire  les  droits  indiscutables  du  Saint-Siège  sur  ces 
territoires  ;  4°  de  déclarer  que  le  moment  est  venu  pour  les  Puissances 
chrétiennes  de  se  concerter  dans  une  action  commune  et  efficace  en 
vue  de  rétablir  dans  son  indépendance  le  Chef  de  la  Chrétienté  ; 
5°  de  faire  hommage  au  Saint-Père  de  ces  résolutions,  pour  qu'elles 
soient  une  manifestation  des  sentiments  et  des  désirs  du  peuple  catho- 
lique du  Chili  par  rapport  à  la  personne  sacrée  de  Sa  Sainteté  et  de 
Ses  droits  sacrés.  » 

On  a  adopté,  en  outre,  d'importantes  résolutions  par  rapport  aux 
cimetières  catholiques,  au  mariage  et  aux  écoles. 

Etats-Unis.  —  Mgr  Longhlin,  évéque  de  Brooklyn,  a  l'hon- 
neur d'être  le  premier  prélat  qui  ait  introduit  les  Soeurs  du 
Précieux-Sang  aux  Etats-Unis.  Depuis  quelques  mois,  la  Mère 
Aurélie,  supérieure,  et  neuf  Sœurs  sont  venues  de  Saint- 
Hyacinthe  (Ganadaj  aux  Etats-Unis. 


488  ANNALES    CATHOLIQUES 

Elles  ont  établi  leur  couvent  dans  une  petite  maison  à  deux 
étages  dans  la  rue  Sumpter,  289;  elles  l'ont  fait  fleurir  aussitôt. 
On  est  en  train  de  construire,  à  côté  de  la  petite  maison^  un 
grand  bâtiment  pour  la  communauté,  lequel  sera  terminé  à 
Pâques.  Avant  de  nous  occuper  de  la  communauté  de  Brooklin, 
il  ne  serait  pas  sans  intérêt  de  donner  une  courte  esquisse 
historique  de  l'ordre  des  Sœurs  du  Précieux-Sang.  Il  y  a  envi- 
ron trente  ans  que  Mgr  LaRocque,  évêque  de  Saint-Hyacinthe, 
au  Canada,  conçut  la  pieuse  idée  d'établir  un  ordre  contem- 
platif de  femmes  pieuses,  dont  la  vie  serait  consacrée  à  la  prière, 
au  jeûne  et  aux  bonnes  oeuvres,  en  réparation  de  la  froideur  et 
de  l'ingratitude  de  tant  d'hommes  pour  lesquels  le  Précieux 
Sang  a  été  répandu,  et  en  expiation  des  crimes  qui  se  commet- 
tent journellement. 

L'évêque  choisit  une  jeune  personne,  tertiaire  de  Saint  Domi- 
nique, pour  directrice  de  la  communauté.  L'ordre  a  pris,  sous 
la  direction  de  la  Mère  Aurélie,  au  Canada,  de  rapides  progrès. 
Il  possède  des  maisons  dans  les  diocèses  de  Saint-Hyacinthe,  de 
Montréal,  de  Toronto,  d'Ottawa,  et  Trois-Rivières. 

Le  nombre  total  des  Sœurs  monte  à  150. 

Les  Sœurs,  en  arrivant  à  Brooklin,  ont  reçu  bon  accueil, 
non  seulement  de  la  part  des  catholiques,  mais  même  de  per- 
sonnes professant  une  autre  religion.  Le  jour  de  leur  arrivée 
dans  leur  modeste  maison,  une  protestante  se  chargea  de  leur 
envoyer  leur  premier  repas.  «  Quoique  n'appartenant  pas  à 
votre  religion,  leur  disait-elle,  je  me  fais  un  honneur  de  vous 
servir.  »  Tels  ont  été  les  sentiments  de  tous  ceux  qui  ont  été 
en  contact  avec  les  Sœurs. 

En  fait,  depuis  leur  arrivée  à  Brooklin,  elle  n'ont  pas  encore 
dû  dépenser  trois  dollars  pour  les  besoins  de  la  vie,  grâce  à  la 
générosité  des  habitants. 

L'adoration  du  Précieux  Sang  est  le  but  principal  de  l'insti- 
tution. Des  retraites  auront  lieu  dans  le  couvent  pour  les  dames 
qui  désirent  y  passer  quelques  jours  dans  la  méditation  et  la 
prière. 

Quand  les  Sœurs  auront  pris  possession  du  couvent,  elles 
reprendront  la  vie  claustrale,  suivant  leur  règle. 

Deux  confréries  ont  été  érigées  dans  le  couvent  :  celle  du 
Précieux-Sang,  affiliée  à  celle  de  Rome  et  enrichie  d'indul- 
gences et  de  privilèges  extraordinaires,  et  qui,  au  Canada, 
compte  105,000  membres  ;  ensuite  celle  de  la  Garde  d'Honneur 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  489 

du  très  Précieux  Sang,  dont  le  but  spécial  est  d'offrir  au  Pré- 
cieux Sang  un  triple  hommage  :  1°  aux  sept  grandes  effusions; 
2°  au  Calice  du  Sacrifice  de  l'autel;  3»  au  Sang  de  Jésus-Christ 
dans  son  Corps  Eucharistique. 

Les  membres  de  cette  confrérie  se  proposent  de  rendre  au 
Sang  de  notre  Rédemption  le  culte  1°  d'adoration  et  de  glorifi- 
cation qui  lui  est  dû  ;  2°  d'actions  de  grâces  perpétuelles  ;  3<>  de 
réparation  perpétuelle;  4°  d'invocation  perpétuelle,  et  5°  de 
l'offrande  perpétuelle  du  Saint  Sang  lui-même  en  rançon  des 
âmes  du  Purgatoire. 

Japon.  —  Au  sujet  de  la  constitution  de  la  hiérarchie  catho- 
lique au  Japon  on  écrit  de  Rome  au  Cittadino,  de  Gênes,  les 
détails  que  voici  : 

«  Depuis  que  les  persécutions  du  xvi^  siècle  avaient  détruit 
presque  complètement  les  chrétientés  florissantes  que  le  zèle 
des  missionnaires  y  avaient  créées,  c'est  en  1866  seulement  que 
la  foi  catholique  a  pu  être  de  nouveau  implantée  dans  ce  pays 
par  les  élèves  Ju  séminaire  des  Missions-Etrangères  de  Paris. 
Maintenant,  grâce  au  zèle,  à  l'activité,  à  l'abnégation  de  ces 
admirables  pionniers  de  l'Eglise,  il  y  a  là  40,000  catholiques 
dispersés  en  499  chrétientés,  lesquelles  sont  distribués  en  trois 
vicariats  apostoliques,  qui  prennent  les  noms  de  Japon  septen- 
trional, central  et  méridional.  Les  populations  de  ces  vicariats 
sont  ainsi  réparties  : 

Japon  septentrional  :  habitants,  19  millions;  catholiques, 
10,266. 

Japon  central  :  habitants,  13  millions,  catholiques,  2.200. 

Japon  méridional  :  habitants,  6  millions,  catholiques,  27.000. 

En  présence  de  cet  état  de  choses,  le  Saint-Siège  a  décidé  de 
constituer  au  Japon  la  hiérarchie  catholique,  d'autant  plus  que 
par  là,  il  sait  faire  chose  agréable  au  gouvernement  japonais. 

A  partir  de  maintenant  donc,  le  Japon  sera  divisé  en  quatre 
diocèses  qui  auront  leurs  sièges  respectivement  à  Tokio,  Sendaï, 
Kioto  et  Nagasaki,  villes  populeuses  et  célèbres.  Le  siège  mé- 
tropolitain sera  Tokio,  capitale  de  l'Empire  et  résidence  du 
Mikado.  Les  nouveaux  diocèses  auront  la  même  répartition  que 
les  vicariats  actuels,  à  l'exception  d'un  seul  de  ces  vicariats, 
celui  qui  embrasse  le  Japon  septentrional.  Comme  il  comprend 
19  millions  d'habitants  sur  un  très  vaste  territoire,  qui  s'étend 
du  35e  degré  de  latitude  nord  au  50%  on  a  cru  qu'il  était  plus 


490  ANNALES    CATHOLIQUES 

opportun  de  le  partager  en  deux  diocèses  :  celui  de  Tokio,  qui 
aura  une  population  de  treize  millions  d'habitants  avec  7.500- 
catholiques  et  celui  de  Sendaï,  avec  six  millions  d'habitants^ 
dont "2.500  catholiques.  Ces  évênues  sont  tous  prêtres  des  Mis- 
sions-Étrangères de  Paris. 

Il  y  a  tout  lieu  d'espérer  que  cet  établissement  de  la  hiérar- 
chie catholique  au  Japon  sera  le  point  de  départ  d'une  ère  da 
prospérité  nouvelle  pour  l'Eglise  dans  ce  pays. 

Deux  choses  sont  actuellement  nécessaires  au  Japon  pour 
faire  refleurir  la  foi  catholique  :  1°  La  présence  des  mission- 
naires qui  pourront  opérer  de  concert  avec  les  quatre  évêques. 

2°  A  côté  du  missionnaire,  il  faut  le  maître,  le  professeur  qui 
doit  créer  des  écoles  et  des  établissements  d'instruction.  Les 
Frères  de  Marie  ont  commencé  avec  zèle  et  succès  leur  oeuvre 
d'éducation.  Cette  société,  qui  est  connue  en  France  et  à  Paris 
par  ses  nombreux  établissements  et  par  le  célèbre  collège  Sta- 
nislas, a  eu  en  partage  le  Japon. 

Elle  se  montre  digne  de  cette  faveur.  Il  s'agit  de  souienir 
ces  oeuvres  par  l'action  et  par  l'argent,  afin  de  permettre  aux 
missionnaires  et  aux  congrégations  enseignantes  de  s'opposer 
aux  efforts  du  protestantisme  et  du  scepticisme  qui  gagnent 
les  hautes  classes  du  Japon. 

Suisse.  —  La  nouvelle  de  la  promotion  de  S.  Gr.  Mgr  Mer- 
millod  au  cardinalat  a  produit  une  très  grande  joie  dans  tout  le 
canton  de  Genève. 

Les  journaux  nous  apprennent  qu'il  en  a  été  de  même  dans 
toute  la  Suisse,  et  particulièrement  à  Fribourg,  oii  un  Te  Deum 
a  été  chanté. 

La  France  catholique  s'associe  à  cette  joie.  Les  grands  jour- 
naux de  Paris  considèrent  comme  un  honneur  fait  à  la  France 
elle-même  l'honneur  fait  à  Mgr  Mermillod  et  à  la  Suisse,  parce 
que  la  France,  aux  jours  des  dures  épreuves,  avait  accueilli 
l'évêque  exilé  comme  un  de  ses  évêques,  et  que  Mgr  Mermillod 
a  été  l'orateur  admiré  de  toutes  nos  grandes  fêtes  religieuses. 

Il  y  aura  rarement  eu  une  promotion  cardinalice  accueillie 
avec  autant  de  joie  et  de  sympathie  dans  les  diverses  parties 
de  l'Eglise  catholique. 

C'est,  en  effet,  l'Eglise  entière  qui  est  intéressée  à  la  créa- 
tion d'un  cardinal. 

Le  Sacré-Collège  est  comme  le  conseil  du  Souverain  Pontife. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  491 

Ce  sont  les  congrégations  des  cardinaux  qui  étudient,  discutent 
et  résolvent  les  grandes  questions  de  tout  genre,  avec  la  sanc- 
tion suprême  du  Pape. 

Aujourd'hui  plus  que  jamais,  le  travail  des  sacrées  congré- 
gations romaines  est  délicat  et  important.  Nous  assistons  à  une 
transformation  du  monde.  Toutes  les  idées  se  croisent  avec  la 
rapidité  de  l'éclair.  Les  questions  nouvelles  naissent  comme 
une  floraison  puissante.  Les  conflits  éclatent  même  là  où  le 
cours  des  choses  ne  rencontre  que  des  bonnes  volontés  sincères, 
à  plus  forte  raison  là  où  des  hostilités  profondes  et  des  conjura- 
tions secrètes  de  l'esprit  mauvais  suscitent  des  difficultés  sys- 
tématiques à  l'Eglise. 

Nous  sommes  à  un  de  ces  moments  de  l'histoire  où  semblent 
se  réaliser  les  paroles  de  Jésus  à  saint  Pierre  :  «  Satan  a 
demandé  à  vous  cribler  comme  du  froment;  mais  j'ai  prié  pour 
toi,  afin  que  ta  foi  ne  défaille  point,  et  dés  que  tu  auras  été  con- 
verti tu  confirmeras  tes  frères.  » 

L'Eglise  catholique,  en  notre  fin  de  siècle,  a  été  secouée  vio- 
lemment et  criblée  par  cet  efi'ort  de  l'enfer.  Les  pailles  légères 
et  le  mauvais  grain  se  sont  envolés.  Il  ne  reste  après  l'orage 
que  le  troupeau  rafî"ermi,  et  plus  afi'eotueu sèment  groupé  autour 
de  ses  évêques  et,  de  son  Pontife  suprême. 

C'est  donc  avec  confiance  que  l'univers  catholique  tient  les 
regards  fixés  sur  le  pilote  de  la  barque,  sur  le  trône  de  Pierre 
et  sur  les  colonnes  que  le  Pape  lui  donne  pour  appui.  C'est  ^^^ 
■force  nouvelle  acquise  au  peuple  chrétien,  lorsque  le  Pape  crée 
un  nouveau  prince  de  l'Eglise. 

Nul  ne  connaîtra  mieux  que  Son  Eminence  le  cardinal  Mer- 
millod  les  besoins  des  temps  nouveaux,  les  faces  multiples  des 
questions  qui  arrivent  aux  sacrées  congrégations. 

Voici  la  lettre  par  laquelle  Mgr  Mermillod  a  notifié  au  Conseil 
d'Etat  de  Fribourg  sa  promotion  cardinalice  : 

Rome,  le  18  mai  1890. 
Monsieur  le  Président  et  Messieurs, 

Je  tiens  à  prévenir  sans  retard  le  Haut  Conseil  d'Etat  de  Fribourg 
de  l'honneur  que  le  Souverain  Pontife,  l'auguste  Léon  XIII,  daigne 
faire  à  la  Suisse,  au  diocèse,  au  canton  de  Fribourg  spécialement,  en 
voulant  m'élever  à  la  plus  haute  dignité  qui  soit  dans  l'Eglise,  après 
le  pontificat  suprême.  Il  y  a  peu  de  jours,  lorsque  j'espérais  recevoir 
mon  audience  de  congé  et  retourner  dans  mon  cher  diocèse,  Sa 
Sainteté  me  manifesta  sa  volonté  formelle  de  me  nommer  cardinal, 
me  disant  avec  une  gracieuse  bonté  qu'il  avait  â  cœur  de  témoigner 


492  ANNALES    CATHOLIQUES 

à  la  Suisse  cette  bienveillance  qu'il  avait  eue  pour  les  Etats-Unis, 
l'Angleterre  et  la  Belgique,  en  donnant  à  ces  nations  des  princes  de 
l'Eglise. 

Le  Souverain  Pontife  reconnaît  et  apprécie  les  mérites  du  gouver- 
nement de  notre  canton  catholique  et  il  m'a  chargé  de  vous  l'exprimer. 

Le  Saint-Père  veut  que  je  reste  près  de  lui  jusqu'au  prochain  con* 
sistoire,  au  milieu  de  juin.  Je  m'empresserai,  aussitôt  après,  de  me 
rendre  dans  ma  pieuse  ville  épiscopale  et  de  travailler  d'accord  avec 
vous,  dans  une  parfaite  concorde,  à  la  mission  religieuse  et  patrio- 
tique qui  nous  est  confiée. 

Je  suis,  croyez-le  bien,  moins  touché  de  la  dignité  que  préoccupé 
des  redoutables  devoirs  qu'elle  m'impose  ;  c'est  un  lien  nouveau  et 
plus  fort  qui  m'attache  au  service  de  l'Eglise  et  à  la  prospérité  de 
notre  chère  patrie. 

J'ai  sollicité  du  Saint-Père  une  bénédiction  spéciale  et  affectueuse 
pour  vous  et  pour  vos  familles,  qu'il  m'a  chargé  de  vous  transmettre 
avec  effusion. 

Que  Notre  Sauveur  Jésus-Christ  vous  comble  de  ses  grâces  abon- 
dantes; c'est  le  vœu  de  l'évêque  qui  vous  offre,  Monsieur  le  Prési- 
dent et  Messieurs,  une  nouvelle  assurance  de  ses  sentiments  très 
respectueux  et  très  dévoués  en  Notre-Seigneur.  •}-  Gaspard, 

Evêque  de  Lausanne  et  de  Genève. 


LES    CHAMBRES 
Sénat. 

Jeudi  22  mai.  —  Le  Sénat  reprend  en  seconde  délibération  un 
projet  qu'il  étudie,  de  temps  en  temps,  depuis  deux  ans  :  le  projet 
portant  modification  du  Code  rural  au  sujet  de  la  vaine  pâture. 

Il  s'agit  de  rétablir  le  droit  de  vaine  pâture,  pour  les  prairies  na- 
turelles, droit  supprimé  depuis  quelques  années. 

Après  quelques  observations  présentées  par  le  rapporteur  de  la  loi 
et  le  ministre  de  l'agriculture,  le  projet  a  été  adopté. 

Vendredi  23  mai.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  en  pre- 
mière délibération  de  la  proposition  de  M.  Bérenger  sur  l'aggravation 
progressive  des  peines  en  cas  de  récidive,  et  sur  leur  atténuation  en 
cas  de  premier  délit. 

M.  BÉRENGER  explique  les  raisons  qui  l'ont  déterminé  à  déposer 
sa  proposition  de  loi. 

Depuis  cinquante  ans,  la  r'cidive  augmente  d''une  façon  constante 
d'année  en  année.  En  1840,  les  statistiques  indiquent  82,000  individus 
poursuivis  à  la  requête  du  ministère  public.  En  1865,  160,000;  en 
1887,  205, OCO.  I  a  criminalité  a  donc  triplé  en  cinquante  ans. 

L'unique  cause  de  cette  augmentation  est  la  récidive.   Il  n'y  a,  en 


LES    CHAMBRES  493 

effet,  presque  pas  d'augmentation  pour  les  individus  poursuivis  pour 
.la  première  fois. 

On  a,  avec  raison,  rendu  responsable  de  la  récidive  le  mode  d'exé- 
cution de  la  peine,  c'est-à-dire  l'emprisonnement  en  commun. 

L'orateur  dit  que  c'est  à  l'unanimité  que  la  commission  propose  ce 
projet;  le  gouvernement  l'approuve.  Il  y  a  dans  la  proposition  un 
caractère  d'humanité  et  en  même  temps  une  aggravation  des  ri- 
gueurs rendues  légitimes. 

Après  une  suspension  de  séance  de  trente-cinq  minutes,  les  arti- 
cles 5  et  6  sont  adoptés. 

Le  Sénat  décide  qu'il  passera  à  une  seconde  délibération. 

Ohambre  des  Députés. 

ieudi  22  7nai.  —  Suite  de  la  discussion  du  projet  de  loi  relatif  à  la 
liberté  de  la  presse,  et  à  la  répression  des  délits  de  diffamation 
commis  par  elle. 

M.  Maxime  Lecomte  développe  un  contre-projet  tendant  à  ren- 
voyer les  délits  d'injure  devant  le  tribunal  correctionnel  et  à  laisser 
à  la  cour  d'assises  la  connaissance  de  la  diffamation. 

M.  Pelletai  rapporteur,  prend  ensuite  la  parole. 

Il  commence  par  demander  où  commence  l'injure  et  où  finit 
l'attaque  excessive.  Ainsi,  a-t-il  dit,  est-ce  une  injure  que  d'appeler 
un  homme  «  vieux  scélérat  »? 

A  la  stupéfaction  de  l'assemblée,  on  a  vu  M.  Reinach  se  lever  et 
s'écrier  : 

—  J'ai  écrit  cela  à  l'adresse  de  Félix  Pyat  ! 

On  pense  si  on  a  ri.  M.  Pelletan  a  eu  la  main  heureuse  en  déni- 
chant un  vieil  article  de  M.  Reinach,  auteur  de  la  loi  en  discussion. 
Comment  ?  M.  Reinach  lui  aussi  a  de  tels  écarts  de  plume?  Il  traite 
aussi  cavalièrement  ses  adversaires  ?  Mais  il  ne  faut  pas  voter  une 
loi  qui  pourrait  frapper  son  auteur  ! 

Et  c'est  précisément,  a  fait  remarquer  M.  Pelletan,  parce  qu'un 
journaliste  peut,  dans  l'ardeur  de  la  lutte,  dépasser  sa  pensée,  qu'il 
ne  faut  pas  déférer  de  tels  délits  à  un  tribunal  qui  acquittera  les 
amis  du  gouvernement  et  condamnera  ses  adversaires. 

On  les  a  vus,  ces  tribunaux  correctionnels,  enlever  à  Gambetta  ses 
droits  politiques  ! 

Le  jury  suffit  pour  réprimer  la  licence.  Est-ce  que  le  jury  de  la 
Seine,  n'a  pas,  depuis  un  an,  condamné  vingt  journaux  ou  des 
magistrats,  des  députés,  avaient  été  traînés  dans  la  boue? 

Ce  n'est  pas  au  lendemain  de  la  victoire  que  la  République  peut 
mettre  en  discussion  cette  conquête:  la  liberté  de  la  presse.  Voter  la 
loi,  ce  serait  aller  en  arrière. 

M.  Pelletan  a  été  fort  applaudi.  Quand  il  est  descendu  de  la 
tribune,  on  a.appris  que  dix-huit  orateurs  étaient  encore  inscrits. 


494  AiSNaLES   CATHOLIQUES 

Les  cris  de  :  la  clôture  ont  couvert  la  voix  de  M.  Fallières, 
ministre  de  la  justice,  qui  déclarait  se  rallier  au  projet  Maxime  Le- 
comte  et  débitait  quelques  clichés  sur  la  différence  entre  la  liberté  et 
la  licence. 

On  a  passé  immédiatement  au  vote. ^ Par  347  voix  contre  189,  la 
Chambre  a  décidé  de  ne  pas  continuer  la  discussion. 

En  fin  de  séance,  M.  Viger  a  demandé  à  la  Chambre  de  fixer  à 
samedi  la  discussion  de  l'élection  Picot.  M.  de  Douville-Maillefeu 
a  dit  n'avoir  pas  eu  le  temps  d'étudier  le  rapport.  11  a  demandé 
l'ajournement  à  jeudi. 

L'ajournement  a  été  voté  par  266  voix  contre  242. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Politique  et  malfaiteurs.  —  Voyage  présidentiel.  —  Le  budget  des  Cultes. 
—  L'anniversaire  de  la  Commune.  —  Une  brochure  maladroite.  —  Elec- 
tions provinciales  en  Belgique.  —  Etranger.  —  Sénégal. 

29  mai  1890. 

Il  n'y  a  certainement  plus,  aujourd'hui,  que  les  gens  dont 
c'est  le  métier  :  sénateurs  ou  députés,  pour  s'occuper  de  poli- 
tique. Et  encore  les  députés  se  sont-ils  mis  en  vacances.  M.  Car- 
not,  impavide,  continue  ses  voyages,  mais  on  sait  qu'il  n'y  fait 
Jpas  de  politique.  D'ailleurs,  même  si  l'idée  lui  prenait  de 
désobéir  aux  ordres  de  ses  ministres,  on  ne  s'en  inquiéterait 
pas.  Il  n'a  plus  la  curiosité  publique.  Comme  Coquelin  ou  Sarah 
Bernhard,  il  voyage  trop.  A  quoi  s'intéresse-t-on  actuellement? 
Est-ce  au  passage  de  M.  Carnot  à  Nîmes?  Est-ce  à  son  arrivée  à 
Montpellier,  à  Besançon,  voire  même  à  Belfort?  Est-ce  au 
budget  ?  La  commission  du  budget  elle-même  est  dispersée,  et 
les  honorables  qui  la  composent  se  promènent  au  Bois,  se  repo- 
sent chez  eux,  ou  rêvent  du  printemps  au  soleil. 

Le  public  pense  à  Marie  Gagnol  et  à  l'audacieux  concierge 
qui  est  présumé  l'avoir  assassinée.  Il  pense  à  Eyraud  qu'on 
vient  d'arrêter  à  la  Havane  et  s'occupe  plus  de  sa  confrontation 
avec  Gabrielle  Bompard  que  de  l'entrevue  de  M.  Rouvier  avec 
les  commissions  parlementaires.  De  nouveaux  crimes  enfin  sont, 
chaque  jour,  jetés  en  pâture  à  sa  curiosité.  Aussi  personne,  à 
l'exception  des  intéressés,  ne  songe-t-il  à  commenter  longtemps 
le  vote  émis  avant  sa  séparation  par  la  Chambre,  et  rejetant  à 
une  majorité  considérable  le  projet  Marcel  Barthe  modifiant  le 
régime  de  la  presse  édicté  par  la  loi  de  1881 . 

Et  pourtant  les  lamentations  des  opportunistes  études  modérés 


CHRONIQUE   DE    LA   SEMAINE  ^5 

ne  sont  pas  sans  intérêt.  Les  premiers  reprochent  aux  radicaux 
et  aux  conservateurs  la  monstruosité  de  leur  alliance,  tandis  que 
Les  seconds  attribuent  le  rejet  à  la  faiblesse  du  gouvernement 
qui  n'a  pas  osé  prendre  nettement  parti  pour  les  réformes  pro- 
posées. Cependant,  comme  il  est  positif  que,  sans  l'intervention 
des  droites^  M.  J.  Reinach  et  ses  amis  l'auraient  probablement 
emporté,  il  est  au  moins  singulier  que  pas  une  seule  feuille 
radicale  ne  consente  à  reconnaître  le  bénéfice  de  cette  interven- 
tion. 

Il  est  vrai  qu'elle  s'est  produite  au  nom  seul  du  principe  de  la 
vraie  liberté,  et  par  conséquent  sans  aucune  arriére-pensée 
relevant  soit  d'ambitions  personnelles^  soit  d'intérêts  de  parti, 
ce  qui  laisse  le  champ  absolument  libre  aux  collègues  de 
MM.  Pelletan,  Clemenceau  et  Lockroy  pour  pratiquer  l'indé- 
pendance du  cœur,  puisqu'il  n'y  a  place  dans  t'atiaire  pour 
aucune  réciprocité  de  la  part  de  l'extrême  gauche. 


M.  Carnot  poursuivant  son  voyage  qui  n'a  été  marqué  par 
aucun  incident  remarquable,  est  arrivé  lundi  matin  à  Belfort, 
où  plus  de  dix  mille  Alsaciens  s'étaient  rendus  pour  acclamer  le 
chef  de  la  France.  Les  uns  ont  demandé  le  passe-carte  que  le 
maire  da  chaque  commune  alsacienne  doit  délivrer  pour  éviter, 
au  retour,  la  formalité  du  passeport;  d'autres,  qui  ne  l'ont  pas 
obtenu,  sont  passés  par  la  Suisse. 

A  onze  heures  et  demie  ont  commencé  les  réceptions  à  l'Hôtel- 
de-Yille.  Sur  la  cheminée,  en  travers  de  la  glace  et  entouré  de 
feuillage,  est  placé  le  drapeau  qui  était  à  la  façade  de  l'Hôtel- 
de-Viile  pendant  le  siège.  11  n'en  reste  plus  que  la  partie  bleue 
prés  de  la  hampe  et  quelques  lambeaux  de  couleur  blanche.  Les 
balles  de  1870  ont  enlevé  le  reste.  Le  maire  de  Belfort  a  pris  1© 
premier  la  parole. 

Après  avoir  remercié  le  président  de  sa  visite,  le  maire  de 
Belfort  continue  en  ces  termes  : 

Ces  acclamations  qui  vous  ont  accueilli  sur  votre  passage  et  surtout 
cette  foule  accourue  de  tous  côtés  vous  ont  déjà  dit  plus  éloquemment 
que  je  ne  saurais  le  faire  quels  sont  les  sentiments  de  la  ville  de 
Belfort  à  votre  égard  et  quel  prix  elle  attachait  à  votre  visite. 

Elle  voit  dans  cette  visite  du  chef  de  l'Etat  un  hommage  rendu  à 
sa  conduite  de  1870,  hommage  mérité.  J'en  prends  à  témoin  ce  glo- 
rieux drapeau  du  siège.  Il  vous  rappellera  que  Belfort  a  lutté  jusqu'à. 


496  ANNALES    CATHOLIQUES 

la  dernière  heure,  qu'il  a  tiré  le  deraier  coup  de  canon  de  cette 
guerre  néfaste  et  que.  sur  l'ordre  exprès  du  gouvernement  de  la  Dé- 
fense nationale,  il  n'a  ouvert  ses  portes  à  l'ennemi  que  la  rage  dans  le 
cœur  et  le  désespoir  dans  l'âme. 

Ces  nobles  et  tristes  souvenirs  ne  sauraient  déplaire  au  digne  petit- 
fils  du  grand  Carnot,  à  vous,  monsieur  le  président,  qui  venez  au 
milieu  de  nous  représenter  la  France  et  affirmer  sa  puissance. 

En  parcourant  cette  ville,  vous  pourrez  apprécier  cette  population 
si  patriotique  qui,  en  1870,  averse  son  sang,  sacrifié  ses  biens  pour 
là  patrie,  qui  compte  dans  l'armée  beaucoup  de  ses  enfants  et  qui  est 
prête  encore  à  tout  donner  pour  elle. 

Le  maire  de  Belfort  rappelle  ensuite  le  vœu  qui  est  celui  de 
la  plus  grande  partie  de  la  population  :  l'extension  de  la  vieille 
enceinte. 

La  ville  de  Belfort,  dit-il,  s'est  transformée  depuis  1871,  et  elle  est 
devenue  l'asile  d'une  émigration  alsacienne  importante.  Nous  avons 
reçu  à  bras  ouverts  nos  frères  d'Alsace  et  nous  avons  fait  la  plus 
large  place  aux  industries  considérables  qu'ils  ont  transplantées  sur 
notre  territoire,  industries  bien  souvent  récompensées  à  l'Exposition 
de  1889.  Mais  cette  transformation  n'est  pas  complète.  La  ville 
éprouve  le  besoin  d'élargir  et  de  briser  cette  vieille  enceinte  qui  la 
resserre  et  qui  Tétreint.  ; 

M.  Carnot  a  répondu  en  quelques  mots  au  maire  de  Belfort, 
M.  Lalloz,  sur  la  poitrine  de  qui  il  a  attaché  la  croix  de  la  Lé- 
gion d'Honneur.  Dans  le  défilé  qui  a  suivi,  on  a  beaucoup  re- 
marqué un  groupe  des  anciens  officiers  et  soldats  de  1870.  Aucune 
délégation  venant  d'Alsace  n'a  défilé. 

Le  curé-doyen  de  la  ville  a  dit  à  M.  Carnot  : 

Nous  portons  dans  nos  cœurs  une  grande  affection  à  la  France  et  â 
vous-même,  en  qui  nous  voyons  le  chef  de  l'Etat.  La  France,  comme 
l'Eglise,  occupe  une  place  d'honneur,  dans  nos  cœurs  et  nous  n'y 
séparons  jamais  l'une  de  l'autre. 

Le  président  de  la  république  a  répondu  : 
«  Votre  territoire  est  petit  par  la  surface,  mais  il  est  grand 
par  le  cœur.  » 

M.  Carnot,  en  passant  à  Besançon,  s'est  rendu  à  l'hôpital 
Saint-Jacques,  où  il  a  présidé  à  la  cérémonie  d'inauguration 
d'un  buste  élevé  à  la  mémoire  de  la  sœur  Marthe,  née  Anne 
Biget  de  Thoraise.  Au-dessus  de  ce  buste,  était  un  écusson  re- 
présentant les  armes  de  Besançon,  et  au-dessous  une  plaque 


CHRONIQUK  DE  LA  SEMAINE  497 

sur  laquelle  était  tracée  l'inscription  suivante  :  «  Sœur  Marthe, 
providence  des  blessés,  des  prisonniers  de  guerre  et  des  pauvres: 
le  comité  bisontin  des  femmes  de  France.  »  Les  dates  de  1749 
et  1824  sont  gravées  de  chaque  côté  de  l'inscription. 

Le  docteur  Baudin,  médecin  de  l'hôpital,  a  prononcé  un  dis- 
cours, rappelant  les  actes  de  charité  et  de  courage  accomplis 
par  la  Sœur  Marthe,  notamment  pendant  la  campagne  de  1812. 

Au  cours  de  sa  visite  à  l'hôpital,  le  président  a  remis  les 
palmes  académiques  à  Mme  Trouillot,  en  religion  Sœur  Marthe, 
et  des  médailles  d'honneur  aux  Sœurs  Aline  Poulet  et  Marie- 
Antoinette  Ligier. 


Sur  le  rapport  de  M.  Leygues,  la  commission  du  budget  a 
discuté  samedi  et  voté  presque  sans  débats  le  budget  des  cultes. 

Le  gouvernement  demande  pour  l'exercice  1891  un  crédit 
total  de  45,069,003  francs. 

Pour  1890,  les  dépenses  du  budget  des  cultes  s'élèvent  à 
45,083,503  francs.  Il  y  a  donc  une  différence  en  moins  de 
18,500  francs.  Il  faut  ajouter  à  cette  économie  une  réduction 
nouvelle  de  150,000  francs  sur  le  chapitre  des  subventions  à 
accorder  aux  communes  et  aux  fabriques  pour  réparations  des 
églises.  Cette  réduction,  qui  est  proposée  par  le  ministre  des 
cultes  et  dont  l'examen  a  été  réservé,  représente  le  rabais  qui 
est  toujours  effectué  sur  le  prix  des  adjudications. 

Sur  le  chapitre  relatif  au  personnel  des  cultes,  M.  Leygues  a 
fait  observer  que  l'application  de  la  nouvelle  loi  militaire  aux 
élèves  ecclésiastiques  a  nécessité  la  constitution  d'une  sorte  de 
casier  militaire  dont  l'établissement  entraînera  une  légère 
dépense. 

M.  Leygues  a  exprimé  l'avis  qu'il  n'y  avait  lieu  d'opérer,  en 
dehors  des  réductions  consenties  par  le  gouvernement,  aucune 
autre  économie.  Tous  les  crédits  demandés  existent  en  vertu  du 
Concordat  ou  de  lois  postérieures,  qui  n'ont  fait  qu'assurer 
l'exécution  des  clauses  de  la  convention  du  18  germinal  an  X. 

Au  cours  delà  discussion  générale,  M,  Leygues  a  signalé  les 
lacunes  qui  existent  dans  l'organisation  des  fabriques.  Les 
fabriques  sont  de  vraies  personnes  civiles,  capables  d'aliéner  et 
de  recevoir,  ayant  parfois  un  très  gros  budget  dont  elles  peu- 
vent disposer  sans  contrôle. 

Cette  organisation  a  donné  lieu  à  des  abus  comme  ceux  qui 

36 


498  AJNNA1,ES    CATHOUQUIES 

ont  été  signalés  récemment  à  l'occasion  de  la  nomination  dans 
certaines  paroisses  de  Paris  de  prêtres  étrangers  ;  italiens, 
allemands  ou  espagnols. 

Il  faudrait,  d'après  le  rapporteur,  se  hâter  de  refaire  la  l)oi 
sur  les  fabriques,  le  Concordat  ne  permettant  d'exercer  aucune 
action  quelconque  sur  la  nomination  des  prêtres  non  rétribués 
|rap  l'Etat,  nomination)  qui  cependant  peut  avoir  dans  certains 
cas  de  très  graves  inconvénients. 


Dimanche,  les  socialistes  révolutionnaires  se  sont  rendus 
comme  tous  les  ans,  sur  la  tombe  des  fédérés,  «  au  mur  »  du 
Pére-Lachaise. 

Le  parti  possibiliste,  pour  ne  pas  se  rencontrer  avec  les 
fractions  révolutionnaires  adverses  et  pour  éviter  tout  conflit, 
avait  convoqué  ses  adhérents  le  matin,  entre  neuf  et  dix  heures. 

Cinq  mille  possibilistes,  portant  à  la  boutonnière  un  bouquet 
d'immortelles  rouges  avaient  répondu  à  l'appel. 

A  dix  heures  précises,  ils  se  sont  formés  en  cortège  sur  le 
boulevard  Ménilmontant,  ayant  à  leur  tête  M.  Dumaj,  député, 
et  les  conseillers  municipaux  du  parti. 

Ils  portaient  soit  à  bras,  soit  sur  des  bâtons,  soit  sur  des 
brancards,  de  nombreuses  couronnes  de  toute  grandeur  en 
immortelles,  en  perles  et  en  fleurs  naturelles. 

A  mesure  que  les  groupes  pénétraient  dans  le  cimetière,  les 
drapeaux  rouges  étaient  déployés.  On  en  comptait  une  centaine 
au  moins. 

AiTivés  «  au  mur  »,  les  porteurs  de  drapeaux  ont  monté  sur 
le  faîte  et  agité  leurs  étendards  en  poussant  les  cris  de  :  «  Vive 
la  Commune!  »  puis  les  discours  ont  commencé. 

M.  Dumay  a  le  premier  pris  la  parole  : 

Le  cri  de  :  «  Vive  la  Commune  !  »  a-t-il  dit,  ne  suffit  plus  pour 
exprimer  toutes  les  aspirations  du  prolétariat;  celui  de  :  »Vive  l'a 
Révolutioa  sociale  !  »  nous  conviendrait  mieux. 

Si  la  bourgeoisie  persiste  obstinément  à  nous  refuaer  satisfaction, 
nous  ne  dirons  plus  comme  jadis  :  Du  pain  ou  du  plomb  !  nous  crie- 
rons du  pain,  mais  pas  de  plomb  !  Et  grâce  à  notre  force,  à  notre 
union,  nous  saurons  prendre  ce  qu'il  nous  faut. 

Après  quelques  banalités  débitées  p^r  diverses  orateur.?,  on  a 
entendu  M.  Caumeau,  conseiller  municipal,  s'écrier  : 

On  nous  menace  de  faire  entrer  le  préfet  de  la- Seine  à  l'hôtel  de 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE 

ville.  Ce  n'est  pas  le   pré^'et,  c'est    le    peuple  qui,  le    drapeau  rouge 
déployé  comme  en  1871,  doit  entrer  à  l'hôtel  de  ville. 

D'autres  discours  ont  été  prononcés  par  les  citoyens  AUemane, 
Heppenheiraer,  eto.  Ce  dernier  a  excusé  spécialement  M.  Joflrin, 
toujours  fort  soufirant. 

La  manifestation  était  terminée.  Les  blanquistes  dissidents 
(groupe  Vaillant)  se  sont  rendus  sur  les  tombes  de  Blanqui  et 
de  Eudes.  M.  Vaillant  a  protesté  cantre  l'alliance  de  nombre 
d'anciens  blanquistes  avec  les  boulangistes.  On  a  crié  beaucoup  : 
«  Vive  la  Commune  !  » 

—  Tel  est  le  récit  sommaire  de  la  manifestation.  Mais  elle  a 
été  marquée  par  un  assez  vif  incident,  que  le  Voltaire  raconte 
comme  il  suit  : 

Un  ouvrier  aperçoit,  se  balançant  à  un  gros  clou,  une  énorme 
couronne  rouge  sur  le  fronton  de  laquelle  se  détacbe  en  lettres 
noires,  ce  mot  :  l'Intransigeant.  Elle  avait  été  apportée,  dès  le  matin, 
par  les  blanquistes  boulangistes. 

Aussitôt,  il  la  saisit  et  s'écrie  : 

—  Citoyens^  je  crois  que  c'est  déshonorer  la  Commune  que  de 
laisser  ici,  sur  ce  mur,  une  couronne  de  Rochefort,  l'ami  de  Bou- 
langer, qui  a  tué  les  fédérés. 

On  approuve  et  il  jette  la  couronne  par  dessus  le  mur  ;  on  applaudit. 

«  La  France  doit  déclarer  la  guerre  àTAllemagae  et  elle  doit 
le  faire  immédiatement.  »  Telle  est  la  pensée  que  M.  Camille 
Dreyfus,  député  de  la  Seine,  vient  de  développer  dans  une  bror 
chure  à    sensation. 

M.  Dreyfus  part  de  ce  principe  que  la  guerre  étant  inévitable, 
il  faut  la  faire,  maintenant  que  notre  outillage  militaire  est 
supérieur  à  celui  de  l'Allemagne.  La  première  objection  est 
celle-ci:  Est-il  possible  d'établir  mathématiquement  que  notre 
fusil,  nos  canons,  nos  défenses,  sont  supérieurs  aux  fusils,  aux 
canons,  aux  défenses  de  l'Allemagne?  Nous  ne  le  croyons  pas, 
bien  que  nous  ayons  l'espérance  que  ce  soit.  Il  y  a,  de  plus, 
l'aléa  du  commandement  et  la  grande  part  que  prend  le  hasard 
dans  les  choses  humaines.  Ou  ne  peut  pas  affirmer  que,  dans 
une  prochaine  guerre  avec  l'Allemagne,  nous  serions  vain- 
queurs. N'allons  donc  pas  recommencer  à  crier  :  Vive  la  gicerre! 
et  A  Berlin  !  comme  en  1870.  Dès  qu'il  y  a  une  possibilité  de 
défaite,  si  faible  que  soit  cette  possibilité,  on  ne  peut  pas 
demander  la  guerre. 


500  ANNALES    CATHOLIQUES 

Et  lorsqu'on  évoque  les  souvenirs  d'il  3^  a  vingt  ans,  les 
espérances,  les  certitudes  de  succès  changées  bientôt  en  patrio- 
tiques douleurs  et  en  désespoirs;  lorsqu'on  se  reprend  à  penser 
à  toutes  les  misères,  à  toutes  les  souffrances,  à  tous  les  deuils  ; 
lorsqu'on  évoque  le  souvenir  des  déroutes  lamentables  et  même 
des  victoires  sanglantes-  on  ne  peut  guère  comprendre  comment 
un  Français  qui  aime  la  France  a  pu  écrire  la  brochure  dont 
nous  parlons.  Et  supposons  même  qu'elle  soit  glorieuse,  cette 
guerre.  Ce  qu'elle  nous  rapportera  vaudra-t-il  ce  qu'elle  aura 
coûté?  Croit-on  que  le  vainqueur,  après  cette  débauche  d'hor- 
reurs, après  cette  frénésie  de  dévastation,  sera  beaucoup  plus 
riche  que  le  vaincu  ?  Aurons-nous  à  jamais  désarmé  l'Alle- 
magne? L'Europe  consentira-t-elle  à  nous  laisser  prendre  le 
premier  rang?  La  Prusse,  a-t-on  dit,  en  1870,  s'est  vengée 
d'Iéna.  Nous  voulons  prendre  en  1890  la  revanche  de  Sedan. 
Pourquoi  les  Allemands  ne  chercheraient-ils  pas,  plus  tard,  à 
se  venger  de  nos  victoires  futures  ?  Et  l'Italie,  resterait-elle 
l'arme  au  pied,  pendant  cette  guerre,  malgré  les  traités  de  la 
triple  alliance? 

Si  nous  étions  les  plus  faibles,  dès  le  début  de  la  campagne, 
la  France  serait  envahie  non  plus  seulement  jusqu'à  la  Loire, 
mais  jusqu'aux  Cévennes,  jusqu'à  Lyon,  dont  on  ferait  le  siège 
en  même  que  celui  de  Paris.  S'imagine-t-on  ce  que  ce  serait  la 
France  envahie  du  nord  au  sud,  de  Dunkerque  à  Nice,  forcée 
de  faire  face  à  doux  ennemis  à  la  fois,  dont  l'un  nous  est  proba- 
blement égal  sur  terre,  tandis  que  l'autre,  dit-on,  nous  est 
supérieur  au  point  de  vue  naval?  Il  y  a  la  Russie,  prétend 
M.  Dreyfus.  Est-ce  certain  ?  On  peut  en  douter.  Hier,  encore, 
M.  de  Chaudordy  affirmait  qu'un  haut  personnage  russe  lui 
avait  déclaré  que  nous  n'aurions  le  concours  du  czar  que  si 
nous  étions  assaillis.  Mais  admettons  encore  que  M.  Dreyfus  ne 
se  trompe  pas.  Où  est  la  force  des  Russes?  Elle  est  dans  le  sol 
même  de  leur  patrie,  dans  ses  dimensions  considérables,  dans 
l'impossibilité  pour  une  armée  ennemie  de  s'y  ravitailler.  Hors 
de  chez  eux,  les  Russes,  sans  être  une  quantité  négligeable,  ne 
sont  qu'un  élément  secondaire.  Rappelez-vous  Plevna.  Et  com- 
bien de  temps  mettraient-ils  à  mobiliser?  après  combien  de 
jours  nous  seraient-ils  d'un  concours  efficace?*  Je  crois,  dit 
M.  Dreyfus,  remplir  un  devoir  envers  la  patrie  française,  un 
devoir  de  soldat.  Advienne  que  pourra!*  L'honorable  député 
de  la  Seine  ne    s'est-il  pas   aperçu   que  ce    mot  ressemble  à 


CHRONIQUE    DE   LA   SEMAINE  501 

celui  de  Ponce-Pilate?  Parmi  les  avantages  qu'il  attend  delà 
conflagration,  figure  le  rétablissement  de  «  l'unité  morale  de  la 
patrie  »,  c'est-à-dire  l'apaisement  des  passions  politiques.  Sans 
doute,  elles  disparaîtraient  pendant  le  danger,  mais  il  est  à 
redouter  qu'après  la  victoire  ou  la  défaite,  elles  ne  reparaissent 
plus  impérieuses  ou  exaspérées.  En  résumé,  nous  croyons  que 
la  brochure  de  M.  Dreyfus  ne  sera  pas  bien  accueillie  en 
France,  et  l'ardent  député  sera  puni  de  l'erreur  dans  laquelle 
il  est  tombé  en  voyant  nos  ennemis  s'en  emparer  pour  nous 
dénoncer  comme  les  perturbateurs  de  la  paix  en  Europe. 

Le  25  mai,  ont  eu  lieu,  en  Belgique,  les  élections  pour  le 
renouvellement  de  la  moitié  des  Conseils  provinciaux. 

Au  point  de  vue  de  la  politique  générale,  il  n'y  a  pas,  eu 
égard  à  la  composition  très  différente  des  corps  électoraux,  de 
conséquences  bien  décisives  à  tirer  du  scrutin  du  25  mai. 

Tout  ce  que  l'on  peut  dire,  en  demeurant  dans  les  bornes  de 
l'exactitude  et  du  bon  sens,  c'est  que  le  fameux  courant  d'hos- 
tilité, d'indignation  et  de  dégoût,  que  le  libéralisme  s'était  flatté 
d'avoir  créé  contre  le  ministère  Beernaert  et  contre  la  politique 
conservatrice,  ne  s'est  manifesté  nulle  part.  Ce  fleuve  qui 
devait  tout  emporter  n'est  pas  même  un  ruisseau,  c'est  un  fossé 
boueux  dans  lequel  le  libéralisme  malpropre  va  se  soulager  en 
bravant  les  lois  de  l'hygiène  sociale  et  de  la  civilité  politique. 

En  additionnant  le  total  des  avantages  obtenus  de  part  et 
d'autre,  on  constate  que  les  catholiques  conquièrent  neuf  sièges 
et  que  les  libéraux  en  gagnent  cinq. 

S'il  fallait  voir  dans  ce  résultat  un  présage  des  élections  du 
10  juin,  nous  serions  amenés  à  en  conclure  le  maintien  probable 
du  statu  quo,  légèrement  amélioré  au  profit  des  catholiques. 

Le  Reichstag  s'est  ajourné  au  9  juin.  Les  projets  militaires 
ont  été  vivement  combattus  dans  la  commission.  Les  libéraux 
réclament  le  service  de  deux  ans  et  en  font  une  condition  du 
vote  des  crédits,  qui  seront  toutefois  accordés  sans  cela  par  la 
majorité.  Une  association  de  progressistes  vient  même  de  de- 
mander que  des  négociations  soient  engagées  en  vue  d'obtenir 
le  désarmement.  Le  fait  est  que  l'Allemagne  est  à  bout  de  ser- 
vitudes militaires.  Le  peuple  français  est  certainement  celui  qui 
supporte  le  plus  allègrement  les  charges  de  la  paix  armée. 
Notre  pays  a  été  long  à  s'engager  dans  cette  voie,  mais  mainte- 


502  ANNALES    CATHOLIQUES 

nant  que  bous  y  sommes  entrés,  nous  sommes  capables  d'y 
montrer  plus  de  persistance,  d'énergie,  de  résistance  et  de  soli~ 
dite  qu'aucune  autre  nation  européenne,  car  nous  sommes  cer- 
tainement la  plus  guerrière.  Parmi  les  monuments  les  plus 
apparents  de  Paris,  n'avons-nous  pas  toujours  l'École  militaire, 
le  Val-de-Orâee  et  les  Invalides  signalant  les  trois  grandes 
phasies  d©  la  vie  du  soldat? 

La  question  des  pêcheries  à  Terre-Neuve  menace  de  créer  de 
sérieux  embarras  au  cabiaet  de  Londres.  Les  dernières  dépêches 
de  Saint-Jean  sont  très  graves;  elles  signalent  entre  la  popula- 
tion britannique  de  l'île  et  les  pêcheurs  français  de  nouveaux 
actes  de  violence  qui  pourraient  aboutir  à  des  faits  plus  graves. 
Si  l'Angleterre  n'intervient  pas  énergiquement  pour  réprimer 
les  excès  de  ses  nationaux,  la  France,  pour  protéger  les  siens, 
sera  obligée  d'envoyer  des  forces  dans  les  eaux  de  Terre-Neuve. 
En  principe,  l'attitude  de  l'Angleterre  est  très  correcte.  Elle 
reconnaît  absolument  les  droits  que  la  France  tient  du  traité 
d'Utrecht;  seulement  elle  se  trouve  dans  une  situation  très  dé- 
licate pour  les  faire  respecter  efficacement. 

Les  pêcheurs  de  Terre-Neuve  refusent  jusqu'à  présent  d'ac- 
cepter \e  modus  vivendi  convenu  entre  la  France  et  la  Grande- 
Bretagne.  Les  contraindre  par  la  force  à  s'y  soumettre,  c'est 
pour  l'Angleterre  risquer  de  provoquer  une  effervescence  dan- 
gereuse, non  seulement  à  Terre-Neuve,  mais  dans  tout  le 
Canada.  Ne  pas  réprimer  les  excès  des  habitants  de  l'ilo,  c'est 
s'exposer  tout  au  moins  à  des  réclamations  et  à  des  exigences 
pénibles  de  la  France.  La  situation,  on  le  voit,  n'est  pas  abso- 
lument limpide.  A  Paris,  on  affecte  de  prendre  très  légéremanit 
cette  affaire  oii  l'on  ne  voit  qu'une  question  de  homards.  An 
fond,  il  y  a  en  jeu  le  prestige  de  deux  grandes  puissances  égale- 
meiût  jalouses  de  leur  autorité  dans  les  pays  d'outre-mer,  et 
également  tenues  par  les  gros  intérêts  financiers  engagés  daors 
ce  différend  à  ne  céder  qu'à  la  dernière  extrémité.  Le  différend, 
en  un  mot,  est  gros  de  coaséquences. 

Des  troubles  se  sont  produits  la  semaine  dernière  à  Guelœa., 
Ju^ Indépendant  de  Constantine  nous  fournit  sur  ces  troubles 

et  sur  leur  origine  les  curieux  détails  suivants  : 

A  l'entrée  du  marché,  un  Arabe  chercha  querelle  à  un  jeane 

Israélite,  traînant  un  petit  bazar  sur  un  petit  char  à  bras. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  503 

Cette  querelle  n'était  qu'un  prétexte  et  en  même  temps  un 
signal.  En  effet,  les  séides  de  ce  malfaiteur  se  précipitèrent 
sur  le  marchand  forain  et  en  un  clin  d'œil  le  dévalisèrent  com- 
plètement, puis  ils  se  ruèrent  sur  des  magasins  appartenant  ;'i 
des  Israélites,  brisant  tout,  saccageant  tout. 

Dès  qu'un  de  ces  Tolenrs  était  suffisamment  pourvu  de  mar- 
chandises, il  s'enfuyait  avec  son  butin  hors  de  la  ville. 

Trois  magasins  ont  été  littéralement  dévalisés,  ce  sont  ceux 
de  M.  Ben-Simon  et  de  M.  A.  Naonri;chez  l'un  d'eux  un  coffre- 
fort  a  été  brisé,  il  contenait  trois  mille  francs  que  les  Arabes 
ont  volés.  S'il  n'y  a  pas  eu  plus  de  dégâts  à  déplorer,  cela  tient 
à  la  précaution  prise  par  les  autres  négociants  Israélites  de 
fermer  leurs  portes,  dés  le  commencement  de  la  bagarre. 

Ces  scènes  de  vandalisme  ont  donné  lieu  à  des  rixes  san- 
glantes. 

Plusieurs  Israélites  ont  été  fort  maltraités  par  ces  Arabes, 
qui  n'ont,  du  reste  pas  mieux  respecté  la  police,  la  gendarmerie 
et  la  population  européenne. 

Un  agent  a  été  renversé,  la  mâchoire  fracassée  d'un  coup  de 
debbous;  les  gendarmes  ont  été  fraippés.  On  assure  même  que 
ces  forbans  auraient  maltraité  ire-officier  de  zouaves. 

On  signale  la  mort  d'un  indigène  frappé  d'une  balle  de 
revolver,  au  moment  où  ill^risait  la  porte  d"'un  magasin. 

D'autres  Arabes  porteurs  d'objets  volés,  ont  été  saisis  par 
des  Européens  qui,  dans  un  moment  d'indignation  très  légitime, 
leur  ont  infligé  des  corrections  plus  que  sévères  et  parfaitement 
méritées;  l'un  eu  est  mort,  trois  sont  grièvement  blessés. 

Enfin,  la  troupii  dut  intervenir  et  ordre  fut  donné  de  fermer 
les  portes  de  la  ville,  afin  de  couper  court  à  l'évasion  d-e  ces 
pillards.  Ceux-ci  se  réfugièrent  alors  dans  les  demeures  arabes 
iis  en  furent  bientôt  délogés  et  deux  cent  quinze  d'entre  eux 
oat  été  retenus  prisonniers. 

La  plupart  de  ces  pillards  sont  étrangers  à  la  localité;  cepen- 
daTit,  il  y  a  quelques  Marocains  savetiers,  habitants  dé  "Guelmu, 
«lui  n'avaient  pu  résister  à  la  tentation  de  se  remonter  en 
linge. 

Une  grande  agitation  règne,  dit-on,  au  Sénégal.  Les  Djol<!>f:^, 
toujours  remuants  et  pillards,  se  seraient  empressés  de  mettre 
à  profit  Tabsence  de  troupes  et  se  seraient  jetés  sur  nos  alliés, 
qu'ils  auraient  razziés  sans  pitié. 


504  ANNALES    CATHOLIQUES 

L'administrateur  de  la  région  de  Bivaouanne  a  prévenu  le 
gouverneur,  M.  Clément  Thomas.  L'autorité  militaire  a  pris 
immédiatement  des  mesures  énergiques  pour  enrayer  le  mal. 

.Une  colonne  commandée  par  le  colonel  Doods  a  été  constituée 
sans  délai  et  s'est  mise  en  route,  en  utilisant  jusqu'à  la  gare  de 
Louga  le  chemin  de  fer  de  Saint-Louis  à  Dakar. 

Elle  est  sous  les  ordres  du  colonel  commandant  supérieur  des 
troupes  au  Sénégal  ;  elle  comprend  : 

1  escadron  de  spahis  sénégalais, 

3  compagnies  d'infanterie  de  marine, 

1  batterie  complète  d'artillerie,  train  et  mulets, 

250  chameaux  pour  les  convois  et  les  ambulances. 

De  plus,  2,000  guerriers  alliés  marchent  en  avant  avec  les 
spahis  de  TLies,  pour  prendre  le  contact  de  l'ennemi,  que  l'on 
dit  plus  nombreux  que  jamais. 

L'alerte  a  été  chaude,  et  on  a  été  un  moment  inquiet  sur  le 
sort  du  chemin  de  fer.  Nos  troupes  viendront  facilement  à  bout 
de  l'ennemi,  mais  la  saison  est  bien  mauvaise,  et  nos  soldats^ 
auront  certainement  beaucoup  à  souffrir  de  la  température  tor- 
ride  qui  règne  en  ce  moment. 

Le  Dictionnaire  des  Dictionnaires 

D'après  le  vœu  exprimé  dans  de  très  nombreuses  lettres, 
l'éminent  directeur  du  Dictionnaire  des  Dictionnaires,  avant 
de  clore  la  liste  des  souscriptions  j)'>'i>^ilc'gip'ss,  se  propose  d'en 
rendre  l'accès  facile  à  tous  les  budgets;  à  cet  effet,  il  accorde 
de  plus  longs  délais  de  paiement.  Ceux  de  nos  lecteurs  qui 
n'ont  pu  le  faire  profiteront  de  cette  excellente  occasion.  Nous 
n'avons  plus  à  faire  l'éloge  de  cette  œuvre  magistrale,  unique 
en  son  genre.  (Les  autres  inspirées  par  l'esprit  de  laïcisation 
contiennent  plus  ou  moins  des  infiltrations  anticatholiques.) 
C'est  pourquoi  cette  publication  est  accueillie  dans  le  monde 
entier  avec  un  véritable  enthousiasme.  Toutes  les  personnes 
qui  ne  séparent  pas  l'instruction  de  la  religion,  qui  ont  pour 
devise  :  Foi  et  Science,  Dieu,  Patrie^  veulent  posséder  ce 
recueil  indispensable,  d'une  utilité  quotidienne,  qui  est  toute 
une  bibliothèque  [quatre-vingts  millions  de  lettres,  la  matière 
de  80  vol.  in-S°).  Une  ingénieuse  combinaison  en  facilite  l'acqui- 
sition à  ceux  qui  souscriront  sans  retard.  On  trouvera  aux 
annonces  la  circulaire  explicative  et  le  bulletin  de  sous- 
cription. 

Le  gérant:  P.  Chantrel. 

Paris.  Imp.  Q.  Picqnoin,  53,  rne  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LE  SALAIRE  DE  L'OUVRIER 

La  question  du  salaire  de  l'ouvrier  est  une  des  grandes  ques- 
tions du  jour.  Quelle  est  la  nature  intime  du  salaire  ?  Quelle  est 
la  source  de  l'obligation  de  paj^er  son  salaire  à  l'ouvrier?  D'a- 
près quelles  bases  faut-il  fixer  le  taux  du  salaire  ? 

Ce  sont  là  autant  de  questions  qui  demandent  à  être  résolues 
d'après  les  véritables  principes. 

Le  maître  ou  le  patron  a  des  obligations  de  charitc  envers 
ses  ouvriers.  Dans  les  besoins  ordinaires  de  la  vie,  la  charité 
l'oblige  à  venir  à  leur  secours  en  consacrant  à  ce  devoir  une 
partie  de  son  superflu.  Cette  partie  est  fixée  par  les  uns  à  la 
trentième,  par  d'autres  à  la  cinquantième. 

Quand  les  besoins  sont  plus  grands,  l'obligation  imposée  par 
la  charité  devient  plus  grave  et  demande  qu'une  plus  grande 
part  du  superflu  y  soit  consacrée. 

Le  maître  ou  le  patron  a  aussi  des  obligations  de  justice  en- 
vers ses  ouvriers.  La  source  de  ces  obligations  de  justice  se 
trouve  dans  un  contrat  de  louage  explicite  ou  implicite  passé 
entre  le  maître  et  l'ouvrier.  L'objet  de  ce  contrat  est  le  travail 
de  l'ouvrier  et  le  prix  de  ce  travail,  deux  choses  sur  lesquelles 
il  y  a  le  consentement  des  deux  parties.  Un  tel  contrat  oblige  les 
deux  parties,  en  vertu  de  la  loi  naturelle,  sous  peine  d'injustice 
et  de  restitution. 

Les  théologiens  mettent  ce  contrat  sur  la  même  ligne  que  les 
contrats  de  location  de  maisons  ou  de  terres  et  y  aj^pliquent  les 
mêmes  principes  généraux. 

Le  salaire  de  l'ouvrier  n'est,  en  droit  strict,  que  le  prix  de 
son  travail.  Par  le  contrat  de  louage,  il  a  aliéné  son  travail  avec 
ses  soins  possibles  en  faveur  du  maître,  et  celui-ci  s'est  engagé 
à  lui  en  payer  le  prix  convenu.  Cela  est  vrai,  soit  que  l'ouvrier 
travaille  à  la  journée,  soit  qu'il  travaille  à  la  pièce.  Cela  est 
même  vrai  dans  le  cas  où  l'ouvrier  travaille  dans  son  propre 
domicile  et  fournit  lui-même  les  matières  premières  de  son  tra- 
vail; par  exemple,  un  ouvrier  menuisier  a  reçu  de  son  maître 
une  commande  de  six  chaises  qu'il  fera  avec  son  propre  bois  et 
dans  son  propre  domicile,  à  un  prix  convenu.  Il  y  a  dans  ce  cas 
Lxxii  —  7  Juin  1890  37 


506  ANNALES    CATHOLIQUES 

un  véritable  contrat  d'aliénation  de  la  matière  première  et  du 
travail  contre  uu  prix  stipulé. 

L'ouvrier,  à  la  suite  de  ce  contrat  de  louage  et  d'aliénation, 
ne  conserve  pas  un  droit  de  co-proprièté  sur  le  produit  de  son 
travail  et  sur  le  gain  qui  peut  en  résulter,  pas  plus  que  le  pro- 
priétaire d'une  terre  ne  conserve  un  droit  de  co-propriété  sur  le 
produit  de  cette  terre  qu'il  a  donnée  en  location  contre  un  fer- 
mage annuel. 

Toutefois  rien  n'empêche  qu'un  ouvrier  ne  passe  avec  son 
maître  un  autre  contrat  en  vertu  duquel  il  aurait  sa  quote-part, 
soit  dans  le  produit  du  travail,  soit  dans  le  gain,  s'il  y  en  a.  Ce 
genre  de  contrat  de  société  est  parfaitement  licite  ;  mais  on  y 
prévoit  ordinairement  aussi  le  cas  où  il  n'y  a  pas  de  gain  à  par- 
tager et  celui  où  il  y  a  des  pertes  subies. 

Les  obligations  de  justice  du  patron  envers  l'ouvrier  et  les 
droits  stricts  de  l'ouvrier  à  l'égard  de  son  patron  dérivent  d'un 
contrat,  soit  de  louage,  soit  de  vente,  soit  de  société. 

On  ne  peut  pas  affirmer  d'une  manière  absolue  et  générale 
que  l'ouvrier  conserve  sur  le  produit  de  son  travail  et  sur  le 
gain  qui  peut  en  résulter,  un  droit  de  co-propriété  avec  son 
maître. 

Entre  lo  maître  et  l'ouvrier,  il  y  a  régulièrement  un  contrat 
expliciie  ou  implicite  qui  détermine  le  travail  et  le  prix  du  tra- 
vail. Mais  à  quel  taux  doit  être  fiixé  ce  prix  pour  être  juste? 

Le  taux  de  ce  prix  est  fixé  par  les  usages  du  lieu,  de  la  même 
manière  que  le  taux  du  loyer  des  maisons  et  du  fermage  des 
terres. 

Le  salaire  de  l'ouvrier,  comme  le  loyer  d'une  maison,  com- 
porte une  certaine  latitude.  Il  y  a  le  prix  le  plus  élevé,  le  prix 
moyen  et  le  plus  bas  prix.  Tant  qu'on  reste  dans  cette  latitude, 
il  n'y  a  point  d'injustice.  Et  cette  latitude  elle-même  est  fixée 
par  les  usages  du  lieu. 

Le  salaire  convenu  entre  le  maître  et  l'ouvrier  doit  être  payé 
à  celui-ci,  même  dans  le  cas  où  le  maître  aurait  fait  des  pertes 
sur  le  travail  de  l'ouvrier. 

L'injustice  ne  commence  que  quand  un  maître  qui  a  besoin 
d'ouvriers  en  engage  à  un  salaire  inférieur  au  plus  bas  jprix^ 
salaire  auquel  ils  ont  été  contraints  de  consentir  par  les  graves 
besoins  dans  lesquels  ils  se  trouvaient.  L'injustice  serait  encore 
plus  grande,  s'ils  avaient  été  contraints  par  des  menaces  ou  des- 
violences à  consentir  à  un  tel  salaire.  Mais  les  théologiens  ne 


LE    SALAIRE    DE    l'oUVRIER  507 

voient  aucune  injustice  dans  le  cas  oii  un  maître  qui  n'a  pas 
besoin  d'ouvrier,  en  prend  un  à  son  service  par  pure  charité  et 
sur  ses  instances,  quoiqu'à  un  salaire  inférieur  au  'plus  bas  prix. 

Le  profit  que  fait  le  maître  sur  le  travail  de  ses  ouvriers 
doit-il  entrer  comme  élément  dans  la  fixation  du  taux  du  salaire  ? 
Quand  le  profit  augmente,  le  salaire  doit-il  être  majoré  dans  la 
même  proportion  ? 

La  justice  n'y  oblige  point  le  maître.  Elle  n'accorde  aucun 
droit  aux  ouvriers  sur  une  partie  de  ce  profit,  à  moins  qu'il  n'y 
ait  une  convention  formelle  à  cet  égard,  convention  qui  attri- 
buerait une  certaine  part  dans  les  profits  aux  ouvriers. 

D'un  autre  côté^  quand  le  maître  fait  des  pertes,  la  justice 
ne  lui  accorde  pas  le  droit  de  diminuer  le  salaire  convenu,  à 
moins  que  le  cas  ne  soit  prévu  et  réglé  dans  une  convention 
formelle. 

Les  besoins  de  la  vie  d'un  ouvrier  doivent-ils  entrer  comme 
éléments  dans  la  fixation  du  taux  de  son  salaire  ? 

Je  ne  connais  aucun  théologien  qui  l'ait  enseigné.  Ils  ensei- 
gnent communément  que  le  salaire  peut  être  conforme  aux 
règles  de  la  justice,  quoiqu'il  ne  suffise  point  aux  besoins  de  la 
vie  de  l'ouvrier.  Ils  se  fondent  sur  le  principe  que  le  salaire  est 
le  prix  du  travail,  en  vertu  d'une  convention  et  que  le  taux  de 
ce  prix  est  fixé  par  les  usages  du  lieu,  comme  le  loyer  d'une 
maison,  le  fermage  d'une  terre. 

Un  maître,  par  exemple,  a  trois  ouvriers  également  capables 
et  actifs.  Le  premier  a  de  grands  besoins,  parce  qu'il  a  femme 
et  enfants,  sans  posséder  ni  biens,  ni  rentes.  Les  besoins  du 
second  sont  moins  grands,  parce  qu'il  est  célibataire  et  qu'il 
mène  une  vie  sobre  et  réglée.  Les  besoins  du  troisième  sont 
encore  moindres,  parce  qu'il  egt  célibataire  et  possède  quelques 
biens.  Le  maître,  en  payant  le  même  salaire  aux  trois  ouvriers, 
d'après  le  taux  ordinaire  fixé  par  les  usages  du  lieu,  commet-il 
une  injustice  à  l'égard  du  premier?  Pourrait-il,  en  justice, 
diminuer  le  salaire  du  troisième?  Evidemment  non. 

Un  homme  de  métier  par  exemple,  un  cordonnier,  travaillant 
seul  pour  son  compte,  peut  se  trouver  dans  de  grands  besoins 
aussi  bien  qu'un  ouvrier.  Son  travail  doit-il  être  rémunéré  de 
de  telle  sorte  qu'il  suffise  à  ses  besoins  ?  Et  s'il  le  doit  être,  qui 
■est  obligé  de  le  rémunérer?  La  justice  n'oblige  personne  à  ache- 
ter des  souliers  chez  lui.  Quant  à  ceux  qui  achètent  des  souliers 
«hez  lui,  la  justice  ne  les  oblige  pas  à  les  payer  plus  chers  que 
le  prix  ordinaire,  pour  le  mettre  à  même  de  vivre  du  profit. 


508  ANNALES    CATHOLIQUES 

On  ne  peut  point  affirmer,  d'une  manière  absolue  et  générale, 
que  l'ouvrier  conserve  une  quote-part  proportionnelle  dans  la 
répartition  du  produit  de  son  travail,  ni  que  la  mesure  de  cette 
proportion  soit,  non  le  contrat  de  louage,  mais  la  fin  même  du 
travail,  savoir,  l'entretien  de  l'ouvrier  avec  celui  de  sa  femme 
et  de  ses  enfants.  On  ne  peut  point  affirmer  en  second  lieu  que 
la  justice  exige  d'attribuer  à  l'ouvrier  une  part  du  produit  de 
son  travail  qui  soit  suffisante  pour  son  entretien,  et  celui  de  sa 
famille.  Le  droit  de  l'ouvrier  est  réglé  uniquement  par  le  con- 
trat qu'il  a  passé  avec  son  maître. 

On  ne  peut  point  affirmer,  en  troisième  lieu  que  le  prix  natu- 
rel de  l'objet  fabriqué  par  l'ouvrier  est  réglé  par  la  double  part 
qui  revient  à  l'ouvrier  et  au  maître.  Le  prix  d'un  objet  s'établit 
par  d'autres  causes  que  le  salaire  de  l'ouvrier  et  le  gain  qu'en 
espère  le  maître.  Combien  de  fois  n'arrive-t-il  point  que  le  prix 
de  vente  est  tellement  bas  qu'il  n'y  a  pas  de  gain  à  partager? 

On  ne  peut  point  affirmer,  en  quatrième  lieu,  que  le  minimum 
du  salaire  de  l'ouvrier  doit  encore  être  assez  élevé,  pour  qu'il 
puisse  en  subsister  avec  sa  femme  et  ses  enfants. 

Une  épargne  ou  une  réserve  pour  les  éventualités  de  l'avenir 
est  une  chose  très  utile  à  l'ouvrier  aussi  bien  qu'aux  artisans. 
Une  épargne  à  faire  doit-elle  entrer  comme  élément,  pour  fixer 
les  taux  du  salaire  de  l'ouvrier?  Ce  taux  doit-il  être  assez  élevé 
pour  que  l'épargne  soit  possible? 

Je  ne  connais  aucun  théologien  qui  l'ait  enseigné;  c'eût  été, 
en  efi'et,  contraire  à  leurs  principes,  d'après  lesquels  le  taux 
du  salaire  est  fixé  par  l'usage  du  lieu,  comme  le  taux  de  la 
location  des  biens  et  non  par  les  besoins  de  l'ouvrier,  et  l'obli- 
gation de  payer  son  salaire  à  l'ouvrier  dérive  d'un  contrat  libre- 
ment consenti  de  part  et  d'autre. 

On  ne  peut  point  affirmer  que  la  justice  exige  que  le  profit 
du  maître  soit  réduit  pour  augmenter  le  salaire  de  l'ouvrier  au 
point  que  celui-ci  puisse  faire  des  économies  pour  ses  vieux 
jours. 

La  fin  du  travail  de  l'ouvrier  est,  sans  doute,  de  se  procurer 
des  moyens  de  subsistance,  mais  on  n'en  peut  point  déduire,  en 
bonne  logique,  que  le  maître  pour  lequel,  il  travaille  soit  obligé 
de  lui  donner  un  salaire  assez  élevé  pour  qu'il  puisse  en  vivre 
avec  femme  et  enfants  et  faire  quelques  économies  pour  ses 
vieux  jours. 

.Les  théologiens  du  xvii°  et  du  xviu*  siècle  qui  ont  le  mieux 


QUATRIÈME   BÉATITUDE  ÉVANGÉLIQUE  509 

traité  la  question  du  salaire  de  l'ouvrier  sont  Molina,  Lessius, 
De  Lugo,  Bonacina,  Cardenas,  Reiffenstuel,  etc.  L'exposé  fait 
-ci-dessus  n'est  que  le  résumé  de  leur  enseignement.        X. 


LA  QUATRIEME   BEATITUDE  ÉVANGÉLIQUE 

COMMENTÉE  ET  APPLIQUÉE  AU  PRÊTRE 

Beati  qui  esuriunt  et  sitiunt  justiiiam 
quoniam  ipsi  saturahuntur. 

Un  homme,  nous  dit  Notre-Seigneur,  fit  un  jour  un  grand 
festin  et  y  invita  de  nombreux  convives.  L'heure  venue,  il 
envoya  ses  serviteurs  chercher  les  convives.  Tous  refusèrent  de 
se  déranger.  «  —  J'ai  acheté  une  maison  de  campagne,  dit  l'un, 
il  faut  que  j'aille  la  voir  et  que  je  m'assure  si  elle  me  convient; 
priez  donc  votre  maître  de  m'excuser.  »  —  «  J'ai  fait  l'acquisi- 
tion de  cinq  attelages  de  bœufs,  répondit  un  autre,  et  je  vais  les 
essayer  ;  excusez-moi,  je  vous  prie.  »  —  «Je  viens  de  me  marier, 
répondit  un  troisième,  il  faut  que  je  tienne  compagnie  à  ma 
femme,  en  conséquence,  je  ne  puis  me  rendre  à  votre  invita- 
tion. » 

Une  autre  fois,  ce  sont  des  courtisans  qu'un  roi  avait  conviés 
aux  noces  de  son  fils  et,  lorsque  le  roi,  sans  se  rebuter  d'un 
premier  refus,  les  eût  envoyé  prévenir  de  nouveau  par  d'autres 
serviteurs:  «  —  Voilà  que  mon  festin  est  prêt,  on  a  tué  le  bœuf 
et  tous  les  animaux  que  j'avais  fait  engraisser,  tout  est  prêt, 
venez  aux  noces  »,  ils  ne  répondent  même  pas  à  son  invitation; 
d'autres  s'excusent,  qui  sa  femme,  qui  ses  affaires;  d'autres 
vont  jusqu'à  se  servir  des  serviteurs  et  à  les  tuer. 

Voilà,  vous  l'avouez,  d'étranges  convives,  que  l'honneur  ou  le 
plaisir  de  s'asseoir  à  la  table  de  leur  roi  ou  de  leur  ami  ne  ten- 
tent guère.  Or,  n'est-ce  pas  la  conduite  que  tiennent  envers 
Notre-Seigneur  certains  prêtres  plus  particulièrement  désignés 
par  les  courtisans,  qui  n'ont  ni  faim  ni  soif  de  la  justice  de  Dieu? 
Et  cependant  Notre-Seigneur  cherche  à  éveiller  le  plus  possible 
en  eux,  comme  en  nous  tous,  ces  appétits  supérieurs;  tantôt  il 
nous  fait  entrevoir  les  peines  et  les  récompenses  de  l'autre  vie; 
tantôt  il  place  sous  nos  yeux  le  spectacle  admirable  de  ces  in- 
vités heureux  et  reconnaissants  des  faveurs  du  divin  Maître. 
Combien  qui  au  lieu  de  répondre  à  ses  avances  s'oublient  dans 
les  satisfactions  de  la  triple  concupiscence  ?  Ce  qu'ils  veulent 


510  ANNALES    CATHOLIQUES 

c'est  obtenir  cette  situation  qu'ils  ambitionnent  depuis  long- 
temps ;  ce  sont  ces  honneurs,  ces  plaisirs,  ces  satisfactions  des 
sens,  même  défendues  ;  ce  sont  leurs  aises;  c'est  la  fortune.  Que 
le  nombre  est  petit  même  parmi  les  prêtres  de  ceux  qui  n'ont 
faim  et  soif  que  de  la  vertu. 


Le  monde  et  Notre-Seigneur  sont  loin  de  donner  à  ce  mot  de 
justice  la  même  signification.  Celui-là  est  un  honnête  homme 
aux  yeux  du  monde  qui  fait  honneur  à  ses  affaires,  qui  élève 
honorablement  sa  famille,  qui  demeure  fidèle  à  ses  engagements, 
qui  est  correct,  bien  élevé  et  ne  blesse  aucun  préjugé  humain. 
Combien  de  prêtres  sont  du  monde  et  pensent  comme  lui? 

Au  sens  spirituel,  il  faut  quelque  chose  de  plus  que  l'honnê- 
teté purement  humaine.  «  La  justice,  nous  dit  Bossuet,  ne  règne 
que  lorsqu'on  rend  à  Dieu  ce  qu'on  lui  doit;  car  alors,  ajoute-t-il, 
on  rend  aussi  pour  l'amour  de  Dieu  tout  ce  qu'on  doit  à  la 
créature,  qu'on  regarde  en  lui,  et  on  se  rend  aussi  ce  qu'on  se 
doit  à  soi-même;  car  on  s'est  donné  tout  le  bien  dont  on  est  ca- 
pable, quand  on  s'est  rempli  de  Dieu.  On  a  dès  lors  accompli 
toute  justice,  selon  le  mot  de  Notre-Seigneur.  » 

Ce  n'est  donc  pas  de  cette  justice  imparfaite  telle  que  les 
mondains  la  comprennent,  mais  de  la  justice  au  sens  chrétien 
dont  le  prêtre  doit  avoir  faim  et  soif,  à  l'imitation  de  Notre- 
Seigneur  qui  n'a  jamais  eu  de  désir  plus  ardent  que  de  faire  en 
toutes  choses  la  volonté  de  son  Père.  Aussi  a-t-il  tenu  à  ce  que 
ce  surnom  de  juste  lui  soit  appliqué.  «  —  Que  les  cieux  s'ou- 
vrent, s'écrie  Isaïe  et  que  les  nuées  fassent  apparaître  le  Juste.  » 
«  Voici  que  ton  roi  vient  à  toi,  dit  Zacharie,  lorsqu'il  prédit 
l'entrée  triomphale  de  Notre-Seigneur  à  Jérusalem,  c'est  un  roi 
juste.  »  Et  quand  Judas  saisi  de  désespoir  reporte  aux  princes 
des  prêtres  leur  argent  maudit:  «  Voici  votre  argent,  leur  dit-il, 
j'ai  horreur  du  pacte  infâme  que  nous  avons  conclu;  j'ai  péché 
en  livrant  le  sang  du  Juste,  peccavi,  iradens  sanguinem 
justum  ».  Tandis  que  Pilate  .siégo  sur  son  tribunal,  sa  femme 
lui  envoie  dire  :  «  Je  vous  en  supplie,  qu'il  n'y  ait  rien  entre 
vous  et  ce  juste.  »  Quand  au  commencement  de  la  Cène,  Notre- 
Seigneur  fait  part  à  ses  apôtres  du  vif  désir  qu'il  éprouvait 
depuis  longtemps  de  manger  cette  pâque  avec  eux  ;  quand  sur  la 
croix  il  demanda  à  boire,  ne  croyez  pas  que  ce  fut  pour  satis- 
faire sa  faim  et  sa  soif,  au  sens  charnel,  c'est  pour  témoigner 


QUATRIÈME    BÉATITUDE    ÉVANGÉI.IQUE  511 

par  ces  symboles  expressifs  avec  quelle  ardeur  il  voulait  accom- 
plir, jusque  dans  ses  moindres  détails,  jusqu'à  un  iota,  la  vo- 
lonté de  son  Père. 

«  —  Maître,  lui  demanda  un  jour  un  docteur  de  la  iloi  pour 
l'éprouver,  quel  est,  selon  vous,  le  plus  grand  et  le  premier 
commandement  de  la  loi  ?  »  Voici,  lui  répondit  Jésus,  le  pre- 
mier et  le  plus  grand  commandement:  «  Tu  aimeras  le  Seigneur 
ton  Dieu  de  tout  ton  cœur,  de  toute  ton  âme,  de  tout  ton  esprit 
et  de  toutes  tes  forces.  »  Celui-là  seul  a  vraiment  faim  et  soif 
de  la  justice  qui  aime  Dieu  de  cette  façon;  et  Notre-Seigneur 
n'a  accumulé  ainsi  les  expressions  que  pour  nous  faire  entendre 
de  quel  ardent  désir  doit  être  dévorée  l'âme  dont  Dieu  est  la 
première  préoccupation. 

On  a  souvent  recours  à  des  tableaux  tirés  des  différentes 
scènes  de  l'amour  humain  pour  mieux  nous  faire  comprendre 
ce  qu'est  l'amour  d'une  âme  pour  Dieu;  j'avoue  que  je  trouve 
ce  procédé  imparfait  et  dangereux;  imparfait,  parce  que  si  pur, 
si  élevé,  si  légitime  que  soit  l'amour  humain,  il  y  a  entre  lui  et 
l'amour  de  Dieu  plus  de  différences  que  de  points  de  contact; 
dangereux  parce  qu'il  peut  entretenir  les  âmes  dans  les  plus 
étranges  illusions.  Les  expressions  dont  se  sert  Notre-Seigneur 
sont  si  claires  qu'il  est  d'ailleurs  inutile  d'avoir  recours  à  des 
comparaisons  qui  ne  peuvent  que  les  obscurcir. 

Airaer  Dieu  de  tout  son  cœur,  c'est  l'aimer  sans  partage, 
c'est  le  préférer  à  tout  ;  c'est  peut-être  la  façon  d'aimer  Dieu  la 
plus  difficile;  car  le  monde  est  rempli  de  choses  aimables  qui 
sont  de  nature  à  séduire  nos  cœurs.  L'amour  filial,  l'amour 
conjugal,  l'amitié  sont  de  douces  nécessités  que  Dieu  lui-même 
a  créées  pour  adoucirl'amertume  de  notre  exil  ;  comment  conci- 
lier ces  attaches  légitimes  du  cœur  avec  l'amour  de  Dieu  sans 
partage?  En  nous  établissant  dans  cette  disposition  d'âme  que 
le  saint  homme  Job  et  saint  Paul  nous  ont  particulièrement 
dépeinte,  et  qui  consiste  à  accepter  comme  venant  de  la  main  de 
Dieu  tout  ce  qui  nous  arrive  d'heureux  ou  de  malheureux  dans 
cette  vie;  à  voir  disparaître  tous  les  objets  de  notre  tendresse, 
non  pas  sans  souffrir,  non  pas  sans  éprouver  de  cruels  déchire- 
ments, mais  avec  cette  sainte  soumission  dont  Job  est  le  mo- 
dèle lorsqu'il  s'écrie  :  «  Dieu  me  l'a  donné.  Dieu  me  l'a  ôté, 
que  son  saint  nom  soit  béni  !  >  ou  avec  ce  détachement  absolu 
dont  parle  saint  Paul  lorsqu'il  nous  représente  lesriches  selon  le 
cœur  de  Dieu,  usant  des  biens  de  la  terre  comme  s'ils  n'étaient 


512  ANNALES   CATHOLIQUES 

pas  à  eux»  Si  le  simple  fidèle  doit  aimer  Dieu  de  cette  façon,  à 
plus  forte  raison  le  prêtre  doit-il  l'aimer  ainsi  lui  qui  l'a  pris 
comme  unique  héritage. 

Aimer  Dieu  de  toute  son  âme,  c'est  n'avoir  d'autre  passion  que 
de  procurer  sa  gloire  en  toutes  choses  ;  aussi  celui-là  seul  peut- 
il  dire  qu'il  l'aime  vraiment  de  toute  son  âme  qui  donne  dans  sa 
vie  l'exemple  de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  parce  que  c'est 
la  meilleure  manière  d'attirer  les  âmes  à  lui  et  d'empêcher 
qu'on  ne  l'offense.  l)e  tous  les  apostolats,  le  plus  sincère  et  le 
plus  méritoire  est  certainement  l'apostolat  de  l'exemple. 

Aimer  Dieu  de  tout  son  esprit,  c'est  s'appliquer  à  le  mieux 
connaître.  L'étude  des  saintes  écritures  doit  être  l'étude  favorite 
du  prêtre.  Or  de  quels  tristes  retours  sur  soi-même  leurs  négli- 
gences à  ce  sujet  ne  doivent-elles  pas  être  l'occasion?  Pour  ces 
prêtres  qui  ne  consacrent  leurs  loisirs  qu'à  la  culture  des  lettres 
les  plus  profanes?  entre  les  mains  desquels  on  ne  voit  que  des 
journaux,  des  revues,  des  romans,  des  livres  de  littérature, 
d'histoire,  de  science  où  le  nom  de  Dieu  est  à  peine  prononcé 
sinon  pour  servir  de  prétexte  aux  plus  odieux  blasphèmes  ? 
Et  ces  prêtres  s'étonnent  do  perdre  la  foi,  le  zèle,  l'amour 
de  Dieu  ? 

Aimer  Dieu  de  toutes  ses  forces,  c'est  lui  consacrer  toutes  ses 
facultés,  toute  sa  vie.  Malheur  donc  au  prêtre  qui  sous  le  cou- 
vert de  l'évangile  se  prêche  lui-même?  Malheur  à  l'apôtre  qui 
sous  prétexte  de  faire  les  affaires  des  pauvres  ne  fait  que  les 
siennes  propres.  Que  chacun  de  nous  s'interroge  et  se  demande 
si  c'est  ainsi  qu'il  aime  Dieu.  Si  au  contraire,  loin  d'avoir  faim 
et  soif  de  la  justice,  il  n'a  pour  les  choses  de  Dieu,  sinon  de  la 
répugnance  et  du  dégoût,  du  moins  un  appétit  de  malade? 

Puissions-nous  n'avoir  soif  que  de  cette  eau  mystérieuse  qua 
Notre-Seigneur  veut  que  nous  buvions.  Puissions-nous  ne 
désirer  d'autre  plaisir,  d'autre  joie,  d'autre  bien  que  celui  que 
nous  goûterons  en  Dieu  !  Puissions-nous  vouloir  le  posséder  de 
plus  en  plus!  «  Celui  qui  croit  en  moi,  dit  Notre-Seigneur, 
des  fleuves  d'eau  vive  couleront  éternellement  de  ses  en- 
trailles. »  «  Jamais,  dit  saint  Augustin,  l'eau  céleste  ne  tarira, 
elle  sera  toujours  plus  grande  que  ses  besoins;  la  source  sera 
toujours  au-dessus  de  sa  soif.  Fons  vincit  sitiewtem.  »  «  Quand 
nous  faisons  la  volonté  de  Dieu,  s'écrie  Bossuet,  il  fait  la  nôtre, 
il  rassasie  tous  nos  désirs.  Il  les  rassasie  dés  cette  vie,  car  il 
rend  le  juste  plus  juste  et  le  saint  plus  saint,  pour  contenter 


QUATRIEME    BÉATITUDE   ÉVANGÉLIQUE  513 

son  avidité.  Il  le  rassasie  plus  parfaitement  dans  le  ciel  où  la 
justice  éternelle  nous  sera  donnée  avec  la  plénitude  de  l'amour 
de  Dieu.  »  «  Je  serai  rassasié,  dit  le  Psalmiste,  lorsque  votre 
gloire  m'apparaîtra.  » 

II 

Lorsque  les  gens  du  monde  doivent  prendre  une  résolution, 
ils  s'inspirent,  soit  de  leurs  affections,  soit  de  leurs  intérêts, 
soit  même  de  leurs  simples  caprices.  Le  juste  qui  vit  de  la  foi 
doit  avant  tout  s'inspirer  de  la  foi.  Sans  doute  il  peut  consulter 
ses  affections,  son  intérêt,  ses  goûts  ;  mais  le  mobile  qui  doit 
l'emporter  et  qui  doit  faire  chercher  le  bonheur  d'un  côté  plus 
que  de  l'autre,  c'est  le  Domine,  quid  me  vis  f acéré  .^On  raconte 
que  chaque  fois  que  saint  Vincent  de  Paul  entreprenait  une 
affaire,  il  se  demandait  :  «  Si  Notre-Seigneur  était  à  ma  place, 
que  ferait-il?  Comment  parlerait-il?  Quel  conseil  donnerait-il?  » 
C'est  ainsi  que  le  prêtre  doit  faire.  Avant  d'agir  et  de  parler, 
il  interroge  Dieu  et  ne  se  décide  qu'autant  et  dans  le  sens  que 
la  volonté  de  Dieu  s'est  manifestée,  dùt-il  imposer  silence  à  ses 
affections,  à  ses  intérêts  humains,  à  ses  goûts.  Domine^  quid 
me  vis  facere?  C'est  ce  que  saint  Paul  nous  explique  dans  son 
épîtreaux  Hébreux  :  «  Voyez,  nous  dit-il,  Abel  et  Caïn.  Tous 
deux  offraient  à  Dieu  des  sacrifices;  seulement  Caïn,  en  mon- 
dain, choisissait  dans  ses  troupeaux  et  les  fruits  de  ses  champs 
ce  qu'il  y  avait  de  moins  bon  ;  Abel  au  contraire  portait  sur  l'au- 
tel de  Dieu  ce  qu'il  avait  de  meilleur.  S'il  n'avait  écouté  que 
son  intérêt,  nul  doute  qu'il  n'eût  agi  comme  son  frère;  mais  il 
ne  se  laissait  guider  que  par  sa  foi.  Aussi  a-t-il  mérité  que  Dieu 
l'appelât  un  juste  et  nous  le  proposât  comme  modèle.  » 

Voyez  Noë,  Dieu  lui  donne  l'ordre  de  bâtir  une  arche  pour  lui 
et  sa  famille  en  prévision  du  déluge,  qui  devait  détruire  le 
monde.  Il  obéit,  cependant,  combien  de  raisons  pouvaient 
l'amener  à  douter  de  cette  éventualité  terrible.  La  bonté  |de 
Dieu,  l'origine  récente  du  monde,  les  plaisanteries  dont  il  était 
victime.  Mais  la  volonté  de  Dieu  s'est  manifestée  à  lui,  il  n'a 
pas  un  instant  d'hésitation;  aussi,  ajoute  saint  Paul,  a-t-il 
mérité  le  titre  d'héritier  de  la  justice. 

Voyez  Abraham,  Dieu  lui  ordonne  de  quitter  son  pays;  il  le 
quitte  sans  savoir  où  il  va;  de  sacrifier  son  fils  unique,  il  est 
prêt;  la  volonté  de  Dieu  domino  ses  goûts,  ses  affections  les  plus 
chères.  Et  saint  Paul  passe  en  revue  les   patriarches  et  les 


514  ANNALES    CATHOLIQUES 

Saints  de  l'Ancien-Testament,  Jacob,  Joseph,  Moïse,  Gédéon, 
Samson,  David,  Samuel,  tous  les  prophètes;  et  il  nous  les 
montre  tous  uniquement  occupés  pour  régler  leurs  moindres 
pensées  d'interroger  la  volonté  de  Dieu. 

Voyez  encore  Job.  C'était  un  homme  simple  et  juste  nous  dit 
le  Seigneur,  qui  craignait  Dieu  et  fuyait  le  mal.  Il  n'avait  pas 
son  pareil  sur  la  terre.  Le  démon  qui  en  était  jaloux,  dit  un 
jour  au  Seigneur:  «  Croyez-vous,  que  Job  ne  trouve  pas  son 
intérêt  à  vous  servir?  Etendez  la  main  sur  lui  et  vous  verrez 
s'il  persévère?  »  Or  voici  que  tous  les  malheurs  se  déchaînent 
comme  un  ouragan  furieux  sur  Job.  Il  perd  sa  fortune,  ses 
enfants.  Sa  femme  et  ses  amis  se  moquent  de  lui,  et  l'engagent 
à  maudire  Dieu.  Peut-être  qu'à  sa  place  nous  aurions  suivi  ces 
conseils.  Non  seulement  une  parole  d'aigreur  ne  monte  pas  de 
son  cœur  à  ses  lèvres,  mais  dans  sa  détresse,  il  n'a  pas  d'occu- 
pation plus  douce  que  de  chanter  les  louanges  de  Dieu  et  que 
d'exhorter  les  siens  à  rester  fidèles  à  sa  loi.  «  Dieu  me  l'avait 
donné,  leur  dit-il.  Dieu  me  le  retire,  que  son  saint  nom  soit 
béni  !  » 

Voyez  cet  autre  juste  de  l'Ecriture,  saint  Joseph.  Peu 
d'hommes  ont  traversé  d'aussi  terribles  épreuves  de  cœur 
que  lui,  chaque  fois  que  la  volonté  de  Dieu  se  manifeste,  il  fait 
taire  jusqu'aux  soupçons  qui  envahissent  son  âme. 

Il  faut  avoir  une  faim  et  une  soif  bien  ardentes  de  la  justice 
de  Dieu  pour  avoir  sans  cesse  sur  les  lèvres  le  Domine,  quid  me 
vis  facere  des  Saints  ;  d'autant  plus  que  tout  conspire  autour 
de  nous  pour  contrarier  cette  bonne  volonté  !  A  cela  je  vous 
répondrai  encore  avec  les  paroles  de  saint  Paul:  Comment  ont 
fait  les  justes  de  l'Ecriture?  Noë,  Loth  et  les  autres,  vivaient- 
ils  dans  un  monde  moins  corrompu  qUe  celui  où  nous  vivons? 
non  ;  seulement  ils  détournaient  leurs  yeux  des  mauvais 
exemples  et  surtout  ils  écoutaient  Moïse  et  les  prophètes.  Or 
nous,  nous  avons  les  conseils  et  la  direction  de  l'Eglise  ;  malheu- 
reusement il  nous  arrive,  à  nous  prêtres,  d'imiter  trop  souvent 
ces  chrétiens  à  la  piété  gémissante  j)i€ias  gemehunda  qui  fai- 
saient le  désespoir  de  saint  Augustin,  qui  après  avoir  bien 
gémi  sur  les  difficultés  des  temps,  sur  l'affaiblissement  des 
caractères,  sur  l'abaissement  du  sens  moral,  après  avoir  poussé 
ce  cri  de  détresse,  qui  nous  sauvera?  détournent  les  yeux  quand 
l'Eglise  se  présente.  Ils  trouvent  que  sa  morale  est  trop  sévère, 
qu'elle  a  le  tort  de  n'être  pas  assez  de  son  temps,  d'être  immo- 


QUATRIÈME    BÉATITUDE    KVANGÉLIQUE  515 

bile  pendant  que  le  monde  marche  et  alors  ils  imaginent  des 
systèmes  de  religion  plus  douce,  plus  en  harmonie  avec  les 
instincts  mauvais,  et  le  monde  loin  de  se  convertir  devient  plus 
méchant  et  ils  s'en  étonnent. 

Si  au  lieu  de  gémir,  si  au  lieu  de  s'épuiser  en  désirs  stériles, 
en  déclamations  vaines,  ces  prêtres  travaillaient  à  la  réforme  de 
leur  vie  ;  si,  au  lieu  de  s'absorber  dans  de  puériles  pratiques 
extérieures,  véritables  pharisiens  qui  rendent  méprisables  les 
préceptes  les  plus  saints,  ils  travaillaient  à  étendre  le  règne  de 
Dieu  et  à  faire  sa  volonté,  croient-ils  que  Notre-Seigneur  ne 
serait  pas  plus  honoré?  Quoi  d'étonnant  à  ce  que  les  païens 
frappés  à  la  vue  des  querelles  qui  nous  divisent  et  du  peu  d'har- 
monie qui  règne  entre  notre  enseignement  et  nos  actes,  en  arri- 
vent à  mépriser  une  foi  dont  les  prédicateurs  eux-mêmes  parais- 
sent si  peu  sûrs  ? 

Et  alors  nous  assistons  au  plus  triste  des  spectacles,  aux 
défaillances  et  aux  scandales  que  donnent  ces  prêtres  mondains 
au  fur  et  à  mesure  que  grandissent  leur  faim  et  leur  soif  des 
nouveautés,  ils  n'ont  plus  que  le  dégoût  pour  les  choses  de  Dieu. 
Comment  voulez-vous  par  exemple  que  leur  esprit  se  fixe  sur  la 
prière  ?  Quelle  conversation  voulez-vous  qu'ils  engagent  mainte- 
nant avec  Dieu  ?  Quel  sens  peuvent  avoir  pour  eux  les  formules 
pieuses  qu'ils  laissent  errer  à  l'aventure  sur  leurs  lèvres?  Notre 
père...  que  votre  nom  soit  sanctifié...  que  votre  règne  arrive, 
que  votre  volonté  soit  faite...  Quel  intérêt  peuvent-ils  prendre 
à  la  réalisation  de  ces  souhaits?  Aussi  un  jour  arrive  oii,  sans 
qu'ils  s'en  doutent,  ils  ne  récitent  leur  bréviaire  que  du  bout 
des  lèvres  ;  oii  les  offices  de  l'Eglise  leur  deviennent  à  charge, 
où  le  ministère  de  la  prédication  les  ennuie,  où  ils  ne  visitent 
plus  les  pauvres,  où  ils  ne  s'intéressent  plus  aux  âmes  chré- 
tiennes. 

iir 

Si  nous  voulons  que  la  foi  refleurisse,  soyons  les  premiers  à 
nous  conduire  d'après  les  préceptes  de  la  foi  ;  si  nous  voulons 
qu'on  aime  Notre-Seigneur,  aimons-le  passionnément;  alors  nos 
paroles,  nos  actes,  notre  conduite  tout  entière  seront  remplis 
de  son  esprit  ;  alors  nous  donnerons  à  ceux  qui  nous  voient  et 
nous  entendent  le  désir  de  nous  imiter,  afin  de  participer  à  la 
récompense  promise  à  ceux  qui  sur  cette  terre  auront  eu  faim 
et  soif  de  la  justice.  L'abbé  M.    .- 


516  ANNALES   CATHOLIQUES 

LE  RADICALISME  EN  ITALIE 

M.  Crispi,  Thomme  fatal  qui  a  mérité  d'avance  le  titre  de 
dernier  ministre  de  la  monarchie,  peut  se  réjouir  de  voir  que 
son  système  de  démocratisation  à  outrance  produit  les  fruits 
voulus.  Voici,  en  effet,  que  le  parti  radical  italien,  non  content 
de  la  licence  dont  il  jouit  et  des  manifestations  auxquelles  il  a 
pu  se  livrer  impunément  jusqu'ici,  entre  ouvertement  en  scène 
comme  parti  de  gouvernements 

Il  croit  le  moment  venu  d'aspirer  au  pouvoir  et  de  présenter 
à  ce  titre  son  programme  aux  électeurs.  C'est  ce  qui  vient  de  se 
réaliser  ces  jours-ci,  nous  l'avons  signalé  déjà,  à  l'occasion  du 
Congrès  démocratique  tenu  à  Rome  sous  la  présidence  du  député 
Bovio.  Une  cinquantaine  d'autres  députés  y  ont  donné  leur 
adhésion,  rivalisant  ainsi  avec  les  groupes  les  plus  avancés  du 
mouvement  radical.  Si  le  gouvernement  s'en  est  alarmé,  ce  n'est 
pas  sans  doute  à  cause  des  tendances  du  Congrès,  qui  sont  après 
tout  les  siennes  propres,  mais  parce  qu'il  y  a  vu  un  vrai  noyau 
de  forces  destinées  tôt  ou  tard  à  le  supplanter.  Aussi  a-t-il 
essayé  d'abord  d'assujettir  à  une  surveillance  directe  les  agisse- 
ments du  Congrès,  en  envoyant  sur  place  de  nombreujc  agents 
de  police.  Alors  les  congressistes,  sans  se  déconcerter  le  moins 
du  monde,  ont  protesté  contre  cette  surveillance  et,  abandon- 
nant le  théâtre  Costanzi  qu'ils  avaient  choisi  en  premier  lieu 
pour  leurs  réunions,  ils  en  ont  transféré  le  siège  dans  une  mai- 
son privée.  Là,  ils  ont  pu  déblatérer  à  l'aise  contrôla  «  tyrannie» 
du  régime  actuel. 

Leur  programme  cependant,  destiné  à  leur  servir  de  plate- 
forme aux  futures  élections,  a  été  élaboré  avec  une  certaine 
tactique  par  les  gros  bonnets  du  parti,  lea  Bovio,  les  Cavaletti, 
les  Imbriani,  les  Ferrari,  les  Maffi,  etc.,  afin  de  ne  pas  trop 
effrayer  les  masses  et  de  mieux  les  attirer  vers  l'évolution  radi- 
cale à  laquelle  le  régime  Crispi  a  suffisamment  frayé  la  voie. 
Voici  les  principaux  points  de  ce  programme  : 

Liberté  de  réunion  et  d'association,  sans  contrôle  de  lois  spéciales 
sur  l'exercice  de  ce  droit. 

Liberté  de  presse  sans  entraves;  tous  les  délits-  de  presse  déférés 
au  jury;  abolition  du  séquestre  préventif. 

Modification  à  la  loi  de  sûreté  publique,  dont  il  faut  éliminer  les 
parties  illibérales  concernant  Vammonizione. 

Modification  à  la  loi   communale    pour   étendre    les    autonomies 


LE    RADICALISME    EN   ITALIE  517 

locales  et  limiter  Fingérence  du   gouvernement  ;  extension  à  toutes 
les  communes  du  droit  d'élire  le  syndic. 

—  Pour  rendre  plus  efficace  l'œuvre  de  la  représentation  natio- 
nale, il  faut  réclamer  : 

La  responsabilité  efiective  des  ministres  et  des  fonctionnaires 
d'Etat; 

L'interdiction  aux  ministres  de  voter  lorsqu'il  s'agit  J'uuc  question 
de  confiance  ou  des  droits  du  Parlement; 

Défense  de  cumuler  plusieurs  portefeuilles  dans  les  mains  d'un 
seul  ministre. 

—  Pour  améliorer  l'administration  de  la  justice,  il  faut  garantir  l'in- 
dépendance de  la  magistrature  qui  doit  être  choisie  avec  le  concours 
des  magistrats  et  des  avocats,  l'Italie  n'étant  pas  encore  mûre  pour 
confier  à  l'élection  populaire  la  nomination  des  juges.  Fonctionne- 
ment du  jury  pour  toutes  les  causes  politiques.  Augmentation  des 
honoraires  des  magistrats,  en  supprimant  beaucoup  de  Cours  d'appel 
et  en  mettant  au  repos  les  vieux  magistrats.  Acheminement  à  la  pro- 
cédure orale  dans  les  causes  civiles  et  séparation  de  la  question  de 
fait  de  celle  de  droit.  Indemnité  aux  individus  incarcérés  et  reconnus 
innocents.  Défense  gratuite  pour  les  pauvres.  Abréviation  de  la  pro- 
cédure. 

—  Quant  à  l'instruction,  il  faut  que  l'instruction  primaire  obliga- 
toire soit  confiée  à  l'Etat  et  que  les  honoraires  des  maîtres  d'écoles 
élémentaires  soient  augmentés,  en  fixant  de  ce  chef  un  minimum  de 
800  francs  par  an.  i'^cole  populaire  au  lieu  de  l'école  technique,  en- 
seignement protessionnel  ;  gymnastique  et  exercices  militaires  ;  abo- 
lition des  taxes  scolaires  et  do  la  spéculation  sur  les  livres  de  texte  ; 
réforme  des  programmes  ;  réforme  de  la  Caisse  de  pensions  pour  les 
maîtres  d'écoles. 

Autonomie  des  Universités  érigées  en  corps  moraux. 
Ceci  quant  aux  réformes  intérieures. 

—  Pour  ce  qui  est  de  la  politique  étrangère,  le  programme  à  suivre 
consisterait  à  ne  pas  renouveler  la  triple  alliance,  à  entretenir  de 
bons  rapports  avec  l'Allemagne  et  avec  l'Angleterre,  â  rétablir  le 
traité  de  commerce  avec  la  France,  enfin  â  ne  pas  préjuger  pour  le 
moment  la  question  irrédentiste,  tout  en  favorisant  le  sentiment  na- 
tional par  l'abandon  de  l'alliance  avec  l'Autriche. 

—  Relativement  à  la  question  économique  : 

Vu  l'attitude  générale  des  Etats  européens  et  considérant  l'ache- 
minement graduel  et  pacifique  au  système  de  la  nation  armée,  le 
Congrès  demande  que  l'on  réduise  à  deux  ans  la  limite  de  l'engage- 
ment pour  l'infanterie,  à  trois  ans  pour  la  cavalerie,  à  quatre  ans 
pour  les  carabiniers.  11  demande  aussi  que  l'on  donne  tout  le  déve- 
loppement possible  aux  tirs  à  la  cible,  à  l'instruction  militaire  dans 
les  collèges  et  que  l'on  adopte  le  recrutement  régional. 


518  ANNALES    CATHOLIQUES 

Une  fois  les  propositioas  du  Congrès  adoptées,  on  en  viendrait 
aussitôt  à  congédier  82,000  hommes,  et  l'on  réaliserait  ainsi  45  rail- 
lions d'économies. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  ce  programme,  c'est 
que,  sauf  l'école  laïque,  la  question  ecclésiastique  y  est  laissée 
de  côté.  Ce  n'est  pourtant  pas  le  président  du  Congrès^  M,  Bovio, 
qui  aurait  le  scrupule  de  l'aborder,  lui  qui,  dans  son  fameux 
discours  sur  Giordano  Bruno,  avait  prêché  «  la  religion  nou- 
velle de  la  libre-pensée  ».  Mais  on  a  dû  se  dire  qu'il  ne  valait 
pas  la  peine,  après  tout  ce  que  M.  Crispi  avait  déjà  fait  sur  ce 
terrain,  d'alarmer  davantage  les  populations.  Aussi  bien,  cette 
attitude  des  radicaux  ne  s'inspire  pas  seulement  d'une  tactique 
assez  rusée,  mais  elle  reflète  parfaitement  l'état  d'esprit  d'un 
grand  nombre  d'Italiens  désabusés  et  fatigués  de  l'anticlérica- 
lisme, surtout  depuis  les  derniers  scandales  révélés  à  la  charge 
de  la  Franc-Maçonnerie. 


NOTRE-DAME  DE  L'EPINE  (I). 

Le  culte  de  Notre-Dame  de  l'Epine  est  entré  dans  l'histoire 
de  notre  diocèse  l'an  1400:  il  y  figure  donc  depuis  environ 
500  ans. 

La  première  moitié  du  xv^  siècle  est  la  date  la  plus  sinistre  de 
la  France,  qui  ne  fut  jamais  accablée  de  malheurs  aussi  graves 
et  aussi  prolongés. 

Pendant  que  la  chrétienté  subissait  cette  confusion  jusque-là 
sans  exemple  qui,  sous  le  nom  de  grand  schisme  d'Occident, 
donnait  à  l'Eglise  deux  têtes  et  semblait  démentir  la  promesse 
d'unité  faite  à  l'Eglise  par  son  divin  Fondateur,  chez  nous  le  roi 
Charles  YI  était  fou  ;  la  lutte  criminelle  des  Armagnacs  et  des 
Bourguignons  déchirait  la  patrie,  dont  les  portes  étaient  ouvertes 
aux  armées  anglaises  par  le  duc  de  Bourgogne  ;  nos  drapeaux 
succombaient  sur  le  champ  de  bataille  d'Azincourt  ;  enfin  la  cou- 
ronne de  France  était  déshonorée  par  la  reine  Isabeau,  qui  avait 
osé  la  placer  sur  une  tête  anglaise,  en  vertu  de  l'infâme  traité 
de  Troyes. 

Parmi   ces  malheurs,   communs  à  tout  le  pays,    ceux  de  la 

(1)  Extrait  de  la  lettre  de  îlgr  Sourrieu  à  l'occasion  du  couronne- 
ment de  Notre-Dame  de  l'Epine  que  nous  avons  annoncé  il  y  a  huit 
jours. 


NOTRK-DAME    DE    l'ÉPINE  519 

Champagne  avaient  encore  moins  de  trêve.  Partout  les  combats, 
l'incendie,  la  famine  ;  ses  terres  étaient  en  friche,  les  victimes 
oubliées  par  la  guerre  et  par  la  famine  étaient  dévorées  par  les 
épidémies  :  «  Nul  temps  de  cicatriser  les  blessures,  sans  cesse 
élargies  par  des  blessures  nouvelles  (1)  » 

C'est  parmi  tant  de  calamités  que  Dieu  visita  son  peuple  pour 
lui  faire  entrevoir  de  loin  la  délivrance.  Le  24  mars  de  l'an 
1400,  veille  de  l'Annonciation,  vers  le  déclin  du  jour,  des  ber- 
gers qui  gardaient  leurs  troupeaux  sur  le  penchant  d'une  colline 
située  à  deux  lieues  de  Châlons  (2)  aperçurent  une  lumière 
éclatante  prés  d'un  oratoire  rustique  dédié  à  saint  Jean-Baptiste, 
Ils  s'approchèrent;  ils  virent  un  buisson  lumineux  dont  les 
branches,  les  feuilles  et  les  épines  étaient  enflammées  sans  se 
consumer,  et  au  centre  des  flammes  une  statue  de  la  sainte 
Vierge.  L'illusion  était  impossible,  car  le  prodige  dura  toute  la 
nuit  et  tout  le  jour  suivant. 

La  renommée  en  répandit  promptement  la  nouvelle;  on 
accourut  de  tous  les  alentours.  Charles  de  Poitiers,  alors  évêque 
de  Châlons,  vint  à  la  tète  de  son  chapitre  et  de  son  clergé;  il  vit 
Je  buisson  en  flammes.  Si  les  malheurs  du  peuple  français  éga- 
laient ceux  du  peuple  hébreu  asservi  par  Pharaon,  c'était  aussi 
de  point  en  point  le  même  prodige  que  Moïse  avait  contemplé 
au  pied  du  mont  Horeb  (.3).  Il  avait  un  caractère  plus  attendris- 
sant, puisque  parmi  les  flammes  brillait  l'image  de  la  Mère  du 
Rédempteur.  L'évêque  de  Châlons  la  prit  dans  ses  mains  avec 
les  témoignages  de  la  foi  la  plus  ardente  et  la  déposa  dans  l'ora- 
toire de  Saint-Jean  (4).  C'est  la  statue  pour  laquelle  nous  avons 
obtenu  les  honneurs  du  couronnement. 

L'admiration  des  peuples  s'exprima  bientôt  par  la  construction 
d'une  église  magnifique,  bâtie  sur  l'emplacement  du  prodige  et 
destinée  à  recevoir  la  statue  miraculeuse  (5).  En  vingt-quatre 
ans,  elle  était  achevée  dans  ses  parties  principales  (6). 

(1)  De  vulnere  in  vulnus.  Saint  Augustin. 

(2)  Entre  Courtisols  et  Melette. 

(3)  Appariiit  ei  Dominus  in  flammd  ignis  de  medîo  rubi,  et  videbat 
quod  rubus  arderet,  et  non  combureretur.  Dixit  ergo  Moïses  :  Vadam 
et  videbo  visionem  hanc  magnam  quare  non  comburatur  rubus. 
Exod.  m,  2,  3. 

(4)  Unde  hoc  mihi  ut  veniat  Mater  Domini  niei  ad  me  ?  Luc,  !,  43. 

(5)  Un  inventaire  de  1660  la  désigne  six  fois  sous  ce  nom. 

(Q)  Elle  ne  reçut  la  dernière  main  qu'un  siècle  plus  tard,  en  1524. 


520  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  jeune  église  de  l'Epine  n'appartenait  pas  à  l'architecturo 
byzantine,  qui  imite  le  dôme  du  firmament,  comme  Sainte-So- 
phie de  Constantinople  et  Saint-Marc  de  Venise.  Elle  n'appar- 
tenait pas  davantage  à  l'architecture  romane,  formée  du  plein 
cintre,  préféré  par  les  anciens  Romains  et  qui  rappelle  les  catr.- 
combes  par  sa  lumière  rare  comme  par  son  austérité.  Elle 
appartenait  à  l'architecture  ogivale,  inspirée  par  les  forêts  drui- 
diques, temples  sublimes  dont  les  arbres  séculaires  constituent 
les  nefs  et  les  colonnes  et  dont  les  branches  maîtresses  montent, 
s'infléchissent  en  nervures  ogivales  pour  former  des  voûtes  de 
•ce  nom. 

En  voyant  l'église  de  l'Epine,  la  plupart  des  fidèles  ravis 
purent  croire  que  leur  prière  avait  pris  un  corps  ailé  pour 
s'élever  vers  le  ciel.  Sa  voûte,  pareille  à  une  carène  de  navire, 
dut  les  faire  songer  davantage  aux  espérances  immortelles  du 
chrétien.  La  grandeur  de  Dieu,  le  devoir  de  l'adorer  et  celui  de 
lui  obéir  durent  les  pénétrer  plus  vivement  à  la  vue  de  l'autel 
cil  la  présence  de  l'Eucharistie  est  annoncée  par  un  surcroît  de 
majesté  dans  les  lignes  et  de  richesse  dans  la  décoration.  Çà  et 
là  quelques  belles  verrières  ofl'raient  aux  regards  émerveillés 
plusieurs  pages  de  la  théologie  et  de  l'histoire  sous  la  forme  in- 
telligible de  la  peinture  et  des  arts  variés,  ce  que  saint  Jean 
Damascène  appelle  la  Bihle  du  peuple  (1).  Les  campagnes,  qui 
ignorent  les  arts  plus  que  les  villes,  furent  si  charmées  par  la 
beauté  de  cette  oeuvre  et  par  la  rapidité  de  son  exécution,  qu'on 
en  vit  sortir  cette  charmante  légende,  à  savoir  que  les  travaux 
n'avaient  jamais  été  interrompus  ni  jour  ni  nuit,  et  que,  le  soir 
venu,  quand  les  ouvriers  avaient  quitté  les  chantiers  pour  aller 
dormir,  les  anges  avaient  pris  leur  place  et  travaillé  jusqu'au 
lever  du  jour. 

Telle  est  l'église  oii  fut  déposée  la  statue  miraculeuse  de  la 
sainte  Vierge,  et  c'est  là  qu'elle  reçut  les  hommages  de  toules 
les  générations,  jusqu'à  la  révolution  française,  Si,  dans  les 
troubles  de  cette  époque,  les  sectaires  détruisirent  o.k  et  là, 
dans  une  heure,  ce  qui  avait  coûté  des  siècles  de  génie,  il  est 
juste  de  dire  qu'à  l'Epine  le  peuple  protégea  la  basilique.  La 
vénérable  statue  fut  mise  en  lieu  sûr,  le  6  décembre  1793,  par 
M.  Bertin,  curé  de  la   paroisse.  Sept  ans  après,  lui-même   la 

(1)  Quelque  temps  après  la  construction  de  l'église,  une  grande 
verrière  représentait  la  découverte  de  la  statue  parjni  les  flammes  du 
buisson. 


NOTRE-DAME   DE   l'ÉPINE  521 

-  tirait  de  sa  retraite  et  la  replaçait  sur  les  autels  (1).  Sa  réappa- 
rition, antérieure  au  Concordat,  put  sembler  le  présage  de  ce 
traité  réparateur. 

J'ai  dit  comment  Notre-Dame  de  l'Epine  était  entrée  dans 
l'histoire  de  notre  diocèse.  Pour  faire  comprendre  la  place 
qu'elle  j  a  occupée,  à  partir  de  son  inauguration,  il  faut  mon- 
trer le  courant  de  confiance  qui  a  toujours  conduit  à  ses  pieds 
les  peuples,  les  souverains  et  le  clergé. 

Qu'il  y  ait  eu  ici  un  courant  populaire,  les  pierres  de  l'église 
suffisent  pour  le  prouver.  Seules,  les  masses  chrétiennes  pou- 
vaient soulever,  loin  des  villes,  cette  montagne  de  blocs  im- 
posants. 

Le  concours  des  multitudes  est  encore  prouvé  parles  miracles 
opérés  à  l'Epine.  Telle  la  résurrection  d'un  enfant  mort-né  et 
rendu  à  la  vie  le  15  août  1641  (2).  Telle  la  guérison  d'une  para- 
lytique le  9  mai  1642  (3j.  Telle  la  guérison  d'un  aveugle  de 
Mairy-sur-Marne,  qui  recouvra  la  vue  aux  pieds  de  Notre- 
Dame  de  l'Epine,  le  15  août  1661.  Telle  la  résurrection  d'un 
enfant  de  Vanault-le-Châtel,  mort  avant  le  baptême,  porté  à 
TEpine  en  septembre  1788,  ressuscité  et  baptisé  aussitôt. 

Notre  siècle  a  eu  sa  part  dans  les  miracles  de  l'Epine;  je 
cite  seulement  deux  traits.  En  1852,  un  jeune  homme  affligé 
d'une  lèpre  que  la  science  avait  combattue  vainement  partit  de 
Verdun,  vint  implorer  sa  guérison  et  fut  soudainement  délivré 
de  son  horrible  mal.  Seize  ans  après,  il  attestait  qu'il  n'en  avait 
ressenti  jamais  plus  les  atteintes.  Le  12  mai  1873,  une  autre 
guérison  (4)  reconnue  surnaturelle  nous  avertit  que  la  Provi- 
dence voulait  continuer  l'exercice  de  ses  miséricordes  dans  ce 
lieu  béni. 

Nous  ne  saurions  juger  ni  de  l'affluence  des  pèlerins,  ni  de 
l'abondance  des  grâces  par  les  archives  de  l'église;  les  hugue- 
nots et  plus  tard  les  malfaiteurs  de  93  les  ont  saccagées.  Mais 
les  documents  disparus  ont  un  équivalent  dans  la  mémoire 
générale  de  notre  province. 

De  toutes  les  formes  survivantes  de   ce  culte,  la  plus  tou- 

(1)  Eu  1800. 

(2)  Cet  enfant  avait  été  apporté  de  Cernon-sur-Coole. 

(3)  Elle  avait  été  portée  de  Saint-Julien  de  Courtisols,  et  elle  laissa 
ses  béquilles  à  l'église  en  ex-voto  de  guérison. 

(4)  Celle  d'une  jeune  fille  de  Somme-Suippe  reconnue  surnaturelle 
par  un  acte  authentique  de  son  médecin. 

38 


522  ANNALES   CATHOLIQUES 

chante  est  la  présentation  des  petits  enfants  aux  fêtes  princi- 
pales de  Marie.  En  les  voyant  vêtus  de  blanc,  pressés  en  foule 
autour  de  la  sainte  image,  le  chrétien  s'attendrit.  Il  se  trouble 
aussi,  car  il  songe  à  tant  d'autres,  plus  nombreux,  hélas!  qui 
grandissent  sans  recevoir  de  leurs  mères  ni  l'amour,  ni  la 
connaissance  de  Dieu.  A  treize  ans,  ils  l'oublient;  à  quatorze 
ans,  ils  foulent  aux  pieds  sa  loi;  à  quinze  ans,  ils  rougissent  de 
lui  ;  à  seizeanSj  ils  sont  impies...  ! 

Mais  jetons  le  voile  sur  ces  douleurs... 

Après  les  peuples,  sont  venus  ici  les  princes  et  les  souve- 
rains de  la  France. 

Voilà  la  trace  de  Charles  YI,  qui  favorisa  la  construction  de 
l'église  et  la  liberté  des  offrandes;  la  trace  de  Cbarles  Yll, 
parti  d'Orléans  pour  aMer  à  Reims,  il  retourna  à  l'Epine  sept 
ans  après;  la  trace  de  Marguerite  d'Ecosse,  dauphine,  qui  fit  à 
pied  le  pèlerinage  de  Châlons  à  l'Epine;  la  trace  de  Louis  XI, 
qui  vint  accomplir  le  vœu  fait  dans  les  prisons  de  Péroane  '1)  ; 
la  trace  de  la  duchesse  d'Orléans,  princesse  palatine,  au 
XVII*  siècle;  de  la  reine  Marie  Leczinska  au  xviii*;  de  Napo- 
léon  P''  en  1812;  de  Charles  X  en  1828;  la  trace  de  Louis-Phi- 
lippe, avec  le  brillant  cortège  de  ses  enfants,  en  1831.  La  pensée 
de  la  patrie  a  été  toujours  étroitement  unie  à  cette  église.  L'âme 
de  la  France  palpite  sous  ses  voûtes  :  le  chrétien  agenouillé 
aux  pieds  de  la  Vierge  Marie  voit  passer  devant  lui  les  sou- 
venirs de  notre  histoire^  il  ne  se  relève  pas  sans  avoir  redit  ces 
vieux  mots  :  La  fille  aînée  de  l'Eglise  est  aussi  la  nation  de 
Marie,  regnum  Galliœ,regnum  Mariœ  (2). 

En  parlant  des  pèlerins  princiers,  nous  suffit-il  d'avoir 
nommé  Charles  VII  (3)  en  taisant  le  nom  de  Jeanne  d'Arc? 

(1)  On  sait  que  Louis  XI,  voulant  lier  Dieu  à  ses  propres  intérêts, 
lui  appliquait  le  procédé  si  puissant  envers  les  hommes,  qu'il  ache- 
tait au  poids  de  l'or.  Il  donna  200  écus  d'or  à  l'église  de  l'Epine. 
C'était  en  147L  Un  an  après,  en  1472,  il  publia  un  édit  ordonnant  le 
son  des  cloches  au  commencement,  au  milieu  et  à  la  fin  de  chaque 
jour,  et  de  là  vient  la  coutume  si  populaire  et  si  riante  de  V Angélus. 

(2)  Vieille  maxime  de  la  France. 

(3)  La  halte  de  Charles  VII  et  de  Jeanne  d'Arc  à  Châlons,  entre 
Orléans  et  Reims,  fut  de  trois  jours  :  13,  14  et  15  juillet  1429.  Selon 
quelques  auteurs  du  xviii«  siècle,  le  pèlerinage  de  Charles  VII  à 
l'Epine  eut  lieu  le  14.  Il  trouva  l'administration  de  l'église  aux  abois, 
parce  que  l'architecte,  un  Anglais,  avait  fui,  emportant  la  caisse  des 
travaux.  Charles  VII  couvrit  la  faillite  et  au-delà. 


NOTRE-DAME    DE    l'ÉPINE  523 

Non,  vous  voulez  que  l'histoire  recherche  les  pas  de  la  jeune  et 
céleste  libératrice  au  moment  oii  elle  touche  le  sol  de  Châlons  ! 
L'Epine!...  C'était  pour  elle  un  souvenir  d'enfance,  et  de 
quelle  fraîcheur  !  A  cet  âge,  elle  avait  résidé  plusieurs  fois  à 
Sermaize  (1);  elle  y  avait  coulé  des  jours  de  paix  naïve  et 
enjouée.  C'était  le  temps  oii  le  miracle  du  buisson  avait  atteint 
la  plus  grande  publicité;  les  chrétiens  s'en  entretenaient  au 
loin  avec  enthousiasme;  les  âmes  étaient  alors  si  sonores! 
Jeanne  était  presque  au  même  âge  que  la  jeune  église;  dans  ses 
élans  de  foi  enfantine,  n'avait-elle  pas  désiré  la  voir  ?  L'attrait 
était  naturel. 

Aujourd'hui,  elle  était  à  Châlons,  à  deux  pas  du  lieu  dont  le 
prodige  avait  exalté  son  cœur  d'enfant  ;  et  dans  quelles  conjonc- 
tures en  retrouvait-elle  le  souvenir  !  Elle  venait  de  faire  lever 
le  siège  d'Orléans,  elle  allait  présenter  le  roi  au  sacre  de 
Reims...  Quel  sort  pour  une  fille  de  village  !...  N'était-ce  pas 
un  de  ces  cas  oii  son  cœur,  trop  frêle  pour  porter  le  poids  de 
tant  de  gloire,  se  trouble  et  se  jette  plus  éperdument  dans  le 
sein  de  la  Providence?  Si,  à  ce  moment,  elle  découvre  prés 
d'elle  un  asile  propre  à  son  émotion,  elle  s'y  précipite,  elle  y 
pleure,  elle  y  exhale  sa  reconnaissance,  elle  y  implore  un  der- 
nier soutien.  Judith,  Esther  auraient  fait  cela.  Jeanne  l'a-t-elle 
fait?...  Répondez,  N.  T.  C.  F. 

L'organisateur  du  pèlerinage  royal  dont  nous  venons  de  par- 
ler fut  sans  doute  Jean  IV  do  Sarrebruck,  alors  évêque  de 
Châlons.  Avant  lui  et  après  lui,  ceux  qui  ont  occupé  notre 
siège  ont  glorifié  Notre-Dame  de  l'Epine.  Fénelon  et  les  princi- 
paux hagiographes  observent  que  la  dévotion  à  Marie  est  le 
signe  qui  distingue  les  évèques  remarquables;  cette  régie  se 
justifie  dans  nos  propres  annales,  je  n'en  citerai  que  deux 
exemples. 

Cosme-Clausse  de  Marchaumont  fut,  au  xvi*  siècle,  le  rempart 
de  la  foi,  de  l'unité  et  de  la  foi,  de  l'unité  et  de  la  liberté  catho- 
liques, le  conseil  des  gouvernements;  il  fut  ligueur  quand  il  le 
fallut,  soutien  et  ami  d'Henri  IV  quaad  ce  fut  l'intérêt  de  la 
France;  il  fut  le  créateur  des  grandes  écoles  dont  les  édifices 
sont  encore  debout  (2),  le  père  des  peuples  et  des   pauvres  à 

(1)  Chez  un  frère  de  sa  mère  ;  la  famille  de  sa  mère  se  nommait 
de  Vouthon.  Sermaize  n'est  distant  de  l'Epine  que  de  quelques  lieues. 

(2)  Le  collège  des  Jésuites  et  le  couvent  de  la  Congrégation 
Notre-Dame  du  B.  Fourier. 


524  ANNALES    CATHOLIQUES 

qui  il  donna  toute  sa  fortune,  l'orgueil  et  l'amour  du  diocèse 
qu'il  gouverna  pendant  quarante-neuf  ans.  Or,  ce  tendre 
évêque  était  tendrement  dévot  à  Notre-Dame  de  l'Epine.  C'est 
à  lui  que  remonte  la  confrérie  connue  de  vous  tous,  qui  com- 
prend aujourd'hui  plus  de  7,000  membres,  et  c'est  lui  qui 
obtint  du  pape  Grégoire  XV  les  faveurs  dont  elle  est  enrichie, 
par  la  bulle  du  8  mars  1621. 

Mgr  Monyer  de  Prilly,  qui  renoua  la  chaîne  de  nos  évoques, 
interrompue  de  1790  à  1824,  a  laissé  parmi  vous  une  mémoire 
impérissable  par  la  puissance  de  sa  foi  et  par  la  loyauté  de  son 
caractère.  La  première  pensée  de  son  épiscopat  fut  d'aller  se 
jeter  aux  pieds  de  Notre-Dame  de  l'Epine  pour  lui  consacrer  sa 
vie  pastorale  et  en  obtenir  pour  son  clergé  l'esprit  apostolique, 
pour  son  peuple  la  fidélité.  Il  fit  de  cette  consécration  sa  coutume 
annuelle,  et  il  l'observa  pendant  trente-six  ans,  c'est-à-dire 
jusqu'à  la  fin  (1). 

Abrégeons  les  traits. 

Les  hommages  rendus  à  Notre-Dame  de  l'Epine  ne  pouvant 
rester  inaperçus  du  Saint-Siège,  les  papes  attachèrent  à  son 
culte  des  faveurs  insignes,  en  particulier  Calixte  III,  Pie  II  et 
Grégoire  XV.  Léon  XIII,  après  avoir  approuvé  antérieurement 
son  dernier  office  liturgique,  n'a  pu  entendre  sur  nos  lèvres 
l'histoire  de  l'origine  du  culte  et  des  bienfaits  du  pèlerinage 
sans  en  être  attendri.  Et  lorsque  nous  avons  imploré  le  cou- 
ronnement de  notre  bien-aimée  patronne  : 

«  Oui,  nous  a-t-il  dit,  Notre-Dame  de  l'Epine  sera  couronnée 
en  mou  nom.  Préparez-lui  un  diadème  digne  de  la  Mère  de 
Dieu,  digne  de  votre  peuple  qu'elle  protège,  et  digne  de  l'art 
français.  »  Mgr  Sourrieu. 


LA  SEPARATION  DE  L'EGLISE  ET  DE  L'ETAT 
AU  BRÉSIL. 

LETTRE    COLLECTIVE    DE    l'ÉPISCOPAT   BRÉSILIEN 

Le  décret,  en  date  du  7  janvier  dernier,  par  lequel  le  gouver- 
nement provisoire  du  Brésil  a  prononcé  la  séparation  de  l'Eglise 
et  de  l'Etat,  crée  à  l'Eglise  catholique  au  Brésil,  une  situation 
tonte  nouvelle. 

Bien  que  l'immense  majorité  des  habitants  du  pays  soit  catho- 

(1)  Il  faisait  sua  pèlerinage,  le  leaderaaiu  de  l'Assomption. 


SÉPARATION    DE    l'ÉGLISE    ET    DE    l'ÉTAT    AU    BRÉSIL         525 

lique  (11  millions  et  demi  de  catholiques  contre  tout  au  plus 
500^000  non-catholiquesj,  le  Brésil  a  cessé  d'être  un  Etat  ca- 
tholique. Toutes  les  confessions  religieuses  jouiront  dorénavant 
d'une  liberté  égale,  le  décret  du  7  janvier  garantit  à  toutes  les 
confessions  la  liberté  la  plus  complète  dans  l'exercice  privé  ou 
public  de  leur  culte,  reconnaît  à  toutes  la  personnalité  juridique 
et  la  possession  de  leurs  biens  actuels  ;  il  maintient  aux  minis- 
tres actuels  du  culte  catholique  les  éiiioluments  qu'ils  recevaient 
jusqu'à  présent,  mais  laisse  chaque  Etat  formant  partie  de  la 
République  fédérée  libre  de  pourvoira  l'avenir  à  l'entretien  des 
mini.stres  de  ce  culte  ou  d'un  autre;  le  patronage,  ce  droit  de 
tutelle  sur  l'Eglise  que  le  gouvernement  impérial  s'était  arrogé 
et  dont  il  avait  si  souvent  abusé,  est  aboli  pour  toujours. 

On  sait  que  le  19  mars,  les  évoques  du  Brésil  ont  adressé,  au 
sujet  de  ce  décret,  une  lettre  pastorale  collective  au  clergé  et 
aux  fidèles  du  pays.  Cette  lettre,  qui  nous  avait  été  signalée  par 
le  télégraphe,  a  été  publiée  au  commencement  du  mois  dernier 
dans  les  journaux  de  Rio-de-Janeiro. 

Le  fait  que  c'est  la  première  fois  que  l'épiscopat  brésilien  ait 
cru  devoir  s'adresser  collectivement  aux  fidèles  indique  à  lui 
seul  suffisamment  toute  la  gravité  de  la  situation  et  toute  l'im- 
portance de  cet  acte  solennel  des  vénérables  évêques  du  Brésil. 
On  peut  espérer  avec  confiance  qu'ils  n'auront  pas  appelé  en 
vain  l'attention  des  fidèles  sur  les  eiforts  et  les  sacrifices  auxquels 
ils  devront  se  préparer  pour  sauvegarder,  dans  la  nouvelle  si- 
tuation qui  leur  est  faite,  les  droits  et  les  intérêts  de  l'Eglise. 

La  perte  de  l'unité  religieuse,  de  l'union  dans  la  vraie  foi  est 
assurément  pour  le  pajs  un  grand  malheur.  Mais  on  ne  saurait 
méconnaître,  d'autre  part,  comme  l'indiquent  les  évêques,  que 
la  liberté  dont  l'Eglise  sera  redevable  à  ce  même  décret  pour- 
rait servir  à  compenser,  dans  une  certaine  mesure,  cette  perte 
et  à  neutraliser,  au  moins  en  grande  partie,  ses  eflets  pernicieux. 

Dégagée  des  entraves  que  lui  créait  à  chaque  pas  la  protec- 
tion tracassière  du  gouvernement  impérial  et  l'ingérence  conti- 
nuelle du  pouvoir  public,  même  dans  des  questions  d'ordre  pure- 
ment religieux,  l'Eglise  catholique  pourra  prendre  au  Brésil  un 
nouvel  essor,  si  tous  les  fidèles  savent  se  rendre  compte  des 
devoirs  nouveaux  que  cette  situation  leur  impose. 

On  se  fera  une  juste  idée  de  la  lettre  collective  des  évêques 
du  Brésil  par  l'analyse  et  les  extraits  suivants  : 


526  ANNALES    CATHOLIQUES 

La  crise  que  traverse  notre  patrie,  dit  la  lettre  pastorale,  dans  cette 
période  si  bouleversée  de  son  histoire  est,  dignes  coopérateurset  fils 
bien-aimés,  très  délicate  et  pleine  de  dangers  et  des  plus  grandes 
conséquences  pour  l'avenir;  crise  pour  la  vie  ou  pour  la  mort  :  pour 
la  vie,  si  tout  notre  progrès  social  a  pour  fondement  la  religion,  et 
pour  la  mort,  si  c'est  le  contraire  qui  arrive. 

«  Nous  venons  d'assister  à  un  événement  qui  a  rempli  le  monde 
d'étonnement;  à  une  de  ces  catastrophes  que  Dieu  envoie,  quand  il 
lui  plaît,  comme  un  terrible  enseignement  pour  les  rois  et  pour  les 
peuples  :  un  trône  qui  s'écroulo  soudain  dans  l'abîme  creusé  par  des 
principes  dissolvants  germes  dans  soa  sein. 

Le  trône  a  disparu.  Et  l'autel?  L'autel  est  resté  debout, 'soutenu  par 
la  foi  du  peuple  et  la  puissance  de  Dieu... 

Si  nous  nous  adressons  à  vous  par  le  moyen  d'une  lettre  collective, 
si  notre  parole  se  revêt  d'une  solennité  si  extraordinaire,  c'est  parce 
que  nous  voulons  appeler  avec  plus  de  force  votre  attention  sur 
l'état  actuel  de  notre  pays  par  rapport  à  la  religion,  situation  telle 
que  jamais  pareille  ne  s'est  présentée  aussi  grave  et  aussi  grosse  de 
menaces. 

Lorsqu'un  plus  grand  danger  se  montre  imminent,  les  sentinelles 
que  Dieu  a  placées  sur  les  murs  de  la  maison  d'Israël  doivent  élever 
plus  forte  la  voix  et  crier  toutes  à  la  fois  :  alerte  ! 

C'est  qu'en  effet,  comme  le  dit  un  illustre  prélat,  le  combat  engagé 
à  notre  époque  dans  le  monde  est  arrivé  à  ces  deux  termes,  que 
beaucoup  d'hommes  d'Etats,  préoccupés  par  les  questions  secondaires 
d'ordre  économique  ou  politique,  n'ont  pas  assez  compris. 

Il  s'agit  en  effet  de  savoir  si  la  société  moderne,  qui  est  née  de 
l'Evangile,  restera  chrétienne  ou  bien  cessera  de  l'être,  pour  devenir 
une  société  d'oii  les  noms  de  Dieu  et  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
seront  bannis. 

Que  deviendras-tu,  cher  et  malheureux  peuple  du  Brésil,  si,  pour 
comble  de  tous  tes  malheurs,  on  t'enlève  ta  foi  et  que  tu  restes  sans 
Dieu  :  sans  Dieu  dans  la  famille,  sans  Dieu  à  l'école,  sans  Dieu  dans 
le  gouvernement  et  les  administrations  publiques,  sans  Dieu  au  der- 
nier moment  de  la  vie,  à  la  mort  et  au  tombeau  ?  Est-ce  possible  ? 

Mais  non  !  un  tel  malheur  ne  t'arrivera  pas,  peuple  catholique  ;  tu 
écouteras  la  voix  des  pasteurs,  qui  ne  désirent  que  ton  salut. 

Et,  d'abord,  que  faut-il  penser  de  cette  séparation  de  l'Eglise  et  do 
l'Etat  qui  malheureusement  a  été  déjà  décrétée  chez  nous  par  le 
gouvernement  provisoire  le  7  janvier  de  cette  année?  Est-elle  bonne 
en  elle-même,  cette  séparation?  doit-elle  être  acceptée  par  nous 
catholiques? 

En  deuxième  lieu,  que  devons-nous  penser  de  ce  décret,  en  tant 
qu'il  accorde  la  liberté  à  tous  les  cultes  ? 

Troisièmement  enfin,  que  devons-nous,  nous  les  catholiques  au 


SEPARATION    DE    L.  EGLISE    ET    DE    L  ETAT    AU    BRESIL  o2  / 

Brésil,  faire  dans  cette  nouvelle  situation  qui  est  faite  à  notre  Eglise  ? 

Après  avoir  exposé  ensuite  avec  une  grande  ampleur  la  doc- 
trine de  l'Eglise  en  ce  qui  concerne  la  séparation  de  l'Eglise  et 
de  l'Etat  et  la  liberté  des  cultes,  les  évoques  déclarent  que,  tout 
en  maintenant  fermement  ces  principes,  ils  ne  méconnaissent 
point  que  lorsqu'il  s'agit  de  leur  application  pratique,  il  peut 
être  nécessaire  de  tenir  compte  des  circonstances  des  temps  et 
des  lieux,  que  ce  qui  serait  naturel  dans  un  ordre  social  parfait 
peut  être  difficile  à  réaliser  dans  une  société  plus  ou  moins  dé- 
sorganisée et  troublée. 

Sans  rien  abandonner  des  droits  de  l'Eglise  et  sans  abandon- 
ner non  plus  Tespoir  que  le  pajs,  lorsqu'il  jettera  les  bases  de 
sa  constitution  définitive,  fera  à  l'Eglise  la  situation  qui  lui  re- 
vient, les  catholiques  doiventaecepter  le  modus  vivendi qui  leur 
est  imposé  par  la  force  des  circonstances.  Dans  cette  période 
troublée  et  incertaine  qu'ils  ont  à  traverser  actuellement,  ils 
devront  :  1°  se  rendre  un  compte  exact  de  l'importance  de  la 
liberté  de  l'Eglise  en  elle-même  et  de  celle  qui  lui  est  reconnue 
par  le  décret  du  7  janvier;  2°  forts  de  cette  liberté,  qui  est  leur 
droit  sacré  et  dont  ils  ne  sauraient  être  dépouillés,  faire  tout 
ce  qui  est  en  leur  pouvoir  pour  la  rendre  efi'ective  ;  3°  remplir 
avec  énergie  et  avec  plus  de  dévouement  que  jamais  leurs  de- 
voirs de  chrétiens  dans  la  nouvelle  ère  qui  s'ouvre  pour  l'Eglise 
catholique  au  Brésil. 

Un  coup  d'œil  sur  la  situation  qui  avait  été  faite  à  l'Eglise, 
sous  l'Empire,  par  les  prétentions  régalistes  du  gouvernement, 
par  une  protection  qui  menaçait  de  l'étoufi'er  et  qui  dégénérait 
trop  souvent  en  actes  de  véritable  persécution,  et  une  analyse 
des  six  articles  du  décret  du  gouvernement  provisoire  permet- 
tent aux  évoques  d'établir  que  malgré  quelques  clauses  qui 
pourraient  trop  facilement  donner  lieu  à  des  restrictions 
odieuses,  ce  décret  garantit  à  l'Eglise  une  somme  de  liberté 
plus  grande  que  celle  dont  elle  a  jamais  joui  sous  la  Monarchie. 

Tous  les  efforts  des  catholiques  devront  donc  avoir  pour  but 
en  ce  moment  d'assurer  à  l'Eglise  la  jouissance  complète  et 
réelle  de  cette  liberté,  et  de  la  mettre  à  l'abri  des  attaques  du 
radicalisme  exalté,  du  fanatisme  impie  de  quelques  sectaires 
qui  voudraient  entraîner  le  Brésil  dans  la  voie  de  la  Révolution 
française.  L'exemple  que  le  Brésil  devra  imiter  lui  est  donné 
par  les  deux  Républiques  les  plus  florissantes  de  TAméTique  du 


528  ANNALES    CATHOLIQUES 

Sud  :  la  République  Argentine  et  celle  du  Chili,  qui  sont  restées 
franchement  catholiques,  et  par  les  Etats-Unis  de  l'Amérique 
du  Nord,  oii  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  s'est  imposée 
comme  une  nécessité  politique,  mais  oii  non  seulement  la  reli- 
gion et  l'Eglise  ne  sont  pas  persécutées,  mais  oii  au  contraire 
la  propagande  de  l'athéisme  est  interdite,  oii  le  christianisme 
intervient  dans  tous  les  actes  solennels  de  la  vie  nationale,  oii 
l'Eglise  catholiqup,  respectée  et  honorée,  jouit  d'une  liberté 
réelle  et  complète. 

Le  mandement  se  termine  par  un  éloquent  appel  invitant  le 
clergé  et  les  fidèles  à  faire  avec  plus  de  dévouement,  plus  de 
générosité,  plus  d'ardeur  que  jamais  tout  leur  devoir  pour  que 
leurs  efforts  aient  pour  résultat  le  développement  fécond  de 
l'esprit  chrétien,  qui,  loin  de  constituer  un  péril  pour  l'Etat  ou 
de  menacer  les  institutions  libres  que  le  pays  vient  de  se  donner, 
en  sera  le  rempart  le  plus  puissant,  le  fondement  le  plus  solide; 
à  travailler  dans  une  parfaite  concorde  en  Jésus-Christ  à  la  ré- 
forme des  mœurs  privées  et  publiques,  au  progrès  de  la  véritable 
civilisation,  qui  a  sa  base  et  son  point  de  départ  dans  l'Evangile. 

Unissons,  disent  les  évêques,  nos  vues  et  nos  efforts  pour  la  réali- 
tion  de  cette  entreprise  si  grande.  Des  conflits,  il  n'en  peut  point 
venir  de  la  part  de  l'Eglise. 

Il  suffit  que  l'Etat  reste  dans  sa  sphère  et  n'entreprenne  rien  contre 
elle.  Dans  cette  supposition,  il  est  non  seulement  impossible  qu'il  y 
ait  des  conflits,  mais,  au  contraire,  l'action  de  l'Eglise  sera  on  ne 
peut  plus  salutaire  pour  l'Etat;  les  fils  de  l'Eglise  seront  les  meilleurs 
citoyens,  les  plus  dévoués  au  bien  public,  les  plus  disposés  à  verser 
leur  sang  pour  la  défense  de  la  liberté  de  la  patrie. 

Qu'on  n'introduise  donc  dans  la  charte  constitutionnelle  de  la  Ré- 
publique du  Brésil  aucun  mot  qui  puisse  offenser  la  liberté  de  con- 
science du  pays,  qui  appartient  dans  sa  presque  totalité  à  l'Eglise 
catholique,  apostolique,  romaine.  Que  les  hauts  pouvoirs  de  la  Ré- 
publique ne  nous  enlèvent  pas  le  droit  que  nous  avons  et  qu'ils  nous 
ont  déjà  reconnu  eux-mêmes  d'être  absolument  libres  de  croire  nos 
dogmes  et  de  pratiquer  la  discipline  de  notre  religion  sans  aucune 
intervention  du  pouvoir  civil.  Que  la  République  ne  crée  pas 
d'entraves  à  nos  professions  religieuses  et  aux  vocations  sacerdotales  ; 
qu'elle  ne  contraigne  pas  les  prêtres  catholiques  au  service  des  armes, 
violant  leur  conscience  et  les  lois  de  l'Eglise,  qui  leur  interdisent  ce 
service  comme  incompatible  avec  les  fonctions  sacrées  et  pacifiques 
de  leur  ministère  ;  qu'elle  ne  nous  prive  pas  de  la  possession  et  de 
l'administration  de  nos  biens;  qu'elle  n'étabhsse  pas  dos  écoles  sans 
Dieu. 


LUTTE    RELIGIEUSE   EN    SUISSE  529 

C'est  ce  que  nous  espérons,  afia  qu'où  puisse  éviter  le  fléau  funeste 
des  dissensions  religieuses  et  la  division  profonde  des  esprits  dans 
ces  graves  circonstances,  dans  lesquelles  nous  devons  au  contraire 
réunir  tous  nos  efforts  et  travailler  d'un  commun  accord  â  la  recons- 
truction de  notre  patrie,  à  la  grande  œuvre  de  son  avenir. 


UN  EPISODE  DE    LA  LUTTE  RELIGIEUSE  EN  SUISSE 

Il  se  déroule  en  ce  moment  dans  la  paroisse  de  la  Chaux-de-Fonds, 
un  épisode  bien  de  nature  à  moatrer  le  caractère  de  la  lutte  reli- 
gieuse en  Suisse.  Nous  en  empruntons  le  récit  à  la  Liberté  de  Fri- 
bourg,  qui  publie  la  lettre  suivante  : 

Les  catholiques  romains,  qui,  depuis  quinze  ans,  c'est-à-dire 
depuis  l'introduction  du  scliisine  dans  la  paroisse  s'étaient 
abstenus  de  prendre  une  part  quelconque  aux  élections  et  vota- 
tions  paroissiales,  jugèrent,  ce  printemps,  que  le  moment  était 
venu  de  culbuter  le  schisme  et  de  rentrer  en  possession  des 
biens,  fonds  et  immeubles  dont  on  les  a  injustement  dépouillés 
au  bénéfice  de  l'apostasie. 

En  date  du  19  avril,  ils  adressaient  une  lettre  à  M,  le  préfet 
de  la  Chaux-de-Fonds,  par  laquelle  ils  annonçaient  à  celui-ci 
qu'ils  allaient  prendre  part  aux  élections  paroissiales  du  mois 
de  mai;  ils  lui  demandaient  en  conséquence  de  nommer  quatre 
membres  de  leurs  amis  sur  neuf  pour  le  bureau  électoral  et 
le  bureau  de  dépouillement. 

M.  le  préfet  transmit  immédiatement  cette  lettre  à  M.  Bauer, 
président  du  comité  vieux-catholique.  Ce  dernier,  sentant  la 
poudre,  eut  alors  recours  à  un  de  ces  trucs  inavouables  qui  suf- 
fisent à  déshonorer  un  parti  tout  entier. 

La  paroisse  vieille-catholique  avait  décrété  en  assemblée 
générale,  il  y  a  de  cela  une  quinzaine  d'années,  qu'elle  se  réser- 
vait le  droit  de  nommer  son  curé.  Mais  ce  qu'une  assemblée 
générale  avait  fait,  une  assemblée  générale  pouvait  le  défaire. 
Les  catholiques-romains  se  présentant  au  scrutin  pour  nommer 
un  prêtre  de  leur  choix  l'emportaient  haut  la  main  et  c'en  était 
fait  du  schisme.  Que  faire  et  à  quels  moyens  recourir  pour 
empêcher  ce  malheur  ou  cette  réparation  d'une  iniquité  qui  n'a 
dura  q'ie  trop  longtemps?  Le  moyen  fut  vite  trouvé.  Il  suffisait, 
dans  uue  assemblée  générale  préliminaire,  de  faire  décréter  que 
les  paroissiens  renonçaient  à  leur  droit  d'élire  eux-mêmes  leur 
curé    et  remettaient  ce   soin-là  au  conseil  d'Etat.  Celui-ci  ua 


530  ANNALES    CATHOLIQUES 

peut  choisir  qu'un  des  trois  candidats  présentés  par  l'évêque  du 
diocèse.  Or,  comme  la  paroisse  catholique  officielle  de  la  Chaux- 
de-Fonds  est  rattacliée  à  l'évêché  national  suisse,  lisez  vieux- 
catholique,  le  conseil  d'Etat  ne  pouvait  choisir  qu'un  des  trois 
candidats  d'Herzog.  Rais  était  nommé,  et  le  tour  était  joué. 

Pour  avoir  une  assemblée  générale  docile,  il  fallait  la  convo- 
quer à  la  dernière  heure.  Les  catholiques-romains  seraient  pris 
à  l'improviste,  n'auraient  pas  le  temps  de  se  reconnaître  et,  se 
voyant  battus  d'avance,  renonceraient  à  la  lutte.  La  résignation 
n'est-elle  pas  le  huitième  de  leurs  péchés  capitaux?  La  convo- 
cation de  l'assemblée  générale  au  4  mai  paraissait  donc  pour  la 
première  fois  dans  les  feuilles  locales  du  3  mai,  portant  à  son 
ordre  du  jour  :  Proposition  du  Comité  concernant  l'élection 
d'un  curé. 

M.  Conus,  curé,  ne  fut  averti  de  ce  qui  se  passait  que  le 
samedi  matin,  à  neuf  heures.  Il  comprit  immédiatement  le  piège 
qui  était  tendu  aux  catholiques-romains.  A  neuf  heures  et 
demie,  la  Commission  électorale  était  réunie.  Elle  décidait  de 
protester  immédiatement  contre  la  convocation  tardive  de  cette 
assemblée,  auprès  du  préfet  de  la  Chaux-de-Fonds.  A  deux 
heures,  une  délégation  se  rendait  à  Neuchàtel  pour  demander  au 
directeur  des  Cultes  de  bien  vouloir  intervenir  au  cas  particu- 
lier et  renvoyer  à  huit  jours  plus  tard  l'asserabiée  en  question. 
M.  Clerc  se  retrancha  derrière  la  loi,  refusa  d'intervenir  et  dit 
aux  délégués  catholiques-romains  qu'ils  n'avaient  qu'à  se  pré- 
senter en  masse  et  s'ils  obtenaient  la  majorité,  la  question  était 
tranchée  en  leur  faveur.  L'insuccès  de  cette  démarche  était 
téléphoné  à  la  Chaux-de-Fonds  et,  à  quatre  heures  et  demie  du 
soir,  nos  amis  se  mettaient  en  campagne.  Le  lendemain  matin, 
ils  se  présentaient  au  bureau  électoral  et^  à  onze  heures,  ils 
entraient  en  assemblée  générale.  Un  coup  d'œil  jeté  sur  ces 
600  hommes  qui  se  pressaient  dans  l'enceinte  de  la  chapelle 
suffit  àM.  Bauer,  le  grand  pontife  de  la  secte,  pour  lui  faire 
comprendre  que  tout  était  perdu  s'il  n'avait  pas  recours  à  une 
nouvelle  ruse  inqualifiable.  L'assemblée  est  ouverte.  On  nous 
lit  deux  lettres  du  Conseil  d'Etat  sans  nous  lire  les  lettres  du 
Comité  qui  avaient  provoqué  ces  réponses.  Puis,  Bauer  déclare 
solennellement,  sans  autres  explications,  qu'on  va  se  prononcer 
par  oui  et  par  non  sur  la  proposition  du  Comité.  Il  ajoute  qu'il 
s'oppose  à  tout  discours  parce  qu'il  ne  veut  pas  de  propagande. 
Il  y  a  de  l'électricité  dans  l'air. 


LUTTE    RELIGIEUSE    EN    SUIbSE  531 

•  Un  membre  de  l'assemblée  se  lève  et  déclare  que  tons  les 
catholiques-romains  voteront  non.  Un  autre  membre  demande 
des  explications,  M.  Bauer,  un  malin,  lui  répondit  à  deux 
reprises  différentes  :  «Je  vous  dis  qu'un  oui  signifie  un  oui  et 
qu'un  non  signifie  un  non.  Cela  doit  suffire  pour  des  hommes 
intelligents.  »M.  Conus,  curé  catholique-romain,  comprend  que 
les  vieux-catholiques  essayent  de  pêcher  en  eau  trouble.  Il  se 
lève,  demande  la  parole,  M.  Bauer  lui  crie  :  «  Je  ferai  observer 
au  curé  ultramontain  qu'il  n'est  pas  ici  pour  faire  un  sermon.  » 
Et  le  curé  ultramontain  ne  fit  pas  de  sermon,  mais  d'une  voix 
éclatante,  indignée^  sans  entendre  les  vociférations  de  ceux 
qui  criaient:  «  A  la  porte,  le  Jésuite,  à  la  porte  l'ultramontain  !  » 
il  s'écria  :  «  On  vous  dit  que  oui  signifie  oui  et  que  non  signifie 
non,  et  moi  je  vous  dis  que  cela  ne  signifie  rien  du  tout.  Le 
comité  vous  propose  de  renoncer  à  votre  droit  de  nommer  votre 
curé  pour  laisser  ce  droit  au  Conseil  d'Etat.  Or,  le  curé  de 
Chaux-de-Fonds  n'est  pas  le  curé  du  Conseil  d'Etat,  mais  le 
curé  des  catholiques  de  la  paroisse.  Par  conséquent,  c'est  aux 
paroissiens  à  le  nommer  et  non  au  Conseil  d'Etat.  C'est  pourquoi 
tous  les  catholiques  honnêtes  voteront  non.  » 

Ces  quelques  paroles  avaient  fixé  les  électeurs  et  porté  un 
dernier  coup  à  la  proposition  du  comité.  Elle  fut  rejetée  par 
383  voix  contre  191.  Le  résultat  fut  proclamé  en  présence  d'une 
centaine  d'électeurs,  tous  catholiques-romains  —  les  autres 
avaient  décampé  pour  ne  pas  subir  la  honte  de  la  défaite,  —  eh 
bien,  pas  un  bravo  ne  se  fit  entendre.  Les  catholiques-romains 
savent  triompher  avec  une  dignité  que  ne  connaissent  pas  leurs 
adversaires. 

Le  curé  de  la  paroisse  devait  donc  être  soumis  à  la  réélection 
dans  le  courant  de  mai.  Les  catholiques-romains  se  préparaient 
déjà  à  livrer  un  dernier  assaut  à  cette  farce  sinistre  qui  a  nom 
de  vieux-catholicisme.  Les  17  et  18  avaient  été  fixés  pour  les 
élections.  Nos  amis  prenaient  vendredi  après-midi  leurs  der- 
nières dispositions  pour  la  bataille,  lorsqu'à  trois  heures  de 
l'après-midi,  la  préfecture  faisait  savoir  à  l'un  des  nôtres  que  le 
Conseil  d'Etat  venait  de  rendre  un  arrêt  interdisant  aux  catho- 
liques-romains de  prendre  part  à  l'élection  du  curé  de  la  pa- 
roisse catholique-chrétienne. 

Voici  le  texte  de  cet  étrange  arrêt  : 

Arrêté  du  16  mai  1890  dit  conseil  d'Etat  de  la  Rc2Jublique 
et  canton  de  Neuchàtel. 

Vu  une   lettre  du  Comité  de  la  paroisse   catholique  chrétienne  de 


532  ANNALES    CATHOLIQUES 

Chaux-de-Fonds,  en  date  du  11  mai  1890,  demandant  si  on  pouvait 
admettre  les  catholiques-romains  aux  élections  du  curé  catholique- 
chrétien,  le  conseil  d'État, 

Considérant  qu'il  résulte  du  rattachement  de  la  paroisse  catho- 
lique-chrétienne de  Chaux-deFonds  à  l'évêché  national  suisse,  que 
cotte  paroisse  est  sortie  de  l'Église  romaine  pour  constituer  un  nou- 
veau culte  absolument  distinct  du  culte  catholique-romain  ; 

Considérant  qu'il  n'est  pas  admissible  que  cet  état  de  fait  et  de 
droit,  sanctionné  par  un  décret  do  Grand  Conseil,  puisse  être  modi- 
fié par  le  vote  de  citoyens  appartenant  à  une  autre  Église  que  l'Église 

catholique-chrétienne, 

Arrête  : 

Art.  1<"'.  Ne  peuvent  participer  aux  opérations  du  scrutin  pour 
l'élection  du  curé  catholique-chrétien,  les  samedi  et  dimanche  17  et 
18  mai,  que  les  citoyens  appartenant  ù  la  paroisse  catholique-chré  ■ 
tienne. 

Art.  2.  Lo  bureau  électoral  et  le  bureau  de  dépouillement  seront 
composés  exclusivement  de  citoyens  appartenant  à  la  paroisse  catho- 
lique-chrétienne. 

Ce  fut  un  coup  de  foudre  pour  ces  vaillants  catholiques- 
romains  dont  la  victoire  pouvait  être  considérée  comme  cer- 
taine. Toutefois  le  premier  moment  de  stupeur  fut  bien  vite 
passe.  L'arrêté  du  conseil  d'Etat  était  tellement  illégal,  arbi- 
traire et  monstrueux,  qu'ils  comprirent  que  de  l'excès  même  du 
mal,  il  en  résulterait  un  bien. 

Le  soir  même,  vendredi,  500  électeurs  frustrés  de  leurs  droits 
se  pressaient  en  assemblée  générale  dans  l'église  catholique- 
romaine,  indignés,  frémissants  sous  l'acte  de  violence  que  venait 
d'exercer  le  conseil  d'État.  M.  Conus,  curé^  prend  le  premier  la 
parole.  Il  expose  les  faits,  examine  la  loi,  constate  l'illégalité  de 
l'arrêté,  et  déclare  à  l'assemblée  que  les  catholiques-romains 
sauront  revendiquer  leurs  droits  et  qu'ils  épuiseront  toutes  les 
instances  jusqu'à  ce  qu'enfin  justice  leur  soit  rendue.  A  ses 
côtés,  nous  voyons  M.  Vuichard,  Rd  curé  de  Grossier;  M.  Ver- 
mot,  Rd  curé  du  Locle.  M.  Berset,  Rd  doyen  de  Neuchâtel, 
arrive  par  le  dernier  train.  M.  Vuichard  demande  aux  catho- 
liques-romains la  dignité  et  la  persévérance  dans  ces  circons- 
tances difficiles.  M.  Vermot  parle  successivement  en  italien  et 
en  allemand.  M.  le  doyen  fait  ressortir  les  conséquences  finan- 
cières de  cet  arrêté.  Ces  discours  sont  interrompus  par  des  bra- 
vos frénétiques.  Enfin  l'assemblée  se  sépare  plus  enthousiaste 
que  jamais  et  acclame  M.  Conus^  curé,  par  un  triple  vivat  spon- 
tané. 


LES    FÊTES    d'oBERAMMERGAU  533 

-  Les  catholiques-romains  sont  bien  résolus  à  revendiquer 
leurs  droits  par  tous  les  moyens  en  leur  pouvoir.  Jusqu'ici  leur 
conduite  a  été  correcte  et  digne.  L'injustice  dont  ils  sont  vic- 
times a  créé  dans  la  population  un  courant  qui  leur  est  tout  à 
fait  sympathique.  Quand  ils  retourneront  au  scrutin,  ce  sera  la 
main  dans  la  main  avec  un  certain  nombre  de  vieux-catho- 
liques convertis,  honteux  eux-mêmes  du  rôle  indigne  qu'on  leur 
fait  jouer. 

Plusieurs  catholiques-romains  se  sont  présentés  samedi  et 
dimanche  au  scrutin  en  se  déclarant  purement  et  simplement 
catholiques.  On  leur  a  refusé  leur  carte  électorale  parce  qu'ils 
ne  voulaient  pas  se  dire  catholiques-chrétiens. 

Le  Grand  Conseil,  qui  se  réunit  demain,  est  saisi  d'une  pro- 
testation des  catholiques-romains.  Nous  avons  bon  espoir  qu'il 
sera  fait  droit  à  nos  justes  réclamations.  Les  élections  d'hier  et 
d'aujourd'hui  seront,  selon  toutes  les  probabilités,  annulées 
par  cette  autorité.  J'apprends  à  l'instant  le  résultat  des  élec- 
tions. Sur  plus  de  1,200  électeurs.  Rais  est  nommé  par  484  voix, 
12  voix  nulles. 

A  vaincre  sans  péril,  on  triomphe  sans  gloire. 

Le  vieux-catholicisme  a  donné  jusqu'à  son  dernier  homme. 
Et  ce  chiffre-là  était  bien  dépassé  par  celui  des  catholiques- 
romains  s'ils  avaient  pu  voter.  C'est  le  triomphe  dans  la  honte. 
Aussi  pas  de  tambour,  pas  de  canon,  pas  de  flambeau,  pas  de 
cortège.  Rien  de  rien.  Que  les  temps  sont  changés  ! 

Nous  suivrons  les  péripéties  de  cette  lutte  intéressante  à  plus  d'un 
titre.  Outre  qu'elle  nous  fait  connaître  le  bon  exemple  de  nos  coreli- 
gionaaires  suisses,  elle  nous  édifie  aussi  —  en  était-il  encore  besoin? 
—  sur  les  procédés  tyranniques  du  schisme  aux  abois.  Les  «  libéraux  » 
sont  partout  les  mêmes. 


LES  FETES  D'OBERAMMERGAU 

A  Oberammergau,  les  représentations  décennales  de  «  la 
Passion  »  viennent  de  commencer. 

Pendant  plusieurs  jours  les  touristes  ont  envahi  le  joli  village 
du  Tyrol  bavarois,  oii  tous  les  dix  ans  est  joué  le  mystère  de  la 
Passion,  A  notre  époque  de  globe-trotters,  les  spectateurs 
étrangers  viennent  de  tous  les  coins  du  monde,  et  Oberammer- 
gau est^  tous  les  dix  ans,  un  centre  de  cosmopolisme. 


534  ANNALES   CATHOLIQUES 

Ces  représentations  pieuses  sont-elles  un  reste  de  celles 
qu'aimait  le  moyen-âge,  une  tradition  fidèlement  gardée  par  un 
village  d'hommes  ingénus  ? 

Elles  ne  datent  que  de  1633.  A  cette  époque,  une  eflroyable 
épidémie  de  peste  noire  ravageait  la  vallée  d'Ammer. 

Les  villageois  s'assemblèrent  dans  les  églises  et,  solennelle- 
ment, tous  agenouillés,  prononcèrent  ce  vœu  unanime  que,  si 
la  miséricorde  divine  détournait  la  contagion  de  leurs  familles, 
ils  institueraient  à  perpétuité  des  solennités  commémoratives. 
tout  à  la  fois  de  leur  délivrance  et  de  la  Passion  du  Sauveur,  et 
légueraient  l'exécution  décennale  de  ces  fêtes  à  leurs  enfants 
et  aux  enfants  de  leurs  enfants  jusqu'à  la  dernière  génération. 

Le  vœu  fut  exaucé,  le  lléau  s'éloigna  de  la  vallée,  et,  depuis 
cette  époqne,  à  travers  toutes  les  vicissitudes,  les  populations 
d'Oberammergau  sont  restées  immuablement  fidèles  à  leur 
promesse.  Une  fois  seulement  des  événements  imprévus  causè- 
rent un  certain  retard  dans  l'exécution  du  vœu.  Ce  fut  eu  1870; 
tous  les  hommes  valides  de  la  contrée  furent  appelés  sous  les 
drapeaux  allemands.  Mais  ce  ne  fut  qu'un  retard  d'une  année, 
et  la  promesse  solennelle  fut  de  nouveau  remplie  en  1871. 

L'année  1890  est  l'expiration  d'une  autre  décade. 

Il  y  a  quatre  mille  étrangers  dans  la  contrée,  la  plupart 
Anglais  et  Américains. 

En  prévision  de  leur  venue  on  avait  ,fait  des  préparatifs  con- 
sidérables. Le  chemin  de  fer,  maintenant,  va  jusqu'à  Obereau, 
d'où  une  magnifique  route  de  montagne,  d'une  facile  ascension, 
vient  d'être  ouverte  jusqu'à  Oberammergau.  Là,  on  vient 
d'inaugurer  plusieurs  hôtels  nouveaux,  un  bureau  de  poste,  une 
salle  de  bagages  et  de  nombreux  étalages. 

Cette  année,  les  représentations  ont  été  préparées  à  grands 
frais.  Oii  est  le  temps  de  la  simplicité  primitive  de  ces  belles 
fêtes?  La  mise  en  scène,  les  décors,  les  costumes,  tout  est  neuf. 
Le  théâtre  a  été  machiné  par  le  machiniste  en  chef  du  théâtre 
royal  de  Munich. 

La  lumière  électrique  a  fourni  ses  ressources. 

Qu'on  se  figure  un  théâtre  bâti  dans  un  superbe  paysage,  au 
cœur  d'une  prairie  énorme  que  bordent  des  rochers  couverts  de 
sapins. 

Le  théâtre  de  forme  rectangulaire,  peut  contenir  six  mille 
spectateurs.  Les  sièges  sont  rangés  en  amphithéâtre  jusqu'à  une 
grande  galerie  couverte,  où  sont  les  premières  places,  disposées 


LES    FÊTES    d'oBERAMMERGAU  535 

cette  année,  de  façon  à  abriter  les  spectateurs  contre  le  soleil  et 
contre  la  pluie.  On  y  remarque  la  loge  royale  et  trois  rangées 
de  loges. 

Les  prix  varient  depuis  1  fr.  25  jusqu'à  20  francs. 

Les  représentations  au  nombre  de  vingt-cinq,  se  termineront 
le  28  septembre  ;  en  voici  les  dates  : 

Le  26  mai  ; 

Lesl",  8,  15,  16,  22,  23,  29  juin  ; 

Les  6,  13,  20,23,  27 juillet; 

Les  3,  6, 13,  17,  20,  21,  31  août; 

Et  les  3,  7,  14,  21  et  28  septembre. 

A  huit  heures  du  matin,  un  coup  de  canon  annonco  la  repré- 
sentation. L'écho  des  montagnes  répercute  formidablement  ce 
signal;  mais,  dès  sept  heures,  les  spectateurs  sont  arrivés. 

Le  rideau  se  déroule  en  deux  parties  par  le  haut  et  par  le 
bas.  Et  l'on  aperçoit  le  magnifique  décor. 

La  scène  est  divisée  en  trois  compartiments  :  l'un  représente 
la  place  publique  de  Jérusalem;  les  deux  autres,  la  maison 
d'Anne  et  la  maison  de  Pilate,  ce  qui  sert  à  la  représentation  de 
certaines  parties  simultanées  de  la  pièce. 

Sur  la  toile  de  fond  apparaissent  les  rues  de  la  ville  sainte  ; 
au  fronton  est  figuré  le  serpent  d'airain,  figure  de  Jésus  en 
croix.  Devant  la  scène  est  le  proscenium,  où  se  tient  le  chœur. 
Quant  à  l'orchestre,  il  est,  comme  à  Bayrouth,  invisible  aux 
jeux  des  spectateurs. 

La  première  partie  de  la  représentation  est  terminée  à  midi. 
Pendant  l'entr'acte,  qui  dure  une  heure,  tout  le  monde  déjeune. 
Mais  la  plupart  ont  apporté  leurs  provisions,  pour  ne  pas  perdre 
leur  place. 

A  une  heure,  second  coup  de  canon  pour  annoncer  le  com- 
mencement de  la  deuxième  partie,  qui  se  déroule  jusqu'à  cinq 
heures  du  soir. 

Le  mystère  porte  ce  titre  : 

«  La  fête  solennelle  de  la  Rédemption  des  hommes  célébrée 
au  Golgotha,  ou  l'histoire  de  la  Passion  et  de  la  Mort  de  Notre- 
Seigneur,  d'après  les  quatre  Evangélistes,  accompagnée  de 
figures  symboliques  tirées  de  l'ancien  Testament,  et  représentée 
à  Oberammergau  pour  l'instruction  et  l'édification  du  peuple 
chrétien.  » 

Le  drame  est  divisé  en  trois  parties  et  dix-huit  tableaux. 

La  première   partie  commence  par   l'entrée  du   Sauveur  à 


536  ANNALK»  CATUOLIQUKS 

Jérusalem,  et  finit  par  son  arrestation  au  jardin  des  Oliviers, 
en  tout  sept  scènes  en  action  avec  leurs  symboles  muets. 

La  deuxième  partie  va  de  l'arrestation  de  Jésus  jusqu'à  sa 
condamnation  par  Pilate,  sept  autres  scènes  accompagnées  de 
leurs  symboles. 

La  troisième  partie,  enfin,  comprend  les  scènes  qui  se  dérou- 
lent à  partir  de  la  condamnation  jusqu'à  la  résurrection  du 
Seigneur,  et  se  terminent  par  de  solennels  alléluia. 

Le  drame  rappelle  la  procession  de  Béthune,  si  célèbre  au 
seizième  siècle. 

Le  choeur  joue  un  rôle  actif,  comparable  à  celui  des  trilogies 
d'Eschyle,  Sophocle  et  Euripide  dans  le  théâtre  hellénique,  ou 
au  rôle  de  V argumentation  du  moyen  âge. 

Il  explique  les  scènes  muettes,  il  chante  les  mystères  repré- 
sentés. 

La  musique  date  du  commencement  de  ce  siècle;  elle  est 
dans  le  style  des  anciens  oratorios.  Simple,  très  mélodieuse, 
elle  s'associe  heureusement  aux  grandes  scènes  qu'elle  accom- 
pagne. Souvent  elle  atteint  une  sublime  inspiration. 

Les  personnages  sont  au  nombre  de  cent  dix-neuf,  dont  quinze 
femmes.  Les  principaux  sont  Jésus,  la  sainte  Vierge,  les  apô- 
tres, Annej  Caïphe^  Ilérode,  Pilate,  etc.,  etc. 

Le  drame  suit  pas  à  pas  le  texte  évangélique,  comme  on  peut 
en  juger  par  l'admirable  scène  suivante,  celle  des  adieux  de 
Notre-Seigneur  à  sa  Mère  (scène  V,  troisième  tableau  du  mys- 
tère) : 

JÉSUS 

Ma  mère,  l'heure  est  venue  oii,  pour  obéir  à  mon  Père,  je 
veux  m'ollrir  volontairement.  Je  suis  prêt  à  accomplir  le  sacri- 
fice que  mon  Père  demande  de  moi. 

MARIE  • 

Ilélas  !  je  prévois  assez  quel  sera  ce  sacrifice. 

MADELEINE 

Oh  !  nous  désirions  tant  retenir  le  Maître  parmi  nous... 

SIMON 

Mais  sa  résolution  est  inébranlable. 

JÉSUS 

Mon  heure  est  venue.  Mon  âme  est  profondément  affligée; 
mais,  que  dirai-je?  Mon  Père,  délivrez-moi  de  cette  heure! 
Mais,  n'est-ce  point  pour  cette  heure  que  je  suis  venu? 


NÉCROLOGIE  537 

MARIE 

0  saint  vieillard  Siméon  !  c'est  maintenant  que  va  s'accom- 
plir ce  que  vous  m'avez  prédit  :  «  Un  glaive  de  douleur  percera 
votre  âme  »,  disiez-vous. 

JÉSUS 

Mère,  la  volonté  du  Père  vous  a  toujours  été  sacrée  ! 

MARIE 

Elle  me  le  sera  toujours.  Je  suis  la  servante  du  Seigneur. 
Mais,  mon  fils,  il  est  une  grâce  que  je  voulais  vous  demander; 
c'est  d'aller  avec  vous  à  la  mort.  Mon  fils,  oii  vous  reverrai-je  ? 

JÉSUS 

Mère  !  là  oii  doit  s'accomplir  cette  parole  de  l'Ecriture  :  «  Il  a 
été  conduit  à  la  mort  comme  un  agneau  à  la  boucherie,  et  il  n'a 
pas  ouvert  la  bouche  pour  se  plaindre.  » 

Chaque  scène  évangélique  est  précédée  d'une  figure  symbo- 
lique de  l'ancien  Testament,  mimée  par  les  acteurs  et  expliquée 
par  le  chœur. 

Ainsi,  Joseph  vendu  par  ses  frères  figure  la  trahison  de  Judas  ; 
Isaac,  portant  sur  ses  épaules  le  bois  du  sacrifice,  présage  Jésus 
portant  la  croix. 

Les  acteurs  sont  au  nombre  de  700.  Ce  sont  les  paysans,  les 
artisans,  qui  ont  dix  ans  devant  eux  pour  étudier  leurs  rôles. 
Ceux  qui  les  ont  vus  les  admirent,  et  trouvent  le  jeu  de  ces 
paysans  pieux  et  ingénieux,  supérieur  de  beaucoup  à  celui  de 
nos  acteurs  de  théâtres. 

La  représentation  a  produit  une  impression  profonde. 


NECROLOGIE 

Uue  maladie  cruelle  clouait  dans  son  lit,  depuis  plusieurs 
mois,  M.  le  vicomte  de  Gontaut-Biron,  ancien  ambassadeur  de 
France  à  Berlin,  ancien  sénateur,  ancien  membre  de  l'Assem- 
blée nationale  :  il  est  mort  à  Paris,  dans  sa  soixante-onzième 
année. 

Peu  de  diplomates,  depuis  vingt  ans,  ont  exercé  des  fonctions 
aussi  difficiles,  et  il  n'a  guère  été  donné  qu'à  lui  de  rendre  à  la 
France,  sur  ce  terrain  ingrat,  des  services  signalés,  inoubliables. 
Par  son  nom,  par  sa  clairvoyance,  par  son  aménité,  M.  de  Gon- 
taut-Biron avait  su  se  faire  à  Berlin  une  situation  qui  ne  res- 

39 


538  ANNALBS     CATHOLIQUES 

semblait  en  rien  à  celle  du  représentant  d'un  pays  vaincu;  on 
l'estimait,  on  l'aimait,  on  le  tenait  pour  quelqu'un. 

Aussi  lorsque  vinrent,  en  1875,  les  heures  périlleuses,  quand 
le  parti  militaire,  appuyé  plus  ou  moins  directement  par  M.  de 
Bismarck,  voulut  empêcher  la  France  de  commencer  la  réorga- 
nisation de  son  armée,  M.  de  Gontaut-Biron  sut  manœuvrer 
habilement  et  déjoua,  avec  l'appui  du  duc  Decazes,  le  ministre 
des  affaires  étrangères  de  ce  temps-là,  tous  ces  plans  machiavé- 
liques. 

Est-il  besoin  de  dire  que  le  souvenir  de  cet  éclatant  service 
ne  sauva  pas  M.  de  Gontaut-Biron  de  la  disgrâce,  après  le 
16  mai,  quand  la  totalité  du  pouvoir  échut  en  partage  aux  ré- 
publicains ?  M.  de  Gontaut  dut  donner  sa  démission,  et  il  vint 
reprendre  alors  son  siège  de  sénateur  au  Lu:sembourg.  Mais  en 
1882,  il  ne  fut  pas  réélu,  et  depuis  cette  époque,  il  avait  cessé 
d'appartenir  à  la  politique  militante. 

Il  ne  s'en  désintéressait  pas  cependant,  et  il  aimait  à  s'y  mê- 
ler encore  de  temps  à  autre  par  ses  articles  de  revue  ou  ses 
brochures.  Monarchiste  convaincu,  mais  partisan  invariable  du 
régime  parlementaire,  il  avait  combattu  avec  une  extrême  viva- 
cité le  général  Boulanger.  Puis,  la  maladie  qui  l'a  emporté 
ayant  pris  un  caractère  aigu,  il  s'était  vu  condamné  à  un  repos 
absolu. 

M.  de  Gontaut-Biron  était  le  chef  d'une  famille  aussi  nom- 
breuse qu'honorable,  famille  très  considérée  et  très  influente 
dans  ce  qu'on  appelle  le  faubourg  Saint-Germain.  Il  laisse  par 
là  même  beaucoup  de  regrets,  qu'ils  viennent  de  ses  enfants  ou 
de  ses  amis.  Tout  ce  qu'on  peut  souhaiter,  c'est  que  nous  ayons 
beaucoup  de  diplomates  comme  lui,  et,  quand  nous  en  aurons, 
qu'on  ne  les  enlève  pas  sans  nécessité  aux  postes  qu'ils  rem- 
plissent. 

Le  prince  Nicolas  Bibesco  vient  de  mourir  dans  sa  propriété 
de  Mogoshoï,  près  de  Bucharest,  après  une  courte  maladie.  Il 
avait  servi  dans  l'armée  française  en  Afrique,  au  temps  où  le 
maréchal  Randon  était  gouverneur  de  l'Algérie.  Il  fut  aussi  offi- 
cier d'ordonnance  du  général  Trochu  pendant  le  siège  de  Paris. 

Un  autre  lien  plus  intime  le  rattachait  à  la  France  :  so» 
mariage  avec  la  petite-fille  du  maréchal  Ney,  Mlle  Hélène 
d'Elchino-en. 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  539 

L'archevêque  de  Bamberg,  Mgr  Frédéric  von  Schreiber,  vient 
de.  mourir  à  l'âge  de  soixante  et  onze  ans,  à  la  suite  d'une  longue 
maladie.  Né  le  23  mai  1810,  i]  ftit  ordonné  prêtre  le  8  juin  1843, 
exerça  le  préceptorat  cliez  le  prince  Wallerstein,  puis  entra 
dans  le  ministère  paroissial.  Il  était  archevêque  de  Bamberg 
depuis  1875.  Le  Pape  avait  envoyé  au  défunt  la  bénédiction 
apostolique.  La  mort  de  Mgr  de  Schreiber  est  considérée  comme 
une  grande  perte  pour  la  Bavière. 

L'archevêque  de  Gnesen-Posen,  Mgr  Dinder,  est  décédé 
presque  subitement.  Il  n'avait  que  soixante  et  un  ans  et  n'occu- 
pait son  siège  que  depuis  1886.  Successeur  de  Mgr  Ledochowski, 
il  s'était,  dès  le  début,  trouvé  aux  prises  avec  des  difficultés 
exceptionnelles  qui  eurent  vite  fait  de  ruiner  sa  santé.  Placé 
comme  entre  le  marteau  et  l'enclume,  entre  un  gouvernement 
décidé  à  germaniser  et  à  protestantiser  les  provinces  polonaises 
et  une  population  accablé  par  l'oppression,  Mgr  Dinder  eût 
voulu  répondre  autant  que  possible  aux  vœux  de  son  troupeau 
sans  heurter  de  front  les  représentants  du  gouvernement.  Animé 
des  meilleures  intentions,  il  ne  réussit  que  peu  dans  ses  tenta- 
tives conciliatrices^  d'autant  plus  qu'il  avait  aux  yeux  de  ses 
ouailles  le  tort  de  n'être  pas  de  nationalité  polonaise. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES 

Rome  et  l'Italie. 

Par  suite  de  la  création  des  nouveaux  Princes  de  l'Eglise  qui 
aura  lieu  vers  la  fin  de  ce  mois,  le  'plénum  du  Sacré-Collège, 
qui  est  de  70  cardinaux,  sera  presque  atteint,  puisqu'il  n'y  a 
aujourd'hui  que  cinq  chapeaux  vacants.  Deux  des  nouveaux 
cardinaux,  Mgr  Mermillod  et  Mgr  Galeati,  se  trouveront  à  Rome 
pour  recevoir  le  chapeau  au  prochain  Consistoire;  aux  deux 
autres  :  le  nonce  de  Lisbonne,  Mgr  Yannutelli,  et  l'archevêque 
de  Cracovie,  Mgr  Dunajewski,  les  premiers  insignes  de  la 
dignité  cardinalice,  c'est-à-dire  la  calotte  et  la  barrette  rouges, 
seront  apportées  comme  d'habitude  par  des  ablégats  et  des 
gardes-nobles  pontificaux  qui  partiront  à  cet  eftet  le  jour  même 
du  Consistoire, 

Le  nonco  de  Lisbonne  Mgr  Vannutelli  restera  à  son  poste, 
même  après  son  élévation  au  cardinalat,  en  prenant  alors  le  titre 


540  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  pro-nonce  apostolique,  comme  cela  s'est  fait  en  d'auti'es  cir- 
constances analogues.  Ce  prolongement  de  séjour  à  Lisbonne  de 
Mgr  Vannutelli  est  requis  parles  négociations  particulièrement 
importantes  qui  ont  lieu  entre  le  Saint-Siège  et  le  Portugal 
pour  organiser  définitivement  la  hiérarchie  catholiqueauxlndes, 
de  manière  à  sauvegarder  à  la  fois  les  légitimes  intérêts  de  l'An- 
gleterre et  les  traditions  acquises  au  profit  de  la  couronne 
portugaise. 

On  considère  comme  on  ne  .peut  mieux  inspiré  et  opportun  le 
choix  que  le  Souverain  Pontife  a  fait  de  l'archevêque  de  Ravenne, 
Mgr  Galeati,  pour  l'élever  aux  honneurs  de  la  pourpre.  Ces 
honneurs,  en  eflet,  tout  en  rejaillissant  sur  le  siège  de  Ravenne 
qui  est  d'institution  apostolique  et  qui  compte  une  si  longue  suite 
de  pasteurs  illustres,  mettent  aussi  en  relief  les  vertus  insignes 
de  Mgr  Galeati  et  la  salutaire  influence  de  son  ministère  pas- 
toral, au  moment  même  où  la  province  de  Ravenne  et  toute  la 
Romagne  sentie  théâtre  d'une  agitation  sociale  des  plus  graves. 


L'énergie  momentanée  que  le  gouvernement  a  déployée  pour 
empêcher  toute  manifestation  le  1"  mai  n'a  fait  que  retarder 
les  émeutes  survenues  ces  jours  derniers  en  Romagne.  A  Con- 
selice,  grosse  bourgade  de  6,000  âmes,  la  troupe  a  fait  feu  sur 
une  foule  composée  surtout  de  femmes  et  de  manouvriers  qui 
réclamaient  l'augmentation  de  leur  salaire  actuel,  vraiment 
dérisoire,  puisqu'il  n'atteint  guère  qu'une  moyenne  de  75  cen- 
times par  jour,  pour  plus  de  dix  heures  de  travail,  au  milieu 
des  terrains  marécageux  et  infects  des  rizières.  Les  tristes  ré- 
sultats de  l'émeute  de  Conselice  ont  été  :  4  morts,  dont 
2  femmes,  et  29  blessés,  dont  17  paysans  et  12 soldats;  parmi  ces 
blessés,  plusieurs  le  sont  mortellement. 

A  Ravenue,  on  redoute  des  troubles  du  même  genre.  400  fem- 
mes se  sont  mises  en  grèves  ;  et,  pour  tout  remède,  le  gouvei'- 
nement  se  borne  à  envoyer  des  renforts  de  troupes  et  à  nommer 
une  commission  d'enquête  qui  mettra  bien  quelques  mois  à  re- 
chercher les  causes  de  l'agitation.  Hélas  !  ces  causes  ne  sont  que 
trop  visibles  dans  l'affreuse  misère  des  paysans  de  la  Romagne 
et  dans  la  funeste  politique  qui  aggrave  cette  misère,  au  lieu  de 
]a  soulager.  D'une  part,  on  voit  de  pauvres  travailleurs  ne  re- 
cevant qu'une  paye  de  75  centimes  et  réduits,  pour  arracher 
aux  patrons  vingt  sous,  à  se  mettre  en  révolution  et  à  faire  tuer 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  541 

des  hommes.  D'autre  part,  la  politique  du  gouvernement  a  eu 
pour  résultat  d'entraver  le  commerce,  de  décourager  l'industrie, 
d'exproprier  en  masse  les  paysans  qui  ne  peuvent  plus  payer 
les  taxes,  et  en  même  temps  de  mettre  des  entraves  à  l'émi- 
gration qui  était  comme  la  soupape  de  sûreté  contre  les  excès 
de  la  misère  et  du  désespoir.  Il  y  a  quelques  jours,  M.  Crispi, 
avec  l'arrogante  présomption  qu'on  lui  connaît,  déclarait  en 
plein  Parlement  que  la  crise  agraire  et  économique  n'était 
qu'une  invention  de  la  presse  malveillante,  et  il  en  donnait 
comme  preuve  la  diminution  de  l'émigration  pendant  les  trois 
derniers  mois.  Mais  c'est  précisément  la  preuve  du  contraire, 
car  le  gouvernement,  après  avoir  élaboré  une  loi  qui  a  pour  but 
d'apporter  des  entraves  à  l'émigration  et  d'arrêter  l'exode  des 
paysans  italiens,  se  trouve  en  présence  des  redoutables  explo- 
sions que  produit  cette  même  loi;  et  certes  ce  qui  se  passe  dans 
les  Romagnes  montre  à  tous  que  la  situation  économique  du 
du  pays,  non  seulement  n'est  pas  brillante,  mais  qu'elle  va  sans 
cesse  empirant. 

France. 

Cambrai.  —  Notre  excellent  confrère  V Emancipateur,  de 
Cambrai,  publie  l'article  suivant,  dont  nous  n'avons  pas  besoin 
de  souligner  l'intérêt  : 

Une  décision  fort  importante,  qui  ne  manquera  pas  de  soulever  la 
colère  des  organes  républicains  et  anticléricaux,  vient  d'être  prise 
par  l'excellente  municipalité  d'Hazebrouck. 

Le  collège  communal,  qui,  depuis  1881,  était  confié  à  un  personnel 
de  l'enseignement  officiel,  sera  réorganisé  sous  la  direction  de  pro- 
fesseurs ecclésiastiques.  L'opinion  publique  et  les  familles  obtien- 
dront ainsi  une  satisfaction  attendue  et   désirée    depuis  longtemps. 

Depuis  dix  ans,  le  budget  municipal  de  la  ville  d'Hazebrouck 
accordait  au  collège  communal  une  subvention  annuelle  de 
15.000  francs.  Malgré  cet  important  subside,  le  nombre  des  élèves 
internes  qui  fréquentaient  cet  établissement  n'a  cessé  de  décroître. 
Actuellement  il  est  réduit  à  sa  plus  simple  expression,  puisqu'on  n'en 
compte  qu'un  seul  (rara  avis).  D'autre  part,  le  nombre  des  élèves 
externes  a  diminué  d'année  en  année. 

Le  conseil  municipal  d'Hazebrouck  était  frappé  du  dépérissement 
de  cet  établissement  secondaire  d'instruction  autrefois  très  prospère 
lorsqu'il  était  dirigé  par  un  personnel  ecclésiastique  ;  mais,  lié  par 
l'engagement  décennal  souscrit  en  1881,  il  était  impuissant  à  modi- 
fier ce  fâcheux  état  de  choses. 

Il  a  donc  fallu   attendre  l'expiration  de  la  période  décennale  pour 


542  ANNALES   CATHOLIQUES 

aboider  les  réformes  réclamées  par  l'ensemble  de  la  population. 
L'Université  de  l'Etat  avait  offert  à  la  ville  d'Hazebrouck  de  renou- 
veler l'engagement  décennal,  mais  elle  exigeait  en  retour  de. nou- 
veaux sacrifices  :  le  renouvellement  de  tout  le  matériel  et  une  rétri- 
bution annuelle  de  18.000  francs.  La  commission  du  budget  du 
conseil  municipal  a  examiné  et  repoussé  ces  propositions  et  a  décidé 
à  l'unanimité  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  contracter  un  nouvel  enga- 
gement avec  l'Etat.  Après  avoir  émis  l'avis  qu'il  fallait  néanmoins 
maintenir  et  faire  prospérer  le  collège  communal,  ladite  commission 
résolut  à  l'unanimité  de  faire  appel  au  dévouement  d'un  personnel 
ecclésiastique  et  invita  la  municipalité  à  faire  les  démarches  néces- 
saires . 

M.  le  chanoine  Massart,  vicaire-général  et  secrétaire-général  de 
l'archevêché,  répondit,  au  nom  de  Mgr  l'archevêque  de  Cambrai, 
que  Sa  Grandeur  ne  s'opposait  pas  à  ce  que  la  direction  du  collège 
d'Hazebrouck  fût  confiée  à  un  ecclésiastique.  D'autre  part,  M.  l'abbé 
Denys,  ancien  supérieur  du  collège  de  Gravelines,  actuellement  curé 
de  Renescure,  a  bien  voulu  se  mettre  à  la  disposition  de  la  ville 
d'Hazebrouck  pour  restaurer  le  collège  et  en  faire,  avec  le  temps,  un 
établissement  de  plein  exercice. 

La  commission  du  budget,  eatisfaite,  a  été  d'avis  qu'il  fallait  saisir 
sans  retard  le  conseil  de  ses  résolutions,  afin  de  laisser  à  l'autorité 
universitaire  le  temps  de  pourvoir  à  la  situation  des  membres  du 
personnel  enseignant. 

Les  membres  de  l'édilité  d'Hazebrouclc  furent  donc  convo- 
qués pour  le  mercredi  28  mai,  â  l'effet  de  se  livrer  à  un  examen 
détaillé  des  propositions  de  la  commission  du  budget  et  de 
prendre  des  décisions  en  conséquence. 

Les  propositions  de  la  commission,  après  cet  examen,  ont  été 
approuvées  à  l'unanimité  et  le  conseil  municipal  a  invité  le 
maire  d'Hazebrouck  à  lui  soumettre,  dans  une  prochaine  réu- 
nion, un  projet  de  traité  avec  M.  l'abbé  Denys. 

U Emancipateur  ajoute  —  et  nous  nous  associons  à  son  sen- 
timent —  qu'on  ne  saurait  trop  approuver  cette  résolution,  qui 
sauvegarde  tout  à  la  fois,  les  intérêts  moraux  et  matériels  des 
habitants  d'Hazebrouck  et  qui  fait  honneur  à  la  prudente  et 
intelligente  municipalité  conservatrice  de  cette  catholique  cité. 

Clermont.  —  De  grandes  fêtes  ont  eu  lieu  dernièrement i, 
Clermont  en  l'honneur  de  Notre-Dame-du-Port  et  Mgr  Pagis., 
présent  à  ces  fêtes,  a  prononcé  un  magnifique  discours  en  faveur 
de  son  Œuvre  de  glorification  de  Jeanne  d'Arc.  Mgr  l'évêque 
de  Clermont  remercia  Mgr  Pagis  des  patriotiques  accents  qu'il 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  543 

avait  fait  entendre.  Nous  trouvons  dans  la  Semaine  religieuse 
de  Clermont  le  texte  de  l'allocution  de  Mgr  Boyer  ;  elle  rappelle 
de  beaux  souvenirs  pour  l'Auvergne  et  elle  exprime  une  noble 
et  généreuse  promesse. 
Voici  cette  allocution  : 

Vous  avez  raison,  Monseigneur,  de  faire  appel  à  la  générosité  de 
la  noble  terre  d'Auvergne.  Cette  terre  des  souvenirs  et  des  grands 
dévouements  vous  a  compris  dès  la  première  heure.  Elle  a  salué  en 
vous  l'apôtre  de  Jeanne  d'Arc.  Elle  est  prête  à  donner  son  concours 
à  votre  grande  œuvre  comme  elle  sut  le  prêter  jadis  à  la  grande  libé- 
ratrice du  territoire  français. 

Voici  en  effet  ce  que  raconte  notre  histoire  :  Jeanne  dArc  venait 
de  prendre  d'assaut  la  ville  de  Saint-Pierre-le-Moustiers.  Elle  se  pré- 
parait à  continuer  l'œuvre  de  la  délivrance  en  assiégeant  d'autres 
villes.  Les  munitions  faisant  défaut,  elle  écrivit,  le  7  novembre  1429, 
à  ses  bons  amis  les  habitants  de  la  ville  de  Clermont  pour  leur 
demander  deux  quintaux  de  salpêtre,  un  quintal  de  soufre,  deux 
caisses  de  traits  d'artillerie... 

Comme  vous  l'avez  fait  remarquer,  Monseigneur,  cette  fille  des 
champs  dont  la  main  n'avait  appris  à  porter  que  le  poids  de  sa  que- 
nouille et  à  diriger  le  petit  troupeau  confié  à  sa  garde,  devient  subi- 
tement un  maître  dans  la  direction  de  cette  arme  de  l'artillerie  dont 
nous  constatons  chaque  jour  sous  nos  yeux  les  inventions  et  les  pro- 
grès redoutables  grâce  aux  hommes  de  génie  qui  président  à  son 
développement. 

Or,  à  peine  la  demande  était-elle  faite  que  Jeanne  recevait  de  Cler- 
mont, deux  quintaux  de  salpêtre,  un  quintal  de  soufre,  deux  caisses 
contenant  un  millier  de  traits  d'artillerie.  Et  les  habitants  de  notre 
ville  joignaient  à  l'envoi,  pour  Jeanne  elle-même,  une  épée,deu\  da- 
gues et  une  hache  d'arme. 

Aujourd'hui,  Monaeigneul-,  vous  n'avez  besoin  pour  votre  mo- 
nument ni  de  soufre,  ni  de  salpêtre.  Vous  l'avez  dit  :  votre  monu- 
ment symbolise  la  paix  forte,  puissante  et  respectée.  Vous  ne  de- 
mandez pas  le  bronze  qui  tonne  et  qui  foudroie,  mais  le  bronze  qui 
doit  éterniser  la  mémoire  de  Jeanne.  Nous  vous  le  donnerons  géné- 
reusement. —  Dans  la  main  de  Jeanne  vous  voulez  placer  l'épée 
renversée  dont  la  pointe  n'a  jamais  été  tachée  de  sang.  Cette  noble 
et  vaillante  épée,  il  nous  appartient  de  l'offrir  à  votre  héroïne.  C'est 
un  droit  que  nous  revendiquons  au  nom  de  nos  ancêtres.  Us  nous 
ont  donné  l'exemple,  nous  le  suivrons.  Et,  dès  aujourd'hui,  c'est  un 
engagement  formel  que  je  prends.  iMes  fidèles  diocésains  le  ratifieront  ! 

Étr-augen. 

Suisse.  —  Le  Conseil  fédéral  a  adressé  à  S,  G.  Mgr  Mermil- 
lod,  évêque  de  Lausanne  et  de  Genève,  la  lettre  suivante  : 


544  A.NNA.LKS    CATHOLIQUES 

Monseigaeur, 
Par  votre  lettre  du  20  courant,  vous  avez  bien  voulu  nous  infor- 
mer de  la  détermination  que  vient  de  prendre  Sa  Sainteté  le  Pape 
LéoD  XIII  de  vous  créer  cardinal  au  prochain  consistoire,  afin  de 
donner  ainsi  à  notre  pays  un  témoignage  de  sa  prédilection  spéciale, 
et  vous  ajoutez  que  vous  voyez  dans  cette  promotion  un  motif  de 
dévouement  plus  grand  encore  pour  notre  chère  patrie,  heureux  de 
travailler  à  sa  prospérité  religieuse  et  morale. 

En  vous  remerciant  de  cette  communication,  dont  nous  avons  pris 
connaissance  avec  grand  intérêt,  nous  vous  adressons  toutes  nos  féli- 
citations pour  votre  élévation  à  la  haute  dignité  dont  il  s'agit  ;  et  nous 
accueillons  avec  une  satisfaction  particulière  l'assurance  que  vous 
nous  donnez,  tant  au  nom  du  Saint-Père  qu'en  votre  nom  personnel, 
quant  à  la  signification  de  ce  fait  au  point  de  vue  de  vos  bons  rap- 
ports avec  le  Saint-Siège  et  l'Eglise  catholique  en  Suisse. 

Nous  saisissons  avec  empressement  cette  occasion  de  vous  réité- 
rer, Monseigneur,  l'assurance  de  notre  haute  considération. 

Le  Conseil  fédéral. 

Voici,  d'autre  part,  le  télégramme  du  gouvernement  tes- 
sinois  : 

Nous  félicitons  cordialement  Votre  Eminence  de  la  très  hauto 
dignité  qui  lui  a  été  conférée  par  le  Saint-Siège,  qui,  en  récompen- 
sant vos  insignes  mérites  honore  en  même  temps  notre  patrie.  Nous 
vous  prions  de  transmettre  nos  sentiments  au  Souverain  Pontife, 
avec  l'expression  de  notre  profonde  gratitude. 

Au  nom  du  conseil  d'Etat  du  canton  du  Tessia  : 

Le  président  :  G.  Respini. 

Turquie.  —  M.  Drumont  adresse  à  V Univers,  au  sujet  de 
cette  affaire,  à  laquelle  presque  tous  les  journaux  ont  appliqué 
la  conspiration  du  silence,  la  lettre  suivante  : 

Soisy-sous-EtioUes,  27  mai  1890. 
Monsieur  le  rédacteur, 

Voici  la  lettre  que  je  reçois  de  la  mère  du  malheureux  enfant 
martyrisé  par  les  juifs  à  Damas.  Comme  vous  le  verrez  par  le  timbre 
de  la  poste,  cette  lettre  semble  avoir  le  caractère  de  l'authenticité  la 
plus  absolue. 

Peut-être  penserez-vous  qu'il  serait  utile  de  mettre  ce  document 
sous  les  yeux  de  vos  lecteurs,  car  c'est  une  preuve  nouvelle  qui 
éclaire  d'un  jour  éclatant  un  point  que  les  juifs  se  sont  constamment 
obstinés  à  nier  malgré  l'évidence  mênae. 

Si  je  m'adresse  à  vous,  c'est  que  VUnivers  est  un  des  rares  jour- 
naux ,  assez  indépendants   pour   avoir  osé  signaler  ce  crime.  Vous 


NOUVELLES    RELIGIEUSES  545 

avez  pu  constater  le  silence  profond  gardé  à  ce  sujet  par  toute  la 
presse  vendue  aux  juifs.  Tous  ces  journalistes  qui  manifestent  une 
indignation  extraordinaire  lorsqu'on  mène,  par  mégarde,  une  comé- 
dienne au  poste,  semblent  soudain  frappés  de  mutisme  ou  atteints 
d'aphonie  lorsqu'il  s'agit  d'un  attentat  commis  par  Israël.  Leur 
sensibilité,  qui  s'affiche  en  toute  circonstance,  n'est  point  touchée 
par  la  douleur  de  cette  malheureuse  mère,  à  laquelle  on  défend 
même  d'approcher  du  tombeau  de  soa  enfant. 

Nul  drame  cependant  ne  semble  plus  fort  pour  exciter  la  pitié,  et 
les  lettres  que  vous  avez  reçues  comme  celle  que  je  vous  envoie 
d'Egypte  sont  là  pour  montrer  quelle  émotion  a  produite  dans  toute 
l'Orient,  cet  assassinat,  systématiquement  étouffé  ici  par  l'influence 
juive. 

Vous  devinez,  dans  ces  conditions,  quel  effet  produit  le  silence 
obstiné  de  tous  nos  journaux.  «  Quoi!  se  dit-oa,  elle  est  donc 
entièrement  vendue  aux  juifs,  cette  presse  française  qui  jadis  prenait 
bruyamment  parti  pour  tous  les  opprimés,  protestait  contre  toutes 
les  tyrannies,  s'écriait  avec  emphase  :  «Toute  injustice  me  regarde.  » 
Comme  les  fonctionnaires  ottomans,  tous  les  journalistes  ont  donc 
reçu  le  baschick  pour  ne  pas  entendre  les  plaintes  de  la  victime  et 
les  gémissements  de  la  mère  ! 

En  lisant  V Univers,  en  voyant  que,  selon  sa  coutume,  il  parle 
hautement  alors  que  tous  se  taisent,  on  saura  à  l'étranger  qu'il  y  a 
encore  un  journal  que  l'or  des  juifs  n'a  pas  corrompu,  et  cela  nous 
fera  honneur  en  Orient.  Veuillez  agréer,  monsieur  le  rédacteur, 
l'assurance  de  mes  sentiments  très  distingués. 

Edouard  Drumond. 

A  Monsieur  Edouard  Drumont. 

Damas,  le  10  mai  1890. 
Monsieur, 

A  vous  qui  ne  craignez  pas  de  dire  la  vérité,  à  vous  qui  vivez  dans 
un  pays  libre,  à  vous  qui  prêchez  l'égalité,  la  fraternité,  je  viens  vous 
dire  que  les  juifs,  après  avoir  saigné  mon  fils  d'une  artère  au  poignet 
de  la  main  droite,  l'ont  jeté  cadavre  dans  un  puits. 

Ce  que  je  vous  dis,  c'est  vrai  comme  la  vérité  même.  Dix-huit 
médecins,  qui  ont  fait  l'autopsie,  le  savent;  mais  le  gouvernement 
leur  a  défendu  de  parler.  Les  chrétiens  et  les  musulmans  le  savent 
aussi,  mais  un  seul  mot  leur  coûte  la  prison  ;  moi  je  voudrais  dire  et 
faire,  mais  on  me  menace  de  l'exil.  Et  que  me  ferait-on  de  plus,  si, 
sur  le  tombeau  même  de  mon  fils,  on  a  mis  douze  gardes  ? 

Lajustice  soulage,  mais  pour  moi  il  n'y  a  que  le  nom  et  dans  le 
sens  le  plus  ironique.  Le  gouvernement  protège  les  vampires,  ces 
tenaces  de  l'humanité,  et  veut  étouffer  la  vérité. 

Je  prends  la  liberté  de  m'adresser  à  vous,  monsieur,  vous  propo- 


546  ANNALES   CATHOLIQUES 

sant  tous  les  détails  de   ce    crime,  dans  le  cas  où  vous  voudriez  me 
faire  rendre  justice  par  l'opinion  des  gens  honnêtes. 

Je  comptais  sur  cet  enfant  dans  mes  vieux  jours  quand  des  mains 
me  l'ont  ravi.  Qui  ne  connaît  le  cœur  d'une  mère,  et  le  mien  en  ces 
circonstances  est  anéanti. 

En  cas  de  réponse,  comme  ma  correspondance  pourrait  être  séques'' 
trée,  veuillez  adresser  mes  lettres  au  nom  de... 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  votre  dévouée. 

Jemilé  Abdelnoue. 

Nous  n'avons  pas  à  commenter  cette  lettre,  d'un  accent  .si 
pénétré  ;  mais  nous  devons  ajouter  que  le  silence  de  la  presse 
française  n'a  pas  été  aussi  général  que  le  croit  M.  Edouard 
Drumont.  Le  Nouvelliste  de  Lyon  a  publié  de  l'assassinat 
même  un  récit  identique  à  celui  que  nous  avons  donné  d'après 
le  Monde.  Quelques  autres  journaux  catholiques  ou  semaines 
religieuses  ont  cité,  plus  ou  moins  au  long,  soit  notre  corres- 
pondance, soit  celle  du  Nouvelliste  ;  mais  il  est  certain  qu'il  y 
a  eu,  même  dans  nos  rangs,  d'étranges  silences.  Que  nous 
devenons  donc  timorés  !  Ne  peui-on,  au  moins,  sous  toutes 
réserves,  appeler  l'attention  sur  un  pareil  crime? 


LES  CHAMBRES 

Sénat. 

Vendredi  30  mai.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  du  pro- 
jet de  loi,  adopté  par  la  Chambre  des  députés,  concernant  :  1°  l'ou- 
verture et  l'annulation  de  crédits  sur  l'exercice  1889;  2»  l'ouverture 
et  l'annulation  de  crédits  afférents  aux  budgets  annexes  rattachés 
pour  ordre  au  budget  général  de  l'Etat. 

La  parole  est  à  M.  Bardoux  pour  la  discussion  générale. 

M.  Bardoux.  Measiieurs,  je  voudrais  simplement  attirer  l'attention 
du  Sénat  sur  une  partie  des  conclusions  du  rapport  qui  vous  est 
soumis.  Je  n'ai  pas  la  pensée  de  les  combattre,  je  désire  au  contraire 
les  appuyer  et  les  mettre  en  lumière. 

Il  s^agit  du  chapitre  7  du  ministère  des  affaires  étrangères  (frais  de 
services  des  résidences). 

Le  gouvernement  avait  demandé  sur  ce  chapitre  un  crédit  de 
500,000  francs  qui  lui  paraissait  indispensable  pour  assurer  le  service 
en  1889. 

Il  a  accepté  néanmoins  une  réduction  de  100,000  francs  votée  par 
la  Chambre  des  députés,  et  la  commission  du  Sénat  n'a  pas  cru 
devoir  rétablir  le  chiffre  primitif. 


LES   CHAMBRES  547 

Le  rapporteur  s'en  explique  dans  les  termes  suivants  ; 

«  Puisque  le  gouvernement  accepte  la  réduction  de  100,000  francs 
qui  a  été  votée  par  la  Chambre,  nous  ne  vous  proposons  pas  de  rele- 
ver le  crédit.  Mais  nous  invitons  le  gouvernement  â  ne  pas  faire 
porter  la  réduction  sur  les  services  dont  le  développement  intéresse 
l'extension  de  notre  influence  nationale  à  l'étranger. 

«  Ce  sont,  au  premier  chef,  les  allocations  aux  établissements 
français  d'Orient,  les  secours  aux  écoles  et  frais  de  divers  cultes,  les 
subventions  aux  établissements  de  bienfaisance  et  aux  protégés 
français.  » 

Je  ne  puis  pas  vous  citer,  messieurs,  toute  la  partie  du  rapport 
qui  constate  avec  quel  dévouement  tous  nos  établissements  français 
maintiennent  notre  influence  dans  les  pays  orientaux,  où,  grâce  à 
eux,  nous  conservons  encore  une  situation  prépondérante;  mais  j'ai 
cru  qu'il  était  utile  de  porter  ces  observations  â  la  tribune,  pour 
donner  un  peu  de  courage  à  ceux  qui  portent  si  dignement  en  Orient 
le  drapeau  de  la  France,  et  je  suis  persuadé  que  le  Sénat  sera  heu- 
reux d'entendre  â  ce  sujet  les  explications  que  voudra  bien  lui  don- 
ner M.  le  rapporteur.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

M.  Boulanger,  rapporteur.  Je  remercie  M.  Bardoux  d'avoir  bien 
voulu  signaler  à  l'attention  du  Sénat  la  partie  de  mon  rapport  qui 
a  trait  à  nos  établissements  de  l'Orient.  Il  faudrait,  messieurs,  pour 
examiner  avec  tout  le  développement  qu'elle  comporte  la  question 
de  ces  divers  organes  de  notre  influence  dans  le  Levant,  un  temps 
dont  je  ne  dispose  pas  â  cette  heure.  Peut-être  cette  discussion  vien- 
drait-elle plus  utilement  lors  de  l'examen  du  budget. 

Cependant  j'ai  le  devoir  de  répondre  â  l'appel  qu'a  bien  voulu 
m'adresser  M.  Bardoux  et  de  renouveler  à  cette  tribune  les  impres- 
sions dont  j'ai  fait  part  â  la  commission  et  qu'elle  m'a  permis  d'ex- 
primer dans  mon  rapport. 

Quand  on  traverse  l'Egypte,  on  est  péniblement  impressionné  en 
voyant  ce  pays  où  l'influence  et  les  intérêts  français  ont  été  si  consi- 
dérables, livré  aujourd'hui  à  une  politique  égoïste,  celle  de  l'Angle- 
terre. Cependant  notre  influence  y  est  encore  considérable  et  nos 
intérêts  y  sont  défendus  par  des  hommes  courageux. 

L'impression  est  plus  consolante  quand  on  remonte  les  côtes  de  la 
Syrie,  quand  on  parcourt  l'Asie  Mineure,  le  Liban  et  qu'on  visite 
Smyrne  et  Beyrouth,  Jafi'a  et  Jérusalem.  Toutes  ces  contrées  sont 
depuis  longtemps  pénétrées  par  l'influence  de  ■  nos  mœurs,  notre 
langue,  notre  civilisation.  (Très  bien  !  très  bien  !  à  droite  et  au 
centre.) 

Là,  notre  clientèle  est  nombreuse  et  fidèle  et  ne  demande  qu'à  se 
développer  grâce  à  ses  deux  puissants  facteurs,  l'enseignement  et  la 
charité.  (Très  bien  !  très  bien  !) 
L'enseignement  y  est  presque  exclusivement  donné  dans  les  éta- 


548  ANNALES    CATHOLIQUES 

blissements  français  à  plus  de  15,000  jeunes  gens  ;  établissements 
admirablement  tenus  par  les  Frères  de  la  Doctrine  chrétienne,  les 
Lazaristes,  les  Pères  Jésuites  et  les  religieuses.  (Très  bien  !  très  bien  ! 
à  droite.) 

Vn  membre  à  droite.  Ce  ne  sont  pas  des  laïques. 

M.  Boulanger.  Messieurs,  je  ne  fais  pas  ici  de  politique,  et  je  n'en- 
tends pas  dédaigner  les  efforts  très  louables  que  font  les  laïques. 
(Très  bien  !  très  bien  !  sur  un  grand  nombre  de  bancs.) 

A  côté  de  cet  enseignement  primaire,  les  Lazaristes  et  les  Jésuites 
ont  organisé,  à  Smyrne  et  à  Beyrouth,  des  établissements  d'ensei- 
gnement secondaire  qui  défient  toute  concurrence  et  qui  s'adressent 
indistinctement  aux  Israélites,  aux  Grecs,  aux  Arméniens  et  aux 
musulmans. 

Voilà  la  première  cause  de  notre  influence. 

La  seconde  est  dans  l'organisation  de  l'assistance  et  de  la  charité, 
qui  sont  particulièrement  concentrées  entre  les  mains  des  religieux. 

On  les  retrouve  partout  admirables  de  dévouement  en  accomplis- 
sant leur  devoir  avec  une  sérénité  admirable.  (Très  bien!  très  bien! 
au  centre  et  à  droite.) 

Voilà,  messieurs,  les  auxiliaires  do  la  politique  française  en  Orient. 
(Nouvelles  marques  d'approbation.) 

Ces  merveilleux  résultats  sont  obtenus  avec  des  ressources  insigni- 
fiantes, et  il  serait  à  désirer  que  le  gouvernement,  qui  bénéficie  de 
leur  propagande,  leur  vînt  en  aide  dans  une  plus  large  mesure.  (Très 
bien  !  très  bien  !  à  droite.) 

Telles  sont,  messieurs,  les  impressions  ressenties  par  tous  les 
vovageurs  qui  ont  parcouru  ces  contrées.  11  semble  qu'à  mesure  qu'on 
s'éloigne  de  la  France,  l'image  de  la  patrie  grandît.  (Très  bien  !  très 
bien  !) 

Là-bas,  dans  les  pays  orientaux,  il  n'y  a  ni  laïques,  ni  religieux, 
ni  congréganistes,  ni  civils  :  il  n'y  a  que  des  Frani^'ais.  tous  groupés 
autour  du  drapeau  de  la  France  et  luttant  entre  eux  de  dévouement 
pour  la  servir  et  la  faire  aimer.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

Il  ne  faut  pas  non  plus  oublier,  messieurs,  qu'en  Orient  toutes  les 
nations  s'efforcent  de  développer  leur  influence.  La  Russie  vient  de 
dépenser  dix  à  douze  raillions  pour  les  Lieux  saints;  vous  connaissez 
les  sommes  inscrites  au  budget  italien  pour  les  écoles  d'Orient  ;  l'Al- 
lemagne, elle  aussi,  commence  à  faire  de  grandes  dépenses  ;  quant  à 
l'Angleterre,  on  la  retrouve  partout. 

Pour  défendre  cette  politique,  il  faut  deux  choses  :  d'abord  des 
subsides  oui  féconderont  la  charité  et  l'enseignement,  et  ensuite  une 
politique  ferme,  courageuse  et  libérale. 

C'est  ainsi,  Messieurs,  que  l'on  maintiendra  dans  ces  contrées 
lointaines  le  prestige  de  la  France. 

Voilà  ce  que,  d'aocord   avec  la   commission   des  finances,  je   puis 


LES    CHAMBRES  549 

répondre  à  l'appel  si  courtois  de  M.  Bardoux.  (Très  bien  !  très  biea  ! 
et  applaudissemeats.) 

.  M.  Blavier  croit  être  l'interprète  du  Sénat  tout  entier  en  remer- 
ciant M.  le  rapporteur  des  paroles  qu'il  vient  de  prononcer;  il  pense 
que  l'on  pourrait  augmenter  la  subvention  aux  écoles  d'Orient,  en 
leur  attribuant  les  indemnités  de  logement  accordées  à  nos  ambas- 
sadeurs à  Madrid,  au  Caire  et  à  Tokio  qui  habitent  maintenant  des 
hôtels  appartenant  à  la  France. 

M.  Buffet.  Je  regrette  l'absence  de  M.  le  ministre  des  affaires 
étrangères  et  j'en  suis  un  peu  surpris, 

La  question  portée  à  la  tribune  par  M.  le  rapporteur  a  une  extrême 
gravité. 

La  Chambre  a  opéré  sur  les  crédits  supplémentaires  des  affaires 
étrangères  une  réduction  de  100,000  francs. 

Le  gouvernement  a  accepté  cette  réduction. 

Le  vœu  de  la  commission  des  finances  est  que  cette  réduction  ne 
puisse  porter  sur  les  établissements  hospitaliers  ou  d'instruction  en 
Orient. 

11  importerait  de  savoir  si  la  pensée  du  gouvernement  est  d'accord 
avec  celle  de  la  commission. 

Tel  qu'il  est,  le  crédit  me  semble  insuffisant  et  je  serais  tout  dis- 
posé â  l'augmenter,  mais  il  serait  déplorable  que  ce  crédit  déjà  réc'.r.it 
le  fût  encore.  (Très  bien  !  très  bien  !  à  droite.) 

M.  Blavier.  Je  ne  puis  pas  comprendre  même  cette  réduction, 
puisqu'il  s'agit  là  de  dépenses  effectuées,  de  besoins  non  à  satisfaire 
mais  satisfaits. 

M.  LE  RAPPORTEUR.  Il  ne  s'agit  pas  de  dépenses  efïectuées  définiti- 
vement, mais  seulement  engagées. 

Répondant  à  M.  Buffet,  j'ajoute,  pour  expliquer  l'absence  de  M.  le 
ministre  des  affaires  étrangères,  qu'il  avait  pris  des  rendez-vous  di- 
plomatiques antérieurement  à  l'inscription  de  ce  projet  à  l'ordre  du 
jour. 

Je  crois  pouvoir  dire  également  qu'il  n'e-^^t  pas  dans  la  pensée  du 
gouvernement  de  faire  porter  la  réduction  sur  les  chapitres  (jui  nous 
intéressent,  mais  sur  d'autres,  notamment  sur  les  frais  de  dépêches 
télégraphiques,  qui  s'élèvent  à  500,000  francs  et  sur  lesquels  on  pour- 
rait réaliser  certaines  économies.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

Les  divers  articles  du  projet  sont  adoptés,  ainsi  que  l'ensemble,  à 
l'unanimité  de  230  votants. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  discussion  sur  la  proposition 
de  la  loi  relative  aux  trésoriers-payeurs  généraux. 

M.  Pauliat,  rapporteur,  fait  l'historique  des  institutions  des  tréso- 
riers-généraux et  dit  que  l'accord  s'est  fait  entre  la  commission  et 
le  ministre  des  finances. 

M.  LE  ministre  DES  FINANCES  Constate  cet  accord  sur    le   texte  du 


550  ANNALES   CATHOLIQUES 

projet,  mais  conteste  certaines  assertions  du  rapporteur,  notamment 
celle  qui  consiste  à  dire  que  les  trésoriers-généraux  sont  de  vérita- 
bles fermiers  généraux.  .!uto  m. 

Après  cet  échange  d'observations  l'article  premier  est  adopté. 

Sw  l'article  2  MM.  Gouin  et  Buffet  demandent  la  suppression  du 
troisième  paragraphe  ainsi  conçu  : 

«  Les  trésoriers-payeurs  généraux  verseront  chaque  année  la  moitié 
des  remises  qui  leur  auront  été  allouées  par  la  caisse  des  dépôts  et 
consignations.  » 

Ils  demandent  cette  suppression  pour  conserver  à  la  Caisse  des 
dépôts  et  consignations  la  complète  indépendance  dans  le  choix  do 
ses  préposés. 

La  suppression  est  ordonnée  malgré  l'opposition  du  rapporteur. 

Après  quelques  observations  de  M.  Sébline  sur  la  situation  nou- 
velle que  ce  projet  fera  aux  employés  des  trésories  générales,  les 
autres  articles  du  projet  sont  adoptés. 

Le  Sénat  décide  qu'il  passera  à  une  deuxième  délibération  et 
s'ajourne  à  mardi. 

Mardi  3  juin.  —  M.  Ribot  dépose  un  projet  de  loi  portant  ouver- 
ture d'un  crédit  de  1,300,000  fr.  pour  l'achat  d'un  hôtel  d'ambassade 
à  Saint-Pétersbourg. 

M,  Fallières  dépose  un  projet  de  la  loi  concédant  une  pension 
viagère  de  6,000  fr.  à  Mme  veuve  Faidherbe. 

M.  LE  Président  annonce  qu'il  a  reçu  de  M,  Combes  une  demande 
d'interpellation  adressée  à  M.   le  ministre  de  l'instruction  publique. 

D'accord  avec  M.   le  ministre,    l'interpellation  est  fixée  au  17  juin. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  première  délibération  sur  la 
proposition  de  la  loi  de  M.  Griffe  ayant  pour  objet  :  1®  de  réglemen- 
ter le  régime  des  raisins  secs  servant  à  faire  du  vin;  2"  de  permettre 
la  recherche  de  l'emploi  des  raisins  secs  ;  S®  de  rendre  publiques  les 
demandes  de  sucre  à  taxe  réduite  pour  le  sucrage  des  vendanges  et 
des  marcs  de  raisins  frais. 

Les  articles  renvoyés  à  la  commission  sont  adoptés. 

Le  Sénat  décide  qu'il  passera  à  une  seconde  délibération. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  seconde  délibération  sur  la  proposition 
de  la  loi  de  M.  Bérenger  sur  l'aggravation  progressive  des  peines  en 
cas  de  récidive  et  sur  leur  atténuation  en  cas  de  premier  délit. 

M.  De  l'Angle-Beaumanoir  combat  le  projet.  Il  résume  les  argu- 
ments mis  en  avant  par  M.  Bérenger  lors  de  la  première  déli- 
bération. 

M.  Fallières,  afin  d'éviter  toute  méprise,  déclare  qiîe  le  gouver- 
nement adopte  sans  réserves  les  principes  du  projet  de  loi.  Il  ne 
s'agit  pas  de  crimes,  il  s'agit  des  délits  et  seulement  des  premières 
fautes  commises.  Le  juge  se  posera  la  question  de  savoir  si  le  cou- 
pable est  susceptible  d'amendement.  S'il  est  susceptible  d'amende- 
ment, la  loi  proposée  actuellement  sera  appliquée. 


LES   CHAMBRES  55i 

Un  amendement  de  M.  Trarieux  est  pris  en  considération. 

Le  premier  paragraphe  de  l'article  1""  est  adopté. 

M.  BozÉRiAN  propose  d'ajouter  au  paragraphe  premier  :  «  pendant 
un  délai  qui  ne  pourra  être  moindre  de  trois  mois  ni  excéder  cinq 
ans  à  dater  du  jugement.  » 

L'amendement  de  M.  Bozériaa  n'est  pas  adopté. 

Le  second  paragraphe  de  l'article  l*""  est  adopté. 

A  la  reprise  de  la  séance,  M.  Demôle  soutient  un  amendement  à 
l'article  2. 

MM.  HuMBERT  et  Lenoel  combattent  cet  amendement. 

M-  Fallières,  ministre  de  la  justice,  au  contraire,  s'en  déclare 
partisan,  et  l'amendement  est  adçpté. 

La  suite  de  la  discussion  est  renvoyée,  sur  la  demande  de  M.  Dau- 
phin. 

Ohambre  des  Députés. 

Jeudi  29  mai^  — ,  La  séance  tout  entière  est  consacrée  â  la  discus- 
sion de  l'élection  Picot,  le  concurrent  heureu;x.  de  M.  Jules  Ferry.  A 
43  voix  de  majorité,  l'élection  est  annulée. 

Samedi  31  mai.  —  Le  président  annonce  la  démission  de  député 
donnée  par  M.  Franconie,  député  4e  1^  Guyane,  pour  des  motifs 
d'ordre  personnel.  ,j  .,,,^    \,^  ., 

On  valide  l'élection  de  M.  Raiberfi,  â  Nice,  et  celle  de  M.  Lafond, 
à  Bayonne.  On  adopte  un  projet  portant  ouverture  d'un  crédit  de 
1,300,000  francs,  au  ministère  des  affaires  étrangères  pour  l'achat 
d'un  hôtel  destiné  à  l'ambassade  de  France  à  Saint-Pétersbourg. 

On  adopte  encore  un  projet  annulant  et  ouvrant  des  crédits  sur 
l'exercice  1889,  projet  adopté  la  veille  par  le  Sénat. 

Et  la  discussion  est  ouverte  sur  la  proposition  de  M.  Méline  rela- 
tive aux  droits  sur  les  maïs  et  les  riz. 

C'est  le  discours  de  M.  Ravxal  qui  occupe  toute  la  séance.  Il  vient 
combattre  à  la  tribune  les  conclusions  du  rapport. 

L'orateur  se  propose  d'ailleurs  de  conclure,  non  pas  au  rejet  delà 
proposition,  mais  à  l'ajournement  du  vote,  jusqu'au  jour  où  il  sera 
statué  sur  l'ensemble  du  régime  économique. 

—  La  situation  de  l'agriculture  est  bonne,  dit-il,  M.  Faye,.  qui  est 
notoirement  protectionniste,  l'a  reconnu  lui-même  devant  la  commis- 
sion. Les  blés  ont  donné  cette  année^  un  rendement  supérieur  à  la 
moyenne  ;  le  prix  s'est  maintenu  dans  des  conditions  satisfaisantes. 

Le  droit  de  3  francs  n'est  nullement  indispensable  pour  l'agricul- 
ture ;  si  la  loi  proposée  était  votée,  la  distillerie  de  grains  serait 
perdue  en  France,  les  distilleries  agricoles  sérieuses  n'existent  pas. 
En  Allemagne,  au  contraire,  ces  distilleries  existent  sur  une  grande 
échelle.  Dans  ce  pays,  on  a  divisé  le  droit  en  deux  parties,  dont  l'une 
frappe  le  producteur  et  l'autre  le  consommateur. 


552  ANNALES    CATHOLlOtKS 

Le  droit  de  3  francs  sur  les  maïs  amèaerait  fatalement  la  suppres- 
sion des  distilleries. 

Quant  au  droit  sur  le  riz,  on  dit  que  si  le  riz  n'était  pas  frappé,  il 
remplacerait  le  maïs  pour  les  distilleries,  c'est  une  erreur,  le  riz  ne 
peut  .lutter  contre  la  betterave. 

Restent  le  dari  et  le  millet,  le  dari  est  un  produit  qu'il  faut  cher- 
cher à  la  loupe;  quant  au  millet,  il  n'a  aucune  importance. 

L'orateur  termine  en  demandant  à  la  Chambre  d'ajourner  la  pro- 
position jusqu'à  la  discussion  du  renouvellement  des  traités  de  coffi' 
merce  et  par  conséquent  du  tarif  des  douanes. 

Lundi  2  juin.  —  Suite  de  la  première  délibération  sur  le  projet 
concernant  le  régime  douanier  du  riz  et  du  maïs. 

M.  ViGER,  rapporteur,  au  nom  de  la  commission,  rappelle  que 
M.  Raynal  réclame  l'ajournement  de  la  question.  Il  combat  ces  con- 
clusions. 

Il  pense  qu'il  y  a  urgence.  Le  maïs  est  à  bas  prix.  Dans  tous  ks 
ports  de  mer  on  en  trouve  à  9  francs  le  quintal.  Partout,  les  distille- 
ries de  maïs  augmentent  leur  production,  au  détriment  des  distille- 
ries agricoles. 

On  ne  peut  laisser  plus  longtemps  entrer  en  franchise  les  maïs  et 
les  riz  qui  viennent  faire  à  nos  produits  nationaux  une  concurrence 
désastreuse  pour  la  distillerie  et  pour  la  nourriture  des  chevaux. 

En  votant  le  droit  sur  les  mais  et  les  riz  et  un  autre  droit  sur  les 
raisins  secs,  la  Chambre  prendra  une  mesure  de  protection  nécessaire 
en  faveur  des  cultivateurs  et  des  vignerons. 

M.  LocKROY  a  répliqué,  en  prenant  la  défense  des  distillateurs  de 
riz  et  de  maïs,  et  des  amidonniers. 

11  a  affirmé  que  l'alcool  de  grain  valait  bien  celui  de  betterave; 
que  les  animaux  nourris  avec  du  maïs  sont  aussi  sains  que  ceux 
nourris  autrement.  Et  il  a  demandé  à  la  Chambre  de  ne  pas  voter 
les  droits. 

Mardi  3  juin.  —  La  Chambre  valide  l'élection  de  M.  Duportal  dans 
la  circonscription  de  Rufïec. 

La  Chambre  adopte  un  projet  de  loi  ayant  pour  objet  d'ouvrir  au 
ministère  du  commerce,  de  l'industrie  et  des  colonies,  sur  l'exercice 
1890,  un  crédit  supplémentaire  de  50,000  francs  pour  les  dépenses 
du  conseil  supérieur  du  commerce  et  de  l'industrie. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  première  délibération  sur  la 
proposition  de  loi  de  M.  Méline  et  plusieurs  de  ses  collègues  relative 
au  régime  douanier  des  maïs  et  des  riz. 

M.  Develle   défend  le  projet  de  la  commission  des  douanes.  Il  di 
qu'il  a  longtemps  hésité  à  se  ranger  à  cette   opinion.  Il  hésitait  en 
1885  et  en  1887.  Il  n'hésite  plus  aujourd'hui. 

Le  maïs  indigène  n'a  rien  à  craindre  du  maïs  étranger,  car  il  est 
consommé  sur  place  et  a  dos  propriétés  différentes.  Mais  si  le  maïs 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE  553 

étranger  ne  peut  faire  concurrence  au  maïs  indigène,  il  fait  une 
grande  concurreace  à  l'avoine,  car  de  grandes  entreprises  de  trans- 
port oat  substitué  le  maïs  à  l'avoine  pour  la  nourriture  des  chevaux. 

La  coramissioa  propose  de  fixer  le  droit  à  3  francs.  Ce  chiffre  n'est 
pas  excessif.  Ce  droit  donnera  des  ressources  nouvelles  au  Trésor  et 
dispensera  d'établir  de  nouveaux  impôts. 

M.  Charles  Roux  défend  les  populations  méridionales  qu'on 
sacrifie  à  celles  du  Nord.  Le  droit  de  3  francs  équivaut  à  un  droit  de 
y  francs,  par  hectolitre  d'alcool.  L'exportation  de  l'alcool  de  grains 
est  donc  directement  menacée  et  la  distillerie  de  grains  ruinée. 

La  clôture  de  la  discussion  générale  est  prononcée. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Le  duc  d'Orléans  reconduit  en  exil.  —  Une  erreur  judiciaire.  —  M.  Car- 
not  à  Paris.  —  Athéisme  ofâciel.  —  Terroristes  russes.  —  Changement 
ministériel  eu  Bavière.  —  Tonkin.  —   Pêcheries  de  Terre-Neuve. 

5  juin  1890. 

M.  Carnot  a  signé  mardi  la  grâce  du  duc  d'Orléans. 

Celui-ci  a  été,  dés  le  soir,  reconduit  hors  du  territoire  de  la 
République  française. 

C'est  M.  Morin,  commissaire  spécial  à  la  gare  de  l'Est,  qui  a 
été  chargé  de  l'exécution  de  l'arrêté  présidentiel.  Ce  fonction- 
naire est  parti  de  Paris  par  i'express  de  8  heures  40  du  soir  et 
est  arrivé  à  Clairvaux,  où  ce  train  s'est  exceptionnellement 
arrêté,  à  minuit  et  quelques  minutes.  Notification  a  été  faite  au 
prince  prisonnier  de  la  mesure  le  concernant,  et  le  duc 
d'Orléans  a  quitté  Clairvaux  pour  monter  dans  l'express  sta- 
tionné en  gare  qui  l'a  conduit  à  la  frontière  suisse,  à  Délie,  où 
il  est  arrivé  à  trois  heures  cinquante-six  minutes. 

Dans  l'après-midi,  LL.  AA.  RR.  le  prince  et  la  princesse  de 
Joinville,  la  duchesse  de  Chartres  et  la  princesse  Marguerite 
s'étaient  trouvées  réunies  dans  la  cellule  de  Mgr  le  duc 
d'Orléans,  auprès  duquel  elles  étaient  restées  pendant  le  laps 
de  temps  réglementaire.. 

Le  duc  d'Orléans  devait  recevoir  hier,  pour  la  seconde  fois, 
la  visite  de  son  grand-oncle  le  ducd'Aumale. 

Jusqu'au  dernier  moment  le  plus  grand  secret  a  été  gardé 
sur  la  mise  en  liberté  de  Mgr  le  duc  d'Orléans. 

Le  gouvernement  a  fini  par  où  il  aurait  dû  commencer  :  ce 
qu'on  appellera  sa  clémence  est  un  acte  de  justice  qui  arrive 
trop  tard  et  ne  diminuera  point  l'efi'et  déplorable  produit  par 

40 


554  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'application  pharisaïque  d'nne  loi  inique  contre  un  acte  cheva- 
leresque et  d'une  jolie  spontanéité. 

Cependant,  il  faut  tenir  compte  de  la  mauvaise  humeur  du 
parti  de  la'  persécution  et  de  la  taquinerie  :  nous  allons  le  voir 
monter  à  l'assaut  du  gouvernement,  et  il  j  a  un  certain  courage 
à  braver  ces  orages  de  Parlement  et  de  presse,  si  peu  graves 
qu'ils  soient.  Ce  courage-là  tous  les  ministères  ne  l'ont  pas  eu. 

Il  convient  aussi  de  saluer  respectueusement  le  noble  Prince 
qui  retourne  en  exil,  après  avoir  spirituellement  fait  son  devoir 
et  planté  sur  la  terre  de  France  la  bannière  rajeunie  de  son 
illustre  race. 


Sous  ce  titre  :  Une  erreur  judiciaire,  les  journaux  annon- 
cent simplement,  d'après  une  dépêche  officieuse,  que  le  nommé 
BourraS;,  accusé  de  crime,  condamné  à  mort,  vient  d'être 
reconnu  innocent  après  trois  ans  de  détention  au  dépôt  des 
forçats  d'Avignon.  On  l'a  remis  en  liberté  et  on  lui  a  accordé 
quelques  secours.  On  a  même  poussé  la  bonté  jusqu'à  pré- 
venir sa  femme.  Nous  ne  voudrions  pas  faire  de  trop  grandes 
phrases  au  sujet  d'un  accident  excessivement  rare,  mais  on 
conviendra  que  la  société,  la  société  dont  on  parle  tant  lors- 
qu'on veut  faire  valoir  ses  droits,  a  une  dette  à  l'égard  de 
Bourras,  dette  qu'elle  ne  paye  pas.  Le  contrat  social  a  du  bon, 
c'est  évident,  mais  il  semble  qu'il  devrait  être  respecté  par  les 
deux  parties:  l'individu  et  la  collectivité.  L'individu  le  respecte 
souvent,  et  pour  cause,  les' gendarmes  étant  là  pour  lui  rappeler 
les  articles  qu'il  serait  disposé  à  négliger;  mais  dans  le  cas  pré- 
sent, la  collectivité  nous  paraît  être  débitrice  vis-à-vis  du  con- 
damné à  tort. 

Voilà  trois  ans  que  cet  innocent  subit  les  tortures  physiques 
de  la  détention,  tortures  auxquelles  sont,  venues  s'ajouter  des 
douleurs  morales  qu'on  ne  peut  deviner.  On  s'aperçoit  qu'il  n'a 
mérité  en  rien  le  châtiment.  On  le  met  en  liberté  et  l'on  se  con- 
sidère comme  quitte.  La  femme  de  ce  malheureux  a  vécu 
pendant  trois  ans  sans  aide  et  sans  soutien.  On  se  croit  dégagé 
vis-à-vis  d'elle  lorsqu'on  lui  a  donné  avis  de  la  mise  en  liberté 
de  son  mari.  Il  n'est  pas'  un  honnête  homme  qui  puisse  trouver 
cela  suffisant.  On  a  dépensé  vingt-trois  mille  et  quelques  francs 
pour  rechercher  les  assassins  de  l'huissier  Goufi'é;  c'est  très 
bien  :  on  nous  fera  difficilement  croire  qu'il  est  impossible  de 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  555 

trouver  une  somme  quelconque  à  donner  à  Bourras  comme 
indemnité.  Il  n'y  a  pas  de  loi,  dira-t-on.  Dans  ce  cas  qu'on  en 
fasse  une.  .    .oo!l^>^    ••w/i  tir.    xwaa    ; 

On  a  trouvé  le  moyen  de  voter  jadis  le^  dispbsitioilS  contre 
les  candidatures  multiples  en  quelques  heures  ;  la  loi  nécessaire 
aujourd'hui  n'intéresse  peut-être  pas  autant  messieurs  les 
députés,  mais  elle  s'impose  comme  une  mesure  d'honnêteté. 
Qu'on  réfléchisse,  d'ailleurs,  que  malgré  tout,  pour  les  voisins, 
pour  les  habitants  de  son  pays,  Bourras  n'en  sera  pas  moins 
l'assassin,  l'homme  condamné  à  mort.  Le  proverbe  :  «  Il  n'y  a 
pas  de  fumée  sans  feu  »  sert,  dans  ces  occasions,  à  commettre 
bien  des  injustices.  On  doit  une  réparation  à  Bourras,  et  il  faut 
qu'elle  lui  soit  donnée.  ' 

M.  Carnot  est  rentré  à  Paris  et  se  repose  des  fatigues  de  soa 
rapide  voyage  circulaire.  Les  deux  tiers  de  la  France  ont  vu 
aujourd'hui  le  président  de  la  République  ;  les  principaux  fonc- 
tionnaires ont  serré  sa  froide— main  et  entendu  ses  paroles 
automatiques,  il  a  promis  aux  besogneux  de  leur  venir  en 
aide,  tout  est  donc  pour  le  mieux  dans  le  monde  électoral.  Car, 
au  fond,  cette  course  folle  à  travers  la  France,  n'a  d'autre  but 
que  de  maintenir  les  croyances  républicaines,  ce  n'est  point 
avec  le  désir  de  connaître  les  besoins  et  les  aspirations  du 
peuple  qu'il  gouverne,  que  M.  Carnot  glisse  sur  le  rail  et  prend 
part  à  de  si  nombreux  banquets.  Il  est  nécessaire,  avant  tout, 
de  se  montrer  aux  populations  que  le  clinquant  et  la  pompe 
illusionnent  toujours,  car  toujours  les  masses  veulent  être 
déçues..  Et  puis,  ne  fa\it-il  pas  profiter  des  facilités  qui  sont 
faites  au  président  de  la  République  pour  accomplir  une  excur- 
sion si  grandiose  que  M.  de  Rothschild  ne  saurait  la  réaliser 
avec  le  même  luxe  et  autant  de  mise  en  scène  ?  A  quand  donc 
le  voyage  en  Bretagne  et  dans  les  Pyrénées  ? 

Partir  encor,  toujours,  en  une  course  folle? 
Au  doux  pays  de  France  éternel  passager, 
Juif  errant  du  pouvoir,  escorté  par  Chiacholle! 
Voyager  !  Voyager  ! 

dit  une  aimable  parodie  du  Lac  de  Lamartine  justement  appli- 
quée au  président  de  la  République. 

•Tandis  que  M,  Carnot  regagnait  l'Elysée,  la  Chambre  inva- 
lidait M.  Picot  par  quarante-deux  voix  de  majorité.  Ainsi,  le 
concurrent  de  M.  Jules  Ferry  est  demeuré  entre  ciel  et  terre 


556  ANNALES   CATHOLIQUES 

depuis  le  mois  de  septembre  dernier.  Pendant  ce  temps,  la 
majorité  a  pu  se  livrer  à  une  inquisition  détaillée  et  peu  morale, 
invalider  ceux  qu'elle  redoutait  à  cause  de  leur  indépen- 
dance ou  de  leur  énergie.  M.  Ferry,  de  son  côté,  a  eu  les  loisirs 
nécessaires  pour  rappeler  à  ses  obligés  d'autrefois  que  la 
reconnaissance  est  précieuse  et  commandée  surtout  en  matière 
électorale.  Quand  on  considère,  en  effet,  l'infime  majorité  qni 
a  invalidé  M.  Picot,  l'influence  et  la  ténacité  de  son  adversaire, 
on  ne  peut  croire  que  cette  mesure  ait  été  dictée  par  la  con- 
science, elle  se  montre  à  l'œil  nu  comme  le  paiement  fait  par 
une  majorité  sectaire  à  l'horame  de  fer,  sous  la  main  duquel 
tremblaient  jadis  députés  et  ministres.  M.  Jules  Ferry  pourra 
donc  revenir  à  ce  Palais-Bourbon  dont  la  nostalgie  le  torture. 
Il  a  promis,  il  est  vrai,  de  laisser  le  champ  au  général  Tricoche, 
soldat  opportuniste  et  chroniqueur  militaire  de  la  République 
française,  mais  on  sait  ce  que  valent  les  promesses  de  M.  Ferry; 
le  pouvoir  est  si  alléchant  ! 

A  propos  des  voyages  du  Président,  l'Univers  et  bon  nombre 
de  Semaines  religieuses  ont  fait  remarquer  que  M.  Carnot 
s'abstient  dans  ses  actos  et  dans  ses  discours  do  toute  manifes- 
tation du  moindre  caractère  religieux. 

L'autre  jour,  on  nous  signalait  ce  fait  que,  dans  toutes  les 
réponses  aux  personnages  qui  le  haranguent,  il  s'est  constam- 
ment abstenu  de  prononcer  le  nom  de  Dieu,  même  lorsqu'il  était 
manifestement  sollicité  par  son  interlocuteur  de  rendre  un  hom- 
mage quelconque  au  souverain  Maître  et  Créateur  du  monde. 
Cet  athéisme  pratique,  M.  Carnot  en  a  donné  le  triste  exemple 
durant  tout  son  voyage. 

Où  a-t-on  entendu  dire  qu'il  ait  fait  un  acte  religieux  quel- 
conque, visité  une  église,  murmuré  seulement  une  prière? 
Même  le  jour  delà  Pentecôte,  avant  de  quitter  Montpellier,  à 
huit  heures  du  matin,  s'est-il  avisé  d'assister  à  la  messe,  et  en 
remplissant  ainsi  un  devoir  de  conscience,  de  donner  l'exemple 
que  doit  au  peuple  tout  chef  d'Etat  qui  ne  fait  pas  profession 
d'athéisme? 

Nous  n'insisterons  pas.  Mais  il  est  bon  que  ces  fortes  incon- 
venances religieuses  soient  mises  au  jour,  afin  que  les  catholi- 
ques qui  ont  le  spectacle  de  certaines  réceptions  officielles,  con- 
séquence obligée  du  Concordat  tant  que  le  chef  d'Etat  est 
catholique  par  son  baptême,  ne  puissent  se  méprendre  sur  les 


CHRONIQUE  DK  LA  SEMAINE  557 

dispositions  "véritables  d'un  chef  de  pouvoir  si  étrangement  ou- 
blieux de  tous  les  devoirs  que  ce  baptême  lui  impose. 


Le  12  mai  dernier  on  constatait,  au  Raincy,  que  des  expé- 
riences avaient  été  faites  avec  des  engins  explosibles  sur  un  point 
isolé  de  la  campagne.  Autour  de  l'espace  où  les  expériences 
avaient  eu  lieu,  plusieurs  arbres,  quelques-uns  de  gros  diamètre, 
avaient  été  détériorés  profondément.  Des  arrachements  au  tronc 
donnaient  à  penser  qu'il  avait  dû  j  avoir  une  violente  explosion. 

Des  recherches  plus  minutieuses  firent  découvrir  sur  le  sol 
des  tubes  métalliques  qui  avaient  renfermé  des  substances 
explosibles.  De  recherche  en  recherche  on  finit  par  retrouver 
la  maison  qui  avait  fourni  ces  tubes  métalliques. 

M.  Lozé,  préfet  de  police,  apprit  par  un  commissaire  de  police 
que  l'individu  qui  avait  acheté  les  matières  explosives  avait 
donné  un  faux  nom  et  une  fausse  adresse.  On  le  fila  et  on  acquit 
la  certitude  qu'il  appartenait  à  une  secte  de  «  terroristes  » 
russes  qui  fabriquait  des  engins  explosifs.  En  outre,  les  noms 
de  plusieurs  membres  de  cette  secte  furent  donnés  à  la  préfec- 
ture. 

La  police  arriva  à  découvrir  successivement  la  retraite  de 
tous  ces  individus  :  les  dernières  mesures  furent  prises  dans  la 
journée  de  mercredi  28  mai  et  le  soir,  à  dix  heures,  M.  Cons- 
tans,  qui  venait  de  rentrer  à  Paris,  de  retour  de  sou  voyige 
avec  M.  Carnot,  fut  avisé  par  le  préfet  de  police  du  résultat  des 
recherches  faites  par  les  agents  de  la  sûreté.  Le  ministre  donna 
les  ordres  nécessaires  et  le  jeudi  matin,  à  six  heures,  les  arres- 
tations ont  été  opérées. 

En  dehors  même  de  l'usage  que  les  individus  arrêtés  vou- 
laient faire  des  substances  et  engins  explosibles  trouvés  en  leur 
possession  (et  que  l'instruction  fera  sans  doute  connaître),  le 
fait  seul  de  la  fabrication  et  de  la  détention  de  ces  matières  et 
appareils  constitue  un  délit  puni  par  les  lois. 

Les  terroristes  arrêtés,  au  nombre  de  quatorze,  sont  les 
nommés  :  Reinchtein  et  sa  femme.  —  Mlle  Federowa.  —  Na- 
katchiz.  —  Stepanof.  —  Kalchinzen,  dit  Anamief.  — Péplot, 
dit  Levof,  dit  Orlof.  —  Orlof,  dit  Wolgrine.  —  Levrenius.  — 
Atschinazi.  —  Demski.  —  Mendelson,  —  Mlle  Bromberg.  — 
Berditschewsky. 

Au  domicile  des  inculpés,  on  a  trouvé  des  tubes  cylindriques, 


558  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  la  poudre,  des  liquides  susceptibles  de  produire  par  leur  mé- 
lange des  explosions,  des  livres  et  des  papiers  indiquant  la  ma- 
nière de  fabriquer  des  engins  explosifs  et  même  des  bombes.  Au 
domicile  de  Mlle  Bromberg,  en  particulier,  on  a  découvert 
quinze  bombes  sphêriques. 

Reinchtein  paraît  être  le  chef  de  la  secte  des  terroristes.  On 
a  trouvé  chez  lui,  60,  avenue  des  Gobelins,  deux  bombes  cylin- 
driques et  une  bombe  sphérique  chargée.  îdoi/'.viî 

Un  changement  ministériel  inattendu  vient  d'avoir  lieu  en 
Bavière.  M.  de  Lutz  a  donné  sa  démission  et  il  est  remplacé 
par  M.  von  Crailshain.  Ce  dernier  bien  qu'il  soit  personnelle- 
ment mieux  vu  de  la  majorité  catholique  de  la  Chambre,  que 
son  prédécesseur,  dont  les  allures  cassantes  et  insolantes  le 
rendaient  quelquefois  insupportable  même  pour  ses  amis,  la 
politique  ecclésiastique  et  scolaire  du  cabinet  ne  sera  pas  moins 
agressive  qu'autrefois,  puisque  le  nouveau  titulaire  du  porté- 
feuille  des  cultes  et  de  l'instruction  publique,  M.  von  Millier  est 
connu  depuis  longtemps,  dans  toute  la  Bavière,  pour  ses  senti- 
ments anticatholiques.  Ce  fut  lui  qui  porta  l'autre  jour,  la  lettre 
du  prince  régent  adressée  à  l'archevêque,  à  la  connaissance  du 
public  en  la  faisant  afficher  dans  tout  Munich.  Aussi  les  jour- 
naui  libéraux  d'Allemagne,  tels  que  la  Gazette  de  Cologne^ 
sont-ils  dans  la  jubilation.  Par  contre,  les  journaux  du  Centre 
font  très  mauvais  accueil  à  M.  von  Millier  et  la  Volhszeitung 
de  Cologne,  entre  autres,  dit  que  ce  choix  du  prince-régent 
donne  à  réfléchir.  Il  impose  aux  catholiques  bavarois  le  devoir 
de  ne  pas  reculer  d'un  pas  devant  leurs  revendications  justes 
et  de  tenir  tête  à  M.  von  Millier,  comme  ils  ont  tenu  tête  à 
M.  von  Lutz. 

Au  point  de  vue  de  la  prussiflcation  progressive  de  la  Bavière, 
le  départ  de  M.  de  Lutz  ne  signifie  aucun  arrêt.  M.  de  Crailshain 
a  eu  soin  de  se  faire  agréer  préalablement  à  Berlin  et  de  faire  sa 
cour  à  M.  de  Caprivi.  Il  aura  du  moins  un  certain  avantage  sur 
M.  de  Lutz  :  comme  protestant  il  n'aura  pas  besoin  de  renier  sa 
foi  pour  être  bien  vu  à  Berlin. 

En  somme  il  n'y  a  pas  grand'chose  de  changé  :  la  catholique 
Bavière  sera  gouvernée  par  un  protestant  au  lieu  de  l'être  par 
un  apostat  catholique. 

Voilà  tout. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  559 

Le  eourrier  du  Tonkin,  qui  vient  d'arriver  à  Marseille  par  le 
transport  le  Congo,  nous  apporte  de  peu  rassurantes  nouvelles 
sur  les  sanglants  exploits  des  pirates  qui  continuent  à  faire  des 
leurs.  A  Pui-Dai,  ils  viennent  de  tenter  un  coup  de  main  qui 
rappelle  de  très  prés  l'affaire  des  frères  Roques.  Un  négociant 
français,  nommé  Henry  Remery,  surpris  dans  un  massif  de 
bambous,  en  dehors  de  l'enclos  des  plantations,  a  été  attaqué 
par  les  Chinois,  qui  l'ont  tué  à  coups  de  fusil,  lui  ont  coupé  la 
tête  et  l'ont  jetée  à  quelques  mètres  de  là,  puis  sont  entrés 
dans  la  ferme,  ont  tué  une  domestique  indigène  et  blessé  un 
coolie;  ils  ont  pris  les  bestiaux  et  les  marchandises. 

Prévenu  par  un  autre  planteur,  qui  de  loin  fut  témoin  du  fait, 
le  président  de  la  province  envoya  chercher  le  corps  de  Remery, 
qu'on  ramena  à  Tuyen  Quang.  Les  animaux  abandonnés  par 
les  pirates  par  suite  des  difficultés  pour  les  emmener,  sont  re- 
venus deux  jours  après  à  la  ferme. 

La  situation  s'aggrave  dans  la  province  d'Hung-Hoa.  Le  lieu- 
tenant Balmonet,  qui  commandait  le  poste  de  Van  Ban,  a  été 
blessé  d'une  balle  à  la  tête. 

Ce  qui  paraît  inquiétant,  c'est  que  le  mouvement  de  piraterie 
augmente  avec  la  famine  ;les  chefs  de  bande  pillent  les  villages 
qui  refusent  de  l'argent  et  exigent  des  autres  de  fortes  rede- 
vances, qu'ils  s'empressent  de  payer  pour  ne  pas  être  ravagés. 

Les  joncques  et  sampans  qui  longent  le  fleuve  Cuanam  ont 
été  mis  à  contribution,  d'autre  part,  par  une  bande  armée  de 
fusils  à  tir  rapide. 

Les  convois  ne  quittent  plus  certaines  places  sans  escortes 
suffisantes,  ce  qui  oblige  de  mettre  sur  pied  toutes  les  troupes 
disponibles. 

La  famine  se  fait  rudement  sentir  dans  la  province  de  Nam- 
Dinh  et  de  Ninh-Binh,  et  à  Long-Tcheou  le  choléra  augmente 
d'intensité.  Dans  cette  ville,  on  compte  soixante-dix  décès  envi- 
ron par  joui'.  On  voit  que  la  situation  du  pays  est  loin  d'être 
actuellement  brillante. 


La  question  des  pêcheries  de  homard  de  Terre-Neuve  prend 
un  aspect  de  plus  en  plus  inquiétant.  Il  paraît  que  pour  se  ven- 
ger de  la  tiédeur  avec  laquelle  le  gouvernement  britannique 
défend  leurs  prétentions  contre  la  France,  les  habitants  de 
Terre-Neuve  ont  mis  à  exécution  leur  menace  de  refuser  le 


560  ANNALES    CATHOLIQUES 

payement  de  leurs  impôts.  Mais  ils  poussent  plus  loin  encore 
l'expression  de  leur  mécontentement. 

Les  dernières  dépêches  nous  les  montrent  arborant  le  dra- 
peau des  Etats-Unis,  ce  qui  est  une  façon,  naturellement,  d'in- 
diquer qu'ils  sont  tout  disposés  à  se  révolter  contre  la  mère- 
patrie  et  à  réclamer  l'annexion  à  la  grande  république  améri- 
caine de  la  part  de  laquelle  ils  attendent  une  sollicitude  plus 
vive  pour  leurs  intérêts. 

On  conçoit  la  gravité  des  préoccupations  qu'un  pareil  état 
de  choses  doit  nécessairement  inspirer  au  cabinet  de  Londres. 
Le  gouvernement  vient  de  décider  l'envoi  à  Terre-Neuve  do 
toute  une  expédition  militaire  et  navale.  Il  est  permis  de  croire 
que  la  mission  de  ces  troupes  n'est  pas  uniquement  d'interve- 
nir pour  empêcher,  de  concert  avec  les  marins  français,  toute 
rixe  sanglante  entre  les  pêcheurs  des  deux  nationalités  ;  mais 
qu'elles  sont  chargées  avant  tout,  de  réprimer  toute  tentative 
directe  de  rébellion  contre  l'autorité  britannique.  Vraisem- 
blablement, l'Angleterre  n'échouera  pas  dans  ses  eflforts  pour 
conserver  Terre-Neuve,  mais  la  tâche  serait  néanmoins  difficile 
et  pénible  si  les  Terre-Neuviens  persistaient  dans  leur  projet  de 
rompre  tout  lien  avec  la  mère-patrie,  et  il  est  impossible  de 
calculer  les  conséquences  qu'aurait  un  pareil  événement. 

Il  est  probable  que  pour  conjurer  un  pareil  malheur,  le 
Foreign-Office  va  user  de  toutes  les  ressources  de  la  diplomatie 
pour  obtenir  de  la  France  qu'elle  abdique  quelques-uns  de  ses 
droits  à  Terre-Neuve.  Au  Canada,  on  engage  vivement  la  mère- 
patrie  à  offrir  au  gouvernement  français  une  très  forte  indem- 
nité pécuniaire  en  échange  de  concessions  qui  apaiseraient  les 
Terre-Neuviens  et  tireraient  la  Grande-Bretagne  d'embarras. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  France  se  trouve  actuellement  en  mesure 
de  rendre  à  l'Angleterre  un  très  grand  service  politique,  ou  de 
lui  créer  les  difficultés  les  plus  sérieuses.  C'est  une  situation 
dont  la  diplomatie  française  cherchera,  semble-t-il,  à  tirer  le 
meilleur  parti  possible  ;  et  d'importantes  combinaisons  politiques 
peuvent,  par  conséquent,  résulter  de  cette  affaire  de  Terre- 
Neuve,  si  secondaire  en  apparence. 


Le  gérant:  P.  Chantrel. 


Paris.  Imp.  O.  Picquoin,  53,  rue  de  Lilîe. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


LE  SUICIDE 

Si  le  suicide  par  son  essence  même  est  le  crime  le  plus 
contraire  à  l'esprit  chrétien,  sa  multiplication  est  le  symptôme 
le  plus  terrible  pour  l'état  d'une  société. 

Symptôme  doublement  redoutable,  et  par  le  milieu  oii  il  se 
produit,  et  par  l'état  moral  qu'il  révèle. 

Ce  n'est  pas  dans  les  humbles  classes  de  la  population  que  le 
suicide  fait  ses  victimes.  Actuellement,  il  est  vrai,  ces  classes 
fournissent  un  certain  contingent  au  tableau  sinistre  des  suici- 
dés :  c'est  au  militarisme  que  nous  devons  ce  progrés  de  la  civi- 
lisation moderne.  Dépaysé  et  démoralisé,  le  malheureux  soldat 
cherche  parfois  la  mort  pour  échapper  à  la  cruauté  des  traite- 
ments que  ses  aimables  camarades  ou  un  sous-oflf.  grincheux 
se  plaisent  à  lui  infliger  pour  charmer  leurs  loisirs. 

Mais,  dans  les  basses  classes  de  la  société  le  suicide  ne  sera 
jamais  endémique,  il  ne  sera  qu'un  article  d'importation,  qui 
disparaîtra  facilement  avec  les  causes  qui  le  provoquent. 

Il  en  est  autrement  dans  les  classes  élevées  de  la  société. 
C'est  parmi  elles  que  le  suicide  a  sa  véritable  patrie;  c'est  dans 
leurs  rangs  qu'il  cause  ses  ravages,  ravages  d'autant  plus  redou- 
tables qu'ils  se  produisent  sur  les  sommets  sociaux  vers  lesquels 
tous  les  yeux  sont  fixés.  Là  oii  les  masses  ne  devraient  ne 
rencontrer  que  l'exemple  à  suivre,  elles  voient  se  commettre  le 
crime  le  plus  épouvantable;  là  oii  l'esprit  chrétien  devrait 
rayonner,  c'est  le  paganisme  dans  la  doctrine  la  plus  crue  que 
des  adeptes  consacrent  de  leur  sang. 

L'absence  de  tout  esprit  chrétien  peut  seul  mener  au  suicide. 
Il  y  a  des  cas  oii  des  malheureux,  affolés  par  la  douleur,  saisis- 
sent l'arme  meurtrière  qui  doit,  avec  leur  vie,  mettre  fin  à  des 
tourments  qu'ils  croient  ne  plus  pouvoir  endurer,  —  la  miséri- 
corde et  la  justice  divines  savent  seules  jusqu'à  quel  point  ces 
malheureux  sont  responsables  ! 

Ce  ne  sont  pas  ces  cas-là  que  nous  avons  en  vue. 

L'immense  majorité  des  suicides  a  un  crime  ou  du  moins  une 
faute  pour  base.  La  soif  inassouvissable  des  jouissances  domine 
nos  païens  de  la  décadence;  il  leur  faut  des  jouissances,  parce 
Lxxii  —  14  Juin  1890  41 


562  ANNALES    CATHOLIQUES 

que  ces  jouissances  sont  le  bot  unique  de  leurs  vies,  et  si  ces 
jouissances  ne  peuvent  s'acquérir  qu'au  prix  d'un  crime,  ce 
prix  n'effraie  pas,  n'arrête  pas. 

Non,  ce  n'est  pas  le  crime  qui  les  effraie,  ce  sont  ses  suites  ! 
Le  jour  oii  la  justice  humaine  veut  mettre  sa  main  sur  le  cou- 
pable, il  saisit  l'arme  et  presse  la  détente.  Un  léger  mouvement 
du  doigt  délivre  de  la  justice  des  hommes  pour  le  livrer  à  la 
justice  éternelle  de  Dieu  ! 

Ah  !  je  le  sais  fort  bien,  il  y  a  un  mot  qui  justifie  tout  aux 
yeux  du  monde  :  TAonnewr/  L'honneur  exige  que  celui  qui  a 
forfait,  ajoute  un  crime  nouveau  mille  fois  plus  épouvantable  à 
ceux  qu'il  a  pu  commettre  !  Ce  crime  nouveau  légitime  les 
autres,  il  efface  tout! 

Folie  atroce  ! 

On  a  vu,  en  France,  des  enfants  envoyer  à  leur  jjère,  menacé 
d'une  condamnation  diffamante,  un  pistolet  pour  sauver  l'hon- 
neur du  nom  ! 

On  a  vu,  en  Prusse,  un  'père  envoyer  à  son  fils  unique^  cou- 
pable d'avoir  faussé  une  signature,  un  pistolet  avec  un  billet 
laconique  :  <  Un  homme  de  votre  nom  sait  ce  qui  lui  reste  à 
faire!  »  "''  ^^  ■ 

Oui,  il  y  a  des  cas  où  des  malheureux',' imbus  des  traditions 
païennes  du  monde  antique,  immolent  leur  vie  à  un  faux  senti- 
ment d'honneur;  pourtant,  quatre-vingt-dix-neuf  fois  sur  cent, 
ce  prétendu  sentiment  d'honneur  n'est  qu'un  misérable  euphé- 
misme pour  lâcheté  ! 

Mais  que  dire  d'une  société  dans  laquelle  le  suicide  est  recom- 
mandé par  ceux  qui  ont  la  mission  de  veiller  sur  la  moralité  de 
la  société  ? 

Dans  un  collège  prussien  un  pasteur  protestant  rationaliste 
déclare  dans  son  cours  de  religion,  qu'il  y  a  des  circonstances 
qui  rendent  le  suicide  excusable  ! 

Plus  encore.   '•'  '«'!  ^^•'^•'' 

A  Berlin,  le  21  maidëi^ni'ér,  un  jeune  homme  de  bonne  famille, 
accusé  d'avoir  détourné  des  fonds,  fut  condamné  par  le  tribunal 
à  une  peine  d'emprisonnement.  Le  président  du  tribunal  en 
publiant  l'arrêté,  osa  dire  au  malheureux  coupable,  qu'après 
avoir  commis  le  crime  il  n'avait  qu'une  chose  à  faire  :  se  brûler 
la  cervelle  ! 

Un  jirofesseur  de  religion  excusant  le  suicide! 
Un  président  de  tribunal  le  conseillant  ! 


CINQUIÈME   BÉATITUDE   ÉVANGÉLIQUE  563 

Dans  une  société  où  des  faits  semblables  peuvent  se  passer, 
la  jouissance  et  la  lâcheté  doivent  régner  en  maîtres. 
C'est  dire  que  cette  société  se  suicide. 


LA   CLNQUIÈME  BÉATITUDE  EVANGELIQUE 

COMMENTÉE  ET  APPLIQUÉE  AU  PRÊTRE 

Beati  miséricordes  quoniam  ipsi  misericordiam  consequentur. 

Il  semblerait,  d'après  certains  passages  de  l'Evangile,  que 
Notre-Seigneur  n'a  que  de  l'antipathie  pour  les  riches  et 
qu'il  réserve  pour  les  pauvres  toute  son  affection  et  ses  fa- 
veurs. Malheur  à  vous  !  riches,  s'écrie-t-il  à  plusieurs  reprises, 
malheur  à  vous  qui  possédez  tout  en  abondance  !  Il  est  plus 
facile  à  un  chameau  de  passer  par  le  trou  d'une  aiguille,  qu'à 
un  riche  d'entrer  dans  le  royaume  de  Dieu  !  Bienheureux,  au 
contraire,  les  pauvres  !  Bienheureux  ceux  qui  souffrent!  Bien- 
heureux ceux  qui  pleurent!  Quand  le  riche  vêtu  de  pourpre 
meurt,  c'est  dans  l'enfer  que  Notre-Seigneur  nous  le  montre 
enseveli,  tandis  que  Lazare  est  porté  par  les  anges  dans  le  sein 
d'Abraham  ! 

Cette  antipathie  de  Notre-Seigneur  n'est  qu'apparente.  S'il  se 
fait  gloire  d'être  compté  parmi  les  humbles,  de  naître  à  Beth- 
léem, dans  une  étable,  de  passer  pour  le  fils  d'un  ouvrier,  de 
vivre  à  Nazareth ,  s'il  s'entoure  de  gens  de  condition  mo- 
deste, de  pécheurs  sans  instruction,  sans  prestige,  de  gens 
grossiers,  au  cœur  égoïste,  à  la  tête  dure  ;  l'un  d'eux,  Matthieu, 
exerce  un  métier  infâme  ;  s'il  parle  aux  déshérités  de  la  terre 
avec  les  accents  d'une  ineffable  tendresse,  il  n'écarte  pas  pour 
cela  les  riches.  Ne  le  voyons-nous  pas  recevoir  les  adorations 
des  Mages,  se  prêter  aux  exigences  du  craintif  Nicodéme,  s'in- 
viter chez  Zachée,  s'asseoira  la  table  du  riche  Simon,  guérir 
le  serviteur  du  Centurion,  la  fille  de  Jaïre,  assister  à  un  festin 
nuptial,  faire  bon  accueil  aux  publicains?  En  réalité,  riches  et 
pauvres  occupent  une  égale  place  dans  son  cœur,  et  s'il  fait 
entendre  aux  riches  des  paroles  plus  ^sévères  qu'aux  pauvres, 
c'est  parce  que  les  riches  sont  plus  exposés  que  les  pauvres  à 
être  les  victimes  de  l'avarice.  L'exemple  de  Judas  est  pour 
nous,  prêtres,  un  exemple  frappant  des  ravages  que  fait  dans 
une  âme  l'amour  de  l'argent.  Etudions,  d'après  les  paroles  et 
les  actions  du  Sauveur  de  quelle  façon  nous  devons  pratiquer 
les  œuvres  de  miséricorde. 


564  ANNALES    CATHOLIQUES 


Entre  tout  ce  que  Notre-Seigneur  a  dit  sur  l'état  de  richesse, 
je  m'arrête  aux  deux  paraboles  suivantes,  parce  qu'il  me  semble 
que  rapprochées  l'une  de  l'autre,  elles  projettent  sur  la  vérité 
qui  nous  intéresse  aujourd'hui  une  plus  vive  lumière. 

11  y  avait  un  homme  riche  vêtu  de  pourpre  qui  faisait  bonne 
chère.  Sur  les  degrés  du  portique  de  son  palais  était  couché 
un  mendiant  couvert  d'ulcères,  qui  se  tenait  à  sa  porte  dans 
l'espoir  de  se  rassasier  des  miettes  qui  tombaient  de  sa  table; 
mais  personne  ne  les  lui  donnait;  seuls  les  chiens  venaient 
lécher  ses  ulcères.  Or,  ce  mendiant  mourut  et  fut  porté  par  les 
anges  dans  le  sein  d'Abraham.  Quelque  temps  après  le  riche 
mourut  aussi  et  fut  enseveli  dans  les  enfers. 

Ecoutez  maintenant  l'autre  parabole. 

Il  y  avait  un  homme  riche  dont  le  champ  avait  produit  une 
abondante  moisson.  Joyeux,  mais  embarrassé  de  ces  richesses 
inespérées^  il  réfléchissait  en  lui-même  :  «  Que  ferai-je?  car  je 
n'ai  pas  de  greniers  assez  spacieux  pour  renfermer  toutes  ces 
récoltes...  Voici  ce  que  je  ferai  :  je  détruirai  mes  greniers  qui 
sont  trop  étroits,  j'en  construirai  de  plus  vastes;  j'y  rassem- 
blerai tous  mes  biens  et  je  dirai  à  mon  âme  :  «  —  Tu  as  du  bien 
en  réserve  pour  plusieurs  années  ;  repose-toi,  mange,  fais  bonne 
chère.  »  Mais  tandis  qu'il  s'enivrait  de  cette  félicité,  une  voix 
se  fit  entendre  : 

€  —  Pauvre  insensé  !  la  vie  de  plaisirs  que  tu  rêves  n'est 
qu'une  chimère,  et  ce  que  tu  as  amassé,  à  qui  appartiendra- 
t-il?  Car  cette  nuit  même  on  te  demandera  ton  âme.  »  Ainsi, 
ajoutait  Notre-Seigneur,  ainsi  sera  traité  tout  homme  qui  thé- 
saurise pour  soi  et  oublie  les  pauvres.  Apprécions-nous  de  la 
même  façon  que  Notre-Seigneur  le  crime  de  ces  deux  riches? 

Quel  est  aux  yeux  de  Notre-Seigneur  et  par  conséquent  quel 
doit  être  à  nos  yeux  le  crime  de  cet  homme  vêtu  de  pourpre? 
Est-ce  de  s'être  habillé  richement,  d'avoir  habité  un  palais 
somptueusement  meublé,  de  s'être  assis  à  une  table  luxueuse- 
ment servie?  Non,  puisque  l'Eglise  place  sur  ses  autels  des 
riches,  des  grands  de  la  terre,  des  souverains;  que  ses  ministres 
les  plus  augustes  demeurent  dans  des  palais,  ont  des  serviteurs, 
des  équipages,  des  vêtements  précieux.  D'ailleurs  Notre-Sei- 
gneur n'adresse  à  ce  riche  aucun  blâmé  à  ce  sujet.  Son  crime 
viendrait-il  de  cette  dureté  de  cœur,  de  cette  insensibilité  qui 


CINQUIÈME    BÉATITUDE    ÉVANGÉLIQUE  565 

l'empêchait  de  s'émouvoir  en  présence  des  infortunes  de  Lazare? 
Non,  la  preuve  c'est  que  quand  Notre-Seigneur  proposera  aux 
pharisiens  la  parahole  du  bon  Samaritain,  il  ne  frappera  d'ana- 
thème  ni  le  lévite,  ni  le  prêtre  qui  passent  sans  se  retourner 
du   côté  de  ce  voyageur  que  des   voleurs  ont  laissé  à  demi- 
mort  sur  le  bord  du  chemin  et  que  n'attendrissent  ni  ses  cris,  ni 
ses  gémissements  plaintifs.  Le  mauvais  riche  est  enseveli  dans 
l'enfer  pour  un  crime  en  apparence  beaucoup  moins  révoltant, 
pour  n'avoir  pas  abandonné  à  Lazare  les  mieiios  qui  tombaient 
de  sa  table  et  pour  avoir  laissé  aux  chiens  le  soin  de  panser  ses 
ulcères;  crime  odieux,  exécrable,  si  j'en  juge  par  le  supplice 
qui  lui  est  infligé  et  dont  Notre-Seigneur  a  tenu  à  nous  tracer 
lui-même  jusque  dans  ses  moindres  détails  l'effrayante  pein- 
ture. Peut-être  certains  d'entre  nous  trouveront-ils  néanmoins, 
que  le  châtiment  infligé  au  mauvais  riche  n'est  pas  excessif; 
mais  que  celui  infligé  au  fermier  subitement  enrichi,  dépasse 
toute  proportion.  Voilà  un  homme  qui  a  désormais  du  bien  en 
abondance  ;  quoi  de  plus  naturel  qu'il  songe  à  agrandir  son  do- 
maine, à  faire  meilleure  chère,   à  se  créer  des  loisirs?  Or  la 
nuit  même  où  il  fait  ce  rêve,  Dieu  l'en  punit  aussi  sévèrement 
que  le  riche  qui  avait  laissé  Lazare  souffrir  et  mourir  de  faim. 
Aux  yeux  de  Notre-Seigneur  le  crime  de  ces  deux  riches  est 
le  même.  Tous  les  deux  se  sont  imaginé  que  Dieu  ne  les  avait 
comblés  de  richesses  que  pour  leur  permettre  d'augmenter  leur 
somme  de    plaisirs  et    de    satisfactions    mondaines    et    qu'ils 
n'avaient  pas  à  se  préoccuper  des  pauvres.  Et  c'est  ce  qui  ex- 
plique l'attitude  implacable  de  Notre-Seigneur  au  jour  de  son 
jugement,  lorsque  s'adressant  à  ces  riches  mondains,  insou- 
ciants, indifférents  envers  les  malheureux,  il  s'écriera  ;  «  —  Re- 
tirez-vous de  moi,  maudits,  allez  au  feu  éternel  !  J'ai  eu  faim  et 
vous  ne  m'avez  pas  donné  à  manger,  soif,  et  vous  ne  m'avez  pas 
donné  à  boire;  j'étais  sans  asile  et  vous  ne  m'avez  pas  recueilli; 
nu,  et  vous  ne  m'avez  pas  vêtu;  prisonnier,  malade,  et  vous 
ne  m'avez  pas  visité...  et  il   me  semble  entrevoir  ces  riches 
mondains  se  regarder  avec  stupeur,  s'interroger,  interroger  le 
juge  en  tremblant  :  «  Mais,  Seigneur,  quand  avons-nous  fait 
cela?  »  —  «  Chaque  fois,  leur  répond-il,  que  vous  avez  négligé 
de  rendre  ces  services  à  l'un  de  mes  pauvres.  » 

Ainsi  lorsque  le  riche  vêtu  de  pourpre  oublie  d'abandonner  à 
Lazare  les  miettes  qui  tombent  de  sa  table,  c'est  Dieu  qu'il 
oublie;  lorsqu'il  néglige  de  panser  ses  ulcères,  c'est  Dieu  qu'il 


566  ANNALES    CATHOLIQUES 

néglige  d'assister  ;  lorsque  le  fermier  suTiitement  enrichi  orga- 
nise sa  vie  sans  songer  aux  pauvres,  c'est  à  Dieu  qu'il  ne  songe 
pas.  Lorsqu'il  vous  arrive  de  passer  l'œil  sec  devant  un  mal- 
heureux qui  crie  la  f^m,  qui  grelotte  de  froid  sous  ses  haillons 
et  des  lèvres  duquel  s'échappent  comme  autrefois  des  lèvres  des 
lépreux  et  des  aveugles  de  l'Evangile,  ce  cri  de  détresse  : 
«  Maître,  ayez  pitié  de  moi,  vous  seul  pouvez  me  guérir  !  > 
C'est  devant  Dieu  que  vous  passez.  Ne  vous  étonnez  donc  pas 
s'il  vous  chasse  pour  toujours  de  sa  présence.  Retirez-vous  de 
moi,  maudits,  allez  au  feu  éternel  ! 

Ce  n'est  donc  ni  par  occasion,  mais  par  vocation,  ni  par  sensi- 
blerie, caprice  ou  calcul  d'ambition,  mais  par  une  obligation  de 
strictejustice  que  le  riche  doit  êtreici-bas  le  consolateur  et  l'appui 
du  pauvre.  Eh!  d'ailleurs  comment  pourrait-il  en  être  autre- 
ment sous  un  Dieu  juste  et  bon?  Eh  quoi!  Dieu  auraitarbitraire- 
mentpartagé  l'humanité  en  deux  classes  dont  l'une  de  beaucoup 
inférieure  en  nombre  à  l'autre  aurait  l'univers  en  partage  pour 
agrandir  ses  greniers,  élever  des  palais,  faire  bonne  chère,  pen- 
dant que  des  milliers  de  Lazares,  nés  du  même  souffle  créateur, 
ne  connaîtraient  que  les  horreurs  de  la  faim,  de  la  soif,  du 
froid,  de  la  maladie  ?  ne  vivraient,  comme  s'écriait  tristement 
le  poète,  que  pour  quelques  privilégiés,  humanutn  paucis  vivit 
genus.  Que  ces  riches  alors  soient  seuls  à  dire  :  «  Notre 
Père...!>  Car  seuls  ils  peuvent  bénir  son  nom,  souhaiter  que  son 
règne  n'ait  jamais  de  fin  :  quant  aux  millions  de  Lazares  il  fau- 
dra que  Notre-Seigneur  revienne  sur  cette  terre  pour  leur 
donner  une  formule  de  prière  plus  en  harmonie  avec  leur  con- 
dition sacrifiée.  Mais  rassurez-vous,  Dieu  n'a  pas  ainsi  partagé 
l'humanité.  Pauvres  et  riches  ne  font  qu'une  seule  et  même 
famille,  dont  Dieu  est  le  père,  et  dont  les  riches  sont  comme  les 
frères  aînés  chargés  d'aider,  d'éclairer,  de  soutenir  leurs  frères 
plus  jeunes  ou  plus  inexpérimentés,  et  voilà  pourquoi  le  second 
commandement:  «  Tu  aimeras  ton  prochain  comme  toi-même,» 
est  semblable  au  premier  :  «  Tu  aimeras  Dieu  sans  partage,  » 
et  celui  qui  ne  vient  pas  en  aide  à  son  frère  malheureux  est 
maudit  sans  rémission. 

II 

Dans  quelle  mesure  notre  fortune  appartient-elle  au  pauvre  t 
Lorsque  Zachée  dit  à  Notre-Seigneur  :  «  Je  donne  aux  pauvres 
la  moitié  de  mon  bien  »,  Notre-Seigneur  ne  lui  répond  pas  que 


CINQUIÈME    BÉATITUDE   ÉVANGÉLIQUE  567 

c'est  trop.  Les  Pharisiens  distribuaient  aux  pauvres,  non  seule- 
ment la  dîme  de  leurs  troupeaux  et  de  leurs  champs  prescrite 
par  la  loi  de  Moïse,  mais  encore  la  dîme  de  tout  ce  qu'ils  possé- 
daient et  qu'ils  ne  devaient  pas.  Notre-Seigneur  ne  leur  dit 
jamais  qu'ils  donnent  trop.  Les  premiers  chrétiens  déposaient 
aux  pieds  des  apôtres  toute  leur  fortune  et  la  leur  abandon- 
naient. Saint  Pierre  ne  songe  pas  à  ralentir  leur  zèle.  Notre- 
Seigneur  adresse  des  éloges  au  bon  Samaritain  sur  sa  grande 
générosité,  il  félicite  publiquement  la  veuve  qui  s'était  privée 
du  nécessaire  pour  donner  deux  monnaies  de  cuivre  aux  pau- 
vres ;  il  exige  du  jeune  homme  qui  lui  demande  ce  qu'il  faut 
faire  pour  gagner  la  vie  éternelle,  qu'il  vende  tout  ce  qu'il  a  et 
qu'il  le  donne  aux  pauvres  ;  lorsque  la  foule  interroge  Jean- 
Baptiste  :  «  Quel  bien  ferons-nous?  —  Que  celui  qui  a  deux 
tuniques,  leur  répond-il,  en  donne  une  à  celui  qui  est  nu,  et  que 
celui  qui  a  de  quoi  manger  partage  avec  celui  qui  a  faim.  »  Ces 
paroles  ne  sont  qu'un  commentaire  de  l'enseignement  de  Notre- 
Seigneur  sur  l'état  de  richesse.  Tout  ce  que  nous  possédons 
appartient  à  Dieu  et  nous  devons  être  prêts  à  lui  en  faire  le 
sacrifice  par  parties  ou  même  en  totalité,  s'il  l'ordonne.  Ce  n'est 
ni  le  dixième,  ni  la  moitié  de  notre  fortune  mais  notre  fortune 
tout  entière  qui  lui  appartient.  Cependant  dans  la  pratique  notre 
fortune  tout  entière  ne  constitue  pas  le  patrimoine,  le  fonds  de 
réserve  des  pauvres,  parce  que  si  Dieu  demande  à  quelques-uns 
le  sacrifice  complet  de  leur  bien-être,  il  ne  l'impose  pas  aux 
autres.  En  stricte  justice  nous  ne  devons  aux  pauvres  que  le 
superflu.  Cela, d'ailleurs, paraît  ressortir  des  détails  mêmes  que 
Notre-Seigneur  indique  dans  les  paraboles  des  deux  mauvais 
riches.  Il  ne  parle  en  effet  que  des  miettes  qui  tombaient  de  la 
table  du  riche  vêtu  de  pourpre  et  que  ce  riche  avait  négligé 
d'abandonner  à  Lazare;  de  soins  extraordinaires  à  donner  à  des 
plaies  horribles  ;  d'une  fortune  inespérée. 

Si  la  loi  mosaïque  avait  attribué  à  ce  fonds  de  réserve  des 
pauvres  la  dizième  partie  des  troupeaux  et  des. champs, la  loi 
évangélique  n'ayant  pas  abrogé  cette  loi,  chacun  de  nous  peut 
adopter  le  dixième  de  son  revenu  ou  de  son  temps  comme  tarif 
de  ses  aumônes,  en  temps  normal.  Qu'une  épidémie  éclate,  que 
le  fer,  le  feu  ou  l'eau  fassent  des  victimes,  qu'un  péril  grave 
menace  la  société  chrétienne,  si  le  fonds  de  réserve  qui  fait 
le  patrimoine  des  pauvres  est  épuisé,  le  riche  doit  s'imposer  de 
nouveaux  sacrifices.  C'est  ainsi  que  l'histoire   nous  raconte  qua 


568  ANNALES    CATHOLIQUES 

saint  Laurent  vendit  les  vases  sacrés  de  l'Eglise  pour  venir  en 
aide  aux  pauvres.  A  quelle  oeuvre  devons-nous  nous  attacher  de 
préférence?  Est-ce  individuellement  ou  en  groupant  nos 
ressources  et  nos  bonnes  volontés  que  nous  devons  agir  ?Notre- 
Seigneur  ne  nous  trace  d'autre  régie  que  celle-ci  :  c'est  que  notre 
charité  doit  s'exercer  en  vue  de  gagner  des  âmes  à  Dieu.  Voyez 
Notre-Seigneur^  s'il  met  sa  toute-puissance  au  service  des  mal- 
heureux qui  la  sollicitent,  ce  n'est  que  pour  les  amener  à  croire 
en  sa  mission  divine.  Voyez  saint  Pierre  et  saint  Jean  lorsqu'ils 
montent  au  temple  :  «  Je  n'ai  ni  or  ni  argent,  dit  saint  Pierre  à 
l'infirme  qui  se  tenait  à  la  porte  et  qui  lui  demande  l'aumône, 
mais  ce  que  j'ai,  je  te  le  donne  :  Au  nom  de  Jésus  de  Nazareth 
lève-toi  et  marche.  »  Toute  oeuvre  de  charité  qui  n'est  pas  orga- 
nisée en  vue  du  salut  des  malheureux  n'est  pas  une  œuvre  bénie 
de  Dieu.  Le  riche  qui  traiterait  la  charité  comme  une  affaire 
humaine,  qui  viendrait  au  secours  des  pauvres  par  philanthropie, 
pour  s'attirer  des  honneurs  et  des  éloges  ou  pour  aider  au 
triomphe  d'une  idée  ou  d'un  parti,  spéculerait  sur  sa  vocation 
et  commettrait  un  crime  aussi  odieux  que  s'il  fermait  son  cœur 
à  la  pitié. 

Ce  fut  le  crime  des  Pharisiens  qui,  trafiquant  de  la  misère  de 
leurs  frères  comme  les  vendeurs  du  temple  des  choses  saintes, 
faisaient  toutes  leurs  œuvres  pour  être  vus  des  hommes,  pour 
qu'on  les  saluât  dans  les  places  publiques  ;  pour  qu'on  leur 
offrît  les  premiers  sièges  dans  les  synagogues,  les  premières 
places  dans  les  festins  ;  pour  qu'on  leur  donnât  le  titre  de 
maîtres,  pour  se  complaire  en  eux-mêmes,  dans  leur  prétendue 
sainteté;  aussi,  plus  ils  multipliaient  leurs  œuvres  de  miséri- 
corde, plus  Notre-Seigneur  multipliait  ses  reproches.  N'est-ce 
pas  le  crime  de  certains  prêtres,  chez  lesquels  la  vanité  est  le 
mobile  de  leur  charité,  qui  paraissent  s'imposer  de  grands  sa- 
crifices en  faveur  des  pauvres,  uniquement  pour  se  faire  un 
renom  débouté  et  de  désintéressement,  ou  pour  dissimuler  plus 
habilement  leurs  désordres?  Qui  aurait  osé  soupçonner  les  Pha- 
risiens de  mener  une  vie  scandaleuse?  Qui  s'imaginerait  que  ces 
apôtres  de  la  charité  ne  sont  que  des  sépulcres  blanchis,  rem- 
plis de  pourriture  et  de  corruption?  Vœ  divitibus!  Ah!  mal- 
heur à  ces  riches,  à  ces  prêtres,  lorsque  Dieu  leur  arrachera  le 
masque  derrière  lequel  ils  ont  joué  leurs  odieuses  comédies  ! 
Quelle  confusion  !  Quelle  honte  pour  eux  i  Et  Dieu  n'attend  pas 
toujours  l'heure  solennelle  de  son  jugement;  souvent,  sur  cette 


COURONNEMENT   DE   NOTRE-DAME    DE    l'ÉPINE  569 

terre,  il  les  démasque,  comme  il  a  démasqué  les  Pharisiens. 
.  Ce  fut  le  crime  de  Judas,  qui  ne  s'était  attaché  au  Sauveur 
que  par  cupidité.  Son  rêve  était  d'amasser  une  fortune.  Aussi, 
en  dépit  de  ses  protestations  charitables,  n'avait-il  aucun  souci 
des  pauvres  :  fur  erat,  c'était  un  voleur,  dit  saint  Jean.  Judas 
n'aurait-il  pas  parmi  nous  des  imitateurs  ?  N'y  aurait-il  pas  des 
prêtres  dont  la  vocation  ressemblerait  à  celle  de  Judas?  qui  ne 
seraient  entrés  dans  le  sanctuaire  qu'attirés  par  les  avantages 
humains  qu'ils  espéraient  retirer  de  leurs  fonctions?  qui  affec- 
teraient un  grand  souci  des  pauvres  pour  avoir  le  droit  de 
tendre  impunément  la  main  et  retirer  ainsi  d'utiles  profits  pour 
eux  ?  simulant  même  l'indignation  lorsque  les  riches  parlent 
d'employer  leurs  richesses  à  honorer  Dieu  dans  son  culte,  à  lui 
élever  des  sanctuaires,  à  les  orner?  Ne  vaudrait-il  pas  mieux, 
s'éc;  ient-ils  comme  Judas,  consacrer  tout  cet  argent  aux  pauvres? 
L'exemple  de  Judas  doit  nous  faire  réfléchir.  Ce  malheureux 
apôtre  était  loin  de  soupçonner  jusqu'où  le  mènerait  son  amour 
du  bien-être.  Tremblons  de  lui  ressembler,  même  de  loin. 

III 

Mais  pour  que  le  prêtre  comprenne  et  remplisse  sa  mission 
d'étpnome  de  Dieu  auprès  des  pauvres,  il  faut  qu'il  ne  soit 
animé  que  de  l'esprit  chrétien,  dans  ses  oeuvres  corporelles, 
lorsqu'il  donne  à  manger  à  ceux  qui  ont  faim,  lorsqu'il  assiste 
les  malades,  qu'il  console  les  affligés,  comme  dans  ses  oeuvres 
spirituelles,  lorsqu'il  instruit  les  ignorants.  Bienheureux  celui 
qui  sait  voir  dans  le  pauvre  un  frère  malheureux  que  Dieu  lui 
confie  et  qui  sait  se  dévouer  pour  lui  venir  en  aide  afin  de  tra- 
vailler au  salut  de  son  âme  !  Il  est  de  ceux  auxquels  Notre- Sei- 
gneur promet  de  faire  miséricorde.  L'abbé  M. 


LE  COURONNEMENT  DE  NOTRE-DAME  DE  L'EPINE 
LE  MARDI  3  JUIN  1890 

Discours  de  Mgr  Freppel. 

Locus  in  quo  stas.  terra  sanela  est. 
Le  lieu  où  vous  êtes  est  une  terre  sainte. 
(Exode,  m,  5.) 

Eminence,  Messeigneurs, 
Mes  Frères, 
L'Eglise  catholique  a  ses  dates  célèbres,  ses  grandes  journées 
qui  marquent  pour  ses  enfants  le  point  de  départ  d'un  accroisse- 


570  ANNALBS    CATHOLIQUES 

ment  de  foi,  de  piété,  de  vie  surnaturelle.  Ce  fut  un  pareil  jour 
lorsque,  le  8  décembre  1854,  l'immortel  Pie  IX  définissait,  aux 
applaudissements  du  monde  chrétien,  le  dogme  de  l'immaculée 
conception  de  Marie.  A  partir  de  ce  jour  mémorable  à  jamais, 
nous  avons  vu  redoubler,  d'une  extrémité  de  la  terre  à  l'autre, 
la  dévotion  des  fidèles  envers  la  Mère  de  Dieu.  Il  ne  manquait, 
en  effet,  depuis  le  concile  d'Ephèse,  que  d'attacher  ce  dernier 
fleuron  au  diadème  de  la  Vierge  pour  faire  rayonner  dans  toute 
sa  splendeur  la  souveraineté  de  cette  Reine  des  anges  et  des 
hommes.  Les  peuples  ont  compris  ce  solennel  enseignement. 
Non  contents  de  reprendre  avec  une  nouvelle  confiance  le 
chemin  des  sanctuaires  de  Notre-Dame,  de  relever  ses  autels, 
de  célébrer  le  mois  plus  spécialement  consacré  en  son  honneur, 
ils  ont  voulu  résumer  leur  vénération  dans  un  acte  dont  le  sym- 
bolisme unique  put  être  saisi  de  tous.  Et  comme  l'acte  du  cou- 
ronnement est  ici-bas  la  reconnaissance  la  plus  éclatante  du 
pouvoir,  nos  diocèses  de  France,  les  uns  après  les  autres,  se 
sont  tournés  vers  quelque  image  désignée  par  le  miracle  à  la 
dévotion  des  fidèles  ;  et  là,  entrelaçant  d'or  et  de  perles  le  signe 
de  la  puissance  souveraine,  ils  en  ont  fait  un  emblème  de  la 
couronne  céleste  de  Marie,  de  cette  couronne  faite  de  l'inno- 
cence la  plus  pure,  de  la  dignité  la  plus  haute,  de  la  charité  la 
plus  tendre,  de  la  sainteté  la  plus  parfaite.  Puis  enfin,  ce  sym- 
bole de  la  royauté  béni  par  le  Vicaire  du  Christ,  ils  sont  allés 
le  déposer  pieusement,  par  les  mains  de  leurs  premiers  pas- 
teurs, au  front  de  la  fille  de  Juda,  en  lui  disant:  «  Salut,  ô 
Vierge  des  vierges  !  Salut,  ô  Mère  de  Dieu  !  Salut,  ô  Reine  du 
ciel  et  de  la  terre  !  » 

Voilà  ce  que  nous  avons  vu  se  produire  depuis  trente  ans,  et 
j'ose  dire  que  ces  couronnements  de  la  Vierge,  renouvelés  d'un 
diocèse  à  l'autre,  sont  l'un  des  évé-nements  les  plus  merveilleux 
de  notre  époque  ;  car,  au  milieu  de  tant  d'erreurs  et  de  défail- 
lances, ces  grandes  manifestations  populaires  témoignent  d'une 
foi  toujours  vivante  à  l'ordre  surnaturel,  à  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  à  l'œuvre  de  la  Rédemption,  à  l'efficacité  toute-puis- 
sante de  la  grâce,  aux  destinées  immortelles  de  l'Eglise,  aux 
fins  glorieuses  de  l'humanité,  aux  splendeurs  et  aux  magni- 
ficences de  ce  plan  divin  qui  reste  le  premier  et  le  dernier  mot 
de  toutes  choses. 

Mais,  outre  cette  haute  signification  qui  leur  est  commune  à 
toup,  chacun  de  ces  couronnements  a  de  plus  son  sens  propre, 


COURONNEMENT   DE    NOTRE-DAME   DE   l'ÉPINE  571 

son  caractère  spécial  ;  cai'il  prend  ses  origines  dans  quelque 
événement  particulier  autour  duquel  s'est  déroulée  l'histoire 
religieuse  d'une  province.  Il  y  a  là  tout  un  passé  qui  revit  avec 
ses  glorieux  souvenirs,  tout  un  avenir  qui  se  prépare  avec  ses 
consolantes  promesses.  Une  image  de  Marie  couronnée  par  la 
piété  des  fidèles,  c'est  à  la  fois  le  mémorial  d'un  grand  bienfait 
et  le  gage  d'une  insigne  protection.  Quel  est  ce  bienfait  dont 
nous  célébrons  aujourd'hui  la  mémoire?  Quelle  est  cette  protec- 
tion que  nous  demandons  à  Notre-Dame  de  l'Epine?  C'est  ce  que 
je  voudrais  vous  dire  en  rappelant  la  touchante  page  d'histoire 
écrite  de  la  main  de  Dieu  lui-même  sur  cette  terre  devenue  par 
là  une  terre  sainte  :  Locus  in  quo  stas,  terra  sancta  est. 

Vous  avez  eu  raison  d'espérer,  Monseigneur  de  Châlons,  dans 
une  éloquente  lettre  pastorale  encore  présente  à  nos  esprits,  que 
le  couronnement  de  Notre-Dame  de  l'Epine  réveillerait  la  foi 
de  votre  peuple.  Nous  en  avons  déjàpa  preuve  dans  le  magni- 
fique spectacle  dont  nous  sommes  témoins.  Cet  immense 
concours  de  fidèles  accourus  à  votre  voix  ;  ces  paroisses  entières 
venues  la  croix  en  tête  et  sous  la  bannière  de  leurs  saints 
patrons  ;  ce  clergé  si  nombreux  et  ces  princes  de  l'Eglise  fai- 
sant cortège  à  votre  éminent  métropolitain;  ces  hommages  qui 
montent  vers  Marie  de  tous  les  points  de  votre  diocèse,  et 
auxquels  des  milliers  d'âmes  s'associent  avec  un  pieux  enthou- 
siasme sur  les  lieux  oii  nous  sommes,  tout  cela  fait  présager  le 
profond  retentissement  que  laissera  dans  tous  les  coeurs  cette 
fête  consacrée  à  la  glorification  de  la  Vierge  Marie  et  qui 
restera  pour  vous-même  un  grand  honneur  et  une  grande 
consolation. 

I 

Transportons-nous  un  instant  par  la  pensée  à  quelque  trois 
mille  ans  d'ici,  sur  l'antique  terre  des  Pharaons.  Une  race 
prédestinée  aux  plus  grandes  choses  de  l'histoire  y  gémissait 
sous  le  joug  delà  servitude.  Il  semblait  que  les  promesses  de 
Dieu  au  père  des  croyants  fussent  devenues  vaines  pour  la  des- 
cendance d'Abraham.  Tout  ce  grand  passé,  rempli  de  tant  de 
merveilles,  allait  disparaître  dans  un  esclavage  ignominieux, 
sans  laisser  derrière  lui  les  semences  fécondes  de  l'avenir. 
Encore  quelque  temps,  et  Jéhovah  s'effaçait  du  cœur  de  son 
peuple  pour  faire  place  aux  idoles  de  l'Egypte.  Mais  voici  qu'un 
jour,  au  pied  d'une  montagne  de  l'Arabie,  un  berger,  menant 


572  ANNALES    CATHOLIQCKS 

paître  ses  brebis,  vit  un  buisson  qui  brûlait  sans  se  consumer; 
et  au  milieu  de  ce  buisson  ardent,  Celui  qui  est  lui  dit  : 
«  N'approche  pas,  car  ce  lieu  est  une  terre  sainte  :  locus  in  quo 
stàs,  terra  sancta  est.  »  Puis  il  lui  ordonna  d'aller  délivrer  son 
peuple.  Moïse  obéit  à  cet  ordre,  et  vous  savez  quelle  en  fut  la 
suite.  Le  buisson  lumioeux  de  l'Horeb  avait  été  le  signe  et  le 
gage  de  la  délivrance  d'Israël. 

Que  vous  semble,  mes  Frères?  N'êtes-vous  pas  frappés, 
comme  moi,  de  l'analogie  de  ce  prodige  avec  celui  que  rappelle 
le  couronnement  de  Notre-Dame  de  l'Epine?  Et  pourquoi  nous 
étonner  d'un  rapprochement  qui  naît  de  lui-même?  L'Eglise 
n'est-elle  pas  le  peuple  de  Dieu  devenu  l'humanité  tout  entière? 
La  France  n'a-t-elle  pas  rempli  dans  l'histoire  de  ce  nouvel 
Israël  le  rôle  de  la  tribu  de  Juda,  jusqu'à  mériter  le  titre  de 
soldat  de  la  Providence?  Or,  avait-on  jamais  vu  une  situation 
plus  lamentable  que  celle  de  la  France,  et  j'ose  ajouter  de 
l'Eglise  elle-même,  à  l'époque  dont  le  souvenir  se  rattache  à  la 
solennité  de  ce  jour?  L'Europe  chrétienne  livrée  aux  agitations 
d'un  schisme  désolant  et  qui  paraissait  sans  remède,  pendant 
que  le  mahométisme,  triomphant  à  Nicopolis,  poussait  ses 
hordes  victorieuses  le  long  du  Danube.  En  France,  des 
désastres  inouïs  jusqu'alors:  Crécy,  Poitiers,  et  bientôt  après 
Azincourt,  ce  terrible  Sedan  du  xv*  siècle:  un  roi  en  démence; 
une  mère  dénaturée  détrônant  son  propre  fils  au  profit  de 
l'étranger,  dans  un  pacte  infâme;  un  enfant  anglais  sacré  roi 
de  France,  sous  les  voûtes  de  Notre-Dame  de  Paris,  avec  l'assen- 
timent des  Etats  du  royaume;  des  factions  rivales  se  disputant 
les  lambeaux  de  la  patrie  déchirée  par  leurs  fureurs  fratricides  ; 
partout  le  meurtre,  le  parjure,  l'incendie  des  villes  et  le  ravage 
des  campagnes  :  non,  le  peuple  hébreu  asservi  par  Pharaon 
n'avait  pas  subi  d'aussi  grandes  calamités  ;  et,  au  fond  des 
carrières  où  s'épuisaient  ses  dernières  forces,  du  pied  des  Pyra- 
mides, travail  d'esclaves  victimes  d'un  despotisme  insensé, 
Israël  n'avait  pas  poussé  vers  Jéhovah  un  pareil  cri  de  détresse. 

Où  donc  apparaîtra  le  signe  de  la  délivrance  ?  Où  verra-t-on 
reluire  le  buisson  ardent  du  milieu  duquel  la  voix  de  la  miséri- 
corde se  fera  entendre  pour  annoncer  à  la  France  l'approche 
du  salut? 

Le  24  mars  de  l'année  1400,  dans  un  coin  perdu  de  ces  champs 
catalauniques  où  plusieurs  siècles  auparavant,  la  civilisation  et 
la  barbarie  s'était  entrechoquées  dans  un  duel  gigantesque,  des 


COURONNEMENT  DE   NOTRE-DAME  DE   L'ÉPINE  573 

bergers  conduisant  leurs  troupeaux,  comme  autrefois  le  pâtre 
de  Madian,  virent  au  déclin  du  jour,  sur  le  penchant  d'une 
colline,  un  buisson  dont  les  branches,  les  feuilles  et  les  épines 
brûlaient  sans  se  consumer,  et,  au  milieu  des  flammes,  une 
statue  de  Celle  que  l'Eglise  invoque  depuis  dix-huit  siècles  sous 
le  nom  de  «  Mère  de  miséricorde  ».  Toute  la  nuit  et  tout  le 
jour  suivant,  le  prodige  se  continua,  sous  les  yeux  de  l'évêque 
de  Châlons,  de  son  clergé,  d'une  multitude  de  fidèles,  pour  ne 
laisser  subsister  aucun  doute  sur  la  réalité  de  cette  interven- 
tion divine. 

Et  que  signifiait  cette  répétition  de  la  scène  mystérieuse  du 
mont  Horeb  ?  Etait-ce  l'annonce  prophétique  de  jours  meilleurs 
pour  l'Eglise  et  pour  la  France  ?  Comme  jadis  les  bergers  de 
Bethléem  auxquels  l'ange  du  Seigneur  portait  la  bonne  nouvelle, 
ces  petits,  ces  humbles  de  la  terre,  ces  pâtres  de  Courtisols  et 
de  Melette  avaient-ils  été  choisis  de  Dieu  pour  apercevoir  et 
saluer  les  premiers  signes  de  la  délivrance  ?  Il  y  a  toujours 
quelque  témérité  à  vouloir  soulever  un  coin  du  voile  dont  la 
Providence  recouvre  ses  desseins.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  que,  à  partir  du  merveilleux  événement  des  landes  de  la 
Champagne,  tout  semble  changer  de  face.  Deux  ans  après,  le 
mahométisme  subissait  dans  les  plaines  d'Ancyre  un  désastre 
qui,  au  lieu  de  n'être  qu'un  temps  d'arrêt,  aurait  pu  devenir  sa 
fin.  Le  concile  de  Pise  allait  mettre  la  main  à  la  pacification  de 
la  chrétienté;  et,  pour  achever  l'œuvre  de  miséricorde  qu'avait 
fait  pressentir  le  buisson  lumineux  de  l'Epine,  onze  ans  plus 
tard,  à  quelques  lieues  de  là,  sur  les  confins  mêmes  de  la  Cham- 
pagne et  de  la  Lorraine,  naissait  la  libératrice  de  la  France, 
Jeanne  d'Arc. 

Ainsi  la  Providence  fait-elle  éclater  les  signes  avant-coureurs 
de  son  intervention  dans  les  choses  de  ce  monde.  Ainsi  se  plaît- 
elle  à  échelonner  les  miracles  tout  le  long  de  l'histoire,  sur  la 
route  de  l'humanité  chrétienne,  pour  soutenir  et  ranimer  la  foi 
des  peuples.  Tout  ce  drame  merveilleux  de  la  délivrance,  dont 
la  vierge  de  Domrémy  occupe  le  sommet,  pourra  se  dérouler 
ailleurs,  à  Orléans,  à  Reims,  en  vingt  lieux  divers  ;  mais  c'est 
du  hameau  de  l'Epine,  de  cette  terre  sainte  où  nous  sommes, 
qu'était  partie  l'annonce  de  la  miséricorde.  C'est  ici  que  la  mère 
de  Dieu  venait  de  montrer  à  la  France  son  divin  Fils  prêt  à 
opérer  le  salut  par  des  voies  encore  ignorées  de  tous.  Aussi  vos 
pieux  ancêtres  ne  s'y  sont-ils  pas  trompés.  A  l'instant  même, 


574  ANNALES    CATHOLIQUES 

et  malgré  les  calamités  qui  les  enveloppaient  de  toutes  parts, 
ils  se  mirent  à  l'œuvre  pour  perpétuer  le  souvenir  d'une  si 
grande  grâce  par  un  monument  digne  d'elle.  C'est  le  peuple  qui, 
tout  d'abord,  jettera  les  fondements  de  l'édifice,  ce  peuple  d'ar- 
tisans et  de  laboureurs,  restés  fidèles  à  la  cause  religieuse  et 
nationale  au  milieu  de  tant  de  défections  parties  de  si  haut. 
Puis  viendront  les  princes,  les  grands  de  la  terre,  Charles  VII, 
Louis  XI,  pour  reconnaître  à  leur  tour  les  bienfaits  de  Marie, 
enjoignant  les  témoignages  de  leur  munificence  aux  ofi'randes 
de  la  piété  populaire;  et  de  leurs  efi'orts  réunis  sortira  un 
chef-d'œuvre  de  l'art  chrétien,  ce  magnifique  temple  qui, 
désormais,  allait  rester  debout  au  milieu  de  la  Champagne 
comme  un  boulevard  contre  tous  les  ennemis  de  la  religion  et 
de  la  patrie. 

Ne  semble-t-il  pas,  en  eiFet,  mes  Frères,  qu'à  partir  de  ce 
moment  solennel  dans  votre  histoire,  Notre-Dame  de  l'Epine 
soit  devenue  le  point  central  de  toutes  les  attaques  et  de  toutes 
les  résistances?  Tant  elle  apparaissait  aux  yeux  de  tous  comme 
un  signe  de  délivrance  et  un  gage  de  protection  I  A  peine  cette 
église,  mémorial  insigne  de  l'intervention  divine,  était-elle 
sortie  de  terre,  que  les  ennemis  de  la  France  résolurent  de  la 
détruire,  pour  effacer  jusqu'au  dernier  vestige  d'un  miracle  si 
manifestement  lié  à  la  ruine  de  leurs  espérances.  Mais  ils  avaient 
compté  sans  la  surveillance  de  vos  pères  attachés  à  un  temple 
devenu  leur  gloire,  et  sans  la  bravoure  de  ce  noble  seigneur  de 
Barbazan,  qui,  vainqueur  des  Anglais  à  la  bataille  de  la  Croi- 
sette,  allait  rejoindre,  à  quelques  années  de  là,  sous  les  voûtes 
funèbres  de  la  basilique  de  Saint-Denis^  les  Duguesclin  et  les 
Clisson,  ses  aînés  et  ses  émules  dans  la  carrière  de  l'honneur  et 
de  la  fidélité. 

La  délivrance  était  complète.  Mais,  pour  accomplir  leurs 
destinées  providentielles  au  prix  de  la  lutte  et  du  sacrifice,  les 
peuples  comme  les  individus  ne  sortent  d'une  épreuve  que  pour 
en  subir  une  autre.  Après  le  siècle  de  l'invasion  étrangère, 
voici  venir  le  siècle  de  l'hérésie.  Vous  savez  si  la  Champagne 
châlonnaise  fut  épargnée  par  ce  fléau,  malgré  le  zèle  de  ses 
évoques,  des  Lenoncourt,  des  Jérôme  Bourgeois,  des  Cosme 
Clausse.  On  put  craindre  un  instant  que  la  secte  calviniste, 
favorisée  par  une  politique  dépourvue  de  franchise  et  d'honnê- 
teté, ne  parvînt  à  s'y  implanter  à  force  de  ruses  et  de  violences. 
Mais  Celle  qui,  dans  le  langage  si  profond  de  l'Eglise,  a  tué 


COURONNEMENT   DE    NOTRE-DAME    DE    l'ÉPINE  575 

toutes  les  hérésies  dans  le  monde  entier,  parce  qu'elle  nous  a 
donné  «  l'auteur  et  le  consommateur  de  la  foi  »,  Auctoy^em 
fidei  et  consummatorem  (1),  Marie  veillait  sur  son  peuple  fidèle. 
Ne  lui  avait-elle  pas  montré  son  image  dans  le  buisson  de 
l'Epine,  comme  un  signe  de  délivrance  et  un  gage  de  protection  ? 
Aussi  est-ce  contre  le  temple,  mémorial  de  ce  miracle,  que 
l'hérésie  tournera  ses  fureurs.  Un  jour  de  l'année  1562,  les  deux 
Colignj,  ces  tjpes  accomplis  du  traître  à  l'Eglise  et  à  la  patrie, 
viendront  menacer  de  leurs  vengeances  l'église  de  Notre-Dame 
de  l'Epine.  Mais,  cette  fois  encore,  les  descendants  des  bergers 
et  des  laboureurs  de  Courtisols  sauront  défendre  le  monument 
élevé  par  leurs  pères;  et  comme  à  l'époque  de  Jeanne  d'Afc, 
c'est  de  Champagne,  d'un  archidiaconé  du  diocèse  de  Châlons, 
du  château  de  Joinville,  berceau  des  trois  Guise^  fils  de  Fran- 
çois de  Lorraine,  que  sortira  la  Ligue,  ce  mouvement  catholique 
et  national  qui  arrêtera  l'hérésie  sur  le  chemin  du  trône,  pour 
conserver  à  la  France,  avec  ses  traditions  dix  fois  séculaires, 
l'honneur  et  le  titre  de  fille  aînée  de  l'Eglise. 

Est-ce  tout,  mes  Frères  ?  Ai-je  épuisé  la  série  des  marques 
de  protection  que  Notre-Dame  de  l'Epine  a  fait  éclater  au  milieu 
de  vous!  Voyez-vous  ce  nouvel  adversaire  de  l'Eglise,  qui 
s'avance  sous  les  dehors  d'une  orthodoxie  rigide  ;  ce  demi-calvi- 
nisme aux  formules  hypocrites,  avec  ses  sécheresses  et  ses 
aridités,  avec  son  Christ  aux  bras  étz'oits  et  ses  maximes  déso- 
lantes pour  les  pauvres  pécheurs,  avec  son  symbole  oii  le 
désespoir  prend  la  place  de  la  confiance  et  oii  Dieu  cesse  d'être 
un  père  pour  devenir  un  tyran?  Non,  jamais  la  foi  de  vos 
ancêtres  n'avait  couru  un  péril  aussi  grave,  d'autant  plus  que 
ces  nouveautés  trouvaient  un  accueil  trop  complaisant  auprès 
de  ceux-là  mêmes  qui  auraient  dii  être  les  premiers  à  les  com- 
battre, en  prémunissant  leur  peuple  contre  les  erreurs  de 
Jansénius  et  de  Quesnel.  Est-ce  trop  s'avancer  que  d'attribuer 
à  Notre-Dame  de  l'Epine  et  à  son  culte,  alors  si  répandu  dans 
le  diocèse  de  Châlons,  les  insuccès  d'une  hérésie  la  plus  subtile 
et  la  plus  dangereuse  de  toutes?  Qu'y  avait-il,  en  eâ"et,  de  plus 
contraire  aux  duretés  d'une  secte  impitoyable  que  la  dévotion 
envers  la  Mère  de  miséricorde  '/D'un  côté,  il  n'y  a  qu'anathèmes 
et  menaces;  de  l'autre,  tout  est  douceur  et  bonté.  Non,  n'hési- 
tons pas  à  le  dire,  si,  malgré  les  ravages  trop  certains  que  le 

(1)  Epître  aux  Hébreux,  xii,  202. 


576  A.NNALES   CATHOLIQUES 

jansénisme  aexercés  dans  ce  pays,  la  foi  n'a  pas  subi  d'atteintes 
encore  plus  profondes;  si  les  populations,  rebutées  par  un 
rigorisme  aussi  déraisonnable  que  funeste,  ne  se  sont  pas  éloi- 
gnées davantage  des  sources  delà  grâce;  si  le  zèle  épiscopal  de 
Mgr  de  Juigné,  secondé  par  de  pieux  prêtres,  parvint  à  ralentir 
la  marche  du  fléau,  il  faut  en  remercier  Celle  qui  était  restée 
au  milieu  de  son  peuple,  lui  présentant,  comme  autrefois  dans 
le  buisson  de  l'Epine,  sous  les  traits  de  l'Enfant  Jésus,  l'image 
si  douce  et  si  consolante  du  Dieu  de  clémence  et  de  bonté. 

Arrivé  à  ce  moment  de  votre  histoire,  je  voudrais  pouvoir 
m'arrêter.  J'aimerais  n'avoir  pas  à  rappeler  ce  que  la  révolution, 
assemblage  confus  de  toutes  les  erreurs  du  passé,  préparait  à 
vos  contrées  de  violences  et  de  malheurs.  Ce  temple,  splendide 
monument  de  la  foi  de  vos  pères,  ne  pouvait  échapper  à  la 
profanation  universelle  des  choses  saintes.  Mais,  du  moins, 
l'impiété  ne  parviendra- t-el le  pas  à  détruire  l'image  miraculeuse 
qui  avait  été  depuis  quatre  cents  ans  un  signe  de  délivrance  et 
un  gage  de  protection.  Notre-Dame  de  l'Epine  continuera  de 
veiller  sur  son  peuple  du  haut  de  ce  trône  de  miséricorde  qu'elle 
s'était  choisi  à  l'une  des  époques  les  plus  tristes  de  notre  histoire. 
Elle  lui  apparaîtra  comme  l'étoile  du  salut,  lorsqu'au  sortir  de 
la  tourmente  révolutionnaire  elle  obtiendra  de  son  divin  Fils  la 
réconciliation  de  l'Eglise  et  de  la  patrie.  Elle  ne  le  perdra  pas 
de  vue  durant  ce  drame  prodigieux  de  quinze  ans,  où  devaient 
se  rencontrer  toutes  les  extrémités  des  choses  humaines  et  qui 
allait  se  dénouer  quelque  jour  dans  les  plaines  de  la  Champagne. 
Montmirail,  Champ-Aubert,  Vauchamps,  quels  noms  et  quels 
souvenirs  I  C'est  le  crépuscule  de  la  gloire  et  du  génie,  encore 
plus  resplendissants  peut-être  qu'à  leur  aurore  et  dans  leur 
plein  midi.  A  un  demi-siècle  de  là,  c'est  encore  sous  le  regard 
protecteur  de  Notre-Dame  de  l'Epine  que  se  formera,  dans  un 
camp  célèbre,  cette  magnifique  armée  qui,  malgré  des  revers 
immérités,  est  demeurée  notre  espérance  et  notre  force.  Et 
pendant  que  les  souverains  eux-mêmes  venaient  en  ces  lieux 
rendre  hommage  à  la  patronne  de  la  France,  Châlons  avait  le 
bonheur  de  posséder  des  évêques  comme  ce  vénérable  Mgr  de 
Prilly,  dont  la  haute  figure  jette  encore  un  reflet  d'honneur  sur 
tout  le  diocèse;  ses  dignes  successeurs  restauraient  les  églises, 
réparaient  les  séminaires,  multipliaient  les  œuvres  de  piété, 
environnaient  d'un  nouvel  éclat  le  culte  des  premiers  apôtres  de 
la  Champagne.  Notre-Dame  de  l'Epine  demeurait  la  reine  de 


COURONNEMENT    DE   NOTRE-DAME    DE    l/ÉPINE  577 

son  peuple,  et  ses  faveurs  dans  le  passé  faisaient  présager  les 
bénédictions  de  l'avenir. 

II 

Le  couronnement  des  princes  a  coutume  d'être  pour  les 
peuples  une  source  de  bienfaits.  Car  ce  n'est  pas  une  vaine 
pompe,  ni  un  simple  apparat  que  cet  éclatant  hommage  rendu 
au  pouvoir  légitime.  Lorsqu'autrefois,  sous  les  voûtes  de  la 
cathédrale  de  Reims,  l'Eglise,  organe  de  Dieu  et  de  la  nation, 
déposait  sur  la  tête  d'un  homme  le  signe  du  commandement 
suprême,  cet  acte  solennel  avait  pour  résultat  d'entretenir  et 
de  fortifier  dans  les  âmes  le  respect  de  l'autorité,  l'attachement 
et  la  fidélité  aux  lois  du  pays.  Le  sacre  d'un  souverain,  c'était 
le  pacte  fondamental  renouvelé  de  part  et  d'autre,  sous  le  regard 
de  Dieu  et  au  pied  des  autels,  pour  assurer,  avec  l'union  des 
cœurs,  la  grandeur  et  la  prospérité  de  la  patrie. 

Le  sacre  d'un  souverain,  c'était  au«si,  l'histoire  nous  l'apprend, 
une  occasion  unique  de  répandre  des  largesses  sur  tout  un 
peuple,  la  grâce  et  l'amnistie  accordées  à  des  coupables,  un 
allégement  des  charges  publiques,  comme  don  de  joyeux  avène- 
ment. Ah  !  sans  doute,  ces  images  sont  bien  pâles  lorsqu'on  les 
applique  à  un  ordre  de  choses  infiniment  plus  élevé.  Qu'est-ce 
que  le  pouvoir  d'un  homme  en  regard  de  la  toute-puissance  de 
prière  et  d'intercession  qui  réside  en  Marie  ?  Quel  moyen  de 
comparer  la  bonté  d'un  prince  de  la  terre  à  une  tendresse  qui 
n'a  d'égale  qu'une  dignité  incommensurable  comme  elle  ?  Mais 
enfin,  pour  élever  jusqu'à  lui  notre  faible  intelligence,  Dieu  a 
voulu  qu'il  y  eût  un  certain  rapport  entre  les  choses  de  la  terre 
et  celles  du  ciel.  Et  dès  lors  vous  êtes  en  droit  de  me  demander 
ce  que  nous  attendons  du  couronnement  de  Notre-Dame  de 
l'Epine. 

Ici,  mes  Frères,  permettez  à  mon  coeur  d'évêque  de  s'épan- 
•cher  au  milieu  de  vous.  Lorsqu'on  étudie  cette  portion  si  inté- 
ressante de  la  France,  on  ne  peut  qu'apprécier  tout  ce  qu'il  y 
a  de  qualités  et  de  vertus  naturelles  dans  ces  populations  probes 
et  laborieuses,  remplies  de  bon  sens  et  d'honnêteté,  formées  de 
longue  date  aux  habitudes  d'ordre  et  de  discipline,  et  portant 
à  un  si  haut  degré,  comme  l'héritage  de  dix-huit  siècles  de 
christianisme,  le  respect  du  foyer  domestique  et  l'amour  de  la 
patrie.  Mais  la  foi  pratique  qu'est-elle  devenue?  Mais  ces  grands 
côtés  de  l'âme  humaine  par  oii  elle  touche  à  l'infini:  ces  éléva- 
tions vers  Dieu  par  la  prière  intime  ou  publique  ;  cette  culturfl 

42 


578  ANNALES   CATHOLIQUES 

de  la  plus  haute  partie  de  nous-mêmes  par  le  travail  de  la  grâce 
puisée  à  la  source  des  sacrements  ;  cette  participation  régulière 
au  sacrifice  de  l'Homme-Dieu,  renouvelé  sur  nos  autels  dans 
l'adoration,  dans  la  louange  et  dans  l'action  de  grâces;  cette 
croyance  profonde  à  nos  immortelles  destinées,  qui  fait  que  le 
chrétien  se  sent  à  l'étroit  dans  les  bornes  de  ce  monde,  heureux 
qu'il  est  de  pouvoir  échapper  par  intervalle  au  terre  à  terre  et 
à  la  vulgarité  des  intérêts  d'ici-bas  ;  en  un  mot,  cette  vie  sur- 
naturelle et  divine  que  nous  devons  entretenir  en  nous,  pour 
qu'elle  devienne  un  jour  dans  le  sein  de  Dieu  la  vie  éternelle  et 
glorieuse,  tout  cela  n'a-t-il  pas  disparu,  ou  du  moins  ne  s'est-il 
pas  affaibli  par  suite  de  cette  indifférence  religieuse  qui  est  le 
plus  grand  fléau  dont  les  ravages  puissent  désoler  un  pays? 

Ah  !  si,  aux  qualités  et  aux  vertus  naturelles  dont  je  viens  de 
parler,  venait  s'ajouter,  pour  les  agrandir  et  les  perfectionner, 
la  pratique  fidèle  et  constante  du  devoir  religieux,  nous  assiste- 
rions à  un  magnifique  développement  de  force  et  de  dignité 
morale;  rien  ne  dépasserait  en  France  la  splendeur  et  la  fécon- 
dité de  vos  œuvres.  Votre  illustre  compatriote,  Royer-Collard, 
ce  grand  esprit  dont  le  regard  ferme  et  pénétrant  avait  sondé 
toutes  les  infirmités  humaines,  disait  sur  son  lit  de  mort  : 
«  Il  n'y  a  de  solide  en  ce  monde  que  les  idées  religieuses;  ne  les 
abandonnez  jamais, et,  si  vous  en  sortez,  rentrez-y.  »  Oui,  ren- 
trez-y, habitants  de  la  Champagne,  pour  en  faire  la  règle  de 
votre  vie.  Vous  travaillez  avec  une  ardeur  infatigable  à  acquérir 
et  à  conserver  les  biens  de  la  terre;  mais,  quoique  vous  fassiez 
pour  retenir  cette  figure  du  monde  qui  passe,  tout  vous  fuit, 
tout  vous  échappe,  tout  vous  glisse  entre  les  doigts  :  la  fortune 
change,  la  santé  se  consume,  la  beauté  se  flétrit,  l'amitié  s'al- 
tère, la  renommée  se  dissipe,  la  vie  s'éteint.  Tout  s'use,  tout 
«e  fane,  tout  s'écoule  avec  le  temps  ;  seule  la  foi  demeure,  avec 
les  mérites  qu'elle  s'est  acquis  par  la  pratique  du  devoir  et 
l'accomplissement  de  la  loi  de  Dieu. 

La  disparition  du  fléau  de  l'indifférence  religieuse,  voilà  ce 
que  nous  attendons  du  couronnement  de  Notre-Dame  de  l'Epine, 
Nous  en  espérons  une  deuxième  grâce. 

Quand  le  vénérable  Mgr  de  Prilly,  ce  prélat  de  pieuse 
mémoire  qui,  après  avoir,  dans  sa  jeunesse,  servi  son  pays  sur 
les  champs  de  bataille  de  Zurich  et  d'Austerlitz,  venait  de 
porter  un  si  grand  zèle  dans  le  ministèi'e  pastoral,  lorsque, 
dis-je,  il  se  vit  à  son  heure  dernière,  repassant  dans  son  esprit 


COURONNEMENT   DE   NOTRE-DAME   DE   l'ÉPINE  579 

ce  qui  l'avait  le  plus  affligé  pendant  ses  trente-six  années  d'épis- 
copat,  il  youlut  adresser  à  ses  diocésains  une  recommandation 
suprême,  en  ordonnant  de  graver  sur  sa  tombe  ce  simple  mot, 
oii  se  résumait  toute  sa  sollicitude  :  <  Sanctifiez  le  dimanche.  » 
Il  avait  pu  mesurer  par  une  longue  expérience  les  lamentables 
effets  du  mépris  de  cette  grande  loi  :  la  désertion  des  offices, 
l'abandon  des  sacrements,  l'oubli  de  tous  les  devoirs,  l'igno- 
rance des  vérités  de  Ja  foi,  la  destruction  de  l'esprit  de  famille, 
l'afi'aiblissement,  sinon  l'extinction  complète  de  la  vie  religieuse 
et  morale.  C'est  avec  une  douleur  profonde  qu'il  avait  vu  appa- 
raître, après  1830,  ce  type  avili  d'une  civilisation  en  déclin,  cet 
homme  déchu  de  ses  grandeurs  chrétiennes,  qui,  le  jour  du 
Seigneur  et  à  l'heure  même  où  ses  frères  réunis  dans  le  lieu 
saint  élèvent  leur  âme  vers  le  ciel,  est  là,  courbé  sur  une  motte 
de  terre,  poussant  devant  lui  ses  bêtes  de  somme,  plus  abaissé 
qu'elles-mêmes,  parce  qu'il  est  descendu  d'autant  plus  bas 
qu'il  est  tombé  de  plus  haut,  et  que,  loin  d'ignorer  ce  qu'il 
doit  à  Dieu,  il  aggrave  sa  révolte  du  poids  de  sa  raison. 

Ah  !  si,  en  retourdes  hommages  que  nous  lui  rendons  aujour- 
d'hui, Notre-Dame  de  l'Epine  daignait  vous  obtenir  la  guérison 
de  cette  plaie  qui  gagne  de  plus  en  plus  vos  campagnes;  si,  à 
partir  de  ce  moment,  il  s'opérait  une  réaction  vigoureuse  contre 
cette  profanation  du  dimanche,  qui,  aux  yeux  de  toutes  les 
nations  chrétiennes,  est  pour  la  France  une  marque  d'abaisse- 
ment et  un  sujet  d'humiliation,  ce  serait  pour  le  diocèse  de 
Chàlons  et  pour  toute  la  Champagne  une  nouvelle  èie  de  gran- 
deur morale  et  de  vraie  prospérité. 

Mais  quoi,  mes  Frères!  n'est-il  pas  une  autre  grâce  que  nous 
avons  tout  lieu  d'espérer  du  couronnement  de  Notre-Dame  de 
l'Epine,  une  grâce  qui  se  rattache  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  spécial 
et  de  plus  caractéristique  dans  le  culte  que  vous  rendez  en 
ces  lieux  à  la  Reine  des  anges  ?  Lorsque,  le  24  mars  de  l'année 
1400,  les  bergers  de  Courtisols  et  de  Molette  virent,  au  milieu 
d'une  clarté  éblouissante,  la  statue  de  la  Vierge  tenant  son  Fils 
entre  ses  bras,  la  tradition  rapporte  que  les  brebis  s'enfuirent 
tout  efifrayées  vers  la  plaine,  tandis  que  les  agneaux  seuls 
osèrent  s'approcher  du  buisson  lumineux.  Est-ce  pour  répondre 
à  ce  gracieux  détail  que  Notre-Dame  de  l'Epine  est  devenue 
par  excellence  le  pèlerinage  des  petits  enfants  ?  Le  fait  est 
qu'il  n'y  a  pas  de  spectacle  plus  touchant  que  de  voir  ici,  aux 
fêtes  de  l'Assomption  et  de  la  Nativité,  des  centaines  d'enfants 


580  ANNALES   CATHOLIQUES 

venir  de  toutes  parts  recevoir  la  bénédiction  de  Marie  et  se 
placer  sous  sa  protection,  afin  d'échapper  aux  dangers  qui 
menacent  le  jeune  âge. 

Or,  y  a-t-il  janaais  eu  d'époque  oii  l'enfance  chrétienne  ait 
eu  plus  besoin  de  la  protection  de  Marie?  Et  que  de  motifs 
n'avons-nous  pas  d'attendre  une  telle  grâce  du  couronnement 
de  Notre-Dame  de  l'Epine? Le  grand  péril  social  de  notre  temps, 
celui  qui  nous  fait  trembler  davantage  pour  l'avenir  des  généra- 
tions, n'est-ce  pas  tout  ce  que  l'on  a  déjà  fait  contre  les  petits  et 
les  faibles,  contre  les  agneaux  du  troupeau  de  Jésus-Christ?  Un 
système  d'éducation  d'où  la  religion  est  complètement  bannie 
avec  ses  lumières  et  ses  secours,  avec  ses  influences  et  ses 
moyens  d'action  que  rien  ne  peut  remplacer;  des  lois  qui,  sous 
prétexte  de  neutralité,  livrent  la  jeunesse  à  des  maîtres  sans 
convictions  ni  principes,  et  qui,  en  eussent-ils,  n'ont  plus  même 
le  droit  de  parler  à  leurs  élèves  de  Jésus-Christ,  de  l'Evangile 
et  de  l'Eglise,  de  tout  ce  qui  devra  inspirer  et  gouverner  leur 
vie  ;  l'athéisme,  c'est-à-dire  le  néant,  à  l'origine  et  au  point  de 
départ  de  l'homme  et  du  citoyen,  à  la  base  de  formation  des 
intelligences,  des  caractères  et  des  volontés;  la  négligence  des 
parents  et  le  mauvais  exemple  venant  s'ajouter  trop  souvent 
aux  défaillances  et  aux  attaques  du  dehors;  quelles  perspec- 
tives, grand  Dieu  !  et  pour  les  pasteurs  des  âmes  quel  sujet 
d'inquiétudes  et  d'alarmes  !  Ah  !  redoublez  de  sollicitude  mater- 
nelle à  l'égard  de  ces  chers  enfants,  ô  Mère  de  Jésus!  Permet- 
tez-nous d'espérer  que  le  jour  de  votre  couronnement  sera  pour 
eux  un  signe  de  délivrance  et  un  gage  de  protection  ! 

Je  viens  de  toucher  à  l'avenir  et  aux  destinées  de  la  France, 
et  c'est  une  dernière  grâce  que  nous  attendons  du  couronne- 
ment de  Notre-Dame  de  l'Epine.  Vous  voilà  devenus,  mes  très 
chers  Frères,  le  dernier  rempart  de  la  patrie,  comme  au  temps 
où  la  deuxième  Gaule  Belgique  s'arrêtait  à  vos  frontières.  Et, 
certes,  l'honneur  du  pays  ne  saurait  être  en  de  plus  vaillantes 
mains.  Quatre-vingt-dix-neuf  grenadiers  de  ma  vieille  garde 
et  un  Champenois  font  cent  braves,  disait  le  plus  grand  capi- 
taine des  temps  modernes.  Il  se  souvenait  sans  doute  de  l'hé- 
roïque résistance  de  Châlons,  le  5  février  1814.  Et  cependant 
laissez-moi  exprimer  le  souhait  que  le  fossé  de  la  France  soit 
reporté  plus  loin,  là  où  la  Providence  l'a  marqué  de  son  doigt, 
là  où  un  homme  de  génie,  César,  le  traçait  pour  toute  la  suite 
des  temps  ;  que  vos  immenses  plaines   cessent  d'être   le  champ 


ABOLITION   DE    l'eSCLAVAGE    EN    TUNISIE  581 

de  bataille  où  les  nations  de  l'Europe  sont  venues  tant  de  fois 
vider  leurs  querelles,  et  que  le  fléau  de  la  guerre  s'éloigne  à 
jamais  de  vous!  Daigne  Notre-Dame  de  l'Epine  exaucer  ce  der- 
nier vœu,  pour  le  bonheur  de  la  contrée  au  milieu  de  laquelle 
il  lui  a  plu  d'ériger  le  trône  de  sa  miséricorde  ! 

Dans  quelques  instants,  un  prince  de  l'Eglise,  délégué  par  le 
Souverain  Pontife,  va  couronner  solennellement  la  statue  mira- 
culeuse qui  depuis  quatre  siècles  s'élève  au  milieu  de  vous  ;  et, 
à  la  suite  de  cette  auguste  cérémonie,  votre  vénérable  évêque 
renouvellera  la  consécration  de  son  diocèse  à  Notre-Dame  de 
l'Epine.  Puisse  cet  acte  de  consécration  trouver  de  l'écho  dans 
tous  les  cœurs  et  les  réunir  dans  un  même  sentiment  de  foi  et 
de  dévotion  à  la  Très  Sainte  Vierge  !  Puissent  les  bénédictions 
de  l'avenir  répondre  à  celles  dupasse!  Puisse  enfin  cette  grande 
journée  du  3  juin  1890  marquer  à  jamais  dans  l'histoire  de  la 
Champagne  catholique,  pour  l'honneur  de  tous  ses  enfants, 
pour  leur  félicité  dans  le  temps  et  dans  l'éternité!  Ainsi-soit-ilî 


ABOLITION  ET  REPRESSION  DE  L'ESCLAVAGE 
EN  TUNISIE 

Mgr  Brincat,  directeur  général  de  l'Œuvre  antiesclavagiste, 
vient  de  recevoir  de  S.  Em.  le  cardinal  Lavigerie  la  lettre  sui- 
vante, qu'il  nous  fait  l'honneur  de  nous  communiquer  : 
Monseigneur, 

J'apprends  que  plusieurs  de  nos  associés  s'inquiètent  des  bruits 
répandus  par  certains  journaux  relativenaent  à  l'esclavage  en  Tunisie, 

Vous  devez  penser  que  je  me  suis  moi-même  préoccupé  de  cette 
grave  question,  depuis  les  dix  années  que  j'exerce  dans  ce  pays  les 
fonctions  épiscopales,  et  surtout  depuis  que  je  travaille  à  la  fonda- 
tion de  notre  Œuvre  antiesclavagiste.  Je  crois  donc  pouvoir  vous  dire 
que,  même  avant  l'occupation  française  et  notre  protectorat,  la  ques- 
tion se  présentait  ici  exactement  dans  les  mêmes  termes  où  elle  se 
présentait  en  Algérie. 

Il  est  impossible,  en  effet,  sur  les  frontières  du  Sahara,  et  avec  un 
service  régulier  de  bateaux  qui  se  rendent  chaque  semaine  à  Tripoli, 
d'éviter  l'introduction  frauduleuse,  sur  une  pareille  étendue  de  fron- 
tières, d'esclaves  noirs  ou  même  blancs  amenés  ici  du  Soudan  et  de 
Constantinople,  et  vendus,  la  plupart  fort  cher,  aux  riches  proprié- 
taires musulmans  et  quelquefois  aux  princes  eux-mêmes. 

Il  est  également  impossible  de  triompher  de  l'attachement  de  tous 
les  anciens  esclaves  pour  leurs  maîtres.  Je  l'ai  constaté  à  plusieurs 
reprises  dans  mes  prédications  et  dans  mes  lettres:  l'esclavage  mu- 


582  ANNALES    CATHOLIQUES 

sulmaa  prend  facilement  l'aspect  d'une  sorte  d'association  ou  d'adop- 
tion dans  la  famille  ;  on  épouse  volontiers  les  femmes  esclaves  ;  on 
coDÛe  aux  hommes  les  missions  délicates  de  l'intérieur,  et  tout  le 
monde  sait  que  le  premier  ministre  en  fonctions  avant  l'occupation 
française  était  un  ancien  esclave  acheté  par  le  beylic  à  Constanti- 
nople  et  chargé  peu  à  peu,  grâce  à  son  intelligence,  de  fonctions  de 
plus  en  plus  élevées,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  parvenu  à  la  première, 
après  celle  de  son  maître. 

Quelques-uns  en  ont  conclu,  bien  à  tort  il  est  vrai,  à  la  légitimité 
et  même  à  l'action  bienfaisante  de  l'esclavage  dans  ces  contrées;  mais 
ils  ont  oublié,  à  côté  de  ces  résultats  partiels  qui  frappaient  ici  leurs 
yeux,  tout  ce  qu'il  a  fallu  de  souffrances,  d'atrocités,  de  misères,  de 
la  part  de  tant  de  milliers  d'hommes  pour  arriver  ainsi  à  créer  à 
quelques-uns  une  situation  enviable. 

Pour  conduire  ces  esclaves  jusqu'au  sein  de  nos  familles  musul- 
manes, il  a  fallu,  en  effet,  la  chasse  ,à  l'homme,  les  incendies,  les 
massacres,  les  voyages  à  travers  les  sables  du  désert,  les  infamies  de 
toutes  sortes  contre  les  femmes  et  même  souvent  contre  les  hommes, 
en  un  mot  le  désespoir,  la  fin  inhumaine,  misérable,  de  tant  de  mil- 
liers et  même,  si  l'on  prend  la  question  dans  son  ensemble,  'de  mil- 
lions de  créatures  humaines  ;  et  voijà  pourquoi  l'esclavage  même  le 
plus  doux,  le  serait-il  davantage  encore,  est  toujours  odieux  et  con- 
traire au  droit  naturel,  comme  l'a  déclaré  notre  grand  Léon  XIII, 
pour  les  seules  horreurs  au  moyen  desquelles  il  s'alimente. 

Mais  ici  ces  horreurs  étaient  éloignées.  On  ne  pouvait  constater 
que  la  cupidité  des  marchands,  qui  traiiquaieût  secrètement  de  leurs 
troupeaux  humains  introduits  par  fraude  en  Tunisie  comme  en. 
Algérie,  et  ensuite  le  bien-être  relatif  des  pauvres  créatures  qu'ils 
avaient  ainsi  vendues. 

L'opinion  publique  musulmane  était  donc  tout  entière  favorable  à 
l'esclavage.  Mais,  à  mesure  que  l'influence  des  idées  françaises  et 
chrétiennes  s'est  répandue,  l'esclavage  a  plus  difficilement  trouvé 
grâce  non  pas  seulement  dans  les  lois,  où  il  a  été  bientôt  prohibé, 
même  en  Tunisie,  mais  aussi  dans  les  faits. 

En  Algérie,  il  a  presque  complètement  disparu,  sauf  sur  les  oasis 
de  l'extrême  Sud,  et  il  n'en  restera  plus  bientôt  de  trace  nulle  part. 
En  Tunisie,  où  notre  action  s'exerce  depuis  un  temps  beaucoup  plus 
court,  on  peut  encore  sans  doute  citer  quelques  exemples  isolés, 
principalement  dans  les  anciennes  familles,  qui  ont  gardé  leurs 
esclaves  par  tradition  ;  mais  le  nombre  en  diminue  tous  les  jours,  et 
nous  ne  tarderons  pas  à  le  voir  aussi  complètement  disparaître. 

Cependant,  notre  ministre  réaident,  pensant  avec  raison  que,  dans 
l'intérêt  même  de  l'honneur  français,  il  valait  mieux  traiter  secrète- 
ment avec  le  Bey  cette  question  délicate  que  d'en  faire  un  sujet  de 
controverse  et  de  débats  publics,  a  amené  doucement  Sidi-Ali-Bey 


ABOLITION    DE    L'ESCLAVAGE    EN    TUNISIE  583 

et  son  premier  ministre,  Si-El-Aziz,  à  prendre  une  décision  efficace 
pour  l'abolition  légale  de  l'esclavage  dans  la  Régence. 

M.  Massicault  m'avait  fait  l'honneur,  sachant  tout  l'intérêt  que  je 
porte  naturellement  à  une  telle  question,  de  m'entretenir  plusieurs 
fois  de  ses  intentions,  et  il  a  bien  voulu  me  communiquer  enfin  le 
texte  du  décret  qu'il  a,  d'après  les  instructions  de  M.  Ribot,  fait 
signer  païf  le  Key  à  cet  égard. 

Le  voici;  il  intéressera  certainement  tous  les  associés  de  notre 
Œuvre;  je  vous  prie  de  le  leur  communiquer,  en  attendant  qu'il  soit 
publié  par  rO/y^cter^untst^n,  ce  qui  se  fera,  m'assure-t-on,  dans  la 
présente  semaine. 

Croyez-moi,    cher   Monseigneur,     avec   un  dévouement    toujours 

paternel. 

Votre  affectionné  et  respectueux  serviteur, 

•j- Ch.  Cardinal  Lavigerie. 
Carthage,  le  26  mai  1890.  ■  ;•     .  . 

Décret  sur  l'Esclavage. 

Louanges  à  Dieu! 

Nous,  Sidi-Ali-Bev,  etc.,  etc. 

Vu  le  décret  de  notre  glorieux  prédécesseur,  Sidi-Ahmed-Bey, 
du  25  moharrem  1262  (23  janvier  1846),  portant  que,  par  les 
plus  hautes  considérations  de  religion,  d'humanité  et  de  poli- 
tique, l'esclavage  ne  sera  plus  reconnu  dans  la  Régence; 

Considérant  que,  depuis  lors,  d'expresses  recommandations 
de  nos  prédécesseurs  ont  supprimé  les  marchés  d'esclaves, 
ordonné  que  tous  ceux  qui  étaient  venus  dans  la  Régence  en 
cette  qualité  y  seraient  affranchis,  et  décidé  que  les  caïds  de- 
vraient, sous  les  peines  sévères,  signaler  au  gouvernement  les 
actes  d'esclavage  qui  arriveraient  à  leur  connaissance; 

Vu  notamment  la  circulaire  de  notre  premier  ministre  du 
5  redjeb  1304  (29  juin  1887)  adressée  aux  caïds  par  notre  ordre 
et  renouvelant  ces  prescriptions  ; 

Considérant  que  nous  tenons  à  honneur  de  nous  associer  aux 
nobles  pensées  qui  ont  inspiré  le  décret  du  25  moharrem  1262 
(23  janvier  1846),  et  qu'il  ne  peut  être  que  profitable  de  réunir 
en  une  seule  les  diverses  réglementations  existantes  qui  inter- 
disent et  punissent  l'esclavage  dans  nos  Etats; 

Avons  décrété  ce  qui  suit  : 

Art.  1".  —  L'esclavage  n'existe  pas  et  est  interdit  dans  la 
Régence;  toutes  créatures  humaines,  sans  distinction  de  na- 
tionalités ou  de  couleurs,  y  sont  libres  et  peuvent  également 
recourir,  si  elles  se  croient  lésées,  aux  lois  et  aux  magistrats. 


584  ANNALES    CATHOLIQUES  , 

Art.  II.  —  Dans  un  délai  de  trois  mois,  à  partir  de  la  promul- 
gation du  présent  décret,  tous  ceux  qui  emploient  en  domesti- 
cité, dans  nos  Etats,  des  nègres  ou  des  négresses,  devront,  s'ils 
ne  l'ont  déjà  fait,  remettre  à  chacun  d'eux  un  acte  notarié  visé 
parle  caïd  ou  son  représentant,  établi  aux  frais  du  maître  et 
attestant  que  le  serviteur  ou  la  servante  est  en  état  de  liberté. 

Art.  III.  —  Les  contraventions  à  l'article  précédent  seront 
punies  par  les  tribunaux  français  ou  indigènes,  selon  la  nationa- 
lité du  délinquant,  d'une  amende  de  200  fr.  à  2,000  fr. 

Art.  IV.  —  Ceux  qui  seront  convaincus  d'avoir  acheté,  vendu 
ou  retenu  comme  esclave  une  créature  humaine,  seront  punis 
d'un  emprisonnement  de  trois  mois  à  trois  ans. 

Art.  V.  —  L'article  463  du  code  pénal  français  sera  appli- 
cable aux  délits  et  contraventions  prévus  par  le  présent  décret. 

L'article  58  du  même  code  sera  applicable  en  cas  de  récidive. 

[Suivent  les  signatures.) 


LES  MEMOIRES  DE   TALLEYRAND 

M.  de  Blowitz  a  publié  dans  le  Times  un  article  fort  intéressant 
sur  les  mémoires  de  Talleyrand. 

Voici  la  traduction  de  son  article,  d'après  le  Figaro. 

Les  Mémoires  de  M.  de  7'a^ZeyrancZ  comprennent  douze  divi- 
sions depuis  son  enfance,  ses  études  au  collège  d'Harcourt,  son 
entrée  et  sa  sortie  du  séminaire,  jusqu'après  sa  mission 
diplomatique  à  Londres. 

Les  passages  relatifs  à  sa  famille  portent  le  cachet  d'une  sen- 
sibilité et  d'une  grâce  que  l'on  sera  stupéfait  de  trouver  sous  la 
plume  d'un  homme  que  les  jugemeuts  incomplets  du  monde 
considèrent  comme  incapable  de  ne  rien  éprouver  en  dehors  de 
l'implacable  égoïsme  que  donne  une  ambition  sans  mesure. 

Je  résumerai  ce  côté,  presque  touchant,  que  nous  révèlent 
ses  mémoires,  par  ce  rapide  portrait  de  sa  mère,  où  la  tendresse 
filiale  dévie  pourtant  promptement  vers  un  jugement  un  peu 
trop  absolu  porté  de  parti  pris  sur  quelque  tendance  particu- 
lière à  certains  hommes. 

«  Je  choisissais,  pour  aller  chez  ma  mère,  les  heures  où  elle 
était  seule. 

«  C'était  pour  jouir  davantage  des  grâces  de  son  esprit.  Per- 
sonne ne  m'a  jamais  paru  avoir  dans  la  conversation  un  charme 
comparable  au  sien. 


LES  MÉMOIRES  DE  TALLEYRAND  585 

«  Elle  n'avait  aucune  prétention.  Elle  ne  parlait  que  par 
nuances.  Jamais  elle  n'a  dit  un  bon  mot.  C'était  quelque  chose 
de  trop  exprimé.  Les  bons  mots  se  retiennent.  Elle  ne  voulait 
que  plaire,  et  perdre  ce  qu'elle  disait  :  une  richesse  d'expres- 
sions faciles,  nouvelles  et  toujours  délicates,  fournissait  aux 
besoins  variés  de  son  esprit.  Il  m'est  resté  de  cela  un  grand 
éloignement  pour  les  personnes,  qui,  afin  de  parler  avec  plus 
d'exactitude,  n'emploient  que  des  termes  techniques.  » 

Il  dira  dans  un  autre  endroit,  toujours  sous  la  même  impres- 
sion dont  on  vient  de  parler  : 

«  Je  ne  crois  ni  à  l'esprit  ni  à  la  science  des  gens  qui  ne  con- 
naissent pas  les  équivalents  et  qui  définissent  toujours. 

«  C'est  à  leur  mémoire  seule  qu'ils  doivent  ce  qu'ils  savent, 
et  alors  ils  savent  mal.  » 

Dans  la  première  partie  de  ses  mémoires  que  je  continue  à 
feuilleter  en  courant,  le  prince  de  .Talleyrand  s'étend  longue- 
ment sur  le  ministère  du  duc  de  Choiseul  et  sur  la  politique  de 
l'ancien  régime  qu'il  juge  avec  une  grande  hauteur,  ne  se  mon- 
trant sévère  que  pour  les  fautes  que  l'on  aurait  pu  éviter  sans 
trop  d'efi'orts,  et  dans  les  longues  pages  dans  lesquelles  il  juge 
ainsi  ce  régime,  il  montre  une  profondeur  réelle.  Mais,  là  aussi, 
sans  afiectation  aucune,  il  échappe  à  l'aridité  du  sujet,  non 
seulement  par  la  profondeur  saisissante  de  ses  vues,  mais 
encore  par  la  finesse  et  la  malice  pénétrante  avec  laquelle,  che- 
min faisant,  il  évoque  des  portraits  d'hommes  et  de  femmes, 
tels  que  celui  de  Mme  de  Pompadour  et  de  la  Dubarry,  à  propos 
de  laquelle  je  saisis  au  passage  ce  trait,  à  la  fois  aimable  et 
sanglant  : 

«  Elle  était  supérieure  aux  voies  subalternes  par  lesquelles 
elle  était  parvenue.  » 

En  continuant  l'appréciation  de  l'ancien  régime,  il  s'arrête 
longuement  aussi  à  la  peinture  à  la  fois  intime  et  vivante  de 
l'ancienne  société  française,  dont  la  puissance  était  si  grande 
à  cette  époque,  et  dans  laquelle,  suivant  son  expression,  c  on 
éprouvait  un  si  grand  charme  à  vivre.  » 

Ailleurs  il  dit  que,  dans  son  installation  à  Bellechasse,  il  lui 
arrivait  souvent  de  réunir  le  duc  de  Lauzun-Byron,  Pachot,  le 
célèbre  banquier;  Chamfort,  le  grand  humouriste  ;  Narbonne, 
Choiseul  Gouffier,  son  ami  d'enfance;  Mirabeau,  Dupont  de  Ne- 
mour,  et,  dans  ces  conversations,  on  s'occupait  surtout  du  traité 


586  ANNALES    CATHOLIQUES 

de  commerce  entre  l'Angleterre  et  la  France  (1786)  qui  venait 
d'être  conclu  : 

€  Les  cabinets  de  Versailles  et  de  Londres  étaient  partisans 
du  traité.  Des  avantages  réciproques  devaient  en  résulter. 

■«  L'époque  était  favorable.  Depuis  1763,  les  antipathies  na- 
tionales paraissaient  éteintes;  et  aussitôt  après  la  reconnais- 
sance de  l'indépendance  des  États-Unis  par  l'Angleterre,  dès 
communications  fréquentes  entre  la  France  et  la  Grande-Breta- 
gne avaient  détruit  bien  des  prév-entions. 

«  Les  moeurs  anglaises  étaient  effrayées  par  le  luxe  français. 
Des  relations  trop  suivies  pouvaient  faire  craindre  la  concur- 
rence de  notre  industrie,  dans  des  travaux  où  l'industrie  an- 
glaise n'avait  pas  encore  atteint  la  supériorité.  » 

Il  explique  ensuite  que  ce  traité  provo((ua  rapidement  en 
France  un  mouvement  d'opinion  défavorable,  qui  paralysa  l'en- 
thousiasme du  Midi  en  faveur  du  traité.  «  C'était,  déjà,  l'éter- 
nelle opposition  des  villes  maritimes  et  des  villes  industrielles  »; 
et  il  termine  ces  réflexions  si  vraies  encore  aujourd'hui,  par  la 
page  suivante  : 

«  La  Normandie,  si  habile  dans  la  défense  de  ses  intérêts 
propres,  si  importante  par  sa  richesse  et  sa  population,  avait 
été  la  première  à  manifester  son  opposition. 

«  Elle  publia  un  long  mémoire  contre  le  traité;  la  voix  des 
consommateurs  fut  étouffée,  et  le  traité  devint  un  sujet  de 
blâme  contre  le  gouvernement.  » 

Ne  dirait-on  pas  que  ces  pages  sont  écrites  d'hier  ?  Plus  loin, 
Talleyrand,  devenu  négociateur  du  clergé  Inegociorum  gestor), 
explique  comment  ce  fut,  dans  les  assemblées  générales  du 
clergé,  qu'il  prit  l'habitude  de  la  parole  publique,  qui  devait  faire' 
plus  tard  de  lui  le  grand  orateur  écouté  de  la  Constituante. 

Arrivant  aux  préliminaires  de  la  Révolution  sur  laquelle  il 
s'étend  plus  que  sur  la  Révolution  elle-même,  je  trouve  le 
curieux  passage  suivant.  Talleyrand,  dans  ces  lignes,  semble 
vouloir  dégager  sa  responsabilité  dans  les  événements  dans  les- 
quels, malgré  tout,  malgré  ses  efforts  et  l'habileté  diplomatique 
qu'il  met  à  s'en  défendre,  il  joua  un  rôle  si  considérable  et  eut 
une  part  si  prépondérante. 

«  Si  les  historiens  s'évertuent  à  chercher  les  hommes  aux- 
quels ils  peuvent  décerner  l'honneur,  ou  adresser  le  reproche 


LES   MÉMOIRES   DE   TALLEYRAND  587 

d'avoir  fait,  ou  dirig-é  ou  modifié  la  Révolution  française,  ils  se 
donneront  une  peine  superflue.  Elle  n'a  point  d'auteur,  de  chef 
ni  de  guide.  Elle  a  été  semée  par  les  écrivains,  qai,  dans  un 
siècle  éclairé  et  entreprenant,  voulant  attaquer  les  préjugés, 
ont  renversé  les  principes  religieux  et  sociaux,  et  par  les  minis- 
tres inhabiles  qui  ont  augmenté  la  détresse  du  Trésor  et  le 
mécontentement  du  peuple.  » 

Comme  dans  ses  mémoires  que  nous  sommes  en  train  de  par- 
courir, Talleyrand  s'étend  peu  sur  la  Révolution  elle-même, 
dont  il  étudie,  presque  minutieusement,  les  causes  premières. 

Je  cite  ici  un  passage  caractéristique  qui  juge,  avec  une  sévé- 
rité concise^  un  des  actes  les  plus  graves  de  la  Constituante,  je 
veux  dire  de  la  constitution  civile  du  clergé. 

Ce  jugement,  quand  on  songe  à  l'esprit  subtil  de  Talleyrand, 
à  la  facilité  avec  laquelle  il  se  résignait  aux  fautes  quand  elles 
ne  lui  semblaient  pas  dangereuses,  ce  jugement  formulé  avec 
une  énergie  qui  étonne  dans  sa  bouche,  est  la  condamnation  la 
plus  frappante  qui  puisse  atteindre  la  mesure  révolutionnaire 
prise  par  la  Constituante  ; 

«  Je  ne  crains  pas  de  reconnaître,  quelque  part  que  j'aie  eue 
dans  cette  oeuvre,  que  la  constitution  civile  du  clergé,  décrétée 
par  l'Assemblée  constituante,  a  été,  peut-être,  la  plus  grande 
faute  de  cette  Assemblée.  » 

Avec  une  habileté  rare,  Talleyrand,  dans  ses  mémoires,  sait 
éviter  l'aridité  ordinaire  à  ce  genre  de  littérature.  Il  les  par- 
sème de  portraits  rapides,  saisis  au  vol,  et  fixe  dans  sa  course, 
parfois  légère,  les  traits  saillants  des  personnages  nombreux, 
avec  lesquels  ses  opinions  variées  l'avaient  mis  en  rapport. 

Je  ne  puis  résister  au  désir  de  reproduire  ici  quelques  traits 
du  portrait  qu'il  trace  de  Sieyès  : 

«  Ce  qu'il  appelle  un  principe  est  dans  ses  mains  un  sceptre 
d'airain,  qui  ne  se  plie  ni  aux  imperfections  dô  la  nature  ni  aux 
faiblesses  de  l'humanité. 

«  Les  hommes  sont,  à  ses  yeux,  des  échecs  à  faire  mouvoir, 
ils  occupent  son  esprit,  mais  ils  ne  disent  rien  à  son  cœur. 

«  Le  seul  sentiment  qui  exerce  une  véritable  influence  sur 
Sieyès,  c'est  la  peur.  Il  ne  se  déroge  jamais  jusqu'à  être  aimable, 

«  C'est  un  chef  d'opinion,  car  il  a  le  don  de  faire  prévaloir  la 
sienne;  ce  n'est  pas  un  chef  de  parti,  parce  que,  si  on  l'écoute 
avec  déférence,  on  le  suit  sans  enthousiasme.  » 


588  A.NNALKS  CATHOLIQUES 

Plus  tard,  lorsqu'on  lui  reproche  de  conspirer,  il  s'écrie  avec 
une  animation  qui  donne  à  son  cri  patriotique  une  saveur  parti- 
culière, mais  que  la  postérité  hésitera,  peut-être,  à  prendre  au 
tragique  : 

«  Je  n'ai  conspiré  dans  ma  vie  qu'aux  heures  oii  j'avais  la 
majorité  de  la  France  pour  complice,  et  oii  je  cherchais,  avec 
elle,  le  salut  de  ma  patrie.  » 

Par  une  succession  rapide  des  événements  et  des  transforma- 
tions politiques  qu'ils  amènent,  on  assiste,  en  parcourant  ses 
mémoires,  à  la  naissance  de  ses  relations  avec  Bonaparte  et  de 
sa  rupture  avec  Napoléon  : 

«  J'aimais  Napoléon,  dit-il,  je  m'étais  attaché  même  à  sa  per- 
sonne, malgré  ses  défauts.  A  son  début,  je  m'étais  senti  en- 
traîné vers  lui,  par  cet  attrait  irrésistible  qu'un  grand  génie 
porte  dans  lui.  Ses  bienfaits  avaient  provoqué  en  moi  une  recon- 
naissance sincère... 

«  Ma  franchise  me  justifie  devant  ma  conscience  de  m'être 
séparé  de  sa  politique  d'abord,  puis  de  sa  personne,  quand  il 
était  arrivé  à  mettre  en  péril  la  destinée  de  ma  patrie.  » 

Mais,  déjà,  on  voit  apparaître  une  scission  que  Talleyrand 
annonçait  d'avance,  dont  il  s'efforcera  d'atténuer  les  causes,  de 
nier  les  conséquences,  luttant  de  toute  son  habileté  opiniâtre 
contre  le  jugement  que  les  générations  futures  porteront  sur 
cette  rupture,  et  que  lui  reprocheront  les  admirateurs  ardents 
de  l'Empereur. 

En  1813,  dit-il,  il  refuse  l'offre  que  lui  fait  Napoléon  de 
reprendre  le  ministère  des  affaires  étrangères,  et,  en  1814, 
raconte-t-il  plus  loin,  l'Empereur,  à  Fontainebleau,  reprochait 
à  Caulaincourt  de  l'avoir  empêché  de  faire  fusiller  son  admira- 
teur ardent  de  la  première  heure,  devenu  son  plus  acharné 
adversaire. 

Aussi,  ne  faut-il  pas  s'étonner  si  l'on  trouve,  sous  la  plume 
de  l'auteur  de  ces  mémoires,  ce  jugement  dur  qu'il  applique  à 
Napoléon,  et  qu'il  n'aurait  pas  porié  sur  Bonaparte,  cette  sévé- 
rité sans  regrets,  que  le  captif  de  Sainte-Hélène  lui  rendit  d'ail- 
leurs avec  volupté  et  avec  usure  : 

«  Cet  homme  fut  doué  d'une  force  intellectuelle  très  grande, 
mais  il  n'a  pas  compris  la  véritable  gloire.  Sa  force  morale  fut 
très  petite,  ou  nulle.  Il  n'a  pu  supporter  la  prospérité  avec 
modération,  ni  l'infortune  avec  dignité,  et  c'est  parce  que  la 


CENTENAIRE    DE    L'uNIVERSITÉ    DE    MONTPELLIER  589 

force  morale  lui  a  manqué  qu'il  a  fait  le  malheur  de  l'Europe  et 
le  sien  propre.  » 

«  C'est  parce  qu'il  n'a  pu  supporter  l'infortune  avec  dignité.  » 

On  écrirait  des  volumes  sur  cette  phrase,  qui  se  réalise  pres- 
que sans  cesse  et  dont,  je  le  crains,  un  exemple  tout  à  fait 
actuel  est  en  train  de  confirmer  la  vérité. 

J'ai  vu  tomber,  pour  ma  part,  bien  des  hommes  du  pouvoir, 
et  quelques-uns  du  pouvoir  suprême,  et  je  constate  avec  stupeur 
que  la  révolte  contre  la  disgrâce  est  en  raison  directe  du  génie 
de  celui  qui  tombe. 

De  tous  ceux  que  j'ai  vu  tomber,  le  maréchal  de  Mac-Mahon 
est  presque  le  seul  qui  ait  gardé  sa  dignité  intacte,  qui  y  ait 
même  ajouté  par  la  noblesse  de  son  attitude  et  la  simplicité  de 
sa  philosophie,  et  cet  exemple  est  fait  pour  confirmer  ma  théorie. 

D'ailleurs,  on  comprend  aisément  le  rapide  désaccord  qui 
devait  surgir  entre  ces  deux  hommes,  dont  l'un  rêvait  d'établir 
la  politique  future  sur  la  réconciliation  de  l'Europe,  tandis  que 
l'autre  poursuivait  le  rêve  d'une  monarchie  universelle,  dont  il 
aurait  été  à  la  fois  l'âme,  la  cervelle  et  le  maître. 

On  le  comprendra  mieux  encore,  en  lisant  l'anecdote  suivante, 
qui,  je  crois,  n'est  pas  absolument  inédite,  mais  que  Talleyrand, 
dans  ses  mémoires,  reproduit  d'une  façon  circonstanciée  d'après 
son  fidèle  collaborateur  La  Benardiére  : 

«  Le  15  mars  1814,  on  ofi'rait  encore  à  Napoléon  les  limites 
de  la  France  de  1789,  et  Napoléon  répondit  à  La  Benardiére  : 
«  Je  ne  puis  faire  la  paix  sur  la  base  des  anciennes  limites.  Les 
Bourbons  seuls  pourront  la  faire.  J'abdiquerai  plutôt.  Je  ren- 
trerai sans  répugnance  dans  la  vie  privée.  J'ai  peu  de  besoins, 
500  sous  par  jour  me  suffisent.  Je  voulais  faire  des  Français  le 
peuple  le  plus  grand  de  la  terre. 

«  Si  personne  ne  veut  se  battre,  je  ne  puis  faire  la  guerre 
tout  seul.  Si  la  nation  veut  la  paix,  sur  la  base  de  nos  anciennes 
limites,  je  vous  dirai  :  Cherchez  qui  vous  gouverne,  je  suis  trop 
grand  pour  vous  !  »  Blowitz. 


LE  CENTENAIRE  DE  L'UNIVERSITE  DE  MONTPELLIER 
Les  fêtes  pour  le  6«  centenaire  de  l'Université  de  Montpellier 
ont  commencé  le  22  mai.  Dans  une  allocution  prononcée  le  jour 
de  Pâques,  Mgr  de  Cabriéres  avait  annoncé  et  caractérisé  la 
participation  du  clergé  à  cô6  solennités.  Le  Souverain  Pontife  a 


590  ANNALES    CATHOLIQUES 

voulu  y  être  représenté  par  le  R.  P.  Denifle,  des  Frères-Prê- 
cheurs, sous-bibliothécaire  de  l'Eglise  romaine. 

Elles  ont  été  inaugurées  à  la  cathédrale  par  une  messe  pon- 
tificale célébrée  par  Mgr  Thomas,  évêque  d'Andrinople,  à 
laquelle  ont  assisté  les  autorités  universitaires,  tous  les  officiers 
supérieurs  de  la  garnison,  de  nombreux  magistrats,  des  déléga- 
tions étrangères  et  les  étudiants  de  Montpellier. 

Après  la  messe,  Mgr  de  Cabriéres  a  prononcé  un  discours  dans 
lequel  il  a  retracé  éloquemment  la  glorieuse  histoire  de  l'Univer- 
sité de  Montpellier  et  a  loué  spécialement  l'école  de  médecine  qui, 
detout  temps,  jeta  un  si  vif  éclat.  Il  a  cité  en  dernier  lieu  l'inscrip- 
tion placée  à  la  porte  de  l'évêché  :  Deo  optimo  maximoy  scien- 
iiarum  Domino,  Beaiœ  Mariœ  Virgini,  sedi  sapientiœ.  C'est 
là,  en  quelques  mots,  l'histoire  de  l'ancienne  Université. 

Dans  l'après-midi  a  eu  lieu  la  réception  des  délégués  étran- 
gers, au  palais  de  l'Université.  Il  y  a  eu  là  force  discours, 
rapports,  proclamations  de  prix,  le  tout  à  l'honneur  de  la  mé- 
moire du  savant  Bouisson,  dont  la  libéralité  a  permis  d'instituer 
le  concours.  En  cette  séance,  comme  dans  la  réception  du  soir, 
la  cordialité  a  été  parfaite. 

Le  soir  les  rues  de  la  ville  ont  pris  un  aspect  féerique  :  des 
multitudes  de  lanternes  vénitiennes  et  des  cordons  de  lampions 
multicolores  éclairaient  la  façade  des  maisons  particulières.  Mais 
les  monuments  publics  appartenant  à  l'Etat  ou  à  la  ville  n'ont 
pas  été  illuminés. 

Dans  son  allocution  au  président  de  la  République  qui  se 
trouvait  à  Montpellier  au  commencement  des  fêtes,  Mgr  de  Ca- 
briéres s'est  exprimé  ainsi  : 

Si  la  dépendance  de  l'Université  via-à-vis  de  l'Eglise  a  cessé  ici 
comme  partout  en  France,  du  moins,  à  Montpellier,  une  alliance  vo- 
lontaire et  honorable  continue  à  les  unir.  L'Eglise  remplit  modeste- 
ment sa  noble  mission,  et  devant  vous,  monsieur  le  président,  je 
remercie  messieurs  les  professeurs  de  nos  Facultés  du  respect  qu'ils 
témoignent  à  la  religion.  Ce  concert  si  précieux  est  un  gage  d'espé- 
rance pour  la  patrie. 

Vous  voudrez  bien  y  applaudir  et  le  consacrer  par  votre  suffrage. 

M.  Carnot  a  répondu  : 

Je  suis  heureux  de  vous  voir,  avec  votre  clergé,  associer  à  l'amour 
de  l'enseignement  les  grandes  pensées  patriotiques  que  vous  venez 
d'exprimer  et  que  je  partage  avec  vous. 

Les  fêtes  de  Montpellier  ont  continué  les  jours  suivants,  par 


CENTENAIRE   DE   l'uNIVERSITÉ  DE  MONTPELLIER  591 

de  nouvelles  réceptions,  et   les  visites  faites  aux  différentes 
-  Facultés. 

Après  leur  clôture,  Mgr  de  Cabrières  a  adressé  au  clergé  et 
aux  fidèles  de  la  ville  de  Montpellier  une  lettre  dans  laquelle 
il  dit: 

Je  vous  remercie,  messieurs  et  mes  frères,  d'avoir  dépassé  toutes 
mes  espérances,  et  d'avoir,  soit  par  la  prodigieuse  affluence  de  votre 
concours  aux  deux  cérémonies  de  Saint-Pierre,  soit  par  la  splendeur 
de  vos  illuminations,  montré  aux  étrangers  comment  vous  saviez 
appeler  les  pompes  religieuses  à  relever  et  à  embellir  les  nobles  sou- 
venirs de  vos  annales. 

M.  Bourgeois,  ministre  de  l'instruction  publique,  dans  son 
discours  prononcé  à  Montpellier  a  promis  une  loi  prochaine  por- 
tant rétablissement  des  Universités. 

A  propos  de  cette  promesse,  M.  Arthur  Loth,  écrit  dans 
r  Univers  : 

Les  Universités  dont  l'Etat  promet  de  reconnaître  l'existence,  ai 
elles  arrivent  à  se  constituer,  ne  seront  pas  les  anciennes  Universités. 
Celles-ci  avaient  leur  vie  propre  et  s'administraient  elles-mêmes, 
elles  jouissaient  de  droits  et  de  prérogatives  qui  étaient  la  sauve- 
garde de  leur  existence,  la  garantie  de  leur  prospérité.  C'est  à  la  fa- 
veur de  cette  autonomie  qu'elles  ont  vécu  pendant  de  longs  siècles, 
ayant  chacune  leur  centre  d'action,  leur  originalité  d'enseignement, 
leur  influence  locale. 

Sous  le  régime  de  la  Révolution,  il  ne  peut  plus  être  question  de 
privilèges  ni  d'indépendance.  Tout  est  d'Etat,  l'enseignement  comme 
le  reste.  Il  n'y  a  de  liberté,  dans  tous  les  ordres  de  choses,  que  sous 
la  tutelle  et  la  surveillance  de  l'Etat.  Sous  prétexte  que  l'enseigne- 
ment public  à  tous  ses  degrés  doit  rester  national,  c'est-à-dire  ré- 
publicain et  révolutionnaire,  le  ministre  enteni  que  les  futures  Uni- 
versités n'auront  ni  existence  propre,  ni  juridiction  particulière, 
qu'elles  vivront  sous  l'autorité  du  ministère  de  l'instruction  pu- 
blique, et  que  l'Etat  conservera  la  nomination  des  professeurs,  la  di- 
rection et  le  contrôle  de  l'enseigneraent,  l'administration  générale. 
Il  n'est  question  pour  ces  Universités  que  d'une  certaine  indépen- 
dance organique  qui  fait  qu'elles  formeront  des  centres  distincts  et 
qu'elles  auront  quelque  initiative  intérieure. 

Ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  fondera  rien  de  bon  ni  de  durable.  On 
peut  dire  que  la  même  loi  qui  créera  les  futures  Universités  les 
tuera.  D'avance,  elles  manqueront  de  la  condition  essentielle  de  la 
vie.  Il  est  impossible,  avec  les  idées  révolutionnaires,  avec  la  centra- 
lisation administrative,  de  fonder  des  Universités.  Tout  au  plus 
pourra-t-on,  avec  le  projet   de  loi   en  préparation,  donner  quelque 


592  ANNALES   CATHOLIQUES 

conaistance  nouvelle  aux  Facultés  déjà  existantes  et  ranimer  en  elles 
un  semblant  d'activité.  Les  ceatres  de  la  vie  intellectuelle  supposent 
des  centres  de  vie  locale  comme  il  n'en  existe  plus  eu  France  depuis 
la  Révolution. 

La  reconstitution  des  Universités  exigerait  d'abord  la  décentralisa- 
tion des  provinces.  Qui  y  songe  aujourd'hui  ?  Au  moins  faudrait-il 
donner  la  liberté  d'enseignement.  Jamais  la  république  n'y  consen- 
tira, de  peur  que  la  liberté  ne  profite  d'abord  à  l'Eglise.  Elle  aime 
mieux  garder  son  monopole  et  maintenir  la  suprématie  de  l'Etat,  au 
risque  d'étouffer  ses  propres  établissements  d'instruction  et  tout 
l'enseignement  sous  un  lourd  despotisme.  Le  ministre  a  beau  parler 
d'un  projet  de  loi.  Ce  n'est  pas  la  loi  qui  peut  créer  des  Universités, 
développer  la  vie  intellectuelle  du  pays,  donner  de  l'essor  aux 
sciences  et  aux  esprits  ;  sans  la  liberté  on  ne  fera  rien. 


NOUVELLES  RELIGIEUSES 
Rome  et  l'Italie. 

Le  prochain  Consistoire  vient  d'être  fixé  définitivement  au 
23  du  mois  courant.  Dans  celui-ci,  le  Saint-Père  nommera  les 
nouveaux  cardinaux  et  plusieurs  évêques.  Le  Consistoire  public, 
dans  lequel  les  nouveaux  cardinaux  recevront  le  chapeau  gale- 
rum  rubrum  aura  lieu  le  jeudi  suivant,  26  du  mois.  Le  pre- 
mier Consistoire,  qu'on  appelle  Consistoire  secret  parce  que 
personne  n'y  est  admis  à  l'exception  du  Pape  et  des  cardinaux, 
se  réunit  dans  une  salle  du  palais  tout  près  des  appartements 
pontificaux,  à  côté  de  la  salle  Clémentine,  ou  salle  des  Suisses. 
Le  Consistoire  public,  au  temps  de  Pie  IX,  avait  lieu  dans  la 
salle  ducale,  au  premier  étage  du  palais,  dans  la  partie  la  plus 
ancienne,  bâtie  par  Jules  II  et  par  Alexandre  VI;  maintenant 
on  a  quitté  cette  salle  pour  la  sala  regia,  qui  donne  accès  aux 
chapelles  Sixtine  et  Pauline.  Je  crois  qii'on  a  changé  de  salle, 
parce  que  celle-ci  est  plus  vaste  et  aussi  plus  riche  par  les 
marbres  et  les  peintures  qui  ornent  les  murs  et  les  décorations 
de  layoûte,  qui  sont  une  merveille. 

Des  nouveaux  cardinaux,  deux  seulement  se  trouveront  à 
Rome  à  l'époque  du  Consistoire,  NN,  SS.  Mermillod  et  Galeati. 
Les  deux  autres,  NN.  SS.  Dunajewski  et  Vannutelli,  recevront 
les  billets  de  participation  et  les  insignes  de  leur  nouvelle 
dignité  chez  eux;  c'est-à-dire,  Mgr  Dunajewski  à  Cracovie, 
Mgr  Vannutelli  à  Lisbonne. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  593 

On  coanaît  l'usage.  Le  Consistoire  secret  est  à  peine  fini 
qu'un  garde-noble  part  de  Rome  portant  au  nouveau  cardinal 
sa  nomination  à  la  pourpre  et  la  calotte  rouge,  avec  l'ordre  de 
se  rendre  à  sa  destination  le  plus  tôt  possible.  Quelques  jours 
après,  c'est  le  tour  d'un  prélat,  qui,  avec  le  titre  à' Ablégat,  est 
envoyé  au  chef  de  l'Etat  où  le  nouveau  cardinal  demeure,  pour 
lui  présenter  la  huile  avec  laquelle  le  Saint-Père  le  prie  et  l'au- 
torise à  le  représenter  dans  la  cérémonie  de  l'imposition  de  la 
Berretia.  Le  garde-noble  est  simplement  un  courrier  de  cabi- 
net; le  prélat  est  un  véritable  envoyé  extraordinaire,  un  diplo- 
mate du  moment. 

Les  noms  des  deux  prélats  qui  auront  cette  fois  la  mission 
d'Ablégats,  on  les  connaît  déjà.  Pour  le  cardinal  Dunaje-wski, 
l'Ablégat  sera  Mgr  Ladislas  Meszczynski  (lisez  à  peu  prés  : 
Michinski),  un  Polonais  très  aimable  et  très  intelligent,  qui  vit 
depuis  plusieurs  années  avec  Son  Eminence  le  cardinal  Lédo- 
chowski  et  est  son  secrétaire  et  son  ami;  l'Ablégat  qui  doit 
remplir  sa  mission  à  Lisbonne  est  Mgr  Jules  Jonti,  auditeur  de 
la  nonciature  du  Portugal  et  qui  par  conséquent  est  déjà  à  des- 
tination. 

Pour  ce  qui  regarde  les  gardes-nobles,  on  ignore  jusqu'ici 
sur  qui  tombera  le  choix.  On  parle  du  marquis  Cavaletti  et  du 
comte  Alvarez  de  Castro.  Le  premier  est  frère  du  marquis 
Cavaletti  qui  était  sénateur  de  Rome  au  20  septembre  1870;  le 
second,  comme  on  le  voit  par  son  nom,  appartient  à  une  noble 
famille  portugaise,  venue  en  Italie  depuis  plusieurs  générations. 
Son  père  aussi  appartient  au  corps  des  Gardes-Nobles,  danr-î 
lequel  il  a  le  grade  d'officier. 


Il  est  à  prévoir  que  la  prochaine  allocution  consistoriale  aura 
notamment  pour  objet  de  protester  encore  une  fois  contre  le 
projet  de  loi  sur  les  Œuvres  pies  qui  va  être  définitivement 
approuvé  ces  jours-ci  par  le  Parlement  italien.  On  sait  que  le 
Sénat,  dans  un  moment  de  courage  passager,  en  avait  rejeté, 
entre  autres,  l'article  87  comme  trop  ouvertement  contraire  à 
la  volonté  des  fondateurs.  Or,  Vltalie  annonce  qu'en  vue 
d'éviter  un  conflit  entre  les  deux  Chambres,  les  membres  de  la 
commission  chargée  d'examiner  de  nouveau  le  projet  sur  les 
Œuvres  pies  sont  tombés  d'accord  pour  introduire  dans  le  pro- 
jet quelques-unes  des  modifications  apportées  par  le  Sénat,  tout 

43 


594  ANNALES   CATHOLIQUES 

en  laissant  inaltéré  le  principe  consacré  par  l'article  87,  à 
savoir  la  transformation  au  bon  plaisir  du  gouvernement  de 
celles  des  Œuvres  pies  qu'il  ne  croit  plus  répondre  aux  ten- 
dances et  aux  besoins  présents. 

En  somme,  la  commission  de  la  Chambre  et  M.  Crispi  avec 
elle  reculent  en  partie  sur  des  points  accessoires,  espérant  que 
le  Sénat  fera  le  reste  du  chemin  en  rétablissant  l'article  87. 
Cette  solution  sera  une  vraie  comédie,  bien  digne  du  parlemen- 
tarisme italien. 

Le  nouvel  envoyé  britannique,  sir  Dingli,  premier  juge  du 
Tribunal  civil  de  Malte,  et  qui  serait  chargé  de  poursuivre 
auprès  du  Saint-Siège  la  mission  commencée  par  le  général 
Simmons,  est  attendu  à  Rome  dans  un  mois.  Il  vient  d'annoncer 
lui-même  dans  une  lettre  qu'il  arrivera  vers  la  fin  de  juin  ou  au 
commencement  de  juillet;  mais  il  ne  dit  point  avoir  reçu  de 
mission  de  son  gouvernement.  11  peut  se  faire,  en  effet,  qu'au 
lieu  de  remplir  une  mission  officielle  proprement  dite,  il  vienne 
simplement  préparer  le  terrain  à  celle  qui  serait  ensuite 
confiée  à  lui-même  ou  à  un  autre  personnage.  Il  s'agirait  cette 
fois  de  toute  une  nouvelle  phase  de  négociations  particulière- 
ment importantes,  dans  le  double  but  de  compléter,  d'une  part, 
ce  qui  a  été  commencé  par  le  général  Simmons  au  sujet  de 
rétendue  de  juridiction  à  assigner  à  l'Ordinaire  de  Malte,  et, 
d'autre  part,  de  modifier  l'organisation  actuelle  de  la  hiérarchie 
aux  Indes  occidentales,  de  manière  à  sauvegarder  les  légitimes 
intérêts  des  catholiques  anglais  dans  cette  partie  des  Indes,  et 
d'assurer  en  même  temps  aux  traditions  acquises  par  le  Por- 
tugal et  confirmées  par  le  Concordat  de  1886  le  maintien  du 
patriarcat  de  Goa.  A  l'époque,  en  effet,  où  fut  stipulé  ce  concor- 
dat, l'Angleterre  n'avait  pas  eu  encore  de  rapports  officiels  avec 
le  Saint-Siège,  tandis  que,  depuis  la  mission  Simmons,  elle  est 
fondée  à  réclamer  que  la  hiérarchie  catholique  dans  la  partie 
des  Indes  rattachée  au  patriarcat  de  Goa  soit  réorganisée  de 
manière  à  assurer  aux  sujets  britanniques  une  administration 
religieuse  confiée  à  des  prélats  anglais.  Dès  lors,  il  j  aurait 
lieu,  tout  en  laissant  subsister  le  patriarcat  de  Goa  avec  juri- 
diction sur  quelques  évêchés,  de  réduire  le  nombre  de  ces  évê- 
chés  suffragants  et  d'y  nommer  des  évêques  anglais  là  où  la 
colonie  britannique  est  plus  considérable  par  le  nombre  et  par 
l'importance. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  595 


France. 


Par  décret  du  Président  de  la  République  : 

Mgr  Lécot,  évêque  de  Dijon,  est  promu  à  l'archevêché  de 
Bordeaux  ; 

Mgr  Oury,  évêque  de  Fréjus,  est  transféré  à  l'évèché  de 
Dijon; 

M.  Mignot,  vicaire  général  du  diocèse  de  Soissons,  est 
nommé  à  l'évèché  de  Fréjus  ; 

M.  Hautin,  vicaire  général  du  diocèse  d'Orléans,  est 
nommé  à  l'évèché  d'Evreux. 

Paris.  —  Si  la  capitale  de  la  France  donne  parfois  des  spec- 
tacles capables  de  réjouir  l'enfer,  elle  offre  aussi  des  manifes- 
tations glorieuses  pour  le  ciel,  consolantes  pour  les  temps  trou- 
blés que  nous  traversons  et  pleines  d'espérances  pour  l'avenir 
chrétien  de  notre  bien-aimé  pars. 

Dimanche,  un  temps  magnifique  a  favorisé  les  manifestations 
religieuses  de  la  Fête-Dieu  et  toutes  les  paroisses  de  Paris  ont 
rivalisé  de  zèle  et  de  piété.  Il  en  est  de  privilégiées,  parce  que 
Jésus-Hostie  peut  apparaître  à  la  vue  de  tous  sous  les  portiques 
de  leurs  belles  églises  :  Saint-Sulpice,  Sainte-Madeleine,  Saint- 
Augustin,  Sainte-Clotilde. 

Sur  la  place  Saint-Sulpice,  la  foule  des  fidèles  était  plus  com- 
pacte que  jamais  pour  contempler  le  défilé  imposant  et  majes- 
tueux du  séminaire  et  du  clergé  de  cette  éminente  paroisse, 
sous  le  vaste  péristyle,  au  milieu  des  chants  vraiment  majes- 
tueux et  religieux,  de  la  plus  belle  harmonie  des  cloches  de  nos 
églises.. Moment  bien  solennel  et  bien  émouvant  que  celui  où  le 
divin  Maître  bénit  cette  assemblée  prosternée  dans  le  silence  de 
l'adoration  et  des  supplications  les  plus  intimes  d'une  ardente 
piété. 

A  Saint-Roch,  paroisse  aussi  très  religieuse,  nous  admirions 
le  zélé  toujours  infatigable  de  M,  le  curé,  qui,  malgré  ses  qua- 
tre-vingt-un ans,  commençait  par  se  faire  l'ordonnateur  de  la 
procession,  dont  les  deux  extrémités  se  touchaient,  quelque 
vaste  que  soit  l'église,  puis,  tout  étant  bien  disposé,  retournait 
à  la  sacristie  revêtir  les  ornements  sacerdotaux  pour  porter  le 
Saint-Sacrement. 

Dans  cette  procession,  on  comptait  plus  de  cinq  cents  jeunes 


596  ANNALES    CATUOLIQUBS 

filles  dirigées  par  les  Sœurs  de  Saint-Cliarles  et  de  Saint- Vin- 
cent de  Paul,  marchant  sous  leurs  bannières,  couronnées  de 
roses  et  portant  à  la  main  un  lys  ou  une  rose  rouge  ou  blanche. 
La  musique  instrumentale,  l'orgue  et  les  chants  du  chœur  ne 
laissaient  rien  à  désirer. 

A  Saint-Augustin,  le  reposoir  élevé  en  face  du  boulevard 
Haussmann  était  merveilleux  d'arbustes,  de  fleurs  et  de  riches 
décorations.  Une  musique  d^amateurs  ravissait  les  oreilles,  et 
les  chants  étaient  d'une  exécution  fort  remarquable.  Nombre  de 
vaillants  chrétiens  escortaient  le  dais  un  cierge  à  la  main.  Nous 
avons  remarqué  parmi  ceux  qui  tenaient  les  cordons  du  dais, 
M.  Chesnelong,  dont  le  fils  est  vicaire  en  cette  paroisse. 

Mais  c'est  l'église  de  la  Madeleine  qui  est  la  mieux  disposée 
pour  favoriser  le  spectacle  de  la  procession  de  la  Fête-Dieu. 
Sorti  à  midi,  le  cortège  a  mis  une  heure  à  parcourir  la  magni- 
finue  colonnade,  ornée  de  tentures  rouges  frangées  d'or,  ayant 
peine  à  se  frayer  passage  au  milieu  d'une  foule  très  nombreuse, 
mais  recueillie  et  en  bon  ordre,  bien  qu'il  n'y  eût  aucun  agent 
pour  la  maintenir. 

C'est  au  chevet  de  l'église,  en  face  de  la  rue  Tronchet,  que  se 
dressait  le  magnifique  reposoir.  Il  était  beau  de  voir  échelonnés 
.«;ur  toute  la  largeur  des  trente  degrés  qui  le  précédaient  tous 
ces  petits  anges  couronnés  de  lys  et  de  roses,  toutes  ces  jeunes 
filles  en  blanc,  un  bouquet  à  la  main,  ces  enfants  de  chœur 
accomplissant  les  cérémonies  marquées  avec  un  remarquable 
ensemble;  d'entendre  la  musique  instrumentale  de  ces  cent  et 
quelques  jeunes  artistes  de  l'établissement  des  Frères  de  Saint- 
Nicolas,  si  populaires  à  Paris,  et  les  chants  exécutés  par  la 
magistrale  maîtrise  de  la  paroisse. 

A  ce  moment,  la  vaste  place  était  couverte  d'une  multitude 
déjà  recueillie;  mais  voici  le  moment  de  la  bénédiction,  les 
tambours  battent  aux  champs,  les  clairons  retentissent;  l'esprit 
de  foi  passe  sur  toute  cette  foule,  les  fronts  se  découvrent,  on 
s'agenouille  et  on  prie. 

Cette  année,  il  y  a  eu  une  heureuse  innovation  :  la  procession 
a  descendu,  pour  les  remonter,  les  degrés  de  la  façade  qui 
regarde  la  rue  Royale. 

Durant  le  parcours,  M.  le  curé,  obéissant  avec  bonheur  à  une 
touchante  tradition,  ne  cessait  de  poser  le  pied  de  l'ostensoir 
sur  les  fronts  des  chers  innocents  que  les  mères  et  aussi  bon 
nombre  de  pères  s'empressaient  de  lui  présenter,  au  point  que 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  597 

la  procession  était  obligée  de  ralentir  considérablement  sa 
marche. 

Le  soir,  les  processions  se  continuaient,  notamment  à  Sainte- 
Clotilde  et  dans  plusieurs  établissements  particuliers. 

En  première  ligne,  il  faut  signaler  le  collège  Stanislas,  qui 
lui  aussi  avait  la  musique  des  enfants  de  Saint-Nicolas,  tout  à 
fait  oublieuse  de  ses  fatigues  du  matin. 

Il  faudrait  une  longue  description,  que  ne  nous  permet  pas 
l'espace  dont  nous  disposons,  pour  rendre  dignement  compte  de 
cette  manifestation  religieuse,  dont  la  plus  éloquente  et  émou- 
vante partie  a  été  la  consécration  au  Sacré-Cœur  de  Jésus  des 
élèves  de  l'établissemeMt,  au  pied  du  reposoir  dressé  dans  le 
vaste  parc  splendidement  décoré. 

C'est  à  six  heures  trois  quarts  du  soir  que  se  clôturait  cette 
série  de  processions,  à  l'école  Sainte-Geneviève,  rue  Lhomond. 
On  peut  affirmer  qu'elle  couronnait  on  ne  peut  mieux  ces  fêtes, 
dont  la  première  était  célébrée  le  matin  rue  de  Vaugirard,  à 
l'Institut  catholique,  oii  c'était  grande  édification  aussi,  dans 
cette  chapelle  des  Carmes  et  ces  jardins  consacrés  par  tant  de 
souvenirs. 

A  la  rue  Lhomond,  c'est  dans  le  parc  et  sur  les  terrasses  du 
célèbre  établissement  fondé  par  les  Jésuites,  ces  éducateurs  in- 
comparables de  la  jeunesse,  que  se  dressaient  quatre  élégants 
et  somptueux  reposoirs.  La  musique  instrumentale  de  l'établis- 
sement de  Vaugirard  a  exécuté  avec  goût  les  plus  beaux  mor- 
ceaux de  son  répertoire.  Les  chants,  accompagnés  d'instruments, 
étaient  magnifiques.  Mais  voici  ce  qyi  nous  a  le  plus  impres- 
sionné. Tout  d'abord  l'attitude  des  élèves  actuels,  de  ces  quatre 
cent  quatre-vingts  jeunes  gens  destinés  aux  carrières  les  plus 
honorables,  et  ensuite  le  recueillement  des  anciens  et  nombreux 
élèves  accourus  des  écoles  du  génie,  des  mines,  des  ponts-et- 
chaiissées,  de  Saint-Cjr,  de  l'Ecole  Polytechnique  pour  faire 
une  escorte  d'honneur  au  Seigneur  des  sciences,  au  Dieu  des 
armées. 

Angers.  —  Le  lundi  de  la  Pentecôte  Mgr  Freppel  a  prononcé, 
dans  la  cathédrale,  une  très  belle  allocution  sur  la  question 
sociale,  dont  voici  un  des  principaux  passages  : 

C'est  en  vain,  a-t-il  dit,  que  Ton  chercherait  en  dehors  de  la  reli- 
gion une  solution  satisfaisante  de  ce  qu'on  appelle  la  question  ou- 
vrière; et  j'ose  même  ajouter  qu'avant  d'être  une   question   écono- 


598  ANNALES   CATHOLIQUES 

mique,  la  question  ouvrière  est  par  dessus  tout  une  question  reli- 
gieuse et  morale.  Car  tout  change  de  face,  tout  prend  un  autre 
aspect,  suivant  que  l'on  envisage  la  vie  présente  comme  le  terme  de 
la  destinée  humaine,  ou  comme  la  préparation  à  une  vie  éternelle  et 
qu'il  ne  dépend  que  de  nous  de  rendre  infiniment  heureuse. 

Si,  comme  l'athéisme  contemporain  voudrait  le  faire  accroire, 
rien  ne  survit  à  l'homme,  si  tout  est  dit  sur  son  avenir,  du  moment 
que  son  corps  est  tombé  en  poussière,  et  que  l'on  a  jeté  quelques 
pelletées  de  terre  sur  un  peu  de  matière  décomposée,  alors  il  ne 
s'agit  plus  pour  chacun  que  de  se  procurer,  ici-bas,  par  des  moyens 
quelconques,  la  plus  grande  somme  de  jouissances  possible;  alors, 
plus  de  modération  dans  les  désirs,  plus  de  frein  aux  passions,  plus 
de  barrière  contre  le  vice.  Le  plaisir  et  l'intérêt  deviennent  l'unique 
loi  de  ce  monde.  Peu  importe  une  réduction  d'une  ou  de  deux  heures 
de  travail  ou  une  simple  augmentation  de  salaire  à  qui  n'espère  rien 
au-delà  du  tombeau  :  ce  n'est  point  là  ce  qui  mettra  un  terme  aux 
revendications  de  l'ouvrier  devenu  matérialiste  et  athée. 

Pour  lui,  la  richesse  n'en  restera  pas  moins  une  injustice,  l'iné- 
galité des  conditions  un  scandale,  les  supériorités  sociales  autant 
d'obstacles  qu'il  faudra  détruire  à  tout  prix,  le  jour  où  il  pourra 
être  le  nombre  et  la  force.  Oui,  disons-le  hautement,  la  religion 
une  fois  enlevée  du  cœur  des  masses  ouvrières,  pour  y  faire  place 
au  vide  des  croyances  et  au  néant  des  convictions,  c'est  la  haine  des 
classes,  c'est  la  guerre  sociale  en  perspective,  c'est  le  retour  à  la 
barbarie  et  la  fin  de  la  civilisation  chrétienne. 

Et  lorsque  l'on  songe  qu'il  y  a  des  hommes  qui  se  flattent  de 
pouvoir  résoudre  la  question  ouvrière,  et  qui  d'autre  part  font  tout 
ce  qui  est  en  eux  pour  tuer  la  foi  dans  les  classes  laborieuses  et  qui 
travaillent  avec  un  acharnement  incroyable  à  leur  enlever  toute 
espérance  dans  une  vie  future,  on  ne  sait,  en  vérité  comment  s'ex- 
pliquer une  pareille  aberration. 

Batonne.  —  On  lit  dans  le  Bulletin  catholique  du  diocèse  de 
Bayonne  : 

Par  décision  de  M.  le  ministre  des  cultes,  en  date  du  29  mai  der- 
nier, les  desservants  du  diocèse  de  Bayonne  dont  les  traitements 
avaient  été  suspendus  sont  remis  en  possession  desdits  traitements 
avec  effet  à  partir  du  l*""  mai. 

Le  Put.  —  Le  préfet  de  la  Haute-Loire,  un  certain  Hélitas, 
vient  de  se  signaler  à  l'attention  de  ses  amis  de  la  Franc-Ma- 
çonnerie par  un  acte  qui  uous  paraît  être  tout  simplement  le 
comble  de  l'arbitraire. 

M.  le  maire  du  Puy,  ayant  pris,  le  21  mai  dernier,  un  arrêté 


LES    CHAMBRBS  599 

rétablissant  les  processions,  y  a  vu  opposer  un  arrêté  du  préfet 
de  la  Haute-Loire  maintenant  l'interdiction  antérieurement 
prononcée. 

Or  il  paraît  que  l'arrêté  pris  par  le  maire  ne  l'a  été  que  sur 
la  pression  énergique  de  l'opinion  publique.  Un  vaste  pétition- 
nement  avait  en  effet  réclamé  le  rétablissement  des  processions. 

De  ce  pétitionnement,  témoignage  de  la  volonté  formelle  des 
habitants  du  Puy,  le  préfet  de  la  Haute-Loire  ne  tient  nul 
compte.  Il  a  d'ailleurs  un  précédent  pour  l'encourager  :  en  1888, 
un  arrêté  du  maire  a  été  annulé  dans  les  mêmes  conditions. 

On  peut  se  demander  jusqu'oii  ira  la  fantaisie  qu'apporte 
dans  l'exercice  de  ses  pouvoirs  cet  étonnant  fonctionnaire.  Il 
nous  paraît,  toutefois,  fort  étrange  qu'un  préfet,  si  bien  en  cour 
soit-il  place  Beauvau,  puisse  faire  ainsi  allègrement  litière 
des  désirs,  des  volontés  de  la  population  aussi  énergiquement 
exprimés  que  l'ont  été  ceux  de  la  ville  de  Puj. 

Nous  comptons  bien  que  les  habitants  du  Puy  ne  resteront 
pas  sur  cet  affront  et  qu'ils  sauront  inviter  leur  maire  à  obtenir 
du  préfet  de  la  Haute-Loire  le  libre  exercice  de  leur  droit. 

Toulouse.  —  Nous  lisons  dans  la  Semaine  catholique  de 
Toulouse  : 

La  réunion  des  évêques  protecteurs  de  l'Institut  catholique  du 
Sud-Ouest  a  eu  lieu  à  Toulouse,  mardi  dernier,  ainsi  que  nous 
l'avions  annoncé  ;  étaient  présents  :  Monseigneur  le  cardinal  arche- 
vêque de  Toulouse,  président;  MgrGouzot,  archevêque  d'Auch  ;  Nos 
Seigneurs  Bourret,  évêque  de  Rodez  ;  Billard,  évêque  de  Carcas- 
sonne  ;  Gaussail,  évêque  de  Perpignan  ;  Jauffret,  évêque  de  Bayonne, 
et  Mgr  Lamothe-Tenet,  prélat  de  la  maison  de  Sa  Sainteté,  recteur 
de  l'Institut  catholique. 

Nos  Seigneurs  les  archevêques  et  évêques  d'Albi,  de  Périgueux, 
de  Cahors,  d'Agen,  de  Montauban  et  de  Monde  s'étaient  fait  repré- 
senter. 


LES  CHAMBRES 

Sénat. 

Lundi  9  juin.  —  On  valide  l'élection  de  M.  Guérin,  sénateur  de 
Vaucluse.  Et  l'on  discute  le  projet  sur  l'aggravation  progressive  des 
peines  en  cas  de  récidive,  et  sur  leur  atténuation  en  cas  de  premier 
délit. 

M.  DE  l'Angle-Bëauma>"oir  défend  un  amendement  par  lequel  il 


600  ANNALES    CATHOLIQUES 

demande  qu'on  mette  en  dehors  de  la  loi  ceux  qui  sont  condamnés 
pour  attentat  à  la  pudeur.  Même  en  cas  de  premier  délit,  dit  l'orateur, 
il  faut  appliquer  le  maximum  ! 

Mais  le  Sénat  repousse  la  prise  en  considération  de  l'amendement. 

On  discute  alors  un  amendement  de  M.  Trarieux  qui  porte  sur  les 
casiers  judiciaires. 

Dans  le  projet  soumis  à  l'oxamen  du  Sénat,  on  donne  aux  Tribu- 
naux le  droit  de  suspendre  l'exécution  de  la  peine  en  cas  de  condam- 
nation i  l'emprisonnement  pour  un  premier  délit.  Le  condamné  qui 
bénéficie  de  cette  mesure  de  faveur  reste  pendant  cinq  ans  sous  les 
mains  de  la  justice. 

Si  à  l'expiration  de  ce  délai,  il  n'a  pas  commis  de  nouvelle  faute, 
non  seulement  sa  peine  lui  est  remise,  mais  son  casier  judiciaire  lui- 
même  est  effacé.  Tout  cela  est  à  merveille.  Mais  les  auteurs  de  la  loi 
n'avaient  pas  songé  aux  condamnés  à  l'amende,  de  sorte  que  ceux-ci, 
quoique  moins  coupables,  étaient  traités  plus  durement  que  les  con- 
damnés à  la  prison. 

L'amendement  de  M.  Trarieux  étend  aux  condamnés  à  l'amende 
le  bénéfice  de  cette  remise  et  de  l'effacement  du  casier  judiciaire. 

Le  RAPPORTEUR  vieut  expliquer  que,  si  on  a  jugé  à  propos  de  ne 
pas  envoyer  en  prison  les  condamnés,  c'est  pour  éviter  à  ces  malheu- 
reux le  contact  fatal  des  prisonniers  endurcis.  La  remise  de  la  peine 
est  une  faveur  toute  morale.  On  n'a  voulu  qu'éviter  une  cause  de 
récidive. 

Mais  un  individu  condamné  à  l'amende  sera  plus  tenté  de  récidiver 
si  la  condamnation  ne  lui  a  rien  coûté. 

M.  Thabielx  s'est  rendu  à  ces  raisons  excellentes  et  s'est  borné  à 
défendre  la  partie  de  son  amendement  qui  a  trait  à  l'effacement  du 
casier  judiciaire.  11  dit,  avec  raison,  qu'il  ne  serait  pas  juste  que  celui 
qui  a  été  condamné  à  l'emprisonnement  soit  réhabilité  de  droit  au 
bout  de  cinq  ans,  tandis  que  celui  qui  n'a  été  condamné  qu'à  l'amende 
ne  le  serait  pas. 

Le  ministre  de  la  justice  est  de  cet  avis.  Aussi,  le  Sénat  prend  en 
considération  l'amendement,  pour  ce  qui  a  trait  à  la  réhabilitation 
dAs  condamnés  à  l'amende. 

Mardi  10  juin.  —  Suite  de  la  délibération  sur  le  projet  que 
nous  avons  analysé  hier,  concernant  les  remises  de  peines  aux  con- 
damnés pour  un  premier  délit. 

Le  Sénat  a  adopté  par  191  voix  contre  32  l'amendement  de 
M.  Trarieux  étendant  aux  condamnés  à  l'amende  le  bénéfice  de 
l'efTacement  du  casier  judiciaire. 

On  a  repris  la  discussion  des  dispositions  qui  aggravent  les  peines 
des  condamnés  en  cas  de  récidive. 

Mais,  le  Sénat  ne  jugeant  pas  la  question  assez  étudiée  l'a  ren- 
voyée â  une  séance  ultérieure,  après  quelques  observations  de 
M.  Mopellet. 


LES    CHAMBRES  601 

Eu  fin  de  séance,  on  a  adopté,  en   seconde  délibération,  quelques 
articles  du  projet  concernant  les  trésoriers-payeurs  généraux. 

Ohambre  des  Députés. 

Jeudi  5  juin.  —  Dès  l'ouverture  de  la  séance,  alors   que  les   ban- 
quettes   sont    encore    inoccupées,    M.    Dumay,   député    possibiliste 
demande  à  interpeller  le   gouvernement  sur  la  mise   en  liberté   du 
duc  d'Orléans. 

M.  DE  Freycinet  déclare  que  le  gouvernement  accepte  la  discus- 
sion immédiate. 

M.  DcMAY  demande  si,  en  mettant  en  liberté  Monsieur  d'Orléans 
(interruptions  à  droite),  le  gouvernement  a  obéi  à  des  motifs  poli- 
tiques, ou  s'il  a  cédé  à  des  considérations  de  sentiment...  Il  y  a, 
dit-il,  dans  les  prisons,  des  pères  de  famille,  victimes  d'une  mau- 
vaise organisation  sociale.  N'aurait-on  pu  les  mettre  en  liberté  en 
même  temps  que  ce  jeune  homme  «  dont  la  famille  fit  tant  de  mal 
à  la  France  ?  » 

On  voit  quelle  thèse  est  soutenue  par  l'orateur.  Il  s'est  plaint  que 
cette  grâce  soit  un  «  retour  en  arrière».  Elle  complète  l'installation 
du  préfet  à  l'Hôtel-de- Ville  et  l'arrestation  des  socialistes  russes. 
Et,  selon  lui,  elle  a  mécontenté  les  ateliers  de  Belleville,  au  point 
de  faire  redevenir  boulangistes  les  ouvriers. 

On  rit  un  peu.  Et  M.  de  Freycinet  vient  répondre  que  le  gouver- 
nement n'avait  pas  à  saisir  la  Chambre  des  grâces  que  le  président 
de  la  République  se  proposait  d'accorder.  «  L'équipée  du  mois  de 
février,  dit-il,  a  été  fort  grossie.  Le  gouvernement  s'est  associé  à  la 
pensée  d'indulgence  qtii  est  naturellement  venue  à  l'esprit  de  M.  le 
président  de  la  République,  lorsqu'il  a  traversé  la  région  où  se  trou- 
vait la  prison  du  jeune  duc.  La  politique  est  restée  complètement 
étrangère  à  cette  mesure.  La  République  est  assez  forte  pour  ne  pas 
reculer  devant  un  acte  de  clémence. 

La  magnanimité  du  gouvernement  n'est  pas  épuisée.  (Rires.)  Elle 
peut  s'étendre  à  d'autres  condamnés.  Ces  jours  derniers,  plusieurs 
grâces  ont  été  signées  en  faveur  de  condamnés  pour  faits  de  grève. 
D'autres  le  seront  prochainement. 

Enfin  M.  de  Freycinet  demande  à  la  Chambre  de  bien  vouloir 
reprendre  le  cours  de  ses  travaux. 

On  applaudit  le  ministre.  On  refuse  d'écouter  la  lecture  d'un  ordre 
du  jour  de  M.  Dumay,  blâmant  le  gouvernement  de  n'avoir  pas 
gracié  tous  les  condamnés  politiques  et  de  faits  de  grève  d'un  coup. 
Et  l'on  adopte  l'ordre  du  jour  pur  et  simple,  réclamé  par  le  gouver- 
nement, par  313  voix  contre  194. 

M.  Ferroul  dépose  une  demande   d'amnistie.   Et  l'on   reprend   la 
discussion  sur  le  maïs. 
Samedi  7  juin.  —  M.  E.  Roche,  boulangiste,  interpelle  sur  la  no- 


602  ANNALES   CATHOLIQUES 

mination  de  l'amiral  Duperré  eo.  remplacement  de  l'amiral  Dupetit- 
Thouars. 

L'amiral  Duperré,  dit-il,  est  accusé  de  n'avoir  pas  fait  son  devoir 
en  1870.  La  guerre  l'a  surpris  capitaine  de  vaisseau  à  l'âge  de  trente- 
huit  ans,  alors  que  la  moyenne  d'âge,  pour  les  officiers  de  ce  grade 
est  de  cinquante  ans.  (Bruit  sur  divers  bancs.) 

Capitaine  de  vaisseau  à  cet  âge,  il  s'agirait  de  savoir  quelle  con- 
duite a  tenue  cet  officier  supérieur  pendant  l'efi'royable  tourmente 
de  1870.  A-t-il  fait  son  devoir  ?  On  le  dit.  Mais  pendant  que  Ber- 
gasse  Dupetit-Thouars  se  faisait  blesser  à  Strasbourg,  que  Jauré- 
guiberry  secondait  les  efi'crts  de  Chan'zy,  que  Potliuau  défendait 
Paris,  M.  Duperré  restait  auprès  du  prince  impérial  dont  il  gardait 
la  précieuse  personne,  attendant  uniquement  une  dépêche  des  Tuile- 
ries, à  tel  point  que  lorsque  cette  dépêche  arrive  il  passe  en  Belgique, 
et  de  là  va  en  Angleterre  rejoindre  sa  souveraine.  Il  ne  rentre  en 
France  qu'après  que  le  dernier  coup  de  canon  a  été  tiré. 

Voilà  ce  qu'on  reproche  à  cet  officier  général. 

On  a  dit  :  ce  n'est  pas  vrai.  Je  comprends  en  effet  qu'on  se 
demande  si  ces  affirmations  ne  sont  pas  exagérées,  et  qu'on  recher- 
che la  part  d'erreur  que  la  passion  politique  a  pu  y  introduire.  Eh 
bien,  examinons.  N'en  déplaise  à  jV[.  de  Douville-Maillefeu,  il  faut 
encore  que  je  consulte  des  documents,  et  les  preuves  paraissent 
abonder. 

M.  le  comte  de  Douville-Maillefeu.  —  Moi,  je  n'appelle  pas  ça  de» 
documents  ;  j'appelle  ça  des  potins,  des  cancans  misérables  (Bruit). 

M.  Ernest  Roche.  —  C'est  votre  opinion. 

M.  Le  Myre  de  Vilers.  —  C'est  la  mienne.  (Nouveau  bruit.) 

On  pense  si  M.  Roche  était  souvent  interrompu.  M.  de  Douville- 
Maillefeu  lui  reprochait  de  lire  des  articles  de  journaux  à  la  tribune 
t  ce  qui  estindigne  d'un  député  ».  M.  Le  Myre  de  Vilers  réclamait 
la  censure  et  s'étonnait  qu'on  pût  ainsi  accuser  un  officier  général  à 
la  tribune.  M.  Floquet  répliquait  que  l'orateur  avait  le  droit  de  dire 
ce  qu'il  disait. 

M.  Roche  a  continué.  Après  avoir  nié  que  l'amiral  Duperré  ait  été 
prisonnier  de  guerre  en  Belgique  : 

Ces  renseignements,  dit-il,  sont  confirmés  par  les  papiers  secrets 
trouvés  aux  Tuileries,  et  que  l'Agence  Havas  aurait  dû  consulter 
avant  de  publier  sa  note. 

Voici  ces  dépêches  qui  sont  des  3  et  4  septembre  :  a  M.  Duperré, 
Landrecies.  Tuileries,  3  septembre  1870.  Attendi-e  nouveaux  ordres 
où  vous  êtes.  »  Du  même  jour  :  «  A  votre  choix  Maubeuge  ou  l'autre 
ville  à  laquelle  vous  pensiez.  Si  vous  y  êtes  déjà,  restez-y.  Informez- 
moi  de  votre  décision.  Filon.  »  Du  4  septembre  :  «  Reçu  vos  deux 
dépêches.  Aurez  des  ordres  verbaux  avant  (ici  un  groupe  de  chiff'res 
qui  n'a  pu  être  traduit)  et  une  lettre   de  moi  par  l'homme  que  vous 


LES    CHAMBRES  603 

avez  envoyé.  L'impératrice  veut  que  vous  ne  teniez  pas  compte  des 
■communications  de  Bouillon.  L'empereur  ne  peut  pas  apprécier  la 
situation.  Filon.  » 

Il  résulte  de  ces  trois  dépêches,  contrairement  à  ce  qu'a  dit  le 
Temps,  que  le  capitaine  de  vaisseau  Duperré  n'a  pris  aucune  part  à 
la  bataille  de  Sedan  puisqu'il  était  sur  la  frontière  du  nord-est  du  2 
au  4  septembre  ;  qu'il  n'avait  qu'une  mission  :  protéger  le  prince  im- 
périal; et  qu'il  n'attendait  point  des  ordres  de  l'autorité  militaire; 
mais  seulement  de  l'Impératrice  à  Paris.  (Bruit.) 

Voix  à  droite.  —  Elle  était  régente  ! 

Et  il  conclut  en  disant  que  l'amiral  Duperré  n'est  qu'un  bonapartiste 
indigne  de  commander  une  armée  républicaine,  que  sa  nomination 
est  un  danger  public. 

«  Je  me  résume.  Oui  ou  non  les  faits  allégués  contre  l'amiral  Duperré 
sont-ils  exacts?  S'ils  sont  exacts,  on  peut  dire  qu'il  a  été  un  mauvais 
républicain  et  un  mauvais  patriote  (Bruit)  ;  s'ils  ne  sont  pas  exacts, 
pourquoi  le  ministre  de  la  justice  n'a-t-il  pas  poursuivi  et  confondu 
les  calomniateurs?  »  (Très  bien!  très  bien!  sur  divers  bancs  à  gauche. 
—  Bruit.) 

M.  Barbey,  ministre  de  la  marine,  commence  par  déclarer  que  la 
campagne  qui  se  poursuit,  «  dans  un  but  inavouable»,  contre  l'amiral 
Duperré  ne  l'a  pas  troublé.  Elle  ne  l'a  préoccupé  que  parce  qu'elle 
risque  de  porter  atteinte  à  la  discipline. 

Les  faits  allégués  sont  absolument  inexacts.  La  campagne  devait  se 
faire  au  mois  de  septembre,  au  moment  où  l'amiral  Dupetit-Thouars, 
dont  on  pleure  la  mort,  devait  prendre  sa  retraite.  On  l'a  devancée, 
la  nomination  de  M.  Duperré  s'étant  produite  plus  tôt  qu'on  avait 
cru. 

Indigne?  l'amiral  Duperré?  Mais  il  n'a  fait  qu'accomplir  loyalement 
un  devoir  douloureux.  On  n'a  qu'à  consulter  son  dossier  : 

«  Le  jugement  de  l'amiral  Pothuau  et  du  gouvernement  de  M.  Thiers 
a  été  décisif.  On  a  reconnu  que  l'amiral  Duperré  avait  été  interné 
après  avoir  obéi  aux  ordres  de  l'Empereur,  son  seul  chef  à  cette 
époque,  qu'il  avait  rempli  son  devoir  pendant  la  captivité  (Mouve- 
ments divers),  qu'il  a  été  autorisé,  le  10  mars  1871,  comme  tous  ceux 
qui  avaient  subi  le  même  sort,  à  rentrer  en  France. 

«  A  la  suite  de  cette  enquête,  qui  l'a  complètement  lavé  aux  yeux 
d'hommes  assurément  aussi  compétents  que  M.  Ernest  Roche.  (Très 
bien!  très  bien  !  et  rires),  l'amiral  Duperré  a  été  appelé  au  comman- 
dement de  la  Vénus.  A  partir  de  cette  époque,  il  a  continuellement 
tenu  la  mer,  il  a  occupé  dans  les  conseils  de  l'amirauté  et  dans  les 
préfectures  maritimes  les  postes  les  plus  importants. 

«  Son  dossier  est  admirable,  il  a  les  meilleures  notes,  données  non 
seulement  par  des  ministres  conservateurs,  mais  par  des  ministres 
républicains,  tels  que  Pothuau,  Peyron,  Jauréguiberry,  Cloué,  Aube. 


604  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Je  lis  dans  son  dossier  les  lignes  suivantes: 

«  L'amiral  Duperré  est  un  des  officiers  généraux  sur  lesquels 
«  compte  le  plus  la  marine,  et  elle  a  raison  d'y  compter.  »  C'est 
pourquoi  je  revendique  la  liberté  de  mes  choix  et  la  responsabilité  de 
cette  nomination.  (Très  bien  !  très  bien  !) 

«  Croyez-vous,  du  reste,  que  je  n'ai  pas  souci  de  la  responsabilité 
qui  m'incombe  comme  ministre  de  la  marine,  et  que  je  ne  suis  pas 
préoccupé  des  éventualités  qui  peuvent  se  produire?  Je  n'ai  choisi 
l'amiral  Duperré  comme  commandant  de  l'escadre  qu'après  avoir  étu- 
dié son  dossier,  et,  si  je  l'ai  choisi,  c'est  parce  qu'il  présentait  toutes 
les  garanties  pour  succéder  au  regretté  amiral  Dupetit-Thouars.  (Très 
bien  !  très  bien  !) 

«  J'espère  que  la  Chambre  n'occupera  pas  plus  longtemps  le  pays 
d'une  question  qui  touche  à  l'honneur  de  nos  officiers  généraux  et  à 
la  discipline  de  notre  armée  navale.  »  (Très  bien  !  très  bien  !) 

Enfin,  le  ministre  revendique  la  responsabilité  du  choix  qu'il  a  fait 
et  demande  à  la  Chambre  de  clore  la  discussion  par  le  vote  d'un  ordre 
du  jour  pur  et  simple. 

M.  le  ministre  est  applaudi  par  le  centre  et  par  la  droite.  Les  radi- 
caux, boulangistes  et  clémencistes  ne  bronchent  pas. 

La  scission  est  nette.  On  le  voit  surtout  lorsque  M.  Maujan,  ancien 
officier,  ancien  aide-de-camp  du  ministre  Thibaudin,  député  radical, 
vient  parler  : 

Il  constate  que  l'interpellation  n'est  pas  de  son  initiative.  Mais,  la 
question  étant  posée,  il  faut  aller  jusqu'au  bout  : 

«  Nous  espérions  que  M.  le  ministre  viendrait  défendre  à  cette  tri- 
bune un  amiral  peut-être  calomnié.  Nous  espérons  encore  qu'il  vien- 
dra nous  dire  d'une  façon  nette,  précise,  qu'en  1870,  l'amiral  Duperré, 
après  avoir  rempli  auprès  du  prince  impérial  la  mission  qui  lui  était 
confiée,  a  fait  comme  l'amiral  Jurien  de  la  Gravière  et  est  revenu  en 
France  combattre  l'ennemi  avec  ceux  qui,  la  main  crispée  sur  le  dra- 
peau, luttèrent  et  sauvèrent  l'honneur  de  la  France.  (Applaudisse- 
ments à  gauche.  I 

«  Si,  au  contraire,  l'amiral  Duperré. a  préféré  son  métier  de  cour- 
tisan à  son  rôle  de  soldat,  (Très  bien  !  très  bien  !  à  l'extrême  gauche 
s'il  n'a  pas  compris  qu'après  le  4  septembre  sa  mission  était  termi- 
née, et  s'il  n'est  pas  revenu  combattre  en  France  avec  ses  camarades, 
le  devoir  du  ministre  était  de  ne  pas  le  nommer  à  l'un  des  premiers 
postes  de  notre  marine.  »  (Applaudissements  à  l'extrême  gauche.) 

L'attaque  est  nette.  Ce  «  peut-cire  calomnie  »  a  été  lancé  de  façon 
très  habile. 

Mais,  fait  curieux,  c'est  l'emballé  M.  de  Douville-Maillefeu  qui 
répond  à  M.  Maujan.  C'est  que  lui  est  un  ancien  officier  de  marine. 
Il  a  servi  sous  les  ordres  de  M.  Duperré,  en  Chine  et  en  Russie.  Il  a 
gardé  de  lui  le  souvenir  d'un  homme  très  capable  et  pénétré  du  sen- 
timent du  devoir. 


LES    CHAMBRES  605 

Oui,  M.  Duperré  n'a  pas  pria  les  armes  contre  l'Allemagne  !  Mais 
est-ce  qu'un  seul  des  officiers,  prisonniers  en  Belgique,  est  rentré 
dans  les  rangs  après  avoir  donné  sa  parole  d'honneur  de  ne  pas  ser- 
vir ?  C'est  ce  qui  lui  arriva. 

Et,  aux  applaudissements  d'une  majorité  considérable,  M.  de  Dcu- 
ville-Maillefeu  s'écrie  :  «  Le  jour  où  une  parole  d'honneur  ne  sera 
plus  respectée,  nous  tomberons  au  dernier  rang  de  tous  les  peuples  !  » 

M.  Floquet  lit  l'ordre  du  jour  déposé  par  M.  Ernest  Roche,  et 
qui  est  ainsi  conçu  : 

«  La  Chambre,  n'admettant  pas  que  l'officier  supérieur  comman- 
dant en  chef  nos  escadres  de  la  Méditerrannée,  puisse  être  l'objet  de 
la  moindre  suspicion,  passe  à  l'ordre  du  jour.  » 

Mais  l'ordre  du  jour  pur  et  simple,  qui  a  la  priorité,  est  adopté 
par  385  voix  contre  60. 

—  C'est  soixante  de  trop!  s'écrie  M.  Dugué  de  la  Fauconnerie. 

Il  y  a  eu  environ  130  abstentions  de  députés  radicaux  et  d'ei- 
trême-gauche. 

Après  le  débat  qu'on  vient  de  lire,  on  comprend  que  l'on  soit  allé 
prendre  l'air  dans  les  couloirs.  C'est  au  milieu  des  allées  et  venues 
que  M.  Le  Myre  de  Vilers  a  réclamé  le  droit  sur  les  riz  et  que 
M.  Etienne  en  a  fait  autant. 

L'article  l^"",  frappant  de  divers  droits  les  riz  en  paille,  les  bri- 
sures et  les  farines  de  mais,  le  dari  et  le  millet,  a  été  adopté  par 
311  voix  contre  196. 

L'article  2,  portant  que  «  les  maïs  et  riz  destinés  à  la  fabrication 
de  l'amidon  pour  blanchissage  seront  exempts  de  droits  »  a  été 
adopté  également. 

Après  un  court  échange  d'observations  entre  MM.  Raynal,  Jouf- 
fray,  ViUebois-Mareuil,  sur  le  maïs  destiné  aux  animaux,  la  suite 
de  la  discussion  a  été  renvoyée  à  lundi. 

Lundi  ^  juin.  —  L'amendement  tendant  à  exempter  du  droit  le 
maïs  servant  à  l'agriculture,  est  repoussé  par  306  voix  contre  221. 

L'amendement  exemptant  les  maïs  servant  à  la  nourriture  des 
bestiaux  est  repoussé  à  mains  levées. 

Un  amendement  de  M.  Aynard,  tendant  â  exempter  des  droits  les 
riz  destinés  à  l'alimentation  et  aux  industries  autres  que  la  distille- 
rie, est  repoussé  par  289  voix  contre  235. 

Enfin,  on  vote  sur  l'ensemble  de  la  loi  qui  est  adoptée  par  343 
voix  contre  168,  sur  511  votants. 

La  Chambre  a  voté  les  droits  sur  les  maïs  et  les  riz. 

Mardi  10  juin.  —  M.  Pichon  adresse  une  question  â  M.  Ribot, 
ministre  des  affaires  étrangères  sur  la  conversion  de  la  Dette  égyp- 
tienne. 

Cette  question  est  plus  importante  que  la  première.  Il  s'agit  de 
savoir  quelles  sont  les  mesures  financières  proposées  par  les  repré- 


606  ANNALES    CATHOLIQUES 

sentants  du  vice-roi  d'Egypte   et  quelles  précautions  le  gouverne- 
ment français  a  prises  pour  sauvegarder  les  intérêts  de  la  France. 

M.  Pichon  demande  quelles  dettes  seront  comprises  dans  la  con- 
version. Ce  point  est  important  à  coanaître,  car  il  y  a  des  dettes  qui 
intéressent  la  France,  et  qui  sont  garanties  par  des  gages  spéciaux. 
A  la  question  financière  se  lie,  d'ailleurs,  la  question  politique;  l'oc- 
cupation, par  les  Anglais,  du  territoire  égyptien. 

M.  RiBOT  est  venu  répondre  que  le  gouvernement  n'a  jamais  été 
opposé,  en  principe,  à  la  conversion  de  la  Dette  égyptienne.  Il  doit 
en  résulter  une  diminution  dans  les  charges  d'un  peuple  avec  lequel 
la  France  entretient,  depuis  longtemps,  des  relations  amicales. 

Il  y  a,  en  Egypte,  quatre  dettes,  dont  le  total  s'élève  à  950  mil- 
lions environ.  L'économie  résultant  de  la  conversion  sera  de  10  mil- 
lions. La  dette  privilégiée  et  l'emprunt  de  1868  sont  les  seules  que 
visait  le  projet  do  décret  soumis   par  les  représentants  du  vice-roi. 

Le  gouvernement  français  ne  pouvait  se  désintéresser  de  l'emploi 
à  faire  du  produit  de  la  conversion.  Il  ne  faut  pas  que  cette  somme 
serve  à  prolonger  l'occupation  anglaise.  (Applaudissements.) 

A  maintes  reprises,  l'Angleterre  a  affirmé  qu'elle  évacuerait 
l'Egypte,  aussitôt  l'ordre  rétabli.  Elle  subordonne  son  départ  de  ce 
pays  à  certaines  précautions,  à  l'augmentation  de  l'effectif  de  l'ar- 
mée égyptienne,  par  exemple. 

Aussi,  le  gouvernement  français  a-t-il  cru  devoir  stipuler  que  les 
économies  résultant  de  la  conversion  .seraient  retenues  par  la  commis- 
sion de  la  Dette,  pour  que  l'emploi  en  fût  déterminé  par  un  accord 
entre  les  puissances.  (Applaudissements.) 

D'autre  part,  la  dette  domaniale  devra  recevoir  certaines  garanties. 
Elle  intéresse  particulièrement  les  porteurs  français.  La  conversion 
se  fera  donc  dans  les  meilleures  conditions  possibles.  (^Applaudisse- 
ments.) 

Après  cette  explication,  M.  le  ministre  des  affaires  étrangères 
donne  lecture  de  la  note  qui  a  servi  de  base  au  décret  relatif  à  cette 
conversion  : 

Il  n'y  a  à  en  retenir  que  ces  points  : 

1°  Le  projet  égyptien  fixait  à  80  0/G  de  leur  valeur  nominale  le 
taux  de  remboursement  des  titres  de  la  Daïran.  Le  gouvernement 
français  a  réclamé  la  fixation  du  taux  à  85  0/0  en  considérant  que  ce 
serait  là  u^ne  transaction  équitable  entre  les  droits  du  gouvernement 
égyptien  et  les  prétentions  légitimes  des  porteurs  de  titres. 

2»  Le  gouvernement  français  a  réclamé  un  article  nouveau  du  pro- 
jet, fixant  un  délai  de  quinze  ans,  pendant  lequel  il  ne  pourrait  être 
procédé  à  aucun  remboursement  de  tout  ou  partie  de  la  dette,  en 
dehors  des  amortissements  à  effectuer,  avec  les  produits  des  aliéna- 
tiouB  des  biens  domaniaux. 

3°  Le  gouvernement   français  a   déclaré  penser  que  l'occupation 


CHRONIQUE  UE  LA  SEMAINE  607 

anglaise  en  Egypte  n'a  plus  la  raison  d'être  que  lui  donnait  le  gou- 
vernement britannique.  L'ordre  est  rétabli  en  Egypte.  Il  n'est  point 
besoin  d'autre  preuve  que  le  tableau  que  les  ministres  anglais  se  sont 
plu  à  retracer,  ces  temps  derniers,  de  l'état  actuel  de  l'Egypte,  de 
sa  prospérité  et  de  la  sécurité  qui  y  règne. 

Le  ministre,  après  la  lecture  de  cette  note,  qui  a  été  fort  applau- 
die, a  déclaré  que  si  la  France  désire  vivre  avec  l'Angleterre  dans  les 
relations  les  plus  cordiales,  elle  ne  peut  la  laisser  s'établir  en  Egypte 
sans  faire  entendre  des  protestations  et  lui  rappeler  ses  engagements 
formels. 

L'incident  a  été  déclaré  clos,  api'ès  que  M.  Pichon  a  remercié  le 
ministre  et  pris  acte  de  ses  déclarations. 

Sans  discussion,  on  a  voté,  en  première  délibération,  une  proposi- 
tion de  loi  tendant  à  l'établissemeat  d'un  droit  sur  les  mélasses 
étrangères.  •   î'    ,. 

CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Un  discours.  —  Le  pari  mutuel.  —  Election  sénatoriale.  —  Etranger. 

12  juin  1890. 

Les  conservateurs  ont,  plus  que  tous  autres,  ce  défaut  fran- 
çais :  la  crédulité  généreuse.  Ils  ont  une  extraordinaire  pro- 
pension à  voir  dans  leurs  adversaires  des  gens  débonnaires  et 
loyaux.  Maintes  fois  ils  ont  été  dupes,  mais  les  déceptions  ne 
leur  apprennent  rien.  Ils  sont  comme  ces  pièges  perpétuels,  con- 
tinuellement tendus,  toujours  ouverts.  L'aventure  Rouvier, 
jointe  à  tant  d'autres^  ne  les  a  pas  instruits.  Les  voici  mainte- 
nant tout  disposés,  dit-on,  à  se  laisser  séduire  par  M.  Constans. 
Cet  habile  homme,  après  avoir  «  tombé  >  le  boulangisme, 
semble  vouloir  le  remplacer  par  le  constantinisme.  Il  emprunte, 
d'ailleurs,  à  son  ancien  ennemi  ses  moyens  d'action.  C'est  ainsi 
qu'il  a  réédité,  samedi,  à  Périgueux,  le  discours  prononcé  par 
le  général  Boulanger  à  Tours,  il  y  a  quelque  temps.  Tout  y  est: 
l'appel  aux  bonnes  volontés,  l'affirmation  de  la  tolérance,  etc. 
On  s'attend  à  la  fin  de  la  harangue,  à  trouver  les  mots  de 
république  nationale.  Ils  n''y  sont  pas,  mais  le  morceau  est  du 
même  style,  du  même  mouvement,  avec,  sans  doute,  une  égale 
sincérité. 

Il  est  question  des  «  ouvriers  de  la  dernière  heure  »  qu'il  faut 
accueillir  sans  toutefois  leur  confier  la  garde  du  drapeau. 
L'image  n'est  peut-être  pas  bien  suivie,  ni  très  correcte,  mais 
elle  indique  bien  que  si  l'on  est  prêt  à  accepter  les  conservateurs 


608  ANNALES     CATHOLIQUES 

comme  «  servants  »,  on  ne  leur  donnera  aucune  part  à  la  direc- 
tion des  affaires.  Dans  ces  conditions,  on  ne  comprend  pas  bien 
pourquoi  ils  s'empresseraient.  Le  rôle  qu'on  leur  offre  n'a  rien 
de  nouveau  ni  de  trop  séduisant.  Ils  peuvent  le  remplir  sans  y 
être  appelés  par  les  égoïstes  qui  conservent  le  pouvoir  avec  une 
jalousie  acharnée. 

M.  Constans  veut  conserver  pour  les  siens  et  lui  la  «  garde 
du  drapeau  ».  Tout  le  monde  a  déjà  compris  que  c'est  de  ce 
nom-là  que  M.  Constans  désigne  l'assiette  au  beurre.  Aussi 
peut-on  s'étonner  de  voir  M.  Arthur  Meyer  écrire  dans  le 
Gaulois  à  propos  de  ce  discours,  que  les  idées  conservatrices 
sont  victorieuses,  et  que  la  parlotte  de  Périgueux  est  «  un  pre- 
mier triomphe  pour  nos  idées  ».  M.  Constans  aurait  eu  à  parler 
à  Lyon,  à  Saint-Etienne  ou  à  Marseille,  que  son  langage  se  fût 
inspiré  des  opinions  des  députés  de  la  région,  absolument 
comme  l'a  fait  ensuite  M.  Develle,  lorsqu'au  banquet  de  la 
Roche-sur-Yon,  chef-lieu  de  la  Vendée,  il  a  battu  le  rappel, 
afin  de  rallier  les  conservateurs  à  la  république  modérée.  Aussi 
ce  que  les  conservateurs  doivent  exiger  du  gouvernement  avant 
de  le  considérer  comme  pratiquant  la  république  ouverte,  ce 
sont  des  actes  et  non  pas  des  paroles. 

Dans  quelques  jours,  il  y  aura  à  la  Chambre  un  débat  oii  la 
question  de  la  laïcisation  sera  soulevée  à  propos  d'une  interpel- 
lation de  M.  Chassaing  sur  les  pharmacies  «  cléricales  »  dans 
les  campagnes,  et  nous  pourrons  savoir  exactement  alors, 
d'après  le  langage  et  l'attitude  du  cabinet,  ce  qu'il  faut  penser 
en  réalité,  de  ces  intentions  pacifiques  vis-à-vis  des  députés  de 
la  droite  et  des  électeurs  conservateurs.  Jusque-là,  il  est  permis 
de  dire  que  les  discours  prononcés  à  Périgueux  et  à  la  Roche- 
sur-Yon  ne  doivent  être  accueillis  que  sous  bénéfice  d'inven- 
taire. N'oublions  pas  que  M.  Constans  était  déjà  ministre  de 
l'intérieur  à  l'époque  de  l'exécution  des  décrets. 


Voici  le  passage  du  discours  de  M.  Constans  que  nous  venons 
d'apprécier  : 

Nous  voulons  faire  une  bonne  et  sage  République,  une  République 
qui  ne  stationne  pas,  mais  qui  progresse.  Il  serait  aussi  imprudent 
de  stationner  que  de  marcher  en  arriére.  Les  démocraties  qui  ne 
marchent  pas  sont  des  démocraties  qui  meurent.  Toutefois,  si  nous 
voulons  une  République  sage  et  progressive,  nous  ne  demandons  pas 
une  République  fermée. 


CHRONIQUE    DK    LA    SEMAINE  609 

Que  ceux  qui  ont  été  républicains  de  tout  temps  donnent  l'exemple 
et  accueillent  les  ouvriers  de  la  dernière  heure,  sauf  à  ne  pas  leur 
confier  la  garde  du  drapeau,  car  le  drapeau  doit  rester  dans  des 
mains  sûres  et  expérimentées. 

Si  la  République  entend  conserver  à  sa  tête  des  républicains 
fermes  et  convaincus,  elle  admet  qu'il  lui  est  possible  d'ouvrir  ses 
rangs  à  ceux  qui  ne  l'ont  pas  toujours  été,  à  la  condition  qu'ils 
donnent  une  preuve  immédiate  de  la  sincérité  de  leur  adhésion. 

Que  ceux  qui  ont  jusqu'ici  gardé  le  souvenir  des  régimes  déchus 
sachent  que  nous  ne  sommes  pas  une  République  tracassière.  Ils 
peuvent  venir  à  nous  avec  confiance.  J'ajoute  cependant  que  leur 
concours  ne  nous  est  pas  nécessaire  et  que,  s'ils  troublent  l'ordre, 
nous  saurons  les  contraindre  à  le  respecter. 

En  faisant  appel  à  toutes  les  bonnes  volontés,  nous  nous   souve- 
nons que  nous  sommes  fils  de  la  même  patrie.  Entre  Français  nou 
ne  voulons  pas   de   divergences.  Nous  souhaitons  l'union   de  tous; 
cette  union  ne  peut  être  réalisée   qu'au  profit  du  parti  républicain. 


Le  gouvernement  a  interdit,  par  arrêté  ministériel,  le  pari 
mutuel  aux  courses. 

Cette  décision  n'a  pas  été  sans  provoquer  une  vive  émotion  à 
Paris.  Les  propriétaires  des  grandes  agences  de  pari  ont  décidé 
de  se  laisser  citer  devant  les  tribunaux,  dans  l'espoir  de 
faire  proclamer  par  la  justice  l'illégalité  de  l'arrêté  pris  par  le 
ministre. 

Il  est  peu  probable  qu'ils  obtiennnent  pareil  jugement,  mais 
s'il  devait  en  être  ainsi,  il  faut  souhaiter  que  le  gouvernement 
dépose  un  projet  de  loi  qui  l'arme  contre  ces  agences. 

On  se  fait  difficilement  une  idée  de  ce  que  sont  les  courses  à 
Paris  et  quelle  véritable  fascination  elles  exercent  sur  la  popu- 
lation. On  a  rappelé  souvent  le  Panem  et  Circenses  des  Ro- 
mains :  il  est  en  train  de  devenir  absolument  exact  en  ce  qui 
regarde  Paris.  Par  suite  de  l'éducation  qu'il  reçoit,  le  peuple 
parisien  devient  de  plus  en  plus  enclin  à  demander  au  pouvoir 
de  lui  assurer  le  pain  par  des  lois  socialistes,  et  les  courses 
semblent  être  devenues  un  élément  nécessaire  de  son  existence. 

Sait-on  combien  de  personnes  les  trains  de  la  ligne  du  Nord 
transportent  à  Chantilly  les  jours  de  courses?  50.000  à  peu 
près  ! 

Passe  encore  si  les  courses  n'étaient  que  le  prétexte  de  pro- 
menades à  la  campagne.  Mais  la  plaie  de  ce  genre  d'amusement, 

44 


610  ANNALKS    CATHOLIQUES 

c'est  le  jeu  qui,  sous  forme  de  paris,  vient  se  greffer  dessus. 

Le  mal  est  d'autant  plus  grand  que  non  seulement  ceux  qui 
vont  aux  courses  parient,  mais,  grâce  aux  facilités,  grâce  aux 
tentations  des  mille  agences  de  paris  ouvertes  à  tous  les  coins 
de, rue,  dans  les  moindres  bouchons  de  marchands  de  vin,  la 
population  sédentaire  se  laisse  entraîner  à  parier  aussi.  L'ou- 
vrier retient  la  grosse  part  de  son  salaire  pour  la  placer  sur  le 
favori  du  jour  qu'il  n'a  jamais  vu,  dont  il  ne  connaît  ni  les 
défauts  ni  les  qualités,  mais  qui  lui  est  recommandé  par  le 
Petit  Journal  ou  le  Petit  Parisien.  Le  cocher  vole  son  patron, 
et  la  cuisinière  sa  bourgeoise  pour  porter  leur  pièce  de  cent 
sous  chez  le  marchand  de  vin.  C'est  une  fièvre  qui  tient  non 
seulement  les  riches  oisifs,  mais  surtout  les  petits  qui  auraient 
le  plus  besoin  de  garder  toutes  leurs  épargnes  et  qui  se  laissent 
fasciner  par  l'espoir,  jamais  réalisé,  d'un  gain  fabuleux. 

Un  journal  parisien  faisait  dernièrement  le  calcul  des  sommes 
jetées  ainsi  dans  le  gouffre  du  jeu  et  il  estimait  à  450,000  francs 
le  montant  des  paris  effectués  quotidiennement  chez  les  grandes 
agences.  En  j  ajoutant  les  paris  effectués  chez  les  bookmakers, 
il  arrivait  à  cette  conclusion  que  les  Parisiens  jouent  tous  les 
ans  aux  courses  un  capital  de  trois  cents  millions. 

Et  si  encore  ce  jeu  était  lojal  !  Mais  les  joueurs  sont  quoti- 
diennement volés,  volés  comme  dans  un  bois.  Tels  bureaux  de 
paris  se  contentent  d'encaisser  les  mises  sans  les  verser  aux 
agences  :  si,  par  un  hasard  extraordinaire,  un  parieur  vient  à 
gagner  quelque  grosse  somme,  le  bureau  se  déclare  insolvable. 
Il  encaisse,  il  ne  rembourse  pas.  D'autre  fois,  c'est  un  jockey 
qui  retient  son  cheval  pour  laisser  gagner  le  voisin.  En  un  mot, 
l'organisation  du  pari  aux  courses  n'abouti  qu'à  régler  l'exploi- 
tation du  public. 

Le  gouvernement  veut  y  mettre  nn  :  y  réussira-t-il  ?  Nous  en 
doutons.  Le  pari  mutuel,  contre  lequel  on  s'élève  aujourd'hui, 
a  été  présenté  lui-même  comme  un  remède  :  on  voit  ce  qu'il  a 
donné. 

On  inventera  un  autre  système,  mais  les  filous  sauront  bien 
encore  en  tirer  leur  profit.  Ce 'qu'il  faudrait  corriger,  ce  sont 
les  mœurs.  On  a  ôté  au  peuple  tout  frein  religieux,  on  lui  a 
enlevé  les  craintes  et  les  espérances  de  la  vie  future,  il  cherche 
dans  les  plaisirs  excitants  un  étourdissement  au  besoin  de  quel- 
que chose  dont  son  âme  est  rempli©  sans  qu'il  sache  comment 
la  satisfaire.  Qu'on  ramène  le  peuple  à  l'église,  et  les  abus  dont 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  6)1 

on  se  plaint  disparaîtront  peu  à  peu.  En  dehors  de  ce  moyen  de 
^alut  toutes  les  réformes  qu'on  tentera  seront  vaines. 


Une  élection  sénatoriale  a  eu  lieu,  dimanche  dans  le  Lot-et- 
Garonne. 

Deux  candidats  étaient  en  présence  :  MM.  Besse,  conserva- 
teur, et  Falliéres,  ministre  de  la  justice,  député  opportuniste. 
Voici  les  résultats  du  scrutin  : 

Inscrits,  710.  —  Votants,  703. 
MM.  Falliéres,  457  v.  ÉLU 

Besse,  231  > 

Il  s'agissait  de  remplacer  M.  Laporte,  opportuniste,  décédé. 
Il  n'y  a  donc  rien  de  changé  et  le  succès  des  républicains  se 
borne  à  un  nouveau  triomphe  de  la  candidature  officielle. 

Le  duc  d'Orléans  a  envoyé  un  messager  à  M.  le  duc  Decazes, 
le  chargeant  de  faire  publier  le  document  suivant  : 
«  Aux  conscrits  de  ma  classe. 

«  Mes  chers  camarades,  j'avais  demandé  à  faire  mes  trois  ans 
comme  soldat, 

«  Pour  toute  réponse,  on  m'a  condamné  à  deux  ans  de 
prison. 

«  Je  ne  me  plaignais  pas. 

*  Avant  l'expiration  de  la  peine,  on  me  reconduit  à  la  fron- 
tière. La  grâce  me  rend  aux  douleurs  de  l'exil. 

«  Je  change  seulement  de  captivité. 

«  Ma  résolution  reste  entière  ;  rien  ne  me  fera  renoncer  à 
mon  ardent  espoir  de  servir  la  patrie. 

«La  place  que  je  rêvais  dans  les  rangs,  au  milieu  de  vous, 
près  du  drapeau,  gardez-la  moi. 

«  Je  viendrai  la  reprendre. 

«  A  vous,  pour  Dieu  et  pour  la  France. 

«  Philippe,  duc  d'Orléans.  » 

L'on  se  demande  partout,  non  seulement  en  Allemagne,  mais 
en  Europe,  ce  que  va  faire  l'empereur  Guillaume  en  présence 
de  l'opposition  sans  cesse  grandissante  faite  par  le  prince  de 
Bismarck  à  son  gouvernement,  et  même  à  sa  personne.  Ces 
préoccupations  ne  sont  pas  étrangères  à  la  créance  rencontréô 


612  ANNALES    CATHOLIQUES 

par  les  bruits  les  moins  vraisemblables,  comme  ceux  qui  repré- 
sentent l'empereur  comme  résolu  soit  à  exiler  l'ex-chancelier, 
soit  aie  faire  enfermer  dans  une  maison  d'aliénés. 

Heureusement  qu'une  dépêche  de  Vienne  relatant  une  autre 
dépêche  de  Berlin,  qui  a  tout  l'air  d'une  communication  offi- 
cieuse, se  charge  de  rassurer  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler 
les  cercles  dirigeants  de  la  triple  alliance.  La  Nouvelle  Presse, 
l'un  des  organes  de  M.  Kalnoky,  publie,  en  efi'et,  cette  dépêche  : 
«  L'empereur  Guillaume  aurait  refusé  de  restreindre  la  liberté 
d'action  du  prince  de  Bismarck  comme  homme  privé,  mais  sur 
son  ordre,  le  général  de  Caprivi  aurait  adressé  récemment  une 
circulaire  confidentielle  aux  représentants  do  l'Allemagne,  les 
chargeant,  au  cas  où  des  éclaircissements  leur  seraient  deman- 
dés, de  déclarer  qu'il  s'agit,  dans  les  interviews  en  question, 
d'opinions  privées  ne  pouvant  aucunement  influer  sur  l'attitude 
politique  officielle  de  l'Allemagne.  » 

Voilà  qui  est  parfait,  tant  que  le  prince  de  Bismarck  agira 
comme  homme  privé  ;  mais,  dans  le  cas  contraire,  que  fera 
l'empereur?  On  est  en  droit  de  s'en  inquiéter. 


En  dehors  des  allées  et  venues,  des  propos  plus  ou  moins 
authentiques  et  des  résolutions  plus  ou  moins  arrêtées  de  celui 
qu'on  appelle  l'ermite  de  Friedrichsruhe,  la  semaine  qui  vient 
de  s'écouler  a  été  assez  calme  à  l'extérieur.  Il  est  intéressant 
toutefois  de  relever  la  discussion  curieuse  qui  vient  d'avoir 
lieu  à  la  Chambré  des  Communes  sur  l'établissement  d'un  tunnel 
sous-marin  destiné  à  relier  par  une  voie  ferrée  la  France  et 
l'Angleterre,  et  qui  pour  la  seconde,  sinon  pour  la  dernière 
fois,  vient  d'être  repoussé  par  les  députés  anglais. 

Qu'on  ait  élevé  contre  ce  projet. des  objections  techniques  et 
notamment  qu'on  ait  été  frappé  du  chiffre  des  dépenses  aux- 
quelles la  société  de  construction  aurait  pu  être  conduite,  per- 
sonne n'y  eût  trouvé  à  redire;  il  y  avait  là  en  eifet  de  quoi 
réfléchir.  Le  projet  était  gigantesque  et  peut-être  même  chimé- 
rique, encore  que  la  science  des  ingénieurs  se  vante  depuis 
quelques  années  d'avoir  raison  de  tous  les  obstacles.  Mais  ce  ne 
sont  pas  là,  nos  lecteurs  le  savent  déjà,  les  scrupules  qui  ont 
pesé  sur  la  conscience  des  députés  anglais  et  déterminé  leurs 
votes.  Ce  que  la  majorité  a  redouté  dans  l'établissement  d'un 
semblable    tunnel,    c'est   de   livrer    l'Angleterre    à   l'invasion 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  613 

•étrangère,  c'est  dépendre  caduque  cette  belle  ceinture  d'argent 
qui  l'entoure  !  En  termes  plus  précis,  l'Angleterre  doit  sa  situa- 
tion invulnérable  au  fait  qu'elle  est  une  île  ;  or,  le  jour  où  elle 
serait  reliée  au  continent  par  une  voie  carrossable  ou  ferrée, 
elle  s'imagine  qu'elle  perdrait  ses  privilèges,  et  se  trouverait 
exposée  à  l'invasion  étrangère;  donc,  pas  de  tunnel  et  en  effet 
il  n'y  en  aura  pas. 

En  vain  des  orateurs  écoutés  et  éloquents,  comme  M.  Glad- 
stone, ont  plaidé  la  cause  du  tunnel,  et  ont  fait  ressortir  que 
l'Angleterre  n'y  perdrait  ni  beaucoup,  ni  peu  de  son  invulnéra- 
bilité ;  qu'il  serait  toujours  possible  et  qu'on  serait  toujours  à 
temps  sur  la  côte  anglaise  pour  faire  sauter,  en  cas  de  guerre, 
le  fameux  tunnel  :  rien  n'y  a  fait.  La  majorité  de  la  Chambre 
s'est  dit  qu'après  tout  la  France  aurait  peut-être  la  tentation 
de  se  ruer  secrètement  sur  l'Angleterre  en  jetant  mystérieuse- 
ment dans  le  tunnel,  comme  les  Grecs  dans  le  cheval  de  Troyes, 
des  milliers  de  fantassins  et  d'artilleurs  lesquels  un  beau  matin 
occuperaient  Douvres  et  iraient  d'un  trait  à  Londres  pour  s'en 
emparer!  Cette  vision  a  agi  sur  les  cerveaux,  et  le  projet  de 
tunnel  a  été  écarté. 

La  situation  financière,  dans  l'Indo-Chine,  s'aggrave  de  plus 
en  plus.  D-'après  le  Progrès  de  Saigon^  le  déficit  au  Tonkin 
dépasse  9  millions,  et  les  rentrées  s'opèrent  difficilement. 
Quant  à  la  Cochinchine,  le  déficit  avoué  de  6  millions  s'accroîtra 
du  mécompte  que  donne  la  régie  de  l'opium.  Les  populations 
sont  mécontentes,  et  il  circule  dans  l'Annam  une  lettre  du 
conseil  de  régence,  dans  laquelle  il  est  dit  que  le  choléra, 
apparu  à  Hué,  est  un  châtiment  du  ciel  pour  punir  les  Fran- 
çais. Dans  ces  circonstances,  on  conçoit  que  l'administration  de 
rindo-Chine  songe  à  un  emprunt,  mais  on  conçoit  plus  diffici- 
lement qu'elle  trouve  des  prêteurs,  car  nous  ne  saurions  prendre 
au  sérieux  l'affirmation  de  V Avenir  du  Tonkin,  suivant  laquelle 
ce  serait  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations  qui  se  chargerait 
de  fournir  les  50  ou  60  millions  demandés.  La  Caisse  des  dépôts 
et  consignations  est  une  dépendance  du  Trésor,  et  ceux  qui 
l'administrent  n'ont  pas  le  droit  d'engager  dans  de  pareilles 
aventures  les  capitaux  dont  l'État  est  responsable. 

Encore  un  mot  à  propos  du  Tonkin,  ce  paradis  de  M.  Ferry. 
C'en  est  un  en  efi'et,  mais  pour  les  seuls  fonctionnaires.  V Avenir 


614  ANNALES    CATHOLIQUES 

du  Tonkin  nous  raconte  que  MM.  Vergriets  et  Deschervenden 
viennent  d'attaquer  le  gouvernement  de  l'Indo-Chine  en  paye- 
ment des  frais  occasionnés  par  le  transport  des  bagages  per- 
sonnels de  M.  Escoubet,  résident  de  Bao-Bang.  Il  n'a  presque 
rien  coûté  ce  transport:  45,000  fr.  Il  est  vrai  que  M.  le  résident 
ne  possédait  que  cinquante-deux  tonnes  de  bagages  !  Cinquante- 
deux  mille  kilogrammes!  Peste!  Pour  un  budgétivore,  M.  le 
résident  est  un  fameux  budgétivore  !  Or,  sait-on  combien  le 
retour  de  Cao-Bang  à  Hanoï,- c'est-à-dire  le  même  trajet  en 
sens  inverse,  fait  par  trois  officiers  et  une  compagnie  entière, 
vivres  et  transports  compris,  avait  coûté?  Douze  cents  francs. 
Douze  cents  francs  pour  tout  le  trajet,  au  lieu  de  quarante-cinq 
mille  pour  une  fraction  de  ce  même  trajet.  Il  est  vrai  que  les 
militaires  portent  leurs  bagages  sur  leur  dos  ;  les  réserves  de 
munitions  et  de  vivres  sont  seules  mises  dans  des  voitures  ou 
sur  des  bêtes  de  somme.  Ne  pourrait-on  pas  demander  que 
M.  Escoubet  paye  le  transport  de  ses  cinquante-deux  mille  ki- 
logrammes de  bagages?  Les  services  qu'il  rend  ne  sont  pas  assez 
considérables  pour  qu'on  l'entretienne  de  la  sorte.  Il  est  déjà 
suffisamment  rémunéré  par  sa  solde. 


UNE  SPOLIATION 

La  commission  du  budget  a  pris  dans  sa  dernière  séance  deux 
résolutions  graves.  Elle  a  décidé  :  1°  que  l'intérêt  de  l'argent 
déposé  dans  les  Caisses  d'épargne,  qui  est  actuellement  de 
4  pour  cent,  serait  réduit  à  3.25  pour  cent  ;  2°  que  les  bénéfices 
résultant  de  cette  réduction,  au  lieu  d'être  attribués  au  fonds 
de  réserve  des  Caiss-es  d'épargne,  devront  profiter  au  budget  et 
être  ajoutés  aux  ressources  générales  du  Trésor. 

Cette  double  décision  ne  manquera  pas  de  jeter  une  vive 
émotion  parmi  les  déposants  des  Caisses  d'épargne  qui  ne 
constituent  pas  une  quantité  négligeable,  puisqu'ils  sont  au 
nombre  de  six  millions. 

On  sait  que  le  taux  de  l'intérêt  pour  les  dépôts  des  Caisses 
d'épargne  a  été  fixé  à  4  pour  cent  par  la  loi  du  7  mai  1853.  Il 
n'a  pas  varié  depuis. 

Convient-il  de  le  réduire  et  dans  quelles  limites  ? 

Sans  doute  le  taux  de  4  pour  cent  peut  sembler  exagéré  main- 
tenant que  les  valeurs  de  tout  repos  ne  donnent  guère  plus  de 
3  1/2  pour  cent. 


CHRONIQUE    DE    LA.   SEMAINE  615 

Mais  jusqu'à  présent  le  Trésor  n'a  éprouvé,  de  oe  fait,  aucun 
dommage,  il  n'a  subi  aucune  perte. 

En  effet,  les  fonds  des  Caisses  d'épargne  sont  xersés  à  la 
Caisse  des  dépôts  et  consignations,  laquelle  en  fait  emploi  en 
rentes  sur  l'Etat  et  autres  valeurs  de  tout  repos,  sauf  une  ré- 
serve disponible  qui  ne  doit  pas  excéder  cent  millions. 

Or,  les  valeurs  que  détient  de  ce  chef  la  Caisse  des  consigna- 
tions lui  ont  produit  pour  1889,  si  nous  ne  nous  trompons,  an 
moins  3.75  d'intérêts. 

Donc  la  différence  de  l'intérêt  ser-vi  par  la  Caisse  des  dépôts 
aux  Caisses  d'épargne  s'est  traduite  en  1889  par  une  perte  de 
25  centimes  par  cent  francs.  Mais  cette  perte  n'a  pas  été  sup- 
portée par  le  Trésor,  puisque  la  Caisse  des  consignations  possède 
un  fonds  de  réserve  de  plus  de  40  raillions,  provenant  des  béné- 
fices qu'elle  a  réalisés  sur  les  opérations  des  Caisses  d'épargne. 
C'est  au  moyen  d'un  prélèvement  sur  ce  fonds  de  réserve  que 
l'on  a  comblé  la  perte  résultant  de  la  différence  entre  l'intérêt 
de  4  pour  cent  servi  aux  Caisses  d'épargne  et  Tintérêt  de  3.75 
que  rapportent  les  valeurs  que  contient  le  portefeuille  des 
caisses  d'épargne. 

Mais  comme  il  ne  faut  pas  épuiser  le  fonds  de  réserve,  qui  est 
pour  les  clients  des  caisses  d'épargne  une  garantie  précieuse, 
nous  admettons  très  volontiers  que  l'on  réduise  de  25  centimes 
par  cent  francs  le  taux  de  l'intérêt  et  qu'on  l'abaisse  à  3.75 
pour  cent. 

Cette  réduction  est  sensible,  car  il  tautbiense  rendre  compte 
que  le  déposant  ne  touche  pas  intégralement  l'intérêt  servi  par 
la  Caisse  des  dépôts  et  consignations.  Les  caisses  d'épargne 
conservent,  comme  il  est  juste,  une  partie  de  cet  intérêt  pour 
couvrir  leurs  frais  d'administration. 

11  en  est  qui  retiennent  0  50  pour  cent,  d'autres  un  peu  plus, 
d'autres  un  peu  moins.  En  réalité,  les  clients  des  caisses 
d'épargne  ne  reçoivent  pas  plus  de  3  1/2  pour  cent.  Si  le  taux 
de  l'intérêt  est  abaissé  à  3  25  pour  cent,  comme  l'a  décidé  la 
commission  du  budget,  ils  ne  recevront  que  2  75  pour  cent. 

Si  on  ne  fait,  au  contraire,  qu'une  réduction  de  0  25  pour 
cent,  les  clients  des  caisses  d'épargne  privées  recevront  de  3  fr.  25 
à  3  fr.  50  pour  cent  francs,  et  ceux  de  la  Caisse  d'épargne  pos- 
tale continueront  à  recevoir  3  pour  cent.  Ils  n'auront  pas  trop  à 
se  plaindre  et  l'équilibre  sera  rétabli  entre  le  taux  de  l'intérêt 
versé  par  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations  et  le  taux  dô 


616  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'intérêt  produit  par  les  valeurs  constituant  le  portefeuille  des 
caisses  d'épargne. 

Nous  protestons  donc  au  nom  des  six  millions  de  déposants 
des  caisses  d'épargne,  contre  la  décision  prise  par  la  commission 
du  budget.  Nous  repoussons  la  réduction  de  l'intérêt  à  3  25 
pour  cent.  Nous  demandons  la  réduction  à  3  75  pour  cent,  qui 
est  suffisante  pour  garantir  le  Trésor  contre  toute  éventualité 
de  perte  du  fait  des  caisses  d'épargne. 

Il  nous  reste  maintenant  à  parler  de  la  seconde  résolution 
de  la  commission  du  budget.  Celle-ci  n'est  pas  seulement  mala- 
droite. Elle  est  inique. 

On  a  le  droit  de  réduire  l'intérêt  alloué  aux  caisses  d'épar- 
gne. Mais  on  n'a  pas  le  droit  de  confisquer  des  fonds  qui  sont 
leur  propriété^  qui  leur  appartiennent,  ou  plutôt  qui  appar- 
tiennent à  leurs  clients. 

Or,  c'est  exactement  ce  que  fait  la  commission  du  budget, 
quand  elle  établit  que  le  Trésor  bénéficiera  des  sommes  prove- 
nant de  la  réduction  des  intérêts  et  que  ces  sommes  seront  por- 
tées en  recette  au  budget. 

La  commission  du  budget,  en  adoptant  cette  mesure  inique, 
n'a  fait  que  reprendre  une  idée  de  M.  Wilson,  qui,  lorsqu'il 
était  à  l'apogée  de  sa  gloire  et  tenait  boutique  à  l'Elysée  pour 
vente  de  croix  delà  Légion  d'honneur,  avait  trouvé  ingénieux 
de  faire  main  basse  sur  les  fonds  des  caisses  d'épargne. 

La  commission  du  budget  aurait  pu  se  dispenser  de  s'inspirer 
des  idées  du  gendre  de  M.  Grévy. 

Il  est  des  modèles  meilleurs  à  copier. 

Réduire  l'intérêt  des  Caisses  d'épargne  de  0,75  pour  cent, 
afin  de  faire  bénéficier  le  Trésor  de  cette  dilTérence,  qui  repré- 
senterait sur  les  3  milliards  de  francs  de  dépôt  22  millions 
500,000  francs  par  an,  ce  serait  porter  atteinte  à  la  propriété 
des  déposants.  Ce  serait  établir  sur  la  petite  épargne  un  impôt 
du  quart,  c'est-à-dire  de  25  pour  cent,  tandis  que  les  gros 
capitaux  ne  paient  que  3  pour  cent  et  même  ne  paient  rien  du 
tout  quand  ils  sont  placés  en  rentes. 

Ce  serait  une  véritable  spoliation. 

Nous  dénonçons  ce  projet  de  confiscation  de  la  petite  épargne, 
avec  l'espérance  que  l'opinion  publique  en  fera  justiee. 

i  Soleil). 

Le  gérant:  P.  Ohantrel. 

Paris.  Imp.  G.  Picqnoin,  53,  rut  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLIQUES 


TROIS  FLEAUX,  UN  REMEDE 

La  société  souffre,  la  société  s'agite  et  parfois  elle  s'affole  à 
la  vue  des  dangers  qui  la  menacent.  Elle  sent  qu'elle  n'est  pas 
assise  sur  un  fondement  solide,  que  son  toit  ne  s'appuie  pas  sur 
de  solides  colonnes.  Politiquement  et  socialement  envisagées, 
ses  institutions  sont  mauvaises  parce  qu'elles  ne  tiennent 
compte  que  de  l'individu  et  de  l'individu  considéré  isolément. 
Entre  l'individu  et  l'Etat,  entre  le  travail  et  le  capital,  il  manque 
des  institutions  intermédiaires  oii  les  citoyens  pourraient  se 
grouper  et  les  éléments  de  la  richesse  se  rapprocher.  Le  dernier 
moyen  pacifique  du  citoyen  pour  faire  entendre  sa  voix  paraît  à 
beaucoup  devoir  être  le  suffrage  universel  direct,  et  ce  suffrage 
est,  dans  nos  pays  libéralisés,  une  arme  empoisonnée  qui  blesse 
même  celui  qui  la  manie.  Le  dernier  moyen,  rarement  pacifique 
chez  nous,  reconnu  à  l'ouvrier  pour  faire  prévaloir  ses  intérêts 
et  ses  passions,  consiste  dans  la  grève,  qui  blesse  souvent  et  le 
capital  et  le  travail,  et  sème  la  misère.  Suffrage  universel  et 
grève,  voilà  les  deux  moyens  d'action  du  citoyen  et  du  tra- 
vailleur que  nous  voyons  à  l'œuvre  dans  la  plupart  des  Etats  de 
l'Europe.  Leur  emploi  s'est  développé  avec  le  militarisme  qui 
est,  lui,  la  suprême  ressource  des  gouvernements  contre  les 
dangers  du  dedans  et  du  dehors. 

Tels  qu'ils  sont  entendus  et  pratiqués  de  nos  jours,  le  suffrage 
universel,  la  grève  et  le  militarisme  sont  trois  fléaux. 

Les  Papes  ont  appelé  le  suffrage  universel,  issu  de  la  Révolu- 
tion française  et  du  libéralisme  contemporain,  le  mensonge 
universel.  Récemment  Sa  Sainteté  Léon  XIII  déplorait  les  pro- 
grès effrayants  de  la  res  militaris  pour  la  morale  et  la  prospé- 
rité matérielle.  Quant  à  la  grève,  des  évêques  se  sont  jetés 
entre  les  belligérants  pour  éviter  de  grands  maux  et  amener  la 
paix. 

Nous  sommes  menacés  des  progrès  de  ces  trois  fléaux.  La 
grève  générale  est  dans  l'air  comme  l'armement  général  et 
comme  le  suffrage  général  donnés  aux  imberbes,  adolescents  et 
femmes. 

Allons-nous  aller  jusqu'au  bout,  jusqu'au  fond?  Ne  serait-il 
pas  temps  de  réfléchir,  d'arrêter  un  plan  de  campagne  et  d'agir? 
Lxxii  —  21  Juin  1890  45 


620  ANNALES    CATHOLIQUES 

simplement  avoir  constaté  l'initiative  avec  laquelle  les  catho- 
liques ont  ouvert  les  voies. 

A  relever  aussi  la  modération  observée  par  M.  Wagner  en 
parlant  des  socialistes.  Il  ne  voit  pas  en  eux  les  adversaires 
qu'il  faudrait  combattre  ;  c'est  contre  les  péchés  et  les  vices  des 
classes  dirigeantes  qu'il  faut  entreprendre  la  lutte  en  première 
ligne. 

L'orateur  n'a  pas  été  beaucoup  plus  heureux  avec  cette  partie 
de  son  discours  qu'avec  celle  où  il  rendait  justice  aux  catho- 
liques. Entendre  qualifier  les  chefs  de  la  démocratie  socialiste 
allemande  d'hommes  pénétrés  d'idéalisme,  capables  de  souflrir 
le  martyre  pour  leurs  idées,  a  fortement  déplu  à  une  partie  de 
l'assistance,  bien  plus  disposée  à  déldatorer  contre  les  socia- 
listes qu'à  redresser  les  vices  des  classes  supérieures 

En  somme,  les  discours  de  M.  Magner  ont  été  la  partie  la 
plus  remarquable  du  congrès. 

M.  Kropatschek  a  traité  la  réglementation  du  travail  en  se 
tenant  dans  les  limites  généralement  acceptées  en  Allemagne. 
Son  rapport,  qui  aurait  pu  faire  sensation  dans  certains  autres 
pays,  a  été  trouvé  terne  et  dépourvu  d'intérêt.  Dans  la  discus- 
sion de  ce  rapport  un  industriel  notable,  M.  Metzenthiu,  a 
déclaré  que  le  projet  de  lois  protectrices  déposé  par  le  gou- 
vernement devait  être  citnsidéré  comme  un  minimum.  Dans  sa 
fabrique,  l'orateur  a  introduit  la  journée  de  dix  heures  et  il 
produit  autant  que  ses  concurrents,  qui  maintiennent  la  journée 
de  douze  heures.  Au  siijei  des  ouvriers  agricoles  la  discussion 
s'est  envenimée.  Un  prédicateur  a  pai'lé  des  abus  qui  se  com- 
mettent dans  les  exploitations  agricoles,  et  le  gant  a  été  vive- 
ment relevé  par  le  comte  de  Stolberg;  mais  il  ne  semble  pas 
avoir  pu  détruire  les  arguments  et  les  faits  cités  par  le  pasteur 
Sauberzweig. 

Une  discussion  assez  intéressante  a  eu  lieu  au  sujet  de  la 
fondation  de  cercles  ouvriers.  Le  pasteur  Stoecker  avait  prôné 
l'élargissement  du  cadre,  il  faudrait  choisir  un  autre  nom  et 
englober  aussi  les  paysans  et  les  compagnons  de  métiers,  même 
enrôler  les  catholiques.  Il  a  fallu  en  rabattre  et  de  beaucoup, 
car  on  a  constaté  que  la  fondation  de  cercles  n'était  possible 
que  dans  les  endroits  où  un  antagonisme  avec  les  catholiques 
se  fait  sentir.  Triste  témoignage  d'impuissance! 

Très  caractéristique  pour  l'esprit  de  l'assemblée  a  été  son 
attitude  vis-à-vis  d'une  résolution  disant  que  la  classe  ouvrière 


CONGRÈS    SOCIAL   ÉVANGÉLIQUE   DE    BERLIN  621 

a  droit  à  l'égalité  morale  avec  les  autres  classes.  On  n'a  pas  eu 
le  courage  de  l'adopter.  Singuliers  amis  des  ouvriers! 

Comme  bouquet,  on  a  eu  un  discours  du  pasteur  Stoecker 
contre  les  juifs.  La  réunion  est  devenue  orageuse.  L'entente 
parfaite  qui  règne  généralement  dans  ces  milieux  quand  on 
invective  les  catholiques,  cesse  dés  qu'on  touche  aux  juifs. 

M.  Kropatscheck  a  eu  la  méchanceté  de  relever  cette  attitude 
bizarre.  «  Pourquoi  toutes  les  attaques  contre  les  catholiques 
rencontrent-elles  vos  chaleureux  applaudissements,  et  pourquoi 
faites-vous  appel  à  la  charité,  à  la  justice,  à  la  paix,  dés  qu'il 
s'agit  d'un  juif?  > 

La  question  était  embarrassante  et  les  réponses  en  consé- 
quence. Le  professeur  Kaftan  trouve  que  dans  l'Eglise  catho- 
lique on  combat  un  système,  tanriis  que  chez  les  juifs  il  ne  s'agit 
que  de  personnes  indéterminées  !  M.  Harnack  trouve  que  le  ca- 
tholicisme est  une  confession,  et  les  juifs  sont  un  peuple. 

Bref,  on  s'est  dit  des  choses  désagréables,  et  c'est  sur  cette 
note  discordante  que  le  Congrès  évangélique  s'est  séparé. 

Si  nous  résumons  les  discussions  du  Congrès,  nous  aurons  à 
constater  qu'elles  ne  sont  pas  de  nature  à  éveiller  de  grandes 
espérances  sur  l'action  sociale  de  l'Eglise  protestante. 

Ce  qui  fait  défaut  avant  tout  c'est  l'unité;  et  comment  pour- 
rait-il en  être  autrement?  C'est  le  vice  fondamental  du  protes- 
tantisme, qui  ruinera  constamment  les  meilleures  tentatives. 
Dans  ce  même  ordre  d'idées,  nous  aurons  aussi  à  constater  qu'il 
manque  aux  protestants  la  chose  la  plus  essentielle  pour  mener 
abonne  fin  leurs  entreprises,  c'est-à-dire  l'organe  indispensable, 
l'Eglise.  Il  n'y  a  pas  d'Eglise  protestante,  il  y  a  de  nombreuses 
individualités  qui  ne  se  rencontrent  que  dans  une  chose,  la  né- 
gation. L'action  individuelle  restera  nécessairement  restreinte, 
on  pourra  par-ci  par-là  créer  quelques  œuvres  utiles,  réaliser 
quelque  bien,  mais  une  action  générale,  telle  que  la  nécessité 
de  l'heure  présente  la  réclame,  sera  impossible. 

Nous  le  regrettons  sincèrement,  car  une  rivalité  sur  le  do- 
maine de  la  charité  était  bien  faite  pour  nous  plaire.  Nous  pou- 
vons accompagner  de  nos  vœux  les  efforts  des  protestants,  mais 
nous  ne  saurions  nous  faire  des  illusions  sur  leur  succès. 

L'Eglise  de  Pierre  seule  peut  résister  aux  flots. 


620  ANNALES    CATHOLIQUES 

simplement  avoir  constaté  l'initiative  avec  laquelle  les  catho- 
liques ont  ouvert  les  voies. 

A  relever  aussi  la  modération  observée  par  M.  Wagner  en 
parlant  des  socialistes.  Il  ne  voit  pas  en  eux  les  adversaires 
qu'il  faudrait  combattre  ;  c'est  contre  les  péchés  et  les  vices  des 
classes  dirigeantes  qu'il  faut  entreprendre  la  lutte  en  première 
ligne. 

L'orateur  n'a  pas  été  beaucoup  plus  heureux  avec  cette  partie 
de  son  discours  qu'avec  celle  où  il  rendait  justice  aux  catlio- 
liques.  Entendre  qualifier  les  chefs  de  la  démocratie  socialiste 
allemande  d'hommes  pénétrés  d'idéalisme,  capables  de  souHrir 
le  martyre  pour  leurs  idées,  a  fortement  déplu  à  une  partie  de 
l'assistance,  bien  plus  disposée  à  dél)latérer  contre  les  socia- 
listes qu'à  redresser  les  vices  des  classes  supérieures 

En  somme,  les  discours  de  M.  \\'agner  ont  été  la  partie  la 
plus  remarquable  du  congrès. 

M.  Kropatschek  a  traité  la  réglementation  du  travail  en  se 
tenant  dans  les  limites  généralement  acceptées  en  Allemagne. 
Son  rapport,  qui  aurait  pu  faire  sensation  dans  certains  autres 
pays,  a  été  trouvé  terne  et  dépourvu  d'intérêt.  Dans  la  discus- 
sion de  ce  rapport  un  industriel  notable,  M.  Metzenthiu,  a 
déclaré  que  le  projet  de  lois  protectrices  déposé  par  le  gou- 
vernement devait  être  considéré  comme  un  minimum.  Dans  sa 
fabrique,  l'orateur  a  introduit  la  journée  de  dix  heures  et  il 
produit  autant  que  ses  concurrents,  qui  maintiennent  la  journée 
de  douze  heures.  Au  sujei  des  ouvriers  agricoles  la  discussion 
s'est  envenimée.  Un  prédicateur  a  parlé  des  abus  qui  se  com- 
mettent dans  les  exploitations  agricoles,  et  le  gant  a  été  vive- 
ment relevé  par  le  comte  de  Stolberg;  mais  il  ne  semble  pas 
avoir  pu  détruire  les  arguments  et  les  faits  cités  par  le  pasteur 
Sauberzweig. 

Une  discussion  assez  intéressante  a  eu  lieu  au  sujet  de  la 
fondation  de  cercles  ouvriers.  Le  pasteur  Stoecker  avait  prôné 
l'élargissement  du  cadre,  il  faudrait  choisir  un  autre  nom  et 
englober  aussi  les  paysans  et  les  compagnons  de  métiers,  mémo 
enrôler  les  catholiques.  Il  a  fallu  en  rabattre  et  de  beaucoup, 
car  on  a  constaté  que  la  fondation  de  cercles  n'était  possible 
que  dans  les  endroits  oii  un  antagonisme  avec  les  catholiques 
se  fait  sentir.  Triste  témoignage  d'impuissance  ! 

Très  caractéristique  pour  l'esprit  de  l'assemblée  a  été  son 
attitude  vis-à-vis  d'une  résolution  disant  que  la  classe  ouvrière 


CONGRÈS    SOCIAL    ÉVANGÉLIQUE    DE    BERLIN  621 

a  droit  à  l'égalité  morale  avec  les  autres  classes.  On  n'a  pas  eu 
le  courage  de  l'adopter.  Singuliers  amis  des  ouvriers  ! 

Comme  bouquet,  on  a  eu  un  discours  du  pasteur  Stoecker 
contre  les  juifs.  La  réunion  est  devenue  orageuse.  L'entente 
parfaite  qui  règne  généralement  dans  ces  milieux  quand  on 
invective  les  catholiques,  cesse  dès  qu'on  touche  aux  juifs. 

M.  Kropatscheck  a  eu  la  méchanceté  de  relever  cette  attitude 
bizarre.  «  Pourquoi  toutes  les  attaques  contre  les  catholiques 
rencontrent-elles  vos  chaleureux  applaudissements,  et  pourquoi 
faites-vous  appel  à  la  charité,  à  la  justice,  à  la  paix,  dès  qu'il 
s'agit  d'un  juif?  » 

La  question  était  embarrassante  et  les  réponses  en  consé- 
quence. Le  professeur  Kaftan  trouve  que  dans  l'Eglise  catho- 
lique on  combat  un  système,  tandis  que  chez  les  juifs  il  ne  s'agit 
que  de  personnes  indéterminées  !  M.  Harnack  trouve  que  le  ca- 
tholicisme est  une  confession,  et  les  juifs  sont  un  peuple. 

Bref,  on  s'est  dit  des  choses  désagréables,  et  c'est  sur  cette 
note  discordante  que  le  Congrès  évangélique  s'est  séparé. 

Si  nous  résumons  les  discussions  du  Congrès,  nous  aurons  à 
constater  qu'elles  ne  sont  pas  de  nature  à  éveiller  de  grandes 
espérances  sur  l'action  sociale  de  l'Eglise  protestante. 

Ce  qui  fait  défaut  avant  tout  c'est  l'unité;  et  comment  pour- 
rait-il en  être  autrement?  C'est  le  vice  fondamental  du  protes- 
tantisme, qui  ruinera  constamment  les  meilleures  tentatives. 
Dans  ce  même  ordre  d'idées,  nous  aurons  aussi  à  constater  qu'il 
manque  aux  protestants  la  chose  la  plus  essentielle  pour  mener 
abonne  fin  leurs  entreprises,  c'est-à-dire  l'organe  indispensable, 
l'Eglise.  Il  n'y  a  pas  d'Eglise  protestante,  il  y  a  de  nombreuses 
individualités  qui  ne  se  rencontrent  que  dans  une  chose,  la  né- 
gation. L'action  individuelle  restera  nécessairement  restreinte, 
on  pourra  par-ci  par-là  créer  quelques  œuvres  utiles,  réaliser 
quelque  bien,  mais  une  action  générale,  telle  que  la  nécessité 
de  l'heure  présente  la  réclame,  sera  impossible. 

Nous  le  regrettons  sincèrement,  car  une  rivalité  sur  le  do- 
maine de  la  charité  était  bien  faite  pour  nous  plaire.  Nous  pou- 
vons accompagner  de  nos  vœux  les  efforts  des  protestants,  mais 
nous  ne  saurions  nous  faire  des  illusions  sur  leur  succès. 

L'Eglise  de  Pierre  seule  peut  résister  aux  flots. 


622  ANNALES    CATHOLIQUES 

LA   SIXIÈME  BÉATITUDE  ÉVANGÉLIQUE 

COMMENTÉE  ET  APPLIQUÉE  AU  PRÊTRE 

Beati  mundo  Corde,  quoniam  ipsi  Deum  videhimt. 

«  Bienheureux  ceux  qui  ont  le  coeur  pur  parce  qu'ils  verront 
Dieu.  » 

On  est  étonné  en  lisant  la  Sainte  Ecriture,  de  voir  qu'autant 
Dieu,  aux  premiers  âges  du  monde,  punit  sévèrement  les 
hommes  à  cause  de  leur  corruption,  autant  Notre-Seigneur 
paraît  indulgent  pour  ces  mêmes  fautes. 

Il  aborde  familièrement  la  Samaritaine  dont  il  n'ignorait  pas 
la  conduite  scandaleuse;  il  s'entretient  avec  elle  sans  se  soucier 
des  préjugés  qui  divisaient  les  Juifs  et  les  Samaritains  ni  du 
scandale  qu'il  cause  à  ses  apôtres  lorsque  ceux-ci  l'aperçoivent 
causant  en  public  avec  une  pareille  femme.  Et  quand  Madeleine 
dont  la  vie  criminelle  était  une  honte  dans  Naïm,  entre  chez 
Simon  et  se  jette  à  ses  pieds,  loin  de  la  repousser,  il  fait  son 
éloge,  comparant  même  sa  conduite  avec  celle  de  Simon  qui  l'a 
reçu  froidement,  sans  lui  donner  le  baiser  de  paix,  tandis  que 
cette  femme  n'a  cessé  de  lui  témoigner  le  respectueux  atta- 
chement qu'elle  a  pour  lui. 

«  Consoloz-vous,  lui  dit-il,  avec  un  ton  plein  de  douceur,  vos 
péchés  vous  sont  remis  »  et  s'apercevant  que  ceux  qui  étaient  à 
table  murmuraient  :  «  Votre  foi  vous  a  sauvée,  *  reprit-il 
aussitôt,  «  allez  en  paix.  »  Les  Pharisiens  lui  amènent  une 
femme  qu'ils  ont  surprise  en  faute;  il  les  oblige  d'abord  à  se 
retirer  les  uns  après  les  autres,  honteux  de  ce  qu'il  écrivait  à 
terre  de  chacun  d'eux  :  «  Femme,  lui  dit-il,  où  sont  donc  ceux 
qui  vous  accusaient?Personne  ne  vous  a  condamnée?  »  —  «Per- 
sonne! Ni  moi  non  plus,  répond  Jésus,  je' ne  vous  condamnerai, 
allez  et  ne  péchez  plus.  »  C'est  la  même  indulgence  qui  éclate 
presque  à  chaque  ligne  des  paraboles  de  la  brebis  égarée,  de  la 
dragme  perdue,  de  l'enfant  prodigue. 

Or  ne  vous  y  trompez  pas  ;  si  Notre-Seigneur  accueille  sans 
reproche  les  victimes  du  sens  réprouvé,  c'est  sans  doute  parce 
que  personne  n'est  aussi  père  que  lui,  comme  le  dit  saint  Augus- 
tin, mais  c'est  surtout  parce  que  chez  ces  coupables  le  repentir 
est  supérieur  à  leurs  scandales;  la  preuve  ce  sont  les  reproches 
qu'il  adresse  aux  Pharisiens  hypocrites  et  sensuels  qui  devant 
le  peuple  se  paraient  des  dehors  de  la  vertu,  alors  que  dans   le 


SIXIÈME    BÉATITUDE    ÉVAN6ÉLIQUE  623 

secret  de  leurs  demeures,  ils  menaient  une  vie  aussi  scanda- 
leuse que  la  Samaritaine,  que  la  Madeleine,  que  l'enfant  pro- 
digue. Aussi  mon  dessein  est-il,  non  d'étaler  sous  vos  yeux  le 
spectacle  des  hontes  dont  l'apôtre  ne  veut  pas  que  le  nom 
même  soit  prononcé  dans  l'assemblée  des  Saints  ;  mais  d'attirer 
votre  attention  sur  deux  dangers  que  le  sens  réprouvé  fait  courir 
au  prêtre  et  qui  paralysent  son  ministère. 

I 

Notre-Seigneur  venait  de  débarquer  dans  la  contrée  des 
Gérésaniens,  au  village  de  Gadara,  lorsque  deux  démoniaques, 
tellement  furieux  que  personne  n'osait  passer  par  ce  chemin, 
sortirent  des  sépulcres  voisins  et  se  présentèrent  à  lui.  L'un 
d'eux,  le  plus  redouté  dans  le  pays,  possédé  depuis  plusieurs 
années,  ne  portait  aucun  vêtement,  n'habitait  pas  de  maison  et 
quand  on  était  parvenu  à  l'enchaîner,  il  brisait  ses  fers,  sans 
que  personne  put  le  dompter.  D'autres  fois  dominé  par  une 
sombre  mélancolie,  il  fuyait  l'aspect  des  hommes,  criant  jour  et 
nuit  dans  les  sépulcres  et  les  montagnes,  poussant  des  cris 
lamentables,  se  meurtrissant  la  poitrine.  Du  plus  loin  qu'il 
aperçut  Jésus,  il  accourut  et  se  prosterna.  Le  démon  qui  l'agi- 
tait, lui  fit  pousser  d'assourdissantes  clameurs: 

«  —  Quel  est  ton  nom?  demanda  Jésus  au  démon. 

«  —  Mon  nom  est  Légion,  »  répondit-il. 

Non  loin  de  là,  sur  la  montagne,  paissait  un  troupeau  de 
porcs.  Les  esprits  impurs  supplièrent  Jésus  de  leur  permettre 
d'entrer  dans  ces  pourceaux. 

«  —  Allez», leur  dit  Jésus,  et  sortant  du  corps  de  ce  malheu- 
reux, ils  entrèrent  dans  ces  pourceaux. 

Ces  deux  possédés  sont  la  figure  de  ceux  que  domine  le  sens 
reprouve.  Il  n'est  pas  d'excès  dont  ils  ne  soient  capables.  Rien 
ne  parvient  à  calmer  la  fougue  de  leurs  emportements,  ni  la 
perte  de  leur  réputation,  ni  les  chagrins  dont  ils  sont  l'occasion, 
ni  la  crainte  des  jugements  de  Dieu  ;  ils  sont  aussi  sourds  aux 
appels  les  plus  pressants  de  l'affection  qu'aux  reproches  de  l'au- 
torité la  plus  sainte.  Ils  en  arrivent  à  fuir  leurs  meilleurs  amis, 
à  s'expatrier  afin  de  dissiper  plus  à  l'aise  tout  leur  bien.  Le 
sens  réprouvé  tue  l'amour  filial,  l'amour  paternel,  l'amitié  la 
plus  ancienne.  J'ai  connu  des  jeunes  gens  dont  l'éducation  avait 
coûté  à  leur  père  et  à  leur  mère  de  lourds  sacrifices  et  qui,  au 
moment  où  sonnait  pour  eux  l'heure  de  reconnaître  tant  de 


624  ANNALES   CATHOLIQUES 

sollicitude,  ne  se  rappelaient  rien,  parce  qu'à  la  même  heure  1© 
sens  réprouvé  s' éveiU&it  en  eux.  J'en  ai  vu  lever  la  main  sur 
leur  père,  se  moquer  des  larmes  de  leur  mère,  assister  sans 
remords  aux  ravages  que  le  chagrin  plus  encore  que  les  an- 
nées faisait  dans  ces  êtres  sacrés,  et  ne  soupirer  qu'après  leur 
mort.  Et  cependant  ces  jeunes  gens  n'étaient  pas  méchants.  Ils 
aimaient  leurs  parents;  souvent  ils  avaient  appelé  de  leurs 
vœux  le  jour  où  il  leur  serait  donné  de  leur  rendre  au  centuple 
leurs  caresses  et  leurs  bienfaits;  malheureusement  ils  avaient 
compté  sans  le  sens  réprouvé.  L'homme  voluptueux,  contrarié 
dans  ses  appétits,  devient  cruel,  féroce,  dénaturé. 

Vojez  Hérode;  frappé  de  l'empire  que  Jean-Baptiste  exerçait 
sur  le  peuple,  sachant  d'ailleurs  que  c'était  un  homme  juste  et 
saint,  il  l'avait  fait  venir  à  sa  cour  et  aimait  à  le  consulter. 
Malheureusement  il  était  dominé  par  une  femme  ambitieuse  qui 
l'avait  séduit  par  sa  beauté.  Il  espérait  couvrir  de  l'autorité  de 
Jean-Baptiste  sa  conduite  scandaleuse.  L'homme  de  Dieu  s'y 
refusa.  Ilérode  irrité  le  fait  jeter  en  prison.  Il  hésitait  néanmoins 
à  le  faire  mettre  à  mort.  Hérodiade  moins  scrupuleuse  ne  recula 
pas  devant  le  crime.  Le  jour  anniversaire  de  sa  naissance 
Ilérode  ayant  donné  un  grand  festin  oii  il  avait  invité  les  grands 
de  sa  Cour  et  les  principaux  de  la  Galilée,  Hérodiade  envoya  sa 
fille  danser  devant  les  convives.  Cette  danse  plut  tellement  à 
Hérode  que  dans  son  enthousiasme  il  s'écria  : 

€  Demande  ce  que  tu  voudras,  je  te  le  donnerai  »,  et  emporté 
par  sa  passion  : 

€  —  Oui,  s'écria-t-il  de  nouveau  avec  serment,  quoi  que  tu 
me  demandes,  fut-ce  la  moitié  de  mon  royaume,  je  te  le  don- 
nerai. » 

Salomé  courut  interroger  sa  mère. 

<  —  Demande  la  tête  de  Jean-Baptiste,  »  lui  dit-elle. 

Rentrant  en  toute  hâte  auprès  du  roi  : 

€  — Je  veux,  lui  dit-elle,  la  tète  de  Jean-Baptiste.  » 

Hérode  fut  bouleversé.  Néanmoins  à  cause  de  son  serment,  il 
ne  voulut  pas  contrister  cette  fille  par  un  refus.  Il  envoya  donc 
un  de  ses  gardes  avec  ordre  d'apporter  la  tête  de  l'homme  qui 
avait  été  son  meilleur  ami;  Salomé  la  donna  aussitôt  à  sa  mère. 

Voyez  David.  Il  n'hésite  pas,  afin  de  soustraire  à  la  légitime 
colère  d'Uri  la  coupable  Bethsabée  que  lui-même  avait  détour- 
née de  son  devoir,  à  faire  placer  Uri  à  l'endroit  le  plus  dange- 
reux pour  qu'il  périsse  pendant  le  combat. 


SIXIÈME    BÉATITUDE   ÉVANGÉLIQUE  625 

Feuilletez  l'histoire  de  l'humanité,  c'est  à  peine  si  vous 
pourrez  compter  les  actes  de  cruauté  dont  le  sens  réprouvé  a 
été  l'inspirateur,  les  guerres  qu'il  a  fait  déclarer,  les  flots  de 
sang  qu'il  a  fait  couler;  le  nombre  de  familles  dont  il  a  pour 
toujours  empoisonné  l'existence.  Peut-on  songer  sans  verser 
des  larmes  à  la  tristesse  de  ce  foyer  d'où  l'enfant  prodigue  a 
disparu  ?  à  ce  père,  à  cette  mère  qui  ne  peuvent  détourner  leurs 
regards  de  ce  chemin  par  lequel  il  s'est  enfui?  Chaque  matin 
ils  croient  l'entendre  revenir;  tout  le  long  du  jour,  ils  l'atten- 
•dent.  Où  est-il  ?  Que  fait-il  ?  Ils  l'entrevoient  au  milieu  d'amis 
débauchés,  se  dégradant,  s'avilissant,  jusqu'au  jour  où  après 
s'être  traîné  triste,  inquiet,  insupportable  à  lui-même  et  aux 
autres,  il  met  fin  à  sa  vie.  D'autres  fois  il  leur  apparaît  tom- 
bant dans  la  dernière  misère,  sans  amis,  sans  protecteurs,  ne 
sachant  comment  apaiser  les  angoisses  de  sa  faim.  Et  voici  que 
tout  d'un  coup  il  revient.  Ils  le  reconnaissent  sous  ses  haillons. 
Leurs  entrailles  se  sont  émues;  les  reproches  expirent  sur  leurs 
lèvres;  ils  le  serrent  dans  leurs  bras,  et  déposent  sur  son  front 
le  baiser  du  pardon;  mais  le  premier  moment  d'allégresse  passé 
chacun  s'interroge  :  «  Et  maintenant  que  va-t-il  devenir?  » 

Hélas  !  que  devient  le  prêtre  victime  du  sens  rep7'ouvé,  même 
après  avoir  avoué  ses  fautes,  même  après  en  avoir  reçu  l'abso- 
lution ?  même  après  des  retraites,  des  efforts  soutenus?  Quel 
fond  peut-on  faire  sur  lui  ?  Remarquez  la  suite  de  la  guérison 
des  deux  possédés  de  Gadara,  Notre-Seigneur  venait  de  com- 
mander à  l'esprit  mauvais  de  laisser  en  paix  le  plus  furieux  et 
d'entrer  dans  les  pourceaux  qui  se  trouvaient  là.  A  peine  j 
sont-ils  entrés  que  ces  animaux,  pris  d'une  sorte  de  frénésie,  se 
précipitent  dans  la  mer  et  s'y  noient. 

A  l'heure  même  où  le  malheureux  prêtre  que  le  sens  réprouvé 
s.  possédé  n'est  plus  sous  son  empire,  il  continue  à  faire  des 
victimes.  Ses  exemples,  l'influence  dont  il  disposait,  portent 
leurs  fruits  maudits;  ce  n'est  pas  sans  raison  que  le  démon  de 
l'impureté  a  pris  le  nom  de  Légion  et  quoi  qu'il  fasse,  ce  prêtre 
n'empêchera  pas  que  s'il  est  délivré,  ses  complices  ne  le  soient 
pas;  comment  pourra-t-il  chasser  de  sa  pensée  le  souvenir  des 
larmes  qu'il  a  fait  répandre,  des  ruines  qu'il  a  faites  et  qu'il  est 
impuissant  à  réparer? 

Lui-même  se  relèvera-t-il  complètement  ?  La  fin  de  cet 
■épisode  des  bords  du  lac  de  Génésareth  permet  d'en  douter. 
Au  moment  où  Notre-Seigneur    rentrait  dans  la  barque  qui 


626  ANNALES    CATHOLIQUES 

l'avait  amené,  le  possédé  accourut,  se  jeta  à  ses  pieds,  les 
embrassa,  le  suppliant  instamment  de  lui  permettre  de  s'attacher 
à  lui.  Notre-Seigneur  refusa,  en  lui  intimant  l'ordre  de  rentrer 
dans  sa  famille  pour  y  raconter  ce  que  Dieu  avait  fait  pour  lui. 
Il  refusa  de  l'admettre  au  nombre  de  ses  disciples.  N'était-il 
pas  à  craindre  en  effet  que  cet  homme  qui  s'était  laissé  dominer 
par  le  sens  réprouve',  n'eût  plus  cette  énergie  virile,  cette  ardeur 
au  bien,  ce  mépris  de  ses  aises,  cette  délicatesse,  cette  pureté 
de  sentiments  dont  un  apôtre  a  tant  besoin  ?  «  L'homme  dégradé 
par  la  volupté,  a  écrit  saint  Jérôme,  a  toujours  faim  des  plai- 
sirs et  peut  à  peine  se  rassasier.  »  «  Les  plaisirs  de  la  chair, 
dit  le  même  saint,  affaiblissent  Fàme  sans  que  le  pécheur  dise 
jamais:  assez  !  »  Ainsi  le  voluptueux  est  le  seul  dont  Notre- 
Seigneur  refuse  le  concours  dans  les  œuvres  apostoliques.  Ne 
nous  étonnons  donc  plus  si,  fidèle  aux  enseignements  de  son 
divin  fondateur,  l'Eglise  préserve  avec  un  soin  jaloux  contre 
les  séductions  du  sens  réprouve  ceux  qu'elle  destine  aux  labeurs 
du  saint  ministère;  si  elle  exige  qu'ils  ofl'rent  à  Notre-Seigneur 
non  seulement  un  cœur  pur,  mais  un  corps  chaste;  convaincue 
que  plus  ils  seront  purs,  plus  ils  seront  remplis  de  l'esprit  divin. 
C'est  pourquoi  elle  s'est  élevée  avec  force  en  ces  derniers  temps 
contre  ces  utopistes  qui  prétendent  que  pour  mieux  aguerrir  les 
prêtres  il  faut  les  exposer  aux  redoutables  tentations  de  la 
chair  !  Ce  qui  l'inquiète  pour  ses  prêtres,  ce  ne  sont  ni  la  souf- 
france ni  les  peines  de  la  vie  militaire,  mais  les  périls  qui 
mettent  en  danger  le  ministère  de  ses  prêtres  auprès  des  âmes. 
Ce  n'est  qu'à  force  de  pureté  que  le  prêtre  peut  s'approcher  de 
Dieu  et  par  conséquent  l'annoncer  dignement  et  le  faire  aimer. 

II 

Malheureusement  lorsque  nous  rappelons  aux  prêtres  les 
dangers  que  le  sens  réprouvé  leur  fait  courir,  ils  s'imaginent  et 
nous  feraient  volontiers  comprendre  que  nous  nous  trompons 
d'enceinte;  et  sans  rejouer  dans  tous  ses  détails  la  scène  du 
pharisien  apercevant  le  publicain  dans  le  temple,  ils  énumèrent 
avec  une  certaine  complaisance  leurs  bonnes  œuvres  :  «  Peut-on 
se  permettre,  s'écrient-ils,  d'oser  croire  que  nous  tomberons 
dans  de  pareils  excès.  »  Aussi  bien  est-ce  moins  sur  ces  excès 
que  sur  leur  origine  qu'il  faut  porter  nos  réflexions. 

Dans  le  monde,  ce  qu'on  blâme  généralement  lorsqu'il  s'agit 
des  fautes  du  sens  réprouvé,  ce  sont  moins  les  fautes  elles-mêmes 


SIXIEME    BEATITUDE    EVANGELIQUE  627 

que  leurs  conséquences.  Qu'un  jeune  homme,  emporté  par  l'ar- 
deur de  ses  passions,  détruise  sa  santé,  qu'il  dissipe  son  bien, 
sa  fortune,  qu'il  offre  à  trente  ans  le  spectacle  d'une  ruine 
honteuse,  on  manque  d'expressions  pour  flétrir  sa  conduiie. 
Qu'une  femme  laisse  tomber  de  son  front  la  couronne  de  modes- 
tie qui  est  sa  plus  belle  parure,  chacun  se  détourne.  Si  ces 
mêmes  fautes  s'étaient  accomplies  dans  l'ombre,  dans  le  secret, 
sans  éveiller  l'attention,  on  aurait  vite  trouvé  des  circonstances 
atténuantes.  La  jeunesse  est  curieuse,  imprudente  ;  ne  faut-il 
pas  pardonner  à  son  inexpérience  ?  Moins  les  jeunes  gens  con- 
naîtront l«s  embûches  qui  les  attendent  plus  tard,  plus  ils  seront 
un  jour  fidèles  à  leurs  devoirs.  «  Lajeunesse,  dit  saint  Ambroise 
est  imprudente,  inconsidérée,  c'est  l'âge  des  passions  ardentes 
et  des  grands  écarts.  ^ 

Les  mondains  ne  sont  pas  les  seuls  à  tenir  ce  langage,  je  l'ai 
surpris  sur  des  lèvres  de  prêtres  qui  auraient  été  jusqu'à  donner 
du  bon  prêtre  cette  définition  que  j'ai  entendu  donner  de  la 
femme  honnête  :  «  C'est  celle  qui  ne  se  laisse  pas  prendre.  » 

Non  moins  imprudents  et  non  moins  coupables  sont  ces  prêtres 
qui  n'apprennent  pas  aux  fidèles  à  respecter  la  vertu  de  pureté 
dans  les  mille  détails  de  la  vie.  Que  de  fois  ai-je  entendu  des 
prêtres  lever  les  bras  au  ciel  en  gémissant  sur  l'amollissement 
des  moeurs,  sur  le  cynisme  qui  s'étale  dans  la  presse,  dans  la 
littérature,  et  auxquels  on  ne  pouvait  faire  comprendre  qu'ils 
ont  une  grande  part  de  responsabilité  dans  ces  désordres;  que 
si  eux-mêmes  étaient  plus  scrupuleux  dans  le  choix  de  leurs 
lectures  et  de  leurs  fréquentations,  que  s'ils  avaient  un  sens 
chrétien  plus  droit,  plus  ferme,  le  mal  serait  moins  profond  et 
moins  général.  J'ai  entendu  d'autres  prêtres  s'élever  avec 
vigueur  contre  ces  réunions  où  le  luxe  s'étale  dans  tout  son 
éclat,  quelquefois  dans  toute  son  impudeur,  où  circulent  les 
propos  les  plus  lestes,  où  tout  est  préparé  pour  exciter  les  sens, 
surexciter  l'imagination,  mettre  le  feu  dans  le  sang;  ne  pas 
savoir  refuser  une  invitation  mondaine,  quelquefois  la  solliciter. 
D'autres  ne  se  sont-ils  pas  prêtés  à  transformer  les  manifesta- 
tions les  plus  saintes  de  la  charité  en  réunions  où  ils  invitent 
eux-mêmes  les  femmes  chrétiennes  à  violer  dans  leurs  parures 
comme  dans  leurs  conversations  les  lois  les  plus  élémentaires 
de  la  modestie  '?  à  rechercher  les  mêmes  flatteries,  les  mêmes 
adulations,  à  user  des  mêmes  coquetteries  que  les  malheureuses 
qui  sont  victimes  du  sens  réprouvé? 


628  ANNALES    CATHOLIQUES 

De  quelles  bénédictions  Notre-Seigneur  peut-il  couvrir  ces 
œuvres  charitables  qu'on  alimente  en  suggérant  à  des  femmes 
d'imiter  Jézabel  qui,  pour  attirer  les  bonnes  grâces  de  Jéhu, 
se  revêtit  de  ses  plus  beaux  atours,  orna  sa  tête  et  peignit  ses 
yeuji?  Lorsque  la  charité  ne  les  couvrira  plus  de  son  manteau 
comment  feront-elles  taire  les  instincts  du  5e«s  rf):)?'Owue  tou- 
jours en  éveil  V  Comment  raméneront-elles  la  paix  dans  ces 
coeurs  que  leurs  sourires  auront  troublés?  Ne  dites  pas:  «  Je 
saurai  m'arrêter  à  temps.  »  Qui  spernit  modiea  jiaulathn 
decidet.  Vous  tomberez  le  jour  oii  vous  vous  y  attendrez  le 
moins,    inopinément,    par   surprise,    lorsque    les  forces   vous 

manqueront. 

III 

Combien  différent  est  le  sens  des  âmes  justes  !  Aussi  combien 
douces  les  joies  qu'elles  goûtent  dès  cette  terre  !  Telle  celle  des 
apôtres  sur  le  Thabor.  Hors  d'eux-mêmes,  plongés  dans  une 
sorte  d'extase,  à  la  vue  de  leur  maître  transfiguré,  l'âme  inondée 
de  délices  spirituelles,  ils  se  croyaient  transportés  au  ciel. 
«  Seigneur,  qu'il  fait  bon  d'être  ici  !  Pourquoi  descendre  de 
nouveau  parmi  les  hommes?  »  La  pratique  de  la  pureté  fait  de  la 
terre  un  Thabor  perpétuel.  L'àme  pure  s'attache  à  Dieu  et 
goûte  dans  sa  société  des  joies  qui  lui  font  oublier  les  chagrins 
de  la  vie  présente.  Qu'il  fait  bon  d'être  auprès  de  Notre-Seigneur! 
parce  que  c'est  auprès  do  lui  seul  que  le  [uêtre  puise  l'énergie 
dont  il  a  besoin  pour  accomplir  son  ministère,  l'intelligence  qui 
lui  fait  tirer  ses  avantages  non  des  maximes  mondaines,  mais 
des  maximes  chrétiennes,  parce  ({u'eulin  c'est  de  lui  seul  qu'il 
attend  ce  bonheur  après  lequel  toute  âme  soupire  et  dont  il  a 
promis  d'inonder  ceux  qui  lui  auront  été  fidèles  sur  cette 
terre.  L'abbé  M.,  vicaire  général. 


ERRATA 

A  l'article  de  M.  Vahbd  Pluot,  numéro  du  10  mai  des 
Annales  Catholiques  : 

P.  284.  S'ils  sont  septuagénaires  non  pensionnés,  il  (le  trai- 
tement) est  de  1,600  francs,  lisez  :  de  1,300  francs. 

P.  286.  Supprimez:  de  mille  francs  pour  ceux  qui  ont  de 
cinquante  ans  à  soixante  ans,  et  de  000  francs  pour  les  autres. 
Ajoutes  ensuite  les  deux  alinéas  suivants  : 

Les  traitements  des  desservants  âgés  de  moins  de  60  ans 
sont  fixés  à  900  francs.  (Décret  du  20  juillet  1858.) 


HUIT   JOURS    A   LA.   GRANDiS    TRAPPE    DE    SOLIGNI  629 

En  réalité,  le  décret  du  29  juillet  1858  n'a  augmenté  et  porté 
à  900  francs  que  les  traitements  des  desservants  âgés  de  moins 
de  50  ans.  Car  depuis  1849,  ceux  qui  avaient  plus  de  50  ans 
recevaient  déjà  900  francs. 


HUIT  JOURS  A  LA  GRANDE  TRAPPE  DE  SOLIGNI 

Le  6  novembre  1880,  les  bois  qui  avoisinent  la  Trappe  de 
Soligni,  ordinairement  silencieux,  retentissaient  d'étranges  cla- 
meurs :  «  Vivent  les  moines  !  A  bas  les  décrets  !  »  criaient  des 
centaines  d'hommes  et  de  femmes  appartenant  à  toutes  les 
classes  de  la  société,  venus  de  Soligni,  de  Laigle,de  Mortagne, 
de  plus  de  dix  lieues  à  la  ronde. 

C'était  sur  la  route  du  monastère  un  brouhaha  indescriptible, 
les  équipages  croisaient  les  charrettes,  les  cavaliers  les  piétons, 
la  foule  qui  se  rendait  au  monastère  de  la  Grande  Trappe,  pa- 
raissait très  animée.  Devant  la  porte,  un  officier  de  gendarmerie 
attendait  avec  une  brigade  le  préfet  de  l'Orne  et  le  sous-préfet 
de  Mortagne.  Il  avait  reçu  l'ordre  d'aider  ces  fonctionnaires  à 
expulser  les  Trappistes.  Une  voiture  est  signalée.  C'est  celle  du 
sous  préfet.  On  la  salue  par  des  huées.  Le  préfet  plus  prudent 
se  tient  à  l'écart  dans  sa  voiture. 

«  —  Enfoncez  cette  porte  »,  commande  le  sous-préfet  à  l'offi- 
cier de  gendarmerie,  lui  montrant  la  porte  d'entrée  du  monastère. 

«  —  Pardonnez-moi,  Monsieur  le  sous-préfet,  je  suis  ici  pour 
maintenir  l'ordre  et  non  pas  pour  enfoncer  des  portes.  » 

La  foule  trépigne  de  joie.  Il  faut  courir  àLaigle  réquisitionner 
des  serruriers.  A  quatre  heures  du  soir  la  porte  n'était  pas 
encore  ouverte.  Le  prieur  donne  l'ordre  de  l'ouvrir.  Il  lui  ré- 
pugne que  le  dimanche  —  ces  scènes  se  passent  le  samedi  — 
soit  témoin  d'actes  de  violence.  Les  gendarmes  pénètrent  dans 
le  couvent.  Les  trappistes  sont  réunis  dans  la  salle  du  Chapitre. 
Un  à  un,  après  la  protestation  de  M«  Chartier,  leur  avocat,  ils 
sortent  conduits  par  un  gendarme  jusqu'à  la  porte  extérieure. 
Les  habitants  les  accueillent  et  les  conduisent  chez  eux.  C'est 
d'ailleurs  en  pleurant,  et  tout  honteux,  que  les  gendarmes  pro- 
cèdent à  cette  exécution.  Pendant  ce  temps,  le  R.  P.  Abbé  Dom 
Timothée,  vieillard  de  plus  de  quatre-vingts  ans,  agonisait.  Le 
matin  même,  on  lui  avait  administré  les  derniers  sacrements. 

Deux  ou  trois  jours  après  cette  scène,  les  expulsés  et  ceux 


C30  ANNALES    CATHOLIQUES 

que  le  prieur  avait  cachés  dans  un  souterrain  reprenaient  la  vie 
régulière  comme  s'il  n'y  avait  eu  ni  décrets,  ni  scellés.  Aux 
obsèques  du  R.  P.  Abbé,  qui  eurent  lieu  onze  jours  après,  les 
religieux  étaient  chacun  dans  leur  stalle.  Au  dehors,  se  pressait 
une  foule  sympathique  qui  ne  pouvait  s'empêcher  de  comparer 
l'équipée  du  6  novembre  à  celle  dont  «  les  anciens  »  avaient  gardé 
le  souvenir  et  qu'ils  avaient  baptisée  :  la  campagne  des  choux 
et  des  artichauts. 

Il  paraît  qu'au  lendemain  de  la  révolution  de  1830,  les  ou- 
vriers des  fabriques  de  Laigle  avaient  accusé  les  trappistes  de 
cacher  chez  eux  des  ministres  signataires  des  fameuses  ordon- 
nances, et  qui  avaient  échappé  aux  recherches  populaires. 

Tout  à  coup,  pendant  la  nuit  du  30  août,  la  cloche  de  la 
porte  d'entrée  du  monastère  est  ébranlée  avec  force.  Le  frère 
portier  se  lève  et  un  homme  armé  lui  signifie  qu'il  a  ordre  de 
visiter  la  maison.  C'était  une  compagnie  de  «  vétérans  d'Alen- 
çon  »,  qui,  en  passant  par  Mortagne,  avaient  invité  la  garde 
nationale  à  se  joindre  à  eux.  Ils  s'étaient  approchés  à  petits  pas, 
sans  bruit,  pour  surprendre  les  religieux  avant  leur  réveil. 

Le  frère  portier  court  prendre  les  ordres  du  supérieur;  mais 
les  soldats,  trouvant  qu'il  tarde  trop  à  revenir,  sautent  par 
dessus  une  large  haie  au  milieu  du  jardin  de  l'abbatiale  et  s' ali- 
gnant en  bataillecouchent  en  joueles  religieux  que  le  bruit  avait 
amenés  aux  fenêtres.  Le  supérieur  fait  réunir  les  religieux  dans 
la  salle  du  Chapitre.  On  les  y  enferme  sous  la  garde  d'un  fac- 
tionnaire à  l'exception  de  deux  ou  trois  qui  accompagnent  le 
R.  P.  Abbé  dans  la  visite  du  monastère. 

Le  registre  des  noms,  où  on  relève  les  noms  de  religion  peu 
communs  dans  le  monde,  tels  que  Jean  Climaque,  Hilarion, 
Pacôme,  ne  révèle  aux  inquisiteurs  le  nom  d'aucun  conspirateur. 

A  la  procure,  l'un  d'eux  aperçoit  un«  lame  sur  un  paquet.  Vite 
il  s'élance,  il  croit  avoir  la  main  sur  des  poignards;  c'est  un 
petit  couteau  inoflensif  qui  sert  d'étiquette  à  un  paquet  de  cou- 
teaux d'écoliers  récemment  achetés  pour  l'usage  de  la  maison. 

A  l'hôtellerie,  dans  la  chambre  d'un  retraitant,  on  découvre 
des  cahiers  écrits  en  latin.  En  vain  le  supérieur  explique  que  ce 
sont  des  cahiers  de  théologie,  les  gardes  flairent  des  iostru étions 
criminelles  écrites  en  une  langue  mystérieuse  et  mettent  le  tout 
sous  bonne  et  forte  ficelle  en  réserve  pour  le  préfet.  De  M.  de 
Montbel  on  ne  trouva  nulle  trace. 

L'invasion  nocturne  tournait  au  burlesque  et  déjà  plusieurs, 


HUIT    JOURS    A    LA    GRANDE    TRAPPE    DE    SOLIGNI  631 

fatigués  d'une  longue  marche  dans  les  chemins  du  Perche,  dor- 
maient sur  le  pavé  ou  sur  les  bancs.  D'autres,  qui  dans  la  préci- 
pitation du  départ  avaient  oublié  de  dîner,  se  répandaient  dans 
le  jardin  abattant  des  choux  et  des  artichauts. 

La  perquisition  terminée,  le  commandant  pria  le  supérieur  de 
lui  donner  un  certificat  de  bonne  conduite  et  d'honnêteté,  puis 
rangea  sa  troupe  en  colonne,  tambours  en  tête.  Les  vétérans 
sortirent  du  monastère  avec  un  grand  bruit  de  tambours  et,  à 
quelque  distance,  ils  crurent  convenable  d'annoncer  leur  retour 
aux  habitants  en  déchargeant  leurs  armes. 

Au  bout  de  quelques  jours,  le  préfet  rendit  en  souriant  les 
cahiers  de  théologie.  Quelqu'un  lui  ayant  demandé  pourquoi  il 
avait  autorisé  cette  expédition,  il  répondit  que  harcelé  depuis 
plus  de  trois  semaines  par  des  accusations  réitérées,  certain 
d'ailleurs  qu'elles  n'avaient  rien  de  fondée  il  avait  voulu  con- 
vaincre les  plus  ardents  de  l'inutilité  de  leurs  plaintes  en  les 
envoyant  eux-mêmes  chercher  des  plaintes  contre  eux. 

La  malice  populaire  parle  encore  de  la  camyagne  des  choux 
et  des  artichauts,  ôtant  ainsi  à  ceux  qui  j  avaient  pris  part  le 
goiit  d'en  parler  eux-mêmes. 

L'équipée  du  6  novembre  1880  était  le  pendant  de  celle  du 
30  août  1830  et  aujourd'hui  encore  les  paysans  de  Soligni,  de 
Mortagne  et  des  environs  se  demandent  à  quoi  songeait  le  gou- 
vernement, le  jour  oii  il  a  mis  les  trappistes  à  la  porte  de  leur 
monastère. 

«  —  Je  vous  demande  un  peu.  Monsieur,  me  disait  un  paysan 
qui  se  trouvait  dans  le  même  compartiment  que  moi,  si  ça  ne 
fait  pas  rêver  des  genoux  t  (Sic)  Chasser  des  gens  qui  sont  la 
providence  du  pays  !  Ils  font  travailler  les  ouvriers,  ils  paient 
de  gros  impôts,  ils  nourrissent  les  pauvres,  qu'est-ce  qu'on  peut 
leur  reprocher?  Sans  la  Grande-Trappe,  je  ne  sais  pas  ce  que 
deviendrait  le  pays...  » 

«  —  De  bien  bonnes  gens,  allez,  Monsieur,  me  disait  l'em- 
ployé du  chemin  de  fer  qui  m'accompao-nait  au  monastère  ;  trop 
braves  gens,  les  galvaudeux  en  abusent.  » 

En  effet,  le  premier  bâtiment  que  l'on  aperçoit  à  gauche  en 
entrant  dans  le  monastère,  c'est  le  dortoir  des  voyageurs,  ins- 
tallé dans  l'ancien  pavillon  que  le  duc  de  Penthièvre  fit  bâtir 
en  1780. 

«  —  Que  l'on  mette  tous  ses  soins  à  bien  recevoir  les  pauvres 
et  les  pèlerins,   avait  dit  saint  Benoît  dans  sa  règle.   En  eux 


632  ANNALES    CATHOLIQUES 

nous  devons  voir  Jésus-Christ  lui-même.  Un  frère  craignant 
Dieu  sera  chargé  de  l'hôtellerie.  C'est  la  maison  de  Dieu,  elle 
doit  être  administrée  sagement.  > 

Une  vingtaine  de  lits  et  la  pitance  sont  offerts  aux  ouvriers 
sans  travail  qui  viennent  demander  l'hospitalité. 

La  légende  s'est  souvent  exercée  sur  le  compte  des  Trap- 
pistes. Elle  leur  a  prêté  des  mœurs,  des  habitudes,  des  maximes 
qui  peuvent  semer  du  charme  dans  un  roman,  mais  qui  n'ont  rien 
de  commun  avec  la  vérité. 

J'ai  cru  longtemps,  comme  beaucoup  d'autres,  que  les  trap- 
pistes ne  rompaient  le  silence  que  pour  se  dire  :  «  Frère,  il  faut 
mourir  »  et  se  répondre  :  «  Mourir  il  faut  »;  qu'ils  enlevaient 
chaque  jour  une  pelletée  de  terre  de  leur  fosse,  qu'ils  couchaient 
dans  leur  cercueil,  que  s'ils  tombaient  malades  on  les  abandon- 
nait sur  la  cendre  avec  un  verre  d'eau  â  côté  d'eux...  autant  de 
contes  à  ptine  bons  pour  les  enfants  et  que  les  enfants  eux- 
mêmes  ne  croient  plus  : 

Nec  pueri  credunt  nisi  qui  nondum,  œre  lavantur. 

J'ai  visité  le  cimetière  de  la  Grande-Trappe  à  plusieurs 
heures  du  jour;  je  n'y  ai  jamais  rencontré  de  religieux  armé 
d'une  bêche  et  penché  sur  sa  fosse  pour  en  creuser  un  coin. 
J'ignore  ce  qui  a  pu  donner  naissance  à  cette  légende.  Peut- 
être  quelque  touriste  aura-t-il  assisté  à  la  sortie  du  réfectoire, 
et  à  la  vue  des  religieux  s'eugouffrant  dans  les  cloîtres  pour  se 
rendre  à  la  chapelle  T^sdAmoAxSinile  Miserere  ei\Q  De  prof  wndis, 
en  aura-t-il  conclu  qu'ils  terminaient  leur  psalmodie  au  cime- 
tière, chacun  sur  le  bord  de  sa  fosse  dont  il  agrandissait  le 
trou. 

J'ai  aperçu  les  trappistes  circuler  dans  les  cloîtres;  je  lésai 
suivis  aux  champs,  à  la  chapelle,  je  les  ai  toujours  vus  silen- 
cieux, recueillis,  assidus,  souriants.  La  charta  charitatis  de 
saintEtienne,  un  de  leui's  abbés,  les  oblige,  chaque  fois  qu'ils  se 
rencontrent,  à  se  saluer  aussi  amicalement  que  possible,  mais 
jamais  je  ne  les  ai  entendus  prononcer  le  lugubre  :  Frère^  il 
faut  mourir!  An  contraire  il  leur  est  enjoint  de  garder  le 
silence  le  plus  strict.  Sur  ses  statues,  sur  ses  tableaux,  sur  les 
vieilles  gravures  qui  viennent  du  mont  Cassin,  on  voit  saint 
Benoît  un  doigt  posé  sur  ses  lèvres  fermées,  figure  symbolique 
du  silence.  La  loi,  à  la  Trappe,  prescrit  de  ne  parler  qu'à  voix 
basse,  un  seul  à  la  fois,  de  saluer  avant  et  après  avoir  échangé 
les  paroles  nécessaires. 


HUIT   JOURS    A   LA.    GRANDE    TRAPPE    DE    SOLIGNI  633 

La  vie  du  trappiste  d'ailleurs  n'a  pas  besoin  de  ces  décors  de 
mélodrame  pour  être  digne  et  bien  remplie. 

Le  trappiste  prie  et  travaille  de  son  mieux;  en  revanche  il 
dort  et  mange  aussi  peu  et  aussi  mal  que  possible. 

A  deux  heures  de  la  nuit,  il  se  lève,  descend  au  choeur,  fait 
oraison  et  chante  matines.  S'il  est  prêtre,  il  dit  la  messe.  De  six 
heures  à  neuf  heures,  il  va  travailler  aux  champs.  A  dix  heures, 
il  récite  les  petites  heures,  assiste  à  la  messe  conventuelle.  A 
onze  heures  et  demie,  il  prend  son  premier  repas  :  de  la  soupe 
à  l'eau,  des  légumes  à  l'eau,  un  fruit  ou  un  morceau  de  fro- 
mage, quelques  onces  de  pain  bis  arrosé  d'un  petit  cidre  géné- 
reusement baptisé.  Quant  à  la  viande,  au  poisson,  au  beurre, 
aux  œufs —  sauf  le  cas  de  maladie,  —  le  trappiste  n'en  connaît 
le  goiit  que  par  ouï-dire  ou  par  ses  souvenirs.  De  midi  à  une 
heure  et  demie,  il  a  le  droit,  en  été,  de  s'étendre  sur  sa  pail- 
lasse. Après  le  chant  de  sexte,  les  trappistes  retournent  aux 
champs  jusqu'à  quatre  heures.  En  ce  moment  je  les  aperçois  de 
ma  fenêtre  qui  défilent  dans  la  cour  sur  une  seule  ligne,  un 
vaste  chapeau  de  paille  sur  la  tête,  un  panier  au  bras.  Ils  vont 
ramasser  les  pommes  que  le  vent  de  la  nuit  a  jetées  à  terre. 
Plusieurs  portent  un  nom  connu.  On  me  nomme  Jules  de  V...  ; 
M.  B.  de  B...,  derrière  lui  marche  un  ancien  professeur  de 
l'Université,  plus  loin  un  ancien  officier  de  cavalerie.  On  me 
montre  en  tête  de  la  file  un  des  plus  brillants  élèves  de  l'Ecole 
Centrale.  La  Légion  d'Honneur  compte  six  de  ses  membres. 
J'ai  sous  les  yeux  ou  de  grandes  douleurs,  ou  d'admirables 
repentirs.  —  A  cinq  heures,  le  chant  des  vêpres.  A  sept  heures, 
en  été,  la  collation.  Du  14  septembre  à  la  fête  de  Pâques,  cette 
collation  est  supprimée.  Pendant  plus  de  six  mois  de  l'année,  le 
trappiste  ne  fait  par  jour  qu'un  seul  repas  qui,  en  carême,  n'a 
lieu  qu'à  quatre  heures  et  demie!  La  collation  est  suivie  du 
chant  du  Salve  Regina.  Le  chant  des  trappistes  est  grave,  à 
l'unisson,  sans  accompagnement.  Est-ce  parce  qu'on  m'avait 
trop  vanté  l'exécution  de  ce  Salve,  le  soir,  dans  une  chapelle  à 
peine  éclairée,  que  je  n'ai  pas  ressenti  l'émotion  que  je  rêvais? 
Il  m'a  semblé  que  les  religieux  y  mettaient  tout  leur  cœur, 
peut-être  aussi  trop  de  gosier;  le  souvenir  que  j'ai  gardé  de 
cette  soirée  est  que  là  encore  les  reporters  ont  abusé  de  la 
naïveté  des  touristes.  Le  coucher  est  à  huit  heures.  Le  trappiste 
couche  tout  habillé  sur  une  paillasse,  et  s'enveloppe  dans  une 
couverture.  L'abbé  Moreau.         (A  suivre.) 

46 


634  ANNALES   CATHOLIQUES 

LA  BASILIQUE  NATIONALE  DU  SACRÉ-CŒUR 

A    QUITO 

Nous  lisons  dans  VUnivers  : 

Nous  recevons  de  Quito  une  grande  nouvelle.  Les  vœux  les 
plus  ardents  de  Garcia  Moreno,  le  grand  martyr  de  la  religion 
et  de  la  liberté  catholiques,  ceux  de  l'Equateur  tout  entier, 
marchent  vers  leur  accomplissement.  Sur  les  flancs  élevés  du 
Pichincha,  à  quatre  mille  neuf  cent  quatre-vingt-seize  mètres 
au-dessus  des  agitations  humaines,  plus  haut  que  notre  cher 
Montmartre  et  presque  tous  les  temples  bâtis  à  la  gloire  de 
Dieu,  montera,  dans  quelques  années,  la  basilique  nationale  de 
l'Amérique  du  Sud.  Le  Cœur  sacré  de  Jésus  vient  de  prendre 
possession  de  ce  site  unique  dans  le  monde. 

Le  19  mars  dernier,  la  chapelle  provisoire  du  Sacré-Cœur  a 
été  solennellement  inaugurée  par  le  délégué  apostolique  S.  Exe. 
Mgr  Macchi,  en  présence  de  S.  Exe.  le  président  de  la  Répu- 
blique, de  toutes  les  autorités  civiles  et  religieuses,  des  mis- 
sionnaires du  Sacré-Cœur  chargés  de  l'exécution  de  l'œuvre; 
du  R.  P.  Jouet,  visiteur  desdits  missionnaires  et  représentant 
du  T.  R.  P.  Chevalier,  fondateur  et  supérieur  général  de  la 
Congrégation.  Une  foule  innombrable  animait  la  montagne. 
Deux  étendards^  l'un  en  l'honneur  de  la  bienheureuse  Margue- 
rite-Marie, l'autre  en  celui  de  la  bienheureuse  Marianne  de 
Jésus,  appelée  le  lys  de  Quito,  flottaient  gracieusement  sous  la 
brise  équatoriale.  Un  autel,  admirablement  improvisé  et  cou- 
vert des  fleurs  les  plus  belles  de  la  création,  supportait  l'image 
vénérée  du  Sacré-Cœur  de  Jésus. 

Voici  le  discours  prononcé  en  cette  cireonstance  par  S.  Exe, 
Mgr  Joseph  Macchi,  délégué  apostolique  de  S.  S.  Léon  XIII  ; 

Excellence  (1),  Messieurs, 

Avant  de  procéder,  selon  les  rites  de  l'Église,  à  la  bénédiction  de 
ces  murs  ;  avant  de  les  dédier  au  Sacré-Cœur,  qu'il  me  soit  permis, 
représentant,  quoique  indigne,  du  Pasteur  universel  du  troupeau  de 
Jésus-Christ,  d'exprimer  ici  les  pensées  qui  remplissent  mon  âme  et 
les  sentiments  qui  débordent  de  mon  cœur  dans  un  moment  aussi 
solennel. 

Aujourd'hui  la  piété  du  gouvernement  lui-même  de  la  République, 

(1)  Son  Excellence  don  Antonio  Florès,  président  de  la  république 
de  l'Equateur,  nccompagaé  de  ses  ministres  de  l'intérieur,  de  l'ins- 
truction publique  et  des  cultes,  du  gouverneur  de  la  ville,  etc. 


LA    BASILIQUE    NATIONALE    DU    SACRÉ-CŒUR   A    QUITO        635 

le  zèle  de  l'illustre  clergé,  et  la  foi  inaltérable  de  tout  le  peuple  se 
sont  donné  rendez-vous  pour  commencer  ici  l'accomplissement  d'un 
vœu  qui  lie  à  Dieu  la  nation  tout  entière.  C'est  là  un  acte  de  justice 
que  l'Equateur  rend  au  Très-Haut;  car,  si  la  parole  seule  est  assez 
puissante  pour  établir  entre  les  hommes  des  obligations  réciproques, 
le  vœu  lie  bien  plus  encore  les  hommes  et  les  peuples  au  Souverain 
Seigneur.  Redde  Altissimo  vota  tua  (1). 

L'Equateur  a  voulu  suivre  le  magnifique  élan  de  la  France  catho- 
lique, qui,  en  plein  dix-neuvième  siècle,  a  érigé  au  Cœur  de  l'Homme- 
Dieu  un  monument  où  resplendit  d'une  manière  merveilleuse  la  ma- 
jesté de  sa  gloire  sur  la  terre. 

Rien  de  plus  juste. 

Dans  un  siècle  où  un  fils  indigne  de  la  France  avait  attaqué  la 
divinité  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  jusqu'à  prétendre  détruire 
d'un  seul  coup  toute  l'efficacité  régénératrice  de  son  amour  pour  les 
hommes;  la  France,  qui  est  allée  jusqu'aux  derniers  excès  dans  ses 
égarements,  mais  qui  s'est  surpassée  aussi  elle-même  par  la  généro- 
sité de  ses  réparations,  devait,  par  l'érection  du  majestueux  et  gigan- 
tesque temple  de  Montmartre,  rendre  à  Jésus-Christ,  et  plus  directe- 
ment à  son  Cœur,  centre  de  tous  les  mystères  de  la  Rédemption,  le 
culte  et  les  honneurs  qui  lui  sont  dus.  De  cette  façon,  tandis  que  le 
blasphème  passe  avec  le  tourbillon  qui  l'emporte,  la  glorification  de 
Jésus  demeure  éternisée  dans  le  monument  de  marbre  qui  régnera 
en  maître  sur  la  grande  ville  de  Paris. 

Il  était  bien  juste  qu'à  l'exemple  de  la  fille  aînée  répondît  la  voix 
et  l'action  de  l'enfant  la  plus  tendre  et  la  plus  chérie  de  l'Eglise  notre 
mère,  je  veux  dire  de  la  nation  équatorienne,  la  voix  et  l'action  de 
cette  fille,  qui,  jeune  encore  dans  la  vie  des  nations,  est  jeune  aussi 
par  le  fervent  amour  dont  elle  console  et  réjouit  la  mère  de  tous  les 
fidèles,  et  qui  est  prédestinée,  nous  l'espérons,  à  ne  jamais  sceller  de 
son  sceau  la  révolte  d'un  divorce  avec  l'Église. 

L'Amérique  a  fait  écho  à  l'Europe;  et  Quito,  cette  cité  si  élevée 
parmi  les  plus  élevées  du  globe,  aura  aussi  son  Montmartre,  au  som- 
met duquel  se  dressera  svelte,  majestueuse,  et  dominant  pour  ainsi 
dire  le  monde  entier,  le  temple  glorificateur  de  Celui  qui  a  vaincu  le 
monde. 

Oui,  messieurs,  Quito  aura  son  Montmartre,  si  vous  le  voulez. 
Dans  les  grandes  œuvrea  du  culte  comme  dans  celles  de  la  charité, 
la  lutte  ne  fait  jamais  défaut,  mais  jamais  non  plus  ne  se  fait  attendre 
la  victoire. 

Vous  aurez  pour  contradicteurs  le  sarcasme  des  uns,  l'opposition 
des  autres,  lindifférence  d'un  grand  nombre.  Peu  importe  :  la  cha- 
rité de  Jésus-Christ  qui  vous  enflamme,  «  Quœ  urget  vos  »  (2),  vous 

(1)  Psaume  xlix,  14. 

(2)  Charitas  enim  Christi  urget  nos.  Il  Cor.  v,  14. 


636  ANNALES    CATHOLIQUES 

fera  sortir  triomphauts  de  tous  les  obstacles.  Et  lorsque  vous  verrez 
s'élaacer  vers  le  ciel  les  tours  de  la  Basilique,  la  joie  que  vous  éprou- 
verez alors  vous  fera  oublier  bien  vite  les  fatigues  déjà  passées. 

Sans  doute,  ou  vous  dira  qu'un  asile  ouvert  aux  délaissés  serait 
aujourd'hui  plus  utile  qu'un  temple.  Quelques-uns  préféreraient  peut- 
être  un  théâtre  à  une  église  et  à  une  maison  de  bienfaisance.  Ces 
derniers  ne  méritent  point  de  réponse  :  esclaves  de  leurs  passions 
ou  du  moins  trop  complaisants  pour  elles,  ils  se  montrent  incapables 
de  lever  le  front  et  de  regarder  au  delà  des  horizons  de  la  mal.ière. 

Nous  ne  ferons  point  aux  autres  l'injure  de  les  croire  animés  du 
même  esprit  que  Judas,  lorsque  'ce  perfide  apôtre  reprochait  à  la 
piété  de  Madeleine  de  répandre  le  précieux  parfum  sur  les  pieds  du 
divin  Nazaréen  au  lieu  d'en  distribuer  le  prix  aux  pauvres. 

Il  me  semble  même,  nous  l'avouerons  volontiers,  qu'avec  les  ten- 
dances du  siècle  présent,  particulièrement  en  Europe,  on  devrait 
juger  plus  opportun  un  nouvel  asile  de  charité  qu'un  temple  nouveau. 

Messieurs,  qu'en  Europe  on  pense  de  la  sorte  :  soit.  Là,  en  effet, 
peuples  et  gouvernements  ont  déjà  rendu  au  Dieu  très  bon  et  très 
grand  un  tribut  digne  de  leur  foi  et  de  leur  reconnaissance,  par  ces 
incomparables  basiliques  et  cathédrales  qui,  depuis  l'époque  de  la 
Renaissance  jusqu'à  nous,  excitent  l'enthousiasme  du  religieux  pèle- 
rin, aussi  bien  que  l'admiration  du  voyageur  le  plus  sceptique. 

Saint-Pétersbourg,  Strasbourg,  Cologne,  Vienne,  Prague,  Londres, 
Paris,  Séville  et  les  cent  villes  d'Italie  ont  épuisé  leurs  trésors,  le 
génie  de  leurs  architectes,  l'habileté  de  leurs  artistes  comme  toutes 
les  ressources  de  l'art  à  ériger  à  Dieu  et  à  la  Vierge  des  monuments 
qui  ne  fussent  pas  indignes  do  la  Divinité. 

Quoi  d'étonnant  si,  après  avoir  payé  au  Seigneur  le  tribut  d'hom- 
mage qu'elles  lui  devaient,  ces  cités  chrétiennes  emploient  aujour- 
d'hui une  si  grande  part  de  leurs  soins  et  de  leurs  ressources  en  fa- 
veur de  celui  qui  représente  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  au  profit  du 
pauvre! 

Il  est  sublime,  il  est  saint  ce  zèlequi  fait  construire  pour  l'indigent, 
peur  l'orphelin,  pour  l'infirme,  pour  le  mendiant  et  pour  l'aveugle, 
des  palais,  des  galeries  et  des  jardins  tels  que  les  grands  du  monde 
n'en  possèdent  pas  toujours  eux-mêmes.  Oui,  honneur  et  toujours 
honneur  au  pauvre,  puisque  sa  dignité  est  au-dessus  de  toutes 
les  grandeurs;  mais  n'oublions  pas,  Messieurs,  que  si  cette  généreuse 
tendance  envers  les  pauvres  s'est  accentuée  d'une  manière  plus 
intense  et  plus  féconde  depuis  saint  Vincent  de  Paul  jusqu'à  nos  jours, 
cela  est  dû,  à  mon  avis,  à  un  autre  souffle  de  charité  qui  à  peu  près 
vers  le  même  temps  et  par  l'entremise  de  la  Bienheureuse  Margue- 
rite-Marie Alacoque,  a  attiré  ou  pour  mieux  dire,  a  embrasé  le  cœur 
des  hommes  d'un  amour  plus  ardent  envers  Jésus-Christ.  Le  cœur  de 
Notre- Seigneur  mieux  connu,   on   connut  aussi  mieux   le   droit  du 


TRIBUNAUX  637 

pauvre,  et  avec  plus  de  tendresse  on  lui  offrit  aussi  plus  de  secours. 

Mais  que  dis-je?  Les  restaurations  grandioses  qu'on  achevait  na- 
guère à  Saint-Jean  de  Latran  et  à  Saint-Paul  de  Rome,  les  insignes 
basiliques  de  rimmaculée-Conception  à  Lourdes,  de  Notre-Dame  du 
Sacré-Cœur  à  Issoudum,  de  Notre-Dame  de  Fourvière  à  Lyon,  de 
Notre-Dame  de  la  Garde  à  Marseille  et  tant  d'autres  célèbres  sanc- 
tuaires dont  plusieurs  ont  été  récemment  construits  en  entier,  et 
d'autres  se  sont  enrichis  de  toutes  les  beautés  de  l'art,  comme  la 
merveilleuse  façade  de  la  cathédrale  de  Florence,  inaugurée  depuis 
trois  ans  à  peine,  ne  sont-ce  pas  là  autant  de  témoignages  qui  pu- 
blient combien  la  piété  des  fidèles,  malgré  tout,  et  même  de  nos  jours, 
tient  les  arts  chrétiens  constamment  en  haleine  et  les  oblige  à  pro- 
diguer tout  l'éclat  de  leurs  splendeurs  à  la  gloire  du  culte  catholique! 

Eh  bien  !  messieurs,  que  l'Equateur  accomplisse  son  vœu;  qu'il 
érige  au  Cœur  adorable  de  Jésus-Christ  un  temple  digne  de  sa  ma- 
jesté et  de  son  amour;  et  cet  acte  de  foi,  loin  de  porter  atteinte  aux 
intérêts  du  pauvre,  lui  préparera,  ici,  dans  l'avenir,  comme  cela  se 
voit  aujourd'hui  en  Europe,  des  asiles  plus  conformes  à  ses  néces- 
sités, des  cœurs  miséricordieux  jusqu'à  l'héroïsme,  des  secours  ines- 
pérés et  généreux  jusqu'au  miracle. 

Au  nom  du  grand  Pontife,  je  bénis  cette  sainte  entreprise,  et  dans 
l'auguste  sacrifice  de  la  messe  que  je  m'apprête  à  célébrer,  j'invo- 
querai sur  l'Equateur,  et  spécialement  sur  Son  Excellence  M.  le 
président  de  la  République,  sur  le  très  digne  métropolitain  et  sur 
ceux  qui,  par  leur  obole  et  leiir  action,  coopéreront  à  l'heureux  cou- 
ronnement de  cette  œuvre,  les  secours  et  la  protection  du  Ciel. 

Je  ne  saurais  oublier  en  ce  jour  le  héros  chrétien  qui  consacra  à 
cette  pieuse  idée  le  meilleur  tribut  que  puisse  lui  donner  un  croyant, 
celui  de  son  propre  sang,  et  je  n'oublierai  pas  davantage  ces  dignes 
missionnaires  du  Sacré-Cœur,  fils  de  la  France,  dont  le  zèle  et  l'acti- 
vité, toujours  supérieurs  à  tous  les  obstacles,  ont  mérité  d'être  réser- 
vés par  la  Providence  pour  la  réalisation  du  vœu  national  de 
l'Equateur. 

TRIBUNAUX 
Les  dots  des  religieuses. 

Mme  Marie-Louise  Plasson,  religieuse  au  couvent  de  Notre- 
Dame-des-Victoires  de  Voiron,  est  décédée  le  18  mars  1888, 
laissant  pour  héritiers  les  époux  Marchand  et  une  demoiselle 
Anna  Plasson. 

Immédiatement  après  le  décès  de  leur  parente,  ceux-ci  n'ont 
rien  eu  de  plus  pressé  que  de  réclamer  à  la  communauté  les 
sommes  qu'elle  avait  reçues  de  Mlle  Plasson  à  titre  de  dot. 


638  ANNALES    OATHOLIQOKS 

Comme  la  communauté  de  Notre-Dame-des-Victoires  n'est 
pas  autorisée,  ils  espéraient  que  le  tribunal  ordonnerait  la  res- 
titution des  sommes  versées. 

Tel  n'a  cependant  pas  été  l'avis  des  juges. 

Le  tribunal  de  Lyon  a  décidé  que,  si  les  communautés  reli- 
gieuses non  autorisées  n'ont  pas  d'existence  légale,  tout  au 
moins  elles  constituent  des  sociétés  de  fait  non  illicites,  que 
chacun  des  membres  qui  composent  cette  société  peut  con- 
tracter individuellement,  et  que  les  actes  ainsi  faits  sont  vala- 
bles. Un  pareil  acte  ne  serait  iiul  que  s'il  était  passé  par  la 
société,  en  tant  que  société. 

Or,  c'est  ce  qui  n'avait  pas  lieu  dans  l'espèce.  La  dot  avait 
été  reçue  par  Mme  Faure-Bigoet,  supérieure,  il  y  avait  là  un 
contrat  parfaitement  valable  et  que  les  héritiers  de  la  religieuse 
décédée  ne  pouvaient  faire  tomber  qu'à  la  condition  de  prouver 
que  le  contrat  de  dot  émanait  de  la  communauté  elle-même. 

Nous  croj'ons  utile,  au  surplus,  de  donner  le  texte  même  du 
jugement  sur  ce  point  très  pratique  : 

Attendu  qu'il  est  d'un  usage  constant  que  la  fille  qui  entre  dans 
une  maison  religieuse  apporte  ou  s'engage  à  apporter  une  dot  ou 
aumône  dotale;  que  la  convention  en  vertu  de  laquelle  cette  dot 
est  constituée  est  un  véritable  contrat  commutatif  et  aléatoire,  la 
communauté  s'engageant  en  échange  à  loger,  à  nourrir,  entretenir 
et  soigner,  tant  en  santé  qu'en  maladie,  son  nouveau  membre  pen- 
dant toute  sa  vie  ; 

Attendu  que  les  communautés  religieuses  non  autorisées,  n'ayant 
aucune  existence  légale,  ne  peuvent,  il  est  vrai,  en  tant  qu'être 
moral,  posséder  ni  acquérir,  et  que,  par  suite,  les  traités  conclus  par 
elles  ou  en  leur  nom  sont  frappés  de  nullité  absolue; 

Attendu  toutefois  qu'elles  constituent  des  sociétés  de  fait  non  illi- 
cites, composées  d'individus  qui  jouissent  de  tous  les  droits  de  la  vie 
civile  et  peuvent  dès  lors  acquérir  et  posséder  ; 

Que,  de  cette  distinction,  il  résulte  que  les  traités  dans  lesquels 
figureront  les  associés  ou  l'un  deux,  individuellement  et  en  leur 
nom  personnel,  seront  au  contraire  parfaitement  valables  et  régu- 
liers aux  yeux  de  la  loi. 

Attendu  que,  tout  demandeur  devant  justifier  sa  demande,  les 
époux  Marchand  et  la  demoiselle  Anna  Plasson  ne  pouiraient  obtenir 
la  restitution  de  la  somme  qu'ils  réclament  qu'à  la  condition  de 
prouver  que  le  contrat  de  dot  est  frappé  de  nullité,  comme  émanant 
de  la  communauté  non  autorisée  de  Notre-Dame  des  Victoires;  mais 
qu'ils  ne  représentent  pas  ce  contrat  et  sont,  par  suite,  dans  l'impos- 
sibilité d'établir  le  vice  dont  il  serait  entaché  ; 


TRIBUNAUX  639 

Qu'ainsi  leur  demande  doit  être  rejetée; 

Attendu,  d'ailleurs,  que,  en  dehors  de  tout  contrat,  le  paiement 
fait  par  Marie-Louise  Plasson,  à  titre  de  dot  ou  aumône  dotale,  est 
valable  et  régulier,  ayant  été  fait  entre  les  mains  de  la  demoiselle 
Faure-Biguet,  agissant  en  son  propre  nom. 

Tels  sont  les  motifs  par  lesquels  le  tribunal  a  rejeté  la 
demande. 

Les  prétentions  d'un  bureau  de  bienfaisance 

M.  l'abbé  PoUeux,  curé  de  la  pauvre  paroisse  de  Saint-Maclou, 
à  Rouen,  qui  devait  à  sa  charité  une  popularité  bien  légitime, 
est  mort  en  1885,  après  avoir  fait  un  testament  oii,  entre  autres 
clauses,  on  lisait  les  suivantes  : 

Je  lègue  à  la  fabrique  de  l'église  Saint-Maclou,  ma  paroisse  : 

1°  Un  capital  de  6,000  francs,  à  charge  par  elle  de  faire  dire  pour 
le  repos  de  mon  âme  un  annuel  perpétuel  de  52  messes,  une  par 
semaine... 

2»  Et  pareille  somme  pour  ses  pauvres. 

(Suivent  différents  legs  mobiliers.) 

Je  désire  que  tout  le  surplus  de  mon  mobilier  soit  vendu  et  que  le 
produit  de  cette  vente  soit  remis  par  mon  successeur  aux  pauvres  de 
ma  paroisse... 

Telle  est  ma  ferme  volonté. 

La  fabrique  de  Saint-Maclou  sollicita  en  vain  l'autorisation 
administrative  pour  pouvoir  accepter  ce  legs. 

Après  quatre  années  d'attente,  un  décret  du  président  de  la 
République,  rendu  en  conseil  d'Etat  le  31  mai  1889,  refusa  à  la 
fabrique  l'autorisation  d'accepter  le  legs,  mais  en  même  temps 
autorisait  le  bureau  de  bienfaisance  à  accepter  :  1<>  la  somme  de 
6,000  francs,  2°  le  produit  de  la  vente  du  mobilier  de 'M.  l'abbé 
Polleux,  s'élevant  à  5,243  francs.  Notons  en  passant  que 
M.  l'abbé  Polleux  avait  été,  en  1882,  expulsé  du  bureau  de  bien- 
faisance, et  on  saisira  immédiatement  quel  tact  avait  inspiré  la 
rédaction  de  ce  décret.  Depuis  1882,  M.  l'abbé  Polleux  diri- 
geait, avec  les  ressources  de  la  charité  privée,  un  dispensaire 
où  les  pauvres  étaient  sûrs  de  trouver  des  secours. 

Malgré  cette  situation,  le  bureau  de  bienfaisance  a  eu  l'audace 
de  réclamer  la  délivrance  du  legs;  mais  il  s'est  heurté  au  tri- 
bunal civil  de  Rouen,  qui,  en  termes  excellents,  a  fait  bonne 
justice  de  ses  prétentions.  Nous  croyons  intéressant  de  repro- 
duire les  passages  les  plus  importants  de  ce  jugement  : 

Attendu  que  le  bureau  de  bienfaisance  entend  faire  prononcer  la 


640  ANNALES   CATHOLIQUES 

délivrance  à  son  profit  en  se  fondant  sur  ce  que  cette  disposition  con- 
tiendrait un  legs  direct  aux  pauvres,  qu'il  représente; 

Attendu  que  les  termes  du  testament  protestent  contre  cette  inter- 
prétation ;  qu'ils  sont  clairs,  précis,  et  ne  présentent  aucune  am- 
biguïté ; 

Que  le  légataire  institué,  c'est  la  fabrique  de  l'église  Saint-Maclou; 

Qu'on  ne  saurait  lui  en  substituer  un  autre  sans  violer  les  disposi- 
tions de  dernière  volonté  du  testateur,  dont  la  loi  assure  le  respect; 

Que  sans  doute  le  testateur  a  voulu  que  les  pauvres  de  sa  paroisse 
prennent  une  part  dans  sa  succession,  mais  qu'il  a  entendu  que  ses 
libéralités  leur  parvinssent  par  l'intermédiaire  qu'il  avait  choisi;  que 
remplacer  cet  intermédiaire  par  le  bureau  de  bienfaisance,  ce  serait 
créer  une  disposition  à  côté  de  celle  qui  existe  et  contraire  aux  ins- 
tructions du  de cujus  ; 

Que  cela  est  évident  si  on  rapproche  des  termes  précis  de  cette 
clause  du  testament  celle  qui  suit  et  qui  procède  de  la  même  pensée  : 
assurer  des  ressources  au  milieu  dans  lequel  l'abbé  PoUeux  avait  vécu, 
pour  venir  en  aide  aux  pauvres  qu'il  secourait  habituellement  avec 
l'assistance  de  ceux  qu'il  a  institués  ; 

Attendu  qu'oc  prétend,  au  nom  du  bureau  de  bienfaisance,  que, 
pour  exclure  cet  établissement,  il  aurait  fallu  que  l'abbé  exprimât 
cette  volonté  ou  mît  à  sa  libéralité  la  condition  que  le  legs  n'aurait 
d'effet  que  s'il  était  délivré  au  conseil  de  fabrique  ; 

Que  ces  arguments  sont  sans  valeur  ;  que  l'exclusion  du  bureau  de 
bienfaisance  eût  été  réputée  non  écrite,  comme  contraire  à  l'ordre 
public;  que,  d'autre  part,  l'exécution  des  dispositions  testamentaires 
n'est  pas  subordonnée  à  des  sanctions  ou  à  des  conditions;  que  la 
simple  manifestation  de  la  volonté  dernière  est  la  loi  qui  s'impose  à 
tous  lorsqu'elle  est  nettement  et  librement  exprimée  ; 

Attendu  que  si  on  éclaire  enfin  les  dispositions  du  testament  par 
les  circonstances  (ixtérieures,  à  savoir  :  la  rupture  des  relations 
qu'avait  antérieurement  l'abbé  Polleux  avec  le  bureau  de  bienfai- 
sance, et  comme  conséquence  la  constitution  par  lui  d'un  service 
privé  de  secours  à  côté  du  service  public  organisé,  on  ne  peut  douter 
que  ce  qu'il  a  entendu,  c'est  que  ses  largesses  fussent  distribués  sui- 
vant ses  intentions  spéciales,  par  les  intermédiaires  ordinaires  de  ses 
libéralités,  confidents  de  ces  mêmes  intentions,  c'est-à-dire  par  les 
membres  du  conseil  de  fabrique; 

Attendu  que  ce  dernier  s'est  vu  refuser  l'autorisation  d'accepter  le 
legs  qui  lui  avait  été  fait  ;  que  le  legs  de  l'abbé  Polleux  ne  peut  re- 
cevoir d'exécution;  que,  par  suite,  ce  legs  est  caduc... 

Le  curé  actuel  de  la  paroisse,  chargé  de  distribuer  l'argent 
aux  pauvres,  était  intervenu  au  débat.  Le  tribunal  n'a  pas 
admis  son  intervention,  en  se  basant  sur  cette  considération. 


LE    CONFLIT    ANGLO-ALLEMAND  641 

juste  en  droit,  que  n'étant  qu'un  'mandataire,  et  non  le  titulaire 
du  legs,  il  n'avait  aucune  qualité,  puisque  le  legs  n'ayant  pas 
été  délivré,  son  mandat  n'avait  pu  prendre  naissance. 

En  réalité,  ce  sont  les  pauvres  qui  perdent  tout  dans  cette  • 
affaire  ;  le  legs  retourne  aux  héritiers  du  testateur. 

Mais  qu'importe  au  gouvernement  et  au  bureau  de  bienfai- 
sance ?  Le  conseil  de  fabrique  est  évincé,  c'est  là  le  point  impor- 
tant. Les  principes  de  «  laïcisation  »  l'exigent  ainsi,  et  périssent 
les  pauvres  plutôt  qu'un  principe  ! 


LE  CONFLIT  ANGLO-ALLEMAND 

La  rubrique  «  Afrique  »,  à  peu  près  inconnue  dans  la  presse 
politique,  il  y  a  dix  ans,  tend  à  occuper  une  place  de  plus  en 
plus  proéminente. 

L'Angleterre  se  sent  menacée  dans  ses  ambitions  coloniales 
sur  cet  énorme  continent,  et  nous  voyons  surgir  un  conflit 
après  l'autre. 

Précisons  en  quelques  mots  la  situation. 

L'Angleterre  vise  un  but  qui  ne  brille  pas  précisément  par  sa 
modestie:  rattacher  ses  possessions  de  l'Afrique  du  Sud  à  celles 
de  l'Afrique  du  Nord.  On  se  demandera  peut-être,  quelles  sont 
les  possessions  de  l'Angleterre  dans  l'Afrique  du  Nord?  Mon 
Dieu,  il  y  a  bon  temps  que  l'Angleterre  a  reconnu  l'utilité  de 
posséder  l'Egypte,  par  conséquent  elle  la  possède.  Dissemblable 
en  cela  au  fameux  Bilboquet,  une  malle  doit  lui  appartenir,  si 
elle  lui  convient,  quand  même  il  y  aurait  un  propriétaire  légi- 
time à  la  réclamer. 

Ce  qu'il  faut,  en  conséquence,  à  l'Angleterre,  c'est  un  terri- 
toire s'étendant  du  cap  de  Bonne-Espérance  jusqu'à  la  Méditer- 
ranée. Il  y  a  bien  quelques  gênants  sinon  absolus  obstacles 
dans  l'Afrique  méridionale,  comme  les  républiques  hollandaises, 
mais  elles  se  laissent  contourner,  et  du  reste,  ces  républiques 
seront  absorbées  sous  peu,  si  aucune  grande  puissance  euro- 
péenne n'intervient,  éventualité  nullement  impossible;,  comme 
nous  verrons  tout  à  l'heure. 

Le  Portugal  a  des  velléités  de  barrer  la  route  à  son  ancienne 
protectrice  ;  il  veut  rattacher  ses  possessions  de  l'Afrique  occi- 
dentale à  celles  de  l'Afrique  orientale.  On  a  vu,  il  y  a  quelques 
mois,  avec  quelle  énergie  le    gouvernement  de  Sa  gracieuse 


642  ANNALES    CATHOLIQUES 

Majesté  sut  répritnep  cette  entreprise.  Seulement,  et  c'est  ici 
que  nous  arrivons  à  la  question  brûlante,  au-delà  des  colonies 
portugaises  s'étendent  les  nouvelles  colonies  allemandes.  Les 
moyens  qui  ont  si  bien  réussi  vis-à-vis  du  Portugal  sont  mal- 
heureusement peu  pratiques  vis-à-vis  de  l'Allemagne. 

Les  colonies  allemandes  ont  pour  frontière  au  Midi  le  tieuve 
Rowuna,  au  Nord  de  la  ville  de  Wanga,  puis  nous  voyons  le 
territoire  de  la  Compagnie  anglaise  de  l'Afrique  orientale 
occuper  la  côte  de  Wanga  jusqu'à  l'embouchure  de  la  Tana,  oii 
recommence  le  territoire  allemand.  Tout  cela  est  parfaitement 
délimité,  mais  les  difficultés  commencent  quand  il  s'agit  de 
préciser  l'extension  des  frontières  occidentales. 

L'entente  anglo-allemande  de  1886  dit  que  la  sphère  des 
intérêts  allemands  s'étendra  jusqu'à  la  rive  orientale  des  lacs 
Tanganîka  et  Victoria  Nyanza,  mais  elle  n'indique  pas  la  ligne 
de  démarcation  entre  ces  deux  lacs.  Or,  c'est  là  le  point  cri- 
tique. 

Les  Anglais  concéderaient  volontiers  une  frontière  partant 
du  point  le  plus  méridional  du  Victoria  Nyanza  pour  aboutir  à 
l'extrémité  nord  du  Tanganika.  Les  Allemands,  par  contre, 
réclament  une  ligne  s'étendant  du  nord-ouest  du  Victoria  Nyanza 
à  l'Albert  Edward  Nyanza, 

On  saisit  au  premier  coup  d'œil  l'importance  de  la  diffé- 
rence entre  les  deux  frontières.  La  première  laisse  la  route 
du  Soudan  aux  mains  des  Anglais,  le  Tanganika  leur  permet- 
tant de  regagner  par  voie  d'eau  leur  territoire.  Il  est  vrai  que 
le  Portugal  revendique  les  paya  situés  au  sud  de  ce  lac,  mais 
cela  ne  gêne  guère  l'Angleterre.  La  seconde  frontière  allant 
à  l'Albert  Edward  Nyanza,  par  contre,  barre  absolument  la 
fameuse  route  du  Cap  au  Nil. 

A  ce  différend  vient  s'ajouter  un  autre,  plus  grave  encore. 
Les  sphères  des  intérêts  des  territoires  allemands  et  anglais 
dans  les  pays  des  Massaïas  et  des  Somalis  ne  sont  aucunement 
délimitées.  Une  extension  de  la  sphère  allemande  vers  l'Ouest 
pourrait  couper  aux  Anglais  l'accès  du  Victoria  Nyanza  et  de 
la  vallée  du  Nil,  éventualité  bien  faite  pour  effrayer  les  senti- 
ments britanniques. 

Ce  qui  ne  contribue  pas  pour  une  mince  part  à  rendre  les 
Anglais  méfiant'',  ce  sont  les  expéditions  du  docteur  Peters  et 
d'Emin-Pacha.  La  première  longe  le  Tana,  et  les  dernières 
lettres  du  docteur  Peters  sont  datées  du  lac  Baringo;  elle  se 


LE    CONFLIT    ANGLO-ALLEMAND  643 

trouve  par  conséquent  dans  une  région  que  les  Anglais  reven- 
diquent "comme  relevant  de  la  sphère  de  leurs  intérêts.  Nul 
doute  que  le  docteur  n'essaie  de  traiter  avec  les  chefs  indi-. 
gènes  :  il  y  aura  là  matière  à  conflit  aigu  avec  l'Angleterre. 

L'expédition  d'Emin  Pacha  est  partie  de  Bagamoyo,  sans  que 
l'on  sache  exactement  sa  destination  réelle.  Rien  de  surprenant 
à  ce  qu'on  suppose  qu'Emin  veut  reconquérir  son  ancienne  pro- 
vince et  livrer  la  clef  du  Soudan  aux  Allemands. 

Lord  Salisbury,  sans  se  dissimuler  la  gravité  de  la  situation, 
cherche  une  entente  basée  sur  des  concessions  réciproques.  Le 
noble  lord  a  des  intérêts  anglais  à  défendre  ailleurs  qu'en  Afri- 
que et  a  des  raisons  très  motivées  pour  éviter  tout  conflit.  Nous 
le  croyons  assez  disposé  à  faire  des  concessions  sérieuses  au 
Sud  de  l'Equateur  si  les  Allemands  renoncent  à  l'extension  de 
leurs  colonies  de  Witu.  On  conçoit  que,  même  au  point  de  vue 
africain,  l'Angleterre  ménage  le  puissant  empire  de  l'Europe 
centrale  :  l'hostilité  allemande  pourrait,  en  effet,  lui  créer  de 
graves  difficultés  dans  le  sud  où  les  républiques  hollandaises 
sont  très  disposées  à  s'appuyer  sur  l'Allemagne  pour  s'éman- 
ciper encore  plus  complètement  de  l'influence  anglaise  et  où  le 
Portugal  ne  demanderait  pas  mieux  que  de  prendre  sa  revanche. 

Ce  qui  rend  cet  accord  probable  plus  difficile,  c'est  l'inter- 
vention de  M.  Stanley.  Il  faut  rendre  justice  à  M.  Stanley  :  il 
sait  faire  l'article  comme  pas  un.  Ou  l'a  vu  en  Belgique  tra- 
vailler à  faire  mousser  le  Congo,  et  on  le  voit  actuellement 
occupé  à  surexciter  la  fibre  nationale  des  Anglais  au  profit  de 
la  Compagnie  de  l'Afrique  orientale.  I)e  ce  côté  du  canal, 
M.  Stanley  semble  n'avoir  réussi  qu'à  moitié,  il  serait  à  sou- 
haiter que  de  l'autre  côté  du  détroit  il  ne  réussît  pas  trop  com- 
plètement. Toutefois  il  faut  reconnaître  qu'il  s'y  prend  très 
habilement,  en  homme  connaissant  à  fond  son  public. 

Si  le  chauvinisme  colonial  forçait  la  main  au  gouvernement, 
nous  pourrions  nous  attendre  à  des  événements  très  graves.  Ou 
bien  l'Allemagne  céderait  à  toutes  les  prétentions  anglaises  ou 
bien  un  conflit  violent  éclaterait.  Dans  les  deux  éventualités  ce 
serait  sur  l'échiquier  européen  que  les  conséquences  se  feraient 
sentir. 

Et  dire  qu'il  y  a  encore  des  gens  qui  croient  au  but  humani- 
taire de  l'expédition  de  Stanley  !  Ce  sauvetage  d'Emin  restera 
une  des  comédies  les  plus  étonnantes  de  l'histoire,  si  cela  ne 
tourne  pas  à  la  tragédie.  [Courriel'  de  Bruxelles.) 


644  ANNALES   CATHOLIQUES 

QUESTIONS  DE  LÉGISLATION 

Dispositions  de  la  loi  civile  touchant  les  pompes  funèbres. 

Sous  le  terme  général  de  pompes  funèbres,  on  comprend 
tout  ce  qui  sert  à  donner  de  la  pompe  aux  convois,  aux  services 
religieux  et  à  l'enterrement  des  morts,  ainsi  que  le  matériel 
nécessaire  pour  les  funérailles.  Aux  termes  des  décrets  du 
12  juin  1804  et  du  18  mai  1806,  c'est  aux  fabriques  seules 
qu'il  appartient  de  fournir  les  choses  nécessaires  aux  enterre- 
ments et  aux  pompes  funèbres,  c'est-à-dire  les  voitures,  ten- 
tures, ornements  et  de  faire  généralement  toutes  les  fourni- 
tures quelconques,  non  seulement  pour  le  service  des  morts 
dans  l'intérieur  des  églises,  mais  encore  pour  le  transport  des 
corps  et  la  pompe  des  convois.  Soit  que  les  fabriques  mettent 
les  pompes  funèbres  en  régie,  soit  qu'elles  les  afferment,  il  n'y 
a  qu'une  seule  administration  ou  qu'une  seule  entreprise  pour 
toutes  les  paroisses  d'une  même  ville.  Dans  les  grandes  villes, 
les  fabriques  sont  tenues  de  se  réunir  pour  ne  former  qu'une 
seule  entreprise.  On  entend  par  grandes  villes  celles  qui  ren- 
ferment plusieurs  paroisses.  En  rendant  obligatoire  la  réunion 
des  fabriques  dans  ce  cas,  le  législateur  a  voulu  empêcher  que 
les  habitants  d'une  même  cité  ne  fussent  exposés  à  payer  des 
sommes  différentes  pour  des  convois  de  même  espèce  ;  ce  qui 
eût  été  contraire  aux  principes  de  justice  et  d'égalité. 

Les  tarifs  des  pompes  funèbres  ont  pour  objet  de  régler  des 
droits  dus  aux  fabriques  paroissiales  pour  le  service  des  morts 
dans  l'intérieur  des  églises  et  pour  toutes  les  fournitures  rela- 
tives aux  convois;  ils  sont  rédigés  par  les  évêques  et  par  les 
fabriques  qui  doivent  y  joindre  des  tableaux  gradués  par  classe. 
Ces  tarifs  sont  communiqués  d'abord  aux  conseils  municipaux, 
et  ensuite  aux  préfets  pour  avoir  leur  avis.  Ils  devaient  être 
présentés,  d'après  le  décret  de  1806,  par  le  ministre  des  cultes 
au  chef  de  l'Etat.  Mais  actuellement,  aux  termes  des  décrets 
des  25  mars  1852  et  13  avril  1861,  les  préfets  ont  le  droit  d'ap- 
prouver tous  les  tarifs  des  pompes  funèbres.  Le  décret  du 
18  mai  1806  a  voulu  qu'il  y  eût  deux  tarifs  distincts  en  prescri- 
vant que  le  tarif  des  frais  de  transport  fût  préparé  par  le  con- 
seil municipal  et  approuvé  sur  le  rapport  du  ministre  de  l'inté- 
rieur ;  et  que  le  tarif  des  pompes  funèbres  fût  dressé  par  les 
fabriques  et  les  évêques  et  approuvé  sur  le  rapport  du  ministre 


QUESTIONS    DE    LÉGISLATION  645 

des  cultes.  Les  dispositions  du  décret  de  1806  doivent  toujours 
être  suivies.  Dans  plusieurs  diocèses,  on  a  proposé  de  réunir 
les  tarifs  des  honoraires  du  clergé  pour  les  enterrements  aux. 
tarifs  des  pompes  funèbres.  Mais  le  conseil  d'Etat  et  l'adminis- 
tration des  cultes  s'y  sont  toujours  opposés.  Cette  réunion  serait 
en  effet  contraire  aux  décrets  précités  qui  soumettent  chacun 
de  ces  tarifs  à  des  formalités  différentes. 

A  Paris,  le  service  des  pompes  funèbres  est  régi  par  une 
législation  spéciale.  Il  est  maintenant  soustrait  aux  fabriques 
et  il  est  le  monopole  d'une  compagnie  civile. 

Ily  a  donc  à  distinguer  entre  les  droits  de  la  fabrique  sur  les 
tentures  et  les  droits  de  la  fabrique  sur  le  transport  des  corps. 

Par  rapport  à  la  tenture,  il  y  a  à  distinguer  aussi  le  droit  de 
percevoir  le  produit  et  le  droit  de  le  fixer  par  un  tarif. 

D'après  les  décrets  des  23  prairial  an  XII  et  18  mai  1806,  la 
fabrique  seule  profite  du  produit;  elle  peut  l'aifermer  ou  l'exer- 
cer par  elle-même.  Si  elle  l'afferme,  il  n'y  a  qu'une  seule  entre- 
prise :  l'adjudication  est  faite  aux  enchères,  dans  la  forme  éta- 
blie pour  les  travaux  publics,  c'est-à-dire  qu'elle  est  passée 
devant  la  majorité  des  membres  de  la  fabrique  et  soumise  à 
l'approbation  du  préfet.  Aucun  membre  de  la  fabrique  ne  peut 
être  adjudicataire.  Le  tarif  gradué  par  classes,  doit  être  dressé 
par  la  fabrique,  communiqué  au  couseil  municipal  et  au  préfet 
et  soumis  à  l'approbation  du  chef  de  l'Etat.  Le  ministre  de 
l'intérieur  devra  faire  connaître  l'avis  du  conseil  municipal  et 
du  préfet.  Le  tarif  doit  contenir  les  deux  clauses  suivantes  :  la 
première,  qu'il  ne  sera  porté  aucun  préjudice  aux  droits  des 
entrepreneurs  qui  ont  des  marchés  existants  :  la  seconde,  que 
si  l'église  est  tendue  pour  un  convoi  taxé,  la  tenture  ne  sera 
point  enlevée  lorsqu'on  présentera,  aussitôt  après,  le  corps 
d'un  indigent. 

Pour  déterminer  les  droits  de  la  fabrique  sur  le  transport  des 
corps,  il  faut  distinguer  trois  sortes  de  communes  :  celles  qui 
n'ont  ni  entreprises,  ni  marchés,  comme  sont  les  villages,  les 
bourgs  et  quelques  petites  villes  ;  celles  qui  ont  une  entreprise, 
mais  dont  le  cimetière  n'est  pas  très  éloigné,  et  qui  n'ont  ainsi 
qu'un  transport  peu  coûteux  :  enfin  celles  où  le  transport  est 
très  coûteux  à  raison  de  la  grande  distance  qui  sépare  du  cime- 
tière. Dans  les  premières,  le  mode  du  transport  des  corps  est 
réglé  par  les  conseils  municipaux  et  les  préfets.  La  rétribution 
due  aux  porteurs  des  corps  n'est  jamais  ou  presque  jamais  réglée 


646  ANNALES    CATHOLIQUES 

dans  les  campagaes  :  les  fabriques  n'y  perçoivent  point  de  droit 
sur  le  transport  des  corps.  Le  transport  se  fait  souvent  gratui- 
tement par  les  parents  ou  amis  du  défunt. 

Dans  les  secondes,  le  mode  de  transport  est  réglé  par  les  pré- 
fets, sur  la  proposition  des  maires;  mais  la  fourniture  des  voi- 
tures et  des  objets  nécessaires  est  faite  par  la  fabrique  elle- 
même,  ou  donnée  à  ferme.  Le  tarif  est  approuvé  de  la  même 
manière  que  celui  des  tentures  ;  il  doit  aussi  renfermer  difte- 
rentes  classes  et  il  est  soumis  aux  mêmes  formalités.  On  peut, 
dans  ce  cas,  n'en  faire  qu'un  seul,  pour  le  transport  et  pour  la 
tenture,  n'avoir  qu'une  seule  régie  ou  une  seule  entreprise. 

Dans  les  troisiémâs,  le  mode  de  transport,  le  cahier  des 
charges,  les  fournitures  et  le  tarif  sont  ordonnés  comme  pour 
les  tentures;  mais  avec  cette  différence,  que  le  tarif,  au  lieu 
d'être  proposé  par  la  fabrique  seule,  doit  être  adressé  par  la 
fabrique  et  le  conseil  municipal  ;  que  le  cahier  des  charges  est 
proposé  d'après  l'avis  de  l'évêque  ;  qu'au  lieu  d'un  seul  tarif,  il 
doit  y  en  avoir  deux,  l'un  pour  la  tenture  et  l'autre  pour  le 
transport  :  c'est  ce  qui  résulte  do  la  comparaison  des  articles 
7  et  10  du  décret  du  18  mai  1806;  que  le  tarif  de  la  tenture  est 
approuvé  par  le  ministre  des  cultes,  et  que  le  tarif  pour  le  trans- 
port des  corps  est  soumis  à  l'approbation  du  ministre  de  l'in- 
térieur. 

Dans  les  bourgs  et  villages  oii  il  n'y  a  aucune  entreprise  pour 
le  transport  des  corps,  les  parents  du  défunt  n'ont  à  payer  que 
le  salaire  des  fossoyeurs  et  celui  des  porteurs,  encore,  avons- 
nous  dit,  ce  dernier  service  est  très  souvent  gratuit. 

Dans  les  communes  oix  ce  transport  produit  un  revenu,  l'em- 
ploi doit  être  fixé  par  le  règlement  qui  détermine  la  rétribution 
attachée  à  chaque  classe. 

Nous   citons  ici  les    deux    décrets    du    12  juin    1804    et    du 

18  mai  1806. 

Décret  du  12  Juin  1804. 

Titre  V.  «  Art.  20.  —  Les  frais  et  rétributions  à  payer  aux 
ministres  des  cultes  et  autres  individus  attachés  aux  églises  et 
temples,  tant  pour  leur  assistance  aux  convois  que  pour  les 
services  requis  par  les  familles,  seront  réglés  par  le  gouverne- 
ment, sur  l'avis  des  évêques,  des  consistoires  et  des  préfets,  et 
sur  la  proposition  du  conseiller  d'Etat  chargé  des  affaires  con- 
cernant les  cultes.  Il  ne  leur  sera  rien  alloué  pour  leur  assistance 
à  l'inhumation  des  individus  inscrits  au  rôle  des  indigents. 


QUESTIONS    DE    LlÎGlSLATiON  047 

«  Art.  21.  —  Le  mode  le  plus  convenable  pour  le  transport 
des  corps  sera  réglé  suivant  les  localités  par  les  maires,  sauf 
l'approbation  des  préfets. 

«  Art.  22.—  Les  fabriques  des  églises  et  des  consistoires - 
jouiront  seules  du  droit  de  fournir  des  voitures,  tentures,  orne- 
ments, et  de  faire  généralement  toutes  les  fournitures 
quelconques  nécessaires  pour  les  enterrements  et  pour  la 
décence  et  la  pompe  des  funérailles.  Les  fabriques  et  consis- 
toires pourront  faire  exercer  ou  affermer  ce  droit,  d'après 
l'approbation  des  autorités  civiles  sous  la  surveillance  des- 
quelles ils  sont  placés. 

«  Art.  23.  — L'emploi  des  sommes  provenant  de  l'exercice  ou 
de  l'affermage  de  ce  droit,  sera  consacré  à  l'entretien  des 
églises,  des  lieux  d'inhumation,  et  au  paiement  des  desservants: 
cet  emploi  sera  réglé  et  réparti  sur  la  proposition  du  conseiller 
d'Etat  chargé  des  affaires  concernant  les  cultes,  et  d'après  l'avis 
des  évêques  et  des  préfets. 

«  Art.  24.  —  Il  est  expressément  défendu  à  toutes  autres 
personnes,  quelles  que  soient  leurs  fonctions,  d'exercer  le  droit 
susmentionné,  sous  telle  peine  qu'il  appartiendra,  sans  préjudice 
des  droits  résultant  des  marchés  existants,  et  qui  ont  été 
passés  entre  quelques  entrepreneurs  et  les  préfets  ou  autres 
autorités  civiles,  relativement  aux  convois  et  pompes  funèbres. 

«  Art.  25.  —  Les  frais  à  payer  pour  les  successions  des  per- 
sonnes décédées,  pour  les  billets  d'enterrement,  le  prix  des 
tentures,  les  bières  et  le  transport  des  corps  seront  fixés  par  un 
tarif  proposé  par  les  administrations  municipales,  et  arrêté  par 

les  préfets.  » 

Décret  du  18  mai  1806. 

Titre  II.  «Art.  7.  —Les  fabriques  feront  par  elles-mêmes,  ou 
feront  faire  par  entreprises  aux  enchères, toutes  les  fournitures 
nécessaires  aux  services  des  morts  dans  l'intérieur  des  églises, 
et  toutes  celles  qui  sont  relatives  à  la  pompe  des  convois,  sans 
préjudice  des  droits  des  entrepreneurs  qui  ont  des  marchés 
existants.  Elles  adresseront, à  cet  effet,  des  tarifs  et  des  tableaux 
gradués  par  classe,  ils  seront  communiqués  aux  conseils  muni- 
cipaux et  aux  préfets,  pour  y  donner  leur  avis,  et  seront  soumis, 
par  notre  ministre  des  cultes,  pour  chaque  ville,  à  notre  appro- 
bation. Notre  ministre  de  l'intérieur  nous  transmettra  pareille- 
ment, à  cet  égard,  les  avis  des  conseils  municipaux  et  des 
préfets. 


618  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Art.  8.  —  Dans  les  grandes  villes,  toutes  les  fabriques  se 
réuniront  pour  ne  fornaer  qu'une  seule  entreprise.  » 

Titre  III.  «  Art.  9.  —  Dans  les  communes  où  il  n'existe  pas 
d'entreprise  et  de  marché  pour  les  sépultures,  le  mode  de  trans- 
port des  corps  sera  réglé  par  les  préfets  et  les  conseils  munici- 
paux. Le  transport  des  indigents  sera  fait  gratuitement. 

«  Art.  10.  —  Dans  les  communes  populeuses,  où  l'éloignement 
des  cimetières  rend  le  transport  coûteux,  et  où  il  est  fait  avec 
des  voilures,  les  autorités  municipales,  de  concert  avec  les 
fabriques,  feront  adjuger  aux  enchères  l'enti-eprise  de  ce  trans- 
port, les  travaux  nécessaires  à  l'inhumation  et  à  l'entretien 
des  cimetières. 

«  Art.  11.  —  Le  transport  des  morts  indigents  sera  fait 
décemment  et  gratuitement;  tout  autre  transport  sera  assujetti 
à  une  taxe  fixe.  Les  familles  qui  voudront  quelque  pompe  trai- 
teront avec  l'entrepreneur,  suivant  un  tarif  qui  sera  dressé  à 
cet  eflet.  Les  règlements  et  marchés  qui  fixeront  cette  taxe,  et 
le  tarif,  seront  délibérés  par  les  conseils  municipaux  et  soumis 
ensuite,  avec  l'avis  du  préfet,  par  notre  ministre  de  l'intérieur, 
à  notre  approbation... 

«  Art.  14.  —  Les  fournitures  précitées  dans  l'article  11,  dans 
les  villes  où  les  fabriques  ne  fournissent  pas  elles-mêmes, 
seront  données,  ou  en  régie  intéressée,  ou  en  entreprise,  à  un 
seul  régisseur  ou  entrepreneur.  Le  cahier  des  charges  sera  pro- 
posé par  le  conseil  municipal,  d'ai»rés  l'avis  de  l'évêque,  et 
arrêté  définitivement  par  le  préfet. 

«  Art.  15.  —  Les  adjudications  seront  faites  selon  le  mode 
établi  par  les  lois  et  règlements  pour  tous  les  travaux  publics. 
En  cas  de  contestation  entre  les  autorités  civiles,  les  entrepre- 
neurs et  les  fabriques,  sur  les  marchés  existants,  il  y  sera  5;ta- 
tué  sur  les  rapports  de  notre  ministre  de  l'intérieur  et  des 
cultes.  » 

Mais  maintenant  le  conseil  de  préfecture  peut  statuer  sur  ces 
différends. 

Voici,  d'autre  part,  le  décret  du  18  août  1811  relatif  au  service 
des  inhumations  et  tarifs  des  droits  et  frais  à  payer  pour  le  ser- 
vice et  la  pompe  des  sépultures,  ainsi  que  pour  toute  espèce  de 
cérémonies  funèbres. 

«  Art.  1".  —  Le  service  des  inhumations  est  divisé  en  six 
classes  dont  le  tableau  est  annexé  au  présent  décret.  Le  prix 
fixé  pour  chaque  classe  est  le  maximum   qu'il  est  interdit  de 


QUESTIONS   DE   LÉGISLATION  649 

passer,  mais  ce  prix  peut  être  diminué  dans  la  proportion  des 
objets  compris  dans  le  tableau  de  chaque  classe,  qui  ne  seraient 
pas  demandés  par  les  familles,  et  dont  elles  donneraient  contre- 
ordre  par  écrit. 

«  Art.  2.  —  Tout  ordre  pour  un  convoi  doit  être  donné  par 
écrit,  indiquer  la  classe,  désigner  les  objets  fixés  dans  le  tarif 
supplémentaire  qui  seraient  demandés  par  les  familles.  A  cet 
efi"et,  l'entrepreneur  général  du  service  fera  imprimer  des  mo- 
délesd'ordre  en  tête  desquels  seront  relatés  les  articles  1,  2,  4 
et  6  du  présent  décret  :  c'est  uniquement  sur  ces  modèles  impri- 
més que  les  familles  ou  leurs  fondés  de  pouvoirs  expliqueront 
leur  volonté. 

«  Art.  3.  —  Le  service  ordinaire  et  extraordinaire  des  inhu- 
mations sera  adjugé  à  un  seul  entrepreneur  qui  ne  pourra  aug- 
menter le  total  de  la  dépense  fixée  pour  chaque  classe,  sous 
peine,  en  cas  de  contestation,  de  ne  pouvoir  répéter  cet  excé- 
dent devant  les  tribunaux,  et  d'une  amende  qui  ne  pourra  excé- 
der mille  francs.  Cet  article  est  commun  aux  fabriques  dont  les 
receveurs  sont  responsables. 

«  Art.  4.  —  Il  est  défendu  à  l'entrepreneur  des  inhumations 
et  à  chaque  fabrique  de  faire  imprimer  séparément  soit  le 
tableau  des  dépenses  du  service  de  l'entreprise,  soit  le  tableau 
des  dépenses  fixées  pour  les  cérémonies  religieuses. 

«  Art.  5.  — L'adjudication  comprendra  le  droit  exclusif  de 
louer  et  de  fournir  les  objets  indiqués  dans  le  tableau  de  toutes 
les  classes,  sauf  les  ornements  que  les  fabriques  sont  dans 
l'usage  de  se  réserver,  et  qui  consistent  seulement  en  pièces  de 
tentures  du  fond  des  autels,  tapis  de  sanctuaire,  couvertures 
de  lutrins  et  des  pupitres,  des  sièges  des  célébrants  et  des 
chantres. 

«  Art.  6.  —  L'entrepreneur  sera  tenu  de  transporter  les  corps 
à  l'église  ou  au  temple,  toutes  les  fois  qu'il  n'aura  pas  reçu  par 
écrit  un  ordre  contraire  sans  pouvoir  demander  aucune  aug- 
mentation. » 

Suivent  d'autres  articles  qu'il  est  inutile  de  rapporter. 

Telles  sont,  dans  leurs  principaux  points,  la  législation  ou  les 
dispositions  de  la  loi  civile  touchant  les  convois  et  les  pompes 
funèbres. 

Abbé  Pluot. 


47 


650  ANNALES    CATHOLIQUES 

NOUVELLES  RELIGIEUSES 

Rome  et  l'Italie. 

Le  grand  pèlerinage  ouvrier  qui  vint  de  la  France,  en  octobre 
1889,  avait  résolu,  on  le  sait,  de  laisser  ici,  dans  la  basilique 
même  du  prince  des  Apôtres,  un  souvenir  de  cette  solennelle 
manifestation.  Il  ne  pouvait  mieux  choisir,  à  cet  effet,  que 
l'autel  de  la  basilique  vaticane  .oii  est  honorée  sainte  Pétronille, 
fille  de  saint  Pierre.  C'est  à  cet  autel  que  le  roi  Pépin  voulut 
affirmer,  dans  les  honneurs  rendus  à  la  fille  de  saint  Pierre,  la 
dévotion  des  Francs  et  leur  noble  mission  à  l'égard  du  Saint- 
Siège.  Cet  autel  donc  vient  d'être  orné  de  Vex-voto  des  pèlerins 
français  et  des  inscriptions  destinées  à  perpétuer  le  souvenir 
de  leur  foi,  à  l'endroit  même  oii,  proclamée  d'abord  par  la 
France  de  Pépin  et  de  Charleraagne,  elle  a  toujours  été  pro- 
fessée par  les  pèlerins  venus  d'outre-monts. 

L'ex-voto  consiste  en  une  magnifique  lampe  d'argent,  qui, 
placée  le  31  mai  dernier,  jour  de  la  fête  de  sainte  Pétronille, 
devant  l'autel  de  la  sainte,  y  brûlera  désormais  à  perpétuité. 
Les  inscriptions  commémoratives  gravées  sur  deux  plaques  de 
marbre,  des  deux  côtés  de  l'autel,  ont  été  composées  par 
l'illustre  commandeur  de  Rossi.  Celle  qui  est  placée  du  côté  de 
l'évangile  est  conçue  en  ces  termes  : 

Paulus  I  Pont.  Max.  —  Pipini  régis   Francorum   voto  obsequutus 

—  corpus  Petronilhe  Virg.  —  quam  antiquitas  decoravit  titulo  — 
Filia)  Pétri  Apostoli  —  e  vetere  sépulcre  elatum  —  in  Vaticane  coa- 
didit  —  eidemque  mausoleum  dedicavit  —  VIII  Id.  Oct.  A.  Christ. 
DCCLVII  —  quod  esset  monumentum  perenne  —  fidei  nationis  nobi- 
lissimee  —  erga  Sedem  Apostolicam. 

L'autre  inscription,  placée  du  côté  de  l'épître,  rapproche  de 
cet  antique  souvenir  la  foi  et  le  dévouement  filial  renouvelés  ici 
au  nom  de  la  France  par  ses  pèlerins  ouvriers.  En  voici  le 
texte  : 

Léo  XIII.  Pont.  Max.  —  francos  operarios  ad  lira.  Apost.  venientes 

—  duce  B.  M.  Langenieux  Presbyt.  Cardinali  Rem.  —  mense  Octo- 
bri  A.  MDCCCLXXXIX  —  paterno  animo  excipiena  —  cultura  avi- 
tum  nationis  nobilissimse  —  instaurandum  decrovit  sanxitq.  —  ut  ad 
sepulcruni  Petronillte  —  excollata  cullorum  stipe  —  lucerna  semper 
vigilet  —  patroase  ccelestis  opem  —  pro  salute  Gallise  somper  im- 
plorans. 

L'ex-voto  et  les  inscriptions  seront  bientôt  complétés   par  le 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  651 

don  d'un  riche  reliquaire  qui  sera  exposé  sur  l'autel  de  sainte 
Pétronille  le  5  septembre  prochain. 


Vendredi  dernier,  13  juin,  le  Souverain  Pontife  a  solennelle- 
ment promulgué,  dans  la  salle  du  Trône,  les  décrets  de  la 
Sacrée-Congrégation  des  Rites  qui  proclament  l'héroïcité  des 
vertus  de  la  vénérable  Mère  Rivier,  fondatrice  des  Sœurs  de  la 
Présentation,  et  du  vénérable  Michel-Ange,  Frère  lai  profès  de 
l'ordre  de  Saint-Pierre  d'Alcantara,  dans  lequel  il  s'est  sanctifié 
en  exerçant  l'humble  métier  de  tisserand. 

Le  lendemain,  le  Saint-Père,  entouré  de  plusieurs  des 
EEmes  cardinaux  et  des  prélats  et  personnages  de  sa  cour,  a 
présidé,  dans  la  salle  du  Consistoire,  la  séance  académique 
solennelle  dans  laquelle  des  élèves  de  la  Noble  Académie  ecclé- 
siastique, du  séminaire  Pie,  du  séminaire  Romain  et  du  collège 
Lombard, ont  traité  divers  sujets  de  haute  littérature  italienne, 
latine  et  grecque,  conformément  au  programme  des  cours  de 
l'institut  Léonin,  fondé  par  la  munificence  de  Sa  Sainteté. 

Parmi  les  sièges  vacants  de  l'étranger  qui  seront  pourvus 
aux  prochains  consistoires  de  fin  juin,  on  assure  qu'il  y  en  aura 
plusieurs  du  Brésil.  Quant  à  l'érection  de  la  hiérarchie  catho- 
lique au  Japon  et  aux  préconisations  à  des  évêchés  vacants  de 
l'empire  russe,  elles  sont  renvoyées  à  une  date  ultérieure. 

Mgr  Mermillod  recevra,  comme  cardinal  de  la  sainte  Eglise 
romaine,  le  titre  presbytéral  des  SS.  Nérée  et  Achillée,  célèbre 
pas  son  antiquité  et  par  les  illustres  princes  de  l'Eglise  auxquels 
il  a  été  assigné.  ' 

On  annonce  qu'un  document  du  Saint-Siège  sera  prochaine- 
ment adressé  à  Mgr  Pace,  évêque  de  Malte,  attaqué  par  un 
certain  parti  maltais  dit  irrédentiste  ou  nationaliste,  pour 
approuver  la  manière  dont  il  a  appliqué  les  instructions  qui  lui 
ont  été  communiquées  à  la  suite  des  négociations  du  général 
Simmons  avec  le  Saint-Siège. 

Ifrance. 

Paris.  —  Paris  a  recommencé  ses  manifestations  religieuses 
envers  le  Très  Saint-Sacrement.  Les  étrangers  qui  en  ont  été 


652  ANNA.LKS    CATHOLIQUES 

témoins  ont  été  véritablement  surpris,  édifiés,  et  attestaient 
que  la  capitale  de  la  France  vaut  mieux  que  la  renommée  que 
voudraient  lui  faire  les  libres-penseurs.  Oui,  le  peuple  parisien 
réuni  dans  ses  églises  a  proclamé  une  fois  de  plus  sa  foi,  la 
vieille  foi  de  la  France,  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  C'est 
surtout  à  Montmartre  qu'on  a  été  le  plus  ému  et  édifié,  sur  cette 
montagne  qu'on  peut  tout  aussi  bien  dénommer  la  montagne  de 
la  prière  et  de  l'Eucharistie.  Ce  mont  Sion  est  devenu  la  plus 
grande  attraction  religieuse  de  Paris,  comme  il  le  deviendra 
pour  la  France  entière.  Ce  mois  de  juin,  me  disait  hier  un  des 
Pères  Oblats  de  la  basilique,  est  vraiment  une  continuelle 
apothéose  du  Cœur  de  Jésus. 

Il  faut  avoir  assisté  à  ce  grandiose  spectacle  pour  s'en  faire 
une  juste  idée. 

Il  y  a  là,  pour  affirmer  la  présence  réelle  du  Cœur  de  Jésus- 
Christ,  un  argument  plus  convaincant  que  de  longs  discours  et 
de  savants  traités.  Comment  nier  la  vie  religieuse  à  Paris  quand 
elle  se  manifeste  par  de  tels  effets  î 

C'est  la  France  entière  que  ces  actes  publics  et  solennels  de 
foi  et  d'amour  édifient  et  consolent. 

On  estime  à  plus  de  trente  mille  la  multitude  des  pèlerins  sur 
la  sainte  montagne  durant  cette  mémorable  journée.  Je  vais 
essayer  d'en  faire  le  tableau  le  plus  fidèle. 

C'était  depuis  huit  jours  la  troisième  procession  générale  du 
Très  Saint-Sacrement.  Elle  a  été  encore  plus  splendide  par  le 
nombre,  l'édification  et  la  ferveur:  la  paroisse  de  Saint-Pierre 
de  Montmartre,  qui  compte  quarante  mille  habitants,  venait 
processionnellement  à  la  basilique.  Elle  est  sortie  à  quatre 
heures  de  l'église  en  traversant  le  jardin  de  son  illustre  calvaire, 
et  s'est  rendue  directement  au  reposoir  élevé  devant  la  basi- 
lique. M.  le  premier  vicaire  de  Montmartre,  qui  portait  l'osten- 
soir, a  donné  de  là  une  première  bénédiction  solennelle  à  la 
multitude  et  surtout  à  la  graHde  cité. 

A  ce  moment  un  soleil  d'or  la  faisait  resplendir.  Qu'il  était 
beau  de  contempler  dans  ce  magique  panorama  tous  ces  géants 
dont  la  tour  lîliffel  est  le  point  culminant,  et  principalement  tous 
ces  dôraes  majestueux,  tels  que  celui  des  Invalides,  rayonnant 
de  grâce  et  de  splendeur;  celui  de  Sainte-Geneviève,  la  patronne 
de  Paris  et  de  la  France,  dont  la  croix  demeure  toujours  écla- 
taute  au  sommet  :  stat  crux  du^n  volvitur  orbis! 

Le  déploiement  de  cette  procession  sur  le  vaste  chantier,  puis 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  653 

autour  de  la  basilique  et  dans  cette  basilique,  a  mis  en  relief 
tout  ce  qu'il  y  a  de  touchant  et  de  poétique  dans  ces  publiques 
manifestations  de  la  foi  catholique.  Même  au  simple  point  de 
vue  de  l'art,  quoi  de  plus  gracieux  que  ces  longs  défilés  de. 
jeunes  vierges  parées  de  la  robe  blanche,  symbole  de  l'innocence; 
de  tous  ces  fidèles  marchant  en  ordre  à  l'ombre  des  larges  ban- 
nières, et  de  ces  oriflammes  aux  brillantes  couleurs  balançant 
dans  les  airs  l'image  vénérée  de  Marie,  et  surtout  du  Sacré-Cœur 
de  Jésus  !  Suivent  les  prêtres  portant  la  chasuble  ou  la  chape, 
signe  de  la  tribu  sacerdotale.  Enfin  l'Hostie  sainte  apparaît 
entre  les  mains  du  pieux  célébrant,  et  autour  d'elle  la  religion 
déploie  toute  sa  pompe  et  toute  sa  splendeur. 

Des  fleurs  semées  par  les  mains  des  enfants  forment  sous  les 
pas  du  religieux  cortège  un  tapis  émaillé  de  fleurs;  les  jeunes 
lévites  agitent  dans  l'air  les  parfums  de  l'encens.  De  toute  part 
les  cantiques  et  les  hymnes  retentissent  ;  les  voix  paraissent 
s'interroger  à  distance  et  se  répondre.  On  respire  comme  une 
atmosphère  de  prière  et  de  chants  joyeux,  de  félicité  et  d'allé- 
gresse oii  tout  semble  combiné  pour  charmer  les  oreilles  et  les 
yeux.  Mais,  chez  les  vrais  chrétiens,  c'est  surtout  le  cœur  que 
réjouit  cette  profession  publique  et  solennelle  de  notre  croyance 
à  la  présence  réelle. 

Sur  tout  le  parcours  de  la  procession,  le  recueillement  de  la 
foule  était  exemplaire;  et  quelle  foule  !  les  hommes  et  les 
jeunes  gens  s'y  trouvaient  plus  nombreux  que  jamais. 

Pas  une  tête  couverte  ;  pas  un  rart,  pas  un  cri,  et  cependant 
pas  la  moindre  force  armée;  tout  ce  recueillement  est  volontaire, 
ces  hommages  sont  spontanés.  Je  n'avais  pas  encore  vu  sur  la 
sainte  montagne  une  foule  si  compacte,  si  pieuse  et  si  admirable. 

Mais  combien  n'ont  pu  pénétrer  dans  le  temple  !  Et  j'ai  ainsi 
compris  le  zèle  de  notre  éminent  cardinal,  Mgr  Richard,  à  sti-' 
muler  les  amis  du  Cœur  de  Jésus  pour  que  leur  générosité  per- 
mette de  consacrer  dans  un  an  toutes  les  nefs  supérieures  et  la 
crypte  entière.  Ne  frustrons  pas  dans  ses  plus  chères  espérances 
celui  dont  S.  Em.  Mgr  Guibert,  de  vénérée  mémoire,  aimait  à 
répéter  : 

«  Mon  cher  coadjuteur  aura  la  joie  d'être  le  Josué  qui  intro- 
duira la  France  dans  la  basilique  du  Sacré-Cœur.  » 

Pour  terminer  ma  journée  de  pèlerinage  à  la  sainte  montagne, 
je  suis  entré  à  l'église  Saint-Sulpice. 

Quelle  admirable  paroisse  !  Après  a^'oir  assisté  aux  offices  du 


654  ANNALBS    CATHOLIQUES 

matin  et  de  l'après-midi,  suivis  de  deux  processions,  les  fidèles 
étaient  encore  fort  nombreux  à  7  h.  35  du  soir.  Ici,  les  offices 
sont  bien  plus  longs  que  dans  les  autres  paroisses,  mais  la  ro- 
buste foi  des  paroissiens  sait  s'en  accommoder.  Ah  !  c'est  qu'il 
s'agissait  de  l'ouverture  solennelle  des  exercices  de  l'octave  en 
l'honneur  du  Sacré-Cœur,  dévotion  si  chère  aux  Sulpiciens  — 
et  elle  est  toujours  célébrée  avec  ferveur  depuis  plus  de  cent 
ans,  —  et  qui  se  clôture  par  le  pèlerinage  de  la  paroisse  à  Mont- 
martre, lundi  23  juin.  C'est  le  P.  Henriot  qui  prêche  cette  octave. 

C'est  un  orateur  qui  sera  fort  apprécié.  Il  nous  a  parlé  du 
Cœur  de  Jésus  qui  renferme  les  trésors  de  l'humilité,  de  la  ten- 
dresse, de  la  charité,  enfin  tous  les  trésors  et  surtout  celui  de 
la  miséricorde.  Il  pose  les  questions  suivantes  :  1°  Jésus-Christ 
est-il  miséricordieux  ?  Oui  ;  et  il  nous  l'apprend  par  le  triple 
témoignage  de  la  raison,  de  l'histoire  et  de  l'Evangile.  2o  Par 
quels  moyens  Jésus-Christ  exerce-t-il  sur  nous  la  miséricorde? 
Par  sa  patience  inaltérable,  sa  poursuite  obstinée,  ses  bontés 
infinies,  etc.  Original  dans  le  fond,  ce  fils  de  saint  Dominique 
l'est  aussi  dans  la  forme.  La  confiance  avec  laquelle  il  aborde 
son  sujet  fait  plaisir  et  engendre  déjà  la  conviction.  11  parle  tou- 
jours avec  une  irrésistible  logique  et  une  chaleur  d'âme  commu- 
nicative.  Bref,  nous  ne  souhaitons  qu'une  chose  à  ceux  qui  ne 
l'ont  pas  entendu,  c'est  la  bonne  fortune  de  l'entendre. 

Un  salut  solennel,  exécuté  par  la  remarquable  maîtrise  de 
Saint-Sulpice,  a  terminé  cette  belle  fête  du  Sacré-Cœur,  célé- 
brée à  Paris  avec  plus  de  foi,  d'espérance  et  d'amour  que  jamais. 

{Monde.) 

Cambrai.  —  On  écrit  de  Lille  : 

Le  préfet  du  Nord,  M.  Vel-Durand,  vient  de  jeter  un  défi  aux  ca- 
tholiques populations  du  Nord. 

Ce  préfet  vient  d'avertir  M.  le  maire  d'Halluin,  par  une  lettre  datée 
du  11  juin,  que  les  écoles  communales  de  cette  ville  ainsi  que  l'école 
maternelle  seront  laïcisées  à  partir  du  23  de  ce  mois. 

Les  écoles  ayant  été  données  à  la  commune  sous  la  condition  ex- 
presse qu'elles  seraient  dirigées  par  des  congréganistes,  il  faut  s'at- 
tendre à  d'énergiques  protestations. 

On  constatera  que  ces  laïcisations  ont  lieu  moins  de  deux  mois 
avant  les  vacances  scolaires,  c'est-à-dire  que,  pour  obéir  aux  sectaires 
de  la  franc-maçonnerie,  on  désorganise  les  classes  au  moment  où  les 
élèves  se  préparent  le  plus  sérieusement  à  l'obtention  du  certificat 
d'études.  Les  parents  apprécieront  comme  il  convient  cet  arrêté  pré- 
fectoral. 


NOUVELLES   RELIGIEUSES  655 

QuiMPER.  —  Comme  suite,  sans  doute,  au  discours  de  M.  Cons- 
tans  : 

Une  dépêche  de  Quimper  nous  informe  que  le  préfet  du  Finistère, 
agissant  par  les  ordres  du  ministre  de  Tintérieur,  vient  de  fermer  la  < 
chapelle  des  jésuites  qui  venait  d'être  rouverte  dans  cette  ville,  au 
Chemin  des  Justices. 

Cette  chapelle  avait  été  fermée  en  juin  1880,  lors  de  l'exécution 
des  décrets  contre  les  jésuites.  Les  scellés  ayant  disparu  il  y  a  quel- 
que temps,  on  ne  sait  pour  quelle  cause,  les  congréganistes  avaient 
cru  pouvoir  rouvrir  la  chapelle  et  annonçaient  une  grande  cérémonie 
religieuse  pour  une  date  très  prochaine.  Le  préfet  a  fait  apposer  de 
nouveaux  scellés  sur  les  portes  de  l'établissement. 

Tours.  —  L'institutrice  laïque  de  Saint-Martin-le-Beau  vient 
d'être  révoquée.  Cette  mesure  de  rigueur  était  réclamée  dans 
les  termes  suivants  par  le  Messager  dC Indre-et-Loire  : 

Nous  savons  sur  cette  jeune  éducatrice  de  la  jeunesse,  pour  laquelle 
l'inspection  académique  avait  montré  (on  ignore  le  motif  de  cette 
indulgence)  beaucoup  trop  de  ménagements,  des  choses  si  laïques 
qu'elles  eussent  certainement  fait  rougir  jusqu'à  nos  confrères  répu- 
blicains eux-mêmes,  si  bons  enfants  lorsqu'il  s'agit  de  leurs  maîtresses 
d'écoles,  si  rugissants  quand  il  y  a  une  peccadille  à  reprocher  à  quel- 
que bonne  religieuse. 

Supplié  bien  des  fois  de  nous  taire,  nous  avons  consenti,  mais  au- 
jourd'hui, en  présence  d'un  dernier  scandale,  nous  ne  pouvons  que 
demander  la  révocation  immédiate  de  l'institutrice  laïque  de  Saint- 
Martin-le-Beau. 

Vannes.  —  Dimanche  dernier,  la  procession  de  la  Fête-Dieu, 
à  Vannes,  a  été  très  édifiante  et  très  imposante,  malgré  la  con- 
trariété d'un  temps  pluvieux.  Au  retour  de  la  procession  à  la 
cathédrale,  Mgr  Bécel,  après  avoir  félicité  son  peuple  de  la  ma- 
nifestation religieuse  qu'il  venait  d'accomplir,  a  fait  solennelle- 
ment amende  honorable  pour  des  vols  sacrilèges  récemment 
commis  dans  son  diocèse  : 

Considérons,  a  dit  Mgr  l'évêque  de  Vannes,  ce  qui  se  passe  autour 
de  nous...  N'avez-vous  pas  entendu  parler  des  vols  sacrilèges  per- 
pétrés ces  jours  derniers  non  loin  d'ici,  dans  deux  églises!...  Oui, 
mes  Frères,  l'enfer  a  trouvé  chez  nous — j'espère  me  tromper  — 
disons  plutôt  :  l'enfer  a  encore  envoyé  chez  nous  des  misérables  qui 
ont  crocheté  la  maison  de  Dieu,  violé  le  Tabernacle,  dérobé  les  calices 
où  avait  coulé  le  sang  de  Jésus-Christ,  les  ciboires  qui  avaient  ren- 
fermé son   corps  adorable.  Ils  ont  osé  porter  la  main  sur  Dieu  lui- 


656  AtWALRS     CATHOLIQUES 

même;  ils  ont  foulé  aux  pieds  les  saintes  Espèces..,  L'ennemi  du 
Christ  a  voulu  que  ?es  suppôts  emportassent  jusqu'au  drapeau  du 
chrétien,  la  croix  du  Sauveur...  Que  sont  devenus  ces  vases  sacrés, 
mes  Frères?  Ah!  Quelle  épouvantable  révélation!  Il  paraît  que  dans 
les  antres  ténébreux  de  certaines  sociétés  secrètes,  on  les  fait  servir 
aux  plus  infâmes  mystères;  les  derniers  outrages  y  sont  réservés  aux 
saintes  Hosties...  Serait-ce  un  rêve  affreux?  Oh!  mes  Frères,  n'est-ce 
point  l'horrible  réalité,  l'abomination  de  la  désolation?...  Ainsi  se  con- 
tinue le  combat  de  Satan  contre  Jésus... 

Voilà  pourquoi,  chaque  soir,  dans  cette  vieille  cathédrale,  les 
nombreux  adorateurs  qui  montent  tour  à  tour  la  garde  au  pied  du 
Tabernacle  ont  la  douleur  de  voir  le  prêtre  emporter  le  trésor  de 
l'autel,  le  Dieu  d'amour,  pour  le  soustraire  à  la  haine  qui  le  poursuit 
toujours  et  partout...  Et  le  tabernacle  est  laissé  ouvert  et  vide  toute 
la  nuit,  pour  ne  plus  l'exposer  à  être  violemment  fracturé  par  des 
mains  cupides  et  impies. 

S'il  n'est  pas  permis  de  vouloir  et  de  demander  la  mort  du  pécheur, 
faut-il  se  faire  scrupule  de  réclamer  hautement  justice  contre  un 
semblable  brigandage?  Serait-il  donc  vrai  que  les  plus  odieux  voleurs 
échappent  ici-bas  aux  châtiments  qu'ils  ont  tant  de  fois  mérités  avec 
un  cynisme  révoltant?  Que  Dieu  leur  pardonne!  Mais  aussi  que 
l'Eglise  puiese  vivre  en  paix,  rendre  à  Jésus-Christ  le  culte  qui  lui 
est  dû,  s'adonner  librement  et  avec  sécurité  à  ses  pieuse't  pratiques, 
passer,  à  l'exemple  de  son  divin  fondateur,  en  faisant  le  bien  ! 

En  quel  temps  vivons-nous,  mes  Frères!  Tombons  tons  à  genoux, 
le  cœur  brisé,  l'âme  en  peine,  dans  la  crainte  d'être  châtiés  selon  la 
gravité  et  l'étendue  des  iniquités  qui  couvrent  la  terre  et  la  menacent 
d'un  déluge  de  sang  et  de  ruinas...  Crions,  avec  une  profonde  humi- 
lité et  un  repentir  sincère:  Parce,  Domine,  parce  populo  tuo,  ne  in 
ceternum  irascaris  nobis  I 


ni  laaioiie. 

L'Univers  reproduit  la  lettre  suivante,  que  le  roi  Mwanga  a 
envoyée  au  cardinal  Lavigerie  : 

Mengo  (Buganda),  4  novembre  89. 

Eminence  et  mon  Père  le  Grand, 

Moi,  Mwanga,  roi  du  Buganda,  j'envoie  vous  voir  (pour  :  j'ai  l'hon- 
neur de  vous  offrir  mes  hommages).  Je  vous  écris  pour  vous  annon- 
cer mon  retour  dans  mon  royaume. 

Vous  avez  appris  que,  lorsque  les  Arabes  m'eurent  chassé,  je  me 
sauvai  dans  le  Bukumki.  Mgr  Livinhac  et  ses  missionnaires  me  trai- 
tèrent avec  bonté.  Après  quatre  mois,  les   chrétiens  m'envoyèrent 


LES   CHAMBRES  "^' 

chercher.  Nous  nous  sommes  battus  pendant  cinq  mois.  Dieu  nous 
a  bénis  et  nous  avoQS  triomphé  des  Arabes. 

Maintenant,  je  vous  en  supplie,  daignez  nous  envoyer  des  prêtres 
pour   enseigner   la  religion   de  Jésus-Christ  dans  tous  les  pays.de 

^"rvous  demande  aussi  des  enfants  ayant  appris  les  remèdes  (con- 
naissant la  médecine),  comme  ceux  qui  sont  allés  à  Ujiji.  Quand  ils 
arriveront  chez  nous,  je  leur  donnerai  une  belle  place. 

J'ai  appris  que  Notre  Père  le  Pape,  le  grand  chef  de  la  rehgion, 
vous  a  envoyé  traiter  avec  les  grands  de  l'Europe  pour  faire  dispa- 
raître le  commerce  des  hommes  dans  le  pays  de  l'Afrique.  Et  moi, 
si  les  blancs  veulent  bien  me  donner  la  force,  je  puis  les  aider  un 
peu  dans  cette  œuvre  et  empêcher  1«  commerce  des  hommes  (des 
esclaves),  dans  tous  les  pays  qui  avoisinent  le  Nyanza. 

Daignez  demander  pour  moi,  (au  ciel),  la  force  de  bien  faire;  de 
mon  côté,  je  prie  Dieu  de  vous  donner  ses  bénédictions  et  de  vous 
aider  dans  toutes  les  oeuvres  que  vous  faites  pour  sa  gloire. 

Moi,  votre  enfant.  .   ,    ,,  _  ,^ 

Signé  :  Mwanga,  rot  de  l  Ouganda. 

LES  CHAMBRES 

Sénat. 

Jeudi  12  juin.  -  M.  le  général  Deffis  dépose  le  rapport  sur  le 
projet  de  loi  tendant  à  autoriser  le  ministre  de  la  guerre  à  conserver 
sous  les  drapeaux  les  hommes  qui  font  une  période  d'instruction 

L'ordre  du  jour  appelle  la  première  délibération  sur  le  projet  de 
loi  sur  le  service  d'état-major. 

L'urgence  est  déclarée.  .     .         , 

M.  LE  GÉNÉRAL  d'And.gné  approuvô  entièrement  le  principe  du 
proiet  de  loi.  Il  demande  au  ministre  de  compléter  son  œuvre  et  de 
s'occuper  de  la  revision  de  la  loi  du  13  mars  1875  sur  les  cadres. 

M.  LE  GÉNÉRAL  RoBERT  présente  quelques  observations,  auxquelles 
M    de  Freycinet  répond  très  brièvement. 

M.  LE  COLONEL  TÉzENAS  trouve  que  la  loi  de  1880  est  excellente  et 
il  demande  qu'on  en  conserve  les  dispositions.  Trois  cents  officiers 
d'état-major,  cela  est  bien  suffisant  ;  il  est  inutile,  comme  le  demande 
le  projet  du  gouvernement,  de  porter  ce  chiffre  à  640. 

L'amendement  du  colonel  Tézenas,  maintenant  la  loi  de  1880  et 
300   officiers  d'état-major    seulement,   est  repoussée   par   249   voix 

contre  10.  ,,,,   .        .  ^ 

Le  premier  paragraphe  du  projet  de  loi,  portant  que  1  etat-major 

<;omprendra  désormais  640  officiers,  est  adopte. 

L'ensemble  de  la  loi  est  adopté. 


658  ANNALES   CATHOLIQUES 

L'ordre  du  jonr  appelle  la  pramière  délibération  du  projet  de  loi 
sur  l'indigénat  algérien. 

M.  IsAAC  défend  son  contre-projet. 

M.  Trarieux  combat  le  contre-projet  de  M.  laaac  et  soutient  le 
projet  de  la  commission.  11  justifie  les  règles  de  Tindigénat,  qui  est 
encore  nécessaire  dans  l'état  actuel  de  l'Algérie, 

Vendredi  13  juin.  —  M.  Marquis  dépose  un  rapport  sommaire 
sur  la  proposition  de  M.  Trarieux,  tendant  à  modifier  l'article  65  de 
la  loi  sur  la  presse. 

Le  Sénat  adopte  par  172  toïx  contre  70  le  projet  de  loi  tendant  à 
établir  d'office  des  impositions  extraordinaires  sur  plusieurs  com- 
munes du  département  do  l'Aveyron. 

M.  Delsol.  —  Le  Sénat  vient  d'appliquer  dans  toute  leur  rigueur 
les  lois  existantes  en  matière  d'impositions  d'office.  Je  respecte  sa 
décision,  mais  ce  n'est  pas  une  solution.  Il  me  semble  nécessaire 
d'obtenir  du  gouvernement  des  exiilications  sur  la  situation  faite 
aux  communes  par  l'application  de  la  loi  du  19  juillet  1889. 

M.  CoNSTANS  propose  de  fixer  la  discussion  à  jeudi  prochain. 

Cette  date  est  acceptée. 

L  ordre  du  jour  appelle  la  première  délibération  sur  le  projet  de 
loi  modificatif  des  lois  des  24  juillet  1873  et  13  mars  1875. 

L'urgence  est  déclarée. 

M.  LE  GÉNÉRAL  RoHERT  déclare  qu'il  votera  le  projet  de  loi,  mais 
il  regrette  que  des  projets  aussi  importants  soient  mis  à  l'ordre  du 
jour  sans  qu'on  ait  été  averti  ;  le  rapport  n'a  été  distribué  qu'hier. 

M.  DE  Fbeyclnet.  —  Ce  projet  de  loi  n'a  soulevé  aucune  difficulté 
ni  à  la  Chambre  ni  devant  la  commission  de  l'armée.  11  modifie  la 
loi  sur  l'armée  territoriale,  en  ce  sens  que  la  limite  d'âge  ayant  été 
reportée  à  quarante-cinq  ans,  il  a  fallu  créer  et  organiser  de  nou- 
veaux bataillons  de  l'armée  territoriale.  Le  projet  établit,  en  outre, 
que  des  unités  de  l'armée  territoriale  pourront  être  mises  à  la  dispo- 
sition de  l'armée  active  et  que  l'instruction  des  hommes  sera  faite 
par  les  colonels. 

M.  le  ministre  insiste  pour  que  le  Sénat  adopte  ce  projet  de  loi, 
qui  sera  très  utile  et  qu'il  est  urgent  de  voter. 

L'ensemble  du  projet  de  loi  est  adopté. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  discussion  du  projet  de  loi 
adopté  par  la  Chambre  des  députés,  ayant  pour  objet  de  proroger 
pour  une  nouvelle  période  de  sept  années  la  loi  du  27  juin  1S88,  qui 
a  maintenu,  pour  deux  années,  aux  administrateurs  des  communes 
mixtes  en  territoire  civil,  le  droit  de  répression  par  voie  discipli- 
naire des  infractions  spéciales  de  l'indigénat. 

M.  IsAAC  déclare  qu'il  n'a  pas  demandé  la  suppression  du  code 
de  l'indigénat.  Il  demande  seulement  qu'on  le  rende  moins  dur.  Il 
veut  qu'on  donne  aux   indigènes   des  garanties  de  bonne  justice. 


LES   CHAMBRES  659 

Il  n'y  a  pas  de  meilleure  politique  coloniale  que  celle  qui  consiste  à 
faire  aimer  la  France. 

M.  Trarieux  pense  que  la  justice  des  administrateurs  est  la  meil- 
leure que  puissent  souhaiter  les  indigènes. 

M.  LE  Président  donne  lecture  de  l'article  premier  du  projet. 

M.  IsAAc  demande  que  cet  article  soit  modifié  conformément  aux 
dispositions  de  son  contre-projet.  Le  principal  changement  consiste 
à  substituer  une  durée  de  sept  ans  pour  la  prorogation  des  pouvoirs 
des  administrateurs  à  la  durée  illimitée  proposée  par  la  commission. 

Après  quelques  observations  du  général  Robert,  l'article  premier 
du  contre-projet  de  M.  Isaac  est  repoussé  et  l'article  premier  de  la 
commission  est  adopté. 

Les  autres  articles  sont  successivement  adoptés. 

Un  amendement  de  M.  Isaac,  demandant  la  suppression  du  passe- 
port des  indigènes,  est  repoussé. 

Le  général  Robert  demande  que  la  prorogation  des  pouvoirs  des 
administrateurs  ne  soit  accordée  que  pour  trois  ans.  Il  rappelle  que 
le  gouvernement  avait  seulement  proposé  et  la  Chambre  seulement 
voté  la  prorogation  pour  sept  années. 

Lundi  \^  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  discussion 
du  projet  de  loi  ayant  pour  objet  de  proroger  pour  une  nouvelle  pé- 
riode de  sept  années  la  loi  du  27  juin  1888  qui  a  maintenu  pour  deux 
années  aux  administrateurs  des  communes  mixtes  en  territoire 
civil  le  droit  de  répression  par  voie  disciplinaire  des  infractions 
spéciales  à  l'indigénat. 

M.  le  général  Robert  continue  à  développer  son  amendement.  II 
pense  qu'il  faut  arriver  à  une  amélioration  successive.  On  est  arrivé 
déjà  à  diminuer  la  sévérité  du  code  de  l'indigénat.  Il  faut  espérer 
qu'on  pourra  arriver  à  l'application  pure  et  simple  du  code  pénal,  en 
ne  laissant  plus  aux  mains  des  administrateurs  le  pouvoir  de  répres- 
sion par  l'application  des  peines.  Cela  se  fait  déjà  dans  les  commu- 
nes de  plein  exercice. 

L'orateur  demande  que  la  loi  ne  soit  votée  que  pour  trois  ans. 

M.  Trarieux  rapporteur,  défend  le  projet  et  combat  l'amendement. 

M.  Isaac  insiste  pour  qu'on  ne  vote  la  loi  que  pour  une  durée 
limitée. 

M.  Lebreton  déclare  que  M.  le  général  Robert  et  lui  se  rallient  à 
l'amendement. 

M.  Clamageran  propose  de  donner  une  durée  de  sept  ans  à  la  loi. 

L'amendement  est  adopté  par  197  voix  contre  69. 

L'ensemble  de  l'article  l^""  est  adopté. 

Il  est  procédé  sur  l'ensemble  de  la  loi  à  un  scrutin  public. 

L'ensemble  est  adopté  par  246  voix  contre  1. 

Le  Sénat  reprend  le  projet  de  loi  relatif  aux  trésoriers  généraux. 

M.  Marcel  Barthe  développe  un  amendement  à  l'article  7.  Cet 


660  ANNALES    CATHOLIQUES 

amendement  porte  qu'à  l'avenir  tous  les  trésoriers  payeurs  généraux 
seront  choisis  parmi  les  fonctionnaires  de  l'administration  des 
finances. 

Le  Sénat  décide  que  l'article  ne  sera  pas  renvoyé  au  Conseil  d'Etat. 

M.  Marcel  Barthe  développe  son  amendement,  qui  est  combattu 
par  M.  Rouvier. 

L'amendement  Barthe  est  repoussé  par  157  voix  contre  82. 

L'article  7  est  adopté,  ainsi  que  les  autres  articles  et  l'ensemble 
du  projet. 

Mardi  11  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  do  l'inter- 
pellation de  M.  Combes  relativement  au  discours  prononcé  à  Mont- 
pellier par  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  sur  la  nécessité 
d'apporter  sans  retard  d'importantes  modifications  à  l'organisation 
des  universités. 

M.  Combes  demande  au  ministre  de  ne  pas  séparer  cette  réforme 
de  la  réforme  de  l'enseignement  secondaire. 

L'orateur  approuve  l'organisation  future  des  universités;  mais, 
dit-il,  pour  que  ces  universités  prospèrent,  il  faut  leur  assurer  un 
grand  nombre  d'étudiants. 

Ce  qu'il  faut  à  nos  enfants,  c'est  une  éducation  commune  qui  ne 
préjuge  pas  les  aptitudes  et  les  goûts.  Cette  éducation  commune  ne 
peut  avoir  pour  base  que  la  langue  maternelle  et  les  langues  moder- 
nes ;  elle  doit  être  organisée  de  telle  sorte  que,  tout  en  étant  progres- 
sive, elle  forme  un  tout  par  elle-même  et  donne  une  somme  de  con- 
naissances nettement  circonscrites. 

L'orateur  montre  la  nécessité  de  développer  l'élude  de  la  langue 
française  et  des  auteurs  français.  11  demande  l'unité  d'études  au 
début,  une  sélection  plus  tard  et  l'égalité  de  droits  pour  les  diplômes. 
Grâce  à  cette  égalité,  les  études  progresseront,  le  pays  profitera  de 
cette  diffusion  do  talents. 

La  préoccupation  du  baccalauréat  pèse  lourdement  sur  les  études. 
Les  meilleurs  élèves  n'échappent  pas  à  cette  déviation.  Tout  [le 
monde  veut  avoir  cette  estampille.  Il  est  le  critérium  de  l'enseigne- 
ment secondaire,  et  pourtant  il  est  dirigé  par  des  professeurs  de 
faculté  qui  peuvent  ne  pas  proportionner  les  questions  à  la  valeur  de 
l'enseignement.  Cet  examen  ne  constate  pas  l'application  au  travail; 
le  sort  de  l'élève  est  remis  au  hasard  d'une  seule  épreuve. 

L'orateur  demande  au  ministre,  sans  porter  atteinte  à  la  liberté  de 
l'enseignement,  de  présenter  un  projet  de  loi  qui  exige  les  examens 
de  passage  et  l'examen  de  fin  d'année. 

M.  Jules  Simo.x  dit  qu'il  y  a  plusieurs  points  sur  lesquels  il  est 
d'accord  avec  M.  Combes.  Par  exemple,  s'il  y  a  les  déclassés  par 
l'instruction  et  l'enseignement  secondaire,  il  y  a  aussi  les  déclassés 
par  l'instruction  primaire,  et  ces  derniers  sont  plus  dignes  d'intérêt 
et  de  pitié  que  les  déclassés  de  l'enseignement  secondaire. 


LES    CHAMBRES  661 

Quant  à  la  réforme  du  baccalauréat  et  à  la  réforme  des  méthodes 
de  l'enseignement  secondaire,  la  question  est  évidemment  à  l'ordre 
du  jour  de  l'Université.  Il  y  a  quelque  chose  à  faire,  mais  rien  n'est 
plus  difficile;  le  ministre  de  l'instruction  publique  ne  peut  pas 
tout  faire. 

Nous  sommes  au  premier  rang  de  l'Europe  au  point  de  vue  de 
l'instruction  ;  s'il  nous  manquait  quelque  chose,  ce  serait  au  contraire 
un  peu  de  latin  et  un  peu  de  grec.  On  nous  demande  de  détruire  cet 
enseignement  classique  qui  a  fait  notre  gloire. 

Eh  bien!  messieurs,  je  parle  au  nom  de  l'Université  et  je  dis: 
Nous  n'abandonnerons  jamais  cet  enseignement. 

Cette  haute  assemblée  pensera  avec  moi  qu'il  faut  étudier  les 
sciences  utiles,  mais  qu'il  est  une  science  plus  utile,  c'est  celle  de 
l'humanité.  On  disait  autrefois  :  faire  ses  humanités.  Souhaitons 
qu'on  continue  à  les  faire  et  qu'on  les  fasse  encore  davantage. 
(Applaudissements.) 

L'orateur  retourne  à  sa  place  et  reçoit  les  félicitations  d'un  grand 
nombre  de  ses  collègues. 

La  suite  de  la  discussion  est  renvoyée  à  la  prochaine  séance. 

Chambre  des  DépiitéA. 

Jeudi  12  juin.  —  ^L  Boudeau  avait  l'intention  de  demander  à 
M.  le  garde  des  sceaux  quelles  mesures  ont  été  ou  seront  prises  ù 
l'égard  des  magistrats  qui  ont  provoqué  la  condamnation  et  entravé 
la  réhabilitation  du  sieur  Borras. 

M.  Thévenet  prie  la  Chambre  de  transformer  la  question  en  inter- 
pellation, afin  de  pouvoir  s'expliquer  sur  les  faits  qu'il  connaît. 

M.  Fallières  explique  qu'il  a  besoin  d'un  certain  délai  pour  se 
renseigner  sur  l'affaire. 

La  question  est  transformée  en  interpellation  et  renvoyée  au 
jeudi  26. 

M.  PoNTOis  dépose  une  proposition  tendant  à  ce  que  la  Tunisie 
nomme  des  délégués  chargés  de  représenter  ses  intérêts  auprès  des 
pouvoirs  publics  en  France,  et  demande  la  déclaration  d'urgence. 

L'urgence  est  repoussée  par  438  voix  contre  38. 

M.  LE  Président  annonce  que  M.  Delafosse  demande  à  interpeller 
le  gouvernement  sur  la  situation  des  colons  français  en  Tunisie. 

La  fixation  de  la  date  est  ajournée. 

M.  DE  Lacretelle  dépose  une  proposition  de  loi  tendant  à  ce 
qu'il  soit  alloué  à  M.  Borras  une  pension  de  6.000  fr.,  réversible  sur 
sa  femme  et  ses  enfants  à  raison  de  1.000  fr.  par  tête.  Il  demande  la 
déclaration  d'urgence. 

M.  Bovier-Lapierre  dit  que  la  commission  d'instruction  crimi- 
nelle est  déjà  saisie  d'une  proposition  concernant  le  principe  de 
l'indemnité  en  pareil  cas;  on  pourrait  lui  renvoyer  la  proposition  de 
M.  Lacretelle. 


662  ANNALES    CATHOUQUKS 

Le  renvoi  est  ordonné. 

La  Chambre  prend  en  considération  la  proposition  de  loi  de 
M.  Méline  et  plusieurs  de  ses  collègues  tendant  à  l'organisation  du 
crédit  agricole  et  populaire,  ainsi  qu'une  proposition  de  M.  Linard 
établissant  l'impôt  sur  le  capital. 

Samedi  14  juin.  —  M.  Bourgeois  (Jura)  dépose  un  rapport  sur 
une  proposition  de  loi  adoptée  par  la  Chambre,  adoptée  avec  modifi- 
cations par  le  Sénat  et  relative  à  la  vaine  pâture. 

Le  projet  de  loi  est  adopté  tel  qu'il  vient  du  Sénat. 

La  Chambre  décide  que  l'interpellation  de  M.  Couturier  sur  la 
grève  des  ouvriers  gaziers  de  Lyon  sera  discutée  immédiatement. 

M.  CouTORiER  soutient  que  l'autorité  a  pris  une  part  très  active 
dans  cette  grève.  Les  rapports  entre  le  travail  et  le  capital  sont  réglés 
depuis  un  siècle  par  la  loi  do  l'offre  et  de  la  demande;  c'est  la  lutte 
du  pot  de  terre  contre  le  pot  de  fer. 

M.  CoNSTANS  répond  que,  le  9  courant,  les  ouvriers  de  Lyon 
employés  à  l'usine  à  gaz  se  sont  subitement  mis  en  grève  ;  à  ce  mo- 
ment il  y  avait  dans  les  réservoirs  du  gaz  pour  une  heure  et  demie 
seulement.  On  ne  pouvait  penser  que  la  grève  cesserait  dans  la 
journée,  et  comme  il  fallait  assurer  l'éclairage  de  la  ville  de  Lyon,  le 
préfet  a  envoyé  à  l'usine  des  sergents  de  ville  et  des  soldats. 

On  a  demandé  au  ministre  d'empêcher  les  soldats  de  travailler  ;  le 
ministre  a  fait  sortir  les  troupes  et  l'usine  à  gaz  a  pu  immédiatement 
trouver  de  nouveaux  employés,  de  telle  sorte  que  les  anciens  employés 
sont  aujourd'hui  condamnés  à  un  chômage  forcé.  Le  ministre  a 
recommandé  les  anciens  ouvriers  à  la  bienveillance  de  la  compagnie  ; 
il  espère  que  cet  appel  sera  entendu. 

M.  CouTTRiER  dépose  un  ordre  du  jour  invitant  le  gouvernement 
à  garder  la  neutralité  dans  les  grèves. 

L'ordre  du  jour  pur  et  simple  est  demandé  et  adopté  par  447  vo- 
tants contre  43. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  piemière  délibération  sur  les  proposi- 
tions de  loi:  1"  de  M.  Lokroy;  2»  de  M.  Leydet,  portant  modification 
à  la  législation  des  protêts. 

M.  Radier  développe  un  contre-projet  tendant  à  la  suppression  du 
protêt.  L'huissier  remettrait  un  premier  avis  et  en  enverrait  un 
second  par  lettre  chargée. 

Ce  contre-projet  est  renvoyé  à  la  commission,  ainsi  que  le  projet 
lui-môme. 

On  aborde  la  discussion  du  projet  de  loi  ayant  pour  objet  de 
modifier  les  articles  100, 112  et  632  du  code  de  commerce  sur  la  lettre 
de  change. 

L'article  110,  modifié  delà  façon  suivante,  est  adopté  : 

«  La  lettre  de  change  peut  être  tirée  sur  la  même  place  ou  d'un 
lieu  sur  un  autre.  »  La  différence  avec  l'ancien  texte  consiste  dans 
l'addition  des  mots  «  sur  la  même  place.  » 


LES   CHAMBRES  663 

y      Une  modification  de  l'article  111  est  également  adoptée.  En  voici  le 
\  nouveau  texte  : 

«  Sont  réputées  simples  promesses  toutes  lettres  de  change  conte- 
nant supposition  soit  de  nom,  soit  de  qualité.  » 

La  Chambre  adopte  intégralement  le  projet  de  la  commission  et 
décide  de  passer  à  une  deuxième  délibération. 

Lundi,  16  juin.  —  La  Chambre  adopte  :  un  projet  de  loi  relatif  à 
la  convocation  en  temps  de  paix  des  hommes  de  la  réserve  de  l'armée 
territoriale  affectés  à  la  garde  des  voies  de  communication  ; 

Une  proposition  de  loi  de  M.  Armez  et  de  plusieurs  de  ses  collègues 
portant  réorganisation  du  personnel  des  agents  du  commissariat  de 
la  marine  ; 

Une  proposition  de  la  loi,  adoptée  par  le  Sénat,  relative  aux  nomi- 
nations dans  Tordre  national  de  la  Légion  d'honneur; 

Une  proposition  relative  aux  livrets  d'ouvriers. 

M.  DE  Mackau  a  déposé,  il  y  a  quelque  temps,  une  proposition  de 
loi  sur  le  référendum  en  matière  municipale.  La  commission  d'initia- 
tive a  conclu  au  rejet  de  la  proposition.  Ce  sont  ces  conclusions  qu'il 
s'agit  de  discuter  ensuite. 

M.  DE  Mackau  explique  que  sa  proposition  tend  seulement  à  don- 
ner aux  municipalités  la  faculté  de  consulter  la  population,  en  certains 
cas,  notamment  pour  l'exécution  des  travaux  intéressant  la  commune. 

Les  contribuables  sont  mieux  placés  que  personne  pour  apprécier 
leurs  intérêts  et,  comme  contribuables,  ils  ont  un  intérêt  direct  à 
être  consultés. 

M.  GuiLLEMAUT,  rapporteur,  réplique  que  le  référendum  présente- 
rait les  plus  graves  dangers  pour  l'administration  du  pays. 

Les  questions  municipales  sont  souvent  complexes  et  délicates  ;  en 
matière  d'emprunt  ou  d'octroi,  par  exemple,  il  faut  une  certaine 
compétence  pour  prendre  des  décisions  utiles.  Il  ne  faut  pas  déranger 
trop  souvent  les  électeurs  de  leur  travail.  Le  référendum,  ce  serait 
l'agitation  perpétuelle  :  ou  les  municipalités  seraient  mises  conti- 
nuellement en  échec,  ou  la  population  voterait  les  yeux  fermés  toutes 
les  propositions  du  maire. 

Quand  l'instruction  sera  aussi  répandue  en  France  qu'en  Suisse, 
on  pourra  reprendre  la  question. 

Encore  un  peu,  et  le  rapporteur  aurait  déclaré  que  les  électeurs 
sont  tout  au  plus  bons  à  se  donner  des  maîtres  mais  sont  trop  bêtes 
pour  juger  leurs  intérêts. 

Mais,  on  s'en  souvient,  le  référendum  faisait  partie  du  programme 
boulangiste.  Aussi  M.  Naquet  et  M.  Le  Hérissé  sont-ils  venus  le 
rappeler.  Le  premier  a  appuyé  la  proposition  en  discussion,  le  second 
l'a  combattue,  en  disant  qu'il  n'accepte  le  référendum,  qu'en  matière 
politique,  et  le  repousse  en  matière  municipale. 

MM.  Maurice  Faure  et  Lemercier  ont  combattu  la  proposition, 


664  ANNALES    CATHOLIQUES 

parce  qu'ils  craignent  que  le  référendum  municipal  ne  conduise  au 
référendum  poli-tique.  Et  d'ailleurs,  disent-ils,  quand  on  a  constitué 
un  corps,  par  élection,  il  faut  s'en  rapporter  à  lui  du  soin  d'organi- 
ser les  détails. 

Par  308  voix  contre  190,  la  prise  en  considération  est  repoussée. 

M.  A.  Desprès  demande  la  fixation  à  quinzaine  de  la  discussion 
sur  son  interpellation  relative  à  la  situation  faite  aux  malades  des 
hôpitaux  par  le  renvoi  des  soeurs. 

L'ajournement  à  un  mois  est  prononcé  par  248  voix  contre  231. 

M.  LE  PRÉSIDENT  invite  la  Chambi-e  à  fixer  la  date  à  laquelle  sera 
discutée  l'interpellation  de  M.  Le  Veillé  sur  le  cumul  de  traitement 
du  procureur  de  la  république  de  Limoges. 

L  ajournement  de  l'interpellation  à  un  mois  est  prononcé  par  291 
voix  contre  164. 

La  Chambre  prend  en  considération  la  proposition  de  loi  de 
M.  Thellier  de  Poncheville  portant  modification  de  l'article  6  de  la 
loi  du  4  avril  1h89.  titre  IV  du  code  rural. 

L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  du  projet  de  loi  portant 
règlement  définitif  du  budget  de  l'exercice  18bl. 

M.  n'AiLLiÈRES  reproche  à  la  commission  d'équilibrer  les  anciens 
exercices  en  prélevant  sur  les  budgets  antérieurs,  alors  même  que 
ces  budgets  n'offrent  aucun  excédent. 

M.  FÉLIX  Faure,  président  de  la  commission,  justifie  cette  com- 
mission. 

M.  RouviER  parle  dans  le  même  sens. 

Apiès  une  discussion  à  laquelle  prennant  part  MM.  Laur,  et  Mir, 
le  projet  est  adopté  par  232  voix  contre  118. 

A  propos  de  projets  analogues  relatifs  aux  budgets  de  1882  et  de 
1883,  M.  d'AiLLiÈRES  fait  remarquer  qu'en  1882,  le  produitdes  amendes 
en  matière  de  douanes,  a  baissé  considérablement.  La  faute  en  est 
au  manque  de  sécurité  de  l'administration. 

Après  une  réplique  de  M.  Rouvier,  le  règlement  du  budget  de  1882 
est  voté  à  l'unanimité  de  339  votans. 

M.  d'Aili.ières  élève  d'autres  critiques  sur  le  règlement  du  budget 
de  1883;  ce   règlement  est  adopté  à  l'unanimité  de  343  votans. 

M.  Delonci.e  dépose  un  projet  de  résolution  sur  l'urgence  d'amé- 
liorer les  rapports  commerciaux  avec  la  Grèce. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

Une  allocution  du  Comte  de  Paris.  —  Les  aoldits-députés.  —  L'attentat 

de  Vicq.  —  Etranger. 

19  juin  1890. 

M.    le    comte    de   Paris  a   réuni,  la  semaine    dernière,    les 
membres  du  conseil  qu'il  a  constitué  le  jour  de  son  exil  et  placé 


CHRONIQUE    DB   LA   SEMAINE  665 

SOUS  la  présidence  de  M.  Bocher.  L'objet  de  la  réunion  était, 
naturellement,  de  souhaiter  la  bienvenue  au  duc  d'Orléans,  et 
Monsieur  le  comte  de  Paris  l'a  fait  en  quelques  paroles  dont  on 
nous  communique  le  texte.  Le  voici  : 

Pour  la  première  fois,  depuis  quatre  ans,  c'est  auprès  de 
moi,  sur  la  terre  d'exil,  que  je  vous  ai  convoqués,  et  ce 
n'est  pas  pour  parler  politique. 

J'ai  voulu  vous  associer  tout  particulièrement  à  une  joie 
paternelle. 

Le  24  juin  1886,  vous  pouviez  saluer  à  côté  de  moi  un 
jeune  prince  qui,  frappé  par  une  loi  inique,  n'était  alors 
qu'une  espérance.  Je  vous  ai  appelés  cette  fois  pour  sou- 
haiter la  bienvenue  au  jeune  conscrit  qui,  pour  réclamer  sa 
place  dans  la  caserne,  s'est  exposé  sans  hésiter  à  faire  son 
temps  de  service  en  prison.  Comme  il  l'a  dit  lui-même, 
placé  entre  la  loi  de  conscription  et  la  loi  de  proscription, 
il  a  violé  la  seconde  pour  obéir  à  la  première. 

Dieu  l'a  protégé,  dirigé,  inspiré  ! 

Quelle  plus  grande  joie  pour  un  père  que  de  voir  son 
héritier  se  montrer  ainsi  digne  de  la  tâche  qui  doit  lui 
incomber  un  jour.  S'il  a  été  hardi  dans  l'action,  il  a  été  sage 
dans  ses  paroles. 

La  sincérité,  la  noble  simplicité  de  tout  ce  qu'il  a  dit  ou 
écrit  ont,  autant  que  sa  démarche  même,  ému  le  cœur  de 
la  France.  Les  sentiments  qu'entretiennent  chez  elle 
d'antiques  traditions  militaires  ont  répondu  à  l'appel  du 
Prince  qui  voulait  marcher  sac  au  dos  derrière  le  drapeau 
national. 

Les  instincts  démocratiques  ont  été  touchés  par  ce  Prince 
qui  venait  au  bureau  de  recrutement  revendiquer  les  mêmes 
devoirs  que  les  fils  du  laboureur  et  de  l'artisan.  Enfin, 
l'esprit  de  famille  qui,  Dieu  merci,  n'est  pas  éteint  chez 
nous,  s'est  empressé  de  souligner  la  déclaration  du  jeune 
Prince  écartant  d'un  mot  les  dangers  qu'on  pouvait  semer 
sous  ses  pas,  pour  se  ranger  loyalement  derrière  son  père, 
derrière  le  chef  de  son  parti. 

11  est  venu  fortifier  ce  parti  en  affirmant  pour  le  principe 

48 


666  ANNALES   CATHOLIQUES 

de  l'hérédité  un  respect  qui  est  le  premier  article  de  la  foi 
monarchique. 

Par  le  patriotisme  dont  il  a  donné  la  preuve,  il  a  fait 
passer  dans  tous  les  rangs  un  souffle  de  jeunesse  et  de  con- 
fiance d'autant  plus  fort  que  la  politique  dont  on  se  lasse 
vite  chez  nous  n'était  pas  en  jeu. 

Il  a  réveillé  l'enthousiasme  et  l'espoir,  même  dans  les 
esprits  atteints  d'un  scepticisme  précoce,  et  rapproché  de 
nous  ces  jeunes  générations  dans  le  cœur  desquelles  nous 
cherchons  anxieusement  à  lire  l'avenir  de  la  patrie. 

Parmi  ces  jeunes  gens,  il  y  en  a  qui  n'avaient  pas  besoin 
d'un  tel  stimulant,  je  me  hâte  de  le  dire;  et  le  nom  de  l'un 
d'entre  eux,  du  fidèle  ami,  du  compagnon  dévoué  de  mon 
fils,  du  duc  de  Lujnes,  restera  toujours  associé  aux  souve- 
nirs de  la  journée  du  7  février  comme  à  ceux  de  la  captivité. 

Les  portes  de  Clairvaux  se  sont  enfin  ouvertes  et,  par 
une  coïncidence  touchante,  la  dernière  visite  qu'ait  reçue 
mon  fils  a  été  celle  de  la  jeune  princesse  qui  doit  partager 
sa  vie  et  qui  venait  lui  apporter  un  rayon  d'espérance  dans 
sa  prison. 

Française  par  le  sang,  le  cœur  et  l'éducation,  elle  saura 
porter  dignement  le  titre  de  duchesse  d'^Orléans  qui  nous 
est  si  cher,  à  son  père  et  à  moi. 

^Saluons  ensemble  le  duc  d'Orléans  qui,  après  quatre  mois, 
sort  de  sa  cellule  mûri,  trempé  par  l'épreuve;  rejeton  vert 
et  vigoureux  de  la  race  capétienne  qui,  vieille  comme  la 
France,  se  rajeunit  toujours  avec  elle. 

Cette  déclaration  mettra  fin, il  faut  l'espérer, aux  insinuations 
ridicules  d'un  journal  qui  prétendait  qu'une  scission  s'était 
opérée  dans  le  parti  ro^'aliste,  et  qu'un  groupe  d'hommes  poli- 
tiques s'efforçait  de  détacher  le  duc  d'Orléans  de  son  père,  le 
comte  de  Paris. 

Nous  n'avons  pas  voulu,  quant  à  nous,  nous  faire  l'écho  de 
ces  bavardages. 

On  voit  aujourd'hui  quel  fondement  il  convenait  de  leur 
accorder. 

Nous  devons  dire,  que  ce  journal,  d'ordinaire  mieux  informé 
et  dont  on  ne  saurait  d'ailleurs  suspecter  les  intentions,  en  se 


CHRONIQUE    DE    LA.    SEMAINE  667 

faisant  l'éclio  de  ces  bruits  calomnieux,  n'a  point  entendu  en 
prendre  la  responsabilité,  et  qu'en  les  dénonçant,  il  s'est  pro- 
posé avant  tout  de  rendre  service  à  la  cause  de  la  Monarchie. 


Une  grosse  question  agite  actuellement  la  presse,  en  atten- 
dant qu'elle  soit  l'objet  d'une  chaude  discussion  à  la  tribune  : 
celle  de  savoir  si,  en  temps  de  guerre,  les  représentants  du 
peuple  devront  se  rendre  immédiatement  à  l'appel  du  comman- 
dant de  recrutement  ou  à  l'appel  de  M.  Floquet,  en  d'autres 
termes  s'ils  devront  être  soldats  ou  rester  députés. 

De  nombreuses  combinaisons  ont  déjà  été  proposées,  dans  le 
louable  but  de  la  résoudre  au  mieux  des  intérêts  de  l'armée  et 
de  la  nation.  Nous  ne  pouvons  les  énumérer  toutes,  mais  en  les 
examinant  d'un  peu  près,  on  arrive  aisément  à  les  condenser  et 
aies  réduire  à  trois. 

Les  uns  veulent  que  les  députés,  astreints  à  la  loi  militaire, 
soient  tous  soldats,  dans  le  rang,  et  déchus  ipso  facto  de  leur 
mandat  public. 

Les  autres,  comme  M.  Leveillé,  maintiennent  les  séances  du 
Parlement^  mais  envoient  «  à  l'armée,  écharpe  à  la  poitrine  et 
en  qualité  de  commissaires  de  surveillance,  sans  aucun  com- 
mandement militaire,  les  plus  jeunes  députés.  » 

Les  autres,  enfin,  estiment  que  nos  parlementaires  doivent 
rester  députés  et  rien  que  députés. 

A  laquelle  de  ces  trois  combinaisons  l'intérêt  de  l'armée  et  de 
la  nation  commande-t-il  de  se  rallier  ? 

Nous  écartons  tout  de  suite  la  seconde,  en  tant  qu'idiote  et 
désastreuse.  L'histoire  «  des  représentants  du  peuple  en  mis- 
sion »,  telle  qu'on  l'enseigne  peut-être  encore  dans  les  écoles 
laïques  est,  en  eflfet,  une  pure  légende.  Il  est  prouvé  et  archi- 
démontré  aujourd'hui,  par  des  documents  péremptoires  et  irré- 
futables, que  ces  représentants,  dans  la  généralité  des  cas,  ont 
désorganisé  la  résistance  par  le  crétinisme  de  leur  conduite  et 
la  stupide  sauvagerie  de  leurs  conceptions.  Ce  qu'ils  ont  fait, 
ils  le  feraient  encore.  Ce  serait  la  défaite,  l'invasion  et  la  mort 
sans  phrases  de  la  Patrie. 

Et  puis  on  ne  se  figure  pas  bien  par  ce  temps  de  stratégie 
moderne,  alors  que  toutes  les  formations  de  combat  se  font  en 
ordre  déployé,  et  que  les  armes  à  longue  portée  rendent  à 
peu  près  impossibles  les  corps  à  corps,  on  ne  se  figure  pas  bien 


668  ANNALES    CATHOLIQUES 

ces  députés,  écharpe  à  la  poitrine,  marchant  à  la  tête  des 
colonnes.  Où  prenez-vous  des  colonnes? 

—  Ils  surveilleront  ! 

Qu'est-ce  qu'ils  surveilleront?  Leur  peau  !... 

La  première  combinaison,  celle  qui  consiste  à  faire  rentrer 
dans  le  rang  tous  les  députés  atteints  par  l'ordre  de  mobilisa- 
tion, est  beaucoup  plus  sérieuse.  Mais  elle  a  aussi  ses  dangers. 

D'abord  elle  est  inconstitutionnelle.  Pourquoi  et  comment  un 
député  se  verrait-il  dépouillé  de  son  mandat  de  député?  D'autre 
part,  en  affaiblissant  ainsi  la  représentation  nationale  par 
l'incorporation  de  plus  de  200  députés,  ne  risque-t-on  pas  de 
laisser  le  gouvernement  à  la  merci  d'un  coup  de  main  d'une 
faction  turbulente  ? 

Nous  ne  faisons,  bien  entendu,  qu'indiquer  les  objections  les 
plus  importantes,  celles  qui  sautent  aux  yeux,  car  ce  n'est  pas 
ici  que  nous  pouvons  traiter  à  fond  la  question. 

Reste  donc  la  troisième  combinaison  :  les  députés  au  Palais- 
Bourbon.  C'est  celle  qu'il  faut  accepter,  non  parce  qu'elle  est  la 
meilleure,  mais  parce  qu'elle  est  la  moins  mauvaise.  Ici,  la 
théorie  du  moindre  mal  devient  une  nécessité  gouvernementale. 

De  quoi  s'agit-il,  en  effet,  quand  on  serre  de  près  la  question 
de  «  députés  ou  soldats  ». 

Uniquement  de  circonscrire  et  de  réduire  à  sa  plus  simple 
expression  l'influence  fatalement  malfaisante  de  nos  bavards 
parlementaires. 

Or  il  est  incontestable  qu'ils  seront  beaucoup  moins  nuisibles 
au  Palais-Bourbon,  où  ils  auront  les  loisirs  de  tourner  leurs 
pouces,  qu'à  l'armée  où  ils  essaieront  par  tous  les  moyens 
d'exercer  un  commandement  tout  au  moins  moral. 

Ceci  ne  se  démontre  pas. 

Qu'ils  restent  donc  au  Palais-Bourbon.  Ils  ne  gêneront  pas 
nos  généraux,  n'entraveront,  pas  les  opérations  militaires,  et, 
en  cas  de  besoin,  pourront  plus  facilement  être  enfermés  à 
Mazas. 

On  a  procédé  le  14  juin  à  la  laïcisation  d'une  école  libre  à 
Vicq  (Haute-Marne),  malgré  les  protestations  d'un  grand  nombre 
de  pères  de  famille  intéressés  au  maintien  de  la  liberté  de 
l'instruction. 

Vers  1820,  le  curé  de  Vicq  avait  fait  don  à  la  commune  d'un 
immeuble  sous  la  condition  d'y  installer  une  école  tenue  par 


CHRONIQUE    UE   LA.   SEMAINE 

des  Sœurs.  Une  rente  pour  l'entretien  de  l'école  avait  étéjointe 
à  cette  donation,  et  la  commune  encaissait,  tous  frais  payés,  un 
boni  de  sept  cent  cinquante  francs  par  an. 

Il  j  a  deux  mois,  l'institutrice  congrêganiste  titulaire  mourut; 
le  conseil  municipal  républicain  demanda,  à  l'unanimité,  le 
maintien  des  Sœurs.  En  effet,  leur  départ  devant  annuler  la  do- 
nation, il  faudrait  construire  une  école,  entretenir  le  bâti- 
ment, etc.  Un  emprunt  serait  nécessaire,  cinquante  mille  francs 
au  moins,  plus  la  dépense  de  quatre  mille  cinq  cents  francs  par 
an,  ce  qui  grèverait  le  budget  municipal  de  cinq  mille  deux 
cent  trente  francs  par  an.  Or,  les  revenus  de  Vicq  sont  minimes  : 
six  mille  sept  cent  cinquante-trois  francs,  et  cette  commune, 
obérée  par  un  récent  emprunt,  est  incapable  de  supporter  ces 
nouvelles  charges. 

L'administration  a  voulu  passer  outre  et  appliquer  quand 
même  la  loi  laïcisatrice. 

Jusqu'à  jeudi,  la  classe  a  été  faite  par  la  congrêganiste 
adjointe.  L'inspecteur  primaire  de  Langres  vint  ce  jour-là  pour 
procéder  à  l'installation  de  l'institutrice  laïque.  Les  Sœurs, 
absentes,  avaient  fermé  leur  porte.  Bientôt  trois  cents  personnes 
se  réunissent  devant  la  maison  des  Sœurs,  déclarant  que  jamais 
elles  ne  laisseront  entrer  l'inspecteur.  Il  demanda  des  ordres  à 
la  préfecture  et  repartit  avec  les  gendarmes  dont  il  s'était  fait 
accompagner. 

Vendredi  dès  la  première  heure,  les  habitants  avaient  repris 
la  garde.  Vers  neuf  heures,  l'inspecteur  primaire  revient  accom- 
pagné des  gendarmes,  laissant  entendre  qu'il  entrerait  par  la 
force.  Environ  sept  cents  habitants  sur  neuf  cents  étaient  massés 
devant  l'école,  et  comme  ils  ne  se  retiraient  pas,  l'inspecteur 
déclara  qu'il  userait  de  la  force. 

Après  trois  sommations,  une  première  charge  de  gendarmerie 
a  lieu.  Un  homme  est  blessé  au  genou  d'un  coup  de  sabre  ;  on 
barricade  les  portes  de  l'école.  A  onze  heures,  le  juge  de  paix 
de  Varennes  survient  avec  un  renfort  de  gendarmerie.  Un  peu 
plus  tard,  une  autre  brigade  survient.  A  sa  vue,  on  sonne  le 
tocsin  et  bientôt  on  voit  arriver  la  force  publique  venant  de 
tous  côtés.  Le  secrétaire  général  de  préfecture,  l'inspecteur 
d'académie,  le  sous-préfet  de  Langres,  le  capitaine  de  gendar- 
merie arrivent  à  leur  tour.  Tous  se  rendent  à  la  mairie.  Bientôt 
ils  reviennent  devant  le  public  et  explii|uent  que  la  fameuse  loi 
de  laïcisation  leur  donne  raison.  Les  habitants  disent  que,  malgré 


670  ANNALES   CATHOLIQUBS 

leurs  désirs,  ils  laisseront  installer  les  laïques  oii  on  voudra, 
mais  pas  dans  la  maison  des  Sœurs,  qui  est  une  propriété  par- 
ticulière. 

Le  maire,  sur  l'avis  des  autorités,  déclare  que  deux  Sœurs 
resteront  dans  la  maison,  mais  que  l'administration  veut  y 
installer  une  institutrice  laïque.  On  répond  :  non!  Et  alors, 
sans  avoir  fait  aucune  sommation,  la  gendarmerie,  le  sabre  à  la 
main  frappe  des  femmes  et  des  enfants.  Les  habitants  restent 
calmes,  malgré  cet  acte  de  sauvagerie.  La  femme  Léon  Mettot 
a  reçu  un  coup  de  sabre  près  de  l'œil  gauche  ;  la  femme 
Recouvreur,  enceinte,  a  été  piétinée  par  les  chevaux.  De  nom- 
breux blessés  gisent  ensanglantés.  Les  groupes  se  reforment 
plus  loin.  Une  nouvelle  charge  a  lieu.  Lamargelle  traite  les 
gendarmes  de  lâches.  Ceux-ci  le  poursuivent  et  le  traînent  à 
terre  en  le  frappant  brutalement.  Enfin,  comme  les  portes  ne 
s'ouvrent  pas,  un  gendarme  pénétre  par  la  fenêtre,  armé  d'un 
revolver,  et  ouvre  la  porte. 

Le  mobilier  des  Sœurs  est  déménagé  et  porté  chez  les  voisins. 
Cet  acte  odieux  a  produit  une  profonde  émotion  dans  le  pays, 
et  la  lecture  de  ces  faits  suffira  pour  propager  ailleurs  cette 
légitime  et  douloureuse  émotion.  Où  trouver  une  démonstration 
plus  sensible  de  l'injustice  de  la  loi  scolaire  et  du  brutal  aveu- 
glement de  ceux  qui  en  poursuivent  l'application  ? 

Ici,  tout  est  réuni  de  ce  qui  peut  révolter  la  conscience  et 
provoquer  l'indignation  :  le  droit  des  chefs  de  famille  sur  l'édu- 
cation de  leurs  enfants  est  violé,  le  droit  de  propriété  est 
méconnu,  la  volonté  de  toute  une  population  est  comptée  pour 
rien,  les  intérêts  financiers  d'une  commune  sont  sacrifiés,  et 
c'est  à  coups  de  sabre  et  en  faisant  piétiner  des  malheureux  par 
les  chevaux  qae  l'on  impose  la  soumission  à  cette  tyrannie. 

Alors  que,  de  l'aveu  de  tous,  les  élections  de  septembre 
avaient  imposé  à  la  nouvelle  Chambre  le  programme  de  la  paci- 
fication intérieure,  alors  que  le  plus  élémentaire  bon  sens  disait 
que  la  première  condition  de  cet  apaisement  des  esprits  devait 
être  l'amendement  de  la  loi  scolaire,  le  chef  du  Cabinet  actuel 
monta^,  on  s'en  souvient,  à  la  tribune  pour  s'incliner  devant  les 
clameurs  de  quelques  poignées  de  sectaires  et  déclarer  qu'il 
veillerait  sur  le  maintien  intégral  de  cette  loi  néfaste  comme  sur 
la  prunelle  de  son  œil  ;  on  voit  si  le  gouvernement  tient  parole  ! 

De  tels  faits,  au  lendemain  de  la  nouvelle  fermeture  de  la 
chapelle  des  Jésuites,  à  Quimper,  constituent  sans  doute  ce  que 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  671 

M.  Constans  appelle  une  république  c  tolérante  et  ouverte  ». 
Jugez  un  peu  si  elle  ne  l'était  pas. 

La  Lanterne  triomphe.  «  Eh  bien  !  s'écrie-t-elle,  à  la  bonne 
heure.  Nous  retrouvons  là  le  ministre  de  l'intérieur  qui  frt  si 
résolument  et  avec  tant  d'habileté  tranquille  exécuter  les  dé- 
crets de  1881.  »Nous  comprenons  cette  satisfaction.  Mais  ce  que 
nous  ne  comprendrions  pas,  c'est  que  les  conservateurs  se  lais- 
sassent prendre  aux  paroles  de  ce  maître  chanteur.  M.  Constans 
nous  demande  des  gages  et,  en  retour,  il  nous  offre  un  redou- 
blement de  persécution.  A  merveille.  On  sait  mieux  aujourd'hui 
ce  que  signifie  le  discours  de  Périgueux.  Il  ne  trompera  que  ceux 
qui  voudront  bien  être  trompés. 


Les  membres  fondateurs  de  la  Société  de  secours  aux  blessés 
militaires  des  armées  de  terre  et  de  mer  (Croix-Rouge  fran- 
çaise), ont  tenu  le  12  juin  leur  assemblée  générale  annuelle,  dans 
l'amphithéâtre  de  la  Société  de  géographie,  sous  la  présidence 
du  maréchal  de  Mac-Mahon,  président  de  la  Société. 

Dans  l'assistance,  on  remarquait  Mme  la  maréchale  de  Mac- 
Mahon,  les  généraux  Cambriels,  Péan,  l'amiral  Morin,  le  baron 
Depage,  le  comte  de  Beaufort,  les  docteurs  Riant,  Péan,  Bai- 
zeau,  Bonneau,  etc. 

M.  le  maréchal  de  Mac-Mahon  a  présenté  lui-même  le  compte- 
rendu  des  opérations  du  dernier  exercice.  La  Société  a  distribué, 
tant  aux  victimes  des  dernières  expéditions  coloniales  qu'à  celles 
des  guerres  antérieures,  une  somme  de  96.000  fr.,  ce  qui  porte 
le  montant  des  secours  distribués  par  elle,  depuis  le  retour  de 
la  paix,  à  3.200.000  fr.  Elle  a  augmenté,  pour  une  valeur  de 
100.000  fr.,  les  dépôts  de  matériel  d'ambulance,  dont  les  élé- 
ments types  ont  obtenu  à  l'Exposition  de  1889  un  grand  diplôme 
d'honneur.  Elle  a  poursuivi  l'organisation  préparatoire  de  ses 
services  du  temps  de  guerre  :  hôpitaux  temporaires,  hôpitaux 
auxiliaires  du  théâtre  de  la  guerre,  infirmeries  de  gare.  Au 
point  de  vue  des  évacuations,  elle  a  voté  un  crédit  de  200.000  fr. 
pour  l'acquisition  d'un  nouveau  train  sanitaire.  Elle  a  multiplié 
ses  écoles  de  brancardiers,  et  constitué  quatre-vingt-quatre 
nouveaux  comités  d'hommes  et  de  dames.  Elle  compte  aujour- 
d'hui 42.000  membres. 

Le  montant  de  ses  cotisations  annuelles  s'est  élevé  à 
100.000  fr.  dans  ces  trois  dernières  années.  Pour  1889,  elle  a 


672  ANNALES   CATHOLIQUES 

reçu,  en  dons  exceptionnels,  une  somme  de  34.000  fr.  et  réalisé 
91.068  fr.  de  legs. 

M.  Paul  Biollay,  conseiller-maître  à  la  Cour  des  Comptes,  a 
présenté  ensuite  le  rapport  financier;  puis  l'assemblée  a  réélu, 
comme  membre  du  conseil,  M.  le  marquis  de  Vogué,  et  elle  a 
élu,  comme  nouveaux  membres  :  MM.  le  docteur  Brouardel, 
doyen  de  la  Faculté  de  médecine  ;  Farré,  ancien  directeur  des 
services  civils  en  Algérie;  Hébrard,  président  du  syndicat  de 
la  presse;  le  docteur  Meige  et  le  marquis  de  Vassart  d'Hozier. 


L'opinion  publique  en  Russie  se  montre  de  plus  en  plus 
reconnaissante  au  gouvernement  français  de  ce  qu'il  vient  de 
faire  contre  les  anarchistes  et  nihilistes  installés  à  Paris.  La 
vérité  est,  comme  nous  l'avons  dit,  que  la  police  de  la  Répu- 
blique a  eu  dans  cette  circonstance  la  main  aussi  vigoureuse 
que  n'importe  quelle  police  monarchique,  et  on  en  a  été  très 
frappé,  même  ailleurs  qu'à  Saint-Pétersbourg. 

Il  faut  convenir  aussi  que  la  base  d'action  de  notre  gouverne- 
ment dans  ces  occasions  est  admirable.  Il  n'a  pas  à  se  demander 
si  les  chimistes  qui  opèrent  sur  son  territoire  veulent  tuer  tel 
ou  tel  monarque  ;  mais  nous  avons  une  loi  parfaitement  claire 
qui  interdit  chez  nous  la  fabrication  des  matières  explosibles, 
sans  autorisation  spéciale.  Messieurs  les  nihilistes,  ne  nous 
lassons  pas  de  le  répéter,  ont  contrevenu  à  cette  loi,  et  ils 
seront  punis. 

En  vain  la  presse  radicale  essaie  d'attendrir  le  public  sur  eux, 
en  expliquant  que  ces  malheureux  ne  sont  que  des  savants 
inoffensifs  :  la  loi  est  là,  et  dans  l'espèce  elle  est  inexorable.  Le 
procès  va  venir  dans  une  quinzaine  de  jours  et  il  aura,  on  peut 
le  croire,  beaucoup  de  retentissement.  Nous  autres  simples 
citoyens,  nous  le  suivrons  avec  intérêt,  mais  en  nous  rappelant 
que  l'Empereur  Alexandre  III,  le  souverain  actuel  de  Russie, 
a  rendu  à  notre  pays  depuis  quelque  temps  de  nombieux, 
importants  et  incontestables  services. 

M.  de  Bismarck  en  sait  quelque  chose,  puisque  en  toute  occa- 
sion il  se  plaît  à  insinuer  que  la  Russie  n'a  jamais  rien  fait 
pour  nous.  Mais  lui,  hélas  !  il  n'a  que  trop  fait  contre  nous. 

Le  gérant:    P.   Chantrel. 

Paris.  Imp.  0.  Picqiioin,  &3,  rue  de  Lille. 


ANNALES    CATHOLÏQUES 


LA  PERSECUTION  FISCALE 

Nous  avons  mentionné  ramendement  au  budget  de  1891  par  lequel 
M.  Henri  Brisson  espère  ruiner  et  détruire  un  certain  nombre  d'asso- 
ciations religieuses.  On  sait  que  cet  amendement  vise  l'exécution  de 
la  loi  du  29  décembre  1884,  au  sujet  de  laquelle  était  engagé  un  litige 
judiciaire  que  la  Cour  de  cassation  a  tranché  le  27  novembre  dernier. 
Une  note  du  Siècle  assure  d'autre  part,  que  l'administration  de  l'enre- 
gistrement aurait  prévenu  les  désirs  de  M.  Brisson. 

Dans  ces  circonstances,  il  nous  a  semblé  utile  de  publier  l'important 
travail  que  M.  Delamarre,  l'éminent  professeur  à  la  Faculté  catho- 
lique de  droit  de  Paris,  a  présenté  à  la  récente  session  de  l'assemblée 
des  catholiques  au  sujet  de  la  loi  et  de  l'arrêt  que  nous  venons  de 
rappeler  : 

Tous  les  honnêtes  gens  connaissent  la  persécution  scolaire, 
qui  enlève  au  père  de  famille  pauvre  la  liberté  de  faire  élever 
ses  enfants  dans  ses  croyances  :  la  persécution  hospitalière,  qui 
éloigne  la  Sœur  et  l'aumônier  du  lit  du  malade  et  ne  permet  à 
celui-ci  de  recevoir  les  consolations  de  la  religion  qu'au  prix 
d'un  héroïsme  souvent  au-dessus  de  ses  forces  ;  la  persécution 
ecclésiastique,  qui,  sans  contrôle  et  sans  défense,  sur  la  simple 
dénonciation  d'un  inconnu,  prive  de  son  maigre  traitement  le 
pauvre  curé  de  campagne;  la  persécution  militaire,  qui,  en 
pleine  paix  et  sans  aucun  avantage  pour  la  défense  nationale, 
enlève  les  élèves  du  sanctuaire  à  leurs  études  et  peut-être  à 
leur  vocation;  mais  beaucoup  de  personnes  ignorent  que  cet 
ensemble  de  mesures  attentatoires  aux  droits  de  Dieu  et  de  la 
conscience,  a  été  couronné  par  un  savant  système  de  persécution 
fiscale,  destiné  à  enlever  progressivement  aux  congrégations 
religieuses  tous  leurs  moyens  d'existence. 

L'expulsion  manu  militari  des  religieux,  il  y  a  dix  ans, 
n'était  que  le  prélude  des  dispositions  fiscales  par  lesquelles  les 
maîtres  du  jour  entendaient  empêcher  les  congrégations  de  con- 
tinuer à  vivre. 

L'expulsion,  dans  leur  langage,  était  un  hommage  à  la  loi  que 
le  Sénat  avait  refusé  de  voter  et  ne  pouvait  atteindre  que  les 
congrégations  non  autorisées. 

Mais  l'égalité  devant  la  loi  exigeait,  toujours  d'après  eux,  que 
Lxxii  —  28  Juin  1890  49 


674  ANNALES    CATHOLIQUES 

les  congrégations  mime  autorisées,  bien  que  payant  comme 
tout  le  monde  les  innombrables  impôts  ornement  obligatoire  de 
toute  civilisation  avancée,  payassent  encore  des  impôts  que 
personne  ne  paye. 

Le  Sénat,  à  cette  époque,  et  même  la  Chambre  des  députés 
refusèrent  de  suivre  jusqu'au  bout  M.  Brisson  dans  la  vole  oii 
il  avait  voulu  les  engager. 

Deux  dispositions,  qui  pouvaient  à  la  rigueur  se  justifier  au 
point  de  vue  du  droit,  furent  simplement  ajoutées  à  la  loi  de 
finances  du  28  décembre  1880. 

Par  l'une  de  ces  dispositions,  les  congrégations  furent  assi- 
milées aux  sociétés  qui  payent  une  taxe  de  3  0/0  sur  leurs  béné- 
fices, et  elles  furent  soumises  à  cette  même  taxe. 

L'autre  disposition  avait  pour  but  d'élever  jusqu'au  chiffre  de 
11  fr.  25  la  taxe  de  0,50  admise  par  la  jurisprudence  pour  les 
mutations  opérées  dans  les  sociétés  civiles  formées  entre  les 
membres  de  congrégations  autorisées  ou  non  autorisées,  lorsque, 
par  les  deux  clauses  d'adjonction  de  nouveaux  membres  et  de 
réversion,  ces  sociétés  arriveraient  à  perpétuer  leur  existence 
et  leur  patrimoine  dans  des  conditions  analogues  à  celles  des 
congrégations  autorisées. 

Les  deux  taxes,  comme  c'était  à  prévoir,  ne  procurèrent  au 
Trésor  que  des  perceptions  insignifiantes.  Bien  peu  de  congré- 
gations font  des  bénéfices  :  elles  ne  sont  pas  constituées  pour 
cela,  et  le  budget  de  la  plupart  d'entre  elles  se  solde  par  un 
déficit  que  comble  la  charité  des  fidèles. 

Quant  à  la  nouvelle  taxe  d'accroissement,  comme  elle  n'était 
exigible  que  dans  les  sociétés  réunissant  les  deux  clauses  d'ad- 
jonction de  nouveaux  membres  et  de  réversion,  il  était  naturel 
et  légal  qu'un  certain  nombre  de  ces  sociétés  rayassent  de  leurs 
statuts  l'une  de  ces  clauses,  afin  de  continuer  à  payer,  comme 
par  le  passé,  la  taxe  de  0,50  0/0  au  décès  ou  à  la  sortie  d'un  de 
leurs  membres. 

Les  deux  taxes  nouvelles  n'eurent  donc  d'autre  résultat,  sans 
aucun  avantage  pour  le  Trésor,  que  d'imposer  aux  employés  du 
fisc  des  travaux  incommensurables  sous  le  poids  desquels  ils 
succombaient. 

Le  directeur  général  de  l'enregistrement,  qui  s'appelait 
M.  Boulanger,  pour  soulager  ses  agents  et  faire  affluer  l'argent 
à  sa  caisse,  suggéra  à  la  commission  de  la  Chambre  des  députés 
chargée  d'examiner  le  budget  de  1885  la  pensée  de  retoucher  la 


LA    PERSÉCUTION   FISCALE  675 

rédaction  de  la  loi  de  1880,  afin  d'attribuer  de  plein  droit  aux 
congrégations  un  revenu  qu'elles  n'avaient  pas. 

De  là  le  forfait  en  vertu  duquel  tous  les  biens  des  congréga- 
tions, meubles  ou  immeubles,  même  les  plus  notoirement 
improductifs,  ont  été  présumés  produire  nn  revenu  de  5  0/0, 
revenu  inconnu  depuis  longtemps  pour  les  valeurs  les  plus  pro- 
ductives. 

Cette  nouveauté  fiscale  fut  votée  à  la  fin  de  décembre  1884, 
au  pas  de  course,  au  Sénat  et  à  la  Chambre  des  députés.  Les 
hommes  du  gouvernement  et  de  la  majorité  ne  manquèrent  pas, 
afin  d'enlever  le  vote  dés  Chambres,  d'accuser  les  congrégations 
des  dissimulations  les  plus  noires,  sans  en  fournir  d'ailleurs 
aucune  preuve,  ni  même  aucun  commencement  de  preuve. 

Bien  plus,  le  directeur  général  de  l'enregistrement,  commis- 
saire du  gouvernement,  n'a  pas  craint  d'affirmer,  contrairement 
à  l'évidence,  mais  en  prenant  toutefois  la  précaution  de  s'abriter 
derrière  une  affirmation  de  M.  Brisson,  que  les  Soeurs  de  Saint- 
Vincent-de-Paul  réalisaient  des  bénéfices  commerciaux,  au 
moyen  des  milliers  de  jeunes  filles  qui  travaillent  dans  leurs 
ouvroirs. 

Tout  le  monde  sait,  en  eflfet,  que  les  ouvroirs  et  les  orphe- 
linats sont  impuissants  à  se  soutenir  avec  le  travail  des  enfants, 
et  qu'il  leur  faut,  sous  toutes  ses  formes,  le  secours  de  la  cha- 
rité. Quoi  qu'il  en  soit,  le  principe  du  revenu  obligatoire  une 
fois  voté,  vous  croyez  peut-être  que  l'application  en  a  été  simple 
et  facile  ? 

Pas  le  moins  du  monde. 

Non  seulement  les  objets  les  plus  improductifs  ont  été  estimés 
rapporter  5  0/0,  mais  ce  5  0/0,  s'évaluant  d'après  le  capital  brut 
sans  déduction  des  dettes,  a  été  surfait  par  l'enregistrement,  et 
il  en  est  résulté,  dans  beaucoup  de  cas,  des  expertises  coûteuses 
et  difficiles,  au  cours  desquelles  il  a  fallu  transiger  pour  éviter 
des  pertes  trop  considérables.  Ainsi,  tandis  que  les  propriétés 
immobilières  diminuaient  partout,  quelquefois  d'un  tiers,  celles 
des  congrégations  ont  été  augmentées  de  valeur. 

A  la  valeur  vénale  de  ces  propriétés  l'enregistrement  a  même 
voulu  substituer  le  prix  de  revient,  et  il  est  arrivé  à  des  agents 
de  cette  administration  de  dire  avec  une  cruelle  ironie  aux  con- 
grégations, à  propos  d'établissements  d'instruction  conçus  lar- 
gement, mais  sans  luxe,  et  dont  la  vente  serait  désastreuse  pour 
une  destination  ordinaire:  «  Comment  pouvez-vous  trouver  notre 


676  ANNALES    CATHOLIQUES 

estimation  exagérée?  Vous  avez  tel  nombre  d'élèves,  et  pour  le 
même  nombre  d'élèves,  l'Etat  dépense  deux  et  trois  fois  plus 
que  vous.  » 

Il  faut  beaucoup  d'énergie  et  d'intelligence  pour  se  reconnaître 
au  milieu  de  toiles  complications,  et  le  résultat  final  est  toujours 
pour  celui  qui  paye  une  aggravation  de  situation,  bien  heureux 
encore  quand,  après  une  lutte  sans  merci,  il  n'est  pas  obligé  de 
vider  complètement  sa  bourse. 

Je  ne  vous  parlerai  pas  de  quelques  succès  partiels  obtenus 
par  les  congrégations  devant  les  tribunaux,  qui  ont  refusé  no- 
tamment d'étendre  la  taxe  sur  le  revenu  :  aux  nues  propriétés 
non  susceptibles  de  revenus  de  par  la  loi  elle-même  ;  aux  pen- 
sionnats, comme  présentant,  au  point  de  vue  de  la  clientèle  une 
valeur  distincte  de  celle  des  immeubles  dans  lesquels  ils  sont 
exploités  ;  et  d'appliquer  à  l'estimation  des  meubles,  la  procé- 
dure de  l'expertise. 

Qu'est-ce  que  cela,  en  comparaison  du  désastre  résultant, 
pour  les  congrégations  autorisée.s,  de  l'arrêt  de  la  Cour  de  cas- 
sation du  27  novembre  1889  sur  la  taxe  d'accroissement? 

On  n'a  pas  oublié  les  conditions  dans  lesquelles  la  loi  du 
28  décembre  1880  avait  élevé  de  0  fr.  50  à  11  fr.  25  0/0  la  taxe 
à  payer  pour  les  accroissements  qui  s'opéreraient  dans  les 
sociétés  admettant  l'adjonction  de  nouveaux  membres.  Il  tombe 
sous  le  sens  que  cette  taxe  ne  peut  être  perçue  quand  il  n'y  a 
pas  de  mutation  :  tout  le  monde,  y  compris  le  prédécesseur  de 
M.  Boulanger  dans  la  direction  générale  de  l'enregistrement, 
avait  reconnu  que  la  taxe  d'accroissement  n'était  pas  applicable 
aux  congrégations  reconnues,  dans  lesquelles  la  propriété  des 
biens  appartient  à  la  congrégation,  être  perpétuel  et  reconnu 
par  la  loi  comme  ayant  une  existence  propre  et  indépendante 
des  membres  composant  la  congrégation;  ces  derniers,  ne  pos- 
sédant rien,  ne  peuvent  rien  transmettre  à  leurs  frères  ou  sœurs 
en  religion,  quand  ils  sortent  de  la  congrégation  à  leur  mort,  ou 
de  leur  vivant  par  une  retraite  volontaire  ou  forcée.  Et  c'est 
précisément  parce  que  les  biens  de  la  congrégation  frappés 
d'immutabilité  ne  donnaient  jamais  lieu  à  l'ouverture  d'un  droit 
de  mutation  que  la  loi  du  22  février  1849  a  frappé  ces  biens 
d'une  taxe  annuelle  dite  de  main-morte,  calculée  sur  la  moyenne 
des  transmissions  des  propriétés  ordinaires.  Une  disposition  de 
loi  qui  aurait  assujetti  les  biens  des  congrégations  reconnues  à  la 
taxe  d'accroissement,  en  même  temps  qu'ils  auraient  continué 


LA    PERSÉCUTION    FISCALE  677 

d'être  soumis  à  la  taxe  de  main-morte,  aurait  paru  une  énormité. 

Cette  énormité,  qu'aucun  membre  du  gouvernement,  ni  de  la 
majorité  dans  les  deux  Chambres  s'était  bien  gardé  d'attribuer 
au  texte  ou  à  l'esprit  delà  loi  de  finances  du  29  décembre  1854, 
M.  Boulanger,  directeur  général  de  l'enregistrement,  n'a  pas 
craint  de  la  lui  attribuer  dans  une  instruction  rédigée  pour 
l'exécution  de  la  loi,  cinq  mois  après  sa  promulgation. 

Et  ce  qu'il  y  a  plus  de  triste  et  de  plus  douloureux  pour  nous, 
la  Cour  de  cassation  a  suivi  M.  Boulanger  dans  Tordre  d'idées 
oii  il  avait  entraîné  l'administration. 

Jusqu'au  malheureux  arrêt  du  27  novembre  1889,  la  Cour  de 
cassation  avait  jugé  que,  même  en  matière  fiscale,  l'absurde 
n'est  pas  admissible.  C'est  ainsi  que,  par  un  arrêt  du  13  avril  1886, 
la  chambre  civile  cassait  un  jugement  du  tribunal  de  la  Seine 
qui  avait  refusé  à  une  société  de  prouver  par  tous  les  moyens 
légaux  que,  n'ayant  pas  fait  de  bénéfices,  elle  ne  devait  pas 
payer  l'impôt  sur  le  revenu  établi  par  la  loi  du  29juin  1872. 

Comment,  trois  ans  plus  tard  la  même  chambre  civile  a-t-elle 
pu  trouver  rationnel  de  faire  payer  l'impôt  d'accroissement  là 
oii  l'accroissement  est  impossible?  Quels  sont  donc  les  motifs 
d'une  telle  contradiction? 

11  est  facile  de  démontrer  que  ces  motifs  n'existent  pas. 

L'arrêt  du  27  novembre  1889  dit  d'abord  que  le  texte  de  la  loi 
du  29  décembre  1884  est  aussi  formel  qu'il  est  clair.  A  ce  con- 
sidérant, qui  n'est  autre  chose  que  la  copie  d'une  phrase  stéréo- 
typée dans  tous  les  mémoires  de  l'enregistrement,  voici  la 
réponse  faite  à  l'avance  par  un  des  jurisconsultes  les  plus  con- 
sidérables de  notre  époque,  par  un  ancien  président  de  l'ordre 
des  avocats  à  la  Cour  de  cassation;  voici  ce  que,  du  haut 
de  la  tribune  du  Sénat,  lors  de  l'examen  des  articles  de  la  Ici 
fiscale  en  question,  l'honorable  M.  Clément  a  pu  dire,  sans  être 
contredit  par  personne,  pas  même  par  M.  Boulanger,  qui  n'était 
pas  encore  sénateur,  mais  qui  était  présent  comme  commissaire 
du  gouvernement  chargé  de  défendre  et  d'expliquer  la  loi  : 
«  Nous  n'avons  pas  discuté  le  droit  sur  V accroissement^  c'est 
LA  BOUTEILLE  A  l'encre.  Nous  ne  savons  pas  ce  qu'il  y  a.  Je 
ne  sais  comment  vous  l'appliquerez.  » 

Voilà  pour  la  clarté  de  la  loi. 

Voici  maintenant  pour  son  texte  formel  : 

Le  législateur  de  1880  avait  fait  deux  articles  pour  régler 
séparément,  dans  chacun  d'eux,  l'impôt  sur  le  revenu  et  l'im- 
pôt sur  l'accroissement. 


678  ANNALES    CATHOLIQUES 

Le  législateur  de  1884,  lui,  a  amalgamé  les  deux  impôts  dans 
une  seule  et  itoême  disposition,  en  renversant  l'énumération  des 
contribuables  de  la  loi  de  1880  et  en  mettant  en  tête  les  congré- 
gations religieuses,  qui  venaient  à  la  fin  dans  la  loi  de  1880, 
sous  le  nom  d'associations  reconnues  ou  non  reconnues. 

Il  dit  ainsi  dans  un  premier  paragraphe  : 

«  Les  impôts  établis  par  les  articles  3  et  4  de  la  loi  de  finances 
du  28  décembre  1880  seront  payés  par  toutes  les  congrégations, 
communautés  et  associations  religieuses,  autorisées  ou  non  au- 
torisées, par  toutes  les  sociétés  ou  associations  désignées  dans 
cette  loi,  dont  l'objet  n'est  pas  de  distribuer  leurs  produits  en 
tout  ou  en  partie  entre  leurs  membres.  > 

Si  le  législateur  de  1884  n'avait  rien  ajouté  à  ce  paragraphe, 
il  n'aurait  rien  fait  autre  chose  que  l'interversion  de  M.  Jour- 
dain dans  son  compliment  à  la  marquise. 

Toute  la  pensée  de  la  loi  est  dans  le  paragraphe  2,  ainsi  ré- 
digé : 

«  Le  revenu  est  déterminé  à  raison  de  5  0/0  de  la  valeur 
brute  des  biens,  meubles  et  immeubles,  possédés  ou  occupés  par 
les  sociétés.  * 

Remarquez  bien  ces  mots  :  les  sociétés^  qui  embrassent  évi- 
demment les  congrégations  comme  les  autres  collectivités  énon- 
cées dans  le  paragraphe  premier. 

Les  congrégations  sont  dotées,  comme  les  autres  sociétés  qui 
ne  distribuent  pas  leurs  produits,  d'un  revenu  fictif  et  obliga- 
toire de  5  0/0  de  la  valeur  brute  de  tous  leurs  biens  meubles  oa 
immeubles. 

Voilà  la  grave  modification  apportée  par  la  loi  de  1884  à  l'im- 
pôt sur  le  revenu,  qui,  sous  la  loi  de  1880,  était  perçu  sur  le 
revenu  réel. 

Mais  aucune  disposition  ne  modifiant  la  loi  de  1880  en  ce  qui 
concerne  l'impôt  d'accroissement,  il  en  résulte  forcément,  en 
saine  logique,  que  cet  impôt  est  resté,  pour  la  loi  de  1884,  ce 
qu'il  était  avant  cette  loi. 

La  Cour  de  cassation  en  conclut  cependant  que  le  droit  d'ac- 
croissement €  est  dû  par  toutes  les  congrégations,  communautés 
ou  associations  religieuses,  autorisées  ou  non  autorisées  ; 

«  Que  cela  ressort  manifestement  de  la  désignation  absolu- 
ment différente  des  personnes  sujettes  à  cet  impôt,  que  la  loi  de 
1884  a  substituée  à  celle  que  contenait  la  loi  de  1880.  » 

Or,  vous  savez  que  cette  désignation  des  personnes  sujettes  à 


LA    PERSÉCUTION    FISCALE  679 

l'impôt,  loin  d'être  absolument  différente,  est,  au  contraire, 
absolument  semblable,  sauf  une  interversion  d'ordre,  et  que  le 
législateur  de  1884  désigne  même,  comme  celui  de  1880,  les 
congrégations  sous  le  nom  générique  de  sociétés  au  point  de  vue 
de  l'application  des  deux  impôts. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'étrangeté  de  cet  article,  il  est  bon  que 
l'on  sacbe  que  la  Régie  ne  sait  comment  i'exécuter  vis-à-vis  des 
congrégations  composées  d'un  certain  nombre  de  maisons  res- 
sortissant à  une  maison  mère. 

Ni  les  rédacteurs  de  la  loi  du  29  décembre  1884,  ni  les  légis- 
lateurs qui  l'ont  votée,  ni  les  magistrats  qui  ont  cru  l'appliquer 
n'avaient  pensé  à  une  loi  du  27  ventôse  an  ÎX,  aux  termes  de 
laquelle  aucune  perception  de  droit  proportionnel  ne  peut  être 
faite  sur  un  actif  inférieur  à  vingt  francs  dans  une  succession. 
Ainsi,  une  succession  ne  présente  que  cinq  francs  d'actif,  le 
droit  sera  perçu  comme  si  l'actif  s'élevait  à  vingt  francs. 

Prenez  maintenant  l'hypothèse  d'une  grande  congrégation 
comprenant  plusieurs  milliers  de  membres  et  des  centaines  de 
maisons  dans  des  bureaux  d'enregistrement  différents  :  il  faudra 
non  seulement  faire  un  calcul  spécial,  à  chaque  décès  pour  la 
part  présumée  du  défunt  dans  chacun  des  immeubles  de  la  con- 
grégation, mais  dans  le  modeste  mobilier  nécessaire  à  un^  deux 
ou  trois  religieux  donnant  l'enseignement  dans  une  maison  n'ap- 
partenant pas  à  la  congrégation. 

Cette  part  présumée  pourra  n'être  que  de  quelques  centimes  ! 
n'importe,  il  faudra  payer  11  fr.  25  0/0  sur  une  valeur  de  20  fr. 
dans  chaque  bureau  et  à  chaque  décès.  Le  Journal  de  VEnre- 
gistrement,  journal  quasi-officiel,  est  ainsi  arrivé  à  une  percep- 
tion dépassant  chaque  année  un  million,  à  raison  d'un  décès 
par  jour  et  d'une  valeur  de  10  centimes  pour  la  part  présumée 
de  chaque  décédé  dans  le  mobilier  de  toutes  les  maisons  de  la 
congrégation,  pour  une  congrégation  de  dix  mille  membres. 

La  Régie  elle-même  s'est  arrêtée  épouvantée  !  (1) 

(1)  Ce  temps  d'arrêt  n'a  pas  été  de  longue  dui'ée.  Depuis  la  rédac- 
tion de  cette  note,  la  direction  générale  de  l'enregistrement  a  pres- 
crit à  ses  agents,  par  une  instruction  du  26  avril  1890,  d'exiger,  en 
cas  de  décès  de  tout  religieux,  le  paiement  de  Timpôt  d'acroissement 
à  chaque  bureau  de  la  situation  des  immeubles  et  des  meubles  cor- 
porels de  la  congrégation,  alors  q\i'en  cas  de  retraite  volontaire  ou 
forcée  d'un  religieux  pendant  sa  vie,  le  même  impôt  d'accroissement 
pourra  être  acquitté  au  bureau  de  la  maison-mère.  En  vain  a-t-on 
fait  observer  à  l'enregistrement  que  les  dispositions  édictées  en  vue 


680  ANNALES    CATHOLIQUES 

Ainsi  se  trouvent  trop  justifiées  les  paroles  de  M.  Clément  au 
Sénat  :  «  Le  droit  sur  l'accroissement,  c'est  la  bouteille  à 
l'encre^  nous  ne  savons  pas  ce  qu'il  y  a.  Je  ne  sais  comment 
vous  l'appliquerez.  > 

Quel  est  le  devoir  des  catholiques  en  une  occurence  aussi 
grave  V 

Continuer,  sans  se  décourager  la  lutte  par  la  parole  et  la  prière. 

Ne  cessons  pas  de  proclamer  et  de  rappeler  en  toute  circons- 
tance les  principes  de  l'éternelle  vérité,  les  droits  et  la  liberté 
du  pauvre,  le  respect  de  la  conscience,  le  respect  des  droits  de 
Dieu,  l'égale  répartition  des  charges  entre  tous  les  habitants  du 
pays  et  l'abolition  des  lois  qui  portent  atteinte  à  cette  égalité. 
La  parole  a  vaincu  le  monde. 

Prions   Dieu  qu'il  nous  donne  des  législateurs  possédant  le 

sentiment  du  droit,  et  des  magistrats  qui  justifient  leurs  arrêts 

par  des  motifs  vraiment  plus  clairs  et  plus  concluants  que  la 

prétendue  clarté  de  la  loi,  afin  que  le  peuple  français,  au  nom 

de  qui  se  rend  la  jusiice,  puisse  reconnaître  que  ses  délégués  à 

l'interprétation  de  la  loi  savent  au  moins  la  lire. 

L.  M.  Delamarre, 
Professeur  de  droit  à  Vlnslilvt  catholique  de  Paris. 


HUIT  JOURS  A  LA  GRANDE  TRAPPE  DE  SOLIGNI 
(Suite  et  fin.  —  A'^oir  le  numéro  précédent.) 

A  la  Trappe,  les  jours  se  ressemblent.  Jamais  le  trappiste 
ne  cause,  jamais  il  ne  se  permet  une  distraction,  un  plaisir,  un 
repos.  Il  vit  seul  avec  sa  pensée,  seul  avec  Dieu.  Ne  croyez  pas 
cependant  qu'il  soit  triste;  f^uv  tous  ces  visages  qu'un  doux, 
sourire  illumine,  régnent  le  calme,  la  paix,  le  bonheur.  Cette 
vie  de  souffrances  a  ses  charmes,  ses  voluptés  !  Je  demande  au 
frère  procureur  s'il  est  content. 

des  décès  de  personnes  véritablement  propriétaires  des  choses  qu'elles 
laissaient,  n'avaient  pu  prévoir  les  décès  de  religieux  qui,  quatre- 
vingts  ans  plus  tard,  seraient  déclarés  fictivement  propriétaires  de 
choses  sur  lesquelles  ils  n'avaient  jamais  eu  aucun  droit,  la  Régie 
est  restée  sourde  à  la  voie  du  bon  sens.  Il  en  résultera  une  lutte 
devant  tous  les  tribunaux  de  France.  L'arrêt  de  la  Cour  de  cassation 
du  27  novembre  1889,  quelque  critiquable  qu'il  soit,  ne  s'est  pas 
expliqué  sur  la  perception  du  droit,  et  on  peut  espérer  qu'il  se  trou- 
vera des  magistrats  pour  décider  que  les  énormités  du  fisc  ont  leurs 
limites. 


HUIT  JOURS  A  LA  GRANDE  TRAPPE  DE  SOLIGNI      681 

«  —  Oh  !  Monsieur,  s'écrie-t-il,  je  ne  changerais-  pas  ma 
robe  de  bure  pour  un  royaume,  » 

Il  est  raconté  dans  la  vie  des  Pères  du  désert  que  les  deux 
Macaire  d'Egypte  traversaient  ensemble  le  Nil  sur  un  ponton. 
Deux  tribuns  militaires  voyageant  avec  un  grand  appareil  de 
chevaux  aux  brides  dorées,  d'équipages,  de  soldats,  de  pages 
couverts  de  bijoux,  considérèrent  longtemps  les  deux  moines, 
vêtus  de  vieux  habits,  humblemeni  assis  au  coin  d'une  barque. 
L'un  des  tribuns  dit  aux  cénobites  : 

«  —  Vous  êtes  heureux  chez  vous,  vous  vous  moquez  du 
monde? 

«  —  C'est  vrai,  lui  répondit  saint  Macaire  d'Alexandrie, 
nous  nous  moquons  du  monde,  tandis  que  le  monde  se  moque 
de  vous;  et  vous  avez  dit  plus  vrai  que  vous  ne  pensez  :  nous 
sommes  heureux  de  fait,  et  de  nom,  car  nous  nous  appelons 
Macaire  qui  en  grec  signifie  heureux.  » 

Le  tribun  ne  répliqua  rien,  mais  rentré  chez  lui  il  distribua 
ses  biens  aux  pauvres  et  alla  chercher  dans  la  solitude  le 
bonheur  que  le  monde  ne  pouvait  lui  donner. 

On  me  montre  un  vieillard  de  soixante-treize  ans,  frère 
Albéric,  qui  dessert  une  petite  paroisse  située  à  une  lieue  du 
monastère.  Quelque  temps  qu'il  fasse,  frère  Albéric  part  tous 
les  dimanches  avec  trois  oeufs  et  une  miche  de  pain  dans  sa 
poche.  A  midi  et  demi,  après  sa  messe,  il  tire  un  seau  d'eau, 
allume  du  feu,  met  de  l'eau  dans  une  casseroUe,  la  fait  chauifer, 
y  jette  quelques  pincées  de  sel,  quelques  tranches  de  pain... 
voilà  sa  soupe,  les  œufs  durs  son  rôti,  l'eau  du  puits  sa  boisson, 
son  régal  de  trappiste.  Voilà  dix-neuf  ans  que  frère  Albéric  a  le 
même  ordinaire  dominical;  dix-neuf  ans  qu'il  fait  ses  «  quatre 
gros  kilo  »  comme  il  le  dit,  à  l'aller  et  au  retour  et  je  vous 
assure  qu'il  ne  songe  pas  à  changer  son  ordinaire,  sauf  peut- 
être  pour  le  restreindre,  ni  à  prendre  sa  retraite. 

On  lit  dans  la  vie  des  Pères  du  désert  que  deux  solitaires 
étant  en  pèlerinage,  passèrent  auprès  d'une  grotte  qui  parais- 
sait inhabitée,  ils  y  pénétrent;  ils  voient  un  frère  d'un  âge 
vénérable  à  genoux,  les  bras  étendus  vers  le  ciel,  les  yeux 
ouverts. 

«  —  Il  prie,  disent-ils,  prions  avec  lui.  » 

Ils  attendent  quelque  temps  et  ne  lui  voient  faire  aucun 
mouvement,  ils  le  croient  en  contemplation.  L'heure  du  départ 
arrive,  ils  le  saluent  et  se  recommandent  à  ses  prières,  pas  de 


682  ANNALES    CATHOLIQUES 

réponse...  ils  s'approchent,  le  solitaire  était  mort  dans  une 
extase  et  son  corps  soutenu  par  les  anges  était  là  attestant  une 
vertu  ignorée  du  monde  et  qui  ne  sera  révélée  qu'au  jour  de 
éternité.  J'apprendrais  que  frère  Albéric  est  mort  comme  ce 
solitaire  que  je  n'en  serais  pas  surpris. 

J'entre  au  réfectoire,  je  parcours  les  tables  après  le  repas;  la 
plupart  des  religieux  ont  à  peine  touché  à  leur  pain  et  à  leur 
cidre.  Ce  n'est  pas  qu'ils  n'eussent  faim,  mais  ces  gens-là  ont  la 
passion  du  sacrifice. 

Quelqu'un  s'étonnait  un  jour  devant  un  abbé  de  Cîteaux  que 
des  personnes  habituées  à  vivre  délicatement  dans  le  monde, 
pussent  se  contenter  de  pois,  de  lentilles,  de  choux  sans  aucun 
assaisonnement! 

«  —  Sans  aucun  assaisonnement!  s'écria  l'abbé,  ah!  pardon! 
je  donne  à  chacun  trois  grains  de  poivre  pour  relever  le  goût; 
aussi  ne  laissent-ils  presque  jamais  rien  dans  leurs  écuelles. 
Le  premier  grain  consiste  à  se  lever  de  bonne  heure  ;  le  second 
à  travailler  au  grand  air  ;  le  troisième  à  jeûner.  Voilà  de  quoi, 
je  pense,  aiguiser  notre  appétit  et  rendre  exquis  nos  légumes.  » 

Il  y  a  à  la  Trappe  des  vieillards  de  quatre-vingts,  quatre-vingt- 
cinq,  quatre-vingt-huit  ans  qui  sont  plus  intrépides  que  les 
jeunes.  Impossible  de  les  faire  monter  à  l'infirmerie  pour  donner 
à  leurs  estomacs  délabrés  une  nourriture  plus  substantielle,  du 
poisson,  des  œufs,  de  la  viande.  Ils  se  croiraient  déshonorés, 
La  règle  des  Trappistes  en  effet,  est  sur  ce  point  moins  austère 
que  celle  des  Chartreux. 

«  ...  L'abbé,  est-il  dit  dans  la  règle  de  saint  Benoit,  l'abbé 
aura  toute  l'application  possible  afin  qu'on  ne  néglige  rien  dans 
tout  ce  qui  concerne  l'assistance  des  malades.  On  leur  destinera 
une  chambre  à  part  et  et  on  établira  pour  les  servir  un  des 
frères  qui  craigne  Dieu,  qui  soit  diligent  et  soigneux.  On  leur 
permettra  de  se  servir  de  bains  toutes  les  fois  qu'on  le  jugera 
nécessaire.  On  permettra  de  manger  de  la  chair  aux  malades 
et  à  ceux  qui  seront  dans  une  grande  faiblesse,  pour  le  rétablis- 
sement de  leurs  forces.  » 

A  la  Grande-Trappe,  il  J  a  plusieurs  industries.  Le  lende- 
main de  mon  arrivée,  je  me  rendais  à  la  chapelle.  Au  coin  de 
l'hôtellerie,  j'aperçus  le  R.  P.  Abbé  dirigeant  lui-même  les 
travaux  d'un  canal  qui  devait  amener  un  plus  grand  tirant 
d'eau  pour  le  service  du  moulin.  Ce  moulin  est  pour  le  moment 
la  fortune  du  monastère.  Les  paysans  viennent  de  très  loin. 


HUIT    JOURS    A    LA.    GRANDE    TRAPPE    DE    SOLIGNI  683 

«  La  farine  est  meilleure,  me  disent-ils,  et  ici  au  moins  nous 
sommes  sûrs  qu'on  ne  nous  volera  pas.  » 

Au  milieu  des  travailleurs,  le  R.  P.  Abbé  une  serpe  à  la 
main,  les  pieds  dans  des  sabots,  ia  robe  relevée  jusqu'aux, 
genoux,  donne  des  ordres  ;  sa  croix  pectorale  de  bois  est  sa 
seule  distinction. 

Dans  l'après-midi,  il  m'emmène  visiter  ses  terres.  Des  reli- 
gieux travaillent  au  loin  dans  les  champs, 

«  —  Il  me  semble,  lui  dis-je,  que  nourris  comme  ils  sont,  ils 
ne  doivent  guère  avoir  de  muscles.  » 

«  —  Ils  pourraient  tout  de  même  en  abaitre  davantage,  me 
répond-il  en  souriant;  c'est  vrai,  plusieurs  ne  mangent  pas 
assez  ;  mais  cela  ne  fait  rien  ;  la  plupart  des  paysans  sont 
encore  moins  bien  nourris  qu'eux.  » 

A  gauche,  derrière  et  à  droite  du  moulin,  les  étables,  la  lai- 
terie, les  forges,  la  buanderie,  le  fruitier.  A  l'intérieur  du  mo- 
nastère, le  R.  P.  Abbé  a  installé  une  imprimerie  pour  rééditer 
leurs  livres  de  chant.  Je  l'entends  gourmander  uu  religieux  qui 
plie  maladroitement  des  feuillets,  il  en  prend  un  et  donne  une 
ienon. 

Ce  R.  P.  Abbé  est. décidément  quelqu'un.  Il  est  jeune  encore, 
il  a  à  peine  quarante  ans.  Il  est  plein  de  vie  et  d'activité,  j'allais 
ajouter  d'ambition.  Ne  s'est-il  pas  mis  en  tête  de  reconstruire 
sou  monastère?  Les  bâtiments  sont  lourds,  sans  grâce,  plusieurs 
menacent  ruine;  ils  sont  reliés  sans  ordre.  Les  cours  sont 
vastes,  mais  d'un  vilain  aspect.  Il  a  son  plan,  il  aura  l'argent. 
La  Trappe  de  Staouéli  n'est-elle  pas  Ik'i 

«  —  Un  jour,  me  dit-il,  j'avais  besoin  d'argent  pour  une  de 
nos  Trappes  qu'il  s'agissait  de  relever  ;  je  pris  le  chemin  de 
Staouéli.  Staouéli  est  pour  nos  Trappes  ce  qu'est  la  Grande- 
Chartreu,se  pour  les  Chartreux.  11  me  faudrait  pour  reconstruire 
la  Grande  Trappe,  cinq  cent  mille  francs;  seulement  je  crains 
d'attirer  l'attention  du  gouvernement.  Au  reste,  nous  prenons 
nos  précautions.  Chaque  année  le  Chapitre  se  réunit  ici  et  nous 
taxons  chaque  Trappe  pour  organiser  une  caisse  centrale  en 
cas  de  persécutions  nouvelles.  » 

Sa  préoccupation  est  de  tout  utiliser,  la  terre,  l'eau,  les  élé- 
ments, de  ne  perdre  ni  un  pouce  de  son  territoire  ni  une  pierre  de 
ses  bâtiments,  ni  une  minute  du  temps  de  ses  religieux.  S'il  a  fait 
vœu  de  pauvreté  pour  lui,  il  veut  que  son  monastère  s'enri- 
chisse. La  Trappe  d'Aiguebelle  met  quarante  miiie  francs  de 


684  ANNALES    CATHOLIQUES 

côté  par  an  en  fabricant  du  chocolat.  Il  vient  d'installer  une 
machine  à  fabriquer  le  chocolat  qu'il  compte  agrandir.  Le  mou- 
lin ne  rapporte  que  deux  louis  par  jour  ;  il  faudra  qu'il  en  rap- 
porte quatre.  Bientôt  il  se  fera  éditeur,  brocheur,  relieur.  Il 
me  demande  ma  pratique. 

Je  l'interroge  sur  les  origines  de  la  Grande-Trappe.  Le  mo- 
nastère remonte  à  1122.  Il  fut  fondé  par  Rotrou  II,  comte  de 
Perche,  qui  fit  vœu,  s'il  échappait  à  une  violente  tempête,  de 
bâtir  à  la  sainte  Vierge  une  église.  Revenu  dans  ses  Etats,  il 
choisit  un  vallon  solitaire,  entouré  de  bois,  traversé  par  plu- 
sieurs ruisseaux,  appelé  Trappe.  A  l'église,  il  joignit  un  monas- 
tère qu'il  confia  à  une  colonie  de  religieux  venus  de  Savigny; 
le  monastère  devint  une  abbaye,  l'abbaye  de  la  Maison-Dieu 
de  la  Trappe.  En  1148,  l'abbaye  de  la  Trappe  se  rattacha  à 
l'ordre  de  Cîteaux.  Pendant  cinq  cents  ans  elle  fut  florissante 
jusqu'au  jour  où,  livrée  comme  les  autres  abbayes  en  commande 
à  l'avidité  des  séculiers,  elle  tomba  dans  une  complète  déca- 
dence. 

Elle  se  releva  en  1626  avec  Armand-Jean  Le  Bouthillier  de 
Rancé  à  qui  cette  abbaye  était  échue  en  héritage.  L'abbé  de 
Rancé  s'étant  converti  travailla  à  la  réforme  de  son  abbaye. 

Pendant  la  grande  révolution  les  Trappistes  furent  dispersés. 

Ils  revinrent  en  1814. 

Aujourd'hui  ils  sont  divisés  en  trois  branches  que  le 
R.  P.  Etienne  espère  réunir  en  un  seul  faisceau. 

La  réforme  de  l'abbé  de  Rancé,  dont  le  siège  est  à  Sept- 
Fonds,  compte  six  ou  sept  monastères. 

Les  Trappistes  belges,  peu  nombreux  ; 

Les  Trappistes  qui  ont  repris  la  règle  de  Cîteaux.  Ces  der- 
niers sont  répartis  entre  vingt-six  monastères  qui  reconnaissent 
comme  général  le  R.  P.  Abbé  de  la  Grande-Trappe.  Un  décret 
de  Léon  XIII  a  décidé  dernièrement  que  le  général  des  Trap- 
pistes ne  serait  plus  de  droit  l'abbé  de  la  Grande-Trappe,  mais 
un  abbé  nommé  à  l'élection. 

La  Grande  Trappe  possède  la  dépouille  mortelle  de  M.  de 

Rancé. 

ici  repose 

Armand  Jean  le  Bouthillier  de  Rangé 

NÉ  A  Paris  le  19  février  1626 

il  mourut  le  27   octobre  1700 

après  quarante  ans  de  la  plus  austère  pénitence 


HUIT   JOURS    A   LA    GRANDE    TRAPPE   DE    SOLIGNI  685 

Son  tombeau  est  renfermé  dans  une  petite  chapelle  au  fron- 
tispice de  laquelle  on  a  écrit  ces  deux  vers  ; 
Rancé  fit  fleurir  la  règle  dans  ces  lieux, 
Son  corps  repose  ici,  son  âme  est  dans  les  cieux. 

On  montre  aussi  au  visiteur  la  grotte  dite  de  Saint-Bernard 
que  les  anciens  religieux  construisirent  en  mémoire  du  passage 
de  ce  grand  saint  à  la  Trappe  au  xii*  siècle. 

La  propriété  a  une  contenance  de  trois  cents  hectares  ;  mais 
la  terre  est  maigre  et  demande  de  grands  travaux  pour  être 
fertile. 

On  raconte  qu'un  jour  l'abbé  de  Rancé  conduisant  ses  frères 
au  travail,  le  prieur  voulut  lui  représenter  que  la  pluie  ne  per- 
mettait pas  de  sortir,  mais  l'abbé  le  regardant  d'un  œil  sévère: 

«  —  Toutes  ces  délicatesses  ne  conviennent  pas  à  des  péni- 
tents, allons  donc!  »  et  la  bêche  à  la  main,  il  les  mène  dans  une 
terre  en  friche.  Au  premier  coup  qu'il  donne^  il  sent  de  la  résis- 
tance; il  soulève  la  terre  avec  force,  regarde  et  aperçoit  des 
pièces  d'or,  il  creuse  plus  profondément,  en  découvre  soixante 
autres;  c'étaient  des  écus  d'Angleterre,  d'un  métail  très  pur, 
reste  sans  doute  des  guerres  du  xiv*  siècle.  La  valeur  totale  s'éle- 
vait à  cinq  cents  livres.  On  regarda  cette  trouvaille  comme  pro- 
videntielle et  miraculeuse. 

Sous  Napoléon  III,  les  trappistes  qui  ne  comptaient  pas  que 
le  miracle  de  l'abbé  de  Rancé  se  renouvellerait^  fondèrent  une 
colonie  pénitentiaire.  L'Etat  les  aida  et  pendant  trente  ans  leur 
colonie  ne  comptait  pas  moins  do  trois  cents  habitants.  Le 
1"  avril  1880,  il  fallut  la  fermer.  Il  se  passait  entre  les  colons 
et  des  surveillants  les  plus  tristes  choses,  les  enfants  en  outre 
devenaient  si  turbulents  que  les  habitants  des  pays  voisins  ne 
se  croyaient  plus  en  sûreté  chez  eux.  Ils  sont  encore  là,  dans  ce 
vaste  enclos  une  vingtaine  qui  attendent  qu'on  les  envoie  dans 
une  autre  colonie.  Le  R.  P.  Abbé  m'explique  longuement  qu'il 
songe  à  relever  la  colonie.  J'ignore  s'il  a  réalisé  son  plan. 

J'ai  réservé  l'hôtellerie  pour  la  fin.  Les  hommes  seuls  y  sont 
admis.  En  dehors  du  monastère,  il  y  a  une  maison,  sorte  d'au- 
berge oii  les  femmes  peuvent  loger.  Jamais  une  femme  ne  doit 
franchir  le  seuil  du  monastère. En  1190  une  femme  ayant  pénétré 
dans  l'église  d'un  monastère  de  l'ordre  de  Cîteaux,  le  Chapitre 
l'apprit  et  imposa  un  jour  de  jeune  au  pain  et  à  l'eau  à  l'abbé  et 
à  sa  communauté!  A  Soligni,  à  droite  de  la  porte  d'entrée  se 
trouve  un  petit  pavillon  réservé  à  l'évêque  du  diocèse. 


686  ANNALES    CATHOLIQUES 

J'avais  lu  plusieurs  récits  sur  le  cérémonial  de  l'arrivée  ées 
voyageurs. 

«  Le  frère  qui  veille  à  la  première  porte  de  la  clôture,  a  ra- 
conté l'un  d'eux,  nous  ayant  demandé  le  motif  de  notre  visite, 
nous  conduisit  à  la  salle  d'attente  des  hôtes  et  fit  savoir  au 
supérieur  que  nous  désirions  passer  quelques  jours  dans  la 
maison.  Un  moment  après,  deux  religieux  se  présentèrent  à 
nous,  leurs  têtes  rasées,  la  douceur  et  la  régularité  de  leurs 
traits  respirant  le  calme  et  la  joie,  la  longue  robe  blanche  qui 
les  couvrait  leur  donnait  une  simplicité  majestueuse.  Tout  à 
coup  ils  tombèrent  à  nos  pieds  et  se  prosternèrent  de  tout  le 
corps  devant  leur  hôte  comme  Abraham  devant  les  trois  jeunes 
hommes,  puis  se  relevant,  ils  nous  invitèrent  par  un  signe  à  les 
suivre.  C'est  par  l'église  que  les  étrangers  doivent  entrer  dans 
le  monastère. 

«  Revenus  dans  la  salle  d'attente,  les  deux  pères  nous  tirent 
lecture  d'un  chapitre  de  l'Imitation,  après  quoi  ils  s'agenouillè- 
rent devant  nous  en  prononçant  pour  adieu  ces  aimables  paroles 
de  l'Ecriture  :  Suscepimus,  Domine,  miser icordiam  in  medio 
iempli  iui.  Le  père  hôtellier  vint  ensuite  nous  offrir  ses  ser- 
vices. Nous  étions  mouillés,  il  nous  proposa  du  linge  et  fit 
augmenter  d'un  plat  le  souper  des  hôtes.  » 

Ce  voyageur  écrivait  en  1853.  Dans  l'espace  de  trente  ans, 
on  aura  sans  doute  modifié  le  cérémonial,  car  j'ai  été  reçu  avec 
une  cordialité  parfaite,  mais  avec  une  simplicité  que  j'apprécie 
d'autant  plus  que  je  m'effrayais  de  ces  préliminaires.  Je  trouve 
que  quand  on  descend  de  chemin  de  fer,  noir  de  fumée,  courba- 
turé, l'âme  n'est  guère  préparée  à  tous  ces  saints  exercices,  et  le 
corps  encore  moins. 

Le  frère  portier  me  conduit  au  secrétaire  du  R,  P.  Abbé  ab- 
sent, qui  me  salua,  comme  entre  gens  du  Inonde  on  se  salue, 
peut-être  un  peu  plus  profondément,  s'informa  de  ma  santé  et 
me  ravit  d'aise  en  m'assurant  que,  d'après  le  désir  que  j'en 
avais  exprimé,  à  cause  de  ma  santé,  je  mangerais  dans  ma 
chambre  et  qu'on  m'y  servirait  des  aliments  gras  et  du  vin.  Les 
hôtes  sont  servis  en  maigre  dans  un  réfectoire,  et  le  père  hôtel- 
lier fait  la  lecture  pendant  le  repas.  On  comprend  que  les  cu- 
rieux soient  rares  à  la  Grande  Trappe.  Il  n'y  a  jamais  que  trois 
ou  quatre  personnes,  généralement  des  ecclésiastiques  ou  des 
laïques  qui  viennent  faire  une  retraite.  Il  fut  un  temps  où  la 
Grande  Trappe  servait  de  maison  de  correction  pour  [les  prêtres 


HUIT  JOURS  A  LA  GRANDE  TRAPPE  DE  SOLIGNI      687 

que  leurs  évêques  y  envoyaient  faire  une  retraite  avant  de  leur 
rendre  des  pouvoirs.  Des  désordres  graves  s'êtant  produits  à 
plusieurs  reprises  parmi  ces  prêtres,  le  P.Etienne  fit  savoir  aux 
évêques  qu'il  n'accueilleraitplus  désormais  leurs  brebis  galeuses 
qui  faisaient  fuir  les  autres  prêtres. 

Un  frère  me  conduisit  à  l'hôtellerie,  oii  le  frère  hôteliier  me 
mena  dans  ma  chambre  jusqu'à  l'heure  oia  on  m'apporta  mon 
souper. 

Je  n'oublierai  jamais  les  attentions  dont  j'ai  été  l'objet  de  la 
part  du  R.  P.  hôteliier,  et  surtout  de  son  second,  le  bon  frère 
Jérôme,  plus  spécialement  chargé  de  mon  service.  Quel  bon  et 
aimable  vieillard  que  ce  frère  Jérôme  !  Je  ne  sais  pas  si  je 
l'aurai  fait  gronder;  je  l'ai  peut-être  trop  retenu  dans  ma 
chambre  pour  le  faire  causer  ;  mais  il  causait  de  si  bon  cœur  ! 
Aura-t-il  manqué  à  sa  règle?  Je  ne  le  crois  pas.  De  toutes  les 
vertus,  la  charité  est  la  plus  parfaite  et  celle  du  frère  Jérôme  a 
été  pour  moi  sans  limite.  S'il  a  péché,  que  saint  Benoît,  saint 
Bernard  et  le  R.  P.  Etienne  lui  pardonnent  ! 

C'était  le  14  août  1830.  Charles  X  fuyait  escorté  d'un  fort 
détachement  de  troupes  et  de  ses  gardes  du  corps  sous  la  pro- 
tection de  M.  Odilou  Barrot.  Lorsque  la  garde  nationale  de 
Cherbourg  apprit  que  le  roi  arrivait  pour  s'embarquer,  elle  prit 
les  armes  et  voulut  s'opposer  à  son  départ. 

M.  Odilon  Barrot  envoya  dire  aux  gardes  nationaux  de  dé- 
sarmer au  plus  vite  sous  peine  d'être  passés  par  les  armes. 
Charles  X  néanmoins  crut  prudent  de  s'arrêter  à  Valognes.  Il 
descendit  chez  M.  du  Ménildot. 

Dans  leur  précipitation,  les  membres  de  la  famille  royale 
avaient  oublié  des  objets  de  première  nécessité.  La  duchesse  de 
Berry  fit  demander  le  tailleur  de  la  famille  du  Ménildot.  Ce 
tailleur  s'appelait  Hamel.  li  envoya  son  fils,  un  jeune  gars  de 
seize  ans. 

«  — Pourriez-vous,  lui  dit  la  duchesse  de  Berry  faire  tout  de 
suite  un  manteau  pour  Mademoiselle?  Je  crains  qu'elle  n'ait 
froid  pendant  la  traversée. 

«  —  Parfaitement,  Madame,  répondit  le  jeune  Hamel. 
«  —  Vous  n'avez  jamais  vu  le  roi,  demanda  la  duchesse  au 
jeune  tailleur  pendant  qu'il  prenait  les  mesures. 

«  —  Jamais,  Madame,  et  ce  serait  pour  moi  un  grand  bonheur. 
«  —  Connaissez-vous  mon  fils,  le  duc  de  Bordeaux?  Voulez- 
vous  le  voir?  » 


688  ANNALES    CATHOLIQUES 

Et  pendant  que  le  jeune  Harael  tout  rougissant  s'excusait  de 
tant  de  bontés,  la  duchesse  ouvrit  une  porte  et  appela  son  fils 

«  —  Voici  un  bon  français,  émbrasse-le. 

«  —  Ah  !  les  bons  français,  répondit  l'enfant  royal,  je  les  aime 
tant!  Alors  vous  êtes  un  bon  français?  »  Et  courant  au  jeune 
Hamel,  il  se  jeta  dans  ses  bras  et  l'embrassa,  puis  tirant  un 
petit  carnet  de  sa  poche,  il  y  inscrivit  le  nom  du  tailleur. 

«  —  Plus  tard,  ajouta-t-il,  je  me  souviendrai  de  vous.  » 

J'ignore  si  on  a  retrouvé  ce  \yeiit  carnet  dans  les  papiers  du 
comte  de  Chambord.  Quant  au  jeune  tailleur,  il  a  quitté  Valo- 
gnes  depuis  trente-trois  ans,  il  a  même  changé  le  nom  de  son 
père  pour  celui  de  frère  Jérôme,  et  il  compte  bien  mourir  à  la 
Grande-Trappe  (1.  G.  Moreau. 


L'APOSTOLAT  PAR  LES  LIVRES 
DE  DISTRIBUTIONS  DE  PRIX 

Depuis  longtemps  déjà,  des  esprits  sérieux  ont  signalé  com- 
bien il  serait  opportun  de  profiter,  pour  viser  à  produire  un  bien 
réel,  de  l'occasion  qu'offrent  les  livres  distribués  comme  prix 
dans  les  écoles,  et  en  même  temps  combien  ce  qui  se  fait  à  cet 
égard  est  au-dessous  de  ce  qui  pourrait  être  fait.  La  très  esti- 
mable Revue  intitulée  Etudes  ecclésiastiques,  donna  sur  ce 
point  un  mot  en  juin  1889;  en  juillet,  elle  y  revint  avec  des 
termes  plus  pressants.  Dans  son  dernier  numéro,  juin  1890,  elle 
y  revient  encore.  Le  journal  Z/e  Prêtre  da  5  juin  contient  égale- 
ment une  lettre  sur  ce  sujet.  Au  Congrès  de  Lille,  en  novembre, 
un  Rapport  spécial  avait  été  présenté  sur  la  même  question,  et  le 
Congrès  avait  adopté  un  vœu  s'y  rapportant. 

Nos  ennemis  se  servent  du  livre  de  prix  dans  leurs  écoles 
pour  semer  le  mal  ;  n'est-ce  pas  pour  nous  un  devoir  de  nous  en 
servir  pour  semer  le  bien? Et  il  ne  s'agit  pas  d'une  afl'aire  minime. 
Une  lettre  que  nous  recevons  et  qui  émane  d'une  source  sûre, 
nous  donne  ces  chiff'res  qui  parlent  assez  par  eux-mêmes. 

«  Les  écoles  congréganistes  et  chrétiennes  libres  doivent  dépen- 
ser tous  les  ans  un  minimum  dedeux  millions  de  francs,  repré- 
sentant près  de  quatre  millions  de  volumes.  Vous  voyez  qu'il  y  a 
là  une  grosje  question  à  résoudre  apostoliquement;  »  apostoli- 
quement,  c'est-à-dire  pour  un  avantage  réel  des  âmes. 

(1)  Ces  pages  ont  été  écrites  en  1884. 


l'apostolat  par  les  livres  de  distribution  de  prix  689 

«  On  commet  une  injustice  et  on  déshonore  la  religion,  dit  de 
son  côté  l'auteur  du  dernier  a.vtïc\e  des  Etudes  (juin, p.  102-103), 
en  employant  tant  d'argent  à  répandre  tant  de  livres  fades,  qui 
n'ont  de  bon  qu'un  cartonnage  doré,..  Quel  grand  service  ren- 
drait celui  qui  publierait  un  catalogue  de  livres,  non  pas  bons, 
mais  excellents, ^îowr  distribution  de  ^wix  !...  Hélas!  dans 
beaucoup  de  livres  de  prix  donnés  par  des  écoles  chrétiennes, 
on  trouve  non  seulement  des  lignes  banales,  mais  des  princi- 
pes de  mort  pour  les  âmes.  » 

Oui,  il  faut  d'abord  un  Catalogue,  et  il  faudrait  ensuite  une 
organisation  destinée  à  procurer  effectivement  les  livres  à  des 
conditions  très  avantageuses. 

Les  grandes  Congrégations,  et  notamment  les  Frères  des 
écoles  chrétiennes,  —  nous  ne  pensons  pas  être  indiscret  en  les 
nommant,  —  ont  établi  une  organisation  dans  ce  double  but. 
Les  Frères  ont  dressé  un  Catalogue  et  ils  mettent  à  la  disposi- 
tion de  toutes  leurs  écoles,  pour  un  prix  réduit,  un  choix  de 
livres  siirs,  ayant  une  véritable  valeur  scientifique  et  religieuse. 

Mais  restent  les  petites  Congrégations  et  les  prêtres  isolés  des 
paroisses,  qui  ont  une  école  libre  :  que  peuvent-ils  faire  pour 
atteindre  le  double  but? 

Quant  à  un  Catalogue  spécial,  la  Société,  générale  d'éduca- 
tion (rue  de  Grenelle,  35,  à  Paris),  conformément  au  vœu  du 
Congrès  tenu  à  Lille,  en  novembre  et  à  une  demande  de 
Mgr  l'archevêque  de  Cambrai,  vient  d'en  publier  un,  qui  sera 
du  reste  complété  plus  tard.  Ce  catalogue  se  trouve  dans  le 
numéro  de  juin  de  son  Bulletin,  qui  nous  arrive  à  l'instant 
même.  Nous  ignorons  si  l'on  a  fait  de  ce  catalogue,  qui  occupe 
dans  la  livraison  huit  pages  in-S»,  un  tirage  spécial;  maison 
peut  l'avoir  en  demandant  la  livraison  entière. 

Pour  ce  qui  est  de  procurer  les  livres,  la  Société  d' éducation 
déclare  que,  comme  il  y  a  là  une  affaire  commerciale,  elle  ne 
s'en  charge  pas  directement. 

La  Société  bibliographique  (2  et  5,  rue  Saint-Simon,  Paris), 
a,  de  son  côté,  un  catalogue  très  considérable  qu'on  peut  lui 
demander  aussi;  il  renferme  plus  de  4.000  ouvrages,  et  elle 
affirme  que  chacun  d'eux  a  été  lu  entièrement  par  des  membres 
de  l'Œuvre.  De  plus,  ce  qui  est  précieux,  elle  fournit  avec  une 
remise  de  30  0/0,  soit  environ  un  tiers,  tous  les  ouvrages  qui 
sont  indiqués  là;  les  frais  de  port  sont  en  plus.  Mais  ce  catalo- 
gue n'est  point  spécial  pour  distribution  de  prix  ;  il  est  même 

47 


690  ANNALKS  CATHOLIQUES 

certnin  qu'une  partie  des  ouvrages  ne  peuvent  convenir  pour 
cette  destination  ;  car  quelques-uns  portent  la  mention  ;  Réservé 
aux  personnes  éclairées. 

Outre  les  deux  Sociétés  que  nous  venons  de  mentionnerai  va 
Y  Œuvre  de  Saint-François  de  Sales,  et  son  concours  pourra 
être  tout  spécialement  précieux. 

Nous  affirmons  que,  dans  certains  diocèses  au  moins,  le 
directeur  diocésain  de  l'Œuvre  se  charge  ou  bien  de  fournir 
avec  une  très  forte  réduction,  les  livres  indiqués  par  les  maîtres 
de  l'école  sur  une  liste  rédigée  par  eux,  à  leur  gré,  et  ils  peu- 
vent se  servir  pour  cela  de  l'un  des  Catalogues  signalés  plus 
haut,  —  on  bien  de  faire  lui-même  le  choix  des  livres  et  de 
composer  la  collection,  si  l'on  veut  s'en  rapporter  à  lui,  en  lui 
désignant  la  pomme  dont  on  dispose  et  lui  indiquant  le  nombre 
de  volumes  dont  on  a  besoin,  ainsi  que  leurs  diverses  catégories 
(1",  2%  3*  ordre,  pour  garçons  ou  pour  filles  ;  variant  encore 
selon  l'âge  moyen  des  élèves  de  chaque  classe). 

Lorsqu'en  fait,  on  n'est  pas  bien  fixé  sur  la  valeur  morale  des 
livres  qu'on  désire,  ce  dernier  mode  est  peut-être  préférable 
parce  qu'il  oîire  la  garantie  du  double  contrôle  de  l'Œuvre  de 
Saint-François  de  Sales  en  général  et  du  directeur  diocésain, 
prêtre  ayant  toujours  une  certaine  autorité.  Cette  garantie  est 
quelque  chose  ;  et  toutefois,  nous  ne  voudrions  pas  affirmer 
qu'elle  est  suffisante  à  tous  égards  ;  car,  il  faut  l'avouer,  le  choix 
des  livres  est  une  chose  extrêmement  délicate,  qui  demande 
qu'ils  aient  été  lus  en  entier,  par  de  bons  juges  et  que  les  gra- 
vures, s'ils  en  contiennent,  aient  été  aussi  examinées  avec  soin. 
L'idéal  serait  même  qu'ils  soient  encore  choisis  spécialement 
selon  le  caractère  et  les  tendances  particulières  de  celui  à  qui 
ils  seront  donnés.  Et  cela,  évidemment  le  maître,  et  un  maître 
éclairé  ou  un  prêtre  qui  connaît  las  enfants,  peuvent  seuls  le 
faire. 

Il  est  vrai  que  nous  ne  savons  au  siàr,  —  nous  ne  remarquons 
rien  à  cet  égard  dans  les  Bulletins  de  l'Œuvre  parus  jusqu'à 
présent,  —  si  tous  les  directeurs  diocésains  de  Saint-François  de 
Sales  acceptent  de  prêter  pour  les  distributions  de  prix,  le  con- 
cours que  nous  venons  de  dire  ;  mais  on  peut  toujours  tenter  la 
démarche  et  alléguer  ce  fait  dont  nous  garantissons  l'exactitude, 
que  dans  certains  diocèses  les  choses  se  passent  ainsi. 

Il  est  vrai  encore  que  les  livres  fournis  par  cette  Œuvre  ne 
sont,  ett  principe  que  des  livres  brochés.  A  chacun  d'examiner 


LES  NOUVEAUX  ÉVÊQUES  691 

s'il  ne  peut  pas,  du  moins  pour  une  partie  des  volumes,  pour  ceux 
qui  ont  une  certaine  valeur  intrinsèque  et  une  belle  apparence, 
subir  cette  condition,  puis  de  s'entendre  avec  le  directeur  dio- 
césain, —  car  c'est  à  lui  et  non  au  centre  général  de  l'Œuvre 
qu'on  doit  s'adresser,  —  pour  voir  si  l'on  ne  pourrait  avoir,  par 
son  entremise,  même  des  livres  reliés.  Les  livres  fournis  par 
la  Société  Bihliog^'aphique  sont  également  brochés  ;  mais  cette 
Société  se  chargerait  de  les  faire  relier,  si  on  le  demandait. 
Ceux  que  porte  le  catalogue  de  la  Société  d'éducation  sont  pres- 
que tous  mentionnés  comme  brochés  ou  reliés  au  choix,  suivant 
les  conditions  qu'indiquent  les  catalogues  des  éditeurs  eux- 
mêmes,  éditeurs  dont  les  principaux  sont  Marne,  de  Tours,  Le- 
fort  et  Desclée,  de  Lille. 

En  tout  cas,  quels  que  soient  les  moyens  auxquels  ils  recour- 
ront, un  directeur,  une  directrice,  un  pasteur,  qui  sont  à  la 
tête  d'une  école  chrétienne  ne  peuvent  apporter  trop  de  soin  à 
écarter  tout  ce  qui  pourrait  offrir  un  danger,  et  à  se  procurer 
ce  qui  peut  devenir  l'instrument  d'un  bien  réel  pour  les  enfants 
ainsi  que  pour  leurs  familles. 


LES  NOUVEAUX  EVEQUES 

Mgr  Liecot,  archevêque  nommé  de  Bordeaux. 

La  Revue  catholique,  de  Bordeaux,  a  publié  sur  Mgr  Lecot  une 
notice  qu'elle  a  reçue,  dit-elle,  d'un  prêtre  très  distijigué  du  dioeè&e 
de  Dijon;  nous  reproduisons  cette  notice: 

Mgr  Lecot,  né  à  Montescourt  (Aisne)  le  8  janvier  1831,  a  fait 
ses  humanités  au  petit  séminaire  de  Noyon  et  ses  études  ecclé- 
siastiques aux  grands  séminaires  de  Beauvais  et  de  Saint- 
Sulpice. 

A  peine  sorti  de  cette  excellente  maison  dont  il  avait  été 
un  des  élèves  les  plus  distingués,  il  fut  appelé  à  y  passer  trois 
ans  en  qualité  de  professeur  de  sciences.  Il  y  revint  après 
son  ordination  sacerdotale,  mais  cette  fois  pour  y  occuper  la 
chaire  de  belles-lettres.  Là,  pendant  cinq  ans  s'épanouirent, 
avec  les  premières  ûeurs  de  son  éloquence,  la  souplesse  de 
son  talent  et  la  merveilleuse  variété  de  ses  aptitudes.  Nommé 
ensuite  vicaire  à  la  cathédrale  deNoyon,  le  jeune  prêtre  trouva 
dans  ses  nouvelles  fonctions  un  plus  vaste  champ  d'activité  et 
de  zèle.  Il  contribua  puissamment  à  fonder  une  chapelle  dans 
un  faubourg  populeux    et  la   desservit  avec   une   prédilection 


692  ANNALBS   CA.THOLIQUB8 

toute  spéciale.  Il  donna  de  fréquentes  missions  dans  les  cam- 
pagnes, des  conférences  dans  plusieurs  paroisses  de  Paris, 
notamment  à  Notre-Darae-des-Victoires    et  à  Saint-Laurent. 

Malgré  tant  d'occupations,  il  fonda,  en  1865,  la  Foi  picarde, 
semaine  religieuse  des  diocèses  de  Beauvais,  Amiens  et  Sois- 
sons,  et  y  publia  d'intéressants  travaux  de  science  ecclésias- 
tique. 

Pendant  la  guerre,  il  accompagna,  en  qualité  d'aumônier 
volontaire,  le  bataillon  des  mobiles  de  l'Oise  et  partagea,  avec 
un  entrain  coramunicatif,  ses  fatigues,  ses  privations  et  ses 
dangers. 

Il  fut  appelé,  en  1872,  à  la  cure  de  Saint-Antoine  de  Com- 
piègne.  Il  s'j  appliqua  avec  le  zèle  le  plus  intelligent  à  accroître 
la  splendeur  du  culie  et  l'éclat  de  la  chaire  où  se  ûrent  entendre 
les  plus  illustres  prédicateurs  de  notre  temps. 

A  Dijon,  Mgr  Lecot  s'est  révélé  avec  des  qualités  de  premier 
ordre.  Intelligence  supérieure,  délicatesse  exquise,  jugement 
d'une  rectitude  rare,  il  a  toutes  les  qualités  qui  font  les  grands 
évêques.  Toujours  prêt  à  monter  aur  la  brèche,  il  parle  avec 
aisance,  distinction,  abondance.  Je  l'ai  vu  enthousiasmer  les 
foules  et  mériter  les  applaudissements  d'une  immense  assem- 
blée. Je  l'ai  entendu  également  parler  à  ses  prêtres  avec  une 
piété  et  une  onction  qui  les  ont  subjugués.  11  préside  en  maître 
les  retraites  ecclésiastiques  et  les  assemblées  synodales.  Ses 
tournées  pastorales  ont  été  de  véritables  triomphes. 

Il  est  allé  souvent  porter  la  parole  hors  du  diocèse  et  on  l'a 
partout  grandement  apprécié.  A  Rome,  le  Saint-Père  l'a 
accueilli,  à  chacune  de  ses  visites,  avec  une  particulière  bienveil- 
lance. Il  lui  a  fait  don  de  ses  œuvres  pontificales  dans  des  cir- 
constances très  spéciales  et  qui  témoignent  de  sa  grande 
affection.  Il  lui  a  offert  des  faveurs  que  d'autres  réclament  et 
qu'un  cœur  aussi  désintéressé  que  Mgr  Lecot  a  fait  tourner  à 
l'avantage  de  son  Eglise,  sans  rien  retenir  pour  lui-même. 

Travailleur  infatigable,  l'évêque  de  Dijon  a  doté  son  diocèse 
d'un  nouveau  catéchisme;  il  achève  en  ce  moment  la  rédaction 
de  nouveaux  Statuts  qu'il  a  fait  adopter  dans  un  récent  synode. 
Il  préparait  un  nouveau  Propre  diocésain  et  s'appliquait  à 
d'autres  œuvres  encore,  comme  le  huitième  centenaire  de  la 
naissaace  de  saint lîernard,  lorsque  la  nouvelle  de  son  élévation 
prochaine  au  siège  de  Bordeaux  est  venue  le  surprendre. 

Mgr  Lecot  est  d'une  haute  stature,  d'un  extérieur  imposant.  Sa 


LES  NOUVEAUX  ÉVÊQUES  693 

physionomie  est  expressive,  sa  voix  vibrante  et  sympathique.  Il 
a  l'esprit  fort  large,  en  même  temps  qu'une  inébranlable  fermeté 
de  principes. 

Vous  comprenez  nos  regrets.  Vous  voyez  combien  nous  étions 
heureux  et  combien  nous  pouvions  nous  estimer  fiers  d'avoir  un 
tel  chef  et  un  tel  père.  Bordeaux  peut  se  réjouir.  Ses  anges  lui 
assurent  une  féconde  et  glorieuse  administration. 

Mgr  Oury,  évêque  nommé  de  Dijon. 

On  lit  dans  la  Semaine  religieuse  de  Dijon  : 

Nos  lecteurs  attendent  sans  doute  que  nous  leur  fassions 
connaître  le  nouveau  prélat  que  la  divine  Providence  nous 
destine.  Nous  ne  pouvons  mieux  faire  pour  atteindre  ce  but  que 
de  mettre  sous  leurs  yeux  un  article  publié  par  le  journal  la 
Défense   dans  son  numéro  du  19  mars  1886. 

«  Mgr  Frédéric-Henri  Oury  est  né  à  Vendôme,  le  3  mai  1842. 
Il  commença  ses  études  à  Blois  et  les  termina  au  collège  de 
Précigné  (Sarthe),  d'oii  il  sortit,  sa  rhétorique  terminée,  avec 
le  numéro  2. 

«  De  Précigné  il  passa  au  grand  séminaire  du  Mans,  oii  il 
étudia  la  philosophie  et  la  théologie,  de  1860  à  1865,  en  sortant 
du  grand  séminaire,  il  demanda  à  entrer  dans  la  marine  ;  mais 
l'aumônier  en  chef  l'ajourna  jusqu'à  ce  que  l'expérience  et  un 
peu  plus  d'âge  le  missent  en  état  de  mieux  réussir  dans  le 
milieu  si  difficile  et  si  particulier  où  il  désirait  vivre. 

«  Le  jeune  ecclésiastique  fut  envoyé  en  qualité  de  vicaire  à  la 
Ferté-Bernard  (Sarthe),  où  il  passa  près  de  quatre  ans.  Enfin, 
en  octobre  1869,  le  ministre-amiral  Rigault  de  Genouilly  le 
nommait  aumônier  de  la  marine. 

«  Envoyé  d'abord  à  l'hôpital  maritime  de  Cherbourg,  puis  à 
celui  de  Lorient,  l'abbé  Oury  demanda  un  embarquement,  qui 
lui  fut  accordé.  Depuis  lors,  il  resta  presque  constamment  en 
mer  jusqu'en  1885. 

«  Ainsi,  au  commencement  de  1870,  il  est  embarqué  sur  la 
corvette  cuirassée  la  Jeanne  cVArc,  faisant  partie  de  l'escadre 
du  Nord,  sous  le  commandement  en  chef  de  l'amiral  Dieudonné. 
La  Jeanne  d'Aro  était  commandée  par  le  capitaine  de  vaisseau 
Ribourt,  si  connu  par  son  énergie  et  son  intrépidité. 

«  La  déclaration  de  guerre  surprend  la  Jeanne  dC Arc  à  l'em- 
bouchure de  la  Grironde.  Immédiatement  la  corvette  a  ordre  de 
rallier  Brest.  Le  25  juillet,  l'escadre  reçoit  la  visite  de  l'impé- 
ratrice et  le  soir  du  même  jour  part  pour  la  Baltique. 


694  ANNALES    CATHOLIQUES 

«Durant  cette  longue  et  douloureuse  croisière,  l'abbé  Oury  et 
le  commandant  Ribourt  s'apprécièrent,  et  entre  eux  se  forma 
une  tendre  amitié,  à  tel  point  qu'on  ne  sait  lequel  des  deux  aime 
et  admire  le  plus  l'autre,  intimité  que  le  temps  n'a  fait  qu'aug- 
menter. 

«  Les  glaces  et  les  coups  de  vent  forcent  la  Jeanne  d'Arc  à 
quitter  la  Baltique;  ce  bâtiment  rentre  donc  à  Cherbourg  à  la 
fin  de  1870. 

«  L'abbé  Ourj  passe  alors  sur  le  garde-côte  le  Rochamheau, 
puis  sur  la  corvette  cuirassée  VAtalanie^  à  bord  de  laquelle  il 
croise  entre  les  cotes  de  France  et  d'Angleterre,  durant  le  temps 
que  dure  le  rapatriement  par  mer  de  nos  soldats  prisonniers. 
h' Aialante  va  désarmer  à  Lorient  et  l'abbé  Oury  est  nommé 
aumônier  de  l'hôpital  maritime  de  Cherbourg,  bondé  de  vario- 
leux.  Epuisé  de  fatigue,  il  y  tombe  malade,  y  est  soigné  durant 
un  mois,  et,  à  peine  guéri,  embarqué  sur  la  frégate  cuirassée  la 
Revanche.  De  la  Revanche  il  passe  sur  la  frégate  cuirassée  la 
Surveillante^  alors  commandée  par  le  capitaine  de  vaisseau 
baron  Crrivel,  et  essuie  dans  la  mer  du  Nord  un  coup  de  vent 
qui  met  le  bâtiment  à  deux  doigts  de  sa  perte  et  l'oblige  à  ren- 
trer à  Cherbourg. 

«  A  la  fin  de  1871,  l'abbé  Our^y  est  embarqué  sur  le  transport- 
hôpital  la  Sarthe,  en  destination  de  Cochinchine,  où  il  reste 
avec  les  troupes  de  terre  durant  prés  de  deux  ans.  De  janvier  1874 
à  mars  1877,  il  fait  campagne  sur  la  frégate  la  Vénus ^  oii  l'avait 
appelé  son  ami  le  contre-amiral  Ribourt,  qui  avait  son  pavillon 
à  son  bâtiment  dans  l'Atlantique  sud,  relâchant  successivement 
à  Lisbonne,  au  Sénégal,  au  cap  de  Bonne-Espérance,  à  Saint- 
Paul  de  Loanda,  aux  Canaries,  au  cap  Saint-Vincent,  à  Bahia, 
à  Rio-de-Janeiro,  ^Montevideo  et  Buenos-Ayres.  Rentré  à  Toulon 
en  mars  1877,  l'abbé  Oury  repart  aussitôt  sur  la  Corrèze  pour 
la  Cochinchine,  En  revenant,  il  jette  à  l'eau  soixante-douze 
hommes,  entre  Saïgon  et  Suez,  morts  du  choléra,  et  pour  sa 
belle  conduite  pendant  cette  terrible  épidémie  il  reçoit  la  croix 
de  la  Légion  d'honneur. 

«  A  peine  arrivé  à  Toulon  avec  la  Corrèze,  il  reçoit  l'ordre 
de  rallier  Brest  et  d'embarquer  sur  la  corvette  cuirassée  VAr- 
mide,  à  bord  de  laquelle  l'amiral  Dubuquois  avait  son  pavillon. 
h'Armide  quitte  Brest  en  janvier  1878,  visite  tous  les  ports  de 
la  Chine,  du  Japon,  des  Philippines,  de  l'extrême  nord  de  la 
Russie,  et  arrive  à  Toulon  en  avril  1880.  Son  aumônier,  à  peine 


LES  NOUVEAUX  ÉVÊQCES  695 

débarqué,  est  envoyé  au  port  de  Cherbourg,  sur  la  demande  de 
son  ancien  chef,  le  vice-amiral  Ribourt,  préfet  maritime  du 
port.  Il  n'y  reste  que  quelques  mois,  puis  va  embarquer  à  Tou- 
lon sur  V Annamite,  transport-liôpital  en  fer,  à  destination  de 
Çochinchine,  ensuite  sur  le  Shamroek,  et  fait  ainsi  sept  fois  de 
suite  le  voyage  de  Toulon  à  Saïgon,  capitale  de  la  Çochinchine. 

«  Rentré  en  septembre  1882,  l'abbé  Oury  remplit  les  fonc- 
tions d'aumônier  à  l'hôpital  maritime  de  Saint-Manflrier,  prés 
Toulon  ;  puis  en  janvier  1883,  sur  la  demande  du  contre-amiral 
Devarenne,  il  est  nommé  aumônier  de  l'école  navale,  sur  le  vais- 
seau le  Borda,  en  rade  de  Brest.  C'est  là  que  vint  le  prendre,, 
le  3  janvier  1885,  le  décret  présidentiel  le  nommant  évêque  de 
la  Guadeloupe. 

«  Le  vote  des  Chambres  supprimant  cet  évêché  ne  permit  pas 
à  Mgr  Oury  de  s'y  rendre.  Il  attendit  patiemment  que  l'accord 
fût  établi  à  son  sujet  entre  Rome  et  Paris  pour  le  transférer  à 
Fréjus.  Il  n'a  pas  oïfert,  ni  n'a  donné  sa  démission  d'évéque  de 
la  Guadeloupe,  démission  qui,  du  reste,  ne  lui  a  été  demandée 
par  personne,  et  la  translation  a  été  décidée,  en  dehors  de  toute 
participation  de  sa  part,  entre  le  gouvernement  et  le  Saint-Siège. 

«  Sur  la  demande  de  ses  chefs,  l'abbé  Oury  fut  créé  chevalier 
des  ordres  du  Saint-Sépulcre  et  du  Cambodge. 

«  La  nomination  de  l'abbé  Oury  à  l'épi.scopat  est  l'œuvre  de 
la  marine.  Les  officiers  généraux  avec  lesquels  il  avait  navigué 
avaient  gardé  de  lui  le  meilleur  souvenir.  C'est  par  allusion  à 
ces  relations  que  le  nouveau  prélat  a  placé  dans  ses  armoiries  la 
croix  et  l'ancre,  avec  cette  devise  :  Utrique  f,deliSy  fidèle  aux 
deux  familles,  l'Eglise  et  la  grande  famille  maritime.  » 

Nous  pouvons  ajouter,  d'après  des  témoignages  autorisés,  que 
Mgr  Oury  a  conquis  sans  peine  les  sympathies  et  l'affection  de 
ses  diocésains  par  sa  bonté  et  l'aménité  de  son  caractère. 

Il  a  créé  des  œuvres  importantes  qu'il  laissera  en  pleine 
prospérité. 

Tout  nous  fait  donc  espérer  qu'au  milieu  des  regrets  d'une 
pénible  séparation,  Dieu  a  voulu  nous  ménager  quelques  conso- 
lations. Qu'il  en  soit  remercié  et  béni  ! 

Mgr  Mignot^  évêque  nommé  de  Frèjus. 

La  notice  suivante  est  publiée  par  la  Semaine  religieuse  de  Soissons  : 

Mgr  Mignot  est  né  à  Brancourt,  le  20  septembre  1842  ;  il  est 

donc  dans  sa  quarante-huitième  année  et  dans  la  pleine  maturité 


696  ANNALES    CATHOLIQOEg 

de  l'âge.  Il  eut  pour  premier  maître  d'abord,  M.  le  chanoine 
Angot,  aujourd'hui  curé-doyen  de  Villers-Cotterets,  puis  le 
vénéré  M.  Crabelle,  ancien  directeur  au  grand  séminaire  de 
Soissons. 

En  1856,  quittant  le  presbytère  de  Brancourt,  où,  comme 
tant  de  nos  confrères,  il  avait  trouvé  dans  le  pasteur  son  premier 
professeur  de  latin,  il  entrait  au  petit  séminaire  Saint-Lécrer  de 
Soissons,  que  dirigeait  alors  M.  l'abbé  Bourse,  aujourd'hui  cha- 
noine titulaire,  vicaire  général  et  supérieur  du  grand  séminaire. 
Il  y  passe  quatre  années,  donnant  à  tous  l'exemple  de  la  régu- 
larité la  plus  soutenue  et  du  travail  le  plus  intelligent.  Ses  con- 
disciples se  souviennent  bien  de  ce  qu'il  y  avait  alors  et  déjà  de 
sérieux  et  de  grave  dans  son  esprit  et  de  profondément  judicieux 
dans  tout  ce  qui  sortait  de  sa  plume. 

Il  entrait,  en  1860,  au  séminaire  d'Issy  pour  y  commencer  ses 
études  de  philosophie,  sous  la  direction  du  vénérable  M.  Maré- 
chal, notre  compatriote,  qui  eut  bien  vite  apprécié  la  valeur  du 
séminariste  qu'il  recevait  de  son  diocèse  d'origine.  Dans  ce 
vaste  champ  de  la  philosophie  et  des  sciences  naturelles  que 
l'on  cultivait  en  même  temps  au  séminaire  d'Issy,  son  esprit, 
porté  aux  spéculations  les  plus  sérieuses,  devait  prendre  et 
prit  en  effet  le  plus  brillant  essor...  Il  en  fut  de  même  les  trois 
années  qui  suivirent  et  qu'il  passa  au  séminaire  de  Saint-Sulpice, 
où  il  eut  pour  condisciples  Mgr  d'Hulst,  qui  resta  toujours  son 
ami;  Mgr  Labouré,  aujourd'hui  évêque  du  Mans;  Mgr  Jourdan 
delà  Passardière,  évê(iue  de  Roséa,  et  bien  d'autres  qui  occu- 
pent, soit  dans  le  clergé  de  Paris,  soit  dans  leurs  propres  dio- 
cèses, les  charges  les  plus  importantes. 

Ordonné  prêtre  à  vingt-trois  ans,  le  23  septembre  1865,  à 
Arras,  par  Mgr  Parisis,  —  Mgr  Dours,  alors  notre  évêque,  étant 
en  vacances  en  son  pays  de  Bigorre,  —  il  fut  nommé 
d'abord  professeur  de  cinquième  au  petit  séminaire  de  Notre- 
Dame  de  Liesse,  oh  il  demeura  trois  ans.  Ses  anciens  élèves 
pourraient  nous  dire  avec  quelle  distinction  il  s'acquittait  de  sa 
charge,  et  aussi  avec  quelle  affectueuse  autorité  il  savait  diriger 
les  enfants  confiés  à  sa  sollicitude.  En  septembre  1868,  M.  l'abbé 
Gobaille,  curé-archiprêtre  de  Saint-Quentin  — ■  qui  l'avait  vu  à 
l'œuvre  —  le  demanda  comme  vicaire.  M.  Mignot  demeura  à 
Saint-Quentin  un  peu  moins  de  quatre  ans.  Il  y  conquit  l'estime 
universelle  et  l'afTection  de  ceux  qui  purent  pénétrer  en  son 
intimité.  Aujourd'hui  après  dix-huit  ans,  on  se  souvient  tou- 


LES  NOUVEAUX  ÉVÊQUES  697 

jours  du  vicaire  dévoué,  du  prêtre  éloquent  et  du  directeur 
d'âmes  judicieux  qui  a  laissé  en  la  belle  paroisse  de  la  basilique 
un  ineifaçable  sillon. 

En  1872,  il  quittait  le  vicariat  pour  devenir  curé  de  la  belle 
et  intéressante  paroisse  de  Beaurevoir,  au  doyenné  du  Càtelet, 
oii  il  passa  trois  ans.  La  paroisse  de  Beaurevoir  était  fiera  de 
son  curé,  mais  elle  savait  bien  qu'elle  ne  le  garderait  pas  long- 
temps, et  nous  avons  été  témoins  des  tristesses  que  causa  dans 
toutes  les  âmes  la  nouvelle  de  sa  nomination  comme  aumônier 
de  l'Hôtel-Dieu  de  Laon,  en  1875. 

C'est  pendant  qu'il  était  curé  de  Beaurevoir  qu'il  eut  l'idée  de 
faire  un  voyage  en  Italie,  en  Grèce  et  en  Palestine.  La  Pales- 
tine surtout  l'attirait.  Pendant  les  rares  loisirs  du  vicariat  de 
Saint-Quentin,  surtout  pendant  les  heures  plus  solitaires  du 
presbytère  de  Beaurevoir,  le  goût  des  études  exégétiques,  qui 
l'avaient  séduit  déjà  au  séminaire,  s  «tait  encore  accru.  Il  n'avait 
pas  écouté  impunément  les  leçons  de  M.  Le  Hir.  Il  voulut  voir 
la  terre  que  le  Sauveur  a  foulée  de  ses  pieds. 

Comprend-on  bien  la  Bible,  le  livre  par  excellence,  quand  on 
n'a  pas  vu  les  peuples,  les  sites,  les  reliques  qui  sont  encore  les 
vieux  témoins  de  la  manifestation  personnelle  de  Dieu  dans  le 
monde?  Oui,  sans  doute,  mais  qu'on  le  comprend  mieux  encore  ce 
Livre,  quand  on  a  vu  la  terre  sur  laquelle  se  sont  déroulées  les 
scènes  qu'il  rapporte! 

Ce  que  furent  pour  nous  ces  jours,  ces  heures  délicieuses  qu'il 
nous  fut  donné  de  passer  sous  les  cèdres  du  Liban,  à  l'ombre  de 
Balbeck,  au  Carmel,  à  Nazareth,  à  Bethléem,  sur  la  montagne 
des  Oliviers,  en  regardant  Jérusalem  et  Béthanie,  etplustardau 
pied  des  pyramides,  nous  ne  le  dirons  pas,  ce  n'est  point  le 
moment.  Mais  qui  ne  saisit  tout  ce  que  donne  d'ampleur  à  la 
pensée  et  de  largeur  comme  de  mesure  à  l'esprit  le  commerce 
avec  les  hommes  de  tous  les  temps  et  de  toutes  les  nations? 
M.  Mignot  faillit  payer  de  sa  vie  les  jouissances  de  cet  inou- 
bliable voyage,  mais  Dieu  qui  le  réservait  pour  être  l'un  des 
guides  de  son  peuple,  lui  rendit  la  santé,  et,  quelques  années 
plus  tard,  nous  le  retrouvons  à  Coucy-le-Château  d'abord,  puis 
à  la  Fére,  oit  son  souvenir  restera  inefaçable. 

A  la  mort  de  M,  Guyard,  en  1887,  quoiqu'il  fût  le  plus  jeune 
de  MM.  les  doyens,  personne  ne  s'étonna  que  Mgr  Thibaudier 
le  prit  prés  de  lui  en  qualité  de  vicaire  général  et  d'archidiacre 
de  Laon.  Le  digne  évêque    ne  pensait  guère  alors  qu'il  nous 


698  ANNALES    CATHOLIQUES 

quitterait  bientôt  lui-même,  pour  alier  porter  au  vaste  et  beau 
diocèse  de  Cambrai  les  trésors  de  sa  grande  expérience,  et  qu'il 
laisserait  près  d'une  année  vacant  le  siège  de  Soissons. 

Cette  direction  intérimaire  du  diocèse  de  Soissons  —  relevant 
toujours  sans  doute  de  Mgr  Thibaudier,  mais  de  fait  confiée  aux 
mains  habiles,  prudentes  et  judicieuses  de  ses  deux  vicaires  gé- 
néraux, MM.  Mignot  et  Cardon  —  devait  être,  nous  le  savons, 
pour  notre  cher  vicaire  général,  aujourd'hui  évèque  nommé  de 
Fréjus,  la  pierre  de  touche,  l'expérience  décisive  à  laquelle 
serait  soumise  son  aptitude  à  gouverner  un  diocèse.  Comme 
elle  a  roussi,  nous  n'avons  pas  à  le  dire,  —  tous  nos  confrères 
peuvent  en  rendre  témoignage.  Mais,  hélas!  elle  nous  prive  des 
lumières  et  de  l'expérience  de  celui  que  Mgr  Duval  —  habile 
appréciateur,  lui  aussi,  comme  Mgr  Thibaudier,  des  mérites  d& 
son  premier  vicaire  général,  —  n'aura  connu  que  pour  le  re- 
gretter ;  elle  nous  prive,  disons-nous,  et  elle  prive  le  diocèse  des 
lumières  et  de  l'expérience  que  trois  laborieuses  années  avaient 
encore  ajoutées  à  toutes  les  qualités  de  M.  Mignot.  C'est  main- 
tenant le  diocèse  de  Fréjus  qui  va  les  recueillir. 

C'est  du  Nord,  aujourd'hui,  que  nous  vient  la  lumière, 
peut-il  dire  en  toute  sécurité,  et,  avec  les  plus  belles  facultés 
de  l'intelligence,  M.  Mignot  lui  apporte  aussi  les  plus  délicates 
et  les  plus  nobles  qualités  du  cœur. 

Mgr  Hautin,  évèque  nommé  d'Évreux. 

Nous  empruntons  la  notice  sur  Mgr  li3i\xtixx.a.u.x  Annales  religieuses 
d'Orléans  : 

Mgr  Hautin  est  né  à  Paris,  le  2  mai  1831,  mais  sa  famille  est 
originaire  de  Tivernon,  dans  notre  Beauce.  C'est  de  cet  humble 
nid  caché  dans  les  sillons  qu'elle  a  pris  son  vol  vers  la  grande 
ville. 

Il  avait  onze  ans.  I>éjà  il  sentais  au  fond  de  son  coeur  le  germe 
de  la  vocation  à  laquelle  Dieu  l'appelait.  Mais  quand  Dieu  ap- 
pelle, il  ouvre  la  voie  toute  grande  et  y  conduit  lui-même  l'âme 
qu'il  s'est  élue.  C'est  ce  qui  arriva.  L'enfant  quitta  le  plus  chré- 
tien des  fovers  et  entra,  comme  élève,  à  la  maîtrise  de  l'Abbaye- 
aux-Bois.  11  y  commença  ses  études,  tout  en  consacrant  un© 
partie  de  ses  journées  au  pieux  service  des  autels.  Début  char- 
mant, qui  nous  montre  le  futur  évoque  vivant  dans  le  temple  à 
l'âge  de  Samuel,  portant  l'encens  et  les  flambeaux,  grave  déjà 
comme  un  prêtre,  dans  sa  poétique  soutane  rouge  d'enfant  de 
ch"oeur  ! 


LES  NOUVEAUX  ÉVÊQUES  699 

Le  jeune  lévite  ne  tarda  pas  à  se  faire  remarquer  parmi  ses 
camarades  par  son  application  et  ses  succès.  M.  l'abbé  Hamelin, 
curé  de  l'Abbaye-aux-Bois  et  directeur  de  la  maîtrise,  devina 
l'homme  dans  l'enfant  et  lui  porta  dès  lors  le  plus  vif  et  le  plus 
paternel  intérêt.  Il  le  recommanda  chaleureusement  'au  supé- 
rieur de  Saint-Nicolas,  qui  était  alors  l'abbé  Dupanloup,  et  le 
fit  admettre  au  petit  séminaire.  Le  jeune  François  entra  dans 
le  grand  mouvement  de  vie  qui  sortait  de  cet  homme  incompa- 
rable, le  premier  éducateur  de  ce  siècle,  prodigieux  éveilleur 
d'intelligences  et  d'âmes.  C'est  dans  cette  maison  alors  célèbre 
et  sous  la  direction  de  ce  prêtre  devenu  illustre  que  Mgr  Hautin 
passa  les  belles  années  de  sa  jeunesse,  travaillant  avec  le  calme, 
mais  aussi  avec  la  puissante  constance  de  sa  nature  ;  c'est  là 
aussi  qu'il  prit  cet  amour  et  cette  connaissance  des  belles-lettres 
que  le  grade  de  licencié  devait  couronner  plus  tard.  Un  de  ses 
maîtres  était  l'abbé  Foulon,  aujourd'hui  cardinal  archevêque 
de  Lyon,  et  l'un  de  ses  émules,  M.  Gr.  des  Glageux,  aujourd'hui 
conseiller  à  la  cour  de  Paris. 

Cependant  le  germe  de  sa  vocation  s'était  développé,  dans  la 
pure  et  chaude  atmosphère  de  Saint-Nicolas.  L'heure  vint  oii 
il  fallut  répondre  à  l'impérieuse  voix  qui  nous  appelle  dans  la 
solitude  du  cœur,  M.  Hautin  n'hésita  pas  :  il  entra  au  grand 
séminaire  de  Saint-Sulpice.  Là  il  trouva  des  amis  nombreux  et 
dignes  de  lui,  jeunes  clercs  appelés  comme  lui  du  reste  à  une 
haute  destinée.  C'étaient  l'abbé  Lamazou,  mort  évêque  de 
Limoges;  l'abbé  Renouard,  qui  a  remplacé  son  condisciple  sur 
le  même  siège;  l'abbé  de  Cabrières,  l'évêque  éloquent  de  l\font- 
pellier;  surtout  et  avant  tous,  l'abbé  Coullié,  ce  fils  chéri  de 
Mgr  Dupanloup,  qui  est  devenu  son  successeur  et  notre  évêque. 
Ainsi  entouré,  il  gravit  un  à  un  tous  les  degrés  qui  séparent  le 
lévite  du  haut  sommet  du  sacerdoce,  et  fut  ordonné  prêtre  le 
23  décembre  1854. 

Quelques  jours  après,  il  était  nommé  directeur  de  cette 
maîtrise  de  l'Abbaye-aux-Bois  où  nous  l'avons  vu  commencer 
ses  études.  Un  peu  plus  tard,  nous  le  trouvons  directeur  de  la 
maîtrise  de  Sainte-Clotilde,  puis  vicaire  de  Bonneuil,  village 
tout  voisin  de  Paris,  puis  vicaire  de  Sainte-Marie  des  Bati- 
gnolles,  puis  et  enfin  directeur  et  supérieur  de  Saint-Nicolas.. . 
comme  s'il  eût  été  écrit  qu^il  dût  revenir  supérieur  partout  où 
il  avait  été  élève. 

Quatorze  ans   s'étaient  écoulés  depuis  son   sacerdoce,    mais 


700 


ANNALES   CATHOLIQUES 


quatorze  ans  de  labeur  acharné  dans  des  fonctions  parfois  diffi- 
ciles ;  le  jeune  prêtre,  d'une  santé  délicate,  se  trouva  à  bout  de 
forces  et  dut  se  résigner  à  prendre  quelques  mois  de  repos.  Il 
était  à  peine  remis  quand  Monseigneur  notre  évêque  l'appela 
prés  de  lui  et  le  fit  entrer  dans  son  conseil  épiscopal,  avec  la 
charge  de  s'occuper  spécialement  des  petits  séminaires  et  des 
écoles  secondaires  ecclésiastiques.  C'était  au  mois  de  juillet  1880. 
A  la  mort  de  M.  l'abbé  Tranchau,  qui  avait  succédé  à  Mgr  Ra- 
botin,  M.  l'abbé  Hautin  fut  nommé  (1"  décembre  1887)  vicaire 
général  officiel  du  diocèse  et  archidiacre  des  arrondissements 
d'Orléans  et  Pithiviers.  C'est  à  ce  poste  qu'est  venue  le  cher- 
cher, il  y  a  quelques  jours,  la  nomination  qui  l'élève  au  siège 
qu'il  va  occuper. 

Tel  est  le  passé  de  M.  Hautin  ;  .«;ans  être  prophète,  nous  pou- 
vons augurer  l'avenir  de  l'évêque  d'Evreux.  Homme  d'une 
haute  intelligence  et  prêtre  d'une  éminente  vertu,  il  exercera 
dans  son  diocèse,  en  y  portant  les  sages  traditions  de  l'évêché 
d'Orléans,  la  plus  heureuse  action  épiscopale.  Il  est  calme,  il 
sera  équitable;  il  est  doux  et  bon,  il  sera  aimé;  il  sait  penser  et 
il  sait  écrire,  il  fera  fleurir  les  saintes  lettres  et  rendra  ses  dio- 
césains fiers  de  lui.  Esprit  fin  et  délié,  il  les  charmera  par  sa 
bonne  grâce.  Avisé  et  conciliant,  il  saura  éviter  sûrement  les 
conîlits  et  les  chocs,  si  redoutables  en  nos  temps  difficiles,  et 
rallier  toutes  les  bonnes  volontés  qui  l'attendent.  Bref  il  sera 
notre  évêque...  là-bas. 

Daigne  la  Providence  lui  accorder  un  heureux  règne,  un  règne 
aussi  fécond  que  son  ministère  parmi  nous  et  aussi  durable  que 
nos  regrets  ! 

CONSISTOIRE  DU  23  JUIN  1890 

N.  T.  S.  P.  le  Pape  Léon  XIII  s'est  rendu  le  matin,  lundi,  de 
ses  appartements  du  palais  apostolique  du  Vatican  dans  la  salle 
consistoriale,  oia  l'attendaient  les  EEraes  et  RRmes  cardinaux 
et  où  étaient  réunis  les  élèves  des  divers  collèges  orientaux, 
avec  d'autres  personnages  de  l'Orient  actuellement  à  Rome 
admis  à  assister  à  la  préconisalion  du  nouveau  patriarche 
d'Antioche.  Sa  Sainteté  a  prononcé  une  allocution  sur  l'élection 
et  postulation  du  nouveau  patriarche  d'Antioche,  de  rite  ma- 
ronite, accomplie  le  28  avril  de  cette  année,  de  vive  voix,  à 
l'unanimité,  par  les  évêques  de  cette  nation  réunis  en  synode 


CONSISTOIRE    DU   23   JUIN    1890  701 

dans  le  monastère  de  la  T.  S.  Vierge  à  Bekerki,  sur  le  mont 
Liban;  après  quoi,  l'instance  du  sacré-pallium  ayant  été  faite 
au  Souyerain  Pontife,  Sa  Sainteté  a  daigné  proposer  :    * 

L'Eglise  patriarcale  d'Aniioche^  de  rite  maronite,  pour 
Mgr  Jean  Hagg,  promu  du  siège  d'Héliopolis  ou  Balbek,  du 
même  rite,  lequel  nouveau  patriarche  a  pris,  selon  l'usage,  le 
nom  de  Jean-Pierre. 

Ensuite,  tous  ceux  qui  ne  peuvent  prendre  part  au  consistoire 
secret  étant  sortis,  le  Souverain  Pontife  a  daigné  créer  et  pu- 
blier cardinaux  de  la  sainte  Eglise  romaine  et  de  l'ordre  des 
prêtres  : 

Mgr  Vincent  Vannutelli,  archevêque  titulaire  de  Sardes  et 
nonce  apostolique  en  Portugal,  né  à  Genazzano,  dans  le  diocèse 
de  Palestrina,  le  5  décembre  1836; 

Mgr  Sebastien  Galeati,  archevêque  de  Ravenne,  né  à  Imola, 
le  8  février  1822  ; 

Mgr  (rasparf^  Mermillod,  évêque  de  Lausanne  et  Genève,  né 
à  Carouge,  dans  le  diocèse  de  Genève,  le  22  septembre  1824; 

Mgr  Albin  Dunajewski,  évêque  de  Cracovie,  né  à  Stani- 
slawow,  dans  l'archidiocèse  de  Lemberg,  le  1"  mars  1817. 

Après  cela,  le  Saint-Père  a  daigné  proposer  et  pourvoir  les 
Eglises  suivantes  : 

L'Eglise  métropolitaine  de  Vienne,  pour  Mgr  Antoine 
Gruscha,  vicaire  de  l'aumônerie  de  l'armée  autrichienne,  promu 
de  l'Eglise  titulaire  épiscopale  de  Carre  ; 

Les  Eglises  m.étropohtaines  unies  d'Acerenza.  et  Matera, 
pour  Mgr  François-Marie  Imparati,  des  Mineurs  de  l'Obser- 
vance, promu  du  siège  cathèdral  de  Venosa,  qu'il  retient  en 
administration  provisoire; 

L'Eglise  métropolitaine  d'Otrante,  pour  le  R.  D.  Gaétan 
Caporali,  de  l'archidiocèse  de  Lanciano,  directeur  spirituel  à 
Rome  de  divers  monastères,  membre  des  académies  de  l'Imma- 
culée-Conception  et  des  Arcades,  Supérieur  général  des  mis- 
sionnaires du  Précieux  Sang  ; 

L'Eglise  cathédrale  de  Noie,  pour  Mgr  Agnello  Renzullo, 
transféré  des  églises  cathédrales  unies  d'Isernia  et  Yenafro, 
qu'il  retient  en  administration  provisoire; 

L'Eglise  titulaire  é2nscopale  de  Tibérïade,  pour  Mgr  Joseph 
Ceppetelli,  chanoine  de  la  basilique  patriarcale  Libérienne, 
transféré  du  siège  cathèdral  de  Ripatransone,  qu'il  retient  en 
administration  provisoire; 


702  ANNALES   CATHOLIQUES 

L'Eglise  caihédrale  de  Eipatranson€,^oxiT  \q^.D,  Hyacinthe 
NicoLAi,  de  ce  même  diocèse,  examinateur  synodal,  abbé-curé 
de  Saint-Benoît  martyr,  à  San  Benedetto  del  Tronto,  et  cha- 
noine honoraire  de  la  cathédrale  de  Narni; 

L'Eglise  catMdrale  de  Monte feltro,  pour  le  R,  D.  Charles 
BoNAjuTi,  de  l'archidiocèse  de  Bologne,  où  il  est  archiprêtre- 
curé  de  Castel  San  Pietro  en  Emilie  ; 

LEglise  cathe'drale  de  Norcia,  pour  le  R.  P.  Marien  de 
CiviTANovA,  dans  le  siècle  Jean  Gavasci,  des  Mineurs-Capucins, 
de  l'archidiocèse  de  Ferme,  professeur  de  théologie  à  Ferme, 
gardien  et  provincial  général  de  son  Ordre  ; 

Les  Eglises  cathédrales  unies  d'Alri  et  Penne,  pour  le  R.  D. 
Joseph  MoRTiCELLi,  de  Salmona,  oîi  il  est  directeur  des  Filles 
de  Marie,  professeur  de  philosophie  théorique  et  pratique,  di- 
recteur spirituel  du  séminaire, examinateur  synodal  et  chanoine 
pénitencier  de  la  cathédrale  ; 

LEglise  cathédrale  de  Lipari,  pour  le  R.  D.  Giampietro 
Natoli,  de  Lipari,  oii  il  est  examinateur  pro-synodal  et  cha- 
noine doyen  de  la  cathédrale,  administrateur  apostolique  de  ce 
même  diocèse; 

LEglise  cathédrale  de  Guastalla  pour  le  R.  D.  Andr^  F^^- 
RARi,  du  diocèse  de  Parme,  docteur  en  théologie,  recteur  et 
professeur  de  théologie  morale  et  do  Lieux  théologiqnes  au 
séminaire  et  chanoine  delà  basilique  cathédrale  de  Parme  ; 

LEglise  cathédrale  de  Tortone,  pour  le  R.  D.  Higin  Bandi, 
du  diocèse  de  Vigevano,  où  il  est  examinateur-synodal,  archi- 
prêtre-curé  de  la  cathédrale  et  vicaire  général; 

LEglise  titulaire  ^piscopale  d'Alahanda,  ^owrMc^v Nicolas 
LoRUSSo,  de  Bari,  camérier  d'honneur  de  Sa  Sainteté,  chance- 
lier archiépiscopal  à  Bari  et  chanoine  de  l'église  métropolitaine, 
député  coadjuteur  ayec  future  succession  de  Mgr  Joseph  Panelli, 
évêqne  de  Saint-Ange-des-Lombards  et  Bisania: 

LEglise  titulaire  épiscopale  de  Nilopolis,  poui*  le  R,  P.  Jo- 
seph Consenti,  de  l'archidiocèse  d'Otrante,  de  la  congrégation 
du  T.  S.  Rédempteur,  délégué  comme  coadjuteur  avec  future 
succession  de  Mgr  Jean  Acquaviva,  évêque  d'e  Nusco; 

LEglise  titulaire  ép)iscopale  de  Filomelio,  pour  Mgr  Antoine 
Andrzejewicz,  camérier  secret  surnuméraire  de  Sa  Sainteté, 
de  l'archidiocèse  de  Gnesen,  où  il  est  examinateur  pro-synodal^ 
juge  synodal,  censeur  des  livres,  prédicateur  et  chanoine  de 
l'église    métropolitaine,  député    suffragant   du    même  diocèse; 


LES    CHAMBRES  703 

VEglise  titulaire  episcopale  de  Lerbe,  pour  Mgr  Pierre 
PoDALiRi,  de  Rêcanati,  camérier  secret  surnuméraire  de  Sa 
Sainteté,  docteur  dans  l'un  et  l'autre  droit,  jnge  et  examinateur 
synodal  à  Recanati,  député  du  séminaire  et  prévôt  de  la  cathé- 
drale, délégué  comme  auxiliaire  de  Mgr  Tliomas  Galiucci, 
évêque  de  Recanati  et  Lorette; 

L'Eglise  titulaire  episcopale  de  Dioclée,  pour  le  'R..J).  Janvier 
Co.SENZA,  de  Naples,  docteur  en  tiiéologie,  maître  du  collège  des 
théologiens  de  Naples,  professeur  de  théologie  au  séminaire 
archiépiscopal  et  dans  le  séminaire  dit  de  Marie  pour  les  prê- 
tres des  diocèses  napolitains,  délégué  et  examinateur  synodal  et 
du  clergé,  député  pour  la  revision  des  livres  et  co-visiteur  de 
l'archidiocése,  délégué  comme  auxiliaire  de  Mgr  Louis  Sodo, 
évéque  de  Télêse  ou  Cerreto  ; 

L'Église  titulaire  e'piscopa.le  de  Cidonie,  pour  le  R.  D.  Anffe 
BoccAMAZzi,  de  l'archidiocése  de  Bénévent,  docteur  dans  l'un  et 
l'autre  droit  et  vicaire-général  de  Lucera. 

Le  Saint-Pére,  étant  rentré  dans  ses  appartements,  a  imposé 
le  rochet  aux  archevêques  et  évêques  élus  et  présents  in  Curia. 
Ensuite  Mgr  Elie  Hyayek,  archevêque  maronite  d'Arca,  procu- 
reur du  nouveau  patriarche  d'Antioche,  a  remercié  le  Souve- 
rain Pontife  au  nom  de  ce  même  patriarche  et  de  tous  les 
catholiques  de  rite  maronite. 


LES  CHAMBRES 

Sénat. 

Jeudi  19  juAn.  —  Suite  de  l'interpellation  de  M.  Combes  sur  les 
projets  du  gouvernement  concernant  la  réforme  de  l'enseignement 
secondaire. 

M.  Chalamet  défend  les  anciens  errements  et  se  plaint  de  l'amoin- 
drissement de  la  discipline.  On  tend  beaucoup  trop  à  adoucir  la  vie 
de  collège!  Il  faut  aimer  les  enfants  d'une  façon  virile.  Ils  se  fient  à 
la  crainte  des  parents  de  les  voir  malades.  Et  ils  font,  non  ce  qu'ils 
doivent,  mais,  à  peine  ce  qu'ils  peuvent  ! 

Ce  n'est  pas  tout,  on  a  inventé  le  lendit.  (Bruits  divers.)  C'est  une 
institution  récente  qui  intéresse  autant  que  les  courses  de  chevaux 
et  qui  menace  de  faire  concurrence  aux  grands  prix.  (On  rit.)  Oh  !  je 
suis  le  partisan  des  exercices  physiques,  mais  est-il  besoin  de  don- 
ner nos  collégiens  en  spectacle?  On  convoque  pour  assister  à  ces 
exercices,  le  président  de  la  République  et  toutes  les  autorités  civiles 
et  militaires. 


704  ANNALES     CATHOLIQUES 

On  met  dans  les  journaux  le  nom  des  vainqueurs,  leur  biogra- 
phie, on  éveille  leur  vanité.  Les  élèves  du  lycée  de  Rouen  sont  ve- 
nus prendre  part  au  «  lendit  »  et  sont  restés  douze  jours  à  Paris  : 
que  sont  devenues  leurs  études  pendant  ce  temps-là?  Et  qui  paie 
tous  les  frais  auxquels  donnent  lieu  ces  fêtes? 

Tout  ce  bruit  n'est  pas  pour  faire  produire  aux  exercices  physiques 
tout  le  bien  qu'on  en  attend  ;  il  est  bon  que  les  maîtres  de  gymnas- 
tique ne  passent  pas  leur  temps  à  préparer  des  élèves  pour  le  Lendit; 
car  là  se  produit  le  vice  inhérent  à'tous  les  concours;  on  ne  s'occupe 
que  d'une  élite,  et  les  exercices  physiques  sont  faits  pour  tous  les 
élèves,  surtout  pour  les  délicats. 

Ils  n'ont  pas  pour  objet,  qu'on  ne  l'oublie  pas,  de  former  des 
jeunes  gens  capables  de  rivaliser  avec  les  hercules  de  la  foire  ou  les 
écuyers  du  cirque. 

M.  BobHGEOis,  ministre  de  1  instruction  publique,  prend  la  parole. 

Certes,  quelques  modifications,  quelques  réformes  sont  nécessaires. 
Il  faut  relever  le  niveau  des  études  par  l'application  des  examens  de 
passage.  Une  circulaire  réclamant  cette  mesure,  vient  d'être  envoyée 
aux  proviseurs. 

Quant  au  baccalauréat,  il  prête  le  flanc  aux  critiques.  On  peut  lui 
reprocher  un  programme  trop  chargé  et  le  hasard  qui  domine  dans 
SCS  épreuves. 

Mais  le  ministre  annonce  qu'il  va  soumettre  au  conseil  supérieur 
un  projet  d'après  lequel  V élève  pourra  à  l'avenir  apporter  aux  exa- 
minateurs du  baccalauréat  l'ensemble  de  ses  notes  et  rire  jugé,  par 
conséquent,  dans  l'ensemble  de  ses  études.  Pour  les  établissements 
de  l'Etat,  il  y  aura  dans  ce  but  un  livret  scolaire  régulièrement  tenu. 

Cette  déclaration,  hâtons-nous  do  le  dire,  a  été  saluée  par  des  aj)- 
plaudissements  nombreux. 

Et  le  ministre  a  continué  :  Quelqu'un  veut-il  supprimer  l'ensei- 
gnement des  lettres  anciennes?  Non  !  la  question  est  do  savoir  si  cet 
enseignement  ne  doit  pas  être  destiné  à  une  élite. 

Quant  à  l'enseignement  spécial,  il  a  subi,  depuis  quelque  temps, 
des  réformes  successives  qui  tendent  à  en  faire  un  enseignement 
classique  moderne.  Le  ministre  complétera  cette  évolution.  Il  espère 
qu'on  pourra  ainsi  former  des  jeunes  gens  qui  seront  les  égaux  de 
ceux  qui  auront  suivi  l'enseignement  classique  ancien. 

M.  Berthelot  vient  dire  que,  pour  donner  au  nouvel  enseigne- 
ment une  véritable  valeur,  il  faut  y  introduire  plus  de  cours  scienti- 
fiques. On  aurait  alors  deux  enseignements  bien  distincts  :  l'un  lit- 
téraire, l'autre  scientifique. 

Et  cette  séparation  est  nécessitée  par  le  développement  croissant 
des  sciences. 

M.  Bardoux  demande  au  ministre  »i  l'enseignement  spécial  pourra 
donner  accès  aux  carrières  libérales. 


LES    CHAMBRES  705 

Le  Ministre  répond  que,  pour  un  certain  nombre,  oui.  Mais  l'en- 
trée des  autres  sera  réservée  aux  élèves  de  l'enseignement  littéraire. 

M.  Combes  tire  la  moralité  du  débat  en  disant  que  le  baccalauréat 
en  sort  condamné.  Et  l'on  vote  l'ordre  du  jour  pur  et  simple  adopté 
par  le  gouvernement. 

Vendredi  2^  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  seconde  délibéra- 
tion sur  la  proposition  de  loi  de  M.  Griffe  ayant  pour  objet  : 

1»  De  réglementer  le  régime  des  raisins  secs  servant  à  faire  du  vin  ; 
2«  de  permettre  la  recherche  de  l'emploi  des  raisins  secs  ;  3°  de  rendre 
publiques  les  demandes  de  sucre  à  taxe  réduite  pour  le  sucrage  des 
vendanges  et  des  marcs  de  raisins  frais. 

Le  projet  est  adopté. 

Samedi  21  juin.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  suite  de  la  seconde 
délibération  sur  la  proposition  de  loi  do  M.  Bérenger  relative  à  l'ag- 
gravation et  à  l'atténuation  des  peines. 

M.  LE  Président.  —  M.  le  garde  des  sceaux  m'a  fait  prévenir 
qu'il  était  retenu  à  la  Chambre;  il  pourra  assister  à  notre  séance  de 
vendredi  ;  je  propose  donc  de  renvoyer  à  ce  jour  la  suite,  la  discus- 
sion. (Assentiment.) 

Mardi  '2Ajuin.  —  Discussion  de  l'interpellation  de  M.  Delsol  sur 
la  situation  faite  aux  communes  par  la  loi  du  19  juillet  1889. 

M.  Bourgeois  répond  que  des  subventions  seront,  comme  la  loi  le 
permet,  accordées  aux  communes  les  plus  pauvres. 

Chauibi'e  des  Députés. 

Jeudi  19  juin.  — L'ordre  du  jour  appelle  la  première  délibération 
sur  la  proposition  de  M.  Tiiellier  de  Pongheville,  tendant  à 
modifier  plusieurs  dispositions  légales  relatives  au  mariage  des 
indigents. 

Ainsi  que  l'explique  son  auteur,  le  projet  a  pour  objet  de  rendre 
moins  coûteuse  la  procédure  des  actes  respectueux,  à  défaut  du  con- 
sentement des  parents.  Un  seul  acte  suffirait,  au  lieu  des  trois  exigés 
ai'tuellement. 

L'acte  respectueux  serait  visé  pour  timbie  et  enregistré  gratis  en 
cas  d'indigence;  dans  le  même  cas  l'acte  de  consentement  pourrait 
être  reçu  en  présence  de  deux  témoins  par  l'officier  de  l'état  civil  du 
domicile  de  l'ascendant;  enfin,  le  certificat  prescrit  par  la  loi  du 
10  décembre  1850  n'aurait  plus  besoin  d'être  visé  par  le  juge  de  paix. 

On  passe  à  la  discussion  des  articles.  M.  Royer,  de  l'Aube,  fait 
remarquer  que  le  projet  ne  vise  pas  seulement  les  indigents.  Il  opère 
une  réforme  profonde  dans  les  droits  des  parents.  Il  affaiblit  l'auto- 
rité paternelle. 

Avec  un  seul  acte,  on  restreindrait  de  trois  mois  à  un  mois  le 
délai  à  l'expiration  duquel  il  peut  être  procédé  au  mariage. 

jM.  Thelliër  de  Ponoheville  réplique  avec  bon  sens  que  ce  qu'il 

51 


706  ANNALBS   CATHOLIQUES 

faut  empêcher,  avant  tout,  c'est  le  a  mariage  avant  le  mariage*  qui 
a  souveut  lieu  avec  des  délais  aussi  longs  que  ceux  exigés  actuellement. 

Passé  trente  ans,  on  n'a  plus  besoin  d'adresser  des  sommations 
respectueuses.  Pourquoi  ne  le  ferait-on  pas  à  vingt-et-un  ans?  Un 
homme  jugé  capable  de  voter  est  bien  capable  de  se  marier! 

On  a  adopté  le  projet  en  décidant  de  passer  à  une  seconde  déli- 
bération. 

Samedi  21  juin.  —  Une  question  est  adressée  à  M.  le  ministre  de 
la  guerre  par  M.  1©  comte  Armand,  qui  se  plaint  de  l'insuffisance  des 
manèges  affectés  aux  exercices  de  la  cavalerie.  Le  plus  souvent, 
dit-il,  les  cavaliers  n'ont  que.  des  enclos  entourés  de  murs,  à  leur  dis- 
I^osition.  Le  génie  réclame  100.000  francs  pour  construire  un  manège. 
C'est  beaucoup  trop.  Pour  50,000  francs  on  pourrait  en  avoir  de 
spacieux  et  confortables. 

M.  DE  FnEvciNET  répoud  que,  depuis  longtemps,  il  s'est  préoccupé 
de  cette  question.  Six  manèges  sont  en  construction,  sur  des  plans 
nouveaux  et  moins  coûteux  que  ceux  d'après  lesquels  travaillait  le 
génie,  jusqu'à  présent.  Avant  un  an,  des  crédits  seront  réclamés 
pour  la  construction  de  soixante  manèges,  qui  suffiront  amplement 
aux  besoins  de  la  cavalerie. 

On  adopte  quelques  projets  de  peu  d'importance.  Puis,  l'ordre  du 
jour  appelle  la  discussion  du  rapport  fait,  au  nom  de  la  commission 
des  pétitions,  sur  les  pétitions  envoyées  par  les  comités  d'action- 
naires et  obligataires  du  Panama.  Le  rapport  conclut  à  l'envoi  de  ces 
pétitions  à  M.  le  ministre  de  la  justice. 

M.  Galthier  de  Clagny,  rapporteur,  expose  que  les  pétitionnaires 
réclament  une  enquête  sur  la  situation  du  canal,  la  production  des 
comptes,  et  la  détermination  des  responsabilités  civiles   et  pénales. 

Après  quelques  observations  de  MM.  Délahaye,  Goirand,  Jdmel, 
des  ordres  du  jour,  faisant  appel  à  la  vigilance  du  gouvernement, 
sont  présentés.  Celui  de  M.  Michou,  ainsi  conçu,  est  adopté, 

«  La  Chambre,  prenant  acte  de  l'acceptation  du  renvoi  par  le 
ministre,  adopte  les  conclusions  de  la  commission  et  prononce  le 
renvoi  de  la  pétition  au  ministre  de  la  justice,  » 

M,  Deloncle  adresse  une  question  à  M.  le  ministre  des  affaires 
étrangères  sur  l'arrangement  anglo-allemand  en  vertu  duquel 
l'Angleterre,  avec  le  concours  de  l'Allemagne,  prend  le  protectorat 
de  Zanzibar. 

M.  RiBOT  s'est  contenté  de  répondre  qu'il  n'a  reçu  aucune  commu- 
nication de  l'Angleterre  à  ce  sujet.  L'Angleterre  ne  peut  rien  entre- 
prendre sur  le  Zanzibar  sans  une  entente  préalable  avec  la  France. 
Le  gouvernement  sera  donc  averti.  Mais,  a  dit  sagement  le  ministre, 
ce  n'est  pas  par  des  déclarations  à  la  tribune  qu'on  peut  entrer  en 
conversation  avec  une  nation. 

Lundi  2djmn.  —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  de  Tinter- 


LES    CHAMBRES  707 

pellation  de  M.  Dubreuil  de  Saint-Germaix  sur  l'incident  de  Vicq. 

L'orateur  rappelle  les  faits  que  l'on  connaît.  Un  ancien  desservant 
de  la  commune  de  Vicq  a  légué  à  cette  commune  deux  maisons  et 
une  rente,  â  charge  pour  elle  d'entretenir  perpétuellement  une  école 
dirigée  par  des  congréganistes. 

L'institutrice  congréganiste  qui  gérait  cette  école  étant  morte  ré- 
cemment, l'administration  préfectorale  a  voulu  mettre  à  sa  place  une 
institutrice  laïque.  Le  jour  fixé  pour  cette  installation,  la  population 
entière  de  Vicq  a  protesté,  a  voulu  fermer  la  porte  de  l'école  â 
l'envoyée  du  préfet.  D'où  conflit. 

Le  préfet  n'a-t-il  pas  outrepassé  ses  droits?  La  volonté  du  donateur 
de  l'école  n'est-elle  pas  formelle? 

«En effet, par  son  testament, l'ancien  desservant  de  Vicq  léguait  â  la 
commune  l'universalité  de  ses  biens  immeubles,  à  charge  d'entretenir 
deux  sœurs  chargées  d'instruire  et  d'élever  chrétiennement  les 
enfants,  et  d'assister  les  pauvres  malades  ou  nécessiteux,  sans  que 
les  immeubles  légués  pussent  jamais  être  détournés  de  l'usage  auquel 
il  les  affectait. 

«Or,  ce  legs  n'était  pas  à  dédaigner,  car,  après  une  transformation 
d'une  partie  des  biens  en  rentes  sur  l'Etat,  il  restait  à  la  commune 
deux  maisons  avec  jardin  et  un  capital  de  50,517  fr.  en  rentes  3  0/0.  » 

«  Les  intérêts  de  cette  somme  sont  si  bien  employés  que  la  com- 
mune, après  avoir  rempli  toutes  les  conditions  du  legs,  a  encore 
entre  les  mains  un  reliquat  de  700  fr.  qui  lui  sert  à  augmenter  les 
ressources  de  son  maigre  budget.  Car  la  commune  de  Vicq  est  habi- 
tée par  de  pauvres  vignerons  qui  ont  été  fort  éprouvés  au  cours  de 
ces  dernières  années. 

«  Elle  était  donc  peu  disposée  â  renoncer  à  tous  ces  avantages, 
pour  subir  la  charge  de  la  construction  d'une  nouvelle  maison  d'é- 
cole et  toutes  les  autres  charges  accessoires. 

«  Dans  ces  conditions,  le  Conseil  municipal  prit  une  délibération 
aux  termes  de  laquelle,  considérant  que  les  intérêts  de  la  commune 
seraient  compromis  par  la  violation  des  intentions  du  testateur,  il 
demandait  qu'il  fut  sursis  à  la  laïcisation,  conformément  à  l'article 
67  de  la  loi  du  30  octobre  1886.  » 

Mais  on  n'a  pas  tenu  compte  de  la  délibération  du  Conseil  muni- 
cipal. On  a  voulu  laïciser. 

«  J'ai  hâte  d'arriver  à  la  période  d'exécution.  Le  jeudi  12  mai  au 
soir,  l'inspecteur  primaire  de  Langres  amène  à  Yicq  l'institutrice 
laïque.  Il  est  accompagné  de  deux  gendarmes.  Il  s'adresse  au  maire 
pour  faire  ouvrir  les  portes  de  la  maison  d'école.  La  foule  s'amasse 
et  dit  à  l'inspecteur  :  ■«  Nous  ne  voulons  pas  que  vous  entriez  dans 
«  la  maison  de  nos  sœurs.  * 

«  Le  lendemain,  le  vendredi  13,  l'inspecteur  est  de  nouveau  à  Vicq, 
accompagné  cette  fois  par  une  brigade  de  gendarmerie.  Après  des 


708  ANNALES    CATHOLIQUES 

négociations  semblables  à  celles  de  la  veille,  on  veut  recourir  pour 
la  première  fois  â  la  force.  Le  maréchal  des  logis  fait  les  sommations 
prescrites  par  la  loi,  sommations,  soit  dit  en  passant,  qu'il  n'avait 
pas  mission  de  faire  ;  mais  je  passe.  Les  sommations  faites,  deux  des 
gendarmes,  sabre  au  clair,  et  le  troisième,  le  revolver  au  poing» 
chargent  la  population,  mais  ils  sont  arrêtés  par  une  muraille  hu- 
maine et  obligés  de  s'en  retourner  pour  la  deuxième  fois  â  Varenne.  » 
Mais  les  gendarmes  revinrent  et  finirent  par  l'emporter,  après  avoir 
distribué  des  coups  sur  les  Vicquois.  sans  aimes. 

L'orateur  a  grand'peine  à  se  faire  entendre  des  tribunes.  Chacune 
de  ses  phrases  est  couverte  par  des  clameurs,  des  rires,  et  le  biiiit 
des  conversations  particulières. 

M.  Dubreuil  de  Saint-Germain,  après  l'étude  du  point  de  droit,  ce 
demande  si  le  préfet  n'a  pas  agi  d'après  dos  instructions  supérieures. 
On  a  parlé,  dans  les  discours  gouvernementaux,  d'apaisement  et  de 
concorde.  N'a-t-on  pas  voulu,  voyant  le  mauvais  effet  produit  par 
cette  déclaration  chez  les  radicaux,  leur  donner  des  gages  ?  (Applau- 
dissements à  droite.) 

M.  Co.NSTA.NS  réplique.  Il  nie  que  l'incident  ait  l'importance  qu'on 
lui  donae.  Quand  l'institutrice  congréganiste  de  Vicq  mourut,  le 
préfet  prit  un  arrêté  de  laïcisation  et  nomma  une  institutrice  laïque. 
C'était  son  droit. 

La  loi  est  formelle.  Elle  veut  qu'on  mette  un  laïque  à  la  place  de 
tout  congréganiste  décédé  ou  révoqué,  ou  démissionnaire.  L'article  79 
prévoit  le  cas  où  l'école  rst  installée  dans  un  immeuble  donné  à  une 
commune,  dans  le  cas  spécial  de  Vicq.  Lors  du  vote  de  la  loi  devant 
le  Sénat,  M.  Goblet  fit  à  ce  sujet  une  déclaration  formelle.  Le  mi- 
nistre lit  le  passage  de  l'Officiel  qui   reproduit  son  discours. 

A  Vicq,  on  a  voulu  appliquer  la  loi.  Le  préfet  n'a  point  fait  autre 
chose.  On  a  choisi  la  date  du  12,  parce  que  c'était  un  jeudi  et  (ju'on 
ne  voulait  pas  faire  l'installation  en  présence  des  élèves. 

L'inspecteur  primaire  a  réclamé  le  concours  du  maire,  qui  le  lui  a 
refusé.  L'inspecteur  a  décidé  alors  de  s'en  passer.  Il  se  rendit  à  l'école 
accompagné  par  deux  gendarmes. 

L\  il  se  trouva  en  présence  de  200  personnes  qui  les  assaillirent  si 
violemment  que  les  gendarmes  tirèrent  leur  sabre,  non  pour  frapper; 
mais  pour  se  faire  un  passage. 
On  a  agi  avec  toute  la  modération  possible. 

Enfin,  M.  Constans  dit  :  «  Oui,  nous  avons  fait  un  appel  à  la  con- 
corde et  à  l'apaisement  !  Mais  si  vous  voulez  qu'on  n'applique  que 
les  lois  qui  vous  sont  agréables,  détrompez-vous  !  (Applaudissements 
à  gauche.)  Nous  ne  voulons  pas  faire  une  politique  tracassière.  Mais 
nous  appliquerons  toujours  les  lois  existantes.  Vous  avez  la  mémoire 
courte.  Car,  il  n'y  a  pas  longtemps,  vous  m'en  félicitiez.  (Rires  et 
applaudissements.) 


LES    CHAMBRES  709 

On  voit  quelle  est  la  tactique  de  M.  Constans.  Il  ne  s'occupe  pas 
un  seul  instant  du  point  de  droit  le  seul  important.  Il  se  contente  de 
tenter  de  prouver  que  ce  sont  les  gendaimes  qui  ont  été  battus. 
Comme  de  coutume,  il  fait  de  l'esprit,  il  provoque  les  rires  de  la 
Ciiambre  et  des  tribunes.  Et,  enfin,  il  rappelle  à  la  Droite  qu'elle  lui 
donna  ses  voles  lors  des  interpellations  sur  les  grèves  et  sur  l'instal- 
lation du  préfet  de  la  Seine  à  l'Hôtel  de  ville.  Mais,  comme  l'a  dit, 
dans  une  interruption,  un  député  de  la  Droite  : 

—  Nous  vous  soutiendrons  toujours  quand  vous  aurez  raison  !  Et 
nous  vous  attaquerons  quand  vous  aurez  tort  ! 

Mgr  Freppel  monte  à  la  tribune.  L'évêque  d'Angers  a  d'abord  exa- 
miné la  question  de  principe. 

«  M.  le  ministre  a  dit  que  le  préfet  de  la  Haute-Marne  n'avait  fait 
qu'appliquer  la  loi  ;  qu'il  ne  pouvait  pas  nommer  une  institutrice 
congréganiste  à  la  place  de  l'institutrice  défunte  ;  qu'il  ne  pouvait 
nommer  qu'une  institutrice  laïque.  C'est  ce  que  je  conteste. 

«  Oui,  il  y  a  dans  la  loi  du  30  octobre  1886  un  article  18  que  je 
connais  bien,  pour  l'avoir  autrefois  combattu.  Cet  article  est  ainsi 
conçu  : 

«  Aucune  nomination  nouvelle,  soit  d'instituteur,  soit  d'institu- 
«  trice  congréganiste,  ne  sera  faite  dans  les  départements  où  fonc- 
«  tionnera  depuis  quatre  ans  une  école  normale,  soit  d'instituteurs, 
«  soit  d'institutrices.  » 

«  Mais  il  y  a  également  dans  la  loi  un  article  67  par  lequel  le  léo-is- 
lateur  a  voulu  adoucir  et  tempérer  ce  qu'il  y  avait  de  trop  rigoureux 
dans  l'article  18.  Cet  article  67  est  ainsi  conçu. 

«  Dans  le  cas  oii  la  laïcisation  rendrait  nécessaire  l'acquisition  ou 
«  la  construction  d'une  maison  d'école,  il  sera  sursis  à  l'application 
«  du  paragraphe  1"  de  l'article  18  de  la  présente  loi  jusqu'à  ce  qu'il 
«  ait  été  pourvu  à  l'établissement  de  l'école,  en  exécution  des  ar- 
«  ticles  8,  9  et  10  de  la  loi  du  2  mars  1883  et  de  la  loi  du  20juin  1885.  » 

Il  fallait  donc,  d'après  l'orateur,  que  le  gouvernement,  s'il  voulait 
laïciser,  fit  bâtir  une  école  à  lui,  où  il  aurait  installé  une  institutrice 
laïque.  Et,  en  attendant,  il  aurait  dû  laisser  les  congréganistes  in?;- 
truire  les  enfants  de  Vicq. 

«  Il  y  a  plus,  l'immeuble  était  la  propriété  de  la  commune,  mais  cet 
immeuble  avait  une  affectation  spéciale,  il  n'avait  été  donné  que  sous 
clause  résolutoire.  (Très  bien!  très  bien  !  à  droite.)  Les  sœurs  étaient 
en  possession  du  droit  d'habitation  depuis  soixante-dix  ans  et  aucun 
acte  administratif  n'a  pu  leur  enlever  ce  droit.  11  fallait  donc  surseoir 
et  attendre  un  arrêt  de  justice  avant  de  les  mettre  à  la  porte  et  de 
jeter  leurs  meubles  dans  la  rue. 

«  Ce  serait  une  législation  bien  étrange  que  celle  qui  consisterait 
à  expulser  d'abord  les  sœurs  et  à  dire  :  on  verra  après  si  on  en  avait 
le  droit  ! 


710  ANNALES    CATHOLIQUES 

«  Sommes-nous  donc  dans  un  pays  où  la  force  prime  le  droit  ?  (Très 
bien!  très  bien!  à  droite.)  Je  ne  le  pense  pas.  Le  droit,  d'abord,  puis 
la  force  au  service  du  droit,  c'est  notre  formule  à  nous  Français;  c'est 
ce  que  le  législateur  a  voulu  eu  accordant  des  sursis  pour  que  le 
droit  pût  se  faire  valoir  avant  tout  emploi  de  la  force.  » 

Si  la  loi  a  été  violée,  c'est  parles  fonctionnaires  du  gouvernement. 
D'ailleurs,  lora  de  la  discussion  de  la  loi  de  1886,  Mgr  Freppel  avait 
prévu  ces  complications.  Pour  éviter  qu'elles  se  renouvellent,  il 
dépose  le  projet  de  loi  suivant  : 

«  A  l'avenir  aucune  laïcisation  d'école  primaire  ne  sera  décrétée 
contrairement  à  l'avis  du  Conseil  municipal.  »  (Applaudissements  à 
droite.) 

M.  LE  MINISTRE  DE  l'i.N'Structiox PUBLIQUE  déclare  ne  vouloir  point 
revenir  sur  les  faits  mêmes.  11  s'attache  exclusivement  à  la  thèse  de 
droit.  Il  rappelle  qu'on  insère  à  VOfficiel  les  avis  de  laïcisation, 
afin  que  connaissance  soit  donnée  aux  intéressés  de  la  laïcisation 
projetée. 

Il  croit  que  la  loi  a  été  strictement  appliquée. 

M.  DE  Lamarzelle  réplique.  Il  se  plaint  que  le  ministre  n'ait  pu 
répondre  à  l'argumentation  de  Mgr  Freppel. 

La  commune,  la  fabrique,  plutôt,  est  propriétaire  do  l'immeuble. 
La  volonté  du  testataire  est  claire.  La  donation  doit  tomber  si  on 
change  l'usage  auquel  elle  est  destinée. 

Que  devait  faire  le  gouvernement?  C'est  l'article  67  de  la  loi  qui  le 
dit:  La  laïcisation  rendant  nécessaire  l'acquisition  d'une  maison 
d'école,  il  devait  y  avoir  sursis  à  la  laïcisation.  Et  il  ajoute  : 

«  Vous  vousètes  installés  dans  cette  école,  vous  vous  y  êtesinstallés 
par  la  force  ;  eh  bien,  c'était  inutile,  car  il  n'y  a  pas  un  tribunal  en 
France,  devant  un  pareil  testament,  qui  ne  révoque  cette  donation. 
(Très  bien  !  très  bien  !  à  droite.) 

«  Vous  allez  donc  en  être  chassés  â  votre  tour  dans  quelque  temps. 
Le  moment  n'est  pas  loin  où  la  force  à  son  tour  sera  primée  par  le 
droit,  et  c'est  inutilement  que  vous  aurez  froissé  les  sentiments  d'une 
population,  que  vous  aurez  envoyé  de  braves  soldats  contre  des 
femmes,  et  que  vous  aurez  foulé  aux  pieds  une  chose  éminemment 
sacrée,  éminemment  respectable.  (Applaudissements  à  droite.) 

«  Or,  je  le  sais,  vous  avez  prononcé  tout  à  l'heure  un  nom  ;  vous 
avez  dit  :  «  J'ai,  en  ma  faveur,  une  circulaire,  la  circulaire  de 
M.  Goblet.  »  Vous  invoquiez  là  une  singulière  autorité  en  matière  de 
tact,  de  modération  et  de  mesure  dans  l'application  d'une  loi.  Ce  que 
vous  avez  appliqué,  c'est  la  jurisprudence  de  Châteauvillain.  (Très 
bien  !  très  bien!  â  droite.)  » 

Comme  on  reproche  à  l'orateur  d'attaquer  M.  Goblet  absent,  il 
rappelle  que  les  républicains  l'injurièrent  plus  souvent  que  les  con- 
servateurs. Puis  il  reprend  : 


LES    CHAMBRES  711 

«  Oui,  VOUS  avez  appliqué  la  jurisprudence  de  Châteauvillain,  et  les 
populations  sauront  ce  qu'il  faut  penser  de  votre  modération  ;  elles 
mettront  en  regard  les  paroles  et  les  actes.  Je  ne  vous  parlerai  pas  de 
l'apaisement,  vous  en  ririez... 

«  Un  membre  à  l'extrême  gauche.  —  Oui. 

«  M.  DE  Lamahzelle.  — Je  n'en  ris  pas,  moi,  carnotrepays  aurait 
besoin  d'être  uni  pour  être  fort.  Mais  je  n'ai  jamais  cru  à  l'apaisement, 
car  vous,  radicaux,  vous  ne  le  voulez  pas.  et  vous,  modérés,  vous  le 
voulez  bien,  mais  vous  n'avez  pas  la  force  de  vous  séparer  des  radi- 
caux... (Applaudissements  réitérés  à  droite.) 

«  M.  Armand  Desprès.  —  Mais  si. 

«  M.  DE  Lamarzelle.  —  Je  fais  une  exception  pour  vous  et  deux  ou 
trois  de  vos  collègues.  Vous  avez  beaucoup  de  courage  M.  Després, 
et  je  suis  heureux  de  vous  en  féliciter  publiquemeut.  (Mouvements 
divers.) 

«  Toutes  les  espérances  d'apaisement  sont  dissipées  dans  le  pays.  Je 
ne  suis  pas  surpris  que  vos  actes  démentent  ainsi  vos  paroles.  La 
seule  chose  qui  m'étonne,  c'est  que  vous  lejfassiez  si  vite  et  si  mal. 
Aussi,  dira-t-on,  et  c'est  peut-être  la  moralité  de  ce  débat,  que  les 
choses  ne  se  seraient  pas  passées  de  la  sorte,  si  M.  Constana  avait  été 
à  l'instruction  publique.  (Applaudissements  à  droite.  —  La  clôture  ! 
La  clôture  !)  » 

La  clôture  est  prononcée.  M.  Floqiet  donne  lecture  de  sept  ordres 
du  jour  qu'il  a  reçus. 

Les  quatre  premiers  félicitent  plus  ou  moins  le  gouvernement  de 
son  attitude  et  de  son  énergie. 

Un  ordre  du  jour  de  M.  Lemercier  est  ainsi  conçu!  «  La  Chambre, 
attachée  à  la  politique  d'apaisement  et  de  modération  promise  par  la 
déclaration  ministérielle  du  18  mars  dernier,  passe  à  l'ordre  du  jour.  » 

L'ordre  du  jour  présenté  par  l'interpellateur,  dit  : 

«  La  Chambre  regrettant  les  actes  accomplis  à  Vicq,  contrairement 
aux  vœux  des  populations,  et  affirmant  la  nécessité  d'une  politique 
d'apaisement  et  de  pacification,  passe  à  l'ordre  du  jour.  » 

Il  est  signé  par  MM.  Dubreuil  de  Saint-Germain,  Godelle,  Mège, 
Loreau. 

Le  septième  portant  blâme  des  violences  commises,  par  MM.  Gau- 
thier de  Glagny  et  Haussraann. 

M.  Armand  Desprès  demande  la  priorité  pour  l'ordre  du  jour  de 
M.  Lemercier. 

Quelques  députés  réclament  l'ordre  du  jour  pur  et  simple. 

Le  président  du  conseil  demande  alors  la  parole  : 

«J'ai  entendu  plusieurs  ordres  du  jour  qui,  ainsi  que  l'a  fait  juste- 
ment remarquer  le  président,  me  paraissent  rentrer  d'une  façon  assez 
complète  les  uns  dans  les  autres. 

«  Je  voudrais  que  la  majorité  républicaine  ne  se  divisât  pas  sur  cette 


712  ANNALKS    CATHOLIQUES 

question,  et  je  supplie  leurs  auteurs  de  vouloir  bien  les  confondre 
avec  l'un  d'eux,  celui  de  M.  Guyot-Dessaigne  qui  me  semble  résumer 
d'une  façon  exacte  et  complète  les  déclarations  des  ministres  do 
l'intéi-ieur  et  de  l'instruction  publique. 

«  Ces  déclarations  proclament,  en  effet,  la  modération  et  la  prudence 
avec  lesquelles  le  gouverDement  a  jusqu'ici  procédé  à  l'application 
des  lois  scolaires,  et,  en  môme  temps,  la  fermeté  avec  laquelle  il  est 
décidé  à  assurer  l'application  complète  de  la  loi.  (Très  bien  !  très 
bien  !) 

«  L^t  ce  que  je  dis  ici  des  lois  scolaires,  je  le  dis  également  des  autres 
lois  qui  forment  les  acquisitions  démocratiques  des  législatures  qui 
nous  ont  précédés.  Nous  n'en  séparons  ni  la  loi  militaire  ni  les  autres 
lois  qui  ont  le  même  caractère.  (Très  bien!  très  bien!  à  gauche.  — 
Bruit  à  droite.) 

«  Nous  sommes  décidés  comme  nous  l'avons  proclamé  dans  notre 
déclaration  lors  do  notre  entrée  aux  affaires,  à  conserver  intact  ce 
patrimoine,  et  vous  pouvez  compter  sur  notre  fermeté  pour  le  le- 
mettre  intact  à  nos  successeurs. 

*  Sous  le  bénéfice  de  ces 'observations,  je  prie  les  auteurs  des  quatre 
ordres  du  jour  à  peu  prés  identiques  de  vouloir  bien  se  concei  toi- 
pour  adopter  l'amendement  de  M.  Quyot-Dessaigne,  auquel  se  rallie 
le  gouvernement.  »(Très  bien  !  très  bien  !  à  gauche.) 

La  déclaration  était  nette.  Les  radicaux  ont  applaudi  à  tout  rompre. 
Le  centre  était  fort  onnnyô. 

De  sa  place,  M.  de  Freycinet  a  iléclaré  qu'il  repoussait  l'ordre  du 
^our  pur  et  simple. 

Les  auteurs  des  amendements  favorables  se  sont  ralliés  à  l'ordre 
du  jour  de  M.  Guyot-Dessaigne. 

Fuis,  l'ordre  du  jour  de  M.  Guyot-Dessaigne,  ainsi  conçu,  a  été 
mis  aux  voix  : 

«  La  Chambre,  approuvant  la  conduite  du  Gouvernement  et  comptant 
sur  sa  sagesse  et  sa  fermeté  pour  assurer  l'application  des  lois  sco- 
laires, passe  à  l'ordre  du  jour.  » 

Il  a  été  adopté  par  310  voix  contre  166. 

On  croyait  la  séance  termin''e,  lorsque  M.  LocKnov  est  venu  de- 
mander l'urgence  et  la  discussion  immédiate  sur  la  proposition  dé- 
posée par  Mgr  Freppel  au  cours  de  l'interpellation. 

M.  le  baron  de  Mackau  a  fait  remarquer  qu'on  voulait  procéder  à 
un  escamotage.  Discuter  une  loi  aussi  importante,  en  fin  de  séance? 
Sans  que  personne  apporte  des  documents? 

Mgr  Freppel  a  réclamé  une  discussion  sérieuse. 

Mais,  par  216  voix  contre  238  la  Chambre  a  décidé  de  passer  à  la 
discussion  générale. 

Un  débat  assez  chaud  s'est  alors  engagé,  Mgr  Freppel,  M.  Mémne, 
M.  LoHEAU,  M.  Lacroix,  M.  Lockroy,  ont  tour  à  tour  occupé  la 
tribune. 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  713 

Discussion  inutile,  car  la  majorité  était  bien  décidée  à  enterrer  le 
projet,  ce  qu'elle  a  fait  en  refusant,  par  321  voix  contre  205  de  passer 
à  la  discussion  des  articles. 

Avec  beaucoup  de  raison,  M.  de  la  Ferronnays  a  protesté  contre 
cet  escamotage. 

Mardi  ^kjuin.  —  Suite  de  la  discussion  du  projet  concernant  la 
fabrication  de  vin  de  raisins  secs. 


CHRONIQUE  DE  LA  SEMAINE 

La  guerre  civile   en  France.  —  Le  traité   Anglo-Aliemand. 
Le  choléra  en  Espagne. 

2ô  juin  1890. 

Ce  n'est  pas  une  guerre  à  coups  de  fusil,  mais  pour  n'être  pas 
aussi  violente,  celle  qui  divise  en  ce  moment  la  France  n'en 
existe  pas  moins.  Dans  leur  aveuglement,  nos  gouvernants  per- 
sistent à  considérer  les  catholiques  comme  des  ennemis  et  à 
exciter  contre  eux  une  minorité  agressive,  bruyante,  d'autant 
plus  audacieuse  qu'elle  se  sent  mieux  défendue  par  l'autorité. 

L'affaire  de  Vicq  est  un  indice  de  cet  état  d'esprit  et  de  ces 
excitations.  Quel  besoin  avait-on  de  laïciser  l'école  de  filles  de 
ce  village,  alors  qu'on  savait  que  le  sentiment  des  habitants  y 
était  opposé  1 1l  n'y  a  pas  là  de  question  politique,  ou  du  moins 
il  ne  devrait  pas  y  en  avoir.  C'est  la  religion  qu'on  persécute 
pour  rien,  pour  le  plaisir.  La  déclaration  de  M.  Ginnel,  maire 
de  cette  commune,  en  est  une  preuve.  Voici  les  propres  termes 
de  l'explication  fournie  par  lui  à  l'un  de  nos  confrères  : 

Monsieur,  je  me  vante  d'avoir  toujours  été  un  bon  républicain. 
Tout  le  conseil  municipal,  composé  de  douze  membres,  est  également 
républicain.  Mais  nous  avons  été  habitués  dès  notre  enfance  à  avoir 
ici  des  sœurs.  Nous  les  aimions  non  seulement  parce  que  c'étaient 
d'excellentes  femmes,  mais  encore  à  cause  des  services  rendus.  Elles 
professaient  admirablement.  Ensuite,  notre  commune  est  pauvre. 
Elle  n'a  ni  médecin,  ni  pharmacien.  La  sœur  Léocadie,  munie  de 
l'autorisation  nécessaire,  soignait  nos  malades.  Mais  voilà  qu'en 
décembre  la  sœur  Euphrasie,  plus  spécialement  chargée  de  l'instruc- 
tion, est  forcée  de  se  mettre  au  lit.  Je  demande  à  l'inspecteur  pri- 
maire de  Langres  une  religieuse  suppléante  pour  un  mois.  Il  me 
l'accorde  sans  difficulté.  En  avril,  la  sœur  Euphrasie  meurt.  Je  me 
rends  à  Langres  pour  demander  le  maintien  de  la  suppléante.  L'ins- 
pecteur n»e  répond  :  «  J'ai  à  placer  douze  jeunes  filles  sortant  de 
l'Ecole  normale  ;  je  ne  puis  mettre  des  scaurs  aux  places  qu'elles  atten- 


714  ANNALES   CATHOLIQUKS 

dent.  La  loi,  d'ailleurs,  dit  que  les  institutrices  religieuses  doivent 
être,  après  décès,  remplacées  par  des  laïques.  » 

Je  fais  observer  à  M.  l'inspecteur  que  notre  commune  se  trouve 
dans  un  cas  particulier.  Nos  sœurs  sont  installées  dans  un  local  qui 
leur  appartient;  elles  coûtent  bien  moins  cher  que  des  laïques.  La 
pTopriété  qui  leur  a  été  léguée,  mais  que  nous  administrons,  rapporte 
1,650  francs  par  an.  Toutes  les  sœurs  ensemble  se  contentent  de 
900  francs.  La  commune  bénéficie  donc  annuellement  de  750  francs 
dont  elle  a  grand  besoin  puisqu'elle  est  endettée.  L'inspecteur  me 
répond  encore  que  ce  n'est  pas  son  affaire,  qu'il  doit  [obéissance  à 
la  loi. 

A  partir  de  ce  jour,  on  m'adresse  à  la  mairie  de  nombreux  papiers 
dont  l'un  m'enjoint  de  recevoir  une  institutrice  laïque.  Le  conseil 
municipal,  à  runaniraité,  vote  le  maintien  des  sœurs.  Jeudi  dernier, 
l'inspecteur  primaire  vient  me  prier  de  signer  le  procès-verbal  d'ins- 
tallation de  la  laïque.  Je  réponds  :  «  Mon  successeur  fera  ce  qu'il 
voudra.  *  Et  je  donne  ma  démission  de  maire. 

Notre  confrère  a  questionné  de  plus,  un  grand  nombre  d'ha- 
bitants. Tous  lui  ont  déclaré  que  jamais  la  moindre  plainte  n'a 
été  proférée  contre  les  soeurs,  que  tout  le  monde  les  aimait  et 
leur  était  reconnaissant  des  services  que,  durant  soixante-dix 
ans,  elles  n'ont  cessé  de  rendre. 

On  a  donc  agi  contre  la  volonté  formelle  des  habitants  en 
laïcisant  leur  école. 

Il  y  a  plus,  on  a  commis  un  vol. 

En  effet,  l'école  que  l'on  a  envahie,  que  l'un  s'est  appropriée, 
appartenait  aux  sœurs,  et  rien  qu'aux  sœurs,  ainsi  que  l'établit 
le  testament  dont  voici  la  copie  textuelle  : 

Tout  pour  la  plus  grande  gloire  de  Dieu. 

Au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Amen  ! 

Je,  sousoigné,  François  Daubrive,  prêtre-curé  desservant  de  la 
paroisse  de  Vicn,  canton  de  Va^ennes,  arrondissement  de  Langres, 
département  de  la  Haute-Marne,  voulant  et  désirant  depuis  long- 
temps former  à  perpétuité  dans  la  paroisse  dudit  Vicq,  sous  l'autori- 
sation du  gouvernement,  un  établissement  d'instruction  pour  les 
jeunes  filles,  qui  sera  composée  de  deux  sœurs  institutrices  qui  seront 
demandées  et  prises  ou  dans  la  congrégation  de  Saint- Vincent-de- 
Paul  ou  dans  celle  de  Saint-Charles  si  cela  se  peut  (et,  si  cela  ne  se 
peut,  en  prendre  d'une  autre  congrégation  approuvée  par  le  gouver- 
nement), dont  le  but  sera. 

!•  D'instruire  et  d'élever  dans  les  principes  de  la  religion  catho- 
lique, apostolique  et  romaine  et  dans  les  bonnes  mœurs  les  jeunes 
filles  de  ladite  commune  de  Yicq,  leur  apprendre  à  lire  et  à  écrire, — 


CHRONIQUE    r»E    LA    SEMAINE  715 

entre  lesquelles  vingt  seulement  de  la  classe  des  plus  pauvres  qu^ 
seroat  chaque  année  désignées  et  nommées  par  M.  le  curé  desser- 
vant, M.  le  maire  et  M.  le  président  du  conseil  de  la  fabrique  dudit 
Vicq,  le  dernier  dimanche  d'octobre,  seront  enseignées  gratuitement, 
et  les  autres  pour  une  rétribution  convenable  ; 

2°  D'exercer  envers  les  pauvres  malades  les  œuvres  de  miséricordes 
spirituelle^  et,  autant  qu'elles  le  pourront,  les  corporelles. 

Pour  fournir  au  logement  et  â  l'entretien  desdites  institutrices,  je 
donne  et  lègue  en  toute  jjrop'riété,  avec  les  réserves  ci-après,  à  la 
fabrique  de  Vicq,  qui  sera  chargée  déformer  ledit  établissement  d'ins- 
truction, tous  mes  biens  immeubles  situés  sur  le  finage  de  Vicq  qui 
m'appartiendront  au  jour  de  mon  décès  et,  sans  que  ces  dits  biens 
immeubles  puissent  ctre  convertis  à  d'autres  usages. 

Et  c'est  pour  entrer  en  possession  de  ces  immeubles  destinés 
à  l'enseignement  religieux,  que  les  gendarmes  ont  chargé  des 
femmes  ! 

Quel  bénéfice  le  gouvernement  a-t-ii  retiré  de  ce  coup  d'éclat? 
Nous  n'en  voyons  guère.  Que  se  passera-t-il  à  Vicq?  Les  alliés 
de  l'abbé  Daubrive  se  proposent  de  plaider  en  restitution  d'hé- 
ritage. S'ils  gagnent  leur  procès,  comme  ils  ne  sont  pas  riches, 
ils  garderont  certainement  pour  eux  la  maison  et  les  terres.  En 
attendant,  on  va  installer  —  si  l'on  peut  réunir  la  somme  néces- 
saire—  une  école  libre  à  Vicq. 

Les  habitants  sont  terrorisés.  Le  lendemain  du  jour  oii  l'on  a 
installé  l'institutrice,  Mme  Chaudron,  il  y  avait  une  vingtaine 
d'élèves  à  sa  classe,  c'est-à-dire  la  moitié  du  contingent  habituel 
de  l'école.  Ces  enfants  appartiennent  à  des  parents  épouvantés 
qui  s'imaginent  qu'on  les  mettra  en  prison  si  leurs  filles  ne  vont 
pas  à  l'école. 

Nous  ne  pouvons  que  difficilement,  dans  une  grande  ville, 
nous  faire  une  idée  de  la  frayeur  qu'une  telle  algarade  peut 
causer  dans  un  village  paisible.  Parlant  de  la  conduite  odieuse 
des  gendarmes,  un  des  habitants  disait  à  notre  confrère  :  «Vous 
n'avez  pas  vu  pire  à  Paris  !  »  On  s'imagine  être  revenu  au  temps 
de  la  révolution. 

Et,  malgré  cette  exagération  très  compréhensible,  les  braves 
gens  ont  bien  raison  d'être  inquiets.  Ils  vont  connaître  les  petites 
rancunes  et  les  basses  vengeances  des  tyranneaux  de  village,  les 
dénonciations  des  ambitieux,  les  haines  des  jaloux  et  des 
envieux.  La  commune  va  être  divisée  en  deux  camps  :  ceux  qui 
approuveront  les  gendarmes  et  ceux  qui  regretteront  les  sœurs. 

Nous  ne  sommes  pas  d'ailleurs  en  présence   d'un  fait  isolé. 


716  ANNALES    CATHOLIQUES 

M.  le  maire  d'Halluin  (Nord)  a  reçu  du  préfet  de  ee  départe- 
ment une  lettre  l'informant  que,  lundi  prochain,  on  procéderait 
de  même  à  la  laïcisation  des  écoles  municipales,  ainsi  que  de 
l'école  maternelle  de  cette  ville.  Ces  écoles,  comme  celle  de 
Vicq,  ont  été  données  à  la  commune  sous  la  condition  expresse 
qu'elles  seraient  dirigées  par  des  congréganistes.  Il  faut  s'atten- 
dre à  d'énergiques  protestations  des  habitants  d'Halluin,  aussi 
mécontents  que  ceux  de  Vicq.  Le  gouvernement  ne  s'en  inquiète 
guère  ;  peut-être  même  le  désire-t-il.  Il  espère  même  par  l'inti- 
midation retenir  plus  facilement  les  électeurs  dans  l'obéissance. 
Sans  cela,  pourquoi  n'a-t-il  pas  attendu  l'issue  du  procès  que 
les  héritiers  des  donateurs  ne  manqueront  pas  d'engager  pour 
inexécution  des  conditions  delalibéralité?  Pourquoi  u'a-t-il  pas 
attendu  tout  au  moins  les  vacances  scolaires  qui  auront  lieu 
dans  six  semaines  à  peine  ? 

Non,  la  hâte  mise  à  ces  exécutions  violentes,  la  coïncidence 
qui  les  fait  se  produire  à  la  fois,  dans  l'Est  et  dans  le  Nord, 
leur  rapprochement  de  la  récente  fermeture  d'une  chapelle  à 
Quimper,  tout  prouve  qu'il  s'agit  d'un  plan  arrêté.  M,  Constans 
veut  se  faire  pardonner  par  ses  amis  de  la  gauche  l'imprudence 
qu'il  a  commise  au  banquet  de  Périgueux  en  parlant  d'une 
république  ouverte  et  pas  tracassiére.  Pour  gagner  les  suflTrages 
de  quelques  radicaux,  il  ranime  les  haines  contre  la  religion  et 
la  sourde  guerre  civile  qui  divise  la  France.  Nous  sommes  loin 
des  promesses  hypocrites  d'apaisement.  On  a  levé  le  masque. 


On  lira  plus  bas  le  texte  d'un  traité  intervenu  entre  l'Angle- 
terre et  l'Allemagne.  Cette  dernière  puissance  voit  reconnaître 
ses  prétentions  sur  l'intérieur  du  continent  noir  dans  une  région 
délimitée  au  nord  par  une  ligne  tirée  de  Kavirondo  sur  le  Vic- 
toria Nyanza  à  la  pointe  sud  du  lac  Albert-Edouard,  au  sud  par 
le  Rowuma  et  une  ligne  tirée  de  la  pointe  nord  du  lac  Nyassa  à 
l'angle  sud  du  lac  Tanganoyika  et  à  l'ouest  par  ce  chapelet  de 
grandes  nappes  d'eau  qui  forme,  dans  la  pensée  de  lord  Salis- 
bury,  la  voie  naturelle  de  transit  de  ces  contrées  équatoriales. 
Ce  n'est  pas  tout. 

Sur  une  partie  de  la  frontière  ouest  de  cet  immense  domaine, 
les  possessions  allemandes  seront  en  contact  avec  l'Etat  libre 
du  Congo,  concession  très  significative  si  l'on  veut  bien  tenir 
compte  du  rcve  formé  par  certains  enthousiastes  de  la  grandeur 


CHRONIQUE  VK    LA  SEMAINE  717 

teutonne  qui  espèrent  obtenir  un  jour,  en  dépit  des  droits  de 
préemption  formels  assurés  à  la  France,  la  cession  du  Congo  à 
l'empire  germanique,  et  se  tailler  par  conséquent  -en  pleine 
Afrique  équatoriale  une  bande  de  territoire  allant  d'une  mer  à 
l'autre.  De  plus,  pour  sortir  de  la  position  fausse  que  fait  au 
cabinet  de  Berlin  la  situation  de  la  compagnie  allemande,  simple 
fermière  du  sultan  de  Zanzibar  dans  les  ports  de  son  littoral 
continental,  l'Allemagne  avoue  ses  visées  à  une  annexion  pure 
et  simple  et  se  fait  promettre  l'appui  de  l'Angleterre  qui  stipule 
en  échange  l'étublisseinent  de  son  protectorat  sur  l'île  même  de 
Zanzibar. 

Ce  sont  là,  pour  le  dire  en  passant,  des  points  sur  lesquels 
une  entente  anglo-allemande  ne  saurait  être  décisive  à  elle 
seule.  Les  puissances  qui  ont  des  traités  avec  Zanzibar  auront 
leur  mot  à  dire  dans  cette  absorption  d'un  Etat  indigène  indé- 
pendant. Enfin  —  dernier  sacrifice  qui  ne  sera  pas  le  moins 
pénible  à  l'orgueil  britannique  —  l'île  de  Héligoland  est  cédée 
à  l'empire  germanique. 

En  somme,  l'impression  qui  se  dégage  de  ce  traité,  c'est  que 
lord  Salisbury  pousse  la  complaisance  jusqu'à  ses  dernières 
limites  envers  le  cabinet  de  Berlin.  Faut-il  croire  que  lord  Salis- 
bury a  payé  ce  prix  excessif  en  échange  d'avantages  équivalents 
sur  d'autres  points?  Est-ce  l'Egypte  qu'il  a  achetée  par  la 
cession  de  l'Afrique  équatoriale? 

Ce  qui  est  piquant,  c'est  que  les  journaux  anglais  et  alle- 
mands paraissent  également  mécontents  du  traité.  Le  Daily 
Neios  laisse  entrevoir  que  l'arrangement  constitue  une  décep- 
tion pour  tons  les  Anglais  qui  s'intéressentaux  choses  d'Afrique, 
et  il  conclut  en  disant  que  lorsque  la  convention  sera  discutée 
dans  le  Parlement,  le  parti  libéral  examinera  la  question  en 
toute  impartialité. 

Le  Daily  Chronicle  est  carrément  hostile  à  la  Convention.  Il 
accuse  le  gouvernement  de  lord  Salisbury  de  s'être  «  couvert 
d'ignominie  en  cédant  un  territoire  acquis  au  prix  du  sang  bri- 
tannique dans  les  grandes  guerres  de  la  période  napoléonienne, 
et  surtout  en  le  cédant  sans  obtenir  absolument  i^ien  en  échange.» 
Il  exprime  donc  l'espoir  que  le  Parlement  va  arrêter  le  gou- 
vernement dans  cette  voie  des  capitulations  honteuses  qui 
conduit  au  démembrement  de  l'empire.  Le  Berliner  Tagehlatt 
est  mécontent.  La  Post  considère  que  la  cession  d'Heligoland  n'a 
aucune    valeur    matérielle,    et   la    Norddeutsche,   elle-même, 


718  ANNALES    CATHOLIQUES 

trouve  que  les  sacrifices  consentis  éveilleront  dans  beaucoup  de 
coeurs  une  impression  douloureuse. 

Voici  les  points  principaux  du  traité  : 

I.  La  sphère  des  intérêts  allemands  en  Afrique  orientale  est  bornée 
au  sud  par  une  ligne  partant  de  rembouchure  de  Rokura  à  l'ouest 
du  Nyassa  jusqu'au  sud  du  Tanganika  :  au  nord  par  une  ligne  partant 
de  la  rive  est  du  Victoria-Nyanza  et  allant  jusqu'à  l'Etat  du  Congo. 

Dans  toutes  les  sphères  d'intérêt  allemand  et  anglais,  le  transit 
des  marchandises  anglaises  et  allemandes  sera  libre  de  tout  droit. 
Les  missions  des  deux  Etats,  culte  et  instruction  publique,  auront 
droit  de  séjour.  Les  sujets  des  deux  pays  auront  dans  les  deux  pays 
les  mêmes  droits.  L'Angleterre  usera  de  toute  son  influence  pour 
décider  le  sultan  de  Zanzibar  à  céder  à  l'Allemagne  les  bandes  de 
côtes  louées  par  lui  à  la  Société  allemande  de  l'Est  africain.  Dans  ce 
cas,  l'Allemagne  payera  au  sultan  une  indemnité  pour  les  droits  do 
douane. 

II.  La  limite  des  sphères  anglo-allemandes  au  sud-ouest  est  la  même 
que  dans  les  traités  précédents. 

III.  La  frontière  entre  le  pays  allemand  de  Togo  et  la  colonie 
anglaise  de  la  Côte-d'Or  est,  conformément  aux  propositions  alle- 
mandes, formée  par  une  ligne  qui  coupe  en  deux  le  pays  contesté 
<lo  Krepi,  dont  le  nord  appartiendra  à  l'Allemagne  et  le  sud  à  l'An- 
gleterre. 

IV.  L'Allemagne  cède  à  l'Angleterre  ses  droits  sur  Witu  et  le 
pays  do  Somali  au  nord  de  la  sp'uérc  des  intérêts  anglais. 

V.  L'Allemagne  cède  à  l'Angleterre  le  protectorat  sur  Zanzibar,  à 
l'exception  des  côtes. 

VI.  L'Angleterre  cède,  sauf  approbation  du  Parlement,  à  S.  M. 
l'empereur  d'Allemagne,  Tilo  d'Heligoland. 

Four  l'introduction  du  service  militaire  et  des  lois  douanières 
allemandes,  il  sera  fixé  ultérieurement  un  délai.  Les  habitants  actuels 
auront  le  droit  d'opter  pour  la  nationalité  anglaise  pendant  un  cer- 
tain délai. 

VII.  Les  autres  pointa  en  litige  seront  réglés  ultérieurement.  Il  est 
dès  à  présent  décidé  que  ces  (|uestions  seront  réglées  d'une  façon 
amicale. 

VIII.  Jusqu'à  ratification  qui  doit  avoir  lieu  dans  le  plus  bref  délai, 
les  puissances  contractantes  s'engagent  à  ne  soutenir  aucune  expé- 
dition qui  pourrait  contrecarrer  le  traité  actuel. 


L'île  d'Heligoland  que  l'Angleterre  cède  à  l'Allemagne  en 
vertu  du  traité  dont  nous  publions  le  texte,  est  située  en  face 
des  embouchures  de  l'Elbe,    de  l'Eider,    du  Weser  et  de  la 


CHRONIQUE    DE    LA    SEMAINE  719 

Jahde.  En  y  comprenant  l'îlot  Sandy,  qui  en  est  une  dépen- 
dance, elle  a  à  peu  prés  un  kilomètre  carré  et  demi  de  surface  : 
2  hectomètres  de  long  sur  670  mètres  de  large,  avec  une  popu- 
lation de  2,500  habitants  tout  au  plus;  mais  pendant  la  belle 
saison,  elle  reçoit  12  à  15,000  visiteurs,  à  raison  des  bains  de 
mer. 

Le  climat  y  est  exceptionnellement  salubre,  et  la  vie  moyenne 
y  atteint,  disent  certaines  statistiques,  Vkge  quasi  fabuleux  de 
soixante-trois  ans. 

En  dehors  de  l'exploitation  des  étrangers,  la  population  y  vit 
surtout  de  la  pêche.  On  y  capture  30,000  homards  par  an  sur 
les  rochers  du  rivage,  et  le  produit  total  des  pêcheries  est 
d'environ  200,000  fr.  par  an. 

Ajoutons  que  cette  petite  île  diminue  d'année  en  année  par 
suite  des  empiétements  de  la  mer,  et  l'on  peut  prévoir  le  jour 
oix  elle  ne  sera  plus  qu'un  simple  banc  de  sable. 

Détails  curieux  :  Héligoland  est  littéralement  infestée  par 
les  lapins  qui  y  grouillent  par  millions,  et  qui,  par  leurs  tra- 
vaux souterrains,  désagrègent  le  sol  et  facilitent  encore  l'action 
destructive  de  l'Océan. 


Le  choléra  est  aux  portes  de  France,  en  Espagne.  Le  service 
d'hygiène  a  pris  toutes  les  mesures  que  la  situation  comporte. 
Les  décisions  ont  été  promptes,  énergiques,  et  très  probable- 
ment efficaces.  Cependant  si  le  fléau  est  grave,  ce  que  l'on  ne 
saurait  prévoir,  il  est  à  peu  près  certain  qu'en  dépit  des 
mesures  préventives,  notre  pays  sera  contaminé. 

Dans  quelle  proportion  ?  Il  faut  espérer  que  l'épidéraie  sera 
bénigne  :  mais  le  meilleur  moyen  de  nous  défendre,  c'est  de 
montrer  autant  de  prudence  que  de  bravoure.  Si  le  danger 
devient  imminent,  il  ne  faudra  pas  essayer  de  le  dissimuler  ;  il 
conviendra  de  se  mettre  tout  de  suite  résolument  à  l'œuvre. 

La  leçon  de  l'influenza  doit  nous  servir.  L'épidémie  sévissait 
générale  et  cruelle  que  les  médecins,  dans  le  but  de  rassurer, 
—  mieux  intentionnés  que  très  adroits,  ditVJEclair, —  laissaient 
entendre  que  ce  n'était  rien,  qu'il  n'y  avait  pas  à  se  soignei-, 
que  l'influenza  était  une  de  ces  affections  qui  se  guérissent  par 
le  mépris.  On  ne  prenait  aucune  précaution,  on  avait  des 
rechutes  ;  la  maladie,  qui  eiit  été  inofFensive,  jugulée  au  début, 
•devenait   mortelle   en  se   prolongeant.  Si,  dès   les   premières 


720  ANNALES  CATHOLIQUES 

atteintes,  sans  souci  de  quelques  intérêts  privés,  on  avait 
enseigné  aux  malades  les  précautions  à  prendre,  on  n'aurait 
pas  eu  tant  de  morts  à  déplorer. 

Si  le  choléra  se  montre  chez  nous,  il  serait  imprudent  de  le 
cacher.  Il  faut,  au  contraire,  que  dès  les  premiers  cas,  tous  les 
habitants  soient  prévenus,  afin  qu'ils  se  mettent  en  garde.  Le 
fléau  propage  le  fléau.  Contre  cet  incommode  visiteur,  il  y  a 
de  vulgaires  précautions  à  prendre  ;  qu'on  les  rappelle  tout  de 
suite  à  la  population,  on  fera  savoir  que  ce  ne  sont  que  des 
précautions  prophylactiques,  mais  qu'elles  sont  supérieures, 
dans  l'intérêt  de  tous,  c'est-à-dire  de  chacun. 

Il  serait  criminel  que  le  choléra  nous  prît  au  dépourvu.  Pour 
les  mesures  aux  frontières,  toutefois,  on  ne  peut  que  féliciter 
les  services  sanitaires.  A  la  première  alerte,  les  précautions 
ont  été  prises,  sur  l'initiative  du  docteur  Proust,  inspecteur  de 
ces  s ei' vices. 


LE  JUBILE  DE  PARAY-LE-MONIAL 

Mgr  Perraud,  évêque  d'Autun,  vient  de  publier  un  mande- 
ment et  une  Instruction  pastorale,  à  l'occasion  du  second  cen- 
tenaire de  la  mort  de  la  Bienlieuronse  Marguerite  Marie  et  du 
Jubilé  extraordinaire  accordé  par  Sa  Sainteté  le  Pape  Léon  XIII 
à  la  cité  de  Paray-le-Monial. 

Ce  Jnbilé  durera  sept  semaines  et  demie,  depuis  le  8  septem- 
bre jusqu'au  1"  novembre  1890, 

«  Il  y  aura  bientôt  deux  siècles,  dit  Mgr  l'évêque  d'Autun, 
que  se  terminait  dans  un  couvent  du  diocè.se  d'Autun  la  carrière 
terrestre  de  l'humble  vierge  dont  le  nom,  les  vertus  et  la  mis- 
sion devaient  avoir  dans  le  monde  un  si  grand  retentissement.  » 

D'un  registre  mortuaire  qui  nous  a  été  communiqué,  nous 
transcrivons  textuellement  les  lignes  suivantes  : 

«■  L'an  1690,  le  17  du  mois  d'octobre,  environ  les  sept  heures 
du  soir,  est  décédée  en  ce  monastère  de  la  Visitation  Sainte- 
Marie  de  Paray,  en  odeur  de  sainteté,  notre  vénérable  sœur 
Marguei'ite-Maiie  Alacoque,  native  de  Lhautecour,  paroisse  de 
Verosvres,  âgée  de  quarante-trois  ans;  dix-neuf  de  profession; 
du  rang  des  soeur.s  choristes.  Elle  a  été  inhumée  dans  un  caveau 
de  notre  sépulture.  » 

Après  deux  cents  ans  révolus,  c'estla  première  fois  qu'il  sera 
donné  à  l'ordre  de  la  Visitation  et  au  diocèse  dont  Marguerite- 


LE    JUBILÉ    BE    PARAY-LE-KONIAL  72 L 

Marie  est  la  gloire,  d'entourer  d'honneurs  extraordinaires  un 
anniversaire  séculaire  de  cette  mort  si  précieuse  devant  Dieu  et 
si  féconde  en  fruits  de  bénédiction  pour  l'Eglise  et  4)our  les 
âmes. 

Sans  doute,  avant  la  fin  du  précédent  siècle,  l'Eglise  avait 
déjà  solennellement  approuvé  le  culte  du  Cœur  de  Jésus-Christ 
dont  ce  divin  Sauveur  avait  confié  l'apostolat  à  notre  ^'isitan- 
dine  de  Paray.  Mais  elle  n'avait  encore  rendu  aucun  jugement 
authentique  ni  sur  ses  vertus  ni  sur  les  miracles  accomplis  par 
son  intercession  après  sa  mort. 

De  plus,  et  quand  même  les  nombreuses  et  très  sages  forma- 
lités auxquelles  sont  soumises  les  causes  de  béatification  eussent 
été  déjà  sanctionnées  par  la  suprême  autorité  du  Pontife  romain, 
les  perturbations  politiques  du  temps  n'auraient  guère  permis 
soit  à  Paray,  soit  ailleurs,  de  célébrer  une  fête  publique  en  l'hon- 
neur de  celle  que  ses  contemporaines  disaient  être  morte  «  en 
odeur  de  sainteté.  » 

Au  mois  d'octobre  1790,  la  persécution  religieuse  commençait 
à  sévir  en  France.  La  constitution  civile  du  clergé,  due  aux 
jansénistes  de  l'Assemblée  constituante,  avait  été  votée  le 
12  juillet  précédent.  Les  évêques  et  le?  prêtres  qui  refusaient 
de  s'y  soumettre  étaient  dépouillés  de  leurs  bénéfices,  expulsés 
de  leurs  églises,  chassés  de  leurs  demeures,  contraints,  par  la 
violence,  de  céder  la  place  à  des  intrus  schismatiques.  Le  trou- 
ble était  partout.  Le  moment  n'était  pas  éloigné  oîi  l'exil,  la 
prison,  l'échafaud  puniraient  les  membres  du  clergé  de  leur 
obéissance  aux  lois  fondamentales  de  leur  saint  état. 

A  nous  donc  les  premiers,  N.  T.  C.  F.,  étaient  réservés  l'hon- 
near  et  la  joie  de  pouvoir  célébrer  avec  toutes  les  pompes  de  la 
religion  le  deux-centième  anniversaire  du  17  octobre  1690.  Nous 
venons  vous  y  convier.  » 

Voici  les  principales  prescriptions  de  Mgr  Perraud  relatives 
au  jubilé. 

La  période  jubilaire  sera  divisée  en  quatre  parties. 

Durant  la  première  (du  8  au  30  septembre),  des  instructions  seront 
données,  chaque  matin,  les  mardis,  jeudis  et  samedis,  à  la  chapelle 
de  la  Visitation,  après  la  messe  de  huit  heures  et  demie;  chaque  soir, 
les  lundis,  mercredis  et  vendredis,  à  la  Basilique.  L'instruction  du 
vendredi  pourra  être  remplacée  par  l'exercice  du  Chemin  de  la  Croix, 
fait,  quand  le  temps  le  permettra,  dans  l'enclos  des  Chapelains. 

(A  partir  du  1«'"  octobre,  conformément  aux  prescriptions  du  Souve- 
rain   Pontife,    les    exercices  du  mois  du   saint   Rosaire  auront  lieu 

52 


722  ANNALES    CATHOLIQUES 

comme  les  années  précédentes,  à  la  Basilique  et  dans  les  chapelles 
des  communautés.) 

Durant  la  seconde  partie  {l"  au  9  octobre),  les  prédications  conti- 
nueront dans  l'ordre  ci-dessus  indiqué,  alternant  entre  la  Basilique  ot 
la  chapelle  de  la  Visitation. 

La  troisième  partie  du  Jubilé  (du  9  au  17  octobre),  comprendra  la 
neuvaine  préparatoire  à  la  fête  de  la  Bienheureuse  et  au  deux-cen- 
tième anniversaire  du  jour  de  sa  mort.  Pendant  la  neuvaine,  on 
prêchera  tous  les  jours,  le  matin  à  la  Visitation,  le  soir  à  la  Basilique. 

La  quatrième  et  dernière  partie. du  jubilé  s'étendra  du  18  octobre 
au  !«•■  novembre.  Les  exercices  du  mois  du  saint  Rosaire  continueront 
à  être  faits  chaque  jour,  mais  il  n'y  aura  plus  de  prédications  que 
pendant  un  triduum  final,  les  28,  29  et  30  octobre  (le  31  demeurant 
réservé  aux  confessions  de  la  veille  de  la  Toussaint). 

Les  vendredis  12,  19,  et  26  septembre,  3  et  lÔ  octobre,  en  vertu 
d'un  Induit  apostolique,  les  reliques  de  la  Bienheureuse  seront  portées 
processionnellement  dans  l'enclos  du  monastère. 

Le  dimanche  14  septembre,  la  grande  croix  de  Jérusalem,  offerte 
par  les  pèlerins  de  Terre-Sainte,  du  pèlerinage  de  pénitence  de  1890, 
sera  plantée  solennellement  sur  le  Calvaire  de  l'enclos  des  Chapelains. 

Le  dimanche  12  octobre,  aura  lieu  dans  l'après-midi,  en  vertu  de 
l'Induit  apostolique  précité,  une  procession  générale  des  reliques  de 
la  Bienheureuse  dans  la  cité  de  Paray,  avec  stations  aux  principales 
chapelles. 

Le  vendredi  17  octobre,  jour  anniversaire  do  la  mort  de  la  Bien- 
heureuse, plusieurs  messes  épiscopales  seront  célébrées  le  matin  à  la 
chapelle  de  la  Visitation. 

A  neuf  heures,  Son  Eminence  le  cardinal  Foulon,  archevêque  de 
Lyon,  officiera  pontificalement  à  la  grand'messe  (à  la  Basilique). 

A  deux  heures,  également  à  la  Basilique,  une  allocution  sera  pro- 
noncée par  Mgr  Germain,  évêque  de  Coutances,  et  suivie  d'une  pro- 
cession ?olennelle  du  Très  Saint-Sacrement  qui  sera  faite  dans  l'en- 
clos du  monastère  et  présidée  par  Son  Eminence  le  cardinal  Foulon,^ 
métropolitain. 

A  sept  heures  du  soir,  le  pagényrique  de  la  Bienheureuse  sera  pro- 
nonce  à  la  chapelle  de   la  Visitation  par  Mgr  l'évêque  de  Coutances. 

La  clôture  du  Jubilé  aura  lieu  au  salut  solennel  de  la  fête  de  la 
Toussaint  par  le  chant  du  Te  Deum  suivi  des  verset  et  oraison. 

Le  soir,  au  son  de  toutes  les  cloches  de  la  ville,  se  fera,  suivant  le 
rite  accoutumé,  la  réposition  de  la  châsse  de  la  Bienheureuse  sous  le 
maître-autel  du  sanctuaire  de  la  Visitation. 

Leurs  Eminences  les  cardinaux  de  Reims,  de  Paris  et  de  Lyon; 
NNgrs  les  archevêques  de  Rouen  et  d'Avignon,  les  évoques  de  Delcon 
(Thrace),  d'Angoulème,  de  Valence,  Coutances,  Orléans,  Nevers, 
Clermont,  Annecy,  Séez,  Beauvais,  Tarentaise,  Belley,  Digne,  Cap, 
Soissons,  Chartres,  Saint-Dié,  annoncent  leur  intention  de  venir  â 
Paray,  pendant  la  durée  du  Jubilé. 

Le  gérant  :  P.  Chantre l. 

Paris.  —  iBjp.  G.  Picqnoin,  53,  rne  de  Lille. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


(1) 


IVuméro  9S5^  (5  avril  1890). 

—  La  souveraiaeté  temporelle 
des  Papes,  par  Î\I.  l'abbé  Pluot, 
5.  —  Les  sémiaaristes  à  la  ca- 
serne, par  Mgr  Porraud  (suite 
et  fia),  8.  —  Le  mariage  chré- 
tien, par  Mgr  Turiaaz  (suite), 
15.  — Une  page  d'histoire  con- 
temporaine, 23.  —  Triomphe 
dans  la  mort,  30.  —  Confé- 
rences de  Notre-Dame,  par  le 
R.  P.  Monsabré  (6"),  34.  — 
Livres  à  l'Index,  42.  —  Nécro- 
logie, 42.  —  Les  Chambres, 
45. —  Chronique  de  la  semaine, 
48. — Nouvelles  religieuses,  55. 

IVuméro  0«>6  (12  avril  1890\ 

—  La  souveraineté  temporelle 
des  Papes,  par  M.  l'abbé  Pluot 
(suite  et  fin),  57.  —  Le  hfiariage 
chrétien,  par  Mgr  Turiaaz 
(suite  et  fin),  63.  —  Qu'est-ce 
qu'ua  évêque,  71.  —  Le  repos 
du  dimanche,  76.  —  A  Notre- 
Dame,  78.  —  Les  Actes  des 
Martyrs,  80.  —  Marie  Stuart, 
par  M.  Kervyn  de  Lettenhove, 
83.  —  La  conférence  de  Ber- 
lin, 92.  —  Le  clergé  et  la  ques- 
tion ouvrière,  97.  — Nécrologie, 
100,  —  Nouvelles  religieuses, 
102.  —  Chronique  de  la  se- 
maine, 106. 

IVuméro  ©Sr  (19  avril  1890). 

—  L'exécution  de  la  nouvelle 
loi  militaire,  par  Mgr  Turinaz, 
113.  —  L'Inquisition,  122.  — 
L'Eglise  et  la  question  sociale, 
127.  —  La  pléiade  des  grands 
hommes  du  siècle,  129.  —  La 
situation  des  Jésuites  en  Alle- 
magne, 131.  —  Lettre  du  car- 
dinal Lavigerie,  136.  —  Un 
coup  d'éperon,  144.  —  La  con- 
férence de  Berlin,  147.  —  Nou- 
velles religieuses,  150.  —  Chro- 
nique de  la  semaine,  155.  — 
Bismarck  et  Mazzini,  164.  — 
Bulletin  bibliographique,  166. 


IVuméro  9£Î8  (26  avril  1890). 

—  L'Inquisition  (suite  et  fin), 
169.  —  L'exécution  de  la  nou- 
velle loi  militaire  (suite  et  fin), 
par  Mgr  Turinaz,  176.  —  La 
charité  envers  Notre-Seigneur 
dans  l'Eucharistie,  par  Mgr 
Combes,  181.  —  La  situation 
des  Jésuites  en  Allemagne 
(suite  et  fin),  189.  —  La  pléiade 
des  grands  hommes  du  siècle 
(suite  et  fin),  193.  —  Lettre  du 
cardinal  Lavigerie  (suite),  196. 

—  L'Eglise  au  Brésil,  204.  — 
La  jeunesse  catholique  d  Italie 
au  Vaticao,  208.  —  Chroaique 
de  la  semaine,  214.  —  Bulletin 
bibliographique,  223. 

IVuméi>o  $>»î>  (3  mai  1890). 
La  charité  envers  Notre-Sei- 
gneur dans  l'Eucharistie,  par 
Mgr  Combes  (suite  et  fin),  225. 

—  Le  feu  à  la  maison,  231.  — 
Lettre  du  cardinal  Lavigerie 
(suite  et  fin),  233.  —  Le  con- 
grès de.s  propriétaires  chré- 
tiens, 259.  —  Chronique  de  la 
semaine,  264.  —  Nouvelles 
religieuses,  274. 

IVuméro  960  (10   mai  1890). 

—  Des  paroisses  et  des  curés, 
281.  —  Comment  faire  une 
éducation  morale,  289.  —  La 
fascination  du  progrès  maté- 
riel, par  Mgr  Isoard,  292.  — 
Les  sœurs  et  la  révolution, 
304.  —  La  laïcisation  et  M.  Re- 
nan, 305.  —  Causerie  scienti- 
fique, 309.  —  Petite  chronique, 
314.  —  Nouvelles  religieusse, 
313.  —  Les  Chambres,  321.  — 
Chronique  de  la  semaine,   323. 

—  Emin-Pacha  et  Stanley, 
332.  —  Les  lois  de  mai,  335. 

rVuméro  06I  (17  mai    1890). 

—  Discours  de  S.  S.  le  Pape 
Léon  XIII,  337.  —  La  question 
romaine  internationale,  339.  — 
Des  paroisses  et  des  curés,  par 


(1)  Les  chiffres  placés  à  la  suite  des  articles  indiquent  les   pages. 


724 


ANNALES    CATHOLIQUES 


M.  l'abbé  Pluot  (suite  et  fin), 
341.  —  Le  socialisme  contem- 
porain, 347.  —  L'Eglise  et  la 
question  sociale,  356.  —  La 
constitution  chrétienne  de  la 
société,  par  M.  l'abbé  Wagner, 
361.  —  Les  «  Vénérables  »  do 
la  Franc-Maçonnerie,  366.  — 
Assemblée  générale  de  l'Œuvre 
des   Cercles   catholiques,    368. 

—  Nécrologie,  371.  —  Nou- 
velles religieuses,  372.  —  Les 
Chambres,  376.  —  Chronique 
de  la  semaine,  381.  —  Bulle- 
tin bibliographique,  397. 

Muîviéro  «G^ï  (24  mai  1890). 

—  Le  sociali.sme  contemporain 
(suite  et  fin),  393.  —  Le  lepoa 
du  dimanche,  par  M..Chfisnc- 
long,  397.  —  .M.  Tainc  ot  le 
suffrage  universel,  408.  —  La 
fille  do  Galilée,  410.  —  Nou- 
veaux mensonges  du  spiri- 
tisme, 414.  —  Le  peintre 
A.  Devaux,  417.  —  Assemblée 
générale  des  catholiques,  421. 

—  Les  fètos  de  .leanne  d'Arc  à 
Orléans,  425.  —  Nécrologie, 
427.  —  Chronique  de  la  se- 
maine,430. — Le8Chambres,439. 

—  Nouvelles   religieuses,  443. 

IVumt'.ro  1><Î3  (31   mai   1890). 

—  Nouveaux  mensonges  du 
spiritisme  (suite),  449.  —  La 
troisième  béatitude  évangé- 
lique,  4.'}2.  —  Le  catholicisme 
en  Angleterre  et  en  Ecosse, 
458.  —  La  journée  d(î  huit 
heures,  453.  —  Le  repos  du 
dimanche,  par  M.  Chesnelong 
(suite  et  fin),  466.  —  L'affaire 
de  Damas,  47.^.  —  La  saisie  des 
biens  des  fabriques,  478.  — 
Nouvelles  religieuses,  481.  — 
Les  Chambres,  492.  —  Chro- 
nique de  la  semaine,  494. 

IVuméi-oO»'4(7juin  1890).— 
Le  salaire  de  l'ouvrier, 505. —  La 
quatrième  béatitude  évangéli- 
quo,  509.  —  Le  radicalisme  en 
Italie,  516.  —  N')tre-Damo  do 
l'Epine,  par  Mi^r  Sourrieu,  518. 


—  La  séparation  de  l'Eglise  e 
de  l'Etat  au  Brésil,  524. — Un 
épisode  de  la  lutte  religieuse 
en  Suisse,  529.  —  Les  fêtes 
d'Oberammergau,  533.  —  Né- 
crologie, 537.  —  Nouvelles  re- 
ligieuses, 539.  —  Les  Chambres, 
546.  —  Chronique  de  la  se- 
maine, 551. 

IMuméi'o  9eS«  (14. juin  1890).— 
Le  suicide,  561.  —  La  cinquième 
béatitude  évangclique,  503.  — 
Le  couronnement  de  Notre- 
Dame  deTEpine,  parMgr  Frep- 
pel,569. —  Abolition  et  répres- 
sion de  l'esclavage  eu  Tunisie, 
581.  —  Les  mémoires  de  Tal- 
leyrand,  par  M.  de  Blowitz. 
584.  —  Le  centenaire  do  l'Uni- 
versité de  Montpellier,  589.  — 
Nouvelles  religieuses,  592.  — 
Le.i  Chambres,  599.  —  Chroni- 
que de  la  semaine,  607. —  Une 
spoliation,  614. 

:Vnm6ro»«e(21  juin  1890).— 
Trois  fléaux,  un  remède,  617. 

—  Congrès  social  évangélique 
de  Berlin,  619.  —  La  sixième 
béatitude  évangélique,  622.  — 
Errata,  628.  —  Huit  jours  pas- 
sés à  la  Grande-Trappe  de  So- 
ligni,  par  M.  l'abbé  Moreau, 
629.  —  La  basilique  nationale 
du  Sacré-Cœur,  à  Quito,  034.  — 
Tribunaux,  637.  —  Le  conflit 
anglo-allemaml,  641.  —  Ques- 
tions de  législation, par  M. l'abbé 
Pluot,  644.  —  Nouvelles  reli- 
gieuses, 650.  —  Les  Chambres, 
657.  —  Chronique  de  la  se- 
maine, 664. 

IVuméno  0«r  (28  juin  1890  L  — 
La  persécution  fiscale,  673.  — 
HuitjoursàlaTrappedeSoligny 
(suite  et  fin),  6&0.  —  L'Aposto- 
lat par  les  livres  de   prix,  688. 

—  Les  nouveaux  évêques,  671. 

—  Le  consistoire  du  23  juin 
1890,  700.— Les  Chambres, 703. 

—  Clironiquedela  semaine, 713. 

—  Le  jubilé  de  Parav-le-Mo- 
nial,  720.  —  Tables,  723. 


TABLE    ALPHABÉTIQUE 


(i) 


nuel  pratique  et  bibliographi- 
que du  correcteur,  par  J.  Lefo- 
l'estier,  391.  —  Es-tu  libre-pen- 
seur'i  par  Jacques  Bon  homme, 
392.  —  Le  petit  sou  de  la  Ligue 
de  l'enseignement,  392.  —  Le 
prêtre  et  le  franc-maçon,  par 
J.  Nicolas,  392. 
Bureaux  de  bienfaisance.  —  Leurs 
prétentions,  639. 


Actes  des  martyrs  (Les),  80. 

Allemagne.  —  Le  Pape  et  l'empe- 
reur, 48.  —  Conférence  de 
Berlin,  53,83,  147.  — Rescrits 
de  Guillaume  II,  110.  —  La  si- 
tuation des  Jésuites,  131,  189. 
—  L'Allemagne  et  la  France, 
155,  221.  —  Ouverture  des 
Chambres;  discours  du  trône. 
388,  501,  611.  —Congrès  social 
évaogélique,  619.  — (Joniiit  an- 
glo-allemand, (341.  —  Traité 
anglo-allemand,  716. 

Angleterre.  —  Le  catholicisme 
en  Angleterre,  458.  —  Conflit 
anglo-allemand,  641. 

Apostolat  (L')  par  les  livres  de 
prix,  688. 

B 

Béatitudes  évangéliques:  La  troi- 
sième, 452.  —  La  quatrième, 
509.  —  La  cinquième,  563.  — 
La  sixième,  622. 

BiLLABD  (Mgr),  év.  de  Carcas- 
.?onne.  —  Qu'est-ce  qu'un  évo- 
que ?  71. 

Bismarck  et  Mazziai,  164. 

Blowitz  (M.  de).  —  Les  mémoires 
de  Talleyrand,  584. 

Brésil.  —  Une  page  d'histoire 
contemporaine,  23.  —  L'Eglise 
au  Brésil,  204.  —  Séparation  de 
l'Eglise  et  de  l'Etat,  524. 

Bulletin  bibliographique. — Notre 
voyage  aux  pays  bibliques,  par 
M.  l'abbé  Le  Camus,  166.  — 
Journal  des  saints,  167.  —  Dont 
François  Régis,  par  M.  l'abbé 
Bersange,  167.  —  Le  mal  so- 
cial, par  M.  l'abbé  Thiveaud, 
223.  —  Le  châtiment,  par  le 
R.  P.  Félix,  s.  j.,  223.  —  His- 
toire d'un  héros,  par  M.  l'abbé 
Tesseyre,  224.  —  Heures  de  la 
Jeunesse  chrétienne,  224.  — 
Petit  mois  de  Marie,  par  dom 
Sarda  y  Salvani,  391.    —  Ma- 

(1)  Dans  cette  Table,  les  chiffres  qui  suivent  les  articles  indiquent 
les  pages;  les  noms  des  auteurs  dont  les  travaux  ont  été  publiés  dans 
ce  volume  des  Annales sout  en  petites  majuscules;  les  titres  des  livres 
sont  en  italiques. 


Catholicisme  (Le)  en  Angleterre 
et  en  Ecosse,  450. 

Causerie  scientifique,  309. 

Cercles  catholiques.  —  Assemblée 
générale  de  l'Œuvre,  368,  372, 
421. 

CongrèssocialévangéliquedeBer- 
lin,  619. 

Chambres  (Les),  42,  321,  376,  439, 
492,  546,  599,  657,  703 

Chesxelong  (i\I.)  —  Le  repos  du 
dimanche,  397,  466. 

Chronique  de  la  semaine.  — 
jPraiiceLes  indépendants,  48. — 
Vacances  parlementaires,  50.  — 
Voyage  de  M.  Caruot  en  Corse, 
106.  -•  Les  tripotages  du  Con- 
seil  municipal  de    Paris,   108. 

—  Allemagne  et  France,   155. 

—  Expulsion  des  journalistes 
français  en  Italie,  156.  —  Elec- 
tions municipales,  158.  258, 
323.  —  Les  Sœurs  dans  les 
hôpitaux,  161.  —  Voyage  de 
M.  Caruot   dans  le  Midi,   214. 

—  Pluie  et  discours,  215.  — 
Manifestation  du  P"""  mai,  128, 
269,  329.  —  Grèves  en  province, 
331,  387.  — Le  général  de  Mi- 
ribel  nommé  chef  d'état-major 
général,  381.  —  Commission  du 
budget,  384,  433.  —  Un  livra 
de  J.  Ferry,  385.  —  Décès  du 
boulangisme,  430.  —  Voyage 
présidentiel, 432,  495.  —  L'état- 
major,  434.  — Laïcisations,  434. 

—  Syndicats   et   patrons,  435. 

—  Politique    et    malfaiteurs. 


726 


ANNALES    CATHOLIQUES 


494.  —  Le  budget  des  cultes, 
497.  —  L'anniversaire  de  la 
commune ,  498  .  —  Une  bro- 
chure à  sensation,  499.  —  Le 
duc  d'Orléans  reconduit  en 
exil,  553.  —  Une  erreur  judi- 
ciaire ,  554 .  —  M  .  Carnot  à 
Paris,  555.  —  Athéisme  officiel, 
556.  — Terroristes  russes,  557. 

—  Un  discours  de  M.  Constans, 
607,  —  Le  pari  mutuel  inter- 
dit, 609.  —  Le  duc  d'Orléans 
aux  conscrits  de  sa  classe,  Gll. 

—  Une  allocution  du  comte  de 
Paris,  G54.  —  Les  sold.its-dé- 
putés,  (557.  —  L'attentat  de 
Vicfi,668,713. —  Assemblée  an- 
nuelle des  membres  fondateurs 
de  la  société  de  secours  aux 
blpssôs  militairos,  671. 
Etranger  :  Allemagne  :  Lo  Pape 
et  l'Kiiipereur,  48.  —  Confé- 
rence do  Berlin.  53.  —  Rescrits 
de  r-uillaume  H,  110.  —  Bis- 
marck et  Guillaume  11,221.  — 
Angleterre,  163,  332,  612.—  B.i- 
vière:  changement  ministériel, 

558.  —  Belgique  :  élections  pro- 
vinciales, 501,  —  Dahomov, 
55,  109,  437.  —  Espagne, 
163.  —  Le  choléra,  719.  — 
Indo-Chino.  013.  —  Italie,  .54. 
—  Russie,  672.  —  Sénégal, 
436,  503.  —  Terre-Neuve,  502, 

559.  —  Tonkin,  559,  613. 
Chronique  (l'otito),  314. 
Clergé  (  Le)  et  la  question  ouvrière 

par  Mgr  Kopp,  197. 

Combes  (Mgr).  —  La  charité  de 
Notre-Seigneur  dans  l'Eucha- 
ristie,  181,  225. 

Conférence  de  Notre-Dame  des 
Paris  (6«)  par  le  R.  P.  Monsa- 

BRÉ.   34. 

Consistoire  du  23  juin,  700. 

Constitution  chrétienne  de  la  so- 
ciété, par  M.  l'abbé  Wagner, 
864. 

Coup  d'éperons,  134. 

Curés  (Des)  et  des  paroisses,  281, 
341. 

D 

Damas.   —  Disparition  d'un   en- 
fant chrétien,  475,  545. 
Devaux  (Lo  peintre),  417. 


Dimanche    (Le    repos    du),    par 

M.  Chesnelong,  397,  466. 
Dot  (la)  des  religieuses,  637. 

Education  morale  (Comment  faire 

une),  289. 
Eglise  (L'j  et  la  question  sociale, 

127,  356. 
Emin-Pacha  et  Stanley,  832. 
Esclavage.  — Abolition  et  répres- 
sion de  l'esclavage  en  Tunisie, 

581. 
Eucharistie  (La  charité  de  Notre- 

Seigneur    dans    1'),     par   Mgr 

Combes,  181,  225. 
Evèques.  —  Ce  que  c'est,  71. 
Evoques  (Les  nouveaux).  —  Mgr 

Lecot,  Mgr  Oury,  MgrMignot, 

Mgr  Hautin,  691. 


Fabriques.  —  (Saisie  des  biens 
des  fabriques),  478. 

Fléaux  (Trois),  un   remède,  617. 

Frkphel  (Mgr)  ;  Le  couronne- 
ment de  Notre-Dame  de  l'Epi- 
ne, 569  ;  allocution  sur  la  ques- 
tion sociale,  597.  —  V.  Cham- 
bres. 

G 

Galilée  (La  fille  de),  4 10. 
H 

Harmbl  (M.  Léon).  —  Hommage 
au  président  du  syndicat  de  l'in- 
dustrie roubaisienne,  33. 

Hommes  du  siècle  (Pléiade  des 
grands),  129,  193. 


Index  (Livres  à  1'),  42. 
Inquisition  (L'),  122,  169, 
IsoARD(Mgr). — La  fascination  du 

progrès  matériel,    292. 
Italie  ^Le    radicalisme    en),    516. 

(V.    Nouvelles     religieuses     et 

chronique). 

J 

Jeanne  d'Arc.  —  Les  Fêtes  d'Or- 
léans, 425. 

Jésuites  en  Allemagne.  —  Leur 
situation,  131,  189. 

Journée  (La)  de  huit  heures,  463. 

Juifs.  Disparition  d'un  enfant 
chrétien  à  Damas,  475,  545. 


TABLE    ALPHABETIQUE 


727 


LaïcisatioQ  (La)  et  M.  Renan,  305. 

Lavigeuie  (Le  cardiaal).  —  Let- 
tre sur  les  dangers  dont  mena- 
cent l'Afrique  les  sectes  musul- 
manes, 136,  196,  238.  —  Lettre 
aux  supérieurs  de  ses  séminai- 
res, 153. 

Lettenhove  (M.  de),  —  Marie 
Stuart,  83. 

LÉON  XIII.  —  Discours  aux  pèle- 
rins allemands  dans  l'audience 
de  8  mai,  337.  (V.  Nouvelles 
religieuses.) 

Livres.  —  V.  Bulletin  bibliogra- 
phique. 

Loi  militaire  (L'exécution  de  la 
nouvellel,  par  Mgr  Turinaz, 
113,  176. 

Lois  de  Mai  (Les),  335. 

ni 

Mariage  chrétien  (Le),  par  Mgr 
Turinaz,  15,  63. 

MoNSABRÉ  (R.  P.).  —  6^ conférence 
à  Notre-Dame  de  Paris,  34.  — 
Allocution  après  la  commu- 
nion pascale,  78.  —  Remercie- 
ments au  cardinal-archevêque 
de  Paris,  103. 

Montpellier  (Centenaire  de  l'Uni- 
versité), 589. 

MoREAU  (M.  l'abbé).  —  Huit  jours 
à  la  Grande  Trappe  de  Soligui, 
629,  680. 

Mort  (Triomphe  dans  la)  :  M.  H. 
Bayard,  30. 

Nécrologie.  —  Mgr  de  Haerne, 
doyen  d'âge  de  la  Chambre  des 
représentants  de  Belgique,  42. 
— M. le  comte  A.  de  Pontmartin, 
43.  —  Le  général  Ambert,  45.  — 
Docteur  Trélat  [ibid.].  —  Mgr 
GroUeau,  évêque  d'Evreux,  100. 
—  M.  Scliindler,  dernier  prési- 
dent de  la  République  de  Cra- 
covie,  101.  —  M.  l'abbé  Jules 
Morel  (ibid.)  —  Général  Casso- 
la, 371. —  Vice-amiral  Dupetit- 
Thouars,  427.  — E.  de  Soye,  di- 
recteur de  la  Semame  iJe/t^tewse 
de  Paris,  429.  —  Général  de 
Beaufort  d'Hautpoul,  430.  — 
M.  le  vicomte  de  Goataut-Bi- 
ron,  537.  —  Le  prince  Nicolas 


Bibesco,  538. — Mgr  Dioder,  ar- 
chevêque de  Gnesen-Posen,  539. 

Notre-Dame-de-l'Epine,  par  Mgr 
SouRRiEu,  518.  —  Le  couron- 
nement, discours  de  Mgr  Frep- 
PEL,  5G9. 

Nouvelles  religieuses.  —  Rome 
et  Italie  :  102.  —  Bref  au  corps 
professoral  de  l'Université  de 
Fribourg,  150,  151.  —  Lu  jeu- 
nesse d'Italie  au  Vatican,  208, 
274.  —  La  loi  sur  les  œuvres 
pies  au  Sénat,  315.  —  Lettre 
du  cardinal  Rampolla  au  Pré- 
sident de  l'œuvre  des  congrès 
catholiques,  316.  —  Difficultés 
financières  de  la  municipalité 
romaine,  443.  —  Organisation 
de  la  hiérarchie  dans  les  lades 
occidentales,  444.  —  Congréga- 
tion des  rites  et  les  causas  de 
béatification,  481.  —  Nou- 
velles de  S.  S.  Léon  XIII,  482, 

539.  —  Emeutes  en  Romagne, 

540.  —  Le  prochain  consistoire, 
592.  —  Le  nouvel  envoyé  bri- 
tannique, 594. —  Souvenirsdu 
pèlerinage  ouvrierfrançais,  650. 

—  Promulgation  de  décrets  de 
laS. Congrégation  des  Rites,651. 

—  Consistoiredu  23  juin, 700.  — 
France. —  Alger:  Lettre  du  car- 
dinal Lavigerie  aux  supérieurs 
de  ses  séminaires,  153.  —  Lettre 
do  l'Ouganda  à  S.  E.  le  cardi- 
nal Lavigerie,  656.  —  Angers  : 
Allocution  de  Mgr  Freppel,  597. 

—  Autun  :  Ordonnance  contre 
le  «  nouveau  mois  de  Marie  de 
N.-D.  de  Lourdes  »,  275.  — 
Bayonne,  59(S.  —  Châlons  :  cou- 
ronnement de  N.-D,  de  l'Epine. 
483.  —  Chambéry,  483.  — Cam- 
brai :  une  statue  du  Sacré-Cœur 
dans  une  usine,  276;  541,  654. 
-—  Carthage  ;  Consécration  do 
la  cathédrale,  484.  —  Cier- 
mout-Ferrand  :  Fête  de  N.-D. 
du  Port,  445,  542.  —  Dijon  :  A 
Auxonne  sacre  de  MgrSoanois, 
évêque  de  Saint-Dié,  56.  —  Le 
Puy,  598.  —  Orléans,  153.  - 
Paris  :  Assemblée  de  l'œuvre 
de  l'hospitalité  de  nuit,  55  ;  Re- 
merciements au  R.  P.  Mon- 
sabré,  103;  152,  318,  372,  373; 
La  procession  de  la  Fête-Dieu 


728 


ANNALKS    CATHOLIQUES 


595;  Manifestation  à  Montmar- 
tre, 651.  —  Quimper,  653.  — 
Saint-Dié  :  Lettre  pastorale  de 
Mgr  Sonnois  à  l'occasion  de 
son  arrivée  dans  son  diocèse, 
319  ;   Visite  à  Domrémy,  447. 

—  Toulouse  :  Réunion  des  évê- 
ques  de  l'Institut  catholique, 
599.  —  Tours,  655.  —  Valence  : 
M.  l'abbé  Hey,  le  vaillant  curé 
de  Malissard,  375.  —  Vannes  : 
Procession  de  la  Fête-Dieu, 
655.  —  Versailles  :  Epreuve 
heureusement  terminée,  320. 
Etranger.  —  Allemagne  :  Con- 
grès des  catholiques  allemands, 
485.  —  Autriche,  486.—  Egypte  : 
Pèlerinage  de  Pénitence,   321. 

—  Espagne  :  Lettre  du  Pape 
à  Mgr   révoque   d  Urgel,   278. 

—  Etats-Unis  :  487.  —  Hol- 
lande, 100.  —  Japon,  589.  — 
Suisse  :  Promotion  de  S.  G. 
Mgr  Mermillod  au  cardinalat, 
490,543.  —Turquie,  544. 

O 

Oberamniergau(Les  fêtes  de),  533. 

Ouvrier  (Le  salaire  de  1'),  505. 
I» 

Papes  (La  souveraineté  tempo- 
relle des),  5,  57. 

Paray-le-Monial.  —  Le.]ubilé,720. 

Paroisses  (Des)  et  des  curés,  281, 
341. 

Peruaud  (Mgr).  —  Les  sénnina- 
ristes  A  la  caserne,  8. 

Persécution  (La)  fiscale,  673. 

Pluot  (M.  l'abbéj.  —  La  souve- 
raineté des  Papes,  5,  57.  —  Dos 
paroisses  et  des  curés,  28 1 ,  341 , 
628. 

Pompes  funèbres.  —  Dispositions 
législatives,  644. 

Pi  ogres  matériel  (Fascination  du), 
par  Mgr  Isoard,  292. 

Propriétaires  chrétiens  (Le  con- 
grès des),  259. 

Q 

Questions  de  législation  touchant 
les  pompes  funèbres,  C44. 

Question  romaine  (La)  interna- 
tionale, 339. 

Question  sociale  (La)  et  l'Eglise, 
127,  356.  —  La  question  sociale 
et  Mgr  Freppel,  597. 

Quito.  —  La  basilique  du  Sacré- 
Cu.'ur  à  Quito,  634. 


R 

Religieuses.  —  Leur  dot.  —  Dé- 
cision judiciaire,  637. 

Re.nan  (M.)  et  la  laïcisation,  305. 

Révolution  (La)  et  les  Sœurs,  304. 

Richard  (S.  Em.  le  cardinal),  ar- 
chevêque de  Paris. —  Remercie- 
ments au  R.  P.  Monsabré,  103, 

Sacré-Cœur.  —  Basilique  à  Quito, 

634. 
Séminaristes  (Les)   à  la  caserne, 

par  Mgr  Perraud,  5. 
Socialisme,  144. 
Socialisme    contemporain    (Le)  , 

347,  393. 
Société(  La  constilution  chrétienne 

de  la)  par  M.  l'abbé   Wagner, 

361. 
Société  contemporaine.  —  Le  feu 

à  la  maison,  231. 
Sœurs  (Les)  et  la  révolution,  304. 
SouRRiEU  (Mgr),  év.  de  Châlon.«. 

—  Notre-Dame  de  l'Epine,  518. 
Spiritisme  (Nouveaux  mensonges 

du).  414,  449. 
Spoliation  (Une),  614. 
Stanley  et  Emin  Pacha,  332. 
Stuart  (Marie),  83. 
Suffrage  uni versel(Le)et  M. Taine, 

408. 
Suicide  (Lel,  561. 
Suisse.  —  Un  épisode  de  la  lutte 

religieuse,  529. 

X 

Tainb  (M.)  et  le  suffrage  univer- 
sel, 408. 

Talleyrand  (Les  mémoires  do), 
par  M.  de  Blowitz,  584. 

Trappe  de  Soligni  (Huit  jours  à 
lai,  629,  680. 

Tribunaux,  637. 

Tunisie.  —  Abolition  et  répres- 
sion de  l'esclavage,  581. 

TuRiNAZ  (Mgr),  év.  de  Nancy.  — 
Le  mariage  chrétien,  15,  63.  — 
L'exécution  de  la  nouvelle  loi 
militaire,  113,  176. 

V 

Wagnek  (M.  l'abbé  J.). — La  cons- 
titution chrétienne  de  la  so- 
ciété, 361. 

Vicq.  —  Laïcisation  de  l'Ecole, 
668. 

WiTZ  (M.  Aimé) —  Causerie  scien- 
tifique, 309. 


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