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ANNALES
CATHOLIQUES
NOUVELLE SERIE
II
A.vfîiî^-jïji:v
1890
lARIS. — IMP. G. PICQUOIN, 53, RUE DE LILLE, f'3
ANNALES
CATHOLIQUES
REVUE HEBDOMADAIRE
PUBLIÉE AVEC L'aPPROBATION ET l'eNCOUHAGEMENT
DE LEURS ÉMINENCES Me' LE CARDINAL-ARCHEVÊQUE DE ROUEN
ET LE CARDINAL-ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI,
DE LL. EXC. M?"" l'archevêque DE REIMS, ET LES ARCHEVÊQUES DE TOULOUSE
DE BOURGES, d'aIX ET DE BESANÇON, ET DE NN. SS. LES ÉvÊQUES d'aRRAS,
DE BEAUVAIS, d'aNGERS, DE BLOIS, DE CAHÛRS, d'ÉVREUX, DU MANS,
DU PUY, DE LIMOGES, DE CHALONS, DE MEAUX, DE MENDE, DE NANCY,
DE MARSEILLE, DE NANTES, DE NEVERS, DE NIMES, d'ORLÉANS, DE PAMIERS,
DE SAINT-CLAUDE, DE SAINT-DiÉ, DE TARENTAISE, DE TROYES, d'aUTUN,
DE VANNES, DE SÉEZ, DE FRÉJUS, d'aNNEGY, DE CONSTANTINE, d'hÉBRON,
DE CARACAS, DE CARTHAGÈNE, d'oLINDA, DE LEON DU MEXIQUE, ETC.
RÉDACTEUR EN CHEF
P. CHAIVTREL
CHEVALIER DE l'oRDRE DE l'iMMACULÉE-CONCEPTION
TOME II
A V i\iiL,.ji;i:v
(tome LXXII de la COLLECTION)
PARIS
114, RUE BLOxMET, 114.
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21957
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ANNALES CATHOLIQUES
LA SOUVERAINETE TEMPORELLE DES PAPES
Une des questions qui auront le plus passionnément agité les
esprits dans la seconde moitié du xix« siècle, est celle de la
souveraineté temporelle de la Papauté. Elle a été traitée dans
les livres et les brochures ; elle a été portée à la tribune du
Sénat et du Corps législatif; la presse de France, d'Angleterre,
d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne, d'Autriche, bref, la presse de
l'Europe et de l'Amérique s'en est vivement occupée. Les
évêques en ont parlé dans leurs mandements, et les souverains
Pontifes en ont fait l'objet de leurs allocutions consistoriales et
de leurs notes diplomatiques. C'est que sous cette question se
trouve cachée une autre question plus importante encore, celle
de la dignité et de l'indépendance du Saint-Siège. Nous allons,
en quelques mots, considérer cette souveraineté temporelle dans
sa préparation providentielle et dans son établissement définitif.
Sa préparation providentielle.
Le pouvoir temporel de la Papauté n'est pas l'œuvre d'un
jour, ni même d'un siècle. Ce pouvoir s'est développé successi-
vement sans qu'on puisse lui assigner un jour fixe. On peut dire
qu'il remonte à saint Pierre lui-même, quoiqu'on n'en aperçoive
les premiers développements que dans les lois et les actes de
Constantin. La manière dont elle s'exerçait, dès le temps des
Apôtres, ne diffère pas de celle qu'on a vue dans les siècles sui-
vants, qui n'ont fait que lui donner plus d'indépendance et un
territoire sur lequel son action s'exerce avec plus d'empire. Les
Actes des apôtres et les épîtres de saint Paul en fournissent la
preuve. Dès les premiers temps, les fidèles apportaient le prix
de leurs biens aux pieds des apôtres ; Ananie et Saphire, qui
avaient secrètement retenu une partie de l'argent qu'ils devaient
apporter à la masse commune^ furent vivement repréhendés par
saint Pierre et frappés de mort.
C'est à l'époque de Constantin que l'on vit, pour ainsi dire,
sortir de terre la royauté pontificale, qui se trouvait en germe
dans l'Eglise depuis le temps de saint Pierre. Le droit de l'Eglise
sur ses biens fut solennellement reconnu. Constantin arrive,
Lxxil — 5 Avril 1890 i
6 ANNALEt CATHOLIQUES
il j^nd la pail à rEj^lise/Il^se-ôoiiTertit., Avec un tact remai^
quâblê pour un païen à peine converti, il sent que la puissance
impériale serait mal à l'aisë'à côté de la puissance pontificale ;
il se rend compte que sa place n'est pas à Rome. Il voit qu'il y
a là un, autre prince dont le pouvoir va bientôt «'çtendre si^r le
monde entier. Il se transporte donc dans l'antique Bvzance, j
cï^Q une nouvelle 'ville qui portera son nom. C'est Constanti-
no^le. Il avait fait auparavant au Saint-Siège de nombreuses
largesses. Quelques historiens ont voulu les contester. « Mais,
dit Mgr Maupied, l'authenticité de la donation constantinienne
est appuyée sur des monr.ments trop graves, trop nombreux,
trop certains, pour qu'il soit permis de la répudier. »
A partir de ce moment, la Rome païenne, devenue chrétienne,
tourne de plus en plus ses regards vers le pontife, chef de
l'Eglise, et ne pense guère à ses anciens Césars. Les "barbares
descendent dans les plaines de l'Italie; les pauvres empereurs
romains et grecs ne sont plus capables de défendre les popula-
tions contre les horde? sauvages, mais la papauté les protège,
et Léon Je' arrête la fureur d'Attila. L'Italie n'attend plus aucun
secours des empereurs de Constantinople; elle s'accoutume à
voir dans le pape son chef spirituel et temporel. Des villes, des
provinces se mettent sous sa protection. Sous saint Grégoire-le-
Gi*aud, la Papauté possédait déjà vingt-trois domaines, dont
l'on comprenait les Alpes cottieniics, c'est-à-dire la ville de
Gênes et la côte maritime jusq'u'à la frontière des Gaules. De
plus, elle avait en propriété plusieurs villes du nord et du sud
de l'Italie, telles que Gallipoli, Naples, etc. Mais, c'est surtout
à partir du viii* siècle que la souveraineté temporelle de la
Papauté va prendre de rapides accroissements.
Son établissement définitif.
Aribert roi des Lombards, après avoir fait la guerre à
l'Eglise pendant quelque temps, se soumit au Pape Jean VII,
lui rendit les Alpes Oottiennes et plusieurs villes, entre autres
Bobbio. Un des successeurs d'Aribert, Luitprand, s'étant emparé
de la Toscane, la donna au Snint-Père ; c'est là, à proprement
parler, le patrimoine de saint Pierre. Luitprand avait parfaite-
ment le droit de faire cette donation, car il avait conquis la pro-
vince, et les empereurs grecs ne pouvaient ni ne savaient la
défendre, bien moins encore la reprendre. Dès cette époque,
Rome était considérée par tous comme appartenant aux Papes,
LA SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DES PAPES 7
par la donation du temps même, le premier ministre de la Pro-
vidence, poiu' les affaires de ce monde. La Campagne et la
Maritime avaient été depuis longtemps abandonnées par les
empereurs de Constantinople ; ces deux provinces s'étaient
données au chef de l'Eglise qui seul pouvait les protéger. Les
choses en étaient là quand apparurent deux héros suscités par
Dieu et envoyés par la France pour établir définitivement la
souveraineté temporelle du Souverain Pontife. Ce sont Pépin le
Bref et Charleraagne.
Intervention des rois de France dans V établissement
de la souveraineté temporelle.
Quand Pépin le Bref descendit en Italie à la tête de ses vail-
lants Francs, le pouvoir temporel du Pape existait à la vérité ;
mais trop souvent à cause des incursions des barbares, de la
félonie des Goths et des Lombards, la propriété n'en était pas
assurée. Il fallait rendre impuissants ces peuples ou les tenir
en respect par un grand déploiement de forces. C'est ce qu'exécuta
Pépin. Une première fois,il se rend en Italie pour abattre la morgue
des Lombards. Il bat leur roi Luitprand, le force à lui rendre
l'Emilie, la Flaminie et la Pentapole. A peine a-t-il reçu ces
provinces qu'il s'empresse d'en faire une donation solennelle au
Saint-Siège. Il y ajouta quelques autres villes et ainsi il donna
au Pape, qui était alors Etienne III, vingt-deux villes à perpé-
tuité pour compléter l'indépendance temporelle du Saint-Siège.
Cette donation eut lieu, non à Rome, mais en France, dans la
célèbre assemblée de Qniercy, où parut le Pape qui, pour se
soustraire aux vexations des Lombards, était venu en France.
L'illustre chef des Francs déclare qu'il n'est pas venu pour faire
des conquêtes, mais qu'il est accouru pour défendre l'Eglise.
Chose remarquable ! le prince franc, en faisant cette donation,
ne parle que de restitution. Cela nous prouve que l'on regardait
le Pape comme étant depuis longtemps le propriétaire légitime
de ces domaines, que les Lombards, en les lui prenant, s'étaient
rendus coupables d'injustice, et qu'en les lui rendant, ils ne fai-
saient qu'une restitution.
Oharlemagne, successeur de Pépin, dès 774, confirme la dona-
tion de QuiercA^^ il y ajoute l'île de Corse, Parme et Mantoue,
tout l'exarchat de Ravenne, les provinces de Venise et
d'Istrie, avec les duchés de Spoléte et de Bénévent. En l'an 800,
il alla à Rome se faire couronner par le Pape, reconnaissant
8 ANNALBS CATHOLIQUES
ainsi au yeux de tout l'univers la puissance temporelle du Pape.
Le successeur de Charleraagne, Louis le Pieux, par un acte
célèbre de 817, confirma aux papes les donations faites à
l'Eglise romaine. Cette donation parle spécialement du duché
de Rome, de l'exarchat de Ravenne et de leurs dépendances.
Voilà l'origine et le développement delà souveraineté tempo-
relle du Saint-Siège. D'ailleurs, au Moyen-Age, on n'eût pas
compris un pape sans pouvoir temporel, le chef de l'Eglise
devait être nécessairement aussi un prince temporel.
{A suivre.) Abbé Pluot.
LES SEMINARISTES A LA CASERNE
(Suite et fin. — Voir le numéro précédent.)
Mais ici se dresse le plus spécieux et le plus populaire des
arguments en faveur de l'universalité du service militaire sans
exception aucune et contre le privilège d'exemption dont la
législation civile, respectueuse des droits de l'Eglise, accordait
jusqu'alors le bénéfice au clergé.
Je n'ai aucune intention de l'éluder. Je veux au contraire
l'exposer de la façon la plus loyale.
Voici, nous dit-on, deux jeunes gens sortis du même village.
L'un, devenu soldat, s'en ira mourir au Tonkin, loin de sa
mère, en proie à d'indicibles souffrances ; l'autre entré au
séminaire deviendra prêtre et peut compter sur une existence
paisible, commode, honorée. Une telle différence de destinée
n'est-elle point scandaleuse? La justice et l'égalité n'exigent-
elles pas que le plus onéreux de tous les impôts, qui est l'impôt
du sang, soit équitablement réparti, entre tous les citoyens et
que, le moment venu, tous sans distinction, puissent être exposés
à périr sous les balles ennemies ou à mourir de la fièvre palu-
déenne dans une salle d'hôpital, à cinq mille lieues de leur
famille et de leur clocher natal?
Présenté sous cette forme concrète et saisissante, cet argu-
ment semble d'une évidence tellement irrésistible qu'on se
demande, s'il est possible, s'il est prudent, de lutter contre les
émotions qu'il provoque infailliblement.
Je ne me dissimule pas qu'en pareille matière il n'est pas
facile d'arriver à vaincre et à convaincre. Il faut cependant
essayer.
LES SÉMINARISTES A LA CASERNE 9
Sans doute, l'égalité est une grande chose, et, si Ton veut,
une des conquêtes les plus importantes de l'esprit moderne sur
l'ancien régime. Mais de ce que tous les citoyens jouissent des
mêmes droits devant la loi, sans distinction de naissance ou de
caste, et de ce que tous ont des devoirs à remplir envers la pa-
trie, s'ensuit-il nécessairement que ces devoirs doivent revêtir
la même forme et être absolument identiques? La science rûo-
derne incline chaque jour davantage à penser que la plupart
des phénomènes naturels, tels que le mouvement, la lumière, la
chaleur, l'électricité, le magnétisme, etc., ne sont que des
manifestations diverses d'une même force, laquelle, une dans
son principe, se traduit de différentes manières et multiplie
ainsi les services dont l'humanité lui est redevable. 11 y a donc
entre ces manifestations diverses une réelle équivalence, puis-
qu'elles ne sont toutes que les applications d'une même énergie.
La lumière n'est pas l'électricité et l'électricité n'est pas la
lumière : toutes deux rendent des services non pas identiques,
mais équivalents; qui voudrait sacrifier l'une à l'autre, sous
prétexte que la stricte égalité l'exige, mutilerait d'une façon
absurde l'oeuvre si harmonique du Créateur qui excelle à con-
cilier la variété avec l'unité. En s'aidant de cette comparaison,
ne peut-on pas dire aussi que le dévouement à la patrie est une
force unique dans son principe, mais qui comporte des diversités
d'application entre lesquelles il y a une véritable identité par
équivalence, comme il 3' en a une entre les forces naturelles^
bien que chacune de celles-ci ait son rôle spécial et garde soa
autononie?
D'ailleurs, et c'est ici que je veux prendre l'adversaire
corps à corps, est-il bien démontré que, de ces deux jeunes gens
désignés, l'un pour la caserne et la carrière militaire, l'autre
pour le séminaire et la carrière ecclésiastique, le second doive
à sa profession des privilèges que tout le monde lui envie?
Rien n'est plus en faveur de nos jours que la méthode expé-
rimentale. Voici de quelle façon, si cela dépendait de moi, je
voudrais pouvoir appliquer cette méthode au problème dont il
s'agit de trouver la solution. Il va de soi, du reste, que l'en-
quête hypothétique dont je parle devrait être contradictoire et
que, si j'avais mission de la faire, je tiendrais absolument à être
accompagné de quelques-uns des partisans les plus décidés de
l'obligation du service militaire imposée, à titre de justice et
d'égalité, aux futurs ministres du sanctuaire.
10 ' ' '' 'ANNALES CATHOLIQUES
Je voudrais les inviter à me suivre dans cette caserne oii se
trouvent réunis, depuis la veille, les conscrits du dernier con-
tingent. En dépit des libations copieuses, des promenades avec
le tambour et le drapeau, des chants patriotiques criés à tue-
tête jusque bien avant dans la nuit, les pauvres enfants ont le
cœur bien gros. Il ne faudrait pas grand'chose pour provoquer
leurs larmes. Il n'j aurait qu'à leur rappeler en quelques mots
les adieux échangés l'avant-veille avec les parents et les amis
du village; les sanglots de la mère et peut-être delà fiancée; la
conduite faite par le père et les frères jusqu'à la gare de départ;
les embrassements hâtivement donnés et retins au moment oii
le train s'ébranle et va se mettre en marche.
Or, je suppose qu'il fût en mon pouvoir d'oft'rirà ces nouveaux
soldats d'échanger leur sort contre celui de nos séminaristes; à
la condition cependant de contracter les engagements par les-
quels ceux-ci se lient non pour trois ou cinq ans, mais pour tout
le reste de leur vie, diît-elle les conduirejusqu'à la vieillesse la
plus avancée.
•Voyez, diraiô-je à nos ooascrits : on ne se lasse pas de répéter
que c'est vous qui payez l'impôt le plus onéreux à la patrie par
votre assujettissement au service militaire, avec toutes ses con-
séquences possibles, probables, redoutables. Or, il ne dépend
qti«» de vous de vous y soustraire. Echangez la capote contre la
soutane; entrez au «éminaire où, malgré le sérieux des études,
v<:rti8' tifonverez nn règlement moins sévère et un régime de vie
xfltotns pénible qu'à la caserne. Toutefois, ne vous j méprenez
pas. Votre exemption du service militaire, de ses corvées, de sa
terrible discipline, des éventualités périlleuses auxquelles il
vous expose, ne vous sera accoi^dée que si vous devenez prêtres.
Par un vœu formel et sacré entre tous, vous devrez renoncer à
la •possibilité de vous marier et de devenir chefs de famille. La
plus grande partie, sinon la totalité de votre existence, se pas-
sera'dans l'austère solitude d'un presbytère de campagne.
Hommes de tofts, vous n'aurez pins le droit de vous appartenir
à vous-mêmes. Les enfants, les pauvres, les malades, les mori-
bonds réclameront votre ministère : en aucun cas, vous ne serez
autorisés à le leur refuser, malgré les fatigues, le poids de V^^^
ou les infirmités. Les années passeront : mais il ne viendra
jamais une heure oii il vous sera permis de dire : Mon service
est fini: je "Vais être libéré; demain, je rentrerai dans la vie
■ ordinaire de mes concitoyens; je serai maître de disposer de
LES SÉMINARISTES A LA CASERNE 11
moi et d'org-aniser mon existence comme bon me semblera.
Non : vous ne pourrez jamais parler ainsi. Quand vous aurez
été enrôlés dans la milice sacrée, ce sera pour toujours. A cet
égard, l'Eglise ne trompe personne; elle est d'une loyauté
absolue. Il y a dans le cérémonial de ses ordinations un moment
solennel entre tous, c'est lorsque, de sa part, l'évêque consé-
crateur rappelle une dernière fois aux jeunes gens qui sont
debout devant lui la nature et l'irrévocabilité des engagements
qu'ils se disposent à contracter. « Réfléchissez encoi^e, leur
dit-il ; personne ne vous contraint à prendre sur vos épaules le
fardeau de ces obligations. Mais si vous aliénez vous-mêmes cette
liberté de l'homme naturel, sachez qu'elle ne vous sera jamais
rendue,; c'est jusqu'à la mort qu'il vous faudra être captifs de
vos vœux, »
Eh bien! mes amis, ajouterais-je après cette petite leçon de
théologie et de droit ecclésiastique, acceptez-vous de permuter
avec nos séminaristes?
Je ne crois pas exagérer en affirmant que sur cent jeunes
soldats auxquels je tiendrais ce langage, quatre-vingt-dix-neuf
me répondraient sans hésitation : Merci, Monseigneur, de vos
offres obligeantes, mais nous savons à quoi nous en tenir; et,
sacrifice pour sacrifice, nous préférons de beaucoup rester à la
caserne et, s'il le faut, payer un jour l'impôt du sang que d'en-
trer au séminaire pour y prendre des engagements et nous
vouer à des sacrifices pour lesquels nous ne nous sentons ni
goût, ni aptitude.
Si cela est vrai, qui osera dire que l'immolation radicale et
perpétuelle du moi humain, imposée par les vœux du sacerdoce
consciencieusement observés, ne dépasse pas tout ce qu'il peut y
avoir de plus pénible ou déplus hasardeux dans la vie militaire?
Je n'insisterai pas davantage pour rechercher s'il y a ou s'il
n'y a pas inégalité entre le sacrifice du soldat et le sacrifice du
prêtre. Dieu me garde d'exalter l'un aux dépens de l'autre. A
des titres divers, tous les deux ont droit au respect et à l'admi-
ration d-e quiconque est capable de sentiments élevés. Mais au
moins, et pour revenir à la comparaison scientifique dont je me
suis servi plus haut, qu'il me soit permis de dire qu'entre ces
deux formes de service public et social, comme entre les forces
du monde naturel, il y a identité par équivalence.
Ce qui serait contraire à l'égalité, telle que la réclame la
justice, ce serait, par exemple, que tous les fils de sénateurs om
12 ANNALES CATHOLIQUES
de députés fussent exempts du serrice militaire à cause de la
situation politique de leurs pères. Voilà ce qui constituerait un
réel et scandaleux privilège contre lequel auraient droit de pro-
tester tous les autres Français. Pourquoi? Parce qu'une telle
exemption, uniquement fondée sur le hasard de la naissance,
n'aurait rien de commun avec le principe si sage de l'équiva-
lence des services qui est l'unique manière d'appliquer, d'une
façon intelligente et vraiment juste, la loi de l'égalité.
Tout au contraire, la vocation ecclésiastique qui a, si on le
veut, ses avantages et même, pour parler officiellement le lan-
gage de l'Eglise, ses immunités et ses privilèges fondés sur la
nature exceptionnelle de son mandat et de ses devoirs, mais
qui entraîne après elle des renoncements très effectifs et perpé-
tuels, est ouverte à quiconque se croit légitimement appelé à
en porter l'honneur et le fardeau. L'Eglise n'a jamais dit, et
elle ne dira jamais : Devenez les ministres de mes autels pour
échapper à la glorieuse et périlleuse obligation de défondre le
drapeau de la patrie. Mais elle dit à celle-ci : En compensation
des services temporaires qui vous sont rendus par ceux de vos
fils auxquels tous donnez l'uniforme du soldat, recevez les
sacrifices auxquels se vouent pour toute leur existence quel-
ques-uns de vos enfants que Jésus-Christ choisit pour être ses
apôtres et au courage desquels, à l'entrée d'une carrière toute
d'abnégation et de renoncement, il propose ce que saint Paul
appelait dans son énergique langage « la mort de tous les
jours ».
En fait, d'ailleurs, l'égalité stricte et rigoureusement absolue
est une pure chimère. A moins de couler dans un nouveau
moule une humanité de tout point conforme aux rêveries
des utopies égalitaires, et tant que nousdemeureronscequenous
sommes, c'est-à-dire les fils d'Adam, nous ne serons pas et nous
ne pourrons pas être égaux. Les uns feront des lois et les autres
feront des souliers; ceux-ci seront ministres et ambassa-
deurs, ceux-là seront commis et garçons de bureau ; il y aura
des oisifs qui dépenseront, sans se donner jamais une heure de
peine, cent mille livres de rente, il y aura des ouvriers qui, en
travaillant dix heures par jour, auront la plus grande peine à
gagner trois francs pour faire vivre cinq ou six personnes. Sans
doute, à l'aide d'une législation sage et de plus pénétrée de
l'esprit de l'Evangile, il deviendra possible d'apporter quelques
palliatifs aux abus d'une inégalité qui est inhérente à la force
LES SÉMINARISTES A LA CASERNE 13
des choses. Mais, en vain ferait-on contre elle dix révolutions
violentes, on déplacera les inégalités, on ne les supprimera pas.
Pourquoi donc ne pas se décider à respecter, au sein d'une
nation, des différences d'aptitudes, de vocations, de services
publics, dont chacune a sa raison d'être et qui, toutes réunies,
constituent l'harmonie et la force de l'ensemble ?
Certes, ce n'est nullement parce que nous n'étions pas tous
soldats, y compris les membres du clergé, que nous avons subi
nos douloureux revers d'il y a vingt ans; et, du temps du prince
de Condé et de Napoléon, nos aïeux qui n'enrôlaient pas de
force dans les rangs de l'armée les futurs ministres du sanc-
tuaire, faisaient assez bonne figure à Rocroi, à Austerlitz et à
Wagram.
Je me résume.
La loi du 15 juillet 1889 n'améliorera pas notre organisation
militaire; mais elle causera un préjudice considérable aux inté-
rêts supérieurs dont les évêques sont les gardiens et les défen-
seurs, et ils n'auront pas la consolation do penser que ce préju-
dice sera compensé par de sérieux avantages pour le bien du
pays. La force matérielle de la France n'en sera pas accrue et
sa force morale y subira un sérieux déchet. Or, mon cher Géné-
ral, vous le savez; ce n'est pas seulement avec des fusils et des
canons qu'on gagne les batailles et qu'un peuple humilié et
vaincu se rend digne et capable des revanches nécessaires. Il y
a une âme des nations et des armées avec laquelle ont compté
tous les grands capitaines, tant les anciens que les modernes.
César le savait bien, quand après une marche forcée durant
laquelle ses troupes avaient supporté, sans proférer une plainte,
les plus cruelles privations, il félicitait ses vieux légionnaires
de € n'avoir pas dit une seule parole qui fût indigne de la
majesté du peuple romain et de leurs précédentes victoires. (1)>
Nous sommes, mon Général, vous et moi, de ceux qui aimenT,
l'âme de notre chère France. Nous souffrons de tout ce qui
l'abaisse; nous sommes fiers de tout ce qui contribue à la rendre
plus grande, plus digne de son passé, plus apte à remplir s»
vocation providentielle laquelle consiste à être au milieu des
nations un vivant et perpétuel exemplaire de sagesse, de jus-
tice et d'honneur. Puissent nos hommes d'Etat se convaincre
(1) Nulla tamen vox est ab iis audita populi Romani majestate et
superioribus victoriis indigna (Cdsa. De bello Gallico, L YII, c. xvii).
14 ANNALES CATHOLIQUES
un jour que la guerre, yiolente ou mesquine, faite à la religion,
aux intérêts qu'elle représente, aux libertés supérieures dont
elle est la sauvegarde, ne sera jamais pour un peuple un prin-
cipe de prospérité politique et de progrès social!
Les «séminaristes à la caserne» s'y montreront dignes de leur
baptême et de leur vocation. Tous, ils auront à cœur de suivre
les conseils donnés avec tant d'autorité par le cardinal Lavigerie
au clergé de l'Eglise d'Afrique. Ils accepteront « virilement et
en esprit de foi l'épreuve qui leur est imposée, » ils feront leur
devoir de soldats et voudront être les modèles de leurs compa-
gnons d'armes par l'observation scrupuleuse de la discipline,
l'obéissance aux règlements, le respect des chefs, l'application
aux exercices de la vie militaire.
Ils feront encore à la caserne leur devoir de chrétiens et de
futurs ministres de Jésus-Christ, non pas, comme le dit encore
très sagement l'éminent archevêque d'Alger, « par l'exercice
d'un apostolat public oii ils se laisseraient aller aux inspirations
d'un zèle qui franchirait les bornes de la discrétion et de la
prudence; mais en donnant toujours et partout l'exemple de la
pureté, de l'honneur, de la probité de la vie. »
De la sorte, et jusqu'à ce qu'une réaction du bon sens ait
rendu à chacun la liberté de sa vocation spéciale et éliminé de
notre législation une anomalie principalement inspirée par le
désir de nuire à la religion, la présence des séminaristes à la
caserne resserra les liens de fraternelle et mutuelle sympathie
qui ont toujours existé dans notre généreux pays de France
entre ces deux hommes si bien faits pour s'entendre et se com-
prendre, s'eatr'aider et s'entr'aimer : le prêtre et le soldat.
J'en atteste, mon cher Général, nos si cordiales relations d'il
y a vingt ans, commencées sur les bords delà Meuse, le soir du
30 août 1870.
Le combat de Beaumont, prélude de la n'^faste journée de
Sedan, venait de se terminer. Avec ses mitrailleuses et sa
formidable artillerie, l'armée du prince de Saxe avait fait de
vrais massacres parmi nos cuirassiers, nos chasseurs, nos fan-
tassins. Notre ambulance était à peine installée dans la ferme
d'un petit hameau du village d'Autreconrt. Un des premiers
Français qui nous furent amenés était un officier supérieur
dont l'aumônier s'offrit à tenir le bras, tandis que les chirur-
giens le fouillaient avec leurs pinces pour y chercher une balle.
Le sang du blessé coulait abondamment sur la soutane du prêtre.
LE MARIAGE CHRÉTIEN 15
J'ai gardé longtemps, comme une sorte de relique, ce vête-
ment glorieusement souillé. Le prêtre, c'était moi : quant au
blessé, qui reprenait du service quelques semaines après dans
notre armée de la Loire, il est devenu le digne général auquel
je suis heureux de renouveler ici l'assurance de mes sentiments
les plus respectueux et les plus affectueusement dévoués.
Mgr Pkrraud.
LE MARIAGE CHRETIEN
(Suite. — Voir le numéro précédent.)
IV
Le premier effet du sacrement de Mariage est d'augmenter la
grâce sanctifiante dans les époux qui le reçoivent avec les dis-
positions requises. Il suppose comme disposition première la
grâce sanctifiante déjà possédée, ou l'exemption de tout péché
mortel.
La grâce sanctifiante que le sacrement de mariage augmente
et développe en nous est un bien, un trésor infiniment plus pré-
cieux que tous les biens de la oréation. Cette grâce est une par-
ticipation de la nature divine ; « elle élève l'essence même de
l'âme, dit saint Thomas d'Aquin, à un certain être divin » (1).
C'est l'enseignement de l'apôtre saint Pierre : « Par Jésus-
Christ, dit-il, Dieu nous a donné les très grands et précieux
bien)? qu'il nous avait promis, afin que par ses biens nous
soyons faits participants de la nature divine '2) ».
Cette participation de la nature divine efface et détruit com-
plètement dans nos âmes tous les péchés mortels, quelque nom-
breux qu'ils puissent être; elle nous rend justes, c'est-à-dire
doués d'une rectitude complète à l'égard de Dieu; elle nous
rend agréables à Dieu; elle fait de nous non plus ses serviteurs,
mais ses amis, et « cette amitié est pour nous une source de
gloire et de bonheur : In amicitia illius delectaiio bona » (3j.
Cette participation de la nature divine qui est la déification
de l'homme, donne à nos âmes une beauté, une lumière, une
splendeur qui constituent une plus parfaite ressemblance avec
(1) Jpsam essentiam animée ad qv.oddam esse divinum élevât, (ii.
Sent., dist. 26. q. 1, a 3.)
(2) II Petr., I, 4.
(3) Sap., vm, 18.
]6 ANNALBS CATHOLIQUES
le Fils, splendeur de la gloire de son Père et forme de sa subs-
tance (1). Par elle, élevés comme nous l'avons dit, à un [être
presque divin, nous devenons « les fils adoptifs de Dieu et les
cohéritiers de Jésus-Christ: Si filii et hœredes, hœredes quidem
Dei, cohœredes auiem Christi [2). L'héritage auquel nous avons
droit, est la vie éternelle, la possession éternelle et parfaite de
Dieu. Avec cette grâce nos âmes reçoivent l'Esprit-Saint, le
l'ère et le Fils, la Trinité tout entière, qui vient habiter en nous
dans sa bonté, dans sa puissance et dans sa gloire. Avec elle,
Dieu nous donne les vertus surnaturelles qui sont comme les
propriétés et les facultés de cette nature divine, qui s'ajoute à
notre propre nature et produit des actes surnaturels dignes
d'obtenir la récompense qui est Dieu lui-même.
Or, cette grâce dont la grandeur et la puissance ne peuvent
être qu'imparfaitement comprises dans les ombres de cette
terre, cette grâce, principe et commencement de la vie de la
gloire, est augmentée dans les époux par le mariage, selon le
degré des dispositions qu'ils apportent à la réception de ce grand
."racroment, et les vertus surnaturelles augmentent et se dévelop-
pent dans les mêmes proportions que la grâce sanctifiante (3).
Comme les autres sacrements, le mariage communique aux
âmes la grâce sacramentelle qui est la grâce sanctifiante elle-
même avec un droit aux grâces actuelles spéciales destinées à
l'accomplissement des devoirs qu'impose le mariage.
De plus, tous les actes méritoires augmentent la grâce sancti-
fiante et les vertus surnaturelles, et quand la grâce sanctifiante
et les vertus existent à un degré supérieur, les mérites eux-
mêmes sont plus grands; enfin les actes méritoires attirent des
glaces actuelles plus abondantes. D'où il faut conclure que la
fidélité parfaite des époux à profiter de tous ces secours divins
pour accomplir les devoirs du mariage estelle-même une source
toujours ouverte et admirablement féconde de grâces et de
bénédictions.
Mais quelle est cette grâce sacramentelle du mariage ? et quels
efi'ets est-elle destinée à produire? Le Concile de Trente répond
en ces termes:* C'est une grâce qui perfectionne l'amour naturel,
(1) Qui cum sit splendor (floriœ et forma substantiœe jus. (Hebr. i,3.)
(2) Rom., viii, 17.
(3j V. Ripalda, De Ente superaturalt, disp. 128, n. 98. — Suarez
De gratia^ lib. 9. cap. 4, n. 10 et seq. — Mazella, De Virtutibus,
disp. I, art. 8.
LE MARIAGE CHRÉTIEN 17
affermit l'union jusqu'à l'indissolubilité et sanctifie les époux *.
La grâce du mariage perfectionne l'amour naturel. Hélas !
quelle perfection ne réclame pas cet amour ! Il a l'enthou-
siasme des premiers jours et bientôt les retours attristés, les dé-
senchantements inévitables et les déceptions cruelles. Il se prend
aux attraits qui passent, à la beauté qui se flétrit comme une
fleur, aux promesses si souvent trahies. Il se crée des idoles,
puis au bout de quelques années ou de quelques jours, il les
renverse ou les brise et ne garde même pas le souvenir de ses
folles adorations.
Il est mobile; l'estime et le respect ne suffisent point aie
garder contre l'inconstance, la lassitude et le dégoût. Il demande
beaucoup, et presque toujours il donne bien peu. il ne connaît
ni la patience ni la miséricorde. Il ne supporte niles imperfec-
tions, ni les défauts, ni les froissements inévitables, même pour
les natures les meilleures et les plus dévouées, dans cette vie à
deux et dans les épreuves de ce contact de chaque instant.
Il faut donc que cet amour s'attache à la beauté des âmes
beauté éternelle parce qu'elle vient de Dieu ; il faut que Dieu
mette dans cet amour sa lumière, sa grâce, sa force, pour le
soutenir, le fortifier, l'élever, le transfigurer; il faut que Dieu
lui-même entre dans cet amour, parce que lui seul peut être à
la mesure de ses rêves, de ses aspirations et de ses espérances.
« La grâce dit encore le saint Concile de Trente, afî"ermit
l'amour jusqu'à l'indissolubilité ». Sans la grâce de Dieu
l'union des époux devient bientôt une lourde chaîne, et cette
chaîne si lourde se brise. La faiblesse, l'inconstance, la passion
trouveront mille raisons pour rompre les liens que Dieu n'a pas
bénis. Elles invoqueront contre l'indissolubilité la liberté, la
justice, la pitié pour l'époux qui est ou qui seprétend innocent;
les lois humaines se feront les complices des défaillances de cet
amour. Ici encore il faut le lien supérieur de la grâce de Dieu
qui seule aff'ermit l'union jusqu'à l'indissolubilité et sauvegarde
le bonheur et l'honneur des familles. < L'amour purement
humain, a dit un grand orateur, est une eff"ervescence passagère,
produite par des causes qui n'ont elles-mêmes que peu de
durée ; il naît le matin et se flétrit le soir. Ce n'est point l'acte
d'un homme maître de lui, sur de sa volonté, et portant l'énergie
du devoir jusque dans les jouissances intimes du cœur. L'amour
véritable est une vertu, il suppose une âme constante et forte,
qui, sans être insensible aux dons fugitifs, pénètre jusqu'à la
2
18 ANNALES CATHOLIQUES
région immuable du beau, et découvre dans les ruines mêmes
une floraison qui la touche et qui la retient. Mais l'âme chré-
tienne seule a ce goût créateur ; les autres s'arrêtent et voient
la mort partout. Deux jeunes gens s'avancent vers l'autel, à celte
belle cérémonie des noces ; il portent avec eux toute la joie et
toute la sincérité de leur jeunesse, ils se jurent un amour
éternui. Miiio bientôt la joie diminue, la fidélité chancelle, l'éter-
nité de leurs serments s'en va par morceaux. Que s'est-il passé?
Rien; l'heure a suivi l'heure; ils sont ce qu'ils étaient, sauf une
heure de plus. Mais une heure c'est beaucoup hors de Dieu.
Dieu n'était point entré dans leurs serments, il n'a pas été le
complice de leur amour, et leur amour finit parce que Dieu seul
ne finit pas * (1).
La grâce du mariage sanctifie les époux. Dieu qui les a
appelés à cette vocation leur accorde les moyens de se sanctifier
en accomplissant tous les devoirs qu'elle leur impose. La grâce
sacramentelle du mariage va jusqu'à la source première des
désordres de la chair qui se révolte contre l'esprit et contre la
loi de Dieu. Elle tempère et maîtrise la concupiscence en réta-
blissant l'ordre troublé par le péché de nos premiers parente,
de telle sorte que là où le péché a abondé la grâce surabonde.
Bien plus, «ce sacrement, dit saint Augustin, fait servir la
concupiscence à la justice et à la sainteté » (2). En efl'et, la
grâce qui vient du sacrement fait pratiquer la vertu, elle mul-
tiplie les actes surnaturels et donne à l'accomplissement de tous
les devoirs, aux déceptions, aux épreuves, aux sacrifices, un
mérite admirable. Elle donne au mariage lui-même et aux
époux, la gloire et les récompenses de la pureté du cœur et de
la vie.
Cette grâce qui sanctifie les époux, leur apporte aussi le
bonheur. p]n efl'et, le bonheur des époux n'est-il pas dans
l'amour profond et ardent, patient et fidèle ? N'est-il pas dans
l'union parfaite et éternelle des cœurs., dans l'accomplissement
du devoir, dans les triomphes de la vertu, dans la sainteté de
la vie ? Ce bonheur, sans doute, est incomplet et troublé comme
tous les bonheurs de cette terre; mais il soutient, il console, il
apporte à toutes les blessures le baume des saintes afi'ectiona
et à toutes les séparations déciûrantes, les .espérances des
(1) Lacordaire, 34» Conférence.
(2) S. Augustin ; De nuptiis et concup.iscentia, i, 5.
LE MARIAGE CHRÉTIEN 19
amours éternelles. Il n'a au-dessus de lui que la félicité plus
pure, plus parfaite, des cœurs que Jésus-Christ appelle à la
paix, aux visions, aux privilèges et à la gloire de la virginité et
de la paternité des âmes.
La Sagesse divine elle-même a loué le bonheur des époux.
« Jouis de cette vie avec l'épouse que tu aimes, dit-elle, tous
les jours de cette vie passagère, tous les jours qui te sont donnés
sous le soleil. C'est là ta part de bonheur en cette vie et pen-
dant ce dur labeur qui t'incombe sous le soleil » (1). — « Celui
quia trouvé une femme vertueuse a trouvé le bien et puisera
sa joie dans le Seigneur» (2). — « Qui trouvera la femme forte?
dit encore l'Esprit-Saint. Elle est plus précieuse que les tré-
sors apportés des pays les plus lointains. Le cœur de son mari
met en elle sa confiance et les biens ne lui manqueront pas.
Elle lui rendra le bien et non le mal tous les jours de sa vie...
Elle a ouvert sa bouche à la sagesse et la loi de clémence est
sur sa langue, Ses enfants se sont levés et ont publié qu'elle
était très heureuse ; son mari s'est levé et l'a louée. La grâce
est trompeuse et la beauté est vaine, la femme qui craint le Sei-
gneur est celle qui sera louée. Donnez-lui du fruit de ses mains
et que ses œuvres la louent dans l'assemblée des juges » (3).
Le mariage chrétien donne aux époux le bonheur dans les
enfants que Dieu leur accorde. Ces enfants ne reçoivent de
leurs parents fidèles à toutes les grâces de Dieu et à tous leurs
devoirs, que des inspirations élevées, de sages conseils et des
exemples de vertu. La paix, l'union, l'honneur habitent au
foyer de la famille devenue un sanctuaire où Dieu règne sur
toutes les âmes, sur tous les cœurs et sur toutes les vies.
Le Psalmiste a chanté ce bonheur des familles bénies de Dieu.
« Heureux, dit-il, tous ceux qui craignent le Seigneur et qui
marchent dans ses voies ! » Et s'adressant au chef de la famille :
« Votre épouse, dit-il, sera comme une vigne fertile qui cou-
vrira les murs de votre maison ». Autour de la table de la
famille, auprès du père et de la mère, les enfants nombreux,
soumis et heureux formeront une couronne de gloire comme
les rejetons de l'olivier, et à leur tour ils donneront des fruits
de joie et de bénédiction. « Vos enfants, dit le Roi-Prophète,
(1) Eccl., IX, 9.
(2) Prov., XVIII, 22.
(3) Prov., XXXI, 10 et seq.
20 ANNALES CATHOLIQUES
seront autour de votre table comme de jeunes oliviers. Ainsi
sera béni l'homme <iui craint le Seigneur. Que le Seigneur vous
bénisse, afin que vous contempliez les biens de Jérusalem pen-
dant tous les jours de votre vie et que vous voyiez les enfants
de vos enfants et la paix en Israël * (1).
Le mariage chrétien rend ainsi aux époux fidèles une part de
la gloire et du bonheur de la première union réalisée sous les
ombrages fortunés de l'Eden, aux jours de l'innocence et de la
justice primitives. Et qui pourrait dire ce que fut cette union
de l'homme et de la femme dans la pureté parfaite, dans la
domination souveraine de la raison sur les sens, dans la soumis-
sion absolue des passions à la loi de l'esprit, sous un ciel sans
orages, sur une terre resplendissante, à cette aurore de la
création ?
Nous avons démontré que le mariage chrétien est un sacre-
ment; nous l'avons étudié dans son essence, dans ses ministres
et dans ses effets. Nous devons, Nos Très Chers Frères, vous
dire sa dignité et sa grandeur. Rien n'est plus puissant pour
inspirer le respect profond du mariage ; aucun motif n'est plus
capable de persuader aux époux d'apporter à cette union, avec
les dispositions nécessaires, des sentiments généreux et de res-
ter toujours dignes de ce grand et auguste sacrement.
Mais pour bien comprendre la grandeur surnaturelle du ma-
riage, il importe d'étudier d'abord cette grandeur au point de
vue de la nature et de la raison, de constater qu'il a été tou-
jours et partout revêtu d'un caractère religieux et sacré.
La grâce, en effet, ne détruit pas la nature ; elle l'élève, la
transforme et la perfectionne. La religion chrétienne, ses
dogmes et ses préceptes, ses sacrements, son culte, ses institu-
tions, répondent admirablement à tout ce qu'il y a do vraiment
grand dans la nature humaine. Cette alliance parfaite de la rai-
son et de la foi, de la religion révélée et de toutes les nobles
aspirations de l'homme, est une des preuves les plus puissantes
de la divinité de l'Evangile et de l'Eglise catholique. La mé-
thode de démonstration qui s'appuie sur cette alliance, excel-
lente pour tous les temps, est parfaitement adaptée à l'état
actuel des esprits et aux tendances de notre siècle.
(1) Pa. cxwiii.
LE MARIAGE CHRÉTIEN 21
Le mariage est grand dans son institution première et essen-
tielle, parce qu'il est l'union intime de deux êtres vraiment
grands appelés à l'accomplissement de nobles devoirs et de ma-
gnifiques destinées. Il est l'union de deux êtres faibles dans
leur corps, mais portant dans leur âme la ressemblance et le
reflet de la gloire du Créateur, dans leur cœur une étincelle de
son amour, les rois de la création matérielle auxquels le Tout-
Puissant a délégué une part de sa souveraineté.
L'homme est le chef parce qu'il est la force, la raison plus
éclairée et plus maîtresse d'elle-même. La femme lui a été
donnée comme une aide et une compagne; inférieure au point
de vue de la force physique et morale, elle a la supériorité de
la bonté et du dévouement. L'alliance qui unit ces deux êtres
est donc une œuvre grande dans sa nature et dans les desseins
du Créateur. Dans cette union, les époux doivent se donner tout
entiers, donner leur àme,leur cœur et leur vie. Deux vies sépa-
rées, éloignées et indifl"érentes l'une à l'autre, se rencontrent et
s'unissent pour accomplir les vues de la Providence. Ce n'est
pas une union de quelques jours, car l'aflfection vraie ne compte
pas et se donne pour jamais. Ce n'est pas l'union de quelques
instants dans le cours rapide des années ; autant que le permet
la diversité des travaux et des devoirs, c'est l'intimité complète,
c'est presque l'identité de deux vies en une seule vie. Voilà ce
que demande la nature de l'homme dans ses plus hautes aspira-
tions. Mais nous l'avons déjà dit et nous le redirons encore, le
mariage chrétien seul peut accomplir de tels devoirs et réaliser
de telles espérances.
Le mariage est grand encore parce qu'il a pour but cette
grande mission de transmettre et de muliiplier la vie, de coopé-
rer à l'action créatrice de Dieu.
Mais la vie du corps n'est pas évidemment toute la vie de
l'homme. La famille est la source de la vie intellectuelle et
morale. Elle doit former et comme achever et perfectionner
l'âme de l'enfant, et cette mission est une des plus grandes, des
plus difficiles qui puissent être confiées à la faiblesse humaine.
Aussi Dieu a voulu que le mariage fût dès le principe une
œuvre religieuse et sacrée. Lorsque le Créateur eut édifié,
selon la parole de nos Livres Saints, ce chef-d'œuvre qui est la
femme tirée de la substance même de l'homme, lorsque Adam
éveillé de son sommeil mystérieux eut contemplé la compagne
qui lui était donnée, il célébra les noces de l'innocence et l'union
22 ANNALES OATHOJLIQUBS
parfaite du mariage. «Voici, dit-il, l'os de mes os et la chair de
ma chair; c'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère
et s'attachera à son épouse. » A ces accents, Dieu répond par
ses bénédictions : « Il les bénit et il dit : Croissez et multipliez,
remplissez la terre et soumettez-la. » Il y a dans cette institu-
tion solennelle et dans cette bénédiction une première consécra-
tion du mariage. Mais l'ordre que Dieu donne à nos premiers
parents comme le premier fruit de cette bénédiction, comme la
fin première de cette union, l'ordre de transmettre la vie et de
s'associer ainsi à son action créatrice, leur impose un grand
ministère. Ce ministère est, au simple point de vue de la raison,
religieux, sacré et presque divin. Ce ministère ou cette mission
a, en efl'et, pour but essentiel la connaissance et le culte de
Dieu, fin nécessaire et suprême de l'homme. Dieu multiplie les
hommes pour son service et pour sa gloire; les époux doivent
lui donner des fils et des serviteurs fidèles, qui lui seront unis
par les crovances et par la pratique des devoirs qui constituent
la religion elle-même.
« Seigneur, disait le jeune Tobie, vous savez que si je prends
une épouse, ce n'est pas pour satisfaire la passion, mais par
amour des enfants qui doivent bénir votre nom dans les siècles
des siècles » (1). C'est le but principal, essentiel du mariage.
Dieu lui-même ne pouvait lui donner une autre fin, car tout ce
qui existe doit se rapporter à son service et à sa gloire. Cette
fin du mariage est donc inséparable de la notion de la souve-
raineté et de la providence de Dieu, de la notion même de la
divinité. Elle s'impose à la raison, elle est si profondément
gravée dans la nature humaine que les égarements et la corrup-
tion du paganisme n'ont pu la détruire. Un des plus illustres
philosophes de l'antiquité, Platon, parle ici comme les Con-
ciles : 1 II faut, dit-il dans son Traité des Lois, il faut que les
parents engendrent et élèvent des enfants qui transmettent à la
postérité la flamme de la vie, afin qu'il y ait toujours des
hommes qui servent Dieu selon sa loi. » fiiïtip/l •
Le lien qui doit unir dans le mariage les cœurs et les vies est
un lien spirituel qui se résume dans un amour soumis à la loi
de Dieu et qui doit avoir pour première inspiration l'amour
même de Dieu, fin suprême et nécessaire une fois encore, des
époux, des enfants, de la famile tout entière. Et ainsi tout,
(1) Tob., VIII, 9.
UNE PAGE d'histoire CONTEMPORAINE 23
dans le mariage, son institution, l'alliance qu'il forme, le lien
qu'il établit, le ministère et la mission qu''il impose, tout est
spirituel, religieux et sacré.
Tous les peuples ont attribué, dans tous les temps, au ma-
riage ce caractère religieux et sacré. Chez le peuple juif il était
un, sacrement, mais un sacrement imparfait, de la loi mosaïque.
La loi romaine définissait le mariage : « l'union de toute la vie
et une participation du droit humain et divin : Consortium
iotius vitœ,ju7'is hwnani et divini comniunicatio. *
Ecoutons les enseignements de Léon XIII : « Comme le ma-
riage a Dieu pour auteur, dit-il, et a été dès le principe comme
une ombre de l'incarnation du Verbe de Dieu, il y a par cela
même en lui quelque chose de sacré et de religieux, non sura-
jouté, mais inné, et qui n'est pas l'effetde conventionshumaines,
mais l'œuvre primitive de la nature.
« C'est pourquoi Innocent III (1) et Honorius III (2) nos pré-
décesseurs, poursuit l'auguste Pontife, ont pu à raison et sans
témérité affirmer que le sacrement de mariage existe chez les
fidèles et les infidèles. Nous en attestons les monuments eux-
mêmes de l'antiquité, les mœurs et les instructions des peuples
qui s'étaient le plus rapprochés de la perfection humaine et se
distinguaient par une notion plus parfaite du droit et de l'équité;
il est constant que chez tous ces peuples, par l'effet d'une dispo-
sition habituelle et antérieure des esprits, l'idée du mariage se
présentait sous la forme d'une association étroite avec la reli-
gion et les choses saintes. Aussi était-il d'usage chez eux que
les noces ne se célébrassent point sans les cérémonies de leur
culte, l'autorité des pontifes et le ministère des prêtres; tant
avaient de force, même dans les âmes privées de la doctrine
céleste, la nature des choses, le souvenir des origines et la
conscience du genre humain. »
[A suivre) Mgr Turinaz.
UNE PAGE D'HISTOIRE CONTEMPORAINE
Exilé loin de sa patrie en sa qualité de défenseur de l'ancienne
constitution du Brésil, le vicomte d'Ouro-Preto, chef du dernier
ministère impérial brésilien, vient de lancer un manifeste dont on
(1) De divort., Cap. 8.
(2) De transact., Gap. 11,
24 ANNALES CATHOLIQUES
ne peut méconnaître l'importance historique. Comme il Tinsinue
dès le début, « but principal de toutes les attaques, centre et direc-
tion, de la résistance que ces événements pouvaient rencontrer, la
haute charge qu'il occupait dans la situation politique lui a fait con-
naître une foule de circonstances que peu d'autres connaissent et
qui sont indispensables pour comprendre comment, en quelques
heures, on a pu modifier si profondément la forme du gouvernement
de son pays. » Nous donnons ici le résumé de cet important docu-
ment, que nous venons de recevoir et qu'aucun journal en Europe
n'a publié encore. 11 est éminemment propre à éclairer les esprits
»ur les causes et les événements de la journée du 5 novembre.
Pendant les deux derniers mois du cabinet présidé par moi,
écrit le vicomte d'Ouro-Preto, tout l'effort de l'opposition con-
sista à convaincre l'armée de l'hostilité du gouvernement à son
égard. Cette campagne fut rudement menée par deux jour-
naux, le Diario de Noticias et le Paiz, dont les rédacteurs
occupent aujourd'hui les ministères des finances et des afi'aires
étrangères. La moindre faute administrative servit de pré-
texte à ces messieurs pour émettre l'idée que le ministère du
7 juin 1880 voulait la dissolution de l'armée, — et cependant
c'était te même ministère qui avait confié les deux postes de la
marine et de la guerre à deux officiers généraux, et chargé
deux colonels du gouvernement des provinces de Matto Grosso
et de Ceara. En supposant qu'il y avait des abus à faire dispa-
raître de l'armée et qu'il y avait lieu de faire droit à ses justes
revendications, le vicomte de Maracaju, ministre de la guerre,
officier distingué, devait le savoir et pouvait aisément servir
les intérêts de l'armée. Mais jamais ce ministre ne transmit au
chef du cabinet la moindre plainte de la part de ses subordonnés,
ne lui soumit de mesures en faveur des militaires. Dès le début
du ministère, il demanda le retour de Matto Grosso de la divi-
sion commandée par le maréchal Deodoro ; le rappel fut accordé,
et le maréchal reçu avec tous les honneurs dus à son rang
élevé. Les promotions dans l'armée furent toujours fêtées sui-
vant les désirs exprimés par le ministre de la guerre.
Une seule fois, il y eut opposition, lorsque le vicomte de
Maracaju proposa d'établir un certain rapport entre les charges
militaires et la hiérarchie des ordres et des insignes, de façon
que tout maréchal de camp aurait reçu, par exemple, un titre
de baron, tout brigadier une dignité de la Rose et ainsi de suite.
Multiplier ces dignités, était les déconsidérer. La proposition
UNE PAGE d'histoire CONTEMPORAINE 25
fut donc rejetée, mais on ne se refusa pas à accorder à l'occasioa
des distinctions à ceux qui les auraient méritées.
En somme, le ministre de la guerre était satisfait de la marche
des affaires. « Plus d'une fois même, dit M. de Ouro-Preto, en
apprenant qu'il se tramait quelque chose dans les corps de la
seconde brigade, j'appelai l'attention de mon collègue sur ces
indices, mais toujours il me tranquillisa en m'assurant qu'il ne
se passerait rien d'extraordinaire et qu'il aurait soin d'empê-
cher ou de réprimer toute irrégularité. > Ces sentiments du
ministre de la guerre persévérèrent jusque dans la soirée du 14.
Pendant une courte absence du vicomte de Maracaju, le porte-
feuille fut occupé par le ministre de la justice, M. Candido de
Oliveira, mais on ne prit aucune mesure sans demander l'avis
du maréchal Floriano Peixolo, lequel partageait les idées du
ministre de la guerre. Ainsi renseigné, le gouvernement pou-
vait-il soupçonner l'attentat qui se préparait?
Il s'était déjà présenté, il est vrai, quelques cas d'indiscipline
de la part de soldats et d'officiers ; ce n'était pas une nouveauté,
mais des moyens ordinaires en avaient eu raison et l'on n'avait
pas lieu de supposer que cette fois la rébellion pût se générali-
ser dans l'armée. Une brigade avait été expédiée de Rio dans la
province des Amazones sans aucune protestation de la part du
peuple; le commandant lui-même, général-baron de Rio Apa,
frère du ministre de la guerre, en annonçant ce départ au chef
du ministère, l'assurait que les corps de sa brigade étaient très
disciplinés et accompliraient toujours les ordres du gouverne-
ment, sinon il quitterait le commandement de son régiment, et
que le gouvernement pouvait toujours compter sur les troupes,
pour qui la discipline est une religion (11 novembre 1889). Le
19, le signataire de cette lettre, renonçant à son titre de baron,
invitait la garde nationale à acclamer la république ! Ce n'était
pas la dernière trahison que le vicomte de Ouro-Preto devait
constater.
Moins encore que l'armée, la marine avait sujet de se plaindre.
Le ministre actuel de la marine, M. Wandenkolk, alors chef de
division, n'avait reçu que des marques de faveur du gouverne-
ment. Sa réception dans la noblesse avait été annoncée par lui
à la flotte et brillamment fêtée par ses subordonnés. Il tenait
donc alors à son titre, celui qui, le 15, se proclamait républi-
cain et conspirait contre le gouvernement. Chose curieuse, aux
élections du 31 aoiit 1889, alors que la partie était si vivement
26 ANNALE3 CATHOLIQUES
engagée entre les conservateurs et les libéraux, M. Wandenkolk
et ses subordonnés, électeurs de Rio, ne daignaient pas se déran-
ger pour venir à quelques lieues de leur résidence déposer leurs
votes dans la capitale. N'était-ce pas l'heure de se montrer
homme de convictions sincères et arrêtées? Et quand la flotte
voulut fêter l'équipage du cuirassé chilien Almirante Coc-
kranty n'est-ce pas à l'aide des subsides accordés par le gouver-
nement que M. Wandenkolk fit à ces officiers étrangers un si
gracieux accueil, c Cela se passait peu de jours avant le soulè-
vement du 15 novembre. Or, pouvais-je par hasard, se demande
M. de Ouro-Preto, croire que des gens de sentiments élevés
conspirassent pour la déposition du cabinet, au moment même
oii ils en sollicitaient et en obtenaient de pareilles faveurs? »
Mais bientôt le doute ne fut plus possible. Dans une fête
donnée en l'honneur des Chiliens, le ministre actuel de la guerre,
alors chef de l'école supérieure de guerre, soutint en présence
des officiers étrangers et du vicomte de Maracaju, son supérieur,
que l'armée jouissait du droit incontestable de déposer les pou-
voirs légitimement constitués par la nation, lorsqu'elle croyait
ses intérêts engagés ou qu'elle le jugeait sage et convenable
pour le bien de la patrie. Le lendemain, ces paroles étaient
acclamées en pleine classe par un groupe d'officiers subalternes.
L'on apprenait en même temps l'adhésion d'un grand nombre
d'officiers au club militaire, présidé par le chef de l'Ecole de
guerre. C'est alors que parurent les articles du Paiz dont l'un,
commentant une démonstration faite par l'Association commer-
ciale de Rio de Janeiro au chef du cabinet, disait que cette
démonstration symbolisait le Capitole d'oii l'on précipiterait
bientôt sur la roche tarpéienne le gouvernemont auquel on attri-
buait des plans sinistres et ténébreux.
Sur ces entrefaites, le cabinet fut convoqué (mardi 12 no-
vembre, de une à trois heures du soir), et le président appela
l'attention de ses collègues de la guerre et de la justice sur les
taits signalés plus haut et les engagea à prendre des mesures en
conséquence. Le ministre de la guerre le rassura en lui disant :
« Soyez tranquille, nous veillons, le général Floriano et moi, il
n'y aura rien. » Empêché le 13 de se rendre auprès de l'Empe-
reur à Petropolis, M. de Ouro-Preto y députa le ministre de
l'intérieur. Le 14, au matin, il recevait une carte écrite la
veille par le ministre de la justice qui l'informait, de la part de
r adjudant-général, qu'il se préparait quelque chose, mais rien
UNE PAGE d'histoire CONTEMPORAINE 27
d'important et qn'ou pouvait compter sur la loyauté des chefs.
Immédiatement M. do Ouro-Preto convoqua les ministres de
la guerre et de la justice et le président de la province de Rio.
Le ministre de la guerre, auquel il communiqua la lettre du
maréchal Floriano, l'assura du bon état de l'arraée et lui réitéra
sa promesse que l'ordre ne serait pas troublé, qu'en tout cas, le
gouvernement aurait à sa disposition des éléments de répres-
sion; il en répondait absolument pour la première brigade.
S'informant alors des dispositions du maréchal Deodoro, dont on
lui avait manifesté le dessein de prendre part à quelque mani-
festation, le président obtint des paroles rassurantes du ministre
de la guerre ; il lui donna alors Tordre de conférer avec Deodoro
et Floriano, et au cas oii le premier ne donnerait pas des expli-
cations satisfaisantes, de prendre contre lui des mesures oppor-
tunes. Le ministre de la guerre accepta et partit.
Sans perdre de temps, le président du conseil combina avec le
ministre de la justice et le président de la province de Rio les
mesures de répression qui lui paraissaient les plus propres, et
particulièrement à réunir de suite toutes les forces dont on
pouvait disposer.
Le soir, le maréchal Floriano ne reparut point au ministère.
Le chef du cabinet ayant reçu une carte qui l'informait des prè^-
paratifs qui se faisaient dans le quartier du premier régiment
de cavalerie, dépêcha un courrier à l'adjudant général et le pria
de prendre des informations à ce sujet et d'arrêter le mouve-
ment. Vers dix heures, le rédacteur en chef du Jornal do Com-
mercia, M. le conseiller Souza Ferriero, se présenta chez
M. de Ouro-Preto et lui demanda s'il était vrai que le gouver-
nement avait ordonné l'arrestation du maréchal Deodoro et le
départ de quelques bataillons. La réponse négative du président
satisfit le rédacteur. Celui-ci fit alors part au chef du cabinet ■
de la désapprobation qu'encourraient de pareilles mesures
propres à entraîner les plus graves conséquences, celles de
n'être pas exécutées. Le président l'assura de nouveau des inten-
tions pacifiques du gouvernement et ajouta que, si la nécessité
l'exigeait, il saurait défendre le pouvoir avec dignité ou donne-
rait sa démission. D'où venaient ces bruits qui alarmaient le
rédacteur du Jornal do Commercio? Un seul homme connais-
sait le projet du chef du cabinet, au cas oii le maréchal Deodoro
se montrerait réfractaire, c'était le ministi'e de la guerre.
A 11 h. 3/4, prévenu que le premier régiment était en armes
28 ANNALKS CATHOLIQUR8
dans ses quartiers et que les chefs de l'armée étaient réunis au
qaartier-grénéral, le président du noinistère se hâta de se rendre
au lieu do l'insurrection et essava de réunir des troupes pour
étouffer l'énoeute. A la secrétairerie de police, il nppiit que le
motif de l'insurrection du premier répiment était l'arrestation
du naaréchal Deodoro. Les autres ministres viennent d'être pré-
Tenus; l'adjudant-général, convoqué sur l'heure, reçut l'ordre
de faire rentrer les troupes factieuses et de jiunir les auteurs
d'un fait aussi grave que celui d'avoir pris les armes sans ordre
supérieur. Le ministre de la guerre est également chargé d'en-
voyer des corps de troupes dans la ville et de venir tr«>uver le
président du conseil à l'arsenal de la marine.
Aussitôt l'Empereur est prévenu, des troupes sont convoquées
l'ordre est donné de mettre l'arsenal en état de défense et de
repousser toute tentative d'assaut. Le ministre de la marine se
met à l'œuvre et active les travaux, car c'était de là qu'on
pouvait résister avec succès. De son côté, la ministre de la
guerre réclaiiiait la présence du président du conseil nu f|u:irtier
général.
Il était sept heures du matin : les troupes mutinées étaient en
marche pour la ville et l'on n'avait pris aucune des dispositions
les plus élémentaires pour lui barrer le passage, les diviser ou
les repousser.
< Rien de plus étrange, écrit le vicomte de Oaro-Preto, que
l'expression des physionomies des officiers en ce moment; ce
n'était pas le calme <lu devoir à accomplir, ni la résolution, mais
l'incertitude et l'angoisse. Seul le maréchal Floriano conservait
sa sérénité habituelle et donnait ses ordres à voix basse. Le
ministre de la guerre laissait faire. »
Bientôt les révoltés parurent; leur avant-garde passa près de
l'arsenal; le président donna l'ordre de l'arrêter, le ministre de
la guerre répéta l'ordre du jour à haute voix, personne ne
bougea.
Un officier, sorti des rangs de la troupe révoltée, se présenta
alors et demanda de la part du maréchal Deodero une confé-
rence avec le maréchal Floriano. Ouro-Preto refusa pour le
motif que le maréchal Deodoro n'ayant reçu aucun commande-
ment militaire, n'avait pas le droit de se mettre à la tête d'une
troupe révoltée, et il réitéra l'ordre d'emplo3'er la force pour le
repousser. Des coups de fusil se firent entendre à la façade de
l'arsenal. Un instant, le président espéra qu'une résistance
UNE PAGE d'histoire CONTEMPORAINE 29
sérieuse s'organisait. Il s'abusait étrangement. C'étaient les
coups de fusil tirés sur le baron de Ladarlo, ministre de la
marine. Un nouvel ordre de résister n'ayant pas été exécuté, le
président du conseil, apprenant par Floriano que le maréchal
Déodoro réclamait la retraite du ministère, demanda l'avis de
ses collègues et déclara qu'il se soumettait aux circonstances
et allait solliciter sa démission auprès de l'Empereur. Cette
demande fut transmise immédiatement au chef de l'Empire.
Mais déjà Deodoro avait pénétré dans l'intérieur du quartier
— on ne sait qui lui en avait ouvert les portes — et recevait les
ovations des différents corps de troupe. Il entra dans la salle.
Au milieu du plus profond silence, il déclara qu'il s'était mis à
la tête des troupes pour venger l'armée des graves injustices
qu'elle avait éprouvées de la part du gouvernement. Il rappela
les services qu'il avait rendus à la patrie, déclara que le minis-
tère était déposé et qu'on en formerait un autre d'accord avec
l'empereur. Tous les ministres pouvaient se retirer chez eux, à
l'exception du président et du ministre de la justice qu'il cons-
tituait prisonniers jusqu'à leur départ pour l'Europe, c Quanta
l'Empereur, ajouta-t-il, il a mon dévouement, je suis son ami,
je lui dois des faveurs. Ses droits seront respectés et garantis.»
M. de Ouro-Preto lui répondit avec dignité qu'on peut servir sa
patrie et se sacrifier pour elle ailleurs encore que sur les champs
de bataille ; qu'au reste, il cédait à la force. Divers person-
nages parmi lesquels se trouvait Floriano, protestèrent contre
la déportation dont étaient menacés MM. de Ouro-Preto et
et Candido de Oliveira.
A 4 heures de l'après-midi, l'ancien président du conseil se
trouvait chez l'empereur rentré à Rio et lui réitérait sa demande
de la démission du ministère. L'empereur refusa, mais dut bien-
tôt revenir sur sa décision. « Le seul service que je puisse
rendre en ce moment à Votre Majesté, lui dit Ouro-Preto, c'est
de lui conseiller la formation d'un nouveau ministère », et il
appela son attention sur le sénateur Silveira Martins.
Divers journaux ont accusé M. de Ouro-Prato d'avoir caché à
l'empereur le plan du maréchal Deodoro en ne lui parlant que
d'un changement du cabinet, alors qu'il s'agissait de l'abolition
totale des anciennes institutions.
L'ancien président du conseil ignorait la proclamation de la
République et croyait encore à la sincérité des paroles pronon-
cées par Deodoro.
30 ANNALES CATHOLIQUES
A 6 heures du soir, un officier chargé d'un mandat d'arresta-
tion contre M. de Ouro-Preto, venait arrêter ce deruier dana la
maison d'un de ses amis. Son séjour à la prison dura 86 heures,
pendant lesquelles on joua la comédie d'un prétendu contlit
entre l'armée et la marine et l'on proféra des menaces de mort
contre l'ancien président du conseil.
Le 16, au matin, le ministre des affaires extérieures du gou-
rernement provisoire, M. Quintino li Dcayava, vint faire visite
au prisonnier, et, tout en lui exprimant ses sentiments d'estime
personnelle et ses regrets sur les nécessités de la situation qui
exigeaient sa détention, lui annon<,-a que, do crainte d'une im-
prudence ou d'une résistance de sa part, le gouvernement pro-
visoire avait décrété son départ pour l'Europe. M. de Ouro-
Preto l'aspura de ges intentiuns paciliques, et accepta l'oUVe de
partir immédiatement. Dès lors il put recevoir des membres de
sa famille et de ses amis, mais toujours en présence d'officiers.
Le lendemain, le vapeur allemand Montevideo l'eiumonait en
Europe.
TRIOMPHE DANS LA MORT
Le juste entre en mourant dans l'immortalité — immortalité
en Dieu, souvent aussi parmi les hommes.
Ceux-ci légers, ne mesurent habituellement que par l'immen-
sité du vide créé par la mort du juste, l'immensité du bienfait
dont Dieu les comblait en le leur donnant.
La mort fait ainsi deux fois justice ; en récompensant le justo
de ses travaux et en le faisant apprécier des hommes quand sa
modestie n'est plus là pour en souffrir.
C'est la réflexion que je me faisais, jeudi, en assistant aux
funérailles de M. Henri IJajart, funérailles dont nos lecteurs
trouveront plus loin le compte-rendu.
Elles furent vraiment un triomphe. Sur le parcours, une
foule immense et recueillie témoignait par son attitude d'un
sentiment d'estime et de sympathie mêlé do regret. Il y avait
de la tristesse et du deuil sur tous ces visages de travailleurs.
Dans le cortège s'était réalisé le rêve d'Henri Bayart : la
fusion des classes dans la communauté des sentiments. Ou-
vriers, employés, négociants, patrons, mêlés et confondus dans
la fraternité de la douleur, suivaient en rangs compacts. Pas de
TRIOMPHE DANS LA MORT 31
désordre, pas d'impatience dans cette multitude. Partout un
calme et une discipline qui faisaient dire à un ancien pèlerin des
dix mille : « Vraiment, il semblerait que M. Baj'art est ici pour
tout organiser. >
Oui, il était là, le vaillant apôtre. Il était là présent à la
pensée comme à la prière de tous. On parlait de lui, on rappe-
lait ses paroles, on évoquait ses exemples. Funérailles uniques,
oii les devoirs de la bienséance et la nécessité des relations ou
des affaires n'étaient pour rien et qui, sous l'impulsion de l'admi-
ration et du souvenir, s'étaient transformées en une véritable
manifestation en l'honneur de l'homme et de ses œuvres.
L'homme, chacun se rappelait ce qu'il était. Bon, dévoué,
infatigable, dévoré par le zèle et éclairé par un lumineux esprit
de foi. L'homme à la parole ardente, communicative, à l'acti-
vité entreprenante, à la pensée vaste et toujours pratique;
l'homme, chacun se le figurait dans ces réunions intimes où il
exposait avec une netteté, une précision et en même temps
une modestie admirables, ses vues, ses plans, ses projets de
régénération sociale; chacun se le figurait dans ces réunions
populaires, jetant en quatre paroles l'enthousiasme et l'amour
dans les foules, saisissant son auditoire, le soulevant, le passion-
nant par sa parole simple et chaude, par ses irrésistibles cris du
cœur. C'était en efi"et, et surtout, un homme de cœur, un
homme qui aimait !
Ses ouvriers le sentaient et le disaient et c'est là le secret de
la profonde influence qu'il exerçait sur eux. Quoi de plus élo-
quent que ce cri jeté avec des larmes par un pauvre employé,
lundi matin, à la nouvelle de sa mort : < M. Henri, il faut avoir
travaillé avec lui pour savoir combien il était bon ! >
Et ses œuvres, qui ne les connaît et ne les admire?
Elles ont été sa vie... et sa mort. Filles de son apostolat, les
voilà consacrées par son martyre! Car ce sont elles, bien plus
que l'importante exploitation industrielle qu'il dirigeait, qui
ont miné et dévoré ce corps d'acier habité par une âme de feu.
Entre toutes les autres, celle qui a le plus occupé ce que
'appellerai « sa carrière apostolique > c'est l'œuvre de Notre-
Dame de l'Usine. Il en était à Roubaix-Tourcoing le créateur,
l'âme, le soutien et l'espoir. Mais il l'a jetée sur de telles bases
et si fortement organisée, qu'elle lui survivra. Du reste, j'en
suis sur, son zèle plus puissant que jamais là-haut lui restera.
Il l'a trop aimée pour s'en désintéresser maintenant.
32 ANNALES CATHOMQUXS
A ce propos, qu'on me permette ici un souvenir personnel :
Un soir qu'il m'avait longuement entretenu de cette œuvre,
il voulut m'accompagner jusqu'à la gare. Aussi longtemps que
le train n'arrivât, il necessa de me parler do ses chers ouvriers.
Dans le cours de la conversation, j'arrivai à lui demander ce
qui le soutenait dans le rude labeur de son apostolat : « Ah ! me
répondit-il avec feu, il y a la communion, la prière, mais de
plus, si vous saviez comme c'est consolant de travailler pour
l'ouvrier! Sa reconnaissance est si vive et si bonne! Il y a du
cœur chez l'ouvrier et on le sent i|uand on lui serre la main.
Tenez, ajouta-t-il, voici un de mes encouragements — et en
même temps il tirait de sa poche une petite statue de saint
oseph, en cuivre, toute luisante à force d'avoir été poi tôe et
baisée — ce souvenir m'a été donné par un ouvrier, un de mes
aides de la première heure. .\u moment de me quitter pour
entrer à la Trap[te il m'a dit : « Monsieur Henri, je ne suis
pas riche, mais je veux vous laisser >in cadeau : ce petit saint
Joseph, c'est le patron des travailleurs, le vôtre et le mien. .Mais
en son nom, je vous en supplie, continuez l'œuvre de Notre-
Dame de l'Usine. Si vous saviez quel bien elle fait! Courage,
continuez ! > — Voilà trois ans que je porte avec moi cette statue,
ajouta le vaillant Apôtre, jamais je ne m'en séparerai. »
Quand lundi dernier, à la nouvelle foudroyante de sa mort, je
courus m'agenouiller auprès de sa dépouille encore tiède, calme
et souriante do la paix du juste, je priai pour son àme, sans
doute: l'amitié et la foi m'en faisaient un devoir. .Mais, peu à
peu, ma supplication changea de forme: ce n'était plus pour lui,
c'est lui que je ]>riais, lui demandant de continuer au cinl son
apostolat do la terre, d'entretenir la flamme généreuse do son
zèle dans le cœur de ces forts qu'il a suscités et groupés autour
de lui et qui formaient son brillant état-major.
Oui, il faut que cet intrépide Machabée, tombé au champ
d'honneur, voie l'un de ses frères — frères par le sang ou par
les armes — ramasser sa vaillante épée et continuer les bons
combats d'Israël ! La cause est noble : c'est celle de l'ouvrier,
de la patrie, de Dieu ! On meurt pour tout cela! Bayart est
mort, eh bien ! qu'un autre se lève et meure aussi s'il le faut
pour Dieu, la PVance et l'ouvrier ! Comme le sien, c son sépulcre
sera glorieux ! >
(Croix du Nord.) Gyr.
TRIOMPHE DANS LA MORT
83
L'usine du Val-des-Bois était représentée par MM. Léon
Harmel, Brunot-Harmel et son fils, aux obsèques de M. Bayart.
Suivant le désir exprimé par la famille, il n'y avait pas de
couronnes, et aucun de nos concitoyens n'a pris la parole sur la
tombe ; mais l'honorable M. Harmel, du Val-des-Bois, a rendu
un dernier hommago au président du syndicat de l'industrie
îoubaisienne. 11 s'est exprimé en ces termes :
La nouvelle foudroyante de la mort de M. H. Bavart a excité, dans
tous nos cœurs, une immense douleur. En même temps elle a sus-
cité ces inquiétudes que I'oq éprouve quand le soutien — sur lequel
on s'appuyait — fait défaut tout à coup.
D'autres peuvent louer avec plus d'autorité sa vie privée et
familiale, sa carrière industrielle, sa conduite à l'égard de ses ouvriers,
qu'il consiiiérait comme ses enfants, je ne veux parler ici que de son
action générale, non seulement dans le Nord, mais aussi dans toute
la France industrielle, où sa parole et son exemple ont éveillé tant
d'échos.
M. H. Bayart était de ces hommes, trop rares dans notre siècle
d'égo'isme et d'impiété, dont l'intelligence, illuminée parla doctrine
évangélique, a compris que le nœud gordien de la question sociale
ne pouvait être tranché que par l'amour. Non pas cet amour sans les
œuvres, qui n'atteint que l'intelligence et reste confiné dans un sen-
timentalisme impuissant, mais l'amour qui agit, l'amour qui réor-
ganise sur les bases de l'observation, de la nature des choses et des
intérêts.
Son cœur s'est ému de voir les ouvriers abandonnés à eux-mêmes,
trop souvent poussés à la violence, où ils ne rencontreront qu'une
aggravation de misères. Car ce n'est pas en creusant plus profondé-
ment le fossé de haine, qui sépare les travailleurs des patrons, qu'on
apportera le bonheur; celui-ci ne peut éclore que sous le soleil divin
de l'araïur et de la concorde. Combler ce fossé, voilà l'œuvre émi-
nemment patriotique et chrétienne, heureusement conduite par
M. Bayart, avec l'aide d'une élite d'hommes généreux.
Il a pris soin d'y associer l'ouvrier lui-même, de stimuler son ini-
tiative, d'ennoblir sa vie par l'apostolat m.utuel qui confère à
l'homme de labeur une sorte de paternité sociale vis-à-vis de ses
camarades.
Ne semble-t-il pas que de la tombe de ce patron chrétien, dont la
vie s'est usée au noble travail de la réconciliation des classes, s'élève
une voix qui est puissante, parce qu'elle fait écho à la voix de Jésus-
Christ lui-même?
« Prenez garde ! nous crie cette voix, prenez garde, ô industriels!
Le temps n'est plus aux stériles résistances. L'heure est solennelle.
3
34 ANNALES CATHOLIQUES
La foule des travailleurs attend; de la décision que vous prendrez à
cette heure, dépendent la paix ou lu guerre sociales, le relèvement
ou l'effondrement de la patrie. Votre devoir d'ailleurs est facile.
Croyez en mon expérience, il porte sa récompense en lui-même. »
Et maintcDant, c'est à vous que je m'adresse, à vous, mon cher ami,
qui avez été reçu en triomphateur par les anges de la miséricorde,
je vous en supplie, continuez-nous votre admirable concours. Excitez
chez les maîtres J'usine, que vous avez entraînés à votre suite, les
nobles ardeurs suscitées par votre, parole et votre exemple, afin que
les patrons reprenant partout leur mission sociale, soient vraiment
les pères de leurs ouvriers et se montrent ainsi les vrais serviteurs
du Christ.
CONFERENCES DE NOTRE-DAME (1)
(Suite el (in. — Voirie numéro du 22 février.)
SIXIÈME CONFÉRENCE. — AmcH (le l'histoive humaine.
Il ne me reste plus <|u'à mettre notre divine doctrine en rap-
port avec toute l'histnire linniaine au centre de laquelle elle
s'cléve comme un pliare dont les puissantes projections éclairent
les desseins de Dieu et la conduite de sa providence sur l'huma-
nité.
Nous étudions l'histoire humaine, mais à Taide de documents
que nous recueillons çà et là, nous n'en pouvons guère cons-
truire que des chapitres détachés .«ans en bien connaître la
réelle unité. La loi supérieure, la grande loi qui domine tous les
événements et ordonne la vie des peuples à un même but divin,
ne nous est connue qu'on celui dont l'enseignement catholique
nous révèle l'existence et l'universelle souveraineté, le Verbe
(1) Analyse spéciale dos Annales Catholiques. — h' Année Domi-
nicaine continuera, pendant ce Carême, l'œuvre de propagande reli-
gieuse qu'elle a entreprise depuis quelques années, en publiant par
livraisons et dans dos conditions exceptionnelles de bon marché, les
Conférences du T. R. P. AIonsabrê, A Notre-Dame de Paris.
L'ensemble de ces Conférences, avec la Retraite qui y fait suite,
forme neuf livraisons, dont chacune est expédiée aux souscripteurs
le lendemain même du jour où le discours qu'elle renferme a été
prononcé à Notre-Dame. — Les neuf livraisons rendues franco par
la poste : 1 fr. ôO. S'adresser, en envoyant le montant do l'abonne-
ment par mandat-poste, au R. P. Directeur de l'/lnnée Dominicaine y
94, rue du Hac, Paris.
CONFÉRh.i>v«r, T,p NOTRE .MME 35
incarné qui a dit de lui-même au voyant de rtvtv.^^^ . ^ jg g^jg
l'alplia et l'oméga, le commencement et la fin. »
Dans cette lumière vivante, que projette notre divine doctrine
sur les temps anciens et sur les temps nouveaux, parcourons
rapidement l'histoire de l'humanité, et demandons-lui son Amen.
I
Dans les extrêmes lointains oii l'histoire commence, l'esprit
humain s'agite au milieu des ombres, et, malgré les explications
qu'il demande à la nature et aux plus vieilles traditions, il ne
parvient pas à se fixer sur des notions certaines.
Mais, si l'esprit humain veut bien suivre du regard les pro-
jections lumineuses du dogme catholique, il peut voir, avant
tous les temps, l'histoire du monde et de l'humanité dans le
plan de celui qui doit la commencer et la conduire à sa fin.
Elle est tout entière dans l'ineff'able mystère que Dieu a
conçu et voulu de toute éternité. Du moment qu'il a décrété de
donner au monde son Verbe incarné, c'est par lui qu'il fait le
monde.
Voilà l'alpha ! Il est lui-même la parole vivante et féconde
qui fait sortir le monde, non pas de la matière éternelle, ni des
entrailles delà divinité, mais de la nuit du néant. D en produit
d'un seul coup tous les éléments ; il l'ordonne en six jours dont
la foi ne détermine pas la durée, mais qu'elle ne nous permet
pas d'exagérer à plaisir; enfin il y prépare une demeure digne
de l'humanité dont il doit se revêtir un jour. — Cette humanité,,
c'est lui-même qui la crée, non pas rudimentaire et sauvage,
mais belle, innocente, pure, heureuse, à l'image et ressemblance
de son auteur, faisant admirer dans la virginale beauté de son
corps le double épanouissement de la via divine et d'une nature
parfaite, investie d'un souverain empire sur les créatures qui
subissent le charme de sa présence, de son regard, de sa voix,
dédoublée, en quelque sorte, dans un couple ravissant dont le
plus pur et le plus parfait des amours fait l'union, et d'où doi-
vent sortir d'innombrables générations.
C'est dans ce couple que commence l'histoire humaine.
Malgré les objections tirées des diversités des langues, des
diversités des couleurs, l'enseignement catholique maintient la
lumineuse projection du dogme de notre origine sur le couple
adamique, et se contente de dire à l'esprit humain embarrassé
de ses recherches et de ses consitatations : — Cherchez mieux.
3Ô ANNALES CAT'v""'>wOES
£^ Qjj f,}^o^.2.tt.ai mieas^ on découvre que, dans la diversité
jos xjpes, la nature humaine est partout semblable à elle-même
quant à sa conformation générale, ses aptitudes et ses tendances :
que les ressemblances fondamentales qui indiquent si clairement
une seule et même nature dans Thumanité, doivent peser d'un
plus grand poids sur nos jugements que des différences superfi-
cielles, infiniment plus nombreuses et plus accusées chez d'autres
espèces animales; que la physionomie et la coloration sont des
phénomènes locaux purement accidentels, et à peu près insigni-
fiants pour la détermination de l'espèce. — En cherchant mieux,
on découvre la faculté que possède l'homme de s'assimiler toutes
les langues, ce qui prouve bien que la multiplicité des Idiomes
n'est point un fait originel, mais un accident. — En cherchant
mieux, on découvre que l'union de l'homme et de la femme,
quelle que soit la variété des types, est partout féconde, que
cette fécondité est continue, que, par conséquent, l'humanité
est une seule espèce.
Mais, objectera-t-on, d'après la doctrine catholique, ie couple
qui commence l'histoire iiumaiue est un couple heureux et par-
fait. D'oii vient que notre misérable race est sujette à tant de
maux, à tant d'erreurs, à tant de vices? Affreux mystère, dont
il faut conclure que l'aurore fortunée de l'espèce humaine n'est
qu'un rêve.
Non, ce n'est pas un rêve. L'homme est né heureux et parfait.
Ce devait être sa gloire de voir se multiplier en sa postérité son
bonheur et sa perfection, mais cette transmission eut été sans
honneur, si elle n'eût dépendu que des lois fatales auxquelles
sont soumis les êtres sans raison. L'homme devait y mettre
toutes ses facultés, entre autres celle qui ie rend maître de ses
actions, le libre arbitre. Aussi, Dieu a-t-il soumis noire premier
père, ei en sa personne le genre humain tout entier, à l'épreuve
d'un commandement dont l'observation devait fixer le cours de
ses destinées.
L'homme a transgressé le commandement divin ; du même
coup il a perdu son immortalité, son souverain empire sur la
nature, la lumière divine qui éclairait sa raison, la grâce de
droiture et de fermeté qui le rendait maitre de ses appétits,
tous les privilèges de l'état de justice. li ne pouvait plus trans-
mettre à ses descendants ce qu'il avait perdu ; voilà pourquoi
nous les voyons en butte aux tra'nisons de la nature et de la
mort, en proie à l'ignorance et à la corruption.
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 37
Puisque l'humanité est déchue, il n'est pas étonnant qu'il j
ait en son histoire des pages sombres et qu'elle nous apparaisse
malheureuse et criminelle. Mais, pourtant, sa déchéance n'est
pas irrémédiable. Dans le rayon révélateur où le dogme catho-
lique nous montre la chute de l'homme, il nous montre aussi le
Rédempteur. C'est à ce titre que le Verbe de Dieu entre dans
notre histoire.
Si l'on s'étonne que le Rédempteur n'entre d'abord dans l'his-
toire humaine que par une promesse dont l'accomplissement
doit être longtemps retardé, l'enseignement catholique nous
apprend que Dieu devait ce retard à notre orgueil, qu'il fallait
briser par une longue expérience de notre impuissance et de nos
misères, et auquel il fallait faire sentir le besoin d'un sauveur.
L'humanité déchue a donc fait l'expérience des faiblesses de
sa raison dans une multitude d'erreurs qui obscurcirent bientôt
la notion du vrai Dieu.
L'humanité déchue a fait l'expérience de la corruption de son
cœur et de l'exécrable empire qu'ont pris sur lui les sens et les
passions dans une multitude de crimes.
Mais laissons le tlot des peuples que Dieu a livrés à leur sens
réprouvé envahir la terre. Concentrons les lumineuses projec-
tions du dogme catholique sur ce petit peuple dont la vie sin-
gulière se détache si vivement sur le fond de l'histoire humaine,
que la science s'en émeut plus que de l'antiquité tout entière.
Israël est dans l'histoire le peuple de Dieu, et sa vie, le mys-
térieux courant dans lequel les desseins de la Providence s'ache-
minent vers leur accomplissement.
Le Seigneur l'a séparé de toutes les nations dans la personne
de son fidèle Abraham, le père des croyants, et depuis l'heure
bénie où il a entendu cette parole venue d'en haut : «Quitte ton
pays, ta parenté, et la maison de ton père, et viens dans la terre
que je te montrerai ».
Etvoyez comme les oracles divins se succèdent pour soutenir
et grandir cette espérance. Tout le genre humain peut savoir
par la promesse faite à Adam que le Rédempteur sera fils de
l'humaTiité ; Abraham, Isaac et Jacob, en qui toutes les nations
doivent être bénies, apprennent qu'il sera fils d'Israël ; Juda,
qu'il sera fils de sa tribu ; Darid, qu'il naîtra de sa famille.
Quand viendra-t-il? — Quand le sceptre sortira de Juda. — Où
viendra-t-il? — A Bethléem. — Comment viendra-t-il ? — Mer-
veille inouïe ! sans s'unir à l'homm'e, la femme portera l'homme
38 ANNALES CATHOLIQUES
en son sein. La Vierge par excellence concevra et enfantera un
fils qu'on appellera Emmanuel, Dieu avec nous. Et avec cela, il
doit être homme comme nous : enfant, ouvrier, apôtre, docteur,
prophète, thaumaturge, chargé des péchés du monde, doux et
patient, victime de la malice des liommes, condamné à mort par
des scélérats, expirant sur un gibet. — Mais Dieu lui donnera
le prix de ses douleurs : la justification de ceux dont il a porté
les iniquités, une nombreuse postérité parce qu'il s'est livré à
la mort.
Ne dirait-on pas une histoire? Eh bien, non, c'est une longue
suite d'oracles qui s'accumulent et se soudent l'un à l'autre en
traversant les siècles, et dont le plus jeune précède de quatre
cents ans le libérateur annoncé. Près des oracles marchent les
figures : un Melchisédech, un Abraham, un Isaac, un Jacob,
un Joseph, un Moïse, uu Aaron, un Samson, un David, des
prophètes martyrisés pour leur témoignage. Tout cela prophé-
tise le désiré dont l'éternelle génération se cache dans le sein
de Dieu. Bref, tout dans la vie d'Isi-aol parle de l'avenir, figure
l'avenir, et dessine l'admirable plan de Dieu résumant l'histoire
humaine de son Verbe incarné.
Israël est comme le centre de l'histoire humaine dans les
temps anciens. Aussi, avec quel soin Dieu le conserve, et
niultiplie les prodiges pour le rendre inexterminable! Chose
])rodigieuse ! les fiéaux et les gigantesques collisions qui font
disparaître autour de lui les petites et les grandes nations ne
peuvent rien contre son inaltérable vie. 11 use sur son corps
mutilé les peuples de Clianaan, l'Egypte, Ninive, Babylone,
l'empire des Perses et l'empire des Grecs; les colosses s'écrou-
lent et lui reste debout, l'âme toujours tondue vers le cher
promis de Dieu.
Il y a dans les malheurs d'Israël une intention bienfaisante
de la Providence à l'égard des autres nations. Agité comme un
vase par les révolutions et les catastrophes, Israël a répandu
partout, sans être brisé, le parfum de ses croyances. C'est ainsi
que la justice et la miséricorde divines ont amené l'histoire
humaine à celte solennelle époque que saint Paul appelle la
plénitude des temps.
Voua venez de le voir, les temps anciens de l'histoire humaine
sont éclairés par cette vérité du dogme catholique : Dieu créa-
teur a tout fait par son Verbe et pour son Verbe incarné, Jésus-
Christ, vrai fils de Dieu et vrai fils de l'homme, né d'une Vierge
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 39
et mort pour le salut de l'humanité. Suivons la projection de
cette lumière divine sur les temps nouveaux.
II
A l'époque où s'achevaient les préparations de la Providence,
la dernière des bêtes mystérieuses que Daniel avait décrites en
sa vision, Rome, venait d'étouffer l'un après l'autre, entre ses
bras de fer, les royaumes agonisants.
En étendant sur les nations son fier despotisme, elle s'était
approprié les erreurs et les vices du monde entier.
L'avènement providentiellement retardé du Verbe en qui tout
se tient est un fait accompli : Verbum caro factum est. Son
apparition n'occupe qu'un quart de siècle dans l'histoire
humaine, mais elle inonde de sa lumière les temps anciens dont
elle explique la longue et laborieuse gravitation, les temps
nouveaux dont elle explique la prodigieuse transformation.
En effet, c'est à partir du jour oii douze hommes sans lettres,
témoins de la vie, des souffrances, de la mort et de la résurrec-
tion de celui qui se disait le Fils du Père céleste, ont proclamé
ce dogme : « Je crois en Jésus-Christ, Fils de Dieu, Dieu
comme son Père et homme comme nous », c'est à partir de ce
jour, que le monde a commencé à revivre et à changer d'aspect.
Vous n'attendez pas que je vous raconte l'envahissement de
l'empire par le nouveau peuple de Dieu. C'est assez que nous
fixions notre attention sur le fait comtemporain.
Or, le fait contemporain le voici : — Il y a aujourd'hui un
monde chrétien, un monde où les idoles sont remplacées par un
Dieu unique, vivant et infiniment parfait, où le culte est pur
et saint. Il y a un monde chrétien où la femme, respectée, est
devenue l'égale de l'homme et comme la moitié de sa vie, où
l'enfant est protégé par des droits sacrés, où la famille est assu-
jettie aux lois d'un indissoluble amour. Il y a un monde chré-
tien où l'esclavage est aboli, où l'on ne voit plus que des
hommes libres, où l'oisiveté est un opprobre et le travail un
honneur, où la grandeur et la richesse sont devenues les bien-
faisants ministres de la Providence. Il y a un monde chrétien
où les ombres, sans doute, sont mêlées à la lumière; où la
nature déchue ne peut déguiser ses défaillances ; où le mal
apparaît en face du bien, mais toujours réprouvé par une
immuable loi de droiture et de perfection. Enfin, il y a un
monde chrétien où le progrés moral s'élève à cette perfection
40 ANNALES CATHOLIQUES
transcendante que nous avons appelée la sainteté, fleur réservée
des terres fécondes où germent et se développent les nobles et
pieuses habitudes de l'âme humaine, poussées par une culture
intensive jusqu'à l'héroïsme.
Voilà le fait contempoi^ain ! Quelle prodigieuse transformation !
Ce ne sont point les enseignements de la sagesse humaine qui
ont produit, dans notre histoire, le revirement de croyances et
de mœurs dont nous sommes aujourd'hui les témoins. Le dogme
catholique seul, en projetant sur les temps nouveaux la lumi-
neuse vérité d'un Dieu incarné, mort pour le salut du monde,
nous explique leur transformation.
Mais le règne actuel du Christ dans l'histoire humaine n'est
pas et ne peut pas être le dernier mot de sa puissance ni des
transformations qu'il doit faire subir aux temps nouveaux.
Nous attendons encore l'accomplissement des prophéties qui
promettent au Christ un règne universel, pacifique et incontesté.
Or, aucune de ces magnifiques promesses ne s'est réalisée,
jusqu'ici, de manière à satisfaire pleinement les espérances
qu'elles nous donnent. Il y a encore loin de nous des îles et des
continents qui attendent un libérateur, et les voyageurs cons-
ciencieux qui les ont visités, sans aucune préoccupation reli-
gieuse, n'hésitent pas à dire que toutes les tentatives de la
civilisation échoueront tant que la vérité chrétienne n'y aura
pas éclairé et transformé les esprits et les coeurs. — Irons-nous
la porter, cette vérité, aux peuples qui l'attendent? Viendront-
ils la chercher chez nous, après avoir, comme les barbares,
dévasté notre patrie et nos foyers, pour nous châtier de nos
prévarications? — Je n'en sais rien; c'est le secret de la Provi-
dence. Mais les oracles doivent avoir raison. — Il faut que le
Christ règne : Oportet illum regnare.
« Il fant qu'il règne, et que tous ses ennemis soient à ses
pieds; par < conséquent, que la science, qui lui fait la guerre,
abaisse devant lui son orgueil et se pénètre de la vérité de sea
révélations; que les législations et les pouvoirs, qui ont contra^
rié son action, reconnaissent la supériorité de sa loi et de sa
puissance ; que les âmes fermées par les passions s'ouvrent à sa
grâce.
Et maintenant, écoutez le dernier mystère de l'histoire
humaine. L'apostasie d'une partie d'Israël, que Dieu a permise,
ne sera pas sans retour. Et alors tout Israël sera sauvé, selon ce
qui est écrit.
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME 41
Ce sera le signe de la fin des temps. L'hunaanité et, après elle,
le monde entreront dans une crise suprême, et le Verbe incarné,
pour qui tout a été fait, prendra définitivement possession de
son universel héritage. Telle sera la fin sans fin de l'histoire
humaine.
On peut la résumer tout entière dans cette parole de l'Apôtre :
« Christus heri et hodie et ipse in sœcula. Le Christ aujour-
d'hui et hier et dans tous les siècles. » J'aime à voir de cette
hauteur les générations et les événements qui ont rempli et
rempliront les siècles jusqu'à la consommation des temps. Pour
moi, l'histoire humaine me paraît plus digne de Dieu très haut,
et plus glorieuse à sa chétive créature, lorsque je l'étudié à la
lumière du dogme qui nous révèle le plan divin dans lequel
tout se rattache au Verbe rédempteur, principe et fin de toutes
choses. En réponse à cette révélation, je suis heureux d'en-
tendre sortir de tous les lieux, de tous les temps, de toutes les
générations, de tous les peuples, de tous les événements de
l'histoire humaine ce cri de solennel acquiescement : cela doit
être, qu'il en soit ainsi! C'est bien ! Amen!
Voilà mon dernier mot, Messieurs. Il ne sort de ma bouche
qu'après avoir déchiré mon cœur, car, depuis vingt ans que nos
âmes sont unies dans la vérité divine, j'ai appris à vous aimer,
et me suis attaché à vous par des liens qui ne peuvent se
rompre sans douleur. Me suis-je toujours montré digne de vous
instruire? — Je l'espère, car je n'ai jamais eu qu'une règle dans
mon enseignement : penser avec l'Eglise et comme l'Eglise,
ma très chère et très sainte Mère : Sentire cum Ecclesia. La
grâce de Dieu, que j'ai toujours demandée d'un cœur filial, m'a
soutenu dans ma longue carrière; mais aussi, quels encourage-
ment j'ai reçus de votre religieuse avidité, de votre bienveillante
attention etde tous ces regards amis qui se fixaient sur moi et
semblaient me dire : Parlez-nous de Dieu et de sa sainte vérité.
Je voudrais vous parler encore, mais la vieillesse que je sens
venir et le déclin de mes forces m'avertissent que je ne puis
commencer une nouvelle carrière et qu'il est temps de me taire.
Cependant, nous nous réunirons encore pendant les jours de la
retraite pour méditer ensemble les adieux du Sauveur à ses
disciples. Après cela, nous nous séparerons. Mais nous reste-
rons unis, n'est-ce pas? Moi, dans la solitude, où je me prépa-
rerai au voyagedel'éternité, j'aurai toujours devant les veux mon
grand et cher auditoire de Notre-Dame, et ne pouvant plus tou-
42 ANNAI.BS CATHOLIQUES
cher son cœur en lui lançant les flèches de ma parole, je lui
enverrai de loin les flèches de ma prière. Et vous. Messieurs,
quand vous entendrez une autre voix, vous vous souviendrez du
pauvre petit moine qui vous a évangélisés,et vous direz à Dieu:
— Seigneur, bénissez et sauvez celui qui fut l'ami de nos âmes.
Et cela jusqu'au jour oii nous irons contempler ensemble, dans
la pleine lumière du ciel, les vérités que nous n'avons pu qu'en-
trevoir en ce monde, et chanter d'une commune voix un éternel
Amen.
LIVRES A L'INDEX
Un décret de la Sacrée Congrégation de l'Index, en date du
22 mars 1890, condamne et proscrit les ouvrages suivants :
Mélanges sur quelques questions agitées de mon temps
et dans mon coin de pays, par J.-M. Boillot, curé de la
Madeleine de Besançon. — Besançon, imprimerie et litho-
graphie Dodivers et C", Grande-Rue, 87, et rue Moncey,
8 bis^ 18S8. — AucLov laudahiliter se subjecit et opus
reprobavit.
Judas de Keriot — Poemadramatich de Frederich Soler,
de la Academia de la llengua catalana, Mestre en gay saber.
— Barcelona, libreria de I. Lopez, éditor — Rambla del
Mitj, nura. 20 — 1889.
Il Nuovo Rosmini — Periodico Scientifico Letterario. —
Milano, tipographia Fratelli Rechiedei. — Decr. S. Off,
Fer. IV die 26 Febriiarii 1890.
NECROLOGIE
Mgr le chanoine de Haerne, doyen-d'âge de la Chambre des
représentants de Belgique, ancien membre et secrétaire du con-
grès national, est décédé en sa maison de Saint-Josse-ten-
Noode, après une longue maladie.
Mgr D.-P. DE Haerne, dit le Courrier de Bruxelles, était un
citoyen d'élite. Depuis le moment où il s'assit, tout jeune, à côté de
M. de Gerlache au congrès national de 1831 jusqu'à l'instant où la
maladie le contraignit à quitter sa place à la Chambre, sa vie n'a été
NÉCROLOGIE 43
qu'une longue suite de dévouement au pays, une lutte constante pour
le triomphe de la religion.
Lorsque le congrès eut accompli son œuvre, l'abbé de Haerne fut
élu par l'arrondissement de Roulers. Plus tard Courtrai lui confia le
mandat de représentant. A Roulers comme à Courtrai, il laisse les
meilleurs souvenirs.
A Courtrai, il fut longtemps professeur. Il a formé de brillants
élèves. Journaliste catholique, il a dirigé le Spectateur belge et a
été collaborateur de la Belgique. Ecrivain, il a doté nos bibliothèques
de nombreux ouvrages, traitant principalement de l'éducation, sur-
tout de l'éducation des sourds et muets et de la charité.
En 1838, il fit partie de l'Association pour combattre la misère qui
sévissait dans les Flandres, Emule de l'abbé de l'Epée, il s'attacha à
continuer l'œuvre du grand bienfaiteur des sourds et muets.
Directeur de l'Institut de Bruxelles, il fonda l'Institut catholique des
sourds et muets d'Angleterre, où son nom est universellement connu.
Il avait été rectour du séminaire anglais de Bruges.
Décoré de l'ordre de Léopold et de nombreux ordres étrangers^
Mgr de Haerne portait fièrement la Croix de Fer qui récompensa,
après 1830, ses services rendus à la cause de l'émancipation natio-
nale. Il était aumônier de la Société des décorés de la Croix de Fer.
Le Pape, voulant récompenser sa longue carrière ecclésiastique
réleva à la dignité de camérier secret.
On peut dire de Mgr de Haerne qu'il a passé en faisant le bien et
que sa mémoire sera en bénédiction.
Sa mort est ua deuil national.
M. le comte Armand de Pontmartin, vient de mourir à l'âge
de soixante-dix-neuf ans.
Né à Avignon, il vint de bonne heure à Paris^ oii il fit ses
études au lycée Saint-Louis.
M. de Pontmartin avait débuté en 1883 à la Gazette du Midi,
de Marseille, et collabora successivement à la Quotidienne, à la
Mode, à la Revue des Deux-Mondes, à V Opinion publique, à
la Revue contemporaine et à V Assemblée nationale. Il était
devenu ensuite rédacteur du Correspondant. Ses divers articles
ont paru en volumes et ont retrouvé, sous cette nouvelle forme,
le succès qui avait salué leur apparition dans les revues.
La Gazette de France., o\\ il écrivait depuis vingt-trois ans
des feuilletons hebdomadaires, publiait, en même temps que
l'annonce de sa mort, son dernier feuilleton du samedi.
Avec lui disparaît l'un des plus éminents critiques delà géné-
ration de 1830.
44 ANNALES CATHOLIQUES
Ses obsèqnes ont été célébrées aux Angles,près d'Avignon, où
il est mort.
Le même jour, la Gazette de France a fait dire une messe à
Notre-Dame-des-Victoires.
On annonce la mort du général Ambert, un écrivain distingué,
qui est mort lundi à Paris, dans sa quatre-vingt-septième
année.
Fils d'un général de la première république, le jeune Ambert
était entré à l'Ecole Militaire à seize ans : il en sortit à vingt ans
comme officier d'artillerie et devint successivement lieutenant
en 1830, capitaine en 1837, chef d'escadron en 1843, lieutenant-
colonel en 1847 et colonel en 1850, remarqué partout par ses
hautes qualités militaires.
Entre temps, il avait été envoyé par ses compatriotes^ les
électeurs du Lot, à l'Assemblée Constituante de 1848 et à la
Législative de 1849.
En 1858, l'empereur Napoléon III le nomma général de bri-
gade, puis à la suite d'une mission en Algérie, commandeur de
la Légion d'honneur et conseiller d'Etat en 186G.
En 1870, le général Ambert, depuis trois ans dans le cadre
de réserve, reprit du service et obtint le commandement du
5' secteur des fortifications de Paris. Mais au lendemain de 1
révolution de septembre, son dévouement à l'empereur le rendit
suspect et son commandement lui fut retiré.
Le général Ambert s'est fait comme écrivain militaire une
réputation considérable par une série d'ouvrages dont voici les
titres : Esquisses historiques et pittoresques des différents
corps d'armée ; Moncey ; la Colonne de Napoléon et le camp
de Boulogve ; Gens de guerre ;Le haron Larrey ; Conséquences
des progrès de r Artillerie ; Histoire de la Guerre 1870 1871 ;
V Héroïsme en soutane ; Après Sedan ; Récits militaires, etc. ;
plusieurs de ces ouvrages, entre autres ses merveilleux Récits
militaires, ont été couronnés par l'Académie.
Le général baron Ambert était le beau-père de M. Edgar Dé-
mange, le grand avocat du barreau de Paris, et l'oncle du baron
Dufour, l'ancien député du Lot.
Nous devons annoncer aussi la mort du docteur Trélat. Fils
du docteur Trélat, qui fut ministre des travaux publics en 1848,
Ulysse Trélat, né à Paris le 13 août 1828, suivit comme son
LES CHAMBRES 45
père, la carrière médicale^, et fut reçu docteur en 1854. Agrégé
en 1857, avec une thèse remarquée sur la Nécrose par le phos-
phore, il fut attaché successivement à la Maternité et à Thôpital
Saint-Antoine en 1864, à la Pitié en 1868 et, enfin, à l'hôpital
delà Charité en 1872. Nommé professeur de pathologie chirur-
gicale à la Faculté de Paris le 24 juin 1872, il fut élu membre
de l'Académie de médecine le 20 janvier 1874, Pendant 3a
guerre, il dirigea uneambulance qui, après le désastre de Sedan,
fut retenue quelque temps par les Prussiens sur la frontière
belge.
Le professeur Trélat laisse un grand nombre d'ouvrages
estimés. Outre de nombreux mémoires sur toutes les questions
chirurgicales à l'ordre du jour on cite do lui des travaux impor-
tants sur V Hypertrophie unilatérale partielle ou totale du
corps /'1867) et ses leçons de Cliniques chirurgicales prof essëes
à la Charité'. C'était, en même temps qu'un savant éminent, un
vulgarisateur de premier ordre.
LES CHAMBRES
Jeudi 27 mars. — Longue discussion sur l'article 2 du projet de
loi concernant les responsabilités dont les ouvriers sont victimes dans
leur travail.
Vendredi 28 mars. — On sait que, lorsque M. Fallières lut an
Sénat la déclaration gouvernementale, AI. de l'Angle-Beaamanoir
demanda à interpeller le cabinet sur sa politique générale. L'inter-
pellation fut renvoj'ée à dix jours. Elle était donc à l'ordre du jour.
M. DE l'Angle-Beaumanoir a longuement critiqué la déclaration
que l'on sait. Elle reste muette sur la question financière, sur la
question coloniale, sur la question extérieure. Et l'orateur a demandé
des explications.
Quant à la politique intérieure, la dirigera-t-on suivant les prin-
cipes de M. Ribot, ou suivant ceux de M. Jules Roche ? Les radicaux
donneront-ils des ordres aux modérés? Est-ce le contraire qui aura
lieu ?
Le PRÉSIDENT DU CONSEIL répoul en demandant au Sénat de
repousser un ordre du jour déposé par l'interpellateur, ordre du jour
réclamant du gouvernement « des gages de son esprit de tolérance et
de fermeté ».
L'ordre du jour pur et simple a été voté à mains levées.
La fin de la séance a été consacrée à la discussion d'un projet por-
46 ANNALES CATHOLIQUES
tant création d'écoles du service de santé de la marine, projet adopté
par la Chambre, et qui a été adopté par le Sénat.
Samedi 29 mars. — On adopte le projet réformant la législation
des faillites ot le projet accordant 2,700,000 francs d'indemnités à la
marine marchande.
On adopte le projet ouvrant un crédit de 80,000 francs pour les
dépenses du congrès télégraphique international.
On adopte, sans discussion, en première délibération, le projet de
loi portant modification de la loi sur les marques de fabrique et de
commerce.
Et le président annonce que le Sénat suspend ses séances jusqu'au
6 mai.
Chaml>i*o «les Députée.
Jeudi 27 mars. — La journée se passe en questions et en inter-
pellations.
Voici maintenant que M. Déroulèoe veut interpeller le ministre
de l'intérieur sur l'indemnité que touchent irrégulièrement les con-
seillers municipaux de Paris. La Chambre renvoie l'interpellation à
un mois, M. Conotans paraissant peu disposé à répondre.
M. Bizouart-Bert interroge le gouvernement sur la situation des
mégissiers. Certes, la question est intéressante, mais il est malheu-
reux qu'elle soit posée par un tel orateur. M. Floqukt a beau
réclamer le silence, la Chambre ne peut écouter sans rire ce repré-
sentant du peuple, dont les gestes et les coups de voix sont d'un
comique irrésistible. Le tapage ne ceBse que lorsque M. Develle
paraît à la tribune. Le ministre de l'agriculture annonce que, malgré
toute sa sollicitude pour les intérêts des mégissiers et des bouchers
de la Villette, il ne saurait rapporter l'arrêté interdisant l'entrée en
France du bétail sur pied.
Après le rejet d'une demande de poursuites contre M. Hély-
d'Oissel, un débat très intéressant s'engage au sujet d'une proposition
de crédits supplémentaires de 2 millions environ pour la marine
marchande.
M. DE DouviLLE-MviLLEFEU réclame l'ajournoment du vote du
projet. M. d'Alliéres, au nom de la Droite, propose une autre con-
clusion : le vote d'un projet de résolution tendant à inscrire en tête
du budget de 1891 le bilan de la situation financière du pays et à
fixer au 15 juin invariablement le dépôt des rapports budgétaires.
L'ajournement est repoussé et le crédit adopté. La Chambre rejette
ensuite, sur la proposition de M. Casimir Périer, le projet de réso-
lution de M, d'Aillières énoncé plus haut, N'aura-t-on pas le droit
de dire maintenant que le gouvernement et la majorité de la commis-
sion du budget redoutent qu'on fasse la pleine lumière ?
La fin de la séance est consacrée à la discussion du projet relati
LES CHAMBRES 47
au service d'état-major. Ce projet augmente les cadre» des officiers
d'ôtat-major et le mode de recrutement de ces officiers.
Le projet est adopté, après discours de MM. Cavaignac et de
Freycinet.
Vendredi 28 mars. — A l'unanimité, la Chambre prononce l'inva-
lidation de M. Ménard-Dorian et le renvoi du dossier au garde des
sceaux. Voilà une justice tardivement rendue!
C'est encore d'une autre élection que s'occupe ensuite la Chambre.
Le premier député conservateur qui ait été invalidé dans la session,
c'est M. Arnault, député de la 2® circonscription de Montauban.
Pourquoi avait-on annulé cette élection? Personne n'a pu le dire.
Cette première invalidation a donné un résultat favorable au rival
de M. Arnault, M. Cambe. Ce dernier a triomphé avec une majorité
très faible. Mais comment cette élection s'est-elie faite? Dans
quelles conditions? C'est ce qu'un honorable député du Tarn-et-
Garonne, M. Prax-Paris, raconte à la Chambre avec des détails édi-
fiants. Il est difficile d imaginer une élection où la candidature
officielle se soit plus cyniquement affirmée. Ce n'est que par suite
d'une pression effrontée que M. Cambe remplace à la Chambre un
homme qui représentait depuis des années le département de Tarn-
et-Garonne. 11 y a eu surprise. Mais on sait que quand il s'agit des
républicains, la majorité a des indulgences singulières. L'élection de
M. Cambe est donc validée.
A la fin de la séance, la Chambre repousse l'urgence sur un crédit
de 100,000 francs demandé par les boulangistes pour les ouvriers
mégissiers et bouchera.
Samedi 29 mars. — On valide sans discussion les élections de
M. Mulier, à Loches, et de M. Guillemet, à Fontenay-le-Comte.
Puis on aborde la discussion d'une série de prises en considération
de petits projets.
1» Projet relatif à la création d'un conseil supérieur du travail.
Adopté.
2° Projet d'amnistie des infractions à la loi électorale, pendant les
dernières élections. Adopté.
3° Adoption en première délibération de divers projets concernant
l'administration intérieure des colonies.
40 Adoption d'un projet portant autorisation au gouvernement de
traiter avec les villes pour l'établissement de communications télé-
phoniques inter-urbaines.
5° Prise en considération d'un projet assurant la liberté de la
défense judiciaire et supprimant le monopole de l'ordre des avocats.
On s'ajourne au 6 mai.
48 ANNALES CATHOLIQUES
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les Indépendants. — Leur programme. — Vacances parlementaires. —
Le Pap« et l'Empereur. — Conférence de Berlin. — Voyages présidentiels.
— Etranger. — Dahomey.
3 avril 1890.
Le nouveau groupe parlementaire qui s'est formé sous le nom
de groupe des Indépendants et dont le chef est M. Piou vient de
publier au Figaro son programme. Il paraît que ce programme
a été fait il y a deux mois environ. Pour dea motifs que nous
ignorons, les Indépendants n'ont pas jugé à propos de le faire
connaître pendant la session parlementaire. Ils ont attendu pour
le livrer à la publicité que les Chambres se soient misés en
vacances. Voici ce programme que nous croyons devoir repro-
duire à titre de document :
Les députés « iadépendants », désireux de rôuoir leurs efforts pour
la défense des intérêts conservateurs, ont établi ainsi les conditions
de leur entente:
Le respect de la volonté nationale et la reconnaissance des droits
du suffrage universel sont les bases fondamentales de leur programme
politique ;
N'ayant pas soulevé aux élections la question de forme gouverne-
mentale, ils ne la soulèveront pas davantage devant le Parlement.
Quelles que soient leurs préférences, ils conformeront leur conduite
de député à leur langage de candidat. Les institutions existantes sont
légalement établies; ils ne les mettront pas en question.
A la nation seule, toujours maîtresse de ses destinées, appartient
le droit de les reviser.
Lear but est d'aider à la formation dans l'avenir d'une nouvelle
majorité de gouvernement, en écartant les perspectives d'une révo-
lution, qui, bien que chimériques, ont toujours été exploitées dans
un intérêt de parti.
C'est donc au pays seul qu'ils songent en unissant aujourd'hui
leurs efforts.
Pas d'opposition systématique ; volonté arrêtée de ne rien sacrifier
des intérêts qu'ils se sont engagés à défendre, mais en même temps
volonté arrêtée de seconder les tentatives de ceux qui essaieraient de
donner satisfaction aux griefs de l'opinion; s'efforcer d'empêcher le
mal, toujours coopérer au bien.
Telle sera leur règle de conduite dans le Parlement.
Quant aux réformes dont ils ne cesseront de poursuivre la réalisa-
tion, elles sont celles que réclament les électeurs de qui ils tiennent
leurs mandats :
CHRONIQUE DE LA SSMAIMK 4Qi
Rétablissement de l'équilibre financier par une administration ri-
goureusement économe, ne a'inspirant que de l'intérêt national ; ni
emprunts ni impôts nouveaux ; diminution des charges publiques par
la simplification des rouages administratifs et l'exécution moins coû-
teuse des travaux publics ;
Abrogation des lois d'exil ;
Indépendance communale pour la création d'écoles primaires
libres; admissibilité de tous les citoyens munis de leurs brevets aux
emplois d'instituteurs publics ; liberté de conscience par la faculté
laissée aux ministres du culte, de donner dans l'école l'instruction
religieuse aux enfants qui veulent la recevoir.
En matière militaire, dispositions légales assurant la culture des
hautes études et le recrutement du clergé;
Politique économique protégeant efficacement l'agriculture et le
travail national ;
Etude constante des questions ouvrières, de façon à assurer à la loi
toute son action pour la protection des travailleurs et des faibles.
Dans la poursuite de ces réformes, comme dans toutes les circons-
tances que les événements feront surgir, les députés « indépendants »
resteront toujours fidèles au grand mouvement démocratique de ce
siècle; un tel mouvement est aujourd'hui un fait définitif, et loin d'en
être effrayés, ils y voient un gage d'union et de progrès.
Nous verrona l'accueil que les républicains feront au pro-
gramme du nouveau groupe. Quant à nous, nous ne pouvons
qu'y acquiescer par l'excellente raison que la politique qui y est
exposée est celle que nous n'avons jamais cessé de soutenir;
celle que les monarchistes ont toujours soutenue dans le pays
comme dans le Parlement; celle que les républicains, nos adver-
saires, ont toujours refusé de suivre depuis qu'ils sont au
pouvoir.
Prenons chacun des articles de ce programme des Indépen-
dants: Il n'y en a n'a pas un seul qui soit contraire à la ligne
de conduite des monarchistes. Il n'y en a pas un seul qui soit
conforme à la ligne de conduite des républicains.
Il nous est donc impossible de voir dans la formation du
groupe des Indépendants une évolution d'une fraction du parti
conservateur vers la République. Il n'y a rien de changé dans
la situation politique. Il n'y a qu'un groupe parlementaire de
plus.
Et nous ne voyons pas quel est le but de la constitution de ce
groupe. Puisque la politique des Indépendants est exactement
la même que celle du reste de la Droite, tous les députés non
4
50 ANNALES CATHOLIQUES
républicains pourraient se faire inscrire au groupe des Indé-
pendants. Et si tous les députés non-républicains peuvent se
faire inscrire au groupe des Indépendants, ce nouveau groupe
n'a pas de raison d'être. D'habitude quand on constitue un
groupe nouveau c'est pour adopter un nouveau système de po-
litique. Quand on se sépare des gens ce n'est pas pour faire la
même chose qu'eux.
Maintenant que nos députés sont en vacances, on peut se de-
mander quelle est la somme de travail eft'ectuée par eux pen-
dant la session qui vient de finir. Il est certain qu'il ne peut
s'agir, dans les reproches qu'on adresse à la Chambre, que de
la majorité républicaine, puisqu'elle impose despotiquement
sa manière de voir aux conservateurs, qui, malgré leurs efforts
constants, ne peuvent faire accepter les réformes qu'ils jugent
nécessaires et que le pays réclame. On remarquera, d'ailleurs,
que la seule proposition qui dénotât chez son auteur un souci
des intérêts des masses a été déposée par un député de la droite,
M. deMontfort; nous voulons parler de l'amélioration du cou-
chage des troupes.
A part cela, pendant les cinq mois de la session qui vient de
se terminer, qu'est-ce que la Chambre a fait d'utile? Elle a
invalidé beaucoup, elle a assisté à des dislocations et à des re-
maniements ministériels, elle a selon son habitude parlé dans le
vide, et puis c'est tout. Encore faut-il constater qu'elle n'en a
pas fini avec la vérification des pouvoirs depuis cinq mois !
L'élection du commandant Picot n'est pas encore validée.
Notre malheureux pays n'a pas de chance; il avait eu une
Chambre do sous-vétérinaires, ainsi nommée par Gambetta qui
s'y connaissait; il a eu ensuite une Assemblée Wilsonnienne,
et maintenant c'est une collection de rois fainéants, plus inca-
pables encore et peut-être plus égoïstes que toutes les collec-
tions passées, qui éprouve le besoin d'aller se reposer de n'avoir
rien fait.
Depuis que l'empereur d'Allemagne a mis si fort en honneur
les voyages des chefs d'Etat, on a pensé qu'il convient aussi au
président de la République de faire grand.
Le tracé des voyages qu'il doit accomplir cette année vient
d'être définitivement arrêté, A part quelques détails complémen-
taires. M. Carnot a renoncé à l'idée de visiter dan.s un même
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 51
voyage Montpellier, le littoral méditerranéen et l'Algérie. Le
voyage en Algérie, dont le principe est dès maintenant admis,
sera accompli au cours de l'année prochaine. On a du calculer,
en effet, que le voyage dans la colonie algérienne entraînerait
une absence d'un mois, à laquelle le chef de l'Etat ne veut pas
s'astreindre en ce moment.
Dans un voyage ultérieur, le président se rendra, les 23 et
24 mai, à Montpellier, oii il présidera aux fêtes données dans
cette ville pour la célébration du sixième centenaire de TUni-
versité. Le 26 du même mois, M. Carnot se rendra à Besançon,
oîi il assistera à la fête fédérale de gymnastique et de tir.
Pour le moment, le voyage que va accomplir le président de
la République, et qui aura lieu vers le milieu du mois d'avril, à
une date qui n'est pas encore précisément fixée, sera borné au
littoral de la Méditerranée et à la Corse. Le président visitera
notamment Avignon, Marseille et Toulon, et probablement Nice.
Il s'arrêtera également dans les villes 'd'Arles, la Ciotat, la
Seyne, et se rendra aux îles d'Hyères. M. Carnot s'embarquera
ensuite pour la Corse, et il sera, durant la traversée, escorté
par l'escadre de la Méditerranée. Il visitera dans l'île Ajaccio
et Bastia.
L'événement de la semaine est la publication de la corres-
pondance qui a eu lieu entre l'empereur d'Allemagne et S. S.
Léon XIII.
Il nous suffit de publier le texte de ces deux documents pour
en montrer l'importance :
Lettre de Guillaume II
Berlin, le 8 mars 1890.
A Sa Sainteté le Pape Léon XIII, à Rome.
Très auguste Pontife,
Les nobles manifestations par lesquelles Votre Sainteté a toujours
fait valoir son influence en faveur des pauvres et délaissés
de la société humaine, me donnent l'espoir que la Conférence inter-
nationale qui, sur mon invitation, se réunira à Berlin le 15 de c©
mois, attirera l'intérêt de Votre Sainteté et qu'elle suivra avec
sympathie la marche des délibérations ayant pour but d'améliorer le
sort des ouvriers.
A ce point de vue, je crois de mon devoir de faire parvenir â
Votre Sainteté le programme qui doit servir de base aux travaux de
52 ANNALES CATHOLKîUKS
la Conférence, dont le succès serait singulièrement facilité si Votre
Sainteté voulait prêter à l'œuvre humanitaire que je poursuis son
bi&nfaisant appui. J'ai donc invité le prince-évêque de Breslau, que
je sais pénétré dos intentions de Votre Sainteté, à prendre, en qualité
de mon délégué, part à la Conférence.
Je saisis volontiers cette occasion pour renouveler à Votre Sainteté
l'assurr'nce de mon estime et de mon dévouement personnel.
Signé : Guillaume.
Réponse du Pape.
Majesté,
Nous rendons grâce à Votre Majesté de la lettre qu'elle a bien
voulu Nous écrire pour nous intéresser à la Conférence internatio-
nale qui va se réunir à Berlin dans le but de chercher les moyens
d'améliorer les conditions des classes ouvrières.
Il Nous est agréable, avant tout, de féliciter Votre Majesté d'avoir
pris tant à cœur une cause ausf?! noble, aussi digne d'une sérieuse
attention et qui intéresse l'univers entier. Cette cause, du reste, n'a
cessé de Nous préoccuper Nous-môme, et l'œuvre entreprise par
Votre Majesté répond à un de Nos vœux les plus chers.
Déjà par le passé, comme elle le rappelle, Nous avons manifesté
nos pensées sur ce sujet et, avec Notre parole, Nous avons fait valoir
en sa faveur renseignement de l'Eglise catholique, dont Nous
sommes le chef.
Dans une circonstance plus récente, nous avons rappelé de nou-
veau cet enseignement, et pour que ce difficile et important pro-
blème soit résolu selon toutes les règles de la justice, et que les légi-
times intérêts de la classe laborieuse soient dûment sauvegardés,
nous avons exposé à tous et à un chacun, y compris les gouverne-
ments, les devoirs et les obligations spéciales qui leur incombent.
Sans nul doute, l'action combinée des gouvernements contribuera
puissamment â l'obtentioa ée la fin tant désirée. La conformité des
vues et des législations, pour autant du moins que la permettent les
conditions différentes des lieux et des pays, sera de nature à avancer
grandement la question vers une solution équitable. Aussi ne pour-
rons-nous qu'appuyer hautement toutes les délibérations de la confé-
rence qui tendront à relever la condition des ouvriers, comime par
exemple, une distribution du travail mieux proportionnée aux forces,
à l'âge et au sexe de chacun, le repos du jour du Seigneur et, en
général, tout ce qui empêchera que l'on exploite le travailleur
comme un vil instrument, saas égard pour sa dignité d'homme, pour
son foyer domestique.
Cependant, il n'a pas échappé à Votre Majesté que l'heureuse solu-
tioft d'une question aussi graviQ requérait, outre la sage imtervention
d«e l'autorité eivil«, le puissant concours de la religion et la bienfai-
sante action de l'Eglise.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 53
Le seatiment religieux, en effet, est seul capable d'assurer aux
lois toute leur efficacité, et l'Èvaagile est le seul code où se trouvent
consigués les principes de la vraie justice, les maximes de la charité
mutuelle qui doit unir tous les hommes comme enfants du même
Père et membres de la même famille.
La religion apprendra donc au patron â respecter dans l'ouvrier
la dignité humaine, et à le traiter avec justice et équité : elle incul-
quera dans la conscience du travailleur le sentiment du devoir et de
la fidélité, et le rendra moral, sobre et honnête.
C'est pour avoir perdu de vue, négligé et méconnu les principes
religieux, que la société se voit ébranlée jusque dans ses fondements :
les rappeler et les remettre en vigueur est l'unique moyen de réta-
blir la société sur ses bases et de lui garantir la paix, l'ordre et la
prospérité. Or, c'est la mission de l'Eglise de prêcher et de répandre
dans le monde entier ces principes et ces doctriues; à Elle, par con-
séquent, il appartient d'exercer une large et féconde influence dans
la solution du problème social.
Cette influence, Nous l'avons exercée et Nous l'exercerons encore
spécialement au profit des classes ouvrières. De leur côté, les évoques
et les pasteurs, aidés de leur clergé, en agiront de même dans leurs
diocèses respectifs, et Nous espérons que cette salutaire action de
l'Église, loin de se voir contrariée par les poxivoirs civils, trouvera
dorénavant chez eux aide et protection ; Nous en avons pour garant
l'intérêt, d'une part, que les gouvernements attachent à cette grave
question-, et, de l'autre, l'appel bienveillant que Votre Majesté vient
de Nous adresser.
En attendant, Nous faisons les vceux les plus ardents pour que les
travaux de la Conférence soient féconds en bienfaisants résultats, et
répondent pleinement à la commune attente ; et avant de terminer la
présente, Nous voulons exprimer ici la satisfaction que Nous avons
éi)rouvée en apprenant que Votre Majesté avait invité à prendre part
â la Conférence, en qualité de son délégué, Mgr Kopp, prince-évôque
de Breslau. Il s'estimera certainement très honoré de cette marque
de haute confiance que Votre Majesté lui donne en cette occasion.
C'est enfin avec la plus vive satisfaction que Nous exprimons à
Votre Majesté les vœux les plus sincères que Nous faisons pour sa
prospérité et pour celle de son impériale famille.
Du Vatican, le 14 mars 1890.
Signé : Leo, P. P. XIII.
La conférence a terminé ses travaux et l'on so demande main-
tenant quel en sera le résultat.
Comme on le sait, elle n'a pas abordé la question de la dnrée
normale du travail. C'est pour obtenir la fixation de cette dui'ée
à huit heures que les socialistes org-anisent la manifestation du
54 ANNALES CATHOLIQUES
l**" mai. M. Liebknecht annonce, d'autre part, qu'il fera une
proposition dans ce sens au Reichstag dès les premiers jours de
la rentrée.
On peut voir déjà par là que la conférence de Berlin aura
peu de succès pour désarmer l'hostilité des socialistes contre
l'ordre de choses actuel. Ce qu'ils veulent, c'est une réorgani-
sation sociale complète, une révolution nouvelle qui achève
celle de 89 et donne aux ouvriers des jouissances matérielles
en grande abondance, puisque, selon le principe de 89, il n'y a
pas d'autre bonheur que celui de la terre.
89 a fait triompher le Tiers-État, c'est maintenant le tour du
Quatrième État.
Il ne reste à la société moderne qu'un moyen de salut, la
religion.
Il faut que les gouvernements reviennent eux-mêmes au res-
pect de la religion.
C'est l'enseignement qui ressort des lettres échangées entre
l'empereur d'Allemagne et le Pape.
On annonce une prochaine rencontre de M. de Caprivi, le
nouveau chancelier allemand, avec les ministres dirigeants
d'Autriche-Hongrie et d'Italie, c'est-à-diie avec le comte Kal-
noky et M. Crispi. Il s'agirait, non pas coname l'imaginent cer-
tains pessimistes, d'une refonte sur de nouvelles bases de la
triple alliance, mais purement et simplement de confirmer l'état
de choses actuel existant entre les trois puissances. Il se peut
que l'Autriche-Hongrie, toujours hantée par le spectre de l'in-
tervention russe dans la principauté des Balkans, se cramponne
plus que jamais à l'Allemagne, et que ni le Parlement de
Vienne ni celui de Pesth n'y contredisent pas; mais, pour
l'Italie, c'est autre chose.
L'opinion publique, dans la péninsule, est convaincue que
c'est la politique de M. Crispi, basée sur la triple alliance, qui a
mis les finances du royaume dans l'état néfaste où elles sont
aujourd'hui, que la situation économique du pays est devenue
intolérable et qu'il faut changer de S3^?tème. Dans ces condi-
tions, il paraît que le premier ministre ne peut même plus gou-
verner avec la Chambre actuelle, parce qu'il a perdu la majorité
et qi.jl lui faut procéder à une dissolution, et, par suite, à de
nouvelles élections. Or, il n'3- a pas à s'y tromper, la nouvelle
Chambre renversera M. Crispi et^ après lui, la triple alliance
NOUVELLES RELIGIEUSES 55
aura vécu et nous assisterons à la première brèche faite dans
l'édifice élevé par M. de Bismarck, brèche qui sera suivie, à
courte échéance, de plusieurs autres non moins importantes.
On continue à se battre au Dahomey. D'après les renseigne-
ments que nous donnent les journaux qui reçoivent les commu-
nications du ministère de la marine, le cercle des opérations
paraît s'étendre, et il est évident que nous nous engageons de
plus en plus. On a laissé les Dahoméens établir un camp, au
commencement de mars, sur la rive gauche de l'Ouémé, rivière
qui forme la frontière entre le Dahomey et le Porto-Novo, pays
placé sous notre protectorat. Comme ce camp était une menace
pour les populations du Porto-Novo, nos protégées, il a fallu
faire une opération de ce côté. Le colonel Terrillon a pris la
direction de l'opération. Avec la colonne qu'il commandait, il a
traversé, au moyen de pirogues, le lac Denham, et remonté
rOuémé jusqu'à proximité des localités occupées par l'armée
■dahoméenne. Ces localités sont, paraît-il, à une quarantaine de
kilomètres du confluent de la rivière et de la lagune de Porto-
Novo. Après avoir débarqué, les troupes du colonel Terrillon
ont attaqué les Dahoméens et enlevé les villages où ils étaient
établis. Mais l'action a été chaude. Elle a coûté la vie au capi-
taine d'infanterie de marine Oudard. Et un autre officier, le
sons-lieutenant Mousset est mort d'une insolation.
Après avoir chassé les Dahoméens des villages de Gléoui et
<îe Tacauli, le colonel Terrillon a bombardé le village d'Agobbo,
situé sur la rive gauche de l'Ouémé, au nord de la lagune des
Caïmans. Puis il est rentré à Kotonou.
NOUVELLES RELIGIEUSES
France.
Paris. — Lundi, 24 mars, à trois heures, a eu lieu à la mai-
son de Lamaze, boulevard de Vaugirard, l'assemblée annuelle
de l'Œuvre de l'Hospitalité de nuit, sous la présidence d'hon-
neur du cardinal Richard, archevêque de Paris.
Devant une assemblée nombreuse, M. A Viallet, trésorier cfe
la société, a donné lecture de son rapport sur les comptes de
l'exercice 1889.
Les recettes effectuées en 188V) par lu Société et provenant
56 ANNALES CATHOLIQUES
de donations, souscriptions, intérêts des fonds placés^ quêtes,
ventes de charité, tronc de l'Exposition, etc., s'élèvent à
93,264 fr. 40. Les dépenses atteignent le chiftre de 146,809 fr. 85.
Le déficit, 25,415 fr. 75, est couvert par les sommes touchées
en 1889 à titre de legs provenant en grande partie des exercices
antérieurs. Mais, comme le constate M. Viallet, la Société n'ar-
rive pas à «joindre les deux bouts >. Aussi, il fait un appel
pressant aux dames patronnesses et aux souscripteurs pour
qu'ils redoublent de zèle et arrivent à trouver 25,000 à 30,000 fr.
de plus chaque année.
Dans son rapport, le trésorier dit que les demi-livres de pain
distribuées chaque soir aux pensionnaires de l'Hospitalité de
nuit coûtent environ 21,000 fr., pour l'année. 11 a été distribué
252, 417 rations.
M. le baron de Livois, le très zélé et très dévoué président
de la Société, a lu ensuite son rapport sur les travaux de
l'Œuvre pendant l'année 1889.
Deux nouveaux asiles ont été ouverts en France : le premier
a été inauguré à Boulogne-sur-Mer le 23 juin ; la seconde mai-
son a été ouverte à Amiens par M. l'abbé Clavaud, rue Saint-
Honoré, dans un local que son père a fourni franc de tout loyer.
L'Œuvre de l'Hospitalité de nuit a recueilli, cette année,
88,412 hommes et 2,059 femmes et enfants, soit en tout 90,471
pensionnaires qui ont couché pendant 235,561 nuits. Ce qui
donne un total de 264,623 hospitalisés, ayant passé 1 million
534,555 nuits dans les établissements de l'Œuvre, depuis sa
fondation.
Dijon. — Le jour de la fête de Saint-Joseph a eu lieu le
sacre de Mgr Sonnois.
Le prélat consécrateur était Mgr Lecot, évêquc de Dijon,
assisté de Mgr Marpot, évêque de Saint-Claude et de Mgr Larue,
évêque de Langres.
Les généraux de Cointet, Delorme, Laveuve, Sonnois, une
députation dos conseils généraux et départementaux des Vosges
et une foule nombreuse assistaient au sacre.
Après la cérémonie liturgique, Mgr Sonnois a donné sa pre-
mière bénédiction épiseopale à son frère aîné, le général Son-
nois. Il a ensuite béni l'assistance très émotionnée. ^
Le gérant: P. Chanïrel.
Paris. Imp. 0. Picquoin, 53, rue de LiUe.
ANNALES CATHOLIQUES
LA SOUVERAINETE TEMPORELLE DES PAPES
(Suite et fin. — Voir le numéro précédent.)
Raisons de cette souveraio^eié.
A la puissance spirituelle du Pontife romain, la Providence
a voulu joindre un pouvoir temporel. Roi des âmes, le pape fut
fait de par la Providence roi d'un Etat terrestre.
Nous ne voulons pas dire que cette royauté temporelle soit
de l'essence de la papauté au même titre et au même degré
qne sa puissance et ses préro^tives spirituelles ; mais nous
voulons dire que cette royauté temporelle a été donnée à la
papauté comme sauvegarde et garantie de l'autre. Comme Dieu
protège le fruit dans son écorce, comme il fait vivre l'àme dans
le corps, il a uni l'âme de la papauté, c'est-à-dire sa domination
spirituelle, à un corps qui est son pouvoir temporel. Sans doute,
Dieu, par des ressources de puissance et de force qui sont à
lui, peut conserver la vie à la papauté quand son pouvoir tem-
porel lui est momentanément ravi, mais c'est là une existence
anormale, un état violent, que la Providence se charge, après
un temps plus ou moins long, de faire cesser.
Le pouvoir temporel est très utile, sinon nécessaire, dirent
les évêques rassemblés à Rome en 1854, à l'indépendance de la
souveraineté religieuse. Le dogme est intimement lié avec cette
institution ; si elle tombe, l'Eglise risque de voir périr son indé-
pendance et son caractère de société parfaite. Un pape qui n'est
plus maître chez lui, qui n'est plus souverain dans sa cité, est
amoindri, il perd de son prestige, de son autorité; il ne peut
plus avec la même énergie administrer l'Eglise et maintenir
Intacte la discipline.
Deux historiens, non suspects de partialité, reconnaissent que
l'établissement de cette souveraineté temporelle fut aussi utile
qu'il était légitime. « Tant que l'empire romain a subsisté, dit
Fleury, il renfermait dans sa vaste étendue toute la chrétienté.
Mais depuis que l'Europe est divisée entre plusieurs princes
indépendants les uns des autres, si le Pape eût été sujet de
l'un deux, il eût été à craindre que les autres n'eussent eu delà
peine à le reconnaître pour père commun, et, que les schismes
Lxxii — 12 Avril 1890 5
58 ANNALES CATHOLIQUES
n'eussent été fréquents. On peut donc croire que c'est par un
effet de la Providence que le Pape s'est trouvé indépendant et
maître d'un Etat assez puissant pour n'être pas aisément
opprimé par les autres souverains, afin qu'il fût plus libre dans
l'exercice de sa puissance spirituelle, et qu'il pût contenir plus
facilement les autres évêques dans leurs devoirs. »
« Le pape, dit à son tour le président Hénault, n'est plus,
comme dans les commencements, le sujet de l'empereur. Depuis
que l'Eglise s'est répandue dans l'univers, il a à répondre à
tous ceux qui y commandent, et par conséquent, aucun ne doit
lui commander. La religion ne suffit pas pour imposer à tant de
souverains, et Dieu a justement permis que le Père commun
des fidèles entretînt, par son indépendance le respect qui lui est
dû. Ainsi donc, il est bon que le Pape ait la propriété d'une
puissance temporelle, en même temps qu'il a l'exercice de la
spirituelle. »
Voici maintenant l'opinion du bon sens gouvernemental et
militaire, s'exprimant par la bouche du vainqueur de Marengo,
au moment où il préparait la restauration du culte catholique
en France : « Le Pape est hors de Paris, et cela est bien; il
n'est pas à Madrid ni à Vienne, et c'est pour cela que nous tolé-
rons son autorité spirituelle. A Vienne, à Madrid, on pourrait
en dire autant. Crojez-vous que s'il était à Paris, les Autri-
chiens et les Espagnols consentiraient à recevoir ses décisions.
Nous sommes donc trop heureux qu'il réside hors de chez nous
et qu'en résidant hors de chez nous, il ne réside pas chez nos
rivaux; qu'il habite cette vieille Rome, loin de la main des
empereurs d'Allemagne, loin de celle de la France et des rois
d'Espagne, tenant la balance entre les souverains catholiques,
incliné toujours un peu, vers le plus fort, et se relevant prorapte-
ment si le plus fort devient oppresseur. Ce sont les siècles qui
ont fait cela, etils ont bien fait. Pour le gouvernement des âmes,
c'est l'institution la meilleure et la plus bienfaisante qu'on
puisse imaginer. >
La proposition LXXVI du Syllahus est ainsi conçue : « Abro-
gatio civilis imperii qua Apostolica Sedes poliiur, ad Eccle-
siœ libertatetn felicitatemque vel maxime conduceret. »
Pour réfuter la proposition^ condamnée nous n'avons qu'à
établir la contradictoire : L'abrogation de la souveraineté civile
dont le Saint-Siège est en possession, ne servirait pas, il s'en
faut de beaucoup, à la liberté et à la félicité de l'Eglise.
LA SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DES PAPES 59
Cette suppression nuirait à la liberté de l'Église en entravant
la liberté de son pasteur suprême dans ses délibérations, et
ensuite dans ses rapports avec les fidèles, et par contre-coup,
en entravant le recours des évoques et des fidèles au chef de
l'Eglise.
Pour paraître toujours libre d'une liberté qui exclue la tenta-
tion du schisme, il faut que cette liberté aille jusqu'à l'indépen-
dance de tout souverain temporel. Donc il faut au pape une
principauté à lui, et comme il est à Rome, il lui faut Rome.
Comme l'a très bien déclaré Pie IX, le principat civil est né-
cessaire au pape : « ut ad ipsam Eccîesiainregendam, ejusque
unitatem servandam, plend potiretur libertate. » Nous ne sau-
rions trop insister sur ce point précis que la liberté du Souve-
rain Pontife doit être non seulement une liberté de gouverne-
ment dans la délibération et l'exécution, ad Ecclesiamj'egendam,
mais surtout une liberté, sauvegarde de l'unité catholique, ad
unitatem servandam, liberté qui, dans sa plénitude ainsi bien
comprise, réclame l'indépendance.
Iniquité' des dernières spoliations.
Nous sommes arrivés à la fin du xviii^ siècle, époque agitée,
troublée, se précipitant à travers d'aôreuses convulsions vers
des temps nouveaux, rompant avec un passé qui ne fut ni sans
gloire ni sans grandeur, La terrible Révolution française, pré-
parée par une presse impie et sacrilège, s'attaquant à tout, niant
tout ce qui est grand et respectable, préparée aussi par les scan-
dales de la cour, des grands, et hélas! trop souvent du clergé
même, la Révolution hésite pendant quelque temps ; on dirait
qu'elle a peur de s'engager dans une voie qui aboutirait à de
terribles catastrophes; mais enfin elle se jette résolument dans
le camp des impies et des démolisseurs, et s'attaque avec fureur
à l'Eglise et à la religion.
Le pape est notre ennemi, il faut qu'il disparaisse; son pou-
voir temporel doit être anéanti! La Révolution donne à ses gé-
néraux l'ordre d'envahir le domaine pontifical, de chasser le
pape de sa capitale, de briser son trône. Bonaparte n'avance
qu'avec répugnance, il aime mieux traiter avec le pape que de
le briser. Il lui impose de lourdes charges, il lui enlève certaines
portions de territoire, mais enfin, il lui laisse le pouvoir tem-
porel. Le principe reste debout. Devenu premier consul, ses
yastes pensées se portent autre part que sur le petit domaine du
60 ANNALES CATHOLIQUES
Saint-Père, d'ailleurs il songe déjà à fonder une dynastie, et
pour cela il a besoin du concours du pape. Il fait la paix avec
lui; il conclut le concordat^ l'acte le plus heureux, le plus glo-
rieux et le plus réparateur de tout son règne. Il fait venir le
pape à Paris pour être sacré empereur, et plusieurs crurent
qu'un nouveau Charlemagne s'était levé.
Napoléon n'avait pas la foi ni l'amour de l'Eglise du grand
empereur du ix' siècle; il flattait le pape; mais ses égoïstes
desseins, si l'on peut s'exprimer ainsi, n'avaient pour but que de
mieux tromper le chef de la chrétienté. Pie VII reste calme et
confiant en Dieu, mais l'empereur se voit deviné. Voyant que le
pape ne le seconderait point dans certaines de ses entreprises, il
forme le plan de se passer de lui, et pour faire sentir son mécon.
tentement, il cherche avant tout à le contrecarrer dans ses pos-
sessions temporelles. « Je suis le successeur de Charlemagne,
s'écria-t-il un jour dans un moment de dépit; je puis défaire ce
qu'il a fait et reprendre ce qu'il a donné. » C'était sans doute
peu noble de la part d'un successeur de défaire l'œuvre de son
prédécesseur, oeuvre grande, utile, respectée par tous les temps.
Du reste, en le disant, Napoléon ignorait ou faisait semblant
d'ignorer l'histoire : le pouvoir temporel ne venait pas seulement
de Charlemagne, il venait de Pépin, il venait des populations,
il venait du temps lui-même.
Quelques jours avant la bataille d'Austerlitz, Napoléon fit
subitement occuper Ancône, ville du domaine pontifical. Le
pape en fit des remontrances avec sa douceur et son calme habi-
tuels. Elles ne firent qu'irriter l'empereur qui dès cette époque
ne supportait plus aucune contradiction, il prenait de plus en
plus les allures d'un despote.
Les relations entre Rome et Paris devinrent de plus en plus
tendues, le 2 février 1808, la capitale des états pontificaux fat
occupée par les troupes de Napoléon, et en vertu d'un décret da
17 mai 1809, les états de l'Eglise furent purement et simple-
mont déclarés réunis au vaste empire français. Le jeune héritier
de Napoléon reçut à sa naissance le titre pompeux de roi de
Rome.
C'en était fait du pouvoir temporel, l'œuvre de dix siècles
était par terre. Les incrédules, les ennemis de l'Eglise triom-
phaient, car avec le pouvoir temporel, il leur semblait que la
papauté, que l'Eglise elle-même tombait.
Mais la Providence veillait. Pie VII recourut aux armes qui
LA SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DES PAPES 6l
lui restaient encore, il excommunia l'empereur. Napoléon ett
fut outré, et il se vengea sur l'auguste vieillard en le faisant
brutalement arrêter, puis traîner à Savone, pour enfin l'interner
au château de Fontainebleau.
On connaît les souffrances, les humiliations et les désastres
de la campagne de Russie. Napoléon revient en fugitif en France.
Il recommence la guerre, mais le territoire est envahi, Paris est
pris.
A la hâte, quelque temps auparavant, on avait fait partir
Pie VII du château de Fontainebleau, il fallait faire de la place
à l'empereur pour qu'il put venir dans ces mêmes murs signer
son abdication et j faire les adieux attendrissants à son armée.
Le pape rentre à Rome et j est reçu avec des transports de
joie, pendant que l'empereur prend le chemin de l'exil vers l'île
d'Elbe. Les cent jours passent comme un météore. Le congrès
de Vienne cherche à réparer le tort causé par la Révolution et
l'empire ; dans le travail de restauration que les diplomates y
entrepi'ennent, on ne saurait oublier le Saint-Père, le plus
ancien et le plus légitime souverain de l'Europe. On lui remet
son domaine et l'Europe trouve un peu de calme.
Mais les sociétés secrètes n'ont pas désarmé, elles minent
partout le terrain, le trône et l'autel leur sont un objet d'hor-
reur. On le voit aux journées de Juillet, le voleur reprenait sa
terrible activité. En Italie surtout, la franc-maçonnerie soulevait
en secret la population contre leur légitime souverain, notam-
ment contre le pape. Grégoire XVI condamna ces insensés à
plusieurs reprises, et avertit l'Europe, l'univers entier, dtt
danger que peuples et rois couraient. On n'y eut aucun égard.
Q-régoire XVI mourut et fut remplacé par le généreux Pie IX.
Le nouveau pape voulut essayer d'un système plus libéral,
dans l'espérance de gagner les rebelles qui, disaient-ils, faisaient
la guerre à la papauté, précisément pour conquérir quelques
libertés. Ces hommes en profitèrent pour poursuivre avec plus
d'audace leur travail souterrain contre la religion et l'Eglisô.
Bientôt la révolution éclata à Paris, à Berlin, Vienne frémissait,
Rome se déclara aussi en insurrection. Le pape se vit obligé de
prendre le chemin de l'exil. Un comité révolutionnaire sô
constitua, le chef en fut Mazzini, et Garibaldi fut le général des
bandits révolutionnaires.
Un des premiers actes du nouveau gouvernement fut de dé-
<îlarer la papauté déchue et le pouvoir temporel aboli. On sait
62 ANNALES CATHOLIQUES
que c'est grâce à l'intervention de la France que Rome fut
reprise sur les révolutionnaires et que le pape put rentrer dans
sa capitale. Le pouvoir temporel était encore une fois en vie.
Mais malgré toute l'énergie et l'habileté de Pie IX et de son
grand ministre Antonelli; le calme ne revint plus dans la pauvre
province travaillée par les émissaires des sociétés secrètes.
Le Piémont se mit en avant, il arracha lambeau par lambeau le
domaine du Saint-Père, auquel on ne laissa plus que Rome et
ses environs. Pimodan et Lamoricière organisèrent une armée
de défense, mais abandonnés de tous, ils durent succomber à
Castelfidardo : Ce qui devait apprendre aux moins éclairés, qu'il
avait été résolu dans le conseil des princes de dépouiller la
papauté de sa principauté temporelle.
Là-dessus, la terrible guerre de 1870 éclata ; la France retira
ses troupes de Rome, et le Piémont en profita pour trouer à
coups de canons les remparts de la ville des papes. Il y entra par
la brèche et y proclama la fin du pouvoir temporel. Toutes les
provinces du pape furent réunies au royaume d'Italie, dont Rome
devint la capitale. Le Souverain Pontife n'eut plus que le
Vatican et le château de Castegnidalpho. C'est là tout ce qui lui
est resté de sa principauté temporelle. Toutefois, et ce qui est
plus grave, l'Europe semble avoir sanctionné cette spoliation.
Combien de temps cette situation durera-t-elle? On ne peut le
prévoir. Espérons qu'en tout cas elle ne soit pas définitive.
Le pape est actuellement prisonnier dans son propre palais, il
ne peut sortir dans les rues de Rome, sans s'exposer à être
insulté ou à subir des avanies plus terribles encore. Ce qui s'est
passé lors de la translation des restes mortels de Pie IX le dé-
montre à sa piété. Il ne peut correspondre avec les évêques et
les fidèles que par la poste et le télégraphe de l'Italie. Or, le
secret voulu, nécessaire, n'est pas gardé. Le pape est à la merci
du gouvernement franc-maçon italien. Sa dignité ainsi n'est pas
sauvegardée, et son indépendance n'est plus entière. La situa-
tion qui lui est faite depuis que le gouvernement temporel lui a
été ravi, prouve combien ce pouvoir est indispensable et néces-
saire. Tous les évêques l'affirment, tous les catholiques croyants
le disent. Cette nécessité s'impose d'ailleurs d'elle-même. On n'a
qu'à ouvrir les yeux pour voir que la situation qui est faite au
Saint-Père n'est pas tenable; elle est indigne et révolte les
fidèles.
LE MARIAGE CHRÉTIEN 63
Conclusion,
Le pouvoir temporel du Pape est un droit sacré, inviolable,
légitimement acquis, puisqu'il repose sur une prescription sécu-
laire, sur la consécration du temps et sur une donation authen-
tique plusieurs fois renouvelée par Pépin et Charlemagne, et
leurs successeurs, par l'assentiment du peuple romain et par le
droit public de l'Europe.
La mission du chef de l'Eglise exige une royauté temporelle,
modeste sans doute, mais respectée et indépendante.
La France a exercé une action spéciale dans la constitution
définitive de cette souveraineté temporelle de la Papauté.
En finissant, nous formerons un vœu bien sincère, celui de
voir notre patrie reprendre les nobles traditions de nos pères, et
recommencer les gesta Dei per Francos. Ce serait pour nous le
plus sûr garant de la prospérité et du bonheur.
L'abbé Pluot.
LE MARIAGE CHRÉTIEN
(Suite et fin. — Voir le numéro précédent.)
Mais le mariage a une dignité et une grandeur surnaturelles,
et tout d'abord parce qu'il est un sacrement.
Pour saisir sur ce point la doctrine catholique, il faut remar-
quer que les sacrements ne sont pas seulement les conditions
nécessaires de la concession de la grâce, mais qu'ils en sont en
réalité les instruments. Cette puissance de transmettre la grâce
divine sous une forme sensible n'est pas une simple dignité qui
obtient de Dieu la grâce, mais le sacrement est l'expression sen-
sible de l'action divine qui communique la grâce, comme les
paroles du divin Maître : « Lazare sors du tombeau ! », « Jeune
fille, lève-toi! » étaient la manifestation, l'expression sensible
de la puissance divine qui ressuscitait les morts.
Nous pouvons dire que les sacrements sont administrés par
le Rédempteur lui-même, par le Prêtre éternel, source de tout
ministère sacré dans son Eglise; car moins encore que le mi-
nistère de l'enseignement, le ministère de l'administration
des sacrements peut être accompli en dehors de l'institution,
de la loi et de l'autorité du divin Fondateur. « Est-ce que Paul
a été crucifié pour vous ? disait saint Paul lui-même aux fidèles
64 ANNALES CATHOLIQUES
de Corinthe, ou est-ce au nom de Paul que vous avez été
baptisés?» (1). — » C'est Jésus-Christ qui baptise dans le
Saint-Esprit écrivait saint Augustin; il n'a pas comme le pré-
tendent nos adversaires, cessé de baptiser ; mais il agit encore,
non par le ministère de son corps, mais par l'action invisible de
sa majesté » (2). Et ailleurs le grand Docteur écrivait: «Pierre
baptise, c'est Jésus-Christ qui baptise; Paulbaptise, c'est Jésus-
Christ qui baptise » (3).
Bien plus, cette puissance des sacrements, cette grâce qu'ils
communiquent ont pour cause et source première les mérites
et la passion du divin Sauveur. C'est la doctrine qu'enseigne
saint Paul et il en fait l'application au mariage chrétien et aux
devoirs qu'il impose. « Maris, dit-il, aimez vos épouses comme
Jésus-Christ aime son Eglise, car il s'est livré pour elle afin de
la sanctifier, la purifiant par le baptême de l'eau dans la parole
de vie » (4). Cette puissance des sacrements est le fruit du sang
répandu sur la croix, de la mort, du sacrifice du Fils de Dieu.
« C'est pourquoi, dit encore saint Paul, tous nous sommes
baptisés en Jésus-Christ, nous sommes baptisés dans sa
mort » (5) ; non pas seulement en ce sens que la mort de Jésus-
Christ est le modèle de la mort au péché que nous recevons
dans le baptême, mais parce que le baptême comme tous les
sacrements contient le prix de la mort du Fils de Dieu et que
lorsque nous sommes plongés dans les eaux du baptême nous
sommes plongés dans la mort de Jésus-Christ qui est notre
vie (6j.
C'est la doctrine qu'expriment les Pères et lesDocteurs^quand
ils affirment que les sacrements « sont sortis du côté ouvert du
Rédempteur, qu'ils ont coulé comme des flots dans le sacrifice
consommé sur la croix, qu'ils sont empourprés du sang di-
vin » (7).
X<es sacrements sont donc comme les actions du divin Rédemp-
(1) I. Cor. L, 13.
(2) Cont. Petilian. i. m, c. 49.
(3) In Joann., tract, vi, n. 7.
(4) Ephes., v, 25,26.
(5) Rom., VI, 3.
(6) Consepulti ei in baptîsmo, in quo et resurrexistîs per fidem
operationis Dei, qui suscitavit illum a mortuis.
(7) S. Ambroise, S. Jean-Chrysostome, S. Augustin, S. Cyrille
d'Alexandrie. (V. Suarez, in 3"" part., disp. 9, sect. 3.)
LE MARIAGE CHRTlTIEN DO'
teur lui-même, qui pendant sa vie mortelle, par ses paroles, par
un signe de sa main effaçait les péchés, ressuscitait les morts,
sanctifiait les âmes et qui, depuis dix-neuf siècles, perpétué les
mêmes prodiges de puissance, de sanctification et de vie surna-
turelle par les rites sacrés que ses ministres accomplissent en
son nom. Ils sont donc comme une image, une reproduction de
l'Incarnation du Fils de Dieu ; car de même que la nature
humaine en Jésus-Christ contenait la personne divine et que
par cette nature humaine la personne divine accomplissait
l'œuvre de notre salut, ainsi les sacrements sont la forme visi-
ble de la grâce cachée, invisible, qui nous sanctifie (1). L'œuvre
de sanctification que le divin Sauveur accomplissait autrefois en
Palestine au sein du peuple juif, il l'accomplit depuis dix-neuf
siècles, dans tous les lieux, pour tous les peuples et pour tous
les hommes. Et ce n'est pas seulement par son autorité qui ensei-
gne et qui gouverne, mais plus encore par les sacrements, que
Jésus-Christ vit en réalité dans son Eglise et qu'il continue par
elle sa mission de sanctification et de salut.
Toutes ces grandeurs appartiennent au sacrement de ma-
riage. Il est une des sources sacrées ouvertes au cœur de Jésus-
Christ, une des sources oii l'humanité va puiser les eaux de la
grâce, les eaux qui jaillissent jusqu'à la vie éternelle (2). Quelle
dignité ! quelle puissance dans ce sacrement ! Et aussi quelle
responsabilité pour ceux qui le reçoivent, pour les époux qui
en sont les ministres, qui ouvrent eux-mêmes ces sources
sacrées, qui reproduisent les actions du divin Rédempteur, qui
consacrent par leurs paroles et parleurs serments cette union
qui doit être pure, sainte, éternelle !
Mais saint Paul affirme que le mariage est un grand sacre-
ment : Sacramentum hoc magnum est, ego dico tn Christo et
in Ecclesia. Ce sacrement a donc un caractère spécial de
grandeur surnaturelle que nous devons reconnaître et res-
pecter.
Le mariage chrétien est un grand sacrement par le modèle
qu'il reproduit, par l'idéal dont il reflète la beauté, la perfec-
tion et la gloire.
Dans la création de l'homme. Dieu a eu devant son regard
(1) S. Thomas, 3. p., q. 60.
(2) Eaurietis aquasin gaudiode fontibus Salvatoris (Isai», xii, 3).
—■Fons aquce salientis in vitam œternam (Joann., iv, 14.)
06 ANNALBS CATHOLIQUES
divin un modèle qui est lui-même : c Faisons l'homme, dit-il,
à notre image et à notre ressemblance. > Il a voulu aussi repro-
duire dans la famille, par l'union des époux et surtout par le
mariage chrétien cet idéal suprême.
La Trinité adorable est, en effet, la société parfaite des trois
personnes unies dans la même nature et distinctes par leurs
relations. Le Père est la première personne, il est la source de
la divinité, il engendre éternellement un Fils qui est son Verbe
substantiel, semblable au Père. Le Fils, image consubstantielle du
Père, « la splendeur de sa gloire, la figure de sa substance > (1)
et dans lequel le Père « se complaît », est uni au Père par
l'Amour. Cet Amour substantiel et infiniment parfait est le
Saint-Esprit. Le Saint-Esprit, produit par l'inspiration du Père
et du Fils est le lien de la Trinité adorable, en lui se termine et
s'achève la vie divine.
Tel est l'idéal du mariage chrétien, de la famille élevée,
transfigurée et sanctifiée par la grâce.
Le père est le principe de la vie, le premier dans la société^
conjugale et au foyer domestique. La femme dans laquelle
Adam reconnaît « une aide et une compagne semblable à lui :
Adjutorium simile sibi », et dans laquelle le premier homme
salue son image consubstantielle quand il s'écrie : « C'est là l'os
de mes os et la chair de ma chair », la femme, de laquelle sor-
tiront toutes les générations futures, représente le Verbe par
lequel le Père a fait toutes choses.
Les époux unis par un mutuel et parfait amour produisent une
troisième personne qui est de leur nature et comme de leur
substance, semblable au père et à la mère, créant entre eux le
lien le plus fort et le plus doux. Cette troisième personne, l'en-
fant, achève pour ainsi dire l'homme lui-même dans sa perfec-
tion et dans sa vie, il représente l'Esprit-Saint.
Cette image de la Trinité dans la famille sanctifiée par \&
mariage chrétien n'est pas une image sans vie, sans liberté et
sans puissance. Elle est vivante, active et libre. Ce n'est pas
en effet, par une impulsion aveugle de la nature, ou sous l'in-
fluence irrésistible de l'ordre du Créateur, que les époux s'unis-
sent, mais par un amour éclairé et libre dans l'attrait des
affections que Dieu récompense et bénit, pour se donner réci-
proquement appui, consolation et joie, pour donner des fils à
(1) Hebr.. i, 3.
LE MARIAGE CHRÉTIEN 67
Dieu et à l'Eglise et coopérer ainsi à l'œuvre du Créateur. L'en-
fant possède comme le père et la mère la liberté de suivre la
destinée qui lui est proposée ou de l'abandonner dans l'orgueil
de la révolte. Il peut faire resplendir en lui et dans la famille
ou altérer et détruire cette glorieuse image de la Trinité
divine.
Ainsi nous admirons la réalisation de ces paroles, dans les-
quelles la Sainte Ecriture résume la création de l'homme :
« Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu,
il le créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : Croissez
et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la à votre
puissance » (1).
Nous l'avons redit presque à chaque page de cette Lettre
pastorale, parce que là est la base première de la doctrine
catholique sur le mariage : l'union des époux a pour modèles
l'union future du Verbe et de la nature humaine, l'union de
-Jésus-Christ avec son Eglise. C'est un des caractères de la
grandeur surnaturelle et spéciale de ce sacrement.
Le sublime enseignement de saint Paul nous apprend que
Dieu dès le principe, au jour même de la création, en instituant
l'union de l'homme et de la femme a voulu représenter l'union
future du Verbe et de la nature humaine de Jésus-Christ et de
son Eglise. Il a voulu annoncer cette union que le mariage chré-
tien devait plus tard représenter avec plus de perfection, qu'il
devait renouveler et perpétuer. « La société du mariage, dit le
pape saint Léon, fut ainsi constituée dès le commencement, afin
que, outre l'union de l'homme et de la femme, elle eût en elle-
même le sacrement et le signe de Jésus-Christ et de son
Eglise (2) >.
Aussi saint Paul nous enseigne que la représentation de cette
union a été, dans la pensée éternelle de Dieu, une des raisons
du mariage. C'est pour cela, dit-il, — c'est-à-dire c'est pour
représenter perpétuellement cette union, pour réaliser perpé-
tuellement ce sacrement qui est grand en Jésus-Christ et en
son Eglise, — « c'est pour cela que l'homme quittera son père
et sa mère et s'attachera à son épouse ».
Etudions de plus près, dans la réalisation des desseins de
Dieu, la grandeur divine du mariage.
{l) Gen. I, 27, 28.
(2) Epist. II. ad Rusticum Narbon.
68 ANNALES CATHOLIQUES
Nous l'avons dit, les sacrements sont sortis du côté ouvert du
Rédempteur^ des mérites de sa passion et de sa mort. Or, c'est
par Tefficacité des sacrements que l'Eglise est formée et sanc-
tifiée, car le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle afin
de la sanctifier (I) ». Et cette Eglise est « de sa chair et de ses
os : De carne ejus et de ossibus ejus (2) ». L'Eglise est encore
sortie du Christ et unie à lui par la personne du Verbe qui a
pris la nature humaine dans l'Incarnation. Ainsi Eve a été tirée,
dans un sommeil mystérieux, du côté de l'homme qui l'a appelée
l'os de ses os et la chair de sa chair.
Le Verbe divin pour s'unir à la nature humaine est descendu
des splendeurs célestes et du sein de son Père. Le Rédempteur
pour s'unir à son Eglise a abandonné la Synagogue qui était sa
mère selon la loi et la vierge Marie elle-même à laquelle il a
dit : « Pourquoi me cherchez-vous? Ne savez-vous pas qu'il
faut que je sois aux affaires de mon Père? » (3). Ainsi « l'homme
quittera son père et sa mère et s'attachera à son épouse » (4).
L'union de la nature humaine et de la nature divine dans la
personne du Verbe, union intime et personnelle, est représentée
par l'union des époux, union de deux âmes, de deux cœurs et de
deux vies en une seule vie. De plus, dans le mariage il y a une
personnalité qui domine, une autorité qui gouverne, car selon
le langage de saint Paul, « l'homme est la tête de la femme. »
€ L'homme, dit encore le même Apôtre, est l'image de la gloire
de Dieu, mais la femme est la gloire de l'homme, car l'homme
n'est pas de la femme, mais la femme de l'homme. En effet,
l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour
l'homme (5). »
Le Verbe divin s'est incarné pour sauver les hommes, las
sanctifier, en faire les fils de Dieu et de l'Eglise. De même les
époux doivent s'unir pour donner des fils à l'Eglise et à Dieu,
pour sanctifier leurs enfants.
Le Verbe divin conserve une domination souveraine sur son
Eglise, dans laquelle il est toujours vivant, par laquelle il
enseigne, il agit et il triomphe. La nature humaine en Jésus-
Christ subsistant en la personne divine accomplit ainsi des actes
(1) Ephes., V, 26, 26.
(2) Ibid., 30.
(3) Joann., i, 4,
(4) Ephes., V, 25, 25.
(5) I. Cor., XI, 2, 7, 8, 9.
LE MARIAGE CHRÉTIEN 69
qui tiennent tout à la fois de l'homme et de Dieu, et dont les
mérites ont racheté et sauvé le monde, créé et formé des hom-
mes nouveaux. Ainsi l'époux a l'autorité sur son épouse et les
droits qu'ils possèdent l'un et l'autre, la mission qu'ils accom-
plissent dans une union parfaite ont pour but, nous l'avons déjà
dit, de donner à Dieu des serviteurs et des fils qui le glorifient.
Les époux se prêtent, en effet, dans cette union, un mutuel et
perpétuel secours ; ils doivent partager les mêmes devoirs, les
mêmes travaux, les mêmes joies et les mêmes douleurs.
Le mariage chrétien est tout entier pénétré par l'action de la
grâce, élevé à cette dignité, cette grandeur et cette gloire sur-
naturelle.
Nous l'avons démontré, une identité parfaite existe entre le
contrat et le sacrement. Le consentement est l'essence du sacre-
ment ; la matière, la forme et les ministres du contrat sont la
matière, la forme et les ministres du sacrement lui-même.
Ce contrat a pour objet les époux et les droits qu'ils se donnent
l'un à l'autre. Mais les époux sont des fils de Dieu et de la sainte
Eglise, enrichis et ornés des dons divins, nourris de la chair
vivante de Dieu, abreuvés de son sang rédempteur, destinés
aux visions et aux félicités du ciel. Ces âmes que le mariage
doit unir sont vivantes de la vie même de Dieu. Ces corps eux-
mêmes pour lesquels les époux doivent avoir les délicatesses de
la pureté et un religieux respect sont les temples de l'Esprit-
Saint et de la Trinité adorable, les membres de Jésus-Christ.
« Ne savez-vous pas, dit saint Paul, que vos corps sont l&s
membres de Jésus-Christ? Ne savez-vous pas que vos corps sont
les temples de l'Esprit-Saint qui est en vous, que vous avez
reçu de Dieu et que vous ne vous appartenez pas ? Olorifiez et
portez Dieu dans votre corps » (1).
Les droits que les époux s'accordent par le mariage sont réglés
par les lois divines. Ces droits ne peuvent être maintenus dans
de justes limites et tendre au but que Dieu lui-même leur a
assigné, sans les secours de la grâce.
Les devoirs imposés aux époux sont un fardeau que leur fai-
blesse ne peut porter. Union intima des cœurs, amour pur, fort,
patient et fidèle, dévouement sans limites, quelles obligations
effrayantes pour l'inconstance de l'homme, entraîné par les pas-
sions, dominé par l'égoisme qui est au fond de notre nature,
(1) I. Cor., VI, 15, 19.
70 ANNALES CATHOLIQUES
SOUS l'influence des froissements que les meilleures volontés ne
peuvent éviter toujours, et des sollicitations du monde, sous le
poids des déceptions inévitables et des cruelles épreuves ! Ici
surtout, il faut non seulement un modèle divin, mais une force
qui ne peut venir que du cœur même de Dieu.
C'est dire que le mariacre est surnaturel encore dans ses pro-
priétés, l'unité et l'indissolubilité. Nous verrons plus tard que
Jésus-Christ a rappelé sur ces deux points le mariage aux lois
de son institution primitive et (jue ces propriétés sont conformes
au droit naturel. Et pourtant les devoii's qu'elles imposent,
comme tous les devoirs qu'impose le mariage ne peuvent être
accomplis que sous l'autorité de Jésus-Christ et de son Eglise
et par la puissance divine de la grâce. L'expérience en a donné
partout et toujours et en donne encore aujourd'hui sous nos
yeux l'irrécusable et douloureuse démonstration.
Le mariage chrétien est grand encore par la mission confiée
aux époux. Cette mission, on effet, est bien supérieure à l'ordre
humain et naturel. Elle est surnaturelle comme le sacrement
lui-même, elle ne peut être parfaitement accomplie que par des
pères et des mères vraiment chrétiens, sous l'action incessante
de la grâce de Dieu.
L'éducation chrétienne des enfants est un apostolat et comme
une participation du sacerdoce catholique. Par leur mission, les
époux développent l'Eglise elle-même. « L'Eglise, dit le Concile
de Florence est augmentée dans son coips par le mariage : Per
mairimonîum corporaliier augetur. » Nous l'avons déjà fait
remarquer, le mariage est le complément de l'union de Jésus-
Christ et de son Eglise. Cette union a pour but la régénération
et la sanctification des hommes, mais elle serait sans objet si,
par l'union des époux chrétiens, elle n'était perpétuée, si le
mariage ne donnait des fils à Jésus-Christ et à l'Eglise et des
membres au corps mystique de Jésus-Christ (1).
< Le mariage chrétien, dit un des interprètes les plus auto-
risés des Saintes Ecritures, accomplit et achève l'union divine
de Jésus-Christ et de l'Eglise, en donnant des fils à Jésus-Christ
et en donnant à Jésus-Christ des membres mystiques » (2).
Ainsi, le mariage chrétien est élevé dans les grandeurs et les
(1) Quia membra sumus corporis eJuSf de carne ejus et de ossibus
ejus. (Eph., V, 30.)
(2) Bernardin de Picquigny : Epist. B. Pauli triplex Expositio
{In cap. V ad Ephes.)
qu'est-ce qu'un évêque 71
gloires de l'ordre surnaturel ; il est tout entier pénétré par la
lumière de Dieu et l'action divine de la grâce. Il est le complé-
ment admirable, le couronnement glorieux des plus grandes
œuvres, de l'amour divin et de la puissance divine, le complé-
ment et le couronnement de l'Incarnation et de l'union du Fils
de Dieu avec son Eglise. Il a donc, ne l'oubliez jamais, il a une
part réservée, privilégiée, nécessaire dans ce que Dieu a fait de
plus beau, de plus grand, de plus divin, dans la régénération
de l'humanité, dans le salut des âmes et des peuples, dans la
rédemption du monde.
Voilà le mariage chrétien tel que Notre-Seigneur Jésus-Christ
l'a institué, le mariage que l'Eglise a défendu par son enseigne-
ment, par ses luttes héroïques, contre les défaillances du cœur,
la révolte des passions, les tentatives de la force brutale et les
erreurs des législations ennemies. Le voilà placé sur des hau-
teurs d'oii il ne peut descendre sans entraîner avec lui dans le
désordre, dans la honte, dans les désastres et la ruine, les
peuples et les sociétés humaines.
Aucune philosophie, aucune constitution de la sagesse hu-
maine, aucune autre religion n'a élevé sur ces hauteurs l'union
des époux, la source de la vie, la famille, la cause première de
l'éducation des enfants et de la grandeur des générations nou-
velles. Il y a ici, comme dans toutes les grandes œuvres catho-
liques, une preuve irrécusable de l'inspiration et de la puissance
supérieures de l'Eglise catholique et par conséquent une preuve
irrécusable de sa divinité.
Que les époux et tous ceux que Dieu appelle à l'état du
mariage méditent ces hautes vérités. Que cette sublime doctrine
éclaire, dirige leur conscience; qu'elle règne sur leurs cœurs,
sur leurs foyers, sur leur vie, sur l'éducation de leurs enfants.
Que l'union des' époux préparée par la prudence surnaturelle,
consacrée parla grâce, comblée des bénédictions célestes, garde
inviolablement la gloire, la grandeur et la puissance divine du
mariage chrétien ! Mgr Perraud.
QU'EST-CE QU'UN ÉVÊQUE
Dans la cérémonie du sacre de Mgr Duval, nouvel évêque de Sois-
sons, qui s'est accomplieâ la cathédrale de Rouen, Mgr Billard, évêque
de Carcassonne, compatriote et ami du prélat consacré, a prononcé
un discours qui a produit une profonde impression.
72. AHNAJL.ES CAXH0LXQVK8
Mgr l'évêque de CarcasBonae a traité d'abord de la dignité épisco-
pale, il a montré Tévêque comme la plus haute personnification de
Jésus-Christ, chef du sanctuaire, gardien et docteur de la foi, légis-
lateur et juge, maître à l'égard de tous, disciple à l'égard d'un seul.
Oh! qu'il est beau le triple rayon qui brille au front de l'évêque aprèar
sa consécration!
Il est le père des hommes, Il est le chef qui gouverne, Il est apôtre^
gardien et défenseur de la vérité.
Quelle grandeur peut être comparée à celle de l'évêque? Les
autres grandeurs de ce monde brillent un instant et s'effacent comme
le météore dans la nuit; la sienne resplendit d'un éclat immortel.
Les siècles s' écoulent, les révolutions passent, sa grandeur s'élève au-
dessus des années avec la triple auréole du temps, du martyre, du
triomphe. L'opinion toujours mobile oublie souvent de vieilles gloires
pour courir aux gloires nouvelles, elle est à jamais fixée aux gloires
cpiscopales, le respect, la soumission, la vénération religieuse sont
acquises A jamais à l'évêque, image vivante de Jésus-Christ : Omnes'
revereantur Episcopuin ut Jesum Christum.
Après avoir parlé en ces termes éloquents du triple rayon de gloire
qui environne l'évêque, Mgr l'évoque do Cnrcaasonne a dénoncé la.
triple blfiâMire faite présentement à son cœur par la loi militaire, la
loi scolaire et par les usurpations du pouvoir civil sur sa liberté qui
est la liberté même de l'Eglise.
11 a rappelé les inllexiblcs et salutaires résistances aux empiète-
monts sacrilèges, dont l'histoire ecclésiastique a consacré le souvenir.
Les évêques d'aujourd'ui savent être les successeurs des Ambroise,
des Augustin, des Hilaire de Poitiers, comme du haut de la chaire de
Baint Pierre descendent au moment opportun les paroles des Gré-
goire VII et des Alexandre 111.
Après la solennelle protestation qu'il vient do faire entendre,
Mgr Billard peut sans doute s'écrier : Liberavi animam meam ; mai»
c'est l'âme de tous les évêques de France, ses frères et do tous les.
catholiques, qui a parlé par sa bouche, et qui a protesté avec lui.
Voici quelques passages de cotte œuvre magistrale.
Il est un âge dans la vie, sur lequel les évêques, pères des
âmes, aiment à concentrer, comme autrefois le Sauveur, leur
tendresse et leurs sollicitudes : c'est l'enfance, ce précieux
noviciat de l'existence où les germes de foi et de vertu, déposés
en l'âme, comme en une terre vierge, se fécondent pour l'hon-
neur des familles et la prospérité des peuples. Or, en France, je
le dis en pleurant, flens dtco, s'est acclimaté un système nou-
veau d'éducation sans principes chrétiens, sans religion, sans
Dieu ; et dans des écoles oii trop souvent la neutralité prescrite
qu'est-ck qu'un évèque T3
endroit, devient en fait une neutralité menteuse, l'enfance perd
cliaque jour, avec le souvenir de son Dieu, la foi de son bap-
tême, l'honneur de la vie et l'espérance du salut. Quelles meup-
trssures pour l'évêque de France, père des âmes.
La jeunesse lévitique, cette précieuse pépinière du clergé
•paroissial, ou pour parler le langage de saint Augustin, les
'œunes candidats au sacerdoce, germes naissants de sainteté,
appelés à produire des fruits en leur saison, novella germina
sanctitatisy les voici condamnés à échanger temporairement le
service des autels pour le service des armes, et soustraits à la
tendre vigilance de l'évêque pour être internés dans une caserne.
Dieu sait quelle admiration, quel culte j'ai dans l'âme pour
notre vaillante armée française : glorieux est le service des
armes., mais ce service, il n'est pas fait pour l'élève du sanc-
tuaire, pour le prêtre. Quelle violation des lois de l'Eglise.
Quelle atteinte portée aux droits de l'évêque, dont on affaiblit on
décime les pieuses phalanges ! Quelle sanglante épreuve pour
les chefs du diocèse!
Est-ce tout? il y a des hommes qui ont formé le complot de
réduire l'Eglise à un servage inglorieux et déshonorant. De
cette immortelle épouse de l'Homme-Dieu, comme l'écrivait, il
y a quarante ans, un grand évêque justement appelé VAthanase
français, de cette auguste mère de tous les chrétiens, ils veu-
lent, suivant le mot énergique de saint Anselme, faire une ser-
vante, ancillam, une servante dans la maison de l'Etat. Obli-
gation lui est faite, en la personne de ses prêtres, de ses évêques,
de parler ou de se taire, suivant les ordres des maîtres de la
maison. Qu'elle consente à se plier à leurs caprices, on la payera
comme une servante; malheur à elle si elle prétend garder intact
le dépôt de la parole apostolique qui lui a été confié; on ne la
payera plus. Quel oubli, quel méconnaissance, quel mépris des
droits imprescriptibles de la vérité!
Aussi tous les évêques de France peuvent-ils s'écrier chaque
jour avec saint Paul : ti^istitia niihi magna est et continuus
dolor cordi meo. Nous sommes en proie à une grande tristesse,
notre cœur est constamment brisé par la douleur. Mais la rési-
gnation et le silence ne suffisent point : nous avons reçu non
d'ici-bas, mais d'en haut, non de l'homme mais de Dieu, une
consigne, et cette consigne divine vient de nous être rappelée
par notre général en chef, l'Evêque des évêques, le Pontife
romain; elle consiste à résister à toute législation qui empiéte-
6
74 ANNALES CATHOLIQUES
rait et porterait préjudice à la religion. Vous me saurez ^rré de
vous en redire le texte : resistere, si quando officiât religioni
disciplina rei publicœ^ munus est Ecclesxœ assignatum a Deo.
A cette consigne n'ont cessé d'obéir depuis l'origine du chris-
tianisme les évêques selon le cœur de Dieu, et glorieuses sont
les traditions de magnanimité et de courage que nous ont léguées
nos saints devanciers. Qu'il est encourageant d'entendre Basile
de Césarée dire à un proconsul du César de son temps : « En
toute chose, ô préfet, on nous trouve modérés et pacifiques,
mais quand la cause de Dieu est en jeu et son drapeau engagé,
nous nous levons alors, et comptant tout le reste pour rien,
nous ne voyons plus que Dieu, sa cause, son drapeau. »
En face des usurpations sacrilèges du pouvoir, Ambroise ne
craint pas de dire à Théodose avec une noble fierté : * Sachez-
le, ô prince, vous êtes au-dedans de l'Eglise, mais vous n'êtes
pas au-dessus d'elle. >
Un jour vient oii le grand évêque d'Hippone, Augustin, trouve
dans la protection oppressive de la puissance séculière un danger
pour la liberté de l'Eglise, et on l'entend s'écrier : « A Dieu ne
plaise que l'Eglise soit jamais assez abattue pour avoir besoin
de vous î\ un tel prix. » Saint Hilaire de Poitiers adressait aux
évêques ses contemporains une recommandation merveilleuse-
ment appropriée à notre temps : € Soyez doux, soyez humbles, à
l'exemple de Jésus-Christ votre maître : mais que votre humilité
soit toujours accompagnée d'une fermeté indomptable : que les
assauts des puissants de ce monde ne vous fassent pas peur : ne
cédez jamais aux caprices de la malveillance. »
Un moment, en plein moyen-âge, les évêques de France ont
la faiblesse de s'incliner devant les tyranniques exigences des
princes; mais saint Grégoire VII est là, les conjurant dans une
lettre mémorable que je pourrais vous citer tout entière, tant
j'aime à la méditer : je me contente de vous en offrir quelques
mots : « Vénérables Frères, veillez au salut de votre patrie,
rien de plus juste, mais en mémo temps veillez à votre honneur
épiscopal, et prouvez toujours, par votre attitude, que vous avez
l'àme aussi libre que la parole. >
Ces conseils portent leurs fruits et on voit bientôt surgir l'in-
trépide Yves de Chartres, ce vaillant champion de la liberté
religieuse. C'est lui qui aimait à bénir Dieu d'avoir armé ses
évêques d'une force que la pauvreté retrempe, que l'exil ne
saurait briser, que nulle prison ne saurait enchaîner : In eges-
qu'est-ce qu'un évêque 75
tate foriior, in exilio non frangitur, carcere non alligatur.
Il avait raison : l'exil ne brise pas la force de l'évêque : témoin
son illustre contemporain, que la Normandie peut se glorifier
d'avoir donné au grand siège de Cantorbérv, saint Anselme, le
savant abbé du Bec, qui écrivait au perfide Guillaume Le Roux :
« J'aime mieux mourir et, tant que je vivrai, languir dans l'exil
plutôt que de voir violer l'honûeur de l'Eglise à cause de moi,
plutôt que de laisser entamer ses droits par une lâche capitula-
tion de conscience ; » témoin cet autre arc'nevêque de Cantorbéry,
Thomas Becket, dont je ne puis prononcer le nom sans émotion,
dans cette ville de Rouen qu'il visita dans son exil, et où il
trouva une si cordiale hospitalité. Entendons-le dire au pape
Alexandre III : « Loin de nous la pensée de faire à notre conscience
une incurable plaie en vendant, par un criminel trafic, la liberté
de l'Eglise... Brave qui voudra la sentence du souverain juge :
absolve qui voudra le pécheur endurci, jamais je n'absoudrai
celui qui ne se repent pas d'avoir dépouillé l'Eglise : je suis
prêt à mourir pour elle. » Ce pécheur endurci, c'était le roi
d'Angleterre, Henri II, et, quelques mois après cette énergique
affirmation, l'héroïque Pontife tombait sous le fer de quatre
assassins qui croyaient faire plaisir au despote.
0 glorieux martyr, je vous salue ; vous succombez et l'Eglise
vous inscrit au nom de ses Saints, la vieille métropole de Rouen
érige un autel en votre honneur. Pour moi, toujours j'aurais à
bénir Dieu d'avoir reçu, sur une montagne voisine, que vous
appeliez le cher mont de Rouen, avec ma première éducation
cléricale, une admiration profonde pou'r votre vaillante intrépi-
dité, admiration qui ne fait que grandir avec le temps et que je
garderai jusqu'à mon dernier souffle. Dans votre lutte, comme
au berceau des âges chrétiens, c'est le persécuteur qui a été
vaincu, et c'est la victime qui a triomphé; en sauvant la liberté
de l'Eglise, vous avez sauvé les libertés du monde entier. C'est
ce qu'a dit, dans une heure de loyauté, un historien peu suspect,
puisqu'il appartient à l'école de la libre-pensée.
Au lendemain des désastres et de la mutilation de la patrie,
le patriotisme le plus pur inspira la pensée de couvrir d'un voile
de deuil la statue de Strasbourg ; ne vous semble-t-il pas qu'à
l'heure présente la liberté de l'Eglise, semblable à une grande
image digne de notre vénération, est enveloppée comme d'un
nuage par la douleur des évêques et des vrais enfants de
l'Eglise. Aussi, comme jadis le doux et ferme Fénelon, au sacre
76 ANNALES CATHOLIQUES
de l'électeur de Cologne, je sens le besoin de m'écrier : 0 Dien,
conservez à votre Eglise des Ambroise, des Augustin, des pas-
teurs qui honorent leur ministère par leur courage apostolique.
Ces Pontifes, l'Eglise de France a l'honneur de les posséder
dans son glorieux corps épiscopal, et pourtant, depuis quelques
années, malgré la vaillance des évêques, ce danger que courent
les jeunes âmes s'accentue, la liberté de la parole évangélique
est comprimée graduellement et le deuil de la religion grandit.
Serait-ce, ô mon Dieu, qu'il entre dans les desseins de votre
Providence que la liberté de votre Eglise ne soit sauvée que
par le sang?
Ah ! si votre miséricorde se contentait du sang le moins digne,
ce sang, je suis heureux de vous l'offrir en cette cathédrale de
Rouen oix vous m'avez élevé à l'honneur de votre sacerdoce, oii,
pendant les meilleures années de mon existence vous m'avez
ménagé, dans le ministère des âmes, les meilleures joies surna-
turelles que puisse goûter un prêtre ici-bas, oii enfin, sans aucun
mérite de ma part, vous m'avez fait asseoir au glorieux rang de
Yos Pontifes. Oui mon sang est à vous, Seigneur, mais peut-être
ne l'exigez-vous pas, peut-être permettez-vous à nos coeurs de
se reposer dans l'espérance, en ce jour où vous venez de sacrer,
par l'onction sainte, un nouveau défenseur de votre cause.
LE REPOS DU DIMANCHE
c Les dimanches tu garderas »
Telle est l'obligation que nous fait le troisième des comman-
dements gravés sur les tables de Moïse.
Longtemps observée avec respect, elle a été, depuis un siècle
surtout, chez les peuples catholiques, il faut le dire avec dou-
leur, de plus en plus méconnue. Les générations imbues du
rationalisme ont rejeté avec dédain les prescriptions de la loi
divine : non serviam !
Et pour ne point servir Dieu, on se rua au service de la ma-
chine ; pour prouver sa liberté, on se fit esclave d'un travail brutal
qui, cessant d'être ennobli par la conception chrétienne, prit
l'aspect dégradant de la tâche du forçat.
Malheureusement la sagesse humaine est toujours courte. En
décrétant l'abolition du repos du dimanche, on avait perdu de
vue que catte obligation inscrite dans la loi divine était non
LE REPOS DU DIMANCHE 77
seulement un acte de religion mais encore un acte d'humanité.
La loi divine sur ce point n'était que la loi naturelle mise par
écrit et sanctionnée par son auteur.
La méconnaissance de ce fait ne tarda pas à amener les consé-
quences les plus lamentables,
Le mal est aujourd'hui universellement reconnu ; la réaction
est générale : de toutes parts on réclame le rétablissement du
repos du septième jour.
Ce septième jour, pour nous chrétiens, ne peut être que le
dimanche.
< Les dimanches tu garderas. »
Peut-il être autre pour les incroyants ?
Non.
En vain quelques fanatiques essaient de le repousser, exaltés
de rage à la pensée que le choix de ce jour respectera la liberté
religieuse du plus grand nombre : c'est le dimanche seulement
qui peut être adopté et imposé comme jour de repos.
Dira-t-on qu'on laissera chaque industriel maître de fixer à
son gré le jour de la semaine consacré au repos?
On tomberait dans une confusion sans égale contre laquelle
les ouvriers seraient les premiers à se révolter.
La question a été tranchée à Berlin. La Conférence a décidé,
dans un premier vote, qu'il serait à souhaiter de voir les gou-
vernements imposer la loi du repos hebdomadaire, un second
vote a fixé le jour du repos au dimanche.
Le Congrès international du repos hebdomadaire, tenu à Paris
pendant l'Exposition était arrivé, l'an dernier, aux mêmes con-
clusions.
Et déjà l'elfet pratique de ces résolutions se fait sentir. Les
deux grandes Compagnies des chemins de fer de l'Ouest et de
Paris-Lyon-Méditerranée ont tenu, cette semaine, leur assemblée
d'actionnaires, et de chaque côté on a réclamé des administra-
teurs la fermeture des gares de marchandises le dimanche.
C'est aux pays catholiques maintenant à donner l'exemple
en inscrivant dans leurs lois ce principe salutaire dont l'obser-
vance a toujours mérité aux peuples les plus abondantes béné-
dictions : Les dimanches tu garderas !
78 ANNALES CATHOLIQUES
A NOTRE-DAME
ALLOCUTION PRONONCÉE APRES LA COMMUNION PASCALE
In te, Domine, speravi, non
confundar in leternum.
Messieurs
Vous savez ce qui arrive quand des aïnis vont se séparer pour
une longue absence : ils se disent adieu, s'embrassent, font quel-
ques pas pour s'en aller, reviennent, s'embrassent encore, s'en
vont, reviennent de nouveau : ils ont peine à se quitter. — Voilà
ce que je fais depuis buit jours : j'ai peine à clore par un dernier
adieu les vingt années de mon apostolat près de vous. Et pour-
tant il faut bien se séparer ; c'est aujourd'hui notre dernière
entrevue. Disons-nous adieu sur le cœur ami de Celui qui vient
d'entrer dans vos âmes et dont la sainte vérité a été le lien de
notre mutuelle affection,
c Quinze ans, disait Tacite, c'est un grand morceau de siècle :
Quindecim annos, grande œvi spatium. » Dieu l'a allongé
pour vous, messieurs ; nous avons fait ensemble presque un jubilé
Laissez-moi vous dire, dans mes derniers épanchements, ce qui
m'a soutenu pendant cette longue carrière. Vous venez de
chanter vous-mêmes, en finissant votre cantique d'action de
grâce, le doux, profond et efficace sentiment dont mon âme a
été remplie: « In te, Domine, i^jeraue; Seigneur, j'ai espéré en
vous. »
Sans doute, messieurs, j'ai compté sur votre intelligence,
votre bonne foi, votre bonne volonté et j'ose le dire, sur votre
fidèle affection. Mais vous, avec vos excellentes dispositions, moi,
avec mes seules ressources, nous n'aurions pas été loin sans
l'intervention bénie de Celui qui éclaire les esprits, touche les
cœurs et complète par les opérations de sa grâce l'action de la
parole humaine.
« In te, Domme, speravi. J'ai espéré en vous, Seigneur. » Je
sentais mon insuffisance et ma faiblesse pour la grande tâche
qui m'était confiée, et j'ai demandé votre lumière et votre force.
Vous avez ouvert les yeux de mon intelligence sur votre sainte
doctrine : vous m'avez attaclié par un respectueux, fidèle et
tendre amour à votre Eglise, mère des âmes et organe infaillible
de vos révélations , au docteur admirable que les siècles ont
. vénéré comme le maître de la science sacrée ; vous m'avez pré-
A NOTRE-DAME 79
serve du désir de plaire par la recherche de ce qui flatte la
vaine curiosité de l'esprit humain ; vous avez nourri dans mon cœur
le pur et saint amour des âmes ; vous m'avez rendu insensible
aux contradictions et aux critiques qui tendent à décourager le
zèle de l'apôtre ; vous avez entretenu dans mon corps, parfois
défaillant, la sève de santé dont j'avais besoin pour servir jus-
qu'au bout d'instrument à vos miséricordes. Je vous remercie,
mon Dieu, votre œuvre est achevée; prenez-moi maintenant, si
c'est votre bon plaisir.
« In te, Domine, speravi ; j'ai espéré en vous, Seigneur »,
pour les chères âmes que je devais évangéliser. La légèreté du
siècle, la mobilité de l'opinion, le goût des nouveautés et des
choses étranges pouvaient les détourner d'entendre cette longue
suite de vérités, souvent ardues, toujours austères, que j'avais
entrepris de leur exposer; mais vous les avez faites grandes,
nobles et fortes.
En obéissant à votre grâce, elles sont demeurées fidèles à ma
parole; fidèles jusqu'à rendre les armes de l'erreur et du péché
après de longues résistances, fidèles jusqu'à me donner la joie
de ces conversions attardées qui font tressaillir les anges de
Dieu dans le ciel.
J'ai espéré et j'espère encore en vous disant adieu.
J'espère que les échos de ma parole iront plus loin que cette
enceinte, plus loin que ce jour qui termine ma carrière, et que
l'autorité divine et les splendeurs du dogme catholique arra-
cheront à d'autres âmes que les vôtres le Credo et VAmen qui
ont retenti sous les voûtes de ce temple.
J'espère qu'en me quittant, vous serez plus attachés à votre
foi et plus résolus que jamais à la faire triompher, en donnant
au monde le spectacle d'une vie vraiment chrétienne.
J'espère que vous n'oublierez pas votre apôtre, votre ami, et
que, loin de vous, il sentira l'efficacité des prières que vous fe-
rez pour la paix de ses vieux jours et son heureux voyage pour
le ciel.
C'est là, mes amis (pour la plupart d'entre vous, je puis bien
dire mes enfants), c'est là que nous nous reverrons, dans un
temple plus vaste et plus glorieux que cette belle Notre-Dame,
en présence d'un Dieu qui ne se cachera plus à nos regards ; là,
que nous contemplerons, dans leur source même, les vérités
que nous aurons méditées ensemble pendant notre vie de pas-
sage; là, que nous chanterons l'amour et la joie dont nos cœurs
80^ ANNALES CATHOLIQUES
déborderont; là que nous dirons sans fin : Frères, amis, aimons-
nous, aimons-nous, nous ne serons plus jamais séparés.
Voilà ce que j'espère, ô mon Dieu : dites-moi que je ne serai
pas confondu : In te Domine, speravi ; non confundar in ceter-
num.
LES ACTES D.ES MARTYRS
A PROPOS DE LA RÉIMPRESSION DE l'ÉDITION BÉNÉDICTINE (1)
Nosseigneurs les évêques ledéclar.&nt : le retour à la salutaire
habitude de lire la Vie des saints serait un des moyens les plus
efficaces de combattre ce naturalisme qui, ayant pénétré nos
idées et notre conduite pratique, est la source pour ainsi dire
universelle des maux dont nous souffrons aujourd'hui.
Mais parmi les diverses sortes de Vies des saints, l'histoire
des martyrs semble avoir pour nous en ce temps une utilité
très spéciale, comme spécialement propre à ranimer cette vertu
de force qui, entre les diverses vertus chrétiennes, est l'une de
celles qui se sont les plus amoindries chez nous. N'a-t-on pas à
constater tristement chaque jour l'affaissement des caractères,
tandis que les attaques dont notre foi est l'objet rendraient plus
nécessaire une indomptable énergie?
En promulguant le Décret qui reconnaît le martyre et les mi-
racles des deux serviteurs de Dieu, Perboyre et Chanel, Léon XIII
s'exprimait ainsi, le 25 novembre 1888 :
« Remercions Dieu qui par un dessein spécial de sa Providence,
a permis si opportunément qu'à l'heure présente fussent pro-
posés aux fidèles et auœ ministres du sanctuaire, des modèles
de si grandes vertus.
«Dans les difficiles épreuves auxquelles est aujourd'hui exposée
la profession catholique, ces exemples seront un stimulant à
soutenir pour la foi toutes sortes de pénibles labeurs et de
sacrifices ; ils serviront à secouer la torpeur des pusillanimes,
et à inculquer dans leurs cœurs cet invincible courage que nos
martyrs ont montré. »
L'exemple des martyrs que notre siècle a produits est de na-
ture à nous toucher particulièrement, en ce qu'ils sont plus prèg
(1) Les Actes des Martyrs, traduits et publiés par les PP. Bénédic-
tins de Solesmes; 4 volumes in-S», nouvelle édition, 1890. Librairie
Leday, 10, rue de Mézières, Paris. Prix, 24 francs. (Les volumes peu-
vent être acquis séparément.)
LES ACTES DES MARTYRS 81
de nous; mais l'exemple de ceux qui, ayant versé leur sang
dans les premiers âges de l'Eglise, sont depuis lors l'objet de sa
vénération, n'est-il pas très propre à nous toucher aussi?
Le fait même que, depuis tant de siècles, s'est amassée sur eux,
pour ainsi dire, la vénération des chrétiens, que depuis tant de
siècles le récit de leurs combats a servi à fortifier dans la foi
nos ancêtres, ne contribue-t-il pas à nous rendre leur souvenir
plus précieux? Nous leur devons même une véritable recon-
naissance; car s'ils n'avaient maintenu malgré tous les périls
cette religion que Tenfer avait juré d'anéantir, aurait-elle pu
parvenir jusqu'à nous? — C'est l'histoire de ces vaillants athlètes
des premiers âges que nous oflre la collection des Actes des
martyrs.
Du reste, dans le plan des savants religieux qui les ont pu-
bliés, ces Actes devaient renfermer aussi les combats de tous
ceux qui ont continué jusqu'à nos jours ce témoignage du sang,
et dont les BB. Perboyre et Chanel couronnent la série. Si les
trois premiers siècles sont spécialement l'ère des martyrs,
néanmoins l'extension du sacrifice sanglant de Jésus-Christ
dans les chrétiens, ses membres, s'est perpétuée à travers tous
les temps; et l'intention première des pieux éditeurs était de
poursuivre jusqu'à notre âge, dans la suite des siècles, l'histoire
de cette immolation. Mais par le fait, l'ouvrage dans l'état oii
il est ne va pas au delà du iv* siècle; et tandis que d'après leur
pensée il devait compter neuf volumes, en réalité il se borne au
nombre de quatre.
Puisse cette sainte lecture rentrer dans nos usages. Dès
l'époque des grandes persécutions, ces Actes des martyrs étaient
entre les mains de tous les fidèles, et au jour anniversaire de leur
passion, on en faisait la lecture publique dans les églises.
Une circonstance qui leur donne plus de prix, c'est que les
interrogatoires qui y sont rapportés, sont des dialogues véri-
tables et vivants; nous les entendons tels qu'ils se sont passés,
quoique cependant un certain nombre aient été un peu modifiés
dans la suite, en vue de donner au style une forme plus oratoire.
Ces Actes ont donc en général cette valeur et ce charme parti-
culiers qui appartiennent aux monuments primitifs, tracés selon
toute la vérité des faits, et pour ainsi dire d'après nature.
Au premier siècle déjà, le grand Pape saint Clément, qui lui-
même devait recevoir la palme, instituait à Rome sept notaires
82 ANNALES CATHOLIQUES
chargés de recueillir par écrit les circonstances qui accompa-
gnaient les combats des martyrs, pour les faire revivre ainsi
dans la mémoire de tous; et les Pontifes, ses successeurs,
montrèrent à cet égard la même sollicitude. Après que Constan-
tin eut rendu la paix à l'Eglise, la lecture des Actes des martyrs
continua d'être en honneur, comme elle l'avait été auparavant,
et ce fut précisément à cette époque, au v* et au vi' siècles,
qu'eurent lieu les modifications dont nous venons de parler et
qui avaient pour but d'en rendre la forme plus parfaite.
Cet amour du peuple chrétien pour les Actes des martyrs ne
s'éteignit pas avec cette période; il subsista plus ou moins in-
tense selon les vicissitudes des temps, jusqu'à ce que l'orage du
protestantisme vînt l'ébranler par la base avec tant d'autres
saintes choses. Au xvii' siècle, Dom Ruinart donna une collection
latine des Acta sincera martyruvn ; mais entreprise à une
époque où régnait l'influence janséniste, qui sur bien des points
était un prolongement de l'influence protestante, et oii par suite,
la critique tendait à rejeter ce qui est merveilleux, cette
collection est loin d'être complète. Beaucoup d'Actes qui ont
pourtant une authenticité suffisante, en ont été écartés. Telle
qu'elle était, elle fut traduite en français au commencement du
siècle suivant, et c'est cette traduction, réimprimée, qui avait
entretenu une connaissance quelconque des Actes des martyrs
dans un certain nombre de familles chrétiennes.
Le but des bénédictins de Solesmes a été de mettre à la portée
de tous une collection bien plus complète, « aussi complète qu'il
est possible », disent-ils, de ces antiques récits qui ont pendant
si longtemps nourri la piété. Ils ont puisé, non seulement dans
Dom Ruinart, qu'ils ont traduit en entier, mais dans Assemani,
Surius, les BoUandistes et d'autres encore. Ils ont cherché,
comme ils le déclarent, à se tenir à égale distance d'une sévérité
entrée et d'une indulgence trop grande, au sujet de l'authenti-
cité des monuments ; toutefois ils ont incliné plutôt vers l'indul-
gence. Et ils ont disposé les récits par ordre chronologique, ce
qui fait de l'ouvrage, une histoire du ^nartyre, du moins pour
la période qu'il embrasse.
C'est en 1856 qu'ils le publièrent pour la première fois ; la
préface assez étendue, qui est due à la plume si docte et si
pieuse de dom Guéranger, porte la date du 21 janvier de cette
année-là. L'écoulement de l'ouvrage a rendu nécessaire une
nouvelle édition ; souhaitons qu'elle se répande de plus en plus
MARIE STUART 83
pour le bien du peuple fidèle (1). Le B.Perboyre, dont nous rap-
pelions le souvenir en commençant, et qui pendant de longues
années sollicitait chaque jour, en célébrant la sainte messe, la
grâce de répandre son sang pour la foi, se prépara précisément
par la lecture des Actes des martyrs à soutenir les luttes qui
l'attendaient; c'est à cette lecture qu'il demandait l'esprit de
force. Cet esprit, dont nous avons aussi un si grand besoin, cher-
chons-le dans la considération de ses propres exemples, suivant
le désir qu'exprimait Léon XIII; mais cherchons-le pareillement
dans les exemples de ces héros des premiers siècles, auxquels il
allait le demander lui-même. S. L.
MARIE STUART
M. le baron Kervyn de Lettenhove vient de publier l'histoire des
dernières années (1585-1587) de la vie de Marie Stuart. L'éminent
historien a condensé dans ces deux volumes le fruit de ses laborieuses
et judicieuses recherches et, grâce à de nombreuses pièces inédites, il
arrive â montrer dans son vrai jour la belle figure de l'infortunée
reine d'Ecosse, cette touchante victime du fanatisme sectaire.
Le baron Kervyn sait unir aux recherches patientes et à la critique
sévère de l'école moderne, les grandes qualités de style des Augustin
Thierry et des Macaulay, et son livre, pour être une étude historique
de la plus haute valeur, n'en est pas moins une lecture attrayante et
pleine de charmes.
Nos lecteurs pourront se faire une idée des qualités du livre par le
chapitre que nous reproduisons d'après le Courrier de Bruxelles : ils
ne le liront pas sans attendrissement, nous dirons même sans recueil-
lement.
LA VEILLÉE DE LA MORT
Marie Stuart avait conservé toute sa sérénité (2), et l'on remar-
qua que sur ses lèvres n'avait cessé d'errer un vague sourire,
comme si, dans les replis de son âme, elle eût salué l'heure si
longtemps attendue de sa délivrance. «Eh bien, dit-elle à l'une
de ses filles d'honneur, Jane Kennedy, dés que les deux comtes
se furent retirés, ne l'avoy-je pas dit? Je savoy bien qu'ils ne
me laisseroient jamais vivre : je leur estoy un trop grand obstacle
pour leur religion. » Et se retournant vers Bourgoing : « Avez-
(1) Cette édition était préparée depuis longtemps; mais elle n'est
mise en vente que depuis quelques semaines. C'est à la Préface —
dont nous venons de dire un mot — que sont empruntées la plupart
des indications contenues dans notre article.
(2) Les comtes de Kent et de Shrewsbury venaient de lui annoncer
sa mort et son supplice pour le lendemain matin.
82 ANNALES CATHOLIQUES
chargés de recueillir par écrit les circonstances qui accompa-
gnaient les combats des martyrs, pour les faire revivre ainsi
dans la mémoire de tous; et les Pontifes, ses successeurs,
montrérentà cet égard la même sollicitude. Après que Constan-
tin eut rendu la paix à l'Église, la lecture des Actes des martyrs
continua d'être en honneur, comme elle l'avait été auparavant,
et ce fut précisément à cette époque, au v* et au vi' siècles,
qu'eurent lieu les modifications dont nous venons de parler et
qui avaient pour but d'en rendre la forme plus parfaite.
Cet amour du peuple chrétien pour les Actes des martyrs ne
s'éteignit pas avec cette période; il subsista plus ou moins in-
tense selon les vicissitudes des temps, jusqu'à ce que l'orage du
protestantisme vînt l'ébranler par la base avec tant d'autres
saintes choses. Au xvii* siècle, Dom Ruinart donna une collection
latine des Acta sincera martyrurn, ; mais entreprise à une
époque oii régnait l'influence janséniste, qui sur bien des points
était un prolongement de l'influence protestante, et où par suite,
la critique tendait à rejeter ce qui est merveilleux, cette
collection est loin d'être complète. Beaucoup d'Actes qui ont
pourtant une authenticité suffisante, en ont été écartés. Telle
qu'elle était, elle fut traduite en français au commencement du
siècle suivant, et c'est cette traduction, réimprimée, qui avait
entretenu une connaissance quelconque des Actes des martyrs
dans un certain nombre de familles chrétiennes.
Le but des bénédictins de Solesmes a été de mettre à la portée
de tous une collection bien plus complète, « aussi complète qu'il
est possible », disent-ils, de ces antiques récits qui ont pendant
si longtemps nourri la piété. Ils ont puisé, non seulement dans
Dom Ruinart, qu'ils ont traduit en entier, mais dans Assemani,
Surius, les Bollandistes et d'autres encore. Ils ont cherché,
comme ils le déclarent, à se tenir à égale distance d'une sévérité
©utrée et d'une indulgence trop grande, au sujet de l'authenti-
cité des monuments ; toutefois ils ont incliné plutôt vers l'indul-
gence. Et ils ont disposé les récits par ordre chronologique, ce
qui fait de l'ouvrage, une histoire du martyre, du moins pour
la période qu'il embrasse.
C'est en 1856 qu'ils le publièrent pour la première fois ; la
préface assez étendue, qui est due à la plume si docte et si
pieuse de dom Guéranger, porte la date du 21 janvier de cette
année-là. L'écoulement de l'ouvrage a rendu nécessaire une
nouvelle édition; souhaitons qu'elle se répande de plus en plus
MARIE STUART 83
pour le bien du peuple fidèle (1). Le B.Perboyre, dont nous rap-
pelions le souvenir en commençant, et qui pendant de longues
années sollicitait chaque jour, en célébrant la sainte messe, la
grâce de répandre son sang pour la foi, se prépara précisément
par la lecture des Actes des martyrs à soutenir les luttes qui
l'attendaient ; c'est à cette lecture qu'il demandait l'esprit de
force. Cet esprit, dont nous avons aussi un si grand besoin, cher-
chons-le dans la considération de ses propres exemples, suivant
le désir qu'exprimait Léon XIII; mais cherchons-le pareillement
dans les exemples de ces héros des premiers siècles, auxquels il
allait le demander lui-même. S. L.
MARIE STUART
M. le baron Kervyn de Lettenhove vient de publier l'histoire des
dernières années (1585-1587) de la vie de Marie Stuart. L'éminent
historien a condensé dans ces deux volumes le fruit de ses laborieuses
et judicieuses recherches et, grâce à de nombreuses pièces inédites, il
arrive à montrer dans son vrai jour la belle figure de l'infortunée
reine d'Ecosse, cette touchante victime du fanatisme sectaire.
Le baron Kervyn sait unir aux recherches patientes et à la critique
sévère de l'école moderne, les grandes qualités de style des Augustin
Thierry et des Macaulay, et son livre, pour être une étude historique
de la plus haute valeur, n'en est pas moins une lecture attrayante et
pleine de charmes.
Nos lecteurs pourront se faire une idée des qualités du livre par le
chapitre que nous reproduisons d'après le Courrier de Bruxelles : ils
ne le liront pas sans attendrissement, nous dirons même sans recueil-
lement.
LA VEILLÉE DE LA MORT
Marie Stuart avait conservé toute sa sérénité (2), et l'on remar-
qua que sur ses lèvres n'avait cessé d'errer un vague sourire-,
comme si, dans les replis de son âme, elle eût salué l'heure si
longtemps attendue de sa délivrance. «Eh bien, dit-elle à l'une
de ses filles d'honneur, Jane Kennedy, dés que les deux comtes
se furent retirés, ne l'avoy-je pas dit? Je savoy bien qu'ils ne
me laisseroient jamais vivre : je leur estoy un trop grand obstacle
pour leur religion. » Et se retournant vers Bourgoing : « Avez-
(1) Cette édition était préparée depuis longtemps; mais elle n'est
mise en vente que depuis quelques semaines. C'est à la Préface —
dont nous venons de dire un mot — que sont empruntées la plupart
des indications contenues dans notre article.
(2) Les comtes de Kent et de Shrewsbury venaient de lui annoncer
Ba mort et son supplice pour le lendemain matin.
84 ANNALES CATHOLIQUES
VOUS remarqué, ajouta-t-elle, combien est grande la force de la
vérité? Ils disent que je dois mourir parce que j'ai conspiré
contre la vie de la reine d'Angleterre : et néanmoins le comte
de Kent m'a déclaré que la cause de ma mort était la crainte
que je puisse nuire à leur religion (1). Telle est la véritable
cause de ma mort. »
Il n'était là personne qui ne versât des larmes abondantes et
qui ne se lamentât en détestant tant de cruauté, « Mes enfants,
reprit Marie Stuart, restant seule calme et sans aucune appa-
rence de tristesse, il n'est plus temps de pleurer. Cela ne sert
de rien. Que craignez-vous maintenant? Vous vous devez plus-
tost resjouir de me voir en bonne voye pour sortir de tant de
maux et d'afflictions oii j'aj si longuement esté. Je ne sers de
rien en ce monde. Il a pieu à Dieu me faire ceste grâce que je
meurs pour une si bonne querelle. Je lui rends grâce qu'il m'a
donné si bonne occasion de souiTrir la mort pour son saint nom,
sa vraye religion et son Eglise ; il ne me pouvoit advenir un
plus grand bien en ce monde. N'êtes-vous pas tesmoings pour-
quoi ils me font mourir? »
A ces mots, Marie Stuart passa seule dans son cabinet qui lui
servait aussi d'oratoire, et elle adressa aussitôt ces quelques
lignes à son aumônier du Préau, retenu prisonnier dans une
autre partie du château : « Vous entendrez par Bourgoing que
j'ay fidèlement fait protestation de ma foy en laquelle je veux
mourir. J'ay requis de vous avoir pour faire ma confession et
recevoir mon sacrement; ce qui m'a esté cruellement refusé. A
faute de cela, je confesse la grièveté de mes péchés en général,
vous priant, au nom de Dieu, de prier et veiller ceste nuict avec
moi et m'envoyer votre absolution... J'essaieray de vous voir en
leur présence, et, s'il m'est permis, devant tous, à genoux, je
demanderai vostre bénédiction. Advisez-moi des plus propres
prières pour ceste nuict et pour demain matin (2). »
Cette lettre achevée, la pensée de Marie Stuart se porta sur
ses bons serviteurs qui avaient partagé pendant tant d'années
tant de souffrances, sans qu'elle eût pu leur assurer quelque
aisance pour le moment oii elle ne serait plus ; et, dès qu'elle
rentra dans sa chambre, elle se fit apporter le peu d'argent qui
(1) « Votre vie serait la mort de notre religion, votre mort sera sa
vie. » (Camden, p. 446.)
(2) Labanoff, t. VI, p. 483.
MARIE STUART 85
lui restait, le mit dans de petites bourses et écrivit elle-même
le nom de chacun de ses serviteurs à qui elle les destinait. Jane
Kennedj devait recevoir trois cent trente-huit couronnes ;
Eispeth Curie cinq cents ; Bourgoing, deux cents. On devait en
remettre autant à Melvil.
Puis, tirant d'une autre bourse quelques nobles à la rose, elle
ordonna de les garder pour les pauvres.
Ces dons se réduisant à peu de chose, elle voulait distribuer
à ses serviteurs ses propres vêtements et annonça l'intention de
descendre dans sa garde-robe pour leur en faire le partage;
mais Bourgoing lui représenta qu'elle rencontrerait les gardes
placés au pied de l'escalier, et elle se les fit apporter dans sa
chambre. Là_, à mesure que Ton déployait tous les vestiges de
sa fortune et de sa grandeur, elle faisait inscrire dans l'inven'-
taire qui en avait été dressé le nom de ceux à qui elle voulait
les laisser.
Ensuite elle demanda ses bijoux et les examina avec le même
soin jusqu'à la plus petite bague. Quelques souvenirs de sa
jeunesse, quelques souvenirs de cette Cour de France si élégante
et si brillante oii elle avait tenu le premier rang, revinrent-ils
à son esprit? Si elle ne devait plus s'en parer, elle voulut du
moins que, même au delà des mers^ quelque token fût ofiert au
roi d'Espagne, au roi de France, à Catherine de Médicis, aux
princes de la maison de Guise ; mais elle n'oubliait point ceux
qui en Angleterre et en Ecosse avaient toujours soutenu sa cause.
Elle envoya un chapelet précieux au comte et à la comtesse
d'Arundel, un magnifique zaphir à lord Claude Hamilton.
A cette heure suprême, il y eut, pour tous ceux qui avaient
entouré la reine d'Ecosse d'une inébranlable fidélité, quelque
témoignage de sa reconnaissance : au chirurgien Bourgoing,
deux anneaux, deux cofi'rets d'argent, ses deux luths, son livre
de musique relié en velours, la tenture rouge de son lit ; au
médecin Gervais, les portraits du roi et de la reine de France
fixés à une chaîne d'or ornée de pierreries, une paire de bracelets
d'or avec des agates où l'on avait ciselé la Passion de Notre-
Seigneur, une montre, un coffret et deux globes géographiques;
à l'apothicaire Gorion, un agnus Dei dans un cadre d'ébène, un
anneau d'or avec un beau diamant, deux coussins brodés et un
manteau de velours ; à l'aumônier du Préau, un calice, des
burettes et de pieuses images, parmi lesquelles celle de Notre-
Dame en corail.
Melvil ne fut pas oublié ; la Reine ordonna qu'on mît de côté
86 ANNALES CATHOLIQUES
pour lui un cadre d'or émaillé qui renfermait le portrait du roi
d'Ecosse, une montre et une paire de gants parfumés.
Dans la bibliothèque se trouvaient beaucoup de livres qui
abrégeaient parfois de longues heures de la captivité. Ils furent
aussi partagés entre ses serviteurs (1).
Marie Stuart ne pouvait pas oublier ses femmes, dont les soins
avaient été si touchants, et qui quelques heures plus tard
devaient lui montrer une affection si vive; à Jane Kennedy, un
rocher d'or orné de diamants et de rubis, donné autrefois par
Elisabeth, un miroir d'or avec le portrait de Henri 111, un cha-
pelet d'or et d'agate, deux miroirs, et de plus, outre des robes
et des corsages, tous ses bas et tous ses gants; à Elspeth Curie
une tablette d'or émaillée oii se trouvaient les portraits de la
reine d'Ecosse, de son mari et de son fils, plusieurs chaînes de
perles, plusieurs anneaux d'or ornés de diamants, de rubis et
de saphirs, et deux miroirs, sans compter des robes et des cha-
peaux, non seulement pour elle, mais aussi pour la femme de
Gilbert Curie et pour son enfant, dont Marie Stuart avait été la
marraine ; à Gille Mowbray, une selle de velours et sa guitare.
« C'est, leur dit-elle, tout ce que je puis faire pour vous. »
Par l'ordre de Marie Stuart, quelques objets avaient été
réservés pour qu'on les vendît, afin de faire face aux frais
qu'auraient à supporter ses serviteurs pour rentrer dans leur
pays. Ici figuraient quelques robes brodées de perles, une pièce
de drap d'or et une tapisserie de haute lice, qui représentait
l'histoire de Méléagre (2).
Marie Stuart avait ordonné, aussitôt que les comtes de Kent
et de Shrewsbury s'étaient retirés, d'avancer l'heure du souper
afin d'avoir plus de temps pour se préparer à la mort.
Tout était prêt pour ces dernières agapes qui rappelaient le
banquet libre des premiers chrétiens avant d'être conduits à
l'amphithéâtre, A défaut du maître d'hôtel, enfermé dans une
autre partie du château, Bourgoing vint avertir la reine d'Ecosse
et la précéda (dernier hommage rendu à la royauté), mais en
vain cherchait-il à cacher son émotion : «O quel spectacle à un
serviteur fidèle et qui ayme bien! Quel propos luy eust-il peut
(1) Dans la bibliothèque de lord Ashburnham se trouve un recueil
des sept psaumes de la pénitence, ayant appartenu à Elisabeth d'York,
épouse de Henri VI, que Marie Stuart donna, dit-on, à l'une de ses
femmes, la nuit qui précéda sa mort.
(2) LabanofT, t. VII, p. 266.
MARIE STUART 87
tenir? Au lieu de la consoler, il estoit en toutes les peines
d'essuier ses yeuj et de se contenir de plorer (1). »
' La reine d'Ecosse, selon sa coutume, mangea peu; mais elle
ne cessait de ranimer le courage de ceux qni l'entouraient.
Tantôt elle disait qu'il eût fallu un autre docteur que le comte
de Kent pour ébranler ses convictions les plus profondes; tantôt
elle se réjouissait de ce que les conseillers d'Elisabeth avaient
découvert leurs pensées secrètes et la véritable cause de sa fin;
et, quand elle parlait de sa mort prochaine pour la défense de
sa foi : « Vous l'eussiez veue, porte une relation contemporaine,
quelquefois soubsrire de joje et parler tout ainsi que si c'estoit
une bonne nouvelle qu'on luy eust apportée (2). »
Vers la fin du souper, la reine donna l'ordre d'introduire tous
ses serviteurs et, après avoir fait remplir une coupe de vin,
elle but à eux tous, et ceux-ci, à leur tour, se jetant à genoux
et « meslant tant de larmes avec le vin que c'estoit chose
pitoyable », burent à leur souveraine, en la suppliant de leur
pardonner si en quelque chose ils avaient manqué à leur devoir,
■c Et moi aussi, répondit Marie Stuart, je vous supplie de me
pardonner », et elle les exhorta à persévérer dans la foi et à
vivre les uns avec les autres en paix et eu charité (3).
Les serviteurs de Marie Stuart confondaient leurs sanglots
«jusqu'à entrer presque en désespoir » (4). Mais elle les conso-
lait doucement et leur montrait au-dessus de sa cheminée la
tapisserie où elle avait brodé de sa main la Passion de Notre-
Seigneur : «Voilà, disait-elle à ceux qui l'entouraient, le fonde-
ment de mon salut! » Et comme les pleurs et les sanglots
redoublaient : « Or sus, reprit-elle, que chacun prenne patience
et nous laisse prier Dieu! » Se tournant vers ses femmes, elle
ajouta: «Vous, veillez avec moi.» Et, les voyant toutes réunies
autour d'elle, elle se souvint des paroles que Jean, l'apôtre bien-
aimé du Sauveur, a écrites dans son Evangile:
« Jésus savait que l'heure était venue oii il passerait de ce
monde vers son Père ; et de même qu'il avait beaucoup aimé les
siens qui étaient en ce monde, il les aima jusqu'à la dernière
heure.
(1) La mort de la royne d'Escosse, Jebb, t. II, p. 626. Ces lignes
si touchantes appartiennent probablement à Bourgoing lui-même.
(2) La mort de la royne d'Escosse, Jebb, t. II, p. 625.
(3) Nie. Caussin, Hist. de Marie Stuart, Jebb, t. II, p. 95.
(4} Les derniers propos de la royne d'Escosse.
Hî8 ANNALES CATHOLIQUES
< Il versa donc de l'eau dans un bassin et commença à laver
les pieds de ses disciples.
< Pierre lui dit : « Comment, Seigneur, vous me lavez les
.pieds? » et Jésus lui répondit : c Si je ne vous avais point puri-
fiés, vous n'auriez point de part avec moi; et si moi, le Seigneur
et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous devez aussi vous
laver les pieds les uns des autres. Je vous ai donné cet exemple
afin que ce que j'ai fait, vous le fassiez aussi. »
Marie Stuart, qui avait présente à l'esprit l'agonie du Sau-
veur à tous les degrés de ses soufi'rances, qui se la proposait
comme un divin exemple de résignation ordonna qu'on lui
apportât un bassin rempli d'eau, et, comme elle avait coutume
de le faire chaque année aux cérémonies de la semaine sainte,
elle s'agenouilla devant ses femmes pour leur laver les pieds.
Minuit vient de sonner. Marie est entrée dans son oratoire
pour y rédiger son testament. Elle espère que cet acte de der-
nière volonté, quelle que soit sa forme, sera respecté. Elle
l'a écrit, -c estant preste de mourir >. Elle expire dans la foi
catholique, ordonne des services solennels pour le repos de son
âme à Saint-Denis et à Saint-Pierre do Reims, remet à ses fer-
miers la moitié de ce qu'ils lui doivent, ordonne que l'on paie
les gages et les pensions de ses serviteurs, « hormis les pensions
de Nau et de Curie jusques à ce que l'on sache ce qui en doibt
advenir et ce qu'ils auront mérité >, renouvelle les legs qu'elle
a faits, et de plus inscrit d'autres legs à la Miséricorde des
enfants de Reims, aux pauvres écoliers et aux hôpitaux. Quinze
cents francs seront payés à Bourgoing s'il exécute, comme il en
a fait le vœu, un pèlerinage à Saint^Nicolas. Elle laisse son
coche à ses femmes, « pour les mener » ; elles pourront se servir
de ses chevaux ou les faire vendre. Elle recommande sa filleule
Marie Paget à la duchesse de Guise, et elle entend que la réserve
faite quant à la pension de Curie cesse si sa femme se trouve en
quelque nécessité (1). »
Puis elle adresse au roi de France une lettre qui porte la date
du 18 février, à deux heures du matin. Elle lui annonce sa mort
prochaine et le supplie de faire exécuter ses dernières volontés.
Là aussi elle se montre toute fière des injures du comte de Kent :
(1) Labanoff, t. VI, p. 485. — Ce testament fut longtemps conservé
à Paris au collège écossais. On y voyait la trace des larmes que Marie
Stuart avait rùpandues eu l'écrivant. Miss Strickland, t. VII, p. 481.
MARIE STUART 89
« La religion catholique et le maintien du droit que Dieu m'a
donné à ceste couronne sont les deux points de ma condamna-
tion, et toutefois ils ne me veulent permettre de dire que c'est
pour la religion catholique que je meurs (\). »
Une seconde lettre fut adressée à son cousin le duc de Gruise.
Il en est une autre que nous n'avons plus : c'est celle qu'elle
envoya au roi d'Ecosse. Que d'amères tristesses avaient pu
s'exhaler dans ces adieux à un fils infidèle à tous ses exemples
et si ingrat vis-à-vis de sa mère !
Deux heures avaient été absorbées par ce travail, et telle était
sa fatigue qu'elle se jeta sur son lit, sans y chercher toutefois
le sommeil ; car, bien que ses paupières se fussent abaissées, on
remarqua le constant mouvement de ses lèvres, comme si elle
ne cessait de prier. Ses femmes avaient coutume de lui lire
chaque soir quelque vie de saint ou de martyr dont les souf-
frances pouvaient consoler les siennes; mais en ce moment la
réponse de son aumônier avait pu lui parvenir, et ce fut sans
doute selon ses indications qu'elle leur ordonna de reprendre,
d'après TÉvangile, tout le récit de la Passion, « comme si elle
eiit voulu, dit un de ses historiens, s'animer à son dernier combat
et mêler le sang et les larmes du Sauveur avec son propre sang
et ses propres larmes (2) »; mais quand on arriva à ce passage
oii l'un des pécheurs crucifiés en même temps que le Fils de
Dieu le supplie de se souvenir de lui dans le ciel et reçoit cette
réponse : « En vérité, je te le dis, tu seras aujourd'hui avec moi
dans le paradis, » elle fit signe que l'on s'arrêtât, car elle avait
trouvé là la promesse inefi'able de la grâce divine.
Une demi-heure s'était à peine écoulée, quand Marie se leva :
(1) Labancff, t. VI, p. 492. — A cette lettre se trouvait joiate la
pièce suivante : a Mémoire des dernières requestes que je fais au roy,
de me faire payer tout ce que me doibt de mes pensioas, puur le
moins taol qu'ung obit soit fondé pour mon âme et que les aumosnes
et petites fondations par moy promises soient parfaictes. Plus, qu'il
luy plaise me laisser la jouissance de mon douaire ung an après ma
mort pour récompenser mes serviteurs, » Et, après quelques mots où
elle recommandait de nouveau son médecin et son aumônier, elle
donna à ce codicille sa date : « Faict le matin de ma mort ce raer-
credy huitiesme février 1587. » LabanofF, t. VI, p. 494. — De Thon
parle d'un testament écrit par Marie Stuart quelques heures avant sa
mort et adressé à un cardinal, par lequel elle déclarait que si son fila
ne se convertissait pas à la religion catholique, elle le déshéritait au
profit du roi d'Espagne. Ce récit ne mérite aucune confiance.
(2) Nicolas Caussin, p. 97.
7
92 ANNALES CATHOLIQUES
LA. CONFERENCE DE BERLIN
Le Matin publie un résumé des délibérations de la Conférence de
Berlin qu'il nous paraît intéressant de reproduire, parce qu'il permet
d'apprécier la disposition des esprits de chaque pays dans la question
si délicate de la réglementation du travail.
Voici le résumé du Matin :
D'abord, il fallait définir certaines expressions et notamment
le terme : c établissements industriels ».
La délégation des Pays-Bas proposa la définition suivante:
« Un établissement industriel est tout espace clos ou non,
destiné à exploiter, à l'aide d'un moteur ou de dix ouvriers au
moin.«, une industrie ajant pour but de fabriquer, de façonner,
d'avoir ou de vendre, et propre, en quelque manière, à l'usage
ou à la vente des objets, excepté les denrées ou les boissons
prises sur place. »
La délégation italienne proposait de considérer comme éta-
blissement industriel tout lieu où l'on exécute des travaux
manuels à l'aide de moteurs mécaniques, quel que soit le nombre
d'ouvriers employés, M. Delaliaje, délégué français, présente en
son nom personnel, la définition suivante :
€ On entend par établissement industriel une maison, un sou-
terrain, un terrain ouvert, clos, couvert ou sans clôture, où l'on
transforme des moyens de production en marchandises. Il faut
en outre qu'il y ait un certain nombre d'ouvriers (à déterminer)
travaillant pendant un certain nombre de jours p;ir an (à déter-
miner), ou que l'on fasse usage d'un moteur mécanique. *
Le délégué espagnol repousse le terme même d'établissement
industriel, et voudrait y substituer celui de : « Travail des
industries ou métiers qui exigent un déploiement de forces su-
périeur à celui qui est compatible avec le développement phy-
sique et l'âge des enfants ou jeunes ouvriers. »
Enfin la définition adoptée à l'unanimité est celle proposée
par la délégation anglaise:
♦ On entend par établissements industriels ceux que les lois
réglementant le travail dans les divers pays considèrent comme
tels soit par voie de définition, soit par voie d'énumération. »
Il est convenu également que le mot : nuit, sera pris dans
l'acceptation textuelle des divers pays, et que le terme : occu-
pations insalubres ou dangereuses serait préféré à celui d'indus-
LA CONFÉRENCE DE BERLIN 93
tries insalubres ou dangereuses, afin de ne pas interdire dans
les dernières industries certains travaux accessoires dépourvus
de dangers. Par exemple : la fabrication des boîtes dans une
fabrique d'allumettes chimiques peut-elle être interdite aux
enfants ?
LES ENFANTS DE DOUZE A SEIZE ANS
Il y a eu unanimité pour interdire le travail dans les établis-
sements industriels « aux enfants des deux sexes n'ayant pas
atteint un certain âge ».
Mais quel sera cet âge ?
L'âge de quatorze ans a été proposé par le délégué suisse
appuyé par M. Delahaye, en son nom personnel, et par les dé-
légations autrichienne et suisse. Les treize autres délégations
ont écarté cetteproposition, y compris celle de la France. Comme
on le voit, sur ce point, M. Delahaye s'était séparé de ses col-
lègues. L'âge de douze ans a été écarté par une majorité de
douze voix contre deux (Autriche et Suisse) et une abstention
(Danemark).
M. Jules Simon propose de fixer à douze ans révolus le mi-
nimum d'âge pour être admis dans les établissements industriels.
Le délégué anglais, M. Scott, donne son vote approbatif ac?
référendum^ attendu que la loi anglaise permet le travail des
enfants de dix à douze ans, sauf certaines restrictions. Le délégué
italien (M. Boccardo) n'admet pas l'uniformité de l'âge pour tous
les pays. Il faut tenir compte de la précocité des races méridio-
nales et de la situation industrielle des États. L'Italie réclame
pour elle un traitement spécial et demande pour ses industries,
outre des délais indispensables d'application, un minimum d'âge
d'admission dans les fabriques, inférieur de deux ans au moins
à celui des autres états.
Le délégué espagnol s'abstiendra si on n'admet pas un âge
inférieur pour les pays méridionaux.
Enfin, on admet l'âge de douze ans, avec abaissement de ce
minimum à dix ans pour les pays méridionaux.
Sur ce dernier paragraphe, la Suisse et la Grande-Bretagne
s'abstiennent.
L'Allemagne demande que les enfants admis dans les établis-
sements industriels aient préalablement satisfait aux prescrip-
tions concernant l'instruction primaire.
La Suède et l'Italie adhèrent, le Danemark aussi, sauf cette
94 ANNALES CATHOLIQUES
réserve que, dans ce dernier pays, l'instruction est obligatoire
jusqu'à treize ou quatorze ans.
La Belgique et les Puys-iias écartent la disposition comme
ne figurant pas au programme de la Conférence, et aussi parce
que les lois belges et hollandaises ne contiennent pas l'obliga-
tion de l'enseignement. Le délégué anglais trouve que la pro-
position serait mieux à sa place dans une loi scolaire.
Enfin, le paragraphe additionnel de l'Allemagne est voté par
11 voix contre 2 (Danemark et r»rande-Brotagne; et 2 absten-
tions (Belgique et Tays-liasi.
On admet à l'unanimité que, sauf l'exception votée pour les
pays méridionaux, le minimum d'âge s'étendra à toute industrie.
LA DURÉB DU TRAVAIL DES ENFANTS
L'Allemagne propose que les enfants au-dessous de quatorze
ans révolus oe travaillent ni la nuit ai le dimanche.
Adopté, sauf réserves dos l'a^'s-lias, de la Belgiijuo et du
Luxembourg.
L'Angleterre veut qu'on dise : « Une moyenne de six lieuMs
de travail journalier, »
La Hongrie et l'Italie sont favorables à la duréo de kuit
heures.
La Belgique ne peut engager sur ce point la liberté du pou-
voir royal, en se ralliant à un maximum inférieux à douze heures.
Loa Pays-Bas votent contre la propo»ition pour les mômes
motifs.
La propositron est donc votée par 11 voix contre 4 (Belgique,
Hongrie, Italie, Pays-Bas); encore l'Italie demande-t-elle en sa
faveur l'abaissement à l'àge de douze ans.
On admet à l'unanimité l'intorilictioû des occupations insa-
lubres et dangereuses.
Le délégué du Portugal fait ses réserves sur l'eirserable des
dispositions, attendu que le Portugal n'a pas encore de loi sur
le travail des enfants. M. Laporte, délégué adjoint delà. Franco,
obtient satisfaction sur ce point que ces dispositions ne seront
pas applicables au travail des enfanta dans certaines industries
spéciales, telles que celles des parfums ou de la conservation
des sardines.
DE QUATORZÏ A DIX-HUIT ANS
Pour les jeunes ouvriers de quatorze à seize ans, l'ATIemagne
demande qu'ils ne travaillent ni la nuit, ni le dimanche. Adopté
LA. CONFÉRENCE DE BERLIN 95
à l'unanimité, sauf réserves déjà connues du Luxembourg, de la
Belgique et de l'Italie. Sur la durée du travail de dix heures
par jour, avec repos de deux heures au moins, l'Angleterre re-
nouvelle ses réserves sur la durée moyenne. L'Autriche déclare
s'abstenir, parce qu'elle n'admet pas comme possible la distinc-
tion à cet égard entre le jeune ouvrier et l'adulte. L'Espagne
et l'Italie s'abstiennent également.
La Belgique et la Hollande votent contre.
Par sept voix (Autriche, Hongrie, Belgique, France, Grande-
Bretagne, Norvège, Portugal) contre quatre (Allemagne, Dane-
mark, Luxembourg, Suède), on abaisse de deux heures à une
heure la durée du repos.
L'ensemble de la proposition est voté par 10 voix contre 2
(Belgique et Pays-Bas) et 3 abstentions (Autriche, Espagne et
Italie.)
Quant aux exceptions à admettre suivant la nature des indus-
trios, la'commisBion s'en rapporte à la législation intérieure des
pays. La Suisse seule n'admet aucune exception.
On admet à l'unanimité l'interdiction absolue des occupatioas
insalubres et dangereuses.
De seize à dix-huit ans, les délégués italiens et espagnols n'ad-
mettent aucune protection particulière. Cependant le principe
d'une protection spéciale est adopté par Stoix (Allemagne, Da-
nemark, France, Grand-e-Bretagne, Portugal, Suède, Norvège
et Suisse), contre t> (Autriche, Hongrie, Belgique, Luxembourg,
Italie, Pays-Bas) et une abstention (Espagne).
Enfin, on adopte pour les jeunes ouvriers de seize à dix-huit
ans le principe d'une journée maxinia de travail (9 voix contre 6),
L'Allemagne, la Belgique, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-
Bas et le Portugal votent contre l'interdiction du travail de nuit
(10 voix contre 5 : Autriche, Hongrie, Belgique, Italie Pays-Bas).
Interdiction d a travail le dimanche, 11 voix contre 4 (Belgique.
Italie, Luxembourg, Pays-Bas).
Interdiction des occupations insalubres (unanimité, sauf les
Pays-Bas).
LES FEMMES
L'Allemagne et la Suisse proposent que les femmes de tout
âge ne travaillent ni la nuit ni le dimanche, que leur travail
eflectif ne dépasse pas onze heures par jour, avec pauses d'une
durée totale de deux heures, que les femmes accouchées ne
soient admises au travail que quatre semaines après l'accouche-
93 ANNALES CATHOLIQUES
ment, que les industries insalubres et dangereuses leur soient
interdites, et enfin qu'une réglementation exceptionnelle déter-
mine les industries dans lesquelles le travail nocturne des
iemmes est indispensable.
Le délégué de l'Italie représente un pays oii beaucoup
d'hommes émigrent pendant une partie de l'année. On n'y peut
donc être trop absolu dans les restrictions proposées pour l'em-
ploi des femmes dans l'industrie.
La Belgique n'admet aucune restriction pour le travail des
adultes, même des femmes. Elle demande donc que la propo-
sition ne vise qu'un âge inférieur à vingt et un ans. M. Santa
Maria, délégué d'Espagne, fait observer qu'en son pays la majo-
rité des femmes est fixée à vingt et ans.
Sur le premier point interdisant aux femmes de seize à vingt
et un ans le travail de nuit et du dimanche, il y a 13 voix pour
et 1 abstention, celle de l'Espagne. La Belgique et le Luxem-
bourg ont voté oui, avec cette réserve que les Constitutions de
ces pays ne rendent pas obligatoire le repos d'un jour quelconque.
Sur le deuxième point, même interdiction étendue aux
femmes de tout âge; il y a 7 voix pour, 6 contre (Belgique,
Espagne, France, Hongrie, Italie et Portugal), 1 abstention
(Norvège).
Sur la durée du travail efi"ectif de onze heures, M. Delahaye,
délégué français, en son nom personnel, déclare adhérer à la
proposition, mais c ayant reçu un mandat déterminé concernant
le travail des adultes, il fait ses réserves ».
A[»rès un long échange d'observations, on écarte, par huit voix
contre quatre (Hongrie, France, Grande-Bretagne, Portugal),
l'abaissement de la durée du travail à dix heures pour les
femmes de seize à vingt et un ans. La Belgique, l'Espagne, la
Suisse s'abstiennent.
On adopte le maximum de onze heures de travail.
On fixe la durée des pauses de une heure et demie au lieu de
deux heures.
Sept Etats contre cinq (Belgique, Espagne, France, Italie,
Portugal) et trois abstentions (Danemark, Suède, Norvège)
étendent la protection aux femmes de tout âge.
On adopte sans débat les autres propositions.
Sur les exceptions à admettre, la Suisse seule les repousse.
En deuxième lecture, les résultats des votes ont été analo-
gues et les propositions de l'Allemagne et de la Suisse ont été
adoptées.
LE CLERGÉ ET LA QUESTION OUVRIERE 97
LE CLERGE ET LA QUESTION OUVRIERE
Mgr Kopp, le prince-évêque de Breslau, vient d'envoyer à
son clergé une circulaire sur le rôle du clergé dans la question
ouvrière. Écrite pour le clergé du diocèse de Breslau, elle n'en
présente pas moins un intérêt général et contient de précieuses
indications pratiques pour le clergé.
On sait que Mgr Kopp a été appelé à la présidence de la
seconde commission de la Conférence internationale du travail.
Le prince-évèque avait publié une lettre pastorale sur la ques-
tion ouvrière et la mission du clergé ; la circulaire se rattache
à cette lettre pastorale.
J'ai éprouvé une grande joie en entendant qu'en plusieurs endroits
le révérend clergé avait, à la suite de ma lettre pastorale du 3 février,
déjà entrepris des démarches préparatoires en vue de la fondation
d'associations ouvrières. Je souhaite de tout cœur que ces efforts
soient couronnés d'un succès durable, et je renouvelle mon exhorta-
tion de favoriser, autant que faire se peut, la fondation et le dévelop-
pement de ces associations. La tâche d'envisager, de favoriser les
intérêts de la classe ouvrière avec une sollicitude spéciale, s'impose
d'autant plus au clergé, que d'un autre côté on ne recule devant
aucune tentative afin d'éloigner l'ouvrier de l'Église. Cette tâche fait
partie des devoirs incombant au clergé pour le salut des âmes. Les
moyens et voies d'exercer fructueusement une action salutaire pour
le bien du peuple se sont modifiés avec les temps. De nos jours, il est
généralement presque impossible de rendre la classe ouvrière acces-
sible à l'action bienfaisante de l'Eglise, si le clergé n'entretient pas
avec elle des relations suivies en dehors de l'Eglise, dans des associa-
tions qui ont pour but de protéger et de favoriser les intérêts de la
classe ouvrière.
Je ne doute pas que mon révérend clergé ne partage entièrement
mes vues. C'est pourquoi il saluera avec joie l'occasion que je lui offre
de délibérer sur la solution de ces tâches sociales, afin qu'il puisse
ensuite entreprendre avec courage et confiance en Dieu ce qu'un exa-
men consciencieux de la situation aura fait paraître utile, prudent et
nécessaire à une appréciation inspirée par le zèle des âmes.
Je décrète, en conséquence, qu'aux réunions archipresbytériales de
cette année, on discute la grave question suivante :
Comment le clergé peut et doit-il s'acquitter de sa mission dans la
question ouvrière?
En proposant cette matière aux réunions du clergé, je ne désire
pas uniquement que le révérend clergé s'édifie en théorie sur ses
98 ANNALES GATHOLIQUSS
devoirs, mais je nourris le ferme espoir que l'on piocèJe dans chaque
archipresbytériat à la discussion et à la réalisation des mesures ^ra-
tiques, qui en tenant compte des conditions locales, semblent les
mieux appropriées pour la solution de ces tâches. C'est ce dernier
point qu'il importe d'envisager en premier lieu. Ou examinera les
points suivants :
1. Quelles sont les mesures à prendre dans l'ordre des offices afin
de favoriser la fréquentation des services religieux par les ouvriers ?
2. Quelles sont les iûstitiitions à créer pour le bien-être matériel
des enfants des familles ouvrières?
3. Eat-il possible de fonder des associations pour la classe ouvrière?
Notamment
a) Des associations d'ouvriers,
b) Des associations d'ouvrières,
c) Des associations de jeun'^s ouvriers?
4. Le clergé doit étudier la législation sociale du pays.
Ad 1) Le premier devoir du prêtre est la culturo de la vie reli-
gieuse. Il ne doit reculer devant aucun sacrifico afin de maintenir
ses paroissiens ouvriers dans la voie do l'I'^glise et de regagni^r ceux
qui l'ont abandonnée. Il faudra examiner si les heures des offices ne
devraient pas être modifiées, afin de faciliter leur fréquentation par
les ouvriers. L'année dernière, on a organisé dans une paroisse du
diocèse un service spécial très tard dans l'aprèa-midi en faveur dea
ouvriers verriers qui, par leur travail, se trouvent empôchéa d'assis-
ter aux officee du matin. Cet easai a été couronné d'un plein succès.
Evidemment, un pareil service ne satisfait pas aux proscriptions du
deuxiènne commandement do l'Église, maia il fournit du moins aux
ouvriers une occasion pour sanctifier le dimanche, pour élever leurs
âmes et pour s'instruire.
On profitera des occasions données pour prononcer des sermons
sur les dovoirs d'état do la classe ouvrière : dans tous les cas il
faudra, dans les paroisses avec une population ouvrière plus ou moins
notable, tenir compte, d'une manière appropriée dans les sermons,
des erreurs et du mouvement sociaux. Là où, passagèrement ou à
des époques déterminées de l'année, des ouvriers étrangers se ras-
semblent, on prendra dea mesures spéciales pour leur instruction
religieuse.
Ad 2) Les écoles gardiennes ont une grande importance. Elles
prêtent aux familles ouvrières un secours efficace au point do vue
moral comme au point de vue matériel, et leur action bienfaisant©
ne saurait être assez estimée.
Ad 3) a-c. Dans les paroisses ovi le nombre des ouvriers industriels
et autres est très faible, on examinera si on ne peut pas les adjoindre
aux œuvres de compagnons de métier {Gesellenvereine), aux œuvres
d'apprentis et aux œuvres de jeunes filles qui existent déjà. Mais
LE CLERGÉ ET LA QUESTION OUVRIERE 99
partout où la chose est possible, on doit créer des associations spé-
ciales, même si le nombre des membres est restreint.
L'organisation de ces associations doit être adaptée aux conditions
et besoins Locaux ; toutefois, la direction de l'Association doit tou-
jours être confiée à un prêtre. Si le curé se trouve empêché de
diriger l'Association, il devra quand même témoigner effectivement
â l'œuvre le vif intérêt qu'il prend à son développement.
L'organe de l'Association des Industriels cailioliques et des amis
de l'ouvrier, le « Arbeiterwohl » (Cologne, chez l'éditeur Bachem),
donne de précieux et amples renseignements sur l'organisation de ces
Associations d'ouvriers. Voir les années 18S4, numéro III; 1885, I;
1886, X, XI, XII; 1887, VIL Cet organe, qui paraît depuis 1881,
donne, comme le « Christlich sociale Blaetter » (à Neuss), d'excel-
lents conseils pratiques pour les associations, ainsi que des disserta-
tions sur les besoins sociaux et la législation sociale. Pour les associa-
tions d'ouvrières, nous recommandons le livre du D»" P. Norrenberg
(Mayence 1881) et le « Wegweiser jum haeuslichen Glueck fuer
Maedchen (Gladbach chez Riffarth, 1888). »
Les excellentes publications de la société * Arbeiterroohl » con-
tiennent un matériel précieux pour les Associations.
Nous citerons : Compass fur die verheiratheten Arbeiter. Bas
hœnsliche Glilck. Die Krone des hœuslichen Glûckes (éducation des
enfants). Compass fiîr den jungen Arbeiter (1). Une correspondance
pour les directeurs des associations ouvrières paraît â Cologne chez le
directeur de l'Association colonaise.
Dans toutes les paroisses où on rencontre des industries em-
ployant des ouvrières, il paraît indiqué de créer, en outre d'Asso-
ciations ouvrières, encore des écoles ménagères, des écoles de travaux
féminins et des asiles pour Tes jeunes ouvrières.
Une sollicitude spéciale est requise pour les jeunes ouvriers.
Si les Associations se développent bien, il y aura lieu d'examiner
s'il ne faut pas y établir des caisses de secours en cas de maladies
(à côté des caisses obligatoires) et en cas de décès. L'Association de
Breslau accorde de pareils secours.
L'établissement des caisses d'épargne indépendantes ne sera que
rarement faisable; par contre, on examinera, si les Associations ne
doivent pas recueillir les épargnes, même minimes, de leurs membres,
afin de les confier aux caisses d'épargne publiques. Cela se pratique
en certains endroits avec beaucoup de succès.
Pour le travail dans les associations le concours de laïques et aussi
principalement d'instituteurs, est fort à désirer.
(1) Une traduction flamande de certains de ces excellents livres a
été entreprise par M. l'abbi Van Speybrouck (â Bruge?), sur la
demande du comité social de la Flandre occidentale.
100 ANNALES CATHOLIQUES
Ad 4) Même si nous faisons abstraction de l'intérêt général que la
législation sociale doit exercer sur tout homme instruit, il est
évident que le clergé doit la connaître à fond.
La loi sur les caisses de malades et l'assurance contre les acci-
dents concerne tous les ouvriers industriels et agricoles; la loi sur
les caisses de retraite embrasse onze millions d'ouvriers. Il est iné-
vitable que les ouvriers ou domestiques ne recourent fréquemment
au clergé pour lui demander des explications ou des conseils. Le
prêtre s'y prêtera avec joie, car il y saluera une occasion de se rap-
procher de ses paroissiens, d'exercer son influence au point de vue
religieux et social.
La connaissance de la législation sociale est indispensable à ceux
qui sont appelés à diriger des associations d'ouvriers ou d'ouvrières.
J'implore de toute mon âme la bénédiction de Dieu sur les délibé-
rations qui se tiendront d'après ce programme.
Je nourris la ferme confiance que les rapports me démontreront
que mon révérend clergé est résolu de résoudre, avec un zèle ardent
des âmes et avec confiance en Dieu, les grandes tâches qui lui incom-
bent sur le domaine social.
Le Prince-Evêque,
f Georges.
Ce document, dont la haute portée n'a pas besoin d'être mise
en relief, est une nouvelle preuve de la sollicitude de l'Eglise
pour les ouvriers.
NECROLOGIE
Mgr Grolleau, évêque d'Evreux, est mort le 2 avril, succom-
bant à la longue et cruelle maladie qui l'étreignait depuis
plusieurs mois.
C'est, en effet, au mois d'octobre dernier que la santé du
prélat commença à s'altérer gravement; depuis, elle s'affaiblit
graduellement sous les atteintes répétées du mal qui devait
l'emporter.
Mgr François Grolleau était né à Chavagnes-les-Eaux,
dans le diocèse d'Angers, le 1*^ novembre 1828. Il n'était âgé
par conséquent que de soixante-et-un ans. Il était depuis peu
d'années curé de Saumur quand il fut appelé, le 17 mai 1870, à
remplacer Mgr Devoucoux sur le siège épiscopal d'Evreux.
Préconisé à Rome le 27 juin, il fut sacré dans la cathédrale de
Tours le 8 septembre, et, le 14 du même mois, il fut installé
solennellement dans la cathédrale d'Evreux. Le nouvel évêque
prit pour armoiries épiscopales la croix d'or, croisée et d'une
NÉCROLOGIE 101
clef et d'une houlette, avec la devise appropriée: Pro Christo,
Ecclesia et Grege.
Fidèle à cette noble et vaste devise, il se consacra entière-
ment et exclusivement, dès le premier jour de son pontificat et
jusqu'à la fin, à l'œuvre multiple que nous l'avons vu accomplir
depuis vingt ans. Le temps nous manque aujourd'hui pour
retracer dans ses détails cette oeuvre qui aura rendu si fécond
l'épiscopat de Mgr Grolleau. Bornons-nous à rappeler les efforts
et le dévouement qu'il consacra au recrutement du clergé et à
l'éducation de la jeunesse : la fondation de l'école libre Saint-
François-de-Sales, la restauration du collège diocésain d'Ecouis
et de l'école secondaire ecclésiastique de Pont-Audemer en
resteront les vivants témoignages. La création de l'asile des
Petites-Sœurs des pauvres, la restauration de la cathédrale et
de l'évêché, etc., doivent encore prendre place au premier rang
des œuvres qui assurent à la mémoire du regretté prélat une
reconnaissante vénération.
Mgr Grolleau était non seulement respecté mais aimé de tous,
prêtres et laïques, dans ce diocèse oii lui-même avait concentré
toutes ses affections et ses aspirations. Sa mort est pour la
population tout entière un deuil profond, et c'est accompagné
de regrets universels et durables qu'il rentre aujourd'hui dans
le sein de Dieu.
Vendredi est mort à Cracovie, à l'âge de quatre-vingt-douze
ans, le dernier président de la République de Craco/ie,
M. ScHiNDLERDB ScHiNDELHEiM, né dans l'ancieune capitale de
la Pologne. M. Schindler était entré d'abord dans les ordres ; il
devint chanoine de la cathédrale et professeur de théologie.
C'est grâce à la protection de l'Autriche qu'il fut placé d'abord
à la tête du Sénat, puis du gouvernement de la République de
Cracovie, instituée par le Congrès de Vienne. M. Schliudler
remplit ses fonctions de 1840 à 1846, où l'annexion de Cracovie
à l'Autriche les supprima radicalement. Le cabinet de Vienne
lui ofi^it de brillantes compensations : décorations, titre de con-
seiller privé avec la particule. M. Schindler vivait depuis long-
temps dans la plus profonde retraite, se consacrant surtout à
la direction de l'abbaye des Bénédictins, dont il était abbé
mitre, et à des recherches sur les littératures des pays d'Orient.
On annonce la mort de M. l'abbé Jules Morel dont les obsè-
ques ont eu lieu à Angers le 1" avril.
102 ANNALES CATHOLIQUES
NOUVELLES RELIGIEUSES
Home et Pltalie.
A la suite de l'accord qui a été conclu avec le gouvernement
anglais, par l'intermédiaire du général SLmmons, le Souverain
Pontife conférera à révèiiud de Malte, Mgr Pace, dans le pro-
chain consistoire, qui aura lieu en mai, le titre et le droit de
juridiction de métropolitain sur les missions catholiques situées
dans les possessions anglaises de l'Afrique septentrionale. A
cette même occasion, la hiérarchie catholique sera r(''gulière-
ment instituée dans ces missions, dont les vicariats apostoliques
actuels seront élevés au rang d'évêchés.
On annonce la prochaine arrivée à Rome de Mgr Kopp,
archevêque de Breslau, qui a été chargé par l'empereur d'Alle-
magne de prendre part aux travaux de la récente conférence
de Berlia.
On ajoute qu'après le rapport do ^Igr Kopp et la prise de con-
naissance des données officielles transmises au Saint-Siège par
la communication des protocoles mêmes de la conférence, le
Souverain Pontife publiera un document qui ajoutera aux
résultats de la conférence la sanction raoralo la plus efficace.
Dans les cercles du (^uirinal, on dit ouvertement que la posi-
tion de M. Crispi commence à être ébranlée, depuis qu'il a com-
promis la Couronne dans l'alTaire du monument à Mazzini et
que les radicaux en ont pris occasion pour redoubler d'audace.
Mais on ajoute en même temps que, malgré son mécontente-
ment et ses alarmes, la Maison de Savoie doit encore traiter
M. Crispi avec ménagements, parce qu'elle craint le ressenti-
ment des sectaires, dont M. Crispi est l'idole et l'agent le plus
efficace.
Les ruines morales et matérielles accumulées en Italie par le
parti qui est au pouvoir depuis 1876, et aggravées si considéra-
blement sous le régime Crispi sont dénoncées par une feuille
libérale, le FanfuUUy qui dresse en ces termes le bilan passif
de ce parti :
Vous avez augmenté de 300 millions les budgets de la guerre et
de la marine; voua avez doublé les budgets des autres ministères;
vous avez rendu plus vexatoires beaucoup de lois fiscales, comme
NOUVELLES RELIGIEUSES 103
celles de la richesse mobilière, des constructioas, de l'octroi, des
tabacs, etc. ; vous avez doublé le nombre des employés, eu créant
ainsi de nouveaux déclassés pour avoir un grand nombre de prosé-
lytes; vous avez laissé tarir les sources de la richesse agricole ; vous
avez détruit toute spéculation qui se fondait sur le crédit à l'étranger ;
vous avez rouvert l'abîme du déficit avec cent millions de passif sur
le budget; vous avez jeté dans la boue l'éducation du peuple, en pro-
clamant la déesse Raison, au lieu des immuables principes de la
vraie morale qui élève, instruit et discipline les populations; vous
avez transformé les sanctuaires de la science, les universités, jadis
gloire de l'Italie, en centres de vaines agitations juvéniles ou en
chaires qui re.itent muettes; vous avez cédé à la légère au désir de
chercher en Afrique les clefs de la Méditerranée, et vous y avez
perdu les clefs de la caisse.
France.
I>ARis. — Son Enainence le Cardinal-Archevêque a tenu à
remercier lui-même (1) publiquement l'éloquent conférencier
de Notre-Dame de tout le bien qu'il a fait aux âmes pendant
les dix-huit années durant lesquelles il a fait entendre la parole
du haut de la chaire de Notre-Dame. Nous sommes heureux de
pouvoir reproduire ici les paroles de Son Eminence, qui expri-
maient hautement ce que pensaient tous ceux qui depuis de
longues années ont suivi avec tant de profit l'enseignement du
pieux et savant dominicain.
Mon Révérend Père,
Ce n'est pas sans émotion que je me lève aujourd'hui pour béTîir
votre parole. Vous terminez par cette conférence le grand enseigne-
ment du dogme catholique que vous avez donné pendant vingt années,
avec une bénédiction si visible de Notre-Seigneur, du haut de cette
chaire.
Je me reporte par la pensée au jour où vous y montiez pour la
première fois. C'était pendant l'Avent de 1869. On était à la veille
des grandes douleurs de la France et des grandes épreuves de l'Eglise.
Le concile du Vatican s'assemblait à Rome; et, comme pressentant
l'avenir, vous faisiez entendre au peuple chrétien Vappel royal et
Vappel maternel de l'Eglise. Vous la montriez, cette Eglise, reine et
mère tout ensemble, prête â pourvoir aux nécessités et aux périls de
la crise contemporaine.
Les événements se déroulèrent sous l'action mystérieuse de la Pro-
vidence, qui préparait les nations par les leçons de l'expéTience à
écouter la voix de l'Eglise. Si la chaire de Notre-Dame ne demeura
(1) Le dimanche des Rameaux.
104 ANNALES CATHOLIQUES
pas complètement silencieuse pendant les années de 1870 et 18*71,
Dieu parla surtout par les faits qui s'accomplirent alors sous nos
yeux.
Quand la tempête fut calmée, le vénérable cardinal Guibert, con-
duit par la main de Dieu dans la capitale de la France, vous appela,
mon Cher et Révérend Père, pour continuer l'œuvre des Lacordaire
et des Ravignan. Vous apparûtes au Carême de 1872 dans la chaire
de Notre-Dame. Vous traduisiez la pensée de tous quand vous disiez,
au début de votre prédication : « Il faut à tout prix sortir de l'abîme
d'humiliations et de douleurs patriotiques où nous a plongés la jus-
tice divine provoquée par l'extrême perversité des opinions et des
mœurs publiques. » Le salut que tous appelaient, vous démontriez
qu'il ne serait obtenu que par l'éneigique affirmation du principe
chrétien dans la vie privée, dans la vie de famille, dans la vie publi-
que. Plût à Dieu que nous n'eussions pas trop tôt oublié les leçons
de la Providence et du malheur !
Mais à ce moment les âmes en conservaient le récent souvenir, et
lorsqu'une année de paix eut ramené le calme dans les esprits et
dans Ifs cœurs, vous commençâtes, mon Cher et Révérend Père, ce
lumineux exposé du Credo catholique que vous achevez aujourd'hui.
Plus tard, quand on lira l'histoire de notre dix-neuvième siècle,
on comprendra la place qu'aura occupée dans la restauration de la
société chrétienne l'enseignement traditionnel de l'Eglise, si admira-
blement condensé par l'Ange de l'Ecole, votre frère, dans sa Somme
théologique, si éloquemment appropriée par vous aux besoins des
intelligences de notre époque.
Peut-être, Messieurs, en m'entendant parler de restauration de la
société chrétienne, seriez-vous tentés de iionser que je me fais illu-
sion. Ne voyons-nous pas chaque jour l'Eglise, ses enseignements,
ses institutions, en butte à de nouvelles attaques ? Les ruines ne se
font-elles pas autour de nous? Non. nous ne devons pas nous décou-
rager. 11 y a des ruines, c'est vrai ; mais, au milieu de ces ruines.
Dieu pose déjà les premières fondations de l'avenir; votre présence
ici m'en est une preuve vivante. Voilà vingt ans que des chrétiens
d'élite se forment et se succèdent autour de cette chaire; voilà vingt
ans que la génération contemporaine reçoit, accepte, embrasse avec
une conviction croissante la parole de la foi, le Credo catholique.
L'œuvre du salut de la société ne s'accomplit pas en un jour. La
vérité divine a cette destinée de ne pouvoir conquérir les âmes et le
inonde qu'au prix de la lutte et du sacrifice. Mais la vérité, selon la
belle pensée de saint Augustin, n'est jamais humiliée ni vaincue,
même quand ses défenseurs succombent momentanément.
Vous, Messieurs, qui avez recueilli la parole du fils de saint Domi-
nique, vous serez, je l'espère de la bonté de Dieu et de la générosité
de vos cœurs de chrétiens et de Français, les apôtres de la vérité.
Depuis vingt ans, vous dites, par votre présence au pied de cette
NOUVELLES RELIGIEUbES 105
chaire, Y Amen au Credo catholique; vous le dites aujourd'hui, vou^
le direz demain, non pas seulement sous les voûtes de Notre-Dame.
mais dans la France entière.
Durant les saints jours de la grande semaine qui s'ouvre aujour-
d'hui, vous viendrez écouter les adieux de celui qui, pendant vingt
années, fut le père et le docteur de vos âmes. Vous sentirez revivre
les fortifiants souvenirs des retraites pascales qui ont couronné cha-
que année les conférences du carême, retraites qui vous font goûter
les douceurs du dogme catholique quand il pénètre le cœur aussi bien
que l'intelligence et qu'il vivifie notre existence tout entière.
Le jour de Pâques sera vraiment pour vous tous, Messieurs, le
jour de la résurrection; et quand le T, R. P. Monsabré vous mon-
trant le Ciel, qui est le couronnement de la vie chrétienne, vous
aura dit, après la communion pascale, la parole d'adieu : In te Domine
speravi, non confundar tn ceternitm : « En vous. Seigneur, j'ai mis
mon espérance et je ne serai pas confondu », vous irez à travers le
monde, avec la confiance au cœur pour vous, pour vos familles, pour
notre France, cette France que la Très Sainte Vierge garde sous sa
protection maternelle, en prenant le nom de Notre-Dame de Paris.
Mon cher et Révérend Père, quand vous parûtes pour la première
fois en 1869, dans la chaire de Notre-Dame, vous rappeliez les paroles
touchantes que le P. Lacordaire en laissa tomber au terme de sa car-
rière apostolique : « Murs de Notre-Dame, disait votre frère, voûtes
sacrées, qui avez reporté mes paroles à tant d'intelligences privées
de Dieu, autel qui m'avez béni, je ne me sépare point de vous. »
Vous aussi, mon Cher et Révérend Père, vous ne vous séparez pas
de nous. Permettez-moi de vous appliquer ce que vous disiez vous-
même alors du P. Lacordaire : Vous vivrez en ces hommes qui sont
votre gloire et votre couronne, vous vivrez dans la reconnaissance de
Paris et de la France, vous vivrez dans la fraternelle afi'ection du
vénérable Chapitre métropolitain et du clergé de Paris : qu'il me soit
permis d'ajouter, vous vivrez surtout dans le cœur de l'humble arche-
vêque, heureux de savoir et de dire que notre immortel pontife
Léon XIII a été consolé par les triomphes de votre parole apostolique
dans la chaire de Notre-Dame.
Puis, je vous adresserai une prière. En 1872, vous avez été appelé
par réminent Cardinal Guibert, de noble et douce mémoire, à pro-
clamer, devant la France, le Vœu national au Sacré-Cœur. La France
a été fidèle à son vœu. La basilique a grandi sur la montagne des
Martyrs; l'heure approche où nous pourrons la dédier solennellement
au Cœur miséricordieux de Jésus. Mon Père, à mon tour, je vous
convie à venir en ce jour chanter dans la basilique de Montmartre
l'hymme de notre reconnaissance et les miséricordes de Dieu envers
la France dévouée et pénitente : Christo ejusque sacratissimu Cordi
Gallia pœnilens et devoia.
106 ANNALES CATHOLIQUES
RÉPONSE DU T. R. P. MONSABRÉ
Eminentissime Seigneur,
Je suis touché et confus en même temps des éloges et des remer-
ciements que Votre Eminence vient de m'adresser. Je voudrais les
avoir mérités, mais je n'oserai jamais me rendre ce témoignage.
Ce que je sens profondément, ce que je puis dire librement, c'est que
ai ma parole a eu quelque succès et a fait quelque bien, je le dois,
après la grâce de Dieu, à votre paternelle bonté et aux encourage-
ments que j'ai reçus de vous et de votre vénérable prédécesseur.
J'emporte de mon ministère dans cette insigne métropole le souvenir
de deux saints prélats qui furent pour moi deux pères, souvenir que
la piété filiale entretiendra dans mon cœur jusqu'à ce qu'il ait cessé
de battre.
Étr-auger.
Hollande. — Il y a maintenant trente-sept ans que S. S.
Pie IX, de vénérée mémoire, a rétabli en Hollande la hiérar-
chie catholique. Le tableau suivant, emprunté à la Néerlande
catholique [offerte au Pape à l'occasion de son jubilé sacerdotal)
est la preuve des précieux résultats qu'a produits cette grande
mesure. Les deux années qui nous séparent de cet heureux
événement n'ont fait qu'ajouter au triomphe de l'Eglise et de la
Papauté.
En 1853, il j avait en Hollande 711 religieux dans 88 mai-
sons; en 1887, leur nombre atteignait 2,572, dans 144 couvents;
les religieuses, de 1,943 dans 109 maisons, arrivaient à 8,350
dans 453 monastères.
* Les hospices et orphelinats catholiques sont montés de 93
à 233.
En 1853, il y avait en Hollande, 1,144,415 catholic^ues. En
1877, ils atteignaient 1,403,400. Depuis cette date, onpQut être
sûr que le chiffre des catholiques hollandais a encore augmenté
de plusieurs centaines de milliers.
On a construit 416 églises et l'on en a restauré 136, avec une
dépense de cent millions de francs.
La Hollande contribue largement au denier de Saint-Pierre.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le voyage de M. Carnot. — Les tripotages du Conseil municipal de Paris.
— Conseils généraux. — Au Dahomey. — Un rescrit de Guillaume IL
10 avril 1890.
Le président de la République a définitivement arrêté le pro-
gramme de son voyage en Corse, après avoir reçu la visite des
députés et sénateurs de ce département.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 107
Le départ de Toulon de l'escadre sur laquelle s'embarquera
M. Carnot s'eflectuera, le 21 avril, à quatre heures et demie du
soir, et l'arrivée à Ajaccio aura lieu vers huit heures de la
matinée. Après un discours du préfet, du maire et du président
du conseil général, M. Em. Arène, le cortège présidentiel rendra
visite aux établissements hospitaliers de la ville.
Le Président de la République se rendra également à la mai-
son dans laquelle est né Napoléon Bonaparte.
Le déjeuner aura lieu à la préfecture. Sur les instances de
M. Arène, le Président de la République a paru disposé à modi-
fier légèrement son itinéraire pour se rendre à Propriano, petit
port de l'arrondissement de Sartène, qui a pris depuis peu un
certain développement commercial, et oii les populations de
l'arrondissement de Sartène viendront saluer le Président de la
République.
Après cette excursion à Propriano, aura lieu un dîner offert
par le Président de la République aux notabilités d'Ajaccio et
de la Corse, diner suivi d'une réception ouverte à la préfecture.
Enfin, à dix heures, feu d'artifice que la municipalité fera tirer
sur le golfe.
Le lendemain matin 22, le Président partira pour Bastia et
Corte. IL s'arrêtera dans la forêt de Vizzavone, dans laquelle
aura lieu le déjeuner. M. Carnot se rendra ensuite en voiture à
Corte, en s'arrêtant à Vivaria, Venaco, Saint-Pierre-de-Venaco,
pour arriver à Corte vers trois heures. Réception par les auto-
rités et départ à quatre heures quinze pour Bastia, où l'on arri-
vera à sept heures cinquante.
A Bastia, la bienvenue sera souhaitée au Président par le
maire, M. Casablanca, sénateur. Le lendemain, déjeuner ofi'ert
par le Président de la République et régates dans la journée.
M. Carnot s'embarquera le 23, vers cinq heures du soir, sur
l'escadre et débarquera le jeudi 24, au matin, en rade de Yille-
franche.
La journée entière du 24 se passera à Nice. Le 25, départ de
cette ville dans la matinée ; le Président s'arrêtera à Antibes,
où primitivement il ne devait pas s'arrêter, puis à Cannes, enfin
une heure environ à Grasse, plusieurs heures à Draguignan, oii
aura lieu le déjeuner.
Le Président de la République se rendra ensuite par les che-
mins de fer du Sud à Digne, oii il couchera. Le 26, il partira
dans la matinée pour se rendre à Gap, où il déjeunera; il rece-
108 ANNALBS CATHOLIQUES
vraies autorités de ces deux villes ; enfin, il partira de Gap
dans la soirée pour Grenoble, Lyon, etc., et arrivera à Paris le
lendemain matin, 27.
Non contents de s'être illégalement attribué des émoluments
auxquels ils n'avaient pas droit, voici que les conseillers muni-
cipaux de Paris se taillent des revenus dans les emprunts de la
ville. Un certain nombre d'entre eux se sont attribué des obli-
gations « irréductibles », dans l'emprunt de la Ville qui vient
d'avoir lieu, et comme ces titres ont été favorisés d'une prima
de 7 à 8 fr., on accuse les édiles parisiens d'avoir fait tout
simplement une spéculation au détriment des pauvres contri-
buables qui faisaient inutilement la queue aux guichets d*
souscription. Il faut d'ailleurs ajouter que les explications
données par les conseillers interviewés par les reporters des
feuilles officieuses sont les plus maladroites. Elles constatent
que, cette fois, la moyenne de quinze obligations qu'il était
d'usage de mettre à la disposition de chaque conseiller muni-
cipal s'est élevée à vingt-quatre et même que quelques-uns s'ea
sont attribué une centaine, bénéficiant ainsi de l'abstention do
certains de leurs collègues. En somme, que conseillers et
employés de la ville ont profité d'un millier d'obligations
environ.
Bref, les conseillers interrogés, reconnaissent eux-mêmes
qu'il s'est produit des abus profondément regrettables, don
bon nombre de conseillers doivent être rendus responsables. On*
a demandé la publication des listes. Mais ce n'est là qu'un
remède illusoire; les listes n'apprendront rien. On y verra une
quantité de noms totalement inconnus et tout à fait étrangers
au conseil ou à l'administration. Il sera donc bien difficile de
faire la part de toutes les responsabilités. Aussi le sufi'rage
universel, qui n'a ni les moyens ni la volonté de se livrera une
enquête approfondie, s'en prendra-t-il au conseil municipal
tout entier, dont les membres n'auront pas à se montrer surpris,
s'ils ne sont pas réélus.
Les conseils généraux ouvriront leur session de Pâques le
lundi 14 avril courant.
Trois ministres seulement sont membres de ces assemblées
départementales : M. Rouvier, ministre des finances, est con-
seiller des Alpes-Maritimes; M. Barbey, ministre de la marine,
CHRONIQUE 1>E LA SEMAINE 109
€?t conseiller général du Tarn, et M. Jules Roche, ministre du
commerce, est conseiller général de l'Ardèche.
M. Barbey, obligé d'accompagner le président de la Répu-
blique dans son prochain vovage à Toulon et en Corse, ne
pourra probablement pas se rendre à la session de son conseil
général.
Le conseil des ministres a décidé le blocus de la côte des
esclaves. Ce blocus, dont le but est d'empêcher que des armes
ne soient introduites au Dahomey, aura lieu au moyen de notre
croisière de l'Atlantique du sad, renforcée de deux nouveaux
navires. Le blocus a dû être notifié aux puissances maritimes
européennes. On parle même de prendre Whidah, le port du
Dahomey. On annonce, d'autre part, des envois de renforts à
Kotonou et et à Porto-Novo. Il est donc évident que nous
sommes en guerre avec le Dahomey et que nous étendons de
plus en plus le cercle des opérations militaires.
JN'ons ne voudrions rien exagérer. La guerre du Dahomey ne
peut pas prendre la même importance que celle du Tonkin et
nous entraîner aussi loin. Cependant les gens auxquels nous
avons affaire là-bas ne sont pas des ennemis à mépriser. Dans
ua des combats que nos soldats ont soutenu contre eux, vingt-
cinq des nôtres ont été tués ou blessés. De leur côté ils ont
perdu cinq cents hommes parce qu'ils ont été obligés, en battant
en retraite, de traverser un terrain découvert sous le feu de nos
"batteries. L'armée qui nous est opposée est forte, paraît-il, de
quinze mille hommes, plus deux mille amazones. Les Daho-
méens sont armés les uns de fusils à pierre, les autres de lances
et de sabres. Ils ont une organisation militaire relativement
perfectionnée et ils se battent avec une grande bravoure. Il est
donc impossible d'admettre qu'avec quelques centaines d'hommes
on pourra leur infliger la leçon que AI. Etienne leur a promise
du haut de la tribune de la Chambre dans la séance du 8 mars.
D'autre part, le blocus de la côte pourra les gêner un peu.
Mais, néanmoins, ils trouveront bien le moyen de s'approvi-
sionner d'armes et de poudre et de continuer à se battre. On
ne pourra leur infliger la « leçon s> promise qu'en organisant une
colonne expéditionnaire composée de trois ou quatre mille
hommes de troupes bien choisies, moitié Français moitié
tirailleurs sénégalais, qui ira incendier Abomey, leur capitale.
Voilà la perspective qu'il faut, dès à présent envisager. Le
110 ANNALES CATHOLIQUES
gouvernement français doit le savoir : Il est au courant de la
situation, car M. Bajol a dû lui adresser un rapport, à ce sujet,
après le séjour qu'il a fait dans la capitale du Dahomey. Dans
oes conditions, il est permis de se demander pourquoi l'on n'a
pa^ dit franchement aux Chambres ce qu'il en était, avant les
vacances. Ce n'est pas hier qu'on s'est aperçu qu'il était néces-
saire d'établir le blocus pour couper au Dahomey ses commu-
nications avec la mer. Pourquoi a-t-on attendu pour prendre
cette mesure, que les Chambres se soient mises en vacances?
Le gouvernement n'avait, nous semble-t-il, aucun intérêt à
dissimuler la vérité, car personne, ni à droite ni à gauche, ne
refuserait les crédits nécessaires pour assurer le respect du
drapeau français en Afrique. Engager cette afiaire du Dahomey
subrepticement comme on le fait, c'est une conduite qui manque
de dignité autant que d'habileté.
Guillaume II a juré d'étonner le monde non seulement par la
hardiesse, mais aussi et surtout par la multiplicité de ses con-
ceptions : il a, comme feu Emile de Girardin, une idée par jour
ou à bien peu près.
Il vient de publier un nouv^eau rescrit sur le recrutement des
officiers dans l'armée allemande. La petite bourgeoisie était
jusqu'ici rigoureusement exclue de l'armée active et elle devait
borner son ambition â remplir une partie des cadres de réserve.
Le nouveau rescrit ouvre toutes gi'andes les portes -d a l'armée
aux € fils de familles bourgeoises honorables qui chérissent le
roi et la patrie, aiment le métier de soldat et nourrissent des
sentiments chrétiens. » Cette restriction finale vise les juifs. Les
fils d'Israël continueront d'être bannis du corps d'officiers.
L'exclusion ne s'applique d'ailleurs, bien entendu, qu'aux
cadres de l'active. Les cadres de la réserve sont accessibles aux
sémites; fort peu profilent de la permission.
Particularité presque ignorée en France, nul n'est admis en
qualité d'officier dans un régiment prussien sans l'agrément des
autres officiers. Là, le corps d'officiers de chaque régiment
constitue une sorte de c cercle » oii il y a des < ballottages »
tout comme au JocTcey-Club. Les aspirants officiers, après avoir
subi avec succès les examens de sortie des écoles militaires,
entrent, avec la qualification de fœhnrich (enseigne-porte-épée),
dans un régiment et attendent qu'il y ait de la place.
Quand iine vacance se produit, le chef de corps réunit les offi-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE Jll
ciers, et tous prennent part au vote sur la question de savoir si
le plus ancien des fœhnrich est digne d'être nommé sous-lieute-
nant. Si le candidat a contre lui la majorité des suffrages, il est
écarté et l'on passe à celui qui le suit immédiatement sur la liste
d'ancienneté. Autonomie régimentaire.
Or, dans la condition à remplir pour le fœhnrich figure, en
bon rang, l'augmentation de traitement la, subvention que la
famille s'engage a lui servir.
La coutume s'est établie do demander à un sous-lieutenant
d'infanterie 1,50() fr. par an comme part contriljutive de famille,
tandis que l'Etat ne lui en alloue que 1,125. Situation curieuse,
on l'avouera. Qu'adviendra-t-il des efforts tentés par l'empereur
pour y porter remède ?
Obtenir des officiers qu'ils renoncent à leurs habitudes semble
difficile. Augmenter la solde de façon à rendre inutiles les « sub-
ventions de famille », il n'y faut pas songer.
Les officiers d'un même régiment forment, pour ainsi dire,
une famille dont les membres sont étroitement liés ; ils appar-
tiennent au même monde, an même cercle de relations, à la
même province, et il n'est pas rare que leurs pères aient servi
autrefois dans le même régiment.
On dira que cette survivance des traditions et des préjugés
aristocratiques est choquante pour nos idées modernes et nos
instincts égalitaires. Mais il faut reconnaître aussi qu'elle a
constitué la force de l'armée prussienne en communiquant aux of-
ficiers qui la dirigent unesprit de corps etdes vertus militaires qui
étaient la résultante de leur système de recrutement. Ces vertus
militaires sont un fruit de l'atavisme, et cet esprit de corps,
une conséquence de l'esprit de caste. Individuellement, l'officiep
prussien ne vaut ni plus ni moins qu'un autre ; collectivement,
il n'a pas de comparaison à craindre.
Tel est, du moins, l'avis de tons les Français compétents qu
ont étudié l'armée prussianne, en déposant au préalable les
lunettes du chauvinisme.
Cet exclusivisme ne pouvait cependant pas durer. L'effectif
de l'armée allemande augmente tous les ans depuis la guerre de
1870. Deux nouveaux corps d'armée, celui de Metz et celui de
Dantzig, sont en voie d'organisation. Il est, en outre, question
d'augmenter de 74 batteries l'effectif de l'artillerie. Ces
augmentations s-ucces^ves exigent un nombre chaque jour crois-
sant d'officiers. Depuis longtemps, d'ailleurs, il y avait pénurie
112 ANNALES CATHOLIQUES
d'officiers en Allemagne. Ainsi que le constate le rescrit d&
Guillaume II, « presque tous les régiments d'infanterie et
d'artillerie sont actuellement loin d'être au complet. »
Cette situation, jointe aux formations nouvelles en perspective,
imposait d'urgence une modification des bases fondamentales et
traditionnelles du système de recrutement des cadres. « La
noblesse, ajoute le même rescrit, ne saurait à l'heure présente
prétendre à fournir à elle seule des officiers à l'armée.»
Par ce (jui précède, on voit que l'on ferait erreur en attribuant
cette réforme aux tendances novatrices et démocratiques du jeune
empereur. Guillaume obéit à une nécessité. Pour quiconque sui^
avec toute l'attention qu'un semblable sujet mérite le développe-
ment numérique de l'armée allemande dont l'armée prussienne
constitue le noyau et, de beaucoup, le plus fort contingent,
l'abandon des anciens errements devait finir par s'imposer un jour
ou l'autre. Guillaume P'' était trop vieux pour se résig'^er à une
réforme dont il appréhendait à bon droit les conséquences ; son
petit-fils l'accomplit d'un trait de plume.
En supposant que le niveau intellectuel reste le même, le
niveau moral baissera certainement. Il se créera dans l'armée
allemande un dualisme dont elle était exempte jusqu'ici et dont
l'absence assurait à son corps d'officiers une précieuse homogé-
néité. Il y aura les officiers nobles et les officiers bourgeois, qui
ne frayeront pas ensemble et se détesteront cordialement du
fond de leur cœur.
La publication du rescrit impérial élucide deux points obscurs
de l'histoire de ces dernières semaines; elle nous apprend pour-
quoi Guillaume II a réuni il y a quinze jours à Berlin tous leS
officiers de corps d'armée et pourquoi le général Walders < ^
pris un long congé, qu'il est allé passer à San-Remo. On a
raconté que l'empereur avait eu avec le chef du grand état^
major, au cours de cette réunion, une assez vive altercation.
Nous avons maintenant le mot de l'énigme. Le général de Wai-
dersee n'approuvait pas le rescrit. Quoique jeune, relativement,
le général est imbu des vieilles traditions de l'armée prussienne.
Il est en outre un aristocrate de la vieille roche. Par ces deux
motifs, la réforme lui répugnait ; il n'a voulu partager ni la res-
ponsabilité do l'initiative ni celle de l'application.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. Imp. 0. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
L'EXECUTION DE LA NOUVELLE LOI MILITAIRE (1)
Messieurs et Chers Coopérateurs,
Vous avez suivi avec le plus grand intérêt les efforts que j'ai
faits pour épargner autant que possible au clergé les épreuves
de la dernière loi cûilitaire. Plusieurs d'entre vous m'ont même
donné des renseignements précieux sur les sentiments des popu-
lations au milieu desquelles ils vivent, sur les impressions si
différentes que produiraient parmi ces populations, surtout au
moment où la guerre éclaterait, d'une part la réalisation du
projet que j'ai exposé dans ma Lettre à MM. les Sénateurs et à
MM. les Députés, sous ce titre : Le Service militaire et le
Cierge^, et de l'autre, la mise en pratique de l'opinion opposée.
Depuis lors,pour combler, au moins dans une certaine mesure,
les vides que la nouvelle loi produira dans les rangs des sémi-
naristes et des prêtres, j'ai développé et réorganisé sous le titre
d'Association de Saint-Joseph, l'œuvre déjà si importante des
vocations ecclésiastiques, et comme toujours, le diocèse de Nancy
a donné les preuves les plus touchantes de sa générosité. Vous
savez d'ailleurs que si jusqu'à ce jour ce diocèse a eu le bonheur
d'avoir des prêtres en nombre très suffisant, pour le ministère
paroissial et pour nos grands établissements d'instruction
secondaire, et s'il a pu fournir un certain nombre de sujets aux
congrégations et aux missions étrangères, nous devons ce
bonheur aux secours considérables que l'administration diocé-
saine a donné aux élèves du grand et du petit Séminaires, et
aussi au zèle avec lequel vous avez répondu à mes exhortations
en choisissant et en préparant dans nos paroisses des élèves
pour le petit Séminaire.
Je voudrais aujourd'hui répondre à vos appréhensions au
sujet de la nouvelle loi militaire |et vous dire ce que j'ai fait
et ce que je compte faire pour accomplir sur ce point d'une
suprême importance les devoirs de ma charge épiscopale.
I
Malgré les apparences contraires, il ne faut pas désespérer
(1) Lettre de Mgr l'évêque de Nancy au clergé de son diocèse.
Lxxii — 19 Avril 1890 9
114 ANNALES CATHOLIQUES
d'obtenir un jour que la loi qui impose a« clergé le service
militaire soit modifiée. Il importe donc souverainement de pré-
parer les voies à ces modifications et d'écarter le plus possible
les difficultés et les obstacles.
Tandis que de simples fidèles exposent chaque jour leurs
vues, leurs conseils sur la situation que cette loi impose au
clergé, personne n'osera contester à un évêque le droit et le
devoir de dire sa pensée sur cette question qui relève directe-
ment et essentiellement de l'autorité épiscopale et qu'il a étudiée
avec toute l'attention qu'elle mérite.
Je me propose simplement de signaler quelques-unes des
preuves qui me paraissent de la plus haute portée en faveur du
projet qui a été l'objet de ma brochure :Le Service militaire et
le Clergé.
Ce projet a reçu par écrit l'approbation spontanée de douze
archevêques et évêques de Franco, Par un sentiment de dclica-
teese, je n'ai publié aucune de leurs lettres. Si je les avais
publiées, il est certain que d'autres adhésions me seraient
venues. Plusieurs de mes vénérés collègues qui ne m'ont point
écrîi ont exprimé de vive voix la même opinion. Enfin un des
plus vénérablosd'entreeux m'écrivait que dans uneréunion nom-
breuse des évêques de France, tous ceux avec lesquels il avait
causé de cette grave question lui avaient exprimé cette pensée
que ma proposition était pratique, sage et utile.
Parmi le très grand nombre de témoignages autorisés et pré-
cieux qui m'ont été donnés je ne citerai que le passage suivant
d'une lettre que m'adressait, le 24 août 1889, le Supérieur
général d'une des plus importantes et des plus admirables con-
grégations religieuses :
« Vous n'en aurez pas moins, Monseigneur, l'honneur devant
les hommes et le mérite devant Dieu d'avoir, encore cette fois,
essayé de sauvegarder les précieux trésors que l'on veut
enlever à l'Eglise, et d'avoir indiqué pour le clergé un apostalat
de charité bien propre à lui ramener les sympathies populaires.
« Vous avez bien voulu rattacher à la cause du clergé en
générai, celle des humbles congrégations enseignantes ; si votre
projet si épiscopal et si patriotique était accueilli, vous auriez
préservé ces congrégations, et par suite l'enseignement chré-
tien, du plus désastreux des coups qui lui ont été portés dans
ces temps malheureux. »
Le gouvernement allemand, d'accord avec les Chambres,
l'exécution DS liA NOUVBfcLE LOI MILITAIRE 115
vient d'apporter, sur l'initiative des députés du Centre, une
modification importante à la loi militaire. Le nouveau texte de
la loi a été voté à l'unanimité par les députés catholiques; il a
été loué par toute la presse catholique de France qui sans
exception a manifesté plusieurs fois le désir de voir le gouver-
nement et les Chambres françaises faire au clergé la conces-
sion qui vient de lui être faite en Allemagne.
Je ne prétends pas que les députés catholiques allemands qui
ont voté cette loi à l'unanimité l'auraient votée s'ils avaient
été absolument libres de choisir à leur gré ce qui pouvait leur
paraître préférable à tous égards. Mais nous ne sommes pas à
l'heure présente, et nous n'étions pas, à la veille du vote cer-
tain de la loi militaire, dans une situation meilleure que celle
des catholiques d'Allemagne, il y a quelques semaines. Au
contraire, la loi avait été appliquée en Allemagne avec de»
ménagements auxquels les interprétations données jusqu'à pré-
sent en France sont absolument opposées.
N'oublions pas qu'en France les prêtres seront Soumis, dans
certaines circonstances, au service militaire jusqu'à l'âge da
quarante-cinq ans, c'est-à-dire aux manœuvres de la territo-
riale et de la réserve, à moins que chargés du service d'une
paroisse ou aumôniers de lycées, d'hôpitaux, de prisons, ils n©
demandent à être dispensés de ces manœuvres. N'oublions pas
que tous les religieux qui n'auront pas obtenu le grade de
licencié et les ecclésiastiques qui à vingt-six ans au plus tard
ne présenteront pas un certificat épiscopal attestant qu'ils
« appartiennent au clergé séculier et qu'ils sont rétribués à ce
titre soit par l'Etat.,, soit par un établissement public ou d'uti-
lité publique... le'galement reconnu, auquel ils soient régu-
lièrement attachés » (1), tous ces religieux et ces ecclésiastiques,
quoique élevés au sacerdoce, retourneront pour deux ans à la
caserne. De plus, il paraît démontré que ces ecclésiastiques et
ces religieux, même ceux qui auront le titre de licencié, seront^
en cas de guerre, non pas employés dans le service de santéj
mais placés parmi les combattants.
C'est en présence de ces tristes réalités que doivent être exa-
minées les modifications que j'avais proposées.
Je vais comparer mon projet au nouveau texte de la loi mili-
taire allemande. Il est inutile que je déclare tenir mes rensei-
gnements! des sources les plus sùr^es.
(1) Décret du 23 novembre 1889, art. 34.
116 ANNALKS OATHOLIQUKS
Voici le texte de cette loi d'après la traduction littérale qui
en a été faite par un membre distingué du Reichstag :
« Paragraphe unique. — Les assujettis au service militaire
de la Confession catholique romaine qui se vouent à l'étude de
la théologie sont remis, en temps de paix, pendant la durée de
cette étude, jusqu'au 1" avril de leur septième année militaire.
Si jusqu'à cette époque ils ont reçu l'ordre du sous-diaconat, ils
sont inscrits dans la réserve et restent dispensés ('proprement:
affranchis) des exercices. »
Les ecclésiastiques et les religieux en Allemagne seront-ils,
dés l'époque du tirage au sort, enrôlés, dans le sens strict de ce
mot, c'est-à-dire portés sur les rôles de l'armée ? Cela n'est pas
contestable. Seront-ils tous soumis en temps de guerre à la
discipline, aux règlements, à la direction du ministre de la
guerre et des chefs militaires ? Cela n'est encore pas contes-
table.
Mon projet admet cet enrôlement et cette soumission; mais
s'il portait ainsi atteinte à l'immunité ecclésiastique, comment
se fait-il qu'il y ait en Allemagne unanimité des catholiques pour
accepter une loi qui, à ce point de vue, atteint do la même fa-
çon cette même immunité ? Je dis : à ce point de vue, car je
vais démontrei" bientôt qu'il y a entre cette loi et mon projet,
sur d'autres points, des diflérences très importantes, pour ne
pas dire essentielles et qui sont manifestement en faveur de
mon projet.
D'ailleurs, j'ai déjà donné une démonstration qui n'admet pas
de réplique. Je la résume ici en quelques mots. Les aumôniers
militaires, en France et partout, sont-ils enrôlés, inscrits aux
registres de l'armée, sur la présentation des évêquos ? Oui. —
Sont-ils soumis, surtout en temps de guerre, aux règlements
militaires, à la direction du ministre de la guerre et des chefs?
Oui, encore. — Mais de plus, ces aumôniers sont revêtus du ca-
ractère du sacerdoce, ils sont appelés à exercer, dans ces con-
ditions, un ministère absolument spirituel, sacré, surnaturel,
tandis que mon projet concerne, dans l'ensemble, les sémina-
ristes qui ne sont pas prêtres, pour leur faire accomplir la mis-
sion, d'un ordre tout à fait différent, la mission de soigner les
malades et les blessés. Donc, si mon projet porte atteinte à l'im-
munité ecclésiastique, tous ceux qui ont contribué et qui con-
tribuent à nommer des aumôniers militaires, tous ceux qui ont
approuvé et approuvent la loi qui a établi ces aumôniers et qui
l'exécution de la nouvelle loi militaire 117
demandent que leur nombre soit augmenté, portent, à plus
forte raison et à un degré bien supérieur, atteinte à cette même
immunité. Ou bien si, comme tout le monde sans exception l'a
compris partout et toujours, si l'institution des aumôniers mi-
litaires ne porte aucune atteinte à l'immunité, l'objection qui
m'a été faite ne se tient pas un instant debout et n'a absolument
aucune valeur.
Il ne faut pas oublier un argument que je puis résumer en
ces termes : Si mon projet porte atteinte à l'immunité ecclésias-
tique, c'est ou bien parce qu'il soumet les séminaristes à l'enrô-
lement, et, en cas de guerre, à la direction des chefs militaires,
ou bien en raison de la mission qui leur serait confiée en temps
de guerre. Or, je viens de démontrer que le premier motif est
sans valeur: quant à la mission de charité et de dévouement
qui serait confiée aux séminaristes, elle est en conformité par-
faite avec leur vocation.
Les ecclésiastiques et les religieux en Allemagne seront-ils
appelés en temps de guerre ? Voici ce que m'écrit un prêtre
très distingué, qui est depuis longtemps membre du Reichstag :
« En cas de guerre, le séminariste qui n'est pas sous-diacre est
obligé de marcher comme les autres jeunes gens qui sont dans
les mêmes conditions que lui. Les sous-diacres et les prêtres,
placés dans la réserve en temps de paix, servent dans les am-
bulances en cas de guerre. » Je ferai remarquer que les sémi-
naristes qui ne sont pas sous-diacres, mais qui ont reçu la ton-
sure sont des clercs, qu'ils appartiennent au clergé, et qu'en
Allemagne le service militaire, dans le sens le plus strict du
mot, leur sera aussi imposé en cas de guerre, qu'ils seront obli-
gés de combattre et de verser le sang.
11 y a ici, entre la nouvelle loi allemande et mon projet, des
diô'érences de la plus haute importance. D'abord, d'après ce pro-
jet, les séminaristes, même ceux qui ne seront pas sous-diacres,
ne serviraient en cas de guerre que comme infirmiers et bran-
cardiers. En second lieu, ils ne seraient appelés pour ces fonc-
tions que € suivant les besoins, à commencer par les classes les
plus récentes », et il est à croire que deux ou au plus trois
classes suffiraient. Enfin, en Allemagne, les ecclésiastiques ne
seront pas préparés à ces fonctions délicates et difficiles de bran-
cardiers et d'infirmiers. D'après mon projet, les séminaristes
seraient préparés dans les séminaires par l'enseignement d'un
professeur choisi ou approuvé par le gouvernement. Les avan-
118 ^JSNALSS CA.THOLIQCIKS
tages de cette préparation sont évidents, et j'ai cité sur ce point,
dans la brochure, les témoignages les plus autorisés. Ceux qui
auraient encore à ce sujet quelque doute, n'ont qu'à interroger
les chefs du service de santé, les médecins militaires et même
le premier médecin venu. Je n'ajouterai qu'un mot : on peut
faire mourir an blessé on le portant sans les précautions vou-
lues à cent ou à cinquante mètres (1).
Que de yies pourraient être sauvées par des brancardiers et
des infirmiers sérieusement instruits de leur difficile et noble
métier, et quelle influence plus grande à tous égards n'obtien-
draient pas ces habiles auxiliaires de l'armée ?
Faut-il ajouter que, en temps de guerre, le* aumôniers seront
absolument insuffisants et que les séminaristes et les religieux
eraploj'és comme brancardiers et infirmiers les suppléeront dans
une certaine mesure et rendront aux âmes les services les plus
précieux? Ce motif ne justifierait-il pas à lui seul mon projet
aux yeux du Clergé et des Catholiques ? Cent mille, cent vingt
raille blessés et mourants seront étendus sur un do ces champs
de batailles oii se rencontreront des millions d'hommes armés
des instruments perfectionnés de la destruction. Jamais le
clergé n'a fait, jamais il no pourra faire rien déplus beau et de
plus grand, de plus digne de sa sublime vocation que de servir
Dieu et la patrie en secourant ces infortunés et en accomplis-
sant envers eux les actes las plus élevés de la charité chré-
tienne.
Mais on me dira : c Vous avez fait cette proposition : Les
séminaristes pourront môme être assujettis, pendant les
vacances de cette première année (qui suit le tirage au sort), à
un service actif de quelques semaines dans l'un des hôpitaux de
la région. » Oui, j'ai fait cette proposition et j'en admets la
réalisation si les hommes spéciaux sont convaincus (jue cet
exercice pratique est nécessaire pour former des infirmiers et
des brancardiers vraiment utiles h. l'armée et à leur pays. Je
crois que quandil s'agit de secourir des milliers de malades et de
blessés, de sauver des milliers do vies, de conserver à la France
des milliers de vaillants soldats, quand il s'agit de pratiquer,
sous les jeux de tout un peuple, les actes de la plus belle, de
(l) Qui pourra contester que plus tarJ cet enseignement sera sou-
vent très util»; anx ecclésiastiques qui habiteront la campaguo et qni
pomrroftt donner :i des blessés les premiers soias et qnelquetfois les
sauver.
l'exécution de la nouvelle loi militaire 119
la plus grande, de la plus puissante des vertus, d'une vertu qui
doit être surtout la gloire du clergé et du clergé frnnçais, il ne
faut pas reculer devant les mesures néce3saires. Oui^, j'ai fait
cette proposition parce que je suis convaincu que ces quelques
semaines pendant lesquelles ces jeunes gens seront a2^pliqués
constamment à tous les services qui peuvent être utiles au
développement de leur instruction, n'offriraient pas de véri-
table péril pour leur vocation. Les vocations qui ne pourraient
supporter, sous le poids de pareilles occupations, dans l'accom-
plissement constant des actes de la charité, la moindre épreuve,
ne sont pas des vocations sérieuses, et nous n'avons qu'à nous
réjouir de les voir disparaître en face du premier péril. Il en
serait de même des vocations qui ne résisteraient pas, dans la
pratique des actes de dévouement, au milieu de périls de tous
les jours et de tous les instants, sous le feu de l'ennemi et sur-
tout dans les effroyables guerres qui se préparent (1).
Quelques-uns objecteront encore : « On subit de pareilles
obligations, mais on ne les propose pas. » J'oppose k cette
objection plusieurs réponses :
lo Non seulement, à l'heure présente, le? ecclésiastiques
français sont soumis, — et jusqu'à quarante-cinq ans, qu'on ne
l'oublie pas, — à une loi en comparaison de laquelle mon projet
a d'évidents, et je pourrais dire d'immenses avantages, mais, à
l'époque oii j'ai exposé ce projet, il était absolument certain que
si la modification que je proposais n'était pas obtenue, la loi
allait être votée. C'était la conviction absolue d'hommes politi-
ques les plus dévoués à l'Eglise et que j'ai consultés. C'était
l'opinion universelle et les faits l'ont justifiée. Ceux-là seuls
ont pu essayer de contester qui se laissent aveugler par des illu-
sions dont je n'ai pas à rechercher les causes premières. Hélas !
pour ne pas remonter plus haut, qui dira quels préjudices les
illusions ont portés depuis dix-huit ans à la cause catholique en
France !
2° Il n'est personne qui ne comprenne qu'il est beaucoup plus
(1) Il y a trente ou quarante ans, on prétendait que les sémina-
ristes qui obtiendraient le grade de bachelier et, à plus forte raison,
de licencié perdraient leur vocation, et qu'il en serait de même des
religieuses qui obtiendraient le brevet d'institutrice. Les faits ont
démontré que ces craintes étaient sans motif, et les diocèses et les
congrégations qui s'étaient laissé dominer par ces craintes ont eu et
ont encore à déplorer leur erreur et ses conséquences.
120 ANNALES CATHOLIQUES
facile de s'opposer au vote d'un projet de loi ou d'obtenir que
ce projet soit modifié, que d'obtenir qu'une loi soit retirée ou
modifiée quand elle a été définitivement votée par les deux
Chambres. Il n'est personne qui ignore que Monsieur le Prési-
dent de la République ne peut de sa propre autorité supprimer
ou modifier une loi votée par les Chambres et que s'il peut,
pour atteindre ce but, user de son influence dans les limites
fixées par la Constitution de l'Etat, il le peut bien plus facile-
ment et bien plus efficacement avant que la loi ne soit définiti-
vement votée.
3" Il est certes permis, pour ne rien dire de plus, il est per-
mis de faire d'un obstacle un moyen, de transformer une atta-
que en ressource précieuse, d'accepter lo^^alement, ouvertement,
généreusement, pour le clergé, une part dans la défense de la
patrie, à l'heure oii la nation tout entière se lèvera pour mar-
cher à l'ennemi, et de demander que cette part soit vraiment
utile à l'armée et à la France, sans faire sortir le clergé de sa
grande mission de paix et de charité. Or, s'il n'y a aucun avan-
tage à unir quelques milliers de séminaristes à des millions de
soldats, il est évidemment d'une utilité suprême que ces raillions
do soldats, datj les eflroyables guerres qui s'annoncent, reçoi-
vent les soins auxquels ils ont droit, quand ils tomberont sur les
champs de bataille. Il est certes permis, pour ne rien dire de
plus, il est permis de dire aux représentants de la France :
Nous voulons notre part des périls et des sacrifices, nous vou-
lons marcher au premier rang pour la défense de notre pays;
mais pour que notre dévouement soit utile, il faut que nous
restions dans notre mission de charité. Nous en appelons à l'in-
térêt évident de l'armée, à l'intérêt de tous les combattants, de
toutes les familles; nous en appelons à votre justice et à votre
patriotisme.
On a dit encore : c II n'est pas besoin de loi pour que les
prêtres se dévouent sur les champs de bataille au soin des bles-
sés. Le clergé accomplira partout ce devoir, ce sont là ses tra-
ditions. » J'en demande bien pardon à ceux qui parlent ainsi,
ils sont dans une erreur complète. Personne ne rend plus que
moi hommage à l'admirable dévouement du clergé français ;
mais il est absolument inexact qu'en 1870, pour ne parler que
de la dernière guerre, le clergé ait été libre, malgré tout son
dévouement, de donner des soins aux blessés sur les champs de
bataille. Les ecclésiastiques qui ont pu suivre à ce point de vue
l'exécution db la nouvelle loi militaire 121
les inspirations de leur charité sont rares et dans certaines
régions oii se sont livrées des batailles nombreuses et meur-
trières, on pourrait facilement les compter (1). Quoi qu'il en soit
du passé, il y a en ce moment, et il y aura dans la guerre future,
je l'ai déjà démontré ailleurs, des difficultés insurmontables. Un
décret i^ortant règlement sur le service de santé' des arme'es en
campagne, promulgué le 25 août 1884, a réservé absolument
aux chirurgiens, brancardiers et infirmiers appartenant à l'ar-
mée le service de Vavant, c'est-à-dire le service du champ de
bataille, des postes de secours et des ambulances qui sont en
contact avec les combattants, des hôpitaux de campagne et des
hôpitaux d'évacuation. Le même décret a écarté la Société de
la Croix-Rouge du service de Vavant et a appuyé ces décisions
sur la nécessité de l'ordre et de la discipline en face de l'en-
nemi, et dans des armées qui compteront des millions d'hommes.
Il est donc absolument certain qu'on n'acceptera pour le service
de Vavant dans lequel (je l'ai établi jusqu'à l'évidence dans ma
brochure, les brancardiers et les infirmiers seront d'une insuffi-
sance lamentable, on n'acceptera que des infirmiers et des bran-
cardiers enrôlés, disciplinés, soumis à l'autorité et aux règle-
ments militaires.
J'ai le regret de le dire : ici encore, dans les questions les
plus graves qui puissent préoccuper les catholiques, dans des
questions qui touchent aux vocations ecclésiastiques, au recru-
tement du clergé et à l'existence de la religion en France, en
présence de l'expérience, en présence de faits indiscutables et
des textes les plus clairs, on répond par des illusions et par des
rêves. Et pourtant, ce n'est pas par des illusions et par des
rêves, quelque généreux qu'ils puissent être, qu'on développe
l'influence et le prestige du clergé, qu'on soigne les blessés,
qu'on guérit les corps, qu'on sauve les âmes et qu'on sert son
pays.
Enfin, il y a en faveur de mon projet la plus haute autorité :
(1) J'excepte les Frères des Ecoles chrétiennes qui ont été acceptés
à titre de brancardiers pendant le siège de Paris et qui d'ailleurs n'ap-
partiennent pas au clergé. L'exemple donné alors par les Frères des
Ecoles chrétiennes est à lui seul toute une démonstration. Ces vail-
lants Religieux ont ainsi évité d'être obligés au rôle de combattants,
ils ont excité la reconnaissance et l'admiration de tous, détruit bien
des préjugés, sauvé des corps et des âmes, démontré l'union intime
de la religion et du patriotisme et acquis à leur institut un grand
prestige. De pareils résultats valent bien quelques sacrifices.
122 AKNAXXI CATHOLIQUES
un texte du droit ecclésiastique, une décision donnée par an
grand papo qui a été nu des organisateurs de la discipline ecclé-
siastique. Un autre grand pape, un des souverains pontifes qui
ont combattu avec le plus d'énergie et de vaillance les empié-
tements des empereurs d'Allemagne, a inséré cette décision ou
ce décret dans le Corps du Droit- Canon, comme une loi cféné-
rale de l'E^'lise, pour servir de régie au clergé de l'univers
entier. Or ce décret et les commentaires qu'en ont donnés les
grands canonistes ne sont pas seulement indiscutables, ils sont
plas que décisifs.
Cette autorité, j'aurais pu l'invoquer dès le premier jour; elle
m'a été d'ailleurs signalée, avec la reproduction des textes,
dans une lettre que m'a adressée un évêque de France qui a
donné des preuves exceptionnelles de sa haute science tliéolo-
gique et qui en donnei"a d'autres preuves encore. Je n'ai pas
invoqué ces textes, je n'ai pas publié cotte lettre, quoii^u'elle
fût destinée à la publicité. Je me borne encore en ce moment
à cette simple déclaration. Ceux qui veulent comprendre com-
prendront facilement les motifs de la réserva que je m'impose.
A suivre) Mgr Turinaz.
L'INQUISITION
SON ORIGINE SES DIFFÉRENTES FORMBS DANS LES ÉTATS
DK l'bUROPE — SES RÉSULTATS
I
< L'Inquisition est un tribunal établi autrefois dans quelques
pajs de la chrétienté par le concours de l'autorité ecclésiastique
et de l'autorité civile pour la recherche et la répression des
actes qui tendent au renversement de la religion » (1).
Le P. Monaabré donne une définition analogue « En trois
mots, ajoute-t-il, c'est un tribunal de légitime surveillance
pour démasquer les ruses d'un ennemi qui conspirait contre le
bien public, un tribunal de haute protection pour la société
menacée et pour les innocents faussement accusés ; un tribunal
d'équité et d'indulgence pour les coupables » (2j. M. Littré ne
parle pas autrement que le P. Lacordaire et le P. Monsabré :
€ C'est, dit-il, une juridiction ecclésiastique érigée parleSaint-
(1) P. Lacordaire, Vie de saint Dominique^ p. 105.
(2) P. Monsabré , conférence sur l'Inquisition, Année Domini-
caine 1882.
l'inquisitiox 123
Sièo-e pour rechercher et extirper les hérétiques, les Juifs et
les infidèles » (1).
Cette juridiction l'Eglise l'a exercée dès sa fondation.
Dès son berceau, elle eut des tribunaux en matière de foi,
qui infligèrent des peines aux hérétiques. L'hérétique était
banni de la communauté des fidèles et frappé d'excommunica-
tion (2), sans qu'on poussât plus loin la sévérité canonique à son
égard.
Avec l'avènement de Constantin au trône des Césars an
IV* siècle, s'ouvre une ère nouvelle. Une alliance s'opère entre
les deux pouvoirs, et l'Etat reçoit des attributions ecclésiasti-
ques. L'empereur en sa qualité cCêvêque du dehors (3) se croit
obligé d'édicter des lois pénales contre les hérétiques ; les codes
de Thèodose et de Justinien en contiennent un grand nombre.
Deux raisons justifiaient à ses yeux ces rigueurs contre l'hérésie,
comme premier fils de l'Eglise, il devait la protéger contre ses
ennemis déclarés; comme Chef de l'Etat, il devait garantir
l'ordre et la tranquillité pnblique troublés par les discordes
religieuses (4). « C'est, dit le P. Lacordaire, une maxime uni-
verselle de ce temps que la religion étant le premier bien des
peuples, les peuples ont le droit de la placer sous la même pro-
tection que les biens, la vie et l'honneur des citoyens » (5).
C'est de ce principe que naîtra l'Inquisition.
Jusqu'à la fin du douzième siècle, les attentats religieux
furent poursuivis et jugés par les magistrats ordinaires. L'Eglise
frappait une doctrine d'anathéme ; ceux qui la propagaient
opiniâtrement dans des assemblées publiques et secrètes, au
moven d'écrits ou de prédications étaient recherchés et con-
damnés par les tribunaux de droit commun. L'autorité ecclê:?ias-
tique n'intervenait quelquefois dans la procédure que par voie
de plainte (6). L'exil, puis bientôt la peine de mort furent infli-
gés aux hérétiques (7). Alors se développa, à côté de ce fait
(1) Dictionnaire, article Inquisition.
(2) Saint Paul, épit. à Tite^ ch. 3.
(3) E-ÎT/.o::o? -wv i;a), episcopus ad extra.
(4) Mgr Héfele, Ximènes et 1'Églis.e d'Espac/ne, eh xxal. Paria 1856.
(5) P. Lacordaire, Vie de saint Dominique, p. 109.
(6) Voir l'histoire de Paul de Samoaate, où l'emperenr Aurêlien
fait exécuter la sentence dn Concile d'Antioche à la requête des
évêques et du Pape saint Félix II.
(7) Riffel, Verhœltuiss Von Kircke and Haut, Maing 1836. Sehrakh
K. G. Thl. 18. S 10, Thh. I. s, 656 ff.
124 ANNALES CATHOLIQUES
social de la répression des hérétiques, un élément d'origine toute
chrétienne : l'élément de douceur envers les criminels d'idées.
Saint Martin de Tours (383), saint Ambroise, le pape Sirice, se
prononcent ouvertement contre l'effusion du sang. « Le propre
d'une religion d'amour, s'écriait saint Athanase, est de persua-
der, non de contraindre » (1). Saint Hilaire de Poitiers (2), saint
Léon, saint Augustin (408) (3) repoussent énergiquement la
peine de mort, mais non la répression disciplinaire . Ce fut
cette doctrine que l'on accepta peu à peu et qui servit de base
à la législation contre les hérétiques. Sous Théodose IletValen-
tinien III le crime d'hérésie est considéré comme un crime
d'Etat, attentatoire à l'ordre et à la morale publique, il entraîne
l'exclusion des emplois honorifiques, la privation du droit de
succession et la perte d'autres avantages civils, mais il n'est
jamais puni de mort (4).
En 385, Maxime fit trancher la tête à Trêves aux principaux
chefs de la secte des Priscillianistes qui se livraient à des actes
infâmes. C'est le premier cas de l'application de la peine capitale.
Le droit accordé aux papes à partir du 18 juillet 754, date de
la déposition de Childéric III, de délier les sujets du serment de
fidélité, et l'opinion que l'excommunication produisait par elle-
même tous les effets sensibles attachés à l'infamie, et d'autres
maximes analogues, en grande faveur à cette époque, formèrent
un corps de doctrine qui préparait peu à peu les esprits à rece-
voir l'Inquisition.
C'est à partir de ce moment que l'union de l'Eglise et de
l'Etat se resserre encore. Une idée tend à dominer : c'est celle
dont Grégoire VII, au xi" siècle, se fait le champion ; réunir
tous les peuples d'Occident en une vaste alliance théocratique,
dont le Pape, au nom de Dieu, serait le protecteur, et qui
n'aurait d'autres membres que les seuls enfants de l'Eglise.
L'hérétique devient alors un criminel de lèse-majesté, et la
législation civile le menace toujours de mort (5). L'enseigne-
ment de la plupart des théologiens de cette époque, en particu-
lier de saint Thomas, s'accorde avec cette législation \Q).
(1) Saint Athanase lettre aux solitaires.
(2) Contre Auxence.
(3) Contre Tépitre du Fondement.
(4) Riffel, Yerhœltuiss Von Kircke and IJaat, Maing 1836. Schrakh
K. G. Thh. 18. % 10, Thl. I. s. 656 iî.
(5) Voir le Miroir de Souabe (Schwaben Spiegel).
(6) Secunda IW qufest. II, art. 3.
l'inquisition 125
D'autres théologiens cependant, à la tête desquels se trouve
saint Bernard, s'élèvent à l'exemple des anciens Pères contre
cette peine infligée à l'hérésie (1). La phrase de saint Augustin :
« nous désirons qu'ils soient corrigés, mais non mis à mort ;
qu'on ne néglige pas à leur égard une répression disciplinaire,
mais aussi qu'on ne les livre pas aux supplices qu'ils ont mé-
rités » (2) avait eu le temps de mûrir. Aussi le Saint-Siège,
après six cents ans de tâtonnements, put-il réaliser ce tribunal
de juste-milieu qui lui permettait de n'abandonner ses justi-
ciables au bras de la justice humaine qu'à la dernière extrémité.
ce tribunal c'est l'Inquisition.
II
Le 19 mai 1163, le concile de Tours présidé par le pape
Alexandre III, traitait dans le canon IV la question des héré-
tiques Albigeois qui préoccupait vivement les esprits (3). Il re-
connaît d'abord la nécessité et l'obligation de les frapper par des
peines temporelles, et demanda aux princes, non seulement de
surveiller leurs conciliabules, mais encore d'emprisonner ceux
des hérétiques notoires qui seraient découverts, et même de les
punir par la confiscation des biens. Seize ans après, en 1179, le
concile général de Latran alla plus loin ; il édicta dans le
27« canon que les princes étaient en droit de soumettre les héré-
tiques à la servitude ; il promit même des avantages spirituels
à tous ceux qui les combattraient par les armes. Le 4 no-
vembre 1183, Lucius III, d'accord avec Frédéric Barberousse,
promulguait à Vérone le décret qui demandait non seulement la
condamnation, mais la recherche [inquirere, d'où inqîiisHion)
de l'hérétique. L'évêque était tenu tous les ans de visiter par
lui-même ou par son grand vicaire les paroisses dans lesquelles,
d'après le bruit public, pouvait se trouver quelque hérétique (4).
Trois personnes de l'endroit ou du voisinage, jouissant d'une
bonne réputation, étaient invitées à prêter serment : on les in-
terrogeait sur les hérétiques, on prononçait ensuite. Les offi-
ciers de l'autorité civile, sous peine de perdre leur dignité,
(1) Hurler, Vie d'Innocent III, t. II, p. 245.
(2) CXXVIe lettre.
(3) On constate la même préoccupation dans les conciles antérieurs,
Toulouse présidé par Calixte II (1119), Latran (1139), Reims âl48),
Montpellier (1162).
(4) M. l'abbé Douais. Les sources de l'histoire de l'Inquisition dans
le midi de la France aux xiiP et \i\« siècles. Paris, Palmé, 1881.
126 ANNALES CATHOLIQUES
s'engageaient à observer le décret de Vérone. Ce décret en at-
tendant qu'il passât dans le droit (1) fut promulgué sans retard
dans les diocèses de Tarragone, de Barcelone, de Gironne, de
Vie et d'Elne^ arec lesquels la Septimanie entretenait de nom-
breuses et amicales relations (2j. L'Inquisition était fondée (3).
Sous Innocent III, en 1198, Gui et Rainier furent envoyés
oommelégats dans les provinces d'Aix, de Vienne, d'Embrun, de
Lyon et de Narbonne, d'autres légats furent eavoyés à Vérone,
à Milan, à Trévise, dans les Dalmaties et la Hongrie, pour aider
les évêques à chasser les hérétiques, à oooifisquer leurs biens, à
adresser un appel au bras séculier. En 1903, Pierre de Cas-
telnau, Rodolphe et Arnaud, moines de Cîteaux, reçurent une
mission spéciale pour le pays Toulousain, dans lequel la com-
plicité des barons avec les hérétiques était évidente et la faiblesse
de quelques évêques approchait du scandale (4). En 1209, saint
Dominique leur fut adjoint.
Malgré le zèle des légats inquisiteurs et des évêques, l'Inquisi-
tion n'obtenait pas de résultats appréciables. Les juges séculiers
étaient plus occupés de soustraire les prévenus pour lesquels ils
avaient des sympathies de parenté et d'opinion, qu'à tenir
compte des décisions pontificales d'Innocent III, d'Honorius III,
des décrets des conciles d'Avignon (6 sept. 1209j, de Montpellier
(8 janvier 1215>, du concile général de Latran (mai-nov. 1215);
ils ignoraient complètement le crime d'hérésie. Innocent III ne
fut jamais soutenu par le roi de France Philippe II, auquel il
avait écrit pour recommander ses légats ni par son fils Louis,
ni par les comtes, vicomtes et barons du royaume, notamment
les comtes de Toulouse, de Foix, de Bézier», de Comminges et
de Carcassonne, les évêques eux-mêmes les accueillaient avec
une extrême défiance. E.n outre la guerre contre les Albigeois
avait transformé la répress^ion des hérétiques en une guerre de
religion et fait des légats, non des Inquisiteurs, mais des chefs
de croisade. Ce ne fat qu'à la fin de cette croisade, après l'inter-
vention victofie.H;se de Jacques d'Ai'agon et deLonis VIII en 1226^
(1) Décret. Grég. L. V, titul. Vil, cap. iv.
(2) Le concile de Véço,%e ne ftxa poiat lechâtiaienfequi serait infligé
aux hérétiques. Mais l'empereur édicta contre eux la peine du ban
impérial, qui comprenait l'exil, la coafiacatioo, des biejas, la démoli-
tion des biens des condamnés^ l'iiofamie» Vincapacité d'exercé» des
fonctions publiques.
(3) Fleury, Hist. EccL h. 73, n. 5.4.
(4) Dom. Vaissette, Hist du Languedoc, t. III, p. 12G.
l'église et la qusstion sociale 127
que le pape Grégoire IX, qui avait succédé le 18 mars 1227 à
Honorius III, pensa rétablir la paix euiordonnant à son légat, le
cardinal Romain de Saint-A.nge, de convoquer un concile à
Toulouse en 1229. Ce concile édicta 45 canons dont 15 tendant
à rendre définitif et régulier le tribunal de l'Inquisition qui resta
confié aux évêques.
Ij' Inquisition épiscopaîe ne tarda pas à être absorbée en 1233
par y Inquisition Dominicaine et franciscaine. Par un bref en
date du 20 octobre 1248, adressé à saint Raymond de Pennafort,
Innocent IV confia l'Inquisition aux seuls Dominicains ; c'est à
partir de cette époque que l'inquisition put se répandre dans la
plupart des contrées de l'Europe. L'esprit public était préparé à
l'accueillir.
[A suivre.) Abbé M. . .
L'EGLISE ET LA QUESTION SOCIALE
Nous reproduisions, il y a quelques jours, l'admirable lettre
de Mgr Kopp à son clergé, et nous l'invoquions comme une
preuve nouvelle de la sollicitude de l'Eglise pour les misères
du peuple.
Aujourd'hui c'est la voix d'un prélat espagnol que nous ferons
entendre. Le Movimiento catolico nous apporte un Discours
de Mgr l'archevêque de Madrid, prononcé le 23 de ce mois, à
l'occasion de l'inauguration des conférences d'un Cercle ouvrier.
Ce discours, très pratique et très « moderne », pour employer
un mot dont nos adversaires se croient le privilège, combat tout
particulièrement les empiétements de l'Etat sur les libertés
individuelles et les initiatives privées, par la mise en action
d'un socialisme plus ou moins conscient.
Il est profondément déplorable, — dit le zélé prélat — que l'Etat
moderne, au lieu de conserver son autorité et son prestige pour les
faire servir à repousser l'invasion du socialisme, ail fourni 1 celui-
ci de nouveaux moyens de faire réussir ses plans de désordre
et d'anarchie. « Si l'Etat, dit le patriarche du socialisme contem-
porain, Karl Marx s'est imaginé qu'il avait le droit de dépouiller
l'Eglise et la Commune de leurs biens, comment s'y prendra-t-on
pour repousser la théorie de notre école qui consiste à proclamer
l'Etat unique propriétaire du sol? Serait-ce parce que la propriété
collective est moins sacrée et moins légitime que la propriété privée ?
Quelle raison sérieuse et fondamentale peut-on invoquer pour pro-
128 ANNALES CATHOLIQUES
clamer inviolable le droit de propriété de l'individu, alors que l'on
dépouille de ce caractère de haute justice le droit de la communauté ?
On peut juger, par cette seule citation, que la question est
bien. posée, et que l'orateur va au fond des choses.
Il y a dans ce discours plusieurs autres passages très vivants,
tout à fait actuels, aussi bons à entendre à Bruxelles qu'à
Madrid, que nous voudrions traduire si l'espace ne nous
manquait.
Qu'il nous soit permis, cependant de citer la conclusion :
Il est absolument indispensable que Ton baptise l'industrie
moderne qui, tombée dans la barbarie du paganisme antique, a
perdu tout sentiment d'humanité, et pénétrée des influences matéria-
listes, compte pour rien ou à peu près la conservation et la dignité
de l'ouvrier, quand il s'agit d'accumuler en peu de temps des capi-
taux considérables, incompatibles avec l'honnête subsistance des
classes laborieuses. 11 faut protéger celles-ci, leur rendre la liberté et
la foi chrétienne que leur a enlevées la Révolution athée, et organiser
à nouveau les anciennes associations, afin que l'ouvrier et l'artisam
voient succéder à la faiblesse de l'individualisme la force morale, le
prestige, les ressources matérielles et l'appui qu'assurait auparavant
la corporation professionnelle pénétrée de l'esprit catholique. Il est
bien entendu que l'on introduira dans les règlements de celle-ci les
modifications que conseillent le progrès des arts industriels et des
sciences expérimentales, en môme temps que les conditions spéciales
de notre temps.
Et comme je vois. Messieurs, que l'organisme de ce Patronage do
jeunes artisans est basé sur des principes éminemment chrétiens, et
aspire à réaliser les fins très élevées que l'Eglise s'est proposées en
créant les corporations ouvrières, je ne puis qu'approuver et bénir
votre œuvre, vous exhorter vivement à la continuer en lui donnant
chaque jour une vie plus active et une grande expansion, vous offrir
mon appui et ma protection. J'ai la douce espérance qu'au moyen de
l'économie sociale chrétienne bien connue de vous et toujours mieux
appliquée, on arrivera un jour à opérer la restauration morale de la
société en améliorant la situation actuelle des classes ouvrières dans
l'intérêt de la vie normale de l'industrie, du progrès légitime des
arts, de l'organisation chrétienne do la famille et de la société civile
elle-même.
On le voit, dans l'Espagne catholique, et notamment dans sa
populeuse capitale, les questions d'économie sociale intéressant
le plus directement les classes laborieuses, sont à l'ordre du
jour des préoccupations les plus pressantes des catholiques et là
LA PLÉIADE DES GRANDS HOMMES DU SIECLE 129
comme ailleurs le clergé et ses chefs sont à la tête du mou-
vement.
Cette activité, opposée à l'indifférence que les partis libéraux
affectent partout vis-à-vis de la question sociale, finira par
ouvrir les yeux aux ouvriers. Le jour n'est pas éloigné où ceux-
ci, trop longtemps abusés, reconnaîtront que l'Eglise seule veut
et peut améliorer leur sort.
LA PLEIADE DES GRANDS HOMMES DU SIECLE
L'histoire du xix* siècle porte une empreinte que nous cher-
cherions vainement dans celle des siècles antérieurs. Notre
siècle, introduit par la Révolution française, nous montre le
spectacle de quatre hommes d'Etat marquants, se succédant
sans interruption et exerçant une influence prépondérante sur
l'Europe tout entière, et usant en vain leurs forces à combattre
et à tenter de réduire à l'impuissance l'esprit de la Révolution,
En tête de cette série se trouve Napoléon I", qui, par une
incroyable énergie, dompta la force sauvage de la Révolution,
et qui, ensuite, avec une habileté rare et un instinct remar-
quable, sut rendre au peuple français, par le Code et le Concor-
dat de 1802, une base juridique et religieuse appropriée aux
conditions de la situation.
Mais si, d'une part, il a donné dans son Code une part trop
large aux idées de 89, il a, d'autre part, introduit dans notre
siècle les pernicieux principes du césarisme. Ils se manifestent
dans sa soif d'une domination universelle, dans l'annihilation
par les articles organiques des concessions faites à l'Eglise dans
le Concordat et enfin dans la suprême audace qui lui permit de
porter la main sur le Saint-Père.
C'étaient des fautes, c'étaient des crimes.
Il attira sur sa tête la colère de Dieu, il provoqua la grande
coalition, il rendit inéluctable son exil à Sainte-Hélène.
Il laissa derrière lui une France épuisée, mais une France
agitée, désireuse de profiter de chaque prétexte pour se donner
un nouveau gouvernement et une nouvelle forme de gouver-
nement.
Avec l'étoile pâlissante de Napoléon P»" se lève, dans la per-
sonne du prince Metternich, le nouvel homme, dans les mains
duquel reposèrent, pendant trente-cinq ans, les destinées de
l'Europe.
10
130 AHKKLBS CATHOI/IQ<VEfi
Son ijuitiative énergique avait fait naître la coalition ; son
conseil éclairé la fit réussir et son esprit brillant domina le Con-
grès de Vienne. La qlarté de ses v^uee, l'esprit de justice si
développé en lui «t la ténacité avec laquelle il combattait la
révolution partout oii elle soulevait sa tête, expliquent suffis
samment pourquoi -»- abstraction faite de quelques cas isolés —
son influence restait décisive sur tous les hommes d'Etat qui se
succédaient dans les autres pays. C'est à lui que l'Europe,
épuisée par les guerres napoléoniennes, est redevable d'avoir
pu, par de longues années de paix, regagner de nouvelles forces
et aboutir à une ère de prospérité inconnue à tous les siècles
antérieurs.
Mais jamais Metternich ne eut gagner sur les affaires inté-
rieures de sa patrie cette influence qu'il possédait sur la poli^
tique étrangère.
Use heurta contre les idéep traditionnelles de son empereur,
contre la lotirdeur et l'inertie de la bureaucratie et aussi contre
la modestie joséphiste des prélats autrichiens, ce qui explique
l'insuccès de ses projets pour la réorganisation des affaires reli-
gieuses en Allemagne, projets qui dataient déjà du. Congrès de
Vienne, et l'abandon de la Réforme des Universités, tentée
quelques années plus tard.
C'est ainsi que la vérité resta entourée d'entraves, tandis que
les idées révolutionnaires purent librement se propager parmi
la jeunesse des écoles. L'année 1848 trouva à Vienne les élé-
ments tout, préparés pour arrachera un Empereur aussi faible
que Ferdinand le renvoi d'un homme d'Etat du mérite du
prince de Metternich.
Et dans cette même année 1848 on voit se lever à l'horizon de
Paris l'étoile du troisième homme du siècle : Napoléon Ilf.
Ceux qui se souviennent encore de l'élan de joie avec, lequel on
salua le mot : « l'Empire, c'est la paix »; ceux, qui ont gardé le
souvenir du tribut d'hommages que l'Europe entière lui rendit
après l'heureuse issue de la guerre de Crimée, ceux-là ne con-
testeront pas que l'influence de l'Empereur s'étendait loin au
delà des limites de la France, et qu'on peut en plein droit voir
en lui le successeur de son oncle et du prince de Metternich,
Mais il échoua devant l'accomplissement de sa plus grande
tâche, tâche dont il semblait avoir eu pleine conscience dans les
commencements de son règne. Supprimer ou même réprimer la
Révolution fut au-dessus de ses forces. Les bombes d'Orsini
LA SITUATION DES JÉSUITES EN ALLEMAGNE 131
rappelèrent à sa mémoire, d'une façon assez désagréable, qu'il
avait lui-même fait parti de la ligue révolutionnaire. Depuis cet
attentat il s'épuise en mesquines mes»res policières de sûreté
et en mécliantes chicanes contre le gouvernement pontifical.
Une seule de ses tentatives de relever son prestige par des
exploits guerriers, est couronnée de succès. La dernière tentative
de ce genre le conduit à Sedan, Wiliielrnshoehe et Chislehurst.
(A suivre.)
LA SITUATION DES JESUITES EN ALLEMAGNE (1)
Une ère nouvelle a commencé en Allemagne. Celui qui a fait
le Kulturkampf a pris sa retraite, et las> feuilles publiques
assurent que le jeune empereur a déclaré être hostile à toutes
les lois d'exception.
II n'est donc pas interdit de croire que l'heure d'une juste
réparation va sonner, en ce qui concerne spécialement la Com-
pagDie de Jésus et plusieurs autres ordres religieux, que la
haine sectaire a impliqués dans la chute des pères jésuites.
Le 17 mai 1872, le Reichstag allemand adoptait par 181 voix
contre 93 une loi ainsi conçue :
Art. 1. — L'ord'Fô de la CojapagBiie de Jésus et toutes les congré-
gations qui ont une affinité avec, cet ordre sont exclus du territoire
de Tempa-e allexn?.ad.
Tout établissement leur est interdit et les établissements existants
devront être fermés dans un délai à fixer par le Conseil fédéral, et
qui ne devrait pas dépasser six mois.
Art. 2. — Les membres de la Compagnie de Jésus et des autres
ordres, visés par la préseoite loi, poxirpoût être expulsés s'ils sont
étrangers; ceux qui ont l'iadigénat allemand peuvent être expulsés
ou internés dans des lieux dét&rmLnés. »
Cette inique loi fut promulguée ie 4 juillet 1872. Peu de
temps aprè5,des centaines de jésuites appartenant aux familles
les plus considérées de l'Allemagne, même à des familles ayant
le rang de familles souveraines, étaient expulsés de leur patrie,
sans avoii? été entendus ou ju-gêsl En même temps» le^ fiorissaat
et réputé collège de Saint-Clément de Metz, ainsi que les mai-
sous de la Compagnie de Jésus à Strasbourg et à, Isenhedm,
furent fermés.
(1) FJxtrait de Y Univers.
132 ANNALK8 CATHOLIQUES
Les autres ordres impliqués dans la persécution eurent le
même sort. Nous en parlerons ultérieurement; aujourd'hui
nous nous attachons spécialement à parler de la situation faite
à la Compagnie de Jésus.
Tout d'abord il convient de rappeler de quelle façon l'opinion
publique en Allemagne a été travaillée, en rue de la préparera
l'attentat médité contre la Compagnie.
Le premier coup partit de Munich. Les vieux-catholiques —
les ouailles à la tête desquelles on devait mettre bientôt un
Reinkens, un Friedrich — s'étaient réunis en congrès général
à Munich. Ils y votèrent une résolution où il était dit :
Nous sommes persuadés que la paix entre l'Etat et l'Eglise est
impossible tant qu'où ne mettra pas fia à l'action dissolvante et à la
morale corruptrice des jésuites.
Les autres batteries furent démasquées peu de temps après.
Un grand meeting protestant fut convoqué à Darmstadt par le
fameux Bluntschli, Suisse naturalisé Prussien, et grand chef
de toutes les loges allemandes. Il serait trop long de faire le
portrait de ce « légiste » suisso-prussien, il suffit de dire que
l'homme était digne de l'œuvre. Sur sa proposition, le meeting
vota, le 4 octobre 1871, une résolution demandant à l'empire
« de défendre à la Compagnie de Jésus et aux autres ordres
« affiliés » toute action dans l'Eglise et à l'école. »
Entre temps, les loges tinrent des conciliabules, et le 8 octo-
bre 1871 Bluntschli envoya une circulaire secrète, invitant les
« frères et amis » à organiser dans toute l'Allemagne une vio-
lente agitation contre la Compagnie de Jésus. Le triste person-
nage y disait :
L'agitation devra être mise en train par la distribution d'une bro-
chure intitulée : Contre les Jésuites et contenant le compte rendu
du meeting de Darmstadt. La distribution devra se faire sur la plus
vaste échelle. En agissant ainsi, nous visons un double but : la bro-
chure devra d'abord servir à créer un courant hostile d'opinion con-
tre les jésuites et puis nous fournir des moyens pécuniaires. En ven-
dant la brochure au prix de cinq gros (60 centimes), nous nous pro-
curerons l'argent nécessaire pour combattre les jésuites de l'Eglise
catholique et aussi ceux qui méritent ce nom dans l'Eglise protes-
tante.
L'odieuse campagne eut du succès. Bluntschli donna en outre
le mot d'ordre d'organiser un vaste pétitionnement contre la
Compagnie de Jésus.
LA SITUATION DES JESUITES EN ALLEMAGNE 133
Toutes ces pétitions, signées par des francs-maçons, des pro-
testants notoirement athées, des juifs et des vieux-catholiques,
disaient que les peuples allemands voulaient se réunir, dans le
nouvel empire, en une grande et libre nation de frères, mais
cette noble tâche était rendue impossible par un ennemi puis-
sant — la Compagnie de Jésus — qui, sous la protection des
lois, poursuivait un but diamétralement opposé et qui avait jeté
ses filets sur toute l'Allemagne pour en faire le centre de son
action néfaste.
Il y était dit encore que les principes et les tendances de la
Compagnie de Jésus étaient particulièrement dangereux pour
l'Allemagne, et que l'Etat et la civilisation en subissaient les
plus graves préjudices.
Finalement, on y disait que les doctrines des jésuites étaient
ouvertement prêchées dans toute l'Allemagne et que la Compa-
gnie disposait de puissants moyens pour la réalisation de ses
desseins.
De nombreux jésuites — disait uno do ces pétitions — parcourent
l'Allemagne et notamment la Prusse, où ils déploient une activité
prodigieuse, en chaire, au confessional, par leurs missions populaires,
leurs exercices spirituels et les innombrables congrégations dans les-
quelles ils ont enrôlé des individus de tout âge et de toutes les clas-
ses de la société. Ils ont accaparé une grande influence religieuse,
qu'ils exercent surtout sur les femmes. Ils disposent en même temps
de colossales ressources pécuniaires qui augmentent encore leur
force. Presque dans tous les diocèses ils sont parvenus à exercer une
influence dans l'éducation du clergé, de sorte que toute la vie reli-
gieuse des catholiques allemands est infectée de l'esprit des jésuites.
Si la législation de l'empire permet la libre formation d'association,
elle ne saurait néanmoins tolérer une Compagnie dont les tendances
sapent la base et les conditions vitales du nouvel empire allemand.
Toutes les pétitions avaient le même ton et toutes étaient le
digne écho des récriminations et abominables calomnies du sieur
Bluntschli.
Heureusement, les catholiques allemands ne restaient pas les
bras croisés. Ils organisèrent, à leur tour, des pétitionnements.
Leur presse rappelait que la Compagnie de Jésus était une con-
grégation fondée par un sainte, confirmée par les Souverains Pon-
tifes et approuvée par le Concile de Trente; congrégation qui,
conformément à la règle de son saint fondateur, avait pour but
la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes. Elle rappelait
134 ANNALES CATHOLIQUES
encore que la Compagnie de Jésus était chère et vénérable à
tous les vrais catholiques, à cause de son origine, de son appro-
bation, de sa mission et de son but.
Les pétitionnaires catholiques exposaient que toute atteinte
portée à la Compagnie de Jésus frappait profondément chaque
catholique dans sa liberté civile et religieuse, et que cette atteinte
éventuelle introduisait dans la législation le principe de l'into-
lérance et portait un coup terrible à l'autonomie de rÉgliso ca-
tholique en Allemagne.
Les pétitionnaires déclaraient ne pouvoir reconnaître à per-
sonne, et surtout pas à leurs ennemis jurés, le droit de porter
un jugement sur ce qni était profitable ou nuisible aux intérêts
religieux et à la vie ecclésiastique catholique.
Ils qualifiaient d'ignorance et de calomnie le fait de vouloir
désigner la Compagnie de Jésus comme dangereuse à la paix
publique en Allemagne, et ils affirmaient que ces calomnies
émanaient d'hommes connus pour leurs délations politiques
éhontées contre tous les fidèles catholiques allemands et contre
l'Eglise elle-même.
Finalement les pétitionnaires rappelaient que les jésuites
avaient toujours respecté les lois, que leur ordre était approuvé
par l'Eglise, qu'il en faisait partie et que son existence, liée à
l'autonomie de l'Eglise, était ainsi garantie par l'article 15 de la
Constitution.
Les diverses pétitions 7)ro et contra furent remises à une com-
mission, nommée par la majorité nationale-libérale du Reichstag
et composée d'ennemis jurés de la Compagnie de Jésus. Cette
commission examina les pétitions et rédigea, à la suite de cet
examen, un rapport longuement motivé, demandant les mesures
les plus draconiennes contre tous les ordres et congrégations,
sous prétexte de maintenir la paix religieuse et de garantir les
droits de l'État contre les empiétements du pouvoir ecclésiastique.
A la suite de ce rapport, le projet de loi fat élaboré et pré-
senté au Reichstag allemand. Entre temps, le prince de Bis-
marck prétexta, en diplomate consommé, des raisons de santé,
pour obtenir un congé, de sorte que durant la discussion du
projet de loi, il se trouvait absent, ce qui permit à son histo-
riographe Louis Hahn d'affirmer, dans la Vie du prio^ce de
Bistnarck, que les débats sur les pétitions et sur la loi contre
les Jésuites avaient eu lieu sans que le chancelier allemand y
eût pris part personnellement.
LA SITUATION DES JÉSUITES EN ALLEMAGNE 135
Le soin de M. de Bismarck de se tenir à l'écart prouve qu'il
sentait tout l'odieux d'une pareille loi d'exception.
Le 14 mai 1872, le ministre Friedberg, un juif converti au
luthéranisme, prit, en sa qualité de représentant du conseil
fédéral allemand, la parole au Reichstag allemand, pour recom-
mander le vote du projet de loi,
Le néo-protestant fit alors, au nom du gouvernement allemand,
la déclaration suivante :
Les gouvernements confédérés vous invitent à voter le pi'ojet de
loi. Leur conduite est dictée par les raisons suivantes:
L'action de la Compagnie de Jésus constitue, dans chacun de ses
membres un danger pour l'empire et une menace pour la paix inté-
rieure de l'Allemagne. Nous avons donc été forcés de chercher les
voies et les moyens pour montrera ces brouillons que nous comptons
dorénavant, basés sur notre droit de domicile, empêcher toute
atteinte à la paix de leur part. Nous avons donc jugé que l'on ne
saurait faire respecter notre bon droit qu'en privant les membres de
la Compagnie de Jésus du droit de s'établir et de circuler dans l'empire
allemand, droit appartenant à tous les citoyens allemands.
Par conséquent, le projet de loi vous demande l'autorisation de
pouvoir expulser tout jésuite de partout où il pourrait porter atteinte
à la paix intérieure de l'empire.
« Nous ne nions pas que c^us vous demandons ainsi l'autorisation
« de porter une grave atteinte à la liberté des droits civils, solennel-
« lement garantis à tous les Allemands. »
Mais du moment que vous reconnaissez que la libre action de la
Compagnie de Jésus et de ses membres constitue un danger pour la
paix de l'empire, nous nous trouverons dans le cas de légitime défense
et nous pourrons recourir à ce moyen extrême.
« Les gouvernements confédérés reconnaissent explicitement que
« cette loi ne sera qu'une loi provisoire de défense imposée par la
« nécessité et le cas de légitime défense (ein provisorisches Nothgesetz
« im Stande der Nothwehr.)
A la seconde lecture, le fameux professeur Gneist, s'adres-
sant au Centre, l'apostrophait en ces termes :
Nous combattons le jésuitisme comme une influencé étrangère, qui
s'exerce pernicieusement contre notre développement intellectuel et
national. Vous combattez pour la Compagnie de Jésus, parce que
vous y voyez un élément de l'Eglise catholique cher à vous toup,
parce que les jésuites ont fait faire à l'Eglise en vingt ans plus de
progrès qu'elle n'aurait pu faire sans eux en deux cents ans. Mais ne
vous avisez pas de nous parler de liberté et de droit, du moment
qu'il s'agit pour vous d'établir ladoraination des jésuites en Allemagne.
]36 ANNALES CATHOLIQUES
La harangue du vaniteux professeur engagea la majorité à
voter la loi en seconde lecture par 183 voix contre 101. A la
troisième lecture, la loi comme nous l'avons dit plus haut, fut
votée par 181 voix.
Tel est l'historique de la campagne organisée contre la Com-
pagnie de Jésus avec l'exposé des armes forgées contre elle.
Nous dirons prochainement ce qui s'en est suivi et quel est l'état
actuel de la question. (A suivre.)
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE
A MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE
INTERNATIONALE DE BRUXELLES
Nous comirien(;ons aujourd'hui la publicatioû d'une importante et
très intéressante lettre de S. Em. le cardinal Lavigerie au président
de la cooférence antiesclavagiste de Bruxelles. Cette lettre est rela-
tive aux événements récents de l'Ouganda et aux dangers dont
menacent l'Afrique les sectes musulmanes et principalement celle
des Snoussya :
Biskra (Sahara,) le 19 mars 1800.
Monsieur le Président,
Il ne se passe pas un seul jour sans que ma pensée ne se
reporte sur la Conférence de Bruxelles, et que je no fasse des
vœux pour le complet succès de ses travaux en faveur de
l'abolition de l'esclavage africain.
Retenu, perdu, pour ainsi dire, aux confins de la barbarie, je
ne cesse de méditer, de mon côté, sur les maux qui m'entourent
et que je touche, ici, prés de moi, ne serait-ce que par les récits
qui m'en sont faits, chaque jour, et par la vue des anciens
esclaves sahariens qui sont venus chercher un asile à l'ombre
de notre drapeau.
Une partie de la population de Biskra appartient, en effet, à la
race soudanienne. Au milieu des représentants de vingt races
diverses, successivement établies dans cette ancienne capitale
des Zibans, Berbères, Touaregs, Arabes, Turcs, Français, Ita-
liens, nous recevons les échos de tous les points de l'intérieur
de l'Afrique, bruits utiles à recueillir, pour en tirer des rensei-
gnements pratiques en faveur de notre pacifique croisade.
Le premier de ces enseignements, c'est que notre grand
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIR 137
danger actuel est le développement secret des associations
musulmanes fanatiques qui sont spéciales à notre Afrique.
Elles menacent, en effet, si nous ne nous unissons pas pour
leur opposer une barrière efficace, de tout envahir, de tout
détruire.
Déjà les deux tiers de notre immense continent sont atteints.
Bientôt elles auront tout.
Je crains qu'on ne puisse se rendre suffisamment compte,
même à la conférence de Bruxelles, qui a l'honneur de vous avoir
pour Président, d'une situation semblable, qu'on n'en apprécie
pas, comme il le faudrait, les éléments : et cependant tout ce
qu'elle pourra faire sans en tenir compte, sera un travail infruc-
tueux et un effort inutile.
Plusieurs fois déjà, j'ai voulu prendre la plume pour sou-
mettre à vos honorables collègues les renseignements dont je
suis certain et les réflexions qu'une telle situation m'inspire.
J'ai hésité longtemps; car dans l'état de sauté oii je suis depuis
plus d'une année, il m'a été bien difficile, jusqu'ici, de trouver
la liberté nécessaire pour un nouveau travail. Mais aujourd'hui
cet état qui s'améliore, chaque jour, et les graves nouvelles
que je viens de recevoir de mes missionnaires établis dans la
région des Grands Lacs et qui concordent avec celles de toute
l'Afrique du Nord, me déterminent à vous dire ce que je sais.
Puisse le témoignage d'un vieil évêque qui a voué sa vie
à la régénération de ce continent barbare et qui en consacre la
fin à combattre, avec vous, sous les ordres de Léon XIII et sous
la bannière S. M. le Roi Léopold II, le fléau de l'esclavage,
inspirer aux représentants de l'Europe des résolutions efficaces
et salutaires pour les intérêts de la civilisation.
Je commencerai cette Lettre par ce qui me tient le plus à
cœur, en ce moment, puisqu'il s'agit des missions dont la
création m'a été confiée par le Saint-Siège, de la vie de mes
missionnaires et de leurs néophytes, dans le royaume de
l'Ouganda, C'est, en effet, sous les auspices des représentants
de l'Europe que je veux d'abord placer l'appel que j'adresse ici
au peuple civilisé qui voudrait arborer un semblable drapeau.
J'en viendrai ensuite, dans une seconde partie, à des événe-
nements analogues à ceux des Grands Lacs, qui se préparent
dans l'ombre, sur tant d'autres points de l'Afrique.
138 AimALBS CATHOLIQUES
I
Pour apprécier exactement la portée des événements qui
s'accomplissent dans l'Ouganda et celle de l'appel que j'adresse
aux nations chrétiennes, au nom de la religion et de l'humanité,
il faut se rendre compte de l'importance de l'Ouganda lui-
même, et des faits dont il est le théâtre, depuis le commence-
ment de nos Missions, c'est-à-dire depuis douze années. C'est
ce que je vais exposer en quelques mots.
L'Ouganda est donc le plus grand empire nègre de la région
des Grands Lacs. Il compte plusieurs millions d'habitants.
11 nous était connu, depuis plus d'un demi-siècle, par les
explorations de Speke, deBurton,de Baker, et d'autres encore;
mais on peut dire que c'est Stanley qui a appelé sur lui, d'une
manière efficace, l'attention du monde, et, plus particulièrement,
du monde religieux, par le récit de son second vorage d'explo-
ration, lorsqu'après avoir retrouvé Livingstone, ce grand
homme a réalisé une nouvelle, intrépide et glorieuse entre-
prise, en traversant le continent africain. Il a commencé, en
effet, par la visite du Nyanza et de l'Ouganda qui est situé sur
ses bords, aux sources mêmes du Nil, et il l'a racontée avec le
charme d'imagination et de style qui donne tant d'intérêt à ses
ouvrages.
Il ne s'est pas contenté de nous faire connaître les détails
géographiques de son exploration, la beauté des paysages, la
richesse des bannaneries favorisées par l'abondance des pluies
et la douceur exceptionnelle du climat, due à son altitude rela-
tive, la densité des populations, l'étendue du royaume de
l'Ouganda et de ses tributaires, la puissance de son empereur
noir et son étrange cour ; il a surtout appelé l'attention sur le
côté moral et religieux de ses découvertes, sur l'intelligence
remarquable et le caractère des nègres de ces contrées, bien
supérieurs aux peuplades qu'il avait rencontrées jusque-là, sur
leur ouverture pour les idées spirituelles.
Il nous a fait assister, en particulier, à ses discussions théo-
logiques avec ce roi Mtéça dont, par un singulier contraste qui
s'explique par les contrastes mêmes du caractère de ce barbare,
Speke nous avait affirmé qu'il lui voyait égorger, en moyenne,
cinq de ses femmes, chaque jour, dans son immense sérail (1).
(1) Mtéça a eu jusqu'à onze cents femmes à la fois.
LETTRE DU CARDINA.L LAVIGERIE 139
Sans doute, Stanley avait pris trop au sérieux le penchant
manifesté par ce prince pour le chrij^tianisme. Devant les espé-
rances qu'il avait conçues de l'arracher au mahométisrae qui
l'assiégeait déjà comme une proie, il paraît presque regretter de
ne pouvoir se consacrer lui-même à une œuvre de si longue
haleine; il réclame la venue des missionnaires qui, seuls, pour-
raient s'y consacrer avec succès;
« J'avais déjà eu, dit Stanley (1), dix entretiens avec Mtéça,
et, chaque fois, j'avais saisi toutes les occasions de lui parler du
christianisme. Rien n'arrivait en ma présence que je ne le fisse
servir à mon projet : la conversion du Kabaka, non pas à un
culte particulier, mais à la doctrine chrétienne. Je lui disais
comment le Fils de Dieu s'était humilié jusqu'à revêtir la forme
humaine pour le bien de tous les hommes, des noirs aiusi que
des blancs ; comment il avait été crucifié par son méchant
peuple, qui ne l'avait pas reconnu, et comment dans son amour,
pour ses bourreaux eux-mêmes, il avait demandé à son Père da
leur pardonner, alors qu'il soufirait sur la croix. Je montrais
la différence qu'il y a entre le Christ et Mahomet, celui-ci ensei-
gnant à ses disciples que tueries païens et les infidèles est méri-
toire, Jésus disant qu'il faut aimer tous les hommes, sans en
excepter aucun; et je laissais à Mtéça de décider quel était le
plus digne. J'avais commencé à lui apprendre les dix comman-
dements, qui furent transcrits en kigannda par sou secrétaire,
sur la traduction qu'un de mes Zanzibarites, élève de la Mission
des Universités, lui en donna en très bon kissouahili...
« C'est un pas immense, vu le peu d'instants que j'ai passés
avec lui; et, bien que je ne sois pas missionnaire, après ce suc-
cès, je commence à croire que j'aurais pu le devenir. Ah ! qu'un
de ces hommes pieux, un homme intelligent et pratique, vienne
ici! Quel champ à cultiver, quelle récolte mure pour la civili-
sation ! Mtéça donnerait à un missionnaire tout ce qu'il pour^
rait désirer, des cases, des terres, des bestiaux, de l'ivoire. Du
premier jour, l'arrivant pourrait regarder comme sienne une
province tout entière...
« Pourquoi dépenser inutilement en Afrique tant de sommes
considérables, en faveur des païens qui n'ont pas l'exemple de
compatriotes devenus chrétiens avant eux? Je m'adresse à la
Missions des Universités de Zanzibar, aux Méthodistes libres de
(1) A travers le continent raystérieux. T. I, pages 188, 194, 195.
140 ANNALES CATHOLIQUES
Mombaz, aux philanthropes qui dirigent la propagande reli-
gieuse, à tous les hommes pieux de l'Angleterre, et leur dis :
« Voici l'occasion que vous cherchez, saisissez-la. Un peuple des
bords du Victoria vous appelle. Obéissez à vos généreux ins-
tincts, et je vous certifie qu'en une seule année, vous aurez
obtenu plus de conversions au christianisme que toutes les
autres Missions réunies. »
Instruits, les premiers, et gagnés par ces descriptions et ces
invitations chaleureuses, les ministres protestants de l'Angle-
terre manifestèrent aussi, les premiers, le désir de se rendre à
l'appel de leur éminent patriote, et s'y rendirent en effet.
Mais le livre de Stanley était bientôt traduit dans toutes les
langues de l'Europe, et les missionnaires catholiques ne tar-
dèrent pas à montrer la même volonté que ceux de l'Angleterre.
Léon XIII montait alors sur le trône pontifical. Reprenant la
pensée de Pie IX mourant, il voulut trouver des ouvriers évan-
géliques pour une telle œuvre. Elle était, à la vérité périlleuse,
difficile, ruineuse, en apparence. Mais la Société naissante des
Missionnaires d'Alger ne s'arrêta pas devant ces obstacles. Dix
de ses membres demandèrent à partir pour les Grands Lacs, et,
au mois de mai 1878, ils s'embarquèrent à Marseille. Ceux dont
l'Ouganda était la lointaine destination et qui avaient à leur
tête un prêtre jeune encore, mais éminent par le zèle, par l'intel-
ligence, par la vertu, par le courage, Mgr Livinhac, aujour-
d'hui Evêque de Pacando et Vicaire apostolique du Nyanza (1),
ne mirent pas moins de treize mois pour parvenir à leurs
futures missions, au milieu de dangers et de fatigues de tout
genre, ayant fait à pied le chemin qui s'étend de Bagamoyo, sur
la rive du littoral africain opposée à celle de Zanzibar, jusqu'à
Kadouma, au sud du lac Victoria.
Ils s'étaient munis, à l'avance, de cadeaux pour le prince noir.
Outre les objets qu'il demandait à tous les étrangers, comme la
poudre et les armes de guerre, les Pères en emportaient de pur
apparat. C'étaient des costumes de cérémonie, achetés à Paris
sur les marchés du Temple; des habits à la française, cousus
(1) Le Chapitre de la Société des Missionnaires d'Alger, réuni au
mois de septembre dernier, a élu pour son Supérieur Général, sous
l'autorité de Mgr l'Archevêque d'Alger, Mgr Livinhac en remplace-
ment du R. P. Deguerry, à qui son état ne permettait plus de porter
une charge qu'il avait toujours trouvée trop lourde pour ses forces,
et trop en vue pour sa modestie; mais les événements de l'Ouganda
n'ont pas encore permis à l'Evêque de Pacando de rentrer à Alger.
LETTRE DU CARDINAL L.WIGERIE 141
d'or, reste de la splendeur de nos ministres déchus et témoignage
de nos révolutions successives, que les favoris de Mtéça por-
tèrent avec plus d'orgueil que de goût, aux grands jours de
fête, sur leur peau noire toute nue.
A peine informé do l'arrivée de ces richesses d'un nouveau
genre, le roi ne se contenta pas d'ouvrir aux Missionnaires
catholiques la porte de ses Etats, il envoya des pirogues les
chercher au sud du Lac et les prendre avec leurs trésors.
C'est ainsi que commença une Mission qui devait subir tant
d'émouvantes péripéties.
Mtéça montra, dès l'abord, aux Missionnaires les mêmes dis-
positions qu'il avait montrées à Stanley. Il les berça de l'espoir
de le voir embrasser le christianisme, et établit des discussions
ou controverses publiques entre les catholiques et les protes-
tants arrivés les premiers, leur faisant entendre, en secret, à
tour de rôle, que c'était leur enseignement qu'il préférait, et se
montrant fier, aux yeux de son peuple, de s'établir ainsi arbitre
et juge entre des Européens.
Mais, au fond, nos Pères ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'ils
avaient affaire à un diplomate qui avait dans l'esprit une préoc-
cupation différente.
Mtéça pressentait déjà, avec la perspicacité particulière à sa
race, qu'il était menacé d'un nouveau péril, celui qui menaçait
l'Afrique entière.
Les Musulmans esclavagistes (car l'esclavage est au fond de
tous les maux de l'Afrique) avaient pénétré dans son royaume
avant les Missionnaires et les explorateurs européens, et il n'a-
vait pas tardé à comprendre leurs desseins pour la confisca-
tion de son royaume. D'autre part, il suivait avec anxiété le tra-
vail qui se faisait déjà, tout près de lui, parles derviches, sur le
Haut-Nil; travail encore mystérieux, qui s'est révélé, avec
les mahdistes fanatiques, d'une si terrible manière^ pour le
khédive d'Egypte et pour l'Angleterre. De l'autre, il n'était pas
rassuré davantage par l'arrivée^ chaque jour plus nombreuse,
des marchands arabes ou des métis de Zanzibar, qui, comme or
le voit aujourd'hui, étaient d'accord avec les derviches que, de-
puis, nous nommons mahdistes (1). Ce qu'il tenta donc d'abord
(l)Le nom de mahdistes est le nom générique que prenneat les dis-
ciples d'un homme qui se donne pour prophète ou guide, envoyé de
Dieu. {Mahdivent dire guide.) Les fanatiques isolés ou rangés sous
la conduite d'un chef ordinaire se nomment derviche."?, fakirs ou
khouans, selon les pays.
142 ANNALES CATHOLIQUES
c'est de tourner contre ces périls le pouvoir qu'il supposait aux
Missionnaires européens.
Lorsqu'il crut avoir suffisamment gagné leur confiance et par-
ticulièrement celle de leur chef, Mgr Livinhac, il s'ouvrit à ce
dernier de ses appréhensions et de ses vues secrètes, et lui dé-
clara qu'il voulait solliciter, pour se soustraire au joug musul-
man qu'il entrevoyait dans un prochain avenir, le protectorat
officiel de la France.
J'ignore si une semblable tentative a été faite auprès dos Mis-
sionnaires anglicans, quoique j'aie lieu de supposer que Mtéça,
sous l'empire des craintes qui le hantaient, ne négligea pas non
plus de s'adresser à eux ; mais j'ignore les termes et le résultat
de cette démarche, et je ne veux parler ici que de ce dont je suis
personnellement certain.
Mgr Livinhac avait d'une part, reçu de moi, au nom du Saint-
Siège, l'ordre exprés de ne se mêler en rien des affaires poli-
tiques de l'Intérieur africain; et, de l'autre, il comprenait sans
qu'il fût besoin de le lui expliquer davantage, que la France,
déjà engagée au dehors, et particulièrement en Afrique, sur
tant de points divers, ne pouvait accepter une charge nouvelle,
si éloignée de sa sphère d'action.
Pour ne pas blesser, cependant, par un refus ouvert, le puis-
sant monarque dont il avait de si pressantes raisons de conser-
ver la confiance, dans l'intérêt même de sa mission religieuse, il
se contenta de répondre qu'il n'était pas son maître dans de pa-
reilles circonstances, qu'il avait un chef direct résidant à Alger,
mais qu'il s'adresserait volontiers à lui pour le prier de deman-
der au gouvernement de la France la faveur que Mtéça solli-
citait. Il m'écrivit donc ; et, quelques mois après, je reçus sa
lettre qui m'arriva par la voie d'Egypte, alors encore ouverte
aux communications avec l'Afrique équatoriale. Je fis connaître,
à mon tour, au gouvernement de la République française ce que
désirait Mtéça. J'ai adopté, moi-même, il est vrai, pour mon mi-
nistère épiscopal, le principe que j'ai inculqué à mes mission-
naires : celui de s'abstenir de toute ingérence dans la politique,
surtout dans les relations entre les Etats divers.
Mais certain, d'avance, de la réponse qui me serait faite, con-
naissant la résolution arrêtée de nos gouvernants, — et la trou-
vant sage, en principe, — de ne plus accepter de responsabilités
et de territoires nouveaux, en Afrique, loin des régions où la
France se trouvait déjà établie, je ne crus pas devoir décliner
LETTRE DG CARDINAL LAVIGERIE 143
une démarche qui n'était qu'une preuve de déférence respec-
tueuse à l'égard de mon pays.
Le refus, du reste, fut formulé avecpromptitude et courtoisie,
et, à la réponse, était joint comme une marque de bienveillance,
l'envoi, au consulat français de Zanzibar, de trois cents fusils,
pour permettre au roi de se défendre contre les ennemis qu'il
redoutait.
Mais, malgré le secret conservé d'abord' sur le projet Mtéça,
ce secret avait transpiré parmi les Musulmans établis dans son
royaume, peut-être par ce fait que la correspondance de
Mgr Livinhac avait, comme je l'ai dit, été expédiée par la voie de
l'Egypte, 011 se préparait la révolte contre le khédive et surtout
contre l'influence européenne.
C'est à dater de ce moment qu'avaient commencé des persé-
cutions, ouvertes ou cachées, et des menaces qui allaient toujours
en s'accentnant, de la part des esclavagistes, à mesure que le
nombre des nègres convertis au christianisme augmentait dans
l'Ouganda. C'est, en effet, une chose remarquable que la rapidité
de cet apostolat et les conditions dans lesquelles la religion
chrétienne a fait des prosélytes parmi ces noirs. Les Musulmans
venus de l'Egypte et de Zanzibar avaient tout fait dès la pre-
mière heure, pour efirayer Mtéça sur les conséquences de la pro-
pagande des chrétiens parmi ses sujets. Ils se servirent encore,
comme d'un épouvantail, des conversions qui se multipliaient,
sous les yeux mêmes du monarque, et bientôt après, des nou-
velles d'Egypte, relativement à la Conférence de Berlin ; ils
annonçaient au roi que ses Etats allaient être envahis ou
manges, selon leur expression, par les soldats de l'Europe dont
les missionnaires n'étaient, d'après eux, que les précurseurs.
Effrayé par ces révélations prétendues, Mtéça défendit aux
Pères de sortir, désormais, de leur demeure pour instruire les
néophytes dans ses Etats. Mais la semence était déjà jetée sur
la terre fertile. J'ai parlé, d'après Stanley lui-même, de la
supériorité des Bagandas (c'est ainsi qu'on nomme, danê leur
langue, les habitants de l'Ouganda) sur les autres peuples
nègres. Ils en ont donné la preuve dans ces circonstances.
Les premiers catéchumènes que les missionnaires avaient ins
fruits et baptisés dans le secret de leur demeure, les voyant,
par suite de la défense du roi, dans l'impuissance de continuer
leur apostolat au dehors, s'étaient faits apôtres eux-mêmes.
{A suivre.)
144 ANNALES CATHOLIQUES
UN COUP D'ÉPERON
Dans le mouvement socialiste contemporain il importe de
distinguer le but à atteindre et les moyens préconisés pour 3'
arriver.
Le but est double. L'un apparent, affiché, — le miel qui attire
les frelons, — l'amélioration de la situation des classes labo-
rieuses. L'autre, réel, vrai, qu'on cache soigneusement, — la
mine qui fera sauter la civilisation, — la guerre implacable à
la propriété, au principe d'autorité, à la religion.
Le premier, parfaitement légitime, utile même et louable.
Qu'il y ait mille ou cent mille spéculateurs véreux qui possè-
dent tout pendant que la masse ou peuple croupit dans la misère :
c'est condamnable et personne ne soutiendra que ce soit un état
normal de civilisation. Il faut que l'aisance soit, autant que
possible, générale. La règle qui doit guider les législateurs
positifs, c'est le bien du plus grand nombre. Voilà la véritable
formule politique. C'est la pensée de saint Thomas et de tous
les grands sociologues.
L'autre but, poursuivi implacablement par les socialistes —
et c'est ce qui les distingue profondément des catholiques —
c'est le renversement du principe d'autorité, réalisé dans la
monarchie, c'est l'abolition de la propriété, c'est la guerre atout
principe religieux. « Républicains en politique, socialistes en
économie, athées en religion » ; voilà le programme proclamé
solennellement en plein Reichstag par l'agitateur Bebel.
Tels sont les deux buts poursuivis par les socialistes contem-
porains. Autant le second est condamnable, autant le premier
est louable. Et c'est pourquoi ils s'en servent comme d'un
masque. Grâce à lui, ils enrôlent les travailleurs sous la ban-
nière rouge. Ils les disciplinent, et au jour, prochain peut-être,
d'un mouvement populaire ils lanceront ces masses profondes à
l'assaut des coffres-forts, des trônes et des autels.
Et alors, on connaîtra les horreurs sans nom que H. Heine
prophétisa et que l'imagination la plus dévergondée ne saurait
concevoir.
C'est ce que nous laissent deviner, de temps à autre, certaines
déclarations des pontifes du parti : furtifs éclairs déchirant de
profondes ténèbres soigneusement entretenues.
Ecoutez ce cri de guerre d'un révolutionnaire socialiste qui
eut son heure de célébrité : « Oui, tu me le payeras, société
UN COUP d'Éperon 145
bête, s'écrie Jules Vallès, tu ne perdras rien pour attendre.
J'aiguiserai l'arme qui un jour t'ensanglantera... » Ce n'est
point là une pure déclamation de littérateur en quête de renom-
mée malsaine. La flamme des incendies de la Commune éclaire
des phrases semblables de la plus effrayante lueur.
Et voulez-vous savoir l'intime de ses sentiments;, lisez ces
lignes dans lesquelles il flagelle de son mépris les illustrations
de la grande Révolution.
« Vos longs cheveux, Robespierre et Saint-Just, tout ça c'est
de la blague. Vous êtes les calotins de la démocratie... Il
m'arrive souvent, le soir, quand je suis seul, de me demander
si je n'ai pas quitté une cuisterie pour une autre, et si, après les
classiques de l'Université, il n'y a pas les classiques de la Révo-
lution— avec des proviseurs rouges et un bachot jacobin. »
Voilà des cris qui traduisent des fi-ingales de sang, des rêves
de destruction, des haines implacables pour la société actuelle.
C'est le dessous, l'intime, le cœur du socialiste révolutionnaire.
N'allez pas croire qu'il soit rare. Nous avons cité Vallès;
nous aurions pu en citer bien d'autres. Tenez, voici, à titre
d'exemple, le coryphée du collectivisme français, M. Jules
Guesde, qui, dans un article servant de programme à une revue
socialiste nouvellement publiée, malmène fort les héros de la
Commune de 1871.
Il les traite en réactionnaires et leur reproche leur pusilla-
nimité, leurs scrupules à appliquer dans toute sa rigueur le
décret sur les otages et l'excès de délicatesse qui les a empêchés
de s'emparer des ressources de la Banque de France dont ils
étaient les maîtres.
Il sait bien, lui, que les hommes de sa génération, de « son
bateau », ceux de la nouvelle école, ne seront, le cas échéant,
ni si doucereux, ni si scrupuleux.
« Entre eux et nous, écrivait-il, il y a toute la différence des
vagissements du nouveau-né à la parole humaine. »
Puis, après cette déclaration sauvage qui exprime sans voiles
les sentiments d'un chef de parti — qu'on croyait modéré dans
ses mo^^ens] d'action — il esquisse en quelques traits le pro-
gramme collectiviste :
« Expropriation de la minorité capitaliste, restitution à la
société de toutes ses forces; l'industrie et le commerce social
substitués à^l'industrie et au commerce iprivés ; suppression du
patronat... »
11
146 ANNALES CATHOLIQUES
Comme conclusion, en guise de dessert à ce banquet démo-
cratique, il déclare sans ambages « qu'une fois le pouvoir entre
ses mains et celles de ses amis, ils ne reculeront devant aucune
mesure, si violente puisse-t-elle être ». Et délicatement, il
teraîine par une allusion à la permanence de la guillotine.
Voilà les paroles d'un des meneurs du parti socialiste, dix-
neuf ans après la Commune, dix ans après l'amnistie.
Voilà une déclaration-programme du chef reconnu du collec-
tivisme français, de ce parti qui adopte les idées de Karl Marx,
le grand oracle des socialistes allemands, dont l'armée s'accroît
avec une rapidité si inquiétante.
Ce sont des menaces qui ne seront pas vaines, et qui annon-
cent — s'ils triomphent — des scènes d'Apocalypse, des boule-
versements sans nom, des « saignées humanitaires » sans
exemple. « Il se passera alors un drame auprès duquel la Révo-
lution française n'aura été qu'une innocente idylle. >
S'il est encore temps d'arrêter le torrent dévastateur, c'est
aux catholiques de le faire. Comme l'avouait, l'autre jour^ le
Journal des Débats, « la religion catholique seule lutte victo-
rieusement contre le socialisme. C'est la seule barrière qu'il ait
rencontrée. »
A l'œuvre donc, conservateurs, et vite pendant qu'il est
peut-être temps encore. Demain il serait trop tard.
Il est permis aux libéraux et aux jouisseurs, à ces insolents
convives des derniers festins de Balthazar, de ne pas voir la
main flamboyante qui déjà trace sur les parois dorés la trilogie
fatidique, de croire que la plainte sans cesse plus ardente des
travailleurs sera toujours étouffée par la force des baïonnettes
ou le tranchant du sabre. Mais c'est à nous qui croyons que la
répression périodique n'est pas une solution, c'est à nous de nous
lever, de travailler, de combattre, pour réconcilier le passé,
adoucir le présent, préparer l'avenir.
Nous voulons augmenter le bien-être des classes laborieuses.
Nous voulons des réformes sociales. Mais nous voulons les
réaliser par le respect des principes éternels qui forment la
base de toute société et de toute civilisation.
{Courrier de Bruxelles.)
LA CONFÉRENCE DE BERLIN 147
LA. CONFERENCE DE BERLIN
Voici le texte du protocole final de la Conférence interna-
tionale de Berlin :
L — RÈGLEMENT DU TRAVAIL DANS LES MINES
Il est désirable : 1° Que la limite inférieure de l'âge auquel
les enfants peuvent être admis aux travaux souterrains dans
les mines, soit progressivement élevée, à mesure que l'expé-
rience en eaira prouvé la possibilité, à quatorze ans révolus ;
pour les pays méridionaux, cette limite serait fixée à douze ans.
Le travail sous terre est défendu aux personnes du sexe
féminin.
2° Dans le cas oii l'art des mines ne suffirait pas pour éloi-
gner tous les dangers d'insalubrité provenant des conditions
naturelles et accidentelles de l'exploitation de certaines mines
ou de certains chantiers de mines, la durée du travail devrait
être restreinte. On laisse à chaque pays le soin d'assurer ce
résultat par voie législative, administrative, ou par accord
entre les exploitants et les ouvriers, ou encore d'après les prin-
cipes et la pratique de chaque nation.
3° a) Que la sécurité des ouvriers et la salubrité des travaux
soient assurées par tous les moyens dont dispose la science, et
placées sous la surveillance de l'Etat;
b) Que les ingénieurs chargés de diriger l'exploitation soient
exclusivement des hommes d'expérience et de compétence
technique dûment constatées ;
c) Que les relations entre les ouvriers mineurs et les ingé-
nieurs de l'exploitation soient le plus directes possible pour
avoir un caractère de confiance et de respect mutuels ;
dj Que des institutions de prévoyance et de secours soient
organisées, conformément aux mœurs de chaque pays, destinées
à garantir l'ouvrier mineur et sa famille contre les eôets de la
maladie, des accidents, de la vieillesse et de la mort; que les
institutions qui sont propres à améliorer le sort du mineur et à
l'attacher à sa profession, soient déplus en plus développées;
e) Que dans le but d'assurer la continuité de la production du
charbon, on s'efi'orce de prévenir les grèves. L'expérience tend
à prouver que le meilleur moyen préventif consiste à ce que les
patrons et les mineurs s'engagent volontairement, dans tous les
]48 ANNALES CATHOLIQUES
cas où des diflférends ne pourraient être résolus par une entente
directe, à recourir à l'arbitrage.
IL — RÈGLEMENT DU TRAVAIL LE DIMANCHE
Il est désirable, sauf les exceptions et les délais nécessaires
dans chaque pays qu'un jour de repos par semaine soit assuré
aux personnes protégées ; qu'un jour de repos soit assuré à tous
les ouvriers de l'industrie; que ce jour de repos soit fixé au
dimanche pour les personnes protégées.
Des exceptions peuvent être admises à l'égard des exploita-
tions qui exigent la continuité de production pour des raisons
techniques, ou qui fournissent au public les objets de première
nécessité, dont la fabrication doit être quotidienne; à l'égard des
exploitations qui, par nature, ne peuvent fonctionner que dans
des saisons déterminées, ou qui dépendent de l'action irrégu-
lière des forces naturelles.
Il est désirable que, même dans les établissements de cette
catégorie, chaque ouvrier ait un dimanche libre sur deux.
Dans le but de déterminer les exceptions à des points de vue
similaires, il est désirable que la réglementation soit établie par
une entente entre les gouvernements.
III. RÈGLEMENT DU TRAVAIL DES ENFANTS
Il est désirable que les enfants des deux sexes n'ayant pas
atteint un certain âge soient exclus du travail dans les établis-
sements industriels ; que cette limite soit fixée à douze ans, sauf
pour les pays méridionaux oii la limite serait de dix ans; que
ces limites soient les mêmes pour tons les établissements indus-
triels, qu'il ne soit admis sous ce rapport aucune différence;
que les enfants aient préalablement satisfait aux prescriptions
concernant l'instruction primaire ; que les enfants au-dessous
de quatorze ans révolus ne travaillent ni la nuit, ni le
dimanche ; que leur travail effectif ne dépasse pas six heures
par jour et soit interrompu par un repos d'une demi-heure au
moins; que les enfants soient exclus des occupations insalubres
et dangereuses, ou n'y soient admis qu'à certaines conditions
protectrices.
IV. — RÈGLEMENT DU TRAVAIL DES JEUNES OUVRIERS
Il est désirable que les jeunes ouvriers des deux sexes de
quatorze à seize ans ne travaillent ni la nuit ni le dimanche ;
que leur travail effectif ne dépasse pas dix heures par jour et
LA CONFÉRENCE DE BERLIN 149
soit interrompu par un repos d'une durée totale d'une heure et
demie au moins; que des exceptions soient admises pour cer-
taines industries;
Que des restrictions soient prévues pour les occupations
particulièrement insalubres ou dangereuses ;
Que la protection soit assurée aux jeunes garçons de seize à
dix-huit ans en ce qui concerne la journée maxima de travail,
le travail de nuit, le travail du dimanche, leur emploi dans les
occupations particulièrement insalubres ou dangereuses.
V. — RÈGLEMENT DU TRAVAIL DES FEMMES
Il est désirable que les filles et les femmes ne travaillent pas
la nuit;
Que leur travail eflectif ne dépasse pas onze heures par jour
et soit interrompu par un repos d'une durée totale d'une heure
et demie au moins;
Que des exceptions soient admises pour certaines industries
et que des restrictions soient prévues pour les occupations par-
ticulièrement insalubres ou dangereuses;
Que les femmes accouchées ne soient admises au travail que
quatre semaines après leurs couches.
VI. — Mise a exécution des dispositions adoptées
PAR LA CONFÉRENCE
Pour le cas oîi les gouvernements ne donneraient pas suite
aux travaux de la conférence, on recommande les dispositions
suivantes :
Que l'exécution des mesures prises dans chaque Etat soit
surveillée par un nombre suffisant de fonctionnaires spéciale-
ment qualifiés, nommés par le gouvernement, indépendants des
patrons et aussi des ouvriers.
Les rapports annuels de ces fonctionnaires, publiés par les
gouvernements des divers pays seront communiqués aux autres
gouvernements. Chacun des Etats procédera périodiquement,
autant que possible dans une forme semblable, à des relevés
statistiques.
Quant aux questions visées dans les délibérations de la confé-
rence, les Etats participants échangeront entre eux ces relevés
statistiques, ainsi que le texte des prescriptions émises par voie
législative ou administrative et se rapportant aux questions
visées dans les délibérations de la conférence.
150 ANNALES CATHOLIQUES
Il est désirable que les délibérations des Etats participants
se renouvellent ; que ceux-ci se communiquent réciproquement
leurs observations que les délibérations de la présente confé-
rence auront suggérées, afin de pouvoir examiner l'opportunité
de les modifier ou de les compléter.
Les soussignés soumettront ces vœux à leurs gouvernements
respectifs, sous les réserves et avec les observations faites dans
les séances des 37 et 28 mars, reproduites dans les procès-ver-
baux des séances.
Suivent les signatures et le programme de la conférence
également en français.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
Le Souverain Pontife vient de donner une nouvelle preuve de
sa haute sollicitude pour l'Université de Fribourg en adressant
un Bref très encourageant et très élogieux au corps ])rofessoral
de cet Institut. En voici la traduction :
A Notre Cher Fils, le Docteur Jostes^ Recteur de l'Université
de Fribourg, Suisse.
LÉON XIII, PAPE.
Cher Fils, Salut et Bénédiction Apostolique.
Depuis que Nous avons porté Nos soins sur le noble Institut que
vous présidez, Nous avons conçu une grande espérance qu'il en résul-
tera des avantages nombreux pour le bien solide de la Suisse, pour
l'honneur et l'agrandissement considérable de la religion. Nous avons
embrassé avec plus de confiance encore un tel espoir, en lisant la
lettre respectueuse que vous Nous avez envoyée le XIIÏ des kalendes
d'avril, avec la Table des Leçons qui doivent se donner, Nous écri-
vant soit en votre nom, soit au nom des doctes hommes qui exercent
les fonctions de l'enseignement dans ce nouveau sanctuaire des
sciences. Et, en effet, ce qui sert le plus habituellement à rendre
fructueuse et salutaire l'œuvre de ceux qui enseignent, Nous le
voyons briller en vous, après la lettre que Nous avons reçue : Nous
voulons dire un amour souverain de la recherche du vrai, par la voie
très sûre qu'indiquent les documents émanés de Nous; un zèle assidu
dans l'emploi des moyens les plus propres à communiquer la science;
enfin, des esprits ainsi disposés qu'ils considèrent avant tout la
lumière de la foi (de peur que la raison ne s'égare en de fausses doc-
trines), et veuillent exercer l'étude -de telle sorte qu'elle ne soit point
NOUVELLES RELIGIEUSES 151
un obstacle â l'exercice de la piété. Bien que Nous n'ayons pas à
craindre que votre constance ne défaille, après de si heureux com-
mencements, Nous ne voulons point cependant que Notre voix vous
manque, pour vous confirmer et vous exciter à les poursuivre. Tou-
tefois, Nous pensons que le plus vif encouragement se trouve dans les
louanges dont Nous entourons (proseq^limur} vos projets, car les
louanges qui viennent de la bouche d'un père sont la plus puissante
exhortation à la vertu. Cependant, priant Dieu de vous donner avec
munificence et surabondance les lumières de sa sagesse et des forces
chaque jour plus grandes, afin que vous puissiez réaliser avec succès
ce que votre Patrie avec Nous attend de votre religion et de votre
zèle, Nous vous accordons avec amour la Bénédiction Apostolique, à
vous, cher Fils, et à tous les professeurs des hautes études à Fribourg.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le III» jour d'avril MDCCCXC,
de Notre Pontificat l'an treizième.
LÉON XIII, PP.
On attend à Rome, le 19 avril, le grand pèlerinage de la Jeu-
nesse catholique d'Italie.
L'archevêque de New- York, Mgr Corrigan, qui était venu à
Rome il j a quelque temps, y est arrive de nouveau ces jours
derniers, de retour d'un pèlerinage qu'il a fait en Terre-Sainte,
avec quelques ecclésiastiques et laïques de son diocèse. Sa Gran-
deur va présenter au Souverain Pontife ces pèlerins, qui doivent
repartir incessamment pour New-York, tandis que !Mgr Corri-
gan restera encore quelque temps à Rome pour traiter les
affaires de son diocèse avec la S. Congrégation de la Propa-
gande.
Le général Lintom-Simmons vient de quitter Rome, après
avoir été reçu, avec sa famille, en audience particulière de
congé par le Souverain Pontife. Le succès de sa mission auprès
du Saint-Siège est pleinement confirmé. Le secrétaire de la mis-
sion, M. le capitaine Ross of Blandensburg, reste à Rome,
comme nous l'avons déjà annoncé, en qualité de chargé d'affai-
res. En même temps, on assure en haut lieu que le général
Lintorn-Simmons pourrait revenir lui-même prochainement en
qualité de représentant régulier de la Grande-Bretagne près le
Saint-Siège.
Il faut tenir pour absolument imaginaire la nouvelle d'après
laquelle Mgr Ruffo-Scilla, majordome pontifical, serait nommé
archevêque de Naples, tandis que le titulaire de ce siège, S. Em.
le cardinal Sanfelice, serait appelé à venir à Rome.
152 ANNALES CATHOLIQUES
France.
Paris. — Nous apprenons le départ de S. Em. le cardinal
Richard pour Belley, où il doit prendre part au iriduum solen-
nel qui sera célébré en cette ville les 18, 19 et 20 avril, en l'hon-
neur du bienheureux Chanel.
L'archevêque de Paris est parti mardi matin, accompagné du
secrétaire général de l'archevêché, M. l'abbé Thomas. Il pro-
noncera le premier panégyrique du saint le 18 avril.
A ces fêtes prendront part de nombreux prélats, notamment
Mgr Ducellier, archevêque de Besançon ; Mgr Isoard, évêque
d'Annecy, et Mgr Luçon, évêque de Belley.
L'absence de Mgr Richard sera d'une huitaine de jours.
C'est Mgr d'Hulst qui est désigné pour succéder, dans la chaire
de Notre-Dame, au R. P. Monsabré.
La charge est lourde, mais aucun nom ne pouvait être mieux
accueilli que celui du recteur de l'Institut catholique de Paris.
La dix-neuvième assemblée annuelle des catholiques de France
se réunira à Paris, sous la présidence de M. Chesnelong, séna-
teur, les 6, 7, 8, 9 et 10 mai prochain, dans les locaux de la
Société de Géographie, boulevard Saint-Germain, 184.
Nos lecteurs connaissent l'intérêt et l'utilité de ces Congrès
qu'avec la plus louable persévérance le Comité catholique de
Paris provoque chaque année, depuis 1870. Au début, ils ont
pris l'initiative des œuvres que nous avons vu grandir et dont
on peut apprécier aujourd'hui les résultats; ils ont organisé la
résistance lorsque la persécution religieuse s'est déchaînée sur
la France, et c'est grâce à l'entente qu'ils ont établie entre les
catholiques que l'œuvre de la réparation a suivi pas à pas et non
sans succès celle de la destruction. Ils n'ont rien perdu de leur
raison d'être, car la lutte continue toujours, toutes les ruines ne
sont pas encore relevées, de nouveaux besoins se manifestent
et l'Église, dont rien ne réussit à arrêter la marche en avant,
convie ses enfants à de nouveaux efforts et à de nouvelles con-
quêtes.
PROGRAMME DES SÉANCES GÉNÉRALES
Première journée. — Organisation des groupes représenta-
tifs des intérêts (cercles, syndicats professionnels). — Arts et
métiers et commerce. — Grande industrie.
NOUVELLES RELIGIEUSES 153
Deuxième journée. — Même question. — Agriculture.
Troisième journée. — Propagande populaire. — Conférence
sur la représentation des intérêts ; — la réglementation du tra-
vail ; la protection de la petite propriété (homestead). — Presse
populaire. — Secrétariats du peuple et institutions écono-
miques populaires. — Cours professionnels.
Quatrième journe'e. — Mouvement provincial ;suite du mou-
vement du Centenaire). — Groupes provinciaux permanents. —
Assemblées provinciales.
Cinquième journe'e . — Etudes. — Travaux des commissions
d'étude. — Travaux parlementaires.
Sixième journe'e. — Relations extérieures. — Œuvres,
sociétés d'études sociales, congrès. — Associations de ia jeu-
nesse.
Orléans. — Les fêtes du 46P anniversaire de la délivrance
d'Orléans par Jeanne d'Arc seront célébrées, les 7 et 8 mai pro-
chain, avec une grande solennité.
Le panégyrique de l'héroïne sera prononcé par M. l'abbé
Mouchard, professeur de rhétorique au petit séminaire de la
Chapelle.
Outre S. Ein. Mgr Richard, cardinal archevêque de Paris,
qui présidera cette belle cérémonie, de nombreux prélats se
rendront à cette époque à Orléans, notamment Mgr Laborde,
évêque de Blois ; Mgr Goux, cvêque de Versailles ; Mgr de
Briej, évêque de Meaux ; Mgr Lagrange, évêque de Chartres,
et Mgr Trégaro, évêque de Séez.
Alger. — Mgr Lavigerie adresse aux supérieurs de ses sémi-
naires la lettre suivante :
Archevoché d'Alger, le 25 mars 1890,
en la fête de l'Annonciation de la T. S. Vierge.
Messieurs et chers coopérateurs,
Je suis heureux de pouvoir vous communiquer le Bref que je
viens de recevoir de Rome, et par lequel le Souverain Pontife
daigne encourager et enrichir de ses indulgences les pratiques
de piété que j'ai ordonnées, dans chacune de vos maisons, à
l'intention des séminaristes contraints par la loi au service
militaire.
J'ai cru, en effet, devoir soumettre à Sa Sainteté, comme je
le fais dans toutes les occasions semblables, la circulaire que je
1C4 ANNALES CATHOLIQUES
VOUS ai adressée, en date du 1" janvier de cette année, sur les
conseils à donner et les mesures à prendre pour atténuer autant
que .possible, en faveur de nos jeunes clercs et des autres mem-
bres du clergé que la force 3- soumet désormais, les inconvé-
nients de la vie de caserne.
J'ai eu la consolation de voir approuver et louer par le Saint-
Pére les dispositions prises par moi dans cette circulaire et
l'esprit qui l'a dictée.
C'est l'esprit qui a toujours dirigé, du reste, la conduite du
Saint-Siège et qui inspirait tout récemment, sur les mêmes
matières, la lettre si épiscopale, si émouvante et si patriotique
de l'éloquent évêque d'Autun.
Le Vicaire de Jésus-Christ a même daigné manifester publi-
quement son approbation paternelle en accordant, comme
vous le verrez par le texte du Bref que je vous transmets, des
faveurs spirituelles spéciales à tous ceux qui s'uniront à nous
pour implorer la protection et les bénédictions de Dieu sur les
membres du clergé obligés de se rendre sous les drapeaux, et
pour leur obtenir la grâce de soutenir, comme je le leur ai con-
seillé, « virilement et en esprit de foi » cette nouvelle épreuve,
après tant d'autres qui contristent en ce moment l'Eglise.
Cette sollicitude paternelle du Chef de l'Eglise devra vous
engager tous, messieurs, à redoubler de zèle, dans les temps
actuels, pour l'accomplissement de votre important ministère.
Je déclare donc dès aujourd'hui canoniquement promulgués,
dans mes diocèses, le Bref de Sa Sainteté et les indulgences
accordées par Elle en faveur de l'association pieuse établie pour
appeler la protection et les bénédictions de Dieu sur nos sémi-
naristes, pendant le temps qu'ils devront passer au service.
J'ordonna, en outre, qu'à partir du l'ornai de la présente année,
les exercices de cette association deviendront obligatoires dans
chacune de vos maisons.
Veuillez agréer, messieurs et chers coopérateurs, l'expression
de mes sentiments les plus dévoués en Notre-Seigneur.
■^ Charles, cardinal Lavigerie,
Archevêque de Garthage et d'Alger, Primat d'Afrique,
(Suit le texte du Bref pontifical.)
CHRONIQUE UE LA SEMAINE 155
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
L'Allemagne et la France. — Expulsion de journalistes français en Ita-
lie. — Elections municipales. — Les Soeurs dans les hôpitaux. —
Etranger.
Pendant que la politique chôme, il faut bien permettre aux
gens à imagination vive de forger des nouvelles. Le terrain sur
lequel on s'exerce en ce moment avec le plus de succès est
celui des rapports de la France et de l'Allemagne. L'empereur
Guillaume nourrit certainement de nombreux projets, mais non
pas sans doute tous ceux dont on parle. Par exemple, il est
difficile d'admettre, comme divers journaux l'assurent, qu'il
ait de vives sympathies pour la France et songe,, daos le désir
de vivre en paix et en bons rapports avec elle, soit à lui ren-
dre la Lorraine, soit à constituer l'Alsace-Lorraine en état
indépendant et neutre. Mais du moment où ces choses se disent
il faut le constater.
La Lega Lomharda de Milan écrit que la nouvelle d'un
rapprochement entre l'Allemagne et la France, accréditée par
des renseignements diplomatiques, produit une très grande
impression. Le principal mérite de ce rapprochement revient
aux excellentes dispositions de l'empereur Guillaume, secondé
par Mgr Kopp, prince-évêque de Breslau, lequel, paraît-il, a
trouvé moyen,, lors de la récente conférence, de soumettre cette
question aux délégués français, notamment au plus illustre
d'entre eux, à M. Jules Simon, lequel a pris l'engagement
formel d'en référer à son gouvernement.
On ne connaît pas les bases de cet accord, on ne croit pas que
des propositions concrètes aient été encore formulées; on pense
que tout s'est borné à l'engagement, pris par l'empereur
Guillaume, d'empêcher la presse bismarkienne d'attaquer la
France, en attendant que le gouvernement français réponde
aux avances faites sur ce terrain. Dans les cercles politiques
italiens, on croit que l'accord pourrait se faire sur la base de la
rétrocession de la Lorraine à la France,, moyennant des :Com-
pensations politico-économiques, qui donneraient à la rétroces-
sion l'apparence d'un rachat. L'évêque de Breslau du
consentement de l'empereur, a informé du tout le Saint-Siège.
Yi' Osservatore cattoUco de Milan publie également une note
intitulée « Rapprochement "entre l'Allemagne et la France ».
156 ANNALKS CATHOLIQUES
L'organe catholique milanais dit que le bruit de ce rapproche-
ment prend de plus en plus un caractère sérieux, et que
M. Crispi a reçu l'ordre de changer d'idées et d'attitude à
l'égard de la France. Il n'y paraît pas.
En attendant M. Crispi vient d'agir. Il a expulsé d'Italie trois
journalistes, deux français, correspondants l'un de VAgence
Havas, l'autre du Figaro, et un allemand, correspondant de la
Gazette de Francfort.
Est-ce là le commencement des rapports amicaux qui doivent,
parait-il, régner entre la France et l'Italie ?
Le prétexte mis en avant est que les rapports de ces journa-
listes, en dénigrant systématiquement la politique du gouver-
nement du roi Humbert, portait atteinte au crédit financier de
l'Italie. Il est à craindre que cette mesure vexatoire ne remette
guère celui-ci, et que M. Crispi n'ait été lui-même contre le but
qu'il semble se proposer, c'est-à-dire do ramener vers lui la
faveur de l'opinion publique à l'étranger.
M. Floquet a parlé, dimanche dernier, à Bordeaux, dans la
salle de l'Alhambra. « J'ai trouvé ici tout un peuple de citoyens
qui m'accueille avec la plus grande cordialité, a-t-il dit, et
auquel je vais être forcé de répondre par une déception, car je
ne me propose de faire aucun programme, mes opinions étant
trop connues, et je sais à quelle réserve m'oblige la situation
que j'occupe pour faire ce qu'on appelle un grand discours poli-
tique >. Après cette déclaration, il a prononcé un long discours
dans lequel, il fait l'apologie de l'union des républicains. Il
attribue à cette union tout le bien fait par l'Assemblée nationale,
«- élue au jour du malheur » et composée de réactionnaires
absorbés par « les préoccupations dynastiques ».
M. Floquet a été applaudi par « tout le peuple des citoyens »
qui l'écoutait. Ce peuple, paraît-il, est de ceux qui ne se fâchent
pas lorsqu'on se moque d'eux. Les républicains étaient si peu
unis en ce temps-là, que beaucoup d'entre eux défendaient la
Commune de Paris contre l'armée nationale, à peine revenue
de captivité. On peut s'étonner que M. Floquet l'ait oublié.
Eussent-ils été unis d'ailleurs qu'ils ne sauraient revendiquer
ce que les monarchistes, soi-disant absorbés par les préoccupa-
tions dynastiques et en immense majorité à l'Assemblée natio-
CHRO^■IQUE DE LA SEMAINE i5T
■nale, ont fait pour le relèvement de la France. Ce sont les majo-
rités qui gouvernent, pas les minorités. Il est aussi ridicule de
faire un méi'ite à la Gauche du bien accompli de 1871 à 1876,
que de reprocher à la Droite le mal de la période suivante jus-
qu'à nos jours.
Voici le résultat des élections de dimanche 13 avril :
ÊLECTIO^'S SÊNAÏORIALES
ARIÈGE
Inscrits : 629 1 Votants : 628
MxM. Bordes Pages, rép 331 ELU
Vergnies, cons. d'arr., rép 288
Il s'agissait de remplacer M. Vigarosj, sénateur républicain,
décédé.
Ce résultat n'a été obtenu qu'après trois tours de scrutin,
EURE
Inscrits : 1,0G0 | Votants : 1,051
MM. Millard, avocat, anc. dép 591 ELU
Marquis de Chambraj, cons. gén., mon 460
Il s'agissait de remplacer M. le marquis de Malleville, séna-
teur républicain, décédé, dont le siège d'inamovible a été trans-
formé en siège départemental et attribué par le sort au dépar-
tement de l'Eure.
FINISTÈRE
Inscrits : 1,219 | Votants : 1,214
MM. Astor, maire de Quimper, cons. gén., rép. . . 654 ELU
Chevillotte, ancien député, mon 560
Il s'agissait de remplacer M. Grandperret, sénateur bonapar-
tiste, décédé, dont le siège d'inamovible a été transformé en
siège départemental et attribué par !e sort au département de
Finistère.
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
GIRONDE (Blajej
Inscrits : 18,352 ] Votants : 16,005
]\IM. Froin, conservateur 7.978 ELU
Goujon, rép. modéré 7.930
M. Froin avait été invalidé.
158 AKNALES CATHOLIQUES
BASSES-PYRÉNÉES (Bajonne)
Inscrits : 12,435 | Votants : 6,799
M. Lafont, candidat républicain, est élu sans concurrent, par
6,423 voix.
Il s'agissait de remplacer M. Haulon élu sénateur.
Paris est en pleine période électorale. Les murs se couvrent
d'affiches, car le conseil a fixé au 27 avril la date des élections
pour le renouvellement du Conseil muuicij^al de Paris et pour
celui du Conseil général de la Seine. ,,
Les ballottages auront lieu le 4 mai.
Déjà on connaît bon nombre de professions de foi.
Voici, à titre de document, le texte de la déclaration, signée
par les candidats boulangistes aux élections municipales du
27 avril, avant de recevoir l'investiture :
« Partisans résolus d'une République nationale, ouverte à tous
les citoyens défenseurs dévoués du sufî'rage universel, recon-
naissants envers le général Boulanger du grand mouvement de
patriotisme et d'émancipation politique et sociale dont il a été
l'énergique serviteur, les candidats dont les noms suivent
adhèrent au programme minimum ci-dessous :
« Revision de la Constitution de 1875 par une Constituante
issue du suffrage universel ;
« Référendum populaire pour l'acceptation de la constitution
nouvelle et pour les grandes lois politiques;
« Organisation de la République nationale sur les bases les
plus démocratiques, permettant l'accomplissement des réformes
sociales qui tiennent aujourd'hui la première place dans les
préoccupations de l'Europe ;
« Liberté de la presse, liberté de la parole, liberté de la pensée,
liberté d'association, liberté de conscience;
« Respect absolu du suffrage universel et de la souveraineté
populaire ;
« Annulation de l'inique sentence de laliaute Cour sénatoriale ;
« Economie et loyauté dans l'administration de la Ville de
Paris. »
La liste des candidats publiée, hier, par les journaux boulan-
gistes, provoque déjà des réclamations. M. Worms, professeur
de droit à la Faculté de Rennes, proteste de l'usage fait de son
CHRONIQUK DE LA SEMAINE 159
nom. Dans la liste, il était porté comme candidat dans le quar-
tier Saint-Avoye (3* arrondissement.)
D'autre part, on annonce le désistement de M. Blois-Glavy
dans le 7' arrondissement (quartier Saint-Thomas-d'Aquin.)
Tandis que les candidats boulangistes se placent presque
exclusivement sur le terrain politique, les candidats conserva-
teurs se tiennent au contraire aux intérêts de la Ville et du
département. En tête de leurs programmes ils demandent sur-
tout la réintégration des sœurs dans les hôpitaux.
M. Ferdinand Duval, président du comité conservateur, a
exposé les principaux points du programme que ce comité
impose à ses candidats.
« Nous demandons, dit M. Ferdinand Duval, la cessation des
laïcisations dans les hôpitaux et la réintégration des sœurs au
chevet des malades.
« Des subventions aux écoles libres. Le conseil municipal n'a
pas à détruire des lois votées. Mais il peut, et il doit répartir
équitablement l'argent des contribuables. C'est la vraie liberté
et la véritable égalité.
-€ Une gestion économe des finances de la ville. Le budget de
Paris est fort obéré, et un conseil municipal soucieux des intérêts
dont il a la sauvegarde, doit se préoccuper de ne pas être acculé
à la nécessité de nouveaux impôts et de nouveaux emprunts.
« L'étude sincère de la question sociale et ouvrière ; mais
sans pactiser avec la révolution sociale, qui n'apporte que des
haines entre les classes, mais pus de solution.
« Nous demandons, enfin, que l'on cesse de faire de la poli-
tique. C'est la manie politique de la majorité qui empêche de
faire oeuvre sérieuse. La bonne gestion des intérêts d'une ville
telle que Paris oflre un champ assez vaste à l'intelligence et à
l'activité de ses élus.
<j: Notre programme est, en un mot, un programme nettement
conservateur;, écartant la politique stérile, affirmant la liberté
des consciences, et protestant contrôla tyrannie des sectaires. »
Tel est, dans ses grandes lignes, le programme conservateur.
Il reste ce qu'il a été aux précédents scrutins. Les revendica-
tions libérales sont restées la plate -forme.
M. Ferdinand Duval ajoute que dans le prochain conseil, la
minorité conservatrice ne s'alliera certainement pas aux bou-
langistes. Mais cette situation aura ce résultat d'obliger la ma-
jorité à compter davantage avec cette minorité, et la bonne
gestion des affaires y gagnera.
160 ANNALES CATHOLIQUES
Le Journal des Débats apprécie de la manière saivante l'attitude
des conservateurs :
En même temps que les journaux boulangistes nous appor-
taient le manifeste du comité boulangiste et la liste de ses can-
didats, nous lisions ailleurs le compte rendu de la réunion pro-
voquée, à la salle Lemardelay, par le comité présidé par
M. Ferdinand Duval. Dans cette réunion a été discuté le pro-
gramme que les candidats du comité conservateur de la Seine
devront adopter aux élections municipales. Les idées qui ont
prévalu sont fort différentes dcj celles qui sont exprimées dans
la déclaration de Jersey.
Le comité conservateur a eu le bon esprit et la prudence
d'écarter la politique de son programme et de se placer sur le
terrain des affaires municipales et des intérêts de la ville de
Paris. Une des questions qui lui tiennent particulièrement au
eœur, c'est celle delà laïcisation des hôpitaux. Ce sera là, si nous
ne nous trompons, l'article fondamental du programme des can-
didats présentés par le comité conservateur. Il n'y a pas lieu
d'en être surpris, et nous avouons ne pas comprendre le repro-
che que l'on a déjà fait aux candidats qui protestent contre la
laïcisation des hôpitaux d'introduire les questions religieuses
dans les élections municipales. Ils ne les y introduisent pas;
elles y sont.
L'administration du Conseil municipal dont le mandat touche
à sa fin a été marquée par l'intolérance la plus grossière et par
toutes les mesures que pouvait inspirer l'esprit sectaire le plus
violent et le plus borné. La caractéristique de ce Conseil a été
précisément cet esprit d'intolérance et de secte, dont la laïci-
sation systématique des hôpitaux, au mépris des avis du corps
médical, sans souci de l'intérêt des malades, et au détriment de
la bourse des contribuables, a été une des manifestations les
plus éclatantes et les plus décriées.
Il est naturel que les adversaires de cette politique néfaste
»s'en expliquent hautement devant leurs électeurs et leur deman-
dent de la condamner par leurs votes. Et, selon nous, ce n'est
pas seulement aux candidats du comité conservateur qu'il appar-
tient de protester contre les brutalités inexcusables dont l'ancien
Conseil municipal s'est rendu coupable; c'est le devoir de tous
les hommes modérés d'en répudier la solidarité et de s'associer
à ce qui sera tenté pour y mettre un.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 161
Les conseillers sortants publient la pétition suivante :
A monsieur le minisire de l'intérieur.
Monsieur le ministre,
Aux termes de la loi de 1849, l'Assistance publique, à Paris,
est placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur. C'est donc
à vous qu'il appartient de réglementer l'organisation et le fonc-
tionnement des services hospitaliers.
Nous vous demandons de réintégrer les soeurs dans les hôpi-
taux de Paris,
On en a chassé ces admirables servantes des pauvres, sans
tenir compte ni des réclamations des malades ni des protesta-
tions des médecins.
On a ainsi enlevé à la population laborieuse, trop peu aisée
pour se faire soigner à domicile, les gardes-malades que les
riches — sans distinction de croyances religieuses — font
appeler dès qu'ils sont atteints par la maladie.
En vous demandant de rendre aux soeurs la direction des
services qui leur ont été retirés, nous ne faisons pas de politique;
nous n'avons en vue que l'intérêt des malades. Si vous accueillez
favorablement notre pétition, vous donnerez satisfaction à la
grande majorité de la population parisienne.
Veuillez agréer, etc.
Ferdinand Duval — F, Riant — Denys Cochin —
Gamard — Lerolle — Dufaure — Despatvs — Deville
— Georges Berrj', conseillers mu/nicipaux sortants.
La Chambre des Députés de Prusse a repris ses travaux.
Après l'ouverture de la séance, le général de Caprivi chan-
celier de l'Empire, demande la parole. Il dit qu'il ne prend pas
la parole avant l'ordre du jour pour prononcer un discours-
programme, parce qu'il a été jusqu'à présent étranger à la vie
politique et qu'il ne peut pas encore se faire une idée exacte de
sa sphère d'action. Il ajoute qu'il ne veut aujourd'hui que se
mettre personnellement en relation avec les membres de la
Chambre des Députés. (Approbation),
Le chancelier de l'Empire rappelle ensuite l'importance du
rôle qui a été rempli par le prince de Bismarck ; il exprime
12
162 ANNALES CATHOUQUKS
l'espoir que le sort de la Prusse est aussi assuré dans l'avenir
et déclare que l'édifice est assez solidement construit pour
résister à l'orage.
Le chancelier de l'Empire dit ensuite que l'importance de la
personnalité du jeune et auguste souverain s'est ncanifestée
d'une façon déjà suffisamment claire au point de vue des
affaires intérieures et extérieures. Tl affirme sa foi inébranlable
dans l'avenir de la Prusse, qui sera longtemps encore une
nécessité historique, de même que l'empire allemand qui s'ap-
puie sur son épaule.
« Le royaume et l'empire, ajoute le général de Caprivi, ont
encore un avenir plein d'espérance. L'empereur a dit que les
choses devaient continuer comme par le passé; il ne faut pas
s'attendre à voir s'ouvrir une nouvelle ère, mais l'organisation
ministérielle sera modifiée de telle façon que chacun des mem-
bres du cabinet pourra mieux faire valoir ses avis.
« J'admettrai dans la plus large mesure un examen objectif
des questions ; je prendrai ce qui sera bon à l'endroit oii je le
trouverai et je travaillerai avec tous ceux qui ont à cœur les
intérêts de la Prusse et qui sont en état de développer les insti-
tutions prussiennes dans le sens monarchique et les institutions
de l'Empire dans le sens national, » (Vifs applaudissements).
Au cours de la séance de la Chambre des députés, M. Rickert,
libéral-allemand, dit accueillir avec la plus grande joie les
déclarations du général de Caprivi.
Il demande une réforme des impôts, une nouvelle organisation
des communes et la suppression des inconvénients auxquels
donne lieu la presse officieuse.
L'orateur ajoute que le parti libéral-allemand appuiera le
régime constitutionnel.
M. Jules Simon ne veut pas accepter, pour son compte, 'a
responsabilité de la réserve hostile qu'au nom de la République
athée MM. Tolain et Delahaye ont gardée à Berlin sur la ques-
tion du repos du dimanche. Voici, en effet, ce que M. Jules Simon
écrit au Journal de Rennes.
Vous dites que je n'ai accepté qu'avec réserves le repos dominical.
Non seulement je l'ai accepté sans réserve, mais j'ai prononcé un
discours pour demander que le repos hebdomadaire fût fixé au
dimanche.
Je suis président d'honneur de la ligue pour le repos du dimanche.
Jules Simon.
CHRONIQUE DB LA SEMAINE 163
Les Anglais sont fort ennuyés. Il leur arrive une aventure
bien désagréable. Ils avaient envoyé Stanley, à grands frais^
en Afrique, délivrer Emin-Pacha, qui ne demandait qu'à
rester où il était. De force, pour ainsi dire, Stanley a emmené
Emin; mais c'était dans la pensée qu'Kmin s'emploierait de tout
son crédit en faveur des projets de l'Angleterre. Les dépêches
d'hier ont causé aux sujets de Sa Majesté Britannique la plus
vive émotion. Emin-Pacha retourne dans le centre de l'Afrique
mais c'est pour le compte de l'Allemagne. L'affaire est conclue,
la caravane est prête, elle va partir avec l'ordre de faire vite.
Son intention évidente est d'aller reconquérir pour l'Alle-
magne la région qu'il a gouvernée pour l'Egypte^ jusqu'à
l'arrivée de Stanley. Le colonel Ewan Smith, consul général
d'Angleterre à Zanzibar, croit qu'Emiii-Pacha a ordre de con-
clure précipitamment, au nom de l'Allemagne, des traités avec
tous les chefs indigènes établis entre la côte et la région équa-
toriale, pour devancer toute action de l'Angleterre. Le Times
est stupéfait, le Standard déconcerté ; les autres « demeurent
stupides ». Notez qu'au même moment le major Wissmann
vient de faire la paix avec Bouanahéri et qu'il interdit tout
passage aux chevaux anglais. Ah! quelles déceptions!
Le 3 janvier 1874, un coup d'Etat militaire accompli par le
général Pavia mit fin à la République espagnole. La dictature
fut confiée au maréchal Serrano qui s'occupa de déblayer le
terrain encombré par les oeuvres malsaines de MM. Figueras,
Pi y Margall, Salmeron et Castelar.
Cartagène, dernier rempart des cantonalistes, qui résistait
depuis plusieurs mois, tomba au pouvoir du gouvernement, il
ne resta plus, en présence, les armes à la main, que le gouver-
nement établi à Madrid et le gouvernement de don Carlos qui
avait pris le nom de Charles YII. Le 29 décembre 1874, Marti-
nez Campos et un homme alors fort inconnu qui s'appelait le
brigadier Daban, tentèrent un nouveau coup d'Etat militaire, le
lendemain Madrid était dotée d'un souverain, Alphonse XII, la
royauté constitutionnelle était restaurée.
Un des personnages présents à ces événements vient de re-
nouveler son désir d'assister une fois encore à un pronuncia-
mento militaire. Le général Daban a tout simplement publié un
manifeste dans lequel il réclame l'intervention de l'armée contre
164 ANNALES CATHOLIQUES
l'oppression militaire par le pouvoir civil. C'est un appel sans
détour ni ambage à la Révolution. Il paraît toutefois que le
temps des équipées de ce genre est fini, car le général Daban
areçu en réponse une ordonnance du ministre de la guerre lui
infligeant deux mois d'arrêts. Souhaitons au gouvernement de
la régente l'énergie nécessaire pour continuer dans cette voie.
Les pronunciamentos ont élevé Alphonse XII, renversé dom
Pedro, ils menacent Charles de Portugal et Alphonse XIII.
BISMARCK ET MAZZINI
Nous lisons dans la Gazette de France :
Nous avons dit que le député italien Cucchi avait publié, il y
a quelques jours, une lettre dans laquelle il rappelle les négo-
ciations qui ont eu lieu en 1870 entre les révolutionnaires ita-
liens et le gouvernement prussien.
L'ancien conspirateur italien ne raconte pas tout, et voilà
pourquoi ceux des journaux allemands qui ne connaissent pas
les dessous de cette affaire se sont empressés de reproduire la
lettre de M. Cucchi et de la présenter comme la meilleure
preuve de l'amitié sincère de l'Allemagne pour l'Italie,
Les organes officieux, au contraire, se montrent plus réservés.
La Gazette de Cologne insiste sur le fait que les pourparlers
avec M. Cucchi ont eu lieu au quartier général à Hombourg, en
pleine nuit et en rase campagne.
La feuille rhénane donne ainsi à entendre qu'il ne pourrait
produire ni témoins, ni documents. La Gazette se trompe. Il y
a des documents dont nous allons reproduire quelques-uns et des
dépositions de témoins peu suspects.
Dès le lendemain de la victoire de Sadowa, M. de Bismarck
commença à préparer la guerre contre la France; mais, crai-
gnant que Victor-Emmanuel n'intervînt, il chercha à se servir
des révolutionnaires italiens pour paralyser l'action du roi
Victor-Emmanuel. Au besoin, il aurait fomenté la guerre civile.
Le chancelier se mit en relations avec Mazzini, dès l'année
1867.
Voici, du reste, quelques extraits des lettres échangées entre
Mazzini et la chancellerie prussienne.
Le 17 novembre 1867, Mazzini écrit au comte Usedom, am-
bassadeur d'Allemagne :
BISMARCK ET MAZZINI 165
Vous connaissez probablement les intentions de Napoléon de faire
la guerre à la Prusse et les propositions d'alliance qu'il a faites à
notre gouvernement. Ces propositions sont consignées dans une note
envoyée, le 19 mars 18G7, à Florence (Mazzini avait ses agents qui
lui communiquaient les documents les plus importants que lui, à son
tour, transmettait au gouvernement prussien).
La France demande à ritalie l'aide d'une armée de 63,000 hommes.
Mazziui, après avoir déclaré par acquis de conscience qu'il
ne partage pas les opinions de M. de Bismarck, dit qu'il admire
la ténacité du chancelier qui veut l'unité allemande et qui
désire détruire la suprématie française en Europe.
Il offre ensuite ce qu'il appelle une « alliance stratégique »
entre le gouvernement prussien et le parti révolutionnaire en
Italie.
Le gouvernement prussien, dit-il, devrait nous donner un million
de francs et 2,000 fusils. J'engage mon honneur que ces subsides
devraient servir uniquement à empêcher l'alliance entre l'Italie et
l'empire français, et à renveiser le gouvernement s'il résiste à nos
vues.
Il est évident que l'appui matériel que je demande doit nous par-
venir avant que la France exécute ses projets contre l'Allemagne.
Nous devons préparer le terrain pour une action qui suffira à écarter
les périls dont la Prusse est menacée. Il faudrait donc verser
500,000 lires immédiatement. Quant aux armes, j'indiquerai les
moyens par lesquels on pourrait les introduire en Italie.
L'ambassadeur de Prusse, M. le comte Usedom, répondit par
une lettre datée do Florence, 19 novembre 1867 :
Votre lettre, dit-il eu substance, a été envoyée à M. de Bismarck.
Si le moment actuel était opportun, on pourrait stipuler les bases du
projet proposé, mais je crois que le moment n'est pas encore venu.
Ceci, ajoute M. Usedom, est mon opinion personnelle. Ce que nous
avons de mieux à faire pour le moment c'est d'attendre.
M. de Bismarck écrit à Mazzini une lettre qui ne porte pas de
date et dont nous détachons les passages suivants :
Le gouvernement prussien craint réellement qu'une entente ne
soit établie entre la France et l'Italie, mais il n'en a pas de preuve.
L'auteur de la proposition devrait nous fournir à ce sujet des in-
formations, et ce n'est qu'après les avoir reçues que nous pourrons
traiter directement de notre coopération éventuelle.
Mazzini raconte dans une lettre ultérieure qu'il a eu de fré-
quents entretiens avec un haut fonctionnaire prussien.
166 ANNALES CATHOLIQUES
Mais il ne donne aucun renseignement sur la suite de ces
négociations.
M. Charles Blind, un prétendu révolutionnaire allemand qui
depuis 1848 vit à Londres, est plus explicite. M. Blind, en affi-
chant des idées révolutionnaires, a eu accès dans tous les
cercles républicains qui s'étaient constitués vers la fin de
l'empire à l'étranger.
Il raconte, dans un de ces écrits publiés récemment, que c'est
lui qui, en 1870, fut chargé par M. de Bismarck d'encourager
les révolutionnaires italiens et de leur promettre des armes et
de l'argent au nom du gouvernement prussien.
M. Blind avoue nettement que si Victor-Emmanuel avait pris
le parti de la France, il aurait été renversé par les révolution-
naires. Tout était déjà prêt pour la guerre civile en Italie. Le
gouvernement prussien réservait ce moyen comme dernier atout.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE (1)
1. — IVoti-e Voyage hux. visible de l'auteur a été de favo-
I*Bye Ilibliquee, par M. riser l'élan que les études scrip-
rab1)é Le Camus, docteur pu turaires tendent à prendre chez
théologie. 2 vol. in-12, avec nous. Aussi se plaît-il à discuter
n cartes et 70 gravures hors et à décrire les sites bibliques-
texto. — Paris, 1890, chez qu'il a cherchés et visités. Les
Lftouzey et Ané. Prix franco : usages actuels de l'Orient rappel-
10 fr. 50. lent ceux de l'antiquité juive, il
les signale soigneusement. En
Dans ces deux volumes, Tau- réalité, il nous offre le cadre vi-
teur de la Vie de A'. -S. Jésus- vaut et réel dans lequel il faut
Christ nous raconte le voyage placer l'Ancien et le Nouveau
pieux et scientifique qu'il a fait Testament pour les bien com-
en Orient avec son ami M. l'abbé prendre. A ce point de vue son
Vigoureux, le savant professeur livre rendra un vrai service à la
de Saint-Sulpice. science exégétique et aux âmes
Son œuvre, absolument diffé- saintement curieuses de conoiiître
rente des récits d'un simple tou- le pays où Dieu s'est manifesté
liste, offrira autant d'intérêt parmi les hommes. Il promène
pour les savants que pour les le lecteur à travers la Basse-
âmes chrétiennes. Ce n'est ni Egypte, la Palestine, la Syrie,^
rien qu'un journal, ni encore l'Asie Mineure et la Grèce jus-
moins rien qu'une série d'arides qu'à Rome, l'invitant à partager
dissertations. La préoccupation les profondes émotions du croyant
(1) Il est rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Annales catholiques. MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Annales se charge de four-
nir, au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans
ce bulletin.
BULLETIN BIBLIOGR,APIIIQUE
167
en présence des grands souvenirs
qu'il a rencontrés. De nombreuses
cartes, des plans, dont quelques-
uns absolument nouveaux pour
la science, et des gravures d'après
d'excellentes photographies, per-
mettront à tous de suivre pas à
pas les deux voyageurs. Tout en
demeurant le vade mecum de
quiconque voudra visiter sérieu-
sement les Pays Bibliques, ce
livre fera le charme des soirées
de famille au foyer domestique,
car c'est à travers les plus inté-
ressants récits qu'il aborde les
questions importantes et difficiles
dont le monde savant lui saura
gré d'avoir consciencieusement
entrepris l'examen et souvent
apporté la solution.
2. — Journaî des Saints,
illustré par le P. Vasseur, S. J.;
deux éditions, l'une de deux
volumes, renfermant chacun six
mois; l'autre on feuilles déta-
chées pour chaque jour. Format
in-18. Librairie Saint-Paul,
1889. Prix, 3 francs; franco,
3 fr. 60.
Excellent livre encore, qui con-
tient en deux pages in-18 pour
chaque jour les grands traits de
la vie du saint, résumés par
quinze ou vingt lignes, son orai-
son liturgique et une courte mé-
ditation de trois points. Nous
avons rQcommandé à plusieurs re-
prises les bons-points du P. Vas-
seur, qu'on trouve dans nos bu-
reaux. Le /oMrna^ciôssanUs figure
dignement auprès de cette collec-
tion dans la présente galerie des
publications illustrées dues à
l'éminent Jésuite.
3. — Ooiii François Régis,
fondateur et premier abbé de
la Trappe de Notre-Dame de
Staouëli, par M. l'abbé Ber-
sange. — 1 vol. in-18 jésus, avec
2 photogravures et plusieurs
vignettes. — Paris, 1890, chez
Delhomme et Briguet. — Prix
franco, 5 fr.
Au moment où notre religion
est persécutée, moins encore par
l'athéisme officiel du gouverne-
ment que par le cynisme du blas-
phème, du sacrilège et du vice,
c'est une consolation de voir se
grouper autour du fondateur de
la Trappe de Staouëli des person-
nages qui ont fait en ce monde
une assez brillante figure : Bu-
geaud, Pélissier, duc de MalakofT,
Randon, Bosquet, Mac-Mahon,
M. de Corcelle, le maréchal Vail-
lant,le maréchal Soult, duc de Dal-
matie, le marquis de Bellissen, le
duc d'Aumale, le comte de Paris,
le comte de Meaus, M. duTerrage,
Horace Vernet, M. Riant, etc.
Rien de farouche dans la phy-
sionomie de Dom F. Régis. Le fon-
dateur de Notre-Dame do Staouëli
est vif, actif, plein de mouvement,
d'entrain, parfois mémo de gaieté.
Si j'osais me servir d'une expres-
sion de marin, je dirais que c'est
un débrouillard. 11 a le don de
rallier à lui toutes les sympathies,
de dissiper toutes les préventions
hostiles, de surmonter les obsta-
cles, d'aplanir les difficultés, de
taire bon visage à la mauvaise for-
tune. Oui, un charmeur ! Charme
étrange, indéfiaissable, que les
esprits vulgaires ont peine à con-
cilier avec la robe de trappiste.
Ceux qui le subissent et sont fiers
de le subir, ce ne sont pas des
sacristains, des marguilliers, des
bedeaux, des dévotes, des servan-
tes de curés, c'est l'élite de nos
généraux, de nos hommes d'état,
de nos orateurs, de nos politiques.
Ce sont d'illustres protestants,
c'est le peintre le plus spirituel,
le plus français de l'école fran-
çaise...
J'espère ne pas déplaire à M.
l'abbé Bersange en déclarant que
son livre n'est pas seulement édi-
fiant et éloquent, mais poétique...
Comment ne serait-il pas poétique .
ce livre qui montre d'une part,
suivant l'expression de Montalem-
bert, le plus sublime eftort de
l'homme vers quelque chose de
plus grand que lui ; de l'autre, les
plus belles scènes de la nature,
168
ANNALES CATHOLIQUES
dominées par une croix ! Cette
terrequi allait opérer des prodiges
de fécondité sous la charrue, la
bêche et la herse de Dom Fran-
çois Régis et de ses frères d'armes,
elle était tout ensemble antique
et neuve : antique, puisque l'his-
toire sacrée et profane y recon-
naissait le diocèse de saint Augus-
tin et la rivale de Rome; neuve,
puisque le temps, la barbarie, la
solitude, le fatalisme indolent des
races musulmanes lui avaient re-
fait une virginité, puisque l'acti-
vité des travailleurs n'y était pas
paralysée, comme daos notre
vieille France, par le chagrin de
s'acharner sur un sol désormais
usé pour avoir trop servi, épuieé
pour avoir trop donné.
Et quels décors ! quels contras-
tes ! quels horizons! les lobes de
bure et les sandales mêlées aux
brillants uniformes! les chevaux
africaine servant tour à tnur de
montnreaux généraux et aux trap-
pistes. Ici tous les miracles de
l'humilité chrétienne; là tous les
rayonnements do la gloire et des
grandeurs d'ici>bas ! Ces sables
immenses où passe le simoun, ovi
rugit le lion, où bondit la pan-
thère, où glapit le chacal, abreu-
vés tout ensemble du .'•ang de nos
soldats et de la sueur de nos moi-
nes : le sang qui assure la con-
quéle, la sueur qui la fertilise.
Découvrez-vous quelque chose de
plus beau que cette messe en Ka-
bylie célébrée par Dom F. Régis,
peinte con amore par Horace Ver-
net !... Et quelle douceur de son-
ger que le cœur du moine qui di-
sait cette mesfe et le cœur do
l'artiste qui l'a peinte, battaient
à l'unisson dans un môme senti-
ment de foi...
Nous savions quo les dernières
années d'Horace Vcrnet avaient
été parfaitement chrétiennes :
mais M. l'abbé Bersange nous
donne là-dessus les détails les
plus précis, les plus consolants,
et il nous les donne avec cette
douceur pénétrante qui caracté-
rise son ouvrage. Vernet fut lo
pénitent de Dom François Régis ;
cette clientèle spirituelle amen*
entre eux une vive amitié qui ne
se démentit pas un moment. Vous
ne pouvez lire sans attendrisse-
ment le récit do cette confession
si spontanée, si vaillante, de cetto
communion pascale, de cette se-
maine lie retraite où le plus bril-
lant, le plus déluré, le plus mar-
tial, le plus troupier de nos ar-
tistes, lo favori du high-life se
soumit au régime des trappistes,
partagea leurs pieux exercices et
mangea comme eux Itî pain noir
et les légumes cuits sans sel et
pans beurre.
A. DK PoNTMABTIN.
Le gérant: P. Chantrki,
P.trU. Inip. 0. Picynoin, h'd, rue <\e Lille.
ANNALES CATHOLIQUE
L'INQUISITION
(Suite et lin. — Voir le numéro précédent.)
ni
II n'est pas aisé d'a.ssigner l'époque fixe de l'Inquisition dans
chaque état de l'Europe. Il semble cependant que ce fut en Italie
qu'elle s'établit d'abord ; par les soins de Frédéric II qui promul-
gua àPadouo, le 22 février 1224, « quelques lois contre les héré-
tiques, leurs complices et leurs fauteurs » (li. En 1231 le séna-
teur Annibal et les autres membres du gouvernement de Rome
élaborèrent à la prière de Grégoire IX des lois municipales pour
la recherche et le châtiment des hérétiques [2). Sur Iws instan-
ces du cardinal Romain qui avait décidé Louis VIII, roi de
France, à se mettre à la tête d'une armée de croisés pour mar-
cher contre les comtes de Toulouse, de Foix, de Bèziers, de
Béarn et de Carcassonne, Louis VIII introdnisit l'Inquisition
dans ses états, mais la mort l'empêcha de donner une forme
stable à ce nouveau régime judiciaire. Ce ne fut qu'en 1255
sous saint Louis, qui pria Alexandre IV d'établir des inquisi-
teurs de la foi dans le royaume de France qu'elle y fonctionna
régulièrement (3). C'est à peu près à cette époque que le sénat
de Venise, de son propre mouvement et de sa propre autorité,
nomma des laïques inquisiteurs de la foi, chargeant le patriar-
che de Grade et las autres évêques vénitiens déjuger la ques-
tion de doctrine, et se réservant de prononcer la peine capitale
contre ceux qui auraient été convaincus d'hérésie (4).
11 j a trois moments solennels dans l'Inquisition d'Espagne,
qu'il ne faut pas confondre, l'un dans la première moitié du
xiu« siècle, le second à la fin du xv' siècle sous Isabelle et Fer-
dinand avant que les Maures fussent chassés de Grenade; le
(1) Lymborch, Hist. de VInquisition, Liv. I, ch. xii. La Constitu-
tioa de Frédéric II se trouve reproduite dans uiie bulle du pape
Innocent IV.
(2) Rainal.li, année 1231, n» 14.
(3) Lymborch, Hist. de l'Inç^Krisition, Liv. I, ch. xvi.
(4) Lymborch, Hist. de l'Inq^uisition, Liv. I, ch. xvii.
Lxxii — 26 Avril 1890 13
170 ANNALES CATHOLIQUES
troisième au milieu du xvi* siècle sous Philippe II, lorsque le
protestantisme commença de se propager eu Espagne.
Eq 1233, l'Espagne était divisée en quatre royaumes chrétiens :
la Castille, la Navarre, l'Aragon et le Portugal, outre les états
mahométans. Ferdinand régnait en Castille à laquelle il réunit
les royaumes de Séville, Cordoue et Jaen, Jacques I^^ ajouta à
l'Aragon qu'il gouvernait les royaumes de Valence et de Ma-
jorque. Théobald I", comte de Champagne, et de Brie gouvernait
la Navarre. Le Portugal obéissait à Sanche II. Aucun monu-
ment bien authentique ne prouve l'existence de l'Inquisition
dans ces états avant l'année 1232 où le pape Grégoire IX adressa
à l'archevêque do Tarragone un bref en date du 26 mai pour
l'exhorter à rechercher les hérétiques. Le 8 novembre 1235
■^Trégoire IX ayant rendu commune à toute la chrétienté la cons-
titution qu'il avait établie en 1231 contre les hérétiques de
Rome, confia l'exécution de cette bulle aux dominicains de la
province de Lombardie. Les évêques d'Espagne se mirent en
devoir de se conformer aux instructions du Pape. Les rois
d'Aragon paraissent être ceux qui protégèrent les premiers l'In-
quisition. Elle paraissait le 23 avril 1238 dans le royaume de
Navarre. En 1236 Ferdinand l'introduisait dans la Castille. On
ne sait rien sur ce qui se passait en Portugal, il paraît seule-
ment que pendant le xiii' siècle il n'y eut d'Inquisition perma-
nente que dans les diocèses limitrophes de la France méridio-
nale, ou l'institution était dans toute sa vigueur. Le Portugal
n'eut d'Inquisiteur apostolique que sousBoniface IX qui nomma
à ce poste le confesseur du roi Jean, le moine franciscain Rodri-
gue de Cintra.
En 1474, Isabelle, femme de Ferdinand d'Aragon roi de Sicile,
montait sur le trône de Castille; par son mariage avec Ferdi-
nand, elle régna sur l'Aragon, puis sur Crrenade et la Navarre,
c'est-à-dire sur toute l'Espagne sauf le Portugal. Isabelle et
Ferdinand établirent le 2 janvier 1481 un tribunal d'Inquisition
spécial pour rechercher et punir les juifs espagnols; c'est l'ori-
gine de la nouvelle Inquisition ou de V Inquisition politique
d'Espagne, dont tous les fonctionnaires reçurent, non du Pape
mais du roi, leur nomination et leurs attributions. Le 2 aoiit
1483, Thomas Torquemada, prieur du couvent de Sainte-Croix
à Ségovio était nommé Grand Inquisiteur. Après la prise de
Grenade en 1492, le tribunal de l'Inquisition dut s'occuper des
Maures. Ainsi l'Iuquisition était devenue un instrument poli-
L INQUISITION 171
tique pour défendre la nationalité des Espagnols contre . .3
efforts du Judaïsme et de l'Islamisme.
Charles Quint mourant recommanda l'inquisition à son fils
Philippe II par une clause de son testament. Philippe II appli-
qua aux protestants l'Inquisition qu'Isabelle et Ferdinand, de
concert avec tous les ordres de l'Espagne avaient créée contre
les Juifs et les Maures. Il la rendit plus dure encore, il inventa
pour effrayer l'hérésie, les auto- cla-fe ou le supplice devenait
une sorte de fête. Le premier eut lieu à Séville en 1559. L'In-
quisition politique no tarda pas à être établie en Portugal
comme en Espagne.
Le 22 février 1813, un décret rendu par les Cortès espagnoles
la supprimait.
IV
L'histoire qui a rejeté de son domaine tant de mensonges offi-
ciels, que l'on s'était accoutumé depuis longtemps à croire et à
répéter, commence à dépouiller l'Inquisition des fausses cou-
leurs sous lesquelles on l'a si souvent représentée.
Les jugements injustes portés sur l'Inquisition viennent
d'abord de ce qu'au lieu de mettre cette institution en regard
des maximes des xi% xiii% xvi' et xvii« siècles, on la transporte
en plein xix* siècle.
Il j a cent ans à peine, toute erreur en matière religieuse
était considérée comme un crime de lèse-majesté; pour inspirer
confiance, pour êt.re un bon citoyen, il fallait professer la reli-
gion de l'Etat. La maxime : cujus est regio illius est religio,
sur laquelle repose l'Inquisition était autrefois universellement
admise et si peu contestée, que les protestants en particulier
l'ont revendiquée et suivie dans la pratique, l'histoire du Pala-
tinat de 1563 à 1583 en est une preuve éclatante. En ce temps,
il ne valait pas mieux avoir affaire à l'Inquisition espagnole que
tomber entre les mains d'un àu.9, zélé luthérien.
En outre, l'Inquisition a eu le sort d'être appréciée par des
écrivains qui, au lieu d'une science véritable, ont donné des
phrases vides ; de simples assertions au lieu de consciencieuses
recherches ; remplacé la réalité des faits par des peintures de
romans ; et suppléé à l'absence d'études par des saillies de
libres-penseurs. Bien que l'histoire de l'Inquisition en effet et
l'organisation de ses tribunaux soient de ces sujets auxquels
beaucoup de mains aient touché, le plus grand nombre de ces
172 ANNALES CATHOLIQUES
écrits ne nous fournissent que des déclamations en sens con-
traires, également vaines et vagues (1;. Cela tient à ce que peu
d'archives ont été exposées à plus de causes de destruction que
les archives inquisitoriales. Au moyen-âge, la haine populaire
soulevée contre les inquisiteurs, s'acharna contre leurs registres
de justice. Dans les grandes séditions, on lacérait, on brûlait en
masse ces livres. En temps ordinaires, des complots s'organi-
saient pour les dérober et enlever à la procédure tout moyen de
poursuivre.
Le jour oii l'Inquisition n'exista plus que de nom, l'indifle-
rence des inquisiteurs eux-mêmes laissa les feuillets de ces do-
cuments se disperser à tous les vents. En 1781, l'abbé Magi,
membre de l'Académie des sciences de Toulouse, trouvait entre
les mains d'un libraire qui s'en servait pour couvrir des alpha-
bets, douze feuillets de parchemin, enlevés à un volume des
sentences de l'Inquisition Toulousaine, et renfermant ses arrêts
prononcés de 1246 à 1248 (2). A l'époque de la révolution, les
archives de la cité de Carcassonne furent brûlées en 1793, et
avec elles celles de l'Inquisition et du couvent des Dominicains
de cette ville.
L'indifférence s'est jointe à ces exécutions sommaires. La
plupart de ceux qui écrivent sur l'Inquisition, même à l'heure
actuelle, ignorent qu'il reste des documents et ne s'en servent
pas plus que s'ils avaient été anéantis. La science et la critique
laissent donc ainsi le champ libre aux romanciers et aux ennemis
de l'Eglise catholique.
N'oublions pas que le premier historien de l'Inquisition est un
professeur de théologie du parti calviniste des Remontrans,
Philippe de Lymborch, qui publia ses travaux à Amsterdam
en 1692; que son second historien est un autre protestant, Joseph
Townsend. recteur de Pewsen, qui publia à Londres en 1792, son
voyage en Espagne pendant les années 1786, 1787 ; que le troi-
sième est un de ses adversaires^es plus acharnés et des moins
dignes de foi, le chanoine Llorente, qui publia en 1815 et 1817,
l'histoire de l'Inquisition en quatre volumes. C'est sur ces trois
ouvrages, sur quelques remarques ironiques de Montesquieu (3)
(1) Ch. iSIoliaier, L'' Inquisition dans le midi de la France aux
xiii« et xiv» siècles, Paris 1880.
(2) Ces feuillets se trouvent aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale
sous le n° <J992 du fonds latin.
(3) Esprit des lois, lxxv, ch. xrii.
l'inquisition 173
et sur les plaisanteries innombrables de Voltaire, que l'Inquisi-
sition a été jugée par le monde savant. Il y a à peine dix ans
que les premiers travaux sérieux sur l'Inquisition primitive ont
vu le jour avec M. Hoô'man en 1879, et M. Moliuier en 1880,
encore, M. l'abbé Douais a-t-il relevé des erreurs importantes
dans ce dernier travail. L'histoire générale de l'Inquisition est
donc encore à faire, à peine avons-nous une ou deux monogra-
phies sérieuses faites d'après des documents originaux.
Nous n'en devons pas moins relever les erreurs les plus gros-
sières qui circulent sur l'Inquisition et qui en font une mons-
truosité morale presque unique.
Au fur et à mesure que l'histoire prendra la place de la lé-
gende, trois faits seront mis en évidence :
1° L'Eglise, en instituant le tribunal de l'Inquisition, a pro-
tégé l'Europe contre l'invasion néfaste du judaïsme et du maho-
métisme qui s'introduisaient à l'ombre et à la faveur du mani-
chéisme. Elle a ainsi favorisé les idées spiritualistes qui sont la
base de toute civilisation durable,
2° 11 faut distinguer entre l'Inquisition ecclésiastique des xiP,
xiii«, xiv^, xv' siècles et Tlnquisition politique des xvi*, xvii^
et xviii^ siècles, celle surtout établie par Philippe II. Si l'Inqui-
sition ecclésiastique a commis des abus de pouvoir, dans l'his-
toire de l'Inquisition espagnole et portugaise, le Saint-Siège a
joué le rôle le plus honorable, celui de défenseur des opprimés;
et l'Inquisition espagnole est si peu le fruit de l'intolérance ro-
maine, que Llorente lui-même, qui ne pèche pas par excès
-d'amour envers le Saint-Siège, fournit une multitude de faits et
d'exemples qui prouvent que les Papes ont toujours montré peu
de faveur pour ce tribunal. Dès le commencement, Sixte IV
publia une bulle, le 1" novembre 1478, puis un bref le 29 jan-
vier 1482, pour blâmer éuergiquement les inquisiteurs de Se ville,
En 1483, il nomma l'archevêque de Séville pour juger en seconde
instance les causes de ceux que le Saint Office aurait traités
irop sévèrement. Il fait plus, il se réserve les appeb. Sous
Jules II et Léon X, Rome cesse de recevoir les appels, mais ces
deux papes nomment des juges pour soustraire les appelants
des mains de l'Inquisition, par un édit du 14 décembre. Ea 1518,
un édit de LéonX punit de mort les faux témoins des tribunaux
d'Inquisition. En 1519, au grand dépit de Charles-Quint, Léon X
excommunia les inquisiteurs de Tolède. En 1538, un prédicateur
de Charles-Quint, suspect de luthérianisme, est incarcéré,
174 ANNALES CATHOLIQUES
Paul III le déclare innocent et le fait évêque des îles Canaries.
Pie V s'oppose à l'introduction de l'Inquisition politique àMilan.
Innpcent XII protège, en 1698, les Bollandistes accusés fausse-
ment d'erreur et condamnés par le Saint-Office de Tolède, Ce
que je dis de l'Espagne, le docteur Kimstmann le prouve par
rapport au Portugal.
L'Inquisition politique a été un tribunal royal que ses fonda-
teurs cherchèrent à élever sous le protectorat du Saint-Siège,
mais qui, au fond, ne dépendait en rien de lui. Aussi les Papes
s'opposérent-ils toujours à ce que ce tribunal fût introduit en
dehors de l'Espagne et du Portugal; et c'est pour prévenir ses
abus que Paul III fonda, en 1542, la Congrégation romaine du
Saint-Office dont Bergier a pu dire, sans crainte d'être démenti
par tout le xviii= siècle attentif, qu'elle n'avait jamais signé une
condamnation capitale (1).
3° L'Inquisition ecclésiastique s'est conformée pour l'échelle
et l'application des peines aux maximes et aux mœurs de chaque
époque, les devançant toujours lorsqu'il s'agissait d'incliner vers
la douceur.
Lorsqu'on juge l'Inquisition, en effet, on oublie que les dis-
positions pénales des temps oii elle a pris naissance, étaient
beaucoup plus dures et moins avares de sang humain que celles
du xix' siècle. Le sang coulait pour l'expiation de crimes que
frappe aujourd'hui un simple châtiment. Le code pénal de
Charles-Quint (1632), la Caroline^ ordonne, pour le blasphème
contre Dieu et la Sainte Vierge, la mutilation et la peine de
mort; contre la pédérastie et la sodomie, la peine du feu; contre
la magie, la peine de mort; contre la fabrication de fausses
monnaies, le paiement fait sciemment en fausses monnaies, la
peine du feu; contre la falsification des poids et mesures, le
supplice du bâton, et si la matière est de quelque importance, la
peine de mort; contre le vol avec escalade ou efiraction grave
ou légère , supplice de la corde, yeux crevés, amputation de la
main ; toute récidive en fait de vol, peine de mort. En France,
!e moindre attentat contre la sûreté des grands chemins était
autrefois puni de la peine capitale; enfin, on sait avec quelle
barbarie les braconniers étaient autrefois traités ; et la Caro-
line est elle-même un adoucissement à la pratique antérieure.
Dans le siècle même o\\ l'Inquisition espagnole vit le jour, uu
(1) Bergier, Dictionnaire.
l'inquisition 175
des hommes les plus éclairés et les plus libéraux de l'Europe,
GersoD, disait que si le Pape lui-même ou un cardinal agissait
au détriment de l'Eglise, il ne faudrait pas hésiter à leur appli-
quer la mort (1).
En ces temps-là, dans toutes les confessions, l'hérésie était
punie de mort. La procédure et la pénalité de l'Inquisition sui-
virent la justice criminelle du temps ; et Llorente constate avec
éloge qu'au fur et à mesure que les moeurs •^e radoucirent, et
que la législation se perfectionna, la procétÎMe et la pénalité
de l'Inquisition suivirent un mouvement parallèle.
Il est hors de doute que l'Inquisition n'a pas usé envers ses
victimes de plus de cruauté que les autres tribunaux du temps;
il s'en faudrait donc qu'elle soit comme Voltaire l'a peint en
cent endroits de ses œuvres.
Ce sanglant tribunal
Ce monument affreux de pouvoir monacal
Que l'Espagne a reçu, mais qu'elle-même abhorre;
Qui venge les autels, mais qui les déshonore ;
Qui tout couvert de sang, de Hammes entouré
Egorge les mortels avec un fer sacré. (2)
Bien loin d'être ce monstre à l'œil vigilant, au cœur cupide,
insatiable, dont les cent bras saississaient avidement des victi-
mes au moindre indice de soupçon, le tribunal de l'Inquisition
étudié d'après les chroniques du temps et ses registres qu'on
commence à exhumer des fonds des bibliothèques, se présente à
nos yeux comme une institution judiciaire multipliant les pré-
cautions pour s'assurer de la vérité. Aussi j'estime que pour
l'apprécier comme il convient il est sage d'attendre que ces
registres aient été publiés comme l'on fait dernièrement M. l'abbé
Douais et M. Molinier et alors beaucoup modifieront leurs idées
sur l'Inquisition, après s'être convaincus, selon le mot d'un
grand penseur moderne, que trop souvent l'histoire est une
conjuration contre la vérité fl).
(1) Isigr Héfelé, Ximèaes et l'Eglise d'Espagne, p. 240
(2) M. de Maistre fait observer que ce fer sacré appartient à Mo-
lière (Tartufe, acte I, se. vi) «[u'entre comédiens tout est commun.
Lettres sur l'Inquisition, p. v.
(3) Petite Bibliographie 'pour une étude sur V Inquisition.
Les Grandes Histoires ecclésiastiques de Fleiiry, Rorhbacher,
Darras.
L'Histoire de France d'Henri ]Martin.
17(5 ANNAJ.ES CATHOLIQUES
L'EXÉCUTION DE LA NOUVELLE LOI MILITAIRE
(ouite et Un. — Voir le numéro précédent.)
II
En attendaut fju« nos vœux les plus ardents soient réalisés,
nous devons. Messieurs et Chers Coopérateurs, songer aux
moyens de protéger la vocation des séminaristes et des religieux
contre les périls qui les menacent.
Je ne crois pas devoir parler ici des conseils qui leur seront
donnés au point de vue de leurs exercices de piété, de leurs
devoirs à tous égards, des vertus de prudence et de fermeté qui
leur seront si nécessaires. C'est la mission qu'accompliront les
évêques, les supérieurs et directeurs des séminaires, les supé-
rieurs des noviciats.
Je voudrais, pour répondre, du moins dans une certaine
mesure, à vos appréhensions si légitimes et pour appeler sur ce
terrain essentiellement pratique l'attention et le zèle du clergé
et des fidèles, je voudrais exposer les moyens qui peuvent main-
tenir ces jeunes gens dans l'accomplissement des conseils qui
leur seront donnés et des résolutions qu'ils auront prises.
L'Histoire de l'Inquisition, par Philippe de Lymborch.
Vova^e en Espagne pendant les année.? 1786, 1787, par Joseph
Towsend.
Histoire de llnquisitioa de Llorentc.
Rapport sur le tribunal de l'Inquisition présenté aux Cortez Espa-
gnoles en 1812.
Lettres à un gentilhomme russe, par .1. de Maistre.
Innocont III, par Ilnrter.
Le Cardinal Ximènes et la situation de l'Espagne à la fin du
XV* siècle, par Mgr lléfélé.
Vie de Saint-Dominique, par le P. Lacordaire.
Conférence du P. Monsabrô, année 1882, à l'occasion de laquelle
M. Lovson prononça un disoours au cirqno d'Hiver le 23 avril 1882.
Le Journal historique et littéraire de 1731-1777, publie un travail
de l'abbé Vayrac sur l'Inquisition en Espagne et en Italie.
Llnquisition dans le midi de la France aux xiii^et xiv« siècles, par
Moliniei'.
Les sources de l'Inquisition dans le raidi de la France aux xm" et
xiv« siècles, par M. l'abbé Douais.
Les Martyrs <lo l'Inquisition, par un ancien professeur d'Histoire,
chez Merscli, Dijon 1886, petite brochure de propagande,
La Revue dos Deux-Mondes a publié une série d'articles sur Phi-
lippe 11,
L'Inquisition dévoilée.
l'exécutio.-î de la nouvelle loi militaire 177
Il ne suffirait pas à mon avis, pour atteindre ce but, de de-
mander à MM. les Curés et à MM. les Vicaires ou à d'autres
prêtres, dans les villes oîi ces jeunes gens accompliront leur
service militaire, de les accueillir avec bonté, de leur ouvrir
leurs presbytères et leurs maisons. En considérant les choses
dans leur* réalité, il me paraît que, malgré tout leur dévouement,
ces prêtres pourront rarement être à la disposition de nos
séminaristes. En effet, la plupart d'entre eux, surtout dans les
villes importantes qui ont des garnisons considérables, sont
absorbés par leurs fonctions, par l'administration de lonr
paroisse, par les œuvres si nombreuses à notre époque. Ces
jeunes gens pourront venir deux fois, trois fois, dix fois frapper
à la porte du presbytère et ne pas rencontrer MM. les Curés
et MM. les Vicaires, ou les trouver occupés par les travaux de
leur ministère. Il faudrait donc, dans les villes où l'on ne
pourra mieux faire, que tel ou tel prêtre ait des jours et des
heures déterminées pour recevoir ces jeunes gens et que ces
jours et ces heures soient choisis selon la convenance du ser-
vice militaire.
J'ai dit : dans les villes où on ne pourra mieux faire, car le
moyen vraiment utile, vraiment efficace qui devra être em-
ployé partout oh il est possible, c'est l'établissement et l'in-
rtuence d'œuvres militaires.
J'appelle Œuvre militaire une association de catholiques
dévoués, comme il s'en trouve aujourd'hui partout en France et
qui, sous la direction d'un prêtre choisi avec soin pour ce minis-
tère qui exige des aptitudes spéciales^, offre aux militaires un
lieu de réunion, où ils peuvent faire leur correspondance, se
livrer à des jeux honnêtes et accomplir facilement leurs devoirs
religieux. A l'âge de l'inexpérience et des eutraînements irré-
fléchis, à l'âge où les passions sont si ardentes et si aveugles,
dans les villes où les périls, à certains jours et à certaines
heures surtout, sont si nombreux et si redoutables, ces jeunes
gens ne reçoivent ainsi, au point de vue de la foi et de la mo-
ralité, de la discipline, du respect de leurs chefs et du patrio-
tisme, que de salutaires influences.
Que de déplorables fautes, que de chutes lamentables peuvent
être ainsi évitées! Que de carrières protégées, que de santés,
que de vies peut-être préservées d'atteintes irréparables! Quels
services sont ainsi rendus à des milliers déjeunes gens, à leurs
familles, aux populations au milieu desquelles ils retourneront
178 ANNALES CJATUOLIQUES
bientôt, à l'armée et à la France ! Et aujourd'hui c'est toute la
jeunesse française qui doit passer dans les rangs de l'armée.
Quel est l'homme sincère et loyal, quelles que puissent être à
l'égard de la religion son opinion, son hostilité même, qui n'ap-
plaudirait à de pareils résultats?
Ces œuvres militaires existent dans un petit nombre de villes ;
il faudrait les multiplier. Une de ces oeuvres a été fondée, il y a
quatre ans, à Nanc}', principalement par la générosité d'anciens
officiers qui sont restés profondément attachés àTarmée et qui
connaissent mieux que personne les dangers auxquels sont
exposés les jeunes soldats. Elle a été confiée à un prêtre dont
le zèle actif et prudent a donné à cette oeuvre un essor qui a
dépassé toutes les espérances (1). Trois fois déjà il a fallu déve-
lopper les premières constructions et les salles multipliées et
agrandies sont plus que reniplies aux jours fixés pour les réu-
nions. Ces bâtiments ont rer^u le nom de Pavillon Drouot, en
souvenir de l'un des plus illustres enfants de Nancy, d'une des
gloires les plus pures de l'armée française.
Quoique les portes du Pavillon Drouot soient ouvertes à
tous les militaires qui se présentent, jamais on n'a eu à regret-
ter aucun désordre. La tenue de tous ces braves gens est
parfaite.
Un prêtre qui a consacré à l'armée trente ans de sa vie et qui
a publié sur la nouvelle loi militaire et sur les questions que je
traite en ce moment, des pages inspirées par la plus haute
sagesse, M. le chanoine de Beuvron, ancien aumônier en chef
des armées, écrivait dans sa cinquième Etude militaire : « Je
dis, et j'insiste beaucoup sur ce point, qu'une œuvre militaire,
pour avoir la confiance des soldats et des chefs de tout grade,
doit être une œuvre largement ouverte sur laquelle l'ombre
d'un mystère ne doit pas planer. Ce n'est ni une congrégation,
ni un patronage. C'est une œuvre à la fois de conservation et de
conquête, une réunion libre de jeunes hommes vaillants et chré-
tiens qui emploient au service de Dieu l'ardeur, la loyauté et la
bonne humeur qu'ils mettraient à marcher au feu un jour de
bataille.
« A cette masse d'hommes rassemblés de tous les points du
sol, il ne faut demander que l'essentiel de la religion, le vieux
Credo du foyer domestique, le Si vis ad vitam ingredi serva
Cl) M. l'abb'j Girard, aumônier de Tliôpital militaire de Nancy.
l'exécution de la nouvelle loi militaire 179
mandata de Notre Seigneur Jésus-Christ, et réserver pour la
direction particulière le Si vis perfectus esse des conseils évan-
géliques, qui ne doit être adressé qu'aux âmes assez fortes pour
le comprendre et l'accepter...
« ... Avant de placer le couronnement de l'édifice, il faut en
jeter les fondements ; avant d'enseigner le conseil, il faut ensei-
gner les préceptes ; avant de former des chrétiens parfaits, il
faut former des chrétiens solides, des hommes de devoir, qui
donneront plus tard à la société des travailleurs honnêtes et
consciencieux^, des citojens dévoués à leur pays. »
Les rapports de M. le Directeur sur l'organisation et la
marche de l'œuvre militaire de Nancy et sur les résultats
obtenus ont été demandés en grand nombre de diverses parties
de la France, Des prêtres sont venus de plusieurs grandes
villes pour étudier par eux-mêmes la méthode et le fonctionne-
ment de cette œuvre. iVI. l'abbé Clôt, le directeur si intelligent
et si zélé de l'œuvre militaire de Lyon, écrivait à M. le Directeur,
le 15 novembre 1887 : « Je vous remercie de m'avoir adressé
votre beau rapport sur l'œuvre militaire de Nancy ; je l'ai lu
avec un très vif intérêt et me suis réjoui en apprenant les succès
que vous avez obtenus, malgré les obstacles de la première
heure, que votre persévérance a réussi à surmonter. Je vous en
félicite bien sincèrement et suis heureux de voir la grande et
religieuse ville de Nancy compléter sas œuvres par la plus
nécessaire de toutes : l'œuvre miliiaire. Je publierai votre rap-
port si bien rédigé dans VAmi du Soldat. »
M. l'abbé de Beuvron écrivait aussi : « Nous avons l'intention
de meubler de jeux intéressants un cercle militaire à Paris ;
nous ne pouvons rien faire de mieux que de prendre modèle sur
vous; seriez-vous assez bon pour me donner les indications
nécessaires? »
J'ai donné pour auxiliaire à M. le Directeur un jeune prêtre
qui a accompli le service de cinq ans dans l'un des régiments
de Nancy, où il a laissé le meilleur souvenir.
Je ne puis entrer dans le détail; je dirai seulement qu'une
pareille œuvre n'exige pas des dépenses aussi considérables
qu'on pourrait le supposer. Les dépenses principales sont exi-
gées par la première installation.
Il y a quelques semaines, j'ai demandé aux catholiques si
dévoués de Lunèville de fonder dans cette ville, oii la garnison
est si nombreuse, une œuvre militaire et je ne doute pas que
mes vœux ne soient promptement réalisés.
Î80 ANNALES CATHOMQUES
Toul possède une petite œuvre militaire qui se développera,
j'en ai la confiance.
Dans les autres villes de ce diocèse oii la parnison est moins
considérable, le zèle du clergé des paroisses réalisera tout ce
qui sera possible.
Mais c'est aux séminaristes et aux religieux obligés de passer
par la caserne, et aux prêtres qui y seront ramenés plus tard
pendant deux ans, que ces œuvres seront non seulement utiles,
mais nécessaires. Je le répète, c'est le moyen vraiment efficace
de protéger les vocations ecclésiastiques.
Les salles de ces œuvres seront ouvertes tous les jours aux
séminaristes et aux religieux ; ils trouveront là des prêtres
toujours disposés à les accueillir, à leur donner des conseils
éclairés, à les soutenir dans les épreuves inévitables. Si les
villes dans lesquelles cesjeunes gens accompliront leur service
militaire possèdent un grand ou un petit séminaire, les supé-
rieurs et les directeurs de ces établissements viendront visiter
cesjeunes gens, leur faire des conférences, leur continuel* une
précieuse direction.
Nos séminaristes pourront, dans une chapelle ou dans une
église qui leur sera assignée, entendre la sainte Messe et avoir
à leur disposition, avant la sainte Messe, un prêtre pour en-
tendre, au besoin, leurs confessions. Ils seront ainsi réuius,
groupés chaque jour, encouragés par les bons exemples qu'ils
sg donneront mutuellement, ils seront sontenus, dirigés par des
prêtres zélés, ils seront plus confiants, plus forts contre tous les
périls.
« Quand nous fondions nos œuvres militaires, a dit M. l'abbé
Clôt dans l'excellente Revue VAmi du soldat, nous avions
conscience que nous travaillions à un but essentiellement utiley
nécessaire, d'une actualité indiscutable. Il s'agissait de con-
server la foi et les mœurs de notre jeunesse franr-aise appelée
sous les drapeaux. Mais aujourd'hui que nos séminaristes, que
nos jeunes prêtres, nos religieux, se voient contraints à laisser
la soutane pour l'uniforme militaire, leurs études et leurs
exercices religieux pour la manœuvre des armes, la vie recueillie^
si favorable au perfectionnement intellectuel et moral, pour la
vie bruyante et agitée de la caserne et des chambrées, quelles
expressions emploierons-nous pour en faire ressortir l'impor-
tance et l'indispensable nécessité? La situation parle d'elle-même
et plus éloquemment que nous ne saurions le faire. »
LA CHARITÉ ENVERS N. S. DANE l'eUCHARISTIE 181
Nous avons le droit d'espérer que ce que nous ferons ici pour
les séminaristes, les religieux, les prêtres et les soldats qui nous
viendront des autres diocèses, on le fera ailleurs pour ceux qui
nous sont spécialement chers et que sur ceux-là encore nous
attirerons la protection et les bénédictions de Dieu.
Mais l'activité du zèle et les généreux sacrifices ne sauraient
suffire. Il faut ici le concours de tous dans la mesure de leur
influence. Je vous demande donc. Messieurs, d'exhorter dans
l'occasion les jeunes gens de vos paroisses qui sont appelés au
service à profiter avec empressement de ces œuvres. Je vous
demande de nouveau de célébrer pour ces jeunes gens la messe
du de'part et de nous faire connaître les garnisons dans les-
quelles ils sont envoyés, afin que nous puissions les recommander
aux directeurs des œuvres militaires. Je vous demande encoi'e
de porter chaque jour au saint autel les pensées et les préoccu-
pations qui sont l'objet de cette Lettre circulaire. Il faut par des
prières ferventes obtenir de Dieu qu'il unisse tous les cœurs,
toutes les ressources et tous les efibrts pour la défense de ces
intérêts suprêmes.
Je m'arrête. Mon c<Bur d'évêque et de français s'émeut en
traitant de pareils sujets. J'ai la conviction profonde d'avoir dit,
cette fois encore, ce qui est utile au clergé et aux vrais intérêts
catholiques, à l'armée et à la France; je n'ai d'autre pensée que
celle d'accomplir mon devoir. Au milieu des épreuves qui se
préparent et que des illusions obstinées n'écarteront pas, comme
au milieu d'autres épreuves que nous subissons et que j'avais
aussi essayé de conjurer, il me restera du moins la consolation
d'avoir fait tout ce qui m'était possible. Une fois de plus, fai
délivré mon âme.
Recevez, Messieurs et Chers Coopérateurs, l'assurance de mon
alfectueux dévouement en Notre-Seigneur.
f CHARLES-FRANÇOIS,
Evêquc de Nancy et de Toul.
LA CHARITE ENVERS NOTRE SEIGNEUR
DANS L'ffiUClIARISTIE (1).
Nous voudrions, par reconnaissance, remonter jusqu'à
l'Auteur de la Charité et vous exhorter à remplir envers Celui
(1) Extrait do la lettre pastorale de S. G. Monseigneur l'Evêque
de Constantine et Hippone, pour le Carême 1890.
182 ANNALES CATHOLIQUES
qui réside parmi nous, les devoirs qu'il nous a recomnoandés
avec tant d'instance envers les pauvres.
« Celui par qui tout a été créé (1), le seul paissant, le souve-
rain Maître (2); Celui qui est notre Dieu et qui n'a nul besoin
de nos biens (3); Celui qui est riche de sa nature (4} a voulu,
pour nous, devenir pauvre : c Propter vos egenus factus
est!... »
Suivez-le dans le cours de son existence humaine : à la grotte
de Bethléem; à l'atelier de Nazareth; dans sa vie publique;
partout, vous le rencontrerez avec sa compagne inséparable, la
pauvreté,
- Il veut vivre du travail de ses mains ou de dons volontaires :
il déclare n'avoir pas une pierre pour reposer sa tcte ; il
demande l'hospitalité à Zachée; il accepte les soins d'une
famille de Béthanie. A sa mort, il sera déposé « dans un sépul-
cre emprunté, et les draps dans lesquels son saint corps sera
enseveli, les parfums desquels il sera embaumé, seront les der-
nières aumônes de ses amis (5). »
Pauvre durant les trente-trois années passées dans la Judée,
et acceptant ou sollicitant l'assistance de ses créatures, Jésus
veut continuer d'être pauvre dans sa vie eucharistique.
Approchez de l'autel et voyez : les espèces sacramentelles
rappellent les langes de la crèche;
Le tabernacle renferme autant de silence et de solitude que
le toit de Nazareth;
Au saint sacrifice, l'adorable victime manifeste la même
patience qu'au prétoire, la même obéissance qu'à la croix, le
même oubli de la gloire divine et le même anéantissement ([u'au
tombeau.
Cet état nous impose des devoirs, devoirs que le divin ÎMaitre a
pris soin de tracer lui-même :
« J'étais âans abri et vou.s m'avez recueilli,
(1) Omnia per ipsuin fartit sunt. (Joan., i, 0.)
(2) Solus potens, Rex reguni, et dominas dominciutium. (1 Tira.,
VI, lo.)
(3) Deus meus es tu, quouiam bonorum meorum non cgcs. (Ps.
XV, l.j
(4) Scitis enira gratiam Doraini nosti'i Jesu Christi, quoniara prop-
ter VOS egenus factus est, cum essetdives, ut illius iuopia vos Llivites
essetis. (H Cor., viii, 9.)
(5) Bossuet. Sermon jjoi'.r la fhé de la Purification.
LA CHARITÉ ENVERS N.-S. DANS l'EUCHARIST:E ] 83
J'étais sans vêtement et vous m'avez revêtu,
J'étais emprisonné et vous m'avez visité,
J'avais soif et vous m'avez donné à boire (1). »
Que d'oeuvres de miséricorde! Pour en comprendre l'impor-
tance, la nécessité, il suffit de se rappeler, comme l'enseigne
l'Eglise, « que, dans l'Eucharistie, Jésus-Christ a droit aux
mêmes honneurs qu'autrefois à Bethléem et dans ses courses
évangéliques à travers la Judée, lorsque l'adoraient les anges,
les bergers, les mages et ses disciples (2). »
Assurément, N. T. G. F., vous vous seriez estimés honorés et
heureux, aux jours de sa vie mortelle, de pouvoir le vêtir, le
nourrir ;
Vous auriez envié le sort des familles hospitalières qui lui
prodiguaient leurs soins ;
Vous auriez voulu compter au nombre des personnes géné-
reuses qui l'assistaient de leurs biens : « Quce ministrabant ei
facultatihus suis (3). »
Réjouissez-vous : dès maintenant vous pouvez vous procurer
cette joie et cet honneur.
Pensée consolante, obligation délicieuse que nous allons
exposer en quelques considérations simples et pratiques.
I
« J'étais sans abri et vous m'avez recueilli. » Hospes eram et
colle gistis me.
A cet auguste voyageur, à ce céleste pèlerin, les premiers
chrétiens offraient "un asile en transformant une partie de leur
demeure en oratoire.
C'était, au souvenir de la Cène, un nouveau cénacle pour
recevoir l'hôte divin.
Cet usage de l'Église primitive, il nous semble le retrouver
encore dans nos tournées pastorales, à travers les nombreux
villages peuplés par les dernières immigrations.
(1) Matth., XXV, 35 et seq.
(2) Concil. Trid., sess. xiii, cap. v.
« Neque enim ideo minus est adorandum, quod fuerit a Christo
Domino, ut sumatur, institutum : nam illum eumdem Deum prtesen-
tem in eo adesse credimus, quem Pater teternus introducens in
orbem terrarum, dicit : Et adorent eura omaes aageli Dei, quem
Magi procidentes adoraverunt : quem denique in Galikea ab apostolis
adoratum fuisse Scriptura testatur. »
(3) Luc, VIII, 3.
184 ANNALES CATHOLIQUES
Que s'y passe-t-il en effet?
Un missionnaire ait envoyé en précurseur : il doit préparer
les âmes aux sacrements d'Eucharistie et de Confirmation et se
mettre en qnête d'un local pour recevoir Jésus-Christ.
II a découvert une habitation hospitalière : c'est la maison
d'un colon, d'une famille chrétienne,
A cette famille bénie, le Sauveur redit par la voix de son
prêtre : « Hodie in domo tua oportet me nianere (1) : Aujour-
d'hui j'irai loger chez vous. »
II s'agit maintenant de donner à cet asile un air do chapelle.
Los uns apportent de la verdure et des fleurs, les autres
quelques ornements de leur foyer : des images, des tableaux
encadrant des sujets religieux; ceux-ci fournissent le luminaire,
ceux-là donnent leur bras et leur temps pour tresser des guir-
landes et dissimuler sous le feuillage la nudité des murs.
Enfin, le jour attendu s'est levé radieux. L'office commence
dés l'arrivée du premier Pasteur; et des chants où se mêlent
toutes les voix, rappellent les anciens et touchiints cantiques de
la Mère Patrie.
Déjà la communion est distribuée, la messe touche à sa fin et
Jésus va quitter ce refuge, comme le voyageur quitte l'hôtellerie
oii il s'est arrêté quelques heures. Heureuse bourgade qui a eu
l'insigne privilège de posséder le Sauveur à son passage et de
pratiquer la charité recommandée : « J'étais sans abri et vous
m'avez recueilli ! »
Et le diocèse pourrait fournir une longue liste de colonies, oii
faute de cliapelle, nos chrétiens sont invités à exercer, dans ces
conditions, l'hospitalité envers leur Dieu.
En ce moment, ma pensée parcourt le territoire de cette vaste
province : de la vallée de l'Oued-Sahel au plateau de la Med-
jana, des gorges du Chàbet à la ville de Sétif, de Djemiia à
Constantine, du mamelon d'Hippone aux premières montagnes
de la Tunisie, que de noms chers à mon cœur!
Dans la plupart de ces villages, c'est pareille situation au point
de vue religieux. Le prêtre appelé à les desservir, comme
l'apôtre envoyé pour les évangéliser, arrive sans savoir oh il
pourra découvrir un gîte, ni sous quel toit il lui sera loisible de
dresser un autel.
Lorsque les colons sont venus planter leurs tentes dans cette
(1) Luc, XIV, 5.
LA. CHARlTi: ENVERS X,-S. DANS i/eUCHARI5TIE IS .
-notirelle France, apportant leurs petites économies, leurs forces,
leurs connaissances agricoles', leurs sueurs, leur patriotisme, ild
espéraient retrouver sur le sol qu'ils allaient défricher les con-
solations de la religion et la facilité d'élever leur famille dan.s
la foi de leurs pères.
Ne seraient-ils pas en droit de réclamer un local^ au moins
décent, pour s'y réunir et prier le dimanche?
Qu'ils joignent leurs instances aux nôtres et l'on saura so
procurer des ressources pour donner satisfaction à un vœu si
légitime et si honorable.
Dans notre Algérie, les ruines chrétiennes qui nous restent,
témoignent de la pieuse munificence des premiers siècles.
Plusieurs églises étaient de.-; demeures royales, des basiliques,
oii les rois de la terre avaient rendu la justice et où. le Roi des
rois éibait descendu pour rendre la miséricorde.
Je ne demande pas de ces palais royaux. Toutefois, Je mau^
querais à un devoir .?acré de ma charge pastorale, si j'étai."* sans
préoccupation pour la demeure de mon Maître.
Mais, soyons justes et reconnaissants ; si, dans les centres de
formation relativement récente, Jésus n'a pas un abri, ou si la
demeure qui lui est réservée est telle qu'on la reconnaît à sa
misère : « Et hoc vohis signum : invenietis infantem... 'positurn
in prœsepio (1), » disons que nombre de localités possèdent des
édifices qui sont un honneur pour notre patrie, la fille aînée dé
l'Eglise.
Ah ! ce n'est pas petite satisfaction, sur notre terre africaine,
d'apercevoir au sommet d'un clocher ou d'une tour la croix,
s'élevant vers les cieux pour proclamer bien haut que cette
région a été conquise à son premier Seigneur!
Ce n'est pas petite satisfaction de la voir étendant ses bras
comme pour ramener à elle ce peuple, qui lui a été violemment
arraché, et qui jadis marchait et prospérait sous son égide!
Et, même dans ces heureuses paroisses, que d'occasions, au
zèle, de se dévouer utilement et saintement pour entretenir « la
beauté de la maison de Dieu 12, ! >
Cette maison, ne serait-elle pas aussi la vôtre?
N'est-ce pas là que vos enfants ont été régénérés dans les
eaux du Baptême? là qu'ils ont été instruits de la doctrine
(1) Luc, II, 12.
(2) ...decorena domus tu*. (Ps. xxv, 8.)
14
186 ANNALES CATHOLIQUES
céleste, cette doctrine qui a éclairé, relevé le monde et qui seule
peut guider et sauver les individus et les familles ?
N-'est-ce pas laque, purs comme des anges, ils ont reçu leur
Créateur pour la première fois ?
N'est-ce pas là que vous venez vous-mêmes recevoir le Pain
des forts, pour être victorieux dans les luttes de la vie?
N'est-ce pas de là que partira votre Sauveur pour aller vous
visiter à votre agonie et vous -assister au terrible et décisif
passage du temps à l'éternité?
N'est-ce pas là que votre dépouille mortelle sera transportée
pour les dernières prières et les dernières bénédictions?
N'est-ce pas là qu'après votre départ de ce monde, le sang de
la victime sera répandu pour vous et votre mémoire rappelée
au mémento de la messe?
Ouij la maison de Dieu est aussi votre maison, et le zèle que
je vous prêche n'est pas, vous le voyez, complètement désin-
téressé.
Cette considération nous amène à vous entretenir d'une cha-
rité à laquelle le Divin Maître nous convie par ces paroles :
« J'étais sans vêtement et vous m'avez revêtu : Nudus eram et
cooperuistis me. »
II
L'Eucharistie, selon la pensée des saints Pères, est une exten-
sion de l'Incarnation. Aussi, Jésus, sur l'autel, prend-il comme
une seconde naissance.
« 0 respectable et redoutable dignité des prêtres, s'écrie
saint Augustin, puisque c'est par leur ministère et dans leurs
mains que le Fils de Dieu vient s'incarner: « In quorum mani-
bus incarnatur Filius Dei, »
Là, comme à Bethléem, il est bien le Dieu caché : « Vere tu es
Deus absconditus.. . Salvator (1). » A Bethléem, ce Dieu sau-
veur cachait sa divinité sous les voiles de son humanité ;
Dans ses temples, il cache et sa divinité et son humanité sous
les voiles eucharistiques.
Lorsque le saint sacrifice est oirert,-un des anges qui envi-
ronnent l'autel pourrait, comme aux bergers, nous dire: «Je
vous annonce une grande nouvelle : aujourd'hui vous est né le
Sauveur : Natus est hodie Salvator (2). »
A sa naissance, Marie l'enveloppa de langes: <k Et pannis
(1) Isaïe, XLV, 14.
(2) Luc. !i. 11.
LA CHARITÉ ENVERS N.-S. DANS l'eCCHARISTIE 187
eum involvit (l) ; » à sa naissance eucharistique, il faut aussi
des langes pour recevoir son corps adorable.
Dans l'Eucharistie se révèle plus d'amour que dans l'Incarna-
tion ; sur l'autel son corps est plus frêle que dans la crèche.
Ne devrions-nous pas entourer ici son berceau et de plus de
soins et de plus de tendresse!
« J'étais sans vêtement et vous m'avez revêtu. »
Vous savez, pourquoi Jésus vient, à la voix du prêtre,
s'incarner de nouveau sur l'autel.
Le moment solennel est arrivé : « Ceci est mon corps, ceci
est mon sang. » La parole est le glaive qui sépare mystiquement
le corps et le sang de Jésus-Christ, et cette séparation « enferme
une vive et efficace représentation de la mort violente soufferte
sur la croix (2). »
Sous cette figure de mort, en cet état d'hostie, nous l'ofî'rons
à la majesté divine : et, par ce sacrifice qui remet devant Dieu
le Père, le supplice que son Fils a souffert pour nous, nous
obtenons toute grâce et rendons toute gloire.
Pour la victime de l'autel, ayons l'empressement des pre-
miers fidèles pour la victime du Calvaire !
Joseph d'Arimathie avait acheté un linceul blanc et les saintes
femmes se hâtaient portant des aromates et des parfums.
Le corps du Sauveur, nous venons de le rappeler, a droit au
même respect, aux mêmes marques d'honneur.
Le linge qui, à l'autel, sert à le recevoir et à l'envelopper, le
coiporal est son suaire: « Corporis et sanguinis Redemptoris
nostri novum sudarium. (3). »
Autour de son nouveau calvaire, la cire se consume épandant
ses douces clartés, et l'encens l'enveloppe de nuages de parfums.
Il se trouvera toujours parmi vous, espérons-le, de généreux
imitateurs des premiers disciples, dont la piété assurera le
nécessaire au sacrifice de Jésus-Christ institué « pour repré-
senter celui qu'il a une fois accompli sur la croix; pour en faire
durer la mémoire jusqu'à la fin des siècles et nous en appliquer
la vertu salutaire (4). »
« J'étais sans vêtement et vous m'avez revêtu. »
\l) Luc, II, 7,
(2) Bossuet. Exposition de la Doctrine catholique.
(3) Rituel, bénédiction des corpomux.
(4) Coac. Trid., sess. xxii, cap. 1.
]88 ANNALES CATHOLIQUES
Ail saiat sacrifice Notre-Seigneur est le ministre principal»
Comme il s'est lui-même offert sur la croix et à la Cène, il veut,
â'ôftrir, par le ministère de sou représentant, à l'autel.
Là, selon l'expression de saint Augustin, il est médiateur,
prêtre et sacrifice. >
Prêtre : par conséquent revêtir le célébrant, c'est revêtir
Jésus-Christ.
Cette vérité a donné, dans tous les siècles, à de nobles et
pieuses clirétiennes la pensée de s'appliquer elles-mêmes à la
confection des ornements sacerdotaux et de vêtir, dans la per-
sonne de ses ministres, le Dieu qui daigne s'immoler sur
nos autels. '-fjeô îa ,
Glorieuse charité qui était justement considérée comme la
première de toutes, parce qu'elle s'adressait au Fils de Dieu.
Je ne crois pas trop présumer de la piété de mes chers diocé-
sains, en gardant la confiance que ces dévouements refleuriront
sur la terre d'Hippone.
Plus que jamai.s je les estime nécessaires, à cause de la
pénurie des ressources de nos Fabriques paroissiales.
Mais les pauvres, il y en a tant qui auraient besoin d'être
nonrris, vêtus, abrités !
C'est ce qu'on alléguait, au temps du Sauveur, lorsqu'une
illustre pénitente vint répandre à ses pieds un vase de parfum
précieux.
« A quoi bon, se disaient entre eux les disciples, la perte de
ce parfum! On pouvait le vendre plus de trois cents deniers et
les donner aux indigents (1). » Et le divin Maître, prenant la
défense de cette pieuse profusion, approuve l'action de cette
femme et déclare qu'on la louera partout où l'Evangile sera
prêché.
Les pauvres! soyez rassurés sur leur sort: ce ne sont pas les
aumônes faites au divin Pauvre qui pourront leur nuire. Plus
vive sera la dévotion à Jésus au Saint-Sacrement, plus géné-
l'cuse sera la charité pour les malheureux.
N'est-ce pas Jésus qui « retient pour faite à lui la bienfai-
sance exercée à leur égard et comme étant obligé lui-même
pour le bienfait reçu / »
IS'est-ce pas Jésus qui a créé les dévouements qtii subviennent
à toutes les misères, non seulement avec une maternelle piété,
(1) Marc, XIV, 4 et o.
LA SITUATION DES JÉSUITES EN ALLEMAGNE 189
mais aussi avec une prudence et une vigilance extrême (1). »
Il y a des pauvres parmi nous et il y en aura toujours ; mais
c'est leur cause que je plaide, et la charité, qui est née du cœur
de Jésus, ne peut s'entretenir et se développer que par la foi et
l'amour à Jésus dans l'Eucharistie.
Cette pensée, je suis heureux ds la relire dans une instruction
pastorale d'un de mes vénérables prédécesseurs :
« Contribuer à la décoration de nos saints autels et soulager
la misère de nos frères indigents sont deux œuvres intimement
liées, qui se prêtent un mutuel concours. Elles ont le même
objet qui est Jésus-Christ : l'une dans son corps réel, l'autre
dans son corps mystique. Aus.si, plus vous aurez de zélé à
l'honorer dans la sainte Eucharistie, plus vous vous dévouerez
à son service dans la personne des pauvres (2). »
Mgr Combes.
LA SITUATION DES JESUITES EN ALLEMAGNE
(Suite et lin. — Voir lô numéro précédent.)
II
Dix-huit années ne se sont pas encore écoulées depuis l'atten-
tat commis contre les droits civils et religieux des jésuites alle-
mands, et voilà que les élections du 20 février dernier brisent
les instruments avec lesquels ont été forgées les armes contre
la Compagnie de Jésus.
Le ministre Friedberg avait qualifié la loi dirigée contre eux
de loi provisoire, de mesure imposée par la ne'cessiié et le cas
de légitime défense.
Le provisoire a duré près de dix-huit ans, pendant lesquels
les attaques se sont multipliées contre la Compagnie de Jésus
et contre les ordres frappés par des lois d'empire. L'iniquité
dont la Compagnie de Jésus a été la principale victime, les atta-
ques incessantes dont elle a été l'u-bjet, n'ont servi qu'à exalter
davantage l'amour, l'afiection ot l'estime que lui portent tous
les vrais catholiques allemands et dont la presse catholique de
ce pays, sans exception aucune, se fait le puissant écho.
(1) Allocution de S S. lo Pape Léon XIII, au Consistoire du 3,0 dé -
cembre 1889.
(2) Mgr RoDEUT. Instr. pi?sforalo ù l'occasion de rétablissement de
l'Adoration perpétuelle.
90 ANNALES CATHOLIQUES
Ces catholiques admirent plus que jamais les principes et les
doctrines de la Compagnie de Jésus.
Ils se souviennent avec une gratitude toute filiale que rôcem-
m-ent encore Notre Très Saint-Père le Pape Léon XIII, heureu-
sement régnant, élevait au rang des saints trois jésuites, qui
sont allés grossir le nombre déjà si considérable des saints de
la Compagnie.
Ils se souviennent que d'autres Papes encore, que des arclie-
vêques et des évoques d'Allemagne et du monde entier, tous
personnages illustres par leur piété et leur science, ont proclamé
hautement que la Compagnie de Jésus était une institution ad-
mirable entre les institutions catlioliques.
Ils se souviennent que leurs historiens les plus en vogue, tant
catholiques, comme Jannssen, Holzwarth, etc., que des protes-
tants, comme Leibnitz, Menzel, etc., ont rendu les plus grands
hommages à la Compagnie de Jésus et à sou action en Allemagne.
Et, en regard, que leur oppose-t-on? Les témoignages déla-
teurs d'un légiste vaniteux et d'un astucieux révolutionnaire
comme iJluntschli; d'un athée bouffi d'orgueil et d'illogisnae
comme le professeur Gueist ; d'un brasseur d'affaires comme
Braun, ancien député de Wiesbade ; d'une girouette politique
comme Benuigsen; d'un demi-juif comme le ministre Friedberg,
et d'autres juifs authentiques comme Lasker, Bamberger, etc.
Ou sont-ils ces combattants d'autrefois? Les uns sont morts
et les autres ont été battus honteusement aux dernières élec-
tions. Ceux qui sont encore debout ne doivent guère avoir envie
de recommencer la partie. La place est balayée pour ainsi dire.
Le voyageur et le touriste qiii passent sur le pont de la cha-
pelle Saint-Pierre, à Lucerne, peuvent y voir un cycle de ta-
bleaux se rapportant à l'histoire cantonale et municipale de la
ville.
Parmi ces tableaux, les premiers, quand on vient du côté de
la ville, se rapportent à l'histoire de la Compagnie de Jésus dans
la ville et le canton.
On y voit le conseil échevinal prenant la décision d'appeler la
Compagnie de Jésus à Lucerne; l'arrivée des Pères; l'ouverture
du collège ; une salle d'étude, etc. Chaque tableau est accompa-
gné d'un quatrain exaltant les mérites de la Compagnie de Jésus
sur le terrain de la vie sociale et religieuse, louant leurs mé-
rites pour l'éducation de la jeunesse et vantant les progrès faits
à Lucerne par les sciences et la vertu, sous l'égide des Pères.
LA SITUATION DES JÉSUITES EN ALLEMAGNE 191
Ces tableaux dans leur touchante simplicité, ces quatrains
avec leur accent de vérité, pourraient être reproduits dans tous
les pays où les jésuites ont passé ; mais ils seraient surtout de
mise en Allemagne.
Le nom de la Compagnie de Jésus est intimement lié à l'his-
toire des célèbres Universités d'Ingolstadt (aujourd'hui Munich),
de Wuszbourg, de Dillingen, de Munster, de Gratz, etc.
Dillingen, une des plus célèbres Universités, a été supprimée;
mais si Munich, Wurzbourg, Gratz et l'académie de Munster
jouissent encore, de nos jours, d'une grande renommée, il ne
faut pas oublier que les bases en ont été jetées par les jésuites.
C'est donc à bon droit que les catholiques allemands ont tou-
jours ressenti comme une très grave injure le fait que les fils
des familles les plus catholiques et les plus considérées de leur
pays fussent traités comme des criminels, ou des vagabonds
sans feu ni lieu, uniquement parce qu'ils font partie de la Com-
pagnie de Jésus, dont l'Allemagne catholique n'a tiré que bien-
faits et gloire.
Mais il est un autre côté au point de vue duquel non seule-
ment les catholiques allemands envisagent, mais encore les con-
servateurs allemands et tous les Allemands qui ont encore no-
tion de la justice, devraient envisager la situation faite aux
jésuites : c'est le côté des droits civils et politiques.
La Constitution de l'empire allemand garantit le droit d'élec-
teur à tout Allemand, âgé de vingt-cinq ans et n'a^'ant pas été
privé de ses droits politiques et civils p«r wh arrêté motivé
de justice. ^
Les Constitutions particulières des Etats confédérés garan-
tissent en outre les droits civils et politiques à chacun de leurs
ressortissants.
Il est vrai que les articles de la Constitution prussienne qui
garantissent la liberté et l'autonomie de l'Eglise catholique ont
été suspendus par une loi; mais les jésuites allemands, en tant
qu'Allemands, ne pouvaient être privés de leurs droits civils
sans un arrêt de justice. Cet arrêt a toujours fait défaut in specie,
et pour cause. A la séance du 14 juin 1872, l'ancien chef de la
fraction du Centre, feu le baron de Mallinkrodt, disait au
Reiehstag allemand :
« Je vous fais remarquer que depuis le retour de la Compa-
gnie de Jésus dans les pays de langue allemande on n'a pas
pu constater un seul délit, une seule contravention à la charge-
d'un Jésuite.
192 ANNAI,Eg CATHOLIQUES
« Aussi, même le député berlinois qui a attaqué la Compagnie
de Jèius avec la dernière véhémence et qui s'est même servi de
la phrase : Ecrasez V Infâme, s'est vu contraint de constater
que" les Jésuites, pris comme particuliers, sont tous des gens
honorables et estimables. De plus, vous avez sur le bureau du
Reichstag des attestations provenant de centaines de milliers
d'Allemands, de gens de ville et de gens de campagne, de riches
et de pauvres, de nobles et d'ouvriers, de classes bourgeoises
et rurales, notamment des contrées oîi l'action de la Compagnie
de Jésus s'est fait sentir; toutes ces attestations sont en faveur
des jésuites et leur décernent les plus grands éloges. Mais vous
avez encore une autre attestation, datée d'il j a plusieurs
lustres et émanant du gouvernement prussien, oii il est dit que,
le ministère n'avait pas la moindre raison du monde d'être mé-
content de l'action des jésuites. Tout cola ne saurait donc à vos
yeux entrer en ligne en faveur de la Compagnie de Jésus ! »
L'empereur d'Allemagne ne veut pas entendre parler de lois
d'exception contre les socialistes ; pourrait-il donc laisser subsis-
ter celle contre les Jésuites?
Quelle exemple l'Etat nedonne-t-ilpasaux socialistes, en lais-
sant frapper quelqu'un par une loi, sans que ce quelqu'un ait pu
sejustifier ou seulement se faire entendre? Ne pense-t-on pas que
la détention illicite des biens de la Compagnie de Jésus puisse
justifier, aux yeux des socialistes, l'expropriation violente du
capital? Ne prévoit-on pas les conséquences que le socialisme,
devenu victorieux, pourrait un jour tirer du fait que des gens
honorables et estimables, ont été traqués coiTmie des malfai-
teurs etexpulsés de leur maison natale, oii ilss'étaientréfugiés,
et pour être jetés en exil?
M. de Bismarck a jadis déclaré regarder l'établissement d'une
nonciature à Berlin comme une chose utile et profitable, ajou-
tant qu'il laissait au cours de l'histoire le soin de le faire et que
le gouvernement allemand avait la ferme intention de donner
aux catholiques toute liberté de mouvement. A la même séance
il a encore déclaré que tout dogme, cru par des millions d'indi-
vidus allemands, devait à ce titre être sacro-saint pour le gou-
vernement et même pour ceux qui n'y cro^'aient pas.
Le cours de l'histoire, dont a parlé l'ancien chancelier à la
séance du 30 janvier 1872, a suivi son chemin; l'Allemagne est
entrée finalement dans la voie de la pacification religieuse, mais
elle a encore de grands torts à réparer. Le tort fait à la Com-
LA PLÉIADE DES GRANDS HOMMES DU SIECLE 193
pagnie do Jésus se trouve au premier rang. Cette réparation
s'impose au nom du droit, au nom de l'Eglise. En 1872, on a
compté avec la majorité libérale du Reichstag, avec l'opinion
publique, trompée par les menées de la Loge et des ennemis de
toute foi positive, et peut-être a-t-on aussi obéi à des calculs
politiques qui ne sont plus de mise.
Aujourd'hui l'opinion publique est détrompée, les élections
de février dernier ont donné la prépondérance aux partis de la
conservation sociale et chrétienne et démontré en même temps
l'imminence du danger social.
L'empire allemand se trouve donc dans une situation qui
l'oblige de rendre à l'Eglise sa pleine liberté. Il en profiterait
le prenûier, car l'Eglise seule peut contenir les passions et elle
seule peut supprimer les causes fatales du socialisme moderne.
Retirer à un Etat sa base religieuse, c'est le transformer en
agrégation hasardée de droits, espèce de boulevard contre la
guerre de tous contre tous, tel que le voulait la philosophie
ancienne. Mais un tel Etat deviendrait bien vite la proie du
socialisme. Si l'empereur d'Allemagne veut vraiment désarmer
le socialisme, il faut que son empire repose sur une solide base
religieuse. Cette nécessité devrait l'engager à rendre justice à
l'Eglise et par suite à la Compagnie de Jésus.
Le 15 novembre 1849, M. de Bismarck, assis alors dans les
rangs ultra-conservateurs du Landtag prussien, disait :
« J'espère vivre encore assez longtemps pour voir la « nef
aventureuse » de la Révolution se briser contre le rocher de
l'Eglise, car la foi à la parole manifestée de Dieu a encore plus
de racine chez le peuple que la foi dans la force bienfaisante
d'un article quelconque de la Constitution. »
Restons sur ce mot de M. de Bismarck. Au soir de sa vie, il
lui sera peut-être donné de voir que la foi dans les droits de
l'Eglise est plus forte que la foi dans les lois d'exception, telles
que la loi promulguée contre les Jésuites le 4 juillet 1872.
{Univers.)
LA PLÉIADE DES GRANDS HOMMES DU SIÈCLE
(Suite et lia. — Voir le numéro précédent.)
Avec la régularité d'une garde montante, le chancelier de fer,
le prince de Bismarck, vient occuper la place devenue vacante.
Ce gentilhomme prussien, imbu des principes ultra-conser-
194 ANNALES CATHOLIQUES
vateurs, qui avait une première fois fait connaître son nom par
sa lutte chevaleresque contre les libéraux en 1848, qui dans son
enthousiaste royalisme s'était donné corps et âme à son Roi, qui
était pourvu d'une énergie frisant la brutalité, non moins que
d'un" don exceptionnel pour utiliser les voies les plus tortueuses
de la politique, cet homme paraissait bien être l'instrument
voulu pour parachever l'œuvre entreprise par ses prédécesseurs,
pour clore définitivement l'ère des révolutions politiques.
Et dans quelle situation voyons-nous ce même homme laisser
le monde, après avoir, pendant vingt-huit ans, dirigé les des-
tinées de la Prusse, et pendant vingt ans celles de l'Allemagne,
même celles de l'Europe avec une puissance presque souveraine?
Les nations soupirent sous le fardeau des armements et des
dettes, et chaque nouvelle année voit s'alourdir ce poids écra-
sant, indispensable pour le maintien artificiel de la paix.
A cette même fin du maintien de la paix, il a octroyé à son
unique allié naturel, à l'Autriche, l'alliance contre nature avec
l'Italie, dont la faiblesse égale la versalité.
Ainsi se présente la situation politique ; mais la situation so-
ciale est encore bien moins satisfaisante.
Le mécontentement régne dans les masses de la population de
tous les pays. Dans la classe ouvrière — et, malheureusement,
sous bien des rapports non sans raison — les colères grondent,
les choses en sont arrivées au point de laisser prévoir comme
presque probable l'explosion d'une révolution, qui, par sa vio-
lence, dépassera toutes ses devancières.
Rien d'étonnant, étant donné cette situation, à voir le jeune
et énergique empereur Guillaume II intervenir personnellement,
afin d'essayer de réconcilier les ouvriers par la mise en pratique
de mesures qu'on avait depuis longtemps prônées de différents
côtés, mais que le chancelier avait toujours énergiquement re-
poussées.
Rien d'étonnant si l'Empereur, en présence de la tentative du
chancelier de placer, de plein droit, sous sa responsabilité les
autres ministres, qui jusqu'ici avaient subi de plein gré son as-
cendant, tentative visant évidemment à contrecarrer avec une
chance de succès plus assurée les projets de réforme de son
maître, rien d'étonnant, disons-nous, si en présence de cette
tentative, l'Empereur accorde en termes les plus gracieux la
démission demandée.
Mais comment expliquer cet insuccès final d'un homme aussi
LA PLÉÏADK DES GRANDS HOMMES DU SIECLE 195
remarquablement doué que le prince de Bismarck l'est incontes-
tablement ?
La cause en est bien claire.
Protestant, Bismarck se trouvait placé sur le terrain de la ré-
volution religieuse; protestant, il se croj^ait le droit, voire même
le devoir, d'établir la domination du protestantisme en Alle-
magne.
La première étape dans cette voie fut la guerre avec l'Au-
triche. La seconde, qui avait pour but le Culturkampf, ne fut
pas atteinte; il fallut même rétrograder derrière la première,
car, après tout, l'alliance intime avec l'Autriche n'est pas autre
chose que le rétablissement, sous une forme plus relâchée, do
l'ancienne Confédération germanique que Bismarck avait brisée.
Tl devait fatalement échouer dans sa lutte contre la Révolu-
tion, parce que, émancipé de l'autorité religieuse, il disposait
uniquement des ressources de l'intelligence purement humaine
et du pouvoir temporel. Or, celui-ci ne sait pas plus gagner les
cœurs, que l'autre ne peut convaincre les esprits. L'Eglise seule
possède ces facultés.
Avant de terminer, jetons un coup d'œil rapide sur l'Eglise et
nous constaterons que, dans le courant du xix* siècle, peu de
Papes ont porté la tiare; peu de Papes, mais de grands Papes.
L'Eglise a reçu une impulsion puissante sous le gouverne-
ment de ces Pontifes, et si un seul des grands hommes qui ont
gouverné le monde et ont tenté de le délivrer des étreintes de
la Révolution, avait pu ou voulu s'appuyer sur l'Eglise, de quel
succès son oeuvre n'eùt-elle pas été couronnée, quel héritage
n'ent-il pas transmis à son successeur?
Puisse Dieu faire bientôt surgir l'homme d'Etat qui, compre-
nant l'Eglise dans toute sa valeur, se joigne à Léon XIII pour
continuer la lutte contre la Révolution ! Malgré toutes les diffi-
cultés de la situation, nous serions certains de la victoire.
En attendant, rendons grâces à Dieu de nous avoir démontré
au moyen de ces quatre grands hommes politiques du siècle,
combien l'empire romain, tel que les Papes des siècles anté-
rieurs l'avaient rétabli, est une nécessité internationale.
J\n 1802, le dernier Empereur romain, de nation allemande,
déposa volontairement sa couronne, mais Dieu lui-même main-
tint, contre la volonté des nations, l'in-îtitution de ses vicaires,
en donnant au monde une série ininterrompue d'hommes qui
exercèrent une influence dont peu d'empereurs couronnés purent
se vanter.
19Ô ANNALES CATHOLIQUES
L'Eglise n'a rien modifié dans sa liturgie du Samedi Saint, et
certainement le jour viendra, il est peut-être proche, où la chré-
tienté tout entière entonnera au tombeau du Divin Sauveur le
chant :
Oremus et pro Christianissimo.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE
A MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA CONFERENCE
INTERNATIONALE DE BRUXELLES
(Suite. — Voir le numéro précédent.)
Voici quelques traits de cet apostolat improvisé par les noirs,
tels que je les lis, dans les correspondances de nos missionnaires.
Ils sont assez instructifs, en ce qui concerne le degré d'intelli-
gence et de zélé des noirs, pour pouvoir être cités :
« Beaucoup de catéchumènes, disait le P. Lourdel dans une
lettre du 9 août .1882, rentrés chez eux, instruisent ceux de leurs
amis qui témoignent le désir de connaître notre sainte religion.
La bonne nouvelle se répand donc, de proche en proche, et
pourra, au moment marqué par la divine Providence, procurer
une ample et abondante moisson d'âmes. Plusieurs jeunes gens
nous arrivent, de temps à autre, connaissant déjà une bonne
partie du catéchisme, ce qui épargne beaucoup de temps et de
fatigue au missionnaire (1). »
Le même Missionnaire écrit, trois ans plus tard, après un exil
temporaire :
« ... Le Bon Dieu a permis que. les anciens catéchumènes per-
ovérent dans la foi, malgré les efforts des musulmans pour les
gagner, et qu'ils fissent eux-mêmes de nombreux prosélytes
pendant notre absence, pour nous faire mieux comprendre que
c'est son œuvre à Lui, et nous mettre. dans l'impossibilité de
nous glorifier de ces succès. Boa nombre de feuintes mémo ont
été instruites pat" leurs époux ou leurs fréi'es, et il y a mainte-
nant des villages dont le chef est chrétien, et qui comptent
jusqu'à cent adorateurs du vrai Dieu, de sorte que nous ne pou-
vons encore connaître exactement le nombre des fidèles de la
petite Eglise de l'Ouganda.
« Il n'est pas race de voir arriver un ancien catéchumène,
(1) Lettre du R. P. Lourdel. Ouganda., 9 a^ùt 1882, Missions d'A-
frique, BuUetia n° 4G. — Avril 1883, p. Ô5i.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIK 197
suivi d'un certain nombre de prosélytes qu'il a gagnés h Jésus-
Christ et qui n'avaient jamais vu le Missionnaire. « Voici ceux
que j'ai instruits, me dit-il, en mêles présentant. J'en amènerai
d'autres à ma prochaine visite. » Et pour me montrer leurs
progrés dans l'étude de notre sainte religion, il leur fait réciter,
séance tenante, les prières et le catéchisme (1). »
Au mois de décembre 1886, le R. P. Denoit écrivait de Sainte-
Marie de Roubaga (Ouganda) :
«... L'influence des Missionnaires devrait, ce semble, s'étendre
à une sphère restreinte. Nullement, car la divine Providence y
a. pourvu autrement. Tout d'abord, on n'a ir.struit que les pages
de la cour ou les esclaves des grands. Mais bientôt ces pages
sont devenus de petits chefs au loin, les esclaves ont suivi leurs
maîtres dans leurs provinces où ils vont résider quelques mois,
tous les deux ou trois ans; et avec l'esprit de prosélytisme qui
les anime, avec le goût prononcé qu'ont tous les Bagandas pour
l'instruction, ils n'ont pas tardé à répandre autour d'eux leur
petit trésor de science dont ils font tant de cas.
« Et notre religion a gagné ainsi de nombreux catéchumènes,
souvent même à l'insu des Missionnaires.
« De plus, les Bagandas des provinces doivent apparaître pé-
riodiquement à la capitale, pour les travaux que leur imposent,
soit leurs chefs, soit le roi; ils y séjournent souvent plusieurs
mois, et alors on peut terminer leur instruction commencée
chez eux. Les Bagandas, d'ailleurs, sont d'intrépides marclieurs.
Ils font, sans aucune peine, un, deux, trois jours de marche,
pour assistera la sainte messe et recevoir les sacrements (2). »
Enfin, voici ce qu'ajoutait le même Père, dans une lettre qu'il
m'adressait, le 8 mars :
« Tous les jours, il nous arrive de nouveaux catéchumènes;
depuis un an, j'en ai inscrit huit cents, comme a3'ant assisté au
catéchisme que nous leur faisons tous-les matins, et ce nombre
est de beaucoup dépassé par celui dos catéchumènes qui n'y ont
pas assisté, mais que nos néophytes instruisent chez eux dans
les districts éloignés. L'un d'eux me disait dernièrement :
« Etant passé autrefois dans un district de l'Ou idou, j'y avais
inscrit deux catéchumènes; lorsque j'y suis retourné, j'en ai
(1) Missions d'Afrique, Bulletin n" 54, Janvier 18S6, p. 399..
i'2) Missions d'Afrique, Bulletin u° 68. Novembre-DécGuibre p. 188,
189.
198 ANNALES CATHOLIQUES
retrouvé sept. » Un autre me disait qu'il avait été surpris de
retrouver bon nombre de ses gens convertis. Nos néophytes se
font catéchistes de leurs amis et voisins, et c'est ainsi que la
bonne semence se répand de proche en proche (1), »
Ce travail secret et des résultats aussi inattendus achevèrent
d'effrayer ISItéça. Il hésita d'abord à prendre une résolution
violente. Affligé d'une maladie crrave, et ayant pour médecin
l'un de nos Missionnaires, le R. P. Lourdel, il craignait de les
voir partir. Mais enfin, circonvenu, affolé par les esclavagistes,
contraint par eux d'accepter extérieurement la construction
d'une mosquée, le Coran, la prière, il n'hésita plus, fit d'abord
accabler de menaces et bannit enfin violemment les Mission-
sionnaires catholiques qui durent se réfugier au sud du lac.
Mtéça, néanmoins, ne tarda pas à mourir.
Or, parmi ses fils, il y en avait un, Mouanga, qui avait suivi
secrètement, plutôt, par curiosité et par désœuvrement que par
désir sérieux d'embrasser la religion chrétienne, le catéchisme
des Pères. Il s'était même lié, en apparence, avec eux. Ce
n'était pas le fils aîné de Mtéça. La loi de l'Ouganda, par une
singularité digne d'attention, exclut de la succession au trône
le fils aîné du roi, afin d'éviter, sans doute, les complots et les
révolutions de Palais, et déclare que le royaume peut être con-
fié à un autre quelconque des fils du roi, s'il est élu et proclamé
par les grands. Ce fut Mouanga, qui, malgré les intrigues et
les oppositions des Arabes, et môme en haine do ceux-ci, qui
étaient exécrés, par la masse des populations, à cause de leurs
cruautés et de leur circoncision, condamnée, comme toutes les
mutilations, par les traditions du pays, fut donné pour succes-
seur à Mtéça.
Son premier acte fut d'envoyer des pirogues aux Mission-
naires pour leur demander de revenir. C'est ce qu'ils firent, et
l'œuvre d'évangélisation, officiellement interrompue, reprit
alors au grand jour.
Mais les Musulmans n'étaient pas hommes à abandonner le
terrain déjà conquis. Leurs provocations, leurs calomnies re-
commencèrent. Les lettres de nos pères sont pleines du récit de
leurs intrigues et de leurs menaces.
* Si les puissances européennes, dit Mgr Livinhac, ne pren-
nent pas dos mesures énergiques contre les commerçants arabes,
(1) Missions d'Afrique, Bulletin n''71, Septembre 1888, p. 359.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 199
n'opposent pas la force à la force, ils feront, dans tout l'inté-
rieur, ce qu'ils viennent de faire ici, et tous les blancs devront
reprendre le chemin de Zanzibar. La grande plaie de l'Afrique
Equatoriale, ce n'est pas l'esclavage, ni la superstition, ni la
barbarie^ ce senties Arabes. Puisse-t-on le comprendre dans les
cours de l'Europe, oii l'on s'occupe de la civilisation de ce
pauvre continent (1) ! »
Le R. P. Lourdel nous écrivit, de son coté le 8 juin 1889:
« Si les Arabes sont vainqueurs dans le Bouganda et qu'ils
continuent à pouvoir s'approvisionner impunément, à la côte, de
fusils et de poudre, avant un an, toutes les missions de ce pays
seront détruites, et tous les Européens, tant Anglais que Fran-
çais et Allemands, seront probablement massacrés. Il est bien
triste de penser qu'il se trouve encore des Européens assez cu-
pides et cruels pour fournir des armes à des assassins qui ont
déjà tué plusieurs de leurs frères et se préparentà en finir avec
ceux qui restent à l'intérieur. Que le Bon Dieu leur pardonne !
« Ces jours derniers, viennent encore d'arriver à Magou deux
grandes caravanes, avec de la poudre en quantité. Une autre,
où se trouvent aussi plusieurs Arabes, attend à Masari la per-
mission de Rwoma pour venir s'établir chez lui. Si les Arabes
se rendent maîtres du Bouganda, ils s'établiront par force tout
autour du lac et y feront en grand leur détestable commerce
d'esclaves (9). »
Mouanga de son côté, éperdu de terreur, à son tour, mais ne
pouvant se résoudre à laisser son sérail noir pour se faire
catholique, prit, un jour, la résolution non pas de massacrer
les missionnaires, parce qu'il redoutait la vengeance de l'Europe,
mais de s'opposer, par la force, à toute prédication, de con-
traindre ceux de ses sujets qui s'étaient faits chrétiens à renoncer
à leur foi, et de mettre à mort tous ceux qui résisteraient à ses
ordres.
Alors commença une persécution sanglante qui, mieux que
le reste, a mis dans tout son jour la haute valeur de ces noirs de
l'Ouganda, et montré les droits qu'ils ont à l'estime et au respect
de l'Europe civilisée.
Les récits des persécutions des premiers siècles n'offrent rien
de plus admirable.
(1) Missions d'Afrique, Bulletin n° 74, mars-avril 1889, p. 509.
(2) Missions d'Afrique, Bulletin n" 78. Novembre-décembre 1889,
p. 631.
200 ANNALES CATHOLIQUES
On ri recueilli les Actes de ces nombreux maitTres, d'après
les témoins oculaires. J'en ai reçu, de l'Évêque lui-même, les
Actes authentiques pour être communiqués au Saint-Siège.
Je veux en citer, du moins, ici, des extraits pour que les
représentants de l'Einope saciient quels hommes se placent, en
ce moment, sous leur patronage, par la voix de leur Pasteur.
Voici comment le P. Lourde), qui en a été témoin oculaire,
décrit lui-même à son Kvêque les premiers détails de la persé-
cution, à la cour même de Mouanga :
« Je vois chaque chef cte groupe d'employés réunir ceux
de ses gens qui ?ont chrétiens, ];>rés de la porte de la cour dans
laquelle se trouve la case royale. Plusieurs de nos néophytes
sont pleins de joie; quelques-uns ont l'air un peu intimidés,
tandis que d'autres répondent fièrement à leurs amis païens,
nui leur disent : « Vous auriez dû vous sauver !» — « Me sau-
« ver ! et pourquoi ? »
« Charles Louangi, chef du groupe des pages, dans lequel
nous comptions le plus de néophytes, est appelé le premier avec
aa bande. Ils sont accueillis par des huées, que domine la voix
tonnante du roi. Il leur fait les reproches les plus amers sur
leur religion, puis il leur dit : « Que ceux qui prient se rangent
« do ce côté ! »
« Aussitôt Charles Louanga et Kizito, jeune catéchumène
d'une fermeté de caractère tout à fait rare à son âge, se dirigent
vers l'endroit désigné. Tous ceux de la troupe suivent leur
exipraple.
« A un signe cîu roi, k-'S bourreaux se jettent sur tous ces cou-
rageux confesgenrs «d'e la foi, les enlacent dans leurs grosses
cordes, et les traînent brutalement hors de la cour. En niême
temps, j'entends les yanzé (remerciments) de leurs compagnons
encore païens. L'héroïque petite troupe s'arrête à quelques pas
de moi. On a lié ensemble les jeunes gens de dix-huit à vingt-
cimi ans. Les enfants forment un autre faisceau. Ils sont telle-
ment serrés qu'ils ne i)euvent marcher qu'à grand'peine, à petits
pas, et en se heurtant les uns contre les autres. »
Voici maintenant les actes de quelques martyrs isolés. Leur
intrépidité et leur foi suffiront à faire juger celle des autres,
dont le nombre a dépassé le chifl're cinquante :
« André Kagoua, seigneur du pays de bagoa, avait montré
pour Mouanga un dévouement à toute épreuve. Il était un des
trois qui lui découvrirent la conspiration tramée contre lui par
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 201
le ministre et autres grands du royaume. Intelligent, intrépide,
affable, prêt à rendre service à tout le monde, il avait su i o
concilier l'estime et l'aifection de tous les gens de bien. Le roi
lui-même l'appelait son mouganzi (ami) et voulait en faire le
général en chef de son armée. Actuellement il commandait à
plusieurs centaines de soldats. Mouanga ne le laissait guère
s'éloigner de la capitale, sachant bien qu'il se ferait tuer pour
le défendre, en cas d'insurrection. Dans ses chasses, dans ses
promenades sur le Nyanza, André était toujours à ses côtés. Le
martyre de Joseph un de ses amis intimes, mis à mort sur
Tordre de Mouanga, tout en l'attristant profondément, ne lui
avait arraché aucune plainte. II s'était contenté de pleurer en
silence, servant, pour obéir à Dieu, son maître avec la même
fidélité, quoique persuadé que bientôt il partagerait le sort de
son ami, car, comme Joseph, il était chrétien. Son zèle était
connu de tout le monde.
« On savait qu'il avait converti sa femme et groupé autour
de lui plus de cent cinquante néophytes ou catéchumènes, qui
l'aimaient comme leur père. On lui reprochait même d'avoir
converti deux enfants du ministi'e; crime énorme qui, en ache-
vant d'irriter Katikiro (1) contre le coupable, lui avait fait
prendre la résolution de ne rien négliger pour le perdre. Aussi,
dés qu'il vit le roi résolu à massacrer les chrétiens, s'empressa-
t-il de lui dénoncer André, comme le plus dangereux de tous.
Mouanga hésita d'abord à sacrifier celui qu'il regardait comme
le plus fidèle de ses amis; mais le ministre le lui dépeignit sous
des couleurs si noires, qu'il finit, de guerre lasse, par lui per-
mettre, un jour, d'en faire ce qu'il voudrait. Katikiro, craignant
que Kabaka (2) ne revînt sur la sentence qu'il venait de lui
arracher, fit appeler en toute hâte Mkadjanga, le plus terrible
et le plus expéditif des bourreaux.
« André est donc garrotté et conduit au tribunal du ministre.
Celui-ci, aff'ectant de ne pas le reconnaître, lui dit : « C'est toi
qui est le seigneur des Bagoa? »
« André lui répond avec calme : « Tu ne me reconnais donc
pas! Tu m'as vu cependant bien des fois, et, en particulier, quand
je suis venu avec mes gens, te remercier, lors de ma promotion
au grade de mgoa. »
« Le ministre reprend ; « Tu as instruit mes enfants de la re-
(1) C'est le nom qu'on donne au premier ministre dans l'Ouganda.
(2) C'est le nom qu'on donne au roi dans la langue du pays.
15
202 ANNA.LES CATHOLIQURS
ligioD? » — « Oui, répond André, je les ai instruit^?. » Le mi-
nistre ajoute : « Mkasa (Joseph, victime do la première persé-
cution) t'a donné, avant de mourir, un fusil pour tuer le roi. »
— « Si j'avais eu de mauvais desseins, répond André, ce fusil
m'était-il nécessaire pour les accomplir? Les nombreux fusils
que je tiens de Mouanga lui-même ne sont-ils pas aussi bons
que celui que j'ai reçu de Mkasa ? Toi-même, tu as reçu beau-
coup de fusils de Mtéça; te les a-t-il donnés pour tuer son suc-
cesseur?... » — «Qu'on t'emmène et qu'on te tue », conclut
Katikiro. Et s'adressant à Mkadjanga: « Tue-le à l'instant, lui
dit-il ; je ne mangerai pas que tu m'aies apporté sa main coupée,
comme preuve de sa mort. »
« André, de son côté, craignant que Mkadjanga, qui lui témoi-
gnait quelque compassion, ne retardât l'heureux moment de son
triomphe, lui dit : « Hâte-toi d'accomplir les ordres que tu viens
de recevoir. Quand le maître te dit qu'il a faim, et t'ordonne do
tuer une chèvre grasse, tu te presses, afin de pouvoir lui servir
à manger au plus tôt. Tue-moi donc vite, pour t'épargner les
reproches du ministre. Tu lui porteras ma main, puisqu'il ne
peut manger avant de l'avoir vue. »
€ Les bourreaux conduisent André dans une cour à quelques
pas de la hutte de Katikiro, et lui tranchèrent la tête, puis lui
coupèrent la main qu'ils allèrent, en toute hâte, présenter au
ministre... »
Voici les Actes du martyre d'un des chefs des pages du roi :
« Louanga, chef des pages chrétiens, fut séparé de ses com-
pagnons. Peut-être espérait-on les faire ainsi plus facilement
renoncer à la foi. Le bourreau Senkolé, pour faire preuve de
zèle, pria le roi de lui livrer Louanga, promettant de le torturer
comme il le méritait. Il le brûla donc lentement en commençant
par les pieds.
« En attisant le feu, il lui disait : « Allons, que Dieu vienne
et te retire du brasier ! »
« Le martyr lui répondait avec calme : « Pauvre insensé ! tu
ne sais pas ce que tu dis. En ce moment, c'est comme de l'eau
que tu verses sur mon corps ; mais, pour toi, le Dieu que tu
insultes te plongera, un jour, dans le véritable feu. » Après
quoi, se recueillant en lui-même, il supporta son long supplice
sans proférer aucune plainte. »
Le récit de la mort de Mathias Mouroumba n'est pas moins
admirable :
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 203
« Un autre de nos chrétiens, digne, lui aussi, de cimenter de
son sang les fondements de l'Église naissante du Bouganda,
était, depuis longtemps, signalé à la rage des ennemis de Dieu.
C'est Mathias Monroumba, baptisé le 8 mai 1882. Il s'était tou-
jours montré austère observateur de la religion, ne comprenant
pas que, le bon chemin une fois connu, on put s'en écarter.
Depuis son baptême, il vivait paisiblement avec sa femme
chrétienne et ses enfants, auxquels il enseignait lui-même le
catéchisme et les prières. Exerçant les fonctions déjuge de
paix dans un des principaux districts du pa^'S, il fût arrêté dès
les premiers jours de la persécution. On le conduisit devant le
ministre qui, jetant sur lui un regard de mépris, demanda :
« C'est là Mouroumba? C'est lui qui, à son âge, a embrassé la
religion? »
— Oui, c'est moi, répond Mathias.
— Pourquoi pries-tu? répond le ministre.
— Parce que je veux prier, répond Mathias.
— Tu as chassé toutes tes femmes; c'est donc toi-même,
demande Katikiro d'un ton moqueur, qui prépares ta nourriture?
— Est-ce à cause de ma maigreur, demande à son tour
Mathias, ou à cause de ma religion qu'on m'a conduit à ton tri-
bunal?
S'adressant aux bourreaux, le ministre dit :
— Emmenez-le et tuez-le !
— C'est ce que je désire, répond Mathias.
— Bourreaux, dit Katikiro qui se sentait humilié par tant de
fermeté, vous lui couperez les pieds et les mains, et lui enlèverez
des lanières de chair sur le dos ; vous les ferez griller sous ses
yeux. Et souriant méchamment, il ajouta: « Dieu le délivrera. »
« Mathias, blessé au vif par l'outrage qu'on fait à Dieu, en
lui portant un défi, réplique avec une noble fierté : « Oui, Dieu
me délivrera; mais vous ne verrez pas comment il le fera; car
il prendra avec lui mon être raisonnable, et ne vous laissera
entre les mains que l'enveloppe mortelle. »
« Mkadjanaga se mit en devoir d'exécuter consciencieusement
l'ordre barbare de Katikiro.
« Pour ne pas être troublé par les spectateurs, il conduisit
l'intrépide chrétien sur la colline sauvage de Savaridja.
« Mathias, les mains liés et la corde au cou, suivait les bour-
reaux, d'un pas alerte, et le visage rayonnant de joie. Son ami,
Luc Banabakintou, baptisé le même jour que lui, fervent chré-
tien comme lui, était conduit avec lui au supplice.
204 ANNALES CATHOLIQUES
« En route les bourreaux rencontrèrent un homme qu'ils
soupçonnèrent, je ne sais pourquoi, d'être chrétien, et sans autre
forme de procès, le garrottèrent pour le tuer, en même temps que
Mat'hias et Luc. Mathias intercéda pour lui : « Je connais ceux
« qui prient, dit-il. Celui-là ne prie pas ; laissez-le s'en aller. »
Les bourreaux le relâchèrent.
« Arrivé au lieu du supplice, Mkadjanga, aidé de ses hommes
coupa avec sa hache les pieds et les mains de Mathias, qu'il fit
griller à ses yeux. L'ayant ensuite couché la face contre terre
ils lui enlevèrent des lambeaux de chair qu'ils grillèrent de
xiiêrao. — Ces horribles tourments n'arrachèrent aucune plainte
à l'héroïque chrétien.
« -Les bourreaux usèrent de tout leur art pour empêcher
l'écoulement du sang et ménager ainsi au martyr une cruelle
agonie. Il n'y réussirent que trop ; car, trois jours après, des
esclaves qui allaient couper des roseaux, étant passés par là,
entendirent une voix qui les appelait. Ils s'approchèrent. Le
mourant les pria de lui donner un peu d'eau; mais, épouvantés
à la vue de ce malheureux, si horriblement mutilé, ils prirent
la fuite et le laissèrent consommer son sacrifice, privé, comme
le divin Maître, du moindre soulagement au milieu des plus
atroces soufi'rances. »
Mais les excès mêmes de ces cruautés devaient les empêcher
de se prolonger plus longtemps. (A suivre.)
L'EGLISE AU BRESIL
I
Il y a quelques jours, on lisait dans les journaux que les
évêques du Brésil avaient envoyé une lettre au Saint-Père pour
lui exprimer leur profonde satisfaction au sujet du décret
proclamant la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Pareille nouvelle devait surprendre sous un double rapport.
La séparation de l'Eglise et de l'Etat est loin d'être un état de
choses désirable, l'enseignement du Saint-Siège est très expli-
cite à ce sujet; ensuite on pouvait, ajuste titre, ressentir une
vive surprise de voir^le gouvernement révolutionnaire du Brésil
prendre des mesures de nature à remplir de joie le cœur des
évêques.
Jusqu'ici ce charmant gouvernement avait utilisé les loisirs
l'église au BRÉSIL 205
que lui laissait l'élaboration de ses décrets politiques, à donner
des preuves réitérées de son esprit antireligieux.
Un court aperçu de la situation de l'Eglise au Brésil fera
comprendre et la façon d'agir du gouvernement et la situation
des évêques.
Deux partis alternaient au pouvoir : les libéraux et les conser-
vateurs. On peut caractériser leur politique envers l'Eglise delà
façon suivante.
Les libéraux demandaient la laïcisation des cimetières, le
mariage civil, voir même la séparation de l'Etat et de l'Eglise.
Les conservateurs par contre, insistaient sur le maintien des
rapports existants, le catholicisme devait rester la religion d'Etat.
Les républicains, le troisième groupe, qui subitement s'empara
du pouvoir par un coup révolutionnaire, acceptent le pro-
gramme libéral, tout en le jugeant insuffisant. Indifférents ou
athées, ces hommes ne veulent pas d'autre religion que les
hauteurs sereines de la philosophie.
Tout laïciser est la base de leur programme. Ils espèrent
porter un coup mortel à l'Eglise en lui retirant l'appui de l'Etat:
de fait ils lui rendent le plus précieux service ! Dieu sait faire
sortir le bien des menées des méchants, il en atoujours été ainsi,
et il en sera de même jusqu'à la fin des temps. Nous trouvons
dans cette pensée une profonde consolation par le temps de
persécution qui court, et chaque jour nous apporte de nouveaux
témoignages en faveur de cette vérité réconfortante.
Les ennemis les plus dangereux de l'Eglise au Brésil étaient
non pas les libéraux qui ne dissimulaient pas leur désir de
détruire l'Eglise, mais bien les conservateurs qui l'étouifaient
sous prétexte de la protéger.
Il faudrait remonter jusqu'à Pombal et à la persécution odieuse
des jésuites pour montrer les origines de la triste situation de
l'Eglise au Brésil. Le jansénisme fut implanté de vive force et
produisit là comme partout ses ravages profonds dans le clergé.
Le cadre trop restreint d'un journal ne nous permettant pas de
nous arrêter à cette période de l'histoire religieuse du Brésil,
nous passons de suite à la proclamation de la Constitution brési-
lienne de 1824.
Cette Constitution concède à l'Empire le droit absolu de nom-
mer les évêques et de conférer tous les bénéfices. En outre, elle
établit le droit de Placet impérial ; aucun décret d'un Concile,
aucune Bulle Pontificale ne sera valable si l'Empire ne l'ap-
prouve pas explicitement.
203 ANNA.LES CATHOLIQUES
Et si Ton veut constater quels ravag&s le régime de Pombal
et le Jansénisme avaient exercés dans le clergé, il suffira de
constater que le président du Corps Législatif qui vota une
Constitution violant aussi outrageusement les droits de l'Eglise
et du Saint-Siège, ne futpersonne d'autre que S. G. rarchevéque
de Rio-de-Janeiro ! Ni lui ni aucun des dix-liuit autres prêtres
qui siégeaient à la Chambre ne trouvèrent une objection à
formuler.
II
Ce serait pourtant une illusion que do croire l'Etat satisfait de
ses conquêtes. Une loi du 4 décembre 1827 facilite l'exercice du
droit impérial concernant la collation des bénéfices : afin d'em-
pêcher que l'Ordinaire puisse mettre obstacle en refusant d'ins-
taller un prêtre trop manifostemont indigne, la loi décrète que
l'installation pourra se faire par n'importe quel évoque. Une
autre violation des droits épiscopaux est le but de la loi du
27 février 1844, qui confère aux Chambres provinciales le droit
de créer des paroisses, sans avoir à s'inquiéter du consente-
ment de l'évêque. Mentionnons encore dans cette anthologie de
lois brésiliennes celle du 21J janvier 186G, qui défend aux évê-
ques de franchir les limites de leur diocèse, sans avoir obtenu
l'autorisation préalable du Gouvernement.
Il va sans dire que le Gouvernement s'est muni de tout un ar-
senal de lois pour réprimer et punir les abus de pouvoir des
évêques. Parler du « pouvoir » des évêques brésiliens, c'est
pousser un peu loin l'ironie !
Déjà en 1827, le Saint-Siège, ému de la triste situation de
l'Eglise au Brésil, essaya d'enra^'er les progrès du mal en fai-
sant une concession immense au pouvoir civil.
Léon XllI espérait empêcher de nouveaux empiétements, en
allant, dans sa mansuétude et dans sa sagesse, jusqu'aux der-
nières limites possibles. Il accorda à l'Empereur des droits de
patronnât sur toutes les églises et bénéfices de l'Empire.
Sait-on quel accueil la Bulle pontificale reçut ?
La commission des affaires ecclésiastiques de la Chambre des
représentants, commission presque exclusivement composée de
prêtres, déclara la Bulle inutile, l'Empereur possédant cousti-
tutionnellement tous les droits que le Pape veut lui conférer.
Sur quoi Sa Majesté refusa sonPlacot à la Bulle !
On se souvient encore du conflit du gouvernement avec les
l'église au BRÉSIL 207
évêques de Para et de Pernambouc. Ces dignes prélats ayant
refusé de laisser servir les églises à la glorification de la franc-
maçonnerie, furent condamnés à quatre ans de travaux forcés
et jetés en prison. Le tribunal constata un « abus de pouvoir »,
les Evêques n'avaient pas le droit de se montrer hostiles à la
Franc-Maçonnerie, la Bulle condamnant la Franc-Maçonnerie
devant être considérée par les Evêques comme non avenue,
parce qu'elle n'est pas munie du Placet impérial !
Le tableau serait incomplet si nous omettions de mentionner
que cette inique campagne contre les évêques de Para et de
Pernambouc fut entreprise par un ministère conservateur,
ayant à sa tête le vicomte de Rio Branco, grand-rnaitre de la
franc-maçonnerie brésilienne.
Il va de soi que les ordres religieux n'avaient rien à envier au
clergé séculier. Les propriétés de beaucoup d'ordres sont déjà
confisquées, le vol d'autres est décidé en principe. Personne
n'ose entrer en religion ou faire ses vœux sans autorisation du
gouvernement (décrets du 30 janvier 1834 et du 20 mai 1855).
On croira peut-être qu'en compensation de son ingérence
dans le domaine spirituel, le gouvernement procurait au clergé
une situation matérielle tolérable.
Ce serait une erreur profonde ; le gouvernement a soin de
tenir le clergé dans un état de dénùment complet. Les choses en
sont arrivées au point que le bas clergé est forcé de se créer
des ressources en pratiquant un métier ou en faisant un petit
commerce. L'influence du clergé sur le peuple est nulle, et
pour empêcher qu'il n'agisse sur la jeunesse, l'accès de l'école
lui est interdit.
Dans un droit civil et ecclésiastique, le sénateur Candido
Mendês de Almeida peut dire avec beaucoup de vérité :
« L'Eglise telle que nous l'avons au Brésil, n'est qu'une
« esclave, et comme telle elle n'est qu'un sujet de dérision
« pour le siècle, un instrument inefficace pour le bien, un poids
« de plomb pour la société. »
Voilà, en effet ce que les conservateurs ont fait de l'Eglise.
Les libéraux et les révolutionnaires ont cru le moment de lui
donner le coup de grâce. Ils jugent le moment opportun de
rejeter hors de l'État l'Eglise. Ils pensent — et humainement
ils ont raison — que cette Eglise, affaiblie outre mesure,
dépourvue de toute influence, démoralisée par la corruption
d'un esclavage plus que séculaire, périra dès qu'elle sera
dépouillée de sa situation légale.
208 ANNALES CATHOLIQUES
Nous, par contre, nous comprenons qu'un ra^'on d'espoir
vienne illuminer les cœurs de ces pasteurs, si cruellement
éprouvés.
Les. révolutionnaires sauveront l'Eglise en croyant la tuer.
Voici le texte du décret du gouvernement provisoire du Brésil
sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat; ce décret est daté du
7 février :
Art. — i'=^ Il est défendu àTautorité fédérale ainsi qu'à celle des États
fédérés, d'établir des lois, règlementsou actes administratifs, établis-
sant quelque religion ou l'empêchant, et de créer des différences
entre les habitants du pays ou dans les services rétribués aux frais
du budget, pour motif de croyances ou d'opinions philosophiques o*
religieuses.
Art. 2. — Toutes les confessions religieuses ont également la
faculté d'exercer leur culte, de se gouverner suivant leur foi, et elles
ne seront pas contrariées dans les actes particuliers ou publics qui
intéressent l'exercice de ce droit.
Art. 3. — La liberté ci-dessus instituée ne concerne pas seulement
les individus dans les actes individuels, mais aussi les églises, asso-
ciations et instituts dans lesquels ils se trouvent réunis ; tous ont le
plein droit de se constituer et de vivre en communauté, selon leur
credo et leur discipline, sans intervention du pouvoir public.
Art. 4. — Le patronat est supprimé avec ses institutions, recours
et prérogatives.
Art. 5. — Toutes les églises et confessions religieuses jouissent de
la personnalité juridique, pour acquérir des biens et les administrer,
dans les limites posées par les lois concernant la propriété de main-
morte, chacune conservant le domaine de ses biens actuels ainsi que
des édifices de son culte.
Art. G. — Le gouvernement fédéral continue à payer le traitement
ordinaire des ministres actuels de culte catholique et subventionnera
pour un an les chaires des séminaires ; chaque Etat est libre de main-
tenir les futurs ministres do ce culte ou de tout autre, sans contre-
venir aux articles précédents.
LA JEUNESSE CATHOLIQUE D'ITALIE AU VATICAN
Le deuxième dimanche après Pâques, qui porte le titre tou-
chant du Bon Pasteur, le Souverain Pontife a accueilli en vrai
Père et Pasteur suprême le grand pèlerinage de la Société de
la Jeunesse catholique d'Italie.
Avant de venir à cette solennelle audience, tous les pèlerins,
au nombre d'environ cinq mille, accourus de tous les diocèses
LA JEUNESSE CATHOLIQUE d'iTALIE AU VATICAN 209
^'Italie et unis ensemble dans un même sentiment de foi et de
-dévouement, s'étaient rendus, le matin, à la basilique Vaticane,
pour y assister à la messe que S, Em. 1© cardinal Oreglia di
.Santo Stefano, protecteur de la Société de la Jeunesse catho-
lique, a célébrée à l'autel de la Chaire. Là, Son Eminence a
donné à tous les pèlerins la sainte Communion, pendant que
sous les voûtes de la basilique retentissaient les accents du
Pange lingua. Ensuite, Mgr Graselli, archevêque des Colosses,
leur a adressé une éloquente et chaleureuse exhortation pour
les confirmer dans leurs saintes résolutions. C'est là aussi que
Jeur ont été distribuées, comme insignes du pèlerinage, les
croix bénites en étoffe rouge lisérée de blanc portant cette
^lîevise : Domino Christo servire.
C'est décorés de ces insignes qu'ils ont paru plus tard dans le
palais du Vatican, pour y être admis à l'audience du Saint-Père.
Eu égard au grand nombre de pèlerins, on a choisi pour l'au-
dience la vaste salle de la Loggia, au-dessus du vestibule de
Saint-Pierre. A 11 heures, toute la salle était déjà remplie, et
les derniers arrivés ont été forcés de rester dans la salle Royale,
qui est voisine, ou sous les arceaux qui précédent la salle de la
Loggia. Au reste, toute la foule des pèlerins, auxquels s'étaient
jointes les députations des sociétés catholiques de Rome, a pu
se ranger avec le meilleur ordre, sous la direction des jeunes
gens du cercle de Saint-Pierre, soit sur le passage du Pape,
soit dans la salle même de l'audience, où flottaient au milieu
des rangs compactes des assistants, les riches bannières des
divers groupes du pèlerinage.
A la tête des pèlerins se trouvait le comité de direction de la
Société de la Jeunesse catholique d'Italie, avec son président
général, M. le commandeur AUiata. Près du trône, se tenaient
les évêques d'Italie qui avaient accompagné les pèlerins de
leurs diocèses, à savoir LL. EEm. le cardinal Sanfelice, arche-
vêque de Naples ; le cardinal Siciliano di Rende, archevêque
de Bénévent ; le cardinal Celesia, archevêque de Palerme ;
NN. SS. les archevêques de Pérouse, de Sienne, de Tarente, de
Chieti, de Salerne, et les évêques d'Aversa, d'Ancône, d'Acqua-
pende, de Narni, de Lorette, de Fano, de Poggio Mirteto, de
Montefiascone, d'Osimo, de Pontremoli, de Corneto et Civita-
vecchia, de Rimini. Il y avait aussi NN. SS. les évêques de
Gand et du Puy, arrivés à Rome ces jours-ci; de même que
parmi les cardinaux qui ont précédé vers midi la venue du
210 ANNALES CATHOLIQUES
Saint-Père, on remarquait, outre les trois cardinaux italiens
accompagnant le pèlerinage et indiqués plus haut, l'Enae car-
dinal Place, archevêque de Rennes, auprès de LL. EEra. Mo-
naco La Valetta, Vanutelli, Rampolla, Aloisi, Verga, Apolloni,
Macchi, Mazzella, soit en tout douze princes de l'Eglise et vingt
archevêques et évèques.
Tout près du trône, avaient également pris place une députa-
tion spéciale venue avec le pèlerinage pour demander au Sou-
verain Pontife l'introduction de la cause de béatification du
vénérable serviteur de Dieu Alexandre Luxago, illustre patri-
cien de Brescia, contemporain de saint Charles Borromée et do
saint Philippe de Néri et dont les vertus laissées en exemple
aux fidèles laïques allaient être rappelées dans l'adresse du
pèlerinage et à la fin dn discours de Sa Sainteté.
La lecture de l'adresse, exprimant les plus fermes et invio-
lables résolutions d'attachement au Vicaire de Josus-Christ, a
été faite au pied du trône par M. le commandant AUiata, en sa
(|ualité de président de la Société de la Jeunesse catholique
d'Italie.
Le Souverain Pontife v a répondu, d'une voix claire et vi-
brante, par un de ces discours inoubliables qui tracent tout un
programme et résument toute une situation.
Votre présence et vos paroles, très chers Fils, sont pour
Nous le sujet d'une vraie et fortifiante consolation. Les
manifestations catholiques des Italiens ont à Nos yeux une
valeur spéciale, à cause des liens tout particuliers qui les
unissent au Pontife romain, et plus encore des conditions
difficiles que leur créent le conflit existant entre l'Italie
officielle et la Papauté et l'attitude hostile prise par celle-là
contre celle-ci.
Parmi les graves sollicitudes du ministère apostolique
que Nous exerçons, l'une des plus amères et des plus poi-
gnantes est celle qui concerne les conditions de l'Eglise en
Italie, la religion et la foi du peuple italien. Que si toujours
Nous avons dû signaler les périls qui la menacent, aujour-
d'hui Nous avons un motif d'autant plus juste de le faire
que depuis quelque temps, ces périls sont devenus plus
graves.
Les faits d'ailleurs parlent d'eux-mêmes. La guerre que^
LA JEUNESSE CATHOLIQUE d'iTALIE AU VATICAN 211
par esprit de haine satanique, les sectes dirigent contre la
religion catholique est ouvertement soutenue ici par les
pouvoirs publics, lesquels se sont publiquement déclarés en
faveur de ces mêmes sectes. Les lois, les actes qui, de prés
ou de loin, concernent l'Eglise et la religion se font ici
sous l'inspiration directe des sectes, auxquelles tout obéit.
Il est, en effet, d'une évidence tangible que les actes du
pouvoir public dans la politique concernant l'Eglise répon-
dent pleinement à leurs aspirations et à leurs coupables
desseins, qui désormais ne sont plus un mystère pour per-
sonne. Il suffit de rappeler les articles du nouveau Code
contre le clergé, les scandales du mois de juin dernier, le
discours de Païenne, la loi proposée sur les Œuvres pies et
les autres qui sont en préparation. C'est la continuation de
la guerre qui fut commencée par la destruction de la sou-
veraineté civile des Souverains Pontifes et qui, au cours de
l'exécuiiou, s'est manifestée de plus en plus telle qu'elle
était dés le commencement dans les intentions des agita-
teurs, une guerre à outrance et sans trêve contre la reli-
gion et contre l'Eglise de Jésus-Christ.
En présence de cet état de choses, le devoir s'impose
aux catholiques italiens de se montrer tels qu'ils sont, à
visage découvert, et de tout affronter et endurer pour con-
server l'inestimable trésor de la foi. Il ne peut y avoir
aujourd'hui que deux camps nettement tranchés : le camp
des catholiques résolus à rester toujours unis et à tout prix
avec les évêques et avec le Pape, et le camp ennemi qui les
combat. Ceux qui, par lâcheté, craignent de se montrer et
qui aiment rester entre les deux camps vont grossir par là
même, d'après la parole divine, les rangs des ennemis.
Aussi ne pouvons-Nous faire moins, très chers Fils, que
de vous féliciter sincèrement et d'apprécier comme il con-
vient votre hommage, la profession ouverte de votre foi, les
protestations de votre parfaite union avec Nous.
Par là, non seulement vous remplissez un devoir sacré
de religion, mais vous donnez aussi la preuve que vous êtes
les amis les plus sincères de votre pays. Nous savons qu'il
existe des gens qui vous accusent de ce chef d'en être les
212 ANNALES CATHOLIQUES
ennemis ; mais, si l'on doit juger d'après les faits entre vous
et vos accusateurs, considérez quels services rendent à
l'Italie ceux qui prétendent être seuls à l'aimer. Ils mettent
tout en œuvre pour déraciner du cœur des Italiens, la
religion, premier bien ou plutôt trésor d'immenses biens
pour les Etats, de même que pour les individus, et sans
laquelle croulent les fondements de la société humaine. Les
bonnes et saines mœurs, de la pureté desquelles dépendent,
en grande partie la prospérité des familles et la force des
nations, se corrompent profondément de jour en jour, par
l'affaiblissement du sentiment religieux qui en est l'àme et
le soutien ; et si l'on ajoute à cela les causes si fortes et si
nombreuses de perversion par la licence en tout ordre de
choses, il y a vraiment de quoi rester épouvanté au sujet
ces générations à venir.
Nous ne parlons pas du bien-être, ni de la prospérité
matérielle, car tout le monde voit à quelle misérable con-
dition elle est réduite.
Or, Nous le demandons, qui est-ce qui aime le plus et le
mieux l'Italie ? De ceux qui la veulent religieuse, de bonnes
mœurs, florissante et bénie de Dieu, ou de ceux qui s'effor-
cent de lui ravir toutes ces ressources de bénédictions et de
prospérité ? De ceux qui la veulent en paix avec le Pape et
avec l'Eglise, et par là m.ême aimée et respectée au dehors,
ou de ceux qui se plaisent à attiser dans son sein le plus
funeste des conflits, qui en affaiblit les forces et l'expose con-
tinuellement de la part des ennemis aux plus graves périls?
De ceux qui la veulent fidèle à Dieu et à la religion des
ancêtres, ou de ceux qui la livrent en proie aux sectes, dont
la malfaisante influence finit par déchaîner les passions des
multitudes et par laisser la société sans défense contre tant
d'éléments subversifs qui prévalent ? A qui a du bon sens
de faire la réponse.
C'est pourquoi, très chers Fils, tenez-vous de plus en plus
unis à l'Eglise et au Pape, en vous laissant guider par les
deux plus nobles amours, celui de la religion et celui de la
patrie.
Les devoirs que Nous avons naguère rappelés et inculqués
LA. JEUNESSE CATHOLIQUE d'iTALIE AU VATICAN 213
à tous les catholiques, c'est-à-dire l'amour de l'Eglise,
l'attachement à la foi, le courage de professer la foi et de la
défendre, l'union avec Nous et avec l'Episcopat, la con-
corde de sentiments et d'action, l'éducation chrétienne
des enfants, ces devoirs en cette solennelle circonstance,
nous les rappelons et inculquons de nouveau à vous, qui êtes
les plus prés de tous de ce Siège Apostolique et qui avez à son
égard des devoirs plus particuliers. Remplissez-les avec une
constante fidélité, en témoignage de respect au Pontife
romain et d'obéissance à l'Eglise. Inspirez-vous à l'appui
des nobles exemples laissés par le vénérable Luxago, dont
vous avez rappelé tout à l'heure le souvenir, et par tant
d'autres héros dont l'Italie, grâces à Dieu, a toujours été
la mère féconde.
Enfin ayez grandement à cœur Notre liberté et l'indépen-
dance vraie que Nous réclamons et réclamerons toujours
pour Notre ministère apostolique, et dont la sauvegarde
consiste dans une vraie et réelle souveraineté.
Ces paroles, chers Fils, gravez-les profondément dans
vos cœurs, emportez-les et répandez-les dans vos pays.
Emportez-y aussi la bénédiction apostolique que Nous
accordons avec une vraie effusion d'amour paternel à vous
tous ici présents, à vos cercles, à vos familles et à tous les
catholiques italiens.
Aux passages saillants de ce discours, l'enthousiasme de l'as-
sistance n'a pu s'empêcher de se manifester par des vivats et
des acclamations d'un élan irrésistible qui, à la lin, ont revêtu
le caractère d'une magnifique ovation en l'honneur de l'auguste
Pontife.
Après cet admirable discours et pendant que durait encore
dans l'immense foule l'impression qui s'est traduite par des
acclamations enthousiastes, le Souverain Pontife a daigné
admettre au baisement du pied tous les membres du comité de
direction de la Société de la jeunesse catholique d'Italie, ainsi
que la députation spéciale venue pour demander la prompte
introduction de la cause de béatification du vénérable Luxago
et présentée au Saint-Père par le prince D. Thomas Antici-
Mattei.
214 ANNALES CATHOLIQUES
Cette députation comprenait : le postulateur de la cause, le
R. P. Antoine Cottinelli, deBrescia, de la congrégation de l'Ora-
toire, qui a offert à Sa Sainteté un tableau représentant le véné-
rable serviteur de Dieu ; "M. l'abbé Charles Locatelli, assistant
ecclésiastique du cercle de la Jeunesse catholique de Milan;
M. le chanoine D. Antoine Averoldi, descendant de la famille du
vénérable Luxago ; M. le comte Louis Martinengo et RI, Montini,
directeur du Ciltadino, de Brescia, qui tous ont présenté au
Saint-Père de précieux volumes contenant les suppliques, avec
d'innombrables signatures à l'appui de l'introduction delà cause
de béatification.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le voyn.ce de M. Carnot. — Pluie et discourvS. — Au Conseil municipal de
Pai'is. — Autres discours. — La manifestation du 1"" mai. — Bismarck
et CJuillaum'^ II. — Le nouveau chancelier au Landtag.
24 avril 1890.
Et depuis que M. Carnot est parti en voyage dans le midi,
la pluie tombait, tombait, tombait toujours ! A Arles, à Aix, à
Marseille, en Corse, il pleut, et l'impassible président ne sour-
cille pas plus sous cette pluie du ciel que sous celle des innom-
brables discours dont on l'abreuve.
C'est un homme qui supporte bien l'eau !
Mais quel métier ! Vous qui repassez dans votre souvenir tous
les charmes d'un voyage d'agrément, au gré de votre fantaisie,
pouvez-vous assez vous représenter l'infortune de celui qui, pen-
dant une dizaine de jours, ne peut ni dire un mot ni faire un
geste qui ne soient épiés et commentés par les argus d'une
presse à l'affiit du moindre indice de nature à satisfaire la cu-
riosité publique ? Mais aussi quelle précieuse faculté pour un
chef de l'Etat que d'être à la fois laconique et sobre de mouve-
ments. Peut-être nos Méridionaux voudraient-ils quelque chose
de plus, quelques belles images à la Gambetta, lancées à j)leine
voix et appuyées par une mimique éloquente. Mais il faut sa-
voir varier ses plaisirs, et puis il y aura toujours des discours,
des promesses, des revues militaires, et « autrement», comme
on dit entre Avignon et Marseille, ce scia toujours cela de ga-
gné sur la monotonie de la vie de province.
Quant aux déductions que les politiciens habiles ont pour ha-
bitude de tirer des voyages présidentiels, en ce qui concerne
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 215
leur influence sur les résultats électoraux, il en faut beaucoup
rabattre. Certes, M, Carnot a reçu en 1888, lors de sa visite
dans la Seine-Inférieure un accueil sympathique. Cela n'a pas
empêché qu'en 1890 l'opposition ait gagné dans ce département
deux sièges de députés, et il s'en est fallu de bien peu qu'elle ne
réussît dans quatre circonscriptions, tout en disputant vive-
ment le terrain sur d'autres points. Il faut donc laisser modes-
tement aux voyages de M. Carnot leur véritable caractère. Ils
ne sauraient effacer l'impression causée par les ministres s'ils
font de mauvaise politique, et toutes les félicitations obligatoires
qu'il peut recueillir n'empêcheraient pas un mécontentement
légitime à son heure. A part cela, nous souhaitons sincèrement
que sa visite à la Corse contribue à apaiser les passions dans
l'île chère à Mérimée, et à raffermir les liens qui l'attachent à
la mère-patrie.
On ne saurait passer sous silence l'attitude à la fois correcte
et déférente de M. Carnot et du clergé dans l'échange de leurs
compliments, et l'affectation de courtoisie qui a caractérisé les
rapports entre le président de la république et l'amiral repré-
sentant le roi d'Italie. Il ne faut pas en conclure à priori^ sur-
tout après l'expulsion des journalistes français, que M. Crispi
devient moins gallophobe. Mais on peut supposer que, subissant
le mot d'ordre qui lui vient de Berlin, il juge opportun d'apporter
quelques atténuations à une politique dont les résultats sont
durement appréciés en Italie et ailleurs.
En présentant le clergé, l'archevêque d'Aix, Mgr Gouthe-
Soulard, s'est exprimé en ces termes :
Monsieur le président de la République,
Après un voyage dans le Midi, Louis XIII parla en ces termes de
notre Provence ; « A Arles, dit-il, j'ai été reçu comme un gentil-
homme; à Marseille, comme un Roi, à Aix, comme \\n Dieu. » Vous
serez plus simple, mais non moins vrai, monsieur le président de la
République, en disant que nous vous avons reçu comme le représen-
tant de Dieu qui a créé les deux sociétés religieuse et civile, et les
a unies dans un ensemble harmonieux et puissant.
Nous, catholiques de conviction et de pratiques, nous surtout,
clergé qui tiendrons la dernière école de respect, si le respect venait
à disparaître de ce monde, nous croyons et nous enseignons que
toute autorité, la plus humble tout aussi bien que la plus élevée, est
une délégation divine.
:216 ANNALES CATHOLIWUKS
Nous embrassons dans un même amour et un même dévouement la
patrie céleste et la patrie française, rsotre conduite n'aura jamais
■d'autre inspiration. Chaque jour, nous demandons à Dieu de vous
accorder les grâces et la force nécessaires pour porter vaillamment et
chrétiennement le noble fardeau qui vous a été imposé en son nom et
par la volonté nationale.
Je suis heureux, monsieur le président, de vous exprimer les sen-
timents religieux et patriotiques qui remplissent les cœurs de mes
prêtres et de mes diocésains, en vous remerciant des quelques heures
■que vous nous consacrez dans votre rapide passage. Nous en conser-
verons le souvenir dans notre vieille cité, qui met sous votre protec-
tion la conservation de tous ses privilèges séculaires.
La visite d'un chef de l'Etat est un acte de bon gouvernement,
parce que c'est un acte paternel. Le premier Français par la dignité
est le premier serviteur de la France. C'est ainsi que vous l'entendez,
monsieur le président, et nous tous à votre suite. Ce sera votre plus
grand honneur qui vous associera à sa propre immortalité.
M. Carnot a répondu ainsi à l'archevêque :
C'est en citoyen, et, si ce n'est comme le premier, c'est au moins
comme le plus dévoué que je vous remercie et vous suis reconnais-
sant de voir allier à vos sentiments religieux les sentiments de patrio-
tisme qui doivent inspirer votre clergé.
Mgr Robert, évêque de Marseille, a prononcé rallocution
suivante en présentant ses grands-vicaires ainsi que les membres
du chapitre et du clergé de la ville :
Monsieur le Président,
J'ai l'honneur de vous offrir, au nom de mon clergé et en mon
propre nom, l'hommage de notre respect et de voua affirmer notre
amour patriotique de la France. Les prêtres de mon diocèse et moi,
nous avons au cœur un double amour : l'amour de l'Eglise et l'amour
de la Patrie. Ces deux amours sont frères ; ils ont en Dieu leur com-
mune origine. Aussi sorames-nous assurés' de préparer de bons ci-
toyens en formant, par une éducation solidement religieuse, de bons
chrétiens.
Nous prierons, Monsieur le Président, pour le succès de votre
voyage dans notre chère Provence, demandant à Dieu qu'il soit heu-
reux pour votre personne, pour notre grande cité et pour les popu-
lations qui ont l'honneur de vous recevoir.
M. Carnot a répondu à Mgr Robert :
Je vous remercie de vos vœux et je remercie votre clergé pour
ceux qu'il forme et que vous voulez bien me présenter en son nom.
CHRONIQUE UE LA SEMAINE 217
Pendant ce temps, notre attention est appelée sur la vérita-
ble cohue à laquelle donne lieu la campagne des élections muni-
cipales à Paris. A la rentrée des Chambres, M. le docteur Des-
prés doit adresser une interpellation à M. Constans, ministre de
l'intérieur, à l'occasion des incidents qui se sont produits lors
àe la souscription à l'emprunt municipal. « Vous tirez trop sur
le pis de la vache », s'était déjà écrié M. Desprès, dans le lan-
gage pittoresque de l'Hôtel-de- Ville. Il sera intéressant de voir
se produire à la tribune les attaques des accusateurs et la dé-
fense des conseillers soupçonnés. Le « bureau réservé » du con-
seil municipal a fait distribuer des « parties prenantes » dont
on ignorera toujours les noms. On n'a pu trouver aucune pièce
comptable; mais le nombre des obligations ainsi souscrites est
de quarante mille, ce qui représente quatre cent mille francs de
bénéfices. Nul ne sait — sauf les intéressés — qui en a profité.
Pendant ce temps-là, des amis enthousiastes s'écrient, en racon-
tant les ovations dont M. Carnot est l'objet à Tarascon : C'est
la fête de V Honnêteté' ! Si on la célébrait un peu à Paris cette
fête-là?
En dehors des allocutions prononcées par M. Carnot, qui ont
le double mérite d'être laconiques et mesurées, deux discours
sont venus remplir le vide que font dans la politique intérieure
les vacances parlementaires. Un ministre en fonctions, M. Jules
Roche et un ancien ministre, M. Goblet, ont bien voulu évangé-
liser les peuples, l'un en parlant à Privas, l'autre en écrivant
dans la Revue générale. M. Jules Roche, sans doute pour se
mettre à la hauteur de ses nouvelles fonctions, s'est élevé
jusqu'aux considérations les plus nuageuses. Il a parlé de
l'eflroyable tempête de l'année terrible, des frères de la démo-
cratie, des amitiés qui résistent à tout, parce qu'elles résident
au fond de l'âme. Puis abordant un sujet plus actuel, le ministre
du commerce a constaté que plus la logique est pure, plus elle
est dangereuse. Ainsi les républicains avaient attaqué la loi
« réactionnaire » de 1871 sur les conseils généraux et demandé
énergiquement la suppression du Sénat. Eh bien! cette loi de
1871 a beaucoup servi à asseoir cette république que le Sénat a
sauvée : « Il arrive souvent que l'on est obligé de faire des
choses qui nous déplaisent, et nous sommes peut-être dans une
de ces situations particulières, oii il faudra chercher le moindre
mal, et c'est la sagesse et la prudence qui doivent nous guider. »
10
218 ANNALES CATHOLIQUES
Ainsi, voilà un ministre qui déclare hautement, non qu'il faut
chercher à bien faire, mais à faire le moindre mal.
De son côté M. Goblet déclare tout net « qu'il n'y a pas à se
le dissimuler, la république est mal engagée. » Il constate que
« depuis quelques années le sentiment public semble s'éloigner
des institutions républicaines, que les élections de 1885 ont été
à <;et égard un avertissement bien significatif et qu'on a eu
grand tort de ne pas tenir compte de cette leçon. » Là-dessus,
nous sommes d'accord. Il semble que puisque la république a
gagné du terrain de 1875 aux années qui ont suivi 1880, et
puisqu'elle en a perdu depuis lors, c'est parce qu'elle a pratiqué
de 1875 à 1880 une politique sage, et une mauvaise politique
de 1880 à 1885. Ce n'est pas l'opinion de M. Goblet. D'après lui,
la république a reculé parce qu'elle a été infidèle à son prin-
cipe, parce qu'elle n'a pas accompli les réformes radicales
•j: que le pavs attendait d'elle, etc. » M. Goblet devrait pour-
tant se rappeler que la période ou la république a couru le plus
grand péril a été celle où elle a été gouvernée par M. Floquet
et par lui. Mais allez donc demander delà logique à un sectaire!
Ainsi, de deux consultations oratoires données par le ministre
d'hier et celui d'aujourd'hui, l'une se résume par le regret de
ne pas voir la république assez radicale, l'autre aboutit comme
programme « à chercher le moindre mal. » C'est consolant.
Les groupes socialistes, ouvriers, guesdistes, etc., qui doivent
prendre part à la manifestation du 1" mai, ont adopté le texte
d'une affiche qui sera tirée à dix mille exemplaires et placardée
par les soins et sous la surveillance de Comités de quartier dits
« Comités d'affichage ». Ces affiches commenceront à être appo-
sées dans la nuit de mardi à mercredi.
On s'est occupé aussi des insignes. L'insigne choisi est un
morceau de maroquin rouge, ayant la forme d'un triangle et
portant cas mots gravés en lettres d'or :
1" MAI, HUIT HEURKS DE TRAVAIL.
Les manifestants pourront, au moyen d'une épingle, adapter
cet insigne soit à leur boutonnière, soit à leur chapeau.
Enfin, il a été décidé que, le soir du l'"" mai, des réunions
auraient lieu non seulement dans les grandes salles, mais dans
toutes les petites salles disponibles, dans toutes les arrière-
boutiques de marchands de vin, partout enfin oti les militants
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 219
socialistes peuvent recueillir des signatures pour le pétionne-
ment en faveur de la journée de huit heures.
Le Gaulois est allé interwiever les personnages marquants
des groupes anarchistes. Voici la réponse de Louise Michel :
— Que pensez-vous, lui deiuatidais-je, de la manifestation du
!"■ mai?
— C'est magnifique, parce que les travailleurs de toute la terre
seront debout. C'est stupide, parce qu'ils vont mendier ce qu'ils ont
le droit de prendre. Maintenant, ce sera le lendemain absolument
comme la veille, à moins que les âneries du gouvernement ne sou-
lèvent la tempête révolutionnaire à laquelle on ne peut pas assigner
un rendez-vous, puisque le hasard seul peut la faire surgir.
Le 1«'" mai est absolument l'inconnu, et pour ma part, je pense que
mieux vaudrait seul, ou quelques-uns, surtout seul, faire des actes
tels qu'en font les nihilistes. II vaut mieux que la dictature s'affirme,
parce qu'il sera plus facile d'agir de même avec elle. Ce n'est pas une
révolution politique qui pourrait rien changer ; — c'est la destruc-
tion complète de la société capitaliste qui commencera le monde nou-
veau ; jusque-là, pas de trêve dans la lutte de plus en plus active.
— Vous êtes bien outrancière — il ne peut donc pas y avoir d'amen-
dement. Tout le monde s'occupe de la question sociale, du bien-être
des ouvriers — l'empereur d'Allemagne veut, dit-on, tenter des ré-
formes sérieuses.
Chez le compagnon Tortelier maintenant ?
—r 11 n'y a pas de danger, a déclaré celui-ci, que nous avons ren-
contré dans un café de l'avenue de Ciichy, entouré des principaux,
anarchistes, que nous laissions passer cette occasion de nous montrer.
Vous savez qu'en principe, nous autres anarchistes, nous désap-
prouvons la manifestation telle qii'elle a été décidée par le congrès
socialiste.
Manifester pour réclamer la réduction de la journée de travail à
huit heures. Belle affaire! Ce n'est pas cela qui fera avancer d'un seul
pas la question sociale.
Est-ce à pas de tortue que la révolution doit se faire? Nous ne
sommes pas de ceux qui préconisent l'évolution lente et progressive.
Nous sommes des hommes d'action, et persuadés qu'il est indigne
de demander quelque chose au gouvernement qui, en somme, est
notre ennemi, nous ne voulons qu'une chose : agir énergiquement.
— Eh 1 que voulez-vous faire?
— Ah ! voilà ! notre plan, nous n'aurons garde de le dévoiler.
Tout ce que je puis vous dire, c'est que, moi et me,s amis, nous
manifesterons.
220 ANNALES CATHOLIQUKS
Il est assez difficile de prévoir comment se passera, à l'étran-
ger, la journée du 1^'' mai; nulle part il n'3' a d'unités de vues
ni de programme. L'idée de manifester d'une façon quelconque
est générale. Voilà le point acquis.
Mais, tandis que certains industriels, prenant les devants,
autorisent leurs ouvriers à chômer le l*"" mai, d'autres décla-
rent qu'ils congédieront immédiatement, pour rupture de con-
trat tous les ouvriers qui chômeront le 1" mai.
A Berlin, toute personne employée par l'Etat qui ne fera pas
sa journée de travail le P"" mai, sera renvoyée.
A Vienne, les directeurs des administrations de l'Etat ont
fait parvenir un avis à peu près identique à leurs ouvriers.
En Belgique, la manifestation du l"mai, en faveur de la jour-
née de huit heures, a été votée à l'unanimité par toutes les as-
sociations ouvrières.
En Allemagne, dans toutes les villes, on fait circuler des listes
d'adhésion à la manifestation : les meneurs se flattent de re-
cueillir plus de deux millions de signatures. Les commandants
de corps d'armée ont reçu de l'Empereur les instructions les
plus sévères, relatives à l'interdiction des manifestations ; la
répression sera très violente. Dans certaines villes comme Liep-
zig, Hambourg, Francfort-sur-Mein, EJberfeld, larésistance sera
obstinée de la part des ouvriers socialistes qui veulent quand
même tenir les réunions annoncées. On dit aussi que les autori-
tés militaires auraient reçu l'ordre de tirer «impitoyablement »
sur les manifestants en cas de désordre.
Le Danemark, la Hollande, qui étaient représentés au con-
grès international socialiste de Paris, seront aussi le théâtre de
manifestations plus ou moins bruyantes. Il va sans dire que les
ouvriers de ces deux pays ont décidé unanimement de s'asso-
cier au mouvement socialiste.
En Russie, tout se passera dans le plus grand calme, et pour
la bonne raison qu'aucune manifestation n'aura lieu le l^"" mai.
L'organisation ouvrière n'existe pas, en effet, dans ce pays.
La politique coloniale ne réussit pas plus à M. Crispi que la
politique économique et financière. Le continent noir continue à
lui valoir des surprises, qui constituent autant d'épreuves
amères. Il v a là-bas en Abvssinie un certain roi des rois,.
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 221
Menelick^ qui jongle agréablement avec le protectorat italien.
M. Crispi avait annoncé avec emphase, il y a un an, que Mene-
lick, à la tète d'une puissante armée, allait se porter sur le Tigré
pour débarrasser cette province des bandes rebelles, qui refu-
saient de reconnaître l'autorité du nouveau Négus. Les mois
succédaient cependant aux mois, sans que l'on ne vît rien venir.
Le Négus manquait d'argent, disait-il, et immédiatement le
comte Antonelli de lui apporter quatre millions, en le priant de
quitter le Choa et d'aller mettre à la raison le ras Magascia.
Menelick empoche l'argent et ne bouge pas. Mécontentement de
M. Crispi qui, se ravisant, songe qu'il faut flatter avant tout la
vanité du monarque éthiopien. Les plus habiles ouvriers de
Milan se mettent à l'ouvrage. Une couronne part à l'adresse du
Négus qui, en la recevant, pleure de joie et promet d'aller la
ceindre à Adoua, la ville sainte. Quant aux rebelles, Mangascia
et autres, il n'en fera qu'une bouchée.
Le temps passe. M. Crispi, furieux, envoie une dépêche au
général Orero qui presse Menelick d'occuper de nouveau la ville
sainte. Celui-ci allègue qu'il manque de vivres, et aussitôt trois
mille porteurs d'approvisionnements sont envoyés des bords de
la mer Rouge à la rencontre de Menelick.
Cette fois le roi des rois se met en marche, mais au moment
de livrer bataille au roi Mangascia, il fait la paix avec lui. La
campagne est terminée : elle a coûté à l'Italie quatre millions
donnés au Négus, une couronne, sans compter les cent millions
gaspillés depuis le commencement de l'expédition. Et rien qui
puisse flatter l'araour-propre national, rien qui puisse eftacer le
souvenir du massacre de Dogah! M. Crispi est décidément un
grand homme d'Etat.
Il y a déclaration de guerre entre M. de Bismarck et Guil-
laume II. Le vieux chancelier ne peut se résoudre à l'inaction.
Il se présentera bientôt à la Chambre des Seigneurs et plus
tard au Reichstag. « En outre, ajoute son journal, la Gazette
Xtrogressiste, il conservera des relations avec la presse. On ne
saurait attendre d'un homme d'Etat qui, pendant trente ans,
a tenu la place la plus considérable dans la vie publique
et qui la domine encore plus que personne, qu'en se démettant
de ses charges, il renonce également à être un facteur politique ;
qu'il renonce à témoigner son amour à la patrie et qu'il
renonce à rester en contact avec l'opinion publique et à l'influen-
cer selon ses convictions.
222 ANNALES CATHOLIQUES
« Celui qui croit que le prince de Bismarck, vieux et cassé,
restera à l'avenir spectateur passif des événements, se trompe
rudement. En agissant autrement, il manquerait à son devoir
vis-à-vis du peuple allemand, qui a le droit d'être informé à
chaque instant de ce que pense le prince de Bismarck sur les
importantes questions politiques, et si la Chambre des Sei-
gneurs et le Reichstag n'y suffisaient pas, la presse constituerait
le complément naturel. D'ailleurs, ce sont seulement ceux qui
croient que le prince de Bismarck doit à l'avenir continuer de se
laisser attaquer sans se défendre qui peuvent lui reprocher
d'avoir recours à cette arme. » Depuis de longues années le
prince de Bismarck défendait le gouvernement, on sait avec
quelle ténacité et quelle vigueur. Nous allons le voir maintenant
faire de l'opposition. Il y a lieu de croire qu'on va s'amuser un
peu.
Le nouveau chancelier prusso-allemand a fait avant-hier ses
débuts au Landtag prussien. M. de Caprivi s'est attaché à
démontrer qu'il n'y avait pas d'ère nouvelle dans la politique
allemande ; que si M, de Bismarck n'était pas là, l'esprit du
grand homme d'Etat planait sur la chancellerie et que, pour
lui, il tâcherait d'imiter en tout son illustre prédécesseur. Ce à
quoi M. Richter a répondu, au nom des progressistes libéraux,
que puisqu'il n'y avait rien de changé à la politique qu'il avait
constamment combattue, il continuerait à la combattre. C'est
la logique même. Mais la majorité du Landtag a montré une
attitude plus conciliante. La grande préoccupation du moment
en Allemagne, est la manifestation du l'"" mai. Les députés
socialistes au Reichstag, qui sont au nombre de trente-cinq et
qui se constituent en directoire du parti, viennent de publier à
ce sujet un manifeste dans lequel ils exposent le pour et le
contre de cette démonstration, de sorte que le simple socialiste
doit se trouver dans la position de l'âne de Buridan entre le seau
d'eau et le picotin d'avoine. Pour la première fois que les
députés socialistes allemands ont^l'occasion défaire une démar-
che collective, ils n'ont pu réussir à se mettre d'accord. C'est
d'un mauvais augure pour la suite.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
223
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE ^l)
4. — I-re mal social, ses
causes, ses remèdes, mélanges
et controverses sur les princi-
pales questions religieuses et
sociales du temps présent, tra-
duit de l'espagnol par M. l'abbé
Thiveaud, ancien professeur de
sémiaaire. — 2 vol. ia-12. Pa-
ris, 1890, chez Lethielleux.
Prix franco : 5 francs.
M, l'abbé Thiveaud a eu l'heu-
reuse idée de traduire et de grou-
p3r en corps d'ouvrage les meil-
leurs articles sur le Mal social de
Don Sarda y Salvaxv, l'auteur
du livre intitulé Le Libéralisme
est un péché, le directeur de la
Revue populaire de Barcelone, le
vaillant polémiste qui s'est fait en
Espagne une grande et légitime
réputation. Pour montrer l'im-
portance de ce travail, il suffit
d'indiquer les divers sujets qui
forment la matière des deux vo-
lumes, les voici :
l'f partie. — 1. Le Mal Social.
— II. Caractères de la lutte ac-
tuelle. — III. Le libéralisme. —
IV. Maçonnisme et catholicisme.
— V. Le mariage civil. — VI. Les
mauvais journaux. — VII. Les
écoles laïques, — VIII. Le secret
de l'enseignement laïque. — IX.
Les trois mensonges de l'ensei-
gnement laïque.
2'' partie. — I. Le laïcisme ca-
tholique. — II. L'esprit parois-
sial. — III. Le sacerdoce domes-
tique. — IV. L'apostolat séculier.
— V. Epilogue.
5. — Le ctiàtiment, par le
R. P. Félix, S. J. — 4« retraite
de Notre-Dame. Un vol. in-12
de vin-386. — Paris, 1890,
chez M. Téqui, éditeurdel'Œu-
vre Saint-Michel, Prix : 3 fr.
Nous nous faisons un devoir de
signaler aux prédicateurs et à ceux
qui sont chargés de diriger l'œu-
vre si importante des retraites, la
publication, en un format com-
mode et à bon marché, des prin-
cipales retraites prêchées à Notre-
Dame de Paris par l'illustre confé-
rencier qui a occupé si longtemps
et avec tant d'éclat la première
chaire de notre temps. On con-
naît la méthode oratoire du Père
Félix, son exposition forte et vi-
goureuse qui rappelle Bourdaloue,
mais un Bourdaloue approprié au
goût et aux besoins des auditoires
du xix" siècle. Celte vigueur du
raisonnement, portant dans l'in-
telligence la lumière et la con-
viction, qui est la qualité maî-
tresse du Père Félix, n'exclut pas
le cri du cœur qui émeut, touche
et ébranle la volonté. Les retrai-
tes de Notre-Dame produisirent
les plus heureux effets sur ceux
qui eurent le bonheur de les en-
tendre des lèvres do l'orateur :
après un quart de siècle elles ne
perdent rien à la lecture, de leur
efficacité et de leur actualité. Nous
ne connaissons guère d'ouvrage
qui soit plus utile à un prédica-
teur pour lui fournir de salutaires
inspirations. Autant et plus peut-
être dans ses retraites que dans
ses conférences, le Père Félix est
apôtre, il expose dans toute leur
intégrité les grandes vérités du
dogme et les grands principes de
la morale de V Evangile.
(1) II est rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Annales catholiques. MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Annales se charge de four-
nir, au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans
ce bulletin.
224
ANNALES CATHOLIQUES
6. — Histoire d'un liéroe,
ou Vie do Mgr Galibert, évêque
d'Eno, vicaire apostolique de
la Cochinchine orientale, par
M. l'abbé Tesseyre. — 1 vol.
in-12 de 400 pages. — Paris,
1890, chez Téqui. — Prix,
franco : 3 francs.
Nous ne connaissons pas do
récit plus vraiment attachant
que l'histoire de ces Ames d'apô-
tre qui sont de nos jours l'hon-
neur de l'Eglise et do la France.
Quel beau caractère que celui
de ce Marie-Louis en qui la viva-
cité du tempérament méridional
se combine si bien avec toutes
les énergies et toute l'onction
de la grâce ! Ecolier, lévite, mis-
sionnaire, il ne se laisse distan-
cer par personne dans la voie
de l'abnégation et du sacrifice.
Evêque à trente-quatre ans, son
zèle, plus encore que le climat
meurtrier de la Cochinchine le
dévore en quelques années. 11
vient enfin mourir à trente-huit
ans sous les yeux de son admi-
rable mère, n'ayant qu'une pen-
sée, mourir pour son troupeau,
un regret, celui de ne pas exha-
ler son dernier soupir au milieu
de ses chers Annamites
La Vie de Monseigneur Gali-
bert joint pour nous l'intérêt
tout particulier qui s'attache à
l'éternelle question de l'Annam,
dont on parle tous les jours, trop
souvent sans la connaître suffi-
samment. Or, rien de plus inté-
ressant que les renseignements
que l'on rencontre dans cet ou-
vrage de l'origine de la question
annamite; rien de plus navrant
aussi que le récit de l'affreuse
persécution qui ensanglanta la
Cochinchine pendant ces der-
nières années. Particulièrement
profitable aux jeunes élèves du
sanctuaire chez lesquels il pourra
allumer la flamme de l'apostolat,
ce livre sera lu avec avantage
dans les familles chrétiennes et
par tous ceux qui, aux émotions
fades ou malsaines que procure
la lecture d'un roman, savent
préférer les salutaires enseigne-
ment que l'on puise à contem-
pler un grand cœur et un beau
caractère au service de la plus
noble des causes.
7. — Heures de la jeu-
nesse ehrétienne, 1 vol.
in-32 de 260 pages, Paris, chez
Téqui. Prix franco broché, 1 fr,,
relié toile noire, tranche rou-
ge : 1 fr. 50.
La première partie de ce char-
mant petit livre contient des
prières tirées de différents au-
teurs, La deuxième partie, les
lettres à mes enfants de Mme des
Chesnes, née Desprez, 1864. La
troisième partie est composée de
lectures diverses.
Nous appelons l'attention de
nos lecteurs sur ce livre; la jeu-
nesse y trouvera des prières pour
toutes les circonstances de la vie,
de sages conseils et d'édifiantes
lectures.
Les livres de piété ne manquent
pas, il est vrai; mais celui-là est
digne de figurer au premier rang,
et mérite bon accueil des parents
chrétiens; il éclairera l'esprit, di-
rigera la conduite, raffermira le
courage de ceux qui le liront.
Réjouissons-nous donc de voir
dans cette brochure le contre-
poison de tant de mauvais ouvia-
ges, n'oubliant pas la parole de
Pie IX : « De nos jours, la bonne
presse est une œuvre pie. »
Quand une intention est bonne,
Dieu la bénit ; s'appuyant sur
cette espérance, la mère qui offre
ce recueil à toutes les mères chré-
tiennes demande à Dieu de faire
servir ces pages à sa gloire en ai-
dant la jeunesse à vivre selon ses
lois.
Le gérant: P. Ghantrel.
Paris. Irnp. G. Picqnoin, 53, rue /le Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LA CHARITE ENVERS NOTRE SEIGNEUR
DANS l'eucharistie
(Suite et fia. — Voirie numéro précédent.;
III
Près de Jérusalem, et seulement séparé de la Cité Sainte par
le mont des Oliviers, est situé le village de Béthanie.
Dans cette bourgade, vivait une famille que Jésus aimait,
Lazare avec ses deux sœurs, Marthe et Marie.
C'était là que, de préférence, le Sauveur venait se reposer
des fatigues de sa prédication et des douloureuses perspectives
de l'avenir.
Marthe s'empressait surtout aux soins du service, veillant à
ce que rien ne manquât.
Marie, plus calme, était assise aux pieds de Jésus, écoutant
sa parole et buvant aux sources de la vie.
Celle-là représente les œuvres corporelles de miséricorde,
Celle-ci les œuvres spirituelles.
Nous venons d'entrevoir la part de Marthe; considérons,
durant quelques instants, la part de Marie.
Assurément, c'est « la meilleure, optimam partem (1). »
« 0 Seigneur, qu'aimables sont vos tabernacles ! Heureux
ceux qui habitent votre demeure ! Un jour passé près de vous
vaut mieux que des années dans les fêtes et les divertissements
du monde ! » (2).
A ce bonheur Jésus nous invite ; il nous attend, retenu dans
son tabernacle par des liens indissolubles qu'a tressés son
amour infini : « In carcere eram et venistis ad me .-j'étais pri-
sonnier et vous êtes venus à moi. »
Le pauvre garde dans son infortune un bien inaliénable : l'in-
dépendance.
Ce bien, pour nous Jésus a voulu le perdre.
Celui qui a soulevé la pierre du sépulcre; Celui qui pénétrait
(1) Luc, X, 42.
(2) Quam dilecta tabernacula tua!... Beati qui habitant in domo
tua, Domine !... Quia melior est dies uaa in atriis tuis super milliai
(Ps. 83. 1 et seq.)
Lxxii — 3 Mai 1890 17
226 ANNALES CATHOLIQUES
dans le cénacle les -portes closes; Celui qui, à la vue de ses
disciples, s'élevait triomphant dans les cieiix, a voulu se cons-
tituer prisonnier et s'enchaîner au tabernacle, comme dans une
cellule : « In carcere eram. »
•Pour arriver jusque là, quel trajet n'a-t-il pas parcouru !
Parti des splendeurs des cieux, il est descendu dans les humi-
liations de Bethléem, il a passé par les tortures du Golgotha; il
est parvenu enfin à cette dernière station, la captivité volon-
taire et amoureuse du tabernacle : « In carcere eram. »
C'est là qu'il veut rester, « chaque jour, jusqu'à la consom-
mation des siècles (1). »
Ah! qui donc serait admis à parler de ses fatigues pour aller
jusqu'à Lui?
Qui donc hésiterait de sortir de vsa demeure et compterait ses
pas?
Qui donc prétexterait de la multiplicité de ses affaires pour
refuser une minute de son temps au divin Captif (2)?
Allons à Lui; il nous appelle tous : les enfants dont il aimait
à s'entourer et qu'il défendait contre le zèle intempestif de ses
apôtres;
Les pauvres qu'il a évangélisés avec un empressement et une
prédilection marquée, rappelant qu'il était surtout envoyé pour
eux (3) ;
Ceux qui travaillent, ceux qui gémissent sous le poids du
labeur et de la souff'rance (4).
Et c'est à toute heure que nous pouvons aller le visiter. Il n'y
a pas à solliciter une audience ni à se faire annoncer. Il nous
attend, et il lui tarde de nous accueillir comme on accueille un
ami (5).
Lorsque les foules de la Galilée accouraient au Sauveur, on
lui présentait les malades, les infirmes, et il les guérissait.
Sa puissance et sa bonté auraient-elles diminué? Oh ! non.
Dans son Sacrement, il est tout lui-même; il est là souverai-
nement bon et souverainement puissant; il est là l'auteur de la
(1) Matth., xxviii, 20.
(2) In carcere eram et venistis ad me? (Matth,, xxv, 36.)
(3) Evangelizare pauperibus misit me. (Luc, iv, 18.)
(4) Venile ad me, omnes qui laboratis et onerati estis, et •ego refi-
ciam vos. (Mat., xi, 28.)
(5) Jam non dicam vos serves... vos autem dixi amicos. (Joan.,
xxv, 15.)
LA CHARITÉ ENVERS N.-S. DANS l'eUCHARISTIE 227
grâce, disposé à. la répandre autour de lui ; disposé à rendre. la
santé de l'âme à ceux qui l'auraient perdue, à fortifier les faibles,
à encourager les forts ; car « il, est venu, selon sa parole, afin
que noujs ayons la vie et une vie plus abondante (1). »
Si la puissance et les miséricordes de notre- Dieu n.'ont pas
diminué, nos infirmités, .etpagi heisqicLS ;pe,so,ûtT-ila pas-taujours
les mêmes? . /'S\ nf»M •n-ftc-ft cA^V.vavih ■9«"*' VM.vttvsV^'Kfv.
La vie est bien pour tous, une lutte, un sacrifice, une douleur.
Pour lutter et pour vaincre, pour souffrir et s'immoler, ne
faut il pas courage, patience, abnégation, force supérieure à
notre nature^ l
Et d'où attendre le secours ? oii puiser une énergie surhu-
maine? auprès de qui recevoir des consoiations ?
Tournons nos regards et nos cœurs vers le tabernacle ; notre
Dieu s'y tient enchaîné pour nous : « J'étais, emprisonné, et
vous êtes venus à moi. » •■■i^h aa^ )'->>'ii ©hiebi» J:
Mais, en allant à lui, n'oublfdns; pks' de' le toucher sur nos
maux, comme cette femme de Césarée dont parle l'Evangile.
Malade depuis' douze ans, elle avait, au prix de ses biens,
épuisé, sans résultat, tous les secrets de la science, et ne gar-
dait plus d'espoir qu'en Jé,sus. Remplie de foi et éclairée par
une lumière surnaturelle, elle suivait le Sauveur, perdue dans
la foule qui l'entourait.
N'osant l'aborder en face ni lui rien demander, elle se disait :
« Que je puisse seulement toucher la frange de son manteau, je
serai guérie ! »
Elle y parvint et se sentit soudain délivrée. Soudain aussi le
Seigneur demanda qui avait touché son vêtement?
Et comme tous s'en défendaient, Pierre lui dit : « Maître, la
foule vous presse et a^ous accable, et vous de^mandez- qui vous
a touché? » Mais Jésus, continuant de regarder dans la foule,
reprit : « Quelqu'un m'a touché, car une vertu est sortie de
moi. »
« Qui m'a touché? c'est-à-dire par la foi. Ces foules qui me
pressent ne me touchent pas. »
La femme, effrayée, se prosterne, avouant ce qu'elle avait
fait, Jésus lui dit : « Ma fille, prends confiance, ta foi t'a gué-
rie, va en paix. »
Elle est devenue sa fille, lorsqu'elle a eu la foi; c'est sa foi
qui l'a guérie. ^
.{. i ;
(1) Joan., X, 10.
228 ANNALES CATHOLIQUES
Jésus lui a demandé cet aveu pour nous donner cette parole
et pour que notre âme l'entendît (1).
C'est dans ce sentiment que nous devons aller à Jésus et le
toucher sur nos infirmités. Approchons-nous donc de lui avec
confiance ; et soyons assurés que de son tabernacle sortira la
vertu salutaire et la grâce dont nous avons besoin : « ut gra-
ttam inveniamus in auxilio opporiuno (2). *
IV
A l'égard de Jésus dans l'Eucharistie, il nous reste encore un
devoir à remplir : « J'ai eu soif et vous m'avez donné à boire :
Sitivi et dedistis mihi hibere. »
Sur la croix il était consumé de cette divine ardeur, quand de
sa bouche mourante s'échappait le cri qui demandait à Dieu nos
âmes : « J'ai soif! » Sitio !
Cette soif ardente n'est pas éteinte au tabernacle et nous
sommes appelés à l'étancher. Comment refuser nos âmes à un
Dieu si incroyablement prodigue de lui-même !
La veille de sa Passion, Jésus, avec ses apôtres, était à Jéru-
salem, dans le Cénacle, qu'il avait fait préparer pour la Pâque
c qu'il désirait ardemment de manger, avant que de souffrir (3.) »
Or, sachant que son heure était venue de passer de ce monde
à son Père, comme il avait aimé les siens qui étaient dans
le monde, il les aima jusqu'à la fin, jusqu'à l'excès, en instituant
l'Eucharistie, qui estle don de sa personne et de sa vie, au-delà
de la mort.
Répondons à ce prodige d'amour d'un Dieu se donnant à chacun
de nous, par le don de chacun de nous à notre Dieu.
Donnons-lui notre cœur malgré les résistances de l'amour-
propre ; donnons-lui notre volonté en la pliant à ses préceptes ;
donnons-lui notre intelligence en la faisant penser de sa doctrine ;
donnons-lui toutes les puissances de notre être en les soumettant
à son service, à la défense de ses intérêts et de sa gloire ; donnons
do nos biens pour le secourir dans sa divine pauvreté et compre-
nons dans nos largesses ceux qu'il ne sépare jamais de Lui, les
pauvres ; donnons de nos prières, de nos larmes, de nos pénitences
pour le soulagement de la misère suprême, la misère de l'âme
(1) Confide, filia, fides tua te salvam fecit. Vade ia pace. Vie de
N.-S. J.-C. par L. Veuillol (Luc, xiii, 43 et seq.)
(2) Hœbr., iv, 16.
(3) Luc, XXII, 15.
LA CHARITÉ ENVERS N.-S. DANS l'eUCHARISTIE 229
-privée du Souverain Bien, privée de son Dieu, la misère des
pauvres pécheurs.
Ah ! c'est là une de nos plus graves obligations.
J'ai eu soif et vous m'avez donné à boire »
Cette soif, Seigneur ! quelle est-elle ? demande saint Augustin.
Sitis tua, salus mea: votre soif est notre salut.
En effet, si le Sauveur a supporté volontairement tant d'humi-
liations, s'il a enduré tant de tortures, s'il a versé son sang au
prétoire et au Calvaire, c'est pour notre salut.
Si, non content de s'être incarné, d'avoir revêtu notre chair,
il continue son incarnation par l'Eucharistie ; si, par ce mystère,
il prend chair en chacun de nous ; si, non content de s'être im-
molé sur la croix, il veut renouveler son immolation sur l'autel ;
il veut nous nourrir de lui-même et, par la Communion, nous
rendre participants à tout ce qu'il est dans son humanité comme
dans sa divinité, c'est pour achever en chacun de nous l'œuvre
de notre salut.
Mais, hélas ! combien dans notre société qui ne paraissent pas
même s'en douter.
Combien qui méconnaissent la dignité, la noblesse de leur ori-
gine, de leur Baptême !
Combien qui n'ont plus souvenance des joies et des promesses
de leur première communion !
Combien qui, dans une vie toute païenne, perdent et profanent
le sang de leur Rédempteur !
Combien qui, par légèreté dans le lieu saint, sont un objet de
ficandale !
Combien qui, par leurs actes, leurs paroles et leurs écrits,
travaillent à la perdition des âmes.
De l'autel comme de la croix, Jésus voit cette indifférence, ces
■égarements, ces scandales, ces apostasies, et entend ces blas-
phèmes.
Un jour que la Bienheureuse Marguerite Marie de la Visitation
s'entretenait avec son céleste Epoux au Saint-Sacrement, Jésus
lui montra son cœur couronné d'épines et surmonté d'une croix,
■ai lui parla ainsi : « Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes,
il n'a rien épargné pour eux, il en est venu au point de se con-
sumer pour leur montrer son amour. Mais au lieu de reconnais-
-sance, je ne reçois qu'ingratitude de la plupart !... »
Ces ingratitudes, nous les voyons ; ces outrages nous les enten-
dons nous aussi : comment ne pas en être émus !
230 ANN-ALEB CATHOLIQUES
Lorsqu'on fait visite à un pauvre, il n'y a pas que des secours
matériels à laisser dans sa demeure : il y a aussi des témoignages;
de sympathie ; c'est ce que lediTin Pauvre attend de nous : « J'ai
eii soif et vous m'avez donné à boire. » \.
Ôh ! nous ne serons pas insensibles à sa douleur ni sourds à
son appel. ■■>>.
Jésus n'en sera pas réduit à dire avec le Prophète royal : « J'ai
attendu que quelqu'un compatît à ma peine, mais nul ne l'a fait;
j'ai attendu que quelqu'un vînt me consoler et personne ne s'est
présenté * (1),
Non, Seigneur Jésus, tout ce que vous ressentez, noiis le
ressentirons; vos douleurs nous seront personnelles, vos oppro-
bres retomberont sur nous (2). ■
Prés de votre autel, nous voulotts réparer les outrages de
l'impiété qui blasphème; les outrages du respect humain qui
voiis abandonne, feignant de ne plus vous connaître; les
outrages de l'indifférence et du sensualisme vivant comme s'il
n'y avait pas de Rédemption, et comme si toute notre destinée
se bornait à l'horizon de cette terre.
La tradition nous montre sur le chemin du calvaire une
femme courageuse et reconnaissante, tenant en main le linge
qui a essuyé la face ensanglantée du Sauveur.
A l'exemple de la Véronique, nous voulons essuyer tous ces
outrages, réparer toutes ces offenses. Ce devoir, vous ne man-
querez pas de le remplir, N. T. G. F., surtout à la fête de
l'Adoration Perpétuelle. -'' »' ':"^'' àJi'"'>-'-iiî Tcq <:.'-'p v.
En ce jour, une paroisse est solennellement députée devant
Notre-Seigneur pour accomplir, au nom du diocèse, un grand
acte de réparation. iôrur, ;iob cofjib'îo*} i-:{ h in-AïiaTs-'iJ
Puissions-nous toujours apprendre que les coeurs qni « lui
sont demeurés fidèles (3) » ont fait tout ce qui était en lear
pouvoir pour le louer et le glorifier. .tî&itt'idq
Qu'ils loi chantent tous les cantiques que lui chante! dans
l'Apocalypse le peuple racheté : « L'agneau, qui a été immolé
pour nous, est digne de recevoir la puissance, la divinité, la
sagesse, la force, l'honnenr, la gloire, la bénédiction » ; et puisa*
, (1) Et sustinui qui simul constristaretur, et noa fuit : et qui. con-
solaretur, et noa iaveni. (Ps. 68, 25.)
(2) Opprobria esprobrantium tibi ceciierunt super me. (Ps. 58, 12.)
(3) Vos autera estis, qui permansistis mecum la tentationibus meia.
(Luc, xxu, 26.) - àjiq iiii Juammoa : i&auâ euoa gnob
LE FEU A LA MAISON 231
■se réaliser ce que l'apôtre ajoute : « J'entendis toutes les créa-
tures... qui disaient: « A. celui qui est assis sur le trône, et à
l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et puissance dans les
siècles des siècles (1)1 » Mgr Combes.
LE FEU A LA MAISON
I
Il y a peu de temps, dans une vaillante feuille catholique, nous
rencontrions ces lignes :
« Le général belge Brialmont, étudiant ce que sera la pro-
chaine guerre, affirme que la guerre de 1870 n'aura été qu'un
jeu d'enfant auprès de celle-là. Et son opinion est celle de tous
les militaires instruits.
« L'artillerie actuelle a fait de tels progrés que les fortifications,
accumulées à si grands frais depuis vingt ans, ne résisteront pas
quarante-huit heures, et que nos frontières démantelées ne
pourront pas retarder davantage La marche de l'ennemi sur
Paris. »
Et l'auteur de l'article ajoutait la réflexion que voici :
« Ce sont donc, lors des hostilités futures, des poitrines hu-
maines qui devront faire un rempart à la France. »
Mais en face de cette réflexion, une autre se présente néces-
sairement à l'esprit : Si les fortifications de granit ne peuvent
matériellement résister devant Tartillerie nouvelle, comment
-les poitrines humaines le pourraient-elles, quelque vaillant que
soit le c(eur qu'elles abritent? (juelle indescriptible hécatombe,
quelle etiVoyable tuerie sera donc cette prochaine guerre! Ne
réalisera-t-elle pas le tableau tracé par l'imagination d'un écri-
vain célèbre? Ne sera-t-elle pas, par ses horreurs et ses dé-
sastres, sans mesure, la fin d'un monde?
Et pourtant, cette guerre si épouvantable, elle peut d'un jour
à l'autre, au moindre incident, éclater pour nous. Cette parole :
« En avant, à toute vapeur! » parole qu'adressait naguère à
l'un de ses amis et confidents le souverain d'une nation voisine,
n'en laisse-t-elle pas entrevoir la constante possibilité?
D'autre part, au dedans les projets des anarchistes et des
socialistes n'offrent guère moins de menaces. Les excès et les
malheurs de la Commune de 1871, bien loin de leur servir de
(1) Apocal,, v, "12, 13.
232 ANNALES CATHOLIQUES
leçon, ne sont pour eux qu'un stimulant à la dépasser de beau-
coup. Le chef du collectivisme en France et l'un des plus actifs
promoteurs de la manifestation ouvrière du 1" mai, M. Jules
Guesde, dans l'article-programme d'une nouvelle revue socia-
liste, traite de réactionnaires les héros de 1871 ; il leur reproche
leur pusillanimité et leurs scrupules. « Entre eux et nous,
s'écrie-t-il, il y a toute la différence des vagissements du nou-
veau-né à la parole de l'homme fait. » Il déclare « qu'une fois
le pouvoir entre ses mains et celles de ses amis ils ne reculeront
devant aucune mesure, si violente qu'elle soit » ; et « il se passera
alors un drame auprès duquel la Révolution française n'aura été
qu'une innocente idylle (1). »
En même temps, des fléaux divers frappent nos récoltes ; la
mortalité s'accroît d'une façon lamentable, sous les atteintes
d'une épidémie jusqu'à présent inconnue ; et si cette épidémie a
fait de nombreuses victimes, il ne serait pas impossible qu'elle
fût suivie d'une autre bien plus meurtrière, d'une autre dont le
nom seul inspire l'effroi et dont on a signalé l'existence aux
mêmes lieux de l'Asie d'où nous est venue, paraît-il, l'épidémie
récente.
Et en regard de tous ces fléaux ou de toutes ces menaces qui
pèsent sur nous dans l'ordre matériel, dans l'ordre moral, ce
sont d'autres maux ou d'autres menaces plus graves encore :
l'apostasie des pouvoirs publics, l'athéisme officiel, cette haine
'de Dieu qui, d'après l'enseignement de saint Thomas, enseigne-
ment certain et que nous ne devons pas oublier, estleplus grand de
tous les péchés ; cette haine de Dieu, monstruosité qui semble-
rait impossible, puisque Dieu est la bonté même, et qui pourtant
ne se bornant plus à être une exception isolée, est devenue une
sorte de conspiration internationale. Puis, à la suite, le débor-
dement de tous les vices, une immoralité qui fait songer aux
temps du déluge, de Sodome et de Gomorrhe, l'improbité qui
trouble toutes les relations sociales, désorganise tous les ser-
vices, fait par exemple, — on en citait récemment une preuve
authentique, — que les correspondances confiées à la poste se
perdent en nombre considérable ; enfin l'absence de foi, qui est
la source de tous ces désordres, et qui, pour ce motif, devrait
être combattue par tous les moyens, propagée au contraire avec-
un acharnement satanique, par l'enseignement soi-disant neutre^
(1) Voir les Annales catholiques du 19 avril, pages 145-146.
LE TEU A LA. MAISON 233
Nous le lisions ces jours derniers (1) : il y a en France quatre
millions d'enfants qui fréquentent les e'coles sans Dieu; et on
a dû le constater lors de la récente Assemblée générale pour les
écoles chrétiennes de Paris (2) : dans les écoles congréganistes
de cette ville, il n'y a guère que 61,000 enfants, tandis qu'il y en
a 147,000 dans les écoles publiques, oii sous l'influence du con-
seil municipal, est donné, par les livres adoptés et par les leçons
orales, un enseignement d'une impiété qui va bien au-delà de
celle qu'on rencontre d'ordinaire en province.
II
Tout cela, n'est-ce pas le feu qui est à la maison? Ces dé-
sordres de l'ordre moral spécialement ne sont-ils pas un incendie
qui, dévorant chaque jour de plus en plus ce qui reste d'insti-
tutions et de mœurs chrétiennes dans notre pauvre France, s'ap-
prête finalement à tout anéantir? Et nous, chrétiens, nous les
enfants du Père de famille, pouvons-nous voir ce feu consumer
sa maison qui est aussi la nôtre et qui renferme tous nos biens,
sans faire tous nos efforts pour arrêter, pour détourner le fléau ?
Les maux et les menaces de l'ordre temporel ne nous font-ils
pas précisément comprendre l'urgente nécessité de travaillera
éteindre cet incendie moral, par lequel ils sont amenés, comme
un juste châtiment?
Le Bulletin du Vœu National a fait sur ce sujet des réflexions
frappantes :
« Quand on considère la marche des événements depuis
quelques années, on ne peut s'empêcher de remarquer que nous
vivons constamment menacés de malheurs affreux, de guerres,
de fléaux de toutes sortes, et que toutes ces menaces aboutissent
à des résultats, déjà bien malheureux, mais toujours moins
graves cependant que ceux que l'on craignait, comme si l'esprit
du mal était frappé d'impuissance devant un obstacle invisible.
— Hélas ! combien peu pensent à rechercher la vérité sur ce
sujet et encore moins à se rendre un compte exact de cette
marche des événements et de sa cause ! Les nations se déchris-
(1) Dans un article sur VEcole, publié par l'excellente revue Le
Prêtre, n" du 17 avril, page 16L
(2) Rapport de M. Thellier de Poncheville. Ce rapport se trouve,
avec une allocution de M. Keller qui le complète, dans le Bulletin
de la Société générale d'Education, 15 avril 1890.
234 A.NNAXES CATHOLIQUES
tianisent; notre pauvre France en particulier semble prendre à
tâche de s'aliéner le Dieu tout-puissant.
« Que fait donc le Seigneur, dit-on. Ceux-ci le disent en
branlant la tête, comme les passants sur le Calvaire; ceux-là,
avec humeur, murmurant de ce que la Seigneur se faitsi long-
temps attendre.
« Aux premiers, nous n'avons qu'un mot à dire ; Jani non
venii horajudicii, l'heure dujugement n'est pas encore venue,
« Aux seconds nous dirons : Prenez garde; sijNotre-Seigneur
nous attend, s'il nous menace et n'exécute pas la menace, c'est
qu'il y a encore quelques justes parmi nous; mais ouvrons les
yeux aux avertissements ; car s'il attend pour condamner défi-
nitivement, il continue à nous prévenir que nous ne le satisfai-
sons point. Examinons donc ce qu'il nous demande et n'hésitons
pas à l'accomplir. »
Ce que Dieu nous demande, M. l'abbé Garnier s'est efforcé de
nous le dire dans une feuille pleine des vérités les plus capitales
et qui a pour, titre : Le Rachat de la France.
« Notre-Seigneur, dit-il, a racheté le monde., et le monde a
c-Aô. sauve. Pour que lu France soit sauvée, il faut que nous la
rr.chetions; il faut que fiotre pénitence s'ajoute à, la pénitence
générale de Jésus-Christ pour le monde... La justice divine veut
des victimes, c'est-â-dire des âmes généreuses qui s'offrent à
Dieu pour payer la rançon de notre patrie coupable ! Et elle en
veut beaucoup!... La victime se considère comme chargée avec
Jésus-Christ des péchés de la France; elle s'eflorce de partager
l'horreur qu'ils inspirent au divin Sauveur et fait ce qu'elle peut
pour les expier. »
Et si, dans sa pratique, cet esprit de victime a des degrés supé-
rieurs pour les âmes plus généreuses, à son premier degré, qui
est l'esprit de pénitence, il est accessible à tous; à ce degré, il
est « l'intention habituelle d'offrir pour la France coupable tout
ce qu'on souffre et tout ce qu'on fait de bien. Les ouvriers
notamment et les ouvrières peuvent beaucoup, en supportant
pour l'amour de Dieu les fatigues de leurs travaux. » — Pour
entrer dans cet esprit :
« 1° Excitez en vous des sentiments de haine, de honte et de
douleur pour les péchés qui se commettent eu France. Ces trois
sentiments, conçus en union avec Jésus-Christ, constituent l'ex-»
piation la plus efficace. Soyez-en pénétré chaque fois que vous
apprenez une nouvelle offense de Dieu comme si vous ne faisiez
LE PEU A LA MAISON 235
qu'un ayec Jésus-Christ et que ses intérêts fussent les vôtres.
Au lieu de vous récrier contre les coupables, comme on le fait
si sourent, dites : « Pardon, mon Dieu, pardon ! Je déteste ce
« péché, je voudrais l'effacer; j'en ai honte et douleur. »
« 2° Offrez très souvent à Notre-Seigneur, par l'intermédiaire
de Marie et de Joseph, toutes vos souffrances et vos expiations
— puis celles de tous les chrétiens, de tous les saints, de saint
Joseph et de la sainte Vierge, — les hommages des anges du
ciel, les prières et les peines des âmes du Purgatoire — puis
toutes les messes qui se disent dans l'Eglise, tou« les mérites de
la vie et de la mort du Sauveur; ensuite demandez à Jé'sus-Christ
de présenter cette immense offrande à son Père et présentez-la
vous-même avec Lui pour payer toutes uos dettes â sa justice,
réparer les ouWages qu'il reçoit, l'adorer pour' ceux qui le mé-
connaissent, le louer pour ceux qui le blasphèment, le remercier
pour les ingrats, l'aimer pour ceux qui le haïssent, le supplier
enfin de ne plus écouter que sa miséricorde infinie et de répan-
dre ses bienfaits sur la France.
« 3° Rappelez-vous les trois premières demandes du Pater ;
considérez qu'aujourd'hui, en France, on s'efforce de réaliser le
contraire de ces sublimes aspirations du Cœur de Jésus, puis
détestez énergiquement ces péchés nationaux qui se commettent
au nom de la Fille aînée de l'Eglise et, par conséquent, en votre
nom. Le cœur tout embrasé du désir de la gloire de Dieu, dites
pieusement, en union avec Jésus-Christ : « O notre Père, qui
êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifie'^ surtout en France!
« que votre règne arrive, surtout en France! que votre volonté
« soit faite, surtout en France! Délivrez-nous du mal, surtout
« en France ! »
« Qui donc refusera de payer sa part de la dette de la France,
pour l'empêcher d'être traitée comme elle le mérite, de perdre
la foi, et peut-être de disparaître du rang des nations? N'avons-
nous pas tous contribué à rendre la France coupable?...
« Si nous refusons d'êtres victimes volontaires, nous serons
les victimes forcées de la vengeance divine. Dieu est le maître,
et quand on refuse de donner la réparation, Il la prend... Ah !
nous ne comprenons pas toute la malice du péché, tout ce qu'il
exige de réparation.
« Si l'ennemi menaçait la frontière, chacun voudrait faire son
devoir pour défendre la patrie. Or, voici la vraie manière de la
236 ANNALB8 CATHOLIQUES
défendre; la pénitence la protégera bien plus efficacement que
les armes...
« Sachons accepter la confusion et les douleurs des expiations
présentes avec la résignation affectueuse et la patiente soumis-
sion qui convient à des victimes. »
III
Combattons avec énergie, par l'action extérieure et par le»
Œuvres, les mesures de persécution religieuse; mais, tout en
agissant, humilions-nous devant Dieu sous les atteintes de cette
persécution, et reconnaissons qu'elle a été amenée par nos fautes.
Oui, l'esprit de pénitence et une supplication instante, voilà
ce qui peut obtenir le salut de la France : l'esprit de pénitence,
c'est-à-dire le sentiment de douleur pour nos propres fautes et
pour toutes les offenses faites à Dieu, puis l'acceptation des
épreuves de la vie et la fuite du luxe, de la vanité, de la sen-
sualité, qui sont l'opposé de cet esprit de pénitence. Est-il pos-
sible, si peu qu'on ait de cœur, qu'on se laisse entraîner à ces
tendances au milieu du deuil de l'Eglise et de cette lamentable
perversion des âmes, pour laquelle il faudrait à tout prix obte-
nir un remède de la Bonté divine. Souvenons-nous de l'exemple
des Ninivites ;ils n'ont trouvé le salut que dans la pénitence.
Rappelons-nous aussi que l'Eglise, l'Eglise qui ne fait rien on
vain, nous propose dans sa liturgie des oraisons tout exprès à
l'intention de demander des larmes pour pleurer et expier le
péché (1\
Et en même temps, une supplication instante, qui nous fasse
tenir devant Dieu comme ^in mur, en faveur de la terre, —
c'est ce qu'il a demandé lui-même (Ezech. xxii), — qui nous
porte à entreprendre avec lui une sainte lutte, à l'exemple de
Jacob et à lui dire pareillement : m. Je ne vous laisserai point
aller Jusqu'à ce que vous m'ayez accordé des bénédictions »
(Gen. xxxii) ; des bénédictions pour tous mes frères, des béné-
dictions pour ma patrie. A qui pourrait-il être permis, en face
d'une telle situation, d'en prendre son parti et de ne demander
qu'avec froideur la cessation de tant de maux? — Du reste la
pensée de l'incendie n'exprime-t-elle pas tout, à elle seule?
(1) Missel Romain, Orationes ad diversa : 21, Pro pelitionc lacry-
tnarutn.
LE FEU A LA MAISON 237
Lorsque le feu est à la maison, l'afifaire la plus urgeute pour
tous n'est-elle pas de s'appliquer à l'éteindre? Tous ne doivent-
ils pas faire la chaîne, et les plus faibles passer au moins les
seaux vides?
Et cette supplication instante, cet esprit de pénitence, c'est
en union spéciale avec le Sacre' Cœur de Jésus, que nous les
offrirons à Dieu; car c'est ce divin Cœur qui, comme il l'a dé-
claré à sa confidente de Paray, « contient les grâces nécessaires
pour nous retirer de l'abîme de perdition »; il est le refuge
assuré qui nous a été montré par avance, afin que nous sachions
oii se trouve, dans l'effroyable crise que nous traversons, la
source du salut.
Et comme pour réparer, il faut d'abord s'efforcer d'être pur;
comme pour expier les péchés du prochain, il faut travailler à
être exempt soi-même de fautes, nous examinerons attentivement
sous l'œil de Dieu ce qui en nous peut lui déplaire; quand les
saints s'estimaient, par leurs fautes et par leurs insuffisances,
la cause des malheurs de l'Eglise, pouvons-nous être siàrs,nous,
de n'y avoir contribué en rien; recherchons donc en quoi ce
pourrait être et prenons la résolution énergique de nous amen-
der. Efforçons-nous aussi de multiplier de toutes manières les
actes de vertu, de témoigner à Dieu de toute manière un dévoue-
ment plus complet. « Sanctifiez-vous pour V Eglise, à'xi'b.l^v G dij \
c'est le concours le plus certain, le jjIus important et le plus
urgent que vous puissiez lui app)orter. *
Nous nous donnerons tout entiers à ce programme qui se
résume dans ces trois mots : fidélité plus grande à Dieu, sup-
plication, esprit de pénitence. Un écrivain religieux a dit :
« C'est une grâce immense de vivre à une époque où se mul-
tiplient sous nos pas les occasions de prouver à Jésus-Christ
qu'on l'aime. Jamais l'impiété n'a affiché aussi brutalement le
mépris de Dieu; l'indifférence glace les âmes... Eh bien ! plus
le siècle est froid, plus nous devons être chauds; plus le siècle
oublie Jésus-Christ, plus nous devons vivre de Lui et l'aimer ;
plus on le nie, plus nous devons l'affirmer. ^
Et le journal qui reproduisait cette citation ajoutait :
« Nous étions jusqu'ici, nous devons l'avouer, de ceux qui
gémissaient de vivre dans le temps irréligieux que nous traver-
sons. Nous ne sentions pas assez ce qu'il y a de viril dans la
lutte et dans l'espoir de la victoire, ce qu'il y a de beau à se
dire qu'on combat pour l'affranchissement des âmes. >
238 ANNAIiES CATHOLIQUES
Si, dans le sens exposé par le passage qu'on rient de lire,
c'est une grâce de vivre à une telle époque, et si, dans ce sens,
on peut être heureux de cette grâce comme de toute grâce, il
est certain, nous semble-t-il^ que le sentiment de douleur pour
les offenses prodiguées â Dieu dans une époque pareille, est
surtout ce qui doit dominer dans notre âme ; mais du moins cette
grâce, dans la mesure où elle est grâce, mettons-la pleinement
à profit, entrons de plus en plus dans cet esprit de réparation
dont tout spécialement elle nous fait un devoir. S. L.
' N. B. — M. l'abbé Garnier termine aa feuille sur le Rachat
(de la France par cette mention que les personnes qui vou-
draient entrer plus intimement dans les pensées qu'il expose,
pourraient se ifaire admettre dans VAssociation de prière et de
pénitence en union au Sacré-Cœur, association qui est le troi-
sième degré du Vœu National. Nous ne pouvons qu'appuyer de
tout notre pouvoir cette invitation, et d'autant plus que, d'après
les expressions mêmes du nouveau règlement de l'association
approuvé par Mgr de Dijon, en 188S, « de graves motifs per-
mettent de croire quelle a été demandée par Notre-Seigneur
lui-même. » — S'adresser à M. le Supérieur des Chapelains de
Montmartre ou bien à M. le curé de Saint-Michel, Dijon.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE
A MONSIELR LE PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE
IKTERNATIONALE DE BRUXELLES
(Suite et An, — Voir le numéro précédent.)
Plein d'horreur pour lui-même d'avoir fait mettre à mort ses
amis, ses serviteurs les plus anciens et les plus fidèles, pris de
terreur en pensant que les chrétiens d'Europe viendraient un
jouren tirer vengeance, Mouanga suspendit la persécution, rendit
ses bonnes grâces aux Pères, vint lui-même les voir et, durant
près de deux ans, parut ne plus se souvenir de rien.
Ce fut alors le tour des musulmans de se dire abandonnés et
de reprendre l'offensive. Comme il ne les suivit plus à leur gré,
ils l'entourèrent de leurs créatures, le réduisirent à l'impuis-
sance et, un jour, le renversèrent, par une émeute violente, le
réduisirent à la plus dure captivité.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIR 239
Un de ses frères, Kiwewa, choisi par eux, à la place de
Mouanga, n'a pas un meilleur sort, il refuse de se laisser cir-
concire, et, pour secouer le joug, il tue de sa main deux de ses
ministres, nègres musulraanisés. Un troisième essaie de le tuer,
lui-même, en tirant sur lui à bout portant. Il s'enfuit alors, et
un autre de ses frères nommé Karéma, qui lui est substitué,
accepte la circoncision, sous le coup des menaces, et ordonne,
avec l'exil des Missionnaires, le massacre de tous les chré-
tiens.
C'est alors que se passa un fait touchant, digne des beaux
temps de l'Eglise, et qui doit engager tous les peuples chrétiens
à s'unir pour sauver cette chrétienté naissante. Les rapports
entre les missionnaires protestants et les missionnaires catho^
liques n'avaient jamais été bien intimes. Mais, en présence de
la persécution commune, les sentiments de charité l'emportèrent
sur tout le reste. Les Missionnaires anglais se trouvèrent, après
le pillage de leur demeure, dépourvus de tout dans leur prison.
Ce fut l'Evêque catholique qui pourvut à leurs vêtements et. 4
leur nourriture. C'est aussi ensemble que les Missionnaires
anglais et les Missionnaires français quittèrent l'Ouganda, sur la
même barque qui servait à la Mission anglaise, et ensemble
qu'ils partagèrent les derniers périls.
Le R. P. Jamet, missionnaire d'Alger, supérieur de la Pro-
cure de Zanzibar m'instruisit en ces termes, par un long télé-
gramme, de ces émouvantes péripéties :
« L'un des frères aînés de Mouanga, Kiwewa, a été proclamé
souverain. Il était cependant favorable aux Européens. Il se
choisit donc un premier ministre parmi les chrétiens^, et. des
chefs de province parmi les noirs élevés dans les établissements
des protestants ou des catholiques. Les choses allèrent ainsi
pendant quelques jours : mais il y avait longtemps qu'un complot
autrement redoutable était tramé par les musulmans pour
s'emparer de l'Ouganda. Profitant de ce changement complet
d'administration, ils prirent leurs mesures et, à un jour donné,
se jetèrent sur les blancs. Quatre missionnaires,, parmi lesquels
se trouvaient Mgr Livinhae, vicaire apostolique du Nyanza, et
deux missionnaires anglais furent arrêtés, emprisonnés, et
Kiwewa fut menacé de déposition immédiate, s'il ne destituait
tous les chefs favorables aux chrétiens, pour les remplacer par
des musulmans. Ces esclavagistes sont riches et bien armés: le
roi céda, et les chefs qu'il avait récemment nommés prirent la
240 ANNALES CATHOLIQUES
fuite, pour éviter le sort qui leur était réservé. Les missions
anglaise et française ont été saccagées et incendiées, les or-
phelinats détruits, les missionnaires avec Mgr Livinhac à leur
tête, enfermés dans une prison, et, pendant une semaine entière,
exposés aux insultes et à la mort. Ils étaient ensemble, catho-
liques et protestants anglais, et se sont donné, dans ces tristes
circonstances, les marques d'une charité touchante. Les Anglais
n'avaient pu sauver ni vivres ni vêtements. Mgr Livinhac leur
en a fourni. Cependant, après les avoir dépouillés de tout, le
nouveau ministre musulman leur permit de se retirer, dans une
barque, de l'autre côté du lac où ils ont aussi plusieurs missions
dans différents royaumes, et particulièrement dans leBukumbi.
La barque dans laquelle on plaça ces confesseurs de la foi était
dans un état pitoyable^ et pour comble de malheur, lorsqu'elle
s'éloigna du rivage, elle fut attaquée et renversée par un hip-
popotame qui se rua tout à coup sur elle. Les missionnaires
furent sauvés par une barque qui les suivait; mais cinq des or-
phelins qu'ils emmenaient avec eux furent noyés. Les Pères
sont, aujourd'hui, arrivés sains et saufs au bord du lac, mais les
musulmans triomphent et ceux qui sont actuellement, sous le
nom de Kiwewa, les maîtres de l'Ouganda, ont écrit à M. Ma<^kay,
chef de la mission anglaise. Ils lui annoncent que, pour se
venger de ce que l'Allemagne et l'Angleterre avaient voulu
manger l'Ouganda, ils tueraient l'un après l'autre tous les
blancs établis dans l'intérieur de l'Afrique équatoriale (1). »
L'opinion s'émut, en Angleterre, de ces événements et de la
noble conduite des missionnaires français de l'Ouganda. J'en ai
la preuve officielle par la lettre suivante que m'adressa le Mi-
nistre des Affaires Etrangères de France, à la datedu 8 avril 1889,
pour la faire parvenir au Père Procureur des Missions d'Afrique :
Paris, le 8 avril 1889.
Monsieur le Procureur,
Monsieur le ministre d'Angleterre à Paris vient de me faire
savoir officiellement que le Gouvernement de la Reine avait
hautement apprécié l'assistance que les Pères d'Alger ont
prêtée, lors du récent soulèvement de l'Ouganda, à deux mis-
(1) Missions d'Afrique, n° '73. Janvier- février 1889, p. 468-469.
LETTRE VU CARDINAL LAVIGERIE 241
sionnaires anglais MM. Walcker et Gordon, gravement mis en
péril par les indigènes.
Je tiens à vous informer sans retard de cette démarche; je
viens, d'ailleurs, d'en faire part à notre agent, à Zanzibar, en
l'invitant à transmettre aux Pères de la Mission, avec mes féli-
citations, l'expression des remerciements du gouvernement bri-
tannique.
Recevez, Monsieur, les assurances de ma considération la plus
distinguée. >Sî^ne' ; E. Spuller.
Cependant, Mgr Livinhac et ses missionnaires se trouvèrent
bientôt, ainsi qu'on vient de le voir, installés au sud du Lac,
dans le petit Etat du Bukumbi, qui échappait aux troubles de
l'Ouganda. Là se passait, quelques mois après, un événement
bien inattendu après le récit des faits qui précèdent. Mouanga,
retenu en prison par les Arabes, après sa déposition, avait enfin
réussi à s'enfuir avec quelques-uns de ses pages. Rendu à la
liberté, il pensa que l'asile le plus sûr pour lui serait la rési-
dence des missionnaires catholiques.
Par un sentiment de confiance et de respect, qui est le plus
bel homnaage qu'il pût rendre à leur vertu, il va les trouver. Il
y arrive, mourant de faim, dépourvu de tout. Il est reçu avec
les mêmes égards qu'aux temps de sa prospérité. Il se fait ins-
truire et demande le baptême.
Ce n'est pas tout. Les chrétiens de l'Ouganda, traqués par
Karéma, qui a succédé à Kiwewa, fugitif à son tour, et par les
musulmans esclavagistes, s'êtaientenfuis, au nombre de plusieurs
milliers d'hommes, et réfugiés dans une province éloignée qui
les accueillait comme des délibérateurs.
Bientôt une députation est envoyée par eux à Mouanga, sur
les pirogues du lac; les ambassadeurs lui demandent de venir,
à leur tête, chasser les musulmans et reprendre possession de
son royaume. Les missionnaires, consultés par lui, refusent de se
prononcer, selon la règle de leur mission qui, comme je l'ai dit,
à plusieurs reprises, leur interdit tout acte politique. Il se décide
seul: il part. Il s'établit d'abord, sans difficulté dans les îles du
lac qui dépendent de son empire, et sur les rives orientales de
l'Ouganda qui se sont soustraites au pouvoir de l'usurpateur.
Là, sa première pensée est de rappeler les Pères au milieu des
chrétiens : cette fois il s'agit de leur ministère, et deux Pères
partent à leur tour, pour partager tous les périls.
242 ANNALES CATHOLIQUES
Cependant Karéma résiste avec ses Arabes &t les nègres
musulmanisés par coux-ci. l.h se livrent des combats qui rap-
pellent les scènes guerrières, à demi-sanvag-es, dn moyen-à?e et
les anciennes batailles navales d'e la Méditerranée. Je- éite, sur
la dernière dont nons avons reça les détails, la lettre qwe nous
écrit Mgr Livinhae : « La rencontre eut lieu, dit-il, au port de
Bouaya, à un jour de marche de l'Ile oii campe IMouanga. Les
musulmans venaient de jeter l'ancre et de dresser leurs tentes
sur les bords du lac, quand la petite armée de terre, fondant
sur eux avec la rapidité de la foudre, les obligea à se sauver
dans leurs embarcations, avec tant de précipitation que, s'em-
barrassant les unes dans les antres, plusieurs périrent dans les
flots. Les commerçants arabes, au nombre de cinq, proposent à
leurs compagnons de se rendre ; mais Téquipage, composé de
Wangwanas, et les autres noirs musulmans refusent de cesser
le feu, disant aux Arabes: c Mouanga vous épargnera peut-être;
mais pour nous il n'j a pas de grâce à espérer. ^ En ce moment
paraît la petite flottille de Rlouanga, commandée par Gabriel,
un deno« néophytes. Elle se range en ligne de bataill'e, et attaque
vivement le grand boutrè de l'arabe l>en-Sif. Mais les cent
musulmans accToupis derrière l'épais bordage de cette lourde
embarcation ontpeu h ci'aindre des balles des soldats do Mouanga,
qu'ils accueillent par une fusillade des mieux nourries. Les
rameurs, habitants des îles Sésé, dont la lâcheté est proverbiale,
épouvantés par les détonations, se mettent en devoir de battre
en retraite. Pour les retenir, Gabriel est obligé d'avoir recours
aux plus terribles menaces. Les Arabes-, de leur côté, voudraient
gagner le large; mais il faudrait se dresser sur le pont pour
lever l'ancre, et ce serait s'exposer à une mort certaine. Ils
parviennent enfin, sans se montrer, à détacher les chaînes qui
relient les ancres au boutre, et, abandonnant chaînes et ancres,
ils hissent la voile, et le bateau s'ébranle. Les Basésé refusent
de le poursuivre. Encore quelques instants, et les musulmans
sont sauvés. Soudain une explosion dont on ignore la cause, se
produit dans le boutre qu'elle fait bondir, en le couvrant d'un
nuage de fumée. Fous de frayeur, ou brûlés, plusieurs musul-
mans se jettent à l'eau et se noient. Cependant le capitaine et
les hommes de l'équipage se défendent en désespérés, et tien-
nent en respect les assaillants qui, n'ayant presque plus de mu-
nitions, voient l'ennemi sur le point de leur échapper. Une
seconde explosion vient encore jeter le trouble dans le bateau
18
LETTRE DU. CIAŒIDINAL LA^1GERIE 34S
et faire noyer une dizaine des .malheureux qui le montent.
L'armée de Mouanga sent son courage se ranimer, mais ne peut
déterminer les pauvres Basèsé à ramer en avant, quand une
troisième explosion renouvelle les effets désastreux des précé-
dentes et, de plus, met le feu à la grande voile et la réduit en
cendres. Les assaillants, voyant que Dieu combat ainsi pour
eux, poussent alors un formidable cri de triomphe. Les Basésé
•n'hésitent plus. Leurs pirogues légères volent sur l'eau comme
des rtèches et se précipitent sur le boutre. Les soldats de
Mouanga s'élaneent à l'abordage, font un horrible carnage de
tous ceux qui leur résistent, n'épargnant que les jeunes esclaves
et les cinq Arabes qui avaient conseillé à l'équipage de mettre
bas les armes, pillent le bateau et le livrent aux flammes.
« Le' petit boutre de Soungoura, qui avait abandonné son
chargement à terre, s'était esquivé pendant le combat. Les noirs
chrétiens l'aperçoivent au loin et vont l'attaquer résolument.
Dieu vient encore à leur aide par une explosion qui, mettant le
trouble parmi l'équipage, leur assure la victoire, et le boutre
est incendié.
« On assure que prés de deux cents musulmans ont péri dans
ce combat. Chose incroyable, et qui tient du prodige, les assail-
lants qui ont eu à essuyer une grcie de balles, n'ont .perdu que
deux hommes, dont l'un même aurait été victime de la mala-
dresse de son compagnon.
« Les cinq malheureux Arabes, dont nous avons parlé, s'étaient
blottis au fond dii bateau pour se mettre à l'abri des balles ;
mais ils avaient été tellement maltraités par les explosions,
qu'ils moururent tous avant d'avoir pu être présentés à Mouanga.
Ainsi, de tous les musulmans venus du sud du lac au secours de
leurs coreligionnaires, il ne reste que les trois courriers envoyés
à Karêma pour lui annoncer l'heureuse arrivée d'un renfort qui,
selon toutes les apparences, eut assuré son triomphe et ruiné à
jamais la cause de Mouanga, tandis que l'issue du combat vient de
changer la situation... »
Là s'arrêtent les dernières lettres de nos missionnaires. Mais
une dépêche, reçue du procureur de la Mission d'Alger à Zan-
zibar, et qui nous tient encore en ce moment dans des transes
cruelles, nous apprend que Mouanga et les chrétiens ont con-
sommé leurs succès, qu'ils ont renversé l'usurpateur et chassé
les musulmans ; mais on nous fait aussi connaître que ceux-ci,
avec Karéma, ont cherché un refuge sur les bords du Nil, parmi
244 ANNALES CATHOLIQUES
les derviches fl), homme du Mahdi, et qu'ils sollicitent ces der-
niers de se porter avec eux sur l'Ouganda pour en reprendre pos-
session au nom du mahométisme.
C'est là qu'en sont les choses ; et c'est ce qui me fait prendre
aujourd'hui la plume pour jeter, en ma qualité de Pasteur et de
Père de ces Missionnaires, de ces chrétiens d'un si admirable
courage, un de ces cris que ne peuvent obtenir les profondeurs
de l'âme humaine, pour renouveler l'appel que j'ai déjà fait aux
peuples de l'Europe.
Je ne l'adresse à aucun d'eux en particulier, puisqu'aucune
puissance n'a encore placé l'Ouganda dans la sphère de son in-
fluence.
La France, à qui son protectorat a été proposé, n'a pu l'ac-
cepter, comme on l'a vu, pour les raisons que j'ai fait connaître.
Voilà pourquoi, bien que la Mission de l'Ouganda compte des
missionnaires français, je ne m'adresse pas spécialement à elle
aujourd'hui. L'Angleterre a, comme on l'a vu, des missionnaires
au Nyanza. L'Allemagne en compte également, et je ne puis
oublier que le nouveau vicaire a|)ostolii|ue désigné par le Saint-
Siège pour remplacer Mgr Livinhac, élu par sa Société pour
remplir la charge de Supérieur général, est Mgr Hirth, un hé-
Toïiiue et pieux enfant de l'Alsace.
H
Les madhistes du Haut-Nil, qui menacent en ce moment les
Grands Lacs, déshonoraient donc, depuis longtemps déjà, sous
le nom de derviches, le Soudan égyptien et toutes les régions du
Nord et de l'Ouest africain.
Une autre secte fanatique, qui reconnaît pour chef un autre
raaluli, plus redoutable encore que celui de la Haute-Egypte, se
prépare dans l'onjbre, sous le nom de Khouans, à un assaut
semblable.
Mais, pour faire comprendre la forme et la grandeur de ces
périls nouveaux, il est d'abord nécessaire de rappeler en quel-
ques mots, la situation particulière du mahométisme en Afrique.
L'Atrique a semblé, dés l'origine, fatalement destinée à de-
venir la proie de l'islam.
La nature l'avait préparée, comme par avance, à cette inva-
sion sauvage.
(1) On appelle ainsi, parmi les mystiques, la série des Docteurs
illustres dont on a étu^lié la doctrine et embrassé les pratiques.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 245
Il est difficile, en effet, de ne pas remarquer que l'Arabie, qui
fut le berceau de Mahomet, semble se détacher du reste du
monde et se porter sur notre continent comme pour en ouvrir
l'accès.
Elle l'ouvrit en effet, dés les premiers temps, pour laisser
passer le flot envahisseur sur l'Egypte et sur les contrées bar-
baresques. Ce flot poussait ensuite de proche en proche, plus
loin ses ravages, et il les continue, encore aujourd'hui, vers
l'intérieur équatorial, alors qu'il semble s'endormir et tomber
aux lieux mêmes de sa naissance...
Mais ce n'est pas seulement la situation géographique qui
explique ces conquêtes africaines, ce sont encore les affinités
qui existent entre le caractère des Africains et les lois de
l'Islam. Si l'on ne peut dire que les lois de Mahomet ont été les
meilleures qu'il pût donner à ses sectateurs, on peut trouver,
en effet, comme on l'a dit pour la Grèce, de celles de Selon, que
c'étaient celles qui paraissaient le mieux répondre aux disposi-
tions, à la nature morale, aux vices mêmes des Africains.
A ce point de vue même, c'est un chef-d'œuvre.
Mahomet donne en eflet, par sa religion, satisfaction aux
instincts religieux de nos populations ardentes : l'existence d'un
Etre suprême, son unité, sa providence, sa justice. Mais d'autre
part, il sacrifie à la crédulité d'un peuple ignorant et qui accepte
tout avec d'autant plus de facilité et d'enthousiasme que ce
qu'on lui enseigne est plus incroyable.
Nulle part, on n'a cru davantage aux fausses prophéties et
aux faux miracles; et c'est Tertullien, un Africain de génie,
mais d'un génie qui ne gardait point de mesure, qui a osé dire,
tout chrétien qu'il était,, qu'il admettait ses propres doctrines
pour leur absurdité même : Credo quia ahsurdum. Le relâche-
ment; on pourrait presque dire la suppression de toutes les
règles des mœurs, qui légitime, dans le Coran, les passions bru-
tales, ou leur enlève tout frein dans la tradition et dans la prati-
que, ne devait pas moins servir la conquête de l'Islam. L'Afrique
n'y était que tpop disposée. Même aux siècles les plus chrétiens,
elle faisait rougir le reste du monde par ses excès, et c'est
encore un père de l'Eglise qui a écrit d'elle: « Il est aussi inouï
de voir un Africain qui ne soit pas impudique que de voir un
Africain qui ne soit pas Africain. Tani inauditum est Afrum
non esse iTupudicum, quant Afrum non esse Afrum (1). » Enfin,
(1) Salvien, De guhernatione Dei.
246 ANNALES CATHOLIQUES
ce à quoi Mahomet fit appel,. plus qu'à tontt le reste, pour aou
mettre Je monde, c'est l'orgueil aveugle de la force, et l'insensi-
bilité barbare devant la mort, la ruine, la souflrance. L'Afrique
en est encore là, partout oii le christianisme no l'a point pé-
nétrée. Elle n'obéit qu'à la force, et aucune souffrance de ce qui
est faible ne l'émeut.
Elle était donc, je le dis une fois encore, préparée, par ses
vices mêmes, à l'invasion musulmane. Aussi, sauf dans le massif
abyssinien où les chrétiens venus d'Asie et s'inspii'ant de ses
traditions se sont maintenus jusqu'à ce jour, ^râce à leur carac-
tère différent et aux crêtes inaccessibles de leurs montagnes
contre lesquelles le flot bat inutilement depuis tant de siècles,
l'islam a-t-il, dès son origine, je le répète, subjugué toute
l'Afrique du Nord. Nous savons bien, par des traditions obscures,
que les chrétiens continuèrent, sur des points isolés, à y vivre
en masses profondes ; mais on ne peut plus, depuis l'Islamisme,
citer une date illustre, un seul grand nom dans l'histoire de ces
chrétiens, disciples avilis des Cyprien, des Augustin, de tant de
saints, de tant de martyrs. La conquête ne s'arrêta pas même
aux limites du monde ancien. Les histoires musulmanes nous
apprennent que les disciples de Mahomet pénétrèrent dans des
profondeurs inconnues des armées romaines. Le Sahara fut
envahi par eux, et, au sud du Maroc, les régions qui environnent
la Tornbouctou actuelle, durent plier sous le joug jusqu'aux
lacs et aux rives les plus lointaines du Niger.
Voilà le résultat d'une première tentative, alors que l'enthou-
siasme précipitait la victoire.
Mais si le Mahométisme était fait pour iii conquête, et pour la
conquête de l'Afrique, en vertu même de la ressemblance de
son génie, il n'était pas fait pour la conservation ou la création
de nations civilisées durables... Non seulement sous son action,
l'éclat de ces commencements s'est terni, mais tout ce qui exis-
tait auparavant a disparu et s'est comme abîmé dans le néant :
les villes, les monuments, les méthodes acquises, et jusqu'aux
grands chemins qui traversent ces contrées, jusqu'aux cultures,
jusqu'à la végétation des forêts.
C'est ce qu'ont amené le fatalisme et la crédulité aveugle,
d'une part; de l'autre, la violence et la rapacité, avec la corrup-
tion et la débauche qui enlèvent à l'homme toute énergie, dès le
jour, si précoce parmi nos musulmans, oii il se livre à elle sans
retenue.
LETTRE BIT CARDmAL LAVIGERIE 247
Il faut avoir vu, comme nous l'avoas vn nous-mêmes, l'état
de ces contrées, lorsque la* France en a pris possession,^ il faut
s'^e rendu compte de cette destruction, de cette impuissance à
relever ces débris, de cette mort anticipée, pour comprendre ce
que je dis. Mais quiconque a visité les provinces musulmanes de
l'Afrique, le reconnaîtra sans peine, et sanra quelle vérité si-
nistre se cache sous le proverbe oriental lorsqu'il dit que
Y&mbre seule d'un musulman stérilise j^our cent années le
champ sur lequel elle pass^.
Il y a un demi-siècle, tel était l'aspect de l'ancienne Afrique
romaine ; tout y annonçait la mort.
Mais il s'est produit, depuis cinquante ans, un singulier phé-
nomène : sous ce linceul immense, un esprit de résurrection et
de vie paraît s'être de nouveiaa fait sentir.
Le mahométisme africain aspire non seulement an rétablis-
sement de son ancien pouvoir, partout oii il a existé dans le
passé, mais à la destruction de tout établissement européen, et
à l'invasion totale d'uû continent dont, au temps même de sa
puissance, il ne possé^lait qu'une partie.
Je n'ai pas à apprécier ici, de nouveau, ce qui se passe, en ce
moment, dans l'Afrique Equatoriale. J'en ai parlé longuement
dans les chaires des églises de l'Europe, dans mes Lettres,
dans mes brochures-, et, tout dernièrement encore, au moment
de l'ouverture de la Conférence de Bruxelles, dans ma lettre à
S. M. le roi Léopold II. Je n'ai fait que résumer, du reste, à cet
égard, les témoignages des explorateurs et cenx des mission-
naires, les témoignages des Livingstone, des Stanley, des Bur-
ton, des Speke, des Grand, de l'intrépide et patriotique Serpa
Pinto. Leurs écrits sont dans toutes les mains., ■
Ils montrent que l'Afrique orientale est déjà, en grande
partie, dépeuplée par les musulmans esclavagistes. Ils font voir
l'œuvre accomplie par les envahisseurs arabes du Nyassa, du
Tanganika, du Congo. Je viens de signaler dans la premièr.ô
pftrtie de cette Lettre, l'Oeuvre actuelle qu'entreprennent les
derviches sur les bords dit Nyanza. Mais, ce que je n'ai pas
encore assez dit, et ce qu'il faut que je fasse mieux connaître
enfin, pour éclairer pleinement l'Opinion de ceux qui se préoc-
cupent 'd'un si grave sujet, c'est le complot immense qui se
trame autour de nous, qui a son origine et son centre dans
l'Afrique du Nord et qui déjà envahit tout, jusqu'aux bords du
Niger, jusque dans les royaumes nombreux du Soudan, jus-
u'aux extrémités du Nil.
248 ANNALBS CATHOLIQUES
Il faut donc savoir que le mahométisme, en reconnaissant
Mahomet pour son prophète suprême, proclame, depuis les
premiers jour, le renouvellement constant et nécessaire de son
esprit par le ministère d'envoyés nouveaux. Cet esprit est que
les croyants n'ont à se préoccuper, en rien, du progrès des
choses de la terre, et qu'ils n'ont pour mission que d'y établir
la foi et le règne de Dieu, d'y maintenir sa loi dans sa pureté et
dans sa rigueur. Si la foi s'éteint ou se refroidit, si les chefs du
mahométisme pactisent avec les idées de ce monde, s'ils accep-
tent l'alliance et, à plus forte raison le joug de l'infidèle, ils
manquent à leur devoir le plus sacré.
Dès lors, un nouvel interprète, inspiré par Mahomet lui-
même, s'élève au milieu de ses frères. Il a récusa mission dans
quelque vision mystérieuse. Cette mission, il la publie : il est
le guide (Mahdi, c'est le nom sacréj et le réformateur attendu;
il réuni autour de lui les adeptes qu'il a pu convaincre ; il forme
une société secrète ou, comme ils disent, un nouvel ordre de
« Frères >, il refuse toute obéissance aux pouvoirs constitués en
dehors de lui, et il exige lui-même de ses adhérents la docilité
du cadavre.
C'est le spectacle qu'offre en ce moment, le monde musulman
africain et sur lequel j'appelle avec instance, pour accomplir
un grave devoir de ma charge, l'attention du monde civilisé.
Déjà, depuis deux siècles, des Ordres ou Sociétés de ce
genre avaient paru et s'étaient multipliées en Afrique et sur
divers points des contrées musulmanes : mais leur œuvre (sauf
celle de quelques-uns, plus modérés et plus sages comme celle
d'El-Djilali,) simple inspiration du fanatisme ou d'intérêts per-
sonnels, n'avait jamais réuni qu'un nombre restreint d'adeptes,
sur lesquels il était permis, dans le monde chrétien, du moins,
de fermer les yeux. Aujourd'hui, à la suite des conquêtes de la
France, sur les bords de la Méditerranée, de l'Angleterre, en
Egypte et sur les bords de l'Océan, il s'est formé, sur les mêmes
principes, des confréries semblables, plus agissantes, et en par-
ticulier une Association tout autrement à craindre, parce qu'elle
réunit peu à peu en un seul faisceau toutes ces forces divisées
et veut, un jour, les lancer sur le monde.
Il importe donc de bien la connaître, parce qu'elle menace
surtout l'Afrique, et particulièrement les établissements euro-
péens.
Les bornes d'une Lettre ne me permettent pas d'aborder les
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 249
détails qui seraient peut-être nécessaires, sur un semblable
sujet. Mais, puisque je suis amené à l'indiquer, du moins par la
question même à l'occasion de laquelle j'ai voulu faire appel à
la Conférence de Bruxelles, que ses membres éminents me per-
mettent de dire ici, qu'on ne saurait juger, en ce moment, des
choses de l'Afrique et de celles de l'esclavage, si étroitement
unies dans notre continent, sans s'être fait une exacte idée du
fait grave que je signale et qui domine tout.
Des esprits également distingués par leur impartialité et par
leurs lumières, et qui ont fait de ces questions une étude appro-
fondie, les ont traitées déjà. On ne peut rien écrire avec une
plus complète compétence et, par conséquent, avec une plus
grande autorité.
Il en est surtout trois que je veux indiquer, ici, parce que
l'absence de toute préoccupation autre que celle du devoir et
de la vérité ne permet de les considérer, à aucun degré, comme
obéissant à des idées de partialité ou d'intolérance, et qu'ils
doivent inspirer, dès lors, une entière confiance aux hommes
politiques qui, comme ceux qui se trouvent réunis à Bruxelles,
ne se préoccupent que des intérêts de l'humanité et de la civi-
lisation :
Le premier est le commandant Rinn, membre du Conseil de
gouvernement de l'Algérie, qui a passé sa vie, déjà longue, à
approfondir les] problèmes religieux, toujours importants et
obscurs, dans l'administration des affaires musulmanes ; esprit
d'une sagacité rare et d'une rare sagesse, dont l'œuvre intitulée
Marabouts et Khouan (1) est à coup sûr, la plus curieuse et la
plus instructive sur ces matières. Le second est M. Henry
Duveyrier, membre de la Société de géographie de Paris, dans
l'ouvrage sur Les Touaregs du Nord (2), oii l'intrépidité et
l'intelligence se sont unies jusque dans les dernières profon-
deurs du monde musulman, pour étudier ces mystères. Le troi-
sième enfin, qui résume et complète le3 deux autres, et chez
qui les lumières de l'observateur et du philosophe se doublent
des inspirations de l'administrateur et de l'homme d'Etat, M. le
général Philebert,dans son œuvre remarquable sur La Conquête
pacifique de V intérieur africain (3).
(1) 1 vol. in-S». Alger, Adolphe Jourdaa, libraire-éditeur, 1884.
(2) 1° vol. iu-8. Paris. Challamel aîaé, libraire-éditeur, 5, rue
Jacob, 1864.
(3) 1 vol. in 8». Paris, Ernest Leroux, 23, rue Bonaparte, 1889.
250 AWNALSS CA^THOLMIUSS
Que les membres de la Gonfêreiace de Bruxelles lisent donc
ces œuvres clignent de tout leur intérêt. Elles leur feront con-
naître, je le répète, les détails queja ne puis exposer moi-jcnéme,
<lans un écrit de si courte étendue.
J'en veux dire, du moins, ce qu'il importe à tous de sa-Ytoif
pour apprécier la nature et la grandeur du péril sur lequel
j'appelle leur attention.
C'est en Afrique qu'est né le fondateur de ce Madhis^ne nou-
veau, tout autrement redoutable que celui des yuadhis d'aven-
-ture du Haut-iNil, et c'est aussi l'Afrique qu'il menace, paa'
suite du caractère propre de cohésion, d'enthousiasme, de crédui-
dulité, d'ignorance que j'ai signalé chez nos populatioii-s
musulmanes. Ce fondateur d'un Ordre nouveau, qui aspirait, à
réunir tous les autres Ordres africains sous sa conduite, esft le
chérif algérien Si Mohammed-ben-Ali-ben-Ea&noussi-El-lihot-
tabi-el-Hassai-El-IdrissL, venu au monde dans un« obscure tiibu
■de la province d'Oran, on 1790, et mort dans la Tripolitaine
depuis plus de vingt années. Sa vie, relativement courte, a suffi,
par suite de circonstances exceptionnelles, et surtout grâce àisofi
génie rare, pour fonder l'œuvre immense à laquelle il s'est cou-
sacré et dont il a, par ses fils et ses successeurs, assuré la
durée.
■D'abord simple a«ccte voué à la pénitence, à la prière, à
l'étude ; puis, après âos pèlerinages à tous les sanctuaires du
monde musulman, ses courses pour visiter les zaouïas illustres
et constituer « sa chaîne d'or > chef d'un Ordre auquelil adonué
son nom, favorisé, comme tout envojé musulman, du don de5
visioDS surnaturelles, objet des révélations du Prophète qui
lui ordonne de relever et de soutenir l'Islam ébranlé, il se pré-
sente avec tous les caractères (jui, en Afrique, entraînent les
masses ignorantes.
Objet d'enthousiasme pour les multitudes, mais objet de
défiance et de citiintc, de la part des priuces et des chefs mêmes
de i'orthodoxifi : contredit et traité d'hér<étique jusque dans ia
Mecque; objets de tentatives avortées d'assassinat parle poison
ou de meurtre par la violence; obligé de fuir, mais dissimulant
sa fuite et son dessein sous de . nouveaux ordres prétendos du
Prophète; et, enfin, trouvant un asile et le lieu où il pourra
mûrir et préparer l'exécution de ses vastes desseins dans les
déserts de la Tripolitaine.
La mission propre qu'il proclame, c'est la nécessité de renou-
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 251
vêler rislarnisme déchu, et, pour cela de rétablir la doctrine de
l'iaiamat suprême, tel que le Prophète l'a créé, dans sa propre
personne,.
Il enseigne donc que c'est Dieu seul qui gouverne le monde,
mais qu'il ne le gouverne pas au moyen des princes- de :La terre,
comme l'admet le commun des peuples : il le gouverné directe-
ment par son Envoyé et par ceux qui doivent lui succéder, en
qualité d'imams ou chefs religieux. Ce sont eui qui sont char-
gés de prêcher et d'interpréter sa loi ; et sa loi seule doit déci-
der de toutes les actions, non seulement de celles de la religion,
mais de celles de la vie civile et politique. C'est uniquement
ainsi que pe«t être maintenue dans sa pureté d'après l'enseigne-
ment de Mahomet la doctrine céleste que renferme le Coran.
Mais, peu à peu ajoute- Senoussi, il est arrivé comme l'avaient
déjà constaté l'autorité que lui donnent sa piété, sa prétendue
descendance de Mahomet, sa rare éloquence,, -q-u'à la suite des
conquêtes, des richesses accumulées, des entraînements et des
séductions du pouvoir, tout a dégénéré, dans l'Islam, parmi le
peuple, parmi les princes usurpateurs de l'autorité souveraine,
et jusque parmi les hommes ofâciellement consacrés à l'étude
de la loi et à la prière. La négligence, la corruption se sont
mises partout, et tout est tombé dans l'apostasie. On le voit par
la faiblesse des souverains musulmans et du Chef des croyants
lui-même, par les alliances contractées avec l'infidèle, par
radoi>ti)<.iiïdes idéeset des inventions de l'Enrope, comme il répète
avec d'autres docteurs inspirés, pour la facilité avec laquelle ils
placent auprès d'eux et jusqu'au nombre de leurs ministres des
hommes choisis parmi les impies. « Diea s'irrite d'un tel spec-
tfuile, et Mahomet s'en indigne : du haut du ciel, il fait appel à
tous ses vrais disciples pour rétablir l'Islam et sauver le monde
m:einacé de destruction universelle. » ' \ .'' i;:
Voilà les discours incessants de Senoussi ei d« ses moqqa-
dems. A la Cour de Constantinople, oii Senoussi compte cepen-
dant, dans' rentôlrrage même du -Sultnn, des intelligences
secrètes qui peuvent, sous les inspirations du fanatisme et des
traditions du sérail, ne pas être toujours les moins périlleuses,
à celle d,u Khédive ou à celles de l'Asie et de l'Afrique, au
foud, de telles paroles peuvent faire sourire. La généalogie de
Mahomet,, le^ visions, les discours du Prophète ne causent
d'autra impression que celles de la colère secrète contre un
imposteur populaire, ou de la pitié pour ceux qu'il a pu séduire|,.
252 ANNALBS CATHOLIQUES
Mais, parmi les masses crédules qui ne voient partout que le
miracle et ne désirent, au fond, que le sac des sociétés, de sem-
blables prédications ne trouvent qu'une croyance aveugle et un
enthousiasme sans frein pour l'exaltation de l'Iman nouveau qui
seul peut assurer le salut.
Mais c'est ici que Senoussi a montré toute la supériorité de
son génie. Au lieu de procéder par la violence et de se faire
jeter ainsi dans les cachots, il a su imposer silence aux passions
mêmes qu'il excitait, et leur creuser le lit profond où elles se
dissimulent et acquièrent une force irrésistible.
Une organisation savante, celle d'une association, comme il
en existe tant d'autres (on en compte seize en Algérie), de
frères (Khouans) voués comme lui à la prière et à la pénitence,
lui assure, pour l'avenir, sans l'exposer à aucun péril pour le
présent, le succès de ses vues ambitieuses. Ce fut donc pour évi-
ter encore plus sûrement tout danger qu'il choisit les déserts
pour centre de l'action qu'il inaugure.
C'est en 1835 qu'il fonde la première zaouïa de son Ordre. Les
plus ardents d'entre les disciples qu'il avait déjà recrutés en
Arabie, en Egypte, dans les provinces barbaresques et bientôt
jusque dans le Soudan, s'y réunissent autour de lui, sur les
confins de la Tripolitaine. Quatre cents frères ou Kkouans se
trouvent bientôt groupés À Djebel Lakhdar (1) et commencent
leur œuvre. Elle est prêchée par des émissaires habiles, par des
cheiks ou moqqâdems, prudents et déterminés à la fois. Rien ne
devait paraître au dehors, sinon dans les régions oii il était
possible de fonder des zaouïas nouvelles, en dehors et à l'int-u
des gouvernements réguliers.
Ce travail souterrain transpirait cependant. On s'en inquié-
(1) En peu d'années, dit M. Rinn, le Djebel fut littéralement cou-
vert d'établissements. Snoussi entreprit alors de nouvelles cons-
tructions dans le reste de la Tripolitaine, dans le Sud de la Tunisie,
dans la Marraarique, en ElgTpte, en Arabie, à Mourzauk, à R'ad, à
R'damès, à Insalah, à Taouat, chez les Touaregs et jusque dans le
Soudan. Chaque jour, aon influence grandissait et, vers la fin de sa
vie, maître de 22 zaouïas. dont 16 dans le district de Ben-Ghasi, il
était devenu le véritable souverain de l'immense pays que limite, au
Nord, le littoral méditerranéen d'Alexandrie à Gabès, et qui s'étend
dans le Sud, jusqu'aux royaumes nègres, au milieu desquels ses
moqqâdems commençaient déjà, à son profit, leurs conquêtes pacifi-
ques (C. Rinn, p. 491.)
LBTTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 253
tait, surtout dans les cours musulmanes et jusqu'auprès du Sul-
tan, où Es-Snoussi excitait des appréhensions sérieuses. Selon
ses habitudes de prudence, il crut utile de s'enfoncer alors dans
le désert, et il ne s'arrêta que lorsqu'il eut mistrentejournéesde
marche entre la côte et Djer'boub,sa résidence nouvelle. C'est là
qu'il a placé le centre définitif de son action. Il y a élevé une
zaouïa magnifique, le plus beau monument, disent les musulmans
qui l'ont vue, de l'Afrique entière. C'est là qu'il a réuni, soit
en qualité démembres de son Ordreou de sa secte, soit en qualité
d'esclaves, comme je vais l'expliquer, plusieurs milliers d'a-
deptes. Pour donner une idée du fanatisme qui les anime, il
suffit de dire qu'il n'y en a, parmi eux, que quinze seulement
qui soient mariés (1). Tout est employé pour multiplier le nom-
bre des « frères », même dans les contrées les plus lointaines.
On raconte que Snoussi commença par un trait de génie la
conquête du Soudan oii son influence est toujours dominante (2).
Une caravane de deux cent cinquante esclaves noirs, venus du
Wadaï, se trouvait en vente, en Egypte. Il les fit acheter tous,
les fit venir dans sa zaouïa, leur fit embrasser le mahomé-
tisme, les instruisit à fond de l'histoire de ses origines et de ses
conquêtes, et, quand il eut reçu d'eux des preuves de constance
suffisantes, il les renvoya tous dans le Wadaï avec mission de
le convertir au snoussisme. Ils y réussirent; et du Wadaï le
snoussisme passa en triomphateur dans le royaume voisin du
Bargimi, où il règne par la conversion du Sultan qui a embrassé
cette secte. Dès lors, il n'a plus trouvé d'obstacles à la difi'usion
de celle-ci que l'on rencontre dans tous les royaumes noirs de
l'Afrique du Nord ; dans l'Egypte, la Nubie, le Soudan Egyp-
tien, le Darfour, le Wadaï, le Bargimi, le Bornou, le Tigréi, le
Maroc, le Sahara, le Fouta, la Sénégambie, le Sénégal, le Ni-
ger, etjusqu'àla côte de Bénin et à la Côte d'Or.
Il tire des esclaves de toutes ces contrées, faisant capturer
les uns par la violence, par la connivence des princes ou des
chefs, obtenant que les autres se fassent, par fanatisme, les ser-
viteurs volontaires de la Djer'boub, et créant autour d'elle, par
la culture saharienne, l'élevage des chameaux, le commerce,
des ressources déjà immenses.
Ce n'est pas tout. Les chefs des Snoussiaexercent,dans laTri-
(1) C. Rinn, Marabouts et Khouan, p. 505.
(2) Ibid., p. 492.
254 ANNALES . CATHOLIQUES
politaiae et dans les; rég^iona situées ausud de la Tunisie, une
suprémati-e: secrète, mais absolue, par le moyen même des
agents nommés et entretenus par la Turquie, presque tous
enrôlés secrètement dans leur Ordre. Ainsi ont-ils pu réussir à
y foTmer une armée-. qjui ne compte pasmoiûa ée treote, mille
fantassins et de quinze cents cayaliers prêts à toutes les expédi-
tio'as.
: La zaouïa est devenue une forteresse ©n plutôt, un arsenal,
contenant des fusils, par milliers, de la poudre, et jusqu'à des
canons. Ajoutons qu'au moyen des omissaires, désormais innom-
Lrablea qui parcourent toute l'Afrique du Nord et jusqu'aux
Grande! Lacs, sous tous l«s déguisements et sous tous l0s pré-
textes, ils entretiennent, dapa la masse musulman©, des idèe.s
incessantes da révolutions et de. bouleversements politiques. Ils
s<î servent de prophéties qui. ont cours daas le- monde do l'Islam
et. parmi lesquelles il j en a de célôbrosi qui annoncent, pour
notre époque, le triomphe sur les chrétiens et leur expulsionde
l'Afrique et de. toutes les terres du Prophète. ••
En Algérie, où l'autoiitémilitaire) veille, il»n!ont point encore
de zaouia propre ; mais ils s'agrègent peu â peu, daûs l'ombre,
au moyen de Ixjurs émissaires, les Ivhouans des seize Ordres
différents qui existent parmi nousv Ica uns plus modérés, comme
lesi Tidjinia, les autres plus ardemment hostiles, comme les
Rouhmalia- o-U' les Oulaxi-Sidi-Cheikh, mais tous portîint, au
fond du cœur, la haine des chrétiens et l'appel àr la guerre
saintô!.
J'ose prier les. lecteurs de cette lettre de vouloir bien relire,
à cet égard, leS' page» instructive^diu. comraan'dant.Rinn ; eilles
ne sont que trop exactes et trop claireiî (1).
n eii vriii, que là oii la sollicitude européenne est éveillée, là
oii ils ne pensent pas pouvais étabUiî dies ceatrôSu, pour leurs
vu:os secrètes, ce n'est pas à. la pensée d'une révolte qu'ils font
appel, c'est à. l'émigration dans un pays où il* puissent libre-
ment exercer leur culte, à l'abri du contact des infidèles,, c'est-
à-dire où. des centres de zaouïas sont déjà établis.
('es centres sont déjà au nombre de plus de cent dans
l'Afrique du Nord, tous reliés entre eux par des communicatioas
incessantes, tous formant peu à jpeu les cadres derinsurrection
prochaine ; et ils en sont venus à déclarer ouvertement, aujour-
•' m; .u .«ti>ioA.A ifj /■Avi'i'.'r.-tTx'J. ."d^Vi .') < l
(1) Rinn. Marabouts et Khouan, préface, p. 5 e?t' sfliivantôa?.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE ^DD
d'hui, qu'il entraîneront contre nous le Soudan tout entier, et
qu'ils jetteront les Européens à la mer (1).
M, Duvejrier, M. Rinn, M. le général Philebert donnent les
noms et même la carte géographique d'un grand nombre de ces
établissements; il faut les étudier avec soin et remarquer, en
particulier, comment ils sont disposés pour former autour de
nous comme une vaste circouvallation qui enserre et qui
menace, non seulement la domination, mais aussi l'existence de
tout ce qui tient à l'un des Etats, soit chrétiens, soit même
musulmans orthodoxes, aujourd'hui constitués en Afri-
que. Ils n'épargneront pas plus, en effet, comme ils l'annonoent
d'avance, l'Egypte, la Tunisie, le Maroc, les Provinces turques,
que les établissements de l'Angleterre sur le Niger, de l'Alle-
magne sur les côtes orientale et occidentale où ils peuvent les
atteindre, de la France au Sénégal et en Algérie.
Voici les noms de quelques-unes de ces forteresses, avec la
date de leur établissement : « Chef-lieu actuel, i. Djer'boub ;
dans le Djebel Lakdar: 2. El-Beïda, «chef-lieu de l'ordre, de
1843 à 1855. — 3. Ben.-Ghasi. — 4, Talimoun. ^- 5. Deriana, —
6. Toukra. — 7. Toulimita. — 8. El-Merdj. — 9. El-Qsarin.
— 10. Boutouda. — 11. Quifanta. — 12. El-Fidia. — 13. El-
Grana. — 14. El-IIamama. — 15. Soussa, — 16. Derna. —
17. Aziot. — 17. El-Ksour. — 19. El-Haouiet. — 20. Merad-
Messaoud. — 21. El-Haouia. — 22. El-Arboub, — 23. Tert. —
24. Bechara. — 25. Mara. — ■ 26. Mistouba. — ■ 27. Djendjour-
Defana. — 28. El-Hoga. — 29. Nedjila.
Dans la Tripolitaine, district de Houis-el-l)jebel : 30. Tabaga.
— Sl.Mouzda (1855). — 32. Nezurat (1855). — 33. Redjeban
(1854). —.34, EI-Alam (Oued Quelli^). — 35. Bou-Mehedi. —
36. Amamra, prés de Mecellata (1852). — 37. Orfella (Beni-
Ouled, 1852.) — 38. Haroba (à Bequequila, 1848).
Sur la route de Ghadamès : 39. Siuaoun, 1859, — 40. Matr^
1859). — 41, Touneu (1^59), — 42, Ghadamès (1857),
Dans Iq Pezzan : 43. Touoen (prés G'^at, 1848j,— - 44..Mour-r
zouck (1852). — 45. Zouïla (1854). — 46. El-Gahoum. -^ il.
(1) « Les Saoussya nous eutouii'eut, dit le général Philebert, nous
enserrent et diseat bien haut que bientôt, avec leurs nègres, ils vien-
dront du Soudan nous jeter à la mer. 11 y a loin-, bien loin, de l'acte
à la parole; mais déjà nos voyageurs sont assassinés et notre i-nfluence
en échec. » (Général Philebert, La conquête pacifique de L'intérieur
africain.)
256 ANNALES CATHOLIQCKS
Ouaouech Cheouf (1865). — 48. Sokna (1867). — 49. ilon
(1863).
i^Dans les oasis d'Audjela : 50. Aiidjela. — 51. Messous. —
52. Lebba (àDjalla).
Dans l'oasis de Djerboub : outre la zaouïa du chef-lieu,
53. Birbou-Aloua. — 54. p]]-Haouch.
Sur les routes d'Egypte: 55. Siaoua. — 56. Oum-Rikhera. —
57. Berbeta. — 58- Terbia. — 59. Keb. — 60. Matroura. —
61. Chemmas.
Sur la route du Ouadaï : 62. Bir-Kofra. — 63. Sidi-Abd-er-
Rebou. — 64. Sidi-bou-Chenafa, et dans toutes les localités du
Ouadaï.
En Arabie : 12 iiaouaï (La Mecque, Médine, Djeddo, Yem-
bo, etc.).
En Egypte ; 3 zaouaï (Alexandrie, Le Caire, Suez),
Au Touat, au Maroc, au Tidikelt, un nombre que nous
n'avons pu fixer. — A Insalah, un.
M. Duvejrier et M. Rinn ont donné la position géographique
de la presque totalité de ces zaouïas et de plusieurs autres
encore : elles figurent sur l'excellente carte jointe à leur travail.
Nous y renvoyons nos lecteurs (i).
Bien aveugle qui ne verrait, je le répète, dans un tel déploie-
ment de forces et surtout dans le fanatisme ardent dont les
snoussia ont su animer leurs adeptes, en prêchant cette œuvre
infernale comme la continuation de la guerre sainte de Maho-
met, un danger imminent pour la civilisation en Afrique et,
plus tard peut-être, dans le monde. Je ne parle pas ici au nom
d'une nation particulière, quel que soit l'amour que chacun
porte à sa patrie, que je porte moi-même à la France; je parle
comme l'apôtre d'une cause plus haute et plus noble, comme
l'apôtre de l'humanité et d'une religion de charité et de lumière.
Je plaide la cause de tous. Les représentants de tous les peu-
ples européens établis en Afrique ont, du reste, signalé les
mêmes périls. J'ai cité Rinn, Duveyrier, le général Philebert.
Lenz, l'illustre voyageur allemand, n'était pas moins formel :
« L'ordre des Senoussia possède, disait-il, la plus grande
influence dans tous les Etats mahométans du nord de l'Afrique.
Sa .sévère discipline, sa richesse et son manque de scrupules,
quant aux moyens d'atteindre son but fixé, font de cet ordre
des Senoussi, l'une des plus dangereuses parmi les confréries,
(1) RinO; Marabouts et Khouan, p. 504, 505.
LETTRE DU CARDINAL LAVIGERIE 257
dans lesquelles la civilisation européenne voit les adversaires
au nord de l'Afrique.
L'Angleterre a déjà fait la même expérience. Elle a pu retrou-
ver la main des Senoussi, eu Eg^'pte et jusqu'aux bords du
Niger, dans les terribles événements dont ses nationaux les
plus illustres, comme Gordon, ont été les victimes; comme les
Français l'ont retrouvée eux-mêmes, dans les assassinats qui
ont ensanglanté le Sahara, oii ils sont les maîtres par leurs
affiliés, depuis ceux de nos missionnaires pacifiques jusqu'au
ma^sacre de la colonne Flatters.
Il est vrai que d'autres fanatiques sectaires se sont révélés
ailleurs : les marabouts isolés dont nous avons eu souvent à
réprimer, en Algérie, les excitations par la force, et dont nous
sommes toujours venus à bout sans trop de peine. Mais il ne
faut pas croire que les Senoussia s'arrêteront là. Ils ont pour
but le renversement de toute autorité régulière, non seulement
de celle des chrétiens, mais encore de celle des Musulmans et
des Turcs. Nous en avons une preuve dans la devise audacieuse
adoptée par le fils de Senoussi, en prenant après la mort do son
père, le titre de Mahdi. La voici, elle vaut la peine d'être médi-
tée par l'hono'-fible représentant du Chef des croyants à la
Conférence de Bruxelles :
« Les Turcs et les chrétiens,
« Tous DE LA MÊME BANDE {clctsse, cspècc, caiégoHè).
« JE LES DÉTRUIRAI EN MEME TEMPS. »
Le Senoussisme est donc l'ennemi commun, inconciliable,
intransigeant de toutes les nations établies en Afi-ique. Il est
surtout l'implacable adversaire de l'œuvre entreprise par la
Conférence de Bruxelles. Il pratique, il maintient, il étend par-
tout l'esclavage, auquel il attache aujourd'hui une sorte de
caractère religieux, par suite de l'opposition qu'il trouve parmi
les chrétiens; il s'enrichit par son affreux commerça; il le prê-
che pour se conformer, dit-il, aux traditions et aux préceptes
du Coran qui ordonne d'écraser partout l'infidèle et le réduire
sous le joug dont il charge les esclaves de ses caravanes.
Nous avons vu récemment — et je ne puis qu'en exprimer
ici, au nom de nos Africains, ma reconnaissance pour l'Empire
Turc — le Sultan, se rendant aux conseils désintéressés de
rEur(^pe et aux manifestations réitérées de l'Œuvre antiescla-
vagiste, s'élever ouvertement par ses lois récentes, contre les
menées ou les connivences esclavagistes qui existaient dans ses
provinces, et, pour mieax marquer sa pensée, faire coïncider
19
258 ANNALES CATHOLIQUES
une telle mesure avec les délibérations de la Conférence de
Bruxelles. Mais à des prescriptions si conformes aux principes
de l'humanité et à des convictions désormais sacrées pour toutes
les nations civilisées, les croyants fanatiques du raadhisrae ont
répondu par des cris de rage, et, à leur tète, dans ces clameurs,
se sont trouvés les Senoussia et leurs partisans. Ils ont juré de
redoubler d'efforts pour détruire le pouvoir du Sultan qui, do
nouveau, apostasie, selon eux, sur une aussi grave matière, et
d'en finir avec des apostats qui, comme les chrétiens, n'ont
qu'un but : la destruction des institutions du Prophète.
Rien n'est [dus significatif, à cet égard, je le répète, que la
devise du grand raahdi actuel de la Tripolitaiue :
« Les Turcs et lks Chrétiens, tous de la même bande,
je les détruirai en même temps. »
Qu'y a-t-il à faire? Cela vaut la peine d'être médité. Ils par-
lent des traditions du séi?il. Elles avaient du bon, lorsqu'aux
excitations, à l'assassinat ou à la révolte, les souverains répon-
daient par les moyens qu'on sait. Evidemment, 'pour une telle
entreprise, c'est à la Turquie de prendre l'initiative et à tors
les Etats civilisés à la soutenir.
Mais en voilà assez sur un sujet trop important et trop vaste
pour être traité en quelques pages rapides et sur lequel je
reviendrai, s'il le faut.
Je termine donc en rappelant le sujet qui a inspiré cette
Lettre,
Il se présente, en ce moment, une occasion de résister à une
troupe fanatique de derviches ou mahdistes égyptiens.
L'Ouganda n'appartient encore, en propre, à aucune nation
civilisée, et n'est placé sous l'influence politique d'aucune
d'entre elles.
C'est donc l'œuvre de toutes les nations chrétiennes qui sont
représentées à la Conférence internationale de Bruxelles. Voilà
pourquoi j'ai voulu placer mon appel sous son patronage, dans
l'espérance de la voirencourager le peuple qui pourrait se consa-
crer à une telle entreprise.
En exprimant de nouveau tous mes vœux pour le succès de
ses travaux, j'ai l'honneur de me dire avec une confiance res-
pectueuse, M. le Président, votre très humble et très obéissant
serviteur
f Charles cardinal LAVIGERIE,
Archevêque de Carihage et d'Alger^
Primat d'Afrique.
CONGRÈS DES PROPRIÉTAIRRS 259
LE CONGRÈS DES PROPRIÉTAIRES CHRÉTIENS
l'adresse au saint-père
Voici l'adresse qui a été lue en assemblée de clôture du con-
grès des propriétaires chrétiens, tenu à Paris il j a quinze
jours, adresse signée par les membres de l'assemblée :
Très Saint-Père,
Il y a un an, Votre Sainteté recommandait l'étude des principes
chrétiens qui régissent la possession et l'usage des biens terrestres
et du capital, et Elle ajoutait que rien ne serait plus avantageux pour
la société que l'application attentive par les chrétiens de ces pré-
ceptes trop méconnus.
Afin de répondre au désir exprimé par Sa Sainteté, nous venons
de nous réunir en congrès, sous le patronage des autorités ecclé-
siastiques, et, avec le concours de théologiens et de jurisconsultes
distingués, nous nous sommes efforcés de mieux connaître, pour
les mettre en pratique, les prescriptions de l'Evangile en ce qui
nous touche à titre de propriétaires et de capitalistes.
Persuadés que les lois générales de la morale chrétienne s'appli-
quent à tous les temps et à tous les milieux, nous croyons que les
foimes actuelles de la propriété, malgré les subterfuges en usage,
ne sauraient la soustraire aux obligations de justice et de charité
dont la Providence divine veut qu'elle soit chargée. Donner toute
licence aux capitalistes et aux employeurs à l'égard des travailleurs
et des autres citoyens, telle paraît avoir été la tendance de systèmes
philosophiques et politiques aussi contraires à la droite raison qu'à
l'Evangile. Ces systèmes, nés du rationalisme et du naturalisme, de-
vaient fatalement produire l'antagonisme et la haine entre les di-
verses classes de la société.
Mais, pour porter remède aux souffrances actuelles, et en présence
des menaces de discordes plus graves encore, n'y aurait-il à souhai-
ter qu'une réglementation purement légale des relations très com-
plexes entre le riche et le pauvre, entre le patron et l'ouvrier? Fau-
dra-t-il que la propriété, après avoir constitué devant la loi humaine
le plus enviable des privilèges, devienne par contre l'objet d'un
véritable esclavage? Serait-il à désirer que les pouvoirs publics,
faute d'avoir protégé rindépendance nécessaire de l'Eglise, faute
d"avoir ordonné le respect des lois chrétiennes, en arrivassent à
légiférer sur les obligations de la chanté et de l'aumône elle-même ?
Nous croyons fermement, Très Saint-Père, que, pour éviter l'un
et l'autre de ces excès, une seule chose est nécessaire : c'est de se
soumettre à la loi de Jésus-Christ, la loi de charité toujours d'accord
avec la justice, loi que le Saint-Siège a la mission de définir, de pro-
mulguer et de maintenir intacte à travers les âo-es.
260 ANNALES CATHOLIQUES
Ea conséquence, nous inspirant de ces pensées dans nos délibéra-
tions et pour les conclusions qu'elles ont produites, nous n'avons
qu'un but : rechercher quels sont les enseignements de l'Eglise catho-
lique relativement à la possession et à l'usage des biens terrestres,
puis nous déclarer dans cette étude, comme aussi dans la pratique de
nos devoirs, les fils très dévoués du Souverain Pontife, notre Père
commun, de celui à qui peuples et gouvernements n'ont qu'à deman-
der aide et lumière, pour rentrer dans l'ordre régulier et jouir de la
paix des enf;'nts de Dieu.
Daigne Votre Sainteté bénir notre bonne volonté et nos travaux, et
nous croire ses fils très obéissants et très dévoués. (Suivent les signa-
tures.)
LE CONGRÈS ET LES ACTIONNAIRES DES CHEMINS DE FER
Après les afârtuations multipliées du congrès international de
l'Exposition pour le repos hebdomadaire et devant celles de la
conférence de Berlin sur le même sujet, le premier congrès des
propriétaires et actionnaires chrétiens, qui vient de se tenir à
Paris, ne pouvait manquer d'étudier cette grave question.
Il s'en est occupé spécialement en ce qui concerne les chemins
de fer, où elle a déjà reçu un commencement d'exécution.
Non content de rappeler l'obligation de conscience où sont les
actionnaires de procurer, autant que possible, les bienfaits du
dimanche à tous les employés de leurs compagnies, le congrès
a recherché les moyens d'y parvenir.
Avant tout, il faut l'union entre tous ceux dont le cœur sait
concevoir ces nobles préoccupations. La question ayant été déjà
ou devant être prochainement posée dans les assemblées géné-
rales, le congrès prie instamment les actionnaires des différentes
compagnies de se joindre à ce grand mouvement et de hâter le
jour où il sera possible d'en voir le succès complet.
VŒUX ÉMIS PAR LE CONGRES
Le congrès a émis les vœux suivants :
Principes de la propriété, devoirs et droits qu'elle confère.
Dans les temps troublés où nous sommes, il est d'une souveraine
importance que les principes sur la nature des rapports sociaux soient
posés et reconnus. Le congrès considère donc comme très nécessaire
pour les chrétiens, pères de famille, propriétaires et capitalistes, de
connaître sérieusement leurs devoirs et leurs droits. Il leur recom-
mande l'étude et la distinction des obligations qui leur incombent,
soit à titre de justice, soit à titre de charité, à l'égard de leur pro-
chain, et particulièrement de leurs subordonnés.
CONGRÈS DES PROPRIÉTAIRES 261
D'ailleurs, le congrès est d'avis que le gouvernement de l'Étal,
avec ses différents rouages, n'existant que pour le bien commun, son
rôle principal est de maintenir la paix dans l'ordre public, en faisant
respecter les droits de chacun, en facilitant l'action des initiatives
variées pour le bien ; le domaine de la charité n'étant pas de son res-
sort, et son intervention sur ce point devant se limiter à des encou-
ragements que l'expérience et la raison prouvent être seuls efficaces.
Propriété foncière rurale.
I. — Le congrès recommande aux propriétaires fonciers de la cam-
pagne de résider le plus possible sur leurs terres, pour dépenser et
mettre en valeur, sur place, les capitaux produits par la culture, de
maintenir aux champs par leur exemple les populations agricoles, tt
exercer à leur égard autorité et influence conformes à l'ordre chré-
tien.
Reconnaissant les avantages sociaux incontestables du métayage,
le congrès croit cependant qu'avec le fermage à prix d'argent le pro-
priétaire peut encore remplir son devoir de patronage par le choix
judicieux des fermiers, l'introduction dans les baux et les contrats
d'exploitation de la clause du repos dominical, l'entretien des rela-
tions suivies entre propriétaires et fermiers.
Lorsqu'il est obligé d'avoir recours à des intermé'Jiaires, gérants et
autres, le propriétaire doit choisir avec grand soin le représentant de
son autorité et surveiller de très près ses agissements.
IL — Le congrès souhaite que l'^s propriétaires chrétiens s'occu-
pent de leurs domestiques et des fils de leurs fermiers avant et pen-
dant le service militaire, notamment en les recommandant à l'aumô-
nier volontaire de la garnison, en entretenant des relations avec
l'aumônier et avec le soldat lui-même, en ne lui prêtant pas leur
concours pour lui faire obtenir une place en ville, en favorisant au
contraire leur retour au pays natal par leurs conseils et leurs encou-
ragements.
Propriétés en ville.
Le congrès est d'avis que de sérieuses réformes doivent être intro-
duites dans l'administration des maisons de rapport, dans les grandes
villes. Le choix dos gérants et concierges, le choix des locataires, le
logement des domestiques très spécialement, no sont pas assez l'objet
de la soUicituile des chrétiens propriétaires.
11 importe aussi que les chrétiens locataires recherchent des appar-
tements dont les logements destinés aux serviteurs, ou tout au moins
. aux servantes, ne les exposent pas à tous les dangers d'une promis-
cuité très immorale.
A l'égard des possesseurs de maisons d'ouvriers, le congrès recom-
mande l'amélioration des logements existants dans les différents
quartiers des villes. L'expérience prouve que l'assainissement des
262 ANNALES CATHOLIQUES
locaux loués aux ouvriers assure aux propriétaires un meilleur choix
de locataires, et par suite un revenu suffisamment rémunérateur des
frais occasionnés par les réparations et l'entretien des immeubles.
Action civile des propriétaires.
Le congrès considère qu'il est à désirer, dans un état bien réglé,
que la propriété foncière, constituant l'un des plus grands intérêts
moraux et matériels de la société civile, soit représentée dans les
conseils du pays à ses différents degrés.
Propriété mobilière.
Eq présence de la multiplicité des opérations financières et com-
merciales qui blessent la justice et jouissent d'une sorte d'impunité
devant l'tjpinion publique, le congrès émet le vœu que la conscience
dos chrétiens soit éveillée sur cet objet et que la nature de ces opé-
rations .'-oit étudiée à la lumière de la théologie morale.
En conséquence, que les chrétiens, restant fidèles à nos traditions
d'honneur nationales, se mettent en garde contre les dangers du jeu
et les abus de la spéculation, et demandent de préférence au travail
et à l'économie l'accroissement de leur fortune ; qu'évitant toute opé-
ration dont le but direct ou indirect serait de nuire aux intérêts de
la religion, de la patrie ou du prochain, ils se préoccupent, dans le
placement de leurs capitaux, non seulement de la sécurité et de la
moralité du placement, mais encore de l'honnêteté et de la probité
des hommes que ce placement favorise.
III. — Le congrès reconnaît que, malgré les déplorables catas-
trophes auxquelles elle donne lieu parfois, la société anonyme, dans
ses difî'érents types, est licite et nullement contraire aux lois chré-
tiennes. Cette forme de propriété paraît même nécessaire à notre
époque, mais demande à être employée avec les plus grandes précau-
tions. Les chrétiens ne sauraient donc faire partie d'une société ano-
nyme, soit comme actionnaires, soit, à plus forte raison, comme
administrateurs, sans s'être assurés au préalable de la valeur morale
autant que financière d'une entreprise de ce genre. De plus, lorsqu'ils
y sont engagés, leur conscience les obligea veiller de près à ce que
les lois de l'Evangile soient observées à l'égard du personnel de ces
sociétés, comme à l'égard de tous ceux avec lesquels ces sociétés ont
à traiter.
Education.
Le congrès émet le vœu que, dans l'éducation de la jeunesse fran-
çaise, on fasse une plus large part aux obligations de la vie sociale ;
que l'enseignement de la religion, dans les collèges chrétiens, les
comprenne formellement; que partout, dans l'enseignement supé-
rieur catholique, une place soit faite à ces matières.
Que les fils de famille, â moins d'une vocation spéciale et de parti-
CONGRÈS DES PROPRIÉTAIRES 263
culières aptitudes, n'échangent pas à la légère, pour une carrière
libérale ou une carrière de fonctionnaire, la carrière que leurs parents
leur laissent en héritage. Qu'ils s'attachent néanmoins à acquérir par
une éducation soliile la supériorité qui est nécessaire à l'influence
légitime qu'ils doivent exercer autour d'eux.
Repos du dimanche.
Le congrès, considérant que le repos et la sanctification du dimanche
doivent être l'objet de la constante sollicitude des chrétiens proprié-
taires dans leurs maisons, sur leurs terres, dans les usines et grandes
entreprises où ils sont intéressés, déclare qu'à l'égard des domes-
tiqiies, des ouvriers, des employés, ils ont un devoir strict à remplir
et ne sauraient s'y soustraire. 11 convient, de plus, de favoriser de
ses achats les négociants et les industriels fermant leurs magasins et
ateliers le dimanche. 11 importe aussi de réagir contre la déplorable
habitude des ventes par devant notaire le dimanche.
Presse,
Le congrès souhaite vivement que les propriétaires chrétiens veillent
avec soin à ce qu'aucune publication dangereuse pour la foi ou pour
les mœurs ne trouve place dans leur bibliothèque ou ne circule dans
leur entourage; qu'ils s'efforcent, au contraire, de propager autour
d'eux les livres et les journaux propres à maintenir les vrais prin-
cipes et à affermir la moralité.
Il souhaite également que les actionnaires des grandes compagnies
tiennent leur attention éveillée sur les publications dont la vente est
autorisée sur le territoire où ces compagnies exercent leur autorité.
Propriété ecclésiastique.
Le droit de propriété appartient à l'Eglise comme à toute associa-
tion légitime. Toute atteinte à ce droit ébranle du même coup la
propriété privée. La reconstitution de la propriété ecclésiastique est
une condition indispensable de la stabilité sociale, puisque c'est par
la propriété ecclésiastique surtout que s'alimentent d'une manière
régulière et assurée les œuvres de la charité, de l'enseignement et
de l'apostolat.
En conséquence, le congrès émet le vœu que les catholiques fassent
converger leurs efforts vers la reconstitution de la propriété ecclé-
siastique et y cherchent le remède aux maux dont souffre la classe
ouvrière, plutôt que dans les contributions qui mettraient aux mains
de l'Etat des ressources dont l'emploi pourrait aller à l'encontre des
intérêts religieux et patriotiques.
Le congrès est en outre d'avis que les catholiques doivent déclarer
comme absolument désirable, dans l'intérêt des peuples, une entente
entre le Saint-Siège et le gouvernement de l'État, pour constituer et
264 ANNALES CATHOLIQUES
garantir le patrimoine de l'Kglise. Dans l'état actuel des choses en
France, le congrès considère que les pouvoirs publics auraient tout
avantage à appliquer d'une manière loyale les règles .concordataires
relativement à la propriété ecclésiastique, aux congrégations reli-
gieuses et fondations charitables qui en résultent. Les catholiques
r'clarapnt du reste, avec raison, la liberté et le droit de posséder
y.onr toutes les associations honnêtes et utiles, qui, dans la pluj)art
«les pays civilisés, sont reconnues et sanctionnées par les pouvoirs
publics.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les Elections municipales du 27 avril. — Défaite des houlaogistes. —
Manifestation du l*"" mai. — En France. — En Europe. — Elections
législatives.
!"■ mai 1890.
Les éiection.ç'niunicipales du 27 avril sont aussi satisfaisantes
que le.s conservateurs pouvaient l'espérer.
Sur I<'iirs quinze candidats, huit sont élus à une belle nûajo-
ritô. Cinq sont en bonne situation et seront élus au second tour
de scrutin.
Parmi ceux qu'ils présentaient en seconde ligne et qui avaient
très nettement denaaudé la réintégration des Sœurs dans les
hoiiitaux, plusieurs sont élus. Ceux qui ne sont pas élus ont
obtenu un nonabre de voix ti'ès honorable.
On fera le décompte des voix qu'ont réunies les divers candi-
dats, con.>ervateurs ou républicains, qui se sont prononcés pour
les Sœurs dans les hôpitaux. Le chiiFre en est considérable;
Paiis revient aux idées de modération, de tolérance et de
libéralisme. Il tend à se débarrasser de la domination des laïci-
sateurs, des sectaires ot des cnergumènes qui faisaient la loi
dans l'ancien Conseil.
Le mouvement dans ce sens est très accentué et fait bien
augurer de l'avenir.
On fi certainement gagné beaucoup de terrain.
Nous n'aurons pas le Conseil que nous voudrions avoir.
Mais nous aurons un Conseil un peu moins mauvais que
l'ancien.
M. Riant a eu un magnifique succès électoral. Le candidat
que les boulangisles avaient été chercher sur les côtes nor-
mandes pour le terrasser a été piteusement battu : M. Cruchon
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 261
a subi un échec complet malgré la propagande acharnée qu'a
faite en sa faveur l'un des principaux chefs du parti boulau-
giste, M. Naquet, qui habite le quartier et qui passait pour y
avoir quelque influence.
Avec M. Riant arrivent au nouveau Conseil municipal les
anciens conseillers conservateurs qui ont si vaillamment défendu
contre la majorité républicaine la cause de la justice et de la
liberté : MM. Ferdinand Duval, Cochin, Gamard, Lerolle, Des-
patjs. M. Froment-Meurice, qui a été nommé dans le quartier
de la Madeleine, avait été présenté par le Comité conservateur
de la Seine, et appuyé par l'ancien conseiller du quartier,
M. Dufaure. C'est un nouveau qui saura tenir dignement sa
place au milieu de ses anciens.
L'Union libérale a obtenu quelques succès. Elle en aurait eu
bien plus si elle avait pris plus nettement position avec la droite
et contre la gauche. Parmi les candidats de l'Union libérale,
ceux qui ont réuni le plus de voix sont ceux qui s'étaient nette-
ment prononcés pour la rentrée des Sœurs dans les hôpitaux.
Que les hommes distingués qui dirigent l'Union libérale ana-
lysent les résultats du scrutin du 27 avril : ils se convaincront
que leur intérêt est d'appuyer à droite et non à gauche, de
s'allier aux conservateurs et non pas de ménager les radicaux.
Les boulangistes n'ont pas brillé dans ces élections munici-
pales, sur lesquelles ils comptaient pour prendre leur revanche
de leurs récentes défaites. Quelques-uns de leurs candidats ont
plus ou moins réussi dans des quartiers excentriques où ils ont
eu les safl>ages des blanquistes. Mais dans les quartiers conser-
vateurs le nombre de leurs voix est maigre.
En résumé, il ressort de ces élections du 27 avril qu'à Paris
le parti conservateur, désorganisé à un certain moment par
l'éclosion du boalangisme, s'est reconstitué et a repris toute sa
cohésion.
Le scrutin de ballottage s'annonce dans de bonnes conditions.
Les conservateurs pourront exercer une grande influence sur
les résultats du second tour s'ils se maintiennent sur le terrain
sur lequel ils se sont placés pour le premier tour. Les succès
obtenus doivent leur inspirer confiance et les engager à ne pas
déserter la lutte.
En résumé, sur 80 sièges à pourvoir, 21 seulement possèdent
des titulaires, ainsi répartis :
266 ANNALES CATHOLIQUES
12 républicains élus.
8 conservateurs élus.
1 boulangiste élu.
59 ballottages.
19 conseillers sortants sont réélus.
A noter que l'ancien conseil municipal ne comprenait que
9 conservateurs.
Une revue de la presse est aujourd'hui de rigueur. Commen-
oona par les journaux conservateurs.
Le Figaro :
Les conservateurs n'ont pas faibli ; en revanche, le boulangisme
n'a pas du tout les succès foudroyants auxquels il feignait de
s'attendre. Dans les quartiers où ses candidats marchent en tête do
liste, ils succomberont certainement sous la coalition des républicains
réunis. C'est un di'r'sastre.
L'Autoritf^ :
Bien que la partie no soit pas complètement jouée et qu'elle nous
réserve pas mal de surprises, il ne nous coûte pas de reconnaître que
les boulangistes, tout en ayant un nombrn considérable do voix,
n'ont peut-être pas remporté, dès le premier engagement, le succès
qu'ils pouvaient espérer.
Cela est dû en grande partie an manque de notoriété d'un trop
grand nombre de leurs candidats.
Le Gaulois :
Quant aux boulangistes, qui avaient choisi la journée pour y livrer
une suprême bataille de revanche, ils n'ont pas â s'applaudir de ses
résultats. Un seul de leurs candidats passe au premier tour.
Les autres n'ont plus à se partager que cent mille des deux cent
quarante-sept mille voix que Paris donna au général le 27 jan-
vier 1889.
Dimanche prochain, ils seront presque tous victimes de la concen-
tration républicaine et il n'en entrera pas une demi-douzaine au
Conseil.
Donc, en quinze mois tout juste, la belle majoritéqui avait acclamé
le général Boulanger s'est éparpillée, fondue, sans que le malheureux
homme ait la ressource de maudire la versatilité du suffrage universel,
car ce n'est pas ce suffrage qui lui a manqué, c'est lui qui a manqué
à ce suffrage.
C'est lui qui a détruit de ses mains sa fortune, par son départ, et
surtout par son alliance avec les éléments révolutionnaires.
C'est désormais une affaire liquidée.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 267
Passons aux Républicains :
République française :
Le condamné de Jersey qui, parlant de la circonscription que
M. JofFrin représente à la Chambre, disait avec une impudente bouf-
fonnerie : « ma circonscription », avait proclamé sa prétention,
puisque la France lui avait échappé, de mettre au moins la main sur
l'Hôtel-de-Ville de Paris. Eh bien ! l'Hôtel-de-Ville de Paris reste et
restera à la République.
Justice :
Paris n'a pas abdiqué son vieux renom démocratique, Paris a
voulu maintenir son rang à la tête des villes républicaines, Paris se
relève de son affaissement aux pieds d'un homme et a repris le dra-
peau de la République. Vive la République ! Vive Paris !
Radical:
Drôle de peuple que le peuple de Paris, avec lequel il ne faut
jamais désespérer.
Il n'y a guère plus d'un an, il acclamait, sans savoir pourquoi, un
général qui se posait en prétendant et en pourfendeur de la Répu-
blique : aujourd'hui, le même peuple vomit avec dégoiit tous les
candidats honorés du patronage du même général, tous ceux que
l'investiture du fuyard de Jersey avait désignés aux suffrages de ses
ex-fidèles.
Rappel :
Le caractère des élections municipales d'hier, c'est l'effondrement
du boulangisme.
L'élection du £7 avril s'appellera la veste des investis.
Siècle :
C'est un gros événement qui soulagera la conscience nationale. Les
ballottages sont fort nombreux, comme il était facile de le prévoir
par suite de la multiplicité des candidatures. Mais la victoire est
assurée au second tour si la discipline républicaine est observée — et
elle le sera certainement.
X/X« Siècle :
En apprenant ce résultat, la France républicaine va pousser un
long soupir de soulagement.
Le boulangisme est vaincu sous toutes ses formes, sous la forme
révolutionnaire dans la personne de MM. Boulé, Planteau, Crié, etc.,
aussi bien que sous la forme bonapartiste dans la personne de
M. Lenglé et de M. Poignant.
La variété boulangiste antisémite représentée par M. Drumont, le
marquis de Mores et M. Xavier Feuillant n'a pas eu plus de succès.
268 ANNALES CATHOLIQUES
Voltaire :
Le boulangisrae était certes peu de chose, après les élections de
1889; après les élections municipales parisiennes d'hier, il n'est plus
rien.
Lanterne :
Paris a pris sa revanche.
Nous en étions bien sûrs. Nous le disions hier, il n'était pas pos-
sible que la capitale de l'intelligence persévérât longtemps dans une
aussi ridicule et piteuse équipée. Paris est capable d'un coup de tête,
non pas d'une bêtise persistante. Une folie, oui? une sottise persis-
tante, non.
Evénement :
Lo boulangisnie vient d'éprouver une fois de plus combien il est
imprudent de vendre, et surtout d'acheter la peau d'un ours en
bonne santé, alors surtout que l'on confie le soin de le jeter à terre
à d'aussi médiocres tireurs que ceux qui composent la liste du
« Comité national. »
L'échec est complet et concluant.
Enfin les boulangistes.
Intransigeant :
Cette fois, le ministère de l'intérieur u'a pas manqué son but : les
électeurs décidés à en finir avec la tourbe qui déshonorait l'Hfttel-de-
Ville, avec les accapareurs d'irréductibles et les falsificateurs de
scrutin, ont commis la lourde faute d'éparpiller leurs efforts sur plu-
sieurs candidats de l'opposition.
Presse :
Que nos adversaires triomphent donc, pendant qu'il en est temps
encore. Ils ont une semaine pour se réjouir. Nous la leur marchan-
derons d'autant moins qu'ils vont avoir à décompter bientôt.
Pour nous, nous demeurons ce que nous étions hier, fermes et con-
vaincus du triomphe définitif qui, dans ce noble pays de France, ne
fait jamais défaut à qui représente la probité, la justice et la liberté.
La note de la Presse est fausse.
Ce n'est pas être beau joueur ; et l'organe du général Boulan-
ger ferait meilleure figure s'il avouait tout simplement qu'il a
perdu la partie et perdu par sa faute.
Le boulangisme, en effet, n'est pas, n'ajaniais été et ne pourra
jamais être un parti. Il a eu son heure. Il a joué un rôle non
dépourvu de crànerie, tant qu'il n'a pas dévié, c'est-à-dire qu'il
a sj^nthétisé la colère des foules et le mécontentement de l'opi-
nion publique. Mais du jour où il a fallu faire œuvre personnelle
et voler de ses propres ailes, il s'est cassé le nez.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 269
Encore une fois, c'était fatal.
Aux dernières élections générales, il avait commis une lourde
faute en essayant de briser l'union conservatrice dans certains
départements. Cette faute, il l'a renouvelée et aggravée en
entrant en lutte euverte avec elle. Partout, il a présenté des
candidats. Il a même suscité des concurrents dans les quartiers
notoirement acquis aux membres de la minorité conservatrice
du conseil municipal. Ni M. Ferdinand Duval, ni M. Cochin, ni
M. Lerolle n'ont trouvé grâce devant lui.
Il paie les pots cassés.
C'est bien fait.
Il a semé la discorde, et il a récolté une veste conditionnée
dans les règles.
Tu Tas voulu, Georges Daudin !
Cette chronique serait incomplète^ si nous ne disions encore
un mot de la manifestation d'aujourd'hui. M. Constans a com-
mencé par faire une rafle des meneurs les plus en vue. C'est ce
que l'on appelle la médecine préventive. Elle a chance de réus-
sir, car les masses n'agissent guère par elles-mêmes; générale-
ment elles obéissent à des chefs qui se tiennent prudemment à
l'écart au moment de l'action, mais qui n'en exercent pas moins
sur elles une influence directe. On disait autrefois : Pas d'ar-
gent, pas de Suisses! Ne peut-on pas dire aujourd'hui : Pas de
chefs, pas de soldats?
Mais ce qui assurera peut-être l'ordre et la sécurité de la rue
boauconp plus efficacement que les mesures policières de
M. Constans, ce sont les divisions profondes du parti ouvrier.
Nous sommes au matin du !«'' mai, et aucun des groupes n'a pu
réaliser l'unité de vues et l'accord qui seraient nécessaires pour
la réussite de la manifestation. Le compagnon Soudej, le fa-
meux agitateur de toutes les grèves et qui a joué un rôle impor-
tant lors des attentats contre les bureaux de placement, disait
encore hier à un de nos confrères de Paris : « ... Mon avis est
que c'est une afl'reuse blague, un coup monté. » Un autre ou-
vrier ébéniste qualifie la manifestation projetée de « piège dan-
gereux ». Enfin, un ouvrier mécanicien — ce n'est pas Delahaye,
le délégué de la conférence de Berlin, — n'y va pas par quatre
chemins : «C'est la fête des fainéants, dit-il, je n'en serai pas. »
Et cet ouvrier mécanicien pourrait bien avoir raison. Sans le
270 ANNALES CATHOLIQUES
vouloir, il a traduit dans son rude langage cette vieille bou-
tade d'Alphonse Karr : ... « Ce que demandent les classes labo-
rieuses... c'est de ne pas travailler. »
Malgré tout, personne ne sait comment se terminera la jour-
née à Paris et dans les villes industrielles. Les organisateurs
eux-mêmes de la manifestation ne peuvent prévoir les suites
qu'elle aura. Aux mesures extraordinaires de précaution prises
par le gouvernement, on peut juger qu'il n'est pas sans inquié-
tude. Quelle que soit l'issue de-cette journée au point de vue de
l'ordre, son importance est dans la manifestation elle-même
qui, le même jour et pour le même objet, mettra en mouvement,
d'un bout à l'autre de l'Europe, toutes les masses ouvrières.
Cette entente et cette unanimité constituent un fait nouveau
et des plus graves. C'est pour la première fois que la solidarité
universelle des travailleurs manuels s'affirme dans une démons-
tration de ce genre. La question sociale est posée à la face de
tous les gouvernements dans un concert qui ne s'était jamais
réalisé. C'est une sommation internationale des classes d'en bas
aux classes supérieures et aux pouvoirs publics, d'avoir à s'oc-
cuper d'elles et à faire droit à leurs besoins et à leurs réclama-
tions.
En Belgique, il est probable que la manifestation du 1«'' mai
conservera vraisemblablement un caractère pacifique.
Il n'en sera peut-être pas de même en Allemagne. Outre
la décision du gouvernement impérial de renvoyer tous les
ouvriers de l'État qui chômeront le l^"" mai, certains présidents
de cercles sont d'avis que les ouvriers peuvent être punis non
seulement s'ils refusent le travail, mais encore s'ils invitent
leurs camarades à faire comme eux, et que des mesures doi-
vent être prises en conséquence.
Le mouvement s'accentue à Berlin.
On a placardé hier matin dans la capitale les affiches pro-
mulguant les mesures de police qui ont été définitivement arrê-
tées pour assurer le maintien de l'ordre. Tout rassemblement
dans la rue sera immédiatement dispersé ; tous les restaurants
et cabarets devront fermer leurs portes à six heures du soir ;
les trois mille gardiens de nuit de la capitale devront se mettre,
pour toute la journée du 1" mai, à la disposition du chef de la
police et agir d'après ses instructions; enfin, une surveillance
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 271
de police spéciale sera organisée dans la partie Est, centre le
plus populeux de Berlin.
Les administrations des ateliers principaux de Hambourg,
d'Altona et de Kœnigsberg ont conclu une entente on vertu de
laquelle .ces établissements n'accepteront aucun ouvrier qui
aura cessé le travail dans une autre fabrique.
En face du mouvement socialiste qui se manifeste dans toutes
les parties de son empire, le jeune souverain d'Allemagne vient
de donner des ordres pour que toutes les troupes casernées à
Berlin et à Postdam soient prêtes à sortir au premier signal
d'une manifestation hostile aux institutions dont il a la garde
suprême.
Des mesures identiques sont prises dans le royaume de Saxe,
particulièrement à Dresde, oi; l'élément -socialiste domine.
Dans la Haute-Alsace, le mouvement ouvrier se développe
rapidement. L'agitation est fort sérieuse dans les centres indus-
triels : Thann, Marsevaux, Saint-Amarin, Wesserling, Cernay,
Sainte-Marie-aux-Mines. A Colmar et dans les vallées de Thann
et de Guebwiller-Soultz, les protestations revêtent un carac-
tère menaçant.
A Vienne, on s'arme de toutes pièces. Il est vrai que la situa-
tion s'aggrave. Aux émeutes ouvrières, viennent s'ajouter les
révoltes des paysans. De nouveaux soulèvements, télégraphie-
t-on au Figaro, ont eu lieu dans une dizaine de localités de
Galicie, habitées par les Ruthènes. Le mouvement est surtout
dirigé contre les propriétaires fonciers juifs ou polonais. Des
bandes de paysans et de journaliers ont dévasté les fermes et
les propriétés, et maltraité les gens. Un homme a été tué à
coups de gourdin. Des troupes d'infanterie et de cavalerie sont
envoyées sur les lieux. Un avocat qui, dans une réunion pu-
blique, avait excité les paysans contre la noblesse polonaise, a
été arrêté aujourd'hui.
L'organe officiel, la Jfon/a^5?'ef4^, annonce que le l^r mai,
en dehors de l'occupation militaire des faubourgs de Vienne
pour ]irotéger les édifices publics, les institutions, les banques
et certaines places publiques de l'intérieur de la ville, seront
gardées militairement par les troupes.
Ce qui indique plus éloquemment encore que les mesures
militaires d'ores et déjà arrêtées, les sérieuses préoccupations
du gouvernement, c'est le communiqué paru dans l'organe
officiel pour déclarer faux que, lors des émeutes à Biala, eu
272 ANNALES CATHOLIQUES
Galicie, les troupes aient commencé par tirer en l'air et qu'elles
n'aient tiré à balle qu'en présence de la résistance persistante
des émeutiers et des pillards.
•Un détail peu connu. Le règlement militaire en Autriche
interdit sévèrement, en cas d'émeute, de tirer en l'air. Le com-
muniqué officiel n'a', dés lors, d'autre but que de prévenir les
manifestants du 1" mai qu'en cas de désordres ils n'ont pas de
ménagements à espérer et que les troupes séviront avec la plus
grande rigueur.
Les autorités de toutes les villes importantes de l'Empire
austro-hongrois ont pris des mesures de précaution très impor-
tante. On est décidé, dit le Prager Abendblail^ à sévir impi-
toyablement, surtout contre les étrangers qui essaieraient
d'exciter les masses ouvrières.
Les ouvriers qui prendront part à la manifestation de Madrid
sont les typographes, les forgerons, les relieurs, les machinistes
et les cairiers. Les anarchistes et les socialistes organisent des
meetings.
Des nouvelles de Saragosse assurent que dans la crainte de
désordres, beaucoup de familles riches ont quitté leur résidence
habituelle. On dit qu'à Bilbao, la manifestation empêchera la
fétu annuelle du 2 mai, jour anniversaire de la délivrance de
Bilbao du siège carliste en 1874. On craint que les mécaniciens
et les ouvi'iers du chemin de fer ne se mettent en grève.
A Valence, l'excitation des grévistes augmente tous les jours.
Quelques familles riches ont quitté momentanément la ville.
Un meeting de 5,000 ouvriers de Grenade a décidé de faire
une grève générale le i'^'' mai. Le préfet prend des précautions
pour empêcher le pain de manijuer, par suite de la grève des
boulan'ïers.
Di'.RNiÈRE HEURE. — 6 hcures du soir. — Au moment oii
nous mettons sous presse, on ne signale aucun désordre sérieux.
La rue de Rivoli, les boulevards sont gardés par la police et les
municipaux qui forcent à circuler constamment.
A signaler quelques bagarres du côté de la Madeleine et de la
rue Royale.
De nombreuses arrestations sont faites par les agents.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 273
Voici le résultat des élections législatives qui ont eu lieu
dimanche :
ARDÈCHS .
Arrondissement de Tournon.
Inscrits : 22,950. — Votants : 19.120
MM. Seignobos, ancien dép. rép 9.593 Élu,
Morin-Latour, mon. invalidé 9.520
M. Morin-Latour, invalidé, avait été éhi, lo 22 septembre, par
9,990 voix, contre 9.414 à M. Signobos.
CHARENTE
Arrondissement de Ruffec.
Inscrits : 16.000. — Votants : 13.190
MM. Duportal, maire de RuflTec, rép 6.060 voix
René Gautier, anc. dép., bon 4.894
Comte de Lameth, mon 2.198
Divers 94
(Ballottage.)
Il s'agissait de remplacer M. de Champvallier^ monarchiste,
décédé. M. de Champvallier avait été élu, le 22 septembre, par
8,590 voix, sans concurrent.
CORRÈZE
2^ Circonscription de Tulle.
Inscrits : 20.774. — Votants : 10.195
MM. Delpeuoh, ancien chef de cabinet du
ministre des affaires étran., rép. 8.118 Elu.
Vacher, boul. invaii lé 8.018
Il s'agissait de remplacer M. Vacher, dont l'électiou a été in-
validée. M. Vacher avait été élu au 2^ tour de scrutin par
8,549 voix contre 7.090 à M. Delpeuch.
HERAULT
Arrondissement de Lodèce.
Inscrits : 17.619. — Votants : 14.928
MM. Ménard-Dorian, rép. rad 7.632 Élu.
Leroj'-Beaulieu, cens 7.211
Il s'agissait de remplacer M. Ménard-Dorian dont l'élection a
été invalidée. M. Ménard-Dorian avait été proclamé élu le
22 septembre par 7.197 voix, contre 7.118 à M. Paul Leroj-
Beaulieu.
20
274 ANNALES CATHOLIQUES
YONNE
Arrondissement d'Avallon.
Inscrits : 13.409. — Votants : 10.061
MM. Hervieu, anc. dép., rép. rad 4.700 voix
Najeotte, rép. lib 2.893
Ancean, cons. gén., r. mod 2.309
Picot, rép 41
(Ballottage.)
Il s'agissait de remplacer M. Garnier, bonapartiste, dont
l'élection a été invalidée. M. Garnier avait été élu le 22 sep-
tembre par 5.229 voix, contre 5.044 à M. Hervieu, sur 10.382 vo-
tants.
NOUVELLES RELIGIEUSES
liome et PItalie.
On lit dans la Voce délia Verita du 26 avril :
Nous publions la lettre suivante de S.Ena. le cardinal Monaco, secré-
taire de la Suprême Inquisition, à rillmect RmeMgr Bonomelli, évoque
de Crémone, afin de dissiper un malentendu relatif à la lettre que le
P. Monsabré, de l'ordre des Frères-Prêcheurs, écrivit à ce prélat le
13 mars dernier, au sujet de Notes ajoutées par ce dernier aux Con-
férences du Père, lettre que nous avons insérée dans notre numéro
du 3 courant.
A Monseigneur Jc'r^mie Bonomelli, évêque de Crémone.
Rome, le 19 avril 1890.
Illme et Rme Seigneur,
Ainsi qu'il appert du Messa^^pro de Crémone du 19 courant,
V. S. a reçu du R. P. général de l'ordre des Frères-Prêcheurs, à
la date du 28 du mois dernier, un écrit dans lequel, parlant de la
lettre qui vous a été envoyée par le P. Monsabré au sujet des
Noies apposées par vous aux conférences du même Père, lettre
qui a été ensuite publiée par les journaux, il vous porte à croire
qu'il a induit ce religieux à écrire la susdite lettre, à, l'instigation
d'un Monsignore haut placé qui s'était attribué des pouvoirs
qu'il n'a pas, de sorte que la question restait telle que si rien
ne s'était 2Jroduit.
On ne comprend pas comment le Père général vous a écrit
cette lettre. Il a commis un acte arbitraire et il est tombé dans
l'erreur.
NOUVELLES RELIGIEUSES 275
Le fait est que vos Notes ont été dénoncées au Saint-Siège et
que cette suprême Congrégation a reçu l'ordre de les examiner.
L'examen qu'on en a entrepris a déjà démontré que nombre de
vos annotations expriment au moins inexactement et d'une façon
ambiguë la doctrine catholique, principalement en matière poli-
tico-religieuse. Cet examen se poursuit, et en temps et lieu le
résultat vous en sera communiqué. En attendant, il a été reconnu
expédient de donner avis de ces défectuosités à l'auteur même
des conférences , et^ pour le bon effet à obtenir, il lui a été
suggéré aussi de publier la lettre adressée par lui à V. S. Et le
Père Monsabré a été informé de tout cela par son supérieur
général, comme c'est d'usage en pareil cas.
Le Père général a donc écrit au P. Monsabré non pas à l'insti-
gation d'un prélat qui se serait arrogé des pouvoirs qu'il n'a
pas, mais sur l'ordre de cette S. Congrégation, approuvé par le
Saint Père.
Et puisque la lettre du Père général en date du 28 mars,
dépourvue de tout fondement et de toute autorité, a été publiée,
la présente sera aussi portée à la connaissance du public, afin de
rétablir de la sorte la vérité. Mais la volonté du Saint-Père,
qui a bien regretté cet incident, est que vous vous absteniez
de toute autre publication sur le sujet.
En vous souhaitant toutes sortes de bien de la part de Dieu,
Je suis de V. S. le très affectionné dans le Seigneur.
R. card. Monaco.
France.
AuTUN. — Nous recevons de S. G-. Mgr Perraud, évêque
d'Autun, communication de l'ordonnance suivante :
ORDONNANCE PORTÉE PAR MGR L'ÉVÊQUE D'AUTUN
relativement à la publication
d'un « NOUVEAU MOIS DE MARIE DE NOTRE-DAME DE LOURDES »
Nous, évêque d'Autun, Châlou et Mâcoa, après avoir pris nous-même
connaissance du Nouveau mois de Marie de Notre-Dame de
Lourdes (récents épisodes) qui vient d'être publié par M. Henri
Lasserre (Paris, Victor Palmé, éditeur, 1890.)
Considérant,
1» Que cet ouvrage est présenté au clergé et aux fidèles pour
servir « aux exercices religieux » pendant le mois de Marie (avertis-
sement, pp. x et xxxv) ;
2" Que la \QQ,\.\i.TQ publique d'un livre, dans une église et pendant
276 ANNALES CATHOLIQUES
UQ exercice religieux, constitue une sorte de prédicatioa sur laquelle
les évêques ont le devoir d'exercer un contrôle;
30 Que ce'' contrôle est particulièrement nécessaire lorsqu'il s'agit
d'un livre où il est traité de faits qui touchent au surnaturel et au
miraculeux, faits sur lesquels l'Eglise ne s'est pas encore prononcée;
40 Que les récits épisodiques dont se compose ce nouveau Mois de
Marie mettent en scène, avec un luxe de circonstances tout à fait
étrangères à des exercices religieux, bon nombre de personnes vi-
vantes ;
Et que, notamment, deux d'entre elles, appartenant au diocèse
d'Autun, fournissent la matière de 21 lectures sur 31 dont l'ouvrage
se compose ;
5" Que, à propos de la guérisonde l'une de ces personnes, l'auteur
e?t entré dans des détails dont la divulgation par une lecture pu-
blique, faite dans rassemblée des fidèles, est pleine d'inconvenance
et peut entraîner de nombreux inconvénients;
6" Que ces récits n'ont qu'un rapport très indirect avec la médita-
tion des gloires et des vertus de la Sainte Vierge, qui est l'objot
propre des pieux exercices du mois de Mario ;
Pour toutes ses causes,
Le saint nom de Dieu invoqué et notre conseil entendu.
Avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
La lecture publique du Souvean Mois de Marie de Notre-Dame de
Lourdes {récents épisodes), par M. H'jnri Lasserre, est interdite dans
toutes les églises et chapelles de notre diocèse, communautés reli-
gieuses et écoles placées sous notre juridiction.
Fait à Autun, le 24 avril 1890.
-j- Adoli'iiic-Louis,
Evéque d'Autun, Chdlon et Màcon.
Par ordonnance de Monseifrumir,
Félix LORTO.V,
Chanoine honoraire, chancelier.
Cambrai. — Une usine des environs de Lille était en liesse le
liiuili de Pâques.
Le patron, en chrétien qu'il est, considérant ses ouvriers
comme ses enfants aimés, avait réuni tout son personnel dans
une fête de famille, à l'occasion de la bénédiction de quelques
bâtiments nouveaux, de l'instullation d'une nouvelle machine et
de l'érection d'une monumentale statue du Sacré Cœur, dont il
voulait faire le gardien et le [irotecteur de son usine.
A dix heures et demie, l'église de la paroisse voyait réunis
au pied des autels, pour entendre la messe, la nombreuse
famille du patron, les employés et les ouvriers do la maison.
NOUVELLES RELIGIEUSES 277
Vers midi, M. le curé se rendait dans la vaste cour de l'éta-
blissement, où il adressait une allocut'on de circonstance qui
toucha le cœur des auditeurs, et surtout celui des ouvriers.
Ea entrant dans vos ateliers, leur dit-il, vous aurez sous les yeux
l'image de votre protecteur et de votre modèle.
Comme Dieu, en effet, Notre-Seigneur est tout-puissant; mettez
votre confiance en lui.
Comme homme, il est le modèle de toutes les vertus ; imitez-le.
Cette image du Sacré-Cœur vous rappellera que Dieu estime l'ou-
vrier chrétien à l'égal du patron chrétien.
Elle vous rappellera que Dieu fut le premier ouvrier lorsqu'il créii
le ciel et la terre; elle vous rappellera qu'il a choisi pour père et
pour mère, non un roi et une reine, mais un saint ouvrier et son
humble compagne ; elle vous rappellera que Notre-Seigneur a tra-
vaillé de ses mains pendant les trente premières années de sa vie, si
bien que les juifs, étonnés de l'éloquence qu'il déployait dans ses
prédications, s'écriaient : « Comment sait-il tout cela? »
Après la bénédiction solennelle de la magnifique statue du
Sacré-Cœur, le patron, imité spontanément partons ses ouvriers,
se mit à genoux et prononça à haute voix un acte de consécra-
tion.
Divin Cœur de Jésus, nous vous consacrons solennellement cette
usine, ainsi que nos personnes et nos familles.
Que ces ateliers, â l'image de celui de Nazareth, soient le séjour
inviolable de l'honneur, de la foi, de la charité, du travail chrétien,
de l'ordre et de la paix.
Cœur de Jésus, protégez notre travail, défendez-nous contre tous
les dangers matériels et spirituels au milieu desquels nous vivons.
Ainsi soit-il.
Tous assistèrent ensuite à la bénédiction des bâtiments et
d'une nouvelle machine située dans une salle immense oii se
trouvait servi un charmant dîner de famille.
Après la cérémonie, tous se mirent à table : le meilleur esprit
ne cessa de régner.
Au dessert, un employé se leva « heureux de remercier le
patron, au nom des employés et des ouvriers, de les avoir invi-
tés à cette belle fête de farnille.ie dis fête de famille, poursuit-
vit-il, car ce sont les mêmes liens de famille qui unissent le
patron chrétien à ses ouvriers. La plus grande fraternité ne
cesse d'exister entre notre patron et nous. »
C'est aux cris de : Vivent M. X... et sa famille! que les ou-
vriers ont accueilli le toast prononcé en leur nom par le délégué.
Le patron se leva alors et dit :
278 ANNALES OATHOLIQUBS
Mes chers aiuis, — Je suis profondt^ment touché des affectueux sen-
timants dont M... vient de se faire votre interprète. Oui! il a bien
raison en disant que je vous aime ; j'ajouterai que je ferai tout mon
possible pour me faire aimer de vous. Giàce à Dieu, nous n'avons
pas besoin, nous catholiques, d'aller à Berlin pour y chercher le
remède social; ce remède, nous l'avons sous la main ; il nous suffit
d'ouvrir l'Évangile, et nous y trouverons ces mots : « Aimez-vous
l''s uns les autres. •» Si cette leçon était comprise et réalisée par tous,
la question sociale serait résolue.
Comme l'écrivait encore dans une circonstance récente notre grand
Pape Léon XIII : « L'Evangile est le seul Code où se trouvent consi-
gnég les principes de la vraie justice, les maxiraf^s de la charité mu-
tuelle qui doit unir tous les hommes comme enfants du même Porc
et membres de la même famille.
La religion apprendra donc au patron à respecter dans l'ouvrier
la dignité humaine et à le traiter avec justice et équité; d'autre part,
elle inculquera dans la conscience du travailleur le sentiment du
devoir et de la fidélité, elle lui rappellera que toute autorité vient do
Dieu; enfin, elle le rendra moral, sobre et honnête.
Uniesons-nous, chers amis, sur le terrain religieux, et tâchons, les
UDB et les autres, de réaliser peu à peu cette fraternité chrétienne.
Jo remercie bien vivement Messieurs les curés de X... et de X...
d'avoir bion voulu présider cette cérémonie et assister à cette fête de
fiimillo ; permettfz-moi do leur dire en votre nom et au mien que
nous serons toujours heureux de recevoir leur visite dans l'usine
pour encourager et bénir nos travaux.
Puis les enfants du patron, voulant acconaplir à leur raanièro
leui' devoir social, récréèrent l'assistance par des monologues,
des chants et des morceaux d'ensemble.
Enfin lo vénérable curé, profondément ému et touché de cette
belle fête, qui semble être le prélude d'un mouvement puissant
en faveur de l'union et de la paix, bénit le grand crucifix qui
protège les ateliers et récita les grâces.
Afin de graver dans tous les cœurs le souvenir de cette jour-
néiî,le patron distribua à chacun une image du Sacré-Cœur avec
l'acte de consécration.
Puissent ses efforts être bénis et son personnel former, comme
il le souhaite, le prolongement de sa propre famille !
Espagne. — Mgr Cassanas y Pages, évêque d'Urgel, ayant
fait hommage au Souverain Pontife d'une Instruction pastorale
relative aux enseignements contenus dans V encycUqne Sapieniiœ
chrislianœ, Sa Sainteté a daigné lui répondre par une irapor-
NOUVELLES RELIGIEUSES 279
tante Lettre que publie en espagnol le Siglo Futuro. Nous
empruntons à 1' Univers la traduction de ce grave document :
A Notre vénérable Frère Salvador^ évêque cCJJrgel.
LÉON XIII, PAPE
Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique.
Eu même temps qu'elle Nous a été fort agréable, Nous estimons
tout à fait appropriée aux circonstances présentes la lettre, adressée
à votre clergé et à votre peuple, qui Nous a été transmise par les
mains de Notre cher Fils le cardinal secrétaire d'Etat, et dans laquelle,
suivant les indications que Nous avons marquées en diverses ency-
cliques, notamment en l'encyclique Sapieniice christiance, vous
exhortiez les catholiques espagnols à cesser les discordes qui les par-
tagent en groupes opposés, afin d'en venir à une concorde parfaite de
pensée et d'action.
En effet, il est vraiment déplorable que, depuis quelques années,
beaucoup de catholiques espagnols, trompés et égarés par les passions
de parti ou de drapeaux politiques, non moins que par les intérêts hu-
mains, soient descendus dans larène pour combattre les uns cuntreles
autres, sous la direction de l'autorité d'un petit nombre d'individus
qui, abusant du caractère très religieux de ce peuple, s'en prennent
vivement à leurs adversaires politiques pour satisfaire des aspirations
privées, et pour faire servir à leur propre profit les choses qui sont
de Dieu.
Ce qui montre l'esprit auquel obéissent ces chefs en leur façon
d'agir, c'est qu'ils s'arrogent dans l'Eglise le ministère de l'ensei-
gnement, prononçant des jugements sur la foi et la saine doctrine de
leurs frères; c'est que, dans les entreprises qui intéressent la religion,
ils ne veulent pas s'associer à ceux qu'ils tiennent pour opposés, et
pas même lorsqu'ils sont dans les mêmes églises ; c'est que, chaque
jour, ils s'accablent réciproquement d'outrages publics dans la presse
périodique; c'est que, dénaturant et torturant le sens de documents
qui n'ont en soi rien d'équivoque et dans lesquels leur conduite est
réprouvée par l'autorité ecclésiastique, ils les tournent à leur propre
sentiment et opinion ; c'est que, après avoir été sévèrement admo-
nestés, ils ne cessent de chercher habilement des faux-fuyants et des
échappatoires, en tournant tout à leur guise ; enfin c'est que, défiants
et soupçonneux à l'égard de leurs pasteurs, ils méprisent en fait et
réellement leur autorité et leur direction, bien que, en paroles, ils
leur témoignent de l'attachement et du respect.
La conséquence de ce que Nous venons d'exposer c'est assurément
que ces querelles et ces inimitiés sournoises, entièrement indignes de
la condition de chrétiens, ne servent pas au progrès de la religion et
de la vérité (comme on le prétend), mais bien à d'autres fins calculées.
Aussi, qu'après une si extraordinaire sollicitude employée par Nous
et par les évêques pour les détourner d'une voie hérissée d'écueils,
280 ANNALES CATHOLIQUES
ils s'obstinent en leur opinion tenace, c'est la preuve bien claire qu'ilis
abhorrent la lumière et qu'ils préfèrent être aveugles et guider d'autres
aveugles.
Tout cela Nous est fort pénible ; mais si quelque chose Nous est
plus pénible, c'est de voir qu'à ces querelles absolument lamentables
et insensées ont pris part un certain nombre d'ecclésiastiques oublieux
de leurs devoirs, et, ce qui est pire encore, un certain nombre de
religieux dès longtemps illustrés par leur fidélité et leur amour pour
le Siège Apostolique, lesquels, en secret ou publiquement, travail-
lent à ce que ce mal grandisse -et se propage de plus on plus, au
grand dommage des plus hauts intérêts de l'Eglise et de la patrie.
Ainsi, par aventure et sans en avoir conscience, ils se sont changés,
par Ipur imprudence, en mini^^tres de la vengeance divine, ceux-là
mêmes qui ont pour charge de lour ministère, d'annoncer la paix au
nom de Dieu.
En rélléohissant à tout cela, Nous avons estimé très opportun et
approprié aux temps actuels ce que Nous avons lu en votre lettre oii,
avec sagesse et clarté, vous avez exposé, d'une part, les causes, la
gravité et l'origine de cette pernicieuse contagion qui infe^ste 1 Espagne ,
d'autre part les dangers qui sont à en redouter, comme les remèdes
qu'il faut employer pour sa destruction.
Aussi Nous ne pouvons moins faire que de louer comme elle le
mérite l'ardeur avec laquelle, coopérant à Notre constante sollicitude,
vous vous efforcez d'amener de nouveau les Espagnols à la charité
parfaite et à un accord absolu^ selon que l'exigent les nécessités do
l'Eglise au temps présent et les devoirs étroits des chrétiens établis
en société. Nous nourrissons donc le doux espoir que votre excellent
travail produira les fruits désirés, grâce aussi aux efforts de vos autres
frères dans l'épiscopat, et, avant tout, moyennant lesecoursde Dieu et
la protection des .«aints patrons dont l'Espagne segloritie si justement.
Désormais donc il faut que tous les catholiques, écoutant la voix de
leurs pasteurs et se plaçant au-dessus de tout intéréthumain, entrent
en lice, comme une phalange compacte, avec une ardeur digne de la
foi de leurs pères et avec une étroite union de volontés pour la
défense de l'Eglise, leur mère commune, qui est affligée aujourd'hui
par de si graves épreuves et combattue par des ennemis si nombreux
et si acharnés.
Animé de cet espoir, et en témoignage de Notre affection, Nous
vous donnons très tendrement dans le Seigneur la bénédiction apos-
tolique, à vous, vénérable Frère, ainsi qu'au clergé et aux fidèles
confiés à vos soins.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 20 mar.^ de l'année MDCCCXC,
la treizième de Notre Pontificat. LÉON XIII, PAPE.
Le gérant : P. Ghantkii,l.
Paris. Imp. O. Picqnoin, 53, rue (ie Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
DES PAROISSES ET DES CURES
Origine des paroisses.
Le mot paroisse, tel que nous l'entendons dans le sens mo-
derne, désigne une certaine portion de territoire, déterminée
par le Pape ou par l'Evêque, pourvue d'un recteur à poste fixe,
investi du pouvoir de régir et de juger dans certaines limites
le peuple qui y habite.
Cette division de territoire n'existait pas dans les temps pri-
mitifs : c'est l'Evèque seul qui administrait tout le diocèse, soit
par lui-même, soit par des prêtres à qui il confiait une mission
plus ou moins étendue et en tout cas transitoire, de sorte que
la paroisse alors, c'était tout le diocèse.
De graves auteurs n'hésitent point à attribuer la première
origine des paroisses au pape saint Denjs, le vingt-quatrième
successeur de saint Pierre, mort en 268, sur le témoignage
d'une lettre dont l'authenticité d'ailleurs semble plus que sus-
pecte. En tout cas, on admet généralement qu'elle n'est pas
postérieure au iv® siècle, au moins pour les localités rurales.
Ce n'est pas à dire toutefois que dès lors les campagnes elles-
mêmes fussent distribuées en paroisses distinctes et séparées,
puisque le concile oecuménique de Latran crut devoir porter un
décret conçu en ces termes : « In parochialibus ecclesiis pres-
byteri per Episcopos constituantur qui ei respondeant de ani-
marum cura et de his quœ ad episcopum pertinent. » Elles ne
l'étaient même pas toutes à l'époque du concile de Trente, au
moins dans toutes leurs conditions d'existence propre et indi-
viduelle, car il dispose ainsi (sess. 24, De reform., c. 13) :
« In ils civitatibus ac locis, ubi parochiales ecclesiae certes non
habent fines, nec earum "rectores proprium populum, quem
regant, sed promiscue petentibus sacramenta administrant,
mandat S. Synodus Episcopis pro tutiori animarum eis com-
missarum salute, ut distincte populo in certas propriasque paro-
chias unicuique suum perpetuum peculiaremque populum assi-
gnent ; » d'où il appert que c'est de ce dernier concile que date
l'organisation définitive des paroisses, tant de ville que de
campagne, telle qu'elle existe encore parmi nous, avec toutes
Lxxii — 10 Mai 1890 21
282 ANNALES CATHOLIQUES
leurs conditions de territoire nettement défini et de stabilité
pour les prêtres chargés de les desservir.
L'office curial est d'institution ecclésiastique.
Le jansénisme prétendit que l'office curial était de droit
divin comnae celui des Evéques, et pour donner à cette préten-
tion une apparence de solidité, à défaut d'autre moj'en de filia-
tion, il dut en faire remonter la succession aux soixante-douze
disciples. C'est Gerson qui, héritier des doctrines déjà vieilles
de deux siècles dans la Serbonne, leur attribua le premier cette
paternité et en fit découler tous les droits prétendus qui, sous
l'apparence d'une subordination purement nominale, n'iraient
à rien moins, s'ils étaient admis, qu'à leur assurer en fait une
indépendance presque absolue dans l'Eglise. Ravivée ainsi par
le souffle du maître, cette doctrine ne fit que s'enraciner plus
profondément, malgré les censures multipliées du Saint-Siège,
dans les idées et l'enseignement du docte corps; et plus tard
Saint-Cyran et ses successeurs : Fébronius, Richer, Morin,
Vigor, Juvénin, Van-Espen, n'eurent qu'à la reprendre, telle
à peu près qu'ils l'y trouvaient, pour la faire passer dans leurs
livres, et la répandre nu dehors dans les rangs du clergé parois-
sial, dont elle favorisait les idées ambitieuses. Mais pourvu que
l'on veuille allor au fond des choses, et ne pas se contenter
d'apparences qui n'ont pas même le mérite d'être spécieuses, le
système du moderne presbytérianisme n'a pas de base : celle
qu'on lui donne se dérobe au moindre examen, et l'édifice d'er-
reur qu'elle supporte s'écroule au moindre souffle. Car d'abord,
qu'est-ce que cette prétention de faire des curés les successeurs
des soixante-douze disciples ? Les simples prêtres ne le sont
même pas, et cela par une raison péremptoire; c'est qu'il n'y a
point de succession possible là où il n'y a point d'héritage à
recueillir ; or les soixante-douze disciples, du moins au moment
oii on les prend, n'étaient pas prêtres, et plusieurs d'entre eux
ne le devinrent jamais, témoins les 'sept diacres. Pour que les
curés fussent leurs successeurs, il faudrait que les disciples
eussent eu des pouvoirs précis et positifs à leur transmettre ;
or au moment oii le Sauveur les choisit pour les envoyer en
avant-garde dans tous les lieux oii il se disposait à se rendre
lui-même, il ne leur donne d'autre mission que d'annoncer sa
prochaine arrivée et de préparer les voies à l'exercice de son
auguste ministère. Ils ne sont donc revêtus alors d'aucun rainis-
DES PAROISSES ET DES CURES 283
tère positif et jaridictionuel ; il ne leur est assigné ni territoire
fixe, ni peuple déterminé, ni fonctions définies et permanentes ;
et dès lors ils ne peuvent laisser k d'autres ce qu'ils ne possè-
dent point pour eux-mêmes. [Conf. d'Arras.)
Conditions requises chez les clercs pour être chargés
du gouvernement d'utie paroisse.
Pour qu'un clerc soit chargé d'une paroisse et mis à sa tête,
il faut qu'il soit prêtre légitimement ordonné et qu'il soit envoyé
par l'Ordinaire^, c'est-à-dire par l'évêque du diocèse qui est son
supérieur légitime et direct, de qui il tient sa mission et sa
juridiction. Ceci est pour le simple desservant d'une succursale:
mais s'il s'agit d'un curé proprement dit, au point de vue civil,
c'est-à-dire d'un curé titulaire ou inamovible, comme les curés
de canton, il faut en plus que sa nomination faite par l'évêque
du diocèse, soit ratifiée ou agréée par le gouvernement. L'Eglise
donne indistinctement le nom de curés à tous les prêtres
chargés du soin d'une paroisse; mais, dans l'administration
civile, on distingue les curés dont la nomination, faite par
l'évêque, est agréée par le gouvernement, de ceux qui sont
nommés et révoqués à la volonté de l'évêque et qu'on appelle
desservants.
Le curé proprement dit est nommé et institué par l'évêque,
car, de droit commun, l'évêque a toujours été collateur ordi-
naire des titres ecclésiastiques de son diocèse. Cette règle est
aussi ancienne que l'Eglise. Mais la nomination du curé ne peut
être manifestée, et l'institution canonique donnée, qu'après que la
nomination a été agréée par le gouvernement. Cet agrément est
donné par un décret du chef de l'Etat, dont on envoie une
ampliation à l'ecclésiastique nommé.
Le curé est chargé de diriger l'administration spirituelle de
la paroisse ; il est immédiatement soumis à l'évêque dans l'exer-
cice de ses fonctions (loi organique art. 9 et 30). Dans l'ordre
hiérarchique, tous les curés ont du reste le même rang et les
mêmes fonctions. C'est au curé seul qu'appartiennent toutes les
fonctions qui, par leur nature, sont curiales, telles que le droit
d'administrer les sacrements à toutes les personnes domiciliées
dans retendue de sa paroisse, ou de leur donner en cas de mort
la sépulture ecclésiastique. (Décision ministérielle du 22 avril
1808.)
Tous les curés sont égaux en droit, puisqu'ils ont tous le
284 ANNALES CATHOLIQUES
même caractère et les mêmes fonctions. Personne ne peut se
dire le premier entre eux. Il y a sans doute des curés qui peu-
vent avoir un plus grand territoire, et qui sont établis dans une
église ])lus ancienne ou plus importante ; mais ces circonstances
n'ont aucune influence sur le titre de curé, qui. est commun à
tous et qui renferme les mêmes prérogatives. Il n'y a pas plus
de premier curé dans un diocèse qu'il n'y a de premier évêque
en France : quand on est évêque on l'est autant que tout autre,
et, dans le sacerdoce ainsi que dans Tépiscopat, il ne peut y
avoir de distinctions que celles qui ont été établies par la
hiérarchie fondamentale de l'Eglise. (Décision ministérielle des
23 messidor an X et 3 florial an XI).
Les curés ont la surveillance sur leurs vicaires : mais, malgré
les termes explicites de l'article 31 de la loi organique, ils ne peu-
vent l'étendre sur les desservants. Un règlement, fait pour le
diocèse de Paris, porte qu'ils n'ont sur les desservants aucune
autorité réelle. Ce règlement, approuvé par le gouvernement
le 25 thermidor an X, est devenu commun aux autres diocèses.
Les curés n'ont d'autre droit de surveillance que celui que
l'évêque leur accorde personnellement.
Relativement à leur traitement, les curés sont divisés en
deux classes. On divise les cures, en cures de première classe
et en cures de deuxième classe. Elles ne diffèrent entre elles
qu'à raison du traitement accordé à celui qui les dessert. Les
traitements des curés sont donc divisés en deux classes, la pre-
mière comprend les curés des communes de 5,000 âmes et au-
dessus, un nombre égal à celui des justices de paix établies dans
les mêmes communes, ainsi que les curés des chefs-lieux de
préfecture (Arrêté du 27 brumaire an XI, et ordonnance du roi
du 6 avril 1832). La seconde classe comprend les curés de toutes
les autres communes érigées eu cures par des décrets ou ordon-
nances.
Le traitement des archiprêtres de cathédrales et celui des
curés de première classe, y compris ceux qui le sont par privi-
lège personnel, est de 1,500 francs ; s'ils sont septuagénaires non
pensionnés, le traitement est de 1,600 francs. Le traitement
des curés de seconde classe est de 1,200 francs. S'ils sont sep-
tuagénaires non pensionnés, il est de 1,600 francs. Une ordon-
nance royale du 13 mars 1832, insérée sous le mot traitement,
■prescrit à tous les vicaires généraux, chanoines, curés, desses-
vants, vicaires, etc., la formalité de la prise de possession pour
DES PAROISSES ET DES CURÉS 285
avoir droit au traitement ecclésiastique qui ne court que du
Jour de cette prise de possession, et non du jour de la nomina-
tion du titulaire par l'évêque. La prise de possession doit être
constatée non seulement dans les cas de première nomination,
mais aussi dans tous les cas de mutation. Il est bien important
de ne pas négliger de transmettre à la préfecture l'expédition
de cette prise de possession, qu'il faut nécessairement produire
pour avoir droit à la délivrance des mandats. Le certificat de
prise de possession, sur papier simple, doit être signé par les
trois membres du bureau des marguilliers. Le maire, ni les
membres du conseil municipal ne doivent intervenir dans cet
acte d'installation, à moins qu'ils ne fassent partie du bureau
des marguilliers. Les autres fabriciens ne doivent pas davan-
tage y intervenir. Les marguilliers ne sont pas libres de se
refuser à signer ce procès-verbal. Il va de soi que ce procès-
verbal d'installation serait inutile si l'ecclésiastique n'était pas
salarié par l'Etat. Dans la suite, après l'installation, il faut
aujourd'hui, pour être payé, c'est-à-dire pour avoir droit à la
délivrance de ses mandats, qu'un certificat de résidence délivré
par le maire soit envoyé à la préfecture, qu'il s'agisse de curé,
de desservant ou de vicaire. Il ne faut pas confondre l'iustalla-
tion canonique d'un curé avec la prise de possession civile.
L'installation canonique est un acte de juridiction ecclésias-
tique ; cette installation est faite généralement, pour les curés,
par l'archidiacre, et pour les desservants, par le doyen ou curé
du canton. La prise de possession civile résulte seulement du
procès-verbal qui est dressé par le bureau des marguilliers.
Aujourd'hui on appelle desservants les curés des paroisses
qui ne sont pas élevés au rang de cures proprement dites, c'est"
à-dire des simples succursales. Les desservants du reste sont
les propres curés de leurs paroisses. Ils ne sont pas sous la
direction des curés proprement dits ; mais comme eux, ils sont
soumis immédiatement aux évêques dans l'exercice de leurs
fonctions. Les curés n'ont donc, ainsi qu'il est dit plus haut,
sur les desservants aucune autorité réelle. Il est à remarquer
qu'à Rome on considère comme curé, sans aucune restriction,
tous les prêtres qu'en France on appelle du nom de desser-
vants. M. le comte Portalis reconnaît, dans une note, que les
curés dits de canton n'ont sur les desservants qu'un simple
droit de surveillance dont l'objet est de prévenir les évêques
des irrégularités et des abus parvenus à leur connaissance.
286 ANNALES CATH0UQUE3
Mais ce droit de surveillance, les évêques peuvent le donner,
et le donnent quelquefois de fait à des curés desservants qui
l'exercent même sur les curés de canton, quand ils jugent
ceux-ci indignes de leur confiance. Le desservant est nommé
par l'évêque et révocable par lui : l'évêque doit donner avis de
la nomination au préfet et au ministre des cultes. (Loi du 18 ger-
minal an X, article 31 et G3). Le desservant a, dans la paroisse
où est la succursale, les mêmes fonctions que le curé dans la
paroisse où est la cure. Le desservant est dans sa paroisse ce
que ie curé est dans la sienne (Décision ministérielle du 0 bru-
maire an XIII.)
Il n'y a, dans l'intention du gouvernement, aucune différence
pour les fonctions entre l'un et l'autre : le curé n'a qu'une
simple autorité de surveillance, qui consiste à avertir l'évêque
des abus et des irrégularités qui seraient à sa connaissance
(Décision ministérielle du 13 fructidor an X.)
Un traitement est alloué au desservant sur les fonds de l'Etat;.
il est fixé différemment, suivant l'âge du titulaire. Il est de
1.300 francs pour ceux qui ont soixante-quinze ans ; pour les
septuagénaires de 1.200 francs; pour les sexagénaires de 1.100 fr.
de 1.000 pour ceux qui ont de cinquante ans à soixante ans, et de
900 francs pour les autres. Outre le procés-verbal d'installation
et le certificat de résidence pour toucher ordinairement, la pro-
duction de l'acte de naissance est nécessaire, quand les curés
desservants atteignent l'âge de cinquante, soixante ou soixante-
dix ans, pour justifier leur âge et l'augmentation de traite-
ment à laquelle cet âge leur donne droit.
Le vicaire est un ecclésiastique chargé d'aider ou de suppléer
le curé dans le service paroissial. Il est nommé par l'évêque et
révocable par lui (loi organique, art. 31.) Il exerce son minis-
tère sous la surveillance et la direction du curé. Là où il est
reconnu et payé par l'Etat, il touche une allocation de 450 fr.;
et pour cela il est astreint aux mêmes formalités que les curés
et desservants. Aujourd'hui dans les paroisses de 5,000 habi-
tants et au-dessus, il n'est plus payé par l'Etat. Quand un vica-
riat a été régulièrement créé dans une paroisse, la fabrique est
obligée d'ajouter au traitement de l'Etat. L'article 39 du décret-
du 30 décembre 1809 ayant été abrogé par l'article 168 de la
loi du 5 avril 1884, les communes ne sont plus tenues d'assurer
sur leurs propres ressources le traitement des vicaires en cas-
d'insuffisance des revenus de la fabrique.
DES PAROISSES ET DES CURES 287
On appelle aumônier l'ecclésiastique attaché à un établisse-
ment public, pour j célébrer le culte, y faire les instructions
religieuses et y administrer les secours spirituels. Il y a des
aumôniers dans les hospices civils, dans les hôpitaux militaires,
dans les garnisons, dans les collèges et dans les prisons, etc.
Les aumôniers des communautés religieuses ne sont pas payés
par TEtat, mais par la communauté.
Le traitement des aumôniers et chapelains des hospices
civils, est réglé par le préfet, comme les autres frais du culte,
sur la proposition et l'avis du sous-préfet. Les arrêtés du préfet,
à ce sujet, ne peuvent être exécutés qu'après avoir été soumis
à l'approbatioa du ministre de l'intérieur (arrêté régi, du 11 fruc-
tidor an XI). Les traitements des aumôniers sont une dépense
ordinaire des hospices. Les aumôniers et chapelains des hos-
pices sont nommés par les évêques diocésains, sur la présenta-
tiou de trois candidats faite par la commission administrative.
(Ordonnance du 31 octobre 1821i. Le droit de révoquer l'aumô-
nier n'appartient qu'à l'évèque. Les aumôniers des hospices
militaires ciioisis par les évéques, sont désignés par le ministre
des cultes au ininistre de la guerre. (Ordonnance du l'r octo-
bre 1814, art. 2). Leur traitement est déterminé par ce dernier
ministre, suivant la force de chaque hôpital. Il est payé sur les
fonds spéciaux du ministère de la guerre. Ils doivent être logés
dans les hôpitaux, quand les localités le permettent ; dans le
cas contraire, ils n'ont droit à aucune indemnité de logement.
(Décision ministérielle du 14 novembre 1825. j
Les aumôniers militaires doivent se conformer aux règlements
arrêtés parle ministre de la guerre, pour tous les objets qui se
rattachent à la discipline intérieure des corps et au service.
(Ordonnance du 24 juillet 1816).
Les aumôniers des collèges sont nommés par le ministre de
l'instruction publique et choisis par l'évèque. (Ordonnance du
8 avril 1724).
Ils sont logés au collège et assimilés aux autres professeurs
logés dans l'établissement ; leur traitement est égal au traite-
ment fixe des professeurs de premier ordre. (Ordonnance du
16 juillet 1831]. Il va de soi que la nomination réelle et effec-
tive des aumôniers de collège ne doit être faite que par l'évèque,
qui seul peut donner des pouvoirs spirituels et les retirer. Les
aumôniers de collège ne peuvent donc exercer leurs fonctions
qu'après en avoir reçu la mission de leur évéque.
288 ANNALES CATHOLIQUES
Les aumôniers de prisons sont nommés ou plutôt agréés par
l'autorité administrative. Mais ils ne peuvent non plus entrer
en fonctions que lorsque l'éveque diocésain leur a conféré les
pouvoirs nécessaires. Leur traitement est payé sur les fonds
affectés au service de ces établissements.
Pour ce qui regarde les paroisses, aucune partie du terri-
toire français ne peut être érigée en cure qu'avec l'autorisation
du gouvernement. (Loi de germinal an X. art. 62). Autrefois, le
droit d'ériger des cures appartenait à l'éveque seul. La trans-
lation du chef-lieu d'une cure ne doit également se faire qu'en
vertu de l'autorisation du gouvernement et après la même ins-
truction que l'érection. (Décision ministérielle du 5 avril 1809).
La proposition d'ériger une cure appartient donc nécessaire-
ment à l'éveque ; mais le préfet est appelé à donner son avis.
La cure est ensuite établie, s'il y a lieu, par une ordonnance
rendue sur le rapport du ministre des cultes et délibérée dans le
comité de législation du conseil d'Etat.
La cure établie dans la paroisse où est placée la métropole
ou la cathédrale peut être réunie au chapitre. Cette réunion est
instruite et autorisée dans la même forme que l'érection d'une
cure. Une cure peut être supprimée par son union à une autre
cure, dans les formes prescrites par les lois, lorsque l'utilité
des fidèles et les nécessités du service religieux le commandent.
L'érection d'une nouvelle succursale ou pour mieux dire
d'une nouvelle paroisse, se fait également comme pour les cures,
sur la proposition de l'éveque et l'approbation du gouvernement.
Autrefois les desservants étaient des prêtres chargés de faire
les fonctions ecclésiastiques dans les paroisses dont les cures
étaient vacantes ou les curés interdites. C'est ainsi que l'a cons-
tamment entendu le droit canonique et l'ancien droit civil
ecclésiastique. C'est donc à tort que les articles organiques
désignent sous le nom de desservants les curés des paroisses
appelées, elles aussi, improprement succursales.
Les succursales étaient des églises dans lesquelles on faisait
un service paroissial provisoire^ de simples annexes, des églises
de secours comme leur nom l'indique, soit parce que les habi-
tants étaient trop éloignés de la paroisse, ou que cette paroisse
était trop populeuse. On l'établissait lorsqu'on ne pouvait ériger
une nouvelle paroisse. Maintenant ce sont des chapelles vica-
riales ou communales, et l'on a donné depuis le concordat de
1801 le nom de succursales aux paroisses rurales qui ne sont
COMMENT FAIRE UNE ÉDUCATION MORALE 289
pas des cures titulaires de première ou de seconde classe. On
les appelle aussi dessertes et le nom de desservants est réservé
à leurs curés, qui ne sont pas inamovibles. Mais aux yeux de
l'Eglise ce sont des cures ou des paroisses comme les autres,
et leurs curés sont curés au même titre et jouissent des mêmes
droits canoniques. (A suivre).
COMMENT FAIRE UNE EDUCATION MORALE ?
La liberté est une condition indispensable à la vie morale.
Mais la liberté elle-même n'est qu'un vain mot sans la raison.
Aussi peut-on dire que l'intelligence est nécessaire à un être
moral, ou plutôt qu'un être ne peut être moral s'il n'est déjà
raisonnable. Partant de ce principe, on voit aisément que la
première occupation de celui qui veut faire l'éducation morale
d'un enfant est de développer son intelligence.
Insistons sur ce point. Oii il n'y a point de réflexion, de juge-
ment, il n'y a point de moralité. Peut-on accuser de méchanceté
l'ours maladroit de Lafontaine? Si l'on veut développer la mora-
lité d'un être libre, il faut donc tout d'abord lui apprendre à
discerner le bien du mal, à mesure qu'il en devient capable. On
ne peut sans doute lui faire comprendre qu'une chose est bonne
ou mauvaise, s'il n'a point déjà ressenti la différence entre ces
deux attributs par les effets agréables ou douloureux qu'elles
produisent dans sa conscience. Mais, qu'il sache déjà vague-
ment ce qu'est une chose bonne et ce qu'est une chose mauvaise,
il sera facile de lui donner sur ce point des idées plus claires
et plus distinctes. Enfin on pourra lui faire comprendre ce
qu'est le bien et le mal, indépendamment des phénomènes
affectifs, qu'ils produisent dans sa conscience, ou dans celle
d'autrui. Donnons un exemple. Un enfant a battu son camarade;
le meilleur argument pour lui faire comprendre qu'il a mal fait,
sera de lui demander ce qu'il penserait s'il lui en avait été fait
de même. C'est agir sur son imagination, et lui montrer qu'il a
mal fait en lui représentant les sensations douloureuses que son
action a fait éprouver à son camarade, et que ce dernier aurait
pu lui faire éprouver, s'il eût été aussi méchant. Ce n'est lui
montrer le mal que dans un cas particulier. Toutefois c'est
déjà une généralisation que l'on a fait produire à cet enfant. En
effet il voit qu'un autre aurait mal fait de le frapper lui-même;
290 ANNALES CATHOLIQUES
et il conclut en s'élevant de ce cas particulier au cas général,
que tout individu qui en frappe un autre fait une mauvaise
action. On peut lui donner d'autres exemples du mal ; l'enfant
ne manque point de les rapprocher dans son imagination; il
voit que toutes ces actions ont une même propriété de dégrader
celui qui les fait; d'oii il abstrait l'idée du mal qu'il distingue
de l'idée du bien, abstraction faite dans son esprit par une
méthode analogue.
En développant ainsi ses notions sur le bien et le mal, on
pourra l'habituer à rendro compte de ses actes et de ses juge-
ments moraux. Ainsi sa vie morale deviendra réfléchie, et elle
sera d'autant plus noble qu'elle sera plus raisonnée. De plus
l'effort pour faire le bien sera moins grand. En effet, la loi mo-
rale se présentera à lui avec une autorité d'autant plus impé-
rieuse qu'il la connaîtra davantage, et il reculera devant le
dessein de la violer comme devant une impossibilité.
On ne saurait trop vanter sur ce point la méthode deSocrate.
Par des interrogations, ce philosophe amenait son disciple à
expliquer pourquoi il agissait do telle manière et non de telle
autre; pourquoi, dans telle circonstance, il fallait agir de telle
façon. Le disciple était forcé de se rendre compte ainsi de sa
conduite, et il arrivait à se mieux connaître et, par là même, à
se mieux gouverner. Une objection peut être posée. Développer
ainsi le jugement moial chez l'enfant, n'est-ce point négliger
l'éducation de sa sensibilité? Bien au contraire, c'est dévelop-
per indirectement cette faculté. En effet, mieux un enfant con-
naîtra son devoir, et plus il aura de remords s'il ne l'accomplit
point; plus il aura été capable de l'accomplir, plus il se sentira
responsable de ne point l'avoir fait. On aura beau dire que ce
moyen de développer la sensibilité morale est tout à fait indi-
rect. On peut répondre que la sensibilité est fatale. Le remords
et tous les sentiments moraux, comme le plaisir et la douleur,
ne sont que des phénomènes passifs. Ils ne peuvent exister sans
la représentation du devoir accompli ou négligé. Aussi la ma-
nière la plus sûre d'agir sur ces mêmes sentiments, est-elle
d'agir sur la représentation même du devoir, dont ils suivent
les variations parce qu'ils en sont les effets.
Ceci nous explique d'autre part pourquoi il ne faut point
autant que possible faire accomplir le devoir h l'enfant en lui
promettant des plaisirs. Outre que ces plaisirs ne sauraient com-
penser ceux de la satisfaction morale, on l'habituerait ainsi à
COMMENT FAIRE UNE ÉDUCATION MORALE 291
faire le bien pour le plaisir. Pourtant ce ne serait plus le bien
qu'il rechercherait, mais la récompense qui le suit; ou plutôt
s'il recherchait le bien ce serait pour s'en servir- comme d'un
moyen propre à assurer le plaisir. Plus tard, quand le plaisir
serait supprimé après l'accomplissement du bien, l'enfant le
chercherait ailleurs, et il s'écarterait ainsi de la voie du devoir.
Même chose est à dire, mais avec réserves, de ceux qui déve-
loppent particulièrement la sympathie chez l'enfant aux dépens
de son intelligence. Ils peuvent arriver à lui faire accomplir le
devoir pour satisfaire les personnes qui lui sont chères. Mais
il n'en est pas moins vrai que le motif qui les guide dans leur
conduite venant à manquer, ils ne rechercheront plus le bien.
J'ai dit que des réserves étaient à faire. En effet, avoir de la
sympathie, c'est faire le bien. La développer, c'est développer
par conséquent le jugement moral. Mais elle doit aller de front
avec la raison et l'intelligence, et non les devancer, elle doit les
aider à marcher, et non les étouffer. Ainsi entendue, notre thèse
est indiscutable.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que des facultés passives de l'en-
fant, et de la manière dont on peut en faire l'éducation morale.
Or c'est la volonté qui directement fait l'homme moral.Ilseaible
donc que ce soit dans le développement de la volonté que con-
siste spécialement l'éducation. Cette faculté active, en effet, est
la seule véritablement libre ; et la part de liberté qui est dans
les autres facultés n'est qu'un effet qu'elle produit en elles. Mais
par cela même qu'elle est libre, elle n'est pas soumise à l'ac-
tion des autres hommes. Chacun doit par lui-même, sans le
secours d'autrui, travailler à développer sa liberté. Tout ce que
peut faire un étranger, un pédagogue pour un enfant, c'est lui
fournir une occasion pour exercer sa volonté. C'est par l'exer-
cice, en effet, que cette faculté, comme toutes les autres,
acquiert de la puissance. Aussi le pédagogue ne doit-il pas
craindre, pour éviter les inconvénients de la routine, et pour
développer l'initiative de l'enfant, de le laisser souvent entière-
ment libre et abandonné à ses propres ressources. Alors il pourra
faire acte d'homme ; il n'agira que par suite de considérations
morales, indépendamment de la crainte d'un châtiment; en un
mot il tendra vers le seul but digne de ses efforts, savoir l'aug-
mentation de sa personnalité.
Tel est en général le plan que l'on doit suivre dans toute édu-
cation morale. C'est la nature même de l'âme qui nous l'impose.
292 ANNALES CATHOLIQUES
Il est évident toutefois qu'il n'est pas absolument rigoureux.
De ce que l'on ne doit pas faire accomplir le bien aux enfants
par l'attrait du plaisir ou par le sentiment, il ne s'ensuit pas
qu'on ne puisse jamais le faire. De même il est indispensable
parfois, d'infliger à l'enfant des châtiments corporels pour le
corriger, quand il ne veut pas se laisser guider par la raison.
Mais il reste vrai que, parvenu à lui faireéviter le mal par crainte
d'un châtiment ou en vue du plaisir, l'éducateur n'aurait pas
fait toute sa tâche, s'il n'allait jusqu'à redresser le jugement
moral chez l'enfant. En ce sens, on peut dire que le dernier
moyen, pour faire une éducation morale, c'est le développement
de la raison. Tous les autres ne sont bons qu'autant qu'ils sont
suivis de ce dernier, dont ils ne doivent être que les préludes
ou avant-coureurs et les accessoires. Anonyme.
PROBLÈME PROPOSÉ
On lit dans certains traités de physique au sujet de la chute
des corps :
1) Les espaces parcourus sont proportionnels au carré des
temps employés à les parcourir.
2) Le mouvement que la chute imprime aux corps est un mou-
vement uniformément accéléré.
Ces deux propositions énoncent-elles deux lois différentes ?
Du rapport qui existe entre elles. Anonyme,
LA FASCINATION DU PROGRES MATERIEL
Une des paroles qui se rencontrent le plus fréquemment dans
les saintes Écritures est celle-ci : « Les hommes ne savent point,
les hommes ne connaissent point. Ils ont oublié, de sorte que
leurs yeux ne voient plus rien, et que leurs coeurs n'ont plus
de sentiments (1). » Ainsi s'exprime le prophète Isaïe lorsqu'il
considère la folie de ceux qui adorent les idoles, la folie et le
crime du peuple de Dieu lorsqu'il mêlait le culte de quelques
idoles au culte du vrai Dieu. Le prophète fait entendre ce cri
d'étonnement en bien d'autres circonstances. C'est aussi le lan-
gage des psaumes. Quand leur auteur a parcouru d'un regard
l'histoire de son peuple, quand son âme est blessée par tant
(1) Isaïe, eh. xliv, f. 18.
LA FASCINATION DU PROGRES MATÉRIEL 293
d'iniquités, et navrée par cette foule de maux que cause le
péché, il s'arrête comme accablé par la douleur et une sorte de
dégoût, et il ne trouve plus que cette parole : « Les hommes ne
savent donc rien, ne comprennent donc rien [l] ! » Enfin Notre-
Seigneur lui-même nous découvre plusieurs fois que ce même
sentiment d'étonnement et d'affliction oppresse sa sainte âme.
Il dit à ses apôtres : « Et vous aussi, demeurerez-vous sans
comprendre ce que je dis et ce que je fais ? N'avez- vous pas
encore compris? Ne vous souvenez-vous donc point (2)? »
Le Saint-Esprit a voulu que toutes ces paroles fussent con-
servées par la sainte Écriture pour l'instruction des chrétiens
de tous les temps et de tous les pays. Il nous apprend en eiFet
par là que nous sommes tous exposés à oublier, par notre faute,
les choses de Dieu, les choses éternelles, que nous sommes tous
exposés à arriver, par notre faute, à cet état d'esprit oii l'on ne
voit plus, oii l'on ne comprend plus ce qui est divin, et qui con-
duit les âmes au salut éternel.
Et c'est ce qui ne se vérifie que trop de notre temps...
I
Il nous importe de nous mettre bien en face de la première
cause de ce changement déplorable qui s'opère dans un grand
nombre d'âmes.
Cette cause est uniquement dans le défaut d'attention.
La faculté de l'esprit que l'on appelle V attentioti est une des
plus précieuses dont Dieu nous ait enrichis. En efi'et, qu'est-ce
qu'un savant ? C'est un homme qui a fixé son attention sur
quel'iuepartiedecesconnaissancesquel'humanité peutatteindre.
Qu'est-ce qu'un inventeur ? C'est un homme qui a fixé son at-
tention sur un seul problème et qui en a cherché constamment
la solution. Et quel est l'enfant qui surpasse ses camarades dans
la classe ? C'est celui dont l'esprit se fixe à la parole du maître,
au tableau sur lequel on écrit, à la page qu'on lui a mise sous
les yeux. De même le saint est le chrétien qui fixe son esprit et
son cœur, ses peusées et ses sentiments sur la parole de Dieu , sur
la vie éternelle, sur la parole adorable de Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Si nous renouvelions avec persévérance notre
attention aux choses de Dieu, nous deviendrions tous de solides
chrétien?, et notre salut serait assuré.
(1) Ev. selon saint Matthieu, ch. \v, y. 17.
(2) Id., ch. XVI, y. 9.
294 ANNALES CATHOLIQUES
Vous savez assez que chacun des organes de notre corps a ses
ennemis: l'œil, l'oreille, la voix ont leurs ennemis ; ils éprou-
vent de la souli'rance, ils ne nous rendent plus les mêmes ser-
vices, ils sont quelquefois entièrement perdus. Les facultés de
l'esprit ont aussi leurs ennemis. Parmi ceux de l'attention, je
veux vous en siçrnaler doux principaux. L'un allecte ou menace
d'affecter tous les esprits, et à toutes les époques, aujourd'hui
comme il j a trois mille ans, et demain commo aujourd'hui.
L'autre est propre au temps oii nous vivons. Il combat et dis-
trait l'attention depuis une soixantaine d'années et le fera pen-
dant lonetamps encore, selon toutes les probabilités.
Le preraierdes obstacles qui empêche notre esprit d'être bien
attentif, est appelé par l'Ecriture : lu fascination des frivolités.
Il est écrit au Livre de la Sagesse (1) : « La fascination des fri-
volités obscurcit le bien dans les Ames, et le verti^^re de la pas-
sion bouleverse même l'esprit qui est sans malice. » Si nous
nous laissons aller à regarder souvent ce qui ne vaut pas la
peine d'être regardé, nous finissons par être attirés avec force
vers tous ces objets ; nous finissons par les regarder toujours-
Dés lors, ils nous ont fascinés; il nous retiennent, et nous n'avons
plus la liberté do regarder ce qui vaut la peine d'être regardé.
Et qu'est-ce donc que nous ne devons regarder qu'un instant,
sans nous arrêter ? Mais, c'est ce qui passe, change, fuit et dis-
paraît à tout moment. Et qu'est-ce donc f|ue nous devons regar-
der avec tout le soin, tout le sérieux dont nous sommes
capables ? Mais c'est ce qui reste, no change pas et se trouve
toujours le même, toujours grand, toujours noble, toujours
propre à nous rendre bMireux.
Voyez comme cette vérité est exprimée en quelques mots et
admirablement dans la Sainte-Ecriture: < Seigneur, vous avez
fondé la terre dès le commencoment, et los cieux sont l'ouvrage
de vos mains. Ils périront, mais vous, vous demeurerez ; ils
vieilliront tous comme vieillit un vêtement: vous les changerez
comme on change un manteau, et ils changeront de forme. —
Mais, Vous, vous êtes toujours le même, ot vos années n'auront
pas de fin. Les enfants de vos serviteurs habiteront la terre, et
leur postérité sera éternellement heureuse (2j. »
Ces versets du psaume nous disent bien clairement quel est
(1) Ch. IV, y. 13.
(2) Psaume ci, y. 26 et suiv.
LA FASCINATION DU PROGRES MATÉRIEL 295
]e remède à employer contre la fascination des frivolités : il
consiste à comparer entre elles les choses de ce monde et les
choses du monde invisible que nous connaissons par la foi.
Tout ce qui est de ce monde passe, et en un moment : ce qui est
de Dieu demeure éternellement.
Ces quelques mots suffiront pour nous prémunir contre cette
légéieté d'esprit qui est le premier ennemi de la faculté d'at-
tention et qui s'est rencontrée à toutes les époques. Mais je dé-
sire vous parler un peu plus longuement du second ennemi, de
celai qui est particulier au temps oh nous vivons. C'est une
fascination, la fascination des progrès dans l'ordre matériel. Ces
progrés sont extraordinaires par leur nombre, par leurs effets,
par la rapidité avec laquelle ils s'accomplissent. Les hommes
de la génération qui a précédé la nôtre n'avaient pas même
l'idée de ce que nous voyons aujourd'hui, les chemins de fer,
les télégraphes, les téléphones et tous les résultats si puissants
obtenus par la vapeur et par l'électricité, dans les usines et
dans tous les ateliers de fabrication. Les changements ne sont
pas moins merveilleux dans la science de guérir, la médecine
et la chirurgie. Une partie des souiFrances auxquelles le corps
est exposé sont beaucoup plus facilement évitées, d'autres plus
souvent allégées, d'autres, enfin, entièrement supprimées. Yoilà
des éléments de bien-être qui sont déjà certainement acquis.
L'humanité est en pleine possession de ces moyens de conqué-
rir la matière et de la faire servir à satisfaire tous ses besoins.
Les derniers progrès ne sont cependant point atteints. Il est
très probable que la prochaine génération verra des efi'ets plus
bienfaisants encore du travail et de la science. Je ne dis pas que
cela est certain. C'est que l'histoire nous apprend que la civili-
sation s'est souvent arrêtée dans ses progrès. En plusieurs con-
trées, en Egypte, en Ahyssinie, dans la Grèce, enfin dans l'Em-
pire romain, la barbarie a succédé à une civilisation très haute,
très avancée. Nous voyons aussi qu'en Chine et dans l'Inde, il
y a eu un temps d'arrêt très marqué. Mais quel que soit l'ave-
nir, et à ne regarder que le présent, les hommes qui assistent
aux dernières années de ce xrx* siècle ont bien le droit de se
dire : Que de changements, et de changements heureux, entre
la vie de nos grands-parents et la nôtre, entre leur vie exté-
rieure, matérielle, et notre vie extérieure et matérielle à nous !
Il y a donc là un sujet de joie et d'une certaine fierté qui est
bien fondé. Seulement, la terre est encore la terre, et sur cette
290 ANXALES CATHOLIQUES
terre il n'est aucun bien qui soit sans mélange de mal. Tous
les progrès réalisés depuis quatre-vingts ans offrent des avan-
tages très précieux : mais ils présentent aussi des inconvénients
et quelques-uns de ces inconvénients sont fort graves. Ils peu-
vent en effet fasciner nos esprits, les attirer sans cesse, les
occuper tout entiers, les éblouir de manière à les empêcher de
pouvoir distinguer autre chose dans le monde et de concevoir
des pensées d'un autre ordre.
Il
Cette fascination si dangereuse s'exerce sur nous de bien des
manières.
Remarquez tout d'abord comme le temps nous est enlevé.
Nos pères n'avaient d'entretiens et de relations qu'avec leurs
plus proches voisins. Aller visiter des parents habitant une autre
paroisse, ou recevoir leur visite, était un événement qui ne se
produisaitque rarement. Ils avaient donc le loisir de penser aux
choses de la religion et de réfléchir. Mais, à présent, on se
visite à cent kilomètres de distance avec la même facilité que
l'on faisait, il y a quarante ans, de sa paroisse natale à la
paroisse voisine. On n'a même plus besoin de sortir du lieu de
sa résidence pour s'entretenir avec des personnes dont la
demeure est éloignée. Si l'on habite une commune un peu con-
sidérable, on peut engager et soutenir une conversation avec
des habitants de Paris ou de toute autre ville de l'Europe. On
peut connaître quelques minutes après qu'il sera survenu, un
événement accompli dans l'une des contrées les plus éloignées,
et le lendemain on apprend par les journaux tous les détails de
cet événement. On converse donc, en une même journée, avec
beaucoup plus de personnes qu'on ne le faisait autrefois, et l'on
apprend dix fois ou vingt fois plus de nouvelles. Le résultat de
tout ce mouvement de choses, d'idées, qui se poussent et se
culbutent les unes les autres, vous l'apercevez tout de suite :
l'esprit est occupé sans relâche et par des objets qui différent ex-
trêmement entre eux; il est fatigué ;il ne pense qu'à grand'peine
à ce qui est du monde surnaturel, du monde où rien ne passe,
oii tout est spirituel et divin.
Ce genre de fascination est encore le moins redoutable. C'est
celui que subissent des âmes qui restent cependant fidèles aux
devoirs de la religion : elles sont seulement distraites, écartées
pour quelque temps du souvenir de la présence de Dieu.
LA FASCINATION DU PROGRES MATÉRIEL 297
D'autres hommes ne sont pas seulement distraits, ils sont
véritablement subjugués. Le mouvement incessant, rapide, de
ce qui les entoure va les entraîner, les emporter. Occupés uni-
quement à considérer ces actes de la vie matérielle, ils ne soup-
çonnent même plus qu'il y ait une autre vie. Nous pouvons faci-
lement nous rendre compte de ce qui se passe dans les esprits
qui subissent cette fascination, si nous réveillons le souvenir
do ce que nous avons éprouvé en certaines circonstances. Rap-
pelons-nous quelles ont été nos impressions lorsque nous nous
sommes trouvés dans de grandes gares de chemins de fer, à
Culoz, à Ambérieu, par exemple, aux heures où se font des croi-
sements de trains venant de toutes les directions. Le mouvement
de toutes ces masses, le bruit de la vapeur, des signaux, le roule-
ment des trains assiégeaient, fatiguaient tellement nos yeux et
nos oreilles qu'il nous aurait été alors impossible de rélléchir, de
suivre une pensée quelconque. Eh bien ! cet état d'esprit que
nous avons subi pendant quelques minutes en des cas particu-
liers, c'est l'état oii se trouvent, tous les jours de leur vie, les
hommes dont je parle. A force de voir passer les résultats de
tous les travaux de l'industrie, à force de regarder toutes les
opérations des sciences sur la matière, sur les corps, les gaz,
sur toutes les forces physiques en un mot, ils en viennent à ne
plus comprendre ce qui n'est pas un corps ou l'une de ces
forces. Si on vient leur dire qu'on est envoyé par Dieu pour
leur procurer un moyen d'arriver au bonheur, ils sont tout
prêts à demander si on va leur donner des instruments de tra-
vail plus perfectionnés, si on va leur assurer des récoltes plus
abondantes. Que si on leur répond qu'il y a d'autres biens que
ceux obtenus par la culture ou par le travail d'une usine, qu'il
y a des biens très supérieurs à ceux-là, puisqu'ils ne peuvent
ni s'user, ni changer, ni se perdre^ ni être pris de force ; que si
on leur parle de Dieu, de la grâce, de la vie éternelle, ils ne
comprennent point : leur esprit est vraiment subjugué, c'est-à-
dire retenu sous un joug comme le sont les bœufs attelés à la
charrue. Il perd, comme eux, toute liberté, et sa force ne
s'exerce plus que sur un seul point et dans un seul sens.
Ils sont, au temps oii nous vivons, fort nombreux les hommes
qui connaissent à peine les choses de Dieu, les hommes qui ne
comprennent point ce qu'il }• a de joie, de force et de grandeur
dans une âme qui appartient à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et
en qui habite Notre-Seigaeur Jésus-Christ. Ils sont nombreux,
22
298 ANNALES CATHOLIQUKS
et ils font beaucoup de mal à la société chrétienne, parce qu'ils
parlent de ce qu'ils ne connaissent pas et qu'ils veulent réeriret
gouverner les choses sur lesquelles ils n'ont aucune idée juste.
Voici donc que nous avons déjà reconnu deux effets de la fas-
cination que causent sur l'esprit ces rapides progrès des sciences
et de toutes les industries. Certains hommes sont exposés à une
distraction, à une fatigue intellectuelle de tous les jours, et
d'autres deviennent presque incapables de se rappeler, et même
de comprendre les choses qui intéressent le salut.
Un troisième genre de fascination est plus redoutable encore
que ceux-là : il produit dans lâ'me une sorte d'ivresse. Les
hommes qui en sont les victimes, en voyant ce que leur travail
produit sur la matière, en viennent peu à peu à penser qu'il n'y
a rien dans le monde de plus grand et de plus fort que l'homme,
et que Dieu n'existe pas.
Ils ne sont pas, certes, les premiers à tenir ce langage insensé
et criminel. Car, il y a trois mille ans, David commençait un
Psaume par ces mots : « L'insensé a dit dans son cœur : il n'y
a point de Dieu (1). » Le Livre de la Sagesse nous apprend
anssi comment parlaient des hommes qu'il appelle impies et
insensés.
Ils disaient : « Nous sommes sortis du rien, et après notre
mort, nous serons comme si noua n'avions jamais été. La vie est
une étincelle. Quand elle a disparu, le corps n'est plus que cen-
dre et notre souffle se perd dans l'air qui nous entoure (2). »
L'Apôtre saint Paul nous parle à son tonr d'hommes, de phi-
losophes, de savants qui étaient, nous dit-il, « sans Dieu en ce
monde (3); » et il ajoute qu'ils sont « inexcusables parce qu'ils
n'ont pas su reconnaître Dieu dans ses œuvres (4). » Ces textes
de la Sainte Ecriture nous montrent assez qu'il y a toujours eu
sons le soleil des hommes assez malheureux pour ne point croire
en Dieu. Mais il était bon de remarquer qu'il ya de notre temps,
dans le développement du progrés matériel, un nouveau danger
pour les âmes qui sont le plus disposées à l'enivrement de l'or-
gueil. •••''■' *'
Vous voyez donc bien que c'est avec toute raison que je par-
lais des inconvénients qui se mêlent aux avantages dans ces
innombrables conquêtes faites sur la nature.
(1) Psaume xju, ^. i.
(2) Sagesse, ch. ii, tt- 2 et 3.
(3) Epître aux Ephésiens, ch. ii, f. 12.
(4) Epître aux Romains, ch. i, y. 20.
LA FASCINATION DU PROGRES MATÉRIEL 299
Il nous faut donc apprendre à jouir de ces conquêtes sans
nous exposer à offenser Dieu. Il nous faut apprendre comment
l'on peut profiter de ce que Dieu donne de biens en cette vie
sans courir le risque de perdre son âme. C'est ce qu'il me
reste à vous enseigner.
III
Une seule observation suffît pour faire tomber ces fascinations
des biens temporels et pour remettre de Tordre dans nos pen-
sées. Cette observation, la voici: l'homme est toujours !e même.
En voyant de grands changements s'effectuer dans le monde, on
est tenté de dire : Mais l'homme aussi est changé ! C'est une
erreur, et une erreur du tout au tout, l'homme est toujours le
même. Il est ce qu'il a toujours été en sa vie intime, person-
nelle; il est le même dans la famille; il est le riîême dans la
société.
De longs discours ne sont pas nécessaires pour montrer que
le cœur de l'homme d'aujourd'hui est tout semblable au cœur
de l'homme d'il y a cinq mille ans. Il recherche les jouissances
avec la même passion ardente, intraitable. Il est toujours aussi
égoïste, tout prêt à sacrifier à ses intérêts propres les intérêts
de tous ceux qui l'entourent. Il désire posséder ce que les autres
possèdent, et se débarrasser d'une façon ou d'une autre de ceux
qui l'empêchent de jouir pleinement de la vie. Nous retrouvons
autour de nous, nous retrouvons en nous-mêmes l'homme que
nous montrent et l'histoire du peuple hébreu et l'histoire de tous
les peuples. Les mêmes passions nous assiègent; si on les satis-
fait, elles conduisent aux mêmes vices, et les mêmes vices por-
teni à commettre les mêmes crimes.
Les crimes! vous savez s'ils sont nombreux de nos jours. La
violation de la sainteté du mariage, le vol commis de toutes les
manières imaginables et aussi bien par les plus riches que par
les plus pauvres, le suicide et la mort donnée à autrui, souvent
pour le motif le plus futile. Il y a quarante ans, la colère por-
tait à frapper un adversaire : aujourd'hui elle fait qu'on ie tue.
Les moralistes, c'est-à-dire les hommes instruits qui étudient
les mœurs et les habitudes de leurs contemporains, les mora-
listes ont fait et publient très souvent dans leurs écrits deux
observations bien frappantes. La première, c'est que l'usage de
liqueurs fortes, enivrantes, que l'on fabrique aujourd'hui à des
prix très bas, et que l'on ne connaissait pas autrefois, donne à
300 A.NNALBS CATHOLIQUES
un grand nombre d'hommes une disposition fatale à la violence
et une sorte de férocité. La seconde, c'est que les crimes com-
mis par des jeunes gens, et même par des enfants sont huit fois
plus nombreux qu'ils ne l'étaient il y a quelques années.
Reconnaissons donc que l'homme n'a pas été changé en notre
siècle, qu'il est exactement aussi enclin au mal qu'à toutes les
époques de l'histoire, et qu'il s'acharne à faire son propre mal-
heur, de nos jours comme dans les temps anciens.
Et la famille est-elle changée? Oui, la vie de famille est chan-
gée, mais de quelle manière? Elle n'a presquej)lus de douceurs et
elle est, dans bien des cas, pleine d'amertumes. Beaucoup d'en-
fants, dès l'âge de douze ans, de dix ans, donnent des inquiétu-
des, et, parfois, de grands chagrins à leurs parents. Non seule-
ment les grands-parents n*ont plus d'autorité, mais encore ils
n'ont plus aucune influence. Le bonheur de la famille dont on a
tant parlé, et avec tant de raison, consistait surtout dans l'union
que les chefs de la maison, le père et la mère, maintenaient
entre tous les membres. Il y avait un intérêt commun, l'intérêt
de la famille. Il y avait un honneur commun, Thonneur de la
famille. A l'heure présente, il n'y a plus qu'une idée, qu'une
formule : Chacun pour soi.
Rappelez-vous ce que vous avez vu ; regardez ce qui se passe
dans votre voisinage ; comparez la manière de se comporter de
vos enfants avec celle que vous aviez vous-mêmes lorsque vous
étiez à cet âge : et vous direz avec moi : il n'est que trop vrai,
si un changement s'est opéré et continue à s'opérer dans les fa-
milles, c'est un changement de bien en mal.
Les sociétés sont-elles autres qu'elles n'étaient? Les citoyens
d'une même patrie sont-ils, les uns vis-à-vis des autres, dans
des conditions nouvelles et meilleures que ne l'étaient leurs
anciens? Les peuples vivent-ils entre eux dans des rapports
plus faciles et plus favorables au bien dé tous?
A mesure que vous m'entendiez vous adresser ces questions,
vous vous disiez au-dedans de vous-mêmes : Non, ce n'est
point une nouvelle société que celle oii nous vivons. Non, ni les
citoyens dans leur patrie, ni les peuples dans leurs relations les
uns avec les autres, n'ont un autre esprit, d'autres sentiments
que ce que nous racontent toutes les histoires du passé.
Vous dites cela tout de suite, et vous avez mille fois raison.
Dans chacune des nations que nous connaissons, il y a des
divisions profondes et tenaces. Il y a, chez tous les peuples de
l'Europe en particulier, ce qu'on appelle des partis; les hommes
LA FASCINATION DU PROGRÈS MATÉRIEL 301
qui composent ces partis s'injurient, se chargent de mépris,
.d'accusations, d'outrages à uu tel point qu'il ne semble pas que
l'on puisse témoigner plus de haine et plus de méchanceté. Ce
qui remplit les airs, ce sont des paroles de menaces. Le monde
n'est pas changé.
Des relations de peuple à peuple, on ose à peine en parler.
La guerre! la crainte de la guerre pour cette année, pour ce
printemps, voilà, depuis plusieurs années, le sentiment qui serre
le cœur de tous. Nous sommes comme des condamnés à mort
qui se disent chaque matin : Est-ce pour aujourd'hui? — Et
quelle différence dans la manière de combattre ! Autrefois, on
se voyait; on ne se combattait que lorsqu'on était en présence.
Actuellement^ on est attaqué, on peut être détruit par un
ennemi, avant de l'avoir vu, et même sans que l'on puisse
savoir oii il est. Actuellement, on pourrait, d'Alby ou de
Groisy, foudroyer et anéantir Annecy. Il y a vingt ans encore,
sur mer, deux vaisseaux se canonnaient, puis se rapprochaient,
et les matelots de l'un cherchaient à s'élancer sur le pont de
l'autre ; à présent, un ennemi placé on ne sait où fait sauter en
un moment le bâtiment le plus solide et qui a coûté le plus de
millions.
Autrefois, c'est-à-dire il y a seulement vingt ans, c'étaient
des armées qui se battaient l'une contre l'autre : maintenant,
ce sont des peuples entiers qui se regardent, tout prêts à se
jeter peuple contre peuple, millions d'hommes contre millions
d'hommes.
Oh! non, le monde n'a pas changé, le monde n'est pas meil-
leur. L'homme d'aujourd'hui est l'homme de tous les temps,
égoïste, sujet à toutes sortes de passions. Il a dans les mains, à
son service, plus d'instruments d'action sur le inonde, et il se
sert très souvent de ces instruments nouveaux et plus puissants
pour faire beaucoup de mal. Il abuse de tous les dons que Dieu
lui a faits, de sou intelligence, de sa mémoire, de ses sens, de
sa force. Il abuse de même de tous les progrès obtenus par son
travail.
Et c'est ainsi que l'observation de ce qui s'est passé et se
passe encore dans le monde nous fait reconnaître la très grande
vérité contenue dans cette parole de la Sainte-Ecriture : « Dès
l'enfance de l'hommej ses pensées et les mouvements de son
cœur tendent vers le mal (11. »
(1) Genèse, ch. viii, y. 12.
302 ANNALES CATHOLIQUES
^lême état qu'on tous les autres siècles : nous venons de le
voir. Même impuissance de tous les remèdes qui ont été tour à
tour proposés depuis cent ans et plus. Voilà ce que quelques
moments d'attention nous ont découvert dans ce monde oii nous
vivons et en nous-mêmes.
IV
Après cette triste revue de nos misères et de nos dangers,
qu'il fait donc bon d'entendre la parole de notre Dieu et Sau-
veur Jésus !
En ouvrant le Saint Evangile, j'observe tout d'abord que
Notre-Seigneur a tout prédit, tout annoncé clairement. Il n'y a
rien en ce monde qui puisse nous surprendre et nous intimider.
Ainsi, on pourrait être étonné de voir tant d'homrues, et de
toutes les conditions, qui répètent sur tous les tons que la Re-
ligion chrétienne ne peut plus rien pour le bonheur de l'homme,
et qu'il faut chercher ailleurs. Eh bien! le Seigneur a fait con-
naître, il y a dix-neuf cents ans, ce qui se passe actuellement
sous nos yeux. Voici sa parole : « On viendra vous dire : C'est
par ici qu'il faut venir, ou, c'est par là. Mais n'allez pas où ils
vous disent, mais no vous mettez pas à leur suite (1). » Oh! oui,
restons auprès de notre Maître et Sauveur ! Disons avec saint
Pierre: * Si nous vous quittions, à qui donc pourrions-nous
aller? Car vous avez, — et seul» — les paroles qui donnent la
vie éternelle (2). >
La vie est une route à parcourir. Pour franchir nos étapes
sans encombre, il nous faut de la lumière. Nous en demandons.
Nous questionnons : Oii est mon devoir? Où sera ma consola-
tion? Où est ma force? Quels dangers m'attendent? — Bien des
gens se présentent à l'entrée de cette route ; ils portent des
fallots fumeux, à la lumière rougeàtre, vacillante. Mais Notre-
Seigneur est, lui, le soleil des âmes, selon ce qu'il dit lui-même,
« Je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marche
point dans les ténèbres, mais il aura avec lui la lumière de
vie ^3). >
Sur ce chemin de la vie, il ne suffit pas d'être éclairé, de
savoir où il convient de poser le pied. La vigueur est encore
nécessaire; il faut de la force pour marcher toujours et marcher
(1) Evangile selon saint Luc, ch. xvn, f. 23.
(2) Evangile selon saint Jean, ch. vi, f. 69.
(3) Evangile selon saint Jean, ch. viii, y. 12.
LA FASCINATION DU PROGRES MATÉRIEL 303
(l'un bon pas. La force de l'âme, l'énergie pour se déprendre du
mal et s'attacher au bien, voyez-vous autour de vous quelqu'un
qui vous la puisse donner? Il y a eu, cependant, des naillions de
forts en ce monde, il yen a encore: oii ont-ils pris cette vigueur
de tempérament, cette fermeté de volonté ? Oii ? En Celui qui
dit à tous : «Venez à moi, vous tous qui traînez un fardeau bien
lourd, vous tous qui avez tant d'efforts à faire, et je vous ren-
drai de la vigueur (1). » Dans une autre circonstance, il disait :
« Sans moi, vous ne pouvez rien faire (2); » et un autre jour :
« Celui qui croit en moi fera ce que je fais, et de plus grandes
choses encore (3). » Saint Paul avait éprouvé combien cette
proiresse était vraie, lorsqu'il s'écriait : « Je puis tout en celui
qui me fortifie (4), > je puis tout avec la force que me prête le
Seigneur Jésus.
Pour achever heureusement ce voyage de la vie. il est néces-
saire de rester soi-même; ce qui veut dire qu'il faut savoir gar-
der jusqu'au terme final de sa volonté de prendre tous les
moyens pour sauver son âme. Rester fidèle à ses premières con-
victions, observer fidèlement ses résolutions, cela s'appelle
avoir du caractère. C'est une belle chose apparemment, puisque
tous les jours on dit et l'on écrit : le malheur de notre temps,
c'est qu'il n'y a plus de caractère. C'est une belle chose, puis-
que les siècles professent une si grande admiration pour ces
Martyrs, de tous les pays, de tout âge, depuis les Apôtres jus-
qu'à cette jeune fille indienne, qui, il y a quelques mois, se fai-
sait enterrer vivante plutôt que de dire un mot contre notre
sainte Foi. Ils ont eu du caractère, ils sont restés eux-mêmes
ces témoins de la Foi de Jésus-Christ. « Qui nous séparera de
la charité de Jésus-Christ ? Sera-ce la tribulation ? la misère '?
la faim? le dépouillement de tout? le danger? la persécution?
le glaive? Mais en toutes ces soufi"rances, nous sommes pli^.^
forts et nous l'emportons en Celui qui nous a aimés (5). »
Saint Paul poussait ce cri de défi et de triomphe et il sera
répété jusqu'au dernier jour du monde par l'immense armée des
chrétiens fidèles, des vainqueurs par leur Foi.
Mgr Isoard.
(1) Evangile selon saint Matthieu, ch. xi, y. 2S.
(2) Evangile selon saint Jean, ch. xv, y. 5.
(3) Evangile selon saint Jean, ch. xiv, y. 12.
(4) Epître aux Philippiens, ch. iv, f. 13.
(5) Epître aux Romains, ch. viii, yy. 35 et 37.
304 ANNALK8 CATHOLIQUES
LES SŒURS ET LA REVOLUTION
Lo Soleil a reçu de M. Wallon, de l'Institut, ancien ministre, la
lettre suivante, au sujet do l'attitude des révolutionnaires de 1793,
à l'égard des Sœurs hospitalières :
Paris, 21 avril 1890.
Monsieur le Rédacteur en chef,
A l'appui des revendications si légitimes qui se font en ce
moment pour le bien des malades admis dans les hôpitaux, il
n'est peut-être pas sans intérêt de produire un témoignage iné-
dit, d'une origine bien peu suspecte. C'est un rapport d'un agent
du ministre de l'intérieur, en mission à Nancy, à la date du
29juin 1793 (après la Révolution du 31 mai).
Il mentionne d'abord les Frères de Saint-Jean de Dieu, dont
il dit:
« On peut considérer cette maison comme une réunion de mé-
decins et de chirurgiens qui exercent gratuitement leur art dans
tout le département, portant aux malheureux les secours dont
ils ont besoin dans leurs maladies. C'est assez vous dire, citoyen
ministre, combien un pareil établissement est précieux pour
l'humanité et combien il importe qu'il puisse être maintenu. »
Puis il signale l'hôpital Saint-Charles et trois autres tenus
par les Sœurs, et il ajoute :
< Il me seroit difficile, citoyen ministre, de vous faire con-
noître combien sont respectables le zèle et l'activité de ces
femmes et avec quel ordre vraiment admirable ces maisons sont
entretenues, et les malades, les enfants ou les vieillards confiés
à leur surveillance sont soignés. C'est là qu'on apprend tout ce
que peut le véritable amour de l'humanité et quels miracles
produit une économie qu'il dirige. La plupart de ces maisons
ont perdu la moitié ou les trois quarts de leurs revenus, et je
n'ai pas vu qu'un seul de leurs malades put s'en apercevoir. Je
ne balance pas à le dire : il n'y a que des femmes élevées dans
cet état et décidées à y consacrer leur vie entière qui puissent
se livrer aussi efficacement à tant de soins minutieux et impor-
tants. »
C'est l'agent d'un ministre de l'intérieur do 1793 qui parle
ainsi.
Cette pièce, dont je ne vous donne qu'un fragment en épreuve,
se trouvera dans le cinquième volume de mes Représentants en
LA LAICISYTION ET M. RENAN 305
mission; mais en attendant on peut en voir l'original aux Ar-
chives nationales, carton Fi"* 551, dossier Thierry.
Veuillez agréer, monsieur le Rédacteur en chef, l'assurance
de ma considération la plus distinguée.
PI. "Wallon.
Comme on le voit, la Révolution n'a pas seulement respecté à Paris
les Sœurs hospitalières. Partout où elle les a rencontrées, elle a
rendu pleinement hommage à leur dévouement et à leur zèle.
On ne peut, cependant, accuser de « cléricalisme » les hommes qui
détenaient, â cette époque, le pouvoir. Leur attitude à l'égard des
Sœurs hospitalières est un enseignement et un exemple que leurs
infiniment petits successeurs d'aujourd'hui sont incapables, non seu-
lement d'imiter, mais même de comprendre.
LA laïcisation ET M. RENAN
Un rèdâctenv du Matin a eu la singulière idée d'aller prendre
une consultation auprès de M. Renan sur la laïcisation des
hôpitaux; il en a rapporté un produit qui est du Renan sénile,
quelque chose, par conséquent, qui n'est ni juste ni beau.
INIais ce quelque chose nous a rendu indirectement un service :
il nous a amené à relire le recueil des lettres écrites et des dis-
cours prononcés depuis dix ans par le docteur Armand Desprès,
chirurgien à l'hôpital de la Charité, en faveur du maintien des
Soeurs dans les services hospitaliers. Quelle bonne lecture,
comme toute page où rayonne la vérité, oii parlent la franchise
et la raison ! L'intérêt des malades et des pauvres inspire seul
le libre-penseur Armand Desprès, qui combat à outrance la
laïcisation des hôpitaux, mais qui est partisan de la laïcisation
des écoles. Son livre est un arsenal, et les armes y abondent
pour percer d'outre en outre M. Renan, qui offre de la surface.
M. Renan a commencé par déclarer à son interlocuteur qu'il
manquait « des documents nécessaires pour émettre, en une
aussi délicate matière, un jugement sérieusement fondé ». « Il
n'a jamais été lui-même à l'hôpital », ce que nous croyons, et
« il ne connaît personne, dans son entourage, qui y ait séjourné
et qui lui ait fait part de ses impressions ». Tiens ! ce gros rat
serait-il enseveli à ce point dans son fromage du Collège de
France qu'il n'ait recueilli aucun écho des controverses soûle-
306 ANNA.:.ES CATHOLIQUES
vées par l'expulsion des Sœurs d'auprès des malades? Pardon!
Il connaît l'avis de médecins « qui, dans l'exercice de leur pro-
fession, ont été à même d'apprécier les soins des Sœurs de
charité et ceux des gardes-malades laïques ». Mais voyez le
malheur : il ignore le docteur Desprès; il n'a jamais rencontré
aucun des cent dix médecins et chirurgiens des hôpitaux de
Paris qui, sur cent cinquante, adressèrent, le 17 novembre
18S5, à M. Allain-Targé, ministre de l'intérieur, une protesta-
tion contre le renvoi des Sœurs des hôpitaux. En revanche,
il a beaucoup fréquenté les quarante praticiens de la minorité,
car « nombre de médecins lui ont déclaré que les Sœurs
laissaient beaucoup à désirer, non seulement au point de vue
de la tolérance religieuse, mais encore au point de vue du ser-
vice en général ».
Parlons d'abord de la question de < tolérance religieuse »,ou
plutôt laissons parler le docteur Després.
Dans une lettre, en date du 7 avril 1884, adressée à M. le
président du conseil munici[!al, il écrivait :
Tout a été dit sur le prosélytisme. C'est le côté faible du religieux
do toute nature. Mais j'ai jadis moatré qu'on le réprimait facilemont,
et mes convictions de libre-penseui- et do lépubliraia ne m'ont pas
aveuglé au point de mécoiinaîtro que, si le prosélytisme au chevet du
malade n'était pas à surveiller, la religieuse hospitalière serait seule
dans le monde l'idéal de la perfection. Ces vérités, reconnues dans le
monde entier, n'ont été jusqu'ici méprisées que par le conseil muni-
cipal et le directeur de l'Assistance puldique.
Deux ans aprés,le 30 janvier 1880, dans une réunion publique
tenue salle Favié, à Belleville, le docteur Desprès disait :
Déblayons tout d'abord le terrain. Oui, les religieuses parlent de
religion aux malades; c'est le propre dos religieux de toute nature
de tenter de convertir les autres à leurs pratiques. Il y a des malades
qui l'acceptent; pour ceux-là, il n'y a rien à dire. Mais, pour ceux
qui refusent, il est juste qu'ils ne soient point obsédés, on doit les
garantir contre le prosélytisme. Nous n'y avons jamais manqué, nous
les médecins, et c'est parce que nous sommes en mesure de réprimer
les excès de zèle que nous ne nous en préoccupons pas davantage. 11
y a, d'autre part, tant d'intérêt à conserver les Sœurs, que nous ne
nous arrêtons pas aux inconvénients, auxquels nous pouvons parer.
Au surplus, ces excès de zèle sont rares. .Te n'ai eu, dans une carrière
déjà longue, trente années passées dans les hôpitaux, que quatre fois
l'occasion d'intervenir.
Encore n'était-ce point la religieuse soûle qui était en cause ; c'était
LA LAÏCISATION ET il. RENAN 307
l'aumÔQier, qui reproche souvent aux Sœurs de n'avoir pas assez de
zèle. Du reste, depuis que les aumôniers ne sont plus logés dans les
hôpitaux, DÛ ils n'avaient presque rien à faire, les faits de prosé-
lytisme sont prodigieusement rare;?.
Ces attaques, que ce n'est pas le lieu de discuter, contre les
aumôniers d'hôpitaux donnent plus de valeur encore au témoi-
gnage rendu aux Sœurs hospitalières. D'autre part, ce que l'on
vient de lire est une réponse topique à une niaiserie de M. Renan
qu'il a ainsi formulée : « Pourquoi les lihres-penseurs, les
Israélites ou les protestants, seraient-ils soignés exclusivement
par des Sœurs qui ont, avant tout, un caractère religieux? Ce
serait une atteinte à la liberté de conscience. »
Venons maintenant à la question du service des Sœurs dans
ies hôpitaux et à la manière dont ces religieuses s'en acquittent.
M. Renan « s'est laissé dire que les Sœurs avaient une ten-
dance marquée à se considérer comme des supérieures ayant au-
torité sur les autres gardes-malades ». Il ne s'est pas laissé dire
là une énormité. Le 24 novembre 1SS5, M. Desprès, parlant au
conseil municipal, s'exprimait en ces termes :
Voici, messieurs, ce que font les religieuses : elles se lèvent à
quatre heures ; à cinq heures, elles sont auprès des malades et sur-
veillent le service, les infirmiers qui font les lits, lavent les salles, etc.
Elles surveillent les infirmières, et quand le chef de service arrive
pour faire sa visite, elles prennent note des prescriptions et distri-
buent ensuite elles-mêmes les médicaments.
Ici, messieurs, j'ouvre une parenthèse pour répondre aune alléga-
tion de M. Pichon.
On a parlé de certains accidents survenus dans les hôpitaux où le
service était fait par des congréganistes. Je déclare que, de mémoire
d'homme, on n'en a pas le souvenir. Je dis, moi, qu'il n'y a que dans
les hôpitaux oii il n'y a pas de religieuses que ces accidents-là
arrivent.
Indépendamment de l'office de servantes directes des malades
qu'elles exercent dans des cas déterminés, les Sœurs des hôpi-
taux remplissent donc la charge de directrices et de surveillantes.
Il faudrait résumer tout le volume que nous avons sous les
yeux pour bien montrer la supériorité des Sœurs hospitalières
sur les gardes-malades laïques.
A quelque religion qu'on appartienne, disait le docteur Desprès à
son auditoire de Belleville, il est impossible de le nier, sous la cor-
nette il y a une femme, une femme qui a sacrifié tout ce qui fait la
308 ANNALKB CATHOLIQUES
joie des autres femmes et se dévoue à la besogne rebutante d'être
sans cesse près des malades, des morts et des mourants, et cela pour
un salaire dérisoire dont aucune autre femme ne veut en échauffe de
pareils services. Il y a une femme qui accepte de vivre do la vie du
prisonnier, qui est soumise à une discipline de fer, plus dure cent
fois que le travail manuel le plus rude, et c'est là ce qui nous fait
attacher un si grand prix à ses services.
Par la foi qui l'anime, la religieuse hospitalière alimente et
soutient le dévouement qui est une nécessité perpétuelle de ses
fonctions.
Par le célibat dont elle a fait vœu, elle est affranchie de toute
affection et de toute préoccupation extérieures capables de la
détourner de son ministère de charité. S'il faut affronter une
maladie contafrieuse, elle n'a pas à préserver sa vie pour un mari
et pour des enfants.
Par la discipline qu'elle a acceptée, elle se tient étrangère
aux distractions mondaines ; elle n'a pas besoin de s'absenter de
l'hôpital ; elle est toujours et tout entière à ses chers malades.
Sans intérêts pécuniaires, elle ne mesure pas ses services
à l'argent; elle ne privera point les malades des rations alimen-
taires qui leur sont dues; elle ne dépouillera point le mourant
de ses vêtements ou de sa bourse.
C'est pourquoi une courte expérience a suffi pour trancher la
question que pose encore M. Renan ; quel est celui des deux
services, des religieuses ou des laïques, qui donne les meilleurs
résultats?
Mais voici un comble. < On me dit et je lis souvent que l'ins-
tallation des gardes-malades laïques et leur entretien occasion-
nent un surcroît sensible de dépenses. Pour moi, ceci n'est
nullement prouvé. » Vraiment? Eh bien, nous n'en faisons com-
pliment ni à votre intelligence ni à votre science. Le bon sens
dit que les appointements dont se contentera une religieuse no
peuvent suffire à une femme mariée, et que les frais de loge-
ment seront plus considérables pour la seconde que pour la pre-
mière. Les chiffres parlent de même. Le docteur Desprès écri-
vait au président du conseil municipal, le 7 avril 1884 :
Une enquête a été faite pour savoir le coût d'un hôpital laïcisé
comparé au coût du môme hôpital avant la laïcisation. Le travail a
montré que la dépense avait doublé depuis le renvoi des Sœurs.
Dans la séance du Conseil municipal du 16 novembre 1885, à
propos de la laïcisation de l'hôpital Cochin, le même docteur
Desprès disait *
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 309
Vous allez remplacer les quatorze sœurs, qui ne vous coûtent que
deux cents francs par an, par des infirmières laïques auxquelles vous
devrez donner : d'abord un logement, que l'administration évalue
à 400 francs, mais qui dépassera cette somme ; puis un traitement
de 600à650 francs et un costume de 60 francs, soit environ 700 francs.
Toutes choses égales d'ailleurs, les laïques coûtent 66 p. 100 de plus
que les Sœurs.
Pour décider entre le service des religieuses et celui des laï-
ques, M. Renan trouverait curieux de recourir à un plébiscite
de tous les médecins et internes des hôpitaux de France. Mais
des plébiscites sur la question ont déjà eu lieu.
Les médecins et les chirurgiens des hôpitaux de Paris, qui ne
sont pas assurément les moins éclairés, les moins expérimentés,
ni les plus cléricaux, se sont prononcés, comme on l'a vu, aune
majorité de plus des deux tiers en faveur des Sœurs.
Les vieillards de l'hospice d'Ivry, en janvier 1885, et les
malades de l'hôpital Cochin, en décembre de la même année,
ont adressé au conseil municipal des pétitions pour que les
Sœurs ne leur fussent pas enlevées.
Le docteur Després a pu plaider la cause des Sœurs devant
la population de Bsileville et se faire applaudir, et, malgré ses
invitations et ses défis répétés, aucun des laïcïsateurs, ses
adversaires, n'a osé venir le combattre dans une réunion
publique. {Monde.)
CAUSERIE SCIENTIFIQUE
Le bilan de l'électricité eu 1889, pronostics pour 1890 : expériences
de M. Hertz sur les ondes électriques; identification de l'électricité
et de la lumière ; fabrication des alliages d'aluminium par le
procédé électrique de Cowles.
Une revue de Milan, V Elettricita, a eu l'heureuse, quoique
singulière idée, d'interviewer ses lecteurs, en leur demandant
de vouloir bien communiquer leur opinion sur les deux ques-
tions suivantes :
1° Quelle a été l'invention, la découverte ou l'étude scienti-
fique la plus importante de l'année écoulée 1889, dans le
domaine de l'électricité?
2° Quelle sera l'application électrique, déjà connue, qui, sui-
vant toute probabilité, progressera et se développera le plus
dans le courant de l'année 1890?
310 ANNAXES CATHOLIQUES
Il s'agit, pour concourir, d'être historien et prophète : les
réponses seront publiées par VEleUricita dans le courant du
mois de juin, et la rédaction de la Revue se réserve de discuter
les opinions de ses correspondants. Nous applaudissons à l'ini-
tiative intelligente de nos confrères italiens qui ne peut manquer
d'intéresser les amateurs d'électricité : en attendant la publica-
tion de cette curieuse enquête, nous essaierons d'en indiquer
les résultats probables en dressant le bilan de l'électricité, à la
suite de l'Exposition unirersellp de 1889. Nous ferons suivre
cette page d'histoire d'un exposé critique des pronostics à
formuler pour l'année 1890, en déclarant toutefois qu'il est plus
facile d'être historien nue prophète,
La découverte la plus importante nous paraît être celle de
M. Hertz : ce savant distingué a observé une série de phéno-
mènes nouveaux qui sont pleins de promesses pour l'étude
intime de l'électricité ; nous allons les exposer dans leur
emsemble. avec tous les détails nécessaires pour être compris des
profanes. Les travaux de M. Hertz ont paru dans les Annales
de Wiedeynann et dans le Bulletin de V Académie de Berlin^ à
partir du mois de mars 1888; mais ils n'ont été complétés
qu'en 1889, de sorte qu'ils peuvent être assignés en totalité à
cette année.
Décrivons d'abord les curieuses expériences par lesquelles
M. Hertz a débuté. Prenons une forte bobine de Ruhmkorff
de 50 centimètres de longueur environ sur 25 de diamètre et
relions ses pôles à deux conducteurs parfaitement identiques,
formés d'une tige rectiligne de 60 centimètres de longueur,
terminée à un bout par une grosse sphère de cuivre de 30 cen-
timètres de diamètre et à l'autre bout par une petite boule de
3 à 4 centimètres : ces deux tiges seront disposées dans le pro-
longement l'une de l'autre, les petites boules en regard, sépa-
rées par un intervalle de 7 millimètres environ, les grosses
sphères en dehors.
La bobine étant excitée par un courant inducteur, on fera
jaillir une étincelle entre les petites boules : un trait de feu
remplira le pont d'air qui sépare les deux conducteurs. Mais,
qu'on y regarde bien et l'on verra mieux peut-être par les
yeux de l'intelligence que [)ar l'organe de la vue que l'étincelle
n'est pas continue, et qu'il se produit entre les deux conduc-
teurs une série de décharges oscillatoires, dont la période est
infiniment courte, attendu que leur durée ne dépasse pas un
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 311
cent-millionième de seconde : les grosses étincelles peuvent
bien être distinguées les unes des autres, mais non les petites
oscillations qui les suivent; leur existence est néanmoins indé-
niable. On peut les comparer à celles d'un diapason qu'on
attaque par une série de coups d'archet, dont chacun d'eux
entretient l'état vibratoire de la fourche métallique.
L'expérience étant ainsi disposée et la bobine mise en marche,
plaçons-nous à quelques mètres de distance en tenant en main
un fil de cuivre courbé en arc de cercle, mais légèrement
entr'ouvert : la solution de continuité ne doit être que d'une
fraction de millimètre. Or, nous verrons un llux continu d'étin-
celles traverser cet intervalle, bien plus, on peut en tout
point de l'espace, tirer des étincelles entre deux objets métal-
liques quelconques, deux clefs, par exemple, ou deux pièces
de monnaie. L'expérience tient du prodige et elle impressionne
vivement ceux qui en sont témoins pour la première fois: il est
bien entendu, en effet, que ce phénomène se produit sans com-
munication d'aucune sorte avec la bobine et qu'on l'observe en
n'importe quel point de l'espace.
Toutefois, voici une variante de l'expérience plus stupéfiante
encore : garnissons un des murs de la salle d'une large feuille
de zinc, ou bien encore disposons sur une table un miroir para-
bolique en métal. Dès lors, si nous promenons notre incitateur
devant ce mur ou dans l'axe du miroir.^ nous constatons qu'en
certain point de l'espace, géométriquement distribués et égale-
ment distants, l'appareil ne donne plus aucune manifestation
électrique, alors qu'en d'autres points nous observons une acti-
vité maximum.
Tels sont les phénomènes découverts par M. Hertz ; ils ont
grandement excité l'attention du monde savant, parce qu'ils ont
démontré que les actions électriques se propagent par l'inter-
médiaire du milieu ; elles ont ouvert une ère nouvelle pour les
théories de l'électricité, en démontrant des analogies inespérées
et inconnues entre la propagation de l'électricité, du son et de la
lumière. En optique et en acoustique, on étudie en effet depuis
longtemps des actions identiques. Je vais le démontrer pour
l'acoustique, parce que les expériences sont plus faciles à répé-
ter et à décrire.
Disposez un diapason au milieu d'une pièce et faites-le vibrer
fortement à l'aide d'un archet : prenez en main un autre diapason
et promenez-vous autour de l'instrument sonore. Si le second dia-
312 ANNALES CATHOLIQUES
pasonestà l'unisson du premier, vous pourrez, enleplaoant'contre
votre oreille, ou bien en prenant sa tige entreles dents, vous as-
surer qu'il se meta chanter : c'est un phénomène de résonnance,
qu'on explique en disant que le diapason résonne par influence,
en vibrant sous l'impulsion de l'onde sonore transmise par l'air.
On obtient un même résultat avec une corde, une membrane
tendue et en général tous les corps de faible masse, susceptibles
d'entrer facilement en vibration et de suivre les mouvements
l'air : on appelle ces instruments des résonnateurs. Savart avait
inventé un petit résonnateur particulier, nommé le pendule
acoustique, qui est doué d'une extrême sensiblité, et qui permet
d'observer très bien les ondes sonores. Or, tous ces appareils
d'analyse acoustique permettent de constater la réflexion du
son contre un mur vertical, voire même sa réfraction au passage
de certains milieux, par l'observation des noeuds et des ventres
fixes produits dans l'espace par l'interférence de l'onde réfléchie
avec l'onde incidente ; en certains points le résonnateur reste
muet, tandis qu'il parle plus fort en d'autres points. C'est pré-
cisément ce que fait le résonnateur électrique de M. Hertz,
alors qu'il donne une étincelle ou qu'il n'en donne pas quand on
explore le champ électrique créé par la bobine de Rubmlcorfl" et
par son excitateur : comme Savart, Hertz découvre que les en-
droits inactifs se succèdent dans un ordre régulier et, comme
lui, il en tire les plus admirables et les plus larges conséquences.
Il mesure la longueur de l'onde électrique, il découvre que c'est
une onde transversale, il en déduit la vitesse de propagation de
l'électricité (la vitesse de l'électricité est voisine de celle de la
lumière), en un mot, il établit entre les phénomènes ondula-
toires de l'acoustique et de l'optique et ceux de l'électricité
un lien, que dis-je, une véritable identification dont la portée
est immense dans le domaine théorique de la science. C'est le
triomphe de Faraday et de Maxwel, qui ont déclaré les pre-
miers que le milieu électro-magnélique a des propriétés iden-
tiques à celui qui propage la lumière: M. Hertz a la gloire d'a-
voir donné une démonstration expérimentale de ces grandes et
belles conceptions du génie.
Faut-il s'étonner dés lors de l'étonnant succès de M. Hertz.
Le voilà d'emblée placé au niveau des plus grands physiciens;
les Universités de Bonn et de Berlin se le disputent et l'Acadé-
mie des sciences de Paris lui décerne avec enthousiasme le prix
Lacaze. Tous les savants s'efi'orcent de répéter ses expériences;
CAUSERIE SCIENTIFIQUE 313
il est vrai que MM. Sarrazin et de la Rive, de Genève, décou-
vrent un point faible dans la théorie déduite par le savant alle-
mand do ses découvertes; mais il n'en est pas moins vrai que
l'Académie a couronné « le meilleur travail sur la physique »
et qu'on ne peut formuler de réserves que sur la valeur démons-
trative de certains résultats.
Nous estimons donc que la Revue milanaise doit reporter
sur M. Hertz l'honneur de la plus importante découverte de
l'année.
Passons à la seconde question : quelle application électrique
se développera le plus?
Bien qu'il soit toujours imprudent de vouloir montrer son
chemin au progrès, nous hasarderons néanmoins une réponse.
La découverte qui devra, sans doute^ occuper le plus vive-
ment l'attention des électriciens dans le cours dé la présente
année est l'électro-métallurgie et l'aluminium.
La fabrication industrielle de ce métal présentait jusqu'ici de
grandes difficultés; depuis sa découverte faite par Wœhler, en
1827, on avait étudié la question sans relâche. Sainte-Claire
iJeville l'avait fait progresser d'une manière remarquable, mais
le métal était resté fort cher encore, parce que sa fabrication
reposait sur l'emploi du sodium, qui est lui-même à des prix
très élevés. L'aluminium coûtait de 80 à 90 fr. le kilogramme
et c'était un métal rare, car on n'en produisait pas 2,000 kilo-
grammes par an. Or, un Américain de Cleveland, M. Cowles, a
inventé, il y a deux ans, un procédé de réduction directe des
minerais d'aluminium, qui est appelé à un grand avenir.
Les minerais employés sont le corindon ou la bauxite, subs-
tances très répandues dans la nature; on les concasse finement
et on les mélange de charbon et de grenailles de cuivre. Le tout
est introduit dans un four en briques réfractaires, que l'on gar-
nit intérieurement d'une brasque de charbon de bois imbibé
d'un lait do chaux. Deux électrodes de charbon pénètrent dans
le four et y amènent un courant de 3,000 ampères et de 50 volts,
la masse s'échaufte, il s'en dégage de la vapeur d'eau d'abord,
puis de l'oxyde de carbone, et la température s'élève à plus
de 3,000 degrés. L'aluminium se réduit et il s'allie avec le
cuivre en fusion, pour former un bronze d'aluminium.
Ces deux alliages sont une conquête brillante de l'électro-
métailurgie; le premier a une ténacité extraordinaire, supérieure
à celle des meilleurs aciers, le second a la curieuse et étonnante
23
314 A.NNAX.E8 CATHOLIQUES
propriété d'abaisser énormément le point de fo«ion du fer auquel
on le mêle et d'augmenter sa fluidité. Il suffit d'introduire un
fragment de ferro-aluminium gros comme une noisette dans
une poche d'acier Bessemer ou de fonte pour obtenir ce résultat.
Le rôle industriel de ces deux alliages deviendra extrêmement
considérable, dès que leur production sera suffisante : pour le
moment, on les fabrique à Lockport, en Amérique, et à Milton,
en Angleterre. Une djnamo de 400 chevaux donne un kilo-
gramme d'alliage par dix minutes de courant, mais le procédé
se perfectionne tous les jours.
Le brevet Cowles n'est pas le seul exploité aujourd'hui;
M. Kleiner, de Zurich, a aussi pris une patente pour la produc-
tion de l'aluminium pur par le traitement électrique de la
cryolithe fluorure double d'aluminium et de sodium qui se
trouve en abondance au Groenland et qui ne vaut guère que
400 fr. la tonne. 11 s'est créé une autre Société : The alliance
aluminium et C°, qui s'engage à fournir 1,000 kilogrammes
d'aluminium par jour, au prix de 25 francs le kilog. ; enfin le
professeur Neito nous fait espérer le sodium au prix de 3 francs
le kilogramme, au lieu de 20 francs.
Bref l'électro-métallurgie est en voie de progrès et elle nous
ménage de grandes surprises : nous ne croyons pas nous avancer
trop eu prédisant que l'électricité trouvera dans cette branche
nouvelle de l'induslrie une de ses plus belles et plus prochaines
applications. Aimé Witz.
PETITE CHRO^sIQUE
Le général de division Gresley, ancien miaislre de la guerre,
sénateur, est mort le 1"=' mai, â lâge de soixante-douze ans, en son
domicile, rue Soufflot, succombant aux suites d'une paralysie géné-
rale.
Le général Gresley était grand officier de la Légion d'honneur et
décoré de la médaille militaire.
— Dans sa dernière réunion, le conseil d'administration delà Com-
pagnie d'Orléans a nommé M- Carlier secrétaire général de la Com-
pagnie, en remplacement du regretté M. Courras, décédé.
Ancien élève de l'Ecole polytechnique et ancien inspecteur des
finances, M. CarJier occupait en dernier lieu, à la Compagnie d'Or-
léans, les fonctions de chef de la comptabilité générale et des finances,
auxquelles il va joindre celles de secrétaire général.
NOUVELLES RELIGIEUSES 315
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
La discussion du projet de loi sur les Œuvres pies au Sénat
italien a donné lieu, lundi, à un incident qui pourrait avoir des
conséquences importantes.
Le rapporteur a détendu un amendement proposé par la com-
mission à l'article 87 du projet voté par la Chambre des députés
et relatif à la transformation des Œuvres pies, qui ne répondent
plus aux nécessités du temps présent. Cet amendement atté-
nuait sensiblement le caractère arbitraire d'une disposition que
les catholiques considéraient comme une spoliation. M. Crispi
n'a point voulu accepter les modifications de la commission ; il a
déclaré qu'il avait fait déjà un grand nombre de concessions, et
qu'il ne pouvait consentir à abandonner l'article 87, qu'il con-
sidérait comme capital, et a ajouté que, dans le cas oii le Sénat
entrerait sur ce point en conflit avec la Chambre, il se verrait
obligé de prendre les électeurs pour juges. Malgré cette mise en
demeure, le Sénat a rejeté, par 93 voix contre 76, la proposition
tendant à rétablir le texte primitif de l'article 87. M. Crispi est
alors venu prier le Sénat de suspendre la discussion, de manière
à lui permettre d'en référer au roi.
Le groupe des pèlerins allemands venant de Munich et de
Fribourg en Brisgau, est arrivé à Rome samedi.
Ces pèlerins, au nombre d'environ 200, ont assisté le lende-
main dimanche à une messe solennelle dans l'église de Sainte-
Marie delV Anima.
Demain mercredi^ ils assisteront, à 8 heures du matin, à la
messe pontificale dans la salle du Consistoire.
L'audience générale et solennelle aura lieu jeudi, à midi, dans
la salle Ducale.
S. Em. le cardinal Rampolla a adressé à Mgr Canistrari,
évèque titulaire de Therme, administrateur apostolique du dio-
cèse de Frascati, la lettre suivante :
lUme et Rme Seigneur,
Le Saint-Père qui se plut à donner tant de preuves d'aflfectueuse
bieaveillance envers le regretté cardinal Massaia pendant sa vie, a
316 ANNALES CATHOLIQUES
voulu que le désir exprimé plusieurs fois et de diverses manières par
le défunt cardinal, à savoir d'être enseveli après sa mort dans le
caveau des PP. Capucins de Frascati, fût réalisé.
Il permet en conséquence que la dépouille mortelle de l'Eme Mas-
saia, actuellement déposée dans le caveau de la Propagande, au Campo
Verano, puisse être transportée à Frascati pour y être définitivement
ensevelie dans le caveau des Pères Capucins.
En vous communiquant, etc.
Signé : M. card. Rampolla.
S. Em, le cardinal Rampolla, secrétaire d'État de Sa Sain-
teté, a adressé la lettre suivante à M. le commandeur Paganuzzi,
président général de l'Œuvre des congrès catholiques d'Italie :
Le Saint-Père a été grandement satisfait d'apprendre, par votre
lottre du 11 avril, que le comité permanent de l'Œuvre des congrès
taiholiques tiendra, les 26 et 27 de ce mois, à Bologne, sa première
réunion semestrielle, à laquelle sont invités aussi les représentants
des comités régionaux et diocésains de l'Œuvre.
La nature même des questions que le comité proposera, comme
vous l'annoncez, a contribué particulièrement à accroître l'intérêt de
Sa Sainteté à l'égard de cette réunion.
En effet, le Saint-Père ne saurait être insensible au zèle déployé
par le comité pour que les fidèles se disposent à célébrer son jubilé
épiscopal, s'il plaît à Dieu de lui prolonger la vie jusque-là. Sans
doute, le Saint-Père rapporte au Pasteur éternel de l'Eglise tout
honneur qui est rendu au Vicaire de Jésus-Christ ; mais il reconnaît
aussi combien il est opportun, surtout dans notre temps, de travailler
à resserrer de plus en plus les liens d'amour et de respect qui unis-
sent les bous fidèles au Père commun.
Il n'est pas besoin que je vous dise combien il apprécie le soin que
met votre comité à exhorter les Italiens à s'occuper avec un zèle tou-
jours plus grand, des institutions catholiques d'enseignement. L'en-
seignement étant l'arme principale dont se servent les ennemis de la
religion pour la combattre, il est non seulement opportun, mais né-
cessaire que les catholiques se servent de ce moyen pour la conserver
et la défendre. Le Souverain Pontife a souvent déclaré de vive voix et
par écrit combien cela lui est à cœur.
Il trouve aussi fort à propos que le comité et tous les invités à la
réunion s'efforcent de favoriser autant quo possible les progrès des
Sociétés ouvrières catholiques. C'est là un des remèdes les plus effi-
caces contre la plaie menaçante du socialisme ; et plus l'action de
votre réunion sera efficace dans ce but, plus aussi elle aura rendu
un signalé service tant à la cause de la religion qu'à celle de l'ordre
public.
NOUVELLES RELIGIEUSES 317
En ce qui concerne la diffusion des sections spéciales de votre
Œuvre pour la jeunesse, je puis vous assurer que non seulement le
Saint-Père l'approuve et la loue, mais aussi qu'il estime indispensable
que le comité y consacre ses soins les plus assidus. Vous avez bien
raison de dire que ces sections sont comme les réservoirs de l'Œuvre.
Aussi le Saint-Père espère-t-il que votre réunion s'en occupera avec
la sollicitude qu'il faut déployer lorsqu'il s'agit de la continuation
même de l'existence. Sa Sainteté est en outre très heureuse d'appren-
dre que beaucoup de ces sections se préparent activement à célébrer
le centenaire de saint Louis de Gonzague, car à une époque aussi
corrompue, il est à désirer plus que jamais de voir se multiplier les
imitateurs de cet insigne modèle de la jeunesse.
Enfin, vous pouvez être certain que Sa Sainteté désire vivement
aussi la réunion du congrès général, afin de rendre efficaces les tra-
vaux de la réunion des comités, et pour aviser aux moyens les plus
propres à réaliser de la façon la plus parfaite l'unité d'action des
catholiques italiens, qui est, après la protection divine, l'élément le
plus puissant pour réaliser les fins louables que se propose l'Œuvre
dirigée par vous avec tant de zèle. Et afin que la protection divine
seconde les travaux de la prochaine réunion, le Saint-Père accorde
de grand cœur à vous et â tous ceux qui prendront part à ces travaux
la bénédiction apostolique.
Rome, 22 avril 1890.
M. cardinal Rampolla.
France.
Nous apprenons que le pétitionnement pour le rétablissement
des processions de la Fête-Dieu s'est organisé déjà dans un cer-
tain nombre de villes oii ces grandes et pieuses solennités ont
été interdites. Nous pouvons citer notamment Tours, Niort,
Montpellier, Lyon.
En oe qui concerne cette dernière ville, un détail touchant
nous est communiqué : c'est que l'initiative du généreux mouve-
ment a été prise par quelques ouvriers catholiques. La sympa-
thie de tous les cœurs chrétiens soutiendra et encouragera ces
braves gens, ces dignes travailleurs, qui, sans se laisser trou-
bler par tant d'excitations malsaines, par tant d'impossibles et
décevantes théories, cherchent avant tout la gloire du divin
Rédempteur, dans lequel ils savent que réside notre espérance,
en attendant que nous y trouvions notre voie de çalut.
La Compagnie des chemins de fer de l'Est vient de prendre
318 ANNAJUES CA.THOLIQUES
une décision relative au travail des dimanches et fêtes, dont lui
sauront gré ses nombreux employés et ouvriers.
Les ouvriers de la voie, exceptés ceux chargés de la surveil-
lance, auront congé les dimanches et jours fériés. Ceux qui sont
employés à titre permanent et sont rétribués à l'heure touche-
ront néanmoins le prix de sept heures de travail, comme s'ils
avaient rempli leur tâche habituelle. Pour ceux qui fournissent
ordinairement un travail supérieur à sept heures, on tiendra
compte des heures supplémentaires.
Néanmoins, les ouvriers en congé ne pourront s'éloigner de
leur lieu de résidence sans autorisation spéciale, afin de parer
immédiatement aux besoins extraordinaires du service.
Cette décision honore la Compagnie de l'Est. Elle a, d'ail-
leurs, l'intention de continuer cette amélioration, en assurant
à tout son personnel le repos dominical dans la mesure du pos-
sible.
Paris. — Le mercredi 16 avril a été, cette année, pour l'Ins-
titut des Dames de Sainte-Geneviève et pour l'église de Saint-
Etienne du Mont, un jour de fête intime et de particulière béné-
diction. Une princesse de la Maison de France, Madame la
princesse Blanche d'Orléans, dernière fille de Monseigneur le
duc de Nemours, accédant à la prière des Dames de Sainte-
Geneviève, se faisait agréger à l'Institut et manifestait ainsi sa
tendre dévotion envers la Patronne de Paris.
Saint-Dié. — La Semaine religieuse de Saint-Dié publie la
lettre pastorale de Mgr Sonnois à l'occasion de son arrivée dans
son diocèse.
Après avoir adressé un éloquent adieu à la terre de Bour-
gogae, puis salué « l'héroïque terre des Vosges, la noble Eglise
de Saint-Dié », Mgr Sonnois termine cette belle lettre pastorale
par un souvenir à Mgr de Briey et par un hommage à Jeanne
d'Arc :
Il est un autre hommage que nous nous ferions un reproche de
passer bous silence. La mémoire de Mgr de Bney, notre prédécesseur
suc le siège épiscopal de Saint-Dié, s'impose à la vénération de ses
anciens diocésains et à la nôtre. En lui, la noblesse des sentiments
égala celle de la naissance ; la fermeté du caractère s'unit à l'exquise
bonté du cœur. Une piété attrayante ajouta un nouveau charme à la
belle et grande physionomie d'un prélat digne de tout respect.
Le souvenir de Mgr de Briey restera gravé dans vos âmes. L'his-
NOUVELLES RELIGIEUSES 319
toire elle-même ne l'oubliera point. Il a tracé un sillon dans les
annales diocésaines, il faudrait dire dans celles de la France. Le pre-
mier, il a conçu le projet d'élever un monument national en l'hon-
neur de Jeanne d'Arc; le premier, il a entrepris cette grande œuvre.
S'il ne l'a point achevée, s'il s'est arrêté dans sa route, le vaillant et
patriotique évêque, hélas! vous savez pourquoi, N. T. C. F.! Une
maladie cruelle a brisé ses forces, mais non son cœur; une mort
lentement achetée par la souffrance a seule retardé la réalisation de
vos plus ardents désirs. 11 nous laisse l'héritage de ses pensées géné-
reuses et de ses grands desseins. Puissions-nous marcher sur ses
traces, comme vous l'attendez de nous!
Evêque de Domremy, nous venons travailler â une œuvre qui est
à vous, qui devient la nôtre, et dont nous revendiquons à la fois le
péril et l'honneur. Nous venons avec la vérité historique, avec
l'amour des traditions sacrées, répondre â vos justes et légitimes
espérances.
D'où est sortie Jeanne d'Arc? où a-t-elle vu le jour? Nul en France
ne l'ignore. Elle est née sur votre terre, â Domremy, dans l'un de
vos hameaux. C'est là que, sous un humble toit, au milieu de ceux
qui furent vos pères, elle passa les premières années de son incom-
parable histoire. C'est là qu'elle entendit les voix célestes qui annon-
çaient la délivrance. C'est de là qu'elle partit â vingt ans, pour aller
à Vaucouleurs, à Chinon, à Orléans, pour commencer, en un mot,
la plus merveilleuse épopée qui fût jamais. Vous pouvez, vous devez
réclamer ce qui est votre bien patrimonial, ce qui fait votre gloire,
une gloire unique au monde, parce que nul pays ne vit jamais une
seconde Jeanne d'Arc.
Les premières assises de la basilique du Mont-Chesnu ne nous
attendront pas en vain; et, s'il plaît à Dieu, nous ne serons pas
longtemps sans leur faire une première visite. Nous irons avec les
populations vosgiennes â ce patriotique et religieux pèlerinage. Nous
ferons appel à la France : nous l'inviterons au berceau de Jeanne
d'Arc. S'il nous était donné un jour d'y faire honorer une sainte, si
Dieu nous réservait la joie de voir placer sur nos autels la Libéra-
trice de la France, notre épiscopat serait comblé des bénédictions les
plus enviées de notre cœur. En tout cas, ceux qui aiment la patrie,
ceux qui ont le culte des grands souvenirs entendront certainement
notre voix. Ils viendront dès maintenant visiter ces lieux témoins
d'une mission dont le sacre de Reims fut le tinomphe et que lo
biicher de Rouen couronna de l'auréole du martyre.
Tels sont nos pensées et nos vœux. C'est ainsi que nous voulons
répondre avec vous, avec la France, et peut-être un jour avec
l'Eglise, au mouvement généreux et légitime que la cause de Dom-
remy a récemment soulevé parmi vous. Vos justes émotions nous
ont été éloquemment transmises. Elles ont vivement touché notre
320 ANNA.LKS CATHOLIQUES
cœur. Ce que nous savons déjà, co que nous avons entendu et vu, à
rheure où noua traçons ces lignes, ne pouvait nous laisser froid. Il
n'est pas possible qu'en venant fouler notre terre bénie, nous puis-
sions rester indiflférent. De concert avec vous tous, nous relèverons
courageusement la devise de l'héroïque guerrière : « Vive labeur! »
Nous travaillerons tous ensemble, et nous arriverons, c'est notre
espoir, à réaliser une œuvre digne de notre Jeanne d'Arc, digne do
notre vénération pour elle et de vos glorieux souvenirs. La Franco
entière y verra le signe de notre profond et religieux respect pour
les lieux historiques où sa libératrice reçut d'en haut une mission
miraculeuse. Elle y verra la preuve de notre amour pour la plus puro
de ses gloires, la douce enfant des Vosges qui lui valut un jour une
armée, délivra la patrie et prouva que le Dieu <ie Clotilde n'avait pas
abandonné les Francs.
Versailles. — Ou lit dans la Semaine religieuse de Ver-
sailles :
Le diocèse de Versailles vient de subir une douloureuse épreuve,
qui, par la grâce de Dieu, s'est heureusement terminée. Deux prêtres
<!u même canton, sur la dénonciation de lettres anonymes attaquant
leur moralité, avaient été arrêtés. L'un d'eux, après s'être constitué
prisonnier, a dû être presque aussitôt relâché, tant était manifeste
l'inanité des preuves alléguées. L'autre — on avait plus habilement
combiné les accusations — a comparu devant la cour d'assises de
Seine-et-Oise; un acquittement absolu a été prononcé sans hésitation
par le jury.
On présence de tels faits, on s'étonne et on déplore de voir la
calomnie si facilement acceptée par ceux qui sont les tuteurs naturels
de l'innocence ot du droit. Le jury, jugeant >eloa sa conscience, a
beau rendre un verdict négatif, il reste toujours dans l'esprit dos
populations quelque chose des soupçons qui ont été autorisés par la
justice et les rigueurs qu'elle a pu déployer.
Il est interdit par la loi de rendre compte des débats et de relater
les circonstances même les plus favorables à l'accusé, dont l'inno-
cence d'ailleurs était proclamée par tous les témoins journaliers de
sa vie.
Mais, après avoir attentivement suivi ces débats, tout homme
droit et impartial se disait, et plusieurs ne craignaient pas d'affirmer
tout haut : le pauvre prêtre est une victime; seules les passions
sectaires sont enjeu dans cette affaire.
Presque en même temps, dans les mêmes parages et sur d'aussi
légers indices, un troisième ecclésiastique s'était vu intenter une
poursuite odieuse, et l'honneur du clorgé n'était pas le seul com-
promis dans cette accusation, bientôt airotée d'ailleurs par l'écla-
tante évidence des faits.
LES CHAMBRES 32]
Le caractère de notre feuille et la réserve dont nous nous faisons
une obligation nous empêchent d'en dire davantage.
A quand une bonne loi protectrice de la sécurité des citoyens et
de l'honneur des familles, qui permette de demander des dommages-
intérêts ou une réparation publique à ceux qui, obéissant aux plus
coupables excitations, occasionnent de si profondes douleurs?
Étnaugei*.
Egypte. — Jeudi, 24 avril, le Poitou, portant les membres
du pèlerinage de pénitence aux Lieux-Saints, est entré dans le
port d'Alexandrie après une heureuse traversée. Le lendemain,
vendredi, les pèlerins français sont allés en procession à la
cathédrale, au milieu d'une foule très sympathique. Toutes les
communautés religieuses de la ville les attendaient. Le consul
de France et son personnel ont assisté officiellement à la messe,
pendant laquelle Mgr l'évêque a prononcé une allocution.
Les pèlerins ont visité ensuite les œuvres dirigées par les
Pères Jésuites et Lazaristes et les Frères des Ecoles chrétiennes.
Le lendemain, le pèlerinage s'est rendu en chemin de fer, au
Caire, où le meilleur accueil lui a été fait.
Près de cette ville, les Pyramides n'ont pas été oubliées. Au
sommet de ces antiques monuments, de nombreux pèlerins ont
chanté le Magnificat et le De Profanais. Le dimanche, nos
compatriotes se sont rendus à Matarieh,oii ils ont vu l'arbre de
saint Joseph et la fontaine de la sainte Vierge. Le saint sacri-
fice de la messe a été offert au pied de l'arbre.
Lundi 28, la messe a été célébrée au vieux Caire, dans la
crypte de la chapelle de la Sainte-Famille, enlevée aux Fran-
ciscains par les schismatiques, et interdite jusqu'à présent aux
catholiques. Après leur retour à Alexandrie, les pèlerins se sont
rembarques pour se rendre à Caïtfa, en Palestine, au pied du
Mont-Carmel.
LES CHAMBRES
Séoat.
Mardi 6 mai. — M. le Royer prononce l'éloge funèbre de M. ]ila-
gniez, sénateur de la Somme; de M. Parent, sénateur de la Savoie, et
du général Gresley, sénateur inamovible, décédés pendant les vacan-
ces de Pâques.
Le Sénat règle l'ordre du jour de sa prochaine séance.
Il décide de nommer dans les bureaux une commission c'nargée de
l'examen du projet de loi sur la captation de sources pour l'usage
de la ville de Paris.
322 ANNALES CATHOLIQUES
M. BozÉRiAX demande que la date delà discussion de son interpel-
lation sur les pôcheries de Terre-Neuve soit fixée au 16 mai.
Chambre des Députés.
Mardi 6 moi. — M. le docteur Desprès demande à interpeller le
frouvorn'^ment sur l'attitude qu'il compte prendre vis-à-vis du Conseil
municipal et. en particulier, il demande des explications sur l'aflaire
do l'emprunt.
La discussion immédiate est ordonnée. M. Desprès rappelle que des
obligations irréductibles ont été distribuées aux conseillers munici-
paux qui ont bien voulu profiter de cette faveur. Une enquête a été
faite, pour la forme. Mais il y a eu cortrànonient des abus do pou-
voir, que cette enquête ne signale point.
Le gouvernement a-t-il l'intention de ne plus, à l'avenir, laisser
autant de liberté ati Conseil municipal do Parie qat, par tradition,
semble toujours vouloir se mettre au-dessus des lois?
Le préfet de la Seine jusqu'à pi-ésent, n'a pas eu assez d'autorité
sur le Conseil. Cela changera-t-il à l'avenir?
M. CiiAUTEMPS vient ennuyer la Chambre pendant une demi-heure,
en essayant de défendre le Conseil municipal défunt dont il fit partie.
Il lit de nombreux extraits du rapport de M. Strauss sur l'affaire de
l'einprunt.
Tout cela est peu intéressant, mémo lorsque M. Chautemps
montre les avantages de l'autonomie communale, depuis si long,
temps réclamée vainement par lui et ses amis.
M. CoxsTANS. — M. Desprès dit le mini.stre, vient d'attaquer le
Conseil municipal comme s'il était coupable d'un gros méfait-
Aï. Chautemps l'a défendu comme les avocats défen<lent un gros cri-
minel. La question a été mal posée. Voici dos explications sur
l'affaire de l'emprunt. :.,..,.>,
Un des emprunts précédents de la Ville fut à peine couvert.
Voyant cela, des conseillers municipaux prirent des obligations
irréductibles. Il firent une mauvaise opération.
Cette année, ils prirent les devants. L'opération, a réussi. Pour-
qui>i n'a-t-on pas, l'an dernier, critiqué les' actes similaires des con-
seillers municipaux ? (Rires.)
Pais, le ministre entre dans des explications sur la façon dont a
été organisé le lancement de rémisi,ion.
Le ministre soulève quelques protestations 1"r-'^!"il dégage la r-^s-
pons ibilité du gouvernement.
îilals la fin de son discours, que nou? reproduisons aussi' fidèlement
que possible est intéressante.
« Quant à ce qui e'st de mon attitude vis-â-vis du Conseil, voici :
« Jai appris, le 1«' mai, que le bureau du Conseil munici; "1 ■' v- it
se réunir à l'Hôtel de Ville en pernAànéUce.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 323
« J'ai pensé — car c'est la loi — que le préfet seul a le droit d'être
eu permanence à l'Hôtel de Ville. J'estime que la loi doit être res-
pectée. J'ai donné l'ordre au préfet de la Seine de s'établir dans son
cabinet à l'Hôtel de Ville, de s'y établir et d'y rester. (Très bien.
— Murmures.)
« J'ai pris cette décision, qui a été ratifiée par mes collègues et qui,
je l'espère, sera maintenue.
« Le préfet de la Seine va achever l'installation, à l'Hôtel de Ville,
de son personnel. Et, j'espère que les rapports continueront à être
courtois entre la préfecture et le Conseil (Rires prolongés.)
ce J'ai fait une chose juste et nécessaire. L'autorité du préfet de la
Seine sera exercée comme le demande M. Desprès, dans la limite des
lois.
« Tous les fonctionnaires de l'Hôtel de Ville relèveront du préfet.
« Quant â, la résidence, au logement du préfet, à l'Hôtel de Ville,
c'est une question secondaire.
« Alais j'ai l'intention de vous proposer prochainement un projet de
loi concernant l'organisation municipale de Paris, projet où toutes
les améliorations pouvant satisfaire à la fois M. Chautemps et M. Dès-
près seront proposées. » (Rires.) \ \
Après une réplique de M. Desprès et quelques récr^'mi'riâtions
autonomistes de M. Chautemps, la discussion est close.
Deux ordres du jour approuvant la déclaration du gouvernement
sont déposés. L'ordre du jour pur et simple est réclamé par les radi-
caux de l'extrême gauche.
M. CoxsTAXS repousse l'ordre du jour pur et simple et réclame
l'ordre du jour motivé avec confiance.
Celui-ci est voté par plus de 400 vois contre contre 55.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Les Elections municipales de Paris. — Opinion de la presse. —
La journée du I*"" mai. — Grèves en province. — Etranger.
8 mai 1890.
Le premier tour de scrutin pour les élections municipales de
Paris n'ayant donné que vingt et un résultats, il restait à élire,
dimanche, 59 conseillers.
Voici comment se classent les élus :
Conservateurs i Ave&Oi'.j. 5
Union libérale .1 6
Républicains : opportunistes et radicaux 47
Boulangiste 1
324 ANNALES CATHOLIQUES
Le 1" tour ayant donné 8 conservateurs, 12 républicains et
1 boulangiste, le nouveau conseil est ainsi composé :
Conservateurs 13
Union libérale 6
Républicains : uppoiumisies et riiJicau\ 59
Boulangistes 2
Les quatre ballottages qui avaient lieu dans les cantons su-
Iturbains pour l'élection des conseillers généraux ont donné la
majorité à quatre républicains. Tous les conseillers généraux
de la Seine, non conseillers municipaux de Paris, sont donc
républicains.
Le second tour de scrution a, comme on le voit, la même
signification que le premier : défaite des sectaires, succès des
conservateurs et des modérés.
Paris, les 27 avril et 4 mai 1890, comme la France entière les
22 septembre et 4 octobre 1889, a déclaré qu'il ne voulait plus
de la politique jacobine ; Paris a condamné l'ancien Conseil
municipal, comme la France avait condamné l'ancienne Cham-
bre. Cependant, telle est la force des situations acquises sur
l'esprit de conservation de ce peuple, représenté à tort comme
imbu d'idées révolutionnaires, que, tout en condamnant la poli-
tique suivie par les anciennes assemblées du Palais-Bourbon et
de l'Hôtel-de-Ville, le suffrage universel a nommé en majorité
les mêmes hommes.
L'association opportune-radicale reste maîtresse de Paris
comme elle est restée maîtresse de la France. La question est
de savoir si la majorité jacobine de l'IIôtel-de-Ville, amoindrie
numériquement, et plus encore, moralement, comprendra mieux
la leçon qu'a voulu lui donner le suffrage universel que ne l'a
comprise la majorité jacobine du Palais-Bourbon.
La défaite des membres républicains de l'ancien Conseil est
incontestable. Ils sortaient cinquante-sept ; ils rentrent trente-
trois. Douze seulement ont passé au premier tour avec des écarts
très faibles sur leurs concurrents. Les autres ne sont élus qu'à
des majorités relatives, parfois insignifiantes, qui ne sont en
réalité que des minorités.
Nous verrons le nouveau conseil à l'œuvre ; mais dés aujour-
d'hui nous avons bon espoir. Il contient d'excellents éléments.
Outre la force morale que les conservateurs puiseront dans la
majorité qv9 nous indiquons plus haut, Uul' nombre s'est accru
CHRONIQUK DE LA SEMAINE 325
de trois, représentant les quartiers de l'Odéon, de la Muette et
de Saint-Germain-l'Auxerrois.
Les républicains modérés, élus avec l'appui de l'Union libérale
et avec le nôtre, sauront, nous en avons la confiance, tenir les
engagements pris par eux devant le corps électoral. Ils rom-
pront nettement avec l'ancienne politique jacobine.
La défaite que viennent d'éprouver les boulangistes dans ces
élections, le voyage que leurs chefs viennent de faire à Jersey,
les résolutions qu'ils sont, dit-on, sur le point de prendre, tout
donne un intérêt particulier à l'article que, sous ce titre : « La
Défaite », M. Naquet publie en tête de la Presse :
Nous sommes battus, et bien battus.
Au 22 septembre, nous avions perdu les départements, mais nous
avions à peu près conservé nos positions à Paris. Nous nous disions
que la pression officielle et la fraude étaient pour beaucoup dans nos
échecs de province; que d'ailleurs, si même le courant de la triple
élection y avait été enrayé, grâce à des calomnies et à des équivoques
sans nombre, rien n'était irrévocablement perdu tant qu'on avait pour
soi la population de Paris.
Depuis lors, les invalidations de six députés et leur réélection
triomphale nous avaient fait croire à la persistance dans le départe-
ment de la Seine d'un état d'esprit qui, il faut bien le reconnaître,
n'y existe plus.
Aujourd'hui, en effet, Paris vient d'avoir une grande, une solen-
nelle occasion d'exprimer son sentiment et sa volonté. L'élection mu-
nicipale, placée sur un terrain nettement politique, lui permettait de
se prononcer avec la même netteté qu'au 27 janvier 18S'J entre le
parti républicain national et le gouvernement parlementaire. 11 s'est
prononcé contre nous. Il a fait contre nous la coalition qu'il faisait
en notre faveur il y a quinze mois. 11 a voté pour tous les candidats
qu'on a voulu, à la condition d'écarter ceux en qui le comité national
avait placé sa confiance.
Cette réponse est péremptoire, et nous ne nous abaisserons pas à
ergoter sur sa signification...
Mais nous n'avons poursuivi qu'un but depuis trois ans : la gran-
deur de la patrie et la consolidation de la République par une révi-
sion capable de la mettre en possession de ce que nous considérons
comme son organisme naturel.
Nous avons échoué.
Si le parlementarisme donne tort à nos critiques; si, fortifié par la
victoire qu'il vient de remporter et instruit par les dangers qu'il a
courus, il est susceptible de se réformer lui-même et de donner à la
France ce que tout pays est en droit d'exiger de son gouvernement :
326 ANNALES CATHOLIQUES
l'ordre, le progrès et la liberté, nul n'agplaudira plus énergiquemeut
que nous à ce résultat. .i.in ; jo/nA ï U'^
Aussi bien, même dans cette hypothèse, malheureusement impro-
bable, notre action n'aurait pas été inutile. Un très grand péril était,
en effet, seul capable de déterminer la concentration que poursuivent
les parlementaires, et qui serait l'unique moyen, s'il pouvait en, exis-
ter un, de faire sortir un gouvernement du parlementarisme.
Si, par contre, ainsi que nous en sommes persuadés, le parlemen-
tarisme, débarrassé de la pénr du boulangismo, demeure ce qu'il a
toujours été chez nous, ce qu'il n'a point encore cessé d'être : le ser-
vilisrae ou l'ànarchié ; et si alors le pays, instruit par cette dernière
ex!périence, se décide enfin à faire avec nous on avec d'autres ce que
nous lui avions proposé, il pourra compter toujours, comme par le
passé, sur notre dévouement et sur nos eflorts,
,A, l'heure présente, nous, ne pouvons plus le servir utilement qu'en
consentant à désarmer, au mpii^s pour un temps. ,
Il veut faire ujanpuvel essai Ipyal du régime parlementaire. Qu'il
le fasse ! Cet essai portera un enseigpement d'autant plus probant
que nous no le troublerons pas.
Quoi qu'il advienne, du reste, nous avons déterminé dans le pays
un mouvement d'idées qui ne saurait être entièrement perdu.
Noua avons semé; la moisson peut-être ne lèvera que plus tard et
pour d'autres que pour nous. Qu'importe à des patriotes qui ont fait
leur devoir et qui ont la conacience, même dans la défaite, d'avoir
servi la patrie !
Le lioulîingisrae désarme, pour un temps, dit M. Naquet. On
croit en général ù quelque chose de plus qu'à un désarmement
temporaire.
Le Siècle :
Cette fois, il n'y a plus à épiloguer. La pulvérisation de ce qui s'est
appelé trop longtemps le « boulangisme » est complète.
Il faut espérer que nous en avons fini pour toujours avec ce parti,
désormais innommable, puisqu'il n'a plus ni chef ni soldats, puisqu'il
ne représente pltis rien qu'une douzaine d'individualités médiocres
réunies par des appétits communs, et que l'écrasement d'hier réduit,
même à la Chambre, à l'état de quantité ncfrliçeable.
Le Rappel :
Le premier tour avait été l'aplatissement du boulangisme, le second
tour est l'écrasement.
Le Radical :
Capable d'aider les réactionnaires, le, boulangisme s'est montré im-
puissant à triompher pour lui-même. Les arrondissements qui pas-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 327
saiont pour des forteresses de îa faction, Grenelle, Montmartre, se
sont vaillamment réhabilités.
La Justice est lyrique :
Paris vient d'effacer jusqu'au souvenir du coup de folie du 27 jan-
vier.
Paris reste ce qu'il a toujours été, l'espoir des opprimés, l'effroi
des dictateurs, le soldat toujours debout pour le droit, la juslice, les
réformes, la liberté.
La Lanterne :
Les quatre premiers jours de mai 1890 compteront comme des
jours particulièrement heureux dans l'histoire de la République.
V Estafette :
Quel soulagement pour la conscience publique \.\-^ i.'',o'>
Cette élection a un autre caractère qu'il importe dès maintenant
de mettre en lumière : c'est que la nouvelle majorité, bien que radi-
cale, est loin d'être aussi nombreuse et aussi accentuée que celle de
l'ancien conseil.
La Re'puhlique française :
Le boulangisme est rentré dans le néant d'où l'intransigeance
l'avait fait sortir; M. de Rochefort peut servir à ses amis le fameux
décret : « Il n'y a plus rien. »
Le XIX^ Siècle fait quelques réserves :
Il ne faudrait cependant pas nous laisser aller à trop d'enthou-
siasme et nous hâter outre mesure de cri,er : morte la bête, mort le
venin! La bête, à vrai dire, râlait depuis longtemps.
Les élections d'hier n'ont fait que nous débarrasser d'une cTiose
morte qui encombrait encore le chemin.
Mais qui oserait soutenir que le virus dont le boulangisme est né
et qui nous a été légué par des siècles de césarismé n'empoisonne pas
encore nos veines ?
Passons aux journaux du centre gauche.
Le Journal des Débats :
L'Union libérale n'a pas à regretter d être intervenue dans la lutte.
Six des candidats que ses comités avaient adoptés ont été élus.
L'autoaomie communale n'a pas fait grandeifigure dans cette cam-
pagne électorale. Les radicaux les plus violents n'ont pas été sans
faire quelques concessions â l'esprit qui régnait autour d'eux.
Ce ne sont là que des symptômes assez faibles saris doute. Il ne
faut nullement s'attendre à voir la majorité du nouveau conseil don-
ner des exemples de modération et de sagesse.
328 AlfNALBS CATHOl.igUKS
Il n'en est pas moins vrai que ces dernières élections marquent un
état de l'opinion plus propre à retenir les nouveaux élus qu'à les
encourager à suivre les errements du dernier conseil municipal.
Le Parti national :
Maintenant que le boulangisme est mort et que les ennemis de la
République sont réduits à l'impuissance, qu'on ne vienne plus nous
parler de concentration ni de discipline jacobine. Il n'y a plus qu'une
concentration possible : c'est celle de tous les hommes d'ordre, de
tous les citoyens paisibles, de tous les vrais libéraux, contre les
hommes de désordre, contre les révolutionnaires, contre les anar-
chistes de toute nuance et de toute origine.
C'est à cette concentration-là qu'il faut désormais travailler.
Les journaux de droite font avec beaucoup de raison remar-
quer le succès du parti conservateur :
Le Soleil :
Le second tour de scrutin des élections municipales parisiennes a
la même signification, plus nette et plus péremptoire encore, que le
jiremier : défaite des sectaires et des violents, succès des conserva-
teurs et des modérés.
Le Gaulois :
Le succès do nos candidats dans presque toutes les circonscriptions
où ils se sont présentés — treize sur seize — doit nous faire regret-
ter notre timidité et de n'avoir pas organisé un plus grand nombre
de candidatures.
Quant aux boulangistes, leur échec de dimanche s'est transformé
en déroute totale. Et nous pouvons répéter ce que nous disions il y a
huit jours : c'est une affaire liquidée.
Quelques malins avaient, comme manœuvre suprême, annoncé le
retour du général.
Quelques naïfs y avaient cru.
Le général reste et, si le mot « abdication » n'était pas un peu
grotesque dans la matière, on pourrait dire qu'en s'obstinant dans
l'exil, malgré son comité, il a abdiqué.
Le boulangisme a perdu d'abord ses troupes, puis son chef, et les
membres de son état-major sont virtuellement déliés de leur serment
d'obéissance et rendus à leurs affinités diverses et naturelles.
Le météore est éteint dans l'Océan. C'est d'ailleurs désormais son
seul point de ressemblance avec le soleil.
Le Figaro :
11 serait cruel d'insister sur la défaite irrémédiable, sur l'effon"
dremeat absolu de ce qui fut le boulangisme.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 329
U Autorité, qui désirait l'alliance des conservateurs avec les
restes du boulangisme, dit :
Les résultats du second tour de scrutin pour les élections munici-
pales sont tels que nous les avions prévus.
La multiplicité des candidatures a favorisé les miaistériels.
Quant aux boulangistes qui ont persisté â maintenir leur candida-
ture, ils sont battus partout. Pour eux, c'est un effondrement.
Une élection législative a eu lieu dimanche dans la Dordogne
(2^ circonscription de Périgueux). M. Chavoix, républicain, a
été élu en remplacement de M. Meilhodon, conservateur qui
avait été invalidé.
Comme nous le faisions pressentir il j a huit jours, lajournée
du 1" mai n'a amené à Paris, sauf une échauffourée au faubourg
Saint-Honoré, pas plus qu'en province et à l'étranger, aucun
des accidents qu'on pouvait redouter. Soit que les préparatifs
militaires aient produit leur effet d'intimidation, soit que les
meneurs de la manifestation aient eu assez d'autorité pour
l'empêcher de dégénérer en émeute, le danger a été heureuse-
ment conjuré et M. Constans peut une seconde fois monter au
Capitule comme sauveur de la république. Il n'y a donc eu ni
émeute, ni révolution : mais parlons de Vevoluiion qui se pro-
duit actuellement dans les masses.
La date du 1" mai est loin d'avoir été improvisée, c'est une
résultante, c'est la conséquence logique et forcée du régne,
beaucoup trop répandu dans les deux mondes, des politiciens.
En France, notamment, il aurait fallu que le peuple fut d'une
impassibilité en dehors de la nature humaine pour ne pas consi-
dérer la révolution sociale comme chose qu'on allait atteindre,
comme chose acquise. La révolution cosmopolite a toujours eu
des féaux parmi nos gouvernants. Ils ont pris officiellement le
deuil à la mort de Garibaldi, ils ont eu des relations suivies
avec tous les agitateurs de peuples, ils ont élevé des statues en
grande pompe aux scélérats qui, sous prétextes d'aristos ou de
curés, coupaient jadis des têtes et confisquaient des biens. Enfin,
depuis vingt ans surtout, ils ont tapissé et retapissé les murs de
notre chère France de millions de placards flamboyants oii
s'étalaient des contes de mille et une nuits, les promesses les
plus alléchantes, les protestations de dévoîiment les plus tou-
24
;:Î30 ANNALES CATHOLIQUES
chantes, et les flatteries, et les génuflexions, et les protestations,
et les serments adressés aux ouvriers. M. de Freycinet lui-
même n'a-t-il pas déclaré à la Chambre qu'il était prêt à appuyer
toutes les revendications ouvrières ?
Le peuple devait entrer enfin dans sa terre promise ! Si les
alouettes ne tombaient pas toutes rôties, au moins elles tombe-
raient prêtes à être cuites. Le peuple, et c'est bien naturel, a
cru à toutes ces merveilles, et, comme sœur Anne, ne voyant rien
venir, il s'est lui-même, pendant longtemps, leurré avec de
de vains prétextes. Aujourd'hui que la question ouvrière n'a pas
fait un pas, sous le régime dont il attendait tant de bienfaits,
faut-il s'étonner de l'inquiétude qui travaille les masses et les
embrigade sous un mot d'ordre international?
Aujoud'hui il n'y a rien eu, si l'on peut appeler rien la vie
d'une ville comme Paris,, suspendue pendant douze heures, la
province en émoi. Combien de manifestations « pacifiques » de
ce genre faudrait-il pour paralyser le travail et compromettre
l'avenir du pays? Le peuple dans la rue et l'armée sur le qui-
vive, voilà la phase actuelle de la question sociale.
Les gens à courte vue peuvent chanter victoire parce que
des démonstrations militaires, des arrestations faites à point ont
prévenu des essais de guerre civile. Mais demain! Le danger
n'était pas dans la date du l»"" mai. Il était dans l'indifférence
avec laquelle les opportunistes traitent la classe ouvrière au
lendemain des élections oii elle lui a prodigue leurs votes. Le
danger est danr? la crise industrielle et commerciale qui sévit
un peu partout; dans les excitations parties du congrès socia-
liste tenu l'an dernier à Paris.
Ce danger-là, M. Constans, tout habile qu'il soit, ne suffira
pas à le conjurer.
Un des effets les plus inattendus de la manifestation du
1" mai a été rinstallation du préfet de la Seine à l'Hôtel de
Yille. Gfette priâte de possession était motivée en apparence par
une circonstance exceptionnelle, pour ainsi dire de force
majeure, la vacauce du pouvoir municipal en un jour d'agitation
populaire. Mais il y a tout lieu de croire que la mesure est défi-
nitive. Ainsi se trouve trancliée de fait une des grosses diffi-
cultés pendantes entre l'administration centrale et le conseil
élu de la Ville de Paris.
CHROJKIQUE liE LA SEMAINE 331
Cette solution improvisée coïacidaiit avec le renoavellement
du Conseil, prend une importance tofute particulière et pourrait
bien marquer le début d'une ère nouvelle dans l'histoire de la
municipalité piirisienne.
Si la journée du l*f mai n'a été marquée par aucun désordre
grave, en France, elle n'en a pas moins eu en province, dans
le centre et dans les départements du Nord, des suites asse^
graves où se sont produites des grèves assez îiiquiétantes.
Les grandes agglomérations ouvrières de Roubaix, Lille et
Tourcoing sont en pleine eifervescence, et Ton a dû faire venir
des troupes de tous les environs, et même de Rouen. Les condi-
tions du travail et du capital subissent une évolution fatale dont
nous voyons le début, les masses ouvrières s'unissant, indépen-
damment de l'idée de patrie, pour créer dans les monarchies,
■comme dans les ré.nibliques, un quatrième Etat, l'Etat ouvrier.
Heureusement des symptômes d'apaisement se produisent et il
y a lieu d'espérer que le calme va renaître dans ces régions.
Le spectacle de la rue, au 1^" mai, a fait tort à l'Académie, et
les sept tours de scrutin infligés aux 13 candidats, dont deux
profondément inconnus, n'ont excité qu'un intérêt relatif. On
en a retenu seulement que ADL Lavisse et Thureau-Dangin
tenaient la corde, que M, Zola n'avait eu que quelques voix,
que M. Becque n'en avait qu'une, et qu'en présence d'un
résultat négatif, on s'était ajourné à six mois, pendant lesquels
les 40 ne seront que 39. — Pourquoi six mois? Les esprits
subtils et chercheurs croient savoir qu'on « espère * que d'ici
à six mois il mourra au moins un académicien, — il vaudrait
mieux deux. Alors, deux ou trois fauteuils étant à distribuer,
les divers groupes pourront «'entendre.
Le ministre des affaires étrangères, M. Ribot, a envoyé à
M. d'Aubigny, ministre de France au Caire, le texte des propo-
sitions françaises concernant la conversion de la Dette égyp-
tienne. L^ France a adhéré à la conversion immédiate de la
Dette égyptienne, sous réserve expresse que l'emploi des fonds
résultant de la conversion et représentant un bénéfice annuel de
sept millions, ne pourra être fait qu'en vertu d'un arrangement
332 ANNALES CATHOLIQDKS
ultérieur, à établir avec le concours et le consentement de
toutes les puissances signataires du traité de 1885.
Cette réserve a une grosse importance. On sait, en effet, que
l'Angleterre comptait appliquer ces fonds à l'organisation de
8on occupation, aux frais d'entretien de son armée et au pave-
ment de ses très nombreux fonctionnaires qui inondent l'Egypte.
L'Angleterre, qui a tant poussé à la conversion, acceptera-
t-elle ces conditions qui lui enlèvent toute possibilité d'en tirer
profit et eu restreignent les avantages à l'Egjpte seule?
Le Dictionnaire des Dictionnaires
D'après le vœu exprimé dans de très nombreuses lettres,
l'éminent directeur du Dictionnaire des Dictionnaires, avant
de clore la liste des souscriptions privilégiées, se propose d'en
rendre l'accès facile à tous les budgets; à cet effet, il accorde
de plus longs délais de paiement. Ceux de nos lecteurs qui
n'ont pu le faire profiteront de cette excellente occasion. Nous
n'avons plus à faire l'éloge de cette œuvre magistrale, unique
en son genre. (Les autres inspirées par l'esprit de laïcisation
contiennent plus ou moins des infiltrations anticatholiques.)
C'est pourquoi cette publication est accueillie dans le monde
entier avec un véritable enthousiasme. Toutes les personnes
qui ne séparent pas l'instruction de la religion, qui ont pour
devise : Foi et Science, Dieu, Patrie, veulent posséder ce
recueil indispensable, d'une utilité quotidienne, qui est toute
une bibliothèque [quatre-vingts millions de lettres, la matière
de 80 vol. m-8°j. Une ingénieuse combinaison en facilite l'acqui-
sition à ceux qui souscriront sans retard. On trouvera aux
annonces la circulaire explicative et le bulletin de sous-
cription.
EMIN PACHA ET STANLEY (1)
La lumière est suffisamment faite maintenant sur les trames
diplomatiques qui doublaient l'aventureuse et « philanthropi-
que » expédition de Stanley. Chacun de son côté, Stanley et
Emin, a dit le secret qu'il avait gardé si longtemps. Le corres-
pondant du Neir-York Herald, c^m a été interviewer à Brin-
(1) Extrait du Temps.
EMIN PACHA ET STANLEY 333
disi son illustre confrère, s'est fait le porte-parole de Stanley.
Le voyageur africaniste Paul Reichard, dans une conférence
tenue à Berlin, a été l'interprète des rancœurs d'Emin pacha.
Les révélations de l'un et de l'autre concordent au fond. Elles
ne sont pas de nature à calmer les appréhensions que l'entrée
d'Emin pacha au service allemand a fait naître à Londres.
Stanley a dit au correspondant du Herald : « Voici les faits :
J'ai proposé à Emin ou de rester et de recevoir 1,500 livres par
an avec une subvention de 12,000 livres; ou d'être conduit dans
une autre partie de l'Afrique et d'y rester comme gouverneur;
ou de me suivre à la côte. » Ce sont des demi-aveux. Emin se
charge lui-même de les préciser. Dans une conversation entre
Emin et le fils du représentant de la Société allemande de l'Est
africain à Zanzibar, le plan ou pour mieux dire les plans de Stanley
sont dévoilés avec une clarté qui ne laisse rien à désirer. Ce
sont des arrangements à double et triple fin; un prodigieux
déballage de combinaisons à la fois identiques et opposées, qui
achèvent de nous montrer en Stanley l'un des plus grands amu-
seurs de ce temps.
Une analyse cursive gâterait tout. Voici donc littéralement
l'essentiel de la conversation d'Emin transmise à M. Paul Rei-
chard :
Emin était, au commencement de mars, à Zanzibar. Il se plai-
gnait amèrement que Stanley se fût exprimé sur son compte
avec dédain, et surtout qu'il eût dit à des correspondants que
lui, Emin, ne s'était décidé à quitter Wadelaï que sur l'oflre
d'un subside de 12,000 livres.
Puisque Stanley parlait ainsi, Emin ne se croyait plus obligé
au silence, mais allait dire nettement ce qu'on lui avait offert.
En premier lieu, Stanley lui avait offert, de la part du roi des
Belges, d'entrer au service de l'Etat du Congo avec le grade de
général, tout en restant gouverneur de Wadelaï, en fixant lui-
même le chiffre de son traitement et en percevant 12,000 livres
pour frais d'administration, somme qu'il se procurerait par le
commerce de l'ivoire, etc.
Seconde proposition au nom de la Comxjagnie anglaise de
l'Est africain : Emin devait rassembler les troupes dont il pou-
vait disposer, deux, trois ou quatre mille hommes, accompagner
Stanley au Sud-Ouest, sur la rive du Victoria Nyanza, et s'ins-
taller à Kavirondo; de là rayonner et fonder des stations sur les
points qu'il jugerait favorables.
334 ANNALES CATHOLIQUES
Pendant ce temps, Stanley lui-même irait à trayers le paTs
des Massai' vers Mombassa, d'où il ramènerait à Emin deux
vapeurs démontables. Ces deuï vapeurs auraient servi à Emiii
et à une partie de sa troupe pour des expéditions vers l'Ouganda
et rOunioro. La conquête faite, Emin avait une nouvelle pro-
vince lui servant de base pour s'afancer peu à peu vers son
ancien gouvernement de Wadelaï et aboutir à l'union des deux
territoires qu'il continuerait à gouverner au nom et pour le
compte de la Compaç^ie angtaisie de l'Est africain.
Voilà les deux propositions sommairement indiquées par Stan-
ley tout à fait expliquées; elles sont tout à fait divergentes.
L'une avantageait l'Etat du Congo aux dépens de la Compagnie
anglaise et, qui plus est, de în politique anglaise dans le Soudan
égyptien. L'autre, tout au contraire, faisait les affaires de la
Compagnie anglaise en frustrant la ci'éation du roi des Belges.
Avec une parfaite désinvolture, Stanley, après avoir déballé ces
deux plans, disait à Emin : « Je vous conseille plutôt d'accepter
la seconde combinaison, celle pour le compte de la Compagnie
anglaise. »
Emin se réservait; on sait comme il a hésité, combien de
temps il a laissé attendre sa réponse. Il ne se prononçait pas,
mais il est une crainte que Stanley avait par-dessus tout : celle
de le voir rester. Il appréhendait déjà que, séparé de l'Egypte
depuis si longtemps, Emin ne finit par faire sa jonction avec les
Allemands, si ceux-ci devenaient entreprenants. Si Emin n'ac-
ceptait pas l'une ou l'autre combinaison, il fallait qu'il suivît
Stanley et quittât l'Afrique.
A la fin, Stanley mit le marché à la main du sauvé malgré
lui : il devait se décider ou partir avec Stanley, sans quoi Stan-
ley, s'emparerait de sa provision de poudre et le laisserait
sans défense au milieu de son ancien gouvernement mutiné.
Emin partit; on devine dans quelles dispositions de reconnais-
sance. Le charlatan, en somme, avait échoué, mais il croyait
tenir la vipère. On sait comment un accident opportun débar-
rassa Emin de son terrible sauveur. pt' ^O't
Stanley gardait cependant son idée fixe. Puisqu'il n'avait pu
confisquer Emin, restait un dernier moyen de l'empêcher de
passer au service allemand. C'est alors qu'il suggéra au khédive
l'idée de rappeler Emin au Caire et de le retenir en Egypte,
même par des chaînes dorées. La résolution d'Emin fut le der-
nier épisode de cette amusante lutte.
LES LOIS DE MAI 331-
Des dépêches de Berlin annoncent que la divulgation de cette
diplomatie a fortement indisposé contre Stanley l'opinion alle-
mande, naguère si favorable et presque lyrique.
LES L'OIS DE MAI
L'œuvre néfaste des Lois de mai survivra-t-elle à son auteur?
Voici le mois qui les a vu naître; il pourrait bien être enfin le
mois qui les verra définitivement disparaître.
La discussion du budget des cultes, à la Chambre prussienne,
a naturellement ramené la question à l'ordre du jour. M. Windt-
horst, qui avait déclaré à M. de Caprivi son intention d'exposer
en temps opportun les revendications des catholiques, a tenu sa
promesse.
M. Windthorst a énuméré tous les desiderata du centre catho-
lique. Il a demandé d'abord le rétablissement au ministère des
cultes et de l'instruction publique de la section pour les aôaires
catholiques qui existait sous le roi Frédérie-Crnillaume IV et
que l'empereur Guillaume I" lui-même avait déclaré une insti-
tution utile. Si le ministre des cultes doit être protestant, il
serait bon, en observation du droit constitutionnel de parité,
qu'il y eût au ministère un sous-secrétaire d'Etat catholique,
ou du moins un nombre suffisant de conseillers catholiques pour
instruire et rapporter les aôaires religieuses concernant cette
confession.
L'orateur du centre a demandé encore que l'on réglât définiti-
vement les questions concernant l'instruction des futurs prêtres
et la nomination des curés et des desservants. Actuellement on
ne peut envoyer les élèves en théologie catholique à Rome sans
risquer, quand ils se présenteront pour être nommés, un veto
de l'Etat. luV^
M. Windthorst demande encore que l'inspection des écoles
ait un caractère confessionnel, que l'on abolisse la loi permet-
tant la saisie des traitements des prêtres, loi qui a contribué à
frayer la voie au socialisme en paraissant légitimer la prise du
bien d'autrui.
Il faudrait également que l'on présentât à la Chambre un pro-
jet tendant à restituer les sommes qui ont été ainsi confisquées.
Un autre vœu de M. Windthorst et des catholiques est le re-
tour de tous les ordres religieux sans exception. Actuellement
336 ANNALES CATHOLIQUES
il y a des ordres d'hommes et de femmes qui sont encore exclus
de Prusse, les Capucins par exemple.
« L'empereur, dit M. Windthorst, a déclaré naguère expres-
sément que l'Eglise et l'école doivent réunir leurs efforts contre
les partis révolutionnaires. Si vous voulez combattre avec suc-
cès les partis révolutionnaires dans les pays catholiques, rendez-
nous nos religieux, et je vous garantis que tout rentrera dans
l'ordre. »
Enfin M. Windthorst s'oppose, à ce que les églises catholiques
soient mises à la disposition des vieux-catholiques.
M. de Gossler, ministre des cultes, répond que le gouverne-
ment n'est pas en état de satisfaire à tous ces désirs; il dit
qu'une religion déterminée ne peut pas demander à être repré-
sentée au ministère, mais que les affaires catholiques sont con-
fiées aux soins de fonctionnaires catholiques, et que l'on prend
conseil des catholiques dans les questions relatives aux écoles
et universités catholiques.
M. de Gossler déclare, en outre, qu'il faut que les évêques
continuent à prendre des engagements vis-à-vis de l'Iiltat. Il
ajoute qu'un projet de loi concernant la suppression des traite-
ments sera présenté dans quelques jours à la Chambre. Il fait
remarquer que le ministère n'a reçu aucune plainte concernant
l'usage que les vieux-catholiques font des églises. Le ministre
termine en affirmant que, relativement à l'admission des ordres
religieux, on ne peut pas lui reprocher d'agir d'une façon arbi-
traire.
M. Knœrcke, au nom des progressistes, et M. de Zedlitz, au
nom des conservateurs libres, ont parlé contre le projet de
M. Windthorst relatif aux écoles et contre le rétablissement au
ministère des cultes de la section des affaires catholiques.
M. Windthorst leur répond en se plaignant que l'on ne main-
tienne pas l'égalité des confess*l)ns dans le domaine scolaire.
€ Nous ne nous laisserons pas décourager, dit-il, répondant aux
dernières paroles de M. ^e Zedlitz. Chaque année, nous présen-
terons de nouveau nos propositions à la Chambre, jusqu'à ce
que nous ayons réussi à vous convaincre. »
La conviction ne sera pas longue à venir pour peu que M. do
Caprivi et l'empereur y mettent de la bonne volonté.
Le mauvais génie de M. de Bismarck n'est plus là pour
revendre en détail les droits des catholif|ues. Espérons que le
nouveau régime procédera plus lo^'alement.
Le garant : P. Ghantrel.
Pans. lini>. li. Picquoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
DISCOURS DE S. S. LE PAPE LEON XIII
Aux pèlerins Allemands, dans l'audience du8 mai.
» Il est heureusement arrivé, comme vous venez de l'indi-
quer, chers Fils, que votre pèlerinage à Rome coïncide avec
l'année où des honneurs particuliers sont décernés à ce
Pontife très saint issu de la race des Anicius et que le juge-
ment unanime des siècles a surnommé le Grand.
Qui fut plus digne, en effet, que saint Grégoire du souvenir
reconnaissant de la postérité? C'est lui qui, en des temps
malheureux, au milieu de la ruine même de la grandeur
romaine, fut presque seul àjeter de l'éclat, digne d'être égalé
aux plus illustres des Romains. Ce qu'il y a, dans ses mérites,
d'insigne et de mémorable par dessus tout, c'est que, grâce
à sa vertu et à son esprit éminent, il fit sortir du trouble
profond de l'Italie et des redoutables périls de la situation
la civilisation chrétienne des peuples émergeant comme d'un
suprême naufrage, et l'achemina à de nouveaux progrès.
La succession des temps amena ensuite d'autres tempêtes
et d'autres bouleversements ; néanmoins, les bienfaits de
cette œuvre si grande ne restèrent point circonscrits au
siècle de saint Grégoire, ni aune seule contrée, mais ils se
sont amplement étendus aux âges suivants, principalement
par le ministère de ceux k qui a passé en héritage, comme
transmise de la main à la main, la dignité pontificale. Jamais,
en effet, dans le cours des siècles, la sollicitude et la vigi-
lance des Pontifes romains n'ont fait défaut pour sauve-
garder et développer ce que saint Grégoire, au prix d'im-
menses labeurs, avait préservé et par quoi, avec l'intégrité
de la religion, la vraie civilisation est garantie. L'Europe a
senti l'opportunité et l'efficacité du secours des Papes toutes
les fois qu'elle s'est trouvée en proie à ces épreuves et à ces
tourmentes dont les monuments de l'histoire gardent le
souvenir.
Lxxii — 17 Mai 1890 25
338 ANNALES CATHOLIQUES
Certes, si les hommes considéraient tout cela dans un
esprit d'équité, s'ils appréciaient avec impartialité la vertu
et la nature de l'Eglise, en imposant silence aux suspicions
et aux passions diverses qui troublent le jugement, il n'est
pas douteux que la haine obstinée qui est portée à l'Eglise
et la guerre qui lui est faite cesseraient aussitôt ; car, même
au seul point de vue de l'utilité, quelle sagesse peut-il y
avoir à rejeter volontairement la source de bienfaits la plus
abondante?
Oui, comme Nous l'avons souvent rappelé, ils se trom-
pent grandement ceux qui, au mépris des témoignages des
âges passés, nient que l'Eglise assure de grands avantages
aux nations et aux Etats. Il est certain que de nombreux et
utiles remèdes seraient apportés aux maux présents, si la
divine vertu de l'Eglise pouvait, les obstacles étant écartés,
exercer son influence sur les particuliers et sur les peuples.
En ce qui vous concerne, chers Fils, il y a lieu pour Nous
de vous féliciter, car l'Allemagne, votre patrie, Nous permet
aujourd'hui de Nous reposer un peu de Nos longues craintes
et de Nos préoccupations passées. L'on semble incliner, en
effet, à renoncer à ces sentiments et à ces lois funestes qui
avïiient engendré la guerre, pour en venir à de plus justes
conseils. Ces conseils pacifiques, à beaucoup d'égards, qui
ont prévalu en ces dernières années, Nous espérons qu'ils
s'accentueront de plus en plus dans le même sens, de façon
que l'Eglise puisse respirer entièrement affranchie des cala-
mités passées.
Nous ne cessons pas cependant, chers Fils, de Nous
préoccuper de vous. Au milieu des difficultés dont Nous
sommes entouré ici, rien ne Nous tient plus à cœur que de
voir l'Eglise jouir dans l'empire d'Allemagne d'une pleine
liberté, solidement garantie.
Plusieurs circonstances nous permettent d'espérer l'ac-
complissement de ce que Nous désirons : l'élévation et la
droiture d'âme de l'empereur ; la constance des hommes
qui défendent depuis si longtemps, avec la plus grande
énergie, au Parlement, les droits de l'Eglise ; enfin la con-
corde admirable de tous les catholiques allemands.
LA QUESTION ROMAINE INTERNATIONALE 33^
En attendant, votre présence et les sentiments que tous
ayez manifestés Nous ont procuré une douce consolation qui
Nous a été d'autant plus agréable que Nous souffrons plus
de la violation si prolongée des droits du Siège Apostolique.
C'est donc avec gratitude et avec une affection paternelle
que Nous vous donnons, comme gage des biens célestes, la
bénédiction apostolique à vous, à vos familles et à tous les
catholiques allemands.
LA QUESTION ROMAINE INTERNATIONALE
Le deuxième Congrès catholique de l'Espagne va s'ouvrir à
Saragosse. Parmi les thèses sur le Pouvoir temporel qui y seront
discutées figure la suivante ; « Dans le rétablissement de la
souveraineté temporelle du Pontife romain sont intéressés non
seulement sa dignité et son indépendance, mais encore le droit
de tous les catholiques et le bien des Etats. »
Nous sommes heureux de constater, par la proposition de
cette thèse, que la Question romaine a fait un pas immense et
qu'elle commence à se montrer sous son véritable aspect. Jus-
qu'ici, en effet, nous avons bien entendu, de temps à autre, une
protestation isolée, mais ni les gouvernements ni les masses ne
considéraient la liberté et l'indépendance du Pape comme une
question internationale.
Chose étrange et qu'il faut pourtant bien constater, à la honte
de notre siècle : nous assistons au spectacle sublime d'un Pon-
tife prisonnier qui, par une généreuse initiative, envoie dans
toute l'Europe un nouveau Pierre l'Ermite pour revendiquer la
liberté des malheureux nègres de l'Afrique; les peuples chré-
tiens s'émeuvent et s'ébranlent; déjà s'organisent de véritables
croisades qui iront combattre les Arabes esclavagistes. Et cepen-
dant les gouvernements restent indifférents à la condition d'hu-
miliante captivité oii est réduit le Chef suprême de l'Eglise; ils
paraissent n'avoir nul souci de sa liberté, bien plus nécessaire
et plus sacrée que celle des esclaves Jioirs ! Est-ce que, après
vingt ans d'un coupable silence, l'Europe officielle aurait honte
de revenir sur la complicité lâche et complaisante qui a permis
à la Révolution couronnée l'usurpation de Rome ? Affamée d'or
et de bien-être, distraite et affairée, trouve-t-elle peutrêtre plus
340 ANNALES CATHOLIQUES
commode de se reposer sur cette monstrueuse théorie des faits
accomplis, admise comme une espèce d'axiome par la diplo-
matie contemporaine?
Cependant les économistes crient au péril social; les gouver-
nements affolés cherchent une digue au flot montant du socia-
lisme brutal et impitoval^le ; la vieille Europe tremble sur ses
br^es; et le Pape est toujours captif! Quand donc, hommes
d'Etat; quand donc, philosophe?, ouvrirez-vous les yeux? Vous
vous bornez à constater mélancoliqnen^.ent le mal qui nousrong-o
et nous précipite rapidement à la ruine; vous cherchez des
I»alliatifs superficiels et éphémères à cette invasion nouvelle,
plus terrible que celle des barbares, et vous ne songez pas au to-
mède,lo seul, le vrai, qui vous est indi'juo et offortpar la Papauté
trahie, laquelle, plus d'une fois déjà, a sauvé la société euro-
péenne de cataclysmes épouvnntî\bles! Vous r.e voyez pas que,
en laissant profaner par la main criminelle du satanisme in-
carné, je veux dire par la Maçonnerie, le plus certain, le plus
nécessaire, le plus noble et le plus saint des droits, vous ouvrez
lu porto aux passions les plus dévergondées et les plus sau-
vages? Mais à qni donc feroz-vous encore admettre le droit do
I voprièté, si vous laissez, sans mot diro, voler sous vos yeux et
U'teuir comme une con(]nôte définitive lo domaine le plus légi-
timement possédé qui ait jamais existé au monde? Car tous les
oi\:.'uments les plus concluants démontrent clair comme le soleil
la nécessité et l'inviolabilité du Pouvoir temporel des Papes.
Il y a plus de onzij siècles qu'ils ont reçu des mains do leurs
nr.turels propriétaires les Etats pontificaux, par une donation
irrévocable, lihrement voulue et librement nccoptéo. L'histoire
a consacré ce don royal, devenu nécessaire au libro exercice de
la mission civilisatrice et spirituelle delà Papauté. La tradition
et lo consentement unanime des peuples l'ont ratifiée et res-
pectée. Il a fallu arriver à notre siècle de lumière }>our rencon-
trer des politiciens qui ferment les yeux à l'évidence, pour
rencontrer des gouvernements ingrats dont l'épée s'émousso
devant un brigandage aussi révoltant que l'occupation des Etats
du Saint-Siège. On punit un vol commis, la nuit, au préjudice
du dernier des citoyens et on laisse perpétrer au grand jour la
plus inique spoliation qu'ait enregistrée l'histoire. Et l'on vient
nous clianter dans les oreilles qu'il faut des accommodements
avec les idées do son siècle, avec la marche du progrès moderne;
et il y a dei? catholiques, des conservateurs, des gens sensés qui
DES PAROISSES ET DES CURKS 341
se laissent berner par de pareils sophisnies et qui, à force de les
entendre, finissent par s'y habituer et par se faire à la situation !
Ah ! on a bonne grâce de vanter notre progrès à reculons qui
nous ramène à la barbarie, en nous enlevant toute notion du
juste et de l'injuste ; on a bonne grâce de célébrer les idées mo-
dernes qui font table rase des fondements séculaires de notre
société! Seulement, reste à voir si la fin de notre siècle ne
réserve pas un cruel démenti à ces dithyrambes pompeux et
forcés. N'assistons-nous pas aux préludes d'un bouleversement
dont les eftets s'annoncent effi-oyables? On a beau dire. Posez
les prémisses : la logique des faits vous pousse inévitablement
aux conséquences.
Mais j'ai iieut-ètre tort de me montrer pessimiste. Ce que les
gouvernements n'ont pas fait, en abandonnant lâchement la
Papauté, les peuples se chargeront sans doute de le faire.
Par une disposition qui paraît providentielle, toutes les grandes
choses semblent devoir se faire désormais par le peuple. C'est
l'initiative privée des sociétés qui prendra sur elle la solution
des grandes questions pendantes et en particulier de l'éternelle
Qiiestion romaine. LeS' trônes ont failli à leur mandat, il faut
bien que Lis individus le reprennent et l'accomplissent à leur
place. (Courrier de Bruxelles.)
DES PAROISSES ET DES CURES
(Suite et fin. — Voir le numéro précédent )
Histoire de V amovibilité , en France.
La France, comme toutes les autres parties de l'Eglise, a
toujours eu des curés amovibles. En 1802, toutes les paroisses
furent supprimées par le Concordat et rétablies ensuite par les
évéques autorisons par le Souverain Pontife et agissant de con-
cert avec le gouvernement. C'est ce qui résulte des articles 9,
10 et 14 du Concordat.
Art. 9. « Les évcques formeront une nouvelle circonscription
des paroisses de leurs diocèses, qui n'aura d'efiet qu'après le
consentement du gouvernement. »
Art. 10. « Les évoques nommeront aux cures. Leur choix ne
pourra tomber que sur des personnes agréées par le gouverne-
ment. »
342 ANNALES CATHOLIQUES
Art. 14. « Le gouvernement assurera un traitement conve-
nable aux évèques et aux curés dont les diocèses et les
paroisses seront compris dans la circonscription nouvelle. »
Art. CO. < Il sera établi autant de succursales que le besoin
pourra l'exiger. >
Art. 30. « Les vicaires et desservants exerceront leur minis-
tère sous la surveillance et la direction du curé. Ils seront
approuvés par l'évèque et révocables par lui. >
Les évèques persuadés d'une part que l'amovibilité n'était
pas en soi contraire au droit canon, la jugeant d'autre part,
sinon nécessaire, du moins très utile au gouvernement de leurs
diocèses, dans les graves cironstances où l'on se trouvait, profi-
tèrent de la liberté que leur laissait la loi civile, pour faire des-
servir les paroisses par des recteurs amovibles ad nutum.
Ce régime, s'il plaisait moins par lui-même à l'Eglise, celle-
ci du moins le tolérait et même le préférait en certaines circons-
tances.
L'épiscopat profita de la liberté que lui reconnaissait la loi
civile et adopta l'amovibilité ad nutum pour les succursales.
Pendant quarante ans cette pratique lie fut l'objet d'aucune
réclamation. Mais de 18-12 à 1845, la question de l'amovibilité
fut vivement agitée. Plusieurs pétitions furent adressées aux
Chambres françaises, en 1843, dans le but d'obtenir la révoca-
tion de la disposition des articles organiques d'après laquelle
les vicaires et desservants sont approuvés par l'évèque et révo-
cables par lui. L'archevêque de Bordeaux et Tévêque de La
Rochelle crurent devoir consulter le Saint-Siège, qui donna la
réponse suivante :
« Ex audientiae SSmi, diei 1 maii 1845:
€ Sanctissimus Dominus Noster, universa rei do qua in \)ve-
cibus ratione mature perpensa, gravibusque ex causis aninium
suura moventibus, referente infrascripto Cardinali S. Congre-
gationis Concilii Praefecto, bénigne annuit, ut in regiraine Eccle-
siarum succursalium de quibus agitur, nuUa immutatio fiât
donec aliter a S. Apostolica Sede statutum fuerit. »
Les évèques peuvent donc en conscience suivre la pratique
usitée en France et changer les desservants. Le Saint-Siège se
réserve de revenir sur la question et de la trancher définitive-
ment quand il le jugera nécessaire. Par conséquent, il est
défendu à des écrivains de critiquer la pratique suivie comme
contraire au droit canon.
DES PAROISSES ET DES CURÉS 343
Les conciles provinciaux de France, tout en maintenant
l'amovibilité ad nutum, recommandent aux évêques de ne pro^
céder qu'avec la plus grande réserve aux mutations ou révoca-
tions qu'ils croiraient devoir faire dans leurs diocèses. L'amo-
vibilité n'a été approuvée pour la France que sous ces réserves.
Grégoire XVI s'est prononcé spécialement dans ce seas
d'après les rapports qui lui furent présentés par l'archevêque de
Bordeaux et l'évêque de Liège. Or le premier disait : « Ces
droits ne sont pas assurément l'arbitraire et le bon plaisir.
Plus au contraire le pouvoir des évêques est étendu, plus ils
doivent en user avec discrétion et prudence. Ainsi il importe
que le ministère pastoral soit partout, fautant que possible,
accompagné de stabilité et que le déplacement de ceux qui
l'exercent, même dans les localités les moins importantes, n'ait
lieu que pour des motifs graves, pris dans les intérêts de la
paroisse ou dans ceux du desservant lui-même. Il importe sur-
tout que la révocation d'un pasteur et son exclusion du saint
ministère ne soit prononcée que lorsqu'on a perdu tout espoir
de le ramener à de meilleurs sentiments. »
La révocation ou la translation du desservant ou d'un vicaire
amovible étant un acte administratif, elle peut se faire sans
aucune procédure. On peut et l'on doit distinguer dans les
évêques un double pouvoir : un pouvoir administratif et un
pouvoir judiciaire. L'usage de ce dernier a été réglé par des
lois de procédure minutieuses, tandis que l'usage du premier
est laissé à la prudence personnelle des évêques. I^a révoca-
tion des curés inamovibles étant un acte du pouvoir judiciaire,
elle ne peut être prononcée qu'après un procès canonique. Il
n'en est pas de même de la translation et de la révocation des
curés et des vicaires amovibles : la procédure est supprimée.
Il suit de là : 1° Que le supérieur n'est pas tenu de faire con-
naître au desservant révoqué ou transféré les motifs qui l'ont
fait agir. 2° Qu'il n'y a pas en règle générale appel proprement
dit contre la sentence épiscopale.
Nous disons, en « règle générale », parce que tous les
auteurs admettent l'appel au moins en certains cas, par exemple,
si la révocation avait lieu eoo odio, ou si elle causait un grand
préjudice dans son honneur ou dans ses biens à celui qui en est
l'objet.
Le recours à Rome n'est pas suspensif et il ne dispense pas
de l'exécution de la sentence épiscopale. Un desservant trans-
344 ANNALES CATHOLIQUES
féré contre sa volonté pour des causes qui lui paraissent fausses
ou injustes, doit donc tout d'abord exécuter la sentence, lors
même que son intention serait d'en appeler au tribunal supé-
rieur. Le refus d'obéissance aux ordres de l'évèque serait une
cause suffisante de suspense. « Pertinacia parochi adversus
rectam Episcopi dispositionera potest suppeditare causam légi-
timas suspensionis. »
Droits et charges des Curés relativement aux lireshytcrcs.
Nous emprunterons au traité de Mgr Affre, revu par
Mjrr Tilloy, la réponse à cette question.
Le curé a le droit d'exiger un presbytère, ou à défaut de pres-
bytère un logement, ou à défaut do logement une indemnité.
D'après la loi du 8 avril 1802, c'était à la commune f^u'in-
combait l'obligation de fournir au curé un presbytère ou une
indemnité ; mais la nouvelle loi municipale du 5 avril 1884 no
mot le logement du curé à la charge des communes que dans le
cas de l'insuffisance des ressources disponibles delà fabrique.
Art. 136. — Sont obligatoires pour les communes les
dépenses suivantes : 11° L'indemnité de logement aux onrés et
desservants et ministres des autres cultes salariés par l'Etat,
lorsqu'il n'existe pas de bîUimonts affectés à leur logement et
lorsque les fabriques ou autres administrations préposées aux
cultes ne pourront pourvoir elles-mêmes au paiement de cette
indemnité. VZ^ Les gros.-es réparations aux édifices comnmnaux,
sauf lorsqu'ils sont consacrés au culte, l'application préalable dos
revenus et ressources disponibles des fabriques à ces répara-
tions, et sauf l'exécution des lois spéciales concernant les bâti-
ments affectés à un service militaire.
S'il y a désaccord entre la fabrique et la commune, quand le
concours financier de cette dernière est réclamé par la fabri((ue,
dans les cas prévus aux paragraphes 11° et 12°, il est statué par
décret sur les propositions des min'>'' ^--^ '1'» r'nt-'rieur et des
cultes.
Quant aux devoirs du curé, il est ceriaiii que pour son logo-
raont, il est tenu des réparations locatives. Telles sont, par
exemide, les réparations à faire : 1" aux âtres, contre-cœurs,
chambranles et tablettes de cheminées; 2° aux récrépissements
du bas des murailles des appartements et autres lieux d'hnbita-
tion, à la hauteur d'un mètre; 2° aux pavés et carreaux des
chambres, quand il y en a seulement quelques-uns de cassés ;
DES PAROISSES ET DES CURÉS 345
4° aux vitres, à moins qu'elles ne soient cassées par la grêle, ou
autres accidents extraordinaires et de force majeure; 5° aux
portes, croisées, planches de cloisons, gonds, targettes et ser-
rures. Ces réparations et dégradations ne seraient pas ii la
charge^du'^curéjSi elles étaient occasionnées parla vétusté ou par
une force majeure; elles seraient rangées, dans ce cas, dans la
catégorie des grosses réparations.
Le curé doit payer aussi l'impôt mobilier qui sera propor-
tionné à la valeur locative de l'habitation. Il est aussi soumis à
l'impôt des portes et fenêtres.
La commune n'a pas le droit de distraire une partie du pres-
bytère ou de ses dépendances, lors même que cette partie serait
jugée être inutile. Toutefois les parties superflues des presby-
tères appartenant aux communes, peuvent être distraites de
leur affectation pour un service public. (Ordonn. du 3 mars 1824.)
Les préfets statuent sur ces distractions, mais lorsqu'elles ont
été approuvées par l'évêque. En cas d'opposition de la part de
l'autorité diocésaine, il y a lieu de recourir à un décret
rendu sur un avis du conseil d'Etat. Il suit de là qu'un conseil
municipal ne peut, de son propre chef, distraire la moindre
partie du presbytère.
Droits des Cures relativement au traitement
alloué par le Gouvernement.
Malgré l'opinion contraire du conseil d'Etat, nous soutenons
avec la Gazette des Tribunaux que le traitement alloué au
clergé par le gouvernement n'est pas un salaire, mais une indem-
nité due au clergé à titre de compensation, et qu'en conséquence,
il ne peut être ni suspendu, ni supprimé à aucun titre.
Il y a cinqanSj M. Fernaud Nicoiay, avocat à la cour d'appel,
rédigeait un mémoire considérable sur la suspension des traite-
ments ecclésiastiques.
Voici l'abrégé de sa conclusion :
La suspension des traitements ecclésiastiques est contraire à
tous les droits et à toutes les lois.
Contraire au droit constitutionnel, qui déclare la propriété
inviolable et prohibe la confiscation ; contraire à la constitution
même :1e pouvoir exécutif n'ayant pas qualité pour corriger les
décisions législatives, mais devant seuler-ieat les exécuter^ —
et le clergé, d'autre part, ayant droit acquis sur les traitements,
puisqu'ils sont votés par la loi de finances.
346 ANNALES CATHOLIQUES
La Constitution est donc foulée aux pieds.
Contraire au droit public, notamment à la séparation des
pouvoirs, les questions de propriété (rentes ou immeubles, peu
importe) ressortissant exclusivement aux tribunaux civils —
et ces rentes étant, non pas arbitrairement réductibles, mais
bien eniièTevaeni insaisissables, de par' la loi (28 nivôse an XI.)
Donc, ici encore la loi est violée ouvertement.
Contraire au code d'instruction criminelle, en supprimant
les garanties de l'instruction : en procédant par voie de régle-
mentation générale, contre une catégorie de citoyens, sans
comparution, sans débats, sans appel, et même àl'insu des pré-
tendus coupables.
Contraire au code pénal, en infligeant des amendes quel-
conques, avant la décision des juges compétents.
Contraire au droit civil, en méconnaissant absolument le
contrat bilatéral de 1801, le Concordat, par lequel le gouver-
nement a promis « d'assurer » le budget des cultes, comme
condition de l'abandon des biens ecclésiastiques, (Art. 14).
Contraire à la justice, le clergé émargeant au budget natio-
nal, non pas comme fonctionnaire, mais en échange de ses
biens, dont le pays s'est enrichi, — et n'étant pas plus salarié
de l'Etat que ne l'est un porteur de rentes françaises qui
touche ses arrérages.
Dans les deux cas, il y a eu capital versé, et rente promise
en retour.
La suspension des traitements ecclésiastiques est un acte de
pur arbitraire, si manifestement contredit par la législation,
que le gouvernement en a été réduit à dénaturer complètement
des textes de loi pour donner à sa thèse l'apparence de la
légalité.
Droits du curé relativement au casuel.
On appelle Droits casuels les honoraires ou rétributions
accordés aux curés, vicaires ou desservants des paroisses, pour
les fonctions de leur ministère, pour les baptêmes, mariages,
sépultures, etc., droits établis par la puissance spirituelle et
légalement reconnus par la puissance civile pour donner à ces
droits force de loi.
On conçoit que, si le clergé avait droit au casuel quand
l'Eglise possédait des biens-fonds, à plus forte raison y a-t-il
droit aujourd'hui que la loi du 2 novembre 1789 a spolié tous
DES PAROISSES ET DES CURES 347
les biens ecclésiastiques et qu'il ne reçoit du trésor public
qu'une indemnité reconnue généralement comme insuffisante.
Dés qu'un prêtre remplit une fonction sainte pour une personne,
il a droit à une solde, à un honoraire. Jésus-Christ l'a ainsi
décidé en parlant à ses apôtres : « L'outrier est digne de sa
nourriture. » Saint Paul a parlé de même : « Qui porte les
armes à ses dépens?... Si nous vous distribuons les choses spi-
rituelles, est-ce une grande récompense de recevoir de vous
quelque rétribution temporelle? Ceux qui servent à l'autel ont
leur part de l'autel; ainsi le Seigneur a réglé que ceux qui
annoncent l'Evangile vivent de l'Evangile. »
Le casuel est donc légitimement établi, et il l'esté disons-
nous, par l'autorité épiscopale, comme il est approuvé par le
chef de l'Etat.
L'article 69 des articles organiques est ainsi conçu : « Les
évêques rédigeront les projets de règlements relatifs aux obla-
tions que les ministres du culte sont autorisés à recevoir pour
l'administration des sacrements. Les projets de règlements
rédigés par les évêques ne pourront être publiés ni autrement
mis à exécution, qu'après avoir été approuvés par le gouverne-
ment. » C'est donc à l'Ordinaire à régler ce qui convient et ses
règlements font loi. Les curés et autres prêtres chargés de
quelque fonction sacrée, peuvent donc recevoir, et en rigueur,
exiger l'honoraire qui leur est dû, conformément aux règle-
ments de leur diocèse, c'est-à-dire au tarif approuvé et qui
comporte plusieurs classes, selon la fortune des fidèles.
Régulièrement, les droits casuels appartiennent au curé •
d'où il suit que l'Evêque n'a pas le droit absolu de les partager
à son gré. Ainsi l'ordonne le livre III des décrétales ou décrets
d'Innocent III. Cependant, l'Evêque peut partager le casuel et
en assigner une part aux vicaires et aux prêtres dont la pa-
roisse a besoin pour aider aux fonctions du ministère. Cela
résulte manifestement des paroles du concile de Trente qui
attribue aux Evêques le pouvoir de forcer les curés qui ne sont
pas à même de suffire par eux seuls aux besoins du ministère
paroissial, à s'adjoindre des auxiliaires pour l'administration
des sacrements et la célébration du culte divin. Il est clair alors
que le curé doit pourvoir à leur subsistance et leur assigner des
revenus. Aussi le tarif diocésain réglemente-t-il ce qui convient
à chacun d'eux, comme ce qui doit revenir au curé et à la
fabrique.
348 ANNALES CATHOLIQUES
Quant aux. ablations ou offrandes voloutairey que les fidèles
peuvent faire ou omettre à volonté, si elles ont été faites dans
un. but déterminé, il ne dépend pas du curé ni de l'évèque de
les détourner de ce but et de les employer à d'autres usages.
Ce droit est réservé au Saint-Siège.
Los oblalions faites à l'autel, d;Tiis l'église paroissiale, à l'oc-
.casion des messes, ou pour l'admiuistralion des sacrements,
pour la bénédiction des mariages', pour les relevaillcs, les ob-
eéc^ues et les enterrements, en un mot pour toutes les fonctions
pastorales, appartiennent au curé, lors même qu'il ne rempli-
rait pas par lui-même la fonction paroissiale pour laquelle
elles sont données. Telle est la coutume universelle. Celui qui
voudrait favoriser personnellement lo célébrant devrait lui re-
mettre ailleurs qu'à l'ollerte roirrande ({u'il lui destine^ parce
que tout ce qui est donné à l'autel revient de droit au curé.
Droits des cures relativement à racbucy^istralion
des sacrements.
Obligé de tenir toujours son ministère à la disposition de to
paroissiens, le curé a droit, par Ciiatre, à o i.ue ceux-ci soient
tenus d'y recourir pour l'admiaistratioa du Bn.ptêiiio, de I'Î'jU-
charistie, au temps pascal ou en viatique, aicsi que do i'Extrciua-
Onction, pour la levée des corps des défunts, pour la bénédic-
tion des mariages. Aucun prêtre, dit le Rituel romain, ne doit
administrer les sacrements aux fidèles d'une paroisse étrangère,
si ce n'est en cas de nécessité ou bien avec la permission du
curé ou de l'Ordinaire.
Mais dans la pratique la curé doit se guider pour i'usago do
ses droits, même les plus exclusifs, sur le plus grand bien du
peuple Confié à ses soins, surtout on ce qui concerne le sacre-
raient de Pénitence. S'il y a parmi les devoirs chrétiens un acte
qui exige de la part des fidèles une entière confiance dans lo
prêtre à qui il s'adresse ot par suite une grande liberté de
choix, c'est sans doute celui où il doit découvrir tous les secrets
de son âme. Aussi, pour parer à ce besoin, nos ?]vêques, en leur
qualité de curés universels do tout leur diocèse, ont-ils coutume
de donner à tout prêtre approuvé par eux le pouvoir d'entendre
les confessions de tous ceux qui vivent sur leur territoire.
Quant au mariage il peut être célébré validement : 1° par le
curé de la paroisse où l'une des deux parties contractantes
demeure (quoique depuis pou do jours), avec rintci.tion publi-
LE SOCIALISME CONTEMPORAIN 3-19
quement manifestée d'y rester indéfiniment; 2° par le curé de
la paroisse oii l'une des deux parties demeure avec l'intention
publiquement manifestée d'y rester la majeure partie de l'an-
née; 3° par le curé de la paroisse oii l'une des deux parties
réside habituellement environ six mois chaque année, pendant
le temps qu'elle y fait ce séjour.
Quant à l'inhumation, elle doit se faire dans le cimetière de
la paroisse du défunt, par le curé de cette paroisse. Les statuts
de plusieurs diocèses défendent formellement à tout prêtre de
présider aux funérailles d'un défunt, s'il n'en est le propre
prêtre ou s'il n'est muni de la permission du propre prêtre.
On ne peut pas non plus faire une inhumation dans un cime-
tière étranger sans y être autorisé par le curé de la paroisse à
l'usage de laquelle ce cimetière est consacré.
Abbé PLuot.
LE SOCIALISME CONTEMPORAIN
Sous ce titre, le R. P. Libaratore vient de publier (l.ans la CiviUa
Cattolica une remarquable étude sur le socialisme.
L'autorité de l'auteur et la façoa magistrale avec laquelle il a traité
ce sujet, nous engagent à traduire entièrement cotte étude,
I
Ce quest le socialisme contemporain.
Le socialisme, à l'heure présente, n'est plus une utopie, do
l'ordre purement économique, imaginée en faveur de la classe
laborieuse; c'est uu système, surtout politique, tendant à la
réorganisation fondamentale de la société pour assurer le bion-
ètre de l'ouvrier.
L'Allemagne fat son berceau. De là il se rendit dans les divers
pays de l'Europe, et ce sont des émigrants allemands qui le
portèrent en Amérique. Ses principaux auteurs, Karl Marx et
Ferdinand Lasalle, sortis tous deux de la Socic'të des Jeunes
Hégéliens, en avaient puisé le germe dans l'évolution histoiiqua
de VIdëe rêvée par Hegel. « Un des côtés les plus remarquables
du mouvement scientifique contemporain, observe M. Jannei(l),
c'est l'application de la théorie da l'évolution à l'économie sociale.
La fausse philosophie d'Hegel, en enseignant que les notions
(1) Le Socialisme d'Etat, ch. II.
350 ANNALES CATHOLIQUES
juridiques et économiques ne sont que de simples catégories
historiques des produits de ^ed^e, avait préparé beaucoup d'es-
prits à transporter dans le domaine de l'économie sociale les
données du transformisme. »
Le socialisme moderne se propose pour but la régénération,
sociale, mais dans le sens démocratique républicain, c'est-à-dire;
par rétablissement de l'égalité parfaite entre les citoyens, basée
sur la suppression de tous les privilèges, sources d'oppression.
Et comme une régénération de cette nature est impossible sans
l'intervention du pouvoir public, il s'agit avant tout de s'empa-
rer de ce pouvoir. Le moyen d'y arriver sera le suflFrage uni-
versel, car le gouvernement n'agira démocratiquement que le
jour où la démocratie sera maîtresse au Parlement.
Voici comment raisonne ce socialisme démocratique révolu-
tionnaire. L'organisation industrielle doit être radicalement
changée. Ainsi lèvent la justice, car l'ouvrier, qui est le vrai
producteur de la richesse, n'en obtient qu'une très petite part.
Or, c'est à l'Etat, gardien et vengeur du droit, qu'il appartient
de faire justice. A lui donc de modifier la base de l'industrie de
telle façon que le fruit du travail retourne réellement à celui
qui l'a produit. Mais aussi longtemps que l'Etat sera aux mains
de la bourgeoisie, qui est intéressée au maintien de l'état de
choses actuel, ce changement ne se fera pas. Il faut donc que,
par une révolution, le peuple, c'est-à-dire les ouvriers, prenne
possession de l'Etat et constitue une démocratie républicaine.
« Les socialistes d'aujourdhui, écrit M. Rae, ne croient la
régénération sociale réalisable que par le moyen du pouvoir
public; aussi tous leurs efforts tendent-ils à la conquête du
pouvoir... Ce qu'ils demandent, c'est une démocratie du travail,
pour employer une de leurs expressions, c'est-à-dire un Etat
dans lequel le pouvoir et la propriété n'aient d'autre fondement
que le travail; où les droits politiques dé-pendent non de la nais-
sance ni du cens, mais de l'exercice d'un métier ; où l'on ne ren-
contre ni citoyens qui jouissent sans travailler, ni citoyens qui
travaillent sans jouir; où tout homme capable de travailler
trouve de l'ouvrage, et où le produit du travail appartienne au
travailleur; où enfin, pour rendre possible la mise en pratique
de ce système, le territoire et tous les autres instruments de
production soient déclarés propriété de la société, tandis que la
direction de toutes les opérations industrielles sera attribuée à
l'administration de l'Etat. » — Tout cela est présenté comme
LE SOCIALISME CONTEMPORAIN 351
une pure question de justice, comme la revendication du droit
des classes ouvrières, sous le prétexte que la richesse de la
nation appartient à ceux qui l'ont produite. C'est là, disent-ils
encore, le strict devoir de l'Etat, qu'ils définissent l'organisation
de la volonté du peuple, lequel, d'après eux, ne se composerait
que de la classe ouvrière. Enfin ils considèrent ce plan comme
immédiatement réalisable, par les voies constitutionnelles là où
c'est possible ; et, là oii cela ne l'est pas, par la révolution (1).
On le voit, les socialistes d'aujourd'hui n'ont, pour améliorer
le sort des ouvriers, d'autre moyen que le renversement de
l'état social actuel, et la destruction des bases sur lesquelles
repose présentement tout le système économique.
Ils se divisent en centralistes et fédéralistes; ceux-là veu-
lent à la tête de la république un pouvoir central et fort; ceux-
ci rêvent l'indépendance de chaque communauté locale, avec le
droit pour toutes de se confédérer. Il en est enfin que révolte
jusqu'à cette idée de confédération, qui suppose une certaine
autorité pour maintenir le lien entre les confédérés ; ils préfè-
rent purement et simplement Y anarchie ou l'absence de tout
gouvernement supérieur, quel qu'il soit.
Outre ce socialisme, que nous pourrions appeler sectaire, il y
a encore le socialisme d'Etat, le socialisme de la chaire et le
socialisme chrétien d'Allemagne ; mais c'est improprement
qu'on les appelle ainsi, car ils répugnent aux excès du vrai
socialisme, et se bornent à désirer des réformes plus ou moins
profondes dues à l'action de l'Etat, et en particulier son ingé-
rence directe et large dans la production et la répartition de ia
richesse. Il est vrai qu'en cela ils dépassent très souvent la
mesure et proposent des combinaisons qui lèsent ou la propriété
ou la liberté, mais en général ils rejettent l'idée fondamentale
du socialisme révolutionnaire, c'est-à-dire la démocratie répu-
blicaine et la nationalisation de la terre et des instruments du
travail.
Enfin certains esprits exagérés taxent de socialisme tout sys-
tème tendant à une amélioration quelconque du sort des ouvriers ;
calomnie gratuite née de l'abus d'un terme dont ils ne respec-
tent pas le vrai sens.
(1) Le Socialisme contemporain, par Jean Rae, Introduction.
352 ANNALKS CATHOLIQUES
II
Absurdité de Végalité voulue par le socialisme.
Le socialisme aspire à la parfaite égalité des conditions entre
tous les hommes ; il professe, au moins implicitement, que la
totalité du produit du travail est due à l'ouvrier; il nie le droit
de propriété privée, et voudrait lui substituer la propriété collec-
tive et nationale: tels senties trois points auxquels on peutrame-
ner toute la théorie socialiste, el tous trois sont déraisonnables
autant qu'injustes.
Commençons parle premier.
Ce qui est en contradiction avec le vœu de la nature est
absurde et inique. Or, la nature montre à l'évidence que, pour
ce qui concerne les conditions des hommes^ elle ne veut pas
l'égalité, mais l'inégalité; cela résulte de cette triple considé-
ration que la nature a donné aux liommes des aptitudes diverses
qu'elle les a doués de liberté, et enfin qu'eiie 1er- a faits pour
la vie sociale.
La nature donne aux hommes des aptitudes différentes tant
physiques que morales. Les uns naissent sains et robustes,
d'autres faibles et maladifs; chez ceux-ci domine la force mus-
culaire, chez ceux-là la puissance intellectuelle. Tel est d'un
caractère mou et paresseux. Toutes ces différences conduisent
nécessairement à des différences de condition et de bien-être,
à une inégalité économique. De causes diverses dérivent des
effets divers. Vouloir ramener à l'égalité ces efi'ets divers, c'est
aller contre les intentions de la nature et, au mépris de toute
justice, refuser de rendre à chacun ce qui lui revient : tmi-
cuique suum.
La nature a doué l'homme de liberté. Deus ab iniiio consti-
tuit hominem et reliquit eum in manu consilii sui (1).
Or, l'égalité est incompatible avec la liberté; car la liberté
comporte des manières d'agir différentes et contraires, d'oii
résulteront nécessairement des droits et des conditions diffé-
rentes. C'est ainsi que la liberté donne lieu à des mariages
ou prudents ou imprudents, à des entreprises ou sures ou
aléatoires, à l'épargne ou à la prodigalité, à des occupations no-
bles ou à de vils métiers, à une vie active ou oisive, à des mœurs
ou honnêtes ou vicieuses, etc. Ces divergences, nées des actea
(1) Eccl. xVj 14.
LE SOCIALISME CONTEMPORAIN 853
libres de l'homme, rompent inévitablement l'égalité et mettent
la diversité dans les conditions sociales. Introduisez aujourd'hui
résTalité; demain la liberté l'aura détruite. Pour la maintenir
cette égalité, il faudrait que le socialisme supprimât la liberté
et réduisît l'homme au rang de la brute. L'égalité régne chez
les animaux , oui, mais c'est précisément parce qu'ils obéissent
à l'instinct au lieu de se déterminer par libre choix.
Eufin^ la nature a fait l'homme pour la vie sociale. Or, la so-
ciété n'existe, elle ne prospère que grâce à l'inégalité. Elle res-
semble, eu effet, à un corps organisé, qui se compose de parties
différentes, ayant chacune sa fonction propre. Parmi ses mem-
bres, il en faut qui cultivent la terre, d'autres qui s'adonnent
aux arts mécaniques, d'autres aux sciences, à l'industrie, au
commerce; elle a besoin de soldats, de prêtres, de professeurs,
d'administrateurs. Comment établir l'égalité entre tant de char-
ges diverses?
— Comment? me répondra-t-on, mais en attribuant à l'Etat
le soin d'assigner à chacun son rôle,
— Pure folie! quand bien même ce serait réalisable, n'y
aurait-il pas là odieuse tyrannie, un joug intolérable, le pire
esclavage étouffant dans l'homme toute énergie de caractère
toute initiative spontanée, tout domaine sur soi. Mais par bon-
heur il n'y a pas à craindre que cela devienne jamais possible,
parce que, d'une part, jamais l'Etat n'aura qualité pour recon-
naître les aptitudes et les ressources de chacun, et que, d'autre
part, jamais les individus ne pousseront l'abnégation jusqu'à
suivre en tout les volontés ou les caprices de l'Etat.
La seule égalité que réclame la nature, c'est celle qui con-
cerne la personnalité humaine et l'inviolabilité du droit. Chaque
homme est une personne et doit être considéré comme jouissant
de la personnalité, c'est-à-dire comme fin et non comme moven*
semblable aux autres par nature, il est encore leur semblable
pour toutes les attributions, pour les droits qui dérivent de la
nature. Il est le maître de ses actes : en cela tous les hommes
sont égaux et tous méritent un égal respect.
De même l'inviolabilité, qui dérive de l'essence du droit, doit
être égale partout oii le droit se trouve, et sous quelque forme,
ou innée ou acquise, qu'existe le droit.
De ces deux points découle pour les membres des classes su-
périeures et dirigeantes l'obligation de garder envers les mem-
bres des classes inférieures une attitude souverainement déli-
26
354 , ANNALES 0ATHOL1QUK8
cate. Qu'ils ne se permettent jamais de leur faire le plus petit
tort; que dans leurs rapports avec eux ils dépouillent toute
arrogance, toute fuite pour ne laisser place qu'à la bienveil-
lance et à la cordialité, se souvenant que ce qui fait leur supé-
riorité est chose purement accidentelle; que l'égalité substan-
tielle n'en existe pas moins entre tous et qu'à titre de citoyens
tous sont parfaitement égaux.
m
Le produit du travail doit-il appartenir exclusivement
à l'ouvrier ?
Il suffit de n'être pas borné pour comprendre qu'un effet
dépend de toutes les causes qui ont concouru à le produire et
qu'on ne peut légitimement l'attribuer à une seule d'entre elles.
Pour que le produit appartînt intégralement à l'ouvrier, il fau-
drait donc qu'il fût un effet de son seul travail. Aussi beaucoup
de socialistes posent-ils en principe que le travail est l'unique
producteur. C'est lui qui donne à un objet sa valeur, cette va-
leur n'étant pas autre chose que la sueur et la fatigue qu'il a
coûtées.
« Le travail, dit Lassalle dans son Programme des travail-
leurs, est la source de toute richesse ; parce que la valeur d'une
chose quelconque, ce qui en fait une richesse, c'est la somme de
travail employée à la faire. » Si tous ne le disent pas si expli-
citement, du moins tous le sous-entendent, car il leur serait
impossible d'appuj-er sur un autre argument leur conception de
l'État, organisé uniquement en vue de la classe ouvrière.
Mais, en fait, les choses se passent tout autrement. Que ferait
le travail sans la matière sur laquelle il s'exerce, sans les ins-
truments au moyen desquels il s'ex-écute? Le travail sans le
capital est stérile, comme le capital sans le travail.
La valeur du produit, ou son aptitude à valoir dans le com-
merce, procède sans doute de la forme que lui donne le travail;
mais elle dépend aussi des forces naturelles inhérentes aux ma-
tières dont il se compose, et qui, sous la forme qu'elles reçoivent
du travail, le rendent utile aux autres et par suite apte à être
échangé.
C'est cette aptitude qui constitue la valeur d'une chose. Mais
ces forces incorporées et condensées dans une matière détermi-
née sont elles-mêmes objet de propriété, d'où il suit que le capi-
taliste qui fournit la matière première contribue par là à la
LE SOCIALISME CONTEMPORAIN 355
•valeur du produit et a droit de participer au gain. En outre,
cette forme que le travail donne au produit, il ne la lui donne
qu'à l'aide d'instruments ; le maître de ces instruments concourt
donc, lui aussi, de ce chef, à créer la valeur de l'objet et, par
conséquent, mérite une compensation prélevée sur le prix de
vente.
Elle est donc absurde cette maxime de Lassalle : Que doit
gagner l'ouvrier? Il a droit à la totalité du gain. Sans doute il
est juste que ce qui est le fruit de son travail revienne tout
entier à l'ouvrier; mais le produit n'est pas le fruit du seul tra-
vail, il est aussi le fruit du capital, c'est-à-dire des matières
premières et des instruments.
L'unique chose que puisse justement réclamer l'ouvrier, c'est
que, dans la répartition du gain, sa quote-part soit proportion-
née. Mais quelle sera la mesure de cette proportion, si ce n'est
la fin même du travail? Or, cette fin est l'entretien de l'ouvrier,
et de l'ouvrier tel que l'a voulu la nature, c'est-à-dire non seu-
lement individu, mais époux et père : In sudore vultus tui ves-
ceris 2'>cine (1) ; ... masculicm et feminam creavit eos (2) ;
... crescite et multiplicamini (3). Il faut donc, pour que l'ou-
vrier soit rétribué comme le veut la justice, que sa part du pro-
duit soit suffisante pour son entretien et celui de sa famille.
C'est là une conséquence nécessaire de l'ordre établi par Dieu.
D'autre part, le produit doit également procurer un bénéfice au
capitaliste, et de cette double exigence naît la règle sur laquelle
s'établit le prix naturel de l'objet. Mais, de ces deux parts du
gain, celle qui doit passer la première, c'est celle de l'ouvrier,
parce qu'elle répond à un besoin plus urgent, parce qu'elle cor-
respond plus étroitement au vœu de la nature, qui place la vie
de l'homme avant l'accroissement de la richesse.
Il suit de là que, tandis qu'il y a à l'abaissement du salaire
une limite déterminée au-delà de laquelle il ne doit pas des-
cendre, et qui est le nécessaire de l'ouvrier, de sa femme et de
ses enfants, on n'en peut pas dire autant du. pro/ît des capitaux.
Ce profit peut diminuer indéfiniment; et il est juste qu'il dimi-
nue pour donner lieu à l'augmentation des salaires, et permettre
ainsi à l'ouvrier de se procurer quelque bien-être et d'économi-
ser pour ses vieux jours, he profit cependant ne doit pas dimi-
(Ij Gen. m, 19.
(2) Geu. v, 12.
(3) Gen. i, 28.
356 ANNALES CATHOLIQUES
nuer à ce point qu'il soit complètement supprimé ; car, outre
qu'on ne trouverait plus de capitaux, cette suppression totale
léserait la justice : il est juste, en effet, que le capital et le tra-
vail, associés pour produire, participent ensemble aux fruits de
de la production.
La totalité du produit appartiendrait à l'ouvrier, si l'ouvrier,
non content d'apporter son travail, fournissait aussi le capital.
Cela se pratique déjà en divers pays par le moyen des sociétés
coopératives de production, dans lesquelles les ouvriers, mettant
en commun leurs épargnes, forment le capital nécessaire à
l'achat des matières premières et des instruments. On ne sau-
rait trop encourager et provoquer, là où c'est possible, la for-
mation do telles sociétés, car l'ouvrier ne peut se promettre
une amélioration sérieuse de sa condition qu'en devenant en
quelque sorte capitaliste. Elles ne parviendront jamais, il est
vrai, à élever à ce niveau toute la classe ouvrière; car, parmi
les travailleurs, il y en aura toujours dont le salaire sera tota-
lement absorbe par les besoins de la famille, pour ne pas parler
de ceux qui, plus souvent au cabaret qu'à l'atelier, n'y sub-
viennent même pas. Mais il est certain que ces sociétés ouvrent
aux ouvriers rangés, adroits, et parce qu'ils sont adroits mieux
rétribués, un chemin plus rapide et plus su:* d'arriver à l'ai-
sance.
l'ettLise et la question sociale
LETTRE DE S. S. LKON Xltl
A MCr^ KREMENIZ, AR:iIEVÊ;iUE DE COLOGNE
La question sociale, qui tient dans l'agitation une grande par-
tie dû l'Europe, no pouvait manquer d'être l'objet de l'attention
et des travaux du Souverain Pontife Léon XIII, lequel a mon-
tré en diverses occasions, par la parole ou par la plume, le
grand désir qu'il a d'écarter les dangers dont cette question me-
nace la société et les maux qu'elle produit. Il vient de donner
une nouvelle preuve de cetie sollicitude en écrivant sur ce .sujet,
à Mgr l'archevêque de Cologne, une lettre dont nous publions
la traduction. Ce document fait ressortir ea outre, une l'ois de
plus, le désir constant qu'a le Saint-Péro de voir répandre
parmi les barbares, avec la lumière de l'Evangile, la civili.sa-
l'église et la question sociale 357
'tion chrétienne et de voir abolir la traite des esclaves qui se fait
en beaucoup de régions de l'Afrique.
Vénérable Frèro, Salut et Bénédiction apostolique.
Vous n'ignorez pas les grands dangers et les difficultés
que présente la question qualifiée de question sociale, dont
la gravité inquiète jusqu'à ceux qui gouvernent les plus
grands Etats de l'Europe.
Yous savez aussi que depuis longtemps Nous nous som-
mes appliqué à mettre en évidence les raisons intimes de
ce mal, et les meilleurs remèdes qui peuvent servir à le
combattre. Dans la lettre que Nous avons adressée naguère
à S. M. l'empereur d'Allemagne et roi de Prusse, lequel nous
avaitpréalablement écrit avec beaucoup d'amabilité au sujet
delà Conférence tenue récemment à Berlin pour traiter cette
question, Nous avons clairement exprimé le vif désir que
Nous avons de secourir les malheureux ouvriers, et de leur
rendre, dans la mesure de Nos forces, les services les plus
empressés.
Il ne peut échapper à votre clairvoyance que, si grands
que soient les moyens dont dispose la puissance civile pour
alléger la condition des ouvriers, le rôle de l'Eglise dans
cette œuvre salutaire est plus important encore. Eu effet, ia
force divine, inhérente à la religion, qui pénétre jusqu'au
fond des esprits et des cœurs des hommes, les domine de
telle sorte qu'ils suivent de bon gré la voie du juste et dà
l'honnôte. C'est que l'Eglise est, de par son origine, dépo-
sitaire fidèle de la vérité révélée par Dieu, et représente le
Christ notre Seigneur, qui est la sagesse du Père. Elle est
héritière de ia charité de Celui qui, étant riche, s'est fait
pauvre pour nous, afin que riches et pauvres également re-
produisent en eux son image, élevés, à la dignité d'enfants
de Dieu — et qui a tant aimé les pauvres qu'il a giirdé pour
eux les témoigaages les plus expressifs de sa bienveillance.
C'est par lui que nous fut donnée la doctrine très sainte de
l'Evangile, don plus précieux que tout autre pour l'huma-
nité. Cette doctrine, nous enseignant les droits et les de-
voirs immuables de chacun, peut seule, par l'admirable
358 AriNALKS CATHOLIQUKS
alliance de la justice avec la charité, aplanir les aspérités
résultant de l'inégalité des conditions, laquelle a ses racines
dans la nature même des hommes. De sorte que le peuple
qui prendrait la vraie doctrine de l'Evangile pour régie de
toutes ses aspirations et de tous ses actes, publics et privés,
suivrait la voie la plus sûre et arriverait aux résultats les
plus heureux.
Notre sentiment sur ce point est certainement partagé
par les évêques de l'Empire allemand qui Nous ont donné
la preuve de leur zèle pastoral en menant à. bonne fin ou en
entreprenant beaucoup d'œnvres remarquables tendant à
procurer aux membres de la classe ou"\Tière et pauvre le réel
soulagement auxquels ils ont droit.
Mais pour que l'action de l'Eglise devienne plus complète
et plus efficace, ainsi que l'exigent les besoins du temps, il
faut qu'on mette en œuvre, en même temps que les forces
réunies et tendant à un seul but, tous les moyens et tous
les secours qui sont à sa disposition et qui peuvent servir
a atténuer la gravité du mal. Il est nécessaire par dessus
tout que, par une action patiente et soutenue, on fasse en
sorte (lue les peuples, après s'être amendés, s'habituent à
conformer les actes de leur vie tant publique que privée aux
doctrines et aux exemples de Jésus-Christ. Il faut s'inter-
poser pour empêcher que dans les questions qui s'agitent
entre les diverses classes, les préceptes delà justice et ceux
de la charité ne soient violés, de sorte que les diflTérends qui
viendront à surgir soient arrangés par l'intervention pater-
nelle et autorisée des Pasteurs sacrés. 11 faut chercher,
enliu, à rendre plus supportable aux pauvres les incommo-
dités de la vie présente, pendant qu'on amènera ceux qui
possèdent les biens de ce monde à acquérir des trésors plus
précieux encore dans le ciel en pratiquant largement la
bienfaisance, au lieu de faire de ces biens un usage abusif
ou de fomenter la cupidité.
C'est pourquoi nous regardons comme digne de beaucoup
d'éloges tout ce qu'opère l'industrieux dévouement des Alle-
mands, en fournissant aux Cercles des ouvriers paisibles
des locaux où ils puissent se réunir, en ouvrant des maisons
l'église et la. question sociale 369
de travail poar les femmes, des écoles où les enfants des
deux sexes reçoivent une éducation convenable, en fondant
des congrégations pieuses, et en créant d'autres œuvres du
même genre. Ces œuvres ont pour but non seulement de
rendre moins pénible la vie des ouvriers, et de les soulager
dans leurs difficultés économiques, mais encore de les main-
tenir dans la pratique de la religion et de fortifier leurs
bonnes habitudes. Il Nous serait vraiment très agréable de
voir les évêques de l'Allemagne, avec cette fermeté de ca-
ractère qui les distingue, avec la coopération du clergé et
des fidèles et sous les heureux auspices de la religion sous
lesquels a été entrepris tout ce que Nous venons d'énumé-
rer, étendre toujours davantage ces œuvres et ces institu-
tions si opportunes, et leur en adjoindre d'autres du même
genre, spécialement dans les centres les plus florissants du
travail industriel, où le nombre des ouvriers est le plus con-
sidérable. Si l'événement répond à Nos désirs, il y aura
bien lieu de se réjouir avec les évêques d'Allemagne de ce
qu'ils auront pourvu, autant que cela leur était possible, au
maintien de la tranquillité publique, et pour avoir défendu
la cause de la vraie civilisation.
Au reste, ce n'est pas seulement dans cette question que
l'Eglise prend la défense de la vraie civilisation. Il en est
d'autres qui réclament aussi son aide bienfaisante. Une des
plus saintes institutions est celle qui a pour objet d'ins-
truire dans la doctrine de la foi les peuples incultes et bar-
bares et de les civiliser par la culture des arts, pendant
qu'on les habitue à des mœurs policées. Beaucoup ont usé
leur vie par les travaux qu'ils ont consacrés avec zèle à ce
très noble ministère ; beaucoup y ont sacrifié leur propre
sang. Ce qui maintenant réclame les soins particuliers des
Pasteurs de l'Eglise, c'est la misérable condition des habi-
tants de l'Afrique qui, réduits en esclavage, sont livrés au
commerce comme de viles marchandises, pour assurer aux
marchands d'indignes bénéfices. Nous avons déjà ouverte-
ment déclaré dans Nos lettres quelle large part de Notre
sollicitude Nous consacrons à cet objet. Or, le gouverne-
ment impérial d'Allemagne ayant décidé de donner libre
360 ANNALES CATHOLIQUES
accès aux missionnaires catholiques dans les pays soumis à
son patronage, Nous ne pouvons moins faire que de tous
exhorter vivement, Vous et les autres Vénéi ables Frères
qui régissent les diocèses de l'empire d'Allemagne, à recher-
cher avec diligence si dans le clergé allemand, qui a fourni
des preuves insignes de constance, de patience et de zèle
apostolique, il en est de ceux qui témoignent être appelés
de Dieu à porter la lumière de- l'Evangile à l'Afrique. Et
afin que ceux-ci puissent répondre plus facilement à l'appel
divin, c'est Notre vif désir que, par votre œuvre principa-
lement et par celle des autres évèques de l'empire d'Alle-
magne, avec le concours des fidèles, on fonde un institut
où les clercs indigènes soient préparés comme il convient
au ministère des missions africaines, à l'instar du Collège
érigé dans le royaume de Belgique, où sont accueillis ceux
qui doivent prêcher l'Evangile dans la région du Congo.
De la sorte, on aura bientôt préparé comme une noble
plantation d'où pourront être pris les ceps de la véritable
vigne qui est le Christ, et qui, transplantés sur le sol afri-
cain y répandront la bonne odeur du Christ parmi ces po-
pulations incultes, entachées de mœurs barbares et de
l'abjection des vices.
Vous Nous ferez chose agréable en portant ce que Nous
venons de vous exprimer dans cette lettre, à la connaissance
des autres évêques de l'empire d'Allemagne, et eu consa-
crant vos communs efforts, après avoir pris conseil ensemble
afin d'accomplir heureusement ce que Nous vous avons re-
commandé de faire au profit de vos concitoj'ens, ainsi que
des malheureux Africains. Et puisque l'exécution de l'en-
treprise réussira d'autant mieux que votre accord sera plus
grand. Nous supplions Dieu de confirmer cet accord, de vous
assister de sa grâce et de ses lumières ; et comme gage de la
faveur divine. Nous accordons très affectueusement la béné-
diction apostolique à vous et aux autres Vénérables Frères
ainsi qu'au clergé et aux fidèles confiés à vos soins.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 20 avril 1890, en
la treizième année de notre Pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
LA CONSTITUTION CHRÉTIENNE DE LA SOCIÉTÉ 361
LA CONSTITUTION CHRÉTIENNE DE LA SOCIÉTÉ
d'après l'épiscopat français
Bossuetjdans son immortel Discours sur l'histoire universelle^
nous montre l'action cachée souvent, mais toujours efficace de
la divine Providence sur la société : « Dieu tient du haut des
cieux les rênes de tous les royaumes, il a tous les cœurs en
main,-.. Ne parlons plus de hasard ni de fortune, ou parlons-ea
seulement comme d'un nom dont nous couvrons notre igno-
rance. »
Un siècle a suffi pour oblitérer dans les esprits cette grande
et fondamentale vérité. La société, travaillée par l'esprit de
révolte, les a consommées toutes en se révoltant contre Dieu et
en les bannissant de son sein; mais le châtiment a suivi de près
cette orgueilleuse prétention à une indépendance absolue. Le
lien social qui rattache entre eux les hommes s'est relâché; il
menace de se rompre, et déjà semblent s'annoncer de loin les
signes précurseurs d'un bouleversement terrible oii peut som-
brer la société tout entière.
Il reste un moyen cependant de conjurer ce danger menaçant :
c'est le retour aux principes chrétiens qui ont inspiré au génie
de Bossuet ces hautes leçons de politique raisonnée auxquelles
nous venons de faire allusion. L'épiscopat français, fidèle à la
mission que la charité chrétienne a confiée depuis l'origine aux
évêques, a voulu les signaler, prendre la défense de la société
et la ramener par ses enseignements du bord du précipice oii
elle s'était laissé entraîner.
Les grandes vérités sociales de ia religion ont été choisies
par plusieurs de NN. SS. les évêques de France comme sujets
de leurs lettres pastorales; elles viennent affirmer avec une
opportunité saisissante les immuables principes que toute
société est obligée de reconnaître et d'accepter comme fon-
dement.
Son Eminence le cardinal-archevêque de Sens fait un magni-
fique exposé de la doctrine catholique sur ces points si impor-
tants : il faut rendre Dieu à la société :
Dieu est la source du droit et du devoir, Dieu, a dit un des plus
illustres philosophes des temps modernes, Dieu est la supi^êma raison,
de toutes choses (Leibaitz). Mais on peut dire eu vérité qu'il est
surtout la suprême raison du droit et du devoir. Et, en effet, cher-
362 ANNA.JLKS 0ATUOLIQUB8
chez en dehors de Dieu la raison du droit et du devoir, vous ne la
trouverez pas. S'il ne vient pas de Dieu, d'où vient aux pouvoirs
publics le droit de commander, d'imposer la loi? Et s'il ne vient pas
de Dieu, d'où vient pour l'homme 1© devoir d'obéir à l'autorité, de se
soumettre à la loi? Le droit et le devoir sont-ils d'institution
humaine? Qu'on nomme le philosophe, le législateur qui inventa le
droit et le devoir. Le droit et le devoir, mais c'est toute la morale, et
c'est en Dieu et en Dieu seulement que la morale a sa base, sa règle
et sa Banction. Celui-là seul qui a créé l'homme peut créer la liberté
humaine, la conscience humaine, créer l'obligation, le devoir. Aussi
lorsque sur le sommet du Sinaï Dieu donna au peuple juif cas lois,
fondement de toute religion et de toute société, c'est au nom et en
vertu de son éternelle souveraineté. « Tu n'auras pas de dieux
étrangers devant ma face; c'est moi qui suis le Seigneur. Tu hono-
reras ton père et ta mère ; c'est moi qui suis le Seigneur : Ego
Domintcs. »
Ecoutons un autre cardinal, l'illustre successeur de saint
Rémi, nous développer cette même pensée, avec cette suave et
douce éloquence que la France entière admire :
Dieu est principe et fin de toutes choses. Los sociétés ont leur
origine en Lui. N'est-il pas de toute évidence, alors, que si les
hommes, isolément pris, sont redevables à Dieu d'un culte déterminé,
slls sont tenus par nature de le servir dans la connaissance et dans
l'amour pour atteindre une fin surnaturelle, l'association qu'ils
forment par une disposition de la Providence ne modifie et n'atténue
en rien leurs obligations religieuses? La société, par la logique et la
forco même des choses, a donc son fondement nécessaire dans la reli-
gion, et sa mission supérieure, qui n'est que la résultante des
devoirs de chacun, c'est de travailler au règne de Dieu sur la terre,
de sauvegarder les intérêts spirituels de ses membres et de les mettre
plus à même d'atteindre leurs destinées éternelles. Tel est, dans le
plan divin, l'ordre social d'où découlent pour un peuple la paix
d'abord, que saint Augustin appelait la tranquillité de l'ordre, et
cette beauté qu'il définit la splendeur de l'ordre, qui n'est autre
pour une nation qu'une glorieuse et féconde prospérité.
Or, le principe constitutif sur lequel la Révolution a tenté, en
1789, au mépris de l'iîvangile, de l'expérience et de la raison, d'as-
seoir notre société contemporaine, est la déchristianisation de l'ordre
social, l'exclusion même de toute action religieuse dans la vie natio-
nale. Il n'est plus question des droits de Dieu dans la constitution :
l'homme seul a des droits. L'autorité aux mains du pouvoir n'émane
plus de Dieu. La religion n'est plus l'âme du corps social ; la société
désavoue sa mission morale et supérieure, c'est-à-dire qu'elle répudie
à la fois son principe et sa fin et qu'elle perd, au point de vue le plus
élevé, sa raison d'être.
LA CONSTITUTION CHRÉTIENNE DE LA SOCIÉTÉ 363
Dans ce concept anormal d'une société que devient cet ordre social,
Source de la paix et de la véritable grandeur? Il est radicalemeat
impossible.
Si parfois il semble s'étaler quand même à la surface des choses, il
est factice, sans fixité ni profondeur. Ce n'est plus le jeu libre, aisé,
fécond, d'un organisme sain et vigoureux, c'est le fonctionnement
administratif et inconscient d'une organisation sans âme, au sein de
laquelle la multitude se courbe servilement sous l'empire de la loi,
jusqu'au jour où elle se sent capable de la briser et d'imposer à son
tour aux maîtres de la veille sa volonté.
Les adeptes de l'athéisme d'Etat ont voulu cacher, sous des
phrases sonores, l'inanité de leur doctrine et les dangers qu'elle
entraîne pour la société; ils ont eu recours à la morale, la mo-
rale indépendante, laïque; c'est cette morale qui servirait doré-
navant de base à la vie sociale de nos générations modernes. Le
système s'est condamné lui-même; sa morale si prônée s'est
dérobée comme une ombre ; elle n'avait ni consistance ni effica-
cité ; faut-il s^'étonner alors du peu d'influence qu'elle exerce
sur les consciences et du peu de stabilité qu'elle produit dans
nos institutions sociales? Avec une vigoureuse logique, Mgr l'é-
vêque de Versailles fait ressortir l'impuissance du naturalisme
contemporain vis-à-vis des mœurs; il constate avec une doulou-
reuse émotion le mal déjà accompli. Tout chrétien, tout Fran-
çais méditera ces paroles :
Les philosophes naturalistes, suivis en cela par les modernes légis-
lateurs, sentant bien que l'homme, dans la formation de son intelli-
gence ou la réglementation de ses mœurs, ne peut se passer d'un
enseignement moral, ont tenté de le formuler en mettant de côté
tout élément surnaturel et en se fondant uniquement sur les instincts
généraux de la raison humaine. De là est venue ce qu'on appelle
couramment la morale civique, la morale libre ou indépendante.
Mais cet arbre sans racines n'a point donné de fruits, ou n'a porté
que des fruits amers. La morale libre n'a trop souvent produit que
des actes aussi indépendants de ses principes qu'elle l'est elle-même
de toute autorité ; la morale civique, la seule dont les manuels
soient autorisés à pénétrer dans les écoles officielles, laisse les maîtres
aussi froids que les élèves y sont indifférents; son enseignement est
négligé ou sans honneur, et tout récemment des témoins noa suspects
étaient forcés de reconnaître qu'il était réduit à rien dans les écoles
publiques.
Après une courte épreuve, tous ceux que ne possède pas entière-
ment l'esprit sectaire demandent comme une nécessité sociale que
l'enseignement religieux soit rendu à l'enfance; on arrive à recon-
364 ANNALES CATHOLIQUES
naître que l'absence de toute idée religieuse dans l'éducation forme
une lacune regrettable, ef naguère un grand journal officieux, nulle-
ment suspect de cléricalisme, ouvrait l'avis que renseignement reli-
gieux soit rétabli dans les écoles publiques et qu'il puisse y être
donné par le? ministres du culte, indiqués naturellement pour cet
office par leur préparation et leur caractère.
C'est qii'il n'y a pas moyen de fermer les yeux sur ce qui se passe
tous les jours parmi nous. Les prévisions que nous votis exprimions
nous-même il va quelques années, au sujet de la neutralité scolaire,
se sont malheureusement réalisées. Des écoles sans Dieu sort une
génération affranchio de tout respect bientôt emportée par un cou-
rant qui la précipite vers tous les désordres, trop souvent même vers
le crime.
Ce naturalisme que Mgr de Versailles vient de stigmatiser si
éncrgiqucment est bleu la grande hérésie de nos temps
modernes; aucune des hérésies dupasse n'avait revêtu ce carac-
tère si grave d'apathie et d'indifférence pour les choses de la
religion; aussi est-ce une douce consolation de se reporter, avec
le pieux et savant évoque do Niu:ics, Mgr Gillv, à ces âges de foi
cil la société chi^êtienne fit tant do merveilles:
Quand le christianisme fit son apparition dans le monde, ses pre-
miers adeptes s'éprirent pour les mystères et la nKjralc de notre
religion de l'ardeur la plus généreuse. On vit alors jusqu'à des
femmes et des enfants s'estimer heureux d'avoir à subir quoique
opprobre [)0ur l'honneur du nom chrétien qu'ils portaient, tant les
entraînaient ces nobles exemples de ceux à qui la postérité a con-
servé le nom do témoins par exollence ou do martyrs de la foi.
Cette vaillante ardeur pour le nom du Christ et pour ses enseigne-
monts se conserva pertdant de longs siècles , le géhie défendit la
doctrine chrétienne, dans les conciles, par la parole; auprès des
maîtres du monde, par des écrits fermes et lumineux ; sur les champs
de bataille, on vit se précipiter avec un courage et un désintéresse-
ment bien faits pour étonner l'humanité, autant que pour l'honorer,
de? hommes valeureux qui quittaient, quand il le fallait, leurs pays
et leurs famille? afin d'aller délivrer le tombeau de Notre-Seigneur
tombé aux mains dos fidèles. La France garde, en un livre d'or, le
nom des plus illustres d'entre ses fils, qui, les premiers et les der-
niers, entreprirent et continuèrent ces nobles expéditions. Admira-
blement préparés par la vivacité de leur esprit et par la profondeur
de leur cœur â concevoir, dès le premier instant, de grandes pensées
et à s'ouvrir des sentiments généreux, nos pères tenaient alors le
premier rang dans le monde, et ils le gardèrent tant qu'ils furent
fidèles à soutenir la cause de Dieu et de son Christ. Aussi leur action
devint proverbiale et l'on disait d'eux : Dieu, qui aime les Francs,
LA CONSTITUTION CHRÉTIENNE DE LA. SOCIÉTÉ 365
les a pris pour les soldats et pour les artisans de ses œuvres.
Voilà ce qu'était et ce que pouvait la société, alors que le
souffle chrétien l'animait encore ; l'Eglise, en prenant sous sa
protection les empires naissants, leur a laissé à chacun son
caractère propre ; elle a scrupuleusement respecté sa mission
divine et elle s'y est renfermée. Que lui importaient du reste les
formes politiques du pouvoir civil, pourvu que la loi de Dieu
fût respectée. Un ancien supérieur de l'école des Carmes,
Mgr Hugonin, évêque de Baveux, relève magnifiquement ce fait
et trace une brillante apologie de l'action sociale de l'Eglise:
L'Eglise n'a reçu de son fondateur divin aucune mission politique.
Elle a vécu et elle vit sous tous les régimes. Elle ne condamne
aucun gouvernement, â moins qu'il ne soit contraire à la loi morale
ou à la loi religieuse. Elle sait que Dieu a doué l'homme de liberté,
qu'il honore cette liberté et qu'il lui fait sa part dans le gouverne-
ment du monde ; l'Eglise ne prétend ni la supprimer ni la restreindre.
Elle n'ignore pas les désordres que peut produire l'abus de cette
liberté; elle ne s'en effraie pas, parce qu'elle sait que si l'homme est
libre, il n'est pas indépendant, et qu'au-dessus des gouvernements
humains, il y a le gouvernement suprême de la Providence, capable
de rétablir l'ordre troublé et même de tirer le bien du mal. Associée
à i"œuvre rédemptrice de iSotre-Seigneur Jésus -Christ, elle poursuit
uniquement la régénération de l'humanité déchue et la perfection
morale de l'homme. Elle perfectionne les sociétés en perfectionnant
les individus, et les gouvernements, en faisant régner avec eux la
justice et la charité. Elle ne s'emprisonne dans aucun des faits poli-
tiques qui se disputent le pouvoir; elle tient à demeurer libre
d'accomplir sa mission et de se donner à, tous sans exception. L'a-t-on
vue quelquefois dans ses conseils élaborer de noiivelles constitutions
et les imposer aux peuples ? Non ; elle affirmait sa foi, elle se réformait
elle-même quand lu faiblesse humaine, quand des immixtions témé-
raires dans le corps de ses pasteurs avaient introduit des abus au
soin de la hiérarchie.
L'Eglise ne distribue pas les pouvoirs dans la société civile ; elle ne
règle pas dans la condition qu'il occupe, dans la fonction qu'il rem-
plit, roi ou empereur, magistrat ou père de famille, fonctionnaire ou
simple citoyen, l'obligation de régler sa conduite conformément aux
préceptes de l'Evangile. C'est ce que nous apprend l'histoire des
siècles passés.
(Le Monde.) L'abbé .1. Wagner.
3G6 ANWALBS CATHOLIQUIS
LES « VÉNÉRABLES » DE LA MAÇONNERIE
Un scandale financier d'un nouvel ordre vient d'être révélé
en Italie. Il a été établi que le grand-maître de la Franc-
Maçonnerie a pu, avec la complicité du ministre Doda, combi-
ner une spéculation frauduleuse sur les tabacs — dont l'Etat a
le monopole, — et s'attribuer, au dépens du Trésor, une somme
de deux millions cinq cent cinquante-cinq mille francs!
Comment s'étonner encore du désarroi des finances italiennes,
quand on voit le trésor ainsi mis an pillage avec la permission
des ministres qui en ont la garde?
Les Francs-Maçons ?ont partout les mêmes ! Malheur aux
pays qui tombent entre leurs grifi*esl
Le Lemmi, d'ailleurs, est fidèle à ses antécédents. Ce Grajid-
Maàtre de la Franc-Maçonnerie italienne, cet homme auquel
tous les Francs-Maçons d'Italie doivent respect et obéissance
aveugle, est un repris de justice condamné jadis pour vol à
Marseille.
Voici le texte mémo du jugement pronon-cé contre lui :
Extrait des registres du greffe du tribunal do première instance
séant à Marseille.
En la cause de M. le procureur du roi près lo tribunal de première
instance séant à MarKcille, demandonr, aux fins d'une citation du
dix-huit mars mil huit cent quarante-quatro,
Contre le nommé Adrien Lemmi, 5gé de vingt-deux ans, se dipant
ex-négociairt', né à Florence, demeurant à Marseille, rue Vacon,
prévenu de vol, présentement détenu.
Vu les articles 52 et 401 du Code pénal.
En fait, lo deux janvier dernier, Adrien Lemmi arriva de Livonme
à Marseille, possesseur pour toute fortune, et de son aveu, d'une
somme de 300 francs destinée, dans Topinion du prévenu, aux frais
d'un voyage à Paris, que celui-ci devait effectuer incessamment.
Cette somme fut bientôt épuisée par des dépenses fort au-dessus
des moyens de Lemmi, qui resta sans ressources quelconques.
Le prévenu se lia d'amitié avec le sreur Graud Bonbagne, docteur
en médecine à Marseille, on ne sait trop comment et par quel motif;
Lemmi se disait alors propriétaire d'un patrimoine considérable qu'il
tenait de la succession de l'un de ses oncles et dont le revenu étaitf
fort au-dessus de la somme annuelle de vingt mille francs.
Il montrait même une lettre de crédit à lui annoncée, remise par
a maison Falconnet et C'', de Naples, sur les sieurs Pastré frères,
de Marseille, lettre de crédit qui plus tard a été reconnue fausse et a
LES VÉNÉRABLES DE LA MAÇONNERIE 367
donné lieu à une poursuite au grand criminel, à raison de laquelle
Lemmi a été renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhnne
par la même ordonnance du 12 mars courant.
C'est à l'aide de ces moyens fallacieux que Lemmi parvint, sans la
moindre peine, à se faire prêter diverses sommes par le sieur Grand
Bonbagne et à être admis dans la msison de ce dernier comme le
serait un proche parent.
Le prévenu a avoué, et cette déposition est confirmée par la dé-
position des sieur et dame Grand Bonbagne, que, dans la matinée
du trois février dernier, se trouvant dans la chambre à coucher de
la dame Grand Bonbagne, celle-ci ayant ouvert son Bocrétaire pour
en extraire un papier sans importance qu'elle voulait montrer au
prévenu, ce dernier feignit de se trouver incommodé et demanda
une tasse de tisane de tilleul.
La dame Grand Bonbagne mit tant d'empressement à satisfaire à
cette demande qu'elle sortit aussitôt de son appartement pour des-
cendre dans la cuisine sans prendre la précaution de fermer son
secrétaire.
Lemmi s'étant déjà aperçu que, dans nn des tiroirs de ce bureau,
était une bourse en perles communes de couleur verte qui paraissait
dodue, telles sont les expressions employées par le prévenu, et pro-
fitant de l'absence momentanée de la dame Grand Bonbagne, Lemmi
s'empara de cette bourse et sortit presque immédiatement de la
maison.
Etonnée de cette fuite, la dame Grand Bonbagne vérifia le tiroir
de son bureau, et ayant reconnu le vol commis à son préjudice, dans
l'opinion que Lemmi en était seul l'auteur, cette dame et son époux
se mirent à la recherche du voleur, qui fut rencontré dans une au-
berge possesseur de la majeure partie de la somme volée.
Attendu que la soustraction frauduleuse ci-dessus mentionnée a
été commise sans effractions quelconques, en plein jour et par une
seule personne ;
Qu'elle constitue le vol simple prévu et puni par l'article 401 du
Code pénal ;
Attendu que Lemmi est étranger, qu'il est impliqué dans une pro-
cédure en faux sur écriture de commerce;
Qu'il ne présente aucune espèce de garanties;
Pour tous ces motifs :
Le tribunal faisant droit à la plainte de M. le procureur du Roî,
déclare Adrien Lemmi atteint et convaincu d'avoir, dans la matinée
du 3 février dernier, frauduleusement soustrait, dans le mode pré-
désigné, au préjudice, dans la maison du sieur Alphonse Grand
Bonbagne, docteur en médecine, rue Petit-Saint-Jean, n° 33, à
Marseille :
Primo : la quantité de quinze pièces en or, dites napoléons, de la
valeur totale de trois cents francs.
368 annai.es catholiques
Secundo : une bourse en perles communes de couleur verte, avec
fermoir.
Tertio : un papier contenant une recette pour la confection d'une
confiture.
Pour réparation, par application des articles 52 et 401 du Code
pénal, condamne Lemmi à un an, un jour d'emprisonnement et aux
dépens, avec contrainte par corps ;
Ordonne qu'à l'expiration de sa peine il demeurera placé pendant
cinq ans sons la surveillance de la haute police;
Ordonne la restitution au sieur Grand Bonbagne de la somme de
300 francs, de la bourse et du papier sus-énoacés.
Fait en jugement, prononcé en audience publique, au Palais de
justice, à Marseille, le 21 mars 1844. Signé : de la Boulco, Bouis,
Tassy et Gilly.
Enregistré à Marseille, le 11 avril 1842, folio 75, case 5, droit en
débet un franc 10 centimes, à comprendre dans les frais. Signé :
Tourtier.
Tel est riiomme quo les frnncs-raaçons d'italio ont jugé lo
plus digne parmi eux.
Tel o^t l'hoiiimo qui dicte ses volontés aux ministres francs-
maçons et qui dirige eftectiveraent toute la politique radicalo
du cabinet Crispi.
Un voleur qui a passé par la prison et quo la haute police a
retenu pendant cinq ans sous sa surveillance.
Francs-macons de tous les pays, inclinez-vous devant lo
Vôn.". Gr.*. M.*, des Loq-es italioiinc.ii!
ASSEMBLEE GENERALE
DE L'ŒUVRE DES CERCLES CATHOLIQUES
L'Œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers a tenu son Assem-
blée générale à Paris, du 27 avril au 4 mai. Un grand nombre
d'adhérents de la cai'itale et de la province étaient présents.
Avant de commencer leurs travaux, les membres de l'Assemblée
ont assisté, le dimanche 27 avril, au salut solennel célébré à
iNotre-Dame pour l'Union des Œuvres ouvrières. Chaque matin
iis se réunissaient pour assister au saint sacrifice de la messe, à
Saint-Germain-des-Prés.
Les séances ont présenté le plus grand intérêt, elles étaient
présidées par M. le comte Albert de Mun assisté de MM. Léon
Harmel, marquis de La Tour-du-Pin, de la Guillonniére, do
Marolles, de Malherbe, de Villcchaize, Barthélémy, de Boavou-
ASSEMBLÉE GENERALE DE l'œUVRE DES CERCLES 369
loir, Pégat, Gréau, etc.. Un grand nombre de dames ont suivi
les séances. Il nous est impossible de citer les noms de tous les
orateurs.
Dans les deux premières journées, il a été question des cor-
porations et syndicats propres au travail industriel et des syn-
dicats agricoles. Ces institutions ont pris un réel développement.
Les beaux exemples de M. Harmel et de ses usines du Val-des-
Bois, sont suivis particulièrement dans les grands centres
industriels du Nord. Les syndicats agricoles qui se rattachent à
l'Œuvre des Cercles sont au nombre d'environ quatre-vingts.
On étudie les moyens d'établir de la cohésion entre ces diffé-
rentes institutions, en leur permettant de se rendre des services
mutuels.
La troisième journée a été consacrée à l'étude des moyens
de propagande populaire. Elle s'exerce surtout par les confé-
rences populaires, parla presse, et par l'organisation de Secré-
tariats dîc peujjle, qui permettent aux ouvriers de l'Œuvre de
procurer à tous leurs camarades des consultations gratuites
pour tous leurs besoins.
Au cours de Ja quatrième journée, l'Assemblée s'est occupée
des moyens de continuer le mouvement qui a eu lieu l'année
dernière, à propos du centenaire de 1789, et qui s'est manifesté
par dix-huit assemblées provinciales et par l'Assemblée géné-
rale des délégués tenue à Paris, au mois de juin, et qui a
dressé les Cahiers de 1889.
Mentionnons, parmi les travaux de l'Assemblée, une intéres-
sante réunion ouvrière dans laquelle ont été discutées les
questions sociales les plus actuelles, tels que le chômage et les
syndicats. Ceux qui y ont assisté ont pu se convaincre que
l'ouvrier, instruit de ses vrais intérêts, réclame une juste pro-
tection, mais se garde contre les excitations révolutionnaires.
Au début de la séance du vendredi, lecture a été donnée d'une
dépèche du cardinal Rampolla, annonçant que le Saint-Père
envoyait sa bénédiction à l'Assemblée.
Dans cette séance, on a rendu compte des travaux de l'Œuvre
sur le terrain de la législation.
Les projets de lois préparés sont relatifs : 1° à la réglemen-
tation du travail industriel ; 2° aux conseils d'arbitrage et de
conciliation ; 3° à l'insaisissabilité du petit domaine de famille
(homestead). Ils seront présentés au Parlement par ceux des
membres qui en font partie. D'autres projets sont en prépa-
ration. 27
370 ANNALES CATHOLIQUES
Une intéressante discussion s'est alors ouverte sur la graA^e
question du droit d'intervention des pouvoirs publics en matière
de travail.
M. le président ayant interrogé l'assemblée, a constaté qu'elle
était unanime pour reconnaître en principe le droit d'interven-
tion du pouvoir dans l'intérêt moral et matériel de la classe
ouvrière, même en ce qui concerne le travail des adultes.
Samedi, l'assemblée a entendu M. Harmel rendre compte des
nombreuses Œuvres de femmes et de jeunes filles auxquelles
s'intéressent les dames patronnesses, dont le zèle et le dévoue-
ment ne se fatiguent jamais. Puis un rapporta été présenté sur
l'Association catholique de la jeunesse française qui a pour but
de préparer les jeunes gens à prendre part aux œuvres sociales.
Elle compte actuellement 61 groupes en province.
Le soir, M. le comte de Mun a prononcé le discours de
clôture. L'illustre orateur, après s'être félicité de voir reprendre
lea assemblées générales interrompues depuis trois ans pour
diverses causes, a constaté le chemin parcouru par l'Œuvre
pendant ce temps.
Autrefois, on fondait un Comité qui établissait un Cercle, et
les premiers statuts de l'Œuvre suffisaient à donner des règles
de direction. Aujourd'hui le champ s'est élargi. Comme exemple
il cite l'association catliolique de la jeunesse française, ratta-
chée à l'Œuvre par un lien fondamental, mais ayant son auto-
nomie, le mouvement produit par M. Ilarmel, manifesté par
l'établissement de l'usine chrétienne, les syndicats agricoles
établis par l'Œuvre depuis la loi de 1884, la méthode de
M. l'abbé Garnier, qui forme de vastes associations pour y
recueillir l'élite d'associations nouvelles, le mouvement des
assemblées provinciales né d'un besoin public au moment du
centenaire de 1789, et qui a produit sous l'impulsion de l'Œuvre
les cahiers de 1889, enfin l'ensemble des études sociales qui
forme un corps de doctrine.
La conclusion qu'il a tirée en constatant ces progrès, c'est que
le siècle de l'individualisme est fini et que le siècle de l'organi-
sation commence. Si l'individualisme a encore ses partisans
théoriqnes, personne ne le met plus en pratique; tout le monde
s'associe, se groupe ; c'est le prélude d'une grande transforma-
tion sociale. Ce que sera cette transformation, une telle prévi-
sion dépasse ce qu'il est permis d'entreveir; elle touche aux
plus hautes questions de la propriété, du crédit, du travail. Mais
NÉCROLOGIE 371
on peut affirmer hautement que si cette transformation n'est
pas chrétienne, elle sera socialiste et amènera les plus épouvan-
tables catastrophes.
Dimanche, 4 mai, une belle cérémonie religieuse, célébrée à
Montmartre, a marqué la fin de cette importante assemblée.
Avant de se séparer, les nombreux assistants ont re^u la béné-
diction papale, donnée au nom du Souverain Pontife par
Mgr Duboin évêque de Raphanée, que S, E, le cardinal Richard
avait chargé de le représenter pour la circonstance*
NECROLOGIE
Le. général Cassola vient de mourir en Espagne. — Il était
né le 27 août 1838, à Hellin, province d'Albacete ; il entra au
collège militaire de Tolède en 1852, devint lieutenant en 1857,
passa en 1862 à l'armée de Cuba, où il se distingua beaucoup
contre les insurgés. En 1871, il revint dans la péninsule, oii il
prit une part brillante à la guerre contre les carlistes. Il y
gagna le grade de général de brigade. En cette qualité, il re-
tourna à Cuba, où il contribua au succès de la dernière campagne
contre les créoles et fit un traité provisoire avant les négociations
du maréchal Campos avec les chefs de l'insnrreetion cubaine.
Revenu en Espagne, le général Cassola devint successive-
ment lieutenant-général, gouverneur de Grenade, directeur
général de l'artillerie et ministre de la guerre avec M. Sagasta,
qui le choisit pour combattre l'influence du général Lopez Do-
minguez et sur la recommandation du maréchal Campos.
Au Parlement et dans le cabinet, le général Cassola fut sin-
gulièrement réservé et silencieux, jusqu'au moment où il aborda
les fameuses réformes militaires auxquelles son nom reste atta-
ché. Il se révéla orateur habile et hardi. Plus tard, il devint un
des plus redoutables adversaires deM. Sagasta, quand ce minis-
tre le sacrifia et écourta les réformes militaires pour plaire au
maréchal Campos et aux généraux qui représentaient les résis-
tances des anciens états-majors et des armes spéciales aux pro-
jets Cassola.
Dans la dernière phase de sa vie politique, le général Cassola
fut la principale figure du groupe des libéraux-dissidents et
l'interprète le plus populaire des résistances des généraux et
des militaires de tout rang contre la politique de M. Sagasta.
372 ANNALES CATHOLIQUES
Le voyage du roi Dinah-Salifou à l'Exposition ne lui aura
pas porté bonheur. Il vient d'être empoisonné par ses sujets.
Les lettres apportées par le Taurus, et qui nous font connaître
cette nouvelle, nous apprennent que le petit roi nègre a été
assassiné parce qu'il avait voulu implanter la civilisation euro-
péenne dans ses Etats. A ce titre, Dinah-Salifou est certaine-
ment une victime du progrès; etc'est parce qu'il a été trop pressé
d' « éclairer les masses » que celles-ci ont mélangé de vilaines
herbes à son dernier repas. Mais, d'un autre côté, peut-on en
vouloir beaucoup à ses sujets d'avoir regimbé? Peut-être
Dinah-Salifou a-t-il essayé d'établir là-bas une Chambre et un
Sénat.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Paris. — L'Assemblée des catholiques a été close samedi
soir 10 mai.
Nous reviendrons sur cette très intéressante assemblée.
En attendant, voici l'adresse envoyée au Souverain Pontife
par l'Assemblée des catholiques.
Très Saint-Père,
Au moment de se séparer, les membres de la dix-neuvième assem-
blée des catholiques de France tournent le regard vers Votre Sainteté
pour lui offrir, avec l'expression de leur filial respect, l'hommage des
sentiments d'admiration et de confiante soumission que leur inspi-
rent les vertus et les admirables enseignements du Vicaire do Jésus-
Christ.
Ainsi que nous l'enseigne la dernière et mémorable Encyclique de
Votre Sainteté, nous nous plaisons à reconnaître que « l'amour sur-
naturel de l'Eglise et l'amour naturel de la patrie procèdent du même
éternel principe; que tous deux ont Dieu pour auteur et pour cause
première; d'où il suit qu'il ne saurait y avoir entre les devoirs qu'ils
imposent ni répugnance ni contradiction. Aimer les deux patries,
celle de la terre et celle du ciel, mais de façon que l'amour de la
patrie céleste l'emporte sur l'amour de la première, et que jamais les
lois humaines ne passent avant la loi de Dieu », tel est le bien pour
nous, le devoir essentiel d'où sortent comme de leur source tous nos
autres devoirs.
Un peu plus loin, Votre Sainteté nous convie à coopérer à l'apostolat,
sous la direction du Pontife suprême et des pasteurs de l'Eglise, nous
rappelant les paroles des Pères du concile du Vatican : « Tous les
chrétiens fidèles, disent-ils, surtout ceux qui président et qui ensei-
gnent, nous les supplions, par les entrailles de Jésus-Christ, et nous
leur ordonnons, en vertu de l'autorité de ce même Dieu sauveur, d'unir
leur zèle et leurs efforts. »
C'est à répondre au désir de Votre Sainteté que cette assemblée
des catholiques vient de consacrer ses efforts. Elle ne compte dans ses
rangs aucun de ceux dont Votre Sainteté a dit qu'ils « aiment la pru-
dence de la chair et font semblant d'ignorer que tout chrétien doit
être un vaillant soldat du Christ. »
Tous, au contraire, témoignent d'un ardent désir de combattre avec
plus d'ardeur que jamais pour la cause de notre sainte religion et
Taff'ranchissement du glorieux captif du Vatican.
Encouragés par le premier pasteur du diocèse, dont nous avons
salué avec joie l'élévation à la dignité cardinalice, nous avons étudié
avec une sollicitude particulière les moyens d'assurer l'instructiou
religieuse des enfants que les lois néfastes condamnent au régime de
l'école sans Dieu ; d'assurer la diffusion de la bonne presse, de pré-
server et de fortifier la foi des jeunes gens qu'une législation nou-
velle, au mépris des immunités les plus respectables et les plus né-
cessaires, appelle sans aucune distinction sous les drapeaux.
De longues délibérations ont été consacrées aux œuvres fondées en
vue d'assurer l'observation du repos dominical, loi que beaucoup de
chrétiens ont malheureusement cessé de respecter, mais dont la sa-
gesse semble devoir être bientôt reconnue, même par les adversaires
de notre sainte religion.
Enfin, nous avons réuni nos efforts pour le développement des
œuvres de piété et de réparation, spécialement de celles qui ont pour
but d'accroître la dévotion envers le Saint-Sacrement et le Sacré-Cœur
de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Nos âmes s'indignent à la pensée des outrages dont la haine des
méchants abreuve Votre Sainteté, et nous nous désolons de voir que
toutes les protestations par lesquelles les fidèles réclament la resti-
tution de votre indépendance et de votre souveraineté restent jusqu'à
présent stériles. Puissions-nous, du moins, par l'énergie de notre dé-
vouement et par l'ardeur de notre prière, hâter le moment de la dé-
livrance du Vicaire de Jésus -Christ !
C'est dans ce sentiment. Très Saint Père, que, prosternés à vos
pieds, les membres de l'assemblée des catholiques supplient humble-
ment Votre Sainteté de daigner agréer l'hommage de leur filiale vé-
nération et de leur accorder la bénédiction apostolique.
— La Société générale d'éducation et d'enseignement a tenu,
le 7 mai, dans la salle du Cercle catholique du Luxembourg, sa
séance publique annuelle, sous la présidence de Mgr d'Hulst,
374 ANNALES CATHOLIQUES
qui avait à sa droite M. Chesnelong, président de la Société, et
à sa gauche M. Keller^ vice-président.
Nous avons remarqué sur l'estrade ou dans la salle : Monsei-
gneur Frevdier, M. l'abbé Connelly , M. l'abbé Gaultier de Claubry,
les T. C. Frères Dominatoris, Justinus et Gébuin ; MM. Le Breton
et Delbreil, sénateurs; Taudière et Thellier de Poncheville,
députés; MM. le comte A. du Clésieux, Merveilleux du Vignaux,
Larcher, A. Rondelet, Delamarre, le baron A. de Claye, Pas-
calis, Jamet, de Crousaz-Crétet, Cauchy, Laurent, La Caille, le
marquis de Falaiseau, Ch. Huit, Martin, Mas-Latrie, le comte
de Resbecq, etc.
Au début de la séance, M. Chesnelong a donné lecture d'un
télégramme de S. Em. le cardinal Rampolla annonçant que le
Souverain Pontife envoyait de tout cœur à l'Assemblée des
catholiques sa paternelle bénédiction.
Dans son ensemble, la séance a présenté un grand et particu-
lier intérêt. Elle n'a pas simplement appelé l'attention sur la
question vitale de l'enseignement, ou traité quelque point de
cette question. Elle l'a fait apparaître tout entière, et à mesure
que parlaient les orateurs, l'importance de la lutte engagée pour
la défense de l'instruction chrétienne, la nature, les mobiles,
l'organisation et les manœuvres des armées opposées, les phases
et les résultats de la bataille, tout défilait successivement devant
les yeux de l'esprit.
Ces orateurs étaient : L'illustre président de la Société,
M. Chesnelong, qui a dit, avec toute la sublimité et toute la
chaleur de l'éloquence, dans une allocution vibrante, ce que
pour nous, chrétiens et Français, est cette question de l'ensei-
gnement, oii sont engagés le salut d'unsi grand nombre d'âmes
et l'avenir de la patrie ;
Le secrétaire général de la Société, M. Camille Rémont,
qui a parlé des travaux qu'elle a accomplis dans l'année, en un
rapport très spirituel et très vivant, où il n'a oublié de signaler
que le concours si précieux apporté à ces travaux par son intel-
ligence, son zèle et son dévouement;
M. Henri Taudière, docteur en droit, qui a rendu compte des
travaux du Comité du contentieux, en un langage très juri-
dique par la clarté et la logique, très littéraire par sa forme
élégante et souple ;
M. A. d'Herbelot, qui, dans un discours digne de tous points,
par la justesse des vues, l'élévation des sentiments, la puis-
sance uu raisuuiiemeuu ei la précision iierveuaB uu sijie, ae
l'ancien avocat général près la Cour de Paris, a démontré, à
l'aide de chiffres et de faits empruntés aux rapports des inspec-
teurs d'Académie, que la résistance organisée par les catho-
liques contre la tentative de l'école sans Dieu a été vraiment
victorieuse.
Valence. — Le vaillant curé de Malissard, M. l'abbé Rey,
adresse à Y Univers la lettre suivante. L'acte qu'elle met en
lumière fait trop d'honneur à ses paroissiens pour que nous ne
nous empressions pas de la publier. Plût à Dieu que partout se
montrât aussi étroite l'union du pasteur et du troupeau :
Monsieur le directeur,
Traduit en police correctionnelle, le 19 décembre, sous l'iuculpa-
tion d'avoir, du haut de la chaire, signalé aux électeurs de ma
paroisse, comme indignes de leurs suffrages, les partisans des lois
scolaire et miUtaire, et condamné, de ce chef, à 25 francs d'amende,
il ne me restait d'autre ressource pour protester contre l'iniquité de
cet arrêt que de refuser de m'y soumettre.
Je n'ignorais pas à quoi m'exposait ce refus. J'avais la saisie
mobilière ou la prison en perspective. La prison, je l'aA'Oue, avait
mes préférences : elle n'est pas venue. Ils n'ont pas osé ; l'incarcéra-
tion eût été sans profit et aurait sans doute ému l'opinion publique.
C'est le fisc qui s'est chargé du châtiment. Il faut le féliciter, il a été
complet ; sa griffe s'est posée sur tout ce qu'elle pouvait atteindre.
Mais, ô déconvenue ! au jour des enchères, les abords de la cure
sont absolument déserts ; pas un acquéreur, pas même un curieux.
Pour attirer à l'odieux exploit du gouvernement cette réprobation
et cette flétrissure, un mot, tombé de la chaire, a suffi. C'est au
marché voisin qu'il faudra porter et vendre les meubles. Puissent-ils
rendre heureux le toit où s'achèvera leur caduque vieillesse ?
Deux lits, la petite table sur laquelle je trace ces lignes, et trois
chaises ont seuls trouvé grâce aux yeux de ce vainqueur qui cueille
à Malissard sa sixième couronne.
Et cependant ce vaincu qu'on achève, ce condamné qu'on exécute
n'a jamais été ni plus fier ni plus heureux. 11 entre assurément dans
son logis, dépouillé et nu, plus de joyeux soleil que dans l'apparte-
ment somptueux d'un juge déshonoré.
Je sais bien, monsieur le directeur, qu'on se rit de l'obscurité du
soldat et qu'on prend en pitié son inutile résistance. Mais pourquoi
e'obstiner à ne voir que la main qui tient l'épée, et non pas le prin-
cipe qu'elle défend? C'est le faible, il est vrai, mais c'est ausei le
droit ; sa faiblesse ne peut pas être un arrêt de déchéance. Pourquoi
376 ANNALES CATHOLIQDKS
ne lui serait-il pas permis de lever la tête, dût-il être écrasé chaque
fois? Qui ne sait que ces apparentes défaites ont toujours fini par
d'éclatantes victoires? Ce sont elles qui, le jour venu, font vibrer,
sous des milliers de poitrines généreuses, ces émotions soudaines,
prélude' des résolutions viriles et signal de la résurrection des âmes.
Ah ! plaise au Ciel que ces combats singuliers s'étendent en une
vaste bataille, et que les vaillants, si nombreux dans notre noble
patrie, comprennent qu'ils peuvent encore malgré l'heure tardive,
repousser l'ennemi et ressaisir leurs droits foulés aux pieds! Pour
vaincre, il suffit à ces braves de serrer leurs rangs et d'inscrire, en
pleine lumière, sur le même drapeau, les noms sacrés de Dieu et de
l'Eglise. L'abbé Rev,
Cwé de Mahssard (Drame.)
LES CHAMBRES
Sénat.
Jeudi 8 mai. — Le Sénat valide l'élection de M. Astor dans le
Finistère et celle de M. Milliard dans l'Eure.
L'ordre du jour appelle le tirage au sort pour déterminer le dépar-
tement qui sera appelé à élire un sénateur, en remplacement de
M. le général Gresley, sénateur inamovible, décédé.
Le sort désigne le département de la Charente.
L'ordre du jour appelle la première délibération sur la proposition
de loi, adoptée par le Sénat, modifiée par la Chambre des Députés,
ayant pour objet d'abroger les dispositions relatives aux livrets
d'ouvriers.
L'urgence est déclarée.
Les articles et l'ensemble du projet de loi sont adoptés.
L'ordre du jour appelle la première délibération sur la proposition
de loi adoptée par la Chambre des Députés, ayant pour but de modi-
fier le titre II du code rural.
Les articles du projet de loi sont adoptés.
Le Sénat décide qu'il passera â une seconde délibération.
Le Sénat prend en considération la proposition de loi de M. Georges
Martin et plusieurs de ses collègues, relative aux droits civils des
femmes.
Lundi 12 mai, — Le Sénat reprend l'examen de la loi sur les acci-
dents du travail.
M. Blavier a développé, sur l'article 2, un amendement portant
qu'un règlement d'administration publique pourra fixer la réduction
que l'accident fait subir au salaire quotidien moyen de la victime,
d'après la nature de l'infirmité en résultant. L'amendement a été
repoussé.
LES CHAMBRES 377
Mais le Sénat a adopté un amendement de M. Roger portant que
■ l'ouvrier pourra faire constituer une rente à capital réservé, repré-
•sentantles deux tiers de l'indemnité qui lui est accordée.
Mardi 13 mai. — Suite de la même discussion.
Cliambre des Députés.
Jeudi 8 mai. — M. le président dit qu'il a reçu de M. Laur une
•demande d'interpellation sur la crise du Crédit Foncier.
La Chambre fixera la date de la discussion de cette interpellation
lorsque le ministre des finances sera à son banc.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la
concession à Mme Faidherbe, veuve du général, d'une pension
annuelle et viagère de 6,000 francs.
A la majorité de 349 voix contre 31 sur 380 votants, l'ensemble du
projet de loi est adopté.
La Chambre décide que la discussion de l'interpellation de M. Laur
aura lieu immédiatement.
M. RouviER dit qu'il n'a pas connaissance de la formule complète
•de l'interpellation de M. Laur. 11 apprend à l'instant que M. Laur
désire également interpeller le gouvernement sur l'emploi des fonds
de caisses d'épargne. Ces deux questions n'ayant aucune connexité,
M. le ministre demande la division, d'autant plus que le gouverne-
ment va déposer un projet de loi sur cette seconde question.
Divers membres demandent l'ajournement â un mois de la question
de l'emploi des fonds des Caisses d'épargne.
L'ajournement à un mois n'est pas prononcé. Cette deuxième
interpellation est fixée à samedi en huit.
M. Laur a la parole pour développer son interpellation sur la crise
du Crédit Foncier.
L'orateur donne lecture de la lettre par laquelle M. Lévêque a
adressé au ministre des finances sa démission de sous-gouverneur du
Crédit Foncier.
Il y est dit que les dépenses de publicité et d'administration faites
chaque mois par le gouverneur du Crédit Foncier sont exagérées,
qu'elles sont dissimulées dans les écritures et qu'il n'en est même pas
rendu compte au conseil d'administration. Le sous-gouverneur n'est
pas habituellement convoqué aux réunions de commission, et cette
omission est volontaire; les statuts ne sont pas observés pour les
opérations financières qui se chiffrent par centaines de millions.
L'orateur dit qu'il n'a rien à ajouter à cet exposé et espère que des
explications complètes vont être fournies au pays.
M. Levèque dit qu'il ne pouvait donner sa démission plus tôt. 11
explique que des sommes se chiffrant par millions ont été dépensées
eans vote du conseil et que, depuis plusieurs années, on ne fait pas
de budget au Crédit Foncier. Il ajoute qu'il reste convaincu qu'il a
;j78 annales catholiques
fait un acte loyal et honnête en donnant sa démission. (Applaudisse-
ments sur divers bancs à gauche et à droite.)
M. MiLLERAND estime que le ministie des finances est responsable
et il dépose un ordre du jour regrettant que le ministre ne vérifiât
pas la situation.
M. RouviER dit qu'il ne décline pas la responsabilité. Le gouverne-
ment fera son devoir tout entier et la lumière sera faite, mais au
moyen de ses agents. Le gouvernement repousse l'enquête parle-
mentaire.
M. DE Douville-Maillefeu réclame une commission d'enquête.
De nombreux ordres du jour sont déposés, les uns demandant
l'enquête parlementaire, les autres l'enquête administrative. Uh
autre comptant sur la vigilance du gouvernement.
M. DE Freyclnet dit qu'il est inutile d'inviter le gouvernement â
faire l'enquête, puisque le gouvernement y est décidé. Finalement la
Chambre adopte presque à l'unanimité, par mains levées, sans scrutin,
l'ordre du jour de M. Aynard accepté par le gouvernement, prenant
acte delà déclaration du gouvernement et comptant sur sa vigilance.
Samedi 10 mai. — M. BoissY d'Anglas interpelle le gouvernement
sur les affaires du Dahomey.
M. Etienne déclare n'avoir rien de plus à dire à la Chambre que
ce qu'il déclara lors de la question Deloncle.
Il rappelle que des traités réguliers ont donné â la France, en 1863,
le protectorat de divers royaumes voisins de celui du Dahomey, et la
propriété d'une partie de la côte. L'an dernier, le roi du Dahomey a
attaqué les territoires placés sous notre protectorat. L'amiral com-
mandant les navires qui croisaient sur la côte a châtié comme il con-
venait le roi du Dahomey et ses bandes.
Le roi du Dahomey, à la suite de ces événements, a sommé, par
lettre, le gouvernement français de renoncer â son protectorat sur
Porto-Novo et à retirer les troupes françaises du territoire.
Une mission conciliatrice du commandant Bayol près du roi Gléglé
n'eut aucun résultat.
Des villages avaient été brûlés, des hommes placés sous notre pro-
tectorat, tués ou vendus comme esclaves; devions-nous céder devant
la force?
Le gouvernement a cru devoir sévir. Il pense avoir bien fait.
Depuis le premier envoi de troupes, le roi du Dahomey a continué
ses attaques, presque quotidiennement.
A diverses reprises, surtout en mars, ces hordes de sauvages ont
été victorieusement battues par nos vaillants soldats. (Applaudisse-
ments.) A Kotonou, 150 hommes ont repoussé 7,000 Dahoméens,
grâce à l'énergie du commandant français. (Applaudissements.)
Le roi du Dahomey a abandonné ses positions et est rentré sur ses
terres.
LES CHAMBRES 379
Quant aux prisonniers qu'il avait faits, il les a rendus, sur la me-
nace du commandant Fournier d'entrer en Dahomey.
Après ces faits, le gouvernement pense que nos troupes doivent
rester sur le territoire français. Aucune expédition n'aura lieu à l'in-
térieur du Dahomey, puisque la seule cause qui aurait pu lui donner
lieu a disparu. (Applaudissements.)
Et M. Etienne termine son discours par un cours de géographie
coloniale africaine. Il montre les avantages de nos colonies : l'Algé-
rie, le Sénégal, le Congo, le Grand-Bassam. Et il dit : Si nous faiblis-
sons sur la côte des Esclaves, si nous laissons l'incendie s'allumer,
tout sera perdu en Afrique! (Applaudissements prolongés.)
M. Flourexs, ancien ministre des affaires étrangères, vient dire
que tout cela est très beau et très juste, mais qu'il est un point à
éclaircir.
Il X a deux mois, M. Etienne affirmait que si de nouveaux envois
d'hommes étaient faits au Dahomey, il réclamerait à la Chambre son
autorisation et le vote de crédits supplémentaires.
Des envois d'hommes ont eu lieu. On s'est battu au Dahomey. Et
pourtant M. Etienne ne demande aucun crédit supplémentaire à la
Chambre. (Bruit.) L'autorisation, il ne pouvait peut-être pas la
demander, la Chambre étant en vacances, et la situation étant grave.
Mais les crédits? Comment peut-il s'en passer?
Enfin, M. Flourens se plaint que la Constitution ait été violée.
L'adjonction du territoire de Kotonou, qui est le résultat des opéra-
tions au Dahomey, n'a pas été ratifiée par la Chambre. Cela est
inconstitutionnel. (Rumeurs prolongées.)
L'orateur attend que le gouvernement dépose une demande de
crédits.
Le Ministre de la marixe est venu alors exposer qu'à la date où il
a pris les affaires, l'évacuation du Dahomey était impossible. On ne
voulait pas faire une expédition à l'intérieur. On s'est contenté de
faire le blocus de la côte.
Tout le monde sait ce qui s'est passé depuis. En ce moment, nous
avons à Porto-Novo 560 hommes, auxquels s'ajoutent 58 miliciens et
250 auxiliaires. On arme les peuplades amies. A Kotonou, il y a
281 soldats ou marins et 188 tirailleurs sénégalais. L'état sanitaire
de toutes ces troupes est excellent.
Si l'on n'a pas demandé de crédits, c'est parce qu'un bâtiment ne
coûte pas plus cher sur un point que sur un autre. Les navires en-
voyés sur la côte étaient en croisière ailleurs. Jusqu'à ce jour, la
dépense a été trop faible pour qu'on demandât des crédits supplé-
mentaires.
L'ordre du jour pur et simple est voté.
M. A.xTiDE BoYER interpelle alors sur les agissements de Tsl. Cons-
tans, le 1er mai.
380 ANNALES CATHOLIQUES
M. CoxsTANS répond :
Le devoir qui s'impose en pareil cas à tout gouvernement digne de
ce nom est de faire respecter la loi en la respectant lui-même. Les
vrais ouvriers, non pas ceux qui courent les réunions publiques, mais
ceux qui travaillent (Très bien ! Bruit) n'avaient rien à craindre des
mesures qui ont été prises.
Il y a deux façons de prévenir une journée : par de petites mesures
qui aboutissent à une répression sanglante, ou par un déploiement
de forces suffisant pour n'avoir rien à réprimer. L'armée est restée
dans ses quartiers prête à apporter son concours ; mais la police a
suffi. Les ouvriers n'ont pas cherché à troubler l'ordre ; quant aux.
perturbateurs, :?s doivent être maintenus par la force.
Puis, M. Constans a dit qu'il saisissait l'occasion qui lui était
offerte de féliciter les agents, qui ont bien fait leur devoir. (Bruit et
applaudissements.)
Quelques députés ont interrompu le ministre en disant qu'à la rue
du Cirque, il y eu des charges de cavalerie. Le ministre réplique que
les gardes municipaux n'ont pas chargé. Ils ont dégainé pour effrayer
les tapageurs et refouler le public. Puis, il fait cette déclaration :
Quant aux arrestations antérieures, elle ont été faites très sage-
ment sur l'ordre des parquets, et les instructions suivent leur cours.
En ce qui concerne les grèves, le gouvernement n'a pas à y inter-
venir, mais il doit sauvegarder la liberté du travail et protéger les
propriétés privées. Il n'est pas sérieux de dire que c'est la troupe qui
provoque le désordre.
Les soldats font un service public et ils ne méritent aucun blâme.
Les revendications même les plus légitimes, ne doivent pas troubler
Tordre dans la rue, car il en résulterait alors un danger pour la
République.
L'orateur attend avec confiance le vote de la Chambre (Applau«
dissements).
Quelques ordres du jour étaient déposés les uns blâmant le
ministre, les autres le félicitant. Parmi ces derniers, l'un était de
MM. de Kergariou et Le Provost de Launay.
M. Engerand a réclamé l'ordre du jour pur et simple, qui a été
repoussé par 38 voix contre 102.
Un ordre du jour de confiance de M. Jumel a été adopté par
394 voix contre 57.
Les boulangistes et le parti ouvrier ont seuls voté contre.
Lundi 12 mai. — On discute une proposition de MM. Bovier-La-
pierre et Lachize, relative aux syndicats professionnels, ayant pour
objet la répression des atteintes portées à l'exercice des droits de ces
syndicats.
Mardi 13 mai. — Suite de la même discussion.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 381
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le général de Miribel nommé chef d'élat-major général. — Décret et rap-
port. — Commission du budget. — Un Livre de J. Ferry. — Elections
— Les grèves. — Etranger. — Un discours du trône en Allemagne.
14 mai 1890.
Le Journal Officiel du 8 mai a publié un rapport adressé par
le président du conseil, ministre de la guerre, au président de
la République, suivi d'un décret relatif à l'organisation de
l'état-major de l'armée. Nous reproduisons en entier ces deux
documents en raison de leur importance :
Paris, le «3 mai 1890.
Monsieur le président,
L'état-major général créé au ministère de la guerre par le décret
du 12 mars 1874 a rendu de très grands services. Successivement
amélioré depuis son origine, il peut soutenir la comparaison avec les
états-majors des autres nations européennes. Je le crois, cependant,
susceptible de recevoir de nouveaux perfectionnements, pour être
mis plus complètement en harmonie avec l'organisation du haut
commandement, telle qu'elle résulte des décrets du 12, du 26 mai 1888
et du 10 avril 1890, relatifs au conseil supérieur de la guerre et aux
commandements éventuels d'armée.
L'état-major général ne doit pas être seulement l'organe de la pré-
paration à la guerre; il doit pouvoir, le moment venu, fournir au
commandant en chef, ainsi qu'aux diverses armées, les éléments
nécessaires pour assurer la direction des opérations élaborées pen-
dant la paix. Aussi mes prédécesseurs et moi-même nous sommes-
nous appliqués à faire entrer de plus en plus dans sa composition les
officiers destinés à former la partie essentielle de l'état-major général
des armées en campagne. Je vous propose de rendre cette pratique
obligatoire et de la soumettre à des règles fixes qui en augmente-
ront l'efficacité.
Désormais, le personnel de l'état-major sera, par voie d'arrêté
ministériel, réparti en deux groupes, pouvant se séparer sans trouble
pour le service. Au moment de la mobilisation, l'un de ces groupes
rejoindra le grand quartier général, ainsi que les quartiers généraux
d'armées, pour constituer les divers états-majors, au moins dans leur
partie essentielle. L'autre groupe demeurera auprès du ministre et
assurera, sous ses ordres directs, le fonctionnement du service
central.
Comme complément de cette mesure, il serait désirable que le chef
de l'état-major, en temps de paix, fût le major général de nos prin-
cipales armées en temps de guerre. Il en résulterait une unité de
382 ANNALES CATHOLIQUES
conceptiou et une continuité dans les efforts sur lesquelles je n'ai pas
besoin d'insister. J'ajoute qu'en temps de paix, cet officier général
établirait entre le futur commandant en chef et le ministre un lien
naturel et une communauté de vues dont j'ai pu apprécier l'utilité.-
Je vous proposerai d'appeler à ce poste 1\I. le général de Miribel,
déjà désigné pour les fonctions de major général en cas de guerre, et
qui vient de terminer les travaux dont je l'avais chargé dans la
région du 6® corps d'armée.
Dans ces nouvelles conditions, l'appellation d'état-major général
du ministre, usitée jusqu'ici, ne me paraît plus pouvoir être conser-
vée. Colle d'état-raajor de l'armée est beaucoup plus conforme â la
nature des choses. Je verrai à ce changement de dénomination un
autre avantage, c'est de déshabituer peu à peu l'esprit de considérer
ce grand organisme comme une sorte de secrétariat général ou d'ex-
tension du cabinet du ministre. En réalité, l'état-major général,
même dans son fonctionnement actuel, est un service délimité et
autonome essentiellement technique, qui doit demeurer â l'abri des
fluctuations ministérielles, au même titre que les comités d'armes et
le conseil supérieur de la guerre. Je ne veux pas dire qu'on puisse
assurer à son chef une permanence complète, incompatible avec la
responsabilité ministérielle; mais on peut, du moins, écarter l'idée
qu'il doive disparaître avec le ministre, ainsi que cela a eu lieu pres-
que constamment de 1874 à 1888, ce qui nous a valu douze chefs
d'état-major en quatorze ans.
Quant à la dépendance du chef d'état-major vis-à-vis du ministre,
il ne saurait être question de la modifier. Comme par le passé, il
travaillera, en temps de paix, sous l'autorité directe du ministre,
dont la signature seule donnera la \ie à ses actes.
Le décret que j'ai l'honneur de vous soumettre consacre ces amé-
liorations. Je me propose, en outre, de concert avec le nouveau titu-
laire, de procéder à une revision rigoureuse des attributions actuelles
de l'état-major général, de façon à éliminer peu à peu toutes celles
qui ont le caractère administratif et peuvent être confiées aux diffé-
rentes directions du ministère, et de façon, au contraire, à fortifier
l'élément technique, qui tend directement au but essentiel que l'état-
major doit sans cesse avoir devant lui, à savoir la préparation des
opérations militaires et l'étude pratique de tous les moyens propres
à les faire réussir.
Veuillez agréer, monsieur le président, l'hommage de mon respec-
tueux dévouement.
Le président du conseil, ministre de la guerre^
C. DE Frevcinet.
Voici le décret :
Art. l^"". — L'état-major général du ministre de la guerre prendra
désormais la dénomination d'ctat-major de l'armée.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 383
Le général de division placé à la tête de ce service portera le titre
de chef d'état-major général de l'armée. relève directement du
ministre de la guerre et agit en vertu de ses ordres.
Art. 2. — En temps de guerre, une partie du personnel de l'état-
major de l'armée sert à former les états-majors des armées d'opéra-
tion. Le chef d'état-major général de l'armée passe sous les ordres
du commandant en chef du groupe principal d'armées, en qualité de
major général.
Le surplus du personnel de l'état-major de l'armée, avec un des
.sous-chefs, reste auprès du ministre, pour assurer, sous ses ordres
directs, la marche du service central.
La répartition du personnel de l'état-major de l'armée, eu confor-
mité des alinéas qui précèdent, est réglée à l'avance, dans tous ses
détails, par un arrêté ministériel.
Art. 3. — L'état-major da l'armée est spécialement chargé de
l'étude des questions relatives à la défense générale du territoire et
do la préparation des opérations de guerre.
Il a dans ses attributions :
La mobilisation de l'armée et sa concentration en cas de guerre ;
L'emploi des chemins de fer et des canaux, de la télégraphie mili-
taire, de l'aérostation, etc. ;
L'organisation et la direction des services de l'arrière ;
L'organisation et l'instruction générale de l'armée, la préparation
des grandes manœuvres;
L'étude des armées étrangères et des différents théâtres d'opération ;
La réunion des documents statistiques et historiques ;
Les missions militaires à l'étranger ;
La préparation et la coordination des travaux du conseil supérieur
de la guerre et des membres de ce conseil chargés de missions spé-
ciales.
Le service géographique fait partie de l'état-major de l'armée.
Art. 4. — Le chef d'état-major général de l'armée est chargé, sous
l'autorité du ministre, de la direction du service d'état-major, ainsi
que du choix et de l'instructioa des officiers de ce service.
Il les prépare, par des travaux du temps de paix et par des voyages
d'état-major, au rôle qu'ils auront â remplir en cas de guerre.
Art. 5. — Le chef d'état-raajor général de l'armée peut être chargé,
auprès des commandants de corps d'armée, de missions se rappor-
tant à son service. 11 remplit ces missions dans les conditions prévues
pour les commandants éventuels d'armée et jouit des mêmes préro-
gatives.
Un autre décret nomme le général de Miribel chef de l'état-
major général de l'armée.
M. le général de^Miribel est remplacé à Châlons-sur-Marne
384 ANNALES CATHOLIQUES
par le général Jamont, qui a pour successeur dans le comman-
dement du l^' corps d'armée M. le général Loizillon, comman-
dant de la 2* division de cavalerie.
Le nouveau chef d'état-major général est à peine âgé de
cinquante-huit ans.
Né en 1831 à Montbonnot (Isère), le général de Miribel entra
à l'École Polytechnique en 1851 et en sortit en 1853 lieutenant
en second dans l'artillerie.
La guerre de 1870 le trouva chef d'escadron. A la fin du siège
de Paris, il était colonel. Il est vrai qu'il avait vaillamment
gagné ses épaulettes à Champignj où, à la tête d'une brigade de
mobiles, il tint en respect et obligea à se retirer des masses
d'ennemis bien supérieures en nombre.
Aussi la commission de révision des grades le maintint-elle
dans le grade oii il s'était si noblement comporté.
Nommé général de brigade en 1875, il fut promu divisionnaire
en 1880 et fut deux fois chef d'état-major au ministère de la
guerre, notamment sous le général de Cissey.
Inspecteur général permanent des travaux de l'artillerie pour
l'armement des côtes, il présenta, à son retour d'une inspection
en Algérie et en Tunisie, un rapport très remarqué sur la né-
cessité de créer un grand port fortifié à Bizerte.
Le général de Miribel, membre du conseil supérieur de la
guerre et du comité d'artillerie, était depuis deux ans environ
commandant en chef du 6^ corps d'armée, à Châlons-sur-Marne,
où il avait remplacé le général Février, son compatriote, appelé
depuis à la dignité de grand-chancelier de laLégion-d'Honneur.
La commission du budget, tout en restant résolue à lier le
vote de l'emprunt à celui de la loi de finances, incline à autori-
ser M. Rouvier à opérer la conversion. facultative de 4 1/2 0/0.
Le bénéfice de cette opération servirait à gager l'emprunt, qui
serait plus ou moins considérable selon que ce bénéfice serait
plus ou moins grand.
Comme il est difficile de continuer la campagne de hausse
menée avec les fonds de la Caisse des dépôts, il est à peu près
certain que la conversion sera très prochainement opérée et
qu'elle aura lieu avant la fin du présent mois.
On évalue à plus de deux millions de rentes les titres 3 0/0
levés avec l'argent des caisses d'épargne ; la continuation de ces
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 385
achats opérés par la Caisse des dépôts, se traduisant par des
demandes de livraison en liquidation la hausse s'accentue de
mois en mois; mais cette progression ne peut être illimitée. Le
mouvement de hausse ayant été rapide, bien des porteurs de
rente en profitent et vendent pour réaliser un bénéfice ; d'autre
part, la Caisse des dépôts ne disposera pas éternellement des
mêmes ressources. Enfin, il faut prévoir les demandes de rem-
boursement. Ils ont excédé, en 1883, de 4 millions les verse-
ments efifectués aux Caisses d'épargne ; cette proportion peut se
retrouver et même devenir plus grande si la Chambre modifie
ou laisse prévoir qu'elle modifiera le taux de l'intérêt servi aux
caisses d'épargne ou si elle abaisse le chiffre maximum des
dépôts. Ces diverses considérations portent le ministre des
finances et la commission du budget à hâter la conversion facul-
tative du 4 1/2 0/0.
Il est également question de faire concourir à un emprunt les
disponibilités des caisses d'épargne. Cette combinaison aurait le
triple avantage d'être profitable pour les déposants, de sauve-
garder la garantie morale de l'Etat dans la gestion de la dispo-
nibilité des dépôts, d'assurer une amélioration naturelle et plus
solide des cours par le classement immédiat d'une partie du
prochain emprunt.
Cette combinaison serait bonne, elle est malheureusement
devenue inexécutable, car le gouvernement a employé les dis-
ponibilités des caisses d'épargne à l'élévation systématique du
cours de la rente. Les déposants auraient pu profiter de l'écart
entre les cours cotés et ceux auxquels l'emprunt sera émis ; leur
rôle — et leur bénéfice — se bornera simplement à avoir per-
mis l'emprunt en permettant la conversion. On peut supposer
qu'ils auraient préféré un bénéfice plus réel ; mais on ne peut
tout avoir.
Comme s'il y était poussé par un remords, M. Jules Ferry
cherche à s'innocenter des fautes qu'on lui a reprochées au
sujet de la conquête du Tonkin, et il vient de publier dans ce
but un volume intitulé : Le Tonkin et la Mère-Fatrie. Il
semble poursuivi par cette idée fixe, d'expliquer qu'il a gaspillé
moins de millions qu'on ne l'a dit; de déclarer que le nombre
des morts qu'il a faits est moins considérable qu'on ne l'a cru.
On n'a pas dépensé un demi-milliard pour la conquête du
28
386 ANNALES CATHOLIQUES
Tonkin. M. Ferry l'affirme avec la même assurance qu'on lui a
vue à la tribune lorsqu'il assurait que nous n'étions pas en
guerre avec la Chine. La somme est seulement de 334 millions
802,379 francs.
Si M. Ferry n'a pas donné les centimes, c'est par indulgence.
335 millions, c'est, on en conviendra, une quantité négligeable.
Notre budget a tant d'élasticité! Il est si facile d'y opérer une
réduction de dépenses ! Trois cent trente-cinq millions, c'est
une bagatelle, et M. Ferry le déclare avec un aplomb tellement
excessif qu'il finit par toucher à la naïveté.
En ce qui concerne les soldats tués là-bas, M. Ferry conteste
le chiff"re de 36,000 qui a été publié. Il fait un total de 9,067
hommes de 1884 à la fin de 1889. Mais M. Ferry ne compte pas
les hommes morts en France des suites de leurs blessures ou
des maladies contractées là-bas, et ce chiffre, qui pourra le
donner? Et même s'il avait causé la mort de neuf mille hommes
« seulement, » est-ce que M. Ferry pourrait porter le poids
de cette responsabilité avec une parfaite insouciance?
Mais laissons cela. Il est un point que M. Ferry se garde
bien d'aborder et pour cause, c'est celui des mensonges qu'il a
faits au pays pour le jeter dans cette aventure. Il a voulu con-
quérir le Tonkin, c'a été son idée fixe. Il a voulu Je faire sans
demander à la Chambre les subsides nécessaires. Il a voulu agir
en cachette des électeurs. Il a envoyé des soldats mourir là-bas
incognito. Et comme il tenait à ce qu'on ne s'aperçût pas de ces
expéditions successives, il les faisait par petits paquets, insuf-
fisantes, et nos soldats mouraient là-bas — neuf mille seule-
ment! — parce que M. Ferry voulait avoir le Tonkin sans
demander au Parlement les crédits nécessaires et l'autorisation
indispensable.
Voilà quel a été le crime de M. Ferry, crime dont il ne se
lavera pas. Par sa duplicité, il a augmenté, dans des propor-
tions considérables, le prix que le Tonkin devait nous coûter
en hommes et en argent; il a compromis la conquête et il a
failli causer l'échec de l'entreprise ; en tous cas, il nous a im-
posé des sacrifices qui eussent pu être évités. Le jugement de
l'histoire sera celui qu'a porté, en termes sévères et ineffaçables,
la grande victime des agissements ferrystes, cet illustre amiral
Courbet qui, certes, n'était pas pour l'abandon des droits et des
intérêts de la France, ni pour l'humiliation de son pavillon,
mais qui a stigmatisé, avant d'en mourir, les incohérences, les
fautes, les équivoques dont M. Ferry demeure responsable.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 387
Peu à peu, dans le Nord, les grévistes reprennent le travail et
les troupes qu'on avait envoyées à Lille, Roubaix et Tourcoing
regagnent leurs garnisons. Est-ce à dire que tout danger ait
disparu? Pour le moment, peut-être, mais l'avenir reste inquié-
tant. Les ouvriers ne désarment pas ; ils suspendent les hosti-
lités. Ils ont reconnu qu'en ce moment les patrons avaient sur
eux de grands avantages, et la bataille finit parce que les
grévistes ont pressenti la défaite. Les fabriques et les usines
regorgent de marchandises invendues; « l'avance» est considé-
rable de tous côtés, parce que nous entrons dans la morte sai-
son. Ainsi les ouvriers se sont aperçus que le chômage, au lieu
de gêner les patrons, faisait au contraire, leur affaire, et qu'on
leur rirait au nez quand ils présenteraient leurs revendications.
Mais, s'il faut en croire le procureur de la république à Lille,
consulté par un de nos confrères, dans trois ou quatre mois, à
l'entrée de la saison des livraisons, la situation sera plus belle
à exploiter, et alors le mouvement reprendra avec d'autant plus
d'ensemble que les ouvriers auront eu le temps de s'y préparer.
Et la grève deviendra générale dans le Nord et le Pas-de-Calais.
Du reste, cette reprise du travail est trop lente; les ouvriers
retournent à l'atelier avec regret, la tête basse, l'air piteux,
mais ayant de la rancune plein le cœur. Une des causes de leur
vive animosité est dans la dureté de certains patrons, qui sont
des ouvriers parvenus, et dont les fortunes sont énormes. Cela
encore surexcite les grévistes, dont quelques-uns furent jadis
les compagnons d'atelier de ceux qui les commandent mainte-
nant avec une telle rigueur. Malheureusement, si certains pa-
trons ont des torts, de leur côté, les ouvriers réclament sans
cesse, et l'exagération même de leurs revendications empêche
qu'on cherche à les satisfaire. Espérons — sans trop d'illusions
— que les quatre mois qui nous séparent de la reprise probable
de la grève seront utilisés par les uns et les autres pour arriver
à trouver un terrain d'entente raisonnable.
Dimanche ont eu lieu trois élections législatives par suite de
ballottages. Trois républicains, dont deux qualifiés de radicaux,
ont été élus. A Rufiec, le candidat républicain l'a emporté de
245 voix sur son concurrent, M. René Gautier, bonapartiste de
marque. Sur 16,660 électeurs inscrits, il y a eu 2,732 absten-
388 ANNALES CATHOLIQUES
tions. A Evreux, deux républicains étaient en concurrence. Le
candidat radical a eu la majorité : sur 17,404 électeurs inscrits,
il y a eu 12,821 votants. Enfin, à Avallon, M. Hervieu, républi-
cain radical, a obtenu 222 voix de plus que son concurrent plus
Eûodérément républicain. Sur 13,409 électeurs inscrits il y a eu
10,789 votants.
Un seul fait intéressant à signaler à l'extérieur. Ce fait, c'a
été l'ouverture de la session du nouveau Reichstag allemand,
avec et par un solennel message de l'Empereur Guillaume II.
D'habitude, les souverains font lire leurs messages en pareille
circonstance par le premier ministre; en Allemagne, un tel
honneur est dévolu dans la plupart des cas au chancelier, et
M. de Bismarck, quand il l'était, remplaçait invariablement ce
jour-là son Empereur. Guillaume II, lui, a tenu à remplir ici
en personne le rôle qui lui est dévolu par la constitution, et on
ajoute qu'il y était d'autant plus porté que, depuis le départ
du prince de Bismarck, il n'existe plus de l'autre côté du Rhin
qu'une seule autorité, l'autorité de l'Empereur,
. Voici le texte complet de ce discours :
Messieurs,
Vous avez été appelés, lors des dernières élections, à travailler en
commun avec les gouvernements confédérés. Je vous souhaite la bien-
venue à l'ouverture de la huitième législature du Reichstag. J'espère
fermement que vous arriverez à donner une solution satisfaisante
aux importantes questions de législation qui vous seront soumises.
Une partie de ces questions est d'une nature si pressante qu'il a
semblé impossible d'ajourner davantage la convocation du Reichstag.
Je compte au nombre de ces questions le développement de la
Législation protectrice des ouvriers. Les mouvements grévistes qui
se sont produits l'année dernière dans différentes parties de l'Alle-
magne m'ont conduit à examiner si notre législation tient suffisam-
ment compte de ceux des désirs de la population ouvrière qui sont
conformes à l'ordre gouvernemental, susceptibles de recevoir satis-
faction et suffisamment justifiés.
Il s'agissait en première ligne de garantir le repos du dimanche
aux ouvriers ainsi que délimiter, en se basant sur des considérations
d'ordre humanitaire et sur les lois naturelles, le travail des femmes
et des enfants. Les gouvernements confédérés se sont convaincus de
la possibilité d'introduire dans la législation, sans porter atteinte à
d'autres intérêts, les parties essentielles des propositions faites en ce
sens par l'ancien Reichstag.
h'
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 389
Oa a reconnu, en outre, la nécessité et la possibilité d'introduire
des améliorations dans un grand nombre d'autres parties de la légis-
lation en rapport avec les précédentes ; il s'agit en particulier des
prescriptions légales relatives à la protection de leurs mœurs et aux
règlements concernant le travail.
La législation sur les livrets d'ouvriers demande également à être
complétée, en ee sens qu'il est nécessaire d'augmenter la considéra-
tion des parents vis-à-vis de l'immoralité croissante des jeunes
ouvriers.
Ces modifications et ces développements à introduire dans la loi
sur les industries trouveront leur expression dans un projet qui tous
sera soumis prochainement.
Un autre projet de loi a pour but d'améliorer les réglementations
relatives aux tribunaux d'arbitres industriels, et en même temps de
les organiser de manière qu'ils puissent être appelés à amener une
conciliation dans les cas de conflits entre les patrons et les ouvriers
relativement au maintien ou à la modification des conditions du
travail.
Je compte sur votre collaboration dévouée pour obtenir une entente
des pouvoirs légiférants sur les réformes qui vous sont soumises et
pour réaliser ainsi un progrès important dans le développement paci-
fique des conditions de la vie de nos ouvriers.
La population ouvrière, à mesure qu'elle se rendra compte des
efforts sérieux de l'Empire pour rendre sa situation satisfaisante, aura
d'autant plus nettement conscience des dangers qui résulteraient
pour elle de la revendication de réformes excessives et irréalisables.
Une juste sollicitude pour les ouvriers constitue la plus grande
force des éléments qui, comme moi et mes augustes confédérés, sont
appelés à s'opposer à toute tentative de troubler l'ordre légal par la
force et qui sont résolus à remplir ce devoir avec une énergie iné-
branlable.
Il ne peut toutefois être question, dans cette réforme, que de
mesures que l'on peut exécuter sans nuire à l'industrie nationale et
par là aux intérêts les plus importants des ouvriers eux-mêmes. Notre
industrie ne constitue qu'une partie du travail économique des
nations qui prennent part à la lutte qui a lieu sur le marché du
monde. C'est pourquoi j'ai cru devoir provoquer un échange d'idées
entre les États de l'Europe qui se trouvent dans la même situation
économique, afin de savoir jusqu'à quel point on peut établir et
mettre en pratique une constatation commune des devoirs qui iscom-
bent aux législateurs en ce qui concerne la protection des ouvriers.
Je dois déclarer avec reconnaissance que l'idée a été bien accueillie
par tous les Etats intéressés, et notamment par ceux qui avaient déjà
conçu le même projet et étaient sur le point de le réaliser.
Le cours qu'a suivi la conférence internationale, qui s'est réunie
390 ANNALES CATHOLIQUES
ici, me remplit d'une satisfaction toute particulière. Les décisions de
cette conférence sont l'expression des idées de tous les pays concer-
nant le domaine le plus important de l'œuvre civilisatrice de notre
époque.
■ Les principes qu'elles contiennent produiront, je n'en doute pas,
l'eflfet d'une semence qui éclora, avec l'aide de Dieu, pour le bien des
ouvriers de tous les pays, et ne seront pas sans porter aussi, au point
de vue des relations réciproques des peuples, des fruits favorables à
l'union de ces derniers.
Maintenir la paix d'une façon durable, tel est le but continuel de
mes efforts. Je puis exprimer la conviction que je suis parvenu à con-
solider chez tous les gouvernements étrangers la confiance que leur
inspire la loyauté de ma politique à cet égard. Le peuple allemand
reconnaît, comme moi et comme les augustes princes confédérés, que
le devoir de l'empire consiste à protéger la paix en s'efforçant de
maintenir les alliances que nous avons conclues pour nous défendre
et les relations amicales que l'Allemagne entretient avec tous les Etats
étrangers, afin de faire progresser le bien-être et la civilisation. Mais
pour remplir cette tâche, l'empire a besoin d'une puissance militaire
répondant à la situation qu'il occupe au cœur de l'Europe.
Toute modification de la puissance relative des États met en
danger l'équilibre politique et les garanties de succès de tous les
efforts faits en vue du maintien do la paix. Depuis le moment où l'on
a fixé pour un laps de temps déterminé les bases de la constitution
de notre armée, les institutions militaires des Etats voisins se sont
développées et perfectionnées dans des proportions imprévue.^.
On n'a rien négligé chez nous, il est vrai, de ce qu'on pouvait faire
pour augmenter nos forces militaires, dans les limites fixées par la
loi ; mais ce qu'on a pu faire à ce point de vue n'a pas été suffisant
pour empêcher la modification apportée à la situation générale de
nous être défavorable.
On ne peut pas tarder plus longtemps à augmenter l'effectif de
présence en temps do paix, ainsi que 1 effectif des corps de troupes,
et en particulier de l'artillerie de campagne. Vous serez saisis d'un
projet de loi portant que l'augmentationi nécessaire de l'armée sera
réalisée le 1^' octobre de cette année.
L'action engagée dans l'Est africain pour la suppression du trafic
des esclaves et pour la protection des intérêts allemands a fait des
progiès durant ces derniers mois, grâce à l'activité et au dévouement
des officiers et des fonctionnaires qui ont été envoyés dans ce pays.
On a lieu d'espérer, d'ici à bref délai, le rétablissement complet de
la paix dans ces territoires. Les dépenses à provenir de ce chef de-
vront être couvertes à l'aide d'un crédit supplémentaire.
Le budget de l'empire pour l'exercice de l'année courante a déjà
besoin d'être complété à raison des projets de loi indiqués plus haut.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 391
Mais, d'autre part, l'amélioration des traitements, depuis longtemps
déjà prévue et devenue de plus en plus urgente, pour une partie
des fonctionnaires de l'empire, ne peut être dilFérée plus longtemps.
Le projet de crédit supplémentaire destiné à compléter le budget
qui vous est soumis vous fournira l'occasion de manifester l'intérêt
que vous prenez à l'équitable et bienveillante satisfaction de ce
besoin.
Si vous réussissez à mener à bonne fin cette partie de votre tâche,
vous aurez, par le fait même, donné de nouvelles et solides garanties
au point de vue de la prospérité intérieure et de la sécurité extérieure
de la patrie.
Je souhaite qu'il nous soit donné d'atteindre ce but par notre tra-
vail commun.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE (1)
8. — I*etît Mois de Mairie,
par Don Sarda y Salvany. —
Joli petit vol. in-32 de 175
pages. — Paris, 1890, chez
Lethielleux.
Digne pendant d'un petit Mois
de saint Joseph également publié
cette année par le même éditeur
et traduit aussi de l'espagnol, de
même format et du même genre,
ce petit Mois de Marie n'a besoin
d'autre recommandation que le
nom de son auteur. Don Sarda y
Salvany est assez connu mainte-
nant du public religieux pour
qu'un extrait de ses œuvres ne
soit pas assuré d'avance du plus
légitime succès. C'est ce que nous
promettons à ce petit Mois de
Marie si pieux et en même temps
si substantiel.
9. -• Manuel pratique et
bibliographique du cor-
recteur, par J. Leforestier.
— Paris 1890.
Un livre correct, reproduisant
avec exactitude la pensée de
l'écrivain telle qu'elle est sortie
de sa belle intelligence, offrant
aux yeux des lecteurs tous les
charmes matériels de la typogra-
phie d'après les principes de l'art
le plus pur et le plus élevé, serait,
paraît-il, la première merveille
du monde, une œuvre supérieure
aux plus fameux monuments des
anciens.
M. Leforestier le déclare et
nous partageons entièrement son
avis. — Ce livre existe-t-il ? Non,
dit encore M. Leforestier, et,
peut-être, dit-il encore, sera-ce
l'œuvre du xx*' siècle.
Après avoir parcouru l'intéres-
sant travail sur lequel nous appe-
lons ici l'attention, nous n'en dé-
sespérons pas, parce qu'après la
publication de ce Manuel jo^'ati-
que du correcteur, les autours
auront à l'avenir, en quelques
pages claires, nettes, admirable-
ment pratiques, un guide sûr,
facile à consulter, et, nous osons
le dire, un guide qui ne restera
muet sur aucun cas douteux ou
difficile.
(1)^ 11 est rendu compte de tout ouvrage dont deux exemplaires
ont été déposés dans les bureaux des Annales catholiques. MM. les
auteurs et MM. les éditeurs sont priés d'indiquer le prix des livres
qu'ils envoient. — L'administration des Annales se charge de four-
nir, au prix de librairie, les ouvrages dont il est rendu compte dans
ce bulletin.
392
ANNALES CATHOLIQUES
10. — Es-tu libre penseur?
par Jacques Bonhomme, iu-lS,
chez Téqui, prix franco: Ofr. 15;
le cent : 10 fr.
11. — I^e petit sou de la
XL.igue de l'enseig^nement
par le même, chez Téqui —
prix franco, 0 fr. 15; le cent :
10 fr.
12. — Le Prêtre et le Franc-
Maçon, parJ. Nicolas. 2® édi-
tion, 1 volume in-12 de 384
pages. Paris, chez Téqui. Prix:
1 fr. 50.
Dans la lutte antique et fameuse
de l'Archange saint Michel contre
le Dragon infernal, le vainqueur
foulant aux pieds son adversaire
transpercé, lui jette cette parole
pleine d'une noble fierté : Quis
ut Deus ?
Satan avait essayé de détrôner
Dieu pour s'asseoir à sa place.
Armé du glaive divin, l'Archange
précipite du haut du Ciel l'impu-
dent et téméraire usurpateur, en
lui criant avec ironie : « Apprends
que nul au monde, fût-il Lucifer,
n'est capable de se mesurer avec
Dieu. B
Depuis soixante siècles au moin^
la lutte des démons s'est retour-
née contre l'humanité; elle dure
etdurera jusqu'à la fin des siècles.
Aujourd'hui la bataille est en-
gagée vigoureusement entre la
société chrétienne et la Franc-
Maçonnerie juive. Les armes prin-
cipales des combattants sont la
Presse quotidienne ot les livres.
Là se distillent avec art les poi-
sons les plus subtils en face des
vérités les mieux établies.
C'est à Ja raison éclairée, c'est
au bon sens à faire le choix.
Les livres ne manquent pas
certes; mais, comme pour les
champignons, malheur à qui se
trompe.
Aujourd'hui la librairie Téqui
offre au public la seconde édition
d'un petit volume plein d'actualité,
qui a pour titre : Le prêtre et le
franc-maçon.
L'auteur s'est proposé de mon-
trer que l'ennemi delà société en
tous temps et en tous lieux, n'est
pas leprétre catholique, mais bien
le franc-maçon doublé du tripo-
teur juif.
Le public accueillera favora-
blement la deuxième édition de
cet ouvrage encouragé, du reste,
par Sa Sainteté le Pape Léon XIII.
Les prix d'abonnement aux Annales Catholiques sont :
EDITION ORDINAIRE
France. — Algérie. — Corse.
Un an 15 fr.
Six mois 8
Trois mois .... 4
Alsace- Lorraine . — Suisse.
Belgique.
Un an 16 fr.
Six mois 9
Union postale universelle.
Un an 18 fr. »
Six mois 10 »
* Pays en dehors de l'Union
* pjostale.
50 Un an 24 fr. »
ÉDITION SUR BEAU PAPIER
Les abonnements sont d'un an
» et respectivement de 18,22,24 et
* 36 fr.
Un numéro : 0 fr. 35, franco : 0 40.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. Imp. G. Picqnoin, 53, rue de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LE SOCIALISME CONTEMPORAIN
(Suite et fin. — Voir le numéro précédent.)
IV
La nationalisation de la }'>'>' opri été.
L'idée dominante du socialisme est ce qu'on a appelé la. natio-
nalisation de la terre et des instruments de travail, ou l'aboli-
tion de la propriété privée remplacée par la propriété collective
de la communauté ou de l'Etat.
Voici comment les socialistes argumentent à ce sujet : la terre
n'est pas un produit de l'homme, mais un don de Dieu; Dieu ne
l'a donnée à personne en particulier, mais^il l'a mise indistinc-
tement à l'usage de tous. Donc, se l'approprier et en exclure
les autres, c'est chose injuste; c'est un véritable vol qui oblige
à restitution. Cette restitution doit être faite à l'Etat, qui repré-
sente la communauté, au préjudice de laquelle le vol a été
commis. A la propriété privée doit donc être substituée la pro-
priété collective.
Nous avons démontré ailleurs (1) l'iniquité de cette substitu-
tion. La propriété privée de la terre procède en effet de la
nature, car c'est la nature qui a fait l'homme prévoyant et
sociable, et partant capable de posséder d'une manière stable
les choses qui produisent ce qui est nécessaire à son alimenta-
tion (2). Bornons-nous, ici, à relever l'inanité du raisonnement
(1) Principes d'économie politique, par le Père Liberatore. Rome,
typog. Befani, 1889.
(2) Si un homme peut aujourd'hui occuper une terre qui n'a point
encore d'occupant, pour en retirer ce qui est nécessaire à la satisfac-
tion du besoin présent, il pourra certainement continuer à l'occuper
demain, en vue de ce même besoin qu'il prévoit devoir renaître
demain. Ce qu'il peut pour le lendemain, il le pourra pour une
semaine, pour un mois, pour un an, pour toute sa vie, pour la vie
des enfants qu'il laissera après lui. La raison de prévoyance est tou-
jours la même. Et, on cela, il ne nuit à personne, s'il est disposé à
donner le superflu à d'autres qui se trouveraient dans le besoin et no
pourraient y subvenir autrement. En outre, sans la division de la
terre, il ne peut y avoir ni paix mutuelle, ni agriculture, ni progrès
social ; l'homme qui a été organisé par la nature pour vivre avec ses
semblables dans une société paisible et régulière afin de tendre au
commun perfectionnement, tient donc de la nature même le droit
d'être propriétaire.
Lxxii — 24 Mai 1890 29
394 ANNALES CATHOLIQUES
des socialistes. S'il était valable, il se ratournerait contre eux;
car enfin, ils doivent bien admettre tout au moins la propriété
mobilière qu'ils ne pourraient détruire sans réduire l'homme à
la condition de la bête. Or, cette idée du don de Dieu se peut
appliquer également à la propriété mobilière. A coup sûr, ils ne
vous contesteront pas la propriété de l'argent que vous avez pu
acquérir, de l'habit que vous avez cousu ou que vous vous êtes
fait confectionner, des meubles dont vous avez garni votre mai-
son. Mais ne sont-ce pas encore d&s dons de Dieu, ce métal qui
devient de la monnaie, cette laine dont est fait votre habit, ces
matières avec lesquelles ont été fabriqués vos meubles ?
Pourquoi donc s'approprierait-on ces choses, si le don de
Dieu est fait à tous? — En vertu du travail, diront-ils. — Mais
le travail ne s'applique-t-il pas aussi à la terre, et n'est-ce pas
précisément par le travail qu'elle devient cultivable et fertile?
Cette rétorsion de l'argument est faite très à propos par
M. Rae, en réponse à Henri Georges, qui, dans son livre Progrès
et Pauvreté [l], avait pris parti pour la nationalisation des terres-
« Ce dont Georges ne s'est pas aperçu, dit-il, c'est que la
terre cultivable n'est pas davantage un don de Dieu que ne l'est
tout produit artificiel du travail humain et qu'elle doit être
mise sur le même pied que les autres biens meubles, auxquels
il reconnaît que s'applique incontestablement le droit de pro-
priété privée. Il y a telle propriété des plus riches d'Angleterre,
qui se trouve en plein ])aTs de marécages; le sol y est autant le
produit de l'habileté d'un ingénieur servie par un travail pro-
longé, que peut l'être le port de Portland ou le pont de Menai.
Avant sir Cornélius Vermuyden, cette terre était couverte par
la mer, et ses habitants, d'après Camden, vivaient sur de mé-
chantes barques du produit de la chasse au gibier d'eau. Quel-
ques-unes des meilleures terres de la Belgique n'étaient, il y a
cent ans, que de stériles collines de sable; elles ne sont deve-
nues ce que nous les voyons aujourd'hui que par le travail
(1) M. Rae réfute avec une rare vigueur tout ce livre, qui n'est
qu'un tissu de faits imaginaires et de théories erronées. Cependant,
dès son apparition, cet ouvrage échauffa tellement les têtes par ses
promesses pompeuses de félicité générale pour la classe ouvrière,
qu'en Amérique il eut cent éditions, et en Angleterre une édition de
soixante mille. Ce qui, conclut à bon droit M. Rae, prouve manifes-
tement combien la société moderne est peu satisfaite du résultat de
notre civilisation industrielle tant célébrée.
LE SOCIALISME CONTEMPORAIN 395
acharné de leurs petits propriétaires. Dans ces cas particuliers,
l'œuvre du travail et ses résultats sont évidents; mais il n'y a
pas de terre arable, en quelque lieu que ce soit, qui ne soit le
produit d'un long labeur. La richesse mobilière et l'immobilière
se trouvent donc dans des conditions identiques. Toutes deux
sont en même temps et des dons de la nature et des produits
du travail. Qu'y a-t-il donc qui soit de création humaine?
L'homme trouve ses matériaux déjà créés, et se borne à s'en
rendre maître et à les approprier à ses besoins par le travail
et c'est précisément ce qu'il fait à l'égard de la terre, qui dans
ses mains se transforme en campagnes fertiles » (1).
Si donc le travail humain, imprimé sur une chose qui est le
don de Dieu, la rend apte à devenir une propriété privée, cela
sera vrai à plus forte raison pour la terre, qui a reçu et qui
reçoit dans son sein les sueurs d'un plus long et plus fatiguant
travail incessamment continué. Dés que la terre est devenue
légitimement un objet de propriété, elle peut tout aussi légiti-
mement se transmettre à autrui par contrat ou par héritage,
car il est certainement conforme au droit naturel de céder ou
de léguer ce qu'on possède. La propriété privée d'aujourd'hui
s'appuie donc sur la justice ; — si elle est juste, il sera contraire
à la justice d'en dépouiller ses possesseurs actuels pour en for-
mer un patrimoine collectif.
Or, il n'y a pas de législation qui puisse établir ce qui est
contraire à la justice.
Ce que nous disons de la terre est également vrai des instru-
ments de travail, qui constituent, eux aussi, une propriété, née
de l'épargne, c'est-à-dire du produit de la terre et du travail.
Les confisquer au profit de la propriété collective, ce serait une
violation outrageante du droit naturel de l'homme.
Une objection.
Mais, dira-t-on, si la terre ne diffère pas du reste des choses
sur lesquelles s'exerce le travail, en ce sens que celles-ci sont
comme elle des dons de Dieu, elle en diffère en ce point très
important qu'elle produit les aliments sans lesquels la conser-
vation de la vie serait impossible. D'oii il suit que tous les
hommes ayant un droit égal à vivre, tous ont également droit
(1) Le Socialisme contemporain, ch. ix, Progrès et Pauvreté.
396 ANNALBS CATHOLIQUES
à posséder la terre. Donc celui qui l'usurpe pour soi viole un
droit commun.
Nous répondons. Il est très vrai que le caractère spécifique
de la terre est d'être la productrice des biens indispensables à
la subsistance de l'homme. Mais il ne s'ensuit pas que tout le
monde ait droit à la possession du sol. Ce droit existerait pour
tous si, en dehors de cette possession, il ne leur était pas pos-
sible d'obtenir les biens que produit la terre. Mais on les obtient
parfaitement, et quelquefois même plus facilement par d'autres
moyens.
C'est ainsi que le propriétaire d'une fonderie de fer, ou d'une
fabrique de draps est plus assuré d'avoir en abondance ces pro-
duits de la terre que ne peut l'être le propriétaire de quelques
hertares de terrain. Grâce à l'échancre, tout produit équivaut
à un autre produit, et celui qui a un ballot de toile a dix sacs
do grain.
J^a possession on commun de la terre nuirait d'ailleurs à sa
culture et par suite réduirait sa production, outre qu'elle serait
une source de confusion et de conflits. Le vrai et universel
mojen de se procurer les biens nécessaires à la vie, c'est le
travail, travail corporel ou intellectuel, qui s'échange lui-même
ou échange ses produits contre les fcuits de la terre.
Mais objectera-t-on encore, le travail peut manquer soit pour
cause de maladie, soit par défaut de commandes, soit par insuf-
fisance de salaire. — C'est vrai; aussi pour justifier la propriété
privée des terres, faut-il lui appliquer la distinction entre la
possession et l'usage que saint Thomas établit pour la propriété
en général. Il se demande si l'homme peut posséder des biens
extérieurs comme biens propres — et il résout ainsi cette
question :
Quant aux biens extérieurs, deux choses conviennent à
l'homme. L'une est le pouvoir d'acquérir et de disposer — et
sous ce rapport il est licite que l'homme possède comme biens
propres des biens extérieurs, cela est même nécessaire à la vie
humaine.
L'autre chose qui convient à l'homme au regard des biens
extérieurs, c'est l'usage de ces biens, et sous ce rapport,
l'homme ne doit pas les avoir en propre mais les considérer
comme biens communs, de telle façon qu'il soit disposé à en
faire part aux autres dans leurs besoins. C'est pourquoi l'apôtre
dit (Tira. I, vi, 17) : Commandez aux riches de donner avec
LE UEPOS DU DIMANCHE 397
facilité. Prescrivez-leur de faire part de leurs biens aux
pauvres.
A l'égard de la terre, la possession concerne le fonds, l'usage
concerne les fruits. Le premier peut être bien propre, le second
doit être commun, en ce sens que le possesseur s'en serve de
plein gré pour subvenir aux besoins des nécessiteux. Ainsi tout
le monde jouira des produits de la terre, les uns par droit de
propriété, les autres en vertu du devoir de bienfaisance, s'il ne
leur est pas possible de se les procurer par l'industrie et le
travail. En d'autres termes, le moyen d'obtenir les fruits de la
terre est toujours le travail; le travail appliqué à la culture des
champs que l'on possède, ou le travail s'exerçant aux autres
offices dans lesquels se déploie l'activité humaine. Et quand le
travail fait défaut, c'est à la libéralité des riches d'y suppléer.
Tel est l'ordre voulu par Dieu. Quand l'homme s'y conforme
tout œiarche régulièrement; si, au contraire, il s'en écarte, il
n'est pas étonnant que tout aille de travers.
LE REPOS DU DIMANCHE (1)
Emine.nce,
En vous remerciant de vouloir bien, ce soir, avec votre bonté
accoutumée, nous apporter l'encouragement de votre parole et
la grâce de votre bénédiction, il m'est bien doux de vous saluer
pour la première fois, en public, d'un titre qui rappelle la haute
et grande dignité dont vous avez été investi. Les vœux de la
France catholique vous y appelaient, le choix spontané du Sou-
verain Pontife vous l'a conférée. Vous avez été le désiré du
peuple et l'élu du représentant de Dieu : c'est votre double cou-
ronne. [Applaudissements .)
Le cardinal Guibert, de pieuse mémoire, vous avait transmis,
avec sa charge épiscopale, son cœur, son âme, ses saintes
vertus ; pour que la ressemblance fût parfaite, vous avez été
recouvert de la même pourpre. L'âme de celui que, comme vous,
nous appelions notre bien-aimé et bien vénéré cardinal a dû
tressaillir dans les cieux ; et nous qui étions ses fils et qui
n'avons pas cessé d'être les vôtres, nous avons chanté sur la
terre un Te Deum d'actions de grâces envers Dieu, en y mêlant
(1) Discours de M. Chesnelong, à la séance d'ouverture de l'assem-
blée des catholiques.
398 ANNALES CATHOLIQUES
un hommage de tendre vénération pour vous. [Très bien !
Applaudissements .)
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais vous entretenir, ce soir, de la question du repos
du dimanche, qui est bien vieille, aussi vieille que le monde,
mais qui est toujours nouvelle et qui, plus que jamais, est à
l'ordre du jour.
Loi de principe parce qu'elle touche à l'ordre providentiel des
choses et aux conditions nécessaires de la nature humaine; loi
immuable parce qu'elle est née d'un commandement de Dieu en
qui réside la vérité inaltérable et substantielle ; loi perpétuelle,
parce que son origine se confond avec l'origine du genre humain;
loi universelle, parce qu'elle est pratiquée dans toutes les
nations chrétiennes et qu'on en retrouve la trace chez les
peuples même où la lumière de l'Evangile s'est obscurcie, ou n'a
pas pénétré, la loi du repos du dimanche touche à la souverai-
neté de Dieu par l'hommage qu'elle lui rend, à la stabilité de la
société par la force qu'elle lui donne, à la dignité de la famille
par la sauvegarde qu'elle lui assure, à la fécondité du travail
par les garanties qu'elle lui oifre, enfin, au relèvement des
humbles et des faibles par la protection qu'elle leur accorde.
Je voudrais l'examiner sous ces divers aspects; je rechercherai
ensuite les devoirs qui nous sont imposés pour la mettre en hon-
neur, autant que cela dépendra de nous, dans notre pays.
Mais, avant d'entrer dans l'examen de ce sujet, je ne puis
écarter un souvenir qui se présente à mon esprit, ou plutôt à mon
cœur.
En 1874, à l'Assemblée nationale, j'avais l'honneur comme
rapporteur, de soutenir la prise en considération d'une proposi-
tion de loi sur le repos du dimanche, laquelle si elle avait été
adoptée, aurait satisfait à toutes les revendications que nous
poursuivons encore. Mon regretté ami, M. de Belcastsl, entra
dans le débat, et je l'entends encore s'écrier avec cette foi péné-
trante qui faisait partie de sa puissance : « Plus riche que la
manne antique et matérielle tombant six jours pour nourrir le
septième, la manne morale qui tombe le dimanche nourrit le
cœur de l'homme pendant six jours. » {Vifs applaudissements.)
Homme d'une foi profonde, d'un désintéressement absolu,
d'une austérité de mœurs et d'une rigidité de vie qui comman-
daient le respect, d'une sincérité courageuse qui obéissait au
LE REPOS DU DIMANCHE 399
devoir et ne fléchissait que devant lui, M. de Belcastel joignait
à un esprit brillant et à une imagination, si je puis ainsi dire,
très littéraire, une grande âme et un noble caractère. Dans sa
parole ardente et colorée, l'éclat se mêlait à l'élévation ; la
splendeur de l'image rehaussait la force de la pensée ; on y sen-
tait passer des souffles puisés aux sources les plus hautes. C'est
surtout dans nos assemblées catholiques que cette parole éclatait
avec un magnifique rayonnement, et elle était toujours accueillie,
— vous vous en souvenez, — par des acclamations enthousiastes.
Elle eut aussi ses grands jours à l'Assemblée nationale ; et,
pour ne parler que d'un de ces jours, lorsque, dans une circons-
tance qui était trop politique pour que je puisse me permettre
de la rappeler ici, M. de Belcastel fit entendre, à la dernière
heure, de solennels et prophétiques avertissements, il rencontra
des accents d'une grandeur saisissante et d'une émotion qui
remua le fond des âmes. (Applaudissements prolonge's.)
La mort a frappé ce vaillant et éloquent athlète, ce grand
chrétien, cet ami qui était un modèle. Nous garderons à sa
mémoire le respect qui s'attache au souvenir de nobles vertus,
d'un beau talent et de grands services. {Applaudissements .)
Après avoir acquitté cette dette de cœur qui nous était com-
mune, j'entre dans le sujet.
La loi du repos du dimanche a d'abord et avant tout la ma-
jesté et la grandeur d'un commandement divin.
Dieu en faisant de l'homme un être double dans son unité, en
le rattachant par son âme à ces régions supérieures dont l'im-
mortalité est le partage, par son corps à l'univers terrestre dont
la lutte, souvent douloureuse et tourmentée est la condition,
lui imposa un double travail : le travail de l'âme, marchant à
travers les tragiques combats du devoir contrôla passion vers la
vérité et vers le bien, c'est-à-dire vers Dieu dont la vérité est
la pensée et dont le bien est la volonté; le travail du corps par
lequel l'homme, armé de son intelligence et de ses bras, arrache
à la terre les secrets de sa fécondité, aux éléments dont il est
environné le secret de quelques-unes de leurs forces, et pourvoit
ainsi, au prix de pénibles efî'orts, aux besoins de son existence
matérielle.
Dieu fit plus. Messieurs, et déterminant entre ces deux ordres
de travail la loi de leur harmonie, il ordonna que sur les sept
jours de la semaine, six pourraient être employés pour les tra-
vaux du corps, mais qu'il y en aurait un qui serait réservé pour
400 ANNALES CATHOLIQUES
le travail vivifiant et régénérateur de l'âme et consacré au culte
du Seigneur.
Messieurs, c'est le troisième commandement de Dieu. « Il est,
disait Mgr Richard dans le mandement qui inaugura à Paris
son saint et bienfaisant épiscopat, comme le mémorial de tous
les autres et la manifestation perpétuelle de Dieu vivant et
régnant dans le monde moral comme dans le monde physique. »
C'est ainsi, Messieurs, que le respect de la loi du dimanche
est non seulement le signe, mais aussi la manifestation essen-
tielle des liens sacrés qui unissent la terre au ciel, l'homme à
son Créateur, liens sacrés qui sont Tessence même de la
religion. La violation de la loi du dimanche au contraire
quand elle est systématique et suggérée par le mépris du com-
mandement divin, est comme un acte implicite d'athéisme. Pro-
faner de parti pris et par un mépris voulu de la loi religieuse le
repos du Seigneur, comme l'appellent les saints Livres, n'est-ce
pas, en effet, traiter Dieu comme s'il était une hypothèse vaine
et impuissante autant qu'inutile puisqu'on semble déclarer, par
le fait même de cette profanation, qu'on n'a ni un hommage à
lui rendre, ni un jour à lui réserver. Et dans cet outrage à sa
majesté, n'y a-t-il pas comme une négation de son existence?
(Applaudisseinenis.)
La loi du dimanche est aussi une loi sociale.
Pas de société, en eftet, sans religion. Je sais bien qu'on le
conteste aujourd'hui. Le droit de Dieu, dit-on, a fait son temps
et le moment est venu de remplacer ce droit suranné par l'indé-
pendance absolue du droit humain.
Quelle que soit l'infatuation de nos modernes libres-penseurs,
le vieil axiome reste. Où Dieu n'est pas, le pouvoir est sans
force, la justice est sans régie, la loi est sans base, le devoir est
sans responsabilité, le droit est sans pi'otection, la liberté est
sans garantie, la société vacille sur ses fondements ébranlés, et
est elle-même sans stabilité et sans avenir. [Vive adhésion.)
On peut détruire une société en s'attaquant aux conditions de
sa vie; mais on ne peut pas changer ces conditions telles que
Dieu, qui est le créateur des sociétés comme il est le créateur
des mondes et des âmes, les a faites. Voilà l'axiome. [Vifs
applaudissements.)
Messieurs, bien des questions s'agitent aujourd'hui, mais il
en est une qui domine toutes les autres, à laquelle toutes les
autres sont surbordonnées et de laquelle dépend le salut ou la
LE REPOS DU DIMANCHE 401
ruine de notre société française. La France restera-t-elle ou
même, à quelques égards, redeviendra-t-elle la nation très
chrétienne ou bien sera-t-elle la proie de je ne sais quel athéisme
social s'appuyant sur un matérialisme dont l'aspect scientifique
ne réussit pas à voiler la triste dégradation? Messieurs, c'est la
question suprême, et elle se pose entre le relèvement et l'abîme.
Non, la politique séparée de Dieu ne nous relèvera pas; elle
ne pourra que préparer des désastres humiliants. Non, la science
séparée de Dieu ne nous relèvera pas; elle ne pourra que cou-
vrir du prestige menteur d'un progrés matériel, auquel ne
correspondrait aucun progrés moral, l'énervement des caractères,
l'affaissement des énergies généreuses, le dessèchement égoïste
et peut-être la perversité des cœurs. Non la morale séparée de
Dieu ne nous relèvera pas; elle tuera dans les âmes, avec la foi,
le devoir, l'espérance, le respect, qui est la vie des sociétés, et
l'esprit de sacrifice qui fait leur grandeur. Le jour oii la France
cesserait de croire en Dieu, elle ne croirait plus à elle-même;
déchue de son ascendant, parce qu'elle ne serait plus soutenue
par ses croyances, elle expierait, dans la honte de son abaisse-
ment, le crime de son apostasie ! [Salve d'applaudissements.)
Messieurs, le salut de la société ne peut se trouver que dans
la restauration chrétienne de la France; avec elle tout peut
être sauvé, sans elle rien ne peut être relevé. Or, la loi du repos
du dimanche est la première pierre, la pierre fondamentale de
cette restauration et c'est par là qu'elle est une loi essentielle-
ment sociale.
Elle est aussi, Messieurs, une loi familiale.
Le dimanche est la fête de la famille; ce jour-là les affec-
tions se retrouvent, les âmes se confondent, les cœurs se rap-
prochent, le faisceau du foyer se reconstitue; l'aieul, le père, la
mère, l'enfant, dispersés souvent pendant la semaine par les
nécessités du travail de chacun, se groupent sous le regard de
Dieu, dans la communauté des mêmes devoirs, des mêmes sen-
timents et des mêmes espérances.
Ecoutez ces paroles touchantes d'un homme qui osa tout
contre la vérité, mais qui lorsqu'il la rencontrait parfois, savait
la marquer d'une originalité vigoureuse et saisissante :
« La joie du dimanche se répand partout; les douleurs plus
solennelles sont moins poignantes; les regrets moins amers.
Les sentiments s'épurent; les époux retrouvent une tendresse
vive et respectueuse, l'amour maternel ses enchantements :
402 ANNALES CATHOLIQUES
la piété des fils s'incline avec plus de docilité sous la tendre
sollicitude des mères. »
Ce que Proud'hon ne disait pas, et ce qu'il faut ajouter, c'est
que la religion élargit et vivifie les pures tendresses du foyer
sous la double influence d'une paternité plus haute et d'une
fraternité plus vaste.
La fête du dimanche, commencée dans la famille, se continue
à l'église. Là, sur l'autel resplendissant de lumières, le prêtre
célèbre le saint sacrifice; il distribue au peuple la parole de vie;
la prière monte vers Dieu; Dieu lui-même descend dans les
cœurs ; le ciel semble se rapprocher de la terre. Il y a là comme
une communion de toutes les âmes avec Dieu et de toutes les
âmes entre elles au-dessus de laquelle plane une sainte égalité
qui rapproche tous les âges et qui confond tous les rangs
[App laudissements . )
Jeunes et vieux, riches et pauvres, profitant du même loisir,
soumis à la même loi, s'agenouillent aux pieds du même bon
maître auprès de qui la noblesse de l'âme est le seul titre à
invoquer et qui l'accueille avec une plus tendre prédilection
lorsqu'elle est relevée par l'humilité de la situation. [Nouveaux
applaudissements .)
Et grâce à l'union de tous les foyers dans un même temple,
grâce à l'émulation bienfaisante qui se dégage de leur contact
réciproque, grâce au dimanche qui les rapproche dans les
mêmes enseignements, dans les mêmes encouragements et dans
les mêmes grâces, ce n'est pas seulement la paroisse, — famille
agrandie, — qui se constitue dans une généreuse solidarité et
dans une pacifique concorde; c'est chaque famille elle-même
qui puise dans ce mutuel épanchement de vie religieuse et
morale, un rajeunissement de foi, de courage, de confiance en
Dieu, au besoin, de force pour supporter avec résignation les
douleurs et les épreuves de la vie. [Apj^laudissements .)
Savez-vous, Messieurs, oii la famille chrétienne puise cette
union qui la fait si forte, ce respect d'elle-même qui la fait si
grande, cette sérénité paisible qui la fait si douce et si belle ?
N'en doutez pas, c'est dans le dimanche chrétiennement observé.
Là, au contraire, oii le dimanche est méprisé, la famille est
atteinte dans sa racine ; elle perd à la fois son charme et sa
cohésion; la désagrégation ne tarde pas à se faire dans ce foyer
vide de Dieu, oii les tendresses elles-mêmes sont affaiblies et ne
suffisent plus à maintenir le faisceau; la famille, hélas! n'est
LE REPOS DU DIMANCHE 403
trop souvent qu'un assemblage mal assorti d'âmes qui ont cessé
de se comprendre, de cœurs qui ont cessé de s'aimer, parce
qu'ils se sont éloignés du centre de toutes les unions et de
toutes les aflfections durables. C'est une évidence douloureuse,
mais c'est l'évidence même et les faits sont malheureusement
trop nombreux qui se chargent de la justifier. [Nouveaux
applaudissements.]
La loi du dimanche qui, nous venouKS de le voir, est une loi
religieuse, sociale, familiale, est aussi une loi économique.
N'en soyez pas surpris. Quand Dieu a parlé, sa parole
embrasse tout et s'étend à tout; elle a le privilège d'une souve-
raine efficacité dans une souveraine universalité. (Vive
adhe'sion.)
Un repos périodique est nécessaire à l'homme pour que sa
puissance de travail puisse se développer dans toute la pléni-
tude de son action; si ce repos lui manque, il ne tarde pas à
s'afiaisser, épuisé par l'abus de ses propres forces, victime expia-
toire, en quelque sorte, du défi arrogant qu'il a osé jeter à la
nature.
Qu'on ne dise pas que le repos périodique prive l'ouvrier
d'une journée de travail qui est nécessaire à sa vie. Quand l'ou-
vrier travaillerait tous les jours de l'année, il ne verrait pas, par
suite de la loi économique qui préside à la fixation du prix du
travail, son salaire total augmenté. Et d'ailleurs, il perdrait,
par TafiFaiblièsement de sa santé, beaucoup plus que la continuité
ininterrompue du travail ne pourrait lui faire gagner.
Qu'on ne dise pas davantage que la production générale
serait diminuée de ce que le jour de repos aurait apporté en
travail. Je ne veux à cet égard que vous citer les magnifiques
paroles qui ont été prononcées il j a quelques années à la tri-
bune de la Chambre des communes par Lord Macaulay :
« L'homme, l'homme, s'écriait-il, tel est le grand créateur
de la richesse. Voilà pourquoi nous ne nous sommes pas appau-
vris, mais au contraire enrichis par le repos du septième jour.
Ce jour n'est pas perdu. Pendant que la manufacture s'arrête,
pendant que la charrue dort sur le sillon, pendant que la fumée
cesse de s'échapper de la cheminée de la fabrique, la nation ne
s'enrichit pas moins que pendant les jours laborieux de la
semaine. L'homme, la machine des machines, se répare et se
remonte, si bien qu'il retourne à son travail du lendemain avec
l'intelligence plus lucide, plus de courage à l'œuvre et une
vigueur renouvelée. »
404 ANNALES CATHOLIQUES
La vérité est là, Messieurs, et j'ai d'autant moins à insister
que la ^^cessité d'un repos périodique est universellement
reconnue.
On admet même que ce repos doit être hebdomadaire. Le
décadi, cette invention révolutionnaire que la force seule put
un instant soutenir et qui ne tarda par à périr dans l'impuis-
sance et dans le ridicule, le décadi n'est plus défendu par per-
sonne. Une semaine de sept jours, un jour de repos par semaine,
ces deux lois, en apparence arbitraires, mais que Dieu a déter-
minées dès le commencement des choses, et dont il a trouvé en
quelque sorte l'exempluire dans l'essence même de son œuvre
créatrice, ces deux lois s'imposent, comme deux axiomes, par
leur nécessité à la fois indémontrable et indiscutable. [Jlve
approbation.)
Donc le repos hebdomadaire n'est pas contesté. Mais il n'en
est pas de même du repos dominical; il trouve encore des
adversaires qui y voient « un anachronisme humiliant, le signe
honteux d'une domination théocratique toujours menaçante ».
Ainsi s'exprimait en 1880, — mon ami Keller peut s'en sou-
venir, — le rapporteur à la Chambre des députés du projet
d'abrogation de la loi de 1814.
Je ne m'attarderai pas aujourd'hui. Messieurs, à réfuter
devant vous de si creuses déclamations. Ce que je veux dire
seulement, c'est que le repos du dimanche est seul un repos
bienfaisant et réparateur, parce que seul il fait la part à la fois
des délassements du corps, des joies du cœur et des besoins de
l'âme, parce quts seul il laisse à l'ouvrier la liberté de se
retremper au contact de la religion et de la famille, au contact
de ses devoirs les plus élevés et de ses sentiments les meilleurs,
parce que seul il lui permet, en restaurant ses forces physiques,
de renouveler, si je puis ainsi dire, ses provisions de foi, de
courage et de dévouement. [Approbations.)
Quant au faux repos hebdomadaire qui n'est pas le repos
dominical, nous le connaissons bien, c'est le chômage du lundi :
il s'est révélé par ses œuvres. Ce n'est pas la part faite au repos,
c'est la part faite au désordre et à la prodigalité; c'est l'épargne
de la semaine gaspillée dans des plaisirs grossiers, et le travail
des jours suivants compromis par le double énervement des
forces du corps et des énergies de l'âme; c'est l'ouvrier atteint
à la fois dans sa moralité et dans sa faculté de production.
Donc, Messieurs, je crois l'avoir prouvé, le repos du dimanche
LE REPOS DU DIMANCHE 405
est, au point de vue économique, une des garanties nécessaires
de la fécondité du travail et du bien-être de l'ouvrier; ce n'est
pas une institution restrictive et oppressive, c'est une institu-
tion protectrice et libératrice. [Applaudissements .)
Elle a. Messieurs, surtout ce caractère lorsqu'on l'envisage
au regard de la dignité morale de l'ouvrier et de la liberté de
son âme.
On parle beaucoup aujourd'hui de réformes sociales. Je ne
compte pas sur le socialisme d'Etat pour les opérer; j'éprouve
contre lui, je l'avoue, une répulsion profonde; je le vois à
l'œuvre sur le terrain de l'enseignement et sur le terrain de la
charité et je ne connais pas un plus grand ennemi de la liberté
chrétienne. [Vifs applaudissements.)
Mais s'il s'agit de faire monter par des lois chrétiennement
protectrices, équitables et généreuses, l'ouvrier, le paysan, le
pauvre, à un degré de plus en plus haut de lumière et de
dignité morale; de garantir ses libertés légitimes, — je ne
m'arrête pas là, car le dev^oir chrétien va plus loin, — de le
soutenir dans ses faiblesses, de l'assister dans ses malheurs, de
l'aider dans son ascension progressive vers une situation meil-
leure, si les réformes sociales sont cela, quel est donc l'homme
de cœur, quel est le chrétien qui ne serait pas disposé à les étu-
dier avec sympathie et avec une équité charitable?
Mais en fait de réformes sociales, la première à accomplir,
celle qui est l'assise nécessaire de toutes les autres, celle qui ne
menace personne et qui serait un bienfait pour tout le monde
c'est que le repos du dimanche soit garanti à l'ouvrier et que
l'ouvrier lui-même se fasse une loi de le respecter.
Voulez-vous, au contraire, Messieurs, que je vous dénonce le
plus grand ennemi de l'intelligence, du cœur, de la dignité, de
la liberté, de la santé matérielle et morale de l'ouvrier; c'est le
travail du dimanche.
Voici, en effet, un ouvrier industriel;, — car c'est dans l'in-
dustrie que le mal est le plus grand et que la réforme est la
plus urgente; — il est rivé, pendant six jours de la semaine à
un travail souvent monotone et en quelque sorte mécanique, qui
est relevé par le devoir, mais qui laisse sommeiller les facultés
de son intelligence et les élans de son cœur. S'il n'a pas la
liberté du dimanche, s'il ne peut pas, ce jour-là, élever ses
pensées, épancher ses sentiments, porter vers Dieu ses regards
et son cœur, se retremper dans les affections de sa famille et y
406 ANNALES CATHOLIQUES
verser ses sollicitudes, quelle sera sa vie? Quelle sera la vie
de la famille ? S'il est père, si sa femme est, comme lui, attachée
à un atelier et s'ils sont tous deux privés du repos du dimanche,
que deviendront leurs enfants ? Plus malheureux, je le disais
un jour au Sénat, que s'ils étaient orphelins, ils auraient, sans
doute, une famille, mais une famille que la servitude d'un tra-
vail ininterrompu condamnerait à laisser l'enfant dans un
périlleux abandon. {Vive approbation.)
Est-ce que vous ne voyez pas tout ce qu'il y a d'amer dans
cette situation? Est-ce que vous ne voyez pas à quelle dégrada-
tion elle pourra conduire les générations qui sortiront de ces
foyers où Dieu sera absent, oii l'enfant sera dénué de toute
protection efficace?
Messieurs, en 1880, je disais ces choses au Sénat, comme mon
ami Keller les avait dites avant moi à la Chambre des députés.
Et que nous répondait-on?
Ah! on nous opposait un sophisme qui déguise la servitude
sous le masque hypocrite de la liberjté ; on nous opposait ce
sophisme à l'aide duquel on a, depuis dix ans, mutilé, saccagé,
meurtri toutes nos libertés religieuses, ce sophisme derrière
lequel on s'est abrité tantôt pour bannir la religion et les reli-
gieux de nos écoles ; tantôt pour chasser les aumôniers et les
sœurs de quelques hôpitaux ; tantôt pour séparer le prêtre du
soldat; tantôt pour laïciser nos cimetières catholiques en y
subordonnant le bon plaisir de la police au droit sacré de la reli-
gion, tantôt, dans quelques grandes villes, en interdisant à
Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même la rue de nos cités, — la
rue où, cependant, nous voyons s'étaler parfois avec une pompe
tout officielle des funérailles dites civiles qui sont la glorifica-
tion de l'apostasie s'affirmant jusque dans la mort, avec un
orgueil outrageant pour la foi de la nation — [Applaudisse-
ments), tantôt enfin, — c'est le dernier attentat, — en envoyant
nos séminaristes à la caserne et en brisant ainsi une immunité
séculaire que la Convention elle-même avait respectée.
Et toutes ces choses se sont faites au nom de la liberté des
consciences! Comme si la liberté ne devait plus être, en France,
que l'oppression de toutes les croyances par toutes les négations,
l'oppression des divers cultes par l'incrédulité qui les répudie
tous, l'oppression des consciences chrétiennes, qui sont l'im-
mense majorité des consciences françaises par la prétention
arrogante de quelques sectaires qui cesseront d'être une force
LE REPOS DU DIMANCHE 407
le jour où la nation désabusée se demandera seulement : com-
bien sont-ils? [Applaudissements répétés.)
Eh bien, Messieurs, ce sophisme nous le rencontrâmes
en 1880 sur la question du dimanche ; et on nous disait : « Nous
ne pouvons pas interdire le travail du dimanche par respect
pour la liberté de conscience des ouvriers qui n'acceptent pas
la prescripiion religieuse du repos dominical ; mais nous ne
l'imposons à personne. L'ouvrier sera son maître ; il pourra,
selon son gré, travailler ou se reposer le dimanche: ainsi le
veut la liberté. »
La liberté ! mais, leur répliquons-nous, quelle serait donc la
liberté qui serait atteinte par l'interdiction du travail du
dimanche ?
Ce n'est pas la liberté de conscience apparemment ! on
n'impose pas aux ouvriers qui ne croient pas au troisième com-
mandement de Dieu, l'obligation de faire ce que leur conscience
repousse; on leur demande simplement de ne pas faire ce qui
blesserait la crojance générale de la nation : ce qui est bien
différent.
Ce n'est pas la liberté des cuites. Elle n'est pas en cause
pour ceux qui n'ont aucun culte; mais pour ceux qui en ont
un, il s'agit d'une prescription qui est commune à tous les
cultes et dont tous sont intéressés à réclamer le respect.
La seule liberté que l'interdiction du travail du dimanche
limiterait, — et celle-là, il serait honteux que l'Etat la consa-
crât et l'encourageât, — c'est, disons-nous encore, la liberté
du mépris.
Lorsque, au contraire, un ouvrier chrétien est contraint par
la tyrannie d'un maître de qui son existence dépend, à se livrer,
le dimanche, à un travail que sa foi lui interdit, sa liberté de
conscience est réellement et outrageusement méconnue ; et nous
réclamons justement pour elle parce qu'elle est en souffrance.
L'ouvrier, nous dit-on, est son maître ; il peut s'affranchir...
Quelle cruelle ironie !
Demandez donc à un ouvrier chrétien qui est attaché à une
manufacture ou à un chantier de construction oii il ne peut
rester qu'à condition de s'astreindre au travail du dimanche,
et qui, s'il perd cette situation, ne voit devant lui, pour lui-
même et pour sa famille, que des privations et la souffrance,
demandez-lui donc s'il est son maître ! Ah ! oui, il est le
maître pour sauver sa foi, d'accepter le sacrifice peut-être
408 ANNALES CATHOLIQUES
même la misère ; mais s'il n'est pas capable de cette immolation
héroïque, il doit subir la double servitude d'une domination qui
opprime son droit et de sa situation qui ne lui permet pas de
le défendre. Est-ce la liberté? {Applaudissements .)
Est-ce que la liberté n'est plus qu'une fausse enseigne, un
mot de passe pour couvrir les abus outrageants de la force
lorsque cette force peut se déguiser plus ou moins sous les
apparences du droit?
Messieurs, je parle en chrétien, et je m'adresse à des chré-
tiens, j eût-il un semblant de droit, au-dessus du droit égoïste-
ment compris, il y a le devoir généreusement pratiqué. Le
Père Lacordaire disait un jour : « Le droit est l'épée des puis-
sants ; le devoir est le bouclier des faibles. » [Nouveaux applau-
dissements.) [A suivre.)
M. TAINE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL
M. Taine publie en ce moment, dans la Revue des Deux
Mondes, une remarquable étude sur la Reconstruction de la
France en 1800. On y retrouve toutes les qualités qui ont placé
l'auteur des Origines de la France contemporaine au premier
rang des maîtres de la philosophie de l'histoire.
Le suffrage universel, tel qu'on l'entend, c'est-à-dire établis-
sant l'égalité absolue du droit électoral entre tous les citoyens,
est une idée fausse et son application n'entraînera jamais que
des conséquences mauvaises.
La France en a fait l'expérience, et M. Taine va jusqu'à dire
que « le suffrage universel direct et compté par têtes est, dans
la société locale, une pièce disparate, un engin monstrueux, et
celle-ci répugne à l'admettre. Constituée comme elle l'est, non
par l'arbitraire humain, mais par des conditions physiques, son
juécanisme est déterminé d'avance; il exclut certains rouages
et agencements; c'est au législateur à le transcrire dans la loi
tel qu'il est écrit dans les choses, du moins à le traduire à peu
près et sans contre-sens grossiers. La nature elle-même lui
présente des statuts tout faits. A lui de les bien lire : il a lu
déjà la répartition des charges; il peut y lire maintenant la
répartition des droits. »
Toute la question tient dans ces deux termes.
M. Taine fait la démonstration que dans la répartition des
charges les petits contribuables sont épargnés, tantôt par l'allé-
M. TAINE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL 409
gement fiscal, tantôt par faveur administrative, tantôt par
-abandon forcé, tantôt par remboursement total ou partiel et
que toujours « et très sagement, le législateur proportionne le
fardeau à la force de leurs épaules. »
Par contre, la part des contribuables, gros et moyens, s'aug-
mente d'une surcharge gratuite, à savoir, tout le poids dont
l'autre est allégé.
Qu'à cette inégalité des charges corresponde l'inégalité des
droits, n'est-ce pas justice? « Il y aura, dit M. Taine, compen-
sation, restauration de l'équilibre, application de la justice dis-
tributive si, dans le gouvernement de l'entreprise, les parts ne
sont pas égales, si chaque membre voit grandir ou diminuer sa
part d'influence avec le poids de ses charges, si le statut éche-
lonnant les degrés de l'autorité d'après l'échelonnement dos
cotes, attribue peu de voix à ceux qui paient moins que leur
quote-part dans les frais et reçoivent une aumône, beaucoup de
voix à ceux qui donnent une aumône et paient plus que leur
quote-part dans les frais.
« Telle est la règle en toute association d'intérêt. A plus forte
raison doit-on inscrire ce principe dans le statut d'une société
qui, comme la société locale, diminue par ses dégrèvements la
charge du petit contribuable et augmente par ses surtaxes la
charge du contribuable gros et moyen ; quand la nomination des
gérants y est livrée au suffrage universel compté par têtes, les
gros et moyens contribuables y sont fraudés de leur dû et
dépouillés de leur droit. »
Voilà pour le principe même; voulez-vous connaître d'autres
conséquences inévitables du suffrage universel? Nous les avons
signalées déjà, mais nous sommes heureux d'appuyer nos argu-
ments de l'autorité de M. Taine ; entendez-le :
« Pour le régime du suffrage universel, c'est par accident de
rencontre que, dans quelques provinces et dans certaines com-
munes, un noble ou un bourgeois peut devenir conseiller muni-
cipal et maire. Partout ailleurs, la majorité numérique étant
souveraine tend à prendre ses élus dans la moyenne ; au village,
c'est la moyenne de l'intelligence rurale ; et le plus souvent, au
village, un conseil municipal, aussi borné que ses électeurs,
nomme un maire aussi borné que lui.
« Abandonnés à leur ignorance native, les vingt-sept mille
petits conseils municipaux de la campagne sont maintenant plus
passifs, plus inertes et plus contraints que jamais. »
30
410 ANNALES OATHOLIQDE8
Voilà pour les campagnes ; les villes se sont-elles mieux trou-
vées d'être livrées au suffrage universel?
« Là aussi, répond M. Taine, et plus encore qu'au village, le
suffrage universel a eu pour effet la déchéance des vrais no-
tables et déterminé l'abdication ou l'exclusion des hommes qui,
par leur éducation, leur part très grande dans les contributions,
leur influence encore plus grande sur la production, le travail
et les affaires, sont des autorités sociales et devraient être des
autorités légales. »
Tels ont été les fruits du suffrage universel en France.
LA FILLE DE GALILEE
On a publié en Italie les lettres inédites qu'une des filles de
Galilée, religieuse au couvent de Saint-Mathieu, à Florence,
écrivait à son père, Polissema, en religion Sœur Marie-Céleste,
nous apprend par ces lettres que le couvent de Saint-Mathieu
recevait de fréquentes visites du grand mathématicien et astro-
nome. Il lui servit même de résidence et de refuge. C'est là qu'il
venait demander le repos et l'encouragement. Sa fille était très
instruite et si Marie-Céleste soignait les malades, ourlait des
serviettes et raccommodait le linge de son père qui était veuf,
elle lisait aussi ses livres et copiait ses manuscrits.
On voit que la vie du couvent n'était pas plus au xvii^ siècle
qu'aujourd'hui une vie « d'obscurantisme » et de fainéantise,
comme on voudrait le faire croire au xix* siècle.
La correspondance de Galilée et de sa fille, commencée en
1623, lorsque Marie-Céleste avait vingt et un ans, dura neuf
ans. Elle mourut épuisée par les soins qu'elle prodiguait aux
malades.
Voici une lettre qui montre les relations affectueuses de
Galilée avec le Pape Urbain VIII :
« Je ne peux vous décrire le plaisir avec lequel. )'ai pris con-
naissance des lettres que vous avez reçues de l'illustre cardinal
(Maffio Barberini) qui est aujourd'hui notre Souverain Pontife
(Urbain VIII), sachant combien il vous aime et vous estime.
« J'ai lu les lettres plusieurs fois, et maintenant, je vous les
retourne comme vous m'en priez, après ne les avoir montrées
qu'à Sœur Arcangela. Puisse le Seigneur vous donner la santé,
afin que vous réalisiez votre désir d'aller faire une visite à Sa
LX FILLE DE GALILÉE 411
Sainteté et obteniez ainsi de plus grandes marques de sa faveur!
« J'imagine que vous avez déjà écrit une très belle lettre à Sa
Sainteté, pour la féliciter d'avoir obtenu la tiare. Comme
j'éprouve une assez vive curiosité à ce sujet, je serais ravie, si
vous n'y voyiez pas d'objection, d'en lire la copie. »
Elle écrit à son père pour la Noël de 1625, une fleur lui ins-
pire une pieuse pensée qu'elle exprime aussitôt :
« Je vous envoie des poires cuites pour les jours de Vigiles.
Mais ce que je vous envoie de plus précieux, c'est une rose qui,
ce me semble, devra vous plaire extrêmement, vu sa rareté en
cette saison. Avec la rose, il faut que vous acceptiez les épines,
images de notre espoir que, par la Passion sacrée, nous pour-
rons, après avoir traversé les ombres du court hiver de la vie,
mériter la lumière et le bonheur d'un printemps éternel dans le
Ciel. »
Galilée était, non seulement un excellent client pourl'ouvroir
de la Communauté, mais aussi un généreux bienfaiteur.
Lorsque sœur Marie-Céleste, dont on semble avoir fort
apprécié la bonne tête et l'activité, fut nommée infirmière en
1628, la cave et l'office de son père furent mis en réquisition
permanente, pour fournir aux pauvres malades les mets ou vins
fins que la bourse conventuelle ne pouvait leur acheter. Les im-
portunités de la fille paraissent n'avoir eu d'égale que l'obli-
geante bonne volonté de son Devoto, comme elle le surnomme
câlinement. Un jour, on le voit réparant l'horloge du couvent;
une autre fois, on le charge sans façon d'acheter à la foire de
Pise du drap pour « deux pauvres petites nonnes ».
Il s'acquitte sans doute plus volontiers de la tâche épistolaire
qu'on lui impose ensuite. Il s'agit d'adresser une lettre de félici-
tations au nouvel archevêque de Florence; Madonna l'abbesseet
sœur Marie-Céleste se défient de leur habileté (la seconde a
vraiment tort) et le bon Galilée, qui a fait le modeste, reçoit
néanmoins un satisfecit ainsi conçu :
« Quoique vous disiez n'avoir pas bien fait la lettre, elle est
bien supérieure à ce que j'aurais pu faire et je vous en suis in-
finiment obligée. D'autant plus obligée que la lettre a été
extrêmement agréable à Monseigneur, et que dans une réponse
des plus courtoises, il a offert son appui et sa protection. »
Mais cela n'a pas suffi à l'infatigable Marie-Céleste. Elle a
adressé deux pétitions à la sérénissime Grande-Duchesse, la se-
412 ANNALES CATHOLIQUES
maine précédente, et il en est résulté, le jour de la Toussaint,
l'envoi de trois cents pains et d'un sac de blé, « de sorte que
Madonna n'aura plus le chagrin de ne pouvoir ensemencer les
terres du couvent ». Marie-Céleste continue en ces termes :
'* Que Votre Seigneurie me pardonne si mon bavardage devient
fatigant. Vous m'y encouragez en me disant que vous êtes con-
tent de recevoir mes lettres. Je vous considère comme mon saint
patron (pour parler ainsi qu'on fait ici), à qui je conte toutes
mes joies et tous mes chagrins. Et voilà comment, vous trou-
vant toujours prêt à écouter, je demande ce qui me paraît le
plus nécessaire. Voici venir le temps froid et je serai percluse,
si vous ne m'envoyez une couverture, car celle dont je me sers
n'est pas à moi et m'est réclamée par la propriétaire. J'ai prêté
celle que vous m'aviez donnée à ma sœur Arcangela. Elle pré-
fère dormir seule et je ne demande pas mieux que de la laisser
faire.
« En conséquence il ne me reste que le couvre-pied de serge et
si j'attends que j'aie assez d'argent pour acheter une couver-
ture, ce ne sera même pas pour l'hiver de l'année prochaine; je
supplie donc mon Devoio, car il est mon seul trésor. Mais cela
m'est un grand chagrin de ne lui pouvoir rien donner en retour.
Je tâcherai du moins d'importuner notre Dieu miséricordieux et
la très sainte Madone, pour qu'il soit admis en Paradis. Ce sera
la meilleure récompense que je puisse offrir pour toutes les bontés
sans cesse reçues par moi. »
Tandis que l'humble religieuse continuait sa vie tranquille,
Galilée était aux prises avec les difficultés auxquelles avaient
donné lieu ses hardiesses scientifiques et sa prétention d'im-
poser son système planétaire comme le seul orthodoxe. Il fut
mandé à Rome par le Pape qui était son ami, et la congrégation
chargée d'examiner les doctrines et les systèmes de Galilée au
point de vue de l'orthodoxie entendit Galilée.
On sait les mensonges et les calomnies historiques énormes
auxquelles a donné lieu ce procès des écrits de Galilée. On les
a réfutées cent fois, mais comme dit Voltaire, « mentez, men-
tez.... il en restera toujours quelque chose ».
La correspondance de Marie-Céleste et de Galilée apporte
cependant une nouvelle clarté qui doit dissiper ce reste de
calomnies historiques. Il s'agit de la c prison de Galilée » et des
« horreurs » de l'Inquisition romaine.
LA FILLE DK GALILÉE 413
Quand Marie-Céleste apprend le procès de son père elle lui
écrit, en fille tendre et en vraie chrétienne :
« Je crie sans cesse vers le Dieu Tout-Puissant, pour vous
recommander à Lui. Je vous supplie de tourner vos pensées vers
Lui et de lui mettre tout votre espoir dans Celui qui n'aban-
donne jamais ceux qui se reposent sur Lui. Mon très cher Sei-
gneur et Père, j'ai écrit aussitôt que j'ai appris ces nouvelles,
afin de vous faire savoir combien je suis de cœur avec vous. >
Cependant Galilée, après quelques semaines, est remis en
liberté sous certaines conditions. Sa fille lui écrit :
« La joie que votre chère lettre m'a apportée, l'obligation de
la lire et de la relire aux Sœurs qui en ont fait l'occasion d'un
véritable Jubilé, tout cela m'a mise dans un tel état de surexci-
tation, qu'il en est résulté un violent accès de maux de tête. Je
ne dis pas cela en manière de reproche, mais pour vous montrer
que je ne suis pas moins touchée de ce qui arrive, qu'une fille
ne doit l'être. Comme j'ai été obligée de donner la lettre au
signer Geri, afin queVincenzio (son frère) la vit, j'en ai fait une
copie que signer Rondinelli (le confesseur), après l'avoir lue,
portera à Florence et montrera à certains amis très désireux
d'être au courant des détails. »
On voit que le couvent do Saint-Mathieu tout entier s'intéres-
sait à l'affaire, ce qui était du reste bien naturel.
Cependant, Sœur Marie-Céleste sentant ses forces décliner se
prépare à la mort et rappelle son père afin de mourir dans ses
bras.
« Je ne crois pas vivre pour voir cette heure avant ma fin.
Cependant, puisse Dieu m'accorder cette faveur, s'il la juge
bonne en sa sagesse ! »
Galilée revint et ce père et cette digne fille si tendrement
unis purent échanger une suprême étreinte.
Ce que Galilée souffrit de cette séparation, sa correspondance
en fait foi. Quelque temps après, il écrit à son ami Elle Dèodati une
lettre qui a la valeur d'un document historique, car elle montre
bien à quoi se réduisirent en réalité les « horreurs » de l'Inqui-
sition romaine. La voici :
« Après mon procès, je demeurai dans le palais de l'arche-
vêque de Vienne; ensuite ma prison fut changée; ce fut ma
propre maison, la petite villa Martinelli, à un mille de Florence,
414 ANNALES CATHOLIQUES
avec l'ordre impératif de ne pas fêter mes amis, de ne permettre
aucune réunion. Là je vécus très tranquillement, faisant de fré-
quentes visites au couvent voisin, où j'avais deux filles reli-
gieuses, que j'aimais chèrement, Vaînée surtout, femme d'un
esprit exquis, d'une bonté singulière et qui m'était tendrement
attachée. Sa santé avait beaucoup souflert pendant mon absence,
mais elle ne faisait jamais grande attention à ce qui ne touchait
qu'elle. Enfin le mal augmenta et elle mourut après dix jours de
maladie, me laissant dans une profonde affliction, »
Voilà donc.co que fut le cachot de Galilée! De son propre aveu,
il fut traité avec la plus grande bienveillance et sa prison con-
sistait dans une vie tranquille au fojer domestique.
NOUVEAUX MENSONGES DU SPIRITISME
Un des caractères les plus funestes de l'erreur, à notre époque,
c'est de se présenter sous des dehors qui paraissent à première
vue acceptables. C'est ainsi que le libéralisme et le socialisme
ont bien soin de ne pas poser en adversaires directs de la reli-
gion, mais prétendent simplement revendiquer les seuls droits
d'une liberté légitime ou représenter les trop justes aspirations
de la classe souvent malheureuse des prolétaires. Au fond
cependant le but réellement poursuivi, c'est la destruction de
de l'ordre religieux et social tel qu'il existe actuellement sur sa
base chrétienne dix-neuf fois séculaire.
Nous pouvons en dire autant du spiritism,e qui cherche à
s'implanter chez nous sous le masque trompeur d'un faux mysti-
cisme. Qu'arriverait-ii si on s'y laissait prendre? Il arriverait
ce qui est arrivé avec le libéralisme et le socialisme. On croi-
rait d'abord ne répondre qu'à un noble élan de l'esprit humain
vers l'inconnu, qu'à une généreuse et louable tentative d'éman-
cipation, et tout à coup on se retrouverait avec les pires enne-
mis de l'Eglise, on constaterait qu'on n'est plus même chrétien.
Dernièrement, paraissait à Turin un livre intitulé : Philoso-
phie spiritualiste; le Spiritisme dans le sens chre'tien. L'au-
teur, un certain Théophile Coreni, prétend, comme l'indique le
titre de son ouvrage, concilier les doctrines spirites avec les
doctrines de l'Eglise et il y emploie une ruse qui est un piège
immense pour les lecteurs mal afi"ermis dans la foi chrétienne.
Nous ne citons que lui parce qu'il résume et représente toute
une école qui fait autorité dans le camp spirite.
NOUVEAUX MENSONGES DU SPIRITISME 415
La Civiltà eatholica, qui a déjà publié une longue et très
remarquable étude du R. P. Franco, sur le spiritisme, prend à
partie cette bizarre élucubration de Coreni. Celui-ci prétend, en
empruntant les paroles de Mgr Baugaud, que « tout se prépare
pour une démonstration de Dieu et de la religion telle qu'il y
en a pas eu depuis le commencement du christianisme. » Ce
sera, dit-il, le spiritisme christianisé. Sans nous arrêter à
rappeler que tous les hérétiques ont toujours prétendu renouve-
ler le christianisme, le réformer et le purifier au moyen de leurs
doctrines, examinons résolument, avec la célèbre Revue, le
programme général de Coreni. « Quand on saura, dit-il, que
l'Eglise (catholique) ne repousse plus, ne maudit plus, mais ins-
truit et éclaire, mais accueille et bénit les spirites volontaires, en
leurfournissantlanourriture spirituelle qui leur convient (c'est-à-
dire spirite), qu'elle les aide à atteindre le maximum actuelle-
ment possible de Vérité vraie, sainte, sublime, oh! alors arri-
vera l'heureuse union de la science vraie du ciel avec la science
vraie de la terre ; l'une aidera l'autre, la terre conversera avec
le ciel et le ciel descendra avec ses esprits d'une façon sensible
sur la terre. »
Mais pensez-vous peut-être qu'il l'aille pour cela que le spirite
se fasse baptiser et devienne chrétien? Pas le moins du monde.
Il prétend au contraire que tout chrétien et spécialement le
prêtre renie la foi chrétienne et embrasse les dogmes héréti-
ques du spiritisme. Voilà comment il veut christianiser le
spiritisme.
Il adopte toutes les idées d'Allan Kardec dans son livre : Le
spiritisme à sa plus simple expression, d'oii il tire un symbole
chrétien refait à sa façon. On pourrait en extraire des hérésies
par douzaines.
« La création révélée par la Genèse y est transformée en une
création générale de la matière qui constitue les mondes. Les
mondes sont peuplés d'esprits perfectibles, tous égaux, simples
et ignorants, privés de la science du bien et du mal. Malgré
cela, ils sont chargés de guider les mondes matériels suivant
les lois immuables de la création, quand ils seront sortis de
l'enfance, car dès le commencement ils sont privés de connais-
sance parfaite et ignorent jusqu à leur propre existence. La na-
ture intime des esprits nous est inconnue, mais nous savons
que ce sont des êtres individuels, qu'ils vivent dans une espèce
d'étui ou d'enveloppe éthérée impondérable, a'pT^elée pe'rispii'ite
416 ANNALES CATHOLIQUES
qu'ils possèdent le libre arbitre et une égale aptitude à toute
chose. »
Nous pourrions nous étendre longuement sur une foule
d'autres fantaisies du même acabit concernant les esprits; sur
leurs migrations à travers les mondes, sur leur destinée future
oii l'enfer des chrétiens n'est plus qu'un lieu de peines tempo-
raires et relatives pour les esprits même les plus pervers, sur
l'absence de péché originel, etc.
N'allez pas demander à ce chrétien d'un nouveau genre c©
qu'il pense de la Sainte-Trinité, de l'Incarnation, de la Passion,
de la Mort, de la résurrection de Jésus-Christ qui étaient en des
temps moins éclairés les principaux mystères de notre foi; de
l'Eglise catholique, de la résurrection de la chair dont on fai-
sait mention dans les derniers articles de l'ancien Credo; ni du
chef de l'Eglise, le vicaire de Jésus-Christ; ni du clergé, qui
constitue la partie enseignante et dirigeante de l'Eglise; ni de
la sainte Ecriture et de la Tradition, qui sont le fondement du
magistère doctrinal ; ni des sacrements qui sanctifient et sau-
vent individuellement le peuple chrétien; ni du jugement der-
nier; ni du purgatoire tel que le définit l'Eglise; ni de tant
d'autres vieilleries racontées dans le catéchisme. Tout cela est
mis en pièces à coups de mousquet spiritique pour faire place à
des dogmes plus faciles.
Coreni prêche un Dieu de bonne composition, qui sait fermer
un œil sur les faiblesses humaines: qui se contente de fabriquer
des esprits qui tous arrivent tôt ou tard, les uns en volant, les
autres en boitant, à travers plusieurs migrations sur la terre ou
dans les astres, au gaudeamus du paradis commun. Ils ont de
plus cet avantage particulier de n'incommoder ni Pape, ni
évêques, ni prêtres; ils peuvent même professer le fétichisme,
le boudhisme ou le mahométisme pratique. Telle est la révéla-
tion spirite et Allan Kardec est son prophète. Théophile Coreni
ne revendique que le mérite d'avoir arrangé un évangile qui la
rende accessible aux bonnes gens.
Il est vrai qu'il ne bifl"e pas d'un trait les mystères chrétiens
que nous avons rappelés tout à l'heure; il ne refuse pas direc-
tement de reconnaître l'Unité et la Trinité en Dieu, l'Incarna-
nation du Verbe, la Messe, la présence réelle de Jésus-Christ
dans l'Eucharistie, la Confession, la suprématie du Pape, le sa-
cerdoce, la morale catholique; il admet même l'existence de
Satan. Mais c'est là précisément le danger, le grand danger de
LE PEINTRE A. DKVAUX 417
ses doctrines. Il voudrait mélanger la nouvelle religion spirite
avec la chrétienne; il voudrait que le clergé admît l'amas
énorme de ses erreurs sur la foi et la morale, tout en conservant
tellement quellement le langage ecclésiastique et les pratiques
extérieures aujourd'hui en usage. Voilà le truc dont il se sert
de préférence pour attraper les simples.
Mais, dit très bien le Courrier de Bruxelles à qui nous em-
pruntons ces lignes, qui ne voit qu'en professant le symbole
spirite dont nous avons donné des extraits plus haut, on détruit
les principaux dogmes catholiques ? Qui ne voit que les rites
sacramentels et les autres pratiques du catholicisme devien-
draient une plaisanterie sacrilège pour les adeptes de ce sym-
bole? Comment peut-on admettre, par exemple, qu'il n'existe
qu'une seule espèce d'esprits et maintenir la croyance aux
anges, aux démons, à l'âme humaine enseignée par l'Eglise?
Comment croire et nier à la fois le péché originel? A quoi ser-
virait le baptême ? Comment ferait le prêtre pour prêcher la
durée temporaire des peines de l'enfer, tandis que le Christ et
son Eglise enseignent qu'elles sont éternelles? De plus, il est
absolument nécessaire pour se sauver d'être uni surnaturelle-
ment à Jésus-Christ; cette union s'obtient par l'infusion de sa
grâce et de son amitié au baptême, par des oeuvres surnaturelles
de foi, d'espérance et de charité. Le spirite, au contraire, d'après
Kardec et Coreni, prétend arriver à la condition angélique par
rétude, le travail et les oeuvres de vertu naturelle. Ce qui ren-
verse totalement le système révélé dans la Bible et professé
comme un dogme par l'Eglise. Si Coreni permet les sacrements
et les usages catholiques à ses adeptes, c'est comme un pis-aller,
c'est un accommodement pour ne pas épouvanter les honnêtes
gens. En un mot, c'est un truc. Nous y reviendrons. J. M.
LE PEINTRE A. DEVAUX
Un ancien élève d'Ingres, le peintre Devaux, vient de mourir
au Havre, où il était justement apprécié et aimé pour son talent
et ses qualités personnelles.
Né vers 1820, unique et dernier rejeton d'une famille noble
de la Manche, exilée et ruinée pendant la tourmente révolu-
tionnaire, il perdit jeune encore ses parents, ne gardant d'eux
aucune fortune, mais le précieux héritage d'une éducation pro-
418 ANNALES CATHOLIQUES
fondement chrétienne, et des exemples de dévouement, de
loyauté et de courtoisie qu'il n'a cessé de suivre lui-même et
qui ont fait son honneur.
Pauvre, et ne séparant plus la particule de son nom, il tra-
vaille sous la conduite de son habile maître avec une infatigable
ardeur et ne tarde pas à devenir capable de donner lui-même
des leçons de dessin.
Marié à une jeune épouse qui lui est enlevée sans lui laisser
de postérité, il consacre résolument en bonnes œuvres tous les
élans dé son cœur, un des plus aimants qui se puisse trouver.
Il entre des premiers dans la Société de Saint-Yincent de Paul;
il se lie d'une affection de plus en plus étroite avec des con-
frères qui deviennent pour lui de véritables frères et lui font
partag-er leurs joies de famille. Leurs noms, tant c'était pour lui
un culte que cette triple amitié, doivent trouver ici leur place;
c'étaient le célèbre écrivain J. Chantrel, l'habile musicien Sa-
vard, le généreux docteur de Golleville. La mort les lui a ravis
tous trois ces dix dernières années ; et nul n'a pu apprécier la
profondeur des plaies trois fois faites à son cœur. Sa consola-
tion fut de voir leurs enfants continuer à l'entourer toujours de
leur respect et d'une filiale affection.
Cédant en 1866 à des instances réitérées, il quitta Paris pour
s'établir au Havre où l'on manquait d'un bon professeur de
dessin. C'est là que s'est achevée sans bruit, dans l'accomplis-
sement constant du devoir, sa carrière plein© d'honneur et de
mérite.
La douceur de son caractère, le désir de rendre service à
tous, l'exquise délicatesse qu'il mettait dans ses relations ami-
cales, lui firent un grand nombre d'amis.
Il possédait à fond la théorie de son art et fit, comme profes-
seur de dessin, de fort bons élèves. Comme peintre, sans parler
d'une Virginie fort remarquée à l'Exposition de 1868, il a orné
la chapelle allemande d'un très remarquable chemin de la
croix, et l'église Saint-François de plusieurs beaux tableaux :
lu Apparition de Notre- Seigneur à la Bienheureuse Margue-
rite Marie, la Mort de saint Joseph^ Saint François d'Assise^
et une Cène inspirée de l'œuvre de Léonard de Vinci,
Quantité d'autres tableaux sont allés embellir des églises de
campagne; plusieurs, entre autres une magnifique .AȔ^owc?'<3-
tion, ont été emportés en Amérique.
M, Devaux était membre de la Société havraise d'études di-
LE PEINTRE A. DEVAUX 419
verses et conférencier de talent. On lui doit entre autres bro-
chures, une intéressante Notice sur l'abbé Herval et une tou-
chante conférence sur Louis XVI. Sa Méthode sur l'enseigne-
ment du dessin, adressée en 1880 au concours de la Société des
Beaux-Arts, fut mentionnée avec le plus grand éloge par le
rapporteur, M. Roger-Ballu.
Ajoutons qu'on lui doit les premiers essais du téléphone pour
la transmission de la parole dans la ville du Havre, Ils furent
faits le 10 janvier 1878, dans son atelier de peinture, quai d'Or-
léans, 33, oii il avait réuni MM. les abbés Maze et Valette, Vial
des Transatlantiques, Baillard, conservateur de la bibliothèque,
E. Lemaître, ancien chef d'institution, Edouard Alexandre,
Brien. On les renouvela à la Société d'études diverses, et dés le
16 janvier, on les pratiquait avec un plein succès sur quatre fils
entre le sémaphore de la Jetée et celui d'Octeville, Ainsi éta-
blies par son initiative, les communications téléphoniques
reliaient, au Havre, en 1881, les maisons de commerce aux bas-
sins et les services publics à l'Hôtel-de-Ville.
Mais c'est l'Œuvre des Cercles catholiques surtout qui a
excité le zèle de M. Devaux et bénéficié de son dévouement.
Nous n'insistons pas : le discours cité plus loin le fait assez
connaître. 11 dépensa pour cette œuvre toutes les énergies d'une
santé qui paraissait infatigable. Cette santé toutefois se minait
sourdement. La mort en frappant les Chantrel, les Savard et
les de Golleville, lui avaient donné de terribles secousses.
L'éloignement du Havre d'un prêtre dans lequel il voyait per-
sonnifiées ses plus vieilles afifections, l'avait fortement ébranlé.
Le mariage et le départ pour un pays lointain d'une filleule,
dont il avait fait son enfant d'adoption, avait banni la joie de
son foyer. Et^quand sonna l'heure de faire ses adieux à Mgr Du-
val, dont la précieuse et bienveillante amitié lui étaient un tré-
sor, il fut abattu du coup. C'est avec des larmes qu'il écrit 1«
récit de cette dernière entrevue. Nous ne sommes qu'à quelques
semaines de là : et il est mort le vaillant chrétien.
11 avait encore, le dimanche 4 mai, présidé une fête de son
cercle, et le lundi soir son conseil de quartier. Et le mardi à
midi on le trouvait mort au pied d'une Annonciation dont il tra-
çait l'ébauche. Mais cette mort, n'a pu le surprendre car nous
savons qu'il avait fait huit jours auparavant la sainte Commu-
nion. L'Ange a annoncé au ciel l'entrée d'un élu.
Le jeudi, jour des obsèques, un grand nombre d'anciens
420 ANNALBS. CATHOLIQUES
élèves et d'amis se joignirent aux membres du Cercle ouvrier
pour rendre à cet homme de bien un suprême hommage do vé-
nération, de sj'mpathie et de regrets.
M. l'abbé Deschamps, son intime ami, fit la levée du corps et
célébra la messe. La nef centrale de l'église Saint-François
était remplie. M. l'abbé Veniard, aumônier du Cercle Saint-
Joseph, donna l'absoute. Sur le parcours qui conduit au cime-
tière, les cordons du poêle furent tenus successivement par
MM. de Léseleuc, Laignel, Bavot, Murât, Gohier, Pilet,
Castez...
Après que M. l'abbé Descharaps eut dit sur la tombe les der-
nières prières, M. de Léseleuc prononça l'émouvant adieu que
voici :
Messieurs,
Je croirais tromper votre attente et manquer à mes devoirs de pré-
sident du Comité de l'œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers au
Havre, si je ne me faisais l'interprète de la douleur que nous éprou-
vons tous devant cette tombe, où va reposer, pour un temps, le corps
de notre vénéré confrère et ami M. Augustin Devaux, président
du Cercle Saint-Joseph.
Est-il besoin de faire l'éloge de M. Devaux, lorsque la profonde
tristesse de nos cœurs et les larmes de nos yeux disent si éloquem-
raent le respect et l'affection que nous tous nous portons à celui
qu'une mort si soudaine eet venue frapper!
Engagé des premiers dans cette croisade pacifique et généreuse de
réconciliation sociale et de justice, qu'au lendemain de l'année Ter-
rible, la parole ardente, patriotique et chrétienne du comte Albert
de Mun vint susciter au Havre, comme dans toute la France, M. De-
vaux se mit au travail.
Jamais il ne s'est détourné d'une œuvre où le dévouement obscur
et personnel n'est pas moins nécessaire que l'adhésion de l'esprit et
du cœur. Or, le dévouement de M. Devaux était sans bornes et sans
défaillance. Aussi fut-il bientôt désigné par l'opinion de ses confrères
pour remplir les importantes fonctions d'abord de vice-président des
Cercles de Saint-François et de Saint-Joseph et enfin de président
du Cercle de Saint-Joseph.
Qui de nous n'a présent à l'esprit le zèle infatigable de M. Devaux
pour joindre l'utile à l'agréable dans les réunions de son cercle? Qui
n'a point apprécié son sens droit et de bon conseil au comité, l'amé-
nité si pleine de courtoisie qu'il déployait dans ses rapports avec
tous; et cette gaîté souriante qui donnait à sa verte vieillesse l'ap-
parence d'une vie qui n'a pas de déclin... Hélas!... inclinons-nous.
Messieurs, devant les décrets impénétrables de Dieu, et que les espé-
rances que nous devons à notre foi chrétienne nous fasse accepter sa
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQOES 421
mort comme la plus douloureuse des épreuves, mais non comme une
éternelle séparation...
Mon cher confrère Devaux, nous vous aimions et nous conserverons
un souvenir ému de vos vertus et de vos exemples, en attendant que
nous nous retrouvions pour ne plus nous séparer.
ASSEMBLÉE GENERALE DES CATHOLIQUES
Mardi, 6 mai, a eu Heu à Paris la première réunion de l'as-
semblée générale des catholiques.
Depuis dix-neuf ans, chaque année, une légion d'homme.*:
d'intelligence, de science, de bonne volonté et de renom acquis
par de signalés services, se réunit pour s'entretenir des Œuvres
catholiques à développer ou à créer.
On a pu constater qu'ils étaient venus, plus nombreux que
jamais, prendre part à ces nobles assises de la foi et des ques-
tions religieuses et sociales.
L'assemblée a inauguré ses réunions par une messe célébrée
à Saint-Thomas-d'Aquin. Le R. P. Lallemand, de l'Oratoire,
docteur ès-lettres, a adressé aux membres du Congrès une
allocution pleine d'aperçus élevés sur l'action sociale des Œuvres
catholiques.
Dans la première séance, Mgr d'Hulst a donné les renseigne-
ments les plus intéressants sur la Faculté de théologie de l'Ins-
titut catholique, sur son développement incessant, sur les ser-
vices qu'elle a déjà rendus, et qu'elle est appelée à rendre, en
faisant revivre en France le haut enseignement des sciences
théologiques.
Divers rapports ont été entendus sur l'art chrétien, sur le
congrès scientifique qui aura lieu en 1891, sur l'obligation qui
s'impose à la charité chrétienne de multiplier les orphelinats en
faveur de l'enfance abandonnée, puis la Commission d'économie
sociale a commencé l'examen de la question du repos du
dimanche dans les chemins de fer.
Le soir, à 8 heures, l'assemblée a tenu sa séance publique,
dans la salle de la Société de géographie, sous la présidence de
S. Em. le cardinal Richard, archevêque de Paris.
Après la formation du bureau et l'envoi au Souverain Pontife
d'un télégramme d'hommages respectueux, M. Chesnelong, pré-
sident du congrès, a ouvert la séance par un magistral discours
sur le repos du dimanche, cette question bien vieille, a dii
422 ANNALBS CATHOLIQUES
l'éminent orateur, aussi vieille que le monde, mais qui est tou-
jours nouvelle et qui, plus que jamais, est à l'ordre du jour.
Nous en commençons aujourd'hui la publication.
S. E. le cardinal Richard, après avoir fait gracieusement
l'observation que la jeunesse de M. Chesnelong se renouvelait
comme celle de l'aigle, a félicité chaleureusement l'orateur, et
a insisté sur ce point que sang jamais se décourager devant
l'immensité de la tâche à remplir, il faut se mettre résolument
à l'œuvre. C'est à ce prix qu'es-t la victoire.
Dans la journée du 7 mai, la Commission d'économie sociale
a poursuivi dans les détails l'étude de l'importante question du
repos du dimanche. M. Keller a fait un exposé du mouvement
d'opinion qui se dessine en faveur du repos dominical dans les
diverses industries, particulièrement dans les chemins de fer. Il
a parlé des démarches tentées par plusieurs actionnaires des
grandes compagnies, et accueillies avec sympathie par les
assemblées d'actionnaires et les Conseils d'administration. Des
résultats ont déjà été obtenus.
La Commission a entendu ensuite une communication de M. A.
Gibon, ancien directeur des forges de Commentry, il en résulte
que les industries, hauts-fourneaux, cristalleries, etc., où l'on
soulève en France le plus d'objections contre la possibilité de
l'inten'uption du travail, ont, en fait, à l'étranger, trouvé le
moyen d'assurer à leurs ouvriers le repos du dimanche.
La séance générale du soir, présidée par Mgr d'Hulst, a été
consacrée à la Société d'éducation et d'enseignement.
L'éducation sans Dieu est un agent de décadence. La loi
proscrit l'enseignement chrétien, les écoles libres en sont le
dernier asile. Il faut réclamer avec persistance, en faveur de
l'enseignement chrétien, la rentrée du droit dans la loi; il faut,
dans l'ordre des faits, réparer sans cesse, malgré toutes les
difticultés, les ruines amoncelées. Le rôle de la Société d'Edu-
cation est de centraliser les efforts.
Dans la séance du 8 au 9 mai, ont été lus divers rapports
concernant la propagation de la bonne presse, les nouvelles
mesures fiscales prises contre les congrégations religieuses,
l'enseignement secondaire, la laïcisation scolaire, la liberté
d'association, etc., etc.
Celui de M. l'amiral Gicquel des Touches, sur les œuvres de
militaires et de marins a été vivement applaudi.
L'application de la nouvelle loi militaire crée de nouveaux
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CATHOLIQUES 423
"besoins, le comité s'efforcera d'y pourvoir. Cette année, les
Œuvres sont venues on aide aux soldats dans les hôpitaux des
colonies ; il y a beaucoup à faire pour assurer aux militaires et
aux marins les secours religieux. L'institution de la' messe du
départ, dont les avantages sont multiples, se répand de plus en
plus. Le rapport rend compte de ce qui a été fait depuis un
an par l'Œuvre des Tombes sous l'infatigable impulsion du
R. P. Joseph.
Mgr d'Hulst entretient l'assemblée du prochain congrès des
Œuvres eucharistiques. Les congrès précédents ont produit des
résultats magnifiques, surprenants. Cette année le congrès se
tiendra à Anvers, pendant l'octave de l'Assomption.
M. Godefroy, avocat à la cour d'appel, prend la parole sur
un sujet qui lui est familier, la laïcisation des hôpitaux de Paris.
Il expose les résultats matériels des laïcisations, accroissement
de la mortalité jusqu'au quintuple dans certains hôpitaux, etc.;
les résultats financiers, augmentation d'un tiers de la subven-
tion fournie par la ville de Paris, aliénation par l'Association
publique de son capital immobilier, c'est-à-dire du patrimoine
des pauvres. Chaque année, un pétitionnement a lieu en faveur
de la rentrée des Sœurs dans les hôpitaux; il faut l'appuj-er de
tous nos efî'orts.
M. Chesnelong soulève des applaudissements irrésistibles en
racontant l'hommage solennel rendu après le sanglant combat
d'Likermann, sur le champ de bataille même, par les deux
armées française et anglaise aux Sœurs de charité françaises.
Dans sa cinquième journée, le congrès a épuisé le programme
de ses travaux. La Commission des Œuvres de foi et de prières
a appris que l'inauguration de l'église du Sacré-Cœur pourrait
avoir lieu au mois de juin 1891. Il suffirait d'une impulsion
vigoureuse donnée aux souscriptions.
M. l'abbé Lenfant fait connaître l'Œuvre éminemment apos-
tolique des missions dans les paroisses pauvres de Paris et de
la banlieue. Cette Œuvre récente, due au zèle de jeunes prêtres
du clergé séculier, a déjà produit des résultats consolants; les
dix-huit missions qu'elle a données depuis quatre ans dans
quatorze paroisses ont ramené des milliers d'âmes, et ont été
suivies de la constitution d'Œuvres qui en perpétuent et en
augmentent les fruits.
Dans un discours qui produit sur l'assemblée l'impression la
424 ANNALR8 CATHOLIQUES
plus profonde, M. Keller parle du danger du socialisme, qui
menace la France, l'Europe et le monde entier.
La cause du mal est surtout morale. L'industrie attire dans les
usines l'homme de la campagne. Pour des causes multiples, trop
souvent il y perd, en même temps que sa foi religieuse, l'esprit de
la famille et le goût de l'épargne. Or, l'ouvrier qui ne croit â rien et
n'a rien devient forcément socialiste. Voilà la cause du mal, quel est
le remède ?
Deux systèmes sont en présence : le système protestant, qui
attend tout de la main de l'Etat, et le système catholique, qui compte
Bur la liberté des âmes et leur générosité.
Le premier date de la Réforme. Aujourd'hui, de brutalement
répressif, il s'est fait humanitaire, mais le principe est le même :
c'est l'Etat qui doit secourir tous les maux. Comme en Allemagne,
ce système remplace les sentiments humains et la famille par un
mécanisme sans entrailles. L'idée de faire secourir toutes les misères
par l'Etat, par un système d'assurances obligatoires, a séduit en
France quelques esprits généreux. Ces chimères séduisantes, mais
dangereuses, donneraient à l'Etat une toute-puissance dont les effets
mauvais sont incalculables. L'application se heurte â une impossibi-
lité financière, et les ouvriers n'y gagneraient rien. De plus, pour
les pauvres, ce système d'assistance légale est impuissant. L'ouvrier
lui-même, il le déclare incapable de rien épargner et le met en
tutelle perpétuelle.
Le système catholique, le système français, est tout opposé. Il
restreint la part de l'Etat. L'Etat doit réprimer tous les excès cou-
pables. Pour le surplus, ce que nous lui demandons, c'est la liberté
du bien. Nous demandons la liberté religieuse, sanctionnée par la
liberté pour l'ouvrier du repos dominical; la liberté de la famille,
qui exige la limitation du travail de la femme, et l'abrogation des
lois scolaires ; la liberté de l'épargne garantie contre les spéculations
coupables, car il faut que l'ouvrier trouve la sécurité pour le place-
ment de ses économies; surtout la liberté d'association, quel droit
plus simple et plus légitime que celui de s'unir pour faire le bien ?
La France est le pays des dévouements et des idées généreuses.
Laissons à l'Allemagne ses systèmes. Faisons appel au génie français.
Qu'on nous laisse la liberté du bien, et nous nous chargeons de
résoudre la question sociale.
Ces belles et imposantes réunions ont été dignement clôturées
dimanche par le double pèlerinage à la basilique de Montmartre
et à Notre-Dame-des-Victoire.s.
Ainsi que l'a dit le R. P. Voirin, supérieur des chapelains du
Sacré-Cœur aux membres du Congrès réunis dans l'abside de
la basilique, Jésus-Christ doit être le principe et le fondement
FÊTES DE JEANNE d'aRC, A ORLEANS 425
de toutes les œuvres catholiques, de toutes les entreprises ten-
tées dans le but de régénérer la société française, de lui rendre
son antique splendeur et sa vieille unité.
La dévotion au Sacré-Cœur, a-t-il ajouté, est en réalité l'ins-
trument de la victoire que nous voulons remporter.
LES FETES DE JEANNE D'ARC, A ORLEANS
Le 7 mai à huit heures du soir, en 1429, les Anglais ont « dé-
semparé » leurs bastilles et se sont mis en retraite sur Meung.
Jeanne, blessée, l'étendard au poing, entre dans la ville; par-
tout la joie éclate, car le siège est levé, l'Anglais est en déroule
et la France est sauvée.
A 8 heures, le 7 mai 1890, l'artillerie tonne sur l'emplace-
ment du vieux fort; les cloches des églises sonnent un éclatant
carillon. Parties du fort, les troupes, précédées de joyeuses fan-
fares, viennent se ranger en carré au pied des tours de la cathé-
drale, et la nuit oit scintillent tout en haut les étoiles brillantes.
est éclairée des lueurs des torches, qui font une lumineuse en-
ceinte au parvis de l'édifice sacré. Au centre, le corps municipal
entoure l'Etendard de Jeanne; les portes du temple s'ouvrent
et l'Evêque avec son clergé descend et le re(^^oit de ses mains_
Sabres au clair! Trompettes, sonnez aux champs, battez, tam-
bours! et le clergé va remettre dans l'église la bannière qui va
refaire aux pieds de Dieu, comcie la veillée des armes. A ce
signal, un feu rouge jette des lueurs d'incendie dans les tours
de la cathédrale et l'on ne peut sans émotion voir dans ce mo-
ment les aubes blanches des prêtres et le déploiement des ban-
nières, aux notes graves du Te Z)ewmchantéà pleine voix, sedi-
riger verslesanctuaire,dont on voit briller les lointaines lueurs.
Lentement la foule se disperse et dans ce cliquetis d'armes, à
cet éclat des lumières, aux sons de ces fanfares dans la nuit, au
souvenir de ces grandes choses, il semble que le moyen-âge
vous soit apparu un instant, pour vous faire goûter la délicate
vision d'un Mystère d'autrefois.
La nuit passée, la ville, au matin, se réveille en fête ; au som-
met des mâts bariolés se balancent d'innombrables oriflammes,
qui des grandes rues font la voie triomphale. Dés l'aube, au
beffroi, la vieille cloche tinte gravement de quart d'heure en
quart d'heure et son bourdonnement de basse est accompagné
par le cri strident des trompettes.
31
426 ANNALES CATHOLIQUES
C'est la fête de Jeanne d'Arc! Les cœur? à l'unisson font l'u-
nisson des crovances, et la marche triomphale se finit à l'autel
au chant du Te Deum! C'est fête à Orléans, et c'est ici la
fête de la France jusqu'au jour que la France désire, où ce
sera fête Nationale.
Jeudi 8 mai, à 10 heures, une foule nombreuse se pressait à la
cathédrale pour entendre le Panégyrique prononcé par M. l'abbé
Mouchard, professeur de rhétorique au Petit-Séminaire de la
Chapelle. Le jeune orateur a développé cettj pensée du psal-
miste : Non fecit taliter omnî nationi, « Dieu n'a fait pour
aucune nation ce qu'il a fait pour la France », sujet admirable-
ment choisi, car il répond à la pensée de tous; et vraiment il
était beau de voir dans l'assistance les nombreux officiers de
notre belle arméetressaillir quand, d'une voix vibrante et chaude,
l'éloquent panégyriste disait dans un mouvement superbe : « En
quelques semaines, six mille hommes sont rassemblés à Blois
et Jeanne est à leur tête. L'enthousiasme les transporte; ils sui-
vraient jusqu'en Terre-Sainte cette jeune fille extraordinaire qui
a fait passer en eux son âme. Est-ce le courage qu'elle a rendu
à ces braves? Non, Messieurs ; les soldats français en ont tou-
jours assez pour se battre et pour mourir quand ils ne peuvent
pas vaincre. » Et cette fois-là, ils ont vaincu, triomphé, pour-
quoi ? parce que leur courage était appuyé par les desseins de
la divine Providence, et le panégyriste continue avec un intérêt
croissant à développer, en faisant l'histoire de Jeanne, cette
pensée de la plus saine, de la plus grande élévation : « Il est,
dit-il, des résurrections nationales qui sont incomparables; et
elles le sont, Messieurs, parce que Dieu non content de les per-
mettre, les accomplit lui-même. On le voit donc à certaines
heures descendre dans la mêlée dont l'enjeu est la fortune des
empires. Un peuple qu'il a marqué d'un signe particulier, va
périr; il étend son bras et il délivre son élu par un de ces coups
extraordinaires où il veut, nous dit Bossuet, que sa main pa-
raisse toute seule. »
Et, n'eût été la majesté du lieu, l'auditoire, composé du
clergé, de la noblesse, du corps municipal, de la justice et du
peuple en très grand nombre, eût volontiers applaudi qyiand
l'orateur s'écriait en finissant. — « Va, fille de Dieu ; une patrie
sauvée et rachetée, protégée et bénie par toi, ô Jeanne, est une
Patrie immortelle. »
Suivant l'ordre accoutumé, le cortège ordinaire s'était dès
NÉCROLOGIE 427
longtemps mis en marche, lorsque les portes de la cathédrale
s'ouvrirent pour que chacun put reprendre sa place officielle. On
a pu admirer l'attitude martiale des troupes, qui font une
double haie sur tout le parcours de la procession; écouter les
chants religieux et revoir les splendeurs des ornements des
paroisses. ,, .,;, -.,.
La cantate de M. Doinel, exécutée par quatre cents choristes,
a produit un grand effet.
Le cortège de prélats avait à sa tête Son Éminence le cardinal
Richard, archevêque de Paris. Dans le cortège, NN. SS. les
évêques occupaient l'ordre suivant : Mgr Lagrange, évêque de
Chartres; Mgr Trégaro, de Séez; Mgr de Briej, do Meaux;
Mgr Goux, de Versailles ; Mgr Laborde, de Blois ; Mgr Coullié
et le cardinal Richard, prélat officiant.
Et chacun se prenait à dire : Pourquoi ce concours insolite?
Pourquoi cet empressement de la foule, ces chants nouveaux,
cet appareil plus solennel; pourquoi cette assistance, si belle et
si religieuse?
Pourquoi ! Le panégyriste l'avait dit : « Que veulent donc ces
manifestations et cette attente de tout un peuple ? Le voici : dans
sa libératrice et sa rédemptrice d'hier, la France a deviné sa
patronne et sa protectrice de demain. »
Et d'ailleurs, ce n'est que justice, si Dieu a fait pour la
France en lui donnant Jeanne, ce qu'il n'a fait pour nul autre
pays, la France ne lui doit-il pas à Lui et à Jeanne plus que tout
autre? {Annales d'Orléans.)
NECROLOGIE
Un deuil cruel vient de frapper la marine française : le vice-
amiral Bergasse Dupetit-Thouars, commandant en chef de l'es-
cadre de la Méditerranée et du Levant, est mort pendant la nuit
du mardi à mercredi, 13-14 mai. L'amiral était un solide et
fervent chrétien.
C'est par une campagne dans l'océan Pacifique que l'aspirant
Bergasse a commencé sa carrière, sur la Thisbé. Au mois d'a-
vril 1854, il faisait partie de l'état-major àxxChrisiophe Colomb,
fit la campagne de Crimée où il gagna la croix d'honneur. C'est
lors du bombardement de Sébastopol qu'il reçut sa première
blessure. Il était attaché à une batterie déterre et se faisait re-
marquer par son sang-froid, son calme au feu et sa grande bra-
428 ANNALES CATHOLIQUES
voure. Comme il se trouvait dans les tranchées, une bombe, en
éclatant derrière lui, le blessa profondément au dos, d'un de
ses éclats. A l'ambulance, les médecins le jugeaient perdu. Il
guérit assez vite cependant. A peine avait-il repris son service,
c'est-à-dire deux mois après sa première blessure, qu'un bou-
let, frappant le parapet de la batterie où il rectifiait le tir des
pièces, lui occasionnait des blessures graves au visage, qui le
privaient de l'usage d'un œil.
Les campagnes du brave officier sont nombreuses. Nommé
capitaine de frégate en avril 1864, il fut pourvu, peu après, du
commandement du Dupleix, dans les mers de Chine. Bergasse
Dupetit-Thouars eut l'occasion de montrer l'énergie dont il
était capable en faisant respecter le pavillon français au Japon
pendant la guerre civile qui avait éclaté en 1868 au village de
Kiogo-Kobé. A la suite de cet incident, il reçut les épaulettes
de capitaine de vaisseau. En 1870, le commandant Dupetit-
Thouars fut envoyé en Alsace pour diriger les batteries flot*
tantes qui devaient opérer sur le Rhin. Obligé de se renfermer
dans Strasbourg assiégé, il eut une conduite digne d'éloges;
blessé à la tête des compagnies de fusiliers marins qu'il com-
mandait, à la sortie du 2 décembre, il fut cité à l'ordre du jour.
Après la capitulation de Sedan, il fut interné à Rastadt, oia il
«e fit aimer par ses compagnons d'infortune, et respecter par
les Allemands.
Après la guerre, il commanda le vaisseau-école decanonnage;
puis, à l'avènement de l'amiral Fourichon au ministère de la
marine, il fut son chef de cabinet. C'est là qu'il fut nommé
contre-amiral. Après avoir rempli ces fonctions sous les minis-
tres Gicquel des Touches et Roussin, il fut envoyé à Brest en
qualité de major général. En 1878, il commanda en chef la divi-
sion navale du Pacifique, et put assister à une partie de la
guerre entre le Pérou et le Chili. Ces opérations navales ont été,
pour le commandant de notre division, une véritable expérience,
et dès ce moment, il se prépara au commandement de l'escadre
d'évolutions qu'il espérait bien avoir un jour. Cette longue pré-
paration n'était pas ignorée au ministère de la marine; aussi,
quand ce fat son tour de commander notre belle escadre, le
gouvernement appliqua pour lui un décret conférant le comman-
dement en chef pour une période de deux années. Primitive-
ment, le commandement n'était que d'un an. Nommé à la tête
de l'escadre de la Méditerranée le 20 octobre 1888, l'amiral
NÉCROLOGIE 429
Dupetit-Thouars allait terminer sa mission au mois d'octobre
prochain.
Au ministère, on songeait à constituer, comme à la guerre,
un grand état-major général. C'était à l'amiral Dupetit-Thouars
que les hautes fonctions de major-général de la marine étaient
dévolues. Pendant son passage à la préfecture maritime de
Toulon, M. Dupetit-Thouars s'est beaucoup occupé des tor-
pilles et des torpilleurs. On a de lui de remarquables rapports
sur ces questions, écrits en 1885, avant l'arrivée aux affaires de
l'amiral Aube. C'est à l'amiral Dupetit-Thouars qu'on doit le
principe des tubes lance-torpilles mobiles sur le pont et les
hampes porte-torpilles placées à l'avant de nos nouveaux tor-
pilleurs. On le voit, l'amiral Bergasse Dupetit-Thouars tenait
une grande place dans notre marine, sa perte n'en sera que
plus cruellement ressentie. Il était dans sa cinquante-huitième
année,
M. le président de la République a adressé à M. le ministre
de la marine la lettre suivante :
Paris, le 14 mai 1890.
« Mon cher ministre,
« J'apprends avec une profonde douleur la mort de l'amiral
Dupetit-Thouars, dont j'avais pu appréciar les éminentes qualités et
que je voyais, il y a quelques jours encore, si plein de vie et d'espé-
rances.
« La marine française fait en la personne de l'amiral une perte
cruelle.
a Je vous prie d'exprimer à sa famille ma plus sincère sympathie.
« Recevez, mon cher miuistre, l'assurance de mes affectueux senti-
ments. « Signé : Carnot. *
M. Eugène de Soys, directeur de la Semaine religieuse de
Paris, vient de mourir, dans sa soixante-quinzième année, à ia
suite d'une longue et douloureuse maladie.
Fondateur et propriétaire de la Semaine religieuse, M. de
Soje en avait toujours conservé la direction depuis trente-sep;
ans. Il avait su se concilier, par l'aménité de son caractère, par
l'élévation de ses sentiments, de très nombreuses sympathies, et
sa mort laisse de vifs regrets à tous ceux qui l'ont connu.
Nous nous associons cordialement à la douleur et aux priéj s
de son excellente famille.
430 ANNALES CATHOLIQUES
L'un des plus glorieux soldats de l'armée française, le
général de Beaufort d'Hautpoul, est décédé hier, à l'âge de
qnatre-vingt-cinq ans.
Sa longue et brillante carrière militaire s'est faite presque
entièrement en Orient et en Afrique.
A la sortie des Ecoles de Saint-Cyr et d'état-major, il fit la
campagne de Morée et fut rais pour une action d'éclat à l'ordre
du jour de l'armée. En 1830, il fit partie de l'expédition d'Alger,
de 1834 à 1837, il fut chargé par Soult, alors ministre de la
guerre, de missions en Egypte et en Syrie et devint alors aide
de camp de Soliman-pacha.
De Beaufort d'Hautpoul retourna ensuite en Algérie, comme
aide de camp du duc d'Aumale, et jusqu'en 1848 il resta dans
notre nouvelle colonie, où il gagna les épaulettes de colonel.
Rappelé un instant à Paris par Cavaignac, il revint encore en
Algérie, oii, durant cinq ans, il fut chef d'état-major du général
Pélissier. Promu en 1854 général de brigade, il dirigea en per-
sonne plusieurs expéditions sur les frontières du Maroc.
En 1860, il fut mis à la tête du corps expéditionnaire de
Syrie.
Le général de Beaufort d'Hautpoul avait été fait grand offi-
cier de la Légion d'honneur en 1865. Depuis 1869, il était au
cadre de réserve, mais il avait repris du service en 1870, et fut
chargé d'un commandement dans la défense de Paris.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Un avis de décès. — Voyage présidentiel. — Commission du budget. —
L'État-major. — Laïcisations. — Syndicats et patrons. — Sénégal. —
Dahomey.
22 mai 1890.
Bien que nous n'ayons pas l'habitude d'insérer les avis mor-
tuaires, nous croyons devoir faire une exception en faveur du
suivant, qui nous vient de Sainte-Brelade, après avoir passé
par les bureaux de la Presse et de la Cocarde. Le général
Boulanger vient d'adresser à M. Laisant, vice-président du
Comité républicain national, la lettre suivante :
Jersey (Sainte-Brelade-Villa), 14 mai.
A Monsieur Laisant, vice-président du Comité républicain national.
Cher Monsieur Laisant,
Je vous accuse réception de l'ordre du jour du Comité républicain
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 431
national que vous m'avez adressé, ea y joignant les réflexions qu'il
m'inspire et qui me sont dictées par les faits.
Je ne considère pas l'échec électoral de la liste de candidats élabo-
rée par le Comité comme aussi grave que l'a dit ce dernier pour
l'idée républicaine, démocratique et réformatrice, dont les partisans
m'ont fait Thonneur d'affirmer sur mon nom leurs revendications et
leurs espérances. Toutefois, je crois comme vous qu'il serait au
moins inutile de troubler le pays par des agitations stériles ; je crois,
comme vous encore, qu'il faut rendre confiance à cette foule de citoyens
qui ont conservé leurs sympathies à une cause dont les circonstances
m'ont fait le représentant.
Pour ceux-là, touché de leur attachement, je demeure dévoué à
une cause qui est la leur, bien certain du triomphe définitif de leurs
revendications et de leurs espérances. Ce triomphe, il faut savoir
l'attendre du temps et de la propagande des idées; mais je désire
qu'il n'y ait plus désormais d'intermédiaire entre ces citoyens et
moi ; car personne ne peut mieux qu'eux-mêmes manifester leurs
sentiments.
La tâche du Comité dont je suis le président me semble donc ter-
minée, et je vous prie de faire connaître à nos collègues que ceux
d'entre eux qui le désirent peuvent désormais consacrer un concours
qui, jusqu'ici, m'avait été précieux, aux opinions qui leur sont per-
sonnellement chères.
Pour moi, j'ai à me recueillir, à méditer sur les leçons que con-
tiennent les faits accomplis et à étudier d'une façon sérieuse les
questions qui intéressent le peuple laborieux, pour mieux mériter
les sympathies qu'il m'a témoignées et qu'il me témoigne encore.
Ce faisant, je reste le soldat de la France et celui de la démocratie.
toujours prêt à les servir et à donner pour elles ma vie, si la patrie
avait un jour besoin du fils qui a versé son sang pour elle.
Recevez, cher monsieur Laisant, l'assurance de mon affectueux
dévouement. Général Boulanger.
C'est beaucoup de paroles pour dire une chose cependant très
simple ; et, si le général avait consulté Rochefort, bien sûr que
celui-ci lui aurait déconseillé cette longue épître.
La seule formule qui convînt en la circonstance était en effet
celle-ci :
Art. ler. — Il n'y a plus rien.
Art. 2. — Personne n'est chargé de l'exécution du présent
décret.
Car cette banqueroute était prévue depuis longtemps. La
fuite en Belgique avait porté au syndicat un coup mortel, et
malgré quelques retours de fortune, plus superficiels que réels,
432 ANNALES CATHOLIQUES
la déconfiture était allée s'accentuant chaque jour davantage,
conformément d'ailleurs aux lois physiques de la pesanteur. Si
bien que la dernière entrevue de M. Boulanger avec les mem-
bres du Comité fut moins un conseil de famille qu'une réunion
de créanciers.
On raconte que M. Dêroulède, au comble de l'exaspération,
s'écria :
— Mon général, le premier qui fut roi fut un soldat heureux,
et moi, le dernier que je vois est un soldat peureux !
— Monsieur, répliqua Boulanger, blême de fureur, puisque
vous êtes venu chez moi pour m'insulter, je vous prie de sortir !
On assure aussi qu'en sortant, Dêroulède interpellant Le
Hérissé, lui dit :
— Allons-nous-en ! Laissons ce gâteux !
— Gâteux, non, répondit Le Hérissé, mais gâté, oui.
C'était donc bien la fin ; et la lettre d'aujourd'hui n'est que
la notification officielle de l'acte de décès du boulangisme.
Qu'adviendra-t-ilde ces morceaux épars? 11 importe fort peu.
L-i chef ne valait pas cher; son entourage encore moins. Il est
probable que chacun retournera oii l'attirent ses affinités poli-
tiques et sociales : les uns au radicalisme, les autres au blan-
quisme et aux autres sectes en isme du parti révolutionnaire.
Nous passons sous silence les conservateurs qui s'étaient
fourvoyés dans ce guêpier, car il y a beau temps qu'ils s'en sont
retirés.
Quant au général Boulanger, il va « se recueillir et méditer
ïîur les leçons que contiennent les faits ».
Qu'il se recueille donc, et qu'il les médite, ces leçons.
Elles lui diront d'étranges choses. Elles lui rappelleront son
incroyable fortune, ses triomphes immérités, ses succès faciles
et... les causes d'une chute, (^ue rien nei)0uvait prévenir.
M. Carnût a quitté Paris hier pour un nouveau voyage.
Aujourd'hui il est à Montélimar, puis à Orange.
Demain, 23 mai, départ à la gare de Pont-d'Avignon ;
Arrivée à Nîmes à 9 h. 30, départ à 2 heures.
Montpellier, arrivée à 3 heures, séjour jusqu'au 25 mai;
départ le 26, à 7 h. 50 du matin.
Le 26 mai, arrivée à Besançon à 6 h. 30 du soir.
Le 27 mai, départ de Besançon à 9 heures, arrêt à Baume-
CHRONIQUE UE LA SEMAINE 433
les-Dames à 9 h. '40, arrivée à Belfort à 11 heures, départ à
4 heures, arrivée à Vesoul à 5 heures.
Le 28 mai, départ de Vesoul à 9 h. 20, arrivée à Chaumont à
11 h. 38, départ à 2 h. 15.
Arrivée à Trojes à 3 h. 43, départ à 6 h. 40, rentrée à
Paris à 9 h. 40.
De Paris à Montélimar au départ, et de Montpellier à Besan-
çon, le président de la République voyage incognito. Les auto-
rités ont reçu l'ordre de ne préparer aucune réception.
La commission du budget vient de prendre une résolution
virile. Sur la proposition de M. Casimir Périer, elle s'est enga-
gée à terminer ses travaux avant la fin du mois prochain. On
remarquera qu'après avoir siégé longtemps pour ne rien faire
ou à peu près, elle limite maintenant la durée de ses travaux.
Bon gré, mal gré, elle aura fini avant le 1" juillet. Comment le
travail sera fait? peu lui importe. On a passé deux ou trois
séances sur le budget de l'imprimerie Nationale : on sera peut-
être forcé d'expédier celui de la guerre en deuxou trois heures.
Il est, en effet, d'absolue nécessité que le budget soit approuvé
par la Chambre et par le Sénat avant les vacances. On sait que
les quatre contributions directes doivent être votées avant la
réunion des conseils généraux; mais d'ordinaire ce vote a lieu à
peu prés sans débat, et il n'est guère qu'un enregistrement des
propositions faites parle gouvernement et vérifiées par la com-
mission. Il n'en sera pas ainsi cette fois. Le projet du budget
porte une réforme de l'impôt foncier ; il est indubitable que le
projet du gouvernement en fera naître un assez grand nombre
d'autres. Il y a de plus, dans le budget, un projet qui devra en
être distrait et discuté aussi avant les vacances, c'est celui qui
se rapporte aux sucres : la campagne sucrière commençant le
1" septembre, il importe que le projet soit voté avant cette
époque, et, d'ailleurs le gouvernement compte sur lui pour
diminuer de quelques millions le déficit prévu de l'année cou-
rante. Mais si l'on réfléchit que la Chambre a l'habitude de se
séparer le 13 juillet; si l'on ajoute à cela que la commission du
budget a fort à faire pour tenir sa promesse, on s'aperçoit que si
elle y parvient, il restera, déduction faite des dimanches, une
dizaine de jours pour l'examen et le vote du budget à la
Chambre et au Sénat. Ce sera joli.
434 ANNALES CATHOLIQUES
Par décret en date du 17 mai, M. le général de brigade Le
Mouton de Boisdeffre, chef d'état-major du 6' corps d'armée^
est nommé sous-chef d'état-major général de l'armée, en rem-
placement de M. le général Parison. Le général de Boisdeffre,
qui était à Cbâlons le chef d'état-major du général de Miribel,
avait été apprécié dans ce poste par les généraux Chanzy et
Février.
Alors capitaine d'état-major, on se rappelle que M. de Bois-
deffre, réclamé par Chanzy à l'armée de la Loire, partit de
Paris en ballon en même temps que Gambetta. La nomination
de cet excellent officier, comme second sous-chef d'état-major
général de l'armée, mérite d'être très bien accueillie.
Elle est d'ailleurs le signal d'un remaniement complet dans
l'organisation de l'état-major de l'armée. C'est ainsi que le
général Derrecagaix, qui avait succédé au général Perrier, à la
tête des services de géodésie, de topographie et de cartographie
se trouve placé sous les ordres directs du chef d'état-major de
l'armée; il portera désormais le titre de sous-chef d'état-major
irénéral, conjointement avec les généraux de Saint-Germain et
Le Mouton de Boisdeffre.
Les bureaux de l'état-major dans lesquels d'autres mutations
doivent encore se produire, sont actuellement constitués comme
suit :
i'-'f Bureau, organisation et mobilisation de l'armée : colonel
do Brye.
2' Bureau, statistique militaire et études des armées étran-
gères: colonel Renouard.
3* Bureau, opérations militaires et instruction générale de
l'armée : colonel Rau.
4' Bureau, étapes, chemins de fer, transport des troupes par
voies de fer et eau : colonel Gonse.
Le service géographique : sous-directeur, colonel de La Noë.
Enfin, une section gère le personnel du service d'état-major
et une autre section s'occupe des travaux historiques courants.
Le Journal officiel a publié hier la statistique des laïcisations
d'écoles primaires effectuées du l*"^ novembre 1888 au 31 octo-
bre 1889. On T voit que le nombre de ces laïcisations s'est élevé
à 203, dont 104 « obligatoires » en vertu de la loi de 1S86, et
les 159 autres « facultatives *. Sur ces 159 laïcisations faculta-
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 435
tives, 88 ont eu lieu à la suite d'une demande des municipalités,
et 71 « d'office ». La statistique officielle ne donne pas de dé-
tails : il est donc impossible de savoir quels motifs ont amené
l'administration à eflectuer un si grand nombre de laïcisations
sans j être contrainte par la loi, sans y être invitée par les con.
seils municipaux. Comme il s'agit de l'année qui a commencé le
l'r novembre 1888, on peut supposer que la plus grande partie
ou la totalité de ces « laïcisations » facultatives est due au zèle
de AI. Floquet et de ses collègues, et que, depuis le mois de
février 1889, on a cessé d'enchérir sur les exigences, déjà si
radicales, de la loi de 1886. Mais ce n'est qu'une supposition.
Une certitude vaudrait mieux.
La loi de 1884 sur les syndicats professionnels vient d'être
modifiée par la Chambre. Jusqu'alors, s'il était permis aux
ouvriers de s'associer et de se fortifier ainsi par l'union, d'autre
part la liberté des patrons était entière, et tel patron qui
jugeait dangereuse la présence dans ses ateliers des ouvriers
syndiqués, parce qu'à un moment donné ceux-ci lui feraient
la loi, était parfaitement libre de ne pas les embaucher ou de
les remercier de leurs services. La loi de 1890 modifie cette
situation. Ce qu'elle appelle donner une sanction à la loi de
1884, c'est supprimer la liberté des patrons. Ils auront mérité
l'amende et la prison s'ils ont troublé la liberté des associations
professionnelles ou empêché l'exercice des droits déterminés
par la loi de 1884, par menaces de pertes d'emploi ou de priva-
tion de travail, refus motivé d'embauchage, renvoi d'ouvriers
ou d'employés à raison de leur qualité de syndiqués, violences
ou voies de fait, dons, offres ou promesses de travail.
Cela signifie que les patrons sont livrés pieds et poings liés
aux ouvriers et si cette loi est promulguée, il n'est pas néces-
saire • de discuter la question du minimum des salaires et du
minimum d'heures de travail. Forcés d'accepter les ouvriers
syndiqués, les patrons subiront la loi des syndicats et si telle
association ouvrière professionnelle décide le travail de huit
heures avec le minimum de 5 francs, la loi viendra lui prêter
main forte pour contraindre les patrons à courber la tête.
Nul doute que les syndicats se transforment en véritables orga-
nisations corporatives et en fin de compte les patrons ne seront
plus que les humbles serviteurs des ouvriers qui ne courront
436 ANNALES CATHOLigOKS
pas les risques, mais seront toujours là pour exiger la part du
lion aux heures de prospérité. On se demande si dans ces con-
ditions le patron n'aurait pas intérêt à être l'employé de ses
ouvriers.
Le Temps reçoit de Saint-Louis les nouvelles suivantes, en
date du 6 mai :
Le télégraphe vous a annoncé récemment la prise de Ségou. Lo
commandant Archinard, qui vient d'être promu lieutenant-colonel, a
tenu à terminer la campagne par un nouveau fait d'armes.
A la tête d'uno petite colonne composée de deux compagnies de
tirailleurs sénégalais et d'une section d'artillerie, il s'est dirigé sur
Ouosébougou pour disperser les derniers partisans d'Ahmadou. Ce
tata, qui garde la route de Nioro, est une véritable forteresse ayant
trois kilomètres depourtour.il était défendu par un millier d'hommes
environ. L'attaque a commencé le 24 avril, à neuf heures du matin.
Dans la journée, nos vaillantes troupes occupaient déjà une partie
de la ville, mais les Toucouleurs résistaient pied à pied. Le combat a
duré toute la nuit avec un acharnement extraordinaire ; on se fusil-
lait à bout portant. Ce n'est que le "l'ô, à cinq heures du soir, que
nous avons enfin pu nous rendre maître d'Oaosébougou.
Quant aux défonsours du tata, pas uu n'a survécu; ils ont tous été
tués sur place ou se sont fait sauter, en même temps que leur chef.
Bandiogou, aprejs avoir mis le feu ;1 la poudrière. De notre côté, nos
soldats ont tiré 600 coups de canon et bn'dé 25,000 cartouches.
Nous avons eu quinze tués et soixante-douze blesses. Ce sont sur-
tout les auxiliaires bambaras (jui ont été ''prouvés. Deux Européens
seuls ont été tués f-t sept blessés, parmi oeux-ci cinq officiers; mais,
grâce à Dieu, les blessures sont peu dangereuses. On nous assure
que dix blessés seulement sont portés sur des brancards et que les
autres suivent à cheval.
Ahmadou, qu'on signalait comme voulant prendre sa revanche, n'a
pas bougé de Diangliirté, où il s'est réfugié. La colonne continue
aujourd'hui sa route vers Kita.
Nous sommes heureux que nos braves soldats aient remporté
un nouveau succè^;. Mais ce succès est chéi^ement acheté. Le
combat que nous annonce la dépêche communiquée par le gou-
vernement, a été acharné. Nous craignons que la France ne se
trouve, au Soudan, en présence d'une explosion du fanatisme
inusulman. Il ne serait peut-être pas inutile de demander la-
dessus quelques explications à M. Etienne ? Nous savons que
les députés de la droite ne veulent pas plus que ceux de la
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 437
gauche, créer des embarras au gouveraement. Mais les minis-
tres, chers à leurs cœurs, sont surtout M. Constans et M. Rou-
vier, qui se désintéressent certainement de la question du Sou-
dan, étant absorbés par des aflaires plus importantes.
M. Bajol, lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, est
arrivé, lundi matin, à Marseille, à bord du Béarn, paquebot
des transports maritimes, sur lequel il s'est embarqué, à
Ténériffe.
M. Bayol parlant à l'un de nos confrères de la situation qui
lui avait été faite chez les Dahoméens, a dit que ces derniers
ont toujours montré envers lui la plus grande méfiance et qu«,
s'il n'avait pas été complètement traité en ennemi, il s'en était
fallu de bien peu.
C'est ainsi que jamais ni le roi ni les chefs ne lui touchèrent
la main ; lors de sa visite à Abomey, on le gardait à vue pour
ainsi dire.
M. Bayol a raconté l'horreur des sacrifices humains qui
eurent lieu pendant son séjour chez le roi Gléglé. On en a pour-
tant, d'après lui, exagéré l'importance : ce n'est pas par milliers
qu'il faut compter les victimes, trop nombreuses déjà, puisque,
dans un seul sacrifice, on imraola deux séries, l'une de 84 mal-
heureux et l'autre de 43.
Les tueries ont lieu le jour en plein soleil, ce n'est que la
nuit venue que les femmes et les enfants se livrent aux scènes
effrayantes de regorgement avec une férocité inouïe. Les
enfants s'emparent des têtes qu'ils font rouler comme des boules
et les enterrent ensuite sous des petits tas de sable oii on les
laisse.
Les cadavres sont le lendemain jetés pêle-mêle dans les char-
niers et deviennent la proie des oiseaux sacrés.
M. Bayol a été invité à assister à cette boucherie, mais il a
fait comprendre combien ce spectacle lui serait insupportable,
et il obtint de se faire représenter officiellement par un des
fonctionnaires de sa suite. Il ne put se soustraire, cependant, à
la visite des cadavres, faite en grande cérémonie. «Le sang,
dit M. Bayol, était répandu an si grande abondance, que j'en
avais jusqu'à la cheville. ».
Le roi Gléglé avec lequel notre représentant ne put converser
que quelques jours avant son départ, le prit de très haut. C'est
438 ANNALES CATHOLIQUES
avec une grande arrogance qu'il déclara être le seul maître
dans son royaume et ajouta qu'il était bien décidé à ne rien
céder de son autorité et de sa puissance à qui que ce tut.
M. Bayol lui parla des traités qui le liaient cependant. Mais
le roi répondit qu'il n'avait pas à en tenir compte. M, Bayol ne
tarda pas à s'apercevoir combien les Dahoméens étaient mal dis-
posés envers nous et il courut même les plus grands dangers
dans son voyage de retour.
Lorsqu'il quitta Abomey, le roi avait en effet à dessein, sans
doute, négligé de le faire devancer par quelques naturels, por-
teurs du bâton, sorte de fétiche, qui devait lui assurer la liberté
de la route. Peu s'en fallut d'ailleurs que notre envoyé ne fût
retenu prisonnier et massacré.
En effet, il était à peine à deux jours de la capitale quand
r»léglé mourut et on no manqua pas de dire qu'il lui avait jeté
un sort. Fort heureusement pour M. Bayol élises compagnons,
les hommes lancés à leur poursuite ne parent les rattraper,
mais il n'était que temps d'arriver à Porto-Novo.
C'est par un hasard que M. Bayol eut connaissance des projets
des Dahoméens, en ce qui touche la capture des Fran<jai8 qu'ils
devaient emmener comme otages; le lieutenant-gouverneur
s'empara aussitôt de dix-sept chefs sur lesquels il put mettra la
main, et c'est à, cette circonstance seule que les nôtres ont <dû
de ne pas être massacrés.
Gléglé, craignant pour la vie de ses chefs dont le courage et
l'inâuence lui étaient nécessaires, renonça à ses projets
homicides.
M Bayol a dit que le pays était très riche à l'intérieur sur-
tout et que ce serait folie d'en abandonner la possession.
Quelques milliers d'hommes suffiront pour cela ; mais, a-t-il
dit, il ne faut pas penser que les Dahoméens soient une quan-
tité négligeable; ils sont très braves, et à Porto Novo ce sont
eux qui ont commencé l'attaque à l'arme blanche.
Enfin, M. Bayol a exprimé l'avis que, la saison des pluies
rendant les marches difficiles, sinon impossibles à l'intérieur,
une expédition par le fleuve, dont les eaux sont très hautes en
cette saison, aurait les meilleurs résultats.
LES CHAMBRES 439
LES CHAMBRES
Sénat.
Vendredi 16 mai. — Discussion de l'interpeliatioa de M. BozÉ-
HlAN relativement aux pêcheries de Terre-Neuve.
M. RiBOT, ministre des affaires étrangères, répond que le gouver-
nement n'a rien de plus à déclarer que ce qui a été dit l'an dernier :
Nos droits sur les pêclaeries de Terre-Neuve sont absolus. Ces droits
ont été réservés dans toute leur intégrité. L'an dernier, les difficul-
tés étaient tellement aiguës que l'on crut devoir accepter un moclus
Vivendi, en attendant la fin des négociations entamées entre les
cabinets de Londres et de Paris.
Le cabinet de Londres a dit qu'il ferait respecter à Terre-Neuve,
les traités dont se réclame la France. Le cabinet français, lui, ne
peut qu'attendre, et voir comment, dans la prochaine campagne,
l'Angleterre fera respecter les droits de nos nationaux.
Le pays peut être sûr que le gouvernement fera son devoir.
A l'unanimité, l'ordre du jour suivant est adopté :
« Le Sénat approuvant les déclarations du gouvernement et comp-
tant sur sa persévérance à faire respecter les droits de pêche conférés
à la France sur les côtes de Terre-Neuve par les traités depuis 1713
et 1814, passe à l'ordre du jour. »
Lundi 19 mai. — Interpellation de M. Allègre sur les abus de
l'administration de la Martinique.
Le secrétaire d'Etat a promis de mettre bon ordre à ces faits et le
Sénat a voté un ordre du jour pur et simple.
En fin de séance, on a adopté divers petits projets concernant les
téléphones et un projet ouvrant un crédit de 150,000 francs à l'an-
cienne Société du Journal officiel. Et l'on a vaguement discuté
quelques articles du projet sur les accidents du travail.
Mardi 20 mai. — M. Buffet se plaint que M. Etienne ait répondu
dans la séance précédente, à l'interpellation de j\I. Allègre. C'est
une violation de la Constitution, les ministres, seuls, ayant le droit
de prendre la parole devant les Chambres.
M. Le Rover a répondu que M. Etienne n'a répondu à j\I. Allègre
qu'en l'absence du ministre M. Roche, empêché. L'incident a été
déclaré clos. M, Buffet avait pleinement raison de protester contre
cet oubli qui se répète trop souvent.
On a repris la discussion, de la loi sur les accidents de travaiL
L^'ensemble de la loi a été voté par 167 voix contre 7.
Chambre des Députés.
Samedi 17 mai. — M. David dépose un projet de loi pour lequel
il demande l'urgence. D'après cette loi, les fonctions de gouverneur
440 ANNALES CATHOLIQUES
et de sous-gouverneur de la Banque de France et du Crédit Foncier
seraient incompatibles avec le mandat de député ou de sénateur.
L'orateur demande la discussion sur la prise en considération im-
médiate. Et, sans que personne réclame la parole, la prise en consi-
dération est votée par 449 voix contre 11.
M. Lauk a la spécialité des interpellations à grand orchestre, déci-
dément.
M. Laur rappelle qu'il attaqua, avec raison, il y a deux ans, l'ac-
caparement des cuivres. Il vient attaquer l'accaparement des pétroles.
A l'aide de chiffres, — mais que ne fait-on dire aux chiffres? —
M. Laur démontre que les raffineurs de pétrole, établis en France,
doivent gagner de 40 à 50 millions par an, millions dont ils frustrent
le Trésor, en employant des manœuvres qui tombent sous le coup
de la loi.
Les raffineurs, qui se sont syndiqués, tiennent les prix aussi élevés
qu'ils le veulent. Il y a accaparement en fait.
L'orateur demande au ministre de la justice d'ouvrir une enquête
sur ces faits. Il y a, en outre, dit-il, lieu d'unifier les droits de
douane sur les pétroles bruts et raffinés.
M. Fallières répond que ce n'est pas à la tribune qu'il faut porter
les accusations contre les négociants. C'est à la justice qu'on devrait
s'adresser.
Le ministre de la justice n'a pas à intervenir dans une question
de tarifs. Selon lui, le délit prévu par le Code ne vise que la hausse
ou la baisse artificielle d'un produit. Or, quand le prix du pétrole a
augmenté ou diminué, depuis quelques années, ces variations coïn-
cidaient avec celles des marchés d'Amérique.
Il n'y a pas accaparement, parce que, sur les 28 millions de barils
do pétrole que produit la Pensylvanie, 1,200,000 seulement sont con-
sommés en France.
Le gouvernement n'a pas à poursuivre d'honnêtes gens qui, à la
nouvelle de cette interpellation, ont demandé eux-mêmes qu'une
enquête fût faite sur leurs opérations.
M. Laur propose un ordre du jour invitant le ministre à pour-
suivre les raffineurs, et à modifier le tarif des douanes.
Mais le ministre réclame l'ordre du jour pur et simple, qui est
voté par 420 voix contre 50.
Il se fait tard, on croit que c'est fini. Pas du tout ; M. Rouvier
demande que l'on discute immédiatement une seconde interpellation
de M. Laur sur l'emploi des fonds des Caisses d'Epargne.
M. Laur réclame le renvoi à lundi. On le lui refuse. Il réclame une
suspension de séance d'une heure. On la lui accorde. Il a besoin
d'aller chez lui chercher des documents.
A six heures, la séance est reprise.
M. Laur établit d'abord que le dépôt des fonds à la Caisse des
LES CHAMBRES 441
Dépôts et Consignations doit se faire en rentes françaises et après
publicité. L'achat doit se faire au comptant, et au cours moyen.
L'orateur pense que ces prescriptions ne sont pas observées.
M. RouviER se plaint que des journaux aient osé dire que « l'ins-
titution des Caisses d'épargne est un immense vol organisé. »
Et cette accusation vient de ce qu'on n'a pas dans les caisses, en
espèces sonnantes les deux milliards sept cents millions de dépôts.
Le ministre expose le fonctionnement des Caisses d'épargne. Il dit
comment les dépôts ont été régulièrement constitués à la Caisse des
dépôts et consignations.
Quant aux achats de rentes, d'obligations et de bons du Trésor, il
faut bien quelquefois qu'ils se fassent à la Bourse.
Mais le ministère prend la responsabilité de ces opérations, qui
toutes ont été loyales et correctes, et faites sous la surveillance d'un
conseil d'administration composé d'hommes les plus importants.
Un ordre du jour de confiance est voté par 369 voix.
Lundi 19 mai. — Pendant une heure, une discussion peu intéres-
sante a eu lieu au sujet d'un projet tendant à voter un crédit de
250,000 francs pour l'achat d'œuvres d'art au musée du Louvre.
M. Antonin Proust, rapporteur, a vainement fait observer qu'il
s'agit d'enlever â l'étranger plusieurs objets d'art qui seront vendus
demain et qui faisaient partie de la collection Piot.
La Chambre a refusé les crédits.
Puis on a repris la discussion du projet sur les délégués mineurs.
Ce projet a été adopté par le Sénat. La Chambre a d'abord déclaré
l'urgence.
M. Baihaut, rapporteur, a exposé que la proposition n'a rien de
politique. Elle a réuni l'unanimité des membres de la commission.
En deux mots, il s'agit de reconnaître officiellement les pouvoirs
d'ouvriers mineurs, choisis parmi les plus experts, et chargés de
visiter périodiquement les mines, de consigner leurs observations sur
un registre, notamment en vue de l'hygiène des travailleurs et de
leur sécurité.
Quelques députés de régions minières sont venus déclarer qu'ils
voteraient le projet, le trouvant, les uns, excellent, les autres,
incomplet.
Le ministre des travaux publics a annoncé l'adhésion du gou-
vernement.
On a voté le passage à la discussion des articles. Puis est venu
M. Ferroul qui a demandé par qui seraient payés les délégués mi-
neurs. Par les Compagnies ! a répondu le rapporteur. M, Ferroul a
vu là de futures corruptions des délégués. Il a réclamé leur paiement
par l'Etat.
M. Baihaut a fait remarquer qu'il ne s'agit pas de créer une nou-
velle classe de fonctionnaires.
32
442 AN^'ALES GATilOLlQUES
Oa a repoussé l'amendement Ferroul. Et l'on a adopté les articles
et l'ensemble du projet par 494 voix contre 4, après discussion de
points de détail sans grand intérêt.
Mardi 20 mai. — M. Deschanel est monté à la tribune dès l'ou-
verture de la séance. Il s'agit de la proposition Reinach sur la liberté
de la presse. Faire juger par des juges, et non par le jury, les articles
de journaux — ou plutôt, les auteurs de ces articles, — où l'on peut
découvrir des attaques contre les membres et les amis des membres
du gouvernement « toute personne chargée d'un service ou d'un
mandat public. »
Comme l'opinion de tout le monde sur un tel sujet est établie
depuis longtemps, comme on sait quels arguments peuvent être
apportés par les défenseurs et par les adversaires du projet, un tel
débat ne pouvait avoir qu'un intérêt littéraire.
C'est un succès de littérateur qu'a remporté M. Deschanel.
Le jeune député a dit quelles modifications se sont opérées dans
les mœurs de la presse, quelles habitudes de scandale, de poissarderie
ont dans certains journaux remplacé les vieilles traditions de cour-
toisie et de loyauté. Il a reconnu le danger des jugements portés par
les jurés qui peuvent apporter une passion politique dans l'examen
des faits qui leur sont soumis.
Mais, si le jury est faillible, le tribunal correctionnel ne subit-il
pas la pression du gouvernement ? Tout juge attend l'avancement
et les récompenses. De bonne foi, il défend les opinions du ministre
qui peut lui donner ses faveurs.
Là se sont bornés les arguments de M. Deschanel contre le projet.
Puis, l'orateur a élargi le débat.
Il a indiqué, comme la seule solution rationnelle, la réforme de
l'organisation judiciaire. Qu'on fasse en France, une magistrature de
pays libre !
« Mais faire une loi de réaction comme celle qui est proposée, ce
serait traîner la République dans les vieilles ornières du césarisme
et pratiquer la tyrannie sous un régime de liberté, alors que sous
des régimes de tyrannie, la liberté fut pratiquée. »
C'est avec de telles phrases que M. Deschanel a trouvé le moyen
de se faire applaudir tour à tour par tous les groupes do la Chambre.
Et il a terminé en disant que la France réclame une politique
vraiment nationale, la politique de Thiers, de Gambetta et de Raoul
Duval.
M. Deschanel a été écouté avec autant d'attention qu'a été inter-
rompu, bafoué, raillé, M. Joseph Reinach qui l'a remplacé à la tri-
bune.
M. Reinach a commencé par déclarer que la liberté de la presse
n'est pas enjeu. On s'est diverti à cette fantaisie. Et la joie n'a plus
eu de bornes lorsque l'orateur a rappelé que des journaux ont traité
NOUVELLES RELIGIEUSES 443
M. Floquet de « Papavoine » et les miaistres d'assassins, de voleurs
et de proxénètes.
Nouveanx rires lorsque M. Reinach a parlé des* feuilles de choux
■de province » insolentes envers les fonctionnaires.
En deux mots, M. Reinach a pensé que jamais on ne donnera
assez de prison et d'amende aux journalistes qui se permettront de
dire qu'il n'est pas de la force de Cicéron. Et il réclame des juges
sévères pour appliquer « les justes lois ».
Quand M. Reinach est rentré à son banc, M. Floquet a annoncé
que dix-sept orateurs étaient encore inscrits. On a renvoyé la suite
de la discussion à jeudi, après avoir refusé d'entendre M. de Lacre-
telle et également de clore la discussion générale.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
Les difficultés financières dans lesquelles se débat la munici-
palité de Rome, pour avoir concouru aveuglement aux travaux
de la tranformation de la Ville-Eternelle en capitale moderne,
menacent d'aboutir à une crise aiguë. D'une part, en eâ"et^ la
junte communale ne sait plus comment marcher de l'avant et
menace même de donner sa démission, embarrassée qu'elle est
ponr assurer le fonctionnement des services publies. D'autre
part, M. Crispi, qui avait promis monts et merveilles pour venir
en aide à la commune, ne fait que tergiverser et ne peut guère
faire autrement, attendu que les finances de l'Etat auraient
besoin elles-mêmes de grande assistance.
En attendant, pour jeter de la poudre aux yeux et pour
amortir la rumeur du mécontentement général, on a organisé à
Rome toute une série de divertissements, désignés sous le nom
de « fêtes de mai », à l'occasion d'un concours national de tir à
la cible, auquel sont venus prendre part les délégués des comi-
tés de tir de la province, et même quelques tireurs étrangers.
Mais on s'est livré à ce sujet à des exagérations outrecui-
dantes et comiques, car la presse libérale représente ce concours
de tir comme « un événement de premier ordre », ce qui semble
un aveu que l'Italie officielle n'a pas encore grand'chose de
brillant à son actif. D'autres, par exemple le Popolo romano,
consacrent des dithyrambes aux cent tireurs venus de France,
comme si cela pouvait suffire à faire oublier l'acharnement gal-
lophobe de M. Crispi et de sa politique.
444 ANNALES CATHOLIQUES
Au reste, au point de vue de la crise économique dont la
ville de Rome se ressent particulièrement et pour l'atténuation
de laquelle on comptait sur les fêtes de mai, la vérité est que
les étrangers qui devaient, disait-on, affluer ne viennent point,
et que le menu peuple se persuade de plus en plus qu'il faut les
fêtes et les cérémonies du Vatican pour attirer à Rome les
grandes foules du monde entier.
Le Saint-Père a donné ordre à son auditeur, Mgr Boccali, et au
secrétariat de la congrégation Consistoriale de préparer les
propositions canoniques pour les préconisations épiscopales à
faire dans le prochain consistoire, qui aurait lieu en juin. Jus-
qu'ici il n'y a rien de décidé pour la création dans ce consistoire
de nouveaux cardinaux.
C'est très probablement au prochain consistoire que sera mo-
difiée l'organisation de la hiérarchie dans les parties des Indes
occidentales oii les catholiques anglais sont plus nombreux que
les catholiques portugais.
Le siège patriarcal de Goa, institué par Léon XIII en 1886,
lors du Concordat stipulé à ce sujet avec le Portugal, continuera
de subsister ; mais le nombre des évèchés .suffragants, avec
prélats portugais, en sera diminué, pour rattacher plusieurs de
ces évêchés, avec nomination de titulaires anglais, à la hiérar-
chie des Indes anglaises proprement dites. Le Saint-Siège a été
saisi de nombreuses pétitions dans ce sens, surtout de la part de
r Union catholique de Bombay, qui a adressé en même temps à
Londres l'exposé des raisons pour lesquelles les membres de
cette union demandent, comme catholiques et comme sujets
anglais, à être placés sous la juridiction spirituelle d'évêques
de leur nationalité.
De son côté, le gouvernement britannique, tout en traitant à
ce sujet avec le Portugal, devra en faire l'objet de nouvelles
négociations spéciales avec le Saint-Siège. C'est à cela que se
rapporterait notamment la mission auprès du Vatican confiée
parle gouvernement anglais à M. Dingli, premier juge du tri-
bunal civil de Malte.
D'ailleurs la continuité de rapports réguliers entre la Grande-
Bretagne et le Saint-Siège devient nécessaire sous le rapport
NOUVELLES RELIGIEUtES 445
aussi de l'application pratique de certains points des négocia-
tions déjà conclues, lors de la mission Simmons, par exemple la
destination à des œuvres similaires des biens d'anciennes con-
grégations religieuses à Malte et le pacte stipulé de ne procéder
dorénavant à la nomination de l'Ordinaire de Malte que sur la
base d'un accord préalable entre la Couronne britannique et le
Saint-Siège.
M. Carbone, l'avocat de la Couronne à Malte, qui accompagna
le général Simmons à Rome, vient d'être nommé par Sa Sain-
teté Léon XIII commandeur de l'ordre de Saint-Grégoire-le-
Grand.
France.
Clermont-Ferraisd. — La fête si populaire à Clermont de
Notre-Dame-du-Port a été célébrée dimanche avec une grande
solennité.
S. Em. le cardinal-archevêque de Lyon, NN. SS. les évêques
de Valence et de Verdun, et Mgr Dufal, évêque titulaire de
Delcon, avaient répondu à l'appel de Mgr Boyer. Seul Mgr Gri-
mardias, évêque de Cahors, n'avait pu se rendre à Clermont
pour raison de santé.
La basilique de Notre-Dame-du-Port était admirablement
ornée et décorée.
Au dehors, les rues, les places et les boulevards présentaient
le plus charmant spectacle.
La place Delille surtout était remarquable par sa décoration.
La messe pontificale a été célébrée à neuf heures, dans la
basilique de Notre-Dame-du-Port. L'église était absolument
comble.
Mais soudain, dit la Dépêche du Puy-de-Dôme, les cloches sonnent
à toutes volées. L'heure de la procession approche.
Bien avant onze heures, toutes les personnes qui doivent y prendre
part sont à leur poste, puis à l'heure dite la procession commence à
se dérouler en longues files.
La foule qui s'est massée sur son parcours lui fait une triple et
quadruple haie. Son attitude respectueuse ne se dément pas un
instant. Tous les fronts s'inclinent devant la statue de Notre-Dame-
du-Port et sous la bénédiction des évêques.
Des chœurs de jeunes filles — la Providence en tête — et ceux des
jeunes gens de toutes les paroisses font entendre des cantiques,
alternant avec les musiques de la conférence Saint-Austremoine et
du pensionnat des Frères.
446 ANNALES CATHOLIQUES
A UQ moment donné, de la place Michel-l'Hospital à la place de
Jaude et à la rue Saint-Hérem, la ville semble comme entourée d'une
magnifique ceinture faite de toute» ces toilettes aux couleurs tendres,
où dominent le bleu et le blanc...
C'est à 1 heure que les prélats arrivent sur la place Delillo.
Non seulement les abords de l'estrade sont littéralement envahis
par la foule, mais les rues avoisinantes regorgent de monde.
Sur cette estrade, au milieu des fleurs et de la verdure, prennent
place NN. SS. les évêques de Valence, Verdun, Delcon et Clermont,
entourant comme d'une brillante couronne Son Erainence le cardinal
Foulon.
A toutes les fenêtres et à tous les balcons d'alentour, décorés avec
un goût parfait, sont comme suspendues de véritables grappes hu-
maines.
Mgr Cotton, évoque de Valence, prend la parole.
En dépit de ce mouvement de houlo qui se produit toujours dans
les grandes assemblées, l'éloquent évêque, d'une voix forte et vibrante,
pai'vient à dominer le bruit de la foule.
S'inspirant du cri des croisades : * Dieu le veut! Dieu le veut! »,
poussé en 1095 sur cette même place, Mgr Cotton passe comme en
revue tout ce que l'Eglise veut pour les âmes et pour la France.
Dans un élan de patriotique éloquence, Mgr de Valence s'est écrié :
« Nous la voulons tous prospère, cette Franco que nous aimons tant ! »
Sous le souffle de cette parole entraînante, la foule s'est sentie
véritablement émue, et nous avons même vu quelques personnes
applaudir. *"
Après cette chaleureuse allocution, voici venir le moment de la
bénédiction papale.
L'instant est solennel. Tous les fronts se découvrent et se cour-
bent.
Son Eminenco et NN. SS. les évêques, mitre en tête, crosse en
main, bénissent la foule...
Aux vêpres, dites le soir à la cathédrale, ce n'était pas une aftluenee,
mais un véritable tassement.
Mais bientôt un silence solennel, et d'autant plus admirable que la
foule est immense, plane sur l'auditoire.
Le vaillant évêquo do Verdun monte on chaire.
Mgr Pagis, de taille moyenne, à la figure ouverte et sympathique,
est un orateur de premier ordre.
Doué d'un puissant organe, ayant la voix claire et bien timbrée,
il est de la race de ceux qui dominent les grandes assemblées.
Aussi l'ardent panégyriste de Jeanne d'Arc a-t-il pu parler pen-
dant plus d'une heure sans aucun signe de fatigue et sans que l'ad-
miration de ses auditeurs pour son grand talent se soit jamais
ralentie.
NOUVELLES RELIGIEUSES 447
Après avoir adressé à Son Eminenee et à NN. SS. les évêques l'ex-
pression de sa gratitude et de sa vive reconnaissance, Mgr Pagis a
consacré la première partie de son magnifique discours â la grande
manifestation de la journée, rappelant combien il est cher aux fils de
l'Auvergne — dont il fait partie — le culte séculaire de Notre-Dame-
du-Port.
Puis, dans la seconde partie, il a parlé de Jeanne d'Arc — ce
symbole de la foi et du patriotisme — du prestige sur les masses de
ce nom de plus en plus populaire; de cette héroïne inspirée de Dieu
<iui, après avoir accompli sa mission, finit par le martyre; enfin du
monument national à élever à sa mémoire...
La péroraison a été toute vibrante de patriotisme, et on peut dire
que le succès du vaillant évoque a été des plus vifs.
Mgr Boyer, en quelques paroles aô'ectueuses, a remercié Son Emi-
nenee et NN. SS. les évêques, puis Sa Grandeur a chaleureusement
plaidé la cause de Jeanne d'Arc, prenant l'engagement de fournir
répée de la future statue.
La quête a été faite par Mgr Pagis et Mgr Boyer.
Puis le salut a commencé...
Le soir, il y avait foule dans les rues du quartier du Port pour
admirer les illuminations.
Favorisées par un temps superbe, elles ont été d'un éclat excep-
tionnel.
Ces magnifiques illuminations ont été la dernière manifestation de
cette journée, qui a été, du commencement à la fin, un consolant
témoignage de l'attachement inviolable de notre pays à Notre Dame-
du-Port, qui a enrichi d'un nouveau fleuron la couronne des tradi-
tions pieuses de notre pays et qui figurera avec honneur dans les
fastes de notre basilique.
Saint-Dié. — Le jour de l'Ascension, Mgr Sonnois a fait sa
première visite àDomremy. D'une lettre adressée à V Espérance,
de Nancy, et qui raconte la touchante réception du nouvel
évêque de Saint-Dié dans le lieu de naissance de Jeanne d'Arc,
nous détachons le passage suivant:
Après la messe, Monseigneur, dans une allocution d'une éloquence
simple et pénétrante, nous montre le double caractère de la mission
de Jeanne d'Arc, à la fois patriotique et religieux : « Les catholiques
doivent y voir pour le passé comme pour l'avenir l'application de
l'adage : Gesta Dei per Francos. Jeanne a sauvé physiquement la
France, elle la sauvera encore, et le réveil providentiel qui s'opère
sur son nom dans toute l'étendue de la France en est le sûr garant.
Aussi est-ce à cause de cette intention manifeste du ciel que Monsei-
gneur s'est cru dans l'obligation d'accepter la direction de l'église de
448 ANNALES CATHOLIQDKS
Saiiit-Dié et les charges d'évêque de Jeanne d'Arc, auxquelles il veut
désormais consacrer sa vie. »
Après la messe, visite à la maison de l'héroïne, puis à onze heures
excursion en voiture au monument commencé sur les pentes du Bois
Chesnu par Mgr de Briey. M, le vicaire général, M. le curé de Neuf-
château, et parmi les laïques MM. Bouloumié et Pierre Buffet, Paul
Sédille, architecte de la basilique, et Michaux, directeur des travaux,
accompagnaient Monseigneur, qui se rendit un compte minutieux de
l'état actuel de la construction, parfaitement conservée. Sa Grandeur
revint ravie de l'incomparable panorama qui se déroulait à ses re-
gards et des souvenirs merveilleux de ce pèlerinage aux lieux que
daignèrent visiter les anges.
Aux vêpres, Monseigneur rendit compte de ses impressions et
.affirma son dévouement à la continuation da cette œuvre, qui inté-
resse au plus haut point, à cause de son caractère spécial, tous les
catholiques de France et du monde entier.
Au sortir de l'église, il lui fallut traverser une foule compacte,
accourue des pays voisins, et de la maison de cure à l'église et au
pont son départ fut un vrai triomphe, au milieu de cette multitude
silencieuse, recueillie et courbée sous la bénédiction épiscopale.
En somme, belle journée, heureux présage et doux souvenirs aux
cœurs de tous.
P. -S. — Nous apprenons au dernier moment que Mgr Sonnois a
résolu d'organiser un grand pèlerinage à Domremy, dont la date
serait fixée au 22 juillet prochain.
Le même correspondant rapporte le mot suivant de Mgr l'évê-
que de Saint-Dié.
Quelques prêtres du diocèse de Verdun étant venus le saluer
à son départ, Mgr Sonnois leur dit avec un fin sourire : « Re-
merciez Mgr Pagis de nous avoir réveillés. »
Le mot est charmant et on ne peut plus heureux. La croisade
si vaillamment menée par Mgr l'évêque de Verdun pour la glo-
rification de Jeanne d'Arc par un monument à Vaucouleurs
aura un bon efi'et pour le monument que veut et doit avoir Dom-
remy en l'honneur de son illustre fille. Une sainte émulation de
zèle d'une part et de charité de l'autre, assurera le succès des
deux œuvres sœurs.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. Imp, G. Picquoin, 53, rne de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
NOUVEAUX MENSONGES DU SPIRITISME
(Suite. — Voir le numéro précédent. y
Une autre ruse très dangereuse dont Coreni se sert pour
attraper les simples, c'est d'affirmer que « l'Eglise catholique a
toujours conservé des relations continues avec le monde des
esprits, tant dans ses prières rituelles que dans l'administration
des sacrements. > Il ajoute que les saints et d'autres personnages
de toute condition, même des païens, ont joui de fait de commu-
nications d'outre-tombe. Il en conclut qu'il est donc permis à
tout fidèle chrétien d'évoquer les esprits et de les consulter.
Conclusion fausse, s'il en est! L'Eglise invoque, il est vrai, les
anges et les saints, et prie pour les défunts, mais elle fulmine
l'anathème contre le commerce avec les esprits infernaux qu'elle
appelle sorcellerie. Elle loue les extases, les visions, les révé-
lations dont sont parfois favorisés les saints sur la terre ; elle
admire les fidèles qui en ont de vraies (en se réservant à elle-
même d'en juger ; mais elle conseille à tous les chrétiens de ne
point désirer de dons extraordinaires ; elle condamne comme un
péché la prétention d'établir un système de correspondance
active et passive avec les êtres de l'autre vie, avec les bienheu-
reux, avec la Vierge, avec Jésus-Christ. Cette prétention res-
semblerait à celle d'opérer des miracles sans inspiration divine.
En particulier, l'Eglise, se fondant sur la défense formelle qu'en
fait l'Esprit-Saint dans l'Ecriture Sainte (I), défend elle-même,
comme superstition et comme erreur hérétique, l'évocation des
-âmes des défunts et l'action d^en recevoir des réponses (2).
Cela est tellement clair que Coreni en convient lui-même.
< L'Eglise les repoussait (les spirites) en condamnant à priori
toute gradation de spiritisme. » De fait, l'évocation des morts et
le commerce avec eux, condamnés par l'Eglise, constituent la
(1) Non inveniatur in te qui... quœrat a mortuis veritatem.
Omnia hœc abominatur Dominus, etc. Deut. xviii, 10 sqq. On y
voit les menaces d'extermination contre les peuples adonnés à ces
«uperstitions.
(2) Décret de la S. Inquisition Universelle de Rome, 4 août 1856.
Et, qu'on le remarque bien, cette Congrégation s'assemble au Vati-
can ; elle a pour préfet non un cardinal, mais bien le Vicaire de Jésus-
Christ en personne.
Lxxii — 31 Mai 1890 33
450 ANNALES CATHOLIQUES
partie essentielle du spiritisme ; c'est en cela précisément que-
consiste le spiritisme moderne. Au reste, les idées et les prati-
ques spirites seraient, pour plus d'une raison, impfes et illicites,
quand elles ne seraient pas expressément défendues par l'Eglise.
L'arianisme, le pélagianisme, le luthéranisme, le jansénisme ne
devinrent pas hérésies parce qu'ils furent condamnés, mais ils
furent condamnés parce qu'ils étaient hérésies.
Comment donc un chrétien pourrait-il devenir spirite? Coreni
oppose à l'Eglise l'autorité de Curci, de Passaglia, du cardinal
Wiseman, du docteur en théologie Ponsati, de Pierre-Antoine
Corte, professeur de théologie à l'Université de Turin, lequel,
en pleine séance spirite, évoqua l'esprit d'Antoine Rosmini.
Nous répondons avec assurance que, en supposant que ces
personnages aient favorisé le spiritisme moderne et ses évoca-
tions, comme le dit Coreni, ce seraient simplement des aveugles
guidant d'autres aveugles, des rebelles à l'Eglise conduisant
d'autres rebelles. Mais nous sommes à cent lieues de croire ce
que Coreni en dit, peut-être dans la bonne foi.
Quant au prêtre Curci, en particulier, dont la presse exploite
les paroles, faisons observer qu'il nie un peu facilement l'exis-
tence d'une prohibition formelle de l'Eglise contre le spiritisme.
Nous l'avons citée plus haut (voir la note 2) et Coreni la re-
connaît. D'ailleurs, Curci n'approuve pas les évocations des
morts à la façon spirite, mais, bien qu'en usant d'une expression
malheureuse, il parle d'un spiritisme dans le sens large, ou,
comme il s'exprime lui-même du spiritisme de bon aloi. Il cite
comme exemples les apparitions bibliques des anges et des tré-
passés, l'assistance des anges gardiens, etc. Dans le spiritisme
moderne, dit-il, il n'y a rien de nouveau, que le mode d'opéra-
tion, c'est sur ce mode que doit porter le jugement de l'Eglise.
En attendant, les fidèles jugeront, avec le sens commun et
avec l'Evangile, des effets qu'ils auront ressentis des nouvelles
pratiques. (Or, nous disons, nous, que les fruits du spiritisme
sont l'apostasie de la foi, et beaucoup d'autres maux qu'il serait
trop long d'énumérer.) Curci ne cherche en tout cela qu'à répri-
mer l'audace des matérialistes qui tiennent pour fausses « toutes
les apparitions > et il conclut avec une évidente raison : « Avec
e spiritisme de n'imjjorte quelle nature, on peut donc pré-
senter à la société moderne un solennel et péremptoire démenti
à l'abject matérialisme. > Telles sont les idées de Curci, dans
une note ajoutée à la 2* édition de ses Leçons eocégétiques sur
NOUVEAUX MENSONGES DU SPIRITISME 451
ies quatre Evangiles, vol. 2% p. 55. Coreni les cite à la lettre^
mais il les exagère et les entend à sa manière.
Nous n'avons ni le loisir ni le goût de suivre Coreni dans son
dédale d'erreurs, et beaucoup moins encore de soumettre à
l'examen les étranges sornettes qu'il rapporte comme dictées
par messieurs les Esprits, dans les synagogues spirites. Il fau-
drait les réfuter toutes l'une après l'autre. Nous ne faisons pas
même grâce à Antoine Rosmini, dont l'esprit prétendu se déli-
cote comme un impie et un fou, de telle façon que son véritable
esprit, ou, pour parler exactement, son âme devrait en être
joliment honteuse, tout en habitant le ciel. Pensez donc ! On
lui fait répondre à un professeur qui demande la manière de
réfuter le matérialisme de Moleschott : « Le Verbe éternel s'est
brisé dans sa partie corporelle dans le choc avec la négation
du Verbe lui-même... La théorie en apparence matérialiste, ne
l'est pas en substance... Surtout, je vous recommande de ne
pas combattre Moleschott, Biichner, Darwin, etc., mais dédire
la vérité. »
Quant à nous, nous recommandons au contraire à qui con-
serve encore un peu de bon sens, de ne pas se laisser halluciner
par la dévotion dont Coreni fait ostentation dans les prières
pour les séances spiritiques, ni par sa manie d'inculquer sans
cesse la bonne foi, la piété, les saintes pratiques, la charité.
Qu'on se garde encore plus de boire à l'aveuglette le venin des
tendresses spirituelles que Coreni débite comme exhortations
des Esprits parlants. On sait que dé tous temps les sorciers ont
l'habitude de mêler le profane avec le sacré et d'affubler l'im-
piété d'un faux semblant de piété, Allan Kardec, le suprême
hiérophante de la spii-iterie consacre un livre entier à ces fades
douceurs qu'il prétend être révélées des Esprits; mais il con-
fesse du reste que dans les séances spirites il peut très bien se
présenter « un esprit adroit, rusé et profondément hypocrite,
car il ne peut donner le change et se faire accepter qu'à l'aide
du masque qu'il sait prendre et d'un faux semblant de vertu;
les grands mots de charité, d'humilité et d'amour de Dieu sont
pour lui comme des lettres de créance, » Il peut nous arriver
« certains esprits hypocrites qui insinuent avec habileté et avec
une perfidie calculée des faits controuvés, des assertions men-
songères, afin de duper la bonne foi de leurs auditeurs. »
Il est bon que les chrétiens, simples et sans précaution,
sachent aussi que, dans les séances spirites, surtout dans les
452 ANNALES CATHOLIQUES
plus secrètes, aux Esprits prétendument ascétiques et parfois
hypocrites (corame l'avoue Kardec) se mêle une race d'Esprits
qui ne sont rien moins qu'hypocrites et qui étalent sans réserve
leur impudence. Coreni ne le dit pas, mais les autres spirites
nous l'enseignent et parmi eux Allan Kardec. Voici son témoi-
gnage : « Il y a certaines communications grossières. Elles
répugnent à toute personne qui a la moindre délicatesse de sen-
timents; car elles sont, selon le caractère des Esprits, triviales,,
orduriéres, obscènes, insolentes, arrogantes, malveillantes et
même impies. >
{Courrier de Bruxelles.) J. M.
LA TROISIEME BEATITUDE EVANGELIQUE
COMMENTÉE ET APPLIQUÉE AU PRÊTRE
Beati qui lugent, quoniam ipsi consolabuntur .
On ne comprend jamais assez bien quel abîme profond sépare
le chrétien du mondain que lorsqu'on met en i^egard les
maximes chrétiennes des maximes mondaines.
Bienheureux ceux qui pleurent! Quel étrange rapproche-
ment d'expressions. Eh quoi ! Seigneur, vous dites : « Bien-
heureux ceux dont la vie s'écoule dans les larmes ! » Mais le
bonheur ne consistetil pas à rire, à s'égayer, à ne quitter un
plaisir que pour en goûter un autre? Bienheureux ceux qui
pleurent! C'est une justice à rendre à Notre-Seigneur qu'il n'a
jamais altéré la pureté de sa doctrine pour en atténuer la sévé-
rité. Lorsqu'un de nous veut grouper autour de lui ses conci-
toyens pour une entreprise, il a recours à toutes les finesses et
à toutes les habiletés du langage pour leur en dissimuler les
dangers; comme aussi à toutes les promesses de la fortune pour
achever de les séduire. La sincérité de Notre-Seigneur est
unique. Pour entrer dans mon royaume, nous dit-il, c il faut
s'engager dans un sentier étroit, montueui, couvert de ronces
et d'épines; il faut se faire violence, se couper même un
membre, si ce membre est une occasion de p'^ché ; quitter son
père, sa mère, ne pas même les ensevelir. » Laisse-là ta barque
et tes filets, dit-il à Pierre, et suis-moi ; abandonne ton or et
tes comptoirs, dit-il à Matthieu, si tu veux vivre avec moi; je
n'aurai pas même une pierre à vous donner pour reposer votre
tête; un coin pour vous abriter; à plus forte raison ne puis-je
TROISIÈME BiÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 453
VOUS promettre des places avantageuses; ce que je vous offre,
c'est un breuvage amer qu'il faudra boire jusqu'à la lie. L'es-
prit de pénitence et de mortification, de sacrifice, doit faire le
fond de votre vie. Ceux-là seuls seront consolés dans le ciel,
qui auront pleuré ici-bas. Etudions la nature de ces pleurs et
le genre de consolation que Notre-Seigneur leur réserve.
Les pleurs auxquels Notre-Seigneur fait allusion ne sont pas
ceux que nous versons chaque fois qu'un malheur nous arrive.
Ces pleurs sont les suites du péché originel et Dieu lui-même
ne peut pas en arrêter le cours. Il a lui-même décidé que la
femme n'enfanterait plus que dans la douleur ; que l'homme
serait contraint d'arracher à une terre aride et maudite la nour-
riture de chaque jour; que le paradis terrestre serait changé
en une vallée de larmes ; que la mer serait peuplée d'écueils et
féconde en naufrages ; que notre vie serait un combat de chaque
jour, une mort continuelle, quotidie moyior, comme dit saint
Paul. Aussi chaque jour s'avance-t-il avec un cortège nouveau
de déceptions et de misères ; et nous pourrions les maudire tous
comme Job a maudit celui de sa naissance. Notre-Seigneur lui-
même n'a pas échappé à ces misères. Dieu accorde à nos prières
et à notre soumission la force et la résignation qui nous aident
à supporter nos peines, et en adoucissent quelquefois l'amer-
tume ; mais il ne fera jamais que cette terre ne soit pas tou-
jours une vallée de larmes. Lorsque Job eut appris sa ruine,
il eut la force de s'écrier : « Dieu me l'a donné, il me l'a ôté ;
qu'il soit fait selon son bon plaisir, que son saint nom soit
béni! » mais il n'en déchira pas moins ses vêtements, coupa ses
cheveux et s'abattit la face contre terre, comme un homme pro-
fondément affligé. Ces pleurs-là, jamais Dieu ne les séchera
sur cette terre. Ceux auxquels il promet ses consolations ce
sont ceux qui pleurent leurs péchés. Avez-vous fait cette re-
marque que la première parole que Dieu ait fait entendre au
moment oii Notre-Seigneur allait commencer sa prédication, est
celle-ci :
« Faites pénitence ! » Ce fut Jean, fils de Zacharie, son pré-
curseur qui la prononça. « Faites pénitence ! » s'écriait-il, dans
toute la région du Jourdain, prêchant le baptême pour la rémis-
sion des péchés. Faites pénitence ! Et il le criait d'une voix
puissante, afin de se faire entendre de tous les enfants d'Israël,
454 ANNALES CATHOLIQUES
et de secouer leur torpeur et leur insensibilité aux avertisse-
ments des prophètes. Non content de prêcher la pénitence par
sa parole, il la prêchait dans sa vie. Il n'avait d'autre vêtement
qu'une étoffe grossière, retenue par une ceinture de cuir; sa
nourriture était celle des pauvres et jamais une liqueur eni-
vrante n'avait effleuré ses lèvres. L'apparition de ce prophète
produisit sur les Juifs une profonde impression. Son extérieur
étranc^e, l'austérité de sa vie, son éloquence entraînante, les
espérances qu'éveillaient dans les cœurs l'annonce du Messie,
les firent sortir de leur engourdissement. Ils vinrent tous de
Jérusalem, de la Judée et des contrées voisines du Jourdain
pour lui confesser leurs péchés et recevoir le baptême. Les pre-
miers qui s'approchèrent furent des Pharisiens et des Saddu-
céens. Il n'ignorait pas que ces hypocrites ne se présentaient au
baptême que pour se rendre recommandables au peuple. Aussi,
loin de les flatter, il leur arrache sans ménagement le masque
d'hypocrisie dont ils se couvraient. « Race de vipères, s'écrie-
t-il, race pleine de méchanceté et de malice, habiles à dresser
des embûches et àrépandj-e le poison, lorsque vous vous croyez
les plus forts, n'espérez pas échapper à la vengeance divine; ne
dites pas que vous avez Abraham pour père et que par consé-
quent vous n'avez rien à craindre... et désignant du doigt les
pierres qui tapissaient le lit du Jourdain « de ces pierres, si
Dieu le voulait, il pourrait susciter des enfants d Abraham; ne
vous rassurez donc pas à cause de vos ancêtres, comme si votre
descendance seule pouvait vous sauver malgré la corruption de
votre cœur. Prenez garde qu'à cause de votre indignité, Dieu
n'appelle à votre place les nations idolâtres pour en faire par la
fois de véritables enfants d'Abraham et les rendre héritiers des
bénédictions promises à ce patriarche. Malheur à vous! si vous
ne faites pas de dignes fruits de pénitence. Déjà la cognée est à
la racine de l'arbre, prête à frapper le dernier coup. Jusqu'ici
Dieu n'a coupé que quelques branches, que quelques tribus
isolées du peuple d'Israël, le tronc de l'arbre a été épargné;
maintenant la cognée est à la racine. La synagogue entière est
menacée d'une ruine prochaine. La justice de Dieu va s'appe-
santir sur vous inexorable et terrible, si vous repoussez le salut.
Hâtez-vous, car tout arbre qui ne portera pas de bons fruits sera
coupé et jeté au feu. Notre-Seigneur devait se servir de ces
mêmes expressions le jour où il réprimande sévèrement les
Pharisiens lorsqu'ils viennent lui raconter le massacre des Gali-
TROISIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 455
. léens parPilate. «Un homme, leur dit-il, avait planté un figuier
dans sa vigne. » Ce figuier c'est l'image du prêtre associé au
sacerdoce de Jésus-Christ ; c'est pour cela qu'il l'arrose de
grâces plus abondantes, qu'il le prémunit davantage contre les
scandales et les corruptions du monde, qu'il le cultive avec plus
de soin. Or, cet homme étant venu chercher des fruits sur ce
figuier n'en trouva point. Que chacun de nous s'interroge. Où
sont les fruits des vertus que Dieu est en droit d'attendre de
moi? Où sont mes bonnes œuvres? Vœ etiam laudahili homi-
num vitce, si remota misericordia discutiat eam Dominus !
s'écriait saint Augustin.
Alors il dit à celui qui cultivait la vigne : « Voilà trois ans
que je viens chercher des fruits sur ce figuier et je n'en trouve
point; coupez-le donc; à quoi bon occuper ainsi la terre? » Ce
sont, en efî"et, des fruits que Dieu nous demande, et non des
désirs stériles, de vaines promesses qui ne se réalisent jamais.
Or, que de bien chacun de nous aurait pu faire et qu'il n'a pas
fait; que de mérites il aurait pu acquérir et qu'il n'a pas acquis,
dans le cours d'une année ! Que d'années il a inutilement em-
ployées, qu'il a perdues, qui peut-être n'ont servi qu'à lui amas-
ser des trésors de colère pour l'enfer ! Hâtons-nous de nous
convertir. Déjà la main vengeresse de Dieu est suspendue sur
nos têtes : celui qui ne sait pas employer la vie que Dieu lui
donne mérite-t-il de vivre? Ne se nuit-il pas à lui-même? Ne
nuit-il pas aux autres par les mauvais exemples qu'il leur
donne? Comme le figuier stérile qui occupe inutilement la terre,
qui prend la place d'un arbre utile et qui enlève ainsi aux arbres
voisins la nourriture dont ils ont besoin : « Eia, arbor infruc-
tuosa, s'écrie saint Augustin veniet ad judicium Dominus
et amputaheris » C'est au prêtre, plus encore qu'au simple
fidèle, que s'appliquent ces paroles de saint Jean-Baptiste et de
Notre-Seigneur : « Faites pénitence », parce que le prêtre, à
l'exemple des Pharisiens, est plus exposé à se complaire dans
cette justice extérieure qui vient des exercices de dévotion et à
négliger la pratique de la pénitence intérieure. « Si ce que je
vous prêche, s'écriait saint Jean-Baptiste, vous paraît trop
pénible, si la pénitence que je suis chargé de vous annoncer
vous semble trop longue et trop difficile, pensez à celui qui doit
venir après moi ; car s'il vient pour sauver et sanctifier les âmes,
il vient aussi pour les juger. Déjà il a son van à la main et se
dispose à nettoyer son aire ; puis il rassemblera le froment dans
456 ANNALES CATHOLIQUES
son grenier et brûlera la paille dans le feu qui ne s'éteint pas.
Comparez ce supplice à la- pénitence que je vous prêche et dites
si elle vous paraît encore trop dure et trop longue. >
II
Puis il leur exprime dans une série d'images allégoriques,
quels sont les effets de la pénitence.
« Avant tout, leur dit-il, venez à Dieu loyalement, sincère-
ment, avec un vif désir de réformer vos mœurs selon sa loi ;
supprimez les sentiers tortueux et remplacez-les par des che-
mins droits, par oii le Seigneur puisse passer; efforcez-vous de
pratiquer surtout la charité, l'humilité, la patience; c'est là ce
que veulent dire ces expressions « que toute vallée soit com-
« blée... etc. » Je viens vous dire, non de quitter le monde,
mais de remplir vos devoirs d'état; c'est la première et souvent
la meilleure pénitence. Vous êtes dans les affaires, soyez hon-
nêtes; vous êtes soldat, évitez la violence. Votre avarice, votre
orgueil, votre violence sont cause que vous ne voyez pas le Sau-
veur; aussi, travaillez à détruire ces passions, et vous aurez la
consolation de voir le Sauveur envoyé de Dieu, qui lugent con-
solabunlur . »
S'il vous arrive de faiblir, d'être renversé, donnez à Dieu des
marques d'un regret profond, d'une contrition sincère et efficace.
« Partout ailleurs, s'écrie Bossuet, la douleur, loin d'être un
remède au mal, est un autre mal qui l'augmente, le péché est le
seul mal qu'on guérit en le pleurant. Pleurez sans fin, que vos
yeux soient changés en sources intarissables dont le cours per-
pétuel creusera vos joues, comme parle le Psalmiste. La rémis-
sion des péchés est le fruit de ces pieuses larmes. Ah ! mille et
mille fois heureux ceux qui pleurent leurs péchés, car ils seront
consolés. » Voyez David, lorsque le prophète Nathan, lui eut
reproché de la part de Dieu son double crime : « J'ai péché,
s'écriait-il, et il se jeta la face contre terre, plongé dans la dou-
leur. > Voyez Madeleine, tremblante aux pieds du Sauveur
qu'elle arrose de ses larmes; larmes recueillies par les anges,
larmes qui d'une grande pécheresse ont fait une grande sainte.
Yoyez saint Pierre : quelle différence entre son regret et celui
de Judas. Judas a reconnu son crime, il en éprouve une douleur
amère, il le confesse publiquement, en présence du sanhédrin,
sans chercher à l'excuser, à l'atténuer; il voudrait réparer le
mal qu'il a fait, il proclame l'innocence de Jésus et songe à l'ar-
TROISIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 457
racher à la mort. L'argent pour lequel il a livré son maître,
dont l'amour avait été sa passion dominante, lui fait maintenant
horreur ; il n'en peut plus soutenir la vue, il croit en voir
dégoûter du sang; aussi, il le repousse avec horreur et le reporte
aux prêtres. Et pourtant sa pénitence n'est pas sincère. Ce que
déteste Judas, ce n'est pas son péché, ce sont ses suites funestes;
il espère les atténuer par son désintéressement apparent ; mais
son cœur n'est pas changé; son témoignage en faveur de Jésus-
Christ lui est en quelque sorte extorqué par les angoisses et les
terreurs de sa conscience, nullement par son amour pour son
maître; ce qu'il cherche, c'est moins le pardon du Sauveur que
de pouvoir étouffer cette voix secrète qui lui crie au fond de
l'âme : « Malheureux, qu'as-tu fait? » Aussi meurt-il en déses-
péré. Saint Pierre, au contraire, ne parle pas : il pleure ; il sort
en toute hâte de la maison de Caïphe, devenue si funeste à son
innocence et, se rappelant la prédiction du Sauveur, il confesse
humblement sa faute et, jusqu'à la fin de sa vie, il voudra
l'expier. « Chaque nuit, au chant du coq, nous dit saint Clément,
Pierre se relevait de terre, seule couche oii il prenait un peu de
repos, pour pleurer son infidélité. Il continua cette mortifica-
tion pendant les trente dernières années de sa vie. » Ainsi ses
larmes étaient une consolation pour lui.
C'est cette douleur profonde dont le Sauveur nous donne
l'exemple le jour oii à la vue de Jérusalem s'étalant devant lui,
dans toute sa gloire, avec son temple majestueux, ses palais
splendides, sa nombreuse population, il pleura sur cette ville,
parce qu'elle-même ne pleurait pas ses péchés. C'est cette dou-
leur qu'il ressentit au jardin des Oliviers, lorsque tous les
péchés de l'univers qui étaient devenus les siens, se présen-
tèrent à son esprit. « Il éprouva, dit saint Thomas, réunis tout
à la fois eu lui-même, ces sentiments de douleur amère, et de
terrible épouvante qui devraient agiter le pécheur s'il voyait
ses fautes avec la profondeur de l'œil de Dieu, s'il connaissait
toute la malice et toute la laideur du péché et les châtiments
affreux qui lui sont réservés. »
La douleur du Sauveur est le modèle de la douleur du prêtre
en face du péché. Aussi malheur à celui qui voit commettre le
mai ou qui le commet lui-même sans éprouver de remords ins-
piré par les pensées de la foi. 11 n'a pas ce regret que Jean-
Baptiste reprochait aux Pharisiens de ne pas avoir; sa justice
n'est pas supérieure à celle de ces hypocrites. Peu importe qu'il
458 ANNALES CATHOLIQUES
jeûne, qu'il se mortifie, qu'il se répande en œuvres de miséri-
corde, sa religion est vaine.
III
C'est ainsi que les Saints ont eu l'esprit de pénitence jusqu'à
répandre de vraies larmes au souvenir de leurs fautes.
Si nous n'avons pas comme eux le don des larmes, ayons au
moins ce qui en est le principe et la source, c'est-à-dire le repen-
tir et alors notre tristesse sera changée en joie.
« Jésus-Christ, dit un auteur ascétique compte les larmes
que nous répandons et les met à part comme des perles pré-
cieuses pour l'ornement de son trône. Sa promesse d'ailleurs
est formelle : qui s'est affligé se réjouira, bienheureux ceux
qui pleurent, car ils seront consfolés. » L'abbé M.
LE CATHOLICISME EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE,
1800-1890.
D'un intérefisant travail que publie dans les Missions catholiques
M. Louvet, des Missions étrangères de Paris, sous le titre Les Mis'
sions catholiques au XIK" siècle, nous extrayons les pages suivantes
remplies de détails consolants sur les progrès du catholicisme en
Angleterre et en Ecosse :
Depuis le début du mouvement puséyste, chaque année voit,
surtout dans l'aristocratie, de nombreux retours réjouir le cœur
de la vraie Eglise. Il serait trop long de donner ici la îiste de
ces milliers de convertis. Pour faire connaître le résultat général
il suffira de dire qu'il y a aujourd'hui bien peu de familles de
la Gentry qui n'aient quelques-uns au moins de leurs membres
catholiques.
En 1880, l'aristocratie anglaise comptait dans ses rangs :
trente-huit pairs catholiques, vingt-quatre lords, six membres
du conseil privé, le vice-roi des Indes, les gouverneurs de
Hong-Kong, de Singapour et de Maurice, vingt-deux baronnets,
cinquante-cinq membres de la Chambre des Communes, sans
parler d'un grand nombre d'officiers supérieurs, de magistrats,
de publicistes, d'hommes éminents dans toutes les positions.
L'action de l'apostolat catholique ne se restreint pas à l'aris-
tocratie; mais il faut reconnaître que jusqu'ici elle a eu moins
d'influence sur le reste de la nation. La grande majorité
(12,500,000) demeure par routine attachée à l'Eglise officielle ;
LE CATHOLICISME EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE 459
une autre fraction importante (près de 16,000,000) se partage
entre les sectes dissidentes, qui d'après le Whitaker's almanach
de 1882, s'élèvent à cent soixante-quatorze dans la Grande-
Bretagne. La plus importante de ces sociétés séparées est celle
des Presbytériens, qui sont vingt-quatre mille en Angleterre,
et un million six cent cinquante mille en Ecosse, où ils forment
l'Eglise établie.
Pour résumer les progrès numériques du catholicisme ea
Angleterre, voici, de vingt ans en vingt ans, les chiffres de la
population catholique. Ils sont empruntés aux documents
officiels.
En 1800. Angleterre, 90,000 catholiques.
Ecosse, 30.000 »
Total, 120,000
En 1820. Angleterre, 450,000
Ecosse, 50,000
Total, 500,000
En 1840, Angleterre, 800,000
Ecosse, 100,000
Total, 900,000
En 1860. Angleterre, 1,100,000
Ecosse, 220,000
Total, 1,320,000
En 1880. Angleterre, 1,300,000
Ecosse, 320.000
Total, 1,620,000
En 1890. Angleterre, 1,353,455
Ecosse, 338,643
Total, 1,692,098 »
En résumé, le catholicisme vient en ce moment le second en
importance numérique, immédiatement après l'Eglise officielle.
Grâce à sa forte hiérarchie et au mouvement continu des con-
versions qui, année moyenne, s'élèvent à plus de dix mille, on
peut espérer qu'à la fin du xix* siècle, l'Eglise catholique comp-
tera, en Angleterre et en Ecosse environ deux millions de
fidèles.
Le progrès des œuvres a suivi tout naturellement l'accroisse-
460 ANNALKS CATHOLlQOiSS
ment numérique. On se rappelle qu'au conaraencement du siècle,
l'Angleterre et l'Ecosse réunies comptaient à peine soixante
chapelles, absolument indignes de la majesté divine. A mesure
que les fidèles se multipliaient il a fallu élever de nouveaux
templos. Avec le concours dévoué de l'aristocratie catholique,
qui s'est montrée d'une générosité sans limites, le sol de la
Grande-Bretagne s'est couvert d'une splendide floraison d'édi-
fices religieux, qui ne le cèdent en rien à ceux du Moyen-âge,
exemple, la pro-cathédrale de Westminster, qui a coûté à elle
seule plusieurs millions. En 1880, il y avait, en Angleterre,
mille deux cent cinquante neuf églises ou chapelles, et trois
cent cinq en Ecosse. Ce nombre s'accroît rapidement chaque
année.
Et ces églises sont bien à nous ; elles ont été élevées avec les
sacrifices volontaires et les offrandes des fidèles. L'Etat, qui n'a
pas dépensé un centime pour leur construction, serait mal venu
à en réclamer la propriété et à en garder la clef, comme on dit
que cela se fait dans certains p^js catholiques.
A côté de l'église, l'école, presque aussi nécessaire pour la
formation religieuse des nouvelles générations. En 1800, il n'y
avait rien, on se le rappelle, hormis deux ou trois maisons
d'éducation, sur le continent, que la Révolution française
supprima.
En 1840, l'Eglise comptait déjà dans la Grande-Bretagne
neuf collèges exclusivement catholiques, les uns, sous la direc-
tion des vicaires apostoliques, les autres, confiés aux Bénédic-
tins, Dominicains, Jésuites.
En 1880, il y avait en Angleterre vingt-trois collèges catho-
liques et quatre en Ecosse; total, vingt-sept établissements
d'enseignement secondaire, sans parler de six cents écoles de
paroisses qui donnent l'enseignement primaire à cent dix-huit
mille enfants.
Depuis, grâce à l'expulsion des Jésuites et à la fermeture de
leurs collèges, ce nombre a encore augmenté; c'est de l'Angle-
terre protestante que la Fiance catholique reçoit aujourd'hui
des leçons de libéralisme.
La liberté d'enseignement est complète chez nos voisins. On
ne connaît pas chez eux d'université d'Etat, ce fléau de l'ensei-
gnement. Les écoles sont sous la surveillance des patrons qui
les ont fondées, des congrégations paroissiales qui paient le
maître, et des familles qui leur confient leurs enfants.
LE CATHOLICISME EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE 461
Le libéralisme anglais ne tolérerait pas l'ingérence de l'Etat,
menant se substituer au père de famille, avec la prétention, au
moins étrange, de connaître mieux que celui-ci ce qui convient
à son enfant. Le rôle du gouvernement se borne, en Angleterre,
à inspecter les écoles, pour s'assurer que tout s'y passe dans
l'ordre, et à subventionner, sans distinction de maîtres ou de
cultes, les écoles qui réussissent le mieux : c'est de la liberté •
■et de l'égalité vraies, et c'est précisément pour cela que ce sys-
tème si libéral et si respectueux des droits supérieurs de la
famille, n'a aucune chance de s'acclimater chez nous.
En 1830, Georges Spencer, second fils de Lord Spencer, se
-convertit au catholicisme. Quelques années plus tard, il entrait
dans l'ordre des Passionnistej, fondé au siècle dernier par le
Bienheureux Paul de la Croix, dont l'attrait particulier fut, on
le sait, de prier pour la conversion de l'Angleterre, conversion
-qu'il prédit, avant de mourir, comme devant arriver un jour. Le
■P. Spencer consacra sa vie à établir une vaste association de
prières, pour obtenir le retour de l'Angleterre à la foi catho-
lique. Cette association, qui se répandit bientôt en France, en
Italie, et dans toutes les contrées catholiques, a plus fait peut-
être que tous les efforts extérieurs du zèle pour la conversion
de l'ancienne île des saints.
Bientôt, comme sous l'action d'un souffle venu d'en haut, on
vit s'épanouir, sur le sol de la Grande-Bretagne, toutes les
<Buvres de la charité catholique : des orphelinats se fondèrent,
pour arracher les enfants abandonnés à la propagande des Work
house protestants; des dispensaires, des hôpitaux s'ouvrirent
pour recevoir les malades ; des conférences de Saint-Vincent de
Paul s'établirent, dans les principales villes, pour visiter et
secourir à domicile les pauvres, que la charité officielle de l'an-
glicanisme laisse mourir de faim, à côté des fortunes scanda-
leuses de l'aristocratie; les Petites Sœurs des Pauvres, les
Sœurs de charité reparurent sur cette terre, où le costume reli-
gieux avait été si longtemps proscrit. L'intolérance protestante
fut forcée de s'incliner avec respect devant la cornette de la
fille de saint Vincent de Paul, et la reconnaissance publique
pi-otégea ces pieuses héroïnes du dévouement catholique, dont
l'hérésie avait perdu, depuis trois siècles, la glorieuse tra-
dition.
Eu 1880, il y avait en Angleterre, 330 couvents ou monas-
tères, et 39 en Ecosse. Toutes les grandes familles religieuses,
les Chartreux, Ls Trappistes, les Bénédictins, les Prêmontrés,
462 ANNALES CATHOLIQUES
les Dominicains, les Franciscains, les Jésuites, les Oratoriens,
les Liguoriens, les Passionnistes, ont reparu sur ce sol, d'oii la
main brutale de l'hérésie croyait les avoir arrachés pour j amais ;
mais, selon la parole du P. Lacordaire, les moines sont comme
les chênes, ils sont immortels.
Et à côté des grands Ordres religieux du passé, on voit se
multiplier de nouvelles congrégations; les Frères des écoles
chrétiennes, les Ursulines, les Dames du Sacré-Cœur, les Filles
de Charité, toutes les congrégations enseignantes et hospitalières,
qui étaient inconnues à l'ancienne Eglise d'Angleterre, s'épa-
nouissent librement sur ce sol labouré par la persécution, elles
témoignent de la prodigieuse fécondité du catholicisme, en
regard de la stérilité et de la sécheresse du cœur de l'hérésie.
Un grand acte du Vicaire de Jésus-Christ est venu mettre le
sceau à la résurrection de l'Église d'Angleterre, je veux parler
du rétablissement de la hiérarchie. Déjà par un bref en date du
30 juillet 1840, Grégoire XVI avait porté de quatre à huit le
nombre des vicariats apostoliques. Ce n'était pas assez, l'Eglise
catholique avait donné, en Angleterre, assez de preuves de vita-
lité, pour mériter de sortir de l'état de mission. Le 29 septem-
bre 1850, Pie IX, par la bulle Universalis Ecclesiœ reconsti-
tuait l'Eglise d'Angleterre, en créant l'archevêché de West-
minster, avec les douze évêchés suffragants de Liverpool, de
Salford, de Shrewsburj, de Newport, de Nottingham, de Sou-
thwark, de Birmingham, de Clifton, de Plymouth, d'Hexham,
de Northampton et de Beverley.
Depuis, l'évêché de Beverley a été remplacé par les deux
évêchés de Leeds et de Middlesbourg, et l'évêché de Ports-
mouth a été détaché de celui de Southwark, ce qui porte à
quatorze le chiffre des évêchés suffragants de Wesminster.
Le 26 février 1878, le Pape Léon XIII achevait l'œuvre de son
prédécesseur, en rétablissant la hiérarchie en Ecosse. Aux trois
vicariats apostoliques alors existants, le vicaire de Jésus-Christ
substituait deux archevêchés : Edimbourg et Glascow, avec
quatre évêchés suffragants d'Edimbourg : Dunkeld, Aberdeen,
Galloway et Argyll.
Voici le tableau du développement de la hiérarchie depuis le
commencement du siècle.
En 1800.
Angleterre, 4 vicaires apostol. 43 prêtres.
Ecosse, 2 vicaires apostol. 12 »
Total: 6 vicaires apostol. 55 prêtres.
LA JOURNÉE DE HUIT HEURES 463
En 1840.
Angleterre, 8 vicaires apostol. 608 prêtres.
Ecosse, 3 vicaires apostol. 60 »
Total: 11 vicaires apostol. 6t)8 prêtres.
En 1880.
Angleterre, 1 arch. 14 évèq. 2,198 prêtres.
Ecosse, 2 arch. 4 évèq. 324 »
Total : 3 arch. 18 évêii. 2,b22 prêtres.
En 1890.
Angleterre, 1 arch. 14 évêq. 2,340 prêtres.
Ecosse, 2 arch. 4 évêq. 329 »
Total: ~3"arch. Ï8~èvêq. 2^69 prêtres.
A l'heure où j'écris ces lignes (1889), l'Angleterre occupe une
place d'honneur dans la hiérarchie catholique; sur son immense
territoire, elle compte, dans les cinq parties du monde : vingt-
deux archevêchés, quatre-vingt-dix-neuf évêchés, dix-huit vi-
cariats et six préfectures apostoliques; elle range sous ses lois
plus de treize millions cinq cent mille catholiques. Puissions-
nous voir bientôt l'antique île des saints revenir en masse à la
foi de ses pères, dont l'ont séparée, il y a trois siècles, la pas-
sion adultère d'Henri VIII et la politique haineuse d'Elisabeth !
Avec le développement de son immense puissance coloniale, la
conversion de 1 Angleterre amènerait rapidement l'évangélisa-
tion du monde entier.
LA JOURNEE DE HUIT HEURES
ET LES CONDITIONS DU TRAVAIL EN EUROPE
n n'est partout question que -de réduire les heures de travail
et l'on ne se préoccape même pas de savoir à l'aide de quelle
sanction internationale on pourrait [irescrire une réglementa-
tion qui ne mit pas une nation en état d'infériorité par rapport
à l'autre. Nous laissons de côté pour le moment la question
d'atteinte à la liberté individuelle, qui cependant mérite de
venir en première ligne, pour ne nous occuper aujourd'hui que
des conditions de travail qui, dans les pays industriels, sont
absolument différentes, comme les salaires d'ailleurs.
En Angleterre, un grand nombre d'ouvriers ne travaillent
que dix heures par jour : il en est notamment ainsi dans l'in-
dustrie cotonnière, l'une dos plus importantes de la Grande-
Bretagne. Une accumulation immense de capitaux, l'emploi des
machines sur la plus vaste échelle, le monopole, peut-on dire,
464 ANNALES CATHOLIQUES
des marchés asiatiques a permis l'adoption de cette journée
très réduite. En France, c'est à onze heures à Paris, à douze
heures en province que l'on peut évaluer la durée du travail
quotidien. En Belgique, la moyenne de la journée peut être
fixée à douze heures; citons les industries métallurgiques, l'in-
dustrie du drap et de la filature de laine à Verviers, le travail
des mines dans leHainaut; nous disons le Hainaut seulement^
car dans la province de Liège le travail des ouvriers à veine ne
dépasse pas huit à neuf heures.
En Allemagne et en Autrich-e, la durée de la journée est
plus longue que chez nous. En Italie, nous la trouvons plus
considérable encore, surtout dans l'industrie de la soie et dans
les mines de soufre de la Sicile. En Hollande, c'est à treize
heures que s'élève la journée de labeur de l'ouvrier. En Rus-
sie, à cause d'une position industrielle très difficile, l'ouvrier
se voit forcé de travailler quatorze heures en moyenne.
A quelle cause imputer ces variations ?
Serait-ce dans les pays les plus favorisés, à la seule énergie
des ouvriers qu'il faudrait rapporter les progrès accomplis dans
cet ordre de choses? Ou bien l'humanité des patrons, leur»
sentiments de bienveillance envers les ouvriers auraient-ils fait
baisser la durée du travail? Cette dernière cause n'est certai-
nement pas celle qui est intervenue, car nous voyons des pays
oii des institutions de patronage sont florissantes, oii la paix
sociale est entière, conserver des journées très longues. Il en
est ainsi, par exemple, pour la Hollande.
Au contraire, c'est en Angleterre, pays où les patrons s'occu-
pent très peu de l'ouvrier et sont trop souvent prêts à les aban-
donner, comme ils disent, à l'action des lois naturelles, que
nous pouvons relever la journée moyenne la plus courte.
En réalité, c'est à des circonstances indépendantes de la
volonté des hommes, c'est à des causes ressortissant du climat,
de la constitution physique, du caractère de l'ouvrier que nous
devons rapporter ces variations.
Les différentes nations, on l'a répété mille et mille fois, ne se
trouvent pas dans d'égales conditions de lutte. Sur ce vaste
champ de batailUe qui s'appelle le marché national ou interna-
tional, chacune d'elles se présente différemment armée.
Ces différences sont si multiples qu'il faut renoncer à les
énumérsr toutes; on peut cependant citer les principales :
Le climat d'abord exerce une influence énorme; les popula-
LA. JOURNÉE DE HUIT HEURES 465
tions ouvrières du Nord sont plus tenaces, plus laborieuses que
celles du Midi, peuvent donner plus sans plus de peine.
La constitution physique de l'homme n'est pas non plus la
même: l'Anglais travaille vite et longtemps; le Français est
doué d'une grande habileté, mais est moins capable d'un effort
prolongé; le Belge travaille plus lentement que l'Anglais, mais
supporte une grande fatigue; le Hollandais est d'une lenteur
proverbiale, mais a la facilité de se maintenir au travail plus
longtemps que tout autre.
La constitution géographique des pars varie aussi énormé-
ment: un pays bien pourvu de bonnes routes, de cours d'eau navi-
gables, etc., etc., a un immense avantage sur un concurrent qui
n'en possède pas de semblables. Il est inutile de poursuivre cette
analyse que chacun peut faire soi-même.
Si par une loi internationale, comme on veut le faire à pré-
sent, nous décidons que chacun, quelles que puissent être ces
conditions de travail, ne pourra plus s'occuper que huit heures
par jour, qu'arrivera-t-il?
Il faudrait être dépouvu de tout esprit logique pour ne pas le
voir tout de suite : les pays jouissant des meilleures conditions
géographiques ou industrielles l'emporteront à jamais sur tous
les autres. Prenons un exemple : un ouvrier anglais, supposons-
nous, peut faire dix mètres de cotonnade en un temps déterminé:
admettons que ce soit huit heures. L'ouvrier français, moins
habile, n'en fait que neuf mètres pendant ce temps ; l'ouvrier
belge, encore moins habile, eu fabrique huit mètres ; enfin
l'ouvrier allemand ne peut fabriquer que sept mètres. Comment
s'y prennent les concurrents de l'ouvrier anglais pour soutenir la
concurrence? Ils travaillent en se contentant de salaires plus
réduits, ou, s'ils veulent obtenir le même salaire que l'ouvrier
anglais, ils doivent prolonger leur journée de façon à produire
autant que ce dernier.
Jusqu'à présent tout va bien ; mais voilà qu'on décide que
tous. Anglais, Français, Belges, Allemands, n'auront plus le
droit que de travailler huit heures. Pour l'Anglais, rien n'est
changé : mais tous ses voisins sont frappés à mort; ils n'ont
que ce parti à prendre : admettre une réduction proportionnelle
de salaire ou perdre non seulement leur marché international,
mais encore le marché national, car l'Anglais, qui fabrique
beaucoup plus qu'eux pour le même prix, viendra, par des prix
inférieurs, leur enlever toute leur clientèle.
.34
466 ANNALES CATHOLIQUES
Tel est le dilemme qui se pose avec une sûreté irréfutable,
Supprimons les excès du travail : ils sont aussi peu productifs
qu'inhumains. Mais prétendre reculer sans cesse les bornes du
travail vouloir y introduire un principe international propre à
renverser toute notre organisation industrielle, c'est aller
contre le bon sens, contre les lois économiques, c'est faire litière
de la liberté par une réglementation oppressive, par la fiction de
l'égalité à outrance. X.
LE REPOS DU DIMANCHE
(Suite et fin. — Voir le numéro précédent.)
Messieurs, je vous ai montré, autant que les limites d'un dis-
cours me l'ont permis, les divers aspects de la loi du repos du
dimanche. Je regrette de vous retenir encore : mais il me paraît
important, il me semble même indispensable de dégager les
conclusions pratiques de cet examen.
Quels sont les devoirs qui nous sont imposés pour donner à
cette loi, en tout ce qui dépend de nous, toute son efficacité
dans notre pays?
Je me place d'abord au point de vue des revendications que
nous avons à produire dans l'ordre des réformes législatives et
en regard des pouvoirs publics.
Mon très cher et très éloquent ami Lucien Brun que je ne
vois pas ici aujourd'hui, mais qui ne tardera pas à nous revenir,
— une heureuse opération a rendu la vue physique à ses yeux;
quanta la clairvoyance lumineuse et supérieure de son esprit,
elle est absolument inaccessible à la cataracte — [Hilaritë et
applaudissements) , mon ami Lucien Brun disait donc un jour,
dans un de nos congrès: « Le premier article de toute législa-
tion chrétienne du travail est le troisième commandement de
Dieu, et rien n'est fait tant que cet article reste à faire. »
Éh bien, M, Lucien Brun avait hautement raison. On disait
autrefois et volontiers, je redirais aujourd'hui : La liberté
d'enseignement comme en Belgique ; M. Dordelot, qui est
Belge, m'entend et il trouvera que la formule était heureuse.
Pour le dimanche nous devrions prendre pour mot d'ordre : La
liberté du dimanche comme aux Etats-Unis et en Angleterre.
D'autres nations semblent du reste disposées à entrer dans cette
voie. Est-ce que la France resterait seule en arrière de ce
retour à la vérité sociale ? C'est beaucoup trop pour son vieux
LE REPOS DU DIMANCHE 467
renom de foi et de générosité qu'elle soit parmi les retardataires.
Donc nous devons demander une nouvelle loi de 1814,
modifiée si l'on veut sur certains points, mais complétée sur
plusieurs autres, qui interdise, sauf les exceptions légitimes,
le travail du dimanche.
Voilà notre première revendication. (Applaudissements .)
Si cette première revendication n'était pas écoutée, nous
devrions demander tout au moins que les travaux ordonnés,
concédés ou autorisés par l'Etat, les départements et les com-
munes fussent légalement suspendus le jour du dimanche.
Ici, remarquez-le bien, il ne s'agit pas de l'Etat imposant le
respect du dimanche à des particuliers; il s'agit de l'Etat
s'imposant ce respect à lui-même. Qui oserait soutenir que
l'Etat peut se soustraire à ce respect sans faillir à son devoir et
sans trahir son mandat? Au fond, la demande n'est pas suscep-
tible d'une objection sérieuse.
Et si on me disait que, pour cela, un arrêté ministériel peut
suffire et que, par conséquent, la loi n'est pas nécessaire, voici
ce que je répondrais :
Messieurs, nous n'avons plus aujourd'hui de ministres qui
s'appellent M. l'amiral de Mackau ou M. Lacrosse, M. le baron
de Larcy ou M. Caillaux; ceux-là avaient, à leur honneur,
prescrit, par circulaires ou arrêtés, la suspension des travaux
publics le dimanche. Nous n'avons rien à attendre de pareil des
hommes d'Etat du jour ; et voilà pourquoi nous réclamons
l'intervention delà loi. C'est notre seconde revendication. [Nou-
veaux applaudissements .]
Nous demandons, en troisième lieu, que pour faciliter la fer-
meture des gai'es de petite vitesse dans les compagnies de che-
mins de fer, la loi autorise de ne plus compter le dimanche dans
les délais de livraison et d'expédition des marchandises.
Ici encore, un simple arrêté ministériel suffirait, mais pour
le motif que j'indiquais tout à l'heure et sur lequel je ne reviens
pas, il faut un bon article de loi qui rende l'arrêté obligatoire.
Et qu'on ne nous parle pas d'impossibilités de service. Les
Etats-Unis et l'Angleterre sont, commercialement et industriel-
lement, des pays encore plus importants que le nôtre. Ce qui se
fait dans ces pays, sans soulever la moindre réclamation et sans
blesser aucun intérêt, peut également se faire dans le nôtre. Il
n'y faudrait qu'un peu de respect pour la liberté de conscience
des cent cinquante mille ouvriers ou employés de chemins de
468 A.NNALES CATHOLIQUES
fer qui sont, à l'heure présente, privés, pour la plupart, de toute
possibilité de remplir, le dimanche, leurs devoirs religieux et
leurs devoirs de famille. Il y va de l'honneur du pays que l'on
respecte la liberté de ces âmes d'ouvriers qui ne sont pas appa-
remment des âmes d'esclaves. C'est notre troisième revendica-
tion. [Applaudissements.)
Voici maintenant quarante mille employés des postes et télé-
graphes dont la plupart sont empêchés par leurs fonctions de
remplir, le dimanche, leurs devoirs religieux. C'est un fait.
L'État parce qu'il prend des employés à son service n'a pas
cependant le droit de réduire leurs âmes en servitude. Cela
n'est pas possible, cela ne doit pas être. Et puisque cela existe
dans une certaine mesure et pour un certain nombre, il faut que
la loi y pourvoie. C'est notre quatrième revendication. [Nou-
velle approbation.)
Il y a enfin, Messieurs, une plaie plus large et plus doulou-
reuse. L'armée, c'est la jeunesse tout entière du pays appelée
sous les drapeaux. Qu'est le dimanche pour le soldat? On dit^
qu'on lui laisse la liberté de vaquer à ses devoirs religieux ;
cela dépend des lieux et des chefs. En tout cas, sans une
aumônerie militaire convenablement organisée, l'observance du
dimanche est presque impossible pour le soldat. Cette aumô-
nerie existait; l'Assemblée nationale l'avait établie; aujourd'hui,
il n'en reste plus rien ; il faut en réclamer le rétablissement.
On doit ce rétablissement aux soldats ; on le doit à leurs familles.
A ces jeunes gens qui font, sous les drapeaux, le noble appren-
tissage de la vie militaire, l'Etat peut, sans doute, au nom de
la patrie, demander leur temps, leur obéissance, leur travail,
leurs sueurs, le sang de leurs veines, leur vie même, s'il le
faut; il ne peut pas leur prendre leur foi. Le corps du soldat
est serf de cette noble servitude qui naît du sacrifice au service
du devoir; son âme immortelle est libre et elle a le droit d'être
respectée dans sa foi. C'est notre cinquième revendication. [Vifs
applaudissements.)
Vous me direz peut-être : « Tout cela est excellent, mais tout
cela est vain. Nos revendications ne seront pas écoutées par les
pouvoirs publics actuels. »
Je ne me fais. Messieurs, croyez-le bien, aucune sorte d'illu-
. sion sur les dispositions actuelles des pouvoirs publics. (Sou-
rires.) Mais je sais que le droit, le vrai droit a, quoi qu'on fasse,
une puissance propre et indestructible. Sans doute, la réclama-
LE REPOS DU DIMANCHE 469
tion du droit peut rencontrer, dans les idées qui dominent, dans
les passions qui oppriment, dans les faiblesses qui se proster-
nent, dans les défaillances qui abdiquent, des obstacles que le
temps seul peut soulever ; mais l'avenir réserve toujours de
nobles et sûres revanches et à la vérité et à la justice.
Il faut seulement aider à l'œuvre du temps par une action
patiente et ininterrompue. Il ne faut pas se borner à protester
un jour ; il faut protester toujours, réclamer, pétitionner, s'asso-
cier, croire au succès du lendemain jusque dans la défaite du
jour. Qu'est-ce, Messieurs, qu'une crise qui passe dans la vie
d'une nation qui ne veut pas périr? Et comment désespérer de
cette nation quand elle s'appelle la F r&n ce 1 (Vifs applaudis-
sements.)
Donc, réclamer le droit, la rentrée du droit dans la loi, tant
que nous nous trouverons en présence de pouvoirs publics qui
s'obstineront à le méconnaître, c'est notre premier devoir, et
nous le remplirons ! {Nouveaux applaudissements.)
Nous avons un second devoir : c'est, à défaut du secours de la
loi, de ne pas nous abandonner nous-mêmes. Quand la loi, se
retournant contre son but, travaille à défaire les mœurs, c'est
alors vraiment que les hommes de cœur doivent s'attacher
d'autant plus ardemment à donner aux mœurs une puissance
qui réagisse sur la loi elle-même, et qui la contraigne à ne plus
refuser son concours.
Sur ce terrain, les résultats à obtenir sont très considérables.
Seulement, il y faut une triple propagande : la propagande des
écrits et des paroles, la propagande des actes et des exemples,
enfin la propagande des œuvres collectives.
Je le dis avec joie, un mouvement très important s'est fait,
dans ces derniers temps, autour de la question du repos du di-
manche : le branle est donné, les voies sont ouvertes; mais il
faut y marcher résolument.
En ce qui concerne la propagande des écrits, que d'études
excellentes ont été publiées, dans ces derniers temps! Et pour
ne parler que de celles dont les auteurs sont membres de nos
œuvres, c'est la remarquable brochure de M. René Laboulaye,
publiée d'abord dans Le Correspondant^ oii les aperçus les plus
lumineux, corroborés par les faits les plus probants, sont pré-
sentés avec une précision si vigoureuse, une netteté si saisis-
sante et une distinction si parfaite! [Vive approbation.)
C'est aussi la brochure du secrétaire adjoint de nos œuvres,
470 ANNALES CATHOLIQUES
La croisade du dimanche, par M. Fénelon Gibon, brochure
très complète et très vivante dont je ne veux dire qu'un mot
qui suffît à sa louange : c'est qu'elle a été honorée par Son
Eminence d'une lettre d'approbation. [Applaudissements.]
Eftfin, plus récemment encore, c'est un article publié dans Le
Correspondant, par mon ancien collègue et toujours excellent
arai, M. Léon Lefébure, qui met un si beau talent au service de
toutes nos causes! {Nouveaux applaudissements.)
Je n'aurai garde d'oublier les services que rend dans cet
ordre de propagande par les écrits qu'elle répand et par son
comité du dimanche, V Œuvre de la Reforme sociale îouâée par
l'illustre Le Play, et continuée avec éclat par des disciples dignes
d'un tel maître, qui sont devenus des maîtres à leur tour. [Vifs
applaudissements.)
Messieurs, que cette propagande continue, qu'elle se fasse
par les journaux, par les revues, par des publications popu-
laires, par des conférences ; que tous ceux qui ont une voix par-
lent, que tous ceux qui ont une plume écrivent! La France a
bon cœur et bonne âme; on y rencontrera toujours de l'écho
quand on prononcera devant elle ces mots qui résument toute
la question du dimanche : « Dieu, la fanaille, la patrie et la
liberté! » [Bravos et applaudissements répétés.)
Messieurs, la propagande des écrits ne suffit pas: il faut
aussi la propagande des actes et des exemples. Cette propa-
gande se fait.
Nous voyons, en ce moment, des actionnaires porter devant
les assemblées générales des compagnies de Chemins de fer la
demande de fermeture des gares de petite vitesse. Ils com-
prennent que, de même qu'ils ont le droit d'exercer un contrôle
sur la gestion matérielle et financière de compagnies où leurs
capitaux sont engagés, ils ont aussi le devoir parce qu'ils en ont
la responsabilité, de garantir la liberté religieuse des ouvriers
dont le travail profite à l'entreprise. Nous voyons les assemblées
générales accueillir cette initiative généreuse avec une sym-
pathie presque unanime. Nous voyons les conseils d'adminis-
tration les accueillir sous des réserves sans doute, mais sous
des réserves qui ne sont pas des oppositions absolues, et l'un
d'eux s'y associer par une adhésion presque complète qui en
suscitera d'autres.
D'un autre côté, nous voyons des industriels supprimer le
travail du dimanche qui existait dans leurs usines, et déclarer,
LE REPOS DU DIMANCHE 4/1
après expérience faite, que l'intensité de la production ne gagne
rien à ce travail, que l'épargne et la moralité y gagnent moins
encore et que le respect de la loi du dimanche est tout au profit
de l'industrie et de l'amélioration morale et matérielle des
travailleurs qu'elle emploie. Nous voyons des négociants
s'entendre pour fermer leurs magasins le dimanche, des pro-
priétaires se concerter pour respecter et faire respecter autour
d'eux le repos dominical.
Messieurs, que ces exemples se multiplient, et vous verrez se
rouvrir, dans notre pays, bien des sources nouvelles de dignité
et de prospérité pour les familles comme pour la société!
(Applaudissements.)
Mais quoi qu'on fasse, les initiatives individuelles n'ont
qu'une action lente et forcément limitées. Il faut la compléter
par la propagande des œuvres collectives. Ces œuvres existent
et elles sont nombreuses ; il s'agit de les affermir et de les
développer.
Je souhaite d'abord la bienvenue à la Ligue populaire pour
le repos du dimanche, qui a été fondée à la suite du congrès
international tenu pendant l'Exposition. Elle est dirigée, vous
le savez, par un comité oii se trouvent réunis des hommes
divers de croyances et d'opinions, et oii les catholiques sont
très dignement représentés. L'accord existe sur le but à pour-
suivre. Ce n'est pas un repos hebdomadaire quelconque, c'est le
repos du dimanche que la Ligue veut généraliser. Son nom Iw
dit et ses statuts le proclament. Donc bon et rapide succès a
cette Ligue que je pourrais appeler une « ligue de bien public.»
(Approbation.)
Je salue aussi trois œuvres plus proches de nous par l'inspi-
ration religieuse d'oii elles sont sorties.
C'est d'abord V Association des 2}rop7'ie'taires chrétiens, fon-
dée, il y a peu d'années, sous l'impulsion si intelligente et si
généreusement sympathique de M. le comte Yvert, qui a tenu,
cette année, son premier congrès. Elle a, sans doute, pour but
d'embrasser toutes les obligations qui incombent aux proprié-
taires; mais elle se rattache spécialement aux œuvres du
dimanche, parce qu'elle a mis en tête de son programme l'enga-
gement pour ses membres de respecter et de faire respecter
autour d'eux la loi du repos dominical.
C'est aussi l' Union des syndicats du commerce et de Vin-
dustrie. Sans doute, cette Œuvre, comme la précédente,
472 ANNALES CATHOLIQUES
embrasse tous les devoirs et tous les intérêts multiples des
commerçants et des industriels, mais elle se rattache, elle aussi,
aux Œuvres du dimanche, parce qu'elle n'admet que des mem-
bres résolus à accepter pour eux-mêmes la loi du repos domini-
cal et à laisser la liberté de ia respecter aux employés et ouvriers
qui sont sous leurs ordres.
C'est encore V Association pour le repos du dimanche dans
Vindustrie du bâtiment, qui groupe des ingénieurs, des archi-
tectes, des entrepreneurs, des propriétaires, pour les faire con-
courir tous ensemble à remettre en honneur le repos du diman-
che dans cette industrie du bâtiment, où à Paris du moins, cette
loi est systématiquement et publiquement violée.
Ces trois Œuvres, vous les connaissez, elles ont été l'objet,
dans LOS congrès précédents, de communications très intéres-
santes dont vous n'avez pas perdu le souvenir; leurs premiers
succès sont un présage de leur avenir.
Je salue encore avec respect une œuvre plus ancienne,
VŒuvre du dimanche catholique, fondée par un véritable
apôtre laïque dont le cœur était un foyer de foi et de dévoue-
ment, le regretté M. de Cissey. C'est avant tout une œnvre de
prière et de pieuse propagande destinée, non seulement à favo-
riser le repos du dimanche, mais encore à encourager la sancti-
fication de ce jour qui est le jour du Seigneur. Elle est très
répandue et elle ne saurait trop s'étendre.
J'arrive enfin à l'œuvre qui compte les plus vieux états de
services, à l'Association pour V observation du repos du di-
manche, et je me permets — vous allez voir dans un instant
pourquoi — de la recommander tout spécialement à vos cor-
diales s^'rapathies.
Elle remonte à quarante ans. Elle a été honorée des plus pré-
cieuses bénédictions par le pape Pie IX, de sainte et illustre
mémoire, parmi ses fondateurs, se trouvaient deux hommes
dont nous gardons pieusement le souvenir : l'un qui était déjà,
à cette époque, le très aimé et très vénéré président général de
la société de Saint- Vincent-de-Paul, M. Baudon; l'autre qui fut
plus tard le président bien cher et bien respecté du Comité
catholique de Paris, M. Bailloud. L'association de Saint-Fran-
çois-de-Sales prit cette œuvre sous son patronage. Mgr de
Ségur, dont la sainteté, toute faite de piété et de bonté, se joi-
gnait à une grâce à laquelle on ne résistait pas, en prit la
direction, et lui imprima une impulsion qui accrut rapidement
LE REPOS DU DIMANCHE 473
ses progrès. Elle eut ensuite pour président un très ferme chré-
tien, un homme de bien et de cœur, M, Coppinger, qui lui con-
sacra les derniers labeurs d'une vie qui ne devait pas, hélas! se
prolonger. Nous l'entendîmes bien souvent, dans notre Comité
catholique et dans nos congrès nous parler avec une émotion
éloquente de cette œuvre qui lui était si chère. Elle s'est ratta-
chée, il y a quelques mois, par des liens très intimes, au Comité
catholique de Paris, qui a mis tous ses soins à la réorganiser
sur de larges bases. Désormais donc, elle aura son siège à ce
numéro 35 de la rue de Grenelle oii se trouvent déjà groupées
les œuvres sœurs du Comité catholique, du Comité de défense
religieuse et de la Société d'éducation et d'enseignement. C'est
une sœur nouvelle qui nous est arrivée, et nous l'avons accueil-
lie comme étant de la famille. [Rires et applaudissements.)
L'Association n'implique d'autre engagement que celui de
respecter le repos du dimanche, et de le faire respecter autour
de soi dans les limites plus ou moins étendues de l'action qu'on
peut exercer.
Pour la populariser et, — c'est notre ambition, — l'universa-
liser, nous avons créé, sous le nom de Repos du dimanche^ un
bulletin mensuel qui se donne beaucoup plus qu'il ne se paie,
car le prix d'abonnement est, si je ne me trompe, d'un franc par
an. (Rires approhatifs.)
Ce bulletin a fait, il y a deux mois seulement, son entrée
dans le monde. Mais il s'est présenté sous un très haut patro-
nage. Son Eminence le cardinal archevêque de Paris a daigné
l'honorer d'une lettre d'approbation qui est son titre de no-
blesse. {Vive approbation.)
Eh bien, Messieurs, que tous les catholiques entrent dans cette
association et s'abonnent à ce bulletin! Une obole pour le bon
Dieu, qui donc pourrait la refuser? L'engagement de respecter
et de faire respecter autour de soi le jour sublime de Dieu, des
foyers et du peuple, qui donc, ayant un peu de foi et un peu de
cœur, pourrait hésiter à le prendre? Cela est simple; cela
n'exige ni effort ni sacrifice ; et cela serait grand, décisif et
fécond. Le jour, songez-y bien, oii tous les catholiques entre-
raient dans cette association, la question serait résolue ; le repos
du dimanche serait remis en honneur; la religion retrouverait
la foi et le respect de ses enfants ; la société, ses assises déman-
telées ; la famille, ses tendresses, qui sont ses forces ; l'ouvrier
pauvre, le meilleur gage de sa liberté et de son relèvement. Une
474 annai.es cathoj^iques
grande tache serait eflfacèe du front de la France; elle aurait
cherché la glorification de Dieu et de son jour, et le reste lui
serait donné par surcroît. {Bra.vos et applaudissements.)
Auprès de vous. Messieurs, la cause est gagnée. Vous vous
ferez tous inscrire, avant la fin du congrès, parmi les membres
de cette association. Je l'affirme pour vous ! {Riresapprobatifs.)
Et vous. Mesdames, dans cette croisade pacifique pour la
gloire de Dieu et pour l'affranchissement des faibles, votre place
est au premier rang. Cette place vous est assignée par le minis-
tère de grâce, de bonté, de persuasion par le conseil et par
l'exemple qui est le vôtre. Je suis sur que vous la prendrez.
Nous attendons de vous tous, messieurs et mesdames, quelque
chose de plus; nous voudrions que vous vous fissiez les zélateurs
et les zélatrices de cette œuvre, que vous aidassiez à sa propa-
gation. Et alors, qui sait? Lorsque l'année prochaine, nous nous
trouverons dans ce même congrès, il arrivera peut-être que la
petite semence que nous aurons jetée, sera devenue, grâce à
Dieu et à vous, un grand arbre aux profondes racines et aux
innombrables rameaux, qui détournera les tempêtes et qui ne
laissera passer sur notre France bien-aimée que les souffles
bienfaisants de la foi, de l'espérance, de la paix et de la liberté
chrétienne. [Bravos et applaudissetnents .)
Messieurs, je veux terminer par un mot de confiance qui ne
sera qu'un écho d'une parole très chère à vos cœurs et très sain-
tement autorisée.
Naguère, j'avais l'honneur d'entendre, à Notre-Danne, Son
Éminence le cardinal archevêque de Paris, adresser au R. P. Mon-
sabré des remerciements touchants qui étaient la récompense
d'une longue et grande carrière. Consacrée par un tel suffrage,
l'œuvre de l'illustre dominicain, — je saisis avec bonheur l'occa-
sion de m'incliner devant elle, — sera glorifiée aussi, par les
souvenirs de foi, de science, d'édification, qu'elle ne cessera de
rappeler, aussi bien que par l'admiration qu'a laissée après elle,
comme une traînée de gloire, une éloquence qui, chaque année,
semblait arrivée à ses sommets mais qui grandissait sans cesse,
jusqu'à ce qu'elle a éclaté, avec des eff'usions qui n'avaient
jamais été si puissantes et si émouvantes, dans ce magnifique
« Amen >, qui en a été le couronnement. {Bravos et vifs
applaudissements.)
A cette occasion. Son Éminence a prononcé une parole que
j'ai recueillie avec respect. Dans la nuit qui nous environne, au
]/ AFFAIRE DE DAMAS 475
milieu des tristesses dont nous souffrons, son regard discerne,
dans les régions où s'accomplissent les évolutions des âmes,
certains points lumineux et comme les premiers linéaments de
la restauration chrétienne de la France. Le vénéré prélat nous
le dit en nous exhortant à la confiance et sa parole fortifia nos
cœurs.
Je m'inspire de ce mot auquel les intuitions spéciales qui sont
le privilège des grandes vertus dans les grandes charges donnent
une incomparable autorité, et je vous dis en finissant :
La situation actuelle a deux faces. Jaaiais l'Eglise ne fut
aussi radicalement attaquée; mais jamais peut-être elle ne fut
aussi intégralement défendue. Jamais les pouvoirs publics ne lui
témoignèrent plus de défiance; mais jamais le cœur des fidèles
ne lui prodigua plus d'amour. Jamais elle ne fut plus dénuée de
toute assistance officielle; mais jamais elle ne produisit plus
d'œuvres spontanées de foi, de dévouement et de sacrifice. On
cherche à lui tout ravir : mais elle garde son pouvoir sur les
âmes et sa puissance sur les cœurs. Or là oii sont les âmes, là oii
sont les cœurs, là est la vie, et là aussi est l'espérance.
Et voilà pourquoi. Messieurs, à vous qui êtes les vaincus du
jour, mais qui êtes aussi les fils de l'Eglise catholique et de la
France catholique, je jette ce cri: Vous êtes l'avenir! car
l'Eglise catholique ne périra pas et la France catholique n'abdi-
quera pas ! {Bravos repétés. — Iriple salve d'applaudissements.)
L'AFFAIRE DE DAMAS
Une assez grande efifervescence règne à Damas dans la population
chrétienne et turque de cette ville, à la suite de la disparition d'uu
enfant chrétien, tué, dit-on, par les Juifs.
Le Nouvelliste de Lyon reçoit, à ce sujet, de l'un de ses amis, une
intéressante coiTespondauce, que nous reproduisons à titre d'infor-
mations et sous réserves :
Beyrouth (Syrie), 28 avril.
J'arrive à l'instant de Damas. Cette ville est sous le coup
d'une vive émotion par suite de l'assassinat d'un jeune enfant
catholique dans les circonstances les plus mystérieuses.
Les autorités civiles voulant absolument étouâ"er l'affaire, par
les motifs que vous comprendrez tout à l'heure, il est probable
que vous ne recevrez aucune communication de ce pays. Mais,
comme je ne suis ni fonctionnaire, ni même Damasouin, je me
476 ANNALES CATHOLIQUES
permets cette indiscrétion, dans le but de soulager la conscience
de toute une population justement indignée.
Les renseignements qui suivent ont été pris auprès de per-.
sonnés judicieuses et absolument sûres. Je les ai contrôlés de
divers côtés pendant deux jours, et il y a eu unanimité dans
l'appréciation du fait comme dans les détails.
Voici le fait :
A Damas, dans le quartier chrétien, vit une famille arabe,
catholique du rite arménien, portant le nom de Abd-el-Nour.
Elle se compose de la mère et de deux enfants, dont le plus
jeune, nommé Henri, était âgé de six ans.
Cette famille vit dans l'aisance, et pour ses soirées elle invi-
tait assez souvent une chanteuse juive nommée Regina, dont le
domicile n'est pas très éloigné, vu que le quartier juif est près
du quartier chrétien. De là sont nées certaines relations de bon
voisinage entre la famille Abd-el-Nour et celle de Regina (pro-
noncez Rodgina). Regina a même appris la couture chez
Mme Abd-el-Nour.
Les enfants Abd-el-Nour allaient assez souvent chez Regina,
Henri surtout. Le lundi de Pâques, pendant que sa mère était
retenue par quelques visites, Henri demanda à aller chez Regina.
La mère refusa et permit seulement une sortie chez un voisin.
L'enfant sort; mais, le voisin étant absent, il va dans une autre
famille. Une heure après, on Taperçoit près d'une caserne sur le
chemin du domicile de Regina. Depuis, on ne l'a plus revu.
Cependant la mère d'Henri, ne le voyant pas rentrer, s'in-
quiète et court à sa recherche. On va chez tous les voisins, mais
on ne le trouve nulle part. Pendant la veillée, la population,
avertie du malheur de la famille Abd-el-Nour et se rappelant
d'autres disparitions, celle du P. Thomas entre autres, com-
mence à redouter un assassinat.
Regina devait chanter ce soir-là dans une famille; elle contre-
mande la soirée et vient apporter ses condoléances à la mère de
la victime, disant qu'elle ne peut chanter quand son amie souffre.
A minuit environ, Regina se retire, accompagnée, comme de
coutume, par le domestique de Mme Abd el-Nour. Celui-ci
comptai*; entrer chez Regina et fumer quelques cigarettes, selon
son habitude. Mais la chose ne se passa pas ainsi. A la porte de
sa maison, Regina prétendit tout à coup avoir perdu en chemin
une pierre précieuse de sa manche et appela son père, qui vint
avec une lumière chercher le bijou .en rebroussant chemin. Le
domestique fut donc congédié sans pénétrer dans la maison.
l'affairb de damas 477
Chose singulière, Regina n'a jamais plus réclamé sa pierre
précieuse.
Le lendemain, la mère, folle de douleur, soupçonna les Juifs
d'avoir enlevé son enfant et Regina d'avoir été la pourvoyeuse
en attirant Henri chez elle. Sa conduite lui parut hypocrite
comme ses condoléances. Elle s'adresse au ouali (préfet de
Damas), qui la reçoit très mal et l'accuse de vouloir renouveler
l'affaire du P. Thomas (1). « On ne peut ainsi accuser un peuple,
lui dit-ilj d'un crime particulier. Portez une plainte en règle
contre quelqu'un. »
La mère fit donc rédiger une plainte contre Regina et sa
famille et demanda une enquête. La plainte fut enterrée et
l'enquête ne se fit pas. Furieuse, la mère retourne au sérail,
réclame à grands cris son enfant et insulte le ouali. Celui-ci la
menace, elle et sa famille, de la prison et de l'exil, si elle con-
tinue à soulever les chrétiens contre les juifs par ses lamenta-
tions et ses calomnies.
Cependant les Juifs font bientôt courir le bruit que le jeune
Henri a été découvert dans le puits d'un chrétien. La découverte
était fausse; mais dés ce moment la police commença à fouiller
les puits. On vint d'abord au puits de la maison Abd-ei-Nour;
on n'y trouva rien. On fouilla chez quelques voisins : rien encore.
Le ouali ordonna alors de sonder tous les puits de Damas.
C'était quinze jours après la disparition. On prépare une voi-
ture, on avertit des médecins, et la police, accompagnée d'un
puisatier et munie d'un sac tout prêt, se dirige en premier lieu
vers la remise d'un loueur de voitures dans le quartier
chrétien.
Comment et pourquoi avait-on choisi ce p(jits?Nulne le sait;
mais le cadavre de l'enfant était là. On le retire ; la mère le
reconnaît et accuse de nouveau les Juifs. Le ouali se fâche ;
mais la mère outrée de douleur, l'insulte de nouveau et lui
reproche avec violence d'avoir été payé par les Juifs.
On emporta aussitôt l'enfant à l'hôpital militaire, et le lende-
main, par ordre du procureur et du juge d'instruction, vingt
médecins sont réunis pour procéder à l'autopsie. La famille de
la victime entoure les médecins; la mère reconnaît les habits
de son enfant, mais il manque sa ceinture, son petit col et ses
(1) Le P. Thomas, religieux dévcué, fut assassiné el saigné en al-
lant vacciner des enfants juifs, il y a un certain nombre d'années.
(Note du Nouvelliste.)
478 ANNALES CATHOLIQUES
manchettes. Il a donc été déshabillé par des mains étrangères.
De plus, l'examen du cerveau, du poumon, du cœur et des
intestins prouva que l'entant n'a pas été noyé, mais tué d'abord,
puis jeté dans le puits. On remarque aussi au bras gauche une
incision pratiquée sur la veine principale. Les médecins déci-
dent même qu'il y a lieu d'amputer ce bras et de l'autopsier à
part. A cet effet, on le place dans un bocal d'alcool et on appose
les scellés sur le bocal.
Les rapports verbaux des médecins et les dires des personnes
qui avaient assisté à l'autopsie produisirent dans la ville une
émotion facile à comprendre. On accusait publiquement les
Juifs d'avoir une fois de plus pratiqué le Talmud en employant
du sang chrétien pour leur fête pascale. D'autre part, le cocher
du loueur de voitures chez qui on avait découvert le cadavre
ne se gênait pas pour raconter que trois jours auparavant,
Regina et plusieurs Juifs étaient venus louer deux voitures
pour une promenade, et que pendant qu'il préparait ses che-
vaux, un des gros paquets apportés par les promeneurs avait
disparu. Cette promenade lui avait paru incompréhensible à
cause de son peu de durée.
C'est le ouali qui n'était pas content. Il fait venir les médecins
et leur lave la lête d'importance, les menaçant de toutes les
rigueurs de sa colère et de son autorité s'ils osent parler de leur
autopsie dans le public. Le parent d'un de ces médecins me
disait hier : « Quand je lui parle d'Henri Abd-el-Nour, il dé-
tourne la tête sans me répondre. »
Le lendemain, vers une heure du matin, on enterrait secrète-
ment le pauvre petit martyre. Par ordre du ouali on avait brisé
les sceaux du bocal, on avait violenté et menacé la famille qui
refusait de livrer le corps à la terre avant la publication du
procès-verbal des médecins, on avait glissé furtivement le bras
amputé dans le cercueil, et on avait forcé le curé catholique à
procéder à l'inhumation.
Le samedi 26 avril, jour oii je suis arrivé à Damas, la mère
de l'enfant assassiné est venue au cimetière suivie de plusieurs
milliers de chrétiens. On a pleuré, on a poussé des cris de dou-
leur. La mère s'est précipité sur la tombe de son enfant, s'effor-
çant de le déterrer avec ses ongles afin de faire constater le
crime. Mais tout à coup les soldats sont arrivés, ont dispersé le
rassemblement et arraché la mère à la tombe qu'elle avait déjà
presque ouverte.
LA SAISIE DES BIENS DES FABRIQUES 479
Depuis, ce jour, le petit tertre sous lequel repose le pauvre
enfant, est gardé jour et nuit par des soldats. Je les ai vus de
mes jeux; je leur ai demandé le lieu précis ; ils me l'ont mon-
tré et j'ai prié le petit ange de veiller sur sa famille.
Le ouali est de plus en plus furieux ; et, pour étouffer l'émo-
tion grandissante, il fait emprisonner tout chrétien qui parle
publiquement de cette afiaire.La terreur régne dans le quartier,
mais la colère couve au fond des coeurs. Toute la population
chrétienne et tous les Turcs sont convaincus de la culpabilité
des Juifs. Les menaces du ouali pourront imposer silence, mais
ne pourront détruire cette conviction.
LA SAISIE DES BIENS DES FABRIQUES
La première chambre du tribunal civil de la Seine, présidée
par M. Thureau a rendu, il y a déjà quelque temps, son juge-
ment dans l'affaire de la saisie pratiquée à Saint-Eustache. On
sait qu'un ouvrier, blessé en passant devant cette église par
une pierre détachée de l'édifice avait fait condamner la fabrique
à une certaine somme de dommages-intérêts. En attendant le
résultat de l'appel en Conseil d'Etat, l'ouvrier blessé fit saisir
une certaine quantité de meubles appartenant à la fabrique.
C'est ce fait que règle le jugement suivant.
Conformément aux conclusions de M. Bulot et après plai-
doirie de Me Louchet, le tribunal a décidé que les fabriques sont
assimilables aux communes, mineures comme elles, et qu'un
particulier ne peut, sans une autorisation de l'administration,
saîsir leurs biens ou leurs revenus, d'ailleurs de leur nature
insaisissables, comme affectés au culte.
Voici le texte de ce jugement :
Le tribunal,
Donne acte à Vally de ce qu'il déclare renoncer à son exception
d'incompétence, et statuant en conséquence sur les conclusions au
fond.
Attendu que la fabrique de l'Eglise Saint-Eustache, autorisée à
ester en justice sur la demande introduite contre elle par Vally et
suffisamment habilitée à plaider au sujet des difficultés que soulève
le code d'exécution de la sentence intervenue au cours de la susdite
instance ;
Attendu qu'un arrêté du conseil de préfecture de la Seine, en date
du 28 janvier 1890, a condamné la fabrique de Saint-Eustache à
480 ANNALES CATHOLIQUES
payer à Vally une somme de 15,000 francs, à titre de dommages-
intérêts, que le recours formé devant le Conseil d'Etat contre cette
décision n'en suspend pas l'exécution ;
Attendu que, par procès-verbal de Rousseau, huissier^ en date du
8 février 1890, Vally a fait saisir dans l'église Saint-Euslache mille
chaises, un orgue, huit tableaux, quatre lustres, vingt-quatre chan-
deliers, et dans la sacristie, dix chaises, trois bureaux, des casiers
et deux tableaux;
Attendu qu'aux termes de l'article 3 de l'airêté du 7 thermidor
an XI, les biens des fabriques sont administrés dans la forme particulière
aux biens des communes ; que si le décret du 30 décembre 1809, qui
régit aujourd'hui les fabriques, n'a pas produit en termes exprès cette
assimilation, il a maintenu pour ces administrations et pour les biens
dont elles ont la propriété ou la jouissance un régime qui a de nom-
breuses analogies avec celui auquel sont soumises les communes ;
Attendu que les biens des communes sont insaisisables, aussi bien
par voie de saisie-exécution que de saisie-arrêt; que la même règle
doit être appliquée aux biens des fabriques;
Qu'en effet, les fabriques sont chargées d'un service public et sou-
mises en conséquence aune tutelle véritable; qu'elles n'ont point la
libre disposition ni des biens du domaine public qui leur sont affectés,
ni de ceux qui constituent plus spécialement leur patrimoine ;
Que l'emploi de leurs revenus est réglé par un budget annuel
soumis au contrôle et à l'approbation des autorités publiques ;
Que toute voie de contrainte exercée sur des biens et revenus qui
ont ainsi reçu une affectation spéciale serait de nature à jeter le
trouble dans le service du culte; que, notamment, en ce qui concerne
les chaises, dont la location représente, aux termes de l'article 36 du
décret précité, un des revenus réguliers de la fabrique, la vente à
laquelle il serait procédé en vertu d'une saisie-exécution serait de
nature à mettre la fabrique hors d'état de pourvoir aux dépenses
mises à sa charge par le décret susdit et par le budget revêtu de
l'approbation de l'autorité supérieure;
Que cette autorité peut seule déterminer ceux des biens qui ne sont
pas nécessaires à l'exercice du culte et ceux des revenus qui peuvent
être distraits de leur destination ordinaire pour être employés à
l'acquit des charges autres que le susdit service;
Qu'en l'absence d'une semblable désignalion, la saisie-exécution
pratiquée par Vally ne saurait produire effet;
Par ces motifs.
Déclare nulle et de nul effet la saisie-exécutioû pratiquée suivant
procès-verbal du 8 février 1890 par Rousseau, huissier, à la requête
de Vally ;
Ordonne en conséquence la discontinuation des poursuites ;
Condamne Vally aux dépens. »
NOUVELLES RELIGIEUSES 481
En ce qui concerne le référé introduit dans le procès-verbal de
récolement du 20 février 1890 ;
Attendu qu'il n'appartient pas au tribunal, statuant en référé,
d'apprécier la validité de la saisie- exécution pratiquée par Vally en
l'église Saint-Eustache, suivant procès-verbal du 8 février 1890 ;
qu'une demande en discontinuation de poursuites est introduite au
principal ; mais que les motifs sur lesquels est fondée cette demande
apparaissent dès à présent comme suffisamment sérieux pour qu'il y
ait lieu par provision de surseoir à la continuation des poursuites ;
qu'il ne saurait en effet être passé outre à la vente des objets saisis
sans porter préjudice au principal;
Par ces motifs,
Renvoie les parties à faire statuer au principal, et néanmoins par
provision, vu l'urgence ;
Dit qu'il sera sursis à la continuation des poursuites de saisie-
exécution jusqu'à ce qu'il y ait été statué au principal sur la demande
en discontinuation des mêmes poursuites;
Ordonne l'exécution provisoire, etc., etc.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
La S, Congrégation des Rites vient de se prononcer favora-
blement, dans de récentes séances, sur les préliminaires de plu-
sieurs causes de béatification, notamment la validité du procès
fait par l'Ordinaire de Bellej sur la renommée de sainteté, les
vertus et les miracles en général du vénérable Jean-Baptiste
Vianney, curé d'Ars, et la revision des écrits du vénérable Isi-
dore Gagelin, l'un des martyrs de la Cochinchine.
Le Souverain Pontife, approuvant la décision favorable de la
S. Congrégation des Rites sur l'héroïcité des vertus de la véné-
rable Rivier, fondatrice des Sœurs de la Présentation, a ordonné
de préparer le décret qui confirme cette décision et qui sera
promulgué en juin prochain.
Les EEmes Pères et consulteurs de la S. Congrégation des
Rites ont reçu l'avis qu'une séance plénière ou générale sera
tenue devant le Saint-Père le 17 juin prochain, dans laquelle
ils auront à donner leur vote définitif sur l'héroïcité des vertus
de la vénérable Jeanne de Lestonnac, du diocèse de Bordeaux,
fondatrice des Filles de la B. V. Marie.
Eu égard à la situation exceptionnellement grave du Brésil,
33
482 ANNALES CATHOLIQUES
le Saint-Siège a consenti à ce que l'épiscopat brésilien acceptât
publiquement le système de la liberté de l'Eg-lise et de son
indépendance vis-à-vis de l'Etat, à la condition cepeuda-nt
qu'il s'agisse d'une liberté vraie et complète comme aux Etats-
Unis. •
On dit au Vatican que le Saint-Père a fixé d'aller passer
quelques jours au casino de Pie IV dans les jardins du palais.
On se souvient que ce casino, quelque peu délabré, fut restauré
l'année dernière afin que Léon XIII pût y aller demeurer pen-
dant le printemps. Mais les travaux nécessaires traînèrent en
longueur, de manière que lorsque le casino fut complètement
aménagé, les beaux jours étaient passés et l'hiver s'approchait
avec la malaria et les fièvres. Alors le docteur Ceccareili,
médecin du Pape, mit son veto et le Saint-Pére dut se borner à
y aller passer quelques heures du matin pour rentrer dans ses
appartements lorsque la chaleur devenait trop étoufi'ante.
Il paraît que, cette année, on va de nouveau essayer l'épreuve.
Mais, malgré les séductions que ce petit repos champêtre peut
exercer sur Léon XIII, même s'il réalise sou projet d'y aller, il
n'y restera pas longtemps. D'abord le casino de Pie IV n'est
pas bien placé. Il est au fond des jardins du Vatican dans la
partie plus basse et pas proche du palais. La chaleur y est
éloufî'antia pendant l'été, et à Rome l'été commence de bonne
heure. Mais il y a encore une autre raison. Le casino est très
petit, et par conséquent, à l'exception du Saint-Père, d'un
prélat et de quelques domostiques, on ne peut y loger d'autres
personnes.
Cela fait que ceux que le Saint-Pére a l'habitude de voir à
tout moment, doivent rester au palais, et il faut les faire appe-
ler chaque fois qu'il leur veut donner des ordres. C'est vrai
qu'il y a le téléphone qui met le casino en communication avec
le reste du Vatican; mais le palais est vaste, et, même avec
l'aide du téléphone, il faut une demi-heure avant que la pej>-
sonne appelée puisse se rendre près du Saint-Père.
En vue de cette difficulté, on ne doute pas qu'après l'expé-
rience de quelques jours, le Saint-Pére jugera plus commode
de rentrer dans ses appartements habituels.
Le Consistoire, dont on parle depuis longtemps, aura lieu, on
NOUVELLES RELIGIEUSES 483
l'assure, à la fin du mois de juin entre le 24 et le 29. On nommera
Cardinaux, Nosseigneurs Mermillod, l'illustre évoque de Lau-
sanne et Genève, Vannntelli, nonce en Portugal, Dunajewski
évêque de Cracovie. Il }• en a même un quatrième choisi parmi
les prélats demeurant à Rome; mais jusqu'ici on ne sait pas
avec certitude le nom de ce prélat. On parle de Mgr Jacobini,
secrétaire de la Propagande, et de Mgr SatoUi, président de
l'Acadéxaie des Nobles Ecclésiastiques.
F"ranc«?.
Chalons. — Le mardi 3 juin, aura lieu dans le diocèse de
Chàlons le couronnement de la statue de Notre-Dame de l'Epine,
par S. Em. le cardinal Langénieux, archevêque de Reiras, dé-
légué du Souverain Pontife.
Quatorze archevêques ou évêques ont annoncé leur présence.
La cérémonie commencera à onze heures et demie.
Voiei en quoi elle consistera :
1° Procession, pendant laquelle la statue sera placée sur le
trône qui lui aura été préparé devant le portail de l'église ;
2" Messe pontificale célébrée par S. G. Mgr Meignan, arche-
vêque de Tours, ancien évêque de Châlons ;
. 3° Sermon par S. G. Mgr Freppel, évêque d'Angers;
4° Couronnement de la statue;
5° Consécration du diocèse de Chàlons à Notre-Dame de
l'Epine par Mgr Sourrieu.
Mgr Sourrieu a adressé il y a quelque temps à ses diocésains
une Lettre pastorale relative à cette grande cérémonie.
Chambêry. — On lit dans la Semaine religieuse de la Savoie,
du 22 mai :
Mgr l'archevêque a reçu, au cours do sa seconde tournée de visites
pastorales, un Bref qu'a daigné lui adresser le Souverain Pontife
Léon XIII, en réponse à la lettre par laquelle il avait rendu compte
â Sa Sainteté de l'audience que la reine d'Angleterre, impératrice des
•Indes^ avait bien voulu, Je son propre mouvement, lui accorder, le
S avril dernier, pendant son séjour en Savoie, aux eaux d'Aix-les-
Baias.
Pour l'honneur du clergé et des fidèles de son diocèse, Monseigneur
nous a permis de publier textuellement cette magnifique Lettre et
d'en donner la traduction en français.
¥oici cette traduction :
484 ANNALES CATHOLIQUES
LÉON XIII, PAPE
Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique.
Ce que vous Nous avez écrit, le 15 avril, avec tant d'empressement
et de soin, au sujet de votre entrevue avec Sa Majesté Impériale la
reine d'Angleterre, et de l'entretien que vous avez eu avec elle, Nous
a causé un agréable sentiment de joie. Nous sommes heureux de
savoir qu'elle vous a reçu avec affabilité, et Nous vous félicitons de
l'avoir remerciée, avec autant de vérité que d'à-propos, de sa bien-
veillance envers les catholiques, et de lui avoir rappelé l'estime que
Nous avons conçue pour elle dès la. première fois qu'il nous a été
donné de la connaître et de lui parler, lorsque Nous étions chargé de
la nonciature en Belgique. Le souvenir de ce temps demeure gravé
dans Notre cœur.
Nous avons aimé l'empressement avec lequel vous Nous avez
informé d'un fait qui Nous touche personnellement et qui était de
nature à Nous procurer quelque consolation dans l'amertume des
temps présents.
Ce zèle dévoué, les termes magnifiques dont vous vous êtes servi
pour parler de Nous à cette auguste souveraine, l'insistance pieuse
avec laquelle vous vous efforcez, par vos prières, d'attirer sur Nous
le secours divin, c'est là un témoignage spontané de votre attache-
ment ; Nous l'attribuons à l'affection spéciale et distinguée que vous
avez envers nous.
Il Nous serait impossible de ne pas avoir pour agréables de telles
dispositions ; aussi éprouvons-Nous pour vous une affection non
moins grande, et, pour vous en donner un gage, Nous vous accor-
dons avec tendresse, dans le Seigneur, à vous, au clergé et aux
fidèles qui vous sont soumis, Notre bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 25 avril 1890 et la treizième
année de notre Pontificat. LÉON XIII, PAPE.
Carthage. — La consécration de la cathédrale de Carthage
a été faite le jour de l'Ascension par S. E. le cardinal Lavi-
gerie, déiègatdu Pape, en présence de NN. SS. Robert, Larue,
Lagrange, Dusserre, Combes, Soubrié, Brincat et de plusieurs
évêques étrangers, d'un grand nombre de prélats et de chanoines.
Dans la cathédrale, décorée d'oriflammes, du drapeau papal,
du drapeau français et d'emblèmes beylicaux, avaient pris place,
en tête d'une foule immense, M. Massicault, Mme Massicault, le
personnel de la résidence, M. le général Swiney, accompagné
de nombreux représentants de l'armée et de la marine. Le corps
diplomatique était présent. On remarquait encore le prince
Taïeb, frère du bey, entouré de ses aides de camp.
La cérémonie a commencé à huit heures par une magnifique
NOUVELLES RELIGIEUSES 485
procession qui a transporté à la cathédrale les reliques de saint
Louis, jusqu'à présent déposées dans une chapelle.
La messe a été célébrée par Mgr Brincat. S. Eminence le
cardinal Lavigerie a prononcé une magnifique allocution.
A l'issue de la messe, la bénédiction papale a été donnée à
la foule massée devant la façade de l'église.
Le service intérieur était fait par les Pères blancs des mis-
sions africaines, et le service d'ordre par des cavaliers du
4^ chasseurs d'Afrique. Deux sections de l'artillerie beylicale
ont tiré des salves pendant toute la durée de la cérémonie.
C'est un jour qui doit compter parmi les plus grands que celui
marqué par la résurrection de cette église de Carthage, si
célèbre dans les fastes ecclésiastiques par ses martyrs, ses doc-
teurs et ses conciles. Après avoir survécu aux persécutions des
Vandales et desMusulmans, elle jetait quelque gloire encore au
xi« siècle. Au xiii« siècle, elle avait disparu ; mais dès lors,
saint Louis, en venant mourir sur son sol en 1270, et en jetant
sur elle son dernier regard et sa dernière prière, préparait sa
résurrection par les mains de la France. Plus tard les souf-
frances de saint Vincent de Paul, prisonnier à Tunis et les
larmes d'une foule de chrétiens captifs appelaient l'heure du
relèvement auquel nous assistons aujourd'hui, grâce à l'intelli-
gence, au courage, au zèle apostolique du cardinal Lavigerie.
Étrauger.
Allemagne. — Le congrès des catholiques allemands, qui
devait se tenir cette année à Munich, se heurte à l'hostilité du
prince régent.
On se rappelle que le congrès catholique de l'Allemagne en
1889 a eu lieu en Westphalie, et on sait aussi que le lieu du
rendez-vous suivant est discuté et fixé un an à l'avance. C'est
ainsi qu'à Bochum on a décidé qu'en 1890 on se réunirait à
Munich. La tradition veut qu'après avoir siégé dans une ville du
Nord, on transporte le congrès l'année suivante dans une ville
du Sud.
On est allé de Trêves à Fribourg, de Fribourg à Bochum, de
Bochum, on devait aller à Munich. Cette idée fut accueillie
avec enthousiasme dans toute la Bavière. On se réjouissait à la
pensée que ces grandes assises catholiques se tiendraient sur les
bords de l'isar et contribueraient à la rénovation religieuse du
pays.
486 AJSNALES CATHOLIQUES
Léon XIII avait daigné approuver le chois de Munich par une
lettre très élogieuse. Tout le monde était d'accord, et la presse
catholijque préparait le terrain en engageant le peuple à se mon-
trer digne de ses frères du Nord. Puis, tout à coup, on apprit
que des difficultés surgissaient et mettaient en question le con-
grès de Munich.
- < La réunion de ce congrès, écrit le prince régent à l'arche-
vêque de Munich, n'est pas faite pour conduire à la paix inté-
rieure si évidemment souhaitée par toutes les personnes réflé-
chies, à quelque cercle de la ville qu'elles ajjpartiennent. »
A cette affirmation passablement étrange pour qui connaît les
fruits bienfaisants produits à Dortmund, parle congrès tenu l'an
dernier dans cette ville, suit une conclusion plus étrange encore :
« Avant que, conformément à mes droits et à mes devoirs,
j'arrive à d'autres mesures pour assurer cette paix, je désirerais
vivement que vous tinssiez conseil avec les notabilités catho-
liques, particulièrement avec le Chapitre de la cathédrale, et je
vous prierais de m'informer le plus tôt possible du résultat de
ces délibérations. »
Ainsi donc le prince régent, qui ne trouve pas attentatoires à
la paix et à la concorde les manifestations du conseil municipal
franc-maçon de Alunich et laisse tranquillement la canaille
aller casser les carreaux des vaillants représentants du Centre
au Landtag bavarois, s'émeut de la réunion pacifique d'un
congrès catholique ! Qui aurait pu croire, au lendemain de la
mort du pauvre roi Louis, alors que le baron de Frankenstein
saluait l'avènement au pouvoir du régent comme l'aube d'une
époque nouvelle, que de tels scandales se produiraient aussi ra-
pidement? Ainsi donc voilà un catholique, lui aussi, et un catho-
ique pratiquant, qui se fait l'initiateur de mesures que n'a pas
connues le Kulturkampf prussien lui-mêtne !
Autriche-Hongrie. — L'éminent évoque de Diacovar,
Mgr Strossmayor, voulant seconder les généreux eâ"orts de
Léon XIII pour ramener tous les Slaves à l'unité catholique,
avait conçu le projet de faire ériger dans la basilique de Lorette
une chapelle spéciale en l'honneur des apôtres des Slaves,
saints Cyrille et Méthode, à l'instar de la chapelle qui leur
est déjà dédiée à Rome dans la basilique de Saint-Clément. Ce
projet particulièrement encouragé par le souverain pontife,
pourra bientôt être réalisé grâce au zèle de Mgr Strossmayer,
NOUVELLES RELIGIEUSES 487
qui a souscrit le premier, à cet effet, une somme de 2000 florins,
et qui a vu répondre à son appel ses vénérés collègues de
l'épiscopat et un grand nombre de fidèles. Aussi la Katolicka
Z)a^»«'aci7a annonçe-t-elle que tous les Slaves catholiques sont
heiureuî de voir affirmer leurs pieuses traditions dans cette
auguate Maison de Lorette, qui, lors de sa première translation,
s'arrêta sur le territoire croate de Fiume. Le projet des statues
des saints Cyrille et Méthode qui doivent orner la nouvelle cha-
pelle est déjà approuvé ; la dépense est évaluée à 25,000 francs.
Chili. — Nous traduisons de Wnita cattolica :
Le Congrès que les catholiques de la République du Chili ont terni
à Valparaiso, à partir du 25 décembre passé, mérite d'être mis en
iDraière pour lea remarquables déclarations qu'on y a faites par
rapport à la liberté et à la souveraineté du Pape. Quatre arguments
sont iavoquéà dans l'exposé des motifs des résolutions qui ont été
prises à ce sujet ; 1° le fait de la souveraineté temporelle existant par
une disposition de la Providence; 2° Tintérêt qu'ont les nations
catholiques à la liberté du Pape; 3® les réclamations répétées des
Papes Pie IX et Léon XIII ; et 4» les insultes de tout genre auxquelles
le Saint-Père est exposé à Rome.
En conséquence, le Congrès chilien a décidé : « 1° De renouveler
la protestation universelle des catholiques contre l'occupation de
Rome et des États pontificaux par le gouvernement subalpin; 2» de
protester vivement contre les actes que ledit gouvernement commet
ou laisse commettre contre les droits et la majesté du Souverain
Pontife Léon XIII, actes indignes d'un peuple chrétien et civilisé;
3" de faire en sorte que le gouvernement du Chili ne reconnaisse
jamais comme légitime le fait de l'usurpation des États pontificaux et
appuie, au contraire les droits indiscutables du Saint-Siège sur ces
territoires ; 4° de déclarer que le moment est venu pour les Puissances
chrétiennes de se concerter dans une action commune et efficace en
vue de rétablir dans son indépendance le Chef de la Chrétienté ;
5° de faire hommage au Saint-Père de ces résolutions, pour qu'elles
soient une manifestation des sentiments et des désirs du peuple catho-
lique du Chili par rapport à la personne sacrée de Sa Sainteté et de
Ses droits sacrés. »
On a adopté, en outre, d'importantes résolutions par rapport aux
cimetières catholiques, au mariage et aux écoles.
Etats-Unis. — Mgr Longhlin, évéque de Brooklyn, a l'hon-
neur d'être le premier prélat qui ait introduit les Soeurs du
Précieux-Sang aux Etats-Unis. Depuis quelques mois, la Mère
Aurélie, supérieure, et neuf Sœurs sont venues de Saint-
Hyacinthe (Ganadaj aux Etats-Unis.
488 ANNALES CATHOLIQUES
Elles ont établi leur couvent dans une petite maison à deux
étages dans la rue Sumpter, 289; elles l'ont fait fleurir aussitôt.
On est en train de construire, à côté de la petite maison^ un
grand bâtiment pour la communauté, lequel sera terminé à
Pâques. Avant de nous occuper de la communauté de Brooklin,
il ne serait pas sans intérêt de donner une courte esquisse
historique de l'ordre des Sœurs du Précieux-Sang. Il y a envi-
ron trente ans que Mgr LaRocque, évêque de Saint-Hyacinthe,
au Canada, conçut la pieuse idée d'établir un ordre contem-
platif de femmes pieuses, dont la vie serait consacrée à la prière,
au jeûne et aux bonnes oeuvres, en réparation de la froideur et
de l'ingratitude de tant d'hommes pour lesquels le Précieux
Sang a été répandu, et en expiation des crimes qui se commet-
tent journellement.
L'évêque choisit une jeune personne, tertiaire de Saint Domi-
nique, pour directrice de la communauté. L'ordre a pris, sous
la direction de la Mère Aurélie, au Canada, de rapides progrès.
Il possède des maisons dans les diocèses de Saint-Hyacinthe, de
Montréal, de Toronto, d'Ottawa, et Trois-Rivières.
Le nombre total des Sœurs monte à 150.
Les Sœurs, en arrivant à Brooklin, ont reçu bon accueil,
non seulement de la part des catholiques, mais même de per-
sonnes professant une autre religion. Le jour de leur arrivée
dans leur modeste maison, une protestante se chargea de leur
envoyer leur premier repas. « Quoique n'appartenant pas à
votre religion, leur disait-elle, je me fais un honneur de vous
servir. » Tels ont été les sentiments de tous ceux qui ont été
en contact avec les Sœurs.
En fait, depuis leur arrivée à Brooklin, elle n'ont pas encore
dû dépenser trois dollars pour les besoins de la vie, grâce à la
générosité des habitants.
L'adoration du Précieux Sang est le but principal de l'insti-
tution. Des retraites auront lieu dans le couvent pour les dames
qui désirent y passer quelques jours dans la méditation et la
prière.
Quand les Sœurs auront pris possession du couvent, elles
reprendront la vie claustrale, suivant leur règle.
Deux confréries ont été érigées dans le couvent : celle du
Précieux-Sang, affiliée à celle de Rome et enrichie d'indul-
gences et de privilèges extraordinaires, et qui, au Canada,
compte 105,000 membres ; ensuite celle de la Garde d'Honneur
NOUVELLES RELIGIEUSES 489
du très Précieux Sang, dont le but spécial est d'offrir au Pré-
cieux Sang un triple hommage : 1° aux sept grandes effusions;
2° au Calice du Sacrifice de l'autel; 3» au Sang de Jésus-Christ
dans son Corps Eucharistique.
Les membres de cette confrérie se proposent de rendre au
Sang de notre Rédemption le culte 1° d'adoration et de glorifi-
cation qui lui est dû ; 2° d'actions de grâces perpétuelles ; 3<> de
réparation perpétuelle; 4° d'invocation perpétuelle, et 5° de
l'offrande perpétuelle du Saint Sang lui-même en rançon des
âmes du Purgatoire.
Japon. — Au sujet de la constitution de la hiérarchie catho-
lique au Japon on écrit de Rome au Cittadino, de Gênes, les
détails que voici :
« Depuis que les persécutions du xvi^ siècle avaient détruit
presque complètement les chrétientés florissantes que le zèle
des missionnaires y avaient créées, c'est en 1866 seulement que
la foi catholique a pu être de nouveau implantée dans ce pays
par les élèves Ju séminaire des Missions-Etrangères de Paris.
Maintenant, grâce au zèle, à l'activité, à l'abnégation de ces
admirables pionniers de l'Eglise, il y a là 40,000 catholiques
dispersés en 499 chrétientés, lesquelles sont distribués en trois
vicariats apostoliques, qui prennent les noms de Japon septen-
trional, central et méridional. Les populations de ces vicariats
sont ainsi réparties :
Japon septentrional : habitants, 19 millions; catholiques,
10,266.
Japon central : habitants, 13 millions, catholiques, 2.200.
Japon méridional : habitants, 6 millions, catholiques, 27.000.
En présence de cet état de choses, le Saint-Siège a décidé de
constituer au Japon la hiérarchie catholique, d'autant plus que
par là, il sait faire chose agréable au gouvernement japonais.
A partir de maintenant donc, le Japon sera divisé en quatre
diocèses qui auront leurs sièges respectivement à Tokio, Sendaï,
Kioto et Nagasaki, villes populeuses et célèbres. Le siège mé-
tropolitain sera Tokio, capitale de l'Empire et résidence du
Mikado. Les nouveaux diocèses auront la même répartition que
les vicariats actuels, à l'exception d'un seul de ces vicariats,
celui qui embrasse le Japon septentrional. Comme il comprend
19 millions d'habitants sur un très vaste territoire, qui s'étend
du 35e degré de latitude nord au 50% on a cru qu'il était plus
490 ANNALES CATHOLIQUES
opportun de le partager en deux diocèses : celui de Tokio, qui
aura une population de treize millions d'habitants avec 7.500-
catholiques et celui de Sendaï, avec six millions d'habitants^
dont "2.500 catholiques. Ces évênues sont tous prêtres des Mis-
sions-Étrangères de Paris.
Il y a tout lieu d'espérer que cet établissement de la hiérar-
chie catholique au Japon sera le point de départ d'une ère da
prospérité nouvelle pour l'Eglise dans ce pays.
Deux choses sont actuellement nécessaires au Japon pour
faire refleurir la foi catholique : 1° La présence des mission-
naires qui pourront opérer de concert avec les quatre évêques.
2° A côté du missionnaire, il faut le maître, le professeur qui
doit créer des écoles et des établissements d'instruction. Les
Frères de Marie ont commencé avec zèle et succès leur oeuvre
d'éducation. Cette société, qui est connue en France et à Paris
par ses nombreux établissements et par le célèbre collège Sta-
nislas, a eu en partage le Japon.
Elle se montre digne de cette faveur. Il s'agit de souienir
ces oeuvres par l'action et par l'argent, afin de permettre aux
missionnaires et aux congrégations enseignantes de s'opposer
aux efforts du protestantisme et du scepticisme qui gagnent
les hautes classes du Japon.
Suisse. — La nouvelle de la promotion de S. Gr. Mgr Mer-
millod au cardinalat a produit une très grande joie dans tout le
canton de Genève.
Les journaux nous apprennent qu'il en a été de même dans
toute la Suisse, et particulièrement à Fribourg, oii un Te Deum
a été chanté.
La France catholique s'associe à cette joie. Les grands jour-
naux de Paris considèrent comme un honneur fait à la France
elle-même l'honneur fait à Mgr Mermillod et à la Suisse, parce
que la France, aux jours des dures épreuves, avait accueilli
l'évêque exilé comme un de ses évêques, et que Mgr Mermillod
a été l'orateur admiré de toutes nos grandes fêtes religieuses.
Il y aura rarement eu une promotion cardinalice accueillie
avec autant de joie et de sympathie dans les diverses parties
de l'Eglise catholique.
C'est, en effet, l'Eglise entière qui est intéressée à la créa-
tion d'un cardinal.
Le Sacré-Collège est comme le conseil du Souverain Pontife.
NOUVELLES RELIGIEUSES 491
Ce sont les congrégations des cardinaux qui étudient, discutent
et résolvent les grandes questions de tout genre, avec la sanc-
tion suprême du Pape.
Aujourd'hui plus que jamais, le travail des sacrées congré-
gations romaines est délicat et important. Nous assistons à une
transformation du monde. Toutes les idées se croisent avec la
rapidité de l'éclair. Les questions nouvelles naissent comme
une floraison puissante. Les conflits éclatent même là où le
cours des choses ne rencontre que des bonnes volontés sincères,
à plus forte raison là où des hostilités profondes et des conjura-
tions secrètes de l'esprit mauvais suscitent des difficultés sys-
tématiques à l'Eglise.
Nous sommes à un de ces moments de l'histoire où semblent
se réaliser les paroles de Jésus à saint Pierre : « Satan a
demandé à vous cribler comme du froment; mais j'ai prié pour
toi, afin que ta foi ne défaille point, et dés que tu auras été con-
verti tu confirmeras tes frères. »
L'Eglise catholique, en notre fin de siècle, a été secouée vio-
lemment et criblée par cet efi'ort de l'enfer. Les pailles légères
et le mauvais grain se sont envolés. Il ne reste après l'orage
que le troupeau rafî"ermi, et plus afi'eotueu sèment groupé autour
de ses évêques et, de son Pontife suprême.
C'est donc avec confiance que l'univers catholique tient les
regards fixés sur le pilote de la barque, sur le trône de Pierre
et sur les colonnes que le Pape lui donne pour appui. C'est ^^^
■force nouvelle acquise au peuple chrétien, lorsque le Pape crée
un nouveau prince de l'Eglise.
Nul ne connaîtra mieux que Son Eminence le cardinal Mer-
millod les besoins des temps nouveaux, les faces multiples des
questions qui arrivent aux sacrées congrégations.
Voici la lettre par laquelle Mgr Mermillod a notifié au Conseil
d'Etat de Fribourg sa promotion cardinalice :
Rome, le 18 mai 1890.
Monsieur le Président et Messieurs,
Je tiens à prévenir sans retard le Haut Conseil d'Etat de Fribourg
de l'honneur que le Souverain Pontife, l'auguste Léon XIII, daigne
faire à la Suisse, au diocèse, au canton de Fribourg spécialement, en
voulant m'élever à la plus haute dignité qui soit dans l'Eglise, après
le pontificat suprême. Il y a peu de jours, lorsque j'espérais recevoir
mon audience de congé et retourner dans mon cher diocèse, Sa
Sainteté me manifesta sa volonté formelle de me nommer cardinal,
me disant avec une gracieuse bonté qu'il avait â cœur de témoigner
492 ANNALES CATHOLIQUES
à la Suisse cette bienveillance qu'il avait eue pour les Etats-Unis,
l'Angleterre et la Belgique, en donnant à ces nations des princes de
l'Eglise.
Le Souverain Pontife reconnaît et apprécie les mérites du gouver-
nement de notre canton catholique et il m'a chargé de vous l'exprimer.
Le Saint-Père veut que je reste près de lui jusqu'au prochain con*
sistoire, au milieu de juin. Je m'empresserai, aussitôt après, de me
rendre dans ma pieuse ville épiscopale et de travailler d'accord avec
vous, dans une parfaite concorde, à la mission religieuse et patrio-
tique qui nous est confiée.
Je suis, croyez-le bien, moins touché de la dignité que préoccupé
des redoutables devoirs qu'elle m'impose ; c'est un lien nouveau et
plus fort qui m'attache au service de l'Eglise et à la prospérité de
notre chère patrie.
J'ai sollicité du Saint-Père une bénédiction spéciale et affectueuse
pour vous et pour vos familles, qu'il m'a chargé de vous transmettre
avec effusion.
Que Notre Sauveur Jésus-Christ vous comble de ses grâces abon-
dantes; c'est le vœu de l'évêque qui vous offre, Monsieur le Prési-
dent et Messieurs, une nouvelle assurance de ses sentiments très
respectueux et très dévoués en Notre-Seigneur. •}- Gaspard,
Evêque de Lausanne et de Genève.
LES CHAMBRES
Sénat.
Jeudi 22 mai. — Le Sénat reprend en seconde délibération un
projet qu'il étudie, de temps en temps, depuis deux ans : le projet
portant modification du Code rural au sujet de la vaine pâture.
Il s'agit de rétablir le droit de vaine pâture, pour les prairies na-
turelles, droit supprimé depuis quelques années.
Après quelques observations présentées par le rapporteur de la loi
et le ministre de l'agriculture, le projet a été adopté.
Vendredi 23 mai. — L'ordre du jour appelle la discussion en pre-
mière délibération de la proposition de M. Bérenger sur l'aggravation
progressive des peines en cas de récidive, et sur leur atténuation en
cas de premier délit.
M. BÉRENGER explique les raisons qui l'ont déterminé à déposer
sa proposition de loi.
Depuis cinquante ans, la r'cidive augmente d''une façon constante
d'année en année. En 1840, les statistiques indiquent 82,000 individus
poursuivis à la requête du ministère public. En 1865, 160,000; en
1887, 205, OCO. I a criminalité a donc triplé en cinquante ans.
L'unique cause de cette augmentation est la récidive. Il n'y a, en
LES CHAMBRES 493
effet, presque pas d'augmentation pour les individus poursuivis pour
.la première fois.
On a, avec raison, rendu responsable de la récidive le mode d'exé-
cution de la peine, c'est-à-dire l'emprisonnement en commun.
L'orateur dit que c'est à l'unanimité que la commission propose ce
projet; le gouvernement l'approuve. Il y a dans la proposition un
caractère d'humanité et en même temps une aggravation des ri-
gueurs rendues légitimes.
Après une suspension de séance de trente-cinq minutes, les arti-
cles 5 et 6 sont adoptés.
Le Sénat décide qu'il passera à une seconde délibération.
Ohambre des Députés.
ieudi 22 7nai. — Suite de la discussion du projet de loi relatif à la
liberté de la presse, et à la répression des délits de diffamation
commis par elle.
M. Maxime Lecomte développe un contre-projet tendant à ren-
voyer les délits d'injure devant le tribunal correctionnel et à laisser
à la cour d'assises la connaissance de la diffamation.
M. Pelletai rapporteur, prend ensuite la parole.
Il commence par demander où commence l'injure et où finit
l'attaque excessive. Ainsi, a-t-il dit, est-ce une injure que d'appeler
un homme « vieux scélérat »?
A la stupéfaction de l'assemblée, on a vu M. Reinach se lever et
s'écrier :
— J'ai écrit cela à l'adresse de Félix Pyat !
On pense si on a ri. M. Pelletan a eu la main heureuse en déni-
chant un vieil article de M. Reinach, auteur de la loi en discussion.
Comment ? M. Reinach lui aussi a de tels écarts de plume? Il traite
aussi cavalièrement ses adversaires ? Mais il ne faut pas voter une
loi qui pourrait frapper son auteur !
Et c'est précisément, a fait remarquer M. Pelletan, parce qu'un
journaliste peut, dans l'ardeur de la lutte, dépasser sa pensée, qu'il
ne faut pas déférer de tels délits à un tribunal qui acquittera les
amis du gouvernement et condamnera ses adversaires.
On les a vus, ces tribunaux correctionnels, enlever à Gambetta ses
droits politiques !
Le jury suffit pour réprimer la licence. Est-ce que le jury de la
Seine, n'a pas, depuis un an, condamné vingt journaux ou des
magistrats, des députés, avaient été traînés dans la boue?
Ce n'est pas au lendemain de la victoire que la République peut
mettre en discussion cette conquête: la liberté de la presse. Voter la
loi, ce serait aller en arrière.
M. Pelletan a été fort applaudi. Quand il est descendu de la
tribune, on a.appris que dix-huit orateurs étaient encore inscrits.
494 AiSNaLES CATHOLIQUES
Les cris de : la clôture ont couvert la voix de M. Fallières,
ministre de la justice, qui déclarait se rallier au projet Maxime Le-
comte et débitait quelques clichés sur la différence entre la liberté et
la licence.
On a passé immédiatement au vote. ^ Par 347 voix contre 189, la
Chambre a décidé de ne pas continuer la discussion.
En fin de séance, M. Viger a demandé à la Chambre de fixer à
samedi la discussion de l'élection Picot. M. de Douville-Maillefeu
a dit n'avoir pas eu le temps d'étudier le rapport. 11 a demandé
l'ajournement à jeudi.
L'ajournement a été voté par 266 voix contre 242.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Politique et malfaiteurs. — Voyage présidentiel. — Le budget des Cultes.
— L'anniversaire de la Commune. — Une brochure maladroite. — Elec-
tions provinciales en Belgique. — Etranger. — Sénégal.
29 mai 1890.
Il n'y a certainement plus, aujourd'hui, que les gens dont
c'est le métier : sénateurs ou députés, pour s'occuper de poli-
tique. Et encore les députés se sont-ils mis en vacances. M. Car-
not, impavide, continue ses voyages, mais on sait qu'il n'y fait
Jpas de politique. D'ailleurs, même si l'idée lui prenait de
désobéir aux ordres de ses ministres, on ne s'en inquiéterait
pas. Il n'a plus la curiosité publique. Comme Coquelin ou Sarah
Bernhard, il voyage trop. A quoi s'intéresse-t-on actuellement?
Est-ce au passage de M. Carnot à Nîmes? Est-ce à son arrivée à
Montpellier, à Besançon, voire même à Belfort? Est-ce au
budget ? La commission du budget elle-même est dispersée, et
les honorables qui la composent se promènent au Bois, se repo-
sent chez eux, ou rêvent du printemps au soleil.
Le public pense à Marie Gagnol et à l'audacieux concierge
qui est présumé l'avoir assassinée. Il pense à Eyraud qu'on
vient d'arrêter à la Havane et s'occupe plus de sa confrontation
avec Gabrielle Bompard que de l'entrevue de M. Rouvier avec
les commissions parlementaires. De nouveaux crimes enfin sont,
chaque jour, jetés en pâture à sa curiosité. Aussi personne, à
l'exception des intéressés, ne songe-t-il à commenter longtemps
le vote émis avant sa séparation par la Chambre, et rejetant à
une majorité considérable le projet Marcel Barthe modifiant le
régime de la presse édicté par la loi de 1881 .
Et pourtant les lamentations des opportunistes études modérés
CHRONIQUE DE LA SEMAINE ^5
ne sont pas sans intérêt. Les premiers reprochent aux radicaux
et aux conservateurs la monstruosité de leur alliance, tandis que
Les seconds attribuent le rejet à la faiblesse du gouvernement
qui n'a pas osé prendre nettement parti pour les réformes pro-
posées. Cependant, comme il est positif que, sans l'intervention
des droites^ M. J. Reinach et ses amis l'auraient probablement
emporté, il est au moins singulier que pas une seule feuille
radicale ne consente à reconnaître le bénéfice de cette interven-
tion.
Il est vrai qu'elle s'est produite au nom seul du principe de la
vraie liberté, et par conséquent sans aucune arriére-pensée
relevant soit d'ambitions personnelles^ soit d'intérêts de parti,
ce qui laisse le champ absolument libre aux collègues de
MM. Pelletan, Clemenceau et Lockroy pour pratiquer l'indé-
pendance du cœur, puisqu'il n'y a place dans t'atiaire pour
aucune réciprocité de la part de l'extrême gauche.
M. Carnot poursuivant son voyage qui n'a été marqué par
aucun incident remarquable, est arrivé lundi matin à Belfort,
où plus de dix mille Alsaciens s'étaient rendus pour acclamer le
chef de la France. Les uns ont demandé le passe-carte que le
maire da chaque commune alsacienne doit délivrer pour éviter,
au retour, la formalité du passeport; d'autres, qui ne l'ont pas
obtenu, sont passés par la Suisse.
A onze heures et demie ont commencé les réceptions à l'Hôtel-
de-Yille. Sur la cheminée, en travers de la glace et entouré de
feuillage, est placé le drapeau qui était à la façade de l'Hôtel-
de-Viile pendant le siège. 11 n'en reste plus que la partie bleue
prés de la hampe et quelques lambeaux de couleur blanche. Les
balles de 1870 ont enlevé le reste. Le maire de Belfort a pris 1©
premier la parole.
Après avoir remercié le président de sa visite, le maire de
Belfort continue en ces termes :
Ces acclamations qui vous ont accueilli sur votre passage et surtout
cette foule accourue de tous côtés vous ont déjà dit plus éloquemment
que je ne saurais le faire quels sont les sentiments de la ville de
Belfort à votre égard et quel prix elle attachait à votre visite.
Elle voit dans cette visite du chef de l'Etat un hommage rendu à
sa conduite de 1870, hommage mérité. J'en prends à témoin ce glo-
rieux drapeau du siège. Il vous rappellera que Belfort a lutté jusqu'à.
496 ANNALES CATHOLIQUES
la dernière heure, qu'il a tiré le deraier coup de canon de cette
guerre néfaste et que. sur l'ordre exprès du gouvernement de la Dé-
fense nationale, il n'a ouvert ses portes à l'ennemi que la rage dans le
cœur et le désespoir dans l'âme.
Ces nobles et tristes souvenirs ne sauraient déplaire au digne petit-
fils du grand Carnot, à vous, monsieur le président, qui venez au
milieu de nous représenter la France et affirmer sa puissance.
En parcourant cette ville, vous pourrez apprécier cette population
si patriotique qui, en 1870, averse son sang, sacrifié ses biens pour
là patrie, qui compte dans l'armée beaucoup de ses enfants et qui est
prête encore à tout donner pour elle.
Le maire de Belfort rappelle ensuite le vœu qui est celui de
la plus grande partie de la population : l'extension de la vieille
enceinte.
La ville de Belfort, dit-il, s'est transformée depuis 1871, et elle est
devenue l'asile d'une émigration alsacienne importante. Nous avons
reçu à bras ouverts nos frères d'Alsace et nous avons fait la plus
large place aux industries considérables qu'ils ont transplantées sur
notre territoire, industries bien souvent récompensées à l'Exposition
de 1889. Mais cette transformation n'est pas complète. La ville
éprouve le besoin d'élargir et de briser cette vieille enceinte qui la
resserre et qui Tétreint. ;
M. Carnot a répondu en quelques mots au maire de Belfort,
M. Lalloz, sur la poitrine de qui il a attaché la croix de la Lé-
gion d'Honneur. Dans le défilé qui a suivi, on a beaucoup re-
marqué un groupe des anciens officiers et soldats de 1870. Aucune
délégation venant d'Alsace n'a défilé.
Le curé-doyen de la ville a dit à M. Carnot :
Nous portons dans nos cœurs une grande affection à la France et â
vous-même, en qui nous voyons le chef de l'Etat. La France, comme
l'Eglise, occupe une place d'honneur, dans nos cœurs et nous n'y
séparons jamais l'une de l'autre.
Le président de la république a répondu :
« Votre territoire est petit par la surface, mais il est grand
par le cœur. »
M. Carnot, en passant à Besançon, s'est rendu à l'hôpital
Saint-Jacques, où il a présidé à la cérémonie d'inauguration
d'un buste élevé à la mémoire de la sœur Marthe, née Anne
Biget de Thoraise. Au-dessus de ce buste, était un écusson re-
présentant les armes de Besançon, et au-dessous une plaque
CHRONIQUK DE LA SEMAINE 497
sur laquelle était tracée l'inscription suivante : « Sœur Marthe,
providence des blessés, des prisonniers de guerre et des pauvres:
le comité bisontin des femmes de France. » Les dates de 1749
et 1824 sont gravées de chaque côté de l'inscription.
Le docteur Baudin, médecin de l'hôpital, a prononcé un dis-
cours, rappelant les actes de charité et de courage accomplis
par la Sœur Marthe, notamment pendant la campagne de 1812.
Au cours de sa visite à l'hôpital, le président a remis les
palmes académiques à Mme Trouillot, en religion Sœur Marthe,
et des médailles d'honneur aux Sœurs Aline Poulet et Marie-
Antoinette Ligier.
Sur le rapport de M. Leygues, la commission du budget a
discuté samedi et voté presque sans débats le budget des cultes.
Le gouvernement demande pour l'exercice 1891 un crédit
total de 45,069,003 francs.
Pour 1890, les dépenses du budget des cultes s'élèvent à
45,083,503 francs. Il y a donc une différence en moins de
18,500 francs. Il faut ajouter à cette économie une réduction
nouvelle de 150,000 francs sur le chapitre des subventions à
accorder aux communes et aux fabriques pour réparations des
églises. Cette réduction, qui est proposée par le ministre des
cultes et dont l'examen a été réservé, représente le rabais qui
est toujours effectué sur le prix des adjudications.
Sur le chapitre relatif au personnel des cultes, M. Leygues a
fait observer que l'application de la nouvelle loi militaire aux
élèves ecclésiastiques a nécessité la constitution d'une sorte de
casier militaire dont l'établissement entraînera une légère
dépense.
M. Leygues a exprimé l'avis qu'il n'y avait lieu d'opérer, en
dehors des réductions consenties par le gouvernement, aucune
autre économie. Tous les crédits demandés existent en vertu du
Concordat ou de lois postérieures, qui n'ont fait qu'assurer
l'exécution des clauses de la convention du 18 germinal an X.
Au cours delà discussion générale, M, Leygues a signalé les
lacunes qui existent dans l'organisation des fabriques. Les
fabriques sont de vraies personnes civiles, capables d'aliéner et
de recevoir, ayant parfois un très gros budget dont elles peu-
vent disposer sans contrôle.
Cette organisation a donné lieu à des abus comme ceux qui
36
498 AJNNA1,ES CATHOUQUIES
ont été signalés récemment à l'occasion de la nomination dans
certaines paroisses de Paris de prêtres étrangers ; italiens,
allemands ou espagnols.
Il faudrait, d'après le rapporteur, se hâter de refaire la l)oi
sur les fabriques, le Concordat ne permettant d'exercer aucune
action quelconque sur la nomination des prêtres non rétribués
|rap l'Etat, nomination) qui cependant peut avoir dans certains
cas de très graves inconvénients.
Dimanche, les socialistes révolutionnaires se sont rendus
comme tous les ans, sur la tombe des fédérés, « au mur » du
Pére-Lachaise.
Le parti possibiliste, pour ne pas se rencontrer avec les
fractions révolutionnaires adverses et pour éviter tout conflit,
avait convoqué ses adhérents le matin, entre neuf et dix heures.
Cinq mille possibilistes, portant à la boutonnière un bouquet
d'immortelles rouges avaient répondu à l'appel.
A dix heures précises, ils se sont formés en cortège sur le
boulevard Ménilmontant, ayant à leur tête M. Dumaj, député,
et les conseillers municipaux du parti.
Ils portaient soit à bras, soit sur des bâtons, soit sur des
brancards, de nombreuses couronnes de toute grandeur en
immortelles, en perles et en fleurs naturelles.
A mesure que les groupes pénétraient dans le cimetière, les
drapeaux rouges étaient déployés. On en comptait une centaine
au moins.
AiTivés « au mur », les porteurs de drapeaux ont monté sur
le faîte et agité leurs étendards en poussant les cris de : « Vive
la Commune! » puis les discours ont commencé.
M. Dumay a le premier pris la parole :
Le cri de : « Vive la Commune ! » a-t-il dit, ne suffit plus pour
exprimer toutes les aspirations du prolétariat; celui de : »Vive l'a
Révolutioa sociale ! » nous conviendrait mieux.
Si la bourgeoisie persiste obstinément à nous refuaer satisfaction,
nous ne dirons plus comme jadis : Du pain ou du plomb ! nous crie-
rons du pain, mais pas de plomb ! Et grâce à notre force, à notre
union, nous saurons prendre ce qu'il nous faut.
Après quelques banalités débitées p^r diverses orateur.?, on a
entendu M. Caumeau, conseiller municipal, s'écrier :
On nous menace de faire entrer le préfet de la- Seine à l'hôtel de
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
ville. Ce n'est pas le pré^'et, c'est le peuple qui, le drapeau rouge
déployé comme en 1871, doit entrer à l'hôtel de ville.
D'autres discours ont été prononcés par les citoyens AUemane,
Heppenheiraer, eto. Ce dernier a excusé spécialement M. Joflrin,
toujours fort soufirant.
La manifestation était terminée. Les blanquistes dissidents
(groupe Vaillant) se sont rendus sur les tombes de Blanqui et
de Eudes. M. Vaillant a protesté cantre l'alliance de nombre
d'anciens blanquistes avec les boulangistes. On a crié beaucoup :
« Vive la Commune ! »
— Tel est le récit sommaire de la manifestation. Mais elle a
été marquée par un assez vif incident, que le Voltaire raconte
comme il suit :
Un ouvrier aperçoit, se balançant à un gros clou, une énorme
couronne rouge sur le fronton de laquelle se détacbe en lettres
noires, ce mot : l'Intransigeant. Elle avait été apportée, dès le matin,
par les blanquistes boulangistes.
Aussitôt, il la saisit et s'écrie :
— Citoyens^ je crois que c'est déshonorer la Commune que de
laisser ici, sur ce mur, une couronne de Rochefort, l'ami de Bou-
langer, qui a tué les fédérés.
On approuve et il jette la couronne par dessus le mur ; on applaudit.
« La France doit déclarer la guerre àTAllemagae et elle doit
le faire immédiatement. » Telle est la pensée que M. Camille
Dreyfus, député de la Seine, vient de développer dans une bror
chure à sensation.
M. Dreyfus part de ce principe que la guerre étant inévitable,
il faut la faire, maintenant que notre outillage militaire est
supérieur à celui de l'Allemagne. La première objection est
celle-ci: Est-il possible d'établir mathématiquement que notre
fusil, nos canons, nos défenses, sont supérieurs aux fusils, aux
canons, aux défenses de l'Allemagne? Nous ne le croyons pas,
bien que nous ayons l'espérance que ce soit. Il y a, de plus,
l'aléa du commandement et la grande part que prend le hasard
dans les choses humaines. Ou ne peut pas affirmer que, dans
une prochaine guerre avec l'Allemagne, nous serions vain-
queurs. N'allons donc pas recommencer à crier : Vive la gicerre!
et A Berlin ! comme en 1870. Dès qu'il y a une possibilité de
défaite, si faible que soit cette possibilité, on ne peut pas
demander la guerre.
500 ANNALES CATHOLIQUES
Et lorsqu'on évoque les souvenirs d'il 3^ a vingt ans, les
espérances, les certitudes de succès changées bientôt en patrio-
tiques douleurs et en désespoirs; lorsqu'on se reprend à penser
à toutes les misères, à toutes les souffrances, à tous les deuils ;
lorsqu'on évoque le souvenir des déroutes lamentables et même
des victoires sanglantes- on ne peut guère comprendre comment
un Français qui aime la France a pu écrire la brochure dont
nous parlons. Et supposons même qu'elle soit glorieuse, cette
guerre. Ce qu'elle nous rapportera vaudra-t-il ce qu'elle aura
coûté? Croit-on que le vainqueur, après cette débauche d'hor-
reurs, après cette frénésie de dévastation, sera beaucoup plus
riche que le vaincu ? Aurons-nous à jamais désarmé l'Alle-
magne? L'Europe consentira-t-elle à nous laisser prendre le
premier rang? La Prusse, a-t-on dit, en 1870, s'est vengée
d'Iéna. Nous voulons prendre en 1890 la revanche de Sedan.
Pourquoi les Allemands ne chercheraient-ils pas, plus tard, à
se venger de nos victoires futures ? Et l'Italie, resterait-elle
l'arme au pied, pendant cette guerre, malgré les traités de la
triple alliance?
Si nous étions les plus faibles, dès le début de la campagne,
la France serait envahie non plus seulement jusqu'à la Loire,
mais jusqu'aux Cévennes, jusqu'à Lyon, dont on ferait le siège
en même que celui de Paris. S'imagine-t-on ce que ce serait la
France envahie du nord au sud, de Dunkerque à Nice, forcée
de faire face à doux ennemis à la fois, dont l'un nous est proba-
blement égal sur terre, tandis que l'autre, dit-on, nous est
supérieur au point de vue naval? Il y a la Russie, prétend
M. Dreyfus. Est-ce certain ? On peut en douter. Hier, encore,
M. de Chaudordy affirmait qu'un haut personnage russe lui
avait déclaré que nous n'aurions le concours du czar que si
nous étions assaillis. Mais admettons encore que M. Dreyfus ne
se trompe pas. Où est la force des Russes? Elle est dans le sol
même de leur patrie, dans ses dimensions considérables, dans
l'impossibilité pour une armée ennemie de s'y ravitailler. Hors
de chez eux, les Russes, sans être une quantité négligeable, ne
sont qu'un élément secondaire. Rappelez-vous Plevna. Et com-
bien de temps mettraient-ils à mobiliser? après combien de
jours nous seraient-ils d'un concours efficace?* Je crois, dit
M. Dreyfus, remplir un devoir envers la patrie française, un
devoir de soldat. Advienne que pourra!* L'honorable député
de la Seine ne s'est-il pas aperçu que ce mot ressemble à
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 501
celui de Ponce-Pilate? Parmi les avantages qu'il attend delà
conflagration, figure le rétablissement de « l'unité morale de la
patrie », c'est-à-dire l'apaisement des passions politiques. Sans
doute, elles disparaîtraient pendant le danger, mais il est à
redouter qu'après la victoire ou la défaite, elles ne reparaissent
plus impérieuses ou exaspérées. En résumé, nous croyons que
la brochure de M. Dreyfus ne sera pas bien accueillie en
France, et l'ardent député sera puni de l'erreur dans laquelle
il est tombé en voyant nos ennemis s'en emparer pour nous
dénoncer comme les perturbateurs de la paix en Europe.
Le 25 mai, ont eu lieu, en Belgique, les élections pour le
renouvellement de la moitié des Conseils provinciaux.
Au point de vue de la politique générale, il n'y a pas, eu
égard à la composition très différente des corps électoraux, de
conséquences bien décisives à tirer du scrutin du 25 mai.
Tout ce que l'on peut dire, en demeurant dans les bornes de
l'exactitude et du bon sens, c'est que le fameux courant d'hos-
tilité, d'indignation et de dégoût, que le libéralisme s'était flatté
d'avoir créé contre le ministère Beernaert et contre la politique
conservatrice, ne s'est manifesté nulle part. Ce fleuve qui
devait tout emporter n'est pas même un ruisseau, c'est un fossé
boueux dans lequel le libéralisme malpropre va se soulager en
bravant les lois de l'hygiène sociale et de la civilité politique.
En additionnant le total des avantages obtenus de part et
d'autre, on constate que les catholiques conquièrent neuf sièges
et que les libéraux en gagnent cinq.
S'il fallait voir dans ce résultat un présage des élections du
10 juin, nous serions amenés à en conclure le maintien probable
du statu quo, légèrement amélioré au profit des catholiques.
Le Reichstag s'est ajourné au 9 juin. Les projets militaires
ont été vivement combattus dans la commission. Les libéraux
réclament le service de deux ans et en font une condition du
vote des crédits, qui seront toutefois accordés sans cela par la
majorité. Une association de progressistes vient même de de-
mander que des négociations soient engagées en vue d'obtenir
le désarmement. Le fait est que l'Allemagne est à bout de ser-
vitudes militaires. Le peuple français est certainement celui qui
supporte le plus allègrement les charges de la paix armée.
Notre pays a été long à s'engager dans cette voie, mais mainte-
502 ANNALES CATHOLIQUES
nant que bous y sommes entrés, nous sommes capables d'y
montrer plus de persistance, d'énergie, de résistance et de soli~
dite qu'aucune autre nation européenne, car nous sommes cer-
tainement la plus guerrière. Parmi les monuments les plus
apparents de Paris, n'avons-nous pas toujours l'École militaire,
le Val-de-Orâee et les Invalides signalant les trois grandes
phasies d© la vie du soldat?
La question des pêcheries à Terre-Neuve menace de créer de
sérieux embarras au cabiaet de Londres. Les dernières dépêches
de Saint-Jean sont très graves; elles signalent entre la popula-
tion britannique de l'île et les pêcheurs français de nouveaux
actes de violence qui pourraient aboutir à des faits plus graves.
Si l'Angleterre n'intervient pas énergiquement pour réprimer
les excès de ses nationaux, la France, pour protéger les siens,
sera obligée d'envoyer des forces dans les eaux de Terre-Neuve.
En principe, l'attitude de l'Angleterre est très correcte. Elle
reconnaît absolument les droits que la France tient du traité
d'Utrecht; seulement elle se trouve dans une situation très dé-
licate pour les faire respecter efficacement.
Les pêcheurs de Terre-Neuve refusent jusqu'à présent d'ac-
cepter \e modus vivendi convenu entre la France et la Grande-
Bretagne. Les contraindre par la force à s'y soumettre, c'est
pour l'Angleterre risquer de provoquer une effervescence dan-
gereuse, non seulement à Terre-Neuve, mais dans tout le
Canada. Ne pas réprimer les excès des habitants de l'ilo, c'est
s'exposer tout au moins à des réclamations et à des exigences
pénibles de la France. La situation, on le voit, n'est pas abso-
lument limpide. A Paris, on affecte de prendre très légéremanit
cette affaire oii l'on ne voit qu'une question de homards. An
fond, il y a en jeu le prestige de deux grandes puissances égale-
meiût jalouses de leur autorité dans les pays d'outre-mer, et
également tenues par les gros intérêts financiers engagés daors
ce différend à ne céder qu'à la dernière extrémité. Le différend,
en un mot, est gros de coaséquences.
Des troubles se sont produits la semaine dernière à Guelœa.,
Ju^ Indépendant de Constantine nous fournit sur ces troubles
et sur leur origine les curieux détails suivants :
A l'entrée du marché, un Arabe chercha querelle à un jeane
Israélite, traînant un petit bazar sur un petit char à bras.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 503
Cette querelle n'était qu'un prétexte et en même temps un
signal. En effet, les séides de ce malfaiteur se précipitèrent
sur le marchand forain et en un clin d'œil le dévalisèrent com-
plètement, puis ils se ruèrent sur des magasins appartenant ;'i
des Israélites, brisant tout, saccageant tout.
Dès qu'un de ces Tolenrs était suffisamment pourvu de mar-
chandises, il s'enfuyait avec son butin hors de la ville.
Trois magasins ont été littéralement dévalisés, ce sont ceux
de M. Ben-Simon et de M. A. Naonri;chez l'un d'eux un coffre-
fort a été brisé, il contenait trois mille francs que les Arabes
ont volés. S'il n'y a pas eu plus de dégâts à déplorer, cela tient
à la précaution prise par les autres négociants Israélites de
fermer leurs portes, dés le commencement de la bagarre.
Ces scènes de vandalisme ont donné lieu à des rixes san-
glantes.
Plusieurs Israélites ont été fort maltraités par ces Arabes,
qui n'ont, du reste pas mieux respecté la police, la gendarmerie
et la population européenne.
Un agent a été renversé, la mâchoire fracassée d'un coup de
debbous; les gendarmes ont été fraippés. On assure même que
ces forbans auraient maltraité ire-officier de zouaves.
On signale la mort d'un indigène frappé d'une balle de
revolver, au moment où ill^risait la porte d"'un magasin.
D'autres Arabes porteurs d'objets volés, ont été saisis par
des Européens qui, dans un moment d'indignation très légitime,
leur ont infligé des corrections plus que sévères et parfaitement
méritées; l'un eu est mort, trois sont grièvement blessés.
Enfin, la troupii dut intervenir et ordre fut donné de fermer
les portes de la ville, afin de couper court à l'évasion d-e ces
pillards. Ceux-ci se réfugièrent alors dans les demeures arabes
iis en furent bientôt délogés et deux cent quinze d'entre eux
oat été retenus prisonniers.
La plupart de ces pillards sont étrangers à la localité; cepen-
daTit, il y a quelques Marocains savetiers, habitants dé "Guelmu,
«lui n'avaient pu résister à la tentation de se remonter en
linge.
Une grande agitation règne, dit-on, au Sénégal. Les Djol<!>f:^,
toujours remuants et pillards, se seraient empressés de mettre
à profit Tabsence de troupes et se seraient jetés sur nos alliés,
qu'ils auraient razziés sans pitié.
504 ANNALES CATHOLIQUES
L'administrateur de la région de Bivaouanne a prévenu le
gouverneur, M. Clément Thomas. L'autorité militaire a pris
immédiatement des mesures énergiques pour enrayer le mal.
.Une colonne commandée par le colonel Doods a été constituée
sans délai et s'est mise en route, en utilisant jusqu'à la gare de
Louga le chemin de fer de Saint-Louis à Dakar.
Elle est sous les ordres du colonel commandant supérieur des
troupes au Sénégal ; elle comprend :
1 escadron de spahis sénégalais,
3 compagnies d'infanterie de marine,
1 batterie complète d'artillerie, train et mulets,
250 chameaux pour les convois et les ambulances.
De plus, 2,000 guerriers alliés marchent en avant avec les
spahis de TLies, pour prendre le contact de l'ennemi, que l'on
dit plus nombreux que jamais.
L'alerte a été chaude, et on a été un moment inquiet sur le
sort du chemin de fer. Nos troupes viendront facilement à bout
de l'ennemi, mais la saison est bien mauvaise, et nos soldats^
auront certainement beaucoup à souffrir de la température tor-
ride qui règne en ce moment.
Le Dictionnaire des Dictionnaires
D'après le vœu exprimé dans de très nombreuses lettres,
l'éminent directeur du Dictionnaire des Dictionnaires, avant
de clore la liste des souscriptions j)'>'i>^ilc'gip'ss, se propose d'en
rendre l'accès facile à tous les budgets; à cet effet, il accorde
de plus longs délais de paiement. Ceux de nos lecteurs qui
n'ont pu le faire profiteront de cette excellente occasion. Nous
n'avons plus à faire l'éloge de cette œuvre magistrale, unique
en son genre. (Les autres inspirées par l'esprit de laïcisation
contiennent plus ou moins des infiltrations anticatholiques.)
C'est pourquoi cette publication est accueillie dans le monde
entier avec un véritable enthousiasme. Toutes les personnes
qui ne séparent pas l'instruction de la religion, qui ont pour
devise : Foi et Science, Dieu, Patrie^ veulent posséder ce
recueil indispensable, d'une utilité quotidienne, qui est toute
une bibliothèque [quatre-vingts millions de lettres, la matière
de 80 vol. in-S°). Une ingénieuse combinaison en facilite l'acqui-
sition à ceux qui souscriront sans retard. On trouvera aux
annonces la circulaire explicative et le bulletin de sous-
cription.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. Imp. Q. Picqnoin, 53, rne de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
LE SALAIRE DE L'OUVRIER
La question du salaire de l'ouvrier est une des grandes ques-
tions du jour. Quelle est la nature intime du salaire ? Quelle est
la source de l'obligation de paj^er son salaire à l'ouvrier? D'a-
près quelles bases faut-il fixer le taux du salaire ?
Ce sont là autant de questions qui demandent à être résolues
d'après les véritables principes.
Le maître ou le patron a des obligations de charitc envers
ses ouvriers. Dans les besoins ordinaires de la vie, la charité
l'oblige à venir à leur secours en consacrant à ce devoir une
partie de son superflu. Cette partie est fixée par les uns à la
trentième, par d'autres à la cinquantième.
Quand les besoins sont plus grands, l'obligation imposée par
la charité devient plus grave et demande qu'une plus grande
part du superflu y soit consacrée.
Le maître ou le patron a aussi des obligations de justice en-
vers ses ouvriers. La source de ces obligations de justice se
trouve dans un contrat de louage explicite ou implicite passé
entre le maître et l'ouvrier. L'objet de ce contrat est le travail
de l'ouvrier et le prix de ce travail, deux choses sur lesquelles
il y a le consentement des deux parties. Un tel contrat oblige les
deux parties, en vertu de la loi naturelle, sous peine d'injustice
et de restitution.
Les théologiens mettent ce contrat sur la même ligne que les
contrats de location de maisons ou de terres et y aj^pliquent les
mêmes principes généraux.
Le salaire de l'ouvrier n'est, en droit strict, que le prix de
son travail. Par le contrat de louage, il a aliéné son travail avec
ses soins possibles en faveur du maître, et celui-ci s'est engagé
à lui en payer le prix convenu. Cela est vrai, soit que l'ouvrier
travaille à la journée, soit qu'il travaille à la pièce. Cela est
même vrai dans le cas où l'ouvrier travaille dans son propre
domicile et fournit lui-même les matières premières de son tra-
vail; par exemple, un ouvrier menuisier a reçu de son maître
une commande de six chaises qu'il fera avec son propre bois et
dans son propre domicile, à un prix convenu. Il y a dans ce cas
Lxxii — 7 Juin 1890 37
506 ANNALES CATHOLIQUES
un véritable contrat d'aliénation de la matière première et du
travail contre uu prix stipulé.
L'ouvrier, à la suite de ce contrat de louage et d'aliénation,
ne conserve pas un droit de co-proprièté sur le produit de son
travail et sur le gain qui peut en résulter, pas plus que le pro-
priétaire d'une terre ne conserve un droit de co-propriété sur le
produit de cette terre qu'il a donnée en location contre un fer-
mage annuel.
Toutefois rien n'empêche qu'un ouvrier ne passe avec son
maître un autre contrat en vertu duquel il aurait sa quote-part,
soit dans le produit du travail, soit dans le gain, s'il y en a. Ce
genre de contrat de société est parfaitement licite ; mais on y
prévoit ordinairement aussi le cas où il n'y a pas de gain à par-
tager et celui où il y a des pertes subies.
Les obligations de justice du patron envers l'ouvrier et les
droits stricts de l'ouvrier à l'égard de son patron dérivent d'un
contrat, soit de louage, soit de vente, soit de société.
On ne peut pas affirmer d'une manière absolue et générale
que l'ouvrier conserve sur le produit de son travail et sur le
gain qui peut en résulter, un droit de co-propriété avec son
maître.
Entre lo maître et l'ouvrier, il y a régulièrement un contrat
expliciie ou implicite qui détermine le travail et le prix du tra-
vail. Mais à quel taux doit être fiixé ce prix pour être juste?
Le taux de ce prix est fixé par les usages du lieu, de la même
manière que le taux du loyer des maisons et du fermage des
terres.
Le salaire de l'ouvrier, comme le loyer d'une maison, com-
porte une certaine latitude. Il y a le prix le plus élevé, le prix
moyen et le plus bas prix. Tant qu'on reste dans cette latitude,
il n'y a point d'injustice. Et cette latitude elle-même est fixée
par les usages du lieu.
Le salaire convenu entre le maître et l'ouvrier doit être payé
à celui-ci, même dans le cas où le maître aurait fait des pertes
sur le travail de l'ouvrier.
L'injustice ne commence que quand un maître qui a besoin
d'ouvriers en engage à un salaire inférieur au plus bas jprix^
salaire auquel ils ont été contraints de consentir par les graves
besoins dans lesquels ils se trouvaient. L'injustice serait encore
plus grande, s'ils avaient été contraints par des menaces ou des-
violences à consentir à un tel salaire. Mais les théologiens ne
LE SALAIRE DE l'oUVRIER 507
voient aucune injustice dans le cas oii un maître qui n'a pas
besoin d'ouvrier, en prend un à son service par pure charité et
sur ses instances, quoiqu'à un salaire inférieur au 'plus bas prix.
Le profit que fait le maître sur le travail de ses ouvriers
doit-il entrer comme élément dans la fixation du taux du salaire ?
Quand le profit augmente, le salaire doit-il être majoré dans la
même proportion ?
La justice n'y oblige point le maître. Elle n'accorde aucun
droit aux ouvriers sur une partie de ce profit, à moins qu'il n'y
ait une convention formelle à cet égard, convention qui attri-
buerait une certaine part dans les profits aux ouvriers.
D'un autre côté^ quand le maître fait des pertes, la justice
ne lui accorde pas le droit de diminuer le salaire convenu, à
moins que le cas ne soit prévu et réglé dans une convention
formelle.
Les besoins de la vie d'un ouvrier doivent-ils entrer comme
éléments dans la fixation du taux de son salaire ?
Je ne connais aucun théologien qui l'ait enseigné. Ils ensei-
gnent communément que le salaire peut être conforme aux
règles de la justice, quoiqu'il ne suffise point aux besoins de la
vie de l'ouvrier. Ils se fondent sur le principe que le salaire est
le prix du travail, en vertu d'une convention et que le taux de
ce prix est fixé par les usages du lieu, comme le loyer d'une
maison, le fermage d'une terre.
Un maître, par exemple, a trois ouvriers également capables
et actifs. Le premier a de grands besoins, parce qu'il a femme
et enfants, sans posséder ni biens, ni rentes. Les besoins du
second sont moins grands, parce qu'il est célibataire et qu'il
mène une vie sobre et réglée. Les besoins du troisième sont
encore moindres, parce qu'il egt célibataire et possède quelques
biens. Le maître, en payant le même salaire aux trois ouvriers,
d'après le taux ordinaire fixé par les usages du lieu, commet-il
une injustice à l'égard du premier? Pourrait-il, en justice,
diminuer le salaire du troisième? Evidemment non.
Un homme de métier par exemple, un cordonnier, travaillant
seul pour son compte, peut se trouver dans de grands besoins
aussi bien qu'un ouvrier. Son travail doit-il être rémunéré de
de telle sorte qu'il suffise à ses besoins ? Et s'il le doit être, qui
■est obligé de le rémunérer? La justice n'oblige personne à ache-
ter des souliers chez lui. Quant à ceux qui achètent des souliers
«hez lui, la justice ne les oblige pas à les payer plus chers que
le prix ordinaire, pour le mettre à même de vivre du profit.
508 ANNALES CATHOLIQUES
On ne peut point affirmer, d'une manière absolue et générale,
que l'ouvrier conserve une quote-part proportionnelle dans la
répartition du produit de son travail, ni que la mesure de cette
proportion soit, non le contrat de louage, mais la fin même du
travail, savoir, l'entretien de l'ouvrier avec celui de sa femme
et de ses enfants. On ne peut point affirmer en second lieu que
la justice exige d'attribuer à l'ouvrier une part du produit de
son travail qui soit suffisante pour son entretien, et celui de sa
famille. Le droit de l'ouvrier est réglé uniquement par le con-
trat qu'il a passé avec son maître.
On ne peut point affirmer, en troisième lieu que le prix natu-
rel de l'objet fabriqué par l'ouvrier est réglé par la double part
qui revient à l'ouvrier et au maître. Le prix d'un objet s'établit
par d'autres causes que le salaire de l'ouvrier et le gain qu'en
espère le maître. Combien de fois n'arrive-t-il point que le prix
de vente est tellement bas qu'il n'y a pas de gain à partager?
On ne peut point affirmer, en quatrième lieu, que le minimum
du salaire de l'ouvrier doit encore être assez élevé, pour qu'il
puisse en subsister avec sa femme et ses enfants.
Une épargne ou une réserve pour les éventualités de l'avenir
est une chose très utile à l'ouvrier aussi bien qu'aux artisans.
Une épargne à faire doit-elle entrer comme élément, pour fixer
les taux du salaire de l'ouvrier? Ce taux doit-il être assez élevé
pour que l'épargne soit possible?
Je ne connais aucun théologien qui l'ait enseigné; c'eût été,
en efi'et, contraire à leurs principes, d'après lesquels le taux
du salaire est fixé par l'usage du lieu, comme le taux de la
location des biens et non par les besoins de l'ouvrier, et l'obli-
gation de payer son salaire à l'ouvrier dérive d'un contrat libre-
ment consenti de part et d'autre.
On ne peut point affirmer que la justice exige que le profit
du maître soit réduit pour augmenter le salaire de l'ouvrier au
point que celui-ci puisse faire des économies pour ses vieux
jours.
La fin du travail de l'ouvrier est, sans doute, de se procurer
des moyens de subsistance, mais on n'en peut point déduire, en
bonne logique, que le maître pour lequel, il travaille soit obligé
de lui donner un salaire assez élevé pour qu'il puisse en vivre
avec femme et enfants et faire quelques économies pour ses
vieux jours.
.Les théologiens du xvii° et du xviu* siècle qui ont le mieux
QUATRIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 509
traité la question du salaire de l'ouvrier sont Molina, Lessius,
De Lugo, Bonacina, Cardenas, Reiffenstuel, etc. L'exposé fait
-ci-dessus n'est que le résumé de leur enseignement. X.
LA QUATRIEME BEATITUDE ÉVANGÉLIQUE
COMMENTÉE ET APPLIQUÉE AU PRÊTRE
Beati qui esuriunt et sitiunt justiiiam
quoniam ipsi saturahuntur.
Un homme, nous dit Notre-Seigneur, fit un jour un grand
festin et y invita de nombreux convives. L'heure venue, il
envoya ses serviteurs chercher les convives. Tous refusèrent de
se déranger. « — J'ai acheté une maison de campagne, dit l'un,
il faut que j'aille la voir et que je m'assure si elle me convient;
priez donc votre maître de m'excuser. » — « J'ai fait l'acquisi-
tion de cinq attelages de bœufs, répondit un autre, et je vais les
essayer ; excusez-moi, je vous prie. » — «Je viens de me marier,
répondit un troisième, il faut que je tienne compagnie à ma
femme, en conséquence, je ne puis me rendre à votre invita-
tion. »
Une autre fois, ce sont des courtisans qu'un roi avait conviés
aux noces de son fils et, lorsque le roi, sans se rebuter d'un
premier refus, les eût envoyé prévenir de nouveau par d'autres
serviteurs: « — Voilà que mon festin est prêt, on a tué le bœuf
et tous les animaux que j'avais fait engraisser, tout est prêt,
venez aux noces », ils ne répondent même pas à son invitation;
d'autres s'excusent, qui sa femme, qui ses affaires; d'autres
vont jusqu'à se servir des serviteurs et à les tuer.
Voilà, vous l'avouez, d'étranges convives, que l'honneur ou le
plaisir de s'asseoir à la table de leur roi ou de leur ami ne ten-
tent guère. Or, n'est-ce pas la conduite que tiennent envers
Notre-Seigneur certains prêtres plus particulièrement désignés
par les courtisans, qui n'ont ni faim ni soif de la justice de Dieu?
Et cependant Notre-Seigneur cherche à éveiller le plus possible
en eux, comme en nous tous, ces appétits supérieurs; tantôt il
nous fait entrevoir les peines et les récompenses de l'autre vie;
tantôt il place sous nos yeux le spectacle admirable de ces in-
vités heureux et reconnaissants des faveurs du divin Maître.
Combien qui au lieu de répondre à ses avances s'oublient dans
les satisfactions de la triple concupiscence ? Ce qu'ils veulent
510 ANNALES CATHOLIQUES
c'est obtenir cette situation qu'ils ambitionnent depuis long-
temps ; ce sont ces honneurs, ces plaisirs, ces satisfactions des
sens, même défendues ; ce sont leurs aises; c'est la fortune. Que
le nombre est petit même parmi les prêtres de ceux qui n'ont
faim et soif que de la vertu.
Le monde et Notre-Seigneur sont loin de donner à ce mot de
justice la même signification. Celui-là est un honnête homme
aux yeux du monde qui fait honneur à ses affaires, qui élève
honorablement sa famille, qui demeure fidèle à ses engagements,
qui est correct, bien élevé et ne blesse aucun préjugé humain.
Combien de prêtres sont du monde et pensent comme lui?
Au sens spirituel, il faut quelque chose de plus que l'honnê-
teté purement humaine. « La justice, nous dit Bossuet, ne règne
que lorsqu'on rend à Dieu ce qu'on lui doit; car alors, ajoute-t-il,
on rend aussi pour l'amour de Dieu tout ce qu'on doit à la
créature, qu'on regarde en lui, et on se rend aussi ce qu'on se
doit à soi-même; car on s'est donné tout le bien dont on est ca-
pable, quand on s'est rempli de Dieu. On a dès lors accompli
toute justice, selon le mot de Notre-Seigneur. »
Ce n'est donc pas de cette justice imparfaite telle que les
mondains la comprennent, mais de la justice au sens chrétien
dont le prêtre doit avoir faim et soif, à l'imitation de Notre-
Seigneur qui n'a jamais eu de désir plus ardent que de faire en
toutes choses la volonté de son Père. Aussi a-t-il tenu à ce que
ce surnom de juste lui soit appliqué. « — Que les cieux s'ou-
vrent, s'écrie Isaïe et que les nuées fassent apparaître le Juste. »
« Voici que ton roi vient à toi, dit Zacharie, lorsqu'il prédit
l'entrée triomphale de Notre-Seigneur à Jérusalem, c'est un roi
juste. » Et quand Judas saisi de désespoir reporte aux princes
des prêtres leur argent maudit: « Voici votre argent, leur dit-il,
j'ai horreur du pacte infâme que nous avons conclu; j'ai péché
en livrant le sang du Juste, peccavi, iradens sanguinem
justum ». Tandis que Pilate .siégo sur son tribunal, sa femme
lui envoie dire : « Je vous en supplie, qu'il n'y ait rien entre
vous et ce juste. » Quand au commencement de la Cène, Notre-
Seigneur fait part à ses apôtres du vif désir qu'il éprouvait
depuis longtemps de manger cette pâque avec eux ; quand sur la
croix il demanda à boire, ne croyez pas que ce fut pour satis-
faire sa faim et sa soif, au sens charnel, c'est pour témoigner
QUATRIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉI.IQUE 511
par ces symboles expressifs avec quelle ardeur il voulait accom-
plir, jusque dans ses moindres détails, jusqu'à un iota, la vo-
lonté de son Père.
« — Maître, lui demanda un jour un docteur de la iloi pour
l'éprouver, quel est, selon vous, le plus grand et le premier
commandement de la loi ? » Voici, lui répondit Jésus, le pre-
mier et le plus grand commandement: « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit
et de toutes tes forces. » Celui-là seul a vraiment faim et soif
de la justice qui aime Dieu de cette façon; et Notre-Seigneur
n'a accumulé ainsi les expressions que pour nous faire entendre
de quel ardent désir doit être dévorée l'âme dont Dieu est la
première préoccupation.
On a souvent recours à des tableaux tirés des différentes
scènes de l'amour humain pour mieux nous faire comprendre
ce qu'est l'amour d'une âme pour Dieu; j'avoue que je trouve
ce procédé imparfait et dangereux; imparfait, parce que si pur,
si élevé, si légitime que soit l'amour humain, il y a entre lui et
l'amour de Dieu plus de différences que de points de contact;
dangereux parce qu'il peut entretenir les âmes dans les plus
étranges illusions. Les expressions dont se sert Notre-Seigneur
sont si claires qu'il est d'ailleurs inutile d'avoir recours à des
comparaisons qui ne peuvent que les obscurcir.
Airaer Dieu de tout son cœur, c'est l'aimer sans partage,
c'est le préférer à tout ; c'est peut-être la façon d'aimer Dieu la
plus difficile; car le monde est rempli de choses aimables qui
sont de nature à séduire nos cœurs. L'amour filial, l'amour
conjugal, l'amitié sont de douces nécessités que Dieu lui-même
a créées pour adoucirl'amertume de notre exil ; comment conci-
lier ces attaches légitimes du cœur avec l'amour de Dieu sans
partage? En nous établissant dans cette disposition d'âme que
le saint homme Job et saint Paul nous ont particulièrement
dépeinte, et qui consiste à accepter comme venant de la main de
Dieu tout ce qui nous arrive d'heureux ou de malheureux dans
cette vie; à voir disparaître tous les objets de notre tendresse,
non pas sans souffrir, non pas sans éprouver de cruels déchire-
ments, mais avec cette sainte soumission dont Job est le mo-
dèle lorsqu'il s'écrie : « Dieu me l'a donné. Dieu me l'a ôté,
que son saint nom soit béni ! > ou avec ce détachement absolu
dont parle saint Paul lorsqu'il nous représente lesriches selon le
cœur de Dieu, usant des biens de la terre comme s'ils n'étaient
512 ANNALES CATHOLIQUES
pas à eux» Si le simple fidèle doit aimer Dieu de cette façon, à
plus forte raison le prêtre doit-il l'aimer ainsi lui qui l'a pris
comme unique héritage.
Aimer Dieu de toute son âme, c'est n'avoir d'autre passion que
de procurer sa gloire en toutes choses ; aussi celui-là seul peut-
il dire qu'il l'aime vraiment de toute son âme qui donne dans sa
vie l'exemple de toutes les vertus chrétiennes, parce que c'est
la meilleure manière d'attirer les âmes à lui et d'empêcher
qu'on ne l'offense. l)e tous les apostolats, le plus sincère et le
plus méritoire est certainement l'apostolat de l'exemple.
Aimer Dieu de tout son esprit, c'est s'appliquer à le mieux
connaître. L'étude des saintes écritures doit être l'étude favorite
du prêtre. Or de quels tristes retours sur soi-même leurs négli-
gences à ce sujet ne doivent-elles pas être l'occasion? Pour ces
prêtres qui ne consacrent leurs loisirs qu'à la culture des lettres
les plus profanes? entre les mains desquels on ne voit que des
journaux, des revues, des romans, des livres de littérature,
d'histoire, de science où le nom de Dieu est à peine prononcé
sinon pour servir de prétexte aux plus odieux blasphèmes ?
Et ces prêtres s'étonnent do perdre la foi, le zèle, l'amour
de Dieu ?
Aimer Dieu de toutes ses forces, c'est lui consacrer toutes ses
facultés, toute sa vie. Malheur donc au prêtre qui sous le cou-
vert de l'évangile se prêche lui-même? Malheur à l'apôtre qui
sous prétexte de faire les affaires des pauvres ne fait que les
siennes propres. Que chacun de nous s'interroge et se demande
si c'est ainsi qu'il aime Dieu. Si au contraire, loin d'avoir faim
et soif de la justice, il n'a pour les choses de Dieu, sinon de la
répugnance et du dégoût, du moins un appétit de malade?
Puissions-nous n'avoir soif que de cette eau mystérieuse qua
Notre-Seigneur veut que nous buvions. Puissions-nous ne
désirer d'autre plaisir, d'autre joie, d'autre bien que celui que
nous goûterons en Dieu ! Puissions-nous vouloir le posséder de
plus en plus! « Celui qui croit en moi, dit Notre-Seigneur,
des fleuves d'eau vive couleront éternellement de ses en-
trailles. » « Jamais, dit saint Augustin, l'eau céleste ne tarira,
elle sera toujours plus grande que ses besoins; la source sera
toujours au-dessus de sa soif. Fons vincit sitiewtem. » « Quand
nous faisons la volonté de Dieu, s'écrie Bossuet, il fait la nôtre,
il rassasie tous nos désirs. Il les rassasie dés cette vie, car il
rend le juste plus juste et le saint plus saint, pour contenter
QUATRIEME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 513
son avidité. Il le rassasie plus parfaitement dans le ciel où la
justice éternelle nous sera donnée avec la plénitude de l'amour
de Dieu. » « Je serai rassasié, dit le Psalmiste, lorsque votre
gloire m'apparaîtra. »
II
Lorsque les gens du monde doivent prendre une résolution,
ils s'inspirent, soit de leurs affections, soit de leurs intérêts,
soit même de leurs simples caprices. Le juste qui vit de la foi
doit avant tout s'inspirer de la foi. Sans doute il peut consulter
ses affections, son intérêt, ses goûts ; mais le mobile qui doit
l'emporter et qui doit faire chercher le bonheur d'un côté plus
que de l'autre, c'est le Domine, quid me vis f acéré .^On raconte
que chaque fois que saint Vincent de Paul entreprenait une
affaire, il se demandait : « Si Notre-Seigneur était à ma place,
que ferait-il? Comment parlerait-il? Quel conseil donnerait-il? »
C'est ainsi que le prêtre doit faire. Avant d'agir et de parler,
il interroge Dieu et ne se décide qu'autant et dans le sens que
la volonté de Dieu s'est manifestée, dùt-il imposer silence à ses
affections, à ses intérêts humains, à ses goûts. Domine^ quid
me vis facere? C'est ce que saint Paul nous explique dans son
épîtreaux Hébreux : « Voyez, nous dit-il, Abel et Caïn. Tous
deux offraient à Dieu des sacrifices; seulement Caïn, en mon-
dain, choisissait dans ses troupeaux et les fruits de ses champs
ce qu'il y avait de moins bon ; Abel au contraire portait sur l'au-
tel de Dieu ce qu'il avait de meilleur. S'il n'avait écouté que
son intérêt, nul doute qu'il n'eût agi comme son frère; mais il
ne se laissait guider que par sa foi. Aussi a-t-il mérité que Dieu
l'appelât un juste et nous le proposât comme modèle. »
Voyez Noë, Dieu lui donne l'ordre de bâtir une arche pour lui
et sa famille en prévision du déluge, qui devait détruire le
monde. Il obéit, cependant, combien de raisons pouvaient
l'amener à douter de cette éventualité terrible. La bonté |de
Dieu, l'origine récente du monde, les plaisanteries dont il était
victime. Mais la volonté de Dieu s'est manifestée à lui, il n'a
pas un instant d'hésitation; aussi, ajoute saint Paul, a-t-il
mérité le titre d'héritier de la justice.
Voyez Abraham, Dieu lui ordonne de quitter son pays; il le
quitte sans savoir où il va; de sacrifier son fils unique, il est
prêt; la volonté de Dieu domino ses goûts, ses affections les plus
chères. Et saint Paul passe en revue les patriarches et les
514 ANNALES CATHOLIQUES
Saints de l'Ancien-Testament, Jacob, Joseph, Moïse, Gédéon,
Samson, David, Samuel, tous les prophètes; et il nous les
montre tous uniquement occupés pour régler leurs moindres
pensées d'interroger la volonté de Dieu.
Voyez encore Job. C'était un homme simple et juste nous dit
le Seigneur, qui craignait Dieu et fuyait le mal. Il n'avait pas
son pareil sur la terre. Le démon qui en était jaloux, dit un
jour au Seigneur: « Croyez-vous, que Job ne trouve pas son
intérêt à vous servir? Etendez la main sur lui et vous verrez
s'il persévère? » Or voici que tous les malheurs se déchaînent
comme un ouragan furieux sur Job. Il perd sa fortune, ses
enfants. Sa femme et ses amis se moquent de lui, et l'engagent
à maudire Dieu. Peut-être qu'à sa place nous aurions suivi ces
conseils. Non seulement une parole d'aigreur ne monte pas de
son cœur à ses lèvres, mais dans sa détresse, il n'a pas d'occu-
pation plus douce que de chanter les louanges de Dieu et que
d'exhorter les siens à rester fidèles à sa loi. « Dieu me l'avait
donné, leur dit-il. Dieu me le retire, que son saint nom soit
béni ! »
Voyez cet autre juste de l'Ecriture, saint Joseph. Peu
d'hommes ont traversé d'aussi terribles épreuves de cœur
que lui, chaque fois que la volonté de Dieu se manifeste, il fait
taire jusqu'aux soupçons qui envahissent son âme.
Il faut avoir une faim et une soif bien ardentes de la justice
de Dieu pour avoir sans cesse sur les lèvres le Domine, quid me
vis facere des Saints ; d'autant plus que tout conspire autour
de nous pour contrarier cette bonne volonté ! A cela je vous
répondrai encore avec les paroles de saint Paul: Comment ont
fait les justes de l'Ecriture? Noë, Loth et les autres, vivaient-
ils dans un monde moins corrompu qUe celui où nous vivons?
non ; seulement ils détournaient leurs yeux des mauvais
exemples et surtout ils écoutaient Moïse et les prophètes. Or
nous, nous avons les conseils et la direction de l'Eglise ; malheu-
reusement il nous arrive, à nous prêtres, d'imiter trop souvent
ces chrétiens à la piété gémissante j)i€ias gemehunda qui fai-
saient le désespoir de saint Augustin, qui après avoir bien
gémi sur les difficultés des temps, sur l'affaiblissement des
caractères, sur l'abaissement du sens moral, après avoir poussé
ce cri de détresse, qui nous sauvera? détournent les yeux quand
l'Eglise se présente. Ils trouvent que sa morale est trop sévère,
qu'elle a le tort de n'être pas assez de son temps, d'être immo-
QUATRIÈME BÉATITUDE KVANGÉLIQUE 515
bile pendant que le monde marche et alors ils imaginent des
systèmes de religion plus douce, plus en harmonie avec les
instincts mauvais, et le monde loin de se convertir devient plus
méchant et ils s'en étonnent.
Si au lieu de gémir, si au lieu de s'épuiser en désirs stériles,
en déclamations vaines, ces prêtres travaillaient à la réforme de
leur vie ; si, au lieu de s'absorber dans de puériles pratiques
extérieures, véritables pharisiens qui rendent méprisables les
préceptes les plus saints, ils travaillaient à étendre le règne de
Dieu et à faire sa volonté, croient-ils que Notre-Seigneur ne
serait pas plus honoré? Quoi d'étonnant à ce que les païens
frappés à la vue des querelles qui nous divisent et du peu d'har-
monie qui règne entre notre enseignement et nos actes, en arri-
vent à mépriser une foi dont les prédicateurs eux-mêmes parais-
sent si peu sûrs ?
Et alors nous assistons au plus triste des spectacles, aux
défaillances et aux scandales que donnent ces prêtres mondains
au fur et à mesure que grandissent leur faim et leur soif des
nouveautés, ils n'ont plus que le dégoût pour les choses de Dieu.
Comment voulez-vous par exemple que leur esprit se fixe sur la
prière ? Quelle conversation voulez-vous qu'ils engagent mainte-
nant avec Dieu ? Quel sens peuvent avoir pour eux les formules
pieuses qu'ils laissent errer à l'aventure sur leurs lèvres? Notre
père... que votre nom soit sanctifié... que votre règne arrive,
que votre volonté soit faite... Quel intérêt peuvent-ils prendre
à la réalisation de ces souhaits? Aussi un jour arrive oii, sans
qu'ils s'en doutent, ils ne récitent leur bréviaire que du bout
des lèvres ; oii les offices de l'Eglise leur deviennent à charge,
où le ministère de la prédication les ennuie, où ils ne visitent
plus les pauvres, où ils ne s'intéressent plus aux âmes chré-
tiennes.
iir
Si nous voulons que la foi refleurisse, soyons les premiers à
nous conduire d'après les préceptes de la foi ; si nous voulons
qu'on aime Notre-Seigneur, aimons-le passionnément; alors nos
paroles, nos actes, notre conduite tout entière seront remplis
de son esprit ; alors nous donnerons à ceux qui nous voient et
nous entendent le désir de nous imiter, afin de participer à la
récompense promise à ceux qui sur cette terre auront eu faim
et soif de la justice. L'abbé M. .-
516 ANNALES CATHOLIQUES
LE RADICALISME EN ITALIE
M. Crispi, Thomme fatal qui a mérité d'avance le titre de
dernier ministre de la monarchie, peut se réjouir de voir que
son système de démocratisation à outrance produit les fruits
voulus. Voici, en effet, que le parti radical italien, non content
de la licence dont il jouit et des manifestations auxquelles il a
pu se livrer impunément jusqu'ici, entre ouvertement en scène
comme parti de gouvernements
Il croit le moment venu d'aspirer au pouvoir et de présenter
à ce titre son programme aux électeurs. C'est ce qui vient de se
réaliser ces jours-ci, nous l'avons signalé déjà, à l'occasion du
Congrès démocratique tenu à Rome sous la présidence du député
Bovio. Une cinquantaine d'autres députés y ont donné leur
adhésion, rivalisant ainsi avec les groupes les plus avancés du
mouvement radical. Si le gouvernement s'en est alarmé, ce n'est
pas sans doute à cause des tendances du Congrès, qui sont après
tout les siennes propres, mais parce qu'il y a vu un vrai noyau
de forces destinées tôt ou tard à le supplanter. Aussi a-t-il
essayé d'abord d'assujettir à une surveillance directe les agisse-
ments du Congrès, en envoyant sur place de nombreujc agents
de police. Alors les congressistes, sans se déconcerter le moins
du monde, ont protesté contre cette surveillance et, abandon-
nant le théâtre Costanzi qu'ils avaient choisi en premier lieu
pour leurs réunions, ils en ont transféré le siège dans une mai-
son privée. Là, ils ont pu déblatérer à l'aise contrôla « tyrannie»
du régime actuel.
Leur programme cependant, destiné à leur servir de plate-
forme aux futures élections, a été élaboré avec une certaine
tactique par les gros bonnets du parti, lea Bovio, les Cavaletti,
les Imbriani, les Ferrari, les Maffi, etc., afin de ne pas trop
effrayer les masses et de mieux les attirer vers l'évolution radi-
cale à laquelle le régime Crispi a suffisamment frayé la voie.
Voici les principaux points de ce programme :
Liberté de réunion et d'association, sans contrôle de lois spéciales
sur l'exercice de ce droit.
Liberté de presse sans entraves; tous les délits- de presse déférés
au jury; abolition du séquestre préventif.
Modification à la loi de sûreté publique, dont il faut éliminer les
parties illibérales concernant Vammonizione.
Modification à la loi communale pour étendre les autonomies
LE RADICALISME EN ITALIE 517
locales et limiter Fingérence du gouvernement ; extension à toutes
les communes du droit d'élire le syndic.
— Pour rendre plus efficace l'œuvre de la représentation natio-
nale, il faut réclamer :
La responsabilité efiective des ministres et des fonctionnaires
d'Etat;
L'interdiction aux ministres de voter lorsqu'il s'agit J'uuc question
de confiance ou des droits du Parlement;
Défense de cumuler plusieurs portefeuilles dans les mains d'un
seul ministre.
— Pour améliorer l'administration de la justice, il faut garantir l'in-
dépendance de la magistrature qui doit être choisie avec le concours
des magistrats et des avocats, l'Italie n'étant pas encore mûre pour
confier à l'élection populaire la nomination des juges. Fonctionne-
ment du jury pour toutes les causes politiques. Augmentation des
honoraires des magistrats, en supprimant beaucoup de Cours d'appel
et en mettant au repos les vieux magistrats. Acheminement à la pro-
cédure orale dans les causes civiles et séparation de la question de
fait de celle de droit. Indemnité aux individus incarcérés et reconnus
innocents. Défense gratuite pour les pauvres. Abréviation de la pro-
cédure.
— Quant à l'instruction, il faut que l'instruction primaire obliga-
toire soit confiée à l'Etat et que les honoraires des maîtres d'écoles
élémentaires soient augmentés, en fixant de ce chef un minimum de
800 francs par an. i'^cole populaire au lieu de l'école technique, en-
seignement protessionnel ; gymnastique et exercices militaires ; abo-
lition des taxes scolaires et do la spéculation sur les livres de texte ;
réforme des programmes ; réforme de la Caisse de pensions pour les
maîtres d'écoles.
Autonomie des Universités érigées en corps moraux.
Ceci quant aux réformes intérieures.
— Pour ce qui est de la politique étrangère, le programme à suivre
consisterait à ne pas renouveler la triple alliance, à entretenir de
bons rapports avec l'Allemagne et avec l'Angleterre, â rétablir le
traité de commerce avec la France, enfin â ne pas préjuger pour le
moment la question irrédentiste, tout en favorisant le sentiment na-
tional par l'abandon de l'alliance avec l'Autriche.
— Relativement à la question économique :
Vu l'attitude générale des Etats européens et considérant l'ache-
minement graduel et pacifique au système de la nation armée, le
Congrès demande que l'on réduise à deux ans la limite de l'engage-
ment pour l'infanterie, à trois ans pour la cavalerie, à quatre ans
pour les carabiniers. 11 demande aussi que l'on donne tout le déve-
loppement possible aux tirs à la cible, à l'instruction militaire dans
les collèges et que l'on adopte le recrutement régional.
518 ANNALES CATHOLIQUES
Une fois les propositioas du Congrès adoptées, on en viendrait
aussitôt à congédier 82,000 hommes, et l'on réaliserait ainsi 45 rail-
lions d'économies.
Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce programme, c'est
que, sauf l'école laïque, la question ecclésiastique y est laissée
de côté. Ce n'est pourtant pas le président du Congrès^ M, Bovio,
qui aurait le scrupule de l'aborder, lui qui, dans son fameux
discours sur Giordano Bruno, avait prêché « la religion nou-
velle de la libre-pensée ». Mais on a dû se dire qu'il ne valait
pas la peine, après tout ce que M. Crispi avait déjà fait sur ce
terrain, d'alarmer davantage les populations. Aussi bien, cette
attitude des radicaux ne s'inspire pas seulement d'une tactique
assez rusée, mais elle reflète parfaitement l'état d'esprit d'un
grand nombre d'Italiens désabusés et fatigués de l'anticlérica-
lisme, surtout depuis les derniers scandales révélés à la charge
de la Franc-Maçonnerie.
NOTRE-DAME DE L'EPINE (I).
Le culte de Notre-Dame de l'Epine est entré dans l'histoire
de notre diocèse l'an 1400: il y figure donc depuis environ
500 ans.
La première moitié du xv^ siècle est la date la plus sinistre de
la France, qui ne fut jamais accablée de malheurs aussi graves
et aussi prolongés.
Pendant que la chrétienté subissait cette confusion jusque-là
sans exemple qui, sous le nom de grand schisme d'Occident,
donnait à l'Eglise deux têtes et semblait démentir la promesse
d'unité faite à l'Eglise par son divin Fondateur, chez nous le roi
Charles YI était fou ; la lutte criminelle des Armagnacs et des
Bourguignons déchirait la patrie, dont les portes étaient ouvertes
aux armées anglaises par le duc de Bourgogne ; nos drapeaux
succombaient sur le champ de bataille d'Azincourt ; enfin la cou-
ronne de France était déshonorée par la reine Isabeau, qui avait
osé la placer sur une tête anglaise, en vertu de l'infâme traité
de Troyes.
Parmi ces malheurs, communs à tout le pays, ceux de la
(1) Extrait de la lettre de îlgr Sourrieu à l'occasion du couronne-
ment de Notre-Dame de l'Epine que nous avons annoncé il y a huit
jours.
NOTRK-DAME DE l'ÉPINE 519
Champagne avaient encore moins de trêve. Partout les combats,
l'incendie, la famine ; ses terres étaient en friche, les victimes
oubliées par la guerre et par la famine étaient dévorées par les
épidémies : « Nul temps de cicatriser les blessures, sans cesse
élargies par des blessures nouvelles (1) »
C'est parmi tant de calamités que Dieu visita son peuple pour
lui faire entrevoir de loin la délivrance. Le 24 mars de l'an
1400, veille de l'Annonciation, vers le déclin du jour, des ber-
gers qui gardaient leurs troupeaux sur le penchant d'une colline
située à deux lieues de Châlons (2) aperçurent une lumière
éclatante prés d'un oratoire rustique dédié à saint Jean-Baptiste,
Ils s'approchèrent; ils virent un buisson lumineux dont les
branches, les feuilles et les épines étaient enflammées sans se
consumer, et au centre des flammes une statue de la sainte
Vierge. L'illusion était impossible, car le prodige dura toute la
nuit et tout le jour suivant.
La renommée en répandit promptement la nouvelle; on
accourut de tous les alentours. Charles de Poitiers, alors évêque
de Châlons, vint à la tète de son chapitre et de son clergé; il vit
Je buisson en flammes. Si les malheurs du peuple français éga-
laient ceux du peuple hébreu asservi par Pharaon, c'était aussi
de point en point le même prodige que Moïse avait contemplé
au pied du mont Horeb (.3). Il avait un caractère plus attendris-
sant, puisque parmi les flammes brillait l'image de la Mère du
Rédempteur. L'évêque de Châlons la prit dans ses mains avec
les témoignages de la foi la plus ardente et la déposa dans l'ora-
toire de Saint-Jean (4). C'est la statue pour laquelle nous avons
obtenu les honneurs du couronnement.
L'admiration des peuples s'exprima bientôt par la construction
d'une église magnifique, bâtie sur l'emplacement du prodige et
destinée à recevoir la statue miraculeuse (5). En vingt-quatre
ans, elle était achevée dans ses parties principales (6).
(1) De vulnere in vulnus. Saint Augustin.
(2) Entre Courtisols et Melette.
(3) Appariiit ei Dominus in flammd ignis de medîo rubi, et videbat
quod rubus arderet, et non combureretur. Dixit ergo Moïses : Vadam
et videbo visionem hanc magnam quare non comburatur rubus.
Exod. m, 2, 3.
(4) Unde hoc mihi ut veniat Mater Domini niei ad me ? Luc, !, 43.
(5) Un inventaire de 1660 la désigne six fois sous ce nom.
(Q) Elle ne reçut la dernière main qu'un siècle plus tard, en 1524.
520 ANNALES CATHOLIQUES
La jeune église de l'Epine n'appartenait pas à l'architecturo
byzantine, qui imite le dôme du firmament, comme Sainte-So-
phie de Constantinople et Saint-Marc de Venise. Elle n'appar-
tenait pas davantage à l'architecture romane, formée du plein
cintre, préféré par les anciens Romains et qui rappelle les catr.-
combes par sa lumière rare comme par son austérité. Elle
appartenait à l'architecture ogivale, inspirée par les forêts drui-
diques, temples sublimes dont les arbres séculaires constituent
les nefs et les colonnes et dont les branches maîtresses montent,
s'infléchissent en nervures ogivales pour former des voûtes de
•ce nom.
En voyant l'église de l'Epine, la plupart des fidèles ravis
purent croire que leur prière avait pris un corps ailé pour
s'élever vers le ciel. Sa voûte, pareille à une carène de navire,
dut les faire songer davantage aux espérances immortelles du
chrétien. La grandeur de Dieu, le devoir de l'adorer et celui de
lui obéir durent les pénétrer plus vivement à la vue de l'autel
cil la présence de l'Eucharistie est annoncée par un surcroît de
majesté dans les lignes et de richesse dans la décoration. Çà et
là quelques belles verrières ofl'raient aux regards émerveillés
plusieurs pages de la théologie et de l'histoire sous la forme in-
telligible de la peinture et des arts variés, ce que saint Jean
Damascène appelle la Bihle du peuple (1). Les campagnes, qui
ignorent les arts plus que les villes, furent si charmées par la
beauté de cette oeuvre et par la rapidité de son exécution, qu'on
en vit sortir cette charmante légende, à savoir que les travaux
n'avaient jamais été interrompus ni jour ni nuit, et que, le soir
venu, quand les ouvriers avaient quitté les chantiers pour aller
dormir, les anges avaient pris leur place et travaillé jusqu'au
lever du jour.
Telle est l'église oii fut déposée la statue miraculeuse de la
sainte Vierge, et c'est là qu'elle reçut les hommages de toules
les générations, jusqu'à la révolution française, Si, dans les
troubles de cette époque, les sectaires détruisirent o.k et là,
dans une heure, ce qui avait coûté des siècles de génie, il est
juste de dire qu'à l'Epine le peuple protégea la basilique. La
vénérable statue fut mise en lieu sûr, le 6 décembre 1793, par
M. Bertin, curé de la paroisse. Sept ans après, lui-même la
(1) Quelque temps après la construction de l'église, une grande
verrière représentait la découverte de la statue parjni les flammes du
buisson.
NOTRE-DAME DE l'ÉPINE 521
- tirait de sa retraite et la replaçait sur les autels (1). Sa réappa-
rition, antérieure au Concordat, put sembler le présage de ce
traité réparateur.
J'ai dit comment Notre-Dame de l'Epine était entrée dans
l'histoire de notre diocèse. Pour faire comprendre la place
qu'elle j a occupée, à partir de son inauguration, il faut mon-
trer le courant de confiance qui a toujours conduit à ses pieds
les peuples, les souverains et le clergé.
Qu'il y ait eu ici un courant populaire, les pierres de l'église
suffisent pour le prouver. Seules, les masses chrétiennes pou-
vaient soulever, loin des villes, cette montagne de blocs im-
posants.
Le concours des multitudes est encore prouvé parles miracles
opérés à l'Epine. Telle la résurrection d'un enfant mort-né et
rendu à la vie le 15 août 1641 (2). Telle la guérison d'une para-
lytique le 9 mai 1642 (3j. Telle la guérison d'un aveugle de
Mairy-sur-Marne, qui recouvra la vue aux pieds de Notre-
Dame de l'Epine, le 15 août 1661. Telle la résurrection d'un
enfant de Vanault-le-Châtel, mort avant le baptême, porté à
TEpine en septembre 1788, ressuscité et baptisé aussitôt.
Notre siècle a eu sa part dans les miracles de l'Epine; je
cite seulement deux traits. En 1852, un jeune homme affligé
d'une lèpre que la science avait combattue vainement partit de
Verdun, vint implorer sa guérison et fut soudainement délivré
de son horrible mal. Seize ans après, il attestait qu'il n'en avait
ressenti jamais plus les atteintes. Le 12 mai 1873, une autre
guérison (4) reconnue surnaturelle nous avertit que la Provi-
dence voulait continuer l'exercice de ses miséricordes dans ce
lieu béni.
Nous ne saurions juger ni de l'affluence des pèlerins, ni de
l'abondance des grâces par les archives de l'église; les hugue-
nots et plus tard les malfaiteurs de 93 les ont saccagées. Mais
les documents disparus ont un équivalent dans la mémoire
générale de notre province.
De toutes les formes survivantes de ce culte, la plus tou-
(1) Eu 1800.
(2) Cet enfant avait été apporté de Cernon-sur-Coole.
(3) Elle avait été portée de Saint-Julien de Courtisols, et elle laissa
ses béquilles à l'église en ex-voto de guérison.
(4) Celle d'une jeune fille de Somme-Suippe reconnue surnaturelle
par un acte authentique de son médecin.
38
522 ANNALES CATHOLIQUES
chante est la présentation des petits enfants aux fêtes princi-
pales de Marie. En les voyant vêtus de blanc, pressés en foule
autour de la sainte image, le chrétien s'attendrit. Il se trouble
aussi, car il songe à tant d'autres, plus nombreux, hélas! qui
grandissent sans recevoir de leurs mères ni l'amour, ni la
connaissance de Dieu. A treize ans, ils l'oublient; à quatorze
ans, ils foulent aux pieds sa loi; à quinze ans, ils rougissent de
lui ; à seizeanSj ils sont impies... !
Mais jetons le voile sur ces douleurs...
Après les peuples, sont venus ici les princes et les souve-
rains de la France.
Voilà la trace de Charles YI, qui favorisa la construction de
l'église et la liberté des offrandes; la trace de Cbarles Yll,
parti d'Orléans pour aMer à Reims, il retourna à l'Epine sept
ans après; la trace de Marguerite d'Ecosse, dauphine, qui fit à
pied le pèlerinage de Châlons à l'Epine; la trace de Louis XI,
qui vint accomplir le vœu fait dans les prisons de Péroane '1) ;
la trace de la duchesse d'Orléans, princesse palatine, au
XVII* siècle; de la reine Marie Leczinska au xviii*; de Napo-
léon P'' en 1812; de Charles X en 1828; la trace de Louis-Phi-
lippe, avec le brillant cortège de ses enfants, en 1831. La pensée
de la patrie a été toujours étroitement unie à cette église. L'âme
de la France palpite sous ses voûtes : le chrétien agenouillé
aux pieds de la Vierge Marie voit passer devant lui les sou-
venirs de notre histoire^ il ne se relève pas sans avoir redit ces
vieux mots : La fille aînée de l'Eglise est aussi la nation de
Marie, regnum Galliœ,regnum Mariœ (2).
En parlant des pèlerins princiers, nous suffit-il d'avoir
nommé Charles VII (3) en taisant le nom de Jeanne d'Arc?
(1) On sait que Louis XI, voulant lier Dieu à ses propres intérêts,
lui appliquait le procédé si puissant envers les hommes, qu'il ache-
tait au poids de l'or. Il donna 200 écus d'or à l'église de l'Epine.
C'était en 147L Un an après, en 1472, il publia un édit ordonnant le
son des cloches au commencement, au milieu et à la fin de chaque
jour, et de là vient la coutume si populaire et si riante de V Angélus.
(2) Vieille maxime de la France.
(3) La halte de Charles VII et de Jeanne d'Arc à Châlons, entre
Orléans et Reims, fut de trois jours : 13, 14 et 15 juillet 1429. Selon
quelques auteurs du xviii« siècle, le pèlerinage de Charles VII à
l'Epine eut lieu le 14. Il trouva l'administration de l'église aux abois,
parce que l'architecte, un Anglais, avait fui, emportant la caisse des
travaux. Charles VII couvrit la faillite et au-delà.
NOTRE-DAME DE l'ÉPINE 523
Non, vous voulez que l'histoire recherche les pas de la jeune et
céleste libératrice au moment oii elle touche le sol de Châlons !
L'Epine!... C'était pour elle un souvenir d'enfance, et de
quelle fraîcheur ! A cet âge, elle avait résidé plusieurs fois à
Sermaize (1); elle y avait coulé des jours de paix naïve et
enjouée. C'était le temps oii le miracle du buisson avait atteint
la plus grande publicité; les chrétiens s'en entretenaient au
loin avec enthousiasme; les âmes étaient alors si sonores!
Jeanne était presque au même âge que la jeune église; dans ses
élans de foi enfantine, n'avait-elle pas désiré la voir ? L'attrait
était naturel.
Aujourd'hui, elle était à Châlons, à deux pas du lieu dont le
prodige avait exalté son cœur d'enfant ; et dans quelles conjonc-
tures en retrouvait-elle le souvenir ! Elle venait de faire lever
le siège d'Orléans, elle allait présenter le roi au sacre de
Reims... Quel sort pour une fille de village !... N'était-ce pas
un de ces cas oii son cœur, trop frêle pour porter le poids de
tant de gloire, se trouble et se jette plus éperdument dans le
sein de la Providence? Si, à ce moment, elle découvre prés
d'elle un asile propre à son émotion, elle s'y précipite, elle y
pleure, elle y exhale sa reconnaissance, elle y implore un der-
nier soutien. Judith, Esther auraient fait cela. Jeanne l'a-t-elle
fait?... Répondez, N. T. C. F.
L'organisateur du pèlerinage royal dont nous venons de par-
ler fut sans doute Jean IV do Sarrebruck, alors évêque de
Châlons. Avant lui et après lui, ceux qui ont occupé notre
siège ont glorifié Notre-Dame de l'Epine. Fénelon et les princi-
paux hagiographes observent que la dévotion à Marie est le
signe qui distingue les évèques remarquables; cette régie se
justifie dans nos propres annales, je n'en citerai que deux
exemples.
Cosme-Clausse de Marchaumont fut, au xvi* siècle, le rempart
de la foi, de l'unité et de la foi, de l'unité et de la liberté catho-
liques, le conseil des gouvernements; il fut ligueur quand il le
fallut, soutien et ami d'Henri IV quaad ce fut l'intérêt de la
France; il fut le créateur des grandes écoles dont les édifices
sont encore debout (2), le père des peuples et des pauvres à
(1) Chez un frère de sa mère ; la famille de sa mère se nommait
de Vouthon. Sermaize n'est distant de l'Epine que de quelques lieues.
(2) Le collège des Jésuites et le couvent de la Congrégation
Notre-Dame du B. Fourier.
524 ANNALES CATHOLIQUES
qui il donna toute sa fortune, l'orgueil et l'amour du diocèse
qu'il gouverna pendant quarante-neuf ans. Or, ce tendre
évêque était tendrement dévot à Notre-Dame de l'Epine. C'est
à lui que remonte la confrérie connue de vous tous, qui com-
prend aujourd'hui plus de 7,000 membres, et c'est lui qui
obtint du pape Grégoire XV les faveurs dont elle est enrichie,
par la bulle du 8 mars 1621.
Mgr Monyer de Prilly, qui renoua la chaîne de nos évoques,
interrompue de 1790 à 1824, a laissé parmi vous une mémoire
impérissable par la puissance de sa foi et par la loyauté de son
caractère. La première pensée de son épiscopat fut d'aller se
jeter aux pieds de Notre-Dame de l'Epine pour lui consacrer sa
vie pastorale et en obtenir pour son clergé l'esprit apostolique,
pour son peuple la fidélité. Il fit de cette consécration sa coutume
annuelle, et il l'observa pendant trente-six ans, c'est-à-dire
jusqu'à la fin (1).
Abrégeons les traits.
Les hommages rendus à Notre-Dame de l'Epine ne pouvant
rester inaperçus du Saint-Siège, les papes attachèrent à son
culte des faveurs insignes, en particulier Calixte III, Pie II et
Grégoire XV. Léon XIII, après avoir approuvé antérieurement
son dernier office liturgique, n'a pu entendre sur nos lèvres
l'histoire de l'origine du culte et des bienfaits du pèlerinage
sans en être attendri. Et lorsque nous avons imploré le cou-
ronnement de notre bien-aimée patronne :
« Oui, nous a-t-il dit, Notre-Dame de l'Epine sera couronnée
en mou nom. Préparez-lui un diadème digne de la Mère de
Dieu, digne de votre peuple qu'elle protège, et digne de l'art
français. » Mgr Sourrieu.
LA SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
AU BRÉSIL.
LETTRE COLLECTIVE DE l'ÉPISCOPAT BRÉSILIEN
Le décret, en date du 7 janvier dernier, par lequel le gouver-
nement provisoire du Brésil a prononcé la séparation de l'Eglise
et de l'Etat, crée à l'Eglise catholique au Brésil, une situation
tonte nouvelle.
Bien que l'immense majorité des habitants du pays soit catho-
(1) Il faisait sua pèlerinage, le leaderaaiu de l'Assomption.
SÉPARATION DE l'ÉGLISE ET DE l'ÉTAT AU BRÉSIL 525
lique (11 millions et demi de catholiques contre tout au plus
500^000 non-catholiquesj, le Brésil a cessé d'être un Etat ca-
tholique. Toutes les confessions religieuses jouiront dorénavant
d'une liberté égale, le décret du 7 janvier garantit à toutes les
confessions la liberté la plus complète dans l'exercice privé ou
public de leur culte, reconnaît à toutes la personnalité juridique
et la possession de leurs biens actuels ; il maintient aux minis-
tres actuels du culte catholique les éiiioluments qu'ils recevaient
jusqu'à présent, mais laisse chaque Etat formant partie de la
République fédérée libre de pourvoira l'avenir à l'entretien des
mini.stres de ce culte ou d'un autre; le patronage, ce droit de
tutelle sur l'Eglise que le gouvernement impérial s'était arrogé
et dont il avait si souvent abusé, est aboli pour toujours.
On sait que le 19 mars, les évoques du Brésil ont adressé, au
sujet de ce décret, une lettre pastorale collective au clergé et
aux fidèles du pays. Cette lettre, qui nous avait été signalée par
le télégraphe, a été publiée au commencement du mois dernier
dans les journaux de Rio-de-Janeiro.
Le fait que c'est la première fois que l'épiscopat brésilien ait
cru devoir s'adresser collectivement aux fidèles indique à lui
seul suffisamment toute la gravité de la situation et toute l'im-
portance de cet acte solennel des vénérables évêques du Brésil.
On peut espérer avec confiance qu'ils n'auront pas appelé en
vain l'attention des fidèles sur les eiforts et les sacrifices auxquels
ils devront se préparer pour sauvegarder, dans la nouvelle si-
tuation qui leur est faite, les droits et les intérêts de l'Eglise.
La perte de l'unité religieuse, de l'union dans la vraie foi est
assurément pour le pajs un grand malheur. Mais on ne saurait
méconnaître, d'autre part, comme l'indiquent les évêques, que
la liberté dont l'Eglise sera redevable à ce même décret pour-
rait servir à compenser, dans une certaine mesure, cette perte
et à neutraliser, au moins en grande partie, ses eflets pernicieux.
Dégagée des entraves que lui créait à chaque pas la protec-
tion tracassière du gouvernement impérial et l'ingérence conti-
nuelle du pouvoir public, même dans des questions d'ordre pure-
ment religieux, l'Eglise catholique pourra prendre au Brésil un
nouvel essor, si tous les fidèles savent se rendre compte des
devoirs nouveaux que cette situation leur impose.
On se fera une juste idée de la lettre collective des évêques
du Brésil par l'analyse et les extraits suivants :
526 ANNALES CATHOLIQUES
La crise que traverse notre patrie, dit la lettre pastorale, dans cette
période si bouleversée de son histoire est, dignes coopérateurset fils
bien-aimés, très délicate et pleine de dangers et des plus grandes
conséquences pour l'avenir; crise pour la vie ou pour la mort : pour
la vie, si tout notre progrès social a pour fondement la religion, et
pour la mort, si c'est le contraire qui arrive.
« Nous venons d'assister à un événement qui a rempli le monde
d'étonnement; à une de ces catastrophes que Dieu envoie, quand il
lui plaît, comme un terrible enseignement pour les rois et pour les
peuples : un trône qui s'écroulo soudain dans l'abîme creusé par des
principes dissolvants germes dans soa sein.
Le trône a disparu. Et l'autel? L'autel est resté debout, 'soutenu par
la foi du peuple et la puissance de Dieu...
Si nous nous adressons à vous par le moyen d'une lettre collective,
si notre parole se revêt d'une solennité si extraordinaire, c'est parce
que nous voulons appeler avec plus de force votre attention sur
l'état actuel de notre pays par rapport à la religion, situation telle
que jamais pareille ne s'est présentée aussi grave et aussi grosse de
menaces.
Lorsqu'un plus grand danger se montre imminent, les sentinelles
que Dieu a placées sur les murs de la maison d'Israël doivent élever
plus forte la voix et crier toutes à la fois : alerte !
C'est qu'en effet, comme le dit un illustre prélat, le combat engagé
à notre époque dans le monde est arrivé à ces deux termes, que
beaucoup d'hommes d'Etats, préoccupés par les questions secondaires
d'ordre économique ou politique, n'ont pas assez compris.
Il s'agit en effet de savoir si la société moderne, qui est née de
l'Evangile, restera chrétienne ou bien cessera de l'être, pour devenir
une société d'oii les noms de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ
seront bannis.
Que deviendras-tu, cher et malheureux peuple du Brésil, si, pour
comble de tous tes malheurs, on t'enlève ta foi et que tu restes sans
Dieu : sans Dieu dans la famille, sans Dieu à l'école, sans Dieu dans
le gouvernement et les administrations publiques, sans Dieu au der-
nier moment de la vie, à la mort et au tombeau ? Est-ce possible ?
Mais non ! un tel malheur ne t'arrivera pas, peuple catholique ; tu
écouteras la voix des pasteurs, qui ne désirent que ton salut.
Et, d'abord, que faut-il penser de cette séparation de l'Eglise et do
l'Etat qui malheureusement a été déjà décrétée chez nous par le
gouvernement provisoire le 7 janvier de cette année? Est-elle bonne
en elle-même, cette séparation? doit-elle être acceptée par nous
catholiques?
En deuxième lieu, que devons-nous penser de ce décret, en tant
qu'il accorde la liberté à tous les cultes ?
Troisièmement enfin, que devons-nous, nous les catholiques au
SEPARATION DE L. EGLISE ET DE L ETAT AU BRESIL o2 /
Brésil, faire dans cette nouvelle situation qui est faite à notre Eglise ?
Après avoir exposé ensuite avec une grande ampleur la doc-
trine de l'Eglise en ce qui concerne la séparation de l'Eglise et
de l'Etat et la liberté des cultes, les évoques déclarent que, tout
en maintenant fermement ces principes, ils ne méconnaissent
point que lorsqu'il s'agit de leur application pratique, il peut
être nécessaire de tenir compte des circonstances des temps et
des lieux, que ce qui serait naturel dans un ordre social parfait
peut être difficile à réaliser dans une société plus ou moins dé-
sorganisée et troublée.
Sans rien abandonner des droits de l'Eglise et sans abandon-
ner non plus Tespoir que le pajs, lorsqu'il jettera les bases de
sa constitution définitive, fera à l'Eglise la situation qui lui re-
vient, les catholiques doiventaecepter le modus vivendi qui leur
est imposé par la force des circonstances. Dans cette période
troublée et incertaine qu'ils ont à traverser actuellement, ils
devront : 1° se rendre un compte exact de l'importance de la
liberté de l'Eglise en elle-même et de celle qui lui est reconnue
par le décret du 7 janvier; 2° forts de cette liberté, qui est leur
droit sacré et dont ils ne sauraient être dépouillés, faire tout
ce qui est en leur pouvoir pour la rendre efi'ective ; 3° remplir
avec énergie et avec plus de dévouement que jamais leurs de-
voirs de chrétiens dans la nouvelle ère qui s'ouvre pour l'Eglise
catholique au Brésil.
Un coup d'œil sur la situation qui avait été faite à l'Eglise,
sous l'Empire, par les prétentions régalistes du gouvernement,
par une protection qui menaçait de l'étoufi'er et qui dégénérait
trop souvent en actes de véritable persécution, et une analyse
des six articles du décret du gouvernement provisoire permet-
tent aux évoques d'établir que malgré quelques clauses qui
pourraient trop facilement donner lieu à des restrictions
odieuses, ce décret garantit à l'Eglise une somme de liberté
plus grande que celle dont elle a jamais joui sous la Monarchie.
Tous les efforts des catholiques devront donc avoir pour but
en ce moment d'assurer à l'Eglise la jouissance complète et
réelle de cette liberté, et de la mettre à l'abri des attaques du
radicalisme exalté, du fanatisme impie de quelques sectaires
qui voudraient entraîner le Brésil dans la voie de la Révolution
française. L'exemple que le Brésil devra imiter lui est donné
par les deux Républiques les plus florissantes de TAméTique du
528 ANNALES CATHOLIQUES
Sud : la République Argentine et celle du Chili, qui sont restées
franchement catholiques, et par les Etats-Unis de l'Amérique
du Nord, oii la séparation de l'Eglise et de l'Etat s'est imposée
comme une nécessité politique, mais oii non seulement la reli-
gion et l'Eglise ne sont pas persécutées, mais oii au contraire
la propagande de l'athéisme est interdite, oii le christianisme
intervient dans tous les actes solennels de la vie nationale, oii
l'Eglise catholiqup, respectée et honorée, jouit d'une liberté
réelle et complète.
Le mandement se termine par un éloquent appel invitant le
clergé et les fidèles à faire avec plus de dévouement, plus de
générosité, plus d'ardeur que jamais tout leur devoir pour que
leurs efforts aient pour résultat le développement fécond de
l'esprit chrétien, qui, loin de constituer un péril pour l'Etat ou
de menacer les institutions libres que le pays vient de se donner,
en sera le rempart le plus puissant, le fondement le plus solide;
à travailler dans une parfaite concorde en Jésus-Christ à la ré-
forme des mœurs privées et publiques, au progrès de la véritable
civilisation, qui a sa base et son point de départ dans l'Evangile.
Unissons, disent les évêques, nos vues et nos efforts pour la réali-
tion de cette entreprise si grande. Des conflits, il n'en peut point
venir de la part de l'Eglise.
Il suffit que l'Etat reste dans sa sphère et n'entreprenne rien contre
elle. Dans cette supposition, il est non seulement impossible qu'il y
ait des conflits, mais, au contraire, l'action de l'Eglise sera on ne
peut plus salutaire pour l'Etat; les fils de l'Eglise seront les meilleurs
citoyens, les plus dévoués au bien public, les plus disposés à verser
leur sang pour la défense de la liberté de la patrie.
Qu'on n'introduise donc dans la charte constitutionnelle de la Ré-
publique du Brésil aucun mot qui puisse offenser la liberté de con-
science du pays, qui appartient dans sa presque totalité à l'Eglise
catholique, apostolique, romaine. Que les hauts pouvoirs de la Ré-
publique ne nous enlèvent pas le droit que nous avons et qu'ils nous
ont déjà reconnu eux-mêmes d'être absolument libres de croire nos
dogmes et de pratiquer la discipline de notre religion sans aucune
intervention du pouvoir civil. Que la République ne crée pas
d'entraves à nos professions religieuses et aux vocations sacerdotales ;
qu'elle ne contraigne pas les prêtres catholiques au service des armes,
violant leur conscience et les lois de l'Eglise, qui leur interdisent ce
service comme incompatible avec les fonctions sacrées et pacifiques
de leur ministère ; qu'elle ne nous prive pas de la possession et de
l'administration de nos biens; qu'elle n'étabhsse pas dos écoles sans
Dieu.
LUTTE RELIGIEUSE EN SUISSE 529
C'est ce que nous espérons, afia qu'où puisse éviter le fléau funeste
des dissensions religieuses et la division profonde des esprits dans
ces graves circonstances, dans lesquelles nous devons au contraire
réunir tous nos efforts et travailler d'un commun accord â la recons-
truction de notre patrie, à la grande œuvre de son avenir.
UN EPISODE DE LA LUTTE RELIGIEUSE EN SUISSE
Il se déroule en ce moment dans la paroisse de la Chaux-de-Fonds,
un épisode bien de nature à moatrer le caractère de la lutte reli-
gieuse en Suisse. Nous en empruntons le récit à la Liberté de Fri-
bourg, qui publie la lettre suivante :
Les catholiques romains, qui, depuis quinze ans, c'est-à-dire
depuis l'introduction du scliisine dans la paroisse s'étaient
abstenus de prendre une part quelconque aux élections et vota-
tions paroissiales, jugèrent, ce printemps, que le moment était
venu de culbuter le schisme et de rentrer en possession des
biens, fonds et immeubles dont on les a injustement dépouillés
au bénéfice de l'apostasie.
En date du 19 avril, ils adressaient une lettre à M, le préfet
de la Chaux-de-Fonds, par laquelle ils annonçaient à celui-ci
qu'ils allaient prendre part aux élections paroissiales du mois
de mai; ils lui demandaient en conséquence de nommer quatre
membres de leurs amis sur neuf pour le bureau électoral et
le bureau de dépouillement.
M. le préfet transmit immédiatement cette lettre à M. Bauer,
président du comité vieux-catholique. Ce dernier, sentant la
poudre, eut alors recours à un de ces trucs inavouables qui suf-
fisent à déshonorer un parti tout entier.
La paroisse vieille-catholique avait décrété en assemblée
générale, il y a de cela une quinzaine d'années, qu'elle se réser-
vait le droit de nommer son curé. Mais ce qu'une assemblée
générale avait fait, une assemblée générale pouvait le défaire.
Les catholiques-romains se présentant au scrutin pour nommer
un prêtre de leur choix l'emportaient haut la main et c'en était
fait du schisme. Que faire et à quels moyens recourir pour
empêcher ce malheur ou cette réparation d'une iniquité qui n'a
dura q'ie trop longtemps? Le moyen fut vite trouvé. Il suffisait,
dans uue assemblée générale préliminaire, de faire décréter que
les paroissiens renonçaient à leur droit d'élire eux-mêmes leur
curé et remettaient ce soin-là au conseil d'Etat. Celui-ci ua
530 ANNALES CATHOLIQUES
peut choisir qu'un des trois candidats présentés par l'évêque du
diocèse. Or, comme la paroisse catholique officielle de la Chaux-
de-Fonds est rattacliée à l'évêché national suisse, lisez vieux-
catholique, le conseil d'Etat ne pouvait choisir qu'un des trois
candidats d'Herzog. Rais était nommé, et le tour était joué.
Pour avoir une assemblée générale docile, il fallait la convo-
quer à la dernière heure. Les catholiques-romains seraient pris
à l'improviste, n'auraient pas le temps de se reconnaître et, se
voyant battus d'avance, renonceraient à la lutte. La résignation
n'est-elle pas le huitième de leurs péchés capitaux? La convo-
cation de l'assemblée générale au 4 mai paraissait donc pour la
première fois dans les feuilles locales du 3 mai, portant à son
ordre du jour : Proposition du Comité concernant l'élection
d'un curé.
M. Conus, curé, ne fut averti de ce qui se passait que le
samedi matin, à neuf heures. Il comprit immédiatement le piège
qui était tendu aux catholiques-romains. A neuf heures et
demie, la Commission électorale était réunie. Elle décidait de
protester immédiatement contre la convocation tardive de cette
assemblée, auprès du préfet de la Chaux-de-Fonds. A deux
heures, une délégation se rendait à Neuchàtel pour demander au
directeur des Cultes de bien vouloir intervenir au cas particu-
lier et renvoyer à huit jours plus tard l'asserabiée en question.
M. Clerc se retrancha derrière la loi, refusa d'intervenir et dit
aux délégués catholiques-romains qu'ils n'avaient qu'à se pré-
senter en masse et s'ils obtenaient la majorité, la question était
tranchée en leur faveur. L'insuccès de cette démarche était
téléphoné à la Chaux-de-Fonds et, à quatre heures et demie du
soir, nos amis se mettaient en campagne. Le lendemain matin,
ils se présentaient au bureau électoral et^ à onze heures, ils
entraient en assemblée générale. Un coup d'œil jeté sur ces
600 hommes qui se pressaient dans l'enceinte de la chapelle
suffit àM. Bauer, le grand pontife de la secte, pour lui faire
comprendre que tout était perdu s'il n'avait pas recours à une
nouvelle ruse inqualifiable. L'assemblée est ouverte. On nous
lit deux lettres du Conseil d'Etat sans nous lire les lettres du
Comité qui avaient provoqué ces réponses. Puis, Bauer déclare
solennellement, sans autres explications, qu'on va se prononcer
par oui et par non sur la proposition du Comité. Il ajoute qu'il
s'oppose à tout discours parce qu'il ne veut pas de propagande.
Il y a de l'électricité dans l'air.
LUTTE RELIGIEUSE EN SUIbSE 531
• Un membre de l'assemblée se lève et déclare que tons les
catholiques-romains voteront non. Un autre membre demande
des explications, M. Bauer, un malin, lui répondit à deux
reprises différentes : «Je vous dis qu'un oui signifie un oui et
qu'un non signifie un non. Cela doit suffire pour des hommes
intelligents. »M. Conus, curé catholique-romain, comprend que
les vieux-catholiques essayent de pêcher en eau trouble. Il se
lève, demande la parole, M. Bauer lui crie : « Je ferai observer
au curé ultramontain qu'il n'est pas ici pour faire un sermon. »
Et le curé ultramontain ne fit pas de sermon, mais d'une voix
éclatante, indignée^ sans entendre les vociférations de ceux
qui criaient: « A la porte, le Jésuite, à la porte l'ultramontain ! »
il s'écria : « On vous dit que oui signifie oui et que non signifie
non, et moi je vous dis que cela ne signifie rien du tout. Le
comité vous propose de renoncer à votre droit de nommer votre
curé pour laisser ce droit au Conseil d'Etat. Or, le curé de
Chaux-de-Fonds n'est pas le curé du Conseil d'Etat, mais le
curé des catholiques de la paroisse. Par conséquent, c'est aux
paroissiens à le nommer et non au Conseil d'Etat. C'est pourquoi
tous les catholiques honnêtes voteront non. »
Ces quelques paroles avaient fixé les électeurs et porté un
dernier coup à la proposition du comité. Elle fut rejetée par
383 voix contre 191. Le résultat fut proclamé en présence d'une
centaine d'électeurs, tous catholiques-romains — les autres
avaient décampé pour ne pas subir la honte de la défaite, — eh
bien, pas un bravo ne se fit entendre. Les catholiques-romains
savent triompher avec une dignité que ne connaissent pas leurs
adversaires.
Le curé de la paroisse devait donc être soumis à la réélection
dans le courant de mai. Les catholiques-romains se préparaient
déjà à livrer un dernier assaut à cette farce sinistre qui a nom
de vieux-catholicisme. Les 17 et 18 avaient été fixés pour les
élections. Nos amis prenaient vendredi après-midi leurs der-
nières dispositions pour la bataille, lorsqu'à trois heures de
l'après-midi, la préfecture faisait savoir à l'un des nôtres que le
Conseil d'Etat venait de rendre un arrêt interdisant aux catho-
liques-romains de prendre part à l'élection du curé de la pa-
roisse catholique-chrétienne.
Voici le texte de cet étrange arrêt :
Arrêté du 16 mai 1890 dit conseil d'Etat de la Rc2Jublique
et canton de Neuchàtel.
Vu une lettre du Comité de la paroisse catholique chrétienne de
532 ANNALES CATHOLIQUES
Chaux-de-Fonds, en date du 11 mai 1890, demandant si on pouvait
admettre les catholiques-romains aux élections du curé catholique-
chrétien, le conseil d'État,
Considérant qu'il résulte du rattachement de la paroisse catho-
lique-chrétienne de Chaux-deFonds à l'évêché national suisse, que
cotte paroisse est sortie de l'Église romaine pour constituer un nou-
veau culte absolument distinct du culte catholique-romain ;
Considérant qu'il n'est pas admissible que cet état de fait et de
droit, sanctionné par un décret do Grand Conseil, puisse être modi-
fié par le vote de citoyens appartenant à une autre Église que l'Église
catholique-chrétienne,
Arrête :
Art. 1<"'. Ne peuvent participer aux opérations du scrutin pour
l'élection du curé catholique-chrétien, les samedi et dimanche 17 et
18 mai, que les citoyens appartenant ù la paroisse catholique-chré ■
tienne.
Art. 2. Lo bureau électoral et le bureau de dépouillement seront
composés exclusivement de citoyens appartenant à la paroisse catho-
lique-chrétienne.
Ce fut un coup de foudre pour ces vaillants catholiques-
romains dont la victoire pouvait être considérée comme cer-
taine. Toutefois le premier moment de stupeur fut bien vite
passe. L'arrêté du conseil d'Etat était tellement illégal, arbi-
traire et monstrueux, qu'ils comprirent que de l'excès même du
mal, il en résulterait un bien.
Le soir même, vendredi, 500 électeurs frustrés de leurs droits
se pressaient en assemblée générale dans l'église catholique-
romaine, indignés, frémissants sous l'acte de violence que venait
d'exercer le conseil d'État. M. Conus, curé^ prend le premier la
parole. Il expose les faits, examine la loi, constate l'illégalité de
l'arrêté, et déclare à l'assemblée que les catholiques-romains
sauront revendiquer leurs droits et qu'ils épuiseront toutes les
instances jusqu'à ce qu'enfin justice leur soit rendue. A ses
côtés, nous voyons M. Vuichard, Rd curé de Grossier; M. Ver-
mot, Rd curé du Locle. M. Berset, Rd doyen de Neuchâtel,
arrive par le dernier train. M. Vuichard demande aux catho-
liques-romains la dignité et la persévérance dans ces circons-
tances difficiles. M. Vermot parle successivement en italien et
en allemand. M. le doyen fait ressortir les conséquences finan-
cières de cet arrêté. Ces discours sont interrompus par des bra-
vos frénétiques. Enfin l'assemblée se sépare plus enthousiaste
que jamais et acclame M. Conus^ curé, par un triple vivat spon-
tané.
LES FÊTES d'oBERAMMERGAU 533
- Les catholiques-romains sont bien résolus à revendiquer
leurs droits par tous les moyens en leur pouvoir. Jusqu'ici leur
conduite a été correcte et digne. L'injustice dont ils sont vic-
times a créé dans la population un courant qui leur est tout à
fait sympathique. Quand ils retourneront au scrutin, ce sera la
main dans la main avec un certain nombre de vieux-catho-
liques convertis, honteux eux-mêmes du rôle indigne qu'on leur
fait jouer.
Plusieurs catholiques-romains se sont présentés samedi et
dimanche au scrutin en se déclarant purement et simplement
catholiques. On leur a refusé leur carte électorale parce qu'ils
ne voulaient pas se dire catholiques-chrétiens.
Le Grand Conseil, qui se réunit demain, est saisi d'une pro-
testation des catholiques-romains. Nous avons bon espoir qu'il
sera fait droit à nos justes réclamations. Les élections d'hier et
d'aujourd'hui seront, selon toutes les probabilités, annulées
par cette autorité. J'apprends à l'instant le résultat des élec-
tions. Sur plus de 1,200 électeurs. Rais est nommé par 484 voix,
12 voix nulles.
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Le vieux-catholicisme a donné jusqu'à son dernier homme.
Et ce chiffre-là était bien dépassé par celui des catholiques-
romains s'ils avaient pu voter. C'est le triomphe dans la honte.
Aussi pas de tambour, pas de canon, pas de flambeau, pas de
cortège. Rien de rien. Que les temps sont changés !
Nous suivrons les péripéties de cette lutte intéressante à plus d'un
titre. Outre qu'elle nous fait connaître le bon exemple de nos coreli-
gionaaires suisses, elle nous édifie aussi — en était-il encore besoin?
— sur les procédés tyranniques du schisme aux abois. Les « libéraux »
sont partout les mêmes.
LES FETES D'OBERAMMERGAU
A Oberammergau, les représentations décennales de « la
Passion » viennent de commencer.
Pendant plusieurs jours les touristes ont envahi le joli village
du Tyrol bavarois, oii tous les dix ans est joué le mystère de la
Passion, A notre époque de globe-trotters, les spectateurs
étrangers viennent de tous les coins du monde, et Oberammer-
gau est^ tous les dix ans, un centre de cosmopolisme.
534 ANNALES CATHOLIQUES
Ces représentations pieuses sont-elles un reste de celles
qu'aimait le moyen-âge, une tradition fidèlement gardée par un
village d'hommes ingénus ?
Elles ne datent que de 1633. A cette époque, une eflroyable
épidémie de peste noire ravageait la vallée d'Ammer.
Les villageois s'assemblèrent dans les églises et, solennelle-
ment, tous agenouillés, prononcèrent ce vœu unanime que, si
la miséricorde divine détournait la contagion de leurs familles,
ils institueraient à perpétuité des solennités commémoratives.
tout à la fois de leur délivrance et de la Passion du Sauveur, et
légueraient l'exécution décennale de ces fêtes à leurs enfants
et aux enfants de leurs enfants jusqu'à la dernière génération.
Le vœu fut exaucé, le lléau s'éloigna de la vallée, et, depuis
cette époqne, à travers toutes les vicissitudes, les populations
d'Oberammergau sont restées immuablement fidèles à leur
promesse. Une fois seulement des événements imprévus causè-
rent un certain retard dans l'exécution du vœu. Ce fut eu 1870;
tous les hommes valides de la contrée furent appelés sous les
drapeaux allemands. Mais ce ne fut qu'un retard d'une année,
et la promesse solennelle fut de nouveau remplie en 1871.
L'année 1890 est l'expiration d'une autre décade.
Il y a quatre mille étrangers dans la contrée, la plupart
Anglais et Américains.
En prévision de leur venue on avait ,fait des préparatifs con-
sidérables. Le chemin de fer, maintenant, va jusqu'à Obereau,
d'où une magnifique route de montagne, d'une facile ascension,
vient d'être ouverte jusqu'à Oberammergau. Là, on vient
d'inaugurer plusieurs hôtels nouveaux, un bureau de poste, une
salle de bagages et de nombreux étalages.
Cette année, les représentations ont été préparées à grands
frais. Oii est le temps de la simplicité primitive de ces belles
fêtes? La mise en scène, les décors, les costumes, tout est neuf.
Le théâtre a été machiné par le machiniste en chef du théâtre
royal de Munich.
La lumière électrique a fourni ses ressources.
Qu'on se figure un théâtre bâti dans un superbe paysage, au
cœur d'une prairie énorme que bordent des rochers couverts de
sapins.
Le théâtre de forme rectangulaire, peut contenir six mille
spectateurs. Les sièges sont rangés en amphithéâtre jusqu'à une
grande galerie couverte, où sont les premières places, disposées
LES FÊTES d'oBERAMMERGAU 535
cette année, de façon à abriter les spectateurs contre le soleil et
contre la pluie. On y remarque la loge royale et trois rangées
de loges.
Les prix varient depuis 1 fr. 25 jusqu'à 20 francs.
Les représentations au nombre de vingt-cinq, se termineront
le 28 septembre ; en voici les dates :
Le 26 mai ;
Lesl", 8, 15, 16, 22, 23, 29 juin ;
Les 6, 13, 20,23, 27 juillet;
Les 3, 6, 13, 17, 20, 21, 31 août;
Et les 3, 7, 14, 21 et 28 septembre.
A huit heures du matin, un coup de canon annonco la repré-
sentation. L'écho des montagnes répercute formidablement ce
signal; mais, dès sept heures, les spectateurs sont arrivés.
Le rideau se déroule en deux parties par le haut et par le
bas. Et l'on aperçoit le magnifique décor.
La scène est divisée en trois compartiments : l'un représente
la place publique de Jérusalem; les deux autres, la maison
d'Anne et la maison de Pilate, ce qui sert à la représentation de
certaines parties simultanées de la pièce.
Sur la toile de fond apparaissent les rues de la ville sainte ;
au fronton est figuré le serpent d'airain, figure de Jésus en
croix. Devant la scène est le proscenium, où se tient le chœur.
Quant à l'orchestre, il est, comme à Bayrouth, invisible aux
jeux des spectateurs.
La première partie de la représentation est terminée à midi.
Pendant l'entr'acte, qui dure une heure, tout le monde déjeune.
Mais la plupart ont apporté leurs provisions, pour ne pas perdre
leur place.
A une heure, second coup de canon pour annoncer le com-
mencement de la deuxième partie, qui se déroule jusqu'à cinq
heures du soir.
Le mystère porte ce titre :
« La fête solennelle de la Rédemption des hommes célébrée
au Golgotha, ou l'histoire de la Passion et de la Mort de Notre-
Seigneur, d'après les quatre Evangélistes, accompagnée de
figures symboliques tirées de l'ancien Testament, et représentée
à Oberammergau pour l'instruction et l'édification du peuple
chrétien. »
Le drame est divisé en trois parties et dix-huit tableaux.
La première partie commence par l'entrée du Sauveur à
536 ANNALK» CATUOLIQUKS
Jérusalem, et finit par son arrestation au jardin des Oliviers,
en tout sept scènes en action avec leurs symboles muets.
La deuxième partie va de l'arrestation de Jésus jusqu'à sa
condamnation par Pilate, sept autres scènes accompagnées de
leurs symboles.
La troisième partie, enfin, comprend les scènes qui se dérou-
lent à partir de la condamnation jusqu'à la résurrection du
Seigneur, et se terminent par de solennels alléluia.
Le drame rappelle la procession de Béthune, si célèbre au
seizième siècle.
Le choeur joue un rôle actif, comparable à celui des trilogies
d'Eschyle, Sophocle et Euripide dans le théâtre hellénique, ou
au rôle de V argumentation du moyen âge.
Il explique les scènes muettes, il chante les mystères repré-
sentés.
La musique date du commencement de ce siècle; elle est
dans le style des anciens oratorios. Simple, très mélodieuse,
elle s'associe heureusement aux grandes scènes qu'elle accom-
pagne. Souvent elle atteint une sublime inspiration.
Les personnages sont au nombre de cent dix-neuf, dont quinze
femmes. Les principaux sont Jésus, la sainte Vierge, les apô-
tres, Annej Caïphe^ Ilérode, Pilate, etc., etc.
Le drame suit pas à pas le texte évangélique, comme on peut
en juger par l'admirable scène suivante, celle des adieux de
Notre-Seigneur à sa Mère (scène V, troisième tableau du mys-
tère) :
JÉSUS
Ma mère, l'heure est venue oii, pour obéir à mon Père, je
veux m'ollrir volontairement. Je suis prêt à accomplir le sacri-
fice que mon Père demande de moi.
MARIE •
Ilélas ! je prévois assez quel sera ce sacrifice.
MADELEINE
Oh ! nous désirions tant retenir le Maître parmi nous...
SIMON
Mais sa résolution est inébranlable.
JÉSUS
Mon heure est venue. Mon âme est profondément affligée;
mais, que dirai-je? Mon Père, délivrez-moi de cette heure!
Mais, n'est-ce point pour cette heure que je suis venu?
NÉCROLOGIE 537
MARIE
0 saint vieillard Siméon ! c'est maintenant que va s'accom-
plir ce que vous m'avez prédit : « Un glaive de douleur percera
votre âme », disiez-vous.
JÉSUS
Mère, la volonté du Père vous a toujours été sacrée !
MARIE
Elle me le sera toujours. Je suis la servante du Seigneur.
Mais, mon fils, il est une grâce que je voulais vous demander;
c'est d'aller avec vous à la mort. Mon fils, oii vous reverrai-je ?
JÉSUS
Mère ! là oii doit s'accomplir cette parole de l'Ecriture : « Il a
été conduit à la mort comme un agneau à la boucherie, et il n'a
pas ouvert la bouche pour se plaindre. »
Chaque scène évangélique est précédée d'une figure symbo-
lique de l'ancien Testament, mimée par les acteurs et expliquée
par le chœur.
Ainsi, Joseph vendu par ses frères figure la trahison de Judas ;
Isaac, portant sur ses épaules le bois du sacrifice, présage Jésus
portant la croix.
Les acteurs sont au nombre de 700. Ce sont les paysans, les
artisans, qui ont dix ans devant eux pour étudier leurs rôles.
Ceux qui les ont vus les admirent, et trouvent le jeu de ces
paysans pieux et ingénieux, supérieur de beaucoup à celui de
nos acteurs de théâtres.
La représentation a produit une impression profonde.
NECROLOGIE
Uue maladie cruelle clouait dans son lit, depuis plusieurs
mois, M. le vicomte de Gontaut-Biron, ancien ambassadeur de
France à Berlin, ancien sénateur, ancien membre de l'Assem-
blée nationale : il est mort à Paris, dans sa soixante-onzième
année.
Peu de diplomates, depuis vingt ans, ont exercé des fonctions
aussi difficiles, et il n'a guère été donné qu'à lui de rendre à la
France, sur ce terrain ingrat, des services signalés, inoubliables.
Par son nom, par sa clairvoyance, par son aménité, M. de Gon-
taut-Biron avait su se faire à Berlin une situation qui ne res-
39
538 ANNALBS CATHOLIQUES
semblait en rien à celle du représentant d'un pays vaincu; on
l'estimait, on l'aimait, on le tenait pour quelqu'un.
Aussi lorsque vinrent, en 1875, les heures périlleuses, quand
le parti militaire, appuyé plus ou moins directement par M. de
Bismarck, voulut empêcher la France de commencer la réorga-
nisation de son armée, M. de Gontaut-Biron sut manœuvrer
habilement et déjoua, avec l'appui du duc Decazes, le ministre
des affaires étrangères de ce temps-là, tous ces plans machiavé-
liques.
Est-il besoin de dire que le souvenir de cet éclatant service
ne sauva pas M. de Gontaut-Biron de la disgrâce, après le
16 mai, quand la totalité du pouvoir échut en partage aux ré-
publicains ? M. de Gontaut dut donner sa démission, et il vint
reprendre alors son siège de sénateur au Lu:sembourg. Mais en
1882, il ne fut pas réélu, et depuis cette époque, il avait cessé
d'appartenir à la politique militante.
Il ne s'en désintéressait pas cependant, et il aimait à s'y mê-
ler encore de temps à autre par ses articles de revue ou ses
brochures. Monarchiste convaincu, mais partisan invariable du
régime parlementaire, il avait combattu avec une extrême viva-
cité le général Boulanger. Puis, la maladie qui l'a emporté
ayant pris un caractère aigu, il s'était vu condamné à un repos
absolu.
M. de Gontaut-Biron était le chef d'une famille aussi nom-
breuse qu'honorable, famille très considérée et très influente
dans ce qu'on appelle le faubourg Saint-Germain. Il laisse par
là même beaucoup de regrets, qu'ils viennent de ses enfants ou
de ses amis. Tout ce qu'on peut souhaiter, c'est que nous ayons
beaucoup de diplomates comme lui, et, quand nous en aurons,
qu'on ne les enlève pas sans nécessité aux postes qu'ils rem-
plissent.
Le prince Nicolas Bibesco vient de mourir dans sa propriété
de Mogoshoï, près de Bucharest, après une courte maladie. Il
avait servi dans l'armée française en Afrique, au temps où le
maréchal Randon était gouverneur de l'Algérie. Il fut aussi offi-
cier d'ordonnance du général Trochu pendant le siège de Paris.
Un autre lien plus intime le rattachait à la France : so»
mariage avec la petite-fille du maréchal Ney, Mlle Hélène
d'Elchino-en.
NOUVELLES RELIGIEUSES 539
L'archevêque de Bamberg, Mgr Frédéric von Schreiber, vient
de. mourir à l'âge de soixante et onze ans, à la suite d'une longue
maladie. Né le 23 mai 1810, i] ftit ordonné prêtre le 8 juin 1843,
exerça le préceptorat cliez le prince Wallerstein, puis entra
dans le ministère paroissial. Il était archevêque de Bamberg
depuis 1875. Le Pape avait envoyé au défunt la bénédiction
apostolique. La mort de Mgr de Schreiber est considérée comme
une grande perte pour la Bavière.
L'archevêque de Gnesen-Posen, Mgr Dinder, est décédé
presque subitement. Il n'avait que soixante et un ans et n'occu-
pait son siège que depuis 1886. Successeur de Mgr Ledochowski,
il s'était, dès le début, trouvé aux prises avec des difficultés
exceptionnelles qui eurent vite fait de ruiner sa santé. Placé
comme entre le marteau et l'enclume, entre un gouvernement
décidé à germaniser et à protestantiser les provinces polonaises
et une population accablé par l'oppression, Mgr Dinder eût
voulu répondre autant que possible aux vœux de son troupeau
sans heurter de front les représentants du gouvernement. Animé
des meilleures intentions, il ne réussit que peu dans ses tenta-
tives conciliatrices^ d'autant plus qu'il avait aux yeux de ses
ouailles le tort de n'être pas de nationalité polonaise.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
Par suite de la création des nouveaux Princes de l'Eglise qui
aura lieu vers la fin de ce mois, le 'plénum du Sacré-Collège,
qui est de 70 cardinaux, sera presque atteint, puisqu'il n'y a
aujourd'hui que cinq chapeaux vacants. Deux des nouveaux
cardinaux, Mgr Mermillod et Mgr Galeati, se trouveront à Rome
pour recevoir le chapeau au prochain Consistoire; aux deux
autres : le nonce de Lisbonne, Mgr Yannutelli, et l'archevêque
de Cracovie, Mgr Dunajewski, les premiers insignes de la
dignité cardinalice, c'est-à-dire la calotte et la barrette rouges,
seront apportées comme d'habitude par des ablégats et des
gardes-nobles pontificaux qui partiront à cet eftet le jour même
du Consistoire,
Le nonco de Lisbonne Mgr Vannutelli restera à son poste,
même après son élévation au cardinalat, en prenant alors le titre
540 ANNALES CATHOLIQUES
de pro-nonce apostolique, comme cela s'est fait en d'auti'es cir-
constances analogues. Ce prolongement de séjour à Lisbonne de
Mgr Vannutelli est requis parles négociations particulièrement
importantes qui ont lieu entre le Saint-Siège et le Portugal
pour organiser définitivement la hiérarchie catholiqueauxlndes,
de manière à sauvegarder à la fois les légitimes intérêts de l'An-
gleterre et les traditions acquises au profit de la couronne
portugaise.
On considère comme on ne .peut mieux inspiré et opportun le
choix que le Souverain Pontife a fait de l'archevêque de Ravenne,
Mgr Galeati, pour l'élever aux honneurs de la pourpre. Ces
honneurs, en eflet, tout en rejaillissant sur le siège de Ravenne
qui est d'institution apostolique et qui compte une si longue suite
de pasteurs illustres, mettent aussi en relief les vertus insignes
de Mgr Galeati et la salutaire influence de son ministère pas-
toral, au moment même où la province de Ravenne et toute la
Romagne sentie théâtre d'une agitation sociale des plus graves.
L'énergie momentanée que le gouvernement a déployée pour
empêcher toute manifestation le 1" mai n'a fait que retarder
les émeutes survenues ces jours derniers en Romagne. A Con-
selice, grosse bourgade de 6,000 âmes, la troupe a fait feu sur
une foule composée surtout de femmes et de manouvriers qui
réclamaient l'augmentation de leur salaire actuel, vraiment
dérisoire, puisqu'il n'atteint guère qu'une moyenne de 75 cen-
times par jour, pour plus de dix heures de travail, au milieu
des terrains marécageux et infects des rizières. Les tristes ré-
sultats de l'émeute de Conselice ont été : 4 morts, dont
2 femmes, et 29 blessés, dont 17 paysans et 12 soldats; parmi ces
blessés, plusieurs le sont mortellement.
A Ravenue, on redoute des troubles du même genre. 400 fem-
mes se sont mises en grèves ; et, pour tout remède, le gouvei'-
nement se borne à envoyer des renforts de troupes et à nommer
une commission d'enquête qui mettra bien quelques mois à re-
chercher les causes de l'agitation. Hélas ! ces causes ne sont que
trop visibles dans l'affreuse misère des paysans de la Romagne
et dans la funeste politique qui aggrave cette misère, au lieu de
]a soulager. D'une part, on voit de pauvres travailleurs ne re-
cevant qu'une paye de 75 centimes et réduits, pour arracher
aux patrons vingt sous, à se mettre en révolution et à faire tuer
NOUVELLES RELIGIEUSES 541
des hommes. D'autre part, la politique du gouvernement a eu
pour résultat d'entraver le commerce, de décourager l'industrie,
d'exproprier en masse les paysans qui ne peuvent plus payer
les taxes, et en même temps de mettre des entraves à l'émi-
gration qui était comme la soupape de sûreté contre les excès
de la misère et du désespoir. Il y a quelques jours, M. Crispi,
avec l'arrogante présomption qu'on lui connaît, déclarait en
plein Parlement que la crise agraire et économique n'était
qu'une invention de la presse malveillante, et il en donnait
comme preuve la diminution de l'émigration pendant les trois
derniers mois. Mais c'est précisément la preuve du contraire,
car le gouvernement, après avoir élaboré une loi qui a pour but
d'apporter des entraves à l'émigration et d'arrêter l'exode des
paysans italiens, se trouve en présence des redoutables explo-
sions que produit cette même loi; et certes ce qui se passe dans
les Romagnes montre à tous que la situation économique du
du pays, non seulement n'est pas brillante, mais qu'elle va sans
cesse empirant.
France.
Cambrai. — Notre excellent confrère V Emancipateur, de
Cambrai, publie l'article suivant, dont nous n'avons pas besoin
de souligner l'intérêt :
Une décision fort importante, qui ne manquera pas de soulever la
colère des organes républicains et anticléricaux, vient d'être prise
par l'excellente municipalité d'Hazebrouck.
Le collège communal, qui, depuis 1881, était confié à un personnel
de l'enseignement officiel, sera réorganisé sous la direction de pro-
fesseurs ecclésiastiques. L'opinion publique et les familles obtien-
dront ainsi une satisfaction attendue et désirée depuis longtemps.
Depuis dix ans, le budget municipal de la ville d'Hazebrouck
accordait au collège communal une subvention annuelle de
15.000 francs. Malgré cet important subside, le nombre des élèves
internes qui fréquentaient cet établissement n'a cessé de décroître.
Actuellement il est réduit à sa plus simple expression, puisqu'on n'en
compte qu'un seul (rara avis). D'autre part, le nombre des élèves
externes a diminué d'année en année.
Le conseil municipal d'Hazebrouck était frappé du dépérissement
de cet établissement secondaire d'instruction autrefois très prospère
lorsqu'il était dirigé par un personnel ecclésiastique ; mais, lié par
l'engagement décennal souscrit en 1881, il était impuissant à modi-
fier ce fâcheux état de choses.
Il a donc fallu attendre l'expiration de la période décennale pour
542 ANNALES CATHOLIQUES
aboider les réformes réclamées par l'ensemble de la population.
L'Université de l'Etat avait offert à la ville d'Hazebrouck de renou-
veler l'engagement décennal, mais elle exigeait en retour de. nou-
veaux sacrifices : le renouvellement de tout le matériel et une rétri-
bution annuelle de 18.000 francs. La commission du budget du
conseil municipal a examiné et repoussé ces propositions et a décidé
à l'unanimité qu'il n'y avait pas lieu de contracter un nouvel enga-
gement avec l'Etat. Après avoir émis l'avis qu'il fallait néanmoins
maintenir et faire prospérer le collège communal, ladite commission
résolut à l'unanimité de faire appel au dévouement d'un personnel
ecclésiastique et invita la municipalité à faire les démarches néces-
saires .
M. le chanoine Massart, vicaire-général et secrétaire-général de
l'archevêché, répondit, au nom de Mgr l'archevêque de Cambrai,
que Sa Grandeur ne s'opposait pas à ce que la direction du collège
d'Hazebrouck fût confiée à un ecclésiastique. D'autre part, M. l'abbé
Denys, ancien supérieur du collège de Gravelines, actuellement curé
de Renescure, a bien voulu se mettre à la disposition de la ville
d'Hazebrouck pour restaurer le collège et en faire, avec le temps, un
établissement de plein exercice.
La commission du budget, eatisfaite, a été d'avis qu'il fallait saisir
sans retard le conseil de ses résolutions, afin de laisser à l'autorité
universitaire le temps de pourvoir à la situation des membres du
personnel enseignant.
Les membres de l'édilité d'Hazebrouclc furent donc convo-
qués pour le mercredi 28 mai, â l'effet de se livrer à un examen
détaillé des propositions de la commission du budget et de
prendre des décisions en conséquence.
Les propositions de la commission, après cet examen, ont été
approuvées à l'unanimité et le conseil municipal a invité le
maire d'Hazebrouck à lui soumettre, dans une prochaine réu-
nion, un projet de traité avec M. l'abbé Denys.
U Emancipateur ajoute — et nous nous associons à son sen-
timent — qu'on ne saurait trop approuver cette résolution, qui
sauvegarde tout à la fois, les intérêts moraux et matériels des
habitants d'Hazebrouck et qui fait honneur à la prudente et
intelligente municipalité conservatrice de cette catholique cité.
Clermont. — De grandes fêtes ont eu lieu dernièrement i,
Clermont en l'honneur de Notre-Dame-du-Port et Mgr Pagis.,
présent à ces fêtes, a prononcé un magnifique discours en faveur
de son Œuvre de glorification de Jeanne d'Arc. Mgr l'évêque
de Clermont remercia Mgr Pagis des patriotiques accents qu'il
NOUVELLES RELIGIEUSES 543
avait fait entendre. Nous trouvons dans la Semaine religieuse
de Clermont le texte de l'allocution de Mgr Boyer ; elle rappelle
de beaux souvenirs pour l'Auvergne et elle exprime une noble
et généreuse promesse.
Voici cette allocution :
Vous avez raison, Monseigneur, de faire appel à la générosité de
la noble terre d'Auvergne. Cette terre des souvenirs et des grands
dévouements vous a compris dès la première heure. Elle a salué en
vous l'apôtre de Jeanne d'Arc. Elle est prête à donner son concours
à votre grande œuvre comme elle sut le prêter jadis à la grande libé-
ratrice du territoire français.
Voici en effet ce que raconte notre histoire : Jeanne dArc venait
de prendre d'assaut la ville de Saint-Pierre-le-Moustiers. Elle se pré-
parait à continuer l'œuvre de la délivrance en assiégeant d'autres
villes. Les munitions faisant défaut, elle écrivit, le 7 novembre 1429,
à ses bons amis les habitants de la ville de Clermont pour leur
demander deux quintaux de salpêtre, un quintal de soufre, deux
caisses de traits d'artillerie...
Comme vous l'avez fait remarquer, Monseigneur, cette fille des
champs dont la main n'avait appris à porter que le poids de sa que-
nouille et à diriger le petit troupeau confié à sa garde, devient subi-
tement un maître dans la direction de cette arme de l'artillerie dont
nous constatons chaque jour sous nos yeux les inventions et les pro-
grès redoutables grâce aux hommes de génie qui président à son
développement.
Or, à peine la demande était-elle faite que Jeanne recevait de Cler-
mont, deux quintaux de salpêtre, un quintal de soufre, deux caisses
contenant un millier de traits d'artillerie. Et les habitants de notre
ville joignaient à l'envoi, pour Jeanne elle-même, une épée,deu\ da-
gues et une hache d'arme.
Aujourd'hui, Monaeigneul-, vous n'avez besoin pour votre mo-
nument ni de soufre, ni de salpêtre. Vous l'avez dit : votre monu-
ment symbolise la paix forte, puissante et respectée. Vous ne de-
mandez pas le bronze qui tonne et qui foudroie, mais le bronze qui
doit éterniser la mémoire de Jeanne. Nous vous le donnerons géné-
reusement. — Dans la main de Jeanne vous voulez placer l'épée
renversée dont la pointe n'a jamais été tachée de sang. Cette noble
et vaillante épée, il nous appartient de l'offrir à votre héroïne. C'est
un droit que nous revendiquons au nom de nos ancêtres. Us nous
ont donné l'exemple, nous le suivrons. Et, dès aujourd'hui, c'est un
engagement formel que je prends. iMes fidèles diocésains le ratifieront !
Étr-augen.
Suisse. — Le Conseil fédéral a adressé à S, G. Mgr Mermil-
lod, évêque de Lausanne et de Genève, la lettre suivante :
544 A.NNA.LKS CATHOLIQUES
Monseigaeur,
Par votre lettre du 20 courant, vous avez bien voulu nous infor-
mer de la détermination que vient de prendre Sa Sainteté le Pape
LéoD XIII de vous créer cardinal au prochain consistoire, afin de
donner ainsi à notre pays un témoignage de sa prédilection spéciale,
et vous ajoutez que vous voyez dans cette promotion un motif de
dévouement plus grand encore pour notre chère patrie, heureux de
travailler à sa prospérité religieuse et morale.
En vous remerciant de cette communication, dont nous avons pris
connaissance avec grand intérêt, nous vous adressons toutes nos féli-
citations pour votre élévation à la haute dignité dont il s'agit ; et nous
accueillons avec une satisfaction particulière l'assurance que vous
nous donnez, tant au nom du Saint-Père qu'en votre nom personnel,
quant à la signification de ce fait au point de vue de vos bons rap-
ports avec le Saint-Siège et l'Eglise catholique en Suisse.
Nous saisissons avec empressement cette occasion de vous réité-
rer, Monseigneur, l'assurance de notre haute considération.
Le Conseil fédéral.
Voici, d'autre part, le télégramme du gouvernement tes-
sinois :
Nous félicitons cordialement Votre Eminence de la très hauto
dignité qui lui a été conférée par le Saint-Siège, qui, en récompen-
sant vos insignes mérites honore en même temps notre patrie. Nous
vous prions de transmettre nos sentiments au Souverain Pontife,
avec l'expression de notre profonde gratitude.
Au nom du conseil d'Etat du canton du Tessia :
Le président : G. Respini.
Turquie. — M. Drumont adresse à V Univers, au sujet de
cette affaire, à laquelle presque tous les journaux ont appliqué
la conspiration du silence, la lettre suivante :
Soisy-sous-EtioUes, 27 mai 1890.
Monsieur le rédacteur,
Voici la lettre que je reçois de la mère du malheureux enfant
martyrisé par les juifs à Damas. Comme vous le verrez par le timbre
de la poste, cette lettre semble avoir le caractère de l'authenticité la
plus absolue.
Peut-être penserez-vous qu'il serait utile de mettre ce document
sous les yeux de vos lecteurs, car c'est une preuve nouvelle qui
éclaire d'un jour éclatant un point que les juifs se sont constamment
obstinés à nier malgré l'évidence mênae.
Si je m'adresse à vous, c'est que VUnivers est un des rares jour-
naux , assez indépendants pour avoir osé signaler ce crime. Vous
NOUVELLES RELIGIEUSES 545
avez pu constater le silence profond gardé à ce sujet par toute la
presse vendue aux juifs. Tous ces journalistes qui manifestent une
indignation extraordinaire lorsqu'on mène, par mégarde, une comé-
dienne au poste, semblent soudain frappés de mutisme ou atteints
d'aphonie lorsqu'il s'agit d'un attentat commis par Israël. Leur
sensibilité, qui s'affiche en toute circonstance, n'est point touchée
par la douleur de cette malheureuse mère, à laquelle on défend
même d'approcher du tombeau de soa enfant.
Nul drame cependant ne semble plus fort pour exciter la pitié, et
les lettres que vous avez reçues comme celle que je vous envoie
d'Egypte sont là pour montrer quelle émotion a produite dans toute
l'Orient, cet assassinat, systématiquement étouffé ici par l'influence
juive.
Vous devinez, dans ces conditions, quel effet produit le silence
obstiné de tous nos journaux. « Quoi! se dit-oa, elle est donc
entièrement vendue aux juifs, cette presse française qui jadis prenait
bruyamment parti pour tous les opprimés, protestait contre toutes
les tyrannies, s'écriait avec emphase : «Toute injustice me regarde. »
Comme les fonctionnaires ottomans, tous les journalistes ont donc
reçu le baschick pour ne pas entendre les plaintes de la victime et
les gémissements de la mère !
En lisant V Univers, en voyant que, selon sa coutume, il parle
hautement alors que tous se taisent, on saura à l'étranger qu'il y a
encore un journal que l'or des juifs n'a pas corrompu, et cela nous
fera honneur en Orient. Veuillez agréer, monsieur le rédacteur,
l'assurance de mes sentiments très distingués.
Edouard Drumond.
A Monsieur Edouard Drumont.
Damas, le 10 mai 1890.
Monsieur,
A vous qui ne craignez pas de dire la vérité, à vous qui vivez dans
un pays libre, à vous qui prêchez l'égalité, la fraternité, je viens vous
dire que les juifs, après avoir saigné mon fils d'une artère au poignet
de la main droite, l'ont jeté cadavre dans un puits.
Ce que je vous dis, c'est vrai comme la vérité même. Dix-huit
médecins, qui ont fait l'autopsie, le savent; mais le gouvernement
leur a défendu de parler. Les chrétiens et les musulmans le savent
aussi, mais un seul mot leur coûte la prison ; moi je voudrais dire et
faire, mais on me menace de l'exil. Et que me ferait-on de plus, si,
sur le tombeau même de mon fils, on a mis douze gardes ?
Lajustice soulage, mais pour moi il n'y a que le nom et dans le
sens le plus ironique. Le gouvernement protège les vampires, ces
tenaces de l'humanité, et veut étouffer la vérité.
Je prends la liberté de m'adresser à vous, monsieur, vous propo-
546 ANNALES CATHOLIQUES
sant tous les détails de ce crime, dans le cas où vous voudriez me
faire rendre justice par l'opinion des gens honnêtes.
Je comptais sur cet enfant dans mes vieux jours quand des mains
me l'ont ravi. Qui ne connaît le cœur d'une mère, et le mien en ces
circonstances est anéanti.
En cas de réponse, comme ma correspondance pourrait être séques''
trée, veuillez adresser mes lettres au nom de...
J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre dévouée.
Jemilé Abdelnoue.
Nous n'avons pas à commenter cette lettre, d'un accent .si
pénétré ; mais nous devons ajouter que le silence de la presse
française n'a pas été aussi général que le croit M. Edouard
Drumont. Le Nouvelliste de Lyon a publié de l'assassinat
même un récit identique à celui que nous avons donné d'après
le Monde. Quelques autres journaux catholiques ou semaines
religieuses ont cité, plus ou moins au long, soit notre corres-
pondance, soit celle du Nouvelliste ; mais il est certain qu'il y
a eu, même dans nos rangs, d'étranges silences. Que nous
devenons donc timorés ! Ne peui-on, au moins, sous toutes
réserves, appeler l'attention sur un pareil crime?
LES CHAMBRES
Sénat.
Vendredi 30 mai. — L'ordre du jour appelle la discussion du pro-
jet de loi, adopté par la Chambre des députés, concernant : 1° l'ou-
verture et l'annulation de crédits sur l'exercice 1889; 2» l'ouverture
et l'annulation de crédits afférents aux budgets annexes rattachés
pour ordre au budget général de l'Etat.
La parole est à M. Bardoux pour la discussion générale.
M. Bardoux. Measiieurs, je voudrais simplement attirer l'attention
du Sénat sur une partie des conclusions du rapport qui vous est
soumis. Je n'ai pas la pensée de les combattre, je désire au contraire
les appuyer et les mettre en lumière.
Il s^agit du chapitre 7 du ministère des affaires étrangères (frais de
services des résidences).
Le gouvernement avait demandé sur ce chapitre un crédit de
500,000 francs qui lui paraissait indispensable pour assurer le service
en 1889.
Il a accepté néanmoins une réduction de 100,000 francs votée par
la Chambre des députés, et la commission du Sénat n'a pas cru
devoir rétablir le chiffre primitif.
LES CHAMBRES 547
Le rapporteur s'en explique dans les termes suivants ;
« Puisque le gouvernement accepte la réduction de 100,000 francs
qui a été votée par la Chambre, nous ne vous proposons pas de rele-
ver le crédit. Mais nous invitons le gouvernement â ne pas faire
porter la réduction sur les services dont le développement intéresse
l'extension de notre influence nationale à l'étranger.
« Ce sont, au premier chef, les allocations aux établissements
français d'Orient, les secours aux écoles et frais de divers cultes, les
subventions aux établissements de bienfaisance et aux protégés
français. »
Je ne puis pas vous citer, messieurs, toute la partie du rapport
qui constate avec quel dévouement tous nos établissements français
maintiennent notre influence dans les pays orientaux, où, grâce à
eux, nous conservons encore une situation prépondérante; mais j'ai
cru qu'il était utile de porter ces observations â la tribune, pour
donner un peu de courage à ceux qui portent si dignement en Orient
le drapeau de la France, et je suis persuadé que le Sénat sera heu-
reux d'entendre â ce sujet les explications que voudra bien lui don-
ner M. le rapporteur. (Très bien ! très bien !)
M. Boulanger, rapporteur. Je remercie M. Bardoux d'avoir bien
voulu signaler à l'attention du Sénat la partie de mon rapport qui
a trait à nos établissements de l'Orient. Il faudrait, messieurs, pour
examiner avec tout le développement qu'elle comporte la question
de ces divers organes de notre influence dans le Levant, un temps
dont je ne dispose pas â cette heure. Peut-être cette discussion vien-
drait-elle plus utilement lors de l'examen du budget.
Cependant j'ai le devoir de répondre â l'appel qu'a bien voulu
m'adresser M. Bardoux et de renouveler à cette tribune les impres-
sions dont j'ai fait part â la commission et qu'elle m'a permis d'ex-
primer dans mon rapport.
Quand on traverse l'Egypte, on est péniblement impressionné en
voyant ce pays où l'influence et les intérêts français ont été si consi-
dérables, livré aujourd'hui à une politique égoïste, celle de l'Angle-
terre. Cependant notre influence y est encore considérable et nos
intérêts y sont défendus par des hommes courageux.
L'impression est plus consolante quand on remonte les côtes de la
Syrie, quand on parcourt l'Asie Mineure, le Liban et qu'on visite
Smyrne et Beyrouth, Jafi'a et Jérusalem. Toutes ces contrées sont
depuis longtemps pénétrées par l'influence de ■ nos mœurs, notre
langue, notre civilisation. (Très bien ! très bien ! à droite et au
centre.)
Là, notre clientèle est nombreuse et fidèle et ne demande qu'à se
développer grâce à ses deux puissants facteurs, l'enseignement et la
charité. (Très bien ! très bien !)
L'enseignement y est presque exclusivement donné dans les éta-
548 ANNALES CATHOLIQUES
blissements français à plus de 15,000 jeunes gens ; établissements
admirablement tenus par les Frères de la Doctrine chrétienne, les
Lazaristes, les Pères Jésuites et les religieuses. (Très bien ! très bien !
à droite.)
Vn membre à droite. Ce ne sont pas des laïques.
M. Boulanger. Messieurs, je ne fais pas ici de politique, et je n'en-
tends pas dédaigner les efforts très louables que font les laïques.
(Très bien ! très bien ! sur un grand nombre de bancs.)
A côté de cet enseignement primaire, les Lazaristes et les Jésuites
ont organisé, à Smyrne et à Beyrouth, des établissements d'ensei-
gnement secondaire qui défient toute concurrence et qui s'adressent
indistinctement aux Israélites, aux Grecs, aux Arméniens et aux
musulmans.
Voilà la première cause de notre influence.
La seconde est dans l'organisation de l'assistance et de la charité,
qui sont particulièrement concentrées entre les mains des religieux.
On les retrouve partout admirables de dévouement en accomplis-
sant leur devoir avec une sérénité admirable. (Très bien! très bien!
au centre et à droite.)
Voilà, messieurs, les auxiliaires do la politique française en Orient.
(Nouvelles marques d'approbation.)
Ces merveilleux résultats sont obtenus avec des ressources insigni-
fiantes, et il serait à désirer que le gouvernement, qui bénéficie de
leur propagande, leur vînt en aide dans une plus large mesure. (Très
bien ! très bien ! à droite.)
Telles sont, messieurs, les impressions ressenties par tous les
vovageurs qui ont parcouru ces contrées. 11 semble qu'à mesure qu'on
s'éloigne de la France, l'image de la patrie grandît. (Très bien ! très
bien !)
Là-bas, dans les pays orientaux, il n'y a ni laïques, ni religieux,
ni congréganistes, ni civils : il n'y a que des Frani^'ais. tous groupés
autour du drapeau de la France et luttant entre eux de dévouement
pour la servir et la faire aimer. (Très bien ! très bien !)
Il ne faut pas non plus oublier, messieurs, qu'en Orient toutes les
nations s'efforcent de développer leur influence. La Russie vient de
dépenser dix à douze raillions pour les Lieux saints; vous connaissez
les sommes inscrites au budget italien pour les écoles d'Orient ; l'Al-
lemagne, elle aussi, commence à faire de grandes dépenses ; quant à
l'Angleterre, on la retrouve partout.
Pour défendre cette politique, il faut deux choses : d'abord des
subsides oui féconderont la charité et l'enseignement, et ensuite une
politique ferme, courageuse et libérale.
C'est ainsi, Messieurs, que l'on maintiendra dans ces contrées
lointaines le prestige de la France.
Voilà ce que, d'aocord avec la commission des finances, je puis
LES CHAMBRES 549
répondre à l'appel si courtois de M. Bardoux. (Très bien ! très biea !
et applaudissemeats.)
. M. Blavier croit être l'interprète du Sénat tout entier en remer-
ciant M. le rapporteur des paroles qu'il vient de prononcer; il pense
que l'on pourrait augmenter la subvention aux écoles d'Orient, en
leur attribuant les indemnités de logement accordées à nos ambas-
sadeurs à Madrid, au Caire et à Tokio qui habitent maintenant des
hôtels appartenant à la France.
M. Buffet. Je regrette l'absence de M. le ministre des affaires
étrangères et j'en suis un peu surpris,
La question portée à la tribune par M. le rapporteur a une extrême
gravité.
La Chambre a opéré sur les crédits supplémentaires des affaires
étrangères une réduction de 100,000 francs.
Le gouvernement a accepté cette réduction.
Le vœu de la commission des finances est que cette réduction ne
puisse porter sur les établissements hospitaliers ou d'instruction en
Orient.
11 importerait de savoir si la pensée du gouvernement est d'accord
avec celle de la commission.
Tel qu'il est, le crédit me semble insuffisant et je serais tout dis-
posé â l'augmenter, mais il serait déplorable que ce crédit déjà réc'.r.it
le fût encore. (Très bien ! très bien ! à droite.)
M. Blavier. Je ne puis pas comprendre même cette réduction,
puisqu'il s'agit là de dépenses effectuées, de besoins non à satisfaire
mais satisfaits.
M. LE RAPPORTEUR. Il ne s'agit pas de dépenses efïectuées définiti-
vement, mais seulement engagées.
Répondant à M. Buffet, j'ajoute, pour expliquer l'absence de M. le
ministre des affaires étrangères, qu'il avait pris des rendez-vous di-
plomatiques antérieurement à l'inscription de ce projet à l'ordre du
jour.
Je crois pouvoir dire également qu'il n'e-^^t pas dans la pensée du
gouvernement de faire porter la réduction sur les chapitres (jui nous
intéressent, mais sur d'autres, notamment sur les frais de dépêches
télégraphiques, qui s'élèvent à 500,000 francs et sur lesquels on pour-
rait réaliser certaines économies. (Très bien ! très bien !)
Les divers articles du projet sont adoptés, ainsi que l'ensemble, à
l'unanimité de 230 votants.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la proposition
de la loi relative aux trésoriers-payeurs généraux.
M. Pauliat, rapporteur, fait l'historique des institutions des tréso-
riers-généraux et dit que l'accord s'est fait entre la commission et
le ministre des finances.
M. LE ministre DES FINANCES Constate cet accord sur le texte du
550 ANNALES CATHOLIQUES
projet, mais conteste certaines assertions du rapporteur, notamment
celle qui consiste à dire que les trésoriers-généraux sont de vérita-
bles fermiers généraux. .!uto m.
Après cet échange d'observations l'article premier est adopté.
Sw l'article 2 MM. Gouin et Buffet demandent la suppression du
troisième paragraphe ainsi conçu :
« Les trésoriers-payeurs généraux verseront chaque année la moitié
des remises qui leur auront été allouées par la caisse des dépôts et
consignations. »
Ils demandent cette suppression pour conserver à la Caisse des
dépôts et consignations la complète indépendance dans le choix do
ses préposés.
La suppression est ordonnée malgré l'opposition du rapporteur.
Après quelques observations de M. Sébline sur la situation nou-
velle que ce projet fera aux employés des trésories générales, les
autres articles du projet sont adoptés.
Le Sénat décide qu'il passera à une deuxième délibération et
s'ajourne à mardi.
Mardi 3 juin. — M. Ribot dépose un projet de loi portant ouver-
ture d'un crédit de 1,300,000 fr. pour l'achat d'un hôtel d'ambassade
à Saint-Pétersbourg.
M, Fallières dépose un projet de la loi concédant une pension
viagère de 6,000 fr. à Mme veuve Faidherbe.
M. LE Président annonce qu'il a reçu de M, Combes une demande
d'interpellation adressée à M. le ministre de l'instruction publique.
D'accord avec M. le ministre, l'interpellation est fixée au 17 juin.
L'ordre du jour appelle la suite de la première délibération sur la
proposition de la loi de M. Griffe ayant pour objet : 1® de réglemen-
ter le régime des raisins secs servant à faire du vin; 2" de permettre
la recherche de l'emploi des raisins secs ; S® de rendre publiques les
demandes de sucre à taxe réduite pour le sucrage des vendanges et
des marcs de raisins frais.
Les articles renvoyés à la commission sont adoptés.
Le Sénat décide qu'il passera à une seconde délibération.
L'ordre du jour appelle la seconde délibération sur la proposition
de la loi de M. Bérenger sur l'aggravation progressive des peines en
cas de récidive et sur leur atténuation en cas de premier délit.
M. De l'Angle-Beaumanoir combat le projet. Il résume les argu-
ments mis en avant par M. Bérenger lors de la première déli-
bération.
M. Fallières, afin d'éviter toute méprise, déclare qiîe le gouver-
nement adopte sans réserves les principes du projet de loi. Il ne
s'agit pas de crimes, il s'agit des délits et seulement des premières
fautes commises. Le juge se posera la question de savoir si le cou-
pable est susceptible d'amendement. S'il est susceptible d'amende-
ment, la loi proposée actuellement sera appliquée.
LES CHAMBRES 55i
Un amendement de M. Trarieux est pris en considération.
Le premier paragraphe de l'article 1"" est adopté.
M. BozÉRiAN propose d'ajouter au paragraphe premier : « pendant
un délai qui ne pourra être moindre de trois mois ni excéder cinq
ans à dater du jugement. »
L'amendement de M. Bozériaa n'est pas adopté.
Le second paragraphe de l'article l*"" est adopté.
A la reprise de la séance, M. Demôle soutient un amendement à
l'article 2.
MM. HuMBERT et Lenoel combattent cet amendement.
M- Fallières, ministre de la justice, au contraire, s'en déclare
partisan, et l'amendement est adçpté.
La suite de la discussion est renvoyée, sur la demande de M. Dau-
phin.
Ohambre des Députés.
Jeudi 29 mai^ — , La séance tout entière est consacrée â la discus-
sion de l'élection Picot, le concurrent heureu;x. de M. Jules Ferry. A
43 voix de majorité, l'élection est annulée.
Samedi 31 mai. — Le président annonce la démission de député
donnée par M. Franconie, député 4e 1^ Guyane, pour des motifs
d'ordre personnel. ,j .,,,^ \,^ .,
On valide l'élection de M. Raiberfi, â Nice, et celle de M. Lafond,
à Bayonne. On adopte un projet portant ouverture d'un crédit de
1,300,000 francs, au ministère des affaires étrangères pour l'achat
d'un hôtel destiné à l'ambassade de France à Saint-Pétersbourg.
On adopte encore un projet annulant et ouvrant des crédits sur
l'exercice 1889, projet adopté la veille par le Sénat.
Et la discussion est ouverte sur la proposition de M. Méline rela-
tive aux droits sur les maïs et les riz.
C'est le discours de M. Ravxal qui occupe toute la séance. Il vient
combattre à la tribune les conclusions du rapport.
L'orateur se propose d'ailleurs de conclure, non pas au rejet delà
proposition, mais à l'ajournement du vote, jusqu'au jour où il sera
statué sur l'ensemble du régime économique.
— La situation de l'agriculture est bonne, dit-il, M. Faye,. qui est
notoirement protectionniste, l'a reconnu lui-même devant la commis-
sion. Les blés ont donné cette année^ un rendement supérieur à la
moyenne ; le prix s'est maintenu dans des conditions satisfaisantes.
Le droit de 3 francs n'est nullement indispensable pour l'agricul-
ture ; si la loi proposée était votée, la distillerie de grains serait
perdue en France, les distilleries agricoles sérieuses n'existent pas.
En Allemagne, au contraire, ces distilleries existent sur une grande
échelle. Dans ce pays, on a divisé le droit en deux parties, dont l'une
frappe le producteur et l'autre le consommateur.
552 ANNALES CATHOLlOtKS
Le droit de 3 francs sur les maïs amèaerait fatalement la suppres-
sion des distilleries.
Quant au droit sur le riz, on dit que si le riz n'était pas frappé, il
remplacerait le maïs pour les distilleries, c'est une erreur, le riz ne
peut .lutter contre la betterave.
Restent le dari et le millet, le dari est un produit qu'il faut cher-
cher à la loupe; quant au millet, il n'a aucune importance.
L'orateur termine en demandant à la Chambre d'ajourner la pro-
position jusqu'à la discussion du renouvellement des traités de coffi'
merce et par conséquent du tarif des douanes.
Lundi 2 juin. — Suite de la première délibération sur le projet
concernant le régime douanier du riz et du maïs.
M. ViGER, rapporteur, au nom de la commission, rappelle que
M. Raynal réclame l'ajournement de la question. Il combat ces con-
clusions.
Il pense qu'il y a urgence. Le maïs est à bas prix. Dans tous ks
ports de mer on en trouve à 9 francs le quintal. Partout, les distille-
ries de maïs augmentent leur production, au détriment des distille-
ries agricoles.
On ne peut laisser plus longtemps entrer en franchise les maïs et
les riz qui viennent faire à nos produits nationaux une concurrence
désastreuse pour la distillerie et pour la nourriture des chevaux.
En votant le droit sur les mais et les riz et un autre droit sur les
raisins secs, la Chambre prendra une mesure de protection nécessaire
en faveur des cultivateurs et des vignerons.
M. LocKROY a répliqué, en prenant la défense des distillateurs de
riz et de maïs, et des amidonniers.
11 a affirmé que l'alcool de grain valait bien celui de betterave;
que les animaux nourris avec du maïs sont aussi sains que ceux
nourris autrement. Et il a demandé à la Chambre de ne pas voter
les droits.
Mardi 3 juin. — La Chambre valide l'élection de M. Duportal dans
la circonscription de Rufïec.
La Chambre adopte un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au
ministère du commerce, de l'industrie et des colonies, sur l'exercice
1890, un crédit supplémentaire de 50,000 francs pour les dépenses
du conseil supérieur du commerce et de l'industrie.
L'ordre du jour appelle la suite de la première délibération sur la
proposition de loi de M. Méline et plusieurs de ses collègues relative
au régime douanier des maïs et des riz.
M. Develle défend le projet de la commission des douanes. Il di
qu'il a longtemps hésité à se ranger à cette opinion. Il hésitait en
1885 et en 1887. Il n'hésite plus aujourd'hui.
Le maïs indigène n'a rien à craindre du maïs étranger, car il est
consommé sur place et a dos propriétés différentes. Mais si le maïs
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 553
étranger ne peut faire concurrence au maïs indigène, il fait une
grande concurreace à l'avoine, car de grandes entreprises de trans-
port oat substitué le maïs à l'avoine pour la nourriture des chevaux.
La coramissioa propose de fixer le droit à 3 francs. Ce chiffre n'est
pas excessif. Ce droit donnera des ressources nouvelles au Trésor et
dispensera d'établir de nouveaux impôts.
M. Charles Roux défend les populations méridionales qu'on
sacrifie à celles du Nord. Le droit de 3 francs équivaut à un droit de
y francs, par hectolitre d'alcool. L'exportation de l'alcool de grains
est donc directement menacée et la distillerie de grains ruinée.
La clôture de la discussion générale est prononcée.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Le duc d'Orléans reconduit en exil. — Une erreur judiciaire. — M. Car-
not à Paris. — Athéisme ofâciel. — Terroristes russes. — Changement
ministériel eu Bavière. — Tonkin. — Pêcheries de Terre-Neuve.
5 juin 1890.
M. Carnot a signé mardi la grâce du duc d'Orléans.
Celui-ci a été, dés le soir, reconduit hors du territoire de la
République française.
C'est M. Morin, commissaire spécial à la gare de l'Est, qui a
été chargé de l'exécution de l'arrêté présidentiel. Ce fonction-
naire est parti de Paris par i'express de 8 heures 40 du soir et
est arrivé à Clairvaux, où ce train s'est exceptionnellement
arrêté, à minuit et quelques minutes. Notification a été faite au
prince prisonnier de la mesure le concernant, et le duc
d'Orléans a quitté Clairvaux pour monter dans l'express sta-
tionné en gare qui l'a conduit à la frontière suisse, à Délie, où
il est arrivé à trois heures cinquante-six minutes.
Dans l'après-midi, LL. AA. RR. le prince et la princesse de
Joinville, la duchesse de Chartres et la princesse Marguerite
s'étaient trouvées réunies dans la cellule de Mgr le duc
d'Orléans, auprès duquel elles étaient restées pendant le laps
de temps réglementaire..
Le duc d'Orléans devait recevoir hier, pour la seconde fois,
la visite de son grand-oncle le ducd'Aumale.
Jusqu'au dernier moment le plus grand secret a été gardé
sur la mise en liberté de Mgr le duc d'Orléans.
Le gouvernement a fini par où il aurait dû commencer : ce
qu'on appellera sa clémence est un acte de justice qui arrive
trop tard et ne diminuera point l'efi'et déplorable produit par
40
554 ANNALES CATHOLIQUES
l'application pharisaïque d'nne loi inique contre un acte cheva-
leresque et d'une jolie spontanéité.
Cependant, il faut tenir compte de la mauvaise humeur du
parti de la' persécution et de la taquinerie : nous allons le voir
monter à l'assaut du gouvernement, et il j a un certain courage
à braver ces orages de Parlement et de presse, si peu graves
qu'ils soient. Ce courage-là tous les ministères ne l'ont pas eu.
Il convient aussi de saluer respectueusement le noble Prince
qui retourne en exil, après avoir spirituellement fait son devoir
et planté sur la terre de France la bannière rajeunie de son
illustre race.
Sous ce titre : Une erreur judiciaire, les journaux annon-
cent simplement, d'après une dépêche officieuse, que le nommé
BourraS;, accusé de crime, condamné à mort, vient d'être
reconnu innocent après trois ans de détention au dépôt des
forçats d'Avignon. On l'a remis en liberté et on lui a accordé
quelques secours. On a même poussé la bonté jusqu'à pré-
venir sa femme. Nous ne voudrions pas faire de trop grandes
phrases au sujet d'un accident excessivement rare, mais on
conviendra que la société, la société dont on parle tant lors-
qu'on veut faire valoir ses droits, a une dette à l'égard de
Bourras, dette qu'elle ne paye pas. Le contrat social a du bon,
c'est évident, mais il semble qu'il devrait être respecté par les
deux parties: l'individu et la collectivité. L'individu le respecte
souvent, et pour cause, les' gendarmes étant là pour lui rappeler
les articles qu'il serait disposé à négliger; mais dans le cas pré-
sent, la collectivité nous paraît être débitrice vis-à-vis du con-
damné à tort.
Voilà trois ans que cet innocent subit les tortures physiques
de la détention, tortures auxquelles sont, venues s'ajouter des
douleurs morales qu'on ne peut deviner. On s'aperçoit qu'il n'a
mérité en rien le châtiment. On le met en liberté et l'on se con-
sidère comme quitte. La femme de ce malheureux a vécu
pendant trois ans sans aide et sans soutien. On se croit dégagé
vis-à-vis d'elle lorsqu'on lui a donné avis de la mise en liberté
de son mari. Il n'est pas' un honnête homme qui puisse trouver
cela suffisant. On a dépensé vingt-trois mille et quelques francs
pour rechercher les assassins de l'huissier Goufi'é; c'est très
bien : on nous fera difficilement croire qu'il est impossible de
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 555
trouver une somme quelconque à donner à Bourras comme
indemnité. Il n'y a pas de loi, dira-t-on. Dans ce cas qu'on en
fasse une. . .oo!l^>^ ••w/i tir. xwaa ;
On a trouvé le moyen de voter jadis le^ dispbsitioilS contre
les candidatures multiples en quelques heures ; la loi nécessaire
aujourd'hui n'intéresse peut-être pas autant messieurs les
députés, mais elle s'impose comme une mesure d'honnêteté.
Qu'on réfléchisse, d'ailleurs, que malgré tout, pour les voisins,
pour les habitants de son pays, Bourras n'en sera pas moins
l'assassin, l'homme condamné à mort. Le proverbe : « Il n'y a
pas de fumée sans feu » sert, dans ces occasions, à commettre
bien des injustices. On doit une réparation à Bourras, et il faut
qu'elle lui soit donnée. '
M. Carnot est rentré à Paris et se repose des fatigues de soa
rapide voyage circulaire. Les deux tiers de la France ont vu
aujourd'hui le président de la République ; les principaux fonc-
tionnaires ont serré sa froide— main et entendu ses paroles
automatiques, il a promis aux besogneux de leur venir en
aide, tout est donc pour le mieux dans le monde électoral. Car,
au fond, cette course folle à travers la France, n'a d'autre but
que de maintenir les croyances républicaines, ce n'est point
avec le désir de connaître les besoins et les aspirations du
peuple qu'il gouverne, que M. Carnot glisse sur le rail et prend
part à de si nombreux banquets. Il est nécessaire, avant tout,
de se montrer aux populations que le clinquant et la pompe
illusionnent toujours, car toujours les masses veulent être
déçues.. Et puis, ne fa\it-il pas profiter des facilités qui sont
faites au président de la République pour accomplir une excur-
sion si grandiose que M. de Rothschild ne saurait la réaliser
avec le même luxe et autant de mise en scène ? A quand donc
le voyage en Bretagne et dans les Pyrénées ?
Partir encor, toujours, en une course folle?
Au doux pays de France éternel passager,
Juif errant du pouvoir, escorté par Chiacholle!
Voyager ! Voyager !
dit une aimable parodie du Lac de Lamartine justement appli-
quée au président de la République.
•Tandis que M, Carnot regagnait l'Elysée, la Chambre inva-
lidait M. Picot par quarante-deux voix de majorité. Ainsi, le
concurrent de M. Jules Ferry est demeuré entre ciel et terre
556 ANNALES CATHOLIQUES
depuis le mois de septembre dernier. Pendant ce temps, la
majorité a pu se livrer à une inquisition détaillée et peu morale,
invalider ceux qu'elle redoutait à cause de leur indépen-
dance ou de leur énergie. M. Ferry, de son côté, a eu les loisirs
nécessaires pour rappeler à ses obligés d'autrefois que la
reconnaissance est précieuse et commandée surtout en matière
électorale. Quand on considère, en effet, l'infime majorité qni
a invalidé M. Picot, l'influence et la ténacité de son adversaire,
on ne peut croire que cette mesure ait été dictée par la con-
science, elle se montre à l'œil nu comme le paiement fait par
une majorité sectaire à l'horame de fer, sous la main duquel
tremblaient jadis députés et ministres. M. Jules Ferry pourra
donc revenir à ce Palais-Bourbon dont la nostalgie le torture.
Il a promis, il est vrai, de laisser le champ au général Tricoche,
soldat opportuniste et chroniqueur militaire de la République
française, mais on sait ce que valent les promesses de M. Ferry;
le pouvoir est si alléchant !
A propos des voyages du Président, l'Univers et bon nombre
de Semaines religieuses ont fait remarquer que M. Carnot
s'abstient dans ses actos et dans ses discours do toute manifes-
tation du moindre caractère religieux.
L'autre jour, on nous signalait ce fait que, dans toutes les
réponses aux personnages qui le haranguent, il s'est constam-
ment abstenu de prononcer le nom de Dieu, même lorsqu'il était
manifestement sollicité par son interlocuteur de rendre un hom-
mage quelconque au souverain Maître et Créateur du monde.
Cet athéisme pratique, M. Carnot en a donné le triste exemple
durant tout son voyage.
Où a-t-on entendu dire qu'il ait fait un acte religieux quel-
conque, visité une église, murmuré seulement une prière?
Même le jour delà Pentecôte, avant de quitter Montpellier, à
huit heures du matin, s'est-il avisé d'assister à la messe, et en
remplissant ainsi un devoir de conscience, de donner l'exemple
que doit au peuple tout chef d'Etat qui ne fait pas profession
d'athéisme?
Nous n'insisterons pas. Mais il est bon que ces fortes incon-
venances religieuses soient mises au jour, afin que les catholi-
ques qui ont le spectacle de certaines réceptions officielles, con-
séquence obligée du Concordat tant que le chef d'Etat est
catholique par son baptême, ne puissent se méprendre sur les
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 557
dispositions "véritables d'un chef de pouvoir si étrangement ou-
blieux de tous les devoirs que ce baptême lui impose.
Le 12 mai dernier on constatait, au Raincy, que des expé-
riences avaient été faites avec des engins explosibles sur un point
isolé de la campagne. Autour de l'espace où les expériences
avaient eu lieu, plusieurs arbres, quelques-uns de gros diamètre,
avaient été détériorés profondément. Des arrachements au tronc
donnaient à penser qu'il avait dû j avoir une violente explosion.
Des recherches plus minutieuses firent découvrir sur le sol
des tubes métalliques qui avaient renfermé des substances
explosibles. De recherche en recherche on finit par retrouver
la maison qui avait fourni ces tubes métalliques.
M. Lozé, préfet de police, apprit par un commissaire de police
que l'individu qui avait acheté les matières explosives avait
donné un faux nom et une fausse adresse. On le fila et on acquit
la certitude qu'il appartenait à une secte de « terroristes »
russes qui fabriquait des engins explosifs. En outre, les noms
de plusieurs membres de cette secte furent donnés à la préfec-
ture.
La police arriva à découvrir successivement la retraite de
tous ces individus : les dernières mesures furent prises dans la
journée de mercredi 28 mai et le soir, à dix heures, M. Cons-
tans, qui venait de rentrer à Paris, de retour de sou voyige
avec M. Carnot, fut avisé par le préfet de police du résultat des
recherches faites par les agents de la sûreté. Le ministre donna
les ordres nécessaires et le jeudi matin, à six heures, les arres-
tations ont été opérées.
En dehors même de l'usage que les individus arrêtés vou-
laient faire des substances et engins explosibles trouvés en leur
possession (et que l'instruction fera sans doute connaître), le
fait seul de la fabrication et de la détention de ces matières et
appareils constitue un délit puni par les lois.
Les terroristes arrêtés, au nombre de quatorze, sont les
nommés : Reinchtein et sa femme. — Mlle Federowa. — Na-
katchiz. — Stepanof. — Kalchinzen, dit Anamief. — Péplot,
dit Levof, dit Orlof. — Orlof, dit Wolgrine. — Levrenius. —
Atschinazi. — Demski. — Mendelson, — Mlle Bromberg. —
Berditschewsky.
Au domicile des inculpés, on a trouvé des tubes cylindriques,
558 ANNALES CATHOLIQUES
de la poudre, des liquides susceptibles de produire par leur mé-
lange des explosions, des livres et des papiers indiquant la ma-
nière de fabriquer des engins explosifs et même des bombes. Au
domicile de Mlle Bromberg, en particulier, on a découvert
quinze bombes sphêriques.
Reinchtein paraît être le chef de la secte des terroristes. On
a trouvé chez lui, 60, avenue des Gobelins, deux bombes cylin-
driques et une bombe sphérique chargée. îdoi/'.viî
Un changement ministériel inattendu vient d'avoir lieu en
Bavière. M. de Lutz a donné sa démission et il est remplacé
par M. von Crailshain. Ce dernier bien qu'il soit personnelle-
ment mieux vu de la majorité catholique de la Chambre, que
son prédécesseur, dont les allures cassantes et insolantes le
rendaient quelquefois insupportable même pour ses amis, la
politique ecclésiastique et scolaire du cabinet ne sera pas moins
agressive qu'autrefois, puisque le nouveau titulaire du porté-
feuille des cultes et de l'instruction publique, M. von Millier est
connu depuis longtemps, dans toute la Bavière, pour ses senti-
ments anticatholiques. Ce fut lui qui porta l'autre jour, la lettre
du prince régent adressée à l'archevêque, à la connaissance du
public en la faisant afficher dans tout Munich. Aussi les jour-
naui libéraux d'Allemagne, tels que la Gazette de Cologne^
sont-ils dans la jubilation. Par contre, les journaux du Centre
font très mauvais accueil à M. von Millier et la Volhszeitung
de Cologne, entre autres, dit que ce choix du prince-régent
donne à réfléchir. Il impose aux catholiques bavarois le devoir
de ne pas reculer d'un pas devant leurs revendications justes
et de tenir tête à M. von Millier, comme ils ont tenu tête à
M. von Lutz.
Au point de vue de la prussiflcation progressive de la Bavière,
le départ de M. de Lutz ne signifie aucun arrêt. M. de Crailshain
a eu soin de se faire agréer préalablement à Berlin et de faire sa
cour à M. de Caprivi. Il aura du moins un certain avantage sur
M. de Lutz : comme protestant il n'aura pas besoin de renier sa
foi pour être bien vu à Berlin.
En somme il n'y a pas grand'chose de changé : la catholique
Bavière sera gouvernée par un protestant au lieu de l'être par
un apostat catholique.
Voilà tout.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 559
Le eourrier du Tonkin, qui vient d'arriver à Marseille par le
transport le Congo, nous apporte de peu rassurantes nouvelles
sur les sanglants exploits des pirates qui continuent à faire des
leurs. A Pui-Dai, ils viennent de tenter un coup de main qui
rappelle de très prés l'affaire des frères Roques. Un négociant
français, nommé Henry Remery, surpris dans un massif de
bambous, en dehors de l'enclos des plantations, a été attaqué
par les Chinois, qui l'ont tué à coups de fusil, lui ont coupé la
tête et l'ont jetée à quelques mètres de là, puis sont entrés
dans la ferme, ont tué une domestique indigène et blessé un
coolie; ils ont pris les bestiaux et les marchandises.
Prévenu par un autre planteur, qui de loin fut témoin du fait,
le président de la province envoya chercher le corps de Remery,
qu'on ramena à Tuyen Quang. Les animaux abandonnés par
les pirates par suite des difficultés pour les emmener, sont re-
venus deux jours après à la ferme.
La situation s'aggrave dans la province d'Hung-Hoa. Le lieu-
tenant Balmonet, qui commandait le poste de Van Ban, a été
blessé d'une balle à la tête.
Ce qui paraît inquiétant, c'est que le mouvement de piraterie
augmente avec la famine ;les chefs de bande pillent les villages
qui refusent de l'argent et exigent des autres de fortes rede-
vances, qu'ils s'empressent de payer pour ne pas être ravagés.
Les joncques et sampans qui longent le fleuve Cuanam ont
été mis à contribution, d'autre part, par une bande armée de
fusils à tir rapide.
Les convois ne quittent plus certaines places sans escortes
suffisantes, ce qui oblige de mettre sur pied toutes les troupes
disponibles.
La famine se fait rudement sentir dans la province de Nam-
Dinh et de Ninh-Binh, et à Long-Tcheou le choléra augmente
d'intensité. Dans cette ville, on compte soixante-dix décès envi-
ron par joui'. On voit que la situation du pays est loin d'être
actuellement brillante.
La question des pêcheries de homard de Terre-Neuve prend
un aspect de plus en plus inquiétant. Il paraît que pour se ven-
ger de la tiédeur avec laquelle le gouvernement britannique
défend leurs prétentions contre la France, les habitants de
Terre-Neuve ont mis à exécution leur menace de refuser le
560 ANNALES CATHOLIQUES
payement de leurs impôts. Mais ils poussent plus loin encore
l'expression de leur mécontentement.
Les dernières dépêches nous les montrent arborant le dra-
peau des Etats-Unis, ce qui est une façon, naturellement, d'in-
diquer qu'ils sont tout disposés à se révolter contre la mère-
patrie et à réclamer l'annexion à la grande république améri-
caine de la part de laquelle ils attendent une sollicitude plus
vive pour leurs intérêts.
On conçoit la gravité des préoccupations qu'un pareil état
de choses doit nécessairement inspirer au cabinet de Londres.
Le gouvernement vient de décider l'envoi à Terre-Neuve do
toute une expédition militaire et navale. Il est permis de croire
que la mission de ces troupes n'est pas uniquement d'interve-
nir pour empêcher, de concert avec les marins français, toute
rixe sanglante entre les pêcheurs des deux nationalités ; mais
qu'elles sont chargées avant tout, de réprimer toute tentative
directe de rébellion contre l'autorité britannique. Vraisem-
blablement, l'Angleterre n'échouera pas dans ses eflforts pour
conserver Terre-Neuve, mais la tâche serait néanmoins difficile
et pénible si les Terre-Neuviens persistaient dans leur projet de
rompre tout lien avec la mère-patrie, et il est impossible de
calculer les conséquences qu'aurait un pareil événement.
Il est probable que pour conjurer un pareil malheur, le
Foreign-Office va user de toutes les ressources de la diplomatie
pour obtenir de la France qu'elle abdique quelques-uns de ses
droits à Terre-Neuve. Au Canada, on engage vivement la mère-
patrie à offrir au gouvernement français une très forte indem-
nité pécuniaire en échange de concessions qui apaiseraient les
Terre-Neuviens et tireraient la Grande-Bretagne d'embarras.
Quoi qu'il en soit, la France se trouve actuellement en mesure
de rendre à l'Angleterre un très grand service politique, ou de
lui créer les difficultés les plus sérieuses. C'est une situation
dont la diplomatie française cherchera, semble-t-il, à tirer le
meilleur parti possible ; et d'importantes combinaisons politiques
peuvent, par conséquent, résulter de cette affaire de Terre-
Neuve, si secondaire en apparence.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. Imp. O. Picquoin, 53, rue de Lilîe.
ANNALES CATHOLIQUES
LE SUICIDE
Si le suicide par son essence même est le crime le plus
contraire à l'esprit chrétien, sa multiplication est le symptôme
le plus terrible pour l'état d'une société.
Symptôme doublement redoutable, et par le milieu oii il se
produit, et par l'état moral qu'il révèle.
Ce n'est pas dans les humbles classes de la population que le
suicide fait ses victimes. Actuellement, il est vrai, ces classes
fournissent un certain contingent au tableau sinistre des suici-
dés : c'est au militarisme que nous devons ce progrés de la civi-
lisation moderne. Dépaysé et démoralisé, le malheureux soldat
cherche parfois la mort pour échapper à la cruauté des traite-
ments que ses aimables camarades ou un sous-oflf. grincheux
se plaisent à lui infliger pour charmer leurs loisirs.
Mais, dans les basses classes de la société le suicide ne sera
jamais endémique, il ne sera qu'un article d'importation, qui
disparaîtra facilement avec les causes qui le provoquent.
Il en est autrement dans les classes élevées de la société.
C'est parmi elles que le suicide a sa véritable patrie; c'est dans
leurs rangs qu'il cause ses ravages, ravages d'autant plus redou-
tables qu'ils se produisent sur les sommets sociaux vers lesquels
tous les yeux sont fixés. Là oii les masses ne devraient ne
rencontrer que l'exemple à suivre, elles voient se commettre le
crime le plus épouvantable; là oii l'esprit chrétien devrait
rayonner, c'est le paganisme dans la doctrine la plus crue que
des adeptes consacrent de leur sang.
L'absence de tout esprit chrétien peut seul mener au suicide.
Il y a des cas oii des malheureux, affolés par la douleur, saisis-
sent l'arme meurtrière qui doit, avec leur vie, mettre fin à des
tourments qu'ils croient ne plus pouvoir endurer, — la miséri-
corde et la justice divines savent seules jusqu'à quel point ces
malheureux sont responsables !
Ce ne sont pas ces cas-là que nous avons en vue.
L'immense majorité des suicides a un crime ou du moins une
faute pour base. La soif inassouvissable des jouissances domine
nos païens de la décadence; il leur faut des jouissances, parce
Lxxii — 14 Juin 1890 41
562 ANNALES CATHOLIQUES
que ces jouissances sont le bot unique de leurs vies, et si ces
jouissances ne peuvent s'acquérir qu'au prix d'un crime, ce
prix n'effraie pas, n'arrête pas.
Non, ce n'est pas le crime qui les effraie, ce sont ses suites !
Le jour oii la justice humaine veut mettre sa main sur le cou-
pable, il saisit l'arme et presse la détente. Un léger mouvement
du doigt délivre de la justice des hommes pour le livrer à la
justice éternelle de Dieu !
Ah ! je le sais fort bien, il y a un mot qui justifie tout aux
yeux du monde : TAonnewr/ L'honneur exige que celui qui a
forfait, ajoute un crime nouveau mille fois plus épouvantable à
ceux qu'il a pu commettre ! Ce crime nouveau légitime les
autres, il efface tout!
Folie atroce !
On a vu, en France, des enfants envoyer à leur jjère, menacé
d'une condamnation diffamante, un pistolet pour sauver l'hon-
neur du nom !
On a vu, en Prusse, un 'père envoyer à son fils unique^ cou-
pable d'avoir faussé une signature, un pistolet avec un billet
laconique : < Un homme de votre nom sait ce qui lui reste à
faire! » "'' ^^ ■
Oui, il y a des cas où des malheureux',' imbus des traditions
païennes du monde antique, immolent leur vie à un faux senti-
ment d'honneur; pourtant, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent,
ce prétendu sentiment d'honneur n'est qu'un misérable euphé-
misme pour lâcheté !
Mais que dire d'une société dans laquelle le suicide est recom-
mandé par ceux qui ont la mission de veiller sur la moralité de
la société ?
Dans un collège prussien un pasteur protestant rationaliste
déclare dans son cours de religion, qu'il y a des circonstances
qui rendent le suicide excusable !
Plus encore. '•' '«'! ^^•'^•''
A Berlin, le 21 maidëi^ni'ér, un jeune homme de bonne famille,
accusé d'avoir détourné des fonds, fut condamné par le tribunal
à une peine d'emprisonnement. Le président du tribunal en
publiant l'arrêté, osa dire au malheureux coupable, qu'après
avoir commis le crime il n'avait qu'une chose à faire : se brûler
la cervelle !
Un jirofesseur de religion excusant le suicide!
Un président de tribunal le conseillant !
CINQUIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 563
Dans une société où des faits semblables peuvent se passer,
la jouissance et la lâcheté doivent régner en maîtres.
C'est dire que cette société se suicide.
LA CLNQUIÈME BÉATITUDE EVANGELIQUE
COMMENTÉE ET APPLIQUÉE AU PRÊTRE
Beati miséricordes quoniam ipsi misericordiam consequentur.
Il semblerait, d'après certains passages de l'Evangile, que
Notre-Seigneur n'a que de l'antipathie pour les riches et
qu'il réserve pour les pauvres toute son affection et ses fa-
veurs. Malheur à vous ! riches, s'écrie-t-il à plusieurs reprises,
malheur à vous qui possédez tout en abondance ! Il est plus
facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à
un riche d'entrer dans le royaume de Dieu ! Bienheureux, au
contraire, les pauvres ! Bienheureux ceux qui souffrent! Bien-
heureux ceux qui pleurent! Quand le riche vêtu de pourpre
meurt, c'est dans l'enfer que Notre-Seigneur nous le montre
enseveli, tandis que Lazare est porté par les anges dans le sein
d'Abraham !
Cette antipathie de Notre-Seigneur n'est qu'apparente. S'il se
fait gloire d'être compté parmi les humbles, de naître à Beth-
léem, dans une étable, de passer pour le fils d'un ouvrier, de
vivre à Nazareth , s'il s'entoure de gens de condition mo-
deste, de pécheurs sans instruction, sans prestige, de gens
grossiers, au cœur égoïste, à la tête dure ; l'un d'eux, Matthieu,
exerce un métier infâme ; s'il parle aux déshérités de la terre
avec les accents d'une ineffable tendresse, il n'écarte pas pour
cela les riches. Ne le voyons-nous pas recevoir les adorations
des Mages, se prêter aux exigences du craintif Nicodéme, s'in-
viter chez Zachée, s'asseoira la table du riche Simon, guérir
le serviteur du Centurion, la fille de Jaïre, assister à un festin
nuptial, faire bon accueil aux publicains? En réalité, riches et
pauvres occupent une égale place dans son cœur, et s'il fait
entendre aux riches des paroles plus ^sévères qu'aux pauvres,
c'est parce que les riches sont plus exposés que les pauvres à
être les victimes de l'avarice. L'exemple de Judas est pour
nous, prêtres, un exemple frappant des ravages que fait dans
une âme l'amour de l'argent. Etudions, d'après les paroles et
les actions du Sauveur de quelle façon nous devons pratiquer
les œuvres de miséricorde.
564 ANNALES CATHOLIQUES
Entre tout ce que Notre-Seigneur a dit sur l'état de richesse,
je m'arrête aux deux paraboles suivantes, parce qu'il me semble
que rapprochées l'une de l'autre, elles projettent sur la vérité
qui nous intéresse aujourd'hui une plus vive lumière.
11 y avait un homme riche vêtu de pourpre qui faisait bonne
chère. Sur les degrés du portique de son palais était couché
un mendiant couvert d'ulcères, qui se tenait à sa porte dans
l'espoir de se rassasier des miettes qui tombaient de sa table;
mais personne ne les lui donnait; seuls les chiens venaient
lécher ses ulcères. Or, ce mendiant mourut et fut porté par les
anges dans le sein d'Abraham. Quelque temps après le riche
mourut aussi et fut enseveli dans les enfers.
Ecoutez maintenant l'autre parabole.
Il y avait un homme riche dont le champ avait produit une
abondante moisson. Joyeux, mais embarrassé de ces richesses
inespérées^ il réfléchissait en lui-même : « Que ferai-je? car je
n'ai pas de greniers assez spacieux pour renfermer toutes ces
récoltes... Voici ce que je ferai : je détruirai mes greniers qui
sont trop étroits, j'en construirai de plus vastes; j'y rassem-
blerai tous mes biens et je dirai à mon âme : « — Tu as du bien
en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, fais bonne
chère. » Mais tandis qu'il s'enivrait de cette félicité, une voix
se fit entendre :
€ — Pauvre insensé ! la vie de plaisirs que tu rêves n'est
qu'une chimère, et ce que tu as amassé, à qui appartiendra-
t-il? Car cette nuit même on te demandera ton âme. » Ainsi,
ajoutait Notre-Seigneur, ainsi sera traité tout homme qui thé-
saurise pour soi et oublie les pauvres. Apprécions-nous de la
même façon que Notre-Seigneur le crime de ces deux riches?
Quel est aux yeux de Notre-Seigneur et par conséquent quel
doit être à nos yeux le crime de cet homme vêtu de pourpre?
Est-ce de s'être habillé richement, d'avoir habité un palais
somptueusement meublé, de s'être assis à une table luxueuse-
ment servie? Non, puisque l'Eglise place sur ses autels des
riches, des grands de la terre, des souverains; que ses ministres
les plus augustes demeurent dans des palais, ont des serviteurs,
des équipages, des vêtements précieux. D'ailleurs Notre-Sei-
gneur n'adresse à ce riche aucun blâmé à ce sujet. Son crime
viendrait-il de cette dureté de cœur, de cette insensibilité qui
CINQUIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 565
l'empêchait de s'émouvoir en présence des infortunes de Lazare?
Non, la preuve c'est que quand Notre-Seigneur proposera aux
pharisiens la parahole du bon Samaritain, il ne frappera d'ana-
thème ni le lévite, ni le prêtre qui passent sans se retourner
du côté de ce voyageur que des voleurs ont laissé à demi-
mort sur le bord du chemin et que n'attendrissent ni ses cris, ni
ses gémissements plaintifs. Le mauvais riche est enseveli dans
l'enfer pour un crime en apparence beaucoup moins révoltant,
pour n'avoir pas abandonné à Lazare les mieiios qui tombaient
de sa table et pour avoir laissé aux chiens le soin de panser ses
ulcères; crime odieux, exécrable, si j'en juge par le supplice
qui lui est infligé et dont Notre-Seigneur a tenu à nous tracer
lui-même jusque dans ses moindres détails l'effrayante pein-
ture. Peut-être certains d'entre nous trouveront-ils néanmoins,
que le châtiment infligé au mauvais riche n'est pas excessif;
mais que celui infligé au fermier subitement enrichi, dépasse
toute proportion. Voilà un homme qui a désormais du bien en
abondance ; quoi de plus naturel qu'il songe à agrandir son do-
maine, à faire meilleure chère, à se créer des loisirs? Or la
nuit même où il fait ce rêve, Dieu l'en punit aussi sévèrement
que le riche qui avait laissé Lazare souffrir et mourir de faim.
Aux yeux de Notre-Seigneur le crime de ces deux riches est
le même. Tous les deux se sont imaginé que Dieu ne les avait
comblés de richesses que pour leur permettre d'augmenter leur
somme de plaisirs et de satisfactions mondaines et qu'ils
n'avaient pas à se préoccuper des pauvres. Et c'est ce qui ex-
plique l'attitude implacable de Notre-Seigneur au jour de son
jugement, lorsque s'adressant à ces riches mondains, insou-
ciants, indifférents envers les malheureux, il s'écriera ; « — Re-
tirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel ! J'ai eu faim et
vous ne m'avez pas donné à manger, soif, et vous ne m'avez pas
donné à boire; j'étais sans asile et vous ne m'avez pas recueilli;
nu, et vous ne m'avez pas vêtu; prisonnier, malade, et vous
ne m'avez pas visité... et il me semble entrevoir ces riches
mondains se regarder avec stupeur, s'interroger, interroger le
juge en tremblant : « Mais, Seigneur, quand avons-nous fait
cela? » — « Chaque fois, leur répond-il, que vous avez négligé
de rendre ces services à l'un de mes pauvres. »
Ainsi lorsque le riche vêtu de pourpre oublie d'abandonner à
Lazare les miettes qui tombent de sa table, c'est Dieu qu'il
oublie; lorsqu'il néglige de panser ses ulcères, c'est Dieu qu'il
566 ANNALES CATHOLIQUES
néglige d'assister ; lorsque le fermier suTiitement enrichi orga-
nise sa vie sans songer aux pauvres, c'est à Dieu qu'il ne songe
pas. Lorsqu'il vous arrive de passer l'œil sec devant un mal-
heureux qui crie la f^m, qui grelotte de froid sous ses haillons
et des lèvres duquel s'échappent comme autrefois des lèvres des
lépreux et des aveugles de l'Evangile, ce cri de détresse :
« Maître, ayez pitié de moi, vous seul pouvez me guérir ! >
C'est devant Dieu que vous passez. Ne vous étonnez donc pas
s'il vous chasse pour toujours de sa présence. Retirez-vous de
moi, maudits, allez au feu éternel !
Ce n'est donc ni par occasion, mais par vocation, ni par sensi-
blerie, caprice ou calcul d'ambition, mais par une obligation de
strictejustice que le riche doit êtreici-bas le consolateur et l'appui
du pauvre. Eh! d'ailleurs comment pourrait-il en être autre-
ment sous un Dieu juste et bon? Eh quoi! Dieu auraitarbitraire-
mentpartagé l'humanité en deux classes dont l'une de beaucoup
inférieure en nombre à l'autre aurait l'univers en partage pour
agrandir ses greniers, élever des palais, faire bonne chère, pen-
dant que des milliers de Lazares, nés du même souffle créateur,
ne connaîtraient que les horreurs de la faim, de la soif, du
froid, de la maladie ? ne vivraient, comme s'écriait tristement
le poète, que pour quelques privilégiés, humanutn paucis vivit
genus. Que ces riches alors soient seuls à dire : « Notre
Père...!> Car seuls ils peuvent bénir son nom, souhaiter que son
règne n'ait jamais de fin : quant aux millions de Lazares il fau-
dra que Notre-Seigneur revienne sur cette terre pour leur
donner une formule de prière plus en harmonie avec leur con-
dition sacrifiée. Mais rassurez-vous, Dieu n'a pas ainsi partagé
l'humanité. Pauvres et riches ne font qu'une seule et même
famille, dont Dieu est le père, et dont les riches sont comme les
frères aînés chargés d'aider, d'éclairer, de soutenir leurs frères
plus jeunes ou plus inexpérimentés, et voilà pourquoi le second
commandement: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même,»
est semblable au premier : « Tu aimeras Dieu sans partage, »
et celui qui ne vient pas en aide à son frère malheureux est
maudit sans rémission.
II
Dans quelle mesure notre fortune appartient-elle au pauvre t
Lorsque Zachée dit à Notre-Seigneur : « Je donne aux pauvres
la moitié de mon bien », Notre-Seigneur ne lui répond pas que
CINQUIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 567
c'est trop. Les Pharisiens distribuaient aux pauvres, non seule-
ment la dîme de leurs troupeaux et de leurs champs prescrite
par la loi de Moïse, mais encore la dîme de tout ce qu'ils possé-
daient et qu'ils ne devaient pas. Notre-Seigneur ne leur dit
jamais qu'ils donnent trop. Les premiers chrétiens déposaient
aux pieds des apôtres toute leur fortune et la leur abandon-
naient. Saint Pierre ne songe pas à ralentir leur zèle. Notre-
Seigneur adresse des éloges au bon Samaritain sur sa grande
générosité, il félicite publiquement la veuve qui s'était privée
du nécessaire pour donner deux monnaies de cuivre aux pau-
vres ; il exige du jeune homme qui lui demande ce qu'il faut
faire pour gagner la vie éternelle, qu'il vende tout ce qu'il a et
qu'il le donne aux pauvres ; lorsque la foule interroge Jean-
Baptiste : « Quel bien ferons-nous? — Que celui qui a deux
tuniques, leur répond-il, en donne une à celui qui est nu, et que
celui qui a de quoi manger partage avec celui qui a faim. » Ces
paroles ne sont qu'un commentaire de l'enseignement de Notre-
Seigneur sur l'état de richesse. Tout ce que nous possédons
appartient à Dieu et nous devons être prêts à lui en faire le
sacrifice par parties ou même en totalité, s'il l'ordonne. Ce n'est
ni le dixième, ni la moitié de notre fortune mais notre fortune
tout entière qui lui appartient. Cependant dans la pratique notre
fortune tout entière ne constitue pas le patrimoine, le fonds de
réserve des pauvres, parce que si Dieu demande à quelques-uns
le sacrifice complet de leur bien-être, il ne l'impose pas aux
autres. En stricte justice nous ne devons aux pauvres que le
superflu. Cela, d'ailleurs, paraît ressortir des détails mêmes que
Notre-Seigneur indique dans les paraboles des deux mauvais
riches. Il ne parle en effet que des miettes qui tombaient de la
table du riche vêtu de pourpre et que ce riche avait négligé
d'abandonner à Lazare; de soins extraordinaires à donner à des
plaies horribles ; d'une fortune inespérée.
Si la loi mosaïque avait attribué à ce fonds de réserve des
pauvres la dizième partie des troupeaux et des. champs, la loi
évangélique n'ayant pas abrogé cette loi, chacun de nous peut
adopter le dixième de son revenu ou de son temps comme tarif
de ses aumônes, en temps normal. Qu'une épidémie éclate, que
le fer, le feu ou l'eau fassent des victimes, qu'un péril grave
menace la société chrétienne, si le fonds de réserve qui fait
le patrimoine des pauvres est épuisé, le riche doit s'imposer de
nouveaux sacrifices. C'est ainsi que l'histoire nous raconte qua
568 ANNALES CATHOLIQUES
saint Laurent vendit les vases sacrés de l'Eglise pour venir en
aide aux pauvres. A quelle oeuvre devons-nous nous attacher de
préférence? Est-ce individuellement ou en groupant nos
ressources et nos bonnes volontés que nous devons agir ?Notre-
Seigneur ne nous trace d'autre régie que celle-ci : c'est que notre
charité doit s'exercer en vue de gagner des âmes à Dieu. Voyez
Notre-Seigneur^ s'il met sa toute-puissance au service des mal-
heureux qui la sollicitent, ce n'est que pour les amener à croire
en sa mission divine. Voyez saint Pierre et saint Jean lorsqu'ils
montent au temple : « Je n'ai ni or ni argent, dit saint Pierre à
l'infirme qui se tenait à la porte et qui lui demande l'aumône,
mais ce que j'ai, je te le donne : Au nom de Jésus de Nazareth
lève-toi et marche. » Toute oeuvre de charité qui n'est pas orga-
nisée en vue du salut des malheureux n'est pas une œuvre bénie
de Dieu. Le riche qui traiterait la charité comme une affaire
humaine, qui viendrait au secours des pauvres par philanthropie,
pour s'attirer des honneurs et des éloges ou pour aider au
triomphe d'une idée ou d'un parti, spéculerait sur sa vocation
et commettrait un crime aussi odieux que s'il fermait son cœur
à la pitié.
Ce fut le crime des Pharisiens qui, trafiquant de la misère de
leurs frères comme les vendeurs du temple des choses saintes,
faisaient toutes leurs œuvres pour être vus des hommes, pour
qu'on les saluât dans les places publiques ; pour qu'on leur
offrît les premiers sièges dans les synagogues, les premières
places dans les festins ; pour qu'on leur donnât le titre de
maîtres, pour se complaire en eux-mêmes, dans leur prétendue
sainteté; aussi, plus ils multipliaient leurs œuvres de miséri-
corde, plus Notre-Seigneur multipliait ses reproches. N'est-ce
pas le crime de certains prêtres, chez lesquels la vanité est le
mobile de leur charité, qui paraissent s'imposer de grands sa-
crifices en faveur des pauvres, uniquement pour se faire un
renom débouté et de désintéressement, ou pour dissimuler plus
habilement leurs désordres? Qui aurait osé soupçonner les Pha-
risiens de mener une vie scandaleuse? Qui s'imaginerait que ces
apôtres de la charité ne sont que des sépulcres blanchis, rem-
plis de pourriture et de corruption? Vœ divitibus! Ah! mal-
heur à ces riches, à ces prêtres, lorsque Dieu leur arrachera le
masque derrière lequel ils ont joué leurs odieuses comédies !
Quelle confusion ! Quelle honte pour eux i Et Dieu n'attend pas
toujours l'heure solennelle de son jugement; souvent, sur cette
COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE l'ÉPINE 569
terre, il les démasque, comme il a démasqué les Pharisiens.
. Ce fut le crime de Judas, qui ne s'était attaché au Sauveur
que par cupidité. Son rêve était d'amasser une fortune. Aussi,
en dépit de ses protestations charitables, n'avait-il aucun souci
des pauvres : fur erat, c'était un voleur, dit saint Jean. Judas
n'aurait-il pas parmi nous des imitateurs ? N'y aurait-il pas des
prêtres dont la vocation ressemblerait à celle de Judas? qui ne
seraient entrés dans le sanctuaire qu'attirés par les avantages
humains qu'ils espéraient retirer de leurs fonctions? qui affec-
teraient un grand souci des pauvres pour avoir le droit de
tendre impunément la main et retirer ainsi d'utiles profits pour
eux ? simulant même l'indignation lorsque les riches parlent
d'employer leurs richesses à honorer Dieu dans son culte, à lui
élever des sanctuaires, à les orner? Ne vaudrait-il pas mieux,
s'éc; ient-ils comme Judas, consacrer tout cet argent aux pauvres?
L'exemple de Judas doit nous faire réfléchir. Ce malheureux
apôtre était loin de soupçonner jusqu'où le mènerait son amour
du bien-être. Tremblons de lui ressembler, même de loin.
III
Mais pour que le prêtre comprenne et remplisse sa mission
d'étpnome de Dieu auprès des pauvres, il faut qu'il ne soit
animé que de l'esprit chrétien, dans ses oeuvres corporelles,
lorsqu'il donne à manger à ceux qui ont faim, lorsqu'il assiste
les malades, qu'il console les affligés, comme dans ses oeuvres
spirituelles, lorsqu'il instruit les ignorants. Bienheureux celui
qui sait voir dans le pauvre un frère malheureux que Dieu lui
confie et qui sait se dévouer pour lui venir en aide afin de tra-
vailler au salut de son âme ! Il est de ceux auxquels Notre- Sei-
gneur promet de faire miséricorde. L'abbé M.
LE COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE L'EPINE
LE MARDI 3 JUIN 1890
Discours de Mgr Freppel.
Locus in quo stas. terra sanela est.
Le lieu où vous êtes est une terre sainte.
(Exode, m, 5.)
Eminence, Messeigneurs,
Mes Frères,
L'Eglise catholique a ses dates célèbres, ses grandes journées
qui marquent pour ses enfants le point de départ d'un accroisse-
570 ANNALBS CATHOLIQUES
ment de foi, de piété, de vie surnaturelle. Ce fut un pareil jour
lorsque, le 8 décembre 1854, l'immortel Pie IX définissait, aux
applaudissements du monde chrétien, le dogme de l'immaculée
conception de Marie. A partir de ce jour mémorable à jamais,
nous avons vu redoubler, d'une extrémité de la terre à l'autre,
la dévotion des fidèles envers la Mère de Dieu. Il ne manquait,
en effet, depuis le concile d'Ephèse, que d'attacher ce dernier
fleuron au diadème de la Vierge pour faire rayonner dans toute
sa splendeur la souveraineté de cette Reine des anges et des
hommes. Les peuples ont compris ce solennel enseignement.
Non contents de reprendre avec une nouvelle confiance le
chemin des sanctuaires de Notre-Dame, de relever ses autels,
de célébrer le mois plus spécialement consacré en son honneur,
ils ont voulu résumer leur vénération dans un acte dont le sym-
bolisme unique put être saisi de tous. Et comme l'acte du cou-
ronnement est ici-bas la reconnaissance la plus éclatante du
pouvoir, nos diocèses de France, les uns après les autres, se
sont tournés vers quelque image désignée par le miracle à la
dévotion des fidèles ; et là, entrelaçant d'or et de perles le signe
de la puissance souveraine, ils en ont fait un emblème de la
couronne céleste de Marie, de cette couronne faite de l'inno-
cence la plus pure, de la dignité la plus haute, de la charité la
plus tendre, de la sainteté la plus parfaite. Puis enfin, ce sym-
bole de la royauté béni par le Vicaire du Christ, ils sont allés
le déposer pieusement, par les mains de leurs premiers pas-
teurs, au front de la fille de Juda, en lui disant: « Salut, ô
Vierge des vierges ! Salut, ô Mère de Dieu ! Salut, ô Reine du
ciel et de la terre ! »
Voilà ce que nous avons vu se produire depuis trente ans, et
j'ose dire que ces couronnements de la Vierge, renouvelés d'un
diocèse à l'autre, sont l'un des évé-nements les plus merveilleux
de notre époque ; car, au milieu de tant d'erreurs et de défail-
lances, ces grandes manifestations populaires témoignent d'une
foi toujours vivante à l'ordre surnaturel, à la divinité de Jésus-
Christ, à l'œuvre de la Rédemption, à l'efficacité toute-puis-
sante de la grâce, aux destinées immortelles de l'Eglise, aux
fins glorieuses de l'humanité, aux splendeurs et aux magni-
ficences de ce plan divin qui reste le premier et le dernier mot
de toutes choses.
Mais, outre cette haute signification qui leur est commune à
toup, chacun de ces couronnements a de plus son sens propre,
COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE l'ÉPINE 571
son caractère spécial ; cai'il prend ses origines dans quelque
événement particulier autour duquel s'est déroulée l'histoire
religieuse d'une province. Il y a là tout un passé qui revit avec
ses glorieux souvenirs, tout un avenir qui se prépare avec ses
consolantes promesses. Une image de Marie couronnée par la
piété des fidèles, c'est à la fois le mémorial d'un grand bienfait
et le gage d'une insigne protection. Quel est ce bienfait dont
nous célébrons aujourd'hui la mémoire? Quelle est cette protec-
tion que nous demandons à Notre-Dame de l'Epine? C'est ce que
je voudrais vous dire en rappelant la touchante page d'histoire
écrite de la main de Dieu lui-même sur cette terre devenue par
là une terre sainte : Locus in quo stas, terra sancta est.
Vous avez eu raison d'espérer, Monseigneur de Châlons, dans
une éloquente lettre pastorale encore présente à nos esprits, que
le couronnement de Notre-Dame de l'Epine réveillerait la foi
de votre peuple. Nous en avons déjàpa preuve dans le magni-
fique spectacle dont nous sommes témoins. Cet immense
concours de fidèles accourus à votre voix ; ces paroisses entières
venues la croix en tête et sous la bannière de leurs saints
patrons ; ce clergé si nombreux et ces princes de l'Eglise fai-
sant cortège à votre éminent métropolitain; ces hommages qui
montent vers Marie de tous les points de votre diocèse, et
auxquels des milliers d'âmes s'associent avec un pieux enthou-
siasme sur les lieux oii nous sommes, tout cela fait présager le
profond retentissement que laissera dans tous les coeurs cette
fête consacrée à la glorification de la Vierge Marie et qui
restera pour vous-même un grand honneur et une grande
consolation.
I
Transportons-nous un instant par la pensée à quelque trois
mille ans d'ici, sur l'antique terre des Pharaons. Une race
prédestinée aux plus grandes choses de l'histoire y gémissait
sous le joug delà servitude. Il semblait que les promesses de
Dieu au père des croyants fussent devenues vaines pour la des-
cendance d'Abraham. Tout ce grand passé, rempli de tant de
merveilles, allait disparaître dans un esclavage ignominieux,
sans laisser derrière lui les semences fécondes de l'avenir.
Encore quelque temps, et Jéhovah s'effaçait du cœur de son
peuple pour faire place aux idoles de l'Egypte. Mais voici qu'un
jour, au pied d'une montagne de l'Arabie, un berger, menant
572 ANNALES CATHOLIQCKS
paître ses brebis, vit un buisson qui brûlait sans se consumer;
et au milieu de ce buisson ardent, Celui qui est lui dit :
« N'approche pas, car ce lieu est une terre sainte : locus in quo
stàs, terra sancta est. » Puis il lui ordonna d'aller délivrer son
peuple. Moïse obéit à cet ordre, et vous savez quelle en fut la
suite. Le buisson lumioeux de l'Horeb avait été le signe et le
gage de la délivrance d'Israël.
Que vous semble, mes Frères? N'êtes-vous pas frappés,
comme moi, de l'analogie de ce prodige avec celui que rappelle
le couronnement de Notre-Dame de l'Epine? Et pourquoi nous
étonner d'un rapprochement qui naît de lui-même? L'Eglise
n'est-elle pas le peuple de Dieu devenu l'humanité tout entière?
La France n'a-t-elle pas rempli dans l'histoire de ce nouvel
Israël le rôle de la tribu de Juda, jusqu'à mériter le titre de
soldat de la Providence? Or, avait-on jamais vu une situation
plus lamentable que celle de la France, et j'ose ajouter de
l'Eglise elle-même, à l'époque dont le souvenir se rattache à la
solennité de ce jour? L'Europe chrétienne livrée aux agitations
d'un schisme désolant et qui paraissait sans remède, pendant
que le mahométisme, triomphant à Nicopolis, poussait ses
hordes victorieuses le long du Danube. En France, des
désastres inouïs jusqu'alors: Crécy, Poitiers, et bientôt après
Azincourt, ce terrible Sedan du xv* siècle: un roi en démence;
une mère dénaturée détrônant son propre fils au profit de
l'étranger, dans un pacte infâme; un enfant anglais sacré roi
de France, sous les voûtes de Notre-Dame de Paris, avec l'assen-
timent des Etats du royaume; des factions rivales se disputant
les lambeaux de la patrie déchirée par leurs fureurs fratricides ;
partout le meurtre, le parjure, l'incendie des villes et le ravage
des campagnes : non, le peuple hébreu asservi par Pharaon
n'avait pas subi d'aussi grandes calamités ; et, au fond des
carrières où s'épuisaient ses dernières forces, du pied des Pyra-
mides, travail d'esclaves victimes d'un despotisme insensé,
Israël n'avait pas poussé vers Jéhovah un pareil cri de détresse.
Où donc apparaîtra le signe de la délivrance ? Où verra-t-on
reluire le buisson ardent du milieu duquel la voix de la miséri-
corde se fera entendre pour annoncer à la France l'approche
du salut?
Le 24 mars de l'année 1400, dans un coin perdu de ces champs
catalauniques où plusieurs siècles auparavant, la civilisation et
la barbarie s'était entrechoquées dans un duel gigantesque, des
COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE L'ÉPINE 573
bergers conduisant leurs troupeaux, comme autrefois le pâtre
de Madian, virent au déclin du jour, sur le penchant d'une
colline, un buisson dont les branches, les feuilles et les épines
brûlaient sans se consumer, et, au milieu des flammes, une
statue de Celle que l'Eglise invoque depuis dix-huit siècles sous
le nom de « Mère de miséricorde ». Toute la nuit et tout le
jour suivant, le prodige se continua, sous les yeux de l'évêque
de Châlons, de son clergé, d'une multitude de fidèles, pour ne
laisser subsister aucun doute sur la réalité de cette interven-
tion divine.
Et que signifiait cette répétition de la scène mystérieuse du
mont Horeb ? Etait-ce l'annonce prophétique de jours meilleurs
pour l'Eglise et pour la France ? Comme jadis les bergers de
Bethléem auxquels l'ange du Seigneur portait la bonne nouvelle,
ces petits, ces humbles de la terre, ces pâtres de Courtisols et
de Melette avaient-ils été choisis de Dieu pour apercevoir et
saluer les premiers signes de la délivrance ? Il y a toujours
quelque témérité à vouloir soulever un coin du voile dont la
Providence recouvre ses desseins. Mais ce qu'il y a de certain,
c'est que, à partir du merveilleux événement des landes de la
Champagne, tout semble changer de face. Deux ans après, le
mahométisme subissait dans les plaines d'Ancyre un désastre
qui, au lieu de n'être qu'un temps d'arrêt, aurait pu devenir sa
fin. Le concile de Pise allait mettre la main à la pacification de
la chrétienté; et, pour achever l'œuvre de miséricorde qu'avait
fait pressentir le buisson lumineux de l'Epine, onze ans plus
tard, à quelques lieues de là, sur les confins mêmes de la Cham-
pagne et de la Lorraine, naissait la libératrice de la France,
Jeanne d'Arc.
Ainsi la Providence fait-elle éclater les signes avant-coureurs
de son intervention dans les choses de ce monde. Ainsi se plaît-
elle à échelonner les miracles tout le long de l'histoire, sur la
route de l'humanité chrétienne, pour soutenir et ranimer la foi
des peuples. Tout ce drame merveilleux de la délivrance, dont
la vierge de Domrémy occupe le sommet, pourra se dérouler
ailleurs, à Orléans, à Reims, en vingt lieux divers ; mais c'est
du hameau de l'Epine, de cette terre sainte où nous sommes,
qu'était partie l'annonce de la miséricorde. C'est ici que la mère
de Dieu venait de montrer à la France son divin Fils prêt à
opérer le salut par des voies encore ignorées de tous. Aussi vos
pieux ancêtres ne s'y sont-ils pas trompés. A l'instant même,
574 ANNALES CATHOLIQUES
et malgré les calamités qui les enveloppaient de toutes parts,
ils se mirent à l'œuvre pour perpétuer le souvenir d'une si
grande grâce par un monument digne d'elle. C'est le peuple qui,
tout d'abord, jettera les fondements de l'édifice, ce peuple d'ar-
tisans et de laboureurs, restés fidèles à la cause religieuse et
nationale au milieu de tant de défections parties de si haut.
Puis viendront les princes, les grands de la terre, Charles VII,
Louis XI, pour reconnaître à leur tour les bienfaits de Marie,
enjoignant les témoignages de leur munificence aux ofi'randes
de la piété populaire; et de leurs efi'orts réunis sortira un
chef-d'œuvre de l'art chrétien, ce magnifique temple qui,
désormais, allait rester debout au milieu de la Champagne
comme un boulevard contre tous les ennemis de la religion et
de la patrie.
Ne semble-t-il pas, en eiFet, mes Frères, qu'à partir de ce
moment solennel dans votre histoire, Notre-Dame de l'Epine
soit devenue le point central de toutes les attaques et de toutes
les résistances? Tant elle apparaissait aux yeux de tous comme
un signe de délivrance et un gage de protection I A peine cette
église, mémorial insigne de l'intervention divine, était-elle
sortie de terre, que les ennemis de la France résolurent de la
détruire, pour effacer jusqu'au dernier vestige d'un miracle si
manifestement lié à la ruine de leurs espérances. Mais ils avaient
compté sans la surveillance de vos pères attachés à un temple
devenu leur gloire, et sans la bravoure de ce noble seigneur de
Barbazan, qui, vainqueur des Anglais à la bataille de la Croi-
sette, allait rejoindre, à quelques années de là, sous les voûtes
funèbres de la basilique de Saint-Denis^ les Duguesclin et les
Clisson, ses aînés et ses émules dans la carrière de l'honneur et
de la fidélité.
La délivrance était complète. Mais, pour accomplir leurs
destinées providentielles au prix de la lutte et du sacrifice, les
peuples comme les individus ne sortent d'une épreuve que pour
en subir une autre. Après le siècle de l'invasion étrangère,
voici venir le siècle de l'hérésie. Vous savez si la Champagne
châlonnaise fut épargnée par ce fléau, malgré le zèle de ses
évoques, des Lenoncourt, des Jérôme Bourgeois, des Cosme
Clausse. On put craindre un instant que la secte calviniste,
favorisée par une politique dépourvue de franchise et d'honnê-
teté, ne parvînt à s'y implanter à force de ruses et de violences.
Mais Celle qui, dans le langage si profond de l'Eglise, a tué
COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE l'ÉPINE 575
toutes les hérésies dans le monde entier, parce qu'elle nous a
donné « l'auteur et le consommateur de la foi », Auctoy^em
fidei et consummatorem (1), Marie veillait sur son peuple fidèle.
Ne lui avait-elle pas montré son image dans le buisson de
l'Epine, comme un signe de délivrance et un gage de protection ?
Aussi est-ce contre le temple, mémorial de ce miracle, que
l'hérésie tournera ses fureurs. Un jour de l'année 1562, les deux
Colignj, ces tjpes accomplis du traître à l'Eglise et à la patrie,
viendront menacer de leurs vengeances l'église de Notre-Dame
de l'Epine. Mais, cette fois encore, les descendants des bergers
et des laboureurs de Courtisols sauront défendre le monument
élevé par leurs pères; et comme à l'époque de Jeanne d'Afc,
c'est de Champagne, d'un archidiaconé du diocèse de Châlons,
du château de Joinville, berceau des trois Guise^ fils de Fran-
çois de Lorraine, que sortira la Ligue, ce mouvement catholique
et national qui arrêtera l'hérésie sur le chemin du trône, pour
conserver à la France, avec ses traditions dix fois séculaires,
l'honneur et le titre de fille aînée de l'Eglise.
Est-ce tout, mes Frères ? Ai-je épuisé la série des marques
de protection que Notre-Dame de l'Epine a fait éclater au milieu
de vous! Voyez-vous ce nouvel adversaire de l'Eglise, qui
s'avance sous les dehors d'une orthodoxie rigide ; ce demi-calvi-
nisme aux formules hypocrites, avec ses sécheresses et ses
aridités, avec son Christ aux bras étz'oits et ses maximes déso-
lantes pour les pauvres pécheurs, avec son symbole oii le
désespoir prend la place de la confiance et oii Dieu cesse d'être
un père pour devenir un tyran? Non, jamais la foi de vos
ancêtres n'avait couru un péril aussi grave, d'autant plus que
ces nouveautés trouvaient un accueil trop complaisant auprès
de ceux-là mêmes qui auraient dii être les premiers à les com-
battre, en prémunissant leur peuple contre les erreurs de
Jansénius et de Quesnel. Est-ce trop s'avancer que d'attribuer
à Notre-Dame de l'Epine et à son culte, alors si répandu dans
le diocèse de Châlons, les insuccès d'une hérésie la plus subtile
et la plus dangereuse de toutes? Qu'y avait-il, en eâ"et, de plus
contraire aux duretés d'une secte impitoyable que la dévotion
envers la Mère de miséricorde '/D'un côté, il n'y a qu'anathèmes
et menaces; de l'autre, tout est douceur et bonté. Non, n'hési-
tons pas à le dire, si, malgré les ravages trop certains que le
(1) Epître aux Hébreux, xii, 202.
576 A.NNALES CATHOLIQUES
jansénisme aexercés dans ce pays, la foi n'a pas subi d'atteintes
encore plus profondes; si les populations, rebutées par un
rigorisme aussi déraisonnable que funeste, ne se sont pas éloi-
gnées davantage des sources delà grâce; si le zèle épiscopal de
Mgr de Juigné, secondé par de pieux prêtres, parvint à ralentir
la marche du fléau, il faut en remercier Celle qui était restée
au milieu de son peuple, lui présentant, comme autrefois dans
le buisson de l'Epine, sous les traits de l'Enfant Jésus, l'image
si douce et si consolante du Dieu de clémence et de bonté.
Arrivé à ce moment de votre histoire, je voudrais pouvoir
m'arrêter. J'aimerais n'avoir pas à rappeler ce que la révolution,
assemblage confus de toutes les erreurs du passé, préparait à
vos contrées de violences et de malheurs. Ce temple, splendide
monument de la foi de vos pères, ne pouvait échapper à la
profanation universelle des choses saintes. Mais, du moins,
l'impiété ne parviendra- t-el le pas à détruire l'image miraculeuse
qui avait été depuis quatre cents ans un signe de délivrance et
un gage de protection. Notre-Dame de l'Epine continuera de
veiller sur son peuple du haut de ce trône de miséricorde qu'elle
s'était choisi à l'une des époques les plus tristes de notre histoire.
Elle lui apparaîtra comme l'étoile du salut, lorsqu'au sortir de
la tourmente révolutionnaire elle obtiendra de son divin Fils la
réconciliation de l'Eglise et de la patrie. Elle ne le perdra pas
de vue durant ce drame prodigieux de quinze ans, où devaient
se rencontrer toutes les extrémités des choses humaines et qui
allait se dénouer quelque jour dans les plaines de la Champagne.
Montmirail, Champ-Aubert, Vauchamps, quels noms et quels
souvenirs I C'est le crépuscule de la gloire et du génie, encore
plus resplendissants peut-être qu'à leur aurore et dans leur
plein midi. A un demi-siècle de là, c'est encore sous le regard
protecteur de Notre-Dame de l'Epine que se formera, dans un
camp célèbre, cette magnifique armée qui, malgré des revers
immérités, est demeurée notre espérance et notre force. Et
pendant que les souverains eux-mêmes venaient en ces lieux
rendre hommage à la patronne de la France, Châlons avait le
bonheur de posséder des évêques comme ce vénérable Mgr de
Prilly, dont la haute figure jette encore un reflet d'honneur sur
tout le diocèse; ses dignes successeurs restauraient les églises,
réparaient les séminaires, multipliaient les œuvres de piété,
environnaient d'un nouvel éclat le culte des premiers apôtres de
la Champagne. Notre-Dame de l'Epine demeurait la reine de
COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE l/ÉPINE 577
son peuple, et ses faveurs dans le passé faisaient présager les
bénédictions de l'avenir.
II
Le couronnement des princes a coutume d'être pour les
peuples une source de bienfaits. Car ce n'est pas une vaine
pompe, ni un simple apparat que cet éclatant hommage rendu
au pouvoir légitime. Lorsqu'autrefois, sous les voûtes de la
cathédrale de Reims, l'Eglise, organe de Dieu et de la nation,
déposait sur la tête d'un homme le signe du commandement
suprême, cet acte solennel avait pour résultat d'entretenir et
de fortifier dans les âmes le respect de l'autorité, l'attachement
et la fidélité aux lois du pays. Le sacre d'un souverain, c'était
le pacte fondamental renouvelé de part et d'autre, sous le regard
de Dieu et au pied des autels, pour assurer, avec l'union des
cœurs, la grandeur et la prospérité de la patrie.
Le sacre d'un souverain, c'était au«si, l'histoire nous l'apprend,
une occasion unique de répandre des largesses sur tout un
peuple, la grâce et l'amnistie accordées à des coupables, un
allégement des charges publiques, comme don de joyeux avène-
ment. Ah ! sans doute, ces images sont bien pâles lorsqu'on les
applique à un ordre de choses infiniment plus élevé. Qu'est-ce
que le pouvoir d'un homme en regard de la toute-puissance de
prière et d'intercession qui réside en Marie ? Quel moyen de
comparer la bonté d'un prince de la terre à une tendresse qui
n'a d'égale qu'une dignité incommensurable comme elle ? Mais
enfin, pour élever jusqu'à lui notre faible intelligence, Dieu a
voulu qu'il y eût un certain rapport entre les choses de la terre
et celles du ciel. Et dès lors vous êtes en droit de me demander
ce que nous attendons du couronnement de Notre-Dame de
l'Epine.
Ici, mes Frères, permettez à mon coeur d'évêque de s'épan-
•cher au milieu de vous. Lorsqu'on étudie cette portion si inté-
ressante de la France, on ne peut qu'apprécier tout ce qu'il y
a de qualités et de vertus naturelles dans ces populations probes
et laborieuses, remplies de bon sens et d'honnêteté, formées de
longue date aux habitudes d'ordre et de discipline, et portant
à un si haut degré, comme l'héritage de dix-huit siècles de
christianisme, le respect du foyer domestique et l'amour de la
patrie. Mais la foi pratique qu'est-elle devenue? Mais ces grands
côtés de l'âme humaine par oii elle touche à l'infini: ces éléva-
tions vers Dieu par la prière intime ou publique ; cette culturfl
42
578 ANNALES CATHOLIQUES
de la plus haute partie de nous-mêmes par le travail de la grâce
puisée à la source des sacrements ; cette participation régulière
au sacrifice de l'Homme-Dieu, renouvelé sur nos autels dans
l'adoration, dans la louange et dans l'action de grâces; cette
croyance profonde à nos immortelles destinées, qui fait que le
chrétien se sent à l'étroit dans les bornes de ce monde, heureux
qu'il est de pouvoir échapper par intervalle au terre à terre et
à la vulgarité des intérêts d'ici-bas ; en un mot, cette vie sur-
naturelle et divine que nous devons entretenir en nous, pour
qu'elle devienne un jour dans le sein de Dieu la vie éternelle et
glorieuse, tout cela n'a-t-il pas disparu, ou du moins ne s'est-il
pas affaibli par suite de cette indifférence religieuse qui est le
plus grand fléau dont les ravages puissent désoler un pays?
Ah ! si, aux qualités et aux vertus naturelles dont je viens de
parler, venait s'ajouter, pour les agrandir et les perfectionner,
la pratique fidèle et constante du devoir religieux, nous assiste-
rions à un magnifique développement de force et de dignité
morale; rien ne dépasserait en France la splendeur et la fécon-
dité de vos œuvres. Votre illustre compatriote, Royer-Collard,
ce grand esprit dont le regard ferme et pénétrant avait sondé
toutes les infirmités humaines, disait sur son lit de mort :
« Il n'y a de solide en ce monde que les idées religieuses; ne les
abandonnez jamais, et, si vous en sortez, rentrez-y. » Oui, ren-
trez-y, habitants de la Champagne, pour en faire la règle de
votre vie. Vous travaillez avec une ardeur infatigable à acquérir
et à conserver les biens de la terre; mais, quoique vous fassiez
pour retenir cette figure du monde qui passe, tout vous fuit,
tout vous échappe, tout vous glisse entre les doigts : la fortune
change, la santé se consume, la beauté se flétrit, l'amitié s'al-
tère, la renommée se dissipe, la vie s'éteint. Tout s'use, tout
«e fane, tout s'écoule avec le temps ; seule la foi demeure, avec
les mérites qu'elle s'est acquis par la pratique du devoir et
l'accomplissement de la loi de Dieu.
La disparition du fléau de l'indifférence religieuse, voilà ce
que nous attendons du couronnement de Notre-Dame de l'Epine,
Nous en espérons une deuxième grâce.
Quand le vénérable Mgr de Prilly, ce prélat de pieuse
mémoire qui, après avoir, dans sa jeunesse, servi son pays sur
les champs de bataille de Zurich et d'Austerlitz, venait de
porter un si grand zèle dans le ministèi'e pastoral, lorsque,
dis-je, il se vit à son heure dernière, repassant dans son esprit
COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE l'ÉPINE 579
ce qui l'avait le plus affligé pendant ses trente-six années d'épis-
copat, il youlut adresser à ses diocésains une recommandation
suprême, en ordonnant de graver sur sa tombe ce simple mot,
oii se résumait toute sa sollicitude : < Sanctifiez le dimanche. »
Il avait pu mesurer par une longue expérience les lamentables
effets du mépris de cette grande loi : la désertion des offices,
l'abandon des sacrements, l'oubli de tous les devoirs, l'igno-
rance des vérités de Ja foi, la destruction de l'esprit de famille,
l'afi'aiblissement, sinon l'extinction complète de la vie religieuse
et morale. C'est avec une douleur profonde qu'il avait vu appa-
raître, après 1830, ce type avili d'une civilisation en déclin, cet
homme déchu de ses grandeurs chrétiennes, qui, le jour du
Seigneur et à l'heure même où ses frères réunis dans le lieu
saint élèvent leur âme vers le ciel, est là, courbé sur une motte
de terre, poussant devant lui ses bêtes de somme, plus abaissé
qu'elles-mêmes, parce qu'il est descendu d'autant plus bas
qu'il est tombé de plus haut, et que, loin d'ignorer ce qu'il
doit à Dieu, il aggrave sa révolte du poids de sa raison.
Ah ! si, en retourdes hommages que nous lui rendons aujour-
d'hui, Notre-Dame de l'Epine daignait vous obtenir la guérison
de cette plaie qui gagne de plus en plus vos campagnes; si, à
partir de ce moment, il s'opérait une réaction vigoureuse contre
cette profanation du dimanche, qui, aux yeux de toutes les
nations chrétiennes, est pour la France une marque d'abaisse-
ment et un sujet d'humiliation, ce serait pour le diocèse de
Chàlons et pour toute la Champagne une nouvelle èie de gran-
deur morale et de vraie prospérité.
Mais quoi, mes Frères! n'est-il pas une autre grâce que nous
avons tout lieu d'espérer du couronnement de Notre-Dame de
l'Epine, une grâce qui se rattache à ce qu'il y a de plus spécial
et de plus caractéristique dans le culte que vous rendez en
ces lieux à la Reine des anges ? Lorsque, le 24 mars de l'année
1400, les bergers de Courtisols et de Molette virent, au milieu
d'une clarté éblouissante, la statue de la Vierge tenant son Fils
entre ses bras, la tradition rapporte que les brebis s'enfuirent
tout efifrayées vers la plaine, tandis que les agneaux seuls
osèrent s'approcher du buisson lumineux. Est-ce pour répondre
à ce gracieux détail que Notre-Dame de l'Epine est devenue
par excellence le pèlerinage des petits enfants ? Le fait est
qu'il n'y a pas de spectacle plus touchant que de voir ici, aux
fêtes de l'Assomption et de la Nativité, des centaines d'enfants
580 ANNALES CATHOLIQUES
venir de toutes parts recevoir la bénédiction de Marie et se
placer sous sa protection, afin d'échapper aux dangers qui
menacent le jeune âge.
Or, y a-t-il janaais eu d'époque oii l'enfance chrétienne ait
eu plus besoin de la protection de Marie? Et que de motifs
n'avons-nous pas d'attendre une telle grâce du couronnement
de Notre-Dame de l'Epine? Le grand péril social de notre temps,
celui qui nous fait trembler davantage pour l'avenir des généra-
tions, n'est-ce pas tout ce que l'on a déjà fait contre les petits et
les faibles, contre les agneaux du troupeau de Jésus-Christ? Un
système d'éducation d'où la religion est complètement bannie
avec ses lumières et ses secours, avec ses influences et ses
moyens d'action que rien ne peut remplacer; des lois qui, sous
prétexte de neutralité, livrent la jeunesse à des maîtres sans
convictions ni principes, et qui, en eussent-ils, n'ont plus même
le droit de parler à leurs élèves de Jésus-Christ, de l'Evangile
et de l'Eglise, de tout ce qui devra inspirer et gouverner leur
vie ; l'athéisme, c'est-à-dire le néant, à l'origine et au point de
départ de l'homme et du citoyen, à la base de formation des
intelligences, des caractères et des volontés; la négligence des
parents et le mauvais exemple venant s'ajouter trop souvent
aux défaillances et aux attaques du dehors; quelles perspec-
tives, grand Dieu ! et pour les pasteurs des âmes quel sujet
d'inquiétudes et d'alarmes ! Ah ! redoublez de sollicitude mater-
nelle à l'égard de ces chers enfants, ô Mère de Jésus! Permet-
tez-nous d'espérer que le jour de votre couronnement sera pour
eux un signe de délivrance et un gage de protection !
Je viens de toucher à l'avenir et aux destinées de la France,
et c'est une dernière grâce que nous attendons du couronne-
ment de Notre-Dame de l'Epine. Vous voilà devenus, mes très
chers Frères, le dernier rempart de la patrie, comme au temps
où la deuxième Gaule Belgique s'arrêtait à vos frontières. Et,
certes, l'honneur du pays ne saurait être en de plus vaillantes
mains. Quatre-vingt-dix-neuf grenadiers de ma vieille garde
et un Champenois font cent braves, disait le plus grand capi-
taine des temps modernes. Il se souvenait sans doute de l'hé-
roïque résistance de Châlons, le 5 février 1814. Et cependant
laissez-moi exprimer le souhait que le fossé de la France soit
reporté plus loin, là où la Providence l'a marqué de son doigt,
là où un homme de génie, César, le traçait pour toute la suite
des temps ; que vos immenses plaines cessent d'être le champ
ABOLITION DE l'eSCLAVAGE EN TUNISIE 581
de bataille où les nations de l'Europe sont venues tant de fois
vider leurs querelles, et que le fléau de la guerre s'éloigne à
jamais de vous! Daigne Notre-Dame de l'Epine exaucer ce der-
nier vœu, pour le bonheur de la contrée au milieu de laquelle
il lui a plu d'ériger le trône de sa miséricorde !
Dans quelques instants, un prince de l'Eglise, délégué par le
Souverain Pontife, va couronner solennellement la statue mira-
culeuse qui depuis quatre siècles s'élève au milieu de vous ; et,
à la suite de cette auguste cérémonie, votre vénérable évêque
renouvellera la consécration de son diocèse à Notre-Dame de
l'Epine. Puisse cet acte de consécration trouver de l'écho dans
tous les cœurs et les réunir dans un même sentiment de foi et
de dévotion à la Très Sainte Vierge ! Puissent les bénédictions
de l'avenir répondre à celles dupasse! Puisse enfin cette grande
journée du 3 juin 1890 marquer à jamais dans l'histoire de la
Champagne catholique, pour l'honneur de tous ses enfants,
pour leur félicité dans le temps et dans l'éternité! Ainsi-soit-ilî
ABOLITION ET REPRESSION DE L'ESCLAVAGE
EN TUNISIE
Mgr Brincat, directeur général de l'Œuvre antiesclavagiste,
vient de recevoir de S. Em. le cardinal Lavigerie la lettre sui-
vante, qu'il nous fait l'honneur de nous communiquer :
Monseigneur,
J'apprends que plusieurs de nos associés s'inquiètent des bruits
répandus par certains journaux relativenaent à l'esclavage en Tunisie,
Vous devez penser que je me suis moi-même préoccupé de cette
grave question, depuis les dix années que j'exerce dans ce pays les
fonctions épiscopales, et surtout depuis que je travaille à la fonda-
tion de notre Œuvre antiesclavagiste. Je crois donc pouvoir vous dire
que, même avant l'occupation française et notre protectorat, la ques-
tion se présentait ici exactement dans les mêmes termes où elle se
présentait en Algérie.
Il est impossible, en effet, sur les frontières du Sahara, et avec un
service régulier de bateaux qui se rendent chaque semaine à Tripoli,
d'éviter l'introduction frauduleuse, sur une pareille étendue de fron-
tières, d'esclaves noirs ou même blancs amenés ici du Soudan et de
Constantinople, et vendus, la plupart fort cher, aux riches proprié-
taires musulmans et quelquefois aux princes eux-mêmes.
Il est également impossible de triompher de l'attachement de tous
les anciens esclaves pour leurs maîtres. Je l'ai constaté à plusieurs
reprises dans mes prédications et dans mes lettres: l'esclavage mu-
582 ANNALES CATHOLIQUES
sulmaa prend facilement l'aspect d'une sorte d'association ou d'adop-
tion dans la famille ; on épouse volontiers les femmes esclaves ; on
coDÛe aux hommes les missions délicates de l'intérieur, et tout le
monde sait que le premier ministre en fonctions avant l'occupation
française était un ancien esclave acheté par le beylic à Constanti-
nople et chargé peu à peu, grâce à son intelligence, de fonctions de
plus en plus élevées, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à la première,
après celle de son maître.
Quelques-uns en ont conclu, bien à tort il est vrai, à la légitimité
et même à l'action bienfaisante de l'esclavage dans ces contrées; mais
ils ont oublié, à côté de ces résultats partiels qui frappaient ici leurs
yeux, tout ce qu'il a fallu de souffrances, d'atrocités, de misères, de
la part de tant de milliers d'hommes pour arriver ainsi à créer à
quelques-uns une situation enviable.
Pour conduire ces esclaves jusqu'au sein de nos familles musul-
manes, il a fallu, en effet, la chasse ,à l'homme, les incendies, les
massacres, les voyages à travers les sables du désert, les infamies de
toutes sortes contre les femmes et même souvent contre les hommes,
en un mot le désespoir, la fin inhumaine, misérable, de tant de mil-
liers et même, si l'on prend la question dans son ensemble, 'de mil-
lions de créatures humaines ; et voijà pourquoi l'esclavage même le
plus doux, le serait-il davantage encore, est toujours odieux et con-
traire au droit naturel, comme l'a déclaré notre grand Léon XIII,
pour les seules horreurs au moyen desquelles il s'alimente.
Mais ici ces horreurs étaient éloignées. On ne pouvait constater
que la cupidité des marchands, qui traiiquaieût secrètement de leurs
troupeaux humains introduits par fraude en Tunisie comme en.
Algérie, et ensuite le bien-être relatif des pauvres créatures qu'ils
avaient ainsi vendues.
L'opinion publique musulmane était donc tout entière favorable à
l'esclavage. Mais, à mesure que l'influence des idées françaises et
chrétiennes s'est répandue, l'esclavage a plus difficilement trouvé
grâce non pas seulement dans les lois, où il a été bientôt prohibé,
même en Tunisie, mais aussi dans les faits.
En Algérie, il a presque complètement disparu, sauf sur les oasis
de l'extrême Sud, et il n'en restera plus bientôt de trace nulle part.
En Tunisie, où notre action s'exerce depuis un temps beaucoup plus
court, on peut encore sans doute citer quelques exemples isolés,
principalement dans les anciennes familles, qui ont gardé leurs
esclaves par tradition ; mais le nombre en diminue tous les jours, et
nous ne tarderons pas à le voir aussi complètement disparaître.
Cependant, notre ministre réaident, pensant avec raison que, dans
l'intérêt même de l'honneur français, il valait mieux traiter secrète-
ment avec le Bey cette question délicate que d'en faire un sujet de
controverse et de débats publics, a amené doucement Sidi-Ali-Bey
ABOLITION DE L'ESCLAVAGE EN TUNISIE 583
et son premier ministre, Si-El-Aziz, à prendre une décision efficace
pour l'abolition légale de l'esclavage dans la Régence.
M. Massicault m'avait fait l'honneur, sachant tout l'intérêt que je
porte naturellement à une telle question, de m'entretenir plusieurs
fois de ses intentions, et il a bien voulu me communiquer enfin le
texte du décret qu'il a, d'après les instructions de M. Ribot, fait
signer païf le Key à cet égard.
Le voici; il intéressera certainement tous les associés de notre
Œuvre; je vous prie de le leur communiquer, en attendant qu'il soit
publié par rO/y^cter^untst^n, ce qui se fera, m'assure-t-on, dans la
présente semaine.
Croyez-moi, cher Monseigneur, avec un dévouement toujours
paternel.
Votre affectionné et respectueux serviteur,
•j- Ch. Cardinal Lavigerie.
Carthage, le 26 mai 1890. ■ ;• . .
Décret sur l'Esclavage.
Louanges à Dieu!
Nous, Sidi-Ali-Bev, etc., etc.
Vu le décret de notre glorieux prédécesseur, Sidi-Ahmed-Bey,
du 25 moharrem 1262 (23 janvier 1846), portant que, par les
plus hautes considérations de religion, d'humanité et de poli-
tique, l'esclavage ne sera plus reconnu dans la Régence;
Considérant que, depuis lors, d'expresses recommandations
de nos prédécesseurs ont supprimé les marchés d'esclaves,
ordonné que tous ceux qui étaient venus dans la Régence en
cette qualité y seraient affranchis, et décidé que les caïds de-
vraient, sous les peines sévères, signaler au gouvernement les
actes d'esclavage qui arriveraient à leur connaissance;
Vu notamment la circulaire de notre premier ministre du
5 redjeb 1304 (29 juin 1887) adressée aux caïds par notre ordre
et renouvelant ces prescriptions ;
Considérant que nous tenons à honneur de nous associer aux
nobles pensées qui ont inspiré le décret du 25 moharrem 1262
(23 janvier 1846), et qu'il ne peut être que profitable de réunir
en une seule les diverses réglementations existantes qui inter-
disent et punissent l'esclavage dans nos Etats;
Avons décrété ce qui suit :
Art. 1". — L'esclavage n'existe pas et est interdit dans la
Régence; toutes créatures humaines, sans distinction de na-
tionalités ou de couleurs, y sont libres et peuvent également
recourir, si elles se croient lésées, aux lois et aux magistrats.
584 ANNALES CATHOLIQUES ,
Art. II. — Dans un délai de trois mois, à partir de la promul-
gation du présent décret, tous ceux qui emploient en domesti-
cité, dans nos Etats, des nègres ou des négresses, devront, s'ils
ne l'ont déjà fait, remettre à chacun d'eux un acte notarié visé
parle caïd ou son représentant, établi aux frais du maître et
attestant que le serviteur ou la servante est en état de liberté.
Art. III. — Les contraventions à l'article précédent seront
punies par les tribunaux français ou indigènes, selon la nationa-
lité du délinquant, d'une amende de 200 fr. à 2,000 fr.
Art. IV. — Ceux qui seront convaincus d'avoir acheté, vendu
ou retenu comme esclave une créature humaine, seront punis
d'un emprisonnement de trois mois à trois ans.
Art. V. — L'article 463 du code pénal français sera appli-
cable aux délits et contraventions prévus par le présent décret.
L'article 58 du même code sera applicable en cas de récidive.
[Suivent les signatures.)
LES MEMOIRES DE TALLEYRAND
M. de Blowitz a publié dans le Times un article fort intéressant
sur les mémoires de Talleyrand.
Voici la traduction de son article, d'après le Figaro.
Les Mémoires de M. de 7'a^ZeyrancZ comprennent douze divi-
sions depuis son enfance, ses études au collège d'Harcourt, son
entrée et sa sortie du séminaire, jusqu'après sa mission
diplomatique à Londres.
Les passages relatifs à sa famille portent le cachet d'une sen-
sibilité et d'une grâce que l'on sera stupéfait de trouver sous la
plume d'un homme que les jugemeuts incomplets du monde
considèrent comme incapable de ne rien éprouver en dehors de
l'implacable égoïsme que donne une ambition sans mesure.
Je résumerai ce côté, presque touchant, que nous révèlent
ses mémoires, par ce rapide portrait de sa mère, où la tendresse
filiale dévie pourtant promptement vers un jugement un peu
trop absolu porté de parti pris sur quelque tendance particu-
lière à certains hommes.
« Je choisissais, pour aller chez ma mère, les heures où elle
était seule.
« C'était pour jouir davantage des grâces de son esprit. Per-
sonne ne m'a jamais paru avoir dans la conversation un charme
comparable au sien.
LES MÉMOIRES DE TALLEYRAND 585
« Elle n'avait aucune prétention. Elle ne parlait que par
nuances. Jamais elle n'a dit un bon mot. C'était quelque chose
de trop exprimé. Les bons mots se retiennent. Elle ne voulait
que plaire, et perdre ce qu'elle disait : une richesse d'expres-
sions faciles, nouvelles et toujours délicates, fournissait aux
besoins variés de son esprit. Il m'est resté de cela un grand
éloignement pour les personnes, qui, afin de parler avec plus
d'exactitude, n'emploient que des termes techniques. »
Il dira dans un autre endroit, toujours sous la même impres-
sion dont on vient de parler :
« Je ne crois ni à l'esprit ni à la science des gens qui ne con-
naissent pas les équivalents et qui définissent toujours.
« C'est à leur mémoire seule qu'ils doivent ce qu'ils savent,
et alors ils savent mal. »
Dans la première partie de ses mémoires que je continue à
feuilleter en courant, le prince de .Talleyrand s'étend longue-
ment sur le ministère du duc de Choiseul et sur la politique de
l'ancien régime qu'il juge avec une grande hauteur, ne se mon-
trant sévère que pour les fautes que l'on aurait pu éviter sans
trop d'efi'orts, et dans les longues pages dans lesquelles il juge
ainsi ce régime, il montre une profondeur réelle. Mais, là aussi,
sans afiectation aucune, il échappe à l'aridité du sujet, non
seulement par la profondeur saisissante de ses vues, mais
encore par la finesse et la malice pénétrante avec laquelle, che-
min faisant, il évoque des portraits d'hommes et de femmes,
tels que celui de Mme de Pompadour et de la Dubarry, à propos
de laquelle je saisis au passage ce trait, à la fois aimable et
sanglant :
« Elle était supérieure aux voies subalternes par lesquelles
elle était parvenue. »
En continuant l'appréciation de l'ancien régime, il s'arrête
longuement aussi à la peinture à la fois intime et vivante de
l'ancienne société française, dont la puissance était si grande
à cette époque, et dans laquelle, suivant son expression, c on
éprouvait un si grand charme à vivre. »
Ailleurs il dit que, dans son installation à Bellechasse, il lui
arrivait souvent de réunir le duc de Lauzun-Byron, Pachot, le
célèbre banquier; Chamfort, le grand humouriste ; Narbonne,
Choiseul Gouffier, son ami d'enfance; Mirabeau, Dupont de Ne-
mour, et, dans ces conversations, on s'occupait surtout du traité
586 ANNALES CATHOLIQUES
de commerce entre l'Angleterre et la France (1786) qui venait
d'être conclu :
€ Les cabinets de Versailles et de Londres étaient partisans
du traité. Des avantages réciproques devaient en résulter.
■« L'époque était favorable. Depuis 1763, les antipathies na-
tionales paraissaient éteintes; et aussitôt après la reconnais-
sance de l'indépendance des États-Unis par l'Angleterre, dès
communications fréquentes entre la France et la Grande-Breta-
gne avaient détruit bien des prév-entions.
« Les moeurs anglaises étaient effrayées par le luxe français.
Des relations trop suivies pouvaient faire craindre la concur-
rence de notre industrie, dans des travaux où l'industrie an-
glaise n'avait pas encore atteint la supériorité. »
Il explique ensuite que ce traité provo((ua rapidement en
France un mouvement d'opinion défavorable, qui paralysa l'en-
thousiasme du Midi en faveur du traité. « C'était, déjà, l'éter-
nelle opposition des villes maritimes et des villes industrielles »;
et il termine ces réflexions si vraies encore aujourd'hui, par la
page suivante :
« La Normandie, si habile dans la défense de ses intérêts
propres, si importante par sa richesse et sa population, avait
été la première à manifester son opposition.
« Elle publia un long mémoire contre le traité; la voix des
consommateurs fut étouffée, et le traité devint un sujet de
blâme contre le gouvernement. »
Ne dirait-on pas que ces pages sont écrites d'hier ? Plus loin,
Talleyrand, devenu négociateur du clergé Inegociorum gestor),
explique comment ce fut, dans les assemblées générales du
clergé, qu'il prit l'habitude de la parole publique, qui devait faire'
plus tard de lui le grand orateur écouté de la Constituante.
Arrivant aux préliminaires de la Révolution sur laquelle il
s'étend plus que sur la Révolution elle-même, je trouve le
curieux passage suivant. Talleyrand, dans ces lignes, semble
vouloir dégager sa responsabilité dans les événements dans les-
quels, malgré tout, malgré ses efforts et l'habileté diplomatique
qu'il met à s'en défendre, il joua un rôle si considérable et eut
une part si prépondérante.
« Si les historiens s'évertuent à chercher les hommes aux-
quels ils peuvent décerner l'honneur, ou adresser le reproche
LES MÉMOIRES DE TALLEYRAND 587
d'avoir fait, ou dirig-é ou modifié la Révolution française, ils se
donneront une peine superflue. Elle n'a point d'auteur, de chef
ni de guide. Elle a été semée par les écrivains, qai, dans un
siècle éclairé et entreprenant, voulant attaquer les préjugés,
ont renversé les principes religieux et sociaux, et par les minis-
tres inhabiles qui ont augmenté la détresse du Trésor et le
mécontentement du peuple. »
Comme dans ses mémoires que nous sommes en train de par-
courir, Talleyrand s'étend peu sur la Révolution elle-même,
dont il étudie, presque minutieusement, les causes premières.
Je cite ici un passage caractéristique qui juge, avec une sévé-
rité concise^ un des actes les plus graves de la Constituante, je
veux dire de la constitution civile du clergé.
Ce jugement, quand on songe à l'esprit subtil de Talleyrand,
à la facilité avec laquelle il se résignait aux fautes quand elles
ne lui semblaient pas dangereuses, ce jugement formulé avec
une énergie qui étonne dans sa bouche, est la condamnation la
plus frappante qui puisse atteindre la mesure révolutionnaire
prise par la Constituante ;
« Je ne crains pas de reconnaître, quelque part que j'aie eue
dans cette oeuvre, que la constitution civile du clergé, décrétée
par l'Assemblée constituante, a été, peut-être, la plus grande
faute de cette Assemblée. »
Avec une habileté rare, Talleyrand, dans ses mémoires, sait
éviter l'aridité ordinaire à ce genre de littérature. Il les par-
sème de portraits rapides, saisis au vol, et fixe dans sa course,
parfois légère, les traits saillants des personnages nombreux,
avec lesquels ses opinions variées l'avaient mis en rapport.
Je ne puis résister au désir de reproduire ici quelques traits
du portrait qu'il trace de Sieyès :
« Ce qu'il appelle un principe est dans ses mains un sceptre
d'airain, qui ne se plie ni aux imperfections dô la nature ni aux
faiblesses de l'humanité.
« Les hommes sont, à ses yeux, des échecs à faire mouvoir,
ils occupent son esprit, mais ils ne disent rien à son cœur.
« Le seul sentiment qui exerce une véritable influence sur
Sieyès, c'est la peur. Il ne se déroge jamais jusqu'à être aimable,
« C'est un chef d'opinion, car il a le don de faire prévaloir la
sienne; ce n'est pas un chef de parti, parce que, si on l'écoute
avec déférence, on le suit sans enthousiasme. »
588 A.NNALKS CATHOLIQUES
Plus tard, lorsqu'on lui reproche de conspirer, il s'écrie avec
une animation qui donne à son cri patriotique une saveur parti-
culière, mais que la postérité hésitera, peut-être, à prendre au
tragique :
« Je n'ai conspiré dans ma vie qu'aux heures oii j'avais la
majorité de la France pour complice, et oii je cherchais, avec
elle, le salut de ma patrie. »
Par une succession rapide des événements et des transforma-
tions politiques qu'ils amènent, on assiste, en parcourant ses
mémoires, à la naissance de ses relations avec Bonaparte et de
sa rupture avec Napoléon :
« J'aimais Napoléon, dit-il, je m'étais attaché même à sa per-
sonne, malgré ses défauts. A son début, je m'étais senti en-
traîné vers lui, par cet attrait irrésistible qu'un grand génie
porte dans lui. Ses bienfaits avaient provoqué en moi une recon-
naissance sincère...
« Ma franchise me justifie devant ma conscience de m'être
séparé de sa politique d'abord, puis de sa personne, quand il
était arrivé à mettre en péril la destinée de ma patrie. »
Mais, déjà, on voit apparaître une scission que Talleyrand
annonçait d'avance, dont il s'efforcera d'atténuer les causes, de
nier les conséquences, luttant de toute son habileté opiniâtre
contre le jugement que les générations futures porteront sur
cette rupture, et que lui reprocheront les admirateurs ardents
de l'Empereur.
En 1813, dit-il, il refuse l'offre que lui fait Napoléon de
reprendre le ministère des affaires étrangères, et, en 1814,
raconte-t-il plus loin, l'Empereur, à Fontainebleau, reprochait
à Caulaincourt de l'avoir empêché de faire fusiller son admira-
teur ardent de la première heure, devenu son plus acharné
adversaire.
Aussi, ne faut-il pas s'étonner si l'on trouve, sous la plume
de l'auteur de ces mémoires, ce jugement dur qu'il applique à
Napoléon, et qu'il n'aurait pas porié sur Bonaparte, cette sévé-
rité sans regrets, que le captif de Sainte-Hélène lui rendit d'ail-
leurs avec volupté et avec usure :
« Cet homme fut doué d'une force intellectuelle très grande,
mais il n'a pas compris la véritable gloire. Sa force morale fut
très petite, ou nulle. Il n'a pu supporter la prospérité avec
modération, ni l'infortune avec dignité, et c'est parce que la
CENTENAIRE DE L'uNIVERSITÉ DE MONTPELLIER 589
force morale lui a manqué qu'il a fait le malheur de l'Europe et
le sien propre. »
« C'est parce qu'il n'a pu supporter l'infortune avec dignité. »
On écrirait des volumes sur cette phrase, qui se réalise pres-
que sans cesse et dont, je le crains, un exemple tout à fait
actuel est en train de confirmer la vérité.
J'ai vu tomber, pour ma part, bien des hommes du pouvoir,
et quelques-uns du pouvoir suprême, et je constate avec stupeur
que la révolte contre la disgrâce est en raison directe du génie
de celui qui tombe.
De tous ceux que j'ai vu tomber, le maréchal de Mac-Mahon
est presque le seul qui ait gardé sa dignité intacte, qui y ait
même ajouté par la noblesse de son attitude et la simplicité de
sa philosophie, et cet exemple est fait pour confirmer ma théorie.
D'ailleurs, on comprend aisément le rapide désaccord qui
devait surgir entre ces deux hommes, dont l'un rêvait d'établir
la politique future sur la réconciliation de l'Europe, tandis que
l'autre poursuivait le rêve d'une monarchie universelle, dont il
aurait été à la fois l'âme, la cervelle et le maître.
On le comprendra mieux encore, en lisant l'anecdote suivante,
qui, je crois, n'est pas absolument inédite, mais que Talleyrand,
dans ses mémoires, reproduit d'une façon circonstanciée d'après
son fidèle collaborateur La Benardiére :
« Le 15 mars 1814, on ofi'rait encore à Napoléon les limites
de la France de 1789, et Napoléon répondit à La Benardiére :
« Je ne puis faire la paix sur la base des anciennes limites. Les
Bourbons seuls pourront la faire. J'abdiquerai plutôt. Je ren-
trerai sans répugnance dans la vie privée. J'ai peu de besoins,
500 sous par jour me suffisent. Je voulais faire des Français le
peuple le plus grand de la terre.
« Si personne ne veut se battre, je ne puis faire la guerre
tout seul. Si la nation veut la paix, sur la base de nos anciennes
limites, je vous dirai : Cherchez qui vous gouverne, je suis trop
grand pour vous ! » Blowitz.
LE CENTENAIRE DE L'UNIVERSITE DE MONTPELLIER
Les fêtes pour le 6« centenaire de l'Université de Montpellier
ont commencé le 22 mai. Dans une allocution prononcée le jour
de Pâques, Mgr de Cabriéres avait annoncé et caractérisé la
participation du clergé à cô6 solennités. Le Souverain Pontife a
590 ANNALES CATHOLIQUES
voulu y être représenté par le R. P. Denifle, des Frères-Prê-
cheurs, sous-bibliothécaire de l'Eglise romaine.
Elles ont été inaugurées à la cathédrale par une messe pon-
tificale célébrée par Mgr Thomas, évêque d'Andrinople, à
laquelle ont assisté les autorités universitaires, tous les officiers
supérieurs de la garnison, de nombreux magistrats, des déléga-
tions étrangères et les étudiants de Montpellier.
Après la messe, Mgr de Cabriéres a prononcé un discours dans
lequel il a retracé éloquemment la glorieuse histoire de l'Univer-
sité de Montpellier et a loué spécialement l'école de médecine qui,
detout temps, jeta un si vif éclat. Il a cité en dernier lieu l'inscrip-
tion placée à la porte de l'évêché : Deo optimo maximoy scien-
iiarum Domino, Beaiœ Mariœ Virgini, sedi sapientiœ. C'est
là, en quelques mots, l'histoire de l'ancienne Université.
Dans l'après-midi a eu lieu la réception des délégués étran-
gers, au palais de l'Université. Il y a eu là force discours,
rapports, proclamations de prix, le tout à l'honneur de la mé-
moire du savant Bouisson, dont la libéralité a permis d'instituer
le concours. En cette séance, comme dans la réception du soir,
la cordialité a été parfaite.
Le soir les rues de la ville ont pris un aspect féerique : des
multitudes de lanternes vénitiennes et des cordons de lampions
multicolores éclairaient la façade des maisons particulières. Mais
les monuments publics appartenant à l'Etat ou à la ville n'ont
pas été illuminés.
Dans son allocution au président de la République qui se
trouvait à Montpellier au commencement des fêtes, Mgr de Ca-
briéres s'est exprimé ainsi :
Si la dépendance de l'Université via-à-vis de l'Eglise a cessé ici
comme partout en France, du moins, à Montpellier, une alliance vo-
lontaire et honorable continue à les unir. L'Eglise remplit modeste-
ment sa noble mission, et devant vous, monsieur le président, je
remercie messieurs les professeurs de nos Facultés du respect qu'ils
témoignent à la religion. Ce concert si précieux est un gage d'espé-
rance pour la patrie.
Vous voudrez bien y applaudir et le consacrer par votre suffrage.
M. Carnot a répondu :
Je suis heureux de vous voir, avec votre clergé, associer à l'amour
de l'enseignement les grandes pensées patriotiques que vous venez
d'exprimer et que je partage avec vous.
Les fêtes de Montpellier ont continué les jours suivants, par
CENTENAIRE DE l'uNIVERSITÉ DE MONTPELLIER 591
de nouvelles réceptions, et les visites faites aux différentes
- Facultés.
Après leur clôture, Mgr de Cabrières a adressé au clergé et
aux fidèles de la ville de Montpellier une lettre dans laquelle
il dit:
Je vous remercie, messieurs et mes frères, d'avoir dépassé toutes
mes espérances, et d'avoir, soit par la prodigieuse affluence de votre
concours aux deux cérémonies de Saint-Pierre, soit par la splendeur
de vos illuminations, montré aux étrangers comment vous saviez
appeler les pompes religieuses à relever et à embellir les nobles sou-
venirs de vos annales.
M. Bourgeois, ministre de l'instruction publique, dans son
discours prononcé à Montpellier a promis une loi prochaine por-
tant rétablissement des Universités.
A propos de cette promesse, M. Arthur Loth, écrit dans
r Univers :
Les Universités dont l'Etat promet de reconnaître l'existence, ai
elles arrivent à se constituer, ne seront pas les anciennes Universités.
Celles-ci avaient leur vie propre et s'administraient elles-mêmes,
elles jouissaient de droits et de prérogatives qui étaient la sauve-
garde de leur existence, la garantie de leur prospérité. C'est à la fa-
veur de cette autonomie qu'elles ont vécu pendant de longs siècles,
ayant chacune leur centre d'action, leur originalité d'enseignement,
leur influence locale.
Sous le régime de la Révolution, il ne peut plus être question de
privilèges ni d'indépendance. Tout est d'Etat, l'enseignement comme
le reste. Il n'y a de liberté, dans tous les ordres de choses, que sous
la tutelle et la surveillance de l'Etat. Sous prétexte que l'enseigne-
ment public à tous ses degrés doit rester national, c'est-à-dire ré-
publicain et révolutionnaire, le ministre enteni que les futures Uni-
versités n'auront ni existence propre, ni juridiction particulière,
qu'elles vivront sous l'autorité du ministère de l'instruction pu-
blique, et que l'Etat conservera la nomination des professeurs, la di-
rection et le contrôle de l'enseigneraent, l'administration générale.
Il n'est question pour ces Universités que d'une certaine indépen-
dance organique qui fait qu'elles formeront des centres distincts et
qu'elles auront quelque initiative intérieure.
Ce n'est pas ainsi qu'on fondera rien de bon ni de durable. On
peut dire que la même loi qui créera les futures Universités les
tuera. D'avance, elles manqueront de la condition essentielle de la
vie. Il est impossible, avec les idées révolutionnaires, avec la centra-
lisation administrative, de fonder des Universités. Tout au plus
pourra-t-on, avec le projet de loi en préparation, donner quelque
592 ANNALES CATHOLIQUES
conaistance nouvelle aux Facultés déjà existantes et ranimer en elles
un semblant d'activité. Les ceatres de la vie intellectuelle supposent
des centres de vie locale comme il n'en existe plus eu France depuis
la Révolution.
La reconstitution des Universités exigerait d'abord la décentralisa-
tion des provinces. Qui y songe aujourd'hui ? Au moins faudrait-il
donner la liberté d'enseignement. Jamais la république n'y consen-
tira, de peur que la liberté ne profite d'abord à l'Eglise. Elle aime
mieux garder son monopole et maintenir la suprématie de l'Etat, au
risque d'étouffer ses propres établissements d'instruction et tout
l'enseignement sous un lourd despotisme. Le ministre a beau parler
d'un projet de loi. Ce n'est pas la loi qui peut créer des Universités,
développer la vie intellectuelle du pays, donner de l'essor aux
sciences et aux esprits ; sans la liberté on ne fera rien.
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
Le prochain Consistoire vient d'être fixé définitivement au
23 du mois courant. Dans celui-ci, le Saint-Père nommera les
nouveaux cardinaux et plusieurs évêques. Le Consistoire public,
dans lequel les nouveaux cardinaux recevront le chapeau gale-
rum rubrum aura lieu le jeudi suivant, 26 du mois. Le pre-
mier Consistoire, qu'on appelle Consistoire secret parce que
personne n'y est admis à l'exception du Pape et des cardinaux,
se réunit dans une salle du palais tout près des appartements
pontificaux, à côté de la salle Clémentine, ou salle des Suisses.
Le Consistoire public, au temps de Pie IX, avait lieu dans la
salle ducale, au premier étage du palais, dans la partie la plus
ancienne, bâtie par Jules II et par Alexandre VI; maintenant
on a quitté cette salle pour la sala regia, qui donne accès aux
chapelles Sixtine et Pauline. Je crois qii'on a changé de salle,
parce que celle-ci est plus vaste et aussi plus riche par les
marbres et les peintures qui ornent les murs et les décorations
de layoûte, qui sont une merveille.
Des nouveaux cardinaux, deux seulement se trouveront à
Rome à l'époque du Consistoire, NN, SS. Mermillod et Galeati.
Les deux autres, NN. SS. Dunajewski et Vannutelli, recevront
les billets de participation et les insignes de leur nouvelle
dignité chez eux; c'est-à-dire, Mgr Dunajewski à Cracovie,
Mgr Vannutelli à Lisbonne.
NOUVELLES RELIGIEUSES 593
On coanaît l'usage. Le Consistoire secret est à peine fini
qu'un garde-noble part de Rome portant au nouveau cardinal
sa nomination à la pourpre et la calotte rouge, avec l'ordre de
se rendre à sa destination le plus tôt possible. Quelques jours
après, c'est le tour d'un prélat, qui, avec le titre à' Ablégat, est
envoyé au chef de l'Etat où le nouveau cardinal demeure, pour
lui présenter la huile avec laquelle le Saint-Père le prie et l'au-
torise à le représenter dans la cérémonie de l'imposition de la
Berretia. Le garde-noble est simplement un courrier de cabi-
net; le prélat est un véritable envoyé extraordinaire, un diplo-
mate du moment.
Les noms des deux prélats qui auront cette fois la mission
d'Ablégats, on les connaît déjà. Pour le cardinal Dunaje-wski,
l'Ablégat sera Mgr Ladislas Meszczynski (lisez à peu prés :
Michinski), un Polonais très aimable et très intelligent, qui vit
depuis plusieurs années avec Son Eminence le cardinal Lédo-
chowski et est son secrétaire et son ami; l'Ablégat qui doit
remplir sa mission à Lisbonne est Mgr Jules Jonti, auditeur de
la nonciature du Portugal et qui par conséquent est déjà à des-
tination.
Pour ce qui regarde les gardes-nobles, on ignore jusqu'ici
sur qui tombera le choix. On parle du marquis Cavaletti et du
comte Alvarez de Castro. Le premier est frère du marquis
Cavaletti qui était sénateur de Rome au 20 septembre 1870; le
second, comme on le voit par son nom, appartient à une noble
famille portugaise, venue en Italie depuis plusieurs générations.
Son père aussi appartient au corps des Gardes-Nobles, danr-î
lequel il a le grade d'officier.
Il est à prévoir que la prochaine allocution consistoriale aura
notamment pour objet de protester encore une fois contre le
projet de loi sur les Œuvres pies qui va être définitivement
approuvé ces jours-ci par le Parlement italien. On sait que le
Sénat, dans un moment de courage passager, en avait rejeté,
entre autres, l'article 87 comme trop ouvertement contraire à
la volonté des fondateurs. Or, Vltalie annonce qu'en vue
d'éviter un conflit entre les deux Chambres, les membres de la
commission chargée d'examiner de nouveau le projet sur les
Œuvres pies sont tombés d'accord pour introduire dans le pro-
jet quelques-unes des modifications apportées par le Sénat, tout
43
594 ANNALES CATHOLIQUES
en laissant inaltéré le principe consacré par l'article 87, à
savoir la transformation au bon plaisir du gouvernement de
celles des Œuvres pies qu'il ne croit plus répondre aux ten-
dances et aux besoins présents.
En somme, la commission de la Chambre et M. Crispi avec
elle reculent en partie sur des points accessoires, espérant que
le Sénat fera le reste du chemin en rétablissant l'article 87.
Cette solution sera une vraie comédie, bien digne du parlemen-
tarisme italien.
Le nouvel envoyé britannique, sir Dingli, premier juge du
Tribunal civil de Malte, et qui serait chargé de poursuivre
auprès du Saint-Siège la mission commencée par le général
Simmons, est attendu à Rome dans un mois. Il vient d'annoncer
lui-même dans une lettre qu'il arrivera vers la fin de juin ou au
commencement de juillet; mais il ne dit point avoir reçu de
mission de son gouvernement. 11 peut se faire, en effet, qu'au
lieu de remplir une mission officielle proprement dite, il vienne
simplement préparer le terrain à celle qui serait ensuite
confiée à lui-même ou à un autre personnage. Il s'agirait cette
fois de toute une nouvelle phase de négociations particulière-
ment importantes, dans le double but de compléter, d'une part,
ce qui a été commencé par le général Simmons au sujet de
rétendue de juridiction à assigner à l'Ordinaire de Malte, et,
d'autre part, de modifier l'organisation actuelle de la hiérarchie
aux Indes occidentales, de manière à sauvegarder les légitimes
intérêts des catholiques anglais dans cette partie des Indes, et
d'assurer en même temps aux traditions acquises par le Por-
tugal et confirmées par le Concordat de 1886 le maintien du
patriarcat de Goa. A l'époque, en effet, où fut stipulé ce concor-
dat, l'Angleterre n'avait pas eu encore de rapports officiels avec
le Saint-Siège, tandis que, depuis la mission Simmons, elle est
fondée à réclamer que la hiérarchie catholique dans la partie
des Indes rattachée au patriarcat de Goa soit réorganisée de
manière à assurer aux sujets britanniques une administration
religieuse confiée à des prélats anglais. Dès lors, il j aurait
lieu, tout en laissant subsister le patriarcat de Goa avec juri-
diction sur quelques évêchés, de réduire le nombre de ces évê-
chés suffragants et d'y nommer des évêques anglais là où la
colonie britannique est plus considérable par le nombre et par
l'importance.
NOUVELLES RELIGIEUSES 595
France.
Par décret du Président de la République :
Mgr Lécot, évêque de Dijon, est promu à l'archevêché de
Bordeaux ;
Mgr Oury, évêque de Fréjus, est transféré à l'évèché de
Dijon;
M. Mignot, vicaire général du diocèse de Soissons, est
nommé à l'évèché de Fréjus ;
M. Hautin, vicaire général du diocèse d'Orléans, est
nommé à l'évèché d'Evreux.
Paris. — Si la capitale de la France donne parfois des spec-
tacles capables de réjouir l'enfer, elle offre aussi des manifes-
tations glorieuses pour le ciel, consolantes pour les temps trou-
blés que nous traversons et pleines d'espérances pour l'avenir
chrétien de notre bien-aimé pars.
Dimanche, un temps magnifique a favorisé les manifestations
religieuses de la Fête-Dieu et toutes les paroisses de Paris ont
rivalisé de zèle et de piété. Il en est de privilégiées, parce que
Jésus-Hostie peut apparaître à la vue de tous sous les portiques
de leurs belles églises : Saint-Sulpice, Sainte-Madeleine, Saint-
Augustin, Sainte-Clotilde.
Sur la place Saint-Sulpice, la foule des fidèles était plus com-
pacte que jamais pour contempler le défilé imposant et majes-
tueux du séminaire et du clergé de cette éminente paroisse,
sous le vaste péristyle, au milieu des chants vraiment majes-
tueux et religieux, de la plus belle harmonie des cloches de nos
églises.. Moment bien solennel et bien émouvant que celui où le
divin Maître bénit cette assemblée prosternée dans le silence de
l'adoration et des supplications les plus intimes d'une ardente
piété.
A Saint-Roch, paroisse aussi très religieuse, nous admirions
le zélé toujours infatigable de M, le curé, qui, malgré ses qua-
tre-vingt-un ans, commençait par se faire l'ordonnateur de la
procession, dont les deux extrémités se touchaient, quelque
vaste que soit l'église, puis, tout étant bien disposé, retournait
à la sacristie revêtir les ornements sacerdotaux pour porter le
Saint-Sacrement.
Dans cette procession, on comptait plus de cinq cents jeunes
596 ANNALES CATUOLIQUBS
filles dirigées par les Sœurs de Saint-Cliarles et de Saint- Vin-
cent de Paul, marchant sous leurs bannières, couronnées de
roses et portant à la main un lys ou une rose rouge ou blanche.
La musique instrumentale, l'orgue et les chants du chœur ne
laissaient rien à désirer.
A Saint-Augustin, le reposoir élevé en face du boulevard
Haussmann était merveilleux d'arbustes, de fleurs et de riches
décorations. Une musique d^amateurs ravissait les oreilles, et
les chants étaient d'une exécution fort remarquable. Nombre de
vaillants chrétiens escortaient le dais un cierge à la main. Nous
avons remarqué parmi ceux qui tenaient les cordons du dais,
M. Chesnelong, dont le fils est vicaire en cette paroisse.
Mais c'est l'église de la Madeleine qui est la mieux disposée
pour favoriser le spectacle de la procession de la Fête-Dieu.
Sorti à midi, le cortège a mis une heure à parcourir la magni-
finue colonnade, ornée de tentures rouges frangées d'or, ayant
peine à se frayer passage au milieu d'une foule très nombreuse,
mais recueillie et en bon ordre, bien qu'il n'y eût aucun agent
pour la maintenir.
C'est au chevet de l'église, en face de la rue Tronchet, que se
dressait le magnifique reposoir. Il était beau de voir échelonnés
.«;ur toute la largeur des trente degrés qui le précédaient tous
ces petits anges couronnés de lys et de roses, toutes ces jeunes
filles en blanc, un bouquet à la main, ces enfants de chœur
accomplissant les cérémonies marquées avec un remarquable
ensemble; d'entendre la musique instrumentale de ces cent et
quelques jeunes artistes de l'établissement des Frères de Saint-
Nicolas, si populaires à Paris, et les chants exécutés par la
magistrale maîtrise de la paroisse.
A ce moment, la vaste place était couverte d'une multitude
déjà recueillie; mais voici le moment de la bénédiction, les
tambours battent aux champs, les clairons retentissent; l'esprit
de foi passe sur toute cette foule, les fronts se découvrent, on
s'agenouille et on prie.
Cette année, il y a eu une heureuse innovation : la procession
a descendu, pour les remonter, les degrés de la façade qui
regarde la rue Royale.
Durant le parcours, M. le curé, obéissant avec bonheur à une
touchante tradition, ne cessait de poser le pied de l'ostensoir
sur les fronts des chers innocents que les mères et aussi bon
nombre de pères s'empressaient de lui présenter, au point que
NOUVELLES RELIGIEUSES 597
la procession était obligée de ralentir considérablement sa
marche.
Le soir, les processions se continuaient, notamment à Sainte-
Clotilde et dans plusieurs établissements particuliers.
En première ligne, il faut signaler le collège Stanislas, qui
lui aussi avait la musique des enfants de Saint-Nicolas, tout à
fait oublieuse de ses fatigues du matin.
Il faudrait une longue description, que ne nous permet pas
l'espace dont nous disposons, pour rendre dignement compte de
cette manifestation religieuse, dont la plus éloquente et émou-
vante partie a été la consécration au Sacré-Cœur de Jésus des
élèves de l'établissemeMt, au pied du reposoir dressé dans le
vaste parc splendidement décoré.
C'est à six heures trois quarts du soir que se clôturait cette
série de processions, à l'école Sainte-Geneviève, rue Lhomond.
On peut affirmer qu'elle couronnait on ne peut mieux ces fêtes,
dont la première était célébrée le matin rue de Vaugirard, à
l'Institut catholique, oii c'était grande édification aussi, dans
cette chapelle des Carmes et ces jardins consacrés par tant de
souvenirs.
A la rue Lhomond, c'est dans le parc et sur les terrasses du
célèbre établissement fondé par les Jésuites, ces éducateurs in-
comparables de la jeunesse, que se dressaient quatre élégants
et somptueux reposoirs. La musique instrumentale de l'établis-
sement de Vaugirard a exécuté avec goût les plus beaux mor-
ceaux de son répertoire. Les chants, accompagnés d'instruments,
étaient magnifiques. Mais voici ce qyi nous a le plus impres-
sionné. Tout d'abord l'attitude des élèves actuels, de ces quatre
cent quatre-vingts jeunes gens destinés aux carrières les plus
honorables, et ensuite le recueillement des anciens et nombreux
élèves accourus des écoles du génie, des mines, des ponts-et-
chaiissées, de Saint-Cjr, de l'Ecole Polytechnique pour faire
une escorte d'honneur au Seigneur des sciences, au Dieu des
armées.
Angers. — Le lundi de la Pentecôte Mgr Freppel a prononcé,
dans la cathédrale, une très belle allocution sur la question
sociale, dont voici un des principaux passages :
C'est en vain, a-t-il dit, que Ton chercherait en dehors de la reli-
gion une solution satisfaisante de ce qu'on appelle la question ou-
vrière; et j'ose même ajouter qu'avant d'être une question écono-
598 ANNALES CATHOLIQUES
mique, la question ouvrière est par dessus tout une question reli-
gieuse et morale. Car tout change de face, tout prend un autre
aspect, suivant que l'on envisage la vie présente comme le terme de
la destinée humaine, ou comme la préparation à une vie éternelle et
qu'il ne dépend que de nous de rendre infiniment heureuse.
Si, comme l'athéisme contemporain voudrait le faire accroire,
rien ne survit à l'homme, si tout est dit sur son avenir, du moment
que son corps est tombé en poussière, et que l'on a jeté quelques
pelletées de terre sur un peu de matière décomposée, alors il ne
s'agit plus pour chacun que de se procurer, ici-bas, par des moyens
quelconques, la plus grande somme de jouissances possible; alors,
plus de modération dans les désirs, plus de frein aux passions, plus
de barrière contre le vice. Le plaisir et l'intérêt deviennent l'unique
loi de ce monde. Peu importe une réduction d'une ou de deux heures
de travail ou une simple augmentation de salaire à qui n'espère rien
au-delà du tombeau : ce n'est point là ce qui mettra un terme aux
revendications de l'ouvrier devenu matérialiste et athée.
Pour lui, la richesse n'en restera pas moins une injustice, l'iné-
galité des conditions un scandale, les supériorités sociales autant
d'obstacles qu'il faudra détruire à tout prix, le jour où il pourra
être le nombre et la force. Oui, disons-le hautement, la religion
une fois enlevée du cœur des masses ouvrières, pour y faire place
au vide des croyances et au néant des convictions, c'est la haine des
classes, c'est la guerre sociale en perspective, c'est le retour à la
barbarie et la fin de la civilisation chrétienne.
Et lorsque l'on songe qu'il y a des hommes qui se flattent de
pouvoir résoudre la question ouvrière, et qui d'autre part font tout
ce qui est en eux pour tuer la foi dans les classes laborieuses et qui
travaillent avec un acharnement incroyable à leur enlever toute
espérance dans une vie future, on ne sait, en vérité comment s'ex-
pliquer une pareille aberration.
Batonne. — On lit dans le Bulletin catholique du diocèse de
Bayonne :
Par décision de M. le ministre des cultes, en date du 29 mai der-
nier, les desservants du diocèse de Bayonne dont les traitements
avaient été suspendus sont remis en possession desdits traitements
avec effet à partir du l*"" mai.
Le Put. — Le préfet de la Haute-Loire, un certain Hélitas,
vient de se signaler à l'attention de ses amis de la Franc-Ma-
çonnerie par un acte qui uous paraît être tout simplement le
comble de l'arbitraire.
M. le maire du Puy, ayant pris, le 21 mai dernier, un arrêté
LES CHAMBRBS 599
rétablissant les processions, y a vu opposer un arrêté du préfet
de la Haute-Loire maintenant l'interdiction antérieurement
prononcée.
Or il paraît que l'arrêté pris par le maire ne l'a été que sur
la pression énergique de l'opinion publique. Un vaste pétition-
nement avait en effet réclamé le rétablissement des processions.
De ce pétitionnement, témoignage de la volonté formelle des
habitants du Puy, le préfet de la Haute-Loire ne tient nul
compte. Il a d'ailleurs un précédent pour l'encourager : en 1888,
un arrêté du maire a été annulé dans les mêmes conditions.
On peut se demander jusqu'oii ira la fantaisie qu'apporte
dans l'exercice de ses pouvoirs cet étonnant fonctionnaire. Il
nous paraît, toutefois, fort étrange qu'un préfet, si bien en cour
soit-il place Beauvau, puisse faire ainsi allègrement litière
des désirs, des volontés de la population aussi énergiquement
exprimés que l'ont été ceux de la ville de Puj.
Nous comptons bien que les habitants du Puy ne resteront
pas sur cet affront et qu'ils sauront inviter leur maire à obtenir
du préfet de la Haute-Loire le libre exercice de leur droit.
Toulouse. — Nous lisons dans la Semaine catholique de
Toulouse :
La réunion des évêques protecteurs de l'Institut catholique du
Sud-Ouest a eu lieu à Toulouse, mardi dernier, ainsi que nous
l'avions annoncé ; étaient présents : Monseigneur le cardinal arche-
vêque de Toulouse, président; MgrGouzot, archevêque d'Auch ; Nos
Seigneurs Bourret, évêque de Rodez ; Billard, évêque de Carcas-
sonne ; Gaussail, évêque de Perpignan ; Jauffret, évêque de Bayonne,
et Mgr Lamothe-Tenet, prélat de la maison de Sa Sainteté, recteur
de l'Institut catholique.
Nos Seigneurs les archevêques et évêques d'Albi, de Périgueux,
de Cahors, d'Agen, de Montauban et de Monde s'étaient fait repré-
senter.
LES CHAMBRES
Sénat.
Lundi 9 juin. — On valide l'élection de M. Guérin, sénateur de
Vaucluse. Et l'on discute le projet sur l'aggravation progressive des
peines en cas de récidive, et sur leur atténuation en cas de premier
délit.
M. DE l'Angle-Bëauma>"oir défend un amendement par lequel il
600 ANNALES CATHOLIQUES
demande qu'on mette en dehors de la loi ceux qui sont condamnés
pour attentat à la pudeur. Même en cas de premier délit, dit l'orateur,
il faut appliquer le maximum !
Mais le Sénat repousse la prise en considération de l'amendement.
On discute alors un amendement de M. Trarieux qui porte sur les
casiers judiciaires.
Dans le projet soumis à l'oxamen du Sénat, on donne aux Tribu-
naux le droit de suspendre l'exécution de la peine en cas de condam-
nation i l'emprisonnement pour un premier délit. Le condamné qui
bénéficie de cette mesure de faveur reste pendant cinq ans sous les
mains de la justice.
Si à l'expiration de ce délai, il n'a pas commis de nouvelle faute,
non seulement sa peine lui est remise, mais son casier judiciaire lui-
même est effacé. Tout cela est à merveille. Mais les auteurs de la loi
n'avaient pas songé aux condamnés à l'amende, de sorte que ceux-ci,
quoique moins coupables, étaient traités plus durement que les con-
damnés à la prison.
L'amendement de M. Trarieux étend aux condamnés à l'amende
le bénéfice de cette remise et de l'effacement du casier judiciaire.
Le RAPPORTEUR vieut expliquer que, si on a jugé à propos de ne
pas envoyer en prison les condamnés, c'est pour éviter à ces malheu-
reux le contact fatal des prisonniers endurcis. La remise de la peine
est une faveur toute morale. On n'a voulu qu'éviter une cause de
récidive.
Mais un individu condamné à l'amende sera plus tenté de récidiver
si la condamnation ne lui a rien coûté.
M. Thabielx s'est rendu à ces raisons excellentes et s'est borné à
défendre la partie de son amendement qui a trait à l'effacement du
casier judiciaire. 11 dit, avec raison, qu'il ne serait pas juste que celui
qui a été condamné à l'emprisonnement soit réhabilité de droit au
bout de cinq ans, tandis que celui qui n'a été condamné qu'à l'amende
ne le serait pas.
Le ministre de la justice est de cet avis. Aussi, le Sénat prend en
considération l'amendement, pour ce qui a trait à la réhabilitation
dAs condamnés à l'amende.
Mardi 10 juin. — Suite de la délibération sur le projet que
nous avons analysé hier, concernant les remises de peines aux con-
damnés pour un premier délit.
Le Sénat a adopté par 191 voix contre 32 l'amendement de
M. Trarieux étendant aux condamnés à l'amende le bénéfice de
l'efTacement du casier judiciaire.
On a repris la discussion des dispositions qui aggravent les peines
des condamnés en cas de récidive.
Mais, le Sénat ne jugeant pas la question assez étudiée l'a ren-
voyée â une séance ultérieure, après quelques observations de
M. Mopellet.
LES CHAMBRES 601
Eu fin de séance, on a adopté, en seconde délibération, quelques
articles du projet concernant les trésoriers-payeurs généraux.
Ohambre des Députés.
Jeudi 5 juin. — Dès l'ouverture de la séance, alors que les ban-
quettes sont encore inoccupées, M. Dumay, député possibiliste
demande à interpeller le gouvernement sur la mise en liberté du
duc d'Orléans.
M. DE Freycinet déclare que le gouvernement accepte la discus-
sion immédiate.
M. DcMAY demande si, en mettant en liberté Monsieur d'Orléans
(interruptions à droite), le gouvernement a obéi à des motifs poli-
tiques, ou s'il a cédé à des considérations de sentiment... Il y a,
dit-il, dans les prisons, des pères de famille, victimes d'une mau-
vaise organisation sociale. N'aurait-on pu les mettre en liberté en
même temps que ce jeune homme « dont la famille fit tant de mal
à la France ? »
On voit quelle thèse est soutenue par l'orateur. Il s'est plaint que
cette grâce soit un « retour en arrière». Elle complète l'installation
du préfet à l'Hôtel-de- Ville et l'arrestation des socialistes russes.
Et, selon lui, elle a mécontenté les ateliers de Belleville, au point
de faire redevenir boulangistes les ouvriers.
On rit un peu. Et M. de Freycinet vient répondre que le gouver-
nement n'avait pas à saisir la Chambre des grâces que le président
de la République se proposait d'accorder. « L'équipée du mois de
février, dit-il, a été fort grossie. Le gouvernement s'est associé à la
pensée d'indulgence qtii est naturellement venue à l'esprit de M. le
président de la République, lorsqu'il a traversé la région où se trou-
vait la prison du jeune duc. La politique est restée complètement
étrangère à cette mesure. La République est assez forte pour ne pas
reculer devant un acte de clémence.
La magnanimité du gouvernement n'est pas épuisée. (Rires.) Elle
peut s'étendre à d'autres condamnés. Ces jours derniers, plusieurs
grâces ont été signées en faveur de condamnés pour faits de grève.
D'autres le seront prochainement.
Enfin M. de Freycinet demande à la Chambre de bien vouloir
reprendre le cours de ses travaux.
On applaudit le ministre. On refuse d'écouter la lecture d'un ordre
du jour de M. Dumay, blâmant le gouvernement de n'avoir pas
gracié tous les condamnés politiques et de faits de grève d'un coup.
Et l'on adopte l'ordre du jour pur et simple, réclamé par le gouver-
nement, par 313 voix contre 194.
M. Ferroul dépose une demande d'amnistie. Et l'on reprend la
discussion sur le maïs.
Samedi 7 juin. — M. E. Roche, boulangiste, interpelle sur la no-
602 ANNALES CATHOLIQUES
mination de l'amiral Duperré eo. remplacement de l'amiral Dupetit-
Thouars.
L'amiral Duperré, dit-il, est accusé de n'avoir pas fait son devoir
en 1870. La guerre l'a surpris capitaine de vaisseau à l'âge de trente-
huit ans, alors que la moyenne d'âge, pour les officiers de ce grade
est de cinquante ans. (Bruit sur divers bancs.)
Capitaine de vaisseau à cet âge, il s'agirait de savoir quelle con-
duite a tenue cet officier supérieur pendant l'efi'royable tourmente
de 1870. A-t-il fait son devoir ? On le dit. Mais pendant que Ber-
gasse Dupetit-Thouars se faisait blesser à Strasbourg, que Jauré-
guiberry secondait les efi'crts de Chan'zy, que Potliuau défendait
Paris, M. Duperré restait auprès du prince impérial dont il gardait
la précieuse personne, attendant uniquement une dépêche des Tuile-
ries, à tel point que lorsque cette dépêche arrive il passe en Belgique,
et de là va en Angleterre rejoindre sa souveraine. Il ne rentre en
France qu'après que le dernier coup de canon a été tiré.
Voilà ce qu'on reproche à cet officier général.
On a dit : ce n'est pas vrai. Je comprends en effet qu'on se
demande si ces affirmations ne sont pas exagérées, et qu'on recher-
che la part d'erreur que la passion politique a pu y introduire. Eh
bien, examinons. N'en déplaise à jV[. de Douville-Maillefeu, il faut
encore que je consulte des documents, et les preuves paraissent
abonder.
M. le comte de Douville-Maillefeu. — Moi, je n'appelle pas ça de»
documents ; j'appelle ça des potins, des cancans misérables (Bruit).
M. Ernest Roche. — C'est votre opinion.
M. Le Myre de Vilers. — C'est la mienne. (Nouveau bruit.)
On pense si M. Roche était souvent interrompu. M. de Douville-
Maillefeu lui reprochait de lire des articles de journaux à la tribune
t ce qui estindigne d'un député ». M. Le Myre de Vilers réclamait
la censure et s'étonnait qu'on pût ainsi accuser un officier général à
la tribune. M. Floquet répliquait que l'orateur avait le droit de dire
ce qu'il disait.
M. Roche a continué. Après avoir nié que l'amiral Duperré ait été
prisonnier de guerre en Belgique :
Ces renseignements, dit-il, sont confirmés par les papiers secrets
trouvés aux Tuileries, et que l'Agence Havas aurait dû consulter
avant de publier sa note.
Voici ces dépêches qui sont des 3 et 4 septembre : a M. Duperré,
Landrecies. Tuileries, 3 septembre 1870. Attendi-e nouveaux ordres
où vous êtes. » Du même jour : « A votre choix Maubeuge ou l'autre
ville à laquelle vous pensiez. Si vous y êtes déjà, restez-y. Informez-
moi de votre décision. Filon. » Du 4 septembre : « Reçu vos deux
dépêches. Aurez des ordres verbaux avant (ici un groupe de chiff'res
qui n'a pu être traduit) et une lettre de moi par l'homme que vous
LES CHAMBRES 603
avez envoyé. L'impératrice veut que vous ne teniez pas compte des
■communications de Bouillon. L'empereur ne peut pas apprécier la
situation. Filon. »
Il résulte de ces trois dépêches, contrairement à ce qu'a dit le
Temps, que le capitaine de vaisseau Duperré n'a pris aucune part à
la bataille de Sedan puisqu'il était sur la frontière du nord-est du 2
au 4 septembre ; qu'il n'avait qu'une mission : protéger le prince im-
périal; et qu'il n'attendait point des ordres de l'autorité militaire;
mais seulement de l'Impératrice à Paris. (Bruit.)
Voix à droite. — Elle était régente !
Et il conclut en disant que l'amiral Duperré n'est qu'un bonapartiste
indigne de commander une armée républicaine, que sa nomination
est un danger public.
« Je me résume. Oui ou non les faits allégués contre l'amiral Duperré
sont-ils exacts? S'ils sont exacts, on peut dire qu'il a été un mauvais
républicain et un mauvais patriote (Bruit) ; s'ils ne sont pas exacts,
pourquoi le ministre de la justice n'a-t-il pas poursuivi et confondu
les calomniateurs? » (Très bien! très bien! sur divers bancs à gauche.
— Bruit.)
M. Barbey, ministre de la marine, commence par déclarer que la
campagne qui se poursuit, « dans un but inavouable», contre l'amiral
Duperré ne l'a pas troublé. Elle ne l'a préoccupé que parce qu'elle
risque de porter atteinte à la discipline.
Les faits allégués sont absolument inexacts. La campagne devait se
faire au mois de septembre, au moment où l'amiral Dupetit-Thouars,
dont on pleure la mort, devait prendre sa retraite. On l'a devancée,
la nomination de M. Duperré s'étant produite plus tôt qu'on avait
cru.
Indigne? l'amiral Duperré? Mais il n'a fait qu'accomplir loyalement
un devoir douloureux. On n'a qu'à consulter son dossier :
« Le jugement de l'amiral Pothuau et du gouvernement de M. Thiers
a été décisif. On a reconnu que l'amiral Duperré avait été interné
après avoir obéi aux ordres de l'Empereur, son seul chef à cette
époque, qu'il avait rempli son devoir pendant la captivité (Mouve-
ments divers), qu'il a été autorisé, le 10 mars 1871, comme tous ceux
qui avaient subi le même sort, à rentrer en France.
« A la suite de cette enquête, qui l'a complètement lavé aux yeux
d'hommes assurément aussi compétents que M. Ernest Roche. (Très
bien! très bien ! et rires), l'amiral Duperré a été appelé au comman-
dement de la Vénus. A partir de cette époque, il a continuellement
tenu la mer, il a occupé dans les conseils de l'amirauté et dans les
préfectures maritimes les postes les plus importants.
« Son dossier est admirable, il a les meilleures notes, données non
seulement par des ministres conservateurs, mais par des ministres
républicains, tels que Pothuau, Peyron, Jauréguiberry, Cloué, Aube.
604 ANNALES CATHOLIQUES
« Je lis dans son dossier les lignes suivantes:
« L'amiral Duperré est un des officiers généraux sur lesquels
« compte le plus la marine, et elle a raison d'y compter. » C'est
pourquoi je revendique la liberté de mes choix et la responsabilité de
cette nomination. (Très bien ! très bien !)
« Croyez-vous, du reste, que je n'ai pas souci de la responsabilité
qui m'incombe comme ministre de la marine, et que je ne suis pas
préoccupé des éventualités qui peuvent se produire? Je n'ai choisi
l'amiral Duperré comme commandant de l'escadre qu'après avoir étu-
dié son dossier, et, si je l'ai choisi, c'est parce qu'il présentait toutes
les garanties pour succéder au regretté amiral Dupetit-Thouars. (Très
bien ! très bien !)
« J'espère que la Chambre n'occupera pas plus longtemps le pays
d'une question qui touche à l'honneur de nos officiers généraux et à
la discipline de notre armée navale. » (Très bien ! très bien !)
Enfin, le ministre revendique la responsabilité du choix qu'il a fait
et demande à la Chambre de clore la discussion par le vote d'un ordre
du jour pur et simple.
M. le ministre est applaudi par le centre et par la droite. Les radi-
caux, boulangistes et clémencistes ne bronchent pas.
La scission est nette. On le voit surtout lorsque M. Maujan, ancien
officier, ancien aide-de-camp du ministre Thibaudin, député radical,
vient parler :
Il constate que l'interpellation n'est pas de son initiative. Mais, la
question étant posée, il faut aller jusqu'au bout :
« Nous espérions que M. le ministre viendrait défendre à cette tri-
bune un amiral peut-être calomnié. Nous espérons encore qu'il vien-
dra nous dire d'une façon nette, précise, qu'en 1870, l'amiral Duperré,
après avoir rempli auprès du prince impérial la mission qui lui était
confiée, a fait comme l'amiral Jurien de la Gravière et est revenu en
France combattre l'ennemi avec ceux qui, la main crispée sur le dra-
peau, luttèrent et sauvèrent l'honneur de la France. (Applaudisse-
ments à gauche. I
« Si, au contraire, l'amiral Duperré. a préféré son métier de cour-
tisan à son rôle de soldat, (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche
s'il n'a pas compris qu'après le 4 septembre sa mission était termi-
née, et s'il n'est pas revenu combattre en France avec ses camarades,
le devoir du ministre était de ne pas le nommer à l'un des premiers
postes de notre marine. » (Applaudissements à l'extrême gauche.)
L'attaque est nette. Ce « peut-cire calomnie » a été lancé de façon
très habile.
Mais, fait curieux, c'est l'emballé M. de Douville-Maillefeu qui
répond à M. Maujan. C'est que lui est un ancien officier de marine.
Il a servi sous les ordres de M. Duperré, en Chine et en Russie. Il a
gardé de lui le souvenir d'un homme très capable et pénétré du sen-
timent du devoir.
LES CHAMBRES 605
Oui, M. Duperré n'a pas pria les armes contre l'Allemagne ! Mais
est-ce qu'un seul des officiers, prisonniers en Belgique, est rentré
dans les rangs après avoir donné sa parole d'honneur de ne pas ser-
vir ? C'est ce qui lui arriva.
Et, aux applaudissements d'une majorité considérable, M. de Dcu-
ville-Maillefeu s'écrie : « Le jour où une parole d'honneur ne sera
plus respectée, nous tomberons au dernier rang de tous les peuples ! »
M. Floquet lit l'ordre du jour déposé par M. Ernest Roche, et
qui est ainsi conçu :
« La Chambre, n'admettant pas que l'officier supérieur comman-
dant en chef nos escadres de la Méditerrannée, puisse être l'objet de
la moindre suspicion, passe à l'ordre du jour. »
Mais l'ordre du jour pur et simple, qui a la priorité, est adopté
par 385 voix contre 60.
— C'est soixante de trop! s'écrie M. Dugué de la Fauconnerie.
Il y a eu environ 130 abstentions de députés radicaux et d'ei-
trême-gauche.
Après le débat qu'on vient de lire, on comprend que l'on soit allé
prendre l'air dans les couloirs. C'est au milieu des allées et venues
que M. Le Myre de Vilers a réclamé le droit sur les riz et que
M. Etienne en a fait autant.
L'article l^"", frappant de divers droits les riz en paille, les bri-
sures et les farines de mais, le dari et le millet, a été adopté par
311 voix contre 196.
L'article 2, portant que « les maïs et riz destinés à la fabrication
de l'amidon pour blanchissage seront exempts de droits » a été
adopté également.
Après un court échange d'observations entre MM. Raynal, Jouf-
fray, ViUebois-Mareuil, sur le maïs destiné aux animaux, la suite
de la discussion a été renvoyée à lundi.
Lundi ^ juin. — L'amendement tendant à exempter du droit le
maïs servant à l'agriculture, est repoussé par 306 voix contre 221.
L'amendement exemptant les maïs servant à la nourriture des
bestiaux est repoussé à mains levées.
Un amendement de M. Aynard, tendant â exempter des droits les
riz destinés à l'alimentation et aux industries autres que la distille-
rie, est repoussé par 289 voix contre 235.
Enfin, on vote sur l'ensemble de la loi qui est adoptée par 343
voix contre 168, sur 511 votants.
La Chambre a voté les droits sur les maïs et les riz.
Mardi 10 juin. — M. Pichon adresse une question â M. Ribot,
ministre des affaires étrangères sur la conversion de la Dette égyp-
tienne.
Cette question est plus importante que la première. Il s'agit de
savoir quelles sont les mesures financières proposées par les repré-
606 ANNALES CATHOLIQUES
sentants du vice-roi d'Egypte et quelles précautions le gouverne-
ment français a prises pour sauvegarder les intérêts de la France.
M. Pichon demande quelles dettes seront comprises dans la con-
version. Ce point est important à coanaître, car il y a des dettes qui
intéressent la France, et qui sont garanties par des gages spéciaux.
A la question financière se lie, d'ailleurs, la question politique; l'oc-
cupation, par les Anglais, du territoire égyptien.
M. RiBOT est venu répondre que le gouvernement n'a jamais été
opposé, en principe, à la conversion de la Dette égyptienne. Il doit
en résulter une diminution dans les charges d'un peuple avec lequel
la France entretient, depuis longtemps, des relations amicales.
Il y a, en Egypte, quatre dettes, dont le total s'élève à 950 mil-
lions environ. L'économie résultant de la conversion sera de 10 mil-
lions. La dette privilégiée et l'emprunt de 1868 sont les seules que
visait le projet do décret soumis par les représentants du vice-roi.
Le gouvernement français ne pouvait se désintéresser de l'emploi
à faire du produit de la conversion. Il ne faut pas que cette somme
serve à prolonger l'occupation anglaise. (Applaudissements.)
A maintes reprises, l'Angleterre a affirmé qu'elle évacuerait
l'Egypte, aussitôt l'ordre rétabli. Elle subordonne son départ de ce
pays à certaines précautions, à l'augmentation de l'effectif de l'ar-
mée égyptienne, par exemple.
Aussi, le gouvernement français a-t-il cru devoir stipuler que les
économies résultant de la conversion .seraient retenues par la commis-
sion de la Dette, pour que l'emploi en fût déterminé par un accord
entre les puissances. (Applaudissements.)
D'autre part, la dette domaniale devra recevoir certaines garanties.
Elle intéresse particulièrement les porteurs français. La conversion
se fera donc dans les meilleures conditions possibles. (^Applaudisse-
ments.)
Après cette explication, M. le ministre des affaires étrangères
donne lecture de la note qui a servi de base au décret relatif à cette
conversion :
Il n'y a à en retenir que ces points :
1° Le projet égyptien fixait à 80 0/G de leur valeur nominale le
taux de remboursement des titres de la Daïran. Le gouvernement
français a réclamé la fixation du taux à 85 0/0 en considérant que ce
serait là u^ne transaction équitable entre les droits du gouvernement
égyptien et les prétentions légitimes des porteurs de titres.
2» Le gouvernement français a réclamé un article nouveau du pro-
jet, fixant un délai de quinze ans, pendant lequel il ne pourrait être
procédé à aucun remboursement de tout ou partie de la dette, en
dehors des amortissements à effectuer, avec les produits des aliéna-
tiouB des biens domaniaux.
3° Le gouvernement français a déclaré penser que l'occupation
CHRONIQUE UE LA SEMAINE 607
anglaise en Egypte n'a plus la raison d'être que lui donnait le gou-
vernement britannique. L'ordre est rétabli en Egypte. Il n'est point
besoin d'autre preuve que le tableau que les ministres anglais se sont
plu à retracer, ces temps derniers, de l'état actuel de l'Egypte, de
sa prospérité et de la sécurité qui y règne.
Le ministre, après la lecture de cette note, qui a été fort applau-
die, a déclaré que si la France désire vivre avec l'Angleterre dans les
relations les plus cordiales, elle ne peut la laisser s'établir en Egypte
sans faire entendre des protestations et lui rappeler ses engagements
formels.
L'incident a été déclaré clos, api'ès que M. Pichon a remercié le
ministre et pris acte de ses déclarations.
Sans discussion, on a voté, en première délibération, une proposi-
tion de loi tendant à l'établissemeat d'un droit sur les mélasses
étrangères. • î' ,.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Un discours. — Le pari mutuel. — Election sénatoriale. — Etranger.
12 juin 1890.
Les conservateurs ont, plus que tous autres, ce défaut fran-
çais : la crédulité généreuse. Ils ont une extraordinaire pro-
pension à voir dans leurs adversaires des gens débonnaires et
loyaux. Maintes fois ils ont été dupes, mais les déceptions ne
leur apprennent rien. Ils sont comme ces pièges perpétuels, con-
tinuellement tendus, toujours ouverts. L'aventure Rouvier,
jointe à tant d'autres^ ne les a pas instruits. Les voici mainte-
nant tout disposés, dit-on, à se laisser séduire par M. Constans.
Cet habile homme, après avoir « tombé > le boulangisme,
semble vouloir le remplacer par le constantinisme. Il emprunte,
d'ailleurs, à son ancien ennemi ses moyens d'action. C'est ainsi
qu'il a réédité, samedi, à Périgueux, le discours prononcé par
le général Boulanger à Tours, il y a quelque temps. Tout y est:
l'appel aux bonnes volontés, l'affirmation de la tolérance, etc.
On s'attend à la fin de la harangue, à trouver les mots de
république nationale. Ils n''y sont pas, mais le morceau est du
même style, du même mouvement, avec, sans doute, une égale
sincérité.
Il est question des « ouvriers de la dernière heure » qu'il faut
accueillir sans toutefois leur confier la garde du drapeau.
L'image n'est peut-être pas bien suivie, ni très correcte, mais
elle indique bien que si l'on est prêt à accepter les conservateurs
608 ANNALES CATHOLIQUES
comme « servants », on ne leur donnera aucune part à la direc-
tion des affaires. Dans ces conditions, on ne comprend pas bien
pourquoi ils s'empresseraient. Le rôle qu'on leur offre n'a rien
de nouveau ni de trop séduisant. Ils peuvent le remplir sans y
être appelés par les égoïstes qui conservent le pouvoir avec une
jalousie acharnée.
M. Constans veut conserver pour les siens et lui la « garde
du drapeau ». Tout le monde a déjà compris que c'est de ce
nom-là que M. Constans désigne l'assiette au beurre. Aussi
peut-on s'étonner de voir M. Arthur Meyer écrire dans le
Gaulois à propos de ce discours, que les idées conservatrices
sont victorieuses, et que la parlotte de Périgueux est « un pre-
mier triomphe pour nos idées ». M. Constans aurait eu à parler
à Lyon, à Saint-Etienne ou à Marseille, que son langage se fût
inspiré des opinions des députés de la région, absolument
comme l'a fait ensuite M. Develle, lorsqu'au banquet de la
Roche-sur-Yon, chef-lieu de la Vendée, il a battu le rappel,
afin de rallier les conservateurs à la république modérée. Aussi
ce que les conservateurs doivent exiger du gouvernement avant
de le considérer comme pratiquant la république ouverte, ce
sont des actes et non pas des paroles.
Dans quelques jours, il y aura à la Chambre un débat oii la
question de la laïcisation sera soulevée à propos d'une interpel-
lation de M. Chassaing sur les pharmacies « cléricales » dans
les campagnes, et nous pourrons savoir exactement alors,
d'après le langage et l'attitude du cabinet, ce qu'il faut penser
en réalité, de ces intentions pacifiques vis-à-vis des députés de
la droite et des électeurs conservateurs. Jusque-là, il est permis
de dire que les discours prononcés à Périgueux et à la Roche-
sur-Yon ne doivent être accueillis que sous bénéfice d'inven-
taire. N'oublions pas que M. Constans était déjà ministre de
l'intérieur à l'époque de l'exécution des décrets.
Voici le passage du discours de M. Constans que nous venons
d'apprécier :
Nous voulons faire une bonne et sage République, une République
qui ne stationne pas, mais qui progresse. Il serait aussi imprudent
de stationner que de marcher en arriére. Les démocraties qui ne
marchent pas sont des démocraties qui meurent. Toutefois, si nous
voulons une République sage et progressive, nous ne demandons pas
une République fermée.
CHRONIQUE DK LA SEMAINE 609
Que ceux qui ont été républicains de tout temps donnent l'exemple
et accueillent les ouvriers de la dernière heure, sauf à ne pas leur
confier la garde du drapeau, car le drapeau doit rester dans des
mains sûres et expérimentées.
Si la République entend conserver à sa tête des républicains
fermes et convaincus, elle admet qu'il lui est possible d'ouvrir ses
rangs à ceux qui ne l'ont pas toujours été, à la condition qu'ils
donnent une preuve immédiate de la sincérité de leur adhésion.
Que ceux qui ont jusqu'ici gardé le souvenir des régimes déchus
sachent que nous ne sommes pas une République tracassière. Ils
peuvent venir à nous avec confiance. J'ajoute cependant que leur
concours ne nous est pas nécessaire et que, s'ils troublent l'ordre,
nous saurons les contraindre à le respecter.
En faisant appel à toutes les bonnes volontés, nous nous souve-
nons que nous sommes fils de la même patrie. Entre Français nou
ne voulons pas de divergences. Nous souhaitons l'union de tous;
cette union ne peut être réalisée qu'au profit du parti républicain.
Le gouvernement a interdit, par arrêté ministériel, le pari
mutuel aux courses.
Cette décision n'a pas été sans provoquer une vive émotion à
Paris. Les propriétaires des grandes agences de pari ont décidé
de se laisser citer devant les tribunaux, dans l'espoir de
faire proclamer par la justice l'illégalité de l'arrêté pris par le
ministre.
Il est peu probable qu'ils obtiennnent pareil jugement, mais
s'il devait en être ainsi, il faut souhaiter que le gouvernement
dépose un projet de loi qui l'arme contre ces agences.
On se fait difficilement une idée de ce que sont les courses à
Paris et quelle véritable fascination elles exercent sur la popu-
lation. On a rappelé souvent le Panem et Circenses des Ro-
mains : il est en train de devenir absolument exact en ce qui
regarde Paris. Par suite de l'éducation qu'il reçoit, le peuple
parisien devient de plus en plus enclin à demander au pouvoir
de lui assurer le pain par des lois socialistes, et les courses
semblent être devenues un élément nécessaire de son existence.
Sait-on combien de personnes les trains de la ligne du Nord
transportent à Chantilly les jours de courses? 50.000 à peu
près !
Passe encore si les courses n'étaient que le prétexte de pro-
menades à la campagne. Mais la plaie de ce genre d'amusement,
44
610 ANNALKS CATHOLIQUES
c'est le jeu qui, sous forme de paris, vient se greffer dessus.
Le mal est d'autant plus grand que non seulement ceux qui
vont aux courses parient, mais, grâce aux facilités, grâce aux
tentations des mille agences de paris ouvertes à tous les coins
de, rue, dans les moindres bouchons de marchands de vin, la
population sédentaire se laisse entraîner à parier aussi. L'ou-
vrier retient la grosse part de son salaire pour la placer sur le
favori du jour qu'il n'a jamais vu, dont il ne connaît ni les
défauts ni les qualités, mais qui lui est recommandé par le
Petit Journal ou le Petit Parisien. Le cocher vole son patron,
et la cuisinière sa bourgeoise pour porter leur pièce de cent
sous chez le marchand de vin. C'est une fièvre qui tient non
seulement les riches oisifs, mais surtout les petits qui auraient
le plus besoin de garder toutes leurs épargnes et qui se laissent
fasciner par l'espoir, jamais réalisé, d'un gain fabuleux.
Un journal parisien faisait dernièrement le calcul des sommes
jetées ainsi dans le gouffre du jeu et il estimait à 450,000 francs
le montant des paris effectués quotidiennement chez les grandes
agences. En j ajoutant les paris effectués chez les bookmakers,
il arrivait à cette conclusion que les Parisiens jouent tous les
ans aux courses un capital de trois cents millions.
Et si encore ce jeu était lojal ! Mais les joueurs sont quoti-
diennement volés, volés comme dans un bois. Tels bureaux de
paris se contentent d'encaisser les mises sans les verser aux
agences : si, par un hasard extraordinaire, un parieur vient à
gagner quelque grosse somme, le bureau se déclare insolvable.
Il encaisse, il ne rembourse pas. D'autre fois, c'est un jockey
qui retient son cheval pour laisser gagner le voisin. En un mot,
l'organisation du pari aux courses n'abouti qu'à régler l'exploi-
tation du public.
Le gouvernement veut y mettre nn : y réussira-t-il ? Nous en
doutons. Le pari mutuel, contre lequel on s'élève aujourd'hui,
a été présenté lui-même comme un remède : on voit ce qu'il a
donné.
On inventera un autre système, mais les filous sauront bien
encore en tirer leur profit. Ce 'qu'il faudrait corriger, ce sont
les mœurs. On a ôté au peuple tout frein religieux, on lui a
enlevé les craintes et les espérances de la vie future, il cherche
dans les plaisirs excitants un étourdissement au besoin de quel-
que chose dont son âme est rempli© sans qu'il sache comment
la satisfaire. Qu'on ramène le peuple à l'église, et les abus dont
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 6)1
on se plaint disparaîtront peu à peu. En dehors de ce moyen de
^alut toutes les réformes qu'on tentera seront vaines.
Une élection sénatoriale a eu lieu, dimanche dans le Lot-et-
Garonne.
Deux candidats étaient en présence : MM. Besse, conserva-
teur, et Falliéres, ministre de la justice, député opportuniste.
Voici les résultats du scrutin :
Inscrits, 710. — Votants, 703.
MM. Falliéres, 457 v. ÉLU
Besse, 231 >
Il s'agissait de remplacer M. Laporte, opportuniste, décédé.
Il n'y a donc rien de changé et le succès des républicains se
borne à un nouveau triomphe de la candidature officielle.
Le duc d'Orléans a envoyé un messager à M. le duc Decazes,
le chargeant de faire publier le document suivant :
« Aux conscrits de ma classe.
« Mes chers camarades, j'avais demandé à faire mes trois ans
comme soldat,
« Pour toute réponse, on m'a condamné à deux ans de
prison.
« Je ne me plaignais pas.
* Avant l'expiration de la peine, on me reconduit à la fron-
tière. La grâce me rend aux douleurs de l'exil.
« Je change seulement de captivité.
« Ma résolution reste entière ; rien ne me fera renoncer à
mon ardent espoir de servir la patrie.
«La place que je rêvais dans les rangs, au milieu de vous,
près du drapeau, gardez-la moi.
« Je viendrai la reprendre.
« A vous, pour Dieu et pour la France.
« Philippe, duc d'Orléans. »
L'on se demande partout, non seulement en Allemagne, mais
en Europe, ce que va faire l'empereur Guillaume en présence
de l'opposition sans cesse grandissante faite par le prince de
Bismarck à son gouvernement, et même à sa personne. Ces
préoccupations ne sont pas étrangères à la créance rencontréô
612 ANNALES CATHOLIQUES
par les bruits les moins vraisemblables, comme ceux qui repré-
sentent l'empereur comme résolu soit à exiler l'ex-chancelier,
soit aie faire enfermer dans une maison d'aliénés.
Heureusement qu'une dépêche de Vienne relatant une autre
dépêche de Berlin, qui a tout l'air d'une communication offi-
cieuse, se charge de rassurer ce qu'on est convenu d'appeler
les cercles dirigeants de la triple alliance. La Nouvelle Presse,
l'un des organes de M. Kalnoky, publie, en efi'et, cette dépêche :
« L'empereur Guillaume aurait refusé de restreindre la liberté
d'action du prince de Bismarck comme homme privé, mais sur
son ordre, le général de Caprivi aurait adressé récemment une
circulaire confidentielle aux représentants do l'Allemagne, les
chargeant, au cas où des éclaircissements leur seraient deman-
dés, de déclarer qu'il s'agit, dans les interviews en question,
d'opinions privées ne pouvant aucunement influer sur l'attitude
politique officielle de l'Allemagne. »
Voilà qui est parfait, tant que le prince de Bismarck agira
comme homme privé ; mais, dans le cas contraire, que fera
l'empereur? On est en droit de s'en inquiéter.
En dehors des allées et venues, des propos plus ou moins
authentiques et des résolutions plus ou moins arrêtées de celui
qu'on appelle l'ermite de Friedrichsruhe, la semaine qui vient
de s'écouler a été assez calme à l'extérieur. Il est intéressant
toutefois de relever la discussion curieuse qui vient d'avoir
lieu à la Chambré des Communes sur l'établissement d'un tunnel
sous-marin destiné à relier par une voie ferrée la France et
l'Angleterre, et qui pour la seconde, sinon pour la dernière
fois, vient d'être repoussé par les députés anglais.
Qu'on ait élevé contre ce projet. des objections techniques et
notamment qu'on ait été frappé du chiffre des dépenses aux-
quelles la société de construction aurait pu être conduite, per-
sonne n'y eût trouvé à redire; il y avait là en eifet de quoi
réfléchir. Le projet était gigantesque et peut-être même chimé-
rique, encore que la science des ingénieurs se vante depuis
quelques années d'avoir raison de tous les obstacles. Mais ce ne
sont pas là, nos lecteurs le savent déjà, les scrupules qui ont
pesé sur la conscience des députés anglais et déterminé leurs
votes. Ce que la majorité a redouté dans l'établissement d'un
semblable tunnel, c'est de livrer l'Angleterre à l'invasion
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 613
•étrangère, c'est dépendre caduque cette belle ceinture d'argent
qui l'entoure ! En termes plus précis, l'Angleterre doit sa situa-
tion invulnérable au fait qu'elle est une île ; or, le jour où elle
serait reliée au continent par une voie carrossable ou ferrée,
elle s'imagine qu'elle perdrait ses privilèges, et se trouverait
exposée à l'invasion étrangère; donc, pas de tunnel et en effet
il n'y en aura pas.
En vain des orateurs écoutés et éloquents, comme M. Glad-
stone, ont plaidé la cause du tunnel, et ont fait ressortir que
l'Angleterre n'y perdrait ni beaucoup, ni peu de son invulnéra-
bilité ; qu'il serait toujours possible et qu'on serait toujours à
temps sur la côte anglaise pour faire sauter, en cas de guerre,
le fameux tunnel : rien n'y a fait. La majorité de la Chambre
s'est dit qu'après tout la France aurait peut-être la tentation
de se ruer secrètement sur l'Angleterre en jetant mystérieuse-
ment dans le tunnel, comme les Grecs dans le cheval de Troyes,
des milliers de fantassins et d'artilleurs lesquels un beau matin
occuperaient Douvres et iraient d'un trait à Londres pour s'en
emparer! Cette vision a agi sur les cerveaux, et le projet de
tunnel a été écarté.
La situation financière, dans l'Indo-Chine, s'aggrave de plus
en plus. D-'après le Progrès de Saigon^ le déficit au Tonkin
dépasse 9 millions, et les rentrées s'opèrent difficilement.
Quant à la Cochinchine, le déficit avoué de 6 millions s'accroîtra
du mécompte que donne la régie de l'opium. Les populations
sont mécontentes, et il circule dans l'Annam une lettre du
conseil de régence, dans laquelle il est dit que le choléra,
apparu à Hué, est un châtiment du ciel pour punir les Fran-
çais. Dans ces circonstances, on conçoit que l'administration de
rindo-Chine songe à un emprunt, mais on conçoit plus diffici-
lement qu'elle trouve des prêteurs, car nous ne saurions prendre
au sérieux l'affirmation de V Avenir du Tonkin, suivant laquelle
ce serait la Caisse des dépôts et consignations qui se chargerait
de fournir les 50 ou 60 millions demandés. La Caisse des dépôts
et consignations est une dépendance du Trésor, et ceux qui
l'administrent n'ont pas le droit d'engager dans de pareilles
aventures les capitaux dont l'État est responsable.
Encore un mot à propos du Tonkin, ce paradis de M. Ferry.
C'en est un en efi'et, mais pour les seuls fonctionnaires. V Avenir
614 ANNALES CATHOLIQUES
du Tonkin nous raconte que MM. Vergriets et Deschervenden
viennent d'attaquer le gouvernement de l'Indo-Chine en paye-
ment des frais occasionnés par le transport des bagages per-
sonnels de M. Escoubet, résident de Bao-Bang. Il n'a presque
rien coûté ce transport: 45,000 fr. Il est vrai que M. le résident
ne possédait que cinquante-deux tonnes de bagages ! Cinquante-
deux mille kilogrammes! Peste! Pour un budgétivore, M. le
résident est un fameux budgétivore ! Or, sait-on combien le
retour de Cao-Bang à Hanoï,- c'est-à-dire le même trajet en
sens inverse, fait par trois officiers et une compagnie entière,
vivres et transports compris, avait coûté? Douze cents francs.
Douze cents francs pour tout le trajet, au lieu de quarante-cinq
mille pour une fraction de ce même trajet. Il est vrai que les
militaires portent leurs bagages sur leur dos ; les réserves de
munitions et de vivres sont seules mises dans des voitures ou
sur des bêtes de somme. Ne pourrait-on pas demander que
M. Escoubet paye le transport de ses cinquante-deux mille ki-
logrammes de bagages? Les services qu'il rend ne sont pas assez
considérables pour qu'on l'entretienne de la sorte. Il est déjà
suffisamment rémunéré par sa solde.
UNE SPOLIATION
La commission du budget a pris dans sa dernière séance deux
résolutions graves. Elle a décidé : 1° que l'intérêt de l'argent
déposé dans les Caisses d'épargne, qui est actuellement de
4 pour cent, serait réduit à 3.25 pour cent ; 2° que les bénéfices
résultant de cette réduction, au lieu d'être attribués au fonds
de réserve des Caiss-es d'épargne, devront profiter au budget et
être ajoutés aux ressources générales du Trésor.
Cette double décision ne manquera pas de jeter une vive
émotion parmi les déposants des Caisses d'épargne qui ne
constituent pas une quantité négligeable, puisqu'ils sont au
nombre de six millions.
On sait que le taux de l'intérêt pour les dépôts des Caisses
d'épargne a été fixé à 4 pour cent par la loi du 7 mai 1853. Il
n'a pas varié depuis.
Convient-il de le réduire et dans quelles limites ?
Sans doute le taux de 4 pour cent peut sembler exagéré main-
tenant que les valeurs de tout repos ne donnent guère plus de
3 1/2 pour cent.
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 615
Mais jusqu'à présent le Trésor n'a éprouvé, de oe fait, aucun
dommage, il n'a subi aucune perte.
En effet, les fonds des Caisses d'épargne sont xersés à la
Caisse des dépôts et consignations, laquelle en fait emploi en
rentes sur l'Etat et autres valeurs de tout repos, sauf une ré-
serve disponible qui ne doit pas excéder cent millions.
Or, les valeurs que détient de ce chef la Caisse des consigna-
tions lui ont produit pour 1889, si nous ne nous trompons, an
moins 3.75 d'intérêts.
Donc la différence de l'intérêt ser-vi par la Caisse des dépôts
aux Caisses d'épargne s'est traduite en 1889 par une perte de
25 centimes par cent francs. Mais cette perte n'a pas été sup-
portée par le Trésor, puisque la Caisse des consignations possède
un fonds de réserve de plus de 40 raillions, provenant des béné-
fices qu'elle a réalisés sur les opérations des Caisses d'épargne.
C'est au moyen d'un prélèvement sur ce fonds de réserve que
l'on a comblé la perte résultant de la différence entre l'intérêt
de 4 pour cent servi aux Caisses d'épargne et Tintérêt de 3.75
que rapportent les valeurs que contient le portefeuille des
caisses d'épargne.
Mais comme il ne faut pas épuiser le fonds de réserve, qui est
pour les clients des caisses d'épargne une garantie précieuse,
nous admettons très volontiers que l'on réduise de 25 centimes
par cent francs le taux de l'intérêt et qu'on l'abaisse à 3.75
pour cent.
Cette réduction est sensible, car il tautbiense rendre compte
que le déposant ne touche pas intégralement l'intérêt servi par
la Caisse des dépôts et consignations. Les caisses d'épargne
conservent, comme il est juste, une partie de cet intérêt pour
couvrir leurs frais d'administration.
11 en est qui retiennent 0 50 pour cent, d'autres un peu plus,
d'autres un peu moins. En réalité, les clients des caisses
d'épargne ne reçoivent pas plus de 3 1/2 pour cent. Si le taux
de l'intérêt est abaissé à 3 25 pour cent, comme l'a décidé la
commission du budget, ils ne recevront que 2 75 pour cent.
Si on ne fait, au contraire, qu'une réduction de 0 25 pour
cent, les clients des caisses d'épargne privées recevront de 3 fr. 25
à 3 fr. 50 pour cent francs, et ceux de la Caisse d'épargne pos-
tale continueront à recevoir 3 pour cent. Ils n'auront pas trop à
se plaindre et l'équilibre sera rétabli entre le taux de l'intérêt
versé par la Caisse des dépôts et consignations et le taux dô
616 ANNALES CATHOLIQUES
l'intérêt produit par les valeurs constituant le portefeuille des
caisses d'épargne.
Nous protestons donc au nom des six millions de déposants
des caisses d'épargne, contre la décision prise par la commission
du budget. Nous repoussons la réduction de l'intérêt à 3 25
pour cent. Nous demandons la réduction à 3 75 pour cent, qui
est suffisante pour garantir le Trésor contre toute éventualité
de perte du fait des caisses d'épargne.
Il nous reste maintenant à parler de la seconde résolution
de la commission du budget. Celle-ci n'est pas seulement mala-
droite. Elle est inique.
On a le droit de réduire l'intérêt alloué aux caisses d'épar-
gne. Mais on n'a pas le droit de confisquer des fonds qui sont
leur propriété^ qui leur appartiennent, ou plutôt qui appar-
tiennent à leurs clients.
Or, c'est exactement ce que fait la commission du budget,
quand elle établit que le Trésor bénéficiera des sommes prove-
nant de la réduction des intérêts et que ces sommes seront por-
tées en recette au budget.
La commission du budget, en adoptant cette mesure inique,
n'a fait que reprendre une idée de M. Wilson, qui, lorsqu'il
était à l'apogée de sa gloire et tenait boutique à l'Elysée pour
vente de croix delà Légion d'honneur, avait trouvé ingénieux
de faire main basse sur les fonds des caisses d'épargne.
La commission du budget aurait pu se dispenser de s'inspirer
des idées du gendre de M. Grévy.
Il est des modèles meilleurs à copier.
Réduire l'intérêt des Caisses d'épargne de 0,75 pour cent,
afin de faire bénéficier le Trésor de cette dilTérence, qui repré-
senterait sur les 3 milliards de francs de dépôt 22 millions
500,000 francs par an, ce serait porter atteinte à la propriété
des déposants. Ce serait établir sur la petite épargne un impôt
du quart, c'est-à-dire de 25 pour cent, tandis que les gros
capitaux ne paient que 3 pour cent et même ne paient rien du
tout quand ils sont placés en rentes.
Ce serait une véritable spoliation.
Nous dénonçons ce projet de confiscation de la petite épargne,
avec l'espérance que l'opinion publique en fera justiee.
i Soleil).
Le gérant: P. Ohantrel.
Paris. Imp. G. Picqnoin, 53, rut de Lille.
ANNALES CATHOLIQUES
TROIS FLEAUX, UN REMEDE
La société souffre, la société s'agite et parfois elle s'affole à
la vue des dangers qui la menacent. Elle sent qu'elle n'est pas
assise sur un fondement solide, que son toit ne s'appuie pas sur
de solides colonnes. Politiquement et socialement envisagées,
ses institutions sont mauvaises parce qu'elles ne tiennent
compte que de l'individu et de l'individu considéré isolément.
Entre l'individu et l'Etat, entre le travail et le capital, il manque
des institutions intermédiaires oii les citoyens pourraient se
grouper et les éléments de la richesse se rapprocher. Le dernier
moyen pacifique du citoyen pour faire entendre sa voix paraît à
beaucoup devoir être le suffrage universel direct, et ce suffrage
est, dans nos pays libéralisés, une arme empoisonnée qui blesse
même celui qui la manie. Le dernier moyen, rarement pacifique
chez nous, reconnu à l'ouvrier pour faire prévaloir ses intérêts
et ses passions, consiste dans la grève, qui blesse souvent et le
capital et le travail, et sème la misère. Suffrage universel et
grève, voilà les deux moyens d'action du citoyen et du tra-
vailleur que nous voyons à l'œuvre dans la plupart des Etats de
l'Europe. Leur emploi s'est développé avec le militarisme qui
est, lui, la suprême ressource des gouvernements contre les
dangers du dedans et du dehors.
Tels qu'ils sont entendus et pratiqués de nos jours, le suffrage
universel, la grève et le militarisme sont trois fléaux.
Les Papes ont appelé le suffrage universel, issu de la Révolu-
tion française et du libéralisme contemporain, le mensonge
universel. Récemment Sa Sainteté Léon XIII déplorait les pro-
grès effrayants de la res militaris pour la morale et la prospé-
rité matérielle. Quant à la grève, des évêques se sont jetés
entre les belligérants pour éviter de grands maux et amener la
paix.
Nous sommes menacés des progrès de ces trois fléaux. La
grève générale est dans l'air comme l'armement général et
comme le suffrage général donnés aux imberbes, adolescents et
femmes.
Allons-nous aller jusqu'au bout, jusqu'au fond? Ne serait-il
pas temps de réfléchir, d'arrêter un plan de campagne et d'agir?
Lxxii — 21 Juin 1890 45
620 ANNALES CATHOLIQUES
simplement avoir constaté l'initiative avec laquelle les catho-
liques ont ouvert les voies.
A relever aussi la modération observée par M. Wagner en
parlant des socialistes. Il ne voit pas en eux les adversaires
qu'il faudrait combattre ; c'est contre les péchés et les vices des
classes dirigeantes qu'il faut entreprendre la lutte en première
ligne.
L'orateur n'a pas été beaucoup plus heureux avec cette partie
de son discours qu'avec celle où il rendait justice aux catho-
liques. Entendre qualifier les chefs de la démocratie socialiste
allemande d'hommes pénétrés d'idéalisme, capables de souflrir
le martyre pour leurs idées, a fortement déplu à une partie de
l'assistance, bien plus disposée à déldatorer contre les socia-
listes qu'à redresser les vices des classes supérieures
En somme, les discours de M. Magner ont été la partie la
plus remarquable du congrès.
M. Kropatschek a traité la réglementation du travail en se
tenant dans les limites généralement acceptées en Allemagne.
Son rapport, qui aurait pu faire sensation dans certains autres
pays, a été trouvé terne et dépourvu d'intérêt. Dans la discus-
sion de ce rapport un industriel notable, M. Metzenthiu, a
déclaré que le projet de lois protectrices déposé par le gou-
vernement devait être citnsidéré comme un minimum. Dans sa
fabrique, l'orateur a introduit la journée de dix heures et il
produit autant que ses concurrents, qui maintiennent la journée
de douze heures. Au siijei des ouvriers agricoles la discussion
s'est envenimée. Un prédicateur a pai'lé des abus qui se com-
mettent dans les exploitations agricoles, et le gant a été vive-
ment relevé par le comte de Stolberg; mais il ne semble pas
avoir pu détruire les arguments et les faits cités par le pasteur
Sauberzweig.
Une discussion assez intéressante a eu lieu au sujet de la
fondation de cercles ouvriers. Le pasteur Stoecker avait prôné
l'élargissement du cadre, il faudrait choisir un autre nom et
englober aussi les paysans et les compagnons de métiers, même
enrôler les catholiques. Il a fallu en rabattre et de beaucoup,
car on a constaté que la fondation de cercles n'était possible
que dans les endroits où un antagonisme avec les catholiques
se fait sentir. Triste témoignage d'impuissance!
Très caractéristique pour l'esprit de l'assemblée a été son
attitude vis-à-vis d'une résolution disant que la classe ouvrière
CONGRÈS SOCIAL ÉVANGÉLIQUE DE BERLIN 621
a droit à l'égalité morale avec les autres classes. On n'a pas eu
le courage de l'adopter. Singuliers amis des ouvriers!
Comme bouquet, on a eu un discours du pasteur Stoecker
contre les juifs. La réunion est devenue orageuse. L'entente
parfaite qui règne généralement dans ces milieux quand on
invective les catholiques, cesse dés qu'on touche aux juifs.
M. Kropatscheck a eu la méchanceté de relever cette attitude
bizarre. « Pourquoi toutes les attaques contre les catholiques
rencontrent-elles vos chaleureux applaudissements, et pourquoi
faites-vous appel à la charité, à la justice, à la paix, dés qu'il
s'agit d'un juif? >
La question était embarrassante et les réponses en consé-
quence. Le professeur Kaftan trouve que dans l'Eglise catho-
lique on combat un système, tanriis que chez les juifs il ne s'agit
que de personnes indéterminées ! M. Harnack trouve que le ca-
tholicisme est une confession, et les juifs sont un peuple.
Bref, on s'est dit des choses désagréables, et c'est sur cette
note discordante que le Congrès évangélique s'est séparé.
Si nous résumons les discussions du Congrès, nous aurons à
constater qu'elles ne sont pas de nature à éveiller de grandes
espérances sur l'action sociale de l'Eglise protestante.
Ce qui fait défaut avant tout c'est l'unité; et comment pour-
rait-il en être autrement? C'est le vice fondamental du protes-
tantisme, qui ruinera constamment les meilleures tentatives.
Dans ce même ordre d'idées, nous aurons aussi à constater qu'il
manque aux protestants la chose la plus essentielle pour mener
abonne fin leurs entreprises, c'est-à-dire l'organe indispensable,
l'Eglise. Il n'y a pas d'Eglise protestante, il y a de nombreuses
individualités qui ne se rencontrent que dans une chose, la né-
gation. L'action individuelle restera nécessairement restreinte,
on pourra par-ci par-là créer quelques œuvres utiles, réaliser
quelque bien, mais une action générale, telle que la nécessité
de l'heure présente la réclame, sera impossible.
Nous le regrettons sincèrement, car une rivalité sur le do-
maine de la charité était bien faite pour nous plaire. Nous pou-
vons accompagner de nos vœux les efforts des protestants, mais
nous ne saurions nous faire des illusions sur leur succès.
L'Eglise de Pierre seule peut résister aux flots.
620 ANNALES CATHOLIQUES
simplement avoir constaté l'initiative avec laquelle les catho-
liques ont ouvert les voies.
A relever aussi la modération observée par M. Wagner en
parlant des socialistes. Il ne voit pas en eux les adversaires
qu'il faudrait combattre ; c'est contre les péchés et les vices des
classes dirigeantes qu'il faut entreprendre la lutte en première
ligne.
L'orateur n'a pas été beaucoup plus heureux avec cette partie
de son discours qu'avec celle où il rendait justice aux catlio-
liques. Entendre qualifier les chefs de la démocratie socialiste
allemande d'hommes pénétrés d'idéalisme, capables de souHrir
le martyre pour leurs idées, a fortement déplu à une partie de
l'assistance, bien plus disposée à dél)latérer contre les socia-
listes qu'à redresser les vices des classes supérieures
En somme, les discours de M. \\'agner ont été la partie la
plus remarquable du congrès.
M. Kropatschek a traité la réglementation du travail en se
tenant dans les limites généralement acceptées en Allemagne.
Son rapport, qui aurait pu faire sensation dans certains autres
pays, a été trouvé terne et dépourvu d'intérêt. Dans la discus-
sion de ce rapport un industriel notable, M. Metzenthiu, a
déclaré que le projet de lois protectrices déposé par le gou-
vernement devait être considéré comme un minimum. Dans sa
fabrique, l'orateur a introduit la journée de dix heures et il
produit autant que ses concurrents, qui maintiennent la journée
de douze heures. Au sujei des ouvriers agricoles la discussion
s'est envenimée. Un prédicateur a parlé des abus qui se com-
mettent dans les exploitations agricoles, et le gant a été vive-
ment relevé par le comte de Stolberg; mais il ne semble pas
avoir pu détruire les arguments et les faits cités par le pasteur
Sauberzweig.
Une discussion assez intéressante a eu lieu au sujet de la
fondation de cercles ouvriers. Le pasteur Stoecker avait prôné
l'élargissement du cadre, il faudrait choisir un autre nom et
englober aussi les paysans et les compagnons de métiers, mémo
enrôler les catholiques. Il a fallu en rabattre et de beaucoup,
car on a constaté que la fondation de cercles n'était possible
que dans les endroits oii un antagonisme avec les catholiques
se fait sentir. Triste témoignage d'impuissance !
Très caractéristique pour l'esprit de l'assemblée a été son
attitude vis-à-vis d'une résolution disant que la classe ouvrière
CONGRÈS SOCIAL ÉVANGÉLIQUE DE BERLIN 621
a droit à l'égalité morale avec les autres classes. On n'a pas eu
le courage de l'adopter. Singuliers amis des ouvriers !
Comme bouquet, on a eu un discours du pasteur Stoecker
contre les juifs. La réunion est devenue orageuse. L'entente
parfaite qui règne généralement dans ces milieux quand on
invective les catholiques, cesse dès qu'on touche aux juifs.
M. Kropatscheck a eu la méchanceté de relever cette attitude
bizarre. « Pourquoi toutes les attaques contre les catholiques
rencontrent-elles vos chaleureux applaudissements, et pourquoi
faites-vous appel à la charité, à la justice, à la paix, dès qu'il
s'agit d'un juif? »
La question était embarrassante et les réponses en consé-
quence. Le professeur Kaftan trouve que dans l'Eglise catho-
lique on combat un système, tandis que chez les juifs il ne s'agit
que de personnes indéterminées ! M. Harnack trouve que le ca-
tholicisme est une confession, et les juifs sont un peuple.
Bref, on s'est dit des choses désagréables, et c'est sur cette
note discordante que le Congrès évangélique s'est séparé.
Si nous résumons les discussions du Congrès, nous aurons à
constater qu'elles ne sont pas de nature à éveiller de grandes
espérances sur l'action sociale de l'Eglise protestante.
Ce qui fait défaut avant tout c'est l'unité; et comment pour-
rait-il en être autrement? C'est le vice fondamental du protes-
tantisme, qui ruinera constamment les meilleures tentatives.
Dans ce même ordre d'idées, nous aurons aussi à constater qu'il
manque aux protestants la chose la plus essentielle pour mener
abonne fin leurs entreprises, c'est-à-dire l'organe indispensable,
l'Eglise. Il n'y a pas d'Eglise protestante, il y a de nombreuses
individualités qui ne se rencontrent que dans une chose, la né-
gation. L'action individuelle restera nécessairement restreinte,
on pourra par-ci par-là créer quelques œuvres utiles, réaliser
quelque bien, mais une action générale, telle que la nécessité
de l'heure présente la réclame, sera impossible.
Nous le regrettons sincèrement, car une rivalité sur le do-
maine de la charité était bien faite pour nous plaire. Nous pou-
vons accompagner de nos vœux les efforts des protestants, mais
nous ne saurions nous faire des illusions sur leur succès.
L'Eglise de Pierre seule peut résister aux flots.
622 ANNALES CATHOLIQUES
LA SIXIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE
COMMENTÉE ET APPLIQUÉE AU PRÊTRE
Beati mundo Corde, quoniam ipsi Deum videhimt.
« Bienheureux ceux qui ont le coeur pur parce qu'ils verront
Dieu. »
On est étonné en lisant la Sainte Ecriture, de voir qu'autant
Dieu, aux premiers âges du monde, punit sévèrement les
hommes à cause de leur corruption, autant Notre-Seigneur
paraît indulgent pour ces mêmes fautes.
Il aborde familièrement la Samaritaine dont il n'ignorait pas
la conduite scandaleuse; il s'entretient avec elle sans se soucier
des préjugés qui divisaient les Juifs et les Samaritains ni du
scandale qu'il cause à ses apôtres lorsque ceux-ci l'aperçoivent
causant en public avec une pareille femme. Et quand Madeleine
dont la vie criminelle était une honte dans Naïm, entre chez
Simon et se jette à ses pieds, loin de la repousser, il fait son
éloge, comparant même sa conduite avec celle de Simon qui l'a
reçu froidement, sans lui donner le baiser de paix, tandis que
cette femme n'a cessé de lui témoigner le respectueux atta-
chement qu'elle a pour lui.
« Consoloz-vous, lui dit-il, avec un ton plein de douceur, vos
péchés vous sont remis » et s'apercevant que ceux qui étaient à
table murmuraient : « Votre foi vous a sauvée, * reprit-il
aussitôt, « allez en paix. » Les Pharisiens lui amènent une
femme qu'ils ont surprise en faute; il les oblige d'abord à se
retirer les uns après les autres, honteux de ce qu'il écrivait à
terre de chacun d'eux : « Femme, lui dit-il, où sont donc ceux
qui vous accusaient?Personne ne vous a condamnée? » — «Per-
sonne! Ni moi non plus, répond Jésus, je' ne vous condamnerai,
allez et ne péchez plus. » C'est la même indulgence qui éclate
presque à chaque ligne des paraboles de la brebis égarée, de la
dragme perdue, de l'enfant prodigue.
Or ne vous y trompez pas ; si Notre-Seigneur accueille sans
reproche les victimes du sens réprouvé, c'est sans doute parce
que personne n'est aussi père que lui, comme le dit saint Augus-
tin, mais c'est surtout parce que chez ces coupables le repentir
est supérieur à leurs scandales; la preuve ce sont les reproches
qu'il adresse aux Pharisiens hypocrites et sensuels qui devant
le peuple se paraient des dehors de la vertu, alors que dans le
SIXIÈME BÉATITUDE ÉVAN6ÉLIQUE 623
secret de leurs demeures, ils menaient une vie aussi scanda-
leuse que la Samaritaine, que la Madeleine, que l'enfant pro-
digue. Aussi mon dessein est-il, non d'étaler sous vos yeux le
spectacle des hontes dont l'apôtre ne veut pas que le nom
même soit prononcé dans l'assemblée des Saints ; mais d'attirer
votre attention sur deux dangers que le sens réprouvé fait courir
au prêtre et qui paralysent son ministère.
I
Notre-Seigneur venait de débarquer dans la contrée des
Gérésaniens, au village de Gadara, lorsque deux démoniaques,
tellement furieux que personne n'osait passer par ce chemin,
sortirent des sépulcres voisins et se présentèrent à lui. L'un
d'eux, le plus redouté dans le pays, possédé depuis plusieurs
années, ne portait aucun vêtement, n'habitait pas de maison et
quand on était parvenu à l'enchaîner, il brisait ses fers, sans
que personne put le dompter. D'autres fois dominé par une
sombre mélancolie, il fuyait l'aspect des hommes, criant jour et
nuit dans les sépulcres et les montagnes, poussant des cris
lamentables, se meurtrissant la poitrine. Du plus loin qu'il
aperçut Jésus, il accourut et se prosterna. Le démon qui l'agi-
tait, lui fit pousser d'assourdissantes clameurs:
« — Quel est ton nom? demanda Jésus au démon.
« — Mon nom est Légion, » répondit-il.
Non loin de là, sur la montagne, paissait un troupeau de
porcs. Les esprits impurs supplièrent Jésus de leur permettre
d'entrer dans ces pourceaux.
« — Allez», leur dit Jésus, et sortant du corps de ce malheu-
reux, ils entrèrent dans ces pourceaux.
Ces deux possédés sont la figure de ceux que domine le sens
reprouve. Il n'est pas d'excès dont ils ne soient capables. Rien
ne parvient à calmer la fougue de leurs emportements, ni la
perte de leur réputation, ni les chagrins dont ils sont l'occasion,
ni la crainte des jugements de Dieu ; ils sont aussi sourds aux
appels les plus pressants de l'affection qu'aux reproches de l'au-
torité la plus sainte. Ils en arrivent à fuir leurs meilleurs amis,
à s'expatrier afin de dissiper plus à l'aise tout leur bien. Le
sens réprouvé tue l'amour filial, l'amour paternel, l'amitié la
plus ancienne. J'ai connu des jeunes gens dont l'éducation avait
coûté à leur père et à leur mère de lourds sacrifices et qui, au
moment où sonnait pour eux l'heure de reconnaître tant de
624 ANNALES CATHOLIQUES
sollicitude, ne se rappelaient rien, parce qu'à la même heure 1©
sens réprouvé s' éveiU&it en eux. J'en ai vu lever la main sur
leur père, se moquer des larmes de leur mère, assister sans
remords aux ravages que le chagrin plus encore que les an-
nées faisait dans ces êtres sacrés, et ne soupirer qu'après leur
mort. Et cependant ces jeunes gens n'étaient pas méchants. Ils
aimaient leurs parents; souvent ils avaient appelé de leurs
vœux le jour où il leur serait donné de leur rendre au centuple
leurs caresses et leurs bienfaits; malheureusement ils avaient
compté sans le sens réprouvé. L'homme voluptueux, contrarié
dans ses appétits, devient cruel, féroce, dénaturé.
Vojez Hérode; frappé de l'empire que Jean-Baptiste exerçait
sur le peuple, sachant d'ailleurs que c'était un homme juste et
saint, il l'avait fait venir à sa cour et aimait à le consulter.
Malheureusement il était dominé par une femme ambitieuse qui
l'avait séduit par sa beauté. Il espérait couvrir de l'autorité de
Jean-Baptiste sa conduite scandaleuse. L'homme de Dieu s'y
refusa. Ilérode irrité le fait jeter en prison. Il hésitait néanmoins
à le faire mettre à mort. Hérodiade moins scrupuleuse ne recula
pas devant le crime. Le jour anniversaire de sa naissance
Ilérode ayant donné un grand festin oii il avait invité les grands
de sa Cour et les principaux de la Galilée, Hérodiade envoya sa
fille danser devant les convives. Cette danse plut tellement à
Hérode que dans son enthousiasme il s'écria :
€ Demande ce que tu voudras, je te le donnerai », et emporté
par sa passion :
€ — Oui, s'écria-t-il de nouveau avec serment, quoi que tu
me demandes, fut-ce la moitié de mon royaume, je te le don-
nerai. »
Salomé courut interroger sa mère.
< — Demande la tête de Jean-Baptiste, » lui dit-elle.
Rentrant en toute hâte auprès du roi :
€ — Je veux, lui dit-elle, la tète de Jean-Baptiste. »
Hérode fut bouleversé. Néanmoins à cause de son serment, il
ne voulut pas contrister cette fille par un refus. Il envoya donc
un de ses gardes avec ordre d'apporter la tête de l'homme qui
avait été son meilleur ami; Salomé la donna aussitôt à sa mère.
Voyez David. Il n'hésite pas, afin de soustraire à la légitime
colère d'Uri la coupable Bethsabée que lui-même avait détour-
née de son devoir, à faire placer Uri à l'endroit le plus dange-
reux pour qu'il périsse pendant le combat.
SIXIÈME BÉATITUDE ÉVANGÉLIQUE 625
Feuilletez l'histoire de l'humanité, c'est à peine si vous
pourrez compter les actes de cruauté dont le sens réprouvé a
été l'inspirateur, les guerres qu'il a fait déclarer, les flots de
sang qu'il a fait couler; le nombre de familles dont il a pour
toujours empoisonné l'existence. Peut-on songer sans verser
des larmes à la tristesse de ce foyer d'où l'enfant prodigue a
disparu ? à ce père, à cette mère qui ne peuvent détourner leurs
regards de ce chemin par lequel il s'est enfui? Chaque matin
ils croient l'entendre revenir; tout le long du jour, ils l'atten-
•dent. Où est-il ? Que fait-il ? Ils l'entrevoient au milieu d'amis
débauchés, se dégradant, s'avilissant, jusqu'au jour où après
s'être traîné triste, inquiet, insupportable à lui-même et aux
autres, il met fin à sa vie. D'autres fois il leur apparaît tom-
bant dans la dernière misère, sans amis, sans protecteurs, ne
sachant comment apaiser les angoisses de sa faim. Et voici que
tout d'un coup il revient. Ils le reconnaissent sous ses haillons.
Leurs entrailles se sont émues; les reproches expirent sur leurs
lèvres; ils le serrent dans leurs bras, et déposent sur son front
le baiser du pardon; mais le premier moment d'allégresse passé
chacun s'interroge : « Et maintenant que va-t-il devenir? »
Hélas ! que devient le prêtre victime du sens rep7'ouvé, même
après avoir avoué ses fautes, même après en avoir reçu l'abso-
lution ? même après des retraites, des efforts soutenus? Quel
fond peut-on faire sur lui ? Remarquez la suite de la guérison
des deux possédés de Gadara, Notre-Seigneur venait de com-
mander à l'esprit mauvais de laisser en paix le plus furieux et
d'entrer dans les pourceaux qui se trouvaient là. A peine j
sont-ils entrés que ces animaux, pris d'une sorte de frénésie, se
précipitent dans la mer et s'y noient.
A l'heure même où le malheureux prêtre que le sens réprouvé
s. possédé n'est plus sous son empire, il continue à faire des
victimes. Ses exemples, l'influence dont il disposait, portent
leurs fruits maudits; ce n'est pas sans raison que le démon de
l'impureté a pris le nom de Légion et quoi qu'il fasse, ce prêtre
n'empêchera pas que s'il est délivré, ses complices ne le soient
pas; comment pourra-t-il chasser de sa pensée le souvenir des
larmes qu'il a fait répandre, des ruines qu'il a faites et qu'il est
impuissant à réparer?
Lui-même se relèvera-t-il complètement ? La fin de cet
■épisode des bords du lac de Génésareth permet d'en douter.
Au moment où Notre-Seigneur rentrait dans la barque qui
626 ANNALES CATHOLIQUES
l'avait amené, le possédé accourut, se jeta à ses pieds, les
embrassa, le suppliant instamment de lui permettre de s'attacher
à lui. Notre-Seigneur refusa, en lui intimant l'ordre de rentrer
dans sa famille pour y raconter ce que Dieu avait fait pour lui.
Il refusa de l'admettre au nombre de ses disciples. N'était-il
pas à craindre en effet que cet homme qui s'était laissé dominer
par le sens réprouve', n'eût plus cette énergie virile, cette ardeur
au bien, ce mépris de ses aises, cette délicatesse, cette pureté
de sentiments dont un apôtre a tant besoin ? « L'homme dégradé
par la volupté, a écrit saint Jérôme, a toujours faim des plai-
sirs et peut à peine se rassasier. » « Les plaisirs de la chair,
dit le même saint, affaiblissent Fàme sans que le pécheur dise
jamais: assez ! » Ainsi le voluptueux est le seul dont Notre-
Seigneur refuse le concours dans les œuvres apostoliques. Ne
nous étonnons donc plus si, fidèle aux enseignements de son
divin fondateur, l'Eglise préserve avec un soin jaloux contre
les séductions du sens réprouve ceux qu'elle destine aux labeurs
du saint ministère; si elle exige qu'ils ofl'rent à Notre-Seigneur
non seulement un cœur pur, mais un corps chaste; convaincue
que plus ils seront purs, plus ils seront remplis de l'esprit divin.
C'est pourquoi elle s'est élevée avec force en ces derniers temps
contre ces utopistes qui prétendent que pour mieux aguerrir les
prêtres il faut les exposer aux redoutables tentations de la
chair ! Ce qui l'inquiète pour ses prêtres, ce ne sont ni la souf-
france ni les peines de la vie militaire, mais les périls qui
mettent en danger le ministère de ses prêtres auprès des âmes.
Ce n'est qu'à force de pureté que le prêtre peut s'approcher de
Dieu et par conséquent l'annoncer dignement et le faire aimer.
II
Malheureusement lorsque nous rappelons aux prêtres les
dangers que le sens réprouvé leur fait courir, ils s'imaginent et
nous feraient volontiers comprendre que nous nous trompons
d'enceinte; et sans rejouer dans tous ses détails la scène du
pharisien apercevant le publicain dans le temple, ils énumèrent
avec une certaine complaisance leurs bonnes œuvres : « Peut-on
se permettre, s'écrient-ils, d'oser croire que nous tomberons
dans de pareils excès. » Aussi bien est-ce moins sur ces excès
que sur leur origine qu'il faut porter nos réflexions.
Dans le monde, ce qu'on blâme généralement lorsqu'il s'agit
des fautes du sens réprouvé, ce sont moins les fautes elles-mêmes
SIXIEME BEATITUDE EVANGELIQUE 627
que leurs conséquences. Qu'un jeune homme, emporté par l'ar-
deur de ses passions, détruise sa santé, qu'il dissipe son bien,
sa fortune, qu'il offre à trente ans le spectacle d'une ruine
honteuse, on manque d'expressions pour flétrir sa conduiie.
Qu'une femme laisse tomber de son front la couronne de modes-
tie qui est sa plus belle parure, chacun se détourne. Si ces
mêmes fautes s'étaient accomplies dans l'ombre, dans le secret,
sans éveiller l'attention, on aurait vite trouvé des circonstances
atténuantes. La jeunesse est curieuse, imprudente ; ne faut-il
pas pardonner à son inexpérience ? Moins les jeunes gens con-
naîtront l«s embûches qui les attendent plus tard, plus ils seront
un jour fidèles à leurs devoirs. « Lajeunesse, dit saint Ambroise
est imprudente, inconsidérée, c'est l'âge des passions ardentes
et des grands écarts. ^
Les mondains ne sont pas les seuls à tenir ce langage, je l'ai
surpris sur des lèvres de prêtres qui auraient été jusqu'à donner
du bon prêtre cette définition que j'ai entendu donner de la
femme honnête : « C'est celle qui ne se laisse pas prendre. »
Non moins imprudents et non moins coupables sont ces prêtres
qui n'apprennent pas aux fidèles à respecter la vertu de pureté
dans les mille détails de la vie. Que de fois ai-je entendu des
prêtres lever les bras au ciel en gémissant sur l'amollissement
des moeurs, sur le cynisme qui s'étale dans la presse, dans la
littérature, et auxquels on ne pouvait faire comprendre qu'ils
ont une grande part de responsabilité dans ces désordres; que
si eux-mêmes étaient plus scrupuleux dans le choix de leurs
lectures et de leurs fréquentations, que s'ils avaient un sens
chrétien plus droit, plus ferme, le mal serait moins profond et
moins général. J'ai entendu d'autres prêtres s'élever avec
vigueur contre ces réunions où le luxe s'étale dans tout son
éclat, quelquefois dans toute son impudeur, où circulent les
propos les plus lestes, où tout est préparé pour exciter les sens,
surexciter l'imagination, mettre le feu dans le sang; ne pas
savoir refuser une invitation mondaine, quelquefois la solliciter.
D'autres ne se sont-ils pas prêtés à transformer les manifesta-
tions les plus saintes de la charité en réunions où ils invitent
eux-mêmes les femmes chrétiennes à violer dans leurs parures
comme dans leurs conversations les lois les plus élémentaires
de la modestie '? à rechercher les mêmes flatteries, les mêmes
adulations, à user des mêmes coquetteries que les malheureuses
qui sont victimes du sens réprouvé?
628 ANNALES CATHOLIQUES
De quelles bénédictions Notre-Seigneur peut-il couvrir ces
œuvres charitables qu'on alimente en suggérant à des femmes
d'imiter Jézabel qui, pour attirer les bonnes grâces de Jéhu,
se revêtit de ses plus beaux atours, orna sa tête et peignit ses
yeuji? Lorsque la charité ne les couvrira plus de son manteau
comment feront-elles taire les instincts du 5e«s rf):)?'Owue tou-
jours en éveil V Comment raméneront-elles la paix dans ces
coeurs que leurs sourires auront troublés? Ne dites pas: « Je
saurai m'arrêter à temps. » Qui spernit modiea jiaulathn
decidet. Vous tomberez le jour oii vous vous y attendrez le
moins, inopinément, par surprise, lorsque les forces vous
manqueront.
III
Combien différent est le sens des âmes justes ! Aussi combien
douces les joies qu'elles goûtent dès cette terre ! Telle celle des
apôtres sur le Thabor. Hors d'eux-mêmes, plongés dans une
sorte d'extase, à la vue de leur maître transfiguré, l'âme inondée
de délices spirituelles, ils se croyaient transportés au ciel.
« Seigneur, qu'il fait bon d'être ici ! Pourquoi descendre de
nouveau parmi les hommes? » La pratique de la pureté fait de la
terre un Thabor perpétuel. L'àme pure s'attache à Dieu et
goûte dans sa société des joies qui lui font oublier les chagrins
de la vie présente. Qu'il fait bon d'être auprès de Notre-Seigneur!
parce que c'est auprès do lui seul que le [uêtre puise l'énergie
dont il a besoin pour accomplir son ministère, l'intelligence qui
lui fait tirer ses avantages non des maximes mondaines, mais
des maximes chrétiennes, parce ({u'eulin c'est de lui seul qu'il
attend ce bonheur après lequel toute âme soupire et dont il a
promis d'inonder ceux qui lui auront été fidèles sur cette
terre. L'abbé M., vicaire général.
ERRATA
A l'article de M. Vahbd Pluot, numéro du 10 mai des
Annales Catholiques :
P. 284. S'ils sont septuagénaires non pensionnés, il (le trai-
tement) est de 1,600 francs, lisez : de 1,300 francs.
P. 286. Supprimez: de mille francs pour ceux qui ont de
cinquante ans à soixante ans, et de 000 francs pour les autres.
Ajoutes ensuite les deux alinéas suivants :
Les traitements des desservants âgés de moins de 60 ans
sont fixés à 900 francs. (Décret du 20 juillet 1858.)
HUIT JOURS A LA. GRANDiS TRAPPE DE SOLIGNI 629
En réalité, le décret du 29 juillet 1858 n'a augmenté et porté
à 900 francs que les traitements des desservants âgés de moins
de 50 ans. Car depuis 1849, ceux qui avaient plus de 50 ans
recevaient déjà 900 francs.
HUIT JOURS A LA GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI
Le 6 novembre 1880, les bois qui avoisinent la Trappe de
Soligni, ordinairement silencieux, retentissaient d'étranges cla-
meurs : « Vivent les moines ! A bas les décrets ! » criaient des
centaines d'hommes et de femmes appartenant à toutes les
classes de la société, venus de Soligni, de Laigle,de Mortagne,
de plus de dix lieues à la ronde.
C'était sur la route du monastère un brouhaha indescriptible,
les équipages croisaient les charrettes, les cavaliers les piétons,
la foule qui se rendait au monastère de la Grande Trappe, pa-
raissait très animée. Devant la porte, un officier de gendarmerie
attendait avec une brigade le préfet de l'Orne et le sous-préfet
de Mortagne. Il avait reçu l'ordre d'aider ces fonctionnaires à
expulser les Trappistes. Une voiture est signalée. C'est celle du
sous préfet. On la salue par des huées. Le préfet plus prudent
se tient à l'écart dans sa voiture.
« — Enfoncez cette porte », commande le sous-préfet à l'offi-
cier de gendarmerie, lui montrant la porte d'entrée du monastère.
« — Pardonnez-moi, Monsieur le sous-préfet, je suis ici pour
maintenir l'ordre et non pas pour enfoncer des portes. »
La foule trépigne de joie. Il faut courir àLaigle réquisitionner
des serruriers. A quatre heures du soir la porte n'était pas
encore ouverte. Le prieur donne l'ordre de l'ouvrir. Il lui ré-
pugne que le dimanche — ces scènes se passent le samedi —
soit témoin d'actes de violence. Les gendarmes pénètrent dans
le couvent. Les trappistes sont réunis dans la salle du Chapitre.
Un à un, après la protestation de M« Chartier, leur avocat, ils
sortent conduits par un gendarme jusqu'à la porte extérieure.
Les habitants les accueillent et les conduisent chez eux. C'est
d'ailleurs en pleurant, et tout honteux, que les gendarmes pro-
cèdent à cette exécution. Pendant ce temps, le R. P. Abbé Dom
Timothée, vieillard de plus de quatre-vingts ans, agonisait. Le
matin même, on lui avait administré les derniers sacrements.
Deux ou trois jours après cette scène, les expulsés et ceux
C30 ANNALES CATHOLIQUES
que le prieur avait cachés dans un souterrain reprenaient la vie
régulière comme s'il n'y avait eu ni décrets, ni scellés. Aux
obsèques du R. P. Abbé, qui eurent lieu onze jours après, les
religieux étaient chacun dans leur stalle. Au dehors, se pressait
une foule sympathique qui ne pouvait s'empêcher de comparer
l'équipée du 6 novembre à celle dont « les anciens » avaient gardé
le souvenir et qu'ils avaient baptisée : la campagne des choux
et des artichauts.
Il paraît qu'au lendemain de la révolution de 1830, les ou-
vriers des fabriques de Laigle avaient accusé les trappistes de
cacher chez eux des ministres signataires des fameuses ordon-
nances, et qui avaient échappé aux recherches populaires.
Tout à coup, pendant la nuit du 30 août, la cloche de la
porte d'entrée du monastère est ébranlée avec force. Le frère
portier se lève et un homme armé lui signifie qu'il a ordre de
visiter la maison. C'était une compagnie de « vétérans d'Alen-
çon », qui, en passant par Mortagne, avaient invité la garde
nationale à se joindre à eux. Ils s'étaient approchés à petits pas,
sans bruit, pour surprendre les religieux avant leur réveil.
Le frère portier court prendre les ordres du supérieur; mais
les soldats, trouvant qu'il tarde trop à revenir, sautent par
dessus une large haie au milieu du jardin de l'abbatiale et s' ali-
gnant en bataillecouchent en joueles religieux que le bruit avait
amenés aux fenêtres. Le supérieur fait réunir les religieux dans
la salle du Chapitre. On les y enferme sous la garde d'un fac-
tionnaire à l'exception de deux ou trois qui accompagnent le
R. P. Abbé dans la visite du monastère.
Le registre des noms, où on relève les noms de religion peu
communs dans le monde, tels que Jean Climaque, Hilarion,
Pacôme, ne révèle aux inquisiteurs le nom d'aucun conspirateur.
A la procure, l'un d'eux aperçoit un« lame sur un paquet. Vite
il s'élance, il croit avoir la main sur des poignards; c'est un
petit couteau inoflensif qui sert d'étiquette à un paquet de cou-
teaux d'écoliers récemment achetés pour l'usage de la maison.
A l'hôtellerie, dans la chambre d'un retraitant, on découvre
des cahiers écrits en latin. En vain le supérieur explique que ce
sont des cahiers de théologie, les gardes flairent des iostru étions
criminelles écrites en une langue mystérieuse et mettent le tout
sous bonne et forte ficelle en réserve pour le préfet. De M. de
Montbel on ne trouva nulle trace.
L'invasion nocturne tournait au burlesque et déjà plusieurs,
HUIT JOURS A LA GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI 631
fatigués d'une longue marche dans les chemins du Perche, dor-
maient sur le pavé ou sur les bancs. D'autres, qui dans la préci-
pitation du départ avaient oublié de dîner, se répandaient dans
le jardin abattant des choux et des artichauts.
La perquisition terminée, le commandant pria le supérieur de
lui donner un certificat de bonne conduite et d'honnêteté, puis
rangea sa troupe en colonne, tambours en tête. Les vétérans
sortirent du monastère avec un grand bruit de tambours et, à
quelque distance, ils crurent convenable d'annoncer leur retour
aux habitants en déchargeant leurs armes.
Au bout de quelques jours, le préfet rendit en souriant les
cahiers de théologie. Quelqu'un lui ayant demandé pourquoi il
avait autorisé cette expédition, il répondit que harcelé depuis
plus de trois semaines par des accusations réitérées, certain
d'ailleurs qu'elles n'avaient rien de fondée il avait voulu con-
vaincre les plus ardents de l'inutilité de leurs plaintes en les
envoyant eux-mêmes chercher des plaintes contre eux.
La malice populaire parle encore de la camyagne des choux
et des artichauts, ôtant ainsi à ceux qui j avaient pris part le
goiit d'en parler eux-mêmes.
L'équipée du 6 novembre 1880 était le pendant de celle du
30 août 1830 et aujourd'hui encore les paysans de Soligni, de
Mortagne et des environs se demandent à quoi songeait le gou-
vernement, le jour oii il a mis les trappistes à la porte de leur
monastère.
« — Je vous demande un peu. Monsieur, me disait un paysan
qui se trouvait dans le même compartiment que moi, si ça ne
fait pas rêver des genoux t (Sic) Chasser des gens qui sont la
providence du pays ! Ils font travailler les ouvriers, ils paient
de gros impôts, ils nourrissent les pauvres, qu'est-ce qu'on peut
leur reprocher? Sans la Grande-Trappe, je ne sais pas ce que
deviendrait le pays... »
« — De bien bonnes gens, allez, Monsieur, me disait l'em-
ployé du chemin de fer qui m'accompao-nait au monastère ; trop
braves gens, les galvaudeux en abusent. »
En effet, le premier bâtiment que l'on aperçoit à gauche en
entrant dans le monastère, c'est le dortoir des voyageurs, ins-
tallé dans l'ancien pavillon que le duc de Penthièvre fit bâtir
en 1780.
« — Que l'on mette tous ses soins à bien recevoir les pauvres
et les pèlerins, avait dit saint Benoît dans sa règle. En eux
632 ANNALES CATHOLIQUES
nous devons voir Jésus-Christ lui-même. Un frère craignant
Dieu sera chargé de l'hôtellerie. C'est la maison de Dieu, elle
doit être administrée sagement. >
Une vingtaine de lits et la pitance sont offerts aux ouvriers
sans travail qui viennent demander l'hospitalité.
La légende s'est souvent exercée sur le compte des Trap-
pistes. Elle leur a prêté des mœurs, des habitudes, des maximes
qui peuvent semer du charme dans un roman, mais qui n'ont rien
de commun avec la vérité.
J'ai cru longtemps, comme beaucoup d'autres, que les trap-
pistes ne rompaient le silence que pour se dire : « Frère, il faut
mourir » et se répondre : « Mourir il faut »; qu'ils enlevaient
chaque jour une pelletée de terre de leur fosse, qu'ils couchaient
dans leur cercueil, que s'ils tombaient malades on les abandon-
nait sur la cendre avec un verre d'eau â côté d'eux... autant de
contes à ptine bons pour les enfants et que les enfants eux-
mêmes ne croient plus :
Nec pueri credunt nisi qui nondum, œre lavantur.
J'ai visité le cimetière de la Grande-Trappe à plusieurs
heures du jour; je n'y ai jamais rencontré de religieux armé
d'une bêche et penché sur sa fosse pour en creuser un coin.
J'ignore ce qui a pu donner naissance à cette légende. Peut-
être quelque touriste aura-t-il assisté à la sortie du réfectoire,
et à la vue des religieux s'eugouffrant dans les cloîtres pour se
rendre à la chapelle T^sdAmoAxSinile Miserere ei\Q De prof wndis,
en aura-t-il conclu qu'ils terminaient leur psalmodie au cime-
tière, chacun sur le bord de sa fosse dont il agrandissait le
trou.
J'ai aperçu les trappistes circuler dans les cloîtres; je lésai
suivis aux champs, à la chapelle, je les ai toujours vus silen-
cieux, recueillis, assidus, souriants. La charta charitatis de
saintEtienne, un de leui's abbés, les oblige, chaque fois qu'ils se
rencontrent, à se saluer aussi amicalement que possible, mais
jamais je ne les ai entendus prononcer le lugubre : Frère^ il
faut mourir! An contraire il leur est enjoint de garder le
silence le plus strict. Sur ses statues, sur ses tableaux, sur les
vieilles gravures qui viennent du mont Cassin, on voit saint
Benoît un doigt posé sur ses lèvres fermées, figure symbolique
du silence. La loi, à la Trappe, prescrit de ne parler qu'à voix
basse, un seul à la fois, de saluer avant et après avoir échangé
les paroles nécessaires.
HUIT JOURS A LA. GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI 633
La vie du trappiste d'ailleurs n'a pas besoin de ces décors de
mélodrame pour être digne et bien remplie.
Le trappiste prie et travaille de son mieux; en revanche il
dort et mange aussi peu et aussi mal que possible.
A deux heures de la nuit, il se lève, descend au choeur, fait
oraison et chante matines. S'il est prêtre, il dit la messe. De six
heures à neuf heures, il va travailler aux champs. A dix heures,
il récite les petites heures, assiste à la messe conventuelle. A
onze heures et demie, il prend son premier repas : de la soupe
à l'eau, des légumes à l'eau, un fruit ou un morceau de fro-
mage, quelques onces de pain bis arrosé d'un petit cidre géné-
reusement baptisé. Quant à la viande, au poisson, au beurre,
aux œufs — sauf le cas de maladie, — le trappiste n'en connaît
le goiit que par ouï-dire ou par ses souvenirs. De midi à une
heure et demie, il a le droit, en été, de s'étendre sur sa pail-
lasse. Après le chant de sexte, les trappistes retournent aux
champs jusqu'à quatre heures. En ce moment je les aperçois de
ma fenêtre qui défilent dans la cour sur une seule ligne, un
vaste chapeau de paille sur la tête, un panier au bras. Ils vont
ramasser les pommes que le vent de la nuit a jetées à terre.
Plusieurs portent un nom connu. On me nomme Jules de V... ;
M. B. de B..., derrière lui marche un ancien professeur de
l'Université, plus loin un ancien officier de cavalerie. On me
montre en tête de la file un des plus brillants élèves de l'Ecole
Centrale. La Légion d'Honneur compte six de ses membres.
J'ai sous les yeux ou de grandes douleurs, ou d'admirables
repentirs. — A cinq heures, le chant des vêpres. A sept heures,
en été, la collation. Du 14 septembre à la fête de Pâques, cette
collation est supprimée. Pendant plus de six mois de l'année, le
trappiste ne fait par jour qu'un seul repas qui, en carême, n'a
lieu qu'à quatre heures et demie! La collation est suivie du
chant du Salve Regina. Le chant des trappistes est grave, à
l'unisson, sans accompagnement. Est-ce parce qu'on m'avait
trop vanté l'exécution de ce Salve, le soir, dans une chapelle à
peine éclairée, que je n'ai pas ressenti l'émotion que je rêvais?
Il m'a semblé que les religieux y mettaient tout leur cœur,
peut-être aussi trop de gosier; le souvenir que j'ai gardé de
cette soirée est que là encore les reporters ont abusé de la
naïveté des touristes. Le coucher est à huit heures. Le trappiste
couche tout habillé sur une paillasse, et s'enveloppe dans une
couverture. L'abbé Moreau. (A suivre.)
46
634 ANNALES CATHOLIQUES
LA BASILIQUE NATIONALE DU SACRÉ-CŒUR
A QUITO
Nous lisons dans VUnivers :
Nous recevons de Quito une grande nouvelle. Les vœux les
plus ardents de Garcia Moreno, le grand martyr de la religion
et de la liberté catholiques, ceux de l'Equateur tout entier,
marchent vers leur accomplissement. Sur les flancs élevés du
Pichincha, à quatre mille neuf cent quatre-vingt-seize mètres
au-dessus des agitations humaines, plus haut que notre cher
Montmartre et presque tous les temples bâtis à la gloire de
Dieu, montera, dans quelques années, la basilique nationale de
l'Amérique du Sud. Le Cœur sacré de Jésus vient de prendre
possession de ce site unique dans le monde.
Le 19 mars dernier, la chapelle provisoire du Sacré-Cœur a
été solennellement inaugurée par le délégué apostolique S. Exe.
Mgr Macchi, en présence de S. Exe. le président de la Répu-
blique, de toutes les autorités civiles et religieuses, des mis-
sionnaires du Sacré-Cœur chargés de l'exécution de l'œuvre;
du R. P. Jouet, visiteur desdits missionnaires et représentant
du T. R. P. Chevalier, fondateur et supérieur général de la
Congrégation. Une foule innombrable animait la montagne.
Deux étendards^ l'un en l'honneur de la bienheureuse Margue-
rite-Marie, l'autre en celui de la bienheureuse Marianne de
Jésus, appelée le lys de Quito, flottaient gracieusement sous la
brise équatoriale. Un autel, admirablement improvisé et cou-
vert des fleurs les plus belles de la création, supportait l'image
vénérée du Sacré-Cœur de Jésus.
Voici le discours prononcé en cette cireonstance par S. Exe,
Mgr Joseph Macchi, délégué apostolique de S. S. Léon XIII ;
Excellence (1), Messieurs,
Avant de procéder, selon les rites de l'Église, à la bénédiction de
ces murs ; avant de les dédier au Sacré-Cœur, qu'il me soit permis,
représentant, quoique indigne, du Pasteur universel du troupeau de
Jésus-Christ, d'exprimer ici les pensées qui remplissent mon âme et
les sentiments qui débordent de mon cœur dans un moment aussi
solennel.
Aujourd'hui la piété du gouvernement lui-même de la République,
(1) Son Excellence don Antonio Florès, président de la république
de l'Equateur, nccompagaé de ses ministres de l'intérieur, de l'ins-
truction publique et des cultes, du gouverneur de la ville, etc.
LA BASILIQUE NATIONALE DU SACRÉ-CŒUR A QUITO 635
le zèle de l'illustre clergé, et la foi inaltérable de tout le peuple se
sont donné rendez-vous pour commencer ici l'accomplissement d'un
vœu qui lie à Dieu la nation tout entière. C'est là un acte de justice
que l'Equateur rend au Très-Haut; car, si la parole seule est assez
puissante pour établir entre les hommes des obligations réciproques,
le vœu lie bien plus encore les hommes et les peuples au Souverain
Seigneur. Redde Altissimo vota tua (1).
L'Equateur a voulu suivre le magnifique élan de la France catho-
lique, qui, en plein dix-neuvième siècle, a érigé au Cœur de l'Homme-
Dieu un monument où resplendit d'une manière merveilleuse la ma-
jesté de sa gloire sur la terre.
Rien de plus juste.
Dans un siècle où un fils indigne de la France avait attaqué la
divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, jusqu'à prétendre détruire
d'un seul coup toute l'efficacité régénératrice de son amour pour les
hommes; la France, qui est allée jusqu'aux derniers excès dans ses
égarements, mais qui s'est surpassée aussi elle-même par la généro-
sité de ses réparations, devait, par l'érection du majestueux et gigan-
tesque temple de Montmartre, rendre à Jésus-Christ, et plus directe-
ment à son Cœur, centre de tous les mystères de la Rédemption, le
culte et les honneurs qui lui sont dus. De cette façon, tandis que le
blasphème passe avec le tourbillon qui l'emporte, la glorification de
Jésus demeure éternisée dans le monument de marbre qui régnera
en maître sur la grande ville de Paris.
Il était bien juste qu'à l'exemple de la fille aînée répondît la voix
et l'action de l'enfant la plus tendre et la plus chérie de l'Eglise notre
mère, je veux dire de la nation équatorienne, la voix et l'action de
cette fille, qui, jeune encore dans la vie des nations, est jeune aussi
par le fervent amour dont elle console et réjouit la mère de tous les
fidèles, et qui est prédestinée, nous l'espérons, à ne jamais sceller de
son sceau la révolte d'un divorce avec l'Église.
L'Amérique a fait écho à l'Europe; et Quito, cette cité si élevée
parmi les plus élevées du globe, aura aussi son Montmartre, au som-
met duquel se dressera svelte, majestueuse, et dominant pour ainsi
dire le monde entier, le temple glorificateur de Celui qui a vaincu le
monde.
Oui, messieurs, Quito aura son Montmartre, si vous le voulez.
Dans les grandes œuvrea du culte comme dans celles de la charité,
la lutte ne fait jamais défaut, mais jamais non plus ne se fait attendre
la victoire.
Vous aurez pour contradicteurs le sarcasme des uns, l'opposition
des autres, lindifférence d'un grand nombre. Peu importe : la cha-
rité de Jésus-Christ qui vous enflamme, « Quœ urget vos » (2), vous
(1) Psaume xlix, 14.
(2) Charitas enim Christi urget nos. Il Cor. v, 14.
636 ANNALES CATHOLIQUES
fera sortir triomphauts de tous les obstacles. Et lorsque vous verrez
s'élaacer vers le ciel les tours de la Basilique, la joie que vous éprou-
verez alors vous fera oublier bien vite les fatigues déjà passées.
Sans doute, ou vous dira qu'un asile ouvert aux délaissés serait
aujourd'hui plus utile qu'un temple. Quelques-uns préféreraient peut-
être un théâtre à une église et à une maison de bienfaisance. Ces
derniers ne méritent point de réponse : esclaves de leurs passions
ou du moins trop complaisants pour elles, ils se montrent incapables
de lever le front et de regarder au delà des horizons de la mal.ière.
Nous ne ferons point aux autres l'injure de les croire animés du
même esprit que Judas, lorsque 'ce perfide apôtre reprochait à la
piété de Madeleine de répandre le précieux parfum sur les pieds du
divin Nazaréen au lieu d'en distribuer le prix aux pauvres.
Il me semble même, nous l'avouerons volontiers, qu'avec les ten-
dances du siècle présent, particulièrement en Europe, on devrait
juger plus opportun un nouvel asile de charité qu'un temple nouveau.
Messieurs, qu'en Europe on pense de la sorte : soit. Là, en effet,
peuples et gouvernements ont déjà rendu au Dieu très bon et très
grand un tribut digne de leur foi et de leur reconnaissance, par ces
incomparables basiliques et cathédrales qui, depuis l'époque de la
Renaissance jusqu'à nous, excitent l'enthousiasme du religieux pèle-
rin, aussi bien que l'admiration du voyageur le plus sceptique.
Saint-Pétersbourg, Strasbourg, Cologne, Vienne, Prague, Londres,
Paris, Séville et les cent villes d'Italie ont épuisé leurs trésors, le
génie de leurs architectes, l'habileté de leurs artistes comme toutes
les ressources de l'art à ériger à Dieu et à la Vierge des monuments
qui ne fussent pas indignes do la Divinité.
Quoi d'étonnant si, après avoir payé au Seigneur le tribut d'hom-
mage qu'elles lui devaient, ces cités chrétiennes emploient aujour-
d'hui une si grande part de leurs soins et de leurs ressources en fa-
veur de celui qui représente Jésus-Christ, c'est-à-dire au profit du
pauvre!
Il est sublime, il est saint ce zèlequi fait construire pour l'indigent,
peur l'orphelin, pour l'infirme, pour le mendiant et pour l'aveugle,
des palais, des galeries et des jardins tels que les grands du monde
n'en possèdent pas toujours eux-mêmes. Oui, honneur et toujours
honneur au pauvre, puisque sa dignité est au-dessus de toutes
les grandeurs; mais n'oublions pas, Messieurs, que si cette généreuse
tendance envers les pauvres s'est accentuée d'une manière plus
intense et plus féconde depuis saint Vincent de Paul jusqu'à nos jours,
cela est dû, à mon avis, à un autre souffle de charité qui à peu près
vers le même temps et par l'entremise de la Bienheureuse Margue-
rite-Marie Alacoque, a attiré ou pour mieux dire, a embrasé le cœur
des hommes d'un amour plus ardent envers Jésus-Christ. Le cœur de
Notre- Seigneur mieux connu, on connut aussi mieux le droit du
TRIBUNAUX 637
pauvre, et avec plus de tendresse on lui offrit aussi plus de secours.
Mais que dis-je? Les restaurations grandioses qu'on achevait na-
guère à Saint-Jean de Latran et à Saint-Paul de Rome, les insignes
basiliques de rimmaculée-Conception à Lourdes, de Notre-Dame du
Sacré-Cœur à Issoudum, de Notre-Dame de Fourvière à Lyon, de
Notre-Dame de la Garde à Marseille et tant d'autres célèbres sanc-
tuaires dont plusieurs ont été récemment construits en entier, et
d'autres se sont enrichis de toutes les beautés de l'art, comme la
merveilleuse façade de la cathédrale de Florence, inaugurée depuis
trois ans à peine, ne sont-ce pas là autant de témoignages qui pu-
blient combien la piété des fidèles, malgré tout, et même de nos jours,
tient les arts chrétiens constamment en haleine et les oblige à pro-
diguer tout l'éclat de leurs splendeurs à la gloire du culte catholique!
Eh bien ! messieurs, que l'Equateur accomplisse son vœu; qu'il
érige au Cœur adorable de Jésus-Christ un temple digne de sa ma-
jesté et de son amour; et cet acte de foi, loin de porter atteinte aux
intérêts du pauvre, lui préparera, ici, dans l'avenir, comme cela se
voit aujourd'hui en Europe, des asiles plus conformes à ses néces-
sités, des cœurs miséricordieux jusqu'à l'héroïsme, des secours ines-
pérés et généreux jusqu'au miracle.
Au nom du grand Pontife, je bénis cette sainte entreprise, et dans
l'auguste sacrifice de la messe que je m'apprête à célébrer, j'invo-
querai sur l'Equateur, et spécialement sur Son Excellence M. le
président de la République, sur le très digne métropolitain et sur
ceux qui, par leur obole et leiir action, coopéreront à l'heureux cou-
ronnement de cette œuvre, les secours et la protection du Ciel.
Je ne saurais oublier en ce jour le héros chrétien qui consacra à
cette pieuse idée le meilleur tribut que puisse lui donner un croyant,
celui de son propre sang, et je n'oublierai pas davantage ces dignes
missionnaires du Sacré-Cœur, fils de la France, dont le zèle et l'acti-
vité, toujours supérieurs à tous les obstacles, ont mérité d'être réser-
vés par la Providence pour la réalisation du vœu national de
l'Equateur.
TRIBUNAUX
Les dots des religieuses.
Mme Marie-Louise Plasson, religieuse au couvent de Notre-
Dame-des-Victoires de Voiron, est décédée le 18 mars 1888,
laissant pour héritiers les époux Marchand et une demoiselle
Anna Plasson.
Immédiatement après le décès de leur parente, ceux-ci n'ont
rien eu de plus pressé que de réclamer à la communauté les
sommes qu'elle avait reçues de Mlle Plasson à titre de dot.
638 ANNALES OATHOLIQOKS
Comme la communauté de Notre-Dame-des-Victoires n'est
pas autorisée, ils espéraient que le tribunal ordonnerait la res-
titution des sommes versées.
Tel n'a cependant pas été l'avis des juges.
Le tribunal de Lyon a décidé que, si les communautés reli-
gieuses non autorisées n'ont pas d'existence légale, tout au
moins elles constituent des sociétés de fait non illicites, que
chacun des membres qui composent cette société peut con-
tracter individuellement, et que les actes ainsi faits sont vala-
bles. Un pareil acte ne serait iiul que s'il était passé par la
société, en tant que société.
Or, c'est ce qui n'avait pas lieu dans l'espèce. La dot avait
été reçue par Mme Faure-Bigoet, supérieure, il y avait là un
contrat parfaitement valable et que les héritiers de la religieuse
décédée ne pouvaient faire tomber qu'à la condition de prouver
que le contrat de dot émanait de la communauté elle-même.
Nous croj'ons utile, au surplus, de donner le texte même du
jugement sur ce point très pratique :
Attendu qu'il est d'un usage constant que la fille qui entre dans
une maison religieuse apporte ou s'engage à apporter une dot ou
aumône dotale; que la convention en vertu de laquelle cette dot
est constituée est un véritable contrat commutatif et aléatoire, la
communauté s'engageant en échange à loger, à nourrir, entretenir
et soigner, tant en santé qu'en maladie, son nouveau membre pen-
dant toute sa vie ;
Attendu que les communautés religieuses non autorisées, n'ayant
aucune existence légale, ne peuvent, il est vrai, en tant qu'être
moral, posséder ni acquérir, et que, par suite, les traités conclus par
elles ou en leur nom sont frappés de nullité absolue;
Attendu toutefois qu'elles constituent des sociétés de fait non illi-
cites, composées d'individus qui jouissent de tous les droits de la vie
civile et peuvent dès lors acquérir et posséder ;
Que, de cette distinction, il résulte que les traités dans lesquels
figureront les associés ou l'un deux, individuellement et en leur
nom personnel, seront au contraire parfaitement valables et régu-
liers aux yeux de la loi.
Attendu que, tout demandeur devant justifier sa demande, les
époux Marchand et la demoiselle Anna Plasson ne pouiraient obtenir
la restitution de la somme qu'ils réclament qu'à la condition de
prouver que le contrat de dot est frappé de nullité, comme émanant
de la communauté non autorisée de Notre-Dame des Victoires; mais
qu'ils ne représentent pas ce contrat et sont, par suite, dans l'impos-
sibilité d'établir le vice dont il serait entaché ;
TRIBUNAUX 639
Qu'ainsi leur demande doit être rejetée;
Attendu, d'ailleurs, que, en dehors de tout contrat, le paiement
fait par Marie-Louise Plasson, à titre de dot ou aumône dotale, est
valable et régulier, ayant été fait entre les mains de la demoiselle
Faure-Biguet, agissant en son propre nom.
Tels sont les motifs par lesquels le tribunal a rejeté la
demande.
Les prétentions d'un bureau de bienfaisance
M. l'abbé PoUeux, curé de la pauvre paroisse de Saint-Maclou,
à Rouen, qui devait à sa charité une popularité bien légitime,
est mort en 1885, après avoir fait un testament oii, entre autres
clauses, on lisait les suivantes :
Je lègue à la fabrique de l'église Saint-Maclou, ma paroisse :
1° Un capital de 6,000 francs, à charge par elle de faire dire pour
le repos de mon âme un annuel perpétuel de 52 messes, une par
semaine...
2» Et pareille somme pour ses pauvres.
(Suivent différents legs mobiliers.)
Je désire que tout le surplus de mon mobilier soit vendu et que le
produit de cette vente soit remis par mon successeur aux pauvres de
ma paroisse...
Telle est ma ferme volonté.
La fabrique de Saint-Maclou sollicita en vain l'autorisation
administrative pour pouvoir accepter ce legs.
Après quatre années d'attente, un décret du président de la
République, rendu en conseil d'Etat le 31 mai 1889, refusa à la
fabrique l'autorisation d'accepter le legs, mais en même temps
autorisait le bureau de bienfaisance à accepter : 1<> la somme de
6,000 francs, 2° le produit de la vente du mobilier de 'M. l'abbé
Polleux, s'élevant à 5,243 francs. Notons en passant que
M. l'abbé Polleux avait été, en 1882, expulsé du bureau de bien-
faisance, et on saisira immédiatement quel tact avait inspiré la
rédaction de ce décret. Depuis 1882, M. l'abbé Polleux diri-
geait, avec les ressources de la charité privée, un dispensaire
où les pauvres étaient sûrs de trouver des secours.
Malgré cette situation, le bureau de bienfaisance a eu l'audace
de réclamer la délivrance du legs; mais il s'est heurté au tri-
bunal civil de Rouen, qui, en termes excellents, a fait bonne
justice de ses prétentions. Nous croyons intéressant de repro-
duire les passages les plus importants de ce jugement :
Attendu que le bureau de bienfaisance entend faire prononcer la
640 ANNALES CATHOLIQUES
délivrance à son profit en se fondant sur ce que cette disposition con-
tiendrait un legs direct aux pauvres, qu'il représente;
Attendu que les termes du testament protestent contre cette inter-
prétation ; qu'ils sont clairs, précis, et ne présentent aucune am-
biguïté ;
Que le légataire institué, c'est la fabrique de l'église Saint-Maclou;
Qu'on ne saurait lui en substituer un autre sans violer les disposi-
tions de dernière volonté du testateur, dont la loi assure le respect;
Que sans doute le testateur a voulu que les pauvres de sa paroisse
prennent une part dans sa succession, mais qu'il a entendu que ses
libéralités leur parvinssent par l'intermédiaire qu'il avait choisi; que
remplacer cet intermédiaire par le bureau de bienfaisance, ce serait
créer une disposition à côté de celle qui existe et contraire aux ins-
tructions du de cujus ;
Que cela est évident si on rapproche des termes précis de cette
clause du testament celle qui suit et qui procède de la même pensée :
assurer des ressources au milieu dans lequel l'abbé PoUeux avait vécu,
pour venir en aide aux pauvres qu'il secourait habituellement avec
l'assistance de ceux qu'il a institués ;
Attendu qu'oc prétend, au nom du bureau de bienfaisance, que,
pour exclure cet établissement, il aurait fallu que l'abbé exprimât
cette volonté ou mît à sa libéralité la condition que le legs n'aurait
d'effet que s'il était délivré au conseil de fabrique ;
Que ces arguments sont sans valeur ; que l'exclusion du bureau de
bienfaisance eût été réputée non écrite, comme contraire à l'ordre
public; que, d'autre part, l'exécution des dispositions testamentaires
n'est pas subordonnée à des sanctions ou à des conditions; que la
simple manifestation de la volonté dernière est la loi qui s'impose à
tous lorsqu'elle est nettement et librement exprimée ;
Attendu que si on éclaire enfin les dispositions du testament par
les circonstances (ixtérieures, à savoir : la rupture des relations
qu'avait antérieurement l'abbé Polleux avec le bureau de bienfai-
sance, et comme conséquence la constitution par lui d'un service
privé de secours à côté du service public organisé, on ne peut douter
que ce qu'il a entendu, c'est que ses largesses fussent distribués sui-
vant ses intentions spéciales, par les intermédiaires ordinaires de ses
libéralités, confidents de ces mêmes intentions, c'est-à-dire par les
membres du conseil de fabrique;
Attendu que ce dernier s'est vu refuser l'autorisation d'accepter le
legs qui lui avait été fait ; que le legs de l'abbé Polleux ne peut re-
cevoir d'exécution; que, par suite, ce legs est caduc...
Le curé actuel de la paroisse, chargé de distribuer l'argent
aux pauvres, était intervenu au débat. Le tribunal n'a pas
admis son intervention, en se basant sur cette considération.
LE CONFLIT ANGLO-ALLEMAND 641
juste en droit, que n'étant qu'un 'mandataire, et non le titulaire
du legs, il n'avait aucune qualité, puisque le legs n'ayant pas
été délivré, son mandat n'avait pu prendre naissance.
En réalité, ce sont les pauvres qui perdent tout dans cette •
affaire ; le legs retourne aux héritiers du testateur.
Mais qu'importe au gouvernement et au bureau de bienfai-
sance ? Le conseil de fabrique est évincé, c'est là le point impor-
tant. Les principes de « laïcisation » l'exigent ainsi, et périssent
les pauvres plutôt qu'un principe !
LE CONFLIT ANGLO-ALLEMAND
La rubrique « Afrique », à peu près inconnue dans la presse
politique, il y a dix ans, tend à occuper une place de plus en
plus proéminente.
L'Angleterre se sent menacée dans ses ambitions coloniales
sur cet énorme continent, et nous voyons surgir un conflit
après l'autre.
Précisons en quelques mots la situation.
L'Angleterre vise un but qui ne brille pas précisément par sa
modestie: rattacher ses possessions de l'Afrique du Sud à celles
de l'Afrique du Nord. On se demandera peut-être, quelles sont
les possessions de l'Angleterre dans l'Afrique du Nord? Mon
Dieu, il y a bon temps que l'Angleterre a reconnu l'utilité de
posséder l'Egypte, par conséquent elle la possède. Dissemblable
en cela au fameux Bilboquet, une malle doit lui appartenir, si
elle lui convient, quand même il y aurait un propriétaire légi-
time à la réclamer.
Ce qu'il faut, en conséquence, à l'Angleterre, c'est un terri-
toire s'étendant du cap de Bonne-Espérance jusqu'à la Méditer-
ranée. Il y a bien quelques gênants sinon absolus obstacles
dans l'Afrique méridionale, comme les républiques hollandaises,
mais elles se laissent contourner, et du reste, ces républiques
seront absorbées sous peu, si aucune grande puissance euro-
péenne n'intervient, éventualité nullement impossible;, comme
nous verrons tout à l'heure.
Le Portugal a des velléités de barrer la route à son ancienne
protectrice ; il veut rattacher ses possessions de l'Afrique occi-
dentale à celles de l'Afrique orientale. On a vu, il y a quelques
mois, avec quelle énergie le gouvernement de Sa gracieuse
642 ANNALES CATHOLIQUES
Majesté sut répritnep cette entreprise. Seulement, et c'est ici
que nous arrivons à la question brûlante, au-delà des colonies
portugaises s'étendent les nouvelles colonies allemandes. Les
moyens qui ont si bien réussi vis-à-vis du Portugal sont mal-
heureusement peu pratiques vis-à-vis de l'Allemagne.
Les colonies allemandes ont pour frontière au Midi le tieuve
Rowuna, au Nord de la ville de Wanga, puis nous voyons le
territoire de la Compagnie anglaise de l'Afrique orientale
occuper la côte de Wanga jusqu'à l'embouchure de la Tana, oii
recommence le territoire allemand. Tout cela est parfaitement
délimité, mais les difficultés commencent quand il s'agit de
préciser l'extension des frontières occidentales.
L'entente anglo-allemande de 1886 dit que la sphère des
intérêts allemands s'étendra jusqu'à la rive orientale des lacs
Tanganîka et Victoria Nyanza, mais elle n'indique pas la ligne
de démarcation entre ces deux lacs. Or, c'est là le point cri-
tique.
Les Anglais concéderaient volontiers une frontière partant
du point le plus méridional du Victoria Nyanza pour aboutir à
l'extrémité nord du Tanganika. Les Allemands, par contre,
réclament une ligne s'étendant du nord-ouest du Victoria Nyanza
à l'Albert Edward Nyanza,
On saisit au premier coup d'œil l'importance de la diffé-
rence entre les deux frontières. La première laisse la route
du Soudan aux mains des Anglais, le Tanganika leur permet-
tant de regagner par voie d'eau leur territoire. Il est vrai que
le Portugal revendique les paya situés au sud de ce lac, mais
cela ne gêne guère l'Angleterre. La seconde frontière allant
à l'Albert Edward Nyanza, par contre, barre absolument la
fameuse route du Cap au Nil.
A ce différend vient s'ajouter un autre, plus grave encore.
Les sphères des intérêts des territoires allemands et anglais
dans les pays des Massaïas et des Somalis ne sont aucunement
délimitées. Une extension de la sphère allemande vers l'Ouest
pourrait couper aux Anglais l'accès du Victoria Nyanza et de
la vallée du Nil, éventualité bien faite pour effrayer les senti-
ments britanniques.
Ce qui ne contribue pas pour une mince part à rendre les
Anglais méfiant'', ce sont les expéditions du docteur Peters et
d'Emin-Pacha. La première longe le Tana, et les dernières
lettres du docteur Peters sont datées du lac Baringo; elle se
LE CONFLIT ANGLO-ALLEMAND 643
trouve par conséquent dans une région que les Anglais reven-
diquent "comme relevant de la sphère de leurs intérêts. Nul
doute que le docteur n'essaie de traiter avec les chefs indi-.
gènes : il y aura là matière à conflit aigu avec l'Angleterre.
L'expédition d'Emin Pacha est partie de Bagamoyo, sans que
l'on sache exactement sa destination réelle. Rien de surprenant
à ce qu'on suppose qu'Emin veut reconquérir son ancienne pro-
vince et livrer la clef du Soudan aux Allemands.
Lord Salisbury, sans se dissimuler la gravité de la situation,
cherche une entente basée sur des concessions réciproques. Le
noble lord a des intérêts anglais à défendre ailleurs qu'en Afri-
que et a des raisons très motivées pour éviter tout conflit. Nous
le croyons assez disposé à faire des concessions sérieuses au
Sud de l'Equateur si les Allemands renoncent à l'extension de
leurs colonies de Witu. On conçoit que, même au point de vue
africain, l'Angleterre ménage le puissant empire de l'Europe
centrale : l'hostilité allemande pourrait, en effet, lui créer de
graves difficultés dans le sud où les républiques hollandaises
sont très disposées à s'appuyer sur l'Allemagne pour s'éman-
ciper encore plus complètement de l'influence anglaise et où le
Portugal ne demanderait pas mieux que de prendre sa revanche.
Ce qui rend cet accord probable plus difficile, c'est l'inter-
vention de M. Stanley. Il faut rendre justice à M. Stanley : il
sait faire l'article comme pas un. Ou l'a vu en Belgique tra-
vailler à faire mousser le Congo, et on le voit actuellement
occupé à surexciter la fibre nationale des Anglais au profit de
la Compagnie de l'Afrique orientale. I)e ce côté du canal,
M. Stanley semble n'avoir réussi qu'à moitié, il serait à sou-
haiter que de l'autre côté du détroit il ne réussît pas trop com-
plètement. Toutefois il faut reconnaître qu'il s'y prend très
habilement, en homme connaissant à fond son public.
Si le chauvinisme colonial forçait la main au gouvernement,
nous pourrions nous attendre à des événements très graves. Ou
bien l'Allemagne céderait à toutes les prétentions anglaises ou
bien un conflit violent éclaterait. Dans les deux éventualités ce
serait sur l'échiquier européen que les conséquences se feraient
sentir.
Et dire qu'il y a encore des gens qui croient au but humani-
taire de l'expédition de Stanley ! Ce sauvetage d'Emin restera
une des comédies les plus étonnantes de l'histoire, si cela ne
tourne pas à la tragédie. [Courriel' de Bruxelles.)
644 ANNALES CATHOLIQUES
QUESTIONS DE LÉGISLATION
Dispositions de la loi civile touchant les pompes funèbres.
Sous le terme général de pompes funèbres, on comprend
tout ce qui sert à donner de la pompe aux convois, aux services
religieux et à l'enterrement des morts, ainsi que le matériel
nécessaire pour les funérailles. Aux termes des décrets du
12 juin 1804 et du 18 mai 1806, c'est aux fabriques seules
qu'il appartient de fournir les choses nécessaires aux enterre-
ments et aux pompes funèbres, c'est-à-dire les voitures, ten-
tures, ornements et de faire généralement toutes les fourni-
tures quelconques, non seulement pour le service des morts
dans l'intérieur des églises, mais encore pour le transport des
corps et la pompe des convois. Soit que les fabriques mettent
les pompes funèbres en régie, soit qu'elles les afferment, il n'y
a qu'une seule administration ou qu'une seule entreprise pour
toutes les paroisses d'une même ville. Dans les grandes villes,
les fabriques sont tenues de se réunir pour ne former qu'une
seule entreprise. On entend par grandes villes celles qui ren-
ferment plusieurs paroisses. En rendant obligatoire la réunion
des fabriques dans ce cas, le législateur a voulu empêcher que
les habitants d'une même cité ne fussent exposés à payer des
sommes différentes pour des convois de même espèce ; ce qui
eût été contraire aux principes de justice et d'égalité.
Les tarifs des pompes funèbres ont pour objet de régler des
droits dus aux fabriques paroissiales pour le service des morts
dans l'intérieur des églises et pour toutes les fournitures rela-
tives aux convois; ils sont rédigés par les évêques et par les
fabriques qui doivent y joindre des tableaux gradués par classe.
Ces tarifs sont communiqués d'abord aux conseils municipaux,
et ensuite aux préfets pour avoir leur avis. Ils devaient être
présentés, d'après le décret de 1806, par le ministre des cultes
au chef de l'Etat. Mais actuellement, aux termes des décrets
des 25 mars 1852 et 13 avril 1861, les préfets ont le droit d'ap-
prouver tous les tarifs des pompes funèbres. Le décret du
18 mai 1806 a voulu qu'il y eût deux tarifs distincts en prescri-
vant que le tarif des frais de transport fût préparé par le con-
seil municipal et approuvé sur le rapport du ministre de l'inté-
rieur ; et que le tarif des pompes funèbres fût dressé par les
fabriques et les évêques et approuvé sur le rapport du ministre
QUESTIONS DE LÉGISLATION 645
des cultes. Les dispositions du décret de 1806 doivent toujours
être suivies. Dans plusieurs diocèses, on a proposé de réunir
les tarifs des honoraires du clergé pour les enterrements aux.
tarifs des pompes funèbres. Mais le conseil d'Etat et l'adminis-
tration des cultes s'y sont toujours opposés. Cette réunion serait
en effet contraire aux décrets précités qui soumettent chacun
de ces tarifs à des formalités différentes.
A Paris, le service des pompes funèbres est régi par une
législation spéciale. Il est maintenant soustrait aux fabriques
et il est le monopole d'une compagnie civile.
Ily a donc à distinguer entre les droits de la fabrique sur les
tentures et les droits de la fabrique sur le transport des corps.
Par rapport à la tenture, il y a à distinguer aussi le droit de
percevoir le produit et le droit de le fixer par un tarif.
D'après les décrets des 23 prairial an XII et 18 mai 1806, la
fabrique seule profite du produit; elle peut l'aifermer ou l'exer-
cer par elle-même. Si elle l'afferme, il n'y a qu'une seule entre-
prise : l'adjudication est faite aux enchères, dans la forme éta-
blie pour les travaux publics, c'est-à-dire qu'elle est passée
devant la majorité des membres de la fabrique et soumise à
l'approbation du préfet. Aucun membre de la fabrique ne peut
être adjudicataire. Le tarif gradué par classes, doit être dressé
par la fabrique, communiqué au couseil municipal et au préfet
et soumis à l'approbation du chef de l'Etat. Le ministre de
l'intérieur devra faire connaître l'avis du conseil municipal et
du préfet. Le tarif doit contenir les deux clauses suivantes : la
première, qu'il ne sera porté aucun préjudice aux droits des
entrepreneurs qui ont des marchés existants : la seconde, que
si l'église est tendue pour un convoi taxé, la tenture ne sera
point enlevée lorsqu'on présentera, aussitôt après, le corps
d'un indigent.
Pour déterminer les droits de la fabrique sur le transport des
corps, il faut distinguer trois sortes de communes : celles qui
n'ont ni entreprises, ni marchés, comme sont les villages, les
bourgs et quelques petites villes ; celles qui ont une entreprise,
mais dont le cimetière n'est pas très éloigné, et qui n'ont ainsi
qu'un transport peu coûteux : enfin celles où le transport est
très coûteux à raison de la grande distance qui sépare du cime-
tière. Dans les premières, le mode du transport des corps est
réglé par les conseils municipaux et les préfets. La rétribution
due aux porteurs des corps n'est jamais ou presque jamais réglée
646 ANNALES CATHOLIQUES
dans les campagaes : les fabriques n'y perçoivent point de droit
sur le transport des corps. Le transport se fait souvent gratui-
tement par les parents ou amis du défunt.
Dans les secondes, le mode de transport est réglé par les pré-
fets, sur la proposition des maires; mais la fourniture des voi-
tures et des objets nécessaires est faite par la fabrique elle-
même, ou donnée à ferme. Le tarif est approuvé de la même
manière que celui des tentures ; il doit aussi renfermer difte-
rentes classes et il est soumis aux mêmes formalités. On peut,
dans ce cas, n'en faire qu'un seul, pour le transport et pour la
tenture, n'avoir qu'une seule régie ou une seule entreprise.
Dans les troisiémâs, le mode de transport, le cahier des
charges, les fournitures et le tarif sont ordonnés comme pour
les tentures; mais avec cette différence, que le tarif, au lieu
d'être proposé par la fabrique seule, doit être adressé par la
fabrique et le conseil municipal ; que le cahier des charges est
proposé d'après l'avis de l'évêque ; qu'au lieu d'un seul tarif, il
doit y en avoir deux, l'un pour la tenture et l'autre pour le
transport : c'est ce qui résulte do la comparaison des articles
7 et 10 du décret du 18 mai 1806; que le tarif de la tenture est
approuvé par le ministre des cultes, et que le tarif pour le trans-
port des corps est soumis à l'approbation du ministre de l'in-
térieur.
Dans les bourgs et villages oii il n'y a aucune entreprise pour
le transport des corps, les parents du défunt n'ont à payer que
le salaire des fossoyeurs et celui des porteurs, encore, avons-
nous dit, ce dernier service est très souvent gratuit.
Dans les communes oix ce transport produit un revenu, l'em-
ploi doit être fixé par le règlement qui détermine la rétribution
attachée à chaque classe.
Nous citons ici les deux décrets du 12 juin 1804 et du
18 mai 1806.
Décret du 12 Juin 1804.
Titre V. « Art. 20. — Les frais et rétributions à payer aux
ministres des cultes et autres individus attachés aux églises et
temples, tant pour leur assistance aux convois que pour les
services requis par les familles, seront réglés par le gouverne-
ment, sur l'avis des évêques, des consistoires et des préfets, et
sur la proposition du conseiller d'Etat chargé des affaires con-
cernant les cultes. Il ne leur sera rien alloué pour leur assistance
à l'inhumation des individus inscrits au rôle des indigents.
QUESTIONS DE LlÎGlSLATiON 047
« Art. 21. — Le mode le plus convenable pour le transport
des corps sera réglé suivant les localités par les maires, sauf
l'approbation des préfets.
« Art. 22.— Les fabriques des églises et des consistoires -
jouiront seules du droit de fournir des voitures, tentures, orne-
ments, et de faire généralement toutes les fournitures
quelconques nécessaires pour les enterrements et pour la
décence et la pompe des funérailles. Les fabriques et consis-
toires pourront faire exercer ou affermer ce droit, d'après
l'approbation des autorités civiles sous la surveillance des-
quelles ils sont placés.
« Art. 23. — L'emploi des sommes provenant de l'exercice ou
de l'affermage de ce droit, sera consacré à l'entretien des
églises, des lieux d'inhumation, et au paiement des desservants:
cet emploi sera réglé et réparti sur la proposition du conseiller
d'Etat chargé des affaires concernant les cultes, et d'après l'avis
des évêques et des préfets.
« Art. 24. — Il est expressément défendu à toutes autres
personnes, quelles que soient leurs fonctions, d'exercer le droit
susmentionné, sous telle peine qu'il appartiendra, sans préjudice
des droits résultant des marchés existants, et qui ont été
passés entre quelques entrepreneurs et les préfets ou autres
autorités civiles, relativement aux convois et pompes funèbres.
« Art. 25. — Les frais à payer pour les successions des per-
sonnes décédées, pour les billets d'enterrement, le prix des
tentures, les bières et le transport des corps seront fixés par un
tarif proposé par les administrations municipales, et arrêté par
les préfets. »
Décret du 18 mai 1806.
Titre II. «Art. 7. —Les fabriques feront par elles-mêmes, ou
feront faire par entreprises aux enchères, toutes les fournitures
nécessaires aux services des morts dans l'intérieur des églises,
et toutes celles qui sont relatives à la pompe des convois, sans
préjudice des droits des entrepreneurs qui ont des marchés
existants. Elles adresseront, à cet effet, des tarifs et des tableaux
gradués par classe, ils seront communiqués aux conseils muni-
cipaux et aux préfets, pour y donner leur avis, et seront soumis,
par notre ministre des cultes, pour chaque ville, à notre appro-
bation. Notre ministre de l'intérieur nous transmettra pareille-
ment, à cet égard, les avis des conseils municipaux et des
préfets.
618 ANNALES CATHOLIQUES
« Art. 8. — Dans les grandes villes, toutes les fabriques se
réuniront pour ne fornaer qu'une seule entreprise. »
Titre III. « Art. 9. — Dans les communes où il n'existe pas
d'entreprise et de marché pour les sépultures, le mode de trans-
port des corps sera réglé par les préfets et les conseils munici-
paux. Le transport des indigents sera fait gratuitement.
« Art. 10. — Dans les communes populeuses, où l'éloignement
des cimetières rend le transport coûteux, et où il est fait avec
des voilures, les autorités municipales, de concert avec les
fabriques, feront adjuger aux enchères l'enti-eprise de ce trans-
port, les travaux nécessaires à l'inhumation et à l'entretien
des cimetières.
« Art. 11. — Le transport des morts indigents sera fait
décemment et gratuitement; tout autre transport sera assujetti
à une taxe fixe. Les familles qui voudront quelque pompe trai-
teront avec l'entrepreneur, suivant un tarif qui sera dressé à
cet eflet. Les règlements et marchés qui fixeront cette taxe, et
le tarif, seront délibérés par les conseils municipaux et soumis
ensuite, avec l'avis du préfet, par notre ministre de l'intérieur,
à notre approbation...
« Art. 14. — Les fournitures précitées dans l'article 11, dans
les villes où les fabriques ne fournissent pas elles-mêmes,
seront données, ou en régie intéressée, ou en entreprise, à un
seul régisseur ou entrepreneur. Le cahier des charges sera pro-
posé par le conseil municipal, d'ai»rés l'avis de l'évêque, et
arrêté définitivement par le préfet.
« Art. 15. — Les adjudications seront faites selon le mode
établi par les lois et règlements pour tous les travaux publics.
En cas de contestation entre les autorités civiles, les entrepre-
neurs et les fabriques, sur les marchés existants, il y sera 5;ta-
tué sur les rapports de notre ministre de l'intérieur et des
cultes. »
Mais maintenant le conseil de préfecture peut statuer sur ces
différends.
Voici, d'autre part, le décret du 18 août 1811 relatif au service
des inhumations et tarifs des droits et frais à payer pour le ser-
vice et la pompe des sépultures, ainsi que pour toute espèce de
cérémonies funèbres.
« Art. 1". — Le service des inhumations est divisé en six
classes dont le tableau est annexé au présent décret. Le prix
fixé pour chaque classe est le maximum qu'il est interdit de
QUESTIONS DE LÉGISLATION 649
passer, mais ce prix peut être diminué dans la proportion des
objets compris dans le tableau de chaque classe, qui ne seraient
pas demandés par les familles, et dont elles donneraient contre-
ordre par écrit.
« Art. 2. — Tout ordre pour un convoi doit être donné par
écrit, indiquer la classe, désigner les objets fixés dans le tarif
supplémentaire qui seraient demandés par les familles. A cet
efi"et, l'entrepreneur général du service fera imprimer des mo-
délesd'ordre en tête desquels seront relatés les articles 1, 2, 4
et 6 du présent décret : c'est uniquement sur ces modèles impri-
més que les familles ou leurs fondés de pouvoirs expliqueront
leur volonté.
« Art. 3. — Le service ordinaire et extraordinaire des inhu-
mations sera adjugé à un seul entrepreneur qui ne pourra aug-
menter le total de la dépense fixée pour chaque classe, sous
peine, en cas de contestation, de ne pouvoir répéter cet excé-
dent devant les tribunaux, et d'une amende qui ne pourra excé-
der mille francs. Cet article est commun aux fabriques dont les
receveurs sont responsables.
« Art. 4. — Il est défendu à l'entrepreneur des inhumations
et à chaque fabrique de faire imprimer séparément soit le
tableau des dépenses du service de l'entreprise, soit le tableau
des dépenses fixées pour les cérémonies religieuses.
« Art. 5. — L'adjudication comprendra le droit exclusif de
louer et de fournir les objets indiqués dans le tableau de toutes
les classes, sauf les ornements que les fabriques sont dans
l'usage de se réserver, et qui consistent seulement en pièces de
tentures du fond des autels, tapis de sanctuaire, couvertures
de lutrins et des pupitres, des sièges des célébrants et des
chantres.
« Art. 6. — L'entrepreneur sera tenu de transporter les corps
à l'église ou au temple, toutes les fois qu'il n'aura pas reçu par
écrit un ordre contraire sans pouvoir demander aucune aug-
mentation. »
Suivent d'autres articles qu'il est inutile de rapporter.
Telles sont, dans leurs principaux points, la législation ou les
dispositions de la loi civile touchant les convois et les pompes
funèbres.
Abbé Pluot.
47
650 ANNALES CATHOLIQUES
NOUVELLES RELIGIEUSES
Rome et l'Italie.
Le grand pèlerinage ouvrier qui vint de la France, en octobre
1889, avait résolu, on le sait, de laisser ici, dans la basilique
même du prince des Apôtres, un souvenir de cette solennelle
manifestation. Il ne pouvait mieux choisir, à cet effet, que
l'autel de la basilique vaticane .oii est honorée sainte Pétronille,
fille de saint Pierre. C'est à cet autel que le roi Pépin voulut
affirmer, dans les honneurs rendus à la fille de saint Pierre, la
dévotion des Francs et leur noble mission à l'égard du Saint-
Siège. Cet autel donc vient d'être orné de Vex-voto des pèlerins
français et des inscriptions destinées à perpétuer le souvenir
de leur foi, à l'endroit même oii, proclamée d'abord par la
France de Pépin et de Charleraagne, elle a toujours été pro-
fessée par les pèlerins venus d'outre-monts.
L'ex-voto consiste en une magnifique lampe d'argent, qui,
placée le 31 mai dernier, jour de la fête de sainte Pétronille,
devant l'autel de la sainte, y brûlera désormais à perpétuité.
Les inscriptions commémoratives gravées sur deux plaques de
marbre, des deux côtés de l'autel, ont été composées par
l'illustre commandeur de Rossi. Celle qui est placée du côté de
l'évangile est conçue en ces termes :
Paulus I Pont. Max. — Pipini régis Francorum voto obsequutus
— corpus Petronilhe Virg. — quam antiquitas decoravit titulo —
Filia) Pétri Apostoli — e vetere sépulcre elatum — in Vaticane coa-
didit — eidemque mausoleum dedicavit — VIII Id. Oct. A. Christ.
DCCLVII — quod esset monumentum perenne — fidei nationis nobi-
lissimee — erga Sedem Apostolicam.
L'autre inscription, placée du côté de l'épître, rapproche de
cet antique souvenir la foi et le dévouement filial renouvelés ici
au nom de la France par ses pèlerins ouvriers. En voici le
texte :
Léo XIII. Pont. Max. — francos operarios ad lira. Apost. venientes
— duce B. M. Langenieux Presbyt. Cardinali Rem. — mense Octo-
bri A. MDCCCLXXXIX — paterno animo excipiena — cultura avi-
tum nationis nobilissimse — instaurandum decrovit sanxitq. — ut ad
sepulcruni Petronillte — excollata cullorum stipe — lucerna semper
vigilet — patroase ccelestis opem — pro salute Gallise somper im-
plorans.
L'ex-voto et les inscriptions seront bientôt complétés par le
NOUVELLES RELIGIEUSES 651
don d'un riche reliquaire qui sera exposé sur l'autel de sainte
Pétronille le 5 septembre prochain.
Vendredi dernier, 13 juin, le Souverain Pontife a solennelle-
ment promulgué, dans la salle du Trône, les décrets de la
Sacrée-Congrégation des Rites qui proclament l'héroïcité des
vertus de la vénérable Mère Rivier, fondatrice des Sœurs de la
Présentation, et du vénérable Michel-Ange, Frère lai profès de
l'ordre de Saint-Pierre d'Alcantara, dans lequel il s'est sanctifié
en exerçant l'humble métier de tisserand.
Le lendemain, le Saint-Père, entouré de plusieurs des
EEmes cardinaux et des prélats et personnages de sa cour, a
présidé, dans la salle du Consistoire, la séance académique
solennelle dans laquelle des élèves de la Noble Académie ecclé-
siastique, du séminaire Pie, du séminaire Romain et du collège
Lombard, ont traité divers sujets de haute littérature italienne,
latine et grecque, conformément au programme des cours de
l'institut Léonin, fondé par la munificence de Sa Sainteté.
Parmi les sièges vacants de l'étranger qui seront pourvus
aux prochains consistoires de fin juin, on assure qu'il y en aura
plusieurs du Brésil. Quant à l'érection de la hiérarchie catho-
lique au Japon et aux préconisations à des évêchés vacants de
l'empire russe, elles sont renvoyées à une date ultérieure.
Mgr Mermillod recevra, comme cardinal de la sainte Eglise
romaine, le titre presbytéral des SS. Nérée et Achillée, célèbre
pas son antiquité et par les illustres princes de l'Eglise auxquels
il a été assigné. '
On annonce qu'un document du Saint-Siège sera prochaine-
ment adressé à Mgr Pace, évêque de Malte, attaqué par un
certain parti maltais dit irrédentiste ou nationaliste, pour
approuver la manière dont il a appliqué les instructions qui lui
ont été communiquées à la suite des négociations du général
Simmons avec le Saint-Siège.
Ifrance.
Paris. — Paris a recommencé ses manifestations religieuses
envers le Très Saint-Sacrement. Les étrangers qui en ont été
652 ANNA.LKS CATHOLIQUES
témoins ont été véritablement surpris, édifiés, et attestaient
que la capitale de la France vaut mieux que la renommée que
voudraient lui faire les libres-penseurs. Oui, le peuple parisien
réuni dans ses églises a proclamé une fois de plus sa foi, la
vieille foi de la France, à Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est
surtout à Montmartre qu'on a été le plus ému et édifié, sur cette
montagne qu'on peut tout aussi bien dénommer la montagne de
la prière et de l'Eucharistie. Ce mont Sion est devenu la plus
grande attraction religieuse de Paris, comme il le deviendra
pour la France entière. Ce mois de juin, me disait hier un des
Pères Oblats de la basilique, est vraiment une continuelle
apothéose du Cœur de Jésus.
Il faut avoir assisté à ce grandiose spectacle pour s'en faire
une juste idée.
Il y a là, pour affirmer la présence réelle du Cœur de Jésus-
Christ, un argument plus convaincant que de longs discours et
de savants traités. Comment nier la vie religieuse à Paris quand
elle se manifeste par de tels effets î
C'est la France entière que ces actes publics et solennels de
foi et d'amour édifient et consolent.
On estime à plus de trente mille la multitude des pèlerins sur
la sainte montagne durant cette mémorable journée. Je vais
essayer d'en faire le tableau le plus fidèle.
C'était depuis huit jours la troisième procession générale du
Très Saint-Sacrement. Elle a été encore plus splendide par le
nombre, l'édification et la ferveur: la paroisse de Saint-Pierre
de Montmartre, qui compte quarante mille habitants, venait
processionnellement à la basilique. Elle est sortie à quatre
heures de l'église en traversant le jardin de son illustre calvaire,
et s'est rendue directement au reposoir élevé devant la basi-
lique. M. le premier vicaire de Montmartre, qui portait l'osten-
soir, a donné de là une première bénédiction solennelle à la
multitude et surtout à la graHde cité.
A ce moment un soleil d'or la faisait resplendir. Qu'il était
beau de contempler dans ce magique panorama tous ces géants
dont la tour lîliffel est le point culminant, et principalement tous
ces dôraes majestueux, tels que celui des Invalides, rayonnant
de grâce et de splendeur; celui de Sainte-Geneviève, la patronne
de Paris et de la France, dont la croix demeure toujours écla-
taute au sommet : stat crux du^n volvitur orbis!
Le déploiement de cette procession sur le vaste chantier, puis
NOUVELLES RELIGIEUSES 653
autour de la basilique et dans cette basilique, a mis en relief
tout ce qu'il y a de touchant et de poétique dans ces publiques
manifestations de la foi catholique. Même au simple point de
vue de l'art, quoi de plus gracieux que ces longs défilés de.
jeunes vierges parées de la robe blanche, symbole de l'innocence;
de tous ces fidèles marchant en ordre à l'ombre des larges ban-
nières, et de ces oriflammes aux brillantes couleurs balançant
dans les airs l'image vénérée de Marie, et surtout du Sacré-Cœur
de Jésus ! Suivent les prêtres portant la chasuble ou la chape,
signe de la tribu sacerdotale. Enfin l'Hostie sainte apparaît
entre les mains du pieux célébrant, et autour d'elle la religion
déploie toute sa pompe et toute sa splendeur.
Des fleurs semées par les mains des enfants forment sous les
pas du religieux cortège un tapis émaillé de fleurs; les jeunes
lévites agitent dans l'air les parfums de l'encens. De toute part
les cantiques et les hymnes retentissent ; les voix paraissent
s'interroger à distance et se répondre. On respire comme une
atmosphère de prière et de chants joyeux, de félicité et d'allé-
gresse oii tout semble combiné pour charmer les oreilles et les
yeux. Mais, chez les vrais chrétiens, c'est surtout le cœur que
réjouit cette profession publique et solennelle de notre croyance
à la présence réelle.
Sur tout le parcours de la procession, le recueillement de la
foule était exemplaire; et quelle foule ! les hommes et les
jeunes gens s'y trouvaient plus nombreux que jamais.
Pas une tête couverte ; pas un rart, pas un cri, et cependant
pas la moindre force armée; tout ce recueillement est volontaire,
ces hommages sont spontanés. Je n'avais pas encore vu sur la
sainte montagne une foule si compacte, si pieuse et si admirable.
Mais combien n'ont pu pénétrer dans le temple ! Et j'ai ainsi
compris le zèle de notre éminent cardinal, Mgr Richard, à sti-'
muler les amis du Cœur de Jésus pour que leur générosité per-
mette de consacrer dans un an toutes les nefs supérieures et la
crypte entière. Ne frustrons pas dans ses plus chères espérances
celui dont S. Em. Mgr Guibert, de vénérée mémoire, aimait à
répéter :
« Mon cher coadjuteur aura la joie d'être le Josué qui intro-
duira la France dans la basilique du Sacré-Cœur. »
Pour terminer ma journée de pèlerinage à la sainte montagne,
je suis entré à l'église Saint-Sulpice.
Quelle admirable paroisse ! Après a^'oir assisté aux offices du
654 ANNALBS CATHOLIQUES
matin et de l'après-midi, suivis de deux processions, les fidèles
étaient encore fort nombreux à 7 h. 35 du soir. Ici, les offices
sont bien plus longs que dans les autres paroisses, mais la ro-
buste foi des paroissiens sait s'en accommoder. Ah ! c'est qu'il
s'agissait de l'ouverture solennelle des exercices de l'octave en
l'honneur du Sacré-Cœur, dévotion si chère aux Sulpiciens —
et elle est toujours célébrée avec ferveur depuis plus de cent
ans, — et qui se clôture par le pèlerinage de la paroisse à Mont-
martre, lundi 23 juin. C'est le P. Henriot qui prêche cette octave.
C'est un orateur qui sera fort apprécié. Il nous a parlé du
Cœur de Jésus qui renferme les trésors de l'humilité, de la ten-
dresse, de la charité, enfin tous les trésors et surtout celui de
la miséricorde. Il pose les questions suivantes : 1° Jésus-Christ
est-il miséricordieux ? Oui ; et il nous l'apprend par le triple
témoignage de la raison, de l'histoire et de l'Evangile. 2o Par
quels moyens Jésus-Christ exerce-t-il sur nous la miséricorde?
Par sa patience inaltérable, sa poursuite obstinée, ses bontés
infinies, etc. Original dans le fond, ce fils de saint Dominique
l'est aussi dans la forme. La confiance avec laquelle il aborde
son sujet fait plaisir et engendre déjà la conviction. 11 parle tou-
jours avec une irrésistible logique et une chaleur d'âme commu-
nicative. Bref, nous ne souhaitons qu'une chose à ceux qui ne
l'ont pas entendu, c'est la bonne fortune de l'entendre.
Un salut solennel, exécuté par la remarquable maîtrise de
Saint-Sulpice, a terminé cette belle fête du Sacré-Cœur, célé-
brée à Paris avec plus de foi, d'espérance et d'amour que jamais.
{Monde.)
Cambrai. — On écrit de Lille :
Le préfet du Nord, M. Vel-Durand, vient de jeter un défi aux ca-
tholiques populations du Nord.
Ce préfet vient d'avertir M. le maire d'Halluin, par une lettre datée
du 11 juin, que les écoles communales de cette ville ainsi que l'école
maternelle seront laïcisées à partir du 23 de ce mois.
Les écoles ayant été données à la commune sous la condition ex-
presse qu'elles seraient dirigées par des congréganistes, il faut s'at-
tendre à d'énergiques protestations.
On constatera que ces laïcisations ont lieu moins de deux mois
avant les vacances scolaires, c'est-à-dire que, pour obéir aux sectaires
de la franc-maçonnerie, on désorganise les classes au moment où les
élèves se préparent le plus sérieusement à l'obtention du certificat
d'études. Les parents apprécieront comme il convient cet arrêté pré-
fectoral.
NOUVELLES RELIGIEUSES 655
QuiMPER. — Comme suite, sans doute, au discours de M. Cons-
tans :
Une dépêche de Quimper nous informe que le préfet du Finistère,
agissant par les ordres du ministre de Tintérieur, vient de fermer la <
chapelle des jésuites qui venait d'être rouverte dans cette ville, au
Chemin des Justices.
Cette chapelle avait été fermée en juin 1880, lors de l'exécution
des décrets contre les jésuites. Les scellés ayant disparu il y a quel-
que temps, on ne sait pour quelle cause, les congréganistes avaient
cru pouvoir rouvrir la chapelle et annonçaient une grande cérémonie
religieuse pour une date très prochaine. Le préfet a fait apposer de
nouveaux scellés sur les portes de l'établissement.
Tours. — L'institutrice laïque de Saint-Martin-le-Beau vient
d'être révoquée. Cette mesure de rigueur était réclamée dans
les termes suivants par le Messager dC Indre-et-Loire :
Nous savons sur cette jeune éducatrice de la jeunesse, pour laquelle
l'inspection académique avait montré (on ignore le motif de cette
indulgence) beaucoup trop de ménagements, des choses si laïques
qu'elles eussent certainement fait rougir jusqu'à nos confrères répu-
blicains eux-mêmes, si bons enfants lorsqu'il s'agit de leurs maîtresses
d'écoles, si rugissants quand il y a une peccadille à reprocher à quel-
que bonne religieuse.
Supplié bien des fois de nous taire, nous avons consenti, mais au-
jourd'hui, en présence d'un dernier scandale, nous ne pouvons que
demander la révocation immédiate de l'institutrice laïque de Saint-
Martin-le-Beau.
Vannes. — Dimanche dernier, la procession de la Fête-Dieu,
à Vannes, a été très édifiante et très imposante, malgré la con-
trariété d'un temps pluvieux. Au retour de la procession à la
cathédrale, Mgr Bécel, après avoir félicité son peuple de la ma-
nifestation religieuse qu'il venait d'accomplir, a fait solennelle-
ment amende honorable pour des vols sacrilèges récemment
commis dans son diocèse :
Considérons, a dit Mgr l'évêque de Vannes, ce qui se passe autour
de nous... N'avez-vous pas entendu parler des vols sacrilèges per-
pétrés ces jours derniers non loin d'ici, dans deux églises!... Oui,
mes Frères, l'enfer a trouvé chez nous — j'espère me tromper —
disons plutôt : l'enfer a encore envoyé chez nous des misérables qui
ont crocheté la maison de Dieu, violé le Tabernacle, dérobé les calices
où avait coulé le sang de Jésus-Christ, les ciboires qui avaient ren-
fermé son corps adorable. Ils ont osé porter la main sur Dieu lui-
656 AtWALRS CATHOLIQUES
même; ils ont foulé aux pieds les saintes Espèces.., L'ennemi du
Christ a voulu que ?es suppôts emportassent jusqu'au drapeau du
chrétien, la croix du Sauveur... Que sont devenus ces vases sacrés,
mes Frères? Ah! Quelle épouvantable révélation! Il paraît que dans
les antres ténébreux de certaines sociétés secrètes, on les fait servir
aux plus infâmes mystères; les derniers outrages y sont réservés aux
saintes Hosties... Serait-ce un rêve affreux? Oh! mes Frères, n'est-ce
point l'horrible réalité, l'abomination de la désolation?... Ainsi se con-
tinue le combat de Satan contre Jésus...
Voilà pourquoi, chaque soir, dans cette vieille cathédrale, les
nombreux adorateurs qui montent tour à tour la garde au pied du
Tabernacle ont la douleur de voir le prêtre emporter le trésor de
l'autel, le Dieu d'amour, pour le soustraire à la haine qui le poursuit
toujours et partout... Et le tabernacle est laissé ouvert et vide toute
la nuit, pour ne plus l'exposer à être violemment fracturé par des
mains cupides et impies.
S'il n'est pas permis de vouloir et de demander la mort du pécheur,
faut-il se faire scrupule de réclamer hautement justice contre un
semblable brigandage? Serait-il donc vrai que les plus odieux voleurs
échappent ici-bas aux châtiments qu'ils ont tant de fois mérités avec
un cynisme révoltant? Que Dieu leur pardonne! Mais aussi que
l'Eglise puiese vivre en paix, rendre à Jésus-Christ le culte qui lui
est dû, s'adonner librement et avec sécurité à ses pieuse't pratiques,
passer, à l'exemple de son divin fondateur, en faisant le bien !
En quel temps vivons-nous, mes Frères! Tombons tons à genoux,
le cœur brisé, l'âme en peine, dans la crainte d'être châtiés selon la
gravité et l'étendue des iniquités qui couvrent la terre et la menacent
d'un déluge de sang et de ruinas... Crions, avec une profonde humi-
lité et un repentir sincère: Parce, Domine, parce populo tuo, ne in
ceternum irascaris nobis I
ni laaioiie.
L'Univers reproduit la lettre suivante, que le roi Mwanga a
envoyée au cardinal Lavigerie :
Mengo (Buganda), 4 novembre 89.
Eminence et mon Père le Grand,
Moi, Mwanga, roi du Buganda, j'envoie vous voir (pour : j'ai l'hon-
neur de vous offrir mes hommages). Je vous écris pour vous annon-
cer mon retour dans mon royaume.
Vous avez appris que, lorsque les Arabes m'eurent chassé, je me
sauvai dans le Bukumki. Mgr Livinhac et ses missionnaires me trai-
tèrent avec bonté. Après quatre mois, les chrétiens m'envoyèrent
LES CHAMBRES "^'
chercher. Nous nous sommes battus pendant cinq mois. Dieu nous
a bénis et nous avoQS triomphé des Arabes.
Maintenant, je vous en supplie, daignez nous envoyer des prêtres
pour enseigner la religion de Jésus-Christ dans tous les pays.de
^"rvous demande aussi des enfants ayant appris les remèdes (con-
naissant la médecine), comme ceux qui sont allés à Ujiji. Quand ils
arriveront chez nous, je leur donnerai une belle place.
J'ai appris que Notre Père le Pape, le grand chef de la rehgion,
vous a envoyé traiter avec les grands de l'Europe pour faire dispa-
raître le commerce des hommes dans le pays de l'Afrique. Et moi,
si les blancs veulent bien me donner la force, je puis les aider un
peu dans cette œuvre et empêcher 1« commerce des hommes (des
esclaves), dans tous les pays qui avoisinent le Nyanza.
Daignez demander pour moi, (au ciel), la force de bien faire; de
mon côté, je prie Dieu de vous donner ses bénédictions et de vous
aider dans toutes les oeuvres que vous faites pour sa gloire.
Moi, votre enfant. . , ,, _ ,^
Signé : Mwanga, rot de l Ouganda.
LES CHAMBRES
Sénat.
Jeudi 12 juin. - M. le général Deffis dépose le rapport sur le
projet de loi tendant à autoriser le ministre de la guerre à conserver
sous les drapeaux les hommes qui font une période d'instruction
L'ordre du jour appelle la première délibération sur le projet de
loi sur le service d'état-major.
L'urgence est déclarée. . . ,
M. LE GÉNÉRAL d'And.gné approuvô entièrement le principe du
proiet de loi. Il demande au ministre de compléter son œuvre et de
s'occuper de la revision de la loi du 13 mars 1875 sur les cadres.
M. LE GÉNÉRAL RoBERT présente quelques observations, auxquelles
M de Freycinet répond très brièvement.
M. LE COLONEL TÉzENAS trouve que la loi de 1880 est excellente et
il demande qu'on en conserve les dispositions. Trois cents officiers
d'état-major, cela est bien suffisant ; il est inutile, comme le demande
le projet du gouvernement, de porter ce chiffre à 640.
L'amendement du colonel Tézenas, maintenant la loi de 1880 et
300 officiers d'état-major seulement, est repoussée par 249 voix
contre 10. ,,,, . . ^
Le premier paragraphe du projet de loi, portant que 1 etat-major
<;omprendra désormais 640 officiers, est adopte.
L'ensemble de la loi est adopté.
658 ANNALES CATHOLIQUES
L'ordre du jonr appelle la pramière délibération du projet de loi
sur l'indigénat algérien.
M. IsAAC défend son contre-projet.
M. Trarieux combat le contre-projet de M. laaac et soutient le
projet de la commission. 11 justifie les règles de Tindigénat, qui est
encore nécessaire dans l'état actuel de l'Algérie,
Vendredi 13 juin. — M. Marquis dépose un rapport sommaire
sur la proposition de M. Trarieux, tendant à modifier l'article 65 de
la loi sur la presse.
Le Sénat adopte par 172 toïx contre 70 le projet de loi tendant à
établir d'office des impositions extraordinaires sur plusieurs com-
munes du département do l'Aveyron.
M. Delsol. — Le Sénat vient d'appliquer dans toute leur rigueur
les lois existantes en matière d'impositions d'office. Je respecte sa
décision, mais ce n'est pas une solution. Il me semble nécessaire
d'obtenir du gouvernement des exiilications sur la situation faite
aux communes par l'application de la loi du 19 juillet 1889.
M. CoNSTANS propose de fixer la discussion à jeudi prochain.
Cette date est acceptée.
L ordre du jour appelle la première délibération sur le projet de
loi modificatif des lois des 24 juillet 1873 et 13 mars 1875.
L'urgence est déclarée.
M. LE GÉNÉRAL RoHERT déclare qu'il votera le projet de loi, mais
il regrette que des projets aussi importants soient mis à l'ordre du
jour sans qu'on ait été averti ; le rapport n'a été distribué qu'hier.
M. DE Fbeyclnet. — Ce projet de loi n'a soulevé aucune difficulté
ni à la Chambre ni devant la commission de l'armée. 11 modifie la
loi sur l'armée territoriale, en ce sens que la limite d'âge ayant été
reportée à quarante-cinq ans, il a fallu créer et organiser de nou-
veaux bataillons de l'armée territoriale. Le projet établit, en outre,
que des unités de l'armée territoriale pourront être mises à la dispo-
sition de l'armée active et que l'instruction des hommes sera faite
par les colonels.
M. le ministre insiste pour que le Sénat adopte ce projet de loi,
qui sera très utile et qu'il est urgent de voter.
L'ensemble du projet de loi est adopté.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi
adopté par la Chambre des députés, ayant pour objet de proroger
pour une nouvelle période de sept années la loi du 27 juin 1S88, qui
a maintenu, pour deux années, aux administrateurs des communes
mixtes en territoire civil, le droit de répression par voie discipli-
naire des infractions spéciales de l'indigénat.
M. IsAAC déclare qu'il n'a pas demandé la suppression du code
de l'indigénat. Il demande seulement qu'on le rende moins dur. Il
veut qu'on donne aux indigènes des garanties de bonne justice.
LES CHAMBRES 659
Il n'y a pas de meilleure politique coloniale que celle qui consiste à
faire aimer la France.
M. Trarieux pense que la justice des administrateurs est la meil-
leure que puissent souhaiter les indigènes.
M. LE Président donne lecture de l'article premier du projet.
M. IsAAc demande que cet article soit modifié conformément aux
dispositions de son contre-projet. Le principal changement consiste
à substituer une durée de sept ans pour la prorogation des pouvoirs
des administrateurs à la durée illimitée proposée par la commission.
Après quelques observations du général Robert, l'article premier
du contre-projet de M. Isaac est repoussé et l'article premier de la
commission est adopté.
Les autres articles sont successivement adoptés.
Un amendement de M. Isaac, demandant la suppression du passe-
port des indigènes, est repoussé.
Le général Robert demande que la prorogation des pouvoirs des
administrateurs ne soit accordée que pour trois ans. Il rappelle que
le gouvernement avait seulement proposé et la Chambre seulement
voté la prorogation pour sept années.
Lundi \^ juin. — L'ordre du jour appelle la suite de la discussion
du projet de loi ayant pour objet de proroger pour une nouvelle pé-
riode de sept années la loi du 27 juin 1888 qui a maintenu pour deux
années aux administrateurs des communes mixtes en territoire
civil le droit de répression par voie disciplinaire des infractions
spéciales à l'indigénat.
M. le général Robert continue à développer son amendement. II
pense qu'il faut arriver à une amélioration successive. On est arrivé
déjà à diminuer la sévérité du code de l'indigénat. Il faut espérer
qu'on pourra arriver à l'application pure et simple du code pénal, en
ne laissant plus aux mains des administrateurs le pouvoir de répres-
sion par l'application des peines. Cela se fait déjà dans les commu-
nes de plein exercice.
L'orateur demande que la loi ne soit votée que pour trois ans.
M. Trarieux rapporteur, défend le projet et combat l'amendement.
M. Isaac insiste pour qu'on ne vote la loi que pour une durée
limitée.
M. Lebreton déclare que M. le général Robert et lui se rallient à
l'amendement.
M. Clamageran propose de donner une durée de sept ans à la loi.
L'amendement est adopté par 197 voix contre 69.
L'ensemble de l'article l^"" est adopté.
Il est procédé sur l'ensemble de la loi à un scrutin public.
L'ensemble est adopté par 246 voix contre 1.
Le Sénat reprend le projet de loi relatif aux trésoriers généraux.
M. Marcel Barthe développe un amendement à l'article 7. Cet
660 ANNALES CATHOLIQUES
amendement porte qu'à l'avenir tous les trésoriers payeurs généraux
seront choisis parmi les fonctionnaires de l'administration des
finances.
Le Sénat décide que l'article ne sera pas renvoyé au Conseil d'Etat.
M. Marcel Barthe développe son amendement, qui est combattu
par M. Rouvier.
L'amendement Barthe est repoussé par 157 voix contre 82.
L'article 7 est adopté, ainsi que les autres articles et l'ensemble
du projet.
Mardi 11 juin. — L'ordre du jour appelle la discussion do l'inter-
pellation de M. Combes relativement au discours prononcé à Mont-
pellier par M. le ministre de l'instruction publique sur la nécessité
d'apporter sans retard d'importantes modifications à l'organisation
des universités.
M. Combes demande au ministre de ne pas séparer cette réforme
de la réforme de l'enseignement secondaire.
L'orateur approuve l'organisation future des universités; mais,
dit-il, pour que ces universités prospèrent, il faut leur assurer un
grand nombre d'étudiants.
Ce qu'il faut à nos enfants, c'est une éducation commune qui ne
préjuge pas les aptitudes et les goûts. Cette éducation commune ne
peut avoir pour base que la langue maternelle et les langues moder-
nes ; elle doit être organisée de telle sorte que, tout en étant progres-
sive, elle forme un tout par elle-même et donne une somme de con-
naissances nettement circonscrites.
L'orateur montre la nécessité de développer l'élude de la langue
française et des auteurs français. 11 demande l'unité d'études au
début, une sélection plus tard et l'égalité de droits pour les diplômes.
Grâce à cette égalité, les études progresseront, le pays profitera de
cette diffusion do talents.
La préoccupation du baccalauréat pèse lourdement sur les études.
Les meilleurs élèves n'échappent pas à cette déviation. Tout [le
monde veut avoir cette estampille. Il est le critérium de l'enseigne-
ment secondaire, et pourtant il est dirigé par des professeurs de
faculté qui peuvent ne pas proportionner les questions à la valeur de
l'enseignement. Cet examen ne constate pas l'application au travail;
le sort de l'élève est remis au hasard d'une seule épreuve.
L'orateur demande au ministre, sans porter atteinte à la liberté de
l'enseignement, de présenter un projet de loi qui exige les examens
de passage et l'examen de fin d'année.
M. Jules Simo.x dit qu'il y a plusieurs points sur lesquels il est
d'accord avec M. Combes. Par exemple, s'il y a les déclassés par
l'instruction et l'enseignement secondaire, il y a aussi les déclassés
par l'instruction primaire, et ces derniers sont plus dignes d'intérêt
et de pitié que les déclassés de l'enseignement secondaire.
LES CHAMBRES 661
Quant à la réforme du baccalauréat et à la réforme des méthodes
de l'enseignement secondaire, la question est évidemment à l'ordre
du jour de l'Université. Il y a quelque chose à faire, mais rien n'est
plus difficile; le ministre de l'instruction publique ne peut pas
tout faire.
Nous sommes au premier rang de l'Europe au point de vue de
l'instruction ; s'il nous manquait quelque chose, ce serait au contraire
un peu de latin et un peu de grec. On nous demande de détruire cet
enseignement classique qui a fait notre gloire.
Eh bien! messieurs, je parle au nom de l'Université et je dis:
Nous n'abandonnerons jamais cet enseignement.
Cette haute assemblée pensera avec moi qu'il faut étudier les
sciences utiles, mais qu'il est une science plus utile, c'est celle de
l'humanité. On disait autrefois : faire ses humanités. Souhaitons
qu'on continue à les faire et qu'on les fasse encore davantage.
(Applaudissements.)
L'orateur retourne à sa place et reçoit les félicitations d'un grand
nombre de ses collègues.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Chambre des DépiitéA.
Jeudi 12 juin. — ^L Boudeau avait l'intention de demander à
M. le garde des sceaux quelles mesures ont été ou seront prises ù
l'égard des magistrats qui ont provoqué la condamnation et entravé
la réhabilitation du sieur Borras.
M. Thévenet prie la Chambre de transformer la question en inter-
pellation, afin de pouvoir s'expliquer sur les faits qu'il connaît.
M. Fallières explique qu'il a besoin d'un certain délai pour se
renseigner sur l'affaire.
La question est transformée en interpellation et renvoyée au
jeudi 26.
M. PoNTOis dépose une proposition tendant à ce que la Tunisie
nomme des délégués chargés de représenter ses intérêts auprès des
pouvoirs publics en France, et demande la déclaration d'urgence.
L'urgence est repoussée par 438 voix contre 38.
M. LE Président annonce que M. Delafosse demande à interpeller
le gouvernement sur la situation des colons français en Tunisie.
La fixation de la date est ajournée.
M. DE Lacretelle dépose une proposition de loi tendant à ce
qu'il soit alloué à M. Borras une pension de 6.000 fr., réversible sur
sa femme et ses enfants à raison de 1.000 fr. par tête. Il demande la
déclaration d'urgence.
M. Bovier-Lapierre dit que la commission d'instruction crimi-
nelle est déjà saisie d'une proposition concernant le principe de
l'indemnité en pareil cas; on pourrait lui renvoyer la proposition de
M. Lacretelle.
662 ANNALES CATHOUQUKS
Le renvoi est ordonné.
La Chambre prend en considération la proposition de loi de
M. Méline et plusieurs de ses collègues tendant à l'organisation du
crédit agricole et populaire, ainsi qu'une proposition de M. Linard
établissant l'impôt sur le capital.
Samedi 14 juin. — M. Bourgeois (Jura) dépose un rapport sur
une proposition de loi adoptée par la Chambre, adoptée avec modifi-
cations par le Sénat et relative à la vaine pâture.
Le projet de loi est adopté tel qu'il vient du Sénat.
La Chambre décide que l'interpellation de M. Couturier sur la
grève des ouvriers gaziers de Lyon sera discutée immédiatement.
M. CouTORiER soutient que l'autorité a pris une part très active
dans cette grève. Les rapports entre le travail et le capital sont réglés
depuis un siècle par la loi do l'offre et de la demande; c'est la lutte
du pot de terre contre le pot de fer.
M. CoNSTANS répond que, le 9 courant, les ouvriers de Lyon
employés à l'usine à gaz se sont subitement mis en grève ; à ce mo-
ment il y avait dans les réservoirs du gaz pour une heure et demie
seulement. On ne pouvait penser que la grève cesserait dans la
journée, et comme il fallait assurer l'éclairage de la ville de Lyon, le
préfet a envoyé à l'usine des sergents de ville et des soldats.
On a demandé au ministre d'empêcher les soldats de travailler ; le
ministre a fait sortir les troupes et l'usine à gaz a pu immédiatement
trouver de nouveaux employés, de telle sorte que les anciens employés
sont aujourd'hui condamnés à un chômage forcé. Le ministre a
recommandé les anciens ouvriers à la bienveillance de la compagnie ;
il espère que cet appel sera entendu.
M. CouTTRiER dépose un ordre du jour invitant le gouvernement
à garder la neutralité dans les grèves.
L'ordre du jour pur et simple est demandé et adopté par 447 vo-
tants contre 43.
L'ordre du jour appelle la piemière délibération sur les proposi-
tions de loi: 1" de M. Lokroy; 2» de M. Leydet, portant modification
à la législation des protêts.
M. Radier développe un contre-projet tendant à la suppression du
protêt. L'huissier remettrait un premier avis et en enverrait un
second par lettre chargée.
Ce contre-projet est renvoyé à la commission, ainsi que le projet
lui-môme.
On aborde la discussion du projet de loi ayant pour objet de
modifier les articles 100, 112 et 632 du code de commerce sur la lettre
de change.
L'article 110, modifié delà façon suivante, est adopté :
« La lettre de change peut être tirée sur la même place ou d'un
lieu sur un autre. » La différence avec l'ancien texte consiste dans
l'addition des mots « sur la même place. »
LES CHAMBRES 663
y Une modification de l'article 111 est également adoptée. En voici le
\ nouveau texte :
« Sont réputées simples promesses toutes lettres de change conte-
nant supposition soit de nom, soit de qualité. »
La Chambre adopte intégralement le projet de la commission et
décide de passer à une deuxième délibération.
Lundi, 16 juin. — La Chambre adopte : un projet de loi relatif à
la convocation en temps de paix des hommes de la réserve de l'armée
territoriale affectés à la garde des voies de communication ;
Une proposition de loi de M. Armez et de plusieurs de ses collègues
portant réorganisation du personnel des agents du commissariat de
la marine ;
Une proposition de la loi, adoptée par le Sénat, relative aux nomi-
nations dans Tordre national de la Légion d'honneur;
Une proposition relative aux livrets d'ouvriers.
M. DE Mackau a déposé, il y a quelque temps, une proposition de
loi sur le référendum en matière municipale. La commission d'initia-
tive a conclu au rejet de la proposition. Ce sont ces conclusions qu'il
s'agit de discuter ensuite.
M. DE Mackau explique que sa proposition tend seulement à don-
ner aux municipalités la faculté de consulter la population, en certains
cas, notamment pour l'exécution des travaux intéressant la commune.
Les contribuables sont mieux placés que personne pour apprécier
leurs intérêts et, comme contribuables, ils ont un intérêt direct à
être consultés.
M. GuiLLEMAUT, rapporteur, réplique que le référendum présente-
rait les plus graves dangers pour l'administration du pays.
Les questions municipales sont souvent complexes et délicates ; en
matière d'emprunt ou d'octroi, par exemple, il faut une certaine
compétence pour prendre des décisions utiles. Il ne faut pas déranger
trop souvent les électeurs de leur travail. Le référendum, ce serait
l'agitation perpétuelle : ou les municipalités seraient mises conti-
nuellement en échec, ou la population voterait les yeux fermés toutes
les propositions du maire.
Quand l'instruction sera aussi répandue en France qu'en Suisse,
on pourra reprendre la question.
Encore un peu, et le rapporteur aurait déclaré que les électeurs
sont tout au plus bons à se donner des maîtres mais sont trop bêtes
pour juger leurs intérêts.
Mais, on s'en souvient, le référendum faisait partie du programme
boulangiste. Aussi M. Naquet et M. Le Hérissé sont-ils venus le
rappeler. Le premier a appuyé la proposition en discussion, le second
l'a combattue, en disant qu'il n'accepte le référendum, qu'en matière
politique, et le repousse en matière municipale.
MM. Maurice Faure et Lemercier ont combattu la proposition,
664 ANNALES CATHOLIQUES
parce qu'ils craignent que le référendum municipal ne conduise au
référendum poli-tique. Et d'ailleurs, disent-ils, quand on a constitué
un corps, par élection, il faut s'en rapporter à lui du soin d'organi-
ser les détails.
Par 308 voix contre 190, la prise en considération est repoussée.
M. A. Desprès demande la fixation à quinzaine de la discussion
sur son interpellation relative à la situation faite aux malades des
hôpitaux par le renvoi des soeurs.
L'ajournement à un mois est prononcé par 248 voix contre 231.
M. LE PRÉSIDENT invite la Chambi-e à fixer la date à laquelle sera
discutée l'interpellation de M. Le Veillé sur le cumul de traitement
du procureur de la république de Limoges.
L ajournement de l'interpellation à un mois est prononcé par 291
voix contre 164.
La Chambre prend en considération la proposition de loi de
M. Thellier de Poncheville portant modification de l'article 6 de la
loi du 4 avril 1h89. titre IV du code rural.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant
règlement définitif du budget de l'exercice 18bl.
M. n'AiLLiÈRES reproche à la commission d'équilibrer les anciens
exercices en prélevant sur les budgets antérieurs, alors même que
ces budgets n'offrent aucun excédent.
M. FÉLIX Faure, président de la commission, justifie cette com-
mission.
M. RouviER parle dans le même sens.
Apiès une discussion à laquelle prennant part MM. Laur, et Mir,
le projet est adopté par 232 voix contre 118.
A propos de projets analogues relatifs aux budgets de 1882 et de
1883, M. d'AiLLiÈRES fait remarquer qu'en 1882, le produitdes amendes
en matière de douanes, a baissé considérablement. La faute en est
au manque de sécurité de l'administration.
Après une réplique de M. Rouvier, le règlement du budget de 1882
est voté à l'unanimité de 339 votans.
M. d'Aili.ières élève d'autres critiques sur le règlement du budget
de 1883; ce règlement est adopté à l'unanimité de 343 votans.
M. Delonci.e dépose un projet de résolution sur l'urgence d'amé-
liorer les rapports commerciaux avec la Grèce.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
Une allocution du Comte de Paris. — Les aoldits-députés. — L'attentat
de Vicq. — Etranger.
19 juin 1890.
M. le comte de Paris a réuni, la semaine dernière, les
membres du conseil qu'il a constitué le jour de son exil et placé
CHRONIQUE DB LA SEMAINE 665
SOUS la présidence de M. Bocher. L'objet de la réunion était,
naturellement, de souhaiter la bienvenue au duc d'Orléans, et
Monsieur le comte de Paris l'a fait en quelques paroles dont on
nous communique le texte. Le voici :
Pour la première fois, depuis quatre ans, c'est auprès de
moi, sur la terre d'exil, que je vous ai convoqués, et ce
n'est pas pour parler politique.
J'ai voulu vous associer tout particulièrement à une joie
paternelle.
Le 24 juin 1886, vous pouviez saluer à côté de moi un
jeune prince qui, frappé par une loi inique, n'était alors
qu'une espérance. Je vous ai appelés cette fois pour sou-
haiter la bienvenue au jeune conscrit qui, pour réclamer sa
place dans la caserne, s'est exposé sans hésiter à faire son
temps de service en prison. Comme il l'a dit lui-même,
placé entre la loi de conscription et la loi de proscription,
il a violé la seconde pour obéir à la première.
Dieu l'a protégé, dirigé, inspiré !
Quelle plus grande joie pour un père que de voir son
héritier se montrer ainsi digne de la tâche qui doit lui
incomber un jour. S'il a été hardi dans l'action, il a été sage
dans ses paroles.
La sincérité, la noble simplicité de tout ce qu'il a dit ou
écrit ont, autant que sa démarche même, ému le cœur de
la France. Les sentiments qu'entretiennent chez elle
d'antiques traditions militaires ont répondu à l'appel du
Prince qui voulait marcher sac au dos derrière le drapeau
national.
Les instincts démocratiques ont été touchés par ce Prince
qui venait au bureau de recrutement revendiquer les mêmes
devoirs que les fils du laboureur et de l'artisan. Enfin,
l'esprit de famille qui, Dieu merci, n'est pas éteint chez
nous, s'est empressé de souligner la déclaration du jeune
Prince écartant d'un mot les dangers qu'on pouvait semer
sous ses pas, pour se ranger loyalement derrière son père,
derrière le chef de son parti.
11 est venu fortifier ce parti en affirmant pour le principe
48
666 ANNALES CATHOLIQUES
de l'hérédité un respect qui est le premier article de la foi
monarchique.
Par le patriotisme dont il a donné la preuve, il a fait
passer dans tous les rangs un souffle de jeunesse et de con-
fiance d'autant plus fort que la politique dont on se lasse
vite chez nous n'était pas en jeu.
Il a réveillé l'enthousiasme et l'espoir, même dans les
esprits atteints d'un scepticisme précoce, et rapproché de
nous ces jeunes générations dans le cœur desquelles nous
cherchons anxieusement à lire l'avenir de la patrie.
Parmi ces jeunes gens, il y en a qui n'avaient pas besoin
d'un tel stimulant, je me hâte de le dire; et le nom de l'un
d'entre eux, du fidèle ami, du compagnon dévoué de mon
fils, du duc de Lujnes, restera toujours associé aux souve-
nirs de la journée du 7 février comme à ceux de la captivité.
Les portes de Clairvaux se sont enfin ouvertes et, par
une coïncidence touchante, la dernière visite qu'ait reçue
mon fils a été celle de la jeune princesse qui doit partager
sa vie et qui venait lui apporter un rayon d'espérance dans
sa prison.
Française par le sang, le cœur et l'éducation, elle saura
porter dignement le titre de duchesse d'^Orléans qui nous
est si cher, à son père et à moi.
^Saluons ensemble le duc d'Orléans qui, après quatre mois,
sort de sa cellule mûri, trempé par l'épreuve; rejeton vert
et vigoureux de la race capétienne qui, vieille comme la
France, se rajeunit toujours avec elle.
Cette déclaration mettra fin, il faut l'espérer, aux insinuations
ridicules d'un journal qui prétendait qu'une scission s'était
opérée dans le parti ro^'aliste, et qu'un groupe d'hommes poli-
tiques s'efforçait de détacher le duc d'Orléans de son père, le
comte de Paris.
Nous n'avons pas voulu, quant à nous, nous faire l'écho de
ces bavardages.
On voit aujourd'hui quel fondement il convenait de leur
accorder.
Nous devons dire, que ce journal, d'ordinaire mieux informé
et dont on ne saurait d'ailleurs suspecter les intentions, en se
CHRONIQUE DE LA. SEMAINE 667
faisant l'éclio de ces bruits calomnieux, n'a point entendu en
prendre la responsabilité, et qu'en les dénonçant, il s'est pro-
posé avant tout de rendre service à la cause de la Monarchie.
Une grosse question agite actuellement la presse, en atten-
dant qu'elle soit l'objet d'une chaude discussion à la tribune :
celle de savoir si, en temps de guerre, les représentants du
peuple devront se rendre immédiatement à l'appel du comman-
dant de recrutement ou à l'appel de M. Floquet, en d'autres
termes s'ils devront être soldats ou rester députés.
De nombreuses combinaisons ont déjà été proposées, dans le
louable but de la résoudre au mieux des intérêts de l'armée et
de la nation. Nous ne pouvons les énumérer toutes, mais en les
examinant d'un peu près, on arrive aisément à les condenser et
aies réduire à trois.
Les uns veulent que les députés, astreints à la loi militaire,
soient tous soldats, dans le rang, et déchus ipso facto de leur
mandat public.
Les autres, comme M. Leveillé, maintiennent les séances du
Parlement^ mais envoient « à l'armée, écharpe à la poitrine et
en qualité de commissaires de surveillance, sans aucun com-
mandement militaire, les plus jeunes députés. »
Les autres, enfin, estiment que nos parlementaires doivent
rester députés et rien que députés.
A laquelle de ces trois combinaisons l'intérêt de l'armée et de
la nation commande-t-il de se rallier ?
Nous écartons tout de suite la seconde, en tant qu'idiote et
désastreuse. L'histoire « des représentants du peuple en mis-
sion », telle qu'on l'enseigne peut-être encore dans les écoles
laïques est, en eflfet, une pure légende. Il est prouvé et archi-
démontré aujourd'hui, par des documents péremptoires et irré-
futables, que ces représentants, dans la généralité des cas, ont
désorganisé la résistance par le crétinisme de leur conduite et
la stupide sauvagerie de leurs conceptions. Ce qu'ils ont fait,
ils le feraient encore. Ce serait la défaite, l'invasion et la mort
sans phrases de la Patrie.
Et puis on ne se figure pas bien par ce temps de stratégie
moderne, alors que toutes les formations de combat se font en
ordre déployé, et que les armes à longue portée rendent à
peu près impossibles les corps à corps, on ne se figure pas bien
668 ANNALES CATHOLIQUES
ces députés, écharpe à la poitrine, marchant à la tête des
colonnes. Où prenez-vous des colonnes?
— Ils surveilleront !
Qu'est-ce qu'ils surveilleront? Leur peau !...
La première combinaison, celle qui consiste à faire rentrer
dans le rang tous les députés atteints par l'ordre de mobilisa-
tion, est beaucoup plus sérieuse. Mais elle a aussi ses dangers.
D'abord elle est inconstitutionnelle. Pourquoi et comment un
député se verrait-il dépouillé de son mandat de député? D'autre
part, en affaiblissant ainsi la représentation nationale par
l'incorporation de plus de 200 députés, ne risque-t-on pas de
laisser le gouvernement à la merci d'un coup de main d'une
faction turbulente ?
Nous ne faisons, bien entendu, qu'indiquer les objections les
plus importantes, celles qui sautent aux yeux, car ce n'est pas
ici que nous pouvons traiter à fond la question.
Reste donc la troisième combinaison : les députés au Palais-
Bourbon. C'est celle qu'il faut accepter, non parce qu'elle est la
meilleure, mais parce qu'elle est la moins mauvaise. Ici, la
théorie du moindre mal devient une nécessité gouvernementale.
De quoi s'agit-il, en effet, quand on serre de près la question
de « députés ou soldats ».
Uniquement de circonscrire et de réduire à sa plus simple
expression l'influence fatalement malfaisante de nos bavards
parlementaires.
Or il est incontestable qu'ils seront beaucoup moins nuisibles
au Palais-Bourbon, où ils auront les loisirs de tourner leurs
pouces, qu'à l'armée où ils essaieront par tous les moyens
d'exercer un commandement tout au moins moral.
Ceci ne se démontre pas.
Qu'ils restent donc au Palais-Bourbon. Ils ne gêneront pas
nos généraux, n'entraveront, pas les opérations militaires, et,
en cas de besoin, pourront plus facilement être enfermés à
Mazas.
On a procédé le 14 juin à la laïcisation d'une école libre à
Vicq (Haute-Marne), malgré les protestations d'un grand nombre
de pères de famille intéressés au maintien de la liberté de
l'instruction.
Vers 1820, le curé de Vicq avait fait don à la commune d'un
immeuble sous la condition d'y installer une école tenue par
CHRONIQUE UE LA. SEMAINE
des Sœurs. Une rente pour l'entretien de l'école avait étéjointe
à cette donation, et la commune encaissait, tous frais payés, un
boni de sept cent cinquante francs par an.
Il j a deux mois, l'institutrice congrêganiste titulaire mourut;
le conseil municipal républicain demanda, à l'unanimité, le
maintien des Sœurs. En effet, leur départ devant annuler la do-
nation, il faudrait construire une école, entretenir le bâti-
ment, etc. Un emprunt serait nécessaire, cinquante mille francs
au moins, plus la dépense de quatre mille cinq cents francs par
an, ce qui grèverait le budget municipal de cinq mille deux
cent trente francs par an. Or, les revenus de Vicq sont minimes :
six mille sept cent cinquante-trois francs, et cette commune,
obérée par un récent emprunt, est incapable de supporter ces
nouvelles charges.
L'administration a voulu passer outre et appliquer quand
même la loi laïcisatrice.
Jusqu'à jeudi, la classe a été faite par la congrêganiste
adjointe. L'inspecteur primaire de Langres vint ce jour-là pour
procéder à l'installation de l'institutrice laïque. Les Sœurs,
absentes, avaient fermé leur porte. Bientôt trois cents personnes
se réunissent devant la maison des Sœurs, déclarant que jamais
elles ne laisseront entrer l'inspecteur. Il demanda des ordres à
la préfecture et repartit avec les gendarmes dont il s'était fait
accompagner.
Vendredi dès la première heure, les habitants avaient repris
la garde. Vers neuf heures, l'inspecteur primaire revient accom-
pagné des gendarmes, laissant entendre qu'il entrerait par la
force. Environ sept cents habitants sur neuf cents étaient massés
devant l'école, et comme ils ne se retiraient pas, l'inspecteur
déclara qu'il userait de la force.
Après trois sommations, une première charge de gendarmerie
a lieu. Un homme est blessé au genou d'un coup de sabre ; on
barricade les portes de l'école. A onze heures, le juge de paix
de Varennes survient avec un renfort de gendarmerie. Un peu
plus tard, une autre brigade survient. A sa vue, on sonne le
tocsin et bientôt on voit arriver la force publique venant de
tous côtés. Le secrétaire général de préfecture, l'inspecteur
d'académie, le sous-préfet de Langres, le capitaine de gendar-
merie arrivent à leur tour. Tous se rendent à la mairie. Bientôt
ils reviennent devant le public et explii|uent que la fameuse loi
de laïcisation leur donne raison. Les habitants disent que, malgré
670 ANNALES CATHOLIQUBS
leurs désirs, ils laisseront installer les laïques oii on voudra,
mais pas dans la maison des Sœurs, qui est une propriété par-
ticulière.
Le maire, sur l'avis des autorités, déclare que deux Sœurs
resteront dans la maison, mais que l'administration veut y
installer une institutrice laïque. On répond : non! Et alors,
sans avoir fait aucune sommation, la gendarmerie, le sabre à la
main frappe des femmes et des enfants. Les habitants restent
calmes, malgré cet acte de sauvagerie. La femme Léon Mettot
a reçu un coup de sabre près de l'œil gauche ; la femme
Recouvreur, enceinte, a été piétinée par les chevaux. De nom-
breux blessés gisent ensanglantés. Les groupes se reforment
plus loin. Une nouvelle charge a lieu. Lamargelle traite les
gendarmes de lâches. Ceux-ci le poursuivent et le traînent à
terre en le frappant brutalement. Enfin, comme les portes ne
s'ouvrent pas, un gendarme pénétre par la fenêtre, armé d'un
revolver, et ouvre la porte.
Le mobilier des Sœurs est déménagé et porté chez les voisins.
Cet acte odieux a produit une profonde émotion dans le pays,
et la lecture de ces faits suffira pour propager ailleurs cette
légitime et douloureuse émotion. Où trouver une démonstration
plus sensible de l'injustice de la loi scolaire et du brutal aveu-
glement de ceux qui en poursuivent l'application ?
Ici, tout est réuni de ce qui peut révolter la conscience et
provoquer l'indignation : le droit des chefs de famille sur l'édu-
cation de leurs enfants est violé, le droit de propriété est
méconnu, la volonté de toute une population est comptée pour
rien, les intérêts financiers d'une commune sont sacrifiés, et
c'est à coups de sabre et en faisant piétiner des malheureux par
les chevaux qae l'on impose la soumission à cette tyrannie.
Alors que, de l'aveu de tous, les élections de septembre
avaient imposé à la nouvelle Chambre le programme de la paci-
fication intérieure, alors que le plus élémentaire bon sens disait
que la première condition de cet apaisement des esprits devait
être l'amendement de la loi scolaire, le chef du Cabinet actuel
monta^, on s'en souvient, à la tribune pour s'incliner devant les
clameurs de quelques poignées de sectaires et déclarer qu'il
veillerait sur le maintien intégral de cette loi néfaste comme sur
la prunelle de son œil ; on voit si le gouvernement tient parole !
De tels faits, au lendemain de la nouvelle fermeture de la
chapelle des Jésuites, à Quimper, constituent sans doute ce que
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 671
M. Constans appelle une république c tolérante et ouverte ».
Jugez un peu si elle ne l'était pas.
La Lanterne triomphe. « Eh bien ! s'écrie-t-elle, à la bonne
heure. Nous retrouvons là le ministre de l'intérieur qui frt si
résolument et avec tant d'habileté tranquille exécuter les dé-
crets de 1881. »Nous comprenons cette satisfaction. Mais ce que
nous ne comprendrions pas, c'est que les conservateurs se lais-
sassent prendre aux paroles de ce maître chanteur. M. Constans
nous demande des gages et, en retour, il nous offre un redou-
blement de persécution. A merveille. On sait mieux aujourd'hui
ce que signifie le discours de Périgueux. Il ne trompera que ceux
qui voudront bien être trompés.
Les membres fondateurs de la Société de secours aux blessés
militaires des armées de terre et de mer (Croix-Rouge fran-
çaise), ont tenu le 12 juin leur assemblée générale annuelle, dans
l'amphithéâtre de la Société de géographie, sous la présidence
du maréchal de Mac-Mahon, président de la Société.
Dans l'assistance, on remarquait Mme la maréchale de Mac-
Mahon, les généraux Cambriels, Péan, l'amiral Morin, le baron
Depage, le comte de Beaufort, les docteurs Riant, Péan, Bai-
zeau, Bonneau, etc.
M. le maréchal de Mac-Mahon a présenté lui-même le compte-
rendu des opérations du dernier exercice. La Société a distribué,
tant aux victimes des dernières expéditions coloniales qu'à celles
des guerres antérieures, une somme de 96.000 fr., ce qui porte
le montant des secours distribués par elle, depuis le retour de
la paix, à 3.200.000 fr. Elle a augmenté, pour une valeur de
100.000 fr., les dépôts de matériel d'ambulance, dont les élé-
ments types ont obtenu à l'Exposition de 1889 un grand diplôme
d'honneur. Elle a poursuivi l'organisation préparatoire de ses
services du temps de guerre : hôpitaux temporaires, hôpitaux
auxiliaires du théâtre de la guerre, infirmeries de gare. Au
point de vue des évacuations, elle a voté un crédit de 200.000 fr.
pour l'acquisition d'un nouveau train sanitaire. Elle a multiplié
ses écoles de brancardiers, et constitué quatre-vingt-quatre
nouveaux comités d'hommes et de dames. Elle compte aujour-
d'hui 42.000 membres.
Le montant de ses cotisations annuelles s'est élevé à
100.000 fr. dans ces trois dernières années. Pour 1889, elle a
672 ANNALES CATHOLIQUES
reçu, en dons exceptionnels, une somme de 34.000 fr. et réalisé
91.068 fr. de legs.
M. Paul Biollay, conseiller-maître à la Cour des Comptes, a
présenté ensuite le rapport financier; puis l'assemblée a réélu,
comme membre du conseil, M. le marquis de Vogué, et elle a
élu, comme nouveaux membres : MM. le docteur Brouardel,
doyen de la Faculté de médecine ; Farré, ancien directeur des
services civils en Algérie; Hébrard, président du syndicat de
la presse; le docteur Meige et le marquis de Vassart d'Hozier.
L'opinion publique en Russie se montre de plus en plus
reconnaissante au gouvernement français de ce qu'il vient de
faire contre les anarchistes et nihilistes installés à Paris. La
vérité est, comme nous l'avons dit, que la police de la Répu-
blique a eu dans cette circonstance la main aussi vigoureuse
que n'importe quelle police monarchique, et on en a été très
frappé, même ailleurs qu'à Saint-Pétersbourg.
Il faut convenir aussi que la base d'action de notre gouverne-
ment dans ces occasions est admirable. Il n'a pas à se demander
si les chimistes qui opèrent sur son territoire veulent tuer tel
ou tel monarque ; mais nous avons une loi parfaitement claire
qui interdit chez nous la fabrication des matières explosibles,
sans autorisation spéciale. Messieurs les nihilistes, ne nous
lassons pas de le répéter, ont contrevenu à cette loi, et ils
seront punis.
En vain la presse radicale essaie d'attendrir le public sur eux,
en expliquant que ces malheureux ne sont que des savants
inoffensifs : la loi est là, et dans l'espèce elle est inexorable. Le
procès va venir dans une quinzaine de jours et il aura, on peut
le croire, beaucoup de retentissement. Nous autres simples
citoyens, nous le suivrons avec intérêt, mais en nous rappelant
que l'Empereur Alexandre III, le souverain actuel de Russie,
a rendu à notre pays depuis quelque temps de nombieux,
importants et incontestables services.
M. de Bismarck en sait quelque chose, puisque en toute occa-
sion il se plaît à insinuer que la Russie n'a jamais rien fait
pour nous. Mais lui, hélas ! il n'a que trop fait contre nous.
Le gérant: P. Chantrel.
Paris. Imp. 0. Picqiioin, &3, rue de Lille.
ANNALES CATHOLÏQUES
LA PERSECUTION FISCALE
Nous avons mentionné ramendement au budget de 1891 par lequel
M. Henri Brisson espère ruiner et détruire un certain nombre d'asso-
ciations religieuses. On sait que cet amendement vise l'exécution de
la loi du 29 décembre 1884, au sujet de laquelle était engagé un litige
judiciaire que la Cour de cassation a tranché le 27 novembre dernier.
Une note du Siècle assure d'autre part, que l'administration de l'enre-
gistrement aurait prévenu les désirs de M. Brisson.
Dans ces circonstances, il nous a semblé utile de publier l'important
travail que M. Delamarre, l'éminent professeur à la Faculté catho-
lique de droit de Paris, a présenté à la récente session de l'assemblée
des catholiques au sujet de la loi et de l'arrêt que nous venons de
rappeler :
Tous les honnêtes gens connaissent la persécution scolaire,
qui enlève au père de famille pauvre la liberté de faire élever
ses enfants dans ses croyances : la persécution hospitalière, qui
éloigne la Sœur et l'aumônier du lit du malade et ne permet à
celui-ci de recevoir les consolations de la religion qu'au prix
d'un héroïsme souvent au-dessus de ses forces ; la persécution
ecclésiastique, qui, sans contrôle et sans défense, sur la simple
dénonciation d'un inconnu, prive de son maigre traitement le
pauvre curé de campagne; la persécution militaire, qui, en
pleine paix et sans aucun avantage pour la défense nationale,
enlève les élèves du sanctuaire à leurs études et peut-être à
leur vocation; mais beaucoup de personnes ignorent que cet
ensemble de mesures attentatoires aux droits de Dieu et de la
conscience, a été couronné par un savant système de persécution
fiscale, destiné à enlever progressivement aux congrégations
religieuses tous leurs moyens d'existence.
L'expulsion manu militari des religieux, il y a dix ans,
n'était que le prélude des dispositions fiscales par lesquelles les
maîtres du jour entendaient empêcher les congrégations de con-
tinuer à vivre.
L'expulsion, dans leur langage, était un hommage à la loi que
le Sénat avait refusé de voter et ne pouvait atteindre que les
congrégations non autorisées.
Mais l'égalité devant la loi exigeait, toujours d'après eux, que
Lxxii — 28 Juin 1890 49
674 ANNALES CATHOLIQUES
les congrégations mime autorisées, bien que payant comme
tout le monde les innombrables impôts ornement obligatoire de
toute civilisation avancée, payassent encore des impôts que
personne ne paye.
Le Sénat, à cette époque, et même la Chambre des députés
refusèrent de suivre jusqu'au bout M. Brisson dans la vole oii
il avait voulu les engager.
Deux dispositions, qui pouvaient à la rigueur se justifier au
point de vue du droit, furent simplement ajoutées à la loi de
finances du 28 décembre 1880.
Par l'une de ces dispositions, les congrégations furent assi-
milées aux sociétés qui payent une taxe de 3 0/0 sur leurs béné-
fices, et elles furent soumises à cette même taxe.
L'autre disposition avait pour but d'élever jusqu'au chiffre de
11 fr. 25 la taxe de 0,50 admise par la jurisprudence pour les
mutations opérées dans les sociétés civiles formées entre les
membres de congrégations autorisées ou non autorisées, lorsque,
par les deux clauses d'adjonction de nouveaux membres et de
réversion, ces sociétés arriveraient à perpétuer leur existence
et leur patrimoine dans des conditions analogues à celles des
congrégations autorisées.
Les deux taxes, comme c'était à prévoir, ne procurèrent au
Trésor que des perceptions insignifiantes. Bien peu de congré-
gations font des bénéfices : elles ne sont pas constituées pour
cela, et le budget de la plupart d'entre elles se solde par un
déficit que comble la charité des fidèles.
Quant à la nouvelle taxe d'accroissement, comme elle n'était
exigible que dans les sociétés réunissant les deux clauses d'ad-
jonction de nouveaux membres et de réversion, il était naturel
et légal qu'un certain nombre de ces sociétés rayassent de leurs
statuts l'une de ces clauses, afin de continuer à payer, comme
par le passé, la taxe de 0,50 0/0 au décès ou à la sortie d'un de
leurs membres.
Les deux taxes nouvelles n'eurent donc d'autre résultat, sans
aucun avantage pour le Trésor, que d'imposer aux employés du
fisc des travaux incommensurables sous le poids desquels ils
succombaient.
Le directeur général de l'enregistrement, qui s'appelait
M. Boulanger, pour soulager ses agents et faire affluer l'argent
à sa caisse, suggéra à la commission de la Chambre des députés
chargée d'examiner le budget de 1885 la pensée de retoucher la
LA PERSÉCUTION FISCALE 675
rédaction de la loi de 1880, afin d'attribuer de plein droit aux
congrégations un revenu qu'elles n'avaient pas.
De là le forfait en vertu duquel tous les biens des congréga-
tions, meubles ou immeubles, même les plus notoirement
improductifs, ont été présumés produire nn revenu de 5 0/0,
revenu inconnu depuis longtemps pour les valeurs les plus pro-
ductives.
Cette nouveauté fiscale fut votée à la fin de décembre 1884,
au pas de course, au Sénat et à la Chambre des députés. Les
hommes du gouvernement et de la majorité ne manquèrent pas,
afin d'enlever le vote dés Chambres, d'accuser les congrégations
des dissimulations les plus noires, sans en fournir d'ailleurs
aucune preuve, ni même aucun commencement de preuve.
Bien plus, le directeur général de l'enregistrement, commis-
saire du gouvernement, n'a pas craint d'affirmer, contrairement
à l'évidence, mais en prenant toutefois la précaution de s'abriter
derrière une affirmation de M. Brisson, que les Soeurs de Saint-
Vincent-de-Paul réalisaient des bénéfices commerciaux, au
moyen des milliers de jeunes filles qui travaillent dans leurs
ouvroirs.
Tout le monde sait, en eflfet, que les ouvroirs et les orphe-
linats sont impuissants à se soutenir avec le travail des enfants,
et qu'il leur faut, sous toutes ses formes, le secours de la cha-
rité. Quoi qu'il en soit, le principe du revenu obligatoire une
fois voté, vous croyez peut-être que l'application en a été simple
et facile ?
Pas le moins du monde.
Non seulement les objets les plus improductifs ont été estimés
rapporter 5 0/0, mais ce 5 0/0, s'évaluant d'après le capital brut
sans déduction des dettes, a été surfait par l'enregistrement, et
il en est résulté, dans beaucoup de cas, des expertises coûteuses
et difficiles, au cours desquelles il a fallu transiger pour éviter
des pertes trop considérables. Ainsi, tandis que les propriétés
immobilières diminuaient partout, quelquefois d'un tiers, celles
des congrégations ont été augmentées de valeur.
A la valeur vénale de ces propriétés l'enregistrement a même
voulu substituer le prix de revient, et il est arrivé à des agents
de cette administration de dire avec une cruelle ironie aux con-
grégations, à propos d'établissements d'instruction conçus lar-
gement, mais sans luxe, et dont la vente serait désastreuse pour
une destination ordinaire: « Comment pouvez-vous trouver notre
676 ANNALES CATHOLIQUES
estimation exagérée? Vous avez tel nombre d'élèves, et pour le
même nombre d'élèves, l'Etat dépense deux et trois fois plus
que vous. »
Il faut beaucoup d'énergie et d'intelligence pour se reconnaître
au milieu de toiles complications, et le résultat final est toujours
pour celui qui paye une aggravation de situation, bien heureux
encore quand, après une lutte sans merci, il n'est pas obligé de
vider complètement sa bourse.
Je ne vous parlerai pas de quelques succès partiels obtenus
par les congrégations devant les tribunaux, qui ont refusé no-
tamment d'étendre la taxe sur le revenu : aux nues propriétés
non susceptibles de revenus de par la loi elle-même ; aux pen-
sionnats, comme présentant, au point de vue de la clientèle une
valeur distincte de celle des immeubles dans lesquels ils sont
exploités ; et d'appliquer à l'estimation des meubles, la procé-
dure de l'expertise.
Qu'est-ce que cela, en comparaison du désastre résultant,
pour les congrégations autorisée.s, de l'arrêt de la Cour de cas-
sation du 27 novembre 1889 sur la taxe d'accroissement?
On n'a pas oublié les conditions dans lesquelles la loi du
28 décembre 1880 avait élevé de 0 fr. 50 à 11 fr. 25 0/0 la taxe
à payer pour les accroissements qui s'opéreraient dans les
sociétés admettant l'adjonction de nouveaux membres. Il tombe
sous le sens que cette taxe ne peut être perçue quand il n'y a
pas de mutation : tout le monde, y compris le prédécesseur de
M. Boulanger dans la direction générale de l'enregistrement,
avait reconnu que la taxe d'accroissement n'était pas applicable
aux congrégations reconnues, dans lesquelles la propriété des
biens appartient à la congrégation, être perpétuel et reconnu
par la loi comme ayant une existence propre et indépendante
des membres composant la congrégation; ces derniers, ne pos-
sédant rien, ne peuvent rien transmettre à leurs frères ou sœurs
en religion, quand ils sortent de la congrégation à leur mort, ou
de leur vivant par une retraite volontaire ou forcée. Et c'est
précisément parce que les biens de la congrégation frappés
d'immutabilité ne donnaient jamais lieu à l'ouverture d'un droit
de mutation que la loi du 22 février 1849 a frappé ces biens
d'une taxe annuelle dite de main-morte, calculée sur la moyenne
des transmissions des propriétés ordinaires. Une disposition de
loi qui aurait assujetti les biens des congrégations reconnues à la
taxe d'accroissement, en même temps qu'ils auraient continué
LA PERSÉCUTION FISCALE 677
d'être soumis à la taxe de main-morte, aurait paru une énormité.
Cette énormité, qu'aucun membre du gouvernement, ni de la
majorité dans les deux Chambres s'était bien gardé d'attribuer
au texte ou à l'esprit delà loi de finances du 29 décembre 1854,
M. Boulanger, directeur général de l'enregistrement, n'a pas
craint de la lui attribuer dans une instruction rédigée pour
l'exécution de la loi, cinq mois après sa promulgation.
Et ce qu'il y a plus de triste et de plus douloureux pour nous,
la Cour de cassation a suivi M. Boulanger dans Tordre d'idées
oii il avait entraîné l'administration.
Jusqu'au malheureux arrêt du 27 novembre 1889, la Cour de
cassation avait jugé que, même en matière fiscale, l'absurde
n'est pas admissible. C'est ainsi que, par un arrêt du 13 avril 1886,
la chambre civile cassait un jugement du tribunal de la Seine
qui avait refusé à une société de prouver par tous les moyens
légaux que, n'ayant pas fait de bénéfices, elle ne devait pas
payer l'impôt sur le revenu établi par la loi du 29juin 1872.
Comment, trois ans plus tard la même chambre civile a-t-elle
pu trouver rationnel de faire payer l'impôt d'accroissement là
oii l'accroissement est impossible? Quels sont donc les motifs
d'une telle contradiction?
11 est facile de démontrer que ces motifs n'existent pas.
L'arrêt du 27 novembre 1889 dit d'abord que le texte de la loi
du 29 décembre 1884 est aussi formel qu'il est clair. A ce con-
sidérant, qui n'est autre chose que la copie d'une phrase stéréo-
typée dans tous les mémoires de l'enregistrement, voici la
réponse faite à l'avance par un des jurisconsultes les plus con-
sidérables de notre époque, par un ancien président de l'ordre
des avocats à la Cour de cassation; voici ce que, du haut
de la tribune du Sénat, lors de l'examen des articles de la Ici
fiscale en question, l'honorable M. Clément a pu dire, sans être
contredit par personne, pas même par M. Boulanger, qui n'était
pas encore sénateur, mais qui était présent comme commissaire
du gouvernement chargé de défendre et d'expliquer la loi :
« Nous n'avons pas discuté le droit sur V accroissement^ c'est
LA BOUTEILLE A l'encre. Nous ne savons pas ce qu'il y a. Je
ne sais comment vous l'appliquerez. »
Voilà pour la clarté de la loi.
Voici maintenant pour son texte formel :
Le législateur de 1880 avait fait deux articles pour régler
séparément, dans chacun d'eux, l'impôt sur le revenu et l'im-
pôt sur l'accroissement.
678 ANNALES CATHOLIQUES
Le législateur de 1884, lui, a amalgamé les deux impôts dans
une seule et itoême disposition, en renversant l'énumération des
contribuables de la loi de 1880 et en mettant en tête les congré-
gations religieuses, qui venaient à la fin dans la loi de 1880,
sous le nom d'associations reconnues ou non reconnues.
Il dit ainsi dans un premier paragraphe :
« Les impôts établis par les articles 3 et 4 de la loi de finances
du 28 décembre 1880 seront payés par toutes les congrégations,
communautés et associations religieuses, autorisées ou non au-
torisées, par toutes les sociétés ou associations désignées dans
cette loi, dont l'objet n'est pas de distribuer leurs produits en
tout ou en partie entre leurs membres. >
Si le législateur de 1884 n'avait rien ajouté à ce paragraphe,
il n'aurait rien fait autre chose que l'interversion de M. Jour-
dain dans son compliment à la marquise.
Toute la pensée de la loi est dans le paragraphe 2, ainsi ré-
digé :
« Le revenu est déterminé à raison de 5 0/0 de la valeur
brute des biens, meubles et immeubles, possédés ou occupés par
les sociétés. *
Remarquez bien ces mots : les sociétés^ qui embrassent évi-
demment les congrégations comme les autres collectivités énon-
cées dans le paragraphe premier.
Les congrégations sont dotées, comme les autres sociétés qui
ne distribuent pas leurs produits, d'un revenu fictif et obliga-
toire de 5 0/0 de la valeur brute de tous leurs biens meubles oa
immeubles.
Voilà la grave modification apportée par la loi de 1884 à l'im-
pôt sur le revenu, qui, sous la loi de 1880, était perçu sur le
revenu réel.
Mais aucune disposition ne modifiant la loi de 1880 en ce qui
concerne l'impôt d'accroissement, il en résulte forcément, en
saine logique, que cet impôt est resté, pour la loi de 1884, ce
qu'il était avant cette loi.
La Cour de cassation en conclut cependant que le droit d'ac-
croissement € est dû par toutes les congrégations, communautés
ou associations religieuses, autorisées ou non autorisées ;
« Que cela ressort manifestement de la désignation absolu-
ment différente des personnes sujettes à cet impôt, que la loi de
1884 a substituée à celle que contenait la loi de 1880. »
Or, vous savez que cette désignation des personnes sujettes à
LA PERSÉCUTION FISCALE 679
l'impôt, loin d'être absolument différente, est, au contraire,
absolument semblable, sauf une interversion d'ordre, et que le
législateur de 1884 désigne même, comme celui de 1880, les
congrégations sous le nom générique de sociétés au point de vue
de l'application des deux impôts.
Quoi qu'il en soit de l'étrangeté de cet article, il est bon que
l'on sacbe que la Régie ne sait comment i'exécuter vis-à-vis des
congrégations composées d'un certain nombre de maisons res-
sortissant à une maison mère.
Ni les rédacteurs de la loi du 29 décembre 1884, ni les légis-
lateurs qui l'ont votée, ni les magistrats qui ont cru l'appliquer
n'avaient pensé à une loi du 27 ventôse an ÎX, aux termes de
laquelle aucune perception de droit proportionnel ne peut être
faite sur un actif inférieur à vingt francs dans une succession.
Ainsi, une succession ne présente que cinq francs d'actif, le
droit sera perçu comme si l'actif s'élevait à vingt francs.
Prenez maintenant l'hypothèse d'une grande congrégation
comprenant plusieurs milliers de membres et des centaines de
maisons dans des bureaux d'enregistrement différents : il faudra
non seulement faire un calcul spécial, à chaque décès pour la
part présumée du défunt dans chacun des immeubles de la con-
grégation, mais dans le modeste mobilier nécessaire à un^ deux
ou trois religieux donnant l'enseignement dans une maison n'ap-
partenant pas à la congrégation.
Cette part présumée pourra n'être que de quelques centimes !
n'importe, il faudra payer 11 fr. 25 0/0 sur une valeur de 20 fr.
dans chaque bureau et à chaque décès. Le Journal de VEnre-
gistrement, journal quasi-officiel, est ainsi arrivé à une percep-
tion dépassant chaque année un million, à raison d'un décès
par jour et d'une valeur de 10 centimes pour la part présumée
de chaque décédé dans le mobilier de toutes les maisons de la
congrégation, pour une congrégation de dix mille membres.
La Régie elle-même s'est arrêtée épouvantée ! (1)
(1) Ce temps d'arrêt n'a pas été de longue dui'ée. Depuis la rédac-
tion de cette note, la direction générale de l'enregistrement a pres-
crit à ses agents, par une instruction du 26 avril 1890, d'exiger, en
cas de décès de tout religieux, le paiement de Timpôt d'acroissement
à chaque bureau de la situation des immeubles et des meubles cor-
porels de la congrégation, alors q\i'en cas de retraite volontaire ou
forcée d'un religieux pendant sa vie, le même impôt d'accroissement
pourra être acquitté au bureau de la maison-mère. En vain a-t-on
fait observer à l'enregistrement que les dispositions édictées en vue
680 ANNALES CATHOLIQUES
Ainsi se trouvent trop justifiées les paroles de M. Clément au
Sénat : « Le droit sur l'accroissement, c'est la bouteille à
l'encre^ nous ne savons pas ce qu'il y a. Je ne sais comment
vous l'appliquerez. >
Quel est le devoir des catholiques en une occurence aussi
grave V
Continuer, sans se décourager la lutte par la parole et la prière.
Ne cessons pas de proclamer et de rappeler en toute circons-
tance les principes de l'éternelle vérité, les droits et la liberté
du pauvre, le respect de la conscience, le respect des droits de
Dieu, l'égale répartition des charges entre tous les habitants du
pays et l'abolition des lois qui portent atteinte à cette égalité.
La parole a vaincu le monde.
Prions Dieu qu'il nous donne des législateurs possédant le
sentiment du droit, et des magistrats qui justifient leurs arrêts
par des motifs vraiment plus clairs et plus concluants que la
prétendue clarté de la loi, afin que le peuple français, au nom
de qui se rend la jusiice, puisse reconnaître que ses délégués à
l'interprétation de la loi savent au moins la lire.
L. M. Delamarre,
Professeur de droit à Vlnslilvt catholique de Paris.
HUIT JOURS A LA GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI
(Suite et fin. — A'^oir le numéro précédent.)
A la Trappe, les jours se ressemblent. Jamais le trappiste
ne cause, jamais il ne se permet une distraction, un plaisir, un
repos. Il vit seul avec sa pensée, seul avec Dieu. Ne croyez pas
cependant qu'il soit triste; f^uv tous ces visages qu'un doux,
sourire illumine, régnent le calme, la paix, le bonheur. Cette
vie de souffrances a ses charmes, ses voluptés ! Je demande au
frère procureur s'il est content.
des décès de personnes véritablement propriétaires des choses qu'elles
laissaient, n'avaient pu prévoir les décès de religieux qui, quatre-
vingts ans plus tard, seraient déclarés fictivement propriétaires de
choses sur lesquelles ils n'avaient jamais eu aucun droit, la Régie
est restée sourde à la voie du bon sens. Il en résultera une lutte
devant tous les tribunaux de France. L'arrêt de la Cour de cassation
du 27 novembre 1889, quelque critiquable qu'il soit, ne s'est pas
expliqué sur la perception du droit, et on peut espérer qu'il se trou-
vera des magistrats pour décider que les énormités du fisc ont leurs
limites.
HUIT JOURS A LA GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI 681
« — Oh ! Monsieur, s'écrie-t-il, je ne changerais- pas ma
robe de bure pour un royaume, »
Il est raconté dans la vie des Pères du désert que les deux
Macaire d'Egypte traversaient ensemble le Nil sur un ponton.
Deux tribuns militaires voyageant avec un grand appareil de
chevaux aux brides dorées, d'équipages, de soldats, de pages
couverts de bijoux, considérèrent longtemps les deux moines,
vêtus de vieux habits, humblemeni assis au coin d'une barque.
L'un des tribuns dit aux cénobites :
« — Vous êtes heureux chez vous, vous vous moquez du
monde?
« — C'est vrai, lui répondit saint Macaire d'Alexandrie,
nous nous moquons du monde, tandis que le monde se moque
de vous; et vous avez dit plus vrai que vous ne pensez : nous
sommes heureux de fait, et de nom, car nous nous appelons
Macaire qui en grec signifie heureux. »
Le tribun ne répliqua rien, mais rentré chez lui il distribua
ses biens aux pauvres et alla chercher dans la solitude le
bonheur que le monde ne pouvait lui donner.
On me montre un vieillard de soixante-treize ans, frère
Albéric, qui dessert une petite paroisse située à une lieue du
monastère. Quelque temps qu'il fasse, frère Albéric part tous
les dimanches avec trois oeufs et une miche de pain dans sa
poche. A midi et demi, après sa messe, il tire un seau d'eau,
allume du feu, met de l'eau dans une casseroUe, la fait chauifer,
y jette quelques pincées de sel, quelques tranches de pain...
voilà sa soupe, les œufs durs son rôti, l'eau du puits sa boisson,
son régal de trappiste. Voilà dix-neuf ans que frère Albéric a le
même ordinaire dominical; dix-neuf ans qu'il fait ses « quatre
gros kilo » comme il le dit, à l'aller et au retour et je vous
assure qu'il ne songe pas à changer son ordinaire, sauf peut-
être pour le restreindre, ni à prendre sa retraite.
On lit dans la vie des Pères du désert que deux solitaires
étant en pèlerinage, passèrent auprès d'une grotte qui parais-
sait inhabitée, ils y pénétrent; ils voient un frère d'un âge
vénérable à genoux, les bras étendus vers le ciel, les yeux
ouverts.
« — Il prie, disent-ils, prions avec lui. »
Ils attendent quelque temps et ne lui voient faire aucun
mouvement, ils le croient en contemplation. L'heure du départ
arrive, ils le saluent et se recommandent à ses prières, pas de
682 ANNALES CATHOLIQUES
réponse... ils s'approchent, le solitaire était mort dans une
extase et son corps soutenu par les anges était là attestant une
vertu ignorée du monde et qui ne sera révélée qu'au jour de
éternité. J'apprendrais que frère Albéric est mort comme ce
solitaire que je n'en serais pas surpris.
J'entre au réfectoire, je parcours les tables après le repas; la
plupart des religieux ont à peine touché à leur pain et à leur
cidre. Ce n'est pas qu'ils n'eussent faim, mais ces gens-là ont la
passion du sacrifice.
Quelqu'un s'étonnait un jour devant un abbé de Cîteaux que
des personnes habituées à vivre délicatement dans le monde,
pussent se contenter de pois, de lentilles, de choux sans aucun
assaisonnement!
« — Sans aucun assaisonnement! s'écria l'abbé, ah! pardon!
je donne à chacun trois grains de poivre pour relever le goût;
aussi ne laissent-ils presque jamais rien dans leurs écuelles.
Le premier grain consiste à se lever de bonne heure ; le second
à travailler au grand air ; le troisième à jeûner. Voilà de quoi,
je pense, aiguiser notre appétit et rendre exquis nos légumes. »
Il y a à la Trappe des vieillards de quatre-vingts, quatre-vingt-
cinq, quatre-vingt-huit ans qui sont plus intrépides que les
jeunes. Impossible de les faire monter à l'infirmerie pour donner
à leurs estomacs délabrés une nourriture plus substantielle, du
poisson, des œufs, de la viande. Ils se croiraient déshonorés,
La règle des Trappistes en effet, est sur ce point moins austère
que celle des Chartreux.
« ... L'abbé, est-il dit dans la règle de saint Benoit, l'abbé
aura toute l'application possible afin qu'on ne néglige rien dans
tout ce qui concerne l'assistance des malades. On leur destinera
une chambre à part et et on établira pour les servir un des
frères qui craigne Dieu, qui soit diligent et soigneux. On leur
permettra de se servir de bains toutes les fois qu'on le jugera
nécessaire. On permettra de manger de la chair aux malades
et à ceux qui seront dans une grande faiblesse, pour le rétablis-
sement de leurs forces. »
A la Grande-Trappe, il J a plusieurs industries. Le lende-
main de mon arrivée, je me rendais à la chapelle. Au coin de
l'hôtellerie, j'aperçus le R. P. Abbé dirigeant lui-même les
travaux d'un canal qui devait amener un plus grand tirant
d'eau pour le service du moulin. Ce moulin est pour le moment
la fortune du monastère. Les paysans viennent de très loin.
HUIT JOURS A LA. GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI 683
« La farine est meilleure, me disent-ils, et ici au moins nous
sommes sûrs qu'on ne nous volera pas. »
Au milieu des travailleurs, le R. P. Abbé une serpe à la
main, les pieds dans des sabots, ia robe relevée jusqu'aux,
genoux, donne des ordres ; sa croix pectorale de bois est sa
seule distinction.
Dans l'après-midi, il m'emmène visiter ses terres. Des reli-
gieux travaillent au loin dans les champs,
« — Il me semble, lui dis-je, que nourris comme ils sont, ils
ne doivent guère avoir de muscles. »
« — Ils pourraient tout de même en abaitre davantage, me
répond-il en souriant; c'est vrai, plusieurs ne mangent pas
assez ; mais cela ne fait rien ; la plupart des paysans sont
encore moins bien nourris qu'eux. »
A gauche, derrière et à droite du moulin, les étables, la lai-
terie, les forges, la buanderie, le fruitier. A l'intérieur du mo-
nastère, le R. P. Abbé a installé une imprimerie pour rééditer
leurs livres de chant. Je l'entends gourmander uu religieux qui
plie maladroitement des feuillets, il en prend un et donne une
ienon.
Ce R. P. Abbé est. décidément quelqu'un. Il est jeune encore,
il a à peine quarante ans. Il est plein de vie et d'activité, j'allais
ajouter d'ambition. Ne s'est-il pas mis en tête de reconstruire
sou monastère? Les bâtiments sont lourds, sans grâce, plusieurs
menacent ruine; ils sont reliés sans ordre. Les cours sont
vastes, mais d'un vilain aspect. Il a son plan, il aura l'argent.
La Trappe de Staouéli n'est-elle pas Ik'i
« — Un jour, me dit-il, j'avais besoin d'argent pour une de
nos Trappes qu'il s'agissait de relever ; je pris le chemin de
Staouéli. Staouéli est pour nos Trappes ce qu'est la Grande-
Chartreu,se pour les Chartreux. 11 me faudrait pour reconstruire
la Grande Trappe, cinq cent mille francs; seulement je crains
d'attirer l'attention du gouvernement. Au reste, nous prenons
nos précautions. Chaque année le Chapitre se réunit ici et nous
taxons chaque Trappe pour organiser une caisse centrale en
cas de persécutions nouvelles. »
Sa préoccupation est de tout utiliser, la terre, l'eau, les élé-
ments, de ne perdre ni un pouce de son territoire ni une pierre de
ses bâtiments, ni une minute du temps de ses religieux. S'il a fait
vœu de pauvreté pour lui, il veut que son monastère s'enri-
chisse. La Trappe d'Aiguebelle met quarante miiie francs de
684 ANNALES CATHOLIQUES
côté par an en fabricant du chocolat. Il vient d'installer une
machine à fabriquer le chocolat qu'il compte agrandir. Le mou-
lin ne rapporte que deux louis par jour ; il faudra qu'il en rap-
porte quatre. Bientôt il se fera éditeur, brocheur, relieur. Il
me demande ma pratique.
Je l'interroge sur les origines de la Grande-Trappe. Le mo-
nastère remonte à 1122. Il fut fondé par Rotrou II, comte de
Perche, qui fit vœu, s'il échappait à une violente tempête, de
bâtir à la sainte Vierge une église. Revenu dans ses Etats, il
choisit un vallon solitaire, entouré de bois, traversé par plu-
sieurs ruisseaux, appelé Trappe. A l'église, il joignit un monas-
tère qu'il confia à une colonie de religieux venus de Savigny;
le monastère devint une abbaye, l'abbaye de la Maison-Dieu
de la Trappe. En 1148, l'abbaye de la Trappe se rattacha à
l'ordre de Cîteaux. Pendant cinq cents ans elle fut florissante
jusqu'au jour où, livrée comme les autres abbayes en commande
à l'avidité des séculiers, elle tomba dans une complète déca-
dence.
Elle se releva en 1626 avec Armand-Jean Le Bouthillier de
Rancé à qui cette abbaye était échue en héritage. L'abbé de
Rancé s'étant converti travailla à la réforme de son abbaye.
Pendant la grande révolution les Trappistes furent dispersés.
Ils revinrent en 1814.
Aujourd'hui ils sont divisés en trois branches que le
R. P. Etienne espère réunir en un seul faisceau.
La réforme de l'abbé de Rancé, dont le siège est à Sept-
Fonds, compte six ou sept monastères.
Les Trappistes belges, peu nombreux ;
Les Trappistes qui ont repris la règle de Cîteaux. Ces der-
niers sont répartis entre vingt-six monastères qui reconnaissent
comme général le R. P. Abbé de la Grande-Trappe. Un décret
de Léon XIII a décidé dernièrement que le général des Trap-
pistes ne serait plus de droit l'abbé de la Grande-Trappe, mais
un abbé nommé à l'élection.
La Grande Trappe possède la dépouille mortelle de M. de
Rancé.
ici repose
Armand Jean le Bouthillier de Rangé
NÉ A Paris le 19 février 1626
il mourut le 27 octobre 1700
après quarante ans de la plus austère pénitence
HUIT JOURS A LA GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI 685
Son tombeau est renfermé dans une petite chapelle au fron-
tispice de laquelle on a écrit ces deux vers ;
Rancé fit fleurir la règle dans ces lieux,
Son corps repose ici, son âme est dans les cieux.
On montre aussi au visiteur la grotte dite de Saint-Bernard
que les anciens religieux construisirent en mémoire du passage
de ce grand saint à la Trappe au xii* siècle.
La propriété a une contenance de trois cents hectares ; mais
la terre est maigre et demande de grands travaux pour être
fertile.
On raconte qu'un jour l'abbé de Rancé conduisant ses frères
au travail, le prieur voulut lui représenter que la pluie ne per-
mettait pas de sortir, mais l'abbé le regardant d'un œil sévère:
« — Toutes ces délicatesses ne conviennent pas à des péni-
tents, allons donc! » et la bêche à la main, il les mène dans une
terre en friche. Au premier coup qu'il donne^ il sent de la résis-
tance; il soulève la terre avec force, regarde et aperçoit des
pièces d'or, il creuse plus profondément, en découvre soixante
autres; c'étaient des écus d'Angleterre, d'un métail très pur,
reste sans doute des guerres du xiv* siècle. La valeur totale s'éle-
vait à cinq cents livres. On regarda cette trouvaille comme pro-
videntielle et miraculeuse.
Sous Napoléon III, les trappistes qui ne comptaient pas que
le miracle de l'abbé de Rancé se renouvellerait^ fondèrent une
colonie pénitentiaire. L'Etat les aida et pendant trente ans leur
colonie ne comptait pas moins do trois cents habitants. Le
1" avril 1880, il fallut la fermer. Il se passait entre les colons
et des surveillants les plus tristes choses, les enfants en outre
devenaient si turbulents que les habitants des pays voisins ne
se croyaient plus en sûreté chez eux. Ils sont encore là, dans ce
vaste enclos une vingtaine qui attendent qu'on les envoie dans
une autre colonie. Le R. P. Abbé m'explique longuement qu'il
songe à relever la colonie. J'ignore s'il a réalisé son plan.
J'ai réservé l'hôtellerie pour la fin. Les hommes seuls y sont
admis. En dehors du monastère, il y a une maison, sorte d'au-
berge oii les femmes peuvent loger. Jamais une femme ne doit
franchir le seuil du monastère. En 1190 une femme ayant pénétré
dans l'église d'un monastère de l'ordre de Cîteaux, le Chapitre
l'apprit et imposa un jour de jeune au pain et à l'eau à l'abbé et
à sa communauté! A Soligni, à droite de la porte d'entrée se
trouve un petit pavillon réservé à l'évêque du diocèse.
686 ANNALES CATHOLIQUES
J'avais lu plusieurs récits sur le cérémonial de l'arrivée ées
voyageurs.
« Le frère qui veille à la première porte de la clôture, a ra-
conté l'un d'eux, nous ayant demandé le motif de notre visite,
nous conduisit à la salle d'attente des hôtes et fit savoir au
supérieur que nous désirions passer quelques jours dans la
maison. Un moment après, deux religieux se présentèrent à
nous, leurs têtes rasées, la douceur et la régularité de leurs
traits respirant le calme et la joie, la longue robe blanche qui
les couvrait leur donnait une simplicité majestueuse. Tout à
coup ils tombèrent à nos pieds et se prosternèrent de tout le
corps devant leur hôte comme Abraham devant les trois jeunes
hommes, puis se relevant, ils nous invitèrent par un signe à les
suivre. C'est par l'église que les étrangers doivent entrer dans
le monastère.
« Revenus dans la salle d'attente, les deux pères nous tirent
lecture d'un chapitre de l'Imitation, après quoi ils s'agenouillè-
rent devant nous en prononçant pour adieu ces aimables paroles
de l'Ecriture : Suscepimus, Domine, miser icordiam in medio
iempli iui. Le père hôtellier vint ensuite nous offrir ses ser-
vices. Nous étions mouillés, il nous proposa du linge et fit
augmenter d'un plat le souper des hôtes. »
Ce voyageur écrivait en 1853. Dans l'espace de trente ans,
on aura sans doute modifié le cérémonial, car j'ai été reçu avec
une cordialité parfaite, mais avec une simplicité que j'apprécie
d'autant plus que je m'effrayais de ces préliminaires. Je trouve
que quand on descend de chemin de fer, noir de fumée, courba-
turé, l'âme n'est guère préparée à tous ces saints exercices, et le
corps encore moins.
Le frère portier me conduit au secrétaire du R, P. Abbé ab-
sent, qui me salua, comme entre gens du Inonde on se salue,
peut-être un peu plus profondément, s'informa de ma santé et
me ravit d'aise en m'assurant que, d'après le désir que j'en
avais exprimé, à cause de ma santé, je mangerais dans ma
chambre et qu'on m'y servirait des aliments gras et du vin. Les
hôtes sont servis en maigre dans un réfectoire, et le père hôtel-
lier fait la lecture pendant le repas. On comprend que les cu-
rieux soient rares à la Grande Trappe. Il n'y a jamais que trois
ou quatre personnes, généralement des ecclésiastiques ou des
laïques qui viennent faire une retraite. Il fut un temps où la
Grande Trappe servait de maison de correction pour [les prêtres
HUIT JOURS A LA GRANDE TRAPPE DE SOLIGNI 687
que leurs évêques y envoyaient faire une retraite avant de leur
rendre des pouvoirs. Des désordres graves s'êtant produits à
plusieurs reprises parmi ces prêtres, le P.Etienne fit savoir aux
évêques qu'il n'accueilleraitplus désormais leurs brebis galeuses
qui faisaient fuir les autres prêtres.
Un frère me conduisit à l'hôtellerie, oii le frère hôteliier me
mena dans ma chambre jusqu'à l'heure oia on m'apporta mon
souper.
Je n'oublierai jamais les attentions dont j'ai été l'objet de la
part du R. P. hôteliier, et surtout de son second, le bon frère
Jérôme, plus spécialement chargé de mon service. Quel bon et
aimable vieillard que ce frère Jérôme ! Je ne sais pas si je
l'aurai fait gronder; je l'ai peut-être trop retenu dans ma
chambre pour le faire causer ; mais il causait de si bon cœur !
Aura-t-il manqué à sa règle? Je ne le crois pas. De toutes les
vertus, la charité est la plus parfaite et celle du frère Jérôme a
été pour moi sans limite. S'il a péché, que saint Benoît, saint
Bernard et le R. P. Etienne lui pardonnent !
C'était le 14 août 1830. Charles X fuyait escorté d'un fort
détachement de troupes et de ses gardes du corps sous la pro-
tection de M. Odilou Barrot. Lorsque la garde nationale de
Cherbourg apprit que le roi arrivait pour s'embarquer, elle prit
les armes et voulut s'opposer à son départ.
M. Odilon Barrot envoya dire aux gardes nationaux de dé-
sarmer au plus vite sous peine d'être passés par les armes.
Charles X néanmoins crut prudent de s'arrêter à Valognes. Il
descendit chez M. du Ménildot.
Dans leur précipitation, les membres de la famille royale
avaient oublié des objets de première nécessité. La duchesse de
Berry fit demander le tailleur de la famille du Ménildot. Ce
tailleur s'appelait Hamel. li envoya son fils, un jeune gars de
seize ans.
« — Pourriez-vous, lui dit la duchesse de Berry faire tout de
suite un manteau pour Mademoiselle? Je crains qu'elle n'ait
froid pendant la traversée.
« — Parfaitement, Madame, répondit le jeune Hamel.
« — Vous n'avez jamais vu le roi, demanda la duchesse au
jeune tailleur pendant qu'il prenait les mesures.
« — Jamais, Madame, et ce serait pour moi un grand bonheur.
« — Connaissez-vous mon fils, le duc de Bordeaux? Voulez-
vous le voir? »
688 ANNALES CATHOLIQUES
Et pendant que le jeune Harael tout rougissant s'excusait de
tant de bontés, la duchesse ouvrit une porte et appela son fils
« — Voici un bon français, émbrasse-le.
« — Ah ! les bons français, répondit l'enfant royal, je les aime
tant! Alors vous êtes un bon français? » Et courant au jeune
Hamel, il se jeta dans ses bras et l'embrassa, puis tirant un
petit carnet de sa poche, il y inscrivit le nom du tailleur.
« — Plus tard, ajouta-t-il, je me souviendrai de vous. »
J'ignore si on a retrouvé ce \yeiit carnet dans les papiers du
comte de Chambord. Quant au jeune tailleur, il a quitté Valo-
gnes depuis trente-trois ans, il a même changé le nom de son
père pour celui de frère Jérôme, et il compte bien mourir à la
Grande-Trappe (1. G. Moreau.
L'APOSTOLAT PAR LES LIVRES
DE DISTRIBUTIONS DE PRIX
Depuis longtemps déjà, des esprits sérieux ont signalé com-
bien il serait opportun de profiter, pour viser à produire un bien
réel, de l'occasion qu'offrent les livres distribués comme prix
dans les écoles, et en même temps combien ce qui se fait à cet
égard est au-dessous de ce qui pourrait être fait. La très esti-
mable Revue intitulée Etudes ecclésiastiques, donna sur ce
point un mot en juin 1889; en juillet, elle y revint avec des
termes plus pressants. Dans son dernier numéro, juin 1890, elle
y revient encore. Le journal Z/e Prêtre da 5 juin contient égale-
ment une lettre sur ce sujet. Au Congrès de Lille, en novembre,
un Rapport spécial avait été présenté sur la même question, et le
Congrès avait adopté un vœu s'y rapportant.
Nos ennemis se servent du livre de prix dans leurs écoles
pour semer le mal ; n'est-ce pas pour nous un devoir de nous en
servir pour semer le bien? Et il ne s'agit pas d'une afl'aire minime.
Une lettre que nous recevons et qui émane d'une source sûre,
nous donne ces chiff'res qui parlent assez par eux-mêmes.
« Les écoles congréganistes et chrétiennes libres doivent dépen-
ser tous les ans un minimum dedeux millions de francs, repré-
sentant près de quatre millions de volumes. Vous voyez qu'il y a
là une grosje question à résoudre apostoliquement; » apostoli-
quement, c'est-à-dire pour un avantage réel des âmes.
(1) Ces pages ont été écrites en 1884.
l'apostolat par les livres de distribution de prix 689
« On commet une injustice et on déshonore la religion, dit de
son côté l'auteur du dernier a.vtïc\e des Etudes (juin, p. 102-103),
en employant tant d'argent à répandre tant de livres fades, qui
n'ont de bon qu'un cartonnage doré,.. Quel grand service ren-
drait celui qui publierait un catalogue de livres, non pas bons,
mais excellents, ^îowr distribution de ^wix !... Hélas! dans
beaucoup de livres de prix donnés par des écoles chrétiennes,
on trouve non seulement des lignes banales, mais des princi-
pes de mort pour les âmes. »
Oui, il faut d'abord un Catalogue, et il faudrait ensuite une
organisation destinée à procurer effectivement les livres à des
conditions très avantageuses.
Les grandes Congrégations, et notamment les Frères des
écoles chrétiennes, — nous ne pensons pas être indiscret en les
nommant, — ont établi une organisation dans ce double but.
Les Frères ont dressé un Catalogue et ils mettent à la disposi-
tion de toutes leurs écoles, pour un prix réduit, un choix de
livres siirs, ayant une véritable valeur scientifique et religieuse.
Mais restent les petites Congrégations et les prêtres isolés des
paroisses, qui ont une école libre : que peuvent-ils faire pour
atteindre le double but?
Quant à un Catalogue spécial, la Société, générale d'éduca-
tion (rue de Grenelle, 35, à Paris), conformément au vœu du
Congrès tenu à Lille, en novembre et à une demande de
Mgr l'archevêque de Cambrai, vient d'en publier un, qui sera
du reste complété plus tard. Ce catalogue se trouve dans le
numéro de juin de son Bulletin, qui nous arrive à l'instant
même. Nous ignorons si l'on a fait de ce catalogue, qui occupe
dans la livraison huit pages in-S», un tirage spécial; maison
peut l'avoir en demandant la livraison entière.
Pour ce qui est de procurer les livres, la Société d' éducation
déclare que, comme il y a là une affaire commerciale, elle ne
s'en charge pas directement.
La Société bibliographique (2 et 5, rue Saint-Simon, Paris),
a, de son côté, un catalogue très considérable qu'on peut lui
demander aussi; il renferme plus de 4.000 ouvrages, et elle
affirme que chacun d'eux a été lu entièrement par des membres
de l'Œuvre. De plus, ce qui est précieux, elle fournit avec une
remise de 30 0/0, soit environ un tiers, tous les ouvrages qui
sont indiqués là; les frais de port sont en plus. Mais ce catalo-
gue n'est point spécial pour distribution de prix ; il est même
47
690 ANNALKS CATHOLIQUES
certnin qu'une partie des ouvrages ne peuvent convenir pour
cette destination ; car quelques-uns portent la mention ; Réservé
aux personnes éclairées.
Outre les deux Sociétés que nous venons de mentionnerai va
Y Œuvre de Saint-François de Sales, et son concours pourra
être tout spécialement précieux.
Nous affirmons que, dans certains diocèses au moins, le
directeur diocésain de l'Œuvre se charge ou bien de fournir
avec une très forte réduction, les livres indiqués par les maîtres
de l'école sur une liste rédigée par eux, à leur gré, et ils peu-
vent se servir pour cela de l'un des Catalogues signalés plus
haut, — on bien de faire lui-même le choix des livres et de
composer la collection, si l'on veut s'en rapporter à lui, en lui
désignant la pomme dont on dispose et lui indiquant le nombre
de volumes dont on a besoin, ainsi que leurs diverses catégories
(1", 2% 3* ordre, pour garçons ou pour filles ; variant encore
selon l'âge moyen des élèves de chaque classe).
Lorsqu'en fait, on n'est pas bien fixé sur la valeur morale des
livres qu'on désire, ce dernier mode est peut-être préférable
parce qu'il oîire la garantie du double contrôle de l'Œuvre de
Saint-François de Sales en général et du directeur diocésain,
prêtre ayant toujours une certaine autorité. Cette garantie est
quelque chose ; et toutefois, nous ne voudrions pas affirmer
qu'elle est suffisante à tous égards ; car, il faut l'avouer, le choix
des livres est une chose extrêmement délicate, qui demande
qu'ils aient été lus en entier, par de bons juges et que les gra-
vures, s'ils en contiennent, aient été aussi examinées avec soin.
L'idéal serait même qu'ils soient encore choisis spécialement
selon le caractère et les tendances particulières de celui à qui
ils seront donnés. Et cela, évidemment le maître, et un maître
éclairé ou un prêtre qui connaît las enfants, peuvent seuls le
faire.
Il est vrai que nous ne savons au siàr, — nous ne remarquons
rien à cet égard dans les Bulletins de l'Œuvre parus jusqu'à
présent, — si tous les directeurs diocésains de Saint-François de
Sales acceptent de prêter pour les distributions de prix, le con-
cours que nous venons de dire ; mais on peut toujours tenter la
démarche et alléguer ce fait dont nous garantissons l'exactitude,
que dans certains diocèses les choses se passent ainsi.
Il est vrai encore que les livres fournis par cette Œuvre ne
sont, ett principe que des livres brochés. A chacun d'examiner
LES NOUVEAUX ÉVÊQUES 691
s'il ne peut pas, du moins pour une partie des volumes, pour ceux
qui ont une certaine valeur intrinsèque et une belle apparence,
subir cette condition, puis de s'entendre avec le directeur dio-
césain, — car c'est à lui et non au centre général de l'Œuvre
qu'on doit s'adresser, — pour voir si l'on ne pourrait avoir, par
son entremise, même des livres reliés. Les livres fournis par
la Société Bihliog^'aphique sont également brochés ; mais cette
Société se chargerait de les faire relier, si on le demandait.
Ceux que porte le catalogue de la Société d'éducation sont pres-
que tous mentionnés comme brochés ou reliés au choix, suivant
les conditions qu'indiquent les catalogues des éditeurs eux-
mêmes, éditeurs dont les principaux sont Marne, de Tours, Le-
fort et Desclée, de Lille.
En tout cas, quels que soient les moyens auxquels ils recour-
ront, un directeur, une directrice, un pasteur, qui sont à la
tête d'une école chrétienne ne peuvent apporter trop de soin à
écarter tout ce qui pourrait offrir un danger, et à se procurer
ce qui peut devenir l'instrument d'un bien réel pour les enfants
ainsi que pour leurs familles.
LES NOUVEAUX EVEQUES
Mgr Liecot, archevêque nommé de Bordeaux.
La Revue catholique, de Bordeaux, a publié sur Mgr Lecot une
notice qu'elle a reçue, dit-elle, d'un prêtre très distijigué du dioeè&e
de Dijon; nous reproduisons cette notice:
Mgr Lecot, né à Montescourt (Aisne) le 8 janvier 1831, a fait
ses humanités au petit séminaire de Noyon et ses études ecclé-
siastiques aux grands séminaires de Beauvais et de Saint-
Sulpice.
A peine sorti de cette excellente maison dont il avait été
un des élèves les plus distingués, il fut appelé à y passer trois
ans en qualité de professeur de sciences. Il y revint après
son ordination sacerdotale, mais cette fois pour y occuper la
chaire de belles-lettres. Là, pendant cinq ans s'épanouirent,
avec les premières ûeurs de son éloquence, la souplesse de
son talent et la merveilleuse variété de ses aptitudes. Nommé
ensuite vicaire à la cathédrale deNoyon, le jeune prêtre trouva
dans ses nouvelles fonctions un plus vaste champ d'activité et
de zèle. Il contribua puissamment à fonder une chapelle dans
un faubourg populeux et la desservit avec une prédilection
692 ANNALBS CA.THOLIQUB8
toute spéciale. Il donna de fréquentes missions dans les cam-
pagnes, des conférences dans plusieurs paroisses de Paris,
notamment à Notre-Darae-des-Victoires et à Saint-Laurent.
Malgré tant d'occupations, il fonda, en 1865, la Foi picarde,
semaine religieuse des diocèses de Beauvais, Amiens et Sois-
sons, et y publia d'intéressants travaux de science ecclésias-
tique.
Pendant la guerre, il accompagna, en qualité d'aumônier
volontaire, le bataillon des mobiles de l'Oise et partagea, avec
un entrain coramunicatif, ses fatigues, ses privations et ses
dangers.
Il fut appelé, en 1872, à la cure de Saint-Antoine de Com-
piègne. Il s'j appliqua avec le zèle le plus intelligent à accroître
la splendeur du culie et l'éclat de la chaire où se ûrent entendre
les plus illustres prédicateurs de notre temps.
A Dijon, Mgr Lecot s'est révélé avec des qualités de premier
ordre. Intelligence supérieure, délicatesse exquise, jugement
d'une rectitude rare, il a toutes les qualités qui font les grands
évêques. Toujours prêt à monter aur la brèche, il parle avec
aisance, distinction, abondance. Je l'ai vu enthousiasmer les
foules et mériter les applaudissements d'une immense assem-
blée. Je l'ai entendu également parler à ses prêtres avec une
piété et une onction qui les ont subjugués. 11 préside en maître
les retraites ecclésiastiques et les assemblées synodales. Ses
tournées pastorales ont été de véritables triomphes.
Il est allé souvent porter la parole hors du diocèse et on l'a
partout grandement apprécié. A Rome, le Saint-Père l'a
accueilli, à chacune de ses visites, avec une particulière bienveil-
lance. Il lui a fait don de ses œuvres pontificales dans des cir-
constances très spéciales et qui témoignent de sa grande
affection. Il lui a offert des faveurs que d'autres réclament et
qu'un cœur aussi désintéressé que Mgr Lecot a fait tourner à
l'avantage de son Eglise, sans rien retenir pour lui-même.
Travailleur infatigable, l'évêque de Dijon a doté son diocèse
d'un nouveau catéchisme; il achève en ce moment la rédaction
de nouveaux Statuts qu'il a fait adopter dans un récent synode.
Il préparait un nouveau Propre diocésain et s'appliquait à
d'autres œuvres encore, comme le huitième centenaire de la
naissaace de saint lîernard, lorsque la nouvelle de son élévation
prochaine au siège de Bordeaux est venue le surprendre.
Mgr Lecot est d'une haute stature, d'un extérieur imposant. Sa
LES NOUVEAUX ÉVÊQUES 693
physionomie est expressive, sa voix vibrante et sympathique. Il
a l'esprit fort large, en même temps qu'une inébranlable fermeté
de principes.
Vous comprenez nos regrets. Vous voyez combien nous étions
heureux et combien nous pouvions nous estimer fiers d'avoir un
tel chef et un tel père. Bordeaux peut se réjouir. Ses anges lui
assurent une féconde et glorieuse administration.
Mgr Oury, évêque nommé de Dijon.
On lit dans la Semaine religieuse de Dijon :
Nos lecteurs attendent sans doute que nous leur fassions
connaître le nouveau prélat que la divine Providence nous
destine. Nous ne pouvons mieux faire pour atteindre ce but que
de mettre sous leurs yeux un article publié par le journal la
Défense dans son numéro du 19 mars 1886.
« Mgr Frédéric-Henri Oury est né à Vendôme, le 3 mai 1842.
Il commença ses études à Blois et les termina au collège de
Précigné (Sarthe), d'oii il sortit, sa rhétorique terminée, avec
le numéro 2.
« De Précigné il passa au grand séminaire du Mans, oii il
étudia la philosophie et la théologie, de 1860 à 1865, en sortant
du grand séminaire, il demanda à entrer dans la marine ; mais
l'aumônier en chef l'ajourna jusqu'à ce que l'expérience et un
peu plus d'âge le missent en état de mieux réussir dans le
milieu si difficile et si particulier où il désirait vivre.
« Le jeune ecclésiastique fut envoyé en qualité de vicaire à la
Ferté-Bernard (Sarthe), où il passa près de quatre ans. Enfin,
en octobre 1869, le ministre-amiral Rigault de Genouilly le
nommait aumônier de la marine.
« Envoyé d'abord à l'hôpital maritime de Cherbourg, puis à
celui de Lorient, l'abbé Oury demanda un embarquement, qui
lui fut accordé. Depuis lors, il resta presque constamment en
mer jusqu'en 1885.
« Ainsi, au commencement de 1870, il est embarqué sur la
corvette cuirassée la Jeanne cVArc, faisant partie de l'escadre
du Nord, sous le commandement en chef de l'amiral Dieudonné.
La Jeanne d'Aro était commandée par le capitaine de vaisseau
Ribourt, si connu par son énergie et son intrépidité.
« La déclaration de guerre surprend la Jeanne dC Arc à l'em-
bouchure de la Grironde. Immédiatement la corvette a ordre de
rallier Brest. Le 25 juillet, l'escadre reçoit la visite de l'impé-
ratrice et le soir du même jour part pour la Baltique.
694 ANNALES CATHOLIQUES
«Durant cette longue et douloureuse croisière, l'abbé Oury et
le commandant Ribourt s'apprécièrent, et entre eux se forma
une tendre amitié, à tel point qu'on ne sait lequel des deux aime
et admire le plus l'autre, intimité que le temps n'a fait qu'aug-
menter.
« Les glaces et les coups de vent forcent la Jeanne d'Arc à
quitter la Baltique; ce bâtiment rentre donc à Cherbourg à la
fin de 1870.
« L'abbé Ourj passe alors sur le garde-côte le Rochamheau,
puis sur la corvette cuirassée VAtalanie^ à bord de laquelle il
croise entre les cotes de France et d'Angleterre, durant le temps
que dure le rapatriement par mer de nos soldats prisonniers.
h' Aialante va désarmer à Lorient et l'abbé Oury est nommé
aumônier de l'hôpital maritime de Cherbourg, bondé de vario-
leux. Epuisé de fatigue, il y tombe malade, y est soigné durant
un mois, et, à peine guéri, embarqué sur la frégate cuirassée la
Revanche. De la Revanche il passe sur la frégate cuirassée la
Surveillante^ alors commandée par le capitaine de vaisseau
baron Crrivel, et essuie dans la mer du Nord un coup de vent
qui met le bâtiment à deux doigts de sa perte et l'oblige à ren-
trer à Cherbourg.
« A la fin de 1871, l'abbé Our^y est embarqué sur le transport-
hôpital la Sarthe, en destination de Cochinchine, où il reste
avec les troupes de terre durant prés de deux ans. De janvier 1874
à mars 1877, il fait campagne sur la frégate la Vénus ^ oii l'avait
appelé son ami le contre-amiral Ribourt, qui avait son pavillon
à son bâtiment dans l'Atlantique sud, relâchant successivement
à Lisbonne, au Sénégal, au cap de Bonne-Espérance, à Saint-
Paul de Loanda, aux Canaries, au cap Saint-Vincent, à Bahia,
à Rio-de-Janeiro, ^Montevideo et Buenos-Ayres. Rentré à Toulon
en mars 1877, l'abbé Oury repart aussitôt sur la Corrèze pour
la Cochinchine, En revenant, il jette à l'eau soixante-douze
hommes, entre Saïgon et Suez, morts du choléra, et pour sa
belle conduite pendant cette terrible épidémie il reçoit la croix
de la Légion d'honneur.
« A peine arrivé à Toulon avec la Corrèze, il reçoit l'ordre
de rallier Brest et d'embarquer sur la corvette cuirassée VAr-
mide, à bord de laquelle l'amiral Dubuquois avait son pavillon.
h'Armide quitte Brest en janvier 1878, visite tous les ports de
la Chine, du Japon, des Philippines, de l'extrême nord de la
Russie, et arrive à Toulon en avril 1880. Son aumônier, à peine
LES NOUVEAUX ÉVÊQCES 695
débarqué, est envoyé au port de Cherbourg, sur la demande de
son ancien chef, le vice-amiral Ribourt, préfet maritime du
port. Il n'y reste que quelques mois, puis va embarquer à Tou-
lon sur V Annamite, transport-liôpital en fer, à destination de
Çochinchine, ensuite sur le Shamroek, et fait ainsi sept fois de
suite le voyage de Toulon à Saïgon, capitale de la Çochinchine.
« Rentré en septembre 1882, l'abbé Oury remplit les fonc-
tions d'aumônier à l'hôpital maritime de Saint-Manflrier, prés
Toulon ; puis en janvier 1883, sur la demande du contre-amiral
Devarenne, il est nommé aumônier de l'école navale, sur le vais-
seau le Borda, en rade de Brest. C'est là que vint le prendre,,
le 3 janvier 1885, le décret présidentiel le nommant évêque de
la Guadeloupe.
« Le vote des Chambres supprimant cet évêché ne permit pas
à Mgr Oury de s'y rendre. Il attendit patiemment que l'accord
fût établi à son sujet entre Rome et Paris pour le transférer à
Fréjus. Il n'a pas oïfert, ni n'a donné sa démission d'évéque de
la Guadeloupe, démission qui, du reste, ne lui a été demandée
par personne, et la translation a été décidée, en dehors de toute
participation de sa part, entre le gouvernement et le Saint-Siège.
« Sur la demande de ses chefs, l'abbé Oury fut créé chevalier
des ordres du Saint-Sépulcre et du Cambodge.
« La nomination de l'abbé Oury à l'épi.scopat est l'œuvre de
la marine. Les officiers généraux avec lesquels il avait navigué
avaient gardé de lui le meilleur souvenir. C'est par allusion à
ces relations que le nouveau prélat a placé dans ses armoiries la
croix et l'ancre, avec cette devise : Utrique f,deliSy fidèle aux
deux familles, l'Eglise et la grande famille maritime. »
Nous pouvons ajouter, d'après des témoignages autorisés, que
Mgr Oury a conquis sans peine les sympathies et l'affection de
ses diocésains par sa bonté et l'aménité de son caractère.
Il a créé des œuvres importantes qu'il laissera en pleine
prospérité.
Tout nous fait donc espérer qu'au milieu des regrets d'une
pénible séparation, Dieu a voulu nous ménager quelques conso-
lations. Qu'il en soit remercié et béni !
Mgr Mignot^ évêque nommé de Frèjus.
La notice suivante est publiée par la Semaine religieuse de Soissons :
Mgr Mignot est né à Brancourt, le 20 septembre 1842 ; il est
donc dans sa quarante-huitième année et dans la pleine maturité
696 ANNALES CATHOLIQOEg
de l'âge. Il eut pour premier maître d'abord, M. le chanoine
Angot, aujourd'hui curé-doyen de Villers-Cotterets, puis le
vénéré M. Crabelle, ancien directeur au grand séminaire de
Soissons.
En 1856, quittant le presbytère de Brancourt, où, comme
tant de nos confrères, il avait trouvé dans le pasteur son premier
professeur de latin, il entrait au petit séminaire Saint-Lécrer de
Soissons, que dirigeait alors M. l'abbé Bourse, aujourd'hui cha-
noine titulaire, vicaire général et supérieur du grand séminaire.
Il y passe quatre années, donnant à tous l'exemple de la régu-
larité la plus soutenue et du travail le plus intelligent. Ses con-
disciples se souviennent bien de ce qu'il y avait alors et déjà de
sérieux et de grave dans son esprit et de profondément judicieux
dans tout ce qui sortait de sa plume.
Il entrait, en 1860, au séminaire d'Issy pour y commencer ses
études de philosophie, sous la direction du vénérable M. Maré-
chal, notre compatriote, qui eut bien vite apprécié la valeur du
séminariste qu'il recevait de son diocèse d'origine. Dans ce
vaste champ de la philosophie et des sciences naturelles que
l'on cultivait en même temps au séminaire d'Issy, son esprit,
porté aux spéculations les plus sérieuses, devait prendre et
prit en effet le plus brillant essor... Il en fut de même les trois
années qui suivirent et qu'il passa au séminaire de Saint-Sulpice,
où il eut pour condisciples Mgr d'Hulst, qui resta toujours son
ami; Mgr Labouré, aujourd'hui évêque du Mans; Mgr Jourdan
delà Passardière, évê(iue de Roséa, et bien d'autres qui occu-
pent, soit dans le clergé de Paris, soit dans leurs propres dio-
cèses, les charges les plus importantes.
Ordonné prêtre à vingt-trois ans, le 23 septembre 1865, à
Arras, par Mgr Parisis, — Mgr Dours, alors notre évêque, étant
en vacances en son pays de Bigorre, — il fut nommé
d'abord professeur de cinquième au petit séminaire de Notre-
Dame de Liesse, oh il demeura trois ans. Ses anciens élèves
pourraient nous dire avec quelle distinction il s'acquittait de sa
charge, et aussi avec quelle affectueuse autorité il savait diriger
les enfants confiés à sa sollicitude. En septembre 1868, M. l'abbé
Gobaille, curé-archiprêtre de Saint-Quentin — ■ qui l'avait vu à
l'œuvre — le demanda comme vicaire. M. Mignot demeura à
Saint-Quentin un peu moins de quatre ans. Il y conquit l'estime
universelle et l'afTection de ceux qui purent pénétrer en son
intimité. Aujourd'hui après dix-huit ans, on se souvient tou-
LES NOUVEAUX ÉVÊQUES 697
jours du vicaire dévoué, du prêtre éloquent et du directeur
d'âmes judicieux qui a laissé en la belle paroisse de la basilique
un ineifaçable sillon.
En 1872, il quittait le vicariat pour devenir curé de la belle
et intéressante paroisse de Beaurevoir, au doyenné du Càtelet,
oii il passa trois ans. La paroisse de Beaurevoir était fiera de
son curé, mais elle savait bien qu'elle ne le garderait pas long-
temps, et nous avons été témoins des tristesses que causa dans
toutes les âmes la nouvelle de sa nomination comme aumônier
de l'Hôtel-Dieu de Laon, en 1875.
C'est pendant qu'il était curé de Beaurevoir qu'il eut l'idée de
faire un voyage en Italie, en Grèce et en Palestine. La Pales-
tine surtout l'attirait. Pendant les rares loisirs du vicariat de
Saint-Quentin, surtout pendant les heures plus solitaires du
presbytère de Beaurevoir, le goût des études exégétiques, qui
l'avaient séduit déjà au séminaire, s «tait encore accru. Il n'avait
pas écouté impunément les leçons de M. Le Hir. Il voulut voir
la terre que le Sauveur a foulée de ses pieds.
Comprend-on bien la Bible, le livre par excellence, quand on
n'a pas vu les peuples, les sites, les reliques qui sont encore les
vieux témoins de la manifestation personnelle de Dieu dans le
monde? Oui, sans doute, mais qu'on le comprend mieux encore ce
Livre, quand on a vu la terre sur laquelle se sont déroulées les
scènes qu'il rapporte!
Ce que furent pour nous ces jours, ces heures délicieuses qu'il
nous fut donné de passer sous les cèdres du Liban, à l'ombre de
Balbeck, au Carmel, à Nazareth, à Bethléem, sur la montagne
des Oliviers, en regardant Jérusalem et Béthanie, etplustardau
pied des pyramides, nous ne le dirons pas, ce n'est point le
moment. Mais qui ne saisit tout ce que donne d'ampleur à la
pensée et de largeur comme de mesure à l'esprit le commerce
avec les hommes de tous les temps et de toutes les nations?
M. Mignot faillit payer de sa vie les jouissances de cet inou-
bliable voyage, mais Dieu qui le réservait pour être l'un des
guides de son peuple, lui rendit la santé, et, quelques années
plus tard, nous le retrouvons à Coucy-le-Château d'abord, puis
à la Fére, oit son souvenir restera inefaçable.
A la mort de M, Guyard, en 1887, quoiqu'il fût le plus jeune
de MM. les doyens, personne ne s'étonna que Mgr Thibaudier
le prit prés de lui en qualité de vicaire général et d'archidiacre
de Laon. Le digne évêque ne pensait guère alors qu'il nous
698 ANNALES CATHOLIQUES
quitterait bientôt lui-même, pour alier porter au vaste et beau
diocèse de Cambrai les trésors de sa grande expérience, et qu'il
laisserait près d'une année vacant le siège de Soissons.
Cette direction intérimaire du diocèse de Soissons — relevant
toujours sans doute de Mgr Thibaudier, mais de fait confiée aux
mains habiles, prudentes et judicieuses de ses deux vicaires gé-
néraux, MM. Mignot et Cardon — devait être, nous le savons,
pour notre cher vicaire général, aujourd'hui évèque nommé de
Fréjus, la pierre de touche, l'expérience décisive à laquelle
serait soumise son aptitude à gouverner un diocèse. Comme
elle a roussi, nous n'avons pas à le dire, — tous nos confrères
peuvent en rendre témoignage. Mais, hélas! elle nous prive des
lumières et de l'expérience de celui que Mgr Duval — habile
appréciateur, lui aussi, comme Mgr Thibaudier, des mérites d&
son premier vicaire général, — n'aura connu que pour le re-
gretter ; elle nous prive, disons-nous, et elle prive le diocèse des
lumières et de l'expérience que trois laborieuses années avaient
encore ajoutées à toutes les qualités de M. Mignot. C'est main-
tenant le diocèse de Fréjus qui va les recueillir.
C'est du Nord, aujourd'hui, que nous vient la lumière,
peut-il dire en toute sécurité, et, avec les plus belles facultés
de l'intelligence, M. Mignot lui apporte aussi les plus délicates
et les plus nobles qualités du cœur.
Mgr Hautin, évèque nommé d'Évreux.
Nous empruntons la notice sur Mgr li3i\xtixx.a.u.x Annales religieuses
d'Orléans :
Mgr Hautin est né à Paris, le 2 mai 1831, mais sa famille est
originaire de Tivernon, dans notre Beauce. C'est de cet humble
nid caché dans les sillons qu'elle a pris son vol vers la grande
ville.
Il avait onze ans. I>éjà il sentais au fond de son coeur le germe
de la vocation à laquelle Dieu l'appelait. Mais quand Dieu ap-
pelle, il ouvre la voie toute grande et y conduit lui-même l'âme
qu'il s'est élue. C'est ce qui arriva. L'enfant quitta le plus chré-
tien des fovers et entra, comme élève, à la maîtrise de l'Abbaye-
aux-Bois. 11 y commença ses études, tout en consacrant un©
partie de ses journées au pieux service des autels. Début char-
mant, qui nous montre le futur évoque vivant dans le temple à
l'âge de Samuel, portant l'encens et les flambeaux, grave déjà
comme un prêtre, dans sa poétique soutane rouge d'enfant de
ch"oeur !
LES NOUVEAUX ÉVÊQUES 699
Le jeune lévite ne tarda pas à se faire remarquer parmi ses
camarades par son application et ses succès. M. l'abbé Hamelin,
curé de l'Abbaye-aux-Bois et directeur de la maîtrise, devina
l'homme dans l'enfant et lui porta dès lors le plus vif et le plus
paternel intérêt. Il le recommanda chaleureusement 'au supé-
rieur de Saint-Nicolas, qui était alors l'abbé Dupanloup, et le
fit admettre au petit séminaire. Le jeune François entra dans
le grand mouvement de vie qui sortait de cet homme incompa-
rable, le premier éducateur de ce siècle, prodigieux éveilleur
d'intelligences et d'âmes. C'est dans cette maison alors célèbre
et sous la direction de ce prêtre devenu illustre que Mgr Hautin
passa les belles années de sa jeunesse, travaillant avec le calme,
mais aussi avec la puissante constance de sa nature ; c'est là
aussi qu'il prit cet amour et cette connaissance des belles-lettres
que le grade de licencié devait couronner plus tard. Un de ses
maîtres était l'abbé Foulon, aujourd'hui cardinal archevêque
de Lyon, et l'un de ses émules, M. Gr. des Glageux, aujourd'hui
conseiller à la cour de Paris.
Cependant le germe de sa vocation s'était développé, dans la
pure et chaude atmosphère de Saint-Nicolas. L'heure vint oii
il fallut répondre à l'impérieuse voix qui nous appelle dans la
solitude du cœur, M. Hautin n'hésita pas : il entra au grand
séminaire de Saint-Sulpice. Là il trouva des amis nombreux et
dignes de lui, jeunes clercs appelés comme lui du reste à une
haute destinée. C'étaient l'abbé Lamazou, mort évêque de
Limoges; l'abbé Renouard, qui a remplacé son condisciple sur
le même siège; l'abbé de Cabrières, l'évêque éloquent de l\font-
pellier; surtout et avant tous, l'abbé Coullié, ce fils chéri de
Mgr Dupanloup, qui est devenu son successeur et notre évêque.
Ainsi entouré, il gravit un à un tous les degrés qui séparent le
lévite du haut sommet du sacerdoce, et fut ordonné prêtre le
23 décembre 1854.
Quelques jours après, il était nommé directeur de cette
maîtrise de l'Abbaye-aux-Bois où nous l'avons vu commencer
ses études. Un peu plus tard, nous le trouvons directeur de la
maîtrise de Sainte-Clotilde, puis vicaire de Bonneuil, village
tout voisin de Paris, puis vicaire de Sainte-Marie des Bati-
gnolles, puis et enfin directeur et supérieur de Saint-Nicolas.. .
comme s'il eût été écrit qu^il dût revenir supérieur partout où
il avait été élève.
Quatorze ans s'étaient écoulés depuis son sacerdoce, mais
700
ANNALES CATHOLIQUES
quatorze ans de labeur acharné dans des fonctions parfois diffi-
ciles ; le jeune prêtre, d'une santé délicate, se trouva à bout de
forces et dut se résigner à prendre quelques mois de repos. Il
était à peine remis quand Monseigneur notre évêque l'appela
prés de lui et le fit entrer dans son conseil épiscopal, avec la
charge de s'occuper spécialement des petits séminaires et des
écoles secondaires ecclésiastiques. C'était au mois de juillet 1880.
A la mort de M. l'abbé Tranchau, qui avait succédé à Mgr Ra-
botin, M. l'abbé Hautin fut nommé (1" décembre 1887) vicaire
général officiel du diocèse et archidiacre des arrondissements
d'Orléans et Pithiviers. C'est à ce poste qu'est venue le cher-
cher, il y a quelques jours, la nomination qui l'élève au siège
qu'il va occuper.
Tel est le passé de M. Hautin ; .«;ans être prophète, nous pou-
vons augurer l'avenir de l'évêque d'Evreux. Homme d'une
haute intelligence et prêtre d'une éminente vertu, il exercera
dans son diocèse, en y portant les sages traditions de l'évêché
d'Orléans, la plus heureuse action épiscopale. Il est calme, il
sera équitable; il est doux et bon, il sera aimé; il sait penser et
il sait écrire, il fera fleurir les saintes lettres et rendra ses dio-
césains fiers de lui. Esprit fin et délié, il les charmera par sa
bonne grâce. Avisé et conciliant, il saura éviter sûrement les
conîlits et les chocs, si redoutables en nos temps difficiles, et
rallier toutes les bonnes volontés qui l'attendent. Bref il sera
notre évêque... là-bas.
Daigne la Providence lui accorder un heureux règne, un règne
aussi fécond que son ministère parmi nous et aussi durable que
nos regrets !
CONSISTOIRE DU 23 JUIN 1890
N. T. S. P. le Pape Léon XIII s'est rendu le matin, lundi, de
ses appartements du palais apostolique du Vatican dans la salle
consistoriale, oia l'attendaient les EEraes et RRmes cardinaux
et où étaient réunis les élèves des divers collèges orientaux,
avec d'autres personnages de l'Orient actuellement à Rome
admis à assister à la préconisalion du nouveau patriarche
d'Antioche. Sa Sainteté a prononcé une allocution sur l'élection
et postulation du nouveau patriarche d'Antioche, de rite ma-
ronite, accomplie le 28 avril de cette année, de vive voix, à
l'unanimité, par les évêques de cette nation réunis en synode
CONSISTOIRE DU 23 JUIN 1890 701
dans le monastère de la T. S. Vierge à Bekerki, sur le mont
Liban; après quoi, l'instance du sacré-pallium ayant été faite
au Souyerain Pontife, Sa Sainteté a daigné proposer : *
L'Eglise patriarcale d'Aniioche^ de rite maronite, pour
Mgr Jean Hagg, promu du siège d'Héliopolis ou Balbek, du
même rite, lequel nouveau patriarche a pris, selon l'usage, le
nom de Jean-Pierre.
Ensuite, tous ceux qui ne peuvent prendre part au consistoire
secret étant sortis, le Souverain Pontife a daigné créer et pu-
blier cardinaux de la sainte Eglise romaine et de l'ordre des
prêtres :
Mgr Vincent Vannutelli, archevêque titulaire de Sardes et
nonce apostolique en Portugal, né à Genazzano, dans le diocèse
de Palestrina, le 5 décembre 1836;
Mgr Sebastien Galeati, archevêque de Ravenne, né à Imola,
le 8 février 1822 ;
Mgr (rasparf^ Mermillod, évêque de Lausanne et Genève, né
à Carouge, dans le diocèse de Genève, le 22 septembre 1824;
Mgr Albin Dunajewski, évêque de Cracovie, né à Stani-
slawow, dans l'archidiocèse de Lemberg, le 1" mars 1817.
Après cela, le Saint-Père a daigné proposer et pourvoir les
Eglises suivantes :
L'Eglise métropolitaine de Vienne, pour Mgr Antoine
Gruscha, vicaire de l'aumônerie de l'armée autrichienne, promu
de l'Eglise titulaire épiscopale de Carre ;
Les Eglises m.étropohtaines unies d'Acerenza. et Matera,
pour Mgr François-Marie Imparati, des Mineurs de l'Obser-
vance, promu du siège cathèdral de Venosa, qu'il retient en
administration provisoire;
L'Eglise métropolitaine d'Otrante, pour le R. D. Gaétan
Caporali, de l'archidiocèse de Lanciano, directeur spirituel à
Rome de divers monastères, membre des académies de l'Imma-
culée-Conception et des Arcades, Supérieur général des mis-
sionnaires du Précieux Sang ;
L'Eglise cathédrale de Noie, pour Mgr Agnello Renzullo,
transféré des églises cathédrales unies d'Isernia et Yenafro,
qu'il retient en administration provisoire;
L'Eglise titulaire é2nscopale de Tibérïade, pour Mgr Joseph
Ceppetelli, chanoine de la basilique patriarcale Libérienne,
transféré du siège cathèdral de Ripatransone, qu'il retient en
administration provisoire;
702 ANNALES CATHOLIQUES
L'Eglise caihédrale de Eipatranson€,^oxiT \q^.D, Hyacinthe
NicoLAi, de ce même diocèse, examinateur synodal, abbé-curé
de Saint-Benoît martyr, à San Benedetto del Tronto, et cha-
noine honoraire de la cathédrale de Narni;
L'Eglise catMdrale de Monte feltro, pour le R, D. Charles
BoNAjuTi, de l'archidiocèse de Bologne, où il est archiprêtre-
curé de Castel San Pietro en Emilie ;
LEglise cathe'drale de Norcia, pour le R. P. Marien de
CiviTANovA, dans le siècle Jean Gavasci, des Mineurs-Capucins,
de l'archidiocèse de Ferme, professeur de théologie à Ferme,
gardien et provincial général de son Ordre ;
Les Eglises cathédrales unies d'Alri et Penne, pour le R. D.
Joseph MoRTiCELLi, de Salmona, oîi il est directeur des Filles
de Marie, professeur de philosophie théorique et pratique, di-
recteur spirituel du séminaire, examinateur synodal et chanoine
pénitencier de la cathédrale ;
LEglise cathédrale de Lipari, pour le R. D. Giampietro
Natoli, de Lipari, oii il est examinateur pro-synodal et cha-
noine doyen de la cathédrale, administrateur apostolique de ce
même diocèse;
LEglise cathédrale de Guastalla pour le R. D. Andr^ F^^-
RARi, du diocèse de Parme, docteur en théologie, recteur et
professeur de théologie morale et do Lieux théologiqnes au
séminaire et chanoine delà basilique cathédrale de Parme ;
LEglise cathédrale de Tortone, pour le R. D. Higin Bandi,
du diocèse de Vigevano, où il est examinateur-synodal, archi-
prêtre-curé de la cathédrale et vicaire général;
LEglise titulaire ^piscopale d'Alahanda, ^owrMc^v Nicolas
LoRUSSo, de Bari, camérier d'honneur de Sa Sainteté, chance-
lier archiépiscopal à Bari et chanoine de l'église métropolitaine,
député coadjuteur ayec future succession de Mgr Joseph Panelli,
évêqne de Saint-Ange-des-Lombards et Bisania:
LEglise titulaire épiscopale de Nilopolis, poui* le R, P. Jo-
seph Consenti, de l'archidiocèse d'Otrante, de la congrégation
du T. S. Rédempteur, délégué comme coadjuteur avec future
succession de Mgr Jean Acquaviva, évêque d'e Nusco;
LEglise titulaire ép)iscopale de Filomelio, pour Mgr Antoine
Andrzejewicz, camérier secret surnuméraire de Sa Sainteté,
de l'archidiocèse de Gnesen, où il est examinateur pro-synodal^
juge synodal, censeur des livres, prédicateur et chanoine de
l'église métropolitaine, député suffragant du même diocèse;
LES CHAMBRES 703
VEglise titulaire episcopale de Lerbe, pour Mgr Pierre
PoDALiRi, de Rêcanati, camérier secret surnuméraire de Sa
Sainteté, docteur dans l'un et l'autre droit, jnge et examinateur
synodal à Recanati, député du séminaire et prévôt de la cathé-
drale, délégué comme auxiliaire de Mgr Tliomas Galiucci,
évêque de Recanati et Lorette;
L'Eglise titulaire episcopale de Dioclée, pour le 'R..J). Janvier
Co.SENZA, de Naples, docteur en tiiéologie, maître du collège des
théologiens de Naples, professeur de théologie au séminaire
archiépiscopal et dans le séminaire dit de Marie pour les prê-
tres des diocèses napolitains, délégué et examinateur synodal et
du clergé, député pour la revision des livres et co-visiteur de
l'archidiocése, délégué comme auxiliaire de Mgr Louis Sodo,
évéque de Télêse ou Cerreto ;
L'Église titulaire e'piscopa.le de Cidonie, pour le R. D. Anffe
BoccAMAZzi, de l'archidiocése de Bénévent, docteur dans l'un et
l'autre droit et vicaire-général de Lucera.
Le Saint-Pére, étant rentré dans ses appartements, a imposé
le rochet aux archevêques et évêques élus et présents in Curia.
Ensuite Mgr Elie Hyayek, archevêque maronite d'Arca, procu-
reur du nouveau patriarche d'Antioche, a remercié le Souve-
rain Pontife au nom de ce même patriarche et de tous les
catholiques de rite maronite.
LES CHAMBRES
Sénat.
Jeudi 19 juAn. — Suite de l'interpellation de M. Combes sur les
projets du gouvernement concernant la réforme de l'enseignement
secondaire.
M. Chalamet défend les anciens errements et se plaint de l'amoin-
drissement de la discipline. On tend beaucoup trop à adoucir la vie
de collège! Il faut aimer les enfants d'une façon virile. Ils se fient à
la crainte des parents de les voir malades. Et ils font, non ce qu'ils
doivent, mais, à peine ce qu'ils peuvent !
Ce n'est pas tout, on a inventé le lendit. (Bruits divers.) C'est une
institution récente qui intéresse autant que les courses de chevaux
et qui menace de faire concurrence aux grands prix. (On rit.) Oh ! je
suis le partisan des exercices physiques, mais est-il besoin de don-
ner nos collégiens en spectacle? On convoque pour assister à ces
exercices, le président de la République et toutes les autorités civiles
et militaires.
704 ANNALES CATHOLIQUES
On met dans les journaux le nom des vainqueurs, leur biogra-
phie, on éveille leur vanité. Les élèves du lycée de Rouen sont ve-
nus prendre part au « lendit » et sont restés douze jours à Paris :
que sont devenues leurs études pendant ce temps-là? Et qui paie
tous les frais auxquels donnent lieu ces fêtes?
Tout ce bruit n'est pas pour faire produire aux exercices physiques
tout le bien qu'on en attend ; il est bon que les maîtres de gymnas-
tique ne passent pas leur temps à préparer des élèves pour le Lendit;
car là se produit le vice inhérent à'tous les concours; on ne s'occupe
que d'une élite, et les exercices physiques sont faits pour tous les
élèves, surtout pour les délicats.
Ils n'ont pas pour objet, qu'on ne l'oublie pas, de former des
jeunes gens capables de rivaliser avec les hercules de la foire ou les
écuyers du cirque.
M. BobHGEOis, ministre de 1 instruction publique, prend la parole.
Certes, quelques modifications, quelques réformes sont nécessaires.
Il faut relever le niveau des études par l'application des examens de
passage. Une circulaire réclamant cette mesure, vient d'être envoyée
aux proviseurs.
Quant au baccalauréat, il prête le flanc aux critiques. On peut lui
reprocher un programme trop chargé et le hasard qui domine dans
SCS épreuves.
Mais le ministre annonce qu'il va soumettre au conseil supérieur
un projet d'après lequel V élève pourra à l'avenir apporter aux exa-
minateurs du baccalauréat l'ensemble de ses notes et rire jugé, par
conséquent, dans l'ensemble de ses études. Pour les établissements
de l'Etat, il y aura dans ce but un livret scolaire régulièrement tenu.
Cette déclaration, hâtons-nous do le dire, a été saluée par des aj)-
plaudissements nombreux.
Et le ministre a continué : Quelqu'un veut-il supprimer l'ensei-
gnement des lettres anciennes? Non ! la question est do savoir si cet
enseignement ne doit pas être destiné à une élite.
Quant à l'enseignement spécial, il a subi, depuis quelque temps,
des réformes successives qui tendent à en faire un enseignement
classique moderne. Le ministre complétera cette évolution. Il espère
qu'on pourra ainsi former des jeunes gens qui seront les égaux de
ceux qui auront suivi l'enseignement classique ancien.
M. Berthelot vient dire que, pour donner au nouvel enseigne-
ment une véritable valeur, il faut y introduire plus de cours scienti-
fiques. On aurait alors deux enseignements bien distincts : l'un lit-
téraire, l'autre scientifique.
Et cette séparation est nécessitée par le développement croissant
des sciences.
M. Bardoux demande au ministre »i l'enseignement spécial pourra
donner accès aux carrières libérales.
LES CHAMBRES 705
Le Ministre répond que, pour un certain nombre, oui. Mais l'en-
trée des autres sera réservée aux élèves de l'enseignement littéraire.
M. Combes tire la moralité du débat en disant que le baccalauréat
en sort condamné. Et l'on vote l'ordre du jour pur et simple adopté
par le gouvernement.
Vendredi 2^ juin. — L'ordre du jour appelle la seconde délibéra-
tion sur la proposition de loi de M. Griffe ayant pour objet :
1» De réglementer le régime des raisins secs servant à faire du vin ;
2« de permettre la recherche de l'emploi des raisins secs ; 3° de rendre
publiques les demandes de sucre à taxe réduite pour le sucrage des
vendanges et des marcs de raisins frais.
Le projet est adopté.
Samedi 21 juin. — L'ordre du jour appelle la suite de la seconde
délibération sur la proposition de loi do M. Bérenger relative à l'ag-
gravation et à l'atténuation des peines.
M. LE Président. — M. le garde des sceaux m'a fait prévenir
qu'il était retenu à la Chambre; il pourra assister à notre séance de
vendredi ; je propose donc de renvoyer à ce jour la suite, la discus-
sion. (Assentiment.)
Mardi '2Ajuin. — Discussion de l'interpellation de M. Delsol sur
la situation faite aux communes par la loi du 19 juillet 1889.
M. Bourgeois répond que des subventions seront, comme la loi le
permet, accordées aux communes les plus pauvres.
Chauibi'e des Députés.
Jeudi 19 juin. — L'ordre du jour appelle la première délibération
sur la proposition de M. Tiiellier de Pongheville, tendant à
modifier plusieurs dispositions légales relatives au mariage des
indigents.
Ainsi que l'explique son auteur, le projet a pour objet de rendre
moins coûteuse la procédure des actes respectueux, à défaut du con-
sentement des parents. Un seul acte suffirait, au lieu des trois exigés
ai'tuellement.
L'acte respectueux serait visé pour timbie et enregistré gratis en
cas d'indigence; dans le même cas l'acte de consentement pourrait
être reçu en présence de deux témoins par l'officier de l'état civil du
domicile de l'ascendant; enfin, le certificat prescrit par la loi du
10 décembre 1850 n'aurait plus besoin d'être visé par le juge de paix.
On passe à la discussion des articles. M. Royer, de l'Aube, fait
remarquer que le projet ne vise pas seulement les indigents. Il opère
une réforme profonde dans les droits des parents. Il affaiblit l'auto-
rité paternelle.
Avec un seul acte, on restreindrait de trois mois à un mois le
délai à l'expiration duquel il peut être procédé au mariage.
jM. Thelliër de Ponoheville réplique avec bon sens que ce qu'il
51
706 ANNALBS CATHOLIQUES
faut empêcher, avant tout, c'est le a mariage avant le mariage* qui
a souveut lieu avec des délais aussi longs que ceux exigés actuellement.
Passé trente ans, on n'a plus besoin d'adresser des sommations
respectueuses. Pourquoi ne le ferait-on pas à vingt-et-un ans? Un
homme jugé capable de voter est bien capable de se marier!
On a adopté le projet en décidant de passer à une seconde déli-
bération.
Samedi 21 juin. — Une question est adressée à M. le ministre de
la guerre par M. 1© comte Armand, qui se plaint de l'insuffisance des
manèges affectés aux exercices de la cavalerie. Le plus souvent,
dit-il, les cavaliers n'ont que. des enclos entourés de murs, à leur dis-
I^osition. Le génie réclame 100.000 francs pour construire un manège.
C'est beaucoup trop. Pour 50,000 francs on pourrait en avoir de
spacieux et confortables.
M. DE FnEvciNET répoud que, depuis longtemps, il s'est préoccupé
de cette question. Six manèges sont en construction, sur des plans
nouveaux et moins coûteux que ceux d'après lesquels travaillait le
génie, jusqu'à présent. Avant un an, des crédits seront réclamés
pour la construction de soixante manèges, qui suffiront amplement
aux besoins de la cavalerie.
On adopte quelques projets de peu d'importance. Puis, l'ordre du
jour appelle la discussion du rapport fait, au nom de la commission
des pétitions, sur les pétitions envoyées par les comités d'action-
naires et obligataires du Panama. Le rapport conclut à l'envoi de ces
pétitions à M. le ministre de la justice.
M. Galthier de Clagny, rapporteur, expose que les pétitionnaires
réclament une enquête sur la situation du canal, la production des
comptes, et la détermination des responsabilités civiles et pénales.
Après quelques observations de MM. Délahaye, Goirand, Jdmel,
des ordres du jour, faisant appel à la vigilance du gouvernement,
sont présentés. Celui de M. Michou, ainsi conçu, est adopté,
« La Chambre, prenant acte de l'acceptation du renvoi par le
ministre, adopte les conclusions de la commission et prononce le
renvoi de la pétition au ministre de la justice, »
M, Deloncle adresse une question à M. le ministre des affaires
étrangères sur l'arrangement anglo-allemand en vertu duquel
l'Angleterre, avec le concours de l'Allemagne, prend le protectorat
de Zanzibar.
M. RiBOT s'est contenté de répondre qu'il n'a reçu aucune commu-
nication de l'Angleterre à ce sujet. L'Angleterre ne peut rien entre-
prendre sur le Zanzibar sans une entente préalable avec la France.
Le gouvernement sera donc averti. Mais, a dit sagement le ministre,
ce n'est pas par des déclarations à la tribune qu'on peut entrer en
conversation avec une nation.
Lundi 2djmn. — L'ordre du jour appelle la discussion de Tinter-
LES CHAMBRES 707
pellation de M. Dubreuil de Saint-Germaix sur l'incident de Vicq.
L'orateur rappelle les faits que l'on connaît. Un ancien desservant
de la commune de Vicq a légué à cette commune deux maisons et
une rente, â charge pour elle d'entretenir perpétuellement une école
dirigée par des congréganistes.
L'institutrice congréganiste qui gérait cette école étant morte ré-
cemment, l'administration préfectorale a voulu mettre à sa place une
institutrice laïque. Le jour fixé pour cette installation, la population
entière de Vicq a protesté, a voulu fermer la porte de l'école â
l'envoyée du préfet. D'où conflit.
Le préfet n'a-t-il pas outrepassé ses droits? La volonté du donateur
de l'école n'est-elle pas formelle?
«En effet, par son testament, l'ancien desservant de Vicq léguait â la
commune l'universalité de ses biens immeubles, à charge d'entretenir
deux sœurs chargées d'instruire et d'élever chrétiennement les
enfants, et d'assister les pauvres malades ou nécessiteux, sans que
les immeubles légués pussent jamais être détournés de l'usage auquel
il les affectait.
«Or, ce legs n'était pas à dédaigner, car, après une transformation
d'une partie des biens en rentes sur l'Etat, il restait à la commune
deux maisons avec jardin et un capital de 50,517 fr. en rentes 3 0/0. »
« Les intérêts de cette somme sont si bien employés que la com-
mune, après avoir rempli toutes les conditions du legs, a encore
entre les mains un reliquat de 700 fr. qui lui sert à augmenter les
ressources de son maigre budget. Car la commune de Vicq est habi-
tée par de pauvres vignerons qui ont été fort éprouvés au cours de
ces dernières années.
« Elle était donc peu disposée â renoncer à tous ces avantages,
pour subir la charge de la construction d'une nouvelle maison d'é-
cole et toutes les autres charges accessoires.
« Dans ces conditions, le Conseil municipal prit une délibération
aux termes de laquelle, considérant que les intérêts de la commune
seraient compromis par la violation des intentions du testateur, il
demandait qu'il fut sursis à la laïcisation, conformément à l'article
67 de la loi du 30 octobre 1886. »
Mais on n'a pas tenu compte de la délibération du Conseil muni-
cipal. On a voulu laïciser.
« J'ai hâte d'arriver à la période d'exécution. Le jeudi 12 mai au
soir, l'inspecteur primaire de Langres amène à Yicq l'institutrice
laïque. Il est accompagné de deux gendarmes. Il s'adresse au maire
pour faire ouvrir les portes de la maison d'école. La foule s'amasse
et dit à l'inspecteur : ■« Nous ne voulons pas que vous entriez dans
« la maison de nos sœurs. *
« Le lendemain, le vendredi 13, l'inspecteur est de nouveau à Vicq,
accompagné cette fois par une brigade de gendarmerie. Après des
708 ANNALES CATHOLIQUES
négociations semblables à celles de la veille, on veut recourir pour
la première fois â la force. Le maréchal des logis fait les sommations
prescrites par la loi, sommations, soit dit en passant, qu'il n'avait
pas mission de faire ; mais je passe. Les sommations faites, deux des
gendarmes, sabre au clair, et le troisième, le revolver au poing»
chargent la population, mais ils sont arrêtés par une muraille hu-
maine et obligés de s'en retourner pour la deuxième fois â Varenne. »
Mais les gendarmes revinrent et finirent par l'emporter, après avoir
distribué des coups sur les Vicquois. sans aimes.
L'orateur a grand'peine à se faire entendre des tribunes. Chacune
de ses phrases est couverte par des clameurs, des rires, et le biiiit
des conversations particulières.
M. Dubreuil de Saint-Germain, après l'étude du point de droit, ce
demande si le préfet n'a pas agi d'après dos instructions supérieures.
On a parlé, dans les discours gouvernementaux, d'apaisement et de
concorde. N'a-t-on pas voulu, voyant le mauvais effet produit par
cette déclaration chez les radicaux, leur donner des gages ? (Applau-
dissements à droite.)
M. Co.NSTA.NS réplique. Il nie que l'incident ait l'importance qu'on
lui donae. Quand l'institutrice congréganiste de Vicq mourut, le
préfet prit un arrêté de laïcisation et nomma une institutrice laïque.
C'était son droit.
La loi est formelle. Elle veut qu'on mette un laïque à la place de
tout congréganiste décédé ou révoqué, ou démissionnaire. L'article 79
prévoit le cas où l'école rst installée dans un immeuble donné à une
commune, dans le cas spécial de Vicq. Lors du vote de la loi devant
le Sénat, M. Goblet fit à ce sujet une déclaration formelle. Le mi-
nistre lit le passage de l'Officiel qui reproduit son discours.
A Vicq, on a voulu appliquer la loi. Le préfet n'a point fait autre
chose. On a choisi la date du 12, parce que c'était un jeudi et (ju'on
ne voulait pas faire l'installation en présence des élèves.
L'inspecteur primaire a réclamé le concours du maire, qui le lui a
refusé. L'inspecteur a décidé alors de s'en passer. Il se rendit à l'école
accompagné par deux gendarmes.
L\ il se trouva en présence de 200 personnes qui les assaillirent si
violemment que les gendarmes tirèrent leur sabre, non pour frapper;
mais pour se faire un passage.
On a agi avec toute la modération possible.
Enfin, M. Constans dit : « Oui, nous avons fait un appel à la con-
corde et à l'apaisement ! Mais si vous voulez qu'on n'applique que
les lois qui vous sont agréables, détrompez-vous ! (Applaudissements
à gauche.) Nous ne voulons pas faire une politique tracassière. Mais
nous appliquerons toujours les lois existantes. Vous avez la mémoire
courte. Car, il n'y a pas longtemps, vous m'en félicitiez. (Rires et
applaudissements.)
LES CHAMBRES 709
On voit quelle est la tactique de M. Constans. Il ne s'occupe pas
un seul instant du point de droit le seul important. Il se contente de
tenter de prouver que ce sont les gendaimes qui ont été battus.
Comme de coutume, il fait de l'esprit, il provoque les rires de la
Ciiambre et des tribunes. Et, enfin, il rappelle à la Droite qu'elle lui
donna ses voles lors des interpellations sur les grèves et sur l'instal-
lation du préfet de la Seine à l'Hôtel de ville. Mais, comme l'a dit,
dans une interruption, un député de la Droite :
— Nous vous soutiendrons toujours quand vous aurez raison ! Et
nous vous attaquerons quand vous aurez tort !
Mgr Freppel monte à la tribune. L'évêque d'Angers a d'abord exa-
miné la question de principe.
« M. le ministre a dit que le préfet de la Haute-Marne n'avait fait
qu'appliquer la loi ; qu'il ne pouvait pas nommer une institutrice
congréganiste à la place de l'institutrice défunte ; qu'il ne pouvait
nommer qu'une institutrice laïque. C'est ce que je conteste.
« Oui, il y a dans la loi du 30 octobre 1886 un article 18 que je
connais bien, pour l'avoir autrefois combattu. Cet article est ainsi
conçu :
« Aucune nomination nouvelle, soit d'instituteur, soit d'institu-
« trice congréganiste, ne sera faite dans les départements où fonc-
« tionnera depuis quatre ans une école normale, soit d'instituteurs,
« soit d'institutrices. »
« Mais il y a également dans la loi un article 67 par lequel le léo-is-
lateur a voulu adoucir et tempérer ce qu'il y avait de trop rigoureux
dans l'article 18. Cet article 67 est ainsi conçu.
« Dans le cas oii la laïcisation rendrait nécessaire l'acquisition ou
« la construction d'une maison d'école, il sera sursis à l'application
« du paragraphe 1" de l'article 18 de la présente loi jusqu'à ce qu'il
« ait été pourvu à l'établissement de l'école, en exécution des ar-
« ticles 8, 9 et 10 de la loi du 2 mars 1883 et de la loi du 20juin 1885. »
Il fallait donc, d'après l'orateur, que le gouvernement, s'il voulait
laïciser, fit bâtir une école à lui, où il aurait installé une institutrice
laïque. Et, en attendant, il aurait dû laisser les congréganistes in?;-
truire les enfants de Vicq.
« Il y a plus, l'immeuble était la propriété de la commune, mais cet
immeuble avait une affectation spéciale, il n'avait été donné que sous
clause résolutoire. (Très bien! très bien ! à droite.) Les sœurs étaient
en possession du droit d'habitation depuis soixante-dix ans et aucun
acte administratif n'a pu leur enlever ce droit. 11 fallait donc surseoir
et attendre un arrêt de justice avant de les mettre à la porte et de
jeter leurs meubles dans la rue.
« Ce serait une législation bien étrange que celle qui consisterait
à expulser d'abord les sœurs et à dire : on verra après si on en avait
le droit !
710 ANNALES CATHOLIQUES
« Sommes-nous donc dans un pays où la force prime le droit ? (Très
bien! très bien! à droite.) Je ne le pense pas. Le droit, d'abord, puis
la force au service du droit, c'est notre formule à nous Français; c'est
ce que le législateur a voulu eu accordant des sursis pour que le
droit pût se faire valoir avant tout emploi de la force. »
Si la loi a été violée, c'est parles fonctionnaires du gouvernement.
D'ailleurs, lora de la discussion de la loi de 1886, Mgr Freppel avait
prévu ces complications. Pour éviter qu'elles se renouvellent, il
dépose le projet de loi suivant :
« A l'avenir aucune laïcisation d'école primaire ne sera décrétée
contrairement à l'avis du Conseil municipal. » (Applaudissements à
droite.)
M. LE MINISTRE DE l'i.N'Structiox PUBLIQUE déclare ne vouloir point
revenir sur les faits mêmes. 11 s'attache exclusivement à la thèse de
droit. Il rappelle qu'on insère à VOfficiel les avis de laïcisation,
afin que connaissance soit donnée aux intéressés de la laïcisation
projetée.
Il croit que la loi a été strictement appliquée.
M. DE Lamarzelle réplique. Il se plaint que le ministre n'ait pu
répondre à l'argumentation de Mgr Freppel.
La commune, la fabrique, plutôt, est propriétaire do l'immeuble.
La volonté du testataire est claire. La donation doit tomber si on
change l'usage auquel elle est destinée.
Que devait faire le gouvernement? C'est l'article 67 de la loi qui le
dit: La laïcisation rendant nécessaire l'acquisition d'une maison
d'école, il devait y avoir sursis à la laïcisation. Et il ajoute :
« Vous vousètes installés dans cette école, vous vous y êtesinstallés
par la force ; eh bien, c'était inutile, car il n'y a pas un tribunal en
France, devant un pareil testament, qui ne révoque cette donation.
(Très bien ! très bien ! à droite.)
« Vous allez donc en être chassés â votre tour dans quelque temps.
Le moment n'est pas loin où la force à son tour sera primée par le
droit, et c'est inutilement que vous aurez froissé les sentiments d'une
population, que vous aurez envoyé de braves soldats contre des
femmes, et que vous aurez foulé aux pieds une chose éminemment
sacrée, éminemment respectable. (Applaudissements à droite.)
« Or, je le sais, vous avez prononcé tout à l'heure un nom ; vous
avez dit : « J'ai, en ma faveur, une circulaire, la circulaire de
M. Goblet. » Vous invoquiez là une singulière autorité en matière de
tact, de modération et de mesure dans l'application d'une loi. Ce que
vous avez appliqué, c'est la jurisprudence de Châteauvillain. (Très
bien ! très bien! â droite.) »
Comme on reproche à l'orateur d'attaquer M. Goblet absent, il
rappelle que les républicains l'injurièrent plus souvent que les con-
servateurs. Puis il reprend :
LES CHAMBRES 711
« Oui, VOUS avez appliqué la jurisprudence de Châteauvillain, et les
populations sauront ce qu'il faut penser de votre modération ; elles
mettront en regard les paroles et les actes. Je ne vous parlerai pas de
l'apaisement, vous en ririez...
« Un membre à l'extrême gauche. — Oui.
« M. DE Lamahzelle. — Je n'en ris pas, moi, carnotrepays aurait
besoin d'être uni pour être fort. Mais je n'ai jamais cru à l'apaisement,
car vous, radicaux, vous ne le voulez pas. et vous, modérés, vous le
voulez bien, mais vous n'avez pas la force de vous séparer des radi-
caux... (Applaudissements réitérés à droite.)
« M. Armand Desprès. — Mais si.
« M. DE Lamarzelle. — Je fais une exception pour vous et deux ou
trois de vos collègues. Vous avez beaucoup de courage M. Després,
et je suis heureux de vous en féliciter publiquemeut. (Mouvements
divers.)
« Toutes les espérances d'apaisement sont dissipées dans le pays. Je
ne suis pas surpris que vos actes démentent ainsi vos paroles. La
seule chose qui m'étonne, c'est que vous lejfassiez si vite et si mal.
Aussi, dira-t-on, et c'est peut-être la moralité de ce débat, que les
choses ne se seraient pas passées de la sorte, si M. Constana avait été
à l'instruction publique. (Applaudissements à droite. — La clôture !
La clôture !) »
La clôture est prononcée. M. Floqiet donne lecture de sept ordres
du jour qu'il a reçus.
Les quatre premiers félicitent plus ou moins le gouvernement de
son attitude et de son énergie.
Un ordre du jour de M. Lemercier est ainsi conçu! « La Chambre,
attachée à la politique d'apaisement et de modération promise par la
déclaration ministérielle du 18 mars dernier, passe à l'ordre du jour. »
L'ordre du jour présenté par l'interpellateur, dit :
« La Chambre regrettant les actes accomplis à Vicq, contrairement
aux vœux des populations, et affirmant la nécessité d'une politique
d'apaisement et de pacification, passe à l'ordre du jour. »
Il est signé par MM. Dubreuil de Saint-Germain, Godelle, Mège,
Loreau.
Le septième portant blâme des violences commises, par MM. Gau-
thier de Glagny et Haussraann.
M. Armand Desprès demande la priorité pour l'ordre du jour de
M. Lemercier.
Quelques députés réclament l'ordre du jour pur et simple.
Le président du conseil demande alors la parole :
«J'ai entendu plusieurs ordres du jour qui, ainsi que l'a fait juste-
ment remarquer le président, me paraissent rentrer d'une façon assez
complète les uns dans les autres.
« Je voudrais que la majorité républicaine ne se divisât pas sur cette
712 ANNALKS CATHOLIQUES
question, et je supplie leurs auteurs de vouloir bien les confondre
avec l'un d'eux, celui de M. Guyot-Dessaigne qui me semble résumer
d'une façon exacte et complète les déclarations des ministres do
l'intéi-ieur et de l'instruction publique.
« Ces déclarations proclament, en effet, la modération et la prudence
avec lesquelles le gouverDement a jusqu'ici procédé à l'application
des lois scolaires, et, en môme temps, la fermeté avec laquelle il est
décidé à assurer l'application complète de la loi. (Très bien ! très
bien !)
« L^t ce que je dis ici des lois scolaires, je le dis également des autres
lois qui forment les acquisitions démocratiques des législatures qui
nous ont précédés. Nous n'en séparons ni la loi militaire ni les autres
lois qui ont le même caractère. (Très bien! très bien! à gauche. —
Bruit à droite.)
« Nous sommes décidés comme nous l'avons proclamé dans notre
déclaration lors do notre entrée aux affaires, à conserver intact ce
patrimoine, et vous pouvez compter sur notre fermeté pour le le-
mettre intact à nos successeurs.
* Sous le bénéfice de ces 'observations, je prie les auteurs des quatre
ordres du jour à peu prés identiques de vouloir bien se concei toi-
pour adopter l'amendement de M. Quyot-Dessaigne, auquel se rallie
le gouvernement. »(Très bien ! très bien ! à gauche.)
La déclaration était nette. Les radicaux ont applaudi à tout rompre.
Le centre était fort onnnyô.
De sa place, M. de Freycinet a iléclaré qu'il repoussait l'ordre du
^our pur et simple.
Les auteurs des amendements favorables se sont ralliés à l'ordre
du jour de M. Guyot-Dessaigne.
Fuis, l'ordre du jour de M. Guyot-Dessaigne, ainsi conçu, a été
mis aux voix :
« La Chambre, approuvant la conduite du Gouvernement et comptant
sur sa sagesse et sa fermeté pour assurer l'application des lois sco-
laires, passe à l'ordre du jour. »
Il a été adopté par 310 voix contre 166.
On croyait la séance termin''e, lorsque M. LocKnov est venu de-
mander l'urgence et la discussion immédiate sur la proposition dé-
posée par Mgr Freppel au cours de l'interpellation.
M. le baron de Mackau a fait remarquer qu'on voulait procéder à
un escamotage. Discuter une loi aussi importante, en fin de séance?
Sans que personne apporte des documents?
Mgr Freppel a réclamé une discussion sérieuse.
Mais, par 216 voix contre 238 la Chambre a décidé de passer à la
discussion générale.
Un débat assez chaud s'est alors engagé, Mgr Freppel, M. Mémne,
M. LoHEAU, M. Lacroix, M. Lockroy, ont tour à tour occupé la
tribune.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 713
Discussion inutile, car la majorité était bien décidée à enterrer le
projet, ce qu'elle a fait en refusant, par 321 voix contre 205 de passer
à la discussion des articles.
Avec beaucoup de raison, M. de la Ferronnays a protesté contre
cet escamotage.
Mardi ^kjuin. — Suite de la discussion du projet concernant la
fabrication de vin de raisins secs.
CHRONIQUE DE LA SEMAINE
La guerre civile en France. — Le traité Anglo-Aliemand.
Le choléra en Espagne.
2ô juin 1890.
Ce n'est pas une guerre à coups de fusil, mais pour n'être pas
aussi violente, celle qui divise en ce moment la France n'en
existe pas moins. Dans leur aveuglement, nos gouvernants per-
sistent à considérer les catholiques comme des ennemis et à
exciter contre eux une minorité agressive, bruyante, d'autant
plus audacieuse qu'elle se sent mieux défendue par l'autorité.
L'affaire de Vicq est un indice de cet état d'esprit et de ces
excitations. Quel besoin avait-on de laïciser l'école de filles de
ce village, alors qu'on savait que le sentiment des habitants y
était opposé 1 1l n'y a pas là de question politique, ou du moins
il ne devrait pas y en avoir. C'est la religion qu'on persécute
pour rien, pour le plaisir. La déclaration de M. Ginnel, maire
de cette commune, en est une preuve. Voici les propres termes
de l'explication fournie par lui à l'un de nos confrères :
Monsieur, je me vante d'avoir toujours été un bon républicain.
Tout le conseil municipal, composé de douze membres, est également
républicain. Mais nous avons été habitués dès notre enfance à avoir
ici des sœurs. Nous les aimions non seulement parce que c'étaient
d'excellentes femmes, mais encore à cause des services rendus. Elles
professaient admirablement. Ensuite, notre commune est pauvre.
Elle n'a ni médecin, ni pharmacien. La sœur Léocadie, munie de
l'autorisation nécessaire, soignait nos malades. Mais voilà qu'en
décembre la sœur Euphrasie, plus spécialement chargée de l'instruc-
tion, est forcée de se mettre au lit. Je demande à l'inspecteur pri-
maire de Langres une religieuse suppléante pour un mois. Il me
l'accorde sans difficulté. En avril, la sœur Euphrasie meurt. Je me
rends à Langres pour demander le maintien de la suppléante. L'ins-
pecteur n»e répond : « J'ai à placer douze jeunes filles sortant de
l'Ecole normale ; je ne puis mettre des scaurs aux places qu'elles atten-
714 ANNALES CATHOLIQUKS
dent. La loi, d'ailleurs, dit que les institutrices religieuses doivent
être, après décès, remplacées par des laïques. »
Je fais observer à M. l'inspecteur que notre commune se trouve
dans un cas particulier. Nos sœurs sont installées dans un local qui
leur appartient; elles coûtent bien moins cher que des laïques. La
pTopriété qui leur a été léguée, mais que nous administrons, rapporte
1,650 francs par an. Toutes les sœurs ensemble se contentent de
900 francs. La commune bénéficie donc annuellement de 750 francs
dont elle a grand besoin puisqu'elle est endettée. L'inspecteur me
répond encore que ce n'est pas son affaire, qu'il doit [obéissance à
la loi.
A partir de ce jour, on m'adresse à la mairie de nombreux papiers
dont l'un m'enjoint de recevoir une institutrice laïque. Le conseil
municipal, à runaniraité, vote le maintien des sœurs. Jeudi dernier,
l'inspecteur primaire vient me prier de signer le procès-verbal d'ins-
tallation de la laïque. Je réponds : « Mon successeur fera ce qu'il
voudra. * Et je donne ma démission de maire.
Notre confrère a questionné de plus, un grand nombre d'ha-
bitants. Tous lui ont déclaré que jamais la moindre plainte n'a
été proférée contre les soeurs, que tout le monde les aimait et
leur était reconnaissant des services que, durant soixante-dix
ans, elles n'ont cessé de rendre.
On a donc agi contre la volonté formelle des habitants en
laïcisant leur école.
Il y a plus, on a commis un vol.
En effet, l'école que l'on a envahie, que l'un s'est appropriée,
appartenait aux sœurs, et rien qu'aux sœurs, ainsi que l'établit
le testament dont voici la copie textuelle :
Tout pour la plus grande gloire de Dieu.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen !
Je, sousoigné, François Daubrive, prêtre-curé desservant de la
paroisse de Vicn, canton de Va^ennes, arrondissement de Langres,
département de la Haute-Marne, voulant et désirant depuis long-
temps former à perpétuité dans la paroisse dudit Vicq, sous l'autori-
sation du gouvernement, un établissement d'instruction pour les
jeunes filles, qui sera composée de deux sœurs institutrices qui seront
demandées et prises ou dans la congrégation de Saint- Vincent-de-
Paul ou dans celle de Saint-Charles si cela se peut (et, si cela ne se
peut, en prendre d'une autre congrégation approuvée par le gouver-
nement), dont le but sera.
!• D'instruire et d'élever dans les principes de la religion catho-
lique, apostolique et romaine et dans les bonnes mœurs les jeunes
filles de ladite commune de Yicq, leur apprendre à lire et à écrire, —
CHRONIQUE r»E LA SEMAINE 715
entre lesquelles vingt seulement de la classe des plus pauvres qu^
seroat chaque année désignées et nommées par M. le curé desser-
vant, M. le maire et M. le président du conseil de la fabrique dudit
Vicq, le dernier dimanche d'octobre, seront enseignées gratuitement,
et les autres pour une rétribution convenable ;
2° D'exercer envers les pauvres malades les œuvres de miséricordes
spirituelle^ et, autant qu'elles le pourront, les corporelles.
Pour fournir au logement et â l'entretien desdites institutrices, je
donne et lègue en toute jjrop'riété, avec les réserves ci-après, à la
fabrique de Vicq, qui sera chargée déformer ledit établissement d'ins-
truction, tous mes biens immeubles situés sur le finage de Vicq qui
m'appartiendront au jour de mon décès et, sans que ces dits biens
immeubles puissent ctre convertis à d'autres usages.
Et c'est pour entrer en possession de ces immeubles destinés
à l'enseignement religieux, que les gendarmes ont chargé des
femmes !
Quel bénéfice le gouvernement a-t-ii retiré de ce coup d'éclat?
Nous n'en voyons guère. Que se passera-t-il à Vicq? Les alliés
de l'abbé Daubrive se proposent de plaider en restitution d'hé-
ritage. S'ils gagnent leur procès, comme ils ne sont pas riches,
ils garderont certainement pour eux la maison et les terres. En
attendant, on va installer — si l'on peut réunir la somme néces-
saire— une école libre à Vicq.
Les habitants sont terrorisés. Le lendemain du jour oii l'on a
installé l'institutrice, Mme Chaudron, il y avait une vingtaine
d'élèves à sa classe, c'est-à-dire la moitié du contingent habituel
de l'école. Ces enfants appartiennent à des parents épouvantés
qui s'imaginent qu'on les mettra en prison si leurs filles ne vont
pas à l'école.
Nous ne pouvons que difficilement, dans une grande ville,
nous faire une idée de la frayeur qu'une telle algarade peut
causer dans un village paisible. Parlant de la conduite odieuse
des gendarmes, un des habitants disait à notre confrère : «Vous
n'avez pas vu pire à Paris ! » On s'imagine être revenu au temps
de la révolution.
Et, malgré cette exagération très compréhensible, les braves
gens ont bien raison d'être inquiets. Ils vont connaître les petites
rancunes et les basses vengeances des tyranneaux de village, les
dénonciations des ambitieux, les haines des jaloux et des
envieux. La commune va être divisée en deux camps : ceux qui
approuveront les gendarmes et ceux qui regretteront les sœurs.
Nous ne sommes pas d'ailleurs en présence d'un fait isolé.
716 ANNALES CATHOLIQUES
M. le maire d'Halluin (Nord) a reçu du préfet de ee départe-
ment une lettre l'informant que, lundi prochain, on procéderait
de même à la laïcisation des écoles municipales, ainsi que de
l'école maternelle de cette ville. Ces écoles, comme celle de
Vicq, ont été données à la commune sous la condition expresse
qu'elles seraient dirigées par des congréganistes. Il faut s'atten-
dre à d'énergiques protestations des habitants d'Halluin, aussi
mécontents que ceux de Vicq. Le gouvernement ne s'en inquiète
guère ; peut-être même le désire-t-il. Il espère même par l'inti-
midation retenir plus facilement les électeurs dans l'obéissance.
Sans cela, pourquoi n'a-t-il pas attendu l'issue du procès que
les héritiers des donateurs ne manqueront pas d'engager pour
inexécution des conditions delalibéralité? Pourquoi u'a-t-il pas
attendu tout au moins les vacances scolaires qui auront lieu
dans six semaines à peine ?
Non, la hâte mise à ces exécutions violentes, la coïncidence
qui les fait se produire à la fois, dans l'Est et dans le Nord,
leur rapprochement de la récente fermeture d'une chapelle à
Quimper, tout prouve qu'il s'agit d'un plan arrêté. M, Constans
veut se faire pardonner par ses amis de la gauche l'imprudence
qu'il a commise au banquet de Périgueux en parlant d'une
république ouverte et pas tracassiére. Pour gagner les suflTrages
de quelques radicaux, il ranime les haines contre la religion et
la sourde guerre civile qui divise la France. Nous sommes loin
des promesses hypocrites d'apaisement. On a levé le masque.
On lira plus bas le texte d'un traité intervenu entre l'Angle-
terre et l'Allemagne. Cette dernière puissance voit reconnaître
ses prétentions sur l'intérieur du continent noir dans une région
délimitée au nord par une ligne tirée de Kavirondo sur le Vic-
toria Nyanza à la pointe sud du lac Albert-Edouard, au sud par
le Rowuma et une ligne tirée de la pointe nord du lac Nyassa à
l'angle sud du lac Tanganoyika et à l'ouest par ce chapelet de
grandes nappes d'eau qui forme, dans la pensée de lord Salis-
bury, la voie naturelle de transit de ces contrées équatoriales.
Ce n'est pas tout.
Sur une partie de la frontière ouest de cet immense domaine,
les possessions allemandes seront en contact avec l'Etat libre
du Congo, concession très significative si l'on veut bien tenir
compte du rcve formé par certains enthousiastes de la grandeur
CHRONIQUE VK LA SEMAINE 717
teutonne qui espèrent obtenir un jour, en dépit des droits de
préemption formels assurés à la France, la cession du Congo à
l'empire germanique, et se tailler par conséquent -en pleine
Afrique équatoriale une bande de territoire allant d'une mer à
l'autre. De plus, pour sortir de la position fausse que fait au
cabinet de Berlin la situation de la compagnie allemande, simple
fermière du sultan de Zanzibar dans les ports de son littoral
continental, l'Allemagne avoue ses visées à une annexion pure
et simple et se fait promettre l'appui de l'Angleterre qui stipule
en échange l'étublisseinent de son protectorat sur l'île même de
Zanzibar.
Ce sont là, pour le dire en passant, des points sur lesquels
une entente anglo-allemande ne saurait être décisive à elle
seule. Les puissances qui ont des traités avec Zanzibar auront
leur mot à dire dans cette absorption d'un Etat indigène indé-
pendant. Enfin — dernier sacrifice qui ne sera pas le moins
pénible à l'orgueil britannique — l'île de Héligoland est cédée
à l'empire germanique.
En somme, l'impression qui se dégage de ce traité, c'est que
lord Salisbury pousse la complaisance jusqu'à ses dernières
limites envers le cabinet de Berlin. Faut-il croire que lord Salis-
bury a payé ce prix excessif en échange d'avantages équivalents
sur d'autres points? Est-ce l'Egypte qu'il a achetée par la
cession de l'Afrique équatoriale?
Ce qui est piquant, c'est que les journaux anglais et alle-
mands paraissent également mécontents du traité. Le Daily
Neios laisse entrevoir que l'arrangement constitue une décep-
tion pour tons les Anglais qui s'intéressentaux choses d'Afrique,
et il conclut en disant que lorsque la convention sera discutée
dans le Parlement, le parti libéral examinera la question en
toute impartialité.
Le Daily Chronicle est carrément hostile à la Convention. Il
accuse le gouvernement de lord Salisbury de s'être « couvert
d'ignominie en cédant un territoire acquis au prix du sang bri-
tannique dans les grandes guerres de la période napoléonienne,
et surtout en le cédant sans obtenir absolument i^ien en échange.»
Il exprime donc l'espoir que le Parlement va arrêter le gou-
vernement dans cette voie des capitulations honteuses qui
conduit au démembrement de l'empire. Le Berliner Tagehlatt
est mécontent. La Post considère que la cession d'Heligoland n'a
aucune valeur matérielle, et la Norddeutsche, elle-même,
718 ANNALES CATHOLIQUES
trouve que les sacrifices consentis éveilleront dans beaucoup de
coeurs une impression douloureuse.
Voici les points principaux du traité :
I. La sphère des intérêts allemands en Afrique orientale est bornée
au sud par une ligne partant de rembouchure de Rokura à l'ouest
du Nyassa jusqu'au sud du Tanganika : au nord par une ligne partant
de la rive est du Victoria-Nyanza et allant jusqu'à l'Etat du Congo.
Dans toutes les sphères d'intérêt allemand et anglais, le transit
des marchandises anglaises et allemandes sera libre de tout droit.
Les missions des deux Etats, culte et instruction publique, auront
droit de séjour. Les sujets des deux pays auront dans les deux pays
les mêmes droits. L'Angleterre usera de toute son influence pour
décider le sultan de Zanzibar à céder à l'Allemagne les bandes de
côtes louées par lui à la Société allemande de l'Est africain. Dans ce
cas, l'Allemagne payera au sultan une indemnité pour les droits do
douane.
II. La limite des sphères anglo-allemandes au sud-ouest est la même
que dans les traités précédents.
III. La frontière entre le pays allemand de Togo et la colonie
anglaise de la Côte-d'Or est, conformément aux propositions alle-
mandes, formée par une ligne qui coupe en deux le pays contesté
<lo Krepi, dont le nord appartiendra à l'Allemagne et le sud à l'An-
gleterre.
IV. L'Allemagne cède à l'Angleterre ses droits sur Witu et le
pays do Somali au nord de la sp'uérc des intérêts anglais.
V. L'Allemagne cède à l'Angleterre le protectorat sur Zanzibar, à
l'exception des côtes.
VI. L'Angleterre cède, sauf approbation du Parlement, à S. M.
l'empereur d'Allemagne, Tilo d'Heligoland.
Four l'introduction du service militaire et des lois douanières
allemandes, il sera fixé ultérieurement un délai. Les habitants actuels
auront le droit d'opter pour la nationalité anglaise pendant un cer-
tain délai.
VII. Les autres pointa en litige seront réglés ultérieurement. Il est
dès à présent décidé que ces (|uestions seront réglées d'une façon
amicale.
VIII. Jusqu'à ratification qui doit avoir lieu dans le plus bref délai,
les puissances contractantes s'engagent à ne soutenir aucune expé-
dition qui pourrait contrecarrer le traité actuel.
L'île d'Heligoland que l'Angleterre cède à l'Allemagne en
vertu du traité dont nous publions le texte, est située en face
des embouchures de l'Elbe, de l'Eider, du Weser et de la
CHRONIQUE DE LA SEMAINE 719
Jahde. En y comprenant l'îlot Sandy, qui en est une dépen-
dance, elle a à peu prés un kilomètre carré et demi de surface :
2 hectomètres de long sur 670 mètres de large, avec une popu-
lation de 2,500 habitants tout au plus; mais pendant la belle
saison, elle reçoit 12 à 15,000 visiteurs, à raison des bains de
mer.
Le climat y est exceptionnellement salubre, et la vie moyenne
y atteint, disent certaines statistiques, Vkge quasi fabuleux de
soixante-trois ans.
En dehors de l'exploitation des étrangers, la population y vit
surtout de la pêche. On y capture 30,000 homards par an sur
les rochers du rivage, et le produit total des pêcheries est
d'environ 200,000 fr. par an.
Ajoutons que cette petite île diminue d'année en année par
suite des empiétements de la mer, et l'on peut prévoir le jour
oix elle ne sera plus qu'un simple banc de sable.
Détails curieux : Héligoland est littéralement infestée par
les lapins qui y grouillent par millions, et qui, par leurs tra-
vaux souterrains, désagrègent le sol et facilitent encore l'action
destructive de l'Océan.
Le choléra est aux portes de France, en Espagne. Le service
d'hygiène a pris toutes les mesures que la situation comporte.
Les décisions ont été promptes, énergiques, et très probable-
ment efficaces. Cependant si le fléau est grave, ce que l'on ne
saurait prévoir, il est à peu près certain qu'en dépit des
mesures préventives, notre pays sera contaminé.
Dans quelle proportion ? Il faut espérer que l'épidéraie sera
bénigne : mais le meilleur moyen de nous défendre, c'est de
montrer autant de prudence que de bravoure. Si le danger
devient imminent, il ne faudra pas essayer de le dissimuler ; il
conviendra de se mettre tout de suite résolument à l'œuvre.
La leçon de l'influenza doit nous servir. L'épidémie sévissait
générale et cruelle que les médecins, dans le but de rassurer,
— mieux intentionnés que très adroits, ditVJEclair, — laissaient
entendre que ce n'était rien, qu'il n'y avait pas à se soignei-,
que l'influenza était une de ces affections qui se guérissent par
le mépris. On ne prenait aucune précaution, on avait des
rechutes ; la maladie, qui eiit été inofFensive, jugulée au début,
•devenait mortelle en se prolongeant. Si, dès les premières
720 ANNALES CATHOLIQUES
atteintes, sans souci de quelques intérêts privés, on avait
enseigné aux malades les précautions à prendre, on n'aurait
pas eu tant de morts à déplorer.
Si le choléra se montre chez nous, il serait imprudent de le
cacher. Il faut, au contraire, que dès les premiers cas, tous les
habitants soient prévenus, afin qu'ils se mettent en garde. Le
fléau propage le fléau. Contre cet incommode visiteur, il y a
de vulgaires précautions à prendre ; qu'on les rappelle tout de
suite à la population, on fera savoir que ce ne sont que des
précautions prophylactiques, mais qu'elles sont supérieures,
dans l'intérêt de tous, c'est-à-dire de chacun.
Il serait criminel que le choléra nous prît au dépourvu. Pour
les mesures aux frontières, toutefois, on ne peut que féliciter
les services sanitaires. A la première alerte, les précautions
ont été prises, sur l'initiative du docteur Proust, inspecteur de
ces s ei' vices.
LE JUBILE DE PARAY-LE-MONIAL
Mgr Perraud, évêque d'Autun, vient de publier un mande-
ment et une Instruction pastorale, à l'occasion du second cen-
tenaire de la mort de la Bienlieuronse Marguerite Marie et du
Jubilé extraordinaire accordé par Sa Sainteté le Pape Léon XIII
à la cité de Paray-le-Monial.
Ce Jnbilé durera sept semaines et demie, depuis le 8 septem-
bre jusqu'au 1" novembre 1890,
« Il y aura bientôt deux siècles, dit Mgr l'évêque d'Autun,
que se terminait dans un couvent du diocè.se d'Autun la carrière
terrestre de l'humble vierge dont le nom, les vertus et la mis-
sion devaient avoir dans le monde un si grand retentissement. »
D'un registre mortuaire qui nous a été communiqué, nous
transcrivons textuellement les lignes suivantes :
«■ L'an 1690, le 17 du mois d'octobre, environ les sept heures
du soir, est décédée en ce monastère de la Visitation Sainte-
Marie de Paray, en odeur de sainteté, notre vénérable sœur
Marguei'ite-Maiie Alacoque, native de Lhautecour, paroisse de
Verosvres, âgée de quarante-trois ans; dix-neuf de profession;
du rang des soeur.s choristes. Elle a été inhumée dans un caveau
de notre sépulture. »
Après deux cents ans révolus, c'estla première fois qu'il sera
donné à l'ordre de la Visitation et au diocèse dont Marguerite-
LE JUBILÉ BE PARAY-LE-KONIAL 72 L
Marie est la gloire, d'entourer d'honneurs extraordinaires un
anniversaire séculaire de cette mort si précieuse devant Dieu et
si féconde en fruits de bénédiction pour l'Eglise et 4)our les
âmes.
Sans doute, avant la fin du précédent siècle, l'Eglise avait
déjà solennellement approuvé le culte du Cœur de Jésus-Christ
dont ce divin Sauveur avait confié l'apostolat à notre ^'isitan-
dine de Paray. Mais elle n'avait encore rendu aucun jugement
authentique ni sur ses vertus ni sur les miracles accomplis par
son intercession après sa mort.
De plus, et quand même les nombreuses et très sages forma-
lités auxquelles sont soumises les causes de béatification eussent
été déjà sanctionnées par la suprême autorité du Pontife romain,
les perturbations politiques du temps n'auraient guère permis
soit à Paray, soit ailleurs, de célébrer une fête publique en l'hon-
neur de celle que ses contemporaines disaient être morte « en
odeur de sainteté. »
Au mois d'octobre 1790, la persécution religieuse commençait
à sévir en France. La constitution civile du clergé, due aux
jansénistes de l'Assemblée constituante, avait été votée le
12 juillet précédent. Les évêques et le? prêtres qui refusaient
de s'y soumettre étaient dépouillés de leurs bénéfices, expulsés
de leurs églises, chassés de leurs demeures, contraints, par la
violence, de céder la place à des intrus schismatiques. Le trou-
ble était partout. Le moment n'était pas éloigné oîi l'exil, la
prison, l'échafaud puniraient les membres du clergé de leur
obéissance aux lois fondamentales de leur saint état.
A nous donc les premiers, N. T. C. F., étaient réservés l'hon-
near et la joie de pouvoir célébrer avec toutes les pompes de la
religion le deux-centième anniversaire du 17 octobre 1690. Nous
venons vous y convier. »
Voici les principales prescriptions de Mgr Perraud relatives
au jubilé.
La période jubilaire sera divisée en quatre parties.
Durant la première (du 8 au 30 septembre), des instructions seront
données, chaque matin, les mardis, jeudis et samedis, à la chapelle
de la Visitation, après la messe de huit heures et demie; chaque soir,
les lundis, mercredis et vendredis, à la Basilique. L'instruction du
vendredi pourra être remplacée par l'exercice du Chemin de la Croix,
fait, quand le temps le permettra, dans l'enclos des Chapelains.
(A partir du 1«'" octobre, conformément aux prescriptions du Souve-
rain Pontife, les exercices du mois du saint Rosaire auront lieu
52
722 ANNALES CATHOLIQUES
comme les années précédentes, à la Basilique et dans les chapelles
des communautés.)
Durant la seconde partie {l" au 9 octobre), les prédications conti-
nueront dans l'ordre ci-dessus indiqué, alternant entre la Basilique ot
la chapelle de la Visitation.
La troisième partie du Jubilé (du 9 au 17 octobre), comprendra la
neuvaine préparatoire à la fête de la Bienheureuse et au deux-cen-
tième anniversaire du jour de sa mort. Pendant la neuvaine, on
prêchera tous les jours, le matin à la Visitation, le soir à la Basilique.
La quatrième et dernière partie. du jubilé s'étendra du 18 octobre
au !«•■ novembre. Les exercices du mois du saint Rosaire continueront
à être faits chaque jour, mais il n'y aura plus de prédications que
pendant un triduum final, les 28, 29 et 30 octobre (le 31 demeurant
réservé aux confessions de la veille de la Toussaint).
Les vendredis 12, 19, et 26 septembre, 3 et lÔ octobre, en vertu
d'un Induit apostolique, les reliques de la Bienheureuse seront portées
processionnellement dans l'enclos du monastère.
Le dimanche 14 septembre, la grande croix de Jérusalem, offerte
par les pèlerins de Terre-Sainte, du pèlerinage de pénitence de 1890,
sera plantée solennellement sur le Calvaire de l'enclos des Chapelains.
Le dimanche 12 octobre, aura lieu dans l'après-midi, en vertu de
l'Induit apostolique précité, une procession générale des reliques de
la Bienheureuse dans la cité de Paray, avec stations aux principales
chapelles.
Le vendredi 17 octobre, jour anniversaire do la mort de la Bien-
heureuse, plusieurs messes épiscopales seront célébrées le matin à la
chapelle de la Visitation.
A neuf heures, Son Eminence le cardinal Foulon, archevêque de
Lyon, officiera pontificalement à la grand'messe (à la Basilique).
A deux heures, également à la Basilique, une allocution sera pro-
noncée par Mgr Germain, évêque de Coutances, et suivie d'une pro-
cession ?olennelle du Très Saint-Sacrement qui sera faite dans l'en-
clos du monastère et présidée par Son Eminence le cardinal Foulon,^
métropolitain.
A sept heures du soir, le pagényrique de la Bienheureuse sera pro-
nonce à la chapelle de la Visitation par Mgr l'évêque de Coutances.
La clôture du Jubilé aura lieu au salut solennel de la fête de la
Toussaint par le chant du Te Deum suivi des verset et oraison.
Le soir, au son de toutes les cloches de la ville, se fera, suivant le
rite accoutumé, la réposition de la châsse de la Bienheureuse sous le
maître-autel du sanctuaire de la Visitation.
Leurs Eminences les cardinaux de Reims, de Paris et de Lyon;
NNgrs les archevêques de Rouen et d'Avignon, les évoques de Delcon
(Thrace), d'Angoulème, de Valence, Coutances, Orléans, Nevers,
Clermont, Annecy, Séez, Beauvais, Tarentaise, Belley, Digne, Cap,
Soissons, Chartres, Saint-Dié, annoncent leur intention de venir â
Paray, pendant la durée du Jubilé.
Le gérant : P. Chantre l.
Paris. — iBjp. G. Picqnoin, 53, rne de Lille.
TABLE DES MATIÈRES
(1)
IVuméro 9S5^ (5 avril 1890).
— La souveraiaeté temporelle
des Papes, par Î\I. l'abbé Pluot,
5. — Les sémiaaristes à la ca-
serne, par Mgr Porraud (suite
et fia), 8. — Le mariage chré-
tien, par Mgr Turiaaz (suite),
15. — Une page d'histoire con-
temporaine, 23. — Triomphe
dans la mort, 30. — Confé-
rences de Notre-Dame, par le
R. P. Monsabré (6"), 34. —
Livres à l'Index, 42. — Nécro-
logie, 42. — Les Chambres,
45. — Chronique de la semaine,
48. — Nouvelles religieuses, 55.
IVuméro 0«>6 (12 avril 1890\
— La souveraineté temporelle
des Papes, par M. l'abbé Pluot
(suite et fin), 57. — Le hfiariage
chrétien, par Mgr Turiaaz
(suite et fin), 63. — Qu'est-ce
qu'ua évêque, 71. — Le repos
du dimanche, 76. — A Notre-
Dame, 78. — Les Actes des
Martyrs, 80. — Marie Stuart,
par M. Kervyn de Lettenhove,
83. — La conférence de Ber-
lin, 92. — Le clergé et la ques-
tion ouvrière, 97. — Nécrologie,
100, — Nouvelles religieuses,
102. — Chronique de la se-
maine, 106.
IVuméro ©Sr (19 avril 1890).
— L'exécution de la nouvelle
loi militaire, par Mgr Turinaz,
113. — L'Inquisition, 122. —
L'Eglise et la question sociale,
127. — La pléiade des grands
hommes du siècle, 129. — La
situation des Jésuites en Alle-
magne, 131. — Lettre du car-
dinal Lavigerie, 136. — Un
coup d'éperon, 144. — La con-
férence de Berlin, 147. — Nou-
velles religieuses, 150. — Chro-
nique de la semaine, 155. —
Bismarck et Mazzini, 164. —
Bulletin bibliographique, 166.
IVuméro 9£Î8 (26 avril 1890).
— L'Inquisition (suite et fin),
169. — L'exécution de la nou-
velle loi militaire (suite et fin),
par Mgr Turinaz, 176. — La
charité envers Notre-Seigneur
dans l'Eucharistie, par Mgr
Combes, 181. — La situation
des Jésuites en Allemagne
(suite et fin), 189. — La pléiade
des grands hommes du siècle
(suite et fin), 193. — Lettre du
cardinal Lavigerie (suite), 196.
— L'Eglise au Brésil, 204. —
La jeunesse catholique d Italie
au Vaticao, 208. — Chroaique
de la semaine, 214. — Bulletin
bibliographique, 223.
IVuméi>o $>»î> (3 mai 1890).
La charité envers Notre-Sei-
gneur dans l'Eucharistie, par
Mgr Combes (suite et fin), 225.
— Le feu à la maison, 231. —
Lettre du cardinal Lavigerie
(suite et fin), 233. — Le con-
grès de.s propriétaires chré-
tiens, 259. — Chronique de la
semaine, 264. — Nouvelles
religieuses, 274.
IVuméro 960 (10 mai 1890).
— Des paroisses et des curés,
281. — Comment faire une
éducation morale, 289. — La
fascination du progrès maté-
riel, par Mgr Isoard, 292. —
Les sœurs et la révolution,
304. — La laïcisation et M. Re-
nan, 305. — Causerie scienti-
fique, 309. — Petite chronique,
314. — Nouvelles religieusse,
313. — Les Chambres, 321. —
Chronique de la semaine, 323.
— Emin-Pacha et Stanley,
332. — Les lois de mai, 335.
rVuméro 06I (17 mai 1890).
— Discours de S. S. le Pape
Léon XIII, 337. — La question
romaine internationale, 339. —
Des paroisses et des curés, par
(1) Les chiffres placés à la suite des articles indiquent les pages.
724
ANNALES CATHOLIQUES
M. l'abbé Pluot (suite et fin),
341. — Le socialisme contem-
porain, 347. — L'Eglise et la
question sociale, 356. — La
constitution chrétienne de la
société, par M. l'abbé Wagner,
361. — Les « Vénérables » do
la Franc-Maçonnerie, 366. —
Assemblée générale de l'Œuvre
des Cercles catholiques, 368.
— Nécrologie, 371. — Nou-
velles religieuses, 372. — Les
Chambres, 376. — Chronique
de la semaine, 381. — Bulle-
tin bibliographique, 397.
Muîviéro «G^ï (24 mai 1890).
— Le sociali.sme contemporain
(suite et fin), 393. — Le lepoa
du dimanche, par M..Chfisnc-
long, 397. — .M. Tainc ot le
suffrage universel, 408. — La
fille do Galilée, 410. — Nou-
veaux mensonges du spiri-
tisme, 414. — Le peintre
A. Devaux, 417. — Assemblée
générale des catholiques, 421.
— Les fètos de .leanne d'Arc à
Orléans, 425. — Nécrologie,
427. — Chronique de la se-
maine,430. — Le8Chambres,439.
— Nouvelles religieuses, 443.
IVumt'.ro 1><Î3 (31 mai 1890).
— Nouveaux mensonges du
spiritisme (suite), 449. — La
troisième béatitude évangé-
lique, 4.'}2. — Le catholicisme
en Angleterre et en Ecosse,
458. — La journée d(î huit
heures, 453. — Le repos du
dimanche, par M. Chesnelong
(suite et fin), 466. — L'affaire
de Damas, 47.^. — La saisie des
biens des fabriques, 478. —
Nouvelles religieuses, 481. —
Les Chambres, 492. — Chro-
nique de la semaine, 494.
IVuméi-oO»'4(7juin 1890).—
Le salaire de l'ouvrier, 505. — La
quatrième béatitude évangéli-
quo, 509. — Le radicalisme en
Italie, 516. — N')tre-Damo do
l'Epine, par Mi^r Sourrieu, 518.
— La séparation de l'Eglise e
de l'Etat au Brésil, 524. — Un
épisode de la lutte religieuse
en Suisse, 529. — Les fêtes
d'Oberammergau, 533. — Né-
crologie, 537. — Nouvelles re-
ligieuses, 539. — Les Chambres,
546. — Chronique de la se-
maine, 551.
IMuméi'o 9eS« (14. juin 1890).—
Le suicide, 561. — La cinquième
béatitude évangclique, 503. —
Le couronnement de Notre-
Dame deTEpine, parMgr Frep-
pel,569. — Abolition et répres-
sion de l'esclavage eu Tunisie,
581. — Les mémoires de Tal-
leyrand, par M. de Blowitz.
584. — Le centenaire do l'Uni-
versité de Montpellier, 589. —
Nouvelles religieuses, 592. —
Le.i Chambres, 599. — Chroni-
que de la semaine, 607. — Une
spoliation, 614.
:Vnm6ro»«e(21 juin 1890).—
Trois fléaux, un remède, 617.
— Congrès social évangélique
de Berlin, 619. — La sixième
béatitude évangélique, 622. —
Errata, 628. — Huit jours pas-
sés à la Grande-Trappe de So-
ligni, par M. l'abbé Moreau,
629. — La basilique nationale
du Sacré-Cœur, à Quito, 034. —
Tribunaux, 637. — Le conflit
anglo-allemaml, 641. — Ques-
tions de législation, par M. l'abbé
Pluot, 644. — Nouvelles reli-
gieuses, 650. — Les Chambres,
657. — Chronique de la se-
maine, 664.
IVuméno 0«r (28 juin 1890 L —
La persécution fiscale, 673. —
HuitjoursàlaTrappedeSoligny
(suite et fin), 6&0. — L'Aposto-
lat par les livres de prix, 688.
— Les nouveaux évêques, 671.
— Le consistoire du 23 juin
1890, 700.— Les Chambres, 703.
— Clironiquedela semaine, 713.
— Le jubilé de Parav-le-Mo-
nial, 720. — Tables, 723.
TABLE ALPHABÉTIQUE
(i)
nuel pratique et bibliographi-
que du correcteur, par J. Lefo-
l'estier, 391. — Es-tu libre-pen-
seur'i par Jacques Bon homme,
392. — Le petit sou de la Ligue
de l'enseignement, 392. — Le
prêtre et le franc-maçon, par
J. Nicolas, 392.
Bureaux de bienfaisance. — Leurs
prétentions, 639.
Actes des martyrs (Les), 80.
Allemagne. — Le Pape et l'empe-
reur, 48. — Conférence de
Berlin, 53,83, 147. — Rescrits
de Guillaume II, 110. — La si-
tuation des Jésuites, 131, 189.
— L'Allemagne et la France,
155, 221. — Ouverture des
Chambres; discours du trône.
388, 501, 611. —Congrès social
évaogélique, 619. — (Joniiit an-
glo-allemand, (341. — Traité
anglo-allemand, 716.
Angleterre. — Le catholicisme
en Angleterre, 458. — Conflit
anglo-allemand, 641.
Apostolat (L') par les livres de
prix, 688.
B
Béatitudes évangéliques: La troi-
sième, 452. — La quatrième,
509. — La cinquième, 563. —
La sixième, 622.
BiLLABD (Mgr), év. de Carcas-
.?onne. — Qu'est-ce qu'un évo-
que ? 71.
Bismarck et Mazziai, 164.
Blowitz (M. de). — Les mémoires
de Talleyrand, 584.
Brésil. — Une page d'histoire
contemporaine, 23. — L'Eglise
au Brésil, 204. — Séparation de
l'Eglise et de l'Etat, 524.
Bulletin bibliographique. — Notre
voyage aux pays bibliques, par
M. l'abbé Le Camus, 166. —
Journal des saints, 167. — Dont
François Régis, par M. l'abbé
Bersange, 167. — Le mal so-
cial, par M. l'abbé Thiveaud,
223. — Le châtiment, par le
R. P. Félix, s. j., 223. — His-
toire d'un héros, par M. l'abbé
Tesseyre, 224. — Heures de la
Jeunesse chrétienne, 224. —
Petit mois de Marie, par dom
Sarda y Salvani, 391. — Ma-
(1) Dans cette Table, les chiffres qui suivent les articles indiquent
les pages; les noms des auteurs dont les travaux ont été publiés dans
ce volume des Annales sout en petites majuscules; les titres des livres
sont en italiques.
Catholicisme (Le) en Angleterre
et en Ecosse, 450.
Causerie scientifique, 309.
Cercles catholiques. — Assemblée
générale de l'Œuvre, 368, 372,
421.
CongrèssocialévangéliquedeBer-
lin, 619.
Chambres (Les), 42, 321, 376, 439,
492, 546, 599, 657, 703
Chesxelong (i\I.) — Le repos du
dimanche, 397, 466.
Chronique de la semaine. —
jPraiiceLes indépendants, 48. —
Vacances parlementaires, 50. —
Voyage de M. Caruot en Corse,
106. -• Les tripotages du Con-
seil municipal de Paris, 108.
— Allemagne et France, 155.
— Expulsion des journalistes
français en Italie, 156. — Elec-
tions municipales, 158. 258,
323. — Les Sœurs dans les
hôpitaux, 161. — Voyage de
M. Caruot dans le Midi, 214.
— Pluie et discours, 215. —
Manifestation du P""" mai, 128,
269, 329. — Grèves en province,
331, 387. — Le général de Mi-
ribel nommé chef d'état-major
général, 381. — Commission du
budget, 384, 433. — Un livra
de J. Ferry, 385. — Décès du
boulangisme, 430. — Voyage
présidentiel, 432, 495. — L'état-
major, 434. — Laïcisations, 434.
— Syndicats et patrons, 435.
— Politique et malfaiteurs.
726
ANNALES CATHOLIQUES
494. — Le budget des cultes,
497. — L'anniversaire de la
commune , 498 . — Une bro-
chure à sensation, 499. — Le
duc d'Orléans reconduit en
exil, 553. — Une erreur judi-
ciaire , 554 . — M . Carnot à
Paris, 555. — Athéisme officiel,
556. — Terroristes russes, 557.
— Un discours de M. Constans,
607, — Le pari mutuel inter-
dit, 609. — Le duc d'Orléans
aux conscrits de sa classe, Gll.
— Une allocution du comte de
Paris, G54. — Les sold.its-dé-
putés, (557. — L'attentat de
Vicfi,668,713. — Assemblée an-
nuelle des membres fondateurs
de la société de secours aux
blpssôs militairos, 671.
Etranger : Allemagne : Lo Pape
et l'Kiiipereur, 48. — Confé-
rence do Berlin. 53. — Rescrits
de r-uillaume H, 110. — Bis-
marck et Guillaume 11,221. —
Angleterre, 163, 332, 612.— B.i-
vière: changement ministériel,
558. — Belgique : élections pro-
vinciales, 501, — Dahomov,
55, 109, 437. — Espagne,
163. — Le choléra, 719. —
Indo-Chino. 013. — Italie, .54.
— Russie, 672. — Sénégal,
436, 503. — Terre-Neuve, 502,
559. — Tonkin, 559, 613.
Chronique (l'otito), 314.
Clergé ( Le) et la question ouvrière
par Mgr Kopp, 197.
Combes (Mgr). — La charité de
Notre-Seigneur dans l'Eucha-
ristie, 181, 225.
Conférence de Notre-Dame des
Paris (6«) par le R. P. Monsa-
BRÉ. 34.
Consistoire du 23 juin, 700.
Constitution chrétienne de la so-
ciété, par M. l'abbé Wagner,
864.
Coup d'éperons, 134.
Curés (Des) et des paroisses, 281,
341.
D
Damas. — Disparition d'un en-
fant chrétien, 475, 545.
Devaux (Lo peintre), 417.
Dimanche (Le repos du), par
M. Chesnelong, 397, 466.
Dot (la) des religieuses, 637.
Education morale (Comment faire
une), 289.
Eglise (L'j et la question sociale,
127, 356.
Emin-Pacha et Stanley, 832.
Esclavage. — Abolition et répres-
sion de l'esclavage en Tunisie,
581.
Eucharistie (La charité de Notre-
Seigneur dans 1'), par Mgr
Combes, 181, 225.
Evèques. — Ce que c'est, 71.
Evoques (Les nouveaux). — Mgr
Lecot, Mgr Oury, MgrMignot,
Mgr Hautin, 691.
Fabriques. — (Saisie des biens
des fabriques), 478.
Fléaux (Trois), un remède, 617.
Frkphel (Mgr) ; Le couronne-
ment de Notre-Dame de l'Epi-
ne, 569 ; allocution sur la ques-
tion sociale, 597. — V. Cham-
bres.
G
Galilée (La fille de), 4 10.
H
Harmbl (M. Léon). — Hommage
au président du syndicat de l'in-
dustrie roubaisienne, 33.
Hommes du siècle (Pléiade des
grands), 129, 193.
Index (Livres à 1'), 42.
Inquisition (L'), 122, 169,
IsoARD(Mgr). — La fascination du
progrès matériel, 292.
Italie ^Le radicalisme en), 516.
(V. Nouvelles religieuses et
chronique).
J
Jeanne d'Arc. — Les Fêtes d'Or-
léans, 425.
Jésuites en Allemagne. — Leur
situation, 131, 189.
Journée (La) de huit heures, 463.
Juifs. Disparition d'un enfant
chrétien à Damas, 475, 545.
TABLE ALPHABETIQUE
727
LaïcisatioQ (La) et M. Renan, 305.
Lavigeuie (Le cardiaal). — Let-
tre sur les dangers dont mena-
cent l'Afrique les sectes musul-
manes, 136, 196, 238. — Lettre
aux supérieurs de ses séminai-
res, 153.
Lettenhove (M. de), — Marie
Stuart, 83.
LÉON XIII. — Discours aux pèle-
rins allemands dans l'audience
de 8 mai, 337. (V. Nouvelles
religieuses.)
Livres. — V. Bulletin bibliogra-
phique.
Loi militaire (L'exécution de la
nouvellel, par Mgr Turinaz,
113, 176.
Lois de Mai (Les), 335.
ni
Mariage chrétien (Le), par Mgr
Turinaz, 15, 63.
MoNSABRÉ (R. P.). — 6^ conférence
à Notre-Dame de Paris, 34. —
Allocution après la commu-
nion pascale, 78. — Remercie-
ments au cardinal-archevêque
de Paris, 103.
Montpellier (Centenaire de l'Uni-
versité), 589.
MoREAU (M. l'abbé). — Huit jours
à la Grande Trappe de Soligui,
629, 680.
Mort (Triomphe dans la) : M. H.
Bayard, 30.
Nécrologie. — Mgr de Haerne,
doyen d'âge de la Chambre des
représentants de Belgique, 42.
— M. le comte A. de Pontmartin,
43. — Le général Ambert, 45. —
Docteur Trélat [ibid.]. — Mgr
GroUeau, évêque d'Evreux, 100.
— M. Scliindler, dernier prési-
dent de la République de Cra-
covie, 101. — M. l'abbé Jules
Morel (ibid.) — Général Casso-
la, 371. — Vice-amiral Dupetit-
Thouars, 427. — E. de Soye, di-
recteur de la Semame iJe/t^tewse
de Paris, 429. — Général de
Beaufort d'Hautpoul, 430. —
M. le vicomte de Goataut-Bi-
ron, 537. — Le prince Nicolas
Bibesco, 538. — Mgr Dioder, ar-
chevêque de Gnesen-Posen, 539.
Notre-Dame-de-l'Epine, par Mgr
SouRRiEu, 518. — Le couron-
nement, discours de Mgr Frep-
PEL, 5G9.
Nouvelles religieuses. — Rome
et Italie : 102. — Bref au corps
professoral de l'Université de
Fribourg, 150, 151. — Lu jeu-
nesse d'Italie au Vatican, 208,
274. — La loi sur les œuvres
pies au Sénat, 315. — Lettre
du cardinal Rampolla au Pré-
sident de l'œuvre des congrès
catholiques, 316. — Difficultés
financières de la municipalité
romaine, 443. — Organisation
de la hiérarchie dans les lades
occidentales, 444. — Congréga-
tion des rites et les causas de
béatification, 481. — Nou-
velles de S. S. Léon XIII, 482,
539. — Emeutes en Romagne,
540. — Le prochain consistoire,
592. — Le nouvel envoyé bri-
tannique, 594. — Souvenirsdu
pèlerinage ouvrierfrançais, 650.
— Promulgation de décrets de
laS. Congrégation des Rites,651.
— Consistoiredu 23 juin, 700. —
France. — Alger: Lettre du car-
dinal Lavigerie aux supérieurs
de ses séminaires, 153. — Lettre
do l'Ouganda à S. E. le cardi-
nal Lavigerie, 656. — Angers :
Allocution de Mgr Freppel, 597.
— Autun : Ordonnance contre
le « nouveau mois de Marie de
N.-D. de Lourdes », 275. —
Bayonne, 59(S. — Châlons : cou-
ronnement de N.-D, de l'Epine.
483. — Chambéry, 483. — Cam-
brai : une statue du Sacré-Cœur
dans une usine, 276; 541, 654.
-— Carthage ; Consécration do
la cathédrale, 484. — Cier-
mout-Ferrand : Fête de N.-D.
du Port, 445, 542. — Dijon : A
Auxonne sacre de MgrSoanois,
évêque de Saint-Dié, 56. — Le
Puy, 598. — Orléans, 153. -
Paris : Assemblée de l'œuvre
de l'hospitalité de nuit, 55 ; Re-
merciements au R. P. Mon-
sabré, 103; 152, 318, 372, 373;
La procession de la Fête-Dieu
728
ANNALKS CATHOLIQUES
595; Manifestation à Montmar-
tre, 651. — Quimper, 653. —
Saint-Dié : Lettre pastorale de
Mgr Sonnois à l'occasion de
son arrivée dans son diocèse,
319 ; Visite à Domrémy, 447.
— Toulouse : Réunion des évê-
ques de l'Institut catholique,
599. — Tours, 655. — Valence :
M. l'abbé Hey, le vaillant curé
de Malissard, 375. — Vannes :
Procession de la Fête-Dieu,
655. — Versailles : Epreuve
heureusement terminée, 320.
Etranger. — Allemagne : Con-
grès des catholiques allemands,
485. — Autriche, 486.— Egypte :
Pèlerinage de Pénitence, 321.
— Espagne : Lettre du Pape
à Mgr révoque d Urgel, 278.
— Etats-Unis : 487. — Hol-
lande, 100. — Japon, 589. —
Suisse : Promotion de S. G.
Mgr Mermillod au cardinalat,
490,543. —Turquie, 544.
O
Oberamniergau(Les fêtes de), 533.
Ouvrier (Le salaire de 1'), 505.
I»
Papes (La souveraineté tempo-
relle des), 5, 57.
Paray-le-Monial. — Le.]ubilé,720.
Paroisses (Des) et des curés, 281,
341.
Peruaud (Mgr). — Les sénnina-
ristes A la caserne, 8.
Persécution (La) fiscale, 673.
Pluot (M. l'abbéj. — La souve-
raineté des Papes, 5, 57. — Dos
paroisses et des curés, 28 1 , 341 ,
628.
Pompes funèbres. — Dispositions
législatives, 644.
Pi ogres matériel (Fascination du),
par Mgr Isoard, 292.
Propriétaires chrétiens (Le con-
grès des), 259.
Q
Questions de législation touchant
les pompes funèbres, C44.
Question romaine (La) interna-
tionale, 339.
Question sociale (La) et l'Eglise,
127, 356. — La question sociale
et Mgr Freppel, 597.
Quito. — La basilique du Sacré-
Cu.'ur à Quito, 634.
R
Religieuses. — Leur dot. — Dé-
cision judiciaire, 637.
Re.nan (M.) et la laïcisation, 305.
Révolution (La) et les Sœurs, 304.
Richard (S. Em. le cardinal), ar-
chevêque de Paris. — Remercie-
ments au R. P. Monsabré, 103,
Sacré-Cœur. — Basilique à Quito,
634.
Séminaristes (Les) à la caserne,
par Mgr Perraud, 5.
Socialisme, 144.
Socialisme contemporain (Le) ,
347, 393.
Société( La constilution chrétienne
de la) par M. l'abbé Wagner,
361.
Société contemporaine. — Le feu
à la maison, 231.
Sœurs (Les) et la révolution, 304.
SouRRiEU (Mgr), év. de Châlon.«.
— Notre-Dame de l'Epine, 518.
Spiritisme (Nouveaux mensonges
du). 414, 449.
Spoliation (Une), 614.
Stanley et Emin Pacha, 332.
Stuart (Marie), 83.
Suffrage uni versel(Le)et M. Taine,
408.
Suicide (Lel, 561.
Suisse. — Un épisode de la lutte
religieuse, 529.
X
Tainb (M.) et le suffrage univer-
sel, 408.
Talleyrand (Les mémoires do),
par M. de Blowitz, 584.
Trappe de Soligni (Huit jours à
lai, 629, 680.
Tribunaux, 637.
Tunisie. — Abolition et répres-
sion de l'esclavage, 581.
TuRiNAZ (Mgr), év. de Nancy. —
Le mariage chrétien, 15, 63. —
L'exécution de la nouvelle loi
militaire, 113, 176.
V
Wagnek (M. l'abbé J.). — La cons-
titution chrétienne de la so-
ciété, 361.
Vicq. — Laïcisation de l'Ecole,
668.
WiTZ (M. Aimé) — Causerie scien-
tifique, 309.
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